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FACE A FACE SOUVENIRS ET IMPRESSIONS
D'UN SOLDAT DE LA GRANDE GUERRE
DU MEME AUTEUR
En préparation
VERDUN. — Souvenirs
:
:
et
impressions de six mois de bataille.
LIEUTENANT JACQUES (Lieutenant
P.
PÉRICARD)
FACE A FACE SOUVENIRS ET IMPRESSIONS
D'UN SOLDAT DE LA GRANDE GUERRE Avec une préface de M. MAURICE BARRÉS DE l'académie FR.\>ÇA1SE et
35
dessins à la
plume de M. Paul Thiriat
PARIS
LIBRAIRIE FAYOT & O^ 106,
DOULEVARD SAINT-GERMAIN 1916
.
Tous droits de traduction, de reproduction pays CopYniGHT, 1916, by Payot et C>«.
et d'adaptation réservés
pour tous
A
M.
Henri
HOUSSAYE
Directeur de l'Agence Havas
EN TÃ&#x2030;MOIGNAGE DE RESPECTUEUSE GRATITUDE.
Son modeste collaborateur J. P.
DEBOUT LES MORTS!
dans
Aujourd'hui, connaît
épisode
cet
des
des gravures,
cous
rappelez ?
tranchée
monde
entier,
chacun
d'innombrables
articles,
le
que
ont
poésies,
les
Allemands ont
amas
cet
cadavres, quelqu'un se soulève
les
main un
morts
/...
»
Un
et
de
saisissant à portée :
«
Debout,
Le
élan balaye l'envahisseur.
une résurrection.
fait
J'ai désiré connaître
me
et,
de blessés
sac de grenades, s'écrie
mot sublime avait
Je
une
envahi
brisé toute résistance; nos soldats gisent
et
à terre; mais soudain de
de sa
Vous
popularisé.
le
héros de ce fait immortel.
suis trouvé en présence d'un lieutenant
aux
cheveux blancs. Le lieutenant Péricard n'a pourtant
que trente-neuf ans. Parti territoriale, passé, il
a
nommé
été
nant. J'ai causé
ment^son qui fait
pas de
le
récit
le
comme
sergent
de
la
sur sa demande, au 95® d'activé, adjudant, sous-lieutenant, lieute-
longuement avec
n'a pas
le
lui.
Naturelle-
caractère tout simplifié
charme des légendes,
et
je n'essayerais
reproduire td que je crois l'avoir recueilli
PRÉFACE
10
de sa bouche, si je ne voyais un intérêt psycholo-
gique à noter ce qu'il rn'a dit sur la manière dont
mot
le
sublime
est
monté
à
ses
avons là une occasion d^assister de pensées de
et
à la formation
de sentiments mystérieux. Les sources
V inspiration,
vie,
Nous
lèvres.
la
foi,
V ardeur,
jaillissent
dans nos tranchées avec une extraordinaire
Des
sité.
profondes
forces
à y faire explosion, nos
de
soldats,
et
sont
inten-
toujours
prêtes
William James, auprès
recueillerait
abondance
en
ces
phénomènes dHïlumination immédiate, parfaitement raisonnables dont
rale,
et
il
son fameux
capables de conférer la force
a publié de
si riches collections
traité des Varieties of Religious
modans
Expé-
rience.
Au
reste,
de pensées si beau fait
brut
mon
pressé par
sans
travail,
dans un ordre
grave, je vous donnerai le
et si
chercher
à
démêler
les
éléments
multiples qui constituent sa richesse.
a
Au
commencement
d^ avril,
m'a
dit le lieutenant
Péricard, alors qu'avaient lieu les grandes attaques
du Bois
d'Ailly,
mon
régiment fut chargé de faire
une diversion au Bois Brûlé. Le colonel de Bélenet
nous commandait.
J'' étais
un souvenir confus de
alors adjudant. J'ai gardé
ces
quatre journées.
