Bernard de Boishéraud. La guerre, la libération et la décolonisation. 2011

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Bernard de Boishéraud La guerre, la libération et la décolonisation

Archives familiales 2011


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Bernard de Boishéraud La guerre, la libération et la décolonisation

Pierre de Boishéraud 2011

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Sommaire Introduction …………………………………………………………. La guerre de 1939-1945 ……………………………………………….…... Réflexions du général Henri Giraud sur la guerre de 1940 ……. Le général de Monsabert …………………………………….. L’opération Torch et le putsch d’Alger ……………………….. Face au débarquement américain du 8 novembre 1942 …….. Récit du colonel Goutard ……………………………… Extrait de « notes de guerre » ……………………………… La nuit du 7 au 8 novembre à Alger ……………………….. Témoignage de l’aspirant Pauphilet ...................................... L’assassinat de l’amiral Darlan …………………..…………………. Giraud, puis de Gaulle …………………………………………… French commando ......................................................... French commando et Corps Franc d'Afrique …...…….. Journal d'opérations de la 3° brigade en Tunisie ..…….. D’Oran à Naples avec l’organisation américaine ………………….. La campagne d'Italie …………………………………………...

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La décolonisation ………………………………………………………….. 227 La guerre d'Indochine …………………………………………….. 237 Cartes ................................................................................ 239 Journal de marche du I/1 RTM .............................................. 243 Historique du I/1 RTM ................................................... 245 Opération Lotus ............................................................. 282 Attaque du poste de Tu Vu ……....................…..….. 311 L’opération Jasmin ……………………………….……..……. 377 Avec le 1° BPC dans le Bavi ........................................ 381 Les bataillons du 4° RTM au travers du Bavi ............. 383 Le bureau des fortifications ………………………………. 395 Guerre révolutionnaire et action psychologique ............................. 399

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La guerre d'Algérie …………………………………………….. Guelma …………………………………………..……….. Colonel, commandant le 1er RIM à Trézel …………..…….. Le 1° RIM ........................................................................ Notabilités de la ville de Trézel ............................ Le Putsch d'avril 1961 ……………………..…..…….. Colonel, commandant le 153ème RIM sur le barrage Tunisien Le 15.3 à Souk-Ahras à la veille du cessez le feu ......... Le secteur de Souk Ahras ....................................... La ligne Morice ............................................................ La vie du 15.3 sur le barrage en 1961 ..............................

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L'Institut des Hautes Etudes de la Défense Nationale ………………… Notations ……………………………………………………. …………. Quelques chants ………………………………………………………….. Abréviations ……………………………………………………..........

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Introduction Sortant de Saint Cyr dans la promotion Joffre en 1932, Bernard de Boishéraud est affecté à Miliana en Algérie comme sous-lieutenant d'une compagnie de tirailleurs Algériens, dans la brigade du général de Monsabert. Son parcours, jusqu’en 1945, sera intimement lié à celui de ce général, déjà en limite d'âge, mais animé d'une foi et d'un charisme extraordinaire, qui le forme, qu'il admire, et dont il sera bientôt officier d’état major. Il épouse en 1936 Geneviève Pocard du Cosquer de Kerviler, et la famille s’installe à Ténès, près d’Orléanville. C’est là, après la naissance de Marie-Antoinette, en 1937, que Bernard fait connaissance d’Hubert Roussel, médecin militaire. Les deux ménages sympathisent. La défaite de 1940 se passe sans que l'armée d'Afrique ait eu l'occasion de défendre la mère patrie, et l'espoir de la revanche anime tous les cœurs. La confiance au Maréchal Pétain est totale, marquée par un serment de fidélité, et lorsque le général de Gaulle apparaîtra, on croira sincèrement que les rôles se sont repartis entre eux. A l’un la sauvegarde de ce qui peut l’être, à l’autre l’espoir et la gloire. La haine séculaire des anglais, qui soutiennent de Gaulle, se ravive par les désastreuses affaires de Mers el Kebir, de Dakar et de Syrie, où les anglais, redoutant que l’armée d’Afrique, ne rejoigne l’Axe, préfèrent l’attaquer préventivement, avec malheureusement la participation des gaullistes. Enfin, le général Giraud, prisonnier en Allemagne depuis mai 40, s'évade et se retire dans le sud de la France. Il soutient le maréchal, sans participer au gouvernement, et va cristalliser tous les espoirs de victoire de l'armée d'Afrique, qui a lu sous le manteau ses lettres de captivité. Il est soutenu par les Américains, qui préparent un débarquement en Algérie et pensent entrainer avec lui l’armée d’Afrique en le mettant à la tête d'un gouvernement provisoire. Or le Maréchal a donné ordre de s'opposer à toutes actions étrangères. Il apparait donc nécessaire de paralyser le commandement de l’armée, le temps que les américains débarquent et installent le général Giraud. Le général de Monsabert, avec le général Mast, sont dans le secret de la préparation du putsch. Cette désobéissance est évidement contraire à l'esprit militaire, et amènera le général et ceux qui l'ont suivi à se justifier sans cesse. Le jour J, tandis que les centres de communication de la ville d’Alger sont occupés par les résistants, Monsabert a pour mission d'occuper la base aérienne de Blida afin d'y permettre l'atterrissage de Giraud. La base est occupée, mais Giraud ne vient pas, ou du moins il n’arrive que le lendemain, et l'armée d'Afrique ne se lève pas unie derrière lui, elle tente même, en particulier à Oran et à Casablanca, de résister au débarquement. Les américains traitent alors avec l’amiral Darlan, fortuitement présent à Alger, et les "putschistes" sont mis en quarantaine. En France, les allemands envahissent la zone libre, et la flotte de Toulon, qui n’a pas tenté de rejoindre un port libre de l’empire pour y proclamer la reprise de la lutte, se saborde. Les allemands débarquent en Tunisie, sans résistance des troupes françaises présentes. Le gouvernement provisoire se met en place à Alger, siège d'âpres luttes entre Maréchalistes (Darlan, Giraud, Juin, ...) et Gaullistes. Les Français sont divisés, chacun compte les mauvais points à sa manière : Giraud, soutenu par les américains, se réclame de la continuité du maréchal, en particulier dans la politique antisémite, et c’est un putschiste, qui arrive dans les wagons de l’étranger. De Gaulle est un déserteur, soutenu par les anglais, que tous détestent, et se bat avec eux, on lui reproche de faire du débauchage dans les unités, de vouloir l’épuration de l’armée, de faire de la politique, d’être reconnu par les russes et de s’appuyer sur les républicains du front populaire, communistes, radicaux-socialistes, et donc de faire le lit du communisme. Il y a beaucoup d’égo et pas assez de désir d’union contre l’allemand. Les américains arbitrent comme ils peuvent, mais, comme le rapporte le général Clark, ils ont de la peine à comprendre pourquoi le général A condamne le général B pour avoir participé à une action que le général A a lui-même préconisé ou à laquelle il a participé.

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Le général de Monsabert, soutenu par Giraud, finit par trouver en fin 1942 une affectation de « pénitence » à sa désobéissance : organiser le Corps Franc d'Afrique, destiné à enrégimenter des exclus de toutes sortes (juifs, franc-maçons, putschistes, …) que l’armée régulière, toujours dans la ligne de Vichy, rejette. A cette occasion, Bernard côtoie certains participants du complot qui aboutit à l’assassinat de Darlan le 24-12-1942 à Alger. Le coup d’état envisagé consistait à faire démissionner Darlan, considéré comme principal obstacle à l’union sacrée, puis, pour réconcilier tous les partis, à faire nommer le comte de Paris président du conseil d’empire par les conseillers régionaux des trois départements d’Algérie, de Gaulle comme chef du gouvernement et Giraud comme ministre. Le comte de Paris était donc venu de Casablanca quelques jours auparavant à Alger. Il logeait chez Henri d’Astier, et de Gaulle avait envoyé son bras droit, François d’Astier. Darlan refusant de démissionner, François d’Astier convainquit le comte de Paris de le faire éliminer. Bernard lira plus tard tous les livres qu’il trouvera sur cette époque, et dans une des lettres échangées lors des relectures de sa notice sur « Monsabert face au débarquement », il écrit : « cette journée a été un peu folle et il serait vain de chercher un processus logique dans le déroulement des événements et les réactions des individus ou des collectivités. J’admire l’assurance des historiens car je m’aperçois qu’en toute bonne foi, on finit par se forger sa vérité ». Les conseillers régionaux élisent Giraud comme haut commissaire d’Afrique du nord. Il obtient l’accord du gouvernement américain pour l’équipement de plusieurs divisions en matériel américain (ce sera le cas de la 3° DIA). Les américains imposent à Giraud et de Gaulle de se rencontrer, lors de la conférence des alliés à Anfa, au Maroc. D’où la création, dans la douleur, du Comité Français de la Libération Nationale, dont ils sont co-présidents. En début 1943, Bernard participe, dans le cadre d’une division française intégrée dans l’armée britannique, à la campagne de Tunisie menée par les alliés pour repousser les forces allemandes récemment débarquées et Bizerte. Tunis sont libérés en mai. La Sicile est libérée par les alliés en fin juillet 1943 ; les italiens renversent Mussolini et capitulent dès les premiers débarquements alliés dans le sud de l’Italie, en septembre 1943. En décembre 1943, Bernard embarque à Bizerte avec la 3eme DIA, destination : Naples. Une croisade commence, dit Monsabert, et la collusion du racisme païen et du communisme impie ne fait que grandir les buts de guerre de la civilisation contre les barbares. C’est la glorieuse marche de l'armée d'Afrique en Italie, en passant par les attaques de Monte Cassino, la prise du belvédère, la percée du Garigliano, la prise de Rome, et enfin celle de Sienne, avec les tirailleurs marocains et algériens : C'est nous les africains qui arrivons de loin, Venant des colonies pour sauver la Patrie. Nous avons tout quitté, parents, gourbis, foyer. Et nous gardons au cœur une invincible ardeur, Car nous voulons porter haut et fier, le beau drapeau de notre France entière. Et si quelqu'un venait à y toucher, nous serions là pour mourir à ses pieds. Battez tambour, à nos amours, pour le pays, pour la Patrie, Mourir au loin, c'est nous les africains. Les allemands ont établi leurs lignes de défense successives en travers de l’Italie, et le mont Cassin qui en occupe la place centrale est âprement défendu. C’est Juin qui propose aux américains de contourner le mont Cassin par la montagne. L’attaque est confiée à l’armée d’Afrique, entrainée aux combats en montagne. Kesselring, Le général allemand écrira plus tard : « Les Français et surtout les Marocains ont combattu avec furie et exploité chaque succès en concentrant

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immédiatement toutes les forces disponibles sur les points qui faiblissaient ». La route de Rome est alors ouverte. Pendant la relève suivant la prise de Rome et précédant celle de Sienne, Bernard est le coordinateur du défilé dans l’amphithéâtre de Pompéi, défilé qui est pour tous un grand moment d’émotion. Après la prise de Sienne, au moment où la division revient à Naples, pour s'entraîner au débarquement prévu en Provence, Bernard part faire un stage d’état-major à Rabat, puis participe en avril 1945 à la réduction de la poche de Royan, sous le commandement du général de Larminat. Il rejoint ensuite la 3eme DIA pour la fin de la campagne d'Allemagne : la prise de Stuttgart. Muté à la 2ème DIM, Bernard revient en France, à Sarrebourg en octobre 1945 1. En 1946, Bernard est à l’état major de la 2ème DIM à Nancy, et la famille s’installe rue des sœurs macarons, où naissent les deux derniers enfants. En 1947, un grand mouvement de grève, mené par la CGT et le PC, paralyse la France. Le risque d’une prise du pouvoir par les communistes n’est pas nul. La division met en place, et déclenche, un plan de retour sur Paris pour y rétablir l’ordre. En pleine guerre froide avec le bloc soviétique, il est exclus de se faire prendre sur ses arrières par une cinquième colonne. Bernard fait le trajet pour réquisitionner les postes d’essence. La menace suffira. En Indochine, entre 1940 et 1945, le japon soutient et arme les nationalistes de Ho Chi Minh. En septembre 1945, la république du Vietnam est proclamée, alors que les Chinois occupent le Vietnam au Nord du 16éme parallèle. La France réoccupe sa colonie, et reconnait la république du Vietnam, associée à l’union française, le sud restant sous contrôle Français. En décembre 1946, l’appel à l’insurrection entraine une guérilla sur tout le territoire. Nommé chef de bataillon en 1951, Bernard met sur pied un bataillon de réserve à Telerma en vue d’un départ pour l’Indochine. Chef d'un autre bataillon de marche de tirailleurs marocains, dont la mission est de visiter des villages, protéger le génie qui ouvre des routes, protéger des convois, récupérer des éléments dispersés, occuper le terrain, … il subit sur la rivière Noire une attaque massive des vietminhs submergeant, au prix de très lourdes pertes, le poste de la compagnie du capitaine le Levreur à Tu Vu. Heureusement, un 2ème régiment vietminh, censé attaquer par l’arrière le point d’appui du rocher Notre Dame, où se trouve le PC du bataillon, a été sévèrement accroché la veille dans son approche, par un bataillon parachutiste puis par deux bataillons envoyés de Hanoï. Il n’interviendra pas, laissant le point d’appui complètement libre de soutenir Tu Vu, par des tirs de barrages et des ravitaillements en munitions. Des parachutages en masse permettent de ravitailler le bataillon isolé en équipement et munitions (environ 2000 parachutes sont récupérés et repartent en camions) Il est affecté en mars 52 au bureau des fortifications du nord Vietnam, à Hanoï, puis en juin 53 au 3ème bureau des forces terrestres du Laos à Vientiane. En novembre 53, Bernard revient à l’état major de la 2ème DIM, à Nancy. 1

Pendant toute la guerre, la famille est restée à Blida, avec une tante qui, arrivée en octobre 42 comme infirmière, est rentrée en mars 45 par un transport militaire. Geneviève embarque alors avec ses 4 enfants, dont le plus jeune a deux ans, en direction de Marseille. Elle cache les économies dans les poupées des filles, sacrifiées pour cette bonne cause, et, en guise de couches, elle emmène un rouleau de tissus qu’elle découpe au fur et à mesure. Le débarquement à Marseille s'effectue par des passerelles impressionnantes au dessus de l'eau, et au milieu d'une foule énorme. Le voyage, ponctué d’interminables arrêts, se poursuit en train vers Bordeaux puis Nantes, où les enfants découvrent leurs grands parents, pleurant la mort récente de leur fils Pierre dans les bombardements. Le voyage reprend ensuite vers Rossulien. Rejoints enfin par Bernard, la famille repart et prend logement dans la caserne de Sarrebourg, dont tous les carreaux sont cassés.

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La capitulation de l’armée française à Dien Bien Phu en novembre 1953 entraine les accords de Genève qui séparent le Viêt Nam en deux États. Les états unis remplacent la France en envoyant de plus en plus de « conseillers », surtout à partir de 1964 avec le successeur de Kennedy, Lyndon Johnson : c’est la seconde guerre du Vietnam, opposant la république démocratique du Vietnam, au nord, soutenue par le bloc de l’est, à la république du Vietnam, au sud, soutenue militairement par les états unis, jusqu’à l’évacuation en catastrophe en avril 1975. Après les vietnamiens, ce sont les algériens, marocains et tunisiens qui veulent se prendre en main. En Algérie, les différents groupes indépendantistes fusionnent en 1954 dans le Front National de Libération, qui réclame l’indépendance, et lance l’insurrection dans les Aurès. En mars 1956, les protectorats de Tunisie et du Maroc accèdent à l’indépendance par la négociation. La situation est très différente en Algérie, colonisée depuis plus longtemps, et où sont installés un million de colons. Le système administratif local a été remplacé : l’Algérie est un département français. Au Maroc et en Tunisie, après l’indépendance, les échanges économiques continueront avec les mêmes structures qu’avant. En juin 1955, la 2ème DIM fait mouvement sur l’Algérie, où Bernard est en poste à Guelma jusqu’en septembre 1956. Il est alors muté à l’école de guerre à Paris, où il tiendra plusieurs postes d’instructeur. La famille s’installe à Paris, cité Martignac puis 77 av. Ledru Rollin. En janvier 1961, alors qu’il est Colonel en Algérie à Trézel dans l'Oranais, survient le putsch des généraux. Il reste certes fidèle au gouvernement légitime, mais en ressentant en lui même les tiraillements de l'abandon de l'Algérie Française par le général de Gaule. Le discours d’Alger, terminé par un vibrant : « je vous ai compris » avait permis tous les espoirs. Mais tout le monde avait compris autre chose que ce qui se fit, dans le respect de l’autodétermination du peuple algérien. A Souk Arras, en juillet, colonel, il commande un régiment sur le barrage fortifié constituant la frontière avec la Tunisie, où se réfugient les rebelles. En février 1962, il est rapatrié sanitaire et subit une première grave opération. Il est alors auditeur puis instructeur à l'Institut des Hautes Etudes de la Défense Nationale. Pour profiter de sa famille, il refuse en 1965 sa mutation comme adjoint du général commandant la 1ère brigade blindée à Saarburg en Allemagne. Il passe dans le cadre de réserve en janvier 1969 et devient secrétaire général de l'association France-Quebec, poste qu'il occupe plusieurs années. La rédaction des articles concernant la défense pour l’encyclopédie Larousse l’occupe jusqu’à ce qu’il se retire à la Courbejollière. Le délai de 50 ans n’étant pas écoulé depuis sa mort, le dossier de Bernard de Boishéraud aux archives militaires à Vincennes n’a pas pu être consulté. Il contient surement plusieurs rapports intéressants, sur le moral, sur les opérations à Trézel et à Souk Arras. Les militaires emploient beaucoup d’abréviations et de sigles, dont on trouvera la liste en fin du livret. Dans leurs rapports officiels ils utilisent aussi beaucoup de majuscules : tous les noms propres, de lieux et de personnages sont en majuscules, et tous les mots représentants une autorité ou un élément de l’organisation ont leur première lettre en majuscule. Cela a l’avantage d’être très clair, et permet d’éviter des incompréhensions et ambiguïtés ; n’oublions pas que tout est tapé sur des vieilles machines à écrire, sur du papier très fin et avec utilisation du papier carbone pour faire des copies ; mais cela rend le texte très lourd. La plupart de ces majuscules ont été ici supprimées. En complément du présent livret regroupant tous les textes disponibles, un album photographique numérique a été constitué, contenant les documents, cartes et photographies.

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La guerre de 1939-1945

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Reflexions du général Henri Giraud sur la guerre de 1940

Koenigstein - juillet à novembre 1940

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Ces documents ont été rédigés en Allemagne par le général d’armée Henri Giraud 1, avant son évasion de la forteresse de Köenigstein. Parvenus clandestinement en France, ils étaient transmis en Algérie à des fidèles du général Giraud qui les diffusaient à leurs amis. C'était le cas du chef de bataillon Lardin, commandant le 1er bataillon du 1°RTA à Cherchell, qui remettait régulièrement au général de Monsabert, commandant la subdivision de Blida, et à moimême 2, une copie des documents du général Giraud qu'il recevait.

1- En 1914, Henri Giraud commande le 4ème régiment de zouaves. Blessé, il est capturé le 30 août 1914, mais s'échappe deux mois plus tard de l'hôpital d'Origny-Sainte-Benoite, et rentre en France. Il retourne au front et en 1917 participe à la Bataille du Chemin des Dames et à la prise du fort de Malmaison. Giraud sert ensuite avec les troupes françaises à Constantinople, sous le général Franchet d'Esperey. Puis il est au Maroc sous les ordres du maréchal Lyautey et participe à la guerre du Rif. Il est professeur à l'École de Guerre en 1927 et général de brigade en 1930. En 1933 il est muté au Maroc pour y combattre la résistance berbère aux abords du Tafilalet et dans le djebel Sargho. Il obtient la Légion d'honneur. Il devient en 1936 commandant militaire de Metz, puis commandant de la 3e armée, à ce titre il est le supérieur hiérarchique du colonel de Gaulle, commandant le 507ème régiment de chars de combat. Quand la Seconde Guerre mondiale commence, Giraud est membre du Conseil supérieur de la guerre. Il y désapprouve la tactique préconisée par le lieutenant-colonel Charles de Gaulle d'emploi offensif des blindés en formations groupées pour percer les lignes ennemies. Le 10 mai 1940, Giraud commande la 7e Armée qui doit, dans le cadre du plan Dyle-Bréda, atteindre au plus vite les Pays-Bas. Il parvient à retarder les troupes allemandes à Bréda le 13 mai. Plus tard, il prend le commandement de la 9e armée. Mais c'est lorsqu'il essaie de bloquer l'attaque blindée allemande dans les Ardennes, qu'il est capturé à Wassigny par le général von Kleist le 19 mai. Avec une centaine d’autres généraux français (Juin, Mast, …) il est interné au Königstein près de Dresde. 2- Le capitaine Bernard de Boishéraud était alors à l'état-major du général de Monsabert 14


Koenigstein, Septembre 1940

Mes chers enfants,

Je ne sais pas combien de temps je resterai ici, des mois, des années peut-être. Il est possible que je sois enterré à côté de mon ami Dame. Je suis prêt à tout. Peu importe. Je vous confie le soin de me remplacer dans une tache sacrée : le relèvement de la France. Je vous interdis de vous résigner à la défaite et d'admettre que la France puisse passer après l'Italie, l'Espagne ou la Finlande. Peu importent les moyens. Le but seul est essentiel. Tout doit lui être subordonné. Vous lui sacrifierez vos intérêts personnels, vos goûts, vos théories votre mystique. Au début, il ne s'agit pas de heurter de front un ennemi qui s'est assuré la possession de notre sol et nous a totalement désarmés. Streseman 1 a défini la méthode à employer nous n'avons qu'à copier intelligemment. En première urgence, la libération du territoire. Ensuite, la reconstruction physique, morale, et sociale. En troisième lieu, être prêt à tout moment, à profiter des occasions qui nous serons offertes. Par conséquent refaire une armée moderne. Ceci suppose un programme à exécuter par qui de droit : - Les esprits sont faits en France - L'instruction est faite aux colonies. - Le matériel est fait à l'étranger. Malgré tous les contrôles, un tel programme est possible, le camouflage étant de règle. Rien ne ressemble mieux au "service en campagne" que l'instruction des scouts. Rien ne ressemble à un avion militaire comme un avion de transport. Un tracteur à chenilles n'a besoins que de sa cuirasse pour devenir un char d'assaut, etc ... Mais, avant tout, que les esprits soient à la hauteur de la tache. Qu'ils veuillent être français, totalement. Que personne ne s'expatrie des pays occupés ou temporairement détachés : il s'agit d'y maintenir la pensée française. Mais que personne n'hésite à s'expatrier si on lui offre à l'étranger une situation où il peut être utile à la France. Vous tous, Pierre, Henri, André, Bernard, et vous mes chères filles, rappelez-vous qu'une bourrasque passe mais que la Patrie reste. Une Nation vit quand elle veut vivre. Répétez cela autour de vous, forcez les autres à penser comme vous, à travailler comme vous. Nous sommes sûrs de la victoire, si nous savons le vouloir : Résolution, Patience, Décision.

général Giraud

1- Gustav Streseman, homme politique allemand mort en 1929, disait que « L’essentiel est la libération de notre sol [...] ; il faut tout d'abord que nos étrangleurs lâchent prise ; c'est pourquoi la politique allemande devra pour commencer suivre la formule que Metternich, je crois, adoptait en Autriche après 1809 : finasser et se dérober aux grandes décisions ». 15


26 juillet 1940

Les causes de la défaite La France est vaincue. En six semaines son armée est forcée de mettre bas les armes, alors que de 1914 à 1918 elle a résisté d'abord, repoussé ensuite et finalement abattu une armée allemande aussi forte relativement que l'armée de 1940. Quelles sont les causes de cet écrasement imprévisible, inouï dans l'histoire de la France. Les rechercher loyalement, les exposer franchement, trouver les remèdes qui conviennent doit être le but de tout Français fier de son passé, conscient de la gravité du présent, plein d'une indestructible confiance dans l'avenir. Notre histoire nous offre trop d'exemples de chutes catastrophiques suivies de réveils prodigieux pour que nous restions écrasés et résignés. Une grande Nation comme la France a un rôle à jouer dans le monde, nous n'avons pas comme devise : La France au-dessus de tout mais nous avons : Gesta dei per francos 1 Et nous préférons la seconde à la première. La France est entrée en campagne, en 1939, avec une armée de terre de : 20 divisions actives 8 divisions nord-africaines 3 visions coloniales 2 divisions légères mécaniques Constituant l'armée de temps de paix. S'y ajoutaient à la mobilisation : 20 divisions série A 20 divisions série B 15 divisions coloniales ou nord-africaines Soit au total 90 divisions environ. Les divisions d'actives comprenaient 7 divisions motorisées, relativement mieux équipés que leurs sœurs hippomobiles. Les divisions de série A avaient un faible encadrement actif et un armement inférieur aux divisions actives. Les divisions de série B n'avaient comme cadres de l'active que les chefs de corps, dont certains venaient des centres mobilisateurs ou de postes administratifs ne les ayant pas préparés à un commandement aussi difficile que celui d’un régiment uniquement composé de réservistes. Leur armement anti-chars n'existait pas. L'âge moyen de la troupe dans les divisions actives était de 25 ans, dans les divisions de série A, de 30 ans, dans les séries B de 35 à 40 ans. La plupart des hommes n'avaient pas de service. L'instruction laissait beaucoup à désirer. Les divisions nord-africaines du temps de paix étaient de très bonnes troupes, seulement alourdies par leurs réservistes français. Celles formées à la mobilisation étaient de qualité inférieure. Les divisions coloniales n'avaient pas l'instruction et la cohésion nécessaires pour la guerre européenne. Capable d'actes d'héroïsme individuels, elles étaient mal préparées pour la lutte contre les engins modernes, à la discipline du rang, à la résistance à outrance. Les divisions de cavalerie à cheval ou motorisées étaient de magnifiques unités ayant gardé 1- Les œuvres de Dieu par les francs. C’est le titre de la chronique de Guibert, abbé de Nogent, pour son recueil de documents sur les croisades. 16


les traditions, non pas de la cavalerie, mais de l'armée tout simplement, avec le sens de l'autorité, l'amour du métier, le goût du risque. Peut-être pourrait-on trouver qu'il y avait encore de trop nombreux chevaux et pas assez d'engins blindés. Quoi qu'il en soit, les unes comme les autres se sont héroïquement sacrifiées, et leur action en Belgique a ajouté quelques pages de gloire à celles qui illustrent l'histoire de l'armée française. Les chars n'étaient pas répartis en divisions; chaque armée disposait de 2 bataillons de chars R 35. Jusqu'au début de 1940 les autres bataillons de R 35, R 39, D2 et B étaient en réserve de GQG 1. A partir de janvier 1940, furent formées 2 divisions cuirassées qui n'eurent le temps ni de s'amalgamer ni de s'entraîner. Une troisième D.L.M. 2par contre s'était constituée dès la fin de 1939. Elle figura très honorablement dans le corps de la cavalerie en Belgique. A dessein, je ne traite ici aucune question d'armement, ni d'équipement, nous y reviendront plus tard. L'armée de l'air comprenait les formations spéciales à cette armée et les formations rattachées aux forces terrestres, mais gardant bien entendu leur statut spécial et une quasiindépendance. C'était un ensemble imposant de généraux, d'états-majors, de service. Il ne manquait malheureusement que des avions. Ni au point de vue du nombre, ni au point de vu qualité des appareils, ni au point de vu orientation des esprits, ni au point de vue coordination entre les troupes de terre et les troupes de l'air, il n’y eut, à aucun moment de la guerre, sur aucun théâtre d'opérations, la moindre illusion à se faire. Nous n'avions ni chasse, ni bombardement, ni observation. L'ensemble des groupes de chasse ne dépassa pas une vingtaine de groupe, soit 750 appareils au maximum. Le bombardement de jour fut inexistant. Celui de nuit mit en oeuvre quelques centaines de vieux appareils. Quand on pense aux sommes fantastiques englouties par l'armée de l'air de 1930 à 1940, et qu'on se rappelle les journées tragiques de mai 1940, on se demande comment on a pu, au gouvernement, et dans le pays, tolérer une pareille gabegie et aboutir à un pareil néant. A coté de ses avions, l'armée de l'air avait tenu à organiser et à commander l'artillerie antiaérienne. Ce fut la même carence que pour l'aviation proprement dite. Nous n'avions, le 10 mai 1940, ni artillerie pour tirer aux hautes altitudes, ni artillerie de combat rapproché, aucune batterie de 90, quelques batteries de 75, (dont beaucoup datant de l'autre guerre) et une centaine de batterie de 25 au total, dont certaines étaient maintenues en arrière de la zone des armées, et dont la plupart n'avait pas plus de 100 coups à tirer. Situation lamentable. Seule l'armée de mer, peut-on dire, était prête à la guerre. Depuis 1920, méthodiquement, patiemment, la flotte française s'était progressivement rénovée. Aussi bien au point de vue moral que matériel, la marine avait repris confiance en elle, dans ses traditions, dans sa foi. Ses bateaux étaient souvent supérieurs aux navires étrangers du même type, ses équipages étaient disciplinés, ses spécialistes étaient entraînés. Elle avait voulu garder son aviation à elle, et y avait réussi. Elle prouve partout où elle a du s'employer, qu'elle était supérieure à la flotte allemande et qu'elle pouvait rivaliser avec la flotte anglaise. Partout aussi où elle a eu à collaborer avec l'armée de terre, elle a fait preuve d'une compréhension, d'une largeur de vue, d'une camaraderie, dont un terrien est heureux de témoigner après avoir constaté les bienfaisants résultats. A côté de l'armée française, il y avait l'armée anglaise, car la guerre, ne l'oublions pas, fut dès le début une guerre de coalition, déclarée à l'Allemagne par la France et l'Angleterre, pour tenir les engagements pris envers la Pologne. L'armée anglaise n'existait guère en 1939, pas beaucoup plus en 1940. Le corps expéditionnaire, qui commença à débarquer en octobre 1- GQG : Grand Quartier Général 2- DLM : Division Légère Mécanique 17


1939, comprenait 4 divisions. En mai 1940, après les prélèvements qui durent être faits pour la Norvège, il n'y en avait pas plus de 9 en France, réparties en 3 corps d'armée. A part 4 divisions de carrière, le reste ne comptait que des unités de nouvelle formation, fières d'allure, pleine de vigueur et d'entrain, mais médiocrement encadrées et relativement instruites; par contre luxueusement équipées avec un matériel de transport incomparable, sans avoir par exemple, ni comme engins blindés, ni comme armes anti-chars, rien de ce qui était nécessaire pour la guerre moderne. Armée de l'air excellente, surtout au point de vue chasse, mais inférieure en nombre, même une fois réunie à l'aviation française, aux multiples formations allemandes. Et, là aussi, doctrine néfaste de la séparation en armée de terre et armée de l'air. Le général Gort, commandant en chef de l'armée anglaise en France, n'avait par exemple, aucune action sur les escadres anglaises stationnées en Champagne : Elles dépendaient d'un vice-amiral de l'air qui recevait ses directives d'Angleterre. Les unités stationnées en Angleterre sont restées longtemps spécialisées pour la défense des côtes anglaises. Il en est venu quelques-unes en Belgique; mais il faut, hélas le reconnaître, qu'au moment où le sort de la France se jouait en Artois, elles ne sont pas intervenues à plein et sans compter....... Quant à la marine anglaise, elle a été ce qui l'a caractérisée depuis des siècles, la première du monde, avec des traditions, une volonté, un héroïsme devant lequel on ne peut que s'incliner. Peut-être, comme la marine française d'ailleurs, a-t-elle sous-estimé l'importance de l'armée aérienne. Les navires anglais ont autrement souffert des bombes de l'aviation allemande que des torpilles de sous-marin. Tant que l'artillerie anti-aérienne de petit calibre dispose de munitions suffisantes, le risque est moindre; mais, dès que l'aviation peut descendre, la précision de son tir, comme le poids de ses bombes, en font un terrible adversaire. Ajoutons pour être complet, que la coopération France-Angleterre fut parfaite jusqu'au 15 mai 1940, abstraction faite de l'effort de mise sur pieds insuffisant, tant au point de vue personnel que du matériel; l'Angleterre pouvait et devait faire davantage. Mais le magnifique et sympathique soldat qu'est le général Gort se place entièrement, sans réticence, sous les ordres du commandant en chef de l'armée française qui sut d'ailleurs, avec sa courtoise habileté, apaiser toutes les susceptibilités et ménager tous les amours-propres. Mais cela ne dura que jusqu'au 15 mai 1940. Dès que le front de la Meuse eut été enfoncé, dès que la victoire escomptée se changea en défaite, l'attitude anglaise changea aussitôt et l'amitié lâcha pied devant l'égoïsme. Ce fut Arras, ce fut Dunkerque, ce fut Cherbourg, ce fut, hélas, Mers El Kebir....... A ces deux armées françaises et anglaises, se sont ajoutées à partir de mai 1940, les armées belges et hollandaises. Il était trop tard, et ici, il faut le dire sans ménagement, à cause de l'incroyable aveuglement des deux gouvernements de petits pays prétendus neutres. A de multiples reprises, et celui qui écrit ces lignes peut en témoigner plus que tout autre, la France a essayé de faire comprendre à la Hollande et surtout à la Belgique qu'elles étaient forcément fatalement la proie désignée d'une Allemagne ivre d'orgueil et d'ambition. Ni l'une ni l'autre n'ont voulu comprendre. Ni contact d'état-major, ni coordination de mouvement ni renseignements de l'ordre le plus élémentaire. Un orgueil insensé, des illusions lamentables, la conviction de tenir sur le canal Albert pendant des semaines, dans les Ardennes pendant plusieurs jours, voilà les prévisions belges. Quelle fut la réalité ? Le Canal Albert a été forcé le 11 mai au matin; les chasseurs ardennais n'ont pas tenu une journée. L'armée hollandaise s'écroulait par Anvers et l'isthme Vordrecht à partir du 11, quand les divisions de la VIIéme armée française allaient à la bataille de Breda et de Turnout. Je ne parle pas de la capitulation qui a fait mettre bas les armes à un demi million d'hommes en rase campagne. Une Nation qui n'est pas capable de se battre est mûre pour la servitude. Ceux qui se rappellent la conduite du "roi chevalier" de 1914 à 1918 rougissent de 18


honte en pensant à 1940. Et le pire est que ces peuples, qui étaient incapable de se battre, qui n'avait pas fait l'effort de s'organiser défensivement, ont crié au secours et ont entraîné les armées française et anglaise en avant de leur lignes fortifiées, pour aller se battre en terrain non organisé. Elles ont étiré à l'excès un front déjà trop étendu pour le faible effectif francoanglais. Le jour où ce cordon a été percé quelque part, et où la brèche n'a pas pu être aveuglée, aucune armée française, aucune unité organique ne s'est trouvée disponible pour colmater et pour contre attaquer, et ce fut la catastrophe. "Et nunc reges, intellegite. Erudimini qui judicatis terram" 1 Causes sociales Une armée nationale sort de la Nation. Celui qui énonce cette vérité élémentaire peut ajouter : telle Nation, telle Armée. Voyons l'éducation de la Nation de 1919 à 1939, nous saurons de suite l'esprit de l'armée mobilisée. Et d'abord question primordiale : celle de la natalité. La France était, sans guerre, sur la pente du suicide. La famille disparaissait pour faire place au couple sans enfant. Que ce soit dans la classe aisée, dans la petite bourgeoisie ou dans la classe ouvrière, rares étaient les ménages où l'on comptait trois enfants et au-dessus, nombreux étaient les fils uniques. Et, chaque année, les statistiques empiraient. Dans le pays le plus riche du monde, où la terre donne tout à qui veut la travailler, les campagnes se dépeuplaient, et les ouvriers italiens, polonais ou tchèques venaient gagner de larges salaires qu'ils envoyaient à leur famille, au pays natal, sans aucun bénéfice pour l'économie française. Cette jeunesse, insuffisante en nombre, avait-elle au moins une qualité supérieure physiquement et moralement. Il faut bien, hélas, constater le contraire. Au point de vue physique, on a beaucoup parlé en France, on a fait de beaux programmes, on a distribué beaucoup de rubans. Les matchs de football, de rugby, de boxe, les courses de chevaux, de bicyclettes ou d'automobiles, ont eu de plus en plus de succès. Croit-on que ce soit là le sport qui convienne à des enfants, à des jeunes gens, à des hommes ayant besoin de se fortifier, de se développer, de s'entraîner ? Cela ressemble beaucoup aux jeux du cirque de la plèbe romaine. Pas plus à l'école primaire que dans les lycées, pas plus dans les maisons riches que dans les familles pauvres, on a songé au sport utile, au sport progressif, éducatif, ennuyeux souvent, qui développe harmonieusement le corps et trempe la volonté. Ni les instituteurs, ni les proviseurs ne s'en sont souciés. Pour les uns cela ne contribuait pas à leur influence politique, pour les autres, cela comptait peu vis à vis du concours général. Et le résultat en a été fatal. Dans une race autrefois solide, rustique, dure à la fatigue; mais où l'alcool et la syphilis ont ouvert des plaies suppurantes, le squelette s'est amenuisé, les tissus se sont relâchés, la résistance a disparu. Le nombre de réformés, des hommes classés dans le service auxiliaire, s'est augmenté chaque année. Ni au point de vue endurance, ni au point de vue entraînement, le soldat de 1940 n'a été à la hauteur de celui de 1914, qu’il appartienne à une jeune classe ou à une classe ancienne. Aptitude à la marche des plus relative, capacité de travail encore moindre, besoin de sommeil insurmontable; voilà trois faiblesses du physique avec lequel on aborde une armée jeune, entraînée, enthousiaste comme l'était la masse de choc allemande, divisions cuirassées et motorisées, à moins que ce physique ne soit soutenu par un moral fanatiquement élevé et un idéal surhumain. Malheureusement, l'idéal se crée et le moral se forge. Il faut à la base ou un mystique, et comme éducateurs des convaincus ou des apôtres. De 1920 à 1940, la France de la Victoire, la 1- et maintenant, vous les grands de ce monde, instruisez-vous, vous qui décidez du sort du monde - Livre des Psaumes, II,v.10 19


France des désillusions, la France des loisirs, n'a eu ni l'un ni les autres. Nous avons donné de 1914 à 1918 un effort surhumain pour tenir d'abord, pour vaincre ensuite. Nous sommes sortis de l'épreuve épuisés physiquement et moralement; et l'idéal n'a pas été de profiter de la victoire pour faire un monde meilleur. Il a été de jouir, de jouir de toutes les manières, les plus basses et les plus sottes, en travaillant le moins possible et en gagnant le plus possible. Du premier au dernier rang de la société, on a voulu s'amuser, ou plutôt s'étourdir. La bougeotte n'a plus connu de limites. On fait des kilomètres pour taper le 100, le 125 ou le 140. On s'est baptisé sportsman en allant voir la finale de la coupe de France, ou les Six jours ou la grande nuit de Longchamp. On a eu son film hebdomadaire. Et les congés payés, excellente institution dans le principe, n'ont été qu'un prétexte à voyages coûteux, malgré les prix réduits, éreintants et décevants. A ces jeunes gens, à ces hommes murs, qu'avait appris l'école ? D'abord l'égoïsme sacré, l'intérêt personnel, le culte de l'envie. Ensuite la négation de toute spiritualité, de toute divinité, de tout idéal. Philosophie matérialiste, s'il est permis d'accoupler ces deux mots avec toutes les conséquences morales et sociales que cela comporte. Athéisme, sinon proclamé, du moins encouragé. Idée de Patrie non seulement négligée, mais bafouée au profit de l'Internationale des prolétaires, et au bénéfice de l'Allemagne avide de revanche. Le Congrés National des Instituteurs était édifiant à ce sujet. Les discours qu'on a pu y tenir devaient mériter la cours d'assises aux orateurs : ils leur procuraient au contraire de l'avancement. Cette jeunesse athée, jouisseuse, avait elle au moins le goût de l'effort, du travail, et du travail bien fait, qui a toujours caractérisé l'artisan et l'ouvrier français ? En aucune façon. Le salarié devait 40 heures de travail : il les donnait sans enthousiasme, sans goût, sans application. La chaîne marchait tandis que, automatiquement, l'homme mettait la pièce, toujours la même, à la même place. Cette conception de l'industrie moderne tue toute initiative, toute adresse, tout perfectionnement. L'homme n'est plus qu'une partie de la machine outil. C'est elle, vraiment elle, qui mène, et qu'on ne mène pas. Le service militaire pouvait-il améliorer, corriger cette éducation de l'école et de l'usine ? Certainement pas au moment du service d'un an réduit pratiquement à 4 mois, et où, j'ai pu le constater, certains hommes n'avaient même pas appris les appellations des officiers. Guère plus avec le service de deux ans, à cause de la dissociation rapide des unités. Aucun lieutenant, aucun capitaine n'avait plus son unité à lui qu'il connaissait qu'il commandait. Les hommes étaient des pions qui volaient d'un instructeur à l'autre, sans les connaître, sans en être connus. La cellule nourricière même avait disparu, sous prétexte de faire des économies. Ajoutons-y que dans bien des cas, l'armée a pu suppléer à la carence de l'instruction publique pour apprendre les rudiments de la langue à des illettrés augmentant chaque année. Autant de temps perdu pour l'instruction militaire proprement dite. Autant de charges nouvelles pour des cadres déjà surmenés. En résumé, jeunesse insuffisante en quantité, insuffisante en qualité, voilà ce que vingt ans de paix succédant à la victoire nous avaient donné. On remarquait certes des signes d'amélioration. Le matérialisme reculait certainement ces dernières années. Il faut espérer que la terrible épreuve qui nous est imposée retrempera l'âme des jeunes français et redonnera aux hommes murs le sens de la vie nationale. Si, de la jeunesse, qui ne faisait qu'une infime partie de l'armée, nous passons à la nation toute entière, voyons quelles sont les caractéristiques de ces dernières années. A la base, le manque d'autorité. Ici les grands responsables sont, les gouvernants d'une part, les hommes devant commander d'autre part. L'autorité ne se délègue pas. Elle s'affirme. En France, de 1919 à 1939, elle n'a fait que s'effriter. Au gouvernement, sous quelque étiquette que ce soit, nous n'avons jamais vu que des partis, nous n'avons jamais vu : la France. L'intérêt personnel, le népotisme, la gabegie éhonté ont étouffé l'intérêt général. Les appétits de chacun se sont donnés libre cours dans une foire 20


d'empoigne où le succès est allé aux plus roublards, aux moins honnêtes.... La constitution de chaque ministère, et ils ont été nombreux, fait scandale. Les ministres passaient indifféremment des travaux publics aux colonies ou à l'éducation nationale. Les bureaux, seuls, assuraient la permanence et, peu à peu, accaparaient l'autorité. Quand un ministre restait longtemps en place, sa volonté n'était qu'une suite de velléités avec le souci constant, soit de l'électeur, soit du camarade parlementaire. La république des camarades a été navrante au point de vue de l'action réalisatrice. Cette carence gouvernementale s'est répercutée, surtout à partir du Front Populaire, chez les patrons, grands, moyens ou petits. Rares sont ceux qui ont considéré leur devoir de commander, avec tout ce que cela comporte de grandeur, de sagesse, de responsabilité. Il faut savoir d'abord, il faut vouloir ensuite. Certains, qui savaient, n'ont pas eu le courage civique de vouloir. Et l'on a assisté aux scènes scandaleuses de 1936, aux abandons, aux capitulations. Les occupations d'usines ont été le fait aussi bien du manque de fermeté des directeurs ou des propriétaires, que de l'ardeur des perturbateurs. Par frousse, par veulerie, ceux qui n'avaient pas su prévenir, n'ont pas voulu résister. Certaines améliorations sociales auraient du être faites à l'avance. Au lieu de rester à son poste de commandement, on s'est caché dans son appartement. Au lieu de faire face on a tourné le dos. Et l'on a vu passer l'autorité, de ceux qui légalement devaient l'exercer, à des irresponsables, à des intrigants, à des délégués qui ont joui de leur audace, de leur bagout pour s'imposer, aussi bien à leurs camarades, qu'aux patrons. Peu à peu, ceux qui devaient commander ont perdu l'habitude de commander, et la conséquence s'en est fait cruellement sentir en 1940. Nos officiers, et nos sous officiers de réserves, qui formaient l'immense majorité de nos cadres, n'osaient plus commander, qu'il s'agisse de la corvée la plus simple ou de la mission la plus grave. Le jour où la grande bagarre a éclaté, ils n'avaient pas eu le temps de se réhabituer au commandement, et ils n'ont pas su maintenir à leur place, à la tache sacrée, ceux qu'ils avaient l'honneur de commander. Certaines défaillances, certaines débandades, certaines fuites éperdues ne peuvent pas s'expliquer autrement. La bataille moderne, à base d'avions et de chars, sommet la bête humaine à une terrible épreuve. Si les cadres ne se sont pas solidement trempés pour forcer la volonté de la masse, cette masse hésite, oscille, et se désagrége. Elle s'est désagrégée sur la Meuse. Après l'autorité, la discipline. L'une est la conséquence de l'autre. Certes, le Français n'a jamais été un modèle de la discipline, tout au moins comme l'entendent les Allemands ou les Russes. Mais jadis, la formule « Ils grognaient, mais ils marchaient toujours » pouvait aussi bien s'appliquer aux civils qu'aux militaires. A l'usine, à l'atelier, au magasin, le rouspéteur grognait, réclamait, il n'en exécutait pas moins, et intelligemment, les ordres du patron, du contremaître, de l'ingénieur, du chef de rayon. Depuis quelques années, cette notion de la discipline intelligente avait diminué au bénéfice de l'anarchie au détriment de la production. On se plie de moins en moins aux règles établies, au règlement étudié qui avait fait ses preuves, pour se livrer à des élucubrations fantastiques, où l'individualisme se donne libre cours, au détriment de l'intérêt général. Et cette constatation pouvait se faire aussi bien dans la rue qu'à l'intérieur d'un établissement, aussi bien dans un train qu'à l'occasion d'un match de football, aussi bien dans une société dite "chic" que dans une réunion la plus débraillée qui soit. On eu dit que, par plaisir, on érigeait le désordre sur un piédestal. Qu'il s'agisse de traverser un boulevard, de suivre un sens de circulation, de prendre une file à un guichet, de ranger ses affaires dans un local ad hoc, de se tenir correctement dans un compartiment de chemin de fer, d'assister à une soirée de gala ou aux six jours du "Vel d'Hiv", chacun s'ingéniait à ne pas suivre les règles fixées pour faciliter la bonne marche des opérations. Quand on était en haut, on jouait du coupe-file, quand on était en bas, on jouait des coudes. Il en résultait normalement un peu plus de gâchis, un peu plus de retard, mais chacun était ravi, parce qu'il pensait avoir été plus malin 21


que le voisin. Que ceux qui ont assisté aux départs des congés payés dans les gares parisiennes, rappellent leur souvenir : ils auront une impression forte de la démocratie triomphante et inorganisée. Si cela s'était borné à ces manifestations de loisirs, il n'y aurait eu que demi mal en somme. Mais malheureusement, il en était ainsi du haut en bas de l'échelle industrielle. Le résultat était un affaiblissement du rendement, un manque de méthode, une augmentation des frais généraux incompatible avec une affaire saine et bien menée. Que ce soit la dactylo arrivant un quart d'heure en retard, ou mettant son rouge un quart d'heure plus tôt, le chauffeur perdant cinq minutes prés de son camion, ou le mécano discutant prés de son établi au lieu de limer sa pièce, le résultat se trouve toujours dans le prix de revient, et dans l'impossibilité pour l'économie française de lutter contre l'économie étrangère. Mais surtout, le dommage était encore plus moral que matériel. S'habituant à ne pas obéir, en face de chefs s'habituant à ne plus commander, le Français, dès son plus jeune âge, s'habituait à n'en faire qu'à sa guise. Pendant ses deux ans de régiment, il était tout étonné de rencontrer des gens qui prétendaient le faire obéir, et y parvenaient d'ailleurs facilement. Il ne s'en trouvait pas plus mal, mais, à peine libéré, repris par l'ambiance dissolvante du milieu, il retournait à son vomissement d'individualisme forcené, voisin de l'anarchie. Et le réserviste qui revenait au régiment ne savait plus, ni obéir ni faire obéir son escouade ou sa section. Quand les chefs de corps ou les généraux sont obligés de faire le caporal, on est bien sûr que la maison est à l'envers. Ses ruines écrasent alors indifféremment chefs et subordonnés, que les uns ou les autres aient ou non fait leur devoir. Manque d'autorité, manque de discipline. Nous en arrivons maintenant au manque de travail, qui est la caractéristique la plus frappante de la période 1920-1940. La guerre de 4 ans avait appris à mourir et à souffrir. Elle n'avait pas appris à travailler. L'après-guerre en a supporté les conséquences. Jusqu'en 1914, l'ouvrier, le paysan français, avaient été de rudes travailleurs, sachant travailler, aimant à bien travailler. Le plus souvent économes, parfois âpres aux gains, ils connaissaient le prix de l'argent gagné à la sueur de leur front. Le rêve de la plupart était de finir leurs jours dans la petite maison péniblement édifiée, ici ou là, grâce à l'effort soutenu de toute une vie de fatigue et de privation. En haut de l'échelle, le patron n'avait pas encore fait place à la société anonyme, petite ou grande. Lui aussi travaillait dur pour assurer le succès de son affaire et la faire passer à ses fils, le moment venu. Les journées étaient longues, les semaines comptaient six jours pleins, les vacances étaient réduites au strict minimum. Combien d'industriels, de commerçants ne s'absentaient de leurs usines, de leurs magasins ou de leurs bureaux que pour de courts déplacements, soucieux de ne pas abandonner, même en morte saison, la maison qui leur tenait à cœur. Ils savaient que leur place était à la passerelle de commandement. Ils ne passaient la barre à un intérimaire que dans de rares exceptions. Notre société française ne connaissait ni les grosse fortunes ni la misère sordide. Notre pays était un pays de petite bourgeoisie citadine et paysanne, où le bas de laine n'était pas une légende, où l'économie, certains disent l'avarice, était la dominante du citoyen français. Sans doute manquait-on d'audace. Sans doute ratait-on des occasions. Sans doute ne s'expatriait-on pas. Sans doute ne voyait-on pas les résultats éblouissant de Chicago ou de Buenos-Aires. Mais on savait se contenter de ce qu'on avait, on enviait modérément son voisin comme il convient, en sachant aussi l'aider quand il le fallait. La guerre de 1914-1918 n'a pas contribué à maintenir cet esprit de petites gens. Dans le brassage qui s'y est opéré, où les hommes ont été promenés de l'Yser au Vardar, en passant par Brindisi, ils ont été étourdis par le kaléidoscope qui s'est déroulé trop vite devant eux. L'arrivée américaine, les méthodes américaines, les stocks américains n'ont pas peu contribué à troubler les idées. On s'est habitué à compter par milliards, à ne plus compter du tout. Quand il s'est agi de réparer les dommages de guerre, après s'être écrié : "L'Allemagne paiera", on 22


s'est retourné vers l'État, et on a tiré à boulet rouge sur les caisses ou sur les presses à papier. Chacun veut avoir sa part de l'assiette au beurre, sans penser que cette prospérité était factice, qu'il n'y a de fortune que basée sur le travail. Cependant, le luxe de pacotille augmente, la midinette ne peut se passer des bas de soie et des fourrures factices où le lapin joue le plus grand rôle. Les parfumeurs font fortune. A tous les niveaux, dans tous les milieux, l'esprit change. Le patron, l'ouvrier, le chef, le subordonné, chacun estime qu'il faut faire une large part au plaisir et réduire le travail au minimum. On ne parle pas encore des "loisirs", mais l'idée est dans l'air, et de bonnes âmes sauront la faire mûrir. En même temps d'ailleurs, on oublie que, depuis des siècles, l'Église a prescrit le repos dominical, et que la stricte observance de cette règle serait le plus sûr moyen de donner à chacun la détente hebdomadaire. C'est d'abord la semaine anglaise qui s'acclimate sur le continent, puis c'est le nombre d'heures qui va être à la base des contrats entre employeurs et salariés. De 48 heures on passe à 45, puis à 40. On arrive à peu prés à l'heure, et on se prépare à repartir un quart d'heure avant l'heure. Pour celui qui commande, il y a cent prétextes, mille occasions. En été, se sont les bains de mer, en automne la chasse, en hiver les sports de neige. On prend huit jours par ci, un mois par là. Le subordonné le constate tire les conclusions. Non seulement la durée du travail, mais la conscience dans le travail diminue. On s'intéresse moins à sa tache. Le travail est plus souvent bâclé que soigné. Ce qui fait l'excellence de la production française, l'élégance, la présentation, le souci du détail, diminue ou disparaît. On a appris les méthodes américaines sans avoir ni l'esprit, ni les possibilités américaines. Et, peu à peu, les marchés étrangers se ferment devant une production qui a toujours été coûteuse, mais dont le prix était racheté par la valeur, sinon la perfection. C'est aussi vrai dans les professions dites libérales que dans l'industrie et le commerce, mais sous une autre forme. Je ne veux pas dire, certes, que tous nos littérateurs, nos médecins, nos avocats ne travaillaient pas et n'augmentaient pas le patrimoine intellectuel du pays. Beaucoup suivaient la trace de leurs grands devanciers, mais certains avaient constaté qu'il était plus facile de percer par l'intrigue que par le travail. La politique était devenue une carrière avec tout ce que cela comporte de compromissions, de complaisances, d'abandons. Que d'avocats, de professeurs, de journalistes se sont découverts des aptitudes rares d'hommes d'état, à peine avaient-ils passé une petite licence, quand ils l'avaient, mais surtout dès qu'ils avaient pu se faufiler dans le cabinet d'un sous-secrétaire d'état ou dans l'antichambre d'une femme importante. Les ministères, les commissions, l'administration préfectorale, coloniale, etc., etc....... étaient ainsi peuplés de jeunes hommes qui n'avaient pas usé leurs méninges à préparer leurs examens mais bien les semelles de leurs souliers ou l'essence de leur papa à se créer des relations utiles et profitables. N'oublions pas non plus la masse des petits jeunes gens qui étaient "dans les affaires" qu'il s'agisse d'assurances automobiles, de banques ou tutiquanti, et dont la somme de travail hebdomadaire ne dépassait certainement pas les 40 heures fatidiques du prolétaire en casquette. Tout cela se paie et s'est payé sur la Meuse et la Loire. Le matériel qui a manqué, les demandes qui n'ont pas été satisfaites, l'aviation qu'on n'a jamais vu, les chars qui ont été surclassés, les munitions qu'on a attendues en vain, tout cela est le résultat du travail insuffisant en quantité et en qualité. On n'a pas voulu faire de la France un atelier, on en a fait un cimetière. Causes politiques Les causes politiques de la défaite sont sur le plan de l'extérieur, aussi bien que dans l'intérieur. La politique extérieure de la France, de 1919 à 1940, est une longue suite de rêverie, d'illusions, de faiblesse et d'erreurs. Vainqueurs en 1918, nous pouvions faire ce que nous 23


voulions. Nous n'avons rien su vouloir. Nous sommes passés alternativement de l'intransigeance la plus dure, à la faiblesse la plus ridicule. Nous n'avons réussi, ni à empêcher le relèvement de l'Allemagne ni à collaborer loyalement avec elle. Nous n'avons profité, ni de l'alliance anglaise, ni de l'entente américaine. Nous n'avons su, ni en imposer aux petites nations, ni les gagner à notre cause. Nos hommes d'état, les plus âgés d'abord, le père la victoire, et ensuite les plus intelligents, à l'éloquence si persuasive, se sont laissés mener par leurs partenaires anglais ou allemands. Bien entendu, la voix des militaires, et du plus grand d'entre eux, n'a pu se faire entendre. Le traité de paix a été signé sans aucune garantie, alors que sortait des nues une "Société des Nations" factice, prétexte à grosses prébendes et à emplois rémunérateurs, mais sans aucune valeur réalisatrice, sans la moindre utilité pratique. Et, peu à peu, les alliés de 1918 se sont éloignés, dissociés, tandis que la politique allemande, adroitement, inlassablement desserrait l'étreinte qui l'oppressait. Le rôle de l'Angleterre, dans cette période, était d'ailleurs néfaste. Toujours soucieuse de l'hégémonie sur le continent par peur de voir la France devenir trop forte, ouvertement parfois, elle favorise le relèvement de l'Allemagne. L'Italie, déçue dans ses espoirs et se prétendant lésée dans le partage, commence à s'isoler en attendant de tourner casaque. La question des dettes a irrité l'Amérique, elle se replie sur elle même, confondant dans la même animadversion ceux contre lesquels avaient lutté ses fils et ceux auxquels elle était venu payer la dette de La Fayette. Le Japon, étouffant dans ses îles, se préoccupe beaucoup plus de ses intérêts asiatiques que de la paix en Europe. Seuls regardaient vers la France et comptaient sur la France les nations que nous avions tirées du tombeau : la Pologne, la Tchécoslovaquie, la Yougoslavie, la Roumanie. Autant par loyalisme que par intérêt, toutes ont confiance dans la France, dans ses promesses, dans son avenir. Elles comptent sur notre appui, sur nos conseils, sur notre exemple. Nos missions, civiles et militaires, trouvent initialement chez les uns et les autres le meilleur accueil. Nos industries, nos commerçants peuvent y passer des marchés intéressants. Le rayonnement de notre culture s'y affirme et y progresse. Là, nous sommes véritablement les vainqueurs de la grande guerre. Cependant, notre politique de renoncement se manifeste de plus en plus. Un par un nous lâchons les gages que le traité de Versailles nous avait reconnus. Au fur et à mesure que nous cédons, l'Allemagne augmente ses exigences. Et nous ne trouvons à nos cotés aucun de nos alliés pour nous soutenir, au contraire, car notre politique intérieure vient réagir sur nos amitiés extérieures. Le flirt avec les Soviets inquiète nos amis, l'explosion du Front Populaire va les décourager. C'est la Belgique qui nous lâche, dénonçant des accords militaires, proclamant sa stricte neutralité. C'est l'Italie qui, après avoir tenu tête à l'Allemagne au sujet de l'Autriche, nous demande carte blanche sur l'Abyssinie. Elle obtient l'assentiment tacite du gouvernement Laval, mais elle rencontre l'opposition absolue du gouvernement Blum et la politique des sanctions mine tous les accords qui avaient pu être conclus. Menacé par la France et l'Angleterre, Mussolini se jette dans les bras de l'Allemagne. C'est le renversement des alliances, ce sont les débuts de l'axe Rome-Berlin. A l'affaire d'Abyssinie succède l'affaire d'Espagne. La réaction nationaliste contre les folies du gouvernement républicain se heurte aussitôt à l'idéologie du Front Populaire Français, tandis que l'Allemagne et l'Italie sautent sur l'occasion. Pendant prés de trois ans, les deux nations totalitaires vont se donner l'apparence d'être les soutiens de l'ordre contre l'anarchie. Elles en profitent, au point de vue économique, pour prendre des places d'où il sera difficile de les chasser, et, au point de vue militaire, pour faire des exercices de première importance. 24


L'aviation et les chars allemands ont là des manœuvres avec tirs réels qui ne leur coûtent que des pertes extrêmement légères et qui leur donnent le moyen de vérifier les qualités et les défauts de leurs avions, de leurs chars, de leur artillerie, en particulier des matériels antiaériens. Les fabrications allemandes en profitent singulièrement, nous aurions pu en profiter aussi. Notre orgueil, notre insouciance, et notre paresse nous empêche de le faire. Je laisse de coté la guerre sino-japonaise, dans laquelle nous nous contentâmes de suivre de loin l'Angleterre, pour arriver à la chose capitale qui eût du nous ouvrir les yeux et nous amener aux décisions logiques : je veux dire l'avènement du IIIème Reich. Le livre remarquable de M. Benoit Mechin sur l'armée allemande a lumineusement exposé les conditions dans lesquelles l'Allemagne a vécu depuis l'autre guerre, son désespoir, ses souffrances, sa volonté de revanche, son travail, ses succès. En France, nous avons voulu ignorer tout cela. Nous n'avons vu que la façade de l'hitlérisme, nous n'avons soupçonné ni l'action réparatrice, ni la volonté constructive. Et cependant, le maître nous avait prévenu. Celui qui avait bien voulu lire " Mein Kampf", je parle de la première édition non expurgée, et qui en constatait ensuite la réalisation progressive, devait comprendre. L'avenir se dévoilait devant lui. Car Hitler nous a prévenu longtemps à l'avance et a exécuté, quasi mot à mot, le programme de 1933. Ce fut le départ retentissant de la Société des Nations. Ce fut la renaissance officielle de l'aviation. Ce fut le service militaire obligatoire. Ce fut la réoccupation de la Sarre. Ce fut l'Anschluss. Ce fut l'occupation des Sudètes. Ce fut la suppression de la Tchécoslovaquie. Ce fut l'écrasement de la France. Tout cela est écrit; il n'y manque que l'accord désiré avec l'Angleterre et il s'y ajoute l'accord imprévu avec les Soviets. Évidemment s'il était permis de plaisanter au milieu de semblable épreuve, il serait piquant de se reporter aux diatribes de 1935 contre Staline et de comparer aux télégrammes de congratulations de 1940. Ce sont là jeux de Princes et Machiavel a trouvé son maître. N'empêche que la collusion russo-germano-italienne a ruiné la France. Pourquoi la France, pourquoi les gouvernements qui se sont succédés en France de 1930 à 1939 n'ont-ils pas voulu voir, constater, et tirer de leurs constatations les conclusions qu'il fallait. La politique étrangère française a été au-dessous de tout. Ce que l'homme de la rue sentait confusément, l'homme du gouvernement n'a pas voulu le voir, qu'il s'agisse de gens de n'importe quelle obédience et n'importe qu'elle étiquette. Les avertissements, les cris d'alarme n'ont pas manqué. On a traité de visionnaires ou d'excités ceux qui prédisaient la guerre, on ne l'a ni préparée, ni écartée. Un seul homme, Maginot, avait vu clair quand, malgré l'opposition de quantité d'hommes encore en place aujourd'hui, il avait décidé de construire le bouclier qui couvrait la France de la Suisse au Luxembourg. Cette barrière a certainement fait hésiter ceux qui menaient l'Allemagne. Il eut fallu la prolonger par une alliance indissoluble avec la Belgique sur le plan territorial et par une entente méthodique et complète avec l'Angleterre sur le plan militaire. On n'a su réussir ni l'un ni l'autre. L'Angleterre a reculé devant les charges militaires, la Belgique s'est repliée devant le front populaire. Quant aux nations que nous avions fait revivre par le traité de Versailles, et qui nous étaient restées longtemps fidèles, elles aussi ont changé d'avis quand elles ont vu comment nous nous abandonnions et comment nous les abandonnions. L'Anschluss a été le prologue de ces capitulations successives. Certes, nous n'avions rien promis à l'Autriche, nous l'avions même volontairement écrasés en 1918; mais nous avions 25


solennellement interdit à l'Allemagne de se lier économiquement avec elle, et nous n'avons pas élevé de protestation quand elle a été pratiquement absorbée. Puis, ce fut la Tchécoslovaquie en deux actes : les Sudètes d'abord, le reste ensuite : Septembre 1938-Mars 1939. On a beaucoup épilogué sur ce qu'il fallait faire en 1938. A la lumière du présent, qu'il soit permis à un adversaire de Munich de garder son opinion. Le désastre n'eut pas été pire, et l'honneur eut été sauf. Quand un grand pays comme la France est lié par un traité d'alliance avec une petite nation comme la Tchécoslovaquie, il ne renie pas sa signature au moment du danger. L'armée Tchécoslovaque comptait quarante bonnes divisions, appuyées sur des fortifications solides. A peu près certainement, la Pologne aurait marché avec nous. Nous n'avions qu'à obliger le Gouvernement de Prague de lui céder Teschen. C'était un paquet de quatre vingt divisions qui eut résisté au moins deux fois plus que n'a résisté l'armée polonaise non mobilisée. Le Westwall allemand 1 n'était pas terminé, loin de là. L'état-major allemand n'avait pas encore à sa disposition les masses de choc cuirassée et motorisée qu'il a eu le 10 mai 1940. Il avait son aviation, c'est exact, mais croit-on qu'elle était supérieure à ce qu'elle a été à cette même date du 10 mai 1940 ? Tout fait penser le contraire. En admettant que la décision n'eut pas été obtenue avant l'hiver, on pouvait compter porter la guerre en Palatinat, et peut-être sur les bords du Rhin. Point n'était besoin de violer la neutralité belge, et l'armée anglaise eut été sensiblement aussi nombreuse, ou aussi faible, en 1939 qu'en 1940. Munich fut une capitulation de plus ajoutée à tant d'autres, voilà la vérité. Le résultat fut que les derniers de nos fidèles, les Yougoslaves et les Roumains se détachèrent délibérément de gens incapables de tenir leurs promesses et que le monde entier s'aperçut de la faiblesse des états dits démocratiques, comparés à la force et au dynamisme des états totalitaires. L'Axe Rome-Berlin devint le triangle Berlin-Rome-Tokyo. L'Espagne nationaliste se rappela de ceux qui l'avaient aidée et de ceux qui l'avaient ruiné. L'Amérique marque les coups. Politique étrangère d'illusions, de rêveries idéologiques, de formules creuses et de veulerie qui aboutit, 20 ans après la plus pénible victoire, au plus lamentable désastre. La politique intérieure ne le cède en rien à la politique extérieure. La place Beauvau n'a rien à envier au quai d'Orsay. De 1918 à 1938, la France s'est payé le luxe de tous les régimes dite républicains, du bleu horizon au rouge front populaire. Les Ministères sont tombés comme des châteaux de cartes. Les scandales se sont accumulés. Les émeutes, même, ont éclaboussé de sang français les pavés de la capitale. Mais toujours les mêmes hommes sont restés sur les mêmes tréteaux. Plus ou moins marqués, plus moins teintés de blanc, de rose ou de rouge, ils ont constitué l'équipe qui s'est partagée pendant ces vingt ans les leviers de commande avec autant d'incompétence et de cynisme. La République des camarades a joué à plein, pour s’épanouir enfin dans la sinistre aventure de 1936 à 1938. Les ruines que le front populaire a accumulées en France sont incommensurables; mais sa plus grosse responsabilité est certainement d'avoir appris au peuple de France la paresse sous le nom pompeux de "loisirs". On n'avait certainement pas attendu 20 siècles en France pour se donner, et donner aux uns et aux autres le repos hebdomadaire, les vacances et les congés nécessaires à chaque individu pour refaire ses forces, et fournir un effort logique; on les avait simplement baptisés de façon différente. La démagogie haineuse et malfaisante vient envenimer les rapports et attiser les passions pour dresser les uns contre les autres, des classes, des individus, dont les intérêts, loin d'être opposés étaient solidaires. Et alors ce fut l'anarchie, le désordre, la ruine. Un gouvernement, d'une faiblesse insigne d'abord, entièrement consentante ensuite, lâcha la bride à tous les intérêts, à tous les appétits. 1- La ligne Siegfried, ou Westwall, était un système de défense s'étendant sur plus de 630 km, avec plus de 18 000 bunkers, des tunnels et des dents de dragon 26


Autorité bafouée, police dissociée, lois et règlements violés, ce fut monnaie courante de 1936 à 1938. Non soutenus, je l'ai dit plus haut, les chefs d'industrie responsables ne furent pas toujours des héros. En quelques mois, les ruines s’accumulent, finances, commerce, industrie, tout part à la dérive. Les marchés se ferment, la production s'arrête, la consommation décroît. Seuls les bistrots sont rois. La semaine des 40 heures ne rapporte pas plus à la mère de famille, mais l'homme dépense en deux jours deux fois plus qu'en un seul, et l'alcoolisme a fait d'immenses progrès. Quand au chômage, conséquence forcée de la stagnation des affaires, il prend des proportions inouïes, ruinant l'état, les départements, les communes. Il fallut que l'évidence creva les yeux pour que la sinistre association qui avait réuni sous la même bannière le bourgeois franc-maçon, le syndicaliste et le rêveur bolcheviste se dissociât. Mais le mal était fait. On dégringole une pente à toute vitesse, et on ne la remonte que lentement. Quand, en 1938, la France commence à se ressaisir, il fallut du temps pour créer un autre état d'esprit et revenir aux vieux errements de jadis. Et pendant de long mois, l'industrie ne reprit pas sa cadence normale. En ce qui concerne le matériel de guerre, le déficit fut énorme, d'autant plus que la nationalisation des usines avait affecté surtout les grosses affaires travaillant pour la guerre, la marine et l'air. Tandis que l'Allemagne, on le savait, sortait 600 à 800 avions par mois, nous n'atteignions pas la centaine. Que ceux qui ont été écrasés sur les champs de bataille du nord par l'aviation allemande, ceux qui n'ont pas eu à leur disposition ni armes anti-chars, ni armes anti-avions, ni munitions crient vengeance contre les paresseux qui n'ont pas voulu fabriquer cet armement et surtout contre ceux dont l'idéologie malfaisante et la démagogie ont créé le désordre en engendrant l'anarchie. Prêcher la sous-production au moment où l'Allemagne proclamait qu'il valait mieux avoir des canons que du beurre, c'est une trahison contre la patrie, bien plus, un crime contre l'humanité. Ceux là ont donné aux régimes totalitaires les plus beaux succès qui soient, la plus éclatante consécration qu'ils pouvaient désirer. Et vraiment, les Français sincères qui ont vu l'Allemagne comme prisonniers de guerre, peuvent témoigner de sa prospérité et de sa santé physique et morale. Ce n'est peut-être pas la liberté; mais ce n'est pas certainement le désordre, l'anarchie. Et c'est partout le travail, la seule fortune d'un peuple qui veut vivre et être heureux. Puisse la France s'en souvenir et en profiter. Causes militaires Loin de moi la pensée d'innocenter les militaires dans la débâcle. Ils ont une lourde responsabilité, aussi bien dans la préparation que dans l'exécution. Je demande seulement qu'on veuille bien se rappeler que l'armée, en France, est la grande muette; qu'elle n'a droit ni de voter ni de parler, et que, de 1919 à 1939, on a pas tenu compte ni de ses avis ni de ses demandes, ni de ses réclamations. Le pouvoir civil lui a fait sentir, à de multiples reprises, qu'elle avait strictement le droit de se taire et il ne lui a pas donné les moyens d'agir. Ceci nettement posé, voyons maintenant la préparation de l'armée à la guerre d'une part, le plan de guerre ensuite, enfin l'exécution de la guerre. L'armée de 1918 était une magnifique armée, trempée à l'épreuve, animée de la plus belle flamme patriotique qui soit, connaissant son métier, bien instruite, bien équipée, bien armée. L'armée de 1940 était une armée inférieure en nombre, et en qualité, ni instruite, ni équipée ni armée, et ce qui est plus grave, ne croyant pas encore, le 9 mai 1940, à la guerre. Comment, en vingt ans, avons nous pu en arriver là, nous les vainqueurs de 1918 ? Il n'y a dans l'histoire qu'un seul précédent comparable : l'armée de Frédéric II aboutissant à Iéna. Les mêmes causes produisent les mêmes effets. En France, après 1918, personne ne voulut croire 27


à la guerre. Nous avions fait un prodigieux effort, notre pays était couvert de ruine. Nous avions perdu 1.500.000 de nos fils, les meilleurs. Le but fut de rebâtir, de réparer, de se reposer aussi. Les conditions du traité de paix devaient être telles que la guerre fut impossible pour des années, sinon des siècles. Et le désarmement fut plus qu'un mot, une mystique, ce qui est plus grave. Nous avions interdit à l'Allemagne le service obligatoire; elle sut tourner la défense en organisant la Reichwehr comme il fallait l'organiser. Nous, par contre, nous ne sûmes que ruiner notre organisation militaire en adoptant le service d'un an. Ce fut une mascarade, un trompe l’œil. Gardant les mêmes établissements, les mêmes états-majors, les mêmes services, il fallut leur fournir le personnel indispensable, et l'on puisa sans compter dans les troupes combattantes. Ce ne fut plus un an; ce furent trois à quatre mois de service pendant lesquels la recrue était à peine dégrossie, et huit à neuf mois pendant lesquels l'homme se hâterait d'oublier, comme employé, les rudiments qu'on lui avait appris. Pitoyable pour les hommes du rang, le service d'un an fût lamentable pour les cadres. Il ne nous fournit ni caporaux, ni sousofficiers, ni officiers de complément. On eu beau multiplier ensuite les écoles de perfectionnement, le mal était fait : l'enseignement de base manquait. Nos cadres de 1940 avaient sans doute bonne volonté, ils n'avaient ni esprit militaire, ni instruction militaire. Tant que la période de stabilisation dura, ils purent faire illusion. Quand la guerre commença vraiment, et qu'ils furent sous les bombes de l'aviation ennemie, et devant les chars ennemis, ils ne surent ni ce que les règlements, ni ce que l'honneur militaire leur commandait. Leur carence fut complète. Le service de 18 mois avait apporté une légère amélioration. Le service de 2 ans permettait d'espérer que nous retrouverions un jour des réserves instruites. Il dura trop peu de temps pour avoir une action sérieuse. La majorité de nos cadres de réserves, fantassins, artilleurs, ou cavaliers, n'étaient pas instruits le 10 mai 1940. Or, je l'ai dit plus haut, certains régiments n'avaient en tout et pour tout que le chef de corps comme officier d'active. Et parfois, ce chef de corps, éloigné depuis longtemps de la troupe, était incapable d'être un instructeur. Il fallut que les divisions, les corps d'armée, les armées créent de toutes pièces des centres d'instructions, où l'on se hâta d'enseigner, en quelques semaines, ce qui n'avait jamais été appris par les capitaines et les chefs de sections. Le G.Q.A.G. se réserva l'instruction des chefs de bataillon et d'escadron. Ce fut mieux que rien, mais on ne crée pas une armée en huit mois. Le 10 mai 1940, la majorité des divisions de série A et surtout de série B n'étaient pas instruite. Cela n'eut été que demi mal, si l'on avait pu garder ces divisions éloignées de la zone active des opérations, tenant sur un front fortifié, n'ayant pas à manœuvrer. Mais la faiblesse de nos effectifs nous obligea à faire flèche de tout bois. Ce sont des divisions de série A et de série B qui ont été enfoncées sur la Meuse. C'est une division de série B qui ne put pas tenir les Iles de Zélande. Ce sont des unités de nouvelle formation qui n'ont pas pesé lourd devant l'attaque allemande sur la Somme et sur l'Aisne. Pour ne pas avoir voulu en temps de paix, le minimum de divisions actives indispensables, pour s'être gargarisé avec les réservistes de l'armée nationale on n'a pas pu, ni tenir défensivement, ni manœuvrer offensivement. D'ailleurs, il faut bien le dire, jamais l'armée, depuis 1920, n'a été orientée vers l'offensive. Chaque fois qu'un homme politique, qu'un ministre faisait un discours, il se hâtait de proclamer que l'armée française était strictement défensive. Cette notion était ancrée dans l'esprit de chacun des hommes, et peut-être des cadres, de cette armée. On se battait sur un champ de bataille, choisi, organisé, fortifié, on faisait à loisir de beaux plans de feux, on subissait la volonté de l'adversaire, et on ne cherchait jamais à lui imposer la sienne. Les P.C. étaient bien étoffés, lourdement équipés, loin des émotions du combat : on faisait partout et toujours la guerre de position. Quand cette armée, figée, compassée, désuète, eut à subir sur un terrain non préparé, non organisé, non étudié, le choc d'une masse jeune, au 28


dynamisme débordant, où les chefs marchaient sur les talons de leurs hommes, où les initiatives de chacun se donnaient libre cours, ce fut l'étonnement, puis la stupeur, puis la débandade. Et l'ont vit ce spectacle inouï, inoubliable, de divisions entières se dissolvant par groupes épars, jetant leurs armes, fuyant sans but sans direction. Certes, ce fut l'exception et l'on peut, au contraire, citer telles autres unités où, jusqu'au dernier moment, les chefs ont gardé le contrôle de leurs nerfs et de leurs hommes et ont mérité que l'ennemi rende les honneurs aux débris de troupe défilant devant lui. Mais que certaines déroutes aient pu avoir lieu, où les fuyards sont allés d'une traite de la Meuse à la Somme, cela dépasse l'entendement et montre combien l'armée de 1940 était différente de celle de 1918. Je vais même plus loin : l'armée du 10 mai 1940 était moins prête à la guerre que celle de septembre 1939. Au début de cette guerre, que nous avons déclarée ne l'oublions pas, la mobilisation se fit sans enthousiasme, comme sans opposition. L'immense masse de la population sentait confusément qu'il fallait en arriver là, puisque l'Allemagne et son chef étaient incapables de rester tranquille. On ne savait peut-être pas très bien où étaient l'Autriche, la Tchécoslovaquie, la Pologne; mais on avait bien l'impression que chacun devait y passer à son tour. Et il valait mieux en finir tout de suite que d'attendre la volonté du nouveau seigneur de la guerre. Et puis, la guerre se figea devant les fortifications allemandes et les frontières neutres. En France, comme en Angleterre, et surtout en Angleterre, l'opinion se créa, grandit, prit racine d'une guerre de blocus, beaucoup plus économique que militaire, où chacun resterait sur ses positions, avec quelques coups de main, quelques tirs d'artillerie, quelques bombardements d'aviation. A ceux qui évoquaient la campagne de Pologne et ses enseignements, on répondit que les conditions étaient toute différentes, ce qui était vrai d'ailleurs, et que les méthodes employées là-bas ne sauraient pas être de mise à l'Ouest. Et, peu à peu, aussi bien à l'avant qu'à l'arrière, on fit la démobilisation des esprits, si l'on ne fit pas celle des individus. On s'installa dans la drôle de guerre. On fit de tout : du béton, de l'agriculture, du théâtre, du cinéma, avec le minimum d'instruction militaire. A part quelques divisions, l'armée ne fut plus qu’un immense chantier aux entreprises les plus diverses, où la notion de guerre s'estompa de plus en plus. Celles des permissions était autrement importante, avec toutes les formules les plus exceptionnelles pour en avoir le plus et les plus longues possibles. L'esprit de l'avant n'était pas mauvais, certes, mais il n'était plus militaire. Quand à l'arrière, il se préoccupait beaucoup plus du dernier scandale, du dernier match de football ou de la dernière réunion d'Auteuil que des possibilités de menaces allemandes. Puisque, notre natalité d'une part, notre saignée de l'autre guerre d'autre part, nous interdisaient le nombre de divisions nécessaire, pouvait-on au moins avoir la qualité à défaut du nombre, sous forme d'unités spéciales à base d'engins cuirassés dont les Allemands nous avaient donné le modèle ? Certains l'ont préconisé, et l'un des plus distingués de nos hommes politiques s'en était fait l'apôtre. Le corps cuirassé, ou l'armée cuirassée ne trouvèrent l'oreille il faut bien le dire, ni du gouvernement, ni du haut commandement. Les uns y virent l'amorce de l'armée prétorienne qui, de tout temps, fut la hantise des régimes démocratiques. Les autres n'y consentaient que timidement, avec la lenteur qui caractérise toutes les réalisations françaises depuis l'autre guerre. On décide, par exemple, la création de la première "Divisions Légère Mécanique" en 1935. On commença à la mettre sur pied en Janvier 1936; elle n'était pas terminée en décembre 1938. La troisième ne fut crée que sous la pression de la guerre pendant l'hiver 1939-1940. Quand aux divisions cuirassées devant être rattachées à l'Infanterie, on en avait décidé l'expérimentation en 1937, elle fut ajournée. L'alerte de 1938 empêcha d'en faire l'étude à l'automne de la même année. Finalement, les deux divisions qui furent mises sur pied au début de 1940 n'avaient que des moyens incomplets, quand on se rappelle que notre char "B" 29


était, en 1936, supérieur à tous les chars en service dans l'armée allemande, on ne peut être que douloureusement attristé par notre manque de prévoyance, d'esprit réaliste et pratique. Les discussions académiques ne sont plus de mise quand on voit un état voisin, aux effectifs très supérieurs, qui met sur pied quatre divisions cuirassées pour entrer en Autriche, qui, l'année suivante, envahit la Bohème avec six divisions, et qui se jette sur la Pologne avec huit divisions de 500 chars chacune. Dès 1937, nous savions la force de l'armée blindée allemande, dès ce moment, nous devions, non pas prévoir mais réaliser. Il ne s'agissait pas là de question d'effectifs, il s'agissait d'organisation et de matériel. On ne se préoccupa, ni de pareilles créations, ni de la lutte contre ces unités connues. On ne réalisa ni le char ni l'arme anti-char. Le groupe d'armées du nord l’a tristement constaté. Mais cette insuffisance de nos moyens cuirassés, en nombre sinon en qualité, n'était rien à coté de la carence de notre aviation. La cause essentielle de notre défaite militaire est là. J'en appelle au témoignage de tous ceux qui se sont battus dans les Flandres. L'aviation française était la première du monde à la fin de l'autre guerre, elle n'existait pas en face de l'aviation allemande au début de cette guerre ci. Et cela, il faut le crier bien haut, à cause de la désorganisation systématique de l'armée de l'air en 1936, à cause de la lenteur insensée des fabrications, à cause de la scission lamentable entre l'armée de terre et l'armée de l'air. Jamais l'armée de l'air ne put donner à une troupe de terre l'appui élémentaire qu'elle implorait en face d'une aviation allemande maîtresse absolue de frapper où et quand elle voudrait. Ce furent les convois, les trains, les rassemblements, les batteries, les lignes de tirailleurs, les fortifications bétonnées même qui furent attaquées par les Stukas ou les avions mitrailleurs. Ce furent les P.C. incapables de travailler, les voitures de liaison, les motocyclistes poursuivis sur les routes. Ce furent les préparations d'attaques et de contreattaques en vol rasant. Ce fut la hantise des parachutistes, que l'imagination multiplia par cent et par mille. Les pertes causées par cette aviation furent quelquefois sévères, la plupart du temps très inférieures aux résultats d'un bombardement d'artillerie du type Verdun 1916. Mais l'effet moral fut énorme, en particulier sur les unités mal encadrées. Certaines positions de résistance furent lâchées par leurs défenseurs avant l'attaque de l'infanterie assaillante, uniquement à cause de l'action de l'aviation. Et cependant, autant celle-ci pouvait être décisive sur une colonne, sur une route ou sur un rassemblement mal dissimulé, autant elle était peu dangereuse sur une ligne de tirailleurs ou sur une batterie enterrée. Il est vrai que beaucoup de chefs subalternes n'ont eu, ni l'autorité, ni l'énergie de faire enterrer leurs hommes avant le combat. Dans les rares occasions où l'armée de terre put disposer d'avions de chasse, l'ennemi n'exista pas; et certains mouvements exécutés en plein jour, sous la couverture de quelques patrouilles de Curtis ou de Morane, se passèrent sans être gênés le moins du monde par l'aviation ennemie. Combien de fois, hélas, les commandements d'armée terrestres eurent-ils pareille chance ? Leurs demandes à l'armée de l'air restaient la plupart du temps lettre morte. Les malheureux commandants d'aéronautique d'armée, conscients des besoins de leurs camarades de la terre, pouvaient téléphoner, expliquer, supplier; rien ne venait parce que l'armée de l'air n'avait rien. Et qu'on ne dise pas quelle n'eut pas pu faire mieux. Dès le mois de septembre 1939, l'armée de terre cria au secours, on ne voulut pas l'entendre, on monta en épingle de cravate quelques succès individuels. On ne fit pas l'énorme effort de construction et de dressage des pilotes qui eut pu, en neuf mois, nous donner une aviation de chasse peutêtre égale à l'aviation de chasse allemande. Je ne parle pas de l'aviation de bombardement où, manifestement, nous pouvions rattraper le temps perdu; mais nos terrains du Maroc, nos usines françaises et les usines anglaises et les usines américaines nous permettaient de réaliser l'aviation de chasse. Nous ne nous y sommes décidés trop tard; et les quelques 20 groupes de chasse qui constituaient toute l'aviation de 30


défense française se sont sacrifiés en vain. Ils ont payé de leur sang l'imprévoyance du commandement. A défaut d'avions de chasse, nous aurions pu avoir l'artillerie anti-aérienne; elle n'existait pas ou si peu qu'il est presque inutile d'en parler. Nous sommes partis, le 10 mai 1940, avec les auto-canons de 1918, tirant entre 3.000 et 4.000 m. et avec les batteries de 25. Rien n'a été fait en France, de 1920 à 1938 pour organiser l'artillerie anti-aérienne, ni au point de vue personnel, ni au point de vue matériel. Les quelques pièces modernes sorties de Bourges et du Creusot étaient en quantité ridiculement insuffisante. Il n'existait aucune batterie tirant entre 8.000 et 10.000 m. parce que la guerre n'avait pas voulu adopter le canon de 90 de marine. On est stupéfait quand on assiste à de pareilles querelles de boutons. Là où il y avait des tubes, de 25 en particulier, il n'y avait pas de munitions, ou un approvisionnement qui dura l'espace d'un moment, alors que chacun savait le nombre des avions allemands, leur doctrine d'attaque, la fréquence de leurs attaques. Tout cela a été dit, écrit, répété, depuis des années par les chefs responsables. Alors qu'en Allemagne on pouvait suivre, quasi jour par jour, les progrès foudroyants des préparatifs allemands, que les attachés militaires criaient casse cou, que les observateurs étrangers nous renseignaient. En France tout se passait en paroles, en études, en projets d'une lenteur désespérante. Le même ministre de la défense nationale est resté six ans en place sous des étiquettes diverses. On pourrait croire à l'unité de doctrine, à l'exécution d'un plan mûrement étudié, logiquement réalisé. Ce ne fut qu'une longue suite de velléités, où ceux qui parlaient avec le plus d'assurance avaient le dernier mot, où les pessimistes étaient considérés comme factieux, où on dépensa des sommes astronomiques pour aboutir au néant. L'état-major, pour employer le mot cher à ceux qui cherchent les responsabilités, pouvait-il faire mieux ? A coup sûr; mais il eut fallu pour cela avoir le caractère de son intelligence. Nous avons trop de gens intelligents en France, nous n'avons pas assez d'hommes de caractère. Nos bureaux savent préparer un projet; mais ils ne savent pas l'imposer, et ils préfèrent adopter celui qu'ils estiment insuffisant pour ne pas heurter l'homme en place. Et, quand cet homme n'a qu'une énergie de façade, quand il est chambré par un entourage intéressé à lui masquer la vérité, on aboutit au désastre de 1940. Ce serait risible s'il n'y avait pas la France à la clef. Nous avons vu que l'armée avait de grosses lacunes d'organisation et d'instruction. Les unités qui la composaient avaient-elles au moins l'armement prévu par les tableaux d'effectifs de guerre, armement défensif indispensable en face de l’armée allemande que nous connaissons, à défaut de l'armement offensif qui eut comporté l'aviation, les chars et l'artillerie lourde. L'armement des unités de campagne, individuel et collectif, était à peu prés réalisé. J’entends par là la mitrailleuse Hotchkiss, le F.M. 1929, et le canon de 75. Encore ces armes n'existent-elles pas en quantité suffisante. Cependant la fabrication de ce matériel était facile. On le connaissait à fond. On n'avait aucune hésitation sur ses munitions. N'empêche que nous avons été incapables, de septembre 1939 à mai 1940, de donner à nos régiments régionaux, à nos groupes d'artillerie, les mitrailleuses Hotchkiss et les fusils mitrailleurs 1929 qui leur étaient nécessaires pour se défendre contre les avions, et que nous les avons dotés de mitrailleuses de St Etienne et de F M 15 dont aucun fantassin ne voulait. Quant aux matériels d'artillerie, ni les obusiers de 155 courts, ni les canons de 105 longs n'atteignaient les chiffres prévus. Si nous passons maintenant aux armes modernes anti-chars et anti-avions, c'est une honte de constater que le 10 mai 1940, certaines divisions sont parties à la bataille sans une arme anti-chars et à fortiori sans une arme contre avions. Aucune d'ailleurs n'avait la même

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dotation. Une D.I.M., avec les armes de son G.R.D.1, atteignait 80 armes anti-chars, 8 pièces de 25 C.A et 12 pièces d’Oerlikon 2. Une DIMA 3 comptait en 48 armes anti-chars et 4 mitrailleuses de 20. Une autre, de la même série, n'avait que 39 armes anti-chars, mais par contre 6 mitrailleuses de 20. Une D.I. active alignait 52 armes anti-chars et parfois 12 mitrailleuses de 20. Beaucoup n’avaient que 40 armes anti-chars et pas d’arme anti-avions. Une D.I. de série « A» comptait 46 armes anti-chars, mais pas d’arme anti-avions. Une D.I. de série « B» n’avait ni armes anti-chars ni armes anti-avions, alors que sa voisine du même type avait 39 armes anti-chars sans armes anti-avions. On voit par ces exemples, quelle était la dotation disparate des grandes unités françaises. Aucune n’avait son matériel au complet, et cela se savait depuis des mois, des années. Les chefs de corps, les commandants de région, les inspecteurs d’armée ont fait de multiples rapports, ont réclamé contre la lenteur des fabrications, contre le déficit des centres mobilisateurs, contre la non préparation de la guerre. On leur a répondu, soit par de bonnes paroles, soit avec impatience, en les traitant de pessimistes et de trouble fête. Et la sortie des matériels a continué à une cadence ridicule. Que dis-je ? A continué, s’est ralentie au contraire à partir de la nationalisation des usines et des folies de 1936. Qu’il s’agisse d’avions, de canons, de chars, il est facile de reprendre les chiffres de matériels réceptionnés de juillet 1936 à janvier 1939 et l’on comprendra pourquoi le groupe d’armée du nord n’a pas pu tenir contre l’attaque allemande, pourquoi les avions ennemis ont eu la maîtrise absolue de l’air, pourquoi les chars allemands ont inondé la Thiérache et l’Artois, pourquoi, en trois semaines, les plus belles divisions françaises ont été disloquées, dispersées, réduites au lamentable embarquement de Dunkerque. On a détruit des chars allemands et beaucoup d’avions allemands; mais il y avait trop des uns et des autres et, très vite, le fantassin, l’artilleur qui n’étaient pas solidement encadrés, ont perdu la tête et ont lâché pied. La guerre moderne ne se fait pas avec des poings fermés, ceci n’est de mise que sur la place de la nation, au chant de l’internationale; elle se fait avec du matériel solide, nombreux, adapté aux moyens de l’adversaire, avec une débauche de munitions. Nous n’avons eu, ni matériels ni munitions. Voilà le résultat des occupations d’usines, des cortèges révolutionnaires, du sabotage de la production, et de la paresse à tous les étages. Des milliers de morts, des milliards de ruines, la chute verticale de la France. Que le sang des pauvres gars qui sont tombés en faisant leur devoir, retombe sur ceux qui, chargés de les armer, n’ont pas, eux, fait leur devoir. Si, de l’armement nous passons à l’équipement, nous trouvons les mêmes déficiences. A coté de l’armée anglaise, l’armée française faisait triste figure avec ses véhicules de réquisition de tous ages et de toutes provenances. Quand nous avons vu ensuite le matériel allemand, nous avons été édifiés. Que ce soit en voitures de combat, ou de transport, en canons auto-moteurs ou anti-aériens, en tracteurs pour canons de petit calibre, ou en voitures de transmissions, nous avons vu son matériel de guerre simple, rustique, solide, étudié pour la guerre de mouvement, et la permettant avec des volants de remplacement, des ateliers, du personnel idoine. Nous en étions encore au canon de 25 traîné par des chevaux ou aux armes désuètes de nos G.P. ou de nos dragons portés. Et là encore que l’on ne prétende pas ne pas avoir été renseignés. Toutes les manœuvres, toutes les inspections faisaient ressortir ces déficiences. On a expérimenté, dans certains régiments, des matériels qui donnaient satisfaction. Jamais on 1- DIM : Division d’Infanterie Motorisée; GRD : Groupe de Reconnaissance de Division d’Infanterie 2- Canon de 20 mm 3- DIMA : Division d’Infanterie de Marine 32


n’a abouti. Pourquoi ? Mystère. Le temps passait, le danger grandissait, le ministre fermait les yeux. Quand un ami ou un adversaire politique, peu importe dans la République des camarades, venait le trouver après avoir été alerté par tel ou tel général, on lui donnait de bonnes paroles, on lui montrait des chiffres faux, et on n’en faisait pas d’avantage. Si la chose se passait au parlement, la discussion était close par un magnifique discours, qui soulevait des applaudissements de toutes les incompétences; et l’armée, la grande muette, n’avait qu’à encaisser, sinon à mourir. Préparation à la guerre tragiquement insuffisante, et dont la responsabilité remonte à ceux qui sont chargés, en pays démocratique, de préparer la guerre : au ministre et à ses collaborateurs. Seules, je l’ai dit plus haut, la marine était prête à la guerre, et de ce fait, l’a brillamment conduite. Voyons maintenant le plan de guerre, et comment il a été exécuté. Le plan est strictement l’affaire des militaires, en fonction de la politique générale, des alliances, des moyens. Il se modifie au fur et à mesure que la situation générale change, que l’échiquier politique se transforme. Après avoir passé par de multiples vicissitudes, nous en étions arrivé, en 1939, à une situation peu brillante : Allemagne et Italie hostiles, Angleterre et Pologne alliées. Tous les autres, neutres, bienveillants comme la Turquie, ou malveillants comme l’Espagne, avec toutes les gammes possibles de neutralité. Frontières franco-allemandes puissamment fortifiées, semblant infranchissables d’un coté comme de l’autre, effectifs français très inférieurs aux effectifs allemands. Matériel français entièrement déficient. En Septembre 1939, après une campagne foudroyante, l’armée polonaise disparaît. Il ne reste en ligne que l’armée anglaise à coté de l’armée française, soit en France neuf divisions que l’on espère doubler au printemps 1940. Quant à l’armée française, ce sont en France 80 divisions environ, dont une trentaine seulement sont de bonnes troupes, bien encadrées, bien entraînées, bien instruites. Le reste a besoin de longs mois pour apprendre son métier. Le plan, dans ces conditions, ne pouvait pas être offensif. Il pouvait être défensif à base d’économie de forces sur certains points, et d’armée en réserve pour parer à l’imprévu, depuis la Suisse jusqu’à la mer du nord. Il semble bien que l’hypothèque belge ait pesé lourdement sur les conceptions stratégiques du général en chef. Après avoir demandé en vain le passage à la Belgique, pour aller s’installer solidement à la frontière orientale belge, nous avons commis la faute d’aller au secours de la Belgique et de la Hollande avec les meilleurs divisions française et toute l’armée anglaise, alors qu’il était déjà trop tard, et sans avoir la moindre division réservée pour parer à un incident sur le front de la Meuse, là où la fortification n’avait en aucune façon la valeur et la profondeur des organisations lorraines. Bien préparé par les états-majors sachant leur métier, admirablement couvert par une cavalerie mécanisée qui a remarquablement opéré, le mouvement s’est exécuté de Namur à Tilburg dans les meilleures conditions. Nous sommes arrivés de justesse sur le champ de bataille que nous avions choisi, et nous y avons reçu le choc de l’ennemi, sans que les armées belges et hollandaises, qui avaient promis de tenir de longues journées, aient esquissée, sauf à Liège, la moindre résistance. Mais pendant ce temps, le front de la Meuse crevait, à Sedan d’abord, puis à Mézières, puis à Givet, puis à Dinant. Brèche énorme qu’il eut fallu aveugler à coup d’aviation, d’unités mécanisées, de divisions réservées : il n’y en avait pas. Là se constate l’erreur capitale du plan de manœuvre. On ne manœuvre qu’avec des réserves : pas de réserve, pas de manœuvre. Il fallait donc être plus modeste et avoir des objectifs moins éloignés. Il fallait surtout peser les moyens dont on disposait. Le haut commandement s’est fait des illusions sur la valeur de ses moyens. Confondre une division de série « B » et une de série « A » avec une division motorisée était une erreur. Ces divisions, peu entraînées, mal instruites, mal armées, étaient à 33


la rigueur capables de tenir un front fortifié, elles étaient incapables de se battre en rase campagne, d’utiliser le terrain d’attaquer ou de contre attaquer. Les régiments d’artillerie de réserve générale étaient eux aussi, de valeur médiocre. Il leur eut fallu encore de longs mois d’entraînement, et de multiples écoles à feux. Les divisions cuirassées, enfin, étaient manifestement incomplètes et sans aucune cohésion. Je sais bien qu’on ne voulait se battre qu’en 1941, et qu’on trouvait un peu fous ceux qui prédisaient l’attaque allemande en 1940. Il eut mieux valu dans ces conditions avoir, le Plan de 1940, et le Plan de 1941, de fortes réserves derrière le secteur sensible, qui était évidemment celui du nord, avec le minimum de force là où la fortification permanente manifestait sa supériorité évidente. Au lieu de cela, les armées s’étalaient en cordon tout le long du front. Certaines eurent localement des succès, qui ne changèrent rien au résultat final, et quand la masse de manœuvre allemande eut percé, il ne se trouva rien pour l’arrêter, ni surtout pour contreattaquer. Le commandement allemand put exécuter sa manœuvre comme il l’avait prévue, de Coblence à Dunkerque. Il met en trois semaines hors de cause les meilleures unités françaises. La guerre était perdue le 1er juin : ceux qui se sont battu sur la Somme et sur l’Aisne ont sauvé l’honneur, ils ne pouvaient plus sauver la France. Plan trop orgueilleux. Exécution des plus variables. Ici un ordre parfait, une discipline impeccable, des plans de feux rapidement établis, des troupes bien abritées, des P.C. fonctionnant normalement quelque fut l’intensité du bombardement ennemi, des contreattaques rapidement montées et vigoureusement menées, des décrochages effectués sans précipitation, sans désordre. Ce fut le cas du corps de cavalerie, des divisions motorisées, des divisions d’actives métropolitaines, nord-africaines, coloniales, de toutes les troupes, en un mot, ayant une doctrine, un encadrement, un armement, la volonté de tenir et le désir de vaincre. Là, une lenteur significative dans l’installation, une méconnaissance impardonnable du terrain, un manque de liaison complet entre les armes. Fatigués avant de se battre, ni l’infanterie ni l’artillerie ne s’enterrent, les transmissions ne fonctionnant pas, ni les ordres ni les comptes-rendus ne parviennent aux destinataires. Quand l’aviation commence à intervenir, les esprits se troublent, les cœurs flanchent. Quand l’attaque se produit, même derrière un obstacle comme la Meuse, le repli s’amorce. En face l’infanterie allemande s’infiltre, mais surtout les chars allemands foncent sans s’occuper de leurs flancs. Méthodiquement ils se portent aux carrefours, aux points importants du terrain, coupent les téléphones, détruisent les voitures de liaisons ou les camions de ravitaillement. Parfois les détachements de parachutistes viennent, loin en arrière, compléter l’action des chars. Alors, de proche en proche, dans les éléments des services d’abord, dans les troupes combattantes ensuite, le bruit se répand : « Nous sommes tournés ». Et comme très vite l’homme du rang s’est rendu compte de notre infériorité tragique en aviation et en chars, comme les cadres subalternes n’ont ni l’autorité ni les connaissances suffisantes pour en imposer à leurs hommes, le repli devient recul, le recul dégénère en retraite, la retraite en déroute. Elle fut, hélas, facilitée, amplifiée, par la masse des réfugiés civils qui refluaient vers l’ouest, encombrant les villages, embouteillant les itinéraires, créant le désordre. L’immense majorité de ces pauvres gens était à plaindre. Ils fuyaient devant l’invasion, se rappelant les pillages, les déportations, les sévices de l’occupation allemande de 1914-1918. Ils croyaient trouver un abri sûr en France, et chaque jour poussaient plus loin leurs lourds chariots. Mais parmi eux s’étaient glissés ces agents de la 5ème colonne, qui ont fait admirablement leur métier, qui ont semé la terreur, propagé la démoralisation, encouragé la désertion. Et alors, combien de fuyards n’ont ils pas profité des automobiles, sinon des bicyclettes belges ? Combien ont quitté leur unité pour se camoufler en civil ? Il n’est pas donné à tout le 34


monde de faire figure de héros et la panique est contagieuse, quand les cadres n’ont pas l’énergie de maintenir tout le monde à sa place. Certes, on a fait des barrages. Certes, on a rassemblé quelques centaines d’hommes, il y en avait des dizaines de milliers. Et, pendant ce temps, pendant que les lâches fuyaient vers Paris, dans la brèche béante qu’ils avaient ouverte, se sacrifiaient héroïquement quelques belles divisions incapables d’arrêter l’avalanche, cherchant à limiter les dégâts. Ceux-là, comme ceux qui ont lutté jusqu’au bout en avant de Dunkerque ont bien méritée la Patrie. Ils étaient trop peu. Leurs pertes ont été lourdes, leurs efforts ont été vains. Quand le deuxième acte commença, la partie n’était plus égale. En personnel et matériel, l’armée française avait laissé le meilleur de soi-même dans les Flandres. Les armées de l’Aisne et de la Somme firent leur devoir : elles infligèrent à l’ennemi des pertes sérieuses, et quelques jours de retard. Il leur était impossible, matériellement, de vaincre, sans aviation, sans chars, quasi sans artillerie. Dès le 9 juin, ce fut la retraite en face d’un ennemi enthousiaste, déchaîné, maître du ciel et de la terre. La Seine, la Loire sont atteintes, dépassées. Le plateau de Langres tombe, le Jura est pris à revers. Il ne reste plus à la France que ses armées d’Alsace et de Lorraine. L’ordre fut donné à ce moment d’abandonner les positions de la ligne Maginot et de replier vers le sud. Il est permis de se demander s’il n’eut pas mieux valu se cramponner en Lorraine et en Alsace. Les troupes de forteresse, capables d’une défense statique, étaient incapables de manœuvrer en rase campagne. On leur a imposé des marches pénibles, on les a engagé en terrain non organisé, leurs pertes furent disproportionnées avec les résultats obtenus. On peut concevoir que les organisations défensives d’Epinal, Toul, et Verdun, appuyées en arrière par Metz et Thionville couvertes, face à l’est, par les ouvrages inviolés de la R.F.L. et de la R.F.M. 1 auraient permis au II°, III°, et IV° armées d’attendre l’armistice dans des conditions aussi bonnes, sinon meilleurs que sur « la colline inspirée » et aux abords de Charmes. Quand une partie est perdue, mieux vaut ne pas s’entêter et limiter les pertes, surtout lorsque ces pertes se soldent en sang français. Dans cette sinistre aventure, que je viens d’esquisser à grands traits, les cadres, à tous les échelons, ont-ils fait leur devoir, tout leur devoir ? En haut d’abord. L’état-major général français est composé de gens intelligents, travailleurs, ayant beaucoup étudié, ayant tous fait l’autre guerre, et beaucoup s’étaient illustrés aux colonies. Ils croient à la puissance de feu, ils doutent des possibilités de la manœuvre. Ils sont statiques, plutôt que dynamiques. Les renseignements qu’ils possèdent ne leur montrent pas l’armée allemande sous son véritable jour. Ils sous-estiment ses moyens. Ils croient à la valeur du béton et du fossé antichars. Et, brusquement, on les sort de ce béton et de ce fossé pour les jeter en avant, à 80, 100, 2000 Kilomètres de leur base de départ. Le mouvement s’exécute bien, parce que les étatsmajors sont bien aménagés et savent leur métier, mais les P.C. sont trop lourds et ne se déplient pas, les transmissions fonctionnent mal, les renseignements arrivent tardivement, et quand un nouvel ordre est envoyé aux exécutants de 1ère ligne, il est déjà trop tard : les chars ennemis sont déjà dans la position. Alors, on s’énerve, on s’étonne, parfois on recule pour aller s’installer hors des émotions du combat. Parfait pour le cœur sans doute, mais pitoyable pour le commandement. Car, alors on n’a, ni renseignements, ni transmissions, on bâtit sur l’inconnu, et l’on envoi des ordres absurdes et inexécutables. Savoir où il faut se tenir pour commander à son échelon est un art très difficile. J’assure préférer ceux qui sont restés trop prés, à ceux qui sont partis trop loin. Ils ont payé cette erreur, si on appelle cela une erreur, de leur liberté et même de leur vie. En tous cas, jusqu’au 1- RFL et RFM : Régions Fortifiées de la Lauter et de Metz 35


dernier moment, ils ont commandé et leurs subordonnés ont eu l’impression d’être commandés. Ce que je dis des généraux s’applique entièrement aux chefs de corps. Il n’y a qu’à voir le nombre de ceux qui ont rempli les geôles allemandes. Beaucoup de ceux-là se sont conduit comme de véritables héros, disputant le terrain pied à pied à l’ennemi. Mais à coté, hélas, il faut bien constater de tristes défaillances. Que d’officiers se sont crus indispensables pour le salut du pays, à l’arrière. Combien ont estimé nécessaire d’aller chercher des ordres aux P.C. de corps d’armée ou d’armée. Combien aussi ont toléré que leurs hommes jettent leurs armes, leur équipement pour fuir au plus vite. Ceci est le plus mauvais souvenir d’un soldat qui a commandé à des soldats, sur les champs de bataille, dans les circonstances les plus graves, et qui, jamais, comme capitaine, comme commandant, comme colonel, n’avait assisté à la moindre panique. Penser que le soldat français a tenu sous les bombardements de Verdun, et qu’il a fui devant les bombardements de la Meuse, est une dérision. Les derniers n’étaient pas en rapport aux premiers. Il faut qu’en vingt cinq ans on ait changé ce peuple pour en faire une bande. Espérons que la leçon servira, et, qu’avant d’apprendre aux futurs soldats leurs devoirs civiques et leurs droits politiques, on leur apprendra qu’un soldat n’abandonne jamais son arme, ne lâche jamais son unité, et lutte jusqu’à la dernière extrémité, là où il a reçu l’ordre de résister. Pouvions-nous vaincre ? Ces causes de la défaite, sociales, politiques, militaires, loyalement exposées, il faut en tirer la leçon et la conclusion. Dans les conditions d’effectifs, d’impréparation de mentalité où nous étions, pouvions nous vaincre et comment le pouvions-nous, car j’estime insensé celui qui se lance dans une guerre sans avoir la moindre chance de succès. Hommes de gouvernement et militaires ont donc cru en la victoire. Et d’abord, pouvions-nous éviter la guerre ? Je réponds très nettement : un peu plus tôt, un peu plus tard, il fallait y passer. J’ai déjà dit plus haut qu’il eut mieux valu la faire en 1939 qu’en 1938, en 1936 qu’en 1938. Le temps, certes, n’a pas travaillé pour nous. Comment fallait-il la mener ? En se rappelant d’abord qu’il s’agissait d’une guerre de coalition, où nous avions le droit et le devoir de mener le jeu et d’exiger de nos alliés l’effort correspondant au notre, et ceci dès 1938, quand il fut bien évident que l’Allemagne réarmée était prête à tout pour dominer l’Europe. Nous savions notre infériorité en effectifs. Nous devions exiger de l’Angleterre qu’elle nous amène d’entrée de jeu, non pas cinq mais quinze divisions, avec l’aviation et les chars correspondants. La Pologne a été surprise en pleine mobilisation; elle ne pouvait faire plus et mieux quelle fit. Elle a rempli loyalement ses engagements et, pendant trois semaines elle a attiré sur elle l’armée allemande, qui n’avait laissé en face de la France qu’une partie, d’ailleurs importante, de son aviation. Pouvait-on en profiter? Autrement, certes, qu’on ne l’a fait. A petite portée certainement, à grande portée peut-être. Le 1er septembre 1939, l’armée allemande n’avait à peu prés rien sur la rive gauche de la Sarre. De Sarrebruck à Trèves le terrain était vide. On pouvait y aller, à condition d’aller vite et de s’arrêter à la Sarre. On le pouvait avec les belles troupes du VI° corps, connaissant à fond la région, ayant étudié le problème en détail. Certes, elles n’auraient pas été mobilisées, elles n’auraient eu que des échelons « A » à peine renforcée. Avec les chars de Metz et de Verdun, c’était suffisant. La mobilisation se serait terminé sur la Sarre, où les ponts auraient sauté, où le fil de fer aurait poussé, où les blockhaus seraient instantanément sortis de terre. Nous pouvions certainement occuper la Sarre de Sarrebruck à Saarburg, et nous accrocher solidement avant que l’ennemi ait pu contre-attaquer en force. Nous aurions tenu sous notre 36


feu le bassin minier et industriel de Sarrebruck. Le gage en valait la peine, et l’ennemi eut du monter une grosse attaque pour nous chasser de là. C’était ce que j’appelle la contre-attaque à petite portée. Elle était insuffisante. Il fallait faire mieux, et pour cela adopter vis à vis de la Belgique une autre attitude et une autre méthode. Dès le premier jour, tous les hommes intelligents, en Belgique comme en France, on comprit que les petits pays du nord de l’Europe étaient condamnés, de part leur situation même, à entrer dans la bagarre. Seule la peur incitait les gouvernements à fermer les yeux. Il fallait neutraliser cette peur en les forçant à voir où était leur intérêt, et sauter d’un bond à la frontière nord-est de la Belgique, sur la route de Düsseldorf et de la Ruhr. On m’objectera que l’Amérique eut protesté, qu’elle eut considéré l’entrée des troupes françaises en Belgique comme une violation des contrats, qu’elle nous eut tourné le dos. Je demande simplement, en dehors du matériel qu’elle nous a fait payer en franc-or, l’aide qu’elle nous a apportée. Quand on s’est décidé à jouer une partie aussi terrible que celle où l’on s’était engagé, je dis qu’il faut avoir l’estomac de la jouer à fond, sans s’arrêter à telle ou telle considération secondaire. En arrivant sur la Meuse de Liège, en Septembre 1939, nous sauvions certainement la Belgique, la Hollande et le Danemark de l’invasion et nous aurions été, le 10 mai 1940, en autre posture de recevoir l’attaque allemande que sur le front péniblement atteint par le groupe des armée du nord. Sans compter que l’Angleterre, particulièrement intéressée à ces cotes du nord, eut sans doute trouvé le moyen de mobiliser et d’instruire autre chose que les maigres divisions de son corps expéditionnaire, et que l’armée anglaise nous eut apporté une aide plus solide et plus efficace. Mais, aucune de ces deux solutions n’ayant été réalisée sinon envisagée, pouvait-on éviter le désastre foudroyant qui a éberlué les Allemands eux-mêmes ? Il eut fallu d’abord être renseignés autrement que nous ne l’étions. On a compté au G.Q.G. français les divisions nouvelles de l’ennemi, on n’a pas dénombré les chars et les avions. Il était cependant logique de supposer qu’un pays comme l’Allemagne, aussi industrialisé, aussi discipliné, aussi travailleur, ne perdait pas les mois qui se sont écoulés entre la campagne de Pologne et la campagne de France, et que nous verrions paraître des milliers d’avions et des centaines de chars supplémentaires. Il était logique de croire qu’elle avait tiré profit de ses expériences d’Espagne et de Pologne et qu’elle nous opposerait des matériels à l’épreuve de nos armes et de nos fortifications. C’est ce qui s’est exactement produit. Et ceux qui, en France, au mois d’avril, parlaient de 10.000 avions et de 5.000 chars ennemis, n’étaient certainement pas loin de la vérité. On les traitait de visionnaires. En admettant ces prévisions, il suffisait de regarder nos disponibilités pour comprendre que nous n’avions qu’une chance de nous en tirer, c’était d’utiliser au maximum les ressources de la fortification, pour y installer nos divisions incapables de manœuvrer, en maintenant en arrière des points sensibles les divisions que l’on savait adaptées à la manœuvre, au colmatage, à la contre-attaque. La fortification était solide, très solide même en certains secteurs de Bâle à Longuyon. On pouvait nettement y faire des économies d’effectifs. Elle était faible ou très faible de Longuyon à Dunkerque. C’est là qu’il fallait faire le gros effort. On l’a tenté, l’hiver venu, exceptionnellement rigoureux, gênant les bétonnages et les terrassements. Il n’a pas gêné en tout cas les fabrications de l’intérieur. Or, prenons simplement la question des mines. Je ne sache pas qu’on ait pu renforcer la fortification du nord par une dotation spéciale du groupe d’armées en mines, en dehors de quelques centaines destinées à chaque division. Et, alors que nous avions éprouvé en Lorraine l’efficacité des mines allemandes, anti-chars et anti-hommes, alors que la fabrication des mines est autrement facile que celle des obus et des bombes d’aviations, nous n’avions pas été capables d’en avoir un stock suffisant pour en saturer les abords de notre frontière du nord. Dans certains secteurs, où les troupes de forteresse n’ont pas bougé, nous n’en avions pas plus qu’ailleurs. Lamentable prévision. 37


Qu’on veuille bien envisager ce qui aurait pu se passer sur une frontière équipée et occupée, sans faire preuve d’imagination débordante. Notre cavalerie, seule, motorisée et non motorisée, entre en Belgique le 10 mai 1940. Au sud de Namur elle ne dépasse pas la Meuse, cependant que la IX° armée installée dans ses blockhaus, entre Maubeuge et Mézières, amorce les mines qu’elle a disposées en profondeur, sur des dizaines de mètre en avant du fossé anti-chars. En arrière des I° et IX° armée, quelques divisions réservées. L’attaque se produit sur Sedan, comme elle s’est produite à la gauche de la II° armée. La division intéressée est enfoncée. Mais à proximité sont des réserves, qui peuvent colmater la brèche; et cette brèche, calée à gauche par les organisations de la IX° armée, ne s’élargit pas, Rocroi tient, la troupe de Chimay tient, Maubeuge tient. Là où les divisions cuirassées de l’ennemi passent la Meuse, sur un secteur étroit, elles poussent audacieusement de l’avant en cherchant à l’élargir, mais leurs flancs sont menacés et la chute des blockhaus est lente. Or, les généraux allemands savent leur métier. Ils ne laissent pas s’allonger un doigt de gant, où ils peuvent craindre toutes les contre-attaques, avant d’avoir pris l’espace vital indispensable pour leur progression. Et, dans ce combat pied à pied, les mines causes autant de pertes que les armes anti-chars; c’est l’arrêt brutal sur les jarrets du cavalier auquel on a tracé la route de Vianden à Boulogne sur mer, et qui trouve un obstacle, très gros déjà, à Rocroi ou à Chimay. Admettons qu’au mépris des pertes ces cavaliers aient passé, au bout de X jours, et aient progressé sur leur axe de marche. Ils devaient alors trouver devant eux la masse de manœuvre composée de tous les C.A.1 que le G.Q.G aurait pu rameuter pour la bataille. Cette bataille se serait livrée en Thiérache ou en Artois, à armes égales, sauf au point de vu aviation, avec des unités fraîches, bien commandées, sachant se battre et voulant vaincre. Certes, l’infériorité de l’aviation aurait lourdement pesé sur la conception et sur l’exécution de la bataille. A la lumière du passé, il est tout de même permis de supposer que la défaite, si défaite il y avait eu, n’aurait pas été le désastre, que la I° armée, l’armée anglaise, l’armée belge même, auraient pu retraiter sur la Somme, que le nord de la France eut peut-être été perdu, mais que la ligne de l’Aisne et de la Somme eut pu tenir devant un ennemi épuisé et incapable d’exploiter sa pénible victoire. C’était la guerre des tranchées que nous imposions à un adversaire qui avait misé sur la guerre éclair et qui ne pouvait accepter une guerre longue. C’était l’Italie qui restait neutre. C’était l’Orient qui reprenait espoir. C’était l’Amérique qui se décidait peut-être. Mais le succès ne va qu’à ceux qui savent le mériter, nous ne l’avons pas su. Nous n’avons été offensifs ni défensifs. Nous avons été passifs. C’est la pire des solutions que nous pouvions choisir. Notre attitude vis à vis de nos alliés a été celle de gens qui parlent presque en suppliant, alors qu’il fallait donner des ordres et les faire exécuter. Les Belges n’auraient peut-être pas compris parce qu’ils ne voulaient pas se battre. Mais les Anglais, dont l’intérêt coïncidait avec le notre, auraient certainement compris et marché avec nous, en jouant franc jeu et en sachant mourir comme l’a toujours su l’infanterie anglaise. Nous pouvions donc vaincre. Il nous fallait seulement le temps d’attendre l’effort anglais : soit un, deux, trois ans peut-être. Pour être victorieuse, cette guerre devait être longue. L’Allemagne n’avait pas le droit de se payer une longue guerre, elle a misé sur une guerre courte : en ce qui nous concerne elle a gagné. Et maintenant nous sommes à terre. Les vainqueurs de 1918 sont les vaincus de 1940. J’ai essayé d’analyser les causes de la défaite. Il ne s’agit pas de ratiociner à perte de vue sur elles. Il s’agit de refaire la France. Nous le pouvons, nous le devons. Ce sera dur, certes, et nos 1- CA : Corps d’Armée 38


voisins ne nous y aiderons pas. Mais nos ressources sont assez grandes, si nous savons les employer, pour nous relever moralement et matériellement. Tous les hommes de bonne volonté doivent s’y mettre, sans distinction de croyance, de parti ou d’idéologie. Des Français par exemple, rien des métèques, ils nous ont causé trop de mal pour que nous leur permettions de relever la tête. Nous ne bannissons pas chez nous; mais nous entendons qu’on se plie à nos lois, à notre mentalité, sans importer ce qui vient d’ailleurs, de l’est comme de l’ouest. Avant tout, décidons de ne pas mourir, et par conséquent d’avoir des enfants de France, en France. A tous ces Français nous assurerons le droit à la vie, à une existence de travail comme de liberté, qui ne soit copié sur personne, mais qui sera conforme à notre mentalité, à nos traditions, dans l’ordre et la discipline. Nous saurons mettre notre bien en valeur, avec toutes les ressources que nous offre la science moderne, sans mégalomanie comme sans ladrerie. Nous serons honnêtes pour tenir des engagements honnêtes, soucieux de faire respecter nos droits, conscients de nos devoirs. Et surtout, nous aurons un idéal qui ne sera pas la basse satisfaction de tous les égoïsmes, de tous les appétits. Un idéal qui a été celui de nos ancêtres à travers les siècles, idéal de justice, sans faiblesse, de générosité sans imbécillité, de grandeur sans orgueil. Nous nous rappellerons enfin que nous avons une mission, que cette mission n’est pas terminée, et que la devise du début est aussi celle de la fin : Gesta dei per francos Juillet 1940

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Août 1940

Les Vainqueurs Si l’on juge un arbre à ses fruits, l’arbre allemand doit être de belle venue, car ses fruits, depuis quelques années, sont splendides. Après une défaite retentissante, s’être relevé en 20 ans, avoir refait une armée de terre, de l’air et de mer ; avoir surtout redonné à un peuple la croyance en ses destinées, la foi en sa mission, et, le moment venu, avec le prétexte qu’il fallait, avoir successivement annexé l’Autriche, la Tchécoslovaquie, et la Pologne, conquis l’Europe du cap nord au golfe de Biscaye, et de Brest à Presbourg, et attendre d’un instant à l’autre l’écroulement de l’empire britannique : cela indique une netteté dans la conception, une énergie dans l’exécution, et une chance aussi, qu’on ne trouve que chez les grands conquérants, servis par le concours de circonstances inespérées. Qu’un homme, qu’un peuple puisse résister à la griserie d’une telle victoire serait inconcevable. Pour autant que nous le pouvons, tâchons d’analyser l’homme et le peuple, sa mentalité, sa méthode, ses moyens, et, à la lumière d’un passé si bref qu’il en est aveuglant, cherchons à prévoir l’avenir qui va suivre notre présent. L’Allemagne de 1940 s’incarne en Hitler : c’est lui qui l’a sauvée, qui l’a porté au faîte, qui l’a formée. Cet homme est un être extraordinaire que nous devons chercher à étudier objectivement, sans passion comme sans parti pris. Autrichien de petite extraction, artisant sans qualité spéciale, ouvrier quelconque, il fait la guerre de 1914-1918 en soldat brave, discipliné, convaincu. Il est blessé, cité, mais sans que des mérites exceptionnels le fassent arriver officier ou même sous officier. Démobilisé comme tant d’autres, il est pris dans ce sinistre tourbillon d’après guerre où l’Allemagne vaincue souffre autant, sinon plus, dans son esprit que dans sa chair. Il cherche à travailler, à gagner son pain. Il lutte contre l’égoïsme, contre l’insouciance, contre la lassitude, contre l’anarchie, contre la faim. Il frappe à toutes les portes, qui se ferment devant les pauvres gens, qui ne s’ouvrent que devant les puissants du jour. Dans cette âme de simple, de mystique, dans ce chaste et cet ascète, naît l’idée d’une conception nouvelle de la société, d’une organisation qui concilie à la fois les aspirations d’un nationalisme exacerbé, et d’une société accueillante aux petits, aux malheureux, aux travailleurs. Ce messie trouve quelques Apôtres, venus comme lui des couches inférieures de la société, jeunes, résolus, ayant fait le sacrifice de leur vie. Il cherche par ailleurs des appuis, aussi bien chez les militaires que chez les capitalistes, aussi bien à l’étranger qu’en Allemagne. Il n’hésite pas à frapper à la porte de cette « mission de contrôle » française, qu’il hait de toutes ses forces, et qui ne devine pas sa force à lui. Il fait preuve d’une activité débordante. Il parle dans toutes les villes d’Allemagne. Son mouvement grandit. Son nom se répand. Il veut brûler les étapes, et c’est l’échec sanglant de Munich, son arrestation, sa captivité. En prison, le messie écrit son évangile. Quand on le lie froidement, à tête reposée, on est frappé des longueurs, des redites; mais on est frappé aussi du dynamisme qui se dégage de ces pages et de l’énergie farouche qu’elles reflètent. Cet homme a voulu refaire l’Allemagne. Il a tracé le plan de cette résurrection. Il en a sérié les étapes. Et tout s’est réalisé comme il l’a prévu en prison. Tout sauf l’accord avec l’Angleterre. C’est la lézarde tragique de l’édifice, celle qui menace de tout faire crouler, le jour où l’armature intérieure fléchira. Cette armature, certes, est solide. L’organisation du parti peut servir de modèle, un modèle parfaitement adapté au tempérament allemand, qui ne donnerait peut-être pas le même résultat sur un autre milieu, mais qui en Allemagne, a véritablement obtenu des résultats surprenants. 40


Évidemment, il n’y a guère de place pour la liberté, mais liberté ne signifie-t-il pas trop souvent licence. Il n’y a guère de place pour le libre arbitre, mais le libre arbitre ne signifie-til pas indiscipline des esprits. Dans l’Allemagne de 1940, du haut en bas de l’échelle, la vie est ordonnée, dirigée, réglementée, contrôlée; que ce soit celle des intellectuels, des ouvriers, des paysans, des hommes, des femmes, des enfants. L’état national-socialiste, prévoit, ordonne, constate, récolte. L’initiative appartient au bureau central de la propagande. C’est lui qui, par la presse, par les représentants du parti, par le réseau des « Gau », des « Stadte » et des « Ortsgruppen » répand la doctrine officielle, celle en dehors de laquelle il n’y a pas de salut, celle qui mène aux profits et aux pouvoirs. Dans un pays aussi hiérarchisé, aussi domestiqué que l’Allemagne, une pareille organisation a son plein rendement, d’autant plus que le succès a couronné les prédictions du messie, et que les plus incrédules, les réticents ne peuvent pas fermer les yeux devant l’évidence. « Mein Kampf » paraît quand son auteur est sorti de prison depuis quelques temps déjà; le proscrit d’hier est le führer de demain. Son autorité s’affirme, son pouvoir grandit à une allure vertigineuse. Le parti qu’il a rêvé est, en quelques jours pourrait-on dire, une réalité et une réalité la plus puissante qui soit. Sans révolution sanglante, sans presque le moindre meurtre à la clef, le parti étend son influence sur toute l’Allemagne, la mystique coudoie le réalisme, les apôtres deviennent des « Leiter », la Reichswer devient la Wehrmacht, et, à la mort d’Hidenburg, incarnant la vieille Allemagne le peintre en bâtiment autrichien s’affirme comme le souverain le plus puissant qu’ait jamais connu le monde. Quand il sent son autorité solidement établie à l’intérieur du « Raum » national, il invente la théorie du « Lebensraum » et alors, c’est l’Anschluss autrichien, c’est l’asservissement de la Tchécoslovaquie, c’est l’écrasement de la Pologne, c’est la conquête de la Norvège du Danemark, de la Hollande, de la Belgique, de la France…. L’armée allemande, qui se flattait de ne pas avoir été vaincue en 1918, a suivi, avec réticence d’abord, avec curiosité ensuite, avec enthousiasme enfin, l’homme providentiel qui s’est appuyé sur elle pour asseoir son pouvoir. Les fils des junkers ont adopté le nouveau « seigneur de la guerre », qui leur a permis de forger l’outil de leur revanche, et leur loyalisme est naturellement la rançon de ses succès; peut-être l’ont-ils dédaigné en 1933, redouté en 1936, discuté en 1938. Ils l’admirent certainement, et c’est justice, en 1940. Et cependant, n’y a-t-il pas des traits inquiétants sur ce génie énigmatique, ce surhomme éblouissant ? Pour autant qu’on puisse ajouter foi aux récits de ceux qui l’ont approché, cet homme extraordinaire serait d’abord un impulsif, voir ? C’est sûrement un primaire, dont les connaissances récentes manquent de base solide, et d’expériences approfondies. C’est naturellement un orgueilleux, dont les succès ont développé la croyance en son infaillibilité. C’est enfin, très probablement, un malade connaissant ses infirmités et inquiet du proche avenir. « Mein Kampf » rappelle à la lecture le « Coran ». Mahomet, lui aussi, a été un mystique qui a compris les aspirations de ses tribus, et a su les lancer avec les mots qui convenaient à la conquête du monde. Hitler a la même foi communicative, avec l’esprit religieux en moins, si l’on peut ainsi parler. Cet homme, qui crée une doctrine nouvelle, néglige la force incomparable que donne la religion. Au contraire, il s’attaque à elle, que ce soit contre les catholiques, contre les protestants, contre les juifs. La lutte est autant, sinon plus, contre la religion que contre les races. Et ce n’est que plus tard, en 1940, sous la pression des évènements, que le dictateur invoque le Très Haut, et s’en sert pour appuyer ses demandes d’efforts supplémentaires et de nouveaux sacrifices. Tant qu’il a cru pouvoir s’en passer, il s’en est passé. D’ailleurs, les contradictions ne sont pas pour le gêner. La plus retentissante est son attitude vis à vis du bolchevisme. Pendant des années, la lutte contre Moscou est le leitmotiv 41


du führer; Ceux qui, jusque là, avaient pu excuser l’anschluss, les Sudètes, La Moravie, la Bohème, ont peut-être enfin compris. J’entends bien que le mensonge soit une force en politique. Encore faut-il y mettre certaines formes. Hitler en met vraiment trop peu. Par contre, cet intuitif, qui sait méditer, a une qualité inappréciable au degré le plus élevé : la décision. Il réfléchit mûrement, aussi calme dans la solitude de Berchtesgaden qu’il a affecté d’être violent dans ses entretiens avec tel ou tel. Il provoque des conseils de quelques hommes choisis, il enregistre leurs avis, il réfute leurs objections, et, brusquement, il décide avec une énergie sauvage, sans soucis des conséquences, des répercussions, de l’opinion à l’intérieur ou à l’extérieur. Et à tous coups, ou presque, car l’affaire de la Feldherrnalle a tout de même été un échec grave, il gagne sur tous les tableaux. C’est Röhm, son compagnon de la première heure, qu’il exécute froidement. C’est Schuschnigg, qu’il martyrise. C’est Hacha qu’il terrorise. Ce sont Chamberlain et Daladier qu’il joue. Ce sont Mussolini et Staline qu’il annexe. Le « Liberum Veto » est une trouvaille géniale. Elle permet toutes les interpellations, toutes les extensions…jusqu’à ce que la corde casse…; car la corde doit fatalement casser, si l’histoire n’est pas une vaine fiction, et si l’humanité est encore composée d’hommes très sensiblement analogues à ceux qui nous ont précédés. Le cataclysme auquel nous assistons n’est pas une nouveauté. D’autres grands conquérants ont paru dans le passé. Leur destin, à tous, a été le même, plus ou moins lentement, plus ou moins vite. La chute a toujours été d’autant plus rapide que l’ascension avait été plus vertigineuse. Il n’y a pas de raison pour qu’Adolf Hitler fasse exception : attendons la chute. Quels appuis cet homme a-t-il trouvé? Tous ceux qu’un être de sa valeur devait logiquement rencontrer dans le monde où l’horreur des responsabilités lui créait le milieu idéal pour réussir, de la veulerie d’une part, la soif de revanche et l’excès de misère d’autre part. Après la victoire de 1918, les alliés sont divisés, les Allemands sont épuisés, la lassitude est générale. Ceux-là ne savent pas gagner la paix; mais ceux-ci ne reconnaissent pas avoir perdu la guerre. Les uns se contentent de jouir, les autres cherchent à réagir, sans que ni les uns ni les autres ne veuillent comprendre où sont les véritables intérêts. L’Angleterre, dès le début, joue le jeu de l’Allemagne. L’Amérique se replie derrière l’Atlantique. L’Italie s’estime lésée. Dans le monde entier, la France orgueilleuse fait figure de tortionnaire vis à vis de l’Allemagne; et, dans chaque pays même en France, Streseman d’abord, Hitler ensuite, trouve des approbateurs, des admirateurs, des auxiliaires conscients ou inconscients. Il faut reconnaître que « Finassieren » et « Lügen »1 sont des verbes dont la conjugaison est familière aux Allemands. Dans son pays d’adoption, le prophète trouve le milieu idéal. Un peuple discipliné, travailleur, dur à la privation, d’un orgueil incommensurable. Une société où le conseil d’administration a fait faillite. Un organisme seul, l’armée, qui a su camoufler sa défaite et sortir, quasi intact, de la tourmente ou l’empire a sombré. Sur le tout une misère effroyable, une désespérance tragique, une chute d’autant plus brutale que les espoirs ont été plus grands, que le but a paru proche. Les humbles se tournent naturellement vers celui qui sait leur parler. Les puissants cherchent à utiliser celui qui doit les remettre en selle. Lui, sait mener les uns et se servir des autres. Agitateur né, il se dépense sans compter et ses disciples augmentent à une cadence vertigineuse. Cet homme a le sens de la foule, et de la foule allemande essentiellement. Les cortèges, les rassemblements, les congrès, sont spécifiquement allemands, avec tout ce que cela comporte de drapeaux, de champs, de musique, de beuveries aussi, dans les brasseries où se discute le sort du monde. La radio, l’avion, l’auto, permettent de répandre la parole enflammée du prophète. Son peuple l’écoute, l’admire, le suit. 1- mentir 42


Cependant, la doctrine n’a rien d’une doctrine de facilité. Elle est toute de renoncement; mais ces privations ont à la clé la revanche, que tous espèrent, d’une défaite et d’un « diktat », que tous estiment injuste et immérité. Un autre peuple que le peuple allemand aurait-il accepté de sacrifier le beurre aux canons, la liberté à la contrainte, le ravitaillement général à la réglementation obligatoire ? C’est peu probable. En Allemagne, la chose était possible. Elle a réussi. Grâce aux prescriptions les plus rigoureuses et les plus minutieuses, non seulement le pays s’est relevé, a vécu, mais il a reconstitué ses réserves, il s’est préparé à la lutte, matériellement et moralement, contre ceux qui voudraient un jour lui barrer la route. Ce fut au détriment de la liberté, des initiatives, des plaisirs, et des loisirs, peu importe. L’Allemagne accepta la tyrannie du parti, comme elle avait accepté celle du Kaiser. Les ruines se relevèrent, les chômeurs disparurent, le commerce reprit et surtout l’équipement guerrier, aérien et terrestre se reconstitua, sans que les principaux intéressés, en espèce en France et en Angleterre, eussent l’air d’en soupçonner l’importance et l’incidence. Les résultats sont venus, éblouissants. Le messie avait raison. Nul ne le discute. Il ne s’est jamais trompé. Et cependant, ce peuple n’est pas gai. Le succès a décuplé son orgueil, qui était immense déjà, sa devise en fait foi. Mais il sent confusément que la base de l’édifice est fragile, que tout n’est pas le mieux dans la meilleure des Europe. Ce ne sont pas les scrupules qui l’étouffent. Peu lui importe qu’on ait violé les traités à la pelle, et envahi les neutres à la douzaine. Pourvu que « ça dure » comme disait Madame Mère. Jusqu’à l’affaire de Pologne, tout s’était passé sans effusion de sang, ou presque. L’Allemagne montrait sa force pour ne pas avoir l’occasion de s’en servir. Mais, en Pologne, en France, il a fallu se battre, âprement en certains points. Les pertes, insignifiantes par rapport à celles de la guerre mondiale, n’en ont pas moins été durement ressenties. Toutes les classes ont payé, d’ailleurs avec la même bravoure, le même enthousiasme. Mais la paix tarde à venir et, tout de même voici quatre ans que l’Allemagne vit dans un état de pseudomobilisation. Vienne, Prague, Varsovie, Paris, ce sont des gages splendides, ce n’est pas la paix. Que Londres même, demain, tombe, sous les coups de l’aviation et des chars, entre les mains des Allemands, et ce n’est peut-être pas la paix, car, là-bas, l’Amérique s’arme, et la solidarité anglo-saxonne n’est pas un vain mot. Alors, cet état de guerre larvée continuerait. Ces bombardements nocturnes viendraient s’abattre sur Dresde, comme sur Berlin. Cet arrêt du commerce maritime, si cher à l’orgueil allemand se perpétuerait au plus grand bénéfice des Etats Unis, groupant autour d’eux tous les adversaires de l’Allemagne. Il y a là une tragique inconnue. L’étoile du führer brille d’un éclat inaltéré, mais peut être altérable, le jour où son ambition fera peser de plus en plus durement sur le peuple allemand les charges de l’occupation européenne. Ce que n’a pu réaliser la France de Napoléon est irréalisable aussi pour l’Allemagne d’Hitler. Ne négligeons pas toutefois un puissant mobile, qui n’a jamais soulevé le peuple français, je veux parler de la jalousie. L’Allemand est jaloux, comme il est orgueilleux, et je pourrais presque dire qu’il a raison. Le sort ne lui a donné en partage ni les climats tempérés, où s’épanouissent les orangers, ni les fenêtres maritimes sur le grand large. La Baltique, si contrôlée maintenant par le moujik, n’est qu’une mer pour petite nation. Son dernier empereur lui avait dit que son avenir était sur mer, la grande, la vraie. Il est probable que le führer reprendra la doctrine qui lui permettra d’avoir une fenêtre à plusieurs battants sur la mer du nord, sinon sur l’Atlantique. Le sol de l’Allemagne est pauvre comme son climat est rude. Si l’on fait abstraction de quelques terres plantureuses, comme celle de la Saxe ou de la Rhénanie, l’ensemble est certainement inférieur à la moyenne. Ce ne sont, ni les riches plaines des Flandres, ni les coteaux de champagne ou de Bourgogne, ce n’est, ni la vallée du Pô, ni la côte d’Azur. Le 43


paysan a beau peiner, le chimiste a beau s’affairer, les « Ersatz »1 ont beau se développer, il est certain que la vie en Allemagne ne rappelle que de loin, de très loin, le stade auquel est arrivé le paysan français ou l’ouvrier anglais. L’industrie, certes, a pris un développement inouï; mais il n’est pas très sûr que l’homme qui peine 60 heures par semaine sur son établi, sur son tour ou sa machine, ait du bonheur pour son argent. Or, cet ouvrier, cet artisan, cet employé, ce paysan, savent la vie d’à coté. Ils ne voient d’ailleurs qu’un coté de la médaille, sans voir les ombres de l’autre. Et ils envient ces paresseux, ces moribonds qui ne savent ni cultiver, ni fabriquer, ni construire, dit leur propagande. Jalousie et orgueil, sont de puissants leviers pour entraîner les conquérants à la conquête, en sachant les lâcher à propos, quand l’outil est prêt, quand la poire est mûre. Et il faut reconnaître que l’orchestration a été remarquablement montée; pour obtenir l’accord parfait, le parti est une magnifique caisse de résonance. Les « Liter » de tous étages sont là pour répandre la bonne parole, et en surveiller les répercussions, du haut en bas de l’échelle sociale. Tous ont été choisis pour leurs qualités d’énergie et de décision. Tous jeunes, ardents, convaincus, sans hésitation comme sans scrupules. Mais si, à la rigueur, ceux des « Gau » représentent une certaine surface, ceux des villes, des groupements, des localités, n’ont été choisis qu’en raison de leur force, je n’ose pas dire de leur brutalité. Et ce sont ces jeunes hommes, gonflés d’orgueil à la suite de leurs succès inespérés, qui mènent l’Allemagne dans la coulisse. Certes, Hitler est tout puissant ; mais il s’inspire des comptes-rendus de ses « Liter » et il ne peut pas négliger leur dynamisme, leurs aspirations, même s’il les estime exagérées. Il laisse se développer une propagande anti-française, qui crée le climat favorable à la déformation de l’opinion publique la plus influençable qui soit, et le jour où il dictera les conditions de paix, il pourra témoigner, à la face du monde, qu’il interprète purement et simplement la volonté de son peuple. Or, ce peuple, discipliné, travailleur, dur à la fatigue, avons nous dit, est aussi terriblement orgueilleux, et je n’ose ajouter, pas très intelligent, ou plutôt d’une intelligence très différente de la notre. Il comprend ce que l’autorité ordonne de comprendre, sans chercher d’autre source, sans contrôler l’opinion officielle. Sa presse n’existe littéralement pas; tout est orchestré par la propagande, dont on retrouve les idées, sinon les phrases, dans les articles de tous les journaux, que ce soit le « Völkischer Beobachter » ou le « Frankfurter Zeitung ». L’Allemand d’autre part, n’est pas capable d’inventer, au vieux sens latin d’ « invenire ». Il excelle à mettre en valeur ce qui a été trouvé par d’autres, qui n’ont pas su profiter de leur invention; mais sa tournure d’esprit ne l’incite pas à faire œuvre de chercheur, que ce soit en politique ou en mécanique. Il est donc prêt à appliquer les maximes du parti, comme les prescriptions du commandement, avec un rigorisme, une exactitude, qui frisent souvent l’absurdité. Il n’en exécute pas moins. C’est, individuellement, une faiblesse. Collectivement, c’est une force terrible, à condition bien entendu, c’est que l’autorité manifeste son habileté par ses succès, car, autrement les privations compteraient tout de même dans la balance. A une autre condition aussi, c’est qu’il ne se glisse pas un grain de sable dans le mécanisme, et que l’exécutant ne se trouve pas devant un événement imprévu, si minime soit-il. Car alors, il est tout désorienté, et son désarroi serait risible pour nous, si nous ne pensions pas que ce sont ces gens là qui nous ont battus, et qu’il leur a suffi de six semaines pour mettre la France à genoux. Il faut reconnaître que notre intelligence, si intelligence il y a, a été bien mal employée. Ce peuple a une autre qualité, inappréciable : le dynamisme de sa jeunesse. Là, Hitler a fait 1- Un ersatz est un « sous-équivalent », souvent considéré de moindre qualité, d'un sujet considéré ou tout produit de substitution tenant l'office de l'original. Il s'agit d'une pâle copie, d'un substitut parfois peu, voire pas du tout, efficace. 44


une œuvre magnifique, au physique comme au moral. Ceux qui, en Allemagne, ont raconté que la génération de 1930 avait souffert des privations imposées par les alliés, se sont aimablement moqués du public. La jeunesse qui a fait la guerre de 1940 est splendide, bien bâtie, bien nourrie, bien entraînée. Son moral est à la hauteur de son physique. L’enfant a été embrigadé dès son plus jeune age dans les organisations du parti. Il a été élevé avec l’idée de revanche, dans la haine de la France, autant que de l’Angleterre. On lui a appris à obéir aveuglément, joyeusement. Après lui avoir peint le bolchevisme sous les couleurs les plus noires, on lui a affirmé que la raison d’état ordonnait de s’allier à Staline. Après avoir répété que la Baltique était un lac allemand, on en a fait une mer spécifiquement russe. Un jeune français, n’aurait pas compris, et aurait grogné; le jeune allemand n’a peut-être pas compris, mais il a applaudi; ainsi pour tout. C’est là qu’est la force du national-socialisme, et son danger. Les jeunes hommes qui ont équipé les divisions cuirassées et motorisées, l’aviation et les sous-marins, sont de magnifiques combattants. Notre armée de divisions de formations a fait piètre figure à coté d’eux. Tant que nous n’aurons pas refait la jeunesse de France, nous ne pourrons songer à faire tourner la roue de la fortune. Le corollaire de l’œuvre organisé en faveur de la jeunesse, est la lutte entamée en Allemagne contre le taudis. Il est certain que, là aussi, nous avons de multiples leçons à prendre. Les villes allemandes, à la fin de l’autre guerre, étaient encore plus surpeuplées et plus mal loties que les villes françaises. Les cités ouvrières avaient été conçues dans le plus mauvais sens capitaliste, avec le souci primordial de la construction la plus économique et la plus rentable possible. Il n’y a qu’à se rappeler les faubourgs de Berlin et les grosses agglomérations de la Ruhr. Hitler, peut-on dire, a tranché dans le vif. Les villes ont été éventrées. De larges avenues ont été ouvertes. Les citées-jardins ont surgi partout. Celui qui voit actuellement les maisons bon marché des usines Siemens, à l’ouest de Berlin, ou de la petite ville de Pirna, par exemple, est frappé du confort et de l’élégance, peut-on dire, de toutes ces villes. Pour qui a connu l’effort fait en Lorraine, dans nos camps de régions fortifiées, la ressemblance est frappante. L’ouvrier, l’employé, comme le sous-officier sont incités à rester dans un logis coquet, clair, avenant. Leur jardin est soigné. Que ce soient des légumes ou des fleurs, ils les cultivent avec amour, c’est autant de pris sur le cabaret, sur l’apéritif, sur la débauche. Pour les enfants, c’est l’air salubre qui remplace l’arrière cour sans lumière, c’est la crèche et la garderie qui libèrent la mère de famille aux heures indispensables, c’est le groupe scolaire à proximité, qui évite les longues marches pendant les mauvais jours d’hiver, c’est la salles de gymnastique et le terrain de sports qui développent le muscle et forment la volonté. Tout cela se généralise en Allemagne, et tout cela nous pouvons, nous devons l’imiter, sinon le copier. C’est à cette œuvre de 20 ans que l’Allemagne doit la génération dont je parlais plus haut, qui a donné une armée de choc, contre laquelle nos divisions mal formées n’ont pas tenu un instant. Quelle méthode, quels moyen a employé le chef disposant de pareil exécutants ? Je m’excuse d’être sévère, je ne crois pas être partial. On pourrait dire qu’à la base est placé le mensonge, spéculant sur la bêtise et l’aveuglement de ses adversaires. Soit au point de vue intérieur, soit au point de vue extérieur, il a menti, toujours et partout, cyniquement, naïvement pourrait on dire. Il a trompé ses amis, ses adversaires, ses ennemis, du dedans comme ceux du dehors. Que ce soit Hindenburg ou Papen, Roehme ou Sheicher; Chamberlain ou Daladier, tous il les a joués, en grand acteur, qui sait entrer en transes ou se faire doucereux à volonté. Et, tous, ils se sont laissés jouer, tous sauf les chefs de la Reichwer. Ce fut le salut de l’Allemagne. Si les hommes qui avaient la charge de l’armée avaient cédé aux impulsions, aux improvisations du dictateur c’eut été le chaos. Ils ont eu l’énergie de résister jusqu’à ce qu’ils sentent l’instrument prêt. Même alors, ils n’ont pas caché les risques de telle ou telle décision. Ils ont freiné tant qu’ils ont pu en 36, 38 et 39. Mais une fois la 45


décision prise, ils ont marché à plein, et Dieu sait s’ils ont réussi. Leur victoire les a surpris par sa soudaineté, par son amplitude, par ses développements; qui sait si cette rapidité même n’a pas troublé leurs conceptions stratégiques. Ayant menti pour se hisser au pouvoir, l’homme est obligé de mentir pour s’y maintenir. Un dictateur ne peut pas s’arrêter. Il faut qu’il progresse pour ne pas décevoir sa clientèle. Une fois le parti solidement ancré sur l’ensemble du III° Reich, les anciennes provinces, les anciens « pays » ayant disparu, il fallait donner à ce peuple l’expansion qu’il souhaitait, qu’il méritait, de l’avis unanime de cette grande Allemagne. On ne pouvait le faire qu’en allant chez le voisin, en faisant sauter les frontières créées à Versailles. La théorie de la race d’abord, le « Lebensraum » 1ensuite, furent des raisons magnifiques de la conquête. Qu’est-ce que l’anschluss ? Sinon la rentrée dans le giron de la famille de frères détachés et soufrant de leur isolement. Idem pour les Sudètes, qui n’ont peut-être jamais si bien compris que depuis 1938, combien les théories raciales peuvent être prétexte à souffrances et vexations, et combien l’esclavage est parfois plus doux que la liberté imposée. Les hors d’œuvre ouvrent l’appétit. Les plats de résistance furent la Tchécoslovaquie et la Pologne. Ils furent avalés, sinon digérés, en moins de temps qu’il faut pour le dire. Danemark, Norvège, Belgique, Hollande suivirent. Qu’est-ce que cela pour un ogre de taille ? Mais l’appétit vient en mangeant. Il ne s’agit plus de la Grande Allemagne mais de l’Europe. La France est abattue, L’Italie n’est qu’un pâle second, l’Espagne est sympathisante, les Balkans tremblent, les Soviets sont incapables, pour l’instant, d’entrer en ligne. La « plus grande Allemagne » s’étend de la steppe russe à l’Atlantique. Il s’agit de profiter de cette conjoncture et de bâtir le monde nouveau dont tous parlent, sans bien savoir de quoi ils parlent. Une seule chose est certaine dans leur esprit : l’Europe vivra sous l’hégémonie allemande ou elle ne vivra pas. La doctrine, les méthodes, qui ont fait la fortune de l’Allemagne vont être appliquées en grand, et un monde nouveau reflet de l’Allemagne, va s’établir en Europe. Il pourra se suffire à lui-même éventuellement, si les méchants américains du nord et du sud veulent le snober. Son mark cessera d’être allemand pour devenir européen. En face des Etats-Unis d’outre Atlantique, vont se dresser les Etats-Unis d’Europe. Le rêve est séduisant. Il est à craindre que ce ne soit qu’un rêve. Des discours comme ceux du docteur Funk ne sont qu’une série d’affirmations sans arguments décisifs. Instaurer le troc comme règle supérieur des échanges est tout de même une doctrine arriérée, qui rappelle davantage les tribus du Centre Africain que les nations ultra-civilisées du Vieux Continent. Ériger une semblable doctrine comme preuve de sa supériorité, est non seulement une supercherie, mais une mauvaise action, humainement parlant. Les nations devraient être complémentaires l’une de l’autre, chacune produisant ce que son sol, son climat, ses affinités particulières, lui permettent de produire aux moindres frais et en plus grandes quantités. Tel donne son café contre des colorants, tel autre son blé contre des parfums. Provoquer la destruction du blé ou du café naturels, en créant à grands frais de mauvais « ersatz », est une mauvaise action, dictée à la fois par l’orgueil et par la crainte. Les traités de commerce, la monnaie ont, depuis les temps les plus reculés, servi à régulariser les échanges. Ce n’est pas l’orgueil démesuré d’un homme et d’un peuple qui doit bouleverser toutes les règles établies, sans compter que cet orgueil crée la souffrance, les privations, la ruine de tout, sans apporter à quiconque la satisfaction de ses besoins ou la joie du superflu. On me dira que l’orgueilleux a aussi la crainte de ne pouvoir écouler ses produits fabriqués, et que c’est là une des principales 1 Le Lebensraum (de l'allemand, der Raum l'espace et das Leben la vie) ou « espace vital », est un concept géopolitique qui renvoie à l'idée de territoire suffisant pour, dans un premier temps, assurer la survie d'un peuple et, dans un deuxième temps, favoriser sa croissance. Ce territoire peut s'obtenir en l'épurant ou en le conquérant. 46


raisons de sa doctrine autarcique. Reste à savoir si la surindustrialisation, telle qu’elle est pratiqué en Allemagne, est non seulement heureuse mais même logique. Car enfin, l’industrie lourde n’est pas seulement à base de charbon; elle est avant tout à base de métal : les métaux manquent dans le sous-sol allemand. Ce fut sans doute la faute la plus grossière du bloc franco-anglais de ne pas avoir compris cette vérité élémentaire. Faute d’acier, l’Allemagne ne pouvait pas mener la guerre. Faute de nickel, de cobalt, de manganèse, de chrome et de tungstène, elle ne pouvait pas doser ses aciers spéciaux. Faute de cuivre elle ne pouvait pas alimenter sa production électrique. Faute d’aluminium, elle ne pouvait créer sa formidable aviation. C’est là qu’il fallait agir sur l’Allemagne. C’est par-là qu’on pouvait la tenir. Au lieu de cela, on l’a aidé à s’approvisionner, on lui a fourni des armes et des munitions avec lesquelles elle devait nous battre. Tragique erreur. Ce sont évidemment les matières premières dont a besoin l’Allemagne qui vont être d’un poids décisif dans la future économie allemande. Donc, dans le prochain traité de paix, Dieu veuille que nos négociateurs sachent jouer les atouts qu’ils ont en main. Les cessions économiques peuvent remplacer les cessions territoriales. Elles ne laissent pas de plaies suppurantes, leur importance absolue étant cependant très supérieure à l’importance de telle ou telle province, de telle ou telle colonie. Les négociateurs allemands en jugeront-ils ainsi ? L’avenir le dira. Si les passions partisanes, si les conceptions à longue échéance, ne sont pas obscurcies par les profits immédiats, si les empiristes ou les rêveurs veulent bien céder la place aux réalisateurs, peutêtre le monde a-t-il devant lui de riches perspectives de paix et de progrès. Il faut craindre hélas que, ceux qui n’ont pas d’autre expérience que celle des dix dernières années, ne sachent pas faire la paix, pas plus que nous n’avons su la faire, il y a vingt ans. A la rigueur, nous avons eu des excuses, ils n’en auront aucune. Nos fils et les leurs en subiront les conséquences. Août 1940

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Septembre 1940

Les possibilités de la France Avant de parler des possibilités de la France, il faut voir, non pas ses impossibilités, le mot n’est pas français, mais ses déficiences et les obstacles que les défauts nationaux opposent à un relèvement logique, méthodique, et, espérons le, rapide. Le premier de ces défauts, et ici le mot n’est pas assez fort, c’est l’esprit d’indépendance outrancier, l’individualisme forcené, pour tout dire, l’indiscipline. Naturellement, héréditairement, le Français est individualiste. Il n’a pas l’esprit grégaire, il n’a même pas l’esprit familial, à plus forte raison la mentalité nationale. Depuis 150 ans, on a prêché sur tous les tons, à ces hommes actifs, passionnés, intelligents parfois, que l’individu était tout, qu’il avait droit à tout, qu’il pouvait tout. Dès l’école la plus élémentaire, on a voulu former des citoyens conscients et organisés. Ils n’ont pris conscience que de leurs droits, sans comprendre aucun de leur devoirs. Ils ont rejeté toute organisation, qui apporte la plus minime entrave à leurs désirs à leurs fantaisies, à leurs caprices. Tout au plus, ont-ils consenti à s’associer, parfois, pour s’asseoir autour d’une assiette, autour de laquelle il y avait beaucoup de beurre…. et quelques fils à plomb. Ils sont bien, ces Français, les fils des Gaulois bavards et fanfarons, des Francs orgueilleux et costauds, des Gallo-Romains retors et chicaniers. Leur race s’est affirmée progressivement après le décantage des apports successifs qui ont créé une mentalité, un esprit spécifiquement français. Tant que l’Ancien Régime, avec ses lisières, ses règles souvent étroites, a maintenu dans un ordre rigide les corporations, les maîtrises, les jurandes, la cour et la ville, tant que la religion a conservé son influence moralisatrice, l’inconvénient de ce caractère difficile n’est pas apparu au grand jour. De temps en temps, quelques personnalités se sont révélées. Ce ne furent que des exceptions, qu’il s’agisse des Maillotins ou des Frondeurs, d’un Etienne Marcel ou d’un François Villon, voire d’un cardinal de Retz. L’immense majorité, la masse, accepte l’ordre établi, vit dans le cadre fixé, croit au dogme et Roi. Vienne la Révolution, après les sophismes du XVIII° siècle, et, toutes les aspirations, tous les désirs, toutes les folies de l’individualisme vont se donner libre cours. Et nous aurons un XIX° siècle où la forme du gouvernement français change dix fois, où les ministères sont d’éphémères châteaux de cartes, où la notion d’autorité, d’obéissance, de discipline, d’ordre, et d’équilibre s’amenuise tant qu’elle finit par disparaître. Au début du XX° siècle, après la grande guerre, qui a été une dure épreuve, et qui a tendu à l’extrême les ressorts d’un mécanisme déjà fatigué, on a l’impression que la chute s’accélère, tant et si bien qu’on en arrive, en 1936, à l’explosion du front populaire. Finies l’autorité, la discipline, au diable les supérieurs, les règlements, la contrainte. Chacun est le maître en son temps, et chacun est plus malin que le voisin. Tout ce que l’expérience, l’instruction, la mesure, la patience, ont pu recommander, enseigner, tout cela est jeté aux orties, comme le froc de la plus élémentaire congrégation. Les prescriptions du bon sens le plus commun, la notion de droit et avoir, les préceptes de la vieille économie française familiale sont oubliés, sinon bafoués. On s’affranchit de toute prévision, de toute règle. Chacun et chacune vit sa vie, dès l’age le plus tendre. Les parents ont le droit de se taire, sinon de payer. Les patrons ont le droit de fermer les yeux, et sinon de se ruiner. Les gouvernements ont le droit de palabrer, sinon de légiférer. personne n’a le droit de commander. Résultat : la société France va à veau l’eau. Elle fait de mauvaises, très mauvaises affaires. Les riches se ruinent, les pauvres ne s’enrichissent pas. Le désordre s’installe en permanence 48


à la place de l’ordre, que ce soit dans les circonstances les plus graves, comme dans les occasions les plus futiles. Ceux qui devraient commander en perdent l’habitude; ceux qui devraient obéir se flattent ouvertement de transgresser leurs ordres. Chacun ne voit que son intérêt personnel, ou plutôt son plaisir du moment. Car il sent confusément que son intérêt bien compris n’est pas de bafouer toutes les lois ni tous les règlements. Ce n’est pas encore l’anarchie; mais c’est une licence exaspérée, qui brise toutes les initiatives et ruine toutes les entreprises. Qui dit licence, dit paresse. Dans le jargon du front populaire, on baptise cette paresse du nom pompeux de loisirs. Que les loisirs soient utiles, nécessaires même, nul ne le conteste. Qu’ils constituent l’essentiel de la vie, là est l’erreur, je devrai dire le crime. Ceux qui ont appris la paresse aux bons ouvriers de France sont des sots. Ceux qui ne leur ont pas montré la sainteté du travail, et du travail bien fait, sont des criminels. Un imbécile est parfois aussi coupable qu’un criminel. Ce sont ceux-là qui ont amené l’exode des campagnes, l’entassement dans les taudis, la promiscuité des ateliers, l’émiettement des familles, le sabotage de la production. Ce sont ceux-là qui ont appris à ne pas travailler, et à moins produire, et qui, de proche en proche, ont fermé aux usines de France les marchés mondiaux. Ce sont ceux-là aussi enfin, qui ont transformé en lâches et en poltrons les héros de la Marne et de Verdun. Que ce soit à la campagne ou à la ville, au champ ou à l’usine, le Français de tout rang et de tout sexe a trouvé qu’il travaillait toujours trop, fut-ce même pour son profit personnel. Il s’est habitué à reculer devant l’effort, à refuser l’obstacle comme disent les cavaliers. Et l’on a vu les champs rester en friches, des vergers non soignés, des vignes non sulfatées; on a vu des machines outils tourner au dixième de leurs puissance, alors que de leur débit dépendait la défense nationale et le salut du pays. On a vu nos commerçants acheter à l’étranger des produits que, jadis, nous exportions, et nos dirigeants supplier l’Amérique de nous livrer des avions que nous n’étions plus capables de fabriquer. Cela n’est pas nouveau dans l’histoire. C’est Rome aux temps des mercenaires, des gladiateurs, du pain et des jeux. C’est l’Espagne au temps des galions d’Amérique. Pauvre de nous, nous n’avions, hélas, plus ni gladiateurs, ni galions. Le tragique est que la paresse ruine en temps de paix, mais, qu’en temps de guerre, ceux qui n’ont pas appris à travailler sont incapables de se battre; ceux qui n’ont pas appris à commander ni à obéir, quand leur vie n’était pas en jeu, n’ont su que fuir quand ils ont entrevu la mort. L’oisiveté, dit le proverbe, est la mère de tous les vices. Les loisirs, le chômage plus ou moins volontaire, ont amené la recrudescence de l’alcoolisme, qui ruinait lentement mais sûrement la race. Nos conscrits étaient de plus en plus déficients, nos auxiliaires de plus en plus nombreux au détriment du nombre des combattants. La résistance de tous était en raison inverse de la quantité de vin, et surtout d’alcool, absorbée à partir du plus jeune âge par les Français de tout sexe, et de toute condition. Celui qui tuera le dieu « apéritif » aura bien mérité de la patrie. Sans aller jusqu’à l’alcoolisme, le Français de ces dernières années s’est top souvent habitué à l’ivresse, à l’ivresse pour l’ivresse, bête, dangereuse, car alors, l’homme est prêt à tous les abandons, la foule à tous les excès. Et on ne peut expliquer autrement les scènes lamentables de pillage qui se sont produites pendant cette dernière guerre sur le front, et à l’arrière du front. En avant, les chefs n’ont pas su interdire. A l’arrière, les autorités n’ont pas su empêcher. Nous avons donné à nos adversaires le spectacle écœurant des maisons françaises saccagées par des Français, parfois pour le simple plaisir de détruire, parfois aussi pour voler honteusement ce qu’on n’avait pas su défendre courageusement. Indiscipline, intempérance, lâcheté, pillage, tout se tient et tout se paie. Front Populaire = Catastrophe. 49


