DOCTRINE
n° 07
Revue Revue d’études d’études générales générales
DOCTRINE DOCTRINE
La mutation mutation du du cadre cadre général général La de l’emploi l’emploi des des forces forces de ETRANGER ETRANGER
L’Armée de de terre terre allemande allemande L’Armée sur la la route route du du futur futur sur LIBRES REFLEXIONS REFLEXIONS LIBRES
“Parlez-moi de de tactique” tactique” “Parlez-moi
STRATÉGIE, “ OPÉRATIQUE ” ET TACTIQUE : LA PLACE DES FORCES TERRESTRES
>> Retour d’expérience
La redécouverte des 300 derniers mètres
Directeur de la publication :
sommaire n° 07
Général (2s) Jean-Marie Veyrat
Doctrine Rédacteur en chef : Capitaine Stéphane Carmès Tél. : 01 44 42 35 91 Traductions : Lieutenant-Colonel (CR) Jacques de Vasselot - article du Général de division
La mutation du cadre général de l’emploi des forces
p. 4
Quelques rappels utiles en matière de stratégie, “opératique” et tactique...
p. 8
Les principaux textes à connaître en matière d’emploi des forces au niveau stratégique, opératif ou tactique
p. 9
Les principes de la guerre, référents fondamentaux
p. 10
La place des forces terrestres dans la résolution des crises
p. 13
Les capacités des forces terrestres en phase de stabilisation
p. 15
et du Colonel Robert M. TOGUCHI
Le commandement Air (JFACC), poste clé auprès du commandement interarmées de théâtre (JFC)
p. 18
- article du Lieutenant-Colonel Rollins
La place des forces terrestres dans le soutien logistique des opérations
p. 23
Le combat interarmes des forces terrestres - Evolutions en cours
p. 25
Relecture des traductions :
L’emploi des appuis feux artillerie en 2005 : fondamentaux et avancées
p. 28
Colonel (US) Christophe R. Gayard
A propos du niveau des actions militaires - Stratégique, opératif ou tactique ?
p. 31
Michaël A. VANE
Maquette : Christine Villey Tél. : 01 44 42 59 86 Création : amarena
Etranger
Crédits photos : CCH Jean-Jacques CHATARD/SIRPA Terre
Le rôle des forces terrestres dans la doctrine militaire espagnole aux niveaux stratégique, opératif et tactique
p. 35
(1ère et 4e de couverture)
L’Armée de terre allemande sur la route du futur
p. 38
La permanence du besoin en forces terrestres : souplesse et capacité d’adaptation aux opérations interarmées
p. 41
Photogravure : Saint-Gilles (Paris) Gestion du fichier des abonnés :
La contribution de l’Armée de terre britannique aux opérations modernes
p. 49
Adjudant Nathalie Dijoux : Tél. : 01 44 42 48 93 Diffusion : bureau courrier du CDEF Impression : Saint-Gilles (Paris) Tirage : 2 000 exemplaires Dépôt légal : à parution ISSN : 1293-2671 - Tous droits de reproduction réservés. Revue trimestrielle
Libres réflexions L’ennemi comme un sytème ou le modèle des cinq cercles appliqué à la description d’un ennemi générique
p. 54
L’illusion de la destruction comme principe de la guerre
p. 57
“Parlez-moi de tactique”
p. 61
Armées et post-modernité
p. 65
La problématique air de l’appui aérien en zone urbaine
p. 67
Conformément à la loi «informatique et libertés» n° 78-17 du 6 janvier 1978, le fichier des abonnés à DOCTRINE a fait l’objet d’une déclaration auprès de la CNIL, enregistrée sous le n° 732939. Le droit d’accès et de rectification s’effectue auprès du CDEF. Centre de Doctrine
Retour d’expérience La sous-utilisation des forces terrestres alliées, en Europe, pendant les deux guerres mondiales
p. 70
La réaction internationale lors de la révolte des Boxers en Chine (1900) : une intervention suivie d’une stabilisation
p. 75
Le pouvoir au bout du fusil. Irak ou la redécouverte des 300 derniers mètres
p. 79
La Provincial reconstruction team (PRT) : outil de la phase de stabilisation et moyen de désengagement des forces terrestres ?
p. 82
d’Emploi des Forces BP 53 - 00445 ARMEES. Fax : 01 44 42 52 17 ou 821 753 52 17 Web : www.cdef.terre.defense.gouv.fr Mel : doctrine@cdef.terre.defense.gouv.fr
“ Conformément aux règles en vigueur, seule la version originale des articles approuvée par la direction de publication (écrite en langue française ou, éventuellement, en anglais pour les textes directement rédigés dans cette langue) fait foi ”.
éditorial
C•D•E•F
ès qu’ils évoquent, à l’occasion des nombreuses actions militaires en cours, la stratégie, l’opératique ou la tactique, maints experts civils, et même certains militaires, font volontiers référence aux concepts de sécurité et de défense américains ou britanniques. Ignoreraient-ils, volontairement ou non, qu’il existe un corpus conceptuel et doctrinal français, très complet, remis à jour constamment depuis la fin des années quatrevingt-dix, en cohérence avec les documents de l’OTAN et ceux de l’Union européenne ?
D
Tous ces documents des forces armées françaises - qu’ils soient propres ou non aux forces terrestres, maritimes ou aériennes placent bien sûr les différentes actions possibles de ces forces dans un cadre résolument interarmées et multinational. Ils méritent d’être mieux connus de tous car ils définissent la vision française des actions militaires, dans les interventions comme dans les opérations de stabilisation ; ils proposent aux chefs militaires une gamme variée de modes d’action et d’organisations du commandement, adaptables aux différentes situations et prenant en compte tant les principes pérennes d’emploi des forces que les enseignements du terrain. Ce numéro de Doctrine - consacré à la place des forces terrestres aux niveaux stratégique, opératif et tactique - n’a pas pour but de rappeler ou de commenter ces différents textes, mais entend plutôt apporter un éclairage nouveau sur les approches françaises et alliées des opérations passées, actuelles et futures ainsi que sur la place des forces terrestres au cœur de l’acte militaire. Il n’est pas nécessaire de rappeler le rôle important de ces dernières, l’histoire, récente en particulier, nous ayant montré qu’aucun succès réel et surtout aucune paix durable ne sont possibles sans une action au sol et au contact, avec les unités robustes qui lui sont indispensables.
Les forces terrestres sont effectivement les plus à même d’inscrire leur action dans la permanence et la durée grâce à des modes d’action différenciés, allant des actions de force à celles d’assistance aux populations, désormais centres de gravité majeurs dans les crises et conflits. Aussi la tactique des grandes unités et formations terrestres s’estelle adaptée à ceux-ci et permet de mettre en application sur le terrain les grands principes définis par le concept d’emploi des forces françaises de 1997, notamment la cohérence des buts, la maîtrise permanente de la force, la supériorité focalisée, l’ascendant moral et la prééminence de l’homme sur la technologie, qui fondent notre vision de l’action militaire, de la “guerre à la française”. Adaptation aux opérations actuelles - notamment aux modes d’action rattachés au mode opératoire de maîtrise de la violence - ne signifie pas oubli des fondamentaux du combat interarmes, si difficile à mener et qui suppose une préparation opérationnelle permanente. Même si nos forces terrestres participent actuellement essentiellement à des opérations de stabilisation ou d’assistance aux populations et doivent toujours être en mesure de le faire, elles n’ont pas vocation à assurer le rôle des forces de sécurité et à se transformer en unités lourdes de police et de sécurité civile, mais bien à se préparer à mener les actions dont seules des forces terrestres denses, bien équipées et entraînées, sont capables, avec l’appui des autres composantes des forces armées. Il nous appartient donc de continuer à nous préparer à mener toutes les formes d’action prévues par nos missions, en appliquant sur le terrain, lors de la préparation opérationnelle, notre doctrine d’emploi, avant de le faire le cas échéant en opération. Fruit de la réflexion et de l’expérience, bien adaptée au génie propre de notre Nation mais parfaitement cohérente et “interopérable” avec celles de nos alliés, cette doctrine d’emploi est un outil irremplaçable pour nos chefs, qu’ils agissent aux niveaux stratégique, opératif ou tactique.
Général Vincent DESPORTES commandant le Centre de doctrine d’emploi des forces
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La mutation du cadre général
de l’emploi des forces
Progressivement, les facteurs classiques de la puissance militaire se trouvent remis en cause. La résurgence d’une opposition militaire de blocs ne peut être exclue et il est possible qu’une confrontation majeure se livre encore au cours du demi-siècle à venir sur le mode frontal et classique qu’a forgé le XXe siècle. En revanche, il est certain que les armées auront demain beaucoup plus souvent à intervenir dans des conflits “gris”, sans réelles frontières - entre combattants “ et “non-combattants”, entre “extérieur” et “intérieur” - des conflits sans “cibles à détruire”, sans adversaires clairement identifiables, des conflits où il s’agira davantage de lutter contre la “nuisance” que d’affronter la “puissance”, des conflits où les effets à obtenir tiendront autant de l’immatériel que du matériel. Dans ces circonstances nouvelles, les éléments - hier constitutifs à eux seuls de la puissance des nations et du succès de leurs armes - voient leur pertinence se dégrader. Il faut donc repenser les outils et conditions des succès politiques. PAR LE GÉNÉRAL VINCENT DESPORTES COMMANDANT LE CENTRE DE DOCTRINE D’EMPLOI DES FORCES
ecpad/coll.documentation française
De la violence d’Etat à la violence sociale
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Depuis le Traité de Westphalie, la logique des Etats et de la puissance réglait la dynamique internationale et les pratiques de la violence. Sauf exception, les conflits identitaires se contenaient dans les frontières étatiques, leurs contagions se bornant à la proche périphérie et les irrédentismes ne faisant guère école. L’organisation du monde issue du deuxième conflit mondial a, davantage encore, ordonné le modèle ; les crises majeures y venaient s’inscrire, parfois malgré elles, dans le schéma simple de la conflictualité bipolaire, tandis que les moyens de communication ne permettaient pas encore de donner une dimension mondiale aux différends mineurs.
doctrine Dans ce cadre désormais dépassé, les confrontations de puissance étaient des confrontations d’Etats, la guerre constituait un moyen de communication politique au plus haut niveau et ses outils avaient pour but essentiel de détruire soit les moyens symétriques d’expression militaire de la puissance, soit les outils d’organisation et de direction de cette dernière.
Les affrontements chauds du XXe siècle, puis la Guerre froide, ont ainsi conforté le rôle de la puissance dans sa version la plus simple et valorisé l’acte militaire dans ses dimensions destructrices, rejetant dans l’ombre le traitement social des conflits, pourtant partie de la tradition française depuis la période de colonisation. Ce faisant, ils ont ôté aux armées une dimension qui leur est pourtant essentielle : l’homme s’est progressivement retiré du cœur de l’efficacité militaire. Il s’est éloigné du champ de bataille pour devenir simple composant de système d’armes, alors que, longtemps, l’arme n’avait été qu’un des outils du soldat au contact, d’abord humain, de l’Autre. La Guerre froide, poussée par la technologie et les intérêts des grands groupes militaro-industriels, a fini par placer la destruction - désormais de précision et à distance de sécurité - au centre de la grammaire militaire, lui conférant le statut d’argument majeur de la grande et de la moins grande stratégie. Dans une accélération du temps qui a conduit l’histoire à renouer brusquement avec un passé interrompu et souvent oublié, ces schémas se sont dégradés au cours des quinze dernières années jusqu’à altérer les dimensions de la puissance et la forme utile de ses outils. La violence interétatique n’a pas disparu, mais,
perdant son statut de péril dominant, elle n’est désormais ni la plus probable, ni la plus dangereuse pour les pays occidentaux, compte tenu du formidable déséquilibre des arsenaux.
Les forces centrifuges de l’unipolarité ont supplanté les effets d’attraction de la bipolarité, tandis que nombre d’Etats - victimes du supra et de l’infra national - se dissolvaient au même rythme que l’ancienne évidence simple d’être ensemble. La mondialisation - vécue comme une ingérence, voire une agression par une partie du monde en grand mal de participation - a engendré les mises à l’écart, par rejet du modèle, tandis que se développait l’autonomie des nations, ethnies et religions, dans un mouvement contagieux de fragmentation sociopolitique. Les défauts croissants d’intégration ont exacerbé les injustices - réelles ou ressenties - d’un ordre mondial imposé ; parallèlement, le puissant - cantonnant le différent dans son image de “ hors la loi ”, c’est-à-dire refusant son intégration - a souvent renforcé son statut et ses stratégies de contournement. Finalement, hors l’espace privilégié de la prospérité occidentale, c’est à une décomposition des anciens contrats sociaux, nourrie du manque d’intégration des individus ou de fragments entiers de la société globale, que l’on assiste ; elle produit l’affirmation des minorités ethnopolitiques et son cortège de micronationalismes identitaires. Avec l’affaissement de l’ordre ancien et l’émiettement des entités politiques traditionnelles, les populations sont ainsi devenues à la fois acteurs et enjeux. Au paysage ordonné des Etats s’est substitué celui, beaucoup moins stable, des nations et ethnies
tandis que les nouveaux conflits, marqués des vieilles revendications revenues à la mémoire des peuples, échappaient définitivement aux tutelles anciennes. Désormais, les Etats - dont l’accroissement du nombre s’accompagne inexorablement de leur affaiblissement - n’ont plus le monopole ni de la violence ni de son emploi, et d’autres acteurs ont construit, aux yeux de l’opinion internationale, la légitimité de leur comportement violent.
Au monde global correspond ainsi à ses marges - intérieures ou extérieures - un fourmillement de fragmentations et d’individualisations infectieuses qui échappe à la puissance militaire classique. Les formes traditionnelles de socialisation côtoient des formes nouvelles, par l’affrontement et la nuisance, qui répondent aux maladies de la mondialisation. Attisée par les intégrismes religieux et libérée par l’autonomie croissante de ses acteurs, la violence sociale se développe. Elle ne répond plus aux mécanismes de régulation des Etats dont le sens s’estompe peu à peu ; elle pervertit les conflits classiques en les engageant dans des violences déréglées. Les anciennes guerres interétatiques, de plus en plus courtes, cèdent la place aux affrontements de recomposition sociale, de plus en plus longs, tandis que l’attentat-suicide atteste régulièrement du niveau que peut atteindre la violence nouvelle avivée encore par les exploitants intéressés de la souffrance. Dans ce nouveau cadre dont le modèle se confirme et se durcit, la conflictualité perd son identité traditionnelle, les logiques de puissance cèdent aux logiques de sens et les outils militaires classiques, for-
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gés de haute technologie pour s’opposer à des Etats dont la légitimité même s’affaiblit, voient leur pertinence s’éroder.
Evolution des dimensions militaires de la puissance Sous les effets de la mondialisation et des crispations identitaires1, la concurrence subie par les Etats-Nations s’est traduite par une évolution des dimensions utiles de la puissance. Dès lors que l’on est passé de l’ère de la guerre des Etats à celle des nations, voire des ethnies, dès lors que la contestation s’est substituée à la compétition, il ne s’agit généralement plus de détruire les éléments de la puissance de l’Etat, mais de convaincre en s’aidant de la force et de concourir à la reconstruction du contrat social. Le dialogue politique ne se fait plus par l’affrontement, il s’établit par la communication de contact, musclée si nécessaire. Plus l’adversaire s’écarte de la norme sur laquelle la force s’est traditionnellement fondée, plus il se détourne de l’étalon de la puissance occidentale, plus cette dernière perd de sa pertinence. On peut aujourd’hui aisément détruire, mais sans triompher, disposer d’une technologie infiniment supérieure et ne pas gagner. La capacité de défense ne se mesure plus uniquement au prix et à la sophistication des armes, ce qui modifie d’autant la portée même des nouvelles avancées technologiques. L’action contre les nouvelles formes de menaces ne peut se limiter à leur seule élimination : l’écart s’accroît donc entre la puissance militaire classique et les gains que l’on peut en attendre, d’autant que le
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BritischArmy
retour en force du local et du tactique atténue de lui-même l’utilité des armes du stratégique. En aval, si la puissance conserve sa capacité destructrice (comme lors des opérations Allied Force au Kosovo en 1999 et Iraqi Freedom en 2003), indispensable en particulier dans ses fonctions de dissuasion et de “réassurance”, elle affiche ses limites dans sa capacité à restaurer la stabilité. Davantage même, elle comporte des effets pervers. L’intervention étrangère, usant de la puissance de destruction à distance de sécurité, pour mal adaptée qu’elle soit au traitement de la violence décentralisée, attise le discours identitaire en s’opposant à des expressions de violence qu’elle avive plus qu’elle ne maîtrise. Parangon de la nouvelle puissance de haute technologie, l’intervention ponctuelle, sur le mode “ tire et oublie”, bouleverse les architectures sociales progressivement tressées dans la durée séculaire. L’impatience occidentale,
dotée des armes favorisant des résultats techniques rapides, détruit d’autant les équilibres patiemment établis. Dans ces conditions, la dynamique de la discontinuité et de la projection d’effets s’avère souvent contre-productive, opposée au temps long, à la compréhension des milieux et des hommes, à l’action en harmonie avec les cultures locales. La violence sociale trouve même dans l’opposition à cette puissance qui la submerge des ressources renouvelées. Plus elle est combattue, plus elle se durcit ; à mesure qu’elle subit la puissance dissymétrique, elle se radicalise, s’éloigne des expressions que la puissance traditionnelle sait combattre. Plus celle-ci s’oppose à la faiblesse, plus cette dernière abandonne les règles classiques de l’affrontement. Par dépit, à défaut de savoir s’attaquer à la source même de la violence, la puissance traditionnelle opte parfois pour des stratégies de punition collatérale, apanage des armes classiques agissant en “stand off ” - à distance de sécurité -
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et satisfaisantes un instant pour celui qui les conçoit : ce faisant, elles ne règlent en rien les problèmes de fond et tendent au contraire à engendrer frustration, sentiment d’injustice et regain de violence.
Face à la nouvelle réalité géopolitique et conflictuelle, c’est donc bien la question de la capacité limitée de certaines armes et de certains procédés, donc de leur insuffisance, qui se trouve franchement posée et, inversant la tendance moderne jusqu’ici respectée, impose la nouvelle priorité donnée à la projection de forces sur la projection de puissance.
1 Sur les nouveaux rapports de la conflictualité et de la puissance, on se rapportera avec le plus grand intérêt à l’ouvrage du professeur Bertrand Badie, L’impuissance de la puissance, Paris,
doctrine Face à ces mutations, la tentation de l’ignorance peut apparaître rassurante. Et c’est vrai que les investissements déjà réalisés, les dynamiques industrielles en cours, les modes de pensée bien établis, les intérêts institutionnels poussent à cette facilité. Mais il serait grave, pour l’avenir, de mésestimer l’évolution du monde et ses conséquences directes sur les modèles de forces et leur mise en œuvre. Le recours à la puissance brute est bien aujourd’hui un rejet de diagnostic, un déni de la mutation du monde un moment estompée derrière le masque binaire de la Guerre froide. Naturellement, les tenants et servants des armes de la guerre d’hier, quelle que soit leur armée d’appartenance, perçoivent le monde à leur manière. Plus on est doué dans un savoir-faire, plus aisément on poursuit dans sa propre voie ; aussi, les puissances classiques restent-elles conservatrices dans leur façon de concevoir l’action militaire et celle d’administrer la force en supposant - ou laissant croire - que l’adversaire d’aujourd’hui peut se traiter comme celui d’hier. Pour des raisons compréhensibles, le réflexe est au maintien des établissements militaires tels qu’ils existent, à la préservation des équilibres d’hier, d’autant plus que la difficulté à comprendre les nouvelles menaces - plus abstraites et plus qualitatives - ne pousse guère à quitter les certitudes rassurantes des logiques conventionnelles et quantitatives. Les forces dont la technologie plus que l’homme fonde l’efficacité perçoivent naturellement l’événement et la méthode à travers ce prisme ; elles recherchent des solutions dans leurs propres gammes de capacités. Disposant surtout des armes d’une guerre improbable, la tentation est même forte, pour elles, d’en accréditer l’éventualité, quitte à nier la vérité du monde et se priver ainsi de toute capacité sérieuse de son remodelage.
ADJ Jean-Raphaël DRAHI/SIRPA TERRE
Il peut être ainsi tentant d’ignorer la pathologie réelle et d’en rester aux thérapies maîtrisées afin de pouvoir user des remèdes possédés en masse. Mais l’action militaire ne peut être la “continuation de l’absence de politique par d’autres moyens ” et se fonder essentiellement, parce qu’on domine ce savoir-faire, à la démonstration de forces de toute puissance et de haute technologie. C’est donc bien dans le renouveau du cadre général d’emploi des forces qu’il faut replacer la réflexion sur l’évolution des systèmes de défense et l’évolution doctrinale.
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Quelques rappels utiles en matière de stratégie, “opératique” et tactique ...
“Le niveau stratégique politique met en œuvre la stratégie globale : c’est le niveau “auquel un Etat, ou un groupe d’Etats, fixe des objectifs de sécurité à l’échelon national ou multinational et déploie des ressources nationales, notamment militaires, pour les atteindre”1. Dans l’OTAN et l’UE, le Conseil de l’Atlantique Nord (NAC : North Atlantic Council) et le Comité politique et de sécurité (COPS), respectivement, exercent tout ou partie des responsabilités de ce niveau”. (Doctrine interarmées) Stratégie générale militaire : “Conception, mise sur pied, organisation et mise en œuvre des moyens militaires en vue d’atteindre les objectifs définis par le projet politique national ou multinational dans le cadre d’une stratégie globale. Note : ce niveau s’intéresse en particulier à la préparation et à la conduite de la guerre”. (Glossaire interarmées) “Le niveau stratégique militaire est le niveau de direction des opérations militaires, de déploiement et d’emploi des forces dans un cadre politique fixé. A ce niveau et dans un cadre national, le chef d’état-major des Armées propose les orientations militaires qui doivent permettre de satisfaire les objectifs politiques fixés. Il conduit ensuite les opérations. Dans l’OTAN, le Comité Militaire (MC : military committee) évalue la contribution militaire à la satisfaction des objectifs définis par le NAC, et le conseille à travers le Comité de planification de défense (DPC : Defence planning committee). Pour élaborer ses recommandations, le MC consulte le grand commandement stratégique concerné (SC : strategic command) (...). Le plus généralement, le commandement opérationnel désigné conduit la planification de l’opération puis l’opération elle-même sous la direction du commandement stratégique concerné. Celui-ci s’assure de la conformité de l’opération avec les buts poursuivis”. (Doctrine interarmées) Stratégie opérationnelle : “Partie de la stratégie générale militaire qui définit les principes et les modalités d’emploi des forces”. (Glossaire interarmées) Opératique : mot non adopté officiellement dans le vocabulaire militaire français. Peut être défini comme l’art de coordonner à l’échelon d’un théâtre les actions de forces de nature différente. Correspond au niveau opératif2. Opération : “Ensemble d’actions militaires menées par une force généralement interarmées, voire interalliée ou multinationale, dans une zone géographique déterminée appelée théâtre d’opération, en vue d’atteindre un objectif stratégique. Coordination à l’échelon des théâtres des opérations de forces de natures différentes, pour mener à bien la manoeuvre stratégique dans une aire géographique déterminée”. (Glossaire interarmées)
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“Le niveau opératif est le niveau auquel des opérations sont planifiées, conduites et soutenues, en vue d’atteindre les objectifs fixés par le niveau stratégique sur des théâtres d’opération. Décrit comme le niveau de coordination des actions interarmées, le niveau opératif existe toujours. Il peut, dans certaines opérations, être partiellement absorbé par les niveaux stratégique ou tactique”. (Doctrine interarmées) Tactique : “Art de combiner, en opération, les actions de tous les moyens militaires pour atteindre les objectifs assignés par la stratégie opérationnelle”. (Glossaire interarmées) “Le niveau tactique est le niveau auquel les batailles et les engagements sont planifiés et exécutés pour atteindre les objectifs militaires assignés aux formations et unités tactiques. Ce niveau est le niveau de combat des unités dans un domaine de lutte (...)”. (Doctrine interarmées)
La direction de publication
1 Cf. AAP 6. 2 “operational” en anglais, ce qui provoque souvent des confusions et des erreurs de traduction.
... avec une illustration tirée de la Doctrine interarmées d’emploi des forces en opération
doctrine
^ Les principaux textes à connaitre en matière d’emploi des forces
au niveau stratégique, opératif ou tactique
Ces documents conceptuels et doctrinaux français, qui précisent les principes d’emploi des forces et proposent aux chefs militaires de tout niveau des modes d’action et des organisations du commandement possibles, sont bien sûr en cohérence avec les documents équivalents de l’OTAN et de l’Union européenne que l’armée française a approuvés (et généralement contribués à rédiger).
Documents interarmées • Concept d’emploi des forces - Juillet 1997 • Doctrine interarmées d’emploi des forces en opération - Septembre 2003 • Doctrine interarmées du commandement en opération - Août 2001 • Concept du niveau opératif - Juillet 2004 • Concept national des opérations amphibies (Diffusion restreinte) - Mars 2003 • Doctrine interarmées des opérations amphibies (Diffusion restreinte) - Février 2002 • Concept national des opérations aéroportées - Janvier 2005 • Concept interarmées des opérations d’information - Mars 2005 • Concept et doctrine interarmées de la coopération civilo-militaire - Mars 2005
Documents de l’Armée de terre • Forces terrestres en opération - TTA 901 (Doctrine d’emploi des forces terrestres) - Avril 1999 • Manuel provisoire d’emploi de la composante terrestre de niveau corps d’armée - Land Component Command/Army Corps - TTA 902 / 1 - Novembre 2002 • Manuel d’emploi de la division - TTA 903 - Septembre 2001 • Manuel d’emploi de la brigade interarmées générique - TTA 904 - Mars 2004
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Les principes de la guerre,
référents fondamentaux Lorsque les bornes sont dépassées il n’y a plus de limites” disait le sapeur Camembert ; “lorsqu’on ne sait pas franchement où aller, il est bien difficile de s’y rendre” aurait-il pu ajouter. Ces deux brèves de popote me semblent assez bien illustrer les difficultés auxquelles le chef militaire est aujourd’hui confronté pour percer le brouillard de la crise qui est pour le moins tout aussi opaque que celui de la guerre : l’esprit cartésien s’accommode mal de l’ubiquité et de l’anomie des menaces, il ne supporte pas l’irrationalité des comportements et s’irrite de ne pas saisir les intentions de son adversaire. Bien sûr, il nous reste toujours nos méthodes de raisonnement bien huilées, des modes opératoires plutôt bien maîtrisés, des mécanismes tactiques cent fois répétés, et bien évidemment les enseignements de ceux qui, avec plus ou moins de bonheur, ont été ou sont confrontés à ces dures réalités.
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Or à la lumière de ces retours d’expérience et du constat effectué lors d’exercices récents, il me semble que nous avons tendance à oublier, dans le feu de l’action, un petit référentiel que nous connaissons pourtant bien tous. Lorsque la tentation devient forte, après une MEDO aux conclusions incertaines, de s’en remettre à son intuition (French touch pour les uns ou French nose pour les autres), pourquoi ne pas apprécier la pertinence des modes d’action envisagés à l’aune des sacro-saints principes de la guerre : la liberté d’action, la concentration des efforts et l’économie des moyens, tous trois enrichis de préoccupations nouvelles ? “Légitimités politique et médiatique de nos actions, maîtrise des effets militaires et gradation des effets” ? PAR LE GÉNÉRAL DE DIVISION
ELRICK IRASTORZA, ANCIEN ADJOINT DU GÉNÉRAL COMMANDANT LA FORCE D’ACTION TERRESTRE
ecpad/France
ET ACTUELLEMENT COMMANDANT DE LA FORCE LICORNE
doctrine vant de les revisiter successivement, il n’est peut-être pas inutile de rappeler que le premier devoir du chef est de ne pas dénier à son adversaire le droit d’appliquer lui-même ces principes universels. Une bande dotée d’une centaine d’AK 47 et quelques RPG7 dispersés dans la zone d’action d’une brigade restent un adversaire maîtrisable, mais qu’il lui prenne de concentrer ses efforts sur une seule section qui serait rapidement massacrée, produira en réaction des effets qui feront inévitablement changer de nature la bataille. Dans ce type de conflit le problème n’est pas seulement d’imaginer comment nous devons procéder pour rester les plus forts et l’emporter, mais bien de raisonner en ayant toujours à l’esprit nos propres vulnérabilités. En effet, l’adversaire ne cherche pas la victoire militaire qu’il sait hors de portée mais plutôt un avantage ponctuel à fort retentissement psychologique et médiatique. Cela fait longtemps que ces organisations se sont pourvues de “ JEC ” 1 !
A
La liberté d’action est le principe auquel le chef, fort de ses prérogatives et responsabilités opérationnelles, fait le plus volontiers référence. Mais si commander c’est choisir, conserver cette liberté en cours d’action est une autre affaire. Par analogie avec le jeu d’échecs je dirai qu’elle peut se décliner en trois niveaux.
C’est d’abord, me semble-t-il, la liberté de conscience du joueur, celui qui va prendre la décision, pousser ses pions et par-là même son avantage. Elle doit être solide, forgée au fil du temps dans nos écoles et à l’école de la vie et s’appuyer sur un socle de références personnelles et professionnelles fortes. Les textes fondateurs de notre Armée de terre n’ont
pas d’autre ambition que de contribuer à la construction de cet espace de liberté intellectuelle, tôt ou tard confrontée aux interrogations fondamentales sur la légitimité de l’action. Liberté d’action en conscience et légitimité de l’action ont toujours été étroitement liées. Ce qui est nouveau aujourd’hui c’est que cette légitimité conditionne plus que jamais l’issue de l’action à conduire. Le chef militaire n’en détient pas toutes les clés comme il ne détient pas toutes celles délimitant son champ d’action. En effet son échiquier ne se réduit plus à son seul cadre espace temps. Un contexte politique national et international toujours plus complexe tout autant que des règles d’engagement alternant parfois d’un théâtre à l’autre, flou artistique et pointillisme bloquant, viennent sérieusement border son espace de manœuvre. Ce n’est pas forcément un mal lorsque l’on mesure les conséquences d’une incursion malheureuse ou les dégâts provoqués par les dérives comportementales qui déchaînent la haine là où, par exemple, il aurait fallu gagner les cœurs. En avoir une claire perception au début de l’action est aujourd’hui indispensable pour faire avancer ses pions sur l’échiquier, sinon à coup sûr du moins plus sereinement. Le choix du bon mode d’action initial paraît beaucoup simple et pousser le premier pion guère plus sorcier. Certes, mais il reste à préserver sa liberté d’action dans la durée et là c’est une autre affaire qui ne s’improvise pas. Engager d’emblée tous ses moyens sans conserver dans sa main les réserves permettant de prononcer un effort ou de réagir face à l’imprévu - et l’irrationalité des comporte-
ments ne nous en épargnera aucun- me paraît difficilement justifiable. Lorsque le but recherché est de frapper les esprits en s’emparant par exemple d’un objectif sans grand intérêt tactique mais possédant une forte plus-value médiatique, le fait de n’en retenir initialement qu’un me semble enfermer le chef dans un tout ou rien aux effets dévastateurs en cas de mauvaise fortune. La définition d’objectifs alternatifs préserve la liberté de choix en cours d’action et permet généralement de “se raccrocher aux branches” pour employer une expression un peu triviale. Jusqu’à présent le principe d’économie des moyens2, parfois mis à mal dans quelques épisodes douloureux de notre histoire militaire, ne prêtait guère à discussion. Il ne viendrait plus à l’idée d’aucun chef militaire d’exposer indûment ses unités et la vie de ses hommes en optant en toute connaissance de cause pour un mode d’action faisant peu de cas de cette considération alors qu’un autre mode d’action lui permettrait d’emporter la décision à moindre coût. Là encore la mise en réserve de capacités permet de réaliser localement un déséquilibre favorable ou de soutenir une unité en difficulté tout en économisant les hommes. Mais il n’y a pas que le potentiel humain. La projection de puissance, surtout dans sa phase initiale se fera généralement à moyens très comptés et le soutien logistique relèvera, un peu comme d’habitude, de l’exploit humain et technique. Il n’est pas raisonnable de perdre un tiers de son ravitaillement en carburant et munitions et avec eux les logisticiens qui les acheminent, pour avoir voulu recompléter quasiment sur la ligne de contact là où des plots sécurisés à distance raisonnable auraient été accessibles sans grands problèmes par rotations successives.
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En revanche est-ce une faute de ne pas donner de mission à son artillerie dans telle phase d’une offensive en zone urbaine au motif d’épargner le cœur historique de la cité ? De nos jours plus que jamais, le principe d’économie des moyens ne se décline plus dans sa seule acception militaire. La vie des populations tout autant que les infrastructures y concourant, ou témoignant de l’héritage culturel et historique dans lequel plongent leurs racines, doivent être préservées. Cela dit, entre le fait d’écarter d’emblée une possibilité d’infléchir le cours de la bataille et décider en cours d’action de ne pas utiliser tel type de moyens, il y a de la marge. Mais le chef militaire d’aujourd’hui doit bien être conscient qu’entre la réussite de sa mission, la vie de ses hommes et le prestigieux édifice cultuel du XIe siècle, il lui faudra peut-être choisir un jour.
La concentration des efforts est souvent associée au génie des quelques tacticiens hors du commun dont peut s’enorgueillir notre histoire militaire. Elle se conçoit le plus souvent avant même d’avoir poussé le premier pion ou s’exprime en conduite par une habile bascule des moyens voire l’engagement opportun de réserves, lesquelles constituant peu ou prou le lien entre ces trois principes.
Mais la gestion des crises nous incite là encore à une lecture un peu différente d’un principe qui s’inscrit désormais sur une échelle de gradation des efforts et des effets. Le but de l’affrontement armé n’est pas tant de détruire que de soumettre une volonté à une autre, le plus souvent dorénavant, celle de la communauté internationale.
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ADC Fabrice CHESNEAU/SIRPA Terre
Si l’état final recherché peut être atteint sans monter aux extrêmes, bien irresponsable celui qui priverait son adversaire de toute sortie honorable. Cela dit, il ne faut pas confondre maîtrise de la force et pusillanimité. La concentration opportune et déterminée des moyens constitue d’ailleurs un moyen de pression psychologique puissant capable de décider à lui seul du cours de la crise.
Les principes de liberté d’action, d’économie des moyens et de concentration des efforts ont donc conservé toute leur pertinence au fil du temps mais l’officier de ce début de siècle ne peut plus en avoir tout à fait la même lecture que son grand ancien du siècle précédent. Cependant, il peut toujours puiser dans ce qui n’est rien de plus qu’un référentiel “ce goût du concret, ce don de la mesure, ce sens des réalités qui éclairent l’audace, inspirent la manœuvre et fécondent l’action ” 3. A ces trois principes il faut ajouter
1 Joint effect center. 2 L’économie des moyens étant, selon Foch, la répartition et l’application judicieuses des moyens en fonction des objectifs poursuivis, et non le simple fait de ne pas gaspiller les moyens. 3 in Le Fil de l’épée. Charles de Gaulle (1932).
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trois principes complémentaires que sont à la
liberté
d’action “ la légitimité de l’action ”, à l’économie des moyens “ la préservation des pertes et dommages ” et à la concentration des efforts “ la gradation des effets ”.
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doctrine
La place des forces terrestres dans la résolution des crises ontrôle du milieu en Afghanistan, contrôle des foules à Mitrovica, évacuation de ressortissants au Libéria, rétablissement de la paix en Haïti, émeutes à Abidjan... Depuis quelques années, les forces terrestres sont directement engagées au contact des parties en présence et de la population pour le règlement des crises.
C
L’évolution récente de la nature des conflits et du contexte stratégique nous montre que dans les années à venir nos forces armées seront confrontées à des menaces dissymétriques et surtout asymétriques. Dans ce cadre, la place des forces terrestres sera privilégiée et elles devront bénéficier du soutien et de l’appui des forces aériennes et maritimes.
PAR LE GÉNÉRAL DE DIVISION
ALAIN BIDARD, SOUS-CHEF OPÉRATIONS-LOGISTIQUE DE L’ÉTAT-MAJOR DE L’ARMÉE DE TERRE
La nature des crises La guerre froide est un exemple unique dans l’histoire, puisque les populations des deux opposants en sont sorties positivement. Si l’on fait exception de la crise en Tchétchénie, les nations de l’ex-bloc de l’Est et celles du bloc de l’Ouest vivent en paix. Les analyses stratégiques convergent pour admettre que cette situation paraît durable. Les nations modernes ont donc naturellement tourné leurs centres d’intérêts et concentré leurs efforts sur la périphérie de leur monde. La nature des crises qui s’y développent est fort différente de celles que l’Europe a connue sur son sol jusqu’à la fin de la seconde guerre mondiale. La doctrine occidentale a formalisé la menace en la qualifiant de “dissymétrique” et d’“asymétrique”. Catalysées par les engagements américains post-11 septembre, ces
notions ne sont pourtant pas nouvelles. Nos anciens ont lutté contre la guérilla et le terrorisme à de maintes reprises hors du sol national, lors de la campagne du Mexique, de la pacification du Maroc ou de la guerre d’Algérie par exemple. Le véritable mérite de cette terminologie récente est de susciter un élan de réflexion pour redécouvrir - réinventer - la doctrine adaptée à la nature des crises actuelles et à venir. Les forces armées subissent la loi de l’offre et de la demande et doivent adapter leur doctrine, leur organisation, leur équipement pour être efficientes dans la résolution des crises pour lesquelles leurs dirigeants les engagent. Parmi d’autres facteurs, la pauvreté, la déstructuration et le fanatisme caractérisent les zones actuellement en crise, créent des menaces très éloignées de celles répertoriées pour les combats classiques.