Tant
PREFACE de
milliers
d''
impressions
11
mêlées,
heurtées,
du dehors par mes yeux, par mes
{tenaient
me
oreilles,
et
rejoignaient toutes les émotions qui s'éleçaient
de
mon âme
en tumulte
que spectateurs de la c'est
!
Le 5
A
lutte.
et le 6,
chaque
nous ne fûmes
veille
de combat,
d^abord une oppression, la chair se révolte,
le
poil se hérisse, la lâcheté hurle, puis c'est la prière,
rame
se jette
aux pieds de Dieu:
soit faite ! » Alors, c'est la »
Le
7,
ma
«
Que
votre volonté
paix.
section, avec trois autres, de
compa-
gnies diverses, reçut Vordre d'attaquer la tranchée
allemande.
Le combat
nombreux morts
sommes
fut acharné
et blessés;
nous eûmes de
;
toute la nuit,
nous nous
battus à coups de grenades, sous une averse
torrentielle
qui ruisselait à
nous tenions épanouie,
la tranchée,
dilatée.
et
même je
J'éprouvais
la
mais
peau,
sentais
mon âme
une extraordinaire
intensité de vie; j'avais le rire à fleur des lèvres.
deux fois, une et
de débris,
Par
me renversa, me couvrit de terre me ramassai en riant comme à
torpille et
je
une bonne plaisanterie. Je vous dis cela pour tâcher de vous faire comprendre des heures inoubliables. y^
Au
matin, on nous releva, afin que nous
sions nous reposer,
et
nous sommes
allés
puis-
dans une
tranchée de deuxième ligne où nous avons essayé de
dormir. Pauvre sommeil
!
Vers
le
milieu du jour.
PRÉFACE
12
nous
en hâte:
voici réveillés
avec avalanche de grenades
contre- attaquer
de
et
nous repoussent. Cest une panique.
Ils
torpilles.
Boches viennent de
les
Non
seulement
mais
ils
nous ont repris leur tranchée,
ils
Et déjà nos hommes
atteignent la nôtre.
se
pressent dans les boyaux, en criant: »
— Les
»
Ah !
Boches
!
Les Boches
yeux chavirés,
ces
ces bouches tordues !
Cest
!
ces
faces
convulsées,
la seule déroute que faie
vue. Quel épouvantable spectacle
!
Tous
les officiers
sont blessés. Seule, V étroitesse des boyaux ralentit les
fuyards^ qui s^écrasent. tion.
Après
puis,
et
me
mes hommes
»
Je
me
—
mon
et,
là.
Et d'autres
travers
Mes
reculent.
je
troupeau
le
les
amis, mais non,
Ils sont repartis, les
Boches
les
Boches
cris analogues, qui, répétés de le
mouvement de
grenadiers arrosent
Je sors de
la
!
Ils
!
Quelques volontaires se joignent à moi. Je
ci
Mais
tout en jouant des coudes, je crie:
en bouche, arrêtent un peu
en avant.
d'hésita-
tour d'attaque,
sacrifice, et je décide de
foutent le camp, les Boches »
mon
Boches.
un passage à
Mais non,
ne sont pas
pas
sont bien fatigués...
arrêter les
fraye
d'épouvante, »
Je fais
ressaisis.
mourir pour
Tai un moment
tout, ce n'est
les
bouche
retraite.
me
lance
Boches. Ceux-
tranchée française,
le
13
PRÉFACE
ma
premier. Tétais aussi sûr de
du
clarté
soleil.
Mais
mort que de
quelle sérénité !
du moribond qui meurt en
état
La
de grâce^
la
sérénité
qui voit
et
se pencher vers lui les anges.
Toujours lançant des grenades, nous
»
à
tranchée
la
Nous
ennemie.
arrivons notre
reprenons
morceau. Je fais établir en avant, dans un boyau qui mène de la première à la deuxième ligne allemande,
un barrage de »
sacs.
Je respire.
