Dialogues de Guerre - 1916

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รป


DIALOGUES DE GUEt|HE


B

DU MÊME AUTEUR

ROMANS ET NOUVELLES 2S/I

O 3D Eli KT- B I B Ij I O T" HÈ Gi XJ COLLECTION ILLUSTREE A 95

SIRE

1

LE NOUVEAU JEU LEURS SŒURS LES JEUNES LE LIT LES MARIONNETTES

]S*fl:

C.

volume

illustré.

— — — — —

— —

1

1 1

1

î

— —

THEATRE O ID E K. ISr - a? H É -A.T R E COLLECTION ILLUSTREE A 95

LE MARQUIS DE PRIOLA VIVEURS LE VIEUX MARCHEUR .

.

.

.

C.

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volume

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CATHERINE LE NOUVEAU JEU

VARENNES

ARTHÈME FAYARD &

.

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C'% Éditeurs.

.


î

y de l'Académie Française.

DlflliOGUES

DE GUEÏ^RE

PARIS ARTHÈME FAYARD & 18-20,

C>e,

ÉDITEURS

Rue du Saint-Gothard.

Copyright by Henri Lavedan 1916.


PQ

Il

,

a été tiré de cet ouvrage:

Cinq exemplaires sur papier du Japon numérotés de 1 c\ 5. Vingt exemplaires sur papier de Hollande numérotés de 6 à 25.


AUX INVALIDES



DlflLOGllES

DE

m^.

AUX INVALIDES Cour des Invalides. Devant les canons. Un groupe composé d'une dizaine de soldats blessés zouaves, chasseurs à pied, lignards, entoure une pièce de notre 75, dont un artilleur, au bras en écharpe, achève d'expliquer le maniement. :

L'artilleur.

A peine

...

C'est

comme

je le dis.

ce bavard élève la voix, on ne s'en-

tend plus, et les Boches font feu d'artifice des quat' membres. T'as joué aux quilles,

dans ta vie, pas vrai? Eh ben, dès qu'on


DIALOGUES DE GUERRE

entame une c'est

Un

eux

partie, c'est

nous

la boule, et

les quilles.

yeux hermétiquement un peu en arrière. Je

lignard, qui a les

bandés, et qui était

veux y

faire

une

caresse.

— A qui? Le lignard. — Au 73. L'arptilleur. — Avance.

[On

main du lignard

et la

Un zouave.

prend

la

s'écarte. Il

pose sur

le

canon.) Le v'ià.

Le lignard, qui palpe.

— Ah

oui... L'est

tout chaud.

Un tiens

chasseur.

Parce qu'il

fait

soleil,

!

(Un coup sonne

Le lignard, qui

à l'horloge.)

tressaille

au son

clair.

Qu'est-ce qui sonne là?

— Treize heures. lignard. — Mais ça n'a

Le zouave.

Le

tapé qu'un

dû y en avoir treize, en ce cas. Le zouave. Ça fait rien, c'est treize

coup.

Il

aurait

heures tout de même. C'est la consigne.

Le lignard.

Oui...

c'te pendule... Je l'avais

L'a

un beau son

jamais remarqué.


DIALOGUES DE GUERRE

[Parlant dans la direction de V artilleur

Eh ben

dis donc,

:)

maintenant, l'ingénieur,

je voudrais bien voir autre

chose?

— Après 7o Le lignard. — Oui. L'artilleur. — Quoi? Le lignard. — Les drapeaux, qu'on leur y L'artilleur.

a chipés

le

?

!

— C'est ça que tu veux, toi? Le lignard. — Oui. Le chasseur. — Qu'est-ce que ça peut

Un

chasseur.

te

faire ?

Le lignard.

— A cause que je suis colin-

maillard? C'est pas une raison.

Un

tringlot.

Mais

oui...

Ça l'amuse

tout de même...

Le lignard.

— Enfin je veux voir

les dra-

peaux. Oîi qu'y sont?

— En haut. — Allons-y. L'artilleur. — Patience. T'es comme un

Le zouave. Le lignard. cerf.

On y

va.

On va y

aller tous.

Mais faut

d'abord voir en bas.

Le lignard.

J'ai assez

veux voir en haut.

vu en

bas. Je


DIALOGUES DE GUERRE

10

L'artilleur.

tenace

— C'est ion.

Dieu, que

t'es

!

Un autre lignaud, maigre, tout paie, <i:ppuyé sur une canne, et qui écoutait, arrivé seule-

ment depuis une

— Bonjour...

mintite, se rapproche alors.

Est-ce qu'on peut se joindre?

— Mais Le lignard aux yeux bandés. — Qui c'est? est L'artilleur. — Un de la ligne. L'artilleur et le zouave.

oui.

là,

11

tiens,

il

te

prend

le bras.

Le lignard aux yeux bandés, tourné

vers

Ça va bien ? Pas Irop. Et toi ? Le nouveau lignard. Pas mal. Le lignard aux yeux bandés.

lui.

[Montrant ses bandeaux.) L'autre lignard.

— Tu

A

part ça.

n'y vois plus

du

tout?

Le lignard aveugle.

— Non.

J'ai

encore la

balle.

L'autre lignard.

Ah

ben...

Probable,

quand on te Faura ôtée, que <?«. ira mieux. Le lignard aveugle. Non. Le chirur-

gien a dit qu'y avait peu d'espoir parce qu'elle avait j'y revois

un

dû couper peu...

les

deux

nerfs. Si


DIALOGUES DE GUERRE

— Ah aveugle. —

L'autre lignard.

Le lignard

un

I

T'emballe pas...

tout petit peu... ça sera

L'autre lignard.

Avec un, surtout personne...

vant

On

11

du

droit.

C'est le meilleur...

le droit.

..

va.

. .

on ne craint

mieux

voit des fois...

qu'a-

!

Le lignard (Un L'autre

avejdgle.

— Y a peu d'espoir.

silence.)

lignard.

Ah

!

mon

vieux, t'as vraiment été touché

pauvre

!

— Bien sûr.

Le lignard aveugle.

Mais y en a tant d'autres!... Et puis quoi! On en est revenu... faut pas se plaindre.

L'artilleur.

Maintenant ça y

est,

on

monte.

— Aux drapeaux

Le lignard aveugle. L'artilleur.

?

— Oui. —

Le lignard aveugle. Chouette. Le nouveau lignard, à F aveugle. Appuie-

toi.

Vas-y de confiance. Si y a des sauts d'ob-

stacles, j'te dirai...

montent tous. Escaliers, corridors, gadu premier étage. Devant les débris du

(Ils

lerie

zeppelin on s'arrête.)


DIALOGUES DE GUERRE

12

— G'est drapeaux — Pas encore. C'est

Le LiGNARD AVEUGLE. Le nouveau lignard. les miettes

les

?

du zeppelin.

— —

Le lignard aveugle. Raconte. Le nouveau lignard. Y a d'abord, appliqué sur le mur, un grand abatis d'alumi-

nium que

tu dirais

mots en imprimé

:

du

fer-blanc, avec ces

Longeron de carcasse.

— Y a ça?

Le lignard aveugle. (Il rit.)

Le nouveau lignard.

Qu'est-ce qui te

fait rire ?

Le lignard aveugle. trouvé

!

Et puis

— Carcasse.

Ça, c'est

?

Le nouveau lignard.

— Et puis y a Thélice

du zeppelin. (// lui prend la main et la pose sur une des branches.) Tu la sens? Le lignard aveugle. Oui, c'est froid. Le nouveau lignard. Et dessus l'hélice

— —

y a des centaines de noms.

D'homme

femme. Le lignard aveugle. Le nouveau JofTre.

et

de

— Dis m'en. — Général lignard, lisant.


DIALOGUES DE GUERRE

— Oh

Le lignard aveugle.

!

13

Penses-tu que

c'est lui ?

Le nouveau lignard. pas. [Lisant

que

crois

[Lisant

:)

Je te le promets

Albertine, de Nice. Ça, je

c'est elle.

Et puis de la poésie.

:)

Pour

le

conduire à

la victoire,

Au Turc on montre le croissant, Au Français on montre la gloire, Et

la

choucroute à l'Allemand.

Le lignard aveugle.

Si tu veux. Mais

moi

c'est

rais

au Boche, Et puis voilà. Maintenant

pas la choucroute que j'y montre-

drapeaux

!

Le nouveau lignard. fait quelques pas.)

Tu

Le lignard aveugle. Le nouveau lignard. (Il

les

l'amène devant

Le lignard aveugle. Le nouveau lignard.

— Ça vient. es

dans

— Où — Là.

[Ils

ont

la salle.

qu'ils

la vitrine

du

sont?

milieu.)

— De quel côté — Devant Juste ?

toi.

en face. Allonge.

Le lignard aveugle, qui étend rencontre la vitre.

— Oh

!

zut!

la

main

et


DIALOGUES DE GUERRE

14

— Quoi Le lignard aveugle. — Y a un carreau. Le nouveau lignard. — Dame Tu vouLe nouveau lignard.

?

!

drais pas qu'on nous laisse jouer avec?...

— J'aurais bien aimé

Le lignard aveugle.

de les toucher. Je suis vexé

Le nouveau lignard, près.

T'es dessus.

C'est

!

Loin qu'y sont?

Mais non. Tout

comme

touchais. Tiens, là, où t'as ïa

ouverte,

il

si

tu les

main grande

y en ajustement un qui appuie

aussi de l'autre côté... D'I'étoffe à ton doigt

y a paSy oh veu

!

y a pas

l'épaisseur d'un cka^

!

D'un gros Et comLe lignard aveugle. bien y en a-t-il, de drapeaux? L

— Neuf. — Sont beaux? Le nouveau ugnard. — Ça ne vaut pas

Le nouveau lignard. Le lignard aveugle.

nôtre. Mais c'est tout de

même

le

pas de la

camelote...

Le lisnard aveugle.

Raconte encore.

Fais-moi) voir.

Le nouveau lignard.

— C'est des drapeaux

de bataillon. Réserve et active. peints, et puis de brodés.

Y en

Y en

a de

a de décorés


DIALOGUES DE GUERRE

de la Croix de a

un !

D'autres pas. Enfin y en

tout trempé de sang'.

— Et

Le ZOUAVE. pris

fer.

15

c'est des nôtres

qui l'ont

Des zouaves I

Le nouveau lignard, à l'aveugle. vu les drapeaux? T'es content? Le lignard aveugle. ils

sont à nous.

Un

T'as

peu. D'abord

s'embêtent. C'est bien

Ils

moins ceux-là, {Renfonçant son képi d'un grand coup de poing.) on ne les salue pas Alors, on redesLe nouveau lignard. leur tour. Et puis au

!

cend?

Le lignard aveugle. (11 fait

un faux

pas.)

Le nouveau lignard. t'f...

pas par terre.

sale canne.

— On redescend. —

Une marche. Ne T'as une

(// l'a retenu.)

Prends donc

la

mienne.

Le lignard aveugle. — Eh bien? Et toi? Le nouveau lignard. — Tu me donneras la

tienne.

On va

changer. Ça nous fera

venir. (Il fait

l'échange.)

un

sou-


DIALOGUES DE GUERRE

16

— T'cs

Le LiGNARD AVEUGLE.

On

bien gentil.

se retrouvera alors ?

Le nouveau lignard. Le lignard aveugle.

— Sûrement. — Elle est épatante.,

tu sais... [S'appiiyant dessus avec satisfaction.)

Et puis en main...

ça, c'est

A

bonne heure,^

une canne d aveugle.

Le nouveau lignard.

verras du droit. Si... Je te

Le lignard aveugle, tout poir...

la

Tais-toi.

Tu

re-

le dis...

bas.

— Peu

d'es-


LE LIEN



Il

LE LIEN M™^ Renaud, quarante-huit dans

la

ans,

une femme

douleur.

M™® DucHAMP, une

amie.

Chez Madame Renaud.

I

... Mon unique M™^ Renaud. Tout ce que j'avais. Tout ce qui me

enfant. restait.

Et puis, plus rien... ]\lme

DucHAMP.

— Gommeut as-tu appris?


DIALOGUES DE GUERRE

20

M™^ Renaud. Hier au

soir.

— Par un de ses camarades.

Voilà sa lettre.

(Elle la lui tend.)

M"'^

DucHAMP, lisant à mi-voix.

Ma-

dame...

M™^ Renaud disant

Vous

êtes

les

mots à l'avance. -;^

une mère...

(Elle s'interrompt et pleure.)

M™" DucHAMP,

continuant.

...

chré-

tienne et française...

— Quand Duchamp. — M™" Renaud. — Lis tout M™^ Renaud.

j'ai

nant.) voir... ]y|me

lu ça

!

Oh

!...

...J'ai le triste devoir...

M'"*'

Non

!

(Se repre-

bas.

Pas de lâcheté

!...

le triste de-

Va.

Duchamp,

lisant.

noncer que votre

...

de vous an-

fils...

(Elle s'arrête.)

M"»* Renaud. M""*

— Va.

Duchamp,

lisant.

...

le sous-lieute-

nant André Renaud, est tombé...

M™' Renaud, qui ne pleure mortellement frappé...

plus.

— Va.,


DIALOGUES DE GUERRE

M™^ DucHAMP,

...ce matin...

— D'une balle au cœur.

M"^ Renaud.

mains au

(Elle porte les

]\/[me

lisant.

21

DucHAMP, Hsant

.

Il

sien.)

n'a pas souf-

fert...

M""' Renaud.

M™* DucHAMP, vu l'aumônier. M""*

Renaud.

M""'

DucHAMP,

Non.

— La veille,

lisant.

11

il

avait

était prêt.

lisant.

— En recevant dans

mes bras le dernier soupir de mon ami, demandé à Dieu qu'il vous donne la

j'ai

force et la fierté de porter haut...

M™^ Renaud, achevant. M""^

DucHAMP, répétant.

leur... Agréez,

...

votre douleur. ...Votre dou-

Madame... Lieutenant Mer-

cier.

M™® Renaud. quera.

J'aurai

— la

Oui... fierté,

Rien ne la

me man-

force...

et

la

douleur. (A ce

moment une domestique

entre, te-

nant une carte qu'elle présente à M""" Renaud.)


DIALOGUES DE GUERRE

22

La DOMESTIQUE.

Madame,

un

c'est

monsieur...

M™^ Renaud.

monde... Je vous

Personne

Personne au

!

recommandé.

ai

La domestique. Je sais bien... Mais quand il m'a eu dit son nom... M™" Renaud, qui a jeté les yeux sur la change aussitôt de visage

carie, cri.

— Oh

!

Claire

et pousse

un

!

— Quoi M"'^ Renaud. — Mon mari M™" Duchamp. — Je l'avais deviné. M™^ Renaud, bouleversée. — Qu'est-ce M™''

Duchamp.

?

!

qu'il veut?...

d'hui

pas

me

deuil,

Que

laisser seule à

!...

!

Il

Aujour-

ne peut donc

mon chagrin, Ah Qu'il

au lieu de raviver...

Qu'il s'en aille qu'il

vient-il faire?

Après vingt ans

!

!

à

mon

parte

m'est impossible, que je regrette...

M"""

Duchamp, arrêtant la domestique.

Non. {A son amie.) Tu ne peux pas

le

voyer.

— Pourquoi donc pas? M""* Duchamp. — C'est son père. M"^ Renaud. — Tu as raison...

M""* Renaud.

!

[A la domestique.) Dites

ren-


DIALOGUES DE GUERRE

M™^ DucHAMP.

— Je

23

te laisse.

(Elle l'embrasse et sort.)

M"^

Reisaud, à la

domestique.

Faites

entrer.

II

M™^ Renaud est debout quand M. Renaud est La porte se referme. Ils sont seuls l'un en face de lauti^e. M. Renaud est d'une gi'ande

introduit.

pâleur,

il

yeux secs

a des

femme avec une

et rougis. Il salue sa

pi'ofonde tristesse. Elle lui rend

son signe. Et

ils

dans

salon de A'euve,

petit

le

sans

se regardent,

mot

où tout

dire,

est

en

ordre, bien rangé.

M. Renaud, dune voix

faible.

Vous

savez ?

Renaud.

M""®

Oui. Voilà ce que

j'ai

reçu hier. (Elle lui tend la lettre cier. Il la

M. Renaud, côté.

nel.

— Il

du lieutenant Mer-

prend.) lui tendant

une

lettre

de son

Et moi, aujourd'hui, de son coloest

mort d'une

façon... superbe. II


.

DIALOGUES DE GUERRE

24

sera cité à l'ordre de l'armée...

Vous ver-

tous les détails...

rez... ]y|rae

Renaud, prenant la

lettre.

Oui...

Merci

M. Renaud.

— Alors...

Ça ne vous fâche pas

voulu venir...

j'ai

?

M™^ Renaud. Non. Au premier moment, quand on m'a dit que c'était vous, j'ai

Mais,

été troublée...

puis, au fond, je

j'ai

compris. Et

vous attendais...

J'étais

sûre que vous viendriez.

M. Renaud. M™^ Renaud.

— C'est vrai — Absolument sûre. ?

Je sai

que vous l'aimiez.

M. Renaud.

— Oh

de nous deux, M""^

Renaud.

M. Renaud.

c'est

!

oui

!

Je ne dis pas que

moi qui

l'aimais le plus.

— Nous l'aimions autant. — Mais prévous qu'il

c'est

férait.

M™^ Renaud. M. Renaud. méritiez... plus

— Croyez-vous — avait raison. ?

Il

que moi. Ah

!

Vous

le

que de choses

en ce moment... que de choses auxquelles...

mon

Dieu

M'"«

!

Renaud.

— Moi

aussi...


DIALOGUliS DE GUERRE

— Je ne peux pas vous M™"^ Renaud. — Ne dites rien. A quoi bon? M. Renaud.

C'est passé.

dire...

Cest

Renaud,

M""^

Pour

lui,

C'est fini, oublié...

si loin.

— Pardonné?

M. Renaud.

grave, profonde.

en souvenir de

lui...

Oui.

parce que

son désir.

c'était

M. Renaud. mirable

Pauvre

petit

!

Cœur

ad-

!

— Mon enfant... — Notre Renaud. — Ah C'est un

M"" Renaud. M. Renaud.

fils.

M""=

!

déchire-

ment...

M. Re.naud.

...

Affreux

!

[Leurs maina

se joignent. Elle pleure.) Pleurez, oui, pleu-

rez avec moi, plus près.

ment.) Là, sur

Rappelons-nous, quand M""" Renaud.

M. Renaud.

(// l'attire

douce-

mon épaule... Ne parlez il

pas...

est né...

— Que nous étions heureux — Quand a grandi... son !

il

intelligence... ]yime

Renaud.

années...

Qui aurait cru que tout

devait finir sienne...

— Sa tendresse... Les

ainsi ?

Ma

vie

belles cela...

brisée...

La


DIALOGUES DE GUERRE

26

— La mienne également. des Renaud. — Et tant

M, Renaud. M*»*

d'autres...

milliers sur la terre... Et

nous

voilà, près

de ce cercueil... chacun de notre côté...

M. Renaud. notre côté. traire. Il

11

— Non

,

Non, pas chacun de pas.

Au

con-

nous réunit.

M""' Renaud.

réunir.,

!

ne nous sépare

Rien ne peut plus nous

-

rien..

M. Renaud.

même

douleur.

- Aujourd'hui. Mais de-

M™« Renaud. main ? M. Renaud,

La

Si.

-

La nôtre ne passera

pas.

Écoutez-moi. Qu'allez-vous faire à présent?

Renaud.

M'"''

Rester seule.

Comme

avant.

M. Renaud.

Vous

Mais avant,

l'avez perdu.

tenant que nous

Moi

était là

il

aussi. C'est

sommes

seuls,

!

main-

tous les

deux, et plus isolés que jamais. Car cet enfant était entre

nous

le lien...

le

dernier.

Discrètement, malgré notre rupture, parlait de vous... et disait rien,

silence.

11

môme quand

il

il

me

ne m'en

vous n'étiez pas absente de son

évoquait, dans nos regrets et nos


DIALOGUES DE GUERRE

remords,

le

meilleur

27

de nous-mêmes.

de notre ménage rompu, la

était la dignité

survivance d'un bonheur enfui. rapprochait ça et

sait et

deux détresses. n'étions

disparu, nous

n'y a

Il

adoucis-

de loin, nos

là,

avait triomphé

Il

longtemps de nos

Nous

Il

griefs, de

rien

sans

depuis

nos orgueils.

lui.

Puisqu'il a

nous rejoindre.

devons

Il

que nous qui l'ayons bien connu,

compris, aimé... Nous

sommes

sa famille...

Avec quel autre que moi pourriez-vous mieux parler de lui ? Qui m'écouterait

comme vous quand

je

dirai

son

nom

?

Vieillissons au souvenir de sa gloire et de

Ne nous quittons plus. Mettons ensemble chaque jour des fleurs devant son

sa jeunesse.

image. Hier nous nous retrouvions en lui. Nous devons désormais le retrouver en nous. Qu'au moins son départ nous ras-

semble

et

penchons-nous, pieusement em-

sur sa tombe, comme nous l'étions y a vingt-cinq ans... jyjrae Renaud, vaincue par Vémotion. Sur son petit berceau... Oui. Je veux bien.

brassés.

. .

il

[Ih restent serrés dans

les

bras

l'un

de


DIALOGUES DE GUERRK

28

l'autre.

Et puis,

elle se

dégage

et

demande

:)

est-il?

M. Renaud.

Je sais l'endroit. Tout de

suite après la guerre j'irai le chercher.

alors

Nous irons ensemble. Et seulement, une fois qu'il sera là, près

M*"^ Renaud.

de nous,

comme

M. Renaud. dera. (Il

sort.)

gage...

nous essaierons...

J'ai confiance. Il

nous

ai-


LA PRÉCAUTION



m LA PRÉCAUTION Au un le

front.

Le calme. En mars.

Un

matin. Dans

abri souterrain qui lui sert de salle de travail,

colonel

lit.

Un

sous-lieutenant pousse le bat-

tant qui tient lieu de porte.

Le sous-lieutenant. caporal est

Mon

colonel,

le

là.

Le colonel.

— Qu'il entre. I

— Tu as demandé à me parler? Le caporal. — Oui, mon colonel. l'acteur. Le colonel. — C'est — Oui, mon colonel. Le caporal. Le colonel. — Boulot. Le colonel.

toi


DIALOGUES DE GUERRE

32

Le CAPORAL.

A

la ville

aux ar-

et

mées... parce qu'au théâtre... c'est Beaufontaine.

— Si tu veux.

Le COLONEL.

mais vu jouer à

Je ne

ja-

t'ai

la ville.

Ah parce Le caporal, mélancolique. que je n'ai jamais fait que la petite province et l'étranger,

mon

Le colonel, front, le

matinée

beau

!

colonel.

...

Mais je

et le soir,

te vois

jouer au

ton rôle de soldat,

rôle.

Le caporal. Le colonel.

— Ça oui, — ...Tu

les autres pièces, je

feu, tu as

du

ne

le

joues bien. Dans

sais pas,

mais

ici,

au

talent.

— Oh

Le caporal,

troublé.

Le colonel.

— C'est bon.

y a? Le caporal.

une panne.

c'est pas

— Mon colonel,

!

mon

colonel.

Qu'est-ce qu'il

j

'ai

une grande

faveur à vous demander.

Le colonel. Le caporal.

— Va. — Je peux être tué d'une mi-

nute à l'autre, n'est-ce pas?

— C'est très faisable. Après? ça Le caporal. — Eh bien, je voudrais,

Le colonel.

si


DIALOGUES DE GUERRE

33

me portiez pas tombé, que ça ne se sache pas. Le colonel. En voilà une idée Le caporal, qui suit sa pensée. Oui. Le colonel, après un petit temps. C'est

m'arrive, que vous ne

!

— —

impossible,

pas

mon bonhomme.

le droit.

signale,

il

D'abord je n'ai

Si tu es tué et qu'on

me

le

faut que je le dise.

— Oh

Le caporal, consterné. Le colonel. Mais bien

!

sûr. Et puis je te

connais. Si tu tombes, tu tomberas très bra-

vement.

Le caporal, simple. Je le crois. Je n'ai jamais raté une sortie. Le colonel. Eh bien alors ? Vois-tu que tu sois frappé face à Tennemi, au premier plan, et que je le garde pour moi, que je

ne

te

nomme

honneur?

pas au public pour

Réfléchis.

te faire

me

Et pourquoi

de-

mandes-tu ça? Tu as une raison?

Le caporal.

— Oui, mon colonel. —

Le colonel. Dis-la. Le caporal, après un instant

— Je veux bien. ment, vous

me

Vous

d'hésitation.

êtes le père

du régi-

comprendrez. Quoique âgé


DIALOGUES DE GUERRE

34

de quarante-cinq ans

mon

engagé,

et

marié, je

me

suis

colonel, dès la déclaration de

guerre.

Le colonel.

nommer

— Je

le sais.

Aussi je

t'ai fait

caporal quand tu as débuté... dans

la prise d'Altkirch.

Le caporal.

si

Un beau

lever de rideau.

— Au premier jour tu serasser-

Lecolonel. gent, et

tu continues

comme

mencé, sous-lieutenant avant

tu as

com-

fermeture.

— Merci, mon colonel. Mais ce

Le caporal.

que vous ne savez été dix ans,

la

pas, c'est

ma femme

et

que nous avons moi, sans avoir

d'enfants... et c'était pas faute de le désirer

Et puis voilà qu'au

moment

les circonstances, la

chaleur des adieux...

— Tu as mis dans mille? caporal. — Oui, mon colonel. Et

Le colonel.

Le

!

de partir, est-ce

comme

le

y a de ça huit mois, puisque nous sommes en mars, on attend l'enfant d'ici trois

il

semaines, au plus.

Le colonel. Le caporal.

— Eh bien Quel rapport — Ma femme n'a pas de santé. ?

?

Elle ne vit que par le cœur. S'il m'arrivait

de périr, surtout en ce moment-ci, elle en


DIALOGUES DE GUERRE

36

mourrait, et le petit avec. Aussi je veux

mère et l'enfant. Tant que l'enfant n'est pas venu au monde il faut que je reste intact. Ah d'ici un mois je n'ai pas le droit sauver

la

!

d'être tué. Et si je le suis, faut pas qu'on

m'affiche.

Le colonel, ému.

mon

pauvre ami,

même

en cas de malheur, ta

J'entends... Mais, si

je

ne disais rien,

femme

le

saurait

quand même Elle le devinerait. Comment donc ça? Le caporal. Tu lui écris ? Le colonel. Tous les huit jours. Le caporal. !

— — — Le colonel. — Eh bien Le caporal. — Qu'est-ce que ça fait? ?

pensé à tout. Si ça arrive,

j'ai

J'ai

préparé à

l'avance quatre lettres, par ordre,

numéro-

tées 1, 2, 3, 4, oii je continue de lui

donner

de mes bonnes nouvelles, de façon à gagner la fin

du neuvième, où

elle

aura sûrement

mis au monde...

Le colonel.

Mais qui est-ce qui en-

verra tes lettres?

— Un camarade. Le colonel. — Et plus tard, Le caporal.

les papiers


DIALOGUES DE GUERRE

36

reçus,

quand

apprendra fois

femme, après sa délivrance,

ta

la vérité,

plus dur

..

quel coup alors

!

Deux

!

Le caporal.

Oui. Mais

il

y aura

fant. Il sera là. Si elle pleure, lui

l'en-

rira,

il

il

tendra ses petites mains. Elle sera attrapée.

A

cause de lui

mon

lement, dame, possible,

vous ne

faudra qu'elle vive. Seu-

il

colonel, tout ça n'est

au cas que je m'absente, que

me

portez pas

manquant

!

Où sont tes lettres? Le colonel. Le caporal, frappant sur sa capote à Elles sont là. place du cœur.

— — Donne-les moi. Le COLONEL. — Comment? Le caporal, ?

Le COLONEL.

— Je ne

sais pas. C'est

romantique, ton moyen. Ça

du

C'est encore

théâtre.

te

les

un peu

ressemble.

Tu aimes

en scène. [Le caporal a pris et les tient,

la

Vous

saisi.

voulez bien

si

la

mise

quatre lettres

en jeu de cartes.) Enfin, donne

toujours. (// les prend, les serre dans son portefeuille, les

met dans sa poche.) Et

en repos. D'abord rien

du

tout.

Tu

il

sois

ne t'arrivera peut-être

te montes...

On ne meurt

à


DIALOGUES DE GUERRE

pas

comme on

trop beau

!

Et

mon

veut,

si

37

petit.

Ça

serait

ça doit t'arriver, eh bien,

rapporte-t'en à moi. As-tu confiance?

Le caporal. Le colonel. le

— Oui, mon colonel. — Crois-tu que je

ferai

pour

mieux? Le caporal. Le colonel.

— Oui, mon colonel. — Ça Si je peux suffit.

tri-

cher, je tricherai.

Le caporal, heureux. Le colonel.

Et

si

— Ah

je

Le caporal, consterné.

!

ne peux pas...

— Oh!...

— C'est moi qui

ta

Le colonel. femme, pour

bonne encre,

et

lui

annoncer,

avec

que tu auras mérité près, et

le motif, l'ordre !

et

elle sera

courageuse,

la

(Le caporal la lui tend.

Il la

serre.)

Le caporal, étranglé d'émotion. colonel, je ne

Le colonel.

du jour

mère et l'enfant, tout veillerai. Donne-moi la main.

que

marchera. J'y

Et de la

Et je te garantis qu'a-

accouchée ou non,

fière,

lui écrirai à

oui...

peux

pas... non...

— Va, Boulot.

(Le caporal sort, chancelant.)

Mon


DIALOGUES DE GUERRE

38

II

Le lendemain,

même

heure.

Même

Le même sous-lieutenant que colonel, qui travaille seul. c'est le caporal

vous ayez la bonté de d'un fou.

Le colonel. sort.

Au si

Mon

au

m\

Il

le recevoir. Il

a

l'air

— Qu'il entre. [Le lieutenant

je

me

Mon

colonel, pardonnez-

permets... [Il s'arrête, agitant

Ma femme, à l'instant, m'annonce... C'est un fils, mon colonel... plus tôt qu'on ne pensait. Un fils magnifique. Alors, comme vous avez été si une

lettre qu'il tient

à la main.)

bon...

Le colonel.

— Un

petit Boulot!

Compli-

ments. Tu vois bien, bêta, que tout

s'ar-

range. [Tirant de sa poche son 'portefeuille et

l'ouvrant:) Tiens, reprends tes

Beaufontaine.

1

colonel

caporal:) Qu'est-ce qu'il y a?

Le caporal. moi,

la veille,

demande, que votre permission, que

Boulot.

qu'il n'ait pas sollicité

endroit.

lettres...^


L'HEUREUX MALHEUR


n


L'HEUREUX MALHEUR Lucie Laurier, dix-neuf ans. Jean Darémon, vingt-cinq ans.

Une domestique.

En

février 1915. Lucie est seule, au salon,

en

du bout des doigts et Tipperary, quand on sonne à

train de jouotter au piano,

comme la

tout bas,

porte de l'appartement. Elle s'arrête.

lemente dans l'antichambre

et

la

On

par-

domestique

entre.

Mademoiselle, La domestique. Darémon. Jean Monsieur Jean Darémon? Lucie, saisie.

c'est


DIALOGUES DE GUERRE

42

La

DOMESTIQUE.

Avec de

militaire.

mademoiselle. En

la bar...

— Eh bien

Lucie.

pas

— Oui, !

Pourquoi n'avez-vous

dit...

La

domestique.

J'ai dit,

j'ai dit

que Monsieur

pas

Alors

là.

Lucie.

a

il

Il

il

Madame

n'étaient

demandé Mademoiselle.

fallait dire que...

La DOMESTIQUE. Mais

et

mademoiselle,

mademoiselle...

J'ai dit,

avait entendu le piano.

Ça ne servait

plus à rien démentir. Est-ce que je peux Lucie,

(La domestique sort

Darémon. rie,

le...

troublée. — Oui.

Il

et introduit aussitôt

est en sous-lieutenant d'artille-

avec son manteau d'ordonnance à pèle-

rine.

Il

s'avance, souriant et grave,

un peu

gêné.)

Jean.

Excusez-moi, mademoiselle,

j'ai insisté...

Mais en temps de guerre...

si

les

usages... Lucie.

— Vous avez

bien

fait. J'ai

coup de plaisir à vous voir.

— C'est vrai? — Certainement. — Jean. Puisque

Jean.