La phase de prise d’initiative au cours de laquelle se déroulent les engagements de coercition se raccourcit singulièrement. A l’inverse, la phase de stabilisation où l’on doit maîtriser la violence s’allonge considérablement. Nos adversaires potentiels ont vite compris que notre supériorité technologique, numérique, financière nous rend invulnérables dans un face à face classique. Ils adoptent alors les techniques de guérilla dont la partie émergée est le terrorisme et le harcèlement, mais dont la partie immergée est la conquête des populations.
La gestion des crises Qu’attendent nos dirigeants de leurs forces armées ? Quel état final recherchent-ils ? De nombreux commandeurs notent, à leur retour d’opération, que cet état final n’était pas clairement défini. On peut
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même s’interroger sur l’efficacité et la légitimité du maintien pour une longue durée de forces armées sur un théâtre où la violence relève quasiment de troubles à l’ordre public. Nous devons résoudre la crise, c’est-à-dire repositionner le pays dans lequel nous sommes engagés dans un référentiel de droit et de “fonctionnement” permettant le transfert des charges de sécurité aux forces de l’ordre et aux autorités locales. L’atteinte de ce stade passe impérativement par un ralliement de la population et des dirigeants potentiels aux valeurs internationales. Cette vision politique est commune aux nations occidentales, mais également depuis quelques années aux nations d’Europe de l’Est : permettre l’assise d’un régime démocratique qui respecte les traités internationaux et les droits de l’homme.
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ADJ Jean-Raphaël DRAHI/SIRPA Terre
Une fois fixé l’état final recherché, comment gérer la crise ? Le triptyque prise de l’initiative - stabilisation - transfert mérite d’être approfondi car il conditionne directement notre doctrine, notre organisation et notre équipement.
Puisqu’il faut éradiquer le terrorisme et la guérilla, la lutte se place d’emblée sur un plan psychologique. En annihilant le soutien affectif et psychologique de la population on supprime par le haut la volonté de combattre, le recrutement et l’ensemble du soutien logistique des mouvements activistes. Il est donc primordial d’instaurer ou de restaurer la confiance des populations dans la force amie et dans les valeurs qu’elle représente.
Cette confiance passe par l’établissement d’un climat favorable au retour d’une vie sociétale normale. La devise du commando Georges en Algérie, “chasser la misère”, montre à quel point les moyens de parvenir aux fins passent aussi par des voies éloignées de la coercition.
Ce serait alors une profonde erreur de dissocier l’action de nos forces en phase de prise d’initiative de celle de la
phase de stabilisation. Il serait inepte de détruire, sans absolue nécessité, ce que l’on devra reconstruire par la suite. Les responsables doivent donc connaître parfaitement les besoins des populations et ceux de nos ennemis potentiels pour ajuster avec une précision extrême l’emploi de la force à tout instant. De même le comportement de nos troupes est un aspect crucial de notre action. Il ne s’agit plus là de savoir-faire, mais de savoir être, d’éducation, de sensibilité et d’intelligence.
En conséquence, l’impérieuse nécessité de renseignement sur le milieu dépasse de loin le simple recensement d’objectifs de targetting. Ce renseignement, dans la bataille pour la conquête des populations, cible essentiellement la connaissance humaine des mécanismes qui animent le pays. Seules des troupes déployées en permanence au contact de la population peuvent atteindre ce résultat. Seules les forces terrestres, engagées dans la durée, soumises aux mêmes difficultés géographiques et climatologiques que les populations locales, partageant avec elles une vie de promiscuité, d’échanges et de découvertes réciproques, peuvent remplir cette mission.
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Importance des appuis et des soutiens La composante terrestre tient ainsi une place primordiale dans une bataille à gagner sur le sol, pour le sol. Et pourtant, il serait extrêmement réducteur de croire que nous puissions agir seuls. Quelle place et quel rôle chacune des composantes de nos forces armées peuvent-elles jouer ? Quelle est l’utilité des armes puissantes dont disposent les forces aériennes et maritimes dans une phase de stabilisation où l’effet à obtenir est l’inverse de la terreur et de la destruction ? Les forces terrestres doivent disposer d’appui et de soutien en continu tout au long de la résolution d’une crise. Il ne paraît pas nécessaire de développer l’importance de la place des forces aériennes et maritimes dans la phase de prise d’initiative. Outre le soutien transport stratégique que ces
deux armées apportent à la composante terrestre, elle ont un rôle essentiel à jouer pour désorganiser l’ennemi potentiel tant qu’il est constitué et avant qu’il ne se dilue et n’adopte des techniques de guérilla. Il en est de même pour les forces spéciales dont l’acquisition du renseignement sur le milieu est fondamental pour préparer le déploiement de nos forces à terre. Mais, les autres composantes conservent aussi un rôle primordial en phase de stabilisation tant en termes de soutien logistique que de capacités de réaction. Les crises récentes se sont pour la plupart produites sur des théâtres d’opération éloignés du sol national. Non accessibles par voie de terre, en zone non stabilisée, il est impératif de disposer de moyens de transport aériens et maritimes aptes à faire face à ces contraintes. Mais surtout, nos forces ont constaté qu’elles pouvaient être confrontées à tout instant à des regains de violence extrêmes par la nature même de l’action terroriste. Se priver des moyens de renseignement et de feu puissants dont disposent les autres composantes serait incohérent. L’emploi de ces moyens capacitaires de réaction immédiate ne s’improvise pas; il implique la constitution de structures de commandement permanentes en opérations et le déploiement de forces et de moyens dont la mise en synergie se réalise en toute connaissance des données complexes de gestion de la crise.
Menaces asymétriques, crises complexes et développées dans la durée, gain psychologique des populations, emploi adapté de la force et des armes, renseignement tactique zonal; voilà l’environnement et l’atout dans le jeu : des forces terrestres entraînées, endurcies, rustiques, adaptées en structures et moyens qui, en nombre, s’installent au sein des populations qu’elles doivent protéger, dans un pays qu’elles doivent repositionner en état de droit.
doctrine
Les capacités des forces terrestres en phase de stabilisation ans une opération, la phase de stabilisation est celle où le choc initial de l’entrée dans la zone d’action se transforme en présence armée, plus ou moins durable, pour apaiser les tensions et conduire une région en crise et sa population vers l’état final recherché. Il s’agit là d’une mission spécifique et première des forces terrestres.
D
En effet, seules les forces terrestres peuvent créer les conditions nécessaires pour le retour à l’état de droit, la paix des institutions et celle des cœurs. En charge de la sécurité, au contact de la population et des autorités civiles, leur action se fonde sur leur capacité à simultanément dissuader, contrôler, et si nécessaire réagir par un emploi maîtrisé de la force, l’ensemble créant une part essentielle de l’environnement indispensable pour le retour à la normalité. Dans ce cadre, les engagements récents, tant nationaux que multinationaux, sont très riches en enseignements et autorisent à définir progressivement un corpus doctrinal visant à mieux préparer les unités à ce type d’intervention. Mais ils posent aussi des questions de fond sur les équilibres capacitaires qu’il convient d’assurer dès lors que l’on veut tout à la fois être en mesure de créer le choc initial puis de stabiliser la situation dans la durée. Le concept des “Three blocks war”, les options d’organisation en forces d’entrée en premier et en forces de stabilisation, la spécialisation des forces à l’échelle internationale pour l’une ou l’autre des missions, ont tous un lien fort avec le défi capacitaire à relever pour faire face aux exigences propres à la différenciation des engagements entre coercition et maîtrise de la violence. L’expérience acquise permet de mieux préciser les capacités nécessaires aux forces terrestres en phase de stabilisation.
PAR LE
GÉNÉRAL DE CORPS D’ARMÉE JEAN-CLAUDE THOMANN, COMMANDANT LA FORCE D’ACTION TERRESTRE
En premier lieu se pose la question du commandement. Il s’agit en fait d’une redoutable problématique car il est clair que le centre de gravité et les fonctionnalités d’un PC de stabilisation ne sont pas exactement ceux d’un PC de conduite d’un combat pour neutraliser ou détruire un adversaire. S’il doit exister une corrélation forte entre un PC de bataille et un PC de retour à la paix, ne serait-ce que parce que le premier doit conduire son action en ayant toujours en filigrane les impératifs qui
conditionneront le succès du second, il n’en reste pas moins que dans la stabilisation le commandement à tous les échelons s’exerce en corrélation, plus ou moins étroite, avec des autorités civiles dont l’action est prioritaire pour la résolution effective de la crise et répond à des impératifs parfois difficiles à concilier avec ceux propres à la composante militaire. Cette différenciation pose la question des structures de PC à adopter selon les grandes phases de l’engagement : faut-il les spécia-
liser, pour un meilleur entraînement, voire une plus grande efficacité, ou mieux vaut-il retenir un schéma plus évolutif, en greffant par exemple sur un même noyau intangible les cellules et fonctions additionnelles requises par l’un ou l’autre des engagements ?
mode d’engagement à un autre. Le concept de PCTIA est, à cet égard, une tentative de fusionnement, pour la gestion des crises, de deux niveaux de responsabilité (EMF et brigade) fortement différenciés dans le cadre des engagements dédiés à la seule coercition.
La réponse n’est pas évidente et repose en partie sur les capacités culturelles des étatsmajors à s’adapter et à détenir la flexibilité nécessaire pour, au-delà des requis organisationnels, passer d’un
En matière de renseignement, la donne est également d’un autre ordre. En stabilisation, la priorité va au renseignement humain. Il ne s’agit pas de repérer et identifier des masses ayant une capacité cri-
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Il est aussi évident que les opérations de stabilisation doivent accorder une importance très grande et des moyens significatifs aux fonctions telles que la coopération civilo-militaire, l’information opérationnelle ou les liaisons physiques de tout ordre avec les très nombreux acteurs civils et militaires d’une stabilisation.
Dans le domaine des capacités de mêlée et d’appui, la fonction “contrôle de zone ” au sens le plus large est la plus prégnante pour la stabilisation. Il existe plusieurs manières de l’assurer, selon l’état de dégradation de la situation. Elle doit être conçue pour permettre une très rapide réversibilité de l’attitude
des forces, des pics de violence plus ou moins localisée pouvant alterner sous très faible préavis avec de longues phases de calme relatif. L’expérience dégage deux grandes options d’organisation des forces dans ce contexte : • La première option est fondée sur un maillage zonal, plus ou moins dense, d’entités interarmes relativement autonomes et dans tous les cas capables, outre leur mission de surveillance, de réagir très localement par la force à une agression inopinée, si nécessaire dans l’attente d’éventuels renforts. C’est le concept qui prévaut désormais pour l’opération LICORNE. • La seconde option repose sur un maillage zonal très allégé de seule surveillance, n’ayant par lui-même aucune capacité de réaction en force, celle-ci étant centralisée dans des entités interarmes réservées, robustes et mobiles. LMT, PRT et autres équipes légères, associées à des QRF, relèvent de ce concept, appliqué en BOSNIE et qui le sera à terme au KOSOVO dans le cadre des Task Forces.
Sur le plan capacitaire, le contrôle de zone ne requiert pas dans l’absolu les mêmes outils de mêlée et d’appui que la bataille. Il est assuré selon un ratio de moyens puissants et légers différent. Ceci induit bien évidemment de nombreuses interrogations sur les équilibres à réaliser entre ces moyens et introduit en particulier le débat sur les forces médianes dans lesquelles les Anglo-Saxons voient aujourd’hui une réponse au dilemme posé. Il faut noter qu’en l’absence de doubles dotations, l’inadaptation matérielle des forces de décision aux missions de stabilisation oblige,
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ADC Fabrice CHESNEAU/SIRPA Terre
tique de manœuvre et de feu, action dans laquelle les capteurs techniques jouent un rôle essentiel, mais, par un maillage complexe de capteurs humains, de surveiller voire pénétrer des réseaux, d’en saisir les articulations et les objectifs, de se mettre en mesure d’en prévenir les actions dès lors qu’elles s’opposent à la volonté de paix. Ceci a des conséquences majeures pour la formation des spécialistes du renseignement et la nature des moyens à déployer. Aujourd’hui encore ces capacités spécifiques sont mal maîtrisées. Elles exigent un effort conceptuel et d’organisation qui doit être au cœur de nos préoccupations. Les systèmes d’information et de communication ne peuvent être écartés de l’analyse, car ils doivent permettre la saisie et le traitement de données qui n’ont ni le même corps, ni le même sens que celles de la bataille. Par ailleurs, le déploiement des moyens de communication relève de critères et de modes d’organisation autres que ceux qui sont la norme pour la conquête d’un espace de manœuvre, en particulier en termes de mobilité.
dès lors que l’on veut utiliser toute la ressource humaine qui leur est affectée, à des réorganisations structurelles et à des mouvements de matériels et d’équipements générateurs de bien des difficultés, voire de désordres. Il y a là une limitation à la polyvalence des unités qui, dans un contexte de ressources comptées, interroge sur l’équilibre optimal des moyens à réaliser au regard des évolutions stratégiques et des ambitions opérationnelles. Toutefois ce constat est à nuancer car tout montre qu’en stabilisation, les impératifs de maintien d’une présence dissuasive couplée à une capacité de réaction réellement puissante, même si elle
est limitée en volume de forces, conduisent à prôner l’insertion dans le dispositif global de petits modules relevant des modes d’action les plus coercitifs. C’est pourquoi nos chars de bataille comme notre artillerie, tout en restant aptes à l’action d’ensemble en grandes unités, doivent désormais pouvoir être utilisés en éléments très réduits, capables de s’intégrer avec une bonne autonomie opérationnelle dans des entités interarmes de faible volume.
Cette évolution capacitaire n’est pas sans conséquence sur les concepts et capacités logistiques. Le soutien d’enti-
doctrine pour le soutien d’engagements du niveau GAM alors que l’émiettement actuel en détachements engagés sur tous les continents implique leur présence dans de multiples entités de faible volume où leur expertise est requise mais non rentabilisée. Plus généralement, la logistique de la stabilisation a un caractère spécifique et il est nécessaire de mener un processus complexe d’adaptation tant des organisations que des moyens pour passer de la bataille (ou l’entrée en premier) à la stabilisation. Les critères de rentabilité et de rationalisation divergent. La tentation est ainsi grande en phases de stabilisation de rationaliser jusqu’à l’excès le soutien et de générer de ce fait une dichotomie entre tactique et logistique pouvant mettre en cause le principe d’unité du commandement et de la manœuvre, qui doit rester d’autant plus la règle que les situations acquises sont en règle générale fragiles, voire réversibles.
tés modulaires, composites, dispersées et de faible volume a des impératifs différents de ceux propres à la logistique de
la bataille dans sa conception classique. C’est ainsi que l’actuelle dispersion de nos moyens aéromobiles sur de
nombreux théâtres pose un sérieux problème de maintenance, les effectifs des spécialistes ayant été calculés
Ce bref tour d’horizon de la problématique d’ensemble des capacités nécessaires aux forces terrestres dans les opérations de stabilisation met en évidence la nécessité de les situer dans un ensemble, tant doctrinal qu’humain et matériel, beaucoup plus large que celui de la seule stabilisation. Mais celle-ci, de par sa nature, est une mission prioritaire des forces terrestres, seules à pouvoir la conduire au sein des populations, dans la durée nécessaire jusqu’à son aboutissement. Il y a bien là pour les forces terrestres modernes un réel défi, qui induit des choix difficiles tant en matière d’équipements que de structures ou encore de formation du personnel. La professionnalisation, qui autorise les qualifications multiples, une certaine polyvalence des unités, nos facultés d’adaptation et de flexibilité, produits de notre expérience et de notre formation, sont des bases solides pour relever le défi, instaurer les équilibres capacitaires indispensables et in fine, agir en stabilisation avec l’efficacité nécessaire et suffisante.
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Le commandement Air (JFACC1), poste clé auprès du commandement interarmées de théâtre (JFC2) es opérations récentes démontrent, d’une manière évidente, qu’il n’existe plus d’opérations exclusivement aériennes suivies par des opérations terrestres voire aéromaritimes, mais qu’aujourd’hui les opérations sont multinationales et d’essence interarmées. Dans ce cadre, le commandant interarmées de théâtre (JFC), situé entre le niveau stratégique et tactique, joue un rôle primordial, puisque c’est ce niveau de commandement sur le théâtre qui décide en fonction de “ l’effet recherché ” du meilleur emploi des forces mises à sa disposition sur place, c’est-à-dire du choix de la composante “menante” et des composantes “concourantes ”.
L
Afin de mieux comprendre le rôle joué par le commandant d’opérations air (JFACC), il convient tout d’abord de resituer les trois niveaux de commandement puis d’insister sur l’importance du commandement interarmées de théâtre et de montrer comment les quatre composantes (terre, air, mer et forces spéciales) peuvent être employées alternativement suivant le schéma décrit précédemment dans un tempo des opérations de plus en plus rapide. Au sein de ces structures, le commandement air tient un rôle primordial pour donner à l’arme aérienne toute sa puissance dans une campagne totalement interarmées et qui exige une très forte réactivité.
PAR LE
GÉNÉRAL DE CORPS AÉRIEN JEAN-PATRICK GAVIARD, COMMANDANT LA DÉFENSE AÉRIENNE ET LES OPÉRATIONS AÉRIENNES (CDAOA)
Les trois niveaux de commandement Il existe trois niveaux de commandement : le niveau stratégique, le niveau du commandement interarmées de théâtre ou opératif et le niveau tactique. Plutôt que de faire appel à des définitions complexes, il paraît plus simple de donner quelques exemples décrivant les trois niveaux de commandement (voir schéma I). S’agissant d’une opération exclusivement nationale (évacuation de ressortissants par exemple), le niveau stratégique correspond aux plus hautes autorités de l’Etat et du chef
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doctrine d’état-major des armées, le niveau opératif à celui du général en charge de l’opération interarmées sur le théâtre d’opération et les niveaux tactiques aux colonels commandant les différentes composantes sur place. Autre exemple, pour une opération sous commandement de l’OTAN, le niveau stratégique correspond au conseil de l’Atlantique Nord (CAN), au comité militaire et au commandant en chef des forces de l’OTAN (SACO)3, le niveau opératif correspond aux trois commandements suivant : JFC Brunssum en Hollande, JFC Naples en Italie ou JC à Lisbonne au Portugal. Les commandements de composante sont quant à eux désignés par l’ensemble des forces de réaction rapide (terre, air, mer, forces spéciales) en alerte, comme c’est le cas aujourd’hui dans le cadre de la NRF4. Les mêmes niveaux existent au sein de l’Union européenne. Ces précisions effectuées, l’importance du niveau opératifpeut être illustrée au travers de deux opérations récentes. Cette illustration correspond plutôt à une démonstration “par l’absurde” puisque c’est l’absence de ce niveau et des conséquences malheureuses induites qui plaident pour l’existence voire le renforcement de ce niveau opératif. Le premier exempleest tiré directement de l’opération aérienne “ Allied force ” qui s’est déroulée au-dessus du Kosovo du 24 mars au 12 juin 1999. Volontairement décidée comme une opération exclusivement aérienne, le niveau opératif fut “oublié” puisque le commandant air allié s’était installé à Vicenza dans son centre de conduite (CAOC) situé au niveau tactique. Le ciblage essentiellement tactique, l’“oubli ” des autres centres composantes (en particulier forces spéciales) et donc du niveau opératif ont conduit à une opération longue et discutée.
Ces enseignements ont été tirés par les Américains, qui quelques années plus tard (en octobre/ novembre 2001), lors de l’opération “Liberté immuable” en Afghanistan contre les Talibans, ont fait jouer d’une manière très complémentaire les forces spéciales et les moyens aériens avec le succès que l’on connaît. On notera que le niveau opératif était placé sous le ferme commandement du Général Tommy Franks. Le deuxième exemple, il en existe malheureusement bien d’autres, concerne l’opération “Anaconda” qui s’est déroulée début 2002. Cherchant à lancer une opération exclusivement terrestre le long de la frontière afghano-pakistanaise, le commandement Terre américain décida de se “priver” de la composante air, le niveau opératif pour diverses raisons étant également contourné. Le résultat fut immédiat puisque, à l’instar de ce qui se passa lors de l’intervention soviétique à la fin des années 80, sans couverture aérienne, plusieurs hélicoptères américains furent abattus et les victimes alliées nombreuses. Aujourd’hui le niveau opératif est bien identifié. En France, l’état-major de niveau opératif correspond à l’EMIAFE5 situé à Creil. Les commandants des composantes, experts dans leur domaine, apportent des solutions, adaptées aux intentions définies par le commandant interarmées de théâtre. La complémentarité des moyens permet, alors de décupler les actions et de substituer à des effets de saturation des effets variés, précis complémentaires dans le temps et l’espace et donc décisifs. L’état-major de niveau opératif, pour jouer efficacement son rôle politico-militaire et interarmées, doit être strictement adapté à la taille de l’opération et distinct clairement des états-majors de niveau tactique.
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Le commandement Air (JFACC) auprès du commandement interarmées de théâtre (JFC) Aux côtés du commandant opératif, le commandant air joue également un rôle primordial. Expert et responsable de l’espace dans la zone d’opération, celui-ci envoie au centre de conduite (CAOC) ses directives. Directives qui seront déclinées ensuite, en tâches opérationnelles (ATO6) à accomplir par les moyens aériens dédiés. “L’élément nouveau, élément de rupture, aujourd’hui, c’est l’accélération du temps”. C’est ainsi que le 19 novembre 2004, s’est exprimé le chef d’état-major des armées lors d’une présentation devant un auditoire éminent. Il s’agit là d’un point important mais familier pour un aviateur dont la culture est, bien évidemment, fondée sur la connaissance de la 3e dimension mais aussi du temps et de son accélération. La chaîne de défense aérienne a été construite autour de cette contrainte, et les événements du 11 septembre aux États-Unis ont mis en exergue la nécessité d’anticiper encore les actions pour gagner cette course contre les minutes voire les secondes. Parallèlement s’agissant d’opérations extérieures la boucle “observation - orientation - décision - action ” s’est accélérée au point que l’on parle aujourd’hui en minutes là où l’on parlait en heures voire en jours il y a encore quelques années. Dans ce domaine, le commandement air peut aider également le niveau opératif. En effet le maillage entre les différents capteurs aéroportés voire au sol (HUMINT) aboutit au centre de conduite air (CAOC) et permet au décideur dans une boucle courte d’obtenir des informations essentielles. Ces informations sont analysées rapidement.
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Parallèlement, les différents commandants de composante proposent des modes d’action qui sont confrontés en termes, de délais de temps, de dommages collatéraux par le commandement de niveau opératif avant sa prise de décision (voir schéma II). S’agissant d’objectif à haute valeur ajoutée (TST7) le niveau opératif voire le niveau stratégique, à partir de l’ensemble des informations et des propositions fournies décidera du mode d’action retenu voire d’une combinaison de modes d’action désignant une composante comme “menante” et une composante “concourante”. L’outil de visualisation de
ces informations8 doit être synthétique, avec une granularité des représentations des composantes strictement ajustée dans le temps et dans l’espace au niveau de décision requis. La visualisation fournie pour le suivi des opérations aériennes située au centre de conduite des opérations aériennes rafraîchie toutes les 10 secondes représente, à l’évidence, la colonne vertébrale de cet outil de base interarmées. On l’a compris le commandant de la composante air (JFACC), expert de l’espace et du temps, doit se situer au plus près du commandant de niveau opératif pour, à tout moment,
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interpréter ses intentions et lui proposer parallèlement des modes d’action air adaptés. Les campagnes interarmées sont aujourd’hui très complexes et font appel à tout le spectre des modes d’action d’autant que le commandant de niveau opératif joue un rôle politico-militaire primordial, sur le théâtre. Aussi, les actions civilo-militaires représentent dans l’ensemble des missions, en particulier de stabilisation ou de maintien de la paix, un volet essentiel. Dans ce cadre, le commandant air peut proposer des actions spécifiques, en complément d’actions plus coercitives, en
s’appuyant sur les capacités d’aéromobilité de la composante air ou à partir des points d’appui indispensables aux opérations interarmées que sont les bases aériennes de théâtre. En effet, les opérations multinationales et interarmées récentes ont toutes débuté puis se sont appuyées pour le soutien logistique sur une ou plusieurs bases aériennes (voir photo) : Sarajevo, Mostar pour la Bosnie Herzégovine, Skopje pour le Kosovo, Douchanbe, Kaboul pour l’Afghanistan, Entebbe, Bunia pour la République Démocratique du Congo, Abidjan et Lomé pour la Côte d’Ivoire.
doctrine Le commandement Air et les forces de réaction rapide Les crises se déclenchent rapidement, parfois sans préavis, l’OTAN et l’Union européenne (UE) se sont adaptées en créant des forces de réaction rapide dont le Nato Response Force (NRF) pour l’OTAN et les groupements tactiques 1 500 pour l’UE. Dans ce cadre, le commandant air doit pouvoir, à l’instar du commandant de niveau opératif, se projeter dans des délais très courts 9 au plus près du théâtre. Or projeter à des milliers de kilomètres un état-major “volumineux” dans un court laps de temps, avec des moyens de transport stratégique limités et consacrés en priorité aux forces vives, est aujourd’hui illusoire.
Si en temps ordinaire, l’étatmajor du commandant air (JFACC) doit être ramassé pour être efficace, il convient de réduire encore le nombre de personnels de cet état-major projetés en “avant ” pour privilégier la réactivité. Ainsi, comme cela a été testé lors de l’exercice AIREX en janvier 2005, la projection du noyau d’état-major “avant” en même temps que le commandant de l’opération de niveau opératif a permis au commandant air de participer aux premières décisions sur le théâtre (voir schéma III). Toutefois afin de pallier la rupture de continuité due à la projection, et à la nécessité de bénéficier de certaines compétences maintenues en métropole, il faut s’appuyer sur des moyens de communication satellitaire possédant des
débits importants pour relier l’état-major “avant” de son étatmajor “arrière” (reach back). La mise en orbite au printemps 2005 du satellite Syracuse III dont les débits seront multipliés par dix par rapport aux satellites de communication précédents présente un atout évident. Le noyau d’état-major “avant” peut, par la suite, être renforcé autant que de besoin afin de couper ou réduire le lien avec l’état-major “arrière” car c’est bien sur le théâtre d’opération que doivent être élaborés les modes d’action. Le centre d’opération (CAOC), outil tactique, pourra être colocalisé par le commandement air, mais il n’existe pas de dogme en l’espèce et grâce aux liaisons satellitaires, son positionnement peut être distinct.
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Les crises modernes et la lutte contre le terrorisme exigent des forces armées une plus grande flexibilité, une très forte réactivité et un travail collaboratif afin de répondre aux effets recherchés qui exigent un spectre d’action très étendu. Dans ce cadre, le niveau opératif véritable miroir du niveau stratégique sur le théâtre d’opération représente un niveau indispensable, comme l’ont appris à certaines occasions, et à leurs dépens, les forces engagées au Kosovo et en Afghanistan. L’action politico-militaire menée par le commandant opératif nécessite d’utiliser toutes les forces armées. Elles seront alternativement “menantes ” ou “concourantes ” en fonction de la situation. La réactivité doit être forte. Le commandant air doit donc se projeter rapidement sur le théâtre d’opération au côté du “commandeur ” pour être en mesure de lui proposer immédiatement des solutions adaptées. En effet, si le commandant air est par nature le spécialiste de la 3e dimension, il est culturellement un expert du temps qui aujourd’hui s’accélère. Cette expertise doit impérativement être utilisée par le commandeur de niveau opératif en particulier dans le cas délicat du ciblage. Le commandant air (JFACC) a ainsi la tête au niveau opératif et son bras armé (CAOC) au niveau tactique.
CDAOA
1 JFACC : Joint Force Air Component Commander. 2 JFC : Joint Force Commander. 3 SACO : Supreme Allied Command Operations. 4 NRF : Nato Response Force : force de réaction rapide de l’OTAN. Pour la NRF 5 en alerte au 1er juillet 2005 pendant 6 mois, le commandement de niveau opératif sera le JC Lisbonne, le corps d’armée espagnol sera en charge de la composante terrestre, l’ ITMARFOR de la composante marine et l’Armée de l’air française pour la composante aérienne.
5 EMIAFE : Etat-major interarmées de force et d’entrainement. 6 Air Task Order. 7 Time Sensitive Target. 8 Cet outil s’appelle la COP : “Commun Operational Picture”. 9 Les premiers éléments des composantes dédiés à la NRF doivent pouvoir se projeter en 5 jours !
doctrine
La place des forces terrestres
dans le soutien logistique des opérations utre le contexte de la guerre froide où l’arme nucléaire a joué le rôle dissuasif que l’on sait, il existe peu d’exemples au cours des conflits auxquels la France a été confrontée, où les forces terrestres n’ont pas exercé le rôle déterminant, qu’il s’agisse de la défense du territoire national ou des intérêts stratégiques nationaux dans le monde. Participant grandement au succès militaire, elles sont chargées de le consolider en assurant le contrôle du terrain le temps qu’il faut afin de marquer la volonté de la France et de permettre le développement de la diplomatie et des politiques voulues par les autorités.
O
Que ce soit pour emporter la décision initiale ou pour “durer” sur le terrain, les forces terrestres ont été amenées dès leur origine à déployer, parfois très loin du territoire national, un dispositif logistique leur permettant de réunir, au bon moment et au bon endroit, toutes les ressources nécessaires pour vivre et mener leurs missions opérationnelles. Elles ont ainsi acquis, au fil des siècles, une expertise et un savoir-faire en matière de soutien logistique opérationnel, sans cesse renouvelés pour s’adapter aux évolutions des modes d’action et des systèmes d’arme. Pour des motifs tant stratégiques qu’organisationnels ou simplement pragmatiques, cette compétence et cette capacité - initialement purement “terro-terrestres” sont, depuis longtemps déjà, exploitées au profit de l’ensemble des armées.
PAR LE
GÉNÉRAL DE CORPS D’ARMÉE JEAN-LOUIS SUBLET, ANCIEN COMMANDANT DE LA FORCE LOGISTIQUE TERRESTRE
es opérations majeures menées par les forces françaises, surtout depuis la chute du mur de Berlin, constituent autant d’exemples permettant d’illustrer ce rôle que joue l’Armée de terre dans le domaine du soutien logistique opérationnel interarmées.
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Dans la majorité des cas, ces opérations se sont déroulées en deux phases distinctes : la première, le plus souvent de courte durée, au cours de laquelle l’emploi ou la démonstration de la force était requis ; la deuxième, dite de stabilisation et couvrant plusieurs mois
voire plusieurs années, au cours de laquelle il s’agissait de garantir une paix durable (en Bosnie, par exemple, cette mission se poursuit encore aujourd’hui plus de dix ans après le début de l’intervention).
Dans le premier comme dans le second cas, les forces terrestres constituant généralement l’acteur principal sur le théâtre d’engagement, l’Armée de terre a pris tout naturellement une part déterminante dans la conception, la planification et la conduite du soutien logistique opérationnel.
D’une façon générale, le soutien logistique comprend deux grandes étapes qui s’enchaînent : à l’arrivée, le soutien en opérations, c’est-à-dire celui apporté aux forces et au sein de celles-ci sur le théâtre même d’engagement, et le soutien des opérations, réalisé celui-ci à partir du territoire national au profit de la conduite générale de l’opération.
Cette séquence du soutien, en amont de l’opération, se déroule elle-même en deux phases : • à partir des besoins exprimés par le théâtre d’opération, il
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s’agit tout d’abord sur le territoire national d’organiser et piloter l’acheminement des ressources, par les types de vecteurs terrestres militaires et civils les plus appropriés, jusqu’aux platesf o r m e s p o r t u a i re s o u aéroportuaires d’embarquement. Les moyens de transport routier des formations logistiques de l’Armée de terre y contribuent largement chaque jour ; • il s’agit ensuite de faire assurer le transport de ces mêmes ressources jusqu’aux théâtres par des vecteurs aériens militaires 1 ou civils et des vec-
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Autres caractéristiques et fait nouveau, les opérations majeures auxquelles les forces françaises participent depuis une quinzaine d’années sont, pour la plupart, réalisées dans un cadre multinational. Cela a des implications multiples et importantes dans tous les domaines du soutien opérationnel. Pour les formations de l’Armée de terre, le caractère multinational des opérations se traduit par le côtoiement au quotidien des unités alliées dans le cadre de leurs missions opérationnelles mais aussi de leur vie courante et, donc, par le déploiement d’un dispositif de soutien cohérent avec le concept logistique interallié retenu pour le théâtre considéré.
logistique particulière à une seule d’entre elles (le soutien pétrolier et le soutien santé constituent les fonctions les plus concernées par cette évolution). Elles mettent en œuvre aussi, quand la situation le permet, le partage ou la mutualisation selon des règles fixées dans des accords le plus souvent binationaux, de certains types de soutien (hébergement, maintenance, transports, ...). Les forces terrestres engagées dans de nombreuses opérations depuis trente ans au quotidien ont donc aujourd’hui acquis une solide expérience du soutien logistique multinational.
1 Cela est généralement le cas pour la phase initiale des opérations dans la mesure où, compte tenu des enjeux, une bonne part de la flotte de vecteurs stratégiques et tactiques de l’Armée de l’air peuvent être mobilisés pour acheminer les moyens humains et matériels ainsi que les ressources logistiques nécessaires à l’engagement des forces. Cela est beaucoup moins vrai pour la phase suivante au cours de laquelle il s’avère plus difficile de réunir des capacités comparables dans la mesure où les forces françaises participent simultanément au règlement de plusieurs crises dans le monde. 2 Dans la mesure où la marine française ne dispose pas de navires dédiés, spécifiquement, au transport des moyens et ressources logistiques des autres armées.
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teurs maritimes civils 2, en fonction de leur poids et volume mais aussi en fonction de l’urgence que leur mise en place revêt pour les forces projetées.
En effet, si la logistique reste placée, pour des raisons d’ordre financier essentiellement, dans le domaine des compétences purement nationales, les nations contribuant à la constitution de la force multinationale recherchent de plus en plus régulièrement la possibilité de confier la mise en œuvre ou le pilotage de tout ou partie d’une fonction
C’est pourquoi, l’Armée de terre, disposant des expertises requises et de l’expérience indéniable en matière de procédures logistiques interalliées, est - sans doute - à même d’assurer la maîtrise d’ouvrage des processus de multinationalisation du soutien opérationnel au bénéfice de toutes les composantes militaires françaises projetées sur un théâtre donné. Très clairement donc, l’Armée de terre se trouve toujours et durablement placée au cœur des engagements opérationnels à longue distance. Ainsi, pendant l’année 2004, elle a été engagée, simultanément, dans cinq opérations principales sur quatre continents et a soutenu ces opérations dans un cadre multinational. Rien d’étonnant à ce qu’elle soit désignée armée pilote du soutien dans la quasi-totalité des cas. Elle dispose d’ailleurs pour cela d’un état-major central spécifique, le commandement de la force logistique terrestre, que l’activité et l’expertise installent de fait, d’ores et déjà, au centre du soutien logistique interarmées en opération.
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doctrine Le combat interarmes des forces terrestres Evolutions en cours omme souvent, il n’est jamais inutile de revenir à la définition réglementaire d’un terme de tactique. Le TTA 106 nous enseigne que l’interarmes - entendu ici à la fois comme adjectif et comme nom consiste en “l’emploi synchronisé ou simultané de plusieurs armes (ABC, infanterie, génie,...) pour produire sur l’ennemi un effet supérieur à la mise en œuvre indépendante de chacune de ces armes”. A la différence donc de l’interarmées où les forces terrestres, maritimes et aériennes coordonnent leur action, le plus souvent aux niveaux stratégique et opératif, les forces terrestres coopèrent en combinant l’action des différentes armes, le plus souvent au niveau tactique. Il est d’ailleurs intéressant de noter qu’à quelques exceptions près la manœuvre interarmes au sein de l’Armée de l’air ou de la Marine n’existe pas : les chasseurs et les transporteurs, tout comme les sousmariniers et les “aéros” travaillent rarement ensemble. Les premiers sont cantonnés dans des métiers différents et les seconds dans des milieux homogènes et totalement distincts. L’anglais nous éclaire sur ces différences puisque l’interarmées se traduit “joint” et l’interarmes “combined arms”. Cela étant précisé, la question se pose de savoir la place qu’il convient de donner à l’interarmes au sein de l’Armée de terre, tant en temps de paix qu’en temps de guerre.La guerre n’étant pas une science exacte, la réponse n’est ni simple ni dogmatique.
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Dans un monde où peu nombreux sont ceux qui maîtrisent l’accélération des événements et donc de leurs conséquences - que ce truisme soit pardonné - l’heure n’est peut-être pas venue pour l’Armée de terre de bouleverser fondamentalement sa conception de l’interarmes. En revanche il serait peu raisonnable de ne pas tenir compte des enseignements tirés des conflits récents tout comme des contraintes budgétaires, donc d’effectifs, qui pèsent sur les armées. Quoiqu’il en soit les voies dans lesquelles l’Armée de terre s’engage doivent préserver toute possibilité de réversibilité. PAR LE
COLONEL FRANÇOIS RICHARD, DE LA DIVISION EMPLOI ORGANISATION DU CDEF (MAINTENANT CHEF DE LA DIVISION RECHERCHE ET RETOUR D’EXPÉRIENCE )
N’oublions pas les fondamentaux La connaissance et la mise en œuvre des principes fondamentaux de la tactique préservent la force terrestre engagée de toute erreur mortelle. Cette règle s’applique d’autant mieux que la situation devient complexe, ces fondamentaux constituant des repères auxquels le chef peut se référer, voire s’accrocher.
