รป
DIALOGUES DE GUEt|HE
B
DU MÊME AUTEUR
ROMANS ET NOUVELLES 2S/I
O 3D Eli KT- B I B Ij I O T" HÈ Gi XJ COLLECTION ILLUSTREE A 95
SIRE
1
LE NOUVEAU JEU LEURS SŒURS LES JEUNES LE LIT LES MARIONNETTES
]S*fl:
C.
volume
illustré.
— — — — —
— —
1
1 1
1
î
— —
—
THEATRE O ID E K. ISr - a? H É -A.T R E COLLECTION ILLUSTREE A 95
LE MARQUIS DE PRIOLA VIVEURS LE VIEUX MARCHEUR .
.
.
.
C.
)
^.^^^^^^
.^^^^^^^
volume
„ illustré.
volume
„ , illustré.
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CATHERINE LE NOUVEAU JEU
VARENNES
ARTHÈME FAYARD &
.
) >
1
,
-
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^
1
,
)
C'% Éditeurs.
.
î
y de l'Académie Française.
DlflliOGUES
DE GUEÏ^RE
PARIS ARTHÈME FAYARD & 18-20,
C>e,
ÉDITEURS
Rue du Saint-Gothard.
Copyright by Henri Lavedan 1916.
PQ
Il
,
a été tiré de cet ouvrage:
Cinq exemplaires sur papier du Japon numérotés de 1 c\ 5. Vingt exemplaires sur papier de Hollande numérotés de 6 à 25.
AUX INVALIDES
DlflLOGllES
DE
m^.
AUX INVALIDES Cour des Invalides. Devant les canons. Un groupe composé d'une dizaine de soldats blessés zouaves, chasseurs à pied, lignards, entoure une pièce de notre 75, dont un artilleur, au bras en écharpe, achève d'expliquer le maniement. :
L'artilleur.
A peine
—
...
C'est
comme
je le dis.
ce bavard élève la voix, on ne s'en-
tend plus, et les Boches font feu d'artifice des quat' membres. T'as joué aux quilles,
dans ta vie, pas vrai? Eh ben, dès qu'on
DIALOGUES DE GUERRE
entame une c'est
Un
eux
partie, c'est
nous
la boule, et
les quilles.
yeux hermétiquement un peu en arrière. Je
lignard, qui a les
bandés, et qui était
veux y
faire
une
—
caresse.
— A qui? Le lignard. — Au 73. L'arptilleur. — Avance.
[On
main du lignard
et la
Un zouave.
prend
la
s'écarte. Il
pose sur
le
canon.) Le v'ià.
Le lignard, qui palpe.
— Ah
oui... L'est
tout chaud.
Un tiens
chasseur.
—
Parce qu'il
fait
soleil,
!
(Un coup sonne
Le lignard, qui
à l'horloge.)
tressaille
au son
clair.
—
Qu'est-ce qui sonne là?
— Treize heures. lignard. — Mais ça n'a
Le zouave.
Le
tapé qu'un
dû y en avoir treize, en ce cas. Le zouave. Ça fait rien, c'est treize
coup.
Il
aurait
—
heures tout de même. C'est la consigne.
Le lignard.
—
Oui...
c'te pendule... Je l'avais
L'a
un beau son
jamais remarqué.
DIALOGUES DE GUERRE
[Parlant dans la direction de V artilleur
Eh ben
dis donc,
:)
maintenant, l'ingénieur,
je voudrais bien voir autre
chose?
— Après 7o Le lignard. — Oui. L'artilleur. — Quoi? Le lignard. — Les drapeaux, qu'on leur y L'artilleur.
a chipés
le
?
!
— C'est ça que tu veux, toi? Le lignard. — Oui. Le chasseur. — Qu'est-ce que ça peut
Un
chasseur.
te
faire ?
Le lignard.
— A cause que je suis colin-
maillard? C'est pas une raison.
Un
—
tringlot.
Mais
oui...
Ça l'amuse
tout de même...
Le lignard.
— Enfin je veux voir
les dra-
peaux. Oîi qu'y sont?
— En haut. — Allons-y. L'artilleur. — Patience. T'es comme un
Le zouave. Le lignard. cerf.
On y
va.
On va y
aller tous.
Mais faut
d'abord voir en bas.
Le lignard.
—
J'ai assez
veux voir en haut.
vu en
bas. Je
DIALOGUES DE GUERRE
10
L'artilleur.
tenace
— C'est ion.
Dieu, que
t'es
!
Un autre lignaud, maigre, tout paie, <i:ppuyé sur une canne, et qui écoutait, arrivé seule-
ment depuis une
— Bonjour...
mintite, se rapproche alors.
Est-ce qu'on peut se joindre?
— Mais Le lignard aux yeux bandés. — Qui c'est? est L'artilleur. — Un de la ligne. L'artilleur et le zouave.
oui.
là,
11
tiens,
il
te
prend
le bras.
Le lignard aux yeux bandés, tourné
vers
—
Ça va bien ? Pas Irop. Et toi ? Le nouveau lignard. Pas mal. Le lignard aux yeux bandés.
lui.
—
—
[Montrant ses bandeaux.) L'autre lignard.
— Tu
A
part ça.
n'y vois plus
du
tout?
Le lignard aveugle.
— Non.
J'ai
encore la
balle.
L'autre lignard.
—
Ah
ben...
Probable,
quand on te Faura ôtée, que <?«. ira mieux. Le lignard aveugle. Non. Le chirur-
—
gien a dit qu'y avait peu d'espoir parce qu'elle avait j'y revois
un
dû couper peu...
les
deux
nerfs. Si
DIALOGUES DE GUERRE
— Ah aveugle. —
L'autre lignard.
Le lignard
un
I
T'emballe pas...
tout petit peu... ça sera
—
L'autre lignard.
Avec un, surtout personne...
vant
On
11
du
droit.
C'est le meilleur...
le droit.
..
va.
. .
on ne craint
mieux
voit des fois...
qu'a-
!
Le lignard (Un L'autre
avejdgle.
— Y a peu d'espoir.
silence.)
lignard.
—
Ah
!
mon
vieux, t'as vraiment été touché
pauvre
!
— Bien sûr.
Le lignard aveugle.
Mais y en a tant d'autres!... Et puis quoi! On en est revenu... faut pas se plaindre.
L'artilleur.
—
Maintenant ça y
est,
on
monte.
— Aux drapeaux
Le lignard aveugle. L'artilleur.
?
— Oui. —
Le lignard aveugle. Chouette. Le nouveau lignard, à F aveugle. Appuie-
—
toi.
Vas-y de confiance. Si y a des sauts d'ob-
stacles, j'te dirai...
montent tous. Escaliers, corridors, gadu premier étage. Devant les débris du
(Ils
lerie
zeppelin on s'arrête.)
DIALOGUES DE GUERRE
12
— G'est drapeaux — Pas encore. C'est
Le LiGNARD AVEUGLE. Le nouveau lignard. les miettes
les
?
du zeppelin.
— —
Le lignard aveugle. Raconte. Le nouveau lignard. Y a d'abord, appliqué sur le mur, un grand abatis d'alumi-
nium que
tu dirais
mots en imprimé
:
du
fer-blanc, avec ces
Longeron de carcasse.
— Y a ça?
Le lignard aveugle. (Il rit.)
Le nouveau lignard.
—
Qu'est-ce qui te
fait rire ?
Le lignard aveugle. trouvé
!
Et puis
— Carcasse.
Ça, c'est
?
Le nouveau lignard.
— Et puis y a Thélice
du zeppelin. (// lui prend la main et la pose sur une des branches.) Tu la sens? Le lignard aveugle. Oui, c'est froid. Le nouveau lignard. Et dessus l'hélice
— —
y a des centaines de noms.
D'homme
femme. Le lignard aveugle. Le nouveau JofTre.
et
de
— Dis m'en. — Général lignard, lisant.
DIALOGUES DE GUERRE
— Oh
Le lignard aveugle.
!
13
Penses-tu que
c'est lui ?
Le nouveau lignard. pas. [Lisant
que
crois
[Lisant
:)
—
Je te le promets
Albertine, de Nice. Ça, je
c'est elle.
Et puis de la poésie.
:)
Pour
le
conduire à
la victoire,
Au Turc on montre le croissant, Au Français on montre la gloire, Et
la
choucroute à l'Allemand.
Le lignard aveugle.
—
Si tu veux. Mais
moi
c'est
rais
au Boche, Et puis voilà. Maintenant
pas la choucroute que j'y montre-
drapeaux
!
Le nouveau lignard. fait quelques pas.)
Tu
Le lignard aveugle. Le nouveau lignard. (Il
les
l'amène devant
Le lignard aveugle. Le nouveau lignard.
— Ça vient. es
dans
— Où — Là.
[Ils
ont
la salle.
qu'ils
la vitrine
du
sont?
milieu.)
— De quel côté — Devant Juste ?
toi.
en face. Allonge.
Le lignard aveugle, qui étend rencontre la vitre.
— Oh
!
zut!
la
main
et
DIALOGUES DE GUERRE
14
— Quoi Le lignard aveugle. — Y a un carreau. Le nouveau lignard. — Dame Tu vouLe nouveau lignard.
?
!
drais pas qu'on nous laisse jouer avec?...
— J'aurais bien aimé
Le lignard aveugle.
de les toucher. Je suis vexé
Le nouveau lignard, près.
T'es dessus.
—
C'est
!
Loin qu'y sont?
Mais non. Tout
comme
touchais. Tiens, là, où t'as ïa
ouverte,
il
si
tu les
main grande
y en ajustement un qui appuie
aussi de l'autre côté... D'I'étoffe à ton doigt
y a paSy oh veu
!
y a pas
l'épaisseur d'un cka^
!
—
D'un gros Et comLe lignard aveugle. bien y en a-t-il, de drapeaux? L
— Neuf. — Sont beaux? Le nouveau ugnard. — Ça ne vaut pas
Le nouveau lignard. Le lignard aveugle.
nôtre. Mais c'est tout de
même
le
pas de la
camelote...
Le lisnard aveugle.
—
Raconte encore.
Fais-moi) voir.
Le nouveau lignard.
— C'est des drapeaux
de bataillon. Réserve et active. peints, et puis de brodés.
Y en
Y en
a de
a de décorés
DIALOGUES DE GUERRE
de la Croix de a
un !
D'autres pas. Enfin y en
tout trempé de sang'.
— Et
Le ZOUAVE. pris
fer.
15
c'est des nôtres
qui l'ont
Des zouaves I
Le nouveau lignard, à l'aveugle. vu les drapeaux? T'es content? Le lignard aveugle. ils
sont à nous.
—
Un
—
T'as
peu. D'abord
s'embêtent. C'est bien
Ils
moins ceux-là, {Renfonçant son képi d'un grand coup de poing.) on ne les salue pas Alors, on redesLe nouveau lignard. leur tour. Et puis au
!
—
cend?
Le lignard aveugle. (11 fait
un faux
pas.)
Le nouveau lignard. t'f...
pas par terre.
sale canne.
— On redescend. —
Une marche. Ne T'as une
(// l'a retenu.)
Prends donc
la
mienne.
Le lignard aveugle. — Eh bien? Et toi? Le nouveau lignard. — Tu me donneras la
tienne.
On va
changer. Ça nous fera
venir. (Il fait
l'échange.)
un
sou-
DIALOGUES DE GUERRE
16
— T'cs
Le LiGNARD AVEUGLE.
On
bien gentil.
se retrouvera alors ?
Le nouveau lignard. Le lignard aveugle.
— Sûrement. — Elle est épatante.,
tu sais... [S'appiiyant dessus avec satisfaction.)
Et puis en main...
ça, c'est
A
bonne heure,^
une canne d aveugle.
Le nouveau lignard.
—
verras du droit. Si... Je te
Le lignard aveugle, tout poir...
la
Tais-toi.
Tu
re-
le dis...
bas.
— Peu
d'es-
LE LIEN
Il
LE LIEN M™^ Renaud, quarante-huit dans
la
ans,
une femme
douleur.
M™® DucHAMP, une
amie.
Chez Madame Renaud.
I
—
... Mon unique M™^ Renaud. Tout ce que j'avais. Tout ce qui me
enfant. restait.
Et puis, plus rien... ]\lme
DucHAMP.
— Gommeut as-tu appris?
DIALOGUES DE GUERRE
20
M™^ Renaud. Hier au
soir.
— Par un de ses camarades.
Voilà sa lettre.
(Elle la lui tend.)
M"'^
—
DucHAMP, lisant à mi-voix.
Ma-
dame...
M™^ Renaud disant
Vous
êtes
les
mots à l'avance. -;^
une mère...
(Elle s'interrompt et pleure.)
M™" DucHAMP,
—
continuant.
...
chré-
tienne et française...
— Quand Duchamp. — M™" Renaud. — Lis tout M™^ Renaud.
j'ai
nant.) voir... ]y|me
lu ça
!
Oh
!...
...J'ai le triste devoir...
M'"*'
Non
!
(Se repre-
bas.
Pas de lâcheté
!...
le triste de-
Va.
Duchamp,
lisant.
noncer que votre
—
...
de vous an-
fils...
(Elle s'arrête.)
M"»* Renaud. M""*
— Va.
Duchamp,
lisant.
—
...
le sous-lieute-
nant André Renaud, est tombé...
M™' Renaud, qui ne pleure mortellement frappé...
plus.
— Va.,
DIALOGUES DE GUERRE
M™^ DucHAMP,
...ce matin...
— D'une balle au cœur.
M"^ Renaud.
mains au
(Elle porte les
]\/[me
—
lisant.
21
DucHAMP, Hsant
—
.
Il
sien.)
n'a pas souf-
fert...
M""' Renaud.
—
M™* DucHAMP, vu l'aumônier. M""*
Renaud.
M""'
DucHAMP,
Non.
— La veille,
lisant.
—
11
il
avait
était prêt.
lisant.
— En recevant dans
mes bras le dernier soupir de mon ami, demandé à Dieu qu'il vous donne la
j'ai
force et la fierté de porter haut...
M™^ Renaud, achevant. M""^
—
DucHAMP, répétant.
leur... Agréez,
...
—
votre douleur. ...Votre dou-
Madame... Lieutenant Mer-
cier.
M™® Renaud. quera.
J'aurai
— la
Oui... fierté,
Rien ne la
me man-
force...
et
la
douleur. (A ce
moment une domestique
entre, te-
nant une carte qu'elle présente à M""" Renaud.)
DIALOGUES DE GUERRE
22
—
La DOMESTIQUE.
Madame,
un
c'est
monsieur...
—
M™^ Renaud.
monde... Je vous
Personne
Personne au
!
recommandé.
ai
—
La domestique. Je sais bien... Mais quand il m'a eu dit son nom... M™" Renaud, qui a jeté les yeux sur la change aussitôt de visage
carie, cri.
— Oh
!
Claire
et pousse
un
!
— Quoi M"'^ Renaud. — Mon mari M™" Duchamp. — Je l'avais deviné. M™^ Renaud, bouleversée. — Qu'est-ce M™''
Duchamp.
?
!
qu'il veut?...
d'hui
pas
me
deuil,
Que
laisser seule à
!...
!
Il
Aujour-
ne peut donc
mon chagrin, Ah Qu'il
au lieu de raviver...
Qu'il s'en aille qu'il
vient-il faire?
Après vingt ans
!
!
à
mon
parte
m'est impossible, que je regrette...
M"""
Duchamp, arrêtant la domestique.
Non. {A son amie.) Tu ne peux pas
le
voyer.
— Pourquoi donc pas? M""* Duchamp. — C'est son père. M"^ Renaud. — Tu as raison...
M""* Renaud.
!
[A la domestique.) Dites
—
ren-
DIALOGUES DE GUERRE
M™^ DucHAMP.
— Je
23
te laisse.
(Elle l'embrasse et sort.)
M"^
Reisaud, à la
domestique.
—
Faites
entrer.
II
M™^ Renaud est debout quand M. Renaud est La porte se referme. Ils sont seuls l'un en face de lauti^e. M. Renaud est d'une gi'ande
introduit.
pâleur,
il
yeux secs
a des
femme avec une
et rougis. Il salue sa
pi'ofonde tristesse. Elle lui rend
son signe. Et
ils
dans
salon de A'euve,
petit
le
sans
se regardent,
mot
où tout
dire,
est
en
ordre, bien rangé.
M. Renaud, dune voix
faible.
—
Vous
savez ?
Renaud.
M""®
—
Oui. Voilà ce que
j'ai
reçu hier. (Elle lui tend la lettre cier. Il la
M. Renaud, côté.
nel.
— Il
du lieutenant Mer-
prend.) lui tendant
une
lettre
de son
Et moi, aujourd'hui, de son coloest
mort d'une
façon... superbe. II
.
DIALOGUES DE GUERRE
24
sera cité à l'ordre de l'armée...
Vous ver-
tous les détails...
rez... ]y|rae
Renaud, prenant la
—
lettre.
Oui...
Merci
M. Renaud.
— Alors...
Ça ne vous fâche pas
voulu venir...
j'ai
?
—
M™^ Renaud. Non. Au premier moment, quand on m'a dit que c'était vous, j'ai
Mais,
été troublée...
puis, au fond, je
j'ai
compris. Et
vous attendais...
J'étais
sûre que vous viendriez.
M. Renaud. M™^ Renaud.
— C'est vrai — Absolument sûre. ?
Je sai
que vous l'aimiez.
M. Renaud.
— Oh
de nous deux, M""^
Renaud.
M. Renaud.
c'est
!
oui
!
Je ne dis pas que
moi qui
l'aimais le plus.
— Nous l'aimions autant. — Mais prévous qu'il
c'est
férait.
M™^ Renaud. M. Renaud. méritiez... plus
— Croyez-vous — avait raison. ?
Il
que moi. Ah
!
Vous
le
que de choses
en ce moment... que de choses auxquelles...
mon
Dieu
M'"«
!
Renaud.
— Moi
aussi...
DIALOGUliS DE GUERRE
— Je ne peux pas vous M™"^ Renaud. — Ne dites rien. A quoi bon? M. Renaud.
C'est passé.
dire...
Cest
Renaud,
M""^
Pour
lui,
C'est fini, oublié...
si loin.
— Pardonné?
M. Renaud.
—
grave, profonde.
en souvenir de
lui...
Oui.
parce que
son désir.
c'était
M. Renaud. mirable
—
Pauvre
petit
!
Cœur
ad-
!
— Mon enfant... — Notre Renaud. — Ah C'est un
M"" Renaud. M. Renaud.
fils.
M""=
!
déchire-
ment...
—
M. Re.naud.
...
Affreux
!
[Leurs maina
se joignent. Elle pleure.) Pleurez, oui, pleu-
rez avec moi, plus près.
ment.) Là, sur
Rappelons-nous, quand M""" Renaud.
M. Renaud.
(// l'attire
douce-
mon épaule... Ne parlez il
pas...
est né...
— Que nous étions heureux — Quand a grandi... son !
il
intelligence... ]yime
Renaud.
années...
Qui aurait cru que tout
devait finir sienne...
— Sa tendresse... Les
ainsi ?
Ma
vie
belles cela...
brisée...
La
DIALOGUES DE GUERRE
26
— La mienne également. des Renaud. — Et tant
M, Renaud. M*»*
d'autres...
milliers sur la terre... Et
nous
voilà, près
de ce cercueil... chacun de notre côté...
M. Renaud. notre côté. traire. Il
11
— Non
,
Non, pas chacun de pas.
Au
con-
nous réunit.
M""' Renaud.
réunir.,
!
ne nous sépare
Rien ne peut plus nous
-
rien..
M. Renaud.
même
douleur.
- Aujourd'hui. Mais de-
M™« Renaud. main ? M. Renaud,
La
Si.
-
—
La nôtre ne passera
pas.
Écoutez-moi. Qu'allez-vous faire à présent?
—
Renaud.
M'"''
Rester seule.
Comme
avant.
M. Renaud.
Vous
—
Mais avant,
l'avez perdu.
tenant que nous
Moi
était là
il
aussi. C'est
sommes
seuls,
!
main-
tous les
deux, et plus isolés que jamais. Car cet enfant était entre
nous
le lien...
le
dernier.
Discrètement, malgré notre rupture, parlait de vous... et disait rien,
silence.
11
môme quand
il
il
me
ne m'en
vous n'étiez pas absente de son
évoquait, dans nos regrets et nos
DIALOGUES DE GUERRE
remords,
le
meilleur
27
de nous-mêmes.
de notre ménage rompu, la
était la dignité
survivance d'un bonheur enfui. rapprochait ça et
sait et
deux détresses. n'étions
disparu, nous
n'y a
Il
adoucis-
de loin, nos
là,
avait triomphé
Il
longtemps de nos
Nous
Il
griefs, de
rien
sans
depuis
nos orgueils.
lui.
Puisqu'il a
nous rejoindre.
devons
Il
que nous qui l'ayons bien connu,
compris, aimé... Nous
sommes
sa famille...
Avec quel autre que moi pourriez-vous mieux parler de lui ? Qui m'écouterait
comme vous quand
je
dirai
son
nom
?
Vieillissons au souvenir de sa gloire et de
Ne nous quittons plus. Mettons ensemble chaque jour des fleurs devant son
sa jeunesse.
image. Hier nous nous retrouvions en lui. Nous devons désormais le retrouver en nous. Qu'au moins son départ nous ras-
semble
et
penchons-nous, pieusement em-
sur sa tombe, comme nous l'étions y a vingt-cinq ans... jyjrae Renaud, vaincue par Vémotion. Sur son petit berceau... Oui. Je veux bien.
brassés.
. .
il
—
[Ih restent serrés dans
les
bras
l'un
de
DIALOGUES DE GUERRK
28
l'autre.
Où
Et puis,
elle se
dégage
et
demande
:)
est-il?
M. Renaud.
—
Je sais l'endroit. Tout de
suite après la guerre j'irai le chercher.
alors
—
Nous irons ensemble. Et seulement, une fois qu'il sera là, près
M*"^ Renaud.
de nous,
comme
M. Renaud. dera. (Il
sort.)
—
gage...
nous essaierons...
J'ai confiance. Il
nous
ai-
LA PRÃ&#x2030;CAUTION
m LA PRÉCAUTION Au un le
front.
Le calme. En mars.
Un
matin. Dans
abri souterrain qui lui sert de salle de travail,
colonel
lit.
Un
sous-lieutenant pousse le bat-
tant qui tient lieu de porte.
Le sous-lieutenant. caporal est
—
Mon
colonel,
le
là.
Le colonel.
— Qu'il entre. I
— Tu as demandé à me parler? Le caporal. — Oui, mon colonel. l'acteur. Le colonel. — C'est — Oui, mon colonel. Le caporal. Le colonel. — Boulot. Le colonel.
toi
DIALOGUES DE GUERRE
32
—
Le CAPORAL.
A
la ville
—
aux ar-
et
mées... parce qu'au théâtre... c'est Beaufontaine.
— Si tu veux.
Le COLONEL.
mais vu jouer à
Je ne
ja-
t'ai
la ville.
—
Ah parce Le caporal, mélancolique. que je n'ai jamais fait que la petite province et l'étranger,
mon
—
Le colonel, front, le
matinée
beau
!
colonel.
...
Mais je
et le soir,
te vois
jouer au
ton rôle de soldat,
rôle.
Le caporal. Le colonel.
— Ça oui, — ...Tu
les autres pièces, je
feu, tu as
du
ne
le
joues bien. Dans
sais pas,
mais
ici,
au
talent.
— Oh
Le caporal,
troublé.
Le colonel.
— C'est bon.
y a? Le caporal.
une panne.
c'est pas
— Mon colonel,
!
mon
colonel.
Qu'est-ce qu'il
j
'ai
une grande
faveur à vous demander.
Le colonel. Le caporal.
— Va. — Je peux être tué d'une mi-
nute à l'autre, n'est-ce pas?
— C'est très faisable. Après? ça Le caporal. — Eh bien, je voudrais,
Le colonel.
si
DIALOGUES DE GUERRE
33
me portiez pas tombé, que ça ne se sache pas. Le colonel. En voilà une idée Le caporal, qui suit sa pensée. Oui. Le colonel, après un petit temps. C'est
m'arrive, que vous ne
—
!
— —
impossible,
pas
mon bonhomme.
le droit.
signale,
il
D'abord je n'ai
Si tu es tué et qu'on
me
le
faut que je le dise.
— Oh
Le caporal, consterné. Le colonel. Mais bien
—
!
sûr. Et puis je te
connais. Si tu tombes, tu tomberas très bra-
vement.
—
Le caporal, simple. Je le crois. Je n'ai jamais raté une sortie. Le colonel. Eh bien alors ? Vois-tu que tu sois frappé face à Tennemi, au premier plan, et que je le garde pour moi, que je
—
ne
te
nomme
honneur?
pas au public pour
Réfléchis.
te faire
me
Et pourquoi
de-
mandes-tu ça? Tu as une raison?
Le caporal.
— Oui, mon colonel. —
Le colonel. Dis-la. Le caporal, après un instant
— Je veux bien. ment, vous
me
Vous
d'hésitation.
êtes le père
du régi-
comprendrez. Quoique âgé
DIALOGUES DE GUERRE
34
de quarante-cinq ans
mon
engagé,
et
marié, je
me
suis
colonel, dès la déclaration de
guerre.
Le colonel.
nommer
— Je
le sais.
Aussi je
t'ai fait
caporal quand tu as débuté... dans
la prise d'Altkirch.
Le caporal.
si
Un beau
lever de rideau.
— Au premier jour tu serasser-
Lecolonel. gent, et
—
tu continues
comme
mencé, sous-lieutenant avant
tu as
com-
fermeture.
— Merci, mon colonel. Mais ce
Le caporal.
que vous ne savez été dix ans,
la
pas, c'est
ma femme
et
que nous avons moi, sans avoir
d'enfants... et c'était pas faute de le désirer
Et puis voilà qu'au
moment
les circonstances, la
chaleur des adieux...
— Tu as mis dans mille? caporal. — Oui, mon colonel. Et
Le colonel.
Le
!
de partir, est-ce
comme
le
y a de ça huit mois, puisque nous sommes en mars, on attend l'enfant d'ici trois
il
semaines, au plus.
Le colonel. Le caporal.
— Eh bien Quel rapport — Ma femme n'a pas de santé. ?
?
Elle ne vit que par le cœur. S'il m'arrivait
de périr, surtout en ce moment-ci, elle en
DIALOGUES DE GUERRE
36
mourrait, et le petit avec. Aussi je veux
mère et l'enfant. Tant que l'enfant n'est pas venu au monde il faut que je reste intact. Ah d'ici un mois je n'ai pas le droit sauver
la
!
d'être tué. Et si je le suis, faut pas qu'on
m'affiche.
Le colonel, ému.
mon
pauvre ami,
—
même
en cas de malheur, ta
J'entends... Mais, si
je
ne disais rien,
femme
le
saurait
quand même Elle le devinerait. Comment donc ça? Le caporal. Tu lui écris ? Le colonel. Tous les huit jours. Le caporal. !
— — — Le colonel. — Eh bien Le caporal. — Qu'est-ce que ça fait? ?
pensé à tout. Si ça arrive,
j'ai
J'ai
préparé à
l'avance quatre lettres, par ordre,
numéro-
tées 1, 2, 3, 4, oii je continue de lui
donner
de mes bonnes nouvelles, de façon à gagner la fin
du neuvième, où
elle
aura sûrement
mis au monde...
Le colonel.
—
Mais qui est-ce qui en-
verra tes lettres?
— Un camarade. Le colonel. — Et plus tard, Le caporal.
les papiers
DIALOGUES DE GUERRE
36
reçus,
quand
apprendra fois
femme, après sa délivrance,
ta
la vérité,
plus dur
..
quel coup alors
!
Deux
!
—
Le caporal.
Oui. Mais
il
y aura
fant. Il sera là. Si elle pleure, lui
l'en-
rira,
il
il
tendra ses petites mains. Elle sera attrapée.
A
cause de lui
mon
lement, dame, possible,
vous ne
faudra qu'elle vive. Seu-
il
colonel, tout ça n'est
au cas que je m'absente, que
me
portez pas
manquant
!
—
Où sont tes lettres? Le colonel. Le caporal, frappant sur sa capote à Elles sont là. place du cœur.
— — Donne-les moi. Le COLONEL. — Comment? Le caporal, ?
Le COLONEL.
— Je ne
sais pas. C'est
romantique, ton moyen. Ça
du
C'est encore
théâtre.
te
les
un peu
ressemble.
Tu aimes
en scène. [Le caporal a pris et les tient,
la
Vous
saisi.
voulez bien
si
la
mise
quatre lettres
en jeu de cartes.) Enfin, donne
toujours. (// les prend, les serre dans son portefeuille, les
met dans sa poche.) Et
en repos. D'abord rien
du
tout.
Tu
il
sois
ne t'arrivera peut-être
te montes...
On ne meurt
à
DIALOGUES DE GUERRE
pas
comme on
trop beau
!
Et
mon
veut,
si
37
petit.
Ça
serait
ça doit t'arriver, eh bien,
rapporte-t'en à moi. As-tu confiance?
Le caporal. Le colonel. le
— Oui, mon colonel. — Crois-tu que je
ferai
pour
mieux? Le caporal. Le colonel.
— Oui, mon colonel. — Ça Si je peux suffit.
tri-
cher, je tricherai.
Le caporal, heureux. Le colonel.
—
Et
si
— Ah
je
Le caporal, consterné.
!
ne peux pas...
— Oh!...
— C'est moi qui
ta
Le colonel. femme, pour
bonne encre,
et
lui
annoncer,
avec
que tu auras mérité près, et
le motif, l'ordre !
et
elle sera
courageuse,
la
(Le caporal la lui tend.
Il la
serre.)
Le caporal, étranglé d'émotion. colonel, je ne
Le colonel.
du jour
mère et l'enfant, tout veillerai. Donne-moi la main.
que
marchera. J'y
Et de la
Et je te garantis qu'a-
accouchée ou non,
fière,
lui écrirai à
oui...
peux
pas... non...
— Va, Boulot.
(Le caporal sort, chancelant.)
—
Mon
DIALOGUES DE GUERRE
38
II
Le lendemain,
même
heure.
Même
Le même sous-lieutenant que colonel, qui travaille seul. c'est le caporal
vous ayez la bonté de d'un fou.
Le colonel. sort.
Au si
Mon
au
m\
Il
le recevoir. Il
a
l'air
— Qu'il entre. [Le lieutenant
je
me
—
Mon
colonel, pardonnez-
permets... [Il s'arrête, agitant
Ma femme, à l'instant, m'annonce... C'est un fils, mon colonel... plus tôt qu'on ne pensait. Un fils magnifique. Alors, comme vous avez été si une
lettre qu'il tient
à la main.)
bon...
Le colonel.
— Un
petit Boulot!
Compli-
ments. Tu vois bien, bêta, que tout
s'ar-
range. [Tirant de sa poche son 'portefeuille et
l'ouvrant:) Tiens, reprends tes
Beaufontaine.
1
colonel
caporal:) Qu'est-ce qu'il y a?
Le caporal. moi,
la veille,
demande, que votre permission, que
Boulot.
qu'il n'ait pas sollicité
—
endroit.
lettres...^
L'HEUREUX MALHEUR
n
L'HEUREUX MALHEUR Lucie Laurier, dix-neuf ans. Jean Darémon, vingt-cinq ans.
Une domestique.
En
février 1915. Lucie est seule, au salon,
en
du bout des doigts et Tipperary, quand on sonne à
train de jouotter au piano,
comme la
tout bas,
porte de l'appartement. Elle s'arrête.
lemente dans l'antichambre
et
la
On
par-
domestique
entre.
—
Mademoiselle, La domestique. Darémon. Jean Monsieur Jean Darémon? Lucie, saisie.
—
c'est
DIALOGUES DE GUERRE
42
La
DOMESTIQUE.
Avec de
militaire.
mademoiselle. En
la bar...
— Eh bien
Lucie.
pas
— Oui, !
Pourquoi n'avez-vous
dit...
La
domestique.
—
J'ai dit,
j'ai dit
que Monsieur
pas
Alors
là.
—
Lucie.
a
il
Il
il
Madame
n'étaient
demandé Mademoiselle.
fallait dire que...
La DOMESTIQUE. Mais
et
mademoiselle,
—
mademoiselle...
J'ai dit,
avait entendu le piano.
Ça ne servait
plus à rien démentir. Est-ce que je peux Lucie,
(La domestique sort
Darémon. rie,
le...
troublée. — Oui.
Il
et introduit aussitôt
est en sous-lieutenant d'artille-
avec son manteau d'ordonnance à pèle-
rine.
Il
s'avance, souriant et grave,
un peu
gêné.)
Jean.
—
Excusez-moi, mademoiselle,
j'ai insisté...
Mais en temps de guerre...
si
les
usages... Lucie.