Lucie.

Et vous?

j'ai insisté.

beau-


DIALOGUES DE GUERRE

Lucie.

43

Asseyez- vous vite! Vous voilà

donc guéri, depuis votre blessure? Jean. — Oui... au Lucie. — Droit? Jean. — Gauche. Lucie. — Une blessure

Au

côté?

côté.

sérieuse, allons,

quoi que vous ayez écrit?

— Mon Dieu... oui non. — Jean. — Mais je suis guéri. Lucie. — Tout à Jean. — Tout à Lucie. — Vous avez souffert? Jean. — Très peu. Moins que dans bien

Jean.

et

Lucie.

C'est oui.

fait?

fait.

d'autres circonstances.

(Un temps.)

— Vous avez un congé! Jean. — Oui, mademoiselle. Lucie.

Lucie.

Jean.

— Combien?

velable...

Lucie. fléchie.)

congé

si

Deux

s'il le

—A

la

mois... trois... Et renou-

faut.

bonne heure

!

[Soudain ré-

Mais non... Pourquoi avez-vous un long, puisque vous êtes guéri?


DIALOGUES DE GUERRE

44

Jean, simple.

Parce que la convales-

cence peut durer plus longtemps qu'on ne croit.

— Ah

Lucie, sérieuse.

!

[Un

silence.)

Vous

avez été bien soigné?

— Admirablement. — Par des femmes? Jean. — Oui. La perfection. Lucie. — J'aurais aimé, moi aussi, soigner Jean.

Lucie.

les blessés. Et je

m'imagine que

— Je n'en doute pas. Lucie. — Seulement

j'aurais su.

Jean.

voilà,

filles...

Quand

j'ai

moue.

fait la

dit

maman... tout de et j'ai

jeunes

Si tu étais mariée... a

ont

compris

les

parlé de ça... les parents «

Alors

suite... »

j'ai

attendu. [Un silence. Et puis,

lente, et en se remémorant :) Ah quand nous avons appris par votre père ce

d'une voix

!

qui vous était arrivé... l'explosion de mine...

comment vous

aviez

pu

être

ramassé à

temps, ayant perdu connaissance...

— A moitié. Lucie. — Et puis

Jean.

l'opération,

cet éclat

d'obus qu'il a fallu retirer... tout cela nous avait rendus bien inquiets, je vous assure


.

DIALOGUES DE GUERRE

[Geste de remerciement

nous avait

fait

Jean, gai.

45

du jeune homme.)

et

beaucoup de peine.

— Mais

puisque

c'est fini.

— Pas un jour nous n'avons cessé

Lucie.

de penser à vous. Jean. Ils

— Vos parents sont

la

bonté

même.

m'ont connu enfant.

Lucie.

— Je ne parle

eux. J'ai beau ne tout petit.

pas seulement pour

pas vous avoir connu

.

(Elle s'arrête.)

— Eh bien? — représentant ce que vous En me Lucie.

Jean, avec douceur.

enduriez... je ne crains pas de vous le dire

aujourd'hui, j'éprouvais tesse,

une

pitié...

une grande

très

tris-

affectueuse...

et

même...

Jean.

Et

même

vous avez commencé Lucie.

Eh

j'achèverai... Et

quoi? Allez? Puisque !

bien oui, je serai loyale et

même

des remords.

Jean. — prie...

Nous y voilà! Ah! je vous en Ah! Dieu non! N'en ayez pas... Ne

revenons jamais là-dessus.


.

DIALOGUES DE GUERRE

46

Lucie.

Si.

Revenons-y. Franchement.

L'année dernière, vous m'avez demandée en mariage... Jean.

A

la

fin

de juin. J'étais fou.

Vous m'avez fait répondre que vçus aviez pour moi beaucoup d'estime et d'amitié, mais que ça ne suffisait pas... Sur le moment j'en ai eu du chagrin.

— Ah? Jean. — Et aujourd'hui passé. — mi-voix. Lucie, à Déjà? Jean. — Oui. Et non seulement je Lucie.

c'est

n'ai

plus de chagrin, mais je suis enchanté...

vous entendez?

et je

remercie Dieu que

les

choses aient tourné ainsi. Lucie.

Jean.

— A ce point-là? Pourquoi donc? — Parce que, comme guerre a la

été déclarée

un mois après ma demande,

à

supposer que vous m'ayez agréé, nous n'aurions probablement

nous marier. Lucie.

Jean.

temps de

puis, quand Nous nous serions

Peut-être? Et

même... La belle fiancés, et

pas eu le

.

affaire

!

mariés après. Maintenant.

— Ni avant,

ni après.


DIALOGUES DE GUERRE

Lucie.

— Je ne comprends pas. — C'est Je ne peux

vous répéter ceci

jamais vous n'avez été

:

aussi bien inspirée que le jour

me

vez refusé en si

auriez

que

inutile.

JEA^^

tions

47

loyales.

où vous m'a-

fournissant des explica-

Quand

je pense

que vous

me dire oui... et me parole!... ma pauvre petite,

pu m'aimer,

donner votre

et

j'en ai le frisson.

Lucie.

Quoi? Comment! Alors

vous l'avais donnée,

ma

qui arriverait donc aujourd'hui? Vous la

je

si

parole, qu'est-ce

me

rendriez?

— Tout de suite. pour quelle raison? Lucie. —

Jean.

Et...

indiquant de sa

Jean, calme et grave,

main

Lucie, poussant achevé.

— Ah

!

de la pèlerine ; et vide.

me

:)

le

— Je n'ai plus qu'un bras.

recouvre.

yeux

du manteau qui

droite la pèlerine

un

avant qu'il ait

cri

[Elle soulève et rejette le elle,

aperçoit la

manche

pan

inerte

Les larmes lui jaillissent des deux

Et

c'est

rendriez

pour

ma

ça!...

parole

pour ça que vous

si

je

donnée? Et vous croyez que

vous

l'avais

je l'accepte-


.

1

DIALOGUES DE GUERRE

48

me

rais? Pour qui lui

:)

prenez-vous? [Allant à

Embrassez-moi. Je serai votre femme.

Jean.

Lucie! Non... Vous cédez à un

mouvement.

Lucie.

Vous aussi

.

mon

Je ne cède qu'à

cœur.

lui céderez.

— Je ne veux pas C'est impossible Lucie. — Et moi je veux. Je vous aime.

Jean.

!

!

Je n'ai pensé qu'à vous... Je vous retrouve, je vous garde.

Jean.

— Ah!

Mon

Lucie! Lucie!

rêve

C'est mal... C'est criminel...

— Non Jean. C'est la récompense,

Lucie.

bien petite, bien insuffisante... tout

moi-même, mes deux

ouverts, [Elle

le

Mon âme,

bras toujours

prend à plein corps avec

tendresse et respect...) toujours fermés. [Elle

a posé sa

tête contre lui sur sa poitrine, et il

baise ses cheveux en restent ainsi.) Voilà

aviez caché, à tous Jean.

— Oui.

penchant

la tête.

Ils

donc ce que vous nous

!

Même

à

mon

père.

A

quoi

bon vous tourmenter? (La sonnette d'entrée se se dégagent.)

fait

entendre.

Ils


DIALOGUES DE GUERRE

Lucie, qui a prêté l'oreille. [Elle sourit, toute

Nous reux

49

— Les parents.

humide encore de

pleurs.)

allons leur dire. Qu'ils vont être heu!

Ils le désiraient.

Jean, déjà vaincu. je vous en supplie Lucie, bas.

— Non... décidément...

!

Trop tard. Vous êtes

mon

prisonnier.

La porte commence à bonnes voix joyeuses

Jean!

Guéri!

cette mine?...

:

Quelle

s'ouvrir...

Gomment

!

Et des

C'est lui

surprise!...

!

Voyons


i


LE

CHATEAU



LE CHATEAU Le château de Randal, dans le Nord. Une et imposante demeure Louis XIIL Six heures du soir, à la fin d'août, en 1914. Au milieu du grand salon du rez-de-chaussée, aux cinq portes- fenêtres fermées, se tient un officier supévieille

rieur allemand de haute taille, à tête quadrangulaire, à

moustache grise et lourde. Il a les Au bout de ses longs bras écartés pendent deux énormes pattes, gantées

talons joints.

du coi'ps du blanc

le

plus frais.

Il

attend, en se considé-

rant dans les hautes glaces qui le répercutent, si terrible et si avantageux. Dehors, couvrant perron aux huit marches de pierre qui borde

façade d'honneur, un attentif, regarde,

le

la

état-major, immobile et

examine

l'architecture, les pe-

louses, les parterres à la française, les charmilles


.

DIALOGUES DE GUERRE

54

Du côté des communs, un chien aboie comme un loup. Le canon tonne. Et une femme de trente ans entre elle profondes qui s'enfoncent.

:

est nu-tête, simple,

en noir, d'un calme qui glace.

I

L'allemand.

Madame

marquise

la

d^

Randal?

La

marquise.

L'allemand,

G^est moi.

s' inclinant

tisfaction, sa coiffure ral,

du

buste avec sa-

à la main.

Géné-

prince von der Viick,

La

marquise.

— Eh bien

Le général, dont

?

tottte la

personne

s'ef-

C'est

force de compatir avec immensité. la guerre

! . . .

[Et

un rauque soupir.

marquise.

Le général.

La

Je sais.

Nous

.

.)

Ach

! , .

la faisons

aussi.

fique.

Et très bien...

Magni-

Votre armée...

La marquise.

— Pas d'éloge. Qui me vaut

l'honneur?...

Le général.

— De ma visite? La victoire,

madame. La marquise.

— Aujourd'hui.


DIALOGUES DE GUERRE

5ÎS

Et demain, après, touLe Général. jours. Immer! Immer! Mais laissons cette

chose pénible. Vous aimez ce château, n'est-

Vous l'aimez beaucoup ? Plus que tout. La marquise. Le général. Je sais... je sais... Comment? La marquise. Le général. On m'a dit. Je comprends.

ce pas ?

— — — —

Si beau

venirs!

!

Si riche

Ah!

le

votre Randal est joux...

Si antique

!

Plein de sou-

un des joyaux, un des

bi-

bijoux historiques de votre

oui...

race. C'est

!

passé de la France!... Et

un musée,

je

vous

dis, plein

de

Vous avez les tapisseries d'après les cartons de notre von der Meulen qui reproduisent la campagne de notre Rhin... Ach! Vous avez des Rûbens, des Titien, des Vélasquez... Le service d'argenterie des reliques...

noces de Marie Leczinska...

Une

biblio-

thèque aux armes du maréchal de Randal, de onze mille six cents volumes.

La

— Plus. — Ah Et des boiseries

marquise.

Le général.

!

portraits, des horloges de Roule, des

!

des

meubles

de marqueterie précieuse, des biscuits, des


.

DIALOGUES DE GUERRE

56

porcelaines de

France

enfin...

de

de Sèvres,

Chantilly,

on n'a rien

fait...

jamais, de

mieux... et quoi encore avez- vous?

— —

De la patience, prince. La marquise. Ne vous fâchez pas, maLe général. Je suis l'ennemi. Mais marquise... la dame pas le vôtre, à vous personnel.

La marquise.

Moi

je suis votre enne-

mie, monsieur, et je tiens à

Le général.

Eh

— Hélas

!

l'être.

Que je

le regrette

une

bien, écoutez! Je vais vous offrir

preuve, une preuve...

! . .

comment exprimer?

de courtoisie allemande, de délicatesse et de culture. Vous dites que nous barbares... tères!

Nous! De

si

Des forces, oui,

douces. Enfin, je veux

sommes

des

grands bons carac-

mais des forces qu'il

soit raconté

qu'un général, un prince de cette nation sauvage que nous sommes, a sible à contenter

à lui laisser, jour,

fait

une grande dame

malgré

un souvenir

tout,

pos-

le

française,

dans ce

agréable de galant

triste

homme

et de chevaleresque soldat. Oui, je veux.

La marquise. Le général.

— Et alors? — Oh n'ayez pas peur. !


DIALOGUES DE GUERRE

La marquise. Le général. brave.

très

57

— Je n'ai jamais peur. — Brave! Oui, je

sais...

de maréchal

Petite-fille

sous

Louis XIV. Alors, écoutez-moi bien, dans les yeux. Les ordres les plus formels, les plus durs, j'ai donnés... Rien ne sera pris ni tou-

ché

ici.

Pas une épingle. Je sais que tout est

comme

en place, venir,

nous n'avions pas dû

si

que vous n'avez rien enveloppé, rien

caché dans la terre, rien envoyé au

loin...

Vous avez eu confiance en nous... La MARQUISE. Ce n'est pas cela. Le général. Si. Laissez-moi croire. La marquise. Non. J'aurais peut-être pu sauver la plus grande partie de mes riC'est joli.

— —

chesses, des souvenirs qui

Je ne

même

l'ai

pas essayé.

me sont chers. A quoi bon ? Je

suis à présent au-dessus de tout...

nez-vous

?

Le général. ailes!

Compre-

Comme

La marquise.

comprends

Si je

!

Uber

nous...

— Je ne tiens plus

à rinn...

Le général, plaisantin, avec un index de

main gantée.

— Oh

!

féminin mensonge...

oh

!

oh

!

Voilà un gros


DIALOGUES DB GUERRE

58

La

marquise, confiante.

A

rien.

Qu'à

votre écrasement!

Le général, paternel.

Oui, oui. Pauvre

madame touchante C'est entendu. Eh bien, quand même, voilà la généreuse Allemagne. !

Randal aura été

pris, occupé, et quitté

par

nous...

La Le

— Quitté? Déjà? général. — Dans quarante

marquise.

-

huit

heures, pour aller sur Paris... sans avoir

dommage. Pas une

subi le plus petit

tasse

ni petite cuiller ne manquera, et j'ai dit

:

défense de couper une rose sous peine de mort. Aussi, plus tard, vous serez forcée de reconnaître

même

dans

la

gentillesse de nos

la guerre...

Ya. Vous

usages,

me

devrez

la conservation de ce beau palais qui est

votre Potsdam.

Vous m'en aurez une

grati-

empoisonnée, mais gratitude tout de même... Ce sera ma vengeance des mauvais

tude...

sentiments que vous nourrissez pour moi.

La marquise.

Vous vous trompez, géVous je ne vous dois rien. Vous

néral. Jamais je n'aurai de gratitude.

ne

me

devez rien,

êtes ici par la force, faites à votre guise.


DIALOGUES DE GUERRE

Le général. Pas une

tasse.

59

Ainsi fais -je.

fleur.

moment on cogne du

Pas une

Tout respecté. {A ce

dehors au carreau d'une

des port es- fenêtres.) Mais... on m'appelle,

pour

fâcheuse!

Un

— Quel exemple — Une petite canaille,

bien

une opération...

exemple, hélas

La

marquise.

Le général.

si

!

?

soupçonnée d'avoir

sur

tiré

mes uhlans.

Tenez ? (On

a ouvert

s'est écarté.

une des portes. L'état-raajor

On

aperçoit sur la pelouse, à

vingt pas, un garçon d'une quinzaine d'années,

lié

de cordes, et qui

crânement peu de dis-

fait

face à cinq soldats groupés à

tance, l'arme au pied.)

La

marquise, poussant

Le général. La marquise. Il

un

cri.

!

le fils

:)

Emile, de loin, tourné vers

madame

Ah

— Vous connaissez? — C'est de mon garde.

a quinze ans. [L'appelant

sent,

la

marquise

Emile elle.

!

Pré-

!

La marquise, au général. Un enfant Le général. Vos enfants sont des hommes. Il a tiré.

!


?

DIALOGUES DE GUERRE

60

— Non. L'avoue-t-il — nie. Donc Le général. n'a pas La marquise. — Le général. — Peu importe.

La marquise.

c'est vrai.

Il le

tiré!

Il

Il

faire. Il n'y

a qu'à

du perron aux

allait le

le voir. C'est assez. [Criant

soldats.) Schnell!! Sogleich

(Les soldats se placent sur

un rang

!

et vont

épauler.)

Une minute Une seule La marquise. Une! {Au général.) Dites-leur d'attendre. {Bas.) Allons, le

gentilhomme?... Voilà

cas... Dites-leur... Criez...

Le général, Nein! Warten

!

I

troublé.

Tout de

le

suite...

Soit. {Criant

:)

sie.

(Les soldats reposent les fusils.)

La marquise, entraînant du ral à l'intérieur du salon.

geste le géné-

Venez. J'ai

deux mots...

— Qu'y a-t-il? La marquise. — La grâce de cet enfant. Le général. — Impossible. n'est pas coupable. La marquise. — accusé. Le général. — — faux. RenseignezA marquise. La Le général.

Il

11

est

I


DIALOGUES DE GUERRE

Comment! Vous

VOUS. Je VOUS y aiderai.

agréable, vous

m'être

voulez

61

jusqu'ici plus qu'il ne

me

serait

m'accordez

venu à

l'idée

de souhaiter!... Et pour une bêtise, la vie

d'un

homme, d'un gamin, d'un que vous vous

san, voilà

Vous

ma

petit

faites

pay-

prier!...

ensanglanter votre passage dans

allez

maison, gâter votre pensée de tout à

l'heure ?

Gomment

voulez-vous que j'aie

un souvenir sans horreur boussez

si

vous

l'écla-

?

Eh bien... Je ne promets Le général. rien... d'ici demain. Nous verrons demain matin.

La MARQUISE.

— Merci.

Dites qu'on le re-

lâche.

— Je vais marquise. — Et qui

Le GÉNÉRAL.

La d'ici

demain

le dire.

il

Le GÉNÉRAL.

ne

me

prouve que

lui arrivera rien?

— Vous u'êtes pas tranquille. veux vous rassurer.

Tenez... Décidément, je

Oui, je ferai bien les choses. C'est à

même Il

que

je

donne

la

vous-

garde de ce garçon.

va être remis en vos mains. Vous en êtes

responsable.

Un

conseil

:

surtout n'essayez


DIALOGUES DE GUERRE

62

pas de l'évader, vous causeriez sa mort, certaine... Et Randal, aussitôt... incendié!

— Oh — Le général. Oui. Moi La

marquise.

1

le

premier,

j'al-

lume.

La

marquise.

prisonnier ne

Le général. (Il

me

Mon

N'ayez pas peur.

quittera pas.

— Avertie

!

salue et sort.)

II

Quelques instants après,

la

marquise

est seule

avec Emile dans une pièce retirée.

Emile, qui suffoque d'émotion.

vous, j'y étais,

madame

la

Sans

A

marquise.

charge de revanche.

La

marquise.

faire partir avec

Entendu. Peux-tu

toi d'ici

me

demain matin? J'ai une idée.

— C'est La marquise. — Où irons-nous? Emile. — Dans lignes françaises, Emile.

facile.

les

quatre kilomètres... Les yeux fermés. Mais, après notre départ, ne vont-ils pas se ven-

ger?


DIALOGUES DE GUERRE

La

marquise.

Ils

63

brûleront Randal.

On

m'a prévenue. Emile.

— Oh

Pour sauver

La

!

ma

marquise.

non

!

Alors, c'est pour

moi?

vie que vous faites ça?

— Et avec joie

La

!

vie d'un

Français vaut plus que tous les châteaux de

France. Dis ton moyen. Emile, bas.

Eh

bien, voilà.

dix heures, moi devant, avec

Ce

soir à

un couteau,

nous commençons par descendre...



LE PETIT SACRIFICE



VI

LE PETIT SACRIFICE C'est

un ménage de bourgeois

braves gens. Milieu de

la vie.

Des

parisiens.

Le

après

soir,

dîner. Monsieur a fini de lire son journal, et

il

songe en regardant l'abat-jour, où se détachent sur fond blanc les drapeaux des puissances alliées. la

Madame, près de

la

lampe, tricote

nouvelle campagne d'hiver

«

pour

».

I

Monsieur.

— Tu n'as pas lu

le

journal

?

Madame, sans lever les yeux de son ouvrage»

— Non. Monsieur.

— Ça ne t'intéresse pas

?


DIALOGUES DE GUERRE

68

Madame.

Si.

Mais puisque tu

me

le

racontes... Qu'est-ce qu'il y a?...

— Une nouvelle grave. — Madame. Bonne? Monsieur. — Plutôt mauvaise. Madame. — Non Monsieur. — Enfin, ennuyeuse. Madame. — Qui nous touche? Monsieur. — Mais bien entendu. Sans Madame. — Dis au lieu de tourMonsieur.

très

?

ça...

vite,

nailler...

Monsieur.

une solennité

Je ne tournaille pas. {Avec il

triste.)

On engage

les

bons

ci-

toyens, les patriotes, à porter leur or..

Madame, (Elle

saisie.

Hein?...

pose son ouvrage.)

Monsieur.

...

à la

Banque de France.

Madame, avec un peu d'alacrité. Monsieur.

Oui...

— Leur

or.

Le nôtre. Oh! pour

échanger... pour des billets...

Madame.

— Ça va de

soi.

Je suppose bien

qu'on ne demande pas de les donner en ca-

deau? Monsieur.

— On

le

pourrait.

II


.

DIALOGUES DE GUERRE

Madame.

La

Comment donc

69

Tout alors

I

!

vie de nos enfants...

— Nous n'en avons pas. Madame. — Heureusement! Je serais déjà

Monsieur.

morte

si

nous en avions

me

enfants, tu

!

Quand

je dis nos

comprends. C'est une façon

de parler. Je pense à ceux des autres, je ne suis pas égoïste.

dans

le

[Un temps.) Ah!

y a ça

journal?

Monsieur.

— Oui, {Soupir.)

Et c'est dom-

communi-

mage, parce que d'autre part le qué

il

est bon.

Madame, reprenant son

tricot.

Alors,

sois satisfait. [L'observant entre ses points.)

Qu'est-ce qui te trouble? Cette affaire de l'or?

— Un peu. — Je ne vois pas y

Monsieur, très doux.

Madame.

qu'il

ment raison de

s'inquiéter. Si l'Etat

ait vrai-

manque

d'or...

Monsieur, vivement. pas

!

Ne va

— Mais

il

n'en manque

pas dire une pareille chose

Madame,

taquine.

Puisqu'il

! . .

fait

un

fait

pas

pressant appel?...

Monsieur, enflant la voix.

un pressant

appel,

ma

bonne,

11 il

ne

ne

crie pas


DIALOGUES DE GUERRE

70

au secours tions!

Ah

l'État

!

qu'il

ne

ment, tout.

il

!

Tout de suite des exagéra-

!...

moque

se

Il

là là

en

lui

!

11

pas mal de notre

en a bien assez

faut!...

sollicite...

il

!

or...

Et plus

conseille seule-

11

engagea... Mais c'est

Rien de plus.

Madame.

En

ce cas, ne te mets pas

martel en tôte pour

l'État, et

va

coucher.

te

[Un coup d'œil à la pendule Empire qui vient de maman.) Dix heures et quart Les der!

niers becs sont éteints dans

la rue.

Monsieur, qui ne bouge pas.

qui donc? [Silence.

Oh

!

ce

que je nae tourmente.

pour Madame, reposant son ouvrage.

n'est pas

l'État

Fébrile et

Pour

contenue.)

Allons? Va jusqu'au bout. Tu n'as pas

l'idée,

j'imagine?...

Monsieur,

chétif.

— N... non. — Ah

Madame, rassurée. Monsieur,

!

reprenant

courage.

Mais

pourtant ça serait bien...

Madame.

Quoi? Qu'est-ce qui

serait

Tu veux

porter

comme

quel-

bien? [Rejetant

ses laines.)

notre or ? Est-ce ça ?

Monsieur, agitant

les

aras


DIALOGUES DE GUERRE

— Oui,

qu'un qui patauge. je

ne

te dis

c'est ça...

Mais

pas que je veux le porter... Je

dis... (Il s'arrête.)

— Quoi? Monsieur. — Que ça m'ennuie Madame.

de ne pas

le porter.

— Ta conscience?... Monsieur. — Mon Dieu oui. Madame. — Eh bien et moi? Est-ce que je Madame.

n'en ai pas une

Monsieur. — Madame. —

?

i

Si.

Grois-tu

vaut

qu'elle

la

tienne?...

Monsieur.

— Mais sans doute,

ma

Plus que la mienne elle vaut. Là

Madame.

— Eh bien,

ma

me

!

conscience, elle

est tranquille. Voilà trois ans,

sur le peu que tu

chérie.

sou par sou,

donnes...

— Bon Ça va être de ma faute Madame. — trois ans qu'à force de gratMonsieur.

!

!

...

ter et

de

me

priver de tout

j'ai

pu mettre de

côté mille francs... mille francs d'or!... Cinq

cents en louis, cinq cents en pièces de dix...


DIALOGUES DE GUERRE

72

Monsieur.

Madame.

quand

— Mais... — Rappelle-toi,

je

la guerre a été déclarée et

fait voir ce tas d'or, le

domestique

était

soir,

d'acheter

prie,

que

je t'ai

après que la

remontée, rappelle-toi ton

Tu m'as un

émotion, tes remerciements. seillé

t'en

un

étui,

connoir

vissé...

Tu

parce que ça attire moins l'attention.

m'as

dit

:

«

craint rien, crises. »

Avec mille francs d'or, on ne on peut traverser toutes les

Et tu m'as embrassée... Est-ce vrai?

— C'est vrai. Madame. — Et aujourd'hui, Monsieur.

au bout d'un

an de sécurité, pendant lequel nous avons vécu grâce à cet Monsieur.

or...

Nous ne

l'avons

même

pas

entamé.

Madame.

— Bien entendu.

ne l'entamerons. Jamais

!

Et jamais nous

Pas avant que

la

paix ne soit conclue... et signée!...

— Alors à quoi nous Madame. — Nous savons est Monsieur.

qu'il

l'avons.

Nous sommes

pour beaucoup dans

s...

là.

Nous

tranquilles. Et c'est

la certitude

gardons de l'heureuse issue, de

que nous

la victoire...


DIALOGUES DE GUERRE

— Moi — Je ne

Monsieur.

Madame.

mes

73

j'y crois sans ça.

me

dé-mu-ni-rai pas de

mille...

— C'est bien. C'est bien... Bon-

Monsieur. soir...

(Un

baiser au coin

du

fi'ont,

sur

la

partie

la plus dure.)

— Bonsoir.

Madame.

(L» même, du bout des lèvres, dans barbe

la

srrise.)

II

Le lendemain après dîner. Comme la veille, Monsieur lit et Madame tricote. On parle peu.

Madame, à Monsieur qui replie lentement son journal.

Eh bien

?

Est-ce meilleur

qu'hier ?

Monsieur.

— Le communiqué est toujours

très bon. [Prenant tout à

Laisse

un

coup son parti.)

instant ton ouvrage, veux-tu

Madame.

Pourquoi

?

Tu

as

chose à

me

tout de

môme. Ça ne me dérange

?

quelque

dire? Je peux très bien travailler pas.


DIALOGUES DE GUERRE

— Mais moi ça me trouble.

Monsieur.

compter

as l'air de

jamais

si

tes points.

Je ne sais

tu m'écoutes et à quoi tu penses.

Madame, écartant son ouvrage, qui

un peu

Tu

loin sur la table bien cirée.

Monsieur.

glisse

— Va.

— Tu promets de ne pas

te fâ-

cher?

Madame.

y

— Ah?

Ah? Tu

aurait lieu

?

Monsieur.

— Non...

garde-moi.

sens déjà qu'il

Mais tu es vive. Re-

Tu ne me trouves pas mauvaise

mine?

— Non. Monsieur. — Toute Madame. fermé

l'œil, et

pas

la nuit, je n'ai

depuis hier je réfléchis.

— L'or Monsieur. — Oui. Ne fâche pas — Madame. Je ne dis pas un mot. porter. Tout Monsieur. — faut Madame.

?

te

le

Il

monde

le

!

porte. J'ai

le

vu aujourd'hui plus le faire, ou

de vingt personnes décidées à l'ayant déjà fait dès ce matin.

Vous en avez bien

aussi,

On me

tiroir ?

Madame.

disait

:

dans un fond de

— Que répondais-tu?


DIALOGUES DE GUERRE

— Rien. Je ne voulais pas men-

Monsieur. tir... J'étais

gêné.

— Alors

Madame.

75

Monsieur.

?

me

Alors, tu vas peut-être

blâmer, tant pis

!

Je te raconte. Je ne

t'ai

jamais rien caché. Je te dis tout.

— Dis-moi tout. Je m'y attends. Monsieur. — Pendant que tu faisais tes Madame.

courses, tantôt, l'idée... l'idée qui

imposée avec une

s'est

n'ai pas fitons

Une

pu

résister...

me

Je

me

suis dit

de son absence pour porter

fois la

chose accomplie,

qu'elle l'accepte

rapport à

!

Ça

toi, je le

tenait

force que je

telle

il

Pro-

:

l'or...

faudra bien

n'était pas bien

par

mais vu

cir-

sais,

les

constances...

— Continue... Monsieur. — Je suis Madame.

çillé

dans

chambre.

ta

Je savais où était caché le rouleau, dans

une

paire de bas, la dernière au fond de l'ar-

Et puis, quand

moire...

prendre,

il

Madame.

Ah! le

c'est

n'y était plus

j'ai

été

pour

le

!

— Et qui est-ce qui a été attrapé? que je

soupçon que tu

me

méfiais!... J'avais

étais capable d'une

eu

chose


DIALOGUES DE GUERRE

76

pareille...

vois

s'il

Alors

était

j'ai

temps

enlevé

le

Monsieur, grave et ferme. le

rouleau, et tu

!

— Eh bien, va

chercher. Tout de suite.

— Tu veux Monsieur. — Oui. Madame. — Tu en prends responsabilité Monsieur. — Absolue. Va chercher. Madame. — Ce n'est pas la peine. Je

Madame.

le

?

la

?

le

l'ai

sur moi. (Elle le retire de sa poche.)

Monsieur.

Madame,

Le

— Donne.

le lui

mettant dans la main.

voilà.

Monsieur, à peine Va-t-il reçu.

Il

est

vide.

— Sans doute. — Tu as retiré l'or? — Madame. Pas du tout. Mais pendant que

Madame.

Monsieur.

moi

tu avais ton idée,

N'y a pas que

toi

magot à

Monsieur.

même.

qui réfléchis la nuit. Pen-

dant que tu voulais versais le

j'avais la

— Oh

la !

me

dévaliser,

moi

Banque...

Non

!

C'est vrai?

je


DIALOGUES DE GUERRE

Madame.

Mille francs

Le reçu. [Elle

77

le lui

tend.)

!

— Mille vingt! — Madame. Ah oui. Parce qu'il y avait un Monsieur, lisant.

A

louis de trop.

force d'en mettre, j'avais

mal compté. L'employé me j'étais

le rendait.

lancée. Je lui ai dit

:

«

Mais

Gardez

le

tout. »

— Cachottière

Monsieur.

me

t'empêcher de

Tu ne peux pas

!

faire des niches!

— Es-tu content Monsieur. — Et toi? Madame. — Enchantée.

Madame.

?

11

rouleau.

Tu

parmi

malheureux,

les

son devoir. Et

aimables à

me

pesait, ce

as raison. Puisqu'on n'est pas

la

si

il

faut faire au

moins

tu savais ce qu'ils ont été

Banque? Ah

!

je n'ai pas idée

de la figure qu'ils font quand on va leur de-

mander de ils

l'or,

mais quand on leur en porte,

sont bien gracieux... Ouf! Aimes-tu ta

vieille ?



LA PERMISSION


I


.

vu

LA PERMISSION A

Paris,

au fond de Montmartre.

Un logement

du soir. Au milieu de la pièce, la table à nappe de toile cirée est encore garnie de plusieurs verres et bouteilles. Galop et sa femme, qui viennent de raccompagner des amis sur le carré, rentrent et se rassoient. Lui, quarante ans, soldat du ...® d'infanterie, brun hâlé, durement barbu, bien à d'ouvriers aisés... Onze heures

point. Elle, autour de la trentaine, blonde fine et vive à taches de rousseur.

Elle.

— Ah

!

c'est

pas pour te critiquer.

mais, depuis ce tantôt

que tu

es

.

revenu du

front, après dix mois, t'es pas bavard. T'as laissé ta

langue dans ta musette.

On ne peut

rien te tirer, je ne te reconnais plus.

Nos 6


DIALOGUES DE GUERRE

82

amis voulaient

y

as pas

te faire

fait.

Ils

honneur, tu ne leur

n'en ont pas eu.

Ils

s'en

vont vexés.

— Mais non.

Lui, calme.

Elle.