Le premier de ces principes demeure celui qui consiste au combat à vaincre l’ennemi jusqu’à sa défaite, littéralement jusqu’à ce qu’il soit “défait ”, en réalité jusqu’à ce que l’effet final recherché par la coalition soit atteint. De façon désormais communément admise, on distingue aujourd’hui les opérations de coercition de celles de maîtrise de la violence. Le sujet qui nous intéresse, l’interarmes, concerne ces deux types d’opération : le
premier de façon très claire mais le deuxième aussi en raison du caractère toujours réversible d’une opération de maîtrise de la violence vers une opération de coercition fusset-elle limitée et temporaire. Maîtriser peut parfois signifier éradiquer. Schématiquement, on pourrait dire que la coercition relève de la puissance nécessaire pour établir un rapport de forces favorable alors que la maîtrise
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de la violence relève davantage du savoir être et de l’intelligence de situation. Somme toute dans le premier cas il faut pouvoir vaincre et dans le second, il faut savoir.
Les Américains ont gagné la première guerre du Golfe et l’offensive aéroterrestre de la deuxième car ils ont pu vaincre. Leurs difficultés actuelles en Irak résultent peut-être du fait qu’ils ne savent pas vaincre.
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A cet égard, le danger à éviter consiste à considérer que la nécessité d’engager sur les théâtres extérieurs un maximum d’unités des différentes armes pour leur donner de l’expérience, autorise la fusion des savoir faire de chaque arme. Le risque à terme serait de disposer de soldats aptes à tout donc bons à rien. Le métier de logisticien est différent de celui du sapeur ou du fantassin et la complexité des systèmes d’armes contraint inévitablement à spécialiser nos soldats. Pour autant, la ressource humaine étant comptée, fort opportunément l’Armée de terre a décidé qu’un certain nombre de missions simples dites communes de l’armée de terre (MICAT) pouvaient être remplies par des unités de toutes les armes, appelées PROTERRE. Il s’agit des missions d’escorte de convoi ou de contrôle de check-point
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Revenons-en à nos armes. Elles existent dans toutes les Armées de terre du monde en se classant en armes de mêlée (l’infanterie et l’ABC), armes d’appui (le génie, l’artillerie et les SIC) et armes de soutien (la logistique). L’ALAT, l’arme la plus récente, constitue un cas particulier puisque ses hélicoptères légers participent au combat des armes de mêlée et d’appui et ses hélicoptères lourds relèvent du soutien. Chacune de ces armes possède sa spécificité. Le fantassin tient le terrain, le cavalier crée le choc et l’artilleur délivre des feux puissants et lointains. Selon une mode bien française qui consiste à renommer périodiquement des fonctions ou des concepts, on parle désormais de combat débarqué ou embarqué pour l’infanterie et l’ABC. Fondamentalement rien n’a changé puisque le combat interarmes consiste toujours à combiner les effets de ces armes.
pour ne citer qu’elles. Ce système mis en place depuis quelques années donne satisfaction, mais ne nous leurrons pas, lorsqu’une section ou une batterie est déployée à cet effet, on ne peut lui demander de changer de posture instantanément pour qu’elle reprenne son métier premier. Le choix opéré en planification est rarement réversible notamment sur le plan des équipements ou des munitions. Le CFAT poursuit ses études dans ce domaine et envisage à cet égard de projeter des unités élémentaires dites de “métier” aptes à l’emploi instantanément car structurées et équipées à cet effet. Somme toute, sans s’interdire des adaptations pragmatiques et de bon sens, le respect de quelques principes fondamentaux du combat interarmes préserve de toute erreur fatale la force terrestre engagée en opération de coercition.
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Faut-il réformer les structures du niveau régimentaire pour optimiser l’interarmes ? En opération extérieure, oui et c’est désormais acquis. Le faible volume de force requis sur les théâtres extérieurs où la France est impliquée désigne le groupement tactique interarmes comme l’unité la plus adaptée à remplir les missions qui lui sont dévolues. Comportant toujours des unités élémentaires des armes de mêlée et d’appui, ce GTIA peut en fonction de la situation comprendre des éléments de soutien s’il est amené à agir seul temporairement. Les études sur la constitution et l’emploi des BG 1500 (“ Battle Group ” européen) vont dans ce sens. Le risque à éviter dans la constitution de ces GTIA est bien celui de ne pas y inclure trop d’uni-
tés PROTERRE au nom de l’impossible réversibilité évoquée précédemment en cas d’aggravation de la situation. Ainsi le GTIA constitue-t-il le niveau seuil générique de l’interarmisation, en opération. Il peut exister des cas particuliers qui font alors l’objet de décisions de conduite prises sur place par le chef de l’unité considérée.
A “l’arrière” il convient de distinguer la métropole des DOM/TOM et pays où nous avons des forces prépositionnées. En France métropolitaine, le niveau organique le plus bas d’une structure interarmes est celui de la brigade, les régiments étant homogènes par armes. Le retour à des régiments interarmes possèderait davantage d’inconvénients (sur le plan du soutien et de la formation) que d’avantages (cohésion avant l’engagement par exemple).
doctrine En revanche, au sein des forces armées dans les DOM/TOM ou des forces françaises à l’étranger, la structure interarmes des régiments trouve toute sa pertinence. Les unités élémentaires qui composent ces régiments sont considérées comme aptes instantanément à être engagées, ce qui réduit considérablement les délais de projection à partir de la métropole. Par ailleurs le principe des unités tournantes permet désormais à toutes les armes d’acquérir une expérience de l’outre-mer. Et c’est bien ainsi car dans une Armée de terre “concentrée” et “densifiée” donc réduite - et surtout professionnalisée, il n’y a plus de monopoles. Tant en métropole, donc, qu’en opération ou outre-mer, il n’y a pas lieu de bouleverser les structures interarmes. Elles ont fait la preuve de leur pertinence au point même que nos alliés s’en approchent lentement.
Faut-il réformer la formation et l’entraînement interarmes ? Oui incontestablement, certaines de ces réformes sont en cours, d’autres auront à vaincre d’inévitables pesanteurs parfois légitimes. Premier constat, il est heureux que l’ambiguïté sémantique entre formation, instruction individuelle ou collective et entraînement, soit désormais levée. Honnêtement plus grand monde ne savait situer précisément les frontières entre ces domaines. Le CoFAT est désormais en charge de la formation incluant l’instruction individuelle, et le CFAT de l’entraînement incluant l’instruction collective.
S’agissant de l’entraînement interarmes, la montée en puissance du CPF (centre de préparation des forces) à MAILLY augure fort bien d’avancées significatives et fructueuses. Le CPF, placé sous le commandement d’un officier général, englobera le CENZUB (centre d’entraînement en zone urbaine de SISSONNE), le CEPC et le CENTAC de MAILLY.
L’Armée de terre disposera ainsi d’une structure cohérente particulièrement sur le plan géographique - au sein de laquelle sera conduit l’entraînement interarmes du niveau unité élémentaire initialement, voire GTIA après la création d’une brigade d’entraînement interarmes dont les premières études débutent maintenant. Il restera - et ce ne sera pas le plus simple - à valoriser ce centre en augmentant la fréquence de passage des unités. A ce jour, selon la revue “ Fantassins ” du mois d’avril 2005, une compagnie passe au CEITO1 tous les 27 mois et au CENTAC2 tous les 54 mois. Même s’il existe de légitimes raisons pour expliquer la faiblesse de cette fréquence, il n’y a aucune fatalité dans ce domaine et ce taux doit augmenter. On note au passage, qu’à ce rythme pour un capitaine, ses cadres et ses soldats, la question ne se pose pas de savoir s’ils se forment ou s’ils s’entraînent. L’essentiel est qu’ils y aillent le plus souvent possible.
En ce qui concerne la formation interarmes le problème est plus délicat. Aujourd’hui l’apprentissage du métier des armes se fait dans les écoles d’application. L’aspect interarmes de cette formation n’intervient de façon systématique qu’au stade du CFCU (cours de formation des commandants d’unité élémentaire).
Ne serait-il pas opportun de rassembler en un même lieu certaines écoles pour débuter l’apprentissage de l’interarmes au plus tôt : les armes de mêlée ensemble comme les armes d’appui mais pourquoi pas l’infanterie et le génie ou l’ABC et l’artillerie. La logistique illustre bien cette tendance, puisque le regroupement des écoles de la logistique et du train est pratiquement achevé à TOURS. Naturellement, tout ceci ne se fera pas du jour au lendemain et la préservation d’une culture ou d’un esprit d’arme mérite considération.
1 Centre d’entraînement de l’infanterie au tir opérationnel. 2 Centre d’entraînement tactique.
Quoi qu’il en soit la réduction du format de l’Armée de terre et l’espace disponible qui en résulte dans chacune de ces écoles d’application, autorisent ce regroupement. De plus cette réforme générera des économies dans les coûts de fonctionnement, ce qui ne saurait échapper longtemps à tous ceux qui surveillent de très près cette aubaine financière. Comme toujours, il vaut mieux organiser maintenant ce que l’on ne pourra pas éviter dans un futur proche.
Résumons-nous : la nature des conflits dans lesquels l’Armée de terre s’implique aujourd’hui et ce dans un contexte contraignant sur le plan des effectifs requis, incite à adapter les structures interarmes d’une force terrestre, de la formation de ses cadres et de ses hommes jusqu’à son engagement en opération. Ces réformes ne doivent jamais nous faire perdre de vue l’objectif ultime, celui d’avoir la certitude que l’Armée de terre conservera l’aptitude à conduire avec succès un combat terrestre classique, c’est-à-dire vaincre militairement l’ennemi qui lui fera face, demain au MoyenOrient ou après-demain en Asie Centrale, dès lors que le pouvoir politique le lui demandera. Nous avons des comptes à rendre à la Nation française et bientôt à l’Europe car tôt ou tard une Europe de la défense verra le jour. Toute faillite dans ce domaine serait impardonnable.
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L’emploi des appuis feux artillerie en 2005 : fondamentaux et avancées a fonction appuis feux de l’artillerie de l’Armée de terre comprend deux volets : défense sol-air et feux dans la profondeur. Les cultures d’arme correspondantes sont voisines, et l’emploi est normalement défini dans une même cellule au sein des centres opérationnels (CO). Les avancées conceptuelles expérimentées sur le terrain par la brigade d’artillerie confirment une évolution tactique semblable dans ces deux composantes, notamment par la constitution de groupements tactiques d’artillerie. Toutefois les moyens sol-sol et sol-air visent des effets différenciés : dans un cas coup au but d’emblée et quasiment sans préavis contre un mobile adverse en vol, dans l’autre cas neutralisation après acquisition d’un objectif ponctuel ou étendu, sur préavis plus ou moins bref et avec choix préalable de la munition. Pour ces raisons qui dépassent la seule approche technique, l’emploi et la mise en œuvre de ces deux composantes comportent aussi des spécificités propres à chacune.
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ADJ Jean-Raphaël DRAHI/SIRPA Terre
PAR LE
GÉNÉRAL THIERRY OLLIVIER, COMMANDANT LA BRIGADE D’ARTILLERIE
Les fondamentaux des appuis feux Disponibilité tactique et réactivité constituent des qualités fondamentales recherchées pour les plates-formes de lancement terrestres, et ceci compte quand on compare les mérites respectifs des moyens feux de l’Armée de terre et des autres armées. La mise en réserve de moyens est du reste proscrite dans l’emploi de l’artillerie et les délais de réponse des lanceurs constituent une obsession dès l’entraînement.
doctrine Tout aussi fondamentaux sont les impératifs de coordination qui vont croissant, aussi bien pour des raisons de coopération ou de synchronisation entre systèmes complexes, que pour des raisons de sécurité. Cette coordination s’exerce bien sûr en interne artillerie, mais également vers la mêlée, le renseignement et l’acquisition, la guerre électronique, l’ALAT, l’Armée de l’air, etc. Ces impératifs de coordination, s’ajoutant à la spécificité de la manœuvre des feux, justifient la mise en place près des CO de niveaux 1 et 2 de centres de mise en œuvre (CMO) travaillant en liaison avec les CMO des autres fonctions d’appui, notamment le CMO-RENS. En opérations hors métropole aujourd’hui, cette coordination apparaît souvent à tort comme un élément de complexité, ce qui hélas conduit parfois à éviter la présence de représentants des appuis dans les CO, alors que des détachements de liaison, réduits souvent à un seul officier, font pourtant l’affaire. Traditionnellement enfin, il faut noter la culture du résultat en bout de trajectoire, qu’il s’agisse du “flash” missile, ou des coups “dans l’objectif ” des roquettes et obus, tant il est vrai que l’arme de l’artilleur c’est la munition. On est parfois surpris de constater, ici ou là, l’importance que des officiers d’état-major accordent a priori à la définition de zones de déploiement d’unités d’artillerie ou d’autres éléments sans intérêt en terme d’emploi, alors qu’il convient prioritairement de réfléchir aux effets, qui découlent d’abord des types de munitions disponibles.
Des capacités et postures opérationnelles nouvelles De nouvelles conditions dictent aujourd’hui une évolution commune des deux compo-
santes dans leur organisation au combat, les engagements actuels exigeant des moyens calculés au plus juste, taillés sur mesure.
Dans cet esprit, la brigade d’artillerie a prouvé sa capacité à mettre sur pied des groupements d’artillerie multicapacitaires, intégrant parfois des moyens sol-sol et sol-air, comme cela a été expérimenté et certifié OTAN, dans le cadre de la NRF4, à Canjuers fin 2004, à tirs réels. L’aptitude au tir coordonné et à la manœuvre d’un groupement tactique solair, connecté à l’Armée de l’air, a également été validé récemment à Biscarosse en présence du général COMFAT.
En matière de configuration de structures ad hoc, il faut noter les facilités offertes par la numérisation, domaine dans lequel l’artillerie possède depuis vingt ans une avance sous-estimée ; ATLAS, en cours de mise en service, représente la deuxième génération de la fonction sol-sol, et MARTHA, maintenant opérationnel pour le niveau sol-air bas, va s’étoffer pour acquérir dans les années à venir une capacité de coordination de tous les moyens 3D de la défense solair et de l’Armée de terre, en interopérabilité avec l’Armée de l’air dont elle pourra même intégrer les moyens de défense sol-air.
Par ailleurs la double dotation est entrée dans les mœurs des artilleurs professionnels, avec l’intégration des contraintes d’un deuxième équipement, à ne pas sous-estimer. Le mortier de 120 est le langage commun de l’artillerie sol-sol, et le SATCP Mistral celui de la défense sol-air, avec les facilités correspondantes pour les relèves en OPEX et MCD.
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Des réponses appropriées aux menaces 3D actuelles Même en considérant le haut niveau technologique et opérationnel de nos armées et de celles de nos grands Alliés dans le domaine de la troisième dimension, de récents événements, particulièrement depuis le 11 septembre 2001, nous ont rappelé que le ciel constituait un espace difficile à verrouiller contre les agressions. L’automatisation, la diversification et la prolifération des aéronefs armés par des Etats, des terroristes ou des mercenaires, contribuent à faire peser des risques majeurs. La notion de supériorité aérienne a du plomb dans l’aile et les espaces lacunaires ont rejoint la troisième dimension.
Les systèmes sol-air, qui doivent assurer la sûreté des déploiements des forces terrestres, sont plus que jamais tenus à la complémentarité entre eux afin d’assurer l’étanchéité de la couverture antiaérienne. La section Hawk vient d’expérimenter avec succès une liaison numérisée avec l’Armée de l’air présentant la situation 3D interarmées. Sa n o u ve l l e c o m p a c i t é e n Guépard C a été éprouvée au tir et elle devient un fédérateur pertinent pour des groupements tactiques sol-air allégés projetables, comprenant en outre du Roland-cabine-VLRA et du Mistral portable ou monté sous Gazelle. Un groupement tactique à une section Hawk, deux sections Mistral et une batterie Roland peut assurer la défense aérienne d’une surface équivalente au département du Finistère. L’existence et l’entraînement de “ forces avancées ” spécifiques permet de proposer, en amont ou en complément d’un dispositif antiaérien, des modules réduits à moins de
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Quant à la mise en concordance de la manœuvre des feux d’artillerie dans la profondeur avec les autres effecteurs (Armée de l’air, ALAT, guerre électronique), elle s’effectue sous le contrôle du Joint effects center (JEC) du CO de la force. Ce JEC monte actuellement en puissance au sein du CRR/FR, il engerbe dans ses responsabilités celle de planifier et d’ordonner ses missions à la fonction feux dans la profondeur, donc au CMO-artillerie.
30 hommes, selon les besoins en surveillance, en alerte, en coordination 3D, en projection aéroportée, en accompagnement antiaérien d’un raid, etc.
Vers une amélioration de la cohérence feux dans la profondeur La fonction feux dans la profondeur est aujourd’hui très structurée organiquement : - un régiment de canons de 155 dans chacune des brigades interarmes (niveau 3). Ces régiments disposent en propre de moyens d’acquisition pour l’horizon visible des combats de mêlée ; - deux régiments LRM au sein de la brigade d’artillerie pour les feux dans la profondeur d’une force ou d’une division (niveaux 1 et 2). Ils sont en cours d’équipement avec le radar Cobra pour surveiller, alerter, acquérir et observer le traitement d’objectifs constitués d’artillerie.
Cette structure confère certes des capacités de feux solides et garanties par niveau. Toutefois il ne faut pas qu’elle verrouille la posture des appuis et doit pouvoir s’adapter à : - la gestion d’une “manœuvre de l’artillerie” globale, coordonnée dans le cadre d’un targeting ou d’échanges de feux, centralisable pour marquer un effort, tout en maîtrisant le déclenchement des frappes en temps réel, - la nécessaire synchronisation entre moyens de traitement et d’acquisition, - l’inscription des missions de feux sol-sol dans la manœuvre globale de la force.
En conclusion, les appuis feux de l’artillerie présentent une large gamme d’effets, souvent mal appréhendée par les chefs opérationnels à cause du cloisonnement des capacités, réparties dans les structures-carcans de l’organique. Ces structures conservent leur pertinence pour l’apprentissage du métier et le soutien, mais en matière d’emploi, et grâce à la professionnalisation, on prend l’ascendant sur les anciennes pesanteurs techniques et logistiques. Les compétences des EVAT, l’ouverture des théâtres d’opérations aux artilleurs, même par le biais des unités PROTERRE, conduisent à des prises de conscience et à une volonté de répondre efficacement aux exigences de la projection et du combat. L’évolution
Ces actions sont conduites dans les CMO ou par les DLet rendues interopérables grâce à la numérisation de la totalité de la chaîne de commandement des feux via ATLAS. Des efforts sont en cours pour atteindre une meilleure interopérabilité technique et tactique entre unités équipées de matériels différents (LRM/canon/mortier) et acquérir le savoir-faire des boucles courtes RENS/feux.
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se fait dans le sens d’une meilleure adaptabilité par des structures polyvalentes à géométrie variable, avec apparition d’une émulation entre unités servant des matériels différents. La coopération avec l’Armée de l’air, l’ALAT ou la brigade de renseignement progresse. Enfin la cohérence d’ensemble en terme d’emploi demeure un objectif important pour lequel les indispensables exercices Guibert, Fatextel et Opéra aident à trouver des solutions pertinentes.
doctrine A propos du niveau des actions militaires Stratégique, opératif ou tactique ? e monde civil emploie de plus en plus le vocabulaire militaire, en particulier dans les entreprises, la presse ou même les partis politiques. Les mots de stratégie, de tactique ou d’opérationnel y sont abondamment utilisés, souvent d’ailleurs avec un sens assez éloigné de celui que nous militaires du 21e siècle lui donnons1, mais n’est-ce pas le cas aussi chez certains militaires qui connaissent encore mal la doctrine d’emploi des forces et son volet terminologie, mais aussi parfois l’histoire militaire ?
L
Certes notre vision de la stratégie et même de la tactique a évolué avec la généralisation de la violence anarchique, du rôle grandissant des populations dans les crises et conflits, l’influence des médias et le poids croissant des politiques au niveau tactique. Après de longues années d’opérations de soutien de la paix et de stabilisation, ces militaires ont pu se persuader que leurs actions étaient d’une importance “stratégique” au prétexte qu’ils pouvaient recevoir directement, grâce aux technologies modernes, des directives des plus hautes autorités du pays ou de l’Alliance. C’est oublier un peu vite les textes actuels qui fixent les principes et les règles d’emploi de nos forces armées, et terrestres en particulier, mais aussi les enseignements des conflits et crises du 20e siècle, qui, dans ces domaines en gigogne de la stratégie, de l’opératique et de la tactique, nous ont donné quelques références permettant de nous y retrouver un peu et d’éviter d’attribuer une importance exagérée à certaines actions militaires. En effet, normalement, pour ne pas dire théoriquement, on devrait lier l’importance d’une action au fait qu’elle permet d’atteindre ou non un centre de gravité2 ou un point décisif 3. En fait, ce n’est pas toujours aussi simple, car la détermination des centres de gravité ou des points décisifs, qui débouche souvent sur une liste normalement bien adaptée à l’opération et donc différente selon le type d’opération, change si l’on passe d’une phase d’intervention à une phase de stabilisation. Aussi faut-il se garder des idées reçues dans cette approche de l’importance d’une action militaire, et, au contraire, se raccrocher aux principes généraux qui ont fait leurs preuves. Et, avant de parler et d’agir, sans doute convient-il de méditer sur l’importance relative de nos actions dans la pyramide des valeurs que nous nous sommes fixées et de faire preuve de modestie en nous souvenant des terribles conflits qu’ont connu nos anciens. Pour cela, nous allons revenir, dans les domaines stratégique, opératif et tactique, sur des campagnes et opérations récentes et plus anciennes et essayer ainsi de mieux comprendre l’importance relative de nos actions militaires actuelles et à venir.
PAR LE
GÉNÉRAL (2S) JEAN-MARIE VEYRAT, CHARGÉ DE MISSION PUBLICATIONS AUPRÈS DU COMDEF
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opinion publique 5. Quelques années avant, la France, dans sa guerre d’Indochine, pourtant aidée par les Etats-Unis, avait dû, elle, renoncer à sa stratégie sur ce théâtre d’opération extérieur après la défaite de Dien Bien Phu. Ho Chi Minh et le Viet-minh avaient bien atteint un de ses centres de gravité, ce qui a conduit le gouvernement français à Genève 6.
Du niveau stratégique La stratégie opérationnelle n’est bien sûr qu’un volet de la stratégie globale d’une nation ou d’un groupe de nations, les actions militaires étant de plus en plus interalliées ou multinationales. Selon les conflits ou crises, la part des forces armées dans le règlement de ceux-ci est et restera très variable, comme le seront toujours les rôles respectifs (et effectifs) de leurs différentes composantes, terrestres, aéromaritimes ou aériennes. Certains historiens et, bien sûr, nos camarades aviateurs ont toujours considéré les bombardements stratégiques comme ayant un rôle décisif dans la résolution d’un conflit ou la victoire finale. Pourtant, les bombardements alliés sur l’Allemagne, par exemple, n’ont ni affaibli le moral du peuple allemand ou la volonté de ses dirigeants, ni vraiment bouleversé sa stratégie des moyens, davantage touchée par la réduction progressive des territoires occupés par le Reich et donc la diminution des matières premières disponibles. L’Allemagne nazie a été vaincue par la stratégie globale des Alliés, dans laquelle la stratégie génétique, fondée en particulier sur l’énorme puissance économique américaine, a joué plus de rôle que la stratégie opérationnelle proprement dite4.
US Army
En revanche, cette même puissance américaine, avec bien sûr un engagement moindre, même si le tonnage de bombes lancé a été supérieur à celui de la 2e Guerre mondiale, n’a pas permis de gagner la guerre du Vietnam face à un adversaire qui a su profiter des contraintes politiques (normales) imposées à l’armée américaine et exploiter les faiblesses d’une démocratie en s’attaquant à un centre de gravité majeur des Etats-Unis, son
Plus récemment, l’organisation ou plutôt la nébuleuse Al Quaïda a provoqué “ l’entrée en guerre” des Etats-Unis par une action de niveau effectivement stratégique en s’attaquant aux symboles du pouvoir politique et économique de l’Amérique, lançant ainsi une véritable campagne américaine sur plusieurs théâtres d’opérations (Territoire national, Afghanistan, Irak, MoyenOrient, ...), campagne 7 qui peut durer des années et dans laquelle, là aussi, la stratégie opérationnelle n’est qu’un aspect des choses.
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L’histoire est riche de crises ou de conflits heureusement réglés par la négociation assortie de gesticulations diverses, dans lesquels les moyens des forces armées, allant de la canonnière à la force terrestre de plusieurs dizaines de milliers d’hommes en passant maintenant par un groupe aéronaval ou aérien, ont surtout joué un rôle dissuasif. Mais elle l’est aussi de vraies guerres que seules l’action au sol et la destruction des forces ennemies, avec souvent l’occupation du territoire de leur pays, ont permis de gagner ou d’arrêter, même si toutes les forces vives, industrielles, humaines, morales des nations ont pleinement donné dans le cadre d’une stratégie globale. La dimension stratégique, avec ses différents volets et aspects, y compris psychologiques et moraux, reste celle qui décide du succès d’une action militaire, quelles que soient la puissance et la valeur des forces armées impliquées dans le conflit.
Du niveau opératif Ce niveau “ plus militaire ”, désormais incontournable, inventé au début du 20e siècle par les Allemands et les Russes, ignoré longtemps par la plupart des grandes armées et redécouvert récemment par les Américains et donc par l’OTAN et nous-mêmes, et qui ne concerne normalement qu’un seul théâtre d’opération et un seul objectif stratégique8, a été et est souvent encore l’objet d’incompréhensions et de discutions, y compris chez les militaires. Il ne doit pas en effet être lié directement à la stratégie opérationnelle par confusion entre les termes d’opérationnel et d’opératif (traduit en anglais operational), mais bien plutôt à un théâtre d’opération qui, bien qu’étant interarmées, interallié et même “ interservices”, c’est-à-dire interministériel, ne représente qu’une partie du grand puzzle qu’est la stratégie globale d’une nation ou d’un ensemble de nations.
doctrine Toujours nécessaire désormais pour la planification et la conduite des actions militaires, ce niveau opératif ou plutôt son organisation doivent cependant être adaptés au volume et à la nature de la force engagée, notamment dans son commandement, pour éviter un déséquilibre des fonctions opérationnelles assurées et des moyens engagés, et bien sûr une hypertrophie des PC. Certaines opérations récentes ou actuelles peuvent donner une vision déformée de ce que représente vraiment une opération militaire d’envergure ou une campagne. En nous reportant à la 2e Guerre mondiale, sans doute pouvons-nous mieux comprendre ce qu’était le niveau opératif alors non reconnu, même s’il est difficile de comparer les théâtres d’opérations d’alors avec ceux d’aujourd’hui, prévus dans les textes doctrinaux ou réels. L’immensité du Pacifique permettait une répartition entre plusieurs commandants en chef alliés, tandis que le théâtre européen, plus restreint dans sa partie occidentale n’en connaissait qu’un avec plusieurs groupes d’armées. En revanche, le front de l’Est des Allemands et de leurs alliés correspondait en fait à plusieurs théâtres d’opérations, certes jointifs, sur lesquels fronts soviétiques et groupes d’armées allemands s’affrontaient. Les militaires allemands et soviétiques, co-inventeurs du niveau opératif, s’y livrèrent des combats titanesques à la fin desquels des armées ou même des groupes d’armées entiers disparaissaient de l’ordre de bataille9. Souvent supérieurs au niveau tactique, les Allemands ont été dominés et battus au niveau opératif malgré la valeur de leurs unités et celle de beaucoup de leurs chefs militaires parmi lesquels on trouvait de
fins manœuvriers, tels que Von Manstein, instigateur du plan “du coup de faucille” de 1940 et commandant victorieux du groupe d’armées Sud en 1943. Dans cette guerre devenue mondiale, notre “campagne de France” de 1940 n’était en fait qu’une “opération”10 à l’échelle de la guerre qui commençait et même, pour le Général De Gaulle, chef politique de la France libre, une simple “bataille” perdue, c’est-à-dire, si l’on se réfère à la terminologie actuelle, seulement un “ensemble d’actions coordonnées de niveau tactique”11. Ce serait quand même oublier ce qu’a été pour la France le cataclysme de la défaite de 1940 dont nous ressentons encore les conséquences politiques dans nos relations avec certains états. Le niveau d’une action peut donc être différent pour des pays appartenant à une même alliance et ayant normalement les mêmes objectifs politiques. Dans un passé récent, sans doute peut-on placer à ce niveau opératif les actions ponctuelles, mais souvent médiatiques, apparemment de niveau tactique, qui ont pu faire évoluer la situation sur le théâtre concerné. La reprise du pont de Verbanja est de celles-là. Faut-il la qualifier de “stratégique” parce qu’elle signifiait la renonciation des Serbes à leur stratégie sur le théâtre bosniaque, mais aussi la fin de l’époque du “soldat de la paix” au moins en Ex-Yougoslavie et surtout pour l’Armée française, ou simplement d’“opérative” en la liant à ce seul théâtre des Balkans, bien secondaire pour les Etats occidentaux ? Une opération peut ne mettre en œuvre aujourd’hui que quelques centaines d’hommes, dont l’action sera cependant déterminante pour l’atteinte d’un objectif politique, modeste bien sûr si on le compare aux enjeux des deux conflits mondiaux ou de la
Guerre froide. Les petits ruisseaux faisant les grandes rivières, ces actions limitées, dont l’importance peut parfois échapper à ceux qui la vivent ou la financent de leurs impôts, n’en ont pas moins de l’importance pour la sécurité de nos nations et la paix du monde.
Du niveau tactique Même si les forces terrestres ont toujours un rôle majeur au plan opératif, elles donnent bien sûr, comme les autres forces, maritimes et aériennes, toute leur mesure au plan tactique. Les actions des unes et des autres sont souvent décalées dans le temps et l’espace, la “manœuvre opérative” étant surtout le cadencement de l’engagement des moyens du commandement de théâtre, maintenant que le volume des forces terrestres n’est plus celui qu’on a pu connaître dans les grands conflits du 20e siècle. En revanche, le chef tactique, et en particulier le Land Component Commander, mène une véritable manœuvre interarmes, combinaison des fonctions opérationnelles assurée au niveau tactique considéré. La vraie tactique est bien sûr interarmes et concerne toutes les formations allant de la grande unités LCC, corps d’armée, division, brigade) au sous - groupement et, pourquoi pas, à la section ou au peloton renforcé, notamment en zone urbaine. D’aucuns pourraient être tentés de croire que la tactique ne s’applique qu’au combat qualifié souvent de “haute intensité” qui, effectivement, seul, met pleinement en œuvre l’ensemble des fonctions opérationnelles, y compris celles dites d’environnement. Pourtant, les actions de stabilisation permettent aussi une véritable combinaison des moyens,
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même si les feux notamment n’y ont pas la même importance. Là aussi, pour juger de la validité d’une tactique, en fait d’un mode d’action, il nous faut nous reporter à l’effet recherché au niveau considéré et à la réussite ou non de la mission reçue.
Est-il nécessaire de faire tuer des milliers, sinon des dizaines de milliers d’hommes pour remporter un succès ? Souvenonsnous de Valmy, fausse bataille mais vraie victoire, de Ulm en 1805 où l’ennemi s’est déclaré vaincu et a capitulé sans combat. La victoire sans combattre vraiment peut paraître frustrante pour certains rares militaires ou stratèges en chambre, mais n’est-elle pas ce que recherchent toutes les vieilles nations policées qui connaissent mieux que d’autres le goût du sang et des larmes ? Nos manuels de doctrine d’emploi des forces et unités prévoient désormais autant de modes d’action ressortissant au mode opératoire de la maîtrise de la violence qu’à celui de la coercition de forceset c’est bien normal puisqu’il s’agit de fournir aux chefs militaires de tout niveau et à leurs équipes de commandement des modes d’actions et des organisations des formations et commandements possibles, quel que soit le contexte de l’action menée. Nous devons cependant nous préparer à des engagements futurs qui pourraient s’avérer plus difficiles et violents que ceux des dernières décennies et peut-être s’apparenter à ceux que connaissent actuellement nos camarades alliés en Irak. Aussi, pour les forces terrestres, ce niveau tactique (qui reste souvent un niveau “ technique ” pour les forces maritimes et aériennes qui manœuvrent des ensembles de bâtiments et d’aéronefs plus que des communautés d’hommes) est bien celui où elles doivent jouer leur plein rôle, celui qui produira le succès durable sur le terrain.
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Après ce bref retour sur quelques campagnes, opérations et batailles du passé, la question peut encore se poser pour certains, peu séduits par ces notions parfois abstraites de centres de gravité, de points décisifs, etc. Au-delà des règles fixées, qu’est-ce qui qualifie vraiment le niveau d’une action militaire ? L’autorité qui l’ordonne ? Sa résonance médiatique ? Ses effets sur la situation locale, régionale ou mondiale, ou l’unité qui l’exécute ? En fait, cette action et surtout son résultat sont à lier à l’effet final obtenu, qu’il soit recherché ou non12 et c’est bien a posteriori, parfois des mois ou des années plus tard, notamment pour les opérations de soutien de la paix, que cet effet sera constaté.
ecpad/France
Aussi restons modestes dans l’estimation des résultats de notre propre action et pensons toujours à la replacer dans un cadre plus général. Au plan tactique, celui qui concerne la majorité d’entre nous, le “En vue de” de l’intention du cadre d’ordre, avec ce qu’il sous-entend sur le long terme, est donc plus important que l’effet majeur décrit dans le “Je veux”, puisqu’il reflète souvent en filigrane, même aux niveaux tactiques les plus bas, l’objectif réel de l’action, avec à terme le retour à une paix durable.
1 Voir plus haut “Quelques rappels utiles“. 2 “Source de puissance, matérielle ou immatérielle, de l’adversaire d’où il tire sa liberté d’action, sa force physique et sa volonté de combattre“. (Cf TTA 106 ou glossaire interarmées). S’applique au niveau stratégique ou opératif (Ndlr). “L’atteinte d’un CG de l’adversaire a un impact majeur sur le déroulement des opérations. Au niveau stratégique, cette atteinte provoquera son effondrement ou le conduira à la table des négociations ; en tout cas, elle le fera renoncer à sa stratégie“. (Cf doctrine d’emploi des forces - chapitre 4, page 11). 3 “Objectifs intermédiaires, matériels ou immatériels, qui, affaiblis ou détruits, rendent vulnérable le centre de gravité auquel ils sont associés”. (Cf TTA 106 ou glossaire interarmées). S’applique au niveau tactique (Ndlr). 4 Voir à ce sujet l’article du CDT GUÉ dans la rubrique RETEX. 5 Exemple cité dans l’Ins. 1 000,
la doctrine interarmées d’emploi des forces. 6 Voir la deuxième partie de la note 2. 7 “Une campagne est une série d’opérations interarmées et le plus souvent interalliées ou multinationales, destinées à atteindre le but fixé par le niveau politique (national ou multinational) aux forces armées. Il est donc question d’une campagne lorsque, pour réaliser l’objectif politique, plusieurs objectifs stratégiques doivent être atteints, soit simultanément, soit successivement”. (Cf Ins 1 000). 8 “Un théâtre de campagne comprend plusieurs théâtres d’opération lorsqu’il est nécessaire de mener plusieurs opérations. Plus vaste que le théâtre d’opération, il en est également différencié par la nature des objectifs poursuivis, les niveaux de responsabilité et la zone géographique. Sur le théâtre de campagne, les objectifs sont politiques, le niveau de responsabilité est stratégique. Sur un théâtre d’opération, l’objectif est
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stratégique et le niveau de responsabilité est opératif.” (Cf Ins 1 000). 9 Avec sa VIe Armée, l’Allemagne aurait perdu à Stalingrad 268 900 hommes, dont 13 000 Roumains et Italiens et 19 300 auxiliaires russes. Cette VIe Armée reconstituée a été à nouveau entièrement détruite en août 1944 en Roumanie, lors de la débâcle du groupe d’armées “Ukraine du Sud“ qui a perdu en quelques jours 610 000 soldats allemands et roumains (Vingt et une divisions allemandes rayées de l’ordre de bataille avec 150 000 tués, 80 000 disparus et 106 000 prisonniers). A comparer aux effectifs de notre Armée de terre actuelle (133 169 militaires) ... 10 Une opération est un ensemble d’actions militaires menées par une force généralement interarmées, voire interalliée ou multinationale, dans une zone géographique déterminée appelée théâtre d’opération, en vue d’atteindre un objectif stratégique. (Cf Ins 1 000). 11 La bataille est un ensemble d’actions coordonnées visant
l’affaiblissement, la neutralisation ou la destruction d’une partie déterminée des forces, du potentiel de combat ou de la liberté d’action adverses. La bataille est une notion tactique. (Cf Ins 1 000). (Ndlr : Elle est composée d’engagements, actions des groupements interarmes en vue de remplir une mission (tactique)). 12 “Effet final recherché ou End State : Situation à obtenir à la fin d’une opération, qui indique que l’objectif politique a été atteint. Note : déterminé au niveau politique et stratégique, l’état final recouvre plusieurs aspects (juridique, militaire, économique, humanitaire, social, institutionnel, sécuritaire). Inclus dans le mandat donné aux forces armées, il est arrêté avant la planification de l’opération et approuvé par l’autorité initialisant la planification, ce qui permet de déterminer les critères de réussite de celle-ci. L’EFR peut évoluer avec la situation“. (Cf glossaire interarmées).
étranger u même titre que toutes les armées de son entourage, l’armée espagnole a dû s’adapter durant la dernière décennie à un changement stratégique radical. L’évolution des sociétés, l’apparition de nouveaux risques et les possibilités que confèrent les nouvelles technologies ont dessiné des scénarios multiples et complexes. Le maintien de l’efficacité des forces terrestres dans le cadre de ces nouveaux scénarios dépend de la mise en oeuvre d’une doctrine réaliste et flexible, apte à fournir des réponses aux enjeux soulevés par l’action interarmées, la multinationalité, et les adversaires asymétriques.