Mais, à notre gauche,
Allemands
les
toujours dans nos lignes à nous. la tranchée
droite,
grenades sur nos
qui
Leur
têtes,
est
artillerie
avec
isolés,
une
là
une pluie de
venant de Vavant. Si
Boches connaissaient notre »
Nous sommes
arrivés).
complètement
poignée,
Mais, à notre
vide {les nôtres partis, les
est
Boches pas encore
se battent
petit
fait rage.
venu nous soutenir
et
Le
nombre
les
!
lieutenant Paulet
qui fume sa cigarette
en riant aux projectiles, reçoit une balle au-dessus de la
mains
tempe.
Il
s''appuie
le
sang
gicle
une parabole, comme trou de la
»
parapet,
les
deux
derrière le dos, la tête légèrement inclinée.
la blessure,
puis
au
vrille.
La
le
tête
avec force, en
Par
décrivant
vin d'un tonneau par
le
penche, de plus en plus,
le
corps sHncline, puis, brusquement, la chute.
La
douleur de ses hommes, qui se jettent en
PREFACE
14
un
pleurant^ sur son corps... Impossible de faire
pas sans marcher sur un cadavre. Je me rends
exaltation
un amas de
derrière seul. Il
un »
n'en a cure
Je
me
Quelques
droite,
mètres,
La
nous
une
longueur
me
De
comme
fait
Le
honte.
jour
et je
trentaine
énorme par
me
de
A
J'aperçois la
d'une
un
tranchée est pleine
de
pare-éclats. là ?
J'hésite,
décide.
cadavres français.
Taut d'abord,
je
marche avec
peu rassuré. Moi seul avec tous
circonspection,
»
reste
ne pouvons pas demeurer ainsi.
sang partout.
ces corps, et
Bonnot
rejoignent.
voir ce qui se passe
morts!... Puis,
jette
continue de se battre
Puis, un coup de volonté »
soldat
interrompue par
j'allais
Du
Le
n'y a toujours personne.
sur
tranchée,
Mon
me
Je
Son exemple m'a
ressaisis.
Nous
peur.
combien ?
camarades
il
Tai
sacs.
et il
lion, seul contre
s^ackève.
Si
m' abandonne.
sort.
mon
compte^ soudain, de la précarité de
ces
peuàpeu,je m'enhardis. J'oseregarder
il
me
semble qu'ils
me
regardent.
notre tranchée à nous, en arrière, des
hommes
contemplent avec des yeux d'épouvante, dans
lesquels je lis
:
«
Il
va se faire tuer
! »
C'est vrai
qu'abrités dans leurs boyaux de repli, les Boches
redoublent d'efforts. Leurs grenades dégringolent
V avalanche se t approche avec rapidité. Je
et
me retourne
PRÉFACE vers les cadavres
va
sacrifice
être
étendus. Je pense:
les
qu'ils
Boches vont revenir ? Et
nous voleront nos morts?... »
Alors ^ leur
«
Ce sera en vain
inutile ?
Et
seront tombés ?
15
ils
»
La colère me saisit. De mes gestes,
de
mes paroles
exactes, je n'ai plus souvenance.
Je sais seulement
que fai crié à peu près ceci
«
:
Qu'est-ce
que vous
allons
ces cockons-là dehors'/
«
f...
Debout,
morts
me
suivons
».
mêlèrent à
un
les
morts
f...
!...
Oh
et
Coup de jolie ?Non. Car
les
me
»
Nous
te
Et se levant à mon appel, leurs âmes
se
répondirent. Ils
mon âme
et
dirent
soulève les montagnes. crier des ordres,
m'était revenue, s'est
Ma
J^avais la foi
voix éraillée
et
et
et cette
Comme
me
je
nuity
ne veux vous
souviens, en laissant à
que Von m'a rapporté par la suite^
l'écart ce
qui
usée à
jorte.
passé alors ?
raconter que ce dont je
«
Rien ne pou-
pendant ces deux jours claire
:
en firent une masse de jeu^
m'étonner, m'arrêter.