Mais

moi, tu vas dire.

maintenant à

si.

Enfin,

On

est seuls, les enfants

couchés. Conte vite.

— Quoi? Elle. — Sois Lui.

pas

nigaud.

Tout.

Les

Boches ? Lui.

— Les Boches?

C'est des

mal

(/?(?/?ea;20/?.)

Eh

bien?.

élevés.

— Comment qu'ils sont de près? je serais bien en peine. On Lui. — Ma

Elle.

foi,

ne se cause nons.

le

plus souvent qu'avec des ca-

Quand on

les

embroche, on n'a pas

temps de les regarder...

le

En somme, on ne

se fréquente pas beaucoup.

Elle. Lui.

Passera-t-on l'hiver

— Et

le

pouce.

Quand donc que

Elle

?

ça sera-t-il

fini.

alors ? Lui.

Elle '

Lui.

Quand -

Y

l'ouvrage sera

faite.

a de sales moments, hein?

Comme

^j

^Hl

partout. Des bons aussi.^^


DIALOGUES DE GUERRE

83

— T'as pas reçu du pétrole en feu,

Elle.

au moins?

Lui.

P't'ôtre bien qu'oui!

me

Je

sou-

viens plus. Faudrait prendre des notes.

— Et Lui. — Oh!

Elle.

le le

dépense,

faire la

gaz asficiant? gaz!

j'te

pourraient ne pas

l'ont sur eux...

ils

qu'ils se font distiller.

Cologne,

ils

A croire

Sentent pas l'eau de

promets. Toi qui es blanchis-

seuse, tu tomberais de leur linge, tellement

ont la sueur fine

ils

Elle. t'as

!

— Ça m'étonne pas. A propos de

ça,

un masque?

— Oui. — Tu Lui. — J'en

Lui.

Elle.

apporté?

l'as ai

pas besoin

ici.

Je

l'ai

laissé

à la maison. Elle.

— Qu'est-ce que t'appelles la mai-

son? Lui.

— La tranchée. — Ah bah D'après tout ce qui nous

Elle.

!

revient, c'est pourtant pas Lui.

un

domicile.

— Ça n'a rien d'une bonbonnière

Mais comment

On aime

le

te dire?

Ça tourné au

boyau de ce

qu'il

!...

patelin.

vous dégoûte


DIALOGUES DE GUERRE

84

du mal

et

qu'il

donne. Quand je suis au

fond de mes trous, ça

mon

métier de maçon.

me rapplique dans Il me semble que je

que je vais poser des fondations pour

bâtis,

un beau pâté de ciel! Je crois

Elle.

six étages qui caressera le

que je construis.

— Et puis ça ne va pas plus

loin...

Vous avez déjà assez de peine à y grouiller dans vos boyaux, mes pauvres enfants!... ne vous

Il

suffit

pas de les garder,

faut

il

encore,

quand vous en prenez un neuf, que

vous

mettiez en état, que vous en fassiez

le

le nettoyage.

Lui.

Tu

sais ce

Elle. le tir a

Quoi! tu

de nettoyage?

parles...

que c'est?

— Bien sûr.

Le mot

le dit.

Quand

pendant des heures tout crevé sens

dessus dessous,

il

faut remettre en ordre

pour habiter... Lui, soulagé.

Tu y

On

es.

coup d'époussette. On ramasse

on raccroche

nomme

les tableaux.

le nettoyage.

n'y a pas

moyen de

puis quoi en plus?

Allons

Un

range.

les fauteuils,

C'est ça qu'on !

Je vois qu'il

rien vous cacher

!

Et


DIALOGUES DE GUERRE

85

— T'as vu des des morts? — Quelque peu. Elle. — Vous êtes bien nourris Lui. — Gomme des notaires. Y a pas à se Elle.

blessés?...

Lui.

?

plaindre.

Elle.

y

As-tu cru quelquefois... que tu

étais ?

— Çà vrai? Combien de fois? Elle. — Lui. — Plus d'une. Elle. — Tu pensais à moi, hein, dans ces Lui.

et là.

G'est-il

moments-là, et puis aux gosses?

A

Fédéric,

à Bouboute? Lui. c'est

— Non, je ne pensais qu'à une chose

qu'on

Elle. oui.)

Eh

Lui.

on

:

les aurait.

Les Boches?

(// fait

signe que

bien! Et nous? Ton équipe?

— Vous,

c'est

pour

refile à l'arrière et

la relève,

quand

qu'on joue au bou-

chon, en parlant tout haut, à sa faim. Alors

on se rappelle qu'on a une couvée. Autrement pas. Sans ça, comprends-tu, on ne pourrait plus faire. Elle.

me

— Ah bien

figurais,

!

On perdrait l'idée. Ah bien Moi, bête, !

avec ton portrait à

mon

qui

cou


DIALOGUES DE GUERRE

dans un médaillon... je vois que tu bitues bien de nous, oui Lui.

— Ne pense pas

te

désha-

!

ça, Pauline, tu m'af-

fliges.

— Preuve que je mets — Mais non. Elle. — C'est comme Elle.

le doigt dessus.

Lui.

le

famille,

bien égal

!

restant de ta

Ça

amis, tes affaires...

tes

Tu m'as seulement

t'est

pas, depuis

demandé une nouvelle de rien, ni de personne. La tante Biquet, que tu aimes de tout ton cœur pourtant, qui te fichait des tantôt,

coups de poing dans

le

dos jusqu'à seize

ans...

— Eh bien?... Elle. — Elle s'occupe d'être hydropique. Lui.

Elle a de l'eau.

— Ah Elle. — Ta nièce Elisa? La rougeole. Ton Lui.

!

ancien patron, monsieur Chope plus.

?

Il

n'est

Enterré de seconde classe, avec un

corbillard à ressorts et à glands qui dansait

que tu aurais

dit

un

comme pour une d'autres

que

berceau... et des fleurs

horticulture!...

j'oublie.

La serine?

Et bien S'a sauvé


DIALOGUES DE GUERRE

87

de sa cage. Tu ne t'en es point aperçu. Tout ça devrait te divertir, mais, depuis que tu es revenu, t'es insensible.

Ah non, je suis mon homme à !

contente de te voir en face,

moi, avec toutes tes dents et pas un cheveu

me préparais

de moins... mais je

de ta permission. Tu ne

plus d'éclat

l'as

pas curieuse ni

Lui, se rapprochant d'elle.

— Que je t'em-

gaie. Vrai

!

brasse. (//

Plus

me

le fait.)

Et puis rends-le moi...

fort. [Elle le fait .)

Maintenant écoute. Tu

trouves changé d'extérieur, n'est-ce pas?

— Oui. Lui. — du poil de sanglier, Elle.

J'ai

j'ai durci, je suis

plus,

tanné, je ne

cependant...

et

même... Eh bien! à ainsi. J'ai l'air

que

pêche pas

cœur

le

me

maigri,

ressemble

moi tout de

l'intérieur,

en va

il

d'un détaché, d'un type à

secret, parce

classe.

c'est

j'ai

je

Seulement

ne cause pas. Ça n'em-

d'être fidèle. v'ià ce

Il

est de la

qui est arrivé.

Notre capitaine, qui est très pépère,

il

nous

a réunis, les permissions de quatre jours, et il

nous a

dit

:

« Attention, les

bonhommes,

pendant que vous serez loin de chez nous,


DIALOGUES DE GUERRE

88

à Paris ou dans le

la

province Vous avez perdu !

goût de la parole. Continuez.

On va vous

abrutir de questions du matin au soir sur ce

qui se passe

«

à la maison

».

Sourde

oreille.

Moins que vous en lâcherez, mieux ça vaudra. Qu'est-ce que vous leur raconteriez, à vos gens ? Ce que vous avez vu

comme

voyages

les

D'abord à

ne rime plus à

froid, après coup, ça

C'est

?

dans

rien.

pays

les

chauds, quand on dit que pour bien se rendre

compte faut voir ça sur place avec tumes, sans quoi

c'est fade.

les cos-

Et puis vous

auriez beau en ôter, vous en laisseriez de trop tout de

même

et

braves parents et vos

vous troubleriez vos

femmes pour

Les

bien inutilement.

petits

boyau, ça ne regarde pas causer et gardez c'est pas et

le

l'avenir,

le civil.

Evitez de

sourire. D'autant

pour cancaner de

du

fourbis

que

la contre-attaque,

de la cote et du Labyrinthe, que la Répu-

blique vous envoie une minute dans vos foyers,

c'est

pour que vous repreniez

contact et que vous vous fassiez gâter.

le

Com-

Alors on lui a juré qu'on ne dirait

pris?

»

rien.

Faut y

tenir.


DIALOGUES DE GUERRE

Elle.

même

à moi...

on

fait pas.

Et puis, je te dis

on

les aura.

se plaît.

On

le

ne la

il

principal

On veut

:

on

les avoir et

tient le bout.

— Tu

Elle, câline.

mon

la guerre,

qui en parle,

la fait. Celui

est bien et

on

que

fort pourtant

— On ne parle pas de

Lui. p'tit,

un peu

C'est

89

ne

me

raconteras ja-

mais, jamais...

Lui.

Comment donc! Mais plus tard. Quand ça sera signé. Ah je t'en

Après.

!

enverrai des anecdotes qui sont

touche

(// se

Des choses... qui ne s'ima-

le front.)

ginent pas dans

là.

les bouquins... T'en auras.

Pas peur. Mais au retour, au dernier, au vrai.

Enfin ne sois pas jalouse de là-bas

comme

je vois bien

que tu en as envie.

— Tu devines? Lui. — Oui. [Grave.) Là-bas,

Elle.

te représenter,

le

c'est

si

tu pouvais

tellement sérieux, et

grand, et puis beau... à ne pas trouver de syllabes... qu'on est soulevé, porté plus

que

soi... C'est

de triomphe...

tout le temps Ici,

bon maçon, une

avant, je

haut

comme un arc me sentais un

truelle de Paris, et puis


DIALOGUES DE GUERRE

90

Depuis

c'est tout.

souterraine,

un

fusil

au poing,

seulement senti Français.

que ça

signifiait.

comme

on me

si

Elle, pensive.

que

Lui.

Ça

J'ai

je

me

suis

compris ce

Maintenant,

je

le

sais

l'avait tatoué...

Oui.

Ah

toi tu es instruit, tu as

à la maison

la guerre,

n'y fait rien.

!

dame

!

parce

du jugement.

Tu

le

sens bien

aussi, toi?

— Depuis que tu me On est des hommes Lui. — Tu vois bien l'as dit.

Elle.

?

tous les deux,

ma

fille.

Pour

le caractère,

s'entend, parce que... [Souriant avec dresse.) Si

Elle.

on

— Ma

hein?

foi oui. C'est

gagné. {Lui pre-

nant la main.) Viens voir dormir [Ils y vont.) Fédéric, bouche ouverte.

avant.

ten-

se couchait,

les enfants

c'est toujours la


LA MARRAINE



VIII

LA MARRAINE M"" DucHAMP, soixante-dix-sept train de tricoter à la fenêtre de sa

a vue,

ans,

est

en

chambre qui

la place des Vosges. Sa Marguerite, douze ans environ, assise

du troisième, sur

petite-fille

à ses pieds sur

un tabouret,

lui lit le journal,

Marguerite, à haute voix.

...

Le mys-

térieux silence de Sofia ne laisse pas que d'être assez inquiétant.

Néanmoins...

Ursule, la domestique, faisant irruption.

— Madame, y a M"*' est-il

DucHAMP. ce soldat?

un

soldat pour vous.

Pour moi

?

Comment


DIALOGUES DE GUERRE

Ursule.

Magnifique. Avec la croix de

guerre.

M"" DucHAMP.

— J'y

Ursule.

— Son ai

nom ?

demandé.

Il

]yjmc

DucHAMP.

nommera ...

que

c'est

Madame un

pas la peine, qu'il veut voir instant seule, qu'il se

dit

à

elle.

Je n'y comprends

rien.

Marguerite, avec élan.

man, ne

le reçois

pas

!

faux soldat, un mauvais

mine d'y

aller.)

homme

Moi, je vais

DucHAMP, la retenant.

M""^

Va dans

chambre,

ta

Marguerite.

;)

Il

[Faisant

— Es-tu

folle ?

S'il

lieu, je

A

peut entrer.

Celle-ci

juste passage à coloi'ée

?

recevoir.

— Mais bonne-maman... — Obéis. y a

assure

(Elle

porte.

le

[Marguerite sort à regret.

t'appellerai.

Ursule

un

tiens.

Duchamp.

M'»^

Ma bonne-ma-

C'est peut-être

et

ses

lunettes

et

regarde

s'ouvre pour donner

la

tout

un hercule en capote dé-

en gros souliers, son képi à

la

main. La croix de gueri'e pend sur sa poi-

une large face blonde dé meunier,

tririê. Il

a

et

en se balançant, un peu rouge.)

il rit,


DIALOGUES DE GUERRE

98

— C'est moi. Cherchez pas. — Qui mon ami? Le SOLDAT. — Plume. Vous y êtes? M™* DucHAMP. — Pas du tout. Pltime du 432*. SecPlume. — Mais

Le soldat. M™« DucHAMP.

ça,

si.

teur 203... Plume, votre filleul

M™« DucHAMP. — Mon Plume. — ...De guerre.

!

filleul ?

dame Duchamp de

Est-ce vous

la place

Ma-

des Vosges?

— Sans doute.

M™^ Duchamp. Ben Plume.

M"** DucHA-MP.

vous voulez

vous

alors, c'est

raine de tranchée

ma

mar-

!

Je ne sais pas ce que

dire.

Plume, portant sa main poliment à son front.

Pardon, Madame. Permission de

parler sans haine et sans crainte M°"^

Duchamp,

Parlez

!

?

Je vous

en

prie.

Plume.

— Vous vivez seule

petite-fille,

got,

qui va sur sa treizième,

d'enfant qui est toutes vos

que

ici

si

avec votre

orpheline de père et mère, Mar-

vous ne

heure que vous

et

y a déjà belle montée chez le bon

l'aviez pas,

seriez

un amour

entraillés,


DIALOGUES DE GUERRE

96

Dieu... Je vous répète ce que vous m'avez dit...

M™" DucHAMP, au comble de

la stupeur,

Moi?... Je vous ai dit?...

— Attendez

Comme je suis tout mon côté, et que je me plaignais de n'avoir personne à qui me dorlotter en ville et qui me conte des choses, Plume.

seul,

j'ai

moi

!

aussi, de

demandé par

le

journal une marraine

de guerre.

M™* DucHAMP.

— Quel journal

?

Plume, montrant /'Intransigeant resté ou-

— Celui-là que vous

vert sur la table.

Vlntran. Oui, bien.

vient chez nous.

il

On

lisez,

l'aime

Alors vous vous êtes déclarée... et

puis on s'est accroché. M""^

Ah

ça

DucHAMP. !..

mon nom j'ai

mon ami

.

Plume.

— Hein? Moi

— Mais et

mon

?

Accrochée

?

!

dame

oui

adresse...

!

J'avais

Dans

donné

la huitaine

reçu avis que j'étais retenu par « une

vieille

grand'mère

».

C'était ce

que

disait

la note.

M"**

DucHAMP.

Mais non

!

Mais non

!

Mais non

!


DIALOGUES DE GUERRE

Plume, qui va toujours.

m'avez

Et puis vous

écrit.

M"° DucHAMP. Plume.

— Jamais

— Six

DucHAMP.

M"""

Plu3ie. — ^jme

97

fois.

— Oh

Oh

!

Et je vous

DucHAMP.

!

ai

!

répondu autant.

— En cc cas, vous avez mes

lettres ?

Plume.

— Un

peu.

DucHAMP. — Montrez-les. Plume. — Ça sera pas long.

M""®

(//

débou-

tonne sa capote.) Parce que, je vous cache pas, je

commence

ayez pas

l'air

à être rabroué que vous

me

de

croire. Je

vous parle

honnêtement moi. Madame, d'un bon cœur bien reconnaissant... aussi vrai que je m'appelle

Plume,

^jme

fort de la Halle...

DucHAMP.

Plume.

— [Sans

verte, avisant tout

du doigt sur

Moutrez-lcs moi. Vite.

se presser, sa capote

à coup

ou-

et faisant sautiller

la ceinture qui lui couvre le

ventre une breloque de métal attachée à sa

chaîne de montre

:)

A

preuve encore, tenez

le p'tit sifilet-boussole

cadeau

!

que vous m'avez

!

fait


DIALOGUES DE GUERRE

98

M*"^ DuciiAMP, pressante.

Les lettres?

Plume, sortant un calepin en lambeaux en extrait un paquet de

qu'il entr ouvre,

lettres et les lui tend.

— Les

v'ià, là

!

M™^ DucHAMP s'en empare vivement, regarde une enveloppe, ouvre une lettre et Ah mon Dieu pousse un cri.

!

!

— Qu'est-ce que vous avez?

Plume.

M"*^ DuciiAMP, qui s'est levée, appelant.

Margue-rite

Margue-rite

!

Marguerite aussitôt

!

à la seconde.

là,

Ma bonne-maman ? M""^ DuciiAMP, sévère, lui

sous

le

lettres à

lons?

nez.

mettant

C'est toi qui

Monsieur

?

les lettres

as écrit ces

[Silence émouvant.) Al-

Ne mens pas? Nous savons

entends

Tout

?

Marguerite,

maman,

c'est

!

Réponds

très

calme.

tout, tu

!

— Oui, ma bonne-

moi.

M™« DucHAMP.

— C'est

toi

!

mains ridées se joignent.)

(Ses

Marguerite. [Pas un atome de remords.)

Oui,

Plume

:)

ma bonne-maman. Bonjour.

[Et souriant à


DIALOGUES DE GUERRE

Plume, abasourdi.

champ :) rite se

:)

Alors, c'est pas vous

C'est

vous?

frappe sur

encore !.,.

champ

?

[A Margue-

à ébranler l'appar-

écoutez, je

!

fameux

plus

[A i/™® Du-

C'est la p'tiote qui... (//

les cuisses,

Ah ben

tement.)

rab

Non?

99

trouve

mignon, rab de M"^ Du-

et

(Se reprenant, tourné vers !)

Vous fâchez pas ? Ça me quand je pensais que

bien, parbleu,

vous, la grand'mère, qui

de savoir à présent que

ma

me

et

que

même,

est-ce

:

!

me Vous

fait le

flattait

c'était !

Mais

demoiselle

Mon

je lui répondais

bienfaitrice... ça

plus de plaisir

protégiez

c'était la

marraine qui m'écrivait

fant...

ça

:

cher en-

Vénérée

peut-être encore

comprenez tout de

pas? Mettez-vous à

ma

place?

Et quand ça ne serait que la façon qu'elle s'y est

prise,

faut bien se dire que c'est

rusé, oui, et rigolo

M™* DucHAMP,

!

sérieuse.

C'est très vi-

lain.

Plume.

— Oh

?

— Ma bonne-maman M"® Duchamp. — Vous ne

Marguerite, câline.

Plume, à

pensez point?

!

le


DIALOGUES DE GUERRE

100

M™^ DuGHAMP. Plume.

Si,

Monsieur.

— M'appelez pas monsieur. Ça me

rend pâle.

voyons

Puisque

suis

je

votre

filleul,

?

M""® DucHAMP.

— Pas

mien, non.

le

Plume, montrant Marguerite.

Je veux

dire le sien.

DuciiAMP.

M™"^

ce qu'elle a fait?

Plume. raine

!

Encore moins

Ah

— Allons

!

Après

!

par exemple Bon Me v'ià sans mar!

!

!

Après que j'en avais quasi deux

!

N'y

a que moi d'innocent dans tout ce rafFut-là, et c'est

moi qui trinque

(A

Duchamp

i/™*'

:)

!

C'est pas juste.

Ainsi, c'est vrai que

vous nous en voulez? M"*'

Duchamp.

— Pas à vous.

Mais à ma-

demoiselle.

Marguerite, réprimant un

rire.

Ma

bonne-maman...

petite jyjme

Ducuamp, à Phmie.

— Elle m'a trom-

pée.

Elle a guetté le facteur. Elle a imité

mon

écriture.

Marguerite.

— Non, bonne-maman

!

{Mon-

trant les lettres.) C'est bien la mienne, vois C'est pas tremblé.

?


DIALOGUES DE GUERRE

Plume.

Dame non

!

On

101

sent qu'elle a

pas peur.

DucHAMP, à sa petite-fille.

M'"°

Tu

tu t'es fait passer pour moi. toi,

as parlé de

en t'adressant des compliments

— Et un peu mérités.

Plume.

Avec

Enfin,

!

Dame

oui.

le motif.

DucHAMP, à Plume.

M""®

— Ah

!

c'est joli

!

Je vous conseille aussi, vous, de prendre

son parti Plume.

!

— Je ne peux pourtant pas

la lâcher,

voyons? Après ce qu'elle a fait pour moi? C'est maintenant à la vie à la mort nous deux.

ment reuse

— Mais pourquoi...

DucHAMP.

M""®

diable as-tu fait ça, petite

et

com-

malheu-

?

Marguerite.

C'est d'avoir lu dans le

journal que des soldats demandaient

marraines qui m'a donné M'"^

— Tu ne pouvais pas me

Duchamp.

dire? J'étais

des

l'idée. le

là.

Marguerite.

— Tu

n'as pas le temps. Et

puis ça n'est plus de ton âge. M'"''

Cette

Duchamp.

mouche

!

— Mon âge

Comme

!

Dirait-on pas?

si j'étais

en enfance?


DIALOGUES DE GUERRE

102

Marguerite.

maman.

C'est

— Bien sûr que non, moi qui

le

bonne-

suis en enfance,

Mais tu n'aurais pas pu. Tu es trop bonne. Je te connais. Si tu avais eu un filleul, tu aurais pleuré à chaque com-

ta petite-fille.

muniqué.

G'est-il pos-

aurais

cru tout le

Plume, à M™^ Duchamp. sible ?

Marguerite.

temps

Tu

la la

!

Valait bien

ça soit moi, qui ne suis toi,

tombée mieux que pas bonne comme

qu'il allait périr, et tu serais

malade. Tra

qui suis dure, moi

!

Plume, riant. — Ah Marguerite. — Mais certainement !

grand'mère

:)

la la

Demande-lui

!

si

je

ne

!

[A sa

l'ai

pas

grondé? Plume. le

— Un

cafard,

et

qu'on avait

soir sans lune,

que

je lui avais écrit,

c'est

vrai.

— Ah

Marguerite, à sa grand'mère.

Plume. — Mais ce qu'elle ne qu'elle

m'a bien

nez violet, en

mon

bazar.

gâté, aussi.

Un beau

soie de laine.

!

dit pas, c'est

11

cache-

est resté à


DIALOGUES DE GUERRE

— Oh

M™" DucHAMP. vais tricoté

c'était

!

103

moi qui

l'a-

!

Plume, amusé.

Ah

bah ? Je

!

non. Vous êtes bien aimable.

dis pas

Et tu m'aM™^ DucHAMP, à Marguerite. vais raconté que tu l'avais perdu dans le Métro Petite menteuse Et du chocolat français... du Plume. !

!

perlô... M""^

DucHAMP.

quoi?...

que tu

— t'es

Qu'est-ce que c'est?

Du

permis?

Marguerite, shiiple.

du tabac,

C'est

bonne-maman. Plume.

— Oui, tabac,

c'est son

tandis que perlô c'est son

— Et tu — Y a pas de

je

me

mal.

rappelle... vingt francs

de guerre

nom de civlô, de soldat.

Ah

Tu vas

bien, toi

Marguerite. voyons,

!

pour

et puis,

ma

croix

!

M™^ DucHAMP, à sa petite- fille. lire.

mots-là?

sais de ces

M™® DucHAMP. Plume.

nom

— Ta

La

bonne-maman

croix !

de

Tu ne

— Certainement

guerre,

les aurais

donc pas donnés, toi?

M"* DucHAMP.

tire-

!

si.


DIALOGUES DE GUERRE

104

Plume, confus.

maintenant.

J'ai

— Oh

!

écoutez

Marguerite, admirative. ce qu'il a

mon

Plume.

C'est trop,

— Si vous saviez

bonne-maman! [A Plume.)

fait,

Dites-lui,

!

honte.

filleul.

Ça vaut pas d'en

parler. C'est

du métier. M"""^

DuciiAMp.

moi qui vous

le

Dites-le, allons? C'est

demande.

se tait.)

(Il

Marguerite, à Plume.

— La citation, toute

simple? Plume.

— Après guerre. Ça me — Eh bien, je vais la

Marguerite.

moi. {Elle récite

:)

Soldat Plume, 432^ d'in-

fanterie. Très belle attitude

deux

gêne.

le dire,

au

feu.

Blessé

fois.

— Deux — Plume. C'est guéri. Marguerite. — Pour être M"»*

DucHAMP.

fois ?

Où ?

allé à

deux

re-

prises chercher sous la fusillade, entre les lignes, son lieutenant et son adjudant gra-

vement

atteints et les avoir rapportés l'un

après l'autre sur son dos.


DIALOGUES DE GUERRE

— Vous avez

^{me DucHAMP.

105

ça

fait

Plujie. [Haussement d'épaules.)

bitude.

?

L'ha-

me

Je suis fort à la Halle. Ça ne

Du monde

coûte donc pas. pareil. Et le

monde,

c'est

ou des sacs, c'est

moins lourd. [En-

gageant.) Je vous porterais bien toutes les

deux ensemble,

fallait, allez

s'il

M""' DucHAMP, effrayée "pour

sayez pas

Plume.

!

rire.

— N'es-

!

Ils

m'ont

cité

pour

pou-

ça. Je

vais guère refuser. Mais y avait pas de quoi.

On

tâchera mieux la prochaine. Mais avec

temps

tout ça le

retourner

m'en

se gaspille, et faut

!

M"* DucHAMP. Marguerite.

— Déjà? — Oh vous !

allez rester ?

Dîner avec nous? Bonne-maman? Plume.

— Je peux pas.

vais qu'un trains,

je

moment

de passage, entre deux

avant de regagner... Alors

veux pas traverser

remercier je suis

C'est l'heure. J'a-

ma

Paris,

marraine

j'ai dit

bon Dieu

donc venu. Et puis tout ça

non

!

sans

et voir sa figure.

rivé... toutes ces anecdotes... Et

attendais pas,

!

Enfin,

on

que

:

Et

est ar-

je

s'est

m'y bien


DIALOGUES DE GUERRE

106

amusé

môme. Et

tout de

puis, voilà.

Au

revoir, sans adieu. Et merci à toutes deux,

madame

et l'enfant. (// s'émeut.) J'aurais ja-

mais cru que ça soye possible de rencontrer bonnes gens...

d'aussi

toutes les deux des

et si âgé...

si petit,

mamans

qui se valent...

Merci. Je ne serai pas ingrat. Je vous ferai

une bague.

faire

— Oh

DuciiAMP.

M'"''

!

Il

y a longtemps que

je n'en porte plus!

Plume.

Alors

un

bracelet,

pour la pe-

tite ?

Marguerite. Plume.

Oh

!

oui,

bonne-maman

!

Et puis dame, y a une chose

que j'aimerais par-dessus tout. Quoi donc? M""^ DucHAMP.

Plume.

Embrasser

ma

[Tourné vers M"'° Duchamp, front

Permission

:)

crainte M"""

?

marraine.

main au

la

Sans haine

et

sans

?

Duchamp.

Plume.

Ouste

Embrassez-la. !

(// l'enlève

à bout de

comme un

verre, et l'embrasse sur les

deux joues.) Ça

va. [La reposant:) Et c'est

bras,

pas

fini,

hein

?

Je suis toujours votre en-


DIALOGUES DE GUERRE

fant

?...

Dites,

et

vous

ma

bienfaitrice

Madame Duchamp ? Ça

M'»« Duchamp.

Plume. (Il

On

i07

Oui.

part bien.

salue, et sort heureux.)

vénérée?

continue

?



AU

P. C.



IX

AU Dans

le

P. C,

P. G. (poste de

commandement),

sis

à vingt mètres de la première ligne, le Capitaine

Lauzet

et le

Lieutenant Galopier, du

...^

d'in-

d'automne. A la lueur d'une bougie fichée dans un carré de bois, fanterie,

ils

sont assis,

un

fument, sans rien dire,

soir

le

capitaine sa pipe, le

La fumée monte aux rondins du plafond bas. Au souffle du vent, par instants, la portière en toile de tente bouge. Deux lieutenant une cigarette.

planches formant rayons sont chai'gées de livres

brochés et de boîtes de conserves. Sur un guéridon rustique, la carte et les dossiers du secteur, retenus par un éclat de 77 en guise de pressepapiers. A une branche fichée dans la paroi pend un revolver dans son étui. Sur le sol garni de


DIALOGUES DE GUERRE

112

plaques de liège, un verture.

Un

de paille avec une cou-

lit

petit poêle de fonte, allumé, brû-

lotte.

— A quoi pensez-vous? Le lieutenant. — Qu'avec ce trognon de

Le

capitaine.

bougie nous avons

de mettre du vin en

l'air

bouteilles.

Le

capitaine.

— Exactement. Et comme

il

est tiré...

Le lieutenant.

faut le boire.

11

(Soupir et boufFée.)

Le c'est

capitaine.

nous ou

Mais, je ne sais pas

le poêle,

que ça sent un peu

cher ami, on dirait

spleen?

le

Le lieutenant, reniflant poêle.

Le

capitaine.

fait rien.

l'air.

— C'est

le

Je m'en doutais. Ça ne'

Combattons

Le lieutenant.

si

I

Vite, le chant

11.

Vraiment? Vous vou-

lez? Bien. [D'une autre voix et avec beau-

coup de goût

:)

Telle qu'une bergère au plus beau jour de fête De superbes rubis ne charge point sa tête,

Le capitaine, approuvant.

— Parbleu.


h3

dialogues de guerre

Le lieutenant.

Et sans mêler à l'or l'éclat des diamants, Cueille en un champ voisin...

Le sin

capitaine.

Ah

!

Ah

Le champ voi-

!

!

Le lieutenant.

— beaux ornements, mais humble dans son

...ses plus

Telle, aimable

en son

air,

[style.

— Ah mais non Mais non — Quoi? — Déjà Nous en étions

Le capitaine. Le lieutenant. Le capitaine.

!

dit!

plus loin. J'en suis sûr.

— Oh? Le capitaine. — Mais oui. Le lieutenant. — Le lieutenant.

La plaintive élégie en longs

— Plus Le lieutenant. — Le capitaine.

Le rondeau, né

habits...

loin.

gaulois, a la naïveté?

— Après Le lieutenant. —

Le capitaine.

le

rondeau.

Juvénal, élevé dans les cris de l'école,

!


DIALOGUES DE GUERRE

114

Le capitaine.

Voilà.

Nous en

étions

restés à Juvénal. Marchez.

Le lieutenant. Poussa jusqu'à

Un

l'excès...

sergent, soulevant la toile d'entrée.

Mon

capitaine, n'y a pas assez de barbelés

pour

faire

Le

deux lignes de réseau.

— N'en

capitaine.

faites

qu'une. Et en-

foncez toujours vos piquets de deuxième

rangée. Vous n'aurez plus qu'à poser les

fils

la nuit prochaine.

— Bien, mon capitaine.

Le sergent. (Il

Le quoi

s'en va.)

capitaine,

au lieutenant.

Poussa

?

Le lieutenant.

— ...sa

mordante liyperbole.

Le capitaine, qui regarde par

la fente

de

— Une fusée à eux. Le lieutenant. — Dites donc, Lauzet, vous

la portière.

tenez beaucoup à Despréaux, ce soir?

Le

capitaine.

— Mais oui, j'aime bien son

vers, ça ronfle, ça fait moteur.

Le lieutenant.

Il

m'endort.


DIALOGUES DE GUERRE

Le

— Vous

capitaine.

Le lieutenant. Je

le

Un

?

Normale

Sorti second de

115

universitaire

!

!

— Ce Boileau m'assomme.

connais trop.

Le

capitaine.

Eh

bien, chantez autre

chose.

Le lieutenant.

Non, cher ami.

leurs, c'est à vous. D'après le

D'ail-

programme,

nous devons, pour chasser le papillon boche, fonctionner à tour de rôle. Avant-hier,

chant

récité tout le c'est à

Le

I"""

j'ai

de l'A. P. Ce soir,

vous de jouer.

capitaine.

Mais je ne

sais pas de

vers, moi.

— Tirez en prose. [Détona^

Le lieutenant. lions.)