A
Dans cet article rédigé par le Lieutenant-colonel CALVO ALBERO du MADOC, les principales difficultés auxquelles est confrontée la doctrine espagnole des forces terrestres aux trois niveaux de la conduite, sont mises en exergue ; il s’agit de problèmes qui, sans aucun doute, ont beaucoup de points communs avec ceux que connaît n’importe quelle autre armée européenne.
Général de Corps d’armée Manuel BRETON ROMERO commandant le Commandement de l’entraînement et de la doctrine de l’Armée de terre espagnole (MADOC)
Le rôle des forces terrestres dans la doctrine militaire espagnole aux niveaux stratégique, opératif et tactique PAR LE
LIEUTENANT-COLONEL CALVO ALBERO, DU MADOC
es opérations terrestres ont connu une profonde transformation durant les dix dernières années, en raison de plusieurs facteurs liés entre eux. Il semble inévitable de parler, en premier lieu des changements géopolitiques, qui, dans la pratique, ont évacué la possibilité d’un conflit conventionnel en Europe. Le scénario le plus probable pour les forces terrestres européennes s’est ainsi orienté vers des interventions à l’extérieur, interventions qui visent dans une grande mesure à promouvoir la stabilité davantage qu’à affronter une force ennemie, et dont l’une des caractéristiques fondamentales est la multinationalité. Les progrès technologiques ont représenté un deuxième facteur de changement qui a bouleversé l’importance relative des fonctions de combat traditionnelles, en augmentant le poids spécifique à la fois du ren-
ADC CHESNEAU/SIRPA Terre
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seignement et du commandement et du contrôle, et en provoquant en même temps des changements substantiels dans d’autres domaines comme la manœuvre, les appuis feux, ou la logistique. Les nouvelles technologies ont permis de discerner un nouveau champ de bataille, non linéaire, et caractérisé par l’aisance à accéder à l’information et à la gérer de façon adéquate. Enfin, il est nécessaire d’évoquer les changements qu’ont connus les sociétés occidentales, du déclin démographique à la consolidation du processus de mondialisation. L’abandon de la conscription obligatoire, l’impact créé par les pertes et les dégâts occasionnés par les conflits, et l’influence des moyens de communication, sont les conséquences de ces changements qui se répercutent notablement sur la conception des opérations terrestres. Comme c’est fréquent, ces facteurs se sont traduits en nouvelles forces et vulnérabilités. Parmi les premières, il convient de souligner la supériorité acquise dans le combat conventionnel, issu des avantages technologiques, dans l’organisation et dans la doctrine. Parmi les deuxièmes, on peut
souligner les faiblesses de sociétés prospères, très sensibles vis-à-vis de tout ce qui porter atteinte à leur mode de vie ; ainsi que des armées réduites, ayant des difficultés à affronter de longs conflits. Comme c’est également traditionnel, l’ennemi potentiel s’est adapté à ces forces et à ces vulnérabilités, en façonnant un nouveau type d’affrontement, habituellement qualifié d’asymétrique, qui cherche à éviter les premières et à exploiter les deuxièmes. L’essor du terrorisme international est la dernière et plus préoccupante manifestation de cette sorte de conflit.
L’armée espagnole a lancé un processus de transformation en profondeur pour s’adapter à ces changements. Dans les années 90, le Plan NORTE conduisit à une modification radicale de l’organisation de l’Armée de terre, un des objectifs étant la constitution d’une force projetable et des éléments nécessaires pour la soutenir en opération. Mais le changement le plus significatif a été le processus de professionnalisation, achevé en 2001, qui a transformé
l’armée en un instrument plus adapté face au nouvel environnement stratégique. Le processus de transformation se poursuit actuellement dans le respect des lignes établies dans la nouvelle directive de Défense nationale de 2004. Du point de vue doctrinal, les changements ont été également profonds. En 1996, était adoptée une nouvelle doctrine d’emploi des forces terrestres, qui prenait en compte un concept intégré du champ de bataille dans lequel l’action des forces était celle d’un seul système. La doctrine fut révisée en 1998 et en 2003, afin de prendre en compte à la fois les expériences espagnoles et les concepts développés dans le cadre de l’Alliance atlantique ou d’armées alliées. Comme conséquence de tout ce qui a été mentionné, le rôle que la doctrine militaire espagnole attribue aux forces terrestres aux différents niveaux de la conduite des opérations (stratégique, opératif et tactique) s’est sensiblement modifié durant la dernière décennie. Les modifications ont affecté de nombreux aspects de l’action des forces terrestres, mais on pourrait considérer que les suivants sont les plus importants.
ADJ Jean-Raphaël DRAHI/SIRPA Terre
étranger Au niveau stratégique, la capacité de projection et de soutien des forces en opération extérieure a remplacé la défense du territoire national comme concept de base. Cette capacité s’avère excessivement exigeante, surtout si les opérations se prolongent. Du point de vue doctrinal, la capacité de projection exige la résolution de plusieurs problèmes : - Premièrement, la projection est une capacité interarmées. L’interopérabilité avec la Marine et l’Armée de l’Air, avec la mise en forme d’un système interarmées de projection de forces, est une des préoccupations principales de la doctrine terrestre. L’action interarmées a été une nécessité évidente depuis la Deuxième Guerre Mondiale, mais, en dépit de cela, sa mise en pratique a été soumise à de graves difficultés dans toutes les armées occidentales ; et l’armée espagnole n’a pas été une exception. - Deuxièmement, la multinationalité s’est imposée comme modèle habituel pour l’action militaire à l’extérieur. Bien que cette situation fournisse des avantages politiques et militaires indéniables, elle n’est pas non plus exempte de problèmes. L’interopérabilité des procédures doctrinales revêt une importance capitale. Mais d’autres questions n’en sont pas moins importantes, comme celle de savoir jusqu’à quel niveau doit s’effectuer la multinationalité dans la composition des forces, ou comment éviter que les postes de commandement multinationaux se transforment en des organismes démesurés et lourds. L’Armée de terre espagnole maintient la doctrine de l’OTAN comme référence principale permettant de réussir l’interopérabilité dans son action extérieure.
Enfin, au niveau tactique, un des enjeux pour les forces terrestres est d’éviter la surcharge doctrinale produite par la déclinaison de la plupart des nouveaux concepts mentionnés au niveau opératif. La tactique doit être une discipline simple dans ses énoncés, car son application pratique s’avère suffisamment complexe. En ce sens, il importe de reconsidérer la nette différence entre les niveaux tactique et opératif, celle-ci ayant été, d’une certaine manière, oubliée ces dernières années en raison des vicissitudes provoquées par la multinationalité.
Ces situations peuvent conduire à devoir envisager simultanément des opérations de maîtrise de la violence avec d’autres où l’adversaire à combattre est conventionnel, ou asymétrique. La flexibilité des forces devient inévitable, et, à cet égard, le débat actuel sur la création de forces médianes peut s’avérer d’un grand profit. Par ailleurs, la doctrine terrestre au niveau opératif est confrontée à deux enjeux notables. L’un d’eux est le fait d’assumer l’action interarmées dont la nécessité a été déjà mentionnée en parlant du niveau stratégique, mais dont la mise en œuvre s’effectue précisément au niveau opératif. L’intégration d’un grand nombre de nouveaux concepts qui trouvent dans le niveau opératif leur cadre normal de développement est le deuxième enjeu. Parmi ceux-ci, on peut citer les opérations de l’information, indispensables maintenant que l’information est devenue la clé des opérations militaires ; la coopération civilo-militaire (CIMIC) et la communication locale, qui permettent d’envisager des scénarios complexes, dans lesquels les forces militaires doivent intégrer leurs activités avec d’autres acteurs ; les opérations basées sur les effets, qui reprennent l’idée d’économie des efforts, obtenue grâce à l’intégration de tous les outils disponibles et à la volonté d’abattre l’adversaire dans le domaine psychologique plus que dans le physique ; ou la capacité d’action en réseau qui suppose une mise à profit optimale des possibilités que génèrent les technologies de l’information.
Tout indique que les opérations à court et moyen termes se dérouleront dans le cadre de scénarios très complexes, où prédomineront les actions dans les zones urbanisées et les adversaires fuyants qui se diluent dans la population civile. La solution s’annonce difficile, car il existe des contradictions entre la doctrine et la réalité. D’une part, il est évident qu’il importe de donner une plus grande formation aux commandements intermédiaires et aux petites unités, et de leur accorder plus d’initiative, mais, d’autre part, les possibilités des nouveaux systèmes d’information, et l’omniprésence des moyens de communication des médias conduisent fréquemment les échelons de commandement supérieurs à exercer un contrôle ferme sur leurs subordonnés. Dépasser cette contradiction représente un des principaux défis doctrinaux pour les décennies à venir.
En définitive, l’Armée de terre espagnole est confrontée à des problèmes doctrinaux très semblables à ceux des autres armées, et
- Enfin, il faut rappeler qu’il reste impératif de concilier la capacité de projection avec les besoins de la défense territoriale, issus de la situation géographique du territoire national et de la possibilité d’action d’éléments terroristes internationaux sur ce même territoire. Une doctrine qui prend en compte les deux types de scénarios est donc nécessaire.
considère la coopération et l’échange d’idées avec elles comme un des moyens fondamentaux pour l’élaboration de la doctrine à tous les niveaux de la conduite. Le mot clé pour l’avenir est la “ transformation ”, même s’il convient de se demander si la transformation, ou peut-être l’adaptation, n’a pas toujours été une
Au niveau opératif, les efforts les plus importants s’orientent vers l’organisation et les procédures d’emploi de forces opérationnelles qui seront confrontées à des situations très variées et complexes.
constante dans l’art militaire.
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L’Armée de terre allemande sur la route du futur PAR LE GÉNÉRAL DE BRIGADE
REINHARD KAMMERER, CHEF DE LA DIVISION DÉVELOPPEMENT DU COMMANDEMENT COLOGNE (HEERESAMT)
DE LA FORMATION, DE LA DOCTRINE ET DU DÉVELOPPEMENT DE L’ARMÉE DE TERRE ALLEMANDE À
BCH S. CHANTEMARGUE/DICOD
unique en son genre. Actuellement et dans un avenir prévisible, la zone Centre Europe n’est pas menacée par des forces armées conventionnelles. Néanmoins, les effets déstabilisants engendrés par les crises et les conflits régionaux, même ceux sévissant dans des zones très éloignées, le terrorisme international et la prolifération des armes de destruction massive constituent des facteurs de risque de plus en plus grands pour la sécurité des pays membres de l’OTAN et de l’Union européenne.
Les paramètres prévalant en matière de politique de sécurité L’environnement de sécurité allemand s’est radicalement transformé depuis le début des années 90. L’élargissement de l’OTAN et de l’Union européenne, de même que la nouvelle orientation de la Russie en matière de politique étrangère ont permis la création d’un espace de stabilité euro-atlantique
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L’Allemagne fait face à ces défis et à ces risques en matière de sécurité par la mise en œuvre d’une politique de sécurité préventive, concertée au niveau international et interministérielle. La préservation de la sécurité à l’échelle multinationale dans le cadre de l’architecture de sécurité que sont les Nations Unies, l’OTAN, l’Union européenne et l’OSCE de même que le partenariat transatlantique en constituent les fondements essentiels. C’est dans ce contexte qu’est recherchée à long terme la création d’une union de sécurité et de défense européenne.
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Les tâches de la Bundeswehr Les forces armées allemandes, elles aussi, doivent se confronter aux modifications de l’environnement de sécurité. Les tâches confiées à la Bundeswehr, passant de missions exclusivement axées sur la défense du territoire à des missions opérationnelles en témoignent clairement. La tâche prioritaire et actuellement la plus probable de la Bundeswehr est la prévention des conflits et la gestion des crises à l’échelle internationale, y compris la lutte contre le terrorisme international. Les autres tâches sont le soutien des partenaires de l’Alliance, la protection de l’Allemagne et de ses citoyens, le sauvetage et l’évacuation des ressortissants, le partenariat et la coopération, ainsi que les prestations d’assistance sur le territoire national et à l’étranger.
La Bundeswehr opérationnelle La participation d’environ 7 000 militaires allemands, hommes et femmes, dont 3 500 appartenant à l’Armée de terre, entre autres aux opérations en Afghanistan et au Kosovo (la Bundeswehr y est le plus gros contributeur), en Bosnie-Herzégovine, en Macédoine, en Géorgie, dans la Corne de l’Afrique ainsi que dans les régions d’Asie du Sud-Est en proie aux catastrophes fait ressortir clairement l’importance que revêtent les nouvelles missions. Cependant, ces opérations sont réalisées à partir d’une structure des forces armées qui ont pour vocation principale la défense du territoire national. Le changement de natu-
étranger re des menaces de même que la pénurie des ressources rendent indispensables une réorientation de cette structure et la mise en place de capacités jusque là inexistantes.
Le nouveau profil capacitaire La réorientation systématique de la Bundeswehr vers les opérations de prévention des conflits et de gestion des crises, y compris la lutte contre le terrorisme international, exige l’établissement d’un profil de capacités adapté. La Bundeswehr et, partant, l’Armée de terre au premier chef, ont besoin de forces dont la disponibilité opérationnelle et les capacités varient en fonction de leur mission et qui sont susceptibles d’être engagées avec rapidité, de concert avec les forces armées d’autres nations tout en étant à même de conquérir la supériorité opérationnelle et en étant capables de durer. A cet effet, la Bundeswehr devra se doter d’un profil capacitaire comprenant six catégories de capacités de même niveau imbriquées entre elles. • capacité de commandement ; • recherche du renseignement ; • mobilité ; • efficacité dans l’engagement ; • soutien et capacité de durer ; • ainsi que survivabilité et protection.
La réalisation de programmes individuels confère à ces catégories de capacités plutôt abstraites des contours plus nets ; voici quelques exemples de création de nouvelles capacités : • mise en place et développement de la capacité de mener la guerre réseau-centrée ; • création et développement de la capacité de projection stratégique et opérative grâce à l’Airbus A-400 ainsi que de l’aéromobilité tactique grâce aux hélicoptères TIGRE et NH-90 ; • mise en place d’un nouvel élément opératif avec la brigade aéromobile qui permet, avec des hélicoptères de combat et d’appui, le déploiement en force dans la profondeur du dispositif ennemi d’unités d’infanterie légère rapidement projetables ; • développement du rôle de l’Armée de terre dans le cadre des feux interarmées (Joint Fires) qui, en tant que feux concertés délivrés par toutes les composantes des forces contre des cibles situées dans toutes les dimensions du champ de bataille, s’ins-
crivent dans un environnement multinational de guerre réseau-centrée, l’Armée de terre constituant le bénéficiaire principal de ces feux ; • mise en place d’unités de reconnaissance qui englobent les capacités d’observation aérienne sans pilote et terrestre, de renseignement de campagne et de reconnaissance lointaine.
de stabilisation doivent être à même de s’imposer tant face à un adversaire organisé en partie militairement que face à des forces asymétriques. Elles doivent être en mesure de s’imposer en cas d’escalade de la situation. Ceci exige la capacité d’engagement des unités interarmes et une aptitude suffisante au combat interarmes à l’échelon bataillon ou régiment. De plus, la capacité de mener des opérations en milieu urbain revêt une importance considérable. Les forces de stabilisation ne pouvant essentiellement remplir leurs missions que dans un périmètre réduit et adossées à une zone urbaine, la capacité de produire des effets précis et appropriés contre des objectifs terrestres sera une grande priorité, outre la protection individuelle des forces engagées dans ce milieu et en complément de celle-ci.
Catégories de forces La Bundeswehr et, partant l’Armée de terre, seront divisées d’ici 2010 en trois catégories de forces de manière à réaliser le profil de capacités requis : les forces d’intervention, les forces de stabilisation et les forces de soutien. Les forces d’intervention de l’Armée de terre doivent être à même de mener des opérations multinationales interarmées et réseau-centrées dans toute la gamme des missions, y compris les opérations des forces spéciales et les opérations à caractère spécial, les opérations en milieu urbain revêtant une importance croissante. Les forces d’intervention de l’Armée de terre contribuent à l’application des mesures d’imposition de la paix face à un adversaire dont les structures sont essentiellement militaires tout en limitant au maximum les pertes amies. Elles ont notamment la capacité de mener la guerre infocentrée dans le cadre d’opérations multinationales de haute intensité ainsi que des opérations de sauvetage et d’évacuation. Elles sont particulièrement aptes à agir à distance avec précision et profitent des capacités des unités aéromobiles ainsi que des systèmes à longue portée de l’artillerie de manière à projeter rapidement leur potentiel de combat, à varianter rapidement leurs efforts et à contribuer aux opérations interarmées dans la zone d’engagement. Elles doivent être en mesure de mener des opérations initiales et finales rapides.
La mission principale des forces de soutien consiste à assurer de manière globale le soutien des forces d’intervention et de stabilisation lors de la préparation et de la conduite opérationnelle, tant en Allemagne que sur les théâtres d’opération. Comptent, entre autres, au nombre de ces missions de soutien opérationnel interarmées devant être remplies à tous les degrés d’intensité dans l’optique de durer, le renseignement, le soutien en matière géographique, le soutien santé, la logistique, l’aide au commandement, la lutte anti-incendie et la neutralisation des munitions explosives. Les forces de soutien continuent d’assurer l’instruction, l’entraînement et la disponibilité opérationnelle des forces d’intervention et de stabilisation, de même que le soutien opérationnel des unités dans les garnisons allemandes et l’organisation de la formation initiale. Les forces de soutien sont tenues à disposition principalement au sein du service de soutien interarmées, un domaine organisationnel militaire à part entière jouant le rôle de “pool” interarmées. Il s’en suit que les unités des forces terrestres allemandes n’appartiennent pas toutes à l’Armée de terre. Mais compte tenu du fait que seules les unités de l’Armée de terre sont optimisées pour ne mener que des opérations terrestres, l’Armée de terre, dans le cas d’une contribution allemande à des opérations terrestres multinationales, continuera de fournir le gros des unités, assumant ainsi les fonctions essentielles dévolues aux forces terrestres et devenant le protagoniste principal des opérations terrestres.
Les forces de stabilisationde l’Armée de terre doivent être aptes à mener des opérations multinationales interarmées de moyenne et basse intensité ainsi que des opérations à caractère spécial. Elles fournissent sur le plan capacitaire une contribution essentielle aux opérations de longue durée sur le large éventail des mesures de stabilisation de la paix. Ces opérations sont les plus probables et conditionnent de façon fondamentale la réalité opérationnelle. Les forces
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Cependant, les unités de l’Armée de terre ne peuvent remplir en opération leur mission qu’en étroite coopération avec les unités d’autres contributeurs (joint et/ou combined). Ceci demande l’élaboration de concepts et principes communs de même que l’harmonisation des procédures, tant au niveau national qu’international.
L’interdépendance opérationnelle La répartition en ces trois catégories de forces appelle une instruction et un équipement variant selon les missions de même qu’une optimisation des capacités orientée vers l’engagement probable à un moment donné, qu’il s’agisse d’une opération de haute intensité (forces d’intervention) ou d’une opération de stabilisation de la paix de bas niveau d’intensité (forces de stabilisation). La complexité croissante et l’alternance rapide des situations opérationnelles de l’avenir de même que la disponibilité limitée des forces demandent qu’ait lieu entre les forces d’intervention et de stabilisation un échange axé sur les capacités. Par “interdépendance opérationnelle” sont dénotées la conception commune et la coopération des états-majors et des unités des deux catégories de forces en opération.
Aussi ces dernières doivent-elles disposer des capacités leur permettant : • d’opérer dans un environnement multinational (combined operations) ; • de coopérer avec les unités d’autres armées, avec le service de soutien interarmées et le service de santé (joint operations) ; • de réagir rapidement de façon crédible et appropriée à des situations fluctuantes tant en mode “escalade” qu’en mode “désescalade”, ainsi que de • conduire avec souplesse et rapidité les missions imparties en dotant les unités amies de la protection maximale et des moyens d’acquérir la supériorité opérationnelle pour ainsi déboucher sur le succès.
Pour toutes les catégories de forces, il sera indispensable d’assurer une formation homogène des chefs au niveau tactique, (incluant l’apprentissage des principes du combat interarmes en tant qu’outil de tout chef militaire, comme fondement du processus de commandement et également comme lien entre le commandement, le renseignement et l’efficacité opérationnelle dans le cadre de la planification et de la conduite), d’utiliser des technologies permettant l’interopérabilité dans le domaine du traitement et de la transmission de l’information de l’information ainsi que d’élaborer des procédures de commandement compatibles entre elles. La prise en charge de missions sur une base mutuelle suppose des équipements et des matériels compatibles, mais pas nécessairement identiques permettant un engagement interarmées et multinational.
L’osmose entre les trois catégories de forces doit être systématiquement assurée dans le domaine du personnel par la formation des cadres, partiellement par l’instruction en corps de troupe ainsi que par une coopération étroite lors des activités d’entraînement. Ce n’est qu’à cette condition que l’Armée de terre allemande conservera la souplesse nécessaire lui permettant de réagir rapidement aux évolutions de la situation et d’homogénéiser tant la formation que le niveau de motivation de ses personnels.
Les forces d’intervention, de stabilisation et de soutien doivent, indépendamment de leur catégorie respective, avoir une conception identique de la doctrine et bénéficier, pour ce qui est des chefs et des futurs cadres, d’une formation initiale et continue globale qui repose sur des principes communs. L’instruction des unités et les activités d’entraînement devront donc être harmonisées.
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Structure de l’Armée de terre Sur la base de ce qui a été dit, les effectifs totaux de la Bundeswehr s’élèveront dans la nouvelle structure à 252 500 hommes. L’Armée de terre en tant qu’armée la plus importante en personnel en alignera 105 000 répartis dans les trois catégories de forces.1
Perspectives Les opérations menées dans le cadre de la prévention des conflits et de la gestion des crises, y compris la lutte contre le terrorisme international, détermineront à l’avenir la réalité opérationnelle. La nécessité de n’affronter les défis qui en découlent que dans un environnement interarmées et multinational entraîne une réorientation intégrale de l’Armée de terre allemande. Celle-ci n’en est qu’au début du processus de transformation mis en chantier, dont la flexibilité et la capacité d’adaptation aux nouveaux défis constitueront les paramètres déterminants.
1 Explication des abréviations utilisées sur le schéma : KdoOpFüEingrKr - Commandement opérationnel des forces d’intervention ; HFüKdo - Commandement des forces terrestres ; HA - Commandement de la formation, de la doctrine et du développement de l’Armée de terre ; DLO - Division aéromobile ; LBB - Brigade aéromobile ; HTr - Unités de soutien et d’appui de l’Armée de terre ; DSO - Division des opérations spéciales.
étranger La permanence du besoin en forces terrestres :
souplesse et capacité d’adaptation aux opérations interarmées PAR LE
GÉNÉRAL DE DIVISION MICHAEL A. VANE ET LE COLONEL ROBERT M. TOGUCHI DE L’ARMÉE DE TERRE AMÉRICAINE
Avant-propos1 ujourd’hui les Etats-Unis et leurs alliés ont à faire face à une large gamme de menaces qui entraînent une quantité de conditions d’opérations plus complexes que précédemment. Bien que ces conditions requièrent des adaptations de la façon de penser et d’opérer, les permanences dans l’art de la guerre font que les forces terrestres restent le cœur de toute campagne militaire cohérente et réussie. La nature fondamentale de la guerre n’a pas changé - comme Clausewitz nous le rappelle, une fois que des êtres humains se lancent dans le domaine de la violence organisée à des fins politiques, ils pénètrent dans une dynamique tout à fait différente, celle du combat. Et au combat, la capacité de dominer un adversaire sur le terrain demeure la condition sine qua non du succès militaire à la poursuite d’objectifs politiques.
A
Ce qui ne veut pas dire que les conditions de la guerre n’ont pas changé - comme elles l’ont toujours fait. Avec l’émergence de forces aériennes et spatiales extrêmement puissantes - qui participent à renforcer les composantes maritimes et terrestres traditionnelles, des concepts comme ceux de frappes de précision et de manœuvre dominatrice, qui reposent sur une maîtrise la plus totale possible de l’information et de ses technologies, deviennent caractéristiques des opérations interarmées modernes. Mais même si elles ne constituent qu’un élément parmi un ensemble de moyens de combat souples et ultrasophistiqués, les forces terrestres n’en demeurent pas moins l’ultime arbitre des combats. Plutôt que de réagir au bouleversement de l’environnement stratégique, l’US Army (Armée de terre des EtatsUnis) tend à tirer profit d’une chance qui s’offre à elle au niveau stratégique et a commencé par lancer un plan dynamique de transformation basé sur quatre stratégies liées les unes aux autres. L’une d’entre elles qui consiste à fournir aux commandements opérationnels une force de combat terrestre adéquate et immédiatement disponible, inclut l’effort de transformation principal, à savoir la création d’une force modulaire. L’US Army est en train de développer une force opérationnelle ayant des capacités interarmées et de corps expéditionnaire et de la faire évoluer en une force de type modulaire, interdépendante avec les composantes air et mer afin de permettre une synergie de l’ensemble telle que les capacités de la force interarmées résultante seront supérieures à la somme des capacités de ses composantes. La force modulaire de l’Army comprendra des unités bâties en fonction des capacités requises et qui consistent en des éléments standardisés, faciles à renforcer, à réorganiser en fonction des missions, à découper en éléments de base (concept “ plug and play ”) pour réaliser des déploiements opérationnels tout en leur garantissant l’aptitude à durer afin de pouvoir obtenir le succès lors de combats terrestres.
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Général (2S) Gordon R. SULLIVAN Président de l’Association de l’US. Army (AUSA)
Ce qui suit est un résumé de l’étude intitulée “The Enduring Relevance of Landpower : Flexibility and Adaptability for Joint Campaigns” rédigée par le Général de division Michael A. Vane (U.S. Army), et le Colonel Robert M. Toguchi (U.S. Army), publiée en octobre 2003 sous la référence “Land Warfare Paper 44” par l’Institut d’étude sur le combat terrestre de l’Association de l’Armée de Terre des Etats-Unis (AUSA)*.
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conservant la capacité de mener rapidement et de façon décentralisée des opérations aéroterrestres interarmes dans la durée, • des opérations continues, de jour comme de nuit, dans des conditions de terrains complexes variés, ouvert ou non.
Introduction Les forces terrestres doivent changer pour s’adapter aux défis du siècle qui commence. Elles doivent être capables d’agir dans toutes les dimensions, de prévenir, protéger et répondre efficacement aux attaques qui pourraient être menées par des forces conventionnelles ou non, par des terroristes ainsi qu’à d’autres types de menaces, dans des zones géographiques très diverses qui incluent le Moyen Orient et le Golfe Persique, l’Asie du Nord Est et du Sud, ainsi que les zones d’instabilité de l’Afrique sub-saharienne et de l’Amérique Latine. L’urbanisation grandissante de beaucoup de ces régions souligne la nécessité d’avoir des forces terrestres souples et adaptables, capables d’opérer dans des environnements variés.
Cette aptitude à conduire une manœuvre dominatrice sur l’ensemble de la zone des combats devra permettre de disloquer, et de faire disparaître la cohérence de la capacité à résister de n’importe quel ennemi. Au combat, les unités de niveau tactique de l’Army seront capables de manœuvrer en position de force. Elles seront capables d’engager les forces ennemies au-delà de la portée de leurs armes, de les détruire par des feux de précision et la manœuvre et, quand cela sera nécessaire, de lancer sur elles un assaut tactique au moment et à l’endroit de leur choix.
Afin d’atteindre les objectifs politiques des Etats-Unis relayés par la stratégie de sécurité nationale, l’US Army est en train de se transformer en une force de manœuvre aéroterrestre, intégrée, et interdépendante avec les autres armées (Air Force, Navy, Marines). Au sein de ce grand ensemble interarmées, l’Army (Armée de terre) fournira aux commandements opérationnels une capacité terrestre décisive pour leur permettre de conduire : • une manœuvre opérationnelle à une distance stratégique, • un déploiement utilisant des points d’entrée multiples sur le théâtre tout en
Concepts interarmées
US Army
Le besoin d’une capacité de réponse de niveau stratégique à tous moments d’une opération, depuis le déploiement jusqu’au redéploiement en passant par toutes les phases décisives fait partie intégrante de ces concepts. L’aptitude à pouvoir prendre rapidement l’initiative, illustrée lors de l’opération Iraqi Freedom est également essentielle. Durant cette opération, les forces militaires US ont rapidement acquis la domination aérienne, et la phase terrestre a commencé le troisième jour après le début de l’opérations. Cela s’est poursuivi par une manœuvre dominatrice sans précédent menée par les forces terrestres en conjonction avec des frappes de précision massives depuis les airs et depuis d’autres endroits qui s’est soldée par l’arrivée des forces américaines au centre de Bagdad en 20 jours.
Les capacités des forces terrestres procurent aux commandants de terrain une quantité d’options stratégiques et d’outils. L’histoire militaire américaine regorge d’exemple de la capacité des forces terrestres à mener avec succès des combats contre des menaces asymétriques ambiguës même lors de conflits qui s’éternisaient. Les forces terrestres sont capables d’opérer sur des terrains difficiles, d’intégrer les capacités offertes par une coali-
étranger tion, de maintenir, si nécessaire, une présence sur le terrain, et de présenter des types d’organisations souples et adaptables permettant d’accomplir une grande variété de missions couvrant l’ensemble de la gamme des opérations.
Les compétences essentielles des forces terrestres Les missions des forces terrestres américaines incluent la défense du territoire national, les opérations au profit des commandants opérationnels telles qu’elles en conduisent actuellement dans le cadre de la “guerre globale contre le terrorisme” et la préparation en vue d’autres missions qui leur sont assignées dans le cadre de la défense des intérêts nationaux des Etats-Unis. Tout ceci doit se poursuivre pendant le processus de transformation. Les compétences essentielles des forces terrestres sont indispensables pour l’accomplissement de ces missions de défense nationale. Organiser l’environnement international de sécurité est l’une des compétences essentielles des forces terrestres. Dans de nombreuses occasions, la seule présence de forces terrestres permet de dissuader des menaces ou des crises régionales potentielles. On peut envisager, par exemple, un tout autre cours de l’histoire si les forces terrestres alliées étaient restées en Allemagne après la Première Guerre mondiale comme elles l’ont fait après la Seconde. On peut aussi considérer quelles auraient pu être les conséquences si la présence de forces terrestres suffisantes n’avait pas été une des constantes de notre posture de défense au cours de la seconde moitié du 20e siècle et des premières années du 21e, en particulier dans des endroits comme la Corée. Organiser l’environnement de sécurité au travers d’activités de présence et d’engagements est particulièrement efficace puisque cela rassure les alliés et démontre l’engagement fort et durable des EtatsUnis. Cet engagement confirme notre crédibilité et montre que les Etats-Unis demeureront impliqués dans le maintien de la paix et de la sécurité régionale. Les forces terrestres ont été et continueront à être le moyen principal et indispensable pour organiser l’environnement de sécurité.
Les forces terrestres constituent également un élément catalyseur pour les opérations menées au sein de coalitions. Pratiquement tous les alliés et adversaires potentiels des Etats-Unis ont à leur disposition des forces terrestres de différents types. Les forces terrestres américaines sont le seul moyen qui permette de nouer des relations avec ces militaires étrangers sur le terrain, là où en commun ils rencontrent les chefs politiques et militaires, où ils forment les administrateurs, les éducateurs, les policiers, là où ils se mêlent avec les populations et acquièrent une connaissance de la culture et de la géographie de la région. De la même façon les forces terrestres interagissent avec les organisations gouvernementales interministérielles et les organisations non gouvernementales qui travaillent sur le terrain pour remédier aux conséquences des conflits ou des désastres. Lorsque des conflits naissent, les forces terrestres ont un avantage certain en raison de leur expérience du pays qui les rend mieux à même de mener des opérations extrêmement précises afin de se saisir, d’isoler ou de sécuriser des objectifs adverses. Le fait d’être familiarisé avec une zone étrangère pourra également faciliter l’accomplissement de missions qui seraient menées dans un cadre qui ne serait pas celui des combats.
La mise sur pied dans un futur proche de la Stryker Brigade Combat Team2 est en train d’ améliorer considérablement les capacités de réponse stratégiques des Etats-Unis. Aujourd’hui comme demain, les brigades blindées Stryker, capables d’apporter une réponse stratégique dans toute la gamme des opérations possibles, modulaires en composition et en taille, et possédant une grande capacité de manœuvre, ces brigades pourront arriver sur un théâtre en quelques jours au lieu de plusieurs semaines et elles donneront aux commandants interarmées des avantages incomparables.
Une seconde compétence essentielle est celle qui permet de fournir une réponse rapide de niveau stratégique. Par le fait qu’elles soient prêtes à fournir ce genre de réponse, les forces terrestres constituent un élément de dissuasion dans le domaine terrestre. Nombreux sont ceux parmi les adversaires potentiels qui croient que les Etats-Unis n’ont pas la volonté ni l’engagement moral suffisant pour placer des troupes de combat sur un terrain dans une situation à risques. Cette apparente répugnance à engager des forces fait parfois croire, aux amis comme aux ennemis, que les Etats-Unis sont faibles. Des forces terrestres déployables rapidement apportent une extraordinaire souplesse et une capacité d’adaptation qui permettent de renforcer la perception que l’on peut avoir de la détermination et de la volonté d’engagement des Etats-Unis. La présence d’une force terrestre crédible peut servir à surveiller et si besoin à faire évoluer dans le bon sens une situation qui serait instable et qui risquerait de se transformer en guerre généralisée.
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La future force de l’Army, en devenant la clé de voûte de la dissuasion terrestre de théâtre accroîtra encore la capacité de réponse stratégique de la force terrestre. Sans force terrestre, la dissuasion est problématique. Le facteur temps a toujours un rôle important au combat. Lorsqu’une crise apparaît, l’adversaire tente souvent de faire mouvement rapidement afin d’être prêt à empêcher toute entrée sur le théâtre. Afin de parer à cette éventualité, il sera essentiel pour toute campagne interarmées d’être capable de prendre et de pourvoir garder l’initiative. Le fait de mettre en œuvre une vaste gamme de capacités interarmées dans les trois dimensions afin de pouvoir répondre rapidement à un niveau stratégique est bien préférable à la mise en œuvre de solution unidimensionnelle quand il s’agit de neutraliser les avantages temps et terrain qu’un ennemi serait à même d’acquérir rapidement. De la même façon, si elles acquièrent une meilleure capacité de réponse au niveau stratégique, les forces des Etats-Unis obtiendront un avantage décisif leur permettant de menacer ou d’attaquer les centres de gravités ennemis et leurs points décisifs vulnérables afin de les disloquer et de les détruire. Des forces terrestres rapidement déployables donnent au commandant interarmées une telle capacité, en outre elles présentent de nombreuses options quant aux opérations d’entrée sur le théâtre ou de préparation, permettant ainsi une transition plus rapide vers les opérations décisives. De nouvelles capacités rendent les forces opérationnelles plus aptes à réagir. Grâce à la mise en œuvre rationnelle d’un pré positionnement d’équipement sur mer et
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à terre, grâce à leurs capacités d’autodéploiement, de transport par voie maritime et aérienne, les forces terrestres sont capables de mettre rapidement des troupes au sol n’importe où dans le monde. Les commandants de forces terrestres comprennent bien entendu l’importance de la valeur que peuvent apporter les composantes aériennes et maritimes aux réponses de niveau stratégiques. C’est pourquoi ils travaillent avec ardeur à promouvoir l’interdépendance qui permet de transcender l’exclusivité des compétences de l’une ou l’autre des armées afin de réaliser une synergie interarmes et interarmées. Les forces terrestres dépendent dans une large mesure des capacités de transport fournies par l’Air Force et la Navy. Mais, une fois arrivées, ce sont tout de même ces forces qui marquent la présence, qui occupent, qui prennent possession, qui contrôlent ou détruisent. Les missiles sont capables d’interdire, mais seules les unités à terre peuvent à la fois détruire et occuper. Lorsque le besoin s’en fait sentir, les forces terrestres sont à même de mobiliser des réserves pour créer rapidement
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des ressources supplémentaires en matière de personnel ; ceci constitue une autre de leurs compétences essentielles. La composante réserve peut fournir au commandement national une souplesse accrue afin de lui permettre d’adapter d’une façon adéquate les forces à des circonstances qui évoluent et d’en augmenter le volume si nécessaire en cas d’opérations qui se prolongeraient dans le temps. Depuis 1990, par exemple, des soldats appartenant à la réserve de l’Army ont été déployés lors de chacune des opérations menées par les Etats-Unis. Plus de 84 000 soldats - citoyens américains ont pris part à la guerre du Golfe (90-91), et quelques 30 000 réservistes de l’Army ont servi en tant que “bâtisseurs de nations” en Bosnie et au Kosovo. Depuis les attaques terroristes du 11 septembre 2001, 75 000 réservistes de l’Army ont été engagés dans les opérations de “guerre globale au terrorisme”, et près de 8 000 réservistes de l’Army ont été déployés pour l’opération “ Iraqi Freedom”3 La capacité à conduire des opérations d’entrée en force sur un théâtre constitue une autre compétence essentielle des forces terrestres.
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étranger (
Quand on étudie la nature des combats de l’ère moderne, on s’aperçoit qu’ils ne peuvent être qu’interarmées.