— Vous avez
bien
fait. J'ai
coup de plaisir à vous voir.
— C'est vrai? — Certainement. — Jean. Puisque
Jean.
Lucie.
Et vous?
j'ai insisté.
beau-
DIALOGUES DE GUERRE
Lucie.
—
43
Asseyez- vous vite! Vous voilà
donc guéri, depuis votre blessure? Jean. — Oui... au Lucie. — Droit? Jean. — Gauche. Lucie. — Une blessure
Au
côté?
côté.
sérieuse, allons,
quoi que vous ayez écrit?
— Mon Dieu... oui non. — Jean. — Mais je suis guéri. Lucie. — Tout à Jean. — Tout à Lucie. — Vous avez souffert? Jean. — Très peu. Moins que dans bien
Jean.
et
Lucie.
C'est oui.
fait?
fait.
d'autres circonstances.
(Un temps.)
— Vous avez un congé! Jean. — Oui, mademoiselle. Lucie.
Lucie.
Jean.
— Combien?
—
velable...
Lucie. fléchie.)
congé
si
Deux
s'il le
—A
la
mois... trois... Et renou-
faut.
bonne heure
!
[Soudain ré-
Mais non... Pourquoi avez-vous un long, puisque vous êtes guéri?
DIALOGUES DE GUERRE
44
Jean, simple.
—
Parce que la convales-
cence peut durer plus longtemps qu'on ne croit.
— Ah
Lucie, sérieuse.
!
[Un
silence.)
Vous
avez été bien soigné?
— Admirablement. — Par des femmes? Jean. — Oui. La perfection. Lucie. — J'aurais aimé, moi aussi, soigner Jean.
Lucie.
les blessés. Et je
m'imagine que
— Je n'en doute pas. Lucie. — Seulement
j'aurais su.
Jean.
voilà,
filles...
Quand
j'ai
moue.
fait la
dit
maman... tout de et j'ai
jeunes
Si tu étais mariée... a
ont
compris
les
parlé de ça... les parents «
Alors
suite... »
j'ai
attendu. [Un silence. Et puis,
lente, et en se remémorant :) Ah quand nous avons appris par votre père ce
d'une voix
!
qui vous était arrivé... l'explosion de mine...
comment vous
aviez
pu
être
ramassé à
temps, ayant perdu connaissance...
— A moitié. Lucie. — Et puis
Jean.
l'opération,
cet éclat
d'obus qu'il a fallu retirer... tout cela nous avait rendus bien inquiets, je vous assure
.
DIALOGUES DE GUERRE
[Geste de remerciement
nous avait
fait
Jean, gai.
45
du jeune homme.)
et
beaucoup de peine.
— Mais
puisque
c'est fini.
— Pas un jour nous n'avons cessé
Lucie.
de penser à vous. Jean. Ils
— Vos parents sont
la
bonté
même.
m'ont connu enfant.
Lucie.
— Je ne parle
eux. J'ai beau ne tout petit.
pas seulement pour
pas vous avoir connu
.
(Elle s'arrête.)
— Eh bien? — représentant ce que vous En me Lucie.
Jean, avec douceur.
enduriez... je ne crains pas de vous le dire
aujourd'hui, j'éprouvais tesse,
une
pitié...
une grande
très
tris-
affectueuse...
et
même...
—
Jean.
Et
même
vous avez commencé Lucie.
—
Eh
j'achèverai... Et
quoi? Allez? Puisque !
bien oui, je serai loyale et
même
des remords.
Jean. — prie...
Nous y voilà! Ah! je vous en Ah! Dieu non! N'en ayez pas... Ne
revenons jamais là-dessus.
.
DIALOGUES DE GUERRE
46
Lucie.
—
Si.
Revenons-y. Franchement.
L'année dernière, vous m'avez demandée en mariage... Jean.
—
A
la
fin
de juin. J'étais fou.
Vous m'avez fait répondre que vçus aviez pour moi beaucoup d'estime et d'amitié, mais que ça ne suffisait pas... Sur le moment j'en ai eu du chagrin.
— Ah? Jean. — Et aujourd'hui passé. — mi-voix. Lucie, à Déjà? Jean. — Oui. Et non seulement je Lucie.
c'est
n'ai
plus de chagrin, mais je suis enchanté...
vous entendez?
et je
remercie Dieu que
les
choses aient tourné ainsi. Lucie.
Jean.
— A ce point-là? Pourquoi donc? — Parce que, comme guerre a la
été déclarée
un mois après ma demande,
à
supposer que vous m'ayez agréé, nous n'aurions probablement
nous marier. Lucie.
—
Jean.
temps de
puis, quand Nous nous serions
Peut-être? Et
même... La belle fiancés, et
pas eu le
.
affaire
!
mariés après. Maintenant.
— Ni avant,
ni après.
DIALOGUES DE GUERRE
Lucie.
— Je ne comprends pas. — C'est Je ne peux
vous répéter ceci
jamais vous n'avez été
:
aussi bien inspirée que le jour
me
vez refusé en si
auriez
que
inutile.
JEA^^
tions
47
loyales.
où vous m'a-
fournissant des explica-
Quand
je pense
que vous
me dire oui... et me parole!... ma pauvre petite,
pu m'aimer,
donner votre
et
j'en ai le frisson.
Lucie.
—
Quoi? Comment! Alors
vous l'avais donnée,
ma
qui arriverait donc aujourd'hui? Vous la
je
si
parole, qu'est-ce
me
rendriez?
— Tout de suite. pour quelle raison? Lucie. —
Jean.
Et...
indiquant de sa
Jean, calme et grave,
main
Lucie, poussant achevé.
— Ah
!
de la pèlerine ; et vide.
me
:)
le
— Je n'ai plus qu'un bras.
recouvre.
yeux
du manteau qui
droite la pèlerine
un
avant qu'il ait
cri
[Elle soulève et rejette le elle,
aperçoit la
manche
pan
inerte
Les larmes lui jaillissent des deux
Et
c'est
rendriez
pour
ma
ça!...
parole
pour ça que vous
si
je
donnée? Et vous croyez que
vous
l'avais
je l'accepte-
.
1
DIALOGUES DE GUERRE
48
me
rais? Pour qui lui
:)
prenez-vous? [Allant à
Embrassez-moi. Je serai votre femme.
Jean.
—
Lucie! Non... Vous cédez à un
mouvement.
—
Lucie.
Vous aussi
.
mon
Je ne cède qu'à
cœur.
lui céderez.
— Je ne veux pas C'est impossible Lucie. — Et moi je veux. Je vous aime.
Jean.
!
!
Je n'ai pensé qu'à vous... Je vous retrouve, je vous garde.
Jean.
— Ah!
Mon
Lucie! Lucie!
rêve
C'est mal... C'est criminel...
— Non Jean. C'est la récompense,
Lucie.
bien petite, bien insuffisante... tout
moi-même, mes deux
ouverts, [Elle
le
Mon âme,
bras toujours
prend à plein corps avec
tendresse et respect...) toujours fermés. [Elle
a posé sa
tête contre lui sur sa poitrine, et il
baise ses cheveux en restent ainsi.) Voilà
aviez caché, à tous Jean.
— Oui.
penchant
la tête.
Ils
donc ce que vous nous
!
Même
à
mon
père.
A
quoi
bon vous tourmenter? (La sonnette d'entrée se se dégagent.)
fait
entendre.
Ils
DIALOGUES DE GUERRE
Lucie, qui a prêté l'oreille. [Elle sourit, toute
Nous reux
49
— Les parents.
humide encore de
pleurs.)
allons leur dire. Qu'ils vont être heu!
Ils le désiraient.
Jean, déjà vaincu. je vous en supplie Lucie, bas.
—
— Non... décidément...
!
Trop tard. Vous êtes
mon
prisonnier.
La porte commence à bonnes voix joyeuses
Jean!
Guéri!
cette mine?...
:
Quelle
s'ouvrir...
Gomment
!
Et des
C'est lui
surprise!...
!
Voyons
i
LE
CHATEAU
LE CHATEAU Le château de Randal, dans le Nord. Une et imposante demeure Louis XIIL Six heures du soir, à la fin d'août, en 1914. Au milieu du grand salon du rez-de-chaussée, aux cinq portes- fenêtres fermées, se tient un officier supévieille
rieur allemand de haute taille, à tête quadrangulaire, à
moustache grise et lourde. Il a les Au bout de ses longs bras écartés pendent deux énormes pattes, gantées
talons joints.
du coi'ps du blanc
le
plus frais.
Il
attend, en se considé-
rant dans les hautes glaces qui le répercutent, si terrible et si avantageux. Dehors, couvrant perron aux huit marches de pierre qui borde
façade d'honneur, un attentif, regarde,
le
la
état-major, immobile et
examine
l'architecture, les pe-
louses, les parterres à la française, les charmilles
.
DIALOGUES DE GUERRE
54
Du côté des communs, un chien aboie comme un loup. Le canon tonne. Et une femme de trente ans entre elle profondes qui s'enfoncent.
:
est nu-tête, simple,
en noir, d'un calme qui glace.
I
—
L'allemand.
Madame
marquise
la
d^
Randal?
La
marquise.
L'allemand,
—
G^est moi.
s' inclinant
tisfaction, sa coiffure ral,
du
buste avec sa-
—
à la main.
Géné-
prince von der Viick,
La
marquise.
— Eh bien
Le général, dont
?
tottte la
personne
s'ef-
—
C'est
force de compatir avec immensité. la guerre
! . . .
[Et
un rauque soupir.
marquise.
—
Le général.
—
La
Je sais.
Nous
.
.)
Ach
! , .
la faisons
aussi.
fique.
Et très bien...
Magni-
Votre armée...
La marquise.
— Pas d'éloge. Qui me vaut
l'honneur?...
Le général.
— De ma visite? La victoire,
madame. La marquise.
— Aujourd'hui.
DIALOGUES DE GUERRE
5ÎS
—
Et demain, après, touLe Général. jours. Immer! Immer! Mais laissons cette
chose pénible. Vous aimez ce château, n'est-
Vous l'aimez beaucoup ? Plus que tout. La marquise. Le général. Je sais... je sais... Comment? La marquise. Le général. On m'a dit. Je comprends.
ce pas ?
— — — —
Si beau
venirs!
!
Si riche
Ah!
le
votre Randal est joux...
Si antique
!
Plein de sou-
un des joyaux, un des
bi-
bijoux historiques de votre
oui...
race. C'est
!
passé de la France!... Et
un musée,
je
vous
dis, plein
de
Vous avez les tapisseries d'après les cartons de notre von der Meulen qui reproduisent la campagne de notre Rhin... Ach! Vous avez des Rûbens, des Titien, des Vélasquez... Le service d'argenterie des reliques...
noces de Marie Leczinska...
Une
biblio-
thèque aux armes du maréchal de Randal, de onze mille six cents volumes.
La
— Plus. — Ah Et des boiseries
marquise.
Le général.
!
portraits, des horloges de Roule, des
!
des
meubles
de marqueterie précieuse, des biscuits, des
.
DIALOGUES DE GUERRE
56
porcelaines de
France
enfin...
de
de Sèvres,
Chantilly,
on n'a rien
fait...
jamais, de
mieux... et quoi encore avez- vous?
— —
De la patience, prince. La marquise. Ne vous fâchez pas, maLe général. Je suis l'ennemi. Mais marquise... la dame pas le vôtre, à vous personnel.
La marquise.
—
Moi
je suis votre enne-
mie, monsieur, et je tiens à
Le général.
Eh
— Hélas
!
l'être.
Que je
le regrette
une
bien, écoutez! Je vais vous offrir
preuve, une preuve...
! . .
comment exprimer?
de courtoisie allemande, de délicatesse et de culture. Vous dites que nous barbares... tères!
Nous! De
si
Des forces, oui,
douces. Enfin, je veux
sommes
des
grands bons carac-
mais des forces qu'il
soit raconté
qu'un général, un prince de cette nation sauvage que nous sommes, a sible à contenter
à lui laisser, jour,
fait
une grande dame
malgré
un souvenir
tout,
pos-
le
française,
dans ce
agréable de galant
triste
homme
et de chevaleresque soldat. Oui, je veux.
La marquise. Le général.
— Et alors? — Oh n'ayez pas peur. !
DIALOGUES DE GUERRE
La marquise. Le général. brave.
très
57
— Je n'ai jamais peur. — Brave! Oui, je
sais...
de maréchal
Petite-fille
sous
Louis XIV. Alors, écoutez-moi bien, dans les yeux. Les ordres les plus formels, les plus durs, j'ai donnés... Rien ne sera pris ni tou-
ché
ici.
Pas une épingle. Je sais que tout est
comme
en place, venir,
nous n'avions pas dû
si
que vous n'avez rien enveloppé, rien
caché dans la terre, rien envoyé au
loin...
Vous avez eu confiance en nous... La MARQUISE. Ce n'est pas cela. Le général. Si. Laissez-moi croire. La marquise. Non. J'aurais peut-être pu sauver la plus grande partie de mes riC'est joli.
—
— —
chesses, des souvenirs qui
Je ne
même
l'ai
pas essayé.
me sont chers. A quoi bon ? Je
suis à présent au-dessus de tout...
nez-vous
?
Le général. ailes!
Compre-
Comme
La marquise.
—
comprends
Si je
!
Uber
nous...
— Je ne tiens plus
à rinn...
Le général, plaisantin, avec un index de
main gantée.
— Oh
!
féminin mensonge...
oh
!
oh
!
Voilà un gros
DIALOGUES DB GUERRE
58
La
marquise, confiante.
—
A
rien.
Qu'à
votre écrasement!
Le général, paternel.
—
Oui, oui. Pauvre
madame touchante C'est entendu. Eh bien, quand même, voilà la généreuse Allemagne. !
Randal aura été
pris, occupé, et quitté
par
nous...
La Le
— Quitté? Déjà? général. — Dans quarante
marquise.
-
huit
heures, pour aller sur Paris... sans avoir
dommage. Pas une
subi le plus petit
tasse
ni petite cuiller ne manquera, et j'ai dit
:
défense de couper une rose sous peine de mort. Aussi, plus tard, vous serez forcée de reconnaître
même
dans
la
gentillesse de nos
la guerre...
Ya. Vous
usages,
me
devrez
la conservation de ce beau palais qui est
votre Potsdam.
Vous m'en aurez une
grati-
empoisonnée, mais gratitude tout de même... Ce sera ma vengeance des mauvais
tude...
sentiments que vous nourrissez pour moi.
La marquise.
—
Vous vous trompez, géVous je ne vous dois rien. Vous
néral. Jamais je n'aurai de gratitude.
ne
me
devez rien,
êtes ici par la force, faites à votre guise.
DIALOGUES DE GUERRE
—
Le général. Pas une
tasse.
59
Ainsi fais -je.
fleur.
moment on cogne du
Pas une
Tout respecté. {A ce
dehors au carreau d'une
des port es- fenêtres.) Mais... on m'appelle,
pour
fâcheuse!
Un
— Quel exemple — Une petite canaille,
bien
une opération...
exemple, hélas
La
marquise.
Le général.
si
!
?
soupçonnée d'avoir
sur
tiré
mes uhlans.
Tenez ? (On
a ouvert
s'est écarté.
une des portes. L'état-raajor
On
aperçoit sur la pelouse, à
vingt pas, un garçon d'une quinzaine d'années,
lié
de cordes, et qui
crânement peu de dis-
fait
face à cinq soldats groupés à
tance, l'arme au pied.)
La
marquise, poussant
Le général. La marquise. Il
un
cri.
!
le fils
:)
Emile, de loin, tourné vers
madame
Ah
— Vous connaissez? — C'est de mon garde.
a quinze ans. [L'appelant
sent,
—
la
marquise
Emile elle.
!
—
Pré-
!
—
La marquise, au général. Un enfant Le général. Vos enfants sont des hommes. Il a tiré.
—
!
?
DIALOGUES DE GUERRE
60
— Non. L'avoue-t-il — nie. Donc Le général. n'a pas La marquise. — Le général. — Peu importe.
La marquise.
c'est vrai.
Il le
tiré!
Il
Il
faire. Il n'y
a qu'à
du perron aux
allait le
le voir. C'est assez. [Criant
soldats.) Schnell!! Sogleich
(Les soldats se placent sur
un rang
!
et vont
épauler.)
—
Une minute Une seule La marquise. Une! {Au général.) Dites-leur d'attendre. {Bas.) Allons, le
gentilhomme?... Voilà
cas... Dites-leur... Criez...
Le général, Nein! Warten
!
I
troublé.
—
Tout de
le
suite...
Soit. {Criant
:)
sie.
(Les soldats reposent les fusils.)
La marquise, entraînant du ral à l'intérieur du salon.
geste le géné-
—
Venez. J'ai
deux mots...
— Qu'y a-t-il? La marquise. — La grâce de cet enfant. Le général. — Impossible. n'est pas coupable. La marquise. — accusé. Le général. — — faux. RenseignezA marquise. La Le général.
Il
11
est
I
DIALOGUES DE GUERRE
Comment! Vous
VOUS. Je VOUS y aiderai.
agréable, vous
m'être
voulez
61
jusqu'ici plus qu'il ne
me
serait
m'accordez
venu à
l'idée
de souhaiter!... Et pour une bêtise, la vie
d'un
homme, d'un gamin, d'un que vous vous
san, voilà
Vous
ma
petit
faites
pay-
prier!...
ensanglanter votre passage dans
allez
maison, gâter votre pensée de tout à
l'heure ?
Gomment
voulez-vous que j'aie
un souvenir sans horreur boussez
si
vous
l'écla-
?
—
Eh bien... Je ne promets Le général. rien... d'ici demain. Nous verrons demain matin.
La MARQUISE.
— Merci.
Dites qu'on le re-
lâche.
— Je vais marquise. — Et qui
Le GÉNÉRAL.
La d'ici
demain
le dire.
il
Le GÉNÉRAL.
ne
me
prouve que
lui arrivera rien?
— Vous u'êtes pas tranquille. veux vous rassurer.
Tenez... Décidément, je
Oui, je ferai bien les choses. C'est à
même Il
que
je
donne
la
vous-
garde de ce garçon.
va être remis en vos mains. Vous en êtes
responsable.
Un
conseil
:
surtout n'essayez
DIALOGUES DE GUERRE
62
pas de l'évader, vous causeriez sa mort, certaine... Et Randal, aussitôt... incendié!
— Oh — Le général. Oui. Moi La
marquise.
1
le
premier,
j'al-
lume.
La
marquise.
prisonnier ne
Le général. (Il
—
me
Mon
N'ayez pas peur.
quittera pas.
— Avertie
!
salue et sort.)
II
Quelques instants après,
la
marquise
est seule
avec Emile dans une pièce retirée.
Emile, qui suffoque d'émotion.
vous, j'y étais,
madame
la
—
Sans
A
marquise.
charge de revanche.
La
marquise.
faire partir avec
—
Entendu. Peux-tu
toi d'ici
me
demain matin? J'ai une idée.
— C'est La marquise. — Où irons-nous? Emile. — Dans lignes françaises, Emile.
facile.
les
quatre kilomètres... Les yeux fermés. Mais, après notre départ, ne vont-ils pas se ven-
ger?
DIALOGUES DE GUERRE
La
marquise.
—
Ils
63
brûleront Randal.
On
m'a prévenue. Emile.
— Oh
Pour sauver
La
!
ma
marquise.
non
!
Alors, c'est pour
moi?
vie que vous faites ça?
— Et avec joie
La
!
vie d'un
Français vaut plus que tous les châteaux de
France. Dis ton moyen. Emile, bas.
—
Eh
bien, voilà.
dix heures, moi devant, avec
Ce
soir à
un couteau,
nous commençons par descendre...
LE PETIT SACRIFICE
VI
LE PETIT SACRIFICE C'est
un ménage de bourgeois
braves gens. Milieu de
la vie.
Des
parisiens.
Le
après
soir,
dîner. Monsieur a fini de lire son journal, et
il
songe en regardant l'abat-jour, où se détachent sur fond blanc les drapeaux des puissances alliées. la
Madame, près de
la
lampe, tricote
nouvelle campagne d'hiver
«
pour
».
I
Monsieur.
— Tu n'as pas lu
le
journal
?
Madame, sans lever les yeux de son ouvrage»
— Non. Monsieur.
— Ça ne t'intéresse pas
?
DIALOGUES DE GUERRE
68
—
Madame.
Si.
Mais puisque tu
me
le
racontes... Qu'est-ce qu'il y a?...
— Une nouvelle grave. — Madame. Bonne? Monsieur. — Plutôt mauvaise. Madame. — Non Monsieur. — Enfin, ennuyeuse. Madame. — Qui nous touche? Monsieur. — Mais bien entendu. Sans Madame. — Dis au lieu de tourMonsieur.
très
?
ça...
vite,
nailler...
Monsieur.
—
une solennité
Je ne tournaille pas. {Avec il
triste.)
On engage
les
bons
ci-
toyens, les patriotes, à porter leur or..
Madame, (Elle
saisie.
—
Hein?...
pose son ouvrage.)
Monsieur.
—
...
à la
Banque de France.
Madame, avec un peu d'alacrité. Monsieur.
—
Oui...
— Leur
or.
Le nôtre. Oh! pour
échanger... pour des billets...
Madame.
— Ça va de
soi.
Je suppose bien
qu'on ne demande pas de les donner en ca-
deau? Monsieur.
— On
le
pourrait.
II
.
DIALOGUES DE GUERRE
Madame.
La
—
Comment donc
69
Tout alors
I
!
vie de nos enfants...
— Nous n'en avons pas. Madame. — Heureusement! Je serais déjà
Monsieur.
morte
si
nous en avions
me
enfants, tu
!
Quand
je dis nos
comprends. C'est une façon
de parler. Je pense à ceux des autres, je ne suis pas égoïste.
dans
le
[Un temps.) Ah!
y a ça
journal?
Monsieur.
— Oui, {Soupir.)
Et c'est dom-
communi-
mage, parce que d'autre part le qué
il
est bon.
Madame, reprenant son
—
tricot.
Alors,
sois satisfait. [L'observant entre ses points.)
Qu'est-ce qui te trouble? Cette affaire de l'or?
— Un peu. — Je ne vois pas y
Monsieur, très doux.
Madame.
qu'il
ment raison de
s'inquiéter. Si l'Etat
ait vrai-
manque
d'or...
Monsieur, vivement. pas
!
Ne va
— Mais
il
n'en manque
pas dire une pareille chose
Madame,
taquine.
—
Puisqu'il
! . .
fait
un
fait
pas
pressant appel?...
Monsieur, enflant la voix.
un pressant
appel,
ma
—
bonne,
11 il
ne
ne
crie pas
DIALOGUES DE GUERRE
70
au secours tions!
Ah
l'État
!
qu'il
ne
ment, tout.
il
!
Tout de suite des exagéra-
!...
moque
se
Il
là là
en
lui
!
11
pas mal de notre
en a bien assez
faut!...
sollicite...
il
!
or...
Et plus
conseille seule-
11
engagea... Mais c'est
Rien de plus.
Madame.
—
En
ce cas, ne te mets pas
martel en tôte pour
l'État, et
va
coucher.
te
[Un coup d'œil à la pendule Empire qui vient de maman.) Dix heures et quart Les der!
niers becs sont éteints dans
la rue.
Monsieur, qui ne bouge pas.
—
qui donc? [Silence.
Oh
!
ce
que je nae tourmente.
pour Madame, reposant son ouvrage.
n'est pas
l'État
Fébrile et
—
Pour
contenue.)
Allons? Va jusqu'au bout. Tu n'as pas
l'idée,
j'imagine?...
Monsieur,
chétif.
— N... non. — Ah
Madame, rassurée. Monsieur,
!
reprenant
courage.
—
Mais
pourtant ça serait bien...
Madame.
—
Quoi? Qu'est-ce qui
serait
Tu veux
porter
comme
quel-
bien? [Rejetant
ses laines.)
notre or ? Est-ce ça ?
Monsieur, agitant
les
aras
DIALOGUES DE GUERRE
— Oui,
qu'un qui patauge. je
ne
te dis
c'est ça...
Mais
pas que je veux le porter... Je
dis... (Il s'arrête.)
— Quoi? Monsieur. — Que ça m'ennuie Madame.
de ne pas
le porter.
— Ta conscience?... Monsieur. — Mon Dieu oui. Madame. — Eh bien et moi? Est-ce que je Madame.
•
n'en ai pas une
Monsieur. — Madame. —
?
i
Si.
Grois-tu
vaut
qu'elle
la
tienne?...
Monsieur.
— Mais sans doute,
ma
Plus que la mienne elle vaut. Là
Madame.
— Eh bien,
ma
me
!
conscience, elle
est tranquille. Voilà trois ans,
sur le peu que tu
chérie.
sou par sou,
donnes...
— Bon Ça va être de ma faute Madame. — trois ans qu'à force de gratMonsieur.
!
!
...
ter et
de
me
priver de tout
j'ai
pu mettre de
côté mille francs... mille francs d'or!... Cinq
cents en louis, cinq cents en pièces de dix...
DIALOGUES DE GUERRE
72
Monsieur.
Madame.
quand
— Mais... — Rappelle-toi,
je
la guerre a été déclarée et
fait voir ce tas d'or, le
domestique
était
soir,
d'acheter
prie,
que
je t'ai
après que la
remontée, rappelle-toi ton
Tu m'as un
émotion, tes remerciements. seillé
t'en
un
étui,
connoir
vissé...
Tu
parce que ça attire moins l'attention.
m'as
dit
:
«
craint rien, crises. »
Avec mille francs d'or, on ne on peut traverser toutes les
Et tu m'as embrassée... Est-ce vrai?
— C'est vrai. Madame. — Et aujourd'hui, Monsieur.
au bout d'un
an de sécurité, pendant lequel nous avons vécu grâce à cet Monsieur.
—
or...
Nous ne
l'avons
même
pas
entamé.
Madame.
— Bien entendu.
ne l'entamerons. Jamais
!
Et jamais nous
Pas avant que
la
paix ne soit conclue... et signée!...
— Alors à quoi nous Madame. — Nous savons est Monsieur.
qu'il
l'avons.
Nous sommes
pour beaucoup dans
s...
là.
Nous
tranquilles. Et c'est
la certitude
gardons de l'heureuse issue, de
que nous
la victoire...
DIALOGUES DE GUERRE
— Moi — Je ne
Monsieur.
Madame.
mes
73
j'y crois sans ça.
me
dé-mu-ni-rai pas de
mille...
— C'est bien. C'est bien... Bon-
Monsieur. soir...
(Un
baiser au coin
du
fi'ont,
sur
la
partie
la plus dure.)
— Bonsoir.
Madame.
(L» même, du bout des lèvres, dans barbe
la
srrise.)
II
Le lendemain après dîner. Comme la veille, Monsieur lit et Madame tricote. On parle peu.
Madame, à Monsieur qui replie lentement son journal.
—
Eh bien
?
Est-ce meilleur
qu'hier ?
Monsieur.
— Le communiqué est toujours
très bon. [Prenant tout à
Laisse
un
coup son parti.)
instant ton ouvrage, veux-tu
Madame.
—
Pourquoi
?
Tu
as
chose à
me
tout de
môme. Ça ne me dérange
?
quelque
dire? Je peux très bien travailler pas.
DIALOGUES DE GUERRE
— Mais moi ça me trouble.
Monsieur.
compter
as l'air de
jamais
si
tes points.
Je ne sais
tu m'écoutes et à quoi tu penses.
Madame, écartant son ouvrage, qui
un peu
Tu
loin sur la table bien cirée.
Monsieur.
glisse
— Va.
— Tu promets de ne pas
te fâ-
cher?
Madame.
y
— Ah?
Ah? Tu
aurait lieu
?
Monsieur.
— Non...
garde-moi.
sens déjà qu'il
Mais tu es vive. Re-
Tu ne me trouves pas mauvaise
mine?
— Non. Monsieur. — Toute Madame. fermé
l'œil, et
pas
la nuit, je n'ai
depuis hier je réfléchis.
— L'or Monsieur. — Oui. Ne fâche pas — Madame. Je ne dis pas un mot. porter. Tout Monsieur. — faut Madame.
?
te
le
Il
monde
le
!
porte. J'ai
le
vu aujourd'hui plus le faire, ou
de vingt personnes décidées à l'ayant déjà fait dès ce matin.
Vous en avez bien
aussi,
On me
tiroir ?
Madame.
disait
:
dans un fond de
— Que répondais-tu?
DIALOGUES DE GUERRE
— Rien. Je ne voulais pas men-
Monsieur. tir... J'étais
gêné.
— Alors
Madame.
75
—
Monsieur.
?
me
Alors, tu vas peut-être
blâmer, tant pis
!
Je te raconte. Je ne
t'ai
jamais rien caché. Je te dis tout.
— Dis-moi tout. Je m'y attends. Monsieur. — Pendant que tu faisais tes Madame.
courses, tantôt, l'idée... l'idée qui
imposée avec une
s'est
n'ai pas fitons
Une
pu
résister...
me
Je
me
suis dit
de son absence pour porter
fois la
chose accomplie,
qu'elle l'accepte
rapport à
!
Ça
toi, je le
tenait
force que je
telle
il
Pro-
:
l'or...
faudra bien
n'était pas bien
par
mais vu
cir-
sais,
les
constances...
— Continue... Monsieur. — Je suis Madame.
çillé
dans
chambre.
ta
Je savais où était caché le rouleau, dans
une
paire de bas, la dernière au fond de l'ar-
Et puis, quand
moire...
prendre,
il
Madame.
Ah! le
c'est
n'y était plus
j'ai
été
pour
le
!
— Et qui est-ce qui a été attrapé? que je
soupçon que tu
me
méfiais!... J'avais
étais capable d'une
eu
chose
DIALOGUES DE GUERRE
76
pareille...
vois
s'il
Alors
était
j'ai
temps
enlevé
le
Monsieur, grave et ferme. le
rouleau, et tu
!
— Eh bien, va
chercher. Tout de suite.
— Tu veux Monsieur. — Oui. Madame. — Tu en prends responsabilité Monsieur. — Absolue. Va chercher. Madame. — Ce n'est pas la peine. Je
Madame.
le
?
la
?
le
l'ai
sur moi. (Elle le retire de sa poche.)
Monsieur.
Madame,
Le
— Donne.
le lui
mettant dans la main.
—
voilà.
Monsieur, à peine Va-t-il reçu.
—
Il
est
vide.
— Sans doute. — Tu as retiré l'or? — Madame. Pas du tout. Mais pendant que
Madame.
Monsieur.
moi
tu avais ton idée,
N'y a pas que
toi
magot à
Monsieur.
même.
qui réfléchis la nuit. Pen-
dant que tu voulais versais le
j'avais la
— Oh
la !
me
dévaliser,
moi
Banque...
Non
!
C'est vrai?
je
DIALOGUES DE GUERRE
Madame.
—
Mille francs
Le reçu. [Elle
77
le lui
tend.)
!
— Mille vingt! — Madame. Ah oui. Parce qu'il y avait un Monsieur, lisant.
A
louis de trop.
force d'en mettre, j'avais
mal compté. L'employé me j'étais
le rendait.
lancée. Je lui ai dit
:
«
Mais
Gardez
le
tout. »
— Cachottière
Monsieur.
me
t'empêcher de
Tu ne peux pas
!
faire des niches!
— Es-tu content Monsieur. — Et toi? Madame. — Enchantée.
Madame.
?
11
rouleau.
Tu
parmi
malheureux,
les
son devoir. Et
aimables à
me
pesait, ce
as raison. Puisqu'on n'est pas
la
si
il
faut faire au
moins
tu savais ce qu'ils ont été
Banque? Ah
!
je n'ai pas idée
de la figure qu'ils font quand on va leur de-
mander de ils
l'or,
mais quand on leur en porte,
sont bien gracieux... Ouf! Aimes-tu ta
vieille ?
LA PERMISSION
I
.
vu
LA PERMISSION A
Paris,
au fond de Montmartre.
Un logement
du soir. Au milieu de la pièce, la table à nappe de toile cirée est encore garnie de plusieurs verres et bouteilles. Galop et sa femme, qui viennent de raccompagner des amis sur le carré, rentrent et se rassoient. Lui, quarante ans, soldat du ...® d'infanterie, brun hâlé, durement barbu, bien à d'ouvriers aisés... Onze heures
point. Elle, autour de la trentaine, blonde fine et vive à taches de rousseur.
Elle.
— Ah
!
c'est
pas pour te critiquer.
mais, depuis ce tantôt
que tu
es
.
revenu du
front, après dix mois, t'es pas bavard. T'as laissé ta
langue dans ta musette.
On ne peut
rien te tirer, je ne te reconnais plus.
Nos 6
DIALOGUES DE GUERRE
82
amis voulaient
y
as pas
te faire
fait.
Ils
honneur, tu ne leur
n'en ont pas eu.