Bon

!

Du

Le capitaine. tecte,

shrapnell

!

— Je suis un pauvre archi-

ignorant de tout. De quoi diable vou'

lez-vous que je vous parle?

Le lieutenant.

De votre métier, de

votre art.

Le

capitaine.

— Ça vous ennuiera

et

vous

n'y comprendrez rien.

Le lieutenant.

Le capitaine.

— Ne vous

inquiétez pas.

— Soit. Le temple grec? Hein?


H6

DIALOGUES DE GUERRE

— Ça va. — Le temple

Le lieutenant. Le capitaine.

— Bah — Mais oui. Au sommet du

Le lieutenant.

Le

grec, c'est le

du lotus égyptien.

piédestal

capitaine.

?

temple grec, qu'est-ce

qu'il

y a

?

Vous

le sa-

vez bien?

— Non. — Gachotier!

Le lieutenant. Le capitaine. savez

Mais

vous

si,

soleil,

il y a lacrotère, c'est-à-dire le né d'une fleur de lotus, lotus lui-

même

modifié en rosace, développé en pal-

le

;

mette. Le

ciel,

autrement

dit la corniche,

recouvert de lotus ondes.

c'est le Nil céleste

La foudre, autrement

dite la frise, s'inscrit

sous la forme d'un sépale de lotus évoluant

dans l'espace. Les colonnes sont des

ceaux de papyrus

;

les

boutons

fais-

et les fleurs

de lotus les chapiteaux. Enfin l'âme humaine... (La tête d'un caporal passe hors de

la

por-

tière.)

Le

— Quoi, caporal? — Mon capitaine,

capitaine.

Le caporal.

dule qui vient d'être blessé.

Un

c'est

Pen-

shrapnell.

â


DIALOGUES DE GUERRE

Le

capitaine.

Le caporal.

— Où ça? —A

la tête.

H7

Il

est

là qui

coule. Mais je le tiens. (Il

soulève la portière derrière laquelle

on voit Pendule

qui, tranquille, saigne

au

front, très fort.)

Le capitaine, à Pendule.

Un

cU)nc?

petit

Pendule.

— Eh bien, quoi

trou?

— On —

le dirait,

mon

capitaine.

Le caporal. Ça sera rien. Le capitaine, à Pendule. Quelle idée

Comment vous y Pendule.

dans

le

C'est

créneau,

en tapotant un sac à terre

mon

entendu venir, mais

Le

capitaine.

!

ôtes-vous pris?

capitaine. Je

j'ai

ben

pas pu l'esquiver.

— Ça vous

Pendule. — Ça me Le capitaine. — Allez

l'ai

fait

mal?

bat.

firmier, qu'il

vous fasse un premier panse-

ment. [Au caporal et

son

on

:)

fusil, puisqu'il

Pendule.

vite trouver l'in-

Qu'il

emporte son sac

peut marcher.

— Yez pas peur, mon capitaine,

les lâche point;

(La toile retombe.)


DIALOGUES DE GUERRE

118

— Que disais-je? Le lieutenant. — Enfin l'âme humaine... Le capitaine. — Oui. Ça sera pour une Le

capitaine.

autre

Aii

fois.

l'architecture,

!

Nous y sommes en

Galopier!

plein. Diodore de Sicile

raconte que les Lybiens et les Ligures couchaient dehors,

taient les cavernes.

ne sommes même

Troglodytes

les

et

C'est notre cas.

habi-

Nous

pas encore montés à la

période de la cabane en roseaux.

Le lieutenant.

ment l'époque de

Quand

la tente,

arrivera seule-

de la bonne tente

de Ghâlons?

Le peste

capitaine. 11

!

— Mais

la tente,

a fallu des siècles

mon 11

!

d'abord la vannerie, oui, qui a créé

cher,

y a eu le tissu,

lequel, de plus en plus fin, a créé le cos-

tume,

et puis la tente...

Mais on nous écoute

derrière la toile. Qui est là?

Un

mon

soldat, passant la capitaine, c'est bien

Le capitaine.

— Oui.

tête. ici la

Pardon,

17"?

Qu'est-ce que vous

voulez?

Le soldat. est là avec

Mon

capitaine, c'est qu'on

un autre brancardier.


H9

DIALOGUES DE GUERRE

— Pourquoi faire? — mort. Pour enlever Le soldat. n'y a Le capitaine. — Quel mort Le

capitaine.

le

? 11

de mort.

Le soldat.

C'est

pas

qu'on m'avait dit au

poste de secours...

Le

capitaine.

qu'il n'y a

tant pas

Puisqu'on vous répète

pas de mort. Je ne peux pour-

vous en

Le lieutenant.

un

faire

mort! Connaissons pas

Ah

!

Rompez

!

Un

ça.

voilà le fourrier

!

!

[Le fourrier entre.) Pas de lettres?

— Non,

Le fourrier.

mon

capitaine. Rien (Il les

dépose

mon

que

les

lieutenant. Ni

journaux.

et s'en va.)

Le capitaine, au lieutenant qui en parcourt un.

— Quoi?

Le lieutenant,

lui

montrant deux colonnes

— Blanc partout. — Russes? Domino. Et Le capitaine. emLe lieutenant. — Continuent de

supprimées par la censure.

les

les

mener... voir

Le donc

si j'y

suis!

capitaine, prêtant l'oreille. !

On

dirait

(Ils

écoutent.)

Ecoutez

que ça remue dehors

!


DIALOGUES DE GUERRE

120

— Non.

Le lieutenant.

La province.

— Quelle heure Le lieutenant. — Vingt-deux et dix. Le

capitaine.

?

Le capitaine.

moment où

C'est le

ils

marmitent.

— Pas ce — Mon capitaine,

Le lieutenant.

soir.

le comUn sergent. mandant vous demande au téléphone.

Le

creusé

le

on a dû

C'est bon. Est-ce qu'on a

boyau vers Z 4?

Le sergent. Le

capitaine.

Oui,

mon

capitaine. Mais

s'arrêter.

x:;apitaine.

Le sergent.

— Pourquoi? — A cause d'un

cadavre de

Boche.

Le

capitaine.

— Ah

!

Et sur les vingt-deux

autres dernièrement enterrés on a l'orge,

comme j'avais

Le sergent. bien

fait.

(Il

Le

A

semé de

dit?

— Oui, mon capitaine.

pleines mains.

On

l'a

,

sort.)

capitaine.

— Je vais au

Je crois que pour ce soir,

Le lieutenant.

— Oui,

le

commandant.

hein? temple est fermé.


DIALOGUES DE GUERRE

Le

121

— A tout à l'heure.

capitaine.

Le lieutenant resté seul allonge le bras, prend un livre sur la planche... et à ce moment, dans un épouvantable fracas, un (Il sort.

obus s'abat sur moitié le

toit.

le

poste, éclate et défonce à

Tout

est bouleversé. Aussitôt,

du dehors. On accourt des

cris

dans

penché sur

ami

corps

par

répond.) Il

le

trou

?ioir.

l'ouverture.)

Ah

!

les

premiers,

— Galopier! Cher

mis à genoux

(// s'est

!

et

a passé son

Galopier

!

[Rien ne

Je le sens. Je touche sa jambe.

Tout

n'est pas enterré. (// se relève.

monde

s'y

même

poste éboulé.)

le

Le capitaine, revenu parmi et

difféi^ents

peut pénétrer tout de

On

boyaux.

met.) Le voilà! On

le

Tirez...

l'a...

Doucement... (Le lieutenant est dégagé avec précaution. Il

sa

est inanimé, tenant toujours

main

comme on il

ouvre

son

livre

dans

crispée, sans blessure apparente. Et

les

le

touche déjà pour l'ausculter,

yeux, sourit et se dresse sur son

séant.)

Le lieutenant, d'une voix douce

:

Ainsi qu'une bergère au plus beau jour de fête.


122

DIALOGUES DE GUERRE

[Apercevant

le

brancardier :) Puisqu'on vous

dit qu'il n'y a pas de

Le capitaine.

mort à

la

17% voyons

— Vous m'avez

Le lieutenant, tendant son

fait

livre.

!

peur.

— Je

li-

sais.

Le

capitaine, lui prenant le livre et regar-

— Phédon. Le lieutenant. — Quand patatras... [A un

dant

le titre.

soldat qui est à quatre pattes près de lui

Ah

:)

ça? Qu'est-ce que vous cherchez, vous?

Le soldat.

La bougie,

mon

lieutenant.


LE TABLEAU



X

LE TABLEAU A

du front, pilé et repilé, des chicots et des tas que dont il de pierres. Au tournant de ce qui fut une rue, entre deux chantiers d'indescriptibles débris de ce que furent des maisons, une auto militaire, G...,

un

petit village

ne reste rien

arrivant en rude vitesse, s'arrête net, dans

l'es-

en sort deux personnes, un capitaine, qui saute, et un civil, qui descend, ce dernier en complet de voyage, casquette anglaise et leggins. Il prend un sac de cuir qui

pace de vingt mètres.

Il

du chauffeur. Huit heures du matin. Beau temps d'avril. Le désert.

était près

— C'est Le capitaine. — C'est Le

civil.

ici? ici.


DIALOGUES DE GUERRE

126

Le

civil.

— Quelle dévastation!

Nous n'avons rien de mieux comme modèle. Etude de ravage du cours supérieur, huitième cahier. [Le monLe

capitaine.

sieur regarde avidement tout autour de lui.)

Ça vous plaît? Le civil, avec un accent d'émotion cère.

C'est magnifique.

pas une âme

Le

Mais...

il

sin-

n'y a

?

CAPITAINE.

Si.

Seulement

sont toujours invisibles, vous

deux ou

le

âmes"

les

savez bien.

trois.

Pas plus. Et je

vais en évoquer une. Tenez,

une bonne âme

Il

en reste

ici

de mes amies qui ne doit pas être loin. lant vers

le

(.4/-

rez-de-chaussée d'une petite mai-

son éboulée,

et

donnant, près d'un soupirail,

un coup de pied dans un volet de grenier encastré parmi les ruines.) Mère Tricot? Hé? C'est moi, votre

neveu

!

— Ah Madame est votre Le Le capitaine. — Sans doute. Tous civil.

!

t...

les offi-

ciers et les soldats sont ses

aviez

un

s'ouvre, et la la voilà

!

neveux. Si vous

képi, vous le seriez aussi. [La porte

mère Tricot

sort de terre.)

{Une paysanne dégourdie

Ah

!

et sacca-


DIALOGUES DE GUERRE

dée, sans âge, à Vœil vif,

qui tout

gauche.

le

airs de poule,

temps inspecte, à droite

Comme

moitié des

aux

127

il lui

dents, elle

et

à

manque par devant la un cré-

parle à travers

neau de gencives blanches plus dures que des os, et elle tient sur un ventre grossi par des épaisseurs de jupes

couleur pain desquelles

brille

deux mains immenses,

à presque tous

bis,

l'argent

les doigts

d'une bague

de

guerre d'un différent modèle.) Bonjour, mère Tricot

!

La Tricot. une fois de pu ? Le capitaine. civil.)

est

G'est-i vous,

mon

n'veu,

Oui, mère Tricot. [Au

Madame que vous

voyez,

une brave. Elle a subi

ma

tante,

la bataille,

le

bombardement, l'incendie, toute la lyre. quand même, avec une dou-

Elle est restée

zaine d'autres enragés qui n'ont pas voulu

non plus

quitter leurs pénates. Elle vous

soignera bien. {À la bonne femme.) Mère Tricot, je

vous recommande Monsieur. C'est

un grand

artiste.

Faites pour lui

Il

va loger chez vous.

comme pour

La Tricot. — J'y

vos neveux.

ferai donc. Je lui

don-


DIALOGUES DE GUERRE

128

nerai son manger, et pi son coucher. Jus-

qu'à quante?

— Jusqu'à demain; j'aurai rechercher. Le capitaine. — Je viendrai

Le

fini.

civil.

le

[Au

civil.)

A

mon cher

demain,

maître.

Bon

travaiL

— A demain, capitaine. Le capitaine. — A demain, ma bonne tante.

Le

civil.

saute dans Tauto qui a tourné pendant

(Il

cette petite conversation, et

La

Tri€ot.

il

est déjà loin.)

— V'nez que je vous conduise

à not' cabajou. C'est en bas.

Le

civil.

moment, je

— Plus tard.

je n'ai pas

Madame. Dans

ce

une minute à perdre

et

profiter de la lumière.

veux La Tricot.

— Quoi que vous

Des espériences

Le boîte,

civil,

bois? G'est-i les

articulé. !

— Je peins.

Et quoi donc ?

murs?

G'est-i

1'

G'est-i

fer?

— Très rarement. La Tricot. — L' papier en rouleaux — Surtout A Le Le

donc?

qui a ouvert son sac, sorti uni

un petit pliant

La Tricot. — Hella

r

faites

?

civil.

civil,

la toile.

?

plat.

{En


DIALOGUES DE GUERRE

montrant une sur un voyez- vous

tableaux

châssis.)

Comme

Vous

un

— Ah oui

!

êtes

faiseu

?

— C'est ça même. La Tricot. — Oui... Le

ça,

?

La Tricot. d'

129

civil.

oui...

oui...

oui...

Alors c'est pour peinde que vous jurez que

vous êtes venu de

ben sûr?

Le

loin? D' Paris p't-ôtre

si

A moins

qu' d'Angleterre?

— De Paris. Tricot. — Mais, mais,

civil.

La

qu' vous

voulez peinde,

mais...

mon

Quoi

pauv' cher

ami. Ya pu rien. C'est pas ce qu'est pu rien

que vous voulez peinde? Le civil. Si, ma bonne dame, c'est justement cela. Je suis peintre de rien.

La Tricot.

mou ri

d"

Le peintre. (II

La

Quel métier! Vous d'vfz

faim?

a

Pas toujours.

commencé son

Tricot, qui

le

regarde.

allez représenter sur vot' pitié qu'est là

Le peintre.

esquisse, vivement.)

par terre

— Oui.

— Ainsi vous

tambour toute ?

celle


.

DIALOGUES DE GUERRE

130

La kl

Tricot.

Vous y mettrez-t-y point

monde?

— Personne. Tel que ça — Tant La Tricot. Le PEINTRE. — Pourquoi? La Tricot. — Parce qu'avec du monde ça Le

PEINTRE.

est.

pire.

serait

pu

plaisant.

Une

supposition, tenez,

qu'vous mettriez T grand crevé?

Le PEINTRE.

— Qu'est-ce que

c'est

que

le

grand crevé?

La

Tricot.

Non. Ça vous

dissiperait.

J'm'en vas. (Fausse sortie.)

Le

PEINTRE.

La

Tricot.

maison

oii je

— Racontez. — Y en a de trop.

Ainsi

c'te

vivais en joie depuis des an-

nées que défunt

mon homme

est mort, et

r bon Dieu ne nous a point voulu d'enfants. eh bien

c'te

petit jardin

maison,

que

j'

elle a croulé...

.

Un beau

cultivais, avec de la coc-

cigrole, des fussias, des clefs-de-paradis...

il

n'existe pu. Mais c'est les coups de canon, y a rien à dire. Ma vache et ma chèvre, ils

ont été pris par les Prussiens mais bien payé, y a rien à dire.

i

m'

Un neveu

l'ont

de

ma

d


DIALOGUES DE GUERRE

sœur

à Arras,

établi

131

qu'a péri dans

les

Flandes, mais c'est pour la France aussi, je

m' plains

quand

i

pas,

y a rien à

mettent

le

que

dire, tandis

feu esprès, sans raison,

aux moments où on n'se bat pu,

y a à

dire.

Le PEINTRE.

La

Tricot.

— Et — C'est

le

grand crevé?

une histouère que

je

n'aime point. Si vous m' jurez qu'a vous fera plaisir...

Le PEINTRE.

La

Tricot.

— Je vous jure. — En ce cas oui. Les le

Boches

sont venus en premier, et puis les nôtres les

a chassés, à coups de fusil et de tout

Deux jours deux

sabbat d'enfer! restée dans

ce soir, à

se refroidir, et tout le

tuer plus loin.

de

On

mon

monde

si

et puis

fini

par

s'en est allé se

n'entendait goutte. Alors trou. C'était le soir

jour encore. Ça brûlait en

mon, Dans

Quel

ma cave, où vous allez coucher me faire pas pu grosse que le

pouce. Et puis au bout au bout ça a

j'ai sorti

!

nuits je suis

mais

face, chez les Sal-

pas que chez eux, partout.

le village

rendu à bas,

aplati

comme

on aurait tapé dessus à coups de tonnerre,


DIALOGUES DE GUERRE

132

y avait presque pu personne. Une dizaine. Et encore y en avait pas dix. Six, sept. Pendant ces deux jours de malheur tous partout

tis,

Louis

droit,

sans savoir.

Où que

!..,

t'es

Arrive,

«

maman?... Veille ben

ta p'tite sœur, Yolande!... C'est la

monde!... se

fm du

Des gens inquiets, quoi! qui

»

tourmentent! Mais voilà qu'en remon-

tant, sur le seuil, juste là oii

que vous êtes

sur la pointe de vos trois bouts de

assis

bois, je vois

un Boche.

C'était lui.

— Le grand crevé? — Oui... Pourquoi La Tricot. Le peintre.

j'

l'appelle

comme ça ? Parce qu'il l'était, tiens Et bien! Un géant de la foire. M'est arrivé do voir des hommes par terre, j'en ai jamais !

vu un

pareil.

De quoi en

faire deux, et pas

des petits.

— Gomment La Tricot. — Je ne

Le PEINTRE.

était-il?

sais, je n' l'ai

Il

tait

Non,

j

sur le ventre et je l'ai

enjambé,

il

l'ai

barrait

pas

fixé.

pas retourné.

ma

porte, et

venu mouri là, j' l'y ai laissé. après que j'ai eu fait un tour de dit le bonjour aux voisins, comme

puisqu'il tait

Et puis,

ronde et

i


DIALOGUES DE GUERRE

y avait rien moi. Mais tait

à glaner dehors, j'ai rentré chez

le

toujours

voler. Alors

133

lendemain

il

a

et puis le surlen,

il

Bien sûr, pouvait pas s'en-

là.

commencé de me

vexer. J'y

aurais ben touché, c'est pas que j'aye du

mouver dame il tait

dégoût... mais je préférais pour le

en compagnie,

d'être

et aussi

tellement lourd et vorumineux qu'à

moi

toute seule, quoique je soye forte, j'aurais

pas pu l'avoir. «

En

Alors

— Bien

sûr, qu'ils

demain.

»

m'ont

Mais tous

et puis rien

jours

du

les

tout, le

Une semaine

là.

j'ai dit

aux autres

Faut que vous

v'ià assez!

dit,

demain

de compte

Tricot.

Il

:

«

:

l'ôtiez!

ça sera pour s'écoulaient,

grand crevé

tait tou-

ainsi. J'avais pris co-

lère avec les autres parce qu'ils dit, fin

me

m'avaient

Ecoutez, non, mère

est à vous, çui-là, sur vot' seuil,

Nous en avons déjà ôté sept de chez nous. Chacun sa bille. Tout ce qu'on peut faire, c'est de creuser un trou, c'est à

en

face...

Ben,

me

vous

si

d' l'ôter.

Mais pour

v'ià coquette

ment

l'y porter, serviteurs. »

mon

c'est ça

!

j'aurais su,

butin, que je pense,

Comment faire ? Si seulecomme les cirurgiens que


DIALOGUES DE GUERRE

434

découper en

j'avais vus, F

mais faut savoir,

p'tits

je n'savais pas.

morceaux,

En

plus de

il s'abîmait. La froumi en d'venait gourmande. Les poules voulaient y picoti dans

ça

le

chaume de

que

c'était

la cabosse qu'elles croyaient

de la paille, parce qu'il n'avait

pu son chapiau zième jour, C'est

une

à pointe.

Au

bout de l'on-

m'est venue l'idée

fille

de Rose.

quasi sauvage qui travaillait

à une lieue sur la gauche, à

la

ferme du

Chardon-Bleu, qui n'est plus qu'une pincée de cendres. jours l'était

là, et

On m'avait dit un peu folle,

déjà pas

un

d'autant qu'elle

mal avant.

longtemps cherchée, je vrir dans

qu'elle tait tou-

finis

Après l'avoir par la décou-

fossé de boue, assise, en train

de manger crue un' patte de mouton. «

Viens

ras

en route

me

me

du pain.

faire aide, »

que

je lui dis, t'au-

Elle se leva et

me

suivit, et

j'y expliquai ce qu'il fallait. Elle

dit qu'elle tait

apporté une corde.

consentante.

Une

fois

Elle avait

rendue au grand

crevé, elle lui mit la corde au cou. Et la

remontant sur son épaule, hàler, à

ell'

s'en fut à le

deux mains, pour gagner

le

trou

1


DIALOGUES DE GUERRE

135

qu'était d'I'aut' côté de la route.

Ça

faisait

vingt pas au plus. Moi j'avais pris les jambes

par derrière, j'avais

l'air d'être

à une char-

Et en tirant Rose chantait, une chan-

rue...

son que vous devez connaître, qui dit C'est

Que

une fleur d'or et d'argent au bout du champ...

j'ai cueillie

On

arriva

comme

oii

on

versa de côté.

le

ça qu'ahu qu'ahu au trou

tomba dans

11

fond, que le sol en trembla.

La foula bien

terre.

un mort,

et

On y remit la comme

que tout de

j'y ai fait

toute simpe, avec

le

Et puis,

fort.

cœur

ça m'avait plié le c'était

:

une

un manche

môme

croix,

oh

!

à balai. Seu-

lement, pour qu'il ne soye point confondu avec

un

des nôtres, j'y ai cloué un' planche

que vous pourrez vouère, tout à l'heure après r déjeuner, où j'ai écrit dessus « C'est :

un Boche. dire...

»

Ainsi, de cette façon, rien à

Mais, vous v'ià F nez aux anges. Vous

ne travaillez pu à Le peintre. le vôtre.

vot' tableau ?

Non madame,

je regarde



LA CHEVILLE



XI

LA CHEVILLE Brigitte Pommier, trente ans. Thérèse Landry, trente-huit ans.

Chez Thérèse. Elle est dans sa chambre, devant une armoire à linge grande ouverte, quand Brigitte, son amie, fait

entre tout droit, sans s'être

annoncer.

— Bonjour Thé. — C'est Brigitte Brigitte. — Qu'est-ce que tu Thérèse. — Je range. Femme Brigitte. — Encore Brigitte.

Thérèse.

!

!

fais là?

ordonnée

!

Ecoute. Voilà deux semaines que je veux te dire

de

une chose qui me brûle. Ça va te faire mais je ne peux plus me retenir.

la peine,


DIALOGUES DE GUERRE

140

Thérèse. Brigitte.

— Soulage-toi. — Voilà. Thé, je t'aime, je

t'ad-

mire, et tu es une sainte.

— C'est ça chose? Brighte. — Non. J'y arrive. Seulement. Thérèse. — Seulement? Continue. Brigitte. — Tu es fagotée. regarde. — Moi? Thérèse, qui Brigitte. — Oui. Fagotée, Qu'est-ce Thérèse.

la

se

toi.

que tu as

là sur le

dos?

— Une petite robe. Brigitte. — Non. Thérèse. — Mais Une petite

Thérèse.

si.

robe de

l'année dernière.

— Tu vantes. — Thérèse. Je t'assure. Brigitte. — Non. Elle peut être de l'année Brigiite.

te

dernière, mais elle n'est de la

mode

d'au-

y a cinq ans, ni d'aujourd'hui. Ça n'est rien. Ça n'a pas de nom.

cune année, ni C'est

une

d'il

tristesse.

Thérèse, simple. fends pas

ma

Brigitte.

— Mon Dieu... je ne dé-

robe...

Tu

va. Elle le mérite.

aurais tort.

Attaque-la,


DIALOGUES DE GUERRE

Thérèse.

— Mais

je

141

ne vois pas qu'elle

soit

ridicule. Elle n'attire pas l'attention.

Brigitte.

C'est ce qui te trompe. Elle

l'attire.

Thérèse.

— Pas dans

le

mauvais sens. Elle

est neutre.

Brigitte.

— Ah

!

les neutres

!

Parlons-en

!

La meilleure façon de ne pas se faire remarquer et de passer inaperçue, c'est d'être à la mode.

— Laquelle? Brigitte. — Celle d'aujourd'hui,

Thérèse.

la

mode

de guerre.

— La tienne, robe courte? Brigitte. — Sans doute. Thérèse. — Jamais. Brigitte. — Pourquoi? Quel

Thérèse.

la

plaisir... et

quelle satisfaction morale peux-tu éprouver

à traîner cette robe longue qui te dégringole jusqu'aux pieds?

Thérèse.

J'ai toujours

étaient faites pour

cru que les robes

tomber jusque-là

et

ne

pas s'arrêter à mi-chemin. C'est une idée bizarre

que

Brigitte.

j'ai.

— Tu

as de vilaines

jambes?


DIALOGUES DE GUERRE

142

— Je ne

Thérèse.

pensé à

me

dère pas

sais pas. Je n'ai

jamais

poser la question. Je ne consi-

mes jambes comme un

objet de

décoration publique. Elles ne m'intéressent

que pour marcher.

— Justement. On circule mieux

Brigitte.

avec une robe courte.

— Ma circulation est excellente

Thérèse.

telle quelle.

Brigitte, agacée.

môme,

toi

C'est drôle tout de

qui as la vie la plus active que je

connaisse, prise à ton service d'ambulance

du matin au

en plus visiter des

soir, allant

pauvres, placer des réfugiés, sans parler de ce qu'on

ne

Thérèse.

mes

sait pas,

de tout ce que tu caches.

Je ne

cache

rien.

Excepté

j...

Brigitte.

...

C'est drôle

que tu t'obstines

à ne pas te placer dans les meilleures conditions pour remplir ton office à l'aise et bien t'acquitter de tes occupations

— En Brigitte. — Oh

!

fais-tu autant

Thérèse.

non

!

que moi

Je l'avoue à

?

ma

confusion. Pas le quart.

Thérèse.

Et pourtant tu es en pati-


DIALOGUES DE GUERRE

On ne peut mode

neuse à la

!

143

pas dire que tu n'es pas

!

Brigitte.

C'est la vérité. J'y suis... Et

j'y reste.

— Tu vois bien que ça ne décuple

Thérèse. pas les

moyens

Brigitte.

pas à

que

t'

d'avoir la

jambe au vent

— Oui. IMais moi,

égaler,

en vertus

et

leur

en dehors de

la

!

je n'arrive

en sagesse,

je n'en suis pas capable,

toutes,

si

une

coupe de

c'est

fois

pour

mon

tail-

!

— Tu dis des bêtises. Je ne suis

Thérèse.

pas plus une sainte que tu n'es une effrontée.

Nous nous

Brigitte.

Thérèse.

valons.

— Je voudrais bien. — Mais tu ne voudrais pas être

comme moi Brigitte. Ah non.

fagotée

!

— trente-huit ans. Thérèse. — Ecoute-moi — Brigitte. Et tu en portes trente à peine. !

.

Si tu te laissais arranger

J'ai

un peu,

tu en pa-

raîtrais vingt.

Thérèse. drait

pour

mon

fils.

Ça

la fille

serait trop.

de

mon

mari

Et ça m'ennuierait.

On me et la

pren-

sœur de


DIALOGUKS DE GUERRE

144

— —

Brigitte.

Thérèse.

pour ce que

Pourquoi donc? Parce que je tiens à passer

je suis

:

pour

la

femme du

mier et la mère du second. Car fils

j'ai

pre-

un grand

qui touche à ses dix-sept ans...

— Après? Moi aussi, j'en un. — a trois ans. Et est en ai

Brigitte. TiiÉuÈsK.

Il

pantalons longs

il

!

Ça

serait peut-être le cas

de l'habiller court, lui? Mais ce n'est pas non

Eh bien comment peux-tu supposer qu'avec un fils

plus la mode, sans doute? Mystère.

de la classe 1917 partir, je sois

et

!

qui est à la veille de

en état d'endosser des cos-

tumes d'opéra-comique? Réfléchis. Cela n'a aucun rapport avec Brigitte.

le patriotisme et les

Thérèse.

Je te

tenue doit s'adapter

sentiments.

demande pardon. La aux circonstances. On

ne s'accoutre pas en tireuse de chamois

quand

les

Allemands sont à Noyon.

— Alors je suis ridicule? Thérèse. — Pas trop. Brigitte. — Bien qu'un peu? Thérèse. — Beaucoup moins que je Brigitte.

le serais.

ne

Parce que tu es jeune, avec une


DIALOGUES DE GUERRE

145

frimousse irresponsable et un petit air

voyage

femmes sans

pas aux

chic,

sérieuses et qui ont, liélas

de

«

en

demande aux femmes

qui t'excusent. Mais ne

»

de se plier à ta

l'être,

Non, quand je vois,

!

tant de raisons

mode de

comme

il

guerre.

m'est arrivé

ces jours-ci, des personnes de tout âge et

même

d'un

certain

«

quillement par

»

déambuler tranchez le pâ-

les rues, entrer

à l'église, visiter des magasins

tissier et

ou des cimetières sous l'unique pavillon d'un petit pan de jupe qui leur chatouille les jarrets...

Brigitte.

— Tu

exagères.

Thérèse.

peine...

t'imaginer

A

l'effet

que ça

tu ne

me

peux pas

produit, l'im-

pression pénible de honte et d'inconvenance

que j'en

reçois.

Brigitte.

Thérèse.

jambes

si

et lacées,

— Tu es sensible. — Plus que jamais.

Toutes ces

prétentieusement bottées, guêtrées

et si contentes

d'elles-mêmes

bien qu'il n'y ait pas toujours lieu, hélas tous ces pieds perchés sur de

pointus qui picorent

le

si

!

hauts talons

pavé pendant que 10


DIALOGUES DE GUERRE

146

tout près, à moins de cent kilo-

là-bas...

mètres, des milliers de braves gens chaussés

de boue... ah! ça

me

serre le cœur. J'ai

envie d'arrêter en plein trottoir ces dames

du corps de ballet trez vite,

et

mesdames,

de leur crier et allez

«

:

Ren-

changer. Vous

n'êtes pas dans la note. »

— Sais-tu qui tu

Brigitte.

me

rappelles,

tiens?

— Ta bonne mère. Brigitte. — Non. Oh! maman!

Thérèse.

merci

!

On

devenue d'un écossais

Pauvre

Ah

bien

est obligé de la retenir. Elle est

maman

vieillir qu'elle

!

!

Il

faut la surveiller.

Ça l'ennuie tellement de en abrégeant ses

se figure,

jupes, rallonger sa vie.

Thérèse.

— Tu vois? Malheureuse. Comme

ça se gagne

!

C'est ta faute. Et qui est-ce

que

je te rappelle?

Brigitte.

Thérèse.

— Mon mari. — Il

même

te dit la

chose que

moi? Brigitte.

regarde-toi,

Bien pire

ma

chez Offenbach

!

:

«

pauvre amie

Tu

Ah !

ça

Tu

!

mais

sors de

as l'air d'une saltim-


DIALOGUES DE GUERRE

banque. On

que tu vas

dirait

Je rougis de sortir avec des scènes

toi.

147

faire des tours. »

Oh

j'en ai,

!

!

Thérèse. Brigitte.

— Et tu —

ne l'écoutés pas?

Certes non. Les maris n'en-

tendent rien aux femmes, je veux dire aux leurs.

Thérèse, souriant. Brigitte. — Ah

?

— C'est un peu

vrai.

Tu en conviens Tu !

finis

par m'approuver. Thérèse.

— Non. Seulement nous parlons

maris. Alors je pense au mien. Brigitte.

Quoi? Il

— Oh

un

le tien! C'est

!

trouve que tu n'en

il

fais

puritain.

pas assez?

veut te rallonger encore davantage Thérèse, riant.

raccourcir!

que

je

me

non

!

Il

?

veut

me

je me laisse aller, me vieillis exprès... Un homme de goût

que

dit

m'abîme, que je

Brigitte.

Tu

Il

— Mais

Enfin

!

!

vois, tu vois...

Thérèse.

homme

Mais

le

tien aussi

est

un

de goût.

Brigitte.

contraire

— Pas pour

du

tien.

ça. Puisqu'il dit le

Quel dommage que nous

ne puissions pas changer

!


DIALOGUES DE GUERRE

148

Thérèse.

Quelle horreur!

Ils

ne vou-

draient d'ailleurs ni l'un ni l'autre.