Ce qui
debout!
là,
Levez- vous
terre ?
large fleuve de métal en jusion.
vait plus
»
par
je dois
sincèrement avouer que je ne trou dans
le sais pas. Il y a un mes souvenirs ; l'action a mangé lamémoire.
J'ai simplement l'idée vague d'une offensive désor-
Nous sommes
deux,
trois,
contre ~4ine multitude,
mais
cela
donnée.
quatre
au plus
même nous
est
PRÉFACE
16 orgueil blessé
et
au
réconfort.
Un
hommes
des
de
ma
section^
Vennemi des
bras, continuait de lancer sur
grenades tachées de son sang. Pour moi, fai V impression d^ avoir eu
un corps grandi et grossi démesuré-
ment, un corps de géant, avec une vigueur surabondante, inimitée, une aisance extraordinaire de pensée
qui
me
permettait d^ avoir Vœil de dix côtés à la fois,
de crier un ordre à Vun, tout en donnant à un autre
un
ordre par geste, de tirer
garer en »
même temps
un coup de
Prodigieuse intensité de
et,
me
d'une grenade menaçante.
stances extraordinaires.
nous manquent,
fusil et de
vie,
Par deux
par deux
avec des circonfois, les
fois,
grenades
nous en décou-
vrons à nos pieds des sacs pleins, mêlés aux sacs de terre.
sans
Toute la journée, nous étions passés dessus les voir.
avaient mis ))
Mais
c'étaient bien les
morts qui
là!...
Enfin, les Boches se calmèrent ; nous pûmes consoli-
der notre barrage desacs en avant, dans le boyau.
nous trouvâmes de nouveau »
les
Toute la soirée
qui suivirent,
je
m'avait saisi au
et
les
maîtres dans ce coin.
pendant plusieurs des jours
gardai Vémotion religieuse
moment de
qui
l'évocation des morts.
Réprouvais quelque chose de comparable à ressent après
Nous
une communion
fervente.
ce qu''on
Je compre-
nais que je venais de vivre des heures que je ne
PRÉFACE
17
ma
retrouverais plus jamais, durant lesquelles
ayant brisé d'un rude
en plein mystère, parmi
dressée,
des héros »
A
plafond bas,
effort le
et
cette
monde
le
s'était
invisible
des dieux.
minute, certainement, fai été soulevé
au-dessus de moi-même. Il faut bien que cela
puisque fai reçu
Légion d'honneur qui Si
récit,
les «
Poilus
mon
je n'ai rien
sentiment,
ma
instant, n'est
cri
Je sais que
et
que
je
pas un accident dans
les vivants
ma
il
vie de
et les
ne
qui m'ont entraîné par leur
morts qui m'ont conduit par la main.
sortit
pas de la bouche d'un homme,
mais du cœur de tous ceux qui gisaient et
la détresse
et
vous disais,
Je ne mérite aucun compliment d'ducune
Ce sont
exemple,
Le
que j'exprime
volonté.
parapet, j'ai grelotté de peur,
le
soldat.
c'est
d'un héros. Chaque fois qu'il m'a fallu
qui ni'a saisi en pleine action
sorte.
pas de
vous parais chercher, en vous faisant ce
je
bien mal
y a un
n'est
il
»,
vaille ces félicitations-là.
une satisfaction de vanité,
sauter
soit,
de mes hommes.
les félicitations
Pour qui a pratiqué
»
tête^
morts.
accent. Il
Un homme y faut
là,
vivants
seul ne pourrait trouver cet
la collaboration de plusieurs âmes,
soulevées par les circonstances,
dont quelques-
et
unes, déjà, planaient dans l'éternité. »
Pourquoi
ai-je été choisi plutôt
que
tel
officier,
PRÉFACE
18 plutôt que
tel soldat,
à Faffaire
et
parmi ceux qui furent mêlés
comme mon
dont Vhéroïsme n^a pas,
courage à moi, connu de défaillances ? Pourquoi plutôt que
le
colonel de Bélenet, qui parcourait les
ou
lignes sous la pluie de grenades,
Bournadet, ou
le
rant Vignaud, ou
Chuy, Thévin^ ou
le
soldat
le
»
et n'être
ou
sergent Prot,
indéfiniment.) Pourquoi? d'en haut
Bonnot?