Ils
s'en
vont vexés.
— Mais non.
Lui, calme.
—
Elle.
Mais
moi, tu vas dire.
maintenant à
si.
Enfin,
On
est seuls, les enfants
couchés. Conte vite.
— Quoi? Elle. — Sois Lui.
pas
nigaud.
Tout.
Les
Boches ? Lui.
— Les Boches?
C'est des
mal
(/?(?/?ea;20/?.)
Eh
bien?.
élevés.
— Comment qu'ils sont de près? je serais bien en peine. On Lui. — Ma
Elle.
foi,
ne se cause nons.
le
plus souvent qu'avec des ca-
Quand on
les
embroche, on n'a pas
temps de les regarder...
le
En somme, on ne
se fréquente pas beaucoup.
Elle. Lui.
—
Passera-t-on l'hiver
— Et
le
pouce.
Quand donc que
Elle
?
ça sera-t-il
fini.
alors ? Lui.
Elle '
Lui.
Quand -
Y
l'ouvrage sera
faite.
a de sales moments, hein?
Comme
^j
^Hl
partout. Des bons aussi.^^
DIALOGUES DE GUERRE
83
— T'as pas reçu du pétrole en feu,
Elle.
au moins?
—
Lui.
P't'ôtre bien qu'oui!
me
Je
sou-
viens plus. Faudrait prendre des notes.
— Et Lui. — Oh!
Elle.
le le
dépense,
faire la
gaz asficiant? gaz!
j'te
pourraient ne pas
l'ont sur eux...
ils
qu'ils se font distiller.
Cologne,
ils
A croire
Sentent pas l'eau de
promets. Toi qui es blanchis-
seuse, tu tomberais de leur linge, tellement
ont la sueur fine
ils
Elle. t'as
!
— Ça m'étonne pas. A propos de
ça,
un masque?
— Oui. — Tu Lui. — J'en
Lui.
Elle.
apporté?
l'as ai
pas besoin
ici.
Je
l'ai
laissé
à la maison. Elle.
— Qu'est-ce que t'appelles la mai-
son? Lui.
— La tranchée. — Ah bah D'après tout ce qui nous
Elle.
!
revient, c'est pourtant pas Lui.
un
domicile.
— Ça n'a rien d'une bonbonnière
Mais comment
On aime
le
te dire?
Ça tourné au
boyau de ce
qu'il
!...
patelin.
vous dégoûte
DIALOGUES DE GUERRE
84
du mal
et
qu'il
donne. Quand je suis au
fond de mes trous, ça
mon
métier de maçon.
me rapplique dans Il me semble que je
que je vais poser des fondations pour
bâtis,
un beau pâté de ciel! Je crois
Elle.
six étages qui caressera le
que je construis.
— Et puis ça ne va pas plus
loin...
Vous avez déjà assez de peine à y grouiller dans vos boyaux, mes pauvres enfants!... ne vous
Il
suffit
pas de les garder,
faut
il
encore,
quand vous en prenez un neuf, que
vous
mettiez en état, que vous en fassiez
le
le nettoyage.
Lui.
Tu
—
sais ce
Elle. le tir a
Quoi! tu
de nettoyage?
parles...
que c'est?
— Bien sûr.
Le mot
le dit.
Quand
pendant des heures tout crevé sens
dessus dessous,
il
faut remettre en ordre
pour habiter... Lui, soulagé.
—
Tu y
On
es.
coup d'époussette. On ramasse
on raccroche
nomme
les tableaux.
le nettoyage.
n'y a pas
moyen de
puis quoi en plus?
Allons
Un
range.
les fauteuils,
C'est ça qu'on !
Je vois qu'il
rien vous cacher
!
Et
DIALOGUES DE GUERRE
85
— T'as vu des des morts? — Quelque peu. Elle. — Vous êtes bien nourris Lui. — Gomme des notaires. Y a pas à se Elle.
blessés?...
Lui.
?
plaindre.
Elle.
y
—
As-tu cru quelquefois... que tu
étais ?
— Çà vrai? Combien de fois? Elle. — Lui. — Plus d'une. Elle. — Tu pensais à moi, hein, dans ces Lui.
et là.
G'est-il
moments-là, et puis aux gosses?
A
Fédéric,
à Bouboute? Lui. c'est
— Non, je ne pensais qu'à une chose
qu'on
Elle. oui.)
Eh
Lui.
on
—
:
les aurait.
Les Boches?
(// fait
signe que
bien! Et nous? Ton équipe?
— Vous,
c'est
pour
refile à l'arrière et
la relève,
quand
qu'on joue au bou-
chon, en parlant tout haut, à sa faim. Alors
on se rappelle qu'on a une couvée. Autrement pas. Sans ça, comprends-tu, on ne pourrait plus faire. Elle.
me
— Ah bien
figurais,
!
On perdrait l'idée. Ah bien Moi, bête, !
avec ton portrait à
mon
qui
cou
DIALOGUES DE GUERRE
dans un médaillon... je vois que tu bitues bien de nous, oui Lui.
— Ne pense pas
te
désha-
!
ça, Pauline, tu m'af-
fliges.
— Preuve que je mets — Mais non. Elle. — C'est comme Elle.
le doigt dessus.
Lui.
le
famille,
bien égal
!
restant de ta
Ça
amis, tes affaires...
tes
Tu m'as seulement
t'est
pas, depuis
demandé une nouvelle de rien, ni de personne. La tante Biquet, que tu aimes de tout ton cœur pourtant, qui te fichait des tantôt,
coups de poing dans
le
dos jusqu'à seize
ans...
— Eh bien?... Elle. — Elle s'occupe d'être hydropique. Lui.
Elle a de l'eau.
— Ah Elle. — Ta nièce Elisa? La rougeole. Ton Lui.
!
ancien patron, monsieur Chope plus.
?
Il
n'est
Enterré de seconde classe, avec un
corbillard à ressorts et à glands qui dansait
que tu aurais
dit
un
comme pour une d'autres
que
berceau... et des fleurs
horticulture!...
j'oublie.
La serine?
Et bien S'a sauvé
DIALOGUES DE GUERRE
87
de sa cage. Tu ne t'en es point aperçu. Tout ça devrait te divertir, mais, depuis que tu es revenu, t'es insensible.
Ah non, je suis mon homme à !
contente de te voir en face,
moi, avec toutes tes dents et pas un cheveu
me préparais
de moins... mais je
de ta permission. Tu ne
plus d'éclat
l'as
pas curieuse ni
Lui, se rapprochant d'elle.
— Que je t'em-
gaie. Vrai
!
brasse. (//
Plus
me
le fait.)
Et puis rends-le moi...
fort. [Elle le fait .)
Maintenant écoute. Tu
trouves changé d'extérieur, n'est-ce pas?
— Oui. Lui. — du poil de sanglier, Elle.
J'ai
j'ai durci, je suis
plus,
tanné, je ne
cependant...
et
même... Eh bien! à ainsi. J'ai l'air
que
pêche pas
cœur
le
me
maigri,
ressemble
moi tout de
l'intérieur,
en va
il
d'un détaché, d'un type à
secret, parce
classe.
c'est
j'ai
je
Seulement
ne cause pas. Ça n'em-
d'être fidèle. v'ià ce
Il
est de la
qui est arrivé.
Notre capitaine, qui est très pépère,
il
nous
a réunis, les permissions de quatre jours, et il
nous a
dit
:
« Attention, les
bonhommes,
pendant que vous serez loin de chez nous,
DIALOGUES DE GUERRE
88
à Paris ou dans le
la
province Vous avez perdu !
goût de la parole. Continuez.
On va vous
abrutir de questions du matin au soir sur ce
qui se passe
«
à la maison
».
Sourde
oreille.
Moins que vous en lâcherez, mieux ça vaudra. Qu'est-ce que vous leur raconteriez, à vos gens ? Ce que vous avez vu
comme
voyages
les
D'abord à
ne rime plus à
froid, après coup, ça
C'est
?
dans
rien.
pays
les
chauds, quand on dit que pour bien se rendre
compte faut voir ça sur place avec tumes, sans quoi
c'est fade.
les cos-
Et puis vous
auriez beau en ôter, vous en laisseriez de trop tout de
même
et
braves parents et vos
vous troubleriez vos
femmes pour
Les
bien inutilement.
petits
boyau, ça ne regarde pas causer et gardez c'est pas et
le
l'avenir,
le civil.
Evitez de
sourire. D'autant
pour cancaner de
du
fourbis
que
la contre-attaque,
de la cote et du Labyrinthe, que la Répu-
blique vous envoie une minute dans vos foyers,
c'est
pour que vous repreniez
contact et que vous vous fassiez gâter.
le
Com-
Alors on lui a juré qu'on ne dirait
pris?
»
rien.
Faut y
tenir.
DIALOGUES DE GUERRE
—
Elle.
même
à moi...
on
fait pas.
Et puis, je te dis
on
les aura.
se plaît.
On
le
ne la
il
principal
On veut
:
on
les avoir et
tient le bout.
— Tu
Elle, câline.
mon
la guerre,
qui en parle,
la fait. Celui
est bien et
on
que
fort pourtant
— On ne parle pas de
Lui. p'tit,
un peu
C'est
89
ne
me
raconteras ja-
mais, jamais...
—
Lui.
Comment donc! Mais plus tard. Quand ça sera signé. Ah je t'en
Après.
!
enverrai des anecdotes qui sont
touche
(// se
Des choses... qui ne s'ima-
le front.)
ginent pas dans
là.
les bouquins... T'en auras.
Pas peur. Mais au retour, au dernier, au vrai.
Enfin ne sois pas jalouse de là-bas
comme
je vois bien
que tu en as envie.
— Tu devines? Lui. — Oui. [Grave.) Là-bas,
Elle.
te représenter,
le
c'est
si
tu pouvais
tellement sérieux, et
grand, et puis beau... à ne pas trouver de syllabes... qu'on est soulevé, porté plus
que
soi... C'est
de triomphe...
tout le temps Ici,
bon maçon, une
avant, je
haut
comme un arc me sentais un
truelle de Paris, et puis
DIALOGUES DE GUERRE
90
Depuis
c'est tout.
souterraine,
un
fusil
au poing,
seulement senti Français.
que ça
signifiait.
comme
on me
si
Elle, pensive.
que
Lui.
Ça
J'ai
je
me
suis
compris ce
Maintenant,
je
le
sais
l'avait tatoué...
—
Oui.
Ah
toi tu es instruit, tu as
—
à la maison
la guerre,
n'y fait rien.
!
dame
!
parce
du jugement.
Tu
le
sens bien
aussi, toi?
— Depuis que tu me On est des hommes Lui. — Tu vois bien l'as dit.
Elle.
?
tous les deux,
ma
fille.
Pour
le caractère,
s'entend, parce que... [Souriant avec dresse.) Si
Elle.
on
— Ma
hein?
foi oui. C'est
gagné. {Lui pre-
nant la main.) Viens voir dormir [Ils y vont.) Fédéric, bouche ouverte.
avant.
ten-
se couchait,
les enfants
c'est toujours la
LA MARRAINE
VIII
LA MARRAINE M"" DucHAMP, soixante-dix-sept train de tricoter à la fenêtre de sa
a vue,
ans,
est
en
chambre qui
la place des Vosges. Sa Marguerite, douze ans environ, assise
du troisième, sur
petite-fille
à ses pieds sur
un tabouret,
lui lit le journal,
Marguerite, à haute voix.
—
...
Le mys-
térieux silence de Sofia ne laisse pas que d'être assez inquiétant.
Néanmoins...
Ursule, la domestique, faisant irruption.
— Madame, y a M"*' est-il
DucHAMP. ce soldat?
là
un
—
soldat pour vous.
Pour moi
?
Comment
DIALOGUES DE GUERRE
—
Ursule.
Magnifique. Avec la croix de
guerre.
M"" DucHAMP.
— J'y
Ursule.
— Son ai
nom ?
demandé.
Il
]yjmc
—
DucHAMP.
nommera ...
que
c'est
Madame un
pas la peine, qu'il veut voir instant seule, qu'il se
dit
à
elle.
Je n'y comprends
rien.
Marguerite, avec élan.
man, ne
le reçois
pas
!
faux soldat, un mauvais
mine d'y
aller.)
—
homme
Moi, je vais
DucHAMP, la retenant.
M""^
Va dans
chambre,
ta
Marguerite.
;)
Il
[Faisant
— Es-tu
folle ?
S'il
lieu, je
A
peut entrer.
Celle-ci
juste passage à coloi'ée
?
recevoir.
— Mais bonne-maman... — Obéis. y a
assure
(Elle
porte.
le
[Marguerite sort à regret.
t'appellerai.
Ursule
un
tiens.
Duchamp.
M'»^
Ma bonne-ma-
C'est peut-être
et
ses
lunettes
et
regarde
s'ouvre pour donner
la
tout
un hercule en capote dé-
en gros souliers, son képi à
la
main. La croix de gueri'e pend sur sa poi-
une large face blonde dé meunier,
tririê. Il
a
et
en se balançant, un peu rouge.)
il rit,
DIALOGUES DE GUERRE
98
— C'est moi. Cherchez pas. — Qui mon ami? Le SOLDAT. — Plume. Vous y êtes? M™* DucHAMP. — Pas du tout. Pltime du 432*. SecPlume. — Mais
Le soldat. M™« DucHAMP.
ça,
si.
teur 203... Plume, votre filleul
M™« DucHAMP. — Mon Plume. — ...De guerre.
!
filleul ?
dame Duchamp de
Est-ce vous
la place
Ma-
des Vosges?
— Sans doute.
M™^ Duchamp. Ben Plume.
—
M"** DucHA-MP.
vous voulez
vous
alors, c'est
raine de tranchée
ma
mar-
!
—
Je ne sais pas ce que
dire.
Plume, portant sa main poliment à son front.
—
Pardon, Madame. Permission de
parler sans haine et sans crainte M°"^
Duchamp,
—
Parlez
!
?
Je vous
en
prie.
Plume.
— Vous vivez seule
petite-fille,
got,
qui va sur sa treizième,
d'enfant qui est toutes vos
que
ici
si
avec votre
orpheline de père et mère, Mar-
vous ne
heure que vous
et
y a déjà belle montée chez le bon
l'aviez pas,
seriez
un amour
entraillés,
DIALOGUES DE GUERRE
96
Dieu... Je vous répète ce que vous m'avez dit...
M™" DucHAMP, au comble de
la stupeur,
—
Moi?... Je vous ai dit?...
— Attendez
Comme je suis tout mon côté, et que je me plaignais de n'avoir personne à qui me dorlotter en ville et qui me conte des choses, Plume.
seul,
j'ai
moi
!
aussi, de
demandé par
le
journal une marraine
de guerre.
M™* DucHAMP.
— Quel journal
?
Plume, montrant /'Intransigeant resté ou-
— Celui-là que vous
vert sur la table.
Vlntran. Oui, bien.
vient chez nous.
il
On
lisez,
l'aime
Alors vous vous êtes déclarée... et
puis on s'est accroché. M""^
Ah
ça
DucHAMP. !..
mon nom j'ai
mon ami
.
Plume.
— Hein? Moi
— Mais et
mon
?
Accrochée
?
!
dame
oui
adresse...
!
J'avais
Dans
donné
la huitaine
reçu avis que j'étais retenu par « une
vieille
grand'mère
».
C'était ce
que
disait
la note.
M"**
DucHAMP.
Mais non
!
—
Mais non
!
Mais non
!
DIALOGUES DE GUERRE
—
Plume, qui va toujours.
m'avez
Et puis vous
écrit.
M"° DucHAMP. Plume.
— Jamais
— Six
DucHAMP.
M"""
Plu3ie. — ^jme
97
fois.
— Oh
Oh
!
Et je vous
DucHAMP.
!
ai
!
répondu autant.
— En cc cas, vous avez mes
lettres ?
Plume.
— Un
peu.
DucHAMP. — Montrez-les. Plume. — Ça sera pas long.
M""®
(//
débou-
tonne sa capote.) Parce que, je vous cache pas, je
commence
ayez pas
l'air
à être rabroué que vous
me
de
croire. Je
vous parle
honnêtement moi. Madame, d'un bon cœur bien reconnaissant... aussi vrai que je m'appelle
Plume,
^jme
fort de la Halle...
DucHAMP.
Plume.
—
— [Sans
verte, avisant tout
du doigt sur
Moutrez-lcs moi. Vite.
se presser, sa capote
à coup
ou-
et faisant sautiller
la ceinture qui lui couvre le
ventre une breloque de métal attachée à sa
chaîne de montre
:)
A
preuve encore, tenez
le p'tit sifilet-boussole
cadeau
!
que vous m'avez
!
fait
DIALOGUES DE GUERRE
98
—
M*"^ DuciiAMP, pressante.
Les lettres?
Plume, sortant un calepin en lambeaux en extrait un paquet de
qu'il entr ouvre,
lettres et les lui tend.
— Les
v'ià, là
!
M™^ DucHAMP s'en empare vivement, regarde une enveloppe, ouvre une lettre et Ah mon Dieu pousse un cri.
—
!
!
— Qu'est-ce que vous avez?
Plume.
M"*^ DuciiAMP, qui s'est levée, appelant.
Margue-rite
Margue-rite
!
Marguerite aussitôt
!
à la seconde.
là,
Ma bonne-maman ? M""^ DuciiAMP, sévère, lui
sous
le
lettres à
lons?
nez.
—
mettant
C'est toi qui
Monsieur
?
les lettres
as écrit ces
[Silence émouvant.) Al-
Ne mens pas? Nous savons
entends
Tout
?
Marguerite,
maman,
c'est
!
Réponds
très
calme.
tout, tu
!
— Oui, ma bonne-
moi.
M™« DucHAMP.
— C'est
toi
!
mains ridées se joignent.)
(Ses
Marguerite. [Pas un atome de remords.)
—
Oui,
Plume
:)
ma bonne-maman. Bonjour.
[Et souriant à
DIALOGUES DE GUERRE
—
Plume, abasourdi.
champ :) rite se
:)
Alors, c'est pas vous
C'est
vous?
frappe sur
encore !.,.
champ
?
[A Margue-
à ébranler l'appar-
écoutez, je
!
fameux
plus
[A i/™® Du-
C'est la p'tiote qui... (//
les cuisses,
Ah ben
tement.)
rab
Non?
99
trouve
mignon, rab de M"^ Du-
et
(Se reprenant, tourné vers !)
Vous fâchez pas ? Ça me quand je pensais que
bien, parbleu,
vous, la grand'mère, qui
de savoir à présent que
ma
me
et
que
même,
est-ce
:
!
me Vous
fait le
flattait
c'était !
Mais
demoiselle
Mon
je lui répondais
bienfaitrice... ça
plus de plaisir
protégiez
c'était la
marraine qui m'écrivait
fant...
ça
:
cher en-
Vénérée
peut-être encore
comprenez tout de
pas? Mettez-vous à
ma
place?
Et quand ça ne serait que la façon qu'elle s'y est
prise,
faut bien se dire que c'est
rusé, oui, et rigolo
M™* DucHAMP,
!
sérieuse.
—
C'est très vi-
lain.
Plume.
— Oh
?
— Ma bonne-maman M"® Duchamp. — Vous ne
Marguerite, câline.
Plume, à
pensez point?
!
le
DIALOGUES DE GUERRE
100
M™^ DuGHAMP. Plume.
Si,
Monsieur.
— M'appelez pas monsieur. Ça me
rend pâle.
voyons
—
Puisque
suis
je
votre
filleul,
?
M""® DucHAMP.
— Pas
mien, non.
le
Plume, montrant Marguerite.
—
Je veux
dire le sien.
—
DuciiAMP.
M™"^
ce qu'elle a fait?
Plume. raine
!
Encore moins
Ah
— Allons
!
Après
!
par exemple Bon Me v'ià sans mar!
!
!
Après que j'en avais quasi deux
!
N'y
a que moi d'innocent dans tout ce rafFut-là, et c'est
moi qui trinque
(A
Duchamp
i/™*'
:)
!
C'est pas juste.
Ainsi, c'est vrai que
vous nous en voulez? M"*'
Duchamp.
— Pas à vous.
Mais à ma-
demoiselle.
Marguerite, réprimant un
rire.
—
Ma
bonne-maman...
petite jyjme
Ducuamp, à Phmie.
— Elle m'a trom-
pée.
Elle a guetté le facteur. Elle a imité
mon
écriture.
Marguerite.
— Non, bonne-maman
!
{Mon-
trant les lettres.) C'est bien la mienne, vois C'est pas tremblé.
?
DIALOGUES DE GUERRE
—
Plume.
Dame non
!
On
101
sent qu'elle a
pas peur.
DucHAMP, à sa petite-fille.
M'"°
Tu
tu t'es fait passer pour moi. toi,
—
as parlé de
en t'adressant des compliments
— Et un peu mérités.
Plume.
Avec
Enfin,
!
Dame
oui.
le motif.
DucHAMP, à Plume.
M""®
— Ah
!
c'est joli
!
Je vous conseille aussi, vous, de prendre
son parti Plume.
!
— Je ne peux pourtant pas
la lâcher,
voyons? Après ce qu'elle a fait pour moi? C'est maintenant à la vie à la mort nous deux.
ment reuse
— Mais pourquoi...
DucHAMP.
M""®
diable as-tu fait ça, petite
et
com-
malheu-
?
—
Marguerite.
C'est d'avoir lu dans le
journal que des soldats demandaient
marraines qui m'a donné M'"^
— Tu ne pouvais pas me
Duchamp.
dire? J'étais
des
l'idée. le
là.
Marguerite.
— Tu
n'as pas le temps. Et
puis ça n'est plus de ton âge. M'"''
Cette
Duchamp.
mouche
!
— Mon âge
Comme
!
Dirait-on pas?
si j'étais
en enfance?
DIALOGUES DE GUERRE
102
Marguerite.
maman.
C'est
— Bien sûr que non, moi qui
le
bonne-
suis en enfance,
Mais tu n'aurais pas pu. Tu es trop bonne. Je te connais. Si tu avais eu un filleul, tu aurais pleuré à chaque com-
ta petite-fille.
muniqué.
—
G'est-il pos-
aurais
cru tout le
Plume, à M™^ Duchamp. sible ?
Marguerite.
temps
—
Tu
la la
!
Valait bien
ça soit moi, qui ne suis toi,
tombée mieux que pas bonne comme
qu'il allait périr, et tu serais
malade. Tra
qui suis dure, moi
!
Plume, riant. — Ah Marguerite. — Mais certainement !
grand'mère
:)
la la
Demande-lui
!
si
je
ne
!
[A sa
l'ai
pas
grondé? Plume. le
— Un
cafard,
et
qu'on avait
soir sans lune,
que
je lui avais écrit,
c'est
vrai.
— Ah
Marguerite, à sa grand'mère.
Plume. — Mais ce qu'elle ne qu'elle
m'a bien
nez violet, en
mon
bazar.
gâté, aussi.
Un beau
soie de laine.
!
dit pas, c'est
11
cache-
est resté à
DIALOGUES DE GUERRE
— Oh
M™" DucHAMP. vais tricoté
c'était
!
103
moi qui
l'a-
!
Plume, amusé.
—
Ah
bah ? Je
!
non. Vous êtes bien aimable.
dis pas
—
Et tu m'aM™^ DucHAMP, à Marguerite. vais raconté que tu l'avais perdu dans le Métro Petite menteuse Et du chocolat français... du Plume. !
!
—
perlô... M""^
DucHAMP.
quoi?...
que tu
— t'es
Qu'est-ce que c'est?
Du
permis?
—
Marguerite, shiiple.
du tabac,
C'est
bonne-maman. Plume.
— Oui, tabac,
c'est son
tandis que perlô c'est son
— Et tu — Y a pas de
je
me
mal.
rappelle... vingt francs
de guerre
nom de civlô, de soldat.
Ah
Tu vas
bien, toi
Marguerite. voyons,
!
pour
et puis,
ma
croix
!
M™^ DucHAMP, à sa petite- fille. lire.
mots-là?
sais de ces
M™® DucHAMP. Plume.
nom
—
— Ta
La
bonne-maman
croix !
de
Tu ne
— Certainement
guerre,
les aurais
donc pas donnés, toi?
M"* DucHAMP.
tire-
!
si.
DIALOGUES DE GUERRE
104
Plume, confus.
maintenant.
J'ai
— Oh
!
écoutez
Marguerite, admirative. ce qu'il a
mon
—
Plume.
C'est trop,
— Si vous saviez
bonne-maman! [A Plume.)
fait,
Dites-lui,
!
honte.
filleul.
Ça vaut pas d'en
parler. C'est
du métier. M"""^
DuciiAMp.
moi qui vous
le
—
Dites-le, allons? C'est
demande.
se tait.)
(Il
Marguerite, à Plume.
— La citation, toute
simple? Plume.
— Après guerre. Ça me — Eh bien, je vais la
Marguerite.
moi. {Elle récite
:)
Soldat Plume, 432^ d'in-
fanterie. Très belle attitude
deux
gêne.
le dire,
au
feu.
Blessé
fois.
— Deux — Plume. C'est guéri. Marguerite. — Pour être M"»*
DucHAMP.
fois ?
Où ?
allé à
deux
re-
prises chercher sous la fusillade, entre les lignes, son lieutenant et son adjudant gra-
vement
atteints et les avoir rapportés l'un
après l'autre sur son dos.
DIALOGUES DE GUERRE
— Vous avez
^{me DucHAMP.
105
ça
fait
Plujie. [Haussement d'épaules.)
bitude.
?
—
L'ha-
me
Je suis fort à la Halle. Ça ne
Du monde
coûte donc pas. pareil. Et le
monde,
c'est
ou des sacs, c'est
moins lourd. [En-
gageant.) Je vous porterais bien toutes les
deux ensemble,
fallait, allez
s'il
M""' DucHAMP, effrayée "pour
sayez pas
Plume.
!
rire.
— N'es-
!
—
Ils
m'ont
cité
pour
pou-
ça. Je
vais guère refuser. Mais y avait pas de quoi.
On
tâchera mieux la prochaine. Mais avec
temps
tout ça le
retourner
m'en
se gaspille, et faut
!
M"* DucHAMP. Marguerite.
— Déjà? — Oh vous !
allez rester ?
Dîner avec nous? Bonne-maman? Plume.
— Je peux pas.
vais qu'un trains,
je
moment
de passage, entre deux
avant de regagner... Alors
veux pas traverser
remercier je suis
C'est l'heure. J'a-
ma
Paris,
marraine
j'ai dit
bon Dieu
donc venu. Et puis tout ça
non
!
sans
et voir sa figure.
rivé... toutes ces anecdotes... Et
attendais pas,
!
Enfin,
on
que
:
Et
est ar-
je
s'est
m'y bien
DIALOGUES DE GUERRE
106
amusé
môme. Et
tout de
puis, voilà.
Au
revoir, sans adieu. Et merci à toutes deux,
madame
et l'enfant. (// s'émeut.) J'aurais ja-
mais cru que ça soye possible de rencontrer bonnes gens...
d'aussi
toutes les deux des
et si âgé...
si petit,
mamans
qui se valent...
Merci. Je ne serai pas ingrat. Je vous ferai
une bague.
faire
— Oh
DuciiAMP.
M'"''
!
Il
y a longtemps que
je n'en porte plus!
Plume.
—
Alors
un
bracelet,
pour la pe-
tite ?
Marguerite. Plume.
—
—
Oh
!
oui,
bonne-maman
!
Et puis dame, y a une chose
que j'aimerais par-dessus tout. Quoi donc? M""^ DucHAMP.
—
Plume.
—
Embrasser
ma
[Tourné vers M"'° Duchamp, front
Permission
:)
crainte M"""
?
marraine.
main au
la
Sans haine
et
sans
?
Duchamp.
Plume.
—
—
Ouste
Embrassez-la. !
(// l'enlève
à bout de
comme un
verre, et l'embrasse sur les
deux joues.) Ça
va. [La reposant:) Et c'est
bras,
pas
fini,
hein
?
Je suis toujours votre en-
DIALOGUES DE GUERRE
fant
?...
Dites,
et
vous
ma
bienfaitrice
Madame Duchamp ? Ça
M'»« Duchamp.
Plume. (Il
—
On
—
i07
Oui.
part bien.
salue, et sort heureux.)
vénérée?
continue
?
AU
P. C.
IX
AU Dans
le
P. C,
P. G. (poste de
commandement),
sis
à vingt mètres de la première ligne, le Capitaine
Lauzet
et le
Lieutenant Galopier, du
...^
d'in-
d'automne. A la lueur d'une bougie fichée dans un carré de bois, fanterie,
ils
sont assis,
un
fument, sans rien dire,
soir
le
capitaine sa pipe, le
La fumée monte aux rondins du plafond bas. Au souffle du vent, par instants, la portière en toile de tente bouge. Deux lieutenant une cigarette.
planches formant rayons sont chai'gées de livres
brochés et de boîtes de conserves. Sur un guéridon rustique, la carte et les dossiers du secteur, retenus par un éclat de 77 en guise de pressepapiers. A une branche fichée dans la paroi pend un revolver dans son étui. Sur le sol garni de
DIALOGUES DE GUERRE
112
plaques de liège, un verture.
Un
de paille avec une cou-
lit
petit poêle de fonte, allumé, brû-
lotte.
— A quoi pensez-vous? Le lieutenant. — Qu'avec ce trognon de
Le
capitaine.
bougie nous avons
de mettre du vin en
l'air
bouteilles.
Le
capitaine.
— Exactement. Et comme
il
est tiré...
—
Le lieutenant.
faut le boire.
11
(Soupir et boufFée.)
Le c'est
capitaine.
nous ou
—
Mais, je ne sais pas
le poêle,
que ça sent un peu
cher ami, on dirait
spleen?
le
Le lieutenant, reniflant poêle.
Le
capitaine.
fait rien.
—
l'air.
— C'est
le
Je m'en doutais. Ça ne'
Combattons
Le lieutenant.
si
—
I
Vite, le chant
11.
Vraiment? Vous vou-
lez? Bien. [D'une autre voix et avec beau-
coup de goût
:)
Telle qu'une bergère au plus beau jour de fête De superbes rubis ne charge point sa tête,
Le capitaine, approuvant.
— Parbleu.
h3
dialogues de guerre
Le lieutenant.
—
Et sans mêler à l'or l'éclat des diamants, Cueille en un champ voisin...
Le sin
capitaine.
—
Ah
!
Ah
Le champ voi-
!
!
Le lieutenant.
— beaux ornements, mais humble dans son
...ses plus
Telle, aimable
en son
air,
[style.
— Ah mais non Mais non — Quoi? — Déjà Nous en étions
Le capitaine. Le lieutenant. Le capitaine.
!
dit!
plus loin. J'en suis sûr.
— Oh? Le capitaine. — Mais oui. Le lieutenant. — Le lieutenant.
La plaintive élégie en longs
— Plus Le lieutenant. — Le capitaine.
Le rondeau, né
habits...
loin.
gaulois, a la naïveté?
— Après Le lieutenant. —
Le capitaine.
le
rondeau.
Juvénal, élevé dans les cris de l'école,
!
DIALOGUES DE GUERRE
114
Le capitaine.
—
Voilà.
Nous en
étions
restés à Juvénal. Marchez.
Le lieutenant. Poussa jusqu'à
Un
—
l'excès...
—
sergent, soulevant la toile d'entrée.
Mon
capitaine, n'y a pas assez de barbelés
pour
faire
Le
deux lignes de réseau.
— N'en
capitaine.
faites
qu'une. Et en-
foncez toujours vos piquets de deuxième
rangée. Vous n'aurez plus qu'à poser les
fils
la nuit prochaine.
— Bien, mon capitaine.
Le sergent. (Il
Le quoi
s'en va.)
capitaine,
au lieutenant.
—
Poussa
?
Le lieutenant.
— ...sa
mordante liyperbole.
Le capitaine, qui regarde par
la fente
de
— Une fusée à eux. Le lieutenant. — Dites donc, Lauzet, vous
la portière.
tenez beaucoup à Despréaux, ce soir?
Le
capitaine.
— Mais oui, j'aime bien son
vers, ça ronfle, ça fait moteur.
Le lieutenant.
—
Il
m'endort.
DIALOGUES DE GUERRE
Le
— Vous
capitaine.
Le lieutenant. Je
le
Un
?
Normale
Sorti second de
115
universitaire
!
!
— Ce Boileau m'assomme.
connais trop.
Le
—
capitaine.
Eh
bien, chantez autre
chose.
Le lieutenant.
—
Non, cher ami.
leurs, c'est à vous. D'après le
D'ail-
programme,
nous devons, pour chasser le papillon boche, fonctionner à tour de rôle. Avant-hier,
chant
récité tout le c'est à
Le
I"""
j'ai
de l'A. P. Ce soir,
vous de jouer.
—
capitaine.
Mais je ne
sais pas de
vers, moi.