Certains peuvent supposer que ce tableau poussé au noir ne concerne que les classes inférieures de la société française. Il n’en est malheureusement rien. Les classes dites dirigeantes ont eu, en France, les mêmes tares que les présumés prolétaires. Je dirai plus. Elles en ont eu d’autres qui lui sont propres, en l’espèce la vanité et le népotisme. Le Français aisé du XX° siècle a trop souvent sacrifié à cette déesse qui peut troubler l’entendement des parvenus, mais qui n’aurait pas du influencer les héritiers de nombreuses lignées de bourgeois ou d’aristocrates. C’est que, malheureusement, l’après guerre nous a inondé de nouveaux riches qui n’ont pas fait l’apprentissage de la richesse, et de métèques 1 camouflés en Français, qui ont gêné le bon sens national. En même temps qu’on travaillait moins, on dépensait plus, pour la gloriole, sinon pour la vraie jouissance. La bougeotte a été élevée au rang d’une institution, avec tout ce que cela comporte d’occasion de gaspillage. Le cinéma a vu les foules se ruer sans trêve devant ses écrans. Le sport a baptisé de sportifs des joueurs, des manchots, des obèses, des paralytiques qui étaient bien incapables du moindre effort, sinon d’allouer une prime pour un sprint, ou de payer à prix d’or le droit de juger un assaut de boxe. Se montrer à telle ou telle réunion, être repéré dans telle ou telle soirée, donnait un brevet de savoir-vivre et de bonne éducation, qui tenait lieu d’éducation tout court. A coté du snobisme, le népotisme. Notre démocratie, si jalouse de ce titre trompeur, était devenue le paradis, le dépotoir, comme on voudra, de tous ceux qui demandaient la faveur du favoritisme au népotisme, ce que ne leur donnait ni leurs études, ni leurs diplômes, ni leur valeur. Nulle part, comme en France, on ne voyait quantité de petits jeunes gens incapables, pourvus, sinon de grasses sinécures, du moins de postes où ils pouvaient confortablement préparer leur futur ascension, soit dans la politique, soit dans le journalisme, soit dans les « affaires », mot magique qui embrasse tout, qui camoufle tout, le bien comme le mal, le vrai comme le faux, au plus grand bénéfice de quelques privilégiés qui spéculent sur l’ignorance, la paresse ou la naïveté de leurs concitoyens, pour se saisir des leviers de commandes, et de prébendes scandaleuses, au plus grand dam des collectivités. Le portrait n’est pas beau. On n’a rien fait pour le rendre aimable. Il peut être nettoyé, restauré. Si le courant ne peut être remonté, si nous ne refaisons pas le moral français, inutile d’énumérer nos possibilités : elles ne serviront à rien. Si nous avons la volonté et l’énergie de nous corriger, tous les espoirs nous sont permis. La première, la plus importante de toutes les réformes est celle de l’école. Je ne sais pas si le maître d’école allemand est à l’origine des victoires de Saint Privat ou de Sedan; mais je sais bien que le conseil national des instituteurs est à l’origine de la débâcle de la Meuse. Et, ce ne sont pas les petits seulement que j’incrimine, les instituteurs aux classes squelettiques et aux élèves ignares, se sont surtout les inspecteurs, les professeurs des écoles normales, aux idées fausses, malsaines, malfaisantes, qu’il faut arrêter dans leurs élucubrations, leurs leçons, leur propagande. Ceux-là ont la plus lourde responsabilité dans la catastrophe qui s’est abattue sur la France. Ils ont formé une génération de faux savants. Prétentieux, qui n’ont su enseigner qu’une histoire frelatée, et une science incomplète; mais qui, par contre ont semé à pleines mains la haine des classes, l’irreligion, l’envie et le culte de la jouissance, chez les enfants qu’on leur confiait. D’une race naturellement confiante, accueillante, « gentille », pour employer le vieux mot français, ils ont fait une bande d’envieux, de paresseux, et d’ivrogne, Magnifique résultat de l’instruction laïque et obligatoire, qui n’a certes pas été racheté par les progrès de l’orthographe et du calcul le plus élémentaire. Après l’école, et l’école à la française, sans rien copier des méthodes allemandes, il faut 1 - Le général Giraud est issu de la vieille droite française antisémite. 50


passer aux œuvres post-scolaires qu’il s’agisse aussi bien de l’apprentissage que du « compagnonnage ». Et là, pas de cloisons étanches, de partis ni de confessions. Il est navrant de constater qu’en France, chacun cherche à tirer la couverture sur soi, sans penser à l’intérêt national. A coté des « Scouts de France », ce sont les « Faucons Rouge », à coté des patronages, ce sont les cercles laïques. Comme si la confection d’un nœud avait une nuance, et si le grand soleil avait besoin d’une barre-fixe cléricale. Il faut qu’une autorité, admirée par tous, dirige tous ces efforts dans le même sens, en laissant à chaque groupement sa personnalité, mais en confrontant périodiquement les points de vue, en réunissant dans des sorties, des tournois une saine émulation, ces jeunes gens dont les malentendus, les discussions sont toujours à base de méconnaissance réciproque. Prenons l’exemple des camps de travails hitlériens, en les adaptant bien entendu à notre tempérament, et jetons dans le même moule, avant qu’ils ne soient des hommes, ces jeunes gens sur qui repose l’avenir du pays. Choisissons par exemple, avec un soin jaloux, ceux qui vont les instruire, qui vont précisément en faire des hommes, qui sauront combiner la culture physique, l’enseignement professionnel, et la formation morale, et, de l’enfant de 15 ans, former en cinq ans un citoyen, un soldat digne de ces ancêtres et prêt à la lutte. Et ne leur cachons pas cette lutte, à nos fils. Les temps qui viennent sont durs. Il faut remonter une pente abrupte. Plus ils sauront, mieux ils connaîtront l’effort qui les attend, plus ils rendront à plein. Masquer la vérité n’a jamais servi à rien, surtout avec les Français. Pour les jeunes, comme pour les vieux, faisons appel à l’émulation, à l’amour propre, et aussi à l’intérêt bien compris. Il est absurde de niveler les individus au rang du plus mauvais manœuvre. Le bon étudiant, le bon apprenti, le bon ouvrier doit être récompensé, encouragé, aidé de toutes façons. On abuse en Allemagne du préfixe « Ober » 1. Sans tomber dans ce travers, il faut en France, rendre la prééminence au travail bien fait, sinon au chef d’œuvre. Notre race est une race de qualité, aussi bien dans ses aptitudes que dans ses productions. Les nôtres inventerons ce que, jamais, ne découvrirons les autres. Ils finiront, mieux que tout autre, quand on leur donnera le temps, l’occasion, la rémunération. Pour cela il faut ni être paresseux, ni alcoolique, ni taré. Il faut avoir le goût inné, et avoir fait l’éducation du goût. C’est la tâche de demain, comme ce fut celle d’hier. Mais, pour cela il faut des règles, une contrainte, une autorité, l’autorité, le chef. Rien n’est plus difficile. En Allemagne, le régime a organisé les « écoles de führer », et les « führer » une fois désignés, sont écoutés, obéis et suivis. En France, n’est pas chef qui veut, quels que soient ses diplômes, ses études, ses références. On aura beau créer des écoles, des cours, des examens, rien n’y fera si le chef ne s’impose pas. Ce sera peut-être par sa stature, peut-être par son caractère, peut-être par sa force physique, peut-être par ses qualités morales, peut-être par sa stature, peut-être par sa finesse, bien plutôt sans doute par un compromis de tout cela, et essentiellement, par cet influx nerveux, par cette ardeur communicative, qui ne s’acquière pas, qui est inné, qui fait que le chef s’impose, et que rien ne l’impose. Combien notre histoire en a-t-elle connu de ceux-là et de celles-là, pour lesquels on a vécu, pour lesquels on est mort, joyeusement, ardemment, parce que nous avions foi en eux, parce que nous les aimions autant que nous les respections. Ce furent de grands capitaines, ce furent des maîtres illustres, ce furent des chefs d’écoles, ce fut une pauvre bergère. Seule, l’histoire de France offre de tels exemples. Le passé répond de l’avenir. Elle en verra surgir d’autres. Et les enfants de demain, comme les frères d’hier, sauront répondre : présent, quand le chef aura su leur montrer la voie, et quand la masse l’aura comprise. 1- Au dessus 51


La nation, dans ses couches profondes, a des qualités qu’il faut mettre en lumière, après avoir intentionnellement appuyé sur les défauts. Pas plus qu’on ne juge une armée sur une défaite, pas plus on ne doit condamner une nation sur quelques années de lassitude. Le peuple de France a une qualité primordiale : son adresse, la finesse de son goût, le sens du beau. Il la doit à des siècles de travail, d’expériences, dans le plus beau pays qui soit, comme le plus varié. Il la doit au mélange heureux, et unique, qui a forgé une race tenant à la fois de la sagesse antique, de la rêverie celtique, et de la force germanique. Il la doit enfin aux guides éclairés qui l’on conduit, à travers les siècles, au milieu des tumultes et des traverses, sans permettre au génie de sa race de s’atrophier, de s’abâtardir, de ne pas garder sa personnalité. Quelle est ici la part de l’intelligence, du travail, nul ne le sait. Comme le chef dont nous parlions tout à l’heure, l’artisan, ou la midinette, qui fait un chef d’œuvre en France, ne l’a pas appris à l’école. Lui ou elle, ont pu, ont dû, perfectionner à l’école leur goût, leurs connaissances; mais ils avaient en naissant, ce que n’apprendra jamais le voisin d’outre Rhin, et ce qui l’empêchera toujours de les égaler, sinon de les imiter. Cette adresse ne va pas sans une certaine vanité, disons plutôt amour-propre, et ceci est un puissant levier. Le Français a besoin, plus que tout autre, d’être observé, encouragé, distingué. Il ne tient nullement à passer inaperçu. Il veut qu’on reconnaisse ses mérites, et, tout naturellement, il veut qu’on en tienne compte. C’est pourquoi le nivellement par le bas est, en France, plus stupide que partout ailleurs. Il faut au contraire exciter l’émulation par tous les moyens et donner à chacun, dans tous les milieux, dans toutes les occasions la place qui lui revient d’après ses qualités, sa valeur…. L’égalité n’existe nulle part dans la nature. C’est peut-être regrettable, mais c’est un fait. Ce n’est pas parce qu’on l’a intercalée entre la Liberté et la Fraternité sur le fronton de nos monuments publiques qu’on a changé un iota à l’ordre des choses. Est-ce à dire qu’il faut ériger le mandarinat en dogme absolu. Dieu nous en préserve. Les diplômes sont une chose, la valeur en est une autre. Par contre, les examens permettent tout de même d’éliminer les incapables et de sélectionner les précoces. Il reste ensuite aux chefs d’entreprises à discerner ceux qui, sans briller à l’école, seront dans la vie des ouvriers sûrs pour la tâche qu’on leur confiera, calculée d’après leurs moyens et le milieu où on les placera. Adroit, intelligent, aimant qu’on le reconnaisse, le Français n’est pas naturellement travailleur, reconnaissons le sans barguigner. Il trouve trop de facilités autour de lui; mais ce défaut est facilement corrigé par l’intérêt si le salaire est fonction du travail. Il faut mettre cette règle à la base : à travail donné, salaire donné, avec toutes les accommodations de principe que l’on désire. On est sûr d’être compris, il n’y a qu’à voir le résultat des primes de bon rendement après que le salaire de base a été honnêtement fixé. Et le travail sera d’autant plus sérieux que le sens de l’économie, de la prévoyance, se développera davantage, ou plutôt retrouvera en France la place qu’il n’aurait jamais du perdre. On s’est copieusement moqué du bas de laine de notre paysan. C’est tout de même cela qui a fait la France, et ça ne lui avait pas tellement mal réussi, au cours de pas mal de siècles. Il faut retrouver cette économie, qui n’est pas exclusive d’une dépense raisonnable, admissible, qui est absolument opposée au gaspillage bête, conduisant trop souvent à la débauche. Cette mentalité existe encore dans nos campagnes. Il faut la restaurer dans nos villes. Ce sera au détriment des empoisonneurs publics ou de quelques entrepreneurs de cinéma. La France ne s’en portera pas plus mal, au contraire. Et le Français n’en conservera pas moins sa réputation de courtoisie, de politesse, que tous lui reconnaissaient jadis, et que de mauvais bergers s’acharnaient à déraciner, à détruire. Nous avons dit que le maître d’école avait été surtout un maître ès-jalousie. Le délégué, le secrétaire de syndicat, le politicien professionnel, ont été des professeurs de haine, contre toute 52


supériorité, toute indépendance, toute liberté. La lutte des classes a été la lutte contre la vérité, contre la beauté, contre la bonté. De gens naturellement sincères, naturellement francs, naturellement charitables, on a fait des individus ramenés aux plus bas instincts de l’humanité. Tout cela peut et doit se corriger, à condition que ceux qui doivent se mettre en avant n’hésitent pas à le faire, et sachent ridiculiser ceux qui ne savent pas travailler. Nulle part comme en France, le ridicule tue. A ceux ayant charge d’âmes, le devoir de s’en servir pour dégonfler les baudruches et remettre les valeurs à leur place. Enfin, la race, physiquement parlant, peut-être relevée. Il n’est pas trop tard, si l’autorité responsable est inflexible sur les questions d’alcoolisme et d’hygiène, de puériculture et de sport bien compris. Au physique comme au moral, nous faisons la conjonction de notre sol, du nord au midi et les qualités de l’un sont heureusement complémentaires de celle de l’autre. A nous de savoir les développer harmonieusement, sans gâcher les caractéristiques de l’un ni de l’autre, sans abîmer stupidement une race qui a fait ses preuves jadis et dont rien ne saurait justifier le déclin. Les individus de France ont d’énormes possibilités. Le cadre permet-il à ses possibilité de s’épanouir. C’est ici que nous sommes véritablement favorisés. La France est le pays le plus riche, le plus harmonieux, le mieux situé qui soit sur tous les continents. Ouverte sur trois mers, sans montagnes infertiles, sans plaines dénudées, suffisamment arrosée et largement irriguée, jouissant du climat le plus tempéré et le moins excessif qui soit, la France permet à toutes les cultures tempérées de prospérer sur son sol. Ce sol offre toutes les variétés, de terres grasses et profondes, aux sables légers et friables. Le froment y pousse aussi bien que la vigne. La prairie y permet les plus beaux élevages. La forêt même a gardé la place qu’elle ne doit pas perdre pour conserver son rôle de régulateur et de distributeur des eaux. Quant à nos mines, peu s’en faut quelles ne suffisent à nos besoins. Nous avons toutes les cultures, sauf les cultures tropicales, et nous avons surtout des vins inimitables, sinon inimités, parce que les fabricants d’ersatz auront beau faire, ils n’ont pas nos coteaux de Champagne, de Bourgogne, et du Bordelais, même pas nos plaines de l’Aube et de l’Hérault. Ailleurs, on boit, en France, on sait boire, ou plutôt, on doit réapprendre aux Français à boire sans s’enivrer, sans s’abrutir, en hommes sachant la valeur du nectar qu’ils dégustent, et sachant y puiser leur saine gaieté et leur entrain de bon aloi. Il n’y a pas plus de commune mesure entre un buveur de bière et un buveur de vin, qu’entre le mangeur de « délikatessen » et le gourmet de la Bresse ou du Périgord. Qu’on le veuille ou non, ce sont deux races différentes; j’ai la faiblesse de préférer les seconds aux premiers, et je dois constater que les premiers ne rêvent que d’imiter les seconds. Le climat de France est le plus humain qui soit, sans excès, sans secousses brutales, ni étés torrides, ni hivers terrifiants. Rien du climat continental, partout la mesure. Plus ou moins de tiédeur, plus ou moins de fraîcheur, avec toute la gamme des ciels de Dunkerque à Marseille, avec les paysages les plus variés, les productions les mieux réparties. Le blé des Flandres s’échange avec l’huile de Provence, les artichauts de Bretagne avec le muscat de Perpignan, le beurre de Vendée avec la volaille de Bresse. On sait manger en France, parce qu’on y trouve tout ce qu’il faut, sans avoir besoin d’aller le quérir ailleurs, et parce que tous les transports y sont faciles malgré les accidents du sol. Le réseau routier est plus développé que nulle part ailleurs. Le réseau ferré soutient la comparaison avec quiconque. Le réseau aérien peut être développé autant que l’on voudra. Seul, le réseau navigable est nettement en retard : c’est sur lui, sur les ports maritimes et fluviaux que doit, en première ligne, porter l’effort de rénovation et de progrès qui s’impose. Quant à nos villes, certains leur reprochent leur cachet vétuste et archaïque. Admettons qu’il y ait là une part de vérité, et que les quartiers neufs de nos cités ne soient pas à la hauteur 53


des exigences de la circulation moderne. Mais, attention à ne pas jeter bas les vestiges d’un passé lourd d’histoire et chargé de souvenir. Laissons ce soin à ceux qui n’ont rien à perdre, n’ayant rien à sauvegarder. Pour nous, soyons prudent ne gaspillons pas nos richesses, ne gâchons pas notre tourisme. Pourquoi les visiteurs américains se précipitent-ils en foule vers la place Stanislas à Nancy, la porte Guillaume à Dijon, le palais de justice à Rouen, les châteaux de la Loire ou la place du Capitole, si ce n’est pour y trouver autre chose que les magnifiques avenues du nouveau monde, auxquelles ne manquent que le passé. Soignons, entretenons, restaurons nos chères églises, nos cathédrales gothiques, nos basiliques romanes. Elles témoignent de la foi qui a animé ce peuple, qui a vivifié ses progrès, qui a entretenu sa flamme. Elles témoignent aussi, à n’importe quelle heure du jour, que cette foi n’est pas morte, qu’il faut compter sur cette force inouïe que représente la religion dans notre cher pays de France. Restent, en dehors de la France métropolitaine, ses colonies. Il est délicat et difficile d’en parler, tant qu’on ne sait pas les exigences du vainqueur à ce sujet. Raisonnons donc dans le probable, en admettant qu’il nous restera un domaine en Asie, un autre en Afrique, sans oublier nos possessions de l’Atlantique et du Pacifique. Cet empire colonial, preuve de notre vitalité, de notre énergie, de notre esprit de suite, ne doit pas être abandonné, sacrifié, aussi bien au point de vue moral qu’au point de vue matériel. Il nous donne les denrées tropicales qui nous manquent, et ces productions sont inappréciables à ce point de vue. Il nous donne aussi le moyen d’élever notre jeunesse dans le sens de l’initiative et le goût du risque. On a répété, et on a eu raison, que le Français ne s’expatrie pas volontiers. Il le fait d’autant moins qu’il n’est pas dans un milieu, dans une ambiance spécifiquement française. Or, cette ambiance, il la trouve aussi bien en Afrique du nord qu’en Afrique occidentale, aussi bien à Saigon qu’à Tananarive. Sur la côte méditerranéenne, il cultive les mêmes céréales et produit le même vin que dans la métropole, avec les agrumes en plus. Sur les bords du Sénégal et du Niger, il récolte les arachides indispensables à la fabrication de ses huiles et de ses graisses. En Cochinchine et au Tonkin, il trouve le riz et le caoutchouc qui le rendent indépendant des commerçants chinois ou malais. Madagascar enfin, peut lui fournir en bétail congelé ce que l’Amérique du sud lui fait payer au prix fort. Sur toutes les mers, s’échelonnent les points d’appui nécessaires à la flotte et à l’aviation. On peut, certes, les perfectionner; mais tels qu’ils sont ils représentent un effort d’organisation et une réalisation dont nous pouvons être fiers et dont nous devons tenir compte dans notre bilan. Une nation qui a fait un tel empire n’est pas une nation finie. Au contraire, elle a acquis une expérience qui ne s’acquiert pas en un instant; on l’a vu dans les colonies de peuplement, sinon d’exploitation. Plus qu’aucun autre peuple européen, nous avons appris à conduire les indigènes, à les utiliser, à les élever, et les résultats l’ont prouvé dans la guerre comme dans la paix. Ceux qui croient s’improviser colonisateurs auront quelques mécomptes dans leurs nouvelles possessions, tandis que nous n’avons qu’à récolter la bonne semence que nous avons lentement lancée à pleine volée. Pas plus qu’on ne s’improvise colonisateur, on ne s’improvise capitaliste. Je sais bien que ce mot ne doit plus avoir de sens dans la société future. Tout de même, la Livre Sterling et le Dollar n’ont pas encore dit leur dernier mot, et l’or, ce vil métal, n’est pas entassé pour rien dans les coffres outre Atlantique. Or, de même que nous avons fait des placements immobiliers, nous en avons fait de mobilier, que nous continuons à surveiller et à faire fructifier, aussi bien dans l’ancien que dans le nouveau monde. Nos affaires minières, coloniales, électriques, de banque ou de ports sont étroitement mêlées dans leurs intérêts avec les affaires américaines. L’Amérique n’a pas, que l’on sache, jeté le manche après la cogné, et déclaré forfait devant la toute puissance de la nouvelle Europe. Il s’agit donc, pour nous, de profiter habilement de 54


la conjoncture actuelle pour ne pas perdre les possibilités que nous donne notre richesse acquise. Amélioration et modernisation de notre métropole, prospection détaillée et mise en valeur intensive de nos colonies, maintien et utilisation raisonnée de nos avoirs à l’étranger, fruits de notre esprit d’entreprise et d’épargne, voilà les possibilités économiques d’une nation, qui a pu paraître fatiguée à certaines périodes, qui n’en reste pas moins jeune et pleine de confiance dans l’avenir. Par exemple, il lui faut faire l’effort, obtenir le résultat qui conditionne tous les autres : la repopulation de son domaine métropolitain et colonial. Nous nous suicidons en France avec notre malthusianisme imbécile. Il faut de suite, sans attendre, renverser la vapeur. C’est la première, la plus urgente de toutes les tâches de rénovation, celle à laquelle il faut atteler toutes les bonnes volontés, tous les dévouements sans oublier l’intérêt. Il faut des enfants à la France, et non pas des naturalisés de fraiche date, mais des enfants de vielle souche française, du nord, du midi de l’est et de l’ouest. Il faut que la famille soit aidée, que la mère de famille soit glorifiée, que l’enfant soit élevé aux frais de ceux qui n’ont pas pu, ou pas voulu, en avoir. Entre la fille-mère et le célibataire égoïste, je n’hésite pas. Quant au ménage sans enfant, il paiera pour ceux qui ont su en avoir. Allocations pré- et post-natales, frais d’accouchement, layette, etc.…., tout cela doit être à la charge de la collectivité, au même titre que les garderies, les crèches, les écoles primaires. Il vaut mieux dépenser des milliards pour de pareilles œuvres que de les sacrifier pour soigner dans des hospices de luxe, les alcooliques et les syphilitiques qui trop souvent, sont les responsables de leur propre déchéance. Qu’on fasse appel à la religion, aux préceptes moraux, certes, mais il ne faut pas non plus négliger l’intérêt. Le paysan sait parfaitement que la famille nombreuse est une richesse, à condition d‘ailleurs que la loi fixe les droits et les devoirs de chacun. Il faut que l’ouvrier, l’artisan, l’intellectuel et le bourgeois soient, eux aussi, persuadés que le dogme de l’enfant unique n’est plus la formule à appliquer, et que l’État saura faire abstraction de toute idée morale, reconnaître la valeur de la famille nombreuse : affaire d’impôts à aménager, de dégrèvement à appliquer, de places à réserver. Le jour où on saura, et où on verra le coefficient d’avantages que donne la famille nombreuse, il est probable que pas mal d’égoïstes se découvriront un instinct de pères de famille. Souhaitons que la statistique des naissances soit éloquente. Ces enfants que nous espérons les plus nombreux possibles, il faut en réduire la mortalité au strict minimum. Affaire d’éducation, de surveillance, de prévisions, d’installation. Il faut ensuite que nous fassions, nous l’avons vu, des hommes solides physiquement et moralement. Ce n’est pas suffisant. Il faut que nous leur donnions, que nous leur rendions plutôt, la mentalité de Français digne de ce nom. Nous sommes des vaincus de 1940, c’est entendu, mais nous étions les vainqueurs de 1918. Ce n’est pas parce que nous n’avons pas su profiter de notre victoire que nous ne sommes bons à rien. La France existait avant le 10 mai 1940..., on proclamait même son armée la première du monde. Pauvre armée….. Ce n’est pas parce qu’un décor de théâtre s’est abattu que le théâtre doit s’écrouler. Il s’agit de se relever. Nous allons voir comment, au plus grand bénéfice d’ailleurs de notre vainqueur, nous pourrons reprendre dans le monde la place qui lui revient légitimement, et sans laquelle l’équilibre européen, et même l’équilibre mondial, risque de n’être qu’un vain mot, et un fantôme éphémère, sinon d’être mort-né avant même d’être né.

Septembre 1940 55


Octobre 1940

L’avenir Nous sommes des vaincus. La catastrophe a été d’une soudaineté et d’une ampleur incroyable. Nous avons tous notre part de responsabilité. Il faut en subir les conséquences et réparer les dommages, progressivement, méthodiquement, résolument. Nous avons vu que nous en avions les moyens. Sachons nous en servir en mettant de coté tout notre orgueil superflu, et tout espoir ridicule; mais en voulant avoir un avenir digne de notre passé, et, quoiqu’on en dise, de notre vitalité. Ce n’est pas parce que nous n’avons pas voulu croire à la guerre, au réarmement de l’Allemagne, au nombre et à la qualité de ses avions et de ses chars, que nous devons rester « ad aeternam » une nation de seconde zone. Notre passé, nos aïeux nous l’interdisent. Par contre, sachons nous relever sans exciter la méfiance de notre vainqueur, sans perdre l’estime de nos amis, et sans décevoir les espérances que, tôt ou tard, certains mettront en nous pour les aider à édifier un monde meilleur, où il y aura plus de bonheur pour un plus grand nombre. Le but n’est pas de faire flotter tel ou tel drapeau sur telle ou telle terre, mais d’assurer aux hommes, aux femmes, et aux enfants qui vivent sur cette terre, autre chose que la hantise des bombardements aériens, le pillage périodique de leurs installations, et la violation brutale de leur liberté de penser. La France a montré maintes fois qu’elle sait accepter les solutions neuves, pourvu qu’elles soient justes. Il s’agit d’abord de nous réformer intérieurement. Déjà, au cours de cet exposé, nous avons souligné nombre de points qui méritent une action immédiate. C’est la question de la natalité en première urgence, de l’éducation ensuite, du travail enfin. C’est la nécessité de la discipline, de l’ordre, de la mesure. C’est, par dessus tout, le dogme de la charité, de l’entraide. Il faut bien s’entendre sur ce point, pour éviter des malentendus qui tournent rapidement au conflit. L’homme du XX° siècle, quelle que soit sa situation sociale, son rang dans la société, n’admet pas la charité et il a raison. La charité revêt, pour celui qui la reçoit, un caractère un peu humiliant, qui n’est plus de mise dans nos sociétés évoluées, et, pour celui qui donne, un caractère parfois spectaculaire qui n’est pas toujours édifiant. Les listes de souscription, où telle ou telle banque, telle ou telle firme importante, s’inscrivent pour de gros billets, m’impressionnent moins que la fillette vidant sa tirelire pour aider un vrai petit pauvre. Encore, que je ne sois pas toujours convaincu que la petite pauvreté ne soit pas du camouflage ou le résultat de l’ivrognerie paternelle. Posons donc en principe que nous bannirons la charité de notre budget, par contre nous y inscrirons largement l’entraide. Que faut-il à la base de l’entraide ? Le renseignement. Renseignement soigneusement impartial, documenté, basé sur des faits et non des racontars. Il peut être fourni par les employeurs, par les œuvres sociales, par les établissements religieux, éventuellement par les fonctionnaires de l’Etat. Je mets ceux-ci en dernière ligne pour lutter contre le chômage professionnel, contre la mendicité organisée. Le grand principe doit être plus que jamais : « Aide toi, le ciel t’aidera » Il ne faut pas que quiconque croit à la fatalité de la misère, ni à la possibilité de la paresse entretenue aux frais de l’Etat. Il faut que chacun travaille selon ses forces et selon ses moyens. L’aide de la collectivité ne doit s’appliquer qu’à ceux qui le méritent. De multiples indices permettent de déceler ce mérite. Les chargés de familles d’abord, les services rendus ensuite, 56


l’âge enfin. Ces questions ont été suffisamment étudiées déjà en France et à l’étranger, pour pouvoir être mises parfaitement au point. Sans compter que les Assurances Sociales de France auront grand profit à confronter leurs principes et leurs allocations avec celles fonctionnant en Allemagne. Que ce soit au point de vue de l’habitation, de l’instruction des enfants, de l’apprentissage, du sport, des coopératives d’alimentation, d’habillement et d’entretien, des soins médicaux, des produits pharmaceutiques, des transports en commun, des congés payés, des pensions de retraite, il y a l’éducation du Français à faire, et l’application à son tempérament de méthodes qui, ailleurs, ont été excellentes, et qui, chez nous, dévieraient complément de leur but. Avant tout, il faut préserver la liberté individuelle, qui n’est pas nécessaire à l’Allemand peut-être, mais dont nous sommes férocement jaloux. Il faut ensuite éviter la floraison du fonctionnarisme, sous prétexte d’enquêtes, de contre enquêtes, de vérifications. Il faut enfin punir impitoyablement les abus que l’on découvre, plus pour l’exemple que pour la sanction même du coupable. Très largement, seront mises à contribution les œuvres sociales de toutes natures, dont j’ai parlé plus haut : direction du personnel des entreprises, infirmiers visiteurs, dispensaires des société de Croix Rouge, etc…., qui sauront découvrir les adresses et débusquer les embusqués. En particulier, les associations d’anciens combattants devront apporter leur concours le plus entier pour aider ceux auxquels les deux guerres ont laissé plus que leur part de souffrances ou de ruines. Qu’on fasse d’ailleurs bien la discrimination entre ceux qui se sont battus, et ceux qui ont préféré un voyage dans le midi à un séjour prolongé sur la Meuse ou sur la Lys. Il ne faut pas oublier qu’il y a des lâches, à coté d’une masse de braves gens, et que la ruine de la France est, en partie, l’œuvre de ces lâches. La plaie du chômage risque de suppurer plus que jamais après un bouleversement comme celui qui vient de secouer notre vieille nation. Dès le début, il faut la drainer profondément et résolument. Sera-ce comme l’Allemagne, en ouvrant des auto-strades impressionnantes… et inutiles à qui ne prévoit pas la guerre ? Le besoin ne s’en fait pas essentiellement sentir. Nos routes de France sont magnifiques et, avec quelques améliorations locales peuvent suffire à notre trafic. Nos terrains d’aviations, eux non plus, n’ont pas besoins de grosses améliorations. Nos voies ferrées, une fois remises en états, suffirons au trafic. Les deux secteurs où il faut porter notre effort sont celui des voies navigables fluviales et maritimes. Et celui de l’habitation à bon marché. Au point de vue canaux et aménagement de nos rivières, tant pour la navigation que pour la captation de la force électrique, au point de vue ports fluviaux et maritimes, nous avons de gros progrès à faire, et nous pouvons y employer une masse d’ouvriers. De même, au point de vue de la lutte contre le taudis, et de l’installation, aussi bien à la campagne qu’à la ville, des familles que nous voulons nombreuses, saines, et solides. Il faut conjuguer ici les efforts de l’état, des municipalités, des sociétés, même des particuliers. Relativement facile à la ville, le problème est ardu à la campagne, et cependant il est de première importance si l’on veut que le retour à la terre ne soit pas un vain mot, et une formule académique. Le paysan, l’ouvrier agricole, ne resteront à la campagne, ne se plairont à la campagne qu’autant que la campagne leur procurera le minimum de confort, et quelques unes des distractions qu’ils peuvent trouver à la ville. Il ne faut plus voir le charretier, le bouvier, le berger, coucher au milieu de leur bêtes, les ménages entassés dans des chaumières enfumées, sans air ni lumière. Je sais bien que le soleil arrange tout ce que la crasse conserve, de même que le fumier est un signe de richesse. Malgré ces beaux adages et cette tradition malodorante, il faut donner à l’ouvrier de la terre une habitation avenante, avec le jardin qu’il cultivera à ses heures de loisir, le poulailler et le clapier que sa femme soignera. 57


Inutile d’insister sur les transports. Ils sont dès maintenant développés et suffisants. Il faut, par contre, que le village proche offre autre chose que les estaminets de bas étage et abondants du nord au midi de la France. Puisque le cinéma est roi au XX° siècle, faisons sa place royale au cinéma. Soit fixe, soit ambulant, l’écran peut être un puissant moyen de distraction et d’éducation pour les foules. Dans les petites communes, on pourrait voir parfaitement le cinéma accolé à l’école s’il n’y a pas de camp de jeunesse à proximité. Et l’instituteur sera appointé comme régisseur de la salle, aussi bien pour ses élèves que pour leurs parents. Dans les localités plus importantes, une salle de réunion sera toujours capable de recevoir une installation cinématographique, vu le goût du jour, on peut être sûr que les représentations seront courues chaque fois qu’elles seront annoncées. Par exemple, le choix des films ne doit pas être laissé à l’initiative mercantile de tel ou tel impresario. L’état, les municipalités, les associations locales, ont leur mot à dire en l’occurrence. Le cinéma peut être un magnifique moyen d’éducation. Il peut être aussi un agent lamentable de démoralisation. Tous les gangsters, les bandits, les poules de luxe, auxquels l’écran fait une publicité malsaine, doivent être bannis de nos écrans. Il y a autre chose, Dieu merci, dans notre littérature, dans notre histoire, dans notre affabulation, que les niaiseries et les turpitudes dont nous avons été saturés par des industriels sans scrupules. La preuve a été maintes fois donnée que de très bonnes productions font recette, et que le goût du public se blase devant les inepties qu’on lui sert. A nous de savoir faire des films français qui plaisent à tous les Français, les amusent, les instruisent. A coté du cinéma, la radio, partout où l’équipement électrique des campagnes le permet, et nous savons que, là aussi, la France a un sérieux effort à faire. Ce que nous avons dit du cinéma s’applique, et combien d’avantage, à la radio. Cet appareil qui va diffuser dans toutes les familles les nouvelles les moins sérieuses et les plus suspectes, est, on vient de le voir encore pendant cette guerre le plus puissant moyen de propagande qui soit. Si, à la rigueur, le cinéma peut être contrôlé, l’émission échappe, on ne peut plus facilement, à la loi et, en France, avec le tempérament français, le danger est grand de voir s’accréditer les rumeurs les plus fantaisistes, les bobards les plus sensationnels, alors que les informations sérieuses seront considérées comme inintéressantes et volontairement tronquées. Il faut bien reconnaître, hélas, que nous ne sommes que des piètres élèves en fait de propagande. Les Allemands, les Anglais, les Américains, même les Italiens nous donnent de magnifique leçons à ce sujet. « A beau mentir qui vient de loin » dit le proverbe. Chaque fois qu’un poste étranger parle dans notre langue, nous le prenons avec une avidité rare, et sa parole est trop souvent parole d’évangile. Là aussi, il y a l’éducation des Français à faire, et du speaker autant que des auditeurs. Le jour où l’on saura partout en France que tel poste dit la vérité d’abord, et ensuite des choses intéressantes, le jour où les programmes musicaux des postes français seront supérieurs à ceux des postes étrangers, alors, à ce moment là, il n’y aura guère besoin de loi, ni d’interdiction, ni d’amendes pour réserver la clientèle aux postes français, et ces messieurs de l’étranger perdront en pure perte leur salive et leurs ondes. Ce jour viendra, espérons le, aussi proche que possible. Il n’est pas inutile que l’autorité y tienne la main, et ne laisse pas perdre une force dont elle peut tirer le plus grand profit. Avec l’habitation embellie, les transports individuels ou collectifs à bon marché le cinéma à la porte, et la radio à domicile, on verra peu à peu les villes se décongestionner et les campagnes se repeupler. Ce sera au plus grand bénéfice de la santé nationale, du travail et de la production. Car il nous faut produire si nous voulons vivre. Mais, notre production ne doit pas être n’importe laquelle parce que nous n’avons, ni les matières premières, ni la main d’œuvre surabondante qui permettent d’abaisser les prix de revient et fournir à vil prix n’importe quelle marchandise à n’importe qui. Nous avons vu les qualités de notre race et de notre sol, que les ressources de nos colonies 58


complétant celles de la Métropole nous permettent de produire dans tous les genres, ce que d’autres ne pourront jamais mener à bien. Profitons en, et orientons nous délibérément vers les productions de qualité, qu’il s’agisse de produits agricoles, industriels, intellectuels. Laissons à d’autres les séries à bon marché destinées à l’exportation, en réservant la fabrication de ce bon marché au strict nécessaire, à notre consommation courante, à notre vie quotidienne. Il ne s’agit pas bien entendu, d’aller acheter à l’étranger, ni l’alimentation, ni le mobilier, ni l’habillement, ni la quincaillerie qui nous sont nécessaires, que nous pouvons et devons produire. Il s’agit de ne pas nous orienter vers une production en grand de ces objets, où nous ne pouvons lutter ni contre les Allemands, ni contre les Américains, ni contre les Japonais. Par contre, nous avons le droit et le devoir de faire progresser, au maximum, la production de luxe, que nous aurons le droit et le devoir de vendre au prix fort à ceux qui la demanderont forcément, car nous seront les seuls à la produire. Que ce soient nos vins, nos truffes et nos poulardes, nos soies, nos broderies et nos dentelles, nos modes et nos parfums, notre ébénisterie ou notre tapisserie, notre littérature ou notre peinture, nous avons les moyens de surclasser nos voisins dans tous les genres. Il suffit de vouloir et de s’y atteler patiemment, mais avec foi. Il est certes plus facile de travailler à la chaîne, mais cela ne tient, ni à notre passé, ni à notre avenir. Réservons la chaîne pour cette consommation courante dont je parlais tout à l’heure. Revenons au bel artisanat qui a fait notre réputation et notre fortune dans le passé. Certes, nos artisans pourront se servir de toutes les ressources que la science, l’électricité, la mécanique, mettent à leur disposition. N’empêche que chacun attachera à son œuvre son cachet personnel, son goût, son adresse. Ce ne sera plus la machine qui mènera l’homme, c’est l’homme qui utilisera la machine. Nous y trouverons un autre avantage, le travail à domicile, décentralisé, désindustrialisé, permettant le maintien de la famille et la présence de la femme au foyer. Une des plaies de l’industrie moderne est cet exode des femmes et des jeunes filles vers l’usine proche qui les attire par ses hauts salaires, qui les sort de leur milieu, qui les déracine, quand elle ne les déprave pas. A peine formé, le ménage se disloque. Le foyer est un mythe. On mange ce qu’on peut, à grand renfort de charcuterie et de conserves, on ignore la cuisine chaude et les repas simples et sains qui étaient le privilège de la France de jadis. Naturellement, l’enfant n’est plus une joie, mais une gêne. On en fait le moins possible, et on est dans l’incapacité de les soigner, de les éduquer, de les élever. Le résultat n’est que trop visible à tous les points de vue. Le jour où le travail à domicile sera devenu la règle, la mère de famille pourra fixer son emploi du temps en conséquence, et consacrer à son intérieur, à sa cuisine et à ses enfants, non pas le minimum, mais le maximum indispensable, en dehors de son travail à façon. Par exemple, il faudra que ces ouvrages à domicile ne soient payés aux prix de famine que nous avons trop souvent pu constater ces dernières années. Voilà où l’action de l’état, des syndicats doit se faire sentir. Il n’est pas tolérable de voir exploiter au XX° siècle de malheureuses femmes confectionnant chemises ou caleçons, comme les planteurs des Antilles exploitaient, au XVIII° siècle, les négresses récoltant le sucre de canne. L’esclavage moderne est pire que l’esclavage de jadis. Evidemment, certaines travaillent plus vite que d’autres, plus adroitement, plus finement. Celles-là, on les orientera sur la lingerie de luxe. Les autres, qui usent avant tout de la machine à coudre, devront avoir un salaire minimum, basé sur le travail horaire d’une ouvrière moyenne. Ce salaire ne sera pas l’essentiel du revenu familial, mais en sera l’accessoire, mais un accessoire, qui, multiplié par le salaire des enfants en age de travailler, aidera singulièrement le budget familial. C’est ce budget familial qu’il faut remettre en honneur avec les tempéraments raisonnables à y apporter. La famille doit être la clef de voute du redressement français. L’ensemble des 59


familles doit être le rempart contre le bolchevisme. Car, n’oublions pas que la guerre sauvage, qui se livre actuellement, fait le lit du bolchevisme, mieux que ne saurait le faire la plus insidieuse propagande. Les apôtres du chambardement, du nivellement par le bas, de la table rase, ont beau jeu devant les bombardements de Londres et de Berlin, devant les torpillages en quantité industrielle, devant la destruction imbécile de la richesse acquise sous toutes ses formes. Ils peuvent invoquer, à l’appui de leur doctrine l’exemple des régimes capitalistes ou anti-bolchevique. Le résultat est le même : ruine et misère pour tous. Et la misère comme la ruine sont mauvaises conseillères. Ce sont elles qui poussent à la révolte les masses affamées, sans abris, sans espoir. Elles sont prêtes alors à suivre tous les excitateurs qui font appel à leurs pires instincts. Elles sont capables de tous les excès. Et la répression sera d’autant plus dure qu’elle sera plus tardive. Il faut prévenir, avant de punir, si on le peut. On ne le peut qu’en organisant le travail, et en forçant à travailler, même au prix d’une intervention de l’état paraissant abusive. Le but est de permettre la vie à des millions d’individus. Ne soyons pas ridiculement sensibles sur le choix des moyens. Recasons, bien entendu, autant que nous le pouvons, chacun à sa place; mais, dans le cas où la place manque, trouvons en une autre, où nous n’emploierons peut-être pas chacun aux mieux de ses aptitudes, mais où nous l’empêcherons de mourir de faim. Supprimons l’indemnité de chômage en supprimant les chômeurs, sans hésiter à transplanter là où il le faudra la main d’œuvre surabondante ici, et déficiente là-bas. On viole la liberté individuelle, c’est entendu, mais on donne le droit à la vie, en appliquant le devoir au travail. C’est le but à atteindre L’Allemagne n’a pas fait autre chose après sa défaite en 1918, mais elle l’a fait à retardement. Puisque nous en avons suivi l’expérience, profitons-en, et évitons les erreurs et les fautes de la république de Weimar. Entrons de plein pied dans la doctrine nationalsocialiste en l’adaptant, je le répète une fois de plus, à notre tempérament. Nous y aurons d’autant plus de facilités que notre population est moins industrialisée que la population allemande, et, que beaucoup de nos ouvriers d’usines ou de chemin de fer n’ont quitté la terre que tout récemment. On a fait un gros appel à la paysannerie, quand on a cru pouvoir rattraper le temps perdu et combler à la hâte nos déficits en matériels de guerre. On a baptisé cheminots, métallurgistes, monteurs, quantité de cultivateurs qui n’ont plus rien à faire sur les voies ferrés ou dans les usines, et dont la campagne a le plus grand besoin. Progressivement remettons chacun à sa place. Ce ne sera pas sans pleurs ni grincements de dents, sans doute. Il suffira d’y avoir l’autorité et la persévérance, appuyées d’ailleurs par la force, pour arriver au résultat. Il faut, certes, prévoir la force, pour calmer les énergumènes qui fomentent, et les moutons qui suivent. Elle est indispensable, elle doit être suffisante. Ici, le consentement, la collaboration du vainqueur sont nécessaires. Ils doivent nous être d’autant plus facilement acquis, que son intérêt coïncide avec le notre. L’Allemagne n’a aucun intérêt à voir la France sombrer dans le bolchevisme. Car, l’Allemagne sait parfaitement que son principal ennemi sur le continent est maintenant la masse slave avec laquelle elle a une frontière commune de la Baltique aux Carpates. Si, par malheur, ce magma inorganique de l’est au potentiel insoupçonné, conjuguait ses actions avec une masse révoltée de l’ouest, cependant que la misère n’aurait fait qu’augmenter dans les agglomérations surpeuplées de la Ruhr, de la Sarre, de la Silésie, la situation du nationalsocialisme pourrait être ébranlée, et, avec lui, celle de l’ordre européen tout entier. L’Allemagne veut donc que l’ordre règne du Pripet à L’Atlantique. Que sa schupo, sa gestapo, lui suffisent dans ses frontières, c’est possible; elles seraient certainement inopérantes et insuffisantes en France. Là, ce sont des forces françaises, une organisation française, un gouvernement français qui doivent agir. Ils agiront d’autant mieux qu’ils en auront les moyens, qu’ils seront plus forts. 60


Il faut, en première ligne, une gendarmerie, comme celle qui a fait ses preuves en France depuis tant d’années. Qu’on baptise G.R.M. ou garde de Paris, ou simplement gendarmerie, peu importe. C’est toujours la troupe de métier, bien encadrée, solidement instruite, prête à tous les sacrifices, ne discutant pas les ordres. Par exemple, elle a besoin d’être modernisé, aussi bien au point de vue armement que moyens de transport. Elle doit avoir ses mitraillettes, comme ses grenades, ses avions et ses chars, ses voitures de liaisons comme ses camions, et surtout un réseau de transmissions impeccable, avec et sans fil. Ce n’est qu’avec une pareil force mobile, dont les effectifs sont à fixer d’accord avec l’Allemagne, que l’ordre sera maintenu en France au bénéfice commun de la France et de l’Allemagne, de l’Europe et du monde entier. Quant aux villes importantes, la police devra y être assurée par une police d’état, indépendante des contingences locales, et sur laquelle il y aura lieu d’apporter toute son attention si l’on veut qu’elle rende les services qu’on en attend et qu’elle soit bien un élément d’ordre, et non de désordre. Plus délicat est la question de politique extérieure. Le moins que l’on puisse dire, c’est que la politique pratiquée depuis le traité de Versailles est bien la dernière à suivre. Il faut choisir dans la vie la voie que l’on veut suivre, et ne pas hésiter perpétuellement entre deux ou plusieurs solutions. Il faut avoir l’armée de sa politique, et la politique de son armée : nous n’avons eu ni l’une ni l’autre. N’ayant pratiquement plus d’armée, le choix nous sera plus facile. Il n’en demande pas moins un certain discernement, et une grande habileté. La situation actuelle est caractérisée par la victoire absolue de l’Allemagne sur le continent européen, par la résistance anglaise, par la solidarité anglo-saxonne qui s’affirme chaque jour d’avantage, par la fatigue italienne, par l’inconnue soviétique, et enfin par l’entrée en ligne japonaise. Ce sont les éléments du problème qu’il s’agit de résoudre. L’Allemagne a son armée de terre intacte, tandis que sa marine et son aviation mènent un dur combat contre la marine et l’aviation anglaise. Si elles avaient obtenu la supériorité on peut être certain que l’armée de terre en aurait profité, et que l’invasion de l’Angleterre serait chose faite. Puisque le 1er octobre nous en sommes encore à attendre le débarquement, c’est que le haut commandement allemand, qui sait son métier, n’a pas jugé les moyens suffisants. Il lui faut maintenant attendre le printemps prochain, ou faire une paix de compromis avec l’Angleterre. Il n’y a pas d’échec à proprement parler, mais il n’y a pas le succès escompté et prédit par le führer. Les ruines s’accumulent à Londres, mais Berlin reçoit fréquemment la visite des avions anglais. La ténacité anglaise est connue, la sensibilité allemande aussi. Le duel peut durer. Il durera d’autant plus que le monde anglo-saxon s’émeut de cette épreuve que subit la vieille métropole. C’est de Londres, en définitive que sont partis tous ceux qui ont essaimé en Amérique, en Australie, en Afrique, en Asie, dans le monde entier. L’écho des bombardements qui embrassent la Cité retentit, aussi bien à New-York qu’à Montréal, à Melbourne qu’à Calcutta, au Cap qu’à Jaffa. Les Anglo-saxon d’un coté, les juifs de l’autre sont intéressés à la question. La défaite ou la victoire de la vieille Angleterre sont leur défaite ou leur victoire. Et cela, il semble bien que les États-Unis, en particulier commencent à le comprendre. La grande république américaine est sortie de l’autre guerre avec une réelle désillusion, et avec le ferme propos de ne plus s’occuper désormais des affaires d’Europe; mais la destinée d’un grand peuple n’est pas à la merci d’une impression passagère, surtout quand les intérêts de ce peuple sont directement menacés. Or que se passe-t-il au début de cet hiver 1940 ? L’Angleterre appelle au secours, ne cache pas qu’elle souffre, et place sa confiance dans les Etats-Unis. Elle leur passe ses points 61


d’appui dans l’Atlantique, en attendant ceux du Pacifique. Elle manifeste, par l’évacuation des personnes et des biens sur le Canada, qu’elle ne considère pas la lutte comme close, si jamais l’Allemagne occupait les îles. Mais en même temps, elle se bat ardemment, aussi bien au dessus de Londres qu’aux frontières de l’Égypte. Elle ne considère pas la partie comme perdue, au contraire. L’Allemagne est surprise, manifestement, par cette résistance à laquelle elle ne s’attendait pas. Partie pour une lutte courte, la voici à l’entrée du second hiver de guerre. C’est très beau d’occuper les trois quarts de l’Europe, cela ne renforce pas l’armée, au contraire. Elle sait parfaitement, d’autre part, que depuis des mois, les Etats-Unis ravitaillent en matériel de guerre l’Angleterre et la Russie. Cette neutralité malveillante l’inquiète. Elle a pensé lui porter un coup décisif par l’alliance japonaise. C’est l’événement de l’Automne 1940. Dans l’esprit de Ribbentrop, ce doit être une surprise terrible pour les Etats-Unis, et arrêter net leurs velléités d’intervention en Europe si jamais ils en avaient. Certes, c’est ruiner ce qui pouvait rester d’influence européenne en extrême orient, atteindre à la fois la Hollande, la France, l’Angleterre; c’est le monde blanc qui capitule devant le monde jaune; peu importe. Ce qui importe, c’est que l’Allemagne gagne la guerre, et la gagne le plus tôt possible, sans interventions américaines. On doit admettre que, ce faisant, Monsieur Ribbentrop a bien vu les dangers de l’acte et ses répercutions possibles. Les pourparlers avec le Japon duraient depuis un an. On eut pu signer plus tôt, et le Japon n’eut, sans doute, pas demandé mieux. Mais en août 1939, l’Allemagne n’avait pas besoin de l’alliance japonaise. Elle avait besoin de l’alliance russe, au risque de s’aliéner le Japon; elle s’est jetée dans le bolchevisme, apparemment l’affaire n’a pas été mauvaise, surtout pour Staline, à vrai dire, qui s’est adjugé quelques bénéfices substantiels depuis l’an dernier. Le Japon, froissé de cette désinvolture, et inquiet de cette alliance, s’est d’abord replié sur lui-même et a attendu les événements. Il a vu la Pologne supprimée, la Norvège occupé, la Hollande et la Belgique conquises, la France effondrée. Comme il a lui-même de grosses difficultés en Chine, et comme l’occasion lui semple inespérée, il a sauté sur l’occasion que le blanc lui offrait, et il se fait le soldat de l’Allemagne contre les Etats-Unis, car, au fond, tout le traité, avec ses beaux considérants, se ramène à cela. Et cela, l’Amérique le constate, le sent, plus que n’importe qui. Quelle va être sa réaction ? Il serait plus juste de dire, quelles sont ses possibilités ? Militairement : faibles économiquement : énormes. Ni l’armée, ni la flotte, ni l’aviation américaines ne sont en état de lutter avantageusement contre leurs adversaires japonais. Et les distances, par ailleurs, sont telles qu’un conflit est improbable, si l’un des deux adversaires ne le cherche pas délibérément. Par contre la flotte et l’aviation américaines peuvent aider, officieusement, si non officiellement, l’Angleterre, et elles ne s’en prive pas. Il n’y a aucune raison que le Japon entre en guerre à ce sujet. Il le sait d’autant mieux qu’il n’est pas en guerre avec la Chine, bien qu’on y meurt depuis trois ans sans arrêt. Reste la question des matières premières, dont le Japon a un besoin pressant, que les EtatsUnis lui fournissent jusqu’ici, et dont ils arrêtent net les livraisons. C’est là que gît, à mon avis le nœud de la question. Si le besoin d’essence force le Japon à s’attaquer aux îles de la Sonde, et si le danger paraît suffisamment important aux industriels, aux commerçants américains, il est possible que l’Amérique, menacée dans ses intérêts asiatiques, appuyée sur les possessions anglo-française, estime, elle aussi, l’occasion favorable. Dans ce cas, c’est la flotte, l’aviation américaine, appuyées sur Singapour, le Cap St. Jacques, Hongkong et Manille, qui engagent la bataille avec la flotte et l’aviation japonaises basées sur Hainan, Canton et Shanghai. Les bases purement américaines ou purement japonaises sont trop loin pour jouer un rôle de 62


premier plan dans l’affaire. Mais, ce qui dans cette bataille future des îles de la Sonde, est capital, c’est tout ce qui coopère à la bataille sans y prendre part. C’est le potentiel américain en face du potentiel japonais. D’un coté une nation financièrement épuisée, de l’autre côté la plus puissante oligarchie financière de tout les temps. D’un côté, une nation peu, sinon pas préparée à la guerre et ne marchant pas avec cet enthousiasme qui est garant de la victoire. Le traité signé par Mr Ribbentrop, le 26 septembre 1940, jouera-t-il le rôle de catalyseur et dans quel sens ? L’avenir nous le dira. Sans compter que ce traité, et il en est expressément fait mention, peut inquiéter les soviets. De même que le Japon fut nerveux en août 1939, de même la Russie peut être nerveuse en Septembre 1940, à moins que Staline ne trouve là une occasion de travailler fructueusement en Extrême-Orient, comme il a travaillé sur la Baltique ou en Bessarabie. Le Géorgien retord sait fort bien les sentiments du führer à son égard, et n’a aucune illusion sur la sincérité allemande. Lui aussi peut estimer favorable l’occasion pour la grande Russie, et nous assisterions à l’équipement des masses russes par l’industrie américaine, que cela n’aurait rien d’extraordinaire; équipement lent comme tout ce qui se passe en Russie, mais qui n’en serait pas moins un danger pour chacun des deux alliés, l’Allemand et le Japonais, aussi bien sur la frontière de la Vistule que sur celle de l’Amour. Tout cela, je le répète, les signataires allemands l’ont certainement vu, et cependant ont signé. Ils y ont vraisemblablement été forcés, non pas tant pour instaurer la paix mondiale, qui est bien le cadet de leurs soucis, que pour ne pas perdre le bénéfice de leur succès, et parce qu’il y a peut-être déjà des lézardes dans le bel édifice qu’on a orgueilleusement rêvé d’édifier. Ne parlons pas de la situation économique de l’Allemagne, quoi qu’elle ait bien son importance dans le cas présent. Voyons plutôt la situation du brillant second, l’allié italien. L’Italie n’est entrée en guerre effectivement qu’au mois de juin 1940, mais, elle aussi, elle croyait à une paix rapide et fructueuse. Or, elle a conquis la Somalie britannique, elle utilise Djibouti et puis…… Et puis, la Méditerranée est bouclée, le commerce arrêté, les touristes font grève. Alors, cette guerre, qui n’a jamais été très populaire, pourrait bien devenir impopulaire, si des revers impossibles à cacher remplaçaient des succès incontrôlables. Tant que la paix n’est pas signée avec la France, on n’a rien de ce que l’on a demandé à si grand cris : la Tunisie, la Corse, Nice et la Savoie. Il n’est pas très sûr que l’allié du nord soit tellement intéressé à satisfaire ces désirs. Certes, l’Egypte serait une proie tentante; mais le désert de Libye manque diablement d’eau. La Yougoslavie n’a pas d’industrie de guerre, mais ses soldats sont de redoutables fantassins. La Grèce offrirait des points d’appui sérieux pour la flotte, mais l’Angleterre y a des amitiés solides, et la Turquie ne laisserait peut-être pas faire. Tout cela est bien ennuyeux quand le chef est dévoré d’ambition, mais que le Roi est prudent et que la nation ne marche qu’en rechignant. Tant qu’il ne s’agit que de s’agiter, de crier, de pavoiser, tout va bien. Quand il s’agit de se battre, avec tous les risques que cela comporte, on y regarde à deux fois. et cela est très naturel, aussi bien de la part du souverain que de celle du peuple, qui sait, peut-être même de celle du « Duce ». Une chose est certaine, c’est que l’Italie voudrait bien voir l’aventure se terminer, fut-ce même au prix d’un compromis. Tout arrêt des opérations militaires serait bien accueilli dans la péninsule, cela, l’Allemagne le sait, et certainement ne peut que s’en préoccuper. Alors ?….. Parti avec l’idée d’une guerre courte, limitée à la Pologne, voici Hitler dans la seconde année de guerre, et la quatrième année de mobilisation, avec une autarcie qui a donné de 63


magnifiques résultats, mais qui ne remplace tout de même pas le commerce libre, cher aux armateurs de Hambourg, aux usines de la Ruhr, aux commis voyageurs de toute l’Allemagne. C’est entendu : on fait de la laine avec du charbon, du coton avec du bois, du verre avec du lait, ou inversement, tous ces ersatz ne valent pas les bonnes et simples marchandises naturelles que l’Allemagne a connues et utilisées jadis au temps où son « liberum veto » 1 ne s’étendait pas de Bordeaux à Braîla. Les cloches sonnent, les drapeaux flottent, les cortèges se multiplient : cela n’empêche pas les avions de tomber un à un, et les objectifs non militaires de s’écrouler ou de flamber sous les coups des pirates britanniques. La tension nerveuse monte certainement plus, proportionnellement, que ne s’accumulent les ruines jusqu’ici. Et rien ne dit que les agitateurs de l’est ne vont pas rechercher à expliquer le mécontentement pour exciter de nouveau les passions mauvaises dans un prolétariat auquel on a beaucoup promis, mais auquel on n’a pas donné la victoire complète sur les méchants ploutocrates. Alors ?…. Sur qui l’Allemagne, la vraie Allemagne, celle de Frédéric II, de Metternich, de Bismarck, celle de la Wehrmacht de 1940, peut-elle s’appuyer pour bâtir quelque chose de stable, de solide, qui ne repose pas sur un concept plus ou moins changeant, plus ou moins défini, plus ou moins précis ? Sur une nation et une seule : la France. La France a été vaincue trop vite pour ne pas se redresser également vite. Quoi que fassent ceux qui l’on abattue. Ils l’ont eu par surprise, comme le lutteur heureux qui réussit du premier coup une prise inconnue, ou l’escrimeur de classe qui tire droit une botte imparable. Cela n’empêche pas que ses possibilités sont intactes et que, tôt ou tard, elle les retrouvera. Mieux vaut qu’elle les retrouve avec l’accord tacite, disons mieux, la complicité, de la Wehrmacht, qu’avec l’opposition haineuse d’une opinion publique mal orientée et mal dirigée. Dans le premier cas, c’est la neutralité certaine sinon bienveillante, car l’écho des coups de canons de Mers El Kebir et de Dakar n’est pas encore assourdi, d’une France qui se réveille de son ahurissement et demande à reprendre progressivement sa place au soleil et à ne pas être traité en nation finie. Dans le second, c’est la résignation forcée, sinon malveillante, car les ruines de Dunkerque fument encore, d’une France qui n’a jamais plié sous le joug, et qui attendra le moment favorable pour se venger de l’injustice du sort et de l’incompréhension de ses dirigeants. Dans un cas, c’est l’Allemagne tranquille à l’ouest et pouvant concentrer tous ses efforts à l’est. Dans l’autre, c’est la dispersion obligatoire des forces, c’est l’occupation prolongée, avec toutes ses servitudes, ses charges, ses dangers. L’Allemagne victorieuse est à la croisée des chemins. La France vaincue attend la décision du vainqueur. De cette décision peuvent sortir des années de paix, de collaboration, de richesse, ou, au contraire, des monceaux de ruines et des torrents de sang. 1- Aux XVIIe et XVIIIe siècles, dans la diète polonaise était appliqué le principe dit du liberum veto, la « liberté de ne pas consentir ». Pour un député, il suffisait de crier en séance : liberum veto pour interrompre la séance et rendre invalides toutes les décisions préalablement adoptées. Cet usage, peu à peu transformé en loi, était la conséquence du principe que la promulgation des lois exigeait l'unanimité totale. 64


A l’Allemagne de choisir. Plus longtemps les prisonniers resteront prisonniers, plus longtemps les provinces de France resterons occupées, plus les stigmates de la défaite se creuseront, moins les rancunes s’apaiseront, moins les sages se feront entendre. Ce que les pères ne feront pas sera légué comme consigne à leurs fils, puis à leurs petits fils, et l’histoire est là pour nous enseigner des résurrections qui n’ont rien de miraculeuses. A cette époque là on aura oublié Mers El Kebir comme Dunkerque et l’on partira sur de nouvelles bases qui seront fixées et par Washington, et par Moscou, et où chacun n’écoutera que ses rancunes avant même de penser à ses intérêts. Ce jour-là, il sera trop tard pour parler de collaboration, alors qu’il est toujours facile de crier : « Revanche », et les lois de l’arithmétique qui ont joué avec 10 avions et 5 chars contre 1 joueront avec 100 avions et 50 chars contre 5. Et, ce que les maréchaux de Napoléon n’ont réussi ni à Dantzig, ni à Hambourg, ni en Illyrie, ceux du III° Reich ne le réussiront ni à Bayonne, ni à Brest, ni à Lille. Les grands conquérants ont toujours le même destin, un peu plus tôt ou un peu plus tard. Le sort des peuples vaincus est de savoir attendre leur heure, et de ne pas oublier. Mais, ce qui existait avant le 10 mai existe encore le 1 er octobre. Le potentiel de la France est temporairement diminué, il n’est nullement supprimé. La France existe, même si son matériel de guerre n’existe plus, même si son sol est occupé; même si deux millions de prisonniers ne sont pas rentrés dans leurs foyers. Vis à vis de l’Amérique, vis à vis de l’Afrique, vis à vis de l’Asie il n’en est pas de la France comme de la Tchécoslovaquie et de l’Autriche. Celles-ci peuvent être des protectorats ou des gouvernement généraux, la France est un état, qu’un trait de plume ne suffit pas à rayer de la carte du monde, et que le monde entier a intérêt à ne pas voir rayé. Et, en tête de ce monde sympathique, il faut placer les Etats-Unis, avec leurs énormes possibilités matérielles et spirituelles. Il se trouve que ces marchands, ces fabricants, ces cultivateurs sont plus ou moins intéressés, dès maintenant, à nos guerres européennes. N’oublions pas que la récente loi de conscription porte sur 16.000.000 d’individus, que les budgets de fabrications aériennes et maritimes nous révèlent des engagements insoupçonnés. Il serait vraiment naïf de notre part, pour ne pas dire plus, de nous opposer, dès maintenant, à cette masse énorme, en faisant aveuglément le jeu de l’Allemagne, alors que la sagesse commande de voir venir et d’agir en connaissance de cause. Le traité germano-japonais ne peut que confirmer cette manière de voir. Il est une autre façon d’envisager la question. C’est de renverser délibérément les alliances, dès maintenant. Après avoir joué la carte anglaise, et sans attendre que de nouveaux jeux soient faits, jouer la carte allemande, sans hésiter, les yeux fermés. Ce furent jeux de rois, jadis, et notre XVIII° siècle nous en a laissé de cuisants souvenirs, avec un partenaire qui s’appelait Frédéric II, et devant le réalisme auquel notre idéalisme n’a pas pesé lourd. Aujourd’hui, la situation est beaucoup plus grave, parce qu’il ne s’agit plus de l’Europe mais du monde. Les colonies du XVIII° siècle et le commerce international n’existaient pas à coté des empires coloniaux de 1940 et du trafic maritime et aérien qui sillonnent le monde. Les EtatsUnis n’étaient pas nés, le monde anglo-saxon se limitait au Royaume-Uni. Mais maintenant, il faut voir plus loin et plus large, et considérer nos intérêts non plus seulement en Europe, mais sur tous les continents, et sur les mers. Je l’ai déjà dit la débâcle militaire, qui a surpris le monde entier, n’a pas eu pour effet de supprimer instantanément la puissance française; elle a simplement démontré que la France n’a pas su prévoir, ni préparer la guerre, et que l’armée française a fait preuve d’une outrecuidance coupable en se croyant capable de lutter à armes égales contre une armée 65


allemande qui était incroyablement supérieure. Certes, le mieux serait d’arrêter le massacre. Pour l’honneur de l’humanité, pour son bonheur tout simple, son unité, pour qu’on parle enfin d’autre chose du Groenland au Cap de Bonne Espérance, et de Bretagne en Chine, que de bombardements, d’incendies, de tués, de blessés, d’infirmes et de mutilés. Souhaitons que la science, dont nous nous vantons tellement, nous serve à autre chose qu’à détruire, quelle ait au contraire, une action constructive qu’elle embellisse notre planète, matériellement et moralement au lieu de la dévaster. A la base de ces cataclysmes périodiques, se trouve toujours l’orgueil d’un homme ou d’un peuple ou d’une race. L’orgueil qui a perdu Lucifer et entraîné avec lui les mauvais anges, a aussi perdu successivement tous les grands conquérants et a entraîné dans leur chute les peuples qui les avaient suivis. L’histoire donne de grandes et salutaires leçons. Comme je le disais plus haut, il s’agit de savoir attendre. Par exemple, « Attente » ne signifie pas « Résignation », et « Discrétion » ne signifie pas « Oubli ». Ceux qui ont l’honneur d’appartenir à une nation ayant des traditions, le passé de la France; ceux dont les aïeux ont travaillé, ont souffert, sont morts pour faire la France, n’ont pas le droit d’abandonner cet héritage. Quoi qu’il doive, quoi qu’il puisse leur en coûter, ils ne doivent admettre que des solutions logiques, des décisions justes, n’effaçant pas d’un trait de plumes des siècles de labeur et de notre gloire. Si l’adversaire le comprend, si le traité de paix imposé ne laisse pas de plaies béantes, l’avenir peut être chargé des plus belles promesses. Si, devant une décision implacable, et l’impuissance du moment présent, nous n’avons qu’à nous soumettre, nous rongerons notre frein en silence, et nous y penserons toujours en n’en parlant jamais. L’histoire n’est qu’un éternel recommencement. Octobre 1940

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Novembre 1940

Engins nouveaux, parades nouvelles L’Allemagne a remporté sur la France une victoire foudroyante, dont la rapidité et l’ampleur ont surpris nos adversaires eux-mêmes. Abstraction faite des raisons morales, voyons les raisons intellectuelles et matérielles qui nous ont conduit au désastre. Nous avons tout sacrifié au dogme de la défensive, de la puissance de feu, sans accorder au mouvement, à la manœuvre, la part qui leur revenait : voilà notre première faute et la plus grave. Nous nous sommes grossièrement trompés sur la qualité et la quantité des engins nouveaux que nous avions en face de nous, et nous n’avons pas su nous équiper et nous organiser pour riposter à leurs attaques : c’est notre erreur impardonnable. Les succès allemands sont dus à l’aviation et aux chars, c’est certains; mais ils sont dus avant tout au dynamisme, à la jeunesse, et à la volonté de vaincre d’une armée ardente et dressée au combat offensif. En cinq ans, l’aviation allemande sort du néant. Elle aborde la guerre de 1939 avec 5.000 appareils environs, tandis qu’à l’arrière elle a environ le double de pilotes de rechange, et que ses fabrications sont lancées pour une production intensive. La guerre d’Espagne a été pour elle une occasion unique de vérifier les caractéristiques de ses appareils, en même temps d’ailleurs que celles du matériel français livré au camp adverse. Aussi bien au point de vu des avions, que canons anti-chars, comme au point de vue chars, il est certain que les batailles de Biscaye et de Catalogne ont permis au commandement allemand de mettre au point des conceptions jusque là purement théoriques. La campagne de Pologne fait la preuve des possibilités du matériel et du personnel devant une armée brave mais mal armée. L’aviation polonaise est détruite avant d’avoir pu lutter. L’infanterie et l’artillerie polonaise sont survolées manœuvrées, enveloppées, sans pouvoir combattre à armes égales contre une infanterie et une artillerie allemande qui leur était vraisemblablement inférieure en qualité sinon en quantité. Il ne restait au haut commandement allemand qu’à s’assurer une supériorité incontestable en matériel pour attaquer, avec toutes chances de succès, l’armée française et l’armée anglaise, sur lesquelles il était exactement renseigné. Ce fut l’affaire de sept mois, pendant lesquels les usines allemandes travaillent fiévreusement. Nous savons, de façon à peu prés certaine, que la sortie des avions fut de 700 par mois, en chiffres rond, 5.000 pour la période envisagée. Quand aux chars, le nombre des divisions cuirassées passe de 6 à 10 chacune, de 500 chars, sans parler des bataillons de chars non endivisionnés. C’est donc vers un effectif très voisin de 10.000 avions et de 5.000 chars que l’Allemagne entre vraiment en campagne le 10 mai 1940. Quelle était la valeur de ce matériel, et que représentait-il par rapport au matériel français ? Aussi bien en aviation qu’en engins cuirassés, l’Allemagne n’avait rien à envier à ses adversaires. Les appareils de chasse, de reconnaissance, de bombardement étaient soigneusement étudiés, et leurs performance égalaient, sinon surclassaient, celles des appareils adverses. Au point de vue bombardement, en piqué principalement, les exercices avec tirs réels d’Espagne avaient permis de mettre la chose parfaitement au point. L’aviation allemande comptait beaucoup sur ses « Stukas ». Elle n’a pas été déçue. Leur action matérielle et surtout morale a été énorme. Que ce soit sur terre ou sur mer, sur les troupes en colonne ou sur les 67


navires en ligne de file; nous devons reconnaître que nous avions sous-estimé l’effet du bombardement aérien. Celui-ci n’a pas, de loin, les résultats matériels de tir d’artillerie bien calculé, bien observé, et qui peut durer. Mais son effet moral est peut-être plus puissant, par sa soudaineté même et sa brutalité. Sur des troupes mal aguerries, mal entraînées, mal commandées, il peut conduire, et il a conduit, à la panique et à la débandade. Tant par sa rapidité, que par sa portée, l’avion est donc un agent de destruction puissant. Pour qu’il donne son plein rendement dans la bataille, il faut qu’il agisse en liaison avec les troupes à terre, là où elles en ont besoin. Nous devons reconnaître, là aussi, que les Allemands nous ont donné un magnifique exemple. Leurs avions de reconnaissance, que nous avions rapidement appris à connaître, venaient audacieusement au-dessus de la région qui les intéressait, faisaient leur métier, sans être gênés par ailleurs par la moindre chasse française ou anglaise; communiquaient par T.S.F. leurs observations au bombardement à l’écoute, et au bout d’une demi-heure au grand maximum commençait la ronde des avions de combat, à une altitude variant de 50 à 500 mètres. Qu’il survienne un incident dans l’action, toujours une aviation réservée était prête à intervenir, en liaison intime avec les troupes combattant à terre, à leur plus grand profit. Nous pouvons citer des exemples de contre-attaques menées uniquement par l’aviation, qui n’ont évidemment pas occupé le terrain, mais qui ont empêché nos divisions de l’occuper, et donné aux chars, puis à l’infanterie ennemis, le temps d’intervenir. Reconnaissance et bombardement furent donc étroitement conjugués avec l’action des troupes à terre. Nous aurions pu le prévoir, sinon en faire autant, vu notre pénurie en aviation de chasse. Mais ce que nous n’avions pas prévu fut l’emploi intensif de l’avion comme moyen de transport, soit d’infanterie portée ou parachutistes. L’expédition de Norvège laissa constater avec quelle audace, et quelle précision aussi, les Allemands utilisèrent leurs avions de transport, aussi bien à Trondjhem ou à Skavanger qu’à Narvik. Dès que la campagne de l’ouest commença, ils cherchèrent à employer les mêmes méthodes. Les débuts ne furent pas heureux. Sur le terrain de Rotterdam, à peine arrivés, les avions de transport furent pris à partie par un groupe de bombardier anglais qui en détruisit la majeure partie. Mais l’infanterie débarquée avait pu s’éloigner à temps, et le millier d’hommes qu’elle représentait fut d’une importance capitale pour s’emparer de quelques points importants en attendant l’arrivée des divisions cuirassées et motorisées. L’action des parachutistes ne fut pas négligeable. Elle ne revêtit pas l’importance que l’imagination des foules lui attribua. Nous manquons jusqu’ici de renseignement sur les transports de même nature qu’ils purent faire au cours de la campagne de France. On peut admettre qu’ils ne s’en sont pas privés, dès que leur avance leur eut livré les terrains d’atterrissage nécessaires. La flotte de transport aérienne allemande était suffisamment nombreuse pour permettre les transports stratégiques demandés par le haut-commandement. Cette aviation de transport et de bombardement a été protégée par une aviation de chasse, sinon très nombreuse du moins très bien équipée. Les Messerschmitt, de tous numéros, ont largement valu les Morane, les Curtis, et les divers appareils anglais. Les pilotes, par contre, ne se sont pas révélés supérieurs aux pilotes adverses. A nombre égal, la qualité franco-anglaise s’est affirmée meilleure, quoi qu’aient pu raconter les communiqués, le nombre d’appareils abattus a été sensiblement équivalent au début des opérations. En raison, hélas, du nombre infime de nos appareils par rapport aux appareils ennemis, le handicap s’est fait cruellement sentir au bout de quelques jours de bataille. 68


Quant à l’artillerie anti-aérienne, les Allemands ont aligné une « Flak » 1 à haute altitude à peu près dix fois supérieure à la notre. Elle a agit autant en artillerie anti-chars qu’en artillerie anti-aérienne. C’est une leçon que nous pouvons méditer, et dont nous tirerons les enseignements qu’il convient. A côté de l’aviation, et en liaison intime avec elle, la division cuirassée. C’est à dessein que j’insiste sur cette coordination des efforts qui nous a tous frappés et qui a été une des causes essentielles de la victoire. L’armée aérienne allemande et l’armée cuirassée allemande ont mené la lutte ensemble, sous le même commandement, contre une armée de terre et une armée de l’air française, où le terrien était le demandeur auprès de l’aérien, et où, même si les avions avaient existé, nous eussions perdu un temps précieux pour les avoir à temps au point nécessaire. La division cuirassée allemande, telle que nous l’avons vu dans la bataille des Flandres, est un outil puissant, remarquablement adapté à la guerre de mouvement. 500 chars environ, véhicules robustes, plus ou moins rapides, plus ou moins protégés, mais tous unis d’une arme anti-chars et tous montés par un personnel jeune, entraîné, ardant, ayant l’initiative, l’ardeur, la décision propre au cavalier. A coté des chars, et marchant dans leurs rangs, un canon automoteur à grande vitesse initiale, suffisamment protégé pour braver les feux de mousqueterie, suffisamment puissant pour briser les résistances locales du béton ou de la cuirasse. A proximité immédiate également, les moyens de franchissement légers mais solides permettant à des engins de 10 à 20 tonnes de franchir les coupures de nos canaux et de nos rivières de faibles largeur. Enfin une infanterie, portée sur des véhicules tous terrains, manoeuvrant et débordant largement les résistances, sans souci du coude à coude, poussant audacieusement de l’avant sur l’axe de marche, jetant des groupes de combat aux points importants, entourant les P.C., interceptant les communications, arrêtant les isolés, terrorisant la population civile : voilà ce que nous avons vu, voilà ce qui nous a battus, voilà ce qu’il faut loyalement avouer, sans perdre de vue que cette forme de bataille n’est pas toute la bataille, et que l’heure des assauts d’infanterie, avec l’appui d’artillerie, de chars et d’aviation n’est pas passée, comme la lutte de chars contre chars, l’aviation contre l’aviation. Il faut être prêts à l’une comme à l’autre. La transformation de notre mentalité, de notre armement, et de notre organisation aurait du s’exercer dans les domaines tactiques et stratégiques. Nous les étudierons successivement en nous limitant à la lutte contre avions et à la lutte contre chars. Mais, posons d’abord le principe qu’un armement ne vaut que par l’esprit qui l’anime et l’ardeur des exécutants. L’esprit guerrier de la France n’exista pas en 1940. C’est la cause de la catastrophe. La puissance de l’armée aérienne est étroitement fonction du nombre de ses appareils, des caractéristiques du matériel, et de l’entrainement des équipages. Cette armée est incapable de gagner la guerre à elle seule, et son action doit être si étroitement lié à celle des troupes de terre, qu’elle doit être placée sous le même commandement. La première condition pour lutter à terre à armes égales est de prendre en permanence la maîtrise de l’air. Nous avons tous vu, au début de mai, les escadrilles de bombardement allemandes, chacune d’une dizaine d’appareils, disparaître devant quelques patrouilles de nos chasseurs. Par contre, nous avons vu ces patrouilles attaquées au bout de peu de temps par de véritables escadres de chasse qui les écrasaient sous le nombre et permettaient alors aux bombardiers de revenir faire leur travail. 1- Flak est l'abréviation du mot allemand Fliegerabwehrkanone, signifiant « canon antiaérien ». Le mot peut être pris selon deux sens : la flak (n.f., lui-même abréviation de Flakartillerie) étant le nom générique des unités de batteries antiaériennes statiques, ou les unités de DCA attachées aux unités combattantes. 69


Il faut donc, avant tout, posséder une aviation de chasse supérieure en nombre à l’aviation ennemie. Dès que cet ennemi est contraint, comme nous l’avons été, à ne plus avoir recours qu’au bombardement de nuit, il est lourdement handicapé, et le résultat de ses attaques est insignifiant par rapport au résultat des attaques de jour. Il faut nous orienter ensuite sur l’appareil de bombardement à basse altitude, capable de déposer avec précision sur un but, mobile ou immobile, des bombes de 50 à 500 Kilogrammes. Les effets sur une troupe abritée sont surtout moraux, mais, sur une colonne en marche, mal échelonnée, ils peuvent être terrifiants. Et toujours, je ne cesserai de le répéter, action conjuguée entre les troupes de terre et les troupes de l’air, pour que les aviateur fassent du travail utile, en fonction des renseignements et des projets du commandement, et ne courent pas des risques inutiles devant la défense des troupes terrestres. Cette défense est à base d’artillerie à grande portée, et d’artillerie de petit calibre à projectile autodestructeur. Le tir des F.M. et des mitrailleuses est de faible rendement. Le calibre qui a fait ses preuves pour l’artillerie puissante est le 90. On a également préconisé le 105. Peu importe, l’essentiel est que la maniabilité du matériel et la vitesse initiale soient considérables pour que le pointage sur l’avion ennemi et l’encadrement de cet avion soient instantanément obtenu. Nous avons à ce point de vue de gros progrès à faire. L’arme de petit calibre varie entre le 20, le 25, le 37, ou le 40. Que ce soit l’un ou l’autre, le canon doit être, comme le précédent, à grande vitesse initiale, à pointage facile, et porté ou tracté sur une voiture tous-terrains. Il doit pouvoir indifféremment servir contre avions et contre chars. Seul le projectile varie, autodestructeur dans un cas, perforant dans l’autre; mais le nombre de projectiles doit atteindre un millier de coups par pièce, en admettant que la cadence moyenne de tir soit de 18 coups à la minute. Qu’il s’agisse de gros ou de petit calibre, cette artillerie anti-aérienne ne doit pas être rattachée à l’aviation. Elle doit dépendre des unités terrestres qui ont à se défendre contre les avions ou contre les chars et qui doivent à leur tour défendre cette artillerie contre les attaques terrestres. En principe, la dotation est d’une section de 4 pièces de 20 par E.M de Régiment, bataillon, ou groupe d’artillerie. Pour l’instruction, ce matériel peut être avantageusement groupé en compagnies ou en batteries contre engins aériens, à condition qu’il soit bien entendu qu’un bataillon ou un groupe ne s’engage pas sans sa section de 20mm. Les échelons supérieurs, DI., C.A., et armée doivent comporter organiquement chacun deux batteries de 6 pièces de 25 de 37, ou de 40 mm. Destinées en principe, l’une à la couverture du P.C, l’autre à celle de la gare de ravitaillement. Chacune de ces unités a son personnel et son matériel fixés par les tableaux d’effectifs. Des batteries de réserve générale seront prévues pour la protection des terrains d’aviation et des points importants reconnus dans la zone des armées. Elles seront mobiles, de petit et de gros calibre, constituées en groupe et groupement. Chaque groupement comprend, en principe, un groupe de 90, un groupe de 75 un groupe de 40. La D.A.T est indépendante de cette D.C.A..1 Cette dotation est indispensable pour empêcher les avions de bombardement en piqué d’appliquer leurs bombes avec précision au point qu’ils visent. Elle n’exclue nullement la présence d’une aviation de chasse nombreuse et bien équipée, à laquelle elle indique, par ses tirs, la zone où elle doit intervenir.

1- DAT et DCA : Défense Aérienne du Territoire et Défense Contre Aéronefs. 70


La lutte contre les chars La lutte contre les chars est à base de mines, d’armes anti-chars d’artillerie, et d’aviation. Je mets en tête la mine parce qu’elle est un engin facile à fabriquer, facile à manier, et dont seul le problème du transport est compliqué. De même qu’il y a D.C.A. et D.A.T., de même il doit y avoir mines des armées et mines du territoire, en admettant pour les armées des prévisions autrement considérables que celles prévues en 1938. C’est de l’ordre du décuple, tout au moins à l’échelon armée et C.A., qui doivent pouvoir donner aux divisions sous leurs ordres, en fonction de leur mission, une dotation suffisante pour barrer la route, en toute certitude, certains axes de mouvement sur un front et une profondeur suffisante; en principe 500 mines aux km. La mise en œuvre sera effectuée par l’infanterie, guidée par le génie, dont certaines unités seront spécialisées à cette effet. Le sapeur de 1940 connaissait trop la guerre de mines, et pas assez la guerre des mines. Quant au type de mines, peu importe, pourvu qu’elle soit efficace, facile à manier, facile à amorcer, et d’une fabrication rapide en grande série quand elle sera décidée. Il est lamentable de penser que nos chars ont durement éprouvé en Lorraine, en septembre 1939, l’efficacité des mines allemandes, et que nous n’en ayons aucune en mai 1940. L’arme complémentaire de la mine est l’arme anti-chars. Elle fait partie intégrante des unités aux divers échelons. Il est inadmissible, en effet, de paraître admettre qu’une troupe, quelle qu’elle soit, soit livrée en pâture aux chars ennemis, pas plus qu’à l’aviation ennemie, sans pouvoir se défendre. Abstraction faite d’autres considérations d’ordre morale et, sans vouloir excuser certaines défaillances, il est bien certain que le fait d’a voir laissé des divisions sans armes anti-chars ou avec un nombre ridiculement insuffisant d’armes anti-chars, explique en partie le recul, sinon la fuite de ces divisions devant les attaques massives des chars. On doit donc poser cette règle absolue que toute unité élémentaire d’infanterie, de cavalerie, ou du génie est dotée d’une arme portative anti chars. Cette arme, variant d’un calibre entre 10 et 20 mm., doit être portative, avec approvisionnement immédiat de 200 coups et capable de perforer à 400 m. un blindage de 40 mm. d’acier. C’est l’arme du combattant de première ligne, au même titre que le F.M. A coté de cette arme légère et à courte portée, les unités supérieures d’infanterie, bataillons et régiments, de même que le G.R.D.I. 1 doivent être dotées d’un canon anti-chars mobile, d’un calibre variant entre 25 et 47, monté sur un tracteur tous-terrains, et pouvant tirer efficacement à partir de 800 m sur un engin blindé à 40 mm. Le type A.M. 2 légèrement blindé, de superstructure aussi basse que possible, conviendrait parfaitement. La dotation devrait être d’un peloton de trois voitures par bataillon, et deux pelotons par régiment, abstraction faite des armes portatives. Ces pelotons, groupés pour l’instruction, formeront la compagnie anti-chars du régiment, comme nous avons vu plus haut la compagnie anti-avions. Le G.R. de toute division, motorisée ou non, comprend un escadron de ces mêmes A.M., du même type, destinées au même usage et recevant sensiblement les mêmes instructions, avec l’indépendance cavalière en plus. Son effectif est de 15 A.M., y compris les voitures de commandement. Dans toutes les divisions également, le G.R. comprend un deuxième escadron, de chars celui-là, du type H 39 par exemple armé d’un canon de 47 ARX et pouvant intervenir en contre-attaque locale sur n’importe quel point du front de la division. Son effectif est fixé à 4 pelotons de 5 chars. L’armement anti-chars de la D.I. est complété par la compagnie et la batterie divisionnaire 1- GRDI : Groupe de reconnaissance de division d’infanterie 2 - AM : Auto Mitrailleuse. 71


anti-chars, de 12 canons chacune, montés sur châssis cuirassé tous-terrains et pouvant indifféremment tirer sur avion ou chars, suivant le projectile employé. Le calibre varie du 37 au 47 mm. Pour avoir une efficacité suffisante. Les deux unités dépendent directement du général de division. Si nous additionnons les armes anti-chars de la D.I. ainsi équipé, abstraction faite des fusils spéciaux, nous arrivons au total de : Infanterie 3X15 45 Cavalerie 15+20 35 C.D.A.C. 12 B.D.A.C. 1 12 total 104 En admettant qu’une D.I. occupe un front moyen de 10 kilomètres, c’est donc sensiblement 10 armes anti-chars au kilomètre qui vont s’échelonner sur une profondeur de 2 à 5 kilomètres, sans compter les armes portatives. C’est une densité défensive sérieuse à l’échelon de la D.I. A l’échelon C.A., il faut aussi une unité mobile. De même que nous avons renforcé le G.R.D.I.,nous allons renforcer le G.R.C.A. en lui adjoignant organiquement un bataillon antichars auto, remplaçant les bataillons de mitrailleurs. Ce sera la possibilité pour le commandant de C.A. de parer à une défaillance locale, au point de vue dynamique. Tout G.R.C.A. comprendra donc également un escadron de chars du type préconisé plus haut. En effet, le véritable adversaire du char est le char. Nous avons été écrasés en Thiérache et en Artois, par les chars allemands, alors qu’en Belgique le corps de cavalerie, quoique vivement pressé, a parfaitement tenu le coup, avec ses chars Somua et Hotchkiss 39. Il s’agit donc de disposer, à l’échelon C.A. et armée, des chars nécessaires, soit pour attaquer, soit pour contre-attaquer, chars blindé de 40 mm et armés de canon de 47 mm. Je prends ces chiffres pour fixer les idées, et surtout, pour éliminer une bonne fois cette théorie néfaste qui nous a fait adopter sur un engin moderne un canon archaïque. Ne pas mettre sur le char une arme anti-char est une hérésie. Quels sera le nombre de ces chars ? Quelle en sera l’organisation ? La répartition ? Je laisse à d’autres le soin de le résoudre. A mon avis, le minimum doit être le régiment de chars par C.A.; chars que l’on peut baptiser d’accompagnement, sensiblement le type de nos H39 ou S.F.C.M. A la disposition du G.Q.G., pour être réparties entre les armées, des unités cuirassées, rattachées toutes à la cavalerie, organisées soit en corps, soit en divisions, soit en brigades. Le type des engins sera à déterminer, en tenant compte de leur poids, de leur vitesse, de leur armement, de leur protection, de leur rayon d’action. Cette dernière notion est capitale. Nos chars B étaient de puissants outils, qui surclassaient la plupart des chars allemands. Malheureusement, leur consommation n’était pas en rapport avec la capacité de leurs réservoirs et un grand nombre ont du être abandonnés par suite de panne d’essence. Sans préjuger du ravitaillement, toujours aléatoire sur le champ de bataille, il ne faut pas qu’un char de manœuvre d’ensemble soit incapable d’un effort prolongé. Il faut qu’il puisse combattre et exploiter. Les chars allemands ont prouvé à ce point de vue, leur supériorité sur les chars français. Quant au rattachement à la cavalerie, je le justifie par la sanction de l’expérience. Les D.M.M.2 ont prouvé leur efficacité, les D.C. leur carence. Je connais parfaitement les excuses qu’elles peuvent invoquer. Le fait n’en est pas moins patent. Au surplus, cavalerie ou 1- CDAC : Compagnie Divisionnaire Anti Chars ; BDAC : Bataillon de Défense Anti Chars 2- DMM : Division Marocaine de Montagne et DC : Division de Cavalerie 72


infanterie, peu importe : disons arme cuirassée ou plus brièvement chars, et constituons cette arme nouvelle, de manœuvre d’ensemble, avec un esprit offensif et une tradition qui sont essentiellement l’apanage de la cavalerie. Ce char puissant, a grand rayon d’action, que nous voulons dans nos grandes unités cuirassées, n’est pas encore suffisant. Il doit être complété par un canon d’accompagnement, monté sur chenille, légèrement blindé, mais d’un calibre suffisant, avec une grande vitesse initiale, pour détruire tous les engins connus chez l’adversaire. Le calibre adopté par les Allemands sur leur canons automoteurs paraît avoir été le 105. Il a démoli nos chars blindés à 60 mm et entamé notre béton. C’est une arme de ce type qui est le complément indispensable d’une unité de chars. Elle peut se tenir à distance suffisante de l’obstacle à détruire pour se jouer des armes anti-chars de petit calibre, et elle est assez mobile pour suivre au plus près les avant-gardes. Il n’est pas nécessaire d’en posséder un grand nombre, mais il est nécessaire de prévoir leur répartition sur les divers axes de marche de la grande unité de façon à réduire au minimum le temps d’intervention efficace. Après les chars, l’artillerie et l’aviation sont les plus puissants atouts que le commandement a dans sa main pour lutter contre les engins blindés ennemis. Encore faut-il modifier, et la portée, et l’amplitude du tir de cette artillerie. L’obusier de 105 s’est montré nettement supérieur au 75, au 155 grâce à la souplesse de son emploi. En combinant avec le canon de 105, on aurait obtenu une efficacité certaine sur les marches d’approche et les rassemblements de chars que nous avons observés. Quant à l’aviation, l’essentiel est qu’elle soit instantanément disponible là où le commandement d’armée, sinon même le C.A., peut la toucher par radiophonie, et qu’elle agisse là où il lui est prescrit d’agir, à l’instant fugitif et favorable. Ce que l’artillerie et l’aviation peuvent réaliser, c’est l’extension en profondeur de la lutte contre les chars. Les armes anti-chars, telles que nous les avons définis plus haut, réalisent nous l’avons vu un échelonnement qui ne dépasse pas normalement 5 Km. Or, le char moderne, avec ses possibilités, parcourt cette distance en quelques minutes. Il faut donc pouvoir le retarder par tous les moyens et utiliser à cet effet les armes à grandes portées, en les appliquant sur les zones de passages obligées et en concentrant leur feu opportunément sur ces zones. Question d’observations terrestres et aériennes, de transmissions aussi, en principe radiophoniques, sans perdre de temps à chiffrer. Combien de messages allemands n’avons nous pas capté, qui nous auraient sans doute révélé la présence de telle ou telle unité à tel point, mais sans que nous ayons le temps d’exploiter le renseignement ou de parer au danger. La rapidité de la guerre des chars dépasse toutes les prévisions que nous avions faites. Il faut nous habituer aux décisions rapides et aux ripostes encore plus rapides. L’éducation de la bataille contre avions et chars Des troupes équipées et organisées comme nous venons de le supposer ont, matériellement, ce qu’il leur faut pour arrêter avions et chars. Il leur faut autre chose, qui est l’éducation de la bataille contre avions et chars, et je ne parle pas ici de l’instruction du tir ou du maniement du matériel, je les suppose parfaitement connus. Le char, comme l’avion, agit peut-être plus par l’effroi qu’il inspire que par son effet propre de destruction. Il faut avoir préparé l’homme, et essentiellement le fantassin, à cette éventualité, à ce combat. Il est inouï de penser que des blockhaus bétonnés ont été lâchés sous la simple action du bombardement par Stukas, alors que la majorité de ces blockhaus était intact. Il est moins admissible qu’une troupe d’infanterie ou d’artillerie, arrivée depuis 24 heures 73


sur une position qu’elle était chargée de défendre, n’ait pas trouvé le moyen de s’enterrer en même temps qu’elle établissait son plan de feu. C’est cela que j’appelle l’instruction morale pour le combat contre avions. Contre les chars, il est lamentable de constater que la majorité de nos hommes s’est moins bien comportée en présence des chars allemands que ne se sont comportées les milices espagnoles, qui n’avaient pas plus d’armes anti-chars que nous n’en avions nous mêmes. Il a suffit, en bien des cas, de la pointe audacieuse de quelques chars pour faire capituler des compagnies ou des batteries, et surtout pour amener la débandade de gens estimant toute résistance superflue. La lutte contre chars s’apprend avec ou sans armes anti-chars. Elle est plus tragiquement difficile dans un cas que dans l’autre, elle n’est pas impossible. Les miliciens espagnols, je le répète, nous avaient donné l’exemple. Admettons l’armement réalisé et le soldat résolu à se battre, comment allons nous tactiquement et stratégiquement, organiser la lutte contre engins blindés et surtout contre de grandes unités blindés. Nous avons dit un mot plus haut de l’échelonnement des armes anti-chars en profondeur, soit dans la défensive soit dans l’offensive. Elles doivent être également réparties en largeur, en fonction du terrain, des cheminements, des axes d’effort, étant entendu que, toujours, l’arme portative reste affectée à la section et qu’aucune section ne pourra arguer du manque d’armes pour excuser sa défaillance. Une organisation défensive comprend un certain nombre de point forts, conçu sous forme de centres de résistance fermés, se flanquant l’un l’autre. Une marche offensive comprend un certain nombre de bonds de coupure en coupure, ou d’objectif en objectif, s’appuyant l’un sur l’autre. Il est nécessaire que les armes anti-chars soient toujours prêtes à intervenir dans la zone d’action de la division, pour arrêter, à n’importe quel moment, une attaque ou une contre attaque de chars ennemis. Cela s’applique aussi bien aux éléments réservés qu’aux éléments de première ligne, aux éléments de queue qu’aux éléments d’avant garde. C’est pourquoi, à dessein, j’ai prévu, pour la défense de chaque P.C., de chaque gare de ravitaillement, une batterie pouvant aussi bien tirer contre avions que contre chars. Que ce soit dans un village, dans un bois, dans un couvert quelconque, un élément arrière se cercle dès qu’il s’arrête, obstrue les issues, les arme, prévoit leur défense et s’enterre sans idée de recul, avec la volonté de résister là où les ordres supérieurs l’ont placé. A tout moment de la bataille, un commandant de D.I, de C.A., ou d’armée, doit être sans aucune inquiétude sur ses arrières et la sécurité de ses communications. Encore faut-il que le personnel de toute obédience soit instruit, ait fait le nécessaire, et ait la volonté de résister. Pour que cette volonté soit bien étayée, il faut que chacun sache que la résistance n’a qu’un but : permettre à la riposte de se déclencher. La défensive pure est vouée à l’insuccès. Seule la défensive dynamique, à base de contre-attaque préparées, affaire de commandement à tous les échelons, et toujours avec chars, est payante. Dans notre conception, la D.I., le C.A., l’armée, possèdent chacun en propre un élément de chars. En combinant ces divers éléments, en sachant en jouer, en s’appuyant sur des points bien choisis, c’est avec le minimum d’infanterie et le maximum d’éléments cuirassés que les contre-attaques réussissent. Dispositions stratégiques L’échelonnement tactique étant supposé réalisé, quelles dispositions stratégiques convientil d’adopter pour parer à une contre-attaque de grande unité blindé. 74


D’abord, bien entendu, la mise en place des grandes unités réservées en arrière des zones considérées comme zone dangereuses sur le théâtre d’opération envisagé. Parmi ces grandes unités il faut disposer d’un nombre suffisant de chars capables de lutter avec chance de succès contre les chars adverses. Il ne s’agit pas là de contre-attaques locales à mener avec des chars d’accompagnement n’ayant qu’un rayon d’action, une vitesse, une protection et un armement insuffisants. Il s’agit de groupements de chars, appuyés par des canons auto-moteurs qui puissent aller à la contre-attaque sans aucune appréhension. Qu’on les baptise du nom que l’on voudra, qu’on les organise en groupe, en régiments, en brigades, en divisions, peu importe, l’essentiel est qu’ils aient la puissance nécessaire, les transmissions indispensables et le ravitaillement en essence et en munitions assuré. Leur action doit être étroitement conjuguée avec celle de l’aviation. Le succès ne sera complet que si les deux armes agissent en parfaite coordination. Mais cette articulation des réserves ne suffit pas. Il peut se produire en tel ou tel point du champ de bataille une brèche imprévue, par laquelle les engins blindés ennemis fassent irruption dans les arrières. Il faut que les arrières soient capables d’endiguer l’avalanche. C’est une organisation territoriale à monter de toutes pièces. Jusqu’ici, on s’est contenté, en France, de garder les voies ferrées contre les attentats isolés, et les grands centres contre les bombardements aériens. Il faut maintenant tenir les voies de communications routières et les terrains d’atterrissage contre les engins blindés terrestres et les avions de transport à gros rendement. Je néglige l’action des parachutistes qui peut être tenu pour secondaire. Le principe doit être celui qui a été adopté pour les frontières de Lorraine. Le territoire est tenu par les territoriaux, c’est à dire par des hommes des classes anciennes, auxquels il ne s’agit pas de demander des manœuvres compliquées, mais qui doivent être décider à opposer une résistance statique, et sans esprit de recul, là où le commandement les a placés : problème d’organisation psychologique d’abord, matériel ensuite. Il s’agit de tendre, en arrière de la zone des armées, un réseau dans les mailles duquel les détachements légers ennemis ne passent pas, et où des éléments puissants se dissocieront avant de s’arrêter. Une division cuirassée, quel que soit le nombre de ses véhicules tous-terrains, est liée aux routes pour ses ravitaillements, et en particulier ses ravitaillements en essence. Il lui faut la possession des carrefours important pour pouvoir progresser par centaines de kilomètre. Le problème pour le défenseur, est d’abord de discerner les points à tenir, leur importance relative, leur répartition dans la zone envisagée, l’articulation du commandement, et l’installation des transmissions. Décision du gouvernement. Travail d’état-major en fonction de cette décision, depuis le commandement en chef jusqu’à la subdivision territoriale. Une remarque préjudiciable. Il s’agit d’une défense statique territoriale. Il convient donc de mettre à la tête de chaque point d’appui l’homme capable de commander, et les hommes résolus à défendre leurs biens. Il ne faut pas, ici, chercher à caser le colonel X ou le commandant Y venus d’ailleurs, et ayant bien suivi ailleurs les écoles de perfectionnement. Il faut des gens du crû, commandé par un homme du crû, intéressés individuellement et collectivement à la défense de leurs terrains, de leur maison, de leur famille, de tout ce qui matérialise pour eux la Patrie. Cela n’empêche nullement leur instruction, au contraire. Ces sections, ces compagnies, ces bataillons, ou ces régiments de G.V.C. 1, et il s’agit effectivement de voies de communications routières et aériennes aussi bien que ferroviaires, ont une tache à remplir : l’obstruction et l’interdiction du carrefour ou de la localité envisagée, la défense du passage obligatoire. Tâche simple parce que statique. Il s’agit en effet 1- GVC : Groupe des Voies de Communication 75


essentiellement de disposer des armes anti-chars, automatiques et individuelles d’infanterie derrière une barricade ou un fossé, ou un réseau, même dans un blockhaus et de le servir. Tâche rude en même temps. Service de garde permanent; de jour et de nuit, et on a vu, dans cette guerre, des détachements blindés faire 200 kilomètres dans la journée. Tâche sacrifice total. Ces hommes qui se sont encerclés volontairement dans leur forteresse improvisée, savent qu’ils doivent résister jusqu’à l’extrême limite de leurs forces, avec peu de chances d’être secourus. Ils peuvent craindre que l’ennemi ne se venge sur leurs femmes, et leurs enfants, des retards sinon des pertes qu’ils leur auront infligés. Il faut qu’ils fassent abstraction de toute vaine sensibilité. Leur mission est aussi importante que celle de leurs fils en 1° ligne. Ils doivent le comprendre et être fiers de la remplir. C’est pourquoi, je le répète que le choix du chef prime toute autre considération de grade et d’ancienneté. L’organisation territoriale envisagée nécessite une instruction et une préparation minutieuse. L’instruction est essentiellement celle du maniement d’armes de l’infanterie, à tir tendu et à tir courbe; dans certains cas, il faut prévoir le mortier à coté du canon anti-char. Connaissance de l’arme et pratique du tir seront donc les exercices dominicaux de ces G.V.C., en même temps que la construction d’obstacles efficaces contre engins blindés. Les transmissions comporteront obligatoirement le téléphone, avec ou sans fil suivant les réseaux établis par les commandants de régions et de subdivisions, communications assurées en principe par le fonctionnaire civil mobilisé à son poste sur place, quelque soit son age et son sexe. L’habillement et l’équipement de ces G.V.C. sont alloués à la mairie du village le plus proche du point à défendre. L’armement et les munitions sont entreposés au poste de gendarmerie ou de garde mobile le plus voisin, qui aura prévu le ou les véhicules nécessaires au transport, dès qu’il sera prescrit. Tout ce travail de mobilisation incombe, bien entendu, aux commandements de régions, au même titre que la garde des voies ferrées ou des terrains d’aviation. Il faut que, par des inspections fréquentes, des exercices répétés, les cadres et les hommes désignés pour la défense du territoire aient confiance dans les mesures prises, dans l’efficacité de ces mesures, et dans la grandeur de leur rôle. Si l’on en juge d’après les résultats obtenus par l’expérience des frontaliers en Lorraine, avec un peu de panache à la clef, on est sûr, en France, de trouver toutes les bonnes volontés et tous les concours nécessaires; et les servants de F.M., du canon de 47, ou du mortier de 81 sauront tirer de leur armement tout le parti qu’un homme instruit est capable d’en tirer. La question des points sensibles et de l’étendue de la zone est, nous l’avons dit, affaire de gouvernement. Elle se lie à une question qui le touche étroitement, celle des évacuations. Le souvenir des sévices endurés de 1914 à 1918, l’effroi irraisonné des populations, a causé sur les routes de France, au mois de mai et de juin 1940, un désordre et un embouteillage indescriptibles. Les piétons, les voitures d’enfants, les bicyclettes, les chariots à deux ou à quatre chevaux, les automobiles, et cela sur toute la largeur de la route, ont opposé à la marche des troupes, et surtout aux mouvements des divisions mécaniques ou motorisées un obstacle quasi insurmontable. D’autres ont été prises sous le feu d’engins cuirassés cherchant à couper des fuyards, ou réalisant des mouvements d’encerclement de grande envergure. Tous ont souffert abominablement, comme souffrent et souffriront de tous temps les malheureux sans défense, livrés aux coups des soldats armés aussi bien des armes les plus simples que des plus perfectionnées. Que ce soient les légions romaines, les lansquenets de Wallenstein, les grognards de Napoléon, ou les avions hitlériens, le résultat est le même, avec cette différence que, jadis, on ne coupait qu’une tête d’un coup de sabre, tandis que, maintenant, on déchiquète 500 corps 76


avec une seule bombe. La civilisation n’a apportée aucune atténuation aux horreurs de la guerre, bien au contraire. Il faut donc régler, dans un pays, le problème des évacuations, les prescrire ici, les interdire là, et fixer la circulation en conséquence. A priori, doit être évacué toute zone gênant le tir de la fortification permanente, soit à la frontière du pays, soit en avant des zones fortifiées prévues à l’intérieur du pays. Doit être interdite toute autre évacuation, sauf celle des grands centres industriels qui présentent un objectif tentant pour un bombardement ennemi. Je sais combien une règle aussi brutale peut paraître inhumaine. Il ne doit pas en être autrement, si l’on veut conduire la guerre jusqu’à la victoire. Le correctif indispensable est la construction d’abris collectifs ou individuels, dans ces localités non évacuées, de telle sorte que les femmes, les enfants, les vieillards puissent être protégés autant que possible. Les hommes de 18 à 50 ans, eux, sont fait pour se battre chacun à sa place. C’est donc fatalement à l’idée de la guerre totale à laquelle on arrive, où tous les individus qui composent la Nation, comme jadis la tribu, ont leur rôle à jouer, ceux-ci aux armes ceux ou celles-là à l’intérieur, soit pour combattre, soit pour travailler, soit pour veiller, tous pour souffrir. Mais cette souffrance est volontairement acceptée, et vaillamment supportée, il en sort, à coup sûr, la victoire, cette victoire que nous n’avons pas su exploiter après l’autre guerre, qui nous a conduit à l’abandon de nos traditions, de nos croyances, de nos habitudes mêmes de travail et de courage, et nous a fait reculer au fond de l’abime. Plus la chute est brutale, plus le réveil doit être prompt. Nous avons été battus par plus fort que nous. Sachons être plus adroit que lui : David a bien vaincu Goliath. Je me résume. Une grande nation, riche du capital amassé pendant des siècles, et du travail quotidien de ses fils, a toutes les possibilités pour lutter contre les engins de combat modernes. Il faut s’équiper en conséquence, d’abord. Il lui faut aussi savoir se servir de cet équipement, non pas avec des formules et des règles statistiques; mais avec le dynamisme qui est la condition de toute réussite. Celui qui se résigne ne sera jamais un héros. Celui qui veut, en sachant attendre son heure, est sûr du succès. Pendant la guerre mondiale, il s’est produit naturellement, du fait de la stabilisation des fronts, une discrimination entre les combattants réels et ceux qui, à un titre quelconque, servaient plus ou moins à l’arrière, et plus ou moins abrités des coups de feu. Très malheureusement, cette notion s’est affirmée et développée dans la guerre actuelle, et il s’est fait tout un classement instituant pour certain, en raison de leur emploi, ou de leur service, de leur situation de famille, de leur âge, de leur spécialité, etc…. le droit pratique de se soustraire au devoir militaire et aux dures réalités du combat. Il n’est besoin que de découvrir cette plaie pour en montrer toute la nocivité et toute la laideur. Quant à sa profondeur il faudrait mettre en parallèle : - d’une part, le nombre de ceux qui, servant effectivement une mitrailleuse, un canon, un F.M. un fusil sont dans la zone exposée. - d’autre part, le nombre de ceux qui, à un titre quelconque, se croient dispensés de ce périlleux honneur. Il est certain que les seconds sont beaucoup plus nombreux que les premiers. Or, le devoir militaire est absolu, universel, et identique pour tous, la guerre actuelle n’est pas accrochée à une ligne frontale. Le plus triste est que cela n’est pas nouveau, cela a été dit avant la guerre actuelle, et rien n’a été fait. Pourquoi M. l’intendant et ses boulangers, M. le payeur et ses comptables, pourquoi les parcs d’artillerie et du génie, pourquoi les bataillons de pionniers, et pourquoi les états-majors 77


de tous ordres et leur personnel de transmission et de liaison, n’auraient-ils pas l’obligation primordiale de se défendre eux mêmes et de constituer un centre de résistance ayant comme les combattants ordinaires, une mission ferme et une mission de sacrifice pour assurer, dans la mesure de leurs moyens, leur propre sécurité et la sécurité de l’arrière en général ? Prenons un exemple : l’E.M. d’une armée et ses services comprend environ 380 officiers avec le personnel subalterne correspondant. On peut croire à priori qu’il y a là pléthore de personnel, que beaucoup de missions auraient pu être remplies par des civils ou inaptes militairement, au bénéfice de l’encadrement des unités combattantes réelles, si précaire. En tout cas, tout ce personnel, choisi, trié, étoffé solidement en cadres, auraient du constituer partout, en cas de besoin, un groupe défensif de premier ordre, avec une mission définie et une organisation étudiée. Des mesures de cet ordre doivent nécessairement être prise. Sinon, en cas de percée du front, service et E.M., inutilisables, inutiles, ou encombrant dans une guerre de mouvement, mêlés à la tourbe des fuyards et des réfugiés, ne peuvent être qu’une gêne et donner des exemples attristants. Il faut regarder le mal en face. Il est indéniable, et il est grand. C’est toute une mentalité à redresser. Il faut que tout porteur d’un uniforme militaire, à quelque service qu’il appartienne, ait comme premier devoir d’utiliser les armes défensives modernes, mitrailleuses, F.M., canon anti-chars et anti-aériens. Au surplus, et secondairement, il sera secrétaire, téléphoniste, intendant, officier d’E.M. etc… Nul grade, nul avancement, nulle situation militaire, ne devrait être donné à celui qui, par incapacité, pusillanimité, ou toute autre cause, serait inapte à ce devoir primordial. Le personnel des usines de guerre aurait, bien évidemment, le même devoir. Il est à remarquer que nulle obligation nouvelle n’est à instaurer. Il s’agit simplement de restituer au devoir militaire son caractère universel, impératif et absolu qu’il n’aurait jamais du perdre. Parallèlement, le devoir non moins impératif incombera au commandement de fournir l’outillage, l’instruction nécessaires à ces organismes. L’avant, prévenu que l’arrière arrêtera, au besoin réprimera ses défaillances, sera nécessairement soutenu dans l’accomplissement de sa mission. Voilà ce qu’il faut obtenir à tout prix. Novembre 1940

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Le 26 Octobre 1940

Où en sommes-nous ? Voici quatre mois que l’armistice est signé entre la France et l’Allemagne. La France s’est retirée de la lutte qui continue, plus acharnée que jamais entre l’Allemagne et l’Angleterre. Il est permis de jeter un coup d’œil sur la situation autant que nous puissions la juger de notre observatoire médiocre. Nous la verrons au point de vue général d’abord, et ensuite au point de vue spécial des relations franco-allemandes. Nous ne nous hasarderons qu’avec les plus expresses réserves à envisager un avenir, proche ou éloigné, soumis à de multiples contingences. Au point de vu général, la caractéristique de cette fin octobre, est l’incapacité où s’est trouvée, jusqu’ici l’Allemagne de débarquer en Angleterre. Le führer avait annoncé l’invasion, sans en préciser la date certes, mais tous les Allemands la prévoyaient avant l’hiver. Ils pensaient avec quelques vraisemblances, que l’armée anglaise serait incapable de résister à l’armée allemande, une fois celle-ci débarquée en Angleterre. Mais s’agissait de débarquer, et le haut commandement allemand a estimé ne pas avoir les moyens de le faire. Il a jugé qu’une pareille entreprise était vouée à l’insuccès, qu’il n’avait pas la maîtrise absolue de la mer et de l’air. Sans doute a-t-il fait quelques expériences, poussé par quelques pointes qui n’ont pas réussi, et lui ont prouvé que l’armé, la marine et l’aviation anglaise faisaient bonne garde. Il n’a pas voulu tenter l’essai en grand. L’Angleterre n’a pas été envahie. Pour remplacer l’action terrestre, on s’est rabattu sur la lutte aérienne et le blocus maritime. Une chose ne remplace pas l’autre. Envahir l’Angleterre, battre l’armée anglaise, occuper les îles britanniques, c’était vaincre. Le gouvernement anglais se fut-il enfui au Canada, la lutte eut-elle continué aux antipodes, c’était l’hégémonie allemande incontestée sur l’Europe entière, c’était la plate-forme d’envol des avions hostiles à l’Allemagne impossible à concevoir ailleurs qu’en Russie, c’était la possibilité de déclarer une paix honorable au monde, et, en face d’une Amérique des moins belliqueuses, c’était l’organisation en toute tranquillité de la « Nëu Ordung » 1 qui hante les cerveaux germaniques, et l’expérimentation en grand, dans une Europe vassalisée, des méthodes qui n’ont fait leur preuve qu’en Allemagne proprement dite. Bombarder de jour et de nuit l’Angleterre, abattre des maisons, allumer des incendies, couper des communications, tuer des femmes et des enfants, c’est évidemment la façon moderne de faire la guerre, mais cela n’avance pas l’heure de la décision, ou si peu qu’il est inutile d’en parler. Si l’Angleterre veut tenir sous les bombes, et l’on sait la ténacité anglaise, ce jeu sinistre peut durer des mois, sinon des années. Pendant ce temps, les affinités de race, si chère à l’Allemagne nationale-socialiste, jouent au bénéfice de ses adversaires. Le monde anglo-saxon s’émeut devant les horreurs de Londres, sa métropole de toujours, et son émotion se traduit par une solidarité de jour en jour plus effective. Les volontaires affluent d’autant plus qu’ils sont mieux payés, les fabrications démarrent, la production s’intensifie et au printemps de 1941, logiquement, l’Angleterre doit être incomparablement mieux défendue contre une invasion qu’elle ne l’était à l’automne 1940. 1- Ordre Nouveau 79


Fortifiée sur terre, renforcée dans les airs, elle doit défensivement tenir tête à l’envahisseur qui a manqué l’occasion en juin 1940. Sur ce front occidental, elle paraît avoir tenu en échec la puissance allemande. Certes, depuis l’anéantissement de l’armée française, elle est incapable d’agir offensivement sur le continent. Incapable à terre, mais pas dans les airs, les raids de chaque nuit le prouvent. Si l’industrie américaine est capable d’approvisionner en quantité et en qualité la Royal Air Force, l’Allemagne peut connaître à son tour, de rudes journées. Le führer n’avait pas laisser prévoir cela au peuple allemand, et celui-ci est mal préparé aux bombardements massifs. La presse aura beau traiter de nobles héros les aviateurs allemands et de meurtriers infâmes les aviateurs anglais, il n’empêche que les bombes des uns et des autres font la même sinistre besogne dans les mêmes conditions. J’ai dit que c’était la façon moderne de mener la guerre. Elle n’est ni belle ni glorieuse. Elle n’amène aucune décision. Elle n’accumule que ruines. Celui qui a déclenché le cataclysme actuel pouvait le prévoir. Tandis que l’Allemagne piétine en face des cotes anglaises, l’Italie fait de grandiloquents communiqués sur l’Afrique du nord et de l’est. Cherchons à discerner ce qu’il y a de réel derrière ce flot d’éloquence. L’Italie a conquis la Somalie britannique, voilà l’essentiel de ses gains. Elle a occupé quelques postes frontières anglais au Soudan et bombardé à maintes reprises Aden. Elle a cueilli comme un fruit mûr la Somalie française, grâce à l’armistice, et elle s’est vue obligée à la guerre en Méditerranée. Pourquoi, en plein mois de septembre, alors que la température dépasse 60° et que les puits sont à sec, s’est-elle lancée à l’attaque de l’Égypte à travers le dessert de Libye ? Mystère. Peut-être une pression extérieure n’a-t-elle pas été étrangère à cette audace qui frise la témérité. Le général Graziani, qui connaît le désert, n’est certainement pas parti de gaieté de cœur pour villégiaturer tous le mois d’octobre à Sidi El Barani. Il serait intéressant de connaître l’état de ses unités en ce moment pour savoir leur chance de succès dans la future campagne d’Égypte. Le moins qu’on puisse dire, c’est à coup sûr, que les troupes blanches de l’armée de Libye ne sont pas fraîches, et que les bivouacs, même sans intervention de l’aviation anglaise, sont plutôt chauds. Or l’aviation anglaise se manifeste chaque jour sur le front et sur les arrières de l’armée italienne, qui n’a pas comme la garnison de Marra Matrouk, une voie ferrée à sa disposition. La flotte anglaise de son coté, paraît surveiller étroitement la côte et les transports éventuels, soit le long de cette côte, soit entre la Métropole et la Cyrénaïque. L’Italie a la supériorité aérienne, vraisemblablement, mais cela ne lui donne pas la maîtrise de l’air, ni la maîtrise de la mer. Et en Méditerranée comme dans la Manche, il faut cette maîtrise pour réussir l’affaire terrestre. S’il n’intervient pas un nouveau facteur, l’Egypte n’est pas encore conquise. Ce facteur nouveau ne peut être que l’armée allemande. Où et quand ? Vraisemblablement, pas en Afrique, tout au moins initialement, car le transport ici est encore plus difficile qu’entre Calais et Douvres. Sans doute en un point tel qu’il n’y ait pas de traversée à envisager et dont l’occupation cependant gêne la puissance anglaise. Ce point est tout désigné : c’est la Grèce. De toute éternité, la Grèce a été dénoncée comme une colonie anglaise. Ses ports servent de points d’appuis occultes aux unités de la flotte anglaise, petites et moyennes tout au moins. Sa marine de commerce est officieusement, sinon officiellement au service de l’amirauté anglaise. Son territoire est une plateforme de départ excellente, sinon pour les avions du moins pour les agents de l’intelligence service. Sa frontière albanaise est le théâtre d’une agitation permanente qui fournira aux italo-allemands tous les prétextes à intervention. L’affaire se présente dans d’excellentes conditions. C’est une campagne comme celle de Norvège, où l’armée du pays intéressé ne compte pas et où l’on remporte des succès foudroyants à peu de frais. On y discerne parfaitement le point d’application de l’armée du Pô 80


étayée de quelques panzerdivisionen. Le problème une fois résolu, il ne restera dans la péninsule des Balkans que la Yougoslavie encerclée, et la Turquie isolée. Peut-être alors pourra-t-on songer à faire passer en Asie les forces allemandes nécessaires à la reprise du « Drang mach Osten » 1, Ventre affamé n’a pas d’oreilles! Dans quels délais un tel programme est-il possible ? La rencontre Hitler-Mussolini est du 4 octobre. S’il a été décidé une action commune à ce moment, le général Keitel a dû demander deux mois de préparation pour que l’état-major mette sur pied son nouveau plan d’opération. L’affaire est donc possible au début Décembre, combinée d’ailleurs avec une tentative de progression en Lybie. Comme toute entreprise stratégique, elle a ses chances et ses risques. Ceux-ci sont surtout considérables de l’autre coté de l’eau. Si l’Angleterre garde la maîtrise de la mer, l’Egypte n’a pas grand chose à craindre. Sans compter que la Turquie peut avoir son mot à dire en l’occurrence. L’Egypte a eu l’habileté peut-on dire, de se faire envahir par l’Italie. L’Egypte est une puissance musulmane, la Turquie est essentiellement la protectrice des musulmans et la Turquie n’aime pas essentiellement les Italiens. Il est probable que l’Angleterre a développé ces arguments à Ankara et que la Turquie se hâte à l’heure actuelle. Elle sent plus que l’Italie le danger de l’installation allemande en Méditerranée. Elle se rappelle le chemin de fer de Bagdad et les projets de Guillaume II. Jeux d’enfants à côté de ceux du III° Reich. En même temps que la Turquie, la Russie a le droit d’être inquiète. Voici les Allemands en Roumanie, nous savons tous ce que signifie le terme « mission militaire » en pareil cas. C’est le Danube et la mer noire aux mains de l’armée et de la flotte allemande. Et la Russie n’oublie pas plus les visées de jadis sur l’Ukraine que les pages de « Mein Kampf » sur la nation et le régime bolchevique. Staline a été jusqu’ici le gros gagnant de cette guerre. Il ne tient certainement pas à reperdre tout son gain et plus encore. Le bassin oriental de la Méditerranée est donc le théâtre d’opérations nettement indiqué pour cet hiver. L’occuper, conquérir l’Égypte serait porter un rude coup à la puissance anglaise. Mais rappelons-nous que notre grand conquérant, après avoir triomphé aux Pyramides, a dû finalement abandonner sa conquête et que la lutte s’est terminée à Waterloo, quelques quinze ans plus tard. Les mêmes causes produisent les mêmes effets. A l’opposé de ce bassin oriental où l’Italie devrait jouer le premier rôle, l’Allemagne vient de trouver un nouvel allié. L’Espagne paraît bien s’être décidée. Le remplacement de Beigbeder par Serrano Suner à la tête de la politique étrangère espagnole est significatif. Ce dernier n’est pas spécialement germanophile et admirateur convaincu de Mussolini. Sans haïr la France, il n’aime pas les français. Autant nous pouvions compter sur son prédécesseur, camarade de beaucoup d’entre nous, autant nous devons nous méfier de lui. Il a une influence certaine sur son beau-frère et peut vaincre sa prudence, pour l’entrainer ensuite à l’aventure. Cette aventure s’appelle certainement Gibraltar, sans doute Tanger, peut-être le Maroc, il n’est pas dit d’ailleurs que l’Allemagne marche à plein dans la combinaison qui peut la gêner à de multiples points de vue. Elle peut laisser carte blanche à l’Espagne en lui laissant le soin de se débrouiller avec la France. Dans ce cas, la chance de la France serait énorme. Ni la nation, ni l’armée espagnole ne sont en état de faire la guerre actuellement. Elles se lanceraient dans une aventure comme je l’ai dit plus haut. Il faudrait payer cher et vite. Le 1- Le Drang nach Osten (« Marche vers l'Est ») ou Ostkolonisation était à l'origine un mouvement de colonisation germanique vers l'est, depuis la première moitié du XIIIe siècle et jusqu'au XIXe siècle. Ce nom désigne aussi la politique expansionniste de la Prusse et de l'Autriche en Pologne ou dans les Balkans, à la fin du XVIIIe siècle et au XIXe siècle. 81


maintient de notre armée d’Afrique à 100.000 hommes bien instruite, bien encadrée, nous donne actuellement toutes les possibilités. Rien ne dit d’ailleurs que la France qui connaît mieux le Maroc que Serrano Suner, le laissera risquer les destinées de l’Espagne, mal remise de la guerre civile, sur les bords de l’Ouergha ou du Sebbou. Quoiqu’il en soit, on sent l’Allemagne attiré invinciblement vers la Méditerranée. Que ce soit pour y frapper l’Angleterre, que ce soit pour ouvrir des rives ensoleillées après lesquelles soupire le poète allemand, que ce soit pour aller toujours plus loin vers l’est, le résultat est le même. Pendant vingt siècles, Rome d’abord, la Latinité ensuite ont pu barrer aux peuples allemands de Germanie les accès de la mer intérieure. L’Angleterre les aidait à en contrôler le trafic, maintenant l’ambition et l’impulsivité d’un homme ont renversé la vapeur. C’est l’Italie qui sentira le plus durement le poids de la chaîne qu’elle se forge elle-même si l’Allemagne parvient à en river les derniers anneaux. Par la Méditerranée, l’Allemagne peut accéder non seulement à l’Asie mais à l’Afrique. Le Golfe Persique ne lui suffit plus. Elle rêve maintenant d’un empire Africain, qui d’ailleurs n’est pas forcément méditerranéen. En effet, cet empire ne peut s’édifier qu’aux frais commun de la France, de l’Angleterre et de la Belgique, et l’on ne discerne pas bien comment il serait baigné par une mer dont les rivages appartiennent soit à l’Italie, soit à la France et dans une partie qu’il est difficile de s’approprier. Au contraire les colonies qui avoisinent l’équateur paraissent particulièrement menacée, c’est vers elles que se portera vraisemblablement le regard allemand, indépendamment des parts d’intérêts que demandera l’industrie dans telle ou telle mine, telle ou telle plantation du nord de l’Afrique. Il est certain que nos efforts doivent tendre à conserver intact notre bloc nord-africain, quitte à consentir ailleurs des sacrifices qui n’ont pas pour nous la même importance vitale. Nous avons à cela un intérêt moral, matériel, politique, militaire. Ce sera une des conditions de notre relèvement de demain. En dehors du problème méditerranéen, la question qui préoccupe le plus l’Allemagne est la question américaine. Amérique du Nord pour le soutien qu’elle a déjà donné et surtout qu’elle peut donner à l’Angleterre, Amérique du sud pour les débouchés qu’elle offrira ou n’offrira pas à la production allemande. En ce qui concerne les États-Unis, le danger a dû paraître bien sérieux à l’Allemagne pour qu’elle se résolve à signer le pacte japonais. Car elle se rend bien compte que cet accord élimine les blancs d’Extrême Orient. Pour acquérir le point d’appui éventuel du Japon, contre l’Amérique du nord, l’Allemagne s’est fermé à elle, comme aux autres nations européennes, le marché chinois, et elle à ouvert à l’industrie japonaise des possibilités inespérées. Or rien ne dit que les Etats-Unis entreront ouvertement en guerre dans l’Atlantique. Ils pourront camoufler leur appui à l’Angleterre, de multiples façons qui ne forceront pas le Japon à se déclarer à moins qu’il ne s’estime de taille à battre son adversaire dans le Pacifique: c’est au moins douteux. Quant aux électeurs de Roosevelt, leurs livraisons d’avions, de bateaux de munitions, les engagements volontaires, les crédits illimités autant de forme de coopération, qu’ils peuvent utiliser sans négliger les petits bénéfices, et qui aideront puissamment l’Angleterre. Par ailleurs, La grande république du nord peut s’assurer grâce aux hostilités une supériorité incontestée dans l’économie sud-américaine. Ce sera un coup terrible porté au commerce allemand. Celui-ci le sent intensément, et si l’on en juge par les articles plus ou moins inspirés de la presse depuis plusieurs semaines. On peut bien proclamer le blocus des îles britanniques, il n’en reste pas moins que l’Angleterre est pratiquement maîtresse de l’Atlantique et que le commerce allemand est inexistant. Qu’en pensent les armateurs de Hambourg ? 82


La conclusion de cette récapitulation rapide est que la guerre entamée par l’occupation de l’Autriche, continuée par la conquête successive de la Tchécoslovaquie, de la Belgique, de la France et de la Roumanie, n’est pas terminée, que logiquement elle doit s’étendre. Ce n’est plus la guerre éclair prévue et annoncée par le führer à son peuple, à laquelle nous assistons mais bien une nouvelle guerre mondiale où les partenaires ont changés, et où le potentiel économique peut prendre une importance très supérieure au potentiel militaire. Les dirigeants de l’Allemagne voient certainement le danger. Ils ont intérêt à brusquer les choses, et à provoquer la décision le plus tôt possible. C’est la raison de la nouvelle attitude allemande vis-à-vis de la France. Il y a deux mois la presse allemande était remplie des attaques les plus virulentes et souvent les plus basses contre la France. On n’avait pas assez d’expressions pour avilir tout ce qu’avait fait et faisait la France, les projets les plus insensés au point de vu de notre dépècement s’étalaient dans les journaux les plus officiels du parti. L’insolence germanique ne connaissait plus de bornes. Peu à peu, progressivement, le ton s’est calmé. Aujourd’hui, il est presque aimable. Le chef d’orchestre a donné des ordres. Au point de vue de l’exécution de l’armistice, autant que nous le puissions savoir, il n’y a pas eu de tiraillements. La correction a été de règle de part et d’autre, l’armée qui nous a été consentie, soit en France, soit en Afrique, paraît s’organiser sans difficultés. Par contre, la séparation brutale entre la France occupée et le France non occupée, est un obstacle à la reprise de la vie française économique et socialement parlant, que ce soit au point de vue des personnes ou des correspondances, il ne semble pas que la sévérité des mesures initiales se soit relâchée. C’est là une des premières atténuations à réaliser. La libération des prisonniers ne paraît pas non plus faire aucun progrès. La chose est grave au point de vue moral. Social, démographique, économique et financier. Tant que 1.800.000 hommes resteront enlevés à l’économie française, celle-ci ne se relèvera pas. Enfin l’occupation militaire s’étend sur la moitié la plus riche de la France. Tant qu’elle durera, avec autant d’intensité, le pays est incapable de vivre. Au contraire, l’Afrique du nord et les colonies paraissent ne pas rencontrer de difficultés notables, si ce n’est dans leurs communications gênées par le blocus anglais. Leur situation est nettement supérieure à celle de la métropole. En Allemagne, même dans notre camp de prisonnier, il y a une différence de traitement visible! Le lieutenant-colonel commandant le camp dont le moins que l’on puisse dire est qu’il n’était pas à sa place a été avantageusement remplacé par un officier général qui s’efforce d’être aimable. Ses auxiliaires immédiats, en particulier le lieutenant Graeff emboîtent le pas, et rendent les menus services compatibles avec les ordres supérieurs. La ridicule affiche de propagande « N’oubliez pas Oran » a été brûlée et enlevée. Certes la nourriture ne s’améliore pas et le luxe des sentinelles est toujours aussi grand le long des barbelés, mais ce sont là des choses qu’il faudra notre libération pour faire changer. En résumé, les Français constatent leur défaite, en souffrant, mais ne subissent pas d’humiliations. Et voici que nous apprenons coup sur coup les entrevues de Hitler successivement avec Laval, Franco et le Maréchal Pétain. Evènement au moins inattendu et qui prête à de multiples réflexions. D’abord ces rencontres ont été voulues et surement préparées. Celle d’Espagne a été entourée d’une pompe spéciale, en présence d’assistants civils et militaires en nombre inusité lors des déplacements habituels du führer. Elle a été précédée de l’entrevue Laval, suivie de l’entrevue Pétain. Programme non improvisé. Quel a été le sujet ? Les imaginations vont bon train. Personne ne sait rien de positif. Ce qu’on peut logiquement supposer, c’est qu’il a été question de la guerre, de 83


l’Angleterre, de la Méditerranée, des empires coloniaux, sans doute aussi de l’Italie. Peut-être même est-ce là le nœud de la question. Les progrès italiens sont lents. L’Egypte n’est pas encore conquise. La Méditerranée n’est pas, tant s’en faut, débarrassé de la flotte anglaise. Là comme dans le nord, l’Angleterre tient en échec la puissance allemande, et plus les jours, les semaines passent, plus le hérisson se charge du coté américain. Les élections aux Etats-Unis sont le 5 Novembre. Roosevelt a toutes les chances d’être élu. Il n’a pas caché ses sympathies pour l’Angleterre. On verra donc l’aide à l’Angleterre s’intensifier. C’est là guerre longue, la guerre d’usure que l’Allemagne ne veut pas, ne peut pas admettre. Il lui faut donc un autre appui que l’appui italien pour sa lutte coloniale, et seule la France peut le lui donner. C’est peut-être là l’essentiel des conversations avec Laval et le Maréchal Pétain. Occasion à saisir ou ballon d’essai à dégonfler ? La question est délicate et nous sommes on ne peut plus mal placés pour la résoudre. Ce qui est certain, c’est qu’il ne faut pas nous battre contre l’Angleterre pour les beaux yeux du roi de Prusse, ce roi s’appellerait-il Adolf Hitler. Nous avons assez fait la guerre en chevalier, faisons-là nous aussi en marchands. Donnant, donnant. D’abord il ne s’agit pas de se battre en Europe avec une nouvelle mobilisation. Il ne peut s’agir que de nos troupes d’Afrique et d’Asie équipées en conséquence. Par contre, il faut refaire notre aviation en France et notre artillerie antiaérienne. Car le risque n’est pas mince du bombardement de la France par les escadrilles anglaises. Paris est autrement vulnérable que Berlin, et le Français comprendrait mal une politique qui aurait de telles conséquences. Ensuite, il faut évidemment la libération immédiate des prisonniers. Il faut aussi l’évacuation d’une bonne partie de la France. Ce n’est qu’en constatant des avantages tangibles, évidents que le pays comprendra un pareil renversement des alliances. Ce n’est pas suffisant, si nous faisons la guerre aux colonies ce n’est pas pour perdre notre empire colonial, surtout au profit de l’Italie ou de l’Espagne. Il faut donc surtout en Afrique une précision absolue sur ce que l’on peut perdre, et ce que l’on ne doit pas perdre. Battus nous devons faire des sacrifices, c’est entendu, mais ces sacrifices ne doivent à aucun prix porter sur la France Africaine qui va de la Méditerranée au Niger. Je vais même plus loin. Si l’Allemagne, en octobre 1940 nous demande notre collaboration c’est qu’elle a vraiment besoin de nous. Il ne nous est donc pas interdit de demander beaucoup, et ce beaucoup inclus l’Alsace et surtout la Lorraine. Laisser Metz à la France, serait faire l’unanimité des Français contre l’Angleterre. La chose a son importance. Et puis, il n’y a pas que les questions territoriales qui importent. Nous avons signalé plus haut l’importance que l’Allemagne à juste titre attribue à l’Amérique et aux possibilités américaines, dans tous les ordres d’idées. Pour nous aussi l’Amérique est importante, mais je dirais que son importance à notre point de vue, est peut-être plus psychologique que matériel. Comment va se présenter la France dans le monde de demain. Battue par l’Allemagne, séparée de l’Angleterre, haïssant l’Italie, lâchée par toutes les petites nations qui avaient cru en elle et en son armée, elle va se trouver isolée au milieu d’un monde ruiné, haineux, jaloux et inassouvi. Les nations d’Extrême-Orient, la Russie, toutes les branches de la famille anglo-saxonne, auront leur mot à dire en dehors de l’Europe et l’on admet que l’Europe soit pliée sous la tutelle allemande. Or la France n’est pas seulement européenne. Elle est et doit rester africaine et asiatique. Il lui faut pour cela une sympathie, un appui. Elle ne peut le trouver que dans la grande république américaine. 84


Dès maintenant, nous avons des amis dévoués aux Etats-Unis, dévoués et sincères qui l’ont prouvé dans l’autre guerre et dans celle-ci. Nous avons aussi des clients, intéressés à notre relèvement à nos achats, à nos ventes. Il faut que cette sympathie agissante nous reste, et que nous ne fassions rien de définitif qui puisse l’aliéner. Par conséquence, il faut savoir conjuguer notre intérêt de collaboration allemande avec notre intérêt de sympathie américaine. Les américains sont des gens pratiques. Il savent que « les affaires sont les affaires » mais ils sont aussi sentimentaux et ne comprendraient pas certains gestes inélégants. Il faut donc être adroit dans la négociation qui s’engagera, soit incessamment, soit d’ici quelques mois. Ne pas laisser passer une chance de relèvement, mais ne pas compromettre l’avenir. Ne pas rater un barreau de l’échelle, mais ne pas déséquilibrer toute l’échelle! Le pire serait, au jour de la paix, de se retrouver en présence d’une Allemagne ironiquement victorieuse, d’une Angleterre ulcérée, d’un Japon inassouvi, et d’une Amérique méprisante. Pesons nos conditions et exigeons la réponse par un traité aussi complet que possible. Le passé nous apprend que les papiers sont souvent des chiffons. Ils sont tout de même supérieurs aux paroles d’un homme habitué à vivre dans le « Worden ». Certes nous sommes battus et nous n’avons le droit ni d’être exigeants, ni intransigeants, mais nous avons à être pratiques sans mufleries et prévoyants sans idéologie. Si l’Allemagne s’adresse à nous, c’est qu’elle a besoin de nous. Profitons-en. Notre armée d’Afrique et d’Asie est la seule qui ait l’expérience des campagnes coloniales, la seule qui puisse aller à la conquête des colonies anglaises, avec une autre efficacité que les légions italiennes, et espagnoles. L’état-major allemand le sait. De notre coté sachons faire payer cher les lansquenets que nous louerons contre l’Angleterre. Celle-ci a commencé à Mers-El-Kebir et à Dakar. Le monde Anglo-saxon comprendra. Il faut que le peuple français comprenne aussi. Ce ne sera possible qu’en face de satisfactions substantielles obtenues de l’Allemagne. Mais je le répète, nous sommes mal placés ici pour juger de questions aussi difficiles qui n’ont peut-être aucune base, et faisons confiance à l’homme qui mène la France.

général Giraud

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Le général de Monsabert, « gentilhomme de guerre » (1887-1981) (extrait de « 39-45 magazine ») Figure emblématique de l’Armée d’Afrique, le général de Goislard de Monsabert représente l'archétype de l'officier français de tradition. Issu de Saint Cyr, il fait une brillante guerre de 14 puis effectue une carrière classique ponctuée de très nombreux séjours en Afrique du Nord. Lorsque la Seconde Guerre mondiale éclate, il est Lieutenant colonel et commande un régiment de Tirailleurs algériens basé en Algérie. Pour cette raison, il ne participe pas aux combats de mai-juin 1940. Après l’Armistice, il continue de servir en Afrique du Nord sous Weygand puis Juin. Avec de nombreux autres officiers décidés à poursuivre le combat, il contribue à insuffler à l'armée d’Afrique l'esprit de revanche. Rallié avec ses chefs aux Américains, il voit sa carrière s'accélérer. Général en novembre 1942, il se couvre de gloire en Italie à la tête de la 3e DIA. Choisi par le général de Lattre pour commander le 2° corps d'armée, il joue un rôle de premier plan lors des campagnes de France et d'Allemagne. Lorsqu'il quitte l'armée en 1946, Monsabert est général d'armée, grand-croix de la Légion d'honneur et compagnon de la Libération. Un itinéraire hors du commun que cet article se propose de retracer.

Une carrière coloniale bien remplie. Joseph de Goislard de Monsabert est né à Libourne le 30 septembre 1887. Par son père, Charles de Monsabert, lieutenant-colonel d'infanterie, il est issu d'une famille originaire du Vendômois anoblie par charge de conseiller secrétaire du Roi au XVIIème, siècle. Sous l'Ancien Régime, les ancêtres du général appartiennent en effet à la noblesse de robe et plusieurs d'entre eux occupent la fonction très prisée de conseiller au Parlement de Paris. Le premier Monsabert à embrasser la carrière des armes est Anne-François de Goislard de Monsabert, chevau-léger de la garde du Roi, dont la devise, « Patriae impendere vitam » 1, sera reprise par son arrière petit-fils lorsqu'il commandera le 2° corps d'armée. Par sa mère, Marthe Ramet, le futur général est issu d'une ancienne famille de propriétaires terriens de l'Entre Deux Mers. Le général de division de Monsabert, chef de la 3ème DIA, sur le front d'Italie (hiver 1944). Très populaire auprès de ses hommes et de ses officiers, Monsabert était surnommé «général mon Sabre ! » ou « Belle figure » 2. (ECPA.)

1- Consacrer sa vie à la patrie 2 - par déformation de son indicatif téléphonique « Belphégor » 87


Pendant toute sa jeunesse, Joseph de Monsabert baigne dans une atmosphère militaire, catholique et royaliste. Il voue un véritable culte à son père et décide très tôt de suivre ses traces en entrant lui aussi dans l'armée. Après des études secondaires à Vannes puis à Bordeaux, il prépare Saint Cyr chez les Jésuites de la rue des Postes à Paris (Sainte Geneviève). Il est brillamment reçu en 1907 (60ème sur 225) et choisit la cavalerie. Mais n'ayant pas l'acuité visuelle requise par les règlements de l'époque, il est obligé de se rabattre sur l'infanterie. Suivant le système en vigueur à l'époque, le jeune Monsabert effectue une première année de service dans la troupe au 50ème régiment d'infanterie de ligne à Périgueux. Il passe ensuite deux ans (1909-1910) à l'école spéciale militaire dont il sort 169ème sur 217. Le ler octobre 1910, le sous-lieutenant de Monsabert est affecté au 44ème régiment de forteresse à Epinal. Volontaire pour l'armée d'Afrique, il quitte la métropole dès septembre 1912 et rejoint sa nouvelle affectation, le 3ème régiment de tirailleurs marocains. Lorsque la Première Guerre mondiale éclate, Monsabert est lieutenant. Il combat avec le 11ème régiment mixte de zouaves-tirailleurs puis avec le 91ème régiment de marche de Zouaves. Commandant de compagnie, il reçoit sa première citation le 21 décembre 1915 : « Commandant une compagnie de mitrailleurs, a judicieusement composé ses sections pour appuyer l'enlèvement d'une position ennemie à l'attaque des 26 et 27 septembre 1915. A largement contribué à l'enlèvement de la position. Très belle attitude au feu, dirige son personnel avec le plus grand calme ». Capitaine le 5 mai 1915, Monsabert finit la guerre avec le grade de chef de bataillon (à titre temporaire) et sept citations ! Breveté d'état-major en novembre 1920, le chef de bataillon de Monsabert quitte de nouveau la métropole. De 1922 à 1926, il séjourne au Maroc où il occupe plusieurs postes d'état-major ainsi qu'un commandement au 14ème Régiment de Tirailleurs algériens. Pendant cette période, il sert au Moyen-Atlas dans les territoires de Midelt et de Tadla. Il combat dans la « poche de Taza » et au Rif contre Abdel Krim. Dans ces circonstances, il montre de belles qualités d'officier d'état-major mais aussi de meneur d'hommes ce qui lui vaut cinq nouvelles citations ! De retour en France en décembre 1926, Monsabert est nommé à l'état-major du 2ème corps d'armée basé à Amiens. En août 1928, il est professeur stagiaire d'infanterie à l'Ecole supérieure de guerre. Chef de bataillon à titre définitif en novembre 1932, il passe à l'état-major général, section d'outre mer dont il devient le chef le 21 février 1934. Il avait été promu entre temps lieutenant-colonel (décembre 1932). En février 1937, Monsabert prend le commandement du 9ème Régiment de Tirailleurs algériens (RTA) en garnison à Blida. Le 24 juin suivant il obtient le grade de colonel. Très vite, Monsabert fait du 9ème RTA une unité de qualité, disciplinée, bien instruite, ayant un bel esprit d'équipe et un moral à toute épreuve.« (Monsabert) aimait les jeunes. Il était strict mais juste, écrira après la guerre le futur général Gandoët, alors jeune capitaine au 9ème RTA. Il avait une manière à lui de plonger son regard dans les yeux de ses interlocuteurs quels qu'ils soient, de trouver le contact et d'appeler la confiance et la sympathie. Une magnifique chevelure d'un blanc de neige, une fine moustache du même blanc, conquérante et fort distinguée donnaient à son visage un air de grande jeunesse. De cet ensemble se dégageaient : énergie, volonté et bienveillance. Sa voix claironnait, son rire claquait comme un drapeau dans le vent. Toujours tiré à quatre épingles, la fourragère frappée de l'insigne du 9ème zouaves dans les rangs duquel il avait fait une brillante guerre de 1914-1918, le baudrier, le ceinturon, les leggins éblouissants, un stick sous le bras, le colonel commandant le 9ème tirailleurs, sans être de haute taille, était un «beau colonel!». 88


Il devient chef de la 8ème division d'infanterie basée à Miliana (Algérie) à partir de décembre 1939. Le général Poupinel, commandant le front sud tunisien, tient ses divisions en haleine : des routes vers la Tripolitaine sont construites, l’année 1940 voit l’amélioration des défenses de la ligne Mareth et la préparation d’une action offensive contre les troupes italiennes, les PC de combat sont reconnus. Les événements tragiques de mai-juin 40 mettent un terme à ces espoirs, et les clauses de l’armistice prévoient la démilitarisation du sud tunisien. Mais, comme le soulignera plus tard le général Huré, «il estima que la résignation n'était pas dans ces circonstances une qualité de soldat et que la France sortirait de l'abîme dans lequel elle se trouvait momentanément plongée». Persuadé, avec ses chefs (Weygand puis Juin), que l'Armée d'Afrique pouvait devenir l'instrument qui aux côtés des Alliés libérerait la France, Monsabert reste fidèle à son poste et va s'efforcer d'insuffler à ses cadres sa foi dans la victoire prochaine tout en les préparant aux futurs combats. Chef de la 5ème brigade d'infanterie d'Afrique, il est promu général de brigade le 20 août 1941. Il joue un rôle important dans la préparation de l'opération « Torch » (débarquement américain de novembre 1942). Provisoirement écarté d'un commandement de grande unité, il prend la tête du Corps-Franc d'Afrique, unité formée d'engagés volontaires n'ayant pas leur place, pour des raisons diverses, dans des corps réguliers. Il communique sa flamme à cette unité qu'il commande pendant la campagne de Tunisie. A l'issue de cette dernière, Monsabert reçoit sa troisième étoile (mars 1943) et se voit confier le commandement d'une unité prestigieuse, la fameuse 3ème division d'infanterie algérienne (DIA), la division de Constantine, chère au cœur du général Juin et « héritière de la IIIème Augusta, la glorieuse légion de Numidie »... « Victoire sous le signe les trois croissants » Seule division formée sur le territoire algérien, la 3ème DIA est composée de soldats Algériens et Tunisiens et équipée de matériels modernes. De mars 1943 à janvier 1944, Monsabert s'attache à entraîner sa division, désignée pour faire partie du corps expéditionnaire d'Italie commandé par le général Juin. « Tous ceux qui eurent l'honneur et la chance de faire partie (de la division à cette époque), écrira le général Huré, se souviennent du prestige et de la confiance que, très vite, le général sut s'acquérir dans la division aussi bien auprès des cadres français que de la troupe, Français et Musulmans. Constamment sur le terrain, multipliant les contacts avec les unités, les cadres et les hommes, très informé des pensées, des désirs, des besoins de tous, il donna, pendant la préparation une âme à sa division»... En janvier 1944, Monsabert débarque en Italie à la tête de sa division. Subordonné avec l'ensemble du corps expéditionnaire français à la 5ème armée américaine, il s'illustre pendant la campagne d'hiver à Monna-Casale, Acquafonda, Valerotonda et au Belvédère. Au cours des combats du Belvédère et de l'Abate, les fantassins du 4ème RTT, des 3ème et 7ème RTA appuyés par les blindées du 3ème régiment de spahis algériens et du 7ème régiment de chasseurs d'Afrique se distinguent. Au prix de pertes terribles (le 4ème RTT a perdu 50 % de ses effectifs et les trois quart de ses cadres), la 3ème DIA contribue à fixer, sur un front de 8 km seulement, 17 des 44 bataillons engagés par l'ennemi contre la 5ème armée américaine. Au cours de la campagne du printemps 1944, la 3ème DIA participe à l'offensive du Garigliano. Progressant sur l'axe Ausonia-Esperia-Pico, les hommes de Monsabert obligent les parachutistes allemands qui défendaient le mont Cassin à se replier, ouvrant ainsi la route de Rome. Après s'être emparé des faubourgs Est de la capitale italienne la 89


3ème DIA participe à la libération de Sienne (2 juillet). A l'issue de cette campagne glorieuse mais meurtrière, Monsabert est fait compagnon de la Libération.

A la tête du 2e corps d'armée A la mi-août 1944, Monsabert, toujours à la tête de la 3ème DIA, participe au débarquement de Provence. Dès le 19 août et alors qu'une partie seulement de ses unités a débarqué, il s'enfonce dans les terres. Progressant à travers une région montagneuse particulièrement difficile, il se porte au nord de Toulon, interceptant la retraite des forces allemandes. Le 20 août, il occupe par surprise la région du Revest puis du Coudon. Il coupe la route de Marseille près d'Ollioules et, le 22 août dans la soirée, parvient jusqu'au centre de Toulon. Négligeant les résistances sporadiques des Allemands, il se lance à leur poursuite en direction de Marseille. Après avoir neutralisé les bouchons d'Aubagne et du Camp, il pénètre dans le cœur de la ville le 23 août. Entouré de tous côtés par des éléments adverses, décidés à se défendre, il dirige personnellement les opérations des 25 et 26 août contre Notre-Dame-de-la-Garde puis contre le port. Le 27 août, le général Schaefer, chef de la 244. I.D. qui défend Marseille capitule. La 3ème DIA capture alors plus de 10 000 prisonniers et un important matériel. Promu général de corps d'armée et grand officier de la Légion d'honneur le 31 août 1944, Monsabert est désigné par de Lattre, chef de la 1ère armée, pour prendre le commandement du 2ème corps d'armée. Après avoir remonté la vallée du Rhône, il dirige avec brio son corps d'armée dans les Vosges (septembre-octobre 1944). Il pénètre ensuite en Alsace et, avec le 1er corps d'armée, libère Mulhouse (fin novembre 1944). Le front se stabilise alors pendant presque deux mois autour de la poche de Colmar. L'offensive reprend le 20 janvier et se solde par la réduction de la poche et la prise de Colmar (2 février 1945). Le 2ème corps d'armée joue le rôle principal dans ces opérations. Le 31 mars 1945, le 2ème corps d'armée franchit le Rhin à Gemmersheim malgré la résistance opiniâtre des Allemands. Exploitant ce premier succès, Monsabert force la trouée de Pforzheim. Puis il reporte tout le poids de son effort sur son aile droite et, par une action méthodique conduite avec opiniâtreté à travers la Forêt Noire, il bouscule les forces allemandes et s'empare de la position de Freudenstadt. Partant en force de cette position, il atteint la ville de Stuttgart dans laquelle il entre le 21 avril 1945 anéantissant ainsi les quatre divisions allemandes qui défendaient la région. Pour cette nouvelle victoire, Monsabert reçoit la grand'croix de la Légion d'honneur. Après la reddition des troupes allemandes, Monsabert est nommé commandant supérieur des troupes d'occupation en Allemagne à Baden-Baden (juillet 1945). Il garde cette fonction jusqu'au 30 septembre 1946 date à laquelle il est dégagé des cadres et placé dans la 2ème section. Il avait été promu entre temps général d'armée (25 septembre 1946). Revenu à la vie civile, le général de Monsabert se retire dans sa propriété du Toureil, située à Hastingues dans le département des Landes. De 1951 à 1955, il est député RPF des Landes puis abandonne toute fonction publique. Ceci ne l'empêche pas de se prononcer dès 1960 pour le maintien de l'Algérie française et de s'opposer aux accords d'Evian. Dans une lettre du 2 avril 1966, il intervient même auprès du général de Gaulle pour lui demander, au nom de sa Foi chrétienne, de libérer les prisonniers et d'amnistier ceux qui, dans ces circonstances dramatiques, s'étaient opposés à lui. Le retrait de la France de la Tunisie, du Maroc de l'Algérie, où s'était déroulé une grande partie de sa carrière, a été vécu comme un drame par le général de Monsabert. A ce propos, l'ancien chef du 2ème corps écrira en 1972 : « L'Armée d'Afrique est morte. S'il 90


y a une épopée à chanter, c'est bien la sienne ! Celle d'Italie aura été le début de son chant du cygne. On comprend qu'à la mort de l'Algérie française et de l'Armée d'Afrique, le maréchal Juin n'ait pu survivre. Puissent les cadavres d'une chanson de geste, finissant comme celle de Roland, sur une défaite, survivre dans une des ces légendes dont le souffle est indispensable à la pérennité de l'âme des peuples ». Le général de Monsabert s'est éteint à Dax le 13 juin 1981. La mort de ce grand soldat et de ce grand chef est passée complètement inaperçue, les médias étant alors très occupés par les élections législatives. Mais le souvenir du général reste vif chez tous ceux qui ont combattu sous ses ordres. Aimé de la troupe comme des officiers, Monsabert laisse, selon les termes même du général Chambe, le souvenir d'un «gentilhomme de guerre, à la fois dur et d'une bonté infinie, animé d'une volonté offensive farouche, celle qui emporte la victoire, ne cachant en aucune circonstance, sans l'ombre de respect humain, son âme ardente de chrétien et d'inébranlable croyant» …

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L’opération Torch et le putsch d’Alger Le choix de l’armistice ou du départ en Afrique du nord En Juin 1940, la défaite est totale, l’armée de terre est submergée par les chars appuyés par l’aviation et suivis de l’infanterie portée. Le Gouvernement, réfugié à Tours puis à Bordeaux, hésite entre la capitulation en rase campagne, l’armistice et le départ en Afrique du nord pour y continuer la lutte. Paul Reynaud, président du conseil et Charles Noguès, résident général au Maroc et commandant en chef en Afrique du nord, poussent au départ « dans une de nos provinces, et si nous en sommes chassés, nous irons en Afrique du nord, et au besoin, dans nos possessions d’Amérique » écrit Reynaud à Roosevelt. De Gaulle, secrétaire d’état, est envoyé à Londres pour obtenir les navires nécessaires à ce transport, ainsi que l’appui de la Royal Air Force et le renvoi en France de l’armée anglaise évacuée par Dunkerque. Seuls Pétain, que Reynaud vient de nommer ministre, et Weygand, le général en chef qui vient de succéder à Gamelin, sont, par principe, totalement opposés à ce que le gouvernement quitte la métropole, et poussent à l’armistice. De Gaulle pense alors à constituer un « réduit breton ». L’allié anglais donne son accord à ce que la France recherche un armistice séparé, à condition que la flotte rejoigne un port britannique. L'Afrique du Nord toute entière est animée de l'esprit de résistance. Noguès, dans un télégramme adressé au Général Weygand, exprime l'avis qu'il est possible de continuer longtemps la lutte en Afrique du Nord, dont les Assemblées élues, appuyées par l'opinion publique, s'offrent pour l'aider dans cette tâche ; les autorités françaises d' Afrique Occidentale Française et de Syrie proposent aussi leur concours. L’amiral François Darlan, l’artisan de la rénovation de la flotte, parle de se battre jusqu’au bout et, s’il le faut, de mettre la flotte sous pavillon britannique ; il prépare par ailleurs le départ de la flotte vers Bizerte. Mais, la situation empire de jours en jours, les maires des grandes villes demandent aux militaires de ne pas défendre leurs villes, de les déclarer villes ouvertes, et finalement la solution de l’armistice l’emporte, Pétain remplace Reynaud, Weygand est nommé ministre de la défense et Darlan ministre de la marine. Le 16 juin cependant 600 avions rejoignent l’Afrique du nord. Mais Darlan n’envisage plus ce départ pour la marine. Le 17, Pétain annonce à la radio : « C’est le cœur serré que je vous dis aujourd’hui qu’il faut cesser le combat. Je me suis adressé cette nuit à l’adversaire pour lui demander s’il est prêt à rechercher avec moi, après la lutte et dans l’honneur, les moyens de mettre un terme aux hostilités. Je fais à la France le don de ma personne pour atténuer son malheur». La négociation des conditions d’armistice La marine est intacte, mais comme elle ne rallie pas l’Afrique du nord, Churchill s’inquiète de la voir tomber dans les mains allemandes. L’amiral Darlan le rassure : le 20 juin, des ordres de sabordage ont été donnés en cas de danger. Par son ambassadeur à Bordeaux, Roosevelt fait savoir que « au cas où le gouvernement français, avant de conclure un armistice avec les allemands, ne s’assurerait pas que la flotte ne peut tomber entre les mains de ses ennemis, le gouvernement des Etats-Unis verrait, dans une telle négligence, le signe d’une politique qui porterait fatalement atteinte à la préservation de l’empire français ainsi qu’à la restauration future de l’indépendance et de l’autonomie de la France » Hitler compte faire pour la flotte des conditions d’armistice modérées, pour éviter qu’elle ne rejoigne la Royal Navy. Il ne veut pas non plus occuper la France entière, pour éviter et la constitution d’un gouvernement français à l’étranger et la sécession de l’Afrique du Nord. Il joue, et gagne, sur l’esprit de défaitisme et de résignation du gouvernement. 93


Mussolini et Franco espèrent bien se partager les dépouilles de la France : le Maroc et la Tunisie. La Tunisie surtout, qui conformément aux conventions d’armistice sera en grande partie démilitarisée. Mais Hitler rejette le projet d’occupation de Gibraltar et du Maroc, car cela le pousserait à maintenir des forces en Méditerranée et en Afrique, or il veut réserver toutes ses forces pour la bataille d’Angleterre et à l’est, vers la Russie. Les généraux allemands considèrent qu’on ne peut débarquer d’importantes forces en Afrique, à 1500 km des bases de la luftwaffe, sans détruire ou neutraliser les flottes anglaise et française. Le 18 juin, de Londres, le Général de Gaulle lance ses appels à la résistance : «La France n’est pas seule. Elle a un vaste empire derrière elle. Elle peut faire bloc avec l’empire britannique qui tient la mer et continue la lutte…. Moi, général de Gaulle, actuellement à Londres, j’invite les officiers et les soldats français qui se trouvent en territoire britannique, ou qui viendraient à s’y trouver, avec ou sans leurs armes, j’invite les ingénieurs et les ouvriers spécialisés des industries d’armement qui se trouvent en territoire britannique, ou qui viendraient à s’y trouver, à se mettre en contact avec moi », «L’honneur, le bon sens, l’intérêt supérieur de la patrie commandent à tous les français libres de continuer le combat là où ils seront et comme ils pourront ». Jean Monnet écrit à de Gaulle « Ce n’est pas de Londres qu’en ce moment-ci peut partir l’effort de résurrection. Il apparait aux français, sous cette forme, comme un mouvement protégé par l’Angleterre, inspiré par ses intérêts et, à cause de cela, condamné à un échec qui rendrait plus difficile les efforts ultérieurs de ressaisissement». « Si les français se divisent, cela les mènera à se battre entre eux. » ajoute Castellane. D’autres considèrent cela comme un appel à la désertion. Il est vrai que Churchill a, heureusement, fait rajouter la mention « qui se trouvent en territoire britannique ». Cet appel, qui apporte une lueur d’espoir et de fierté, reste sans grand écho en Afrique du nord, partie essentielle de l'empire où subsistent tant de ressources qui resteront inemployées pendant plus de deux ans, et où l’attachement au maréchal est inébranlable. Maréchal, nous voilà Paroles: A.Montagard. Musique: A.Montagard, C.Courtioux 1941 Une flamme sacrée Monte du sol natal Et la France enivrée Te salue Maréchal ! Tous tes enfants qui t'aiment Et vénèrent tes ans A ton appel suprême Ont répondu "Présent".