Des forces terrestres capables d’agir dans plusieurs dimensions fournissent aux commandants opérationnels une capacité d’entrée en force qui renforce les aptitudes interarmées et permettent d’obtenir un effet de surprise aux niveaux tactiques et opératifs. Les forces terrestres peuvent également se saisir d’objectifs multiples de façon simultanée et rendre ainsi plus difficile toute tentative de réaction de l’adversaire. Enfin, les opérations d’entrée en force procurent à la force la protection dont elle a besoin pour conquérir, sécuriser et conserver des bases opérationnelles avancées vitales pour la suite des opérations.
Une cinquième compétence essentielle est celle qui permet à la force de conserver la domination terrestre et d’obtenir une décision durable. Une telle décision se produit quand les chefs arrivent à gagner des victoires décisives grâce à des combats rapprochés qui annihilent la volonté de résister de l’ennemi. Au cours d’opérations terrestres, l’obtention d’une décision finale requiert la capacité de conquérir, d’occuper, de conserver ou de contrôler le terrain, les hommes et les ressources par des destructions ou par une présence sur ce terrain ou par une combinaison des deux. Seuls des soldats présents sur le terrain permettent de contrôler l’environnement terrestre en s’assurant qu’il n’existe pas un emplacement ou pas une force qui soit hors d’atteinte de la force terrestre. Lors de certains conflits, la décision finale peut souvent nécessiter d’être capable de détruire certaines forces spécifiques d’un régime politique (par exemple les forces terrestres de l’ennemi, sa police, ses unités de sécurité) avec précision. Une telle décision peut être rapide mais elle peut ne pas garantir l’obtention des résultats finaux politiques souhaités pour la campagne ou la guerre. Des frappes de précision à distance délivrées par des forces aériennes seules ne donnent pas cette capacité. Les forces terrestres sont entraînées, équipées et organisées pour contrôler le terrain, des populations et des situations pendant une
présentent une quantité de capacités essentielles au soutien des autorités civiles en cas d’événements dans les domaines des affaires intérieures et internationales. Ces capacités contribuent à protéger les gens et les infrastructures et à les préparer à des crises éventuelles. En cas de désastre national majeur, le soutien aux autorités civiles est considéré comme étant une mission militaire primordiale.
)
longue période de temps. Les forces aériennes ne peuvent pas rester fixes en position. Une fois que les appareils n’ont plus de carburant et de munitions, ils doivent se désengager et être remplacés ou ravitaillés et réarmés. Les forces terrestres sont prévues pour être soutenues sur place sans avoir à quitter le voisinage immédiat du champ de bataille, elles peuvent donc continuer à délivrer leur puissance de feu et à manœuvrer en vue de contrôler l’espace terrestre et les actions de l’ennemi.
Le combat moderne est un combat interarmées Quand on étudie la nature des combats de l’ère moderne, on s’aperçoit qu’ils ne peuvent être qu’interarmées. Joint Publication 1, Joint Warfare of the Armed Forces of the United States4
A notre époque, où l’information est omniprésente et alors que le public montre une sensibilité accrue et une inquiétude pour tout ce qui concerne les dommages collatéraux, ce sont les forces présentes sur le terrain qui sont les mieux à même de faire la différence entre combattants et non combattants, d’identifier les objectifs protégés comme les églises et les monuments nationaux. Ceci est rendu possible par le fait que les forces terrestres peuvent parcourir le terrain, observer les traits marquants, apprécier les particularismes et les menaces locales, et réagir de façon adéquate. Il est bien sûr que dans la chaleur de la bataille, des erreurs peuvent survenir mais, le plus souvent, il n’y a que les hommes sur le terrain qui soient capables de choisir les bonnes cibles et d’évaluer les effets des combats. Le meilleur capteur demeure l’être humain sur le terrain.
Les commandants de forces interarmées ont besoin de forces capables d’agir dans les trois dimensions - ce qui inclut bien entendu les forces terrestres - au sein d’un ensemble interarmées équilibré. Les forces terrestres fournissent la souplesse opérationnelle permettant d’adapter l’application de la puissance de combat à chaque type d’environnement, à chacune des phases d’un conflit et à chacune des situations opérationnelles. En raison de leur capacité d’adaptation intrinsèque, les forces terrestres fournissent de nombreuses options ainsi que les meilleures capacités possibles pour accomplir des actions modulées qui vont bien plus loin que la seule destruction par le feu (par exemple, l’objectif opérationnel consistant à contrôler les points de franchissement du Tigre et de l’Euphrate). Les feux interarmées ne peuvent apporter qu’un seul type de solution pour détruire les sites en question. Alors que les forces terrestres peuvent les détruire, les rendre inutilisables pour une certaine période de temps, en assurer le contrôle, les défendre, les utiliser ou en interdire l’utilisation, ou alors mettre en place des moyens de franchissements temporaires pour les remplacer ou en augmenter la capacité. Les forces terrestres fournissent également au commandant interarmées la possibilité de réaliser les cinq types de manœuvre fondamentaux - à savoir, l’enveloppement, le mouvement tournant, l’infiltration, la
Les forces terrestres sont aussi capables d’établir puis de maintenir un certain niveau de stabilité à l’issue d’un conflit afin de permettre que la décision obtenue devienne durable. L’Army a à sa disposition un vaste éventail de sapeurs, de transporteurs, de personnels du service de santé, des affaires civiles, des opérations psychologiques, des transmissions ainsi que d’autres disciplines, tous nécessaires aux opérations de stabilisation et de soutien. La dernière compétence essentielle est celle qui concerne la capacité à soutenir les autorités civiles. Les forces terrestres
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pénétration et l’attaque frontale - qui servent à limiter ou à supprimer la liberté de mouvement de l’ennemi, à le repousser de points clés du terrain, ou à le diriger vers des zones où il sera possible d’appliquer des feux indirects ou aériens afin de l’y fixer et de le détruire.
Dans des environnements difficiles, les forces terrestres peuvent interdire à l’ennemi la possibilité de sanctuariser des zones urbaines et complexes comme des bâtiments, des ensembles souterrains, des grottes et des tunnels. Si on les laisse faire, des ennemis astucieux peuvent utiliser des zones sanctuaires à leur avantage et en augmenter l’importance. La plupart du temps, ce sont les forces terrestres qui sont capables d’empêcher cela. Il y a besoin de forces terrestres pour extirper l’ennemi de ces endroits puis le détruire tout en faisant un choix précis des cibles à attaquer. Les forces terrestres fournissent une capacité de combat surpuissante pour faire la guerre et pour la gagner ainsi qu’une variété de capacités permettant de conduire tous types d’opérations. La puissance de combat - ou l’aptitude à combattre - est définie comme étant l’ensemble des moyens de destruction ou de neutralisation, ou les deux à la fois, qu’une formation militaire est capable de mettre en œuvre contre un ennemi à un moment donné 5, elle permet de réaliser des effets surpuissants au lieu et au moment décisifs afin de défaire un ennemi. Les commandants interarmées utilisent les formations interarmes de façon complémentaires, asymétriques ou en renforcement afin de forcer l’ennemi à se regrouper puis à l’engager de façon décisive au moyen des feux indirects et des aéronefs.
ronnement stable permettant à d’autres organisations d’agir. Historiquement ce sont les forces terrestres qui constituent l’élément de choix pour ces situations et ces environnements complexes. C’est parce que les forces terrestres constituent la plus importante des organisations militaires des Etats-Unis, qu’elles peuvent remplir ce type de missions pendant de longues périodes et avec moins de conséquences négatives qu’il y aurait pour les autres composantes des forces armées. Un adversaire capable et déterminé ayant à sa disposition des forces armées puissantes, une population nombreuse et un vaste territoire est rarement battu rapidement. Dans ces circonstances, obtenir une décision durable requiert la capacité de conduire des opérations interarmées longues et multidimensionnelles. Les forces terrestres fournissent une part importante de ces capacités essentielles et souples à mener une campagne. Des expériences récentes confortent le concept selon lequel il est nécessaire d’avoir à sa disposition des forces terrestres capables de remporter la décision plutôt que d’établir seulement les conditions pour cette décision. Aujourd’hui en Irak, les forces terrestres assurent la sécurité, participent à la construction des infrastructures de transport, chassent les ennemis du peuple irakien et aident à la
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L’étendue des capacités des forces terrestres des Etats-Unis offre aux commandants opérationnels des options nombreuses et souples leur permettant de répondre aux besoins opérationnels de théâtre immédiats ou à plus long terme. Seules des forces au sol sont à même de contrôler efficacement des terrains complexes et séparer l’ennemi des éléments amis ou neutres. Les Etats-Unis ont eu à démontrer de façon répétée leur engagement à mettre des troupes au sol dans le but de faire de la dissuasion, d’obtenir un changement de régime ou de créer un envi-
reconstruction du pays. Durant la campagne d’Afghanistan en 2002, les frappes aériennes de précision ont été essentielles mais elles ne sont pas parvenues à neutraliser un adversaire bien installé ni à fixer ni à en finir avec l’ennemi. Une intégration étroite de frappes aériennes avec la manœuvre terrestre a été nécessaire pour détruire les forces d’opposition. Au cours des opérations au Kosovo en 1999, la campagne aérienne a créé les conditions pour que les négociations puissent commencer mais ce sont les forces terrestres qui ont créé la stabilité qui aujourd’hui existe. Les troupes au sol continuent à prévenir toute intrusion des Serbes ou autres qui souhaiteraient redessiner les frontières. De la même façon, en 1995, au cours de l’opération “ Deliberate Force ” en Bosnie, la menace de frappes aériennes de l’OTAN n’a pas vraiment dissuadé la Serbie de mener à bien ses objectifs militaires. Il a fallu le déploiement de forces terrestres pour que soient établies les conditions des accords de Dayton. Au cours de l’opération “Desert Storm”, les mois de frappes aériennes ont permis de démoraliser l’armée irakienne, ont fragmenté son commandement et réduit notablement sa capacité de combat mais elles n’ont pas remporté la décision. Ce sont 4 jours de combats terrestres qui ont conduit les Irakiens à la reddition et à la négociation politique. Au cours de l’opération “ Just
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étranger Cause ” en 1989, au Panama, ce sont des moyens de transport interarmées qui ont eu un rôle primordial pour la mise en place dans le pays de forces américaines capables de conduire des opérations efficaces, mais l’effondrement des défenses ennemies et la reddition de Noriega ont été le résultat d’actions de soldats sur le terrain. A la Grenade en 1983, les transports par moyens interarmées ainsi que l’appui aérien ont été nécessaires pour permettre aux forces terrestres d’envahir l’île. Mais, une fois encore, ce sont les forces terrestres qui ont été l’élément décisif au sein de l’ensemble interarmées.
L’Army future au sein de la force interarmées Les commandants de forces interarmées de demain pourront s’appuyer sur une synergie qui inclura des chefs, des soldats des capteurs et des armes reliés entre eux par des systèmes de réseaux et qui leur permettront de contrôler la situation ; ce concept est déjà mis en œuvre dans une large mesure en Afghanistan. En outre, ces commandants interarmées seront capables de manœuvrer des forces pour qu’elles rejoignent des positions avantageuses dans un espace de bataille décentralisé et lacunaire puis pour qu’ensuite elles détruisent l’ennemi ou qu’elles l’obligent à quitter ses zones sanctuaires et finalement à être détruit par des feux interarmées de précision (feux souvent dirigés par des forces spéciales). Les concepts opérationnels sont importants et ils participent à informer les acteurs sur la façon dont les combats devront être conduits dans le futur. Les changements de concepts affectent non seulement les forces terrestres mais aussi les forces interarmes et interarmées. Les transformations de la force terrestre participent aux efforts interarmées en cours relatifs aux concepts et aux expérimentations. Les concepts de l’Army du futur participeront aussi pleinement au développement d’une force interarmées répondant aux besoins exprimés en termes de capacités. Ces concepts fourniront également les éléments intellectuels nécessaires pour répondre aux besoins exprimés dans le concept interarmées.
Afin de pouvoir fournir la capacité de supériorité de combat essentielle à moyen terme à la mise en œuvre de la “ Strategic Vision ” et de la “ National Strategy ”6, l’Army est en train de mettre en service six Stryker Brigade Combat Teams (SBCTs)7. Ces unités ont été optimisées en vue de participer à des interventions de niveau plus réduit et ont la capacité de gagner de façon décisive des opérations de combat majeures en étant renforcées de façon notable. Une SCBT a plusieurs caractéristiques spécifiques qui lui procurent une souplesse opérative et tactique accrue pour exécuter à un rythme rapide des opérations décentralisées dans des zones lacunaires. Le régiment (au sens français) de reconnaissance, de surveillance et d’acquisition d’objectifs fournit à la fois des éléments de renseignement humain (HUMINT) et des appareils de reconnaissance sans pilote. Ses compagnies de renseignement et de transmissions, utilisant des interfaces digitales, s’appuient sur les moyens de théâtre et les moyens nationaux pour doter la force d’une capacité informationnelle de haut niveau.
tème de réseaux totalement intégrés dans l’environnement interarmées, inter-organisations et multinational. Les formations appartenant à la force future de l’Army apporteront leur contribution et feront usage du système “ Common Relevant Operational Picture” (CROP)9 interarmées afin de leur donner une bien meilleure assistance à la prise de décision. Pendant la plus grande partie du 20e siècle, les forces terrestres ont mis en œuvre des unités de combats ayant des structures standards, comme le régiment, le bataillon et la compagnie. Ces formations de combats ont bien servi le pays. Cependant, au 21e siècle, nombreuses sont les missions en cours qui couvrent l’ensemble de l’éventail des opérations militaires. Ces missions demandent des combinaisons de capacités que les unités traditionnelles ne sont pas toujours capables de fournir. La nouvelle stratégie de défense réclame de l’agilité et de la souplesse. Il est donc essentiel de transformer l’organisation des structures. Le nouveau concept établit une organisation qui est plus souple, plus modulaire, plus facilement adaptable en fonction des besoins et capable de faire coïncider les capacités des unités avec les besoins changeants et la fluidité des situations du futur environnement global de sécurité.
Ultérieurement, la transformation de la structure de l’Army verra arriver des unités de la future force de l’Army qui seront modulaires et totalement intéropérables et qui fourniront au commandant interarmées une capacité à contourner les goulots d’étranglement et les points d’appuis ennemis pour aller directement frapper ses objectifs tactiques et opérationnels. Les unités de la future force de l’Army seront immédiatement capables de mener de façon simultanée des opérations interarmes décentralisées, de jour comme de nuit, par toutes conditions météorologiques ou de terrain. Les transformations dans le domaine de la logistique apporteront à la force interarmées un soutien égal ou même plus supérieur à celui d’aujourd’hui tout en réduisant de façon notable l’impact logistique sur le terrain. En tant que force s’appuyant sur des systèmes d’information, les unités de la force terrestre apporteront leur contribution au réseau interarmées C4ISR8 et l’utiliseront. En tant que force s’appuyant sur des bases de connaissances, la force future de l’Army exploitera la puissance des technologies avancées dans les domaines de l’information et de l’espace afin d’avoir à sa disposition un système de commandement de combat reposant sur des sys-
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Ces nouvelles structures organisationnelles constituent un élément clé de la future force de l’Army qui sera apte à fournir des réponses rapides au niveau stratégique et qui donnera au commandant interarmées une capacité létale supérieure tout en lui assurant la capacité de durer et l’adaptabilité. La transition vers la nouvelle structure qui s’appuiera sur les avancées dans le domaine de l’information se fera aisément et en ne requérant que des ajustements minima, en fonction des missions, des engagements tactiques et des batailles. A son arrivée sur le théâtre, cette structure sera logistiquement autonome pour une période de trois à sept jours puis elle ne demandera qu’un effort logistique minimal sur le terrain pour assurer la continuité des opérations.10 La future force de l’Army mettra en œuvre un réseau d’appuis feux, un système de systèmes qui fournira une capacité en temps réel à mettre en œuvre des feux de toutes sortes sur l’ensemble du champ de bataille. Le système sera totalement inté-
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gré et interdépendant avec la force terrestre et avec les capacités interarmées, multinationales et inter-organisations. Cette capacité mise en réseau tirera profit de l’ensemble des moyens interarmées afin de délivrer des munitions de précision contre les points décisifs et les centres de gravité ennemis. Le futur commandement interarmées sera capable d’orchestrer et de synchroniser toute la panoplie des moyens de frappe à longue portée. Les futurs engagements interarmées seront caractérisés par une nouvelle organisation opérationnelle qui fera évoluer la situation au contact et à distance, et qui fera usage d’une combinaison équilibrée d’appuis feux à distance, de manœuvre précises et d’as-
sauts rapides et simultanés en des endroits multiples. Le futur commandement interarmées sera capable de mettre en œuvre les futures unités des forces terrestres en dirigeant l’intégration continue de petites unités interarmées puissantes, se déplaçant le long de lignes d’opérations multiples et discontinues vers des zones d’objectifs de type forces, tout en engageant l’adversaire par des moyens feux, organiques ou non, surpuissants et précis, jusqu’au moment culminant de la manœuvre, lorsque le combat final à distance ou l’assaut rapproché permettra la destruction des dernières forces de l’ennemi.
L’étude originale intégrale peut être trouvée sur le site web de l’Association of the United States Army’s www.ausa.org. Des copies peuvent aussi être demandées par E-mail auprès de l’AUSA, (ILWPublications@ausa.org), téléphone (001-703-907-2411) ou fax (001-703236-2929). Les demandes d’autorisation de réimpression de ce document (version intégrale ou résumée) doivent être adressées par écrit à : AUSA’s Institute of Land Warfare, ATTN : Director, ILW Programs, 2425 Wilson Boulevard, Arlington VA 22201 (e-mail sdaugherty@ausa.org, fax 001-703-236-2929). 1 Nouvel avant-propos du Général (2S) Gordon R. Sullivan, U.S. Army, président de l’Association de l’US. Army (AUSA), qui avait également rédigé l’avant-propos de la monographie originale. 2 Groupement tactique interarmes de niveau brigade. 3 Source : Office of the Chief, Army Reserve, The Army Reserve : An Overview (www.army.mil/usar/pdfs/ArmyReserveOverview.pdf, 25 Septembre 2003). 4 Joint Publication (JP) 1, Joint Warfare of the Armed Forces of the United States (Washington, D.C. : Chairman of the Joint Chiefs of Staff, 10 January 1995 edition), p. I-1. 5 See Joint Publication 01-2, Department of Defense Dictionary of Military and Associated Terms (Washington, D.C.: Department of Defense, 12 April 2001, as amended through 5 September 2003), p. 97. 6 2 directives stratégiques à moyen terme 7 Groupement tactique interarmes de niveau brigade. 8 Command, control, communications, computers, intelligence, surveillance and reconnaissance. 9 Système commun de recueil et de présentation des informations relatives au théâtre d’opérations. 10 U.S. Army Training and Doctrine Command Pamphlet (TRADOC PAM) 525-3-90, The United States Army Objective Force Operational and Organizational Plan for Maneuver Unit of Action, 22 July 2002, p. 6 (http://www.atsc.army.mil/TSAID/
UnitofAction.asp).
Conclusion L’environnement géostratégique du 21e siècle nécessite la transformation de l’appareil militaire des Etats-Unis et en particulier celui de ses forces terrestres. Personne ne peut prédire avec précisions quelle sera la menace future contre les Etats-Unis et ses intérêts vitaux ou quelles seront les méthodes qui pourraient être utilisées par ceux qui mettraient à exécution ces menaces. Attendre que l’ennemi frappe sans développer une capacité de défense américaine appropriée ferait perdre l’avantage et pourrait occasionner des conséquences graves pour les Etats Unis. La guerre globale contre le terrorisme (“ Global War on Terrorism ” (GWOT ), les menaces actuelles contre le territoire des Etats-Unis, la prolifération d’armes sophistiquées et de technologies, tout concourt à mettre l’accent sur la nécessité impérieuse de transformer les forces terrestres. Il résultera de cette transformation une force interarmées, basée sur des capacités spécifiques, préparée et prête à dominer n’importe quelle situation opérationnelle. Mais cette force devra s’appuyer sur la capacité qu’ont depuis toujours les forces terrestres à être le cœur des opérations interarmées réussies. Alors que l’environnement sécuritaire du futur demeure incertain, la nécessité pour l’Army d’avoir les soldats les mieux entraînés, les mieux commandés et les mieux équipés au monde ne changera pas. Le fait d’être capable de mettre des combattants sur le terrain, “ les pieds dans la boue ”, continue à être la caractéristique principale d’une force capable de relever les défis militaires globaux auxquels seront amenés à faire face les Etats-Unis.
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étranger La contribution de l’Armée de terre britannique
aux opérations modernes différents aspects de la défense britannique sont devenus tellement Ldeesinterconnectés que comparer les rôles respectifs en opération de l’Armée terre britannique (Army) avec ceux de la Royal Navy et de la Royal Air Force (RAF) n’est ni possible ni vraiment utile. Cet article va d’abord tenter de présenter pourquoi il en est ainsi avant d’expliquer quel est le rôle de l’Army puis quels sont les concepts principaux qui décrivent comment ce rôle doit être tenu. Les références qui ont servi à la rédaction de cet article sont : le document “ UK’s Army Plan for 2005 ” ainsi que le concept récemment adopté (Avril 2005) “ Future Manoeuvre Sub-Concept (FMSC) for the Army ”. Il importe cependant de commencer par décrire quel est l’environnement opérationnel actuel.
PAR LE
LIEUTENANT-COLONEL JOHN WILLIAM ROLLINS, OFFICIER DE LIAISON BRITANNIQUE AUPRÈS DU CDEF
L’environnement opérationnel actuel
multinationale. Ceci est également, plus ou moins, vrai même lorsque ce sont des intérêts nationaux qui priment ou lorsqu’une coalition ne réunit qu’un petit nombre de pays volontaires. Cependant, pour récent que soit ce concept il n’en est pas moins le point d’orgue logique d’un mouvement consistant à s’écarter progressivement de l’approche unilatérale et au niveau de chaque armée et uni-service2 qui tendait à disparaître depuis de nombreuses années.
Il est vrai que ce n’est que récemment qu’a été mis en place un concept réellement unitaire qui réunit non seulement les trois armées mais aussi les autres ministères du gouvernement dans une recherche d’une stratégie de défense nationale. Il s’agit du concept “ Effects Based Operations1 ” dont il sera question ci-dessous. Ce concept a pour objectif corollaire de faciliter une plus grande coopération multinationale dans le domaine de la défense, ce qui reflète bien la nature de l’environnement au sein duquel les opérations doivent être menées aujourd’hui. Ceci signifie, sans aucun doute possible, que la majorité des opérations qui seront conduites par les démocraties occidentales seront d’une nature interarmées, interministérielle, inter-organisation et
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L’histoire opérationnelle récente Si l’on examine l’expérience opérationnelle britannique au cours des 35 dernières années, il peut apparaître, à première vue, que l’Armée de terre a pris une place prépondérante. Il est certain que, au cours de la campagne la plus longue à
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laquelle nous soyons encore en train de participer, en Irlande du Nord, son rôle peut sembler prédominant. Cependant, ce rôle a toujours été d’agir en soutien rapproché de la police, y compris pour l’instruction de cette dernière ; bien sûr il ne s’agit pas d’une “autre force armée”3, mais c’est certainement une autre organisation dont les besoins étaient prioritaires et avec laquelle les relations les plus étroites devaient être entretenues. En outre, la majeure partie du soutien hélicoptères était apporté par la RAF, dont nombreux étaient les membres qui avaient par ailleurs d’autres missions de sécurité. Bien entendu, les Royal Marines, une des composantes de la Royal Navy, opéraient en Irlande du Nord de la même façon que les unités de l’Armée de terre. La guerre des Falklands fut vraiment une opération interarmées, avec la Navy qui fut utilisée comme une base de combat et une base logistique tout en agissant également en tant que force de combat propre - au-dessus et en dessous de l’eau - délivrant des feux directs et indirects à tous moments. Pareillement, l’Armée de terre n’aurait pas pu s’engager sans l’appui direct de la RAF qui elle-même opérait à partir des bateaux simultanément avec l’aéronavale. C’est aussi à partir de ce moment que nos forces spéciales (Special Boat Squadron, Special Air Service et leurs appuis RAF associés) commencèrent à évoluer pour devenir ce qu’elles sont aujourd’hui une composante réellement interarmées.
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Dans les Balkans, au Kosovo, en Sierra Leone, en Afghanistan, au Timor Oriental et au cours des deux guerres du Golfe, les opérations terrestres conduites par l’Armée de terre britannique dominèrent le cours des évènements. Cependant, rien n’aurait pu avoir lieu sans appui aérien ou naval et parfois - certainement lors de phases particulières - c’était la Navy ou la RAF qui avait la prééminence. Par exemple, lors des phases initiales des deux guerres du Golfe, lors de l’application des mesures de restrictions aériennes au-dessus de l’Irak, lors des opérations au-dessus du Kurdistan, lors de la campagne aérienne au Kosovo ainsi que lors d’opérations moins importantes dans les Caraïbes. En résumé, nous avons appris qu’en opération toutes les armées sont interdépendantes les unes des autres, même s’il arrive parfois que l’une d’entre elles soit plus utilisée que les autres.
Les structures actuelles C’est cette histoire opérationnelle récente associée à la nécessité de rationaliser l’organisation de la défense britannique et ainsi d’obtenir une plus grand efficacité à un moindre coût, ainsi que d’autres causes purement liées à la gestion, qui ont conduit à la création et au développement de structures toujours plus interarmées au sein de l’organisation de défense du Royaume-Uni. Cela a commencé par la création d’un état-major interarmées au sein de notre ministère de la défense qui, progressivement, a commencé à jouer un rôle prépondérant par rapport
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aux états-majors de chacune des armées, et ce à partir des années 1980. Aujourd’hui, le pouvoir réel se situe au niveau interarmées et, au sein du ministère de la défense; il y a plus d’affectations interarmées que de postes d’armées. Cette prépondérance de l’étatmajor central s’applique aussi bien en ce qui concerne l’attribution des ressources que le commandement des opérations. Toutes les opérations sont commandées à partir de l’Etat-major interarmées permanent (Permanent Joint Headquarters) situé au Nord de Londres. Les chefs d’état-major d’armées ne sont responsables que de la fourniture de capacités. Partout où cela a été possible dans tous les domaines de la défense, des structures interarmées ont été organisées (ex : la force interarmées d’hélicoptères, une structure médicale et une logistique interarmées). Cette année, le centre interarmées de doctrine et de concepts incorporera ses équivalents qui existaient auparavant au niveau de chacune des armées, ne leur laissant en place que des éléments réduits chargés de focaliser leurs recherches sur des points spécifiques à chacune des armées, la plupart du temps sur des sujets de niveau tactique.
Le plan de l’Armée de terre Le plan de l’Armée de terre est rédigé non seulement en tenant compte de l’environnement général décrit ci-dessus mais plus directement de la mission générale de la défense nationale, à savoir : Assurer la sécurité du peuple du Royaume-Uni et des territoires d’outremer en les défendant, y compris contre le terrorisme ; et agir en tant que force du bien en renforçant la paix et la stabilité au niveau international. Dans ce plan, le chef d’état-major général, (CGS) établit la mission de l’Armée de terre et décrit comment il envisage qu’elle apporte sa contribution à la défense britannique. Le plan pour cette année prend en compte les décisions récentes qui affectent le programme “Future Army Structures (FAS)2,” destiné à restructurer l’Armée de terre afin de lui faire répondre aux besoins d’une défense moderne. La mission de l’Armée de terre est la suivante : Entretenir et développer les capacités militaires afin de garantir le succès opérationnel aujourd’hui et demain.
étranger En termes opérationnels, cela signifie que l’Armée de terre britannique doit avoir la capacité de mener victorieusement des opérations à l’intérieur comme à l’extérieur du pays que ce soit à son seul niveau (éventualité de moins en moins probable), ou dans un cadre interarmées ou multinational. Ceci inclut d’être prêt à contrer le terrorisme international soit par des interventions focalisées, des interventions pré planifiées ou des actions de contreterrorisme. Afin que l’Armée de terre ait le niveau de préparation et de disponibilité nécessaire pour accomplir ces missions, il faut que les forces qui la composent mènent à bien des tâches telle que celles liées à la remise en condition, à l’aptitude à durer et à l’entraînement collectif. Afin d’être sûrs que nous continuerons à être capables de mener à bien ces tâches dans le futur, le programme FAS doit être mis en œuvre alors même que nous continuons à respecter nos engagements actuels ; les capacités améliorées de travail en réseaux doivent être développées pour que la transformation puisse s’accomplir grâce à FAS, de même il faut que des éléments nécessaires à la réussite de cette transformation soient développés afin de donner de la substance à ces changements. Nombre de ces éléments participant à l’efficacité de la transformation incluront la création de davantage de structures interarmées. Il est intéressant de noter que, dans cette démarche vers une posture de défense plus équilibrée, ce sont la Navy et la RAF qui vont avoir à abandonner beaucoup plus de leurs moyens existants que l’Armée de terre.
brées et encore plus rapidement déployables. Ces transformations devront avoir lieu alors même que pourront se poursuivre de nombreux déploiements au cours desquels les forces terrestres auront à être optimisées afin qu’elles soient capables de conduire des opérations de type corps expéditionnaire dans toutes sortes d’environnements complexes. La composante terrestre devra être apte à travailler en relation étroite avec les composantes aériennes, terrestres et maritimes, nationales et multinationales. Il est envisagé que les Etats-Unis seront le partenaire principal d’une coalition, mais en aucun cas l’unique partenaire.
Caractéristiques des opérations de demain Les adversaires potentiels appartenant à des nations moins développées tenteront d’exploiter leur capacité à mener des combats de type asymétriques sur des terrains difficiles qu’ils auront choisi et sans se préoccuper de considérations liées aux victimes potentielles, à des règles d’engagement et aux lois internationales. Il est envisagé que les opérations interarmées les plus importantes seront conduites principalement sur terre alors que les composantes maritimes et aériennes fourniront une contribution majeure sous la forme d’opérations menées à partir des eaux littorales et de la délivrance de feux interarmées. Les forces doivent être tellement bien structurées de telle sorte qu’elles permettront une transition rapide entre les différents types d’activités militaires. Les forces terrestres doivent être prêtes à contribuer aux actions de la coalition de stabilisation de crise et en promouvoir ou restaurer la sécurité grâce à tout l’éventail de leurs activités. En liaison étroite avec cela, il est nécessaire d’améliorer la coopération avec les organisations internationales et les autres ministères du gouvernement. Enfin, les éléments sophistiqués d’ISTAR 5 de même que les moyens de frappe de précision risquant, dans un environnement difficile, de ne pas être aussi efficaces qu’on pourrait l’espérer, il deviendra aussi nécessaire de développer les capacités HUMINT 6 basées sur une meilleure connaissance des éléments liés à la culture. Les règles d’engagement (ROE) risquent de devenir extrêmement
La directive “ Future Manœuvre Sub-Concept (FMSC) 3” Généralités Le FMSC décrit comment la “British Army’s Balanced Force”4 émergeante, telle qu’elle est envisagée dans la directive FAS, sera organisée afin de pouvoir conduire des opérations de type corps expéditionnaires, interarmées, inter-organisations et multinationales. Bien que les réflexions qui participent à ce concept soient déjà mises en oeuvre aujourd’hui, elles ne seront mises complètement en application qu’à partir de 2010, époque à laquelle auront été prises officiellement les décisions, liées au programme FAS, et qui conduiront à la définition de forces encore mieux équili-
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L’espace de bataille interarmées et inter-agences multidimensionnel : legal, éthique & moral social & culturel économique politique technologique
armées de terre, mer et air
une structure pour les effets
restrictives. Afin de combler ces lacunes, des capacités “Info-Ops” totalement intégrées ainsi que l’utilisation d’actions non létales devront être systématiquement pris en compte aussi bien lors de la planification que de la conduite des opérations.
Thèmes principaux Le FSMC comporte quatre thèmes principaux : • Agilité : cette qualité demande des chefs qui soient créatifs, qui sachent s’accommoder de conditions incertaines et qui, avec leurs états-majors, soient capables de faire preuve de disponibilité, de robustesse, de souplesse et de capacité d’adaptation aussi bien lors de la planification que de la conduite des opérations. • EBO 7 : l’application des principes de l’EBO par la composante terrestre est basée sur une approche orientée vers la manœuvre utilisant la réalisation d’une
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combinaison d’effets pour façonner la perception de l’adversaire, réduire sa volonté et faire éclater sa cohésion. Pour réaliser ces effets, deux aspects sont primordiaux : la protection de la force et le façonnage des perceptions de la population civile. Comme cela a déjà été mentionné, de telles opérations ne peuvent réussir que si elles sont conduites au sein d’un environnement interarmées, interministériel, inter organisations et, si nécessaire, multinational. • Une logistique dirigée (Directed Logistics : DL) : ce n’est que si elle est totalement organisée en réseau que ce type de logistique dirigée pourra être mis en œuvre. Une fois cela réalisé, la DL peut permettre l’établissement d’une organisation logistique optimisée capable de mieux répondre aux besoins de la mission. • Des capacités optimisées par la mise en réseau (Network Enabled Capabilities NEC) : la nature durable des opérations ne sera pas changée par les NEC mais elles donneront de nouvelles possibilités de réaliser les effets recherchés.
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La réalité sur le terrain pour les formations et unités de l’Armée de terre Jusqu’à présent, j’ai décrit les besoins de la Défense britannique comme un tout, la place de l’Armée de terre au sein d’une structure de plus en plus interarmées et comment, en termes généraux, cette Armée de terre va évoluer pour jouer le rôle que l’on attend d’elle dans cette structure. Mais qu’en est-il du soldat sur le terrain ? Pour lui, les principes fondamentaux en fonction desquels il doit combattre ne changeront pas beaucoup malgré tout ce que j’ai décrit plus haut. Il est bien entendu que les quatre fonctions majeures - trouver, fixer, frapper et exploiter - continueront à s’appliquer aux opérations de combat. Il est également bien entendu que ces fonctions continueront à s’appliquer aux opérations de maintien de la paix bien que là, l’accent sera mis davantage sur les actions non cinétiques, en particulièrement en phase d’exploitation grâce aux actions d’Info Ops.
étranger En fonction du niveau où il travaille, le soldat devrait pouvoir observer : - Une plus grande importance donnée à l’organisation de l’espace de bataille au niveau des formations (principalement à celui de la brigade), alors que ce seront des PC de division qui dirigeront les activités des brigades et qui seront souvent utilisés comme PC du groupement interarmées ou de la composante terre. - L’organisation des groupements tactiques de circonstance (adaptés à une mission ou à une opération) plus souples. - Une diminution des appuis de type organique mais en revanche l’établissement d’un système d’appuis garantis. - Une plus grande dispersion dans des zones d’opérations plus vastes. - Un type de manœuvre plus agile mais une plus grande concentration de forces. - Une coordination de l’effort ISTAR mieux intégrée et plus interarmées. - Un rythme d’opérations plus soutenu.
directement compte au PJHQ de Londres où les trois premiers officiers de la chaîne hiérarchique appartenaient à la Navy et la RAF. Le moins gradé des officiers de l’Army dans ma chaîne hiérarchique était un général de corps d’armée.
Bien entendu, pour la plupart des soldats sur le terrain, les opérations ne sembleront être interarmées ou inter-organisations que lorsqu’il s’agira de conflits de très faible intensité. En Irak, la plupart des soldats travaillent dans ce qui semble être un environnement dominé par l’Armée de terre. Cependant, nombreux sont ceux qui ailleurs se trouvent devoir travailler de façon proche avec des membres d’autres armées, d’autres nations et de diverses organisations civiles. Mon expérience opérationnelle la plus récente a été de commander le contingent britannique pour l’opération Artemis en République démocratique du Congo. Là, afin de satisfaire à la fois les objectifs britanniques dans les domaines de la défense et de la politique ainsi que pour répondre aux besoins exprimés par le commandant (français) de la force, nous avons déployé une compagnie du génie qui a travaillé avec des personnels des Armées de l’air et de terre françaises, deux avions, leurs équipages et leur élément de soutien ainsi que des officiers d’état-major, des personnels administratifs, logistiques et transmissions appartenant aux trois armées. Le contingent britannique rendait
1 Opérations basées sur les effets. 2 Structures de l’Army future; 3 Sous-concept " Manœuvre future " Directive traitant de la manœuvre parue en avril 2005. 4 La force équilibrée de l’Armée de terre britannique 5 " Intelligence Surveillance Target Acquisition and Reconnaissance " = Renseignement, surveillance, acquisition des objectifs et reconnaissance. 6 HUMINT = Renseignement d'origine humaine. 7 EBO (Effects based operations) = opérations basées sur les effets.
Il devrait donc être évident que l’Armée de terre continuera à jouer un rôle prépondérant au sein de la défense britannique. En effet, sur le terrain, dans la plupart des futures opérations, la majeure partie des forces continuera à être fournie par elle. Pour pouvoir jouer son rôle, l’Armée de terre doit continuer à se battre pour satisfaire ses propres besoins et pour pouvoir développer ses propres actions au niveau tactique aussi bien que pour s’assurer qu’elle est en mesure de contribuer de la meilleure façon possible au niveau opératif. Dans certains cas ceci requiert des installations spécifiques pour l’expérimentation, le développement de forces et l’entraînement. Ceux-ci continueront à exister. Cependant, il n’y a pas moyen d’échapper à la nature toujours plus interarmées (aussi bien qu’interministérielle, inter-organisations et multinationale) du contexte dans lequel les opérations modernes devront être conduites, ainsi que des opérations elles-mêmes. Par conséquent, il serait contre- productif de comparer les rôles de chacune des trois armées. On doit plutôt se focaliser sur ce qu’une armée donnée peut apporter à l’effort de défense global. En ce qui la concerne, ceci impose à l’Armée de terre qu’elle s’implique totalement dans ces structures de défense qui sont de plus en plus interarmées plutôt que de tenter de défendre son pré carré.