Brighte. Thérèse.

de mal.

— Et nous non plus. — Assurément. N'en disons pas sont tous les deux dans le vrai.

Ils

— Comment cela? — Thérèse. Hé oui. nous aiment, chaBrigitte.

Ils

cun à leur idée d'abord,

nuance

et ensuite selon la

et les excès de notre nature.

Le

tien,

soucieux de ton bon renom et de ta dignité,

prend ombrage de

ta

tenue et souhaite

la

voir conforme aux grandes qualités qu'il te

connaît. Brigitte.

Thérèse.

— Adroite flatteuse — Et mien, sachant ma com!

le

plète absence de coquetterie et

soupçonnant

me dissimule, essaie de me distraire et de me secouer en me forçant à m'occuper de ma toilette et de ma pauvre personne. une

tristesse égale à celle qu'il

Brigitte.

Thérèse.

— Alors? Conclusion? — Alors... eh bien, pour leur

faire plaisir,

chacune un verse.

si

tu veux,

effort.

nous consentirons

Le môme, en sens

in-


DIALOGUES DE GUERRE

149

— Oui... Grave — Je raccourcirai. Brigitte. — Beaucoup cheville. Thérèse. — Jusqu'à Brigitte.

!

Thérèse.

?

Pas un

la

pouce de plus. Et toi? Y viens-tu? Brigitte.

moi,

ma

cente

!

tée

que

C'est

c'est

petite,

la cheville,

pour

énorme comme destoi comme mon-

Bien plus que pour

!

Thérèse.

— Tu

Brigitte. —

auras double mérite.

Eh bien

s'embrassent.) Je

me

oui. Entendu. [Elles

sauve.

— Ovi vas-tu? Brigitte. — Chez maman.

Thérèse.

viller », elle aussi.

Pour

la «

Ça sera plus dur.

che-


i


L'OCCUPATION



XII

L'OCCUPATION Dans une petite ville du Nord où les Allemands sont installés depuis les premiers mois de la guerre. En septembre. Six heures du soir. Il fait jour encore. Un Homme d'une quarantaine d'années

résonner

fait

le

marteau à

la

porte

d'une jolie maison entourée d'un jardin, à

la

commence la On entend des

pointe extrême d'un faubourg où

campagne. La rue

est déserte.

battements durs et brefs de tambours plats, du côté des prairies qui bordent la rivière.

d'une minute

la

un Vieillard en redingote paraît sur deux marches. L'homme. notaire?

Au bout

porte s'ouvre, prudemment, et le seuil

de

Monsieur Petit-Rameau? Le


DIALOGUES DE GUERRE

154

— Eh bien? — L'homme. C'est vous? Le VIEILLARD. — Oui. C'est Le vieillard.

êtes- vous?

Qui

moi-môme.

Français?

— Tout ce y a de plus? — Le vieillard. Vous êtes d'ici? suis depuis L'homme. — Non. Mais L'homme.

qu'il

j'y

deux ans.

— Oii ça?

Le vieillard. L'homme.

Chez Madame de Sidonie...

rue de la Cuirasse.

. .

à l'autre bout de la ville.

— Oui.

Le vieillard.

Je ne connais pas

personnellement cette dame, mais je qui elle

est.

L'homme.

Le

Je suis le jardinier.

vieillard.

L'homme.

vous

Et que faites-vous chez

sais

elle ?

— Vous vous appelez?... Bienfait.

Bruno

Bienfait.

Ça

entrent.

La

suffit-il ?

Le vieillard.

Entrez.

[lis

porte est refermée. Le carrelage blanc et noir

du

corridor.) Je

vous précède. [En mar-

chant.) Excusez-moi... Mais en ce temps-ci,

vous comprenez?... L'homme.

ferais autant.

les précautions...

Vous avez bien

raison. J'en


DIALOGUES DE GUERRE

455

(Le cabinet de velours vert et d'acajou

marron d'Inde. Le grand bureau sarcophage. Des cartonniers. Des codes. Une odeur de maroquin.)

— Là.

Le VIEILLARD. L'hom3ie.

Qu'y

a-t-il?

Je voudrais vous consulter,

pour un testament.

Le VIEILLARD.

— N'allez pas plus

ne pratique plus. Je suis

— Ah — Vous ne

L'homme, ennuyé.

Le VIEILLARD.

L'homme. — Non. Le VIEILLARD. —

donné

l'idée

loin. Je

retiré. ?

le

saviez pas?

Qu'est-ce

qui

vous a

de vous adresser à moi?

— J'avais vu votre enseigne. Le vieillard, grave. — Dites panonL'homme.

:

ceaux.

En

effet, ils

les

y sont toujours. Jamais

ça ne s'enlève. Bienfait.

connaît.

Quand

Le vieillard.

Et puis tout j'ai

le

monde vous

prononcé votre nom...

— Et on ne vous a pas mis

au courant? On ne vous a pas informé était inutile...

Bienfait.

— Non.

qu'il


DIALOGUES DE GUERRE

156

— C'est incroyable.

Le VIEILLARD. Bienfait.

me

Alors,

renseigner, pour

Le vieillard.

vous ne voulez pas

mon

testament?

Impossible. Je vous le

répète. Je suis retiré.

Bienfait.

Ça

n'est

pas une

Est-ce qu'en des temps pareils,

consentiriez pas tout de

raison.

vous ne

même, pour me.

rendre service?...

Le vieillard. Bienfait.

— N'insistez pas.

— Oh

1

Vous qu'on

dit si bon.

Ça me surprend... et ça me chagrine. Pas plus Le vieillard, très troublé.

que

moi, allez!

Bienfait.

— Gomment ça?

Le vieillard, prenant soudain son parti.

— Ecoutez? Vous m'inspirez confiance. Bienfait. — Vous pouvez Le vieillard. — Aussi je vais vous révél'avoir.

ler

une

allez

chose...

me

mais une chose... que vous

jurer sur ce que vous avez...

Bienfait.

— Je vous

Le vieillard,

se

voix imperceptible. sieur Petit-Rameau.

le jure.

rapprochant,

— Je

et

d'une

ne suis pas Mon-


DIALOGUES DE GUERRE

Bienfait.

Vous

157

n'êtes pas le notaire?

— Non, — Qui êtes-vous? vieillard. — Son domestique,

Le vieillard. Bienfait.

Le

Céles-

tin.

— Oh! Et où Célestin. — Je ne sais Bienfait.

dame...

est-il, le

ne

nul

Quelque

sait.

notaire?

Lui

pas.

et

part.

sa

Ou

morts. Seigneur! Bienfait.

— Mais

on ne connaît rien de

ça dans le pays ?

— Tout monde Bienfait. — Mais non. Tout

Célestin.

le

que Monsieur

et

Madame

le sait. le

monde

dit

Petit-Rameau sont

toujours chez eux, dans leur maison qu'ils n'ont pas quittée. Célestin.

que ce n'est pas Bienfait.

On

le

dit,

en sachant

oui,

vrai.

— Et

alors, c'est

vous qui pas-

sez pour être Monsieur Petit-Rameau

— C'est moi. — Et pour sa dame Bienfait. mienne, Célestin. — C'est

?

Célestin.

?

la

Julie, la

cuisinière.

Bienfait.

Mais pourquoi?

Pourquoi


DIALOGUES DE GUERRE

Ib8

faites-vous ça? Et qu'on ne le dit pas

ne

le

trouve pas drôle

Gélestin.

— Ah!

C'est la guerre.

Y

?

Qu'on

?

pourquoi!... pourquoi!

a la guerre

!

Mes maîtres

étaient partis pour la Suisse quinze jours

avant été

auront sans doute

la déclaration. Ils

empêchés de

rentrer. Enfin, j'étais sans

nouvelles d'eux quand les Prussiens sont arrivés

tout droit,

ici,

comme en prome-

nade... vous vous souvenez?

Bienfait. Gélestin.

— Un matin de septembre. — y a un an. Julie moi et

Il

nous pensions peut-être d'avoir à mourir et d'être

fusillés

contrariait,

unis,

devant l'Etude. Ça nous

mais du moment que nous étions

nous n'avions pas peur.

C'était

comme

d'entrer ensemble dans une nouvelle place. Nous avions mis nos habits du dimanche, malgré que ça soye un jeudi, et nous nous étions rendus dans la chambre de nos maîtres, oii nous attendions, dans les grands fauteuils

s'il

vous

j'avais ouvert j'avais pris

tunisien

plaît...

Moi, par aisance,

un Code, un gros

en bas,

recueil que

et Julie faisait

du point

en récitant des petits bouts de


DIALOGUES DE GUERRE

Quel silence! Tout à coup, des

prières.

grondements de

Des gros pas bottés. moindre égard... La porte

foule.

On monte

sans

s'ouvre...

Et un type

d'officier,

français

«

:

le

qu'une bouteille,

ainsi

l'air,

le

qui tenait un pistolet

carré,

159

rouge

me

dit

en

le

no-

Monsieur Petit-Rameau,

taire, probable?... » Il

me

prenait pour Mon-

sieur! Croyez-vous! Alors, aussitôt, dans éclair de la Providence, j'ai

ma

Il

lui, je

malheurs

et

sauver

» et,

la

maison de mes chers

donc répondu

maîtres... J'ai

même

désignant Julie

Rameau, mon

vu mon

épouse.

»

:

«

«

:

C'est moi-

Madame PetitEh bien, je suis

«

le colonel, déclara-t-il, et je loge ici,

pour

soir, fille

me

plaire.

de cuisine?

partis

la veille

V'^oilà

comment

main, toute sait

»

sont

dès ce

le valet, et la

»

Je lui dis qu'ils étaient

et

que nous étions seuls:

« Suffit, dit-il, si

sera honoré.

un

rôle,

m'a paru que si je disais pouvais empêcher de grands

mission...

comme

et

goulot en

vous avez obéissance, tout

Il

voulait

dire respecté...

c'est arrivé.

Dès

le

la ville le savait et s'en

lende-

amu-

en dedans. Mais des cinq mille habi-


DIALOGUES DE GUERRE

160

de

tants

l'ordinaire,

deux mille qui

les

restaient, Monsieur, n'ont jamais rien dit...

depuis un an

!

une consigne

Le secret a été gardé,

Bienfait.

Vous ne trouvez

militaire...

pas que c'est magnifique

— Oui.

comme

!

Mais je

trouve natu-

le

Entre Français, y a rien qui m'étonne. Célestin. Alors, comprenez-vous? Nous

rel.

jouons

le rôle

à fond.

11

de Monsieur et de Madame,

faut bien. Le colonel occupe le

second. Par notre attitude haute et

nous avons su le

lui

lière,

imposer, et nous habitons

premier. Nous couchons dans la chambre

de Monsieur et de Madame, dans leurs deux petits lits

jumeaux,

et à l'église, à la

messe

de midi, nous prenons leurs chaises, dans le

salue,

comme

eux... sans broncher... Pas

un sou-

chœur. Tout

si c'était

rire.

le

monde nous

Oui, c'est admirable.

les robes

de Madame,

Ma

Julie porte

et très bien,

ma

foi.

Et moi les vêtements de Monsieur, ses pantalons, ses redingotes

boutonnées qui viennent

d'un tailleur anglais de

Lille.

comme

sur mesure. Nous

pareils.

Il

Tout

me

va

sommes presque

n'y a que les chapeaux d'un peu


justes.

DIALOGUES DE GUERRE

161

plus forte.

Nous man-

J'ai la tête

geons à part, dans notre chambre. Bienfait.

Qui est-ce qui vous

fait la

cuisine? Gélestin.»

Ma femme.

Elle

ne

s'en

cache pas. Bienfait.

Oh

Vous ne craignez pas

!

que ça paraisse suspect au colonel que

dame du

notaire?...

Gélestin.

ma et

la

— Pas du tout.

Julie ne sait

même

Il

s'imagine que

pas frire

un merlan

que nous sommes victimes de notre or-

gueil...

que nous mangeons des plats

Pourtant une

fois

ratés.

nous avons eu un frisson

parce qu'il est entré

comme nous

étions

un poulet Marengo... il n'en Nous avons dû lui dire que

attablés devant

revenait pas. c'était

cuire. le

une voisine qui nous Mais quand

il

voit

matin avec un panier,

mon il

l'avait

épouse

pétille

fait

sortir

de joie,

au contraire, parce qu'il pense qu'elle est humiliée d'aller au marché, dans sa position.

Et

elle,

de son côté, elle prend

l'air

furieux, exprès. Moi je suis très digne, très

arrogant, et je

siffle la

Marseillaise,

quand

n


DIALOGUES DE GUERRE

162

Enfin, nous tâchons de

je suis tout seul.

comme

nous comporter en tout

Monsieur

et

agiraient

Madame, puisque nous avons

— — parfait que ça nous change

l'honneur de les figurer. J'avoue aussi

on

n'est pas

un peu

que ça nous

et

Et de cette

flatte.

manière, nous faisons mieux que de garder la maison,

nous

on n'a touché

la

à rien.

Grâce à nous

comme

trouveront tout Bienfait.

sauvons. Jusqu'à présent

En somme, vous

tomber plus mal,

ils

re-

ils l'ont laissé.

auriez

pu

et votre colonel n'a pas

l'air féroce.

Gélestin. il

— Non. Ça n'est qu'une bête. Mais

quel Satan y a le général A h celui-là Bienfait. Il vous tourmente? !

!

Gélestin.

on

— —

Il

le rencontre.

veut qu'on

le

salue

!

quand

Pensez-vous ça?

— Oui. Gélestin. — Les Bienfait.

! . . .

Je

l'ai

entendu

dire.

hommes, chapeau

à la

main!

— Et les dames? — Trois révérences! Et Bienfait. — T'as pas Gélestin. — G'est dix marks.

Bienfait.

Gélestin.

fini?

si

on refuse?


DIALOGUES] DE GUERRE

— Pas plus Célestin. — Moi, je Bienfait.

i63

? Il est discret.

parce que je

l'évite,

l'aperçois de loin et qu'aussitôt je

Mais

ma

pauvre

femme

est

me

myope

défile.

à ne pas

voir à dix pas les tours de Saint-Donatien, alors elle se cogne dedans à Bienfait.

chaque instant.

— Et qu'est-ce qu'elle fait? Elle

salue, parbleu?

Célestin. Bienfait.

Célestin.

— Jamais de la vie — Elle ne salue pas! — Mais non, voyons! !

Puis-

Madame ?

Elle ne peut pas. Elle

n'est plus elle, Julie,

comprenez donc? Elle

qu'elle est

est Madame Petit-Rameau, née Dugalet du nom de feu son père qu'était avoué à Valen-

ciennes. Ça lui est défendu de saluer. Si elle saluait,

on

se méfierait tout de suite. Et

puis, pour la ville,

pour

la corporation

du

notariat... Non... non... elle refuse.

Bienfait.

Eh bien! mais,

alors?

— Dix marks. — Bienfait. Bigre Célestin. — Ah! comme ça! Célestin.

!

!

!

c'est

Seule-

ment, quand ça se répète, ça coûte cher. Toutes nos économies

et

nos

profits

de


DIALOGUES DE GUERRE

164

y passent. Heureusement que nous avions mis un peu de côté, sans quoi vingt ans

je

ne

comment nous

sais pas

entend du

Tenez

bruit.)

ferions.

qui rentre.

la voilà

!

[On

— Votre dame? Gélestin. — Oui. C'est son pas.

Bienfait.

(La porte s'ouvre.)

M"® Célestin, paraissant sur

femme de cinquante-cinq gantée de

fil

Gélestin.

— Je

noir.

— Oh

!

le seuil.

Une

ans, en chapeau,

rencontré

l'ai

Encore?

!

Et... est-ce

que

tu as pu, cette fois?

M"^ Gélestin.

Quand

guette.

je

dessus. Et déjà Betit- Rameau!

marks

!

» J'ai

il

— l'ai

Il

me

j'étais le

nez

Ah! bien reconnu,

criait

«

:

Saluiez

oui!

Saluiez

ou

dix

Qu'est-ce que je

vous disais? [A sa femme.) Je Bienfait.

Madame

passé, sans saluer.

Gélestin, à Bienfait.

tantôt à la

!

minute!

les porterai

Kommandantur.

— Ah bien

!

Ah

bien

!

vos maîtres, après la guerre, ne

Mais bah

!

manque-

ront pas de vous rembourser tout ça? Gélestin.

— Sûrement, ça serait dans leur


DIALOGUES DE GUERRE

volonté; mais

ils

165

n'auront pas à s'en oc-

cuper.

— Pourquoi? Célestin. — Parce qu'on Bienfait.

ne leur dira

pas.

M"®

Célestin.

— C'est nos petites affaires

de conscience. Ça ne regarde que nous.



LE BON DE CHAUSSURES



XIII

LE BON DE CHAUSSURES A

Montparnasse. Dans

la partie la

plus pauvre

Le sixième étage d'une maison lépreuse, sous les toits. Une grande mansarde communiquant avec une autre par une ouverture sans porte. Dans la seconde pièce on aperçoit deux lits de sangle, bien bordés de draps blancs, avec chacun son édredon écarlate. Deux petits tapis, figurant l'un un lion, l'autre une gazelle. Dans la première pièce, à une table ronde sur laquelle une toile cirée montre la série des Rois de France couronne en tête, sont assis deux

du

quartier.

hommes en

train de déguster des cerises à l'eau-

de-vie, l'un dans

un coquetier,

l'autre

dans une

L'un des hommes, âgé d'environ quarante-huit à cinquante ans, est un avorton poivre œillère.


DIALOGUES DE GUERRE

170

et sel, bossu, sans poitrine et sans ventre, avec

deux petites guibolles de jambes molles, comme en mie de pain, qui lui pendent tout de suite des épaules. Il est juché sur une sorte de fauteuil d'enfant, aux bras duquel est attachée de chaque côté, avec de la ficelle, une béquille, à portée de ses mains dont le dedans est d'un rose malade, couleur de taffetas d'Angleterre. Son compagnon, vieillard éteint, chauve, en pardessus de demisaison décoloré, fait la toilette d'une quantité de

mégots remplissant un mouchoir à carreaux étalé Un feu de charbon brûle dans

sur ses genoux.

une petite cheminée.

Le

nain.

Oui, la guerre est mauvaise

aussi au mendiant...

Le vieux.

Non seulement on ne

fait

plus d'économie, mais on a du mal à vivre,

bien du mal.

Le

nain.

Paris n'est plus

mon

Paris.

N'est pas reconnaissable.

— On fume moitié moins. dames... restent Le nain. — Les Le vieux.

vieilles

chez

soi...

Le vieux.

— Les

jeiines... sont

aux am-

bulances...

Le

nain.

Il fait

plus froid qu'en paix

!


DIALOGUES DE GUERRE

— On passe

Le vieux.

171

vite.

— Les sous manquent. — Alors?... Le nain. — Faut attende la Victoire sous Le nain. Le VIEUX

le

porche, en se fouillant de ses passe-lacets.

Le vieux.

même. Et

Y

se rattrapera...

drès

Le

! . . .

Bah

!

A

viendra tout de

ce jour-là on fera une recette

Ah y en !

nain.

!

On

en aura par terre du lonaura

!

N'empêche que les pauvres I n' comptent plus. I n' font

sont à plaindre.

plus d'effet. C'est la faute des blessés, qui

nous retirent

le biscuit

de la bouche.

ment voulez-vous qu'on

les

rivalise

Gom?

Des

gens qu'a pus de bras, pus de jambes, qu'a des bandages de linge fin et par là-dessus des pluies de Légion d'honneur, médaille militaire, croix de guerre

!...

Ils

dégotent

tout, tiens !..

— C'est bien naturel, écoute? — Je dis pas. Je suis sans ja-

Le vieux. Le

nain.

te

lousie. Je leur fais pas de reproche.

Il

ont

mérité qu'on les câline...

— Plutôt. — Mais crois-tu pas que je soye

Le vieux. Le

nain.


DIALOGUES DE GUERRE

172

malheureux, moi, de

me

dans

la

glace?... tel qu'un conte de fées?... de

me

sentir rais

un

bon à

rebut,

voir

quand

rien?...

eu tant d'aise à taper sur

comme les

gens bien

serait des Apollon, des « culture

qui sont beaux

vieux! Moi qui légion...

Le

Y

nain.

pareil

comme

le

physique

I

»,

aux camarades

jour

— Et moi donc,

Le vieux,

Boches,

Un peu que si on

faits.

on aurait marché, tout

les

j'au-

!

si j'étais

pas

si

ai servi en Afrique, dans la

a ben longtemps...

— Toi

Tu m'avais jamais Le vieux.

En

?

v'ià

un communiqué

!

dit.

— Ah

S'il fallait

!

dire tout ce

qui vous arrive...

Le

nain.

Oui. Enfin, pour en revenir

au monde charitabe,

il

a raison sûrement,

de se passionner d'abord aux mouises de la -ÊÊ guerre, et aux blessés de la patrie. Nous, on vient qu'après, c'est entendu. Mais faudrait

pas cependant nous reléguer tout à est

tout de

même

fait.

On

des Français, des bons

types qu'a pas eu de veine. C'est pas parce

qu'on a été raté à sa naissance qu'on mérite d'être négligé.


.

DIALOGUES DE GUERRE

173

— Y a de bons riches. — D'accord. Gomme y a de bons

Le vieux. Le

NAIN.

demande pas

pauves. Je

l'impossibe, je ne

rêve pas. Je prétends pas que les marquises

me et

comme aux militaires, ma température. non.

fassent les mains,

qu'è m' prennent

Je vais pas jusque

. .

là, je

.

demande seulement

qu'on pense à nous, en second ou en troisième, ça m'est égal, mais qu'on y pense... Je veux pas qu'on oublie le mendiant, qu'on le

perde de vue. Voilà.

Le vieux.

comme

fume,

Le

nain.

C'est vrai... Et puis

s'il

n'était rien arrivé.

— A part

propos, et toujours la confiance...

ça, j'ai

j'ai

même

avec l'aveugue par

l'Aima parce qu'il

jamais tenu de

gardé

que je

bon

le

me

accident

esprit,

suis fâché

du pont de

est trop pessimisse...

Le VIEUX, indulgent. 11

qu'on

— Qu'est-ce tu veux?

voit tout en noir.

Le

NAIN.

leurs,

moi pour

je

il

voit

C'est pas une raison. D'ailun peu, du gauche. Eh ben

ne suis pas

le principe, la

comme

ça.

chose de

la

mais au fond, malgré qu'on

Je grogne

Révolution,

soit

misère et


DIALOGUES DE GUERRE

174

compagnie, je trouve tabe,

même

la vie encore

en mauvais temps.

suppor-

Ma

vieille

bourgeoise et moi les santés sont bonnes.

Le vieux.

Qu'est-ce qu'elle

fait,

ta

bourgeoise ?

Le

nain.

Tout, et en

j'suis stationnaire.

Tandis qu'elle,

c'est

Mes quilles, c'est forcé. un furet. Moi je tâche à

l'aumône, avec

faire sortir

Moi

courant.

bouger, sur place. Elle?

le regard,

A

sans

ne quête point,

a n' regarde personne, a n' demande rien, et elle

trouve tout.

— Où ça? Le nain. — Par terre. Elle a Le vieux. ce qui

tombe

c'est

Tout

pour ses bagues. Rien

n'y échappe. Elle voit vive, agile

le génie.

comme

l'éclair.

Et

Elle suit les voitures de bois et

!

de charbon,

elle

visite

les

marchés,

les

églises, les abords des grands magasins, des

chantiers, des stations de métro, des gares... est-ce

que

je sais? Et

vingt-cinq ans, d'affaires...

elle

chaque

me

à mourir de

soir,

un

tas

Grâce à

elle

rapporte rire.

depuis

on ne dépense presque rien elle fournit de quoi se chauffer du margotin, de la braise, ;

:


DIALOGUES DE GUERRE

175

des boulets... et puis des légumes, des pa-

du co-

rapluies, des gants, des mouchoirs,

des pince-nez, des

peau, des allumettes, foulards, des pipes,

cheveux, des crayons,

du

des

des épingues à

finirais pas... Tout,

du

quoi

chocolat...

rien que

ce

des j'en

Elle déniche tout,

!

toujours honnêtement... par

cites...

plumes, des

boutons, des voilettes,

peignes, du pain sec,

et

fil,

jarretelles... des

moyens

li-

qui est par terre, et

perdu, qui craque sous la semelle, qui n'a plus de valeur et ne peut profiter à

per-

sonne... Aussi, grâce à elle, depuis des an-

nées, des années, à force de s'appliquer à

ne pas jours,

faire

de folies et de gratter tous les

on avait mis de

Le vieux.

côté...

devine?

— Gomment veux-tu

?

Un

mil-

liard?

— Quinze cents francs. Le vieux. — C'est plus Compliments. Le nain. — Aussi on a pu changer dix Le

nain.

!

louis d'or et souscrire à l'emprunt national.

Le vieux. l'air

Le

Tais-toi

ou

je pleure. T'as

d'une affiche. nain.

— Comme

ça on a fait son de-


DIALOGUES DE GUERRE

176

voir, et puis plus tard,

ser de travailler,

— En attendant

Le vieux.

qui s'effeuillent ton pouce qui

Le

pelles ce

que

comme

fait

nain.

quand

faudra ces-

il

on aura du cinq. des souliers

t'as

la rose, et

on voit

guignol.

Eh

Tu

bien! tiens?

je te disais de

ma

te rap-

vieille?

— Oui. Le nain. — Elle m'a trouvé une paire de

Le vieux.

chaussures neuves.

— Oh!

Le vieux.

flânaient?... Juste à

Par

terre,

temps

qu'elle passe.

— Sans doute. Le vieux. — Pourquoi que

Le

encore? qui

nain.

tu ne les as

pas mises?

Le

nain.

— Je

les attends

comme une

pêche. Elle est allée les chercher.

Ne

dé-

t'épuise

pas à comprendre. Hier, elle a vu, sur trottoir,

le

devant Magic, un petit papier plié

qui lui faisait signe, d'en bas. Sais-tu ce que c'était?

— Un bleu de Banque? — Non. Un bon pour une paire

Le vieux. Le

nain.

la

de godasses... à l'Œuvre de la Chaussure franco-belge...

Un bon

qu'une dame avait dû


DIALOGUES DE GUERRE

tomber en pensant à

laisser

serait fini..

.

»

Alors

«

177

quand tout ça

ma vieille a été tantôt au

siège de la Société toucher le cadeau,

va

me

. .

et elle

le rapporter. Ça ne sera plus bien long.

Le vieux.

— C'est curieux. T'en

femme sympathique Dame Le nain.

as...

une

!

oui

!

C'est

une brave

vieille...

Le vieux.

Seulement... dis-moi donc,

t'illumines trop tôt... T'as pas pensé à

chose

:

c'est

une

que dans ces foyers-là on ne

donne aux femmes que des ripatons de femme... Ça sera pour

Le

nain.

— Mais

si

!

elle,

pas pour

Puisque

toi.

je suis avor-

et une chance Elle a un petit pied d'homme, et moi un pied de dame, alors, on fait chaussures communes, et ce qui va à

ton

!

!

l'un va à l'autre. [Prêtant r oreille.) Tiens, la v'ià

avec son butin.

(Une la

clef est introduite

porte donnant sur

femme

dans

la

le carré, et

serrure, à

une

vieille

cheveux blancs frisottés sous une fanchon de lainage, un peu Tair d'une matelassière ou d'une concierge de Gavarni, entre en soufflant dans ses doigts.) à

12


DIALOGUES DE GUERRE

178

Le ^aW' Bonjour ma petite La YtEiLLE. Bonjour mimi.

cocotte,

vieux

[Ait

çompagnçn.) Bonjour père Mégot, t^p r^Ajîi.

— T'as

les

chaussures

grave. — Non. — Hein? Quoi?...

?

JjA vieille,

Le

nain.

T'as perdu le

bon? La vieille.

— Non. — Tu présenté? Le nain. La vieille. — Sans doute. Le nain. — Eh bien?... alors? l'as

njortifiée?

On

qu'il avait été

La

On

t'a

a deviné que c'était pas à toi

donné

vieille.

?

Rien du tout. On m'a

9.I-

}ongé une paire, superbe, en cuir plein la

maiu et qui embaumait la tannerie... Oii sont-ils en ce cas? Tu me Le nain. fais une farce ? Pas du tout. Je les ai ren-t La vieille.

dus.

Le

nain.

Rendus

?

T'es folle

!

Pour-

quoi? Raconte.

La là,

vieille.

daus

tendre

— Figure-toi

(jue j'étais

donc

pn train

d'at-

les escaliers, à la file,

mou

tour, avec

les autres,

tous des


DIALOGUES DE GUERRE

France

réfugiés,

Pas moi. Je

me

et

179

On

Belgique.

causait.

contentais d'écouter, parce

auraient remarqué

que

si

que

j'avais pas leur accent et ça m'aurait

j'ayais parlé

ils

trahi.

— Qu'elle fine — Y avait des est

Lp

nain.

La

vieille.

enfants, des vieillards.

misères

Ils

femmes, des

redévidaient leurs

n'avaient plus rien, mais

qu'ils

:

!

rien, tout pillé, brûlé...

aux quat'

vents...

encore bien heureux qu'on

et qu'ils étaient

leur donne des souliers neufs parce que le pied,

comme

ils

c'est tout... et

me

l'espliquaient, à Paris

que sans un pied convenabe

chaussé frais on ne peut pas se placer...

et les

gens ne veulent point de vous,

ils

vous

prennent pour des mendiants...

Le

nain.

diants

?

Comme

Ils

disaient ça

si c'était

?

Des men-

un crime

!

disaient. La vieille. — Le vieux, — In' savent pas. Faut Ils le

les

ab-

soude.

— Après? La vieille. — Arrive enfin

Le sors

nain.

mon

mon

bulletin de vote.*. Des

tour. Je

dames me


DIALOGUES DE GUERRE

180

le

prennent, et on

me

merci, sans j'avais déjà

encore sur

me

«

suivait

je viens de

madame », et Comment? n'y en a

Flamande.

la rue, l'autre

quand j'entends qu'on

le palier...

madame,

paquet. Je dis

le

prier, et je partais,

faire

nière à «

tend

une jambe dans

disait à celle qui

plus,

me

:

donner

elle

me

plus

»,

la der-

montrait.

que

disait la

Non, madame, nous en man-

quons. Cette paire-là que tient c'était la dernière... »

me

N'y en a

«

madame,

Et elle continuait de

désigner.

Le pour

La

nain.

— Mais qu'est-ce que t'attendais

filer? Es-tu

vieille.

gourde,

clouée. Si t'avais

vu

ma

pauve Cocotte?

pouvais pas.

Je

c'te figure

J'étais

de Louvain

de la pauve créature? C'était une Belge...

Enceinte avec ça, Seigneur... à vous rassasier

!

Alors

Et puis là-dessus v'ià qu'elle pleure j'y ai pas tenu, les pieds

me

— T'y as donné ta paire? J'avais La vieille. — Ma

Le

!...

brûlaient.

nain.

foi oui...

pensif... Je suis pas

le

cœur

du Nord, moi... puisque

je suis de Clichy...je ne suis pas réfugiée?...

Toi non plus ? Alors

?.

. .

C'était vilain. Je la


DIALOGUES DE GUERRE

J'y

volais.

ai

donné.

«

181

Prenez, la petite

mère... Soyez pas lacrymogène

!

»

me

Et je

suis sauvée.

Le

nain.

— Je regrette. Mais

Et puis, les Belges...

Le vieux. sienne

Un

ils

bien

peu. Vive Albert

!

(Il

t'as

fait.

sont sacrés.

lève son coquetier.)

!

A

la



LES AQUARELLES



XIV

LES AQUARELLES Dans une des

stations

du

littoral,

Une gentille petite villa « mer ». M. Crémines, seul dans

sur la Côte

d'Azur.

d'oii

la

le

on voit

salon aux

yeux fixés quand la porte une irruption

volets mi-clos, est assis et songe, les

hors

loin, très loin,

s'ouvre,

et

les murs...

M. Bernardet

fait

joyeuse, un sac de voyage à la main.

Crémines.

— Toi

!

Comment? Tu

viens de

Paris? Bernardet. surprise.

— Oui,

Mes

mon

affaires

plusieurs heures, j'en Crémines.

Que

vieux. C'est une m'amènent ici pour passe une avec toi.

je suis content

de te


DIALOGUES DE GUERRE

186

voir! Depuis plus d'un an! Hein? Crois-tu? Cette guerre?