— Tirez en prose. [Détona^
Le lieutenant. lions.)
Bon
!
Du
Le capitaine. tecte,
shrapnell
!
— Je suis un pauvre archi-
ignorant de tout. De quoi diable vou'
lez-vous que je vous parle?
Le lieutenant.
—
De votre métier, de
votre art.
Le
capitaine.
— Ça vous ennuiera
et
vous
n'y comprendrez rien.
Le lieutenant.
Le capitaine.
— Ne vous
inquiétez pas.
— Soit. Le temple grec? Hein?
H6
DIALOGUES DE GUERRE
— Ça va. — Le temple
Le lieutenant. Le capitaine.
— Bah — Mais oui. Au sommet du
Le lieutenant.
Le
grec, c'est le
du lotus égyptien.
piédestal
capitaine.
?
temple grec, qu'est-ce
qu'il
y a
?
Vous
le sa-
vez bien?
— Non. — Gachotier!
Le lieutenant. Le capitaine. savez
Mais
vous
si,
soleil,
il y a lacrotère, c'est-à-dire le né d'une fleur de lotus, lotus lui-
même
modifié en rosace, développé en pal-
le
;
mette. Le
ciel,
autrement
dit la corniche,
recouvert de lotus ondes.
c'est le Nil céleste
La foudre, autrement
dite la frise, s'inscrit
sous la forme d'un sépale de lotus évoluant
dans l'espace. Les colonnes sont des
ceaux de papyrus
;
les
boutons
fais-
et les fleurs
de lotus les chapiteaux. Enfin l'âme humaine... (La tête d'un caporal passe hors de
la
por-
tière.)
Le
— Quoi, caporal? — Mon capitaine,
capitaine.
Le caporal.
dule qui vient d'être blessé.
Un
c'est
Pen-
shrapnell.
â
DIALOGUES DE GUERRE
Le
capitaine.
Le caporal.
— Où ça? —A
la tête.
H7
Il
est
là qui
coule. Mais je le tiens. (Il
soulève la portière derrière laquelle
on voit Pendule
qui, tranquille, saigne
au
front, très fort.)
Le capitaine, à Pendule.
Un
cU)nc?
petit
Pendule.
— Eh bien, quoi
trou?
— On —
le dirait,
mon
capitaine.
Le caporal. Ça sera rien. Le capitaine, à Pendule. Quelle idée
—
Comment vous y Pendule.
dans
le
—
C'est
créneau,
en tapotant un sac à terre
mon
entendu venir, mais
Le
capitaine.
!
ôtes-vous pris?
capitaine. Je
j'ai
ben
pas pu l'esquiver.
— Ça vous
Pendule. — Ça me Le capitaine. — Allez
l'ai
fait
mal?
bat.
firmier, qu'il
vous fasse un premier panse-
ment. [Au caporal et
son
on
:)
fusil, puisqu'il
Pendule.
vite trouver l'in-
Qu'il
emporte son sac
peut marcher.
— Yez pas peur, mon capitaine,
les lâche point;
(La toile retombe.)
DIALOGUES DE GUERRE
118
— Que disais-je? Le lieutenant. — Enfin l'âme humaine... Le capitaine. — Oui. Ça sera pour une Le
capitaine.
autre
Aii
fois.
l'architecture,
!
Nous y sommes en
Galopier!
plein. Diodore de Sicile
raconte que les Lybiens et les Ligures couchaient dehors,
taient les cavernes.
ne sommes même
Troglodytes
les
et
C'est notre cas.
habi-
Nous
pas encore montés à la
période de la cabane en roseaux.
—
Le lieutenant.
ment l'époque de
Quand
la tente,
arrivera seule-
de la bonne tente
de Ghâlons?
Le peste
capitaine. 11
!
— Mais
la tente,
a fallu des siècles
mon 11
!
d'abord la vannerie, oui, qui a créé
cher,
y a eu le tissu,
lequel, de plus en plus fin, a créé le cos-
tume,
et puis la tente...
Mais on nous écoute
derrière la toile. Qui est là?
Un
mon
soldat, passant la capitaine, c'est bien
Le capitaine.
— Oui.
tête. ici la
—
Pardon,
17"?
Qu'est-ce que vous
voulez?
Le soldat. est là avec
—
Mon
capitaine, c'est qu'on
un autre brancardier.
H9
DIALOGUES DE GUERRE
— Pourquoi faire? — mort. Pour enlever Le soldat. n'y a Le capitaine. — Quel mort Le
capitaine.
le
? 11
de mort.
Le soldat.
—
C'est
pas
qu'on m'avait dit au
poste de secours...
Le
—
capitaine.
qu'il n'y a
tant pas
Puisqu'on vous répète
pas de mort. Je ne peux pour-
vous en
Le lieutenant.
un
faire
mort! Connaissons pas
—
Ah
!
Rompez
!
Un
ça.
voilà le fourrier
!
!
[Le fourrier entre.) Pas de lettres?
— Non,
Le fourrier.
mon
capitaine. Rien (Il les
dépose
mon
que
les
lieutenant. Ni
journaux.
et s'en va.)
Le capitaine, au lieutenant qui en parcourt un.
— Quoi?
Le lieutenant,
lui
montrant deux colonnes
— Blanc partout. — Russes? Domino. Et Le capitaine. emLe lieutenant. — Continuent de
supprimées par la censure.
les
les
mener... voir
Le donc
si j'y
suis!
capitaine, prêtant l'oreille. !
On
dirait
(Ils
écoutent.)
—
Ecoutez
que ça remue dehors
!
DIALOGUES DE GUERRE
120
— Non.
Le lieutenant.
La province.
— Quelle heure Le lieutenant. — Vingt-deux et dix. Le
capitaine.
?
Le capitaine.
—
moment où
C'est le
ils
marmitent.
— Pas ce — Mon capitaine,
Le lieutenant.
soir.
le comUn sergent. mandant vous demande au téléphone.
Le
creusé
le
on a dû
C'est bon. Est-ce qu'on a
boyau vers Z 4?
—
Le sergent. Le
—
capitaine.
Oui,
mon
capitaine. Mais
s'arrêter.
x:;apitaine.
Le sergent.
— Pourquoi? — A cause d'un
cadavre de
Boche.
Le
capitaine.
— Ah
!
Et sur les vingt-deux
autres dernièrement enterrés on a l'orge,
comme j'avais
Le sergent. bien
fait.
(Il
Le
A
semé de
dit?
— Oui, mon capitaine.
pleines mains.
On
l'a
,
sort.)
capitaine.
— Je vais au
Je crois que pour ce soir,
Le lieutenant.
— Oui,
le
commandant.
hein? temple est fermé.
DIALOGUES DE GUERRE
Le
121
— A tout à l'heure.
capitaine.
Le lieutenant resté seul allonge le bras, prend un livre sur la planche... et à ce moment, dans un épouvantable fracas, un (Il sort.
obus s'abat sur moitié le
toit.
le
poste, éclate et défonce à
Tout
est bouleversé. Aussitôt,
du dehors. On accourt des
cris
dans
penché sur
ami
corps
par
répond.) Il
le
trou
?ioir.
l'ouverture.)
Ah
!
les
premiers,
— Galopier! Cher
mis à genoux
(// s'est
!
et
a passé son
Galopier
!
[Rien ne
Je le sens. Je touche sa jambe.
Tout
n'est pas enterré. (// se relève.
monde
s'y
même
poste éboulé.)
le
Le capitaine, revenu parmi et
difféi^ents
peut pénétrer tout de
On
boyaux.
met.) Le voilà! On
le
Tirez...
l'a...
Doucement... (Le lieutenant est dégagé avec précaution. Il
sa
est inanimé, tenant toujours
main
comme on il
ouvre
son
livre
dans
crispée, sans blessure apparente. Et
les
le
touche déjà pour l'ausculter,
yeux, sourit et se dresse sur son
séant.)
Le lieutenant, d'une voix douce
:
Ainsi qu'une bergère au plus beau jour de fête.
122
DIALOGUES DE GUERRE
[Apercevant
le
brancardier :) Puisqu'on vous
dit qu'il n'y a pas de
Le capitaine.
mort à
la
17% voyons
— Vous m'avez
Le lieutenant, tendant son
fait
livre.
!
peur.
— Je
li-
sais.
Le
capitaine, lui prenant le livre et regar-
— Phédon. Le lieutenant. — Quand patatras... [A un
dant
le titre.
soldat qui est à quatre pattes près de lui
Ah
:)
ça? Qu'est-ce que vous cherchez, vous?
Le soldat.
—
La bougie,
mon
lieutenant.
LE TABLEAU
X
LE TABLEAU A
du front, pilé et repilé, des chicots et des tas que dont il de pierres. Au tournant de ce qui fut une rue, entre deux chantiers d'indescriptibles débris de ce que furent des maisons, une auto militaire, G...,
un
petit village
ne reste rien
arrivant en rude vitesse, s'arrête net, dans
l'es-
en sort deux personnes, un capitaine, qui saute, et un civil, qui descend, ce dernier en complet de voyage, casquette anglaise et leggins. Il prend un sac de cuir qui
pace de vingt mètres.
Il
du chauffeur. Huit heures du matin. Beau temps d'avril. Le désert.
était près
— C'est Le capitaine. — C'est Le
civil.
ici? ici.
DIALOGUES DE GUERRE
126
Le
civil.
— Quelle dévastation!
—
Nous n'avons rien de mieux comme modèle. Etude de ravage du cours supérieur, huitième cahier. [Le monLe
capitaine.
sieur regarde avidement tout autour de lui.)
Ça vous plaît? Le civil, avec un accent d'émotion cère.
—
C'est magnifique.
pas une âme
Le
Mais...
il
sin-
n'y a
?
—
CAPITAINE.
Si.
Seulement
sont toujours invisibles, vous
deux ou
le
âmes"
les
savez bien.
trois.
Pas plus. Et je
vais en évoquer une. Tenez,
une bonne âme
Il
en reste
ici
de mes amies qui ne doit pas être loin. lant vers
le
(.4/-
rez-de-chaussée d'une petite mai-
son éboulée,
et
donnant, près d'un soupirail,
un coup de pied dans un volet de grenier encastré parmi les ruines.) Mère Tricot? Hé? C'est moi, votre
neveu
!
— Ah Madame est votre Le Le capitaine. — Sans doute. Tous civil.
!
t...
les offi-
ciers et les soldats sont ses
aviez
un
s'ouvre, et la la voilà
!
neveux. Si vous
képi, vous le seriez aussi. [La porte
mère Tricot
sort de terre.)
{Une paysanne dégourdie
Ah
!
et sacca-
DIALOGUES DE GUERRE
dée, sans âge, à Vœil vif,
qui tout
gauche.
le
airs de poule,
temps inspecte, à droite
Comme
moitié des
aux
127
il lui
dents, elle
et
à
manque par devant la un cré-
parle à travers
neau de gencives blanches plus dures que des os, et elle tient sur un ventre grossi par des épaisseurs de jupes
couleur pain desquelles
brille
deux mains immenses,
à presque tous
bis,
l'argent
les doigts
d'une bague
de
guerre d'un différent modèle.) Bonjour, mère Tricot
!
—
La Tricot. une fois de pu ? Le capitaine. civil.)
est
G'est-i vous,
—
mon
n'veu,
Oui, mère Tricot. [Au
Madame que vous
voyez,
une brave. Elle a subi
ma
tante,
la bataille,
le
bombardement, l'incendie, toute la lyre. quand même, avec une dou-
Elle est restée
zaine d'autres enragés qui n'ont pas voulu
non plus
quitter leurs pénates. Elle vous
soignera bien. {À la bonne femme.) Mère Tricot, je
vous recommande Monsieur. C'est
un grand
artiste.
Faites pour lui
Il
va loger chez vous.
comme pour
La Tricot. — J'y
vos neveux.
ferai donc. Je lui
don-
DIALOGUES DE GUERRE
128
nerai son manger, et pi son coucher. Jus-
qu'à quante?
— Jusqu'à demain; j'aurai rechercher. Le capitaine. — Je viendrai
Le
fini.
civil.
le
[Au
civil.)
A
mon cher
demain,
maître.
Bon
travaiL
— A demain, capitaine. Le capitaine. — A demain, ma bonne tante.
Le
civil.
saute dans Tauto qui a tourné pendant
(Il
cette petite conversation, et
La
Tri€ot.
il
est déjà loin.)
— V'nez que je vous conduise
à not' cabajou. C'est en bas.
Le
civil.
moment, je
— Plus tard.
je n'ai pas
Madame. Dans
ce
une minute à perdre
et
profiter de la lumière.
veux La Tricot.
— Quoi que vous
Des espériences
Le boîte,
civil,
bois? G'est-i les
articulé. !
— Je peins.
Et quoi donc ?
murs?
G'est-i
1'
G'est-i
fer?
— Très rarement. La Tricot. — L' papier en rouleaux — Surtout A Le Le
donc?
qui a ouvert son sac, sorti uni
un petit pliant
La Tricot. — Hella
r
faites
?
civil.
civil,
la toile.
?
plat.
{En
DIALOGUES DE GUERRE
montrant une sur un voyez- vous
tableaux
châssis.)
Comme
Vous
un
— Ah oui
!
êtes
faiseu
?
— C'est ça même. La Tricot. — Oui... Le
ça,
?
La Tricot. d'
129
civil.
oui...
oui...
oui...
Alors c'est pour peinde que vous jurez que
vous êtes venu de
ben sûr?
Le
loin? D' Paris p't-ôtre
si
A moins
qu' d'Angleterre?
— De Paris. Tricot. — Mais, mais,
civil.
La
qu' vous
voulez peinde,
mais...
mon
Quoi
pauv' cher
ami. Ya pu rien. C'est pas ce qu'est pu rien
que vous voulez peinde? Le civil. Si, ma bonne dame, c'est justement cela. Je suis peintre de rien.
—
La Tricot.
mou ri
d"
Le peintre. (II
La
—
Quel métier! Vous d'vfz
faim?
a
—
Pas toujours.
commencé son
Tricot, qui
le
regarde.
allez représenter sur vot' pitié qu'est là
Le peintre.
esquisse, vivement.)
par terre
— Oui.
— Ainsi vous
tambour toute ?
celle
.
DIALOGUES DE GUERRE
130
La kl
Tricot.
—
Vous y mettrez-t-y point
monde?
— Personne. Tel que ça — Tant La Tricot. Le PEINTRE. — Pourquoi? La Tricot. — Parce qu'avec du monde ça Le
PEINTRE.
est.
pire.
serait
pu
plaisant.
Une
supposition, tenez,
qu'vous mettriez T grand crevé?
Le PEINTRE.
— Qu'est-ce que
c'est
que
le
grand crevé?
La
Tricot.
—
Non. Ça vous
dissiperait.
J'm'en vas. (Fausse sortie.)
Le
PEINTRE.
La
Tricot.
maison
oii je
— Racontez. — Y en a de trop.
Ainsi
c'te
vivais en joie depuis des an-
nées que défunt
mon homme
est mort, et
r bon Dieu ne nous a point voulu d'enfants. eh bien
c'te
petit jardin
maison,
que
j'
elle a croulé...
.
Un beau
cultivais, avec de la coc-
cigrole, des fussias, des clefs-de-paradis...
il
n'existe pu. Mais c'est les coups de canon, y a rien à dire. Ma vache et ma chèvre, ils
ont été pris par les Prussiens mais bien payé, y a rien à dire.
i
m'
Un neveu
l'ont
de
ma
d
DIALOGUES DE GUERRE
sœur
à Arras,
établi
131
qu'a péri dans
les
Flandes, mais c'est pour la France aussi, je
m' plains
quand
i
pas,
y a rien à
mettent
le
que
dire, tandis
feu esprès, sans raison,
aux moments où on n'se bat pu,
y a à
là
dire.
Le PEINTRE.
La
Tricot.
— Et — C'est
le
grand crevé?
une histouère que
je
n'aime point. Si vous m' jurez qu'a vous fera plaisir...
Le PEINTRE.
La
Tricot.
— Je vous jure. — En ce cas oui. Les le
Boches
sont venus en premier, et puis les nôtres les
a chassés, à coups de fusil et de tout
Deux jours deux
sabbat d'enfer! restée dans
ce soir, à
se refroidir, et tout le
tuer plus loin.
de
On
mon
monde
si
et puis
fini
par
s'en est allé se
n'entendait goutte. Alors trou. C'était le soir
jour encore. Ça brûlait en
mon, Dans
Quel
ma cave, où vous allez coucher me faire pas pu grosse que le
pouce. Et puis au bout au bout ça a
j'ai sorti
!
nuits je suis
mais
face, chez les Sal-
pas que chez eux, partout.
le village
rendu à bas,
aplati
comme
on aurait tapé dessus à coups de tonnerre,
DIALOGUES DE GUERRE
132
y avait presque pu personne. Une dizaine. Et encore y en avait pas dix. Six, sept. Pendant ces deux jours de malheur tous partout
tis,
Louis
droit,
sans savoir.
Où que
!..,
t'es
—
Arrive,
«
maman?... Veille ben
ta p'tite sœur, Yolande!... C'est la
monde!... se
fm du
Des gens inquiets, quoi! qui
»
tourmentent! Mais voilà qu'en remon-
tant, sur le seuil, juste là oii
que vous êtes
sur la pointe de vos trois bouts de
assis
bois, je vois
un Boche.
C'était lui.
— Le grand crevé? — Oui... Pourquoi La Tricot. Le peintre.
j'
l'appelle
comme ça ? Parce qu'il l'était, tiens Et bien! Un géant de la foire. M'est arrivé do voir des hommes par terre, j'en ai jamais !
vu un
pareil.
De quoi en
faire deux, et pas
des petits.
— Gomment La Tricot. — Je ne
Le PEINTRE.
était-il?
sais, je n' l'ai
Il
tait
Non,
j
sur le ventre et je l'ai
enjambé,
il
l'ai
barrait
pas
fixé.
pas retourné.
ma
porte, et
venu mouri là, j' l'y ai laissé. après que j'ai eu fait un tour de dit le bonjour aux voisins, comme
puisqu'il tait
Et puis,
ronde et
i
DIALOGUES DE GUERRE
y avait rien moi. Mais tait
à glaner dehors, j'ai rentré chez
le
toujours
voler. Alors
133
lendemain
il
a
et puis le surlen,
il
Bien sûr, pouvait pas s'en-
là.
commencé de me
vexer. J'y
aurais ben touché, c'est pas que j'aye du
mouver dame il tait
dégoût... mais je préférais pour le
en compagnie,
d'être
et aussi
tellement lourd et vorumineux qu'à
moi
toute seule, quoique je soye forte, j'aurais
pas pu l'avoir. «
En
Alors
— Bien
sûr, qu'ils
demain.
»
m'ont
Mais tous
et puis rien
jours
du
les
tout, le
Une semaine
là.
j'ai dit
aux autres
Faut que vous
v'ià assez!
dit,
demain
de compte
Tricot.
Il
:
«
:
l'ôtiez!
ça sera pour s'écoulaient,
grand crevé
tait tou-
ainsi. J'avais pris co-
lère avec les autres parce qu'ils dit, fin
me
m'avaient
Ecoutez, non, mère
est à vous, çui-là, sur vot' seuil,
Nous en avons déjà ôté sept de chez nous. Chacun sa bille. Tout ce qu'on peut faire, c'est de creuser un trou, c'est à
en
face...
Ben,
me
vous
si
d' l'ôter.
Mais pour
v'ià coquette
ment
l'y porter, serviteurs. »
mon
c'est ça
!
j'aurais su,
butin, que je pense,
Comment faire ? Si seulecomme les cirurgiens que
DIALOGUES DE GUERRE
434
découper en
j'avais vus, F
mais faut savoir,
p'tits
je n'savais pas.
morceaux,
En
plus de
il s'abîmait. La froumi en d'venait gourmande. Les poules voulaient y picoti dans
ça
le
chaume de
que
c'était
la cabosse qu'elles croyaient
de la paille, parce qu'il n'avait
pu son chapiau zième jour, C'est
une
à pointe.
Au
bout de l'on-
m'est venue l'idée
fille
de Rose.
quasi sauvage qui travaillait
à une lieue sur la gauche, à
la
ferme du
Chardon-Bleu, qui n'est plus qu'une pincée de cendres. jours l'était
là, et
On m'avait dit un peu folle,
déjà pas
un
d'autant qu'elle
mal avant.
longtemps cherchée, je vrir dans
qu'elle tait tou-
finis
Après l'avoir par la décou-
fossé de boue, assise, en train
de manger crue un' patte de mouton. «
Viens
ras
en route
me
me
du pain.
faire aide, »
que
—
je lui dis, t'au-
Elle se leva et
me
suivit, et
j'y expliquai ce qu'il fallait. Elle
dit qu'elle tait
apporté une corde.
consentante.
Une
fois
Elle avait
rendue au grand
crevé, elle lui mit la corde au cou. Et la
remontant sur son épaule, hàler, à
ell'
s'en fut à le
deux mains, pour gagner
le
trou
1
DIALOGUES DE GUERRE
135
qu'était d'I'aut' côté de la route.
Ça
faisait
vingt pas au plus. Moi j'avais pris les jambes
par derrière, j'avais
l'air d'être
à une char-
Et en tirant Rose chantait, une chan-
rue...
son que vous devez connaître, qui dit C'est
Que
une fleur d'or et d'argent au bout du champ...
j'ai cueillie
On
arriva
comme
oii
on
versa de côté.
le
ça qu'ahu qu'ahu au trou
tomba dans
11
fond, que le sol en trembla.
La foula bien
terre.
un mort,
et
On y remit la comme
que tout de
j'y ai fait
toute simpe, avec
le
Et puis,
fort.
cœur
ça m'avait plié le c'était
:
une
un manche
môme
croix,
oh
!
à balai. Seu-
lement, pour qu'il ne soye point confondu avec
un
des nôtres, j'y ai cloué un' planche
que vous pourrez vouère, tout à l'heure après r déjeuner, où j'ai écrit dessus « C'est :
un Boche. dire...
»
Ainsi, de cette façon, rien à
Mais, vous v'ià F nez aux anges. Vous
ne travaillez pu à Le peintre. le vôtre.
—
vot' tableau ?
Non madame,
je regarde
LA CHEVILLE
XI
LA CHEVILLE Brigitte Pommier, trente ans. Thérèse Landry, trente-huit ans.
Chez Thérèse. Elle est dans sa chambre, devant une armoire à linge grande ouverte, quand Brigitte, son amie, fait
entre tout droit, sans s'être
annoncer.
— Bonjour Thé. — C'est Brigitte Brigitte. — Qu'est-ce que tu Thérèse. — Je range. Femme Brigitte. — Encore Brigitte.
Thérèse.
!
!
fais là?
ordonnée
!
Ecoute. Voilà deux semaines que je veux te dire
de
une chose qui me brûle. Ça va te faire mais je ne peux plus me retenir.
la peine,
DIALOGUES DE GUERRE
140
Thérèse. Brigitte.
— Soulage-toi. — Voilà. Thé, je t'aime, je
t'ad-
mire, et tu es une sainte.
— C'est ça chose? Brighte. — Non. J'y arrive. Seulement. Thérèse. — Seulement? Continue. Brigitte. — Tu es fagotée. regarde. — Moi? Thérèse, qui Brigitte. — Oui. Fagotée, Qu'est-ce Thérèse.
la
se
toi.
que tu as
là sur le
dos?
— Une petite robe. Brigitte. — Non. Thérèse. — Mais Une petite
Thérèse.
si.
robe de
l'année dernière.
— Tu vantes. — Thérèse. Je t'assure. Brigitte. — Non. Elle peut être de l'année Brigiite.
te
dernière, mais elle n'est de la
mode
d'au-
y a cinq ans, ni d'aujourd'hui. Ça n'est rien. Ça n'a pas de nom.
cune année, ni C'est
une
d'il
tristesse.
Thérèse, simple. fends pas
ma
Brigitte.
—
— Mon Dieu... je ne dé-
robe...
Tu
va. Elle le mérite.
aurais tort.
Attaque-la,
DIALOGUES DE GUERRE
Thérèse.
— Mais
je
141
ne vois pas qu'elle
soit
ridicule. Elle n'attire pas l'attention.
—
Brigitte.
C'est ce qui te trompe. Elle
l'attire.
Thérèse.
— Pas dans
le
mauvais sens. Elle
est neutre.
Brigitte.
— Ah
!
les neutres
!
Parlons-en
!
La meilleure façon de ne pas se faire remarquer et de passer inaperçue, c'est d'être à la mode.
— Laquelle? Brigitte. — Celle d'aujourd'hui,
Thérèse.
la
mode
de guerre.
— La tienne, robe courte? Brigitte. — Sans doute. Thérèse. — Jamais. Brigitte. — Pourquoi? Quel
Thérèse.
la
plaisir... et
quelle satisfaction morale peux-tu éprouver
à traîner cette robe longue qui te dégringole jusqu'aux pieds?
Thérèse.
—
J'ai toujours
étaient faites pour
cru que les robes
tomber jusque-là
et
ne
pas s'arrêter à mi-chemin. C'est une idée bizarre
que
Brigitte.
j'ai.
— Tu
as de vilaines
jambes?
DIALOGUES DE GUERRE
142
— Je ne
Thérèse.
pensé à
me
dère pas
sais pas. Je n'ai
jamais
poser la question. Je ne consi-
mes jambes comme un
objet de
décoration publique. Elles ne m'intéressent
que pour marcher.
— Justement. On circule mieux
Brigitte.
avec une robe courte.
— Ma circulation est excellente
Thérèse.
telle quelle.
Brigitte, agacée.
môme,
toi
—
C'est drôle tout de
qui as la vie la plus active que je
connaisse, prise à ton service d'ambulance
du matin au
en plus visiter des
soir, allant
pauvres, placer des réfugiés, sans parler de ce qu'on
ne
Thérèse.
mes
sait pas,
—
de tout ce que tu caches.
Je ne
cache
rien.
Excepté
j...
Brigitte.
—
...
C'est drôle
que tu t'obstines
à ne pas te placer dans les meilleures conditions pour remplir ton office à l'aise et bien t'acquitter de tes occupations
— En Brigitte. — Oh
!
fais-tu autant
Thérèse.
non
!
que moi
Je l'avoue à
?
ma
confusion. Pas le quart.
Thérèse.
—
Et pourtant tu es en pati-
DIALOGUES DE GUERRE
On ne peut mode
neuse à la
!
143
pas dire que tu n'es pas
!
Brigitte.
—
C'est la vérité. J'y suis... Et
j'y reste.
— Tu vois bien que ça ne décuple
Thérèse. pas les
moyens
Brigitte.
pas à
que
t'
d'avoir la
jambe au vent
— Oui. IMais moi,
égaler,
en vertus
et
leur
en dehors de
la
!
je n'arrive
en sagesse,
je n'en suis pas capable,
toutes,
si
une
coupe de
c'est
fois
pour
mon
tail-
!
— Tu dis des bêtises. Je ne suis
Thérèse.
pas plus une sainte que tu n'es une effrontée.
Nous nous
Brigitte.
Thérèse.
valons.
— Je voudrais bien. — Mais tu ne voudrais pas être
comme moi Brigitte. Ah non.
fagotée
!
— trente-huit ans. Thérèse. — Ecoute-moi — Brigitte. Et tu en portes trente à peine. !
.
Si tu te laissais arranger
J'ai
un peu,
tu en pa-
raîtrais vingt.
Thérèse. drait
pour
mon
fils.
—
Ça
la fille
serait trop.
de
mon
mari
Et ça m'ennuierait.
On me et la
pren-
sœur de
DIALOGUKS DE GUERRE
144
— —
Brigitte.
Thérèse.
pour ce que
Pourquoi donc? Parce que je tiens à passer
je suis
:
pour
la
femme du
mier et la mère du second. Car fils
j'ai
pre-
un grand
qui touche à ses dix-sept ans...
— Après? Moi aussi, j'en un. — a trois ans. Et est en ai
Brigitte. TiiÉuÈsK.
Il
pantalons longs
il
!
Ça
serait peut-être le cas
de l'habiller court, lui? Mais ce n'est pas non
Eh bien comment peux-tu supposer qu'avec un fils
plus la mode, sans doute? Mystère.
de la classe 1917 partir, je sois
et
!
qui est à la veille de
en état d'endosser des cos-
tumes d'opéra-comique? Réfléchis. Cela n'a aucun rapport avec Brigitte.
—
le patriotisme et les
—
Thérèse.
Je te
tenue doit s'adapter
sentiments.
demande pardon. La aux circonstances. On
ne s'accoutre pas en tireuse de chamois
quand
les
Allemands sont à Noyon.
— Alors je suis ridicule? Thérèse. — Pas trop. Brigitte. — Bien qu'un peu? Thérèse. — Beaucoup moins que je Brigitte.
le serais.
ne
Parce que tu es jeune, avec une
DIALOGUES DE GUERRE
145
frimousse irresponsable et un petit air
voyage
femmes sans
pas aux
chic,
sérieuses et qui ont, liélas
de
«
en
demande aux femmes
qui t'excusent. Mais ne
»
de se plier à ta
l'être,
Non, quand je vois,
!
tant de raisons
mode de
comme
il
guerre.
m'est arrivé
ces jours-ci, des personnes de tout âge et
même
d'un
certain
«
quillement par
»
déambuler tranchez le pâ-
les rues, entrer
à l'église, visiter des magasins
tissier et
ou des cimetières sous l'unique pavillon d'un petit pan de jupe qui leur chatouille les jarrets...
Brigitte.
— Tu
exagères.
Thérèse.
—
peine...
t'imaginer
A
l'effet
que ça
tu ne
me
peux pas
produit, l'im-
pression pénible de honte et d'inconvenance
que j'en
reçois.
Brigitte.
Thérèse.
jambes
si
et lacées,
— Tu es sensible. — Plus que jamais.
Toutes ces
prétentieusement bottées, guêtrées
—
et si contentes
d'elles-mêmes
bien qu'il n'y ait pas toujours lieu, hélas tous ces pieds perchés sur de
pointus qui picorent
le
si
!
—
hauts talons
pavé pendant que 10
DIALOGUES DE GUERRE
146
tout près, à moins de cent kilo-
là-bas...
mètres, des milliers de braves gens chaussés
de boue... ah! ça
me
serre le cœur. J'ai
envie d'arrêter en plein trottoir ces dames
du corps de ballet trez vite,
et
mesdames,
de leur crier et allez
«
:
Ren-
changer. Vous
n'êtes pas dans la note. »
— Sais-tu qui tu
Brigitte.
me
rappelles,
tiens?
— Ta bonne mère. Brigitte. — Non. Oh! maman!
Thérèse.
merci
!
On
devenue d'un écossais
Pauvre
Ah
bien
est obligé de la retenir. Elle est
maman
vieillir qu'elle
!
!
Il
faut la surveiller.
Ça l'ennuie tellement de en abrégeant ses
se figure,
jupes, rallonger sa vie.
Thérèse.
— Tu vois? Malheureuse. Comme
ça se gagne
!
C'est ta faute. Et qui est-ce
que
je te rappelle?
Brigitte.
Thérèse.
— Mon mari. — Il
même
te dit la
chose que
moi? Brigitte.
regarde-toi,
—
Bien pire
ma
chez Offenbach
!
:
«
pauvre amie
Tu
Ah !
ça
Tu
!
mais
sors de
as l'air d'une saltim-
DIALOGUES DE GUERRE
banque. On
que tu vas
dirait
Je rougis de sortir avec des scènes
toi.
147
faire des tours. »
Oh
j'en ai,
!
!
Thérèse. Brigitte.
— Et tu —
ne l'écoutés pas?
Certes non. Les maris n'en-
tendent rien aux femmes, je veux dire aux leurs.
Thérèse, souriant. Brigitte. — Ah
?
— C'est un peu
vrai.
Tu en conviens Tu !
finis
par m'approuver. Thérèse.
— Non. Seulement nous parlons
maris. Alors je pense au mien. Brigitte.
Quoi? Il
— Oh
un
le tien! C'est
!
trouve que tu n'en
il
fais
puritain.
pas assez?
veut te rallonger encore davantage Thérèse, riant.
raccourcir!
que
je
me
non
!
Il
?
veut
me
je me laisse aller, me vieillis exprès... Un homme de goût
que
dit
m'abîme, que je
Brigitte.
Tu
Il
— Mais
—
Enfin
!
!
vois, tu vois...
Thérèse.
homme
—
Mais
le
tien aussi
est
un
de goût.
Brigitte.
contraire
— Pas pour
du
tien.
ça. Puisqu'il dit le
Quel dommage que nous
ne puissions pas changer
!
DIALOGUES DE GUERRE
148
Thérèse.
—
Quelle horreur!
Ils
ne vou-
draient d'ailleurs ni l'un ni l'autre.
Brighte. Thérèse.
de mal.