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Avertissement du CDEF Cette contribution rappelle utilement l’apport conceptuel du colonel John WARDEN qui est l’inventeur de la théorie dite des “cinq cercles”. Ce colonel de l’US Air Force a acquis sa célébrité en 1991 en tant que planificateur des frappes aériennes contre l’Irak durant l’opération “Tempête du désert”. Il a mis en œuvre, à cette occasion, une conception exposée dans son ouvrage “The Air Campaign – Planning for Combat” dont la traduction a été publiée chez ECONOMICA en 1998 sous le titre français “La campagne aérienne”. Cette réflexion sur “l’ennemi en tant que système”, marquée par la culture stratégique américaine, constitue une avancée théorique intéressante, même si on en perçoit bien aujourd’hui toutes les limites pour un monde où la conflictualité est en mutation constante et où l’action militaire doit être toujours davantage réfléchie comme l’une des contributions à une démarche stratégique beaucoup plus large. Sur ce thème, on lira avec intérêt l’article du lieutenant-colonel Benoît Durieux figurant après l’article du Colonel GLIN.
L’ennemi comme un système ou le modèle des cinq cercles appliqué à la description d’un ennemi générique ennemi d’aujourd’hui a changé de forme et il nous appartient de savoir comprendre son évolution en ne cherchant pas à nous accrocher à celui que nous attendions dans la trouée de Fulda et le saillant de Thuringe et qui formata notre approche stratégique pendant plusieurs décennies. Pour conduire une nécessaire “transformation” de notre définition de l’ennemi nous devons raisonner du macro au micro, du général au particulier.
L’
PAR LE
COLONEL GILLES GLIN*
Privilégier la méthode déductive... Il y a fondamentalement deux façons de raisonner : l’inductive et la déductive. La première nécessite la collection de nombreuses données pour être à même de définir un ensemble cohérent. La seconde est basée sur la définition préalable de principes généraux à partir desquels s’élaborent les détails d’un tout. La première méthode est adaptée à la tactique, la seconde au raisonnement de portée stratégique, voire opératif. Nous ne pouvons pas penser au niveau stratégique uni
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quement en terme de nombre de chars ou d’avions. Au contraire, nous devons analyser l’adversaire comme un tout. Ensuite, il s’agit de s’intéresser à nos propres objectifs, puis à ce qui doit advenir de notre ennemi pour que nos objectifs deviennent les siens. C’est-àdire lui imposer notre volonté. Quand tout cela est conduit à son terme avec rigueur, il est possible de passer à l’étude des effets à produire sur l’ennemi et des moyens de les produire.
libres réflexions Les planificateurs au niveau stratégique doivent donc se départir de l’idée selon laquelle l’élément clé d’une campagne est l’affrontement brutal de forces militaires. Cet affrontement peut néanmoins se produire, mais il ne doit pas être considéré comme une fin en soi mais comme un moyen parmi d’autres d’arriver à ses fins.
Une modélisation nécessaire... Aussi, devons-nous penser notre ennemi comme un système composé de nombreux sous-systèmes. L’appréhender comme un ensemble augmentera nos chances de lui imposer notre volonté au plus faible coût. Pour faciliter la compréhension de ce concept, il est utile de décrire au préalable un modèle simplifié. Nous utilisons quotidiennement des modèles et sommes conscients qu’ils ne sont pas le fidèle reflet de la réalité. Mais ils ont l’intérêt de nous rendre le monde qui nous entoure moins complexe et de pouvoir agir sur notre environnement. Au niveau stratégique, le meilleur modèle est celui qui nous permet une représentation globale de notre ennemi. S’il est nécessaire d’affiner notre étude, nous développerons une partie de ce système et ce autant que de besoin. Mais il est important de partir du général pour conduire de manière séquentielle l’étude du particulier. La modélisation la plus adaptée à la prise en compte de notre ennemi “post-trouée de Fulda” est celle des cinq cercles. Ce modèle permet la description de la plupart des systèmes et ne s’oppose pas à une étude pénétrative de sous-systèmes. Le schéma ci-contre propose une représentation d’un système stratégique sous la forme de cinq cercles concentriques (ou sphères) semblables au modèle utilisé pour représenter une structure atomique. Il favorise la compréhension de la modélisation d’une entité stratégique comme un système dynamique. Les sous-systèmes gravitent sur des trajectoires s’inscrivant sur des sphères, trajectoires liées à un état d’équilibre donné. Toute action sur le système peut entraîner une modification de cet état et, par-là même, une modification des trajectoires.
Le concept des centres de gravité que les planificateurs utilisent est simple à appréhender mais difficile à mettre en œuvre et ce du fait d’avoir éventuellement plusieurs centres de gravité à traiter et qu’une action sur l’un puisse avoir des conséquences non maîtrisées sur un autre. Il est aussi important de prendre en compte que certains centres de gravité peuvent n’être qu’indirectement reliés aux capacités de l’ennemi de conduire des actions militaires. Le cercle principal est celui de la direction politique ou du commandement parce que seul ce niveau peut par définition prendre des décisions et réorienter la politique d’un Etat. Capturer ou neutraliser un responsable de haut niveau évoluant dans ce cercle peut être déterminant dans la conduite d’une campagne. De plus, la dépendance du cercle des dirigeants de systèmes de communication pour transmettre leurs ordres facilite en revanche une action agressive à ce niveau. Indirectement, les niveaux subordonnés coupés de leur direction ou chaîne de commandement peuvent plus facilement se déliter. Lorsque le cercle de direction ne peut être directement visé, il est nécessaire d’avoir recours à une approche indirecte. Il s’agira de faire pression sur le niveau de commandement de façon à le conduire à reconsidérer ses modes d’action. A cet effet, les actions porteront sur les cercles adjacents et leurs centres de gravité afin d’imposer une paralysie stratégique de l’adversaire. L’autre cercle critique est celui des besoins majeurs. Ces besoins majeurs sont satisfaits par la mise à disposition des sources d’énergie ou de matières premières et de matériaux sans lesquelles un état ne peut survivre. Au niveau d’une nation, l’électricité et
Les cinq cercles favorisent aussi la représentation des centres de gravité d’une entité stratégique.
Applicable à la gestion stratégique d’un conflit... Ce modèle utilisé dans la gestion d’une crise, au niveau stratégique, permet une approche systémique de la conception de la planification opérationnelle.
Repris de “La campagne aérienne”, ECONOMICA, Paris, 1998, p. 186
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les produits pétroliers sont devenus indispensables du fait du développement de l’urbanisation et de l’emploi massif de machines. Les forces armées ne peuvent rester opérationnelles que si elles disposent des ressources énergétiques nécessaires à leur fonctionnement. En fonction de la taille de l’Etat considéré, celui-ci sera amené plus ou moins rapidement à reconsidérer ses objectifs stratégiques initiaux si une ou plusieurs de ces sources d’approvisionnement venaient à se tarir ou des centres de production énergétiques venaient à être détruits simultanément. Le troisième cercle critique est celui des infrastructures. Il est constitué des réseaux de transport de personnes et de marchandises à travers la zone géographique contrôlée par notre adversaire. Il est vital pour un Etat de maintenir opérationnels les circuits de distribution que ce soit au profit des forces militaires ou au profit de sa population. Si les flux sont interrompus ou perturbés, l’Etat qui s’oppose à nos fins ne pourra longtemps maintenir ses efforts. Toutefois, comparé au cercle des besoins majeurs, les redondances sont ici nombreuses en terme d’installations vitales au fonctionnement de l’ensemble. De ce fait, les actions à mener contre les centres de gravité propres à ce cercle seront-elles aussi plus nombreuses et seuls un cumul des dommages et une répétition des actions produiront un effet. Le quatrième cercle clé est celui de la population. C’est sans aucun doute le domaine le plus sensible, car toute attaque directe contre la population peut être considérée comme une action relevant du terrorisme d’Etat. De plus, les cibles sont multiples et dans des Etats totalitaires, la population peut longtemps supporter privations et souffrances avant de se retourner contre ses dirigeants. Les actions indirectes contre la population peuvent se révéler très efficaces en particulier quand la population considère que les enjeux du conflit ne sont pas vitaux. Mais il nous appartient dans le cadre d’une analyse stratégique globale d’étudier les capacités de l’ennemi à conduire des actions contre nos populations.
En effet, nos valeurs morales actuelles ne sont pas partagées par tous. Et ce qu’un Etat ne peut faire au nom du droit international, il peut le pratiquer en utilisant comme relais des structures opérationnelles non étatiques : réseaux terroristes, mafias, syndicats, etc. Un passé récent nous a rappelé que le pire pouvait encore arriver. Le dernier cercle est constitué des forces militaires de l’ennemi. Même si nous continuons de penser que les forces militaires sont essentielles à la victoire, elles ne sont que des moyens au service d’une fin. Leur mission principale est de protéger les autres cercles concentriques et d’être capables d’attaquer ceux de l’adversaire. Ce cercle de défense entamé ou inopérant, le cercle politique peut être conduit à accepter des concessions, voire à accepter notre volonté car il sera conscient de la vulnérabilité des autres cercles. L’ordre des cinq cercles de l’extérieur vers l’intérieur n’est pas défini au hasard. Tout d’abord, nous partons du centre avec une poignée de leaders politiques, puis quelques matières premières ou sources d’énergies essentielles, puis des centaines d’ouvrages constituant l’infrastructure du pays, et enfin des centaines de milliers d’habitants protégés par les forces armées. Le degré de vulnérabilité est censé diminuer en fonction du nombre de cibles potentielles, donc du centre vers l’extérieur. Bien entendu les forces militaires sont moins nombreuses que la population mais elles sont supposées être moins vulnérables par définition1.
* Chef du bureau appuis CFAT-Division Plans. 1 Quelques bombes autour de la résidence du colonel QHADAFI l’ont conduit à une attitude conciliante alors que le même nombre de bombes sur un de ses régiments de T55 aurait eu moins d’impact sur ses décisions.
En conclusion, l’approche stratégique est la plus adaptée à la résolution des crises. Pour la mettre en œuvre nous devons revoir notre schéma traditionnel de pensée car nous devons partir d’une analyse fonctionnelle d’un Etat. Il nous appartient de l’appréhender dans son fonctionnement global en analysant ses systèmes et sous-systèmes de fonctionnement : partir du général pour mieux cerner le détail. Nos actions offensives auront pour but d’infecter le système global en visant ses soussystèmes clés préalablement identifiés. Simultanément nous devons connaître nos propres maillons faibles afin de parer des actions agressives de nature symétrique ou asymétrique sur ceux-ci. Nous ne devons pas baser notre analyse sur des ratios de personnel, d’armes et d’équipements mais sur ce qui est utile de faire pour que le système global que constitue notre adversaire finisse par se plier à notre volonté.
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libres réflexions L’illusion de la destruction comme principe de la guerre
S
i l’on devait résumer de façon lapidaire la façon dont le progrès technologique a fait évoluer les systèmes d’armes modernes, il faudrait sans doute retenir qu’il a essentiellement visé, depuis une vingtaine d’années, à détruire l’ennemi plus loin, plus précisément et au moment exactement choisi. Cette focalisation de la réflexion militaire sur le principe de destruction trouve son origine en Europe dès la fin du 19e siècle dans le cadre du mouvement d’idées qui prépare l’avènement de la guerre totale. Il est ensuite nourri par deux phénomènes concomitants, la montée de l’arme aérienne dont l’avantage compétitif consiste à frapper vite, fort et loin, et l’ascension de la puissance américaine, qui sous la triple influence d’une opinion publique versatile, d’une culture industrielle dominée par l’impératif de productivité et d’une tradition isolationniste a toujours exprimé sa préférence pour des guerres rapides et brutales. Cette fascination pour la destruction comme seul et unique principe de l’action militaire, si elle a été souvent le fait de théoriciens de l’arme aérienne, n’a épargné ni la marine - les théories de la Jeune Ecole sont aujourd’hui prolongées par les doctrines d’utilisation du missile de croisière - ni l’Armée de terre, dont les procédures de ciblage rappellent la “bataille méthodique” de l’entre-deux-guerres. Pourtant, la question s’est rapidement posée du lien entre la destruction militaire d’une cible hostile et l’atteinte de l’objectif poursuivi, qui consiste toujours, en définitive, à faire plier la volonté de l’adversaire. La relation de cause à effet est loin d’être évidente ; l’histoire militaire enseigne d’ailleurs que dans la plupart des batailles du passé, la majorité des pertes subies par le vaincu survenaient après que le verdict ait été clairement établi, durant la phase de poursuite de l’ennemi défait, et que les pertes du futur vainqueur avant cet instant décisif avaient souvent été supérieures à celles du futur vaincu.
PAR LE
LIEUTENANT-COLONEL BENOÎT DURIEUX*
La théorie de J. Warden : l’ennemi en tant que système à détruire
ADJ Olivier DUBOIS/SIRPA Terre
De nombreux théoriciens ont tenté de répondre à cette épineuse question. L’une des réflexions les plus abouties est sans doute celle qui a été développée par l’Américain John Warden1, dans son étude désormais classique sur la campagne aérienne. Ce théoricien s’inscrit dans la lignée des penseurs de la puissance aérienne qui, depuis l’Italien Giulio Douhet2, le Britannique Hugh Trenchard3 et l’Américain Billy Mitchell4, ont cherché à montrer comment l’avènement de l’aviation militaire devait permettre de vaincre grâce aux seules méthodes de bombardement. Cherchant à atteindre la “paralysie stratégique”, la doctrine proposée par Warden tente d’identifier les
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cibles dont la neutralisation provoquera l’effondrement de l’adversaire. Pour ce faire, il modélise l’ennemi comme un système articulé en cinq anneaux concentriques d’importance décroissante. Le commandement stratégique constitue l’anneau central autour duquel il place successivement l’anneau des fonctions organiques essentielles telles que l’approvisionnement énergétique, alimentaire ou monétaire, l’anneau représentant les infrastructures qui permettent d’assurer cet approvisionnement, celui de la population et enfin celui des forces armées. Warden propose alors de s’attaquer de façon prioritaire à l’anneau central, véritable cerveau du système ennemi pour éviter de devoir en venir à l’affrontement militaire et notamment à l’engagement terrestre. Dans cette logique, il pourra ainsi être décidé de frapper une raffinerie pour interrompre la production d’électricité et par voie de conséquence de condamner les télécommunications adverses. En fait, les principes mis en avant par WARDEN et plus largement par les prophètes de la destruction sont de trois ordres. Ils peuvent viser à paralyser le système ennemi en s’attaquant à ses centres de communication, de décision ou à sa logistique. Ils peuvent encore chercher à “punir” l’adversaire, le plus souvent en s’attaquant à la population ou à ses symboles, pour l’amener à céder. Ils peuvent enfin viser, plus traditionnellement, à détruire l’armée ennemie, dans le cadre d’une stratégie “anti-forces”. Dans chaque cas, on cherchera à atteindre le centre de gravité correspondant.
Le principe de destruction, un lieu commun de la réflexion militaire contemporaine Il est remarquable de constater que le principe de destruction est devenu un lieu commun de la réflexion militaire contemporaine à un point tel qu’elle s’interdit de percevoir les nombreuses contradictions qu’il porte en lui. Il faudrait d’abord souligner la faiblesse des analyses qui en découlent. Leur fondement épistémologique emprunte en effet à deux théories incompatibles. La première est l’analogie mécaniste, qui transparaît dans la notion de centre de gravité. Warden ne doute pas qu’une action menée contre le centre de gravité d’un des anneaux du système par lequel il décrit l’ennemi conduise nécessairement à l’atrophie de cette fonction puis à la chute du système tout entier. Mais ce type de réflexions recourt dans le même temps à des analyses inspirées des théories de la complexité, dont le concept dominant est celui de non-linéarité. Elles mettent en effet volontiers en évidence la possibilité d’obtenir des effets sans commune mesure avec la cause initiale, par exemple en détruisant une installation électrique mineure, qui arrête la distribution d’énergie, pour finalement paralyser le pays. Or la non-linéarité est l’un des déterminants du principe d’incertitude qui enseigne la limite des théories méca-
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nistes basées sur la relation de cause à effet. Il n’est pas inutile à ce stade de relever que cette aporie de la théorie de WARDEN a probablement été nourrie par la lecture déficiente d’un auteur dont on n’a trop souvent retenu que la supposée prédilection pour la destruction, en particulier aux Etats-Unis. Le concept de centre de gravité a en effet été emprunté à Clausewitz mais régulièrement perverti. Ce concept, qui apparaît dans le Traité “De la guerre” dans un chapitre sur les guerres “visant à la défaite de l’ennemi”, c’est-à-dire à son anéantissement, est en fait peu adapté aux opérations de guerre limitée. En développant cette idée, le général prussien souhaitait avant tout s’élever contre la tentation des générations qui l’avaient précédé de trouver des objectifs moins exigeants pour les forces armées ; au contraire, rappelait-il, il est illusoire de vouloir garder un conflit limité si l’on souhaite la défaite de l’ennemi ; on devra se résoudre à attaquer le gros des forces adverses ou un point qu’elles ne pourront éviter de défendre, tel que sa capitale. Aujourd’hui, la recherche du centre de gravité dans le cadre des différentes méthodes de raisonnement tactique ou stratégique aboutit fréquemment soit à l’identification d’un point de vulérabilité totalement étrangère à l’idée clausewitzienne, soit à un truisme du type “atteindre la volonté de l’ennemi”. Il est d’ailleurs intéressant de remarquer que ce mouvement doctrinal visant à la paralysie n’est probablement pas très nouveau, puisque le même Clausewitz jugea utile d’en critiquer l’équivalent dès le XIXe siècle. Il mettait en garde avec une certaine prescience contre cette tentative visant à obtenir dans le domaine militaire des résultats décisifs au moyen d’un faible investissement, en s’élevant contre “cette idée extrêmement subtile d’après laquelle il serait possible, grâce à une méthode particulièrement ingénieuse, d’obtenir par une petite destruction directe des forces armées une destruction plus grande, obtenue indirectement, ou de provoquer grâce à de petites attaques livrées de façon particulièrement intelligente une telle paralysie des forces ennemies, un tel fléchissement de sa volonté, que ce procédé équivaudrait à un raccourcissement considérable du chemin à parcourir.”5
Les contradictions des théories de la destruction Mais les contradictions des théories de la destruction, dont celle de Warden est emblématique, ont surtout trait à la façon dont elle prétendent conduire au but visé. Elles concernent chacun des trois principes de paralysie, de punition et d’élimination des forces qui les sous-tendent. La première contradiction est la plus évidente. Elle montre la vanité du concept de paralysie stratégique. Si l’on admet que l’objectif d’une action militaire est
libres réflexions commandement supérieur a décidé de se replier ou de capituler. On sait qu’en mai 1940 la plus forte résistance opposée aux blindés allemands dans les Ardennes fut celle de sections ou compagnies coupées de leur régiment en repli et qui, animées par une volonté farouche de se battre, décidèrent de tenir sur place.
manifester un agrément crédible aux exigences qui lui sont faites, ce qui nécessite qu’il conserve une certaine autonomie, mais aussi et sans doute surtout il doit être en mesure de communiquer ensuite sa propre décision aux entités qui dépendent de lui. La campagne irakienne est exemplaire à cet égard. La décapitation de l’Irak, si légitime qu’elle ait pu être au regard de la nature du gouvernement dirigé par Saddam Hussein, a conduit à l’émiettement d’une entité politique cohérente, avec lequel il était possible de traiter, en une myriade de micro-entités qui ne reconnaissent pas la victoire américaine et qui posent un problème militaire sans commune mesure avec la menace initialement représentée par l’armée irakienne. Si le principe de paralysie appliqué au niveau tactique est sans doute plus prometteur, il n’est pas sans risques. Le premier est bien connu. Il consiste à voir le commandant ennemi mis hors de combat remplacé par un adjoint plus capable, plus compétent, plus déterminé. Ce risque est particulièrement avéré lorsqu’il s’agit de lutter contre un réseau terroriste. Le second est également régulièrement souligné par les historiens. La mise hors d’usage des moyens de transmission adverses amène souvent des unités subordonnées à continuer à se battre alors même que leur
La deuxième contradiction des théories de WARDEN est relative à sa composante “anti-force”. Plus précisément, elle concerne l’idée selon laquelle la destruction des forces armées ennemies aura nécessairement un impact direct sur le commandement que l’on cherche à faire céder. La théorie de Warden repose sur une conception de la structure politico-militaire dominée par la rigidité. C’est l’un de ses prémisses essentiels, que l’action dirigée contre un des anneaux a nécessairement un impact sur les autres anneaux, introduisant ainsi une notion de relation déterministe entre les différentes composantes du système. Un corollaire important est alors que cette vue de l’ennemi comme un tout fortement intégré va nécessairement refléter la conception de toutes les organisations politiques engagées dans le conflit, y compris celle dont on cherche précisément à définir la stratégie. Le commandement et la force militaire étant considérés comme parfaitement unis, chaque action militaire individuelle sera planifiée en accord avec les objectifs du plus haut niveau, alors que l’issue de chaque action militaire va déterminer l’évolution de la politique ou de la stratégie qui en est à l’origine. On aboutit à cette “tacticisation de la stratégie” dénoncée par Michael Handel, un analyste respecté dans le monde universitaire amé-
ADC Fabrice CHESNEAU/SIRPA Terre
d’amener l’adversaire à la table des négociations dans des conditions favorables, il apparait indispensable de laisser à son instance dirigeante, qu’il s’agisse d’un gouvernement ou d’un commandement militaire, la possibilité d’assumer sa fonction. Non seulement il doit avoir la possibilité de procéder à sa propre évaluation de situation, non seulement il doit pouvoir
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ricain6, c’est-à-dire à “la définition de la stratégie dans la guerre par des considérations opérationnelles de plus bas niveau” ; le même Michael Handel souligne ainsi que “le ciblage est devenu de facto un substitut à une véritable planification stratégique7.” Impliqué dans les détails de la tactique, le haut commandement court non seulement le risque de perdre de vue l’horizon stratégique de son action, il va aussi être tenté de donner une importance démesurée aux résultats de l’action militaire locale qu’il aura déclenchée ; l’ennemi verra ainsi les bénéfices d’un éventuel succès tactique démultipliés par l’effet direct et disproportionné qu’il aura eu sur la stratégie générale de son adversaire. Le micro-management des frappes aériennes par la Maison Blanche pendant la guerre du Vietnam est l’un des nombreux exemples des effets pervers des conceptions que devait expliciter Warden dans les décennies qui suivirent.
Enfin, la logique punitive qui sous-tend nombre de stratégies de la destruction peut également être considérée comme largement déficiente. Le fait que la destruction d’infrastructures nécessaires à la population ou même des frappes contre les civils puissent amener un ennemi à concéder sa défaite a été très largement démenti par l’échec historique de ce type de tentatives, comme le prouvent suffisamment les exemples des bombardements sur l’Allemagne durant la seconde guerre mondiale ou des campagnes aériennes de la guerre du Vietnam. En fait une stratégie punitive produit des effets radicalement opposés sur l’adversaire : elle le conduit invariablement à accroître sa détermination plutôt qu’à fléchir. Il y a en effet une contradiction entre l’impact espéré, influencer le calcul coût-efficacité de l’ennemi et le choix de cibles vitales pour la vie du pays.
Cette contradiction est particulièrement apparente dans la théorie de John Warden. Il soutient qu’ “à moins que les enjeux de la guerre soient très élevés, la plupart des Etats feront les concessions souhaités quand leurs systèmes de production électrique seront soumis à une pression suffisante ou effectivement détruits8.” En fait, on peut soutenir que c’est la frappe même des centres vitaux tels que les systèmes de production d’énergie qui élève les enjeux d’un conflit. Autrement dit, il y a une contradiction fondamentale entre la volonté d’influencer le calcul coût-efficacité du gouvernement adverse et le fait de donner simultanément au conflit les caractéristiques d’une guerre totale qui exclut précisément toute analyse coût-efficacité.
* De l’EMAT/ICAP. 1 WARDEN, John. The Enemy as a System. AFELM at USACGSC, Fort Leavenworth (USA), 2000. 2 DOUHET, Giulio. The Command of the Air in JABLONSKY, David (Ed.) Roots of Strategy Book 4 Stackpole Books, Mechanicsburg, 1999. 3 MEILINGER, Phillip Trenchard and “Morale Bombing”: The evolution of Royal Air Force before World War II The Journal of Military History (April, 1996) N°60. p. 243-270. 4 MITCHELL, William. Winged Defense in JABLONSKY, David (Ed.) Roots of Strategy Book 4 Stackpole Books, Mechanicsburg, 1999. 5 CLAUSEWITZ, Carl von. De la guerre. Editions de Minuit, Paris, 1955 p. 244. 6 HANDEL, Michael I. Masters of War Classical Strategic Thought Third, revised and Expanded Edition. Frank Cass, London, 2001. p. 353. 7 Ibidem, p. 358. 8 WARDEN, John, Op. Cit. p. 7.
En résumé, la déficience principale des idées de WARDEN et de ses disciples consiste à ignorer la différence fondamentale qu’il peut y avoir entre les trois entités principales que sont l’instance de commandement ou de gouvernement, la population, et la force militaire, ou, autrement dit à méconnaître la différence essentielle entre la stratégie, la guerre psychologique et la tactique. Clausewitz avait surmonté cette difficulté en décrivant le corps politique à l’aide de la “paradoxale trinité”, composée de l’armée, dont les attributs sont le courage et la chance, de la population caractérisée par la passion, et du gouvernement doué de rationalité. Vouloir utiliser la compétence propre de la tactique, qui utilise la violence pour atteindre le courage ennemi, directement contre le gouvernement dont l’attribut majeur est la rationalité ou contre le peuple animé avant tout par la passion est voué à l’échec et relève d’une logique de guerre totale. Contrairement à ce qu’espéraient DOUHET et ses successeurs, le principe de destruction ne conduit pas une solution plus rapide bien que plus brutale, elle conduit à l’ascension aux extrêmes. La destruction du potentiel physique de l’adversaire est parfois nécessaire mais seule compte en définitive la destruction de son courage, qui ne s’obtient que dans la durée. Ceci condamne l’illusion entretenue par les théories de la seule destruction, et parfaitement illustrée par l’expression de “tire et oublie” érigée au rang de philosophie.
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libres réflexions “ Parlez-moi de tactique “ a création du CDE puis du CDES avait été l’occasion de souligner combien la transformation de l’Armée de terre, dans son aspect le plus emblématique, la professionnalisation, ne devait pas se limiter à ses dimensions culturelle, humaine et organisationnelle mais devait s’accompagner d’une “ refondation doctrinale”. Le CDEF poursuit désormais cette tâche, toujours aussi essentielle. Mais cette réflexion et ses travaux, aussi pertinents soient-ils, seraient vains s’ils ne s’accompagnaient pas d’un effort pour replacer la tactique au cœur de la préparation à l’engagement opérationnel1 de nos forces. Les études tactiques doivent, en effet, constituer le pendant nécessaire à la normalisation et à la technicité croissante des procédures opérationnelles. Après avoir analysé les raisons de leur affaiblissement, nous verrons successivement pourquoi un sursaut est nécessaire et possible, et surtout à quelles conditions celui-ci doit être entrepris.
L
PAR LE
GÉNÉRAL DE DIVISION (2S) JEAN-MARC DE GIULI
Un certain déclin ... Pour quelles raisons ?
CDEF
Douter de l’enseignement et du contrôle ... des niveaux élevés Bien que notre armée ait très tôt compris l’intérêt de l’étude et de l’enseignement de la tactique en créant l’Ecole de guerre, certains n’auront de cesse de la railler puisqu’elle sera accusée d’être une des causes de nos pertes de 19142 et de la défaite de 1940. Cet ostracisme perdurera jusqu’à nos jours puisque ne dit-on pas que pour remplir une mission, il existe deux solutions la bonne et celle de l’Ecole de guerre. Cette dichotomie, entre réflexion et action, s’est prolongée par une opposition farouche3 à la notion d’évaluation ou de contrôle notamment pour les généraux4 dans leur commandement, au prétexte que l’impossibilité de mesurer, en temps de paix, les paramètres subjectifs d’un affrontement enlevait toute valeur aux résultats objectifs constatés.
comme notre adversaire potentiel, envisageaient la bataille avec emploi5, notre doctrine la récusait et ne lui accordait qu’une valeur de test6. De ce fait, toute notre manœuvre était conditionnée par cet impératif d’être en mesure d’effectuer la frappe préstratégique sur le théâtre sur court préavis. Cet impératif figeait la planification opérationnelle en une succession de volets de manœuvre stéréotypés s’appuyant sur autant de lignes de cohérences. Celles-ci facili-
Pour renforcer la dissuasion... minimiser la tactique La guerre froide, en raison de la dialectique subtile introduite par la dissuasion nucléaire et sa conception à la française, a renforcé les effets de ces aspects culturels. En effet, alors que nos alliés, tout
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taient, au plus vite, la définition d’une ligne de sûreté nucléaire qui admettait difficilement des dispositifs trop alambiqués. Ainsi donc nos grandes manœuvres de la guerre froide voyaient se dérouler un ballet bien réglé. Nos grandes unités, après une transhumance opérationnelle qui les avait amenées de ZDG en ZDI, de ZDI en ZDA, de ZDA en ZDAE, puis en ZDO, entreprenaient l’immuable manœuvre en piston de marche à l’ennemi, prise de contact, manœuvre défensive, suivie d’un ultime arrêt sur la grande coupure du moment. La séquence nucléaire scellait traditionnellement le FINEX en apothéose7.
finalités à la résolution des crises, mais elles ont surtout été caractérisées par une extension de l’emploi en tous lieux, y compris sur le théâtre africain, et par tous les belligérants, de ce qu’il était convenu d’appeler lors de la guerre froide les moyens conventionnels ou classiques. Ces actions ne sont plus virtuelles, elles entraînent le “paiement comptant” dont parlait Clausewitz, c’està-dire l’épreuve de vérité que constitue tout engagement réel. Ceci impose aux forces de détenir, d’emblée, une réelle marge de supériorité sur leur adversaire potentiel ou déclaré.
La phase défensive en constituait le point d’orgue tactique8. Jamais notre vocabulaire militaire n’a été aussi riche pour illustrer ce qui nous permettait “d’échanger du terrain contre des délais” selon les justificatifs savants de l’époque. En effet nous savions doser à la petite cuillère toute la gamme subtile des procédés qui vont du freinage dur à la défense molle, sans oublier les retours offensifs, les contre- attaques9 et autres coups dont la graduation allait ... d’épingle à ... d’arrêt, prolongé pour certains, mais souvent par essoufflement. Au niveau des corps d’armée, les rôles de la pièce étaient connus, et alternativement distribués entre l’enclume et le marteau10 selon un schéma tout aussi classique, dont la finalité ne visait pas moins à concentrer les forces de l’ennemi pour optimiser les effets de la frappe, dernier sursaut vengeur d’une bataille ingagnable.
Une évolution culturelle aux effets accrus par la technique
Privilégier les systèmes et les procédures Ainsi donc, sous la double pression de l’interopérabilité avec nos alliés de l’OTAN et de la gestion spécifique d’ensembles opérationnels complexes, s’est progressivement mis en place un ensemble de procédures et de savoir-faire techniques que l’informatisation des PC n’a fait qu’étendre et renforcer11. Dès lors la forme a pris le pas sur le fond, et la plupart de nos objectifs ont fait la part la plus belle à la maîtrise des outils et des techniques d’état-major, au détriment de l’étude de la résolution d’un ou de problème(s) tactique(s).
Un renouveau nécessaire et possible ... Grâce à des atouts Le retour des stratégies d’action Ce besoin est dû en premier lieu au retour des stratégies d’action. Ainsi les forces terrestres ont effectué en 15 ans, 20 fois plus d’interventions et d’opérations qu’au cours des trente années qui ont suivi la fin des opérations en Algérie. Toutes ces opérations ont été marquées par leur diversité, l’élargissement de leurs
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L’équilibre de la terreur avait figé les armées dans une posture d’attente stratégique. Les centres d’intérêts s’étaient portés sur la guerre dite révolutionnaire hors d’Europe et la surenchère quantitative et qualitative des armements, dans les deux blocs. Aujourd’hui la recherche doctrinale développe l’analyse et l’action sur les champs immatériels. La préparation de l’avenir est passée d’une logique de renouvellement des armements à une logique d’adaptation des équipements selon les besoins en effets à produire.
Une préparation à l’engagement opérationnel plus professionnelle Mais, les évolutions les plus sensibles ont porté sur la “professionnalisation” de notre préparation à l’engagement opérationnel. Le bien fondé de la non - dissolution de l’Ecole de guerre, au prix de sa transformation en un CSEM à 5 mois, puis le refus de sa disparition pure et simple proposée il y a peu au sein de l’Armée de terre même (!), se confirme chaque jour davantage. On a également été bien inspiré de ne pas toucher à l’Ecole d’état-major, au moment où disparaissait la seule période de formation au commandement d’un groupement tactique interarmes que constituait la préparation à l’oral du concours au CSEM. Parallèlement, les forces disposent désormais d’une véritable école d’application de la doctrine et de la tactique avec le CPF (CENTAC12 et CEPC, demain CENZUB). S’appuyant sur un ensemble d’outils de simulation qui augmentent sensiblement la rigueur et l’objectivité des exercices tactiques, ils complètent leur action de la mise en place progressive d’un concept d’évaluation à la française13 faisant une large part à l’analyse après action. Ce concept est aujourd’hui parfaitement intégré, il est non seulement accepté mais apprécié par chaque chef dans son commandement.
libres réflexions Enfin l’accroissement des opérations et des expériences opérationnelles s’est accompagné de la formalisation et de la mise en place d’une vraie politique de retour d’expériencequi, bien que perfectible, commence à fournir des enseignements validés en vue de l’adaptation et de l’évolution des doctrines et des équipements.
Un renouveau ... A quelles conditions ? Il conviendrait tout d’abord de corriger un constat récurrent portant sur une trop grande multiplicité et quantité d’objectifs à atteindre lors des exercices. Adapter l’organisation et le déroulement des exercices devrait aussi conduire à dissocier ce qui relève de la réflexion et de la maîtrise des méthodes, de ce qui relève des savoir-faire techniques14. Il conviendrait enfin de ne pas cumuler les buts d’expérimentation, d’évaluation et d’entraînement. Les phases d’apprentissage et d’instruction pourraient être faites “à la maison” à l’aide d’outils pédagogiques adaptés. Les phases d’entraînement le seraient au cours d’un exercice unique multiniveaux, tant il est vrai qu’aujourd’hui la vieille notion qui veut que l’on n’instruit qu’un seul niveau à la fois15 est de plus en plus battue en brèche par l’interaction de ceux-ci. Cette interaction n’est, d’ailleurs, que la conséquence directe du principe de modularité et d’affectation fonctionnelle des tâches16 par niveaux. En outre, les objectifs tactiques choisis ne devraient pas se contenter de faire répondre à des questions de cours telles que le recueil, l’attaque. Ils devraient faire étudier des situations nécessitant l’élaboration de MA non décrits dans le manuel et posés par l’ennemi (rapport de forces défavorable, ME atypique), par l’environnement ami (situation atypique : unité encerclée..), le terrain ou par la mission (cadre espace-temps contraint, moyens limités ou progressivement disponibles, objectif précis). Les problèmes à résoudre devraient aussi résulter d’exigences plus pertinentes. Aujourd’hui les difficultés posées aux joueurs proviennent trop souvent d’une absence de représentation des échelons supérieurs17. Ainsi l’échelon joueur reçoit une mission qui doit aussi prendre en compte les problèmes de l’échelon supérieur dans des fonctionnalités qui ne sont pas toujours les siennes (gestion de l’espace, COMOPS par exemple...) ; quand ce n’est pas l’échelon supérieur qui transpose directement sa mission18 à l’échelon inférieur. On pose ainsi à ce dernier des problèmes qui ne devraient pas être les siens et on simplifie à l’extrême ceux de son niveau. Il aura, en effet, toujours la supériorité aérienne, un rapport de forces favorable, une panoplie quasi complète de moyens en renforcement, des pertes toujours recomplétées, etc. Au
OTAN
Adapter les exercices
résultat il manœuvrera peu, ne remaniera jamais ses dispositifs, ne tiendra pas de plan de manœuvre puisqu’il sera rarement menacé.
Capitaliser les expériences et expérimenter Le RETEX et l’analyse après action qui en constitue la phase d’exécution à chaud sont des outils dont nous devons accroître l’utilité. Dans le prolongement de ce qui a été proposé sur la distinction à faire entre responsabilités de conception - décision et celles de mise en œuvre ou exécution de la décision, Il serait intéressant de dissocier les équipes 3A selon ce clivage. Ainsi l’analyse 3A du premier cercle pourrait essentiellement porter sur la tactique. Rejoignant en cela les considérations exposées ci-dessus sur la limitation des objectifs, il conviendrait de prévoir l’exécution de “rejeu” au cours des exercices. Ce “rejeu” devrait permettre, soit de reprendre une phase dont le déroulement a été insatisfaisant, soit de rejouer une phase selon un mode d’action différent. On pourrait dès lors envisager de passer au stade ultime et le plus stimulant de ce renouveau. Il s’agirait de formaliser dans la notation annuelle une appréciation sur les dispositions particulières de l’intéressé vis-àvis du cœur de son métier de chef opérationnel : le sens tactique. Cette proposition délicate aurait au moins le mérite de renforcer l’impact des notations intercalaires, celles obtenues en opération lorsqu’il aura fallu, effectivement, faire preuve des plus spécifiques qualités de chef militaire.