Ton génie et ta foi Tu sauves la Patrie Une seconde fois : Quand ta voix nous répète Afin de nous unir : "Français levons la tête, Regardons l'avenir !" Nous, brandissant la toile Du drapeau immortel, Dans l'or de tes étoiles, Nous voyons luire un ciel :

Maréchal nous voilà ! Devant toi, le sauveur de la France Nous jurons, nous, tes gars De servir et de suivre tes pas Maréchal nous voilà ! Tu nous as redonné l'espérance La Patrie renaîtra ! Maréchal, Maréchal, nous voilà !

La guerre est inhumaine Quel triste épouvantail ! N'écoutons plus la haine Exaltons le travail Et gardons confiance Dans un nouveau destin Car Pétain, c'est la France, La France, c'est Pétain !

Tu as lutté sans cesse Pour le salut commun. On parle avec tendresse Du héros de Verdun En nous donnant ta vie

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Si Hitler ne s’intéresse pas à l’Afrique, ses alliés comptent bien en récupérer les miettes. Noguès commence donc par prendre des dispositions face aux espagnols qui s’apprêtent à occuper Tanger. Comme les italiens ne bougent pas, Noguès fait passer des troupes de Tunisie vers le Maroc. Certaines unités n’ont pas d’armes, car ces armes ont été envoyées en métropole pour y armer les mobilisés. Noguès écrit à Pétain : « Envisager la cession des protectorats à l’étranger sans leur consentement et sans avoir combattu, serait considéré comme une trahison. Si nous ne défendons pas l’Afrique du nord, nous aurons du mal à garder une réelle autorité sur ce que nous en laisseront nos adversaires, au règlement de compte final, car on ne gouverne pas dans le mépris général. C’est donc avec une respectueuse mais brûlante insistance que je demande au gouvernement, au nom des intérêts les plus vitaux de notre pays, de venir poursuivre ou de laisser poursuivre la lutte dans l’Afrique du nord s’il n’est plus possible de le faire sur le continent. Permettre à l’Afrique du nord de se défendre, c’est entreprendre dès maintenant le redressement de la France ». Dans la foulée, il envoie un télégramme à Weygand : « J’ai fait censurer, dans toute presse Afrique du nord, appel adressé radio anglaise par de Gaulle. Ai attiré attention chef mission britannique auprès de moi sur inconvenance cette manifestation inadmissible alors qu’armée française continue à lutter suivant vos ordres ». Il envoye en métropole trois officiers avec mission « par tous les moyens licites ou illicites, de faire embarquer sur des bateaux tout ce que vous pouvez faire passer vers l’Afrique du nord. » (troupes, argent et armement). Par ailleurs, les réponses britanniques et américaines aux demandes d’armement sont négatives, les anglais redoutent un débarquement sur leur sol, et les américains, neutres, n’ont pas encore d’industrie de guerre. Le 20 juin, Laval retient in extremis le président de la république, Albert Lebrun, qui s’apprêtait à rallier Alger, et les velléités de résistances s'éteignent avec la signature de l’armistice, le 22 juin. L’Afrique du nord reste sous le contrôle du gouvernement; Weygand y est envoyé comme délégué général, et compte y faire appliquer « les conditions d’armistice, rien que l’armistice … Toute ma bataille contre Laval, l’amiral Darlan, … c’est la lutte dans laquelle j’entre avec des hommes qui croient qu’à ce moment là nous sommes suffisamment battus pour ne pas pouvoir nous relever et que le salut de la France est dans une entente plus complète avec l’Allemagne ». Tout en appliquant la politique de la révolution nationale, il s’opposera à toutes nouvelles demandes et s’efforcera de créer pour l’avenir les conditions d’un retour de l’armée d’Afrique au combat aux cotés des alliés et une existence pour le règlement final, en la renforçant par tous les moyens, malgré les commissions d’armistice. Avant tout, il veut éviter de donner un prétexte aux allemands pour s’emparer purement et simplement des bases stratégiques, ports et aérodromes, qu’ils réclament pour alimenter l’armée de Rommel venu en Lybie au secours des italiens qui menacent l’Egypte et attaquer les champs pétrolifères du moyen orient. Les commissions d’armistice veillent, entre autre, au respect de la diminution des effectifs. Il faut donc trier, exclure : les juifs, évidement, car l’antisémitisme est une constante qui date sinon de la nuit des temps, au moins des origines du christianisme (que son sang retombe sur nous et sur nous enfants disaient les pharisiens condamnant Jésus), et dépasse toutes les frontières; les communistes, les francs maçons, les étrangers, réfugiés antifascistes et communistes, en particulier espagnols, sont également des exclus tous trouvés. L’unité de l’empire a été sauvegardé par l’armistice, sa « neutralité » la préserve, et la hiérarchie de l’armée d’armistice fera tout pour la conserver en attendant le traité de paix, en s’opposant à toutes tentatives alliées ou gaullistes, et à toutes visées espagnoles ou italiennes. En effet, l’occupation d’une colonie par toute puissance étrangère saperait l’autorité française sur les colonisés et entrainerait la perte de cette colonie. La propagande allemande auprès des 95


indigènes est efficace, elle suscite des idées d’indépendance, et des manifestations qui sont durement réprimées. L’objectif est d’attendre les négociations de paix où la France, bardée de ses colonies et de son armée coloniale, pourrait tirer son épingle du jeu. QG le 5 juillet 1940

Note Du général commandant en chef Pour les cadres de l’armée d’Afrique L’armée d’Afrique a douloureusement accueilli l’armistice, obligée qu’elle a été de déposer les armes avant d’avoir pu donner sa mesure sur le territoire confié à sa garde. Animée d’une foi ardente dan les destinées du pays, consciente de son courage et de sa force, elle avait le plus vif désir de poursuivre la lutte jusqu’au bout. Je partageais cette espérance et j’ai plaidé la cause de la résistance à outrance, avec la plus grande ardeur, auprès de nos chefs militaires. Après un examen, dont le maréchal Pétain a dit lui-même combien il a été approfondi, le gouvernement, qui détenait tous les éléments d’information et d’appréciation, en a décidé autrement. L’armistice a été signé. Le devoir militaire et l’intérêt supérieur du pays, étant donné les conditions dans lesquelles la défense pouvait être poursuivie par l’Afrique du nord, lui commandaient de faire bloc derrière le gouvernement. Les conditions d’armistice vous sont connues. Elles sont redoutables et nous émeuvent douloureusement. Cependant, l’Afrique du nord, dont le sol inviolé ne sera pas occupé, bénéficie, comme notre flotte et notre aviation, de certaines atténuations qui consacrent aux yeux du monde notre possession ; il nous appartiendra de la défendre avec acharnement lors des négociations de paix. La question de l’armistice est close. Toutes discussions sur ce sujet sont désormais stériles et ne peuvent que diviser. Je les interdis formellement. La lutte pour le traité de paix est ouverte. Nos armées vont subir des diminutions sérieuses ; nous devons travailler à ce qu’elles soient aussi atténuées que possible pour l’armée d’Afrique, ainsi que le principe en a été admis par l’ennemi luimême. D’autre part, au moment où le blocus, le retour de France des unités nord-africaines meurtries eet la démobilisation vont poser au commandement et au gouvernement des problèmes d’une gravité exceptionnelle, i est essentiel que l’armée d’Afrique donne à tous le spectacle d’une force intact au moral élevé, qu’elle demeure entièrement dévouée à ses chefs, qu’elle se montre enfin prête à maintenir l’ordre en toute circonstance, afin d’enlever à l’ennemi tout prétexte d’intervention par les armes en Afrique. Les événements de Mers-el-Kebir, où l’agression est venue d’une direction tout à fait inattendue, confirmeraient tragiquement, s’il en était besoin, la nécessité d’une discipline vigilante et sans restriction. L’Afrique du nord tout entière doit, enfin, s’efforcer sans relâche d’accroître sa force par le travail, dans l’union tous les jours plus intime des français et des indigènes, de façon à montrer, au moment des négociations de paix, un bloc sans fissure décidé à maintenir son intégrité et qu’il serait dangereux de vouloir désagréger. Les cadres de l’armée doivent être l’âme de ce redressement. Ils y emploieront leur courage, leur discipline, leur désintéressement, leur ardent patriotisme. Ils travailleront ainsi directement au relèvement de la France blessée qui doit trouver, dans la sollicitude et la force de son empire, le réconfort moral et l’appui matériel nécessaire à sa résurrection. Je vous fais pleine confiance dans la tâche nouvelle qui vous attend. De votre côté, comptez sur vos chefs et, en particulier, sur le commandant du T.O.A.F.N. Le général d’armée Noguès Commandant en chef le théâtre d’opération de l’Afrique du nord. 96


Les premiers résistants en Afrique Seul l’Angleterre continue la lutte, mais chacun est convaincu qu’une armée aussi mal entrainée que celle des britanniques ne pourra résister longtemps à des forces qu’on commence à croire invincibles, l’idée de la race supérieure fait son chemin. L’esprit de revanche fait place peu à peu à une forme de neutralisme, d’inaction. Ne pas faire confiance au maréchal, c’est participer à la division des français, c’est être un traitre à la patrie. A la fin de 1940, l'Amérique, qui a compris la valeur de la plate-forme africaine, installe en Afrique du Nord, une mission économique dirigée par Mr Robert Murphy, délégué personnel du président Roosevelt. L’objectif est de prendre l’initiative par une opération d’envergure en Afrique du nord, combinée avec une offensive des anglais à partir de l’Egypte. Au début de 1941, quelques officiers établissent, en cas d’attaque allemande venant à travers l’Espagne sur Casablanca, ou venant de Lybie, avec les chars de Rommel, le plan d'un appui des Alliés en Afrique du Nord combinée avec le réarmement de l'armée d'armistice. Mais, dénoncés par un camarade, deux d'entre eux, le commandant Beaufre du cabinet de l'Amiral Abrial gouverneur-général de l’Algérie et le commandant Faye, chef du 3ème bureau du commandement supérieur de l'air en Afrique du Nord sont arrêtés, transférés en France et condamnés; le lieutenant-colonel Jousse, ancien chef du 3ème bureau du théâtre d'opérations de l'Afrique du Nord échappe de justesse. Weygand refuse l’aventure : « Je suis là pour garder l’Afrique à la France et pour ne pas donner le prétexte aux allemands d’y venir » dira-t-il peu après à Rigault, un autre résistant qui le contactait. Mais il négocie cependant, lui aussi, avec les Américains des conditions de ravitaillement, conduisant à un accord signé le 26 février 1941 avec Robert Murphy. Weygand étend alors les discussions à l’armement nécessaire en cas de reprises des hostilités, pour équiper six divisions. Les contacts pris par Murphy et les résistants révèlent une réalité : à quelques exceptions près, les autorités civiles et militaires non seulement ne faciliteront pas un éventuel débarquement, et ne seront même pas passivement neutres, elles sont résolues, au contraire, à suivre strictement les consignes de Vichy et à s’opposer à toute tentative. Il appartient donc à la résistance de neutraliser durant quelques heures les communications et d’empêcher l’exercice du commandement pour que les forces françaises restent inactives. A l’époque, tous les responsables sont convaincus que les alliés ne sont pas encore en mesure de monter une opération d’envergure avec des chances de succès si loin de leurs bases, ils n’ont pas assez de navires, et c’est le coup de Dieppe qui recommencerait, un raid voué à l’échec. « S’ils viennent avec quatre bateaux, je les fous à la mer ; s’ils viennent avec quatre divisions, je les embrasse » dira Weygand. Mieux vaut rester encore dans le camp du vainqueur, d’autant plus qu’il est le dernier rempart face au bolchévisme, ennemi encore plus redoutable que les allemands. L’objectif de Churchill : rallier la flotte française ou la détruire Alors que les Etats-Unis restent neutres, sur un point aussi capital que la sécurité de l’empire britannique, le cabinet de guerre ne peut pas faire confiance à la parole de l’amiral Darlan. En aucun cas il ne peut courir le risque fatal que les navires français tombent aux mains de l’ennemi. Mieux vaut leur donner l’assaut et les couler, avant que, d’après les clauses de l’armistice, ils ne rejoignent leurs ports d'attache du temps de paix, en zone occupée, tombent aux mains des allemands et se retrouvent bientôt à combattre avec les forces de l’axe pour assurer le blocus de l’Angleterre ou la maitrise de la méditerranée. L’opération Catapult est alors montée, pour se rendre maître des navires français, par la négociation ou la force, en plusieurs actions simultanées. Le 3 juillet les navires stationnés dans les ports britanniques sont arraisonnés sans difficulté. Ceux du port d’Alexandrie 97


également. Restent le gros des forces, dans le port de Mers el Kébir, près d’Oran. Le même jour un ultimatum leur est envoyé, laissant le choix, dans un délai de 6 heures, de rejoindre, avec leur équipage, la flotte britannique pour continuer le combat, de rejoindre un port britannique avec un équipage réduit, de rejoindre un port français dans les Antilles pour y être désarmés, d’être confiés aux Etats Unis ou de se saborder. L’amiral Gensoul refuse l’ultimatum, et les anglais ouvrent le feu, faisant 1200 morts. En représailles, la marine envoie une dizaine d’appareils bombarder Gibraltar. De Gaulle, d’abord effondré, finit par justifier l’intervention, ce qui crée le trouble même parmi ses fidèles et a pour effet d’assoir l’autorité de Pétain et de souder la marine à Darlan. Mais surtout, les conditions d’armistice sont alors allégées pour permettre à la France de défendre son empire. L’objectif de de Gaulle : avoir des troupes au combat aux cotés des alliés et prendre pied sur une parcelle du territoire de l’empire Le 23 septembre, nouvelle opération du même genre à Dakar, cette fois de Gaulle, après l’Afrique Equatoriale Française (Tchad, Cameroun), espère rallier à lui l’Afrique Occidentale Française et s’y installer. Il est présent dans la flotte anglaise et envoie un ultimatum de ralliement au gouverneur général Pierre Boisson. Suite au rejet de « ces leçons de patriotisme », de Gaulle tente, sans succès, de faire débarquer ses troupes, tandis que les anglais ouvrent le feu, mais l’aviation et les bâtiments envoyés préventivement depuis Toulon font échouer cette tentative. Après cet échec, plutôt que de rentrer à Londres, de Gaulle passe au Tchad, et de là il repousse les français vichystes du Gabon. Puis, il prépare une action similaire sur la Syrie. Simultanément, les britanniques de Montgomery repoussent Rommel de Cyrénaïque et de Lybie vers la Tunisie. Mais, si Rommel recule jusqu’en Tunisie, l’armée d’Afrique du nord ne sera-t-elle pas amenée, par la politique de collaboration, à combattre avec lui contre les anglais et les gaullistes ? Darlan et Weygand s’opposent sur la politique de collaboration En mai 1941, l’accès des anglais à leur route des indes par le canal de Suez est menacé par une révolte en Irak et par les allemands qui, prenant la Grèce et la Crète, menacent Malte et veulent utiliser les aérodromes français de Bizerte, de Dakar, de Syrie et du Liban pour aller soutenir les insurgés d’Irak d’une part et l’armée de Rommel d’autre part. Darlan l’autorise par des accords signés à Paris le 28 mai, en contrepartie de quelques concessions allemandes. Weygand, convoqué à Vichy le 2 juin, s’oppose fermement à toute cession de base en Afrique française « Si les allemands ou les italiens arrivaient à obtenir de nous l’usage de points d’appui terrestres, aériens ou maritimes, dans l’une de nos possessions africaines, ce manquement de notre parole soulèverait des remous dont il est impossible de prévoir les conséquences. L’Afrique ne peut être défendue que par nos propres forces … C’est une autre politique que celle que j’ai été chargé de faire en Afrique. Elle me ferait mentir à tout ce que j’ai affirmé d’accord avec le gouvernement. Le gouvernement change de politique, à politique nouvelle, homme nouveau. L’armistice n’a pas dit collaboration avec l’ennemi». Son attitude, et celle des fonctionnaires civils et militaires se chargèrent de retarder le plus possible l’envoi de ces ravitaillements exigés par les allemands. Les anglais sont donc amenés à réagir, le 8 juin 41. Avec l’aide des forces françaises libres, au bout de 5 semaines, ils forcent les troupes vichystes du général Dentz à évacuer la Syrie. 1500 français sont tués. C’est alors que, le 22 juin, l’armée allemande attaque la Russie. Weygand confie à Murphy : « Je sais maintenant d’où viendront les divisions pour vaincre l’Allemagne, elles viendront de Russie ». 98


Après les fêtes du centenaire des spahis1, où l’armée d’Afrique apparait renaissante, les allemands imposent le rappel de Weygand en métropole. L’Afrique du Nord est alors dirigée par l’amiral Jean Pierre Esteva, résident en Tunisie, le général Noguès, résident au Maroc et Yves Chatel, gouverneur général en Algérie. Juin, récemment libéré de Koenigstein, est commandant en chef des forces terrestres, la marine dépend directement de l’amiral Darlan et l’aviation du général Mendigal s’attribue une large indépendance. Les instructions secrètes données par Juin comportent trois niveaux : l’alerte simple, pour une action dans le cadre des conventions d’armistice, l’alerte renforcée, dans laquelle l’armée reçoit un appoint de l’Axe pour résister aux anglo-saxons, et l’alerte générale, qui signifie la rupture avec l’Axe, la mobilisation, l’activation des matériels camouflés, ... Juin se retrouve convoqué chez Goering, pour discuter des suites des accords Darlan concernant Bizerte et la Tunisie, pour ravitailler Rommel. Juin défend que l’Afrique peut se défendre seule, même avec son vieux matériel qu’il faudrait rénover, et transmet les demandes au gouvernement. Laval, redevenu chef du gouvernement, prône la coopération totale « Pour construire cette Europe, l’Allemagne est en train de livrer des combats gigantesques. Je souhaite la victoire de l’Allemagne, parceque, sans elle, le bolchevisme demain s’installerait partout ». Au début de la guerre, les soviétiques espéraient, à la faveur du pacte germano soviétique, que la guerre dure à l’ouest, que la France, puis l’Angleterre épuise l’Allemagne, leur permettant ensuite de se retrouver face à des adversaires affaiblis. Mais, du fait de la défaite rapide de la France, qui a permit à Hitler de se retourner contre eux, ils risquent maintenant de s’épuiser contre l’Allemagne. Ils menacent donc les alliés d’une paix séparée avec l’Allemagne si un second front n’est pas ouvert, pour hâter la défaite allemande et leur permettre de libérer et d’occuper une grande partie de l’Europe. Churchill défend l’ouverture du second front, qui soutiendrait ses positions en méditerranée. Les américains ont déjà le front du pacifique et veulent réserver le reste de leur effort pour le débarquement en Normandie. L’organisation de la résistance en Afrique du nord A Oran et à Alger, s'étaient constitués, dès octobre 1940, deux groupements de résistants français favorables à la cause alliée. Ils s'étaient rassemblés et avaient été organisés sur la base d'un secret et d'un cloisonnement rigoureux par deux cousins, Roger Carcassonne à Oran et José Aboulker, à Alger. Le dos au mur, opprimés par les lois racistes de Vichy, les juifs vont se mobiliser en nombre dans ce réseau. A Oran Dès le milieu de 1941, une organisation est déjà montée tant pour renseigner les alliés que pour appuyer leur action s'ils étaient amenés à intervenir. Le colonel Tostain, chef d’Étatmajor de la division prend la tête de l'organisation et assumera cette responsabilité jusqu'au débarquement. Il a auprès de lui, à son état-major, le lieutenant de réserve Henri d'Astier de la Vigerie qui tiendra une place considérable dans la résistance nord-africaine et entre dès cette époque en relation avec les organisations du Maroc, le capitaine Jobelot, René Brunel, chef des transmissions, l'abbé Cordier et le père Théry. L'organisation comprend d'ailleurs de nombreux éléments civils recrutés et organisés par Roger Carcassonne, un industriel Jean Moine, Pierre Smadja, Labat, Brosset, Salas, Ségura.

1- Cavaliers indigènes 99


A Alger Henri d’Astier, après avoir établi des liens avec Carcassonne à Oran, est venu s'installer à Alger comme cadre des Chantiers de jeunesse, et y rencontre Aboulker. Les deux cousins, dirigeants initiaux, se placent sous la direction d'Henri d'Astier. Celui-ci étend ensuite la conjuration au Maroc, auprès de certains dirigeants civils ou militaires, comme le général Béthouart. A Alger aussi, il obtient le concours de quelques officiers supérieurs, comme le lieutenant-colonel Germain Jousse, major de garnison, et le colonel Baril (alors en disgrâce pour avoir adressé à ses supérieurs un rapport prévoyant la victoire alliée et dénonçant la politique de collaboration). Le commissaire Achiary qui dirige la brigade de surveillance du territoire chargé du contre-espionnage, poursuit, depuis l'armistice une action intense. Il a monté un attentat contre la commission de contrôle italienne, égaré l'enquête dans l'affaire Beaufre et se tient en contact avec le lieutenant-colonel Jousse, le commandant Dumoncel, le colonel Vette et L'Hostis, ce dernier, jeune ingénieur, dirige un réseau de renseignements et dispose d'une liaison-radio avec les alliés. Marius Faivre, un jeune qui n'a pas dix-huit ans, et a déjà tenté sans succès de rejoindre Londres par Gibraltar, organise avec le Lieutenant Darridan, un groupe dont le capitaine Pillafort acceptera le commandement quand il arrivera en Afrique du Nord. « Pillafort tenait beaucoup à ce que les musulmans participent à notre action. C’est par la fraternité des armes, me disait-il, par la promotion des musulmans à une dignité qui ne se discutera plus, que nous aurons la possibilité, tous ensemble, d’éviter la dislocation et la ruine d’un avenir qui ne peut être que commun ». 1 Aux chantiers de jeunesse, Van Hecke, chef régional pour l'Afrique du Nord met au service de la résistance toutes les possibilités que lui offre le poste qu'il occupe, soit qu'il appelle auprès de lui des patriotes, soit qu'il couvre leur activité de son autorité, soit qu'il leur donne les moyens d'action nécessaires. C'est ainsi que servent sous ses ordres dans les chantiers, outre Henri d'Astier, Beyler, Watson et de Freydaigue. Bouchara, André Temine et Atlan créent une société de culture physique dès novembre 1940. En fait, il s'agit de préparer des groupes de choc; ces éléments gaullistes encadrés par des officiers de réserve tels que Fredj, Jais, Zermati et Dreyfus fourniront une part notable des volontaires du 8 Novembre. D'autre part, le commandant Bouin, chargé de la démobilisation des prisonniers et évadés s'adonne activement au recrutement d'éléments résistants en liaison avec Paul Ruff, universitaire, Jean Athias jeune étudiant, Maurice Ayoun et le Docteur Morali-Daninos. José Aboulker organise de solides petits noyaux de résistants et s'efforce de fédérer les organisations civiles d'Alger pendant que son ami Pierre Alexandre, très lié avec Marcel Felus recrute parmi les Alsaciens, ses compatriotes, et les Espagnols républicains réfugiés. Le groupe "Combat" se consacre surtout à la propagande sous l'impulsion du professeur Capitant, du colonel Tubert, du docteur Duboucher, du colonel Grossin, Fradin et Kadji; son rôle deviendra capital après le débarquement. Enfin, Escoute dirige un réseau de renseignements en liaison avec les services de renseignements alliés. Les contacts avec les américains C'est dans ces circonstances, que par l'intermédiaire d'Achiary et de L'Hostis, se forme à Alger le « groupe des cinq », sorte de directoire, qui s'efforcera de négocier avec les Américains et de fédérer la résistance nord-africaine :

1 - Mario Faivre – le chemin du palais d’été 100


- Jacques Lemaigre-Dubreuil, industriel, directeur des huiles Lesieur, arrivé à Alger en novembre 1941, et qui a déjà été mêlé à l'affaire Beaufre. - Jean Rigault, journaliste, son secrétaire; - le colonel Van Hecke, chef des chantiers de jeunesse ; - Henri d'Astier de la Vigerie qui vient d'être affecté aux chantiers de jeunesse; - Jacques Tarbé de St Hardouin, conseiller d'ambassade en disponibilité. Aucun d'eux n'exerce la direction : Lemaigre-Dubreuil et de St Hardouin se consacrent surtout aux négociations; Van Hecke et d'Astier à l'organisation de la résistance et Rigault à la recherche des renseignements et aux liaisons. Auprès d'eux le lieutenant-colonel Germain Jousse est le conseiller militaire du groupe. À la suite de longs mois de négociations entre les chefs de la résistance et les représentants américains, il est décidé que, lors du débarquement allié en Afrique du Nord, les principales personnalités et points stratégiques devront être neutralisés pendant plusieurs heures, afin de permettre aux alliés d'effectuer leur intervention sans heurts. On espère qu'une fois le débarquement opéré, l'armée d'Afrique se joindra aux alliés et rentrera, à leurs côtés, dans la guerre. Il est aussi décidé que le débarquement s'effectuera sans intervention des Français Libres, car la participation du général de Gaulle à l'opération ne pourrait que braquer davantage encore les généraux vichystes dans leur hostilité. Un autre facteur est le peu de sympathie de Roosevelt pour de Gaulle, accentuée par la libération de Saint-Pierre-etMiquelon effectuée par les Forces Navales Françaises Libres (FNFL) de l'amiral Muselier le 24 décembre 1941, sans l'accord des États-Unis. Quant à Robert Murphy, il continue de juger possible le ralliement des vichystes à la cause alliée, malgré leurs déclarations et leur participation au ravitaillement de la Lybie. Il n'en faut pas moins trouver un général acceptable pour prendre la direction de la rentrée en guerre du côté français. L’évasion du général Giraud C'est alors qu'on apprend en avril 42 l'évasion retentissante du général Henri Giraud. Les allemands exigent, sans succès, qu’il se rende. Il se cache dans le sud de la France, avec une discrétion toute relative, puisqu’il fait le tour de la zone libre pour rencontrer entre autre de Lattre. Il constitue une troisième force, entre le pétainisme et la France Libre, ralliant un grand nombre d’officiers. Il refuse le patronage de de Gaulle, et Churchill, déçu par le faible nombre de ralliement à de Gaulle envisage même de le faire venir en Angleterre. LemaigreDubreuil avait été son aide de camp en 1940 et "Le Groupe des Cinq" décide de lui offrir de prendre la tête de l'organisation. Pressenti au mois de mai par Lemaigre-Dubreuil, puis visité par Mrs Rigault et Van Hecke, il accepte de prendre, le moment venu, la tête de la dissidence. Mais ses vues dépassent largement le théâtre africain qu'il juge secondaire et s'il accepte volontiers l'idée d'un débarquement en Afrique du Nord, il pense surtout au théâtre européen. Il voudrait que simultanément au débarquement en Afrique se constituât au sud de la France une tête de pont alliée, protégée sur terre par l'armée de l'armistice repliée, aux ordres de de Lattre, et sur mer par la flotte de Toulon, afin dit-il de « matérialiser l'indépendance française, assurer les communications françaises avec l'Afrique du Nord et permettre ultérieurement la constitution d'un deuxième front européen ». Il demande d’exercer personnellement le commandement en chef du débarquement. En attendant, il désigne, pour le représenter auprès des conjurés, le général Charles Mast, chef d'état-major du corps d'armée d'Alger, qui était prisonnier avec lui et l’a aidé dans son évasion. Ne réalisant pas l’état d’avancement et l’imminence du débarquement, il fait un peu cavalier seul vis-à-vis des cinq, qui jusqu’au dernier moment le laisseront sur ses illusions de débarquement principal en France. Giraud contacte directement les américains pour donner ses conditions. Il contacte

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aussi, sans succès, Weygand pour l’inciter à prendre la tête du soulèvement. Weygand avait déjà refusé plusieurs avances américaines. Giraud avait la faveur des américains, qui le préféraient à de Gaulle, soutenu par les anglais, et dont le jugement et les méthodes étaient considérées peu fiables, dictatoriales même, par Roosevelt. En mars 42, Le colonel Jousse rédige une note qui est remise aux américains par Van Hecke. Cette note expose la nécessité d'un appui militaire important, et fixe les bases générales d'une intervention militaire en Afrique du Nord dont s'inspireront les alliés pour préparer le plan des opérations qu'ils exécuteront quelques mois plus tard. Les cinq prônent un débarquement simultané au Maroc, en Algérie et en Tunisie, alors que les américains ne prévoient au début que le Maroc. Ils y ajouteront Oran, puis Alger. Mais, en partie faute de navires, et par crainte de la présence proche de la Lybie de Rommel et des forces aériennes de Sicile, la Tunisie restera hors du champ, et devra être reconquise par des opérations terrestres. Un secret de polichinelle Murphy ne négocie pas qu’avec les cinq et Giraud. Il cherche, par une multitude d’actions parallèles, à prévoir les réactions de chacun, et même à provoquer des ralliements. Le seul qui soit tenu à l’écart est de Gaulle : il ne doit pas y avoir de troupes de la France Libre dans le débarquement. D’ailleurs, comme les américains n’ont pas les effectifs suffisants, les anglais qui doivent eux aussi être discrets, seront là en uniformes américains. Le comte de Paris, ardent supporter du maréchal, se rend à Vichy et lui demande ce qu’il ferait en cas de débarquement en Afrique du Nord, s’il passerait à Alger ? « Non, car alors les allemands envahiraient la zone libre et nommeraient un gauleiter.» lui répond Pétain. Murphy est en contact avec Darlan depuis février 42, par l’intermédiaire du commandant Chrétien, chef du renseignement en Afrique du Nord, et par les voyages de son propre fils, Alain Darlan, à Alger. Mais Darlan ne croit absolument pas à l’imminence du débarquement, les alliés n’ayant à son avis pas la masse de navires ni les forces nécessaires. Darlan, comme Giraud, envisage un débarquement principal en France et simultané en Afrique, vu comme une base arrière de ravitaillement. Pour le convaincre, il faudrait discuter longuement, répondre à ses demandes de précisions, dévoiler l’organisation de l’opération. Or il ne fait aucune proposition concrète concernant un appui par la flotte de Toulon. Au début d'octobre, Murphy rapporte d’Amérique la nouvelle d'une intervention prochaine de puissantes forces alliées en Afrique du Nord. Il contacte alors Juin, par son chef de cabinet Dorange, pour l’assurer que les Etats Unis sont prêts à aider l’Afrique du Nord en cas d’une attaque allemande en Tunisie qu’il annonce imminente. Et là aussi, il apparait que Juin ne croit pas à la possibilité d’être ravitaillé efficacement en masse et rapidement. Murphy doit insister : « A l’heure actuelle, les USA sont prêts à mettre à disposition ces hommes, ces avions, ces chars et beaucoup plus encore à la fraction de la France qui serait contrainte de reprendre la lutte». Enfin, Murphy affirme que « les Etats Unis n’interviendront que sur la demande officielle de la France » Les accords de Cherchell Quelques jours plus tard, Murphy est avisé qu'une conférence d’État-major doit être organisée sans délai, pour réunir les officiers représentant le commandement en chef américain en Méditerranée et les officiers représentant le général Giraud. Cette conférence a été suggérée depuis de longs mois par le groupe des cinq, qui estime indispensable que les problèmes militaires que pose l'intervention américaine soient étudiés en commun par des techniciens qualifiés. Du côté français, la délégation va comprendre le Général Mast, délégué militaire du général Giraud, le lieutenant-colonel Jousse, assurant le rôle de chef d’état-major, le capitaine 102


de vaisseau Barjot, technicien naval et le commandant Dartois, conseiller aérien de l'entreprise depuis le printemps 1941. En prévision de la conférence, le lieutenant-colonel Jousse en accord avec le général Mast prépare une nouvelle note. Cette note, véritable mise à jour des propositions antérieures pose les bases d'un plan d'action combiné des forces alliées et de la résistance et indique les approvisionnements indispensables à l'Afrique du Nord pour satisfaire les besoins civils et militaires du premier mois ainsi que le matériel nécessaire au réarmement et à l'entretien de l'armée d'Afrique. Cette note souligne l'importance d'Alger, siège du haut-commandement dévoué à Vichy, la nécessité d'agir simultanément dans les trois pays d’Afrique du Nord et de subordonner les considérations d'ordre stratégique ou tactique aux possibilités de la résistance. La conférence qui doit se tenir près de Cherchell, port situé à 100 km à l'ouest d'Alger, est d'abord fixée au 21 octobre, puis reportée au lendemain. Enfin, le 23 octobre à 1 heure du matin, 15 jours avant le débarquement, la délégation américaine, venue en sous-marin, débarque près de la ferme Tessier lieu choisi pour la réunion où elle est accueillie par le colonel Jousse et Henri d'Astier. Elle comprend le général Clarck, chef d’état-major du général Eisenhower, le général Lemnitzer chef du bureau des opérations d’état-major d'Europe, le colonel Holmes, le colonel Hamblen et le commandant Gérard Wright de la marine américaine. L'organisation matérielle et la sécurité de la réunion sont assurées par Van Hecke, Henri d'Astier de la Vigerie, José Aboulker, Karsenty, Tessier propriétaire de la ferme, Queyrat, avocat, chef de la résistance de Cherchell, le capitaine Watson, les lieutenants Le Nen et Michel des douair (police indigène) ; enfin Rigault est venu pour assurer la liaison. Les entretiens durent toute la journée du 23, mais interrompu en fin d'après-midi par une menace de perquisition policière qui est évitée par la présence d'esprit et le dévouement de Michel et Le Nen. Au cours de la matinée, les conversations se poursuivent en conseil restreint auxquels participèrent les généraux Clarck et Lemnitzer, le colonel Holmes, Mr Murphy, le général Mast et le colonel Jousse, puis Rigault. Sont discutés successivement les intentions américaines, les moyens d'actions envisagés, la question du commandement interallié, les possibilités alliées de riposte à une initiative éventuelle de l'Axe. Au cours de l'après-midi les travaux reprennent en séance plénière, le lieutenantcolonel Jousse remplaçant à la tête de la délégation française le général Mast qui a dû rentrer à Alger. Les conversations portent alors principalement sur les propositions françaises contenues dans la note préparée avant la conférence. L'attention des américains est attirée particulièrement sur l'importance décisive d'Alger, ainsi que sur la nécessité de modeler leur action militaire, sur les possibilités de la résistance, pour cela d'armer cette résistance et de prendre toutes mesures utiles pour assurer avec elle une liaison étroite dans chaque zone de débarquement. Le ton des entretiens est cordial et la délégation américaine paraît accueillir favorablement toutes les suggestions. En fait, les américains ne tiendront pas toutes leurs promesses, retenus, diront-ils plus tard, par la crainte que le secret des opérations s'en trouve compromis. Le rembarquement des américains qui s'opère au cours de la nuit suivante, donne lieu à quelques péripéties, en raison du gros temps qui s'est levé. Outre leur partie militaire, les accords de Cherchell incluaient des dispositions très favorables à la France, qui devait être traitée en alliée après le débarquement.

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Le comportement de l’armée d’Afrique A part les commissions d’armistice, qui contrôlent les limitations imposées, les forces italiennes et allemandes ne sont pas présentes, et n’opèrent qu'à l'est du protectorat français de Tunisie. Aussi, la réussite de l’opération dépend-elle en grande partie du comportement des troupes françaises de l'armée d'Afrique (110 000 hommes) stationnées sur les différents sites de débarquement. Alors que les objectifs alliés se situent tous en des territoires sous contrôle français, le doute n'est toujours pas levé chez les dirigeants américains, quant à l'attitude de l'armée d'armistice. Les membres de l'armée de Vichy gardent encore les très mauvais souvenirs de la destruction de la flotte de Mers el Kébir par les britanniques, le 3 juillet 1940, de la neutralisation de la flotte d’Alexandrie le 4, de l’attaque de Dakar le 8 juillet, par le général de Gaulle, soutenu par les anglais, enfin l'armée qui a combattu en Syrie contre les anglais et les français-libres vient d'être rapatriée en Afrique du Nord et ses cadres manifestent une vive hostilité à l'égard du général de Gaulle. On espère donc que le drapeau étoilé sera le meilleur ralliement pour entraîner l'empire dans la guerre. Les positions du général Juin, commandant des forces françaises d'Afrique du Nord, et du général Noguès, résident général au Maroc, représentent également des inconnues. Les accords avec la résistance sont justement destinés à parer toute réaction négative des troupes françaises. Mais Roosevelt et Eisenhower, se fiant aux rapports optimistes de Murphy, ne perdent pas l'espoir d'obtenir au dernier moment le ralliement des dirigeants vichystes. Pour cela, les dirigeants alliés comptent beaucoup sur le général Giraud, auquel ils réservent le commandement des forces françaises stationnées en Afrique du Nord. Mais les événements se précipitent; brusquement le 29 octobre, les américains informent le général Mast que le débarquement aura lieu dans une semaine, alors qu'à Cherchell ils avaient déclaré qu'il ne se produirait pas avant un mois. Cette nouvelle met le groupe des résistants dans une situation difficile, aussi bien pour obtenir le consentement du général Giraud et assurer son passage en Afrique du Nord que pour réaliser la coordination des éléments de résistance qui, tous, seront surpris par une échéance si courte 1. Le général Giraud à Gibraltar Après de multiples difficultés, il est finalement convenu que le général, accompagné du commandant Beaufre embarquera à Antibes pour l'Afrique du Nord sur un sous-marin le 6 Novembre. Le général Mast adresse les instructions nécessaires au général Béthouart et au colonel Tostain pendant que Rigault et d'Astier se rendent au Maroc et en Tunisie pour accorder l'action des organisations de résistance. Or, Giraud, au moment de sa décision ultime, continue à compter sur le commandement en chef des troupes d’invasion, bien que n'ayant reçu aucune réponse à ce sujet. En réalité cette condition ne peut en aucun cas être satisfaite par les alliés. Il leur est 1

Jean-Claude Perez, dans « l’islamisme dans la guerre d’Algérie » raconte que dans les semaines qui ont précédé le 8 novembre 1942, un contact ultra-secret aurait été établi par le général Mast avec le cabinet militaire du maréchal Pétain, par l'intermédiaire d'un officier supérieur d'Alger, le colonel Raymond, partant en permission dans son village d'Etroussat, tout près de Vichy, sa mère gravement malade vivant ses derniers instants. Mast lui aurait dit : « Puisque votre maison familiale se situe tout près, je vous demande de vous rendre auprès du général Verneau qui fut naguère votre chef et qui fonctionne, comme vous le savez, tout près du maréchal Pétain. Dites-lui tout simplement, qu'ici à Alger tout est prêt et que, comme convenu, nous attendons son feu vert pour déclencher l'opération ». Qu’y a-t-il de vrai dans cette épisode ? 104


impossible de confier le commandement d'une opération militaire aussi complexe à un général de langue étrangère, ignorant les préparatifs et les moyens d'intervention en jeu. Giraud n'en est pas moins révolté lorsqu'il apprend, dans le sous-marin qui le conduit à Gibraltar, que le débarquement se limite à l’Afrique du Nord et que la fonction réclamée par lui a été attribuée à un autre. C'est ainsi que, le 7 novembre 1942, Eisenhower doit perdre de précieuses heures à discuter avec lui d'une décision qui ne peut être révoquée. Il s'attarde pendant deux jours à Gibraltar pour marquer son mécontentement, sans tenir compte des résistants qui vont l'attendre vainement le lendemain, sur l’aérodrome de Blida et à Alger, pour lui remettre la ville neutralisée pendant la nuit. Le même soir l'opération commence, tant du côté de la résistance que de celui des forces de débarquement alliées, sans le porte drapeau français prévu. Le coup du 8 novembre 1942 à Alger Le 7 novembre dans la soirée, la flotte alliée, formée d’un convoi venant des Etats Unis et deux autres venant d’Angleterre, fait cap à l’est, puis brusquement elle vire au sud, face à Casablanca, Oran et Alger. A partir de 2h du matin, les premiers vaisseaux de l'opération « Torch » abordent les plages d'Afrique du Nord.

La flotte alliée atteint sans encombre ses différents objectifs, à la surprise de ses équipages, sans avoir été inquiétée par les sous-marins de l'Axe, qui l'attendent plus loin, du côté de Malte, ou sur les arrières de Rommel en Lybie. Un seul vaisseau a été perdu, le Thomas Stone touché par un avion de la Luftwaffe. L’objectif allié est de s’assurer du Maroc français et de l’Algérie en vue d’occuper le plus tôt possible la Tunisie et d’établir au Maroc une force d’attaque capable de contrôler le détroit de Gibraltar en pénétrant, si nécessaire, au Maroc espagnol pour sécuriser les futurs convois de renfort. L’opération suit la réussite de l’offensive de la VIII° armée britannique de Montgomery en Lybie. L'accueil qui sera réservé aux unités alliées par les forces armées vichystes demeure cependant une inconnue. Alger est le siège du haut-commandement en Afrique du Nord, qui s'opposerait aux alliés et qui, laissé libre d'agir ne manquerait pas de les rejeter à la mer et se

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trouverait inéluctablement entraîné à les combattre sur toute l'étendue du théâtre d'opérations avec l'appui des allemands. Sont en effet réunis à Alger les haut-commandements terrestres navals et aériens de l'Afrique du Nord et de l’Algérie, des organes de coordination impériale, les hautes autorités civiles de la colonie. Pour les seules transmissions, dix grands centraux doivent être occupés. Stationnent dans cette capitale, une vingtaine d’états-majors et de nombreux corps de troupes dont un régiment blindé et de forts contingents de gardes mobiles. Au cours de la nuit du 7 au 8 novembre 1942, 400 résistants français (dont les deux tiers étaient des Juifs) et quelques officiers, paralysent pendant une quinzaine d'heures le 19e corps d'armée d'Alger, tandis que quelques officiers neutralisent les batteries côtières de SidiFerruch et l’aérodrome de Blida. Ils occupent, pendant la nuit, la plupart des points stratégiques. En particulier, l'un de leurs groupes a réussi à arrêter le général Juin commandant en chef en Afrique, le général Koeltz, ainsi que l'amiral Darlan, inopinément présent à Alger. L’organisation du putsch Les armes promises à Cherchell (750 pistolets mitrailleurs Sten) ont vainement été attendues, par suite d'une mauvaise indication des points de livraison au commandant de la corvette britannique chargée de les débarquer. Les résistants ne disposent donc pour remplir leur mission que de vieux fusils Lebel cachés aux commissions d'armistice, grâce au colonel Jousse. A Alger, le 6 novembre 1942, les principaux chefs de groupe de la résistance se rencontrent pour la première fois, au Q.G. de la conjuration, chez le professeur Henri Aboulker, au 26 de la rue Michelet. Il s'agit de Jean Athias, André Morali-Daninos, Maurice Ayoun, Paul Ruff, Raphaël Aboulker et du capitaine Pillafort. Plusieurs se connaissent de longue date. Mais ils ignoraient leur appartenance au même complot, tant le secret a été rigoureusement respecté. José Aboulker les présente alors à Henri d'Astier de la Vigerie et au colonel Germain Jousse qui leur exposent les buts de la conjuration et les invitent à commencer la mobilisation de leurs hommes. La résistance s'était engagée, à la conférence de Cherchell, à neutraliser, pendant au moins 2 heures, les éléments du 19e corps d'armée, soit quelques 12 000 hommes, dont 5 000 à Alger (et une partie dans les garnisons de Blida et Koléa), sans parler de près de 2000 membres du SOL (Service d'Ordre Légionnaire), créé par Joseph Darnand, et du PPF (Parti Populaire Français) de Jacques Doriot, directement armés par les commissions d'armistice de l'Axe. Simultanément devraient être réduites au silence les batteries du fort de Sidi-Ferruch, principal site du débarquement. Pour atteindre ces objectifs, les résistants vont, grâce au colonel Jousse, major de garnison, retourner le plan « M.O. » (plan de Maintien de l'Ordre), destiné à repousser toute intervention : ce plan visait en effet à faire occuper, en cas de débarquement, les différents points stratégiques par les membres du SOL de Darnand, porteurs de brassards spéciaux revêtus des lettres VP (Volontaires de Place), de façon à permettre aux forces de Vichy, sachant leurs arrières assurés, de porter tout leur effort contre les assaillants et de les rejeter à la mer. Mais c’est finalement le contraire qui arrive, car les résistants, pourvus des brassards "VP" et avec des ordres réguliers du major de garnison relèvent les postes militaires ou occupent les organes qu'on veut contrôler. Ainsi, à l'heure dite, tous les moyens de commandement passent régulièrement aux mains des conjurés sans la moindre effusion de sang. Le 7 novembre à 17 heure, les chefs de groupe se retrouvent au 26 rue Michelet, pour rendre compte des premiers résultats de leur mobilisation. Ces résultats s'annoncent en baisse par rapport aux prévisions, en raison de l'absence des armes américaines promises et de la 106


défection des communistes, croyant à une provocation. On ne mise plus sur 800 volontaires, mais sur 600 seulement. Delgove, le chef de la police politique, intrigué par le remue-ménage, se fait arrêter en venant voir ce qui se trame. A 18h Jousse donne le mot de passe : « Whisky – Soda », les chefs de groupe reçoivent leurs ordres de mission et leurs dernières instructions en vue de rassembler leurs groupes dans la soirée, et d'aller ensuite occuper les points relevant de leurs différents secteurs et sous-secteurs. Les brassards officiels VP leur sont remis. Mario Faivre reçoit son ordre : « En application des dispositions du plan de protection de la place d’Alger, le groupe de volontaires A4 assurera la garde de la XIXème région et du central de communication protégé Mogador, il relèvera le poste de garde dont le personnel rejoindra immédiatement son corps. » Au garage Lavaysse, on charge fusils et munitions dans les voitures préparées depuis la veille, et, vers 23h, les chefs de groupe montent dans les autos qui leur sont affectés et partent vers leurs points de rendez-vous. Le 8 novembre 1942, trois des « Cinq » sont partis d'Alger, tandis qu'un autre, Lemaigre Dubreuil, va attendre Giraud à Blida. Seul Henri d'Astier est à Alger et participe aux arrestations et occupations de points stratégiques effectuées par José Aboulker, Germain Jousse, Bernard Karsenty et leurs camarades. La prise des points stratégiques d’Alger par les résistants Finalement, seuls quelque 400 volontaires, se présentent aux points de rendez-vous. Leur effectif réduit ne les empêche pas d'occuper presque tous les points stratégiques sans coup férir. Peu après 1 h 30 du matin, ces résistants, auxquels on a distribué en cours de route les brassards officiels VP destinés aux militants collaborationnistes et un armement léger (fusil lebel ou revolver modèle 92), se faisant passer pour une milice régulière, atteignent, puis occupent leurs objectifs : munis d'ordres de mission signés du général Mast ou du colonel Jousse, leurs chefs de groupe ou de secteurs, dans leurs uniformes d'officiers ou de sousofficiers de réserve, relèvent sans difficulté les différents postes de garde vichystes, et s’installent dans les casernes, à l'arsenal, dans les centraux téléphoniques, dans les commissariats de police, au gouvernement général, à la préfecture et à Radio Alger. José Aboulker, accompagné d'une vingtaine de camarades, occupe le commissariat central, vers 1 h 30 du matin, après l'installation préalable d'un nouveau commissaire central, nommé par le général Mast, en vertu de l'état de siège. Aboulker, accueilli par ce nouveau maître des lieux, le commissaire Esquerré, s'installe immédiatement au standard téléphonique, et y fait brancher la ligne officielle. De là un contact suivi est établi vers 1h50 avec les différents chefs de groupes, qui rendent compte, les uns après les autres, de l'exécution de leurs missions respectives. Seuls l'amirauté et l'état-major de la Marine, à l'Hôtel Saint-Georges, n'ont pu être pris en raison du manque d'effectifs. Néanmoins, les jeunes gens du lieutenant Cohen, chargés d'occuper l’état-major de place, réussissent à fermer l'entrée de l'amirauté pendant toute la nuit, tandis que le volontaire Rager, accompagné de 15 amis bloque les issues de l'état-major de la Marine, où se trouve l'amiral Moreau. Pendant que tous les autres points stratégiques sont occupés, un groupe de policiers résistants dirigé par le commissaire Achiary se charge de neutraliser les personnalités civiles collaborationnistes. Dans le même temps, d'autres groupes de volontaires se chargent d'arrêter ou d'encercler dans leurs résidences les généraux au-dessus de trois étoiles (les généraux Juin, Mendigal, Koeltz, ainsi que l'amiral Fenard). Ainsi espère-t-on faire passer automatiquement le pouvoir militaire au général Mast, en attendant l'arrivée de Giraud.

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On attire au commissariat central les autorités qui demandent des ordres, certains sont furieux, d’autres heureux d’être soulagés de toute responsabilité. De son côté, vers 2 h du matin, le général de Montsabert, chef de la garnison de Blida, rallié par Mast à la conspiration, se charge d'intervenir, avec un détachement de ses tirailleurs algériens, à l'aérodrome de Blida. Il importe de neutraliser cet aérodrome du point de vue stratégique, et, de plus, c'est là que Giraud doit atterrir. Mais le nom de Giraud ne produit aucun effet sur le colonel d'aviation Montrelay. Un face-à-face menaçant s'établit pendant plusieurs heures à Blida, entre les soldats de l'armée de l'air et les tirailleurs algériens de Montsabert. A Sidi-Ferruch, un autre des officiers d'active dans le complot, le colonel Baril, fait occuper le fort par l'une de ses compagnies, et neutralise les batteries contrôlant les plages, avec le capitaine Fournet et le lieutenant Laporte. Si bien que les forces de débarquement alliées vont pouvoir y prendre pied sans aucune perte. Les autres points de débarquement se situent à la Pointe Pescade, à l'entrée ouest d'Alger et sur les plages du Cap Matifou, de l'autre côté de la ville. Les difficultés des forces de débarquement C'est avant d'atteindre le rivage que de nombreux soldats du général américain Ryder vont perdre la vie cette nuit là. En effet, la mer est agitée et la nuit très noire. Or, les pilotes des barges de débarquement, qui vont ultérieurement faire leurs preuves en Normandie, n'ont pratiquement subi aucun entrainement, faute de temps. Si bien que de nombreuses barges chargées de soldats lourdement équipés cognent les coques des navires, s'entrechoquent, ou sont mal amarrées sur les plages de débarquement et sont rejetées par la mer sur celles qui les suivent. Aussi nombre de ces embarcations se retournent et coulent avec leurs occupants. De ce fait, les soldats survivants débarquent en nombre plus réduit que prévu, tandis que les barges de matériel sont jetées sur d'autres plages que celles où prennent pied les soldats chargés de les utiliser. Dans ces conditions, le général Ryder, qui pendant des heures ne dispose d'aucun véhicule, n'ose pas, malgré les objurgations des envoyés de la résistance, marcher immédiatement sur Alger. Et par la suite, lorsqu'il se met en route, il se borne, conjointement avec ses forces débarquées à l'est de la ville, à encercler celle-ci par les hauteurs sans y pénétrer. En vérité, il ne parvient pas à admettre que quelques centaines de volontaires civils ont réellement pu s'emparer d'une ville défendue par un corps d'armée. Du moins, le colonel Baril, qui avait aussi réquisitionné plusieurs camions les jours précédents, les met-il à la disposition d'un commando britannique, qui part dans l'après-midi pour l'aérodrome de Blida1. Il y parvient à point pour soutenir les hommes de Montsabert. Le colonel Montrelay accepte alors de neutraliser sa base. Mais Giraud n'arrive pas. Si bien que les résistants qui occupent les points stratégiques vont attendre vainement leur relève par les alliés. Capture de Juin et Darlan par les résistants Vers une heure du matin, le consul Murphy se rend à la villa des Oliviers pour remettre un message du président Roosevelt au général Juin. La résidence a été préalablement encerclée par un groupe de lycéens de terminale du lycée de Ben Aknoun, commandés par le jeune aspirant de réserve Pauphilet 2. Le message de Roosevelt demande à l'armée d'Afrique d'accueillir les forces des États-Unis en amies et de se joindre à elles pour libérer la métropole. Juin répond que Darlan, son supérieur, étant à Alger c'est de toutes façons à lui 1- Ces britanniques sont-ils ceux que trouva le capitaine de Boishéraud, envoyé par Monsabert à leur recherche, et qu’il emmena à l’aérodrome ainsi qu’il le raconte dans le livre « Hommages au général de Monsabert » ? 2 - voir son témoignage ci après. 108


qu'il convient de transmettre le message de Roosevelt. Darlan a en effet été appelé à Vichy, la veille, pour venir d'urgence à Alger, au chevet de son fils Alain. Celui-ci, qui semblait à l'article de la mort, a été installé dans le poumon d'acier de l'hôpital Maillot, à la suite d'une attaque de « paralysie infantile » (poliomyélite). Darlan rejoint alors Juin à la villa des Oliviers, où les jeunes conjurés le laissent pénétrer. Entrant dans une violente colère, il rejette la demande de Roosevelt. Henri d'Astier survient peu après et informe les deux officiers généraux qu'ils sont prisonniers, avant de se retirer. Peu après le départ de d'Astier, Darlan laisse entendre que Pétain pourrait peut-être prendre une décision favorable et demande à Murphy l'autorisation d'envoyer une lettre à l'amirauté, en donnant sa parole d'officier qu'elle n'aurait aucun caractère militaire. En réalité, tout en invitant l'amiral Leclerc, destinataire du message, à le faire parvenir télégraphiquement à Pétain, il lui donne, dans le dernier paragraphe de cette lettre, l'ordre de résister aux alliés. En outre, en demandant expressément l'envoi de son télégramme en « clair », c’est-à-dire sans le coder, il avertit du même coup les services d'écoute allemands de l'intervention alliée. Murphy se laisse convaincre et donne son accord, mais heureusement le porteur de ce message s'arrête en chemin au Q.G. de la résistance, au 26 de la rue Michelet. Là se trouve le lieutenant abbé Cordier, compagnon d'Henri d'Astier, auquel il vient rendre compte de la neutralisation du central militaire protégé. Cordier intercepte le message. Une demi-heure plus tard, Darlan envoye une seconde lettre à l'amirauté, avec l'assentiment renouvelé de Murphy, et celle-ci y est directement portée. A la réception de cette lettre, apportée par un vice-consul américain, les forces navales de l'amirauté se préparent immédiatement à ouvrir le feu. C'est pourquoi, vers trois heures du matin, des détonations retentissent dans le port, où deux destroyers alliés ont réussi à s'introduire, et à débarquer sur l'une des jetées un détachement de 300 marines dirigés par le colonel Swenson. Le but de ce débarquement est de s'emparer du port, pour le maintenir intact, afin qu'il puisse immédiatement être utilisé pour débarquer les renforts alliés. L'artillerie de l'amirauté, en canonnant les bâtiments alliés, réveille alors tout Alger. Quant à la gendarmerie maritime de Darlan, après avoir tué une douzaine de soldats alliés, elle ne parvient pas à l'emporter face aux commandos bien armés. C'est seulement beaucoup plus tard, que, avec l'aide des blindés du 5e chasseurs, les forces vichystes neutralisent le commando Swenson. Alger sous contrôle : arrestation des responsables vichystes Le bruit des détonations ayant réveillé la population, beaucoup d'algérois tentent de téléphoner pour s'informer. Mais les communications civiles ont été coupées par les volontaires qui occupent le central téléphonique. Aussi les personnalités locales, désireuses de s'informer, se retournent-elles vers les commissariats de police, où fonctionne toujours la ligne officielle qui les relie au commissariat central. Là, José Aboulker, Bernard Karsenty ou Guy Calvet qui reçoivent leurs appels, leur répondent que l'on a besoin d'eux, et les invitent à venir rapidement au commissariat central pour y organiser la riposte. Ces personnalités s'empressent d'accourir et, à leur arrivée, les volontaires de garde les poussent dans les cachots. C'est ainsi que le secrétaire général du gouvernement général Ettori, qui, en l'absence du gouverneur Châtel, dirige l'administration, vient spontanément se faire capturer par les résistants. Un autre officiel, le général Roubertie, passant par là, félicite, au vu de leurs brassards VP, un groupe de volontaires pour leur bonne tenue. Ceux-ci le remercient de sa bienveillance et l'arrêtent. A la préfecture, le chef de la légion, Breuleux, réputé collaborationniste, vient lui aussi se mettre à la disposition de l'administration et subit le même sort. Cependant, au fur et à mesure que le temps passe, les chefs des groupes de volontaires, inquiets de ne pas être relevés par les alliés, téléphonent eux aussi au commissariat central 109


pour demander des nouvelles. José Aboulker répond à leurs appels impatients en leur décrivant les étapes d'une lente et imaginaire progression américaine vers Alger. Les tentatives de reprise en main Les colonels, lorsqu’ils se rendent compte de la coupure des lignes téléphoniques normales et de la présence de volontaires civils qui bloquent l'entrée de leurs casernes, s'enferment dans ces casernes, « en attendant les ordres », et pas un n'eut d'initiative avant 6 heures du matin. Seul, le chef de cabinet de Juin, le commandant Dorange, s’étonne de voir des civils armés monter la garde devant l'état-major de place. Ces civils portent des brassards « V.P. » destinés à la mise en œuvre du plan « M.O. ». Or, si un tel plan avait été déclenché, même à titre d'exercice, Dorange aurait dû le savoir. Aussi s'adresse-t-il au lieutenant-médecin, qui commande ces volontaires, et, après s'être fait reconnaître, lui demande-t-il d'expliquer sa présence. Ce dernier, le lieutenant André Cohen, le fait dans les formes réglementaires, et lui présente alors son ordre de mission signé du général Mast. Le nom de Cohen porté par cet officier, alors que tous les officiers juifs ont été chassés de l'armée par le régime de Vichy, ne peut que paraître suspect au commandant Dorange, et, lorsqu'il entend les premiers coups de canons, ses soupçons deviennent certitude. C'est alors qu'il se rend à l’amirauté et déclenche la reprise en main. A ce moment un volontaire se présente à l’amirauté, porteur d’un ordre du général Mast, indiquant que les allemands viennent de débarquer en Tunisie et qu’à l’appel du maréchal les américains interviennent pour les repousser. Dorange rejoint la caserne de la 7e légion de la garde mobile, sur les hauteurs d'Alger, et demande son intervention rapide pour rendre sa liberté au commandant en chef. Le colonel Zwinglin, qui la commande, se rend alors vers 5h30 du matin, avec un escadron motorisé, à la villa des oliviers, où réside Juin. Là il surprend les jeunes résistants. Ceux-ci, qui ont reçu comme les autres volontaires l'ordre de ne pas verser le sang français, ne résistent pas. Ils sont presque tous capturés et menacés d'être fusillés, ainsi que les représentants des États-Unis encore sur place. Darlan et Juin ont reçu un choc en constatant l'apparition subite de la marine américaine devant leurs ports d'Afrique du Nord, alors qu'ils la croyaient hors d'état de lancer une attaque transatlantique avant plus d'un an. Mais ils sont plus encore démoralisés, lorsqu'ils se rendent compte de leur séquestration par de jeunes civils en armes. Aussi, passant d'un extrême à l'autre, surestimèrent-ils, pendant toute la nuit et la journée suivante, la force des résistants. Une fois libéré, Juin donne l'ordre à la garde mobile, aux chars du 5e chasseurs et au 13e sénégalais de reconquérir, avant tout, les positions tenues par les volontaires. Aussi lancent-ils leur contre-offensive contre les volontaires civils, au lieu d'attaquer immédiatement les américains encore présents sur les plages. Au lieu de se rendre au palais d'hiver où se trouvait son Q.G. opérationnel normal, Juin s'installe au Fort-L'Empereur pour y diriger la reconquête d'Alger. Il perd en outre son temps à recevoir ses colonels qui, au lieu de se mettre à la tête de leurs troupes, viennent justifier leur inaction. Quant à Darlan, en réponse à un télégramme lui offrant une aide de l'aviation allemande, et demandant des précisions sur les cibles à attaquer, il adresse à Vichy un télégramme demandant à la Luftwaffe de bombarder les transports alliés au large d'Alger. Parallèlement, entre 3 h et 6 h du matin, le commando du colonel Swenson, débarqué dans le port a remporté plusieurs succès. Aussi l'amiral Leclerc demande-t-il, pour le réduire, des renforts qu'il ne reçoit que progressivement. L'arrivée des premiers renforts permet d'abord le succès de la contre-offensive menée par les gendarmes maritimes de Darlan contre les résistants qui occupaient l'état-major de place, d'où ils bloquaient l'entrée de l'amirauté 110


depuis plusieurs heures : à 7 h 30, renforcés par des sénégalais qui ont bouché toutes les issues, les gendarmes de Darlan attaquent les résistants français. Ceux-ci qui s'étaient d'abord refusés à riposter, sont tirés au fusil mitrailleur et obligés de faire feu à leur tour avec leurs faibles moyens, pour ralentir leurs adversaires. Les marins mitraillent même ceux qui tentent de s'échapper en se jetant à la mer. Finalement les volontaires sont capturés et enchaînés, sans soins pour les blessés, dans les cachots de l'amirauté. Par contre, face aux commandos américains bien armés, les marins de Darlan reculent d'abord jusqu'à ce que, vers 11 heures, ils reçoivent le renfort du 5e Chasseurs et de ses automitrailleuses, auxquelles se sont joints 2 tanks. Auparavant, deux groupes d'automitrailleuses du 5e Chasseurs étaient d'abord venus vers 7 heures encercler la grande poste, commandée par le lieutenant Jean Dreyfus et le volontaire Boillat, inspecteur des postes, tandis que les gardes mobiles de Zwinglin, accompagnés de Dorange, toujours en civil mais mitraillette au poing, s'étaient présentés devant le 19e corps. Ce poste était tenu par le capitaine Pillafort, résistant et vieux baroudeur. Les chefs de groupe, informés de la contre-offensive vichyste, téléphonèrent alors au commissariat central pour demander ce qu'ils devaient faire. Une lourde responsabilité pesa alors sur José Aboulker, leur chef de 22 ans. Il y fit face en répondant aux chefs de groupes que leur opération était réussie, puisque les alliés avaient, grâce à leur action, débarqué sans opposition et progressaient tout autour d'Alger. Dans ces conditions, il n'y avait pas lieu de résister, mais simplement de n'abandonner leurs positions que le plus tard possible, en essayant de parlementer pour gagner du temps. Ainsi serait retardée d'autant la mobilisation des forces vichystes et leur réaction contre les forces alliées. A la grande poste, un premier tir de mitrailleuse, auquel les volontaires ne répondent pas, prend fin à 8 heures. Un parlementaire du 5e Chasseurs s'approche alors de la poste. Jean Dreyfus vient à sa rencontre, et est sommé de se rendre. Il rejette l'ultimatum ainsi formulé, et exhorte son interlocuteur à reprendre le combat contre l'Allemagne, seul véritable ennemi. Après quoi Dreyfus se retourne pour rejoindre ses camarades. C'est alors que l'adjudant-chef Constant du 5e Chasseurs lui tire une balle dans le dos. Les camarades de Dreyfus, le voyant s'écrouler, quittent alors leur position, pour venir à son secours, et les vichystes en profitent pour réoccuper la grande poste. Le sacrifice de Jean Dreyfus n'a pourtant pas été vain. En effet, à l'heure où le 5e Chasseurs assiège les volontaires mal armés retranchés dans la grande poste, alors que ce régiment aurait dû garder, selon le plan "M.O", l'aéroport de Maison-Blanche, cet aérodrome, le plus important d'Algérie, est occupé sans résistance, à 7 h 30, par le 39e d'infanterie des États Unis. Ce succès joint à la neutralisation de l'aérodrome de Blida par Montsabert, prive les forces vichystes de toute possibilité d'intervention aérienne (39 bombardiers et 50 chasseurs) contre les alliés. A 5h45, les gardes mobiles et le colonel Zwilling sont devant la XIX région, emmenés par Dorange. Il invite lui-aussi les volontaires à se rendre. Mais Pillafort, tenu en joue par les fusils mitrailleurs de 2 gardes mobiles, rejette lui aussi l'ultimatum et informe Zwinglin de la venue du général Giraud. Dorange veut alors attaquer, mais Zwinglin adjure Pillafort de se rendre, pour lui éviter la mort dans un combat perdu d'avance. Pillafort répond alors qu'il préfère mourir que se rendre et tous ses compagnons font de même. Alors commence un marchandage de longue haleine. Pour le faire durer, des volontaires sortent du bâtiment par l'arrière et se présentent ensuite à l'entrée principale, en affectant de venir de l'extérieur, et en annonçant une arrivée des alliés de plus en plus proche. Après quoi les résistants obtiennent un délai d'une heure pour libérer leurs prisonniers, qu'ils s'emploient à relâcher le plus lentement possible. Le général Koeltz qui sort le premier, hurle qu'il faut fusiller les volontaires. Entre temps, les derniers prisonniers sont sortis, et c'est alors qu'est annoncé que Giraud parle à Radio-Alger. En réalité, c'est le docteur Raphaël 111


Aboulker, cousin de José, qui remplace à la radio Giraud - toujours à Gibraltar - et lit un discours censé être prononcé par ce dernier. Ce discours, qui se termine par le slogan « Un seul but, la victoire », dont Giraud se prévaudra par la suite, passe sur Radio-Alger pendant plusieurs heures. L'appel n'a cependant pas l'effet escompté par les alliés, qui ont surestimé l'impact du général. Après avoir entendu ce discours, les volontaires et les gendarmes entonnent ensemble la Marseillaise, et le colonel Zwinglin annonce, passant outre aux protestations de Dorange, que les gardes mobiles arrêtent les hostilités contre les volontaires. Mais, lorsqu'il se retire, arrivent derrière lui les automitrailleuses du 5e Chasseurs, venues de la grande poste, où le lieutenant Dreyfus vient de trouer la mort. Après une discussion entre le commandant du 5e Chasseurs et Pillafort qu'il connait, chacun comprend qu’il n’est plus question de se tirer dessus, et un arrangement est conclu. Aux termes de celuici chacun doit se retirer de ses positions, et le 19e corps rester vide. Les volontaires de la grande poste et du 19e corps, ainsi libérés, vont alors établir des barrages dans Alger, pour empêcher l'armée de se mobiliser, ou renforcer le commissariat central. Vers 10 h 30, Zwinglin, se présente devant la préfecture, avec son escadron, et tente d'en obtenir la reddition. Les chefs de groupe, Jacques Zermati et Sadia Oualid, en avertissent José Aboulker au commissariat central. Celui-ci vient alors en renfort, lui-même, avec un groupe de résistants répartis dans cinq voitures, et reprend la négociation avec le colonel. Le but est toujours de retenir les gardes mobiles un maximum de temps, au profit des alliés. Or Aboulker porte en évidence, accrochée à l'épaule, une mitraillette Sten que Murphy lui a remise, comme échantillon des 750 autres qui auraient du être livrées, mais que les conjurés ont vainement attendues sur les plages. Zwinglin, qui n'a jamais vu d'arme de ce modèle, interroge à ce sujet Aboulker qui lui répond qu'une grande partie des volontaires en dispose. Au terme de cette négociation, il est convenu que les volontaires se retireront « avec les honneurs de la guerre ». En conséquence de quoi les deux groupes volontaires se replient en bon ordre avec leurs armes et deux fusilsmitrailleurs « récupérés »… pour aller renforcer leurs autres compagnons, au commissariat central. Lorsqu'Aboulker y rejoint son P.C., vers 12 h, il apprend que Pillafort est en difficulté à la colonne Voirol, à la sortie sud d'Alger. Il part immédiatement le rejoindre avec Bernard Karsenty et un groupe mobile. Pillafort y a d'abord été arrêté par des gendarmes. Il a alors rapidement renversé la situation et installé un barrage où, à son tour, il arrête les personnalités vichystes tentant de fuir vers l'intérieur. C'est ainsi que sont capturés, entre autres fuyards, l'amiral Moreau, préfet maritime, et le secrétaire général de la préfecture Ordioni. Après quelques heures, le groupe redescend avec ses prisonniers, au commissariat central, qui tient toujours, dans le centre d'Alger. A 12 h 15, ordre est donné aux volontaires du central téléphonique, menacés par 6 auto-mitrailleuses, ainsi qu'à ceux de Radio-Alger d'évacuer ces édifices. Puis vers 12h30 le même ordre est donné au groupe du palais d'été du gouverneur. Les autres points occupés par les volontaires sont évacués à leur tour en début d'après-midi. Mais leur base principale, le commissariat central, reste entre leurs mains jusqu'à la reddition de Juin et Darlan aux alliés, en début de soirée, sans que les forces vichystes ne tentent de le reprendre, alors que cette position, la plus stratégique de toutes, contrôle le principal axe de communication d'Alger. Devant cet édifice, Pillafort et Aboulker ont installé un nouveau barrage sur le boulevard Baudin. D'autres arrestations continuent à être effectuées sur ce barrage, où Bernard Karsenty, armé d'une carabine automatique que lui a offert le général Clark à Cherchell, capture une douzaine de S.O.L. de Darnand qui tentaient de se mobiliser. Pillafort, de son côté, arrête, les uns après les autres, plusieurs véhicules militaires, y compris même deux autos-canons, dont 112


les occupants se rendent sans difficulté. Les volontaires mettent immédiatement ces pièces en batterie, bien en évidence, face à l'entrée du commissariat central. Mais, peu avant 16 heures, un nouveau véhicule approche : Pillafort lui fait signe de stopper. C'est alors qu'entrouvrant une portière, l'officier qui s'y trouve, le colonel Jacquin tire sans sommation une rafale de mitraillette dans le ventre de Pillafort. Celui-ci réussit à riposter avant de s'écrouler, et tous les volontaires présents vident leurs armes sur Jacquin. Fort heureusement, leurs balles épargnent de justesse le chauffeur du colonel, qui n'est pour rien dans cet incident. Celui-ci, décomposé, sort alors de son véhicule et peut s'en aller. José Aboulker, qui était étudiant en médecine, prend alors Pillafort dans sa voiture et l'emmène d'urgence à la clinique Solal. Faute de médecins ce dimanche, il y réalise lui-même l'anesthésie et assiste le chirurgien qui fait l'opération. Mais le cas est désespéré et Pillafort mourra deux jours plus tard. C'est seulement vers 18 h, donc après la capitulation d'Alger, que le commissariat central, dernier point stratégique tenu par les volontaires, est librement évacué par ceux-ci, sans que les vichystes aient tenté de le récupérer. Auparavant, les résistants libèrent volontairement tous leurs prisonniers. Leur dernier poste a été tenu 16 heures au lieu des 2 prévues, avec l'aide des agents de police, dont la plupart se sont joints aux résistants. Ainsi, peu avant 17 h, les vichystes qui surestiment le nombre et la force des putschistes, n'ont rien tenté pour s'emparer de cette position clé et n'ont-ils toujours pas repris le contrôle complet d'Alger, au centre de laquelle subsiste la base la plus forte des volontaires. De leur côté, les hommes du général Ryder, profitant de la concentration exclusive des forces de Vichy contre la résistance et le commando de l'amirauté, ont achevé l'encerclement d'Alger sans opposition, et commencent à y pénétrer. Vers 16 h 30, deux de leurs tirs de mortier atteignent le Fort-L'Empereur. Le cessez le feu d’Alger Au soir du 8 novembre, à 18 heures, Juin obtient de Darlan l'autorisation d'ordonner le cessez-le-feu, ce qui permet aux troupes alliées de pénétrer dans Alger sans trop de problèmes. Ainsi le débarquement, très compromis à Oran et au Maroc, comme on le verra, par la violente contre-attaque des forces vichystes, vient-il de réussir à Alger, centre stratégique de l'Afrique du Nord, grâce à la résistance française. Du même coup, les alliés disposent, le soir même du 8 novembre, d'un grand port intact, où troupes et matériels vont pouvoir immédiatement débarquer sur une grande échelle. Dorange rédige alors pour Juin une note qui est un véritable programme pour la mise en état de guerre de l’Afrique du Nord, par un gouvernement dont Noguès prendrait la tête, avec Juin comme commandant en chef, et Darlan allant chercher Pétain à Vichy et le ramenant en Afrique du nord. En fait, pour lui, « aucun militaire français ne consentirait à exécuter les ordres d’un général dissident ». Ce premier cessez-le-feu concerne seulement Alger. Darlan est désormais entre les mains des alliés, mais pensant à la rupture inévitable de l’armistice en métropole qui va s’ensuivre, alors même que Laval est en route pour Munich pour discuter de l’engagement de la France, il tergiverse pendant trois jours avant de donner l'ordre de cessez-le-feu à ses subordonnés d'Oran et du Maroc, où le combat fratricide et sanglant entre français et alliés se poursuit inutilement. Les combats à Oran et au Maroc Là où les résistants ont échoués, il y a eu des milliers de morts et de blessés, notre flotte présente et notre aviation détruites.

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Arrestation des conjurés à Oran A Oran, le plan de la résistance consiste à s'emparer des transmissions et à neutraliser les autorités et les éléments armés par l'action combinée de certains corps de troupe et de groupes de patriotes civils. L'organisation est prête depuis de longs mois, mais le colonel Tostain, chef de la résistance, mis en difficulté par la défection du colonel commandant la Brigade Légère Mécanique sur le concours duquel il pensait pouvoir compter, se décide finalement à informer le général Boisseau commandant la division d'Oran, espérant le décider à recevoir amicalement les américains et à prendre la direction de la résistance. Ce dernier met immédiatement Tostain aux arrêts et déclenche un dispositif d'alerte dans son secteur. Roger Carcassonne, pour ne pas risquer d'envoyer ses hommes au carnage, décommande l'opération. Il se borne seulement à maintenir certaines interventions de sabotage et de guidage des parachutistes alliés, ainsi que la protection par son adjoint, l'ingénieur Moyne, des installations portuaires, qu'il faut conserver intactes pour les alliés. Ainsi ces équipements vont-ils pouvoir rester utilisables après la prise d'Oran. Par ailleurs, le Service d'Ordre Légionnaire, parvient à se déployer, et pendant trois jours on livrera de sanglants combats aux Alliés. L’échec du putsch militaire au Maroc Au Maroc, seuls quelques officiers et contrôleurs civils ont été associés à la conspiration, car Rigault, collaborateur de Lemaigre-Dubreuil, a volontairement laissé de côté la seule organisation gaulliste pourvue d'armes, celle de Valabrègue. Le chef des conjurés, le général Béthouart, ne dispose que de quelques jours pour préparer son action, lorsque la date du débarquement lui est communiquée par Rigault qui lui transmet un horaire inexact. Il se réserve l'arrestation à Rabat du général Noguès, résident général, avec l'aide du régiment du colonel Magnan. Il doit y prendre le pouvoir et constituer un cabinet, avec les contrôleurs civils Gromand et Boniface pour le seconder. Il a chargé son adjoint, le général Desrée, d'accueillir pacifiquement à Casablanca les deux colonnes alliées qui doivent y faire leur jonction. Il annoncerait alors la rentrée en guerre derrière le général Giraud et inviterait l'amiral Michelier à accueillir pacifiquement à Casablanca la flotte alliée. Ainsi, Michelier, complètement isolé, ne pourrait-il que s'incliner. Dans la nuit du 7 au 8 novembre, après avoir fait arrêter par les frères Guillaume, résistants civils, les généraux Lascroux et Lahoulle, Béthouart fait encercler, à 1 heure du matin, la résidence générale par les hommes du colonel Magnan. Béthouart envoya à Noguès l'un de ses officiers, le colonel Moll, pour lui demander de se rallier à la résistance et d'en prendre la tête. Il attend en vain une réponse pendant plusieurs heures, au lieu d'arrêter immédiatement Noguès, comme le lui proposait le colonel Magnan. Son envoyé ne revient pas, et pendant ce temps Noguès ne perd pas de temps ; Béthouart ayant omis de lui couper le téléphone, il appelle l'amiral Michelier à Casablanca. Selon cet amiral, les États-Unis sont incapables après leurs désastres maritimes initiaux dans le Pacifique, de disposer des navires nécessaires à une telle entreprise. En outre le service de renseignements de la marine, « capable de déceler la moindre sortie d'une barque de pêche du port de New York », est formel : aucun navire des États-Unis ne s'annonce au large, et donc aucune trace du débarquement massif allégué par Bethouart. Michelier réfute donc formellement les dires de Bethouart. Noguès appelle alors le colonel Leyer et ses chasseurs, ainsi que le colonel de Vernejoul et ses spahis. Sur son ordre, ils viennent encercler le régiment insurgé de Magnan, qui est sommé de se rendre. En outre, lorsque Béthouart l'appelle à son tour, Noguès lui répond qu'il ment ou a été abusé par la propagande américaine.

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Béthouart, abusé par l'horaire inexact donné par Rigault, a déclenché son action trois heures trop tôt. Aussi croit-il, à tort, que les alliés ont débarqué depuis plusieurs heures aux endroits prévus. Il décide donc de se rendre, et est immédiatement arrêté et emprisonné avec ses compagnons, en attente de passer en conseil de guerre. Le général Patton interviendra auprès de Noguès pour qu’on en reste là. Les opérations militaires au Maroc Les forces alliées sont donc attendues de pied ferme, et, même après le survol de Casablanca par les avions lanceurs de tracts, selon lesquels les alliés viennent en libérateurs, l'armée d'Afrique se prépare à les combattre. En ce qui concerne l'escadre française basée à Casablanca où les combats seront les plus meurtriers, le vice-amiral Michelier l'envoye à la bataille. Disposant d'informations erronées du deuxième bureau de la Marine, il s'est décidé trop tard à faire sortir ses bâtiments du port, d'où ceux-ci appareillent en formations serrées sous les ordres du contre-amiral Gervais de Lafond. Les commandants des bâtiments de la marine de Vichy menent au combat leurs navires contre la flotte alliée dans une bataille navale inégale, tant la supériorité numérique et la puissance de feux des unités alliées est écrasante. De plus les navires de guerre alliés sont équipés de radars et de sonars dont ne disposent pas les unités de la marine de Vichy. A quai, le cuirassé Jean Bart, inachevé, est mis hors de combat. Le croiseur Primauguet est coulé ainsi que plusieurs contre-torpilleurs, torpilleurs, sous-marins et avisos, après une lutte tant héroïque qu'inutile. Les bâtiments hors de combat sont échoués à la côte ou sabordés pour épargner les équipages survivants. Les forces terrestres de Noguès reçoivent les alliés à coup de canon et bloquent leurs débarquements à Casablanca et Safi. Les hommes d'Eisenhower manquent d'entraînement ; aussi ils subissent de grosses pertes pendant trois jours. Noguès fait fuir au Maroc espagnol les membres des commissions d'armistice de l'Axe. Il engage par ailleurs une forte répression contre les milieux réputés gaullistes, tandis qu'il fait comparaître les auteurs du putsch manqué de Rabat devant un tribunal où ils vont jouer leurs têtes. N'étant pas sûr de vaincre sur le littoral, Noguès propose au sultan Mohammed V de se replier avec lui dans l'intérieur, pour y engager des opérations de guérilla contre les alliés. Mais, le sultan refuse de suivre ses conseils. Les opérations militaires à Oran Le plan d’attaque allié sur Oran se résume en un mouvement en pince entre les alliés débarquant à l’est et l’ouest de la ville. L’est d’Oran est l’objectif de la Force Z : ce sont les 16e et 18e régiments de la 1re Division d’Infanterie US, le 1er Bataillon de Rangers, la 2e brigade (combat command B) de la 1re Division Blindée US qui effectuent l’assaut sur le port d’Arzew. A l’ouest de la ville, la Force Y prend pied sur la plage des Andalouses avec le 26e régiment de la 1re Division d’Infanterie US sous le commandement du général de brigade (Brigadier General) Theodore Roosevelt (que l’on reverra plus tard sur la plage d'Utah Beach, puis à Sainte-Mère-Église lors du débarquement en Normandie). Enfin, le centre du dispositif, sous la direction du général de division (Major General) Lloyd Fredendall qui a combattu sous les ordres du général John Pershing, doit prendre Oran par le sud avec la 1re Division Blindée US et s’assurer le contrôle de La Senia et de Tafaroui. L’assaut sur Arzew s’effectue à 0 h 55 : les barges de débarquement déversent leurs troupes qui se rendent rapidement maîtresses des lieux, en surprenant les troupes françaises en plein sommeil. Arzew sous contrôle, les rangers du Lieutenant-colonel Darby s’attaquent alors au Fort du Nord situé sur les hauteurs d’Oran qui menace, de par sa position, la flotte alliée : les français de Boisseau accueillent les « visiteurs » sous le feu de leurs armes

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automatiques. La réponse alliée se fait à coup de tirs de mortiers qui écrasent la défense : le fort est pris à 3 h 55. De son côté, la Force Y débarque sans aucune opposition : le général Eisenhower prend pied sur la plage à la nage, après que sa jeep eut coulé à la suite d'une mauvaise appréciation de la profondeur de l’eau par les barges de débarquement. Au centre, la situation est beaucoup moins enviable : les sloops HMS Walney et HMS Hartland, engagés dans l’Operation Reservist, qui se dirigent sur les ports d’Oran, se retrouvent sous les canons des sous-marins français Céres et Pallas, ainsi que des torpilleurs Tramontane et Typhon. Le Walney et le Hartland sont détruits et l'on dénombrera environ 120 morts et une centaine de blessés dans les rangs alliés. Parallèlement, le commandant du port fait saborder une trentaine de bateaux français et tente de bloquer l'entrée du port, sans succès, grâce aux résistants de l'ingénieur Moyne. Pendant trois jours, des combats acharnés se déroulent à Casablanca, Fedala et Safi, avec de fortes pertes dans les deux camps : à Oran et au Maroc, les français perdent en trois jours 1 346 tués et 1 997 blessés, contre 479 morts et 720 blessés du côté des alliés. La marine voit disparaître presque tous ses navires, 475 avions sont détruits. Le cessez le feu général Le 10 novembre, Juin et Darlan, prisonniers du général Clark, qui s’impatiente, sont placés sous la garde d'une cinquantaine de rescapés des deux sloops de la Royale Navy coulés le 8 novembre à Oran. Juin finit par persuader Darlan de signer l’ordre de cessez le feu général. Dorange est chargé de le porter au Maroc. Juin active alors sa directive d’alerte générale pour que la Tunisie se mette en état de résister aux attaques allemandes, car déjà les avions précurseurs du débarquement allemand y ont atterri. Mais, après l’arrivée de Laval à Munich et le désaveu de Pétain, la confusion est à son comble : Darlan annule son ordre, et se déclare prisonnier de guerre. Attaque de sous-marins allemands à Casablanca Le jour de la reddition des troupes vichystes, plusieurs U-Boot allemands, sous les ordres du capitaine Ernst Kals, arrivent dans la baie de Casablanca et entament des opérations contre les bâtiments alliés. Le 12 novembre, le sous-marin U-130, commandé personnellement par Ernst Kals, coule quatre bâtiments américains de transports de troupes et endommage également un destroyer et un pétrolier ravitailleur. Les manœuvres des U-Boot durent jusqu'au 16 novembre, date à laquelle le sous-marin U-173 fut coulé par les destroyers américains. U-130 parvient à quitter la baie sans dommages. Les opérations allemandes, bien qu'ayant pris par surprise les alliés, n'eurent pas d'impact décisif sur la prise de contrôle du Maroc. Considérations sur la hiérarchie et la discipline La discipline est, c’est bien connu, la force des armées, surtout en présence d’un ennemi. Un militaire ne peut pas s’opposer à son supérieur hiérarchique, il peut tout au plus espérer infléchir sa décision, mais une fois la décision prise, il doit obéir aux ordres. Ainsi Juin, quelque soit son opinion, devra suivre Darlan. Tout au plus pourra-t-il le pousser, à l’aube du 8 novembre, à déclarer le cesser le feu. Bethouard parlementera avec Noguès, mais le laissera libre de communiquer, de contacter son supérieur, mettant ainsi en danger l’opération à laquelle il participe. A l’aérodrome de Blida, Monsabert agira de même avec Montrelet, n’employant la force qu’au tout dernier moment. Pour lui-même, il refusera de répondre au téléphone à son supérieur, Koeltz, se laissant ainsi libre de continuer à agir. Les volontaires n’ayant pas ces

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scrupules, leur action sera bien plus efficace ; ils commencèrent par mettre tout le monde sous les verrous, et ne parlementèrent qu’après. Les officiers ainsi neutralisés, en furent doublement humiliés, d’une part que ce soit le fait d’une bande de jeunes, mal armés, et qui plus est juifs, et d’autre part que cette neutralisation démontre qu’on ne leur faisait pas confiance pour agir au mieux pour les intérêts de la nation. Force est de constater que là où les autorités n’ont pu être neutralisées, à Casablanca et à Oran, elles ont données l’ordre de résister. Enfermé à Alger, Koeltz est furieux, « vous serez tous fusillés » hurle-t-il, et il tente d’envoyer des ordres de résistance. Darlan enfermé lui aussi, a tenté par deux fois de faire passer un ordre de résistance, la deuxième tentative ayant d’ailleurs réussi. Une fois libéré, il demande à la Luftwaffe de Sicile de bombarder la flotte allié. Ripostes de l’Axe Les conséquences immédiates de l'opération Torch sont les représailles d'Hitler en Tunisie puis en métropole. Le 8 novembre, relayant les ordres de Vichy, l’armée de terre du général Barré se met en place pour résister aux alliés, sur le littoral tunisien. Le 9, Vichy prévient que le gouvernement a accepté l’utilisation des bases aériennes par les forces allemandes. L’amiral Esteva donne l’ordre de ne pas résister. Les aviateurs allemands se posent à Tunis sans encombre le 9 novembre. C’est alors que les ordres de Vichy et ceux d’Alger divergent. Le résultat est que soit on reste l’arme au pied et neutre (comme la marine à Bizerte), soit on se retire vers l’ouest en constituant une ligne de défense face aux allemands au fur et à mesure qu’ils développent leur implantation. A partir du 12 novembre, et sous la protection des forces aériennes de Sicile, les allemands amènent une division blindée et deux divisions d’infanterie. Les italiens ont deux divisions. D'autre part débute la campagne de bombardement de l'Algérie par la Luftwaffe. De 1942 à 1943, les bombardiers décollant depuis la colonie italienne voisine de Libye attaquent des cibles civiles dans le département de Constantine, notamment à Bône et Djidjelli. Dans le département d'Alger, les bombardiers en piqué allemands prennent pour cible le port d'Alger. Les conséquences politiques Les conjurés se retrouvent chez Lemaigre Dubreuil, à la villa Mahieddine. On y trouve Mast, Beauffre, Monsabert et Giraud. En métropole, est publié le décret annonçant que les traîtres Mast, Béthouart, Monsabert, Jousse sont déchus de la nationalité française. Monsabert raconte « Au début la villa est gardée par un détachement américain, qui disparaitra un beau jour ; ce sont les chantiers de jeunesse qui nous garderont jour et nuit, armés de leur seule bonne volonté. Certains soirs, on se tiendra prêt à soutenir un siège. Certes, l’armistice est signée, mais ce sont les autorités d’hier qui sont en place. Giraud n’a pas encore imposé sa volonté. Dans le palais arabe défilent les personnalités les plus diverses, un vrai kaléidoscope. Le palais Mahieddine est le creuset d’où va sortir l’organisation de demain ». Arrivent le général Clark et Murphy. Clark s’adresse à Giraud : « L’armée américaine a réussi à débarquer en Afrique du nord ; l’amiral Darlan a ordonné le cessez-le-feu en Oranie et au Maroc et les troupes françaises observeront partout la neutralité. Nous devons maintenant pousser nos troupes, le plus rapidement possible, sur la Tunisie. Nous avons besoin qu’un chef militaire français prenne le commandement civil et militaire. L’amiral Darlan est notre prisonnier. Que comptez vous faire ? » Mais, plutôt que de répondre « je prends le commandement civil et militaire », Giraud en reste à sa prétention chimérique d’être le commandant en chef. Il refuse et tergiverse. L’armée d’Afrique ne s’est pas levée à son nom, le maréchal réagit dans un sens qu’il n’avait pas prévu. Murphy 117


souhaiterait une solution plus régulière, qui puisse avoir l’assentiment de Vichy. On voudrait l’Amiral avec nous, momentanément, et la flotte française, définitivement. A la place d’un accord avec un gouvernement de libération, libre et indépendant, dirigé par un chef incontesté, ayant en poche les accords Clark/Giraud de Cherchell, les américains sont donc amenés à traiter avec un amiral vaincu, soumis à leurs exigences. Murphy exige de l’amirauté la libération des volontaires qui ont été fait prisonniers (et qui ont failli être fusillés). Constatant le fait que Darlan est prisonnier, Pétain nomme Noguès comme son représentant en Afrique du nord. Darlan appelle Noguès à Alger. A tout moment, on attend l’annonce de la fuite de la flotte de Toul on vers la haute mer. Si ces navires rallient Alger, la France reprendra sa place aux cotés des alliés. Elle pourra s’imposer auprès des trois grands. Le 11, Darl an, pressé par les américains, a lancé un message à la flotte pour l’inciter à gagner non pas Alger, mais Dakar, terrain plus neutre. L’amiral Laborde refuse catégoriquement, et, l e 11 novembre 1942, l'opération Anton provoque l'invasion de la zone libre. Le sud de la France épargné de l'occupation depuis 1940 est envahi par les Allemands et les Italiens. Le 27 novembre la flotte se saborde lamentablement pour éviter de tomber aux mains de l’ennemi. Un seul sous marin, le Casabianca, s’échappe. Chacun des chefs militaires présents (Giraud, Juin, Darlan, Dorange, Noguès) joue un jeu personnel dépendant plus ou moins des nouvelles qui ne cessent de parvenir de Vichy et qui, à l’image des événements d’Alger, passent par les alternances les plus diverses. A la moindre anicroche, on se réfugie derrière l’affirmation de sa fidélité au maréchal, du respect de la hiérarchie du moment et l’attente d’ordres. Giraud ne se révèle pas comme un fin négociateur, et Darlan apparait finalement comme le seul à pouvoir se faire obéir de l’armée. Les généraux Weygand et Georges, que Pétain a appelés d’urgence à Vichy, le pressent de partir à Alger. Mais, comme au moment de l’armistice, il refuse. Le 12 novembre, Roosevelt répond à Churchill : « Je suis tout à fait d’avis qu’il nous faut éviter une rivalité entre les factions des émigrés français, et ne vois aucun inconvénient à ce qu’un émissaire de de Gaulle aille voir Giraud à Alger. Nous devons également nous rappeler que Giraud et Darlan sont entre eux comme chien et chat …. La première chose à faire comprendre à ces trois prima donna, c’est que la question militaire est primordiale actuellement, et que toute décision prise, par l’un d’entre eux ou par les trois, est sujette au contrôle et à l’approbation d’Eisenhower ». Le gouvernement Darlan Le gouvernement est constitué le 14 novembre 1942 par Darlan sous le nom de « Haut-Commissariat de France en Afrique ». Il prend le pouvoir « au nom du Maréchal », et mobilise les français d'Afrique du Nord pour « libérer le Maréchal ». Giraud est nommé commandant de l'armée de Terre et de l’air, Michelier de la marine. Les "Cinq", malgré leur déception, acceptent d'entrer dans ce gouvernement : Jean Rigault est secrétaire à l’intérieur, Henri d'Astier secrétaire-adjoint à l'Intérieur et obtient la responsabilité de toute la police et du renseignement. Saint Hardouin est secrétaire aux affaires étrangères. Alfred Pose, financier, ami des cinq, est secrétaire aux finances. Le 23 novembre le gouverneur général Pierre Boisson à Dakar se rallie au nouveau gouvernement. Le Haut-Commissariat maintient toutes les lois et mesures d'exception de Vichy, y compris même l'internement des résistants déportés dans les camps de concentration du sud. Ceux qui ont fait le coup de main se sentent frustrés, Van Hecke et d’Astier parlent de reprendre la ville. 118


« Nous décidons de réalerter l’ensemble des groupes de façon qu’ils soient disponibles en toute éventualité. Nous mettons au point un plan de permanence pour avoir toujours sous la main un contingent disponible » (Mario Faivre – le chemin du palais d’été) Les correspondants de guerre alliés, alertent les opinions publiques du Royaume-Uni et des États-Unis. Churchill se fait interpeller aux Communes, tandis que Roosevelt, pris à partie par la presse américaine, explique que les accords Clark-Darlan ne sont que des « expédients militaires », tout en les maintenant. Churchill écrit à Roosevelt : « Darlan a un passé odieux. C’est lui qui a inculqué à la marine son mauvais esprit. Hier encore, des marins français étaient envoyés à la mort devant vos navires de ligne, au large de Casablanca, et, voici qu’aujourd’hui ce même Darlan tourne casaque par soif du pouvoir et désir de rester en place. La grande masse des gens du peuple, dont la fidélité simple et franche fait notre force, ne comprendrait pas la formation d’un gouvernement constitué par lui en Afrique du nord ». Roosevelt répond à Churchill « Je comprends et j’approuve tout à fait ceux qui, aux Etats-Unis, en Grande-Bretagne et dans toutes les autres Nations Unies, estiment qu’en raison des événements historiques de ces deux dernières années, aucun accord durable ne doit être conclu avec l’amiral Darlan » Staline ajoute « Il me semble que les américains ont traité Darlan avec certains égards afin de faciliter l’occupation de l’Afrique du nord et de l’ouest. La diplomatie militaire doit pouvoir se servir, dans ses desseins militaires, non seulement d’un Darlan, mais du diable lui-même et de sa grand-mère » L'Afrique du Nord a été mise entre les mains d’un homme qui, symbolisant la collaboration, concentre sur lui la haine des résistants, qui ne peuvent évidement pas s’unir derrière lui ; ils pensent que l’empire en guerre ne peut rester morcelé, qu’il faut remplacer le système actuel par un gouvernement où siégeront ensemble, qu’ils le veuillent ou non, Giraud et de Gaulle, et qui aura ainsi l’autorité nécessaire pour discuter avec les anglo-saxons et préparer la paix. Pose et d’Astier trouvent même un dénominateur commun aux deux généraux : le comte de Paris. Les représentants des gouvernements alliés comprennent eux aussi qu’ils devront provoquer dans le régime de l’Afrique du nord les changements nécessaires pour faciliter l’entente entre les dirigeants de l’Afrique du nord et de Gaulle, et réunifier ainsi l’empire français. En somme, Alger est une grenouillère et on y conspire de tous les cotés.

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Le général de Monsabert Face au débarquement du 8 novembre 1942 à Alger. Par Bernard de Boishéraud 1 (extrait du livre « hommage au général de Monsabert »)

La préparation Après avoir commandé le 9° RTA2, de 1937 à 1939, puis le Groupement de Défense du Sud Tunisien en 1940, le colonel de Goislard de Monsabert est, en septembre 1940, nommé commandant de la 5ème Brigade et de la Subdivision de Blida. La 5ème Brigade comprend à l'époque le 1° RTA3 (Blida-Cherchell-Boghar) et le 9° RTA (Miliana-Tenes-Orleansville4) dont le colonel de Monsabert, son ancien colonel, a obtenu le maintien au prix de la dissolution du 5° RTA pourtant plus ancien. D'où une certaine rancune de ceux des anciens cadres du 5° RTA affectés au 1° RTA, et qui ne sera pas sans conséquences sur l'évolution de la situation dans la journée du 8 novembre 1942. La 5ème Brigade sera complétée ultérieurement par le Régiment de Marche du Levant, puis, après le départ de celui-ci, par le 29° RTA du colonel Baril5, constitué d'éléments rapatriés de Syrie à la suite des combats fratricides de l'été 1941 et violemment anglophobes. Le PC du 29° RTA s'installera à Koléa. La subdivision de Blida s'étend sur 200 kilomètres, entre la mer et l'Atlas Tellien, depuis la ligne générale Koléa-Boufarik jusqu'à la limite ouest du département d'Alger (Le Guelta-Charon-Bou Caïd). Elle comprend notamment la partie occidentale de la riche Mitidja, la partie centrale de la vallée du Chélif, les massifs du Zaccar et du Dahra et le versant nord de l'Ouarsenis. Ces limites ne coïncident pas toujours avec les zones de stationnement de la 5ème Brigade, dont certains bataillons occupent ou occuperont Maison-Carrée et Dellys, dans la subdivision d'Alger, et Boshar, dans la subdivision de Médéa. Inversement, quelques unités n'appartenant pas à la 5ème Brigade stationnant sur le territoire de la subdivision de Blida. C'est le cas notamment du 65° RA 6 dont le PC et un groupe sont à Blida et de l'importante base aérienne de Blida-Joinville7. Dès sa prise de commandement, le colonel de Monsabert s'attache à la réorganisation des régiments, nécessitée par le vaste brassage des effectifs qu'ils 1- Les notes « pdb » ont été ajoutées pour la publication de ces livrets d’archives familiales. Le livre « notes de guerre » du général de Monsabert, est paru lui-même en 2000, bien après le livre d’hommage au général (1978). (note pdb) 2- RTA : Régiment de Tirailleur Algériens (note pdb) 3- Colonel Conne 4- Colonel Monnier-Condroyer. Au 9° RTA appartiennent aussi le lieutenant Galharague et le lieutenant de Waresquiel. 5- Le colonel Baril, ancien chef du 2e Bureau de la 1ère Armée à Vichy, avait été muté à Alger à la suite d’un rapport prédisant la défaite allemande. (note pdb) 6- Colonel Dumas 7- Général Montrelet 121


viennent de subir en application des conditions de l'armistice. Il consacre surtout ses efforts à l'instruction et à l'entraînement des cadres et de la troupe. Il s'agit de tirer les enseignements des combats et de développer au maximum l'endurance, la mobilité, l'aptitude à la manœuvre des unités et le goût de l'initiative à tous les échelons. Aussi, inspections, conférences, exercices d'alerte, manœuvres et prises d'armes se succèdent sans relâche pendant deux ans. Quand viendra l'heure de reprendre les armes, les unités, pauvrement équipées, seront remarquablement entraînées. Le colonel de Monsabert, profondément convaincu de l'importance du moral, se réfère sans cesse aux enseignements développés après 1918 par le général Von Ludendorf dans son livre "Moral et Matériel". Avec persévérance, il s'efforce, à l'intérieur de sa brigade, d'entretenir la flamme de la revanche et de créer un véritable esprit de corps. La mutinerie de Maison Carrée, fin janvier 1941, vient précisément montrer combien est fragile le moral des tirailleurs après la défaite de nos armes. Un soir, après avoir égorgé le poste de police et s'être emparé d'un magasin d'armes et d'une poudrière, 3 à 400 hommes dévalent dans la grande rue de Maison Carrée tuant tous les Européens sur leur passage. L'enquête sur les origines de l'émeute1 fait apparaître l'erreur du commandement qui avait rassemblé là un véritable troupeau d'hommes provenant de tous les horizons, avec des cadres inconnus des tirailleurs et n'ayant souvent aucune expérience de la troupe nord-africaine. L'enquête dévoile également la responsabilité de quelques notabilités civiles locales sympathisantes du P.P.A.2 et le fait que certains des meneurs étaient à la solde de l'Allemagne. L'enquête met aussi en avant, pour la première fois, la personnalité d'un certain caporal Ouamrane Randan qui, bien que gravement compromis, bénéficia d'une indulgence regrettable et que nous retrouverons en 1955 à la tête des premiers maquis kabyles. Le colonel de Monsabert est très affecté par cette malheureuse affaire, à l'intérieur de sa brigade, et par la répression énergique qui a suivi. Convaincu plus que jamais de l'interdépendance entre le moral des tirailleurs et celui du milieu civil qui les entoure et dont ils sont originaires, il se lance avec ardeur dans une politique de contacts avec la population de sa subdivision. Il multiplie les rencontres avec les autorités administratives, les caïds ou Bachagas et les propriétaires fonciers dont il connaissait déjà la plupart depuis son commandement du 9° RTA Avec l'aide de son officier A.M.M.3, le dévoué capitaine Castaing, il organise un système de renseignements qui lui permet de suivre de près l'évolution du moral des Français et des musulmans. Il lance l'idée des fêtes du Centenaire de la création des tirailleurs, qu'il fait adopter par le général Weygand. Chargé de les organiser4, il en fera, en novembre 1941 novembre 1941 la manifestation du magnifique redressement de l'armée d'Afrique et de l'élan patriotique qui anime toute la population algérienne.

1- C'est à l'occasion de cette enquête que le colonel de Monsabert fait connaissance du commissaire André Achiary dont on connaît le rôle lors du débarquement américain de novembre 1942. 2 - PPA : Parti du Peuple Algérien, fondé le 11 mars 1937 par Messali Hadj en France après l'interdiction de l'Étoile nord-africaine (ENA). (note pdb) 3 - AMM : Affaires Militaires Musulmanes (note pdb) 4- Avec l'aide du colonel Jamilloux, futur commandant du CID/3 et la collaboration du lieutenant Vrillon futur officier du chiffre de la 3° DIA. 122


Cette politique est le prétexte de rapports fréquents avec l'Etat-major du général Weygand (en particulier avec le colonel d'astaing de Villate, le commandant Gasser et le commandant Beaufre) ; mais il est peu vraisemblable que le colonel de Monsabert ait eu vent, par ce canal, d'éventuels contacts entre le général Weygand et les anglo-saxons. Dès la fin de 1940, il faut mettre sur pied le "Plan de Protection" et le "Plan de Défense" de la subdivision, tant pour le maintien de l'ordre que pour la surveillance et la défense du littoral et du territoire contre toute agression. Ce dernier point est le plus délicat compte tenu de la faiblesse des moyens (au mieux 3 bataillons sur les 200 kms de côtes à Tenes, Cherchell et Kolea et 3 bataillons en arrière à Orleansville, Miliana et Blida - avec un groupe d'artillerie à Blida). Par ailleurs, un certain nombre de moyens, implantés sur son territoire, échappent à l'autorité du commandant de la subdivision. C'est le cas notamment des "Douaïrs" des douanes et des "Phares et Balises", chargés de la surveillance du littoral et dont les renseignements seraient précieux pour le déclenchement de l'alerte et la conduite de la défense. Malgré les nombreuses et pressantes démarches auprès des autorités d'Alger, les particularismes demeurent et seules peuvent être réalisées des ententes locales au niveau des commandants d'armes1. Outre la défense de ses 200 kilomètres de côtes, la subdivision est chargée de défendre la Base aérienne de Blida-Joinville contre toute attaque terrestre ou aéroterrestre. Cette mission, qui suppose l'établissement d'un Plan de Défense commun, entraîne des contacts fréquents avec cette base, dont le climat est assez différent de celui des régiments de tirailleurs. En simplifiant, on pourrait dire que les aviateurs se sentent plus attirés par le gaullisme que le reste de la garnison de Blida. C'est ainsi que lorsque le général Weygand fait officieusement interdire aux familles d'officiers de fréquenter une aimable et très accueillante famille britannique installée depuis plusieurs années dans la banlieue blidéenne, la consigne, respectée par les officiers de l'armée de terre est interprétée assez librement par certains de nos camarades de Joinville. Les uns et les autres cependant écoutent très régulièrement la BBC. Au cours de l'hiver 1940-1941, le colonel de Monsabert reçoit la copie de documents rédigés par le général Giraud dans sa prison de Königstein. Il s'agit de réflexions sur la défaite provisoire de la France et ses causes ainsi que sur les voies et moyens de son redressement. Ces documents, au nombre de six, datés de juillet à novembre 1940, parviennent confidentiellement par le canal d'un ami commun, le chef de bataillon Lardin, qui commande le 1er bataillon du 1° RTA à Cherchell. Celui-ci sera malheureusement muté en métropole avant novembre 19422. Le général de Monsabert est lui aussi un fidèle du général GIRAUD sous les ordres duquel il a servi au Maroc. Il en parle souvent avec respect et admiration et, après la destitution du général Weygand, il voit en lui un des chefs possibles de la revanche. 1- Ce qui explique le comportement des douaïrs lors de la réunion clandestine des généraux Mast et Clark, le 22 octobre 1942 dans une villa de l'Oued Messelmoun sur le territoire de la place de Cherchell. 2- Le commandant Lardin réussira à regagner Alger quelques temps après le débarquement. Ayant passé quelques temps au cabinet du général Giraud, il rejoindra la 3° DIA à la veille de l'attaque du Garigliano. L’adjoint du capitaine adjudant Lardin au I/1° RTA était le capitaine de Rocquigny futur commandant du I/3° RTA. 123


Tout a été dit sur le rôle du général Weygand pendant son proconsulat à Alger et sur son prestige auprès des populations françaises et musulmanes. Son élimination par les Allemands en novembre 1941, au lendemain des fêtes du Centenaire, est douloureusement ressentie par l'armée d'Afrique à laquelle il avait insufflé son dynamisme et sa foi et dont il avait rétabli la cohésion. Le colonel de Monsabert en est d'autant plus affecté qu'il lui doit ses étoiles de brigadier. Le nouveau commandant en chef à Alger, le général JUIN, ne laisse pas le doute s'installer dans les esprits. A l'issue de la première manœuvre qu'il prescrit aux abords de Blida, il fait réunir les officiers au milieu d'un immense champ entouré de sentinelles, et là, à l'abri d'oreilles indiscrètes, il précise nettement, dans son langage un peu rude, que la mission demeure inchangée et que l'armée d'Afrique doit poursuivre sa préparation à la reprise de la lutte contre "le boche". Cette consigne règle la vie des unités durant les dix premiers mois de 1942. En avril, l'évasion du général Giraud1 est saluée comme un exploit et un succès. En mai, le général Mast2, ex-compagnon de captivité du général Giraud, et l’un des organisateurs de son évasion, est affecté à la division d’Alger. Il est bientôt (on ne le saura que plus tard) désigné comme délégué personnel du général Giraud en Algérie pour la préparation clandestine d'un débarquement allié qui n'est pas attendu avant 19433. Le général de Monsabert rencontre fréquemment à Alger son ancien camarade de promotion de Saint-Cyr, devenu en septembre commandant de la division d’Alger ; les motifs de service ne manquent pas. Leur foi commune dans les possibilités de revanche les rapproche ; mais le général de Monsabert déclarera plus tard qu’il ne fut pas à cette époque informé des projets de débarquement allié en AFN. D’ailleurs aucune modification importante n'est apportée pendant l’été 1942 ni au Plan de Défense de la subdivision ni aux activités de la 5ème brigade. La seule innovation est la constitution dans les massifs du Zaccar et du Dahra de quelques petits dépôts clandestins de vivres et de munitions, en prévision d'actions de guérillas éventuelles contre un agresseur quelconque. Cette mesure ne paraît pas spécialement adaptée à l'hypothèse d'un débarquement allié, et la réalisation de ces dépôts sera peu à peu abandonnée. Le mois d'octobre 1942 se déroule sans incident notable pour qui n'est pas dans la confidence. C’est cependant le 18 octobre que le général Mast aurait mis le général de Monsabert au courant du projet de débarquement et lui aurait demandé de participer à la préparation et au déroulement de celui-ci ; le patronage du général Giraud aurait suffi si nécessaire à lever les hésitations éventuelles du général de Monsabert. Celui-ci gardera jusqu’au 8 novembre le secret le plus absolu sur cette opération, même vis-à-vis de la générale comme il le dira plus tard. La rencontre secrète du général Clark et du général Mast, le 22 octobre dans une villa de la côte à une vingtaine de kilomètres à l'ouest de Cherchell, est totalement 1- dont le commandant de Linares, futur commandant au 3° RTA, a été un des principaux artisans. 2- Mast est nommé chef d'état-major du 10e corps d'armée, le 1er juin 1940. Fait prisonnier par les nazis le même mois, Mast est déporté à la forteresse de Königstein. Il s'y retrouve captif avec une centaine d'autres généraux dont les généraux Juin et Giraud. (note pdb) 3- Le général Béthouart reçoit la même fonction au Maroc. (note pdb) 124


ignorée de l'Etat-major de la subdivision de Blida1. Le général de Monsabert n'a prescrit aucune mesure pour assurer la sûreté de cette réunion qui, cependant, se déroulait sur le territoire dont il avait la responsabilité. Rien ne me permet de dire s'il était oui ou non au courant. Il apprendra certainement dans les jours suivants par le général Mast que, bien que le général Clark n'ait précisé aucune date, l'intervention américaine est vraisemblablement à prévoir pour la fin novembre. En cette fin d'octobre, quelques jours avant le débarquement américain, que bien peu imaginent si proche, le climat moral à l'intérieur de la subdivision de Blida peut se décrire à peu près de la façon suivante : Les trois régiments de la 5ème Brigade et le 65° RA ont un moral excellent, et un esprit de discipline sans faille. Ils sont supérieurement entraînés et le premier bataillon venu est capable d'accomplir d'un trait un raid de 50 à 60 kms à travers le djebel. Tous attendent le jour où, ayant reçu un armement et un équipement modernes, ils pourront, aux côtés des Américains, reprendre la lutte contre la Wehrmacht. Tous ou presque, sont fidèles au Maréchal Pétain, chef prestigieux à qui a été prêté serment d'obéissance. Dans l'ensemble, cadres et troupes ne sont pas favorables aux gaullistes, tout en reconnaissant qu'ils maintiennent le drapeau avec honneur sur les champs de bataille et en applaudissant sans réserve aux succès du colonel Sarrazac et du général Leclerc. Mais Mers el Kebir, Dakar et Libreville ont laissé des traces profondes et les unités rapatriées de Syrie (le 29° RTA et quelques aviateurs de Joinville) conservent un souvenir douloureux des combats qui les ont opposés aux "Free French". C'est pourquoi, lors de la réunion Clark-Mast du 22 octobre, il avait été recommandé, vainement, au général Clark de ne pas débarquer de troupes britanniques entre Castiglione et Sidi Ferruch, face au 29° RTA. A l'intérieur de la 5ème Brigade, seuls, semble-t-il, le général de Monsabert et le colonel Baril commandant le 29° RTA sont prévenus des événements qui se préparent. Le général de Monsabert conservera le secret jusqu'à la dernière minute, même vis-à-vis de ses collaborateurs les plus proches, soit par souci de discrétion, soit pour ne pas les compromettre dans une aventure encore hasardeuse, soit pour ne pas les placer devant un cas de conscience qu'il n'était pas certain lui-même d'avoir bien résolu. Dans la population européenne, on pouvait distinguer : - une minorité favorable au gaullisme, les uns par patriotisme sincère se recrutant essentiellement dans la jeunesse, les autres par réaction contre les mesures prises vis-àvis des Juifs, des francs-maçons et des communistes. - Une seconde minorité, plus importante, inconditionnellement pétainiste se recrutant essentiellement parmi les héritiers du mouvement "Croix de feu" et les anciens combattants des deux guerres. Les hommes sont rassemblés dans les organisations de la "Légion Française des Combattants". Leur armement et leur emploi sont prévus dans certaines hypothèses du "Plan de Protection" et du "Plan de Défense". Jusqu'au 8

1- Le général Mark Wayne Clark, adjoint d'Eisenhower est venu secrètement en sousmarin rencontrer divers représentants militaires et civils de la résistance, dont le colonel Jousse, le général Charles Mast, et Bernard Karsenty, adjoint de José Aboulker, le chef de la résistance algéroise. (note pdb) 125


novembre 1942, les relations seront très bonnes entre l'armée et les dirigeants de la Légion. - La masse, attentiste, prête comme toujours à suivre le plus fort. La population musulmane, après avoir flotté dangereusement au début de 1941, en raison de la perte de prestige de la France et du soutien allemand apporté au P.P.A., a été rapidement reprise en main grâce à l'impulsion énergique du général Weygand, à l'activité incessante de l'armée et à l'action des officiers des Affaires Militaires Musulmanes. La masse est gouvernementale, donc pétainiste (il existe encore de nombreux combattants de 14-18) ; mais pour elle, le gouvernement, c'est encore un peu l'armée : son comportement dépendra donc de l'attitude de celle-ci.

La journée du 8 novembre à Blida Quand le général de Monsabert a-t-il été prévenu de la date exacte du débarquement ? Les auteurs diffèrent sur ce point. Dans « Histoire d’une rébellion », le général Mast écrit que Murphy lui a précisé le 28 octobre la date du 8 novembre et qu’il en avait avisé le 5 novembre le général de Monsabert. Ce dernier, dans ces notes personnelles, dit seulement « vers le 3 novembre », Quoi qu’il en soit, dès les premiers jours de novembre, le général de Monsabert fait preuve d'une activité inhabituelle, entreprenant une tournée rapide de toutes les garnisons, vraisemblablement pour essayer de deviner et d'orienter les réactions possibles des unités face à un débarquement américain qui n'est pas attendu si tôt. Le général de Monsabert fait cette inspection seul, contrairement à son habitude, sans avoir auprès de lui d'officier de son Etat-major. C'est au cours de cette tournée, qui durera jusqu'au vendredi 6 novembre, que le général est blessé assez grièvement à la tête, sa voiture ayant rebondi violemment sur un cassis. Pendant une huitaine de jours, il sera contraint de supporter autour de sa tête un pansement épais et peu esthétique. Cet accident n'est nullement arrivé le 8 novembre au soir à la base de Joinville, lors d'une fuite précipitée du général comme l'a prétendu M. Lemaigre Dubreuil1 dans un récit d'une mauvaise foi écœurante et qui laisse sceptique sur le crédit à accorder au reste de son propos. Au cours de la nuit du 30 au 31 octobre, le général de Monsabert fait exécuter à Blida un exercice d'alerte pour tester le "Plan de Défense" de la base aérienne de Joinville et vérifier la coordination des moyens du 1° RTA, du 65° RA et de la Base. Deux autres exercices seront déclenchés au début de la semaine du 1er au 8 novembre visant à améliorer les conditions de la transmission de l'alerte et du ramassage des cadres. Un dernier exercice de "Défensive passive" se déroulera dans la nuit du vendredi 6 au samedi 7 novembre, vingt quatre heures avant le débarquement.2 Le samedi 7 novembre, vers 11 h, le général de Monsabert, convoqué à Alger par le général Mast, me demande, en tant que responsable du 3ème bureau, de vérifier dans l'après-midi si les 1° RA et 65° RA sont bien prêts à mettre en œuvre le "Plan de 1- Version reprise notamment par M. Ordioni dans son livre "Tout commence à Alger", Stock, 1972, p. 416. 2- C'est le Seraph, submersible britannique, qui embarque le général Giraud au Lavandou et le transporte à Gibraltar, le 7 novembre 1942, d’où il doit prendre l’avion pour Blida. (note pdb) 126


Protection" et de régler avec eux les mises à jour qui s'imposeraient. A son retour, en fin d'après-midi, il reçoit, sur sa demande, le chef de bataillon Moulins de l'EM du 1° RA et précise avec lui une question de répartition d'effectif à l'intérieur du Plan. Après le départ du commandant Moulins, prévenu par mes soins que la Place de Blida a reçu l'ordre de faire prendre le surlendemain lundi 9, un pli urgent à l'EM du 19° CA1 ce qui était inhabituel et paraissait illogique, le général me répond que le général Koeltz va probablement faire exécuter un exercice d'alerte à son échelon et qu'il est à prévoir que le général Mast voudra lui-même faire une répétition la nuit prochaine. Il me recommande de n'en parler à personne et de revenir cette même nuit à 1h30 au PC de la subdivision. Il demande également au capitaine Castaing son officier AMM, en qui il avait une confiance totale, de prendre dans la soirée le "pouls" de la population blidéenne et de revenir également pour 1h.30 au PC de la subdivision. Il ne donne aucune consigne particulière pour les trois autres officiers de son Etat-major qui ont déjà quitté les bureaux. Ainsi le 7 novembre vers 20 heures, six heures avant l'heure prévue pour les premiers débarquements, le capitaine Castaing et moi quittons le général de Monsabert sans qu'il n'ait fait aucune allusion à l'éventualité de ce débarquement. Nous sommes loin d'imaginer ce que nous réserve le lendemain. Il en est de même, j'en suis persuadé, de tous les autres officiers de la garnison à l'exception d'un capitaine aviateur qui m'a dit le lendemain avoir su l'imminence du débarquement sans en connaître la date exacte. Le dimanche 8 novembre à une heure et demie, le général de Monsabert m'attend à son bureau. Il vient de recevoir de la Division d'Alger un message prescrivant d'appliquer la mesure "Berthe" du mémento de défense de la 19° Région, sans indiquer s'il s'agit d'un exercice ou d'une alerte réelle, mais précisant de ne pas mettre en état de marche les véhicules auto stockés (ce qui fait pencher pour un exercice). Le dispositif d'alerte doit être en place pour huit heures2. Le colonel Conne commandant le 1° RTA, le colonel Dumas commandant le 65° RA et le capitaine commandant la batterie qui, en application de la mesure prescrite doit se porter sur Sidi Ferruch sont convoqués immédiatement. Les sous-officiers de permanence des deux régiments reçoivent, par téléphone, l'ordre de rassembler les sousofficiers de semaine, puis, vers deux heures de faire mettre les hommes en tenue de campagne et d'appliquer le plan de ramassage des cadres. A leur arrivée, le général de Monsabert communique au colonel Conne et au colonel Dumas le message de la division et leur donne l'ordre de prendre les mesures correspondantes. Ils devront, en outre, faire assurer la garde des points sensibles classés en première urgence dans le "Plan de Protection" : PTT - Gare - Sociétés Shell et Standard - Bâtiments militaires. Les détachements destinés à la garde de la station de radio de Boufarik et du petit terrain d'aviation de Soum resteront provisoirement à Blida, prêts à être enlevés en camions. Même attente pour la batterie de Sidi Ferruch.

1- Je n'ai jamais su ce que contenait ce pli. 2- En raison de l'importance des délais accordés, on peut se demander, encore aujourd'hui, s'il ne s'agissait pas effectivement d'un message d'exercice de la 19° Région, retransmis automatiquement par la permanence de la division et qui aurait eu pour résultat de nous faire gagner deux heures pour la mise sur pied des unités. 127


Il n'est toujours pas question de débarquement1. Vers 02 h 30, le général de Monsabert demande au capitaine Castaing de se rendre au monument aux morts, sur la route d'Alger, et d'y attendre un officier de liaison porteur des ordres du général Mast. De mon côté, je vais réveiller le capitaine James, commandant un détachement du 9° RTA arrivé par hasard la veille à Blida et qui bivouaque le long de la route d'El Affroun avant de repartir à l'aube sur Miliana. Je lui ordonne de mettre immédiatement une forte section aux ordres du Major de garnison. Le capitaine Castaing est de retour au PC un peu après trois heures ; il est accompagné d'un officier de cavalerie que je ne connais pas et qui se présente comme le capitaine Dubreuil de l'Etat-major du Général Mast (il s'agit de M. Lemaigre-Dubreuil). Cet officier remet au général de Monsabert, qui a l'air de le connaître, quelques exemplaires de l'ordre du général Mast. Ce document revêt plutôt la forme d'un ordre du jour que d'un ordre d'opération classique : une agression allemande en Tunisie est imminente. A l'appel du général Giraud, qui prend le commandement en AFN, les Américains (à l'exception des Anglais et des Forces Françaises Libres) se préparent à intervenir en Algérie. Les premiers éléments vont débarquer dans les heures qui viennent. Les unités des garnisons côtières doivent se porter à leur rencontre pour faciliter leur mise à terre. Le général de Monsabert a pour mission de prendre le commandement de la base aérienne de Joinville pour en assurer la défense contre toute agression allemande, y recevoir le général Giraud attendu en début de matinée et y accueillir les premiers avions alliés. Le général de Monsabert, toujours très calme, convoque à nouveau les colonels Conne et Dumas et leur remet l'ordre du général Mast pendant que j'en fait porter deux exemplaires à Miliana et à Orléansville par un motocycliste de la gendarmerie. D'après le capitaine Dubreuil, le colonel Baril a reçu son exemplaire à Koléa, directement en raison de l'urgence. Sur le moment, personne ne paraît surpris et ne met en doute l'authenticité de l'ordre du général Mast bien que sa forme et son mode de transmission ne soient pas très habituels. L'événement va dans le sens de l'attente générale, et la brièveté des délais dont nous disposions pour exécuter les ordres ne laissaient guère le temps de la réflexion. De plus, dans l'armée française de 1942, il était impensable que des officiers généraux prennent des initiatives d'une telle importance sans l'accord de leurs chefs hiérarchiques. Beaucoup d'eau a coulé depuis ... L'annonce de l'arrivée du général Giraud, en qualité de Commandant en Chef constitue, pour la plupart une garantie. Cependant, au cours de la journée, j'entendrai des membres de l'entourage du colonel Conne se plaindre qu'avec les généraux Giraud, Juin et Monsabert, l'armée allait être coiffée par la "mafia marocaine".

1- A partir de 1 heure du matin, au cours de cette nuit du débarquement, José Aboulker commanda du commissariat central, avec son adjoint Bernard Karsenty et les concours de Guy Calvet et du commissaire Achiary, l'occupation d'Alger par 400 résistants. Ces volontaires neutralisèrent les centres de commandement et de transmissions, occupèrent les points stratégiques et arrêtèrent les responsables militaires et civils, à commencer par le général Juin, commandant en chef, et l’amiral François Darlan. (note pdb) 128


Quoiqu'il en soit, à trois heures du matin, les colonels Conne et Dumas semblent satisfaits de cette situation imprévue et n'élèvent aucune objection aux ordres qu'ils viennent de recevoir. Cette satisfaction sera partagée par leurs subordonnés si l'on en croit la rumeur qui les accueillera à leur retour dans leurs quartiers et qui parviendra jusqu'à l'Etat-major de la subdivision. Jamais encore les unités n'avaient été mises sur pied si rapidement que cette nuit-là. Vers quatre heures, le général de Monsabert quitte le PC de la subdivision pour rejoindre la Base de Joinville, dont il doit prendre le commandement. Il est accompagné du "capitaine" Dubreuil et de moi-même. Nous serons rejoints plus tard par le capitaine Castaing et par le capitaine Taupin, chef du 4ème Bureau de la subdivision récemment rapatrié de Syrie, puis par le petit détachement du capitaine James tout dévoué à l'excolonel du 9° RTA. A la Base de Joinville, le climat est tout différent, malgré la courtoisie de son chef, le colonel Montrelet, qui nous offre une tasse de café. Mais, par un câble enterré direct, il est en liaison avec le général Mendigal, commandant l’Air en Algérie, qui lui interdit d'exécuter les ordres du général Mast, dont nous lui remettons un exemplaire. Il a fait prendre à la base son dispositif d'alerte et ordonné à ses unités, y compris à la batterie de FTA1 du capitaine de Conchard en position à Joinville, d'ouvrir le feu sur tout avion étranger à la Base. Toutes les issues sont gardées par les aviateurs disposant de quelques vieux chars Renault de 1917, et je peux vérifier que le dispositif, que je connais bien, est parfaitement en place. Comment permettre l'atterrissage de l'avion du général Giraud ? et comment faire sortir celui-ci de la Base ? Le 1° RTA est maintenant en place autour de la Base. A plusieurs reprises, entre quatre et six heures, le général de Monsabert m'envoie voir le chef de bataillon Le Hingrat, commandant le II/1° RTA pour le tenir au courant de la situation et lui transmettre l'ordre d'empêcher les aviateurs de tirer sur l'avion du général Giraud. Il est finalement convenu, que, dès l'atterrissage, une compagnie de tirailleurs se précipitera sur la piste, s'emparera du général Giraud et le conduira hors de la Base en passant par le secteur de la batterie du capitaine de Conchard. J'ai l'accord de ce dernier et de quelques aviateurs. Le signal convenu est la sonnerie "La Charge", quatre clairons du 1° RTA étant immédiatement mis à la disposition du général de Monsabert. Il est remarquable que durant cette période ainsi du reste que toute la journée, le général de Monsabert et les deux ou trois officiers qui l'accompagnent ont conservé une entière liberté de mouvement : cela montre le trouble qui régnait dans les esprits. Il est vrai que nous avions beaucoup d'amis parmi les aviateurs qui, pour la plupart étaient de cœur avec nous. Seul probablement le malencontreux câble direct reliant le colonel Montrelet au général Mendigal l'empêchait de se placer aux ordres du général de Monsabert. Il faut noter cependant le revirement inattendu de quelques officiers supérieurs de la Base qui, ayant affiché depuis deux ans leurs soi-disant sentiments gaullistes, se sont retranchés ce jour-là derrière leur serment de fidélité au Maréchal Pétain : certains d'entre eux resteront dans leurs pantoufles jusqu'en 1945 sans compromettre leur carrière. Vers six heures, le général de Monsabert, inquiet de la situation locale, envoie le capitaine Taupin en direction de Kolea avec mission de rameuter vers la Base les unités 1- FTA : Force Terrestre Anti-aérienne (note pdb) 129


américaines et les éléments du 29° RTA qu'il rencontrerait. Simultanément, la batterie du 65° RA destinée à rejoindre Sidi Ferruch reçoit l'ordre de se mettre en position à la corne N.O. de la Base, vers la ferme de la Bretonnière. Le capitaine Taupin rentre bredouille vers sept heures et demi. Le général de Monsabert m'expédie, à mon tour, à Koléa, avec quatre cars que j'ai fait réquisitionner, pour ramener ce que je pourrais du 29° RTA et surtout d'Américains afin de pouvoir montrer une preuve concrète de la réalité du débarquement. En chemin, je rencontre le capitaine d'aviation Ducasse, un de mes camarades de promotion habitant Koléa. Ayant plus ou moins trempé dans la préparation du débarquement sans en connaître la date, il a contemplé à l'aube le dispositif impressionnant de la flotte alliée. Il rejoint Joinville pour en témoigner auprès de ses camarades et supplier son commandant de groupe de ne faire décoller aucun avion. On ne l'écoutera malheureusement pas et, discipliné jusqu'au sacrifice, il sera descendu quelques heures plus tard par un chasseur néo-zélandais. A Koléa, je me présente au lieutenant-colonel Andlauer, commandant la place et le 29° RTA en l'absence du colonel Baril parti la veille au soir rejoindre le général Mast et dont on est sans nouvelle1. Il m'indique que, sur l'ordre du colonel Baril, le peloton français du lieutenant Gaudeul (constitué de jeunes Français venus de France pour se battre et que le général de Monsabert avait passé en revue une dizaine de jours plut tôt) s'était porté sur les plages pour accueillir les premiers Américains débarqués. Mis au courant de la situation à Blida, il met à ma disposition deux sections de jeunes tirailleurs aux ordres d'un officier. Les premières unités américaines, fraîchement débarquées arrivaient à Koléa. J'avais croisé quelques détachements sur la route et leur allure, malgré la suie dont ils étaient barbouillés, ne m'avait pas paru particulièrement guerrière. Sans interruption, sans ordre de mission formel, j'ai bien du mal à trouver une autorité qui accepte de m'écouter et à qui je puisse exposer la situation et ma mission. Le colonel, à qui je propose d'embarquer deux de ses sections dans les cars pour les transporter au plus vite à Blida, doit me considérer comme un jeune farfelu ou un individu dangereux, car lui sait qu'on se bat à Alger, ce que j'ignore. Après avoir voulu m'expédier jusqu'au bateau du commandant de l'opération dans cette zone, il accepte pourtant ma suggestion. Je quitte Koléa avec deux sections du 29° RTA, une petite compagnie d'"Américains" et une dizaine de chenillettes (brenn carrier).2 1- Un historien local de Koléa rapporte que : Le samedi 7 novembre 1942, depuis l'Hôtel Thuaire, situé prés du Blockhaus de Tombourouf, le Colonel Baril, appelle, la poste de Koléa, à 19 heures, et demande à l'opératrice de lui passer à l'hôtel toutes les communications téléphoniques destinées au « 20 Koléa », n° téléphonique de la Caserne d'Aurelle. L'employée de service refuse sans ordre écrit de passer les communications. C'est alors que le colonel envoie un jeune homme habillé en tirailleur, le visage barbouillé de noir - qui pouvait être son fils - expliquer par la fenêtre de la Poste toute l'importance du message. Peu après, les appels téléphoniques commencent à déferler des villages voisins. (note pdb) 2- Bernard de Boishéraud pense être le premier a avoir amené des américains à l’aérodrome, et donc vraisemblablement à l’annonce de l’arrivée de ces cars et chenillettes, le général fait effectuer par le capitaine Jammes la charge racontée par le colonel Goutard, afin de prendre possession du PC de la base immédiatement avant l’arrivée de ces américains. (note pdb) 130


Tout ce joli monde arrive vers dix heures à l'entrée de la Base de Joinville où le général de Monsabert accueille fort aimablement le colonel "américain" qui m'a suivi. A Joinville, le climat est lourd. Le général Giraud n'est toujours pas arrivé, le colonel Montrelet est maintenant enfermé dans son bureau. Les aviateurs affectent une attitude de neutralité hostile ; quelques-uns parlent d'arrêter le général de Monsabert. L'arrivée de mes "Américains" provoque des mouvements divers. C'est le moment que choisit un avion néo-zélandais pour atterrir sur la piste, ce qui n'améliore pas le climat. La proclamation du général Mast affirmait en effet que seuls débarqueraient des Américains : et voici que se présente, un peu confus et s'excusant presque un sujet de sa Majesté britannique. La nouvelle n'est pas longue à se répandre. Aussi le général de Monsabert, de plus en plus inquiet et désespérant de voir arriver le général Giraud, me demande vers onze heures de partir à la recherche du général Mast, quelque part sur la côte, pour lui rendre compte de la situation délicate où il se trouve et le prier de faire diriger d'urgence sur Joinville des renforts américains. Passant d'abord à la gendarmerie pour y emprunter un side-car, je reprends la route de Koléa. Là, je trouve un lieutenant-colonel Andlauer perplexe et consterné. Il vient de recevoir la visite de deux officiers britanniques qui se sont excusés de se trouver là et ont prétendu n'être que quelques-uns servant d'interprètes et de guides aux unités américaines. Le lieutenant-colonel Andlauer redoute l'effet sur le 29° RTA de cette présence britannique. Il est lui-même profondément troublé. Il ignore où sont le colonel Baril et le général Mast, mais pense que je les trouverai dans la région de Sidi Ferruch. Tout le long de la route littorale, les villages sont pavoisés, et la population en liesse acclame les troupes débarquées. Nulle part je ne perçois de fausse note. L'ambiance est celle que nous retrouverons plus tard en Italie et en France, en pénétrant dans les villages libérés. Mais le temps est splendide et il fait chaud. Nos vaillants libérateurs, fatigués par trois semaines de mer, peu habitués au soleil africain, mal entraînés à la marche, peut-être aussi trahis par la fraîcheur de l'anisette, n'ont rien de farouches guerriers. Que de désordre ! Que de traînards ! La moindre opposition armée eut été catastrophique. Aux environs de 13 h 30, dans un restaurant de Sidi Ferruch, je trouve enfin de général Mast déjeunant tranquillement avec cinq ou six officiers de son Etat-major, face au spectacle impressionnant de la flotte alliée déployée au large. Cette fois, c'est certain, il ne s'agit pas d'une répétition du malheureux coup de main de Dieppe. J'expose au général Mast la situation à Blida et lui fait part des inquiétudes et des demandes du général de Monsabert. Il me répond qu'il lui fait confiance pour faire face à la situation locale. Le général Giraud, retardé à Gibraltar, n'arrivera vraisemblablement à Joinville que le lendemain lundi. Par ailleurs, Alger est déjà presque entièrement contrôlé par les Américains et les combats y ont cessé. Un régiment britannique fait actuellement mouvement de Daouda sur Birtouta et MaisonCarrée. Nanti de ces bonnes paroles qui ne m'apportent aucun réconfort pour notre situation à Blida, toujours à jeun, je reprends la route par Daouda et la ferme SaintCharles, dépassant le régiment britannique dont a parlé le général Mast. A Boufarik, je rencontre le commandant de l'important établissement du matériel. Conformément aux 131


ordres qu'il reçoit directement de la 19ème Région, il se prépare à résister aussi bien aux Américains qu'aux Anglais. Je lui raconte ce que j'ai vu sur la côte et il me laisse heureusement poursuivre mon chemin. Je suis de retour vers 15 h 30 à la base de Joinville. Pendant mon absence la situation s'est complètement renversée. Un officier de liaison du 19° CA a informé le colonel Conne et le colonel Dumas de la situation confuse qui règne à Alger et leur a communiqué les directives du général Koeltz. Les deux colonels viennent de prévenir le général de Monsabert qu'ils ne se considèrent plus sous ses ordres. Ils vont rentrer à Blida avec leurs unités avant de rejoindre la région de Koléa par les pistes de montagne. Les aviateurs, de leur côté, ont repris leurs postes de combat face à l'extérieur de la base, c'est-à-dire face aux tirailleurs. Autour de tout cela, quelques unités américaines (ou britanniques ?) ont pris position face à la Base, et sont en cours de renforcement. Une centaine d'excités de la "Légion des combattants" auxquels un inconscient a distribué des armes, manifestent devant l'entrée de la Base. Ils vocifèrent des insultes à l'adresse du général de Monsabert et de ses officiers et nous menacent des pires châtiments.1 Avec le général de Monsabert, nous continuons cependant à circuler au milieu de tout cet imbroglio et je prends contact avec les uns et les autres. Le fameux "capitaine" Dubreuil a disparu discrètement, probablement au début de l'après-midi. Seules les deux sections du capitaine Jammes nous restent fidèles. La situation est de plus en plus tendue. Le moindre incident peut dégénérer en catastrophe. Devant son impuissance, le général de Monsabert décide de rejoindre le général Mast à Sidi Ferruch. Auparavant, pour tenter de détendre l'atmosphère, il obtient des Américains qu'ils se replient légèrement en direction de l'hôpital psychiatrique. Il quitte la base vers seize heures, sans aucune précipitation (contrairement à ce que racontera M. Lemaigre-Dubreuil qui est déjà parti), après m'avoir ordonné de rejoindre Blida avec les capitaines Castaing et Jammes et de nous mettre à la disposition du colonel Conne. A Blida, l'ambiance s'était détériorée tout au long de la journée. A l'enthousiasme initial d'une partie de la population, a succédé une réaction assez vive de la "Légion des Combattants" qui, nous l'avons vu, avait réussi à se faire armer. Il faut l'intervention énergique du colonel Conne pour ramener le calme dans la soirée. Vers 22 h 00, le 1° RTA prend la direction de Médéa à travers l'Atlas blidéen. Ainsi se termine à Blida cette très longue journée du 9 novembre 1942. Si elle n'a pas tourné plus mal, c'est certainement grâce au calme et au sang-froid du général de Monsabert mais aussi, il faut le reconnaître, au bon sens des trois colonels qui eurent à prendre des responsabilités dans cette aventure et à l'esprit de camaraderie qui avait toujours régné dans la garnison.

1- Des amabilités du genre : « trahison – Monsabert au poteau ». (note pdb) 132


Les troupes américaines1 Vers 16 heures, le dimanche soir, la situation des troupes américaines aux environs de Blida devait être à peu près la suivante : 1- Deux compagnies et un détachement de chenillettes étaient installées à l’ouest de la base, tenant la ferme de la Bretonnière et les lisières est de Joinville. 2- Une Cie tenait les ponts de la Chiffa 3- Une Cie était à Boufarik 4- 2 Cies faisaient mouvement de Douaouda sur la base de Joinville avec de l’artillerie 5- Une Cie tenait la ferme St. Charles au nord de Boufarik 6- Le reste du régiment devait être aux environs de Koléa 7- Un régiment britannique faisant mouvement à pied sur la route des 4 cheminsBirtouta D’une façon générale, les troupes américaines bien équipées semblent peu instruites et peu disciplinées. Cadres et hommes semblent très jeunes. Très peu comprennent le français. Ceux que j’ai pu interroger m’ont dit venir d’Ecosse et aller en Tunisie, ne laissant en Algérie que les unités indispensables pour en interdire l’accès aux italosallemands. Ils semblent considérer les français comme quantité négligeables. Les officiers sont dotés de cartes au 1/50000, reproduction exacte des nôtres, éditées en Angleterre. Je n’ai pas vu d’armes anti-aériennes ou de chars et très peu de canons anti-chars (deux aux environs de Sidi-Ferruch), le matériel lourd devant débarquer dans l’aprèsmidi.

Les retombées Parti de Joinville en fugitif dans la soirée du 8 novembre, le général de Monsabert disparaît pendant quelques jours, réfugié dans une villa de la banlieue algéroise. Le général Giraud atterrit enfin à Blida le 9 novembre après-midi. Son retard de vingtquatre heures a permis à l'amiral Darlan, curieusement présent à Alger, de retourner la situation à son profit : le général Giraud est d'abord considéré comme un rebelle. Après quelques jours d'une pénible confusion, le bon sens et le souci de l'intérêt national reprennent leur droit face à l'agression allemande en Tunisie. Le Général Giraud est nommé commandant en Chef des Forces Françaises sous l'autorité de l'amiral Darlan, et l'armée d'Afrique est immédiatement engagée en Tunisie avec son équipement et son armement désuets. La mobilisation, préparée dans la clandestinité suivant les directives du général Weygand, se déroule sans à coup. Mais, dans le même temps, le général Giraud abandonne à leur triste sort ceux de ses fidèles qui, participant au complot du "groupe des cinq" ont préparé sa venue en Afrique du Nord et sont maintenant considérés comme des traîtres. Le général JUIN s'est engagé à les tenir à l'écart de tout commandement, au grand désespoir du général 1- Ce paragraphe, écrit pour le rapport initial, ne figure par dans l’article du livre d’hommage à Monsabert. (note pdb) 133


de Monsabert. Cet exclusive le rapproche de certains des conjurés, en particulier du général Mast, de M. d'Astier et du colonel Van Hecke, le futur commandant du 7° RCA. Heureusement, moins de quinze jours après le débarquement, le général Giraud, désireux de rassembler toutes les bonnes volontés, décide de créer une unité spéciale regroupant tous ceux qui voudraient reprendre les armes mais que la législation discriminatoire de Vichy, toujours en vigueur, interdit d'incorporer dans l'armée régulière. Cette unité, le "Corps Franc d'Afrique", devra également récupérer tous les jeunes gens ayant participé à la neutralisation des autorités d'Alger au cours de la nuit du 7 au 8 novembre, qui se sont enrôlés dans le "French Commando" ou "Spécial détachement" dépendant de l'Intelligence Service et dont certains se trouvent déjà en Tunisie. Le général Giraud confie au général de Monsabert la mise sur pied de ce Corps Franc d'Afrique, qui, armé, équipé et ravitaillé par la 1ère Armée Britannique sera engagé dans le cadre de celle-ci, donc hors de la zone du 19° CA. Pendant trois mois, le général de Monsabert1 se donne avec sa fougue habituelle à sa nouvelle tâche qui se révèle une aventure passionnante et pleine de risques de tous ordres. Il négocie âprement avec les Britanniques la fourniture des équipements nécessaires, bouscule un peu l'inertie hostile de l'Etat-major général français, lutte avec l'Intelligence Service pour lui arracher les jeunes du "French Commando" échelonnés depuis la ferme Demangeat2 au cap Matifou jusqu'au Cap Serrat et à Souk el Khemis en Tunisie, en passant par le camp de la Mahouna près de Guelma. Chaque semaine, il fait en voiture la navette Alger-Tunisie et retour, prenant liaison avec les PC de la 1ère Armée à Sétif et Constantine, avec l'Intelligence Service à Guelma ou à Aïn Draham, avec le Vème Corps d'Armée britannique à Souk el Khemis, avec le général JUIN à Laverdure puis à Djérissa, avec le général Koeltz au Kouif lorsque celui-ci veut bien le recevoir. Au cours d’une de ces tournées, à Tabarka chez le Contrôleur civil qui nous a aimablement reçus, le général apprend par la radio française qu'il est déchu de la nationalité française. Bien qu'il n'en dise rien, cette nouvelle l'affecte profondément sans altérer son dynamisme. Il faut en effet filtrer soigneusement les nombreux candidats qui désirent se faire incorporer au Corps Franc, et dont les motivations ne sont pas toujours très avouables, ramener à un juste niveau les prétentions de certains aventuriers sans papiers. Il faut encore mettre de l'ordre dans les nombreux centres de recrutement qui se sont créés spontanément ici et là de Rabat à Constantine et qui parfois, rivalisent entre eux comme à Oran. Il faut enfin diriger et surveiller la constitution et l'instruction des premières unités. Dès janvier 1943, le 1er Bataillon du Corps Franc d'Afrique commandé par le chef de bataillon Balensi3, après un bref séjour à Tabarka, est engagé à 55 kilomètres à l'est de cette ville au sud du Cap Serrat, dans le cadre de la Brigade du général 1- Rejoint, le 25 novembre, par le colonel Jamilloux, le capitaine Castaing, le lieutenant Angeletti et moi-même. 2- C'est dans le petit groupe de la ferme de Demangeat que se trouve Fernand Bonnier de La Chapelle, l'assassin du général Darlan. (note pdb) 3- qui rejoindra le 3ème DIA au Monte Amiata. 134


Teachester Constable. Peu après le PC du Corps Franc d'Afrique fuyant l'atmosphère délétère d'Alger s'installe à proximité du village de Sedjenane sur la route de Bizerte. En février, le général de Monsabert obtient enfin d'être réintégré dans l'armée du général Juin. Laissant le commandement du Corps Franc au colonel Magnan1, il est mis à la disposition du général Koeltz pour assurer le commandement des éléments réservés du Corps d'Armée. Malheureusement, le 19° CA ne dispose plus d'éléments réservés. Le général Koeltz maintient le général de Monsabert en quarantaine pendant trois semaines à Ebba Ksour (30 kms sud-est du Kef), seul avec deux officiers, l'adjudant Apouchkine ancien tambour major du 9° RTA, et Manceur son fidèle chauffeur qui trouvera la mort lors du débarquement en Provence. Cette retraite forcée chez un modeste huissier d'Ebba Ksour sera pour le général de Monsabert l'épreuve la plus pénible de toute cette période. L'inactivité le ronge, l'accueil imprévisible à chaque visite du général Koeltz le désespère, l'attitude hostile de certains officiers du corps d'armée le peine profondément, l'amitié rugueuse que lui témoigne le général Juin le réconforte, mais les jours passent ... à Ebba Ksour, et certains soirs l'humeur est sombre. Enfin en mars, probablement sur l'insistance des généraux Giraud et Juin, le général Koeltz se résout à confier au général de Monsabert le commandement d'un groupement tactique de la division marocaine du général Mathenet, au sud ouest de Pont du Fahs. Le chef du 4ème Bureau de cette division n'est autre que le capitaine Fritsch2. Au cours des opérations auxquelles il va participer, le Groupement Monsabert sera appuyé par les canons du colonel Besancon3. C’est la fin du temps de pénitence dont le général de Monsabert a dû payer son dévouement inconditionnel au général Giraud le 8 novembre précédent. Il a maintenant la promesse des généraux Giraud et Juin d’être placé à la tête d’une des divisions du futur CEF4 à l’issue de la campagne de Tunisie. Il participe aux derniers combats en conduisant son groupement au grand trot du djebel Mansour et de Bou Arada au pied du Zaghouan et aux abords de Pont-du-Fahs. En mai, à Constantine, succédant au regretté général Welvert qui vient de tomber glorieusement en Tunisie, il prend le commandement de la 3ème DIA. Une aventure exaltante commence sous le signe de la victoire aux trois croissants, mais le général de Monsabert conservera un souvenir amer de cette période trouble qu’il lui répugnera toujours d’évoquer. Général Bernard Mosnay de Boishéraud5 1- Autre indésirable dans l'armée régulière, en raison de sa participation à la préparation du débarquement américain au Maroc. A sa dissolution au cours de l'été de 1943, le Corps Franc d'Afrique fournira la compagnie de garde du Q G de la 3° DIA – (capitaine Fourastier) 2- Que le général de Monsabert a bien connu lorsqu'il était chef du 3ème Bureau de la division d'Alger. 3- A l'Etat-major de ce Groupement on retrouvera le lieutenant colonel Lesage, futur commandant en second du 4° RTT, le capitaine Budet qui trouvera la mort sur la route de San Elia, le lieutenant Angeletti et le lieutenant Vrillon. 4- CEF : Corps Expéditionnaire Français, qui sera engagé en Italie. (note pdb) 5- Le rapport initial du capitaine de Boishéraud au sujet de ces événements de Blida a été remis le 10 novembre à Médéa au général Dario, directeur de la cavalerie en AFN, 135


et a ensuite servi de base à une note sur « l’opération Torch vue par un témoin à Blida» puis, avec de nombreux compléments, à cet article dans le livre collectif d’hommage au général de Monsabert. (note pdb) 136


Récit du Colonel Goutard (Chef de Bataillon au 9° RTA) sur les journées des 6/8 Novembre 1942. 1 Vendredi 6 novembre. Prise d'armes à Miliana en l'honneur du général de Monsabert, ancien colonel du régiment, qui nous a laissé à tous, officiers, sous-officiers et tirailleurs, un souvenir inoubliable de fermeté en même temps que de bonté, et nous a préparés à la « reprise des armes ». Après la revue, je fais défiler mon bataillon, le seul qui soit en garnison à Miliana, devant le général. Les tirailleurs « en mettent un coup » et le général me félicite. Puis il réunit les officiers à la salle d'honneur du régiment et il nous tient un petit discours qui change de ton avec ce que nous avons entendu ou lu ces derniers jours. « Je ne sais rien, nous dit-il, mais vous lisez les journaux et vous savez ce qui se passe en Russie (l'échec allemand sur Stalingrad) et en Libye (la défaite de Rommel dont le front a été enfoncé à El-Alamein). Nous pouvons être appelés à rentrer dans la lutte. Ce jour-là, je compte sur le 9e, mon ancien régiment. Je compte bien qu'il me suivra partout. Du reste, je vous montrerai le chemin, je marcherai devant vous. » « Je ne sais rien » dit le général. Cela signifie sans doute qu'il sait quelque chose qu'il ne peut nous révéler. En tout cas, s'il nous appelle à marcher au combat, ce ne sera certainement pas aux côtés des Allemands, mais contre eux. Ce petit discours nous réconforte et le colonel Monnier-Condroyer, qui commande le régiment, s'avance devant le général de Monsabert, se met au garde-àvous et dit, à notre nom à tous : « Mon général, vous pouvez compter sur le 9e. » Dimanche 8 novembre 1942. Grande nouvelle du débarquement américain à Sidi-Ferruch ! Le colonel nous réunit et nous lit l'ordre qu'il vient de recevoir du général Mast, commandant la division d'Alger. Dès les premiers mots, un large sourire s'épanouit sur nos visages. Enfin le masque est levé. L'ennemi, c'est le Boche ! La mission de tous est simple : faciliter le débarquement des forces américaines sur le littoral et sur les terrains d'aviation. Quand le colonel a terminé sa lecture, un brouhaha joyeux emplit son bureau. On se congratule. Un de mes jeunes lieutenants me dit avec un sourire radieux : « Ah, mon commandant, j'avais si peur qu'on nous fasse battre contre les Américains ! » Mais, dans la matinée, nous apprenons que l'on se bat réellement contre eux au Maroc et en Oranie. Le colonel Monnier-Condroyer cherche alors à téléphoner au corps d'armée, à Alger, ou à la division, mais en vain. Il peut seulement avoir au bout du fil le général Boisseau, commandant la division d'Oran, qui lui dit : « Le général Mast et le général de Monsabert sont en dissidence. Annulez tous leurs ordres. A Oran, nous avons résisté dès le début du débarquement. L'affaire est rude et nous avons de la casse.» 1- Ce récit est extrait du livre « hommage au général de Monsabert ». Il a été publié également en annexe à « notes de guerre » 137


A 21 heures, le chef d'état-major de la 19e région, d'Alger, téléphone enfin que le général Juin a signé, à 18 heures, avec les Américains une suspension d'armes pour la région d'Alger, mais que la lutte continue en Oranie et au Maroc. Mardi 10 novembre. A 8 heures, on téléphone ceci de la 19e région : « Le général Giraud est à Alger. Des conversations sont en cours avec les Américains en vue d'un armistice général. Donc, conservez une attitude purement passive. » Jeudi 12 novembre. Je reçois dans l'après-midi le capitaine James, commandant la 1ère compagnie de mon bataillon, qui était détachée à Berrouaghia, près de Blida, pour des travaux forestiers. Il me raconte que le 6 novembre, un ordre du général de Monsabert l'a appelé d'urgence, avec sa compagnie, à Blida. Lorsqu'il y arriva, le 7 novembre, il fut envoyé sur le terrain d'aviation de Blida1. Là, il trouva le général de Monsabert, qui sortait de la base aérienne et qui lui dit : « On attend le général Giraud. Dès que son avion se posera, entourez-le avec vos tirailleurs pour le protéger. « Contre qui, demande le capitaine? » Le général ne répond pas et James n'ose pas lui renouveler sa question. Le 8 novembre à 7 heures, toujours pas de général Giraud, mais voilà que des avions à étoiles blanches, donc américains, survolent le terrain d'aviation, et la D.C.A. de la base aérienne ouvre le feu sur eux, à la mitrailleuse. Les avions ripostent, les balles claquent2. Le général de Monsabert et le capitaine James se jettent dans un fossé. Puis, les avions étant partis, le général ordonne au capitaine de déployer sa compagnie en tirailleurs et de donner l'assaut à la base, quand le clairon, qu'il a amené avec lui, sonnera « la charge ». « Mais charger où ? Sur qui ? » demande James. — « Là, droit devant vous, sur la base! Du reste, je vous suivrai », répond le général. Le capitaine déploie alors sa compagnie et fait mettre baïonnette au canon. La charge sonne. Les tirailleurs s'élancent, baïonnettes hautes. Le général, qui marche derrière le capitaine, l'oriente « obliquez à droite, obliquez à gauche... ». Les aviateurs qui étaient dehors, sur le terrain, rentrent précipitamment dans les bâtiments de la base aérienne. Après avoir traversé tout le terrain, sur 300 ou 500 mètres, la compagnie s'arrête. Le capitaine se retourne alors pour voir si quelqu'un le suit, et en effet à quelques 200 mètres, derrière lui, il voit une deuxième vague d'assaut, précédée par un grand diable, qui, coiffé d'un curieux casque rond comme une marmite, et le visage barbouillé de suie, gesticule avec un pistolet-mitrailleur à bout de bras ; il est sans galons. Le capitaine marche aussitôt sur lui : « Ne fais pas le c... avec ton PM, et pourquoi t'es-tu 1- Le 7 novembre au soir, le capitaine James bivouaquait à la lisière ouest de Blida, sur la route de Miliana. C’est là que je l’ai réveillé dans la 2ème partie de la nuit du 7 au 8 novembre. Il n’a rejoint le terrain d’aviation de Blida-Joinville qu’au début de la matinée du 8, après que le général de Monsabert se soit rendu compte des réticences et des scrupules du colonel Montrelet. (commentaire de Bernard de Boishéraud) 2- Le commandant de la batterie de DCA m’a affirmé par la suite qu’il avait sciemment faussé ses éléments de tir (commentaire de Bernard de Boishéraud) 138


barbouillé la figure ? » Mais l'autre se borne à lui répondre : « American ! », et il lui montre l'insigne qu'il porte au bras, aux couleurs américaines, et le capitaine s'aperçoit en même temps que toute la troupe a également le visage passé au noir de fumée ! C'est ainsi que le capitaine Jammes apprit le débarquement américain. Cette troupe était arrivée de Sidi-Ferruch par la route. Le Général commande alors : « Les Américains, à moi ! », et il leur donna ses ordres pour occuper le terrain, tandis qu'il envoyait la Compagnie Jammes entourer le PC de la Base pour, dit-il, que les aviateurs se sachent « prisonniers ». Je demande au capitaine James : « Mais pourquoi cet assaut? ». II m'explique alors que le général de Monsabert était allé, de très bonne heure, trouver le colonel Montrelay, commandant de la base, pour lui annoncer l'arrivée des Américains et lui demander de les recevoir sur son terrain. « Mais j'ai l'ordre de résister aux Américains ! », avait répondu le colonel. — « Que ferez-vous si ce sont des Français qui attaquent votre base ? » avait alors demandé le général. « J'ai l'ordre de tirer sur les Américains, mais pas sur les Français. Dans ce cas, je préférerai me rendre. » Le général avait alors déclenché, avec mes tirailleurs, l'assaut spectaculaire qu'il avait prévu. A midi, le Général Giraud n'est toujours pas là. Le Général de Monsabert invite alors le capitaine Jammes à déjeuner au mess des aviateurs. A la fin du repas, le colonel Montrelay, «prisonnier », vient demander au Général s'il a été bien servi ! Vers quatorze heures arrivent à la Base les deux colonels commandant les régiments de Blida (1° RTA et 65° d'Artillerie) qui viennent voir le Général. Sorti de la salle par discrétion, le capitaine Jammes entend, du dehors, de vifs éclats de voix. Survient alors le capitaine adjoint au Colonel du l° RTA qui dit à Jammes : « Tu sais ce que tu fais ? Tu fais de la dissidence, car le Général de Monsabert n'obéit pas aux ordres! ». A ce moment les deux colonels quittent le bâtiment et s'éloignent vers Blida. En fin d'après-midi, toujours pas de général Giraud ! Le général de Monsabert quitta alors le terrain et renvoya ma 1ère compagnie à Miliana. Lorsqu'enfin, le 9 novembre à 14 heures, le général Giraud, venu de Gibraltar où il s'était attardé en vaines discussions, prétendant prendre le commandement des troupes alliées débarquées, descendit de son avion, en civil, pardessus gris et chapeau mou, la canne à la main, son heure était passée! Le colonel Montrelay le reçut fraîchement. On lui donna une voiture pour se rendre à Alger, mais quand il y arriva, l'amiral Darlan avait déjà pris le commandement sur l'Afrique du Nord et engagé des négociations avec les américains.

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Extraits du livre « notes de guerre » du général de Monsabert Le 6 novembre, je fais une inspection à Miliana. Maunier-Condroyer me présente mon ancien drapeau, profonde émotion au moment où je le salue au son de la Marseillaise. Réunion des officiers dans ma Salle d'Honneur. Je leur fais pressentir que l'heure de la décision approche — sans leur dire laquelle ! : « Je vous ai toujours promis la guerre ! Je serai toujours devant vous, soyez toujours derrière moi ! » Repas enthousiaste à la table du mess des Officiers Supérieurs. Café avec les Officiers subalternes. Toutes les chansons du répertoire. J'annonce à Rieux qu'il reprendra l'uniforme. Visite aux Chantiers de Jeunesse franco-musulmans à Rouïba. Au retour, accident de voiture : un chaos me projette contre le bord de la voiture et me blesse assez sérieusement au crâne. Arrêt à Hammam Righa pour pansement, puis, dès l'arrivée, soins chez le professeur Lacaze, qui m'enveloppe la tête. Je ferai figure de premier blessé dans l'opération qui se prépare, sans qu'il n'en soit rien ! Le 7 novembre après-midi, je rends visite à Mast, qui me remet ses ordres d'opérations, me présente à Lemaigre-Dubreuil, qui viendra attendre Giraud à la base, et à Mademoiselle de Camas, qui a « tapé » les ordres1. Foi profonde. Un convoi de plus de 100 milles de long est en train de franchir le méridien d'Alger. Calme plat dans les États-majors. Les grands chefs sont aux compétitions sportives du 19e CA. Retenu à Blida, où je prépare un exercice d'alerte. Alerte officielle « menace » vers 23 heures 30. Cela facilitera ma tâche. 8 novembre Vers 4 heures, arrivée de Lemaigre-Dubreuil avec qui je pars à la Base Aérienne. Les ordres de Mast sont tout d'abord acceptés sans discussion. Je laisse le Colonel Conne pour commander la Place et lui interdit d'armer les légionnaires. Dès le début, discussion avec le Commandant de la Base (Montrelay), qui est alerté par le Commandant de l'Air en Algérie au courant du « coup de main » de nuit sur les États-Majors. Montrelay s'opposera bientôt à mes décisions2. Je fais « coiffer » les défenses de la Base par le l° RTA, encore sans nouvelles officielles, et déclare que j'assurerai coûte que coûte la liberté d'action de Giraud. Il fait toujours nuit. Six heures et demie, heure prévue pour l'arrivée de Giraud, passe sans changement. Le grand jour se lève, rien de nouveau. Angoisses. Qu'est-il devenu ? Maître 1- Les ordres envoyés par les conjurés (note pdb) 2-Mes contacts avec les officiers de la Base, réunis autour de Montrelay, sont glacials. Montrelay, qui a la liaison téléphonique avec ses supérieurs, et par là, aura Koeltz, temporise manifestement. L'annonce d'un avion de la Base abattu par les Américains, met l'électricité dans l'air. C'est pourtant cela que nous ne voulions pas... Bergeret, en mission de Vichy, (et que j'avais connu comme professeur à l'Ecole de Guerre), m'interroge prudemment par téléphone, depuis Biskra. Je refuse de répondre à un appel téléphonique de Koeltz. A quoi bon ? C'est l'avenir qui décidera. (Monsabert) 140


encore des éléments de terre, je manœuvre pour encercler la Base. A l'arrivée des premiers éléments américains, Montrelay me dit que, pour ne pas tirer sur des Français, il cède à la force, et qu'il se considère comme mon prisonnier. Je couvre la Base et aiguille les premiers éléments américains1. A Blida, on s'agite. Petit à petit, les communications sont rétablies avec Alger, où la Garde Mobile a rétabli la situation officielle. Scrupule de mes seconds, les Colonels Conne (ler RTA) et Dumas (65e RAA) qui viennent me voir à la Base pour me dire qu'ils me quittent avec leurs troupes. Discussion calme où j'ai l'impression de les dominer.2 Peu à peu, les troupes partent, la Base reprend sa liberté d'action. Je renvoie un à un tous mes éléments, le capitaine Jammes, du 9e RTA. que j'avais fait venir en réserve avec sa compagnie, et mon fidèle officier d'État-major, mon aide de camp de Boishéraud, qui me regarde d'un air tragiquement triste. Je reste seul avec quelques éléments américains à qui je donne quelques conseils de prudence. Vers 16 heures, je pars vers Kolea et Sidi Ferruch, ma mission remplie. J'avais tardé, à tort peut-être, à faire occuper la Base et surtout Blida par des éléments étrangers, pour n'éveiller aucune susceptibilité.