— Et nous non plus. — Assurément. N'en disons pas sont tous les deux dans le vrai.
Ils
— Comment cela? — Thérèse. Hé oui. nous aiment, chaBrigitte.
Ils
cun à leur idée d'abord,
nuance
et ensuite selon la
et les excès de notre nature.
Le
tien,
soucieux de ton bon renom et de ta dignité,
prend ombrage de
ta
tenue et souhaite
la
voir conforme aux grandes qualités qu'il te
connaît. Brigitte.
Thérèse.
— Adroite flatteuse — Et mien, sachant ma com!
le
plète absence de coquetterie et
soupçonnant
me dissimule, essaie de me distraire et de me secouer en me forçant à m'occuper de ma toilette et de ma pauvre personne. une
tristesse égale à celle qu'il
Brigitte.
Thérèse.
— Alors? Conclusion? — Alors... eh bien, pour leur
faire plaisir,
chacune un verse.
si
tu veux,
effort.
nous consentirons
Le môme, en sens
in-
DIALOGUES DE GUERRE
149
— Oui... Grave — Je raccourcirai. Brigitte. — Beaucoup cheville. Thérèse. — Jusqu'à Brigitte.
!
Thérèse.
?
Pas un
la
pouce de plus. Et toi? Y viens-tu? Brigitte.
moi,
ma
cente
!
tée
—
que
C'est
c'est
petite,
la cheville,
pour
énorme comme destoi comme mon-
Bien plus que pour
!
Thérèse.
— Tu
Brigitte. —
auras double mérite.
Eh bien
s'embrassent.) Je
me
oui. Entendu. [Elles
sauve.
— Ovi vas-tu? Brigitte. — Chez maman.
Thérèse.
viller », elle aussi.
Pour
la «
Ça sera plus dur.
che-
i
L'OCCUPATION
XII
L'OCCUPATION Dans une petite ville du Nord où les Allemands sont installés depuis les premiers mois de la guerre. En septembre. Six heures du soir. Il fait jour encore. Un Homme d'une quarantaine d'années
résonner
fait
le
marteau à
la
porte
d'une jolie maison entourée d'un jardin, à
la
commence la On entend des
pointe extrême d'un faubourg où
campagne. La rue
est déserte.
battements durs et brefs de tambours plats, du côté des prairies qui bordent la rivière.
d'une minute
la
un Vieillard en redingote paraît sur deux marches. L'homme. notaire?
—
Au bout
porte s'ouvre, prudemment, et le seuil
de
Monsieur Petit-Rameau? Le
DIALOGUES DE GUERRE
154
— Eh bien? — L'homme. C'est vous? Le VIEILLARD. — Oui. C'est Le vieillard.
êtes- vous?
Qui
moi-môme.
Français?
— Tout ce y a de plus? — Le vieillard. Vous êtes d'ici? suis depuis L'homme. — Non. Mais L'homme.
qu'il
j'y
deux ans.
— Oii ça?
Le vieillard. L'homme.
—
Chez Madame de Sidonie...
rue de la Cuirasse.
. .
à l'autre bout de la ville.
— Oui.
Le vieillard.
Je ne connais pas
personnellement cette dame, mais je qui elle
est.
L'homme.
Le
Je suis le jardinier.
vieillard.
L'homme.
vous
Et que faites-vous chez
—
sais
elle ?
—
— Vous vous appelez?... Bienfait.
Bruno
Bienfait.
Ça
entrent.
La
suffit-il ?
Le vieillard.
—
Entrez.
[lis
porte est refermée. Le carrelage blanc et noir
du
corridor.) Je
vous précède. [En mar-
chant.) Excusez-moi... Mais en ce temps-ci,
vous comprenez?... L'homme.
—
ferais autant.
les précautions...
Vous avez bien
raison. J'en
DIALOGUES DE GUERRE
455
(Le cabinet de velours vert et d'acajou
marron d'Inde. Le grand bureau sarcophage. Des cartonniers. Des codes. Une odeur de maroquin.)
— Là.
Le VIEILLARD. L'hom3ie.
—
Qu'y
a-t-il?
Je voudrais vous consulter,
pour un testament.
Le VIEILLARD.
— N'allez pas plus
ne pratique plus. Je suis
— Ah — Vous ne
L'homme, ennuyé.
Le VIEILLARD.
L'homme. — Non. Le VIEILLARD. —
donné
l'idée
loin. Je
retiré. ?
le
saviez pas?
Qu'est-ce
qui
vous a
de vous adresser à moi?
— J'avais vu votre enseigne. Le vieillard, grave. — Dites panonL'homme.
:
ceaux.
En
effet, ils
les
y sont toujours. Jamais
ça ne s'enlève. Bienfait.
connaît.
—
Quand
Le vieillard.
Et puis tout j'ai
le
monde vous
prononcé votre nom...
— Et on ne vous a pas mis
au courant? On ne vous a pas informé était inutile...
Bienfait.
— Non.
qu'il
DIALOGUES DE GUERRE
156
— C'est incroyable.
Le VIEILLARD. Bienfait.
me
—
Alors,
renseigner, pour
Le vieillard.
—
vous ne voulez pas
mon
testament?
Impossible. Je vous le
répète. Je suis retiré.
Bienfait.
—
Ça
n'est
pas une
Est-ce qu'en des temps pareils,
consentiriez pas tout de
raison.
vous ne
même, pour me.
rendre service?...
Le vieillard. Bienfait.
— N'insistez pas.
— Oh
1
Vous qu'on
dit si bon.
Ça me surprend... et ça me chagrine. Pas plus Le vieillard, très troublé.
—
que
moi, allez!
Bienfait.
— Gomment ça?
Le vieillard, prenant soudain son parti.
— Ecoutez? Vous m'inspirez confiance. Bienfait. — Vous pouvez Le vieillard. — Aussi je vais vous révél'avoir.
ler
une
allez
chose...
me
mais une chose... que vous
jurer sur ce que vous avez...
Bienfait.
— Je vous
Le vieillard,
se
voix imperceptible. sieur Petit-Rameau.
le jure.
rapprochant,
— Je
et
d'une
ne suis pas Mon-
DIALOGUES DE GUERRE
Bienfait.
—
Vous
157
n'êtes pas le notaire?
— Non, — Qui êtes-vous? vieillard. — Son domestique,
Le vieillard. Bienfait.
Le
Céles-
tin.
— Oh! Et où Célestin. — Je ne sais Bienfait.
dame...
est-il, le
ne
nul
Quelque
sait.
notaire?
Lui
pas.
et
part.
sa
Ou
morts. Seigneur! Bienfait.
— Mais
on ne connaît rien de
ça dans le pays ?
— Tout monde Bienfait. — Mais non. Tout
Célestin.
le
que Monsieur
et
Madame
le sait. le
monde
dit
Petit-Rameau sont
toujours chez eux, dans leur maison qu'ils n'ont pas quittée. Célestin.
—
que ce n'est pas Bienfait.
On
le
dit,
en sachant
oui,
vrai.
— Et
alors, c'est
vous qui pas-
sez pour être Monsieur Petit-Rameau
— C'est moi. — Et pour sa dame Bienfait. mienne, Célestin. — C'est
?
Célestin.
?
la
Julie, la
cuisinière.
Bienfait.
—
Mais pourquoi?
Pourquoi
DIALOGUES DE GUERRE
Ib8
faites-vous ça? Et qu'on ne le dit pas
ne
le
trouve pas drôle
Gélestin.
— Ah!
C'est la guerre.
Y
?
Qu'on
?
pourquoi!... pourquoi!
a la guerre
!
Mes maîtres
étaient partis pour la Suisse quinze jours
avant été
auront sans doute
la déclaration. Ils
empêchés de
rentrer. Enfin, j'étais sans
nouvelles d'eux quand les Prussiens sont arrivés
tout droit,
ici,
comme en prome-
nade... vous vous souvenez?
Bienfait. Gélestin.
— Un matin de septembre. — y a un an. Julie moi et
Il
nous pensions peut-être d'avoir à mourir et d'être
fusillés
contrariait,
unis,
devant l'Etude. Ça nous
mais du moment que nous étions
nous n'avions pas peur.
C'était
comme
d'entrer ensemble dans une nouvelle place. Nous avions mis nos habits du dimanche, malgré que ça soye un jeudi, et nous nous étions rendus dans la chambre de nos maîtres, oii nous attendions, dans les grands fauteuils
s'il
vous
j'avais ouvert j'avais pris
tunisien
plaît...
Moi, par aisance,
un Code, un gros
en bas,
recueil que
et Julie faisait
du point
en récitant des petits bouts de
DIALOGUES DE GUERRE
Quel silence! Tout à coup, des
prières.
grondements de
Des gros pas bottés. moindre égard... La porte
foule.
On monte
sans
s'ouvre...
Et un type
d'officier,
français
«
:
le
qu'une bouteille,
ainsi
l'air,
le
qui tenait un pistolet
carré,
159
rouge
me
dit
en
le
no-
Monsieur Petit-Rameau,
taire, probable?... » Il
me
prenait pour Mon-
sieur! Croyez-vous! Alors, aussitôt, dans éclair de la Providence, j'ai
ma
Il
lui, je
malheurs
et
sauver
» et,
la
maison de mes chers
donc répondu
maîtres... J'ai
même
désignant Julie
Rameau, mon
vu mon
épouse.
»
—
:
«
«
:
C'est moi-
Madame PetitEh bien, je suis
«
le colonel, déclara-t-il, et je loge ici,
pour
soir, fille
me
plaire.
de cuisine?
partis
la veille
V'^oilà
comment
main, toute sait
»
Où
sont
dès ce
le valet, et la
»
Je lui dis qu'ils étaient
et
que nous étions seuls:
« Suffit, dit-il, si
sera honoré.
un
rôle,
m'a paru que si je disais pouvais empêcher de grands
mission...
comme
et
goulot en
vous avez obéissance, tout
Il
voulait
dire respecté...
c'est arrivé.
Dès
le
la ville le savait et s'en
lende-
amu-
en dedans. Mais des cinq mille habi-
DIALOGUES DE GUERRE
160
de
tants
l'ordinaire,
deux mille qui
les
restaient, Monsieur, n'ont jamais rien dit...
depuis un an
!
une consigne
Le secret a été gardé,
Bienfait.
Vous ne trouvez
militaire...
pas que c'est magnifique
— Oui.
comme
!
Mais je
trouve natu-
le
Entre Français, y a rien qui m'étonne. Célestin. Alors, comprenez-vous? Nous
rel.
—
jouons
le rôle
à fond.
11
de Monsieur et de Madame,
faut bien. Le colonel occupe le
second. Par notre attitude haute et
nous avons su le
lui
lière,
imposer, et nous habitons
premier. Nous couchons dans la chambre
de Monsieur et de Madame, dans leurs deux petits lits
jumeaux,
et à l'église, à la
messe
de midi, nous prenons leurs chaises, dans le
salue,
comme
eux... sans broncher... Pas
un sou-
chœur. Tout
si c'était
rire.
le
monde nous
Oui, c'est admirable.
les robes
de Madame,
Ma
Julie porte
et très bien,
ma
foi.
Et moi les vêtements de Monsieur, ses pantalons, ses redingotes
boutonnées qui viennent
d'un tailleur anglais de
Lille.
comme
sur mesure. Nous
pareils.
Il
Tout
me
va
sommes presque
n'y a que les chapeaux d'un peu
justes.
DIALOGUES DE GUERRE
161
plus forte.
Nous man-
J'ai la tête
geons à part, dans notre chambre. Bienfait.
—
Qui est-ce qui vous
fait la
cuisine? Gélestin.»
—
Ma femme.
Elle
ne
s'en
cache pas. Bienfait.
—
Oh
Vous ne craignez pas
!
que ça paraisse suspect au colonel que
dame du
notaire?...
Gélestin.
ma et
la
— Pas du tout.
Julie ne sait
même
Il
s'imagine que
pas frire
un merlan
que nous sommes victimes de notre or-
gueil...
que nous mangeons des plats
Pourtant une
fois
ratés.
nous avons eu un frisson
parce qu'il est entré
comme nous
étions
un poulet Marengo... il n'en Nous avons dû lui dire que
attablés devant
revenait pas. c'était
cuire. le
une voisine qui nous Mais quand
il
voit
matin avec un panier,
mon il
l'avait
épouse
pétille
fait
sortir
de joie,
au contraire, parce qu'il pense qu'elle est humiliée d'aller au marché, dans sa position.
Et
elle,
de son côté, elle prend
l'air
furieux, exprès. Moi je suis très digne, très
arrogant, et je
siffle la
Marseillaise,
quand
n
DIALOGUES DE GUERRE
162
Enfin, nous tâchons de
je suis tout seul.
comme
nous comporter en tout
Monsieur
et
agiraient
Madame, puisque nous avons
— — parfait que ça nous change
l'honneur de les figurer. J'avoue aussi
on
n'est pas
un peu
que ça nous
et
Et de cette
flatte.
manière, nous faisons mieux que de garder la maison,
nous
on n'a touché
la
à rien.
—
Grâce à nous
comme
trouveront tout Bienfait.
sauvons. Jusqu'à présent
En somme, vous
tomber plus mal,
ils
re-
ils l'ont laissé.
auriez
pu
et votre colonel n'a pas
l'air féroce.
Gélestin. il
— Non. Ça n'est qu'une bête. Mais
quel Satan y a le général A h celui-là Bienfait. Il vous tourmente? !
!
Gélestin.
on
— —
Il
le rencontre.
veut qu'on
le
salue
!
quand
Pensez-vous ça?
— Oui. Gélestin. — Les Bienfait.
! . . .
Je
l'ai
entendu
dire.
hommes, chapeau
à la
main!
— Et les dames? — Trois révérences! Et Bienfait. — T'as pas Gélestin. — G'est dix marks.
Bienfait.
Gélestin.
fini?
si
on refuse?
DIALOGUES] DE GUERRE
— Pas plus Célestin. — Moi, je Bienfait.
i63
? Il est discret.
parce que je
l'évite,
l'aperçois de loin et qu'aussitôt je
Mais
ma
pauvre
femme
est
me
myope
défile.
à ne pas
voir à dix pas les tours de Saint-Donatien, alors elle se cogne dedans à Bienfait.
chaque instant.
— Et qu'est-ce qu'elle fait? Elle
salue, parbleu?
Célestin. Bienfait.
Célestin.
— Jamais de la vie — Elle ne salue pas! — Mais non, voyons! !
Puis-
Madame ?
Elle ne peut pas. Elle
n'est plus elle, Julie,
comprenez donc? Elle
qu'elle est
est Madame Petit-Rameau, née Dugalet du nom de feu son père qu'était avoué à Valen-
ciennes. Ça lui est défendu de saluer. Si elle saluait,
on
se méfierait tout de suite. Et
puis, pour la ville,
pour
la corporation
du
notariat... Non... non... elle refuse.
Bienfait.
—
Eh bien! mais,
alors?
— Dix marks. — Bienfait. Bigre Célestin. — Ah! comme ça! Célestin.
!
!
!
c'est
Seule-
ment, quand ça se répète, ça coûte cher. Toutes nos économies
et
nos
profits
de
DIALOGUES DE GUERRE
164
y passent. Heureusement que nous avions mis un peu de côté, sans quoi vingt ans
je
ne
comment nous
sais pas
entend du
Tenez
bruit.)
ferions.
qui rentre.
la voilà
!
[On
— Votre dame? Gélestin. — Oui. C'est son pas.
Bienfait.
(La porte s'ouvre.)
M"® Célestin, paraissant sur
femme de cinquante-cinq gantée de
fil
Gélestin.
— Je
noir.
— Oh
!
le seuil.
Une
ans, en chapeau,
rencontré
l'ai
Encore?
!
Et... est-ce
que
tu as pu, cette fois?
M"^ Gélestin.
Quand
guette.
je
dessus. Et déjà Betit- Rameau!
marks
!
» J'ai
il
— l'ai
Il
me
j'étais le
nez
Ah! bien reconnu,
criait
«
:
Saluiez
oui!
Saluiez
—
ou
dix
Qu'est-ce que je
vous disais? [A sa femme.) Je Bienfait.
Madame
passé, sans saluer.
Gélestin, à Bienfait.
tantôt à la
!
minute!
les porterai
Kommandantur.
— Ah bien
!
Ah
bien
!
vos maîtres, après la guerre, ne
Mais bah
!
manque-
ront pas de vous rembourser tout ça? Gélestin.
— Sûrement, ça serait dans leur
DIALOGUES DE GUERRE
volonté; mais
ils
165
n'auront pas à s'en oc-
cuper.
— Pourquoi? Célestin. — Parce qu'on Bienfait.
ne leur dira
pas.
M"®
Célestin.
— C'est nos petites affaires
de conscience. Ça ne regarde que nous.
LE BON DE CHAUSSURES
XIII
LE BON DE CHAUSSURES A
Montparnasse. Dans
la partie la
plus pauvre
Le sixième étage d'une maison lépreuse, sous les toits. Une grande mansarde communiquant avec une autre par une ouverture sans porte. Dans la seconde pièce on aperçoit deux lits de sangle, bien bordés de draps blancs, avec chacun son édredon écarlate. Deux petits tapis, figurant l'un un lion, l'autre une gazelle. Dans la première pièce, à une table ronde sur laquelle une toile cirée montre la série des Rois de France couronne en tête, sont assis deux
du
quartier.
hommes en
train de déguster des cerises à l'eau-
de-vie, l'un dans
un coquetier,
l'autre
dans une
L'un des hommes, âgé d'environ quarante-huit à cinquante ans, est un avorton poivre œillère.
DIALOGUES DE GUERRE
170
et sel, bossu, sans poitrine et sans ventre, avec
deux petites guibolles de jambes molles, comme en mie de pain, qui lui pendent tout de suite des épaules. Il est juché sur une sorte de fauteuil d'enfant, aux bras duquel est attachée de chaque côté, avec de la ficelle, une béquille, à portée de ses mains dont le dedans est d'un rose malade, couleur de taffetas d'Angleterre. Son compagnon, vieillard éteint, chauve, en pardessus de demisaison décoloré, fait la toilette d'une quantité de
mégots remplissant un mouchoir à carreaux étalé Un feu de charbon brûle dans
sur ses genoux.
une petite cheminée.
Le
—
nain.
Oui, la guerre est mauvaise
aussi au mendiant...
—
Le vieux.
Non seulement on ne
fait
plus d'économie, mais on a du mal à vivre,
bien du mal.
Le
—
nain.
Paris n'est plus
mon
Paris.
N'est pas reconnaissable.
— On fume moitié moins. dames... restent Le nain. — Les Le vieux.
vieilles
chez
soi...
Le vieux.
— Les
jeiines... sont
aux am-
bulances...
Le
nain.
—
Il fait
plus froid qu'en paix
!
DIALOGUES DE GUERRE
— On passe
Le vieux.
171
vite.
— Les sous manquent. — Alors?... Le nain. — Faut attende la Victoire sous Le nain. Le VIEUX
le
porche, en se fouillant de ses passe-lacets.
—
Le vieux.
même. Et
Y
se rattrapera...
drès
Le
! . . .
Bah
!
A
viendra tout de
ce jour-là on fera une recette
Ah y en !
—
nain.
!
On
en aura par terre du lonaura
!
N'empêche que les pauvres I n' comptent plus. I n' font
sont à plaindre.
plus d'effet. C'est la faute des blessés, qui
nous retirent
le biscuit
de la bouche.
ment voulez-vous qu'on
les
rivalise
Gom?
Des
gens qu'a pus de bras, pus de jambes, qu'a des bandages de linge fin et par là-dessus des pluies de Légion d'honneur, médaille militaire, croix de guerre
!...
Ils
dégotent
tout, tiens !..
— C'est bien naturel, écoute? — Je dis pas. Je suis sans ja-
Le vieux. Le
nain.
te
lousie. Je leur fais pas de reproche.
Il
ont
mérité qu'on les câline...
— Plutôt. — Mais crois-tu pas que je soye
Le vieux. Le
nain.
DIALOGUES DE GUERRE
172
malheureux, moi, de
me
dans
la
glace?... tel qu'un conte de fées?... de
me
sentir rais
un
bon à
rebut,
voir
quand
rien?...
eu tant d'aise à taper sur
comme les
gens bien
serait des Apollon, des « culture
qui sont beaux
vieux! Moi qui légion...
Le
Y
nain.
pareil
comme
le
physique
I
»,
aux camarades
jour
— Et moi donc,
Le vieux,
Boches,
Un peu que si on
faits.
on aurait marché, tout
les
j'au-
!
si j'étais
pas
si
ai servi en Afrique, dans la
a ben longtemps...
— Toi
Tu m'avais jamais Le vieux.
En
?
v'ià
un communiqué
!
dit.
— Ah
S'il fallait
!
dire tout ce
qui vous arrive...
Le
nain.
—
Oui. Enfin, pour en revenir
au monde charitabe,
il
a raison sûrement,
de se passionner d'abord aux mouises de la -ÊÊ guerre, et aux blessés de la patrie. Nous, on vient qu'après, c'est entendu. Mais faudrait
pas cependant nous reléguer tout à est
tout de
même
fait.
On
des Français, des bons
types qu'a pas eu de veine. C'est pas parce
qu'on a été raté à sa naissance qu'on mérite d'être négligé.
.
DIALOGUES DE GUERRE
173
— Y a de bons riches. — D'accord. Gomme y a de bons
Le vieux. Le
NAIN.
demande pas
pauves. Je
l'impossibe, je ne
rêve pas. Je prétends pas que les marquises
me et
comme aux militaires, ma température. non.
fassent les mains,
qu'è m' prennent
Je vais pas jusque
. .
là, je
.
demande seulement
qu'on pense à nous, en second ou en troisième, ça m'est égal, mais qu'on y pense... Je veux pas qu'on oublie le mendiant, qu'on le
perde de vue. Voilà.
Le vieux.
comme
fume,
Le
—
nain.
C'est vrai... Et puis
s'il
n'était rien arrivé.
— A part
propos, et toujours la confiance...
ça, j'ai
j'ai
même
avec l'aveugue par
l'Aima parce qu'il
jamais tenu de
gardé
que je
bon
le
me
accident
esprit,
suis fâché
du pont de
est trop pessimisse...
Le VIEUX, indulgent. 11
qu'on
— Qu'est-ce tu veux?
voit tout en noir.
Le
NAIN.
leurs,
moi pour
je
il
—
voit
C'est pas une raison. D'ailun peu, du gauche. Eh ben
ne suis pas
le principe, la
comme
ça.
chose de
la
mais au fond, malgré qu'on
Je grogne
Révolution,
soit
misère et
DIALOGUES DE GUERRE
174
compagnie, je trouve tabe,
même
la vie encore
en mauvais temps.
suppor-
Ma
vieille
bourgeoise et moi les santés sont bonnes.
—
Le vieux.
Qu'est-ce qu'elle
fait,
ta
bourgeoise ?
Le
—
nain.
Tout, et en
j'suis stationnaire.
Tandis qu'elle,
c'est
Mes quilles, c'est forcé. un furet. Moi je tâche à
l'aumône, avec
faire sortir
Moi
courant.
bouger, sur place. Elle?
le regard,
A
sans
ne quête point,
a n' regarde personne, a n' demande rien, et elle
trouve tout.
— Où ça? Le nain. — Par terre. Elle a Le vieux. ce qui
tombe
c'est
Tout
pour ses bagues. Rien
n'y échappe. Elle voit vive, agile
le génie.
comme
l'éclair.
Et
Elle suit les voitures de bois et
!
de charbon,
elle
visite
les
marchés,
les
églises, les abords des grands magasins, des
chantiers, des stations de métro, des gares... est-ce
que
je sais? Et
vingt-cinq ans, d'affaires...
elle
chaque
me
à mourir de
soir,
un
tas
Grâce à
elle
rapporte rire.
depuis
on ne dépense presque rien elle fournit de quoi se chauffer du margotin, de la braise, ;
:
DIALOGUES DE GUERRE
175
des boulets... et puis des légumes, des pa-
du co-
rapluies, des gants, des mouchoirs,
des pince-nez, des
peau, des allumettes, foulards, des pipes,
cheveux, des crayons,
du
des
des épingues à
finirais pas... Tout,
du
quoi
chocolat...
rien que
ce
des j'en
Elle déniche tout,
!
toujours honnêtement... par
cites...
plumes, des
boutons, des voilettes,
peignes, du pain sec,
et
fil,
jarretelles... des
moyens
li-
qui est par terre, et
perdu, qui craque sous la semelle, qui n'a plus de valeur et ne peut profiter à
per-
sonne... Aussi, grâce à elle, depuis des an-
nées, des années, à force de s'appliquer à
ne pas jours,
faire
de folies et de gratter tous les
on avait mis de
Le vieux.
côté...
devine?
— Gomment veux-tu
?
Un
mil-
liard?
— Quinze cents francs. Le vieux. — C'est plus Compliments. Le nain. — Aussi on a pu changer dix Le
nain.
!
louis d'or et souscrire à l'emprunt national.
Le vieux. l'air
Le
—
Tais-toi
ou
je pleure. T'as
d'une affiche. nain.
— Comme
ça on a fait son de-
DIALOGUES DE GUERRE
176
voir, et puis plus tard,
ser de travailler,
— En attendant
Le vieux.
qui s'effeuillent ton pouce qui
Le
pelles ce
que
comme
fait
—
nain.
quand
faudra ces-
il
on aura du cinq. des souliers
t'as
la rose, et
on voit
guignol.
Eh
Tu
bien! tiens?
je te disais de
ma
te rap-
vieille?
— Oui. Le nain. — Elle m'a trouvé une paire de
Le vieux.
chaussures neuves.
— Oh!
Le vieux.
flânaient?... Juste à
Par
terre,
temps
qu'elle passe.
— Sans doute. Le vieux. — Pourquoi que
Le
encore? qui
nain.
tu ne les as
pas mises?
Le
nain.
— Je
les attends
comme une
pêche. Elle est allée les chercher.
Ne
dé-
t'épuise
pas à comprendre. Hier, elle a vu, sur trottoir,
le
devant Magic, un petit papier plié
qui lui faisait signe, d'en bas. Sais-tu ce que c'était?
— Un bleu de Banque? — Non. Un bon pour une paire
Le vieux. Le
nain.
la
de godasses... à l'Œuvre de la Chaussure franco-belge...
Un bon
qu'une dame avait dû
DIALOGUES DE GUERRE
tomber en pensant à
laisser
serait fini..
.
»
Alors
«
177
quand tout ça
ma vieille a été tantôt au
siège de la Société toucher le cadeau,
va
me
. .
et elle
le rapporter. Ça ne sera plus bien long.
Le vieux.
— C'est curieux. T'en
femme sympathique Dame Le nain.
as...
une
!
—
oui
!
C'est
une brave
vieille...
Le vieux.
—
Seulement... dis-moi donc,
t'illumines trop tôt... T'as pas pensé à
chose
:
c'est
une
que dans ces foyers-là on ne
donne aux femmes que des ripatons de femme... Ça sera pour
Le
nain.
— Mais
si
!
elle,
pas pour
Puisque
toi.
je suis avor-
et une chance Elle a un petit pied d'homme, et moi un pied de dame, alors, on fait chaussures communes, et ce qui va à
ton
!
!
l'un va à l'autre. [Prêtant r oreille.) Tiens, la v'ià
avec son butin.
(Une la
clef est introduite
porte donnant sur
femme
dans
la
le carré, et
serrure, à
une
vieille
cheveux blancs frisottés sous une fanchon de lainage, un peu Tair d'une matelassière ou d'une concierge de Gavarni, entre en soufflant dans ses doigts.) à
12
DIALOGUES DE GUERRE
178
—
Le ^aW' Bonjour ma petite La YtEiLLE. Bonjour mimi.
—
cocotte,
vieux
[Ait
çompagnçn.) Bonjour père Mégot, t^p r^Ajîi.
— T'as
les
chaussures
grave. — Non. — Hein? Quoi?...
?
JjA vieille,
Le
nain.
T'as perdu le
bon? La vieille.
— Non. — Tu présenté? Le nain. La vieille. — Sans doute. Le nain. — Eh bien?... alors? l'as
njortifiée?
On
qu'il avait été
La
On
t'a
a deviné que c'était pas à toi
donné
—
vieille.
?
Rien du tout. On m'a
9.I-
}ongé une paire, superbe, en cuir plein la
maiu et qui embaumait la tannerie... Oii sont-ils en ce cas? Tu me Le nain. fais une farce ? Pas du tout. Je les ai ren-t La vieille.
—
—
dus.
Le
nain.
—
Rendus
?
T'es folle
!
Pour-
quoi? Raconte.
La là,
vieille.
daus
tendre
— Figure-toi
(jue j'étais
donc
pn train
d'at-
les escaliers, à la file,
mou
tour, avec
les autres,
tous des
DIALOGUES DE GUERRE
France
réfugiés,
Pas moi. Je
me
et
179
On
Belgique.
causait.
contentais d'écouter, parce
auraient remarqué
que
si
que
j'avais pas leur accent et ça m'aurait
j'ayais parlé
ils
trahi.
— Qu'elle fine — Y avait des est
Lp
nain.
La
vieille.
enfants, des vieillards.
misères
Ils
femmes, des
redévidaient leurs
n'avaient plus rien, mais
qu'ils
:
!
rien, tout pillé, brûlé...
aux quat'
vents...
encore bien heureux qu'on
et qu'ils étaient
leur donne des souliers neufs parce que le pied,
comme
ils
c'est tout... et
me
l'espliquaient, à Paris
que sans un pied convenabe
chaussé frais on ne peut pas se placer...
et les
gens ne veulent point de vous,
ils
vous
prennent pour des mendiants...
Le
nain.
diants
?
—
Comme
Ils
disaient ça
si c'était
?
Des men-
un crime
!
disaient. La vieille. — Le vieux, — In' savent pas. Faut Ils le
les
ab-
soude.
— Après? La vieille. — Arrive enfin
Le sors
nain.
mon
mon
bulletin de vote.*. Des
tour. Je
dames me
DIALOGUES DE GUERRE
180
le
prennent, et on
me
merci, sans j'avais déjà
encore sur
me
—
«
suivait
je viens de
madame », et Comment? n'y en a
Flamande.
la rue, l'autre
quand j'entends qu'on
le palier...
madame,
paquet. Je dis
le
prier, et je partais,
faire
nière à «
tend
une jambe dans
disait à celle qui
plus,
me
:
donner
elle
me
plus
»,
la der-
montrait.
que
—
disait la
Non, madame, nous en man-
quons. Cette paire-là que tient c'était la dernière... »
me
N'y en a
«
madame,
Et elle continuait de
désigner.
Le pour
La
nain.
— Mais qu'est-ce que t'attendais
filer? Es-tu
vieille.
gourde,
—
clouée. Si t'avais
vu
ma
pauve Cocotte?
pouvais pas.
Je
c'te figure
J'étais
de Louvain
de la pauve créature? C'était une Belge...
Enceinte avec ça, Seigneur... à vous rassasier
!
Alors
Et puis là-dessus v'ià qu'elle pleure j'y ai pas tenu, les pieds
me
— T'y as donné ta paire? J'avais La vieille. — Ma
Le
!...
brûlaient.
nain.
foi oui...
pensif... Je suis pas
le
cœur
du Nord, moi... puisque
je suis de Clichy...je ne suis pas réfugiée?...
Toi non plus ? Alors
?.
. .
C'était vilain. Je la
DIALOGUES DE GUERRE
J'y
volais.
ai
donné.
«
181
Prenez, la petite
mère... Soyez pas lacrymogène
!
»
me
Et je
suis sauvée.
Le
nain.
— Je regrette. Mais
Et puis, les Belges...
Le vieux. sienne
—
Un
ils
bien
peu. Vive Albert
!
(Il
t'as
fait.
sont sacrés.
lève son coquetier.)
!
A
la
LES AQUARELLES
XIV
LES AQUARELLES Dans une des
stations
du
littoral,
Une gentille petite villa « mer ». M. Crémines, seul dans
sur la Côte
d'Azur.
d'oii
la
le
on voit
salon aux
yeux fixés quand la porte une irruption
volets mi-clos, est assis et songe, les
hors
loin, très loin,
s'ouvre,
et
les murs...
M. Bernardet
fait
joyeuse, un sac de voyage à la main.
Crémines.
— Toi
!
Comment? Tu
viens de
Paris? Bernardet. surprise.
— Oui,
Mes
mon
affaires
plusieurs heures, j'en Crémines.
—
Que
vieux. C'est une m'amènent ici pour passe une avec toi.
je suis content
de te
DIALOGUES DE GUERRE
186
voir! Depuis plus d'un an! Hein? Crois-tu? Cette guerre?
Bernardet.
— Oui, Mais ça a déjà été moment
Je n'ai qu'un
bien
le
à te donner, je veux
remplir. Laisse-moi donc t'interro-
ger et ne réponds qu'à
bord ton caporal de Crémines.
fils.