Bernardet.

— Oui, Mais ça a déjà été moment

Je n'ai qu'un

bien

le

à te donner, je veux

remplir. Laisse-moi donc t'interro-

ger et ne réponds qu'à

bord ton caporal de Crémines.

fils.

— Eh bien

sept mois que nous

cause de

Tout

dit.

lui. Il

mes questions. D'a-j Sa pneumonie? !

il

la traîne depuis

sommes échoués

ici

à

va mieux, mais ce sera long.

est long.

— Sa femme est là? — Tu demandes? Des jeunes

Bernardet. Crémines.

le

mariés de quinze jours avant la déclaration Bernardet.

ton

fils

— Alors,

guérira. Et

Crémines.

s'il

madame Crémines?

— Elle va bien. Elle

qu'elle peut, la

!

à sa tourterelle,

fait tout ce

pauvre amie, pour oublier,

ne pas penser.

— Et petit? Que devient-il?" — Pierre. est Mal-

Bernardet. Crémines.

le

Il

gré ses quinze ans,

il

ne rêve que de

C'est le plus cotitagéux de

Bernardet.

— Et où

je lui dise bonjour?

terrifiant.

partir.

nous cinq.

est-elle ta famille,

que


DIALOGUES DE GtJEhRË

Crémines.

— Sortie. — Tous? Après

Bernaudet.

En

le

déjeuner?

pleine chaleur?

Crémines.

sa

487

— Çâ ne

les retient pas.

femme, appuyés au bras

Jean

et

l'un de l'autre,

s'en vont rêver et s'embrasser sous les pins.

Ma femme

est lingère à

l'ambulance établie

dans l'ancien Trianon-tango, Pierre suit des cours d'académie de baïonnette. Bernardet.

Et

toi,

tu restes seul à la

maison? Crémines.

que tu veux que Bernardet.

Oui.

Qu*est-ce

irais-je?

je fasse?

— Tes aquarelles?

Tu

as

un

le sais.

Ça

très joli talent,

Crémines.

D'amateur. Je

aussi, ça a déjà été dit. je n'y ai pas

pour rien,

Tu dois

d'ailleurs.

Bernardet. Crémines.

Mais pour

l'instaùt,

beaucoup de goût. Je n'en le

ai

comprendre?

— Enfin ta santé est bonne? — Excellente. C'est honteux.

Mais je suis forcé de l'avouer. Tout fonctionne. Bernardet, grave.

Et...

de là-bas? Tou-

jours rien? Crémines, recueilli.

— De Douai? Rien.


DIALOGUES DE GUERRE

188

Bernardet.

Pas... le plus petit signe?

Un renseignement? Une

fuite? Par quel-

qu'un qui aurait trouvé

moyen

Grémines. fait.

— Rien, je

le

De Douai on ne peut

comme

rien savoir

Chine.

c'était la

si

de...?

te répète... J'ai tout :

c'est

Et encore la

Chine, on voudrait qu'on pourrait... Mais

Douai,

le

mystère, le gouffre.

Bernardet.

un évadé? un

n'y a pas eu quelquefois

Il

blessé?...

Crémines, jo/am^f/". fant. C'est drôle

Bernardet.

— Rien, mon petit en-

que tu

t'entêtes...

Alors, ta maison, tu n'as

toujours aucune idée?...

— Bernardet. —

Crémines.

sais

Si.

Je sais qu'elle existe.

Ah

!

tu vois bien que tu

Elle existe.

!...

Crémines.

Mais

c'est tout...

Elle

est

habitée.

— Par qui? — Crémines. Par des allemands. Bernardet. — Pourquoi ne dis-tu pas BoBernardet.

officiers

ches? Par politesse? Crémines. son.

11

me

— Non. Par égard pour ma mai-

semble que ça

la salit

moins.


.

DIALOGUES DE GUERRE

Bernardet.

Tu

189

Je te le

la retrouveras.

parie.

du haut en Les quatre murs. Mes souvenirs... Mes

Crémines. bas.

bibelots.

. .

Peut-être. Vidée

Tout ce que j 'avais mis vingt ans à

arranger avec amour. Mes livres

.

. .

Ma cave.

.

— Pauvre ami — Crémines. Oh j'en parle avec un calme

Bernardet.

!

!

En

absolu. fait.

mon

quittant,

la

sacrifice était

Que nous nous retrouvions tous

après,

sauvés, nous aimant bien, et victorieux!... et je serai content, je n'aurai

Bernardet.

reconnais. Mais

il

A

la

un

tu y es

Je te

fauteuil derrière

comme je t'ai

surpris à l'ins-

du Midi, que diable

tant. Profite

!

faut te distraire et ne pas

rester là, enfoncé dans tes persiennes,

pas un regret.

bonne heure

!

puisque

!

Crémines.

— Ah non

!

Je t'en prie. Là. Je

t'arrête.

— Que veux-tu dire — Laisse Midi. C'est

Bernardet. Crémines.

?

le

très

beau, féerique, admirable, enchanteur, tout ce

que tu voudras. Mon

santé.

y retrouve Les gens sont excellents. Tout fils

la le


DIALOGUES DE GUERRE

190

monde nous témoigne une bonté vraiment touchante,

perdu

infinie

Mais depuis

!

mon

Nord,

le

là.

Je suis

un

le

que

un

moi^stre,

j'ai

Midi ni'est

aucun agrément.

égal, et je n'y goûte

de

Nord,

Lom

ingrat... C'est

plus fort que moi.

— Le Voyons Grémines. — Je Berwardeï. — Les Grémines. — Bernardet bleu, Bernardet. — Le — Grémines. Non. Bernardet. — La mer. Grémines. — Non. Pas Bernardet. — Les palmiers. Bernardet.

soleil

!

!

t'en prie.

fruits, les fleurs. !

ciel

celle-là.

Grémines.

Non. Non.

— Les cigales — Tais-toi. Tu me Grémines. Mais je n'y comBernardet. — Je me Bernardet.

!

fais souffrir.

tais.

prends rien. As-tu assez répété dans

mon

Dieu

Midi que ciel, cet

:

je

«

Ah

!

si

je pouvais aller

ne connais pas

azur sans tache.

Grémines.

— Oui.

le

J'ai

tache, effectivement^

I

temps,

dans

le

Voir ce beau

»

bien dit l'azur sans


DIALOQUES DE GUERRE

Ber>'ardet.

printemps... Crémines.

Ce pays

...

191

embaumé

le

Mais

c'était

temps, quarid j'habitais Douai, avant Depuis, pendant la guerre, et

la guerre.

maintenant que je vieille

uifi

éternel! Oui, oui! c'est

...

vrai... j'ai dit ça et je l'ai pensé.

dans

par

sv|is

petite ville,

j'ai

exilé

loii^

changé.

de

ma

sojeil

|^^

m'attriste et m'irrij;e.

— Oh — Je ne

Bernardet. Cri^mines.

!

parler d'azur, ni de

me

veux plus entendre

fri;its d'of, et les

cigale^

font grincer des dents.

— Tu es fou. Crémuijps. — Non. mal du pays, de Peïinardet.

J'ai le

mes prairies vertes si grasses, si fraîches, de mes beaux nuages de toutes les formes et de tous les gris, de mes moulins aivi ras des horizons...

Ah

!

Bernardet, rappelle-toi,

car tu en es aussi, toi, de nos chères et admi-

rables régions...

— Moi? Je suis de Beaugeucy. Crémines, vivement. — C'est Nord... ne Bernardet.

le

Ça y touche. La Sologne BapJules, nos forêts profondes, les

dis pas non. pelle-toi,

!


DIALOGUES DE GUERRE

192

matins

froids,

odeurs mouillées... tout et fin de ces

pénétrants...

soirs

les

les

mystère immense

le

étendues graves et saturées,

spongieuses d'histoire... Bernardet.

mon

Oui. Mais ne t'excite pas,

vieux. Allons? Sois sage.

Grémines, se reprenant.

Tu

as raison.

Pardonne-moi. Bernardet.

— Et j'en reviens à mon idée.

Fais de l'aquarelle. Tu as sous les yeux des

décors sublimes. Rends ce que tu vois.

Il

n'y a que ça qui pourra te calmer, Grémines.

donner ce

— Tu n'es pas

conseil.

Bernardet.

le premier à me Ma femme, mes enfants...

Eh

bien

!

Pourquoi ne

t'y

mets-tu pas? Grémines.

Je m'y suis mis.

Oh

!

tout

doucement. Bernardet.

— Dis-le donc. Bravo. Depuis

quand ?

— Trois mois. Bernardet. — Oh Mais tu

Grémines.

!

fait

dois en avoir

beaucoup? Combien?

— Une douzaine? Bernardet. — Montre-moi Grémines.

ça.


DIALOGUES DE GUERRE

Chemines, timide.

ne

193

— C'est que... personne

les a vues.

— Excepté ta famille

Bernardet,

?

— Aucun des miens. Bernardet. — Ah Pourquoi Crémines. — J'attends. Bernardet. — Sournois Mais à moi, Chemines.

?

!

ton

!

vieil

ami?

Crémines, se décidant.

veux bien. à clef

et

(//

Oui, à

toi, je

va ouvrir une armoire fermée

en retire un carton.) Elles sont

— Tu en es Crémines. — Assez. [Bernardet Bernardet.

là.

satisfait ?

allonge

le

Pas encore. Ne regarde pas. Mets-toi

bras.)

de dos. Bernardet, complaisant. enfant

Soit...

Quel

!

(Il

va vers

Crémines.

la fenêtre.)

Je vais les présenter toutes

les six sur des chaises et sur le canapé, et,

quand

je frapperai dans

seulement tu Bernardet. Crémines.

mes mains,

alors

te retourneras.

— Entendu. (7/

les

dépose,

trois

sur trois

chaises avancées et mises en rond, les trois 13


DIALOGUES DB GUERRE

194

autres sur

dans

ses

le dossier

mains.

du canapé. Et

il

— Tu peux.

BERNARbET, qui

frappe

retourné, regarde l'en-

s'est

semble d'abord, puis chacune, rapidement. Il s'approche, se penche, et saisi tout à coup.

— Mais...

c'est

Douai

!

— C'est Douai. — Ce n'est pas ça que tu peins

Grémines, bas.

Bernardet. ici?

— Parfaitement. Bernardet, — Je suis abruti. Grémineb. — C'est bien simple. Tu me diGrémines.

sais tout à l'heure

toi-même

:

«

Fais ce que

tu vois, ce que tu as sous les yeux vois que

mon

».

Je ne

pays. Lui seul m'est présent,

partout et toujours. Alors, c'est lui que je reproduis. Je ne saurais peindre autre chose.

La première

fois

appareil, et les îles,

croquis, je

me

je suis sorti avec

mon

à peine installé devant la

petit

mer

le beffroi,

que

au moment de tracer

suis aperçu

mon

que je dessinais

avec ses quatre tourelles.

— Le voilà Je reconnais. Grémines. — Et moi donc Quelle allure Bernardet.

le

!

!

Alors je n'ai pas résisté,

j'ai

!

continué;

et^


DIALOGUES DE GUERRE

195

de mémoire, en regardant plus loin je les ai toutes faites, l'une

qu'ici,

après l'autre.

— Pas dehors Grémines. — Dehors. Bernardet. — En plein air? Grémines. — Oui. Bernardet. — G'est merveilleux. Grémînes. — Non. Bernardet. — Mais pourquoi pas Bernardet.

?

ici,

chez

toi?

Grémines. les

— Pour

n'être pas surpris par

miens, surtout par

ma

chère femme,

que cela aurait navrée. Dehors,

je pouvais

travailler en toute confiance. Et tu n'ima-

gines pas la sensation étrange, poignante, exquise... sous ce ciel de feu, caresser l'autre, le

mien, ce

ciel pâle et nacré...;

après-midi aveuglants de

soleil,

par des

tremper,

laver, baigner ces vieilles murailles d'eau

ruisselante et jaune, faire cracher les gargouilles, étaler de belles flaques^ peindre la

pluie

!...

les

embruns du Nord Par !

instants,

j'en pleurais tout seul. [Allant à ses relles.)

Voilà

le

pont surlaScarpe...

le

aquasquare

de l'Eglise, la porte de Valenciennes..*


DIALOGUES DE GUERRE

196

— Oui, oui, Crémines. — N'est-ce pas

Bernardet.

c'est ?

bien ça...

{Avec plus d'é-

motion.) Et puis celle-là alors, la maison,

ma

maison de toujours, de mes parents, de

plusieurs générations, où tu es venu vent, où on a tant

ri

Les

C'est exprès.

Il

!

toits

sou-

si

pleut aussi, tu vois?

Le

brillent.

ciel

a

bien son air de ciel d'usine et de filature. Ça vit.

On s'enrhume

Ah mon

à la regarder...

!

bon Jules. (Il l'embrasse, avec un peu de pluie égaalement au bord des paupières.)

Bernardet, troublé, lui rendant son étreinte

— Cher Albert. Crémines. — Merci.

Merci.

Bernardet, pour faire diversion.

quand

— Mais

tu peins ta ville dehors en face de la

mer, qu'est-ce que pensent

gens qui

les

s'arrêtent derrière toi et qui voient ça ?

Crémines. fois, et

ça a

en disant dès qu'on paix.

Ils

suffi. Ils

!

sont partis épouvantés,

«

C'est

un fou

me

voit,

on

:

[On entend du

femme

ne sont venus qu'une ».

Maintenant,

se sauve,

bruit.)

Vive

et j'ai la !

vite

I

ma

I


DIALOGUES DE GUERRE

(Il

dans

remet précipitamment le

197

les

aquarelles

carton qu'il cache.)

Madame Grémines, entrant

et

apercevant

nouveau venu. — Bernardet? Ah Quel bonheur

!

!

le

cher ami.

Quelle joie vous nous faites

!

un peu tard parce dû consoler un de mes petits blessés.

[A son mari.) Je rentre

que j'ai

est d'ici, et

Il

son père, qui se trouvait de

passage à Lille quand l'ennemi s'en est emparé, n'a pas qu'il est

pu en

enfermé

sortir.

Voilà des mois

là-bas. 11 a pu, je

ne sais

comment, arriver à faire parvenir à son fils une longue lettre qui l'a désolé, parce qu'il lui dit

que ce qui

lui coûte le plus, ça n'est

pas tant les Prussiens que la privation de soleil,

de ciel bleu, de bonne chaleur, dans

un pays où

il fait

temps, tout

le

froid,

temps

!

Et

où il

il

pleut tout le

est inconsolable

de son Midi. C'est bien naturel.

Monsieur Grémines. les

gens du Midi, tu

toujours.

Sans doute

sais!...

ils

!

Mais

exagèrent



LES ENFANTS



XV

LES ENFANTS Dans

les

hauteurs de Montmartre.

boutique peinte en vert

clair,

Une

petite

sur la devanture

lit Lambin, tapissier. A l'ExacTravaux en tous genres. Décoration d'intérieurs. Deux enfants, Paul Lambin, quinze ans, dit Poulet, et sa sœur Isabelle, treize ans, dite Zab, y sont assis bas, sur deux vieilles caisses, de chaque côté d'un guéridon disloqué, posé à plat sur le sol, son pied à trois doigts en l'air. Zab tient le meuble à deux mains pour qu'il ne remue pas et Poulet, armé d'un marteau,

de laquelle on

:

titude.

plante des pointes dedans avec satisfaction.

femme grie.

Une

s'apprête à sortir par le fond, pâle, amai-

Mise décente.

Un

air

de grande lassitude

physique et morale. C'est M""^ Lambin.


DIALOGUES DE GUERRE

202

M™^ Lambin.

Vous

travaillez,

mes en-

fants ?

— Oui maman.

Poulet,

On

finit

ma-

ce

tin le guélidon des Sauvage.

M"^ Lambin. Zab. M'»^

— Moi, je

— Où vas-tu Lambin. — Chez ?

côté, savoir

quand

s'il

est-ce

prendre

M"»*'

Mathieu,

c'est

à,

guérit de sa bronchite, ei

qu'il

en

sera

de

état

re-

le travail.

— On Lambin. —

Poulet.

même

sors.

est là,

nous deux.

Vous ne pouvez tout de

pas le remplacer.

— Avee ça Lambin. — C'est un bon ouvrier. Poulet. — est vieux. Tandis que

Poulet.

!

M""^

Il

nous...

Ne

te frappe

pas pour Mathieu, va...

M"® Lambin. — Oh Poulet. — Oui. Tu M*"^ Lambin. — Poulet. — Non.

!

si

ce n'était que lui

pour

te frappes

J'ai trop

de raisons.

Tais-toi, petite

M"*^ Lambin, se tournant vers sa

baisse

le

nez,

soeur. Elle

très

gênée.

ne trouve rien à

parce qu'elle pense

comme

!

tout.

mère. fille

qui

Regarde ta

me

moi.

dire, elle,


DIALOGUES DE GUERRE

Zab, sans conviction.

203

— Pas du tout ma-

man...

M™" Lambin.

toi aussi tu crois

Si... si...

Je sais bien que

que ton pauvre

Défendu

î

Va

chez Mathieu.

père...

Pch...

(// la

pousse

Poulet, sans la laisser finir.

affectueusement dehors. Elle veut parler...)

Non. Rien. Je t'aime, mais je t'écoute pas.

Va chez

Mathieu...

(Elle sort navrée.)

Zab, à son frère. plus.

Ça

me

Poulet. Zab.

— Poulet, je n'en peux

fend le cœur.

— Quoi

— De dire

?

et

comme tu m'as mon idée. Quand

de faire

forcé.

Tout l'opposé de

notre

papa a été porté disparu, l'année

dernière, tout de suite, qu'il n'était pas

moi

j'ai

mort, qu'on

eu confiance le

reverrait.

Toi pas.

Poulet. péri. il

C'est vrai.

Pour moi,

il

a

Jamais je ne m'en consolerai, mais

a péri. Zab, avec énergie.

de dire chacun

— Non.

Alors, au lieu

comme nous

pensions, à


DIALOGUES DE GUERRE

204

maman

qui était folle et qui ne cessait de

que ce

pleurer, tu as voulu fasse

Eh

l'a...

bien

t'es

mis à

que tu m'as

mon

beau rôle

le

Une

laissé le vilain.

invention que tu as eue là

donc

faire celui

ça n'est pas gentil...

!

sans compter que tu as pris et

moi qui

qui n'espérait plus, et toi qui

celle

n'a pas confiance tu

qui

soit

!

riche

Rends-moi

idée et reprends la tienne.

On

mère comme on juge et comme on raisonne dans son cœur à soi, et, de cette façon-là, on le dira bien. Tandis qu'autrement on s'en tire très mal, on n'y met pas le ton, la franchise... dira chacun à petite

Poulet.

Mais

si.

Tous

les

deux on

ment comme pour de bon. Zab.

— Moi,

jusqu'ici, je t'ai obéi sans

savoir, sans rien te es

grand Poulet. Zab.

et

que tu es

J'ai

fait

ça

ma

?

Parce qu'il

maman... dans son Est-ce

l'aîné.

quinze ans.

Mais aujourd'hui je t'interroge.

Pourquoi as-tu Poulet.

demander, parce que tu

faute

si

le

intérêt.

je crois

fallait.

Pour

Sans doute.

malgré moi que


DIALOGUES DE GUERRE

père a été tué

le

?

pas la nuit.

dors

avoir ton espérance

205

Ça m'étouffe

Ah

je voudrais bien

!

Je ne

!

et je n'en

l'ai

Qu'y

pas.

que

faire? Seulement, voilà, j'ai compris

hommes,

moment, et surtout en temps de guerre, même quand ils croient les

à tout

que ça va mal,

ils

doivent toujours dire

que ça va bien. C'est

qu'on

cette parole-là

attend d'eux, et qui tape, parce que c'est les

hommes...

et puis

à la s'il

qu'ils ont les

manque

et

qui

a raison

il

a tort, et

monde par pensé

:

si

cheveux courts

Un homme

une grosse voix.

mâche du

même

noir,

fiche

il

qui est

tout le

terre autour de lui... J'ai

donc malheur de laisser enmère le iond de mon idée

le

j'ai

tendre à petite rapport à papa,

comme

elle est

persuadée

qu'il est blessé, prisonnier, vivant... je vais la ravager... tandis

qu'en ayant

l'air

d'en-

trer dans ses vues, je la soutiens.

Zab.

Eh bien mais

je lui dis le contraire

Poulet.

alors,

— Justement.

moi seul pour causer, ça ça pousserait

maman

moi ? Quand

?...

S'il

n'y avait que

serait trop alors,

plus loin

qu'il

ne


DIALOGUES DE GUERRE

206

faut...

C'est

pourquoi je

t'ai

conseillé d'ob-

server le système contraire... pour équilibrer. Et puis, de ta part, les choses

vaises

prennent moins de sérieux.

une femme, Zab.

Oh

Poulet.

même

toi,

Zab.

ne

sœur, qui Poulet. Zab.

te tapes

la faiblesse et

vie en rose,

que

c'est tout na-

pas à conséquence.

tire

Et pourtant tu

mon

l'homme,

fillette.

!

— Si tu as de

tu ne vois pas la turel, ça

une

pas...

mauTu es

Poulet,

as

c'est

beau faire

moi, Zab, ta

le suis.

— Des

fois,

Quand

çà et

là^ c'est possible.

tu te coupes, ou que tu

sur les doigts avec

un marteau,

tu cries plus fort que moi.

Poulet. fort

que

Parce que je

toi, tiens

!

Il

ne

me

s'agit

cogne plus pas de

ça...

mais de maman. Qu'est-ce qu'est arrivé, grâce à

ma

ruse

?

C'est qu'à dire

chacun ce

que nous ne pensions pas, nous l'avons tout de môme dit du mieux que c'était utile.

Quand

elle

perd courage avec

elle le retrouve.

toi,

avec moi

Et quand je la vois qui se

lance à trop rêver, je te fais signe pour que

i


DIALOGUES DE GUERRE

207

tu l'arrêtes, et que tu la remettes dans le doute.

— Et ça m'est dur, Poulet Oh Poulet. — Je m'en rends compte,

Zab.

Y

!

a que

On

se

toi

oui

!

Zab.

capable d'un pareil sacrifice.

repasse,

la

!

entre les deux,

comprends-tu

un qui

?

Alors,

dit blanc,

l'autre

qui dit noir, à force de croire et de ne pas croire, elle est ballottée, cette

ne

et elle

sait plus...

pauvre mère,

mais plus du

tout...

Et ça l'empêche de se buter à une idée

dans n'importe quel sens. Ainsi, tit,

le

fixe,

petit à pe-

jour où elle connaîtra la vérité, elle

tombera de moins haut Zab.

Poulet. Zab.

11

et se désignera.

n'est pas mort.

Je voudrais.

Si tu le voudrais, et autant

moi, tu ne penserais pas le contraire. été

envoyé en mission, un

Poulet. c'est les

Zab.

Mission

Il

a

soir...

« très

dangereuse

»,

termes.

— Bien entendu. Toutes sont. — Plus ou moins. Celle-là le

Poulet. le plus.

que

Et

l'était

il

à l'armée. Et

n'est pas revenu. il

n'a jamais

On

l'a cité

donné signe de


DIALOGUES DE GUERRE

208

vie,

depuis onze mois, lui qui prenait la

plume toutes assez clair

Zab,

!

les

semaines

C'est pourtant

!

Oii veux-tu qu'il

soit ?

Blessé... prisonnier,

dans

ou évadé... m'est égal. Mais il

loin...

bien

Ça

Rien ne m'éton-

vit.

nera de papa, tu entends

— Ça, oui. — se Toujours Zab.

loin,

forêts...

les

?

Il

est si

brave

!

Poulet.

il

proposait pour les

périls.

Poulet.

cause de Zab.

même

C'est

ce qui aura été la

sa...

Puisque

débrouillard!...

je

te dis qu'il vit

!

Et

malin! Rappelle-toi... Le

jour qu'il est parti,

comme

il

était gai

pour

« Mes enfants, nous empêcher de pleurer un morceau de cassé... à :

j'aurai peut-être

manière d'un

la

pied...

fauteuil...

Vous savez que

c'est

un bras ou un pas grave et ça

se recolle... Plus solide qu'avant.

Quoi

qu'il

arrive, espérez toujours... je suis sûr de re-

venir, fidèle à

Poulet. Zab.

On

ma

devise

:

A

l'Exactitude

».

— On l'attend. Eh

bien on l'attend. Quoi donc

peut. Travaillons, tiens.

A

?

bavarder on

à


DIALOGUES DE GUERRE

ne

fait rien. 11 s'agit

209

de montrer qu'on égale

Mathieu.

— Pas pour tout. — Pour tout. Moi je

Poulet.

...

un

poser

siège,

un un

sais nourrir

Zab.

bourrelet, tendre

un

entoilage, garnir

galon, et puis rester une

heure avec de la semence plein la bouche, sans l'avaler.

Poulet.

dame

je

!

Et moi pour l'échelle, ah

Un

ne crains personne.

écureuil.

Et puis que je drape à l'italienne,

aux grands boulevards

Zab.

la torsade

Poulet.

que

comme

!

Et je connais la passementerie

!

!

Et moi

je sois pas

grande largeur

le tissu

au front

je saurais prendre

Zab.

!

!

!

Dommage

Je te garantis que

un drapeau,

oui, et

en

demande

!...

!

— C'est pas ça qu'on

te

ni à moi, de ramasser par terre des zouaves

qui ont

soif.

la boutique.

Notre

champ de

Notre devoir

c'est

bataille c'est

de faire mar-

cher la maison nous deux et de contenter la clientèle,

pour que

maman

ne pâtisse

pas d'abord. 14


DIALOGUES DE GUERRE

210

Poulet.

Aie pas peur. Je mendierais,

je volerais plutôt

Zab.

!

C'est pas ça

non plus qu'on

te

conseille.

— Histoire de

PouLEï. Zab.

Sans doute... Et puis pour que

de cette façon,

vainqueur,

Zab.

il

Poulet.

jour où

le

le

père rentrera

retrouve tout en ordre...

Tu recommences.

Non,

Poulet.

dire.

je continue.

Ça

serait trop beau. C'est di

cinéma, Zab. Zab.

Tout ce qui est au cinéma,

c'est

arrivé et ça arrive, tout, tu entends!...

Tu

verras.

Poulet.

— Allons

!...

Tu

sais bien

jour-là je serai plus fou que toi

Zab.

à travers

Pas plus. Autant.

Poulet.

que ce

!

Oui. (// regarde dans la rue

la glace.) Tiens, voilà

maman

qui

rentre.

Zab, qui regarde aussi.

Elle est avec"

Madame Sauvage. Poulet.

Sais-tu

peu, je vais chanter.

?

Pour

la dissiper

un


DIALOGUES DE GUERRE

Zab.

— Oh

Tu en mets de

ça, c'est trop.

!

211

trop. Poulet.

Poulet. Zab.

Non.

Alors,

moi

— Oh non

Poulet.

aussi !

Pas

?

toi

!

Tu

fais celle

qui n'a pas confiance... tu ne peux pas... ça égarerait Zab.

maman. Oh Enfin, !

me

Dieu qui

j'espère que le

bon

voit...

Poulet, chantant, mais à mi-voix, avec

un

tact infini

:

Ne fermons

pas nos cœurs à la douce es..pé..rance... Plus d'un de ceux que l'on croyait perdus, Quand on n'y comptait plus, Reverra le ciel de la France...

(La porte s'ouvre sur ces derniers mots

deux femmes entrent.)

et les

M™° Lambin. Tu chantes, mon Poulet? Tu as donc confiance, que tu chantes ? Poulet.

Toujours.

M™* Lambin, à sa rie ?

Pas

fille.

Et

toi,

ma

ché-

toi, je le sais.

Zab, étranglée d'émotion.

man, mais

si.

— Mais

si,

ma-


DIALOGUES DE GUERRE

212

M™* Lambin, avec un sourire douloureux.

Enfin... soyez gais,

votre âge. J'aime

malgré

mieux

ça...

tout. C'est

de

[A mi-voix, à

i/"« Sauvage.) Les enfants... ça ne se rend

pas compte. (Poulet et Zab, qui ont entendu, échangent

un regard.) Poulet, à M'"« Sauvage. votre guélidon est prêt.

— Et puis voilà,


L'APPEL



XVI

L'APPEL

Dans le salon d'un petit château en Morbihan. Le Comte et la Comtesse de Guernalo sont seuls, un soir de janvier 1915. Il pleut. Le vent souffle. Vêtus de deuil, assis devant la cheminée, ils regardent

le

feu qui s'éteint, et par

ravive, contre

distingue,

vieille

au-dessus d'un

empanaché de s'il

une

suie.

écusson,

Le comte

prenait une décision. C'est

approchant de

la

moments

un casque

se lève,

comme

un homme grand,

cinquantaine,

marqué, dans

toute sa personne, d'énergie et de résolution. fait le

tour de

de sa femme.

la

se

plaque de fonte où se

Il

pièce et vient se rasseoir près


DIALOGUES DE GUERRE

216

Le comte, dans un imperceptible que cependant sa voix

trahit.

Il

effort

faut que

je te parle.

La

Qu'as-tu

Comme

me

dis cela!

à m'annoncer? Encore

un mal-

comtesse.

tu

heur?

— Nullement. — Une grave

Le comte.

La

comtesse.

nouvelle,

jl

le sens.

— Importante.

Le comte, (Il

La

se lève.)

comtesse.

— Je sais ce que

c'est.

(Elle se lève également.)

Le comte, avec vrai! Quel si

bonheur

si

de ton côté tu avais

que moi

et si ce soir

en face de

la

élan.

le

fait le

Le comte.

si

c'était

même chemin

!

regardant au fond des

— Tu pars? — Oui. La comtesse. — Pourquoi?

yeux.

!

nous nous rencontrions,

grande idée

La comtesse,

Ah

tu m'avais deviné!


DIALOGUES DE GUERRE

217

— Tu demandes La comtesse. — Parce que notre

Le comte.

le

!

fils

a été

tué? Il y a cinq mois... C'est pour cela? Certainement. Le comte.

La

comtesse.

J'en étais sûre... Voilà

Depuis quand l'as-tu? Elle ne

l'idée.

pas venue tout de

t'est

suite ?

— Non. — Comment venue? La Le comte. — Peu à peu. Et à toi? eue insLa comtesse. — Oh moi! Je

Le comte.

comtesse.

t'est-elle

l'ai

tantanément. Dans les cinq minutes

oii j'ai

appris la mort d'Alain.

Le comte.

— C'est

la

preuve qu'elle s'im-

posait.

et

Comme celle d'un second La comtesse. nouveau danger, oui, du plus grand qui

pouvait,

après l'autre,

pressentir

une

m'atteindre! Mais

catastrophe,

donc

est-ce

l'accepter?

Le comte.

— Tu n'approuves pas ma pen-

sée?

La

comtesse.

Je la réprouve, je

l'ai

horreur.

Le comte.

...

Et tu la comprends.

en


DIALOGUES DE GUERRE

218

La

me

ou

comtesse.

Non. Elle m'échappe

dépasse.

Le comte. Ni l'un ni l'autre. Ecoute-moi La comtesse. Je sais tout ce que tu vai

me

me

dire. Je

moi-même...

ça ne m'a rien

et

Le comte.

déjà répété cent fois

le suis

maintenant vais

Mais

Oui.

fait.

moi qui

c'est

te le dire. Ainsi les

mêmes

choses ne seront plus pareilles. Je leur donnerai leur vrai sens.

La

comtesse.

Et pour rien

!

Tu

Tu

tiens à

pars. Je vois

me

déchirer.

que

ta réso-

lution est prise...

— Irrévocable. comtesse. — Cela

Le comte.

La

suffit.

Je ne peux

pas t'en empêcher. Pars. Mais pourquoi des

mots ? Chaque parole

est

une blessure inu-

tile...

Le comte. toi. C'est

...

un mal

Dont je souffre autant que nécessaire.

pour moi seulement de connaisses mes La comtesse.

que de garde

rester.

les

11

partir,

ne

s'agit pas

mais que tu

raisons. Je te les dois.

Tu ne me

Garde

dois rien

tes raisons

miennes, dont je

te fais

comme

— je

grâce.

I


DIALOGUES DE GUERRE

— Je suis prêt à comtesse. — Pour n'en

les entendre.

Le COMTE.

La

compte. Eh bien, nous l'heure.

2i9

pas

verrons

tenir

tout

à

Commence.