1- C'est là qu'a lieu le contact de Jammes et le mien avec les premiers soldats soi disant américains : ils sont habillés comme tels, mais sont Anglais. Avec leur chef, le Colonel Taylor, je m'entends fort bien. Quoiqu'il arrive, la Base ne bougera plus; des avions alliés y atterriront bientôt. Mais Giraud n'arrive toujours pas... 2- D'entrée de jeu, Conne et Dumas me déclarent qu'ils ne me suivent plus parce que je n'obéis pas au Maréchal, alors qu'ils sont tenus par le Serment que nous lui avons prêté. Je leur réponds en substance : « Je n'ai pas la prétention de vous convaincre, mais je vous prie de réfléchir sur les 3 points suivants : 1° en suivant Giraud, c'est l'Armée Française elle-même qui, en dehors de toute politique se relève de sa défaite aux yeux des Alliés et du Monde, et qui remet la France sur le chemin de la Victoire : c'est elle qui aura sauvé la France. 2° en refusant, vous la placez dans une situation difficile vis-à-vis des Alliés et vous compromettez sa position pour le Traité de Paix après la v i c t o i r e des Alliés, désormais inéluctable ; 3° vous ne voulez pas du Général de Gaulle parce que, dites-vous, il ramènerait les Communistes qui ont trahi la France en 1939 ; votre refus de Giraud les ramènerait inexorablement, et c'est la Résistance seule qui aura contribué – trop peu sans doute – à la victoire des Alliés. Ce peut être le triomphe du Communisme en France (Monsabert). 141


Petit à petit, j'apprends ce qui s'est passé à Alger, à Tunis, à Rabat, au moment où l'armada anglo-américaine approchait, dans la nuit historique du 7 au 8 novembre... L'action des militaires était entée sur une organisation civile pro-angloaméricaine, qui serait restée vaine sans l'action militaire (putschs d'Alger et de Rabat). A Rabat, les chefs conjurés, qui venaient « s'assurer de sa personne », se présentèrent au Général Noguès, pour le mettre au courant de ce qui allait se dérouler. Il ne voulut pas y croire et demanda à téléphoner séance tenante à l'Amiral Michelier qui se trouvait dans le même état à l'autre bout du fil. On le lui accorda. Le Général Noguès demanda alors s'il était au courant de l'arrivée imminente de l'armada anglo-américaine. L'amiral lui répondit que le SR Marine, qui ne saurait être en défaut, ne connaissait pas la présence du moindre bateau dans l'Atlantique. – « Dans ce cas, déclara Noguès, vous comprenez que je n'ai rien à vous dire ». Les Américains arrivèrent avec du retard et ne descendirent point où on les attendait, faute qu'ils commirent en divers endroits, augmentant ainsi les difficultés de leurs alliés français... D'où la résistance de Casablanca et de Rabat. A Oran, le Chef d'État-major, Colonel Tostain qui avait participé à la préparation, crut devoir mettre le Général Boisseau au courant dès le 7 au soir. Celui-ci hésita, convoqua même le Colonel Du Vigier, commandant la Subdivision de Mascara, pour en discuter, et, après de longues tergiversations, se décida pour la résistance, sans en référer à ses supérieurs. Felix culpa ! Des éléments du « miracle » que constitue la réussite incroyable d'un projet grandiose, dont la difficulté ne serait être méconnue ! Lorsque, pour créer le Corps Franc, j'irai, à la mi-décembre à Oran, j'entendrai Boisseau, à qui j'avais rendu visite, me raconter, sur un ton bravache, au cours d'un monologue vantant ses exploits et son attitude, me dire sincèrement : « Dès le 7, j'avais averti tout le monde que je ne tolérerai aucune indiscipline et que j'arrêterai quiconque n'agira pas suivant mes ordres. Moyennant quoi, je me suis battu contre les Américains pendant trois jours, ce qui ne m'empêche pas d'être aujourd'hui très bien avec eux ! »... Risum teneatis. A Alger, le Colonel Chrétien fit décider qu'une démarche serait faite vers minuit par Murphy lui-même auprès du Général Juin, déjà entouré par sa nouvelle garde. Juin, très hésitant, très sympathisant dans le fond, fit remarquer qu'il ne pouvait rien décider de lui-même, l'amiral Darlan étant à Alger. On décida donc de l'envoyer chercher. Nouvelles conversations Murphy-Juin-Darlan, à la Villa des Oliviers, sous la garde des « gaullistes » (dont Pauphilet). L'amiral, très ébranlé paraît-il, finit par conclure qu'il fallait résister. Il demeure prisonnier à la Villa. Il est sans doute heureux qu'il ne soit pas demeuré à l'Amirauté, sans quoi la résistance eut été peut-être plus longue et plus sanglante. Pour Tunis, j'ai appris le détail des événements par le Consul des Etats-Unis à Tunis — qui put rejoindre Alger -, au cours d'un déjeuner offert par d'Astier à l'hôtel Albert, à La Bouzaréa. Peu avant le débarquement des Alliés en Afrique, le Consul demanda (vers minuit) une audience à l'Amiral Esteva. Celui-ci le reçut aussitôt, habillé mais en chaussons. Le consul lui tendit un télégramme personnel de Monsieur Roosevelt qui lui était adressé. L'Amiral le lut, les mains tremblantes. « Pauvre France», dit-il, puis, sans hésiter : « j'exécuterai les ordres du Maréchal. En ce qui vous concerne, je vous demande de vous considérer comme mon prisonnier, à votre domicile ». Attitude que le consul trouva, d'ailleurs, très correcte. « Connaissant son caractère, ajouta-t-il avec son flegme anglais (!), je n'insistais pas ». 142


La première Libération : la nuit du 7 au 8 novembre 1942 à Alger Matériaux pour l’histoire de notre temps N° 39-40 - 1995 Hugues Fanfani et Paul Ruff sont deux des volontaires qui ont participé, à Alger, à la préparation du débarquement allié en Afrique du Nord, le 8 novembre 1942. Ce sont leurs témoignages d'acteurs - à deux voix - qui sont reproduits ci-après. H.F.: Le déroulement des événements en Afrique du Nord est mal connu. La censure et les fausses nouvelles et aussi, il faut bien le dire, l'extraordinaire complexité des événements qui s'y déroulent permettent difficilement de se faire une idée de ce qui se passe là-bas. Plus tard, quand l'information sera redevenue libre, il y aura eu et il y aura encore tant d'événements importants que cette affaire du 8 novembre sera, en France, un peu perdue de vue. Et pourtant il s'agit là d'un remarquable exploit de la Résistance et d'une opération militaire d'une importance considérable dans le déroulement de la guerre. Les prémisses d'un engagement H.F. : J'étais Algérois par accident, je suis né en fait à Paris et, par suite de différentes circonstances, ma mère était venue habiter à Alger dans les années trente - à l'époque j'étais tout gosse - et je l'avais suivie. J'étais engagé politiquement. Je me situais dans ce qu'on appelait à l'époque «la gauche». Je n'étais plus communiste depuis pas mal d'années ; je l'avais été jusqu'aux premiers procès de Moscou de 1936-1937 mais ce que j'ai lu à l'époque là dessus m'est resté en travers de la gorge. Je me suis dit : «Non, je m'en vais, je ne reste pas là-dedans». Lors du Front Populaire, il y a eu beaucoup d'effervescence en Algérie aussi. Alger Républicain, qui n'était pas un journal communiste, mais où il y avait beaucoup de communistes, a commencé à paraître alors. Je connaissais les socialistes, je connaissais les communistes et je connaissais les milieux nationalistes arabes, ceux de l'Etoile Nord-Africaine. J'ai été frappé, lors de l'abolition du décret Crémieux en 1940, d'entendre des nationalistes arabes que je connaissais me dire : «Oui, évidemment, quand on veut rabaisser quelqu'un, on le met à notre niveau à nous, les Arabes. Les Juifs, on a voulu les rabaisser, on leur dit "Vous êtes comme des Arabes maintenant" !» (je ne dis pas que ça reflétait l'opinion de tous les nationalistes arabes). Ce n'était pas l'expression d'un contentement du style : «Ah ! ces salauds de Juifs» ou quelque chose du genre, mais c'était cette réflexion-là. J'ai aussi connu Camus, mais disons que je n'étais pas d'un milieu qu'il fréquentait. Lui était «milieu littéraire, théâtre et intellectuel», moi, à l'époque, j'étais «milieu ouvrier, syndicats». Mais je l'ai quand même connu, et je l'ai retrouvé après la guerre aussi, mais également d'assez loin. Disons qu'on avait une sympathie mutuelle sans se fréquenter. Avant guerre - j'avais 26 ans à la déclaration de guerre -, si par tempérament, j'étais assez belliqueux, j'étais par raison plutôt pacifiste et rien ne me prédestinait à ma future action dans la résistance, sinon Hitler. En 1942, je me trouvais à Alger, civil, «deuxième classe» et même réformé définitif. A l'époque où se passent ces événements, je travaillais à la compagnie Air France, 143


comme chef du service «Appointements et salaires pour l'Afrique». P.R. : Pour moi, ce chapitre de mon existence commence en octobre 1934. J'entre à l'ENS. J'avais passé ma dernière année de préparation comme interne à Louis le Grand. Contrairement aux idées reçues, je n'y avais pas été malheureux ; j'y avais souffert beaucoup plus de claustrophobie, après le soleil algérois, que de surmenage. Les vagues de février 1934 n'avaient pas envahi notre lycée où nous étions plus intéressés par les concours que par les scandales. Bref, j'avais passé une année studieuse, calme et tout à fait ordonnée. L'entrée à l'Ecole changeait tout cela. J'arrivais dans un microcosme assez extraordinaire. Le directeur, dans son topo de bienvenue, nous disait que «la discipline est libérale, c'est-à-dire qu'elle n'existe pas». Nous n'avons pratiquement plus de véritable obligation scolaire, il règne un climat à la fois horriblement élitiste, d'une liberté et d'une tolérance incroyables et, en même temps, très politisé. Action française et parti communiste cohabitent sans bagarre (au moins intérieure). En cette période de constitution du Front Populaire, la gauche est fortement majoritaire avec toutes les composantes de l'époque. La cellule y est fort active mais aussi la section socialiste, un groupe de frontistes (organisation animée par Gaston Bergery), les discussions vont bon train, mais elles sont très marquées d'un certain dogmatisme, on triomphe en trouvant la citation d'un grand ancêtre. On lit beaucoup Lénine, Trotsky, mais aussi Marx et Engels et des étrangers qui ont écrit sur la révolution russe : Max Eastmann, John Reed, Silone, Amado et tant d'autres. Dans ce contexte où la Révolution apparaît non seulement inévitable mais très proche se crée un petit noyau trotskyste, ou plutôt trotskysant auquel va ma sympathie. Bref, en cette période tonique, ponctuée de quelques bagarres au Quartier latin, tout va bien : on manifeste, on rit, on chante, on lit beaucoup, on travaille un peu tout de même, mais les examens de licence ne posent pas de problèmes aux normaliens. Et puis la guerre d'Espagne, les procès de Moscou, le reflux un peu partout, la montée du fascisme, la perspective de la guerre. Le climat s'alourdit. Je fais à propos d'une action humanitaire «pour l'enfance espagnole » preuve d'une certaine efficacité dans le militantisme au ras des pâquerettes mais les perspectives de notre groupe sont pessimistes (lucides). Munich a montré combien la peur de la guerre est devenue massive et le pays face à la menace nazie nous paraît divisé entre gens de droite antiallemands mais qui ne veulent pas se battre contre les nazis qui bénéficient de toute leur admiration et les gens de gauche qui se proclament antifascistes mais qui n'acceptent de se battre contre personne. Dans ce contexte, les chances françaises nous paraissent minces et nous pensons que la seule perspective est celle du «grain sous la neige» ; constituer de petits groupes d'un bon niveau théorique, capables d'échapper à la répression et susceptibles d'utiliser les occasions qui ne manqueront pas de s'offrir au bout d'une bataille que nous estimons devoir être longue, épuisante et probablement générale. Lorsque la mobilisation est décrétée, je me marie un peu rapidement et je rejoins le camp de Biscarosse où nous devons acquérir les qualités techniques qui nous permettront d'encadrer (avec le grade de sous-lieutenant) les troupes que l'on va nous confier. La vie dans ce camp sera relativement douce mais confirmera nos perspectives les plus sombres quant à la volonté des uns et des autres de se battre et à la confiance qu'ils se portent mutuellement. Enfin le stage s'achève et nous sommes répartis dans des unités. Pour moi, ce sera une unité de DCA qui couvre les abords de la région parisienne. La drôle de guerre se termine. Mon unité se retire toujours sur ordre et en bon ordre et nous nous retrouvons à Coulonges ; nous n'avons perdu ni un homme, ni un canon, seulement la guerre et ce, avec une rapidité plus grande que celle que nous avions prévue. Annie [i.e. madame Ruff] a 144


participé à l'exode au milieu des pires difficultés et s'est réfugiée dans le Limousin. Nous nous retrouvons fin août-début septembre et, fidèles à notre orientation et sans entendre l'Appel du 18 juin, nous pensons que la guerre ne fait que commencer. Un simple regard sur une mappemonde montre que la reconquête a toute chance de venir d'Afrique du Nord. J'ai mes parents à Alger, nous prenons le dernier bateau que l'on puisse utiliser sans laissez-passer et nous débarquons à Alger. Nous arrivons là, Annie et moi, et nous installons chez mes parents. Je vais me présenter au proviseur du lycée d'Alger pour lui signaler qu'il a sous la main un «brillant» agrégé de maths, normalien et provisoirement sans affectation, donc disponible si le ministère ne donne pas signe de vie. Je suis donc nommé «délégué rectoral» au 1er octobre, ce qui assurera notre vie matérielle. Dès le 10 octobre, les premières lois antijuives sont publiées. Le gouvernement de Vichy chasse alors des Universités, lycées et écoles, tous ceux - professeurs, étudiants, écoliers même - qui étaient réputés Juifs. Mais la faculté de médecine d'Alger était déjà avant la guerre la seule de France à être ouvertement antisémite. II n'y avait pas alors en Algérie d'école juive confessionnelle : nous avons dû créer des établissements pour recevoir les uns et les autres ; cela n'a pas toujours été facile, en particulier de négocier un compromis avec le rabbin, mais on s'en est tiré mieux qu'honorablement. Les professeurs révoqués étaient tout au plus une demi douzaine, il a donc fallu faire appel au recrutement étudiant pour compléter le corps enseignant. Physionomie sociale et politique d'Alger à l'automne 1940 P. R.: Alger est à ce moment-là une ville grouillante. L'afflux des réfugiés de la métropole a presque doublé sa population (elle est passé de 300 000 à 500 000 habitants environ) sans pour autant changer sa structure clanique. Coexistent là toutes sortes de «familles» qui se méprisent, se détestent mais se tolèrent. Il n'y a pas de ghettos, mais des quartiers relativement séparés. Les Arabes habitent à la Casbah, les Juifs, rue de la Lyre, rue de Chartres ; Bab-el-Oued et Bel-court abritent le «petit peuple» européen : espagnol, italien, maltais. Quant à la «ville européenne» à proprement parler, celle des «Français de France», elle est au centre qui se déplace de la Place du gouvernement vers le haut de la rue Michelet, autour du Palais d'été du gouverneur. Tout cela forme un ensemble bigarré, bruyant, souvent superficiellement chaleureux mais dont chaque partie vit relativement repliée sur elle-même. Certes, les fractures sont estompées, des Arabes (médecins, avocats) habitent rue d'Isly et les Juifs ne sont pas tous rue de la Lyre ou rue de Chartres, mais dans l'ensemble, si les communautés se rencontrent dans le travail, chacun vit chez soi. Les clivages politiques qui se superposent à cette division accentuent ou, au contraire, aplanissent les séparations : Bab-el-Oued est plutôt communiste, la rue Michelet réactionnaire, tandis que les Juifs sont socialistes et radicaux-socialistes par opposition aux deux autres variantes. Les décrets contre les Juifs ont au moins eu le mérite d'ôter à la population juive toute illusion sur le régime : ils ne peuvent plus être pétainistes ; par contre les Arabes, très travaillés par la propagande allemande et méfiants, sont attentistes. Quant à la population non juive et non musulmane, elle place dans sa grande majorité un patriotisme incontestable au service du maréchal Pétain plutôt que d'une résistance à peu près invisible. Sur ces clivages «ethniques» et politiques vient se greffer une opposition locale entre «libéraux» et «coloniaux» sur l'attitude à adopter vis-à-vis des Arabes.

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La prise de contacts et la constitution de réseaux P.R.: Dès mon arrivée, j'ai commencé à contacter discrètement quelques amis sûrs pour examiner avec eux ce qu'il était possible de faire. Il s'agissait de créer des petits groupes qui pouvaient se recruter chez les «libéraux», chez les Juifs et dans la gauche. L'école juive où j'enseignais offrait une base. J'y ai rencontré mademoiselle Attali, Retbi, un étudiant d'anglais qui était en contact avec la bande à Camus (que je retrouverai ainsi, après avoir été avec lui en sixième), Avran, un étudiant communiste de France qui avait été journaliste à Ce soir. Par ailleurs, j'ai pris contact avec le milieu «gauchiste», d'anciens copains de mon frère : Fanfani, Dechezelles, le docteur Sacha Cviklingski, célèbre à Alger pour ses mauvaises manières et comme excellent médecin. Par un de mes anciens professeurs, j'ai aussi trouvé un petit groupe anarcho-syndicaliste. S'est produit également une rencontre inévitable mais accidentelle : celle avec la famille Degueurce-Leonardon chez qui se retrouvaient les libéraux d'Alger, les milieux artistiques, dont beaucoup de peintres : il y avait peu de chances d'y retrouver des collabos. Enfin, un copain avec qui je jouais au tennis m'a mis en contact avec la famille Aboulker, avec Raphaël. C'est ainsi qu'à la fin de 1940, j'ai découvert les différentes formes de résistance à Alger. Autour du docteur Duboucher, il y avait ceux qui étaient plus ou moins liés au consulat américain et s'occupaient d’information pour Londres et les Américains : ma mère racontait par exemple que les plans de défense de la ville du Havre avaient été cachés dans la poussette de ma fille Michèle. Mais c'était là un secteur dont je ne m'occupais pas. II y avait aussi un très faible groupe de résistance traditionnelle : écoute de la radio anglaise, diffusion des slogans ; puis un groupe gaulliste autour de Capitan, professeur nommé par Vichy à l'Université d'Alger. Je l'évitais parce qu'il se livrait à des provocations permanentes et me paraissait suspect. Par José Aboulker, j'ai eu connaissance d'un important réseau économique de Français de France, pas du tout implantés en Algérie, très fortunés, en contact avec le consulat américain, hautement considérés par Murphy et regroupés autour de Lemaigre-Dubreuil. Le projet militaire de débarquement qu'ils évoquaient depuis la fin de 1940 mit longtemps à mûrir. Il a été rendu plausible par une idée du colonel Jousse, commandant la «Place» d'Alger, qui, au début de 1941, propose de neutraliser la police : en cas de crise, celle-ci doit pouvoir être mobilisée. Le service d'ordre serait alors confié à des volontaires, c'est-à-dire à la milice/SOL (service d'ordre légionnaire). Ce plan est accepté par le gouvernement général (Weygand). L'idée de Jousse consiste à remplacer ces derniers par des résistants, afin de neutraliser Alger assez longtemps pour que le débarquement puisse avoir lieu. Elle implique un recrutement clandestin ou discret. Et c'est Raphaël Aboulker qui s'occupe du recrutement dans le milieu juif, à partir de la salle de gymnastique. Les préparatifs du débarquement H. F.: L'Afrique du Nord française, à l'époque, était tenue en mains par une armée de près de 100 000 hommes, armée qui, après quelques hésitations en juin 1940, s'est ralliée à la politique du maréchal Pétain. Le pays, resté en dehors de la guerre, est calme. Un calme apparent car, depuis quelque temps, les Alliés s'y intéressent beaucoup. En effet, dans l'impossibilité où ils sont encore fin 1942 d'attaquer directement sur les côtes de l'Atlantique et d'y ouvrir ce second front que les Soviétiques leur réclament avec tant d'insistance, les Anglo-américains ont décidé de foncer sur la 146


Méditerranée occidentale. Depuis longtemps déjà, les Américains cherchaient le contact avec les généraux français. Pour l'AFN, ils avaient approché Weygand, son fils, Juin, Noguès et même Darlan. N'ayant pu obtenir la coopération de ces grands chefs et ayant conclu qu'ils obéissaient aux ordres de Vichy et s'opposeraient avec force à toute opération de ce genre, ne voulant pas faire appel à De Gaulle et limitant par ailleurs la participation des Anglais dans cette opération, les Américains ont cherché d'autres appuis et se sont tournés vers le général Giraud, encore en France à l'époque, et vers ceux qui étaient nettement hostiles à la politique de collaboration et voulaient reprendre le combat interrompu en juin 1940. P. R.: Les Américains voulaient à tout prix discuter avec un général, ce qui n'était pas facile à trouver. H. F. : La cheville ouvrière de l'opération était, du côté américain, le consul général Robert Murphy, représentant personnel du président Roosevelt. Les contacts pris et les sondages effectués tant par Murphy que par la Résistance ont révélé une amère réalité : à quelques exceptions près, les autorités militaires et civiles non seulement ne faciliteraient pas un éventuel débarquement, ne seraient même pas passivement neutres mais elles sont résolues, au contraire, à suivre strictement les consignes de Vichy et donc à s'opposer par la force à toute tentative de ce genre. Il appartiendra donc à la Résistance de s'arranger pour neutraliser ces éléments hostiles durant les quelques heures cruciales pendant lesquelles les troupes alliées allaient débarquer tandis que le général Giraud, arrivant sur place, rallierait l'armée d'Afrique à notre cause. Une organisation de Résistance qui avait la liaison avec les Anglo-américains était curieusement articulée autour de trois personnalités fort différentes : Henri d'Astier de la Vigerie, royaliste, Lemaigre-Dubreuil, synarchiste et José Aboulker, républicain, et elle avait pour but d'aider à la réalisation d'un débarquement allié en Afrique du Nord. P. R. : Elle comprenait aussi Van Hecke, directeur des chantiers de jeunesse (Henri d'Astier était lui-même commissaire-adjoint des chantiers de jeunesse) et un affairiste, Rigault, une équipe bizarre et composite, mais sans ces militaires dont les Américains auraient voulu faire leurs interlocuteurs. H. F. : Avec quelques amis, nous formions une espèce de groupe informel qui comprenait cinq à six gars, un médecin, un avocat, un professeur (licencié parce que Juif : Paul Ruff), un chef de chantier et Bernard Amiot. On était à l'affût de tout ce qui se passait et je dirai que dans notre groupe, on n'était pas spécialement antiallemands, on était antinazis. C'est ainsi qu'est né notre «complot» et que s'est constituée cette résistance qui regroupait une majorité de civils. Notre prof a eu le contact avec les Aboulker. Dans la dernière décade d'octobre se tient à Cherchell une ultime réunion de mise au point. Du côté américain y prennent part notamment le général Clarke qui vient de débarquer d'un sous-marin à proximité et Murphy. Du côté français participent entre autres le général Mast, commandant la Division d'Alger, représentant le général Giraud et le colonel Jousse, major de garnison, qui va contribuer d'une manière décisive au succès à Alger. Outre ces officiers, nous avions la chance d'avoir parmi nous le général de Montsabert, le colonel Baril, Bethouart et quelques autres. Nous avions aussi de sérieuses complicités dans la police dont celle, très active, du commissaire Achiary. P. R. : L'entrevue de Cherchell a eu lieu dans une villa isolée sur la plage. Le général Clark a débarqué de son sous-marin dans un dingy peu sûr. Un grain de sable a failli tout faire rater : un commissaire des douanes se promenant sur la plage a vu de la lumière. Les «conjurés» se sont 147


empressés de déployer un tapis de jeu et de cacher les Américains dans la cave. Cet incident a servi à conforter leur méfiance. On y a néanmoins débattu des problèmes militaires et économiques, mais la date du débarquement n'a pas été précisée, tout au plus savait-on qu'il devait se produire en décembre ou en janvier. Nos tâches consistaient à trouver ceux qu'il faudrait neutraliser : pour les chefs de l'armée, ce n'était pas difficile. On savait où ils logeaient, leurs domiciles étaient bien localisés. C'était plus compliqué en ce qui concerne la marine au port d'Alger, dans les casemates. Il y avait beaucoup d'officiers sur place, on pouvait craindre des actions de commandos. Les communistes m'assurent que leurs militants espagnols connaissent bien le problème et qu'ils s'en occuperont. Dans une quasi-légalité, nous devions rassembler les effectifs de police au commissariat central et les y garder inoccupés. Nous les remplacerions dans les commissariats de quartier et pourrions ainsi disposer de leur réseau téléphonique indépendant. En neutralisant les centraux téléphoniques, nous pourrions donc couper toutes communications, tout en gardant les nôtres. Nous avions aussi localisé les autres objectifs : habitations des commandants militaires, casernes, poste centrale, central interurbain, immeuble de la radio, etc. La répartition des objectifs était faite, les groupes constitués. Entre onze heures et minuit, nous allions arrêter chez eux les chefs militaires, couper toute communication téléphonique et bloquer toute entrée et sortie des casernes. Nous devions indiquer aux Américains où ils devaient débarquer, faciliter le débarquement, les guider à travers Alger. Ainsi, armée et police neutralisées, Alger se réveillerait entre les mains de l'armée américaine. Le miracle est que, malgré une cascade de difficultés imprévues, le plan se soit déroulé presque comme prévu. Le commandement américain nous avait promis pour nos «commandos» un armement léger, style mitraillette. H. F : En ce qui concerne notre armement, nous devions par ailleurs recevoir quelques jours avant le jour J une cargaison par un sous-marin britannique, mais pour des raisons encore controversées aujourd'hui, nous n'avons pas reçu le chargement promis. Nous avons su à la dernière minute - peut-être, je dirai le soir même ou deux ou trois soirs avant - que les armes que nous devions recevoir pour faire l'opération ne seraient pas là ! Qu'on aurait peut-être des armes, on ne savait pas très bien où... Les Alliés ont-ils craint des indiscrétions qui auraient alerté les autres ou n'ont-ils pas voulu que la Résistance soit trop forte, ayant en vue des négociations avec les autorités en place à Alger, nous ne le savons pas, mais heureusement les Lebel et les pistolets du colonel Jousse étaient, eux, bien au rendez-vous. Toujours est-il que dans l'incertitude où nous étions jusqu'au dernier moment, avec quelques camarades de notre groupe, nous sommes allés cambrioler un dépôt d'explosifs dans le tunnel où se construisait le grand égout collecteur d'Alger. On avait un copain chef de chantier, Michel Brudno, et puis Bernard Amiot. On est allés là-bas, on «a fait» le dépôt de dynamite. Cela nous a fait un armement d'appoint. Le soir, on est allés chez Dechezelles, l'avocat, avant d'aller au garage Lavaysse et on a commencé à introduire les détonateurs dans les cartouches de dynamite, au risque de tout faire péter ! Je savais qu'il fallait prendre quelques précautions, mais je n'étais pas spécialiste à l'époque de ces trucs-là. Ce qui fait qu'on s'est procuré notre armement de fortune, avant d'aller au garage Lavaysse où on a eu amplement une dotation de fusils Lebel, de munitions, quelques pistolets, qui allait bien au-delà de l'effectif qu'on avait trouvé. P.R. : Parmi les contretemps, en plus du défaut d'armement, il y a eu la date qui a été avancée de plus d'un mois. Nous avons aussi appris au dernier moment que Darlan, venu voir son fils malade, était à Alger. Et puis, il y a eu les défections- Le parti communiste, que nous avions mis 148


dans la confidence et qui s'était engagé à participer à l'action, «craint une provocation» et retire ses hommes du coup. Par ailleurs, un certain nombre de nos camarades se découvrent des occupations aussi urgentes que capitales qui les empêchent, à leur grand regret, d'être des nôtres; d'autres sont tout simplement introuvables : bref, nous ne serons pas 800, comme prévu, mais 400 et nous devons réviser à la baisse le nombre des objectifs et l'effectif des groupes, par exemple nous devons renoncer à ouvrir la prison de Maison Carrée où sont détenus tous les parlementaires communistes. H. F.: Il y a quand même dans toute cette affaire quelque chose d'assez extraordinaire, c'est que le secret n'ait pas été éventé. On savait que ça allait se produire, quand exactement, dans quelles circonstances, on ne le savait pas. A plusieurs reprises, on nous avait dit «c'est pour les jours qui viennent»... et ce n'était pas pour les jours qui venaient, ça ne se passait pas, il ne se passait rien. II est stupéfiant que cette opération ait pu être faite sans que les autorités de Vichy aient réagi ou aient su que ça allait se passer. Après coup, je m'explique ça de cette manière-là : les Vichyssois, c'était comme nous : on leur avait dit «c'est pour bientôt», «c'est pour tel jour», il ne se passait rien. C'est comme pour le débarquement en Normandie. Plus ou moins on savait que ça allait se passer, mais il y avait tellement de renseignements faux qui circulaient, plus le vrai que... allez démêler le faux renseignement du vrai renseignement. Impossible... La nuit du 7 au 8 novembre 1942 Moi, à mon échelon de modeste chef de groupe, je savais qu'ils allaient débarquer cette nuit-là, tout le groupe le savait ; j'avais recruté quelques gars en renfort, il avait bien fallu que je les mette au courant et dans tous les groupes, à travers Alger, il en était de même et cela faisait au bas mot 500 personnes qui savaient... on s'est trouvé trois-quatre cents, presque tous très jeunes, une très grande proportion de nos compagnons sont Juifs, mais il y avait plus d'un millier de gars dans le coup. J'ai rencontré le même problème que notre ami Pauphilet : c'est-à-dire que, à un point de rendez-vous, je devais trouver quarante gars, j'avais amené un gros autocar que j'avais pris au garage Lavaysse et puis plein de fusils Lebel et puis total... les quarante gars, il n'y en avait plus aucun ! On a trouvé un gars au rendez-vous, il a dit «bon, je vais les chercher», puis il n'est jamais revenu. On s'est trouvé finalement une dizaine seulement. Ce fut pareil pour les autres groupes, mon copain Paul Ruff, lui aussi, s'est trouvé... sans personne. Nos groupes d'action se rassemblent donc au soir du 7 novembre et reçoivent un armement léger (fusils Lebel et revolvers modèle 92), un brassard VP (Volontaire de la place), nous faisant passer pour une milice régulière, et des ordres de mission, dûment estampillés, nous mandatant pour occuper, «pour les protéger » un certain nombre de points stratégiques. Moi, j'étais dans ce qu'on appelait le détachement ou le groupement D qui s'occupait du Champ de Manœuvres et de Belcourt, Kouba et tout ce qui s'ensuit - il y avait un tas de sous-groupes, il y avait le groupe Dl, D2, D3, etc. -, moi, j'étais le chef du groupe D1, et le «grand patron», c'était Paul Ruff. Le détachement Dl dont j'étais le modeste «patron» devait s'assurer du central téléphonique du Champ de Manœuvres pour couper toutes les communications téléphoniques. Ce que nous sommes allés faire, avec un ordre de mission, sans grandes difficultés, il n'y avait ni police, ni armée, ni poste de garde à l'endroit. On s'est présentés, le chef du bureau des PTT qui était là nous a regardés d'un air un peu bizarre, on était tous en civil et armés de manière hétéroclite, finalement on a forcé la porte et on a occupé les locaux. Après coup, on s'est aperçu qu'il y avait deux gars des services de la DST à l'étage 149


supérieur qui continuaient à assurer les communications téléphoniques. Mais tout à fait après coup, à la fin de l'opération. A minuit, nos groupes étaient partis vers leurs objectifs respectifs et c'est ainsi qu'il faisait encore nuit noire dans ce dimanche matin du 8 novembre quand : – Radio Alger, la grande poste et le central téléphonique du Champ de manœuvres sont occupés et toutes communications coupées ; – le commissariat central où nous établissons notre PC est également occupé ainsi que la préfecture où nous bloquons le préfet, son directeur de cabinet et le chef du secrétariat ; – la garde de la caserne Pelissier, siège de l'Etat major de la division, est relevée par nos hommes et il en est de même pour le Palais d'été, siège du commandant en chef des troupes d'Afrique du Nord ; – la garde de l'Amirauté est neutralisée par une trentaine des nôtres jusqu'à l'aube où un bâtiment anglais tente en vain de forcer l'entrée du port ; – le siège de l'Etat major du 19e corps d'armée où réside le général Koeltz est occupé par les nôtres ; – la villa des Oliviers où loge le général Juin (qui y sera rejoint dans la nuit par les amiraux Darlan et Fenard) est investie par nos hommes et les trois chefs militaires y sont prisonniers pendant quelques heures ; – sont bloqués également les généraux Mendigal et Roubertie ainsi que le centre de transmissions de l'armée de l'air ; — un certain nombre d'activistes vichyssois civils ou même fonctionnaires de police sont arrêtés par notre groupe de policiers résistants. Nous avons donc surpris en plein sommeil les autorités qui, à force d'en entendre parler, ne croient plus au débarquement. Nous n'étions pas cependant sans inquiétude. Je me souviens que nous nous disions entre nous : pourvu qu'ils ne nous fassent pas le coup de Dakar, on se présente, on sent que les autres résistent et puis on s'en va... Vers les 3 heures du matin, on a entendu la canonnade, on s'est dit... enfin ils arrivent... mais pourvu qu'ils tiennent P.R.: De la place que nous occupons, nous dominons le port et nous sommes prêts à sabler le champagne quand un bâtiment léger de la marine britannique force l'entrée et vient s'embosser presque à nos pieds. L'amirauté a été coupée des contacts extérieurs mais n'a pu être occupée ; les cadres sur place prennent l'initiative de tirer sur le navire anglais entré en fanfare ; la bataille est inégale : le bateau doit se dégager en catastrophe. H. F. : Les Anglais avaient en effet essayé de forcer l'entrée du port, mais cela n'a pas marché. Nous sommes maîtres de la place cependant que les Américains débarqués à l'ouest et à l'est de la ville, en retard et ailleurs qu'aux endroits convenus, progressent sans rencontrer d'opposition vers Alger et vers les terrains d'aviation de Blida et Maison Blanche. Ils étaient là et bien que peu nombreux (c'est à Alger que les effectifs engagés ont été les plus faibles), ils ont progressé lentement sans avoir à combattre pour prendre Alger. P. R.: Le commandement américain, imprégné de ses principes stratégiques et plus soucieux de la vie de ses hommes que de la nôtre, prend la décision de ne pas entrer directement en ville, mais de l'investir méthodiquement en occupant d'abord les hauteurs qui l'entourent. Le jour s'est levé révélant la faiblesse de notre dispositif. Les généraux sont toujours gardés mais quelques officiers ont pu, malgré nos barrages, rejoindre leur corps. Au lieu des deux heures prévues, l'opération aura duré une demi-journée, de minuit à midi. Nous tenons encore un peu partout, mais il nous faudra bien abandonner nos positions. Pour nous, je décide de «décrocher» un peu après midi, 150


avant d'être totalement encerclés. Nous abandonnons notre stock de dynamite amorcée (ce qui retardera toujours un petit peu la «récupération» du central par les forces de l'ordre). Nous nous fondons dans la population et nous partons vers les troupes américaines qui poursuivent sagement leur progression. H. F.: Dans la matinée, en effet, la situation va s'aggraver brusquement pour les résistants. Alertés par le commandant Dorange, chef de cabinet du général Juin, les gardes mobiles, des éléments du 5e chasseur et du 13e sénégalais ainsi que la gendarmerie maritime reprennent petit à petit les positions tenues par nos groupes et libèrent les généraux ; notre groupe de l'Amirauté est fait prisonnier et deux de nos camarades sont tués : le lieutenant Dreyfus devant la grande poste et le capitaine Pilafort devant le commissariat central. II était heureusement trop tard pour renverser la situation et arrêter les troupes américaines dont les effectifs se renforçaient d'heure en heure. Cela s'est pratiquement passé sans combat Tout le monde hésitait à tirer, nous d'une part, et les forces de l'ordre d'autre part qui, sachant que les Américains arrivaient, ne savaient pas comment tout cela allait tourner. On est resté au central téléphonique jusqu'à onze heures du matin, en liaison téléphonique avec le commissariat central (c'est Paul Ruff qui assurait la liaison) où on nous a dit à 12 h : «Les gardes mobiles vont venir, les Américains sont arrivés, maintenant vous pouvez évacuer, ce n'est plus la peine de rester là-bas». Pendant ce temps, retardé par ses laborieuses discussions avec le général Eisenhower sur le commandement en chef des troupes interalliées, le général Giraud n'était pas venu au rendez-vous du 8 novembre à Alger. Toujours est-il qu'on a entendu le laïus de Giraud à 7 heures du matin (ou à 8 heures du matin) à Radio Alger, d'ailleurs on croyait que c'était Giraud qui était déjà là, en fait ce n'était pas Giraud, c'est un des nôtres, Raphaël Aboulker, qui a lu le message à la radio, comme si c'était lui, un appel aux officiers, sous-officiers et soldats de l'armée d'Afrique. On a surtout été déçus, à ce moment-là, que ce ne soit pas De Gaulle, que ce soit Giraud, mais enfin bon, va pour Giraud ! L'amiral Darlan, délivré d'entre nos mains par les gardes mobiles (et qui, entre-temps, avait essayé de faire passer un message à l'Amirauté lui ordonnant de résister aux Alliés) se retrouve quelques heures plus tard en face du général américain Ryder qui vient de s'emparer de la ville. Darlan, laissé libre de communiquer avec Vichy et qui, à un moment, acceptera même le concours de l'Axe contre les transports américains au large d'Alger, finit par autoriser le général Juin à signer une suspension d'armes qu'il limite strictement à Alger et sa banlieue. 18 heures, le cessez-le-feu est signé ; en fait, il n'y a pratiquement pas eu de combat. Nous avons gagné Alger, sur le plan militaire seulement, car ce n'est pas avec nous mais avec les tenants de Vichy que les Américains discutent et en Oranie et au Maroc, de sanglants combats font rage. Après le 8 novembre H.F.: Certains qui n'y ont pas participé ou qui étaient de l'autre côté ont voulu contester l'intérêt de l'action menée par la Résistance, en particulier le général Juin qui, dans une interview parue il y a quelques années dans le Figaro, allait jusqu'à dire en substance : qu'il y a eu une bande de petits jeunes qui ont bien essayé de semer le trouble, mais heureusement, moi, Juin, j'étais là et j'ai tout arrangé. Eh bien, c'est une contre-vérité flagrante, car si nous n'avions pas été là, si nous n'avions pas réussi notre coup, je dis qu'il se serait passé à Alger au moins et dans le meilleur des cas ce qui s'est passé à Oran et à Casa, là où la Résistance n'a pas réussi, c'est-à-dire des jours de 151


combats acharnés, des milliers de morts et de blessés, et notre flotte de guerre et notre aviation présentes sur les lieux détruites, détruites dans la quasi-totalité. On était plutôt malheureux quand on a vu finalement que c'était Darlan qui a pris le pouvoir, à la suite de ses négociations avec les Anglo-américains, surtout avec les Américains. Sur le plan politique, on était refaits, dans le fond, c'était presque Vichy qui continuait... Parce que la législation vichyssoise a continué pendant un certain temps, même après l'élimination de Darlan. P. R. : Les autorités «vichystes» ont changé de camp mais sont restées en place : la situation ainsi créée («expédient provisoire» dira Roosevelt) sera quasi-florentine. Pendant un temps, les factions «pétainistes », «monarchistes», « gaullistes », « communistes» et autres vont s'agiter à qui mieux mieux. L'amiral Darlan sera assassiné et nous pourrons craindre un moment d'être poursuivis pour «trahison». Les Américains eux-mêmes seront divisés : «militaires», «diplomates » et «politiques» auront des attitudes très diverses. Une certaine confusion va régner pendant plus de trois mois, propice à tous les complots ; H. F. : Pendant un bon moment, nous nous sommes consacrés à l'action de propagande anti-Darlan. Dans un film, on voit que dans un défilé qui se passe rue d'Isly, il y a une pluie de tracts qui tombent d'un immeuble avec comme « papier » : «Darlan à la flotte » ! Eh bien c'était moi et Bernard Amiot qui étions montés en haut de l'immeuble et qui avions jeté ces tracts sur le défilé. On allait enfoncer les vitrines où il y avait encore le portrait de Pétain, dans les rues d'Alger. II y a eu même des copains qui ont été arrêtés, qui ont passé une quinzaine de jours en prison. P.R.: Nous étions en effet un petit groupe gauchiste qui voulait «secouer le cocotier » et s'est lancé dans l'agitation en collant des papillons sur les murs : «Nous voulons De Gaulle» (parce que de Gaulle, c'est la République), «Vive Roosevelt» (ce qui signifiait «à bas Murphy»), «l'amiral à la flotte». Le lendemain, les autorités américaines se décident à agir. Giraud est nommé à la tête des armées françaises d'Afrique du Nord. Dechezelles prend contact avec le groupe Capitan pour pouvoir procéder à un affichage plus massif. Celui-ci recrute une douzaine de jeunes gars juifs et... prévient la police pour qu'elle les protège. Méfiants, nous décidons de commencer l'affichage à onze heures au lieu de minuit. A minuit, les flics viennent cueillir les jeunes gens. Nous nous faisons arrêter aussi (Dechezelles et moi, mais pas Fanfani) pour ne pas laisser dire que les jeunes Juifs sont des irresponsables. Arrêtés par les vichystes, nous restons en prison une douzaine de jours et y subissons toutes sortes de vexations. Annie va protester auprès de Murphy et de José Aboulker. Nous sommes amenés devant un tribunal qui, sans nous juger, nous relâche pour nous renvoyer dans nos unités. H. F.: Bon, nous, on n'a pas voulu s'engager dans l'armée régulière, on s'est dit : «c'est encore Vichy». On ne connaissait pas les commandos britanniques. Henri Rosencher (qui avait fait partie d'un autre groupe) partira sur le front de Tunisie dans les commandos britanniques. Blessé, fait prisonnier, emmené en Italie, il s'évadera, rejoindra Alger et sera envoyé en France occupée et fait à nouveau prisonnier dans le Vercors et sera déporté à Dachau. Avec un certain nombre de copains, nous voulions partir en France dans la Résistance. Et c'est ainsi que, par exemple, notre camarade Laurent Preziosi, est parti en Corse occupée début décembre avec le sous-marin Casabianca rescapé de Toulon. Et puis moi et quelques copains, on a fini par trouver la liaison avec un service qui recrutait des gens pour les envoyer en France. Ça s'est passé par l'intermédiaire du colonel Baril, et on s'est trouvés un jour finalement en contact avec le capitaine Véleau de la DST. Et c'est ainsi qu'un groupe d'entre nous a été amené au camp de Staoueldi Zeralda, pour suivre un entraînement de parachutistes, explosifs, sécurité, 152


code, armement, etc. Le camp d'entraînement ne dépendait pas du BCRA, c'était encore Giraud. Les cadres étaient des Anglais, pour l'armement, les explosifs, pour la sécurité, sauf pour le parachutage où c'étaient des Américains. Je me rappelle d'un nom : Major de Gellys. Officiellement, quand on nous a engagés, administrativement, nous avons été affectés au «Bataillon de choc» du commandant Clipet... qui d'ailleurs nous regardait avec un drôle d'air : on était des gens qui avaient l'air plutôt «anarchisants», plus que de braves patriotes et de bons militaires. Enfin, comme il n'y avait pas tellement de monde, ça a passé quand même. Et c'est ainsi que moi-même j'ai été expédié à Londres puis parachuté en France en 1943, que Bernard Amiot a été parachuté en France après moi et qu'il s'est fait tuer au moment du débarquement dans le midi de la France, dans l'ORA, dans le corps-franc Pomiès, lors d'une opération de sabotage dans la région de Toulouse. P. R .: La «réintégration» dans nos unités ne s'est pas passée sans encombre. La première circulaire de Giraud aux armées stipulait de ne pas intégrer les Juifs dans les unités combattantes pour qu'ils ne puissent pas se prévaloir en bloc de la qualité d'ancien combattant et ne pas préjuger de leur futur statut. A la suite de pressions, une concession a été faite pour les volontaires, mais j'ai refusé d'être aryen d'honneur. Finalement, je suis allé dans le camp d'entraînement pendant une quinzaine de jours au début de l'été 1943. Dechezelles devient un «politique» : il est chef de cabinet de Le Trocquer. Pressenti pour être chef de cabinet du ministère de l'air, j'ai préféré rejoindre une unité régulière avec laquelle j'ai débarqué à Marseille. (Propos recueillis par Claudie Weill)

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Témoignage de l’aspirant Pauphilet Cité en annexe dans « L’opération Torch et la Tunisie » par Jacques Belle Avant l’évènement C'est vers le mois de juin 1941 que j 'entrai dans l'organisation grâce à Mario Faivre qui me présenta au capitaine Pillafort. Des explications, d'abord assez vagues qui me furent données au début, il ressortait que ce groupement clandestin était destiné principalement à neutraliser, par la force, les différentes commissions d'armistice se trouvant en Algérie. Cette action devait avoir lieu conjointement avec des opérations militaires, venant de l'extérieur, mais dont ni la nationalité ni les buts politiques ne m 'étaient encore précisément définis. Ce fut vers le mois de juin 1942 que grâce à un camarade de l'école d'élèves officiers de la marine marchande je pus recevoir plus régulièrement les numéros clandestins de Combat. Dans les mois qui suivirent, je restai en contact avec monsieur Capitant et c'est par son intermédiaire que je recevais des exemplaires de Combat à distribuer. Vers le mois d'août je fis connaissance avec Pillafort... Henri d'Astier. Capitant constata alors avec moi qu'il y avait deux organisations totalement différentes et bien difficiles à faire fusionner. Cependant Capitant s'y emploie de son mieux et je m'offre à le seconder dans cette tâche d'union. C'est à ce moment seulement que Capitant, se rendant compte du quasi-monopole des organisations actives qu'avait le groupe d'Astier, me demande de constituer des troupes de choc. En définitive, je pouvais compter sur un minimum de 10 à 12 camarades absolument sûrs, ayant tous une formation militaire et pour la plupart officiers de réserve. Ce fut le 5 novembre que dans un rendez-vous au 26 de la rue Michelet, auquel assistait Henri d'Astier, la date du débarquement fut fixée pour le samedi suivant ; je vais à ce moment trouver Capitant pour lui faire part de l'imminence du débarquement. Il ne semblait d'ailleurs pas tenu au courant de ce qui se passait dans le groupe, alors que depuis quelque temps les groupes d'Astier et Combat avaient fusionné et devaient se faire part de leurs projets et échanger leurs renseignements. Dans la nuit du 7 et 8 novembre, nous avons été ravitaillés en armes. J'avais, à l'époque, 24 ans. Aspirant de réserve d'artillerie au 65 e RAA, j'ai été désigné pour neutraliser la villa des Oliviers, résidence du général JUIN, commandant supérieur des troupes de Vichy à l'époque. Je devais retrouver un groupe d'une soixantaine de jeunes gens ; j'avoue avoir été un peu désappointé lorsque deux camarades et moi, qui étions montés depuis le bas de la ville, n'avons trouvé au rendez-vous que sept ou huit jeunes gens et un homme d'âge mûr ; ils m'étaient tous totalement inconnus. Aucun d'entre eux n'avait de formation militaire et, vu la date, pratiquement aucun n'avait touché une arme de guerre. La moyenne d'âge devait osciller autour de 20 ans. Pendant l'action Le tragique et le comique se sont constamment mêlés au cours de ces 24 heures qui ont 154


commencé le 7 novembre à 23 heures. Les instructions que j'avais étaient d'ailleurs sommaires. Il s'agissait : 1. de relever le poste de garde, disait l'ordre de mission ; 2. les instructions verbales me recommandaient de ne laisser sortir absolument personne de la villa, à l'exception des représentants de la diplomatie américaine. J'étais le seul en uniforme, les autres avaient revêtu des tenues hétéroclites et plus ou moins martiales. Certains avaient reçu des brassards V.P. (volontaires de place) qui leur donnaient, malgré tout, une allure un peu officielle. Il faut se représenter ce que peut -être une troupe d'une dizaine de jeunes garçons affublés d'un brassard et tenant à la main un énorme fusil comme une canne à pêche. Je décidai de me présenter seul devant le poste de garde ou j'arrivai, d'ailleurs, à pied. Une sentinelle sénégalaise montait la garde, je demandai à parler au Chef de Poste, lui montrai un ordre de mission conçu en termes très généraux et signé par le colonel JOUSSE, alors commandant de la place. Le colonel JOUSSE, après avoir donné des conseils sur la manière de procéder, nous avait en effet remis les ordres de mission ainsi établis : 19e Région Division territoriale d'Alger Place d'Alger N° 808

Alger le 7 novembre 1942 Ordre de mission En application du Plan de protection de la place d'Alger, le groupe de volontaires E.l assurera la garde de la villa « des Oliviers » résidence du Général Commandant en Chef des Force en A.F.N. Il relèvera le poste de garde dont le personnel rejoindra immédiatement son corps. Le général commandant d'Armes délégué De la place d'Alger P.O le Major de Garnison Signé JOUSSE

Quelque temps après, un homme en civil, venant à pied de la villa, se dirige vers la sortie. Comme je lui demande son identité, il me déclare être le colonel Chrétien et que sa voiture l'attendait à la porte. Comme j'avais le droit de le laisser passer, il sortit pour renvoyer sa voiture, puis retourna dans la villa. A ce moment, la voiture de monsieur Murphy se présente à la porte, conformément aux ordres, je la laisse passer, puis vient le général Sevez qui demande à entrer, je fais rester sa voiture à la porte et l'accompagne jusqu'à l'entrée de la villa, bien décidé d'ailleurs à ne pas le laisser ressortir s 'il en manifestait l'envie, étant donné les instructions que j'avais reçues de ne laisser aller et venir que le Colonel Chrétien et le personnel du consulat américain. Un homme grand, en uniforme, étant sorti de la villa, s'avançait dans l'allée centrale, lorsqu'un de mes hommes l'arrêta et le pria, un peu sèchement, de réintégrer la maison, n'ayant pas le droit de dépasser la limite fixée par la voiture du consulat d'Amérique. Cet homme ayant demandé ce que faisait là ce civil qui l'arrêtait, mon camarade m'envoya 155


chercher, le dialogue suivant s'engagea entre lui et moi : – « Qui êtes-vous ? Que faites-vous ? – Je suis l'Aspirant Pauphilet et j'ai des ordres pour ne laisser entrer ni sortir personne. – Je suis le général Juin. De qui avez-vous des ordres ? » Après quelques instants de réflexion, je lui répondis : – « Je n'ai pas à vous rendre compte, mon général. » Sur cette réponse, il rentra dans la villa. Tout reste calme jusque vers deux heures du matin. A trois heures du matin environ, monsieur Murphy me fait demander pour transmettre une requête de l'amiral Darlan qui désire être transporté chez l'amiral Fenard pour y finir la nuit. Monsieur Murphy me propose de faire garder Darlan là-bas comme il l'était à la villa des Oliviers. Mais n'ayant pas assez d'hommes à ma disposition, je refuse, pensant que l'amiral pouvait très bien rester là où il était. Néanmoins, je déclare à monsieur Murphy que je vais descendre en ville pour demander à monsieur d 'Astier son avis sur le transfert et profiter de l'occasion pour lui rendre compte de la situation générale. Comme je sortais de la villa des Oliviers, la voiture du consulat d'Amérique arrivait ramenant l'amiral Fenard que l 'on avait été chercher pour qu'il fasse pression sur l'amiral Darlan. Je continue à descendre jusqu'au 26 de la rue Michelet où je trouve installé un poste de radio, d 'Astier et quelques autres. Ayant rendu compte de la situation et demandé du renfort, monsieur Rigaut décide de m'accompagner à la villa des Oliviers, je remonte donc avec lui, il engage une conversation à laquelle je ne participe pas, avec le colonel Chretien, puis avec le général Sevez, après quoi il redescend. Ensuite 4 et 5 heures du matin, j'eus l'occasion de parler avec l'amiral Fenard qui était sorti pour se rendre compte de ce qui se passait en rade car on entendait le bruit sourd des canons de marine, ce qui lui était visiblement désagréable. Il me déclara même qu'il espérait bien que la marine française ne s 'amuserait pas à livrer combat car ce serait complètement idiot de perdre des bateaux et des marins dans ce débarquement qui, par ailleurs, marchait bien. Je lui demandai des nouvelles de l'avance des alliés il ne semblait pas en savoir beaucoup plus que moi et était très optimiste sur la suite des événements. Enfin vers 6 heures du matin, je reçus pour la première fois la visite d'un capitaine des gardes mobiles me disant qu'il venait délivrer le général Juin. Je manifestai alors la plus grande surprise étant donné que j'étais là moi-même pour assurer la garde du général et comme par ces temps troublés, on ne savait pas à qui on avait à faire, je ne laisserai pas entrer, aussi, surpris, il se retira ajoutant que décidément il n'y comprenait rien. Malheureusement, quelques minutes plus tard, revenait un commandant de gardes mobiles, accompagné d'officiers, qui me posa les mêmes questions auxquelles je faisais les mêmes réponses. Mais cette fois sans succès puisque je me trouvais rapidement entouré et menacé d'un grand nombre de revolvers qui se dirigeaient fort désagréablement sur ma personne. Répondant à leurs injonctions, je levai les bras et ils me désa rmèrent. Heureusement deux de mes camarades seulement furent pris, les autres s'enfuirent par les jardins. Vers 8 heures du matin, nous fûmes, transférés au Fort l'Empereur, escortés par les gardes mobiles avec leurs mousquetons chargés. Je dois reconnaître qu'à quelques exceptions près, personne ne semblait prendre la résistance de l'armée au sérieux, on pensait que l'armistice serait signé le soir même. Ce fut d'ailleurs ce qui arriva, car à 17 heures 20, on nous fit sortir en nous rendant notre liberté, ce 156


qui occasionna quelques signes d'enthousiasme délirant entre certains Alsaciens prisonniers avec moi et d'autres officiers du Fort. Échappé de France et réfugié dans l'armée, l'un deux déboutonna même sa vareuse pour nous montrer une énorme croix de Lorraine qu'il porte attachée autour du cou. En redescendant en ville, la surprise fut grande pour beaucoup d'apprendre qu'il n'était pas du tout question de l'arrivée de de Gaulle, mais qu'ils avaient été victimes d'une sorte d'escroquerie morale, car ils pensaient qu'en agissant comme ils l'avaient fait, ils retrouveraient des camarades de la France Libre. Je passai au 26 de la rue Michelet, prendre des nouvelles des uns et des autres et de ce qui s'était passé dans d'autres secteurs, j'appris notamment la blessure du capitaine Pillafort, qui devait entraîner sa mort quelques jours après.

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L’exécution de l’amiral Darlan1 Le complot monarchiste François d'Astier convainc le général de Gaulle d'entrer en contact avec son frère Henri à Alger. Toutefois les gaullistes sont peu nombreux à Alger et même s'ils possèdent un poste radio clandestin les liaisons ne sont pas directes avec Londres, elles doivent être relayées par les Anglais à Gibraltar. En revanche, il est possible de contacter Henri d'Astier par l'intermédiaire des autorités britanniques à Alger. En effet, Henri d'Astier est très connu des services de renseignements anglais depuis le débarquement allié en Afrique du Nord. Il s'est fait de nombreux amis parmi les officiers anglais et reçoit leur appui et leur aide en matière de ravitaillement, armement et équipements pour ses Corps Francs d'Afrique, formation paramilitaire qu'il a mise sur pied et qui regroupe une partie des jeunes résistants qui l'ont aidé dans son action le 8 novembre ainsi que des jeunes des Chantiers de jeunesse impatients de reprendre la lutte contre les Allemands. Par les Anglais, on sait qu'Henri d'Astier, vers la fin du mois de novembre, a proposé au général de Gaulle de le rencontrer à Gibraltar. D'ailleurs, l'historien allemand Elmar Krautramer a retrouvé un télégramme adressé par le général Catroux à de Gaulle le 15 décembre 1942, qui prouve non seulement l'existence de ces liaisons, mais aussi que le complot monarchiste tramé par Henri d'Astier est parfaitement connu de De Gaulle: "SECRET LE PLUS ABSOLU. Il m'a été affirmé à Gibraltar que d'Astier de La Vigerie qui serait auprès de Darlan aurait à vous proposer une combinaison susceptible d'écarter l'Amiral et de réaliser une coordination. Un télégramme par voie anglaise aurait demandé une rencontre avec d'Astier à Gibraltar. Etes-vous au courant? signé: Catroux (Hervé Coutau-Bégarie et Claude Huan, Darlan. Fayard, 1989.)" Et le télégramme porte cette annotation manuscrite de Gaston Palewski, directeur de Cabinet du général de Gaulle: "Réponse faite par le Général: oui." Henri d'Astier ne s'est pas résigné à subir l'autorité de Darlan en Afrique du Nord. Installé avec sa famille et l'abbé Cordier, son bras droit, au 2 rue La Fayette à Alger, il étudie les moyens d'écarter Darlan du pouvoir. Un de ses amis, Yves de Mangeat-Mens, a mis à sa disposition un important domaine agricole situé au Cap Matifou, à 20 minutes d'Alger, qui lui permet d'entraîner et d'abriter les 200 hommes de ses Corps francs d'Afrique. Un autre de ses amis, Alfred Pose, occupe le poste de ministre des Finances dans le gouvernement de Darlan. Comme lui aussi souhaite évincer Darlan, ils élaborent des plans à l'occasion de longues discussions auxquelles participent également l'abbé Cordier et Marc Jacquet, chef de cabinet de Pose. Dans un premier temps ils réussissent à convaincre les présidents des conseils généraux des trois départements d'Algérie qui sont des personnalités très influentes, d'écrire à Darlan pour exiger sa démission, conformément aux dispositions d'une loi promulguée en 1875 qui stipule qu'en cas d'occupation d'une partie du territoire national, les conseils généraux des départements restés libres peuvent former un nouveau gouvernement. Parvenu à Darlan le 26 novembre, ce courrier ne reçoit pas de réponse, ce qui ne décourage pas Alfred Pose et Henri d'Astier dont les idées monarchistes font peu à peu germer l'idée de faire appel au comte de Paris pour remplacer Darlan, comme l'explique Alain Decaux dans son récit 1- Ce texte est de Geoffroy d’Astier, petit-fils de François d’Astier, qu’il rend seul responsable de la décision de l’assassinat de Darlan, sans ordre de de Gaulle. Les notes de bas de pages ont été ajoutées et apportent une vision non uniquement « gaulliste ». Geoffroy d’Astier emploie le mot « exécution » pour ce qui, en l’absence de jugement, reste un « assassinat ». 159


consacré à cette affaire: "Henri d'Astier, monarchiste de toujours, en vint à dire que, l'hypothèque Darlan levée - et il faudrait bien qu'elle le fût - un seul personnage, un personnage par essence au-dessus des partis, pourrait réconcilier les deux factions en présence et unir ainsi les fidèles de de Gaulle et ceux de Giraud. Pour lui, cet homme-là existait: c'était le comte de Paris. (Alain Decaux raconte. Perrin, 1980.)" Le comte de Paris résidait au Maroc, étant interdit de séjour sur le territoire métropolitain, et Henri d'Astier l'avait déjà rencontré durant l'été avec l'abbé Cordier pour l'informer des préparatifs concernant le débarquement en Afrique du Nord. A la fin du mois de novembre, Marc Jacquet est envoyé auprès du comte de Paris afin de le convaincre de succéder à l'amiral Darlan, non pas comme prétendant mais comme rassembleur. Le comte de Paris hésite et avant de se décider envoie à son tour Henri Billecocq, son conseiller, auprès des comploteurs. De retour le 5 décembre, Billecocq fait un compte-rendu suffisamment convaincant au comte de Paris pour que celui-ci donne son accord au projet et se prépare à rejoindre Henri d'Astier et Alfred Pose1. Ceux-ci tentent alors de rallier le plus de monde possible à leur projet, à commencer par leurs amis les plus sûrs, le colonel Van Hecke qui entraîne les Corps francs et le commissaire Achiary qui, sous l'autorité d'Henri d'Astier, est responsable de la sécurité du territoire. A l'occasion de repas ils essayent de se montrer persuasifs sur la nécessité de remplacer Darlan par le comte de Paris, dans un cadre légal, selon la loi de 1875. Par ailleurs, Henri d'Astier a appris la présence de son frère François aux côtés du général de Gaulle, et il estime qu'il faut mettre celui-ci dans le coup : si le comte de Paris devient chef d'Etat, de Gaulle peut occuper la fonction de chef de gouvernement, ce qui favorisera l'union de tous les Français. Par l'intermédiaire des Anglais, des messages sont échangés avec Londres. Le 10 décembre, l'abbé Cordier et Marc Jacquet conduisent le comte de Paris à Alger où il est accueilli par Henri d'Astier. Dans un premier temps, le comte est logé chez un ami d'Alfred Pose mais il est prévu qu'il s'installe à partir du 16 décembre au domicile d'Henri d'Astier où chaque jour sont organisés de nombreux rendez-vous avec des personnalités politiques et des officiers en civil: "La présence à Alger du comte de Paris tourne vite au secret de polichinelle. (…) Il consulte pratiquement au grand jour et distribue les portefeuilles de son futur gouvernement. (Claude Paillat. L'échiquier d'Alger. Robert Laffont, 1967.)" De nombreux officiers de l'armée, dont le général Juin, ne sont pas opposés à ce que le comte de Paris remplace Darlan à la présidence du conseil d'Empire. Les présidents des conseils généraux confirment leur appui tandis que diverses personnalités apportent le leur, notamment Jacques Tarbé de Saint-Hardouin, ministre des Affaires Etrangères dans le gouvernement de Darlan, Pierre Alexandre, représentant de la communauté des Juifs d'Algérie, ainsi que René Capitant et Louis Joxe qui animent le groupe gaulliste d'Alger. Par ailleurs, trois jeunes gens d'une vingtaine d'années et faisant partie des groupes francs sont informés du projet : Jean-Bernard d'Astier, le fils d'Henri, son ami intime Mario Faivre, qui a activement participé aux opérations du 8 novembre, et Fernand Bonnier de La Chapelle qui se rend tous les jours au domicile d'Henri d'Astier car il est chargé d'assurer les liaisons entre le colonel Van Hecke et Henri d'Astier. Henri d'Astier et Alfred Pose décident de passer à l'action le 17 décembre. Dans un premier temps, Jacques Tarbé de Saint-Hardouin est chargé de remettre à l'amiral Darlan un message d'Alfred Pose lui demandant un rendez-vous pour lui et les présidents des conseils 1- A ces solliciteurs, le comte de Paris répond : « si vous avez l’assentiment des éléments représentatifs du pays et l’accord des alliés, si je puis rassembler toutes les forces qui mènent le combat dans l’Empire et coordonner les efforts actuellement dispersés pour contribuer à assurer la libération de la métropole, j’accepte … Je ne viendrai pas en prétendant, mais en rassembleur » 160


généraux pour le lendemain, 18 décembre: "Ce jour-là, une délégation, formée par les conseillers généraux et ayant Pose à sa tête, se présenterait à l'amiral, porteuse d'une lettre de démission toute prête, et lui ferait valoir qu'il représentait un pouvoir illégal et, donc, qu'il devait se démettre pour éviter tout affrontement. L'armée cautionnait cette démarche. La signature de Darlan une fois obtenue, la délégation, faisant application de la loi Tréveneuc, m'appelait pour me confier une mission provisoire et limitée d'union nationale. (Henri comte de Paris. Mémoires d'exil et de combats. Atelier Marcel Jullian, 1979.)" Mais Darlan ne se laisse pas prendre au piège, refusant catégoriquement d'accorder un rendez-vous1. Pour les conjurés il s'agit de trouver une autre solution, d'échafauder un autre plan. Les fêtes de fin d'année sont maintenant trop proches pour tenter quelque chose dans l'immédiat. De plus, on attend d'un jour à l'autre l'arrivée à Alger de François d'Astier de La Vigerie. L’ordre d’exécution L'idée d'envoyer quelqu'un à Alger n'est pas nouvelle dans l'esprit du général de Gaulle. Déjà, le 8 novembre, jour du débarquement allié en Afrique du Nord, il s'était rendu aux Chequers, la résidence de Churchill, et lui avait demandé la possibilité d'envoyer Emmanuel d'Astier en Afrique du Nord afin de faire connaître au général Giraud la position du général de Gaulle et celle de la Résistance métropolitaine: "Henri d'Astier, le frère d'Emmanuel, ayant été l'un des artisans les plus actifs de l'insurrection en Algérie, le général de Gaulle demanda à ce dernier de partir d'urgence pour l'Afrique du Nord afin d'essayer d'établir avec Giraud les liens indispensables au maintien de l'unité française. (Le colonel Passy. Missions secrètes en France. Plon, 1951.)" Mais cette mission avorte lorsque de Gaulle apprend avec indignation la prise de pouvoir de l'amiral Darlan grâce au soutien des Américains. Cependant, il reprend cette idée après l'arrivée à Londres de François d'Astier car il aimerait avoir une compréhension bien plus précise de la situation et il espère bien intégrer la partie qui se joue en Afrique du Nord. Le 1er décembre 1942, par un décret officiel de la France Combattante, François d'Astier est nommé adjoint au général de Gaulle, commandant en chef des Forces Françaises Libres et membre du Haut Comité militaire dont il prendra la présidence en l'absence du général de Gaulle. Cette nomination fait de François d'Astier le plus important responsable militaire de la France Libre après de Gaulle. En fait, le général de Gaulle avait souhaité confier un commandement important à François d'Astier dès son arrivée à Londres le 18 novembre comme on peut le lire dans un télégramme adressé ce jour-là aux délégations de la France Combattante dans l'Empire et à l'étranger: "Le général d'Astier de La Vigerie et le délégué syndicaliste Morandat sont arrivés aujourd'hui de France en avion. (…) Suivant le général d'Astier de La Vigerie tout le monde en France a été soulevé par la stupeur et par la colère en apprenant que Darlan exerçait l'autorité sous la coupe des Américains. (…) Mon intention est de confier un commandement important au général de corps aérien d'Astier de La Vigerie. C. de Gaulle. (Charles de Gaulle. Lettres, notes et carnets. Plon, 1982.)" Dès le lendemain de cette nomination, le 2 décembre, de Gaulle adresse un courrier à Churchill afin de lui faire part de son souhait d'envoyer à Alger le général d'Astier: "SECRET. Mon Cher Premier Ministre, Comme vous pouvez le penser, le Comité national français est très désireux d'être informé sur la situation actuelle en Afrique du Nord française. (…) Je voudrais que le général d'Astier de La Vigerie pût trouver d'urgence les moyens de se rendre en Afrique du Nord française afin d'étudier sur place les éléments des problèmes posés et d'en informer le Comité national. Je vous serais reconnaissant de bien vouloir intervenir auprès des autorités alliées compétentes pour que ces moyens puissent être fournis au général 1- Lorsque Murphy découvre le pot aux roses, il stoppe l’opération : « Jamais les familles de nos soldats ne comprendraient qu’ils sont en Afrique pour restaurer la monarchie française » 161


d'Astier de La Vigerie. (…) C. de Gaulle. (Charles de Gaulle. Lettres, notes et carnets. Plon, 1982.)" Quelques jours plus tard, de Gaulle reçoit le feu vert d'Eisenhower pour cette mission. De Gaulle, le 14 décembre, adresse le télégramme suivant à Adrien Tixier, son représentant à Washington. "SECRET. Les Américains viennent de consentir à transporter en Afrique du Nord française le général d'Astier de La Vigerie. Je lui ai donné pour mission de s'informer sur tout et de m'informer. Cela est nécessaire pour que nous puissions régler notre attitude d'après les faits et agir en conséquence. Naturellement, d'Astier n'aura rien à voir avec Darlan. Peut-être verra-t-il Giraud, mais non officiellement. (…) (Charles de Gaulle. Lettres, notes et carnets. Plon, 1982.)" Le 18 décembre, jour de son départ de Londres, François d'Astier reçoit son ordre de mission : "Le général de corps aérien d'Astier de La Vigerie se rendra en Afrique du Nord française en vue de : a) Etudier la situation en Afrique du Nord à tous points de vue. b) En informer directement et personnellement le général de Gaulle. c) Eventuellement proposer au général de Gaulle toutes mesures d'ensemble ou de détails propres à hâter l'union dans l'effort de guerre des territoires français d'outre-mer en liaison avec la résistance nationale et en coopération avec tous les alliés. Le général de Gaulle. (Charles de Gaulle, Mémoires de guerre, tome II, L'Unité. Plon, 1956.)" En réalité, derrière cette mission s'en cache une autre. François d'Astier est chargé de contacter son frère et le comte de Paris afin de mettre au point le projet de gouvernement qui doit être instauré par les conseillers généraux. De Gaulle a donné son accord pour prendre la responsabilité de ce futur gouvernement qui serait placé provisoirement sous la tutelle du comte de Paris. Par l'intermédiaire des services secrets britanniques, de Gaulle fait remettre à son adjoint l'importante somme de 40 000 dollars destinés à Henri d'Astier qui s'est engagé à servir de Gaulle en constituant avec René Capitant et Louis Joxe un comité directeur chargé de préparer la venue de de Gaulle en Afrique du Nord. A ce moment-là, de Gaulle ignore que le plan prévu initialement par les conjurés a échoué puisque Darlan n'a pas donné suite à la demande de rendez-vous de la délégation qui lui a été transmise par Jacques Tarbé de SaintHardouin. Parti de Londres le 18 décembre, François d'Astier, après une escale à Gibraltar, parvient à Alger dans l'après-midi du 19 décembre. Aussitôt il fait prévenir le général Eisenhower de son arrivée puis se rend à l'hôtel Aletti. La nouvelle de sa présence à Alger fait l'effet d'une bombe1. Immédiatement informé, Darlan s'insurge contre les Américains qui ont permis la venue à Alger de François d'Astier qu'il déteste. Darlan convoque Robert Murphy qui affirme n'être au courant de rien et qu'il ne peut s'agir que d'un malentendu. Le général Bergeret, proche collaborateur de Darlan, suggère de dialoguer avec François d'Astier et charge le lieutenant-colonel Gibon-Guilhelm, son aide de camp, d'aller chercher celui-ci à son hôtel et de le conduire à son bureau. Le lieutenant-colonel Gibon-Guilhelm se présente à 19 heures à l'hôtel Aletti et transmet le message de Bergeret au moment où François d'Astier entame son dîner. Avant de lui répondre, François d'Astier termine tranquillement son repas puis déclare sur un ton particulièrement méprisant, révélateur de son état d'esprit: "Je ne reconnais aucun 1- Dans notes de guerre, Monsabert raconte : « A la faveur de l’arrivée, restée cachée, du général d’Astier, frère de notre conspirateur, et mon camarade de promotion, l’exaltation des gaullistes n’a plus connu de bornes. On parle encore de coup d’état. J’essaie de démontrer que c’est un crime qui risque de plonger ce qui reste de la France dans une catastrophe sans précédent : hostilité certaine, active, de l’armée « unanime » contre le général de Gaulle, agitation des arabes, dissolution complète du front français. J’ai averti Giraud et fait avertir Darlan. » 162


pouvoir à Darlan; Bergeret n'est qu'un petit général de brigade. Moi, je représente 36 millions de Français et je suis l'invité du général Eisenhower, je n'irai voir ni Darlan, ni Bergeret. (Journal de marche du général Bergeret)" On trouve la même tonalité dans le compte-rendu de François d'Astier au général de Gaulle à propos de cette déclaration: "Je fais observer au lieutenant-colonel Gibon-Guilhelm que le général Bergeret ne porte que deux étoiles, qu'il n'a aucun titre de guerre, que sa fonction actuelle n'a aucun fondement régulier, mais que par contre, moi-même suis grand officier de la Légion d'Honneur et adjoint au commandant en chef des Forces Françaises Libres, et que dans ces conditions il m'est absolument impossible de rendre visite au général Bergeret ni même à l'amiral Darlan. (Documentation familiale)" Toujours le 19 décembre, à 21 heures, François d'Astier se rend au domicile de son frère où l'attend le comte de Paris alité depuis deux jours dans la chambre même d'Henri d'Astier à cause d'une crise aiguë de paludisme. Les deux hommes s'entretiennent durant deux heures, sans témoin, tandis que dans le salon situé à côté de la chambre attendent Henri d'Astier et sa femme Louise, l'abbé Cordier, Alfred Pose et Marc Jacquet 1. De nombreux historiens affirment que le destin de Darlan s'est joué au cours de cet entretien. Alain Decaux écrit notamment: "Il semble évident que l'assassinat de Darlan a été évoqué explicitement entre l'envoyé de de Gaulle et le prétendant à la couronne de France. (Alain Decaux raconte. Perrin, 1980.)" Nécessairement, le comte de Paris apprend à François d'Astier que le plan initial a échoué, qu'il faut renoncer au projet ou bien trouver une autre solution. Non moins nécessairement François d'Astier lui déclare ce qu'il n'a cessé de répéter depuis son arrivée à Londres: "Darlan est un traître qui doit être liquidé". Voici ce qu'écrit le comte de Paris dans ses Mémoires à propos de cet entretien: "Le 19 décembre une entrevue fut organisée par son frère Henri, ce qui me permit de faire la connaissance d'un homme sympathique, ouvert bien que prudent et qui veillait, avant tout, à ne pas engager le général. (…) Il m'écouta avec attention, puis s'accorda pour dire qu'il convenait, le plus tôt possible, d'écarter l'amiral Darlan d'un pouvoir illégitime. (Henri comte de Paris. Mémoires d'exil et de combats. Atelier Marcel Jullian, 1979.)" François d'Astier a commandité l'exécution de Darlan. D'ailleurs, le lendemain de cette entrevue, le 20 décembre, il reçoit à l'hôtel Aletti Paul Saurin, président du conseil général d'Oran, qui lui demande ce qu'il compte faire de Darlan. Alain Decaux qui a recueilli le témoignage de Paul Saurin cite la réponse "claire et sèche" de François d'Astier: "Darlan va disparaître physiquement. (Alain Decaux raconte. Perrin, 1980.)" Le même jour, en fin d'après-midi, sous la pression du général Eisenhower, François d'Astier accepte de rencontrer Darlan. L'entrevue a lieu au Palais d'Eté, en présence du général Bergeret, du général Giraud, de Robert Murphy et de l'amiral Battet, aide de camp de l'amiral Darlan: toutes ces personnes ont par la suite témoigné du profond mépris que François d'Astier a manifesté à l'égard de Darlan. Pour commencer, François d'Astier ne s'est adressé qu'au général Giraud, ignorant complètement la présence de Darlan qui a fini par exploser de colère. S'en est suivi un 1- L’un des arguments de François d’Astier est de dire que de Gaulle est persuadé que « Si Darlan n’est pas rapidement éliminé et remplacé par des hommes qui ont leur confiance, les résistants métropolitains se rangeront sous l’influence et les directives soviétiques, ce qui conduira à une situation catastrophique le jour où interviendra la libération du territoire. » et Henri ajoute : « Ces gens là sont actuellement désespérés par ce que nous acceptons à Alger depuis des semaines. De toute la France parviennent à Londres des messages qui reflètent la fureur des uns, le découragement des autres. La résistance non communiste a subi un choc qui peut être mortel et va laisser le champ libre aux extrémistes ». (Mario Faivre – le chemin du palais d’été) 163


échange particulièrement orageux entre les deux hommes qui s'est terminé par un avertissement solennel de François d'Astier raconté par de Gaulle dans ses Mémoires: "Terminant cette scène pénible, le général d'Astier dit tout haut à l'amiral que sa présence était le seul obstacle à l'unité et qu'il n'avait rien de mieux à faire que de s'effacer au plus tôt. (Charles de Gaulle. Mémoires de guerre, tome II, L'Unité. Plon, 1956.)" Le 21 décembre au matin, François d'Astier revoit le général Giraud et lui demande de se rallier au général de Gaulle. Au même moment, le comte de Paris, toujours alité chez Henri d'Astier mais en meilleure forme, convoque Henri d'Astier et sa femme Louise ainsi que l'abbé Cordier, et leur donne l'ordre d'exécuter l'amiral Darlan, dans un langage qui ressemble étonnamment à celui de François d'Astier, comme si le comte répétait ce que celui-ci lui avait dit en tête à tête. C'est Louise d'Astier de La Vigerie qui a plusieurs fois raconté cette scène, notamment à l'occasion de l'émission télévisée réalisée par Alain Decaux en 1969 sur ce sujet: "Le comte de Paris nous fit la déclaration suivante: "L'amiral Darlan doit être éliminé, il faut le faire disparaître par tous les moyens" (Cité par Alain Decaux. Alain Decaux raconte. Perrin, 1980.)" A l'hôtel Aletti François d'Astier reçoit de nombreuses personnalités. C'est son frère Henri qui organise les rendez-vous, et les visiteurs qu'il introduit sont souvent les mêmes que ceux qui ont été reçus par le comte de Paris. François d'Astier rencontre notamment René Capitant avec lequel il met en place le "Comité des trois" chargé de prendre toutes les décisions concernant l'avenir du gaullisme en Algérie et qui comprend René Capitant, Henri d'Astier et Louis Joxe. Il remet à son frère les 40 000 dollars destinés à préparer la venue du général de Gaulle en Afrique du Nord. Le 22 décembre à midi François d'Astier quitte Alger alors que se répand le bruit de l'imminence d'un attentat contre l'amiral Darlan. C'est Marc Jacquet qui annonce à plusieurs cadres de la banque dirigée par Alfred Pose, la BNCI, l'événement qui va se produire deux jours plus tard: "Après-demain nous assassinerons Darlan, et le comte de Paris prendra le pouvoir. (Témoignage paru dans le journal Le Monde du 1er février 1980.)" L’exécution de Darlan Le 22 décembre, comme à son habitude, Fernand Bonnier de La Chapelle passe en fin d'après-midi au domicile d'Henri d'Astier. L'abbé Cordier le met au courant de l'ordre transmis par le comte de Paris et le charge d'abattre l'amiral Darlan 1. L'opération est prévue pour le 24 décembre. Ce jour-là, à 10 heures du matin, l'abbé Cordier remet à Bonnier de La Chapelle un revolver qui appartient à Henri d'Astier, le plan du Palais d'Eté où est situé le bureau de Darlan, 2 000 dollars prélevés sur l'argent apporté par François d'Astier, ainsi qu'une carte d'identité au nom de Morand qui a été établie par l'inspecteur Schmitt qui travaille dans les services du commissaire Achiary. Il est prévu que Bonnier de La Chapelle, après avoir abattu Darlan, s'échappe par la fenêtre laissée ouverte à dessein, puis prenne le train à destination du Maroc. Après avoir été confessé par l'abbé Cordier, Bonnier, accompagné par Jean-Bernard d'Astier, monte dans la Peugeot d'Henri d'Astier conduite pour la circonstance par l'inspecteur Schmitt. Bonnier est déposé à l'entrée du Palais d'Eté. Mais aux environs de midi il fait irruption au restaurant Le Paris où déjeunent les comploteurs et leur explique que Darlan n'est pas venu au Palais d'Eté durant la matinée. Il est convenu que Bonnier y retourne. Cette foisci, Jean-Bernard, Roger Rosfelder et lui montent dans la voiture de Mario Faivre. Avant de se rendre au Palais d'Eté Mario Faivre arrête la voiture dans un endroit isolé car Bonnier veut 1- « il faut faire en sorte que ne puisse être mis en cause ni la résistance, ni de Gaulle, ni le comte de Paris. Ce doit être classé comme l’acte d’un isolé. Celui qui exécutera Darlan doit être un inconnu » dit Cordier à Mario Faivre (Mario Faivre - le chemin du palais d’été) 164


essayer son arme. Effectivement, le premier coup ne part pas. Jean-Bernard d'Astier lui donne alors son revolver que Bonnier essaie et qui fonctionne parfaitement. Déposé à nouveau au Palais d'Eté, Bonnier attend tranquillement Darlan dans la petite pièce qui précède son bureau. Peu après 15 heures, au moment où Darlan s'apprête à entrer dans son bureau, Bonnier s'avance et tire deux coups de revolver à bout portant sur l'amiral qui s'effondre à terre. Bonnier n'a pas le temps de s'enfuir par la fenêtre : attirées par le bruit des détonations, plusieurs personnes ont accouru et se sont emparées de lui. Il est alors amené, non pas à la brigade de sécurité du territoire dirigée par le commissaire Achiary, mais au commissariat central de la police judiciaire, ce que n'avaient pas prévu les conjurés. Bien qu'il prétende s'appeler Morand, sa véritable identité est rapidement découverte car Bonnier est le fils d'un journaliste connu à Alger. Durant la nuit, Bonnier est interrogé sans relâche par les commissaires Garidacci et Esquerré et il finit par avouer qu'il n'a pas agi seul, que des personnes lui ont donné un revolver et des instructions. Au commissaire Esquerré qui lui demande: "Mais ces personnes qui ont organisé l'assassinat de l'amiral, qui sont-elles?", il donne sans hésiter les noms d'Henri d'Astier de La Vigerie et de l'abbé Cordier puis il raconte tout ce qu'il sait du complot monarchiste qui a abouti à l'exécution de Darlan: "Je dois vous dire que j'allais tous les jours au domicile de M. Henri d'Astier, comme chargé de liaison du corps franc. Dans ce corps franc, nous avions formé entre nous un groupe de "durs", que nous appelions le "groupe d'Hydra". M. d'Astier ignorait ce détail. C'est le colonel Van Hecke qui m'avait désigné pour cette liaison. M. d'Astier me recevait fort bien, parlait de moi et m'avait présenté à ses deux filles, qui étaient très gentilles. Je n'étais pas du tout monarchiste, je n'y pensais même pas! Au cours de nos conversations, M. d'Astier me montrait que la seule solution pour que la France voie s'ouvrir devant elle un avenir brillant était un retour à la monarchie, régime dont il me faisait l'éloge. Ces conversations ont duré environ un mois. Vers le 20 décembre, tant M. d'Astier que l'abbé Cordier, qui habitait chez M. d'Astier, me firent comprendre que le seul obstacle à l'arrivée en France de cet avenir si favorable était la présence de l'amiral Darlan à la tête du gouvernement. Progressivement, j'ai compris que ces messieurs recherchaient un jeune homme courageux, convaincu de la grandeur de sa mission, qui accepterait d'accomplir une action historique : faire disparaître l'amiral. Je me suis présenté spontanément comme celui qui serait capable de mener à bien cet acte d'épuration. Car, en réalité, sous ses allures de patriote, Darlan était inféodé aux Allemands. A cette époque, il y eut beaucoup de remueménage chez M. d'Astier, causé par des visites mystérieuses, et on me fit comprendre que la disparition de l'amiral était urgente. On fixa le 24 décembre 1942, veille de Noël, pour l'exécution. L'abbé Cordier me donna rendez-vous le 24 au matin dans une petite rue, près de l'église Saint-Augustin, où il disait la messe. Je m'y rendis et il me dit qu'il était nécessaire que je me confesse avant d'agir. Et qu'au nom de Jésus-Christ il me donnerait l'absolution. Tout en marchant, il m'invita à faire ma confession. J'avais à peine esquissé un signe de croix que l'abbé me dit: "Voici les plans du Palais d'Eté, où se trouvent les bureaux de l'amiral." Il m'expliqua le procédé à employer pour pénétrer dans les bureaux et l'endroit où je devais me poster. Il me remit un revolver de gros calibre, chargé, et m'invita à confesser ce que j'allais faire puis me donna l'absolution. Mes camarades disposaient d'une automobile de marque Peugeot, que conduisait l'un d'entre eux, nommé Mario Faivre. Ils décidèrent de me conduire avec ce véhicule jusqu'aux grilles du Palais d'Eté. Il était environ onze heures trente lorsque je pénétrai sans difficulté dans le palais, près des bureaux. Je me fixai à l'endroit décidé par l'abbé. Je n'ai rien pu faire, car j'ai vu de loin l'amiral partir. Après mon retour, j'ai été invité au restaurant "Le Paris" à déjeuner par M. d'Astier et l'abbé, qui m'ont encouragé à ne pas modifier ma ligne de conduite. L'après-midi vers quinze heures, mes camarades sont venus me reprendre avec la même automobile. Nous étions toujours quatre : le fils d'Astier, Sabatier, Mario Faivre et moi. Ils m'ont conduit au même endroit. Je me suis placé à l'endroit 165


fixé et, dès l'arrivée de l'amiral, j'ai pu accomplir la mission dont j'étais chargé. (Albert-Jean Voituriez. L'affaire Darlan, l'instruction judiciaire. Editions Jean-Claude Lattès, 1980.)" Le commissaire Garidacci décide de rédiger un procès-verbal qui résume le récit de Bonnier de La Chapelle: "L'an 1942 et le 24 décembre, devant nous, Garidacci, commissaire de la police mobile, auxiliaire de M. le Procureur de la République, entendons: M. Bonnier de La Chapelle, Fernand, étudiant, 20 ans, demeurant à Alger, 56, rue Michelet: "J'affirme avoir tué l'amiral Darlan, haut-commissaire en Afrique française, après en avoir référé à l'abbé Cordier sous forme de confession. C'est M. Cordier qui m'a remis les plans des bureaux du Haut-Commissariat et du cabinet de l'amiral, et c'est par lui que j'ai pu me procurer le pistolet et les cartouches qui m'ont servi à exécuter la mission qui m'était assignée et qui était de faire disparaître l'amiral. Lorsque je me suis engagé dans les corps francs, j'ai recruté de ma propre initiative des hommes de main dont M. d'Astier aurait pu avoir besoin, mais M. d'Astier n'a jamais été au courant de cette initiative personnelle. Je sais que MM. Cordier et d'Astier ont rencontré récemment le comte de Paris, au même titre que d'autres personnalités. Enfin, j'ai l'impression que M. d'Astier ne vit pas en excellents termes avec M. Rigault, dont l'action auprès de l'amiral est gênante pour lui et ses amis." Lu, persiste et signe: Fernand Bonnier de La Chapelle. (Albert-Jean Voituriez. L'affaire Darlan, l'instruction judiciaire. Editions Jean-Claude Lattès, 1980.)" Troublé par les déclarations compromettantes de Bonnier de La Chapelle, le commissaire Garidacci décide de dissimuler le procès-verbal dont il compte se servir pour faire "chanter" Henri d'Astier, si bien que le premier juge d'instruction chargé de l'affaire conclut, dès le lendemain de l'attentat, à un crime d'isolé : Bonnier est un jeune exalté qui a assassiné Darlan en croyant faire son devoir de patriote. Au cours de la matinée du 25 décembre, Bonnier reçoit la visite de son père, Eugène Bonnier. Alors que celui-ci manifeste une grande inquiétude, Fernand lui parle sur un ton décontracté: "Alors, papa, tu es plus dégonflé que moi? Tu as tort. Il faut que tu saches que j'attends du secours de gens très haut placés. - Mais, Fernand, tu ne sais donc pas ce que tu risques? - La voix de Fernand est toujours assurée: - Ceux qui vont m'aider ce sont d'Astier de La Vigerie et le comte de Paris. C'est pour eux que j'ai agi. (Témoignage cité par Alain Decaux dans Alain Decaux raconte. Perrin, 1980.)" Pendant ce temps-là les conjurés font tout ce qu'il leur est possible pour sortir Bonnier de cette situation : Henri d'Astier, l'abbé Cordier et Alfred Pose usent de leur pouvoir pour tenter de le faire libérer en multipliant les démarches et en téléphonant sans la moindre discrétion aux membres du gouvernement, sans savoir que Jean Rigault, ministre de l'Intérieur et de l'Information, a fait placer sur écoute l'appartement d'Henri d'Astier, son ancien ami1. De son côté, le comte de Paris fait savoir aux cinq membres du conseil d'Empire qu'il se porte candidat au poste de haut-commissaire en remplacement de l'amiral Darlan. En attendant ces élections, le pouvoir se trouve provisoirement entre les mains du gouverneur du Maroc2, le général Noguès, et celui-ci, craignant pour sa vie, décide de précipiter les choses : Bonnier est transféré dans l'après-midi du 25 décembre au tribunal militaire et son procès a lieu en fin de journée. A l'issue d'une brève délibération, il est condamné à mort et son exécution est fixée au lendemain à l'aube. En attendant, il est enfermé dans un local situé dans l'enceinte du tribunal et surveillé par deux officiers de gardes mobiles, le capitaine Gaulard et le lieutenant Schilling. Durant la nuit, le condamné se confie à ses gardiens et ses déclarations sont consignées par le capitaine Gaulard. En voici les extraits les plus significatifs: "J'ai tué l'amiral Darlan 1- Henri d’Astier envisage même une opération de force. 2- Giraud est en inspection sur le front de Tunisie; prévenu le 24, il rentre d’urgence à Alger et fait lui aussi pression pour activer la cour martiale. 166


parce que c'est un traître, il vendait la France à l'Allemagne pour son profit. (…) J'ai appris qu'une personne (le général François d'Astier de La Vigerie), venant de la part du général de Gaulle, avait demandé à être reçue par l'amiral. Le général de Gaulle était prêt à faire sa soumission si une personnalité que je connais (le comte de Paris) prenait le pouvoir à la place de l'amiral Darlan. L'amiral a refusé de recevoir l'envoyé du général de Gaulle, marquant sa volonté de garder pour lui le pouvoir. Certaines personnalités ont parlé devant moi de cette démarche infructueuse et ont dit : "Il faut que Darlan disparaisse." J'ai dit alors: "Eh bien, moi, je me charge de le faire disparaître" (…) On m'a dit que, après l'affaire, je serais pris, condamné à mort et gracié. Cependant, on m'a jugé trop vite, il aurait fallu deux jours pour permettre à mes amis d'intervenir. Je sais que Maître Sansonnetti, mon avocat, s'y emploie maintenant. D'ailleurs, le comte de Paris que je connais, est depuis plusieurs jours ici, il est à vingt minutes d'Alger. Je connais aussi Henri d'Astier de La Vigerie, ils sont plusieurs frères, l'un est chez de Gaulle, un autre était avec moi aux Chantiers (Chamine. La querelle des généraux. Albin Michel, 1952.)" Pour le capitaine Gaulard, aucun doute possible: "L'assassin a eu en vue le rétablissement de la royauté (Chamine. idem.)" Toutes les démarches effectuées pour tenter de sauver Bonnier du peloton d'exécution demeurent vaines. Le 26 décembre, à sept heures trente du matin, Fernand Bonnier de La Chapelle est fusillé.1 La succession de Darlan Le comte de Paris n'a pas réussi à convaincre les membres du conseil d'Empire2. Le 26 décembre, ils élisent le général Giraud qui devient le nouveau haut-commissaire en Afrique du Nord et qui prend pour adjoint le général Bergeret3. Giraud est convaincu que la police, dirigée par Henri d'Astier, est compromise dans le meurtre de Darlan. C'est la raison pour laquelle il fait arrêter le préfet de police Muscatelli ainsi que le commissaire Achiary. Par ailleurs, les Américains, furieux de l'élimination de Darlan, lui suggèrent d'interner les responsables gaullistes d'Alger qu'ils soupçonnent d'être impliqués dans l'attentat. Le 9 janvier 1943, Giraud fait venir à Alger le commandant Voituriez, juge du tribunal militaire de Casablanca, afin qu'il reprenne l'instruction de l'affaire Darlan. Giraud lui demande de faire toute la lumière sur le complot qui a abouti au meurtre de Darlan et il signale au juge la présence à Alger de François d'Astier de La Vigerie, frère du chef de la police, deux jours avant l'attentat. Son conseiller, le commandant Paillole, chef des services secrets français, conseille au juge Voituriez de commencer par interroger le commissaire Achiary qui a accepté de faire des révélations très importantes à condition de ne pas être inquiété. L'interrogatoire d'Achiary commence vers minuit, toujours le 9 janvier. Celui-ci explique d'abord qu'il a lui-même activement participé à l'organisation mise en place par le comité des cinq destinée à faciliter le débarquement allié du 8 novembre 1942. Il est resté ensuite en collaboration étroite avec Henri d'Astier qui était devenu son chef direct dans la police. Ce dernier l'a tenu informé du projet monarchiste ainsi que de certains détails concernant l'exécution de Darlan. A la question du juge qui lui demande: "Qui est l'instigateur du complot ayant eu pour but l'assassinat de l'amiral?" Achiary répond immédiatement: "Sans 1- Une de ses dernières paroles : « J’ai fait justice d’un traître qui empêchait l’union des français » 2- Alors que le comte de Paris rejette la proposition d’un groupe d’officiers qui voulaient boucler le conseil. 3- Il reçoit immédiatement un message de de Gaulle lui demandant de le rencontrer « afin d’étudier les moyens qui permettraient de grouper sous un pouvoir central provisoire toutes les forces françaises à l’intérieur et à l’extérieur du pays, et tous les territoires français qui sont susceptibles de lutter pour la libération et pour le salut de la France » 167


conteste, l'instigateur est Henri d'Astier de La Vigerie et l'agent d'exécution l'abbé Cordier. D'ailleurs ils habitent ensemble, 2, rue La Fayette à Alger. (…) Ce qui est certain également, c'est que le personnage au profit duquel ces gens-là conspiraient est le comte de Paris, prétendant au trône de France. (Albert Voituriez. L'affaire Darlan. L'instruction judiciaire. Lattès, 1980.)" Le juge pose alors une question concernant le rôle de François d'Astier dans le complot: "Nous avons appris que deux jours avant l'assassinat se trouvait à Alger un émissaire du général de Gaulle, son bras droit, le général d'Astier de La Vigerie, frère de Henri. Ne croyez-vous pas que c'est ce général qui, au nom de son chef de Gaulle, a donné l'ordre d'assassiner?" Réponse d'Achiary : "Les conversations que j'ai eues tant avec Henri d'Astier qu'avec l'abbé Cordier me permettent de vous dire avec certitude que l'assassinat a été organisé au profit exclusif du comte de Paris et qu'il n'y a jamais été fait allusion à un accord secret avec de Gaulle. (Albert Voituriez. L'affaire Darlan. L'instruction judiciaire. Lattès, 1980.)" Les déclarations du commissaire Achiary sont suffisantes pour faire arrêter Henri d'Astier. Le lendemain matin, 10 janvier, quatre policiers armés de mitraillettes font irruption dans son appartement. Henri d'Astier et l'abbé Cordier sont arrêtés et amenés en prison. Après leur départ, le juge Voituriez procède à une perquisition : il découvre des dossiers concernant la préparation du débarquement allié, mais aussi une maquette destinée à figurer en première page d'un journal, qui comporte une photographie représentant le comte de Paris entouré du général de Gaulle et du général Giraud, et qui proclame l'accession au pouvoir du comte de Paris. Le juge trouve également la composition du gouvernement dirigé par le comte de Paris: Ministre d'Etat, adjoint au comte: le général de Gaulle. Ministre de l'Intérieur: Henri d'Astier de La Vigerie. Ministre de la Guerre: le général Giraud. Ministre des Finances: Alfred Pose. Ministre de la Justice: Marc Jacquet. Il n'en faut pas plus au juge Voituriez pour notifier à Henri d'Astier ainsi qu'à l'abbé Cordier une inculpation de complicité d'assassinat et de complot contre la sûreté de l'Etat. Toujours le 10 janvier, au cours de la soirée, le juge fait venir le commissaire Garidacci qui avait interrogé Bonnier dans les heures qui ont suivi l'attentat, car celui-ci aurait aussi des révélations à faire. Garidacci avoue au juge que lui et son collègue, le commissaire Esquerré, ont obtenu de Bonnier de La Chapelle tous les détails sur le complot et le meurtre de Darlan organisés par Henri d'Astier et l'abbé Cordier. Quelques heures plus tard, le juge Voituriez découvre le rapport du capitaine Gaulard qui confirme en tous points les déclarations faites par Bonnier aux deux commissaires. Au cours des jours suivants, le juge interroge d'autres personnes mêlées au complot: le colonel Van Hecke, Marc Jacquet, Alfred Pose… Mais quand il demande au général Giraud l'autorisation d'interroger le comte de Paris, il se voit opposer un refus formel: "Pour des raisons qui touchent à l'organisation du gouvernement, je ne veux pas que vous entendiez, même comme témoin, le comte de Paris. (Albert Voituriez. L'affaire Darlan. L'instruction judiciaire. Lattès, 1980.)" Le 16 janvier, le juge Voituriez rencontre Giraud et Bergeret pour leur faire part de son intention de faire arrêter Alfred Pose et Marc Jacquet dont l'implication dans l'attentat ne fait aucun doute. A sa grande stupéfaction, Bergeret lui dit: "Le général Giraud désire que vous retiriez votre référé et que vous ne mettiez en cause ni Pose ni Jacquet. Nous savons bien qu'ils sont coupables, mais il existe des considérations supérieures à la justice et nous devons, nous, en tenir compte." Et le général Giraud ajoute: "C'est Monsieur Pose et sa banque qui alimentent financièrement mon gouvernement. Je ne puis me passer de lui." Puis Giraud demande au juge de suspendre son enquête, il estime que le général de Gaulle n'est pour rien dans l'assassinat de Darlan: "Les services spéciaux américains ont examiné votre dossier avec le général Bergeret. Ils sont maintenant convaincus que la collusion entre le comte de Paris et de Gaulle est le fait du hasard, qu'en réalité le but des conjurés était bien, à l'origine, la 168


restauration de la monarchie, et que l'ensemble a été organisé à Alger. (Albert Voituriez. L'affaire Darlan. L'instruction judiciaire. Lattès, 1980.)" Depuis la mort de Darlan le général de Gaulle envisage de s'installer à Alger. Son projet se heurte cependant à la position du général Giraud qui, en tant que haut-commissaire, assume en Afrique du Nord les fonctions de commandant en chef civil et militaire. Le 22 janvier 1943, invité par Winston Churchill à participer à une conférence qui réunit également le général Giraud et le président Roosevelt, le général de Gaulle se rend à Anfa, au Maroc. La conférence se déroule dans un climat de tension extrême et finalement de Gaulle rejette le plan proposé par les Alliés qui prévoit d'installer en Afrique du Nord une autorité placée sous la tutelle des Américains et dans laquelle de Gaulle serait subordonné au général Giraud. Quelques semaines plus tard, de Gaulle annonce à Giraud son intention d'aller à Alger. Sachant qu'il devra composer avec lui, de Gaulle, dans un échange de courrier, lui fait part de son accord sur le principe d'un partage du pouvoir. Le 30 mai 1943, il s'envole pour Alger et laisse à Londres François d'Astier, son adjoint, à qui il délègue la majeure partie de ses attributions et qui est nommé, quelques jours plus tard, commandant des troupes françaises en Grande-Bretagne. Geoffroy d’Astier

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Giraud, puis de Gaule Le gouvernement Giraud, la conférence d’Anfa Monsabert raconte : « 14 janvier – L’enquête sur l’assassinat de l’amiral et le putsch gaulliste continue. D’Astier et son secrétaire, l’abbé Cordier, ont été arrêtés. Ils seraient complices de l’assassinat. L’imbroglio est à son comble. Les principaux conjurés du 7 au 8 pour l’arrivée des alliés, et par conséquent pour celle de Giraud, sont actuellement sous les verrous. De là à accuser Giraud d’ingratitude, il n’y a qu’un pas pour les mal intentionnés. Or Giraud ne pouvait pas permettre un putsch, qui aurait entraîné une révolution à l’arrière pendant qu’on se bat en Tunisie. Quant à l’assassinat, il est à peine besoin d’en parler : c’est intolérable… Je fais mon devoir, rien que mon devoir et je veux ignorer la politique qui divise la France, et je me fous de la république. » Henri Giraud est devenu commandant civil et militaire d'Alger. Ainsi l'empire en guerre reste encore partagé entre deux pouvoirs : celui d'Alger, soutenu par Roosevelt, malgré son maintien de la législation de Vichy, et le comité français de Londres. L'arrivée à Alger de Jean Monnet, envoyé par Roosevelt pour conseiller Giraud, allait contribuer à ramener la démocratie en Afrique libérée alors que les premiers contacts s'établissaient avec les gaullistes. En fin janvier 43, Roosevelt et Churchill organisent la conférence d’Anfa, au Maroc. Giraud s’y rend mais de Gaulle refuse l’ingérence étrangère dans les affaires intérieures. Les alliés doivent se faire menaçants pour le faire venir, et, des deux côtés, la poignée de main n’est ni chaleureuse ni franche ! En marge de la conférence, Roosevelt confie à son fils quelques réflexions qui ne manquent pas d’éclairer les événements à venir : « Il (de Gaulle) m’a laissé entendre tout à fait clairement qu’il compte voir les alliés remettre sous le contrôle de la France toutes les colonies après leur libération… En vertu de quel droit le Maroc, peuplé de marocains, appartiendrait-il à la France ? ou bien encore, considérons l’Indochine. Cette colonie est maintenant au pouvoir du japon ; Pourquoi était-il si important de conquérir ce pays ? Les indigènes y étaient si opprimés qu’ils se disaient : « tout vaut mieux que de vivre sous le régime colonial français » Un pays peut-il appartenir à la France ? En vertu de quelle logique, de quelle coutume, et de quelle loi historique ?...Ne crois pas un seul instant, Eliott, que des américains seraient en train de mourir ce soir, dans le pacifique, s’il n’y avait pas la cupidité à courte vue des français, des anglais et des hollandais ». Les succès militaires de Giraud

En Tunisie, les pétainistes d’hier, intégrés à l’armée britannique, ont fait merveille avec leur armement vétuste, sans matériel moderne, sans soutien logistique, avec les équipements cachés par Weygand puis Juin. Les alliés défilent à Tunis en mai. Giraud s’intéresse avant tout au réarmement de l’armée, et à obtenir de Roosevelt les aides nécessaires en matériel. Il envoie en fin décembre 42 à Washington Lemaigre Dubreuil et le général Béthouart négocier les détails de l’opération consistant à armer 11 divisions (sur les bases du mémoire de Mast). La précarité de la situation à Alger pousse Roosevelt à se poser la question de la pertinence du réarmement de l’armée d’Afrique mais un premier convoi de 15 cargos arrive le 13 avril, et le dimanche 9 mai, au champ de manœuvre d’Alger, Giraud, piloté par Eisenhower admire des centaines de chars, des mitrailleuses lourdes, des obusiers, des canons, des camions, des pièces de DCA sortant à peine de leurs caisses. Sur un calicot on peut lire cette proclamation : « Sous ce portique passe un fleuve d’énergie qui va concourir à la reconstruction de la France éternelle et de son empire. Un seul but : la victoire ». 171


Le 7 juillet, Giraud est à Washington pour demander des fournitures supplémentaires. Les américains tiennent à ce que les divisions soient organisées à l’américaine. Des stages de formation sont organisés à Arzew près d’Oran. Toutes les divisions réarmées, en particulier celles du futur corps expéditionnaire en Italie, y participent pour s’habituer au nouveau matériel et se former aux techniques de débarquement. Le 9 septembre, alors que les américains débarquent dans le sud de l’Italie, à Salerne, les résistants corses se soulèvent, et avec l’aide du sous marin rescapé de Toulon «le Casabianca », qui lui servait depuis décembre 42 à alimenter la résistance en armes, Giraud envoie le 1er bataillon de choc établir une tête de pont à Ajaccio; ils sont suivis du 1° RTM, de spahis, de goumiers, …. sous le commandement du général Henri Martin. Il est à noter que les italiens du général Magli se rangent aux cotés des français. Giraud se rend dans l’île le 21 septembre. Les allemands se replient pour passer en Italie. L’île est libérée en octobre sans intervention alliée et servira de tremplin aérien vers la Provence. La constitution du Comité Français de la Libération Nationale Les négociations pour permettre la fusion des énergies de de Gaulle et de Giraud commencées à Anfa se poursuivent à Alger. de Gaulle compense la faiblesse de ses effectifs (300.000 hommes pour l’armée d’Afrique contre quelques milliers pour les forces françaises libres) par une intransigeance à toute épreuve. Sur le plan politique, Giraud va de recul en concession. Lorsque de Gaulle accepte un compromis, en même temps il envoie les siens contacter les subordonnés de Giraud pour leur faire céder un peu plus. Cela s’accélère le 30 mai avec l’arrivée de de Gaulle à Alger. On s’était entendu pour une arrivée discrète, mais le jour même une manifestation est organisée. Puis de Gaulle entame une tournée des villes d’Algérie. De Gaulle veut épurer l’armée et les cadres de tout ceux qui ont, à ces yeux, faillis (certains sont déjà sur le front en Tunisie !) Giraud refuse les têtes qu’on lui demande, des émissaires sont envoyés pour les pousser à la démission. Au sein même de l’armée, les gaullistes (Jousse, Morlaix, Fradin) organisent une filière de débauchages en jouant sur la solde, … On envoie les FFL en permission en camions, avec un stock d’uniformes, et les camions reviennent pleins. Par divulgation à la presse de documents intermédiaires, on force la main et ils deviennent définitifs. En un mot, de Gaulle ne reconnait pas l’autorité en place et entend bien parler seul au nom de la France, il donne des leçons de patriotisme à tout le monde et fait passer pour des traitres ceux qui ne se sont pas ralliés à lui. Cette attitude exaspère Churchill et Roosevelt qui, en plusieurs occasions menacent de le lâcher. Mais ils ont compris que Giraud ne fait pas le poids comme chef d’état. Giraud déçoit de plus en plus ses partisans qui l’abandonnent peu à peu et rejoignent les Forces Françaises Libres. Le comité est crée le 3 juin, avec de Gaulle et Giraud comme co-présidents, et finalement le 9 novembre de Gaulle s’impose seul à la tête du Comité Français de la Libération Nationale (CFLN).

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French commando par l’aspirant Pauphilet, cité dans l’opération Torch et la Tunisie de Jacques Belle L'agitation du débarquement étant passée, et la période de révolte contre les autorités considérée comme close, il fallut se préoccuper de l'avenir de nos hommes et surtout de ne pas décevoir les jeunes qui avaient fait confiance à leurs chefs et espéraient enfin pouvoir proclamer et afficher leurs opinions de toujours. En effet, il faut bien maintenant se rendre compte que cette véritable insurrection avait crée un état d'enthousiasme parmi le peuple où brillait tout à coup le plus pur esprit patriotique. Aussi, dès le 9 novembre, sans tenir compte du pouvoir aux mains de Darlan, je me préoccupai de grouper toutes les bonnes volontés, espérant que la présence des Anglais nous permettrait de créer une armée nouvelle de volontaires qui se joindrait aux F.F.L. le plus rapidement possible. J'espérais pouvoir former immédiatement une sorte de commando, entraîné par les troupes anglaises similaires se trouvant dans la région, les cadres étant constituées principalement par les chefs de groupe de la nuit du 7 au 8. La formule de commando était évidemment celle qui correspondait le mieux aux circonstances puisqu'il fallait tenir compte premièrement de la fougue impatiente de nos troupes qui répugnaient à s'engager dans l'armée régulière, mal commandée et mal armée, à l'esprit maréchalesque et réfractaire à nos idées ; deuxièmement du manque de formation militaire de la plupart et des meilleurs. Ce deuxième élément aurait été un obstacle pour l'incorporation de nos groupes dans n'importe quelle arme sauf le commando pour lequel tout était à apprendre pour tout le monde ; d'autre part, la tactique de ce nouveau corps faisant une large part à l'individualisme et au débrouillage, correspondait bien à l'état d'esprit des partisans. On s'apercevra beaucoup plus tard, au moment de la constitution et de l'entraînement du « bataillon de choc », que cette idée du petit groupe de combat autonome fut celle que nos instructeurs anglais eurent le plus de peine à faire comprendre aux militaires français. En vue de la réalisation de ces idées, j'utilisais mon bureau et mon personnel de la répartition des carburants du 7 rue Charras, et ouvrais un véritable bureau de recrutement officieux. C'est ainsi que rapidement, j'eus plus de demandes que je ne pouvais matériellement en satisfaire. Beaucoup avaient quitté leur travail depuis le 7 et ne pouvaient y retourner que pour se faire mettre dehors si leur patron jugeait subversives leurs activités. D'autres avaient abandonné le lycée, l 'administration ou leur famille et tous, dans le chaos général, ne connaissaient que la rue Charras. Cette officine avait rapidement une telle renommée que le consulat des États-Unis lui-même, assailli de demandes d'engagements, avait pris l'initiative de me renvoyer les postulants. Aux environs du 12 novembre, d'Astier me présenta au colonel anglais Anstruther et à son adjoint le Major Thoreance, H.L.I. (Highlander Light Infantery = commandos). La première entrevue eut lieu rue Charras et nos amis anglais avaient apporté avec eux une appréciable quantité d'explosifs, de grenades et de mitraillettes ainsi que des munitions. Le tout fut entreposé... Les Anglais, auxquels j'avais exposé mes projets d'une force française de choc équipée par eux, admirent de me fournir personnellement des armes, des vivres, des vêtements et un équipement simplifié, sans que, en fait, le but ou le type même du corps 173


à équiper soit bien précisé. C 'est en vertu de ces accords que l'armement ci-dessous fut touché par moi, directement, sous les palans de l'« Océan Veteran » (cf liste des armes à percevoir au « quai de Dakar » à Alger, selon le document original en anglais) :

C.C. Ordnance Depot Pleace supply the bearer with the following stocks in accordance with Ist Army orders. Sten Guns 1000 9 m/m ummo 800000 303 riffles 500 303 S.A.A 200000 Mills grenades 2000 Hawkins grenades N° 75 2000 13 novembre 1942

G.W.A. Thoreance H.L.I.

J'avais confié le commandement du camp à Sabatier, chef aux Compagnons de France, caporal-chef dans l'armée et je l'avais, de ma propre autorité promu au grade de capitaine qui correspondait aux fonctions qu'il avait occupées, à celles qui lui étaient destinées et aux rapports qu'il devait avoir avec les Anglais installés à Alger Plage, non loin du camp. Sabatier était assisté de Bures et de Lucas, que l 'on connaît déjà, « promus » par moi caporaux-chefs, ce qui pouvait bien être admis par assimilation à leur grade d'élèves officiers de la Marine Marchande. Ces deux jeunes garçons se montrèrent tout à fait à leur hauteur et furent des instructeurs très appréciés des Anglais. Le Colonel Anstruther envoyait tous les jours deux officiers pour faire l'instruction sur les armes anglaises et les explosifs. Un champ de tir fut également installé. Dès le 9 novembre, il était clair, en effet, que nous, gaullistes, avions été complètement floués dans cette opération, et nous étions bien décidés à ne pas nous laisser faire une autre fois. Mon rôle était donc, comme avant le 8 novembre, de faire profiter Combat des avantages d'une organisation matérielle qui n'en dépendait pas ; c'est ainsi notamment qu'un dimanche monsieur Fradin et cinquante membres de Combat sont venus faire du tir à Matifou. D'ailleurs, cette organisation ne passait pas inaperçue des services de renseignement du colonel Chretien qui était à peu près au courant et Darlan commençait même à s'inquiéter sérieusement. Notre situation personnelle et celle de notre groupe armé était toujours illégale et révolutionnaire, quand, vers le 17 novembre, le chef Van Hecke me fit appeler et me demanda si je n'avais pas la possibilité de fournir des armes et de les faire envoyer immédiatement aux chantiers de jeunesse de Sbeïtla à 700 kilomètres d'Alger. Il fut donc convenu que j'enverrais environ 500 mitraillettes Sten et 200 fusils à Sbeïtla. Après m'être procuré, au moyen de réquisitions irrégulières, les véhicules qui nous manquaient, je constituai un détachement de 12 hommes et de 3 véhicules commandé par le sous-lieutenant Goeau-Brissoniere. Ici, je pense qu'il convient de parler du souci que j'ai toujours eu, pendant le temps que je la contrôlais, de conserver à cette formation son caractère spécialement 174


français. C 'est ainsi que pour nous distinguer des troupes anglaises, je décidai que nous porterions un rectangle tricolore de la taille d'une boîte d'allumettes, cousu sur le bras gauche à une distance égale à la longueur de 3 boîtes d 'allumettes, sous l'épaule. Cet insigne qui sera par la suite adopté par le corps franc d'Afrique, fut crée au moment du départ du convoi Goeau-Brissoniere. Vers le 22 novembre, je fus présenté au général de Goislard de Monsabert qui devait prendre le commandement d'un corps spécial, genre commando, mais dont ni le nom, ni la composition n'étaient encore bien précisés. Au cours de notre première entrevue, à mon bureau 7 rue Charras, j'exposais au général ce que j'avais fait jusqu'à présent et quelles étaient mes idées sur l'avenir. Il me parut être, en principe, d'accord, bien que le but politique de tout cela, à savoir la fusion avec les F.F.L., seules capables de prendre les armes contre l'Allemagne en toute liberté d'esprit, soit resté imprécis. Nous allâmes d'abord au camp de Matifou faire l'inspection et présenter les engagés de la première heure au général qui emmenait son aide de camp, le capitaine de Boisherault, le Colonel Flipo son adjoint et moi-même. Puis nous arrivâmes le deuxième jour à Souk El Khemis, où le détachement était composé d'une trentaine d'hommes comprenant non seulement ceux venus de Matifou mais aussi des échappés des zones occupées de Tunisie, avec comme chefs, les lieutenants Raguenau et Goeau-Brissonniere. Le soir même de son arrivée, le général les passa en revue et fut assez surpris, en interrogeant les hommes sur leurs origines de constater que la majorité avait été en prison pendant un nombre varié de mois pour « gaullisme », distribution de tracts ou propagande « subversive » : c'était magnifique. L'objet de cette entrevue était de déterminer l'articulation de notre Special Detachinent (SD). avec le futur corps franc d'Afrique et surtout de régler du point de vue français la situation de ces « militaires » qui s'étaient volontairement mobilisés et qui se trouvaient dans une situation fausse à tous points de vue. Il fut entendu que tous seraient pris en compte par le corps franc et resteraient détachés au S.D qui assurerait leur entretien et le paiement des soldes. Par la suite, cette solution qui semblait simple rencontra des difficultés car les Anglais avaient accepté mes nominations et tels qui n'étaient officiellement qu'aspirants avaient là-bas rangs et prérogatives de lieutenants. D'autre part, toujours le même esprit qu'à Matifou animait ces hommes qui ne voulaient à aucun prix retomber sous la coupe de l'armée régulière avec les mesquineries de son intendance. C'est ici que l'on peut véritablement placer la naissance du Corps Franc d'Afrique. D'une manière générale, il faut reconnaître que, contrairement à ce que nous souhaitions, la constitution du Corps Franc ne fut pas ce que mes camarades et moi avions projeté. En effet, le Corps Franc ne fut autorisé à recruter qu'en dehors des hommes mobilisés et en dehors des corps de troupe si bien que cette limitation rendait difficile l'encadrement en obligeant à faire appel à des officiers ayant dépassé la limite d'âge ou aux engagés, primitivement requis civils 1. Alors que nous voulions un corps nouveau, peu nombreux, bien entraîné et aux cadres jeunes, auxquels nous aurions gardé l'esprit révolutionnaire, de lutte contre l'occupation sous toutes ses formes. Seules les unités du début, comme la première compagnie avec le courageux et glorieux sous-lieutenant Tilly, un des membres de la résistance à Alger, avaient l'esprit et la tenue que nous voulions. Ainsi donc, le Corps Franc ne fut pas ce commando rêvé 1- les « requis civils » étaient les Juifs d'Algérie, interdits d'Armée par les lois de Vichy. 175


qui nous avait tous passionnés, mais simplement une unité légère, un bataillon de chasseurs, avec éléments emboîtés les uns dans les autres, qui le destinaient aux manœuvres d'ensemble du type le plus classique.

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French commando (appelé parfois "special detachement")

et corps franc d'Afrique par Bernard de Boishéraud

Il ne faut pas confondre le "French Commando" et le "Corps Franc d'Afrique". Les origines, les buts et le recrutement de ces deux unités étaient très différents. Le "French Commando" est né de la prise en mains par l' "Intelligence Service" d'une partie des jeunes Algérois qui avaient participé à la préparation du débarquement du 8 novembre, et à la paralysie des autorités d’Alger dans la nuit du 7 au 8 novembre 1942, en particulier de ceux qui se sont regroupés dans l'équipe de l’aspirant Pauphilet au 7 rue Charras2. Ces jeunes étaient attirés, certes par la possibilité de hâter leur entrée en lutte contre les Allemands, mais aussi par des arguments beaucoup plus naïfs allant du paquet de cigarettes anglaises ou de la boîte de beacon (ce qu'on ne peut comprendre que si l'on a connu la pénurie de l'époque en AFN), au pistolet Colt de 45 et surtout à la mitraillette Sten, cette arme au prestige inimaginable malgré les dangers qu'elle représentait pour ses utilisateurs 3.

2- Mario Faivre rapporte que : « Bernard Pauphilet et Jean Arguillère, avec leur groupe, ont occupé les locaux du PPF, 7 rue Charras. Nous décidons d’en faire le PC de notre futur commando. » Déçus par les américains qui ont installé Darlan « Pauphilet et Arguillère ont obtenu du quartier général britannique la reconnaissance de notre formation, qui prend le nom de « french commando ». « Rue Charras, nous passons la journée à emmagasiner des armes, des munitions, des équipements … d’ici peu, c’est lui [Pillafort] qui mettra la dernière main à la préparation de notre départ vers la Tunisie où des combats se préparent. Nous enregistrons des engagements provisoires, dressons les premières listes d’effectifs, organisons le fonctionnement de notre base, multiplions les contacts avec les anglais pour obtenir ce qui nous manque. Un ami d’Henri d’Astier, Gilbert Demangeat, a mis à notre disposition une partie de sa ferme du cap Matifou, une partie des recrues y cantonne déjà. (Mario Faivre – « Nous avons tué Darlan ») Le 16 novembre les 40 premiers volontaires constituent le Special Detachment qu’Anstruther envoie dans le constantinois au camp de la Mahouna. Un autre groupe est envoyé fournir des armes au groupement 106 des chantiers de jeunesse de Sbeïtla en Tunisie. Les italiens arrivant avant eux, ils sont redirigés sur Tabarka. 3- l’esprit gaulliste qui anime les jeunes du French Commando n’est pas étranger à cette remarque de l’auteur de la note, officier de l’armée régulière qui, quoiqu’ayant participé lui aussi à la préparation du débarquement américain, n’en reste pas moins maréchaliste. 177


Par je ne sais quelle voie, l'Intelligence Service, dont le responsable à Alger était un certain colonel Koenig, a réussi à intégrer les membres de l'équipe de la rue Charras qui s'étaient retrouvés dans ce que l'on pourrait appeler le centre d'instruction de la ferme Demangeat, à proximité du Cap Matifou. Le colonel Koenig avait sa résidence non loin de là, dans une villa d'Ain Taya, et ses officiers assuraient l'encadrement, l'instruction et l'endoctrinement des jeunes gens de la ferme Demangeat. Un des grands attraits du "French Commando" était la "mission" (terme que j'ai entendu prononcer je ne sais combien de fois, toujours avec le même extase) ... La "mission" consistait essentiellement à disposer d'une certaine somme d'argent, d'une voiture (c'était fantastique à l'époque pour un jeune de 19 à 20 ans), d'essence dans les dépôts militaires britanniques (autre merveille) pour aller porter tel ou tel matériel, telle ou telle consigne à l'une des étapes de l'Intelligence Service entre Alger et la Tunisie. L'Intelligence Service (bien distincte du commandement militaire britannique, avec lequel les frictions étaient fréquentes), en effet, accompagna immédiatement, ou même précéda en Tunisie les éléments de tête de la 1ère Armée Britannique (Général Anderson) et du Vème Corps, et organisa toute une ligne de communication indépendante entre Alger et Souk el Khemis (Tunisie). Les principales étapes en étaient: le centre d’instruction de la ferme Demangeat, à proximité d’Ain Taya, Constantine, peu fréquentée et que j'ai peu connue, Guelma où était installé le PC arrière du Colonel Anstruther (chez un avoué ou un huissier) et à proximité de laquelle se trouvait le camp de la Mahouna, camp d'instruction pour le personnel de l'I.S. avant l'engagement en Tunisie, enfin le dépôt de Souk el Khemis, PC du Vème Corps britannique, ou plus exactement une mine à quelques kilomètres au Nord de Souk el Khemis où se trouvait le PC avant du Colonel Anstruther et qui servait de base opérationnelle à l'I.S. pour les opérations en territoire occupé par les forces allemandes, et enfin le poste de Cap Serrat. Un certain Major Thorens (un véritable phénomène, ancien du débarquement de Dieppe, qui ne se déplaçait jamais sans une petite valise équipée de multiples gadgets plus ou moins explosifs) assurait la liaison entre Alger, Guelma et Souk el Khemis ; je l'ai rencontré plusieurs fois à chacune de ces étapes, y compris au PC du Vème Corps britannique, ainsi qu'à l'hôtel d'Ain Drahm, au Sud de Tabarka, oasis de calme en cette période trouble où l'on pouvait retrouver Randolf Churchill (fils de Winston) et ... une fille de l'Amiral Derrien. J'ai bien connu toute cette ligne de communications que j'ai utilisée, à peu près chaque semaine, avec le Général de Monsabert, en décembre 1942 et janvier 1943, soit dans la Delahaye, soit dans la 16CV Hotchkiss que nous avait procurées Pauphilet. L'Intelligence Service avait encore une antenne, sur le littoral Nord tunisien, au phare du Cap Serrat, où j'ai rencontré un petit groupe du French Commando, complètement isolé, et dont Philippe Ragueneau prétend avoir fait partie. Tous les éléments du "French Commando", véritables supplétifs de l'Intelligence Service et non des forces britanniques régulières, se trouvaient complètement isolés, sans défense, livrés au bon vouloir de leurs employeurs, en situation irrégulière vis-à-vis des autorités françaises, notamment à partir du moment où fut décrétée la mobilisation générale en AFN, mobilisation qui touchait pratiquement la presque totalité des Français de souche. La domination de l'I.S. sur les jeunes du "French Commando" était telle que l'histoire racontée par M. Mario Faivre (page 116) est effectivement arrivée à de jeunes Français fourvoyés chez les Allemands et qui se sont faits arrêter dans la région de Tébessa, je crois, où ils avaient été parachutés. Mais une aventure tout aussi tragique est 178


arrivée à quelques jeunes du French Commando qui contestaient la discipline à laquelle ils étaient soumis à la mine de Souk el Khemis. Pour s'en débarrasser, le Colonel Anstruther ou ses séides les ont envoyés derrière les lignes allemandes saboter une voie ferrée, mission dont ils ne sont pas revenus. Les Français n'avaient pas le monopole d'un tel traitement : le Major Thorens m'a fait lui-même, avec un certain cynisme, l'oraison funèbre d'un capitaine grec, qui en savait trop et qui, bien que spécialiste des explosifs, avait eu des ennuis définitifs avec une grenade qu'il manipulait malencontreusement au camp de la Mahouna. C'est pour ces raisons et d'autres semblables4 que le Général Giraud a fondé le Corps Franc d'Afrique, malgré l'opposition de son Major général, le Général Lexer, du général Koeltz et de certains officiers de l'EM du Général Juin5. La décision a dû être prise très rapidement puisque mon avis officiel d'affectation au Corps Franc est daté du 25 novembre alors que, sur sa demande, j'avais déjà rejoint le Général de Monsabert à Alger, à l'époque où le PC (si on peut appeler cela un PC) s'installait dans une école de la rue Mogador (et non rue Charras comme le prétendent certains auteurs) avant de rejoindre l'appartement d'un avocat connu d'Alger, dans un immeuble situé en face de l'hôtel Aletti, à l'angle de la rue de Constantine et de la rue de la Liberté. Dans l'esprit de ses créateurs, le Corps Franc d'Afrique répondait à des arrières pensées multiples. Il s'agissait entre autres : - de donner un poste au Général de Monsabert, fidèle du Général Giraud qui, pour avoir participé activement à la préparation et à l'exécution du débarquement, était désormais tenu à l'écart sinon répudié par ses camarades des Etats-Majors Juin, Koeltz et même Giraud. (Des officiers comme le Colonel Conne commandant le 1° RTA et le Commandant Pages commandant le III° RTA, en pleine crise en Tunisie, aux abords de Pichon, refusèrent de recevoir des ordres de lui, et un certain Chef d'escadron du 4ème Bureau de l’EM Juin refusait de lui serrer la main. La création du Corps Franc, appelé à

4- Apres l’échec de Blida, Monsabert s’est caché à Sidi-Ferruch et a trouvé refuge à la villa Mahieddine, chez Lemaigre Dubreuil, avec Giraud et Beaufre, sous la protection des volontaires des chantiers de jeunesse. Il est déchu de la nationalité française, considéré comme un traître et l’on discute de la sanction qui lui sera appliquée. Le 17 novembre, les personnes ayant favorisé le débarquement sont amnistiés par Darlan, « les militaires ayant contrevenu aux ordres seront changés de commandement ou de corps et employés jusqu’à nouvel ordre à la liaison auprès des états major des forces alliées » [Suite à la mort du capitaine Pillafort], Il nous faut chercher un autre chef indispensable à la légalisation de notre formation et à son administration régulière. Nous pensons au général de Monsabert qui, comme le général Mast et le colonel Jousse, se trouve dans une situation plus que difficile, puisque ceux qu’il avait arrêtés ou contre qui il avait agit ont été maintenu en place. Le général accepte de prendre la tête des volontaires à condition que les effectifs soient compatibles avec son grade et que la dénomination soit française. Après de nombreuses réflexions en commun, nous décidons de nous appeler désormais Corps Franc d’Afrique (Mario Faivre – « Nous avons tué Darlan ») 5- Marcel Aboulker raconte que : « Darlan fait créer le CFA par le général Giraud et le général de Monsabert. On acceptait dans le corps franc qui voulait. Les plus jeunes et les plus enthousiastes parmi les patriotes du 8 novembre s’y engagèrent, malgré les conseils répétés, dont les miens. Une fois sous l’uniforme, on expédiait tout le monde en Tunisie. Le tour était joué. La résistance perdit une bonne partie de ses effectifs. » 179


être engagé dans le cadre de la 1ère Armée britannique, permettait de réduire au maximum nos contacts avec la hiérarchie officielle française6. - De récupérer les jeunes inconsidérément embarqués dans le "French Commando", maintenant à la merci de l'Intelligence Service et qui, par suite de la mobilisation, allaient se trouver en situation irrégulière vis-à-vis des Autorités françaises. - De permettre à tous les volontaires qui, pour des raisons diverses, ne pouvaient être intégrés dans les unités régulières (la Loi Crémieux par exemple n'avait pas été rétablie et les Francs-maçons, sauf erreur de ma part, restaient exclus de l'armée), de participer au plus tôt à la lutte contre les forces allemandes. - D'engager très rapidement des unités françaises aux côtés des Alliés. La diversité de ces motifs a entraîné une hétérogénéité invraisemblable dans le recrutement initial du Corps Franc d'Afrique. La cour de l'école de la rue Mogador était une vraie "cour des miracles". Paradoxalement, les moins empressés à s'engager, et surtout les plus difficiles à récupérer ont été les membres du groupe de la rue Charras et du French Commando, soit que certains aient continué à s'intéresser d'abord aux problèmes politiques d'Alger, soit surtout que les Britanniques de l'Intelligence Service aient mis une mauvaise volonté évidente à remettre ces jeunes otages à la disposition des Autorités françaises. Ils refusaient même d'en donner une liste nominative, qui aurait permis de régulariser leur situation. Nous avons vu alors se présenter, d'abord rue Mogador, puis rue de Constantine et au dépôt de Maison Carrée un mélange de toutes sortes d'individus, depuis le simple clochard à la recherche du gîte et du couvert jusqu'à l'aventurier le plus cynique s'attribuant titres et grades imaginaires, et au vulgaire salopard cherchant à se dédouaner ou à fuir la justice, en passant par cet honnête Conseiller de Paris qui fut parmi les premiers à rejoindre la Tunisie. Il était indispensable de faire un minimum de tri dans cette masse informe : c'est le Commandant Castaing, un de mes très bons amis qui en fut chargé. Sa profonde connaissance du milieu algérois, ses anciennes fonctions d'officier AMM et de 2ème Bureau à Blida, ses relations antérieures avec le Colonel Chretien et M. Achiary (qu'il avait connu notamment en février 1941 à l'occasion de l'enquête sur l'émeute de Maison Carrée) le désignaient pour ce travail ingrat qui lui valut bien des ennemis, mais qui lui permit de connaître bien des dessous de l’affaire Darlan. Mais le recrutement du Corps Franc d'Afrique ne se limitait pas à Alger. Des officines de recrutement s'ouvrirent spontanément ici et là, notamment à Constantine, à Mostaganem, à Oran et à Rabat. A Oran, par exemple, il y eut à la fois deux officines distinctes créées par deux tendances rivales, dont je ne me souviens plus les obédiences. Il ne suffisait pas de recruter du personnel, il fallait encore le loger, le nourrir, l'équiper, l'armer, l'organiser, l'instruire, ce fut en particulier l’œuvre du colonel 6- Monsabert confesse que : « A la vérité, l’organisation du corps franc ne m’avait pas emballé ; j’avais accepté pour aller me battre. Puisque l’hostilité de l’armée dite régulière, me fermait mon ancienne voie. A preuve, l’offre de Juin d’un commandement « régulier » qui se heurte à un refus catégorique de Koeltz quand Giraud lui en parle. Il y a une mission qui peut être « sacrée » : faire l’union de toutes les bonnes volontés contre le Boche ! Prendre les irréguliers, les rassembler autour d’un idéal. » (Monsabert – notes de guerre)

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Jamilloux. Il fallait aussi se faire reconnaître par les Alliés la qualité d'unité combattante à part entière. Autant de problèmes qui ne furent pas aisés à résoudre, d'autant plus que nous ne trouvions presque aucune aide auprès des unités françaises, pour lesquelles une décision signée Giraud restait d'autant plus facilement lettre morte que ce dernier se refusait à casser les vitres. La mise sur pied du Corps Franc s’est donc opérée malgré la mauvaise volonté de la hiérarchie officielle, restée braquée dans sa presque totalité contre tous ceux qui avaient préparé le débarquement ou participé à sa réussite. L'Etat-Major fut long à se mettre sur pied faute de personnel qualifié ; au début, bien que nous soyons à peu près les seuls à connaître tous les problèmes, le Général de Monsabert et moi passions notre temps à faire la navette entre Alger et la Tunisie pour discuter des différentes questions avec l'Intelligence Service (à Guelma), avec les PC avant et arrière de la 1ère Armée britannique du général Anderson à Constantine et à Setif, avec le PC du V° Corps britannique à Souk el Khemis, avec les PC Koeltz (le Kouif) et Juin, à Laverdure puis à Djerissa, avec l'Etat-Major Giraud et celui du Major Général à Alger. Il fallut aussi visiter les différents centres de recrutement de Constantine à Oran, rechercher des camps d'instruction dans le Constantinois (Oued Zenati et Roum el Souk), puis en Tunisie (Tabarka)7.

7- Le général Durand, dans son livre « Les Corps Francs d’Afrique » raporte que : « Au terme de la visite de Matifou, Monsabert et Pauphilet avaient convenu de faire une tournée en Tunisie avec Flipo et le capitaine de Boishéraud. Ils arrivent le 30 à Souk-El-Khemis et se rendent au camp du SD à Bir-El-Hallouf. Le général de Monsabert a l'intention de traiter avec Anstruther de l'articulation entre le SD et le nouveau CFA et du statut des volontaires du SD qui sont en situation irrégulière vis-à-vis des autorités militaires. Il serait souhaitable qu'une solution soit trouvée. Le Corps Franc pourrait les porter sur ses contrôles "pro forma". Ce serait peut-être un moyen de ramener dans nos rangs ceux dont on a besoin. Mais Anstruther est dur en affaires et les jeunes SD sont en alerte. A leur avis Monsabert est un vichyste venu pour commettre une mauvaise action. A Tabarka, ils s'alignent sur un seul rang pour être passés en revue. Monsabert s'arrête devant chacun d'eux et chacun énonce les services rendus à la cause gaulliste et les peines ou punitions encourues de ce fait. Le palmarès est éloquent et le général en est surpris. Le grand Claude Marchai, dont le regard plane à vingt centimètres au dessus du képi du général, déclare : "Nous ne sommes pas des militaires couche-toi-là et nous ne voulons être commandés que par des officiers gaullistes". Le lieutenant Ragueneau conclut en disant que ses camarades et lui-même sont des gaullistes et qu'ils n'accepteront à aucun prix de servir sous Darlan. Cet épisode est une station de plus au calvaire du général Mon Sabre qui est très affecté et même déconcerté. Il avait cru que ces jeunes gens n'étaient guidés que par la passion patriotique et était prêt à les en féliciter. II découvrait une détermination froide qui allait être, pour lui, la première manifestation d'un conflit entre Français qui irait s'exaspérant pendant de longs mois. Pour Anstruther, il n'est pas question de contraindre les volontaires à réintégrer l'armée française, il n'est pas question de les empêcher de servir sur un autre théâtre, il n'est pas question de livrer à la police ceux qui sont menacés, de les empêcher de porter l'uniforme britannique, de verser automatiquement au CFA ceux dont on n'aurait plus l'emploi. » 181


Pratiquement, la presque totalité de la logistique, nourriture, habillement, armement, munitions, véhicules, carburant, transmissions nous fut fournie par la 1ère Armée britannique. La générosité britannique était motivée par le fait que le CFA, qui, pour des raisons psychologiques ne pouvait être intégré dans le 19° CA, devait être engagé au nord de la Tunisie, face à Bizerte, dans le cadre de la 1ère armée britannique. Celle-ci manquait cruellement d’effectifs d’infanterie et n'était peut-être pas mécontente de souffler quelques éléments à l'Intelligence Service ... Les anglais tenaient soigneusement la comptabilité de ce qu’ils nous donnaient, et je ne sais si cela a été intégré dans le prêt bail 8. J’avais établi les tableaux d’effectifs et de dotation des unités du CFA et ne me souviens pas avoir eu de difficultés pour les faire approuver par la 1ère armée britannique. Il est vrai qu’à l’époque nous n’étions pas encore habitués à la richesse d’équipements des armées alliées. Un des premiers soucis du général de Monsabert fut de soustraire au plus tôt les unités du CFA de l’ambiance délétère d’Alger, et de les regrouper progressivement au plus près de la Tunisie. C’est ainsi que des centres d’instruction furent créés successivement à Bordj Bouarreridj, Oued Zenati, Oum Teboul et enfin Tabarka (certains n’ayant eu qu’une existence éphémère). D’autres centres furent créés au Maroc, mais que j’ai mal connus. C'est à Tabarka que fut véritablement constitué le 1er Bataillon du Corps Franc d'Afrique, sous les ordres d'un certain "Commandant" Balensi et sur des tableaux d'effectifs et de dotation, que j'avais dû établir moi-même en une nuit. C'est enfin à l'Est de Tabarka que ce bataillon fut engagé, fin janvier début février, au Sud du Cap Ferrat, dans le cadre d'une brigade britannique commandée par le brigadier Tichester Constable. Le PC du Corps Franc vint alors s'implanter dans ce secteur, d'abord sous les ordres du Général de Monsabert avec comme adjoint le Colonel Flippo, ancien attaché militaire à Prague), puis sous ceux du Colonel Magnan. C'est enfin dans ce secteur que le Corps Franc d'Afrique participa à l'offensive finale d'avril-mai 1943, ce qui lui permit d'entrer dans les premiers dans les faubourgs de Bizerte. Par la suite, les unités du Corps Franc, ramenés en Kabylie, y furent soumises à une pression intense de débauchage par les agents de la 1ère DFL 9 (Général Brosset), qu'avait rejointe entre temps le Commandant Balensi, insuffisamment satisfait de la Légion d'Honneur que le Général de Monsabert avait, à grand peine, obtenu pour lui du Général Giraud personnellement. Pour la soustraire à l'emprise des FFL, la compagnie kabyle du Capitaine Forestier fut, une nuit, enlevée en camions par le Colonel Jamilloux ; elle devint la Compagnie de garde du QG de la 3° DIA et participa glorieusement aux campagnes d'Italie (elle fut engagée à Cassino), de France et d'Allemagne. Les éléments qui ne se laissèrent pas séduire par les sirènes gaullistes (malgré les avantages de solde et les promesses d'avancement) constituèrent le noyau du Commando de France commandé par le Colonel Bouvet puis par le Colonel Gambiez, qui resta 8- La loi prêt bail est une loi votée par le Congrès américain en mars 1941 à l'initiative du président américain Roosevelt afin d'aider matériellement le Royaume-Uni (et secondairement l'URSS). De 1941 à 1945, les aides américaines se sont élevées à 44 milliards de dollars et ont permis la livraison d'armes, de matières premières, de denrées alimentaires, de carburants… 9- DFL : Division des Français Libres, faisant partie des FFL : Forces Françaises libres, dépendant directement du général de Gaule. 182


rattaché plus ou moins à la 3° DIA (tant que celle-ci stationna en Algérie), puis participa notamment à la libération de Toulon, où s'illustra le Capitaine Ducourneau commandant une de ces compagnies.

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Bonnier de la Chapelle Le jeune Fernand Bonnier de la Chapelle faisait partie, dès le 8 novembre, du groupe du 7 de la rue Charras, puis de celui de la ferme Demangeat, où il fut équipé, armé et instruit par les officiers et sous-officiers de l’Intelligence Service. La discipline du camp de la ferme Demangeat était assez souple (sinon anarchique) pour qu’il puisse se rendre à Alger quand il le désirait, et y retrouver ses anciens camarades de la rue Charras, au corps franc, ou ailleurs. Liaison avait été prise en décembre entre le général de Monsabert, commandant le corps franc, et le colonel Koenig, chef de l’Intelligence Service, pour incorporer progressivement au corps franc tous les jeunes du « French Commando », de façon à régulariser leur situation. En effet, tous ces jeunes, engagés dans une armée étrangère, se trouvaient en infraction avec la législation française, ceux qui étaient mobilisables se trouvant classés comme « insoumis en temps de guerre ». A l’occasion d’une de ces liaisons, en décembre 1942, nous avons déjeuné à la ferme Demangeat avec un groupe de jeunes, dont Bonnier de la Chapelle. A la fin du déjeuner, un gradé instructeur britannique a remis des armes à tous ces jeunes, Bonnier de la Chapelle a reçu un colt 45 (dont il ne s’est d’ailleurs pas servi pour assassiner l’amiral Darlan). Quelques instants plus tard, de Monsabert et moi, à Aïn Taya, avons également eu droit à notre colt personnel, remis par le colonel Koenig. A la date du 24 décembre, jour de l’assassinat de Darlan, on peut considérer que théoriquement la situation des jeunes de la ferme Demangeat était régularisée, au moins sur le papier, vis-à-vis des autorités françaises ; certains étaient même déjà en service à l’EM du corps franc, comme Mario Faivre, Sabatier, Ben Said, etc … Il y a eu tirage au sort pour désigner l’assassin de Darlan, à Aïn Taya ou plus vraisemblablement à Alger. Le premier désigné par le sort était le fils d’un haut fonctionnaire d’Alger, peut-être Muscatelli ou Temple, il s’est dégonflé, Bonnier de la Chapelle n’a été que le 2ème ou le 3ème désigné par le sort.10 Pauphilet L’aspirant Pauphilet, qui s’était montré très actif dans la nuit du 7 au 8 novembre, nous a beaucoup aidé pour la mise sur pied du corps franc, nous introduisant à la ferme Demangeat et auprès de l’Intelligence Service, nous accompagnant fréquemment jusqu’en Tunisie. Mais, curieusement, il a toujours conservé ses distances et avec le corps franc d’Afrique, et avec le groupe de la ferme Demangeat. Il a finit par rejoindre une unité régulière d’artillerie, et j’ai perdu sa trace.

10- Quoique plusieurs témoins (dont Mario Faivre) rapportent ces tirages au sort, comme des jeux de jeunes exaltés, Bonnier de la Chapelle n’en parle pas dans ses aveux détaillés, voir page 159. 184


Sabatier Sabatier faisait bien partie à l’époque de l’état-major du corps franc d’Afrique. Il fut accusé plus tard d’avoir communiqué aux allemands, je ne sais par quelle filière, un document sur l’organisation du Corps Franc, dont fit état « Radio Stuttgart ». Pour l’accabler plus sûrement, l’accusation prétendit que ce document était secret. Rentrant d’Italie à Alger au moment du procès en juillet 1943, et prévenu par le commandant Castaing, j’ai pu témoigner que ce document, établi par moi, n’avait aucun caractère secret, que c’était au contraire une note d’information destinée à être diffusée largement à l’intérieur du corps franc. Depuis, j’ai perdu la trace de Sabatier, mais j’ai entendu dire qu’on lui avait aussi reproché des articles antisémites écrits dans « Je suis partout », avant 1940. Mario Faivre Ami de Jean-Baptiste d’Astier (fils d’Henri), en compagnie de Jean-Baptiste d’Astier, et de Roger Rosfelder conduisit la voiture qui emmena Bonnier de la Chapelle au palais d’été pour y assassiner Darlan. Il sera parachuté dans les Vosges dans les commandos, sous les ordres d’Henri d’Astier, et on le retrouvera plus tard parmi les partisans de l’Algérie française, et l’OAS.

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Liste nominative du groupe de la rue Charras (établie à l’époque par l’aspirant Pauphilet, à mon intention) 1-Le Meur 2-Arnaud 3-Blatz 4-Bonnier de la Chapelle 5-Brisson Gubbert 6-Bures 7-Casenave 8-Chemineau 9-Chesnay 10- Coulombel 11- Croue 12- Bureau 13- Escana 14- Espinay 15- Evancu 16- Faivre Mario 17- Garouel 18- Ginestet 19- Guldner 20- Heinzelman 21- X 22- Herelle 23- Huson 24- Kart 25- De Klugenau 26- Koenig 27- Laffont 28- Le Dieu de Ville 29- Limouse 30- Lucas 31- Lucci 32- Massoular 33- Mathieu 34- Maurois 35- Parisien 36- Pasquini 37- Pavie 38- Pignon 39- Ponssot 40- Pognant 41- Rager 42- Rosfelder

43- Sabatier 44- Salm 45- Sirot 46- Thill Jean 47- Vargues 48- Wahl 49- Weber 50- Tilly 51- Reynaud 52- Capitaine Bier 53- Capitaine Zurcher 54- Lieutenant Marnat 55- Commandant Mamo 56- Piriou 57- Aspirant Pauphilet 58- Gave 59- Pellerin 60- Girardin 61- Gendron 62- Aynesse 63- Martin 64- Schmitt 65- Delfuget 66- Greenber 67- Neveux 68- Avia 1 69- Avia 2 70- Arguillère 71- Bucquet 72- Dubreuil 73- Charpoi 74- Brisson Girard 75- Sival 76- Mabon 77- Fabrer 78- Caporal Benzaglia 79- Fohanno Yves 80- Repumel Louis 81- Bogglin 82- Mensour 83- Bouchardon 84- Orel 186


La composition de l’état major du CFA durant cette période était en gros la suivante : 1er bureau – lieutenant Angeletti, qui venait comme moi de la 5ème brigade de Blida, et quittera le CFA en février 1943 pour rejoindre le général de Monsabert. 2ème bureau – Capitaine Castaing, officier de réserve et ancien officier AMM de la subdivision de Blida, qui sera affecté plus tard à des services spéciaux (Soustelle). Le 2ème bureau sera renforcé début 1943 par un conseiller municipal de Paris (ancien aviateur ?) 3ème bureau – Capitaine de Boishéraud, venant de l’EM de la 5ème brigade de la subdivision de Blida. Fut ensuite affecté au 3ème bureau un capitaine Morange, artilleur, qui avait été éliminé de l’armée d’armistice et ne pouvait donc rejoindre l’armée régulière (c’était le cas de beaucoup de cadres du CFA) 4ème bureau – Le titulaire était un certain Valée (ou Valère) peut être officier de réserve; il y avait un second officier dont le nom est Deitweiler. Chiffre – lieutenant Vrillon, officier de réserve, qui s’était occupé de l’édition d’un livre sur le centenaire de l’armée d’Afrique, et qui rejoindra le général de Monsabert à la 3ème DIA. Je ne me souviens pas si à l’époque le colonel Jamilloux avait le titre de chef d’EM, c’est probable. Il s’occupait surtout des problèmes logistiques et de l’organisation du 1er dépôt qui s’installa il me semble à Hussein Dey (ou Maison carrée ? dont il fut maire par la suite) Le colonel Flipo, ancien attaché militaire à Prague, camarade de Saint Cyr du général de Monsabert a rejoint le CFA en décembre probablement, il a commandé le détachement avancé du CFA en Tunisie, détachement qui comprenait essentiellement le 1er bataillon du CFA, aux ordres du commandant Balensi, lequel, après la prise de Bizerte, rejoindra les FFI en juillet 1943, puis la 3ème DIA en Italie en juin 1944. C’est au PC opérationnel, entre Tabarka et Sedjenante, au sud du cap Serrat, que le colonel Magnan, lui aussi à l’index de l’armée régulière en raison de son attitude au moment du débarquement américain au Maroc, succéda au général de Monsabert à la tête du CFA. J’ai quitté le CFA dans les 48h qui ont suivi le départ du général, et mes souvenirs s’arrêtent là. Bernard de Boishéraud

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Après avoir participé à la constitution du Corps Franc d’Afrique, Monsabert est réintégré dans l’armée régulière comme commandant des éléments de réserve du corps français de Tunisie, dépendant du général Koeltz. « 19 février - Le mercredi, faux départ par avion. Je poursuis par la route avec de Boishéraud. Jeudi - premiers contact avec les bataillons épuisés ; premiers ordres, premières dispositions. Koeltz me raconte ses premiers contacts avec Giraud, sa résistance à ses ordres, etc … en somme il obéit sans obéir, et maintient son corps d’armée dans une résistance d’esprit de plus en plus grande. Si Giraud ne change rien à cette situation, dans quelle situation l’armée victorieuse se présentera-t-elle devant la nation ? L’armée, loin d’être le ciment, sera l’élément de dissociation : c’est tragique ! Vendredi - Mon commandement se trouve supprimé. » (Monsabert – notes de guerre) Finalement, Monsabert est affecté en Tunisie, dans le cadre de la 1ère armée britannique : « 27 février - Je suis désigné pour prendre un commandement sous les ordres du général Mathenet. 14 mars - Visite en jeep quotidienne à un poste de première ligne, un jour ici, un jour là. A chaque visite aux sections de l’échelon, je trouve ma vraie récompense. Les bons yeux des soldats qui me regardent, heureux de voir qu’on pense à eux. Reçu quelques obus en visitant le I/5° RTS, à la pointe extrême du secteur. Baptême du feu de Boishéraud. » (Monsabert – notes de guerre)

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Journal d'opérations de la 3° brigade en Tunisie 1943 (Notes de Bernard de Boishéraud)

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28 mars 1943 - Coup de main cote 666, Alliliga. 30 mars - Le brigadier Mattheus change de PC. 31 mars - Arrivée de la mission turque à 10h15. On la conduit à l'observatoire du Merella : tour d'horizon, exécution de deux tirs de concentration à la demande, sur des objectifs désignés par les turcs. A 12h30, la mission turque revient déjeuner au PC. Dans l'après-midi, elle visite les positions de la 3ème Brigade britannique; on lui montre un Churchill, puis on l’emmène visiter un "goum" marocain du Cdt. de Colbert. A 12h25 le I/1 REI1 signale un rassemblement important de chars au Sud de la Sebkret el Kourzia. La division et le 19ème Corps sont immédiatement alertés. Vers 14h, le 1er REI signale que les chars, au nombre de 60 à 90 remontent vers le Nord. Deux avions de reconnaissance confirment le mouvement, mais réduisent le nombre à dix. D'autres mouvements de chars et de véhicules sont aperçus dans l'après-midi par les unités de la 3ème Brigade ; mouvements en direction du Nord-Ouest. Le Lieutenant … , affecté par le 19ème Corps comme officier de liaison auprès de la 3ème Brigade, se présente au PC pour y prendre ses consignes. 21h00 - Ordre de la 1° DMM2 d'avoir à prévenir le I/63° RA et le III/6° RTA qu'ils feront mouvement dans la journée du 1er avril. 1er avril - Au cours de la nuit, circulation de camions assez intense sur la route Pont du Fahs-Roboa remontant vers le Nord. Une patrouille amie est parvenue en 720.950 sans trouver le contact. Une autre patrouille ayant poussé jusqu'en 692.917 y a détruit une mitrailleuse ennemie après un combat corps à corps sans perte amies. La nuit a été calme sur le front de la 3ème Brigade. Le 20 Forester a été relevé par le 2° K.L.I. La I° DWR signale des terrassements à la ferme Carrier 612.129 et des bruits de mouvements de véhicules au Nord de la Sebkret el Kourziat. Une patrouille du I/1° REI a poussé en 74.00 sans trouver le contact, une autre patrouille a été accrochée en 70.03 sans perte. Le Capitaine Glaizot déjeune à la popote ; le Général Koeltz et le Général Mathenet arrivent à 14h30 et partent avec le général de Monsabert reconnaître la région Nord-Ouest du Rihiane. Visite d'un officier de la 1ère Armée britannique venu demander des renseignements sur l'ennemi, en vue de faire faire des photos d'avion. Arrivée du colonel Toujon ( ?) venant de la 1ère Armée pour voir le général. Renseignements de la journée : RAS ; un groupe de huit Allemands a été vu à Bir-Rahal (66.09).

1- REI : Régiment Etranger d’Infanterie. I/2° … signifie premier bataillon du 2° régiment …. 2- DMM : Division Marocaine de Montagne ; RA : Régiment d’Artillerie 192


2 avril - nuit calme sur le front de la 3ème Brigade. Quelques mouvements aperçus sur la pente Est de la cote 286. - Une patrouille du I/15° RTS1, parvenue en 729.960 n'y a pas trouvé le contact ; un tir de 50 obus a été exécuté sur les positions du I/15° RTS par une batterie repérée en 779.963. - 4 mortiers ennemis ont été repérés en 688.879, 687.878, 685.877, 688.888 - Le III/7° RTM enlevé en camions pour faire mouvement sur la région de Bou Saadia ; les camions qui étaient annoncés pour 22h.30 n'étaient pas arrivés à 0h30. - Une patrouille du I/1° REI s'est approchée de la ferme 730.036, occupée par l'ennemi qui y faisait des travaux d'organisation du terrain. Au retour, un élément de la patrouille a été fortement accroché (un disparu probablement tué ; un blessé léger et un évadé). - Une patrouille du I/1° REI n'a rien trouvé au point 700.035. - Pendant la relève de la batterie antichars de l'Argoub, tir ennemi de 70 obus (un blessé léger). Le Colonel Boucher rend compte que le coup de main prévu pour la nuit du 2 au 3 vers le pont 745.003 n'aura pas lieu, le I/1° REI ayant eu deux déserteurs cette nuit. Arrivée de deux compagnies du 1er Bataillon du 1er Etranger de marche (Commandant Daigny). 3 avril matin - la 3ème Brigade fait un prisonnier du III/H G Rgt à la cote 286 et … essaye de nous souffler le prisonnier. Celui-ci aurait déclaré que les allemands ne préparaient pas d'attaque sur le I/15° RTS. Trois patrouilles envoyées en direction de l'oued Kramars et de la cote 337. Cette dernière fortement accrochée a pu se dégager sans perte grâce à l'appui de l'artillerie. Des embuscades tendues par le II/15° RTS n'ont donné aucun résultat. Le commandant Jaubert m'annonce le départ du 2ème Field Rgt. qui ne serait remplacé que partiellement par le 23° RA. Le Général Kergoat, le Colonel Monorz et un capitaine viennent voir le Général et s'invitent à déjeuner. 3 avril soir - le 2° field RA et l'escadron du 51ème char feront mouvement dans la nuit du 3 au 4 sur Gafour ... Le 2ème field RA ne sera pas remplacé. Vers 15h, un Messerchmitt est abattu à proximité du PC ; le pilote est fait prisonnier. A 15h5, 4 chars sont signalés en 836-009 A 15h10, 12 chars sont signalés en 81-01, en formation dispersée A 15h55, 5 chars sont signalés en 842-008. Vers 18h, une colonne de 61 véhicules blindés se déplaçant vers l'Est est signalée sur la route à l'Est de Goubellat. Renseignements complémentaires sur la nuit du 2 au 3 : a) Une patrouille du I/15° RTS envoyée à la cote 337 (Eumane ensa) a été sérieusement accrochée (un mortier dans l'oued Zengou) La cote 304 est occupée par l’EMI2. b)Une patrouille a longé le chemin N.S. bordant à l'Ouest l'oued Kramars (RAS) Arrivée du capitaine Castaing et du lieutenant de Waresquiel Départ de Chaussy remplacé par Tallex (transmissions) 1- RTS, RTM, RTA, RTT : Régiment de Tirailleurs Soudanais, Marocains, Algériens ou Tunisiens 2- EMI : Etat Major Interarmées 193


4 avril matin - Les mouvements prévus pour la nuit ont été exécutés. L’escadron de chars relevant le 51° Rgt reste provisoirement dans la région de Gafour pour se mettre en état de marche ; il doit rejoindre le 5 au soir. La ferme 705-013 a été évacuée par l'ennemi. Une patrouille ennemie de 25 hommes environ s'est présentée en 60-08. Les trois dernières compagnies du bataillon de marche de la Légion arrivent à el Aroussa. La 102° batterie de ACB (Capitaine Dubois) reçoit l'ordre directement de quitter le secteur pour aller se mettre à la disposition du groupement dans la région d'Ousseltia. 4 avril soir - Bou Arada a été bombardé à deux reprises (11 obus à 10h50 et 9 obus à 13h25) ; 9 obus n'ont pas éclaté. Le silo de Bou Arada a été gravement endommagé. L'officier de la Military Police d'el Aroussa vient réclamer des équipements divers qui, paraît-il, appartenaient au pilote allemand descendu la veille, et seraient détenus indûment par les Goums. Le Capitaine de Ganay promet de rendre ce qui appartenait au pilote. Le sous-secteur Sud-est a été à trois reprises différentes survolé au cours de l'après-midi par un avion ennemi. 5 avril matin - Le Général de Monsabert envoie une lettre à la DMM pour protester contre la limitation qui lui est faite au point de vue artillerie (retrait des 36 pièces de campagne remplacées par 20 pièces de Medium et de Heavy). 5 avril soir - Le Colonel EON vient voir le Général pour lui démontrer qu'il n'a pas besoin d'artillerie : les Anglais constituent une masse importante de manœuvre derrière nous, tant pis si la première ligne se fait enfoncer. Rien à signaler par ailleurs sur le front du sous-secteur. Dans la soirée, arrive un message de la DMM annonçant que le 23° Field Rgt assurera l'appui du II/15° RTS de ses positions actuelles et sans nous être subordonné (fumisterie). Il paraît que le groupement Conne s'est insinué entre Mathenet et Welvaert. Il est autonome et dépend directement du Général Koeltz. 6 avril matin - Dans la nuit, une patrouille allemande s'est présentée devant un point d'appui du I/15° RTS ; cette patrouille, dotée de mines a été repoussée ; aucun résultat connu. Le capitaine Castaing part voir les Généraux Jurion, Koeltz, Conne, Welvaert. Il compte rentrer jeudi. Barat Dupont arrive voir le Général, un peu dégoûté du Corps Franc d’Afrique, dont le PC serait encore à Ain Draham à près de 90 kms des lignes. Arrivée du Colonel Gentis, commandant la 4ème 1/2 Brigade de légion ; il a tout vu, tout dit, et tout fait mieux que tout le monde, critique tout, est le seul à savoir commander. Un escadron du 48° Rgt de chars "Churchill" est arrivé dans la nuit et a pris les emplacements de l'escadron de réserve immédiate.