— Eh bien
sept mois que nous
cause de
Tout
dit.
lui. Il
mes questions. D'a-j Sa pneumonie? !
il
la traîne depuis
sommes échoués
ici
à
va mieux, mais ce sera long.
est long.
— Sa femme est là? — Tu demandes? Des jeunes
Bernardet. Crémines.
le
mariés de quinze jours avant la déclaration Bernardet.
ton
fils
— Alors,
guérira. Et
Crémines.
s'il
madame Crémines?
— Elle va bien. Elle
qu'elle peut, la
!
à sa tourterelle,
fait tout ce
pauvre amie, pour oublier,
ne pas penser.
— Et petit? Que devient-il?" — Pierre. est Mal-
Bernardet. Crémines.
le
Il
gré ses quinze ans,
il
ne rêve que de
C'est le plus cotitagéux de
Bernardet.
— Et où
je lui dise bonjour?
terrifiant.
partir.
nous cinq.
est-elle ta famille,
que
DIALOGUES DE GtJEhRË
Crémines.
— Sortie. — Tous? Après
Bernaudet.
En
le
déjeuner?
pleine chaleur?
Crémines.
sa
487
— Çâ ne
les retient pas.
femme, appuyés au bras
Jean
et
l'un de l'autre,
s'en vont rêver et s'embrasser sous les pins.
Ma femme
est lingère à
l'ambulance établie
dans l'ancien Trianon-tango, Pierre suit des cours d'académie de baïonnette. Bernardet.
—
Et
toi,
tu restes seul à la
maison? Crémines.
—
que tu veux que Bernardet.
Où
Oui.
Qu*est-ce
irais-je?
je fasse?
— Tes aquarelles?
Tu
as
un
le sais.
Ça
très joli talent,
Crémines.
—
D'amateur. Je
aussi, ça a déjà été dit. je n'y ai pas
pour rien,
Tu dois
d'ailleurs.
Bernardet. Crémines.
Mais pour
l'instaùt,
beaucoup de goût. Je n'en le
ai
comprendre?
— Enfin ta santé est bonne? — Excellente. C'est honteux.
Mais je suis forcé de l'avouer. Tout fonctionne. Bernardet, grave.
—
Et...
de là-bas? Tou-
jours rien? Crémines, recueilli.
— De Douai? Rien.
DIALOGUES DE GUERRE
188
Bernardet.
—
Pas... le plus petit signe?
Un renseignement? Une
fuite? Par quel-
qu'un qui aurait trouvé
moyen
Grémines. fait.
— Rien, je
le
De Douai on ne peut
comme
rien savoir
Chine.
c'était la
si
de...?
te répète... J'ai tout :
c'est
Et encore la
Chine, on voudrait qu'on pourrait... Mais
Douai,
le
mystère, le gouffre.
Bernardet.
un évadé? un
—
n'y a pas eu quelquefois
Il
blessé?...
Crémines, jo/am^f/". fant. C'est drôle
Bernardet.
—
— Rien, mon petit en-
que tu
t'entêtes...
Alors, ta maison, tu n'as
toujours aucune idée?...
— Bernardet. —
Crémines.
sais
Si.
Je sais qu'elle existe.
Ah
!
tu vois bien que tu
Elle existe.
!...
—
Crémines.
Mais
c'est tout...
Elle
est
habitée.
— Par qui? — Crémines. Par des allemands. Bernardet. — Pourquoi ne dis-tu pas BoBernardet.
officiers
ches? Par politesse? Crémines. son.
11
me
— Non. Par égard pour ma mai-
semble que ça
la salit
moins.
.
DIALOGUES DE GUERRE
—
Bernardet.
Tu
189
Je te le
la retrouveras.
parie.
—
du haut en Les quatre murs. Mes souvenirs... Mes
Crémines. bas.
bibelots.
. .
Peut-être. Vidée
Tout ce que j 'avais mis vingt ans à
arranger avec amour. Mes livres
.
. .
Ma cave.
.
— Pauvre ami — Crémines. Oh j'en parle avec un calme
Bernardet.
!
!
En
absolu. fait.
mon
quittant,
la
sacrifice était
Que nous nous retrouvions tous
après,
sauvés, nous aimant bien, et victorieux!... et je serai content, je n'aurai
Bernardet.
—
reconnais. Mais
il
A
la
un
tu y es
Je te
fauteuil derrière
comme je t'ai
surpris à l'ins-
du Midi, que diable
tant. Profite
!
faut te distraire et ne pas
rester là, enfoncé dans tes persiennes,
pas un regret.
bonne heure
!
puisque
!
Crémines.
— Ah non
!
Je t'en prie. Là. Je
t'arrête.
— Que veux-tu dire — Laisse Midi. C'est
Bernardet. Crémines.
?
le
très
beau, féerique, admirable, enchanteur, tout ce
que tu voudras. Mon
santé.
y retrouve Les gens sont excellents. Tout fils
la le
DIALOGUES DE GUERRE
190
monde nous témoigne une bonté vraiment touchante,
perdu
infinie
Mais depuis
!
mon
Nord,
le
là.
Je suis
un
le
que
un
moi^stre,
j'ai
Midi ni'est
aucun agrément.
égal, et je n'y goûte
de
Nord,
Lom
ingrat... C'est
plus fort que moi.
— Le Voyons Grémines. — Je Berwardeï. — Les Grémines. — Bernardet bleu, Bernardet. — Le — Grémines. Non. Bernardet. — La mer. Grémines. — Non. Pas Bernardet. — Les palmiers. Bernardet.
soleil
!
!
t'en prie.
fruits, les fleurs. !
ciel
celle-là.
Grémines.
—
Non. Non.
— Les cigales — Tais-toi. Tu me Grémines. Mais je n'y comBernardet. — Je me Bernardet.
!
fais souffrir.
tais.
prends rien. As-tu assez répété dans
mon
Dieu
Midi que ciel, cet
:
je
«
Ah
!
si
je pouvais aller
ne connais pas
azur sans tache.
Grémines.
— Oui.
le
J'ai
tache, effectivement^
I
temps,
dans
le
Voir ce beau
»
bien dit l'azur sans
DIALOQUES DE GUERRE
Ber>'ardet.
printemps... Crémines.
—
—
Ce pays
...
191
embaumé
le
Mais
c'était
temps, quarid j'habitais Douai, avant Depuis, pendant la guerre, et
la guerre.
maintenant que je vieille
uifi
éternel! Oui, oui! c'est
...
vrai... j'ai dit ça et je l'ai pensé.
dans
par
sv|is
petite ville,
j'ai
exilé
loii^
changé.
de
ma
sojeil
|^^
m'attriste et m'irrij;e.
— Oh — Je ne
Bernardet. Cri^mines.
!
parler d'azur, ni de
me
veux plus entendre
fri;its d'of, et les
cigale^
font grincer des dents.
— Tu es fou. Crémuijps. — Non. mal du pays, de Peïinardet.
J'ai le
mes prairies vertes si grasses, si fraîches, de mes beaux nuages de toutes les formes et de tous les gris, de mes moulins aivi ras des horizons...
Ah
!
Bernardet, rappelle-toi,
car tu en es aussi, toi, de nos chères et admi-
rables régions...
— Moi? Je suis de Beaugeucy. Crémines, vivement. — C'est Nord... ne Bernardet.
le
Ça y touche. La Sologne BapJules, nos forêts profondes, les
dis pas non. pelle-toi,
!
DIALOGUES DE GUERRE
192
matins
froids,
odeurs mouillées... tout et fin de ces
pénétrants...
soirs
les
les
mystère immense
le
étendues graves et saturées,
spongieuses d'histoire... Bernardet.
mon
—
Oui. Mais ne t'excite pas,
vieux. Allons? Sois sage.
—
Grémines, se reprenant.
Tu
as raison.
Pardonne-moi. Bernardet.
— Et j'en reviens à mon idée.
Fais de l'aquarelle. Tu as sous les yeux des
décors sublimes. Rends ce que tu vois.
Il
n'y a que ça qui pourra te calmer, Grémines.
donner ce
— Tu n'es pas
conseil.
Bernardet.
—
le premier à me Ma femme, mes enfants...
Eh
bien
!
Pourquoi ne
t'y
mets-tu pas? Grémines.
—
Je m'y suis mis.
Oh
!
tout
doucement. Bernardet.
— Dis-le donc. Bravo. Depuis
quand ?
— Trois mois. Bernardet. — Oh Mais tu
Grémines.
!
fait
dois en avoir
beaucoup? Combien?
— Une douzaine? Bernardet. — Montre-moi Grémines.
ça.
DIALOGUES DE GUERRE
Chemines, timide.
ne
193
— C'est que... personne
les a vues.
— Excepté ta famille
Bernardet,
?
— Aucun des miens. Bernardet. — Ah Pourquoi Crémines. — J'attends. Bernardet. — Sournois Mais à moi, Chemines.
?
!
ton
!
vieil
ami?
Crémines, se décidant.
veux bien. à clef
et
(//
—
Oui, à
toi, je
va ouvrir une armoire fermée
en retire un carton.) Elles sont
— Tu en es Crémines. — Assez. [Bernardet Bernardet.
là.
satisfait ?
allonge
le
Pas encore. Ne regarde pas. Mets-toi
bras.)
de dos. Bernardet, complaisant. enfant
—
Soit...
Quel
!
(Il
va vers
Crémines.
—
la fenêtre.)
Je vais les présenter toutes
les six sur des chaises et sur le canapé, et,
quand
je frapperai dans
seulement tu Bernardet. Crémines.
mes mains,
alors
te retourneras.
— Entendu. (7/
les
dépose,
trois
sur trois
chaises avancées et mises en rond, les trois 13
DIALOGUES DB GUERRE
194
autres sur
dans
ses
le dossier
mains.
du canapé. Et
il
— Tu peux.
BERNARbET, qui
frappe
retourné, regarde l'en-
s'est
semble d'abord, puis chacune, rapidement. Il s'approche, se penche, et saisi tout à coup.
— Mais...
c'est
Douai
!
— C'est Douai. — Ce n'est pas ça que tu peins
Grémines, bas.
Bernardet. ici?
— Parfaitement. Bernardet, — Je suis abruti. Grémineb. — C'est bien simple. Tu me diGrémines.
sais tout à l'heure
toi-même
:
«
Fais ce que
tu vois, ce que tu as sous les yeux vois que
mon
».
Je ne
pays. Lui seul m'est présent,
partout et toujours. Alors, c'est lui que je reproduis. Je ne saurais peindre autre chose.
La première
fois
appareil, et les îles,
croquis, je
me
je suis sorti avec
mon
à peine installé devant la
petit
mer
le beffroi,
que
au moment de tracer
suis aperçu
mon
que je dessinais
avec ses quatre tourelles.
— Le voilà Je reconnais. Grémines. — Et moi donc Quelle allure Bernardet.
le
!
!
Alors je n'ai pas résisté,
j'ai
!
continué;
et^
DIALOGUES DE GUERRE
195
de mémoire, en regardant plus loin je les ai toutes faites, l'une
qu'ici,
après l'autre.
— Pas dehors Grémines. — Dehors. Bernardet. — En plein air? Grémines. — Oui. Bernardet. — G'est merveilleux. Grémînes. — Non. Bernardet. — Mais pourquoi pas Bernardet.
?
ici,
chez
toi?
Grémines. les
— Pour
n'être pas surpris par
miens, surtout par
ma
chère femme,
que cela aurait navrée. Dehors,
je pouvais
travailler en toute confiance. Et tu n'ima-
gines pas la sensation étrange, poignante, exquise... sous ce ciel de feu, caresser l'autre, le
mien, ce
ciel pâle et nacré...;
après-midi aveuglants de
soleil,
par des
tremper,
laver, baigner ces vieilles murailles d'eau
ruisselante et jaune, faire cracher les gargouilles, étaler de belles flaques^ peindre la
pluie
!...
les
embruns du Nord Par !
instants,
j'en pleurais tout seul. [Allant à ses relles.)
Voilà
le
pont surlaScarpe...
le
aquasquare
de l'Eglise, la porte de Valenciennes..*
DIALOGUES DE GUERRE
196
— Oui, oui, Crémines. — N'est-ce pas
Bernardet.
c'est ?
bien ça...
{Avec plus d'é-
motion.) Et puis celle-là alors, la maison,
ma
maison de toujours, de mes parents, de
plusieurs générations, où tu es venu vent, où on a tant
ri
Les
C'est exprès.
Il
!
toits
sou-
si
pleut aussi, tu vois?
Le
brillent.
ciel
a
bien son air de ciel d'usine et de filature. Ça vit.
On s'enrhume
Ah mon
à la regarder...
!
bon Jules. (Il l'embrasse, avec un peu de pluie égaalement au bord des paupières.)
Bernardet, troublé, lui rendant son étreinte
— Cher Albert. Crémines. — Merci.
Merci.
Bernardet, pour faire diversion.
quand
— Mais
tu peins ta ville dehors en face de la
mer, qu'est-ce que pensent
gens qui
les
s'arrêtent derrière toi et qui voient ça ?
Crémines. fois, et
ça a
en disant dès qu'on paix.
—
Ils
suffi. Ils
!
sont partis épouvantés,
«
C'est
un fou
me
voit,
on
:
[On entend du
femme
ne sont venus qu'une ».
Maintenant,
se sauve,
bruit.)
Vive
et j'ai la !
vite
I
ma
I
DIALOGUES DE GUERRE
(Il
dans
remet précipitamment le
197
les
aquarelles
carton qu'il cache.)
Madame Grémines, entrant
et
apercevant
nouveau venu. — Bernardet? Ah Quel bonheur
!
!
le
cher ami.
Quelle joie vous nous faites
!
un peu tard parce dû consoler un de mes petits blessés.
[A son mari.) Je rentre
que j'ai
est d'ici, et
Il
son père, qui se trouvait de
passage à Lille quand l'ennemi s'en est emparé, n'a pas qu'il est
pu en
enfermé
sortir.
Voilà des mois
là-bas. 11 a pu, je
ne sais
comment, arriver à faire parvenir à son fils une longue lettre qui l'a désolé, parce qu'il lui dit
que ce qui
lui coûte le plus, ça n'est
pas tant les Prussiens que la privation de soleil,
de ciel bleu, de bonne chaleur, dans
un pays où
il fait
temps, tout
le
froid,
temps
!
Et
où il
il
pleut tout le
est inconsolable
de son Midi. C'est bien naturel.
Monsieur Grémines. les
gens du Midi, tu
toujours.
—
Sans doute
sais!...
ils
!
Mais
exagèrent
LES ENFANTS
XV
LES ENFANTS Dans
les
hauteurs de Montmartre.
boutique peinte en vert
clair,
Une
petite
sur la devanture
lit Lambin, tapissier. A l'ExacTravaux en tous genres. Décoration d'intérieurs. Deux enfants, Paul Lambin, quinze ans, dit Poulet, et sa sœur Isabelle, treize ans, dite Zab, y sont assis bas, sur deux vieilles caisses, de chaque côté d'un guéridon disloqué, posé à plat sur le sol, son pied à trois doigts en l'air. Zab tient le meuble à deux mains pour qu'il ne remue pas et Poulet, armé d'un marteau,
de laquelle on
:
titude.
plante des pointes dedans avec satisfaction.
femme grie.
Une
s'apprête à sortir par le fond, pâle, amai-
Mise décente.
Un
air
de grande lassitude
physique et morale. C'est M""^ Lambin.
DIALOGUES DE GUERRE
202
M™^ Lambin.
—
Vous
travaillez,
mes en-
fants ?
— Oui maman.
Poulet,
On
finit
ma-
ce
tin le guélidon des Sauvage.
M"^ Lambin. Zab. M'»^
— Moi, je
— Où vas-tu Lambin. — Chez ?
côté, savoir
quand
s'il
est-ce
prendre
M"»*'
Mathieu,
c'est
à,
guérit de sa bronchite, ei
qu'il
en
sera
de
état
re-
le travail.
— On Lambin. —
Poulet.
même
sors.
est là,
nous deux.
Vous ne pouvez tout de
pas le remplacer.
— Avee ça Lambin. — C'est un bon ouvrier. Poulet. — est vieux. Tandis que
Poulet.
!
M""^
Il
nous...
Ne
te frappe
pas pour Mathieu, va...
M"® Lambin. — Oh Poulet. — Oui. Tu M*"^ Lambin. — Poulet. — Non.
!
si
ce n'était que lui
pour
te frappes
J'ai trop
de raisons.
Tais-toi, petite
M"*^ Lambin, se tournant vers sa
baisse
le
nez,
soeur. Elle
très
gênée.
—
ne trouve rien à
parce qu'elle pense
comme
!
tout.
mère. fille
qui
Regarde ta
me
moi.
dire, elle,
DIALOGUES DE GUERRE
Zab, sans conviction.
203
— Pas du tout ma-
man...
M™" Lambin.
—
toi aussi tu crois
Si... si...
Je sais bien que
que ton pauvre
Défendu
î
Va
chez Mathieu.
père...
—
Pch...
(// la
pousse
Poulet, sans la laisser finir.
affectueusement dehors. Elle veut parler...)
Non. Rien. Je t'aime, mais je t'écoute pas.
Va chez
Mathieu...
(Elle sort navrée.)
Zab, à son frère. plus.
Ça
me
Poulet. Zab.
— Poulet, je n'en peux
fend le cœur.
— Quoi
— De dire
?
et
comme tu m'as mon idée. Quand
de faire
forcé.
Tout l'opposé de
notre
papa a été porté disparu, l'année
dernière, tout de suite, qu'il n'était pas
moi
j'ai
mort, qu'on
eu confiance le
reverrait.
Toi pas.
Poulet. péri. il
—
C'est vrai.
Pour moi,
il
a
Jamais je ne m'en consolerai, mais
a péri. Zab, avec énergie.
de dire chacun
— Non.
Alors, au lieu
comme nous
pensions, à
DIALOGUES DE GUERRE
204
maman
qui était folle et qui ne cessait de
que ce
pleurer, tu as voulu fasse
Eh
l'a...
bien
t'es
mis à
que tu m'as
mon
beau rôle
le
Une
laissé le vilain.
invention que tu as eue là
donc
faire celui
ça n'est pas gentil...
!
sans compter que tu as pris et
moi qui
qui n'espérait plus, et toi qui
celle
n'a pas confiance tu
qui
soit
!
riche
Rends-moi
idée et reprends la tienne.
On
mère comme on juge et comme on raisonne dans son cœur à soi, et, de cette façon-là, on le dira bien. Tandis qu'autrement on s'en tire très mal, on n'y met pas le ton, la franchise... dira chacun à petite
Poulet.
—
Mais
si.
Tous
les
deux on
ment comme pour de bon. Zab.
— Moi,
jusqu'ici, je t'ai obéi sans
savoir, sans rien te es
grand Poulet. Zab.
—
et
que tu es
—
J'ai
—
fait
ça
ma
?
Parce qu'il
maman... dans son Est-ce
l'aîné.
quinze ans.
Mais aujourd'hui je t'interroge.
Pourquoi as-tu Poulet.
demander, parce que tu
faute
si
le
intérêt.
je crois
fallait.
Pour
Sans doute.
malgré moi que
DIALOGUES DE GUERRE
père a été tué
le
?
pas la nuit.
dors
avoir ton espérance
205
Ça m'étouffe
Ah
je voudrais bien
!
Je ne
!
et je n'en
l'ai
Qu'y
pas.
que
faire? Seulement, voilà, j'ai compris
hommes,
moment, et surtout en temps de guerre, même quand ils croient les
à tout
que ça va mal,
ils
doivent toujours dire
que ça va bien. C'est
qu'on
cette parole-là
attend d'eux, et qui tape, parce que c'est les
hommes...
et puis
à la s'il
qu'ils ont les
manque
et
qui
a raison
il
a tort, et
monde par pensé
:
si
cheveux courts
Un homme
une grosse voix.
mâche du
même
noir,
fiche
il
qui est
tout le
terre autour de lui... J'ai
donc malheur de laisser enmère le iond de mon idée
le
j'ai
tendre à petite rapport à papa,
comme
elle est
persuadée
qu'il est blessé, prisonnier, vivant... je vais la ravager... tandis
qu'en ayant
l'air
d'en-
trer dans ses vues, je la soutiens.
Zab.
—
Eh bien mais
je lui dis le contraire
Poulet.
alors,
— Justement.
moi seul pour causer, ça ça pousserait
maman
moi ? Quand
?...
S'il
n'y avait que
serait trop alors,
plus loin
qu'il
ne
DIALOGUES DE GUERRE
206
faut...
C'est
pourquoi je
t'ai
conseillé d'ob-
server le système contraire... pour équilibrer. Et puis, de ta part, les choses
vaises
prennent moins de sérieux.
une femme, Zab.
—
Oh
Poulet.
même
toi,
Zab.
ne
—
sœur, qui Poulet. Zab.
—
te tapes
la faiblesse et
vie en rose,
que
c'est tout na-
pas à conséquence.
tire
Et pourtant tu
mon
l'homme,
fillette.
!
— Si tu as de
tu ne vois pas la turel, ça
une
pas...
mauTu es
Poulet,
as
c'est
beau faire
moi, Zab, ta
le suis.
— Des
fois,
Quand
çà et
là^ c'est possible.
tu te coupes, ou que tu
sur les doigts avec
un marteau,
tu cries plus fort que moi.
Poulet. fort
que
—
Parce que je
toi, tiens
!
Il
ne
me
s'agit
cogne plus pas de
ça...
mais de maman. Qu'est-ce qu'est arrivé, grâce à
ma
ruse
?
C'est qu'à dire
chacun ce
que nous ne pensions pas, nous l'avons tout de môme dit du mieux que c'était utile.
Quand
elle
perd courage avec
elle le retrouve.
toi,
avec moi
Et quand je la vois qui se
lance à trop rêver, je te fais signe pour que
i
DIALOGUES DE GUERRE
207
tu l'arrêtes, et que tu la remettes dans le doute.
— Et ça m'est dur, Poulet Oh Poulet. — Je m'en rends compte,
Zab.
Y
!
a que
On
se
toi
oui
!
Zab.
capable d'un pareil sacrifice.
repasse,
la
!
entre les deux,
comprends-tu
un qui
?
Alors,
dit blanc,
l'autre
qui dit noir, à force de croire et de ne pas croire, elle est ballottée, cette
ne
et elle
sait plus...
pauvre mère,
mais plus du
tout...
Et ça l'empêche de se buter à une idée
dans n'importe quel sens. Ainsi, tit,
le
fixe,
petit à pe-
jour où elle connaîtra la vérité, elle
tombera de moins haut Zab.
—
Poulet. Zab.
11
—
—
et se désignera.
n'est pas mort.
Je voudrais.
Si tu le voudrais, et autant
moi, tu ne penserais pas le contraire. été
envoyé en mission, un
Poulet. c'est les
Zab.
—
Mission
Il
a
soir...
« très
dangereuse
»,
termes.
— Bien entendu. Toutes sont. — Plus ou moins. Celle-là le
Poulet. le plus.
que
Et
l'était
il
à l'armée. Et
n'est pas revenu. il
n'a jamais
On
l'a cité
donné signe de
DIALOGUES DE GUERRE
208
vie,
depuis onze mois, lui qui prenait la
plume toutes assez clair
Zab,
—
!
les
semaines
C'est pourtant
!
Oii veux-tu qu'il
soit ?
Blessé... prisonnier,
dans
ou évadé... m'est égal. Mais il
loin...
bien
Ça
Rien ne m'éton-
vit.
nera de papa, tu entends
— Ça, oui. — se Toujours Zab.
loin,
forêts...
les
?
Il
est si
brave
!
Poulet.
il
proposait pour les
périls.
Poulet.
cause de Zab.
—
même
C'est
ce qui aura été la
sa...
—
Puisque
débrouillard!...
je
te dis qu'il vit
!
Et
malin! Rappelle-toi... Le
jour qu'il est parti,
comme
il
était gai
pour
« Mes enfants, nous empêcher de pleurer un morceau de cassé... à :
j'aurai peut-être
manière d'un
la
pied...
fauteuil...
Vous savez que
c'est
un bras ou un pas grave et ça
se recolle... Plus solide qu'avant.
Quoi
qu'il
arrive, espérez toujours... je suis sûr de re-
venir, fidèle à
Poulet. Zab.
On
—
ma
devise
:
A
l'Exactitude
».
— On l'attend. Eh
bien on l'attend. Quoi donc
peut. Travaillons, tiens.
A
?
bavarder on
à
DIALOGUES DE GUERRE
ne
fait rien. 11 s'agit
209
de montrer qu'on égale
Mathieu.
— Pas pour tout. — Pour tout. Moi je
Poulet.
...
un
poser
siège,
un un
sais nourrir
Zab.
bourrelet, tendre
un
entoilage, garnir
galon, et puis rester une
heure avec de la semence plein la bouche, sans l'avaler.
Poulet.
dame
je
!
—
Et moi pour l'échelle, ah
Un
ne crains personne.
écureuil.
Et puis que je drape à l'italienne,
aux grands boulevards
—
Zab.
la torsade
Poulet.
que
comme
!
Et je connais la passementerie
!
!
—
Et moi
je sois pas
grande largeur
le tissu
au front
je saurais prendre
Zab.
!
!
!
Dommage
Je te garantis que
un drapeau,
oui, et
en
demande
!...
!
— C'est pas ça qu'on
te
ni à moi, de ramasser par terre des zouaves
qui ont
soif.
la boutique.
Notre
champ de
Notre devoir
c'est
bataille c'est
de faire mar-
cher la maison nous deux et de contenter la clientèle,
pour que
maman
ne pâtisse
pas d'abord. 14
DIALOGUES DE GUERRE
210
—
Poulet.
Aie pas peur. Je mendierais,
je volerais plutôt
Zab.
—
!
C'est pas ça
non plus qu'on
te
conseille.
— Histoire de
PouLEï. Zab.
—
Sans doute... Et puis pour que
de cette façon,
vainqueur,
Zab.
il
—
Poulet.
—
—
jour où
le
le
père rentrera
retrouve tout en ordre...
Tu recommences.
Non,
Poulet.
dire.
je continue.
Ça
serait trop beau. C'est di
cinéma, Zab. Zab.
—
Tout ce qui est au cinéma,
c'est
arrivé et ça arrive, tout, tu entends!...
Tu
verras.
Poulet.
— Allons
!...
Tu
sais bien
jour-là je serai plus fou que toi
Zab.
—
à travers
Pas plus. Autant.
—
Poulet.
que ce
!
Oui. (// regarde dans la rue
la glace.) Tiens, voilà
maman
qui
rentre.
Zab, qui regarde aussi.
—
Elle est avec"
Madame Sauvage. Poulet.
—
Sais-tu
peu, je vais chanter.
?
Pour
la dissiper
un
DIALOGUES DE GUERRE
Zab.
— Oh
Tu en mets de
ça, c'est trop.
!
211
trop. Poulet.
—
Poulet. Zab.
—
Non.
Alors,
moi
— Oh non
Poulet.
aussi !
Pas
?
toi
!
Tu
fais celle
qui n'a pas confiance... tu ne peux pas... ça égarerait Zab.
—
maman. Oh Enfin, !
me
Dieu qui
j'espère que le
bon
voit...
Poulet, chantant, mais à mi-voix, avec
un
tact infini
:
Ne fermons
pas nos cœurs à la douce es..pé..rance... Plus d'un de ceux que l'on croyait perdus, Quand on n'y comptait plus, Reverra le ciel de la France...
(La porte s'ouvre sur ces derniers mots
deux femmes entrent.)
et les
—
M™° Lambin. Tu chantes, mon Poulet? Tu as donc confiance, que tu chantes ? Poulet.
—
Toujours.
M™* Lambin, à sa rie ?
Pas
fille.
—
Et
toi,
ma
ché-
toi, je le sais.
Zab, étranglée d'émotion.
man, mais
si.
— Mais
si,
ma-
DIALOGUES DE GUERRE
212
M™* Lambin, avec un sourire douloureux.
—
Enfin... soyez gais,
votre âge. J'aime
malgré
mieux
ça...
tout. C'est
de
[A mi-voix, à
i/"« Sauvage.) Les enfants... ça ne se rend
pas compte. (Poulet et Zab, qui ont entendu, échangent
un regard.) Poulet, à M'"« Sauvage. votre guélidon est prêt.
— Et puis voilà,
L'APPEL
XVI
L'APPEL
Dans le salon d'un petit château en Morbihan. Le Comte et la Comtesse de Guernalo sont seuls, un soir de janvier 1915. Il pleut. Le vent souffle. Vêtus de deuil, assis devant la cheminée, ils regardent
le
feu qui s'éteint, et par
ravive, contre
distingue,
vieille
au-dessus d'un
empanaché de s'il
une
suie.
écusson,
Le comte
prenait une décision. C'est
approchant de
la
moments
un casque
se lève,
comme
un homme grand,
cinquantaine,
marqué, dans
toute sa personne, d'énergie et de résolution. fait le
tour de
de sa femme.
la
se
plaque de fonte où se
Il
pièce et vient se rasseoir près
DIALOGUES DE GUERRE
216
Le comte, dans un imperceptible que cependant sa voix
—
trahit.
Il
effort
faut que
je te parle.
La
Qu'as-tu
—
Comme
me
dis cela!
à m'annoncer? Encore
un mal-
comtesse.
tu
heur?
— Nullement. — Une grave
Le comte.
La
comtesse.
nouvelle,
jl
le sens.
— Importante.
Le comte, (Il
La
se lève.)
comtesse.
— Je sais ce que
c'est.
(Elle se lève également.)
Le comte, avec vrai! Quel si
bonheur
si
de ton côté tu avais
que moi
et si ce soir
en face de
la
—
élan.
le
fait le
Le comte.
si
c'était
même chemin
!
regardant au fond des
— Tu pars? — Oui. La comtesse. — Pourquoi?
yeux.
!
nous nous rencontrions,
grande idée
La comtesse,
Ah
tu m'avais deviné!
DIALOGUES DE GUERRE
217
— Tu demandes La comtesse. — Parce que notre
Le comte.
le
!
fils
a été
tué? Il y a cinq mois... C'est pour cela? Certainement. Le comte.
—
La
—
comtesse.
J'en étais sûre... Voilà
Depuis quand l'as-tu? Elle ne
l'idée.
pas venue tout de
t'est
suite ?
— Non. — Comment venue? La Le comte. — Peu à peu. Et à toi? eue insLa comtesse. — Oh moi! Je
Le comte.
comtesse.
t'est-elle
l'ai
tantanément. Dans les cinq minutes
oii j'ai
appris la mort d'Alain.
Le comte.
— C'est
la
preuve qu'elle s'im-
posait.
—
et
Comme celle d'un second La comtesse. nouveau danger, oui, du plus grand qui
pouvait,
après l'autre,
pressentir
une
m'atteindre! Mais
catastrophe,
donc
est-ce
l'accepter?
Le comte.
— Tu n'approuves pas ma pen-
sée?
La
comtesse.
—
Je la réprouve, je
l'ai
horreur.
Le comte.
—
...
Et tu la comprends.
en
DIALOGUES DE GUERRE
218
La
me
ou
—
comtesse.
Non. Elle m'échappe
dépasse.
—
Le comte. Ni l'un ni l'autre. Ecoute-moi La comtesse. Je sais tout ce que tu vai
—
me
me
dire. Je
moi-même...
ça ne m'a rien
et
—
Le comte.
déjà répété cent fois
le suis
maintenant vais
Mais
Oui.
fait.
moi qui
c'est
te le dire. Ainsi les
mêmes
choses ne seront plus pareilles. Je leur donnerai leur vrai sens.
La
comtesse.
Et pour rien
!
—
Tu
Tu
tiens à
pars. Je vois
me
déchirer.
que
ta réso-
lution est prise...
— Irrévocable. comtesse. — Cela
Le comte.
La
suffit.
Je ne peux
pas t'en empêcher. Pars. Mais pourquoi des
mots ? Chaque parole
est
une blessure inu-
tile...
Le comte. toi. C'est
—
...
un mal
Dont je souffre autant que nécessaire.
pour moi seulement de connaisses mes La comtesse.
que de garde
rester.
les
11
partir,
ne
s'agit pas
mais que tu
raisons. Je te les dois.
—
Tu ne me
Garde
dois rien
tes raisons
miennes, dont je
te fais
comme
— je
grâce.
I
DIALOGUES DE GUERRE
— Je suis prêt à comtesse. — Pour n'en
les entendre.
Le COMTE.
La
compte. Eh bien, nous l'heure.
2i9
pas
verrons
tenir
tout
à
Commence.
—
Persuade-toi d'abord de ceci Le COMTE. ma chère femme, je ne suis décidé à partir :
qu'avec ton consentement.
La
COMTESSE.
tu espères
— Jamais
Si c'est là ce que
!