Chercher et enseigner Dans ce domaine, un rééquilibrage des efforts de formation au profit de l’enseignement militaire supérieur19 s’impose. La comparaison des ressources (humaines, financières, temporelles) affectées à la formation tactique d’un cadre subalterne par rapport à celles consacrées à un officier opérations de GTIA ou
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de grande unité, responsabilité qui sera souvent doublée du commandement du corps de troupe ou de la brigade correspondante, est largement en faveur du premier. Certes, il ne s’agit pas d’opposer les deux formations, mais on peut tout de même s’interroger sur la balance des investissements consentis au regard de l’importance et de la durée respectives des postes tenus20. Pour terminer sur une note d’optimisme, il faut saluer mais surtout encourager le courant extrêmement positif qui se fait jour chez nos jeunes officiers supérieurs et généraux en faveur de l’étude et de la réflexion tactique et historique21. Le renouveau est réel, il se traduit par un nombre croissant de publications de très grands intérêt et qualité.
1 Terme pris dans son sens le plus large qui inclut la doctrine, la formation, l’instruction, l’entraînement et la mise en condition opérationnelle. 2 Chacun sachant que la victoire de la Marne est due à la placidité et au calme de Joffre, et celle de 1918 à la ténacité du poilu. 3 Jugement à nuancer selon le niveau, plus celui-ci était bas, plus le contrôle était élevé et exigeant, et les armes, en particulier les armes techniques dont les savoir-faire étaient plus aisément modélisables, connaissaient des contrôles impitoyables. 4 Dont la susceptibilité était préservée par des règlements très sommaires (30 à 40 pages) à l’aspect plus littéraire que normatif, s’arrêtant au niveau division, et dont la liberté d’action était préservée par le respect jaloux du principe qui voulait que le général mette à sa main son état-major, ce qui valait ainsi au 1er CA des années 80, 4 divisions aux PC aussi dissemblables que la personnalité de leurs chefs (selon des formules, pour ne parler que de la structure globale, qui allaient de la croix de Marmon-Bocquet camouflée au fond des bois au chapiteau de cirque déployé sur la place principale des petites villes lorraines). 5 Présentation raccourcie, car en fait les doctrines ont évolué avec l’adoption de la riposte graduée et du concept d’ “Airland battle”. 6 Il est à noter que le nucléaire avait monopolisé et pétrifié toute la réflexion doctrinale. 7 Ce raccourci ne vise pas à décrédibiliser les responsables militaires de l’époque, l’ensemble de ces dispositions et de ces choix tactiques étaient dictées par les circonstances et notre position en deuxième échelon de l’Alliance. Il ne s’agit que de mettre en lumière les conséquences de la chape de plomb nucléaire sur la manœuvre des grandes unités. 8 Qui faisait effectivement travailler la tactique, mais au niveau du régiment, puisque le sous-groupement jouait rarement et que la brigade n’existait que par épisodes. 9 Outre la nécessité d’entretenir le caractère dynamique et agressif de nos manœuvres retardatrices, ceci permettait également d’alimenter la dimension médiatique naissante de notre armée mécanisée moderne par le temps fort télévisuel que constituait le “débouché“ du régiment de chars. 10 L’apparition de la FAR et d’un troisième CA aurait pu offrir des combinaisons tactiques plus intéressantes mais soit on les groupait deux à deux ou la FAR jouait toute seule, dans son coin, une manœuvre classiquement novatrice qui immanquablement voyait sa composante aéromobile devancer l’ennemi dans la profondeur, se faire rejoindre par sa composante légère blindée, qui elle-même, prenant le combat à son compte, menait une manœuvre retardatrice en direction de la dernière grande unité d’infanterie qui elle, s’étant enterrée 4 jours plus tôt, attendait un choc qui risquait d’ailleurs de lui échapper, l’auteur de ces lignes ayant assisté comme chef d’état-major de celle-ci à l’invention d’un nouveau concept tactique : la relève rétrograde, c’est-à-dire, non pas la relève d’une unité usée par une unité fraîche mais le remplacement d’une unité fraîche par une unité usée.
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Au terme de ce plaidoyer, dont nous avons bien conscience qu’il est à la fois caricatural22, brutal23, simplificateur et facile24, il nous apparaît qu’un renouveau de la tactique est possible. Les circonstances s’y prêtent, les esprits y sont favorables voire le demandent. Et pour une fois, cette démarche ne devrait pas être perçue par nos alliés comme une manifestation supplémentaire de “l’exception française”. Elle constituerait enfin une condition inéluctable et, heureuse caractéristique décisive, relativement peu onéreuse, pour accroître les performances opérationnelles de nos systèmes les plus modernes à l’heure de la miniaturisation et de la numérisation.
11 Comme souvent d’ailleurs, nous avons voulu être plus “otaniens“ que les “otaniens“ eux-mêmes en systématisant l’emploi des procédures OTAN à tous les niveaux, alors que même dans la structure intégrée, elles ne sont obligatoires que pour le niveau CA et au-dessus, les échelons subalternes conservant les procédures nationales. 12 Heureuse appellation en l’occurrence. 13 Outil de pédagogie et de progrès et non de sanction. 14 Les premiers concernent le commandeur, son premier cercle et ses subordonnés directs en charge de la planification, de la manœuvre future, et de la conduite de l’action. Les seconds intéressent les cellules de l’état-major dans la mise en œuvre de leurs procédures et le service de leurs outils informatiques. 15 Qui d’ailleurs peut rester vraie pour l’instruction dans la mesure où elle n’est pas l’entraînement. 16 Ainsi quand on veut faire jouer isolément le niveau de la brigade, on s’aperçoit que la qualité et la valeur de cet entraînement reposent sur une forte représentation du niveau 2 dont elle dépend pour la logistique, le renseignement, les appuis feux, le NBC et la gestion de l’espace. 17 Constat surtout sensible au niveau de la brigade. 18 C’est souvent le cas dans des missions de contrôle de zone où la solution de facilité consiste à répercuter en cascade la même mission à chaque échelon hiérarchique, en se contentant d’adapter le découpage de la zone par niveaux en fonction du nombre d’entités constitutives du niveau considéré. 19 Encore que dans mon esprit, les mesures visant à unifier au niveau interarmées la formation militaire du second degré se traduisent par un effort conséquent mais mal ciblé, les promotions du CID sont trop nombreuses pour effectuer une formation de qualité dans le même temps où nous manquons de tacticiens des grandes unités pour armer les PC, occuper les chaires de tactique, étoffer les 3A. 20 Tout au plus deux à trois ans au commandement de trente à quarante hommes et de 3 ou 4 engins pour le premier, 3 à 4 fois 2 à 3 ans pour le second au commandement de milliers d’hommes et de centaines d’engins. 21 Pour ne pas mettre en exergue l’appétence pour jeunes et moins jeunes pour les “jeux de guerre” informatisés. 22 Notamment à l’encontre de nos anciens qui exerçaient de lourdes responsabilités ces dernières années et dont l’action a tout de même contribué à forger des forces terrestres d’une qualité reconnue tant par nos alliés que par nos adversaires. 23 Mais il faut, hélas, souvent forcer le trait pour émouvoir, parfois en vexant, dans notre armée, sinon on a toujours tendance à se satisfaire de la situation ou à justifier l’immobilisme au nom de la préservation du moral, du respect sourcilleux du principe de précaution vis-à-vis des effets de mode, et surtout de l’attention à ne pas blesser les nombreuses susceptibilités. 24 Ne serait-ce que du fait des contraintes lourdes de nos forces en matière de temps et de moyens.
libres réflexions Armées et post-modernité uelle est la place des forces armées et notamment celle de l’Armée de terre dans les sociétés post-modernes ? Il n’y a pas de réponses aisées à cette question qui conditionne en large part l’avenir des armées. Il est généralement admis que dans les sociétés occidentales, l’apparition de nouvelles normes sociétales, les bouleversements dans les moyens de production, la révolution dans la communication transforment radicalement la relation entre État, Nation, citoyenneté et défense. Les contours mêmes des nations se sont également dilués. Si les racines profondes (histoire, culture, langue, etc.) des peuples européens demeurent fortes, ce socle est désormais affecté, depuis quelques décennies, tant par la construction européenne que par l’afflux de populations ethniquement différentes qui apportent avec elles des valeurs et des normes qui n’avaient jusqu’à récemment pas eu d’impact significatif sur le corps social européen dans son ensemble. Cette évolution, dont on ne saurait mettre en cause la réalité objective, aura des effets à long terme sur la façon dont pourrait être appréciée et qualifiée la notion de menace, et avec elle la place et le rôle des forces armées.
Q
La fin des grandes idéologies, la mise en cause de repères traditionnels (patrie, nation, etc.), l’existence de nouvelles formes d’allégeance à l’égard de l’Europe, de mouvements ou organisations transnationales, de la défense de l’environnement, des droits de l’homme, de certaines religions, pourraient en outre conduire à la dilution du sens de la menace. Une menace majeure pourrait n’être plus ressentie comme telle par d’importants segments de la population qui n’en éprouveraient pas la réalité. A l’inverse, des dangers non pris en cause par l’État pourraient être considérés comme majeurs et mobiliser des “militants” en dehors de tout contexte étatique et national.
MONSIEUR YVES BOYER*, DIRECTEUR ADJOINT DE LA FONDATION POUR LA RECHERCHE STRATÉGIQUE (FRS)
i la Nation contre laquelle s’exercerait une menace ne représente plus la même valeur que jadis pour beaucoup de nos concitoyens, il est également vrai que la notion de menace majeure s’est elle-même considérablement élargie. Dans la société internationale post-moderne, elle devient le plus souvent “dé-territorialisée”. Elle englobe aussi bien des pandémies (le virus Ebola, la pneumonie atypique), des accidents industriels majeurs (accident dans une centrale nucléaire, pollution chimique de grande ampleur, etc.), un afflux massif de réfugiés, que des actions liées à des mouvements millénaristes ou terroristes agissant en dehors de tout lien avec un État.
S
Dès lors, il est possible d’esquisser des hypothèses quant au recours à la puissance armée dans les sociétés post-modernes. Il pourrait s’opérer suivant différents modèles : - “l’outsourcing sécuritaire” : le découplage entre la fonction de défense et l’idée de citoyenneté conduirait, dans les sociétés post-modernes, à l’extension du mercenariat et à terme à la privatisation de la fonction militaire ; une situation qui prévalait en Europe avant l’apparition de l’Etatnation ;
ADJ Jean-Raphaël DRAHI/SIRPA Terre
PAR
- “la militarisation sociétale” : à l’inverse de l’hypothèse précédente, sous l’effet d’une confusion croissante entre menaces externes et internes liées au terrorisme, on assisterait à une militarisation de la société sous la pression d’une demande sécuritaire croissante ; - “la sécurisation globale” : la fin des armées traditionnelles s’opèrerait à travers la construction d’un ensemble de missions “ tous azimuts ” placées sous l’égide d’une entité multinationale et du ressort d’une sorte de “milice” internationale.
Si l’on n’y prend garde ces hypothèses pourraient devenir, sous une forme ou une autre, réalité à plus ou moins longue échéance. En effet, un demi-siècle de paix relative a conduit la population européenne à devenir largement étrangère aux affaires de défense. Le souvenir d’un passé méconnu et jugé parfois trop militariste accentue la méfiance de l’opinion, si ce n’est son aversion, pour les choses militaires. Sur le long terme, une telle attitude aura sans aucun doute des effets profonds. Une part importante de l’élite de la jeunesse européenne ignore la carrière des armes. Par exemple, seulement deux à trois jeunes Polytechniciens choisissent par promotion la carrière des armes, un renversement de tendance considérable en une cinquantaine d’années. Les budgets de la défense deviennent difficiles à justifier. Les observateurs les plus pessimistes vont jusqu’à partager les vues de l’historien militaire britannique Sir Michael Howard, selon lequel en Europe, “les vertus militaires, fruit de siècles d’expérience finiront par être oubliées”1. Les dirigeants politiques ne sont pas immunisés contre cette évolution. Parfois même, ils sacrifient le court terme par l’engagement trop fréquent des forces armées, et particulièrement les forces terrestres, dans des opérations de basse intensité qui finissent, du fait de leur coût et de leur durée, par porter préjudice à l’entraînement et au renouvellement des équipements.
L’Armée de terre a tout à perdre dans le long terme à vouloir prétendre systématiquement “montrer le drapeau” pour justifier son rôle. Comparaison n’est pas raison. Toutefois, le passé abonde en exemples où la meilleure armée n’est pas nécessairement celle qui s’est le plus fréquemment engagée dans des opérations de “petite guerre”. Il ne faudrait pas, à l’instar de l’armée du second Empire engagée avec brio sur des théâtres extérieurs mais défaite sur le champ de bataille européen, que l’Armée de terre sacrifie avec trop d’empressement le long terme et finisse par trop oublier et trop négliger, faute de moyens supplémentaires, les conditions du combat de haute intensité et en paye alors, avec le pays, le prix fort.
* Egalement président de la Société française d’études militaires. Responsable à l’École polytechnique d’un enseignement magistral sur les problèmes contemporains de défense ; maître de conférence à l’Institut d’études politiques de Paris chargé d’un séminaire portant sur les “ Concepts et doctrines militaires ”. Professeur associé à l’École spéciale militaire de Saint-Cyr chargé de l’option “ La politique militaire américaine “. 1 Michael Howard, War in European History, Oxford University Press, 1984.
L’action terrestre dans la résolution des crises a marqué la décennie qui vient de s’écouler. Il fallait en effet, pour l’essentiel, solder en Europe et dans sa périphérie les suites de la recomposition de la scène internationale après la disparition du monde soviétique. Ces actions se sont déroulées dans un environnement complexe et difficile mais sans opposition militaire majeure. Cette situation n’est pas nécessairement la norme pour les 10/15 ans à venir. Qui pourrait, en effet, prendre le pari que ce siècle sera épargné par les foudres de grands affrontements militaires ? Il convient dès lors de continuer à moderniser l’Armée de terre en lui donnant en particulier puissance de feux et davantage de moyens lourds pour se préparer à des affrontements majeurs et peser dans le cadre d’une coalition européenne et atlantique. Les opérations de stabilité pourraient être davantage du ressort de ceux de nos partenaires européens dont les efforts de défense sont modestes. A l’Armée de terre française, et sans doute à son homologue britannique, reviendraient les actions militaires les plus vigoureuses qui s’inscrivent sur le spectre le plus haut de la violence armée.
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essence interarmées par nature, une action militaire en zone urbaine doit être prise en compte au niveau opératif comme une action impliquant plusieurs composantes fonctionnelles simultanément (JFAC1, LCC2, MCC3, CJSOTF 4, etc.). Le commandant de l’opération (COMANFOR : COMmandant des FORces) doit désigner la composante menante et les composantes concourantes selon le principe du “supported - supporting” (menant-concourant). Il est essentiel dans ce choix de prendre en compte le besoin temps réel de la transmission des informations vers la structure de commandement déployée, afin de donner au décideur une représentation claire du théâtre d’opération (COP : Common Operational Picture) et le maximum d’éléments pour qu’il puisse décider avec clairvoyance. Mais il est nécessaire, une fois ces considérations opératives établies, d’aborder le domaine tactique nous conduisant à identifier trois grands axes de réflexion pour aborder la problématique de l’appui aérien en zone urbaine : les tactiques utilisées, le besoin d’informations précises et actualisées, et la nécessité d’entraîner les acteurs (équipages et les TACP5). C’est l’objet de cet article.
D’
La synergie des composantes au niveau tactique C’est bien la synergie entre les composantes aérienne et terrestre (ou forces spéciales) qu’il s’agit de mettre en œuvre pour réussir ce type de mission. La composante terre (ou forces spéciales) fait remonter en temps réel la présence d’ennemis dans la zone urbaine, dans le même temps la composante aérienne propose l’armement adapté pour neutraliser la menace. Ces informations sont transmises aux centres de commandement ce qui permet de décliner les actions de niveau tactique. La première des tactiques à envisager concerne la prise en compte de la menace antiaérienne. L’environnement urbain présente une excellente couverture pour des systèmes d’armes, ce qui les rend difficiles à localiser et à prévenir. Le toit d’un immeuble est un site privilégié pour un missile sol-air, un véhicule civil peut abriter de l’artillerie antiaérienne de moyen calibre. Il faut donc réduire au maximum l’exposition des avions en limitant leur temps de vol audessus de la zone urbaine. L’avion doit éviter de survoler la zone lors de son circuit d’attente, ce qui impose au TACP d’être sur un point haut pour maintenir le contact radio et le visuel de la cible. Une attention toute particulière doit alors être portée en cas d’utilisation d’un “FAC airborne”6 à la verticale de l’objectif. La proximité entre l’objectif, la population civile et/ou les troupes amies doit toujours être présente à l’esprit. Cette exiguïté de la zone d’action impose le choix
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d’un axe d ‘attaque qui permette à l’équipage de toujours conserver le visuel de sa cible lors de sa passe de tir. Les effets de l’armement utilisé doivent être parfaitement connus du TACP qui seul peut juger des risques encourus par l’environnement direct de l’objectif et de la pertinence de l’effet de la munition visà-vis de l’effet recherché. L’utilisation d’armement de précision à guidage terminal humain (laser, caméra thermique, etc.) doit être systématiquement retenue. En cas d’utilisation de capteurs infrarouge, il faut prendre en compte l’échauffement supérieur d’une zone urbaine qui peut perturber la discrimination entre les différentes signatures infrarouge. Dans tous les cas il est absolument nécessaire de s’assurer que la munition ira au but (trajectoire dégagée, masque d’illumination), car le milieu urbain est dense et la confusion entre deux immeubles ou deux rues est aisée. Les données transmises à l’équipage (CAS control card) ne suffisent plus ; en dehors de repères caractéristiques (grand immeuble, forme remarquable, etc.) la description de l’objectif est plus difficile que dans une zone plus rurale (où il est plus facile de matérialiser pour le TACP et pour l’équipage une longueur de référence). Un besoin d’informations très précises et actualisées est donc nécessaire à la réussite de la mission.
Le temps réel : réponse au besoin d’informations précises et actualisées Ce besoin doit être centré sur l’objectif et son environnement direct. L’objectif doit être clairement identifié par les acteurs (TACP, équipage) sans qu’il y ait le moindre doute, l’environnement de l’objectif (présence de civils ou de troupes amies) nécessite un suivi le plus fin possible de la manœuvre en cours. Il est donc de la responsabilité des structures C27 d’actionner leurs capteurs (satellites, avions de reconnaissance, drones, appareil numérique au sol...) et de s’assurer de la transmission des images acquises en temps réel aux acteurs. L’identification claire d’un objectif en milieu urbain peut se faire à l’aide d’une photographie renseignée ou grâce à l’extraction extrêmement précise des coordonnées. Une photographie renseignée facilitera le repérage des lieux, limitera le temps d’exposition de l’aéronef, et si nécessaire, aidera l’équipage à l’acquisition visuelle de l’objectif une fois la photographie brute réalisée. Son habillage peut se faire au moyen d’une grille de référence comme suit (extrait de l’AJP 3.3.2.1) Il est alors nécessaire de disposer d’une boucle courte entre les acteurs sur le terrain et les équipages en vol pour raccourcir les délais de transmission de cette image référencée.
libres réflexions Une attention particulière doit également être apportée à l’extraction de coordonnées. Les armements stand off ne nécessitant pas l’acquisition visuelle de l’objectif par l’équipage, le système qui permet d’extraire les coordonnées doit être le plus fiable possible. Quant à l’environnement de l’objectif, sa connaissance est indispensable pour éviter les dommages collatéraux et les tirs fratricides. La situation en milieu urbain évoluant rapidement et de façon aléatoire, il est nécessaire, afin d’évaluer au mieux l’environnement et pour appréhender au plus vite les évolutions du contexte de l’engagement, de disposer d’une cellule air directement rattachée au PC mobile présent sur le terrain. Les spécificités de l’appui aérien en zone urbaine nécessitent un entraînement pertinent et réaliste pour atteindre un haut niveau d’efficacité.
QUADRILLAGE URBAIN “Bravo-1, coin sad. Tireur d’élite, fenêtre au dernier étage”.
QUADRILLAGE DE LA ZONE D’OBJECTIF
L’importance de l’entraînement De même que pour les autres types de missions de l’arme aérienne, la devise du “ train as you fight ” s’applique au CAS urbain. Si actuellement l’entraînement aux missions d’appui aérien est régulier, il n’existe pas de réelle possibilité d’entraînement en milieu urbain. A l’horizon 2006, le Centre d’entraînement aux actions en zone urbaine (CENZUB) verra le jour sur le camp de Sissonne. Ce site reproduira dans un premier temps un centre-ville, pour à terme constituer un ensemble complet intégrant une zone pavillonnaire ou encore une zone industrielle. Si ce centre a pour vocation première l’entraînement des sousgroupements tactiques interarmes (SGTIA) de l’Armée de terre, il offre également d’excellentes possibilités pour effectuer des missions d’appui aérien en conditions réelles (illumination laser par exemple). Cette plate-forme d’entraînement constitue un outil unique pour appréhender les spécificités de l’appui aérien en zone urbaine qui place les acteurs, en vol et au sol, en situation la plus réaliste possible.
“Echo -2, entrée principale sur la rue Elm”.
* du Commandement de la défense aérienne et des opérations aériennes (CDAOA). 1 Joint Force Air Component Command. 2 Land Component Command. 3 Maritime Component Command. 4 Combined Joint Special Operation Task Force. 5 TACP : Tactical Air Control Party : équipe de guidage avancée au sol. 6 FAC airborne : Forward Air Controller : guideur avancé depuis un aéronef. 7 Commandement et conduite.
Les opérations actuelles démontrent le besoin croissant d’intervention en zone urbanisée. Si l’appui aérien en zone urbaine est une mission d’appui aérien à part entière, elle présente des particularités qui méritent d’être soulignées de façon à préparer au mieux les forces qui le mettront en œuvre. La doctrine de l’appui aérien centré sur le feu en cours de rédaction y consacrera d’ailleurs un chapitre particulier.
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La sous-utilisation des forces terrestres alliées, en Europe, pendant les deux guerres mondiales Le progrès technique, extrêmement rapide, qu’ont connu les armées des pays industrialisés, pendant la première moitié du XXe siècle, parait avoir relativisé le rôle des forces terrestres au profit de la marine et de l’aviation pendant les deux guerres mondiales. La manière, dont les Alliés ont chaque fois mené la lutte contre l’Allemagne, paraît d’autant mieux confirmer cette idée qu’ils combattaient une puissance dont les bases étaient essentiellement terrestres. La bataille décisive dans laquelle ils ont, comme leur adversaire, longtemps placé la solution au conflit ne s’est jamais produite et, contrairement à ce dernier, ils ne sont pas davantage parvenus à opérer une percée de quelque importance 1. La suprématie navale britannique a, en revanche, fortement influencé l’issue de la guerre, en permettant aux Alliés de disposer d’un abondant ravitaillement, tout en privant l’Allemagne des ressources dont avait besoin son économie. Pendant la Seconde Guerre mondiale, les forces aériennes ont joué un rôle tout aussi décisif dans la victoire alliée. Dès la fin 1942, l’aviation tactique a sérieusement entravé la liberté d’action des forces terrestres allemandes, en attendant que les bombardements stratégiques achèvent de les paralyser en faisant chuter la production de carburant, à partir de l’automne 1944. Cependant, les Anglo-saxons - qui furent les seuls belligérants de la Seconde Guerre mondiale à disposer d’armées entièrement mécanisées ou motorisées - ne progressèrent qu’avec beaucoup de peine en Italie, puis en Normandie. Malgré l’effondrement qu’y connut la Wehrmacht en août 1944, ils ne parvinrent pas à empêcher celle-ci de replier une grande partie de ses forces, puis de se rétablir sur les frontières du Reich dès septembre. Le déroulement des opérations n’était guère plus satisfaisant que pendant la bataille de France de 1918, au cours de laquelle les Alliés avaient repoussé le front allemand sans jamais parvenir à le rompre, en dépit de l’énorme supériorité matérielle dont ils disposaient2. Ce décalage entre les moyens mis en œuvre et les résultats obtenus, amène à se demander si le faible rendement des opérations terrestres menées par les Alliés, n’a pas davantage découlé de leur difficulté à tirer parti du progrès technique que d’un réel amoindrissement de leur rôle.
PAR LE
COMMANDANT CHRISTOPHE GUÉ, CHEF DU COURS D’HISTOIRE MILITAIRE AUX ÉCOLES DE ST-CYR - COËTQUIDAN
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UN RENDEMENT INSUFFISANT, COMPENSÉ PAR LA PUISSANCE NAVALE
(1914-1918) L’échec des plans de 1914 et l’apparition de fronts immobiles, constituent un exemple frappant - valable pour les deux camps - des conséquences du sousemploi des possibilités offertes par le progrès technique, en matière d’opérations terrestres. Alors que les transports stratégiques, qui utilisent au mieux la vapeur, permettent de déployer d’immenses armées et de les ravitailler de manière ininterrompue lorsqu’elles se tiennent sur la défensive, les déplacements tactiques, qui ignorent pratiquement l’emploi du moteur à explosion, pourtant au point depuis plusieurs décennies 3, s’effectuent à pied ou au moyen de convois hippomobiles. En conséquence, dans les rares cas où la rupture des lignes ennemies est réalisée - avec l’appui d’énormes concentrations
retour d’expérience de feux - le succès ne peut être exploité. La lenteur avec laquelle les renforts et le ravitaillement sont acheminés interdit qu’il en soit autrement.
donnent les moyens de reprendre l’offensive en 1918. Les armées alliées sont alors plus éloignées de celles de 1914 qu’elles mêmes ne l’étaient des armées napoléoniennes. Disposant d’environ 4000 chars et d’une formidable artillerie, elles sont soutenues par un parc automobile de 200 000 véhicules et appuyées par 6 000 avions5.
Les Alliés espèrent que le blocus, dans lequel ils enserrent l’Allemagne dès la fin 1914, les aidera à sortir rapidement de l’impasse en affaiblissant ses défenses. C’est compter sans la capacité d’adaptation de l’économie du Reich. Celle-ci parvient, en effet, à différer les effets du blocus, grâce aux importations effectuées par l’intermédiaire des pays neutres limitrophes et à une gestion serrée de ses stocks, conjuguée à la production d’ersatz.
Cependant, les difficultés que cause aux Alliés le maniement de ce formidable outil de combat permettent aux Allemands de se replier en bon ordre. Au moment où une percée devient enfin possible, en Lorraine 6, l’armistice est signé. L’annulation de cette opération a de lourdes conséquences : la défaite de leurs armées n’apparaissant pas de manière évidente, les Allemands l’imputent bientôt au “coup de poignard dans le dos ” dont ils auraient été les victimes. Leur volonté de revanche s’en trouve d’autant plus exacerbée que les conditions imposées par le traité de paix de Versailles sont inacceptables pour eux.
Le faible rendement et le coût des assauts que multiplient les Alliés, les amènent à réaliser que la solution, à la situation de blocage qu’ils subissent, passe par une amélioration de la mobilité tactique de leurs unités. Les efforts impressionnants que soutiennent, à partir de 1916, leurs industries de guerres - alimentées par les ressources arrivant par voie de mer4 - leur
ECPAD
Convoi automobile français en 1918 Avec les 200 000 véhicules automobiles qui assurent leur soutien en 1918, les armées alliées possèdent une mobilité tactique sans comparaison avec celle des premières années du conflit. Elles ne parviennent toutefois pas à tirer tout le parti possible de ce formidable potentiel, comme en témoigne leur incapacité à empêcher le repli, en bon ordre, des armées allemandes.
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L’ÉCHEC DES RECETTES DE 1914-1918
Détail d’un dessin de J. Simon représentant une attaque de chars B1, appuyée par l’aviation.
FACE AUX NOUVELLES FORCES TERRESTRES ALLEMANDES
Les chars français de 1940 possèdent une bonne protection et une puissance de feu satisfaisante. L’exiguïté de leurs tourelles toutes monoplaces - , le manque de mobilité et d’autonomie dont ils souffrent (à l’exception du Somua), ajoutés à de graves insuffisances en matière de transmissions, les rendent, en revanche, inaptes au combat interarmes, pour peu que les opérations soient menées selon un rythme rapide.
La possibilité de mener des opérations contre des objectifs situés dans la profondeur, ou de s’opposer à de telles opérations, ne les préoccupe guère, en dépit des possibilités offertes par le moteur à explosion et la radio. Seuls les Allemands et les Soviétiques s’intéressent au niveau “opératif ” qui vise à faciliter l’obtention de résultats tactiques importants, tout en permettant de les faire concourir, au mieux, à la réalisation des buts stratégiques. La décision que prend le haut commandement français, en novembre 1939, de se passer de la réserve générale que constituait la VIIe armée du général Giraud, témoigne du décalage dont souffrent les conceptions alliées par rapport aux réalités. A la mission, qui lui est initialement dévolue, on préfère consacrer cette armée, plus mobile que les autres, à une intervention en Belgique et aux Pays-Bas, afin d’y devancer les Allemands et de leur interdire de disposer de bases aériennes et sous-marines, susceptibles de menacer la Grande-Bretagne 7. Davantage qu’au manque d’engins motorisés et de chars, ou même qu’à leur dispersion8, ce sont la sous-estimation de la guerre de mouvement9 et l’insuffisante maîtrise du combat interarmes - sans laquelle elle ne peut être conduite - qui valent aux Alliés d’être battus en 1940.
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Extrait de : l’Illustration, N° 5074 du 1er juin 1940.
Le danger que crée, à terme, cette situation, pour les démocraties occidentales, est aggravé par l’oubli dans lequel tombent les enseignements tirés pendant les derniers mois de la guerre. Le blocage de la tactique, qui a caractérisé le conflit, conjugué à l’absence d’effondrement du front allemand, en 1918, a contribué à accréditer l’idée que les opérations terrestres ne pouvaient être menées autrement que de manière processionnelle et qu’il était aisé de leur faire obstacle au moyen de solides fortifications. Ceci encourage Français et Britanniques à placer la solution à la guerre qui s’annonce dans un nouveau blocus. A l’abri de leurs défenses, ils espèrent pouvoir ainsi créer le rapport de forces avantageux qui leur assurera la victoire, comme en 1918.
Leur défaite sur le continent, à laquelle s’ajoutent les campagnes victorieuses que mène l’Allemagne en 1941, rend finalement illusoire l’affaiblissement de celle-ci au moyen d’un blocus.
LA PUISSANCE MATÉRIELLE ET LE BOMBARDEMENT AÉRIEN AU SECOURS DE FORCES TERRESTRES PEU MANŒUVRIÈRES
Les Anglo-américains misent alors sur le bombardement aérien stratégique, dont ils envisageaient le recours dès avant la guerre : il s’agit de s’attaquer au potentiel industriel de l’ennemi, directement - par la destruction des infrastructures, et indirectement - en prenant pour cible la population civile dont on espère ainsi briser le moral. Les Britanniques consacrent 40% de leur effort de guerre à cette tâche11. Les résultats qu’ils obtiennent pendant l’été 1943
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les conduisent à espérer - Churchill le premier - que l’Allemagne déposera les armes avant la fin de l’année. Ils comptent ainsi éviter la répétition des coûteuses offensives terrestres de 1914-1918. Les aviateurs américains sont également persuadés de l’efficacité des raids aériens stratégiques. Cependant, ces bombardements, qui font le jeu de la propagande nationale-socialiste, ne parviennent pas à entamer la détermination des Allemands à poursuivre la lutte. Ces derniers dispersent et enterrent leurs usines, dont les performances atteignent des sommets inégalés pendant l’automne 1944. Ce n’est qu’après le débarquement de Normandie que la stratégie aérienne alliée devient réellement efficace. L’avance des armées alliées désorganise, en effet, progressivement, la couverture
retour d’expérience antiaérienne allemande et permet l’installation de bases qui rapprochent du Reich les chasseurs d’escorte et les bombardiers légers. Les forces terrestres, qui bénéficient en outre d’un appui aérien particulièrement efficace, n’en progressent pas moins avec peine. Cela tient encore une fois à leur sous-utilisation. Désireux d’agir sans prendre de risques, les chefs alliés n’exploitent pas la mobilité et l’aptitude au combat interarmes de leurs divisions et de leurs combat commands.
Entre le niveau tactique, celui de l’affrontement, et le niveau stratégique, celui de la décision d’engagement des armées en vue
de buts précis, sur un théâtre d’opération donné, il manque toujours un niveau “opératif ”12. Dans ces conditions, les directions de progression des forces alliées sont la plupart du temps prévisibles, comme en Italie, où elles se contentent de suivre les vallées. La manœuvre, à travers les monts Aurunci, que conçoivent les généraux Giraud et Juin sur ce théâtre d’opération, et qui permet de rompre la ligne Gustav en mai 1944, ou la chevauchée de la IIIe armée du général Patton en Normandie, qui aboutit à l’encerclement de la VIIe armée allemande, demeurent des exceptions. Les Français ont, en effet, de la peine à faire accepter un plan jugé “inimaginable” par le commandant en chef des armées alliées en Italie13 ; quant à Patton, qui pensait, à l’instar de ses chefs, que l’ère
des manœuvres dans la profondeur était révolue, son succès résulte surtout de l’entêtement d’Hitler à vouloir contre-attaquer en direction d’Avranches. La réussite de l’opération reste d’ailleurs partielle, dans la mesure où près de la moitié des effectifs de la VIIe armée parviennent à s’échapper de la poche de Falaise. Omettant de couper la retraite allemande à hauteur de la Seine, les Alliés sont bientôt ralentis par des problèmes de logistique, qui découlent, entre autres, de la trop grande dispersion de leurs efforts. L’arrêt de la progression14 permet à la Wehrmacht de reconstituer un front, puis de passer à la contreoffensive. Les Alliés ont laissé échapper l’occasion qui se présentait à eux de vaincre avant la fin 1944.
Le monastère du Monte Cassino après les combats
US ARMY
Pendant quatre mois - de la mi-janvier à la mi-mai 1944 - les attaques trop directes que mènent les Alliés pour faire tomber les défenses du mont Cassin, qui commandent la route de Rome, échouent les unes après les autres. C’est la rupture du front allemand opérée par le corps expéditionnaire français, en pleine montagne, 15 km plus au sud, qui contraint finalement la Wehrmacht à lâcher prise.
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La diversification des outils de combat auquel a mené le progrès technique, de la fin du XIXe siècle à celle de la Seconde Guerre mondiale, a rendu la conduite des opérations terrestres de plus en plus complexe. Ceci est d’autant plus vrai que le milieu dans lequel elles se sont déroulées a lui-même continuellement évolué, avec le développement de l’urbanisation et d’infrastructures ou de réseaux d’une densité croissante. Les forces terrestres ne pouvaient réagir autrement qu’en améliorant la coopération interarmes et en combinant, toujours plus étroitement, leur action avec celles des autres armées. Mais, contrairement à ce que croyaient les Alliés, il était illusoire d’espérer que l’on pourrait, pour autant, faire l’économie de l’effort d’imagination et de la prise de risques sans lesquels aucune manœuvre n’est possible. La volonté de n’agir qu’à coup sûr, ne fit que réduire l’ampleur des résultats à moyen terme et accroître les difficultés à plus longue échéance. Ceci est surtout vrai du second conflit mondial, dont la durée et le coût furent considérablement augmentés par la sous-utilisation du potentiel terrestre allié. Un tel rejet du risque était sans doute encore moins adapté aux conflits de la décolonisation. Ceux-ci ne firent que confirmer le rôle essentiel que conservaient les forces terrestres au XXe siècle. D’une ampleur réduite, ces conflits ne mettaient certes pas en jeu le sort des nations industrielles. Cependant, l’absence de contrôle étroit de leurs opinions qui en résultait, conjuguée au fait que la lutte était menée contre des adversaires pratiquant la guerre totale et utilisant au mieux les médias, les rendait tout aussi complexes. Il était, en effet, nécessaire que les opérations, qui avaient pour enjeu le contrôle de la population, fussent conduites avec autant de discernement et d’imagination que d’audace, toute “ bavure” pouvant avoir des conséquences catastrophiques sur la liberté d’action des forces.
1 Sauf en Macédoine, où l’offensive francoserbe de septembre 1917 bénéficia d’un contexte particulier. 2 Alors que leur ennemi, moins bien équipé, était lui-même arrivé à réaliser des percées spectaculaires quelques mois plus tôt. 3 Le principe en a été découvert, en 1862, par le Français Beau de Rochas et appliqué, en 1867, par l’industriel allemand Otto. En 1914, les armées ne comptent pourtant que 8 500 véhicules automobiles pour la France, 827 pour la Grande-Bretagne et 4 000 pour l’Allemagne. 4 En dépit de la guerre sous-marine, qui les menace d’asphyxie à la fin du printemps 1917. 5 Chiffres de novembre 1918, sur le front occidental. A la même époque, les Allemands n’alignent que 1 800 avions, 40 000 véhicules automobiles et quelques dizaines de chars. 6 L’offensive de Lorraine devait débuter le 14 novembre. 7 Cette décision aboutit à l’abandon du plan Escaut, qui prévoyait que l’avance alliée se limiterait au cours de cette rivière, en amont de Gand, et à son remplacement par le plan Dyle. 8 Il est à noter que la dispersion des unités blindées, fut l’une des caractéristiques de la bataille défensive, considérée comme un modèle du genre, que les Allemands menèrent en 1944, en Normandie.