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6 avril soir - Le Colonel Jourdan commandant la DCA de la DMM vient essayer d'obtenir des renseignements sur les emplacements de la DCA anglaise : rien à faire, eux-mêmes ne sont pas au courant. Coup de téléphone de Moulins (I° RTA), ni chèvre ni poisson pour une question de service, il doit venir dans quelques jours. Le I/DWR a fait un coup de main dans l'après-midi (30 hommes et le Cdt. de bataillon le Lnt. Colonel Armstrong) sur la ferme 665-129. Ils ont surpris un poste ennemi de 1 officier et 23 hommes et les ont tous tués sauf 4 prisonniers. Ils ont eu 1 tué et 3 blessés dont le Lnt. Colonel. Les prisonniers sont conduits à la M.P. 1 d'el Aroussa. Départ des Goums à 18h pour Sodje ( ?); ils sont relevés par la 3ème Cie (Capitaine de Boissieu) du I° Rgt de marche de la Légion. 7 avril matin - RAS pour la nuit sur l'ensemble des fronts. Le Général part avec de Waresquiel et Angeletti voir le I/DWR et le féliciter du coup de main d'hier. Angeletti veut exiger du bataillon un mémoire de propositions réglementaires pour la Légion d'Honneur. Carida vient m'annoncer d'un air narquois que, par suite d'un malentendu, les 4 prisonniers remis hier à la M.P. ont été dirigés sur Souk el Khemis. Il paraît que la 8ème armée a traversé le goulot de … En attendant, les Anglais s'obstinent à pousser partout au lieu de faire effort uniquement sur Sousse en vue de couper l'ennemi en deux ; finalement, le boche va se replier dans le Nord et avant peu, nous les auront sur le dos. 7 avril soir - Le capitaine Castaing revient bredouille, n'ayant pu voir ni le Général Koeltz ni le Général Conne. Le Général Mathenet venu dans l'après-midi, laisse entendre que nous serions constitués en division prochainement. Il annonce l'arrivée d'un officier du 2ème Bureau (Capitaine Budet). Demain matin, une attaque doit être déclenchée sur Pichon. Trop tard, les Allemands ont déjà dû remonter une bonne partie de leur monde dans le Nord. Aucune nouvelle sur l'attaque de Toukabeur. de Sainte Croix, la jeep (de Waresquiel) et le chauffeur sont tombés dans un ravin. RAS sur tous les fronts. Jeudi 8 avril matin - RAS sur le front du Colonel Morliere. Une patrouille ennemie a attaqué la ferme 646-045 et a été repoussée avec des pertes. Des travaux d'organisation du terrain et de pose de réseaux sont exécutés par les Allemands sur les pentes Est de la cote 286. La cote 217 (725-023) est inoccupée. Des retranchements ennemis sont repérés en 660-094. 8 avril soir - Le Capitaine Budet affecté à l'EM comme Chef du 2ème Bureau rejoint et prend ses fonctions. Le Colonel Gentis, commandant le 1° REIM2 vient voir le Général et reste dîner.

1- MP : Military Police 2- REIM : Régiment Etranger d’Infanterie de Marche 195


Vendredi 9 avril - RAS pour la nuit. Le Général part avec de Waresquiel déjeuner chez le Colonel Eon avec le Colonel Lagarde, et se promener autour du bargou. Revu Orsini à Bou Arada dans la soirée ; il a gardé la moustache et l’a complétée par un magnifique bouc. Samedi 10 avril matin - RAS sur tout le front pendant la nuit. Visité avec le Général la cote 414 et la cote 461. Observatoire splendide sur le Mansour. Samedi 10 avril soir - Parti avec le Capitaine de Boissieu pour établir la liaison avec la 2ème Brigade, rencontré un poste du Spécial Détachement (Gauthier et Bokanowski) qui patrouille au Nord du Rihane. Le Commandant de la 2ème Brigade a accepté l'établissement d'un poste mixte (un groupe de la Cie Boissieu – I blindé britannique) à la cote 374. Ce poste mixte sera en place le mardi 13 à 10h De Boissieu n'a pas l'air très enthousiaste de son installation dans le Rihane. Vrillon et Poli partent chercher la jeep de Waresquiel à Pichon. Le capitaine Castaing revient de Gafsa ; il a l'impression qu'il suffirait de supprimer quelques têtes pour que tout marche mieux. Le Général Welvert a été tué par un boby trap ; il paraît que c'était un type bien. Mast - Baril - Welvert … coïncidences. Sfax a été pris ce matin, soi-disant les Allemands se replient en déroute ? Dans le Nord, cela n'avance pas beaucoup. Des réserves remontraient du Sud dans notre région. 36 chars Churchill sont attendus ce soir. Les transmissions révèlent qu'il va y avoir des déplacements de PC. Le grand rush se prépare, à quand l'hallali ? Castaing prétend que le patron prend la 1ère division à former (l’ancienne de Constantine), 3° RTA, 7° RTA, 4° RTT. Dès que les opérations de Tunisie seront terminéers. Le général Giraud le lui aurait promis. Arrivée de la Compagnie anti-char du 1° REIM, sans canons, elle est commandée par le capitaine Fritch (ex 3° bureau de la division d’Alger puis de la division Mathenet). Dimanche 11 avril matin - RAS sur le front. Le Colonel commandant l'AD1 de la division Welvert téléphone au Général pour lui demander s'il est exact qu'il prend le commandement de la division. A 10h, on signale que le I/6° RTA est accroché du côté de 705 mais est en bonne posture. A 14h, conférence sur les mines à el Aroussa. A 15h, réunion des chefs de corps et de bataillon en vue de préparer deux coups de main, l'un sur Henchir Ali Sagath, l'autre sur la cote 337. La question délicate est celle de l'artillerie de campagne insuffisante numériquement ; il faudra déplacer les batteries du groupe Durand pendant 48 heures. Il est décidé de faire les deux coups de main dans la nuit du 13 au 14. D'ici là, des patrouilles préciseront le contact. Le capitaine Fritch vient se présenter au Général et reste dîner. Il doit être détaché au 3° bureau Mathenet et est furieux. Il raconte l'engagement de la BLM 2 Duvigier pour reprendre Tafaraoui ; ce fut un massacre inutile. Il n'a pas changé ; il a connu la bande de Frorelle et la bande de la Maisonneuve à St. Quay et Etables : le monde est bien petit. 1- AD : Artillerie Divisionnaire 2- BLM : Brigade Légère Mécanique 196


Lundi 12 avril matin - Les patrouilles des I/1° REI et I/15° RTS sont tombés sur du dur cette nuit ; occupation renforcée depuis 48 heures ; organisation du terrain poussée ; réseau de fil de fer barbelés , etc... Le Colonel Morliere et le Colonel Gentis demandent à remettre à plus tard les deux opérations prévues pour la nuit du 13 au 14 afin de préciser d'abord le contact. Bombardement aérien de Bou Arada Le Général de Monsabert, le Commandant Lesage et de Waresquiel partent voir le Général Mathenet à son nouveau PC. Sousse est tombé ce matin. 12 avril soir - La 46° Division (reconnaissance - 138° et 139° Brigades artillerie) arrivent demain soir dans la région el Aroussa-Gafour. Il faut faire évacuer la ferme pour laisser la place à ces messieurs. Après conférence, le Général décide de supprimer les coups de main prévus sur 337 et Henchir Ali Sagath, et de les remplacer : - par un coup de main sur 284 ; - par un autre coup de main à étudier par le bataillon Penette. Le capitaine Vasnier arrive en détachement précurseur du 2° RTA placé en réserve de division au Sud d'el Aroussa. Ils ont eu beaucoup de pertes par Boby traps1 du côté de Pichon. Activité intense d'aviation dans la première partie de la nuit. Contre-ordre pour le 2° RTA vers 23h Il ira du côté de la ferme Lescure ; le secteur français va probablement se concentrer dans la zone montagneuse. Mardi 13 avril matin - Les patrouilles du III/6° RTA n'ont pas trouvé le contact cette nuit aux pieds du Mansour. 13 avril soir - L'arrivée de la 46° Division en arrière d'el Aroussa. Ai été assister au coup de main du I/15° RTS sur la ferme 284. Chou blanc. Mercredi 14 avril - Grand déjeuner au PC : les 2 de Moussac, Bara-Dupont, Colonel Allard, etc... Réunion pour organiser le coup de main du I/1° REIM sur le pont 238. Le bataillon Clement au complet va s'installer à 10 kms sud-est d’el AROUSSA.. Jeudi 15 avril - Grosse émotion, on signale 9 chars et 3 compagnies fonçant sur l'Argoub. Les mediums ne peuvent pas tirer parce que leurs observateurs ne voient rien. Finalement, c'était un canard. Le Général Lecouteux et un groupement blindé (80 Somua 2 et Valentine) vient reconnaître le Mansour. Le II/15° RTS veut à tout prix prendre l'Alliliga (trop gros morceau tout de même) ; l'opération est décommandée à la suite d'un cornard. La 46° sera au complet d'ici peu et agira d'abord au Nord du Rihane.

1- mines 2- Somua : char français ; Valentine : char anglais 197


Vendredi 16 avril - Le Général de Monsabert est convoqué pour 9h par le général Koeltz (Kleber) Un avion allemand s'est fait saluer de belle façon vers 6h par la DCA. Cinq bombes sont tombées aux environs d'el Aroussa. De Boissieu rend compte de ce que la 2° Brigade n'est toujours pas venue prendre la liaison à la ferme de la cote 374. Déjeuné chez Glaizot ; est très aimable, toujours le même. Visité une pièce de 90 DCA britannique. Inspire l’envie. Le Général rentre du PC Koeltz ; on veut, paraît-il, attaquer le Mansour avec les seuls moyens dont nous disposons en ce moment, ou plutôt l'attaquer sans l'attaquer, tout en l'attaquant. Les limites sont foutues d'une façon idiote, laissant aux Anglais une … antichars et à nous … un terrain de choix pour les Allemands. Le Général commandant la 46° Division dîne à la popote avec le Brigadier Matthews et le Brigadier Rogers. Samedi 17 avril - La patrouille de cette nuit (II/15° RTS) est tombée sur un bec, le groupe de recueil ayant été attaqué avant l'affaire et s'étant replié. La patrouille est arrivée au sommet de l'Alliliga où elle a été accueillie à 20 mètres par les armes automatiques allemandes. Bilan : 2 disparus, dont le Capitaine Le Wirian 3 blessés, dont un grave. Une patrouille du III/6° RTA est arrivée également au sommet de l'Alliliga et a décroché grâce à notre artillerie. Bilan : 1 disparu et 2 blessés. Dimanche 18 avril - A partir du 20, la limite Nord du sous-secteur est ramenée à … En conséquence : a) le III/15° RTS reste momentanément en place à la disposition de la 46° DI britannique. b) le PC se déplace et se porte à Henchir Haouli, à 2 kms S-O de Ksar Bou Rekress. mouvement terminé dans la matinée. Sur le front : RAS. Lundi 19 avril - Dans la nuit, le II/1° REIM du Commandant Clement a relevé le I/15° RTS remis à disposition du Colonel Morliere commandant le 15° RTS (région de Mesella). A 9h30, réunion des chefs de corps (Colonels Calderou, Morliere, Gentis, Gesrel, Besançon, Lebac, Radiguet) pour préparer l'offensive prévue. A partir de 18h, le 6° RTA passe aux ordres du Général de Monsabert et la limite Sud du sous-secteur est fixée à …. En conséquence, le commandement, dans la situation défensive actuelle, est la suivante du nord au sud : 1) II/15° RTS, pour mémoire, à la disposition de la 46° DI 2) Groupement Gentis, I et II/1° REIM 3) Groupement Morliere : I, II et III/15° RTS Limite Nord : limite Sud du groupement Gentis 4) Groupement Calderou : I et III/6° RTA Limite Nord : Sud du groupement Morliere ; Limite Sud : celle du sous-secteur. 198


Mardi 20 avril - Tir de réglage sur 640. ferme Constant. 705. Hir Gatticia. Mouvement de petits groupes de 2 à 4 hommes dans la plaine devant la Légion. Circulation intense sur la route d'Enfidaville. Le III/6° a été relevé par le III/1° REIM dans la nuit du 19 au 20. Transport du III/2° RTA de Siliana à Roboa par des camions de la légion. Mouvement de l'EM du 1° et 2° RTA de Roboa au Mesella. Déjeuner avec le Colonel Calderou. On nous demande de faire fournir par chacun des 1° REIM, 15° RTS et 2° RTA un détachement d'honneur de deux officiers et 48 hommes, rendus pour le 21 à 17h, en prévision de l’entrée à Tunis Mercredi 21 avril - Le détachement d'honneur du 2° RTA sera fourni par le II/2° RTA en réserve. Le détachement d'honneur du 15° RTS ne sera envoyé qu'après la relève du III/15° RTS par les Anglais. Dans la nuit du 20 au 21, le III/2° RTA (Commandant PLAY) a relevé le II/6° RTA (Commandant Courget) dans la vallée de Roboa dont il assure désormais la défense. Le II/6° RTA est remis à la disposition du 6° RTA pour l'opération du Mansour. Jeudi 22 avril - Une patrouille du III/1° REIM a été jusqu'au signal de l'Alliliga, et y a trouvé le contact habituel. Réunion des chefs de corps et chefs de bataillons par le Général Koeltz qui expose sa manœuvre. Dans la matinée, le Général explique la manœuvre au Colonel Gesrel Dans la soirée, vers 19h, on nous prévient de nous tenir prêts à se mettre en place. Mesure annulée vers 23h. Les Anglais ont commencé leur attaque ; dur au Sud ; normal au Nord. Vendredi 23 avril - Les patrouilles de la légion trouvent toujours le contact sur l'oued Kramun. A 12h, le pont sur l'oued Zengou (cote 238) saute ; mais reste gardé. Contact normal sur toute la ligne ; activité de l'artillerie ennemie. A 17h, on reçoit l'ordre de mise en place. Le III/15° sera relevé dans la nuit par le II/3° Zouave (Difficultés avec les Anglais) Le III/3° Zouave arrive vers 18h. Samedi 24 avril - Brouillard, on ne voit rien. La mise en place s'est effectuée normalement. Il devient dangereux de laisser les unités en attente entassées au bas des pentes. Le général se rend à la ferme Constant, visite la base de départ et va voir le colonel Gentis. Une patrouille de la légion a été encore accrochée. 79h On ne voit toujours rien. 10h : réunion plénière du Général Koeltz et des chefs de corps. Tout est décommandé. Dans l’après-midi je vais au PC du Colonel Gentis 17h : de nouveau, ordre de mise en place. 2 sections du 7° RTA sont mises à notre disposition, l’une assurera la garde du PC avant, l’autre celle du PC arrière. 20h : bombardement du ravin.

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Dimanche 25 avril - De nombreux mouvements de camions ont été signalés sur la route du pont du Fahs à Roboa. A 6h30, un déserteur italien se présente au 6° RTA et déclare qu'ils ont reçu l'ordre de décrochage. La division se porte en avant en quatre groupements : Groupement Gentis I et II REIM I/66° RA Deux batteries anglaises IV/66° RA Une batterie DCA Vers Touila, Sidi Abdel Kedar Kemri. Groupement Gesrel I/2° RTA III/1° REIM I/68° RA et III/68° RA 1 batterie DCA Appui de chars Valentine. Vers Henchir el Hsseini et Ain atti - maison forestière. Groupement Morliere I et II/15° RTS I/62° et I/63° RA DCB DCA Appui de chars Vers Ain el Maza, 615, Solbia. Groupement Calderou 6° RTA III/2° RTA 67° RA Vers 666-590, el Mansour. Réserve du sous-secteur Nord : III/15° RTS Réserve de la division : II/2° RTA. PC avant du Général de Monsabert : ferme constant. Lundi 26 avril - Le PC s'installe à el Allou. Nous n'avons aucune liaison avec Calderou ; on essaye de l'avoir par l'avant en passant par la route Pont du Fahs-Roboa ; impossible, on se fait canarder. Le Général envoie Waresquiel par le sud pour porter au colonel Calderou l'ordre de se diriger sur le djebel el Hassa et d'y prendre liaison avec le groupement Gesrel. A 13h le groupement Gesrel arrive au djebel el Hassa (bataillon Le Parco). Une trentaine de prisonniers, en majorité allemands, est faite au cours de la matinée ; l'ennemi aurait décroché rapidement la nuit précédente. Importants dépôts de matériels sur la route el Allou, réservoirs. Dans l'après-midi, remaniements divers dans le dispositif en raison de la nouvelle direction de marche (mechta du Koudiat et Diba). Les chars du colonel Le Coulteux se dirigent vers le pont du Fahs mais sont arrêtés à 3 kms du village par un pont sauté et des armes antichars. Des batteries ennemies se révèlent au-delà de la route pont du Fahs. Le Colonel Calderiou, vers 19 h, vient protester contre une nouvelle poussée en avant : les hommes sont fatigués. A 10h, on reçoit les ordres de la division. de Waresquiel et Budet partent les porter à Gesrel et Calderou, mais ils ne trouvent pas Calderou. Je pars en jeep, par l’avant, pour

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retrouver le colonel Morliere. J’arrive à son PC après avoir traversé ses avant-postes sans avoir été arrêté ni avoir rencontré d’allemands. Le Général repart à 5h voir le Colonel Calderou et le Colonel Gesrel pour leur donner ses ordres. Mardi 27 avril - Le PC se transporte à la ferme … Mercredi 28 avril - Grosse activité d'artillerie toute la journée. Nous nous faisons matraquer par l’artillerie allemande dont la portée est supérieure à celle de nos 75 et qu’on ne peut contre battre. Le bataillon de tête du 2° RTA (II/2° RTA, Commandant Berti) et du 6° RTA (II/6° RTA, Commandant Courge) foncent à travers les blés et sous le feu des 88. Le II/6° en particulier se trouve en flèche, à bout de portée de notre artillerie. Le Colonel Calderou commandant le 6° RTA pousse en avant ses deux autres bataillons pour le soutenir. Le mouvement se fait de jour, au vu des observateurs allemands. Mort du commandant Rattazi. Une attaque prévue pour le soir est supprimée en raison des pertes subies et du manque d’appui d’artillerie. Au cours de l’après-midi, avec le général de Monsabert, randonnée épique à travers la plaine, tirés comme des lapins, pour rejoindre le PC du colonel Lagarde et y être soumis à une bonne concentration d’artillerie dans un fond d’oued avec mon petit camarade Lesueur. Un escadron de chars Valentine est mis à la disposition du Colonel Lagarde pour les attaques du 29° RTA à droite du 6° RTA afin de soulager celui-ci. Opération décommandée par la division. Compte-rendu de cette attaque à la division ultérieurement. Jeudi 29 avril - La journée est occupée à remettre en ordre le dispositif et à assurer la couverture du flanc nord. Contre-attaque allemande.

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D’Oran à Naples avec l’organisation américaine (Rapport d’auteur inconnu sur la préparation du débarquement en Italie)

Les dernières campagnes ont posé à maintes reprises le problème du transport de Troupes par la voie Maritime. Pour reprendre pied sur le continent européen, comme pour imposer leur force aux Japonais dans l'immensité du Pacifique, les alliés se sont vus contraints d'effectuer des débarquements de vive force sur des rivages situés à plusieurs milliers de kilomètres de leurs bases, puis d'alimenter en personnel et en matériel ces divers théâtres d'opérations. Ces transports durent être exécutés à travers une mer infestée de sous-marins ennemis, et sous la menace permanente d'attaques aériennes. Dans un conflit futur, la mobilité sans cesse accrue des moyens de combat moderne, sur terre, sur mer et dans les airs, conduira de plus en plus le Commandement à étendre les théâtres d'opérations et à rechercher par de grands déplacements, des secteurs d'attaque avantageux. L'importance de transports à longue distance, par mer et même par air, ne fera que s’accroitre. Jusqu’en 1942, la majorité des cadres de l'Armée Française étaient peu familiarisés avec l'organisation d'un transport maritime, et il faut le reconnaître, encore moins préparés à l'exécution d'un débarquement de vive force dans le cadre d'une opération importante. Le but de cette causerie est de montrer comment les Unités de l'Armée d'Afrique du Nord, après avoir participé brillamment avec un matériel usé et désuet à la campagne de Tunisie, profitant de l'expérience déjà riche de nos Alliés Anglais et Américains, se sont d'abord entrainés à la technique spéciale du débarquement de vive force, des "opérations amphibies" comme les appellent les Américains, puis ont elles-mêmes été transportées par mer d'Afrique du Nord en Italie. Le cadre de cette causerie sera limité à celui d'un Grande Unité du Corps Expéditionnaire Français : la 3° Division d'Infanterie Algérienne.

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Le 1 mai 1943, le Général de Goislard de Monsabert prend le commandement de la 3° D.I.A. nouvellement créée. La plupart des unités sont encore sur le front de Tunisie et appartiennent (sauf le 4° Régiment de Tirailleurs Tunisiens, et quelques éléments d'artillerie) à la Division de marche de Constantine. Seuls les détachements de perception de chaque corps sont rassemblés aux environs d’Alger, pour y recevoir les nouveaux matériels américains. Sa composition était initialement la composition d’une division d'infanterie américaine (moins quelques camions) : - 3 Régiments d'Infanterie : les 4° R.T.T. 3° R.T.A. 7° R.T.A. - 1 régiment blindé de reconnaissance: le 3° R.S.A.1 - 1 régiment d'artillerie: le 67° R.A. à 3 groupes de 105 et un groupe de 155. - 1 groupe de F.T.A : le 37° F.T.A. - 1 Bataillon du Génie : le 483° - 1 Compagnie de Transport: la 183° - 1 Bataillon médical : le 83° - 1 Compagnie de réparation : la 3° - 1 Compagnie de transmission Au total : 16000 hommes 1800 véhicules automobiles 550 canons et remorques diverses Ramenées de Tunisie dans le Constantinois en mai et juin 1943, ces Unités furent dotées progressivement du matériel américain et se familiarisèrent rapidement avec celui-ci par des stages à Aumale et Constantine : transmissions, renseignement et observation, circulation routière, conduite auto, dépannage auto, armement, mines et pièges. Le moral était magnifique; tous n'avaient qu'une seule pensée : arriver en France au plus tôt. On ignorait encore, à cette époque, si le Corps Expéditionnaire Français (CEF) aurait à exécuter un débarquement de vive force ou serait simplement appelé à renforcer une tête de pont déjà établie par nos Alliés quelque part dans la forteresse Europe. Dès le début Juillet, la nouvelle se répandit que la Division allait suivre en Oranie l'entraînement spécial aux opérations amphibies prévu pour toutes les Divisions de la Vème Armée Américaine, commandée par le Général Marc Clark et à laquelle était rattachée le C.E.F.

1 - RSA : Régiment de Spahis Algériens 204


Le centre d’entrainement Ce Centre d'entrainement aux opérations amphibies avait été aménagé par la Vème Armée Américaine à l'Est d'oran, entre Arzew et Mostaganem, de part et d'autre de l'embouchure de la MACTA. Il comprenait essentiellement : le Centre proprement dit installé à Port-Aux-Poules, petite station balnéaire de la côte à 10 kms d'ArzeW et trois zones d'entrainement disposant d'instructeurs spécialisés et constituées chacune par : - Une "area" ou zone de bivouac. - Des terrains spécialement aménagés pour chacun des exercices prévus. Chaque zone d'entrainement pouvait absorber à la fois un "Regimental Combat Team", c'est-à-dire suivant la formule américaine, un groupement tactique dont la composition immuable était la suivante: Un régiment d'infanterie Un groupe d'artillerie Une batterie de F.T.A. Une compagnie du génie Un détachement de transmissions Une compagnie médicale Un élément de transport Chaque Division d'Infanterie pouvant pratiquement se décomposer en 3 R.C.T., le centre de Port-aux-Poules pouvait absorber simultanément à l'entrainement toutes les unités d'une division (à l'exception toutefois du régiment de reconnaissance). Le centre disposait en outre en propre d'un certain nombre d’embarcations de débarquement de différents modèles et pouvait utiliser éventuellement pour l'instruction les transports de passage au port d'Arzew. Le cycle normal d'instruction comportait 3 stages : ● Le premier stage d’information d'une dizaine de jours réunissait à Port-Aux-Poules des officiers de toutes les unités jusqu'à l'échelon bataillon, et avait pour but : - de monter aux cadres le fonctionnement du centre et ce qui serait demandé aux unités pendant leur séjour dans les zones d'entrainement. - de leur donner les notions essentielles concernant l'organisation et 1'exécution d'embarquements et débarquements au moyen des divers bateaux alors en service. ● Le deuxième stage d'une durée de quinze jours constituant l'entraînement proprement dit des unités. ● Le troisième stage était réservé aux officiers plus spécialement chargés dans les unités (E.M. de R.I., bataillons, groupes) de préparer les opérations d'embarquement et complétant en somme le premier stage. Le stage des cadres Les cadres de la 3° D.I.A. suivirent le premier stage au cours de la 2° quinzaine de Juillet, et furent pendant cette période pris complètement en charge par le centre : logement dans le camp sous tentes de Port-Aux-Poules et nourriture au mess américain. L'enseignement comprenait un certain nombre de conférences faites par des officiers américains sur la technique des opérations amphibies, telle qu'elle résultait des nombreuses expériences faites à Dieppe, en Afrique du Nord, en Sicile et dans le Pacifique. Les officiers instructeurs avaient pour la plupart participé personnellement a une ou plusieurs de ces opérations. Des séances de démonstration faites par les équipes spécialisées appartenant au centre. Les cadres assistèrent aussi aux différents exercices que devaient exécuter leurs unités un mois plus tard : 205


- attaque d'un blockhaus, avec tir réel, emploi du lance-flammes et d'explosifs. - combat de rue, avec tir réel. - déminage et traversée d'un champ de mines. - destruction d'un réseau et des obstacles divers qu'une troupe débarquée peut rencontrer aux abords du rivage. - séance de « water proofing », opération qui consiste à préparer un véhicule automobile de telle sorte qu'il puisse effectuer sans dommage, un parcours dans près de 1 mètre de hauteur d’eau. - exercice d'embarquement et de débarquement sur les différents types de bateaux. Ces différents exercices très schématiques étaient montés et minutés dans le détail. Les cadres français furent surtout frappés par l'emploi intensif des moyens de figuration de feux et surtout du tir réel, avec un minimum de règles de sécurité. C'est ainsi que dans l'exercice du combat de rue, exercice qui se déroulait dans la rue étroite d'un petit village en bois, un fusil mitrailleur du parti attaquant tirait d'enfilade au milieu de la rue pendant que les voltigeurs progressaient de part et d'autre le long des maisons, passant souvent à moins de 2m de la trajectoire. Les embarcations Au cours de ce stage enfin, les cadres visitèrent un certain nombre des embarcations utilisées dans les opérations amphibies et dont les principaux types sont les suivants : ● Le Liberty : Cargo de 10.000 tonnes, utilisé pour les transports en haute mer, mais qui ne peut se décharger que sur un quai aménagé dans un port protégé (à moins de disposer de moyens de transbordement). ● Le L.S.T. Bateau de débarquement type de moyen tonnage, pouvant naviguer en haute mer, et qui grâce à son faible tirant d'eau (1 mètre environ à l'avant) peut accoster presque partout à quelques mètres du rivage. La large porte ouvrante située à l'avant du L.S.T. facilite le débarquement à terre ou le transbordement en mer (par temps calme). D’une longueur de 100 mètres sur une largeur de 15, le L.S.T. comprend: - à l'arrière, une partie réservée aux machineries et à 1équipage - dans la cale, un immense garage qui s'étend sur presque toute la longueur du bateau et communique avec l'extérieur par une sorte de pont-levis s'abaissant lorsque l'on ouvre la porte avant. - sur le pont, presqu'entièrement dégagé peuvent être arrimés des véhicules. Cale et pont communiquent par un ascenseur hydraulique susceptible de supporter une charge de 4 à 5 tonnes, et pouvant contenir par exemple un camion de 2t5 ou 4 jeeps. - dans la double paroi de la coque, de part et d'autre de la cale, sont installés des postes de couchage pour le personnel. Le L.S.T. peut transporter environ 170 passagers et 100 véhicules et remorques diverses. ● LE L.C.I. : Petit bateau de 47 mètres de long sur 7 mètres de large utilisé pour le transport des unités d'infanterie (sans véhicules). Comme le L.S.T., le L.C.I. peut accoster directement sur presque toutes les plages (0m80 de tirant d'eau à l'avant). Deux passerelles mobiles de part et d'autre du bateau permettent le débarquement rapide à terre Le logement des passagers est exigu et peu confortable, rien n’est prévu pour l'alimentation. Aussi les L.C.I. ne peuvent être utilisés pour de longues traversées. 206


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Tous ces bateaux reserviront sur les fleuves d’Indochine

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● LE L.C.V.P. : Sorte de chaland à fond plat muni d'un avant rabattable. De dimensions réduites (11m x 3m25) et d'un tirant d'eau insignifiant, il peut aborder à quelques mètres du rivage. Il peut contenir : - 36 hommes (soit un peu moins qu’une section) ou 1 camionnette de 1t5 ou 4t5 de matériel ● Le L.C.T. : est lui aussi un chaland de même allure que le L.C.V.P. mais beaucoup plus grand (36 mètres sur 9m60). Il peut contenir: 5 chars Shermann ou 9 camions de 2t5 ou 150 tonnes de matériel ● Le D.U.K.W. enfin n'est autre qu'un camion amphibie de 2t5, doté d'une coque métallique et d'une hélice propulsive. Sa contenance est de 26 hommes ou de 2t5 de matériel. Le D.U.K.W. est surtout utilisé en période de débarquement pour exécuter des navettes entre le rivage et les transports que leur tirant d'eau maintient au large. Matériel tout nouveau en 1943, il nous fut présenté par les Américains comme un engin remarquable, et a effectivement rendu depuis des services exceptionnels lors des différents débarquements. D'autres modèles, mais beaucoup moins usités, furent aussi fabriqués et utilisés par les Américains ou par les Anglais. Le stage des hommes de troupe Fin juillet, la 3° D.I.A., qui avait perçu la presque totalité de son matériel, quittant la province de Constantine, fit mouvement sur la région Tenes-Orleansville-Mostaganem où elle exécuta quelques manœuvres. En août et septembre ses unités passèrent successivement au Centre d'Invasion de Port-Aux-Poules : 2 "Combat Team" en août et 1 "Combat Team" dans la première quinzaine de septembre. Le Centre d'Invasion fonctionnait comme une véritable usine et l'instruction y était spécialisée à outrance. A chaque exercice type (exercices d'embarquement sur maquettes de bateaux en bois, puis sur matériel réel, débarquement en force, tirs sur cibles mobiles, tirs de DCA, instruction par films, évolutions dans l'eau et sur les plages) correspondait dans chaque zone d'entrainement: - un ou plusieurs Officiers Américains instructeurs spécialisés - une plage ou terrain spécialement aménagé (blockhaus, villa en bois, fausses mines, réseaux d'obstacles divers, maquette de bateau en bois, etc ) - une équipe de démonstration. Les programmes d'instruction, établis par le commandant du centre et remis aux commandants de R.C.T. étaient extrêmement précis et minutés. Tout y était prévu et ils étaient rarement modifiés en cours de stage. Les temps morts étaient réduits au minimum grâce à un horaire extrêmement strict. Le colonel américain commandant le centre en était le maître absolu, ne dépendant que du général commandant la V° armée. Il dirigeait entièrement l'instruction et le général commandant la division n'avait que le droit de lui rendre visite et d'aller assister aux exercices effectués par ses unités. Encore dans ce dernier cas, le commandant du centre devait-il être prévenu à l'avance. 209


Outre les divers exercices de combat à terre, les unités eurent à effectuer des exercices d'embarquement et de débarquement avec les divers types de bateaux. Ces exercices étaient fait par groupement tactique constitué, P.C. et Etat-major compris. C'est ainsi que l'on vit le général commandant la division descendre d'un cargo par les filets de débarquement jetés le long de la coque et le colonel commandant un régiment plonger d'un L.C.V.P. dans un mètre d'eau à la tête de ses vagues d'assaut. La 3° D.I.A. était la première division française passant au Centre d'Invasion. Les officiers américains étaient un peu sceptiques sur les résultats à attendre d'unités composées en majorité d'indigènes et qui n'avaient perçu leur matériel moderne que depuis deux ou trois mois. Ils se montraient surtout inquiets en ce qui concerne les exercices avec tir réel pour lesquels les mesures de sécurité étaient vraiment réduites au minimum. Leur opinion évolua rapidement. Ils nous avaient demandé de détacher à Port-Aux-Poules 10 jours avant l'arrivée au centre de nos premiers éléments, deux compagnies de tirailleurs destinées, après un entrainement spécial, à fournir les différentes équipes de démonstration. Des les premiers exercices, ils furent surpris de l'ardeur et de l'adresse des artilleurs, et bientôt ils ne cachèrent plus leur admiration. Ils ne furent pas déçus par le reste de la division et demandèrent même par la suite à conserver nos équipes de démonstration. Les méthodes employées peuvent être critiquées pour leur dogmatisme, pour ce qu'elles avaient de conventionnel, et surtout pour la faible part laissée à l'initiative. Il faut cependant reconnaitre que les résultats furent excellents. A la fin du mois de septembre, la 3° D.I.A. était prête à recevoir une mission de débarquement de vive force : le but du stage avait donc été atteint. Fin septembre 1943, la 3° D.I.A. se trouvait rassemblée dans la région située au sud et au sud-ouest d'Oran, dans l'attente d'un embarquement que le déroulement des opérations en Italie laissait pressentir. Cette période d’attente fut le règne des officiers T.Q.M. La préparation par les officiers T.Q.M. Toute opération amphibie, qu'il s'agisse d'un simple transport de troupe ou d'une opération de débarquement de vive force, doit faire l’objet d'une préparation minutieuse. Les unités à embarquer ne sont jamais identiques, leurs équipements et ravitaillement diffèrent, l'urgence dans laquelle doit être débarqué leur matériel varie avec les missions. Tous ces facteurs conduisent à exiger une étude préalable très poussée des conditions d’embarquement et de chargement avant de passer à l'exécution. Dans chaque unité, depuis la compagnie de vo1tigeurs jusqu’à la division, cette étude est menée par un officier T.Q.M. de cette unité (du terme anglais Transport Quarter Master). La formation de ces officiers T.Q.M. était l'objet d’un troisième stage prévu au Centre d’Invasion de Port-Aux-Poules. Le rôle de l’officier T.Q.M. est multiple : ● En tous temps, il doit connaitre la situation exacte de son unité en personnel et en matériel. Dans ce but, il tient à jour un tableau d’effectif et de tonnage dont voici le modèle. Le tableau est divisé en trois parties : a) La partie supérieure donne l’effectif de l’unité, réparti par grade pour les officiers, global pour les sous-officiers et pour les hommes de troupe (Dans les unités indigènes, il y aura lieu de distinguer E. et I.) b) La partie centrale concerne le matériel organique emporté par les unités ellesmêmes. 210


1- Matériel à stocker dans un endroit d’accès facile pendant la traversée : - Bagages personnels (calculés au taux de 0,1 m3 et 36 Kg par homme) - Matériel de secrétariat nécessaire pendant la traversée : tables et sièges de campagne, machines à écrire, fournitures de bureau, etc … 2- Matériel à arrimer dans les cales : - Matériel en vrac - Campement - Matériel nécessaire à l'installation d'un camp provisoire en campagne (tentes, etc.) - Matériel spécial, c'est-à-dire celui donné à l’unité en plus de son matériel organique, pour l’opération envisagée : barbelés, sacs à terre, etc … - Matériel organique, à stocker en vrac. - Véhicules : on indique ici le cubage et le poids total réel des véhicules, tels qu'ils seront embarqués, c'est-à-dire contenant un chargement plus ou moins hétéroclite. Ces poids et dimensions ne sont pas ceux indiqués théoriquement dans les manuels. - fardeaux lourds : tous matériels ou ravitaillements en grosses caisses, pesant plus de 350 Kg et d’un volume égal ou supérieur à 8 mètres cubes. De tels fardeaux doivent en effet être comptés à part, car ils nécessitent des appareils de levage analogues à ceux exigés pour la manutention des véhicules. c)- La partie inférieure concerne le matériel n’appartenant pas directement aux unités élémentaires, mais à l'échelon Sous-Groupement tactique (ou échelons supérieurs), tels que ravitaillements de toute nature qui seront distribués aux unités suivant les besoins. Pour la facilité des opérations, on distingue deux catégories : - les munitions - les autres ravitaillements qui devront être stockés séparément. Le verso de l'état comprend deux tableaux : - un tableau récapitulatif du nombre, de la surface, du volume et du poids global des véhicules, par catégorie de tonnage. - un tableau indiquant l'ordre de priorité dans lequel le Commandant de l'Unité détentrice désire voir débarquer ses véhicules, avec indication des caractéristiques de chacun d'eux. A noter que par véhicules, il faut entendre tous engins à roues ou à chenilles, automoteurs ou remorquables, tels que camions, voiturettes, chars, canons, etc... ● Dès que la mission de l’unité est connue, que son embarquement est décidé, que le transport qui lui est destiné est désigné, l'officier T.Q.M. de l'unité supérieure embarquant sur un transport doit prendre liaison avec l'officier T.Q.M. du bord, visiter à fond le transport pour se familiariser avec les caractéristiques du bateau et se renseigner en particulier sur : - la capacité de logement en personnel officiers et sous-officiers et troupes. - la capacité et les dimensions exactes des cales - la capacité des soutes à carburant et à munitions - les ressources en cuisines, buanderies, et autres détails concernant la vie des troupes à bord (détails qui varient même entre bateaux d'un même type suivant la personnalité du Commandant). Il doit également visiter le port afin de connaitre le quai d'embarquement, les voies d'accès et les moyens de levage disponibles. 211


Nanti de tous ces renseignements, l'Officier T.Q.M. établit alors pour l'ensemble des éléments embarquant sur le même transport les plans de chargements. Ceux-ci sont constitués essentiellement par huit documents demandant du temps et un très gros travail, mais dont l'expérience a démontré la nécessité, tout au moins dans le cas d’une opération amphibie. Ces documents sont les suivants : 1. Un tableau d’effectif et de tonnage, du même modèle que celui-ci, mais correspondant à l'ensemble des différents détachements embarquant sur le transport, pouvant comprendre en particulier du matériel autre que celui de l’unité embarquée. 2. Le manifeste. C’est le détail de tout le chargement, avec indication de son volume et de son poids, de l'unité propriétaire, de sa description sommaire et enfin de l'emplacement où il est stocké à bord. 3. Le tableau de priorité de débarquement des véhicules Le commandant des troupes ayant centralisé les demandes de priorité de débarquement des véhicules formulées par les commandants d'unités ou détachements, au verso de leur état modèle I, établit, en fonction de son plan de manœuvre, l'ordre de priorité pour le débarquement de la totalité des véhicules à embarquer. 4. Le Plan d’arrimage C'est un croquis a l'échelle de 1/100° de chaque plancher de cale, avec indication des dimensions hors-tout de la cale, de son volume, de la puissance des grues desservant la cale et des dimensions de l'écoutille la plus petite desservant le plancher de cale envisagé. Pour compléter ce plan, le T.Q.M. prépare des gabarits représentant chaque véhicule à l’échelle du plan, avec son numéro de priorité. Il étudie ensuite, au moyen des gabarits, la meilleure utilisation possible de l’espace disponible; ce travail achevé, il dessine sur le plan, à l’aide des gabarits, l'emplacement exact qu’occupera chaque véhicule dans la cale. Quand il s’agit de matériel en vrac, le T.Q.M. indique sur le p1an la surface qu'il occupera dans la cale et note son volume et son poids. 5. Le tableau général de chargement C'est la liste de toutes les unités embarquées sur le bateau avec indication de l'effectif de personnel, de la surface, du volume et du poids du matériel. 6. Le Plan de chargement profilé Ce profil donne une vue d'ensemble du chargement complet. C'est un schéma sans échelle du bateau vu de profil, faisant ressortir surtout les sections de cale occupées par la cargaison. Dans l'espace représentant chaque section de cale, on inscrit la nature et le poids du matériel qui y est stocké. 7. Le Tableau récapitulatif des véhicules. C'est un tableau à double entrée indiquant le nombre de véhicules de chaque type par unité détentrice. 8. Les états de filiation. Ces états sont ceux indispensables dans le cas d’embarquement en vue d'un débarquement de vive force. Nous verrons plus loin à quoi ils se réduisent en fait, lorsqu'il s'agit d’un simple transport maritime sans idées tactiques. 212


● Au moment de l'embarquement. Les deux officiers. T.Q.M. du bateau et des troupes doivent veiller à ce que le transport soit chargé conformément aux dispositions du plan de chargement tel qu'il a été approuvé par les commandants du bord et des troupes. Le T.Q.M. des troupes fait rassembler sur le quai les divers colis, classés par type et par cale, les véhicules étant réunis et numérotés à part conformément à leur ordre de priorité d’embarquement. Pour l'exécution du chargement, il est aidé par un certain nombre d'Officiers et sousofficiers s'occupant des détails du logement du personnel et de l'arrimage du matériel. Il s'assure personnellement, par des inspections fréquentes, que le chargement s'exécute comme prévu, et prend en compte les vivres de bords stockés par les soins de la base. Les deux T.Q.M. doivent être en mesure, à tout moment, de donner à leur chef respectif, la situation en personnel et matériel déjà à bord. ● Au moment du débarquement enfin. L'officier T.Q.M. vérifie que le déchargement s'effectue bien suivant l'ordre des priorités établi par le commandement. Il tient constamment à jour l'état du matériel déchargé. Cette simple énumération des multiples obligations de l'Officier T.Q.M. montre l'importance de son rôle et le soin qui doit être apporté à sa désignation. Pendant les mois de septembre, octobre et novembre 1943, les officiers T.Q.M. des unités de la 3ème D.I.A. eurent à établir et à tenir à jour, en triple exemplaire et sous forme d'état-navette, les tableaux d'effectifs et de tonnage. Ce ne fut pas un mince travail. Les instructions reçues provenant de traduction plus ou moins exactes de règlements américains, étaient quelquefois vagues et souvent modifiées. Certains problèmes demeurèrent toujours non résolus officiellement : - les camions embarqueraient-ils bâchés ou non ? - les bagages personnels des hommes (sac "B") seraient-ils embarqués sur les véhicules ? - quelle était la composition exacte des sac "A" ? - etc.. L'officier T.Q.M. qui voulait faire consciencieusement son travail devait : - provoquer de son commandant d'unité des exercices de chargement complet - peser les véhicules chargés. - prendre leurs dimensions exactes (elles étaient demandées au cm près et variaient d'un véhicule à l'autre) - peser et mesurer les différents colis Il est inutile de vous dire que lors des collationnements à l'échelon régiment ou division, on constatait souvent des différences sensationnelles (du simple au double) entre deux unités équivalentes. Tout heureusement finissait par s'arranger grâce à la bonne volonté de chacun. On imagine aisément le volume de papiers représenté par ce simple état, et la tête que pouvait faire le malheureux officier T.Q.M. de la division, contraint chaque semaine de recevoir, vérifier, annoter et collationner, comparer et récapituler plus de 100 états de ce genre (114 exactement).

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Le transport de la division vers Bizerte En novembre, l'avenir se précisa. Le 1er novembre, les premiers détachements précurseurs des Etats-Majors du C.E.F. et de la 2° D.I.M. avaient quitté Oran. Le 15 novembre, la 2° D.I.M. commençait à embarquer à Oran et à Bizerte. Le tour de la 3° D.I.A. approchait. Le 1er décembre enfin, l'officier T.Q.M. de la division fut appelé au P.C. arrière du C.E.F.: cette fois les dés étaient jetés. La 3° D.I.A. allait s'embarquer à Bizerte (à l'exception du 4° R.T.T. enlevé directement à Oran). Les premiers mouvements commençaient dans quatre jours. Le général de Monsabert partit par avion installer son PC avant à Naples le 9 décembre, pour commencer les contacts et les reconnaissances, le PC arrière de Lourmel passant aux ordres du général de Hesdin. La nouvelle se propagea instantanément dans toutes les unités tant les troupes étaient impatientes de reprendre leur place sur les champs de bataille, où qu'ils fussent. Le premier problème consistait à organiser le mouvement de la Division depuis l'Oranie jusqu'à Bizerte: - une seule route empruntée déjà depuis un an par les innombrables convois alliés. - une seule voie ferrée, à rendement moyen, puisqu'elle est à voie unique sur la majeure partie du parcours. Tout ce qui pouvait rouler, soit près de 1500 véhicules, fut expédié par la route par élément de 150 à 200 véhicules. Les "chenillés" et le personnel et le matériel qui n'avaient pu trouver place sur les véhicules empruntèrent la voie ferrée. Le premier convoi quittait la région de Lourmel le 5 décembre et les mouvements devaient s'échelonner sur près de trois semaines, compte tenu en principe des possibilités d'enlèvement du port de Bizerte. Les différentes étapes distantes d’environ 200 kms, furent fixées compte tenu des différents postes de ravitaillement mis en place par les Alliés pour leurs propres convois : Orleansville, Rovigo (prés de Blida), Bordj Bou Arreridj et Guelma. Il fallait donc 6 jours à chaque convoi (5 jours de route - 1 jour de repos) pour parcourir les 1.200 kms séparant Oran de Bizerte. A chaque étape, on faisait le plein d'essence à des batteries de pompes mises en place par les américains et qui permettaient de remplir simultanément les réservoirs de dix à quinze véhicules. Puis chacun dormait dans les camions ou dans les champs au bord de la route. Les accidents au cours de ce mouvement furent en nombre infime et très inférieur aux prévisions les plus optimistes. Les différents déplacements et les manœuvres exécutées depuis cinq mois avaient suffi à roder les quelques 2.000 chauffeurs de la division, dont beaucoup étaient des indigènes et n'avaient jamais auparavant conduit de véhicules automobiles. Le passage de la division dans le Constantinois avait donné, bien à tort, quelques inquiétudes au Commandement. Bordj Bou Arreridj, Sétif, Constantine, Guelma étaient les garnisons normales des unités. Les familles y étaient encore Mais s'il y eut quelques retards individuels bien excusables en cours de route, personne ne manquait à l'appel à l'arrivée à Bizerte. L’embarquement à Bizerte La ville européenne de Bizerte avait été presque entièrement détruite, et l'Arsenal très endommagé par les bombardements alliés lors de la campagne de Tunisie. Dès la libération de la ville, au début du mois de mai, les américains s’étaient attelés au travail et y avaient aménagé une base dont l'importance croissait sans cesse.

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Bizerte était devenue la tête de ligne d'un trafic ininterrompu avec Naples. C’était d'un port à l'autre une véritable noria de bateaux. La majorité des renforts et une grande partie du ravitaillement destiné au front d’Italie, fut acheminé par cette voie. En décembre 1943, des dépôts importants de matériels divers avaient déjà été stockés. Les ateliers de l'arsenal, remis en état, travaillaient à plein, avec personnel américain, au profit des unités de passage. La plus grande partie des quais avait été dégagée : quatre à cinq Liberty pouvaient accoster simultanément à la gare maritime et à l'arsenal, un des quais pouvait recevoir à la fois une quinzaine de L.S.T., un autre une dizaine et un troisième une vingtaine de L.C.I. Dès le 6 décembre, un P. C. avancé de la 3° D.I.A, aux ordres du colonel Chevillon, commandant l'I.D.2 et comprenant un officier du 3° bureau, un officier du 4° bureau et quelques officiers de liaison, s'était installé dans un des rares bâtiments pourvus de toits, de portes et de fenêtres et non réquisitionnés par les américains. Ce P. C., fonctionnant en bureau T. Q.M., assurait la liaison entre les unités, dès leur arrivée dans la zone de Bizerte et le commandant de la base française. Celui-ci, à son tour recevait directement de la base américaine les instructions relatives au séjour des unités et à leur embarquement. A Bizerte comme à Port-Aux-Poules, la division se sentit de suite prise dans l'engrenage de l'organisation américaine. Le cycle des opérations était le suivant : ● A leur arrivée à Bizerte, les Unités campaient aux abords sud de la ville dans un "area" de stationnement. Elles garderont longtemps le souvenir de ce terrain absolument nu, exposé à tous les vents, boueux à souhait, où les camions s'embourbaient jusqu'aux moyeux et où certains durent monter la tente sous une pluie battante. Quelques mines laissées par les Allemands à leur départ, n'avaient pas encore été relevées. L’une d'elle en éclatant provoqua la mort d'un sous-officier du 7° R.T.A., la première victime de la campagne qui allait commencer. ● Les Officiers T.Q.M. remettaient le premier jour leur état d'effectifs et de tonnage à la Base française, qui les transmettait à la Base américaine. Celle-ci, première bonne surprise, se contentait d'ailleurs de renseignements beaucoup plus succincts : - Effectif par grade - Nombre de véhicules par catégorie - Tonnage et volume des bagages divers non chargés dans les véhicules. ● Pendant leur séjour dans l’area, les Unités pouvaient, grâce aux dépôts de la Base et aux ateliers de l'Arsenal, compléter leur habillement et leur matériel, échanger et faire réparer les véhicules endommagés. ● Un beau soir, le bureau T.Q.M. de la Division était averti que le lendemain tel régiment embarquerait sur le L.S.T. N° X un détachement comprenant tant d'hommes et tant de véhicules de telles et telles catégories. Le détachement devait quitter l'area à telle heure et se présenter sur le quai d'embarquement à telle autre heure. ● Le pauvre T.Q.M. de l'unité intéressée, aussitôt alerté, se précipitait au port, pour s'acquitter de toutes les corvées qu'on lui avait enseignées à Port-Aux-Poules. Là il découvrait, à sa grande joie, que la pratique était beaucoup plus simple que la théorie et qu'on ne lui demandait en somme 2- ID : Infanterie Divisionnaire 215


- qu'un état récapitulatif du personnel et du matériel à embarquer. - et les états de filiations. ● Le lendemain à l'heure prescrite, le détachement embarquant se présente devant son L.S.T. Les véhicules s'enfilent colonne par un dans la cale ou sont montés sur le pont. Une fois tout le matériel bien arrimé, le personnel monte à bord, s'installe dans les cabines et il ne reste plus qu'à attendre le départ. Toutes ces opérations, on le voit, étaient fort simples Il faut noter que le fractionnement était effectué par la base américaine, en tenant compte beaucoup plus des possibilités journalières en tonnage, que de la cohésion des unités. Un bataillon pouvait fort bien avoir des véhicules répartis sur deux ou trois transports différents, mélangés aux véhicules d'autres unités, et une partie de son personnel embarqué sur un convoi autre que celui qui emmenait ses véhicules. Cette façon de faire n'allait pas sans inconvénients, tant au départ qu'à l'arrivée, pour le ravitaillement des unités et pour le transport du personnel et des bagages des areas aux quais ou inversement. Commencés vers le 15 décembre, les embarquements s'échelonnèrent jusqu'à la fin du mois. Le total des bateaux utilisés pour le transport de la division (moins le 4° R.T.T. et le 3° R.S.A.) aurait été théoriquement de : 5 Liberty 20 L.S.T. 55 L.C.I. En fait, étant donné le mode de fractionnement exposé ci-dessus, les unités furent réparties sur un nombre sensiblement plus important de transports. De Bizerte à Naples, le trajet s'effectuait généralement en 36 heures, par convois de 20 à 50 navires, légèrement escortés tant la maitrise de la mer et de l'air était complète. Certains convois restaient un ou deux jours en rade de Bizerte avant de rejoindre en haute mer un autre convoi venu de l'Ouest. L'un d'eux, après être passé en vue de la Sardaigne, mis cap au Sud on ne sait pour quelle raison et contournant toute la Sicile, passant par le détroit de Messine, mit huit jours avant de toucher Naples. Le débarquement à Naples A Naples et dans les petits ports environnants, le débarquement s'effectua, sans aucune formalité et les unités gagnèrent immédiatement les cantonnements qui leur étaient fixés dans des villages situés à environ 10 à 20 kms de la ville. Certaines, toutefois, durent passer une nuit aux abords de Naples dans des "areas" d'aussi sinistre mémoire que celle de Bizerte. Le 1er janvier 1944, la totalité de la 3° D.I.A. (moins le 4° R.T.T. complètement perdu de vue depuis Oran) était rassemblée entre Naples et Caserte. Dans la nuit du 2 au 3, le 7° R.T.A. commençait la relève du 180° Régiment U.S. au Nord de Venafro et le 9 janvier le Général de Monsabert prenait le commandement de l'ancien secteur de la 45° Division U.S., à la gauche de la 2° D.I.M. Le 12 à l'aube, la division s'élançait victorieusement à l'assaut des postions ennemies du Mont Casale : première étape d'une route glorieuse qui, en six mois, allait la conduite à Sienne par le Belvédère, Castel Forte, Espéria et Rome.

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La campagne d’Italie

Nous disposons dans la tradition familiale de très peu de documents sur la campagne d’Italie, dont l’historique se trouve dans plusieurs ouvrages, dont celui du colonel Goutard (Le Corps Expéditionnaire Français dans la campagne d'Italie) On lira aussi le livre du général André Lanquetot « Un hiver dans les Abruzzes » avec le 8° RTM. Sans oublier « Notes de guerre » du général de Monsabert, ni le film « indigènes », hommage des fils des tirailleurs arabes à leurs pères.

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Dans le cadre du Plan d'Anfa, décidé par Roosevelt et Giraud en janvier 1943, cinq divisions d'infanterie sont progressivement mises sur pied à partir des unités de l'Armée d'Afrique, qui a déjà participé à la campagne de Tunisie, des troupes coloniales venues d'Afrique Occidentale, et des forces de la France Libre arrivant du Moyen Orient ou de l'Afrique Centrale après deux ans de guerre. Si les éléments de la 4e Division Marocaine de Montagne (DMM) du général Sevez participent à la libération de la Corse (septembre-octobre 1943), la première grande unité engagée en tant que telle est la 2e Division d'Infanterie Marocaine du général Dody qui arrive à Naples fin novembre 1943 et rejoint le front au sein de la Ve Armée américaine du général Clark. Puis la 3e Division d'infanterie Algérienne du général de Monsabert débarque fin décembre. Après les durs combats d'hiver, elles sont rejointes fin février par la 4e DMM et la 1ere Division de Marche d'Infanterie du général Brosset, plus connue comme 1ere Division Française Libre (1ere DFL). La dernière grande unité, la 9e Division d'infanterie Coloniale du général Magnan, sera engagée, plus tard, dans la conquête de l'Ile d'Elbe. Ces quatre divisions sont subordonnées au détachement d'Armée A, confié au général Alphonse Juin, qui transforme cette appellation en Corps Expéditionnaire Français (CEF) en Italie. Le général Clark a décidé d'engager dans la montagne les unités françaises; les soldats nord-africains sont aguerris à ce type de terrain. Fin 1943, le front allié s'aligne entre Gaète sur la Méditerranée et Pescara sur l'Adriatique, par une série de points hauts (Monts Aurunci, Monte Cairo, Monte Mincetto, etc.), et le verrou de Monte Cassino qui commande la vallée du Liri vers Rome. Les monts Apennins sont un véritable imbroglio de chaînons tantôt parallèles, tantôt divergents, donnant une profondeur avantageuse pour la défense allemande. Celle-ci est confiée au feldmarschal Albert Kesselring qui a sous ses ordres la valeur de dix divisions, dont la solide 1e Fallschirmjäger (Chasseurs parachutistes de montagne). Il a l'avantage d'être en défensive, s'appuyant sur un réseau d'obstacles, de destructions et de champs de mines, formant la Ligne Gustav (au contact) et la Ligne Hitler (au sud de Rome). A peine débarquée, la 2e DIM rejoint le 6e Corps américain et est engagée, le 16 décembre 1943, contre le massif du Pavitano puis contre le Monna Casale, enlevés par le 5e Régiment de Tirailleurs Marocains (RTM), le 8e RTM s'emparant, lui, de la Mainarde le 26 décembre. Les pertes sont lourdes (300 tués au 5e RTM), mais ce premier résultat rehausse l'image des Français auprès des Américains. La 3e DIA est alors engagée dans le secteur de Venafro, au nord de Cassino. Son 4e Régiment de Tirailleurs Tunisiens (RTT) s'empare du Belvédère et du Colle Abate dans des combats acharnés, prenant, et reprenant pitons et villages, entre le 25 janvier et le 1er février. Ses trois régiments ont chèrement payé leur victoire : 1 500 tués, dont le colonel du 4e RTT. L'adversaire, la 5e Fallschirmjäger s'est défendue avec fermeté. Cependant, l'absence de réserves empêche d'exploiter ce succès. Dès lors, les Allemands surveillent avec attention les secteurs où les Français sont signalés. Les deux divisions sont remises en condition et le CEF se complète avec les 1ere DMI et 4e DMM, tandis qu'en févriermars 1944, les assauts obstinés de la Ve Armée américaine contre Monte Cassino restent vains. Dès janvier, le général Juin a compris que pour s'ouvrir la route de Rome, il faut, non pas attaquer de front, mais manœuvrer et passer par une zone montagneuse où l'ennemi n'imaginerait pas que l'attaque puisse se produire.

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Tel est le cas des Monts Aurunci, au nord du Garigliano, où les Allemands n'ont pas un dispositif aussi serré et puissant que sur le Rapido. C'est donc là que, dans sa note à Clark du 4 avril 1944, le général Juin suggère que se fasse l'effort allié et que celui-ci soit confié au CEF dont les troupes sont bien adaptées aux terrains difficiles et assez aguerries pour être engagées utilement. Clark agrée aux suggestions de Juin et, dans la plus grande discrétion, le CEF relève le 10e Corps d'armée britannique, tandis que se mettent en place les appuis d'artillerie, les moyens de franchissement, les dépôts de munitions et les unités de second échelon. Dans la nuit du 11 au 12 mai, l'attaque est lancée après une puissante préparation d'artillerie de 2 400 tubes de tous calibres. L'abordage est rude. La 71e Division d'infanterie allemande se défend jusqu'au soir où Castelforte est enlevée par la 3e DIA et le Monte Faito par la 2e DIM. Il faut maintenir la pression sur l'ennemi qui rompt après deux jours de combats sans pitié : le 13 mai, San Andrea, Girofano, Cesaroli et le massif du Monte Majo sont conquis. Pendant ce temps la 1ere DFL nettoie la boucle du Garigliano et se présente sur la rive droite du Liri. Le massif du Monte Petrella est le dernier obstacle de la Ligne Gustav à faire sauter. Formant le "Corps de Montagne" sous les ordres du général Sevez, avec la 2e DIM et les Tabors Marocains du général Guillaume (1er, 3e et 4e Groupements), Alphonse Juin les lance dans la bataille. L'objectif est entre leurs mains le 15 au soir. Dès lors, il faut avancer vers Rome. Le CEF maintient le rythme du combat par la relève systématique des divisions de tête par le second échelon après trois ou quatre jours d'engagement. La 3e DIA et la 1ere DFL arrivent aux portes de Rome. Mais, alors que le CEF est très en pointe, des arguments de prestige veulent que Rome soit libéré par des unités américaines. L'entrée dans Rome a été occultée par le débarquement allié en Normandie. Une parade triomphale, le 11 juin, marque la victoire alliée et le général Mark Clark pourra écrire « Je suis fier que le CEF appartienne à la 5e Armée ». Puis ce sera la remontée vers Florence et l'Arno. Les 3e DIA, 1ere DFL et 2e DIM, restées en tête, se heurtent à un combat retardateur mené par les unités allemandes et achèvent leur campagne d'Italie à Sienne, le 2 juillet. En effet, les divisions du CEF sont retenues pour participer au débarquement de Provence, et le 23 juillet, le CEF sera dissous en tant que tel. Le général Edgard de Larminat succède à Juin à la tête des éléments français de la 5e Armée américaine. Les unités françaises, retirées de la ligne de contact au pied des Abruzzes, gagnent les zones de regroupement dans le sud de l'Italie. Elles sont relevées par des unités indiennes, néo-zélandaises ou polonaises.

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Coupure de journal

Quand les soldats français défilent à Pompeï Le soleil ne s'est montré qu'au moment précis où la revue commençait. Mais il s'est montré, éclatant, puis brûlant, témoin magnifique d'un jour magnifique. Les tentes font d'innombrables taches jaunes sur la verdure encore un peu grise depuis la récente pluie de cendres du Vésuve - du Vésuve qui a failli montrer sa colère comme il y a deux mille ans, au jour où l'éruption ensevelit Pompeï. Mais ici, aujourd'hui, les hommes ne sont pas vaincus. Sur ces ruines d'une antique et noble civilisation, la civilisation qui est sa fille directe présente ceux qui la défendent, en armes sur le chemin de la victoire, déjà en droit de célébrer leurs victoires. Bataillon après bataillon, les tirailleurs de la 3eme D.I.A. se forment en carré sur la palestre ou jadis les gymnastes exerçaient leurs muscles et leur volonté. Ils n'ont rien à leur envier, ceux-là qui dans le terrible hiver des Abruzzes, au Monne Casale et au Belvédère, près de Terelle ou d'Acquafondata, surent résister au froid, à la fatigue accablante et parfois à la faim, aussi bien qu'aux obus. "Garde à vous ! Arme à l'épaule ! Présentez ... arme !" Les tambours battent, les trompettes jouent la Marseillaise. Et pendant que l'assistance - ces milliers de Français, d'Anglais, d'Américains, de Canadiens, de Russes ou de Polonais - écoute au garde à vous, le Général Juin et le Général commandant la division passent lentement le long des troupes, accompagnés des Généraux américains Keyes et Grunther, et du Général représentant l'armée anglaise. Le Général Juin porte la tenue de campagne, mais le Général de la 3ème DIA c'est un grand jour d'honneur pour sa division et pour lui-même - a revêtu le grand uniforme traditionnel, avec les bottes luisantes et le képi à feuilles d'or. Les gardes des étendards passent maintenant devant le front des troupes toujours au port d'armes, et vont se grouper sur le terre-plein central. De nouveau, "présentez armes" et la sonnerie : Ouvrez le ban. Le général se place devant ses officiers, tandis que le chef du CEF lit la magnifique citation de la division : "Du 12 au 17 janvier sous l'impulsion clairvoyante et énergique de son Chef, a enlevé de haute lutte dans un terrain difficile des positions fortement organisées de l'ennemi ... Attaquant ensuite sans répit, s'est enfoncée comme un coin le 25 janvier dans la nouvelle ligne de défense de l'ennemi. Magnifique grande unité manœuvrière et d'un moral élevé qui s'était déjà distinguée en Tunisie et qui s'est montrée digne des plus belles traditions de l'Armée d'Afrique et du Chef intrépide qui la commande". Alors le commandant du CEF s'approche du drapeau incliné devant lui, épingle la Croix de Guerre sur la soie de l'étendard et sur la poitrine du Général, auquel il donne une longue accolade. Grand silence sur l'assemblée. Cette rencontre des deux chefs s'étraignant devant leurs troupes est plus que le point culminant d'une parade : elle est pour chaque

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spectateur comme une promesse réciproque, comme le symbole de la foi, de la volonté tendue vers le but que nous voulons tous. Le Général Juin décore ensuite les drapeaux et les Colonels des régiments héroïques. Sur la figure bouleversée de l'un d'eux qui montre au danger un sang froid surhumain, une larme coule lentement. Ensuite, c'est la longue cérémonie de la remise des décorations aux bataillons, aux compagnies, puis aux officiers et aux hommes cités à titre individuel. De temps en temps un petit "cub" audacieux qui rase presque le sol passe en vrombissant, fait des cabrioles un peu plus haut, célébrant à sa façon de mécanique vivante la joie et le courage de ses frères fantassins qu'il a si souvent assistés au combat. Ou bien c'est un "P 38" un des glorieux appareils de reconnaissance qui portent autour d'eux dans ce ciel napolitain, un peu du ciel de France qu'ils voient presque chaque jour. Le dernier soldat décoré est une femme ; celle qui, il y a deux mois, blessée aux côtés d'une camarade tuée sur le coup, a mérité cette citation : "Conductrice de sanitaire, admirable de sang froid et de dévouement". A été blessée alors que sa voiture immobilisée sous un violent bombardement ; elle aidait les blessés qu'elle transportait à se mettre à l'abri. Le Général embrasse fraternellement cette jeune fille paisible, nullement émue en apparence, qui semble symboliser la vaillance quotidienne et sans apparat des Françaises qui font la guerre sur tous les fronts, de Paris jusqu'à Naples et à l'Empire. -

"Fermez le ban!".

Sur le rythme d'une marche militaire, les troupes s'ébranlent d'un seul mouvement impeccable. A côté de moi un colonel américain qui ne veut pas avoir l'air ému murmure : "It is Ged-all right. It is all right. You know, it tickles me (Ça me donne le frisson)". Deux Polonais au front têtu, à la face bronzée, ravinée - ils reviennent du front - suivent des yeux, avec une intense avidité la sortie de nos soldats. J'ai lu dans leur regard une admiration, une confiance dont les Français peuvent être fiers. Le défilé qui a lieu ensuite au grand amphithéâtre est le final d'une matinée qui restera mémorable dans la vie du CEF. Beaucoup de grandeur sans rien de théâtral. Les gradins de pierre qui virent les jeux du cirque, aujourd'hui mangés par l'herbe, ont une courbe harmonieuse, une couleur grise doucement patinée, qui met en valeur les soies aux couleurs vives des fanions, les grands étendards tricolores dont l'un est si fièrement déchiqueté, et la volonté humaine tendue dans le salut de ceux qui passent cols raidis vers le drapeau. Précédés de leurs officiers décorés - tache rouge de la Légion d'Honneur, tache verte de la Croix de Guerre sur les poitrines - ils sortent des grandes portes latérales, section par section prenant vivement la cadence, de ce pas martial et pourtant sans raideur propre à l'armée de notre pays. Le général, entouré de son Etat-Major, se tient à droite. En face, devant les étendards groupés, le Général Juin qu'accompagnent toujours les généraux alliés, salue chaque section d'un geste volontaire. Un officier américain à côté de moi conclut simplement : "Ils marchent tellement bien qu'on ne peut pas s'empêcher de rester au garde à vous tout le temps". Plus tard, le général anglais m'a dit : "Ils sont magnifiques, vos soldats, magnifiques ! Je le savais déjà, mais une journée comme celle-ci donne une telle confiance ..."

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Sur les buttes environnantes, on a creusé dans la terre de grands fours primitifs où rôtissent par douzaines les moutons entiers qui feront dans quelques instants le savoureux "méchoui", plat national, mets rituel des cérémonies africaines. Nos tirailleurs ont retrouvé aujourd'hui un ciel bleu, des palmiers, et des ruines romaines tout comme à Carthage, Timged ou Volubilis. Ils sont allègres malgré les maniements d'armes, la longue station debout. Le déjeuner est gai, de la gaîté virile de ceux à qui est permis plus que l'espoir, de ceux qui savent qu'ils vaincront. Des camarades se retrouvent, s'interpellent : "Hein, mon vieux, on ne s'était pas vus depuis la Tunisie". "Un tel ! J'ai appris que tu t'étais évadé de Silésie". "Et toi ?" "Moi, de Sarrebrück". On ne parle pas beaucoup du matin. A quoi bon ? C'est un spectacle qui reste au fond des yeux. C'est une communion qui reste au fond du cœur, jusqu'au jour où on la renouvellera en grand, à Paris. Claudine Jaques

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Dans notes de guerre, le général de Monsabert raconte : 22 avril Pompéi ! Après les journées radieuses le temps a paru se troubler. Le sirocco semble annoncer la pluie. Il a plu, d'ailleurs sans que je l'entende, la nuit. Crainte du mauvais temps. Mais les officiers qui m'entourent m'annoncent le triomphe de ma « baraka ». Ciel nuageux où le soleil se joue jusqu'à triompher entièrement au milieu de la cérémonie ; un vent qui passe pour faire claquer les drapeaux de Tunisie dans le ciel italien sur l'arrière plan des ruines romaines des lignes de pins parasols et du Vésuve fumant. Allons y, la fête commence ! Afflux de généraux français et alliés, dont les voitures se rangent en rond dans l'hémicycle de l'entrée. Arrivée du Général Juin. Le cœur bat à peine. Juste ce qu'il faut pour qu'une cérémonie ait de l'attrait. Mais il battra de plus en plus fort, à l'unisson de l'atmosphère de joie, de fierté, de gloire. La haie de ma compagnie de garde : guêtres, ceinturon, gants et chèches blancs sur la chemise et le pantalon américains. Entre la palestre et l'amphithéâtre, le bataillon carré de mes noubas régimentaires qui sonnent « Aux champs ! », puis, dès l'entrée, sur la palestre : mes cinq drapeaux. La Marseillaise triomphante. Le tour de la palestre devant les unités, la baïonnette haute. Et la remise des citations, collectives et individuelles, des Légions d'honneur, des Médailles militaires ! Cette remise commence par mon fanion : de la Chapelle de NotreDame de Lourdes, où le curé de Blida l'a béni, à la palestre de Pompéi ! Juin est très ému, en me serrant dans ses bras, et, par delà la mer, je vois ma chère Belle, qui a tant de part à tout ce qui s'est passé pendant et après le 8 novembre. Le 8 novembre ! Giraud qui m'a cité et qui n'est pas là ! Giraud qui aurait dû être acclamé par l'Armée Française, l'Armée Française victorieuse grâce à lui. Mais Giraud a tout sacrifié pour la maintenir une, pour la jeter unie face à l'ennemi, en Tunisie, pour l'envoyer sur la Corse, puis l'imposer au début aux alliés et aux politiciens français : en Italie. Pauvreté des hommes. Décoration de mes drapeaux, de mes fanions. Cravate de Pichot « l'homme de fer », le symbole des vertus guerrières de l'infanterie française ! Compliments si mérités !... Et tant d'autres ! Toute la gloire amassée du Mont Cairo au Belvédère. Et puis le défilé dans l'Amphithéâtre. Du point de vue technique, expérience dangereuse mais l'enthousiasme y est... dans ce cadre admirable. Devant Juin et les généraux étrangers, aux pieds de mes drapeaux frémissant de gloire, sur le cercle des gradins réguliers ou de la pente verdoyante au milieu de leurs ruines, sous le ciel lumineux et d'Italie. Ma nouba divisionnaire est entrée dans l'arène et s'est arrêtée face à la tribune faisant vibrer de la cadence de ses tambours, comme de l'éclat de ses cuivres, tout l'ensemble de ce cadre prestigieux, qui paraissait frémir encore des fêtes romaines. Au raz des ruines, dans un vrombissement (qui faisait vibrer les cœurs) des avions passaient comme des éclairs de gloire dans le ciel bleu. Et mes bataillons sont passés par formations carrées, pas cadencé, visages haut dressés, poitrines ouvertes, dans la gloire des gladiateurs victorieux. Je leur devais cela. Monsabert – Notes de guerre 225


Les africains Les paroles datent de 1915 et la musique de 1943. Ce chant, dédié au colonel Van Ecke (commandant du 7ème chasseurs d'Afrique), est désormais celui des anciens d'Afrique du Nord.

Nous étions au fond de l'Afrique, gardiens jaloux de nos couleurs. Quand sous un soleil magnifique, retentissait ce cri vainqueur : En avant, en avant, en avant ! C'est nous les africains qui arrivons de loin, Venant des colonies pour sauver la Patrie. Nous avons tout quitté, parents, gourbis, foyer. Et nous gardons au cœur une invincible ardeur, Car nous voulons porter haut et fier, le beau drapeau de notre France entière. Et si quelqu'un venait à y toucher, nous serions là pour mourir à ses pieds. Battez tambour, à nos amours, pour le pays, pour la Patrie, Mourir au loin, c'est nous les africains. Pour le salut de notre Empire, nous combattons tous les vautours. La faim, la mort nous font sourire, quand nous luttons pour nos amours. En avant, en avant, en avant ! De tous les horizons de France, groupés sur le sol africain Nous venons pour la délivrance qui, par nous se fera demain. En avant, en avant, en avant ! Et lorsque finira la guerre, nous reviendrons à nos gourbis Le cœur joyeux et l'âme fière d'avoir libéré le pays En criant, en chantant, en avant !

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La dĂŠcolonisation

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L’empire français est le produit d'une longue histoire commencée sous l'Ancien Régime. Après la révolution, il ne restait que quelques bribes : les quatre «vieilles colonies » (Guadeloupe, Martinique, Guyane, Réunion), les îles de Saint-Pierre-et-Miquelon, et les cinq « établissements» de l'Inde. Puis chaque régime voulut s'enorgueillir de nouvelles annexions : la Restauration organisa la prise d'Alger, la monarchie de Juillet la conquête de l'Algérie et la prise de Tahiti, le Second Empire, plus ambitieux, s'empara du Sénégal, de la Nouvelle-Calédonie, de la Cochinchine et du Cambodge. C’est avec la IIIe République, mue par des intérêts économiques et en quête d'un prestige réparateur de la défaite de 1871, que l'impérialisme français s'est le plus amplement déployé : protectorat sur la Tunisie, et plus tard sur le Maroc, achèvement de la conquête de l'Indochine, mainmise sur d'immenses territoires africains, qui deviennent AOF (Afrique Orientale Française) en 1904 et AEF (Afrique Equatoriale Française) en 1910, occupation de Madagascar. Avec l'attribution par la Société des Nations, en 1922, sous forme de mandats, d'anciennes possessions allemandes en Afrique (Togo et Cameroun) et turques au Levant (Liban et Syrie), la dilatation de l'espace colonial français atteint son apogée. Constitué pour l'essentiel à l'âge de la révolution industrielle, l'Empire repose sur une complémentarité économique que facilitent les progrès de la grande navigation. Les colonies procurent à la métropole les matières premières et les produits tropicaux nécessaires à son industrie et à son bien-être. L'Indochine lui fournit le riz et l'hévéa, les Antilles la canne à sucre, l'Algérie le vin et les agrumes, le Sénégal l'arachide, la Côte-d'Ivoire le cacao et les agrumes, la Tunisie et le Maroc les phosphates, etc. A l’inverse, la France exporte les produits de son industrie de transformation au premier rang desquels la métallurgie et le textile, développe les infrastructures (chemins de fer, route, équipement portuaires) et l’instruction et la santé. Le problème ethnique : les juifs, la loi Crémieux, les arabes, le code de l’indigénat Par le décret du 14 juillet 1865, Napoléon III affirme que «L'indigène musulman est Français, néanmoins il continuera d'être régi par la loi musulmane. Il peut sur sa demande être admis à jouir des droits du citoyen ; dans ce cas il est régi par les lois civiles et politiques de la France». Le 24 Octobre 1870, le décret Crémieux promulgué à Tours donne la nationalité française à 37.000 juifs d'Algérie, ainsi qu'aux colons Européens établis sur cette terre, qui étaient principalement Italiens et Espagnols. Ce décret sera abolit par le régime de Vichy. En Algérie, le code de l’indigénat du 18 juin 1881 formalise la distinction entre les citoyens français (européens, juifs et musulmans ayant obtenu la naturalisation par abandon de leur statut coranique) et les sujets français (la quasi-totalité de la population indigène). Les sujets français sont jugés au civil et au pénal (jusqu'au décret du 30-4-1946) par des tribunaux indigènes appliquant les coutumes locales (sauf celles " contraires aux principes de la civilisation française "). L'administrateur du lieu préside le tribunal, assisté de 2 assesseurs indigènes. Les sujets français sont soumis à réquisition pour exécuter du travail forcé, ils peuvent accéder à la citoyenneté française par naturalisation individuelle. Les mouvements nationalistes C’est au plus fort de la crise économique que naissent, entre 1930 et 1934, les mouvements nationalistes dénonçant les injustices et demandant la représentation des autochtones : le parti communiste vietnamien, la fédération des oulémas d’Algérie, le comité 229


d’action marocaine et le néo-destour tunisien. En effet, la crise montre que la puissance coloniale n’est pas à même d’assurer le bien être des colonisés. Les périodes du cartel des gauches et du front populaire ont amorcé des gestes de détente et introduit des réformes égalitaires. On parle d’accorder la citoyenneté française plus largement aux indigènes. Mais les colons s’opposent à cette politique d’assimilation. L’affirmation du droit des peuples à disposer d’eux mêmes Les peuples colonisés ont, pendant la guerre de 40, l’occasion de voir leurs colonisateurs européens défaits : France, Pays-bas et Belgique sont occupés, le royaume uni a dû plier : les japonais se présentent en Asie comme libérateurs du joug colonial des « blancs ». Pire, l’empire français apparait divisée entre quelques colonies qui rejoignent la France libre de de Gaulle (AEF), et la majeure partie qui, jusqu’en 43, reste sous le contrôle du gouvernement de Vichy. Pour canaliser la virulence des mouvements nationalistes, de Gaule envisage une évolution de l’empire, et le 30 décembre 44, à la conférence de Brazzaville, devant les gouverneurs d’Afrique noire, réunis pour délibérer sur le futur statut des colonies, il promet une plus grande participation des élites indigènes dans l’administration des colonies par la participation au parlement et par la création d’assemblées locales. Il annonce aussi la fin des codes de l’indigénat et du travail forcé. Les peuples colonisés se mobilisent et participent au rétablissement des européens aux côtés des américains. Ces mêmes américains, eux-mêmes une ancienne colonie, déclarent haut et fort qu’ « ils respectent le droit qu'a chaque peuple de choisir la forme de gouvernement sous laquelle il doit vivre ; ils désirent que soient rendus les droits souverains et le libre exercice du gouvernement à ceux qui en ont été privés par la force ». (charte de l’atlantique entre Roosevelt et Churchill - 14 aout 1941). Ce qui est confirmé par l’ensemble des alliés dans la déclaration des nations unies du 1er janvier 42. L’autre grande puissance, l’URSS, pousse dans le même sens, affirmant que les colonisés sont des prolétaires exploités par les pays capitalistes. La charte de l’ONU, signée le 26 juin 1945 par 50 pays, a pour l’un de ses buts de « développer entre les nations des relations amicales fondées sur le respect du principe de l’égalité des droits des peuples et de leur droit à disposer d’eux-mêmes » La conscience politique progresse dans les colonies, s’appuyant sur des élites locales formées en métropole. Les leaders nationalistes, souvent inspirés par le marxisme, font monter les revendications. Fédération ou assimilation En 46, l’empire français se compose de 40 millions de citoyens et de 60 millions de sujets, et il s’agit donc de choisir pour ces derniers entre l’association et l’assimilation. L’association (ou fédération) unit les peuples dans le respect de leurs différences, reconnait l’existence de cadres sociaux culturels pour chaque peuple, et admet des civilisations différentes qui développent leur progrès selon leurs lois intrinsèques. L’assimilation, idéal de la république française égalitaire, unit les hommes dans une identité de droits et de devoirs, quoique dans les faits elle sous entend une supériorité culturelle qui se permet d’éclairer et d’éduquer les peuples pour les mener sur le chemin de la civilisation, les sujets acceptant leur infériorité et se laissant guider vers la lumière, seront récompensés par l’octroi de la citoyenneté française. Mais, par l’assimilation, le poids politique des colonisés devenus citoyens dépasserait par leur nombre celui des métropolitains. En 46, les colonies françaises entrent dans le cadre de l’ « union française » qui est l’application des promesses de de Gaulle à Brazzaville. L’assemblée constituante de la IVème 230


république, où Aimé Césaire et Houphouët Boigny jouent un grand rôle, accorde le statut de département à la Martinique, la Guadeloupe, la Guyane et la Réunion, confère la nationalité française à tous les sujets d’outre mer, avec droit de vote dans une assemblée territoriale, et abolit le travail forcé. La Syrie et le Liban Les mandats temporaires donnés à la France par la SDN concernant la Syrie et le Liban prennent fin. L’accord du 13 décembre 45 prévoit l’évacuation simultanée des troupes françaises et anglaises, effective un an plus tard. Les Indes L’empire britannique des Indes accède à l’indépendance en 47, par une partition entre une union indienne hindoue et un Pakistan musulman au prix de millions de déplacés, selon leur religion. Le Pakistan est lui-même éclaté en deux territoires distants de 1800 km, ce qui produira le Bengladesh. La Malaisie devient indépendante en 57. Les Pays-bas accordent l’indépendance à l’Indonésie en 49. Les comptoirs de l’Inde L’indépendance de l’Inde rend inéluctable la fusion des comptoirs français à l’union indienne. La France y consent dès le 8 juin 48 en annonçant des référendums. Le 24 octobre 54, un accord transfère l’administration des comptoirs de Pondichery, Yanaon, Chandernagor, Karikal et Mahé à l’Inde de Nehru. L’Indochine Les japonais bénéficiaient, depuis la défaite française à Lang Son en septembre 1940 d’un accord de passage en Indochine, en direction de l’Inde. L’armée impériale cohabite ainsi aux côtés des services du gouvernement général de l’Indochine, qui fonctionne jusqu’à ce que, craignant un débarquement américain en Indochine qui isolerait leurs forces de Birmanie, Malaisie et Siam, les japonais interviennent par le coup de force du 10 mars 1945 ; ils détruisent le pouvoir colonial français et l’empereur Bao Daï proclame le 11 mars l'indépendance de l'Annam et du Tonkin sous le nom d'Empire du Việt Nam, s'engageant dans la collaboration avec le Japon. Par la conférence de Potsdam, en juillet 45, les trois grands (Etats-Unis, GrandeBretagne, URSS) règlent le sort des pays entrainés dans la guerre. Pour réaliser le désarmement japonais, l’Indochine est divisée en deux zones au niveau du 16ème parallèle ; il est prévu qu’après la victoire le sud soit occupé par les Britanniques, et le nord par les troupes Chinoises nationalistes de Chang Kai Chek.

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Les 6 et 9 août 45, les bombes atomiques amènent la capitulation du japon, le 13. Hô Chi Minh, qui avait créé le 19 mai 41 la ligue pour l’indépendance du Vietnam (vietminh), décrète le soulèvement général ; le 29 août, il annonce depuis Hanoï la formation d'un gouvernement dont il prend la présidence et le ministère des affaires étrangères. Discrètement soutenu par les américains, il proclame : « Tous les hommes ont été créés égaux. (…) Leur Créateur leur a conféré certains droits inaliénables. Parmi ceux-ci, il y a la vie, la liberté, et la recherche du bonheur» Ces paroles immortelles sont tirées de la déclaration d’indépendance des États-Unis d’Amérique en 1776. La Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de la révolution française a également proclamé : « Les hommes sont nés et demeurent libres et égaux en droit. » Il y a là d’indéniables vérités. Cependant, pendant plus de quatre-vingts années, les colonialistes français, abusant du drapeau de la liberté, de l’égalité, de la fraternité, ont violé notre terre et opprimé nos compatriotes. Leurs actes vont directement à l’encontre des idéaux d’humanité et de justice. Dans le domaine économique, ils nous ont exploités jusqu’à la moelle, ils ont réduit notre peuple à la plus noire misère et saccagé impitoyablement notre pays. Pour ces raisons, nous, membres du gouvernement provisoire, déclarons, au nom du peuple du Vietnam tout entier, nous affranchir complètement de tout rapport avec la France impérialiste. » Le vietminh prend le contrôle de la situation, et procède aux premiers assassinats, les troupes japonaises, encore présentes, restant passives. Bao Dai abdique, mais se rapproche du vietminh. Le 11 septembre, les troupes chinoises investissent le Tonkin, et une division de l'Armée des Indes britanniques pénètre fin septembre au sud, dans Saïgon, et autorise ensuite les Français du 5e régiment d'infanterie coloniale à y rentrer. Le vietminh réagit en ordonnant une grève générale ; des massacres d’européens ont lieu à Saigon. Les ennemis politiques non communistes ne sont pas épargnés. Le 28 février 1946, un accord est signé avec le gouvernement de Chang Kai Chek prévoyant le débarquement des troupes Françaises au Tonkin et le retrait des troupes Chinoises d’occupation. En échange, les Français renoncent à leurs concessions en Chine, et Haïphong est déclaré port franc. En mars 1946, la France entreprend donc de réoccuper ses colonies d’Indochine. Les généraux Leclerc et Valluy remontent la rivière d’Haiphong et entrent à Hanoï. Les troupes chinoises évacuent le Tonkin en septembre. Le général Leclerc et le préfet Sainteny trouvent un arrangement avec Ho Chi Minh, consistant en un Vietnam libre dans une association à la France. Ho Chi Minh souhaitait en fait un retrait rapide des chinois, ennemi séculaire, quitte à supporter les français quelques années. La réoccupation de la Cochinchine, du Cambodge et du Laos permet alors d’opposer au nord révolutionnaire un sud conservateur. Des provocations, auxquelles répondent le bombardement du port d’Haïphong par l’amiral d’Argenlieu, puis le coup de force du 19 décembre 1946 des milices de Giap contre les français de Hanoï et les différents postes du Tonkin concrétisent le début la guerre. La France fait appel à l’ex empereur Bao Dai, réfugié en Europe, et qui devient en 48 souverain du Vietnam, associé à la France dans l’union française (comme le Laos et le Cambodge). Après la prise du pouvoir de Mao en Chine, le 1 octobre 49, l’affaire change de sens : d’une part les armes arrivent en masse au vietminh mais d’autre part l’Asie devient une terre de « containment » que les américains ne veulent plus laisser libre de rejoindre le camp communiste, et alors que la Chine communiste arme le vietminh, les américains se mettent à aider matériellement les français, alors qu’eux-mêmes s’engagent militairement en Corée. Les lourdes défaites françaises de Cao Bang et de Langson (septembre et octobre 50) laissent la frontière sino-vietnamienne, évacuée, au vietminh. De Lattre crée une armée 232


nationale vietnamienne, occupe la région d’Hoa Binh, installe des points d’appui fortifiés et parvient à sécuriser Hanoï et à barrer la route du vietminh vers le delta du Tonkin. Mais ces petites garnisons dispersées sont des proies faciles, son successeur Salan doit évacuer Hoa Binh, trop exposé. Il constitue alors un môle défensif constitué par une base aéroterrestre à Na San, au nord ouest d’Hoa Binh destinée à briser l’offensive de Giap sur le pays Thai. Na San résiste aux attaques massives du vietminh, lui causant de lourdes pertes. Une autre base du même genre est créée à Seno (au centre Vietnam), avec le même succès. Le général Navarre cherche alors à barrer la route à une forte offensive vietminh sur le Laos, pour paraitre en position de force avant de négocier la fin de la guerre à Genève. Les parachutistes sont largués dans la cuvette de Dien Bien Phu et y constituent un pôle de résistance, capable de lancer des raids sur l’arrière de l’ennemi. Le général compte attirer sur ce camp retranché les forces vietminh pour les détruire, comme à Na San. Mais les services de renseignement ne décèlent pas l’acheminement d’une artillerie considérable, dont la DCA, et les moyens de l’aviation atteignent leurs limites. Le camp retranché capitule le 7 mai 1954 : il y a 3 000 morts, et 10 000 prisonniers qui sont acheminés vers des camps de rééducation particulièrement cruels1. Les accords de Genève menés par Pierre Mendès France reconnaissent alors l’indépendance du Vietnam du nord, du Laos, et du Cambodge, ainsi que le maintien d’un Sud-Vietnam non communiste (avec le premier ministre Ngo Dinh Diêm à Saigon, qui prend le pouvoir par un référendum truqué). La non tenue des élections prévues par les accords de Genève provoquera la reprise des troubles et l’entrée en guerre des américains. En Indochine, l’armée française n’a globalement pas réussi à s’adapter au fait que dans la guerre révolutionnaire, l’objectif ne consiste pas à occuper le terrain ( le piton dominant !), mais à contrôler les populations, et par populations il faut entendre les populations sur place, l’opinion en métropole et dans le reste du monde. Rentrant d’Indochine, le colonel Charles Lacheroy attire l’attention sur les caractères nouveaux de cette guerre. Nommé en 1958 directeur des services de l'information et de l'action psychologique à Alger, il tente d’expliquer comment en dépit d’une suprématie absolue en matière d’armement, l’armée française a été tenue en échec, et met au point une méthode de guerre anti subversive, mettant l’accent sur le contrôle des populations par des hiérarchies parallèles et l’élimination de celles de l’adversaire; cela passe par un quadrillage administratif de la population, une propagande politique, l’utilisation d’auxiliaires autochtones et la recherche de renseignements auprès des populations locales.2 Le cinquième bureau, présent à chaque niveau de l’organisation, se voit chargé de cette action psychologique visant à protéger le moral de l’armée et de la population. Madagascar L’intransigeance des colons à refuser d’appliquer l’abolition du travail forcé aboutit à l’insurrection des nationalistes malgaches du 29 mars 47, qui sera durement réprimée jusqu’en fin 48 (plus de 40 000 morts). La conférence de Bandung, en avril 55, voit les leaders asiatiques prendre la tête des pays nouvellement décolonisés. Ils soutiennent les efforts des africains qui à leur tour revendiquent leur indépendance. La conférence de Belgrade en 61, voit la création du mouvement des non-alignés. Mais le rêve de Nehru, Soekarno, Nasser et Tito d’une troisième voie s’évanouit dans la tricontinentale de la Havane en 66 qui marque un alignement sur les positions soviétiques. 1- voir le livre « prisonnier au camp 113 » racontant leur calvaire, contrôlé par un universitaire français : Georges Boudarel. 2- conférence à la Sorbonne : « guerre révolutionnaire et arme psychologique » et mémoires : « de Saint Cyr à l’action psychologique ». 233


Le Maroc et la Tunisie Après les accords de Genève, Mendès-France se rend à Carthage, et procède à une large amnistie. Les négociations se poursuivent et aboutissent le 20 mars 56 au traité d’indépendance de la Tunisie sous la présidence d’Habib Bourgiba. En décembre 52, une insurrection se déroule à Casablanca. Le sultan Mohamed V est déposé en août 53 et est exilé à Madagascar. Devenu un martyr, il revient triomphalement au Maroc en 55 pour négocier l’indépendance qui est reconnue le 2 mars 56. L’Algérie En Algérie un million d’européens sont installés, et y ont créé une riche agriculture, des équipements ferroviaires et portuaires, l’encadrement scolaire, l’élimination des maladies endémiques, …. Avant guerre, Messali Hadj et Fehrat Abbas militaient déjà pour l’autonomie. Le 8 mai 45, les émeutes de Sétif et Guelma, où des drapeaux algériens sont brandis et des européens tués, sont suivis d’une répression sanglante faisant plus de 10 000 morts. L’assemblée algérienne, créée en 47, donne des députés aux algériens mais, à trop bourrer les urnes pour avoir des élus épaulant docilement la minorité européenne, on précipite la classe moyenne dans l’action violente. Encouragés par les indépendances d’Indochine, quelques algériens, dont ben Bella, constituent le FLN 1 et lancent une série d’attentats à Toussaint 54, suivie en 55 d’une véritable insurrection. L’opération franco britannique sur Suez en novembre 56 est un succès militaire. Les anglais refusent la nationalisation du canal, les français veulent faire tomber Nasser qui soutient le FLN. Les réactions internationales, surtout des états unis, sont telles qu’il faut renoncer. Cela tourne à la catastrophe politique. Le 6 février 56 les français d’Algérie accueillent Guy Mollet à coups d’ « Algérie française – l’armée avec nous » et demandent le retour de Soustelle et le renvoi de Catroux, qui a négocié l’indépendance du Maroc. En 56, François Mitterrand, ministre de l’intérieur de Mendès France, envoie le contingent en Algérie. Le 30 septembre deux bombes éclatent dans des cafés d’Alger. C’est la « bataille d’Alger » qui commence. Une sévère répression est organisée à partir de janvier 57 par le général Massu. L’état de guerre n’est pas reconnu, les règlements, inadaptés à la guerre révolutionnaire, amènent les responsables à prendre d’énormes responsabilités : la torture est utilisée pour obtenir les informations menant vers les organisateurs des attentats. Massu explique : « Croit-on qu’on peut se payer le luxe d’attendre des semaines, ou seulement des jours, qu’un poseur de bombes donne l’adresse de la cache où sont entreposés les engins ? C’est dans la nuit même qu’il faut avoir le renseignement, sinon la cache sera vide ». Un barrage électrifié est mis en place sur les frontières marocaine et tunisienne pour empêcher l’arrivée de renforts et d’armement ; ils divisent les forces rebelles en forces de l’intérieur et forces de l’extérieur (au Maroc et en Tunisie). L’Afrique noire Alors que l’Algérie s’enfonce dans la violence, la loi-cadre de Deferre en 56 définit une autre méthode de décolonisation pour l’Afrique noire, qui permet à l’élite indigène de participer à l’administration et aux décisions par la généralisation du suffrage universel, l’extension des pouvoirs des assemblées territoriales, et l’africanisation de la fonction publique.

1- FLN : Front de Libération Nationale 234


L’essentiel de la décolonisation intervient en 1960, année de 17 indépendances. L’Afrique occidentale (Sénégal, Mauritanie, Soudan (Mali), haute-Volta (Bénin)) et équatoriale (Gabon, Congo (Congo-Brazaville), Oubangui-Chari (Centrafrique), Tchad), ainsi que Madagascar sortent de la communauté. Des liens privilégiés sont maintenus, notamment avec le franc CFA, monnaie commune garantie par la banque de France, et dans le domaine militaire. De Gaulle et la Vème république Le 13 mai 58, les français d’Alger s’emparent du gouvernement général au nom de l’Algérie française. Le général Massu prend la tête d’un Comité de Salut Public. Le 2 juin, de Gaulle reçoit les pleins pouvoirs pour proposer une nouvelle constitution qui sera adoptée par référendum. Il se rend en Algérie où il est accueilli avec enthousiasme car il semble appuyer une politique de maintien de l’Algérie dans la France : « Je vous ai compris ». A Mostaganem, devant la foule musulmane, il revient à sa promesse du 13 mai (« Tous Français, de Dunkerque à Tamanrasset ») et proclame qu’ « Il n'y a plus ici que des Français à part entière, des compatriotes, des concitoyens, des frères qui marchent désormais dans la vie en se tenant par la main » certes, le mot « intégration », tant attendu par l’armée, qui l’utilise comme clef de voute de ses actions psychologiques, n’est pas prononcé ; en tout cas, ce jour là, il conclu son discours d’un « Vive l’Algérie française » acclamé par tous. Par la constitution, une étape supplémentaire à l’indépendance est créée : « la communauté » avec une clause de sortie pour tout état qui en ferait la demande. Les électeurs de toutes les colonies choisissent la communauté, sauf la Guinée qui accède donc aussitôt à l’indépendance. Le 14 juillet 59 lors d’une nouvelle fête de la fédération, de Gaulle remet à chaque état son drapeau. Les services de renseignement du colonel Godard intoxiquent les responsables des wilayas 1, Amirouche en particulier, qui se convainc d’une infiltration d’agents français, et lance une énorme campagne d’épuration. Cette épuration de l’intérieur fut suivie d’un complot des colonels, à l’extérieur, et d’une seconde épuration. L’Algérie a voté massivement oui au référendum. Mais de Gaule, au lieu d’enfoncer le clou, infléchit sa politique et parle d’association de l’Algérie avec la métropole. Est alors lancé le plan de Constantine, plan d’industrialisation et d’équipement et le plan Challe, pour renforcer les positions militaires. Le plan Challe consiste à dynamiser les secteurs en rajeunissant leurs cadres, et, grâce à des réserves générales de boucler successivement de grandes régions et d’y lancer des commandos de chasse pour anéantir les rebelles ; ces commandos, installés systématiquement aux limites de secteur, là où sont les rebelles, doivent s’y attacher à une katiba 2 sans jamais la laisser souffler. Afin d’éviter, comme cela s’était passé en Indochine avec les groupes mobiles, que l’action psychologique en profondeur du secteur soit mise à mal par ces actions de force inopinées, ces commandos sont placés sous l’autorité des secteurs. Or le plan fonctionne : des chefs sont capturés ou tués, le moral des rebelles est au plus bas, à l’intérieur comme à l’extérieur ; des ralliements s’opèrent à la « paix des braves ». Pour réaliser la 1- Willaya : l’ALN (Armée de Libération Nationale branche armée du FLN) avait découpé l’Algérie en 6 secteurs ou willayas 2- La Katiba est une unité de l'ALN, équivalent d'une compagnie légère, qui peut atteindre cent hommes, ou la section, d'une trentaine d'hommes. L'action offensive exige de la Katiba qu'elle se déplace clandestinement, et rapidement, d'un point à un autre. L'unité de l'ALN pratique l'effet de surprise. Les marches se font, pour une bonne part, de nuit. 235


pacification, il faudrait alors envoyer plus de médecins, d’infirmières, ouvrir d’autres écoles, .... mais le plan d’industrialisation ne suit pas. De Gaulle ne croit pas à l’intégration, il l’a dit en confidences, et, annulant le oui au référendum, il parle maintenant d’autodétermination, convainc l’opinion publique métropolitaine, et prépare l’association, employé comme euphémisme pour indépendance. Mais alors, sans l’intégration, sans la « francisation », comme dit de Gaule, quel est le sens du combat que mène l’armée ? Pour l’action psychologique, rien n’est pire que cette incertitude relancée par l’issue de ce futur référendum, qui laisse possible l’abandon. Les attentats redoublent. La masse musulmane se réfugie dans l’attentisme. Le refus par les français d’Algérie de la perspective de l’indépendance crée une vraie guerre civile en Algérie : le rappel du général Massu est la goutte d’eau qui entraine la semaine des barricades en janvier 60, par laquelle Lagaillarde et Ortiz, discrètement soutenus par l’armée, tentent d’infléchir la politique du gouvernement. S’en suit des mutations tout azimut : les services de renseignement : Godart et Gardes, le général en chef : Challe , ... Bigeart, ... L’armée est désavouée, et s’estime bonne pour tous les sacrifices et sans défense contre les critiques et les injures. Le général de Gaulle parle de « république algérienne », suscitant une vague de démissions et des départs pour l’Espagne. Puis il fait approuver sa politique d’autodétermination par referendum en janvier 61, et engage les négociations avec le GPRA1. L’échec du putsch des généraux Salan, Challe, Jouhaud et Zeller en avril 61, est suivi par la formation de l’OAS, Organisation de l’Armée Secrète, effectuant en Algérie et en métropole des attentats contre les autorités françaises et contre le FLN. Les accords d’Evian en mars 62 prévoient l’organisation d’un référendum en Algérie, par lequel l’immense majorité se prononce pour l’indépendance, aussitôt accordée. Les pieds noirs n’ont plus d’autre choix que « la valise ou le cercueil » et manifestent leur désespoir. Le général Ailleret a pour mission de rétablir l’ordre. D’où la fusillade de la rue d’Isly le 26 mars : la troupe ouvre le feu. Les enregistrements sonores font résonner le pathétique « mon lieutenant, faites cessez le feu » d’un civil anonyme. Le Surcouf, détourné vers Alger, pour participer à la répression de Bab el Oued, n’ouvre pas le feu. Malgré les ordres, quelques harkis seront exfiltrés par l’armée, mais plus de 60 000 seront égorgés.

1- GPRA : Gouvernement Provisoire de la République Algérienne, basé au Caire, et présidé par Ferhat Abbas 236


La guerre d’Indochine Dans le cadre de la prise de la région d’Hoa Binh, décidée par le général de Lattre en partie pour protéger le delta du Tonkin, mais surtout pour provoquer le vietminh et le pousser à un combat desctructeur, Bernard de Boishéraud, mène son bataillon de tirailleurs marocains, le I/1° R.T.M.1, dans différentes opérations au Tonkin. Dans un rapport de 1949, un officier conclu que pour qu’une province soit reconnue comme pacifiée, il faut que l’autorité du gouvernement légal soit reconnue par la mise en place des institutions politiques normales, que l’épuration ait été conduite par la population, afin qu’il n’y ait plus de manifestation d’hostilité de la part des populations, enfin que les collectivités aient mis sur pied les formations d’autodéfense capables de protéger les points sensibles de la province2. On en restera loin en Indochine. Les garnisons des postes fixes, majoritairement situés sur les axes de communications, peuvent certes entreprendre des actions psychologiques longues, recueillir des renseignements, susciter des ralliements. Mais les unités régulières rebelles qui se dissimulent dans la région empêchent les postes de rayonner, et limitent bien souvent leur action à la portée de la protection de l’artillerie. Chaque matin il faut alors monter une opération pour ouvrir les routes servant à ravitailler ces postes, qui défendent ces routes. Des actions de force ciblées sont donc nécéssaires ; elles sont réalisées par les groupements mobiles pour boucler une région, encercler et détruire les unités ennemies prises dans la nasse. Prévenu au dernier moment, par souci de sécurité, le I/1 RTM, répondant aux ordres du Groupement Mobile n° 7 commandé par le général Dodelier, est emmené en camions ou en train, parfois en bateau, vers une base de départ pour des raids d’une journée à quelques jours, en vue d’effectuer des missions de sécurisation des voies de communication, de protection de batterie d’artillerie ou de bouclage d’une zone, suivie de la fouille des villages. Il s’agit de découvrir des rebelles en armes, des cadres politiques, des propagandistes, des guides, des dépots, des ateliers, des caches. Les supplétifs vietnamiens sont évidement sollicités pour ces recherches de souterains.

1- RTM : Régiment de Tirailleurs Marocains 2- Voir le rapport Ely « Les enseignements de la guerre d’Indochine ». Ce rapport, largement diffusé dans l’armée en 1955 est le résultat de l’analyse des notes, directives, mémentos et rapports d’opérations et des nombreuses analyses demandées pour l’occasion aux officiers ayant servi en Indochine. Il est publié aujourd’hui par le service historique de la défense ; le tome 2 est prévu pour 2012. 237


Pour ces missions, le groupement mobile met en œuvre plusieurs unités appuyées par l’artillerie et parfois par des blindés. L’aviation est employée pour l’observation et pour le bombardement, par mitraillage. La marine aussi intervient, pour des transports fluviaux. En novembre 51, il s’agit d’établir un des points d’appui fortifiés sur la Rivière Noire, un des affluents du fleuve rouge, et de l’occuper pour une durée indéterminée. Le point d’appui est constitué du PC au Rocher Notre-Dame et du poste de Tu Vu, sur l’autre rive du fleuve. La réaction vietminh est vive, l’attaque massive de Tu Vu est racontée dans le rapport du capitaine Le Levreur, inséré dans le journal de marche du bataillon. Les récits des 1° B.P.C. 1, I/4 et III/4 R.T.M., envoyés de Hanoï pour dégager le rocher Notre-Dame, sont placés à la suite du journal de marche du I/1 RTM. Le 7 janvier, sur la Route Coloniale 6, au sud du Rocher, un autre poste, Xom Pheo, est violement attaqué. Après l’évacuation du Rocher, le 8 janvier, le I/1° RTM est employé, avec d’autres unités, pour reprendre et sécuriser les abords de la RC 6, à partir de Xuan Maï jusqu’à Hoa Binh. Mais il faut 20 jours de combats pour la rouvrir, et quoique les pertes vietminh soient estimées à 3500 tués, plus de 7000 blessés et 307 prisonniers, cela a désorganisé les trois divisions engagées autour d’Hoa Binh, et les infiltrations des DD 316 et 320 2 continuent. La sagesse ordonne donc l’évacuation d’Hoa Binh, avec le moins de pertes possibles, l’armée vietnamienne n’étant encore qu’à l’état d’embryon. Le I/1 RTM aide à protéger l’évacuation de plusieurs postes, puis est employé durant un mois à silloner le delta. Pour l’ambiance voir le livre « Le 4° RTM 3 – les bataillons de marche en Indochine » du général Pierre Daillier ainsi que le film de Pierre Schoendoerffer « la 317ème section », et pour les réflexions tactiques et stratégiques, le rapport du général Ely : « Les enseignements de la guerre d’Indochine ».

1- BPC : Bataillon de Parachutistes Coloniaux 2- DD : Dai Dôi (Division Vietminh) 3- Le I/4 RTM est parti d’Oran dans le même bâteau que le I/1 RTM : l’Argentina, et avec le III/4 RTM il rejoindra le I/1 RTM sur la Rivière Noire. 238


Les 5 provinces : le Tonkin, l’Annam et la Cochinchine, qui deviendront plus tard le Vietnam et les protectorats du Laos et du Cambodge

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Les bases successives du I/1° RTM : Dong Anh, Luong Kiet, Vi Thanh, Van Dinh, le Rocher Notre-Dame, La Coï.

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241


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1er bataillon du 1er RĂŠgiment de Tirailleurs Marocains

Extrait du journal des marches et opĂŠrations

PĂŠriode du 1er novembre 1950 au 14 octobre 1954

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Historique du 1er bataillon du 1er Régiment de Tirailleurs Marocains du 1er novembre 1950 au 14 novembre 1954

La mise sur pied du 1er bataillon du 1er Régiment de Tirailleurs Marocains, en tant qu'unité formant corps, est décidée le 18 octobre 1950 par le général Duval commandant supérieur des troupes du Maroc, qui signe à cette date la note de service n° 2520/EM.TM/4/I :

"Le 1er bataillon du I° RTM, désigné comme unité de renfort pour l'Extrême-Orient, sera créé administrativement, et passera à la charge du budget des départements de la France d'outre-mer, à compter du jour de son embarquement pour l'Indochine. A cette date, le "Corps de Troupe" ainsi créé ouvrira la comptabilité du temps de guerre, telle qu'elle est décrite à l'instruction ministérielle n° 025-10/5 du 5-4-39. (Vol. 8 du BOEM) Signé : Duval"

Le 1er bataillon du I° RTM, habituellement stationné à Meknes, est regroupé le 1er novembre 1950 au camp de el Hadjeb, où il achèvera sa mise sur pied. Il est placé sous le commandement du chef de bataillon Faig, venant du 3ème bureau de l'état-major des troupes du Maroc. La quasi-totalité des cadres et de la troupe du bataillon d'origine a demandé à suivre le sort du bataillon. Celui-ci doit cependant être sérieusement renforcé en cadres français et musulmans et surtout en hommes de troupe français. L'instruction du bataillon est conduite au camp de el Hadjeb, sous la direction du colonel Raberin de la Légion Étrangère, avec la participation d'officiers revenus d'Indochine. Le bataillon est inspecté en tenue de départ le 22 novembre 1950 par le général Leblanc, commandant la division de Meknes. Le général Duval, commandant supérieur des troupes du Maroc, passe à son tour l'inspection du bataillon le 24 novembre 1950. Le détachement précurseur du I/1° RTM est mis en route sur Oran au cours de la nuit du 26 au 27 novembre. Après avoir fait mouvement sur Oran, le I/1° RTM embarque le 1er décembre, avec le III/4° RTM, sur l'Argentina, paquebot italien affrété par la France, pour acheminer les renforts sur l'Indochine. Les chefs de bataillons Faig et Decomps, commandant les I/1° RTM et III/4° RTM, sont partis directement par avion sur Saigon. Le procès-verbal de création du I/1° RTM est rapporté le 1er décembre 1950 à Oran par l'intendant militaire de l'Intendance des corps de troupe.

245


10ème Région Militaire division d'Oran Intendance militaire des corps de troupe n° 124 au répertoire des P.V. L'an 1950, le 1er décembre, Nous Alvernhe, Intendant Militaire de 2ème Classe, chef de service de l'Intendance des corps de troupe d'Oran, en accord avec le colonel Remy, 1er adjoint au général commandant la division d'Oran Vu - la circulaire ministérielle n° 029/19/INT du 20-6-50 - la N.d.S. n° 2520/EM.TM/4/1 du 18-10-50 avons procédé, à la date du 1er décembre 1950, à la création du 1er bataillon du I° RTM.

A-

EFFECTIFS I-

OFFICIERS NOMS

GRADES Faig Hervé Chef de Btn. Couailler Henri capitaine BALLADUR Edmond capitaine MAGERAND Med. lieutenant Chatelain Maurice lieutenant Romet Henri lieutenant ABDELAY ben el Man sour lieutenant Goury Pol lieutenant Levrat Gabriel capitaine BLOT Roger lieutenant DIBAR Jacques S/lieutenant le Levreur Bernard capitaine Poynard Marcel lieutenant DURANT Norbert S/lieutenant Granger Robert capitaine Vaster Georges lieutenant Macaux Jean Baptiste lieutenant Denis Constant capitaine Chartreux Pierre lieutenant Charreyras Alfred lieutenant ALI ben Med El Hadj S/lieutenant Derkaoui

246

AFFECTATION CCABI id id id id id id id 1ère compagnie id id 2ème compagnie id id 3ème compagnie id id 4ème compagnie id id id


II -

MILITAIRES NON OFFICIERS A SOLDE MENSUELLE

GRADES

NOMBRE S

AFFECTATIONS 1° Cie

M

F

Aspirant adj. Chef Adjudant Sgt. Major Sgr. Chef Sergent

F 5 8 6 11 34 31

Total

95

2° Cie

M

F

3 41 17

1 1 3 4 5

61

14

3° Cie

M

F

1 9 7

1 2 2 4 4

1 9 3

1 1 2 4 5

17

13

13

13

4° CAB F M

M

Cie

10 3

1 1 1 6 6

1 9 3

F 5 4 1 3 16 11

M

13

15

13

40

5

13 29 89 131

8 4 14 26

9 24 61 94

4 1

III - MILITAIRES A SOLDE SPECIALE PROGRESSIVE Caporaux 1ère Classe 2ème Classe Total

14 5 19 38

63 118 450 631

3 0 1 4

14 13 106 133

Soit au total Officiers Militaires non officiers à solde mensuelle Militaires à solde spéciale progressive Total B.

2 1 2 5

14 21 103 138

1 0 0 1

: : : :

13 31 91 135

21 156 669 846

0 0 2 2

1

ADMINISTRATION

Le 1er bataillon du I° RTM est une unité formant corps à administration distincte.

1- Soit 152 français et 694 marocains Le bataillon est organisé en 4 compagnies (170 hommes) et une compagnie d’appui de bataillon (CAB), laquelle regroupe le PC, les transmissions, 4 mortiers de 81, 4 canons de 57 sans recul, l’infirmerie. Les services administratifs font partie de la CAB, mais restent dans une base arrière ; on verra les liaisons fréquentes faites par le lieutenant gérant les effectifs et la solde Chaque compagnie est divisée en 3 sections (60 hommes) puis en 4 (40 hommes) dont une section SME (mitrailleuses et mortiers de 60) Arrivé au Vietnam, s’y ajoutera deux compagnies de supplétifs vietnamiens, et des Prisonniers Internés Militaires (PIM) au nombre d’environ 20 par compagnie, employés comme main d’œuvre (coolies). 247


Le bataillon s’installe à Tien Yen 1, aux ordres du commandant Faig. Le 3 décembre 1950, à 07h30, l'Argentina appareille à destination d'Haiphong. Le 29 décembre, le I/1° RTM 2 débarque à Haiphong et bivouaque sur le stade de la cimenterie. Le 30 décembre, le I/1° RTM embarque sur le LST 1104 3 à destination de HA COI, laissant sa base arrière à Haiphong. Le 31 décembre, à la suite d'un contre-ordre, le LST 1104 se dirige vers Tien Yen où le I/1° RTM débarque à 14h30 (à l'exception des bagages qui débarquent à Pointe Pagode). Le I/1° RTM forme immédiatement avec le I/6° RTM du capitaine Girard, un groupement temporaire aux ordres du chef de bataillon Thomas de la Légion étrangère et chargé de dégager le poste de Dong Ngu. A 17h00, le I/1° RTM reçoit pour mission de s'installer pour la nuit autour du village de Dong Ngu et de se tenir prêt à faire mouvement le lendemain matin à partir de 07h00 en direction de Tien Yen. La nuit du 31 décembre au 1er janvier a été calme. A 07h00, le bataillon repart pour Tien Yen par la RC 4 4. Il y relève le I/23° RIC 5 et reçoit pour mission d'assurer la défense des lisières nord et est de la ville. Après quatre mois d'opérations dans la zone de Tien Yen puis de Dong Trieu, le I/1° RTM fait mouvement le 16 mai 1951 sur le secteur de Phuc Yen au nord d'Hanoï. Installation du bataillon à Dong Anh Passant aux ordres du GM 7 6, dont le PC est à Huong Canh, il relève le I/3° RTM et s'installe à Dong Anh (15 kms au nord de Hanoï sur la route de Phuc Yen) et à Noi Phat (7 kms au N.O. de Phuc Yen). Du I/3° RTM, il hérite les 261ème et 262ème Compagnies Légères de Supplétifs Militaires (CLSM7), dont il doit assurer l'encadrement par prélèvement sur sa propre substance. La 261ème CLSM est répartie entre les quatre compagnies de voltigeurs, à raison d'une section par compagnie. La 262ème CLSM est maintenue groupée. Pendant près de trois mois, le bataillon participe aux opérations dans le secteur de Phuc Yen assez calme à l'époque. Cela lui permet de se roder en douceur. Le 27 juin 1951 à 9h30, au point d'appui de Noi Phat et en présence du lieutenant colonel Bernachot, commandant le GM 7, le chef de bataillon Faig passe le commandement du 1° RTM au capitaine Couailler, son adjudant major. Il est affecté, à compter du 1er juillet 1951, à Hai Duong à l'Etat-Major de la 2ème DMT 8, en qualité de chef du 3ème Bureau. Le capitaine Couailler assurera le commandement par intérim du I/1° RTM jusqu'au 11 août 1951. Les fonctions d'adjudant major sont assumées par le capitaine Levrat, qui a laissé au lieutenant Romet le commandement de la 1ère compagnie.

1- Tien Yen, à l’est du Tonkin 2- RTM : Régiment de Tirailleurs Marocains 3- LST Landing Ship Tank, navire de débarquement 4- RC : Route Coloniale 5- RIC : Régiment d'Infanterie Coloniale 6- GM 7 : Groupe Mobile dont dépend le bataillon « formant corps » ; le régiment père, le 1° RTM, est resté au Maroc. 7- CLSM : Compagnie Légère de Supplétifs Militaires. 8- DMT : Division de Marche du Tonkin 248


EFFECTIFS DU I/1° RTM A LA DATE DU 1er JUILLET 1951 Désignation OFFICIERS capitaines lieutenants S/lieutenants Total S/OFFICIERS Adjts. Chefs Adjudants Sergent Major Sgts Chefs Sergents Total TROUPES Caporaux/Che. Caporaux 1ère Cl. 2ème Cl. Total

Opérationnels F M 6 8 1 15

1 1 2

2 5

Base arrière F M

Absents F M

Total général F M

1

6 9 1 16

1 1 2

1 1 2

4 10 5 15 43 77

6 36 42

1 2 14 19 36 38

19 18 17 11 65 158

35 70 172 350 627 671

1

14 34 55

5 35 40

2 5 5 1 7 20

12 14 14 8 48 118

34 67 154 305 560 602

5 3 2 3 13 34

2 2 2 1 1 4 6

1 4 26 31 31

Total général 720

72

37

249

829


Extraits du journal des marches et opérations du I/1° RTM - Période du 10 août 1951 au 25 mars 1952 10-8-51 Le I/1° RTM est avisé officiellement que le chef de bataillon Bernard Mosnay Goguet de Boishéraud est affecté au commandement du bataillon à compter du 2 août 1951. 11-8-51 Au cours d'une prise d'armes qui se déroule à Dong Anh à partir de 10h15, le lnt. colonel Bernachot commandant le GM 7 préside à la prise de commandement du I/1° RTM par le chef de bataillon Mosnay Goguet de Boishéraud, en remplacement du capitaine Couailler appelé à d'autres fonctions (qui avait lui-même succédé au chef de bataillon Faig Henri le 1er juillet 1951). Patrouilles et embuscades : RAS.

250


[ Cette cérémonie était l'aboutissement d'un mois de curieuses tractations. Lorsque le commandant Faig, qui commandait le bataillon depuis son départ du Maroc, le quitta, le 26 juin 1951, pour rejoindre sa nouvelle affectation au 3ème bureau de la 2ème DMT à Haidhuong, il laissait derrière lui non seulement un excellent souvenir mais aussi un adjudant major, le capitaine Couailler. Celui-ci, ancien du régiment espérait bien succéder à Faig à la tête du bataillon, et cela avec l'assentiment des officiers. Tel n'était pas le projet du commandement. En juillet, un premier chef de bataillon fut désigné pour succéder au commandant Faig : le commandant Larroumets, arrivant des affaires indigènes du Maroc, paraissait tout indiqué pour diriger un bataillon de marocains. Mais les affaires indigènes, si elles s'accompagnent en général d'un certain confort, ne favorisent pas les carrières rapides ; le commandant Larroumets n'était plus très jeune et cela se voyait ; en outre fraîchement débarqué, il n'était pas familiarisé avec les conditions de vie d'un bataillon mobile dans le delta Tonkinois. Lors d'un premier contact avec les officiers du bataillon, et comme il était question de sa participation à une prochaine opération, il eut le malheur de demander s'il pourrait se faire suivre d'une jeep et de ses bagages. L'effet fut déplorable : la caïdat des commandants de compagnie fit savoir à qui de droit qu'elle ne pouvait accepter un chef inapte à arpenter la rizière à pied comme tout le monde ; elle eût gain de cause. Le pauvre commandant Larroumets fut affecté quelques temps plus tard à un poste soi-disant plus sédentaire, le secteur de Ninh Giang, où il fit la preuve qu'il était parfaitement capable de faire face à des situations délicates, même avec des moyens ne valant pas un bon bataillon marocain. Quelques semaines plus tard, au début d'août, le bruit courut que le général de Lattre venait de désigner un nouveau commandant du bataillon, et que celui-ci, arrivant d'Algérie, connaissait bien le lieutenant-colonel Bernachot commandant le GM.7 et avait longtemps appartenu à l'Etat-major du général de Linares commandant les FTNV 1. Il devait venir, le 7 août à Huong Canh se présenter au P.C. du GM.7 où il serait retenu à déjeuner. Dans la matinée, sous un prétexte quelconque, une délégation des officiers du bataillon se rendit à Huong Canh pour essayer de voir, à travers les portes et les fenêtres entrebâillées, quelle allure avait le nouveau prétendant. Il faut croire que cette première impression, quoique bien fugitive, ne fut pas trop mauvaise puisqu'aucune démarche ne fut entreprise pour faire annuler la prise de commandement du 11 août.] 2

1- FTNV : Forces Terrestres du Nord-Vietnam 2- Ce commentaire est de Bernard de Boishéraud, qui à partir de cette époque prend en charge la tenue du journal de marche du bataillon. Les textes des ordres d’opérations ont été ajoutés au journal, ainsi que, entre crochets, quelques détails extraits d’un rapport du 23 décembre 52 du chef de bataillon. Les sous titres ont également été ajoutés au journal de marche. 251


12-8-51 Le nouveau chef de bataillon visite au cours de la matinée les cantonnements des 2ème et 4ème compagnies et au cours de l'après-midi ceux de la CAB.I 1 et de la 262ème CLSM. Il se fait présenter les sous-officiers de ces compagnies. Patrouilles et embuscades : RAS. 13-8-51 Au cours de la matinée, le chef de bataillon visite les cantonnements des 1ère et 3ème compagnies, où il se fait présenter les sous-officiers. Il inspecte ensuite le BMC 2. Patrouilles et embuscades : RAS. 14-8-51 Exercice d’appui aérien Un exercice d'appui aérien se déroule dans la région de U (20 kms environ au nord de Dong Anh), avec la participation d'un détachement de la CAB et des 1ère et 2ème compagnies. Un bombardier B 26 est chargé de simuler l'appui aérien. L'exercice a pour but de familiariser les unités du bataillon avec le maniement des panneaux de jalonnements et d'identification. Patrouilles et embuscades : RAS. 15-8-51

Patrouilles et embuscades : RAS.

16-8-51 Opération d’installation du poste de Dong Xuyen Le secteur de Bac Ninh (27 kms N.E. de Hanoï) monte une opération au nord de la ligne Bac Ninh-Phu Man (11 kms ouest de Bac Ninh) dans la vallée du Song Cau en vue d'implanter un nouveau poste à Dong Xuyen (10 kms N.O. de Bac Ninh en rive sud du Song Cau). Un convoi fluvial empruntant le Song Cau doit acheminer sur Dong Xuyen un premier approvisionnement. Le I/1° RTM, partant de Dong Anh, à pied dans la nuit du 15 au 16 a pour mission de : 1- tenir la région des villages de Ngo Dong (2 kms nord du poste de Yen Phu), 2- nettoyer le village de Duyen Loc et la région du confluent du Song Ca Lo et du Song Cau, 3- prendre liaison à hauteur de Doai Thon (Phuong La) avec le I/1° RTA 3 venant de l’est, 4- prendre à partie tout élément adverse au nord du Song Cau. Au cours de cette opération, le tirailleur Moha Ou Smain (Matricule 242) de la 1ère Cie est blessé par un buffle. A partir de ce jour les tirailleurs du bataillon seront plus intimidés par les buffles que par les Viet Minh Un suspect est arrêté à Phuong La, un autre s'échappe à la nage à travers les tirs mal ajustés des fusils mitrailleurs ... Le bataillon rentre à la nuit à Dong Ahn. Patrouilles et embuscades : RAS.

1- CABI : Compagnie d’Appui d’un Bataillon d’Infanterie 2- BMC : Bordel Militaire de Campagne 3- RTA : Régiment de Tirailleur Algériens 252


Les buffles 17-8-51

Patrouilles et embuscades : RAS.

18-8-51 Le bataillon reçoit à 9h30 la visite d'un officier britannique. Celui-ci est accueilli au PC, où le capitaine Levrat lui fait un exposé sur les origines, la constitution et les particularités du bataillon, ainsi que sur ce que l'on peut attendre des troupes nord-africaines en Indochine. Un officier de la 2ème Cie explique ensuite comment sont préparées les patrouilles, coups de main et embuscades. Après une visite de la 262ème Cie de supplétifs, l'officier britannique est invité à déjeuner à la popote du bataillon. Au cours de l'après-midi, le commandant du bataillon lui fait visiter le village armé du Duc Noi (3 kms S.E. de Dong Ahn) où il est reçu par l'assemblée des notables. Patrouilles et embuscades : RAS. 19-8-51 Les officiers proposables pour l'avancement au titre de l'année 1952 sont présentés à Phuc Yen au général Baillif commandant la 1ère DMT à Hanoï. (Capitaine Couailler, lieutenant Chartreux, Chatelain, Romet, Macaux, Vaster, S/lieutenant Derkaoui). Contrairement à la coutume, ces officiers ne sont pas présentés par le chef de corps, en raison des instructions du général. Impression désagréable. Patrouilles et embuscades : RAS. 20-8-51 Adieux au capitaine Couailler A 11h30, les officiers et sous-officiers du bataillon reçoivent le capitaine Couailler avant son départ du bataillon, avec lequel il est arrivé du Maroc et dont il avait espéré prendre le commandement après la mutation du commandant Faig. A 15h00, les honneurs sont rendus au capitaine Couailler par un détachement aux ordres du capitaine Levrat et comprenant le fanion du bataillon et une section par compagnie avec les fanions des compagnies. Tous les officiers et sous-officiers disponibles sont présents pour faire leurs adieux à leur ancien chef de corps. Patrouilles et embuscades : RAS. 21-8-51 Le sergent Pidron de la 4ème compagnie est affecté à la CAB, à compter du 1-9-51 en qualité de sergent infirmier. Patrouilles et embuscades : RAS. 253


22-8-51 Visite du général de Linares A 16h00, le général de Linares, commandant les FTNV, de passage dans le secteur, rend visite au bataillon où il réunit les officiers et sous-officiers pour leur dire quelques mots aimables. Le capitaine Granger (Cdt la 3ème Cie) et le lieutenant Chartreux (officier de renseignement) participent à un exercice d'appui aérien organisé au profit du 4° BVN 1 (3ème Bton du GM 7). Patrouilles et embuscades : RAS. 23-8-51 Nouvel exercice d’appui aérien Le capitaine Granger et le lieutenant Chartreux participent de nouveau à un exercice d'appui aérien de démonstration en présence d'un officier britannique. Le lieutenant Charreyras et son équipe de canon de 57 sans recul exécutent des tirs de démonstration devant le 4° BVN. Au cours de la nuit du 23 au 24 la 1ère compagnie met en place un réseau d'embuscades à l'ouest de My Noi (4 kms ouest de Dong Anh) sans résultat. 24-8-51

Patrouilles et embuscades : RAS.

25-8-51 Fouille de villages Au cours de la nuit du 24 au 25, le bataillon quitte Dong Anh pour fouiller les villages de Quan Do-Quan Dinh et Phy Xa Thon (8 kms est de Dong Anh). Un chef de groupe VM 2 et un agent de l'UBKCH 3 sont arrêtés ainsi que 7 suspects. Un fuyard est tué. 2 pistolets sont récupérés. Le bataillon rentre à Dong Anh vers 19h00 26-8-51

Patrouilles et embuscades : RAS.

27-8-51 Opération dans la vallée de Thanh Lanh Le bataillon quitte Dong Anh, en camions, à 14h30 pour effectuer une opération dans la région nord de Phuc Yen dans le cadre du GM 7. Débarqué en fin d'après-midi au bac de Kha Gio (3 kms nord de Phuc Yen), il fait mouvement vers le PA de la cote 124 où il arrive de nuit et bivouaque vers 23 heures au nord du poste.

1- BVN : Bataillon Vietnamien 2- VM : Viet Minh 3- UBKCH : Uy Ban Khang Chien, comité de résistance, subordonné au comité du peuple UBND (uy Ban Nhan Dan) 254


28-8-51 Le bataillon débouche de nuit vers 5h du matin, traverse le pont de singe de Dai Lai et remonte vers le nord dans la vallée Thanh Lanh jusque dans la région de Ngoc Boi (17 kms nord de Phuc Yen). Les rizières sont inondées et rendent la marche pénible ; aucune liaison n'est possible avec les unités encadrantes. La liaison radio avec le GM 7 fonctionne mal. La vallée de Thanh Lanh, qui dut être un paradis, est devenu un véritable coupe-gorge. Heureusement les Viet minh ne se manifestent pas. Seuls trois suspects sont arrêtés et quelques autres sont aperçus vers le nord hors de portée. Après une halte à proximité d'une ancienne concession, dont les ruines témoignent de l'ancienne splendeur, et un bain rafraîchissant dans une eau magnifique, le bataillon reprend sa route vers le sud. Vers 17h00, il est de retour au pont de singe de Dai Lai. Le passage du bac de Kha Gio est terminé à 21h00 et le bataillon est rentré à Dong Anh à 23h00. Citation du lieutenant Poynard à l'ordre de la division. 29-8-51

Patrouilles et embuscades : RAS.

30-8-51 Protection d’une batterie d’artillerie et du PC du GM 7 ème La 4 compagnie est détachée à Song Kieu (8 kms O.S.O. de Vinh-Yen) et 36 kms du bataillon) pour assurer la sécurité rapprochée d'une batterie d'artillerie. La section du sergent-chef Toulouse détachée à Huong Canh pour la garde du PC du GM 7, rejoint la 3ème compagnie à Dong Anh. 31-8-51 Une prise d'arme se déroule à Phuc Yen à l'occasion du départ du général Baillif, commandant la 1° DMT. Un détachement du bataillon, aux ordres du capitaine Granger, et comprenant le fanion du bataillon et sa garde ainsi qu'une section par compagnie, participe à cette cérémonie. Patrouilles et embuscades : RAS. 1-9-51 A 18h00 le colonel Venin prévient par téléphone que le bataillon sera enlevé le lendemain à partir de 6h00 pour faire mouvement sur Nam Dinh en passant par Hanoï. La 4ème compagnie détachée à Son Kieu, depuis 48 heures, sera prévenue directement par le GM 7. A 20h00, une rame de 40 camions du train arrive à Dong Ahn. Une rame de 8 camions est poussée sur Son Kieu (par Huong Canh) à la disposition de la 4ème compagnie. 255


2-9-51 Mouvement vers Nam Dinh dans le delta Le I/1° RTM quitte Dong Anh à 06h00 (moins la 4ème compagnie). Il laisse à Dong Anh, aux ordres du lieutenant Vaster, un petit détachement chargé d'assurer la garde des sacs marins des hommes, des bagages des officiers et sous-officiers, des cuisines des compagnies et des impédimenta divers, y compris le BMC qui sera renvoyé le lendemain sur Hanoï. La 4ème compagnie qui fait mouvement isolément déposera ses bagages au passage à la base arrière de Gialam 1. A 09h00, la tête du bataillon passe à la gare régulatrice de Bac Mai, à la sortie sud de Hanoï. Vers 11h00, le chef de bataillon et le lieutenant Chartreux (O.R. 2 ) partent en précurseurs pour rejoindre le PC de la zone sud à Nam Dinh. Ils y apprennent que l'opération projetée sera dirigée par le colonel Charton (le frère du colonel fait prisonnier sur la RC 4) commandant le GM 4, dont le PC arrière est à Thai Binh et le PC opérationnel à La Cao. Un briefing est prévu dans l'après-midi, mais on ne sait pas très bien où. Après avoir perçu quelques cartes et glané quelques renseignements, le chef de bataillon et l'OR se dirigent sur Thai Binh par le bac de Tan De (point de passage obligé des convois sur le Fleuve Rouge). En passant à Tan De, ils apprennent par le régulateur que le briefing aura lieu à 15 heures, probablement à La Cao et que le I/1° RTM sera dirigé automatiquement sur Doai Thon d'où il rejoindra à pied le village de Nam Lau (un guide attendra le bataillon à Doai Thon). Le chef de bataillon arrive à Thai Binh à 12h30, pour apprendre que le briefing aura lieu à Xuan Coc, et que pour s'y rendre il faut passer par La Cao et Traly ... A Doai Thon, où le chef de bataillon arrive à 14h30, le chef de poste ignore qu'il doit fournir un guide pour conduire dans la soirée un bataillon à Nam Lau. Le chef de bataillon arrive enfin à 15h00 au PC opérationnel de La Cao : tous les officiers sont partis au briefing, et il n'est pas question de les rejoindre car au-delà de Traly il n'y a plus de moyens de transport disponibles. En outre d'après un télégramme que lui montre l'officier de transmissions du GM 4, le chef de bataillon du I/1° RTM apprend que le bataillon doit rejoindre Nam Huam et non pas Nam Lau comme il le croyait. Il profite de son passage au PC de La Cao pour prendre connaissance du projet d'ordre d'opération. Pendant ce temps, le I/1° RTM (moins la 4ème Cie) a présenté sa tête à 14h00 à Tan De et commencé à passer le bac. Le transport de Tan De à Doai Thon est assuré par une navette de 5 camions, il faudra donc huit rotations, y compris la 4ème compagnie si elle rejoint à temps. La 3ème compagnie arrivée la première à 18h00 à Doai Thon, est poussée immédiatement sur Nam Huam. La CAB et la 1ère compagnie, arrivées en pleine nuit à Dai Thon, ne rejoindront Nam Huam que dans la matinée du lendemain. La 2ème compagnie et la 262° CLSM ont été bloquées à Tan De, où elles passeront la nuit ; elles ne rejoindront Doai Thon puis Nam Huam que dans la matinée du 3. Aucune nouvelle de la 4ème compagnie. Ainsi le 2 septembre au soir, le bataillon est éclaté en quatre parties échelonnées quelque part entre Hanoï et Doai Thon ; l'une d'elles est même perdue de vue. 3-9-51 A 08h00, le chef de bataillon se rend à La Cao pour se présenter au colonel Charton commandant le GM 7 qui lui indique les conditions dans lesquelles il envisage le déroulement de l'opération. Celle-ci doit démarrer au cours de la nuit du 3 au 4 septembre. Le I/1° RTM passera le Song Traly à hauteur de Lien Khe (nord) le 4 à partir de 05h00, il disposera de 2 LCM 3 de la marine. 1- Aérodrome au nord-est d’Hanoï 2- OR : Officier de Renseignement 3- LCM : Landing Craft Mechanized, chaland de débarquement pour 80 hommes. 256


Le 3 au soir, le PC du bataillon n'a plus de nouvelles de la 4ème compagnie, qui a quitté Song Kieu le 2 à 06h00 ; elle a pourtant été signalée à son passage à Gialam à 14h30 et au bac de Tan De le 3 septembre à 12h00. Au cours de l'après-midi, un typhon provoque des dégâts considérables, en particulier sur les voies de communication et aux petits bâtiments de la marine : certains LCM seront projetés sur la digue du Traly, ils ne seront pas disponibles pour faire passer les unités. Aussi, à 18h00, le commandement est contraint de repousser l'opération de 24 heures. Dans la journée, le chef de bataillon prend liaison avec les commandants du 1° Tabor 1et du III/4° RTM, qui doivent encadrer le I/1° RTM au nord et au sud. Il voit également, à Xuan Coc le commandant des moyens marine chargé d'assurer le franchissement du Traly. Il est entendu avec le III/4° RTM que le I/1° RTM passerait à Xuan Coc entre 3 et 4h00 du matin de façon à dégager entièrement l'itinéraire pour 4h00 du matin au profit du III/4° RTM, pour ne pas risquer de mélanges d'unités.

Nam Dinh 4-9-51 On apprend enfin que la 4ème compagnie, dont on était sans nouvelles, a été bloquée la veille par le typhon au bac de Tan De ; elle rejoindra Nam Huam en fin de soirée. Dans la journée, il faut faire dégager la piste que le bataillon doit emprunter la nuit suivante, et qui est obstruée par des arbres abattus et des débris de toitures (piste Nam Huam-Xuan Coc. Un officier de liaison est détaché auprès du III/4° RTM. Dans la soirée du 4, une sentinelle de la 3ème compagnie, blessée par une balle tirée d'un village voisin ? est évacuée sur le poste de Doai Thon. Plus tard, un caporal et un supplétif de la 1ère compagnie sont blessés accidentellement par balle et devront être brancardés au cours de la nuit tout au long de la marche du bataillon jusqu'à Xuan Coc. 1- Tabor : supplétif marocains, équivalent du bataillon, composé de 4 goums. Un millier d’hommes. 257


Le delta 258


5-9-51 3 jours de fouille de villages à l’est du Song Traly A 01h00, le bataillon quitte Nam Huam pour rejoindre la plage d'embarquement prévue dans la région nord de Thuong Gia. Arrivant à Xuan Coc, la tête du bataillon se heurte à la colonne du III/4° RTM qui a commencé à franchir le Traly. D'une liaison prise avec le commandant du III/4° RTM et le commandant des moyens marine il résulte que l'horaire des franchissements a été modifié sans que le I/1° RTM en ait été prévenu : il aurait dû franchir le Song Traly à partir de 01h00 du matin. De plus en raison des avaries subies par les bâtiments de la marine pendant le typhon, le I/1° RTM ne disposera que de 6 LCVP 1pour effectuer la traversée. Il en résultera un retard considérable. Le bataillon est obligé d'attendre jusqu'à 04h00 pour que Xuan Coc soit dégagé par le III/4° RTM, puis rejoindre la plage d'embarquement par une digue en très mauvais état, où l'on risque à tous moments de glisser dans l'eau et où la tête du bataillon sera arrêtée pendant cinq bonnes minutes par un buffle, la bête noire des Marocains depuis l'accident du 16 août. Entre temps, les LCVP, qui attendaient le bataillon à Thuong Gia depuis 01h00 sont redescendus à Xuan Coc et ne reviendront à la plage d'embarquement qu'à 05h45. Le franchissement commence donc à 06h00, avec cinq heures de retard ; le bataillon ne sera complètement déployé en rive est que vers 09h00. Après le nettoyage de Xuan Pho, où quelques suspects sont arrêtés dans la rizière, la 4ème compagnie est envoyée face à Dong Kinh nord pour le fixer pendant que la 2ème compagnie débordera le village par le nord. Les mouvements doivent s'effectuer à travers des rizières inondées et en traversant plusieurs arroyos, ce qui ralentit considérablement la progression. Les deux compagnies ne seront en place que vers 12h30. Pendant ce temps la 1ère compagnie se met en place face aux lisières sud-ouest de Dong Kinh sud et assure la liaison avec le III/4° RTM. La 3ème compagnie est maintenue en réserve dans la région de Phuc Khe et la 262ème CLSM fouille les rizières et arrête quelques suspects. Si le bataillon prend tant de précautions pour aborder Dong Kinh, c'est que le village lui a été signalé comme un repaire VM particulièrement retranché ; il est possible que les VM s'y défendent farouchement. Le village est entouré d'une douve large et profonde. Appuyée par la 4ème compagnie, la 2ème compagnie y pénètre au début de l'après-midi sans rencontrer de résistance. Les 1ère et 4ème compagnies pénètrent à leur tour dans Dong Kinh sud que la 3ème compagnie déborde par le sud pour prendre à son compte la liaison avec le III/4° RTM. Vers 16h00, le I/1° RTM reçoit l'ordre de traverser le canal qui passe à l’est de Dong Kinh et de pousser jusqu'à B2 à 2 kms de là. La 2ème compagnie est poussée immédiatement face à Than Huong où elle traverse le canal. La 3ème Cie, après avoir traversé Vin Nguye, franchit le canal sur une passerelle, suivie par la 1ère puis la 4ème compagnie. En fin de soirée, la 2ème compagnie, au nord, a atteint B2 en liaison avec le 1° Tabor. Au sud, les 4ème, 1ère et 3ème compagnies ont dépassé B1 et font face aux lisières de B2 qu'elles font tâter par des patrouilles. Une liaison étroite est réalisée entre la 3ème compagnie et la compagnie voisine du III/4° RTM. La 262° CLSM assure la garde de la passerelle. La nuit du 6 au 7 septembre est calme.

1- LCVP : Landing Craft Vehicle and Personnel, chaland de débarquement plus petit que le LCM. 259


Un LCVP 6-9-51 Au petit jour, le I/1° RTM reprend sa progression avec la 4ème compagnie en 1er échelon; la 262° CLSM assurant la sécurité du PC et des arrières. Après avoir fouillé les villages de l'agglomération de Than Huong, le bataillon atteint à 13h son troisième objectif. En fin de journée, après un léger accrochage devant la 3ème compagnie, la 2ème compagnie atteint B5 au nord et plus au sud les 1ère et 3ème compagnies s'établissent sur un objectif intermédiaire entre B4 et B5. La liaison est toujours assurée au nord avec le 1° Tabor et au sud avec le III/4° RTM. La 4ème compagnie envoie une patrouille profonde qui signale que l'un des villages sud de l'agglomération de Lung Dau est occupé par des hommes en armes. Dans la matinée, la 3ème compagnie a eu deux blessés légers par coups d'artillerie anormaux. Au cours de la nuit du 6 au 7 septembre, des tentatives d'infiltration VM sont signalées un peu partout, en particulier au nord devant la 2ème compagnie et au sud entre la 3ème compagnie et le III/4° RTM. A la 3ème compagnie, deux tirailleurs sont blessés par des grenades VM, l'un d'entre eux décédera le lendemain à l'antenne chirurgicale de Traly et sera inhumé le 8 à Nam Dinh. La 3ème compagnie a aussi 3 blessés légers à la suite d'un éclatement prématuré de grenade. 7-9-51 La progression reprend le 7 matin sans incident après une concentration d'artillerie sur Lung Dao. Le bataillon fait un nombre important de prisonniers et l'objectif B6 est atteint rapidement. La liaison est prise avec les éléments amis qui étaient chargés du bouclage sur B7. Le DLO 1 détaché à la 2ème compagnie est rappelé par son groupe. La nuit du 7 au 8 est calme ; quelques isolés cherchant à s'enfuir sont abattus par les sentinelles de la 2ème compagnie. 8-9-51 Retour à Nam Dinh par Thai Binh A 08h30, le I/1° RTM est libéré de sa mission. Il doit rejoindre immédiatement Ky Nhai, à une dizaine de kms à l'ouest, où il trouvera des moyens de transport. Le mouvement

1- DLO : Détachement de Liaison et d'Observation, petite équipe d’artilleurs détachée dans une unité afin d’en permettre l’appui, en guidant par radio les tirs de l’artillerie. 260


commencé à 9h00 n'est terminé qu'à 14h00 en raison de l'état déplorable des pistes. Au passage au poste de Nha Xuyen, le bataillon abandonne les 591 suspects qu'il a arrêtés. En arrivant à Ky Nhai, le I/1° RTM reçoit un télégramme lui annonçant l'arrivée de moyens marine et auto qui lui permettront de rejoindre le bac de Tan De. Un LCM se présentera vers 15h00 et transportera la 2ème compagnie sur Thai Binh ; vers 17h30 une rame de camions enlève la compagnie de commandement et la 1ère compagnie pour les transporter à Thai Binh ; le reste du bataillon sera enlevé par des LCM au cours de la nuit, et le dernier élément rejoindra Thai Binh le 9 septembre à 2h00. A Thai Binh, l'incertitude règne sur le sort du bataillon ; il est question un moment de pousser les hommes à Tan De d'où un LCT les conduirait au centre de repos de Doson. Le reste suivrait, personne ne sait comment. Vers 21h00, un télégramme de la zone sud prescrit de rester sur place. 9-9-51 Après avoir reversé à Thai Binh les 80 PIM 1 empruntés au début de l'opération et remis à l'OR du secteur 1 mousqueton et 1 fusil récupérés, le I/1° RTM fait mouvement sur Nam Dinh par navettes de camions entre Thai Binh et Tan De puis entre Tan De et Nam Dinh, le mouvement est achevé à 14h00. Bien que stationné en trois endroits différents, le bataillon est très à l'étroit. Le PC s'installe à la Cotonnière. Le bruit court que le bataillon doit faire mouvement le 12 septembre sur Hanoï puis sur le centre de repos de Doson. Le chef de bataillon demande instamment que cette date soit repoussée pour permettre aux Marocains de fêter l'Aïd el Kebir 2.

Le canal de Nam Dinh 1- PIM : vietnamien, ex viet minh, Prisonnier Interné Militaire ; il y en avait environ 25 par compagnie, ils constituaient la main d’œuvre du corps expéditionnaire. 2- Cette fête commémore la soumission d'Ibrahim (Abraham dans la tradition juive) à Dieu, symbolisée par l'épisode où il acceptait d'égorger son fils Ismaël, sur l'ordre d'Allah ; celui-ci envoyant au dernier moment un mouton par l'entremise de l'archange Gabriel pour remplacer l'enfant comme offrande sacrificielle. 261


10-9-51 Aïd el Kébir à Nam Dinh avec les colonels Gambieze, Seze et Bernachot L'autorisation est accordée au bataillon de rester à Nam Dinh pour y fêter l'Aïd el Kebir. Il sera enlevé le 13 ou le 14 pour rejoindre Haiphong puis Doson. Le lieutenant Chatelain est envoyé à Dong Anh chercher trois cuisines roulantes et des vivres. Les unités préparent l'Aïd el Kebir. 11-9-51 L'incertitude règne toujours sur la date du mouvement du bataillon. Le lieutenant Chatelain ramène les 3 cuisines et des vivres frais. Le bataillon perçoit 21 moutons pour l'Aïd. 12-9-51 Le I/1° RTM fête l'Aïd el Kebir. Il reçoit à cette occasion le colonel Gambiez commandant la zone sud, le colonel Seze son adjoint, le lieutenant colonel Bernachot commandant le GM 7 (venu de Huong Canh), M. Cadoret et M. Oberlin directeurs de la Cotonnière. On apprend enfin que le bataillon sera enlevé le 14 matin par LCT (et camions pour la 3ème compagnie). Il couchera à Hanoï et fera mouvement le 15 sur Do Son par Haiphong.

Méchoui au printemps 52 13-9-51 Le chef de bataillon et l'O.R (Lnt. Chartreux) se rendent à Hanoï par la route, pour y prendre des instructions. 14-9-51 L'O.R et l'officier d'approvisionnement se dirigent sur Haiphong et Do Son en détachement précurseur. Le chef de bataillon visite le détachement resté à Dong Anh depuis le 2 septembre, et qui depuis s'est accru de deux renforts : 213 hommes en tout. A 14h00, la 3ème compagnie et la colonne auto du bataillon arrivent à Hanoï ; la 3ème compagnie cantonne à la gare, la colonne auto rejoint la base de Gialam. A 17h00, le reliquat du bataillon, parti de Nam Dinh à 06h00 en LCT débarque à Hanoï ; transporté à la gare, il embarque aussitôt dans les wagons pour y passer la nuit.

262


15-9-51 Repos à la station climatique de Do Son Tout le bataillon fait mouvement par voie ferrée de Hanoï sur Haiphong, où il arrive à 12h50. Là, il n'y a que 16 camions, au lieu des 20 annoncés, on en obtient 2 supplémentaires. Le transport sur Do Son s'effectue en deux rotations, la seconde étant terminée à 18h30. Au Centre de repos, le bataillon trouve un camp complètement démonté depuis le typhon du 4 septembre. Il faut, avant la nuit, percevoir le matériel, monter les tentes. Le matériel et le campement sont en très mauvais état, en particulier les tentes. Il n'y a pas d'abris pour installer les cuisines. Le bataillon est arrivé à Do Son, tel qu'il était parti de Dong Anh en opérations, le 2 septembre ; les hommes n'ont qu'un paquetage réduit, officiers et S/Officiers n'ont aucun bagage, il n'y a pas de matériel de popote. L'impression générale est plutôt fâcheuse, un repos à Dong Anh eut été plus apprécié. La pluie diluvienne, qui tombe au cours de la nuit du 15 au 16, n'arrange rien : les tentes sont des écumoires, tout le monde est trempé.

Do Son 16-9-51 La pluie continue à tomber toute la journée, ce qui ne relève pas le moral. 2 camions sont expédiés à Dong Anh pour en rapporter les bagages des officiers et S/Officiers, le matériel de bureau du PC bataillon et des PC compagnies, le matériel de la popote des S/Officiers. Les officiers mangeront dans un restaurant local. Le commandant de la zone d'Haiphong, de passage à Do Son, est informé de la situation ; il promet d'essayer de procurer un camion citerne pour remplacer une remorque citerne du bataillon qui a rendu l'âme sur la route Haiphong-Do Son. 17-9-51 Le temps s'améliore un peu. Les camions envoyés à Dong Anh sont de retour. L'officier de détail et les comptables des unités viennent de Gialam payer les primes et une avance de solde. Ils reçoivent des commandants de compagnies des instructions concernant les effets d'habillement à faire monter le 19 pour effectuer les échanges indispensables.

263


18-9-51 L'Officier de détail et les comptables repartent pour Gialam. Il ne pleut plus, mais le temps reste couvert. 19-9-51 Enfin, il fait beau. Tout le monde se baigne. 20-9-51 Visite du lieutenant colonel Bernachot, commandant le GM 7, qui participe au bain général. 21-9-51 Le lieutenant-colonel Bernachot quitte Do Son à 08h15. Le I/1° RTM devrait en principe rester au repos jusqu'au 26 septembre ; mais il est mis en alerte à 17h00. Il fera mouvement sur Haiphong le 22 septembre en deux rotations de 18 GMC, et poursuivra aussitôt sur Hanoï par voie ferrée. Aucune indication n'est donnée sur la suite du mouvement. 22-9-51 Retour dans le delta Le commandant du I/1° RTM et le lieutenant Chartreux (O.R) devancent le bataillon à Hanoï. Ils y apprennent que le bataillon arrivera en gare d'Hanoï vers 19 heures. Il fera le lendemain mouvement sur Tan De par LCT où il sera pris en charge par la zone sud. (Une compagnie fera mouvement par la route dans 7 GMC ou train). Il s'agit de recommencer l'opération "Impromptu II", les VM s'étant à nouveau installés en force dans cette zone. On profite du passage à Hanoï pour récupérer les postes radio en réparation et le mouvement s'effectue sans incident. 23-9-51 La 1ère compagnie fait mouvement par la route et le reste du bataillon par un LCT sur Tan De où il débarque à partir de 12h10 ; la 1ère compagnie ayant passé le bac à 11h00. Tout le bataillon fait mouvement dans l'après-midi sur Traly (en 2 rotations de 20 camions du train), où est installé depuis le matin le PC du GM 7. Au passage à Thai Binh le I/1° RTM perçoit 120 PIM ; le bataillon cantonne pour la nuit à Luong Phu (immédiatement à l'ouest de Traly). 24-9-51 6 jours de fouille à l’ouest de Traly Le I/1° RTM prend position le long de la RP 39 1 entre le BMRCA2 à l'ouest et le BMTB à l’est. Il a pour mission : a-) de relever les éléments de ces deux bataillons implantés dans son quartier, b-) de maintenir l'intégrité de la RP 39, c-) de grignoter vers le nord, tout en rétablissant les voies de communication, en fouillant les villages et en débroussaillant sa zone d'action.

1- RP : Route Provinciale 2- BMRCA : Bataillon de Marche de Reserve du Corps d’Armée ? BMTA : Bataillon de marche de Tirailleurs Algériens 264


Les quatre compagnies sont engagées en ligne sur un front de 2 kms 200 (d'ouest en est, 4ème 1ère et 2ème compagnies). La 262° CLSM est conservée en réserve au sud de la RP.39, elle assurera la sécurité du PC. Les travaux d'installation, de terrassement et de débroussaillage sont entrepris dans l'après-midi. Le bataillon ne dispose pas de DLO. 3ème

25-9-51 Les compagnies poussent des avant-postes à 5 ou 600 mètres au nord de la RP.39 et poursuivent leurs travaux. Un DLO (lieutenant Fournier) est affecté au bataillon. Au cours de la nuit du 24 au 25, la 3ème compagnie a tué un VM. et 15 grenades ont été récupérées. 26-9-51 Pendant que le bataillon continue les travaux, la 4ème compagnie récupère une mine VM. Au cours de la soirée, le bataillon reçoit l'ordre de progresser le lendemain de 1 km, en liaison à l'ouest avec le BMRCA et à l’est avec le BMTB. 27-9-51 Le bond prévu est exécuté sans incident, toujours en ligne en raison de l'étendue du front, et en fin de matinée, les éléments avancés s'alignent sur la piste qui longe au sud le gros village de Than Dau. Dans la matinée, un camion de ravitaillement du bataillon, transportant des outils de parc et du matériel divers, tombe dans le Traly en voulant embarquer sur le bac. 28-9-51 La zone d'action du bataillon est décalée de 500 mètres vers l’est. La 3ème compagnie, d'abord reprise en réserve, est réengagée à l’est pour assurer la liaison avec le BMTB. Le bataillon fouille les villages de Than Dau et de Phu Uyen, ainsi que les villages plus à l’est. Les éléments avancés atteignent les lisières nord de Vu Cong. Au cours de la matinée, une cartouche de mortier de 81 fait long feu et l'obus tombe et éclate au milieu d'une section de la 1ère compagnie : 1 tirailleur est tué, 3 tirailleurs et 1 PIM sont blessés et évacués. Un autre obus de 81 tombe sur le PC du bataillon sans dégâts. Il est vraisemblable que les cartouches et relais de mortiers que le bataillon traîne avec lui depuis plusieurs mois sont humides. Il est urgent de les renouveler. Le lieutenant Fournier, DLO, est blessé légèrement au genou par un éclat de culot d'artillerie. Les travaux continuent pour rendre praticable aux Dodge 1 la piste qui conduit au PC du bataillon. Au cours de l'après-midi, l'aviation intervient en mitraillant et en napalmant le village Le Than, où sont signalés de nombreux mouvements d'ouest en est. Les VM y sont également pris à partie par les éléments avancés du bataillon. 29-9-51 Au début de la matinée, les 3ème et 4ème compagnies occupent sans coup férir la partie ouest du village de Van Han, en liaison à l'ouest avec le BMRCA et à l’est avec le BMTB. 1- Camionette tout terrain, ¾ tonnes, 4 roues motrices, 1500 Kg, 6 roues ; du fabriquant américain Dodge 265


Après midi, la 4ème compagnie est ramenée en arrière, en réserve, tandis que la 3ème compagnie reste à Van Han, à la disposition du BMTB qui doit implanter un nouveau poste dans la région. Le bataillon reçoit l'ordre de se tenir prêt à faire mouvement sur préavis de 6 heures. Au cours de la nuit, il reçoit l'ordre de se regrouper à Traly pour 11h00, sans aucune autre indication. Les ordres nécessaires sont transmis aux compagnies. 30-9-51 Une nuit à Nam Dinh Le mouvement commence à 06h30, la traversée du bac de Traly s'effectue de 09h00 à 11h00, et le bataillon s'installe provisoirement à Luong Phu. Les 120 PIM sont reversés au poste de Traly. Le chef de bataillon, parti en précurseur à Nam Dinh rencontre à Thai Binh le chef d'escadron du train chargé de ramener le I/1° RTM à Tan De. Il lui indique les effectifs du bataillon qui sera enlevé à 15h00 à Traly par 38 GMC 1. A Tan De où le commandant du bataillon arrive à 12h00, la circulation, depuis 09h00, n'est autorisée que dans le sens ouest-est au profit du PC opérationnel des FTNV qui s'installe à Thai Binh. Le Cdt. du I/1° RTM parvient à passer le bac à 15h30 et arrive à Nam Dinh à 16h00. Il y retrouve le PC du GM 7, et apprend que le I/1° RTM passera la nuit à Nam Dinh prêt à être poussé vers le Day, où l'on craint une action VM. Recherche de cantonnements, en liaison avec le bureau de la place. Le bataillon dont l'arrivée s'échelonne de 18h30 à 23h30 est réparti entre : - le hangar des mines de Hongay : PC - CB - 3ème Cie - 262° CLSM, - pagode de la route de Thai Binh : 4ème Cie, - école mixte : 2ème Cie, - camp Carreau : 1ère Cie. A 19h00, le bataillon reçoit l'ordre de diriger, dès le lendemain matin, une compagnie sur Cat Dang (6 kms NE de Ninh Binh) et 20 kms S.O. de Nam Dinh) pour y assurer la protection d'une batterie d'artillerie. 1-10-51 Installation du bataillon à Luong Kiet, entre Nam Dinh et Ninh Binh ème La 3 compagnie quitte Nam Dinh à 06h00 pour Cat Dang; Le commandement envisage de maintenir le I/1° RTM à Nam Dinh d'où partent tous les itinéraires routiers et fluviaux vers le Day. Au cours de l'après-midi, le commandant du bataillon part en reconnaissance avec le lnt. colonel commandant le GM 7 dans la région de Ninh Binh. Il visite au passage la 3ème compagnie à Cat Dang, celle-ci ne peut pas s'installer à proximité immédiate de la batterie : elle est poussée au village voisin de Trung Thon à 300m de là. A 17h00, le bataillon reçoit verbalement l'ordre de faire mouvement sur Luong Kiet, gros village à 13-14 kms S.O. de Nam Dinh sur la route de Ninh Binh ; il disposera d'une rame de 18 camions et la première rotation doit partir à 17h30. Par miracle, tout le monde est prévenu à temps, et la première rotation part à l'heure prévue emmenant les 1ère et 2ème compagnies et une partie de la compagnie de commandement. Aucune reconnaissance préalable de Luong Kiet n'a pu être effectuée : les premières unités arrivent dans l'inconnu, sans même savoir que le village a mauvaise réputation. Après une reconnaissance rapide, elles s'installent dans la partie nord du village. La deuxième moitié du bataillon arrive vers 21h00 et s'installe de nuit, tant bien que mal.