!
Le COMTE.
—
...
Et pas
un consentement
d'obéissance passive ou de lassitude, non,
une franche adhésion,
plein concours de
le
ton esprit et de ton cœur.
La comtesse. Le comte.
—
m'en
aller.
— Tu ne
les
obtiendras pas.
C'est toi qili
me
diras de
Pourquoi je pars? Rien de plus
simple. Par ordre supérieur.
La
comtesse.
— Tu as passé l'âge de toute
obligation militaire.
Le comte.
— Par ordre d'Alain,
de notre
enfant.
La
comtesse.
— C'est
toi
qui te le doiines
à toi-même cet ordre.
Le comte.
— C'est
Et à toi aussi.
lui.
11
me commande.
DIALOGUES DE GUERRE
220
La
—
comtesse.
Non.
Il
ne m'a rien
dit
là-dessus.
—
Le comte.
m'a chargé de
Pour
ménager. Mais
te
dure commission. Je ne
la
suis pas laissé convaincre
me
Tout ce qui
crois-le.
retenait à toi, tout
en droit d'objecter, je
que tu
ai
soumis, avec la partialité
et
une résistance
si
me
du premier coup,
ce
étais
il
le lui
la plus
ardente
me
coûtait,
vive qu'elle
mais à laquelle je m'attachais en pensant à toi.
Tu
mieux
n'aurais pas
loyal. Je
ne
t'ai
lutté.
Alain a voulu, quand même. rien.
m'exige.
Il
Gomment
que j'éprouve? Je subis en double
effet
la plus
grande que
dominé ...
une évidence inouïe
Le mien
Il
n'écoute
t'expliquer ce
même
temps
le
d'une force physique et morale,
Force prodigieuse et aussitôt
J'ai été
pas abandonnée à la légère.
j'aie si
et !
jamais ressentie.
sûre d'elle qu'on est
comme
rassuré par
Je te brise le cœur
!
se brise aussi... et pourtant j'ai la
certitude d'être dans la vérité. Je vois clair.
Je crois que, par-dessus tout, j'accomplis ce qu'il faut.
Ma
conscience est tranquille.
Je respire. Je goûte à cette conviction de ne
DIALOGUES DE GUERRE
pas
me
tromper, une quiétude sereine qui
commun
n'a rien de gile qui
:
le bien-être fra-
ne peux pas mieux un peu hors de la vie. L'ind'Alain. Son œuvre irrésistible. A la vie. Je
je suis
fluence
quoi bon discuter? Il
avec
vous effleure à certains moments
heureux de dire
221
Me
débattre? M'enfuir?
vainqueur d'avance. Je suis son
est
sonnier, puisque je suis son père. qu'il est
mort! Et comment? De
la plus belle,
dans
la gloire,
la
manière
dans
en défendant son pays
nesse,
pri-
Pense la jeu-
et
nous-
un ensemble magnifique, une fin sublime, un couronnement. Il nous a couverts d'honneur et de fierté. Il est un exemple inimitable. Y a-t-il rien au monde mêmes.
C'est
qui puisse être mis au-dessus des sacrifices qu'il a
prodigués? Alors,
il
doit savoir. Les
morts ordinaires, déjà, sont renseignés sur tout ce qui nous touche et méritent d'être
écoutés quand
ils
Mais ceux-là,
les
enfants!
peut se
Un
fier
fils
nous parlent en morts de
comme
à lui les
insistant.
la guerre,
Alain!...
nos
Ah! on
yeux fermés, sans cher-
cher à comprendre. Il
sait.
Quoi
qu'il con-
DIALOGUES DE GUERRE
223
seille et dise, il
fait
pour
même. sible
il
a raison,
voit plus loin,
il
mieux, dans notre intérêt
le
nous aimait autant
Il
quand
Certainement,
était vivant...
il
aujourd'hui,
qu'il est pos-
ne nous aime pas moins,
il
mais avec plus de pouvoir
d'étendue.
et
nous séparer sans motif puissant,
Va-t-il
souverain
?
Non. Est-ce moi qui
me
des raisons de chevalerie patriotique
un mystique de
Suis-je
ma
orgueilleux de
la
race
fils
me
fait
Non.
guerre? Non.
Un
Non. Manqué-je
?
de simplicité, d'humilité
Mon
forge
?
?
Pas davantage.
signe. Vo'ilà tout.
Il
me
montre que je suis fort, que quand il naquit, que je dois le redevenir à présent qu'il n'est plus, et que je n'avais j'étais officier
démissionné que pour rengager, au bon moment.
me
Il
dit
que depuis son départ
a dans l'armée une place vide, à et qu'il attend
que
être tourmenté...
je l'occupe,
Du moment
y
mon nom,
pour ne plus que, bien lixé
sur tout ce que nous sommes, l'un à l'autre, et regardant
il
toi
et
moi,
notre union,
notre unité, tes pleurs, nos débats en cet instant
môme,
il
persiste à m'appeler, tou-
i
DIALOGUES DE GUERRE
jours...
y
«
aller.
ton
Allons, père! le devoir!
trace
chef, le héros.
La comtesse.
—
Le comte, revient.
tout à
De
ma
—
La comtesse.
» il
faut
tendre amie. Mais
conduite. C'est lui, le
Nous n'y pouvons Et
si
rien.
tu ne reviens pas?
Même quand on
l'autre
On
fait.
tôt... ta
ma
Je t'adore,
me
fils
223
côté.
meurt, on
Nul ne
est toujours là,
s'en
va
autrement.
— Penses-tu obtenir... bien-
réintégration?
— Je C'est — La comtesse. Ah!... Et quand pars- tu? Le comte. — Demain. M'en veux-tu touLe comte.
l'ai.
fait.
jours?
La fils
comtesse.
— Non.
est le maître.
jusqu'à
Tu
as raison. Notre
Je tâcherai de monter
lui.
Le comte. (Elle
—
Il
nous tend
tombe dans
les
mains.
ses bras ouverts.)
NICOLAS
15
XVll
NICOLAS A
Neuilly, au bout d'une voie peu construite
et d'aspect
casque
campagne, un soldat d'infanterie, en
tenue de guerre, sonne à
la grille d'une grande propriété bordée de murs, au-dessus des-
et
quels s'élèvent des arbres. Il tient à la main un volumineux paquet enveloppé d'une serge noire.
Au bruit de la sonnette qu'il a tirée fort, des aboiements de chiens retentissent nombreux, au loin. Il attend
une minute
femme d'une quarantaine
et voit enfin venir
une
d'années, robuste et
teint hâlé, en cheveux, les
le
manches retroussées
sur ses bras demi-nus.
Le soldat,
—
Pardon, excuse... La ba-
ronne des Plantes?
DIALOGUES DE GUERRE
228
La femme. lui
— C'est
ici.
Qu'est-ce que vous
voulez?
— Rapport à une La FEMME. — Alors entrez
Le soldat.
bête.
!
(Elle ouvre la grille.
Il
entre.)
Le soldat, posant son paquet. voilà.
La bête
— Eh bei
qu'il s'agit...
La femme. — Non. Taisez- vous.
me
Faut rien
dire.
— Pourquoi femme. — Madame
Le soldat.
La
?
le
défend.
Elle
n'aime pas qu'on raconte avant à d'autres. Elle veut avoir l'étrenne des bêtes qu'on lui
apporte, comprenez-vous
Le soldat.
?
— Bon, bon...
Elle l'aura. Je
baisse la trappe. Quel type c'est, vot'
— Tout ce — Pour La femme. — Et
La femme.
Le soldat.
et puis
y a de bon. seulement?
les bêtes
...
animaux.
qu'il
dame?
[Ils rie?it.)
les
gens aussi, tous les
A
preuve moi, tenez!
deux autres, une des Ardennes, une un amputé de jambe gauche
d'Alsace, et
qu'était garçon chez
nous a
un
vétérinaire... Elle
recueillis.
J
DIALOGUES DE GUERRE
Le soldat,
une noble
!
Elle est
—
La femme. elle a.
— Ah
ben, c'est gentil. Pour
donc bien riche ?
Pas tant qu'on
Et tout va aux pauvres
Un vœu
229
qu'elle a fait
quand
Mais
le dit.
et
aux
bêtes.
elle était petite.
Le soldat. — Gomment ça?
—
La femme. le
C'est la
grand savant
fille
de Victor Bru,
!
— Connais pas. — Un vivisecteur... de ces gens
Le soldat. La feaime.
qui ouvrent les chiens et les lapins.
Le soldat.
— Ah oui
!
pour bricoler de-
dans, sans que ça serve à rien
La ment eu de
— Tout juste.
femme.
!
Elle avait telle-
chagrin, pendant son enfance et
sa jeunesse, de voir martyriser les animaux, qu'elle avait juré de se consacrer à
eux
plus tard, en réparation des souffrances que
leur avait infligées son père. Après avoir refusé de se marier jusqu'à trente-deux ans, elle a
épousé
le
baron Mauve, qui partageait
ses idées, qui a fondé l'Institut de zoophilie.
Le soldat,
— Et monsieur Bru, dans tout
ça?
La femme.
—
11
est mort.
Même
qu'il s'est
DIALOGUES DE GUERRE
230
opposé par testament à ce qu'on l'ouvre après son décès.
Le soldat.
—
aurait mérité qu'on le
Il
désobéisse, oui! Et monsieur
Mauve?
il
vit
toujours, lui, j'espère?
—
La femme.
Mort
dans une partie de l'eau après
aussi,
plaisir,
y a deux ans, en se jetant à
manger, pour sauver son chien
qui était vieux et se noyait.
Le soldat. Mais
—
elle s'est
qu'elle s'appelle
La femme.
Ah
—
c'est
madame
pas payé, vrai
!
des Plantes?
Non. Seulement dans
comme on
pays,
!
donc remariée votre dame,
dit depuis
le
longtemps, en
parlant de la maison que c'est le Jardin des Plantes, on a fini par lui donner ce nom-là.
Maintenant, allons
Le soldat. cent...
minute... à votre ac-
vous ne seriez pas du Nord
La femme. pait.
la rejoindre.
— Une —
Si.
?
Vous aussi? Ça me
frap-
Je suis de Dunkerque.
— Et moi de Saint-Pol. — La femme. Y a une distance. Le soldat. — Mais on tout de même Le soldat.
est
pays.
Moi
je suis mineur.
i
DIALOGUES DE GUERRE
— Des enfants — Non. La FEMME. — Une femme Le soldat. — Oui. Elle La femme. Le soldat,
les
231
?
?
est restée
dans
pays occupés. J'en ai pas de nouvelles
depuis Charleroi. Et vous, votre
vous en avez un
La femme.
homme?
?
— Et bon.
Il
est de la flotte, à
Salonique.
Le soldat.
—
de Dunkerque
La femme. rité,
Pourquoi vous êtes partie
?
—
On nous
a évacués d'auto-
à cause des marmites. Alors
j'ai erré
jusqu'à ce Paris, et puis, par quelqu'un,
connu madame, qui m'a le petit monde. Le soldat.
prise
j'ai
pour soigner
— Combien que vous avez de
clients ?
—
Vingt-quatre chiens, dixLa femme. chats, deux sept ânes, une chèvre folle, trois vieux chevaux de guerre, un mouton sourd, trente-huit zoiseaux, canaris, pinsons, char-
donnets, six merles, cinq perruches, et
un
veau d'Anvers.
Le soldat.
— Ben... ça
fait
du monde. On
DIALOGUES DE GUERRE
232
comment vous vous
ne s'embête pas. Et appelez
?
— Pauline Béquin. Le soldat. — Moi, Henri CréteL La femme. — Voilà madame. La femme.
(Il
se retourne.
Une grande femme longue,
blonde et mince, aux yeux bleu pâle, est devant lui. Elle a un chapeau de paille noire,
un
tablier de toile grise
;
elle est
chaussée
de galoches de bois. Une voix très douce.)
La baronne.
—
C'est vous le soldat qui
avez sonné ?
— Oui madame. Compliments. — vient pour une bête. La baronne. — Quelle bête? Pauline. — Je ne sais pas. La baronne, au soldat. — Vous l'avez Le soldat, montrant "paquet noir. — Le soldat.
Pauline.
Il
?
le
La v'ià. La baronne. Le soldat.
— Montrez — Oui. Mais !
drais vous la conter.
La baronne, qui Le soldat. qu'on
était,
—
.
.
sourit.
Une
avant, je vou;
Permettez
?
— Allez.
nuit de
l'an
pass
notre compagnie, la quator-
à
DIALOGUES DE GUERRE
campé en
zième,
233
une
attente dans
église
de village à moitié crevée, une marmite
s'amène qui démolit
un
tas de
matériaux
comme une
figure,
tiède et de et
que
vous
On
le clocher...
et
il
reçoit
m'arrive en pleine
potée, quelque chose de
moelleux qui chute à mes pieds
je ramasse...
c'était ça
que je vais
faire voir.
(Il dénoue et retire Fétoffe du paquet, et on voit un magnifique hibou dans une cage.)
— —
La baronne. Un hibou Le soldat. Un nibou, oui. On mort,
il
!
Des camarades
n'était qu'étourdi.
voulaient le tuer pour
le
le croyait
Un
manger.
Breton
a observé que ça porterait malheur et qu'il était sacré
parce qu'il avait déboulé dans la
cagna du bon Dieu. Alors je
min giron
et voilà onze
mois
l'ai
mis dans
qu'il
ne m'a
pas quitté. Aujourd'hui faut que je m'en défasse.
— Pourquoi Le soldat. — Je suis évacué pour un temps. — Et après Où La baronne.
?
?
au dépôt
je serai-t-y
renvoyé? Je peux donc pas garder Nicolas.
DIALOGUES DE GUERRE
234
— Nicol...? — Oui,
La baronne. Le soldat.
comme
On
c'est lui.
l'a
appelé
ça à cause de la Russie, pour faire
semblant que ça serait un grand-duc. cherché à qui
l'offrir.
J'ai
Personne n'en veut.
Et puis on m'a donné votre adresse. Alors je
vous l'amène.
La baronne, sans enthousiasme.
—
J'en-
%
tends bien.
Le soldat.
—
Vous n'en voulez
Quoi!...
pas?
La baronne [un
soupir).
— Je ne
prends
pas ces gros oiseaux-là.
— A cause? La baronne. — D'abord je
Le soldat.
me un
On me
limiter.
poissons...
du
suis forcée de
présente de tout... des
bétail; la
semaine dernière,
petit éléphant.
Le soldat.
môme
—
Mais Nicolas?
c'est
pas la
chose. N'a pas de trompe.
La baronne.
— Et puis,
c'est
une bête de
proie.
Le soldat,
riant.
— Lui? mon nibou
plus de proie que nous deux.
erreur
!
Écoutez,
madame,
En
?
v'ià
s'agit pas
Pas
une
d'une
DIALOGUES DE GUERRE
235
charade, c'est sérieux, je compte sur vous
ma
pour prendre
Ah vous pouvez
bestiole.
!
pas refuser!
La baronne. Le soldat.
— Impossible. — Dites pas
Gomme
moi.
Comprenez-
ça.
à l'instant je le touchais à
votre bonne, je suis sans nouvelles de
femme qui
est à Gharleroi
;
j'ai
ma
pas d'en-
fants, j'en désirais, ils
ne sont pas venus,
mon
goût des bêtes. Eh
c'est la raison
de
m'y
bien, cet oiseau, je
comme
l'aime
Je
mérite.
me
sans
suis attaché et je
quelqu'un.
D'ailleurs
il
le
vous en causerais des heures
fatiguer.
Y
intelligent, plus fin.
a pas plus gentil, plus est
11
courageux
comme
doux comme une colombe. La propreté même. 11 ne se nourrit pas de sa-
un
aigle et
loperies,
mange de
du chocolat;
tates,
jus,
il
il siffle, il
La
il
embrasse.
baronne, souriant.
Le soldat. le fait
!
il
11 rit...
— Oh
— Mais oui, çà
!
et là... S'il
ne
pas plus souvent, c'est qu'il n'y a
guère motif. Et surtout
ah
du singe, des paboit du pinard et du
tout,
c'est
un
en connaît des choses,
sorcier.
s'il
Ah
!
pouvait les
DIALOGUES DE GUERRE
236
sortir! lui.
Il
Sûr
!
comment que
sait
pense tellement
11
profond que nous...
tout ça finira, Réfléchit plus
!
(// le sort
de sa cage
et
prend sur son poing.) Tenez, regardez-moi ça... si beau, si grave, avec ses grands yeux d'or en tranche d'orange. Voyez-moi si on
te
ne
dirait pas, ces yeux-là, des
dans
le ciel,
dans l'obscurité et pioncer, il
les entend.
On
!
veille.
il
bouledogue.
phénomènes
au pôle Nord? Et un guetteur, peut se reposer dessus
Les plus petits bruitS|
Pas besoin de concierge ni de
Il
vous gardera votre propriété
mieux qu'un sergent de
ville.
Là-haut
il
sen-
tait le
l'attaque avant tout
le
petit
Boche et flairait monde. Il faisait un
ouvrant
le
voilà
Et jamais
tard,
»
!
il
bec,
et il
ça
ne
ronflement en
signifiait s'est
Les
«
:
trompé. Plus
a servi d'agent de liaison.
Il
allait
porter des ordres à cinq cents mètres au
Bois-Capendu
ment
si
mou
et
il
revenait, avec
qu'on
toutes les attaques de nuit la
un
glisse-
n'entendait rien. il
partait,
vague, volant au-dessus de nos Invulnérabe
!
Après
avec
têtes, re-
pérant la tranchée adverse, et jamais rien attrapé.
A
il
n'a
l'action,
DIALOGUES DE GUERRE
n'y avait qu'à
lancer,
le
il
237
allait entre les
lignes se poser là juste où étaient des nôtres,
comme
blessés ou morts. Alors,
avait in-
il
diqué la place, on portait secours. Et jamais
malade non il
plus... pas tapageur, pas bavard,
se méfie des oreilles ennemies... Enfin je
vous
dis,
vous n'en aurez que du
La baronne. ami. Tenez
!...
que vous pas
me
mon
Impossible,
pauvre
voilà vingt francs...
—
Le soldat. C'est plutôt
—
plaisir.
De l'argent ? Mais non moi qui vous en donnerais pour
me
!
ma
preniez
faire cette peine,
bète
Vous
!
voyons
?
n'allez
vous? une
baronne? J'en pleurerais. C'est rien, ce que vous demande Avec toute votre arche de
je
!
Noé, une de plus, une de moins...
La baronne.
— Je
n'ai plus
Pauline, doucement.
Le soldat.
du jardin. La baronne, avec pour
— En Serbie —
force.
les chiens.
C'est des
parties
— Non. La Serbie
Ne mêlons
— En Pologne La baronne. — C'est pour
Pauline.
?
— Hein?
Pauline, au soldat.
c'est
de place.
pas.
?
les chats.
DIALOGUES DE GUERRE
238
— C'en est un. Un chat-huant. Pauline. — En Belgique? La baronne. — se battrait avec veau. — Le soldat. Mais non! Pauline. — Eh bien alors, madame Le soldat.
le
Il
si
permet, je
le serrerai
ma
dans
me
n'en bougera pas. Et ça
chambre.
Il
causerait bien
de l'agrément, parce que... cet homme-là et
moi, nous sommes pays, du Nord. La baronne. Allons donc Le soldat. Ça se trouve comme
— —
Une veine! Alors
!
cette fois...
La baronne, vaincue. Le soldat.
me
— Ah mon
prendre
!
— Oui,
Vous
ça.
vous voulez? là.
êtes chouette de
[A son oiseau:)
nibou.
T'entends? Fais mignon à la dame. seau bat des ailes.) Vous voyez
s'il
[L'oi-
a de
l'es-
prit? [A Pauline:) Et puis vous, merci de vot' le
bon cœur. Voilà Nicolas. Mais
donne pas,
guerre,
si
je vous le
prête...
je suis toujours de ce
je
vous
Après
la
monde,
je
reviendrai le chercher, nous irons ensemble
au
pays... et puis là,
nous
d'un clocher, j'y rendrai
dans
le ciel
de France.
le
le
lâcherons près
vol et la liberté
DIALOGUES DE GUERRE
Pauline,
— Entendu. On
le
239
soignera bien.
Le soldat, ému, serrant contre sa moustache la tête
du hibou.
[Et puis, la
main à
M'en vas
léger.
—
...
brassé son père,
la visière
du casque:)
SÅ&#x2019;UR AGATHE
16
XVIII
SŒUR AGATHE A tin,
Paris,
dans
parnasse.
Louis
le
novembre 1915. Huit heures du mahaut de la rue de Sèvres, vers Mont-
Un
XVI
,
à
vieil hôtel,
de style
deux étages
,
pressent à droite et à gauche,
très
et
d'époque
fatigué
comme une
,
que noix,
d'immenses maisons de rapport toutes neuves. Derrière ce petit hôtel s'étend la bande d'un maigre jardinet, naguère cultivé en potager, où une jeune religieuse est en train de travailler, courbée sur le sol. Au premier étage de l'hôtel, au fond d'une chambre nue et sans rideaux, à boiseries délabrées, se tient assise dans un fauteuil de paille la R. Mère Monique, supérieure de l'Ordre des Giftq-Plaies. Au mui*, tlti grand GhHst en ivoire sur une croix d'ébêtie. Et c'est
DIALOGUES DE GUERRE
244
A
terre, des paquets de vêtements. Dans un une machine à coudre. La Mère Monique, dont le visage marque soixante ans passés, achève un entretien avec une sœur debout en face d'elle.
tout.
coin,
—
La Mère Monique. Et vous êtes absolument sûre, ma sœur Basilide, de ce que vous
me
dites là?
Sœur
Basilide.
— Absolument, ma mère.
Elle les a retirées.
—
La Mèke Monique. Toutes les deux? Sœur Basilide. Toutes les deux. La Mère Monique. C'est incroyable Et depuis quand ? Sœur Basilide. Depuis cinq jours. La Mère Monique. Et où les a-t-elle mises? Sœur Basilide. Je ne sais pas, ma mère. La Mère Monique. Elle ne vous a rien
—
—
!
—
—
—
—
dit à ce sujet?
—
Pas un mot. Sœur Basilide. La Mère Monique. Et vous ne
—
interrogée
Sœur
l'avez pas
?
Basilide.
— Ni moi,
ni nos sœurs
Delphine et Léa. Nous avons respecté son silence.
Mais nous avons bien remarqué
DIALOGUES DE GUERRE
qu'elle n'était plus la
même.
presque pas. Et,
nuit,
la
245
Elle ne
elle
mange
est agitée;
comme
nous entendons ses soupirs. Alors,
nous l'aimons toutes autant que nous mirons, nous avons dit ensemble
:
l'ad-
il
faut
bonne mère. La Mère Monique. Vous avez eu raison.
aviser notre
—
Où est-elle sœur Agathe en ce moment? Sœur Basilide. Dans le jardin.
—
La Mère Monique. sœur? Sœur Basilide.
—
ma
reaux,
fait-elle,
ma
Elle arrache des poi-
—
Dites-lui de venir
parler.
Sœur
— J'y vais à
Basilide.
mère. [Elle
pas
Qu'y
mère.
La Mère Monique.
me
—
d enfant
sort.
l'instant,
ma
Une minute à peine. Un
de chœur derrière la porte, un
petit toc-toc.) Entrez!
(La sœur Agathe entre.
Une
vingtaine
d'années. Des joues rouges de santé, des
yeux de
noirs,
modestes
et francs. Elle salue
la tête.)
Sœur Agathe. demandée ?
— Ma Mère Supérieure m'a
DIALOGUES DE GUERRE
246
La Mère Monique, Oui,
ma fille. Ah
Agathe?
—
çà? que se passe-t-il, sœur
[Silence.)
vous perdez
sérieuse et douce.
Vous
êtes toute changée...
l'appétit... le
sommeil... Est-ce
vrai? Répondez?
—
Sœur Agathe. C'est vrai, ma mère. La Mère Monique. Et enfin... qu'est-ce
—
que j'apprends?... [La regardant de plus près, et feignant de s'apercevoir seulement
de la chose.) Dieu
me
oui... c'est la vérité...
pardonne!... mais
vous ne portez plus
vos croix?
—
Sœur Agathe. Non, ma mère. La Mère Monique. La Légion d'hon-
—
neur, la Croix de guerre
!...
toutes les deux!
Sœur Agathe. — Toutes deux, oui. La Mère Monique. — Pourquoi? Je veux les
le savoir.
Sœur Agathe.
— Je vais vous
mère. Si vous ne m'aviez pas j'étais
le dire,
fait
ma
appeler,
dans l'intention de vous parler, ce
matin môme. Je ne porte plus mes croix parce que... je ne m'en sens plus digne.
La Mère Monique. donc
fait?
— Vous? Qu'avez-vous
DIALOGUES DE GUERRE
Sœur Agathe.
ma
Ce n'est pas
247
— Rien du tout, ma mère. faute, à moi.
—
La Mère Monique.
De qui
est-ce la
faute alors ?
—
Sœur Agathe. Elles
me
Des croix,
ma
mère.
perdent.
La Mère Moimque.
—
Je ne comprends
pas.
Sœur Agathe. le
jour
devant place,
oii
— Voilà.
commencé
on m'a décorée solennellement,
le front
des troupes, à Arras, sur la
au milieu des ruines...
La Mère Monique. tait
Cela a
— Je me rappelle. C'é-
magnifique, et tout
—
le
monde
pleurait...
Sœur Agathe. Moi aussi, ma mère. La Mère Monique. ... quand on a proclamé les motifs... « Pour avoir, au péril de sa vie, caché et soigné pendant deux semaines, dans
—
le village oii elle était restée
seule, en pays conquis, trois officiers français blessés, ainsi
que plusieurs
—
Sœur Agathe. La Mère Monique.
Laissez cela,
soldats...
ma
mère.
—
... et être parvenue, au milieu des plus grands dangers, à les ra-
mener tous
sains et saufs dans nos lignes. »
DIALOGUES DE GUERRE
248
—
Sœur Agathe.
Gela ne vaut
pas la
peine.
—
La Mère Monique. Vous trouvez que ça Vous n'êtes pas fière? Sœur Agathe. Mais si Je le suis trop Quand le général m'a épingle les deux croix
n'est rien?
—
!
!
sur la poitrine, pendant que les tambours...
Ah
!
il
m'est monté dans
tête, une bouiïée
de
le
folie...
cœur Je
me
et
dans
suis
la
vue
grande... grande, élevée au-dessus de tous...
La Mère Monique.
ma
Sœur Agathe. ai
pas
pris
— Vous l'étiez en effet,
fille.
— Sur
fait attention.
que
j'étais
devenue
du péché d'orgueil. La Mèue Monique.
le
moment,
Mais depuis la proie
je n'y
j'ai
com-
du péché,
— A ce point.
(Elle sourit.)
Sœur Agathe.
— Oui,
ma
mère. Ne riez
pas. Car vous ignorez tout, l'étendue et les
ravages du mal...
—
La Mère Monique, bonne et incrédule. Dites-les moi donc. Vous ne savez pas, ma Sœur Agathe.
—
DIALOGUES DE GUERRE
bonne mère, que
je
suis
249
présent une
à
femme connue? célèbre?... La Mère Monique. Sans doute. Eh bien? Sœur Agathe. Eh bien c'est affreux. La Mère Momque. En quoi? Sœlr Agathe. En quoi Mais je ne
—
—
!
—
—
!
m'appartiens plus... je suis livrée au public, à la foule...
—
La Mère Monique. A l'Histoire. Sœur Agathe. Il ne m'est plus permis
—
de sortir seule,
comme
pour
autrefois,
aller
11 faut que une de nos sœurs
visiter les pauvres, les malades.
je sois à présent avec
âgées,
ou une laïque respectable... sinon
un
pas.
Tout
retourne en voyant
mes
croix.
je
ne peux
bonjour.
faire
On
ma sœur...
monde se On me dit
le
m'aborde... on m'arrête
:
«
Ah!
Qu'est-ce que vous avez fait pour
avoir ça? Racontez! » J'ai beau m'échapper,
on
me
suit. L'autre jour,
il
y a un
offi-
m'a fait le salut militaire. La Mère Monique. A la bonne heure J'espère que vous le lui avez rendu? cier qui
—
Sœur Agathe. tais
—
Et jeudi dernier...
!
j'é-
pourtant avec une personne très laide
DIALOGUES DE GUERRE
250
de cinquante-sept ans, qui en paraît bien
Nous passions
dix de plus...
marché aux mère
Ils
!
:
«
Vraiment,
fameux Vous !
oh
»
comme
ma
des
sœur
êtes de la flotte
qu'ils
bien polis et
!
démons
Ah
!
!
c'est
Oui Mais où
!
!
dites-nous vite, que vous avez pris
c'est-il,
ça?
!
ne m'ont pas plutôt vue
pleins de respect, mais
le
Ah ma
six fusiliers marins...
étaient autour de moi,
d'enfants
matin par
Madeleine quand
fleurs de la
nous croisons
le
me
Je ne savais plus où
fourrer. Alors
y en a un, gradé, avec deux galons, qui a « Ma sœur, on veut tous, dit tout à coup il
:
en remerciements, vous pour votre chapelle. Ah pas refuser?
» J'étais
offrir !
des fleurs
vous ne pouvez
joliment en peine. La
foule s'amassait.
La Mère Monique.
— Qu'est-ce que vous
avez fait?
Sœur Agathe. Mais à suite
la
en
—
J'ai dit
:
Je veux bien.
condition que vous irez tout de face,
les
l'église, à l'autel
déposer vous-mêmes à
de la Vierge.
a répondu le gradé. Alors
bouquet de roses de Nice
ils
—
«
Ça va
»,
ont pris un
— trente sous, ma
i
DIALOGUES DE GUERRE
mère, croyez-vous Madeleine
comme
!
—
et ils
251
sont allés à la
avaient promis.
ils
—
La Mère Monique.
C'est très bien,
ma
sœur.
Sœur Agathe. bien, gueil,
ma
mère,
qui
—
Mais ce qui n'est pas
c'est l'orgueil, toujours l'or-
me
gagnait, l'orgueil de
mon
importance, du beau rôle que j'avais sans
du matin au m'empêcher d'en-
cesse à jouer... car c'est ainsi soir...
Je ne peux pas
tendre tout ce qu'on dit sur
mon
passage,
n'est-ce pas?
—
La Mère Monique. Que dit-on? Sœur Agathe. Oh on raconte mon histoire, quand on la sait, ou on invente, un
—
!
tas de choses ridicules. le
tramway des gens
Dernièrement dans
parlaient
:
—
« C'est
une nonne, affirmait un ouvrier, qui a tué cinq Boches de sa main. Mieux que ça
—
déclarait
un
autre,
elle
a
!
fait
prisonniers
quarante uhlans à cheval, d'un coup. bien
!
voyez,
ma
mère,
même
pense plus qu'à
ça.
!
J'ai
Eh
ces sottises-là,
ça ne m'était pas désagréable, et je
voulais bien fort, oui
»
beau
m'en
faire, je
Je sais qu'il y a
ne
mon
DIALOGUES DE GUERRE
252
dans
portrait
les
journaux, je
vu à
l'ai
la
devanture d'un papetier...
—
Vous
La Mère Monique, grave. vous donc arrêtée, ma sœur?
Sœur Agathe. pice,
ma
—
étiez-
C'était place Saint-Sul-
mère.
—
Oh alors... La Mère Monique, rassurée. ...Entre Monseigneur Sœur Agathe. !
—
Mercié et un monsieur...
nom.
[Se
le
rappelant tout à coup:) Briand.
Qui est-ce? [La Mère Monique je
ne suis plus
ligure être
l'orgueil
sourit.) Enfin,
petite
—
me comprenez... c'est
sœur qu'au-
effacée, contente.
un grand homme...
vous
dire...
même
la
modeste,
trefois,
y avait son
il
non... je
veux
en plus de
Et,
sans doute un
ment de punition
me
Je
commence-
— moi qui n'avais jamais
la moindre idée du danger, je devenue craintive et tremblante pour tout!... Je me crois malade pour un rien,
eu jusqu'ici suis
et j'ai
peur de
la
mort, après l'avoir vue
pourtant et bravée plus de cent fois cette
sœur Agathe,
«
l'héroïne
»,
!
Oui,
comme
ils
m'appellent, c'est une orgueilleuse et une lâche
!
Vous voyez bien que
je
ne peux plus
DIALOGUES DE GUERRE
253
garder mes croix? Voilà pourquoi je les
d'aujourd'hui je vous
retirées, et à partir
supplie,
ma
mère, de m'infliger
plus humble, à
ai
l'office,
à la vaisselle.
—
La Mère Monique.
tâche la
la
C'est de l'orgueil
encore. Oîi sont vos croix?
Sœur Agathe,
les retirant
sa jupe, enveloppées dans
de la poche de
du papier
blanc.