On
les
(Il
ces soldats, car ce serait
tous.
le
citait
souffle
cette
histoire,
je
vous
ces chefs et
un mensonge que faie Vair
de monopoliser la gloire de
nous
m'en
peut recevoir
demande instamment de nommer tous
Le
caporaux
qu'un pauvre homme.
Si jamais vous racontez
notre régiment.
lieutenant
le
sous-lieutenant Pellerin, ou Vaspi-
cri n'est
Plus vous fondrez
belle
cette
pas à moi
mon
rôle
plus vous vous rapprocherez de la
journée de
seul,
dans
il
est
à
la masse,
réalité.
J'ai la
conviction de n'avoir été qu'un instrument entre les
mains d'une puissance supérieure.
»
Maurice Barrés, de r Académie française.
18 Novembre 1915.
FACE A FACE IMPRESSIONS ET SOUVENIRS D'UN SOLDAT DE LA GRANDE GUERRE
PREMIÈRE PARTIE TERRITORIAL
LA DOULCE MORT
Le bonhomme
Juillet s'active
avec sa faux, à tra-
vers les blés de la Woëvre. Quelques jours encore, et la
grande guerre comptera douze mois révolus.
Bonnes gens de vous
l'arrière, j'ai
être agréable de
pensé qu'il pourrait
m'entendre vous conter
les
souvenirs de cette année.
Quand, avant tailles, je
—
me
la guerre, je lisais
un
récit
demandais, presque toujours
Quels étaient
les
de ba-
:
sentiments de ces soldats,
de ces chefs? Avec quelle
âme
allaient-ils
au com-
bat? Quelles fermentations produisait en eux pensée de
la
mort?
la
20
FACE A FACE Ces questions, d'autres
à l'occasion de sité
que
je
la
se les
poseront sans doute
guerre actuelle. C'est cette curio-
voudrais satisfaire.
n'est pas ici question de talent, ni d'observa-
Il
tion, ni de philosophie, ni de littérature,
plement de
mais sim-
à montrer l'homme
sincérité. J'aspire
que La Bruyère eût voulu trouver derrière chaque écrivain.
Mes
que mes
joies
espoirs
mes
;
peines, je les détaillerai aussi bien ;
mes
aussi bien que
craintes
mes
mes
défaillances aussi bien que
en-
thousiasmes. Les courbes montantes et descen-
dantes de rature,
—
la fièvre seront, sur la feuille
marquées avec une impartialité
Donne-moi,
la clé
de tempépareille.
donne-moi
dit la vieille chanson,
de ton âme...
Mon âme,
la voici
grande ouverte. Entrez et
gardez se projeter sur
elle les
événements,
re-
comme
sur l'écran d'un cinématographe. Pas un de ces chapitres qui n'ait été écrit en première ligne,
des balles et des crapouillots. Et, parfois,
me
hausser à la hauteur de
ma
au son
si j'ai
su
tâche, vous enten-
drez, en lisant, hurler à vos oreilles le bruit de la bataille, et des projectiles ensanglantés
viendront
sous vos doigts percer les pages.
A par
mes
lecteurs, je souhaite plaisir,
surcroît.
mais profit
TERRITORIAL
N'y entre Il
a-t-il «
ceux
21
pas eu, par quelque endroit, brisure
du front
»
nous semble
ceux
de
l'arrière ?
parfois, à nous, d'ici,
que nous
et
«
ne parlons plus tout à
fait le
même
Nous sommes deux
foules
dont
»
langage. les
chemins
s'é-
cartent.