Persuade-toi d'abord de ceci Le COMTE. ma chère femme, je ne suis décidé à partir :

qu'avec ton consentement.

La

COMTESSE.

tu espères

— Jamais

Si c'est là ce que

!

!

Le COMTE.

...

Et pas

un consentement

d'obéissance passive ou de lassitude, non,

une franche adhésion,

plein concours de

le

ton esprit et de ton cœur.

La comtesse. Le comte.

m'en

aller.

— Tu ne

les

obtiendras pas.

C'est toi qili

me

diras de

Pourquoi je pars? Rien de plus

simple. Par ordre supérieur.

La

comtesse.

— Tu as passé l'âge de toute

obligation militaire.

Le comte.

— Par ordre d'Alain,

de notre

enfant.

La

comtesse.

— C'est

toi

qui te le doiines

à toi-même cet ordre.

Le comte.

— C'est

Et à toi aussi.

lui.

11

me commande.


DIALOGUES DE GUERRE

220

La

comtesse.

Non.

Il

ne m'a rien

dit

là-dessus.

Le comte.

m'a chargé de

Pour

ménager. Mais

te

dure commission. Je ne

la

suis pas laissé convaincre

me

Tout ce qui

crois-le.

retenait à toi, tout

en droit d'objecter, je

que tu

ai

soumis, avec la partialité

et

une résistance

si

me

du premier coup,

ce

étais

il

le lui

la plus

ardente

me

coûtait,

vive qu'elle

mais à laquelle je m'attachais en pensant à toi.

Tu

mieux

n'aurais pas

loyal. Je

ne

t'ai

lutté.

Alain a voulu, quand même. rien.

m'exige.

Il

Gomment

que j'éprouve? Je subis en double

effet

la plus

grande que

dominé ...

une évidence inouïe

Le mien

Il

n'écoute

t'expliquer ce

même

temps

le

d'une force physique et morale,

Force prodigieuse et aussitôt

J'ai été

pas abandonnée à la légère.

j'aie si

et !

jamais ressentie.

sûre d'elle qu'on est

comme

rassuré par

Je te brise le cœur

!

se brise aussi... et pourtant j'ai la

certitude d'être dans la vérité. Je vois clair.

Je crois que, par-dessus tout, j'accomplis ce qu'il faut.

Ma

conscience est tranquille.

Je respire. Je goûte à cette conviction de ne


DIALOGUES DE GUERRE

pas

me

tromper, une quiétude sereine qui

commun

n'a rien de gile qui

:

le bien-être fra-

ne peux pas mieux un peu hors de la vie. L'ind'Alain. Son œuvre irrésistible. A la vie. Je

je suis

fluence

quoi bon discuter? Il

avec

vous effleure à certains moments

heureux de dire

221

Me

débattre? M'enfuir?

vainqueur d'avance. Je suis son

est

sonnier, puisque je suis son père. qu'il est

mort! Et comment? De

la plus belle,

dans

la gloire,

la

manière

dans

en défendant son pays

nesse,

pri-

Pense la jeu-

et

nous-

un ensemble magnifique, une fin sublime, un couronnement. Il nous a couverts d'honneur et de fierté. Il est un exemple inimitable. Y a-t-il rien au monde mêmes.

C'est

qui puisse être mis au-dessus des sacrifices qu'il a

prodigués? Alors,

il

doit savoir. Les

morts ordinaires, déjà, sont renseignés sur tout ce qui nous touche et méritent d'être

écoutés quand

ils

Mais ceux-là,

les

enfants!

peut se

Un

fier

fils

nous parlent en morts de

comme

à lui les

insistant.

la guerre,

Alain!...

nos

Ah! on

yeux fermés, sans cher-

cher à comprendre. Il

sait.

Quoi

qu'il con-


DIALOGUES DE GUERRE

223

seille et dise, il

fait

pour

même. sible

il

a raison,

voit plus loin,

il

mieux, dans notre intérêt

le

nous aimait autant

Il

quand

Certainement,

était vivant...

il

aujourd'hui,

qu'il est pos-

ne nous aime pas moins,

il

mais avec plus de pouvoir

d'étendue.

et

nous séparer sans motif puissant,

Va-t-il

souverain

?

Non. Est-ce moi qui

me

des raisons de chevalerie patriotique

un mystique de

Suis-je

ma

orgueilleux de

la

race

fils

me

fait

Non.

guerre? Non.

Un

Non. Manqué-je

?

de simplicité, d'humilité

Mon

forge

?

?

Pas davantage.

signe. Vo'ilà tout.

Il

me

montre que je suis fort, que quand il naquit, que je dois le redevenir à présent qu'il n'est plus, et que je n'avais j'étais officier

démissionné que pour rengager, au bon moment.

me

Il

dit

que depuis son départ

a dans l'armée une place vide, à et qu'il attend

que

être tourmenté...

je l'occupe,

Du moment

y

mon nom,

pour ne plus que, bien lixé

sur tout ce que nous sommes, l'un à l'autre, et regardant

il

toi

et

moi,

notre union,

notre unité, tes pleurs, nos débats en cet instant

môme,

il

persiste à m'appeler, tou-

i


DIALOGUES DE GUERRE

jours...

y

«

aller.

ton

Allons, père! le devoir!

trace

chef, le héros.

La comtesse.

Le comte, revient.

tout à

De

ma

La comtesse.

» il

faut

tendre amie. Mais

conduite. C'est lui, le

Nous n'y pouvons Et

si

rien.

tu ne reviens pas?

Même quand on

l'autre

On

fait.

tôt... ta

ma

Je t'adore,

me

fils

223

côté.

meurt, on

Nul ne

est toujours là,

s'en

va

autrement.

— Penses-tu obtenir... bien-

réintégration?

— Je C'est — La comtesse. Ah!... Et quand pars- tu? Le comte. — Demain. M'en veux-tu touLe comte.

l'ai.

fait.

jours?

La fils

comtesse.

— Non.

est le maître.

jusqu'à

Tu

as raison. Notre

Je tâcherai de monter

lui.

Le comte. (Elle

Il

nous tend

tombe dans

les

mains.

ses bras ouverts.)



NICOLAS

15



XVll

NICOLAS A

Neuilly, au bout d'une voie peu construite

et d'aspect

casque

campagne, un soldat d'infanterie, en

tenue de guerre, sonne à

la grille d'une grande propriété bordée de murs, au-dessus des-

et

quels s'élèvent des arbres. Il tient à la main un volumineux paquet enveloppé d'une serge noire.

Au bruit de la sonnette qu'il a tirée fort, des aboiements de chiens retentissent nombreux, au loin. Il attend

une minute

femme d'une quarantaine

et voit enfin venir

une

d'années, robuste et

teint hâlé, en cheveux, les

le

manches retroussées

sur ses bras demi-nus.

Le soldat,

Pardon, excuse... La ba-

ronne des Plantes?


DIALOGUES DE GUERRE

228

La femme. lui

— C'est

ici.

Qu'est-ce que vous

voulez?

— Rapport à une La FEMME. — Alors entrez

Le soldat.

bête.

!

(Elle ouvre la grille.

Il

entre.)

Le soldat, posant son paquet. voilà.

La bête

— Eh bei

qu'il s'agit...

La femme. — Non. Taisez- vous.

me

Faut rien

dire.

— Pourquoi femme. — Madame

Le soldat.

La

?

le

défend.

Elle

n'aime pas qu'on raconte avant à d'autres. Elle veut avoir l'étrenne des bêtes qu'on lui

apporte, comprenez-vous

Le soldat.

?

— Bon, bon...

Elle l'aura. Je

baisse la trappe. Quel type c'est, vot'

— Tout ce — Pour La femme. — Et

La femme.

Le soldat.

et puis

y a de bon. seulement?

les bêtes

...

animaux.

qu'il

dame?

[Ils rie?it.)

les

gens aussi, tous les

A

preuve moi, tenez!

deux autres, une des Ardennes, une un amputé de jambe gauche

d'Alsace, et

qu'était garçon chez

nous a

un

vétérinaire... Elle

recueillis.

J


DIALOGUES DE GUERRE

Le soldat,

une noble

!

Elle est

La femme. elle a.

— Ah

ben, c'est gentil. Pour

donc bien riche ?

Pas tant qu'on

Et tout va aux pauvres

Un vœu

229

qu'elle a fait

quand

Mais

le dit.

et

aux

bêtes.

elle était petite.

Le soldat. — Gomment ça?

La femme. le

C'est la

grand savant

fille

de Victor Bru,

!

— Connais pas. — Un vivisecteur... de ces gens

Le soldat. La feaime.

qui ouvrent les chiens et les lapins.

Le soldat.

— Ah oui

!

pour bricoler de-

dans, sans que ça serve à rien

La ment eu de

— Tout juste.

femme.

!

Elle avait telle-

chagrin, pendant son enfance et

sa jeunesse, de voir martyriser les animaux, qu'elle avait juré de se consacrer à

eux

plus tard, en réparation des souffrances que

leur avait infligées son père. Après avoir refusé de se marier jusqu'à trente-deux ans, elle a

épousé

le

baron Mauve, qui partageait

ses idées, qui a fondé l'Institut de zoophilie.

Le soldat,

— Et monsieur Bru, dans tout

ça?

La femme.

11

est mort.

Même

qu'il s'est


DIALOGUES DE GUERRE

230

opposé par testament à ce qu'on l'ouvre après son décès.

Le soldat.

aurait mérité qu'on le

Il

désobéisse, oui! Et monsieur

Mauve?

il

vit

toujours, lui, j'espère?

La femme.

Mort

dans une partie de l'eau après

aussi,

plaisir,

y a deux ans, en se jetant à

manger, pour sauver son chien

qui était vieux et se noyait.

Le soldat. Mais

elle s'est

qu'elle s'appelle

La femme.

Ah

c'est

madame

pas payé, vrai

!

des Plantes?

Non. Seulement dans

comme on

pays,

!

donc remariée votre dame,

dit depuis

le

longtemps, en

parlant de la maison que c'est le Jardin des Plantes, on a fini par lui donner ce nom-là.

Maintenant, allons

Le soldat. cent...

minute... à votre ac-

vous ne seriez pas du Nord

La femme. pait.

la rejoindre.

— Une —

Si.

?

Vous aussi? Ça me

frap-

Je suis de Dunkerque.

— Et moi de Saint-Pol. — La femme. Y a une distance. Le soldat. — Mais on tout de même Le soldat.

est

pays.

Moi

je suis mineur.

i


DIALOGUES DE GUERRE

— Des enfants — Non. La FEMME. — Une femme Le soldat. — Oui. Elle La femme. Le soldat,

les

231

?

?

est restée

dans

pays occupés. J'en ai pas de nouvelles

depuis Charleroi. Et vous, votre

vous en avez un

La femme.

homme?

?

— Et bon.

Il

est de la flotte, à

Salonique.

Le soldat.

de Dunkerque

La femme. rité,

Pourquoi vous êtes partie

?

On nous

a évacués d'auto-

à cause des marmites. Alors

j'ai erré

jusqu'à ce Paris, et puis, par quelqu'un,

connu madame, qui m'a le petit monde. Le soldat.

prise

j'ai

pour soigner

— Combien que vous avez de

clients ?

Vingt-quatre chiens, dixLa femme. chats, deux sept ânes, une chèvre folle, trois vieux chevaux de guerre, un mouton sourd, trente-huit zoiseaux, canaris, pinsons, char-

donnets, six merles, cinq perruches, et

un

veau d'Anvers.

Le soldat.

— Ben... ça

fait

du monde. On


DIALOGUES DE GUERRE

232

comment vous vous

ne s'embête pas. Et appelez

?

— Pauline Béquin. Le soldat. — Moi, Henri CréteL La femme. — Voilà madame. La femme.

(Il

se retourne.

Une grande femme longue,

blonde et mince, aux yeux bleu pâle, est devant lui. Elle a un chapeau de paille noire,

un

tablier de toile grise

;

elle est

chaussée

de galoches de bois. Une voix très douce.)

La baronne.

C'est vous le soldat qui

avez sonné ?

— Oui madame. Compliments. — vient pour une bête. La baronne. — Quelle bête? Pauline. — Je ne sais pas. La baronne, au soldat. — Vous l'avez Le soldat, montrant "paquet noir. — Le soldat.

Pauline.

Il

?

le

La v'ià. La baronne. Le soldat.

— Montrez — Oui. Mais !

drais vous la conter.

La baronne, qui Le soldat. qu'on

était,

.

.

sourit.

Une

avant, je vou;

Permettez

?

— Allez.

nuit de

l'an

pass

notre compagnie, la quator-

à


DIALOGUES DE GUERRE

campé en

zième,

233

une

attente dans

église

de village à moitié crevée, une marmite

s'amène qui démolit

un

tas de

matériaux

comme une

figure,

tiède et de et

que

vous

On

le clocher...

et

il

reçoit

m'arrive en pleine

potée, quelque chose de

moelleux qui chute à mes pieds

je ramasse...

c'était ça

que je vais

faire voir.

(Il dénoue et retire Fétoffe du paquet, et on voit un magnifique hibou dans une cage.)

— —

La baronne. Un hibou Le soldat. Un nibou, oui. On mort,

il

!

Des camarades

n'était qu'étourdi.

voulaient le tuer pour

le

le croyait

Un

manger.

Breton

a observé que ça porterait malheur et qu'il était sacré

parce qu'il avait déboulé dans la

cagna du bon Dieu. Alors je

min giron

et voilà onze

mois

l'ai

mis dans

qu'il

ne m'a

pas quitté. Aujourd'hui faut que je m'en défasse.

— Pourquoi Le soldat. — Je suis évacué pour un temps. — Et après Où La baronne.

?

?

au dépôt

je serai-t-y

renvoyé? Je peux donc pas garder Nicolas.


DIALOGUES DE GUERRE

234

— Nicol...? — Oui,

La baronne. Le soldat.

comme

On

c'est lui.

l'a

appelé

ça à cause de la Russie, pour faire

semblant que ça serait un grand-duc. cherché à qui

l'offrir.

J'ai

Personne n'en veut.

Et puis on m'a donné votre adresse. Alors je

vous l'amène.

La baronne, sans enthousiasme.

J'en-

%

tends bien.

Le soldat.

Vous n'en voulez

Quoi!...

pas?

La baronne [un

soupir).

— Je ne

prends

pas ces gros oiseaux-là.

— A cause? La baronne. — D'abord je

Le soldat.

me un

On me

limiter.

poissons...

du

suis forcée de

présente de tout... des

bétail; la

semaine dernière,

petit éléphant.

Le soldat.

môme

Mais Nicolas?

c'est

pas la

chose. N'a pas de trompe.

La baronne.

— Et puis,

c'est

une bête de

proie.

Le soldat,

riant.

— Lui? mon nibou

plus de proie que nous deux.

erreur

!

Écoutez,

madame,

En

?

v'ià

s'agit pas

Pas

une

d'une


DIALOGUES DE GUERRE

235

charade, c'est sérieux, je compte sur vous

ma

pour prendre

Ah vous pouvez

bestiole.

!

pas refuser!

La baronne. Le soldat.

— Impossible. — Dites pas

Gomme

moi.

Comprenez-

ça.

à l'instant je le touchais à

votre bonne, je suis sans nouvelles de

femme qui

est à Gharleroi

;

j'ai

ma

pas d'en-

fants, j'en désirais, ils

ne sont pas venus,

mon

goût des bêtes. Eh

c'est la raison

de

m'y

bien, cet oiseau, je

comme

l'aime

Je

mérite.

me

sans

suis attaché et je

quelqu'un.

D'ailleurs

il

le

vous en causerais des heures

fatiguer.

Y

intelligent, plus fin.

a pas plus gentil, plus est

11

courageux

comme

doux comme une colombe. La propreté même. 11 ne se nourrit pas de sa-

un

aigle et

loperies,

mange de

du chocolat;

tates,

jus,

il

il siffle, il

La

il

embrasse.

baronne, souriant.

Le soldat. le fait

!

il

11 rit...

— Oh

— Mais oui, çà

!

et là... S'il

ne

pas plus souvent, c'est qu'il n'y a

guère motif. Et surtout

ah

du singe, des paboit du pinard et du

tout,

c'est

un

en connaît des choses,

sorcier.

s'il

Ah

!

pouvait les


DIALOGUES DE GUERRE

236

sortir! lui.

Il

Sûr

!

comment que

sait

pense tellement

11

profond que nous...

tout ça finira, Réfléchit plus

!

(// le sort

de sa cage

et

prend sur son poing.) Tenez, regardez-moi ça... si beau, si grave, avec ses grands yeux d'or en tranche d'orange. Voyez-moi si on

te

ne

dirait pas, ces yeux-là, des

dans

le ciel,

dans l'obscurité et pioncer, il

les entend.

On

!

veille.

il

bouledogue.

phénomènes

au pôle Nord? Et un guetteur, peut se reposer dessus

Les plus petits bruitS|

Pas besoin de concierge ni de

Il

vous gardera votre propriété

mieux qu'un sergent de

ville.

Là-haut

il

sen-

tait le

l'attaque avant tout

le

petit

Boche et flairait monde. Il faisait un

ouvrant

le

voilà

Et jamais

tard,

»

!

il

bec,

et il

ça

ne

ronflement en

signifiait s'est

Les

«

:

trompé. Plus

a servi d'agent de liaison.

Il

allait

porter des ordres à cinq cents mètres au

Bois-Capendu

ment

si

mou

et

il

revenait, avec

qu'on

toutes les attaques de nuit la

un

glisse-

n'entendait rien. il

partait,

vague, volant au-dessus de nos Invulnérabe

!

Après

avec

têtes, re-

pérant la tranchée adverse, et jamais rien attrapé.

A

il

n'a

l'action,


DIALOGUES DE GUERRE

n'y avait qu'à

lancer,

le

il

237

allait entre les

lignes se poser là juste où étaient des nôtres,

comme

blessés ou morts. Alors,

avait in-

il

diqué la place, on portait secours. Et jamais

malade non il

plus... pas tapageur, pas bavard,

se méfie des oreilles ennemies... Enfin je

vous

dis,

vous n'en aurez que du

La baronne. ami. Tenez

!...

que vous pas

me

mon

Impossible,

pauvre

voilà vingt francs...

Le soldat. C'est plutôt

plaisir.

De l'argent ? Mais non moi qui vous en donnerais pour

me

!

ma

preniez

faire cette peine,

bète

Vous

!

voyons

?

n'allez

vous? une

baronne? J'en pleurerais. C'est rien, ce que vous demande Avec toute votre arche de

je

!

Noé, une de plus, une de moins...

La baronne.

— Je

n'ai plus

Pauline, doucement.

Le soldat.

du jardin. La baronne, avec pour

— En Serbie —

force.

les chiens.

C'est des

parties

— Non. La Serbie

Ne mêlons

— En Pologne La baronne. — C'est pour

Pauline.

?

— Hein?

Pauline, au soldat.

c'est

de place.

pas.

?

les chats.


DIALOGUES DE GUERRE

238

— C'en est un. Un chat-huant. Pauline. — En Belgique? La baronne. — se battrait avec veau. — Le soldat. Mais non! Pauline. — Eh bien alors, madame Le soldat.

le

Il

si

permet, je

le serrerai

ma

dans

me

n'en bougera pas. Et ça

chambre.

Il

causerait bien

de l'agrément, parce que... cet homme-là et

moi, nous sommes pays, du Nord. La baronne. Allons donc Le soldat. Ça se trouve comme

— —

Une veine! Alors

!

cette fois...

La baronne, vaincue. Le soldat.

me

— Ah mon

prendre

!

— Oui,

Vous

ça.

vous voulez? là.

êtes chouette de

[A son oiseau:)

nibou.

T'entends? Fais mignon à la dame. seau bat des ailes.) Vous voyez

s'il

[L'oi-

a de

l'es-

prit? [A Pauline:) Et puis vous, merci de vot' le

bon cœur. Voilà Nicolas. Mais

donne pas,

guerre,

si

je vous le

prête...

je suis toujours de ce

je

vous

Après

la

monde,

je

reviendrai le chercher, nous irons ensemble

au

pays... et puis là,

nous

d'un clocher, j'y rendrai

dans

le ciel

de France.

le

le

lâcherons près

vol et la liberté


DIALOGUES DE GUERRE

Pauline,

— Entendu. On

le

239

soignera bien.

Le soldat, ému, serrant contre sa moustache la tête

du hibou.

[Et puis, la

main à

M'en vas

léger.

...

brassé son père,

la visière

du casque:)



SÅ’UR AGATHE

16



XVIII

SŒUR AGATHE A tin,

Paris,

dans

parnasse.

Louis

le

novembre 1915. Huit heures du mahaut de la rue de Sèvres, vers Mont-

Un

XVI

,

à

vieil hôtel,

de style

deux étages

,

pressent à droite et à gauche,

très

et

d'époque

fatigué

comme une

,

que noix,

d'immenses maisons de rapport toutes neuves. Derrière ce petit hôtel s'étend la bande d'un maigre jardinet, naguère cultivé en potager, où une jeune religieuse est en train de travailler, courbée sur le sol. Au premier étage de l'hôtel, au fond d'une chambre nue et sans rideaux, à boiseries délabrées, se tient assise dans un fauteuil de paille la R. Mère Monique, supérieure de l'Ordre des Giftq-Plaies. Au mui*, tlti grand GhHst en ivoire sur une croix d'ébêtie. Et c'est


DIALOGUES DE GUERRE

244

A

terre, des paquets de vêtements. Dans un une machine à coudre. La Mère Monique, dont le visage marque soixante ans passés, achève un entretien avec une sœur debout en face d'elle.

tout.

coin,

La Mère Monique. Et vous êtes absolument sûre, ma sœur Basilide, de ce que vous

me

dites là?

Sœur

Basilide.

— Absolument, ma mère.

Elle les a retirées.

La Mèke Monique. Toutes les deux? Sœur Basilide. Toutes les deux. La Mère Monique. C'est incroyable Et depuis quand ? Sœur Basilide. Depuis cinq jours. La Mère Monique. Et où les a-t-elle mises? Sœur Basilide. Je ne sais pas, ma mère. La Mère Monique. Elle ne vous a rien

!

dit à ce sujet?

Pas un mot. Sœur Basilide. La Mère Monique. Et vous ne

interrogée

Sœur

l'avez pas

?

Basilide.

— Ni moi,

ni nos sœurs

Delphine et Léa. Nous avons respecté son silence.

Mais nous avons bien remarqué


DIALOGUES DE GUERRE

qu'elle n'était plus la

même.

presque pas. Et,

nuit,

la

245

Elle ne

elle

mange

est agitée;

comme

nous entendons ses soupirs. Alors,

nous l'aimons toutes autant que nous mirons, nous avons dit ensemble

:

l'ad-

il

faut

bonne mère. La Mère Monique. Vous avez eu raison.

aviser notre

Où est-elle sœur Agathe en ce moment? Sœur Basilide. Dans le jardin.

La Mère Monique. sœur? Sœur Basilide.

ma

reaux,

fait-elle,

ma

Elle arrache des poi-

Dites-lui de venir

parler.

Sœur

— J'y vais à

Basilide.

mère. [Elle

pas

Qu'y

mère.

La Mère Monique.

me

d enfant

sort.

l'instant,

ma

Une minute à peine. Un

de chœur derrière la porte, un

petit toc-toc.) Entrez!

(La sœur Agathe entre.

Une

vingtaine

d'années. Des joues rouges de santé, des

yeux de

noirs,

modestes

et francs. Elle salue

la tête.)

Sœur Agathe. demandée ?

— Ma Mère Supérieure m'a


DIALOGUES DE GUERRE

246

La Mère Monique, Oui,

ma fille. Ah

Agathe?

çà? que se passe-t-il, sœur

[Silence.)

vous perdez

sérieuse et douce.

Vous

êtes toute changée...

l'appétit... le

sommeil... Est-ce

vrai? Répondez?

Sœur Agathe. C'est vrai, ma mère. La Mère Monique. Et enfin... qu'est-ce

que j'apprends?... [La regardant de plus près, et feignant de s'apercevoir seulement

de la chose.) Dieu

me

oui... c'est la vérité...

pardonne!... mais

vous ne portez plus

vos croix?

Sœur Agathe. Non, ma mère. La Mère Monique. La Légion d'hon-

neur, la Croix de guerre

!...

toutes les deux!

Sœur Agathe. — Toutes deux, oui. La Mère Monique. — Pourquoi? Je veux les

le savoir.

Sœur Agathe.

— Je vais vous

mère. Si vous ne m'aviez pas j'étais

le dire,

fait

ma

appeler,

dans l'intention de vous parler, ce

matin môme. Je ne porte plus mes croix parce que... je ne m'en sens plus digne.

La Mère Monique. donc

fait?

— Vous? Qu'avez-vous


DIALOGUES DE GUERRE

Sœur Agathe.

ma

Ce n'est pas

247

— Rien du tout, ma mère. faute, à moi.

La Mère Monique.

De qui

est-ce la

faute alors ?

Sœur Agathe. Elles

me

Des croix,

ma

mère.

perdent.

La Mère Moimque.

Je ne comprends

pas.

Sœur Agathe. le

jour

devant place,

oii

— Voilà.

commencé

on m'a décorée solennellement,

le front

des troupes, à Arras, sur la

au milieu des ruines...

La Mère Monique. tait

Cela a

— Je me rappelle. C'é-

magnifique, et tout

le

monde

pleurait...

Sœur Agathe. Moi aussi, ma mère. La Mère Monique. ... quand on a proclamé les motifs... « Pour avoir, au péril de sa vie, caché et soigné pendant deux semaines, dans

le village oii elle était restée

seule, en pays conquis, trois officiers français blessés, ainsi

que plusieurs

Sœur Agathe. La Mère Monique.

Laissez cela,

soldats...

ma

mère.

... et être parvenue, au milieu des plus grands dangers, à les ra-

mener tous

sains et saufs dans nos lignes. »


DIALOGUES DE GUERRE

248

Sœur Agathe.

Gela ne vaut

pas la

peine.

La Mère Monique. Vous trouvez que ça Vous n'êtes pas fière? Sœur Agathe. Mais si Je le suis trop Quand le général m'a épingle les deux croix

n'est rien?

!

!

sur la poitrine, pendant que les tambours...

Ah

!

il

m'est monté dans

tête, une bouiïée

de

le

folie...

cœur Je

me

et

dans

suis

la

vue

grande... grande, élevée au-dessus de tous...

La Mère Monique.

ma

Sœur Agathe. ai

pas

pris

— Vous l'étiez en effet,

fille.

— Sur

fait attention.

que

j'étais

devenue

du péché d'orgueil. La Mèue Monique.

le

moment,

Mais depuis la proie

je n'y

j'ai

com-

du péché,

— A ce point.

(Elle sourit.)

Sœur Agathe.

— Oui,

ma

mère. Ne riez

pas. Car vous ignorez tout, l'étendue et les

ravages du mal...

La Mère Monique, bonne et incrédule. Dites-les moi donc. Vous ne savez pas, ma Sœur Agathe.


DIALOGUES DE GUERRE

bonne mère, que

je

suis

249

présent une

à

femme connue? célèbre?... La Mère Monique. Sans doute. Eh bien? Sœur Agathe. Eh bien c'est affreux. La Mère Momque. En quoi? Sœlr Agathe. En quoi Mais je ne

!

!

m'appartiens plus... je suis livrée au public, à la foule...

La Mère Monique. A l'Histoire. Sœur Agathe. Il ne m'est plus permis

de sortir seule,

comme

pour

autrefois,

aller

11 faut que une de nos sœurs

visiter les pauvres, les malades.

je sois à présent avec

âgées,

ou une laïque respectable... sinon

un

pas.

Tout

retourne en voyant

mes

croix.

je

ne peux

bonjour.

faire

On

ma sœur...

monde se On me dit

le

m'aborde... on m'arrête

:

«

Ah!

Qu'est-ce que vous avez fait pour

avoir ça? Racontez! » J'ai beau m'échapper,

on

me

suit. L'autre jour,

il

y a un

offi-

m'a fait le salut militaire. La Mère Monique. A la bonne heure J'espère que vous le lui avez rendu? cier qui

Sœur Agathe. tais

Et jeudi dernier...

!

j'é-

pourtant avec une personne très laide


DIALOGUES DE GUERRE

250

de cinquante-sept ans, qui en paraît bien

Nous passions

dix de plus...

marché aux mère

Ils

!

:

«

Vraiment,

fameux Vous !

oh

»

comme

ma

des

sœur

êtes de la flotte

qu'ils

bien polis et

!

démons

Ah

!

!

c'est

Oui Mais où

!

!

dites-nous vite, que vous avez pris

c'est-il,

ça?

!

ne m'ont pas plutôt vue

pleins de respect, mais

le

Ah ma

six fusiliers marins...

étaient autour de moi,

d'enfants

matin par

Madeleine quand

fleurs de la

nous croisons

le

me

Je ne savais plus où

fourrer. Alors

y en a un, gradé, avec deux galons, qui a « Ma sœur, on veut tous, dit tout à coup il

:

en remerciements, vous pour votre chapelle. Ah pas refuser?

» J'étais

offrir !

des fleurs

vous ne pouvez

joliment en peine. La

foule s'amassait.

La Mère Monique.

— Qu'est-ce que vous

avez fait?

Sœur Agathe. Mais à suite

la

en

J'ai dit

:

Je veux bien.

condition que vous irez tout de face,

les

l'église, à l'autel

déposer vous-mêmes à

de la Vierge.

a répondu le gradé. Alors

bouquet de roses de Nice

ils

«

Ça va

»,

ont pris un

— trente sous, ma

i


DIALOGUES DE GUERRE

mère, croyez-vous Madeleine

comme

!

et ils

251

sont allés à la

avaient promis.

ils

La Mère Monique.

C'est très bien,

ma

sœur.

Sœur Agathe. bien, gueil,

ma

mère,

qui

Mais ce qui n'est pas

c'est l'orgueil, toujours l'or-

me

gagnait, l'orgueil de

mon

importance, du beau rôle que j'avais sans

du matin au m'empêcher d'en-

cesse à jouer... car c'est ainsi soir...

Je ne peux pas

tendre tout ce qu'on dit sur

mon

passage,

n'est-ce pas?

La Mère Monique. Que dit-on? Sœur Agathe. Oh on raconte mon histoire, quand on la sait, ou on invente, un

!

tas de choses ridicules. le

tramway des gens

Dernièrement dans

parlaient

:

« C'est

une nonne, affirmait un ouvrier, qui a tué cinq Boches de sa main. Mieux que ça

déclarait

un

autre,

elle

a

!

fait

prisonniers

quarante uhlans à cheval, d'un coup. bien

!

voyez,

ma

mère,

même

pense plus qu'à

ça.

!

J'ai

Eh

ces sottises-là,

ça ne m'était pas désagréable, et je

voulais bien fort, oui

»

beau

m'en

faire, je

Je sais qu'il y a

ne

mon


DIALOGUES DE GUERRE

252

dans

portrait

les

journaux, je

vu à

l'ai

la

devanture d'un papetier...

Vous

La Mère Monique, grave. vous donc arrêtée, ma sœur?

Sœur Agathe. pice,

ma

étiez-

C'était place Saint-Sul-

mère.

Oh alors... La Mère Monique, rassurée. ...Entre Monseigneur Sœur Agathe. !

Mercié et un monsieur...

nom.

[Se

le

rappelant tout à coup:) Briand.

Qui est-ce? [La Mère Monique je

ne suis plus

ligure être

l'orgueil

sourit.) Enfin,

petite

me comprenez... c'est

sœur qu'au-

effacée, contente.

un grand homme...

vous

dire...

même

la

modeste,

trefois,

y avait son

il

non... je

veux

en plus de

Et,

sans doute un

ment de punition

me

Je

commence-

— moi qui n'avais jamais

la moindre idée du danger, je devenue craintive et tremblante pour tout!... Je me crois malade pour un rien,

eu jusqu'ici suis

et j'ai

peur de

la

mort, après l'avoir vue

pourtant et bravée plus de cent fois cette

sœur Agathe,

«

l'héroïne

»,

!

Oui,

comme

ils

m'appellent, c'est une orgueilleuse et une lâche

!

Vous voyez bien que

je

ne peux plus


DIALOGUES DE GUERRE

253

garder mes croix? Voilà pourquoi je les

d'aujourd'hui je vous

retirées, et à partir

supplie,

ma

mère, de m'infliger

plus humble, à

ai

l'office,

à la vaisselle.

La Mère Monique.

tâche la

la

C'est de l'orgueil

encore. Oîi sont vos croix?