—
Les voici.
La Mère Monique. [Sœur Agathe les rattache
les lui
—
moi
Donnez-les
donne.)
...
que
je
vous
!
—
Sœur Agathe. Quoi?... Vous voulez? La Mère Monique, les épinglant. Ah ne remuez pas Vous allez me faire piquer.
—
!
!
[Se reculant pour juger V effet.) Là. très bien.
d'avoir
Ma
fille,
Ça
voilà ce que c'est
fait
que
une conduite admirable. Tant
pour vous.
Il
est trop tard
pis
pour vous en dé-
dire et vous devez en accepter
toutes les
conséquences. Vous avez été choisie, élue
pour être une lumière de notre Ordre...
il
faut remplir cette mission. Soyez persuadée
que
la vanité
qui vous tourmente est une
épreuve, la juste et perpétuelle tentation,
DIALOGUES DE GUERRE
proportionnée à vos vertus. Si vous imagi-
nez de vous dérober exprès aux égards que
vous vous êtes acquis, pour nous
renoncement
et
n'est plus de jeu, voir.
la
Le vôtre
est
vous trichez avec
le
temps,
nommée Mère j'ai
voulu m'en qui
me
croyais la
oii
quand
Supérieure, dans le
eu une crise de
me
deurs, je
De-
de suivre les chemins
Providence vous pousse. Moi aussi,
on m'a
du
faire
de l'humilité courante, ça
folie
des gran-
sœur du Pape,
aller
pour fuir
gonflait.
On m'en
et j'ai
péché d'orgueil
le
a empêchée... et
puis ça s'est passé, petit à petit. Résignez-
vous.
Qu'elles soient de souffrance ou de
gloire, de
misère ou d'honneur,
ter SES CROIX.
On n'a
il
faut por-
pas le droit de les jeter.
Vous porterez les vôtres, toute votre vie, simplement, sans vilaine ostentation ni faussé honte, et quand vous serez pour vous présenter devant le bon Dieu, le plus tard possible,
on vous
les laissera,
on vous mettra
en terre avec. Voilà... sœur Peureuse. Allez en paix,
ma
fille.
Sœur Agathe.
Et priez pour nos soldats.
— Oui,
ma
mère.
LA DÃ&#x2030;CISION
XIX
LA DÉCISION
M. DUMONT, M™* DUMONT, GoLETTE, vingt et un ans, sont réunis, Paris, en Auteuil.
sombre
d'été, plein
Il
fait
le soir,
un
ciel
leuF
fille,
chez eux, à
pur
et
bleu
de mystère et d'avenir.
On
s'écoute espérer.
Colette, rompant soudain
Mes parents, j'ai à vous M. DuMONT, inquiet. M""^ DuMONT, à sa
le
silence.
—
parler.
— De quoi — Fais attention.
fille.
s'agit-il?
DIALOGUES DE GUERRE
258
— De mon mariage. — Oh Encore M. DuMONT. M™^ DuMONT. — Tu y reviens Chaque Colette, sans peur.
!
!
fois
?
que nous avons eu
la faiblesse
question, rappelle-toi?
cette
mal
fini
de traiter a
l'entretien
!
Colette.
—
Celui-ci finira bien. C'est le
dernier.
M.
et M""^
Colette.
DuMONT, impressionnés.
—
— Ah
1
Causons sagement... tendre-
Au début
ment. [Avec résolution.)
de
l'été
de 1914... M'""
let,
— Voilà tu reprends tout — Ça sera plus court... Le S
DuMONT.
Colette.
!
M. Raymond Berri
fiancés, avec votre plein tait
pour vous
M'"*'
Dumont.
Colette.
—
le
moi avons
!
effet, et il le reste.
en lointaine espérance.
choisie
!
!
Colette. dire
le 2 août.
— Quelle date — Heureusement qu'on l'avait
Dumont.
M. Dumont.
été
gendre rêvé...
— En Oh
et
consentement. C'é-
Le mariage devait avoir lieu M""^
!
juil-
une
—
Malheureusement! Peux-tu
pareille chose,
papa?
DIALOGUES DE GUERRE
—
M. DuMONT.
Je la répète
259
!
Quand
je
pense que pour un peu, à quelques heures près, tu pouvais te trouver mariée avant la
déclaration de la guerre... j'en ai la sueur froide...
Colette.
— Tu
es pourtant brave... et pa-
—
Sans doute. Mais je suis
triote ?
M. DuMONT. père...
M"""
DuMONT.
—
Les
enfants
ne
com-
prennent pas.
— Tu trompes, comprennent. — Autrement. — Quelquefois mieux. Colette, M. DuMONT. — Tu t'oublies, Colette. Colette. — Non, papa, je veux dire que, Colette.
te
ils
M. DuMONT.
bas.
libres, spontanés, tenus à
moins de considé-
rations et de scrupules, les enfants voient
souvent plus
clair
dans leur devoir, en
sai-
sissent plus vite le sens direct et nécessaire...
Je continue. le
Raymond
est parti caporal, et
mariage a été remis.
— A après guerre. DuMONT. — Cela a été convenu loya-
M. DuMONT. M'"°
lement entre nous.
la
DIALOGUES DE GUERRE
260
— L'as-tu accepté? — Oui. Mais pourquoi
M. DuMONT. Colette.
l'ai-je
ac-
cepté? Parce que tous nous étions persuadés
que au
la guerre durerait trois à quatre mois, plus... Et puis voilà près de
que nous
la
quand on en verra M""^
deux ans
subissons et nul ne peut assurer la fin.
— Est-ce notre faute
DuMONT.
?
Colette. — Raymond, pendant ce temps, est passé
nant;
il
sous-lieutenant, lieute-
sergent,
a été blessé, deux fois, et cité au-
tant à l'ordre de l'armée.
M. Dumont.
doux dans
—
le civil
M™^ Dumont. n'était
même
Colette.
Un
—
agrégé...
un garçon
si
!
—
Qui ne fumait pas, qui
pas chasseur! Est-ce que ça n'est pas
beau?
— Magnifique. — Alors M. Dumont. — Alors... nous sommes tout
M. Dumont. Colette.
de
même
?
plus tranquilles et plus rassurés
de savoir que tu n'es pas sa femme. Colette.
— C'est
comme
moment que nous sommes M"" Dumont.
—
si
je l'étais.
fiancés...
Pas tout à
fait.
Du
DIALOGUES DE GUERRE
Colette.
— Tranquilles
261
Rassurés
!
Vous
!
donc? Vous pouvez l'être sur son compte? M. DmioNT. Sur le sien, pas toujours. l'êtes
—
Evidemment non. M""'
DuMONT.
Colette.
—
— Mais davantage sur Il
s'agit
—
M. Dmio^T.
bien de moi
Pour nous, tu
le tien.
!
restes le
principal.
Colette. lui, c'est
—
Le principal pour moi,
l'homme que j'aime
— Oh Colette DuMONT. — Eh bien?
M. DmioNT. M"'*'
!
c'est
et qui se bat. !
et
nous? Ton
père? Nous ne pesons plus rien? Colette.
—
Mais
si
C'est autre
si.
N'allez pas comparer...
Ne
chose.
vous étonnez pas
en ce moment, où à toute minute
exposé, c'est
Raymond
resse le plus
mon
M. Du3ioNT,
il
est
qui occupe et inté-
esprit...
triste.
—
Et ton cœur. C'est
naturel.
M™° DuMONT, qui
soupire.
— Nous ne t'en
voulons pas. Colette.
— Eh
bien?
nous donc nous marier.
En
ce cas, laissez-
[^Avec leur tète, avec
DIALOGUES DE GUERRE
262
leurs regards, avec leurs bras, de toute leur
personne,
les
parents font
:
Non, non
Après
non...) Je vous en supplie.
je
et
ne vous
tourmenterai plus... M™<=
pour
DuMOM'.
le
— Oui
!
Et c'est nous seuls,
coup, qui serons tourmentés
!
qui
ne vivrons pas, du matin au soir!
M. DuMONT.
— Gesse
d'insister. Crois-moiv_
Renonce. ]\jme
DuMONï.
—
Ne nous
force pas à te
dire des choses... terribles.
— Douloureuses... M™'' DuMONT. — jeunesse ne voit que
M. DmioNT.
ta
...
pas.
M. DuMONT.
—
...
que notre âge, notre'
expérience nous obligent à regarder en face,
que nous n'avons pas
le droit d'écarter, ni
moyens d'abolir. M"" DuMONT. Et qui
les
—
sont, qui perpé-
tuellement... planent...
M. DuMONT.
— Menacent...
— Qui? Quoi? M. DuMONT. — Non... Rien. Colette. — Parlez... Ah! Colette.
Si...
vous adjure.
parlez... je
DIALOGUES DE GUERRE
M. DuMONT. S'il était
— Eh bien
— Ah!
—
DuMONT.
Dans ton amour, dans
veuve?
ta foi de l'avenir, tu
?
— Vraiment? Vous croyez? Vous
Colette.
me
connaissez pas.
J'y
ai
pensé, j'y
pense, à tout instant, cent fois, mille
M. DuMONT. ne
me
jyjme
fois...
Et cela ne te retient pas?
— Au contraire
Colette.
au plus
—
pas d'épouvante?
te glace
presse,
!
c'est cela?
Si tu deveuais
n'y as jamais pensé
ne
pauvre petite
tué?
Colette, calme. ]\/[me
ma
!
263
!
Cette pensée
me
pousse à désirer d'être sa femme,
tôt,
tout de suite.
—
DuMONT.
Et, chose pire, plus af-
freuse encore... Si tu restais seule... avec
un enfant
!
Ah
!
— Y as-tu réfléchi? — Certainement Aussi. DuMONT. — Tu as euvisagé cette hor-
M. DuMONT. Colette. ]\Iroo
!
reur?
M. Ddmont. Colette.
—
— Cette catastrophe? Oui. Et plus, en les redou-
tant, je les ai cru possibles, plus se sont fortifiés
dans
mon âme,
l'idée, la volonté,
DIALOGUES DE GUERRE
264
le
devoir du mariage. D'abord
Colette.
—
Mais
s'ils
— Alors j'aurai
arrivent? bien
me féliciterai, plus que jamais, M"'^
DuMONT.
CoLEiTE.
les
de
fait,
et je
mon
parti.
— Ta vie sera perdue.
— Sanctifiée, sauvée, par
venir! Sans doute
mais
n'est pas
que ces malheurs...
certain, grâces à Dieu,
M. DuMONT.
il
mon bonheur
le
sou-
sera brisé,
morceaux, du moins, en seront
bons, profitables, utiles.
— A qui? — A moi, à mon enfant, au bien,
M. DuMONT. Colette.
à la patrie, à Dieu, à tout. ]\jme
DuMONT.
unique M""'
!
— Et uous? Tu cs notrc
Rappelle-toi donc cela
DuMONT.
—
fille,
!
Si tu avais des frères et
des sœurs, je ne te dis pas que nous ferions meilleur marché de ton sort, mais tout de
même
ton désir nous trouverait peut-être
moins inquiets, moins nous n'avons que Colette.
—
Colette.
toi!...
que
Tandis que... toi!
C'est vrai... Oui... Hélas! J'ai
souvent regretté
M. Dumont.
affolés.
aussi...
— Quoi?
— Que nous ne fussions pas plus
DIALOGUES DE GUERRE
265
nombreux... Gela eût, sur bien des points, modifié vos vues, vos sentiments...
(Un court
silence douloureux.)
— On n'a rien à nous reprocher. — Oh mon père !.. ma mère
M. DuMONT. Colette.
!
!
(Elle se jette sur
eux dans un émouvant
élan de tendresse.)
—
M™" DuMONT. ingrate, si tu
Colette.
—
— N'ayant que
M. DuMONT.
pu
DuMONT.
M. DuMONT.
toi,
nous avons
mieux, plus isolément.
ainsi t'aimer
M""'
Oui, tu serais coupable,
nous jugeais mal. Je vous adore.
— —
te gâter...
...
...
te
donner une éduca-
tion suivie, parfaite, achevée. Si tu n'avais
pas été seule, serais- tu aujourd'hui ce que tu es,
de
munie de
lettres,
tes
diplômes de sciences
et
capable, à ton choix, d'exercer
le professorat, d'écrire...
Combien de
d'être ingénieur?
carrières te seront ouvertes...
justement après cette guerre!...
M™° DuMONT.
—
Et c'est tout cela que tu
prétends compromettre, risquer?
DIALOGUES DE GUERRE
266
—
Colette.
avant
ma
Peu importe. Ma vie passe
carrière.
— Quelle est là-dessus
M. DuMONT.
l'idée
Raymond?
de
—
Colette.
me
La
même
que
mienne.
la
Il
l'a dit.
— Et jamais à nous. Pourquoi? — Colette. Le peut-il? M™^ Dumont. — Qui l'en empêche? Colette. — Un excès de délicatesse. La
M. Dumont.
part des responsabilités, d'ailleurs, n'est pas égale. Lui est-il permis, je vous le
peu que ce
de peser,
si
mination
d'oii
pour moi
pour vous un
M. Dumont. taire.
pour
nom
—
C'est à lui et
sur une déter-
sont susceptibles de résulter
veuvage avec un
le
Colette.
soit,
enfant...
et
deuil irréparable?
— Tais-toi
Tais-toi
!
Malgré son
moi de
pour moi,
de notre
demande,
désir,
il
!
doit se
parler, la première, et de réclamer,
amour mutuel,
au
le droit d'être
unis, sans retard. Attendre? Mais pourquoi?
une faute, un crime Tu es M™« Dumont.
C'est
—
!
folle.
Raisonne.
Simple fiancée, tu vis dans une angoisse de
DIALOGUES DE GUERRE
267
tous les instants, qui te mine... Vas-=tu dire
que, mariée, tu serais plus tranquille? Colette.
—
Non. Mais plus
forte,
Mon
plus satisfaite.
confiante,
réglé. S'il doit revenir vivant, je
de suite être sa femme. nir, je
veux tout de
S'il
ne
plus
sort serait
veux tout
doit pas reve-
suite obtenir l'honneur
de demeurer sa veuve. Dans les deux cas, je veux, dès à présent, porter son nom, le mériter. ]\jme
— Peusc à
DuMONT.
lui aussi...
— Mais pense Autant qu'à moi M. DuMONT. — Songe à son intérêt moral, Colette
j
.
!
'y
!
à la paix de son esprit. Marié, rattaché à l'arrière
par des liens nouveaux
Raymond
gardera-t-il sa
soldat, son
Colette.
même
—
Il
qu'il se battra
fant
—
me
effroi
s'il
?
et
fois plus, puis-
!
pour son enfant...
cet enfant
est orphelin de
hante
M. DuMONT. grets
fermeté de
pour nous, pour son propre
femme DuMONT. Oh
Et
!
et puissants,
beau courage?...
en aura deux
foyer, pour sa M'"*'
même
!
cet en-
son père ? Cet
!
— Tu n'auras donc pas de re-
DIALOGUES DE GUERRE
268
—
Colette. fière. Il
me
réconfort.
Ni de remords... J'en serai
servira d'appui, de guide, et de
Il
perpétuera pour moi la bataille,
la souffrance, le sacrifice et la victoire.
sera
mon
Il
petit drapeau.
— Tu
M. DuMONT.
vas... tu te grises
de pa-
roles.
Colette.
—
De sentiments. Mais non,
je
ne me grise pas. Je suis calme et résolue. Mon parti est définitif. Je me suis promise à mon fiancé. Quoi qu'il arrive, il me possède et me gardera. Vivant ou non, je suis à lui. S'il
ne
je
tombe avant que nous soyons
me
M. Dumont. CoLEiTE.
— N'engage donc pas l'avenir.
— Jamais, vous entendez
terai vieille
fille,
et toujours seule là,
liés,
marierai jamais.
!
Je res-
inconsolable, désespérée,
même quand
vous serez
plus seule encore après; alors, que ris-
qué-je? Ne vaut-il pas mieux, en supposant le pire,
que je
sois
au moins
soldat glorieusement et la
la
femme d'un
mort pour son pays,
mère d'un enfant dont
le
sang rempla-
cera l'autre sang qui fut offert et répandu
Car en ces temps d'usure
et
?
de dépense
DIALOGUES DE GUERRE
269
humaine, en ces bousculades de
fléau,
faut se marier vite, et sans perdre
un
une heure, pendant qu'on
est là,
constance s'y prête, que tout
On n'a
l'impose...
le
que
il
jour,
la cir-
demande,
moyens
plus le droit ni les
de remettre à Pâques et à la Trinité. Et cela
non seulement pour
est nécessaire encore,
nous deux individuellement, mais pour vous et pour ses parents, pour nos deux familles. Je suis
fille
unique,
il
est
fils
unique. Hâtez-
vous, je vous en supplie, de nous donner l'un à l'autre, afin
que vous reviviez
vous
et
multipliez en nous.
M™* DuMONT, qui n en pouvait plus a raison
!
Elle a raison
Colette.
— Ah
!
.
— Elle
!
maman
M. DuMONT, à sa femme.
!
— Quoi? Tu con-
sens?
DuMONT, à son mari.
M'"''
M. DuMONT. — Colette. — Papa!
—
Oui. Pas toi?
Si.
Je savais bien!...
M. Dumont, doucement,
femme. fille.)
lui désignant sa
— Ta mère a toujours raison.
[A sa
Ecris toi-même à ton héros... là, et
dis-lui
que
s'il
peut avoir une permission...
DIALOGUES DE GUERRE
270
Colette. M"'°
dans
—
Il
l'aura
ses bras,
d^ll ^//^Hj]
!
DuMONT, prenant son mari
et sa
sans pouvoir retenir ses larmes.
— Et puis, mes enfants.
. .
à la grâce de Dieu
!
C'est égal... (Elle ne peut plug parler.)
M. DuMONT, qui
ma
la tapote avec tendresse.
—
!
La
belle-mère d'un officier de Verdun!...
Ne
Mais oui,
bonne. Allons
pleure pas, que diable (Elle rit.)
!
!
Allons
APRES LA BATAILLE
â
XX
APRES LA BATAILLE En première
ligne, sous
Verdun, au lendemain
des attaques de février. Pendant une accalmie, à la
tombée du jour. L'abbé Domusse, sergent, un peu à l'écart, assis à terre, les
s'est retiré
yeux
clos, sans
prie
ou
s'il
qu'on puisse deviner
rêve,
quand
le
s'il
dort,
s'il
soldat Gamin, de la
G. G. T., faisant partie de la
même
compagnie,
l'aborde en lui touchant l'épaule.
— Écoute un peu — Tu veux me parler Gamin. — Ça étonne Domusse. — Dame Gamin.
?
Domusse, surpris.
?
t'
!
i8
?
DIALOGUES DE GUERRE
274
Gamin.
— Le
mois qu'on
que depuis dix-huit
fait est
on n'a pas
se fréquente
deux doigts de
la
été les
main.
— Ce n'est pas de ma faute. — C'est de mienne. Tu as
DoMussE. Gamin.
la
son. Je t'ai rebuté.
Tu
— Tes idées — Rapport à
DoMussE. Gamin.
rai-
pourquoi.
sais ?
la religion, oui.
On
ne jugeait pas de même. Mais aujourd'hui
veux
je
te causer.
—
DoMussE.
Et à qui as-tu à faire
sergent ou au curé
?
Au
?
— Au curé. DoMussE. — Vas-y. Gamin. — Eh bien Gamin.
voilà. Penses-tu
ça carillonnait avant-hier
vraiment
Ah
oui
!
le !
chambard
?
et le
Hein
grand
que
C'était
?
soir!...
Jusque-là je n'avais jamais eu
peur, mais alors je
l'ai eu...
Tout
le
monde
culbutait autour de moi, devant, derrière, à droite, à gauche
;
on ne voyait que des
amis, plouf... qui s'affalaient dans
A
sier.
le
pous-
chaque coup de tonnerre, à chaque
miaou, à chaque sifflement, je m'annonçais
:
«
Ça y
est
!
Cette fois, c'est
mon tour.
»
DIALOGUES DE GUERRE
Et puis
275
ça ne l'était pas. Ça conti-
flûte,
mon cœur ma
nuait d'être en vie, de respirer...
mon
de battre,
cerveau de grouiller,
gueule de hurler, mes bras de frapper... Je
me
racontais
:
«
Dieu
me pardonne
croyais à lui, je dirais que c'est
que
!
si
»
!
Oui.
comment
Je ne comprenais pas
pouvais rester debout là dedans quand autres tombaient
comme
je
un miracle
je n'aie pas encore été touché
Parole
!
je les
de la groseille...
C'était pas naturel...
— Moi aussi, — Sans doute. Mais
DoMcssE. Gamin.
t'es curé...
Le bon Dieu la G. G. T.,
toi,
parbleu,
te favorise
que tu l'encenses... ça va de
Gamin, de
debout.
j'étais
soi.
qui ne
parce
Mais moi
l'ai
jamais
y avait pas de raison. Et je sentais que j'aurais dû déjà tomber plus de cent soigné...
fois,
de ça
plus de mille
blait... si
fois... et
que
j'étais tout
même préservé. Et en même temps que me plaisait bien, dame !... ça me troumis à pleuvoir du gros nombreux, qu'on ne s'entendait
Enfin,
fort, si
il
s'est
plus penser, mettre une idée et
vant
l'autre...
On
devenait fou
un pied dedu cœur et
DIALOGUES DE GUERRE
276
tout VOUS tournait
mer
de
—
DoMUssE.
une
le
mal
Tu
crois
donc
qu'il
y en a
—
Pas tout le temps. Pas à l'ateDans ces moments-là, au front, oui. on était loin de l'infâme capital et de
lier. !
chercher été sûr
peau du patron
la
que
j'allais
Cette fois,
!
mourir, que
moyen
qu'il n'y avait plus t'ai
on avait
si
?
Gamin.
Ah
comme
à l'âme.
j'ai
c'était réglé,
d'y couper... Je
vu à dix pas devant moi. Tu
criais, tu
courais, en chantant tes Vobiscum... Alors...
un peu raide, sans que je sois capable de dire comment ni pourquoi... dans un éclair, il m'est venu l'idée de faire un vœu... figure-toi... c'est
DoMussE.
—
Gamin. sorti
— Toi Oui,
malgré moi,
? ? Un vœu comme un jet
moi
Ça m'a
!
de sang,
comme un coup de fusil... j'en ai fait un... Je me regardais travailler en me blaguant tout bas « Non Gomment Toi ? Gamin ? :
!
!
C'est toi qui te lances
Pape
?
changé
Pas possible !
Eh
bien,
dans
mon et
les
le secteur
vieux
?
du
On ta
compagnons
?
DIALOGUES DE GUERRE
Qu'est-ce qu'ils
beau
me
riraient
Mais j'avais
»
!
taquiner, ça ne m'arrêtait pas, et
je continuais de
me
mon vœu.
buter à
DoMussE. — Mais quel vœu Gamin. — Le F. j'
?
..tu sort! Si j'en
«
v'ià.
réchappe,
277
un rosaire tous Non ?
les jours
dirai
!
»
— — Comme l'honneur. DojiussE. — Alors Gamin. — Alors, puisque réchappé, DoMussE. Gamin.
j'ai
?
j'ai
chose promise, chose due. Le il
faut le boire. Je suis
comme
Seulement, ces
même
vœu
est tiré,
déjà en retard.
je n'y entends rien
à
pratiques-là, je viens te trouver pour
que tu m'apprennes. Mais pas de ce qui est utile et rien de
giries. Dis
T'as la
plus.
parole.
DoMUssE, moitié souriant, moitié embarrassé.
—
Gamin.
Ah
—
mon pauvre Gamin
!
Pourquoi
c'te
!
soupir? Tu de-
vrais être content?
DoMussE. tent,
heureux
Gamin.
me
—
—
Si je le suis? Plus !
Eh
plaindre?
que con-
bien! alors? T'as
l'air
de
DIALOGUES DE GUERRE
278
—
DoMussE.
Je t'admirerais plutôt. Sais-
tu ce que c'est qu'un rosaire?
Gamin.
qui est
— Malin
C'est cet objet de
!
comme une
poche
espèce de bracelet
d'i-
dentité, et qu'on dit dessus des prières, en
comptant
les grains
—
DoMussE. c'est
Un
de café.
chapelet
Tu
!
crois
que
un chapelet ?
Gamin.
—
Bien sûr.
Un
un
ro-
c'est cinq
di-
chapelet,
saire, c'est kif...
— Mais non.
DoMussE.
— La différence? DoMussE. — Un chapelet, Gamin.
zaines.
— Hein Cinq quoi Développe. DoMussE. — Cinq dizaines de prières. Gamin. — Qui font? DoMussE. — Cinquante. Gamin. — Ah bigre de paradis Je pose Gamin.
?
?
?
!
zéro et je retiens cinq rosaire, alors
payes
—
mon
DoMLssE.
Ça
fait
!
Cinquante
moins
!
Et
le
Tu
te
?
— Plus.
Domusse. Gamin.
?
Non? Tu me
voeu
—
fais aller?
?
Je te dis la vérité.
Un
ro-
DIALOGUES DE GUERRE
un
saire, c'est trois fois
279
chapelet. Ainsi l'a
voulu saint Dominique.
—
Gamin.
Une
mon
hen,
vieux... vrai
trouvaille qu'il a eue là
—
DoMussE. dit
A
!...
!
Quinze dizaines. Autrement
quinze Pater et cent cinquante Ave.
:
—
Gamin.
que tu
me
Oh
que tu m'instruis
ce
!
distrais
J'avais pas
!
!
Ce
un soupçon
de ça.
— Je m'en doute... Mais qu'est-
DoMussE.
pu
ce qui a
Gamin.
donner
te
A
le rosaire?...
—
l'idée d'aller
chercher
propos de quoi?
Je sais pas...
L'habitude de
parler de ce qu'on ignore. Et puis c'a été
de
te voir,
qui m'a
fait
venir la pensée et le
mot.
—
DoMussE.
Moi
?
saire plutôt qu'autre
Gamin. toi
—
Rosaire...
en ce
que
le ro-
Parce que quand je parlais de
aux amis,
comme
Mais pourquoi chose?
je t'appelais le chevalier
Alors
j'aurais
le
dit
Rosaire...
j'ai
n'importe quoi.
dit
du ça
Mais
cas, écoute donc, à présent qu'est-ce
je vais faire?
DoMussE.
— Toi
?
Rien du tout.
DIALOGUES DE GUERRE
280
— Gomment? Rien du tout. DoMussE. — Voyons tu n'as pas la pré-
Gamin.
!
tention de réciter chaque jour quinze Pater et cent cinquante?...
— On n'aurait pas DoMussE. — Ni moyens. Gamin. — Oh moyens... Gamin.
le
temps, oui.
les
!
me
qui
les
c'est
pas ça
manque...
— Non. C'est impossible. — Alors mon vœu? DoMussE. — Tu ne tiendras pas. Gamin. — Mais je veux tenir DoMussE. — est irréalisable. Gamin. — Tant pis pour moi. DoMussE. Gamin.
le
le
!
Il
J'ai dit si
j'en réchappe... et caetera... Ai-je
réchappé?
Oui. Je marcherai... je suis honnête... Et
puis
si
bien
me
je
bon Dieu pas
me
défilais, je
sens que ça pourrait
porter malheur, et que notre jeune
me
fini ces
repincerait... parce que... c'est
apocalysses
!
Y en
a encore pour
des semaines... Alors?...
DoMussE.
mon
— Alors quoi? Je n'y peux rien,
pauvre bonhomme.
Gamin.
—
Si.
Cherche dans ta musette...
Arrange-moi ça au
tarif réduit.
T'en as le
DIALOGUES DE GUERRE
pouvoir... fait
de bon cœur,
me
Tâche à
raté.
un vœu
J'ai fait
DoMUSSE.
—
il
le
Eh
281
d'idiot, je
ne faut pas
—
DoMussE. Gamin.
rendre pratique.
—
Tous
les jours...
les jours...
— Une — Oh Pas plus? fois.
!
DoMUssE.
une
?
Va, va.
— Tu diras tous
DoMussE. Gamin.
qu'il soit
bien tu diras... mais tu
vas encore trouver que c'est trop Gamin.
l'ai
—
Attends donc
!
Tu
diras...
prière.
— Une seule? DoMussE. — Toute Gamin. — Je ne DoMussE. — Très Gamin.
Grande alors?
petite.
Un
Pater.
la sais pas. Difficile? facile.
Je te l'appren-
Ça dure une minute. Gamin. Une minute? A la bonne heure
drai.
—
Parlez-moi d'une gentille prière.
une
!
cler
mon vœu ?
le
!
v'ià
pour bou-
C'est épatant. Et ça suffira
pour faire
En
compte du Ro-
saire ?
DoMussE.
— Ça
suffira. Si tu le dis
régu-
lièrement...
Gamin.
—
Oh
!
As pas peur
!
Une mi-
DIALOGUES DE GUERRE
282
nute...
C'est
rien...
ma
Je le dirai toute
vie.
—
DoMussE.
Ne
t'avance pas trop. Dis-le
d'abord pendant la guerre. Nous verrons après.
—
Gamin.
C'est juré.
tout, n'importe
—
DoMussE.
Avant de
QUE VOTRE NOM SOIT
CIEUX,
n'est
a pas d'heure
à tout
?
moment.
—
Dame
que temps
DoMussE.
:
lentement .) Notre père qui êtes
QUE VOTRE RÈGNE ARRIVE Gamin.
Y
?
Partout,
se dire par-
te l'écrire, je vais te le réciter
[Il prononce
AUX
quand
Ça peut
oui
SANCTIFIÉ...
!
Si ça doit venir,
!
il
!
— Que votre volonté soit faite,
SUR LA TERRE COMME AU CIEL.
DoNNEZ-NOUS
aujourd'hui NOTRE PAIN QUOTIDIEN.
Gamin.
pain
— Ah
!...
Excellent, ce passage-là le
!
—
Domusse.
pain
!
Le
!...
Et pardonnez-nous nos of-
fenses, COMME nous LES PARDONNONS A CEUX QUI NOUS ONT OFFENSÉS.
Gamin. ça
!
les
—
Excepté aux Boches?...
Boches
Domusse.
—
I
Jamais
Ne
t'en
Ah!
!
occupe pas. Et puis
DIALOGUES DE GUERRE
la prière
283
Mais ne nous
est faite d'avant...
LAISSEZ PAS SUCCOMBER A LA TENTATION.
—
Gamin.
Quelle
—
DoMussE.
?
Toutes
les
mauvaises.
Et
DÉLIVREZ-NOUS DU MAL. (Il
s'arrête.)
— Et puis? — C'est tout. Ainsi
Gamin.
DoMussE.
soit-il.
viens que c'est une belle prière
—
Gamin.
Ma
oui.
foi
bonnes choses. Et
clair.
Con-
?
C'est
plein
Ça paraît
de
certain.
C'est bâti. Alors c'est ça la religion?
— C'est — Oui,
Domusse. Gamin. (Il
ça.
oui...
sourit.)
— Qu'est-ce qui sourire — Parce que ce Pater... pendant
DoMussE. Gamin.
que tu
le déroulais, je
connais... part...
te fait
J'ai
déjà
me
disais
maman
les jours,
quand
:
Mais je
entendu ça quelque
Et puis maintenant ça
C'est de
?
me
revient...
qui s'en servait aussi tous j'étais petit et qu'elle
le faisait réciter...
Je
me
rappelle.
me
DIALOGUES DE GUERRE
284
—
DoMussE.
mère
core, ta
Gamin.
—
Tu
vois bien ? L'as-tu en
?
Elle n'est plus.
Depuis long-
temps. DoMussE. protégé
—
C'est peut-être elle
qui
t'a
?
— Ça se pourrait bien, DoMussE. — Alors tu diras sa prière Gamin.
(Gamin
fait
signe que oui.
Domusse
?
l'em-
brasse discrètement, sans qu'il résiste. Et en silence
ils
se séparent.)
FIN
TABLE DES MATIERES Pages
— Aux Invalides — Le Lien — La Précaution IV. — L'Heureux Malheur V. — Le Château VI. — Le Petit Sacrifice ...... VII. — La Permission VIII. — La Marraine IX. — Au P. C X. — Le Tableau XL — La Cheville XII. — L'Occupation XIII. — Le Bon de Chaussures .... XIV. — Les Aquarelles XV. — Les Enfants XVI. — L'Appel XVII. — Nicolas XVIII. — Sœur Agathe XIX. — La Décision Bataille XX. — Après I.
5
II.
17
III.
29 39
la
51
65
79 91
109 123 137 151
167 183
199
213 225 241
255 271
PARIS
â&#x20AC;&#x201D;
IMPRIMERIE MICHELS FILS
6, 8 et 10,
Rue d'Alexandrie.
m %
$ \
.:
PQ 2330 L7D5
Lavedan, Henri Léon Emile Dialogues de guerre
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