Vous avez beau la
faire,
vous autres,
et
y mettre de
bonne volonté, vous ne pouvez pas arriver à vous
convaincre qu'il y a quelque chose de changé dans le
pays et que de
la
grande guerre vont dater des
événements nouveaux, tellement nouveaux que
hommes
les
devront, pour s'y adapter, subir une mé-
tamorphose comparable à
celle
de
la chenille
qui
se sent pousser des ailes.
Cela, non,
Vous nous
vous ne
le
croyez pas.
faites illusion
nos façons de parler et de sons
;
vous prenez
nous nous
di-
:
— Très bien, fait la
Et
parfois
sentir, et
manière
puis, à
très bien
;
ils
ont attrapé tout à
!
un détour de phrase, patatras
!
votre
pensée culbute, et nous nous apercevons que v ous répétiez des paroles sans les comprendre,
comme
feraient de petits enfants...
Pendant que de
ma
j'écris, les
obus passent au-dessus
tête, longs serpents
d'épouvante à l'affreux
FACE A FACE
22 sifflement
;
les bouteilles éclatent
à droite, à gauche,
avec un bruit infernal. C'est l'atmosphère habituelle
et l'habituel spectacle de la tranchée dans nos
parages, avec les Boches à quelques mètres de nous, et les
cadavres du dernier combat étendus entre
deux
lignes.
De
la vieille forêt
tenaires,
ras
du
il
aux chênes plusieurs
les
fois cen-
ne reste plus que des troncs coupés au
un amas de branches, de
sol et
brindilles,
de
copeaux, que traverse, de-ci de-là, miraculeusement préservé du désastre, quelque minuscule rameau
verdoyant.
Comment
je puis écrire
tumulte qui remplit, à Je fais ce
que
les
dans ce décor et avec ce
mes
déborder,
oreilles?...
que font tous ceux qui m'entourent
:
ce
en train de limer une bague
fait ce caporal,
pour sa fiancée, ce que
fait ce soldat
qui termine
une lettre, ce que font ces trois sergents appliqués à
aux enchères.
leur manille
— Bzim bdoum — Je coupe atout répond — Ploup badaboum, boum, !
éclate le 105.
!
et
le
!
!
sergent.
boum
!
rugit la
bouteille.
— La
Je t'aime,
pensée de
familière
et
il
ma la
chérie
!
rêve
mort nous
n'est
pas
le
jeune caporal.
est,
du tout
ici,
devenue
certain
que
TERRITORIAL
Comment
je puis écrire
dans ce décor?...
23
(p. 22).
24
FACE A FACE
ma
j'interrompe
page
Ton venait m'apprendre
si
que cette journée qui s'achève sera pour moi
la
dernière.
Mon
ordonnance, profond philosophe, a trouvé
la raison
—
de cette indifférence
On
moyenne,
est vivant
une quarantaine d'années, en
on
défunt toute l'éternité avant
et
est
et toute l'éternité après
ce n'est pas étonnant
:
qu'on s'habitue sans peine à
Et
:
la
mort
!
puis, par l'exemple des camarades,
de mourir
facile
!
On
s'en
il
est
si
va tranquillement, sans
secousse, et mourir semble aussi naturel et aussi
simple que de manger et de boire. Je puis compter les
que
agonies
j'ai
vues
s'achever
dans
les
gémissements. Qu'avaient-ils fait à l'ange de
la
mort, ces malheureux désespérés?
Pour tous
les autres,
bercé leurs derniers
—
Do, dû
Non,
mon
!
je n'ai plus
une chanson maternelle a
moments petit
;
:
là,,,, fais
ton petit dodo.
peur delà mort depuis que
reçu les confidences muettes d'un de
jeune
homme
j'ai
mes caporaux,
de vingt-deux ans, d'un caractère un
peu sombre. Il
avait été frappé au défaut de l'épaule d'un
éclat d'obus
;
la plaie atroce
ne pouvait être pansée,
et je dus rester près de lui, figé
dans
mon
impuis-
25
TERRITORIAL sance, regardant sa vie qui s'écoulait au Il
fixa
me
prit la niain et, sans force
—
mes yeux, souriant
lui
ne s'en cachait pas
et qui
plein, aussi profond, aussi
fil
du sang.
pour parler,
il
qui craignait la mort,
—
d'un sourire aussi
épanoui que celui
du
saint Jean-Baptiste au doigt levé, de Vinci, et ce sourire,
comme
— Ami,
celui
du
saint Jean, voulait dire
je sais, maintenant... Gela n'est
:
pas du
tout terrible, je t'assure.