Sœur Agathe,

les retirant

sa jupe, enveloppées dans

de la poche de

du papier

blanc.

Les voici.

La Mère Monique. [Sœur Agathe les rattache

les lui

moi

Donnez-les

donne.)

...

que

je

vous

!

Sœur Agathe. Quoi?... Vous voulez? La Mère Monique, les épinglant. Ah ne remuez pas Vous allez me faire piquer.

!

!

[Se reculant pour juger V effet.) Là. très bien.

d'avoir

Ma

fille,

Ça

voilà ce que c'est

fait

que

une conduite admirable. Tant

pour vous.

Il

est trop tard

pis

pour vous en dé-

dire et vous devez en accepter

toutes les

conséquences. Vous avez été choisie, élue

pour être une lumière de notre Ordre...

il

faut remplir cette mission. Soyez persuadée

que

la vanité

qui vous tourmente est une

épreuve, la juste et perpétuelle tentation,


DIALOGUES DE GUERRE

proportionnée à vos vertus. Si vous imagi-

nez de vous dérober exprès aux égards que

vous vous êtes acquis, pour nous

renoncement

et

n'est plus de jeu, voir.

la

Le vôtre

est

vous trichez avec

le

temps,

nommée Mère j'ai

voulu m'en qui

me

croyais la

oii

quand

Supérieure, dans le

eu une crise de

me

deurs, je

De-

de suivre les chemins

Providence vous pousse. Moi aussi,

on m'a

du

faire

de l'humilité courante, ça

folie

des gran-

sœur du Pape,

aller

pour fuir

gonflait.

On m'en

et j'ai

péché d'orgueil

le

a empêchée... et

puis ça s'est passé, petit à petit. Résignez-

vous.

Qu'elles soient de souffrance ou de

gloire, de

misère ou d'honneur,

ter SES CROIX.

On n'a

il

faut por-

pas le droit de les jeter.

Vous porterez les vôtres, toute votre vie, simplement, sans vilaine ostentation ni faussé honte, et quand vous serez pour vous présenter devant le bon Dieu, le plus tard possible,

on vous

les laissera,

on vous mettra

en terre avec. Voilà... sœur Peureuse. Allez en paix,

ma

fille.

Sœur Agathe.

Et priez pour nos soldats.

— Oui,

ma

mère.


LA DÉCISION



XIX

LA DÉCISION

M. DUMONT, M™* DUMONT, GoLETTE, vingt et un ans, sont réunis, Paris, en Auteuil.

sombre

d'été, plein

Il

fait

le soir,

un

ciel

leuF

fille,

chez eux, à

pur

et

bleu

de mystère et d'avenir.

On

s'écoute espérer.

Colette, rompant soudain

Mes parents, j'ai à vous M. DuMONT, inquiet. M""^ DuMONT, à sa

le

silence.

parler.

— De quoi — Fais attention.

fille.

s'agit-il?


DIALOGUES DE GUERRE

258

— De mon mariage. — Oh Encore M. DuMONT. M™^ DuMONT. — Tu y reviens Chaque Colette, sans peur.

!

!

fois

?

que nous avons eu

la faiblesse

question, rappelle-toi?

cette

mal

fini

de traiter a

l'entretien

!

Colette.

Celui-ci finira bien. C'est le

dernier.

M.

et M""^

Colette.

DuMONT, impressionnés.

— Ah

1

Causons sagement... tendre-

Au début

ment. [Avec résolution.)

de

l'été

de 1914... M'""

let,

— Voilà tu reprends tout — Ça sera plus court... Le S

DuMONT.

Colette.

!

M. Raymond Berri

fiancés, avec votre plein tait

pour vous

M'"*'

Dumont.

Colette.

le

moi avons

!

effet, et il le reste.

en lointaine espérance.

choisie

!

!

Colette. dire

le 2 août.

— Quelle date — Heureusement qu'on l'avait

Dumont.

M. Dumont.

été

gendre rêvé...

— En Oh

et

consentement. C'é-

Le mariage devait avoir lieu M""^

!

juil-

une

Malheureusement! Peux-tu

pareille chose,

papa?


DIALOGUES DE GUERRE

M. DuMONT.

Je la répète

259

!

Quand

je

pense que pour un peu, à quelques heures près, tu pouvais te trouver mariée avant la

déclaration de la guerre... j'en ai la sueur froide...

Colette.

— Tu

es pourtant brave... et pa-

Sans doute. Mais je suis

triote ?

M. DuMONT. père...

M"""

DuMONT.

Les

enfants

ne

com-

prennent pas.

— Tu trompes, comprennent. — Autrement. — Quelquefois mieux. Colette, M. DuMONT. — Tu t'oublies, Colette. Colette. — Non, papa, je veux dire que, Colette.

te

ils

M. DuMONT.

bas.

libres, spontanés, tenus à

moins de considé-

rations et de scrupules, les enfants voient

souvent plus

clair

dans leur devoir, en

sai-

sissent plus vite le sens direct et nécessaire...

Je continue. le

Raymond

est parti caporal, et

mariage a été remis.

— A après guerre. DuMONT. — Cela a été convenu loya-

M. DuMONT. M'"°

lement entre nous.

la


DIALOGUES DE GUERRE

260

— L'as-tu accepté? — Oui. Mais pourquoi

M. DuMONT. Colette.

l'ai-je

ac-

cepté? Parce que tous nous étions persuadés

que au

la guerre durerait trois à quatre mois, plus... Et puis voilà près de

que nous

la

quand on en verra M""^

deux ans

subissons et nul ne peut assurer la fin.

— Est-ce notre faute

DuMONT.

?

Colette. — Raymond, pendant ce temps, est passé

nant;

il

sous-lieutenant, lieute-

sergent,

a été blessé, deux fois, et cité au-

tant à l'ordre de l'armée.

M. Dumont.

doux dans

le civil

M™^ Dumont. n'était

même

Colette.

Un

agrégé...

un garçon

si

!

Qui ne fumait pas, qui

pas chasseur! Est-ce que ça n'est pas

beau?

— Magnifique. — Alors M. Dumont. — Alors... nous sommes tout

M. Dumont. Colette.

de

même

?

plus tranquilles et plus rassurés

de savoir que tu n'es pas sa femme. Colette.

— C'est

comme

moment que nous sommes M"" Dumont.

si

je l'étais.

fiancés...

Pas tout à

fait.

Du


DIALOGUES DE GUERRE

Colette.

— Tranquilles

261

Rassurés

!

Vous

!

donc? Vous pouvez l'être sur son compte? M. DmioNT. Sur le sien, pas toujours. l'êtes

Evidemment non. M""'

DuMONT.

Colette.

— Mais davantage sur Il

s'agit

M. Dmio^T.

bien de moi

Pour nous, tu

le tien.

!

restes le

principal.

Colette. lui, c'est

Le principal pour moi,

l'homme que j'aime

— Oh Colette DuMONT. — Eh bien?

M. DmioNT. M"'*'

!

c'est

et qui se bat. !

et

nous? Ton

père? Nous ne pesons plus rien? Colette.

Mais

si

C'est autre

si.

N'allez pas comparer...

Ne

chose.

vous étonnez pas

en ce moment, où à toute minute

exposé, c'est

Raymond

resse le plus

mon

M. Du3ioNT,

il

est

qui occupe et inté-

esprit...

triste.

Et ton cœur. C'est

naturel.

M™° DuMONT, qui

soupire.

— Nous ne t'en

voulons pas. Colette.

— Eh

bien?

nous donc nous marier.

En

ce cas, laissez-

[^Avec leur tète, avec


DIALOGUES DE GUERRE

262

leurs regards, avec leurs bras, de toute leur

personne,

les

parents font

:

Non, non

Après

non...) Je vous en supplie.

je

et

ne vous

tourmenterai plus... M™<=

pour

DuMOM'.

le

— Oui

!

Et c'est nous seuls,

coup, qui serons tourmentés

!

qui

ne vivrons pas, du matin au soir!

M. DuMONT.

— Gesse

d'insister. Crois-moiv_

Renonce. ]\jme

DuMONï.

Ne nous

force pas à te

dire des choses... terribles.

— Douloureuses... M™'' DuMONT. — jeunesse ne voit que

M. DmioNT.

ta

...

pas.

M. DuMONT.

...

que notre âge, notre'

expérience nous obligent à regarder en face,

que nous n'avons pas

le droit d'écarter, ni

moyens d'abolir. M"" DuMONT. Et qui

les

sont, qui perpé-

tuellement... planent...

M. DuMONT.

— Menacent...

— Qui? Quoi? M. DuMONT. — Non... Rien. Colette. — Parlez... Ah! Colette.

Si...

vous adjure.

parlez... je


DIALOGUES DE GUERRE

M. DuMONT. S'il était

— Eh bien

— Ah!

DuMONT.

Dans ton amour, dans

veuve?

ta foi de l'avenir, tu

?

— Vraiment? Vous croyez? Vous

Colette.

me

connaissez pas.

J'y

ai

pensé, j'y

pense, à tout instant, cent fois, mille

M. DuMONT. ne

me

jyjme

fois...

Et cela ne te retient pas?

— Au contraire

Colette.

au plus

pas d'épouvante?

te glace

presse,

!

c'est cela?

Si tu deveuais

n'y as jamais pensé

ne

pauvre petite

tué?

Colette, calme. ]\/[me

ma

!

263

!

Cette pensée

me

pousse à désirer d'être sa femme,

tôt,

tout de suite.

DuMONT.

Et, chose pire, plus af-

freuse encore... Si tu restais seule... avec

un enfant

!

Ah

!

— Y as-tu réfléchi? — Certainement Aussi. DuMONT. — Tu as euvisagé cette hor-

M. DuMONT. Colette. ]\Iroo

!

reur?

M. Ddmont. Colette.

— Cette catastrophe? Oui. Et plus, en les redou-

tant, je les ai cru possibles, plus se sont fortifiés

dans

mon âme,

l'idée, la volonté,


DIALOGUES DE GUERRE

264

le

devoir du mariage. D'abord

Colette.

Mais

s'ils

— Alors j'aurai

arrivent? bien

me féliciterai, plus que jamais, M"'^

DuMONT.

CoLEiTE.

les

de

fait,

et je

mon

parti.

— Ta vie sera perdue.

— Sanctifiée, sauvée, par

venir! Sans doute

mais

n'est pas

que ces malheurs...

certain, grâces à Dieu,

M. DuMONT.

il

mon bonheur

le

sou-

sera brisé,

morceaux, du moins, en seront

bons, profitables, utiles.

— A qui? — A moi, à mon enfant, au bien,

M. DuMONT. Colette.

à la patrie, à Dieu, à tout. ]\jme

DuMONT.

unique M""'

!

— Et uous? Tu cs notrc

Rappelle-toi donc cela

DuMONT.

fille,

!

Si tu avais des frères et

des sœurs, je ne te dis pas que nous ferions meilleur marché de ton sort, mais tout de

même

ton désir nous trouverait peut-être

moins inquiets, moins nous n'avons que Colette.

Colette.

toi!...

que

Tandis que... toi!

C'est vrai... Oui... Hélas! J'ai

souvent regretté

M. Dumont.

affolés.

aussi...

— Quoi?

— Que nous ne fussions pas plus


DIALOGUES DE GUERRE

265

nombreux... Gela eût, sur bien des points, modifié vos vues, vos sentiments...

(Un court

silence douloureux.)

— On n'a rien à nous reprocher. — Oh mon père !.. ma mère

M. DuMONT. Colette.

!

!

(Elle se jette sur

eux dans un émouvant

élan de tendresse.)

M™" DuMONT. ingrate, si tu

Colette.

— N'ayant que

M. DuMONT.

pu

DuMONT.

M. DuMONT.

toi,

nous avons

mieux, plus isolément.

ainsi t'aimer

M""'

Oui, tu serais coupable,

nous jugeais mal. Je vous adore.

— —

te gâter...

...

...

te

donner une éduca-

tion suivie, parfaite, achevée. Si tu n'avais

pas été seule, serais- tu aujourd'hui ce que tu es,

de

munie de

lettres,

tes

diplômes de sciences

et

capable, à ton choix, d'exercer

le professorat, d'écrire...

Combien de

d'être ingénieur?

carrières te seront ouvertes...

justement après cette guerre!...

M™° DuMONT.

Et c'est tout cela que tu

prétends compromettre, risquer?


DIALOGUES DE GUERRE

266

Colette.

avant

ma

Peu importe. Ma vie passe

carrière.

— Quelle est là-dessus

M. DuMONT.

l'idée

Raymond?

de

Colette.

me

La

même

que

mienne.

la

Il

l'a dit.

— Et jamais à nous. Pourquoi? — Colette. Le peut-il? M™^ Dumont. — Qui l'en empêche? Colette. — Un excès de délicatesse. La

M. Dumont.

part des responsabilités, d'ailleurs, n'est pas égale. Lui est-il permis, je vous le

peu que ce

de peser,

si

mination

d'oii

pour moi

pour vous un

M. Dumont. taire.

pour

nom

C'est à lui et

sur une déter-

sont susceptibles de résulter

veuvage avec un

le

Colette.

soit,

enfant...

et

deuil irréparable?

— Tais-toi

Tais-toi

!

Malgré son

moi de

pour moi,

de notre

demande,

désir,

il

!

doit se

parler, la première, et de réclamer,

amour mutuel,

au

le droit d'être

unis, sans retard. Attendre? Mais pourquoi?

une faute, un crime Tu es M™« Dumont.

C'est

!

folle.

Raisonne.

Simple fiancée, tu vis dans une angoisse de


DIALOGUES DE GUERRE

267

tous les instants, qui te mine... Vas-=tu dire

que, mariée, tu serais plus tranquille? Colette.

Non. Mais plus

forte,

Mon

plus satisfaite.

confiante,

réglé. S'il doit revenir vivant, je

de suite être sa femme. nir, je

veux tout de

S'il

ne

plus

sort serait

veux tout

doit pas reve-

suite obtenir l'honneur

de demeurer sa veuve. Dans les deux cas, je veux, dès à présent, porter son nom, le mériter. ]\jme

— Peusc à

DuMONT.

lui aussi...

— Mais pense Autant qu'à moi M. DuMONT. — Songe à son intérêt moral, Colette

j

.

!

'y

!

à la paix de son esprit. Marié, rattaché à l'arrière

par des liens nouveaux

Raymond

gardera-t-il sa

soldat, son

Colette.

même

Il

qu'il se battra

fant

me

effroi

s'il

?

et

fois plus, puis-

!

pour son enfant...

cet enfant

est orphelin de

hante

M. DuMONT. grets

fermeté de

pour nous, pour son propre

femme DuMONT. Oh

Et

!

et puissants,

beau courage?...

en aura deux

foyer, pour sa M'"*'

même

!

cet en-

son père ? Cet

!

— Tu n'auras donc pas de re-


DIALOGUES DE GUERRE

268

Colette. fière. Il

me

réconfort.

Ni de remords... J'en serai

servira d'appui, de guide, et de

Il

perpétuera pour moi la bataille,

la souffrance, le sacrifice et la victoire.

sera

mon

Il

petit drapeau.

— Tu

M. DuMONT.

vas... tu te grises

de pa-

roles.

Colette.

De sentiments. Mais non,

je

ne me grise pas. Je suis calme et résolue. Mon parti est définitif. Je me suis promise à mon fiancé. Quoi qu'il arrive, il me possède et me gardera. Vivant ou non, je suis à lui. S'il

ne

je

tombe avant que nous soyons

me

M. Dumont. CoLEiTE.

— N'engage donc pas l'avenir.

— Jamais, vous entendez

terai vieille

fille,

et toujours seule là,

liés,

marierai jamais.

!

Je res-

inconsolable, désespérée,

même quand

vous serez

plus seule encore après; alors, que ris-

qué-je? Ne vaut-il pas mieux, en supposant le pire,

que je

sois

au moins

soldat glorieusement et la

la

femme d'un

mort pour son pays,

mère d'un enfant dont

le

sang rempla-

cera l'autre sang qui fut offert et répandu

Car en ces temps d'usure

et

?

de dépense


DIALOGUES DE GUERRE

269

humaine, en ces bousculades de

fléau,

faut se marier vite, et sans perdre

un

une heure, pendant qu'on

est là,

constance s'y prête, que tout

On n'a

l'impose...

le

que

il

jour,

la cir-

demande,

moyens

plus le droit ni les

de remettre à Pâques et à la Trinité. Et cela

non seulement pour

est nécessaire encore,

nous deux individuellement, mais pour vous et pour ses parents, pour nos deux familles. Je suis

fille

unique,

il

est

fils

unique. Hâtez-

vous, je vous en supplie, de nous donner l'un à l'autre, afin

que vous reviviez

vous

et

multipliez en nous.

M™* DuMONT, qui n en pouvait plus a raison

!

Elle a raison

Colette.

— Ah

!

.

— Elle

!

maman

M. DuMONT, à sa femme.

!

— Quoi? Tu con-

sens?

DuMONT, à son mari.

M'"''

M. DuMONT. — Colette. — Papa!

Oui. Pas toi?

Si.

Je savais bien!...

M. Dumont, doucement,

femme. fille.)

lui désignant sa

— Ta mère a toujours raison.

[A sa

Ecris toi-même à ton héros... là, et

dis-lui

que

s'il

peut avoir une permission...


DIALOGUES DE GUERRE

270

Colette. M"'°

dans

Il

l'aura

ses bras,

d^ll ^//^Hj]

!

DuMONT, prenant son mari

et sa

sans pouvoir retenir ses larmes.

— Et puis, mes enfants.

. .

à la grâce de Dieu

!

C'est égal... (Elle ne peut plug parler.)

M. DuMONT, qui

ma

la tapote avec tendresse.

!

La

belle-mère d'un officier de Verdun!...

Ne

Mais oui,

bonne. Allons

pleure pas, que diable (Elle rit.)

!

!

Allons


APRES LA BATAILLE


â


XX

APRES LA BATAILLE En première

ligne, sous

Verdun, au lendemain

des attaques de février. Pendant une accalmie, à la

tombée du jour. L'abbé Domusse, sergent, un peu à l'écart, assis à terre, les

s'est retiré

yeux

clos, sans

prie

ou

s'il

qu'on puisse deviner

rêve,

quand

le

s'il

dort,

s'il

soldat Gamin, de la

G. G. T., faisant partie de la

même

compagnie,

l'aborde en lui touchant l'épaule.

— Écoute un peu — Tu veux me parler Gamin. — Ça étonne Domusse. — Dame Gamin.

?

Domusse, surpris.

?

t'

!

i8

?


DIALOGUES DE GUERRE

274

Gamin.

— Le

mois qu'on

que depuis dix-huit

fait est

on n'a pas

se fréquente

deux doigts de

la

été les

main.

— Ce n'est pas de ma faute. — C'est de mienne. Tu as

DoMussE. Gamin.

la

son. Je t'ai rebuté.

Tu

— Tes idées — Rapport à

DoMussE. Gamin.

rai-

pourquoi.

sais ?

la religion, oui.

On

ne jugeait pas de même. Mais aujourd'hui

veux

je

te causer.

DoMussE.

Et à qui as-tu à faire

sergent ou au curé

?

Au

?

— Au curé. DoMussE. — Vas-y. Gamin. — Eh bien Gamin.

voilà. Penses-tu

ça carillonnait avant-hier

vraiment

Ah

oui

!

le !

chambard

?

et le

Hein

grand

que

C'était

?

soir!...

Jusque-là je n'avais jamais eu

peur, mais alors je

l'ai eu...

Tout

le

monde

culbutait autour de moi, devant, derrière, à droite, à gauche

;

on ne voyait que des

amis, plouf... qui s'affalaient dans

A

sier.

le

pous-

chaque coup de tonnerre, à chaque

miaou, à chaque sifflement, je m'annonçais

:

«

Ça y

est

!

Cette fois, c'est

mon tour.

»


DIALOGUES DE GUERRE

Et puis

275

ça ne l'était pas. Ça conti-

flûte,

mon cœur ma

nuait d'être en vie, de respirer...

mon

de battre,

cerveau de grouiller,

gueule de hurler, mes bras de frapper... Je

me

racontais

:

«

Dieu

me pardonne

croyais à lui, je dirais que c'est

que

!

si

»

!

Oui.

comment

Je ne comprenais pas

pouvais rester debout là dedans quand autres tombaient

comme

je

un miracle

je n'aie pas encore été touché

Parole

!

je les

de la groseille...

C'était pas naturel...

— Moi aussi, — Sans doute. Mais

DoMcssE. Gamin.

t'es curé...

Le bon Dieu la G. G. T.,

toi,

parbleu,

te favorise

que tu l'encenses... ça va de

Gamin, de

debout.

j'étais

soi.

qui ne

parce

Mais moi

l'ai

jamais

y avait pas de raison. Et je sentais que j'aurais dû déjà tomber plus de cent soigné...

fois,

de ça

plus de mille

blait... si

fois... et

que

j'étais tout

même préservé. Et en même temps que me plaisait bien, dame !... ça me troumis à pleuvoir du gros nombreux, qu'on ne s'entendait

Enfin,

fort, si

il

s'est

plus penser, mettre une idée et

vant

l'autre...

On

devenait fou

un pied dedu cœur et


DIALOGUES DE GUERRE

276

tout VOUS tournait

mer

de

DoMUssE.

une

le

mal

Tu

crois

donc

qu'il

y en a

Pas tout le temps. Pas à l'ateDans ces moments-là, au front, oui. on était loin de l'infâme capital et de

lier. !

chercher été sûr

peau du patron

la

que

j'allais

Cette fois,

!

mourir, que

moyen

qu'il n'y avait plus t'ai

on avait

si

?

Gamin.

Ah

comme

à l'âme.

j'ai

c'était réglé,

d'y couper... Je

vu à dix pas devant moi. Tu

criais, tu

courais, en chantant tes Vobiscum... Alors...

un peu raide, sans que je sois capable de dire comment ni pourquoi... dans un éclair, il m'est venu l'idée de faire un vœu... figure-toi... c'est

DoMussE.

Gamin. sorti

— Toi Oui,

malgré moi,

? ? Un vœu comme un jet

moi

Ça m'a

!

de sang,

comme un coup de fusil... j'en ai fait un... Je me regardais travailler en me blaguant tout bas « Non Gomment Toi ? Gamin ? :

!

!

C'est toi qui te lances

Pape

?

changé

Pas possible !

Eh

bien,

dans

mon et

les

le secteur

vieux

?

du

On ta

compagnons

?


DIALOGUES DE GUERRE

Qu'est-ce qu'ils

beau

me

riraient

Mais j'avais

»

!

taquiner, ça ne m'arrêtait pas, et

je continuais de

me

mon vœu.

buter à

DoMussE. — Mais quel vœu Gamin. — Le F. j'

?

..tu sort! Si j'en

«

v'ià.

réchappe,

277

un rosaire tous Non ?

les jours

dirai

!

»

— — Comme l'honneur. DojiussE. — Alors Gamin. — Alors, puisque réchappé, DoMussE. Gamin.

j'ai

?

j'ai

chose promise, chose due. Le il

faut le boire. Je suis

comme

Seulement, ces

même

vœu

est tiré,

déjà en retard.

je n'y entends rien

à

pratiques-là, je viens te trouver pour

que tu m'apprennes. Mais pas de ce qui est utile et rien de

giries. Dis

T'as la

plus.

parole.

DoMUssE, moitié souriant, moitié embarrassé.

Gamin.

Ah

mon pauvre Gamin

!

Pourquoi

c'te

!

soupir? Tu de-

vrais être content?

DoMussE. tent,

heureux

Gamin.

me

Si je le suis? Plus !

Eh

plaindre?

que con-

bien! alors? T'as

l'air

de


DIALOGUES DE GUERRE

278

DoMussE.

Je t'admirerais plutôt. Sais-

tu ce que c'est qu'un rosaire?

Gamin.

qui est

— Malin

C'est cet objet de

!

comme une

poche

espèce de bracelet

d'i-

dentité, et qu'on dit dessus des prières, en

comptant

les grains

DoMussE. c'est

Un

de café.

chapelet

Tu

!

crois

que

un chapelet ?

Gamin.

Bien sûr.

Un

un

ro-

c'est cinq

di-

chapelet,

saire, c'est kif...

— Mais non.

DoMussE.

— La différence? DoMussE. — Un chapelet, Gamin.

zaines.

— Hein Cinq quoi Développe. DoMussE. — Cinq dizaines de prières. Gamin. — Qui font? DoMussE. — Cinquante. Gamin. — Ah bigre de paradis Je pose Gamin.

?

?

?

!

zéro et je retiens cinq rosaire, alors

payes

mon

DoMLssE.

Ça

fait

!

Cinquante

moins

!

Et

le

Tu

te

?

— Plus.

Domusse. Gamin.

?

Non? Tu me

voeu

fais aller?

?

Je te dis la vérité.

Un

ro-


DIALOGUES DE GUERRE

un

saire, c'est trois fois

279

chapelet. Ainsi l'a

voulu saint Dominique.

Gamin.

Une

mon

hen,

vieux... vrai

trouvaille qu'il a eue là

DoMussE. dit

A

!...

!

Quinze dizaines. Autrement

quinze Pater et cent cinquante Ave.

:

Gamin.

que tu

me

Oh

que tu m'instruis

ce

!

distrais

J'avais pas

!

!

Ce

un soupçon

de ça.

— Je m'en doute... Mais qu'est-

DoMussE.

pu

ce qui a

Gamin.

donner

te

A

le rosaire?...

l'idée d'aller

chercher

propos de quoi?

Je sais pas...

L'habitude de

parler de ce qu'on ignore. Et puis c'a été

de

te voir,

qui m'a

fait

venir la pensée et le

mot.

DoMussE.

Moi

?

saire plutôt qu'autre

Gamin. toi

Rosaire...

en ce

que

le ro-

Parce que quand je parlais de

aux amis,

comme

Mais pourquoi chose?

je t'appelais le chevalier

Alors

j'aurais

le

dit

Rosaire...

j'ai

n'importe quoi.

dit

du ça

Mais

cas, écoute donc, à présent qu'est-ce

je vais faire?

DoMussE.

— Toi

?

Rien du tout.


DIALOGUES DE GUERRE

280

— Gomment? Rien du tout. DoMussE. — Voyons tu n'as pas la pré-

Gamin.

!

tention de réciter chaque jour quinze Pater et cent cinquante?...

— On n'aurait pas DoMussE. — Ni moyens. Gamin. — Oh moyens... Gamin.

le

temps, oui.

les

!

me

qui

les

c'est

pas ça

manque...

— Non. C'est impossible. — Alors mon vœu? DoMussE. — Tu ne tiendras pas. Gamin. — Mais je veux tenir DoMussE. — est irréalisable. Gamin. — Tant pis pour moi. DoMussE. Gamin.

le

le

!

Il

J'ai dit si

j'en réchappe... et caetera... Ai-je

réchappé?

Oui. Je marcherai... je suis honnête... Et

puis

si

bien

me

je

bon Dieu pas

me

défilais, je

sens que ça pourrait

porter malheur, et que notre jeune

me

fini ces

repincerait... parce que... c'est

apocalysses

!

Y en

a encore pour

des semaines... Alors?...

DoMussE.

mon

— Alors quoi? Je n'y peux rien,

pauvre bonhomme.

Gamin.

Si.

Cherche dans ta musette...

Arrange-moi ça au

tarif réduit.

T'en as le


DIALOGUES DE GUERRE

pouvoir... fait

de bon cœur,

me

Tâche à

raté.

un vœu

J'ai fait

DoMUSSE.

il

le

Eh

281

d'idiot, je

ne faut pas

DoMussE. Gamin.

rendre pratique.

Tous

les jours...

les jours...

— Une — Oh Pas plus? fois.

!

DoMUssE.

une

?

Va, va.

— Tu diras tous

DoMussE. Gamin.

qu'il soit

bien tu diras... mais tu

vas encore trouver que c'est trop Gamin.

l'ai

Attends donc

!

Tu

diras...

prière.

— Une seule? DoMussE. — Toute Gamin. — Je ne DoMussE. — Très Gamin.

Grande alors?

petite.

Un

Pater.

la sais pas. Difficile? facile.

Je te l'appren-

Ça dure une minute. Gamin. Une minute? A la bonne heure

drai.

Parlez-moi d'une gentille prière.

une

!

cler

mon vœu ?

le

!

v'ià

pour bou-

C'est épatant. Et ça suffira

pour faire

En

compte du Ro-

saire ?

DoMussE.

— Ça

suffira. Si tu le dis

régu-

lièrement...

Gamin.

Oh

!

As pas peur

!

Une mi-


DIALOGUES DE GUERRE

282

nute...

C'est

rien...

ma

Je le dirai toute

vie.

DoMussE.

Ne

t'avance pas trop. Dis-le

d'abord pendant la guerre. Nous verrons après.

Gamin.

C'est juré.

tout, n'importe

DoMussE.

Avant de

QUE VOTRE NOM SOIT

CIEUX,

n'est

a pas d'heure

à tout

?

moment.

Dame

que temps

DoMussE.

:

lentement .) Notre père qui êtes

QUE VOTRE RÈGNE ARRIVE Gamin.

Y

?

Partout,

se dire par-

te l'écrire, je vais te le réciter

[Il prononce

AUX

quand

Ça peut

oui

SANCTIFIÉ...

!

Si ça doit venir,

!

il

!

— Que votre volonté soit faite,

SUR LA TERRE COMME AU CIEL.

DoNNEZ-NOUS

aujourd'hui NOTRE PAIN QUOTIDIEN.

Gamin.

pain

— Ah

!...

Excellent, ce passage-là le

!

Domusse.

pain

!

Le

!...

Et pardonnez-nous nos of-

fenses, COMME nous LES PARDONNONS A CEUX QUI NOUS ONT OFFENSÉS.

Gamin. ça

!

les

Excepté aux Boches?...

Boches

Domusse.

I

Jamais

Ne

t'en

Ah!

!

occupe pas. Et puis


DIALOGUES DE GUERRE

la prière

283

Mais ne nous

est faite d'avant...

LAISSEZ PAS SUCCOMBER A LA TENTATION.

Gamin.

Quelle

DoMussE.

?

Toutes

les

mauvaises.

Et

DÉLIVREZ-NOUS DU MAL. (Il

s'arrête.)

— Et puis? — C'est tout. Ainsi

Gamin.

DoMussE.

soit-il.

viens que c'est une belle prière

Gamin.

Ma

oui.

foi

bonnes choses. Et

clair.

Con-

?

C'est

plein

Ça paraît

de

certain.

C'est bâti. Alors c'est ça la religion?

— C'est — Oui,

Domusse. Gamin. (Il

ça.

oui...

sourit.)

— Qu'est-ce qui sourire — Parce que ce Pater... pendant

DoMussE. Gamin.

que tu

le déroulais, je

connais... part...

te fait

J'ai

déjà

me

disais

maman

les jours,

quand

:

Mais je

entendu ça quelque

Et puis maintenant ça

C'est de

?

me

revient...

qui s'en servait aussi tous j'étais petit et qu'elle

le faisait réciter...

Je

me

rappelle.

me


DIALOGUES DE GUERRE

284

DoMussE.

mère

core, ta

Gamin.

Tu

vois bien ? L'as-tu en

?

Elle n'est plus.

Depuis long-

temps. DoMussE. protégé

C'est peut-être elle

qui

t'a

?

— Ça se pourrait bien, DoMussE. — Alors tu diras sa prière Gamin.

(Gamin

fait

signe que oui.

Domusse

?

l'em-

brasse discrètement, sans qu'il résiste. Et en silence

ils

se séparent.)

FIN


TABLE DES MATIERES Pages

— Aux Invalides — Le Lien — La Précaution IV. — L'Heureux Malheur V. — Le Château VI. — Le Petit Sacrifice ...... VII. — La Permission VIII. — La Marraine IX. — Au P. C X. — Le Tableau XL — La Cheville XII. — L'Occupation XIII. — Le Bon de Chaussures .... XIV. — Les Aquarelles XV. — Les Enfants XVI. — L'Appel XVII. — Nicolas XVIII. — Sœur Agathe XIX. — La Décision Bataille XX. — Après I.

5

II.

17

III.

29 39

la

51

65

79 91

109 123 137 151

167 183

199

213 225 241

255 271


PARIS

—

IMPRIMERIE MICHELS FILS

6, 8 et 10,

Rue d'Alexandrie.





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PQ 2330 L7D5

Lavedan, Henri Léon Emile Dialogues de guerre

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