1- Camion tout terrain de 2t5 de charge ; du fabriquant américain General Motors Corporation 266


Effectifs du I/1° RTM à la date du 1er octobre 1951 ___________________ Désignation Officiers Chef de Btn. capitaines lieutenants S/lieutenants

Opérationnels F M 1 5 5

Total S/Officiers

11

Adjts. Chefs Adjudants Sgts. Majors Sgts. Chefs Sergents

2 5

Total Troupes Cap. Chefs Caporaux 1° classe 2° classe

Total Total général

1 1 2

Base arrière F M

Absents M

Total général F M

2

1 5 2

1

2

13

1

11 32 43 40 82 211 523 866 911

12 28 47

10 26 36

2 1 6 3 7 19

8 12 12 5 37 95

37 77 178 474 766 804

5 3 2 4 14 35

899

F

1

1 2

79

3 3

1 4 8

1 3 4

5 8 6 16 39 74

1 2 21 17 41 44

3 3 2 3 11 19

2 3 12 32 59 63

16 18 16 12 62 149

82

1060

2-10-51 Le bataillon s'installe à Luong Kiet. Il est indispensable d'aménager une piste de 600 mètres, praticable à tous véhicules qui, à travers la rizière reliera la route à l'entrée du village. Heureusement se trouve à proximité le remblai de l'ancienne voie ferrée Nam Dinh-Ninh Binh ; aussi le soir même la piste sera praticable pour les Dodges et le lendemain soir pour les GMC. Mais il faut prévoir un entretien quotidien. Le bataillon a pour mission de se tenir prêt à intervenir au secours des postes de Vinh Chy-Ninh Binh - Gian Kaulac Chin-cote 21, tous à une distance de 15 à 20 kms de Luong Kiet. Le commandant du I/1° RTM va reconnaître les quatre derniers postes : ils se trouvent tous dans une région très inondée, les pistes d'accès sont très mauvaises, les possibilités de déploiement à proximité de chaque poste sont nulles. Par ailleurs, les garnisons locales ne croient pas à une menace immédiate. Le lieutenant Charreyras (4ème compagnie), affecté à la MMF 2, est mis en route sur Gialam, pour se présenter à l'EM des FTNV. Il est profondément regretté par tout le bataillon et en particulier par la quatrième compagnie, dont il avait assuré la mise sur pied au Maroc. Il sera remplacé à la 4ème compagnie par le lieutenant Balmitgere, nouvellement arrivé de Berlin, qui n'a jamais été tirailleur ; mais qui paraît cependant une excellente recrue. Le Sous-lieutenant Brana, officier de transmission est, lui aussi affecté à la MMF. Il est maintenu provisoirement au bataillon pour passer ses consignes au lieutenant Chartreux qui 1- Soit environ 180 hommes par compagnie et 45 par section. Sans compter les PIM. 2- MMF : Mission Militaire Française ? 267


cumulera les fonctions d'officier de renseignement, d'officier du chiffre, d'officier d'appui aérien, d'officier de transmission et continuera à s'occuper des PIM. 3-10-51 Reconnaissance du poste de Vinh Chy : il n'est pas possible d'y parvenir par les itinéraires prévus. Il faudra faire 7 à 10 kms à pied sur des diguettes ou des pistes étroites, au milieu de rizières inondées. Le lieutenant commandant le quartier de Ninh Binh prévient le I/1° RTM que le village de Luong Kiet est habité par une population douteuse et qu'une cinquantaine de suspects seraient à arrêter. Le chef de village est avisé qu'au moindre incident, il recevra une volée de mortier de 81 mm. 4-10-51 La base opérationnelle du bataillon, qui avait été maintenue à Nam Dinh, rejoint Luong Kiet, la piste étant maintenant en assez bon état. Au cours de la matinée, visite du général Gambiez commandant la zone sud et du lnt. colonel Bernachot commandant le GM 7. Il est possible que le bataillon soit appelé à intervenir vers le nord, afin d'intercepter des éléments VM qui, actuellement pourchassés dans la région de Thai Binh, chercheraient à s'échapper vers le Day. Dans l'après-midi, le commandant du bataillon va reconnaître la région du poste de la cote 71 (5 kms N.O. de Luong Kiet) pour étudier les possibilités d'intervention dans le cadre de la nouvelle mission. Le bataillon pourra faire mouvement en camion jusqu'à la cote 71 ; à partir de là, un seul itinéraire praticable à pied va rejoindre une piste (à 6 kms N.O. de cote 71). Aucune possibilité de déploiement. Dans la soirée, le bataillon reçoit ses nouvelles instructions par écrit : en résumé, il doit être en mesure d'intervenir avec tous ses moyens dans toute la zone opérationnelle de Ninh Binh. 5-10-51 Le lieutenant Vaster qui a été convoqué par le GM 7 à l'occasion du travail ... de la Légion d'honneur et de la Médaille Militaire, arrive à Luong Kiet à 17h 6-10-51 Le commandant du bataillon et le Capitaine le Levreur vont reconnaître la région du poste de la Cote 71. 7-10-51 Le lieutenant Vaster rejoint Gialam. Le S/lieutenant Brana, officier de transmission, affecté à la MMF, quitte le bataillon pour rejoindre sa nouvelle affectation. Il est remplacé provisoirement par le lieutenant Chartreux. 8-10-51 Le I/1° RTM doit participer prochainement à une opération "Amande", dans la région de Thai Binh. En principe il ferait mouvement le 20. Mais à 22h00, le bataillon est avisé qu'il sera enlevé le lendemain matin à 08h00 pour rejoindre la région de Thai Binh. 9-10-51 Le I/1° RTM fait mouvement de Luong Kiet sur A Me en passant par Nam Dinh-Tan De et Thai Binh. Au soir, il est rassemblé autour du poste d'A Me (17 kms N. de Thai Binh) ; sa 268


base opérationnelle est à Dong Dong (9 kms N. de Thai Binh), à proximité du PC du 2° BVN. Une mine à traction saute à côté du camion de ravitaillement : pas de dégâts. Par DÉCISION n° 46 : - Le lieutenant Balmitgere est affecté à la 4ème compagnie, en remplacement du lieutenant Charreyras, affecté à la MMF. - L'adjudant chef Janod, venant du II/1° RTM, débarqué à Saigon le 11-9-51, est affecté à la compagnie de commandement : il prendra le commandement de la 262° CLSM. - Le lieutenant Charreyras et le S.Lnt. Brana, affectés à la MMF, sont rayés des contrôles. - L'adjudant chef Taillez, affecté à la BOTK 1 ; l'adjudant Belilar Antoine de la 3ème compagnie affecté à la Son 2 de Cdt. de la zone d'Haiphong ; le sergent Potin Antoine et le sergent Gautier Nancy, affectés à la MMF, sont rayés des contrôles. - Le 1ère classe Mohamed ben Larbi, Matricule 248, de la 1ère compagnie, décédé le 29-9-51 dans la région de Nam Dinh, est rayé des contrôles. 10-10-51 Le bataillon passe la journée en attente à A Me. Le commandant du bataillon va au PC du GM 7 prendre connaissance de l'ordre d'opérations pour le lendemain. Dans la soirée, le commando "Robert" et 2 DLO sont mis à la disposition du bataillon : un DLO est immédiatement détaché à la 2ème compagnie. Par DÉCISION n° 47, 1 sergent et 47 supplétifs de la 262° CLSM sont licenciés à compter du 11 octobre. 11-10-51 Opération Amande : fouille de villages pendant 5 jours au nord-est de Thai Binh Le I/1° RTM fait mouvement à pied, à partir de 08h00 pour rejoindre sa base de départ, le long de la route, entre Ghua Thon et le poste de Dao Dong (19 kms N.E. de Thai Binh). Le mouvement est très gêné par les colonnes de véhicules et de blindés qui circulent sur la route tous phares allumés. Dans ces conditions il est difficile d'empêcher les tirailleurs de fumer, et il est certain que les VM sont largement prévenus. A 05h30, tout le bataillon est en place. A sa gauche, le 1/4° RTM démarre à 06h30 au petit jour pour s'emparer de Ghua Thon sans incident. Le I/1° RTM démarre à 07h30. Les 1ère et 4ème compagnies doivent pénétrer dans l'énorme village de Co Tiet, sur lequel nous avons des renseignements contradictoires, pendant que les 2ème et 3ème compagnies, aux ordres du capitaine le Levreur exécutent un large mouvement débordant à l’est, le long du Song Giem Ho. L'abordage de Co Tiet est long et pénible à travers les rizières inondées, ce qui entraîne un échange de mots assez vifs avec le capitaine Py chef d'EM du GM 7. Heureusement, les lisières ne sont pas défendues. La traversée de Co Tiet se déroule sans incident majeur, à travers un maquis invraisemblable et dans une chaleur étouffante. A 11h00, la 4ème Cie, après avoir fait liaison avec le commando Van Den Bergue qui s'est emparé à l'aurore de la passerelle nord de Co Tiet, commence à traverser le canal.

1- BOT : Bureau Opérations Transmissions 2- Son : section 269


Plus à l'ouest, la 1ère compagnie qui a également atteint le canal, abat un certain nombre de VM qui essayent de le franchir, à la nage. Pendant ce temps, les 2ème et 3ème compagnies, embarquées sur des bateaux M2 du génie, sont venues se placer le long du Song Giem Ho face au village de Thuong Phuc, au nord du canal. Au début de l'après-midi, la 4ème compagnie, appuyée au sud puis couverte à l'ouest par la 1ère compagnie, s'empare du village de Dong Thon; pendant que la 3ème compagnie, appuyée par la 2ème compagnie s'empare du village de Dong Thuong. En fin d'après-midi, au cours des opérations de nettoyage menées à Co Tiet et à Thong Phuc, les compagnies capturent un certain nombre de prisonniers et commencent la récupération des armes. En fin de journée, le 1/4° RTM occupe progressivement Co Tiet derrière le I/1° RTM. En fin de soirée : - la 4ème compagnie occupe Dong Thon où est installé le PC bataillon - les 2ème et 3ème compagnies occupent Dong Thuong - la 1ère compagnie tient les boqueteaux nord de la passerelle - le commando Robert, à la disposition du I/1° RTM, assure la défense des abords sud de la passerelle. 12-10-51 La fouille des villages et des environs est entreprise avec succès dès le lever du jour. Mais à 08h30 le bataillon reçoit l'ordre d'étendre son action en occupant les villages de Xuan La et de Cam My, à 3 kms de ses positions actuelles et qui ont été seulement traversés la veille par des unités de parachutistes. La 2ème compagnie est poussée immédiatement sur Xuan La La 1ère compagnie, abandonnant sa tête de pont, est poussée sur Cam My où elle s'installe en fin de matinée. Xuan La et Cam My sont des villages ralliés depuis le mois d'avril, et où il n'y a aucun travail intéressant à faire. C'est l'exemple du divorce fréquent entre les unités opérationnelles qui connaissent mal le secteur, et les unités territoriales qui y vivent, et voient souvent annihiler par les premières leurs efforts de plusieurs mois. Au cours de l'après-midi, le 1/4° RTM se retire de Co Tiet qui reste donc abandonné, sauf aux abords de la passerelle dont le commando "Robert" assure la garde depuis que la 1ère compagnie a été envoyée à Cam My. 13-10-51 La 1ère compagnie est ramenée de Cam My sur les lisières nord de Co Tiet ; et la 2ème compagnie est ramenée de Xuan La sur le centre de Co Tiet pour en effectuer la fouille et assurer la sécurité de la piste centrale. Le commando "Robert" est chargé de la partie ouest de Co Tiet où des éléments rebelles ont été signalés la veille. 14-10-51 La 4ème compagnie est chargée de la fouille de Hoa Khe, village situé à trois kilomètres des positions du bataillon, où aurait été signalé antérieurement le PC du TD 42 1, et qui a été abandonné la veille par la légion. 1- TD : Trung Doàn (régiment Vietminh) 270


L'opération de la 4ème compagnie est appuyée par un groupe de mortier de 81mm et couverte, au sud-ouest par des patrouilles de la 1ère compagnie et à l’est par des patrouilles de la 3ème compagnie et de la 262° CLSM. Après avoir rencontré quelques difficultés pour traverser l'arroyo qui sépare ses positions de départ de Hoa Khe, la 4ème compagnie pénètre sans incident dans le village où elle arrête une trentaine de suspects. Elle rentre à Dong Thon en fin de soirée, pendant que les patrouilles envoyées en rizière pour la couvrir au sud-ouest et à l’est ramènent un certain nombre de prisonniers et d'armes, dont 1 fusil mitrailleur. 15-10-51 Poursuite de la fouille et du débroussaillement des villages. A 15h00, visite du lnt. colonel Bernachot, Cdt. le GM 7, accompagné du capitaine Py son chef d'EM. qui avec leurs bas blancs s'embourbent jusqu'à mi-mollet aux abords de la passerelle. Ils annoncent que l'EM du GM 7 doit rejoindre Huong Canh le 16 octobre. Le I/1° RTM fera mouvement le 17 pour la même région, mais son futur cantonnement n'est pas encore fixé. Le commandant du bataillon insiste pour rester encore quelques jours afin de parachever des fouilles qui s'avèrent fructueuses ; mais il n'y a rien à faire. 16-10-51 Le bataillon se replie par échelons de la région de Thuong Phoc - Co Tiet, en passant par l’est de Co Tiet, pour se regrouper à proximité du poste de Dao Dong et de Dong Ky. Vers 18h00 arrivée de 45 camions mis à la disposition du bataillon pour son mouvement du lendemain. Vers 20h00 tirs d'artillerie sur Gia Thon (sud de Co Tiet) où des renseignements d'habitants auraient signalé la présence du Comité de l'UBKCH de Co Tiet. Au total l'opération a été très payante pour le bataillon, qui a disposé de quatre jours pleins pour fouiller les villages qu'il occupait et leurs abords. Tout le monde s'y est mis avec ardeur, y compris les PIM et les supplétifs. Les PIM, en particulier n'hésitaient pas à plonger dans les mares pour chercher les armes ou les entrées de siphon. Dans l'un de ceux-ci on trouva un commandant de compagnie VM qui y était resté quatre jours, enfoncé presque entièrement dans l'eau et respirant par un bambou qui traversait le talus au-dessus de lui. Les succès des uns encourageaient les autres, et les Marocains, un peu réticents au début se laissèrent prendre au jeu. Au total, pendant "Amande", le I/1° RTM captura 80 réguliers ou régionaux, et près de 250 suspects, et récupéra 4 fusils mitrailleurs, 35 fusils, 2 pistolets mitrailleurs, 1 mitrailleuse, 1 mortier de 60mm, 2 pistolets automatiques, 1 carabine de 9mm et une quantité importante de munitions diverses. On peut regretter que, faute de temps, le même travail n'ait pu être fait dans la zone "Impromptu", où le bataillon a déjà participé à deux opérations : le résultat en aurait probablement été aussi intéressant.

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Saigon, le 21 novembre 1951.

haut commissariat de France en Indochine & commandement en chef en Extrême-Orient

- ordre général n° 2.512 -

état-major interarmées et des forces terrestres bureau du personnel -1° section

Le général d'armée de Lattre de Tassigny, haut commissaire tél. olivier 1.301 de France en Indochine et commandant en chef en Extrême-Orient. n° 8455/EMIFT/BP/I/DECO

cite à l'ordre du corps d'armée Mosnay-Goguet de Boisheraud, Bernard, Marie - Chef de Bataillon Groupement Mobile n° 7. "Jeune chef de bataillon arrivé depuis peu au Tonkin mais qui s'est imposé d'emblée comme un chef de corps ardent, avisé et énergique. Au cours de l'opération "Impromptu II Bis" (Région de Thai-Binh - Tonkin) du 25 au 29 septembre 1951, a fait preuve de ses qualités manœuvrières en même temps que de sa prudence, en prenant une part importante à la diminution du potentiel du bataillon 38, lui occasionnant plus de 50 morts et de nombreux blessés ; du 11 au 16 octobre 1951, engagé dans l'opération "Amande" a permis, grâce à son esprit méthodique de recherche et à l'émulation qu'il a su créer au sein de son bataillon, d'obtenir la capture de l'armement quasi complet, lourd et léger de la compagnie 65 du bataillon 130, et d'une partie importante de son effectif". "A conduit ces opérations sans que son bataillon subisse la moindre perte." Ces citations comportent l'attribution de la croix de guerre des T.O.E. avec étoile de vermeil. Par délégation, Le Général de Corps d'Armée Salan Signé : Salan Transmission n° 17250/FTNV/CH/DECO en date du 3.12.1951, du général de division commandant les F.T.N.V. extrait certifié forces terrestres du nord Vietnam conforme à G.M.7. & secteur rivière noire. I/1° R.T.M. etat major - 1° bureau - n° 1688/GM 7/I. S.P. 55.547, le 7 décembre 1951 Le Colonel Dodelier, commandant le G.M. 7 et Secteur Rivière Noire. P.O. Le capitaine PY, Chef d'E.M. Signé : illisible.

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17-10-51 Mouvement vers Vi Thanh, au nord-ouest d’Hanoï Parti de Dao Dong à 07h00 le I/1° RTM fait mouvement sur la région de Vinh Yen en passant par Ninh Giang, Hai Dhuong, et Gialam. Le détachement précurseur arrive à 11h00 à Hanoï et à 17h30 à Vi Thanh (3 kms sud de Vinh Yen). La tête de la colonne du bataillon arrive à 14h30 à Gialam et à 17h30 à Vi Thanh. A son passage à Phu Lo, la 1ère compagnie a été dirigée sur Yen Phu où elle reste détachée, à son grand dépit, pour assurer la protection d'une batterie d'artillerie (6 kms est de Phy Lo et 34 kms du bataillon). Le lieutenant Mistarlet venant du 1° RTM est affecté au bataillon. Citation du chef de bataillon Faig Henri qui commanda le I/1° RTM depuis son départ du Maroc jusqu'au 1er juillet 1951 :

"Chef de bataillon de grande classe. A brillamment participé au dégagement du poste de Duong Ngo le 31-12-50 et de Tien Yen le 1-1-51. A poursuivi en outre pendant six mois avec persévérance et succès, une tâche singulièrement pénible de pacification et de nettoyage, en zone côtière puis dans le delta ; poussant avec son bataillon de profondes reconnaissances en zone rebelle. S'est particulièrement fait remarquer dans la région de Tu Son en harcelant sans répit les unités régionales VM qui empêchaient notre influence et leur a fait subir des pertes sensibles".

18-10-51 Installation du bataillon à Vi Thanh, au sud de Vinh Yen Installation du bataillon à Vi Thanh (1ère compagnie à Yen Phu). Elle est gênée par la pénurie de moyens de transports (4 GMC disponibles). Bien qu'annoncée, la visite du général Leblanc commandant la 1° DMT n'aura pas lieu. Le capitaine Legrat adjudant major va en liaison à Huong Canh à l'EM du GM 7. Les lieutenants Goury, officier de détail, et Vaster, officier du 1er Bureau, arrivent en liaison de Gialam, où se trouve toujours la base arrière. Le lieutenant Mistarlet, venant du Maroc, rejoint Vi Thanh et est affecté à la ème 2 compagnie où il remplacera le lieutenant Durand appelé à d'autres fonctions. 19-10-51 Le commandant de bataillon va inspecter la 1ère compagnie détachée à Yen Phu et y reçoit les doléances du lieutenant Romet commandant la compagnie désireux de rejoindre au plus tôt le bataillon. 20-10-51 Liaison au PC du 2° BACF 1 à Vinh Yen. Le bataillon est prévenu qu'il devra rendre les honneurs, le 22 octobre sur le terrain de Gialam, au général d'armée de Lattre de Tassigny, commandant en chef en Indochine, qui rentre de métropole. Le bataillon mettra sur pied en tenue de parade, 3 compagnies à chacune 4 sections de 24 hommes. Le lieutenant Chatelain commandant la compagnie de commandement du bataillon est nommé capitaine à compter du 1-10-51. 1- BAC : Bataillon d’Artillerie Coloniale 273


21-10-51 Prise d’armes à Gialam pour le retour de de Lattre Les unités composant le bataillon d'honneur (2ème 3ème et 4ème compagnies) font mouvement en camions de Vi Thanh sur Hanoï où elles cantonnent à l'hippodrome. L'arrivée du général de Lattre et la prise d'armes sont remises au 23 à 11h30. Cela donne le temps de compléter les échanges. Les S/lieutenants Mistarlet et Balmitgere sont nommés lieutenants à compter du 1er octobre. 22-10-51 Perception d'habillement pour les compagnies d'honneur. Une bonne partie des guêtres américaines distribuées par l'intendance sont hors service. 23-10-51 Prise d'armes au terrain de Gialam. Le général de Lattre ne fait aucune observation : c'est déjà un succès. Le bataillon devait quitter Hanoï à 16 h Par suite d'un malentendu au bureau des transports les camions ne sont mis en place qu'à 17h00, et le bataillon ne rentre à Vi Thanh que de nuit, à 21h00. 24-10-51 Organisation en 4 sections par compagnie Le lieutenant Balmitgere va voir le commandant du 6° BVN pour voir comment organiser des séances d'instruction au profit des équipes de 57 sans recul de ce bataillon. Le commandant du bataillon reçoit des instructions prescrivant de modifier la structure des compagnies en les portant à quatre sections. Cela pose de sérieux problèmes d'encadrement et n'est guère goutté des commandants de compagnies qui cependant, bénéficieront de plus de souplesse dans leurs manœuvres. Mais il faudrait pouvoir faire quelques manœuvres pour habituer les cadres à cette nouvelle formule. Le chef de bataillon sait que cette idée de quatre sections par compagnie est chère au général de Linares commandant les FTNV, avec lequel il en a déjà discuté, et qu'il ne tolérera aucun retard dans l'exécution. 25-10-51 Le lieutenant Durand, jusque-là à la 2ème compagnie, prend les consignes d'officiers de transmission et d'officier du chiffre en déchargeant ainsi le lieutenant Chartreux. Le lieutenant Balmitgere commence l'instruction des équipes de 57 SR du 6° BVN. Les compagnies procèdent à des revues de détail et à des échanges d'effets. Les propositions de citations à l'occasion des dernières opérations sont adressées à l'EM du GM 7. C'est à cette occasion que le commandant du GM 7 explique au commandant du I/1° RTM, qu'à tous les échelons de la hiérarchie chacun doit proposer au moins assez de ses subordonnés pour justifier sa propre proposition par l'échelon supérieur. Un argument plus sérieux est d'éviter que le I/1° RTM se sente défavorisé par rapport aux autres bataillons. 26-10-51 A 10h00, l'EM du GM 7 prévient que la 1ère compagnie, détachée à Yen Phu est remise à la disposition du bataillon qu'elle rejoindra dans l'après-midi avec l'aide de camions du secteur et si possible du bataillon. 274


En fait, la 1ère compagnie, qui n'avait pas été prévenue, est en train de fouiller un village et ne rentrera à Yen Phu qu'à 16h00. Ne disposant alors que de 7 GMC, elle ne peut embarquer que les trois-quarts de son personnel et arrivera à Vi Tanh à 20h30. 27-10-51 Fin du regroupement à Vi Thanh de la 1ère compagnie avec l'aide de 3 GMC du bataillon et 2 GMC du GM 7. Les compagnies adoptent le système quaternaire prescrit par le général de Linares. Ceci entraîne une redistribution complète des armes et des équipements et un brassage des cadres et des effectifs à l'intérieur de chaque compagnie. Les unités auront-elles le temps de se familiariser avec cette nouvelle formule ? 28-10-51 La 2ème compagnie prépare pour le 31 un exercice de présentation et de démonstration de la nouvelle section avec sa 1/2 section feu et sa 1/2 section choc. Mais à 17h00 le bataillon est alerté. Il doit faire mouvement le lendemain sur Van Dinh (sur le Day à 27 kms sud de Ha Dong). Départ de Vi Than à 06h00 avec 40 GMC du train qui rejoindront le 28 soir. La mission qui attend le bataillon n'est pas précisée. En raison du nombre insuffisant de camions, il est décidé de laisser à Vi Thanh la totalité des supplétifs ainsi qu'une quinzaine d'hommes par compagnie pour assurer la garde du matériel et du cantonnement. 29-10-51 Installation du bataillon à Van Dinh, sur le Day Le commandant du bataillon, qui a été convoqué pour 10h00 au PC (du Secteur Sud Fleuve Rouge [SSFR]) à Ha dong, quitte Vi Thanh à 06h15 et devance la colonne du bataillon. A Ha dong, il se présente au colonel de Castries commandant le secteur. Le I/1° RTM aura pour mission de relever le 1° Tabor dans la région de Van Dinh, et le long du Day entre Tu Duong au nord (6 kms N.O de Van Dinh) et Than Bo largement inclus (10 kms sud-est de Van Dinh) au sud. En fait, le front du bataillon sera de 17 kms en ligne droite et de 28 kms en suivant le cours du Day. Comme moyens supplémentaires, le bataillon disposera des unités du secteur, de 2 pelotons de chars et d'1 batterie d'artillerie. Le bataillon, mal aiguillé à Ha Dong, prend un itinéraire secondaire le long du Day et ne rejoint Van Dinh qu'à 14h30 après avoir laissé au passage la 2ème compagnie à Tu Duong. La relève du 1° Tabor s'effectue au cours de l'après-midi sans incident, et le 29 soir la situation est la suivante : du nord au sud, 2ème compagnie à Tu Duong, 3ème compagnie à Doan Xa, 1ère compagnie à Van Dinh, 4ème compagnie à Noi Luu (1 km nord de Than Bo). 30-10-51 Au cours de la matinée, le commandant du bataillon reconnaît le sud du quartier du bataillon : il décide de resserrer dès le lendemain le dispositif de la 4ème compagnie en modifiant les limites et la répartition des unités territoriales. Un groupe de mortiers de 81mm est mis à la disposition de la 2ème compagnie. Au cours de l'après-midi les chars exécutent des tirs sur des villages à l'ouest du Day, signalés comme occupés par les VM. En fin de journée, le commandant du bataillon reconnaît la partie nord du quartier du I/1° RTM.

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31-10-51 La section de la 32ème CLSM, maintenue jusque-là à Van Dinh, rejoint sa compagnie à Dinh Xuyen (5 kms au sud) ; ce qui permet, après modification des zones d'action, de resserrer la 4ème compagnie sur Noi Luu et d'y récupérer une section réservée. Au cours de l'après-midi, le chef de district de Van Dinh rend visite au commandant du I/1° RTM, ce qui permet de mettre au point un certain nombre de questions, dont la vente d'alcool aux Marocains et la délimitation de zones interdites le long du Day afin de pouvoir en surveiller plus facilement les franchissements éventuels. Tous les villages de cette région sont ralliés et la population, nombreuse, y poursuit ses occupations habituelles. Cela change les habitudes du bataillon qui, jusqu'à présent, cantonnait dans des villages rebelles ou au moins complètement évacués, comme c'était le cas à Dong anh et à Vi Thanh. Dans la soirée, le SSFR fait savoir que le I/1° RTM sera relevé le 5-11-51, sans donner d'autres indications. 1-11-51 Au cours de la nuit du 31 octobre au 1er novembre, une embuscade du poste de Nam Duong (4 kms sud de Van Dinh) intercepte un élément VM tentant de franchir le Day d'est en ouest ; elle tue deux VM et récupère 1 fusil, 1 pistolet mitrailleur et quelques grenades et munitions. Au cours de l'après-midi, harcèlement au mortier de 81mm sur les villages au sud de Than Vat, en rive ouest du Day où trois VM sont signalés tués. 2-11-51 Pendant l'après-midi, les chars exécutent un tir sur le village de Ha Thon (2 kms S.O. de Van Dinh). La 1ère compagnie arrête un VM de la 27ème compagnie. Dans la soirée, la 4ème compagnie aperçoit des lueurs de phares d'autos dans la région de Dong Inh (3 kms O. de Noi Luu). 3-11-51 Evacuation du village de Bot Xuyen Au cours de la mise en place d'un dispositif de bouclage en vue de la fouille du village de Thai Binh (2 kms S. de Van Dinh), le sergent-chef Mohamed ben el Arbi, Mle 181 de la 1ère compagnie s'égare et pénètre dans le secteur du poste de Nam Duong, il tombe sur une embuscade du poste qui ouvre le feu, et est tué sur le coup. Au cours de l'après-midi, environ 1.047 réfugiés du village de Bot Xuyen passent le Day à hauteur de Tu Duong, sous le contrôle du chef de district et de la 2ème compagnie. Dans la soirée, le I/1° RTM reçoit du SSFR un ordre particulier prévoyant sa relève le 5 novembre, et son retour le même jour à Vi Thanh. 4-11-51 L'ordre prévoyant la relève du bataillon est annulé au cours de la nuit. Dans la journée, la 2ème compagnie fouille le village de Kha Lam (1 km S.E; de Tu Duong) : elle y arrête 2 VM et 6 suspects et récupère quelques grenades et munitions. Deux VM, demandant à se rallier, se présentent à la 3ème compagnie. (Than Vat) et sont remis au poste local de Van Dinh. Le lieutenant Goury, officier de détail, vient en liaison au bataillon. 276


Le commandant du bataillon se rend à Ha dong, au PC du SSFR, pour y demander des précisions sur la mission éventuelle du I/1° RTM. 5-11-51 L'évacuation des villages de Bot Xuyen et de Lai Tao (à l'ouest de Tu Duong) se poursuit sous le contrôle du chef de district et du capitaine Videment, commandant territorial du quartier de Van Dinh. Les unités prennent à partie des isolés circulant en rive ouest du Day. Deux officiers VM viennent se rendre à la 2ème compagnie à Tu Duong. Ils appartiennent au TD 52. A la suite d'incidents sérieux entre Africains et partisans, la compagnie de supplétifs de Doan Xa est relevée. 6-11-51 Le SSFR fait savoir que le III/13° DBLE arrivera dans la soirée pour s'installer dans la région de Nam Duong (4 kms sud de Van Dinh). Aucune indication n'est donnée sur une modification de la mission du I/1° RTM. Au cours de la nuit du 5 au 6, un VM sans arme tentant de franchir le Day d'ouest en est est tué par une patrouille du poste de Nam Duong. Le III/13° DBLE 1 arrive vers 22h00 et s'installera finalement à Dinh Xuyen (5 kms sud de Van Dinh). Le commando n° 21, venant de Lac Dao, s'installe à Van Dinh. 7-11-51 Le SSFR fait savoir que le 1/5° REI arrivera dans l'après-midi pour s'installer en réserve dans la région de Nam Duong. Il arrivera effectivement à 16h30 et s'installera à Du Xa. 8-11-51 Le bataillon passe aux ordres du Groupement Mobile n°7 Au cours de la matinée, 6 ralliés se présentent à Doan Xa, parmi eux un secrétaire du TD 48 et des fonctionnaires de la police. Dans la journée, et sans que le I/1° RTM ait été prévenu, arrivent le PC du GM 2, le 2ème Muong, et une batterie d'artillerie. Le I/1° RTM est enfin avisé qu'il passera le 10 à zéro heure aux ordres du GM 7 dont le PC va s'installer à Nghi Loc (5 kms N.O. de Van Dinh). Mais on ne sait rien de la mission probable du bataillon qu'il faudra pourtant regrouper avant toute action (en particulier la 4ème compagnie, détachée à Noi Luu). On ne sait rien non plus du PC du GM 7, dont on ne voit pas très bien les possibilités d'installation au poste de Nghi Loc. 9-11-51 Le PC du GM 7 s'installe en définitive à Vinh Ha (1 km S.E. de Ngi Loc), mais toujours aucune indication sur la prochaine opération. En principe, les ordres seront donnés verbalement à 18h30. En attendant, la 4ème compagnie sera ramenée dans la soirée de Than Bo sur Vinh Loc Thuong. Le bataillon est ainsi relativement rassemblé sur un front de 7 kms. Au cours de la nuit du 9 au 10, 40 camions sont mis à la disposition du bataillon pour le transporter dans la région ouest de Nga Ba Tha (10 kms N.N.O. de Van Dinh sur le Day). Le mouvement ne sera exécuté que sur ordre ultérieur.

1- DBLE : Demi-Brigade de Légion Etrangère 277


10-11-51 Opération Tulipe, 3 jours dans les calcaires à l’ouest du Day Ce n'est qu'à 09h00 que le I/1° RTM reçoit l'ordre de se porter à l'ouest du Day à hauteur de Nga Ba Tha et de déboucher de cette région vers le sud à 11h30 couvert à l'ouest par un escadron de chars Schaffee. Le mouvement s'exécute de 09h30 à 11h00 ; mais le bataillon ne pourra déboucher qu'à 12h00 de sa base de départ après avoir assuré ses liaisons et attendu 2 sections de la 3ème compagnie retardées dans leur mouvement. En tête, d'est en ouest, les 3ème, 4ème et 2ème compagnies couvertes à l'ouest le long des calcaires par l'escadron de chars du capitaine d'Aram ; initialement en réserve la, 1ère compagnie. L'objectif de fin de journée a été fixé à hauteur de Khe Bo 7 kms plus au sud. Dès le début, la progression est retardée considérablement par le terrain tantôt marécageux tantôt broussailleux : seuls les chars escadronnent allègrement le long des pentes ; mais les fantassins se demandent parfois s'ils pourront poursuivre. Enfin vers 19h00 la 4ème compagnie s'installe sur la croupe ouest de Nuong Le, la 1ère compagnie à Tru Thon et la 3ème compagnie à Thui Lai ; le PC et la 2ème compagnie sont un peu en arrière à Giap Nhi. Les VM rencontrés se sont enfuis en direction des calcaires, vers l'ouest. L'escadron du capitaine d'Aram bloqué par le terrain rejoint la base de départ et passe en réserve du GM 7. 11-11-51 Après une nuit calme, le bataillon reprend sa progression, toujours considérablement ralentie par les marécages et les rach 1 En tête les 3ème 1ère et 2ème compagnies ; la 2ème compagnie à l'ouest doit traverser deux rach d'une profondeur de 1m50 ; au centre la piste suivie par le PC traverse de profonds marécages où l'on enfonce jusqu'à mi-corps. Les objectifs sont cependant atteints à 15h30, et en fin de journée le bataillon rejoint les cantonnements qui lui ont été fixés dans la boucle du Day à l'ouest de Van Dinh. Le ravitaillement qui avait été promis sur le Day brille par son absence.

1- Rach : cours d’eau 278


12-11-51 A 07h00, le 1° RTM se dirige vers le poste de Nam Duong où après avoir traversé le Day, il doit se tenir prêt à embarquer à partir de 11h00 avec le 6° BVN pour une destination inconnue. Il y a un embouteillage monstre sur la route ; le I/1° RTM ne quittera Nam Duong qu'à 14h00 : première destination, Sontay. Là on ne sait plus très bien où l'on doit se diriger. Enfin le convoi prend la direction de Dong Cao (10 kms ouest de Sontay) et s'arrête en pleine nuit à hauteur de ce que l'on suppose être le village de Tam Son (7 kms ouest de Sontay). Pendant que le I/1° RTM s'installe vaille que vaille dans Tam Son, le commandant de bataillon pousse jusqu'à Dong Cao pour essayer de se renseigner au PC du GM 7 : mais la consigne est manifestement au silence. 13-11-51 Marche de Yen Cu vers le Rocher Notre-Dame, et installation pour 2 mois Le bataillon s'installe provisoirement à Tam Son et envoie des camions de ravitaillement de toutes natures à droite et à gauche. Un "Briefing" est prévu à 14h00 à Yen Cu (5 kms S.O. de Tam Son) au PC du GM 7. On va enfin savoir ce que l'on attend du bataillon. Le bataillon a pour mission de se porter sur le Rocher Notre-Dame (à environ 30 kms au S.O. de Tam Son sur la Rivière Noire) par l'itinéraire : Yen Cu - carrefour 1 km est d'Ap Da Chong-Tu Phap-Xom Lung. Le I/1° RTM débouchera de Yen Cu le 14 à 00h00, et jusqu'au carrefour d'Ap Da Chong aura la charge, outre l'ouverture de la route, d'assurer la protection des unités du génie travaillant au rétablissement de l'itinéraire. Parti de Tam Son le 13 novembre à 20h00, le I/1° RTM est rassemblé à Yen Cu à 23h00 et, comme convenu, débouche à minuit de sa base de départ. La progression est lente, dans la nuit, sur un chemin enserré par la brousse, où l'on ne voit rien à deux mètres, et où on ne peut s'éclairer et encore moins se couvrir ni à droite ni à gauche sans ralentir considérablement la marche. Dès le départ, la coupure de la cote 61 nécessite le maintien en ce point de la 4ème compagnie pour assurer la protection d'une section du génie qui doit rétablir le pont. 5 coupures sont reconnues sur le chemin entre Yen Cu et le carrefour d'Ap Da Chong que le bataillon atteint le 14 vers 08h00, au lever du jour, alors que le pont de la cote 61 n'est pas encore rétabli. Sur sa demande, le I/1° RTM est relevé, par le 6° BVN, de sa mission de protection du génie. Il peut alors reprendre sa progression vers le sud, à partir de 09h00, par la route de Tu Phap sur le flanc ouest du Bavi. Cette progression se déroule normalement, par un temps magnifique, de bond en bond, ralentie seulement par la nécessité d'attendre le 6° BVN qui, passant par Ap Da Chong, doit venir progresser à notre hauteur sur la rive est de la Rivière Noire et atteindre Ap Phu Tho. A partir de Tu Phap, où il traverse une zone de cantonnement viet minh fraîchement abandonnée, le I/1° RTM est continuellement accroché par des éléments retardateurs que la compagnie de tête (3ème compagnie de Granger puis 1ère compagnie de Romet) doit manœuvrer, en particulier à la hauteur des cotes 61, 101 et 72. La 3ème compagnie s'engage par erreur sur la piste de Xom Sui et est accrochée au col entre Xom Ninh et Xom Sui. La 1ère compagnie replacée en tête, sur la direction du Rocher Notre-Dame, est accrochée à hauteur de Xom Boi. Ces deux incidents sont réglés assez rapidement et le bataillon arrive enfin vers 21 heures, dans la nuit et le brouillard au pied du Rocher Notre-Dame. Il y retrouve trois commandos du groupement du capitaine Richter, passés par les flancs sud du Bavi, et dont nous 279


n'avons appris la présence qu'en fin de journée. Au pied du Rocher est aussi mouillé, en Rivière Noire, un détachement marine (2 LCM 1et 1 Molitor). Deux hommes de la 1ère Compagnie ont été blessés par des grenades piégées que les V.M. avaient mises en assez grand nombre sur la route. Les tirailleurs sont fatigués par les 25 heures de marche qu'ils viennent d'accomplir en combattant. Néanmoins le bataillon s'installe "en carré" dans la nuit, s'entoure de "sonnettes"2 sur les hauteurs que l'on devine à peine, et s'endort sur le champ. 15-11-51 Reconnaissances et occupation de Tu Vu A l'aube, la liaison est prise avec le détachement marine arrivé la veille. Des reconnaissances sont entreprises en vue du franchissement de la Rivière Noire, qu'un banc de sable divise en deux bras, entre le Rocher Notre-Dame et l'ancien poste de Tu Vu sur la rive ouest. D'après les marins, il est possible de passer à gué entre le banc de sable et le poste de Tu Vu. Il est donc décidé initialement de pousser deux compagnies sur le banc de sable. L'une s'y installera en base de feu, pendant que l'autre s'emparera de Tu Vu, où ne se manifeste pour le moment aucune activité ennemie. A 11h00, le I/1° RTM reçoit du GM 7, par radio, l'ordre de pousser deux compagnies à Tu Vu : l'heure H est fixée à midi. En fait, les cadres sont encore en reconnaissance ; il faut les rameuter et alerter les unités. En outre un marin signale qu'il y a deux mètres d'eau entre le banc de sable et la rivière ouest. Il faut donc modifier le plan initial. Les LCM beacheront à 1.500 m au nord du poste, face au village de Tu Vu ; la 2ème compagnie s'installera aussitôt en couverture face au nord et à l'ouest pendant que la 4ème compagnie glissera par la plage jusqu'à l'ancien poste. Les 1ère et 3ème compagnies se tiendront en soutien sur la rive est. L'opération commence à 13h00 et se déroule sans incident. A 16h00, les deux compagnies sont en place à l'ancien poste de Tu Vu et s'y installent. Un groupe de mortiers de 81mm est immédiatement poussé en rive ouest aux ordres de l'adjudant chef Stil. Au cours de l'après-midi, une reconnaissance de la 4ème compagnie (section du Lnt. Balmitgere) est envoyée vers l'ouest, par la vallée du Ngoi Lat ; elle atteint les abords de Xom Go Lau (5 kms ouest de Tu Vu) sans rencontrer ni résistance ni population. En fin de journée, le génie pousse une portière M2 3 au Rocher Notre-Dame pour assurer les liaisons et transports à travers la rivière. 16-11-51 Le 16 novembre matin, le dispositif d'ensemble est le suivant : Les 2° et 4° Compagnies renforcées par un groupe de mortier tiennent en rive ouest l'ancien poste de Tu Vu. Le P.C. et le reliquat du bataillon tiennent le Rocher Notre-Dame dont une compagnie du 1° B.P.V.N.4 dépendant de la Marine défend la face sud. Le commando 18, laissé à la disposition du I/1° RTM après la dissolution du groupement Richter, est poussé à Tu Vu pour effectuer des reconnaissances et embuscades en rive ouest. Une reconnaissance de la 4ème compagnie, aux ordres du lieutenant Balmitgere, poussée en 1- LCM : Landing Craft Mechanized 2 - Sonnette : reconnaissance à proximité du poste en vue de déceler les approches ennemies 3- une portière M2 est un élément de pont flottant US, pouvant transporter du matériel ou servir de passerelle d’infanterie. C’est un bateau en contre-plaqué de 4,06m de longueur, 1,77m de large, 0,680 de hauteur, pesant 180kg, et pouvant emporter 15 hommes. 4- BPVN : Bataillon Parachutiste Vietnamien 280


direction de Yen Mao (6 kms N. de Tu Vu en rive ouest) jusqu'à la cote 64 manque de peu la queue d'une colonne d'évacuation VM, aperçue au sud de Dong Mit. Une autre reconnaissance vers le sud, toujours en rive ouest vers Lac Song (3 kms S. de Tu Vu) récupère une quantité importante de munitions de 60 et de 82 mm. Liaison au Rocher Notre-Dame du Chef de bataillon Vaillant commandant le bataillon de Légion qui, progressant sur l'axe Yen Le-Thuy Co, s'est installé vers Thuy Co à 4 kms au sud du Rocher Notre-Dame. Ce bataillon est séparé du I/1° RTM par une zone marécageuse entre la Rivière Noire et les hauteurs est ; les liaisons directes ne sont guère possibles que par la rivière. En outre il ne restera à Thuy Co que quelques jours, ce qui laissera un large trou entre le I/1° RTM et le secteur de Hoa Binh. Des liaisons avec Tu Vu, à travers la Rivière Noire, s'avèrent difficiles, par suite de la présence d'un banc de sable au milieu de la Rivière Noire, car si la portière M2 peut "beacher" à environ 500m au nord du poste, et encore, non sans inconvénients pour les hélices des propulseurs en raison des hauts fonds, les LCM de la marine ne peuvent aborder qu'à 1.500 m au nord du village de Tu Vu ; les transports doivent ensuite être faits à pied, dans le sable, et pourraient être interdits par un ennemi s'infiltrant dans l'ancien village de Tu Vu. L'état de la route entre le Rocher Notre-Dame et Yen Cu laisse fortement à désirer, les camions s'y embourbent et le ravitaillement arrive mal. 17-11-51 Travaux d’installation et de défense Une première dotation de barbelés et de mines, arrivée la veille par LCM au Rocher Notre-Dame, est poussée au poste de Tu Vu. Des reconnaissances du 1° BPVN 1 sont effectuées dans les vallées de X. Ninh et de X. Muon (2 kms E. du Rocher Notre-Dame), elles y décèlent la présence d'une quinzaine de guérilleros. En rive ouest, des reconnaissances sont poussées vers le nord, l'ouest et le sud, sans résultat. Tous les soirs des sonnettes et embuscades sont mises en place dans un rayon de 2 à 3 kms des positions du bataillon en particulier dans la vallée du Ngoi Lat. [ Plusieurs mois plus tard, le chef de bataillon replace dans le rapport qui suit les actions du I/1° RTM dans le plan global du commandement français. Pour éviter les répétitions, on ne reproduira pas les parties de ce rapport concernant la marche vers le Rocher Notre-Dame, la liste des embuscades et reconnaissances et l’attaque de Tu Vu, car elles reprennent quasiment mot à mot de larges extraits du journal de marche ]

1- BPVN : Bataillon Parachutiste Vietnamien 281


L’opération Lotus (Rapport postérieur du chef de bataillon Bernard de Boishéraud) La bataille de la Rivière Noire La « Bataille de la Rivière Noire » est un des éléments essentiels de la manœuvre d'ensemble du général commandant en chef en Indochine en cet automne 1951. Le général de Lattre de Tassigny veut profiter de l'assainissement relatif du delta tonkinois obtenu après une année d'activités incessantes de nos unités, pour regrouper ses réserves mobiles et, avant que l’aide chinoise au vietminh 1 ne se manifeste de façon massive, remporter un succès de prestige dans un secteur qui tient particulièrement au cœur de l'adversaire. Peut-être aussi, le général qui se sait gravement atteint et doit prochainement regagner la métropole veut-il auparavant remporter un succès personnel. Les régions du Than Hoa et de Vinh, au sud-ouest du delta, nous étant interdites pour des raisons de politique intérieure française, c'est la région d’Hoa Binh sur la rivière noire qui est choisie comme objectif. La prise de Hoa Binh, à 20 kilomètres à l'ouest de notre dernier poste sur la R.C. 6, privera le vietminh d'une de ses principales voies de communications entre le nord du Tonkin, à proximité de la frontière chinoise, et le nord de l’Annam 2. Cette opération sera complétée au nord par une poussée de nos forces vers l'ouest afin de les aligner sur la Rivière Noire entre Hoa Binh et, 45 kilomètres plus au nord, le confluent de la Rivière Noire et du Fleuve Rouge en y établissant une ligne d'avant-postes fortifiés le long de la rive droite de la Riviere Noire entre Trung Ha au nord et Hoa Binh au sud, et le long de la RC 6 3 jusqu'au point fort de Xuan Mai. Un tel projet est ambitieux, car il accroit sensiblement le territoire à contrôler par le corps expéditionnaire et conduira à implanter de nouveaux postes (donc à immobiliser de nouvelles unités) dans un terrain difficile où les communications terrestres et fluviales seront à la merci des infiltrations de l'adversaire. Mais, sur un plan plus général, on espère que la réussite de cette offensive aura une influence favorable sur le moral de 1a jeune armée vietnamienne, dont quelques bataillons seront, pour la première fois, engagés dans une opération d'envergure. On espère aussi qu'un succès facilitera le vote par le parlement de Paris des crédits nécessaires en l952, à la poursuite de la campagne d'Indochine avec des moyens accrus. Pour bénéficier au maximum de l’effet de surprise, l'offensive en direction de Hoa Binh et de la Rivière Noire (opération « Lotus ») est précédée les 10 et 11 novembre d’une offensive (opération « Tulipe ») visant à occuper la région des calcaires de Choben (à une quarantaine de Kilomètres au sud-est de Hoa Binh) où seront implantés de nouveaux points d’appui bétonnés. Les unités qui auront participé à l'opération « Tulipe » (diminuées des garnisons maintenues sur place) rejoindront dans la nuit du 12 au 13 novembre leur base de départ pour l'offensive en direction de la Rivière Noire. Hoa Binh et la Rivière Noire en aval de Hoa Binh sont atteints les 14 et 15 novembre sans opposition sérieuse de la part du Vietminh, qui n'opposent aucun régulier et dont les compagnies régionales refusent le combat, et, dès le 15 nos unités entreprennent l'organisation 1- VM : viet minh (Vietnam Doc Lap Dong Minh), mouvement crée le 18 mai 1941, réclamant l’indépendance du Vietnam 2- Viet Bac : région au nord de l’Annam, où est implanté le viet minh.. 3- RC : Route Coloniale 282


défensive de leurs positions. Le Vietminh ne mettra qu'une quinzaine de jours à réagir. Dès le 18 novembre, il aura arrêté son nouveau plan de bataille. Au cours du mois de décembre, il portera son effort sur nos nouveaux postes implantés le long de la Rivière Noire cherchant d'abord à les isoler et à interdire tout acheminement de ravitaillements et de renforts à travers le massif du Bavi. Les combats les plus intenses, mettant en jeu 1es deux meilleures divisions Vietminh, eurent lieu du 9 au 12 décembre dans le région du Rocher Notre-Dame, notamment au cours de la nuit du 10 au 11, lors de 1'attaque du point d'appui de Tu Vu par la division 308 et du 1l au 12 lorsque la division 312 s’efforça d'anéantir deux bataillons du 4°R.T.M. qui tentaient de rompre l'encerclement du Rocher Notre-Dame. Le général Salan (commandant en chef par intérim pendant l'absence du général de Lattre) décide de replier le 8 janvier l952 ceux de nos postes aventurés entre Ap Da Chong et le Rocher Notre-Dame, dont la défense et le ravitaillement immobilisaient des moyens trop importants et dont la présence ne gênait pratiquement plus le vietminh, celui-ci ayant très rapidement ouvert une nouvelle ligne de communications nord-sud à quelques kilomètres à l'ouest de la Rivière Noire ( juste hors de portée de notre artillerie) Le vietminh reporte alors son effort sur le secteur d'Hoa Binh s'attaquant aux défenses de la ville et surtout à ceux de nos postes qui gardent la RC 6 où sont acheminés tous les ravitaillements. Les pertes seront sévères, surtout du coté vietminh. Mais le maintien à Hoa Binh d’une garnison (obligatoirement importante) immobilise sur place et le long de la RC.6 des moyens qui seraient beaucoup plus utiles à l'intérieur du delta. Aussi le Général Salan, qui a succédé comme commandant en chef au général de Lattre, décide en février 1952 le repli sur le delta de tous les moyens engagés depuis plus de trois mois dans l'affaire d’Hoa Binh. Une opération délicate, montée dans un secret rigoureux, exécutée avec une rapidité et une maestria remarquable, permettront le 24 février d'effectuer ce repli avec un minimum de difficultés malgré la vigilance et l'agressivité des Vietminh. Le dispositif français Le 15 novembre, l’ensemble de la zone opérationnelle de la Rivière Noire relève directement du général de C.A Salan adjoint au général de Lattre de Tassigny commandant en chef; et non du général de Linares commandant les Forces Terrestres du Nord Vietnam (FTNV). C'est marquer l'importance que le commandement attache à cette zone. Celle-ci a été articulée en deux secteurs. .. - au sud le secteur de Hoa Binh, placé sous les ordres du colonel Clément commandant le GM 2, qui dispose également du GM 3 du colonel Vanuxem ainsi que d'un certain nombre d'unités de réserves générales. - au nord le secteur de la Rivière Noire, placé sous les ordres du colonel Dodelier commandant le GM 7. La mission du secteur de la Rivière Noire est de : - réaliser sur la Rivière Noire un système défensif amarré aux deux môles de Dan The (La Phu) et du Rocher Notre-Dame (Tu Vu). - rechercher le renseignement à l'ouest par des reconnaissances profondes vers Hunh Hoa-Than Son et Yen Lang. - contrôler la Rivière Noire pour assurer la liaison sud avec le secteur de Hoa Binh-RC 6. Les limites du secteur de la Rivière Noire sont fixées ainsi qu'il suit : - à l’est : la ligne des points d’appui fortifiés établis de Trung Ha au nord à Xuan Mai 283


-

(sur la RC 6) au sud, le long de la route dite des « concessions » (cette ligne exclue). à l’ouest : la Rivière Noire, y compris les têtes de pont de Tu Vu (en face du Rocher Notre-Dame) et de La Phu (en face de Dan The) au nord : le fleuve rouge de Huong Hoa et la route Trung Ha-Sontay (exclue). au sud : la ligne Huong Nha (6 kms sud-est de Tu Vu) cote 18 (2 km est de Huong Nha)-Yen le-Dong Coi.

L’articulation initiale du secteur est précisée par l’ordre particulier N° 27 (ci-après) du colonel commandant le secteur.

La partie nord de la Rivière Noire

284


La RC 6, la Rivière Noire et le massif du Bavi

285


ORDRE PARTICULIER N° 27 Exécution de l'Ordre n° 71/EMOTCC/3/LOT du 18.11.1951 I-

La défense du secteur de la Riviere Noire comprendra un système de P.A.1 appuyés au nord sur la tête de pont de La Phu et au sud sur la tête de pont de Tu Vu.

II-

Cette défense statique sera couverte vers l'ouest par des reconnaissances profondes menées par les commandos et des patrouilles et reconnaissances de portée plus limitée conduites par les éléments réservés et les unités des P.A. destinées à aérer ces derniers.

III-

En outre, les commandants des centres de résistance se relieront entre eux par l'envoi de patrouilles à pied et blindées dans les zones qui leur sont fixées.

IV-

A cet effet, le dispositif sera articulé de la façon suivante : A-

CENTRES DE RESISTANCE NORD

a) Centre de Résistance de Dan The - La Phu aux ordres du chef de bataillon commandant le III/5° R.E.I.2 disposant de sa C.B.3 et d'un peloton de M 5 4 : P.C. à Dan The 1) P.A. de Dan The :

1 Compagnie du III/5° R.E.I. 1 Compagnie du 4° B.V.N.5

2) P.A. de La Phu :

1 Compagnie du III/5° R.E.I. 2 Compagnies du 4° B.V.N.

Moyen supplémentaire : 1 Commando (Cdo n° 22) Mission : Patrouilles et embuscades à l'ouest de la Rivière Noire : Limite nord : Le Fleuve Rouge Limite sud : La ligne Bao Yen (4 km S.S.O. Dan The) Cote 109. b) Centre de résistance de la Maison Forestière – Xom Bu aux ordres du chef de bataillon commandant le 4° B.V.N. 6 disposant de sa C.B. - P.C. à cote 67. 1) P.A. de la Maison Forestière :

1 Cie du III/5° REI. 1 Cie du 4° B.V.N.

2) P.A. de Xom Bu :

1 Cie du III/5° REI. 1 Cie du 1° B.P.C.

1- PA : Point d’Appui 2- REI : Régiment Etranger d’Infanterie - Commandant Dufour, Légion Etrangère. 3- CB : Compagnie de Base 4- 5 chars Stuart M5 5- BVN : Bataillon Vietnamien du nord- Commandant Vanh, Armée vietnamienne. 6- Vanh 286


c) Mission de ces deux centres de résistance : Pousser rapidement les organisations défensives des P.A. et coordonner leurs moyens de feux de façon à être en mesure de résister à une attaque V.M. B-

CENTRE DE RESISTANCE DE LA COTE 30 Aux ordres du chef de bataillon commandant le 6° B.V.N.1 P.C. à la cote 50 Moyens : 6° B.V.N. moins 1 Compagnie. Mission :

1) 2) 3) 4)

C-

Couvrir vers le nord le P.A. de Tu Vu - Rocher Notre-Dame Etablir une liaison entre le P.A. nord et le P.A. sud Servir de base pour l'implantation future d'un P.A. sur la rive gauche de la Rivière Noire Même liaison que les centres de résistance nord.

CENTRE DE RESISTANCE SUD

a) Centre de résistance de Tu Vu - Rocher Notre-Dame Aux ordres du Chef de Bataillon commandant le I/1° RTM2 disposant de sa C.B. et d'un escadron de M 5 à deux pelotons chargé en particulier de la liaison avec la cote 30 – P.C. à Rocher Notre-Dame. 1) P.A. de Rocher Notre-Dame :

2 Cies du I/I° R.T.M. 1 Cie du 6° B.V.N. 2 Cies du I/I° R.T.M.

2) P.A. de Tu Vu : Moyens supplémentaires : 1 Commando (Cdo n° 18)

Mission : Patrouilles et embuscades à l'ouest de la Rivière Noire Limite nord : La limite sud du Commando 22 Limite sud : Ligne Huong Agha (5 km S.S.E. Tu Vu) Nui Tau (Cote 685) - Nui Hen (cote 1160) 3ème batterie du GACAOF 3. 1 compagnie du génie, pour le rétablissement des itinéraires. Cie 3/I) 1 détachement de propulsistes de la légion pour assurer les liaisons entre les deux rives de la Rivière Noire b) Mission : Même mission que le centre de résistance nord. D.

RESERVES 1) 1° B.P.C.4 moins 1 compagnie au carrefour Ap Da Chong. Mission :

Nettoyage au nord et au sud du Carrefour dans la zone comprise entre le parallèle 1441 et le parallèle 1449.

1- Capitaine Desbordes de Cepoy. 2- Commandant de Boishéraud. 3- capitaine Quirici 4- Capitaine Moretti. 287


Embuscades et patrouilles sur la rive ouest de la Rivière Noire sans toutefois dépasser la Bomb Line.

2) C.L.S.M. du G.E.R.D. Mission :

Patrouilles et embuscades sur la face ouest du Bavi dans la zone limitée : - au sud par le centre de résistance de Tu Vu - au nord par le centre de résistance d'Ap Da Chong - à l'ouest par la route d'Ap Da Chong-Tu Vu.

3) ESCADRON d'A.M. DU G.E.R.D. À Yen Cu Mission :

A la disposition du Colonel commandant le Secteur de la Rivière Noire1.

E.

ARTILLERIE : Voir calque.

F.

GENIE (routes)

(bétons)

Compagnie 3/1 Rocher Notre-Dame Compagnie 31/3 Carrefour Ap Da Chong Compagnie 61/1 - Yen Cu

Mission : 1) Rendre les itinéraires Dan The-Rocher Notre-Dame et Yen Cu-Ap Da Chong praticables en tous temps à tous véhicules jusqu'à 18 tonnes incluses. 2) Ouvrir la route qui, longeant la rive droite de la Rivière Noire, reliera le P.A. d'Ap Da Chong au Rocher Notre-Dame en passant par les P.A. et COTE 30. 3) Aménager les terrains de Morane de Yen Cu-Tu Vu et de Dan The. P.C. le 24 novembre 1951 Le Colonel commandant le Secteur de la Rivière Noire

La manœuvre vietminh 2 Depuis son échec de Ngia Lo, en pays Thai, au début d'octobre, le commandement Vietminh poursuit la préparation de ses offensives d'automne et d’hiver. L'aide chinoise est maintenant devenue très efficace ; les routes venant de la frontière de Chine ont été remises en état ; les convois de camions et de coolies assurent les transports logistiques et seront en mesure d'alimenter la bataille. Les unités régulières sont soumises à un entrainement intensif et se préparent notamment à effectuer de longues marches en terrain difficile, des franchissements de rivières, des embuscades mobiles et des attaques massives de points d’appuis fortifiés. L'éducation politique est développée à tous les échelons afin de fanatiser cadres et 1- Colonel Dodelier commandant le Groupe Mobile n° 7. 2- reconstituée à posteriori d'après les renseignements recueillis sur place et par l’EM des FTNV à Hanoi 288


troupes. Au début du mois de novembre 1951, les divisions régulières sont stationnées loin de la Rivière Noire et du Bavi. - La division 308 (régiments 36-88 et 102) est dans la région nord de Phu To entre le F1euve Rouge et la Rivière Claire. 1 - La Division 312 (régiments 141-165 et 209) est à cheval sur le Fleuve Rouge entre Phu To et Yen Bai - La Division 320 (régiments 64-52 et 48) est dans la région de Chine Phuncquan au sud-ouest du delta. - La Division 304 (régiments 9-57 et 66) se trouve sur la face ouest du delta vers Choben et Vinh Dong. - La Division lourde 351 (génie et artillerie) stationne vers Tuyen Quang, au nord du Tonkin, à proximité de la frontière chinoise. L'offensive française des 10 et 11 Décembre sur la trouée de Choben (opération « Tulipe »), suivie de l’occupation de cette région, la rapidité du déplacement de nos forces vers le nord, et du déclenchement, le l4 novembre, de notre offensive sur la Rivière Noire en aval de Hoa Binh (opération « Lotus »), suivie de 1'installation de nouveaux postes entre Hoa Binh et Fleuve Rouge, a surpris le commandement Vietminh et bouleversé ses plans. Pratiquement, les VM n’opposèrent pas de résistance sérieuse à notre progression; seules quelques unités régionales tentèrent de mener quelques actions retardatrices ou de harcèlement. Mais, le commandement Vietminh ne peut supporter cette défaite qui, outre l’atteinte portée à son prestige, le prive d'une voie de communication importante entre le Nord Tonkin (frontière Chinoise) et le Nord Annam (Viet Bac), à proximité du delta tonkinois. Il lui faut réagir avant que les troupes françaises aient pu s'installer solidement en implantant, de Huong Hoa à Choben, une nouvelle ligne de points d'appuis bétonnés ; il souhaiterait même obtenir un succès spectaculaire avant la discussion par l'Assemblée nationale française des nouveaux crédits pour la campagne d'Indochine en 1952. Dès le 18 novembre, l'état major Vietminh a adopté un nouveau plan de manœuvres pour harceler notre dispositif, interdire l'arrivée de nos renforts, chasser nos unités de Hoa Binh et de la Rivière Noire et enfin rétablir ses communications nord-sud. Ce plan comporte la mise en œuvre des trois divisions d'élite 304,308 et 312. Au sud, la division 304 se voit confier la mission de faire face à Hoa Binh et d'y bloquer toute nouvelle offensive de notre part. Chargée des opérations de harcèlement sur la RC 6 et nos positions de Choben, elle s'installera au sud et au sud-est d'Hoa Binh avant la fin de novembre.

Au centre, la Division 312 sera responsable du front de la Rivière Noire et du Bavi. Elle infiltrera en rive est les régiments 141 et 165, chargés d'interdire toute arrivée de renforts 1- Les divisions 308 et 312 étaient des unités de choc, l’orgueil des vietminhs, constituées avec les premiers ralliés à Ho Chi Minh, instruites et armées en Chine, elles avaient décimé les colonnes Lepage et Charton sur la RC 4 au moment de l’évacuation de Cao Bang et de Lang Son. Au cours de l’hiver 1950-1951, elles avaient participé aux durs combats de Vinh Yen et de Dong Trieu. 289


venant du nord, de l'est ou du sud, et d’attaquer par l’est le point d'appui du Rocher Notre-Dame. Le régiment 209 aura pour mission d'attaquer le poste de Tu Vu, en rive ouest. L'attaque de Tu Vu sera initialement prévue dans la nuit du 5 au 6 décembre. Au nord, la Division 308 restera en réserve, prête à contre attaquer de flanc toute nouvelle poussée française vers l'ouest au sud du Fleuve Rouge à partir de Trung-Ha vers Thanh Son. Pendant ce temps, à l'intérieur du delta tonkinois, les unités régionales, mettant à profit le fait que nos réserves mobiles seront engagées sur le front de la Rivière Noire, devront intensifier leur actions pour réinstaller les « bases » de guérillas, rétablir les courants de ravitaillement en paddy 1 et en hommes, reconquérir les populations. Enfin une nouvelle ligne de communications nord-sud sera ouverte, à l'ouest de la Rivière Noire par Thanh Son-Cu Dong Ban Thon et Tu Ly pour rejoindre la RC 6 à une dizaine de kilomètres au sud-ouest de Hoa Binh. La division 304 réalise son dispositif au sud, face à Hoa Binh, vers la fin novembre. Le 20 novembre, la division 312 se met en marche vers le sud-est. Mais, venant de l'ouest, le bataillon Thai N° 3 (Cdt.Vaudrey) fait peser une menace sur la région Thu Cuc-Lai Dong (40 Kms ouest de Hung Hoa). Aussi, le 23 novembre, craignant que cette action du bataillon thai ne soit conjuguée avec une nouvelle offensive française vers l'ouest à partir de Trung Ha, le commandement vietminh modifie son plan initial. A leur passage à Than Son, deux bataillons du régiment 165 et un bataillon du régiment 141 sont dirigés vers l'ouest et engagés contre le 3éme bataillon thai. I1s ne reviendront que vers le 30 novembre, sérieusement éprouvés : les bataillons du 165 devront fusionner leurs débris pour constituer un bataillon de marche; le bataillon du 141 sera inapte à un effort sérieux. Cet incident malencontreux a retardé d'une quinzaine de jours l'action de la 312éme division et permis aux garnisons françaises des points d'appui de la Rivière Noire d'améliorer leurs installations défensives. Le commandant de la 312éme division estime que ses seuls moyens amoindris ne lui permettent plus de remplir sa mission initiale, contre un ennemi maintenant bien retranché. Le plan de manœuvre du 18 novembre est donc modifiée ; le contre-ordre interviendra au début décembre (vraisemblablement le 4 ou le 5, puisque le 4 décembre un prisonnier du régiment 209 croira encore que son régiment doit attaquer le poste de Tu Vu au cours de la nuit du 5 au 6) L'Attaque de Tu Vu est maintenant confié à la division 308 jusque là maintenue en réserve. C'est le régiment 88 qui mènera l'assaut dont la date est fixée en principe à la nuit du 12 au 13 décembre. Toute la division 312 (sauf deux bataillons) s'infiltrera à l'est de la Rivière Noire en traversant la rivière, partie au sud d'Ap Da Chong, partie à hauteur de Lac Song (8 kms sud de Tu Vu). Le régiment 209, passant par Lac Song, et s'infiltrant jusqu’à la région de X. Goc Dop (5 kms est du Rocher Notre-Dame) attaquera celui-ci en même temps que le régiment 88 attaquera Tu Vu. Deux bataillons des régiments 141 et 165, s'infiltrant par le sud d'Ap Da Chong, s'installeront sur les flancs ouest et nord-ouest du massif du Bavi de façon à harceler les communications entre Yen Cu et la Rivière Noire et à s'opposer à tout acheminement de renfort.

1- Paddy : grain de riz - 100 kg de paddy donnent environ de 50 à 60 kg de riz blanc entier, de 20 à 30 kg de brisures, sons, farines basses et de 20 à 25 kg de balles 290


Un bataillon du régiment 165 gardera le bac de Lac Song et assurera l'acheminement des ravitaillements du régiment 209. Enfin, un bataillon du régiment 141 poussera verse le sud jusqu'à la région de Yen Mong (11 kms sud de Tu Vu) pour y intercepter les convois fluviaux éventuels. Les mouvements de mise en place commencent dans la journée du 6 décembre, le jour J est fixé au 12 décembre.

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Le commandement vietminh avait sous-estimé les possibilités des services de renseignements français ainsi que l'efficacité des multiples reconnaissances et embuscades effectuées par nos garnisons de la Rivière Noire. Grace à ses agents et aux écoutes radio, l'état major des FTNV à Hanoi, suit assez bien les déplacements des divisions vietminh et même l'évolution de leurs manœuvres. Les indications fournies par les prisonniers capturés sur le champ de bataille et par quelques rares représentants de la population locale, ainsi que les observations de nos unités confirment et précisent les données des autres sources d'information. Le commandement français suivra au fur et à mesure les transformations du plan de manœuvre de son adversaire. En particulier, l'engagement de la division 308 face à Tu Vu et les franchissements de 1a Rivière Noire à Lac Song par la division 312 seront décelés dès le 6 décembre. Nous connaitrons, jour par jour les quantités de viande de buffles consommées par les unités VM dans la région de X. Goc Dop, à l'est du Rocher Notre-Dame. Ces renseignements permettront au général Salan de lancer aussitôt l’opération « jasmin » visant à rompre l'encerclement du centre de résistance Tu Vu-Rocher Notre-Dame. L'opération Jasmin débute le 10 au matin. Y prennent part le 1er BPC (commandant Moretti), le 1/4° RTM (commandant Decomp) et le 3/4° RTM (commandant Genin) 1. Le commandement vietminh, pour soulager ses troupes engagées dans le Bavi et devancer 1a contre attaque française, décide d'avancer au 10 décembre au soir l’attaque du poste de Tu Vu. Mais, au cours de la journée du 10 décembre, dans la région de Xom Sui, à 3 kms est du Rocher Notre-Dame, les éléments avancés de la division 312 durent livrer un combat extrêmement violent au 1° BPC, tandis que le régiment 209 (dont le colonel Nguyen Van Bang a été tué le 8 décembre au soir dans une embuscade) se voit menacé à l'est et au sud-est par la progression du GM 4 (I et III/4° RTM) et du 7° BPC. En conséquence, seule l'attaque de Tu Vu, en rive ouest par le régiment 88 sera déclenchée comme prévue le 10 décembre au soir. A l'est de la Rivière Noire, les unités de la division 312, qui devaient attaquer le Rocher Notre-Dame, seront occupées soit à panser leurs blessures, soit à se préparer à faire face à la menace qui se précise à l'ouest où les I et III/4° RTM viennent d'atteindre les crêtes qui dominent la région de Xom Goc Dop, sur les flancs sud du Bavi. Une opération est alors montée pour récupérer les unités dispersées dans le Bavi. Le Rocher Notre-Dame reste ensuite isolé pendant 3 semaines, ravitaillé en hommes et matériels par parachutages. Le I/1 RTM participe aux différentes opérations de nettoyage du Bavi et du Batray, au nord.

1- Voir les extraits de leurs journaux de marche à la suite de celui du I/1° RTM. 292


Tu Vu, le banc de sable et le Rocher Notre-Dame

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Le 16 novembre, la situation générale au Rocher Notre-Dame (Nui Che) est en gros la suivante 1 : Situation géographique Le centre de résistance, dominé de plus de 100 mètres par un rocher calcaire qui culmine à 132 mètres à moins de 80 mètres de la rive est de la Rivière Noire (Song Bo ou Da Giang) est coupé par celui-ci en deux parties : -A l’ouest, le point d’appui de Tu Vu (lui-même traversé par le lit encaissé du Ngo Lat), sur l’emplacement de l’ancien poste de Tu Vu, immédiatement au sud du village ruiné du même nom. Les vues du poste sont limitées à l’ouest par une ligne de crête, à environ 1500 mètres ouest de la rivière, couverte d’une végétation dense, orientée sensiblement nord-sud, d’une hauteur moyenne de 300 mètres et qui s’adoucit en face du poste (le col surnommé « Papillon » pour laisser passer, le long du Ngo Lat, la piste menant à la cuvette de Ban Thon. -A l’est, le centre de résistance proprement dit, englobant l’ensemble du Rocher, et qui s’étendra sur environ 1000 mètres le long de la rivière et 7 à 800 mètres de profondeur. La partie centrale, au nord du rocher est constituée de rizières inondables où aucune installation permanente ne peut être envisagée. Une énorme caverne traverse presque entièrement le rocher d’ouest en est, mais extrêmement humide ne sera utilisé qu’occasionnellement pour abriter soit des blessés soit des troupes de passage ; débouchant sur la rivière, à peu près au milieu de la base ouest du rocher, elle fait un peu l’effet d’une souricière. Les pentes du rocher sont extrêmement abruptes en particulier sur les faces nord et ouest ; aucune piste ne permet d’atteindre commodément le sommet, où seront installés plus tard un magnifique observatoire et un relai radio sensationnel, d’où avec un simple poste SCR 300 nous pourrons écouter les principaux réseaux de commandement du Tonkin, et, même encerclés, nous tenir à peu près au courant des opérations en cours. A l’est, le rocher plonge dans un petit étang, de 200m sur 200m environ, qui en protège plus ou moins les accès. Les premières pentes boisés du massif du Bavi commencent à 1 km de la rivière et s’élèvent progressivement vers l’est pour atteindre à 6 ou 7 km de là la grande ligne de crête nord-sud qui, séparant la vallée de la Rivière Noire du delta, culmine au nord à 1281 mètres, retombe à moins de 500 mètres puis remonte à 707 mètres à l’est du Rocher Notre-Dame. Le dispositif d'ensemble est le suivant : Les 2° et 4° Compagnies renforcées par un groupe de mortier tiennent en rive ouest l'ancien poste de Tu Vu. Le P.C. et le reliquat du bataillon tiennent le Rocher Notre-Dame dont une compagnie du 1° B.P.V.N.2 dépendant de la Marine défend la face sud. Le Commando 18, après dissolution du groupement Richter est mis à la disposition du I/1° RTM et poussé immédiatement à Tu Vu après l'exécution de reconnaissances profondes en rive ouest. Les communications entre le centre de résistance de la rive est et le point d’appui de Tu Vu en rive ouest seront assurés à travers la Rivière Noire par portière et bateaux M2 munis de puissants propulseurs et servis par un petit détachement de légion qui aura l’occasion de montrer son dévouement et son esprit de sacrifice. La vitesse du courant, la présence de hauts fonds, les variations brutales de niveau du fleuve suivant les chutes de pluies, l’existence d’un banc de sable mouvant, d’une centaine de mètres de long au milieu de la rivière, rendent la

1- Suite du rapport du chef de bataillon 2- BPVN : Bataillon Parachutiste Vietnamien 294


navigation difficile. A cette époque, les moteurs des propulseurs n’étaient pas sans faiblesses, et pratiquement le tiers d’entre eux était en permanence à l’entretien ou en réparation, ce qui diminuait considérablement les possibilités de transport d’une rive à l’autre. Les accès à la rive ouest étaient difficiles : les LCM de la marine (nous n’en verrons pas beaucoup) ne pouvaient s’échouer qu’au nord de l’ancien village de Tu Vu, à 1500 mètres du poste, et les bateaux M2 eux-mêmes ne pouvaient s’échouer qu’à 500 mètres au nord du poste, et encore non sans danger pour les hélices des propulseurs en raison de la faible pente du rivage. En pratique, tout transport de matériel (munitions, approvisionnement, barbelés, rondins, sacs à terre) en rive ouest nécessitait à l’arrivée un trajet à dos d’homme de 5 à 600 mètres dans l’eau et le sable. En outre, une occupation par l’ennemi de la partie sud du village de Tu Vu aurait pratiquement interdit tout abordage en rive ouest. Les transmissions entre les deux rives seront assurées évidemment par radio (en particulier grace au DLO d’artillerie détaché à Tu Vu) mais aussi par un câble téléphonique de campagne, prenant appui sur le banc de sable au milieu de la rivière, mais qui ne pouvant être tendu suffisamment plongeait dans le courant en période de crue. Il ne rompra cependant que deux ou trois fois, et jamais en période critique. Le centre de résistance est relié avec l’arrière (le PC du GM 7 est à Yen Cu, à 13 km à vol d’oiseau, de l’autre coté du massif du Bavi) par la piste longeant à mi pente les flancs ouest du Bavi pendant une quinzaine de kilomètres avant de rejoindre la piste qui relie Ap Da Chong (sur la Rivière Noire) à Yen Cu (Yen Cu est encore à 6 km du carrefour). Cette piste qui était très utilisée par les vietminh avant le 14 novembre sera rapidement aménagée par une compagnie du génie pour permettre le passage de GMC ; mais traversant une zone de végétation extrêmement dense, elle deviendra vite peu sure et dès la fin de novembre ne pourra plus être utilisée sans engager plusieurs bataillons pour assurer la sécurité. Aussi elle ne sera plus ouverte qu’occasionnellement. Une autre piste longeant la rive est de la Rivière Noire relie le Rocher Notre-Dame à Ap Da Chong (à dix kilomètres de là) en passant par les points d’appui de Ap Phuto (cote 30) et de Xom Bu ; mais son sol est sableux et elle ne sera remise en état que plus tard. Pratiquement coupée par les vietminh en décembre, elle ne sera utilisée qu’occasionnellement, notamment les 13 décembre et 8 janvier. En rive ouest, une piste carrossable par des véhicules légers, longe la rivière de La Phu au nord à Hoa Binh au sud. Cette piste dont les seuls points surs se situaient à La Phu, à Tu Vu et à Hoa Binh, ne sera jamais utilisée pour nos transports (sauf le 25 novembre par le colonel Vanhuxem faisant une liaison en AM de Hoa Binh à Tu Vu, pour revoir le poste qu’il avait occupé lors d’un précédent séjour au Tonkin). C’était une ligne de communication importante des vietminh entre le nord du Tonkin et le nord Annam. Son contrôle était un des buts avoués de l’opération « Lotus » lancée le 14 novembre. Elle traversait les affluents ouest de la Rivière Noire (comme le Ngo Lat à Tu Vu) sur des ponts faits de gros fagots de bambous, immergés de jour pour déjouer notre observation aérienne. Une jeep pouvait aisément franchir ces ponts, mais une tentative faite avec un bulldozer conduisit celui-ci au fond du Ngo Lat ... Les communications terrestres entre le Rocher Notre-Dame et l’arrière étaient donc précaires ; il était indispensable d’y constituer des stocks importants de vivres, de médicaments, de munitions, et de piles pour les appareils radio. A plusieurs reprises, notamment au début et à la fin de décembre, les ravitaillements ne purent être assurés, chaque fois pendant une dizaine de jours, que par parachutage. C’était alors une lourde charge pour l’aviation du Tonkin ; et au rocher Notre-Dame, il fallait ramasser

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denrées, munitions et matériels ainsi que les parachutes 1 puis stocker ceux-ci à l’abri en attendant de pouvoir les évacuer. On dut construire une baraque pour les parachutes et constituer un petit détachement spécialisé pour effectuer toutes ces opérations de ramassage et de stockage. Le commandement avait aussi espéré pouvoir ravitailler le Rocher Notre-Dame et même Hoa Binh, grace aux bâtiments de la marine et à l’emploi de jonques chinoises réquisitionnées (l’une d’elles qui avait effectivement atteint le Rocher Notre-Dame vers la fin novembre, y resta bloquée jusqu’au 8 janvier avant d’être incendiée au moment de notre départ). Mais c’était sans compter avec les caprices de la Rivière Noire (en basses eaux les bateaux ne passaient pas) ni surtout avec les embuscades des vietminh. Le dernier convoi fluvial qui tenta de revenir d’Hoa Binh fut totalement détruit par les vietminh le 22 décembre après midi à une dizaine de kilomètres au sud de Tu Vu. Quelques jours plus tôt, un autre convoi avait heureusement pu atteindre le Rocher Notre-Dame et évacuer notre stock de parachutes, ce qui permit par la suite de nous ravitailler à nouveau par voie aérienne. En arrivant au Rocher Notre-Dame, le I/1 RTM a deux préoccupations essentielles : - Se préparer à repousser l’inévitable contre attaque des VM en aménageant une solide position défensive. - Assurer sa propre sécurité et éviter les nouvelles surprises en effectuant, de jour et de nuit et dans toutes les directions, reconnaissances, patrouilles et embuscades dans un rayon de 4 à 5 km autour du poste.. Ces reconnaissances et embuscades sont effectuées soit par des unités du bataillon, soit par des unités mises temporairement à sa disposition (1ère Compagnie du B.P.V.N. - 1ère Compagnie du 6° B.V.N. - Commando 18 - Commando 22), permettant d'exercer en sûreté les travaux d'installation et d'être constamment renseigné sur les mouvements V.M. dont l'essentiel du plan d'attaque sera connu le 4 décembre. Travaux d'installation Ceux-ci entrepris dès le 16 novembre seront poursuivis sans arrêt jusqu'au 10 décembre. L'effort au cours de cette période étant porté sur le P.A. de Tu Vu. Il s’agit d’abord de creuser tranchées et postes de tir, puis de transformer ceux-ci ainsi que les PC et les centres de transmission en véritables blockhaus couverts, à l’abri des obus de mortier, aussi bien à l’est qu’à l’ouest de la Rivière Noire. Mais pour construire ces blockhaus, il faut des rondins suffisamment longs et gros qu’il sera nécessaire d’aller couper dans les bois environnants, qu’on ne trouve qu’en rive est. Il faudra donc aussi faire passer en rive ouest les rondins nécessaires pour les fortifications de Tu Vu qui sont évidemment prioritaires. Les 2ème et 4ème compagnies étant suffisamment occupées à aménager leurs positions et à effectuer des reconnaissances continuelles vers l’ouest, le nord et le sud, les 1ère et 3ème compagnies ont la charge de trouver, couper et transporter tous les rondins nécessaires, aussi bien pour le poste de Tu Vu que pour leurs besoins propres. Les premiers jours, les corvées de bois se font à proximité de nos positions, en zone de sécurité ; mais très vite il faudra aller de plus en plus loin (jusqu’à 2 ou 3 km) et, en raison des premières infiltrations VM dans le Bavi, consacrer une partie croissante des moyens à assurer la sécurité des chantiers de coupe et des transports, ce qui diminuera considérablement le rendement. 1- même les parachutistes sautant derrière l’ennemi deveaient ramener leurs parachutes ! 296


Cependant, les travaux sont menés activement, chacun ayant conscience que son sort en dépend et que le temps est compté. A la fin du mois, tout le monde est enterré solidement, y compris la camionnette des transmissions. Toutes les armes automatiques sont sous blockhaus et presque toutes disposent d’un emplacement de rechange. Les pièces de 105 de la 3 ème batterie du GACAOF sont abritées dans des alvéoles merlonnées 1 . D’épais réseaux de barbelés entourent chaque point d’appui, flanqués par le tir des armes sous blockhaus, et au début de décembre des rouleaux de barbelés nous seront encore livrés, in extrémis, directement largués des avions de transport. Les abords du poste de Tu Vu sont farcis de mines par le lieutenant Poinard et le sergent-chef Dalby ; malheureusement le premier sautera sur ses propres pièges dans l’après-midi du 10 décembre. Evacué d’urgence par avion sanitaire, il inaugurera ainsi le petit terrain de Morane qui vient d’être aménagé à proximité de Tu Vu et dont ce sera à la fois l’homologation et l’unique utilisation. Vers le 20 novembre, l’état major, qui avait pensé construire au Rocher Notre-Dame un point d’appui bétonné, demande de lui proposer un projet d’implantation des futurs blockhaus, pour une garnison d’environ une compagnie. La topographie des lieux s’y prétait fort mal, et aucun des cadres du bataillon n’avait l’expérience d’un tel travail, pas plus d’ailleurs que le commandant de la compagnie du génie qui se trouvait là. En outre, la perspective d’avoir à réaliser la construction proprement dite n’enchantait personne. Heureusement, les circonstances auront tôt fait de nous épargner cette corvée. Le bataillon était cependant loin de se douter que quatre mois plus tard il aurait à terminer et à occuper les points d’appui bétonnés de Choben. En attendant, le 4ème bureau nous fit parvenir un stock important d’outils de parc, pour lesquels il fallut d’abord construire une nouvelle baraque. 18-11-51 Poursuite des travaux de défense 2 La route du Rocher Notre-Dame à Yen Cu devient de plus en plus détestable, en particulier aux abords du Rocher : tous nos camions vont y rendre l'âme, si le génie n'y met pas bon ordre rapidement.

Construction d’une paillotte par les PIM

1- entouré par des levées de terre 2- reprise du journal de marche 297


19-11-51 Une embuscade de nuit, en rive ouest, dans la région de Lac Song (3 kms S. de Tu Vu) intercepte un sampan transportant 20 obus de 82mm chinois. Des reconnaissances poussées de jour vers le sud à l’est et à l'ouest de la Rivière Noire récupèrent dans cette même région 304 coups complets de 60mm et 128 coups de mortier de 82mm chinois. Les guetteurs VM, signalés depuis quelques jours sur toutes les crêtes, sont toujours en place. Le commandement aurait l'intention d'installer un nouveau point d'appui en rive ouest, à la cote 64, en face de la cote 30. Dans cette hypothèse, la garnison de chacun des points d'appui, Tu Vu et cote 64 en rive ouest, Rocher Notre-Dame et cote 30 en rive est se composerait d'une compagnie du I/1° RTM chargée d'exécuter les travaux et d'une compagnie du 6° BVN chargée d'assurer la sécurité. Cette solution éclaterait complètement les deux bataillons et présenterait de graves inconvénients au point de vue commandement, ravitaillement etc... En outre, on peut se demander dans quelle mesure la sécurité de chaque PA serait assurée par une seule compagnie du 6° BVN, notamment en rive ouest. 20-11-51 Les embuscades habituelles de nuit autour de Tu Vu et du Rocher Notre-Dame n'ont donné aucun résultat. Les reconnaissances en rive est signalent que les populations de certains villages, encore réfugiées dans la montagne, ne demanderaient qu'à se rallier. Elles y ont évidemment été encouragées. 21-11-51 Au cours de la nuit du 20 au 21, une embuscade du Cdo 22 dans la région Ap Phe (4 kms N. de Tu Vu en rive ouest) capture 5 VM qui tentaient de franchir la rivière d'ouest en est et récupère un mousqueton. Dans la matinée, un commando du 1° BPVN (Marine) effectue un coup de main dans la même région, y récupère un sampan, en détruit sept ainsi qu'un atelier de réparation de sampan et un cantonnement VM. Le colonel Dodelier, commandant le GM 7 (et qui a remplacé le lnt. colonel Bernachot) vient inspecter les points d'appui de Tu Vu et du Rocher Notre-Dame. Il confirme que le I/1° RTM sera chargé de l'exécution des travaux dans ces deux points d'appui ainsi que dans ceux des cotes 30 et 64 : c'est une pénible perspective et un officier spécialiste du génie est demandé instamment pour procéder aux études préliminaires. 22-11-51 Dans la nuit du 21 au 22 une embuscade de la 3ème compagnie dans la région d'Ap Phu Tu (3 kms N.N.O. du Rocher), ne donne aucun résultat ; par contre 5 suspects sont aperçus aux abords de Tu Vu. Dans la journée, la 3ème batterie du GACAOF 1, commandée par le capitaine Quirici, arrive au Rocher Notre-Dame. Faute d'emplacement en sécurité en arrière, elle s'installe au sud de Cho Chu le long de la rive est, dans le périmètre de sécurité de la 3ème compagnie. Cet emplacement, à découvert, à 600m du village de Tu Vu, paraît évidemment un peu osé. Le GM 7 prévient que, d'après des renseignements reçus d'Hanoï, une attaque de Tu Vu serait imminente. 1- GACAOF : Groupe d'Artillerie Coloniale de l'Afrique Occidentale Française 298


23-11-51 Au cours de la nuit du 22 au 23, une embuscade dans la région de Xom Muon intercepte quelques civils qui revenaient dans leur village chercher du ravitaillement. Ils déclarent ne pouvoir donner aucun renseignement. Une reconnaissance de jour dans la même région y récupère un fusil de chasse. Une reconnaissance de la 2ème compagnie, envoyée à 5 kms ouest de Tu Vu vers la cuvette de Ban Thon n'y décèle aucun indice de mise en place d'un dispositif d'attaque. 24-11-51 Une embuscade de nuit a été accrochée vers la cote 22, à 3 kms N. de Tu Vu, et au jour on retrouvera un casque VM sur l'emplacement de l'accrochage. La section du lieutenant Mistarlet (2ème compagnie) effectue de jour une reconnaissance dans la région de Xom Danh (5 kms, ouest de Tu Vu dans la cuvette de Ban Thon : elle aperçoit une douzaine de suspects qu'elle fait prendre à partie par l'artillerie. La piste qui relie le Rocher Notre-Dame à la cote 30 (point d'appui du 6° BVN) et à laquelle travaillaient le génie et du personnel des deux PA, est ouverte aux jeeps ; elle devra être encore très améliorée pour permettre le passage des GMC. Le I/1° RTM reçoit du GM 7 l'Ordre Particulier n° 27 concernant l'organisation du secteur de la Rivière Noire. 25-11-51 Une embuscade de nuit au col 3 kms ouest de Tu Vu essuie sans pertes quelques rafales de mitraillettes. Un supplétif du commando "Robert" qui a sauté sur une mine au PA sud de Tu Vu est inhumé au cimetière de Tu Vu. Le capitaine Py, Chef d'Etat major du GM 7 vient en liaison à Tu Vu : d'après lui, l'occupation de la cote 64, en rive ouest en face du PA de la cote 30, serait prévue pour le 27, mais un certain nombre de détails restent encore à régler. Une patrouille blindée, venue d'Hoa Binh par la rive ouest, fait liaison au poste de Tu Vu : elle est conduite par le colonel Vanuxem, Cdt. le GM 3, qui vient revoir le poste qu'il avait tenu lors d'un précédent séjour au Tonkin. Arrivée du lieutenant Goury, officier de détail, venu en liaison de Gialam. Au cours de la journée, la compagnie du 1° BPVN (commando Bataille) dépendant de la Marine et maintenue jusque-là au Rocher Notre-Dame, quitte le Rocher pour rejoindre son corps. Ce départ ouvre une brèche au sud du dispositif de défense en rive est, brèche qui est bouchée tant bien que mal par la section de pionniers du I/1° RTM. 26-11-51 Une reconnaissance du Lnt. Balmitgere (4ème compagnie) en rive ouest signale des travaux récents de terrassement dans la région de Dong Xuan-Xom Don (3 kms N.N.O. de Tu Vu) et ramène quelques outils de parc trouvés sur place. Le Lnt. Goury rejoint Gialam. Le commando 18 quitte Tu Vu pour rejoindre sa base. Arrivée d'un détachement de propulsistes (avec un important matériel 1) aux ordres du lieutenant Claval qui doit organiser l'instruction d'élèves propulsistes appartenant aux garnisons des différents PA.

1- Des bateaux (portières de pont M2), et des moteurs 299


Les deux compagnies du 6° BVN destinées à entrer dans la composition des garnisons des PA de Tu Vu et du Rocher Notre-Dame viennent reconnaître leur implantation future. Mais aucun ordre n'est venu confirmer la mise en place le 27 du nouveau dispositif, comme l'avait annoncé le capitaine Py. Le capitaine Charles du génie vient visiter les points d'appui en vue d'étudier l'implantation des futurs ouvrages bétonnés ; mais il n'a pas l'air d'avoir d'idées très précises sur la question : le 1° RTM risque d'être réduit à ses propres lumières. Le GM 7 demande au bataillon de désigner 1 officier, 1 sous-officier et 1 secrétaire pour l'Etat major du lnt. colonel Blanckaert, adjoint au colonel Cdt. le GM 7 : c'est vraiment catastrophique dans la situation actuelle.

La camionnette des transmissions au Rocher Notre-Dame 27-11-51 L'équipe de cinéastes, arrivée il y a cinq ou six jours au Rocher Notre-Dame pour assister à l'attaque du poste de Tu Vu par la division 312, repart déçue : le secteur est resté calme pendant tout leur séjour. D'après des renseignements donnés par le commandant Cormerais commandant le GACAOF, venu voir sa 3ème batterie, la mise en place de la garnison du PA de la cote 64 serait maintenant fixée au 28 novembre. Effectivement, vers 12h00 on voit arriver au Rocher Notre-Dame une flottille de 4 LCM, 2 Molitors et 2 jonques chinoises ; ce qui semble confirmer les renseignements de Cormerais. Mais, au début de l'après-midi, tous les bateaux appareillent pour le nord, sauf 2 LCM qui partiront le 28 à 05h30 pour Ap Da Chong. On continue à ne plus très bien comprendre. Le capitaine du génie venu étudier l'implantation des ouvrages des PA de Tu Vu et du Rocher Notre-Dame paraît un peu perplexe devant les problèmes posés. Les seuls travaux préalables à exécuter sont déjà considérables. En attendant il annonce tranquillement l'arrivée prochaine de 10.000 sacs de ciment et de matériels divers. C'est au I/1° RTM qu'il appartiendra de construire les paillotes pour abriter le ciment, d'aménager un quai de débarquement, d'assurer les déchargements etc... Comme c'est simple et que fait-on des VM pendant ce temps-là ? Là-dessus, le conseiller technique repart emportant avec lui ses plans et ses conseils. Dans la soirée, la 4ème compagnie prépare pour le lendemain une expédition dans la région de Yen Mao, pour reconnaître et nettoyer les abords de la cote 64, en attendant d'avoir à s'y installer. 300


A 22h00, changement de programme à la réception d'un télégramme du GM 7 en slidex1, qu'il faut d'abord décoder. Le bataillon doit, le 28 à partir de 07h30 exécuter une reconnaissance profonde à 5 kms à l'ouest de la Rivière Noire, afin de flanc garder l'opération principale qui doit se dérouler 12 kms plus au nord dans la région de Hoang Xa. Participeront à cette reconnaissance : 1- Le commando 22, la 4ème compagnie et 1 groupe de 81 déjà en rive ouest. 2- La 1ère compagnie et la 1ère compagnie du 6° BVN stationnées en rive est. Les moyens de franchissement de la Rivière Noire sont réduits à la portière du génie et aux bateaux M2 que le Lnt. Claval aura pu munir de propulseurs en état de marche. En première urgence, il faut au cours de la nuit, prévenir les intéressés et leur faire parvenir les ordres nécessaires. Pendant ce temps, les trois sonnettes habituelles sont accrochées au nord, à l'ouest et au sud de Tu Vu, à l'ouest en particulier l'affaire paraît sérieuse, et l'on signale parmi les adversaires la présence d'un individu parlant français, ce qui laisserait supposer qu'il s'agit d'une unité régulière. Le calme se rétablit peu à peu, mais il faudra se méfier pour la mise en route de demain matin. 28-11-51 Le franchissement de la Rivière Noire s'effectue à peu près normalement et sans à-coup ; les unités quittent Tu Vu à l'heure prévue. Il fait un temps affreux : pluie et brouillard. La progression est lente dans une brousse épaisse, où on ne voit rien à cinq mètres, et où il faut avancer au coupe-coupe dès que l'on abandonne les pistes. La mission est essentiellement de s'installer en barrage face au nord, sur 5 kms d'ouest en est, afin de boucler la vallée de Yen Lang-Xom Ne et d'avoir des vues sur la vallée de Hong Can (8 kms N.O. de Tu Vu). La première partie de la mission sera assez facile à réaliser et les unités seront en place vers 10h00 à cheval sur le col à hauteur de la cote 307, le commando 22 poussant jusqu'aux hauteurs est de X. Go Lau. La deuxième partie de la mission est pratiquement impossible en raison des conditions atmosphériques. Seules quelques éclaircies permettront de voir cette fameuse vallée de Huong Can qui paraît absolument calme durant toute cette journée. Dans la vallée de Yen Lang, on aperçoit par deux fois un groupe d'une quinzaine de suspects, qui, pris à partir au mortier se replient vers l'ouest dans la brousse et hors de portée. Les reconnaissances des jours précédents signalaient déjà que cette vallée était probablement assez fréquentée par les VM. Il semble bien que ceux-ci utilisent : 1- La piste remontant la vallée de Yen Lang-Xom Ne-Dong Xe avec un embranchement probable vers la cote 64 (X Gieng Dap) 2- Une piste joignant directement Ap Dong Xuan à Ban Thon et Xom Danh par Xom Ne et le col surnommé "Anatole". Le bataillon de marche commence son décrochage à 15 heures, sa tête arrive à 17h00 à Tu Vu, et à 18h00, toutes les unités ont rejoint leur position ; mais tout le monde est trempé. Seul résultat positif : 1 VM, se disant déserteur de la compagnie 50 a été capturé par la 1ère compagnie du 6° BVN. La division 312 n'est donc pas loin.

1- Slidex est un algorithme anglais de chiffrement manuel simple, peu résistant, basé sur une matrice de mots et phrases fréquemment utilisés. Il a été introduit par l'armée britannique pendant la Seconde guerre. Chaque grille consiste en une matrice de 12 par 17 cellules. Chaque cellule se compose d'une lettre ou un chiffre en rouge et d'un mot ou une phrase en noir. 301


29-11-51 Début du stage de propulsistes organisé par le Lnt. Claval et que suivent quatre stagiaires du I/1° RTM. Dans la matinée, le capitaine le Levreur est convoqué à Hanoï sans que l'on sache pourquoi ; cela sent la mutation. Ce serait une perte pour le bataillon et la 2ème compagnie, perte particulièrement sensible dans la situation actuelle, alors que le capitaine le Levreur commande le point d'appui de Tu Vu. 30-11-51 Le GM 7 fait savoir que le régiment 209, de la division 312 se trouve actuellement à une quinzaine de kilomètres au N.O. de Tu Vu et qu'il aurait perçu des pinces à couper les barbelés. Le GM 7 annonce aussi l'arrivée au Rocher Notre-Dame du Lnt. colonel Blanckaert qui prendra le commandement du sous-secteur sud Rivière Noire (I/1° RTM et 6° BVN). Le génie entreprend l'aménagement d'une rampe d'embarquement au nord du Rocher. 1-12-51 Le commando 22 renforcé d'une section de la 4ème compagnie, effectue une reconnaissance dans la région d'Ap Dong Xuan (3 kms N.O. de Tu Vu) et vers le col à l'ouest : il ne trouve aucun indice d'activité VM. Le capitaine le Levreur rentre d'Hanoï ; il sera affecté au cabinet du général de Linares ; mais celui-ci a promis d'attendre l'arrivée d'un remplaçant. Au cours de l'après-midi, la 1ère compagnie du 6° BVN effectue une reconnaissance à l’est du Rocher Notre-Dame, sans résultat. En fin de journée, catastrophe à Tu Vu : le bulldozer qui avait travaillé sur le PA sud, tombe dans le Ngoi Lat en traversant le pont de fagots de bambou ; on se demande comment on pourra le tirer de là, d'autant plus que le niveau de la Rivière Noire a monté et que le bulldozer est couché sur le côté, entièrement sous l'eau. 2-12-51 La 1ère compagnie du I/1° RTM exécute une reconnaissance en rive est au sud du Rocher Notre-Dame, dans la région de Thuy Codoi Thong-X Quop et pousse jusqu'à l'entrée de la vallée de Bai Vang (6 kms S.E. du Rocher) ; elle aperçoit quelques suspects au sud-est de Doi Thong et les fait prendre à partie par l'artillerie. A l'ouest de Tu Vu, une reconnaissance aux ordres du Lnt. Balmitgere pousse jusqu'à la cote 307, au retour, elle abat un régulier de la division 312 porteur d'un croquis sommaire des abords du poste de Tu Vu.

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Plan du poste de Tu Vu saisi sur un prisonnier VM Une reconnaissance du commando 22, en rive ouest, dans la région de Lac Song-X Dao (3 kms sud de Tu Vu) n'observe aucune activité suspecte. Dans la journée, visite du colonel Dodelier, commandant le GM 7 et du capitaine Py, son chef d'EM ; arrivée du lieutenant Goury, officier de détail, et des chefs comptables venus payer la solde et le prêt. En fin de journée, la ligne téléphonique que le Lnt. Durand s'efforçait d'établir depuis plusieurs jours entre le Rocher et Tu Vu est enfin en place : le câble de campagne a l'air de tenir bon malgré toutes les règles et les prévisions ; au milieu de la rivière il prend appui sur le banc de sable. 3-12-51 Au cours de la nuit du 2 au 3, la sonnette du col 3 kms O. de Tu Vu abat un régulier du Rgt. 209 et en blesse un second qui réussit à s'enfuir. La sonnette, restée sur place, est elle-même attaquée vers 05h30 par la valeur d'une section VM. Le S.C. Larbi, qui la commande, attend calmement le lever du jour pour se replier sans incident. Dans la journée, l'adjudant chef Janod rejoint le bataillon avec tous les supplétifs : les sections des 1ère et 3ème compagnies rejoignent leur unité ; la 262 CLSM (2 sections), ainsi que les sections des 2ème et 4ème compagnies sont installées au sud du Rocher. 4-12-51 Une reconnaissance de la 4ème compagnie dans la région d'Ap Phe (cote 23) tombe vers X. Trai Duoi sur un élément VM de 1 à 2 sections qui se disperse et disparaît. Dans la soirée, le commando 28 capture sur les hauteurs N.O. de X. Bo Ngang (2 kms O. de Tu Vu) un chef de groupe du Rgt. 209 qui posait une ligne téléphonique et était porteur de documents intéressants (qui seront transmis au GM 7). Il déclare que le poste de Tu Vu doit être attaqué dans la nuit du 5 au 6 par 3 bataillons de son régiment appuyés par d'autres bataillons de la division 312 ; le bataillon 164 serait déjà en position d'attente dans la cuvette de Ban Thon. 303


5-12-51 R.A.S. au cours de la nuit du 4 au 5. Le lieutenant Goury et les comptables repartent pour Gialam. Les travaux d'organisation du terrain sont poursuivis avec ardeur : au soir tout le monde est enterré à Tu Vu et presque tout le monde en rive est. Les services du bataillon s'installent dans la grotte. A 21h00, tout est en place et le bataillon attend calmement d'ailleurs. Les sonnettes sont parties comme d'habitude.

6-12-51 L'attaque n'a pas eu lieu. Par contre, une embuscade du commando 22 a blessé et capturé le commandant de la compagnie lourde d'un bataillon du Rgt 88 de la division 308. C'est là un élément nouveau. Le prisonnier, très loquace, déclare qu'il y a eu un contre-ordre et que le plan d'attaque est modifié. L'attaque de Tu Vu doit être menée d'ici 2 à 3 jours par le régiment 88, couvert au nord et au sud par le régiment 209. Il était arrivé la veille à la cote 307, et au moment où il a été capturé il effectuait avec les autres commandants de compagnie de son bataillon une reconnaissance rapprochée de nos positions. Il devait rejoindre son bataillon le 7 décembre dans la région de Cu Thang (17 kms N.O. de Tu Vu). Dans l'après-midi, la 1ère compagnie, après avoir traversé la rivière en LCM, reconnaît les hauteurs 2 kms ouest de Tu Vu et aperçoit quelques éléments VM vers Ap Dong Xuan. La section du Lnt. Balmitgere, qui s'est installée pour la journée sur la cote 307 signale quelques mouvements suspects dans la cuvette de Ban Thon, en particulier le long du Ngoi Lai. En fin de journée, l'aviation largue en chute libre sur Tu Vu 40 rouleaux de barbelés et 360 sacs à terre. Le colonel Dodelier, Cdt. le GM 7 est venu inspecter les points d'appui. Il envisage une opération vers l'ouest pour jeter le trouble dans le dispositif VM. Dans la situation actuelle, une telle opération paraît terriblement hasardeuse si elle est effectuée avec les seuls moyens dont 304


dispose le I/1° RTM ; celui-ci risquerait de tomber sur 4 à 5 bataillons VM qui auraient eu le temps de le voir venir. 7-12-51 Dans la nuit du 6 au 7, la sonnette sud de Tu Vu ouvre le feu sur un groupe d'individus probablement porteurs d'outils de terrassement : au jour on trouvera sur place des fléaux et des liens de bambou. Au lever du jour, les sections de supplétifs des 2ème et 4ème compagnies s'installent sur le banc de sable pour éviter que des éléments VM s'en emparent et prennent ainsi à revers les défenses de Tu Vu. Vers 12h00, un avion vient parachuter sur la plage de Tu Vu des barbelés et des sacs à terre. Un LCM vient décharger 100 rouleaux de barbelés à Tu Vu (1.500 m au nord) et 100 autres rouleaux au Rocher. Tout le personnel disponible est occupé au déchargement et au transport de ce matériel. 8-12-51 Dans la nuit du 7 au 8, un télégramme du GM 7 prévient que le régiment 209 aurait traversé la Rivière Noire à 10 kms environ au sud du Rocher et qu'il remonterait vers le nord. En fait, d'après les renseignements que continuaient à nous fournir les chefs de villages, un bataillon au moins serait déjà arrivé dans la région de X. Goc Dop ; de plus tous les soirs nous apercevons des lumières en direction de Lac Song. Aussi dans la matinée, la 3ème compagnie et la 262° CLSM effectuent une reconnaissance jusqu'au sud du village de Thuy Co à 5 kms au sud du Rocher Notre-Dame ; la 3ème compagnie qui suit la rivière ne voit rien ; la 262° CLSM qui la couvre à l’est essuie une dizaine de coups de feu venant des hauteurs. Dans l'après-midi, le commando 22 est, sur ordre du GM 7, retiré de Tu Vu et ramené aux abords du Rocher où il attendra sa relève. Dans la soirée, il est chargé d'exécuter une série d'embuscades dans la vallée Xom Tom, Xom Muon, Xom Mit. Son départ de Tu Vu affaiblit considérablement la défense du PA sud auquel il apportait notamment l'appui de ses 6 FM. Dans la journée, on apprend que le 1er BCP arrive dans la région de Xom Ninh et que le III/4° RTM va être poussé vers le carrefour d'Ap Da Chong. Le GMNA 1 ferait également mouvement à bref délai vers la région de Yen Le. En fin de soirée, la batterie de Tu Phap, déplacée sur Ap Da Chong, effectue un accrochage : le premier coup tombe à proximité de la 3ème compagnie et blesse grièvement 1 cavalier du 3ème escadron du GRDI n° 1. A 19h30, un avion parachute à Tu Vu des fusées éclairantes à grande puissance et des obus éclairant de 60mm Personne ne connaît le mode d'emploi de l'appareil de lancement des fusées. Vers 22h00, une patrouille du commando 22 signale qu'elle se replie après un accrochage sérieux et se dirige directement sur le Rocher. Ceci est contraire aux prévisions, le commando devait normalement se replier vers le nord. Mais il est trop tard pour relever les mines : 1 S/off. et 1 partisan sont blessés. Le sous-officier ramène des renseignements intéressants, notamment des documents pris sur un officier tué 2 et appartenant au régiment 209. Parmi ceux-ci un plan assez détaillé et exact du PA du Rocher Notre-Dame.

1- GMNA : Groupe Mobile Nord-Africain 2- Le colonel Nguyen Van Bany commandant le TD 209. 305


9-12-51 Sur ordre du GM 7, la 1ère compagnie effectue une reconnaissance dans la vallée de Xom Ton-Xom Muon où elle doit entrer en liaison avec le premier BCP 1 venant du nord en direction de Xom Mit. Pendant toute la matinée, l'incertitude règne sur la situation du premier BCP que l'on dit accroché sans que soit précisé où et dans quelles conditions. La 1ère compagnie prend enfin liaison radio, par l'intermédiaire d'un Piper avec une compagnie du 1° BCP qui ne signale rien d'extraordinaire. La 1ère compagnie rentre au Rocher Notre-Dame vers 16h n'ayant rien vu de spécial. Au cours de la journée on procède à un remaniement du dispositif du PA du Rocher Notre-Dame : a)- Le peloton de chars, resté en rive est, se place entre la 1ère compagnie et la 3ème batterie. b)- Remise en ordre du plan de feu du village dit "du génie" où règne un certain flottement. [ Etat des pertes adverses ; entre le 14 novembre et le 10 décembre : - 4 tués dénombrés (dont un officier) - 2 blessés - 9 prisonniers (dont 1 officier et 1 s/officier). ] 10-12-51 Opération de nettoyage dans le Bavi du 1° BPC sur Xom SUI A la sonnette S.O. de Tu Vu, un tirailleur de la 2ème compagnie est tué par balle ; un camarade qui cherchait à ramener son corps saute sur une mine. La journée commence mal. Une opération doit se dérouler dans la cuvette de Xom Sui en liaison avec le 1° BPC. Celui-ci doit nettoyer la cuvette en agissant sur l'axe X. Ninh-X Sui. Le I/1° RTM avait reçu l'ordre de boucler la vallée de X. Muon entre les cotes 53 et 93, avec la valeur d'une compagnie. La 1ère compagnie chargée de cette mission, quitte le Rocher vers huit heures (PC de la compagnie, SME 2, 3 sections de FV 3 et 1 section de supplétifs). La mise en place se déroule sans incident, avec les précautions habituelles et est terminée pour 10h00. 1 section est à X. Muon, le PC et 1 section sont au village de X. Dong Song (480-339), 1 section de FV et 1 section de supplétifs sont à la cote 93 et au col est de 93. La liaison radio avec le 1° BCP est assurée de façon intermittente par poste 300 sur le channel intérieur du 1° RTM. La liaison avec le PA du Rocher est assurée par poste 300. Le terrain est entièrement coupé, les vues sont très limitées. En particulier, la 1ère compagnie ne peut avoir aucune vue sur X. Sui, même de la cote 93. Dès la mise en place, la section de Xom Muon a un contact léger avec une patrouille VM sur les pentes sud de la cote 188. Quelques instants plus tard, la section de la cote 93 aperçoit dans le ravin N.E. de la cote 58 des éléments suspects qu'elle ne peut identifier. Le lieutenant Romet demande alors au 1° BCP, par radio, la situation de ses premiers éléments et particulièrement s'il a du monde sur les pentes sud de la cote 188. Il lui est répondu que le PC du 1° BCP n'a pas la liaison avec ses premiers éléments et qu'il est possible que certains se trouvent sur les pentes de 188. Le lieutenant Romet envoie alors une patrouille dans cette région afin d'essayer de prendre contact. La patrouille rencontre un élément VM assez important et se replie sur sa section après un échange de rafales de mitraillettes. 1- BCP : Bataillon de Chasseurs à Pied 2- SME : Section de Mitrailleuses et d'Engins 3- FV : Fusiller Voltigeur 306


Peu après, on entend une violente fusillade dans la cuvette de Xom Sui 1. Le combat se poursuit sans que la 1ère compagnie soit inquiétée ; mais elle ne reçoit aucun renseignement sur la situation exacte. Etablie sur un front de 1 km de part et d'autre d'une vallée encaissée et touffue, elle ne peut songer à pousser vers l’est. Au Rocher Notre-Dame, 1 section de la 3ème compagnie et 1 section de la 262° CLSM sont mises en alerte, prêtes à être envoyées en renfort à la 1ère compagnie et à faciliter éventuellement son décrochage en fin de soirée. Vers 14h00, le 1° BCP demande par radio à la 1ère compagnie d'essayer de pousser vers Xom Sui pour dégager des éléments qui y sont encerclés. Le Lnt. Romet demande au PC du I/1° RTM de lui envoyer des renforts afin de pouvoir pousser vers l’est tout en assurant ses arrières, en particulier à la cote 53. A 14h30, le commandant du I/1° RTM fait pousser sur la cote 53 les deux sections préalablement alertées, aux ordres du lieutenant Macaux. Malheureusement, ce renfort rencontre des difficultés d'itinéraire et de terrain et n'arrivera que vers 15h45 sur la cote 53. Le commandant du I/1° RTM se reconstitue une réserve en mettant sur pied une compagnie de marche aux ordres du capitaine Granger et comprenant : Le PC, 2 sections de la 3ème compagnie, et 1 section de la 1ère compagnie (la dernière qui avait été laissée à la garde du cantonnement). Vers 15h00, le I/1° RTM reçoit du GM 7 l'ordre de mettre 1 compagnie à la disposition du commandant du 3ème escadron chargé de rejoindre le 1° BCP par le nord pour l'aider à se dégager et lui porter vivres, munitions et moyens d'évacuation. La compagnie de marche Granger, seule disponible, est désignée pour cette mission. A 15h30, il ne reste plus au PA du Rocher Notre-Dame que des éléments de la CB, 1 section de la 3ème compagnie et 1 section de la 262° CLSM. Le PA est dangereusement dégarni et le bataillon reçoit l'ordre de faire replier la 1ère compagnie toujours en place dans la vallée de X. Muon et qui n'a pas encore reçu les 2 sections qui lui ont été envoyées en renfort. Il est prescrit à la 1ère compagnie de se replier à partir de 16h00, et le Lnt. Romet en prévient le 1° BPC. La fusillade semble d'ailleurs s'être calmée dans la région de Xom Sui. Seuls, les chasseurs mitraillent sans arrêt la piste entre Xom Sui et le col 1 km au N.O. La 1ère compagnie décroche lentement, avec prudence, sans incident. Son retour est retardé par un parachutage malencontreux de munitions sur X. Tom ; il lui faut récupérer parachutes et munitions pour les ramener au Rocher Notre-Dame où elle n'arrivera que vers 19h00. Pendant ce temps, la compagnie de marche de Granger, transportée en camions, a rejoint la cuvette de X. Ninh et pris liaison avec les chars et le 1° BPC. Elle participe dans la soirée à la tentative faite par le 1° BPC pour récupérer avec l'aide des chars des éléments dispersés qui se trouvent encore dans la cuvette de Xom Sui. La tentative échoue malheureusement ; mais la section Sabouret dégage un peloton de chars dangereusement assailli par les VM. La compagnie de marche rejoint à 20h00 le PA du Rocher Notre-Dame, trois quarts d'heures avant les préliminaires de l'attaque de Tu Vu. Dans la même journée, la garnison de Tu Vu envoie une forte reconnaissance aux ordres du Lnt. Balmitgere sur le col menant de Tu Vu à Ban Thon ; elle pousse jusque dans la région de Xom Ni et n'observe rien de particulier ; le secteur conserve sa physionomie habituelle ; aucun indice de mise en place d'un dispositif d'attaque n'est décelable. Et pourtant le régiment 88 ne devait pas être loin.

1- Voir le récit du combat du 1° BPC à la suite du journal de marche du I/1 RTM 307


Au cours de l'après-midi, le lieutenant Poinard et le Sgt. Chef Med Ould Med, Mle 345, qui posaient des mines sautent sur l'une d'elles. Le sergent-chef est tué, le lieutenant Poinard, grièvement blessé, est évacué par Morane à 18h00. C'est le premier Morane qui se pose sur le terrain de Tu Vu, ce sera le dernier 1. Cet accident coûte un excellent chef de section à la 2ème compagnie. Une reconnaissance de Tu Vu poussée au col 2 kms 5 à l'ouest rentre vers 18h00, sans avoir rien remarqué de particulier. Dans la soirée, les trois sonnettes habituelles ont été mises en place sans incident, l'une à l'ouest dans la région de X Bo Ngang, une autre au nord des lisières nord du village de Tu Vu, une autre au sud vers X Doi. A 19h45, la sonnette ouest signale qu'elle est accrochée par des effectifs importants. [ C'est le commencement de l'attaque de Tu Vu dont le déroulement fait l'objet du rapport ci-joint du capitaine le Levreur qui commandait le PA.]

1- Il y a un autre terrain au Rocher 308


Tu vu, PA nord et sud

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L’organisation défensive de Tu Vu, d’après un dessin dressé par le lieutenant Mistarlet Les deux parties nord et sud du poste sont séparés par le Ngoi Lat Le Rocher Notre-Dame est à l’est, sur l’autre rive de la rivière noire

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Attaque du poste de Tu Vu (Rapport du capitaine le Levreur, commandant le poste de Tu Vu) 19h45 La sonnette ouest, sergent Muet, tombe sur du "gros". Muet le signale calmement au 300 et demande des instructions car il lui manque un tirailleur pour se replier. Je conviens avec lui qu'il restera avec deux tirailleurs, cherchera le manquant, et se repliera rapidement en lançant une fusée rouge dès qu'il pourra préciser la force des éléments à son contact. Quelques minutes plus tard, la sonnette du bois "Tigre" tire et se replie. 20h00 Muet tire sa fusée rouge et se replie. Je répète le signal par deux fusées rouges du PC, ce qui fait replier toutes les sonnettes, sauf celle du nord qui, ne les ayant pas vues, se repliera, sans casse, mais en plein baroud vers 22h30 seulement. 20h30 Le lieutenant Mistarlet, commandant le PA sud, me signale au bigophone que des Viets, équipés d'outils de terrassement, commencent à travailler au sud et à 150 mètres environ de ses barbelés ; on les voit distinctement dans le clair de lune. On déclenche un tir d'artillerie "Papillon" "plus long" ainsi que des tirs de 60. En dépit de ces tirs entretenus, les Viets continuent à travailler, à enlever leurs morts et leurs blessés, à les remplacer au fur et à mesure, et leurs emplacements se font. A l'ouest de la section de l'adjudant Vicente, dans le PA sud, les Viets travaillent également, et on les traite à l'artillerie et au mortier. Cela semble les gêner davantage que ceux du sud. Le sergent-chef Braule qui, en liaison avec l'obusier de 75, contrôle la voie de pénétration du Ngoi Lat, me signale avec précision des essais d'infiltration que nous traitons de la même façon par artillerie, mortier de 60 et mortier de 81. Aucun tir d'arrêt n'a encore été déclenché, aucune arme automatique n'a encore tiré, aucune mine n'a encore explosé. Les liaisons par bigophone sont excellentes. Le capitaine Quirici transforme immédiatement en précises demandes de tirs les indications des chefs de sections que je lui transmets au fur et à mesure. L'adjudant-chef Still, en liaison bigo directement dans le réseau, reçoit aussi de moi ses demandes de tirs numérotés. Dans la partie nord et ouest du PA principal, aucune activité spéciale. 21h15 Déclenchement de la préparation de mortier de 82 sur le PA sud. Tirs de bazooka sur les blockhaus. Le lieutenant Mistarlet est blessé au cou. En contre-batterie, l'obusier et la 12,7 prennent quelques objectifs à partie. Notre artillerie et nos mortiers continuent à tirer d'après les indications forcément moins précises de ceux qui sont pris sous le feu. Aucune observation n'a été possible de la tour du poste ou des murs périphériques, car ces points sont constamment battus à la mitrailleuse (balles traçantes) et au 82. Bientôt, les Viets essayent de se rapprocher des barbelés, font sauter les mines en y lançant leurs vagues successives, se font arrêter sur les barbelés par nos armes automatiques qui déclenchent leurs tirs dès qu'elles ne sont pas directement prises à partie. Le blokhaus de la mitrailleuse est atteint au bazooka, le chargeur tué, le tireur blessé. On déplace la mitrailleuse vers l'emplacement de rechange et elle reprend le tir. Le sergent Clavard est tué à son poste, le caporal Arour Egalement, il y a quelques blessés ; mais dans l'ensemble les tranchées et les abris couverts donnent satisfaction et épargnent bien des vies. 23h00 La liaison bigophone est coupée avec Mistarlet et quelques minutes après, les Viets réussissent à introduire dans les barbelés un bengalore à leur manière. Le barbelé saute, une brèche est ouverte. Le clairon se met à sonner et une vague se rue en direction de la mitrailleuse et d'un fusil mitrailleur. Ceux-ci n'arrêtent pas de tirer. Le tir "Papillon" est ramené 311


vers les barbelés ; les 60 et les 81 donnent à plein et les Viets laissent sur le terrain une traînée de cadavres, jalonnant l'axe de tir de chacune de ces pièces. Ils sont refoulés. Un agent de transmission vient au PC dire que cela va mal : le lieutenant est blessé et les viets sont entrés dans le PA. En réalité, ils ont dû en repartir et à 23h30 seulement un nouveau bengalore explose, le bazooka recommence, le clairon sonne à nouveau, les Viets entrent en hurlant par les deux brèches existantes. Ils sont sur les tirailleurs - quelques brèves empoignades au corps à corps - la masse est là qui envahit tout et les deux malheureuses sections doivent renoncer à lui tenir tête ; elles refluent vers le PC et nous crient leur demande de passage sur le pont. On lève le tir, elles passent. Je sors du PC, les rassemble sur la face sud-est du poste, les calme rapidement. Pendant ce temps, Quirici a rapproché son tir "Papillon" sur le PA sud ; le char Fleurus et l'obusier tirent fusant sur la berge du Ngot Lat, clouent au sol les viets qui essayent de franchir le pont ou de traverser la rivière. Le tir se lèvera encore un instant pour permettre le repli de deux fusils mitrailleurs de renfort envoyés vers 21h30 par les sections de réserve du lieutenant Derkaoui. Les chars et la 12,7 reprennent aussitôt le feu, le tir "Papillon" raccourci martèle le PA sud. Au bout d'un quart d'heure, sentant que les Viets n'insistent plus, je fais faire halte au feu à toutes les armes et un calme relatif s'établit. Une nouvelle tentative d'infiltration avait été faite par le Ngoi Lat, mais Braule le signalait et on pouvait y faire tirer le 81, l'obusier et le tir "Tigre" : au bout de quelques minutes, la menace était conjurée. Le capitaine Denis, le lieutenant Mistarlet et moi nous employons à mettre chacun à sa place et à redistribuer les missions. La section de réserve du lieutenant Derkaoui qu'on avait placée au coin sud-est du poste laisse sa place aux sections Mistarlet et Vicente récupérées, et revient à son emplacement vers le nord. L'accalmie se confirme, on entretient quelques tirs à la demande de Braule, de Muet et du chef Bark. Vers le sud, les chars et la 12,7 empêchent toute tentative de mise en batterie d'une arme automatique ennemie. Le danger sud est nettement moins pressant. Vers le nord, toujours rien de très déterminé. Cependant, le lieutenant Balmitgere, qui a pris le commandement des 1ère et 2ème sections de ma compagnie, signale les indices de plus en plus clairs d'une préparation. Son observation est maintenant très difficile, car un brouillard opaque est tombé et il ne peut arriver à déceler qu'au son les manifestations de l'approche ennemie. Des mines sautent régulièrement (le lieutenant Poynard en avait littéralement truffé son secteur), et c'est en les posant que le même jour à 16h00 il s'était fait sauter avec le sergent-chef Mohamed, chef de la 1ère section. Ce dernier avait été tué sur le coup ; Poynard, grièvement blessé au ventre, avait pu être évacué à 18h15 par un Morane sanitaire). Je fais rapidement le point par une communication radio au bataillon ; je suis optimiste et demande qu'on prépare de la rive est un harcèlement au 60 et au 81 sur l'ancien village de Tu Vu et sur le terrain de Morane où on sent que les Viets s'affairent. Cela nous permettra d'économiser nos munitions. Les sergents-chefs Mayer et Tafani me signalent qu'ils ont déjà distribué beaucoup de munitions de réserve et qu'il faut en demander d'urgence, en particulier des obus de 50, de 60 et de 81. Le message est transmis à l'arrière où on fait le nécessaire pour nous préparer l'envoi de ces munitions à travers la rivière. L'adjudant-chef Still, ayant son PC des mortiers tout près de la Rivière Noire, je lui donne la mission d'évacuation des blessés par un bateau que l'on pousse vers l'île ; le bataillon les prend ensuite à l'île et leur fait passer le second bras du fleuve par la portière du génie. Au PC, le lieutenant Chevreul, commandant le peloton de chars, vient prendre liaison. Il est toujours calme, correct et souriant, se fixant dans un garde à vous impeccable en entrant dans le PC. Il ne dédaigne pas un petit verre de cognac pour se donner du vif ; je ne m'aperçois même pas qu'il est blessé à l'épaule et il n'en parle pas. Nous mettons au point notre idée de 312


contre-attaque immédiate avec les chars ; nous confirmons à tous qu'en cas de percée, les équipes de voltigeurs les plus proches d'un char se joignent à lui pour foncer immédiatement. Nous prévoyons qu'en cas de grosse percée, les chars "Fleurus" et "Jemmapes" se porteront l'un vers l'autre et avec les deux sections de réserve ou tous autres éléments à leur portée, ils progresseront par la plage, la suivant en direction générale du nord-ouest, puis se rabattront vers l'ouest en débouchant dans le flanc des Viets et le long des barbelés. Chevreul remet son béret, salue impeccablement et s'éloigne pour donner ses ordres. Je ne le reverrai plus vivant. Le lieutenant Mistarlet a, lui aussi, besoin de se remonter ; mais, une fois sa section remise en position, il ne voit qu'une seule chose : ses deux FM sont enrayés. Il les amène au PC, les démonte et les nettoie. Lorsque c'est fini, il consent à s'asseoir un instant, à se mettre un nouveau pansement au cou ; mais il chancelle un peu et un verre de cognac a vite fait de le remettre. Il repart à sa section. Le Maréchal des logis Gardel, chef de bord de l'obusier, a eu aussi des ennuis avec son 75; il en amène des pièces au PC et réussit à le remettre en état. Il repart tout content. Il vient de temps en temps faire un saut au PC prendre liaison. Il n'a plus qu'une vingtaine d'obus de 75 et les garde précieusement. 02h45 Cela se précise de plus en plus sur le PA nord. L'attaque s'annonce sans aucun doute. Tout à coup, le tir de 82 recommence à s'abattre massivement sur les emplacements de combat et le PC. Il vient manifestement d'une dizaine de mortiers installés sur le terrain de Morane. Il y a des blessés. Beaucoup accourent, ensanglantés, vers le poste, en particulier le sergent-chef Haddou, chef de pièce de 81 atteint d'un tir au but de ses confrères d'en face. On conduit les blessés vers un abri, en attendant de pouvoir leur faire gagner la plage. Le PC encaisse 4 coups de 82 sur son toit, mais nous ne recevons que de la poussière : les sacs à sable font une couche d'éclatement très satisfaisante. On fait tirer artillerie et mortier sur le terrain d'aviation. Le lieutenant Balmitgere me renseigne froidement sur les progrès de la préparation : les Viets coupent les barbelés bas devant lui : mais bien que ce soit à 50 mètres, on ne peut pas le voir, tant le brouillard et la poussière sont denses. On ménage encore les tirs d'arrêt, mais on les déclenche brusquement de temps en temps. Braule demande aussi des tirs dans le lit du Ngoi Lat. Les armes automatiques gardent précieusement leurs munitions : un arrosage ne servirait à rien dans ce brouillard. 03h30 Le clairon sonne. Quirici déclenche de confiance "Sauterelle" et "Panthere" dans les barbelés. Cela tire de partout : bazooka ajusté vers le poste et les blockhaus. Tirs d'artillerie et de mortier, tirs fusants de l'obusier et des canons de 37 des chars, tirs de mitrailleuses et d'armes automatiques. Le clairon sonne toujours et les Viets hurlent à tue-tête. On annonce que le ravitaillement en munitions arrive et on ne peut y envoyer que les seuls hommes disponibles sous la main : quelques hommes de la section de commandement et des servants de mortiers et de canon de 57 sans recul. Les sergents chefs Mayer et Tafani s'en occupent avec ardeur. Beaucoup de ces hommes et le sergent-chef Tafani lui-même seront blessés en exécutant leur mission de ravitaillement. 04h00 Je n'entends plus Balmitgere au bigophone. Au moment où je l'appelle, deux bengalores réussissent à faire deux percées dans les barbelés en face de la section du chef Bark et aux environs de la chicane nord. Les blockhaus sont aveuglés par les bazookas. C'est la ruée, le ruch des Viets qui pénètrent en criant des injures dans toutes les langues ; contournent les emplacements et cherchent à prendre à revers la section Braule vers la droite et les sections Balmitgere vers la gauche. L'accès direct au PC leur est encore interdit par les servants de mortiers qui tirent maintenant au fusil par les créneaux du mur de l'enceinte du PC. Une partie de la section Bark retranchée dans une seconde ligne devant ce mur leur cause aussi des pertes 313


graves et un flottement se produit. Balmitgere fait une liaison personnelle avec le char Jemmapes qui est près de lui, mais Jemmapes (maréchal des logis Vignot) n'a plus de munitions. Balmitgere revient rapidement à ses sections et constate qu'on s'y bat au corps à corps ainsi que du côté de Braule. A deux reprises le sergent Graziani tire du mur du poste au 57 sans recul, mais les lueurs le font trop repérer et à chaque fois la réponse est un coup de bazooka ajusté. 04h15 Nouvelle sonnerie de clairon amenant une nouvelle vague d'attaquants qui traversent les deux brèches. Un encerclement se produit, les sections Balmitgere se portent vers la plage, tendant de se joindre au char Jemmapes et à l'obusier Kehl qui viennent de se retrouver et conformément à mes ordres ont déjà essayé d'exécuter la contre-attaque prévue, emmenée par Denis et Mistarlet entourés de tirailleurs baïonnette au canon. Les armes automatiques Viets installées sur la route clouent les tirailleurs au sol. Au moment où arrivent les sections Balmitgere et Derkaoui, on tente encore une seconde contre-attaque. Cette fois, elle s'oriente vers le PC car Chevreul, resté sur son Medeah, vient de faire savoir au Jemmapes que le PC est encore occupé par nous et que les Viets s'y dirigent.

Mistarlet et Denis tentent donc avec les deux blindés de se diriger vers le PC et de faire la liaison avec Chevreul ; la manœuvre est encore violemment stoppée par des tirs de bazookas, de mitrailleuses et de F.M. de plus en plus denses. Mistarlet s'écroule, atteint d'une rafale dans le ventre, Denis a côté de lui est frôlé par la même rafale et tombe à l'eau. Les sections encore cohérentes traversent rapidement le bras de la Rivière Noire sous le feu des armes Viets de la berge. Elles arrivent sur l'île où on les installe face à Tu Vu afin de s'opposer à une poursuite. Quelques tirailleurs traversent l'île, rejoignent sa rive est et peuvent passer sur un M2 ; quelques autres veulent passer le deuxième bras à la nage, mais il y a trop de courant et la plupart se noient. Resté avec Quirici au PC, j'avais pu, après un saut sur la tour, me rendre compte que les Viets étaient partout et donner l'ordre de contre-attaque à Denis et Mistarlet. Quelques minutes plus tard, un agent de transmission vint nous prévenir que les Viets avancent vers la tour. Nous n'avons plus que nos radios avec nous, car tous les disponibles ont suivi Denis et Mistarlet. Nous brûlons hâtivement quelques papiers, le caporal Lafont détériore les postes radio. La tour 314


s'effondre sous un coup de bazooka. Nous gagnons le fleuve. Je saute sur un mur et égare mon porte cartes, je perds du temps à le retrouver et suis un moment isolé. Des Viets viennent sur mes talons, je m'aperçois à temps que c'est la section Braule qui, entièrement débordée par une percée finale sur le Ngoi Lat, se replie elle aussi vers l'île. Arrivé à l'île, je rassemble tout ce que j'ai sous la main et installe les sections face à Tu Vu. Le char Jemmapes et l'obusier Kehl s'avancent encore sur la plage vers le nord, leurs équipages, à bout de munitions détériorent leurs armes et se jettent à l'eau. Le Fleurus voit le char de commandement de Chevreul exploser sous un coup de bazooka à bout portant et prendre feu ; il ne peut que se diriger lui aussi vers la plage, après avoir accompli jusqu'au bout sa mission de protection du Medea ; son chef, le Maréchal des logis chef Taurin avait été tué vers minuit trente. Le Maréchal des logis chef Gardel, chef du Kehl a été grièvement blessé, il ne peut nager et se noie. Le Maréchal des logis Vignot, chef du Jemmapes, se jette à l'eau voulant chercher une barque pour le chasseur Catherine qui ne sait pas nager : il disparaît lui aussi, probablement blessé à mort. Les Viets, à grands cris, recherchent leurs blessés et les emmènent. Ils ne peuvent pas emmener tous leurs morts qui sont trop nombreux : plus de 250 ont été dénombrés le lendemain dans les environs immédiats. Il faut y ajouter tous ceux de la première attaque, tous ceux qu'ils ont emmenés et tous ceux qui ont pu être tués plus loin. C'est un véritable carnage. Les Viets abandonnent le poste avant le lever du jour. Le brouillard est toujours opaque. A sept heures, aidés par la première compagnie, nous repartons chercher nos morts et nos blessés. On retrouve sur le terrain toutes les traces de la lutte acharnée pendant huit heures et demie de quatre bataillons Viets contre deux compagnies de tirailleurs marocains puissamment épaulées par l'héroïque 3ème peloton du 3ème escadron de chars du 1er Chasseurs et par les tirs puissants et remarquablement précis de magnifiques batteries d'artillerie ; la 3ème batterie du GACAOF, la 3ème batterie du 1/4° RAC, la 7ème batterie du III/RAC. Rocher Notre-Dame le 16-12-51 Le capitaine le Levreur, Cdt le PA de Tu Vu. Pendant cette nuit du 10 au 11 décembre, le point d'appui du Rocher Notre-Dame n'est à aucun moment inquiété sur ses arrières. Il doit sans doute sa tranquillité à la mort du colonel Nguyen Van Bang, commandant le TD 209 tué le 8 au soir par une embuscade du commando 22, mais surtout à l'action du 1° BCP dans la région de Xom Sui au cours de la journée du 10 novembre, et à la présence des I/4° RTM et III/4° RTM sur les hauteurs à l’est de la vallée de Xom Muon, présence que nous ignorions au Rocher Notre-Dame. Les unités du point d'appui peuvent donc se consacrer entièrement à l'appui du poste de Tu Vu sous forme de : - tirs d'un groupe de mortiers de 81 sur les lisières sud du village de Tu Vu, le terrain de Morane et les abords sud-ouest du poste. - Tirs des mortiers de 60 des 1ère et 3ème compagnies sur tout le village de Tu Vu, en particulier dans sa partie sud. - Ravitaillement en munitions et évacuations sanitaires au cours de la 2ème partie de la nuit. Les tirs de mortiers avaient été mis en place au cours des journées précédentes. Ils furent exécutés au fur et à mesure soit à la demande du capitaine le Levreur, commandant le point d'appui de Tu Vu, soit à l'initiative du commandant du centre de résistance d'après les renseignements qu'il recevait de Tu Vu. Certains tirs non prévus initialement furent exécutés par transport de tir et d'après la carte, sans aucune possibilité de pointage précis en raison du 315


brouillard et de la fumée qui recouvraient le poste. La consommation totale de munitions des unités du PA Notre-Dame au cours de cette nuit a été de : - 525 coups de 81mm - 437 coups de 60mm Pendant toute la nuit, les liaisons entre le poste de Tu Vu et le PC du I/1° RTM au Rocher Notre-Dame ont été assurées par radio (postes 694 - postes 300 et postes des DLO 1). La ligne téléphonique, qui avait été tendue au travers de la Rivière Noire avec du câble de campagne (à défaut de câble plus approprié à la portée) fut peu utilisée en raison de l'excellent fonctionnement des liaisons radio. Les transports à travers la Rivière Noire étaient assurés par une portière et des bateaux M2 isolés. Mais les bateaux M2 furent coulés les uns après les autres au cours de la nuit; d'autres, dont les propulsistes furent tués, dérivèrent au fil du courant et ne purent être récupérés que le lendemain. En fin de nuit, il ne restait plus qu'une portière disponible. Ceci entraîna une insuffisance du ravitaillement en munitions du PA de Tu Vu. 04h30 Il est décidé de retirer la 1ère compagnie de ses emplacements et de la faire passer sur le banc de sable, au milieu de la rivière, pour faciliter la remise en ordre des éléments de la garnison de Tu Vu qui s'y sont repliés et entreprendre la contre attaque et la réoccupation du poste. La 1ère compagnie, rapidement rassemblée (moins sa S.M.E. 2 ) est transportée par l'unique portière restante jusqu'au banc de sable. Elle s'établit d'abord sur celui-ci, dans un épais brouillard et au milieu des éléments de la garnison de Tu Vu qui se replient devant le flot adverse. Toute la garnison de Tu Vu ayant évacué ses positions, et le brouillard persistant interdisant toute orientation, la contre-attaque sur le poste est décommandée, et les 2ème et 4ème compagnies remettent en ordre leur dispositif sur le banc de sable. Pendant ce temps, les unités viets fouillaient rapidement le poste de Tu Vu pour récupérer leurs blessés et se repliaient non moins rapidement, laissant sur place une partie de leurs morts et même de l'armement. ère Au lever du jour, dans le brouillard finissant, des patrouilles des 1 2ème et 4ème compagnies pénètrent dans le poste de Tu Vu, suivies immédiatement du reste des unités. Les quelques Viets restant sont rapidement liquidés et à 08h30 le poste est entièrement réoccupé.

1- DLO : Détachement de Liaison et d'Observation 2- SME : Section de Mitrailleuses et d'Engins 316


Les restes de la tour de Tu Vu Les pertes éprouvées par le I/1° RTM au cours de la journée du 10 et de la nuit du 10 au 11 novembre sont récapitulées dans les tableaux suivants : A- Pertes en personnel

Officiers Sergents-chefs Sergents Caporaux Troupe TOTAL (1) (2) (3) (4) (5) (6) (7) (8) (9)

TUÉS 1 (1) 1 (3) 3 (5) 1 (7) 6 (7) 12

DISPARUS

1 (8) 14 (8) 15 69

BLESSÉS 2 (2) 2 (4) 3 (6) 4 (9) 31 (9) 42

lieutenant Mistarlet (2ème compagnie) lieutenants Poynard (2ème compagnie) et Balmitgere (4ème compagnie) Mohamed (2ème compagnie) Tafani (2ème compagnie) et Haddou ben Aomar (CAB) Clavard (2ème compagnie), Abdallah ben Rodi (4ème compagnie) et Ngo Vuc (261° CLSM) Konierzny (4ème compagnie), Abdeslem ben Djilali (2ème compagnie) et Vu Van Hoat (CAB) dont 1 de la CAB, 5 de la 2ème compagnie et 1 de la 4ème compagnie dont Rouard-Gandon et Janin de la 2ème compagnie dont 18 de la 2ème compagnie, 14 de la 4ème compagnie, 3 de la CAB.

De son côté, le 3ème peloton du 3ème Escadron du 1er Chasseurs a éprouvé des pertes extrêmement sévères, notamment celles du lieutenant Chevreul, des maréchaux des logis Gardel, Vignot et Taurin et du chasseur Catherine. Ses cinq chars ont été détruits. 317


B - Pertes en matériel ARMEMENT

33 fusils MAS 36 - 4 Carabines US-8 PM MAT 49 3 PA-IRocket Gun - 1 FM 24/29 - 1 pistolet signaleur 3 mortiers de 60 - 1 canon de 57 sans recul - 1 plaque de base de mortier de 81 - 1 canon de rechange de mitrailleuse. GÉNIE 3 pelles Mle 16 - 3 pioches Mle 16 - 10 pelles de parc - 5 pioches de parc. TRANSMISSIONS 3 postes SCR 300 - 2 postes SCR 694 - 4 postes SCR 536 - 2 EE8 - 8 TS 10 - 4 lots CE 11 - 3 TS 33 - 2 MX 290 - 10 TL122B. Les bateaux M2 ayant coulé ou dérivé furent tous récupérés. De leur côté, les quatre bataillons VM, qui ont participé à l'attaque, ont subi des pertes très sévères : - 250 cadavres environ ont été dénombrés et enterrés le 11 décembre aux abords immédiats du poste (en particulier dans les réseaux de barbelés, les champs de mine et le long des axes de tir des armes automatiques). - d'autres cadavres qui n'ont pu être dénombrés se trouvaient également dans les herbes aux abords du terrain de Morane et au sud du poste. - un morane ayant survolé la région le 11 novembre a signalé de nombreux cadavres aux environs du poste. - un sous-officier resté en position pendant toute la nuit du 10 au 11 sur le banc de sable au milieu de la rivière a rendu compte qu'il avait vu les Viets évacuer par la plage de nombreux corps de tués ou de blessés. - un autochtone du 3ème escadron du 1er Chasseurs, fait prisonnier et évadé a déclaré que les viets avaient eu "un bataillon de morts" et avaient installé trois ou quatre hôpitaux dans la cuvette de Ban Thon (ce qui a été confirmé par les écoutes radio de Hanoï). - il est à remarquer qu'il n'a été trouvé qu'une trentaine de cadavres dans l'enceinte même du poste, alors qu'on y a relevé de nombreuses traces de tués ou de blessés (casques équipements - armes - débris sanglants). Les viets étant restés près d'une heure et demie à l'intérieur du poste ont pu profiter de ce délai pour évacuer leurs morts. En ce qui concerne l'armement viet, il a été récupéré à Tu Vu 2 pistolets PA 38 - 3 mitraillettes Thomson - 23 fusils Mauser Mle 1898 - 1 fusil mitrailleur de fabrication tchèque 1 mousqueton - 304 coups de mortier de 60 - 148 coups de mortier de 82mm.

[ A partir du 11 décembre, la totalité du I/1° RTM est au centre de résistance du Rocher Notre-Dame, renforcé par la 3° batterie du GACAOF, la 1° Compagnie du 6° B.V.N., 3 sections du Génie, 1 Escadron (moins un peloton) du 1° Chasseur. Au cours de la période du 11 décembre au 8 janvier, passeront également au Rocher Notre-Dame et pour des durées variables un certain nombre de bataillons (I/4° R.T.M. ; III/4° R.T.M. ; 1° B.E.P. ; 1° B.P.V.N.). Cette période est marquée essentiellement par les travaux d'installation défensive et par quelques opérations ] 1

1- Extrait du rapport du chef du bataillon 318


11-12-51 Réoccupation de Tu Vu Au lever du jour, les 1ère, 2ème et 4ème compagnies ont réoccupé le poste de Tu Vu. En visitant le champ de bataille on se rend compte de la minutie de la préparation de l'attaque : (emplacements de mortiers soigneusement placés entre les tirs d'arrêt et les barbelés itinéraires jalonnés jusqu'aux barbelés) ; et aussi du fanatisme de l'ennemi progressant à travers les champs de mines dans l'axe de nos armes automatiques, chaque homme étant couvert par le cadavre de celui qui le précède et le dernier arrivant finalement sous le créneau pour y placer sa charge d'explosif. Les murs du poste et sa tour sont totalement démolis par les coups de bazooka et de SKZ1. Les blockhaus des armes automatiques sont éventrés ; les tranchées sont à moitié comblées. Il ne paraît pas possible de réoccuper immédiatement le poste dans un tel état. Tout est à reconstruire. La question ayant été posée au commandement, le général Salan décide de ne plus occuper Tu Vu de façon permanente. Dans la soirée arrivent au Rocher Notre-Dame une moitié du III/4° RTM 2 qui, venant de l’est a réussi à traverser la vallée de Xom Muon malgré l'opposition du régiment 165 de la division 312, qui se trouvait donc dans cette région avec le régiment 309 pour attaquer à revers le PA du Rocher Notre-Dame. Le III/4° RTM fait partie d'un groupement aux ordres du lieutenant colonel Albert qui avait été envoyé à travers le massif du Bavi, dans des conditions impossibles, pour secourir le Centre de Résistance de Tu Vu - Rocher Notre-Dame. Retardé par le terrain et par les régiments Viets, ce groupement arrivait épuisé après la bataille à laquelle il avait assisté du haut des crêtes. En outre, le groupement avait été coupé en deux tronçons par les viets. La queue du III/4° RTM et le 1/4° RTM, aux ordres du chef de bataillon Decomps sont restés bloqués sur les hauteurs est de la vallée de Xom Muon et devront au cours de la nuit du 11 au 12 faire face aux assauts répétés des viets. Hanoi, le 11 décembre 1951

Commandement en chef en Extrême-Orient Etat-major opérationnel au Tonkin N° 318/EMOTCC/3 ORDRE D'OPERATION pour la nuit du 11 au 12 décembre et la journée du 12

I.

Sur la rive ouest de la Rivière Noire, dans la nuit du 10 au 11, l'ennemi a lancé de violentes attaques contre le poste de Tu Vu à partir de 23h00. Il s'est replié au jour après avoir éprouvé des pertes très sévères. Sur la rive est : - Au nord du Bavi des éléments V.M. sont infiltrés dans la région nord Ap Da Chong et entre Ap Da Chong et Yen Cu et exercent des actions de guérillas sur nos communications ;

1- Lance rocket 2- Voir après le journal de marche 319


- Au sud du Bavi des unités de la valeur de 2 à 3 bataillons ont été contenues par le 1° B.P.C. dans la journée du 10 dans la région de Xom Sui, par LE 7° B.P.C. dans la région de Chai Khoai, le 8° B.P.C. dans la région de Mai Thon Montagne. II.

Le G.M. 4 (E.M. et deux bataillons) passera aux ordres du colonel commandant le secteur Rivière Noire dès son arrivée au point d'appui du Rocher Notre-Dame.

III.

Le point d'appui de Tu Vu sera réduit à un poste de surveillance et d'alerte, pour la nuit du 11 au 12. Il sera renforcé et rétabli dans la journée du 12.

IV.

La position de Yen Cu a été renforcée par le 5° B.P.C. et 2 pelotons de Sherman dans la journée du 11. Le commandant de secteur s'efforcera de rétablir les communications entre Yen Cu - Ap Da Chong ; Yen Cu - Trung Ha et Ap Da Chong - Dan The.

V.

La couverture au sud du Bavi sera assurée par : - Le groupement P… (éléments de la 1° DMT et 7° BPC) aux ordres directs du général commandant en chef à partir du 12 décembre 0h00, maintenu en position dans la région est de Giap Thuong. - Le 8° B.P.C. aux ordres du lt-colonel commandant le secteur R.C. 6 en couverture dans la région de Mai Thon Montagne. Une liaison radio très étroite devra être assurée entre le groupement P... et le 8° P.B.C.

VI.

La surveillance de nuit sur la Rivière Noire entre Tu Vu et Lac song sera assurée par les éléments Marine en liaison avec les vedettes du R.I.C.M. 1 dépendant du secteur Hoa Binh.

VII. La défense au nord du secteur Rivière Noire est à la charge de la 1° DMT qui assurera la liaison avec le point d'appui de Dan The. L'Escadron de Sherman du G.B. 3 2 à 2 pelotons de chars et un soutien porté prélevé sur le 5° B.P.C. sont mis à la disposition à Trung Ha. Un P.C. opérationnel sera mis en place à Sontay par les soins de la 1° DMT. Le lt-Colonel A… prendra le commandement direct de l'ensemble des moyens intéressant le S/Secteur Sontay et la région au sud de Sontay, cuvette de Yen Le incluse. VIII. Les unités de réserve générale suivantes seront stationnées à Sontay : - 1° B.E.P. - S/Groupement blindé n° 1. Le lt-colonel A… est chargé d'étudier des interventions éventuelles sur les directions générales de Trung Ha et de Yen Cu, Ap Da Chong.

1- RICM : Régiment d'Infanterie et de Chars de Marine 2- GB : Groupe de Bombardement 320


IX.

ARTILLERIE

a)

Le II/RACM à 2 batteries en position dans la région de Xom Binh Cu, se portera dès que le G.M. 4 sera hors de portée : - une batterie à Yen Cu - une batterie à Tong Lenh

b)

Le Commandant de la 1° DMT disposera des feux : - de la batterie du G.A.C.A.O.F. 1 en position à Trung Ha - des unités du II/RACM en position à Tong Lenh

c)

Le Groupement P... normalement appuyé par la batterie du I/4° R.A.C. en position à Dong Doi - R.P. 21 pourra recevoir l'appui de la batterie du Secteur R.C. 6 en position à Ao Trach. Le Général de C.A. Commandant en Chef par délégation en Extrême-Orient P.O. le Colonel Gracieux Chef d'Etat-Major.

12-12-51 Opération de recueil du I/4 RTM Les 2ème et 4ème compagnies pansent leurs blessures et mettent de l'ordre dans leur matériel. La 4ème compagnie s'installe au sud du PA du Rocher, face au Ngoi Tom, secteur qui était resté très faible faute de moyens ; la 2ème compagnie va relever la compagnie du génie, sur la face nord est du PA. Une opération est montée pour recueillir le 1/4° RTM, qui a été accroché toute la nuit précédente sur les croupes de la cote 342 et est alourdi par de nombreux morts et blessés. Y participent : le PC du bataillon, les 1ère et 3ème compagnies, deux compagnies du III/4° RTM et deux compagnies du 1° BPC. [La mission du I/1° R.T.M. est de couvrir la marche des unités envoyées au devant du I/4° R.T.M. et de tenir solidement les cotes 53 et 93 jusqu'au repli complet du I/4° R.T.M. et des unités de recueil.] Les cotes 53 et 93 sont occupées sans difficulté. Le I/4° RTM qui a dû enterrer ses morts sur place, ramène tous ses blessés, traverse sans incident la vallée de Xom Muon, et rejoint le Rocher en fin de soirée. Tout le monde est de retour au PA pour 19 heures. La 1ère compagnie, laissée en arrière-garde, a été accrochée mais sans gravité. Les Viets se font moins mordants. Depuis la veille, la route de Yen Cu est coupée. Désormais tous les ravitaillements doivent nous être parachutés. Les avions se succèdent sans interruption au-dessus de la "Drop zone". Il faut d'abord recompléter les munitions du bataillon et de la 3 ème Batterie du GACAOF. Le point d'appui du Rocher est passablement encombré avec l'arrivée imprévue des deux bataillons du 4° RTM. On ne sait trop où les mettre à l'intérieur des barbelés. Et il serait dangereux de les stationner au dehors. Tous les blessés sont rassemblés dans la grotte, malgré la chaleur humide qui y règne. Là au moins, ils seront à l'abri des bombardements. Pour les autres, on se serre comme on peut en souhaitant que les Viets oublient de nous bombarder. 1- GACAOF : Groupe d'Artillerie Coloniale de l'Afrique Occidentale Française 321


[Deux sonnettes sont mises en place ; l'une sur le banc de sable face à Tu Vu, l'autre sur le Ngoi Tom, à 1 km à l'est du Rocher Notre-Dame. Cette dernière signale par deux fois des éléments ennemis au sud du Ngoi Tom ; mais il faut peut-être faire le point de l'énervement des tirailleurs qui appartiennent à la 4° compagnie, repliée la veille de Tu Vu où elle avait été fortement éprouvée lors de l'attaque du poste.] 13-12-51 Les parachutages continuent. Il faut mettre sur pied un détachement disposant de main-d'œuvre et de moyens de transport pour ramasser les parachutes et leurs charges. Un L.C.M. et un Monitor de la Marine qui remontent la Rivière Noire font escale au Rocher Notre-Dame, prennent à bord la plupart de nos blessés, chargent la presque totalité des parachutes récupérés, et repartent sur Hoa Binh. Les blessés graves sont évacués directement sur Hanoï par hélicoptère. Dans la soirée, il faut procéder à l'inhumation des morts des I/1° RTM, I/4° RTM, III/4° RTM, 1er Chasseurs et 1° BPC. 14 corps sont ainsi déposés dans le cimetière provisoire du Rocher Notre-Dame : parmi eux le lieutenant Mistarlet et le lieutenant Chevreul. Les travaux d'organisation défensive se poursuivent, de jour et au clair de lune. Il faut revoir tout le système qui avait été conçu essentiellement face à l'ouest, en appui de Tu Vu, avec une faible couverture face à l’est où l'on ne craignait initialement que des guérilleros. Maintenant nous avons derrière nous deux régiments de la division 312, fortement étripés heureusement. Au cours de l'après-midi, les I/4° RTM et III/4° RTM, toujours aux ordres du lieutenant colonel Albert, quittent le Rocher Notre-Dame en direction d'Ap Da Chong et de Trung Ha. [Toujours les deux sonnettes de banc de sable et du Ngoi Tom : celle-ci signale à nouveau la présence d'éléments V.M. de la valeur d'une section au sud du Ngoi Tom. Peut-être s'agit-il d'un bouchon destiné à couvrir des mouvements plus au sud ? Des signaux lumineux sont observés en effet chaque nuit entre la région de Thuy Co (sur la rive est) et la région de Lao Dong.]

14-12-51 Les parachutages se poursuivent toute la journée. Les travaux d'organisation défensive également, en particulier au "village du génie". D'après Hanoï, la division 312 serait passée en entier en rive est de la Rivière Noire. On doit cependant admettre que deux de ses régiments ont été sérieusement éprouvés, le 10 décembre par le 1° BCP, les 11 et 12 par les I et III/4° RTM. Le troisième régiment doit se trouver plus au nord à cheval sur la route Yen Cu - Ap Da Chong qu'il interdit. L'opération de nettoyage, entreprise dans cette zone ne semble progresser que lentement. Mais nous n'avons pratiquement aucune nouvelle officielle. Nous sommes renseignés essentiellement en écoutant les réseaux radio du GM 7 et le réseau radio "chef à chef" du général de Linares. Le poste 300 installé au sommet du Rocher peut écouter presque tous les réseaux du Tonkin. Après-midi : une section de la 3° compagnie est envoyée en reconnaissance dans la région de Thuy Co. Elle y trouve la trace de passages importants à travers la Rivière Noire (traces de pieds nus, de souliers à clous, et de chaussures à semelles caoutchoutées), sans pouvoir préciser le sens et la nature des passages. Ce renseignement est recoupé chaque nuit par l'observation qui signale des signaux lumineux échangés entre la région de Thuy Co et celle de Lac Song. Il faudrait que la Marine puisse patrouiller dans ce secteur. 322


15-12-51 Toujours pas de Marine. Les renseignements sur l'opération de nettoyage dans la région de Yen Cu sont toujours aussi rares. Quelques tuyaux sont glanés par l'écoute du réseau de commandement de l'EMOTCC 1, principale source de renseignements depuis quatre jours. Les nouvelles organisations défensives commencent à prendre tournure. Les Viets auraient d'ores et déjà affaire à du dur. Les parachutages continuent à cadence accélérée. Nous recevons à peu près tout ce que nous avons demandé, à l'exception du matériel de transmission. Pour sa première sortie depuis le 10 et sa remise en condition, la 2ème compagnie effectue une courte reconnaissance au nord-est du Rocher, sur les cotes 47 et 71 et le village de Xom Tom : R.A.S. 16-12-51 Au cours de la nuit du 15 au 16, la sonnette sud signale la présence d'un bouchon VM à hauteur du Ngoi Tom (600 mètres sud du Rocher). Des signaux lumineux sont échangés entre Thuy Co et Lac Song, correspondant certainement à des passages dans cette région. Mais l'artillerie n'exécute aucun tir de harcèlement, la Marine ne fait aucune patrouille, l'aviation ne se manifeste pas. Il serait pourtant intéressant de savoir au minimum dans quel sens se font les passages. La 2ème compagnie fait une nouvelle reconnaissance en rive est dans la région de la cote 71 : R.A.S. Au cours de la matinée, le bruit court qu'une nouvelle opération est montée dans le nord pour dégager la route entre Yen Cu et Ap Da Chong. Les renseignements que nous recevons sont toujours succincts, la principale source reste le réseau de commandement du PC OPS2 de Hanoï. On nous parachute des vivres, des munitions d'artillerie, des barbelés, des sacs à terre ... En fin de journée, un TO 3 du GM 7 annonce que l'opération du nord est en bonne voie. Les Viets repassent la Rivière Noire d'est en ouest. On nous demande de surveiller la rivière au nord du Rocher. Aussi le 1er BCP est chargé de monter une embuscade dans la région de Xom Trai Trau. Les travaux continuent. Il est urgent de les terminer pour permettre aux hommes de se reposer et aux unités de sortir. C'est indispensable, d'une part pour nous donner de l'air, d'autre part pour regonfler les 2ème et 4ème compagnies qui restent un peu sonnées et dont les hommes doivent reprendre confiance en eux-mêmes. Au début de la nuit, les observateurs et les sonnettes signalent encore des lumières dans les régions de Thuy Co et Lac Song. Toujours ni marine ni aviation pour surveiller ces passages. 17-12-51 Un détachement aux ordres du capitaine Denis et comprenant la section Balmitgere (4ème compagnie), la section Sabouret (1ère compagnie) et un mortier de 60 de la 1ère compagnie traversent la Rivière Noire à huit heures. Il a pour mission de fouiller les ruines du poste, de récupérer si possible du matériel, de voir si les Viets y reviennent, de rechercher des identifications, de faire l'inventaire des possibilités en vue d'une réoccupation éventuelle. 1- EMOTCC : état major du commandement des opérations à Hanoï 2- PC Opérations 3- TO : message transmis par le réseau de commandement 323


En début de soirée, une embuscade du commando 22 (aux abords duquel a été aperçue une vingtaine de Viets avec des casques métalliques) est accueillie par des grenades et se replie sur le Rocher vers 21h00, laissant une sonnette sur le banc de sable. Les nouvelles extérieures sont toujours rares, malgré le parachutage d'un courrier officiel essentiellement administratif. Un notable de Xom Muon, revient nous voir, il signale un rassemblement important de Viets dans la région de Xom Sui. Aucune liaison n'a encore été prise avec les éléments amis venant du nord. 18-12-51 Une opération est mise sur pied pour enterrer les cadavres de VM restés aux abords de Tu Vu. Le commando 22 assure une sécurité éloignée dans la région du col "Bernard" ; 2 sections du 1° BPC fouillent le village de Tu Vu et assurent la sécurité nord. Une corvée du I/1° RTM, aux ordres du lieutenant Balmitgere est chargée de l'inhumation des cadavres. D'après les renseignements recueillis par radio sur les réseaux des blindés, les éléments venant du nord espèrent faire aujourd'hui leur jonction avec nous. Il serait temps, pour pouvoir évacuer sur Hanoï le monceau de parachutes que nous avons amassés depuis 8 jours. Depuis quarante huit heures, la cadence des parachutages s'est d'ailleurs ralentie. Nous n'avons toujours pas reçu ni les postes 300 ni les bigophones demandés. La situation est particulièrement critique pour les postes 300 qui tombent en panne les uns après les autres. Il n'y en a plus que trois en état de marche pour l'ensemble du bataillon. En fin de journée, arrive le sergent Martin avec un camion de ravitaillement du bataillon, venant de Yen Cu. C'est la première liaison par la route depuis le 10 décembre. Un tirailleur de la 4ème compagnie, blessé par une grenade qui a explosé dans sa poche, est évacué par Morane. 19-12-51 Visite de membres de l’état-major Le sergent Martin repart sur Yen Cu par la route de la côte avec quatre camions sur lesquels on a chargé 400 parachutes. Il en reste encore au moins 1500. Le colonel Lennuyeux, sous-chef d'EM de l'EMOTCC et le chef d'escadron Boussarie, chef du 2ème bureau viennent visiter le champ de bataille. La sécurité du poste de Tu Vu est assurée par le commando 22. Le commandant Boussarie fait déterrer des cadavres VM pour mesurer leurs pieds afin de savoir s'il y avait des Chinois. Dans la soirée, le bataillon est prévenu qu'il participera le lendemain à une opération de nettoyage de la cuvette de Xom Sui en liaison avec les 1er et 2 eme BEP 1. Y participeront : 1 PC réduit de Btn., 1 groupe de 81, les 1ère et 3ème compagnies, la 4ème compagnie (moins 2 sections). 20-12-51 Nettoyage de la vallée de X Muon A cinq heures, le détachement du I/1° RTM quitte le Rocher dans la nuit et le brouillard. La 4ème compagnie s'installe à 07h30, en couverture face au sud et en échelon de recueil, sur les pitons sud de l'entrée de la vallée de X. Muon. La 3ème compagnie et le PC du bataillon s'installent sur les pentes nord de la cote 93. La 1ère compagnie occupe les croupes sud-est de X. Dong Song. Quelques VM apparaissent sur les croupes sud-est de la cote 342 et plus au sud où les renseignements d'habitants signalaient des rassemblements importants. L'opération de nettoyage elle-même est conduite par les 1er et 2ème BEP, sans incident. Les Viets ne sont manifestement plus là. 1- BEP : Bataillon Etranger de Parachutistes 324


Le I/1° RTM commence son décrochage à 16h00 après le départ des deux autres bataillons. A 18h00, tout le monde est rentré au Rocher Notre-Dame. On apprend alors que sans préavis, le commando 22 est parti ainsi que la section du génie du lieutenant Sentis et le 1° BPC. Le 1° BPC occupera provisoirement les emplacements du 2° BEP. Le 2ème BEP doit partir le 21 avec le détachement de propulsistes du lieutenant Clavel. 21-12-51 Départ du 2ème BEP et du lieutenant colonel Ducournau, commandant le groupement de parachutistes. Départ du détachement de propulsistes qui nous laisse ses bateaux. Arrivée par la route du lieutenant Goury, officier de détail, et du sergent major Cedro qui viennent se rendre compte de la situation sur le plan administratif. 22-12-51 Recueil d’un convoi fluvial Le lieutenant colonel Blanckaert, commandant le sous-secteur sud Rivière Noire, se rend à Yen Cu pour remplacer le colonel Dodelier, commandant le GM 7 convoqué à Hanoï. Le commandement du sous-secteur sera assuré par le commandant du I/1° RTM. Le lieutenant Goury et le S.M. Cedro rejoignent Hanoï. Vers 11h30, on entend une violente canonnade vers le sud. Un convoi fluvial allant de Hoa Binh est tombé dans une embuscade à une dizaine de kms au sud du Rocher Notre-Dame. 1 Monitor et 4 Vedettes FOM sont coulés. Un Morane nous signale que des rescapés se dirigent vers le nord par la rive est de la rivière. Aussitôt, 2 compagnies du 1° BEP sont envoyées sur Thuy Co au-devant des rescapés. La couverture nord est sera assurée par la 4ème compagnie du I/1° RTM. Un bateau M2, aux ordres du sergent Gilet de la CAB, est envoyé en patrouille sur la rivière. Il poussera jusqu'au lieu de l'embuscade et ramènera un blessé grave. Les 2 compagnies du 1er BEP et la 4ème compagnie du I/1° RTM récupéreront 14 rescapés dont plusieurs blessés et le lieutenant le Begue DLO de la 3ème Batterie du GACAOF qui se trouvait sur le Monitor. Dans le courant de l'après-midi le GM 7 donne l'ordre de diriger d'urgence sur Ap Da Chong la totalité du 1er BEP en utilisant tous les camions disponibles. Or nous n'avons que 9 camions appartenant à la 3ème batterie du GACAOF, à la compagnie du génie et au I/1° RTM. En outre, 2 compagnies du 1° BEP sont parties à Thuy Co et ne rentreront pas avant le soir. Une première rotation est néanmoins mise en route sur Ap Da Chong avec une compagnie de FV du 1° BEP et une partie de sa compagnie lourde. Le dernier camion de ce convoi tombe dans une embuscade à 3 kms au nord de la cote 30. Tout le convoi rejoint cependant le PA de Xom Bu où il passera la nuit. La suite du mouvement est remise au lendemain et s'effectuera avec l'appui d'un peloton de chars du Rocher. 23-12-51 Départ du 1° BEP, parachutage du 1° BPVN Le reliquat du 1° BEP fait mouvement vers Ap Da Chong accompagné d'un peloton de chars. Il tombe dans une embuscade à 3 kms nord de la cote 30, et un deuxième peloton de chars est envoyé pour le dégager. L'accrochage se poursuit jusqu'au début de l'après-midi. En fin de journée le 1° BEP et un des pelotons de chars sont regroupés à Ap Da Chong ; l'autre peloton de chars est rentré au Rocher ; sur les lieux de l'accrochage on trouve 30 cadavres VM avec leurs armes. Au cours de la matinée 9 nouveaux rescapés du convoi fluvial rejoignent le PA du Rocher. 325


Des renseignements d'habitants recoupant des renseignements du commandement font prévoir une attaque imminente du PA du Rocher. Dans la soirée, une compagnie du 1° BPVN est parachutée d'urgence. Elle tombe au milieu des barbelés sans accident, et s'installe à Cho Che en renforcement de la 3ème compagnie. Pour nous encourager, le GM 7 nous adresse un bel ordre du jour :

"Le commandant du GM 7 adresse ses chaleureuses félicitations au I/1° RTM qui, après avoir mené un combat magnifique à Tu Vu dans la nuit du 10 au 11 décembre, n'a cessé depuis de déployer l'activité la plus utile. A Tu Vu, il a infligé à l'ennemi des pertes considérables et a consommé l'échec d'une offensive de grande envergure qui devait nous chasser de la Rivière Noire. Le 12 décembre, il se portait à la rencontre des éléments du GM 4, sur les pentes du Bavi, et leur permettait de rentrer dans nos lignes avec tous leurs blessés. Le 22 décembre, de sa propre initiative, il a fait à nouveau preuve d'un bel esprit de solidarité en allant avec des éléments du 1° BEP au secours des rescapés d'un convoi marine détruit par l'ennemi entre le Rocher Notre-Dame et Hoa Binh et en les ramenant sains et saufs à son point d'appui". Signé : Dodelier.