II
TARTARIN
La mobilisation me trouva Dans
mes
toutes
Je
me
sens des jambes trop alertes,
cette pensée
;
un oœur
résigner à garder des voies
un de nos
ma femme. La elle
me
la guerre, et je
C'était là
chaque
:
trop jeune, pour
vienne
que prévoyaient
fibres nerveuses, je m'étais dit à
nouvel Agadir
—
sergent de territoriale.
l'attente de cette guerre,
:
m'engagerai. sujets de conversation avec
chère créature se résignait mal à
mais, trop douce pour
me
contredire,
n'essayait que des objections timides.
26
FACE A FACE Je tirais beaucoup de gloire de
auprès de
ma
mes
famille et
mon
patriotisme
dissertations sur la
levée en masse obtenaient toujours un grand succès.
La mort de ma femme ne
mon
résolution et, dès
que m'ancrer dans
arrivée à Bourges,
le
ma
2 août,
m'inquiétai des démarches à faire pour quitter
je le
fit
62^ territorial et entrer au 95® d'activé.
On me
répondit qu'aucun engagement ne serait
accepté avant la
du mois, pour ne pas désorga-
fin
niser la mobilisation...
Je fus bien soulagé...
Ma
certitude de la victoire s'accrut beaucoup
quand
je sus
premier
le
que
ne serais pas obligé de donner
je
effort.
Je repris mes dissertations pa-
triotiques qu'avait interrompues la pensée qu'il était
temps de
de m'engager. les
tenir la promesse faite à
Aux
moi-même
jeunes soldats rencontrés dans
rues de Bourges, je payai force bocks et les in-
vitai à se battre en héros.
On Un
m'écoutait avec intérêt.
un hasard me permit d'entendre deux de mes catéchumènes qui commentaient mes discours.
jour,
Et
— Tu
ils
disaient,
l'as
entendu,
qu'il est territorial. la
mes catéchumènes
marche en avant
le
vieux père?
Ça ne !
lui
:
On
voit bien
coûte pas cher, à
lui,
TERRITORIAL
27
Et, de ce jour, je n'allai plus que très rarement au café.
Cependant
je vis partir le 95^
dans un grand
serrement de cœur. C'est à leurs côtés que j'aurais
voulu
me
battre, avec toute cette jeunesse, toute
cette ardeur, tout cet enthousiasme, toute cette gaieté. Je sentis
rudement, en voyant
s'éloigner de la gare, le poids de
le
mes
train fleuri
trente-huit
années.
Je fus humilié. Moi. dont l'orgueil naïf s'était habitué à se considérer
comme
le
jeunes gens s'en
centre
du monde,
voilà que des
allaient accomplir
choses, tout habillés de neuf, et
ils
me
de grandes laissaient là
n'y avait pas de place aux frontières pour
Il
vieilles capotes, les
vieux souliers et
les
!
les
vieilles
gens...
—
Mais,
me
demanderez-vous, quels étaient, au
fond, vos désirs? Partir ou demeurer?
Question embarrassante, non pour faire,
la
réponse à
mais à cause de cette réponse même.
Certes, j'étais prêt à accomplir des merveilles j'avais déjà accompli des merveilles,
;
— en imagi-
nation. Guillaume ne saura jamais tous les soldats
que
je lui ai tués,
toutes les forteresses que je lui ai
prises d'assaut, tous les
drapeaux que
j'ai
enlevés à
FACE A FACE
28 de
la pointe
ma
mon
baïonnette ou de
épée.