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9 Qui amène le GQG à considérer que rien ne presse lorsque, le 12 mai 1940, les Allemands atteignent la Meuse. On estime, en effet, que le franchissement du fleuve ne peut se faire sans l’appui d’une puissante artillerie qui ne sera pas prête avant 5 à 6 jours. Dans les faits, l’infanterie passe la Meuse, dès le 13 mai, et les chars, dès le 14. 10 Que la coopération économique germanosoviétique compromettait, d’ailleurs, dès les origines. 11 Cf. Philippe Masson, Une guerre totale, 1939-1945, Paris, Tallandier, 1990, p. 284. 12 Celui-ci n’apparaîtra qu’après la guerre du Vietnam, avec la doctrine Airlandbattle. 13 Cf. général Chambe, Le Maréchal Juin “ Duc du Garigliano”, Paris, Plon, 1983, p. 223. 14 Alors qu’ils “disposaient [...] d’une supériorité numérique de 20 contre 1, en matière de chars, et de 25 contre 1, en matière d’aviation ”. Liddel Hart, Histoire de la Seconde Guerre mondiale, Paris, Fayard, 1973, p. 562.
ERRATUM Dans l’article “ L’opération Concordia/Altaïr en Macédoine ” paru dans la rubrique RETEX du N° 06 de DOCTRINE, la fonction attribuée à l’auteur, le Colonel Pierre AUGUSTIN, n’était pas la bonne. Cet officier supérieur n’était pas sous-chef d’étatmajor OPS-LOG de l’EUROFOR, mais sous-chef opérations (DCOS for Operations) à la fois pour l'EUROFOR et l'EUFOR, mais aussi commandant du contingent français (National Contingent Commander - NCC) et REPFRANCE de l’opération Altaïr. Le Colonel AUGUSTIN voudra bien nous excuser de cette erreur.
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retour d’expérience
La réaction internationale lors de la révolte des Boxers en Chine (1900) : une intervention suivie d’une stabilisation Lorsque Fukuyama prophétisa la “fin de l’histoire”, il fut, à tort, voué aux gémonies. En effet, la fin de l’histoire qu’il évoquait n’était que celle de la guerre froide, née allégoriquement avec le discours prononcé à Fulton par Churchill et morte à Berlin en 1989. La fin de la guerre froide fut aussi marquée, dans un registre différent, par un phénomène unique dans l’histoire militaire occidentale, aussi unique qu’inaperçu d’ailleurs, celui de la fin de la guerre... dans le vocabulaire. Avec la “Révolution dans les affaires militaires” le mot guerre céda progressivement la place à celui de conflit, quand il ne fut pas simplement remplacé, dans une inversion dialectique intéressante, par celui de paix. La guerre devint, dans le langage courant comme dans la terminologie professionnelle, “conflit” de haute ou de basse intensité, symétrique ou asymétrique, en français comme en anglais. La “paix” la remplaça lorsqu’il s’agit de la maintenir, de la renforcer, etc. Notons enfin que cette règle nouvelle, comme toutes les règles, connut d’emblée ses premières exceptions en 1990 avec la première guerre du Golfe, puis la guerre en Tchétchénie, la deuxième guerre du Golfe et la guerre contre le terrorisme. Néanmoins, ces évolutions lexicales, qui reflètent les évolutions d’une représentation occidentale du monde, dissimulent maladroitement une réalité éternelle dans son humanité : la guerre, ce phénomène social que Gaston Bouthoul définissait comme étant un “affrontement violent entre groupes humains organisés” demeure.
COLONEL FRÉDÉRIC GUELTON, DU SERVICE HISTORIQUE DE LA DÉFENSE DIVISION TERRE
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PAR LE
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e préambule sémantique impose de s’interroger sur la nouveauté du monde qui nous entoure, sur les évolutions, réelles, “révolutionnaires”ou imaginées des “affaires militaires”.Il nous conduit à observer, avec un regard critique, le passé à partir du présent, en nous affranchissant de la tyrannie des mots. Cet affranchissement nous pousse à refuser de faire “du passé table rase” car en définitive si nous vivons le présent, seul le passé - fût-il immédiat - nous permet de réfléchir l’avenir. Il nous permet de remarquer que la projection de force est proche de l’envoi d’un corps expéditionnaire, que l’opération de maintien de la paix nous rappelle la pacification, etc. en nous souvenant, par exemple que dans son ordre du jour aux forces qui embarquaient à Toulon pour le Levant en 1860 afin d’y séparer Druzes et Maronites qui s’entretuaient, l’amiral Beaufort d’Hautpoul déclarait en substance “(...) vous y accomplirez une mission d’humanité (...)” !
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Tout cela nous amène à considérer que les réflexions quotidiennement menées sur les conditions nouvelles d’engagement des forces méritent encore aujourd’hui, en dépit de la RMA (sic) d’être éclairées par la lumière d’un passé dont la distance au présent n’est ni un obstacle ni une entrave mais une richesse nouvelle. Les exemples deviennent alors légions. Retenons en un seul pour commencer, celui de l’intervention internationale en Chine en 1900 lors des événements aujourd’hui connus sous le nom de “révolte des Boxers ” et sous le titre du film qui leur fut consacré “Les 55 jours de Pékin”. Pourquoi un tel choix ? Parce qu’il pose clairement la question de la gestion opérationnelle, en temps de paix puis de crise des effectifs disponibles, engageables et engagés, instantanément puis au rythme des décisions politiques, natio-
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nales et internationales afin d’assurer avec le vocabulaire actuel - une opération de protection et d’extraction de ressortissants internationaux, de rétablissement de la paix puis de stabilisation...
L’histoire commence au début de l’année 1900, lorsque les sociétés secrètes chinoises dites “de la Justice et du poing ” (Yi-hu-Tsuann) plus connues sous le nom générique de “ Boxers ”, animées d’une haine farouche contre les étrangers, décident de les chasser et de détruire le danger qu’ils représentent, à leurs yeux, pour la culture chinoise. Parmi leurs nombreux objectifs, souvent diffus, les légations étrangères de Pékin (France, Allemagne, Grande-Bretagne, Russie, Etats-Unis, Italie, Autriche-Hongrie, Japon) et les concessions de la région de Tien-Tsin apparaissent en bonne place.
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Au cours de ce round d’observation qui va durer 3 semaines, les diplomates s’activent et obtiennent, l’inquiétude grandissant, que des renforts nombreux soient envoyés vers Pékin. Une colonne de secours se constitue dans la région de Tien-Tsin. Forte d’environ 2 000 hommes, elle est commandée par un Britannique, le vice-amiral Seymour. Sa constitution prend une dizaine de jours. Lord Seymour
donne l’ordre de départ, en train, le 10 juin. A peine a-t-elle quitté Tien-Tsin que cette colonne de secours est harcelée puis assaillie par les “ rebelles ” Chinois qui parviennent à ralentir puis à stopper sa progression quatre jours plus tard, le 14 juin. Enthousiastes et prenant conscience de leur force réelle, les Chinois marchent sur Tien-Tsin qui tombe le lendemain. La prise symbolique de Tien-Tsin a un retentissement important parmi les Chinois. La dissuasion opérée par les quelque 500 hommes armés des légations cesse alors. Lui succède l’assaut mené par les Boxers contre les légations à partir du 20 juin.
semaines parviennent à peine à éviter la destruction de l’un d’eux et à assurer leur propre sécurité au prix d’une centaine de morts et de plus de 200 blessés. Au fil des jours, la situation générale se dégrade et les chancelleries s’agitent. Les Chinois poussant leurs avantages vers la mer tentent de venir à bout de la résistance des légations et de couper la Chine du monde extérieur afin d’éviter l’intervention d’une flotte coalisée. En vain. Peu à peu une flotte forte de 5 navires de ligne, 25 croiseurs et 6 canonnières, se concentre en rade de Takou. Des contingents russes, japonais, britanniques, français, américains sont quotidiennement mis à terre. Mais, même si le temps presse, la pression chinoise, la défaite de Seymour et les problèmes de coordination et de commandement interdisent un départ rapide vers l’ouest, en direction de Tien-Tsin et Pékin. Les effectifs en mesure d’être engagés atteignent puis dépassent les 4 000 hommes dans la deuxième semaine de juillet. Le corps international qui se constitue, simple juxtaposition de contingents nationaux, part enfin vers Tien-Tsin. La ville est atteinte puis reprise le 14 juillet au prix de pertes qui dépassent 1 000 hommes.
Au moment où les légations subissent les premiers assauts chinois, la pression exercée sur la colonne Seymour est telle qu’elle doit battre en retraite dans des conditions extrêmement difficiles, non plus par le train, les voies ayant été détruites, mais en jonque et à pied, sous la menace d’une destruction totale. Le 25 juin, elle abandonne les jonques sur lesquelles étaient transportés environ 200 blessés. Elle ne doit son salut, dans les jours suivants, qu’à l’arrivée d’une nouvelle colonne de secours de 2 000 hommes. Ainsi, alors que les quelque 500 défenseurs des légations, présents sur les lieux avant le début de l’insurrection, ont d’abord joué un rôle dissuasif évident, avant d’être contraints d’engager le combat, deux “paquets ” de 2 000 hommes envoyés à leur secours avec un décalage de plusieurs
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Dès que les diplomates en poste à Pékin ont vent des menaces qui pèsent sur eux, ils font feu de tous bois pour recevoir une aide militaire immédiate. Les quelques militaires présents sur place renforcés par des marins fournis par les bâtiments de guerre à l’ancre en rade de Takou à quelque deux cents kilomètres de là et une centaine de volontaires civils permettent d’organiser une petite force d’environ 500 hommes qui rejoint Pékin entre la fin du mois de mai et le début du mois de juin 1900. Ils ne disposent, outre l’armement léger, que de deux canons de petit calibre et de deux mitrailleuses. Ils font face à plus de 6 000 Boxers menaçants, renforcés de troupes régulières chinoises bien équipées et dotées d’une artillerie relativement importante. Immédiatement disponibles ils participent probablement, dans un rapport de forces totalement défavorable de 1 contre 15, à éviter que l’assaut contre les légations ne soit immédiatement déclenché. La dissuasion initiale fonctionne en raison de la rapidité de la réaction. Elle évite la catastrophe.
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Vers le 20 juillet, alors que les combattants des légations résistent dans des conditions de plus en plus difficiles à Pékin, un contingent international d’environ 5 000 hommes s’organise à nouveau dans la région de Tien-Tsin. Il ne s’estime pas encore en mesure de marcher immédiatement vers Pékin, redoutant de subir, un mois après, le sort désastreux des 2 000 hommes de Seymour. Ce n’est que vers les 6-7 août que la force internationale reprend sa marche vers Pékin qui est finalement abordée par les avantgardes russes le 14 août. Le jour même plusieurs contingents internationaux pénètrent dans la ville, atteignent et libèrent les légations arrivées à la limite humaine de la résistance.
Dans les mois qui suivent, la lourde machine internationale, qui s’est lentement mis en marche, continue à faire affluer en Chine des contingents de plus en plus nombreux. Ils sont, au début de l’année suivante (1901) environ 150 000 hommes, commandé par un Allemand, le maréchal von Waldersee. Ils réalisent alors progressivement la “stabilisation ” c’est-àdire le “nettoyage” et la “pacification ” de toute la région du Tchili.
QUE RETENIR EN CONCLUSION DE CETTE BRÈVE ÉVOCATION ?
En premier lieu qu’une force de 500 hommes en armes, immédiatement disponibles, déterminés et n’ayant pas à combattre réussit, dans la crise naissante, à dissuader une force adverse plus de dix fois supérieure pendant 3 semaines. Ensuite, qu’une force de secours de 2 000 hommes mise en marche trois semaines après le début de la crise ne parvint pas à remplir sa mission, fut battue et ne dut sa survie qu’à l’arrivée d’une deuxième force de 2 000 hommes. Qui plus est, dès que la première défaite fut connue, la dissuasion initiale cessa. Par ailleurs, la force qui réussit in fine à dégager les légations comptait entre 5 à 6 000 hommes soit dix fois le contingent en place dans les légations et plus de deux fois celui envoyé à leur secours. Mais il faut alors noter qu’elle n’arriva à Pékin que deux mois et demi après le début de la crise. Enfin, la force multinationale qui assura la pacification finale atteignit certes les 150 000 hommes mais seulement près de six mois après le début de la crise. Elle fut néanmoins juste suffisante pour accomplir sa mission. Ainsi, entre le mois de mai 1900 et le printemps de 1901, les effectifs engagés furent de 500 au début de la crise, de 2000, 4000 puis 6000 lorsqu’il fallut “ régler la phase violente de crise” et enfin 150 000 lorsqu’il s’agit de remplir la “mission de paix ”. Si ces chiffres n’ont qu’une valeur relative. Il serait dangereux de les extrapoler brutalement en les sortant de leur contexte temporel. Néanmoins ils ne peuvent qu’attirer l’attention sur les trois phases théoriques qu’ils illustrent et qui peuvent être élevées au niveau de constantes de l’histoire de la guerre : réaction en début de crise à effectif réduit, action opérationnelle à effectif croissant sur une brève période, retour à la paix avec des effectifs en croissance géométrique sur une “ longue période”. Les chiffres cités et l’accroissement géométrique des effectifs au rythme du temps qui passe auraient-ils encore aujourd’hui la moindre pertinence ? L’historien l’ignore. Mais il est sûr d’une chose : le principe demeure.
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Le pouvoir au bout du fusil
Irak ou la redécouverte des 300 derniers mètres La contre-guérilla qui se déroule en Irak depuis bientôt deux ans marque le retour dans les forces terrestres américaines de la notion d’action au contact. Celle-ci peut être déclinée en action auprès de la population et en combat rapproché. Elle relativise le concept de guerre info-centrée et remet l’homme au centre du combat. La numérisation n’y est plus qu’un outil au profit de l’intelligence de situation et les feux indirects apparaissent plus comme les compléments du combat rapproché que comme leur substitut.
PAR LE
LIEUTENANT-COLONEL MICHEL GOYA, DU CDEF/DREX
groupe de combat de la 4e Division d’infanterie de l’US Army qui a capturé Saddam Hussein caché au fond d’un trou.
n mars 2003, l’opération Iraqi Freedom débutait par une série de frappes aériennes censées décapiter le régime irakien en tuant son chef. Huit mois plus tard, c’est finalement un
E
Les combats qui se déroulent depuis bientôt deux ans marquent ainsi la fin d’une tentation, compréhensible, d’employer une écrasante supériorité technologique pour frapper l’ennemi vite, fort, précisément et surtout de loin. Sur les centaines de milliers d’hommes et femmes ayant participé aux opérations des mois de mars à avril 2004, seuls quelques milliers, voire quelques centaines, ont réellement affronté “ d’hommes à hommes ” des soldats irakiens. La plupart des engagements se sont en fait résumés à des prises de contact suivies quelques minutes plus tard de l’arrivée d’obus, bombes ou missiles.
US Army
La donne a changé lorsque la dominante du milieu dans lequel se fondaient les adversaires est devenue
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non plus un espace physique dans lequel les feux pouvaient s’exercer librement mais un milieu humain, presque toujours urbain. En Irak, après la fin officielle des combats qui semblait marquer le triomphe de leur modèle “électromécanique”, l’apparition de “soldats-fantômes”, difficiles à déceler et détruire au cœur de la population ou des lieux “ intouchables ”, a été une désagréable surprise. Le concept du “see first, understand first, act first and finish decisively” (voir, comprendre, agir en premier et obtenir la décision), fondé sur la numérisation, est sérieusement mis à mal lorsque les écrans restent désespérément vides des points rouges censés figurer l’ennemi.
L’ACTION AUPRÈS DE LA POPULATION Ces points rouges, il n’est d’autre solution que d’aller au contact de la population pour les chercher ou empêcher qu’ils se forment. Or cette population ne vit pas à 30 000 pieds, ni sur l’eau, mais dans des quartiers, des villages ou des fermes, endroits où seule l’Armée de terre est capable d’agir efficacement. Elle seule peut patrouiller dans les rues, fouiller les immeubles, séparer les combattants, faire des prisonniers, serrer les mains des chefs locaux et, si nécessaire, abattre un rebelle qui se protège derrière sa femme. Certains officiers de l’US Army en sont venus ainsi à distinguer entre les “armes cinétiques ” qui frappent les corps1 et les “armes non cinétiques ” qui frappent les cœurs et les esprits. Pour leur emploi, l’instrument premier est le fantassin à pied, à la fois multicapteurs, agent d’influence et servant d’armes. Il constitue le pion tactique qui ressemble le plus à un civil et donc le plus à même d’entrer en contact avec lui. Une patrouille devient ainsi une micro-opération aux effets subtils et variés en matière de renseignement, communication ou de destruction graduée. Le premier problème est qu’il y a en Irak moins d’hommes à terre au contact de la population que de policiers dans la ville de New York (39 000). Pour avoir le même taux d’occupation en Irak qu’au Kosovo, il aurait fallu 480 000 hommes et non 160 000, toutes nationalités confondues, pour une situation beaucoup plus critique que dans les Balkans. Une armée à haut coefficient technique a beaucoup
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du mal à fournir les effectifs indispensables au contrôle d’un état comme l’Irak. Il a donc fallu trouver des effectifs supplémentaires dans les réserves ou la Garde nationale et faire feu de tous bois, en envoyant, par exemple, des unités OPFOR (Opposing Forces ou “force adverse”) du Centre national d’entraînement de Fort Irwin. Toutes ces mesures se sont toutefois révélées insuffisantes et il a fallu finalement accorder budgétairement 30 000 hommes de plus à l’US Army dont 24 800 pour l’infanterie2. La composante terrestre du Corps des Marines augmente aussi très sensiblement alors que, dans le même temps, l’US Navy et l’US Air Force perdent des effectifs. Le deuxième problème est que le contact avec la population ne s’improvise pas. Jusque là, cela ne concernait véritablement que les forces spéciales. C’est donc une nouvelle “révolution (culturelle cette fois) dans les affaires militaires” qu’a dû engager l’US Army. Elargir le champ d’application des unités de combat à des actions “moins violentes ” et décentraliser le commandement ont induit des tâtonnements souvent douloureux. Néanmoins, et même si chaque relève doit passer par une phase d’apprentissage assez longue, les évolutions sont énormes.
LE SABRE ET LE SCALPEL Les forces terrestres américaines ont dû faire face aussi à des engagements de très haute intensité, en particulier dans la campagne de reprise des bastions rebelles, de mai à novembre 2004. Pour détruire des forces légères, courageuses et incrustées dans la population ou les lieux sensibles comme la grande mosquée d’Ali, les unités ont dû combiner étroitement combat rapproché et feux de précision, qui sont ainsi apparus comme complémentaires. Les armes de précision à distance sont efficaces sur des cibles groupées et identifiées. La parade consiste donc à se disperser et à se cacher. La solution est alors la recherche du combat rapproché par des forces puissantes. L’ennemi est ainsi placé devant le dilemme de rester dispersé et d’être impuissant devant l’avancée des colonnes américaines ou de se grouper pour y faire face et d’être la cible des feux à distance. Le combat rapproché n’est
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donc pas un dernier recours mais un élément du spectre tactique dont l’absence entraîne aussi une faible efficacité des feux lointains. Le combat rapproché a aussi le mérite de provoquer des résultats décisifs. On se rend en effet beaucoup plus facilement devant un homme qui vous menace d’un fusil que devant des missiles volant dans le ciel. La Task Force Iron Dukes, qui se bat pendant cinq semaines en avril-mai 2004 pour la reconquête de Nadjaf et Koufa combine ainsi une capacité de choc blindée (30 M1 Abrams et 95 Humvee blindés) et un environnement d’appuis feux indirects (obusiers Paladin, mortiers de 120 mm, hélicoptères OH-58D Kiowa Warrior, AC-130 Gunship et F16 en attente à 3 000 mètres d’altitude). Les sept sous-groupements qui la constituent, d’autant plus audacieux qu’ils sont fortement blindés, mordent dans le tissu urbain, repoussent ou détruisent les rebelles qui cherchent à les freiner et s’emparent de points clefs de la ville. La saisie de ces points permet le contrôle des centres politiques, l’entrave au mouvement de l’ennemi et le découpage de la ville en zones amies, ennemies et incertaines. Les zones tenues par l’ennemi deviennent des zones de tir libre. Les zones amies font l’objet d’actions “non cinétiques” et les zones incertaines sont abordées en combinant méthodiquement combat rapproché et appuis de grande précision. Les tireurs d’élite y apparaissent, par exemple, comme essentiels pour frapper les rebelles sans toucher la population ou trop abîmer les lieux saints. Le combat rapproché, tel qu’il est pratiqué en Irak, est beaucoup moins meurtrier pour les forces amies que la “ bataille des convois ” ou les attaques terroristes. Le 2/7th Cavalry Squadron (bataillon interarmes) n’a eu aucun tué en deux semaines de durs combats à Nadjaf en août 2004. La Task Force Lancer engagée à Sadr City en avril et mai 2004, a eu 52 blessés mais pas de mort au combat, alors que les pertes ennemies sont de plus de 700 tués.
1 Avec aussi, bien sûr, des effets psychologiques forts. 2 Qui augmente ainsi son volume de 50% en quelques années.
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Les forces terrestres ont considérablement évolué face au terrible défi des guérillas en Irak. Elles ne sont plus là pour désigner des cibles et occuper le terrain conquis par les munitions air-sol. Elles sont là pour contrôler une vaste population et y extirper la guérilla. Ce combat de tous les instants ressemble plus à une partie de gô qu’à une partie d’échecs. La victoire s’y obtient par la multiplication de micro-opérations très variées mais dont la zone d’engagement ne dépasse pas un rayon de quelques centaines de mètres.
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La Provincial reconstruction team (PRT) : outil de la phase de stabilisation et moyen de désengagement des forces terrestres ? Stabiliser et reconstruire. Comment reconstruire un Etat au sortir de la guerre ? Avec quels moyens ? De quels outils dispose-t-on pour sortir les pays de crises avant qu’ils ne redeviennent une zone grise, foyer de réseaux terroristes et criminels qui menacent tôt ou tard la paix et la cohésion du monde civilisé ? Telles sont les questions posées aux forces terrestres lors du passage à la phase de stabilisation. Pour y répondre, l’administration américaine a conçu en Afghanistan des Provincial reconstruction team (PRT), outil original de stabilisation, dont l’objectif est de constituer le moteur de la reconstruction de l’Etat et de l’administration. Ce concept préside donc à la création de petits détachements multinationaux, pluridisciplinaires et civilo-militaires, au niveau régional1. Les forces terrestres en constituent le noyau clé. Aux côtés des Américains, les Britanniques ont créé en juin 2003 une PRT à Mazar-e Sharif (MeS). Sa zone de responsabilité couvre les cinq provinces du Nord de l’Afghanistan. Une dizaine de nations y participent.
PAR LE CHEF DE BATAILLON PAUL HAÉRI*, ANCIEN STAGIAIRE DE LA 118E PROMOTION DU COURS SUPÉRIEUR D’ÉTAT-MAJOR
Le présent article se propose de décrire le cadre général qui a présidé à la création de cette PRT, le milieu dans lequel elle agit, puis d’en décrire les structures et les modes d’action afin d’en tirer des enseignements, notamment pour les forces terrestres déployées en sortie de crise.
LE CADRE GÉNÉRAL DE LA CRÉATION ET DE L’ACTION DE LA PRT GROUP MES La reconstruction de l’Etat par la promotion de l’autorité du gouvernement central Les PRT sont initialement conçues pour succéder à la partie strictement militaire de l’opération Enduring Freedom (OEF) afin de faciliter la reconstruction de l’Etat et de l’administration afghane. Le principe retenu est de créer des relais d’influence chargés de soutenir l’action du
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gouvernement Karzai, considéré comme le centre de gravité du renouveau afghan. Toute l’originalité consiste à fusionner, au sein d’une structure unique, des cellules spécialisées qui d’habitude opèrent séparément à l’échelon du théâtre. L’objectif est de mener des actions au niveau provincial sur les causes d’instabilité propres pour, in fine, promouvoir le gouvernement central. A la demande du président Karzai, les Américains décident en décembre 2002 l’ouverture anticipée des PRT. En 2003, le calendrier d’ouverture de ces équipes de reconstruction accuse un certain retard. Celles-ci font en effet face à des situations sécuritaires encore dégradées qui gênent la tâche des équipes chargées de la reconstruction. La situation sécuritaire n’incite d’ailleurs pas les nations alliées à contribuer au déploiement de nouvelles PRT. De plus, l’accueil des orga-
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nisations non gouvernementales (ONG) est plus que mitigé. Elles s’opposent à l’irruption du militaire dans leur domaine de compétence. Enfin, la confusion persiste dans l’esprit des Afghans devant la difficulté à distinguer les équipes chargées de reconstruction et celles qui mènent des opérations de combat.
En 2004, la situation s’améliore et la création de PRT s’accélère. En janvier 2005, 19 d’entre elles sont activées dont 6 sous la responsabilité de non-Américains2. Parallèlement, conformément à l’OPLAN 10 302 adopté en avril 2004, on assiste au transfert progressif des responsabilités de PRT d’OEF vers la FIAS3. C’est dans ce cadre que le Royaume-Uni a créé successivement la PRT de Mazar-e Sharif (juin 2003), puis la PRT “satellite” de Maimana (mai 2004).
retour d’expérience Dès la mi-2004, la PRT sous commandement britannique s’inscrit dans la perspective d’une situation stable dans les cinq provinces du Nord. Cette situation se caractérise par : - l’absence de menace contre les représentants de la Communauté internationale (UNAMA4, OI, ONG, PRT) ; - la participation des “ Seigneurs de la guerre”5 au jeu politique et l’intégration de leurs subordonnés, non sans difficultés, à la nouvelle administration afghane ; - la fin du processus DDR6 qui aboutit à la disparition de toutes les milices du Nord et au cantonnement de toutes les armes lourdes (processus HWC7) ; - l’accélération de la formation et du déploiement de la police et de l’armée nationale, en remplacement des factions ;
- la poursuite de la nomination de gouverneurs et de chefs de police par Kaboul qui renforce le poids du gouvernement central8.
La force (OEF et FIAS) jouit largement du soutien des populations de toutes origines et bénéficie du respect des parties en présence. Cette stabilité qui semble pérenne constitue une condition du succès de la mission de la PRT qui repose sur le consentement des acteurs locaux.
LA PRT GROUP MES : UN OUTIL DE LA TRANSITION ENTRE LA STABILISATION ET LA NORMALISATION Une structure ramassée, multinationale et interdisciplinaire au service de l’Afghanistan En constante liaison avec les représentants du gouvernement central9, la PRT conçoit et met en œuvre des programmes de reconstruction qui ont pour but de
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Une action qui s’inscrit dans un environnement stabilisé.
consolider l’autorité de l’Etat (State building). Formellement, elle a reçu pour mission de “ favoriser les conditions permettant l’achèvement de la stabilité dans sa zone de responsabilité ”. L’intention du commandant de la PRT est donc d’ “aider le gouvernement afghan à asseoir son autorité afin de faciliter le développement d’un environnement sécuritaire stable et, par sa présence militaire, appuyer la reconstruction et la réforme du secteur de la sécurité10 (SSR) ”.
Cet objectif a conduit les Britanniques à constituer une entité civilo-militaire, interministérielle, multinationale11 et aux effectifs réduits. Ainsi, dans cette unité d’environ 220 personnes12 dont la zone de responsabilité couvre 80 000 km2, dix nations13 sont représentées par des soldats, des policiers et des fonctionnaires de cinq ministères différents14. L’ensemble est placé sous les ordres d’un colonel qui a autorité sur les conseillers civils et militaires. Il dispose d’un centre des opérations15 coordonnant l’activité des douze Military observers teams (MOT16), équipes légères assurant les patrouilles, les contacts et la collecte du renseignement. Le commandant de la PRT conserve également le contrôle de la PRT “satellite”de Maimana et de la compagnie d’infanterie britannico-suédoise de réaction rapide17. Le soutien, largement externalisé, comprend une section d’infanterie (conducteurs et escortes), et une soixantaine d’Afghans qui assurent la garde, le soutien et la vie courante.
Des budgets rapidement disponibles et des expertises interdomaines dès le niveau tactique La PRT combine des capacités de financement et des compétences qui lui permettent d’agir de manière autonome dès le niveau des provinces. Les budgets de sources diverses 18 répondent à des besoins immédiats ou permettent de faire face au financement de projets durables, intégrés à des plans de reconstruction d’ensemble. Leur mise à disposition rapide constitue un gage de sérieux et de crédibilité. La mission ne se limite pas à la recherche et à la fourniture de financement. Elle s’accompagne surtout de conseils en gestion, organisation et management prodigués
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par les experts civils et militaires de la PRT aux administrations. L’éventail des domaines traités est vaste, de la formation de la police au contrôle des foules, à la réorganisation du système douanier ou au conseil technique dans le domaine de la production agricole. Toutes ces compétences et ces crédits sont placés “au service” des gouverneurs qui président les Conseils de développement provinciaux auxquels participent, outre la PRT, les OI/ONG et l’UNAMA. Cette “agence de reconstruction ” fournissant budgets et aide technique ne pourrait survivre et fonctionner sans la participation décisive des forces terrestres qui en assurent le commandement, la cohérence et la logistique.
LA PARTICIPATION DÉCISIVE ET INDISPENSABLE DES FORCES TERRESTRES
La force terrestre dirige, coordonne et fournit les moyens nécessaires La participation des forces terrestres à cet ensemble, à tous les niveaux de responsabilité, est rendue indispensable du fait des capacités et modes d’action dont seuls les militaires disposent dans le contexte d’une sortie de crise. Les forces terrestres sont, en effet, les seules à pouvoir assurer le commandement d’une entité qui s’insère dans un dispositif militaire de théâtre. Elles sont également les seules à être en mesure d’assurer la cohérence, la coordination, l’anticipation, le soutien et la protection de cet ensemble et sont les acteurs de la réversibilité nécessaire compte tenu du contexte sécuritaire.
La PRT est placé sous commandement militaire. Les soldats en composent non seulement la majorité arithmétique mais disposent également d’une connaissance de terrain consécutive à leur antériorité sur le théâtre. Ils activent des moyens de recueil et d’exploitation des informations qui fournissent une analyse de situation globale et actualisée. Ils sont donc en mesure de renseigner les experts dont la vision et les responsabilités sont fragmentées. Le chef de la PRT est le seul à pouvoir assurer la coordination des activités des experts et de les replacer dans un plan d’ensemble cohérent au niveau des provinces et du théâtre.
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De plus, la force met en œuvre des moyens spécifiques et indispensables à la réalisation de ses objectifs. On trouve notamment l’ensemble des moyens de renseignement19, de transmission20 et d’analyse21, et des capacités d’influence (INFOOPS, PSYOPS). La PRT dispose également d’aptitudes à convaincre, voire à imposer ses décisions. En effet, la présence permanente de militaires armés, en uniforme, constitue l’élément visible de la volonté d’imposer au besoin les décisions de la Communauté internationale et du gouvernement légitime qu’elle soutient. De plus, dans ce pays marqué par vingt-cinq années de guerres, le soldat coalisé dont la puissance s’est illustrée fin 2001, est considéré comme le seul interlocuteur crédible par les chefs de faction comme, en général, par les représentants du gouvernement central. De plus, les liaisons, au besoin les négociations voire démonstrations de force en vue de régler les conflits entre factions et de stabiliser des situations sécuritaires localement dégradées ne peuvent être réalisées que par la force armée sur le terrain. Enfin, seuls des moyens militaires logistiques adaptés peuvent répondre aux élongations et à l’isolement dans le Nord du pays dans des conditions rustiques.
La PRT comme outil du désengagement des forces terrestres En terme d’économie des moyens et de compétences requises dans la phase de sortie de crise, la PRT constitue une alternative qui facilite le désengagement d’une force de combat classique, souvent surdimensionnée et peu adaptée à de telles situations. C’est un intérêt évident dans une période où les armées ont à s’engager sur plusieurs théâtres. De plus, la promotion des services de sécurité et la restauration de l’Etat sont les véritables enjeux qu’une force de combat classique a généralement du mal à régler car ce n’est pas sa vocation. A l’opposé, la PRT regroupe des spécialistes sous une direction commune pour répondre de manière cohérente et au niveau tactique au caractère transverse des fins de crise. Par ailleurs, la taille réduite de la PRT allège le coût du soutien dont une large part est externalisée. Son image est aussi
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intrinsèquement positive car elle est associée au processus de reconstruction. C’est un puissant levier d’influence qui renforce la légitimité de la force déployée. Surtout, elle permet aux forces, même réduites, de maintenir le contact avec tous les acteurs locaux comme internationaux agissant dans sa zone. Enfin, la réduction
graduée des effectifs militaires est rendue possible par l’intégration aisée de spécialistes civils en remplacement des soldats, du fait du caractère multidisciplinaire et “ouvert ” de la structure. La PRT prépare et permet le désengagement progressif de la force.
La Provincial reconstruction team de Mazar-e Sharif à laquelle les forces terrestres de dix nations sont aujourd’hui associées constitue un bon exemple des outils de stabilisation disponibles pour accélérer les sorties de crise. Adaptée au règlement des crises subétatiques, c’est un outil (civilo-) militaire original de la phase de transition entre une situation de “stabilisation-pacification ” en cours, à celle de “normalisation ” à venir dans le Nord de l’Afghanistan. Cette entité au sein de laquelle les soldats des forces terrestres constituent des maillons indispensables, à tous les niveaux, permet également une certaine intégration de la stratégie militaire à la stratégie politique. La force militaire se combine en effet avec la force politique, dans un ensemble qui donne bien la primauté du politique sur les opérations militaires, notamment grâce à l’utilisation politique de l’aide à la reconstruction et au développement 22. Cette intégration semble bien réalisée par des Britanniques pragmatiques, qui ont résolu le problème de la séparation “ historico-culturelle” entre le ministère de la Défense et celui des Affaires étrangères.
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GLOSSAIRE : Provincial reconstruction team (PRT) : Equipe de reconstruction provinciale. Opération Enduring Freedom (OEF) : Opération Liberté immuable. Organisations non gouvernementales (ONG). Organisation internationale (OI). International security assistance force (ISAF) : Force internationale d’assistance à la sécurité (FIAS). Mazar-e Sharif (MeS) United Nations assistance mission in Afghanistan (UNAMA) : Mission d’assistance des Nations unies en Afghanistan (MANUA). Heavy weapon cantonment (HWC) : Regroupement des armes lourdes. Désarmement, démobilisation, réinsertion (DDR). Security sector reform (SSR) : réforme du secteur de la sécurité. Military observers teams (MOT) : équipe d’observateurs militaires. Quick reaction force (QRF) : unité/force de réaction rapide. Commander emergency response program (CERP) : programme de financement de la coalition.
* Officier des troupes de marine, persanophone et anglophone, cet officier a été inséré dans la Provincial reconstruction team britannique de Mazar-e Sharif (Afghanistan) en tant que conseiller spécial du Commander de cette PRT de juin à décembre 2004. 1 C’est-à-dire tactique. 2 Deux britanniques (Mazar-e Sharif et Maimana), deux allemandes (Kunduz et Faizabad), une néo-zélandaise à Bamian, une néerlandaise à Pol-e Khomri. 3 Force internationale d’assistance à la sécurité (ISAF sous commandement OTAN). 4 United Nations assistance mission in Afghanistan. 5 Les généraux Dostum (chef du Jombesh-e Melli-e Eslami) et Atta (chef, pour le Nord, du Jamiat-e Eslami). 6 Désarmement, démobilisation, réinsertion. 7 Heavy weapon cantonment. 8 Même si les factions s’infiltrent largement dans les rouages des administrations provinciales.
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9 Gouverneurs provinciaux et de districts, chefs de la police, chefs des administrations. 10 Security sector reform qui consiste à soutenir les forces de sécurités afghanes, notamment les polices. 11 Avec participation afghane. 12 Ce qui fait de cette entité le plus petit ensemble tactique multinational au monde. 13 Outre les Britanniques, la Suède, la Roumanie, le Danemark, la Norvège, la Finlande, l’Allemagne, la Lituanie, la France et l’Afghanistan participent à des degrés divers à cette PRT group MeS. 14 MINDEF, MAE, MININT, COOP, MINAGRI. 15 J1 à J6, INFOOPS et PSYOPS. 16 Constituées d’une équipe de six soldats et d’un interprète, commandées par un officier, disposant uniquement d’armements légers, du Nato tracker system (transmission de données) et circulant en véhicule civil de type 4x4 parfois sans marques extérieures.
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17 Cette Quick reaction force (QRF) est notamment chargée d’une éventuelle extraction de membres de la PRT de MeS ou de Kunduz (Allemagne). 18 Agences de la Coopération danoises ou finlandaises, fonds américains du CERP (Commander emergency response program), de US AID et du ministère des affaires étrangères (US DoS) ; budgets de l’agence britannique de coopération (DfiD) et du ministère britannique des affaires étrangères (FCO) . 19 Constituant également l’élément militaire visible sur le terrain. 20 En particulier pour les MOT via le NATO Tracker system. 21 Forte composante J2 (3 officiers, 2 sous-officiers) s’appuyant sur le HQ FIAS et les chaînes de renseignement des Nations (NIC). 22 politisation de l’aide apportée, c’est-à-dire : conditionner l’aide, à la réalisation d’objectifs politiques par les Afghans.
( Stratégie, “opératique” et tactique : la place ces forces terrestres : en images )
Les capacités des forces terrestres en phase de stabilisation - p. 15 ADJ Jean-Raphaël DRAHI/SIRPA Terre
Le combat interarmes des forces terrestres - Evolutions en cours - p. 25 ADJ Jean-Raphaël DRAHI/SIRPA Terre
“Parlez- moi de tactique“ - p. 61 CDEF
La réaction internationale lors de la révolte des Boxers en Chine - p. 75 SHD
La Provincial reconstruction team (PRT) : outil de la phase de stabilisation et moyen de désengagement des forces terresttres ? - p. 82 Collection personnelle du chef de bataillon Paul HAERI
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C.D.E.F Centre de Doctrine d’Emploi des Forces