326


[ Annexe au rapport du chef de bataillon Pertes amies pour la période du 10 au 18 décembre 1951 a)

Le 10 décembre avant le déclenchement de l'attaque de Tu Vu : - 1 tirailleur marocain tué par balle au cours d'une embuscade - 1 tirailleur marocain tué par mine en ramenant le corps du précédent . - 1 sergent chef marocain tué par mine, 1 en posant un champ - 1 lieutenant français grièvement blessé par mine.

b)

Au cours de l'attaque du poste de Tu Vu (nuit du 10 au 11) Tués : - 1 officier français - 1 S/officier français - 2 S/officiers marocains - 1 S/officier autochtone - 7 hommes de troupe marocains. Blessés : - 2 officiers français - 2 S/officiers français - 2 S/officiers marocains - 1 S/officier autochtone - 33 hommes de troupe marocains - 1 homme de troupe français. Disparus : - 3 hommes de troupe français (dont 1 vraisemblablement décédé) - 13 hommes de troupe marocains.

c)

Le 14 décembre : . 1 tirailleur marocain blessé accidentellement par balle. Pertes ennemies

a)

Le 10 décembre avant le déclenchement de l'attaque : - Néant

b)

Au cours de l'attaque du poste de Tu Vu : - 250 cadavres environ ont été dénombrés le 11 décembre aux abords immédiats du poste (en particulier dans les réseaux et champs de mines). D'autres cadavres qui n'ont pu être dénombrés se trouvaient également dans les herbes aux abords du terrain de Morane et au sud du poste. - un Morane ayant survolé la région le 11 décembre, a signalé la présence de nombreux cadavres aux environs du poste. - un S/officier resté en position pendant la nuit du 10 au 11 sur le banc de sable au milieu de la Rivière Noire a rendu compte qu'il avait vu le V.M. évacuer par la plage de nombreux corps de blessés ou tués.

327


- un autochtone du 3° escadron de chars, fait prisonnier et évadé, a déclaré que les viets Minh avaient eu "un bataillon de mort" et avaient installé quatre hôpitaux dans la cuvette de Bon Thon. - il est à remarquer qu'il n'a été trouvé que quelques cadavres (une trentaine environ) dans l'enceinte même du poste, alors que l'on y relève des traces nombreuses de décès ou blessés (casques, équipements, armes abandonnées, débris sanglants). Les V.M. étant restés environ 1 heure et demi à l'intérieur du poste, il est à supposer qu'ils ont profité de ce délai pour évacuer leurs morts. P.C. le 23 décembre 1951 Le chef de bataillon de Boishéraud commandant le I/1° R.T.M. ] 24-12-51 Malgré les prévisions, la nuit a été calme. Le 1° BPVN fait reconnaître la région de l'embuscade du 1° BEP. Il n'y trouve rien. Vers 12h00, le reliquat du 1° BPVN, parachuté à la cote 30 rejoint le Rocher Notre-Dame. Il s'installe à Cho Che. Des reconnaissances du I/1° RTM sont envoyées au sud de Xom Tom et à la cote 128 (2 kms N.E. du Rocher) : RAS. Les renseignements de populations signalent toujours des rassemblements importants de VM dans la région de Xom Goc Dop (4 kms est du Rocher). 25-12-51 Attaque au mortier du Rocher Notre-Dame A minuit et quart, une avalanche d'obus de mortier de 82 s'abat sur le PA du Rocher Notre-Dame (PC - 1ère compagnie ; et batterie d'artillerie). Les mortiers VM semblent être en batterie vers le PA sud de Tu Vu. Dans le même temps, la sonnette du banc de sable se replie, un peu vite semble-t-il. La sonnette sud du Ngoi Tom se replie également en signalant que les VM se livrent à des travaux de terrassement. L'artillerie et les mortiers prennent à partie le PA sud de Tu Vu, le sud du banc de sable et le passage du Ngoi Tom. On attend l'attaque. L'alerte dure plus d'une heure. On arrête les tirs. La sonnette sud est renvoyée au Ngoi Tom, elle ne rencontre aucune opposition. A 3 heures le calme est totalement revenu, après un télégramme du colonel Dodelier qui "nous renouvelle toute sa confiance". Dans la journée du 25, la 1ère compagnie fait une reconnaissance au sud-est du Rocher sans rien rencontrer, ni rien voir d'insolite. Une compagnie du 6° BPVN reconnaît les cotes 122 et 135 à 2 kms nord du Rocher et signale la présence d'éléments suspects vers la cote 304. La 2ème compagnie du I/1° RTM signale aussi la présence de suspects (1 section ?) sur les hauteurs est de Xom Sui. Le 1° BPVN poursuit ses travaux d'installation. Dans l'ensemble, cette journée de Noël est calme. 26-12-51 La nuit a été calme. On a observé une luminosité permanente vers l'ouest derrière le col "Bernard". Au cours de l'après-midi, des reconnaissances sont effectuées sur la cote 135 par le 1° BPVN, sur la cote 71 par la 1ère compagnie du 6° BVN, à Thuy Co par la 4ème compagnie du I/1° RTM. Le 1° BPVN signale que la vallée descendant de la cote 84 à la cote 18 est très habitée, avec une forte proportion de mâles, ce qui paraît étrange. 328


Il a détruit un observatoire VM sur les pentes sud de la cote 135 et observé de nombreuses traces de passage sur les pentes sud de la cote 122. En fin d'après-midi, les camions qui, le 22 décembre, avaient transporté le 1° BEP à Xom Bu, rentrent au Rocher. La route de la côte est donc ouverte aujourd'hui. 27-12-51 Les travaux d'organisation du terrain se poursuivent. Notre provision de barbelés est épuisée. Les 2 sections du génie sont envoyées au nord pour remettre en état le radier du Ngoi Lat (3 kms nord de la cote 30), entre la cote 30 et le poste de Xom Bu. L'ouverture de la route est assurée par la 3ème compagnie du I/1° RTM jusqu'à la cote 30, puis par le 6° BVN. Dans l'après-midi, le 1° BPVN reconnaît la région cote 71, cote 53 - Xom Muon, sans rien voir d'anormal. Un groupe d'une dizaine d'hommes est aperçu vers 14 h sur les hauteurs est de Thuy Co. Le colonel Richer, directeur du service de santé et l'intendant opérationnel atterrissent en Morane à la cote 30 et viennent visiter le Rocher Notre-Dame. Evacuation de 4 marins du convoi fluvial, d'un S-off. du RICM et de 2 malades du I/1° RTM. Dans la soirée, la sonnette du banc de sable prétend avoir vu arriver sur l'île une dizaine de VM et se replie un peu précipitamment. Elle est aussitôt renvoyée sur l'île et ne signale plus rien de la nuit. 28-12-51 La 1ère compagnie du I/1° RTM, renforcée par 2 sections de la 4ème compagnie reconnaissent dans l'après-midi le versant sud de la vallée de Xom Muon. Elles observent sur la croupe sud du village d'Ap Dong Song un emplacement correspondant à une petite compagnie ; cela confirme les renseignements donnés la veille par le chef du village de Xom Muon. Visite du capitaine Parcollet du Bureau Mouvement (BMT) des FTNV. 29-12-51 Le 1° BPVN reconnaît la cote 128 et la cuvette de Xom Ninh : RAS. Dans la journée, des mouvements de suspects sont observés dans la cuvette de Xom Sui et sur les pentes sud-ouest du Bavi. Dans la soirée, le lieutenant Chartreux et le lieutenant Balmitgere rentrent d'Hanoï par avion ; ils annoncent l'affectation au bataillon de deux nouveaux officiers : les lieutenants Maillard et Gros ; ils seront les bienvenus. Le lieutenant Poynard va aussi bien que possible mais ne sera pas récupérable avant longtemps. 30-12-51 De 3 heures à 3 heures 30, le PA du Rocher Notre-Dame est harcelé par des mortiers vraisemblablement en batterie sur l'ancien PA sud de Tu Vu. Résultat : 5 pneus de Dodge crevés. Dans la matinée, le lieutenant Balmitgere passe à Tu Vu avec deux sections de la 4ème compagnie. Il trouve les traces d'un mortier de 81 et d'un mortier de 82. A son retour, notre dernier propulseur de bateau M2 tombe en panne. Le 1° BPVN, renforcé par la 2ème compagnie du I/1° RTM reconnaît la cuvette de Xom Ninh et les cotes 141 et 188. Il aperçoit 2 VM en kaki sur la cote 188 mais rien ailleurs.

329


Le chef de notables de Xom Muon signale pourtant qu'il y a toujours des rassemblements importants dans la vallée de X. Goc Dop et assure que des VM viennent chaque jour à Ap Dong Song et à X. Bat Con. Visite du colonel de Rocquigny venu voir le 1° BPVN. Celui-ci est malheureusement en reconnaissance. Le colonel de Rocquigny est assez amer, il se plaint d'être mis sur la touche. Il nous donne quelques informations sur la situation générale. Au cours de la nuit du 29 au 30, le poste de la cote 564, sur les pentes nord-ouest du Bavi aurait été attaqué et pris par les VM. 31-12-51 Les 1ère et 2ème compagnies reconnaissent la région X. Muon, cote 53, cote 188 : RAS. A 16h30, le GM 7 donne l'ordre de diriger d'urgence une compagnie du 1° BPVN sur Xom Bu, où des indices d'attaque imminente auraient été décelés. La compagnie est mise en route en camions ; elle arrive à X. Bu vers 19h30. Les camions sont de retour à 20 heures. Dans la soirée arrivent les lieutenants Maillard et Gros récemment affectés au I/1° RTM. Le lieutenant Maillard est destiné à remplacer le capitaine le Levreur au départ de celui-ci. Effectifs du I/1° RTM au 1er janvier 1952 Désignation

Opérationnels

F Officiers Chef de Btn. capitaines lieutenants S/Lnts. TOTAL S/Officiers Adjts/Chefs Adjudants Sgts/Majors Sergents Chef Sergents TOTAL Troupes Cap. Chefs Caporaux 1ère Classe 2ème Classe TOTAL TOTAL GENERAL

M

1 5 5

1 1 2

11 3 5 2 12 33 55

Base Arrière

F

M

Absents

F

Total général

M

M

2

1

1 5 8

2

1

14

1 1 2

2 2

4 8 6 18 42 78

10 28 38

11 16 15 10 52

40 80 247 475 842

144

882

9 25 34

1 3 4 4 6 18

1 1 2

2 3 5

5 14 10 8 37

36 69 213 422 740

5 2 2 2 11

1 2 21 17 41

1

4

3 9 13 32 57

103

776

31

43

10

59

879

F

74

3

69

330

1026


Situation du matĂŠriel automobile du bataillon : 8 jeeps 9 camionnettes 1 sanitaire 8 camions 8 remorques 3 remorques citernes 5 remorques cuisines

331


JOURNAL OFFICIEL DU 4 MAI 1952 DECISION N° 19 Sur la proposition du Secrétaire d'Etat à la Guerre, le ministre de la Défense Nationale cite : A L'ORDRE DE L'ARMEE "REGULARISATION" 1° BATAILLON DU PREMIER REGIMENT DE TIRAILLEURS MAROCAINS "Sous le commandement du chef de bataillon de Boishéraud, le I/1° R.T.M. a pris une part brillante aux opérations sur la Rivière Noire (Tonkin) en novembre, décembre 1951 et janvier 1952. "Dans la nuit du 10 au 11 décembre 1951 à Tu Vu, les 2° et 4° compagnies, sous l'énergique impulsion des Capitaines Lelevreur et Denis, ont résisté pendant neuf heures aux attaques répétées de plusieurs bataillons d'élite décidés à aboutir - sans souci des pertes, contre-attaquant à plusieurs reprises l'adversaire qui avait submergé la position - ces unités l'ont obligé à abandonner, sur les ruines du poste plus de trois cents cadavres. "Coupé de l'arrière à deux reprises pendant plus d'une semaine chaque fois et ravitaillé par parachutages, a conservé un magnifique moral, refusant de subir, poussant journellement dans le dispositif adverse, des reconnaissances audacieuses et renseignant utilement le commandement. "Le 12 décembre en particulier, s'est porté résolument à la rencontre d'un bataillon ami qui venait de subir de lourdes pertes et lui a permis de rejoindre le Rocher Notre -Dame avec tous ses blessés. Le 22 novembre, il a effectué une sortie à plusieurs kilomètres de distance sur la rive est de la Rivière Noire - réussissant à ramener, sur sa position, 14 rescapés d'un convoi fluvial qui venait d'être coulé par l'adversaire. A fait preuve, en ces diverses circonstances, d'un très bel allant et d'une magnifique camaraderie de combat. La présente citation comporte l'attribution de la croix de guerre des T.O.E. 1 avec palme, mais ne donne pas droit au bénéfice de la croix de guerre au chef de bataillon de Boishéraud et au capitaine Lelevreur déjà récompensés pour les mêmes faits.

le secrétaire d'état a la guerre P. de Chevigne

Fait à Paris, le 28 avril 1952 Signé : Pleven

1- TOE : Théâtre d'Opérations Extérieures 332


Ministère des relations avec les états associes état-major particulier

8 mai 1952

N° 3 1 6/EMP.IN/CH. ORDRE PARTICULIER N° 1 1 5 Le ministre d'Etat chargé des relations avec les Etats associés VU le décret du 18 avril 1952 aux termes duquel le ministre d'Etat chargé des relations avec les Etats associés est le dépositaire des pouvoirs du Gouvernement de la République en Indochine et exerce les attributions définies par les décrets du 27 mars 1947 et du 3 octobre 1949. VU le décret organique de la Légion d'Honneur en date du 16 mars 1952. VU le décret du 17 août 1949 portant création d'un contingent spécial de décorations de la Légion d'Honneur et de la Médaille Militaire en faveur des Militaires des Armées de Terre, de Mer et d'Air, en opérations en Indochine. VU le décret du 17 mai 1951 - J.O.R.F. - des 21-22 mai 1951 mettant un contingent de décorations à la disposition du Haut Commissaire de France en INDOCHINE. nomme dans l'ordre de la légion d'honneur au grade de chevalier (Rang du 29 janvier 1952) Mosnay Goguet de Boishéraud - chef de bataillon I.M. - I/1° R.T.M. "Commandant du I/1° R.T.M. pendant les opérations du secteur de la Rivière Noire (Tonkin), le commandant de Boishéraud a obtenu, pendant trois mois avec ce bataillon les résultats les plus heureux. Le 14 novembre 1951, après une longue et difficile progression sur les pentes du Bavi, il s'emparait du Rocher Notre-Dame. Le 15, il franchissait la Rivière Noire et s'installait à Tu Vu, sur la rive ouest un point d'appui de deux compagnies dont la présence se révélait fort gênante pour l'ennemi, qui, après une minutieuse préparation, l'attaquait dans la nuit du 10 au 11 décembre. Pendant neuf heures, ces deux compagnies appuyées par les feux du reste du bataillon résistaient aux assauts de cinq bataillons d'élite qui perdaient 800 morts et un nombre considérable de blessés. Coupé de l'arrière pendant une semaine par des infiltrations ennemies importantes, le commandant de Boishéraud continuait avec le plus grand calme à remplir trois missions demandées à son bataillon, effectuant plusieurs sorties et faisant preuve en toutes circonstances d'un allant et d'un courage exemplaires". Cette nomination comporte l'attribution de la croix de guerre des théâtres d'opérations extérieurs avec palme. Signé : Letourneau

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1-1-52 La nuit a été calme. Le temps est maussade, le crachin est proche. Après la réunion traditionnelle de tous les cadres pour les vœux, la 3ème compagnie part reconnaître les cotes 122 et 135 : RAS. De son côté la 4ème compagnie va reconnaître les abords de Thy Co : RAS. Ce vide paraît étrange. L'observatoire signale des suspects transportant du bois sur les pentes du Bavi. A la cote 30 une embuscade a arrêté 2 Oukids, dont 1 sous-officier. Un convoi de camions nous arrive de Yen Cu pour enlever les parachutes. Son mouvement a été protégé par 2 bataillons entre Yen Cu et Ap Da Chong. 2-1-52 La nuit a été calme. Le 6° BVN reconnaît la région sud-est de Xom Muon et de Bat Con. Il aperçoit dans les hautes vallées du Bavi et vers la cote 288 de nombreuses traces d'occupation. Il signale des mouvements suspects assez importants dans la région nord est de Thuy Co. L'après-midi, la 1ère compagnie du 1° BPVN reconnaît la cote 188 et pousse une patrouille sur la cote 128 et la vallée plus au sud : la population commence à revenir dans cette région. Dans la soirée, arrivée en avion du lieutenant Gory et du chef comptable de la 2ème compagnie.

ORDRE DE BATAILLON N° 1 Officiers, Sous-Officiers, Caporaux et Soldats, Le 1er janvier est à la fois pour le bataillon l'anniversaire de son débarquement en Indochine et le seuil d'une nouvelle année. Depuis un an, vous avez déjà parcouru la plus grande partie du Tonkin de Tien Yen à Vinh Yen et de Thai Binh à la Rivière Noire, faisant partout honneur au drapeau du 1° RTM. Décembre a été le mois de l'épreuve, épreuve que vous avez vaillamment supportée, mais où certains, parmi les meilleurs d'entre vous, sont tombés glorieusement face à un ennemi déchaîné. Vous resterez fidèles à leur mémoire et à leur exemple. L'année qui commence nous amènera, elle aussi, des joies et des peines. Mais je suis certain que vous continuerez à faire votre devoir dans les unes comme dans les autres, fidèles à la devise du régiment. J'adresse à tous mes vœux les plus cordiaux pour vous et vos familles, vous souhaitant toutes les satisfactions que vous pouvez espérer dans votre carrière et dans votre foyer. Le chef de bataillon de Boishéraud

3-1-52 Nuit calme. La 2ème compagnie reconnaît la cote 128 ; le capitaine le Levreur confirme les renseignements recueillis la veille par la 1ère compagnie du 6° BVN. 334


Une reconnaissance de la 4ème compagnie dans la région de Thuy Co ramène un blessé qui prétend être un PIM de la légion, rescapé de l'affaire de la cote 564. Il dit n'avoir vu personne entre la cote 564 et le Rocher Notre-Dame. Il est évacué par avion sur Hanoï. Au cours de l'après-midi visite éclair du chef d'escadron Spangenberger commandant le groupe d'escadron du 1° Chasseurs, et de l'intendant opérationnel. Arrivée par avion du capitaine Barbier du GM 7 et d'un médecin dentiste qui doit rester quelques jours. Arrivée des chefs comptables. Départ, par avion, du lieutenant Goury et du chef comptable de la 2ème compagnie. Décidément les liaisons par avion s'organisent. Le bruit court qu'une opération importante doit commencer demain, visant à liquider la poche du Batrai les 4 et 5 janvier puis à nettoyer le Bavi vers le sud. Le tout se terminerait vers le 15 par la relève de la garnison du Rocher Notre-Dame. Le délai prévu pour la liquidation du Batrai paraît un peu optimiste. 4-1-52 2 camions de ravitaillement arrivent de Yen Cu. Repartis l'après-midi, ils seront bloqués à Ap Da Chong et reviendront le soir au Rocher Notre-Dame. Dans l'après-midi la 4ème compagnie reconnaît la région de Thuy Co : RAS. D'après le chef des notables de Xom Muon, il n'y a rien de nouveau dans son secteur. Les chefs comptables repartent par avion. Les nouvelles sur l'opération lancée dans le Batrai se font rares ; nous ne sommes renseignés que par nos écoutes radio. Il semble que le GM 1 et le GM 4 n'ont rencontré que des réguliers et que les objectifs prévus ont été atteints. 5-1-52 La nuit a été un peu troublée. A 22h30, la sonnette du banc de sable se replie signalant qu'un groupe d'une dizaine d'hommes avec un chien venant du PA sud de Tu Vu a pris pied sur l'île. Quelques instants avant des lumières avaient été aperçues dans le PA nord. Vers 23 heures, le 1° BPVN signale des bruits suspects à 300 mètres au N.E. de sa position. La 3ème compagnie lance dans cette direction 3 grosses fusées éclairantes, qui ne fonctionnent pas, puis 2 obus éclairants de 60mm : personne ne voit rien. A sont tour, la 2ème compagnie entend des mouvements suspects vers les lisières à 300 mètres de sa position. Pourtant la sonnette mise en place vers X. Buoi par la 1ère compagnie du 1° BVN ne signale rien. Le PA de la cote 30 n'a rien à signaler. Vers deux heures, retour au calme complet. A huit heures, une section de la 1ère compagnie envoyée sur le banc de sable, y relève effectivement des traces d'un chien et d'une dizaine d'hommes pieds nus. Un TO du GM 7 signale que le régiment 66 de la division 304, faisant mouvement vers le nord, aurait déjà traversé la RC/6 : il ne devrait plus être très loin. Dans la matinée, les nouvelles sur l'opération du nord sont toujours aussi succinctes. L'après-midi, la 1ère compagnie reconnaît la cote 71 et la croupe 500 mètres plus à l’est : RAS. La 2ème compagnie du 1° BPVN reconnaît la région des cotes 122 et 135 : elle trouve des banderolles, des tracts de propagande et 2 obus de 75 piégés sur la piste allant de la cote 122 à la cuvette de X. Ninh. Dans la soirée, le capitaine Castagne, commandant le 3ème Escadron de chars du 1er Chasseurs arrive de Yen Cu. Il annonce que les éléments venant du nord comptent faire la liaison avec le Rocher dans la soirée du 7 janvier. La garnison serait très rapidement relevée. 335


Cela posera des problèmes matériels et administratifs assez compliqués étant donné tout ce qui a été accumulé dans le PA depuis deux mois. Par ailleurs, il serait question que les deux sections du génie nous quittent dès demain bien que nous n'ayons pas été prévenus officiellement. Ces sections tiennent une place importante dans le PA de la 2ème compagnie. Comment va-t-on les remplacer ? Elles étaient beaucoup plus riches en armes automatiques que nos sections de F.V. 6-1-52 Nuit calme. Dès le matin, la 3ème compagnie assure la sécurité de la route de la cote 30. Le 1° BPVN et la 4ème compagnie reconnaissent les croupes est et sud-est de la cote 93. La 4ème compagnie arrête trois suspects dont l'ancien chef de la milice d'Ap Dong Song. Le 1° BPVN reçoit quelques coups de feux lointains et fait prendre à partie par l'artillerie une zone de cantonnement dans la région de Da Mai. Un camion de ravitaillement arrive de Yen Cu et repart l'après-midi. Le capitaine François du 3ème Bureau du GM 7 vient en liaison au Rocher Notre-Dame. C'est le premier officier de l'EM du GM 7 que nous voyons depuis le 22 décembre. Il vient chercher des renseignements pour évaluer le nombre de véhicules qui seraient nécessaires : - soit à la relève de la garnison du PA, - soit à l'évacuation totale de la garnison actuelle. Il paraît en effet que cette solution serait maintenant envisagée. En attendant, la poursuite vers le sud de l'opération en cours dans la région d'Ap Da Chong ne serait pas encore décidée. En fin d'après-midi, le I/1° RTM reçoit le TO suivant : "capitaine le Levreur, numériquement remplacé par le capitaine Poiteau, sera dirigé par première occasion sur cabinet général de CA Cdt. les FTNV. Régularisation administrative suit". Cette mutation était attendue depuis un mois. Le départ du capitaine le Levreur sera une perte pour le bataillon. L'expression "remplacé numériquement" paraît énigmatique et personne ne connaît ce capitaine Poiteau. En attendant le commandement de la 2ème compagnie sera assuré par le lieutenant Maillard récemment arrivé du Maroc. Le passage de consignes s'annonce délicat dans les circonstances actuelles : il y a beaucoup d'ordre à remettre dans le domaine administratif après l'affaire de Tu Vu. 7-1-52 Evacuation du poste du Rocher Notre-Dame ère La 1 compagnie reconnaît la région de la cote 128, et les pionniers en profitent pour faire sauter les deux obus piégés signalés par le 1° BPVN. Le capitaine le Levreur, mis en route sur Hanoï passe le commandement de sa compagnie au lieutenant Maillard. Au cours de l'après-midi, trois camions vides nous arrivent de la Base : on ne sait pas pourquoi ? Dans la soirée arrive le lieutenant-colonel Blanckhaert suivi de 20 camions du train. Il nous annonce que le Rocher Notre-Dame et le PA de la cote 30 doivent être évacués en totalité le lendemain. 50 autres camions arriveront le 8 à 6h30. Personne ne doit être prévenu d'ici là. La nouvelle paraît plutôt catastrophique. Ce n'est pas sans tristesse que nous abandonnerons notre Rocher et comment va-t-on, en quelques heures, charger tout le matériel accumulé ici ?

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Il va falloir faire reverser, par les unités, les munitions qu'elles détiennent en plus de l'unité de feu réglementaire et qui ne peuvent être portées par les hommes. Mais ces munitions seront alors en vrac, pour la plupart et sans emballage. La nuit se passe à faire des plans de transport et de chargement. 8-1-52 A six heures, rassemblement des commandants d'unités pour annoncer l'évacuation et leur donner les instructions nécessaires ; et d'abord de mettre les sonnettes en place comme d'habitude. Les chargements commencent à sept heures, chacun y met du sien et tout se déroule normalement. Le 1° BPVN assure la couverture sur les pentes ouest du Bavi. A neuf heures, les vingt premiers camions sont chargés. Arrivent 50 camions du train et 6 camions du génie, nous disposeront du tonnage suffisant. La 3ème batterie du GACAOF quitte ses emplacements de batterie vers 11 heures et part aussitôt. A 12h30, tout est chargé. C'est un record. A 13h, toutes les unités sont prêtes et la colonne de camions s'ébranle ainsi que la compagnie du génie. A 13h30, le pavillon est amené. A 13h50, les sonnettes et patrouilles rentrent dans leurs unités A 14h, le feu est mis à la jonque chinoise, et la colonne se met en route dans l'ordre : 2ème compagnie-4ème compagnie-CAB-1ère compagnie-3ème compagnie-Peloton de chars-1ère compagnie du 6° BVN (qui repassera aux ordres de son bataillon à la hauteur de la cote 30. La colonne avance régulièrement et rapidement. Le temps est splendide. L'itinéraire est couvert sur toute sa longueur par 4 à 5 bataillons et la chasse survole le secteur. Nous n'avons pas à nous préoccuper de notre sécurité. Aussi, à 17 heures tout le bataillon est rassemblé à Yen Cu d'où il était parti près de deux mois auparavant. Au total, cette journée a été une réussite. Tout le matériel est reversé à Sontay. Tout le bataillon est repassé à l’est du Bavi sans le moindre incident, mais il a laissé au Rocher Notre-Dame une partie de lui-même. 9-1-52 Installation du bataillon à La Coï, au nord-est d’Hanoï Le bataillon est enlevé à Yen Cu par une rame de 45 camions. Point de première destination : Hanoï. Le capitaine Levrat s'arrête à Sontay pour y régler des questions administratives : reversement des munitions, des vivres et du matériel du génie. A l'entrée d'Hanoï, un guide du PCR 1 nous conduit jusqu'au pont des rapides où nous apprenons que le bataillon doit cantonner à La Coi, à 2 kms de là, au nord de la RC 1, dans l'ancien cantonnement du II/6° RTM. La colonne arrive à La Coi vers 13h30. Tout le monde est installé pour la fin de l'après-midi. Le capitaine Poiteau, récemment affecté, rejoint le bataillon. Il prendra les fonctions d'adjudant-major, et le capitaine Levrat deviendra adjoint au commandant du bataillon.

1- PCR : Peloton de Circulation Routière 337


Dans la soirée, un télégramme annonce pour le lendemain à 10h30 la visite du général de Linares commandant les FTNV.

La Coi

La garde du fanion du I/1 RTM 10-1-52 Une compagnie d'honneur est mise sur pied pour accueillir le général de Linares qui arrive à 10h30 et repart à 11h30 après avoir visité les cantonnements et réuni les cadres. Il a l'intention de laisser le bataillon au repos pendant quatre ou cinq jours. On établit aussitôt un plan d'envoi en permission. Il faut d'abord faire monter de la base les sacs individuels et les tenues de drap : ce sera chose faite dans l'après-midi. 338


Ce même jour, le commandant de bataillon se rend en liaison à l'Etat-major des FTNV, à Hanoï. Le climat est assez pessimiste : les VM ont profité de l'engagement du gros de nos forces en moyenne région pour s'infiltrer en nombre dans le delta et le pourrir à nouveau. La zone de cantonnement du bataillon n'est pas aussi tranquille que nous le croyions d'après nos souvenirs de Dong Anh. Nous devons prendre des précautions. ORDRE DE BATAILLON N° 7 - Le lieutenant Romet Henri est nommé capitaine a/c du 2-1-52 - Le S-lieutenant Ali ou Mohamed el Hadj Derkhaoui est nommé lieutenant à compter du 2-1-52. 11-1-52 Permissions Une première rafale de permissionnaires des 1ère et 2ème compagnies est envoyée à Hanoï. Dans l'après-midi, le dispositif d'occupation de La Coi a été modifié, en resserrant le bataillon dans un but de sécurité. Chaque compagnie met au point ses problèmes de matériel et d'habillement. 12-1-52 Le commandant du I/1° RTM prend liaison à Phu Tu Son (4 kms de La Coi) avec la base arrière du 3° REI. Les renseignements sont assez flous. 150 nouveaux permissionnaires sont envoyés à Hanoï. Une embuscade de nuit aux abords de La Coi ne donne aucun résultat. 13-1-52 Un troisième groupe de 150 permissionnaires est envoyé à Hanoï. La journée est calme. Les tirailleurs commencent à être reposés. La mise au point des problèmes d'habillement et de matériel est presque terminée. Les opérations de vaccination (choléra) sont entreprises en même temps que les envois en permission. 14-1-52 Au cours de l'après-midi, la 2ème compagnie effectue une reconnaissance sur l'itinéraire RC 1-pont des rapides-Cong Thon-Ha Duong et retour direct sur La Coi. Au passage, liaison est prise avec le PC du quartier du pont des rapides et les postes de Cong Thon et de Thuong Thon. La région paraît calme, toutefois la garnison de la tour de Phu Duc aurait reçu des coups de feu ces jours-ci. Un détachement de 1 S-officier et 50 gradés et tirailleurs est dirigé sur la base arrière ; il doit être mis en route, le 15 janvier, sur le IV/2° RTM. DÉCISION DU BATAILLON N° 3 - Le lieutenant Maillard Marie-Charles est affecté à la 2ème compagnie à compter du 14-12-51, - le lieutenant Gros Joseph est affecté à la 2ème compagnie à compter du 14-12-51. 15-1-52 Au cours de l'après-midi, la 1ère compagnie effectue une reconnaissance sur l'itinéraire La Coi-ancienne voie ferrée-Duc Tu-Thac Qua-Xong Thap-La Coi. Elle reconnaît en particulier le passage du Song Tap : RAS. 339


A 17 heures, le commandant du I/1° RTM est convoqué au PC du colonel de Boisredon, commandant le Sous-Groupement Blindé n° 1, pour préparer une opération qui doit se dérouler le lendemain. Il s'agit de la fouille de l'intervillage Phu Luan-Phu Tao (414.B2). Le I/1° RTM est chargé de réaliser, avant le jour l'encerclement de ces villages : départ de La Coi à 02h00 le 16. La fouille proprement dite sera exécutée par un commando de l'air. A 20h30, le colonel Cdt le S/G. B. 1 n° 1 téléphone à La Coi qu'il y a changement de programme et convoque à nouveau le commandant du I/1° RTM. Des renseignements frais signalent en effet que la région des pins parasols et des villages dont était prévue la fouille seraient tenus par trois bataillons réguliers. Dans ces conditions, la réalisation d'un encerclement de nuit paraît un peu osée et compromise. Le commandant du S/G.B. n° 1, après accord du B3 2 des FTNV, décide de modifier le projet initial et de se borner à la fouille des villages de Phu Duc et Phu Dong (413.BC.8) où seraient signalées trois compagnies régionales. Le I/1° RTM sera chargé : a) de fouiller au passage les villages de Te Xuyen-Thuong Thon-Hiep Phu et Cong Dinh qui seraient peu sûrs. b) d'assurer le bouclage nord de l'ensemble Phu Duc-Phu Dong, dont la fouille sera assurée par un commando de l'air. Au cours de la journée, un détachement de 30 tirailleurs destiné au II/1° RTM est dirigé sur la base arrière. Avec le détachement déjà mis en route sur le IV/2° RTM, cela fait au total 1 sous-officier et 80 hommes qui quittent le bataillon. Celui-ci reste cependant à son effectif théorique. 16-1-52 Fouille de villages près des pins parasols Le bataillon quitte La Coi à 06h30. La progression s'effectue normalement. Te Xuyen, Thuong Thon et Cong Dinh sont fouillés rapidement pour 09h00 comme prévu et sans incident. A 10h30, le bouclage nord de Phu Duc-Phu Dong est en place. A ce moment le commandant du I/1° RTM est prévenu par radio que la fouille des villages ne sera pas faite par un commando de l'air comme cela était prévu, mais qu'elle passe à la charge du I/1° RTM. Il faut d'abord récupérer la compagnie de réserve (3ème compagnie) ; prendre liaison avec le poste de Phu Duc avant de commencer la fouille : Phu Duc dans un premier temps et Phu Dong dans un second. Pratiquement, la fouille ne commence qu'à 11h30 ce qui est bien tard. Mais ce n'est qu'à cette heure que l'on voit arriver divers officiers et OR du secteur. La fouille durera jusqu'à quinze heures sans incident. 4 suspects seront arrêtés dont l'un serait un régulier. Le décrochage commence à 15h30 et à 18h30, tout le bataillon est de retour à La Coi. 17-1-52 La 2ème Batterie du GACAOF vient s'installer à La Coi. Pour lui faire place, il faut resserrer les 4ème et 3ème compagnies, ce qui provoque quelques grincements.

1- le bataillon quitte le GM 7 et dépend, jusqu’à mi février, du S/G B : Sous Groupement Blindé 1 2- 3ème bureau 340


18-1-52 La 3ème compagnie fait une reconnaissance dans la région de Dinh Bang1 (414.B4) : RAS. 19-1-52 Le commandant du I/1° RTM est convoqué par l'état-major du S/G B n° 1 pour effectuer une reconnaissance en prévision d'une opération de fouille qui doit être exécutée le 20 dans la région de Tam Son (414.E7) au nord de Phu Tu Son. Dans la journée, l'Etat-major du GACAOF et la 1ère Batterie viennent s'installer à La Coi. Dans ce village, prévu pour le cantonnement d'un bataillon, s'entassent : - le I/1° RTM - le GACAOF moins sa troisième batterie. Cela entraîne quelques frictions, d'autant plus que les artilleurs ne veulent pas participer aux charges de sûreté. 20-1-52 Fouille du village de Tam Son Le bataillon quitte La Coi à 04h00 pour participer à l'opération de fouille de l'agglomération de Tam Son. Il est en place à 07h00 sur sa base de départ entre Cam Giang et Le Xuyen. La progression dans Tam Son s'effectue sans incident et la fouille commence à 08h30. Dans l'ensemble de l'intervillage, 400 hommes environ sont arrêtés dont 66 sont maintenus après tri par l'OR de Phu Luu. Le décrochage commence à 14h00 et tout le monde a rejoint ses cantonnements pour 16h00. 21-1-52 Dans la soirée, un renseignement de Phu Luu signale l'arrivée de deux compagnies de réguliers habillés en noir, l'une à Xuan Duc (404.F5), l'autre à Da Van (404.1.6). Une patrouille envoyée aux lisières sud de Xuan Duc n'observe rien de particulier, sinon que les drapeaux vietnamiens flottent normalement. Une embuscade est mise en place pour la nuit au sud de Da Van sans résultat. Le bataillon doit participer le lendemain à une opération dans la région sud-ouest des trois parasols, pour replier le poste de Dai Vi (414.G.1-2). 22-1-52 Protection de l’évacuation du poste de Dai Vi Le bataillon est enlevé en camions à 07h30 et débarqué au poste de Phu Duc (413.b.8), couvert par des éléments du S/G.B. n° 1. Il se porte vers l’est à travers la rizière, fouille au passage l'agglomération de Trung Mau et arrive vers 12h00 à Dung Vi (414.H.1). La liaison est prise avec le poste et avec le III/3° REI du capitaine de Torquat venu du nord pour protéger l'opération. L'évacuation du poste commence aussitôt et se termine à 14h Ne reste au village voisin de Dai Vi que la milice catholique avec 50 fusils. Le pauvre curé de Dai Vi est catastrophé, mais refuse de quitter ses ouailles. Le bataillon décroche à 14h30, réembarque en camions à Trung Mau, et rejoint La Coi à 18h00.

1- sud de Phu Tu Son 341


23-1-52 60 PIM du bataillon sont renvoyés sur le camp de Sontay. Les FTNV demandent l'avis du commandant du I/1° RTM sur la dissolution éventuelle d'une des deux compagnies de supplétifs. En principe, il n'y a pas d'inconvénient grave ; à condition que les cadres qui ont été fournis par le bataillon lui soient rendus. A treize heures, le bataillon est prévenu qu'il va recevoir une rame de 40 GMC et qu'il doit partir à 14h00 pour la région d'Hai Duong où une opération est prévue le lendemain. Les délais sont manifestement insuffisants pour préparer le départ, regrouper le matériel et embarquer. Il s'agit d'une absence de durée indéterminée, on ne peut laisser les cantonnements et le matériel sans en assurer la garde. Après entente avec le S/G.B. n° 1, il est décidé que le mouvement ne commencera qu'à 16h30. On laisse à La Coi, aux ordres du capitaine Chatelain, 1 section par compagnie de FV et la 262° compagnie de supplétifs dont la moitié de l'effectif est en permission. Le bataillon s'ébranle effectivement à 16h30 et arrive à la nuit à Qui Dong (442.A.5) (10 kms ouest de Hai Duong), la 3ème compagnie ayant été laissée à Nuy Quin. Les liaisons radio sont très mauvaises ; les ordres pour le lendemain n'arrivent pas. On finit seulement par savoir que des camions viendront prendre le bataillon le 24 à 07h00 et que l'opération se passera au sud du canal des rapides ; aux ordres de la 2° DMT. 24-1-52 Protection de l’évacuation du poste de Dich Trung, près d’Hai Duong Les camions arrivent effectivement à 06h30. La 3ème compagnie, restée à Nuy Quin, n'a pu être touchée par radio ; il faut lui envoyer un officier pour la prévenir de se mettre en route. La tête du bataillon se présente à 07h45 au carrefour nord de Hai Duong et les unités s'intègrent dans la colonne du S/G.B. 1. Le bataillon a pour mission d'assurer la sécurité de l'itinéraire entre Nhat Trai (443.E.3) au sud et Cap Diem (443.h8) au nord, soit sur 7 kilomètres. Le bataillon installe quatre points d'appui le long de l'itinéraire et fouille les villages avoisinant la route. L'opération qui vise à projeter le repli du poste de Dich Trung (434.J.3) est terminée vers 15 h Le bataillon réembarque vers 17h00 et rentre à Qui Dong, avec la 3ème compagnie. Il doit repartir le lendemain matin de façon à arriver à Sept Pagodes à 09h00. Le commandant du I/1° RTM, convoqué pour le soir-même à Sept Pagodes, y arrive à 19h30 et reçoit les ordres verbaux pour le lendemain. Il s'agit de protéger un convoi fluvial qui remonte le Song Thuong de Sept Pagodes à Luc Nam. La 3ème compagnie sera mise à la disposition d'un groupement opérant au nord de Lang Vien, tandis que le reste du bataillon opérera dans la région des cotes 15-40 et 69. Toutefois les sections de supplétifs des compagnies seront regroupées pour constituer une réserve à la disposition du commandant de l'opération (commandant du secteur). L'opération se déroulera les 25 et 26 janvier. 25-1-52 Deux jours de protection d’un convoi fluvial de ravitaillement pour Luc Nam A 09h00, la colonne de camions transportant le bataillon arrive à Sept Pagodes. La 3ème compagnie passe en tête pour poursuivre jusqu'à Lang Vien. A 09h30, la colonne du bataillon arrive à la Pagode de Kiep Chien. Débarquement et regroupement des sections de supplétifs des quatre compagnies. Les commandants de compagnies sont mis au courant de la situation et reçoivent leurs ordres. Les unités 342


s'acheminent vers les plages d'embarquement, puisqu'il faut d'abord passer sur la rive ouest du Song Thuong, avant d'occuper nos positions. A 10h00 embarquement des 1ère et 2ème compagnies. A 10h10, les 2 LCM de la 2ème compagnie démarrent ; ceux de la 1ère compagnie restent en place on ne sait pourquoi. La 2ème compagnie débarque au sud de Beb Thon (445.H.3) et monte sur la cote 30 sans incident. A 10h20, les LCM qui ont transporté la 2ème compagnie reviennent et embarquent la 4ème compagnie. A 10h25, les 2 LCM transportant la 1ère compagnie commencent leur mouvement sur Cau Ho. A 10h30, les 2 LCM transportant la 4ème compagnie démarrent et beachent devant la cote 15, avant que la 1ère compagnie n'ait débarqué à Cau Ho et pu, comme prévu, amorcer le débordement des cotes 19 et 40. Dès son débarquement, la 4ème compagnie est prise, à courte portée, sous le feu de trois armes automatiques (une à la corne nord-est de Thuong Thon, l'autre à la cote 40 et la troisième sur la cote 15). Elle est bloquée sur la digue et signale un blessé grave. Des tirs d'artillerie et de mortiers sont exécutés sur la cote 40 et le village de Thuong Thon. A 11h00, la 4ème compagnie réussit à pousser une section sur le mamelon nord de la cote 15 et à se couvrir au nord en attendant l'arrivée de la 1ère compagnie. A 11h30, la 1ère compagnie rejoint la 4ème compagnie et pousse directement sur la cote 40, pendant que la 4ème compagnie reprend sa progression et fouille Thuong Thon (445.I.1). Pendant ce temps, la 2ème compagnie a poussé sur la cote 60, laissant une section en couverture sur la colline sud-ouest de Ben Thon. A 12h15, la 1ère compagnie occupe la cote 40 et en fouille les abords. A 12h30, la 4ème compagnie, qui a été retardée par des mines, occupe la cote 23 et fait fouiller le village abandonné de Bang Luong (445.I.1). A 13h15, enfin, un LCM que l'on réclame vainement depuis 2 heures, vient embarquer la CAB (PC-Transmissions-mortiers), qu'il transborde à l'ouest en deux rotations. La 4ème compagnie pousse vers la cote 69 qu'elle occupe, après y avoir aperçu la valeur d'un groupe qu'elle prend à partie et manœuvre. On trouvera ensuite sur la cote 69 un sac fraîchement abandonné contenant un carnet appartenant à un soldat de la compagnie 813 du bataillon 888 du régiment 176. A 16h00, la 2ème compagnie rejoint la cote 23, où elle s'installe pour la nuit avec le PC du bataillon. A 17h00, la 4ème compagnie envoie une patrouille sur Mai Khe (444.G.10). Cette patrouille est prise à partie par une arme automatique située aux lisières N.E. de Mai Khe. Après un tir d'artillerie, les éléments ennemis se replient en direction de Dong Dua. A 18h00, les unités s'installent pour la nuit, s'enterrent et mettent en place leurs sonnettes. A partir de 17h30, on aperçoit des mouvements importants, venant d'ouest et du nord-ouest, en direction des agglomérations de Mai Xuyen-Tai Na-Thon Noi et Khe Cau, à moins d'un kilomètre au nord-ouest de nous. Ces mouvements doivent comprendre, d'une part les populations rejoignant leur village, d'autre part des éléments VM que l'on voit manœuvrer dans la rizière. La 261° CLSM rejoint le bataillon, et ses sections sont rendues, avant la nuit, à leur compagnie d'origine. A 18h15, débarquement du ravitaillement, qui n'arrive qu'à 19h30 au PC du bataillon. Nous apprendrons par la suite, que les mêmes incidents se reproduisent à chaque convoi de ravitaillement de Luc Nam. Chaque fois, le secteur prend les mêmes dispositions, et chaque 343


fois, les VM occupent les mêmes emplacements. Si, au moins on nous avait prévenus, nous aurions essayé de manœuvrer autrement : bien que l'expérience nous ait montré que les marins ne faisaient que ce qu'ils voulaient. L'affaire ne nous a coûté qu'un blessé grave ; c'est une chance. 26-1-52 Nouvelle fouille des villages de la veille A 07h15, la 261° CLSM, regroupée à nouveau, rejoint l'embarquement de Ben Thon, refouillant le village au passage. A 08h00, la 1ère compagnie part fouiller le village de Khe Cau ; la 4ème compagnie part fouiller le village de Mai Khe. A 08h45, tirs d'artillerie sur Tu Mai, où l'on a observé des mouvements suspects. A 09h00, la 1ère compagnie fouille le hameau ouest de Khe Cau et aperçoit quinze hommes en kaki sur ses arrières à la corne sud de Thon Noi. A 09h15, tir d'artillerie sur Thon Noi. A 09h30, après la fouille des villages de Khe Cau, la 1ère compagnie se dirige vers Mai Xuyen (445.F.2). A 10h30, la 4ème compagnie termine la fouille de Mai Khe, où elle a trouvé des emplacements fraîchement occupés. A 10h40, la fouille de Mai Xuyen est terminée. Les 1ère et 4ème compagnies reviennent vers leurs emplacements du matin. A 10h45, on observe deux groupes d'une dizaine d'hommes, vraisemblablement armés, aux abords sud de Mai Xuyen. A 11h50, les 1ère et 4ème compagnies ont rejoint leurs positions. A 12h30, la 2ème compagnie se dirige vers les collines sud de Ben Thon, pour couvrir au nord le repli du bataillon ; elle laisse une section sur la cote 69. De 13 à 14h00, on observe des mouvements importants dans la plaine, vraisemblablement un mélange de civils et de VM. A 14h00, le bataillon reçoit l'ordre d'être prêt à embarquer à 14h50. A 14h30, début du décrochage. A 15h00, début de l'embarquement : 1ère et 4ème compagnies dans 3 LCM devant la cote 40. 2ème compagnie et CAB à Ben Thon. La 3ème compagnie, de son côté a été embarquée en camions à 14h00 et dirigée isolément sur Hai Duong. Le I/1° RTM est embarqué en camions à la Pagode de Kiep Bac et mis en route à 17h00 sur Qui Duong. La 1ère compagnie est poussée à Binh Phien (432.E.8) pour assurer la défense rapprochée de la 6° batterie du 12° RACM 1 et du pont VF 2 ; la 4ème compagnie s'installera à Chy Khe ; le reste du bataillon s'installe à Qui Duong avec la 2ème batterie du GACAOF.

1- RACM : Régiment d'Artillerie Coloniale Mixte, de Montagne ou Marocaine ? 2- VF : Voie Ferrée 344


Hanoï, le 27 janvier 1952

Commandement des Forces Terrestres du Nord Vietnam E.M. - 3° Bureau - Opérations N° 389/3 ORDRE PARTICULIER

I-

Le sous-groupement blindé n° 1 et le I/1° RTM, appuyés chacun d'une batterie du GACAOF/AOF, commenceront séparément le 29 janvier 1952, une série d'actions de nettoyage à l’est de Hanoï.

II-

BUT :

III-

ZONE D'ACTION a) S/G.B. 1 Limite nord : canal des rapides Limite ouest : en principe, limite est du secteur autonome de Hanoï. Limite est : Piste de Dai Dong (423.B.2,2) à la voie de chemin de fer - Route de Lac Dao à la RC.5 - Route de Ban Yen Nhan à Tu Ho (412.E.10,3) - Route de Tu Ho au Fleuve Rouge. b) I/1° RTM Limite nord : RC. 1 Limite sud : canal des rapides Limite est : Route menant de la RC.1 par les pins parasols à Phan Tich (424.A.9,1).

Eliminer les éléments VM localisés dans la zone d'action. Liaisons avec les divers éléments amis stationnés dans la zone (Autorités administratives, postes, Bao-Chin Doan, Milices, etc...).

IV- MODE D'ACTION Les commandants de groupements procéderont : - d'une part par contrôle méthodique des villages, - d'autre part, par actions locales décidées sur renseignements. Les sorties effectuées pourront durer plusieurs jours mais avec changement de cantonnement chaque soir. Le lnt. colonel commandant le G.B. 1, et le chef de bataillon commandant le I/1° RTM pourront demander au général commandant les FTNV à être renforcés, s'ils prévoient une action dépassant leurs moyens organiques. Les commandants des secteurs intéressés (Bac Ninh-Kesat) devront fournir aux éléments mobiles appelés à travailler sur leur territoire, l'aide maximum (renseignements sur le stationnement détaillé ami, sur l'articulation du système administratif, chefs de district, de cantons. Prêt de guides, d'interprètes, participation des éléments de secteur aux interventions, etc...). 345


Destinataires - 2° DMT - S/G.B. 1 - I/1° RTM

Le général de CA de Linares commandant les Forces Terrestres du Nord Vietnam Signé : de Linares P.O. Le colonel Dulac Chef d'Etat Major

COPIE à S/Chef EM RMT Cdt Artillerie = GM 7

27-1-52 Le bataillon ne bouge pas. Une réunion a lieu à 17h00 à Kesat pour préparer l'opération du lendemain, à laquelle doivent participer le I/1° RTM - le G.B. n° 1 et des éléments du 4° BVN et du III/3° REI. Le I/1° RTM, appuyé par un peloton de chars et un peloton porté doit déboucher à 08h00 de Lac Dao (412.J.10), fouiller les villages de Dang X. Lieu Ngan-Dong Ngubui Xa-Tu Ky, pousser jusqu'à Dai Tu qui est l'objectif du S/G.B. n° 1 et du III/3° REI. Si Dai Tu peut être atteint avant midi, une attaque sera lancée en direction de Tam A (423.E.6). 28-1-52 Fouille de villages au nord du canal des rapides Le bataillon enlevé en camions à partir de six heures, débarque à huit heures à la gare de Lac Dao, d'où il débouche immédiatement vers le nord. Dang Xa et Ngoc Tin sont rapidement occupés sans incident. A ce moment, le bataillon reçoit l'ordre de pousser directement vers le nord, contrairement aux prévisions, et de prendre liaison avec des éléments opérant plus au nord. Cela impose d'aller à Thong Thon et Ha Thon, de délaisser les villages de Bui Xa et Tu Ky, et entraîne une perte de temps considérable. A 12h00, le I/1° RTM reçoit l'ordre de pousser sur Cong Ha (423.A.6) en envoyant une compagnie à Dong Coc, où des éléments VM ont été signalés ce matin. A 14h00, le bataillon tient Dong Coc et les lisières est de Cong Ha où il relève le 11/3° REI qui se porte à Dai Tu. A 15h00, le I/1° RTM reçoit l'ordre d'attaquer Tam A. Il faudrait d'abord se mettre en place sur une base de départ à l’est d'une coupure qui n'est franchissable qu'en deux points (Dai Tu et Dong Coc), puis parcourir 3 kilomètres de rizières avant d'aborder Tam A. La mise en place sur la base de départ ne pourrait être terminée qu'à 16h00. Il paraît bien tard pour entreprendre l'attaque prévue. Le bataillon se met néanmoins en place ; et l'heure du débouché est fixée à 16h15. Espérons que l'affaire de Tam A sera réglée rapidement et que nous pourrons rejoindre les camions avant la nuit. A 16h00, tout est décommandé. Le bataillon doit rejoindre immédiatement le poste de Sen Ho (413.G.7), où il trouvera ses camions qui le ramèneront à La Coi. On repasse la coupure de Dai Tu, cette fois d'est en ouest, et tout le bataillon fonce sur Sen Ho. En fait les camions sont à Kim Son où il faut les envoyer chercher et le bataillon n'arrivera à La Coi qu'à 20h30. 346


A La Coi, nous apprenons que le bataillon est chargé le lendemain d'assurer la sécurité de la RC 1, depuis le pont des rapides jusqu'à la tour de Lung Son (434.A.9) à 15 kms, au N.E. de La Coi, soit au total 18 kms de route à garder. Moyens supplémentaires : néant.

Hanoi, le 27 janvier 1952

Commandement des Forces Terrestres du Nord Vietnam Etat-major - 3° Bureau - Opérations Ordre particulier

I.

Le sous-groupement blindé N. 1 et le I/1° RTM, appuyés chacun d'une batterie du GACAOF commenceront séparément le 29 janvier 1952, une série d'actions de nettoyage à l'est de Hanoi.

II.

BUT : - Eliminer les éléments V.M. localisés dans la zone d'action - Liaisons avec les divers éléments amis stationnés dans la zone (autorités administratives, postes Bao-Chinh-Doan, milices, etc...) III. a)

b)

ZONE D'ACTION S/G.B. 1 Limite nord : canal des rapides Limite ouest : en principe limite est du secteur autonome de Hanoï Limite Est : piste de Dai-Dong (423-B-2, 2) à la voie de chemin de fer route de Lac-Dao à la RC 5 route de Ban Yen Nhan à Tu Ho (412-E-10, 3) Route de Tu Ho au Fleuve Rouge. I/1° R.T.M. Limite nord : RC 1 Limite sud : canal des rapides Limite Est : route menant de la RC 1 par les pins parasols à Phan Tich (424a9, 1).

IV.

MODE D'ACTION Les commandants de groupement procéderont : - d'une part, par contrôle méthodique des villages, - d'autre part, par action locale décidée sur renseignements. Les sorties effectuées pourront durer plusieurs jours, mais avec changement de cantonnement chaque soir. Le lieutenant-colonel commandant le GB 1 et le chef de bataillon commandant le I/1° RTM pourront demander au général commandant les F.T.N.V. à être renforcés, s'ils prévoient une action dépassant leurs moyens organiques. Les commandants des secteurs intéressés (Bac Ninh-Kesat) devront fournir aux éléments mobiles appelés à travailler sur leur territoire l'aide maximum (renseignements sur le stationnement détaillé ami, sur l'articulation du système administratif, chef de district, de canton - prêt de guides, d'interprètes, participation des éléments de secteurs aux interventions, etc...). Le Général de corps d'armée de Linares commandant les forces terrestres du nord Vietnam, signé : de Linares P.C. le Colonel Sulac

347


Le commandant du I/1° RTM demande confirmation, par téléphone au 3ème bureau des FTNV : tout est décommandé. Le bataillon restera à la disposition du S/G.B. n° 1 qui n'a pas de mission pour lui le lendemain. 29-1-52 Récompenses On profite du calme pour faire reposer le personnel et remettre un peu d'ordre dans les unités. La 262° CLSM participe à une fouille dans la région de Phu Ninh à 2 kms S.E. de La Coi. Ce sera sa dernière opération, car elle doit être dissoute le 31 janvier, les supplétifs étant invités à s'engager dans l'armée vietnamienne, ce qui ne les enchante pas. Dans la matinée, le I/1° RTM est prévenu qu'une prise d'armes, présidée par le ministre M. Letourneau, se déroulera à 18 h à Hanoï ; on ne sait pas exactement où. Le I/1° RTM sera représenté par une section d'honneur, et les décorations ci-après seront remises par le ministre : 1 - Légion d'honneur et citation à l'ordre de l'armée : - chef de bataillon de Boishéraud commandant le I/1° RTM. - capitaine le Levreur, ex-commandant de la 2ème compagnie. 2- Citation à l'ordre de l'armée : - Fanion du I/1° RTM - capitaine Denis commandant la 4ème compagnie - lieutenant Balmitgere, de la 4ème compagnie - adjudant chef Still, commandant les mortiers de 81 - sergent chef Mayer, de la 4ème compagnie - sergent chef Mohamed ben Bareck de la 4ème compagnie - sergent Graziani, de la 2ème compagnie 3- Médaille militaire : - sergent chef Braule de la 4ème compagnie 4- Citations à l'ordre du Corps d'Armée : - sergent chef el Arbi ben Djillali - sergent Poli, de la 2ème compagnie - caporal Vannier - tirailleur Mohamed ben Bou Mediane. La prise d'armées a lieu effectivement à 18 h au stade Mangin à Hanoï, et toutes les décorations sont remises par le ministre. La délégation du I/1° RTM rentre à La Coi à 20h00 et y trouve les instructions pour l'opération du lendemain. Le bataillon quittera La Coi à pied à 06h00. Il se portera par la RCI à l’est de Phu Tu Son (414.C.5) et débouchera de la RCI vers le sud à 7h30, ayant à sa droite le 11/3° REI pendant que le S/G.B. n° 1 progressera le long de la rive nord du canal des rapides. Il s'agit de nettoyer la zone comprise entre la RC 1, le canal des rapides et les pins parasols.

348


30-1-52 Nettoyage au nord du canal des rapides, de Phu Tu Son à Dong Vi Le I/1° RTM quitte La Coi à 06h00 comme prévu, et débouche à 7h45 de sa base de départ, à l’est de Phu Tu Son, en direction du sud. La progression s'effectue d'abord sans incident. Mais à Tu Thon une section de la 2ème compagnie est prise à partie par des armes automatiques en position à Van Chai Thon et à Daivi Thuong, pendant que la 3ème compagnie en position à l’est de Vien Thon essuie quelques coups de feu venant de l’est. On aperçoit des éléments suspects dans les villages au pied des pins parasols et plus au sud à l’est de Dung Vi. L'artilleur s'en donne à cœur joie, et la progression reprend dès que la II/3° REI est arrivée à notre droite et à notre hauteur. Les villages de Phan Thon-Chong Thon et Ni Thon sont occupés à 13h30. Un temps d'arrêt est marqué pour laisser au II/3° REI le temps de fouiller les gros villages de Phu Luan-Phu Chan et Phu Tao, et la progression reprend vers Dung Vi qui est 349


occupé à 15h30. On y retrouve le curé resté sur place depuis le repli du poste et dont la milice a évidemment été désarmée par les Viets qui ont ainsi récupéré 50 fusils. La liaison est prise avec les éléments du S/G.B. n° 1 arrivant par le sud. Le curé nous apprend que 2 compagnies VM (511 et 58) ont quitté le village le matin même à 07h00 en direction du sud-est. Elles ont été prises à partie pendant leur mouvement par notre artillerie et par la chasse et ont probablement éprouvé des pertes sérieuses. Le pauvre curé est invité à nous suivre, mais refuse. Il préfère rester auprès de ses ouailles. Seul un milicien demande à partir avec le bataillon. Celui-ci reçoit l'ordre de rentrer au bercail par l'itinéraire inverse de celui suivi dans la journée. C'est une déception, car tout le monde espérait bien trouver les camions au sud de Dung Vi. Le mouvement retour s'effectue à partir de 16h30, rapidement et sans incident et à 19h30 le bataillon est rentré à La Coi. Cadres et hommes commencent à être fatigués de cette vie de juifs errants et aspirent à prendre un véritable repos. 31-1-52 Au cours de l'après-midi, le I/1° RTM est prévenu qu'il participera les 1er et 2 février, avec le S/G.B. n° 1 à une opération au sud du canal des rapides. Tout le matériel inutil est redescendu de La Coi à la Base, pour ne pas avoir à le faire garder. Les camions du train arrivent dans la soirée. 1-2-52 Deux jours de fouille de villages au sud du canal des rapides Le bataillon part à 06h00 de La Coi, dans 40 camions du train, et s'intègre au passage dans le convoi opérationnel du S/G.B. n° 1. Après la traversée de Ban Yen Nhan il débarque à 08h15 au village de Kenh Cau (412.H.3) et commence sa progression vers le sud ouest, la liaison avec le S/G.B. n° 1 venant du sud devant s'effectuer à Tu Ho (411.E.10). La 1ère compagnie fouille Oc Nhieu (412.G.3) et la 2ème compagnie Thong Thon, puis la 3ème compagnie Hoa Muc Ap. La 4ème compagnie fouille Ngan Hanh, puis les 1ère et 2ème compagnies Dai Hanh et Chan Dong. La liaison est réalisée comme prévu à Tu Ho avec le S/G.B. n° 1. Le bataillon reçoit l'ordre de se porter sur les villages de La Trach-Dong Kim et Dong Tao Nain (411.B et C.10) qu'il devra fouiller. Le temps est couvert et lourd. On traverse une végétation abondante de bananiers et de cannes à sucre. La visibilité est à peu près nulle, les liaisons radio entre les unités sont mauvaises, les unités se perdent plus ou moins dans ce maquis. La fouille se passe malgré tout sans incident, mais aussi sans résultat. Tout le monde finit par se retrouver, et le bataillon rejoint pour la nuit les abords du poste de Tu Ho où il se regroupe avec le S/G.B. n° 1. 2-2-52 Après une nuit calme, le I/1° RTM repart au lever du jour. Il a pour mission de fouiller à nouveau les villages de Dong Tao Dong et de Dong Kim ; puis de rejoindre la digue du Fleuve Rouge en fouillant au passage Dao Tri Thon et Thuy Huong. Les fouilles sont effectuées sans incident et le bataillon rejoint la digue à Xom Noi. Il embarque en camions et rentre à La Coi pour 18h00. Ces fouilles sont beaucoup trop rapides, fatiguent les hommes et ne donnent aucun résultat. Nous sommes certainement passés à côté de caches importantes au cours de ces deux journées, qui n'ont été d'aucune utilité pour le secteur. 350


3-2-52 Repos à La Coi. La section de supplétifs de la 1ère compagnie, dont le moral laisse à désirer depuis quelque temps, est licenciée. Les supplétifs, recrutés à Duc Tu, s'étaient mis dans la tête qu'ils ne feraient qu'un an de service. 4-2-52 Le bataillon reste à La Coi. Les compagnies en profitent pour reprendre l'instruction du tir. Dans l'après-midi, le bataillon est alerté. Il doit participer, à partir du lendemain, à une opération dans la région de Hai Duong. 5-2-52 Fouilles de villages entre Nam Sach et Linh Khe (2jours) Les camions du train arrivent à La Coi à 05h00 et le bataillon démarre à 07h00 vers Hai Duong, point de première destination. De là, il est dirigé sur Nam Sach (6 kms au nord de Hai Duong, sur la route de Sept Pagodes à la disposition du colonel Moneglia commandant le GM 3. Il débarque à Nam Sach vers 10h00. Les renseignements locaux signalent la présence d'un bataillon VM dans la région de Ta Xa (453.B.8), où le BMI 1a été durement accroché la veille au soir. Vers 12h00, le I/1° RTM reçoit l'ordre de laisser une compagnie à Nam Sach, pour assurer la garde des camions et d'une batterie d'artillerie, et de fouiller les villages de An Xa Tai (453.B et C.5) Chuc Tri et Tong Xa, puis de faire liaison avec le poste de Linh Khe (453.D.7) sur le Song Kinh Thay. Vers 16h00, la fouille des villages est terminée et la liaison a été prise avec le poste de Linh Khe. Le bataillon reçoit alors la mission de fouiller les villages de Ha Lieu et de Le Xa, à 2 kms au nord de Linh Khe. La fouille est très ralentie par les difficultés de déplacement : un pont de singe unique et obligatoire, des rizières inondées, le village de Ha Lieu inondé. Le BMI, qui opère au nord est accroché durement devant Ngay Thon. Malheureusement, le I/1° RTM ne peut progresser vers le nord pour appuyer le BMI, dont il est séparé par une zone inondée infranchissable. Nous essayons d'aider le BMI par nos tirs de mortiers, mais il faut d'abord lui demander où se trouvent toutes ses unités pour éviter les méprises. A 18h00, le bataillon reçoit l'ordre de se porter par la digue du Song Kinh Tay jusqu'à Trung Ha, pour prendre à revers les adversaires du BMI. Il faut faire revenir le bataillon en arrière et retraverser le pont de singe de Tong Xa. Ce n'est qu'à 18h30 que le bataillon redémarre sur la digue en direction du nord, et la nuit tombe. Le BMI n'a pu s'emparer de Ngay Thon et décroche. Le bataillon reçoit l'ordre de stopper sa progression puis de revenir à Linh Khe pour passer la nuit.

1- BMI : Bataillon de Marche Indochinois (ou d’Infanterie ?) 351


Un pont de singe 6-2-52 Au jour, le bataillon rejoint Nam Sach à pied et retrouve la 3ème compagnie, qui aurait été bien utile la veille. Il embarque en camions à 13h00 et rentre à La Coi à 18h00. Le I/1° RTM doit repartir le lendemain matin pour une opération de nettoyage dans le secteur de Thuan Than, au sud du canal des rapides, et à laquelle participeront le S/G.B. n° 1, le BMI et le III/3° REI. 7-2-52 Trois jours de fouille de villages au sud du canal des rapides Parti de La Coi à 07h15, le bataillon, transporté en camions par la digue sud du canal des rapides, est débarqué à 09h30 à l’est du poste d'A Lu (423.B.10), moins la 2ème compagnie qui sera placée en réserve de groupement à Lac Tho, 4 kms à l’est de A Lu. La mission du bataillon, pour la journée, est de s'emparer successivement des villages de TAM A (4 kms S.S.E. de A Lu) Cua Tieu-Tan Ap Thon et Dong Coi (3 kms sud de Lac Tho). Son action sur Tam A doit être couverte à l'ouest par un détachement blindé, aux ordres du capitaine d'Aram, qui l'appuiera ensuite pendant toute sa progression. Le terrain entre A Lu et Tam A avait été donné comme praticable aux chars. Débouchant à 10h00 de la région sud-est d'A Lu, le I/1° RTM, en formation déployée se dirige vers Tam A. Sa progression est immédiatement ralentie par la traversée de 2 kms de rizières inondées. Le terrain ne redevient à peu près sec que 500 mètres au nord de Tam A, qui est reconnu et fouillé sans incident. Les chars, après aménagement d'une coupure sur la piste au nord-ouest de Tam A, peuvent reprendre leur mission d'appui du bataillon dans sa progression vers l’est. Successivement sont fouillés les villages de Dong Rien Qua Tien-Tan Ap Thon et Dong Coi ouest. On ne trouve dans ces villages que quelques femmes et quelques vieillards qui déclarent tous qu'ils n'ont jamais vu de VM. Après la fouille de Dong Coi ouest, la 3ème compagnie, couverte au sud par la 1ère compagnie et au nord-est par la 4ème compagnie fait reconnaître les lisières ouest de Dong Coi est. Une section est d'abord installée sur un petit mamelon entre les deux villages, sans provoquer de réaction ennemie. Ce n'est qu'au moment où les premiers voltigeurs pénètrent dans le village que la fusillade éclate (armes automatiques et mortiers de 60). La 2ème compagnie, maintenue en réserve de groupement à Lac Tho depuis le matin, est alors remise à la disposition du bataillon, mais elle a deux kilomètres à parcourir et n'arrivera que vers 17h00. L'attaque est déclenchée à 17h30 par 352


le nord avec les 2ème et 4ème compagnies, la 4ème compagnie conservant sa mission de couverture face au nord-est et à Binh Ngo, en liaison avec les chars. La 2ème compagnie est stoppée le long de la digue nord du village par des feux d'armes automatiques situées en lisière. Un essai de débordement par le nord-est est tenté vers 18h15 par la 4ème compagnie. Cette tentative faillit réussir malgré la menace de Binh Ngo sur ses arrières. Mais le jour baisse rapidement, et il ne peut être question de s'engager dans un combat de nuit à l'intérieur du village. Le commandant du S/G.B. n° 1, qui a assisté à l'attaque de la 2ème compagnie et admire l'élan des tirailleurs face au feu ennemi, donne l'ordre de décrocher. Le bataillon décroche sans trop de peine grâce à la nuit tombante et à la précision des tirs d'artillerie et des mortiers de 81 du bataillon. Il se replie sur le petit village de Ap Lac Tho (4 km N.O. de Dong Coi) où il passera la nuit. 8-2-52 La mission du bataillon est de reconnaître et de fouiller successivement les villages de Tan Ap Thon-Dong Coi ouest et Dong Coi est. Cette fois, le bataillon dispose de ses quatre compagnies. La reconnaissance et la fouille de Tan Ap Thon et de Dong Coi ouest s'effectue sans incident ; il est décidé de passer à Dong Coi est. Profitant de l'expérience de la veille, on déborde le village par le nord et par le sud couverts face à Binh Ngo par les blindés et une compagnie d'infanterie. L'abordage des lisières ne provoquant aucune réaction, les premières patrouilles pénètrent dans le village sans incident et la fouille commence. Au cours de cette fouille, on identifie trois emplacements de mortiers de 60, deux emplacements de mitrailleuses, et quatre ou cinq emplacements de fusils mitrailleurs. On trouve également quelques morceaux de bandes de mitrailleuse de 12,7. En fin d'après-midi, pendant que le bataillon commence ses travaux d'installation pour la nuit, un violent accrochage se produit au sud dans la région de Nghi An. Le III/3° REI qui a pénétré dans ce village, est contre-attaqué vigoureusement par des éléments VM débouchant de Thong Vu (423.I.7). L'action se passe à plus de 2 kms de Dong Coi, le bataillon ne peut apporter aucun appui à la Légion à l'exception de tirs lointains de mitrailleuse. Seuls les chars du détachement blindé peuvent ouvrir le feu sur des éléments de la contre-attaque. Les lisières ouest et nord de Binh Ngo sont signalées comme fortement tenues. Les unités en position aux lisières est de Dong Coi, reçoivent des coups de feu venant de Binh Ngo. Les criquets1 et les Junker sont pris à partie par une mitrailleuse de 12,7, en position vers le centre de Binh Ngo, et qui sera prise à partie par la chasse amie. En fin de journée, Binh Ngo est bombardé et napalmé. La première partie de la nuit du 8 au 9 février est assez agitée. Les différentes sonnettes du bataillon sont successivement tâtées par des patrouilles VM venant probablement de Binh Ngo. L'une d'elles, forte d'une vingtaine d'hommes vient s'installer à 50 mètres des lisières de Dong Coi : prise à partie par l'artillerie, elle se replie, laissant sur place quelques équipements. 9-2-52 Le bataillon a pour mission d'attaquer Binh Ngo après un bombardement massif d'artillerie et d'aviation. Il sera appuyé par le détachement blindé du capitaine d'Aram qui assurera sa couverture sud. L'aviation est attendue pour 08h30.

1- MS-500 "Criquet" : avion Morane Saulnier, à décollage et atterrissage très court. 353


Une reconnaissance, envoyée à 07h00 entre Dong Coi et Binh Ngo ne signale rien de particulier. Le bombardement préventif de l'aviation étant prévu ferme pour 08h30, aucune patrouille ne peut être envoyée dans Binh Ngo. A 10h00, toujours pas d'aviation. Une patrouille est envoyée jusqu'aux lisières de Binh Ngo qu'elle fouille sur une trentaine de mètres de profondeur sans rencontrer de résistance. A 10h30, l'aviation ayant officiellement déclaré forfait, la 2ème compagnie pénètre dans Binh Ngo par l'ouest, après l'exécution d'un tir d'artillerie sur les lisières. La fouille de Binh Ngo est ensuite entreprise par trois compagnies et se poursuit jusqu'à 12h00. Au cours de l'après-midi sont fouillés successivement les hameaux est de Binh Ngo ainsi que les villages de Yen Ngo-Thuong Vu et Xom Ket. Pendant ce temps, l'observation terrestre et aérienne signale que les villages de Mao Dien Doai-Dong Cong et Ngi Khoc paraissent fortement occupés. Des mouvements suspects sont permanents entre ces villages. Un ancien supplétif trouvé au village de Binh Ngo déclare que les VM ont évacué ce village dans la deuxième partie de la nuit et se sont repliés en direction de Mao Dien Doai. Il est à remarquer que les villages fouillés sont tous fortifiés, et que les organisations défensives sont de plus en plus développées à mesure que l'on progresse vers l’est. A 16h30, le bataillon reçoit l'ordre de se replier sur Dong Coi où il passera la nuit. Le repli est couvert par les chars du capitaine d'Aram. 10-2-52 Le I/1° RTM enlevé de Dong Coi dans la matinée rentre à La Coi vers 13h00. 11-2-52 Repos à La Coi. Le capitaine Poiteau est affecté à la section "commandos" de l'Etat-Major des FTNV. 12-2-52 Le I/1° RTM quitte le sous-groupement blindé n° 1, non sans quelques regrets. Il est replacé aux ordres du lieutenant colonel Blanckhaert commandant le GM 7. Le commandant du bataillon est aussitôt convoqué au PC du GM 7. Le bataillon doit partir le lendemain pour participer à une opération de plusieurs jours dans la région sud-est de Ninh Giang. 13-2-52 Un mois ininterrompu d’opérations dans le delta Le bataillon quitte La Coi à 8H.00, enlevé par 40 GMC. Point de 1ère destination : Ninh Giang. Dans la soirée, il passe le bac et la 1ère compagnie est poussée immédiatement à Dong Linh (169.B.4), où elle assure la protection de la 1ère batterie du GACAOF. Le reste du bataillon passe la nuit aux abords du poste sud de Ninh Giang. 14-2-52 protection d’une route et d’une batterie d’artillerie Le I/1° RTM est transporté en camion à Dong Linh où il rejoint la 1ère compagnie. Il a pour mission initiale d'assurer la protection de la route de Dong Linh-Ninh Cu (168.E.9) en fouillant et en occupant Ly Xa-Thanh Mai et Thu Nghia au sud du Song Hoa et Tham Dong au nord du Song. Le dispositif de sécurité est mis en place sans difficulté et la 1ère compagnie est poussée à Tham Dong (169.D.3). 354


Dans l'après-midi, la 1ère compagnie est enlevée par 3 LCM et débarquée au sud du Song Hoa en face du poste de Hoi Am (168.J.10). Elle a pour mission d'assurer la protection d'une batterie en position dans la région 2 kms ouest de Van Am. Le reste du bataillon embarque en camions, fait mouvement en fin de journée jusqu'à Thu Cuc (168.H.9) où se trouve déjà une batterie du GACAOF. La 4ème compagnie est poussée de nuit jusqu'à la position de la 1ère compagnie.

15-2-52 Le bataillon partant, partie de Thu Cuc, partie de la région nord de Cao Trai fait mouvement à pied sur Tho Cach (178.C.8) où il s'installe pour la nuit. La 3ème compagnie est détachée à Kha Ly pour assurer face à l’est la protection du PC du GM 7 et des batteries installées dans la région de Van Am. 16-2-52

Fouille de villages au sud du canal des bambous

Le I/1° RTM quitte Tho Cach et Kha Ly à 03h00. Il a pour mission initiale : a)- de se mettre en place de nuit pour aborder au jour le village de An Co (178.I.9), pendant que le 10° BVN se met en place à sa gauche face à Chi Bo b)- de fouiller et nettoyer An Co c)- de pousser en direction du poste de Binh Lang (2 kms sud de An Co). La mise en place est terminée pour 07h00. An Co est abordé avec précaution et très lentement par la 2ème compagnie qui ne rencontre aucune résistance. La 1ère compagnie est immédiatement poussée sur le sud d'An Co afin d'en activer la fouille conjointement avec la 2ème compagnie. En fin de matinée, la fouille d'An Co est à peine terminée. Le bataillon reçoit l'ordre de s'orienter vers l'ouest et de fouiller les villages de Phuong Man-Dien Tinh-Dong Giuong-Van Don-Tu Trinh-Luu Don-Quang Nap. La fouille des six premiers villages est effectuée sans incident, les lisières étant abordées successivement avec les précautions habituelles. A Van Don, le curé affirme que la région est vide de VM. Cependant, des éléments plus que suspects ont été aperçus au sud-ouest du poste de Binh Lang et pris à partie au mortier de 81.

355


Vers 15h00, le bataillon dont les compagnies fouillent Tu Trinh-Van Don et Dong Thon reçoit l'ordre de hâter sa progression vers l'ouest en direction générale de O Trin (178.E.6) sur la route Kha Li-Diem Diem. La 1ère compagnie est alors dirigée de Tu Trinh sur Quang Nap que la 2ème compagnie doit aborder par l’est. La 2ème compagnie est en retard dans sa mise en place et la 1ère compagnie, qui aborde Quang Nap par son extrémité nord-ouest est violemment prise à partie par des résistances VM installées dans les hameaux situés à l'extrémité ouest de Quang Nap. La 2ème compagnie éprouve elle-même des difficultés à pénétrer par l’est dans Quang Nap, dont les lisières est sont tenues par des tireurs isolés qu'il faudra nettoyer un par un. A Dong Thon, la 4ème compagnie a des ennuis, le village ayant été fouillé trop rapidement et un certain nombre de VM isolés étant ressortis de leurs cachettes, les arrières du bataillon sont peu sûrs, le PC se fait tirer au lapin entre Thuong Thon et Quang Nap. Le détachement amphibie du capitaine Gauthier, débarqué dans la journée à l'embouchure du Song Thai Binh, est annoncé par le GM 7. Malheureusement, pris lui-même à partie par des snipers dans la région de Dong Thon, il ouvre un feu d'enfer, dont les éclaboussures arrivent sur le bataillon sans perte heureusement. Tout finit par rentrer dans l'ordre, quand une liaison personnelle peut être réalisée entre le commandant du bataillon et le commandant du groupement amphibie. Pendant ce temps, la 1ère compagnie est toujours durement accrochée. L'intervention de l'artillerie et de la chasse s'est avérée insuffisante. La 2ème compagnie nettoie lentement la partie est de Quang Nap, le jour tombe. Grâce à l'appui efficace des alligators 1 qui neutralisent les résistances rebelles, la 1ère compagnie réussit avant la nuit à pénétrer dans la partie ouest de Quang Nap dont les hameaux ouest sont toujours tenus par l'ennemi malgré un "napalmage" de l'aviation. Finalement, à la nuit, le bataillon s'installe en entier dans Quang Nap, et il semble bien que l'ennemi s'apprête à décrocher complètement. Au total, les pertes du bataillon pour cette journée s'élèvent à : - 1 sous-officier et 2 tirailleurs tués - 6 sous-officiers et 3 tirailleurs blessés. 17-2-52 Après une nuit calme et des patrouilles de contact envoyées sans résultat au lever du jour sur les positions VM de la veille, le bataillon reprend sa progression sur An Bai et O Trinh à travers une rizière complètement inondée, où l'on enfonce jusqu'à mi-jambe. A l'arrivée à la route de Diem Diem-Kha Ly, changement de programme. Le bataillon reçoit pour mission de repasser par le poste de Kha Ly et de se porter sur les villages de Ha Tap et de An Dinh qu'il fouillera avec l'appui éventuel du groupement amphibie. Pendant ce temps, le 10° BVN remontant de Diem Diem, fouillera la région de O Trinh. Les villages de Ha Tap Tra Hoi Et An Dinh sont fouillés sans incident ; on y trouve de nombreuses traces d'occupation récente. Le bataillon s'installe pour la nuit à An Dinh. 18-2-52 Fouille de Hoanh Quanh Les ordres sont reçus dans la nuit. Le bataillon doit fouiller d'abord les villages de Hoanh Quanh et Hoan Son. Le groupement amphibie poussera directement par le nord en direction de An Dan (168.G.6). 1- les chars amphibies LVT (Landing Vehicle Tracked) étaient surnommés alligator 356


Il est décidé d'aborder Hoanh Quanh au jour par le sud-est (3ème compagnie) et par le sud-ouest (4ème compagnie). La 3ème compagnie fouillera complètement la partie nord du village avant de redescendre vers le sud-ouest à la rencontre de la 4ème compagnie. Celle-ci est principalement chargée de la couverture de l'opération face au sud-ouest (Hoan Son). La 1ère compagnie s'installe aux lisières sud de An Dinh, face à Dong Than, et la 2ème compagnie est en base de feu sur les lisières N.O. de An Dinh, face à Hoanh Quanh. Le PC et les mortiers sont à la corne sud-ouest d'An Dinh. Pendant la mise en place, qui s'effectue sans incident, des mouvements suspects sont observés aux lisières de Lai Chieu et de Hoan Son. La 3ème compagnie démarre la première et aborde les lisières de Hoanh Quanh où elle ne tarde pas à pénétrer sans incident, la section de tête traversant même complètement le village. Au moment où la 4ème compagnie va aborder les lisières sud, une violente fusillade éclate du côté de la 3ème compagnie. Afin d'éviter deux accrochages simultanés, le mouvement de la 4ème compagnie est stoppé et celle-ci aiguillée par An Dinh de manière à soutenir la 3ème compagnie immédiatement sur son flanc gauche. Pendant ce mouvement, la 3ème compagnie qui a pénétré entièrement dans Hoanh Quan et s'est laissée un peu trop entraîner sur sa gauche, est violemment prise à partie de tous côtés par des éléments VM qui étaient restés tapis dans leurs abris. Le commandant de la compagnie demande instamment que des renforts lui soient envoyés sur sa gauche. La tête de la 4ème compagnie (section Balmitgere) arrive enfin à Hoan Quan, ce qui donne un instant de répit. Mais le reste de la 4ème compagnie, qu'il a fallu regrouper, est encore dans An Dinh. La SME est poussée immédiatement dans une pagode située entre An Dinh et Hoanh Quan. A ce moment, le capitaine commandant la 3ème compagnie rend compte qu'il est violemment contre-attaqué sur sa gauche à l'intérieur même du village et qu'il a l'impression qu'il va être débordé par son arrière. Par ailleurs, du PC du bataillon, on aperçoit la valeur d'une compagnie VM débouchant de Hoan Son et qui essaye de remonter le long des lisières sud-est de Hoanh Quan de façon à prendre la 3ème compagnie par derrière. Cette compagnie VM est immédiatement prise à partie par l'artillerie, par les mortiers du bataillon, par la SME de la 2ème compagnie, puis par la chasse : son mouvement est rapidement stoppé. L'intervention de la chasse a donné lieu à un malheureux incident : un chasseur se trompant d'objectif mitraille les arrières du PC du bataillon (pourtant situé en arrière des panneaux) et cause quelques pertes. Le PC du bataillon est aussi pris à partie par des mortiers VM qui, heureusement, ne font que quelques blessés légers. La 3ème compagnie est toujours serrée de près dans Hoanh Quan où elle se bat au corps à corps. Les VM continuent à pénétrer dans le village par ses lisières nord-ouest qui ne peuvent être observées du bataillon. Il est demandé au groupement amphibie d'intervenir sur ces lisières ; mais il s'est déjà engagé trop profondément vers l'ouest, et ne pourra pas intervenir avant un délai d'une heure ou deux. Dans ces conditions, il est décidé de replier la 3ème compagnie sur An Dinh, afin de pouvoir faire prendre à partie Hoang Quan par l'artillerie et l'aviation, avant de reprendre l'action sur de nouvelles bases. La 3ème compagnie effectue son repli avec quelques difficultés, soutenue par le SME de la 4ème compagnie et la base de feu de la 2ème compagnie. 357


Le reste de la matinée est utilisé pour remettre de l'ordre dans le dispositif et préparer une reprise de l'attaque dans l'après-midi dès l'arrivée du groupement amphibie et avec un appui massif de l'artillerie. L'attaque est reprise à 14h00 sur l'axe NE-SO : 4ème compagnie au nord, 1ère compagnie au sud, chacune appuyée par un sous-groupement amphibie. La 3ème compagnie est en base de feu à An Dinh et la 2ème compagnie en réserve. Après un violent bombardement des lisières NE de Hoanh Quan, les 4ème et 1ère compagnies abordent les lisières soutenues par les tirs nourris des crabes 1 et des alligators. La progression s'effectue sans grosse difficulté, les VM ayant donné alors (on le saura plus tard) l'ordre de "sauve qui peut". La fouille du village s'avère fructueuse. Les cadavres sont nombreux. Une quantité importante de munitions est récupérée. Ces munitions seront suffisantes pour recompléter entièrement le bataillon (remplacement des munitions dépensées ce jour-là et le 16 février à Quang Nap). Dans la soirée, sur la demande du GM 7, parachutage des vivres et de munitions au profit du bataillon : les vivres sont les bienvenus, mais nous sommes encombrés de munitions puisque nous avons pu nous recompléter sur place. Les pertes du bataillon pour la journée s'élèvent à : - 7 tirailleurs tués - 5 sous-officiers blessés - 17 tirailleurs blessés. Le bataillon s'installe pour la nuit dans Hoanh Quan. 19-2-52 Le bataillon reste à Hoanh Quan qu'il fouille de fond en comble et où sont encore récupérées de nombreuses munitions. Il faut évacuer sur le PC du GM 7 les munitions parachutées la veille au soir (dont nous n'avons pas besoin) et les parachutes. Dans l'après-midi, fouille de Hoan Son et de Lai Chieu et des hameaux nord de Hoanh Quan. 20-2-52 Quan Dong Le I/1° RTM a pour mission : a)- de fouiller toute la ligne de villages s'étendant sur six kilomètres entre Duong Than et Phong Lam inclus. b)- de détacher une compagnie vers le sud pour fouiller les villages de Thon Phuc-Duong Thanh et Cam Chau, prendre liaison avec le poste de Tra Linh où elle se joindra à un peloton blindé venu de Diem Diem par la route. Elle fouillera ensuite les villages de Ha Dong est et ouest, sous les ordres du capitaine Py chef d'EM du GM 7 qui veut prendre l'air. Le gros du bataillon doit en fin de journée rejoindre cette compagnie détachée dans la région de Ha Dong, après avoir pris liaison à Phong Nam avec le 10° BVN et avoir fouillé Quang Dong.

1- Le char Sherman « crabe » ou « flail » (fléau), au bout de ses longues pinces d’acier, il porte un tambour muni de chaînes qui battent le sol comme un fléau afin de faire exploser les mines à son passage. 358


La 1ère compagnie est désignée pour la mission du sud. Elle reçoit comme instructions du chef de bataillon de ne pas s'engager seule à fond et en cas d'accrochage sérieux, d'attendre le retour du bataillon, avec lequel elle restera en liaison radio. Le bataillon quitte Hoanh Quan avant le lever du jour et aborde Duang Than vers 07h30, pendant que la 1ère compagnie se dirige vers le sud. Les fouilles se poursuivent sans incident jusque vers 14h00 tant au nord qu'au sud. Toutefois, les renseignements recueillis signalent des passages Viets, la nuit précédente en direction générale de Ha Dong. Arrivé à midi au poste de Luyen Khuyet (168.G.3), il est demandé au GM 7 que le bataillon soit dispensé de la fouille de Phong Nam afin de revenir au plus tôt vers Quan Dong et Ha Dong donner la main à la 1ère compagnie. L'autorisation est refusée, mais un détachement de crabes est dirigé vers la 1ère compagnie avec le capitaine PY, chef d'EM du GM 7. La 1ère compagnie trouve le contact en abordant Ha Dong ouest au moment où le bataillon, à 2 kms de là, pénètre dans Phong Nam, dont la fouille est activée afin de hâter le mouvement vers Quan Dong. A l'arrivée du détachement de crabes, la 1ère compagnie qui, conformément aux instructions reçues, avait évité de s'engager seule dans Ha Dong, reçoit du capitaine PY l'ordre de pénétrer dans le village. Elle s'empare d'abord de deux petits hameaux au nord, malgré une sérieuse résistance adverse ; mais en est rejetée par une violente contre-attaque. C'est au cours de cette action que périra un cinéaste célèbre, qui imprudemment s'était joint, avec sa caméra, à nos premiers éléments. Pendant ce temps, le reste du bataillon, après avoir terminé la fouille de Phong Nam, se regroupe sur la digue du Song Giem Ho, et revient en direction de Quan Dong. Une trentaine de VM sont arrêtés au passage dans la rizière, et la 3ème compagnie pénètre sans incident dans le hameau sud de Quan Dong mais est violemment prise à partie dès qu'elle veut pénétrer dans le hameau nord. Il avait été décidé de faire attaquer ce hameau par la 4ème compagnie après intervention de l'artillerie et de la chasse, mais un message du GM 7 annonce pour 18h20 une intervention de B.26 1sur Ha Dong au profit de la 1ère compagnie. Le message prescrit de rester à au moins un kilomètre de l'objectif. L'attaque de Quan Dong est donc remise et n'aura lieu qu'après le bombardement. Malheureusement, ce bombardement est décommandé par la suite. La 1ère compagnie et le détachement de crabes qui l'appuie reçoivent l'ordre de décrocher. Ils ont besoin de toute l'artillerie disponible. L'attaque de Quan Dong doit donc être décommandée. Les 2ème, 3ème et 4ème compagnies se regroupent à la nuit à l'ouest de Quan Dong entre digue et fleuve et s'y installent en point d'appui fermé avec sonnettes et embuscades. La 1 ère compagnie fait mouvement de nuit avec le détachement de crabes, le tout sous les ordres du capitaine PY, vers le poste de Luyen Khuyet qu'elle n'atteindra que vers 2 heures du matin. Les pertes de la journée s'élèvent à : - 3 tirailleurs tués plus un cinéaste - 10 tirailleurs blessés.

1- B 26

: bombardier conçu pour l’attaque au sol à l’aide de mitrailleuse 359


21-2-52 La nuit est relativement calme (1 VM tué et 1 tirailleur blessé). A l'aube Quan Dong est abordé et fouillé sans incident, ainsi que Ha Dong où sont récupérées un certain nombre d'armes, dont un mortier et un S.K.Z. D'après les renseignements recueillis, les VM survivants ont passé le Song Giem Ho au cours de la nuit. La 1ère compagnie, très fatiguée, rejoint le bataillon dans la matinée. Le bataillon s'installe à Ha Dong est.

360


OPERATION "CRACHIN"

Forces Terrestres du Nord Vietnam groupe mobile n° 7 etat major-3° bureau N° 109/GM 7/3 ORDRE PARTICULIER N° 16

I - 10° BVN et BM. 1°RC feront mouvement à pied ce jour Destination : 10° BVN : Quan Dinh BM. 1° RC : Bac Nao Itinéraire : route Vo Hoi - Khuc Mai Progression : en sûreté Départ : Dès que possible après ravitaillement dans l'ordre : BM. 1° RC - 10° BVN. Passeront la nuit aux points de destination. Se tiendront prêts à se porter le 22 matin à pied : Le 10° BVN sur Vu Ha Le BM. 1° RC sur Sao Dong II -

I/1° RTM, passera la nuit à Hadong après avoir nettoyé la région dans la journée. Sera embarqué le 22 matin Point d'embarquement : Bao Kam sauf contre-ordre Moyens de transport : navettes par rames de 15 GMC Départ de la 1ère rame : en principe à 9 heures Itinéraire : route Kha Ly - Van Cu - Ninh Cu Point de destination : Dong Linh

III - S/GROUPEMENT AMPHIBIE Se regroupe le 21 à Ninh Cu Fera mouvement le 22 sur Ninh Giang, sur ordre particulier ultérieur. IV - GACAOF - GENIE - PC Mouvement le 22 matin sur Dong Linh Une batterie se portera éventuellement dès le 21 après-midi sur le point de destination. V-

PELOTONS CHARS et PELOTON AM DU RICM Regroupement pour le 21 avant la nuit au PC du GM 7 Assureront la sûreté des mouvements du 22, suivant ordre particulier ultérieur.

DESTINATAIRES I/1° RTM 10° BVN BMRC S/Groupement Amphibie Peloton AM

PC le 21 février 1952 Le lnt. colonel Blanckaert, commandant Le Groupe Mobile n° 7 signé : Blanckaert PA Le capitaine François chef du B3 GACAOF 1er Peloton de chars 2ème Peloton de chars Génie Transmissions.

361


22-2-52 Au lever du jour, le bataillon fait mouvement à pied d'abord sur Diem Diem, où la 1ère compagnie est enlevée en camions, puis sur Van Am où le reste du bataillon est enlevé en 2 rotations. Tout le bataillon est regroupé dans l'après-midi à Phong Xa (158.f.6), où il s'installe pour la nuit. Seul ordre pour le lendemain : être prêt à partir à 07h00. 23-2-52 Co Tiet Le bataillon démarre de Phuong Xa à 07h00 en direction du poste de Dao Dong (159.H.1), où il doit être placé en réserve de GM 7. En cours de route, il reçoit l'ordre de pousser directement sur Co Tiet qu'il doit fouiller, pendant que le 10° BVN s'occupera de Cha Thon et le BM.RCC de Dong Ky. Co Tiet est un énorme village, cantonnement de repos des VM que le bataillon connaît bien pour l'avoir fouillé en septembre au passage au poste de Dao Dong, les renseignements sont plutôt inquiétants : il y a des Viets dans toute la région et on les a entendus chanter la nuit précédente dans Co Tiet. Il est décidé de s'occuper d'abord de la partie est de Co Tiet, dont les hameaux sont soi-disant ralliés ; puis de la partie nord, le 10° BVN étant après coup chargé de la partie sud ouest. La fouille s'effectue sans incident et sans récupération, et en fin de journée, le bataillon s'installe à Cha Thon avec le 10° BVN. Les ordres pour le lendemain sont reçus à 21 heures. La nuit est absolument calme. 24-2-52 Protection de la route Dao Dong / Thai Binh Le bataillon a pour mission d'assurer la protection de la route qui va de Dao Dong à Thai Binh, entre Dong Le et le carrefour 3 kms nord-est, afin de permettre le passage des convois organiques du GM 7. La mission est remplie sans incident et, en fin d'après-midi, le bataillon est regroupé à Co Dung (158.E.5) où il s'installe pour la nuit. Il reçoit l'ordre de se porter de nuit dans la région ouest de Binh Cach (4 kms est de Co Dung) afin de s'y installer en bouclage avant le lever du jour. 25-2-52 Dong Vi Parti de Co Dung à 04h00, le bataillon se traîne de nuit sur les diguettes et les ponts de singe. Nuit d'encre, on ne voit pas à deux mètres ; il faut sans cesse chercher son chemin, sans être certain d'avoir trouvé le bon. A 06h00, au moment où on pouvait espérer un peu de clarté, le brouillard tombe accompagné d'un crachin épais. A 07h00, en débouchant de Dung Vi, la 4ème compagnie qui est en tête au nord (la 2ème compagnie étant en tête au sud, le long du Song Binh Cach) est accueillie de l’est à coups de fusils et d'armes automatiques. On ne voit pas à 100 mètres. N'y aurait-il pas méprise de la part d'unités du 10° BVN qui devrait se trouver dans cette région ? On n'ose pas faire intervenir l'artillerie. Finalement tout se tasse, le jour se lève, une compagnie égarée dans Dong Vi débouche dans le dos de la 3ème compagnie qui a été poussée au nord de la 4ème compagnie afin de la couvrir sur sa gauche et d'étendre le bouclage au nord. Tous les hameaux, entre Dung Vi et Binh Cach sont soigneusement fouillés, sans résultat. En fin de journée, le bataillon se regroupe à Co Dung. 362


26-2-52 Co Xa, Co Coc, Vinh Quan Le bataillon a pour mission de se porter de nuit sur Nguyen Xa (3 kms S.O. de Co Dung) où il restera d'abord en réserve pendant que la 10° BVN et le B.M.R.C.C. fouilleront Co Xa et surtout Co Khuc où est signalé un important dépôt de munitions VM. La mise en place à Nguyen Xa s'effectue sans difficulté et des patrouilles sont immédiatement découplées sur Lu Phong (1,5 km au S.O.). Dès que Co Xa est occupé par le 10° BVN, le I/1° RTM reçoit l'ordre de s'y porter et de fouiller Lu Phong. Ce nouvel objectif est occupé à 11h00 et les reconnaissances sont envoyées vers l'ouest, qui est la direction générale de l'opération. A ce moment, le chef d'EM du GM 7 apporte l'ordre de faire face au sud et de se diriger rapidement vers Hung Quan (157.B.9) et Vinh Quan (157.A.8) où sont signalés des éléments VM, pendant que le B.M.R.C.C. se dirigera sur Trang Quan où la milice serait encerclée depuis 48 heures. Il faut fouiller au passage Pham Thon-Co Coc et Trai Coc. Des lisières sud de Co Coc, on aperçoit des mouvements suspects aux lisières nord de Hung Quan (hommes se déshabillant et revêtant des tenues civiles). Pour atteindre Hung Quan, il faut d'abord traverser un canal sur un pont étroit que doit également emprunter le B.M.R.C.C. pour atteindre Truong Quan. Quand le I/1° RTM abordera Hung Quan, il n'y rencontrera ni résistance ni Viets. Ceux-ci se sont enfuis vers l’est paraît-il ; ils étaient accompagnés de femmes servant deux postes radio. Fouille de Hung Quan et de Vinh Quan, où le bataillon s'installe pour la nuit. 27-2-52 Le bataillon a pour mission de se porter dans la région ouest du poste de Kim Boi, en passant par le poste de Dong Cong (147.H.9). Le mouvement s'effectue sans histoire, mais en arrivant à Kim Boi, on reçoit l'ordre de pousser jusque dans la région de An Xa (148.A.7), où le bataillon arrivera vers 14h et il s'installera à Thi Doc dans le courant de l'après-midi. 28-2-52 Repos à Thi Doc. 29-2-52 Contrairement aux prévisions, il faut se diriger vers l’est et non vers l'ouest. Le bataillon a d'abord pour mission de se porter au poste de Co quan, de passer au nord du Song Tien Dung, puis de s'installer dans la partie sud du village de Hoan Nung Trang. (La partie nord étant occupée par le B.M.R.C.C. du capitaine de la Ferte). Le mouvement est effectué sans incident au cours de la matinée. 1-3-52 Opération ouragan - Ta Xa er 1 jour de l'opération "Ouragan". Le bataillon a pour mission de se porter sur Ta Xa (148.G.10) en fouillant au passage les villages de Duyen Trung-Da Phu Lang-Mau Lam et Chi Ling. Il sera couvert sur sa droite par le B.M.R.C.C. Quelques coups de feu sont tirés au moment de l'abordage de Phu Lang qu'il faudra fouiller minutieusement. En fin de journée, le bataillon s'installe à Ta Xa. 363


2-3-52 Protection de la route de Phu Lang à Ta Xa La mission est de garder l'itinéraire de Phu Lang à Ta Xa, et en particulier les deux ponts que vient de rétablir le génie. Le PC et les 2ème et 3ème compagnies reviennent donc à Phu Lang, pendant que les 1ère et 4ème compagnies restent à Ta Xa. Dans la journée, la 3ème compagnie fouille à nouveau les villages de Phu Lang et de Da Phu où elle essuie quelques coups de fusils. Les unités restent sur place pour la nuit. 3-3-52 Xich Bich Mission inchangée, paraît-il. La 3ème compagnie fouille les villages de Gia Lap et Tran Xa. Vers 10h00, le bataillon reçoit l'ordre de reprendre la progression vers le nord. Il fouille au passage Duyen Te et Kha Lang où la 2ème compagnie reçoit quelques coups de feu ; puis Kha Thon. Le curé de Phuc Le contacté prétexte une maladie pour ne pas se présenter, mais signale que les Viets seraient installés plus au nord. En fin d'après-midi, le bataillon fouille sans incident le village fortifié de Xich Bich et les hameaux adjacents. Vers 18h00, une patrouille de la 3ème compagnie envoyée au village de Thong Thon sérieusement fortifié y est reçu par une violente fusillade. La 2ème compagnie reçoit également des coups de feu venant du nord. Le lieutenant Norel, DLO du GACAOF, réussit un magnifique coup au but sur la porte sud de Thong Thon, mais il est trop tard pour passer à l'attaque. Le bataillon s'installe pour la nuit à Xich Bich, dont les fortifications, très solides, semblent assez anciennes. 4-3-52 Chung Linh A l'aube, mise en place pour l'abordage de Thong Thon qui est finalement occupé sans coup férir. Les VM ont abandonné le village au cours de la nuit. Le bataillon poursuit sa progression vers le nord, fouillant successivement Dai Phu et La Trieu. Des éléments VM sont aperçus dans les environs de Da (Ky Trang) au nord du canal, mais le bataillon a pour mission de se porter au plus tôt sur le poste de Yen Long le long du canal des bambous. (Nous apprendrons plus tard que ces VM appartenaient au PC du régiment régional local et que le 2ème Bureau des FTNV avait signalé leur présence au GM 7. Nous avons manqué là une belle occasion). La 2ème compagnie qui ouvre la marche, reçoit quelques rafales en abordant Dong Ngau Khu, mais les éléments VM semblent se replier vers le nord-ouest. En raison des difficultés éprouvées pour traverser les canaux, il est décidé de faire passer le gros du bataillon sur la rive est du Rach Dahn Hoi. La 4ème compagnie est maintenue en rive ouest, avec le PC du bataillon, afin de fouiller le village de Yen Long en liaison avec la 3ème compagnie qui redescendra au nord après avoir pris liaison avec le poste de Yen Long (149.I.8). A 15h00, la 3ème compagnie atteint le poste de Yen Long et se prépare à aborder le village par le nord comme prévu. Le village a été signalé comme suspect par le chef de poste.

364


La 4ème compagnie, en rive ouest, arrive à hauteur de Chung Linh, la 1ère compagnie est à la même hauteur en rive est, la 2ème compagnie est encore à Dong Ngau Khu où elle a trouvé des armes et dont elle termine la fouille. Le bataillon reçoit alors l'ordre de pousser des reconnaissances vers l'ouest jusqu'à hauteur de Ky Trang (2 kms ouest) de façon à prendre le contact. Il est décidé d'arrêter la 4ème compagnie qui, faisant face à l'ouest, fouillera d'abord Chung Linh puis enverra une reconnaissance sur Ky Trang. La 3ème compagnie fouillera seule le village de Yen Long, soutenue éventuellement par la 1ère compagnie qui est poussée immédiatement vers le nord et enverra des reconnaissances sur Dao Xa et An Thai. La 2ème compagnie est maintenue en réserve et s'installera en base de feu face à Chung Linh pour soutenir l'action de la 4ème compagnie, en la couvrant en particulier face au sud. Pendant tout l'après-midi en effet des mouvements VM ont été signalés aux environs de Ky Trang. La section Balmitgere (4ème compagnie) est chargée de reconnaître les lisières de Chung Linh, village isolé au milieu d'une rizière inondée et accessible par une seule digue qui en longe la lisière nord. Dès l'abordage de la lisière est, la section est prise à partie par des feux violents d'armes automatiques et individuelles. Le village est certainement fortement occupé. Ordre est donné au lieutenant Balmitgere de se replier afin de pouvoir faire intervenir la chasse et l'artillerie. Mais Balmitgere est grièvement blessé, et l'on restera longtemps sans nouvelles de lui. Il parvient tout de même à organiser le repli de sa section et à rejoindre lui-même en rampant sa compagnie, sous un feu violent. A 16h30, il reste encore deux blessés non récupérés sur le terrain. Le sergent-chef Mayer a été mortellement blessé en essayant d'aller rechercher le lieutenant Balmitgere. Le Viet ouvre un feu ajusté dès que l'on lève la tête. Trois armes automatiques rebelles, finalement repérées sont prises à partie par l'artillerie et l'aviation, mais ne sont que provisoirement neutralisées. Une tentative pour aller chercher les deux blessés nous coûte encore un mort et trois blessés. Il est décidé de ne pas renouveler un essai si coûteux. L'aviation et l'artillerie se déchaînent sur Chung Linh jusqu'à la tombée de la nuit, et le bataillon se regroupe alors à Yen Long. Les pertes de la journée s'élèvent à : - 1 officier blessé - 1 sous-officier et 6 tirailleurs tués - 1 sous-officier et 9 tirailleurs blessés. 5-3-52 Au cours de la nuit, les embuscades arrêtent une dizaine de suspects. A l'aube, mise en place pour l'abordage de Chung Linh. La reconnaissance des lisières et la récupération des corps abandonnés la veille s'effectuent sans incident. La fouille du village est faite par les 3ème et 4ème compagnies mais ne donne aucun résultat. Des renseignements recueillis, il résulte que Chung Linh était occupé la veille par la compagnie 105 et 30 DK. (4 F.M. - 2 mitrailleuses - 2 mortiers). Dans l'après-midi, regroupement du bataillon à Yen Long. Dans la soirée, une embuscade de la 3ème compagnie arrête 4 femmes et 2 hommes suspects, dont l'un reconnaît être un agent de renseignement VM. 6-3-52 Une délégation du bataillon assiste à Thai Binh à l'inhumation du sergent-chef Meyer, dont la perte est cruellement ressentie par la 4ème compagnie. Il est le huitième chef de section mis hors de combat depuis six semaines. 365


Le bataillon reste au repos à Yen Long, envoyant quelques reconnaissances vers le sud et vers l'ouest. 7-3-52 Repos à Yen Long. 8-3-52 Le bataillon a pour mission initiale d'assurer la sécurité de la digue longeant au sud le canal des bambous, en fouillant et en occupant An Thai-Yen Truc-Nguyen Xa-Van Quan et Thuong Phan (149.F.7). Après le passage des autres éléments du GM 7, il se porte d'abord à Quinh Lang (149.D.4), puis à Viet Yen (149.B.4), où il s'installe en protection du PC du GM. Le B.M.R.C.C. et le 10° BVN ont été assez durement accrochés plus à l'ouest dans la région de Nham Lang et de Dong Nong (139.I.2). Dans la journée, une forte embuscade, vers Hoang Hong (149.A.3) a infligé des pertes sérieuses au groupement amphibie qui faisait mouvement par le canal. 9-3-52 Ha Xa Reprise de la progression vers l'ouest. Après avoir fouillé Hai Trieu-Bui Xa et Phu My, le bataillon s'installe dans le village catholique de Ha Xa (139.A.2). 10-3-52 Le bataillon a pour mission de se mettre en bouclage sur la rive est du Fleuve Rouge entre Trung Thon (138.A.7) et Da Thon (138.B.5). La mise en place est effectuée sans difficulté. Les villages sont fouillés sans résultat. Des mouvements suspects sont observés vers l’est. 11-3-52 Mission inchangée. 12-3-52 Traversée du fleuve rouge vers l’ouest Embarqué en fin de matinée sur un LCT et 4 LCM, le I/1° RTM traverse le Fleuve Rouge et fouille les villages de Doc Thon-Dong Loi-Dong Nam et Dong Yen. Il s'installe pour la nuit à Thuong Thon (138.D.1). 13-3-52 Han Thon Fouille de Noi Thon-Truong Thon-Luong Khe-Han Thon-Ngoai : 226 suspects sont arrêtés. Le PC s'installe à Han Thon (128.F.7) avec la 3ème compagnie pour la nuit. Le bataillon réalise un bouclage sur 3 kilomètres de front. 14-3-52 Les 1ère et 2ème compagnies, aux ordres du capitaine Levrat, refouillent toute la région comprise entre Luong Khe à l'ouest et le Fleuve Rouge à l’est : 200 suspects environ sont arrêtés. Dans la soirée, le dispositif de bouclage du bataillon est encore étendu vers le nord par l'occupation de Dong Lo où la 4ème compagnie fait liaison avec le GM 1 arrivant de l'ouest. 366


15-3-52 Fouille de Noi De Xom et Thuong Xom par la 4ème compagnie de Tram Khe et Noi Xom par la 3ème compagnie. 16-3-52 Fouille de Ha Thon-Vien Quan-Xom Lon et Thuong Khu. Le PC du I/1° RTM s'installe d'abord à Ha Thon pour la journée, puis à Thuong Thon pour la nuit (1ère compagnie à Ha Thon ; 2ème compagnie à Thuong Thon, 3ème compagnie à X. Lon, 4ème compagnie à Thuong Cu). 17-3-52 On continue à fouiller la zone du bataillon. Des suspects et des armes sont retrouvés, en particulier à Ha Thon par la 1ère compagnie. Dans la soirée, le bataillon apprend qu'il sera enlevé le lendemain par LCT pour rejoindre Hanoï, où il sera enfin mis au repos. 18-3-52 Repos, arrivée du chef de bataillon Collinet Le I/1° RTM embarque dans la matinée à Vu Dien (128.G.9) sur un unique LCT. Tout le monde se tasse, et tout le monde tient. Le voyage s'effectue sans histoire par une des premières journées passées à Hanoï : on trouve sur le quai le chef de bataillon Collinet, qui annonce qu'il vient prendre le commandement du bataillon. Il y a un peu d'étonnement. Renseignements pris, le fait est exact, mais un message des FTNV, parti le 4 mars et annonçant la chose a du se perdre en chemin. Le bataillon est emmené en camions à Da Sy, aux abords sud d'Ha dong, où il doit rester au repos pendant quelques jours avant d'aller s'installer dans le secteur de Cho Ben où il doit occuper les PA bétonnés encore en construction. 19-3-52 Installation à Da Sy - permissions Le bataillon, arrivé la veille à la nuit, s'était campé tant bien que mal et s'installe à Da Sy. Un roulement est organisé pour envoyer tout le monde en permission à Hanoï en quatre ou cinq jours. Le bruit court que le bataillon doit partir pour Cho Ben dès le 25 mars. Il est demandé et obtenu qu'il soit maintenu au repos jusqu'au 30 mars. Tout le monde est fatigué. Pratiquement, le bataillon, parti de Dong Anh le 1er septembre, n'a pas eu de repos depuis cette date. Les trois ou quatre jours à Do Son avaient juste permis de s'installer sous la pluie et de repartir. Le soi-disant repos à La Coi, du 9 janvier au 13 février, avait en fait plus fatigué le bataillon que les opérations de la Rivière Noire. Le I/1° RTM, placé en réserve générale avait, pendant ce mois de repos, participé à une opération tous les deux jours en moyenne entre Hanoï et Sept Pagodes. 20-3-52 Le chef de bataillon Collinet commence à prendre les consignes : il prendra le commandement effectif du bataillon le 25 mars. Les fournées de permissionnaires sur Hanoï sont commencées. 21-3-52

Repos et calme à Da Sy.

22-3-52

Repos. 367


23-3-52

Repos.

24-3-52

Repos.

Commandement en chef des forces terrestres aériennes et navales en Indochine état-major interarmées et des forces terrestres bureau du personnel - 1° section telephone : olivier 1.301 N° 4.066/EMIFT/B.P.M-1-DECO

Saigon, le 21 mai 1952

ordre général n° 983

Le Général de Corps d'Armée SALAN, Commandant en Chef des Forces Terrestres Aériennes et Navales en Indochine, CITE Les Militaires ci-après du I/1° Régiment de Tirailleurs Marocains - A L'ORDRE DU CORPS D'ARMEE Mosnay Goguet de Boishéraud - Bernard, Marie - chef de bataillon. "Commandant le I/1° R.T.M. a, pendant les opérations menées par le groupement mobile n° 7 dans la zone sud du delta tonkinois, du 13 février au 20 mars 1952, obtenu les résultats les plus heureux, s'emparant de haute lutte de nombreux villages fortifiés défendus avec acharnement par l'adversaire et infligeant à ce dernier des pertes très sévères. "En toutes circonstances, a fait preuve d'un sens avisé de la manœuvre et d'un beau courage personnel. "A surmonté avec courage et ténacité toutes les difficultés malgré le terrain, l'adversaire et la fatigue d'un bataillon qui, depuis plusieurs mois a fourni sous ses ordres des efforts considérables et particulièrement fructueux". Cette citation comporte l'attribution de la croix de guerre des théâtres d'opérations extérieures avec étoile de vermeil Signé : Salan

25-3-52 prise d’armes pour le commandant Collinet Le temps est si mauvais que la prise d'armes prévue pour le passage de commandement doit être décommandée. Elle est remplacée par une cérémonie plus resserrée à l'abri d'une énorme pagode, qui se trouve là providentiellement. Le colonel Dodelier, commandant la 1ère DMT, est venu présider avec le lieutenant colonel Jodin, commandant le secteur de Ha dong. 368


A midi : repas de corps à la popote du bataillon. A compter de ce jour, le commandement du I/1° RTM est assuré par le chef de bataillon Collinet et le chef de bataillon de Boishéraud rejoint l'EM des FTNV, où il prend la direction du Bureau "Fortifications", en attendant de remplacer le commandant Perron à la tête du 3ème Bureau.

PERTES DU I/1° RTM ________________ (entre le 13 février et le 17 mars 1952) Dates

Affai.

Tués S/Officiers : Troupe

F 16 2 52 18 2 52 20 2 52 4 3 52

Quang Nap Hoan Quan Ha Dong Chung Linh

M 1

M 2

F

7

1 1 2

18

6

1

18

1 1

20 NOTA :

Suppl

F 4

M 2

F

M 3

3

2

1

14

1

10

3

1 TOTAUX

F

Blessés Offic. - S/Officiers - Troupe

1 7

1

9

5

2

42 1 44

12

1

58

a)- PIM : 3 tués et 4 disparus b)- Chefs de section : 1 tué et 5 blessés dont 1 irrécupérable.

26-3-52 Repos. A 17h30, le chef de bataillon réunit les commandants d'unités pour une mise au point du déplacement futur du bataillon sur le secteur de Cho Ben. A 19h00, Repas de corps. 27-3-52 Le commandant Collinet, le capitaine Levrat, le lieutenant Chartreux et le lieutenant Durand font une reconnaissance des points d'appui bétonnés que le bataillon doit occuper prochainement. 28-3-52 A 9h30, réunion des commandants de compagnie, pour les informer des résultats de la reconnaissance de la veille et discuter des dispositions à prévoir pour l'occupation des PA. Cette mission est totalement nouvelle pour le bataillon. A 22h00, dîner à Hanoï avec le commandant de Boishéraud.

369


29-3-52 Réunion des sous-officiers pour une allocution du nouveau commandant du bataillon. 30-3-52 A 08h00, les 3ème et 4ème compagnies quittent Da Sy en camions pour rejoindre leur nouveau lieu de stationnement. La 3ème compagnie est mise provisoirement à la disposition du secteur de Ha Dong pour assurer la sécurité de la RC 6. La 4ème compagnie doit assurer la protection d'une batterie d'artillerie à Vinh Loc Thuong. L'aumônier du secteur de Hadong célèbre la messe à 10h00. A 12h00, le commandant Collinet déjeune à la Base. 31-3-52 A 08h30, les 1ère et 2ème compagnies et la CAB quittent Dasy en camions vers leurs zones d'implantation. La 1ère compagnie s'installe au PA de Thuong Ve, où se trouve la 5ème compagnie du 2° REI, chargée de la construction des ouvrages. Elle laisse au passage la section Pinto et la section Poivre (supplétifs) au PA du pont de Phu Lien, chargées de la protection du pont. La 2ème compagnie s'installe au PA du point de Cho Ben et au PA du PC du S/secteur. La CAB prend position au Calcaire de Cho Ben où se trouve la 6ème compagnie du 2° REI, chargée des travaux. Provisoirement, le PC s'installe sous la tente. 1-4-52 Les unités s'organisent sur leurs PA respectifs. 2-4-52 Au PA du Calcaire, début des constructions en dur (on commence par la cuisine). Le commandant Collinet et le capitaine Levrat vont visiter le PA de Dasy que doit occuper la 3ème compagnie à l'issue de sa mission actuelle. 3-4-52 Le lieutenant Macaux, de la 3ème compagnie arrive en précurseur à Dasy. 4-4-52 La 3ème compagnie, venant de Tia, arrive à Dasy au début de l'après-midi. Les 5ème et 6ème compagnies du 2° REI sont relevées respectivement par les 1ère et 2ème compagnies du I/1° RTM, mais continuent les travaux de bétonnage.

370


Effectifs du I/1° RTM a la date du 1er avril 1952

Opérationnels F M OFFICIERS Chef de Btn. capitaines lieutenants Total S/OFFICIERS Adjt. Chefs Adjudants Sgts Majors Sergents Chefs Sergents Total TROUPES Cap. Chefs Caporaux 1ère classe 2ème classe Total TOTAL

1 5 5 11

Base F

M

Absents F M

F

M

1 5 9 15

2 2

12 26

2 2

2 2

2 2 1

12 24

11 20

1 1 4 4 6

45

31

7 13 12 9 41 97

30 60 177 352 619 650

2 7

747

Total

1 1

2 1 9

5

4 8 6 17 39

16

2

13

5

74

38

5 2 2 2 11 31

1 2 2 17 41 43

2 1 1 4 19

4 7 8 32 51 56

12 17 15 12 56 145

35 69 206 411 711 751

74

75

896

5-4-52 Visite du général de Berchoux, adjoint au général commandant les FTNV. Départ pour Ha Dong de la 5ème compagnie du 2° REI. 6-4-52 Installation du médecin, des transmissions, des mortiers et des pionniers au Calcaire de Choben. 7-4-52 Messe pascale au Calcaire. Le lieutenant Maillard est nommé capitaine L'adjudant chef Stil est nommé sous-lieutenant L'adjudant Bardioux est nommé adjudant-chef L'adjudant Naboulet est nommé adjudant-chef.

371


10-4-52 Le capitaine Granger rejoint le commandant Faig au 3ème Bureau de la 2ème DMT à Hai Duong. Il quitte le I/1° RTM. Le lieutenant Macaux prend le commandement de la 3ème compagnie. 16-4-52 Arrivée du capitaine de Puysegur et de l'Adjudant Cosson, nouvellement affectés au bataillon. Le général Dodelier, commandant la 1ère DMT, visite les PA de Quang Mang et du Calcaire. 27-4-52 L'élément de la 2ème compagnie, resté provisoirement au PA de Cho Ben, s'installe au PA de Que Quai, et le capitaine Maillard prend les consignes. La section Abdelhay le remplace au PA de Cho Ben. On relève sur la route les premières mines depuis l'installation du bataillon à Cho Ben. 2-5-52 Le capitaine Denis, commandant la 4ème compagnie, vient reconnaître son futur PA. Le S/lieutenant Stil est affecté à la 3ème compagnie. L'adjudant Cosson, récemment arrivé, est affecté à la 71ème compagnie de QG (FTNV). 3-5-52 Le chef de bataillon Collinet, commandant le I/1° RTM, prend le commandement du Sous-secteur de Cho Ben. Son PC est fixé au Calcaire de Cho Ben. 5-5-52 La 2ème compagnie du 2° REI et la 1ère compagnie du 2° REI sont relevées, à Cho Ben par la 5ème compagnie du 3° REI, et à Thuong Vi par la 6ème compagnie du 3° REI. 6-5-52 La 4ème compagnie du I/1° RTM fait mouvement de Vinh Loc Thuong sur le PA de la cote 74. 8-5-52 Inspection du général Dodelier, commandant la 1° DMT. 10-5-52 En prévision du départ du capitaine Maillard, le capitaine de Puysegur prend les consignes de la 2ème compagnie. 15-5-52 Une section de la 4ème compagnie s'installe au PA de Lang Ke. 27-5-52 Les 5ème et 6ème compagnies du 3° REI quittent Thuong Ve et le Calcaire de Cho Ben. 372


11-6-52 Arrivée du capitaine de Lavarene, qui remplacera le capitaine Levrat à son départ pour le 4ème Bureau des FTNV. 18-6-52 Le capitaine Levrat quitte le bataillon, avec lequel il s'était embarqué le 1er décembre 1950, et où il a commandé la 1ère compagnie avant de devenir Adjudant Major en juillet 1951. 1-7-52 Le commando 21 est rattaché au I/1° RTM. 31-8-52 Le médecin lieutenant ... arrive au bataillon pour y remplacer le médecin lieutenant Magerand, qui doit partir en pays Thai. 22-9-52 La route du PA de Dasy est coupée par l'inondation. 13-10-52 Vers 18h00, le capitaine Denis, commandant la 4ème compagnie effectue une inspection sur un terrain récemment déminé en vue de travaux de dégagement de champ de tir. Le Légionnaire qui l'accompagne pose son pied sur une mine non détectée qui explose. Le capitaine Denis est grièvement blessé aux jambes et au bas-ventre ; le Légionnaire a un pied arraché. Les deux blessés sont évacués sur l'infirmerie du bataillon. Le capitaine Denis y meurt à 03h30. Le Légionnaire est évacué sur Hanoï en sanitaire. Le capitaine Denis était le dernier des commandants de compagnie embarqués avec le bataillon le 1er décembre 1950. Les trois autres sont maintenant soit à l'Etat Major des FTNV (Balladur - le Levreur - Levrat), soit à l'Etat Major de la 2ème DMT (Granger). 14-10-52 Evacuation sur Hanoï du corps du capitaine Denis. 15-10-52 Obsèques du capitaine Denis à Hanoï. La Base arrière du bataillon s'installe à Ha Dong. 20-11-52 Le capitaine Marchand prend les fonctions d'Adjudant Major, en remplacement du capitaine de Lavarene. 1-12-52 Le capitaine de Lavarene quitte le bataillon. 15-3-53 Le capitaine Marchand prend le commandement du I/1° RTM. Le capitaine Puget de la 4ème compagnie prend les fonctions d'Adjudant Major. Le capitaine Normand prend le commandement de la CAB/1. 373


Le lieutenant Sangoiri prend le commandement de la 4ème compagnie. Le lieutenant Cros de la 2ème compagnie, prend le commandement de la 1ère compagnie. Le lieutenant Banaud de la 2ème compagnie est affecté à la CAB comme officier de renseignements et de transmissions. Le S/lieutenant Bollon de la 4ème compagnie est affecté à la 2ème compagnie. Ce remaniement massif fait suite au rapatriement massif des cadres qui s'étaient embarqués avec le bataillon le 1er décembre 1950. 27-4-54 Le capitaine Razi, Adjudant Major, prend le commandement du I/1° RTM. 29 et 30-4-54 Adieux du chef de bataillon Marchand, qui commande le bataillon depuis le 15 mars 1953 et est affecté à l'Etat Major du secteur de Phuc Yen. 19-5-54 Le chef de bataillon Chavigny prend le commandement du I/1° RTM. 27-5-54 Le commandement décide d'abandonner le territoire du sous-secteur de Cho Ben et de procéder à la destruction systématique des ouvrages tenus par le I/1° RTM depuis mars 1952. Les équipes du génie et du matériel, chargées de la destruction arrivent au PA de Lang Ke. Les éléments du GM 1 du colonel de Maison Rouge arrivent au PA de Lang Ke et de la cote 74 pour protéger la destruction et le repli de la garnison. Le III/1° RTM arrive au PA du Calcaire ; le I/5° REI arrive à Phulien. L'évacuation de Lang Ke commence immédiatement ; les ouvrages sautent dans la soirée. 28-5-54 Le III/1° RTM va au PA de Que Quai. Le III/1° RTA va à la citadelle. La 3ème compagnie du 1° RTM se replie sur la base arrière à Ha Dong. Le PA de la cote 74 est détruit dans la journée. 29-5-54 Destruction des PA de Que Quai - Quang Mang - Pont de Cho Ben - Dasy et Calcaire. La CAB/1 et les 2ème et 4ème compagnies rejoignent la base arrière à Ha Dong. Une compagnie de marche du bataillon s'installe pour la nuit à My Lam et le PC à Phu Van Dinh. 30-5-54 Evacuation et destruction du PA de Thuon Ve et du poste du pont de Phulien. La 1ère compagnie rejoint la base arrière à Lake. Les éléments de la compagnie de marche rejoignent leurs compagnies. 31-5-54 Tout le bataillon est regroupé. Les 308ème et 315ème CLSM sont remises à la disposition du secteur de Ha Dong. Le I/1° RTM est prévenu qu'il fera mouvement le 1er juin. 374


1-6-54 Le I/1° RTM fait mouvement en deux rotations sur la gare d'Hanoï puis par voie ferrée sur Hai Duong. La base arrière est restée provisoirement à Ha Dong. 2-6-54 Le I/1° RTM fait mouvement sur Sept Pagodes où il remplace le 13° BMTS, unité mobile de secteur. La 1ère compagnie est envoyée dans la région de Dong Trieu en protection de la construction de l'ouvrage de Kim Chu. 4-6-54 Début des ouvertures de l'axe : Sept Pagodes - Linh Xa - Tran Xa. 6-6-54 Ravitaillement des postes de Trung Ha et de Linh Ke le long du Song Kinh Thay. L'opération est l'occasion de sérieux accrochages. 13-6-54 Les premiers éléments de la base arrière rejoignent Sept Pagodes. 25-6-54 Participation au repli du poste de Lac Son (453.H.10). 26-6-54 La 3ème compagnie est placée en protection des ponts de Hai Duong et de Lai Khe. 27-6-54 La 4ème compagnie se fait enlever aux environs du poste de Linh Xa. Nos pertes sont lourdes. Tués : 1 officier, 2 sous-officiers, 2 2ème classe. Blessés : 1 caporal, 1 2ème classe. Disparus : 2 officiers, 5 sous-officiers, 71 caporaux et tirailleurs. 10-7-54 Participation à une opération visant à dégager Luc Nam en se portant sur Cam Ly (16 kms N.N.E. de Sept Pagodes). 11-7-54 Nouvel accrochage à Tran Xa : 2 tués et 6 disparus. Le bataillon se porte de Camly sur Chi Tac Et Luc Nam. La 2ème compagnie est renvoyée sur la région de Linh Xa. 12-7-54 Accrochage sévère dans la région de Luc Nam (6 blessés).

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15-7-54 Nouveau combat au pont de Moson (Song Cau LO) contre des éléments du régiment 36 de la Div. 308. 20-7-54 Retour du bataillon à Sept Pagodes et départ pour Quang Yen. Le bataillon arrive à 20h30. Il est mis à la disposition du secteur, où se trouve un centre d'instruction vietnamien. 9-8-54 Le chef de bataillon Degas prend le commandement du I/1° RTM. Le I/1° RTM est mis à la disposition du colonel Vanuxem commandant la 3ème DMT, pour être intégré dans le groupement régimentaire n° 3 commandé par le lieutenant colonel Esquilat. Le PC de la 3ème DMT est à Kien An Le PC du GR/3 est à Nui Doi Le PC du I/1° RTM est à Le Xa La base arrière du bataillon est à Phan Dong Les compagnies sont à : Le Xa - Tra Khe - An Thoau - Dai Loc La mise en place aux nouveaux stationnements s'effectue les 9, 10, 11 et 12 août. 22-9-54 Le bataillon fait mouvement sur Hai Duong et Nam Sach. Le PC, la CAB, les 3ème et 4ème compagnies sont à Hai Duong Les 1ère et 2ème compagnies sont à Nam Sach La Base arrière reste à Phan Dong Constitution du GM 2 aux ordres du colonel Daboval dont le PC est à Hai Duong (avec les II et III/1° RTM). 1-10-54 Création du 8° RTM, réunissant les I - II et III/1° RTM. 14-10-54 Prise d'armes de dissolution et changement de nom du I/1° RTM. Pertes du I/1° RTM pendant son séjour en Indochine

Tués Blessés Prisonniers Disparus (1) (2) (3)

1951 28 68

1952 37 58

16

1953 43 53 37 5

dont 6 officiers et 23 sous-officiers dont 5 officiers et 25 sous-officiers dont 3 officiers et 7 sous-officiers. 376

1954 30 62 102 2

TOTAL 138 (1) 241 (2) 139 (3) 23


L’opération Jasmin

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Forces Terrestres Nord Vietnam Groupe Mobile n° 4 Etat-major - 3° bureau N° 6974/3 S

le 9 décembre 1951

ORDRE D'OPERATION N° 82 OPERATION JASMIN Cartes : 1/100.000 et 1/25.000 I.

SITUATION Aux derniers renseignements tant de contacts que d'autres sources, le Viet-Minh aurait réussi à faire passer sur la rive droite de la Rivière Noire au sud-est du Rocher Notre-Dame (Tu Vu) un fort groupement de plusieurs bataillons. Par une action concentrique des unités disponibles des G.M. 7, G.M. 4, 1° D.M.T.1 et G.M. 2 (secteur R.C. 6), le commandement a décidé de détruire ces unités avant qu'elles aient attaqué nos positions de la rive droite en conjugaison avec les attaques menées sur la rive gauche. II.

MISSIONS ET MOYENS DES DIFFERENTS GROUPEMENTS

a) G.M. 7, avec 1° B.P.C. - Couvrir au nord dans la région de X Mit b) G.M. 2 (secteur R.C. 6) avec 8° B.P.C. + Commando + éléments de Tabor - Se porter jusqu'à Mai Thon nord et barrer face au nord sur les pentes de Mai Thon nord. c) G.M. 4 aux ordres du Colonel commandant le G.M. 4, commandant le groupement d'attaque, comprenant : I/4° R.T.M. ; III/4° R.T.M. ; II/R.A.C.M. 2 à deux batteries renforcés d'un groupement P… comprenant : 7° B.P.C. et un bataillon de marche du S.S.F.R.3 d'une batterie à 6 pièces de 105 M2. Mission : G.M. 4 : Nettoyer les pentes sud du Bavi sur l'axe piste Van Long-X Goc Bop Groupement P… : Se porter jusqu'à Chai Khoai puis Thuy Co Montagne, en gardant liaison avec le G.M. 4 ; être susceptible d'intervenir à son profit en se rabattant vers le nord Pour chacun des éléments, manœuvrer au maximum par les hauts pour éviter toute surprise. III.

INTENTION DU COLONEL COMMANDANT LE GROUPEMENT D'ATTAQUE

a) Pousser le groupement P… dès le lever du jour J, jusque sur les hauts dominants Chai Khoai à l'est b) Couvert au nord par les éléments du colonel D... installés sur les pentes de Nui Ba Vi ; au sud par les éléments du groupement C.. (G.M. 2) sur la crête joignant la cote 707 au Nui Ba Vi aux environs de la cote 493. c) Pousser ensuite les deux groupements (G.M. 4 et groupement P…) en même temps et progresser vers les cuvettes objectifs en bousculant et en poursuivant les éléments ennemis rencontrés pour les rejeter sur les éléments de bouclage soit au nord, soit au sud. d) S'installer en P.A. fermé de bataillon au moins pour la nuit dans la région des crêtes atteintes en fin de journée. IV.

MISSION DES DIFFERENTS ELEMENTS

1- DMT : Division Militaire Territoriale 2- RACM : Régiment d'Artillerie Coloniale de Montagne 3- S.S.F.R. : Secteur Sud Fleuve Rouge. 379


a) G.M. 4 proprement dit : - Se porter rapidement mais en sûreté de Binh Cu sur la crête du col de Bop (cote 493) avec les deux bataillons en même temps en suivant la piste de part et d'autre. - Déboucher sur ordre du col de Bop, soit vers l'est, soit vers le sud selon les renseignements recueillis, en maintenant une liaison effective entre les deux bataillons, et détruire ou refouler tout élément ennemi rencontré. - Contrôler la cuvette de X Goc Bop en occupant les hauteurs qui la dominent soit au nord, soit à l'est et s'installer pour la nuit en P.A. fermé de bataillon. - Itinéraire - voir carte renseignée - Déboucher du pied de la cote 105 sur ordre. b) Groupement P… : - Se porter dès le lever du jour sur la cuvette Yen Le et occuper les hauteurs dominant Chai Khoai à 1 km. à l'Est. - Pousser sur ordre vers les hauteurs dominant la cuvette de Thuy Co à l'est en bousculant et refoulant les éléments ennemis rencontrés, en liaison avec la progression du G.M. 4 après le col de Bop. - S'installer en P.A. fermé de groupement sur les hauteurs dominant à l'est la cuvette de Thuy Co. V.

ARTILLERIE Aux ordres du chef d'escadron commandant le II/R.A.C.M. a) Un groupement d'appui direct comprenant II/R.A.C;M. à deux batteries adaptées au G.M. 4 proprement dit Une batterie à 6 pièces du I/4 R.A.C. adaptée au groupement P… b) Renforcement de feu par toutes les batteries pouvant éventuellement intervenir soit au moins deux batteries 105 M2 et une batterie 105 L sur demande adressée au commandant de l'artillerie du G.M 7. c) Liaison inter-batteries sur fréquence ... en cas de nécessité seulement. d) Un Morane d'observation initialement prévu pour le groupement P ... travaillera au bénéfice du groupement d'attaque. Une permanence de Morane sera en principe assurée sur toute la zone intéressée par l'opération. VI. APPUI AERIEN Sur demande adressée au P.C. groupement d'attaque, il est essentiel pour toute intervention de disposer les panneaux de jalonnement sur la première ligne autant que possible bien en évidence. VII. TRANSMISSIONS Ouverture des réseaux : 6h00 Vacations : voir O.P.T./G.M. 4 en vigueur. VIII. EVACUATION ET RAVITAILLEMENT Par l'axe de progression 15 mulets à la disposition du groupement G.M. 4 proprement dit. IX.

P.C. Commandement groupement attaque : P.A. cote 85 ouvert à partir de 6h00 le jour J. Groupement G.M. 4 sur l'axe avec un des bataillons 1/4 RTM ou 3/4 RTM. Groupement P.. P.A. : Dong Doi

X.

JOUR "J" : 10 décembre 1951. Le Colonel THOMAZO commandant le Groupement d'Attaque Signé : T

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I-

Avec le 1° B.P.C. dans le BAVI (extrait de Caravelle du 28-9-52)

10 Décembre 1951. Onze heures du matin. Sur une piste de montagne qui serpente au milieu de l'extraordinaire végétation du pays Muong, silencieux dans leur tenue camouflée, les paras du 1° B.P.C. progressent. Ils sont assez décontractés, le rapatriement est proche. Brutalement la rêverie prend fin. Des grenades pleuvent de partout. Des rafales venues d'on ne sait trop où sifflent au ras des oreilles et, dans un claquement sec, coupent les branches sous le nez des éclaireurs de pointe de la compagnie, qui sont immédiatement aplatis. Soudain, une marée hurlante de Viets transformés en buissons bondissants, déferlent sur la piste. L'infirmier de la 1° compagnie entend le gémissement des blessés venir jusqu'à lui. Instinctivement, il se lève. Un camarade le tire par le ceinturon et le planque à terre assez brutalement : "T'es pas fou ! Tu vas te planquer !". Il se dégage dans un grognement et se précipite au milieu des éclatements et des sifflements de toutes sortes, au secours de ses camarades blessés. Allongé à leurs côtés, il s'enquiert de la gravité de leur état et l'un après l'autre les entraine à travers les broussailles à l'abri d'un talus. Paisiblement, il ouvre son sac à pansements, et comme à l'infirmerie du bataillon, nettoie les plaies, fait ses piqûres et panse, totalement indifférent au vacarme assourdissant qui l'entoure. Tout à coup, une grenade à manche tombe au milieu du groupe. Empêtré dans ses flacons, ses seringues et ses bandes, il n'a pas le temps de profiter des quelques secondes qui lui sont données pour se saisir de l'engin et le rejeter au loin. Une explosion. Une fumée âcre se dégage et recouvre les trois corps étendus. L'éther, l'alcool et les différents liquides pharmaceutiques ont pris feu. C'est brûlés que nous devions retrouver les corps de nos camarades. A quelques centaines de mètres plus bas, dans le village, un combat féroce s'est engagé. Encerclés, les parachutistes luttent à un contre dix, si ce n'est plus. Le reste du bataillon tente des efforts désespérés pour leur tendre la main, les délivrer. Impuissants à effectuer la percée libératrice, nous suivons, la mort dans l'âme, le combat qui se livre dans ce petit village Muong, et qui durera toute la journée. Le capitaine commandant le bataillon a, sans affolement, rapidement, jugé la situation. Une seule solution : attirer sur nous, par une diversion, le gros de l'effort Viêt. " Deuxième compagnie, à l'assaut ! Comme aux beaux jours de 1914, les paras enlevés par leur chef se ruent baïonnette au canon, sur les éléments Viêts qui leur barrent le passage, en poussant des hurlements terribles. Les rebelles, un instant stupéfaits, perdent pied. Mais d'autres surgissent. Des sections ? Des groupes ? Des compagnies ? On ne sait trop, mais tout semble énorme. Il en sort de partout, comme des mouches, à droite, à gauche, devant, derrière. Les rangs s'éclaircissent, mais le village est atteint. Tout le monde se regroupe à l'entrée sud. Le dernier carré se forme qui restera inébranlable sous les assauts furieux de l'adversaire. Sans arrêt, les mitrailleuses battent l'entrée nord du village et en interdisent l'accès. L'un des tireurs, un calme et flegmatique alsacien, s'écroule grièvement blessé. Son pourvoyeur qui aussitôt le remplace l'est à son tour, mais légèrement. Il continue à servir la pièce jusqu'au moment où à bout de munitions, il ramène son outil au chef de bataillon, et, alors qu'il repart pour ramener son camarade, il tombe, foudroyé par une rafale. C'est alors que X., "mauvaise tête, mais bon cœur" part tranquillement chercher le moribond, le charge sur ses épaules et, utilisant les couverts, se

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faufile au milieu des Viêts. Il ne le lâchera plus et c'est le corps de son camarade sur le dos qu'il sera fait prisonnier, tandis que péniblement il approchait de lignes amies. Au milieu de cette effroyable mêlée, un infirmier, la tête en sang, se traine pour soigner ses camarades. Il n'a guère pris le temps de le faire pour lui même. Accroché au bras d'un caporal-chef, il arrive au milieu d'un groupe où un para agonise. A peine arrivé, il s'évanouit épuisé. Dans le silence de la nuit qui s'est abattu telle une chape de plomb sur ce coin de forêt tout à l'heure encore si bruyant, un dialogue s'engage, à voie très basse. C’est toi M... ? Je n'y vois plus, j'ai un éclat dans la tête et toi ? Je ne peux plus marcher. Je me traîne à quatre pattes. Venez, sergent, tenez-moi par l'épaule, on va tâcher de s'en sortir. C'est ainsi que le sergent C... et le parachutiste M... devaient renouveler la parabole de l'Aveugle et du Paralytique, ce qui leur permit de rejoindre le point d'appui le plus proche, et de parcourir en deux jours, les dix kilomètres qui les en séparaient, guidés par les coups de départ de l'Artillerie. Tous ceux-là n'ont jamais connu la récompense qui leur fut attribuée. Et c'est en songeant à eux que nous avons écouté, crispés, mais fiers, la lecture du télégramme adressé par le général et transmis par le Colonel, adressant « ses plus vives félicitations aux héroïques parachutistes du 1° B.P.C. qui, par leur courage et leur sacrifice ont gagné à eux seuls une bataille contre un ennemi supérieur en nombre. »

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II- Les bataillons du 4° Régiment de Tirailleurs Marocains au travers du Bavi. ( 10 - 11 - 12 et 13 Décembre 1951 ) (par le chef de bataillon Edouard Decomps – Jasmin ou quelques jours dans le Bavi) L'ordre d'opération n°82, du Colonel Commandant le GM 4, qui réglait la mise en place du groupement d'attaque (Groupement Albert et Groupement Potin) parvint au 1° et 3° bataillons de Marche du 4° Marocains le 9 décembre au soir, alors que les bataillons étaient stationnés le 1/4 aux environs de Trung Ha, à l'Ouest de Sontay sur la Riviere Noire, et le 3/4 en mission à Ap Da Chong. A) du 10 Décembre au 11 Décembre matin Le 1° bataillon de Marche quitte Trung Ha le 10 à 04h00, transporté par 40 G.M.C. du train F.T.N.V., et suivi par son train auto organique. Il arrive au point d'appui de la cote 85 (Route des Concessions) à 08h00 suivi du PC du colonel commandant le G.M. 4 et du groupe d'artillerie de 105 HM2 (II/RACM). Le 3/4 RTM qui utilise pour son transport une partie des GMC en retour, n'est à la cote 85, tous ses éléments regroupés, que vers 10h45. Ce retard se fera sentir toute la journée4 du 10 Décembre, et ne fera arriver les éléments d'infanterie du Groupement à l'arête cotes 493 - 490 que vers 22h00 et ce malgré le désir de tous d'aller au plus vite et de se reposer si possible avant de poursuivre le 11 vers le Rocher Notre Dame. Le PC du groupement d'attaque (colonel commandant G.M.4 et son E.M. Opérationnel) s'installe au point d'Appui de la cote 85, à l'Est de Kom Binh Cu, et reste en place jusqu'au moment où le groupement Albert aura atteint le Rocher Notre-Dame sur les bords de la Riviere Noire. L'Artillerie du groupe Mobile (II/R.A.C.M.) (chef d’escadron Parent), les blindés de l'escadron de reconnaissance, les véhicules organiques des 2 bataillons du 4° RTM, et ceux du G.M. sont dispersés dans les environs immédiats du point d'appui. A l'observatoire du point d'Appui de la cote 85 les ordres sont donnés par le Colonel Thomazo en personne aux deux chefs de bataillon (chefs de bataillon Descomps et Genin) en présence du lieutenant-colonel Albert qui doit coordonner le raid des 2 bataillons. Le tour d'horizon est fait à la binoculaire : "l'arroyo" au départ est difficile à traverser. Il n'y a pas de guides, pas de renseignements sur l'occupation des pentes Est du BAVI. L'herbe à tigres est haute en cette saison. Aussi la décision est prise en commun de manœuvrer, pour aller vite et en sûreté, par l'arête descendant vers le Nord-Est de la crête 707 vers la cote 370 et X. Co Tray. L'ascension sera rude, mais les risques d'erreur de parcours seront ainsi limités, et les bataillons domineront les thalwegs pendant tout le déplacement.

4- Même si le 4°RTM avait pu partir vers 6h00 de la cote 85, il serait arrivé trop tard pour aider efficacement le 1° B.P.C., et se serait trouvé à la nuit dans le fond de Xon Mit aux prises avec le 219 et le 165. (commentaire de Bernard de Boishéraud) 383


Le Lieutenant-Colonel Albert marchera avec le 3/4 R.T.M. L'arête sera parcourue sur la droite (N-EST) par le 1/4 R.T.M. et sur la gauche (sud-est) par le 3/4 R.T.M. Des bonds successifs permettront les repos et les regroupements. Les petits hameaux seront visités rapidement. Il faudra toujours aller vite. Nous estimons ainsi démarrer à 13h00 de la base de départ, au Sud de X. CO TRAY - X. MO et arriver sur l'arête Nord Sud du BAVI vers 18h00 pour y passer la nuit et tenir le Col de Goc Bop. Le 3/4 n'ayant pas regroupé tous ses éléments, le 1/4 démarre le premier du P.A. de la cote 85 à 9h30 et se déploie vers 12h00 sur la base de départ. Le 3/4 le rejoindra vers 12 h.30. 1/4 et 3/4 en ordre au pied de l'arête, démarrent à 13h00 vers l'objectif du premier jour : le col de Lop. La base de départ du groupement Albert au Sud de X.Co Tray – X. Mo, face à l'arête est-ouest qui de 370 mène vers le Nui Giade en 707, et coupe perpendiculairement l'arête 707515 - 490 - Col de BOP- 403- 1281 (Nui Bavi) est très abrupte et fort rocheuse. Il aura fallu deux bonnes heures aux bataillons pour se porter du point d'appui de la cote 85 (X. Binh Cu) jusqu'à ce premier point de regroupement (près de 4 Km). Les fonds de la vallée sont boueux, la futaie épaisse, les passages difficiles, il fait chaud. Les bataillons sont à effectifs opérationnels complets (1 Cie de commandement à 80 et 4 Cies de Fusiliers à 180 - 80 coolies à la Cie de Cdt. et 35 coolies par Cie de F.V.). Le 1° B.M. n'a pas cependant ses Compagnies de supplétifs vietnamiens qui sont restés dans le Ba Trai avec le Lieutenant Ninu. Le 3° B.M. a sa 252° Cie de supplétifs qui restera en soutien au P.A. 85 - mais sa 253° Cie est repartie dans les 4 Cies de F.V. Nous devions emmener 15 mulets pour assurer nos évacuations heureusement qu'ils ne sont pas arrivés à temps au départ. C'eut été pour nous un souci supplémentaire et nous aurions été obligés de les abandonner ou de les tuer pour nous permettre de passer au travers des bambous, où déjà l'homme se fait petit et se faufile littéralement. 384


La montée commence : le soleil est haut, le temps clair, la savane épaisse et glissante, les rochers noirs et nombreux. Chapeaux de brousse enfoncés, torses nus, cadres, troupe et coolies avancent lentement, en petites files, silencieusement, la respiration coupée par l'effort, les torses ruisselants de sueur. Ce sera long, 8 heures après nous serons enfin sur notre objectif, (contrairement d' ailleurs à toutes nos prévisions optimistes et nos savants calculs de marche en montagne). Les dénivelés sont importants, l'herbe à paillotte devient de plus en plus haute et de plus en plus serrée. Souvent aux têtes de thalwegs il faut se frayer un passage au coupe coupe . Les hommes de pointe se relaient sans arrêt, les liaisons à vue sont difficiles. On suit celui qui précède, on lève la tête pour mieux respirer, on regarde vers la crête qui ne se rapproche hélas pas bien vite et on avance lentement en silence. Deux bonds ont été prévus pour l'ensemble afin d'attendre les retardataires, remettre de l'ordre, rétablir les liaisons radio, passer un message au PC du G.M.4., souffler un peu, et s'éponger largement. Au deuxième bond, c'est à dire à la cote 370, l'arrêt est plus long car deux guetteurs ennemis se montrent vers 707. L'ennemi est-il en position ? Des éclaireurs vont-ils alerter les gros réservés derrière la crête? Les précautions d'usage sont prises, la marche en perroquet va commencer, elle ralentira notablement l'allure. Mais la sûreté est nécessaire et s'il faut arriver vite certes il faut arriver tous. Le 1/4 ouvre la route qui devient très difficile à trouver. La 3° Cie (capitaine Groz) précède l'ensemble et a la délicate charge de l'orientation. La colonne par un est la seule possible. Le défilé de 1500 hommes semble interminable. Les fonds des ravins sont plantés de bambous inextricables. La nuit arrive lentement. La lune va paraitre. Dans les taillis de bambous les chauves souris s'effarouchent, les crapauds croassent, c'est lugubre. Sortira-t-on de ces tunnels successifs, on monte, on descend, on escalade, on passe dans l'eau, les coolies porteurs souffrent, gémissent, les charges tombent. En avant toujours, puisse le chemin nous mener à la crête assignée, personne ne dit mot, et pour cause, au passage près d'un parc à buffles les hommes se précipitent dans une mare noirâtre pour boire un peu et faire une réserve d'eau. Les liaisons radio ne peuvent plus être prises. Nous avançons toujours, que le temps semble long et que la route est fatigante, arriverons-nous au col ? Enfin nous sortons des sinistres taillis de bambous et nous retrouvons à l'air libre. Nous apercevons le sommet arrondi de 515 avec des ombres amies, nous sommes rassurés, il est 20h00 515, il fait bon, mais l'herbe est humide, les traces des compagnies de tête sont glissantes, et littéralement "sur les fesses" nous descendons, en nous accrochant 2 par 2 comme en "bobs leigh " de 515 vers 495, puis nous remontons en nous accrochant aux herbes à tigre, puis nous reglissons sur les fonds de culotte vers le col et 490. Montées ardues, descentes vertigineuses se succèdent et la fatigue de la journée a raidit considérablement nos muscles. Nous peinons, mais le but immédiat est proche. Avec la dernière énergie nous progressons, et personne ne veut rester en arrière. Il ne s'agit pas de se perdre. En avant. Nous arrivons. Une des compagnies de tête, s'est par contre trop avancée sur l'arête, et le dispositif étant trop étalé pour la nuit, une remise en ordre est ordonnée, quelques contreordres mal accueillis s'en suivent, des plans des feux rapidement établis, des sonnettes mise en place. Ouf ! Il sera 23h30 lorsque les 2 bataillons souffleront un peu devant ce nouveau paysage immense qui va jusqu'à la Rivière Noire; et où l'on devine la masse dentelée du Rocher Notre-Dame. Paysage lointain et profond, qu' il faudra parcourir dès le lendemain très tôt. Le 1/4 se groupe défensivement autour du col de Bop et de 495, tandis que le 5/4 tient 490 avec une sonnette en 515. Certains, ne dormiront que d’un œil, et les uns près des autres nous essaierons de reprendre quelques forces malgré les inquiétudes qui ne manqueront pas de toute la nuit.

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Dans les fonds, devant nous, des petites lumières vont et viennent, ce ne sont pas des 'lucioles". Nos mortiers de 60 veulent tirer, inutile (ce serait déceler notre importance) et notre surprise ne serait pas totale pour le lendemain. Restons calmes, dormons si possible. Mais l'horizon s'embrase subitement vers 23h30, en direction du Rocher. La canonnade commence, un spectacle féérique, mais combien inquiétant s'offre à ceux qui veillent ou ne peuvent dormir (car la majorité harassée n'entendra et ne verra rien, vaincue par la fatigue de plus de 12 heures de marche). Ce sera, aux premières loges, le spectacle de TU VU, de cette résistance héroïque de nos camarades du I/1 R.T.M. (ceux qui sont arrivés du Maroc avec le 1° B.M. du 4° RTM à bord de "l'Argentina" en Décembre 1950). La résistance sera magnifique (nous n'en aurons l'explication que deux jours après) et durera de 23h00 à 05h45 du matin contre les viets acharnés du régiment 88 de la Division 308 qui par vagues successives, et sans aucun souci des pertes subies, se jetteront sur le P.A. de Tu Vu, à l'ouest de la Rivière Noire. Ce sera pour le 1° RTM une lutte au corps à corps, mais le régiment 88 aura 800 blessés et laissera dans nos barbelés 290 cadavres. Pour nous, du sommet des crêtes, ce sera la vision inoubliable d'un feu d'artifice de fusées éclairantes, de balles traçantes, d'explosion, de coups de canon, et au petit matin, au travers des nuages de brume que nous dominions, l'observation de vagues successives de chasseurs bombardiers piquant à mort dans un trou de nuages vers un objectif invisible mais sûrement combien réel et valable. Mais vers 04h00 du matin, le 11 décembre branlebas de combat pour nous tous : le PC resté au P.A. de la cote 85 nous ordonne de repartir au plus vite vers le Rocher Notre-Dame. Le lieutenant-colonel et les chefs de bataillon se réunissent au pied de 515, à la lueur d'une lampe électrique pour examiner la carte et décider du départ. L'entente est totale. Le 1/4 utilisera les crêtes, le 3/4, pour aller plus vite suivra la vallée du Goc Bop. Il fait une nuit très noire, le terrain devant nous (que l'on a deviné au clair de lune de la veille) est très coupé, les viets "grenouillent" dans les fonds du Goc Bop. Nous avons soif, nous sommes fatigués. Dès le jour nous partirons, mais nous ne pouvons pas nous engager ainsi à la nuit ce serait une pure folie, attendons le jour. Tous debout, nous attendons de voir notre chemin qui mènera, oh! pas très loin d'ailleurs à 1 km à vol d'oiseau pour la nuit suivante) et pour le 1° bataillon au Rocher Notre-Dame, après une journée du 11 Décembre fort mouvementée et combien mémorable. Le jour parait enfin ... Il est 06 h 00, En avant et vite. B ) Le 11 décembre Partant de la ligne de crête 493 -490- 515, où ils viennent de passer la nuit, les 2 bataillons, en liaison étroite, doivent atteindre d'abord la cuvette de X. Sui, dans la vallée du Suoi Mit pour y récupérer les parachutistes du 1° BPC et le matériel qui ont été perdus la veille au cours d'un combat au corps à corps, où à un contre trois nos paras tinrent tête au plus fanatique des régiments V.M., le TD.209. Ensuite, pousser vers le Rocher Notre-Dame, où la garnison du point d'appui de Tu Vu s'est repliée, sur ordre, au cours de la nuit devant les attaque déchaînées du TD 88 de la division 308. Le dernier ordre reçu du GM 4 est impératif : suivre les fonds par la vallée du Suoi Goc Bop - L. Muon – X. Sui, puis atteindre le Rocher par X. Tom. Mais devant le terrain aux dénivellations extrêmes, dans une savane de plus de deux mètres parmi un fourré inextricable dans les fonds, devant les indices certains de l'existence de l'adversaire dans les vallées que nous devons traverser la décision du lieutenant-colonel Albert, mûrement réfléchie, reste d'envoyer le I/4 par la ligne de crêtes 490 - 342 et son prolongement vers le sud-ouest, en tenant au N.O. l’ilot qui domine la vallée du S. Mit, et au sud de 342 l'arête de 199 qui domine la piste des fonds du Suoi Goc Bop. Ainsi le I/4 tiendra au départ le 'bloc' de 342 qui commande tous les thalwegs venant vers le col, pendant que le III/4, décalé dans le temps, se déplacera rapidement par la vallée du Suoi Goc Bop vers X. Muon - X.Tom, suivi par la suite 386


du I/4 qui aura ainsi tenu les points hauts des compartiments de terrain pendant la partie la plus délicate des déplacements de l'ensemble du dispositif. Sur l'insistance du lieutenant-colonel Albert, qui voit le terrain, et l'a connu la veille, le colonel commandant le G.M. 4 se rallie à cette sage solution, qui ralentira certes notre avance mais qui évitera certainement la "catastrophe", et de mettre les deux bataillons dans l'embuscade monstre qui nous attend à l'est de X Muon.

La progression reprend donc dès la fin de la nuit. Le I/4 se porte du col 490 - 493, vers 342. Il lui faudra deux heures et demie pour atteindre le sommet et les avancées à l'ouest qui lui permettront d'observer vers Suoi Mit et vers les pentes descendantes du Bavi vers 790 et vers 1160. La progression du 1° bataillon est protégée par deux bases de feux du III/4 qui s'installent de part et d'autre du col de Goc Bop vers 490 et vers 493. Pendant ces déplacements des éléments ennemis sont repérés immédiatement dans tous les fonds : une compagnie V.M. est observée par la 10° Cie du III/4 vers le col à 500 m à l'est de la cote 288, montant de la vallée de Thuy Co et se dirigeant vers la vallée de Goc Bop, vraisemblablement ; une autre compagnie V.M, par le D.L.O. du I/4 et la 2° Cie dans la vallée du Suoi Mit au fond de 342 et semble se diriger vers le col de Bop. Ces mouvements sont pris à partie par les armes lourdes des deux bataillons et par notre artillerie, toujours en batterie à la cote 85, obligée de ce fait de faire des tirs plongeants pour passer l'arête 515 – 490. Devant ces nouvelles difficultés le lieutenant-colonel Albert redemande que la marche dans la vallée du Goc Bop soit complètement évitée. Il attend la décision mais cependant pour éviter du retard donne l'ordre au I/4 de pousser encore vers l'îlot rocheux à 1 Km à l’ouest de 342.

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Rien à faire, à 13h15 le colonel commandant le G.M.4 confirme par radio les ordres donnés le matin, le 1/4 suivra les crêtes, le 3/4 parcourra les fonds (nous irons parait-il plus vite). En outre nous ajoute-t-on, il nous conjure de faire "tout ce qui humainement sera possible", pour arriver au Rocher Notre Dame avant la nuit. A 15h30, la sécurité des crêtes, au dessus de la piste de la vallée du S. Gop Bop, semble assurée, mais ce sera illusoire car la végétation est haute, les liaisons sont impossibles, il faut 1/2 heure pour se rendre d'une crête vers son thalweg, et il faut faire sa route au coupe coupe ou se faire précéder de quelques tirailleurs pour écraser une savane vigoureuse qui scie littéralement les bras et le visage. Nous tenons les crêtes certes, mais nous ne pouvons voir ce qui se passe dans les fonds et inversement pour ceux d'en bas. Dès 13h30, le III/4 a foncé sur le sentier, dans des creux bordés de futaies impénétrables, confiant dans le I/4 qui est vers 199, et se masquant avec une compagnie au sud, vers Thuy Co, où l'ennemi circule toujours. Il avance vite dans l'ordre 12°, 11°, PC, Cie engins, 9° et 10° Cies. Il défile colonne par un, il n’y a d’ailleurs pas moyen de faire autrement. Les ordres sont cependant donnés, pour fouiller les abords immédiats de l'itinéraire. Le mouvement des unités est réglé en cas de rencontre de l'ennemi, mais ce combat de rencontre, inévitable, sera difficile à conduire dans un paysage semblable où les lianes traversent le chemin, où la savane a plus de 3 mètres de haut et où les taillis sont serrés et font de part et d'autre un mur sombre impénétrable, et où la puissance d’émission de nos petits postes de TSF est étouffée par la densité de la végétation. A 16h10, les éléments de tête du III/4 (12° Cie) chargés de la garde vers le sud sont accrochés en se dirigeant vers le col de 'Ihuy Go (1 tirailleur blessé, plusieurs V.M. abattus, 1 arme récupérée). La II° en tête fonce toujours vers le rocher, mais son avant-garde tombe nez à nez avec des V.M. en embuscade, dans la végétation, immobiles jusqu'à l'abordage, les vêtements recouverts de feuillages cousus, les visages barbouillés, les casques avec filet et branchages. Cependant, contraints de se dévoiler par la fouille minutieuse de la section Girard, ils livrent le combat, Le corps à corps est immédiat, grenades, coupes-coupes, armes individuelles, mitraillettes, poignard, tout s'en mêle. A 16h30 le Lieutenant Girard est tué à la tête de sa section, nous avons des blessés. Le combat est brutal, 12 Viets tués, 9 fusils récupérés, des munitions, des documents, 3 prisonniers du 165° régiment de la 312 restent entre nos mains. L'embuscade semble déjouée, mais nous avons perdu 1 officier, 1 tirailleur et 3 blessés, et ce n'est qu'un petit élément ennemi que nous avons "levé " le reste doit patiemment attendre autour. Le temps passe, il faut redoubler de prudence pour poursuivre dans ces fonds noirâtres où à droite et gauche nous sentons bien que nous sommes traqués. En avant toujours. 19h00, la nuit arrive, le III/4 avance, avance, la tête de sa colonne est vers X. Muon. C'est lugubre car de plus en plus nous sentons notre impuissance dans ces fonds bordés d'ennemis qui n'attendent qu'un ordre pour se jeter sur notre colonne qu'ils attendent depuis la veille. Pendant ce temps le I/4 est à "l'air", il a tenu les crêtes, et ses armes lourdes ont arrosé les mouvements V.M. qui ont été décelés dans les vallées avoisinantes et sur les versants fouillés. Le chef de bataillon du I/4 est accouru vers 16h00 "au canon', dans la vallée pour constater hélas la mort du Lieutenant Girard que nous avions laissé sur les quais de Taza, parce qu'il 'était trop jeune pour partir avec nous, et qui vient par son courage et son sacrifice de couvrir son bataillon. Tandis que le III/4 avance, le I/4 surveille le défilé et attend impatiemment son tour. I1 fait nuit, la lune n'a pas paru. Enfin le 1° bataillon se met en route, dans l'ordre 3° - PC - 4° I° et 2° Cies - Ordres formels sont donnés à la 1° et à la 2° de ne pas quitter les crêtes. Heureusement. Ce sera là, la clef de notre manœuvre dans une heure. Les crêtes resteront tenues et le V.M. ne pourra pas ainsi nous submerger en les prenant et en nous attaquant aussi par derrière. 388


Le III/4 avance, son "gros" atteint la vallée de X. Muon, où il trouve de nombreux cadavres de VM et de parachutistes du 1° B.P.C. qui jonchent le sol depuis la veille (2 blessés du 1° B.P.C. sont récupérés). Par suite de la nuit, et de l'état détrempé du terrain, le III/4 ralentit, La colonne se disloque pour utiliser tous les sentiers possibles, un arrêt est marqué au bas des pentes de la cote 53 (ouest de X. Muon nord). Il faut un peu souffler et rechercher parmi les fourrés avoisinants les morts ou les blessés, et le matériel susceptibles d'être récupérés. Mais, à 19h00 des feux violents et subits d'armes automatiques de mortiers (explosifs et phosphores) s'abattent brutalement sur les arrières du 3° bataillon (3 blessés à la 10 ), la 9 qui ferme la marche est la proie immédiate d'une embuscade à courte portée. Des rafales venues d'on ne sait trop où sifflent au ras des oreilles et dans un claquement sec, coupent les branches sous le nez des éclaireurs, qui s'aplatissent immédiatement. Un obus de mortier de 81 tombe sur son canon de 57, tuant les servants, la 9 est coupée en 2 dès le début. Sa tête "fonce " et serre sur son bataillon et le rejoint. Sa queue sous les ordres de l'adjudant Rousselle, se regroupe et rejoint la 3° Cie de tête du I/4 R.T.M. Au I/4, la 3° est en tête, et subit immédiatement le contre coup de l'embuscade sur la 9. Elle reçoit Rousselle et ses tirailleurs. Le chef de bataillon et son PC suivent dans ses traces immédiates, mais prise sous des feux violents la 3° signale qu'elle ne pourra pas passer, certains passages obligés sont battus en permanence. Le capitaine adjoint au chef de bataillon se précipite pour examiner la situation en tête, il "bigophone" : nous pouvons traverser. Les ordres rapides par radio sont donnés par le commandant à tous d'être "prêts à foncer", il faut forcer l'embuscade Viêt, car notre mission est d'arriver coûte que coûte à Notre-Dame. Tous les éléments se groupent (malgré les rafales de MIT .V.M. et les obus de mortiers qui explosent dans les branches de la haute futaie qui nous couvre). Nous serrons les dents. Attention pour démarrer. La 2° et la 1° qui sont encore dans la haute savane et sur les crêtes et qui ne se rendent pas compte de notre situation s'étonnent des ordres reçus, mais des rafales ennemies qui s'intensifient les rappellent à la dure réalité et montre que l'ennemi est solidement installé le long de l'itinéraire à suivre. Le dilemme du chef de bataillon devient le suivant : faut-il "foncer" vers Notre-Dame, dans la nuit, au travers d'une embuscade monstre qui se resserre fortement, appuyée par des bases de feux installées dès avant la nuit et effectuant des tirs repérés dans des fonds inconnus pour nous. Cinq compagnies et les éléments du III/4 récupérés sont lourds à manœuvrer, les risques sont gros, nous n'arriverons que fort tard, épuisés, avec beaucoup de pertes, l'appui d'artillerie est maintenant illusoire, la radio n'accroche plus ni le PC en 85, ni le Rocher NotreDame, et puis nous sommes en plein mouvement et notre 694 ne peut plus se mettre en batterie. Le III/4 est passé au neuf dixième, il aidera le Rocher. Ici notre seule présence, retiendra l'ennemi avec nous toute la nuit 5. Réoccuper les crêtes et s'y maintenir, ne serait-ce pas là la solution. Cinq compagnies sur les crêtes, c'est imprenable lorsqu'on veut se défendre, l'ennemi s'usera sur nous, il n'a pas prévu que nous resterons, nous soufflerons, nous nous battrons si l'ennemi nous attaque, le jour arrivera, les pertes seront moindres, et les VM. que nous aurons fixés, ne pourrons pas attaquer le rocher. Tout ça, en quelques minutes de réflexion, d'intuition, sans aucune analyse préalable, le commandant décide : Demi-tour tous, dans l'ordre inverse. La 2 surtout tiendra le sommet le plus haut car l'ennemi peut jouer avec nous la reprise du piton dominant, il connait bien les lieux, il les fréquente depuis quelques jours. Et les ordres brefs à la radio recommencent, le commandant parle sèchement, il ne faut plus comprendre, il nous l'expliquera plus tard. Nous nous étagerons, dans l'ordre 4° , 3°, PC et Cie de Cdt. 1° et 2°. Nous établirons 5 points d'appui prêts à toutes éventualités.

5- C’est exactement ce qui s’est passé, et la meilleure aide apportée au Rocher Notre-Dame (commentaire de Bernard de Boishéraud) 389


L'ennemi est maintenant partout et nous talonne de toutes parts car il s'imagine que nous ne sommes pas nombreux, car il n'a pas pensé aux 2 Cies restées sur les crêtes. L'ennemi en embuscade, devient plus mordant. Nos tirailleurs sont très nerveux. Un commando Viêt s'infiltre vers notre droite et à l'arme blanche se jette sur une section de la 3° Cie, il est contenu à la baïonnette et ce malgré notre surprise et ses cris de guerre. Restons calmes , Restons en ordre. Soudain, une marée hurlante de Viêts transformés en buissons bondissant déferle sur la piste. Les tirailleurs, enlevés par leur chef se mettent baïonnette au canon sur les éléments Viets qui barrent le passage, en poussant des hurlements terribles. Les rebelles, un instant stupéfaits, perdent pied. Tous les cadres, dans un calme magnifique tranquillisent les tirailleurs et font passer toute la colonne, discrètement, des hautes rizières plates et éclairées où nous nous étions engagés, à une belle allure, vers les crêtes que nous avions quittées en fin d'après-midi. Personne ne sent plus la fatigue des 2 journées, et nous gravissons les pentes sans un souffle. La lune s'est levée et éclaire les rizières intérieures ! Nous profitons des fourrés, l'ennemi est aux aguets et nous arrose de ses mortiers dès que nous apparaissons. Nous nous regroupons deux ou trois fois pour passer les zones éclairées. Il faut éviter à tout prix de se perdre et faire comprendre à tous que nous allons réoccuper les pitons que nous avions parcourus ou tenus l'après-midi. Heureusement la radio fonctionne entre toutes les unités du bataillon. Ainsi le 1° bataillon va combattre seul, sur son îlot de 342 et restera jusqu'au lendemain coupé du 3° bataillon (avec lequel se trouve le lieutenant-colonel Albert commandant la colonne), et simplement relié par le réseau artillerie avec le PC de la cote 85, cela suffira pour contenir les bataillons Viets, les combattre et les arroser de 2300 coups de canon de 105 lorsqu'ils se présenteront dans nos zones d'observation ou lorsque nous les sentirons prêts à nous bondir dessus. C) La nuit du 11 au 12 décembre avec le I° bataillon de Marche Le demi-tour du bataillon, vers l’îlot de 342, commence rapidement. La 2° Cie avait laissé en place une de ses sections sur un des pitons, au-dessous de 342. Dès le reçu de l'ordre de retour vers les crêtes, le commandant de la 2° Cie, qui loin des fonds, ne se doutait pas de la forte embuscade que nous venions de déjouer, essaie le plus rapidement possible, de reprendre les hauteurs et d'aspirer à lui tout le bataillon. Les unités font demi-tour et en direction de la ligne des crêtes, se pressent pour remonter au plus vite. La radio fonctionne bien entre nous. Chaque compagnie remet son petit dispositif de sécurité en ordre et regroupe ses porteurs. Les Viets sont mordants, Ils sentent bien la proie leur échapper, aussi nous poursuivent-ils avec des cris perçants et des menaces fort discourtoises. La dernière section de la 5 les contient, baïonnette au canon. On ne les voit pas, on les entend. Les combats au corps à corps, à la grenade se succèderont sans arrêt jusqu'au moment où nous nous retrouvons sur les pitons que nous tenions en fin d'après-midi. Les bases de feu des V.M. tirent aux mortiers. Des obus tombent ça et là dans les bois. Des trajectoires de balles traçantes semblent nous chercher. Heureusement que tous les tirs sont trop hauts et les branches claquent sèchement. La 2° Cie monte toujours. La 4° qui la suit reçoit l'ordre de s'installer sur le premier mamelon pour permettre aux autres de monter en sécurité, et d'attendre ainsi le VM , qui, avec un commando nous poursuit constamment. Nous regroupons tous les éléments épars du 3° bataillon autour de l'adjudant Rousselle. Nos mortiers reçoivent l'ordre de rester avec la 4° au premier piton, pour éviter de monter à nouveau toutes les munitions que nous portons péniblement depuis la veille au matin. Vers 21h30, le bataillon est ainsi installé : la 2° Cie sur les sommets, la 1° à sa gauche, le PC du bataillon avec le "Toubib " ses infirmiers et ses blessés au centre, plus bas la 3° Cie 390


et sur le petit piton, au contact direct des Viêts, qui ont "collé", la 4° Cie avec la section de mortiers de 81mm et une section du 3° bataillon. Nous recherchons les liaisons radio. Plus rien. Le PC du G.M. 4 ne nous entend plus, Le 3° bataillon, en marche vers le Rocher Notre-Dame, ne nous prend pas. II nous reste les 2 postes des 2 D.L.O. d'artillerie. Ils pourront parler avec le groupe du G.M. 4 en batterie à la cote 85. A mots couverts nous donnons notre situation et nous mettons en place quelques tirs d'arrêts d'artillerie. Le Viet ne se manifeste plus. Nous en profitons pour nous restaurer un peu, nous organiser, préparer nos trous, rétablir nos liaisons, et ainsi affirmer notre désir de tenir coûte que coute. Eviter de tirer sera notre consigne absolue pour ne pas se dévoiler et pour économiser nos munitions qui nous seront fort utiles, vraisemblablement, en fin de nuit. Les guetteurs sont inquiets, l'herbe à éléphant est très haute, les risques de surprise sont grands, les nerfs sont à bout, la fatigue est extrême, les yeux sont clignotants. Aussi la majorité va-t-elle s'endormir, malgré le Viêt au contact et seuls les guetteurs, et les énervés resteront éveillés. Ainsi brusquement ce sera le silence absolu du champ de bataille. Mais subitement, vers 23h15, des crêtes ouest et sud, de la cote 288 des armes automatiques ennemies déclenchent des tirs, ça claquent devant nous, derrière nous , des obus fumigènes de mortiers encadrent la ligne de crête que nous tenons, il semble que ce soit des réglages de tir ou bien des "appels" pour nous obliger à tirer. Malgré notre vive tentation, pas un tirailleur ne répondra, et ainsi l'ennemi en sera pour ses frais, quoiqu'il nous fasse tout de même quelques blessés. Les 2 D.L.O. en profitent aussitôt pour faire intervenir les batteries et pour finir de "mettre en place" quelques tirs nouveaux. Le calme revient. Les Viêts ont dû vraisemblablement profiter de ces tirs pour avancer vers nous et coller à notre dispositif. Attention ! Ca ne manque pas. Vers 24h30 deux obus à phosphore de mortier de 81 tombent sur le piton tenu par la 4° Cie. La position subitement éclairée. Il semble que ce soit un signal de déclenchement et la désignation de l'objectif principal. Aussitôt toutes les armes d'appui des Viêts concentrent leurs tirs vers le piton ainsi désigné. La 4 est littéralement sous le feu des armes automatiques et des mortiers V.M. Elle signale en outre que les Viêts montent vers elle. Notre artillerie déclenche ses tirs et sans arrêt débitera un millier de coups en moins de deux heures. Les morts et les blessés sont chez nous de plus en plus nombreux. Le Viêt semble prêt à donner l'assaut. Le Cdt. de Cie signale ses difficultés et en particulier le découragement moral de certains qui sont influencés par les morts et les blessés qui les entourent de toutes parts. Le commandant donne alors l'ordre à la 4 d'évacuer vers les crêtes ses morts et ses blessés, de contenir coûte que coûte l'ennemi et de décrocher ensuite avec souplesse et astuce, pour laisser l'ennemi attaquer ainsi une crête vidée de ses défenseurs, de le laisser s'installer et ensuite, de l'anéantir au canon. Tout se passe comme prévu, et discrètement la 4 laissera le Viêt s'enferrer avec enthousiasme sur le piton. Notre artillerie s'en donnera à cœur joie et les résultats seront beaux au lever du jour le lendemain. Jusqu'à 03h13 c'est un feu d'enfer des deux côtés, des morts, des blessés, des évacuations sous le feu des replis, des contre-attaques de section. La 3° Cie qui se retrouve maintenant au contact a toutes les inquiétudes du combat. Il faut qu'elle tienne coûte que coûte. Le commandant la renforce de deux sections de contre-attaques. Le capitaine de la 3 et le commandant se communiquent directement leurs observations et leurs ordres à la voix. Nous sommes entourés. Nous attendons, nos blessés regroupés râlent lamentablement. A nouveau le silence total. Le Viêt doit souffler, il doit ramasser ses morts et ses blessés, regrouper ses unités et crier victoire sur le petit piton. S'il veut poursuivre, il doit encore grimper vers nous mais il aura fort à faire. Nous faisons exécuter des tirs de harcèlement sur les positions tenues par l'ennemi, sur leurs itinéraires de repli, dans tous les fonds environnants. Heureusement, une des batteries d'artillerie du Rocher Notre-Dame, vient nous proposer, par radio, ses services. Volontiers nous l'utiliserons car elle pourra ainsi battre 391


quelques zones "impossibles" pour nos batteries de la cote 85. Que font les Viêts ? La nuit nous parait extrêmement longue. Avant le jour ils ont encore le temps de nous attaquer. Le "'Toubib" en profite, avec tous ses infirmiers pour panser les 70 blessés qui jonchent le sol autour de lui. Ils gémissent, crient parfois car il fait froid et ils ont soif. Le spectacle est pénible et le souci de les protéger contre une vague de Viêts qui risquerait de venir sur eux, sans défense aucune n'est pas des moindres, aussi une section de protection est mise de suite à la disposition du poste de secours. 05h00. Nouveaux tirs massifs des armes automatiques viets. Ou c'est l'attaque ultime sur nos points d'appui, ou c'est le repli général des unités V.M. jusqu’alors à notre contact. Nos D.L.O. répondent toujours par des tirs massifs d'artillerie. Pendant plus d'une heure c'est l'attente de l'arrivée des vagues Viêts, et aussi de l'arrivée du jour qui ne poindra qu'à 06h30. Les V.M. n'ont pas attaqué, au contraire ils décrochent, des petites colonnes aperçues et prises à partie par notre artillerie et par toutes nos armes automatiques. Dès le jour le Morane arrive et l'aviation de chasse s'en donne à cœur joie. La radio du G.M. 4., avec la voix du colonel Thomazo se fait entendre. Tout est terminé semble-t-il, nos blessés espèrent, notre 5° Cie se rue sur la crête vidée par les Viets, où nous trouvons leurs cadavres, de l’armement, de l'outillage, du sang, des pansements, au total le spectacle connu de champ de bataille encore "tout chaud". Cependant il fait très froid, nous avons faim, nous avons soif, nous sommes "vannés". Comment rejoindrons-nous le Rocher Notre-Dame, quel calvaire ce sera pour nos blessés qui soufrent atrocement ! La nuit du 11 au 12 décembre avec le 3° bataillon de marche Qu'a fait le 3° bataillon depuis la veille 19 heures où la colonne des 2 bataillons a été scindée par la grosse embuscade Viet-Minh ? La progression du III/4 vers le Rocher NotreDame a été rendue de plus en plus pénible par l'état détrempé du terrain à parcourir et par la suite ininterrompue de gués à traverser. Les unités avancent dans l'ordre 11° Ci e, 12° Cie, PC, C.B., 10° et 9° Cies. Les morts et les blessés à transporter ralentissent énormément la progression. La nuit surprend le bataillon dans la vallée de X. Muon où de nombreux cadavres de V.M. et de parachutistes du 1° B.P.C. jonchent le sol. 2 Blessés du 1° B.P.C. sont heureusement récupérés. A partir de X. Muon la piste coupée en de nombreux endroits est fort difficile à retrouver. La colonne se disloque quelque peu et un arrêt est marqué au bas des pentes de la cote 53 (ouest de X. Muon nord) pour permettre le regroupement du bataillon et la récupération des derniers éléments des 10° et 9° Cies. A 19h30 des feux violents d'armes automatiques et de mortiers (explosifs et obus au phosphore) s'abattent sur les arrières du bataillon faisant dès le début trois blessés à la 10° Cie. Au même instant l'ennemi déclenche une deuxième embuscade sur 1a 9° Cie qui ferme la marche du bataillon. Un obus de mortier de 81 tombe en plein sur le canon de 57 tuant tous les servants. La 10° compagnie est alors coupée en deux à hauteur de sa section de commandement, et les éléments de queue rejoignent le I/4 R.T.M. La 9° Cie un peu retardée essaie de rejoindre le bataillon, qui s'est regroupé sur les pentes sud de la cote 71 (1Km500 au N.E. du nocher Notre-Dame). A 21h00 le bataillon annonce son arrivée au Rocher Notredame.... A 22h30 le bataillon est "parqué" contre la face Nord du Rocher. La nuit sera pénible, car l'insécurité est grande, et cadres et troupe veilleront toute la nuit. Le lendemain le 3° bataillon prendra part à l'opération de recueil du 1° B.M. du 4° R.T.M. avec les 10° et 12° Cies, en concert avec deux Cies du 1° B.P.C. et deux Cies du I/1 R.T.M.

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D ) Le 12 décembre avec le I/4. Dès le lever du jour, pendant que le Morane donne à la chasse des objectifs de choix, nous fouillons les alentours, regroupons nos morts et nos blessés, enterrons les morts Viêts, récupérons les matériels, l'armement ennemi, essayons de trouver des renseignements dans tous les papiers, soignons nos blessés. Les corvées individuelles d'eau partant prudemment vers les fonds, car blessés et bien portants soufrons tous de la soif après cette précédente nuit de marche et cette longue nuit de combat. Et nous reprenons les contacts radio avec le GM 4, auquel nous donnons les résultats de notre nuit, nos besoins en glace, en hélicoptère, et notre souci de reprendre d'urgence notre marche vers le Rocher Notre-Dame. Nous signalons nos difficultés, nos inquiétudes d'être obligés de passer dans une zone infestée de VM avec nos 53 blessés. Le colonel Thomazo, nous dit en phonie toute sa satisfaction de nous voir sortis de cette nuit effroyable. Vous avez été "magnifiques". Il nous promet de nous faire envoyer une colonne de secours depuis NotreDame à notre rencontre, pour nous assurer une sécurité d'abord, et pour nous aider à transporter nos blessés car il faudra plus de 200 porteurs pour ce long trajet. Un Morane survolera notre déplacement. L'hélicoptère ne peut venir. La glace promise n'arrivera pas. Nos contacts radios avec le Rocher Notre-Dame sont fort espacés.

Résultats : la 3° Cie descendra dans les fonds, sur la route pour nous éclairer, la l° Cie assurera le transport des blessés entre deux pitons pendant quelques voyages et préparera des branchages pour porter les blessés, la 4° Cie fera des navettes pour descendre les blessés et les morts vers le fond de la vallée, la 2° Cie assurera en permanence la sécurité des crêtes.

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Nous nous allégeons au maximum, nous brûlons tous les superflus, nous nettoyons complètement le champ de bataille, enterrons Viêts et coolies, nous détruisons les papiers, nous faisons les appels, rassemblons l'armement des tués et des blessés. Avant tous les mouvements, le docteur refait tous les pansements des 53 blessés graves et des 20 blessés légers. Ensuite, de 8h à midi, des navettes successives, et des transports harassants nous amèneront sur le chemin du retour. Enfin, à 13h00 après avoir enterré, la mort dans l’âme, avec un bref cérémonial militaire, et les prières des « fkirs » quinze des nôtres en 490 - 337, que nous ne pouvons, hélas transporter, le commandant décide de marcher au plus vite vers le Rocher Notre-Dame. Et le calvaire recommence, avec plus de 50 civières, des éclopés, des porteurs surchargés, des cadres et des tirailleurs fatigués par quarante huit heures de marche et de combats incessants. Pourvu que les Viets ne nous surprennent pas en plein déplacement, Inch’ Allah. En avant. Il ne faut pas nous attarder, la route est longue, les camarades du Rocher Notre-dame partiront à 13h00 à notre rencontre. En avant. La route est terriblement coupée, les blessés sont péniblement transportés, les systèmes de transport sont rudimentaires, les toiles de tente se déchirent, les civières de fortune se cassent, les couvertures s'ouvrent, les blessés tombent de temps à autre, c'est pénible, les porteurs se relaient, rattrapent le gros de la colonne, s'arrêtent, repartent, c'est une marche fort lente, saccadée, essoufflante et la colonne menace toujours de trop s'étirer. En cours de route nous retrouvons les traces des embuscades de la veille, quelques camarades du III/4 sont enterrés au passage, de l'armement est récupéré. La route est longue. L'ennemi nous est signalé, sur nos flancs par le Morane qui heureusement nous survole. En avant, toujours en avant. Enfin à 15h50 vers le sud de la cote 53 nous apercevons avec joie la venue de nos amis. En tête le I° B.P.C. qui cherche ses morts et ses blessés de l'avant veille et avec lui le capitaine Moretti et 2 Cies. Puis le III/4 R.T.M. avec deux Cies et des porteurs qui nous soulagent immédiatement. Quel bonheur. Quel soulagement. Enfin deux Cies du I/1 R.T.M. (ceux de l’Argentine) qui viennent nous aider un peu. Nous sommes heureux de nous retrouver. Les embrassades ne tarissent pas. Et tous nous rentrons vers le Rocher Notre-Dame que nous n'abordons qu'à 18h30, harassés, épuisés. Des ravitaillements nous sont distribués, nos blessés sont gardés mais hélas ils ne pourront pas être évacués, car la rivière noire n'est pas navigable. La nuit est dure, nous sommes "parqués' sur une des faces du Rocher, et nous serons inquiets toute la nuit car nous n'avons aucune vue, aucune sécurité, aucune défense possible. Nuit calme cependant, humide, froide et seulement interrompue vers 01h00 par des rafales d'armes automatiques et un tir d'arrêt déclenché peut-être un peu prématurément. E) Le 13 décembre Le 13 Décembre nous nous réveillons dans le brouillard matinal, mais loin de nos soucis et de nos préoccupations de la veille. Le raid est presque terminé. Il ne nous restera que de rejoindre Trung Ha par la rive droite de la Rivière Noire pour terminer ce périple mémorable. Ce sera fait les 13 et 14 décembre par Xuan Bu, Ap Da Chong, Dan The (rive est de la Rivière Noire). A Dan The le 14, vers 16h00, le colonel Thomazo vient à notre rencontre et nous souhaite la bienvenue. Vers Trung Ha, au passage devant le point d’appui de Thong Lenh la clique du G.M. 4. nous attend, et le bataillon défile fièrement devant le colonel commandant le G.M. 4 et le chef de bataillon Descomps. C'est fini, nous sommes heureux de nous retrouver tous et d'avoir pu faire cet effort méritoire. Edouard Decomp

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Le Lieutenant Colonel Marguet Etat Major des Forces Terrestres du Nord Vietnam DECISION N° 15 Sur la proposition du Secrétaire d'Etat à la Guerre le ministre de la Défense Nationale et des Forces Armées cite : - A L'ORDRE DE L'ARMEE Mosnay Goguet de Boisheraud, Bernard - Chef de Bataillon - Etat-Major des Forces Terrestres du Nord Vietnam "Après avoir exercé de manière particulièrement brillante, le commandement du I/1° R.T.M. pendant 6 mois, a pris le 15 mai 1952, la direction de l'importante section "Fortifications" à l'E.M./F.T.N.V.". "Il s'y est affirmé immédiatement un remarquable officier d'état-major. Déployant une inlassable activité, il effectue de nombreuses reconnaissances, et prépare personnellement la réalisation de nombreux points d'appui et en particulier ceux de Chi Ne-Lac Tho-Dong Do sur la R.P. 38 (zone nord) de Dong-Phan, de Cap Phat dans le Than Ha (zone nord) de la Tête de Vipère (zone de Haiphong)". "Nommé adjoint au 3° Bureau du F.T.V.N. le 15 juin 1952, il assure efficacement la préparation des actions menées dans le Tien-Lang en septembre 1952, dans le Vinh Phuc et au sud du Day en octobre ainsi que de l'opération "Bretagne" (Bui Chu) en décembre 1952". "Il prend part entre temps en qualité de chef du 3° bureau opérationnel à l'opération "Lorraine" 1 du 29 octobre au 26 novembre 1952". "Gardant un équilibre sûr, faisant preuve d'une volonté tenace effectuant chaque fois que nécessaire des liaisons avec les commandants des groupements engagés, obtenant un excellent rendement de son équipe, il a su faire mener à bien les manœuvres décidées par le commandement et contribué pour une large part au succès de l'opération". Cette citation comporte l'attribution de la croix de guerre des théâtres d'opérations avec palme. Le secrétaire d'etat à la guerre signé : de Chevigne

Fait a paris, le 24 mars 1953 Signé : Pleven

DESTINATAIRES : Chef de Bataillon de Boishéraud Dossier intéressé 1 - L’opération Lorraine, lancée dans la nuit du 29 au 30 octobre 1952 sur les arrières de l’ennemi pour protéger l’installation de la base aéroterrestre de La San, est un raid blindémotorisé sur Phu Yen doublé du largage de trois bataillons parachutistes sur Phu Doan. La fouille méthodique de la région permet la capture et la destruction de nombreux dépôts ennemis, dont pour la première fois, quatre camions russe « Molotova ». Ayant rempli leur mission, les forces françaises se replient, c’est au cours de cette manœuvre que le groupe mobile n° 4 se fait sévèrement accrocher le 17 novembre (52 tués, 133 disparus). Pendant son passage à Hanoï, Bernard se procure plusieurs notices destinées au centre de formation des officiers vietnamiens : Activités du port d’Haiphong, culture matérielle du Vietnam, les institutions vietnamiennes, histoire du peuple vietnamien, univers moral des vietnamiens, la civilisation de l’Indochine. Ces notices sont dans nos archives. 395


Circulait à Hanoï en 1952

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SchĂŠmas extraits du rapport Ely 397


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MINISTÈRE DE LA DÉFENSE NATIONALE SERVICE D'ACTION PSYCHOLOGIQUE ET D'INFORMATION

GUERRE RÉVOLUTIONNAIRE ET ARME PSYCHOLOGIQUE La Conférence " Guerre révolutionnaire et Arme psychologique " a été prononcée sans texte écrit le 2 Juillet 1957 par le Colonel Lacheroy, Chef du Service d'Action Psychologique et d'Information de la Défense Nationale devant 2.000 Officiers de Réserve de la 1ère Région Militaire réunis dans le grand amphithéâtre de la Sorbonne. Pour répondre à de nombreuses demandes, un texte de cette conférence a été établi ultérieurement à l'aide de l'enregistrement magnétique réalisé au cours de la séance ; ainsi s'explique le caractère spontané et le style direct de ce document. Il semble malgré certaines imperfections devoir être utile à ceux qui s'intéressent au développement de l'Arme Psychologique. 2 Juillet 1957 Mon Général, Messieurs, J'ai accepté avec beaucoup de plaisir de venir prendre la parole aujourd'hui devant vous. Dans le cycle des cours et conférences qui vous sont faites il était normal que votre attention fut appelée sur une forme de guerre un peu nouvelle et sur une arme particulière adaptée à cette guerre nouvelle, je veux dire la guerre révolutionnaire et l'arme psychologique. J'ai lié dans mon exposé ces deux questions car si l'arme psychologique peut et doit être mise en œuvre dans toutes les guerres, c'est dans celle de style révolutionnaire qu'elle trouve sa place de prédilection. Lorsque la bombe d'Hiroshima paracheva l'écrasement du Japon, lorsque, sur le cuirassé Amiral Missouri, dans le Pacifique s'abaissa le rideau sur une tragédie qui avait commencé six ans plus tôt aux frontières dé Pologne, on pouvait penser que l'art militaire allait prendre une nouvelle forme tenant beaucoup moins compte que par le passé des valeurs humaines, que nous allions vers la guerre a presse-boutons ». Or, depuis cette date, c'est-àdire depuis douze ans, il y a eu tous les jours des officiers et des soldats Français qui sont morts sur un coin du globe, pour leur Patrie, et ce n'était pas à une guerre « presse-boutons » qu'ils avaient à faire face, mais à 'des formes variées de conflits, conflits insurrectionnels, guerres idéologiques, etc.. c'est-à-dire en fin de compte à des « guerres révolutionnaires » et l’on s'apercevait — plus qu'à aucune autre époque et plus que dans toute autre forme de conflit — que les valeurs humaines s'y révélaient prépondérantes.

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I.

- QU'EST-CE QUE LA GUERRE RÉVOLUTIONNAIRE

Je voudrais, avant de la définir, tracer le cadre de cette guerre révolutionnaire et vous en faire sentir toute son importance. Pour cela je vais vous raconter deux anecdotes. La première est personnelle. J'allais partir en Indochine et j'étais allé dire au revoir à mes Chefs ; l'un d'eux me dit ceci : « Vous allez partir en Indochine, c'est bien ; vous allez faire votre devoir d'officier supérieur, mais retenez bien ce que je vais vous dire : A votre grade, à votre âge, avec votre formation antérieure, vous n'avez plus rien à apprendre là-bas. Rien à apprendre sur le plan stratégique car vous aurez affaire à une stratégie de fourmis qui est complètement dépassée dans les guerres modernes. Rien à apprendre sur le plan de la tactique car vous aurez affaire à une tactique périmée qui s'apparente davantage aux guerres de 70 et de 14-18, qu'à celle de 39-45 pourtant déjà si périmée — rien même à apprendre sur le plan de l'emploi des armes car c'est un pays où on les emploie à contre-sens. On m'a dit — disait-il — (car il n'y était pas allé) qu'on employait les blindés par unités relativement modestes comme le peloton ». (Il avait raison : moi, je les ai employés par patrouilles !) Or, nous sommes un certain nombre qui sommes revenus de cette aventure et qui, nous penchant sur un passé encore récent, disons qu'aucune période de notre carrière militaire n'a été aussi formatrice, parce qu'aucune d'elle ne nous a amenés à ce point à repenser les problèmes, à faire une croix sur les formules qu'on nous avait données, à découvrir chaque fois des idées et des solutions nouvelles. . L'autre histoire — (est-elle vraie ou imaginée ? peu importe) — situons-là, si vous le voulez bien, dans un aréopage international qui se réunit une fois par an pour décider de la défense du monde occidental, compte tenu, des dernières nouveautés dans le domaine des effectifs et dans celui de l'armement nucléaire. Très rapidement, la conversation entre les 17 Nations participantes tournait à un dialogue entre les deux seuls possesseurs de la bombe atomique, les Anglais et les Américains. Le représentant de la France tapotait sur la table d'un air un peu absent. Quand son tour fut venu de dire ce qu'il pensait des décisions prises, il a répondu : « Rien ». Ce brillant aréopage en a été frappé de stupeur. « Vraiment, Général, vous ne pensez rien ? alors que toutes les Nations du Centre-Europe sont derrière vous....? » Non, a-t-il répliqué, mais pardon, je n'ai pas dit que je n'avais rien à dire, j'ai dit que le sujet tel que vous veniez de le traiter ne m'intéressait pas ; j'ai cependant quelque chose à dire et je vais le faire sous forme de sketch comme il est de tradition dans les milieux anglo-saxons lorsqu'on discute de problèmes sérieux. Je vais vous faire, moi tout seul, le sketch de Boulganine et de Krouchtchev qui parlent ensemble lorsqu'ils viennent d'apprendre par le menu la conférence que nous venons d'avoir ici. « Boulganine dit à Krouchtchev : « ils ont fait là-bas un bien joli krieg-spiel, seulement, nous, on s'en moque de la bombe atomique : on ne remploiera pas ». « Oui, dit Krouchtchev la bombe atomique, on ne l'emploiera pas, c'est exact, mais ils ont pris une décision très grave, celle de se servir de la bombe atomique les premiers, si on les attaquait ». « On s'en moque dit Boulganine, on ne les attaquera pas ». « Comment, dit Krouchtchev, on ne les attaquera pas ». « Comment, dit Krouchtchev, on ne les attaquera pas ? Alors, on trahit ? On trahit Lénine ? On trahit l'expansion du communisme dans le Monde ? » Non, rassure-toi, on ne trahit rien du tout. Il y aura toujours la guerre. Mais nous, parce que nous sommes communistes, parce que nous sommes habitués à ce régime et à ses formules, parce que nous avons une avance considérable dans ce domaine, nous saurons, nous, mener une guerre qui sera toujours audessous du niveau de la guerre généralisée, au-dessous du niveau de la bombe atomique. Nous en tirerons les ficelles : nous savons comment faire. Nous la ferons par personne interposée. Il n'y a aucun intérêt à ce que notre drapeau soit en tête dans cette aventure. Et naturellement, 400


nous essaierons de l'appliquer aux maillons qui nous paraissent les plus faibles, c'est-à-dire d'abord les maillons de la chaîne de l'empire colonial français et de l'empire colonial anglais». Enfin, il ajoutait pour conclure: «dans ce domaine des guerres dites coloniales, nous avons une chance inespérée : nos adversaires les plus puissants, les Américains, vont être nos alliés». Voilà, je crois, défini le problème d'une guerre nouvelle, guerre latérale, guerre révolutionnaire et c'est en fin de compte — vous le sentez déjà, rien que par ces deux premières anecdotes — sous cette forme-là qu'est en train de se décider en ce moment et dans les vingt années qui vont venir, le destin du globe. Dans ce domaine, nous avons probablement une avance parce que nous avons souffert déjà et depuis plus longtemps que les autres. Et que constatons-nous ? Nous constatons que, par exemple en Indochine, (mais quand je pense Indochine, je pense Afrique du Nord et je pense ailleurs....) nous avons disposé tout de même d'une certaine supériorité de commandement sur l'adversaire qui nous était opposé, ou si vous le voulez, soyons plus modestes, nous avons au moins disposé d'une supériorité de transmission de commandement. Nous avons disposé aussi et nous disposons encore d'une large supériorité en infanterie ainsi qu'en artillerie et dans les domaines de l'Air, de la Marine et de l'Arme Blindée nous avons la suprématie absolue puisqu'aussi bien notre adversaire n'avait et, n'a encore ni avion, ni navire, ni char. Et cependant, nous avons été tenus en échec — c'est le moins qu'on puisse dire — et nous ne sommes pas les seuls à nous être trouvés ainsi à peu près à la même époque dans les mêmes conditions. Dans certaines phases de la guerre de Corée, les Sud-Coréens et des Américains ont été, eux aussi, tenus en échec par des troupes nord-coréennes ou chinoises, qui étaient beaucoup moins armées, beaucoup moins bien équipées, beaucoup moins bien soutenues et qui, à l'égard de ces forces d'élite, ressemblaient davantage à des troupes ou à des bandes. Nous avons vu aussi, Tchang Kaï Chek - un des cinq grands du monde — Tchang Kaï Chek, qui avait 8 années durant, fait front à l'Empire du Soleil Levant..., Tchang Kaï Chek qui était un champion de la civilisation occidentale, qui disposait du soutien inconditionnel des Etats-Unis, l'homme enfin qui a terminé la guerre avec la plus forte infanterie du monde, être, lui aussi, balayé du continent chinois par Mao Tse Toung qui — au départ — ne disposait pas du dixième des forces qui pouvaient lui être opposées. En Indochine, comme en Chine, comme en Corée, comme ailleurs, nous constatons que le plus fort semble battu par le plus faible. Pourquoi ? Parce que les normes qui nous servaient à peser les forces en présence, ces normes traditionnelles, sont mortes. Nous avons à faire face à une forme de guerre nouvelle, nouvelle dans ses conceptions et nouvelle dans ses réalisations. C'est cette forme de guerre qui est celle que nous appelons « la guerre révolutionnaire ». II.

- CARACTÈRES DE LA GUERRE RÉVOLUTIONNAIRE

En quoi diffère-t-elle de celle que nous avons connue ? En ceci, que non seulement elle marque une étape de plus mais une immense étape en direction de cette guerre totale vers laquelle semble inéluctablement, hélas, s'acheminer le Monde. Totale parce que non seulement elle mobilise vers cet effort de guerre toutes les puissances industrielles, commerciales, agricoles d'un pays, mais aussi parce qu'elle prend et pousse dans l'effort de guerre tous les enfants, toutes les femmes, tous les vieillards, tout ce qui pense, tout ce qui vit, tout ce qui respire avec toutes leurs forces d'amour, toutes leurs forces d'enthousiasme et toutes leurs forces de haine et qu'elle les jette dans la guerre. C'est là le facteur nouveau. Guerre totale parce qu'elle est une guerre qui prend les âmes comme les corps et les plie à l'obéissance et à l'effort de guerre. 401


Le premier qui ait analysé cette forme de guerre révolutionnaire, c'est sans doute Mao Tse Toug. Avant lui, Lénine, Liddel Hart, Lawrence, s'étaient déjà penchés sur ce problème et en avaient déjà esquissé les grandes lignes. Cependant, c'est probablement Mao Tse Toung qui, lorsqu'il a écrit « la Stratégie de la guerre révolutionnaire en Chine » — pour les officiels supérieurs de l'Armée Rouge en 1936 — a le mieux posé les principes de cette guerre révolutionnaire et le principe premier est celui-ci : « Personne n'aurait l'idée de diriger une guerre sans en connaître les lois. Or, à côté de la guerre traditionnelle, il y a la guerre révolutionnaire qui a ses caractéristiques, ses lois spécifiques. Si on ne les connaît pas, il n'y a aucune chance dans une guerre de ce genre de remporter la victoire ». A propos de l'Algérie, certains ont pu dire: « la mission qui est dévolue aux forces de l'Armée française en Afrique du Nord est la même que celle qui est toujours dévolue aux armées dans tous les conflits : c'est la destruction des forces armées adverses ». Ce faisant, Messieurs, je m'en excuse, on commettait une erreur fondamentale. Ne me faites pas dire que la destruction des bandes rebelles n'est pas une mission importante. Bien sûr elle l'est ! Il y aura encore de belles heures pour les condottières et les coureurs de Croix de guerre. Mais dans la guerre révolutionnaire, là n'est pas le problème numéro 1. Le problème N° 1 c'est la prise en main des populations qui servent de support à cette guerre et au milieu desquelles elle se passe. Celui qui les prend ou qui les tient a déjà gagné. Un jour ou l'autre il aura raison, parce que les fluctuations de la guerre peuvent amener des éléments amis à se replier et des éléments adverses à s'enfoncer dans le pays ; où qu'ils aillent, ces derniers auront affaire à une population effectuant une « guérilla » de plus en plus active, de plus en plus ardente, amenant l'adversaire à s'éparpiller sur ses lignes de communication jusqu'au jour où il n'aura plus, pour le combat, que des têtes d'avant-garde. Si l'une d'elles est bousculée, avec une action psychologique bien menée, le repli ou l'écrasement de ce seul morceau entraînera le repli et l'écrasement de tout le reste. C'est encore Mao Tsé Toung qui disait, lorsqu'il examinait les facteurs constants de la guerre révolutionnaire : « J'en distingue cinq, mais le premier est le plus important des facteurs constamment agissant, c'est la solidité de l'arrière ». Il disait encore : « La solidité de l'arrière passe avant le nombre et la qualité des divisions, elle « passe avant l'armement de ces divisions et elle passe avant les capacités d'organisation des Cadres de l'armée». Et encore cette phrase qui hélas se vérifie : « Lorsqu'il faut passer à la contre-offensive, on doit peser les facteurs qui « sont naturellement : l'ennemi, le terrain, la mission, les moyens : mais il n'y en a qu'un en fait qui soit essentiel et « absolument nécessaire dans tous les cas, c'est la solidité de l'arrière. S'il n'y a pas celui-là ce n'est pas la peine de « commencer ». Voilà, Messieurs, le premier principe de base de guerre révolutionnaire qui est une guerre avec la masse et où la masse est à prendre. III.

- TECHNIQUES DE LA GUERRE RÉVOLUTIONNAIRE

Cette masse, comment la prend-on ? Là encore, je voudrais pouvoir dire que tout est idéologique. Ce serait plus rassurant pour nous. Malheureusement, il n'en est rien : tout cela c'est d'abord et avant tout du domaine des techniques. Je vais vous parler d'abord de la technique de prise de possession des personnes physiques puis de la technique de prise de possession des âmes ou — comme ce mot là est banni du vocabulaire adverse de la technique (ou des techniques) du moral.

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I. — PRISE DE POSSESSION DES PERSONNES PHYSIQUES Cette prise de possession des personnes physiques se fait essentiellement par le système des hiérarchies parallèles. En pays sous régime adverse, il n'y a pas d'être libre. Je veux dire qu'on ne peut pas être tout simplement comme chez nous : une femme, un enfant, un vieillard. Chez l'adversaire l'être humain n'est et ne peut appartenir qu'à trois catégories : ou il est militaire, ou il est fonctionnaire, ou il est membre d'une association d'Etat. S'il est militaire ou fonctionnaire le problème de son loyalisme à l'égard du Gouvernement ne se pose pas, vous le pensez bien. Où qu'il soit, dans une formation militaire ou dans un bureau, il sera sous l'œil d'un représentant du parti ou tout simplement de ses camarades qui considéreront de leur devoir ou d'un opportunisme intelligent de dénoncer la moindre défaillance. Mais, direz-vous, s'il est cent pour cent civil ? Il sera d'office, de la naissance à la mort, inscrit dans une des associations d'Etat reconnues. Dans le pays vietminh on pouvait être jeunesse masculine, jeunesse féminine, vieillard, paysan ou non paysan. C'était en général les 5 formules possibles. Il y avait de temps en temps des formules particulières : catholiques résistants, syndicalistes du caoutchouc, et .... toutes formules annexes ; mais essentiellement, il y avait 5 associations d'Etat. Elles regroupaient toute la population depuis la naissance jusqu'à la mort. Ainsi quand un garçon vient au monde, il est inscrit dans les jeunesses masculines et il est destiné à finir dans l'association des vieillards : jusqu'à son enterrement, il sera embrigadé et suivi. Je vous expliquerai tout à l'heure les raisons de cette formule qui veut être globale, retenez d'abord qu'il y a ainsi une première hiérarchie d'association. C'est une hiérarchie, car du village elle monte au canton, à la sous-préfecture, à la préfecture, jusqu'à l'Etat. Un état-major à chaque échelon anime l'échelon subordonné et reçoit ses directives de l'échelon supérieur. Mais, l'individu, en tant que membre d'un village appartient à une deuxième hiérarchie, la hiérarchie que nous connaissons tous, qui est la hiérarchie territoriale avec le village, le canton, la sous-préfecture, etc.... Ces deux hiérarchies montent parallèlement, du village jusqu'au sommet comme tous les montants d'une échelle. Elles sont présentes à tous les échelons. Aucune de ces deux hiérarchies ne donne d'ordre à l'autre, aucune n'est supérieure à l'autre, elles ont chacune leur zone d'action, mais à tous les échelons, elles se notent mutuellement. Ce système d'encadrement des personnes physiques, nos adversaires, qui l'ont mis au point partout, sont arrivés à lui donner son efficacité maximum. Vous me direz : « Nous aussi nous avons une hiérarchie territoriale ». Oui, elle connaît au départ le Maire et le Conseil Municipal. Mais reconnaissons que le Maire et le Conseil Municipal sont au total un ensemble dont l'autorité est tout de même relativement débonnaire; c'est un ensemble collectif où tout le monde discute collectivement de tout mais où personne n'est individuellement responsable de rien. Dans l'organisation adverse, à ce système collégial, collectif, se substitue le système de la responsabilité individuelle. Il y a un trio qui assure la direction au sommet, l'éternelle «troïka » de tous les systèmes communistes, puis au-dessous, les responsables : responsable des effectifs, responsable de la jeunesse, responsable de la propagande, etc. Chacun a son domaine. Le responsable « effectifs », par exemple, tient le contrôle des habitants, maison par maison. C'est lui qui donne les autorisations pour sortir du village, c'est lui qui contrôle les sorties à l'hôpital, c'est lui qui tient le contrôle des morts et des naissances : au total, on ne peut pas vivre, naître, être malade ou mourir dans un système comme celui-là, sans être contrôlé.

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Ceci vous permet de comprendre en passant combien il nous était difficile d'introduire des agents dans un pareil système non pas que nous ne leur donnions de magnifiques passes munis de beaux cachets ! Mon Dieu, nous avons eu des passes et des cachets qui étaient aussi vrais et authentiques que ceux de l'adversaire ! Mais ils ne servent à rien dans un système comme celui-ci. Au bout de très peu de temps, le corps étranger qui s'était introduit dans le système ressort comme un abcès sous la peau. Nous n'avons guère eu d'exemple d'agent qui subsista plus de trois mois en zone adverse. Voilà pour l'efficacité de cette hiérarchie territoriale et vous notez en passant qu'elle ressemble comme deux gouttes d'eau à des formules que nous, soldats, nous connaissons bien, c'est la formule de tous les états-majors de toutes les grandes armées modernes avec un chef et un état-major, avec un premier bureau, un deuxième bureau, un troisième bureau et un quatrième bureau. Et ceci dès l'échelon du village, puis au-dessus avec les mêmes bureaux et les mêmes classifications. Je souligne en passant que le premier bureau suit les effectifs, chez eux comme chez nous, dans l'armée. Si cette organisation s'est adaptée au milieu civil, c'est qu'elle a fait ses preuves et montré depuis longtemps qu'elle était de beaucoup la plus efficace. Quant à la hiérarchie d'association, tout a été fait pour sa pleine efficacité. Vous pensez, Messieurs, que ces associations, en fin de compte, groupent les êtres humains un peu selon les mêmes goûts, les mêmes sexes, les mêmes désirs, les mêmes appétits, les mêmes besoins. Autrement dit, dans le premier cas, vous avez pris les gens globalement, l'homme dans sa famille, la famille dans son groupe de maisons, le groupe de maisons dans son village. Dans le deuxième cas vous redécoupez les gens autrement, vous les découpez par individu, vous les considérez en tant qu'homme ou en tant que femme d'un certain âge et d'un certain niveau ou d'un certain milieu. Cette relative homogénéité des associations fait qu'elles sont réceptives à une même propagande. Ceci est très important ; nous avons vu quelques fois dans le même village, le même jour et presque à la même heure, le groupe des jeunesses masculines et le groupe des vieillards discuter de thèmes presque diamétralement opposés. A chaque terrain on adapte sa semence d'élection. Pour prendre une comparaison qui nous est généralement plus familière, celle de la comptabilité, tout se passe dans le Système comme dans la comptabilité, en partie double : la hiérarchie territoriale, ce pourrait être ce grand livre sur lequel on porte dans l'ordre chronologique les recettes et les dépenses et puis les associations pourraient être ces registres particuliers suivant lesquels on ventile par chapitre et par article ces mêmes, recettes et ces mêmes dépenses. Ce procédé de comptabilité est bien connu, Messieurs, il est appliqué dans le monde entier parce que c'est lui qui permet de déceler le plus facilement les erreurs et de les situer. C'est aussi ce qui fait sa force dans le système des hiérarchies parallèles. Il décèle les erreurs et très vite il les situe. Dans ces associations de jeunes en particulier, pensez comme il est facile, par le système de l'autocritique, de retourner les gens et de savoir ce qui se passe dans un village. Nous avons vu, un jour, un village dans lequel venait d'avoir lieu une séance de jeunesse masculine. Nous l'avons fait recommencer pour nous, comme elle s'était déroulée moins de deux heures avant. Ce jour là le thème était, je crois « du loyalisme des parents ou des devoirs envers le loyalisme des parents. Celui qui servait de moniteur a repris sa place — il avait deux ans à peine de plus que les autres — et les gosses se sont remis devant leurs feuilles de papier : ils ont fait leur autocritique... Le chef s'est approché de l'un d'eux, a pris sa feuille de papier, l'a lue et lui a dit « C'est bien mon petit, tu vois, tout ce que tu as mis làdedans nous le connaissions, parce qu'on vous connaît tous jusqu'au fond de vous-même, mais tu vois comme il est bien, comme il est grand, comme il est généreux, que ce soit toi-même, qui, de ta propre main, ais mis ça sur ce morceau de papier, c'est avec des disciplines comme celle-là que tu feras un jour un citoyen digne de notre Nation. Cependant (et c'est à ce moment-là que s'accusait plus qu'à aucun moment la comédie) cependant disait-il, réfléchis 404


bien, il y a encore en toi quelque chose qui n'est pas tout-à-fait pur, qui n'est pas tout-à-fait net, fais un dernier effort vers la pureté, vers la netteté, dis-nous ce que tu as à dire, que je sais moi que tu as encore à dire, parce que je le connais, mais il faut que ce soit toi qui le dises, et tu verras après comme tu seras content » ; et le fils a dénoncé son père pour être parfaitement pur et s'il ne l'avait pas fait, un autre l'aurait fait pour lui et à ce moment-là il aurait été accusé du crime majeur d'avoir fait passer son devoir envers son père, avant son devoir envers le parti ou la Patrie du Parti. Messieurs, ces deux formules de hiérarchie vous sentez déjà qu'elles plient les corps à l'obéissance et à l'effort de guerre. Cependant c'est ici un peu comme chez les topographes : avec deux visées on ne définit pas tout à fait un point. Pour être bien sûr qu'il soit en place on fait toujours une troisième visée. Là encore, on met une troisième hiérarchie, elle aussi parallèle aux deux autres. Seulement celle-là n'est pas totale, c'est une hiérarchie de sélection, c'est la hiérarchie du parti. Cette hiérarchie n'admet pas plus que le dixième de la population adulte. C'est que l'on veut que ceux qui sont dedans, aient des avantages, bien sûr, mais aussi des responsabilités beaucoup plus grandes que les autres. Cette formule-là vous permet d'avoir, si vous voulez, ce que nous pourrions appeler un corps de contrôle — Corps de contrôle qui pratiquement tire toutes les ficelles, dirige toutes les têtes, toutes les activités militaires, civiles ou d'associations d'Etat. Ses membres du rang sont répartis partout, leur loyalisme est garanti par leur fanatisme, tenus qu'ils sont par l'intérêt et aussi par la crainte, car ne pas être du parti dans un régime comme celui-là, ce n'est pas grave, quand il n'y en a qu'un sur dix, mais en avoir été et ne plus l'être, ça c'est un arrêt de mort. Donc par ses membres du rang partout répartis, ce parti dispose d'un immense corps de contrôleurs qui le renseigne sur tout ce qui se passe. Ainsi, solidement tenu et coincé dans ces trois hiérarchies parallèles, deux hiérarchies totales qui permettent une véritable comptabilité et une hiérarchie de contrôle, l'être humain ne peut plus bouger. Il est pris dans ce réseau et plié à l'obéissance et à l'effort de guerre. II. — PRISE DE POSSESSION DES AMES Seulement, ce système ne serait pas total s'il s'en tenait là. Il y a des âmes aussi, c'està-dire comme je vous le disais tout à l'heure, il y a les énergies, il y a les volontés, il y a les enthousiasmes, il y a les puissances d'amour et de haine qui, elles aussi, sont à prendre. Cela non plus ne peut pas rester en dehors de la guerre. C'est dans ce domaine-là que s'emploient les techniques du moral ; là encore hélas ce sont des techniques et rien que des techniques. Si j'ai cependant voulu insister sur la prise de possession des personnes physiques, qui est exclue pour nous, dans notre système, c'est tout de même pour que vous touchiez du doigt, qu'en réalité, pour bien s'emparer des âmes, tout se passe comme si, dans un premier temps, il fallait d'abord être parvenu à bien contrôler les personnes physiques. Je vais prendre une comparaison : quand on tient bien un verre, voyez-vous, on verse dedans ce que l'on veut, mais si le verre tremble ou est tenu de travers, vous ne verserez pas beaucoup de liquide dedans. Donc, il faut aussi prendre les volontés, les énergies, les enthousiasmes, les puissances d'amour et de haine, des enfants jusqu'aux vieillards, et les jeter elles aussi dans la bagarre. Là encore, on opère par ces techniques du moral, et ces techniques, je ne peux pas vous les décrire toutes aujourd'hui. Elles ont d'ailleurs fait l'objet d'ouvrages bien connus, elles ont aussi fait leurs preuves dans un certain nombre de pays et il est facile de s'y référer, le livre le plus connu s'appelle « le Viol des Foules » de Tchakotine. Il vous donne un certain nombre de recettes... Sans en arriver à ce viol des âmes, que je déteste, qui est mauvais, le service Psychologique ou les services psychologiques ont pensé à un certain nombre de formules qui vous seront plus ou moins développées dans les conférences suivantes et je ne 405


désire pas déflorer le sujet de mes successeurs à cette tribune. Ce que je voudrais cependant, c'est vous donner deux modèles, le modèle d'une très grande formule, et puis une formule de détails. Lorsqu'au pays Vietminh s'est posé le problème de prendre le pays tout entier et de le faire basculer dans le communisme et dans l'effort de guerre, comment notre adversaire a-t-il fait ? Au fond, les populations simples de cette péninsule asiatique étaient relativement peu préparées. La religion des génies, et le bouddhisme orientent peu les gens vers cela et les gens étaient naturellement réticents à ces formules totalitaires. Cependant, l'adversaire, qui a pris le problème, a commencé, suivant une formule bien connue, à trouver dans l'arsenal des mots, un mot qui corresponde à peu près au but de guerre et qui sonne bien à l'oreille. Ils ont pris le mot « indépendance » DOCLAP en Vietnamien, et d'un seul coup tout a été DOCLAP. On ne pouvait pas ouvrir sa bouche sans commencer sa phrase par « DOCLAP ». Les médecins, c'étaient des médecins pour l'indépendance, le postier qui envoyait votre lettre, il était postier pour l'indépendance, il y avait DOCLAP sur le timbre-poste, toutes les émissions radio commençaient comme çà, tous les discours et tous les rapports d'officiers commençaient comme çà. Tout, à l'école commençait comme çà, DOCLAP, DOCLAP, DOCLAP partout.... Cependant, ce mot s'il entrait dans les crânes ne signifiait pas grand chose pour la masse ; en fin de compte il fallait tout de même meubler cette idée qui correspondait à peu de chose pour le brave homme de paysan de la rizière ou l'artisan du village. Jamais ni lui, ni son père, ni le père de son père, ni le père du père de son père ne s'était intéressé à cette question. Pour remplir ce mot, on a cherché à introduire à côté, le mot « patriote » suivant une technique bien connue qui consiste lorsqu'un mot est entré dans le crâne des gens à accoler dans le même slogan et, côte à côte, le nouveau mot qu'on veut faire entrer dans les têtes. Là on était allé trop vite, les gens ne comprenaient pas davantage le mot «patriote», que celui d'«indépendance ». C'était une erreur, l'adversaire est revenu en arrière, dès qu'il s'en est aperçu, et il a, à ce moment-là, employé une formule qui est bien connue de notre parti communiste. Elle consiste lorsqu'un mot ou une idée risque de mal rentrer dans la tête des individus, à prendre son inverse, et puisque le mot « patriote » ne passait pas, on a lancé le mot « traître au Vietnam » (Vietzan) et alors on a accolé dans la même formule « DOCLAP et VIEITZAN », côte à côte, et on a lancé çà. C'était cette fois très bien choisi, car ce mot s'appliquait à un peuple étonnamment sensible au châtiment infamant. Or, vous sentez que ce mot « traître » était lourd de menaces : il est entré d'un seul coup. Pour ne pas être accusé de ce mot « Vietzan », les gens seraient passés par un trou de serrure. On a vu des exemples frappants ; dans certains villages, lorsque le riz commençait à manquer chez l'adversaire dans la période qui a précédé la troisième bataille du delta, celui-ci a voulu faire sortir le riz des cachettes, il a lancé la formule : « celui qui ne vous donne pas son riz est un traître ». Pour ne pas avoir cette étiquette, on a vu sortir du riz de partout et croyez-moi, les paysans de ce pays sont comme tous les paysans de tous les pays du monde, ils sont aussi durs à la détente. Cependant, il fallait quand même en arriver à l'idée de patriote parce qu'en fin de compte la crainte, c'est beau, mais l'enthousiasme c'est mieux que la crainte pour faire marcher les gens. Alors, on est passé au mot patriote, mais il est entré cette fois-ci dans le crâne des gens parce qu'il était l'opposé d'un mot qui y était déjà entré. A partir de ce momentlà, s'est répandu partout le catéchisme du bon patriote, qui donnait en dix commandements ce qu'il fallait faire pour mériter cette épithète, et naturellement ce qu'il fallait faire, c'était tout ce qui pliait les gens le plus impitoyablement vers l'effort de guerre et vers le soutien du régime. Cependant on n'en était pas encore arrivé au mot communisme, or, c'est là qu'on voulait arriver. La mission était confiée au service de la propagande avec la consigne : « Maintenant, ça y est, il faut y arriver, c'est à vous qu'on confie cette mission, à vous d'enlever la dernière position ».

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L'affaire a été très adroitement menée. Ses préalables étant atteints, on a commencé à présenter le communisme non pas comme ce qu'il est, c'est-à-dire quelque chose qui vous prend les êtres, les enfants et les enfants de vos enfants pour les jeter dans un système dont on ne sort plus... On a présenté l'affaire sous l'angle de l'engagement dans le parti. Après tout, comme il n'était pas nécessaire de s'engager dans le parti, chacun pouvait dire : « Moi, ça ne me regarde pas, il n'y a que celui qui veut, qui y va ». Puis après on a introduit cette idée que l'on n'entrait pas au parti comme on voulait, rien qu'en le demandant, il fallait y être admis. Jusqu'au jour où en fin de compte on a pu amener les gens à désirer y entrer, par étapes successives. A ce sujet, dans un livre qui a paru il y a deux ans, et qui s'appelle « journal d'un combattant Vietminh » où tout n'est pas à accepter comme parole d'Evangile, il y a un passage qui est très intéressant parce qu'il décrit bien cet esprit qui se manifeste à la fin, lorsque la partie est gagnée, il s'agissait d'un Commandant. Ce Commandant était présenté sous un jour très favorable. On sent qu'il avait été un héros authentique : deux fois blessé, ayant tout sacrifié, femme, famille, foyer, pour se lancer dans cette bagarre... Un jour, après une blessure, il est envoyé au repos dans son village, et là il voit son ancien curé (car il était catholique). Il voit son ancien curé, jaune comme lui, celui-ci lui dit « Voyons Tiou », on m'a dit que tu étais communiste, est-ce que c'est vrai ? Et Tiou réfléchit un long moment. Puis, cet homme que l'on présente avec des qualités étonnantes, ce patriote qui avait versé son sang à plusieurs reprises, hésite un bon moment et lui dit : « Non, mon Père, je ne le suis pas encore parce que je ne crois pas encore en être digne ». Messieurs, quand la propagande, quand l'action psychologique est arrivée à mettre çà dans la tête des gens, alors c'est fini, la bataille est gagnée et tout un peuple bascule dans un système. Pour combien de décades, Dieu seul le sait. Voilà une technique bien menée à grande échelle pour un grand problème. Passons maintenant, aux techniques adaptées à des cas plus modestes : la conversion des prisonniers à l'idéologie du système. Là, encore, la technique est relativement simple et je prendrai une comparaison que j'ai déjà donnée : la technique, c'est celle de la couturière à domicile. Cette couturière à domicile, vous lui dites : « II faut me faire un manteau pour mon gosse, dans le pardessus du grand-père ». Eh bien si c'est une couturière qui fait bien son métier, dans un premier temps, que fait-elle ? Elle défait les coutures, elle enlève les doublures, elle enlève les toiles, tout ce qui donnait à ce manteau du grand-père sa forme, sa caractéristique, son allure particulière, ou si vous voulez en terme technique, elle met le tissu à plat. Puis dans un deuxième temps, elle redécoupe le costume nouveau en taillant dans ce tissu à plat comme si elle taillait dans une étoffe neuve. Eh bien, c'est la même chose, la mise à plat du prisonnier se fait en général sans qu'il soit nécessaire d'employer la brutalité systématique. La brutalité est quelquefois dans le système mais ça n'est pas obligé. On peut s'en tirer autrement. En fait, en Indochine, en alignant les gens peu à peu sur le train de vie des paysans de la rizière, sous un climat tropical, on commençait la mise à plat. Cette mise à plat était achevée par le fait que ceux qui se trouvaient dans le système étaient plongés totalement. C'était la mise dans le vide de l'être humain. On l'isolait pendant un certain temps de tout ce qui, affectivement, religieusement, intellectuellement, pouvait le relier au monde ou au passé. On le mettait dans le vide. Au bout d'un certain temps, sous le climat tropical, compte tenu du niveau de vie très bas,, aux limites de la misère, ou bien l'être humain est mort et alors le problème est résolu, ou bien, il a besoin de tout ce qui lui reste d'énergie pour continuer tout simplement à vivre, pour ne pas mourir. Alors, dans cet être mis à plat, on taille l'homme nouveau, on le taille en introduisant les premières nouvelles, toujours vraies d'ailleurs mais artificiellement et adroitement tronquées, on présente les côtés de lumière, jamais ceux de l'ombre, les succès, jamais les revers. En général pour un certain nombre d'êtres, cela suffit. 407


Pour ceux qui étaient déjà un peu orientés ou qui possédaient une foi plus profonde, le travail était plus dur, plus complet : on employait le discuteur patenté. Un personnage venait et s'adressait à celui qu'on voulait convaincre en l'attaquant généralement sur un sujet qui l'avait profondément passionné dans le passé. L'officier des affaires indigènes et des affaires musulmanes était attaqué sur le problème colonial. Je pense à un chrétien et à la façon dont il a été abordé sur le problème chrétien, c'est lui-même qui me le racontait. II m'a dit : «Au début les bras me sont tombés le long du corps quand j'ai vu ce Vietminh en face de moi qui m'a dit : « Ah ! vous avez de la chance d'être catholique, vous avez de la chance, si je n'étais pas ce que je suis, je voudrais l'être moi aussi, parce qu'au fond quand on y réfléchit, rien ne peut remplacer cet étonnant message d'amour que le Christ est venu apporter au monde ». Puis au bout d'un certain temps on arrive au problème du Pape italien. Pour aujourd'hui on en reste là, mais demain on recommence avec le pouvoir temporel, puis de fil en aiguille on poursuit. Eh ! bien, Messieurs, quand on est comme vous, comme moi, c'est-à-dire qu'on a dîné ce soir, qu'on est assis dans son fauteuil et plein de santé, on se dit, que résister à cela, ce n'est pas difficile. Il faut penser au préalable : l'être mis à plat dans le premier temps. Là encore, il existe un excellent livre qui a été rédigé par un groupe de prêtres et signé du Père Dufay qui s'appelle « l'Etoile contre la Croix ». Dans ce livre qui se situe en Chine il est écrit ceci : « Nous avons vu par cette méthode des prêtres et de bons prêtres, être dans le schisme sans savoir à quel moment ils y étaient entrés, à quel moment, eux, prêtres catholiques formés aux dures disciplines du catholicisme avaient franchi la limite qu'on ne doit pas dépasser. Un peu plus loin, il disait comment faire : « II faut prier » çà c'est son domaine, mais il disait aussi : « La seule façon que je connaisse de résister c'est de refuser la discussion, car quand on est dans ces conditions préalables, l'accepter c'est déjà être battu ». Voilà des exemples de techniques, une grande technique, une petite, je vous dis tout de suite que, Dieu merci, passant d'une mentalité jaune à une mentalité blanche, il y a eu beaucoup d'erreurs de détail de commises et que çà à entraîné tout de même un assez grand nombre d'échecs. Je vous dis aussi qu'on n'a pas fait de statistiques. Tout de même, les anglais en ont fait, dans un Livre Blanc. L'auteur déclare à propos d'anglais qui ne sont restés prisonniers que huit mois : « Par ces méthodes, nous sommes obligés de reconnaître que 30 % des cadres prisonniers ont été suffisamment intoxiqués pour être à leur retour initialement classés comme sympathisants communistes ». Ce dont il faut se réjouir c'est que les formules utilisées sous cette forme, ne résistent pas plus à un retour en France ou dans un milieu familial et professionnel que le hâle de la Côte d'Azur ne résiste au retour sous le climat parisien. Dieu merci ! Mais le problème n'est pas là, quand on est dans le bain et qu'on ne peut en sortir, alors, là l'efficacité est presque de 100 %. Cette méthode de guerre révolutionnaire, il faudrait tout de même la définir d'un peu plus près, avant d'aborder d'autres aspects de la guerre révolutionnaire qui nous intéressent dans l'immédiat : les aspects d'emploi tactique des forces de pacification dans de telles guerres. Cependant, je ne voulais pas passer sous silence cette méthode parce qu'en fin de compte, il faut être dans le bain, il faut l'avoir senti pour savoir ce que c'est et pour se rendre compte contre quoi on est amené à lutter ; aussi la meilleure façon d'être immunisé contre ce système, est-elle de le reconnaître quand il apparaît. Or, vous le verrez apparaître partout, même sous des formes qui ne vous paraîtront absolument pas communistes, qui seront purement nationalistes. Vous le verrez apparaître parce que c'est une phrase de LENINE reprise dans tous les milieux communistes : « Nous savons, a-t-il écrit, que, temporairement dans certains conflits, nous devrons être obligés de passer par l'intermédiaire du nationalisme bourgeois ».

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Cette guerre révolutionnaire, je voudrais la dessiner come on dessine un thème de manœuvre avant d'essayer de la résoudre, c'est-à-dire, de vous donner une espèce de scénario type de cette guerre révolutionnaire ou de la façon dont elle évolue dans sa forme à peu près parfaite, étant entendu qu'il y a des formes dégradées. 1°) — LE SCENARIO TYPE : J'ai tracé ce scénario type en cinq phases. Dans une première phase, il n'y a rien : ca commence comme dans la Genèse. Au début il n'y a rien, rien pour tout le monde. Seules quelques personnes dont c'est le métier, particulièrement orientées, sentent qu'il va se passer quelque chose, le signalent à leur chef et naturellement ne sont pas crues. Puis, tout d'un coup, sans préavis, sans rien, des bombes éclatent, des attentats sont déchaînés et ceci se passe dans des conditions qu'on explique mal, çà se passe à la piscine, çà se passe au marché, çà se passe à la sortie de la messe d'onze heures, çà se passe contre tel monsieur si heureusement connu dans le pays ; à ce moment-là les gens se partagent en deux camps, celui qui cherche à expliquer, et qui dit : « Voyons, pourquoi ? Qu'est-ce qu'il y avait dans la piscine ce jour-là, qui pouvait justifier cette bombe ? Ils n'ont rien compris. Les autres, ceux qui pensent juste — une infime minorité — ont déjà compris que, dans une affaire comme celle-là les quelques individus qui lancent l'affaire où tout est absolument artificiel et sans fondement feront en sorte que, dans quelques jours ou dans quelques semaines ou dans quelques mois, les opinions nationales, locales, mondiales soient enfin saisies de ce problème. Qu'aux observateurs attentifs les données de ce problème soient ou fausses, ou très artificiellement gonflées, çà n'a aucune importance : il y a un problème. C'est la première phase. Naturellement, la presse et la radio de tous les pays du monde avec ce goût du sensationnel viennent verser de l'eau au moulin. Elle fait le problème ou elle aide à le faire, avec ses grands titres. Dans la deuxième phase, les attentats continuent mais prennent une tout autre forme. On tue à l'hectare, ou si vous voulez les attentats deviennent individuels et ils sont toujours exploités avec le papier, le papillon ou la phrase : «Voilà le sort réservé aux traîtres ». Et là, les attentats ne s'appliquent qu'à des petits, à des modestes, à des humbles ! On ne cherche pas du tout à tuer le Général ou le Préfet. L'intérêt serait nul ! On va tuer le gardien de nuit, le garde forestier, le garde-champêtre, le gendarme de 2e classe, le facteur rural, voilà ce que l'on va tuer. Pourquoi ? Parce que si les meurtres du Général, du Caïd, du Bachaga, ou du Préfet, n'atteindront pas la population, l'assassinat du garde-forestier l'intéresse au contraire énormément, parce que demain, ou après-demain, ce peut être le tour de n'importe qui. Et à ce moment-là se déclenchent naturellement des mesures policières, pas toujours adroites, des actes d'autorité quelquefois malencontreux et, ces crimes se poursuivant, il arrive un moment où la population se replie sur elle-même terrorisée jusqu'au jour où, quoiqu'il arrive, plus personne n'a jamais rien vu, rien entendu. A ce moment-là, l'adversaire a gagné la deuxième phase, c'est-à-dire la bataille pour la complicité du silence. C'est à partir de ce moment-là que le scénario va s'élargir et il va prendre deux aspects, un aspect militaire et un aspect civil. Sur le plan militaire, puisque plus personne n'a jamais rien vu ni rien entendu, les premiers éléments armés vont pouvoir apparaître. Ils n'auront qu'à se cacher du gendarme : ce n'est pas difficile. Ces premiers éléments armés vont d'abord être à peine différenciés du paysan qui cultive son champ ou du gardien qui garde son troupeau. Il sera un soldat de coin de rue, un soldat de village, un tout petit guérillero mais il pourra agir puisque plus personne ne le dénoncera, étant bien entendu que la complicité du silence s'entretient par quelques égorgements opportuns.

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Du côté civil, à l'intérieur de cette masse préalablement rendue amorphe, seront glissés les premiers éléments actifs, les premiers commissaires politiques, le ferment qui va faire lever la pâte, qui va transformer pour certains la passivité en activité puis en élan : c'est la troisième phase. A la quatrième phase, nous assistons à une période de transition ou de différenciation des éléments. Du côté militaire, les premiers éléments armés commencent à prendre forme de section ou de compagnie, qui vont se battre un petit peu plus loin que le village, qui peuvent déjà aller à deux, trois, quatre, cinq, dix villages plus loin. Puis du côté civil, ces éléments, ces noyaux actifs vont commencer à se différencier eux aussi. On va voir apparaître ceux qui s'occupent plutôt des problèmes d'argent, ceux qui s'occupent plutôt des problèmes d'autorité ou de justice. Enfin dans la cinquième phase le système atteint sa perfection. Sur le plan militaire vont apparaître les premiers éléments réguliers lorsque quelques préalables seront acquis. Quand on passe du supplétif au régulier on passe de celui qui cultive son champ pour vivre en étant soldat temporairement à celui qu'il faut nourrir, habiller, loger, payer. Il faut donc qu'il y ait quelque part une certaine population support, support logistique de cet élément armé permanent. Il faut donc avoir en main cette population support et qu'elle soit sûre, donc qu'elle soit déjà contrôlée et soumise aux techniques des hiérarchies parallèles. Du côté militaire l'armée apparaît à trois étages (car les deux étages antérieurs restent) guérillas, troupes provinciales et troupes régulières, les deux plus basses servant à protéger la troupe régulière qui, elle, est gâtée. Enfin du côté civil, la différenciation se poursuit à l'extrême, on voit apparaître les trésoriers, on voit apparaître les juges de paix. Finalement, le but que recherche l'adversaire c'est de faire qu'à côté de chaque personnage officiel se trouve comme une ombre, un personnage bis qui le double et qui peu à peu le vide de sa substance de personnage officiel en rendant inexécutoires toutes ses décisions. A ce moment-là, Messieurs, lorsqu'on a laissé les choses en arriver là, l'autorité et la force ont changé de camp. On peut toujours reprendre les questions en main, bien sûr, même quand on est arrivé là. Seulement, à ce moment-là, il n'y a peut-être pas besoin d'un Général, ni d'un Préfet, il vaut mieux un boucher. Dieu merci, on n'en est pas toujours là, on n'en est pas là partout. 2°) L’ARME PSYCHOLOGIQUE Comment donc vont se poser les problèmes d'études militaires et politico-militaires en partant de ce scénario type ? Toujours d'après les principes de cette guerre révolutionnaire que j'ai placée en fond de tableau. Sur ce plan, il y a trois types de mesures à prendre : des mesures politico-policières (ce n'est pas notre rayon) ; des mesures d'ordre psychologique et des mesures de propagande. Ce sont celles-là qu'on vous traitera ici même dans les conférences suivantes et des mesures d'emploi tactique des forces de pacification dont je vous parlais tout-à-1'heure. Je vais cependant vous dire un mot des formules de l'arme psychologique et de son organisation, pour que vous compreniez mieux ensuite comment dans les conférences suivantes vont s'articuler les moyens et les procédés. Je suis parti de cette idée qu'à notre époque et dans des guerres comme celle-là il n'y a plus de problèmes militaires qui se présentent aux chefs sans incidence civile, sans un aspect psychologique soit de protection de nos amis, soit de dégradation du moral de l'adversaire, sans un aspect information — dans une guerre comme celle-là il faut informer de façon à avoir l'opinion générale pour soi — sans avoir à toucher certains réflexes sociaux car nous sommes devenus des êtres sociaux qui réagissent à tout sous l'angle social. Certaines mesures qui présentent un aspect mauvais sous l'angle social sont plus mauvaises pour la conduite de la guerre que certains obus ou certains canons. Affaires civiles, psychologiques, informations, questions sociales, il y a place làdedans aux échelons élevés du commandement pour ce que j'appelle le troisième homme. 410


Traditionnellement, il existe aux échelons élevés du commandement, pour aider le chef à penser et à décider, deux sous-chefs, le sous-chef tactique qui présente les problèmes opérationnels et le sous-chef logistique qui soutient ces problèmes opérationnels. C'en est fini, ou il faut que ce soit fini. Il faut qu'apparaisse un troisième homme au même plan que les deux autres qui, lui, présentera tous les aspects humains, le support humain de la guerre, non pas lorsque la décision est prise, lorsque tout est terminé pour dire : « Arrangez-vous pour que ça colle » non ! mais au moment de l'élaboration de la décision. Le Chef en tiendra compte, beaucoup, un peu ou pas du tout, en fin de compte c'est lui qui décide et une fois qu'il a décidé tout le monde a assez de souplesse intellectuelle pour faire que la décision qui est prise soit appliquée aussi bien que si c'était la sienne même qu'on avait choisie. Mais c'est au stade de la décision que ce personnage doit intervenir dans la guerre révolutionnaire pour dire chaque fois « C'est comme cela qu'il faut faire ». Je pourrais vous donner des exemples à l'infini, je vais vous prendre simplement un exemple d'action psychologique défensive. Cet exemple est tout simple. Vous avez un bataillon qui est à Châlons-sur-Marne, vous l'envoyez au camp de la Courtine. Voilà un travail qui se fait tous les jours, que fait-on ? Un ordre sur les exercices, les tirs, les manœuvres qu'il va faire, puis un deuxième ordre qui dit : « On doit se déplacer de telle façon». Voilà l'aspect tactique, l'aspect logistique et on reste là. Or, pendant trois semaines ou six semaines pour ce bataillon, il va se passer quelque chose d'extraordinaire : il va devenir nomade, avec tout ce que le nomade apporte de formateur dans la vie. Je m'excuse j'ai été cinq ans méhariste et je crois à la vertu formatrice du chameau ou du dromadaire, mais c'est parce que, entre un nomade et un sédentaire, il n'y a pas de comparaison : On nous donnait des sousofficiers qui étaient comme tous les autres, du tout-venant... Il n'y avait pas six semaines qu'ils étaient méharistes qu'on ne les reconnaissait plus ! C'étaient des lions ! Eh bien là pendant six semaines les hommes vont devenir nomades. Il va encore se passer autre chose d'extraordinaire : les chefs vont vivre près des hommes. En garnison, ça ne se passe jamais ou ça ne se passe plus depuis qu'on nous a motorisés : le chef ne monte pas dans le même véhicule que ses soldats. Et puis il va se passer encore autre chose : les habitudes de garnison vont être rompues il n'y aura plus la petite amie, il n'y aura plus le cinéma, il n'y aura plus la sortie au café du coin tous les soirs, mais il y aura de longues soirées qu'il faudra meubler. Eh bien ! si tout cela était pensé, et non pas laissé au débrouillage (car il y a toujours des gens qui se sont débrouillés face à ces problèmes) ; mais si c'était pensé, ordonné et bien ordonné, au bout de six semaines vous récupéreriez un bataillon qui aurait tiré, bien sûr, qui aurait mangé aussi, mais, il aurait changé de gueule, ce serait un autre bataillon et c'est plus important même que les tirs qu'il aurait fait, croyez-moi. Un autre exemple : le hasard a voulu qu'il y a deux ans j'assiste à une de ces premières opérations qui se sont passées dans une zone montagneuse d'Algérie, où on avait voulu voir ce qu'il s'y passait. C'était un grand « ratissage» qui avait groupé près de dix ou douze mille hommes et ça ne s'est d'ailleurs pas mal terminé au fond : on avait tué une cinquantaine de rebelles, on aurait très bien pu ne rien tuer du tout. C'était donc plutôt un succès. Seulement la propagande rebelle s'en est emparée sous une forme qu'on aurait fort bien pu prévoir : « Fautil que vous soyez bêtes pour vous mettre à douze mille pour tuer cinquante types ». Dans certaines unités nord-africaines, les désertions ont augmenté après ce qui avait été un succès ! Eh ! bien, Messieurs, on pouvait le prévoir. S'il y avait eu un officier, ce troisième homme dont je parlais tout à l'heure, il pouvait prévoir cette réaction, il pouvait l'orienter, il fallait qu'apparaisse un « ordre » rédigé de façon telle que chacun des combattants, qu'il ait ou qu'il n'ait pas tué un rebelle, ait l'impression d'avoir gagné la guerre à lui tout seul. Et c'était possible. J'en parlais au Général qui avait dirigé cette opération. Il me disait « Oui, au fond mon idée c'était de vaincre la peur qu'inspirait à tout le monde ce grand massif où on n'était pas allé. Ce massif c'était quelque chose comme l'enfer de Dante ! Je 411


voulais qu'on y aille pour surmonter cette terreur : « Eh bien, ai-je dit, il fallait le dire ». Si dans l'ordre, on avait dit aux gens, « cette terreur on va aller la voir et on va bien voir ce qu'ils vont nous faire, et combien « ils » vont nous en tuer ». Non seulement « ils » ne nous en avaient pas tué, mais c'est nous qui en avions tué : c'était un succès pour tout le monde. Ce ne sont là que des cas d'action. Une instruction provisoire pour l'emploi de l'arme psychologique mise au point par l'Etat-Major des Forces Armées, est déjà parue. Elle se situera dans l'enseignement militaire à côté de l'instruction pour l'emploi de l'arme blindée ou de l'instruction pour l'emploi de l'artillerie. Viendront ensuite les règlements particuliers et les notices particulières techniques. Ceci je le sais, posera des problèmes d'option, il faut toujours opter dans la vie, cela mènera peut-être à supprimer certains bataillons. Que voulez-vous, en 14-18 nos pères ont eu aussi des options, ils ont fabriqué des chars de combat et une aviation en dissolvant la cavalerie. Ils ont gagné la guerre avec les chars de combat et de l'aviation, ils ne l'auraient probablement pas gagnée avec la cavalerie. Voilà donc les premières données de base de cette arme psychologique qui va naître dans l'armée française et qui naîtra probablement de façon plus parfaite et plus complète, je pense, que dans aucune autre armée moderne du monde, sauf peut-être les armées communistes qui ont par leur régime un avantage sur nous. Mais l'erreur qu'il faut éviter, c'est de croire que c'est une formule magique, une boule de cristal devant laquelle on fait des signes cabalistiques et on reçoit la victoire sans avoir combattu et surtout sans s'être mouillé. Non, il reste à appliquer les méthodes, à travailler, à apprendre, à utiliser tous les moyens possibles, c'est-à-dire les images, les bandes magnétophones, la parole, les lectures, les journaux, les revues, les brochures, les tracts. Dans ce domaine, les productions à l'échelon national qui sont sous mon contrôle, comportent une Revue Militaire qui s'appelle « La Revue Militaire d'Information» dont, le tirage est de plus en plus important, elle devient l’élément-clé de réflexion des cadres officiers. Il y a le journal de la troupe, qui est le « BLED », il est actuellement le plus gros tirage des hebdomadaires de France, avec 350 000 exemplaires par semaine et quatre éditions y compris l'édition en langue arabe. Utilisation de la photographie. Au lieu de faire des photos qu'on encadrait, qu'on trouvait surtout dans les bureaux des chefs comptables, il a été décidé que les photographies seraient utilisées pour servir une idée, rien qu'une idée, c'est-à-dire que chaque fois douze, quinze, vingt photos ne servent qu'une idée. On en tire 10 000 exemplaires de façon que toutes les casernes, tous les centres de réunion, tous les coins de marchés d'Afrique du Nord puissent les avoir. Je voudrais dire un mot maintenant de l'emploi tactique de la radio et du cinéma ; ils fonctionnent non seulement à l'échelon national mais aussi à tous les échelons, à vos échelons. Si un jour vous aviez à le faire vous disposeriez d'un certain nombre de productions centralisées, et en plus de la radio et du cinéma, des spectacles Son et Lumière et des bandes magnétophonées. Il est possible de se procurer tout cela à l'échelon national, mais toute une action de détails est à faire sur place car j'ai vu des tracts que j'avais trouvés excellents dans le Constantinois et qu'il a fallu retirer de Kabylie. Là encore, il ne faut pas tout attendre du Bon Dieu et de l'échelon national, il faut que tout le monde s'y mette à tous les échelons. 3°) L’EMPLOI DES TROUPES DE PACIFICATON Voilà donc ce cadre de travail psychologique. Je vais maintenant parler de l'emploi des troupes de pacification dans une guerre révolutionnaire, non pas en vous donnant des recettes de cuisine, nous n'en sommes pas là, mais au moins quelques-uns des principes que je voudrais voir appliquer et qui me paraissent essentiels dans une guerre révolutionnaire.

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Le premier de ces principes, c'est la suprématie incontestée du territorial sur l'opérationnel. Je m'explique. Bien sûr, il faut courir après les bandes, il y aura des gens pour cela (le moins possible). Dans la guerre révolutionnaire le condottiere c'est un malheur, les croix de guerre aussi parce que pour avoir une croix de guerre on fait le condottiere. En réalité, celui qui est le maître dans la guerre révolutionnaire c'est celui à qui on a donné un pré carré et qui, à l'intérieur de ce pré carré, considère que c'est sa chose. Il traite de tout là-dedans et s'il a besoin de renfort on lui envoie un bataillon, deux bataillons, trois bataillons, un groupe d'artillerie, deux groupes d'artillerie, de l'aviation... Mais c'est lui et lui seul qui commande ce pré carré et qui prend tout, sous sa coupe. Les opérationnels ce sont les domestiques, à la botte voilà comment çà doit être .dans la guerre révolutionnaire : suprématie incontestée du territorial sur l'opérationnel. Deuxième point : II va falloir repenser toutes nos façons d'éduquer nos soldats et de les choisir. On a pris l'habitude d'instruire un soldat, vous le savez, dans des missions individuelles d'abord, puis après, on le fait combattre dans un groupe de combat, puis dans une section, puis dans une batterie ou dans une compagnie, puis dans un bataillon ou dans un escadron, le fin du fin étant de l'amener dans un groupement tactique ou dans un groupement blindé. Eh bien ! dans la guerre révolutionnaire, c'est juste le contraire. Une troupe est d'autant meilleure, en guerre révolutionnaire que son « unité de mission » est plus petite. J'appelle «Unité de mission » le plus petit groupe d'hommes qui soit capable de vivre, de marcher et de combattre deux, trois quatre, cinq jours sur les arrières de l'adversaire et chez lui, tout seul. Le fin du fin étant naturellement l'homme seul, celui au-dessous duquel on ne peut pas descendre, car l'homme seul tue et ne craint rien : il n'est jamais pris. C'est vers ces unités aussi petites que possible, d'hommes d'élite aptes à la guerre révolutionnaire qu'il faut que nous orientions nos formes d'instructions. Troisième point : II faut sélectionner les gens à rebours. Nous avons pris l'habitude de sélectionner les gens à la qualité du matériel servi. Le plus intelligent fait marcher le radar, le plus bête est voltigeur. Que nos ingénieurs se montrent donc capables de faire des radars qui marchent avec des imbéciles ! C'est le plus intelligent qui doit être voltigeur dans cette guerre révolutionnaire vous le sentez comme moi. Il y a encore le principe de la souplesse des effectifs ou si vous voulez la loi de l'effectif double. Dans un coin, quand un adversaire vous est opposé, vous évaluez ce qu'il peut représenter. Si vraiment vous pensez qu'il peut arriver normalement par petits paquets de six à douze hommes, eh bien vous devez vous implanter par vingt quatre, pas plus et il doit y avoir autant de postes de 24 hommes que vous pouvez en mettre avec vos effectifs. Comme ça, il y en aura toujours six qui seront dehors, ils seront toujours au moins égaux à l'adversaire. Et puis quand on a cassé la position de l'adversaire, quand on l'a démantelée en un certain nombre de paquets qui ne sont plus par exemple que de la valeur d'une section, il faut tout de suite que votre dispositif se remanie pour suivre éternellement cette mouvance de l'adversaire dans un sens comme dans l'autre d'ailleurs. Enfin l'emploi tactique des troupes de pacification suppose qu'à tous moments on commande, c'est-à-dire qu'on ne se laisse jamais gagner à la main en particulier pour des questions d'autorité même par ses meilleurs subordonnés. Les meilleurs souvent vous gagnent à la main dans certains problèmes de pacification parce qu'ils y vont trop fort ou parce qu'ils vont trop loin alors que ce n'est pas politique à ce moment donné ou sur ce point donné. Les faiblesses de certaines de nos organisations en guerre révolutionnaire viennent de ce que nos réglementations sont mal adaptées à cette guerre, ce qui fait qu'on tolère certaines choses qu'on ne peut pas, qu'on n'ose pas mettre dans les règlements, et, les ayant tolérées, on ne sait plus où s'arrête la tolérance. Eh bien, c'est aux chefs à prendre la responsabilité de la tolérance, à accepter, mais à s'en tenir là et rien que là, et à ne jamais se laisser dépasser.

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Voilà certains des principes de cette guerre révolutionnaire. Je pourrais les résumer dans une espèce de slogan qui ne sera peut-être pas tout-à-fait vrai, mais qui serait plus facile à retenir et qui en fin de compte fait image. On ne fait pas une guerre révolutionnaire avec une armée endivisionnée, on ne fait pas une guerre révolutionnaire avec une administration de temps de paix, on ne fait pas une guerre révolutionnaire avec le code Napoléon. Messieurs, au moment de conclure, je voudrais simplement vous dire mon sentiment. Mon sentiment, voyez-vous, c'est que tout cela s'étudie, se travaille, s'applique ; nous avons des chefs et de bons Chefs, nous avons toute une jeunesse ardente qui ne demande qu'à suivre; tout cela n'est pas difficile au fond. Je crois que nous allons y arriver. Il faut que nous soyons aidés par vous tous et par une opinion ; car, voyez-vous, je vous ai dit ce que je pensais des arrières et les arrières c'est vous, et chacun de vous doit être un apôtre de cet arrière si je vous ai convaincus, 2 000 aujourd'hui, vous qui êtes 2 000 cadres de la Nation comme de l'Armée, c'est pour que vous rayonniez autour de vous ces mêmes idées que j'ai essayé de faire rayonner sur vous. Nous sommes de nombreux officiers à penser que nous n'aurons peut-être pas de guerre atomique, que nous n'aurons peut-être pas de guerre conventionnelle, mais des guerres révolutionnaires, hélas, nous en aurons beaucoup, nous en avons déjà ; nous ne faisons que cela. Alors, on voudrait bien que çà ne se termine pas toujours à Genève.

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La guerre d’Algérie La documentation familiale ne contient que peu de documents sur cette période riche en espoirs, incompréhensions et déchirements : la bataille d’Alger du général Massu, le coup de force du 13 mai 1958 qui amène de Gaule au pouvoir au nom de l’Algérie française, le référendum pour la constitution de la Vème république et l’élection du président au suffrage universel, la semaine des barricades pour rappeler Massu, le référendum pour faire approuver l’autodétermination, le putsch des généraux, la création de l’Organisation de l’Armée Secrète, la bataille de Bab el Oued et la fusillade de la rue d’Isly, les accords d’Evian, « la valise ou le cercueil » pour les pieds noirs, l’abandon des harkis, ... Lors d’une première période en 1956, en tant que lieutenant colonel, Bernard de Boishéraud fait partie de l’état major de la 2° DIM en Kabylie. Puis, colonel, lors d’un second séjour, en 61 et 62, il commande d’abord le 1er Régiment d’Infanterie Motorisée à Trézel dans l’oranais. Outre les diverses inspections des compagnies et des fermes, les opérations d’ilotage et d’action psychologique, et les quelques opérations militaires proprement dites, l’agenda de 1961 (dont la transcription est dans nos archives) mentionne pour les 3 premiers mois de l’année trois désertions avec armes, un attentat contre un secrétaire de mairie, 3 égorgements et une grenade lancée dans un magasin. En juillet, il prend le commandement du 153ème RIM à Souk Arras, sur la frontière avec la Tunisie, peu avant le cessez le feu. A partir de novembre les incidents se multiplient.

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CITATION ORDRE GÉNÉRAL N°

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Par application des dispositions du décret n° 56.371 du 11 avril 1956 Le Général d'Armée R. Salan, Commandant Supérieur interarmées et Commandant la 10° Région Militaire, Cite à l'ordre du Corps d'Armée : Le Lieutenant-Colonel Mosnay Goguet de Boishéraud Bernard de la 2° Division d'Infanterie Motorisée (Etat-Major) Pour le motif suivant : "Sous-Chef de l'Etat-Major de la 2° D.I.M., a pris une part prépondérante aux succès de cette grande unité de juin 1955 à septembre 1956, en Kabylie, puis dans l'est Constantinois. Toujours parfaitement maître de l'organisation des opérations a assuré, dans des circonstances les plus difficiles et en payant constamment de sa personne, un soutien efficace des unités, tout particulièrement au cours d'une opération qui, du 3 au 14 juilllet 1956, de Gounod à Lamy, a mis en œuvre la valeur de deux divisions, contribuant ainsi largement à la destruction des bandes rebelles qui en est résultée."

Cette citation comporte l'attribution de la croix de la valeur militaire avec étoile de vermeil Alger, le 23 janvier 1957 POUR APPLICATION : Le Lieutenant-Colonel Barreau Chef du Bureau du Personnel,

Par délégation, Le Général de Division Noguez, Adjoint Signé : Noguez

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Carte Michelin 1962

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Colonel, Commandant le 1er RIM A Trézel de janvier à juin 1961 4ème DIVISION D'INFANTERIE MOTORISEE 1er REGIMENT D'INFANTERIE MOTORISE P.C., le 20 janvier 1961. ORDRE

DU

REGIMENT

N1

Officiers Sous-Officiers Caporaux-Chefs, Caporaux et Soldats ! Je prends, à compter du 20 janvier 1961, le commandement du 1er Régiment d'Infanterie Motorisé. Je salue votre drapeau et les fanions de vos unités, symboles des gloires de vos devanciers. Je m'incline pieusement devant tous ceux qui sous leurs plis ont consenti le sacrifice suprême pour la grandeur de la Patrie. Fier de l'honneur qui m'échoit, sans me dissimuler les difficultés qui nous attendent dans la lutte qui reste à mener, je vous demande de me faire confiance pour y faire face, ensemble, dans l'union, la discipline et l'honneur. Ensemble, nous nous efforcerons de rester dignes de la vieille devise de "Picardie" : "Fidélité au passé, exemple pour l'avenir" Le Colonel de Boishéraud, commandant le 1er Régiment d'Infanterie Motorisé.

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Le 1° RIM A l’occasion de la prise de commandement, selon le règlement, un état détaillé est signé par les deux colonels : effectifs, caisse, et inventaire des matériels de l’intendance, des subsistances, des transmissions et du foyer : effets d’habillement, couchage, ameublement, chauffage, éclairage, cuisine, campement, bureaux, sport, santé, armement, optique, outillage auto, matériel génie, automobile. Cet inventaire est dans nos archives. Le 1° RIM, qui est venu d’Allemagne en 1955, est composé de : 1 CCS 1 1 escadron d’éclairage 2 4 compagnies motorisées à 4 sections de 34 hommes 4 compagnies dérivées à 3 sections de 31 hommes. Sont présents 1583 hommes sur un effectif théorique de 1698 hommes. Il y a 56 officiers et 179 sous officiers. Effectifs au 24-2-1961: Officiers Chef bataillon 5 3 1 3

théorique réalisé détachés présent

de capitaines 12 11*

Lieutenant et s/lieutenants 15 19

s/lieutenants de réserve 25 25 2

*4 en instances de départ, 1 remplacé Sous/officiers théorique réalisé détachés présents

214 203 24 179

dont 30 FSNA

Déficit de 35, dont 10 sergents-majors sur 12. Troupe FSE Théorique Réalisé Détachés Présent

3

1108 45 1063

FSNA

4

303 22 281

Origine FSE : Bretagne, Normandie et nord de la Vendée FSNA : Kabylie, Constantinois, Métropole 1- CCS : Compagnie de Commandement et de Services 2- reconnaissance 3- FSE : Français de Souche Européenne 4- FSNA : Français de Souche Nord Africaine 421

Total 1422 1411 67 1344

total 61 61 5 56


Répartition Les 4 compagnies dérivées sont implantées en pacification dans les quartiers du secteur 5° Cie : Prevost-Paradol (Djillali) – capitaine Marcel Leneveu 6° Cie : Diderot (Montgolfier) – capitaine André Roze 7° Cie : Diderot + CID1 – capitaine René Levy-Beff puis Lnt Michel Spriet 8° Cie : Palat (Trézel) – capitaine Guy Lagoyas puis Robert Paris 2° Cie motorisée : Trézel – capitaine Jean Lemat Les 3 compagnies motorisées sont reparties dans la zone de chasse 1° Cie : la Fontaine – capitaine Maurice Baron 3° Cie : ferme Boggio – capitaine Jean Sergent 4° Cie : bordj administratif – capitaine Pierre Lalague puis Lnt Robert Hergas EEAC 2 : Capitaine Jean Girodet

1- CID : centre d’instruction divisionnaire 2- EEAC : Escadron d’éclairage antichar

422


Notabilités de la ville de Trézel et des environs I.

CONSEIL MUNICIPAL

SALADO Xavier CHEIKH M'Hamed ARROYAS Antoine AYELA François BENAISSA A.E.K. BENBRAHIM Lahcène BENGUIT Mohamed HASNAOUI Hadj Naceur LAIDI Bachir MARTINI François MEDJADI A.E.K. POIRAULT Lucien RAIMANI Benali ALVAREZ II.

1

Député-Maire 1er Adjoint Membre (doyen d'âge) Secrétaire de mairie.

ÉLUS

MEDJADI A.E.K. SAFI Kadda

Conseiller Général -

III. FONCTIONNAIRES DE L'ARRONDISSEMENT DE TIARET VIELLEDENT Georges

Attaché de Préfecture

IV. SERVICE DE SANTE PARROT Georges BOUKALBA Melle GALIBERT CAMARELLI BOUTROIX POIRAULT V.

Docteur Adjoint technique de la Santé Sage-Femme M.S. Pharmacien Chef de S.A. Hôpital civil Docteur

SERVICE DE L'ÉLEVAGE

COURTES

Inspecteur Service de l'élevage

VI. JUSTICE SIMONPIERI

Juge de Paix

1- L’agenda de 1961 note beaucoup de visites réciproques entre le colonel du régiment et ces personnalités, ainsi que des déjeuners ou diners. Les officiers de renseignement devaient évidement eux aussi exploiter ces réseaux. 423


BENALIOUA A.E.K. BOUZAR KADDIF KHAMIFI MOURLON VII. MAHA

(Justice musulmane)

BOUMEDIENNE Mokhtar HAOUZI Ameur VIII. S.A.P.

Commis greffier Interprète huissier Juge suppléant

Cadi Aoun

1

CHARRON ROIG

Directeur S.A.P. Adjoint technique du Paysannat

IX. SERVICE HYDRAULIQUE JUNG X.

Ingénieur

P.T.T.

MILLION François

Receveur

XI. CONTRIBUTIONS DIVERSES DUMAS

Receveur

XII. SÉCURITÉ PUBLIQUE GARCIA HUGON

Adjudant Gendarmerie Brigade de TREZEL Surveillant prison civile Inspecteur de Police

XIII. UNITÉ TERRITORIALE 0 226 DESHAYES Paul

(Capitaine de Réserve dans l'Armée de l'Air) - Agriculteur

XIV. NOUVELLES COMMUNES ADDA Khaled BOUZID Hadj Tayeb CHEIKH Saïd Ben Belkheir MAHIEDDINE Benouali SAFI Kadda YAZID Tayeb

Maire des Ouled Sidi Khaled Maire de NALIA Maire des Ouled AZZIZ Maire des Ouled KHELIF Maire des CHEIMAS Maire des AOUISSET

1- SAP : les Sociétés Agricoles de Prévoyance avaient pour fonctions l’organisation du crédit, la location du matériel et la pratique de la vulgarisation agricole. 424


BEN ZITOUNI BELARECH MEKHI MEHENNI A.E.K.

Maire de POMEL Maire de AIN BOUDJERANE Maire de PALAT

XV. ENSEIGNEMENT Madame SALADO Madame FAUCON M. RAHAL M. MAZOUZI M. AYELA

Directrice école de filles Directrice école maternelle Directeur école rue Jeanne d'Arc Mouderres Directeur école de garçons route d'AFLOU

XVI. CULTE Abbé BERTAUD CHAALAL Missoum XVII.

Curé de la paroisse Iman

ANCIENS COMBATTANTS

BERKAOUI Tahar XVIII.

Président

MÉDAILLES MILITAIRES

HUGON

(Inspecteur de Police) Président

XIX. SOCIÉTÉS SPORTIVES PARTOUCHE Marc

Président "Trezellienne-boules"

XX. ANCIENS BACHAGAS MAHIEDDINE Adda BENELHADJ Benaouda SASSI Mokhtar

CHERIFF Ferhat BENELHADJK Adda

XXI. DAR EL ASERI AYELA François BERKAOUI Tahar

Président Vice-Président

425


XXII.

AFFAIRES ALGÉRIENNES

Lieutenant BURDEAU Sous-Lieutenant PARIS XXIII.

Chef SAS1 d’Ain Saïd-Trezel

CRÉDIT FONCIER

M. IGNIESIA

Directeur

1- Les Sections Administratives Spécialisées (S.A.S) étaient chargées de "pacifier" un secteur en servant d'assistance scolaire, sociale, médicale envers les populations rurales musulmanes. Les S.A.S. auront à conduire à partir de 1958 le programme dit des 1000 villages (logements, adduction d'eau, routes, écoles, dispensaires…) dont le financement est prévu par le Plan de Constantine. Ils s’occupent du recensement et de l’Etat Civil, de l'Assistance Médicale Gratuite (A.M.G.) : l'action de la S.A.S. est épaulée par des médecins et des infirmiers militaires assurant consultations et soins, et par les équipes de la Croix Rouge et les EMSI ( Equipes médico-sociales itinérantes ). Installée dans le bled, une S.A.S. est commandée par un Capitaine ou un Lieutenant et comprend en outre la plupart du temps un sous-officier, du personnel civil (secrétaire, comptable, radio, chauffeur, interprète) et un élément de protection, le maghzen, avec une trentaine de moghaznis. Les moghaznis étaient les supplétifs des SAS et des sections administratives urbaines. Au nombre de 20 000, ils étaient chargés de protéger les SAS dont le nombre maximum fut de 688 à la fin 1958. L’agenda mentionne aussi, dépendant de la SAS, un CFJA, Centre de Formation de la Jeunesse Algérienne. Le rôle des moniteurs est d’encadrer la jeunesse d'Algérie avant le service militaire, lui donner une éducation physique et sportive, continuer l'éducation civique dispensée par l'école, en vue d'en faire "des artisans efficaces de l'Algérie nouvelle, dans un idéal de justice et de fraternité". Ce sont des internats de 20 à 40 élèves, dispensant pendant un an éducation générale et préformation professionnelle,

426


Le putsch d'avril 1961 Le 22 avril 1961, constatant l’avancée des pourparlers d’Evian conduisant à l’indépendance, les généraux Salan, Challe, Jouhaud et Zeller prennent le pouvoir à Alger car « Un gouvernement d’abandon s’apprête à livrer définitivement l’Algérie à l’organisation extérieure de la rébellion. L’armée ne faillira pas à sa mission.» Alger pavoise, Paris redoute l’arrivée des parachutistes. Seuls quelques régiments rejoignent le « quarteron de généraux en retraite » comme les appelle de Gaule.

MESSAGE Clair NR 268/sec. Tiaret du 24.4.61 stop. Dans circonstances actuelles, tous cadres doivent savoir que Cdt ZEO et Cdt secteur sont entièrement fidèles au chef de l'état au gouvernement français et aux autorités légalement investies - stop - Cette attitude est conforme à la volonté réaffirmée de la nation française - stop - Aucun ordre ne sera donné en dehors d'une stricte légalité. Cdt. secteur Tiaret 24-4-61 au I° RIM quartier Trezel.

Zone Est Oranais P.C. le 27 avril 1961 Note pour les Commandants de secteur Chefs de corps et de services. I) Le Général Commandant la 4° DIM et la ZEO 1 a adressé le lundi 24 avril au ministre des Armées le télégramme officiel suivant : "Général commandant 4° DIM et ZEO - Tiaret- assure le Gouvernement de la France de sa fidélité et de la loyauté de ses troupes". II) Monsieur le ministre des Armées a adressé, en retour, le télégramme suivant dans la nuit du 24 au 25 avril : "Vous accuse réception de votre télégramme qui a été transmis au Chef de l'Etat. Vous félicite chaleureusement ainsi que vos unités. Tout en poursuivant votre mission opérationnelle, vous prescrit de n'obéir qu'aux ordres du Gouvernement ou à ceux qui vous seront donnés par les Chefs restés fidèles à leur devoir". III)

J'ai l'honneur de vous transmettre ses félicitations. Le Général de Brigade Lassalle commandant la ZEO et la 4° DIM.

1- ZEO : Zone Est Oranais 427


La journée du samedi 22 avril 1961 (Chronologie par Bernard de Boishéraud)

5h00

Le colonel commandant le secteur de Tiaret alerte le colonel commandant le I° RIM ; Mise en alerte de l'EEAC 1.

5h30

Rassemblement au P.C. I° RIM des : chefs de corps lieutenant colonel Teysseyre chef d'état-major lieutenant Timmel (O.R.) Ordres donnés pour : Faire venir à Trezel une section de la 2° compagnie un peloton de l'EEAC Faire contrôler les entrées de Trezel à hauteur de la gendarmerie Faire préparer un EMT 2 et prévoir véhicules de renfort pour les compagnies.

6h00

Départ du chef de corps en liaison à Tiaret au P.C. du secteur à l'EM de la 4° DIM ; pas d'ordre particulier : Prévoir mise sur pied d'un EMT Maintien de l'ordre Ordres récents donnés ultérieurement La 4° compagnie sera prévenue par Afflou.

8h00

Le P.C. RIM est prévenu d'avoir à mettre 1 EMT sur pied. Les première et 4° compagnies doivent rentrer sur leur base. La 3° compagnie est alertée à sa base.

8h20

Le commandant le I° RIM retour de Tiaret, s'arrête à Pomel pour voir le commandant de la 2° compagnie, le mettre au courant de la situation et lui prêcher la discipline.

8h30

Le commandant du I° RIM rentre à Trezel. Ordre d'envoyer 2 camions à la première compagnie pour permettre son déménagement et d'accélérer la mise en route sur la 3° compagnie de 2 Dodges en réparation.

1- EEAC : Escadron d'Eclairage Antichars 2- EMT : Etat-Major Tactique, prenant la direction des trois compagnies envoyés à Oran pour y maintenir l’ordre républicain. 428


8h50

Téléphoné au chef d'EM de la 4° DIM pour demander s'il faut faire rentrer à Trezel l'EMT de Prevost Paradol. Réponse affirmative. Rendre compte des retards à prévoir dans les mouvements des première et 4° compagnies.

9h00

Téléphoné au commandant Baron pour lui donner l'ordre de téléphoner au capitaine Leneveu, 15° compagnie pour lui dire que la hiérarchie normale continue. Téléphoné à la 8° compagnie pour lui préciser que la hiérarchie normale continue.

9h40

La 4° compagnie donne aperçu d'un message précédent lui demandant de rendre compte de l'heure de son retour au bordj. administratif.

9h50

Téléphoné à la 6° Compagnie (Lieutenant Guerin) pour lui préciser que la hiérarchie normale continue.

10h50

Téléphoné à la base arrière première compagnie (sous-lieutenant Godard) pour le prévenir du retour de la compagnie. Frenda signale que les 2 camions envoyés en renfort à la première compagnie sont passés à 10h20 et sont poussés sur la première compagnie. Le commandant Baron rend compte que l'EMT a quitté Prevost Paradol pour Trezel.

10h30

Le colonel commandant le I° RIM se rend en liaison à Tiaret. (convocation du général pour affaire Rose).

11h00

Le chef d'E.M. de la 4° DIM fait connaître que la division ne pourra fournir de camion PC pour l'EMT Oran.

11h10

La 4° compagnie rend compte qu'elle a rejoint le bordj administratif.

11h15

M. Martin, conseiller municipal, se présente au P.C. du I° RIM pour demander l'autorisation de pavoiser. Il lui est répondu d'attendre le retour du colonel.

11h30

M. Deshayes téléphone au Lieutenant Teysseyre pour lui dire : "Vive la France"

11h50

Attentat au nouveau marché de Trezel. Coup de feu sur un parent de Safi Kadda, légèrement blessé au thorax.

Vers 12h30 Le colonel commandant le I° RIM revenant de Tiaret est de retour à Trezel. Ordre de convoquer pour 14 h. M. Martin et M. Deshayes 12h35

La première compagnie passe à Frenda.

429


14h00

Mrs. Martin (conseiller municipal) et Deshayes se présentent au P.C. Il leur est demandé (avec explications à l'appui) de ne pas pavoiser. Le commandant L'Herbette a pour mission de passer chez les européens ayant pavoisé pour leur demander de retirer leurs drapeaux.

14h15

La 4° compagnie rend compte qu'elle quitte le bordj administratif et fait mouvement sur Trezel.

16h

La 4° compagnie passe à La Fontaine.

16h10

La première compagnie rend compte qu'elle part de La Fontaine pour Trezel.

16h40

Le chef de bataillon Baron qui a quitté Trezel vers 15h en direction d'Oran est stoppé à Mongolfier par la 4° DIM. Les première et 4° compagnies doivent, d'ordre de la 4° DIM être stoppées à Trezel.

16h45

La 4° compagnie arrive à Trezel et est dirigée en attente sur la ferme Pradel.

17h15

La première compagnie arrive à Trezel et est dirigée en attente sur la route de la ferme Pradel.

18h10

Sur ordre de la 4° DIM : le chef de bataillon Baron est remis en route vers Oran. Les première et 4° compagnies, ainsi que l'EMT doivent être remis en route vers Oran.

19h00

Après le repas du soir, l'EMT, la première et la 4° compagnies quittent Trezel pour faire mouvement sur Oran.

Par la suite, le chef de bataillon Baron sera à nouveau stoppé à Relijarne et les première et 4° compagnies à Montgolfier d'où elles repartiront vers 20h45 avec la 3° compagnie. Elles arriveront à Oran Le 23 avril vers 3h00.

430


Coupure de journal

Imposante prise d'armes et remise de décorations a Trézel Trézel (D.n.c.p.) - Une imposante prise d'armes, suivie du défilé traditionnel et de remise de décorations a marqué en notre centre le départ du colonel de Boisheraud, et la prise de commandement du colonel Davezan. Dès 10h30, les troupes viennent s'aligner sur le boulevard Gambetta. Le drapeau du R.I.M. avec sa garde d'honneur et la musique de la 4° D.I.M. se placent près de la tribune officielle. Parmi les autorités et délégations, nous notons la présence du colonel de Bordes, adjoint au général commandant la 4° D.I.M. ; du colonel Santos-Cottin, commandant le secteur de Tiaret, et de nombreux officiers supérieurs, de MM. le Bachagha Mahiedine Adda ; Dumas, contrôleur des contributions diverses ; docteur Parrot, médecin de la santé ; Courtes, inspecteur vétérinaire ; Charron, directeur de la S.A.P. ; plusieurs maires et conseillers de diverses communes ; des anciens combattants de Trézel, avec drapeau en tête et plusieurs autres personnalités civiles et militaires. 1er

A 11 heures, le général Lassalle est reçu par le colonel de Boishéraud, commandant le 1er R.I.M. Le général Lassalle et le colonel de Boishéraud, après avoir salué le drapeau, passent en revue les troupes. Après la revue, le colonel de Boishéraud procède à une remise de décorations. Ont été décorés de la médaille militaire : adjudant-chef Espinet Jean ; adjudant-chef Houvet Christian ; sergent-chef Boluda François. De la croix de la valeur militaire : lieutenant Spriet Michel ; sous-lieutenant Jolivet Gérard ; caporal-chef Simoneau Daniel ; 1ère classe Pellen Yves, 2° classe Bagdad Hammou ; 2° classe Bieber Jean ; 2° classe Lagana Pascal ; 2° classe Rossignol Michel. Le général procède ensuite à la cérémonie rituelle de passage de commandement du R.I.M. au colonel Davezan. Le défilé est ouvert par la musique divisionnaire qui précède, drapeau en tête, les compagnies du 1er R.I.M., emmenées par le colonel Davezan. A la fin du défilé, le général Lassalle félicitait chaleureusement le colonel Davezan et le colonel de Boishéraud pour l'excellente tenue des troupes. 1er

A 12 heures, un apéritif était offert à toutes les personnalités civiles et militaires. Tous nos vœux accompagnent le colonel de Boishéraud dans ses nouvelles fonctions dans le Constantinois et nous souhaitons la bienvenue au colonel Davezan à la tête du 1er R.I.M. à Trézel. Pour terminer, nous tenons à féliciter le service d'ordre, armée, police et gendarmerie, qui a assuré la sécurité de cette belle manifestation. F. Amsellem 431


Colonel de Boishéraud, général Lassalle

432


Colonel, Commandant le 153° RIM à Souk Ahras, sur le barrage Tunisien

de juillet 1961 à février 1962

433


434


Le 15.3 à Souk-Ahras à la veille du cessez le feu (par Bernard de Boishéraud extrait de « l’amicale des anciens du 15.3 ») Le 17 juin 1961, à Trezel (Oranie), le colonel commandant le secteur de Tiaret me prévient que le colonel Davezan, mon successeur est annoncé pour le surlendemain. C'est ainsi que j’appris brutalement que je quittais le ler R.I.M. dont j'assurais le commandement depuis le début de l'année. Personne, ni à l’E.M. de la division ni à celui du C.A. d'Oran ne pouvait me donner d'indication sur le sort qui m'était réservé. Tout au plus m'assurait-on que le général commandant le C.A. demandait à Alger de faire annuler ces mutations afin d'éviter au ler R.I.M. de trop fréquents changements de chef de corps. Cette nouvelle et surtout l'incertitude sur ma future destination n'étaient pas sans me causer quelque inquiétude. Stationné à l'écart des zones sensibles, le ler R.I.M. avait traversé sans gros problèmes les événements pénibles du mois d'avril; mais on savait qu'une commission spéciale enquêtait à Oran sur le comportement des uns et des autres au cours de cette période trouble, et dans l'ambiance lourde qui persistait, toutes les hypothèses restaient plausibles. En outre, en six mois de commandement, je m'étais évidemment attaché à un régiment aux anciennes et solides traditions et à un vaste secteur dont je commençais à connaître tous les replis et les dessous des anciennes rivalités de clans. C'est donc avec regret et appréhension que j'envisageais ce départ imprévu pour une destination inconnue. Un ou deux jours plus tard seulement, en téléphonant directement à Alger, j'appris que le général Ailleret avait demandé mon affectation au 153e R.I.M. et au secteur de Souk-Ahras. Je n'avais plus qu'à me réjouir. Non seulement cette mutation était flatteuse, mais elle me permettait de rejoindre la 2e D.I.M. à laquelle je restais attaché pour y avoir servi de nombreuses années de 1945 à 1956. Je connaissais assez bien mon futur secteur, ayant été en 1956 sous chef d'E.M. de la division de Guélma. Je connaissais bien aussi le 15.3 pour avoir assisté à sa renaissance en 1954, à sa transformation en régiment semi-mécanisé, et à ses premières expériences de tactique nucléaire. J'avais admiré à l’époque l'action efficace du colonel d'Esclaibes pour redonner une âme à ce régiment dont je connaissais la plupart des chefs de corps qui lui avaient succédé et de nombreux officiers. Je connaissais quelques unes des particularités de ce beau régiment à la fourragère rouge et notamment la fidélité de ses anciens cadres dont j'étais certain de retrouver nombre de ceux que j'y avais connu. Bref, en arrivant au 15.3 à Souk-Ahras, j'étais assuré de ne pas me sentir dépaysé. Pourtant, à Tiaret, puis à Alger, on me fît un tableau peu encourageant du secteur dont la réputation datait de la période héroïque de la "bataille du Souk-Ahras" en 1958 – 1959 1. La situation des postes d'Ain Zana, de M'raou et de Sakiet était considérée comme passablement aventurée, leur évacuation était d'ailleurs déjà envisagée. Je me souviens encore de la réaction de ce général à qui je faisais mes adieux et qui me présentait presque ses condoléances, me prévenant que je n'aurai plus beaucoup de nuits tranquilles. C'est donc avec une agréable surprise qu'en débarquant à Souk-Ahras le 27 juin, je trouvais un secteur calme à la mécanique bien rodée, et une ville détendue et sure, alors que Trezel que je venais de quitter était troublée chaque semaine par un ou plusieurs attentats et que les nuits y étaient beaucoup moins calmes que ne l'imaginait mon général.

1- au printemps 1958, l’ALN tenta, sans succès, un passage en force de plusieurs unités sur l’ensemble du barrage. 435


Ce n'est pas non plus sans étonnement que j'appris du lieutenant-colonel Vuillemey, qui me passait les consignes, qu'un bal public était prévu à Souk-Ahras pour la soirée du 14 juillet. Ce bal (inimaginable à Trezel) eut lieu dans une excellente ambiance sur la place de la gare et se prolongea même le lendemain et le surlendemain soir à la demande de la municipalité. Deux jours plus tôt cependant, le 12 juillet, pendant qu'une prise d'armes de la 13e D.B.L.E. déroulait paisiblement ses fastes sur le terrain d'aviation de Souk-Ahras, un accrochage sévère dans la vallée de la Metjerda, aux abords de la station d'Oued-Mougras, et auquel participait la 7e compagnie accourue au canon, permit de mettre hors de combat une vingtaine de fellaghas 1, mais nous coûtant malheureusement la perte d'un officier et d'un sous-officier du 4e R.C.A. et d'un canonnier du 8e R.A. Telle était en effet à l'époque la situation contrastée du secteur. A l'ouest et à l'abri des barrages électrifiée une zone relativement calme où ne se manifestaient que quelques fellaghas ou bandits isolés. La ville même de Souk-Arras était paisible au moins en apparence. A l'est du barrage avant, une zone interdite où le 15.3 et les autres corps du secteur tiennent des postes isolés (Ain Zana, M’raou, Sakiet, M’zaret, 878, 851) et soutiennent une activité opérationnelle permanente pour y interdire l’implantation d'unités F.L.N. infiltrées de Tunisie et les intercepter avant qu'elles abordent le barrage ou les défenses des postes. En fait, si les postes sont assez fréquemment harcelés, surtout de nuit, les accrochages ne se produisent guère qu'à proximité de la frontière et plus particulièrement dans la région nord d'Ain Zana le long du "bec de canard" 2. Désormais, dans la période qui va précéder le cessez-le-feu du 19 mars 1962, les aspects politiques vont peu à peu prendre le pas sur les aspects militaires 3. La première bombe, probablement OAS, vise le maire et éclate à Souk-Ahras le 2 octobre 1961; la première manifestation F.L.N. encore timide date du 31 octobre. Elle sera suivie par une grève des commerçants musulmans assez largement respectée; les plasticages dans la ville, d'origine parfois mal définis, se multiplieront à partir de la mi-novembre et viseront plus particulièrement des commerçants tunisiens 4. Le climat ne fera ensuite que se détériorer, sans atteindre toutefois le niveau de Bone qui devra souvent faire appel aux moyens du 15.3 pour renforcer son dispositif de maintien de l'ordre. C'est au cours de cette période précédant le "cessez-le-feu" et par une sorte de paradoxe, que l'effort est porté sur le renforcement des postes avancés. Le point d'appui bétonné de 878, conçu sur le modèle de ceux de Tonkin, commencé au début de 1961, à peu près achevé en septembre sera tenu par la 4e compagnie du lieutenant Radice et remplacera les postes de M'raou et de Sakiet évacués respectivement les 15 septembre et 5 octobre. Dans le même temps la construction de blockhaus bétonnés était entreprise à M'zaret (lère Cie) et les plans de travaux importants étaient établis pour 851 (Colona) et surtout pour le poste de la 7e compagnie à Ain Zana devenu le plus exposé. 1- Fellagha : membre de l’Armée de Libération Nationale 2- D’après l’agenda de 1961, on dénombre de juillet à décembre environ 15 militaires tués dont 4 par mines, 1 par brulures, 1 par une hélice et 2 accidentellement électrocutés sur le barrage, 44 déserteurs avec leurs armes. L’agenda montre l’utilisation fréquente d’un hélicoptère alouette pour les déplacements, inspections, ... 3- Le 5 septembre il note « Impression catastrophique du discours de de Gaule » ; le 9 septembre, mention est faite, sans plus, de l’attentat manqué contre de Gaule. Et le 15 décembre, à l’issue d’une réunion « 1° urgence OAS ! le reste est oublié. Présence M. Hacq, probablement patron des fameuses brigades spéciales OAS avec tous pouvoirs et droits. Vocabulaire calculé du général Ailleret. Séance décevante et triste ». 4- 4 égorgements et 15 bombes ou plastic chez des particuliers ou devant des épicieries, mais l’agenda ne rapporte pas le nombre de victimes, vraissemblablement faible. 436


Ainsi se présentait la situation du 15.3 et du secteur de Souk-Ahras au début 1961 à la veille d'un "cessez-le-feu" dont on craignait qu'il pose plus de problèmes et des plus délicats que l'état de mini-guerre et de tension politique qui l'avait précédé. Colonel de BOISHERAUD Commandant le 15.3 1961 - 1962

437


Le secteur de Souk Ahras 153° RIM

PC : Souk Ahras

I/153

PC : Colonna

1° Cie 4° Cie 8° Cie

PC : Mzaret PC : Sakiet puis 878 PC : M’raou

II/153

PC :

Cdt Hentic puis cdt Renaudat capitaine Pouillard puis lieutenant Coppin puis Rousse Lieutenant Radice Lieutenant Peccavy puis lieutenant Maingon

Cdt Hoogstoel

Commando : 35 FSE, 25 FSNA 2° Cie PC : 4 vents 3° Cie 6° Cie 7° Cie PC : Ain Zana

Capitaine Rivière puis capitaine Coussau Capitaine Prado Lieutenant Doussineau Lieutenant Cot

Peloton d’Alat1

Capitaine Ribert

4° RH

Lieutenant colonel Noé

1° escadron 2° escadron 3° escadron 4° escadron 5° escadron

PC : Colonna PC : Battoum PC : Callesa PC : M’raou PC : Drea

capitaine Nanquette lieutenant Brignone capitaine Bernard capitaine de la Motte capitaine Grosjean

Commandants les autres régiments, les lieutenants colonels : Mathieu 60° RI Wartel 60° RI Girardon 22° RT Pouponnot 22° RT Dunan Henri 13° dragons Durvy de Kerezieu 13° DBLE Duclos de Bouillas 4° RCA Boucher 30° dragons

1- ALAT : Aviation Légère de l'Armée de Terre 438

1 harka


La ligne Morice A l'ouest, vers le Maroc, un réseau de barbelés, miné puis électrifié, fut construit sous l'autorité du général Pédron. On l'appela la «ligne Pédron». Elle s'avéra assez utile pour que le ministre de la défense, le radical André Morice, très engagé dans le maintien de l'Algérie dans le système français, décide d'en répliquer le modèle à l'est, vers la Tunisie. En effet, le trafic clandestin d'hommes et de munitions allait bon train sur cette frontière : 2000 personnes et un millier d'armes y passaient chaque mois en été 1957, les recrues des willayas algériennes rejoignant les camps d'instruction de l'ALN en Tunisie croisant les recrues instruites, encadrées et armées revenant en Algérie. le FLN y forme ses premières katibas. Il s'agissait de stopper ces mouvements 1. En trois mois, à partir de juin 1957, la «ligne Morice» fut réalisée le long de la route et de la voie ferrée, d'Annaba (ex-Bône) à Tebessa. C'était un réseau d'obstacles redoutables de part et d'autre d'une piste de plusieurs centaines de mètres où patrouillaient des régiments de surveillance assistés par l'aviation. D'abord, l'ALN ne s'opposa pas à cette construction dont elle méprisait le projet. Au début de 1958, elle voulut la tester en expédiant de Tunisie des contingents lourdement chargés d'armes et de munitions. La «bataille des frontières» commençait. Entre janvier et mai 1958, écrit Guy Pervillé dans l'ultime numéro de la revue Panoramique (2004), l'ALN eut 2400 combattants tués, 300 prisonniers et perdit 3500 armes. Ce fut la fin de son rêve d'un Diên Biên Phu algérien. Etant donné la gravité particulière de la menace que l’ALN de Tunisie faisait peser sur le barrage de l’Est, il fut doublé par un barrage de l’avant plus proche de la frontière tunisienne. Celuici fut d’abord construit de Souk-Ahras à Tébessa, de façon à protéger les centres miniers de l’Ouenza et du Kouif, d’octobre 1958 à mars 1959, puis de Souk-Ahras à la mer, de mars à octobre 1959. Ce barrage de l’avant fut appelé « ligne Challe », du nom du nouveau commandant en chef, successeur du général Salan. Il accrut considérablement la difficulté du passage de la Tunisie vers l’Algérie, ce qui rendait possible l’étouffement et la destruction des forces FLN de l’intérieur par le « plan Challe ». Ce succès militaire incontestable, aurait été exploitable si le pouvoir politique avait voulu conserver l’Algérie dans la France, mais la volonté des peuples, exprimés par référendum, conduisait irrémédiablement vers l’indépendance.

1- Le général Beaufre, entre autres, premier commandant de la Zone Est Constantinois, fort de son expérience de commandant de division au Tonkin, où il avait pu constater l’inefficacité de la ceinture de blockhaus érigée pour isoler le delta du fleuve Rouge dont le « pourrissement » n’a jamais cessé de s’aggraver, s’est montré un farouche opposant à toute idée de fortification ou d’édification de barrage durant toute la durée de son commandement à Bône. L’ALN, contrairement au vietminh, n’a jamais disposé d’armement lourd, ses effectifs engagés étaient très loin de ceux du vietminh, la présence de la population pied noir et des appelés du contingent a rendu son combat beaucoup plus politique et psychologique que militaire. 439


Il s'ensuivit une crise politique et morale grave au sein de la résistance algérienne. La «ligne Morice» avait réussi à couper la résistance en deux, celle de Ben Bella et de Boumediene à l'extérieur contre celle de Belkacem Krim, le chef du gouvernement provisoire, à l’intérieur. A l’extérieur des barrages, des troupes refusèrent de tenter de nouveaux franchissements. Le mécontentement gagna les willayas de l’intérieur, qui se sentirent abandonnées par l’extérieur. La stratégie de harcélement des frontières, sur laquelle l’ALN dut se rabattre, lui a permis de limiter ses pertes et d’accumuler à l’extérieur des forces armées de plus en plus nombreuses (22.000 hommes en Tunisie et 10.000 au Maroc en mars 1962), suffisamment bien organisées et bien armées pour permettre à Boumédienne de prendre le pouvoir contre tout concurrent dès le départ des troupes françaises. le barrage était un ensemble d’obstacles, redoutable d’abord par sa largeur : de 100 mètres à plusieurs kilomètres suivant les endroits. On y trouvait au centre, souvent une route et une voie ferrée, et toujours une piste de surveillance utilisée par les véhicules blindés des patrouilles faisant «la herse ». Et des deux côtés (vers l’extérieur et vers l’intérieur) une haie renforcée non minée, puis un réseau intérieur de barbelés miné, une piste technique longeant la clôture électrifiée, puis encore un réseau extérieur miné, et enfin un grillage destiné à tenir les animaux à l’écart. Cet obstacle n’était pourtant pas absolument infranchissable : on pouvait faire sauter les réseaux de barbelés et les mines au moyen de tubes remplis d’explosifs appelés bangalores, et sectionner la clôture électrifiée avec des pinces coupantes à poignées isolantes. Mais l’interruption du courant dans la clôture était immédiatement signalée et localisée par les stations de contrôle technique, ce qui déclenchait l’intervention rapide des patrouilles de la herse sur place, et le bouclage de la zone du franchissement par les troupes du secteur et par les réserves du corps d’armée ou par les réserves générales, avec l’aide des hélicoptères et l’appui de l’aviation. C’est pourquoi les franchissements 440


étaient beaucoup plus difficiles à réussir de l’extérieur vers l’intérieur que dans l’autre sens (tout au moins là où le barrage était proche de la frontière) ; et le doublement de la ligne Morice par la ligne Challe en aggravait énormément la difficulté en enfermant ceux qui avaient réussi à franchir le premier obstacle dans une nasse. Situé à 30 Km de la frontière, il ne peut pas être abordé et franchi au cours de la même nuit.

Le barage comportait 1 300 km de haies électrifiées alimentées par une chaîne de cinquantequatre stations électriques, espacées de 15 à 20 km, à partir desquelles étaient détectés les coupures ou incidents provoqués sur la haie électrifiée. A partir de ces stations, les informations, et principalement l'alerte aux unités fixes et mobiles de surveillance, étaient diffusées simultanément, au commandement localement responsable et aussi, bien sûr, aux PC de la ZEC 1 et des divisions afin de provoquer le déclenchement du mécanisme de rassemblement des forces nécessaires à l'interception et à l'anéantissement des éléments infiltrés.

1- ZEC : Zone Est Constantinois 441


Les unités du 153 sont chargées de déceler les mouvements adverses et d’importantes opérations sont alors menées par la 11° DI avec des moyens de réserve générale pour détruire ces bandes et récupérer des armes. Embuscades, découvertes de charges explosives sur la voie ferrée, brèches dans le réseau, harcèlements, accrochages sont quotidiens. Suite à l’évolution de la stratégie de l’ALN privilégiant le harcèlement, on entreprend en été 59 de fortifier les postes en avant du barrage. Le barrage lui-même se développe en profondeur, on l’éclaire, le génie construit des pistes de bouclage.

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La vie du 15.3 sur le barrage en 1961 1

En juillet, le lt-colonel Vuillemey qui commandait provisoirement le régiment est muté, et le colonel de Boishéraud prend le commandement du secteur et du régiment. C’est dans le domaine politique qu’ont lieu les événements les plus importants. La jeunesse citadine est en effervescence. Le 12 juillet, le 4° RCA accroche une katiba le long de la voie ferrée de Ghardimaou ; celle-ci se réfugie dans un tunnel ; une section de la 7° Cie du quinze trois commandée par le lieutenant Cuenot met hors de combat 20 combattants et récupère une vingtaine d’armes. Le 15 septembre, le bordj 2 de M’raou est évacué et détruit. Il avait protégé depuis 1957 les populations qui s’étaient regroupées près de lui. Fin mars 1961, il avait fallu mettre ces populations à l’abri derrière le barrage ; en effet, les tirs de harcèlement n’atteignaient pas que le poste militaire. Le bordj, dominé par les crêtes, ne protégeant plus personne, avait perdu sa raison d’être. La 8° Cie qui le tenait s’installe à Colonna. Les 5 et 6 octobre, le bordj de Sakiet est évacué à son tour. Il était alors tenu par une compagnie du 60° RI qui avait relevé la 4° Cie du 153° RIM. Le bordj, mal détruit, servira d’objectif aux artilleurs de l’hiver pour y régler leurs tirs.

1- ce paragraphe est extrait d’une petite brochure « le quinze trois », contenant l’historique du 153ème régiment d’infanterie mécanisé.. 2- bordj : maison fortifiée 443


Ces postes évacués seront remplacés par des points d'appui bétonnés, conçus sur le modèle de ceux de Tonkin, mais ils ne seront terminés qu’au moment du cessez le feu. Le 8 novembre, le lieutenant Coppin, de la 1° Cie, est tué par une mine et sera le dernier officier du régiment à tomber sur la terre d’Afrique. En ville, l’agitation se développe, le commando 43 s’adapte aux opérations de maintien de l’ordre et les plasticages viennent compliquer une situation déjà difficile. La fin des combats approche, les délégations sont réunies à Evian et pour la première fois, le FLN harcèle Ain Zana avec des moyens d’artillerie puissants (calibre 152). La 7° Cie est ainsi prise à partie plusieurs fois en mars. Fort heureusement pour elle, les artilleurs adverses sont encore inexpérimentés et les rectangles de dispersion épargnent le poste. Par contre le IV/8° RA vide ses coffres et sa contre-batterie est efficace. Ces derniers échanges terminent la campagne. En février, le colonel de Boishéraud contraint au rapatriement pour raisons de santé est remplacé par le colonel Degas. Sous ses ordres, le régiment va avoir à faire face aux nouvelles situations liées au cessez le feu et au retour en métropole le 3 janvier 63.

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Le 10 novembre 1961 Lieutenant Coppin Il y a un peu plus d'un mois, le 1er octobre, nous étions tous réunis dans la joie et l'espoir pour votre prise de commandement de la première compagnie du 15.3. Nous voici aujourd'hui rassemblés dans la tristesse pour vous dire notre dernier adieu. Le régiment vient de perdre en vous un de ces jeunes officiers dont les qualités morales, intellectuelles et professionnelles avaient été reconnues dès les premiers mois de votre vie militaire. Sorti de l'Ecole d'Application en 1957 comme officier de réserve, vous rejoignez aussitôt le Premier R.I.M. en Afrique du Nord. Vous vous y distinguez rapidement à la tête d'un peloton de reconnaissance où vous méritez vos deux premières citations. C'est alors que vous décidez de poursuivre une carrière militaire à laquelle vous vous étiez attaché avec passion. Vous prenez ensuite le commandement du commando de chasse du premier R.I.M., que vous avez mené au combat avec autorité et dynamisme dans le Djebel Nador et les Monts de Frenda. Une troisième citation vient récompenser votre courage et votre souvenir est encore vivace parmi les anciens du régiment Picardie qui vous ont connu à cette époque. Après trois ans et demi de séjour en Algérie, vous accomplissez votre stage d'épreuve à Saint-Maixent et y méritez des notes élogieuses. A la sortie de ce stage, le 1er août dernier, le 15.3 vous reçoit dans ses rangs. Affecté à la première compagnie à M'zaret, vous montrez immédiatement votre mesure et, au départ du capitaine Pouillard, je n'hésite pas à vous confier le commandement de ce poste important qui doit bientôt se trouver en première ligne. Comme aspirant, comme chef de section ou commandant de compagnie, votre dynamisme, votre courage, votre droiture, votre sens du commandement, avaient su faire naître chez vos subordonnés le respect et l'enthousiasme, et vos chefs entrevoyaient, à travers votre nature ardente, les riches possibilités qui étaient en vous. Hélas avant hier, au cours d'une reconnaissance que votre conscience et votre dévouement vous avaient imposée, le destin vous a frappé. L'éclatement d'une mine piégée a voulu qu'aujourd'hui je sois l'interprète de vos chefs, de vos camarades et de vos subordonnés pour exprimer leur profonde tristesse devant cette rigueur péniblement acceptée. Madame, nous nous inclinons devant votre immense douleur. Nous vous demandons de nous laisser la partager et nous prions Dieu de vous donner la force de la supporter. Mon cher Coppin, vous aviez pris votre place au 15.3. Soyez sûr que vous la garderez dans le cœur et le souvenir de tous ceux qui vous ont connu et qui vous adressent par ma voix un dernier "Au revoir".

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PARIS - 9° - SOUK - AHRAS Association déclarée conformément à la loi du 1er juillet 1901 affiliée à Seine-Algérie PRÉSIDENT D'HONNEUR : M. LE MAIRE DU IX° ARRONDISSEMENT

_______________________________________________________ PRÉSIDENT : Mme Janine ALEXANDRE-DEBRAY Conseiller municipal de Paris ____________________

PARIS, le 10 janvier 1962

SIEGE SOCIAL : MAIRIE DU IX° 6, rue Drouot - PARIS - IX ____________________ Secrétariat : HOTEL DE VILLE, PARIS-IV Tél. ARC. 96-10 - poste 345

au

Colonel BOISHERAUD Commandant le 153° R.I.M. SOUK-AHRAS --------------------A.F.N.

Colonel, Lors de mes deux visites à Souk-Ahras, j'avais eu l'occasion de rencontrer vos prédécesseurs le Colonel DELCROS et le Colonel BLANC, l'accueil qu'ils m'avaient réservé, ainsi qu'à mes collaborateurs, nous avait fait sentir à la fois la grandeur et la servitude du métier des Armes, et plus particulièrement celles du 153° R.I.M., que vous commandez maintenant. Une chaude amitié est née entre nous, et à travers nous, entre nos soldats éloignés de leur famille et le 9ème arrt de Paris qui a adopté la Région de Souk-Ahras. C'est pourquoi, votre Marraine vous a adressé, par envoi séparé, un chèque de 1.000 NF qui vous permettra, soit d'accorder quelques douceurs à vos hommes, soit de soulager quelques misères particulièrement douloureuses que vous pourriez connaître. Croyez, Colonel, à mes sentiments distingués et dévoués.

Janine ALEXANDRE - DEBRAY Président de "Paris IX°-Souk-Ahras"

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CITATION ORDRE GÉNÉRAL N° 576

Par application des dispositions du décret n° 56-371 du 11 avril 1956, Le Général de Corps d'Armée AILLERET, Commandant Supérieur des Forces en Algérie. CITE à l'Ordre du CORPS D'ARMÉE Le

Colonel

MOSNAY-GOGUET

de BOISHERAUD Bernard Marie Commandant le Secteur de SOUK-AHRAS.

Pour le motif suivant : "Après avoir brillamment commandé, pendant cinq mois, un Régiment dans le secteur de TIARET a pris, le 7 juillet 1961, le commandement du secteur de SOUK-AHRAS où son action efficace s'est fait immédiatement sentir. N'a cessé de déployer la plus grande activité opérationnelle, insufflant sa foi aux cadres et aux hommes, se dépensant sans compter pour assurer et accroître l'efficacité du barrage. Par de nombreuses opérations, et notamment les 12 et 18 juillet dans la Vallée de la MEDJERDA, les 3 et 4 août près d'AIN ZANA, les 29 octobre et 14 novembre 1961 au FEDJ EL AMED, a maintenu le contact sur toute la partie du secteur à l'Est du barrage, causant des pertes à l'adversaire, dont une cinquantaine dénombrée."

Cette citation comporte l'attribution de la Croix de la Valeur Militaire avec Etoile de VERMEIL. Alger, le 16 décembre 1961 P.O. le Général de Brigade RAFA Général Adjoint.

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S.P. 86 219, le 15 février 1962 REGION TERRITORIALE ET CORPS D'ARMEE DE CONSTANTINE ZONE EST CONSTANTINOIS ET 2° DIVISION D'INFANTERIE MOTORISEE LE GÉNÉRAL

ORDRE

DU

JOUR

N° 3

Le colonel de Boishéraud quitte la Zone Est Constantinois où il exerçait le commandement du 153° R.I.M. et du secteur frontière de Souk Ahras. Chef animé des plus belles qualités militaires, ferme mais humain dans l'exercice de son commandement, payant sans cesse de sa personne, le colonel de Boishéraud a d'emblée marqué de sa personnalité son régiment et les unités de son Secteur. Avec un bel esprit offensif, il a su faire du barrage un obstacle vivant et efficace, n'hésitant pas à s'engager dans la vaste zone qui le sépare de la frontière tunisienne, y portant à plusieurs reprises des coups sensibles à l'adversaire. Arrêté prématurément dans l'accomplissement d'une mission particulièrement exigeante, le colonel de Boishéraud ne laisse derrière lui que des regrets ; je le remercie de la tâche qu'il a accomplie et je forme les vœux les plus fervents pour la poursuite de la carrière de ce brillant officier supérieur.

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Commandant Lefevre

SP 86 167, le 9 mars 1962

Mon Colonel, Je réponds avec bien du retard à votre dernière lettre, et je vous prie de bien vouloir m'en excuser. J'ai eu, depuis votre départ, bien des occupations, avec la mise en train simultanée du Cdt. Raveney et du Colonel Degas, avec les événements, aussi, qui nous obligent à faire face à de nombreux problèmes nouveaux. Le Cdt. Raveney s'est fort bien adapté et son calme naturel lui a été particulièrement précieux. Je lui viens en aide aussi souvent que possible pour toutes les questions déjà en cours, qui demandent un retour en arrière. Le Colonel Degas a visité successivement toutes les unités et installations du secteur. Je l'ai accompagné dans la plupart de ses déplacements, ce qui m'a permis d'approfondir un peu les problèmes propres au 15.3 et ... m'a fait le plus grand bien : je me suis désintoxiqué progressivement de mes longs mois d'assignation à résidence. Mais, quand je suis présent, bien des visites et des coups de téléphone m'arrivent encore indirectement, par la force de l'habitude. En ce qui concerne le secteur, nous avons eu une période de calme plat, à laquelle vient de succéder, depuis deux jours, une forte agitation du côté fell., dont les journaux et la radio ont donné des échos d'ailleurs passablement exagérés. Demain, nous devons faire une solide opération d'aération autour d'A.Z. qui a été fréquemment harcelé, sans perte, depuis 48 heures. Les ordres reçus en prévision du cessez-le-feu ne sont, pour le moment, que des directives assez vagues. Ils nous conduisent cependant à faire état de multiples hypothèses, dont le facteur commun est la remise en condition de mobilité de toutes les unités. Nous sommes d'autre part en train de reconstituer la CA : 15.3, sur ordre ferme du Gal. Multrier : cantonnement à Montgardien, avec une section de commandement, une section portée (issue de la section de Protection de la CCS), une section de Radaristes, une section de Mortiers de 81 m/m et le peloton d'A.M. (qui a quitté le Battoum). Au milieu de tout ce "trafic", nous avons reçu de nombreuses visites, évidemment : Gal. Kergerevet, Gal. Rafa, Gal. Multrier, etc... sans parler d'une équipe RTF de "5 colonnes à la une" et autres princes de moindre lignée. La ville de Souk-Ahras reste calme : les fêtes de l'Aïd se sont déroulées sans incidents. Les musulmans sont assez détendus et plutôt "optimistes", tandis que les Européens s'inquiètent, colportent des bobards énormes et font grève à toute occasion, sous prétexte d'insécurité. Le Colonel Mathieu est toujours parmi nous, comme Adjoint au Cdt. de secteur, tout en conservant le commandement du 60ème RI. En ce qui concerne l'encadrement du 15.3, le Colonel a décidé d'affecter Marcq comme Adjoint du Cdt. Renaudat. D'autre part, nous devons recevoir un Capitaine (Kusseling), deux S/Lieutenants d'active (dont Spangenberg, qui revient) et deux aspirants de réserve. Un Sergent-Chef, ancien du 15.3 a rejoint hier ; mais aucun autre Sous-Officier n'est annoncé.

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Je vous adresse, par le même courrier, deux hampes de fanion (dont une "neuve" pour le fanion du 15.3) et un petit album des photos prises le jour de votre départ, auxquelles j'ai ajouté les photos des obsèques de Coppin, que vous aviez demandées. Quant à vos "dettes", dont vous me parlez dans votre lettre, elles sont toutes "éteintes", y compris popote et téléphone. J'espère que votre inaction temporaire ne vous pèse pas trop. J'espère surtout que votre santé continue à s'améliorer et que les "blouses blanches" de Percy ne vous persécutent pas trop. Je vous transmets, en terminant, le bon souvenir du Colonel Degas, qui se propose de vous écrire sans tarder, et tous les vœux de nos camarades, qui m'ont demandé de vous exprimer de nouveau leur très sincère attachement. Je vous demande, mon Colonel, de bien vouloir agréer l'expression de mes sentiments respectueux et très fidèles. M. Lefevre

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Le 9-3-62 Mon colonel, Près d'un mois déjà depuis que nous nous sommes vus. Mois bien chargé, mais qui me paraîtra léger comparé à ce qui nous attend. Cela ne va pas être très facile. Au début, 8 jours ont été perdus en raison de la neige, de la boue, du brouillard puis j'ai profité du calme pour faire le tour du secteur et voir chaque compagnie du régiment. Le calme est rompu maintenant. Bouillas est harcelé chaque jour. Aïn Zana est pris à partie à courte portée. Demain on monte une action pour lui donner de l'air, mais l'effet ne sera que de quelques heures. Bartes en profite pour vider ses coffres allègrement. Le plus inquiétant n'est pas là - c'est plutôt l'approche du cessez-le-feu qui me tarabuste et dans tout cela, c'est la constitution des compagnies de force locale qui risque d'être le plus dramatique. (Il faudra désigner les officiers, faute de volontaires). Puis il y aura le retour des populations dans l'avant-barrage ... Je sais que Lefevre va vous écrire, il saura mieux que moi vous donner des nouvelles du régiment. Quant à moi, il me suffit de vous dire qu'à chaque instant je découvre un peu plus les immenses qualités de ce corps solide, discipliné, travailleur, courageux ; c'est une garantie d'avenir. Comment va votre santé ? Tout le monde ici s'en inquiète et attend de savoir que tout va bien pour se réjouir. Nous formons mille vœux à ce sujet. Croyez, mon colonel, à tous mes sentiments les meilleurs. Le colonel Degas.

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Commandant Lefevre

SP 86 167, le 17 mars 1962

Mon colonel, Je réponds aussi rapidement que possible, donc brièvement, à vos deux lettres du 12 et du 14. Vous voudrez bien trouver, ci-joint, deux exemplaires de l'extrait du registre des constatations et du rapport concernant votre maladie. J'en ai reçu les originaux aujourd'hui même de la ZEC, après avoir asticoté vigoureusement cette lourde machine, qui a mis plus de trois semaines à régurgiter le projet de rapport que je lui avais fourni peu de jours après votre départ. Je vous donne également l'adresse de Madame Coppin, qui est la suivante : 60, rue de la République ; Rochefort sur Mer ; Charente Maritime. Ici, nous sommes toujours aux prises avec les problèmes que va poser l'application du cessez-le-feu, que l'on dit imminent (maintien de l'ordre, constitution de la force locale, etc...). Depuis ma dernière lettre, les rebelles ont manifesté un regain d'activité : harcèlement du "finand" nord et surtout de la "maison cot". Dans la nuit du 13 au 14, 750 projectiles sont tombés, heureusement à une certaine distance de cette "maison" (Il y avait du 85 et environ 200 coups e 122). Cela est assez inquiétant. Nous avons un deuxième capitaine affecté, le Cne. Legac, très certainement à la suite de votre intervention auprès de la DPMAT, mais toujours pas de sous-officier. En vous souhaitant une meilleure santé et bon courage pour affronter un nouveau séjour à l'hôpital, que j'espère très court, je vous demande mon colonel, de bien vouloir agréer l'expression de mon respectueux dévouement. M. Lefevre

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EXTRAIT du JOURNAL OFFICIEL de la REPUBLIQUE FRANÇAISE n° 186 du 12.8.66 p. 7051 PRESIDENCE de la RÉPUBLIQUE ORDRE NATIONAL de la LÉGION D'HONNEUR Décrets portant promotion et nominations

MINISTERE des ARMÉES

Par décret du Président de la République en date du 10 août 1966, pris sur le rapport du Premier ministre et du ministre des Armées et visé pour son exécution par le grand Chancelier de la Légion d'Honneur, vu la déclaration du Conseil de l'Ordre en date du 2 juin 1966 portant que les promotions dans la Légion d'Honneur du présent décret sont faites en conformité des lois, décrets et règlements en vigueur, le Conseil des ministres entendu, sont promus dans l'Ordre National de la Légion d'Honneur, pour prendre rang à compter de la date de réception dans leur grade. ARMÉE ACTIVE Au grade de Commandeur ARMÉE de TERRE

II. OFFICIERS SUPÉRIEURS a) Infanterie MOSNAY GOGUET de BOISHERAUD Bernard, Marie, Colonel, Officier du 31 décembre 1958 - Cité INSTITUT des HAUTES ETUDES de DÉFENSE NATIONALE N° 304 IHEDN/CAB

Extrait certifié conforme Paris, le 12 août 1966 Le Général de corps d'Armée de GUILLEBON Directeur de l'Institut des Hautes Etudes de Défense Nationale de l'Enseignement Militaire Supérieur et du Centre des Hautes Etudes Militaires P.O. le Lieutenant-Colonel ARNAUD pvt. Chef d'Etat-Major

DESTINATAIRE : M. le Colonel MOSNAY GOGUET de BOISHERAUD (2 ex.) Clt. : Dossier du Personnel.

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Notations 1961 A, comme Chef de Corps, pris en main en un temps record un régiment très dispersé géographiquement et aux missions multiples, auquel il a su, par son impulsion faite de fermeté sereine et de bon aloi, assurer globalement dans une période particulièrement délicate une payante cohésion et un excellent rendement. Fin et nuancé sous une volonté très ferme et un jugement sans défaut a, comme Commandant d'un sous-quartier urbain, dans un climat difficile et très mouvant, mené auprès des autorités et notabilités locales une politique adroite et efficace. Appartient indiscutablement à l'élite. 26.6.61 Santos Cottin 1961 Officier d'élite qui s'impose par son intelligence, sa droiture, la fermeté de son caractère. Doit donner toute sa mesure à la tête de l'important secteur de Souk-Ahras. 12.10./61 de Marle 1962 Officier d'élite, remarquable par sa droiture, sa valeur morale, son dévouement absolu à son métier. A la tête du secteur de Souk-Ahras, important commandement interarmes, a montré son intelligence, sa connaissance des hommes, son aptitude au commandement. A assuré avec beaucoup de fermeté une activité offensive intense en avant du barrage. A dû quitter son commandement pour raison de santé, conséquence d'une période de surmenage intense où il dût tout faire, faute d'adjoint. 6.4.62 Multrier 1962 En traitement dans les formations sanitaires et en congé de convalescence, ne peut être noté. 18.8.62 Heline Guizon 1963 Le Colonel de Boisheraud est sous mes ordres seulement depuis le 1er décembre 1962. Il a confirmé par ses grandes qualités de travail et de conscience et sa totale discipline d'esprit les excellentes notes qu'il avait méritées l'an dernier. Il est de plus un collaborateur et un camarade précieux. Réussit parfaitement dans le travail de préparation de la 77ème promotion de l'Ecole Supérieure de Guerre ; sera un instructeur de grande valeur. 30.4.63 Delepierre

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1963 Officier intelligent et cultivé, plutôt analytique, au jugement sûr, équilibré, travailleur acharné, d'une grande valeur morale, qui a le sens de l'autorité et qui a été la cheville ouvrière du 1er cycle pour la préparation des thèmes tactiques. Doit reprendre prochainement ses fonctions d'instructeur après une grave opération chirurgicale qu'il vient de subir. Officier de valeur qui mérite d'être inscrit prochainement sur la liste d'aptitude. 2.9.63 Beranger 1964 Officier qui mérite les excellentes notes qu'il a obtenues l'an dernier ; a montré de plus dans la discussion des problèmes nouveaux et particulièrement ardus évoqués au 1er cycle une curiosité d'esprit et surtout des capacités de synthèse très supérieures à celles qui pouvaient transparaître dans certains de ses travaux. S'est entièrement remis de son opération et n'a cessé d'apporter une aide extrêmement efficace à son directeur de cycle par sa compétence, son ardeur au travail et sa grande camaraderie. Mérite pleinement d'être inscrit sur la liste d'aptitude. 24.7.64 Beranger 1965 Officier supérieur de grande valeur dont les notes passées fort élogieuses témoignent de la valeur tant dans les fonctions de commandement d'Etat-Major et d'instructeur. D'une vive intelligence, riche d'une expérience militaire solide, il se caractérise par sa pondération, son travail incessant et réfléchi avec le souci du réalisme. Aussi son stage au CHEM comme auditeur a été une réussite. Ses qualités d'analyse et de synthèse jointes à une curiosité d'esprit louable lui ont permis d'étudier avec fruit les problèmes de stratégie militaire en faisant preuve d'une parfaite discipline intellectuelle et d'une grande modestie, peut-être même exagérée. Très franc et très loyal, animé du plus grand esprit de coopération, il a toujours été un excellent camarade. Mérite pleinement d'être inscrit sur la liste d'aptitude. 5.8.65 Vedel.

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Abréviations Ces abréviations sont signalées dans le texte lors de leur première apparition

AD : Artillerie Divisionnaire ALAT : Aviation Légère de l'Armée de Terre ALN : Armée de Libération nationale AM : Auto Mitrailleuse AMM : Affaires Militaires Musulmanes BAC : Bataillon d’Artillerie Coloniale BCP : Bataillon de Chasseurs à Pied BDAC : Bataillon de Défense Anti Chars BEP : Bataillon Etranger de Parachutistes BLM : Brigade Légère Mécanique BMC : Bordel Militaire de Campagne BMI : Bataillon de Marche Indochinois BOT : Bureau Opérations Transmissions BPC : Bataillon de Parachutistes Coloniaux BPVN : Bataillon Parachutiste Vietnamien Btn : Bataillon BVN : Bataillon Vietnamien CA : Corps d’Armée CABI : Compagnie d’Appui d’un Bataillon d’Infanterie CB : Compagnie de Base CCS : Compagnie de Commandement et de Services CDAC : Compagnie Divisionnaire Anti Chars Cdt : Commandant CEF : Corps Expéditionnaire Français CID : centre d’instruction divisionnaire Cie : Compagnie CLSM : Compagnie Légère de Supplétifs Militaires Cne : capitaine CRS : Compagnie Républicaine de Sécurité DAT: Défense Aérienne du Territoire DBLE : Demi-Brigade de Légion Etrangère DCA : Défense Contre Aéronefs DD : Dai Dôi (Division Vietminh) DFL : Division des Français Libres DIA : Division d’infanterie Algérienne DIM : Division d’Infanterie Motorisée et DLM : Division Légère Mécanique DLO : Détachement de Liaison et d'Observation DMM : Division Marocaine de Montagne DMT : Division Militaire Territoriale EEAC : Escadron d’éclairage antichar EM : Etat-Major EMI : Etat Major Interarmées 467


FFL : Forces Françaises libres FLN : Front de Libération Nationale FM : Fusil Mitrailleur FTA : Force Terrestre Anti-aérienne FTNV : Forces Terrestres du Nord-Vietnam FV : Fusiller Voltigeur GACAOF : Groupe d'Artillerie Coloniale de l'Afrique Occidentale Française GERD : Groupe d'Engins de Reconnaissance de la Division GB : Groupe de Bombardement GM : Groupe Mobile GMC : Camion de la General Motors Corporation GMNA : Groupe Mobile Nord-Africain GPRA : Gouvernement Provisoire de la République Algérienne GQG : Grand Quartier Général GRDI : Groupe de Reconnaissance de Division GVC : Groupe des Voies de Communication ID : Infanterie Divisionnaire LCVP : Landing Craft Vehicle and Personnel LCI : Landing Craft Infantry LCM : Landing Craft Mechanized Lnt : lieutenant LST : Landing Ship Tank MMF : Mission Militaire Française MP : Military Police OAS : Organisation de l’Armée Secrète OR : Officier de Renseignement PA : Point d’Appui PAO : Peloton d'Avions d'Observation PC : Poste de Commandement PCR : Peloton de Circulation Routière PIM : Prisonnier Interné Militaire PM : Pistolet Mitrailleur RA : Régiment d’Artillerie RACM : Régiment d'Artillerie Coloniale Mixte, de Montagne ou Marocaine RC : Route Coloniale RCT : Regimental Combat Team REI : Régiment Etranger d’Infanterie REIM : Régiment Etranger d’Infanterie de Marche REP : Régiment Etranger de Parachutistes RFL : Régions Fortifiées de la Lauter RFM : Régions Fortifiées de Metz Rgt : Régiment RIC : Régiment d'Infanterie Coloniale RICM : Régiment d'Infanterie et de Chars de Marine RP : Route Provinciale RSA : Régiment de Spahis Algériens RTA : Régiment de Tirailleur Algériens RTM : Régiment de Tirailleurs Marocains RTS : Régiment de Tirailleurs Soudanais RTT : Régiment de Tirailleurs Tunisiens 468


SAP : Société Agricole de Prévoyance SAS : Section Administrative Spécialisée (Algérie) SME : Section de Mitrailleuses et d'Engins Son : section SSFR : Secteur sud Fleuve Rouge. TD : Trung Doàn (régiment Vietminh) TOE : Théâtre d'Opérations Extérieures TQM : Transport Quarter Master UF : Unité de Feu VF : Voie Ferrée VM : Viet Minh ZEO : Zone Est Oranais ZEC : Zone Est Constantinois Les bureaux d’un état-major : 1° effectifs 2° renseignement 3° opérations 4° logistique 5° affaires civiles et militaires

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