Je
nommé sous-lieutenant,
m'étais, en quelques jours,
lieutenant, capitaine et officier de la Légion d'hon-
neur, et j'étais prêt à poursuivre
le
cours de mes
exploits.
Ce n'était donc pas l'héroïsme qui faut,
être
mais simplement
un
le
me
faisait dé-
courage. Je voulais bien
héros, mais cela m'ennuyait de risquer
ma
vie.
J'ai
vu
à
depuis,
journaux,
des
lecture
la
que nous étions plusieurs en France à penser de même...
Cinq jours après tour du
Quand Tartarin les
départ du 95^, ce fut
le
quitta sa ville pour aller chez
Teurs^ ses paquets, ses caisses, ses malles, ses
cantines emplissaient
un fourgon. Et moi, partant
pour Gray, j'avais condensé dans arrimé à
l'extérieur tant
mon
et
un
périscope,
s'élançait
sac de couchage, et
—
une
—
et
un
pèlerine, et
que l'échafaudage monstrueux
par-dessus
ma
tête
chaque épaule. Et, comme poussé
ou
de foulards, tant de
vertures, tant de souliers de rechange,
hamac,
sac
tant de boîtes de conserves, tant de cou-
flanelles,
un
le
62® territorial...
pendant ces dix
ma
et
débordait
de
barbe grise avait
jours,
me
vieillissant
en
29
TERRITORIAL
un coup de quinze années, chemin de trant
—
du doigt
gens s'écrier en
le
me mon-
:
Oh voyez donc
ce
!
vieux...
Faut-n
qu'il soit
pour porter un sac
solide
pareil
la gare, les
j'entendais, sur
!
Et ce sont
là
des ré-
flexions qui font plaisir.
Seulement, en arrivant à
mon wagon,
j'avais
chemise trempée et à bout
de
ma
j'étais
résistance...
Les gardes-voies, tout long de la ligne, ont ce jour-là,
le
fait,
une belle mois-
Oh voyeï donc !
ce vieux
'..
(p. 29).
son des mille choses qu'en
me
cachant de mes camarades,
j'ai,
l'une après
l'autre, semées.
III
LA VILLE DESERTE
Gray
est
une toute petite
ville,
au bord d'une
large rivière. Est-ce la mobilisation qui a vidé la
FACE A FACE
30
de ses habitants, ou est-ce
ville
dans
l'est
elle seule
deux ou
qu'à part
les
trois maisons?...
Toute l'animation de la
lante
!
coutume que, ait
pour
Toujours
est-il
chasseurs à cheval et les territoriaux,
on ne rencontrait personne dans
dans
la
de la France, chaque personne
Saône. Mais,
les rues.
la ville s'était
là,
concentrée
quelle population grouil-
une de mes stupéfactions à moi, pêcheur
C'était
de Seine, habitué à guetter toute une journée l'ombre d'une ablette, de contempler, du haut du pont
de pierre, l'enchevêtrement prodigieux des perches, des carpes, des tanches, des truites, des brèmes, des anguilles
;
par myriades,
les
dos argentés relui-
saient au soleil, au point que, parfois, les
flots
pressés des poissons refoulaient, de droite et de
gauche,
les flots
de
la rivière.
En y réfléchissant, maintenant, je sais pourquoi on avait envoyé
le
62^ territorial dans une ville déserte.
Les Berrichons sont de braves soldats, certes, ils
l'ont bien
montré depuis,
— mais qui ont sur
discipline des idées tout à fait personnelles.
— la
Ils
consentaient à traverser les rues avec l'arme sur l'épaule, car cela se doit ainsi et c'est ainsi qu'ils
avaient toujours actif
;
mais
procédé pendant leur service
là s'arrêtait leur obéissance, et c'est
en
31
TERRITORIAI. les sergents,
essayions de leur
faire éteindre leurs pipes sur les
rangs ou inter-
vain que nous autres,
rompre
leurs conversations.
Notre vieux colonel nous regardait sans rien
nous regarda
dire. Il
doute
ainsi
pendant trois jours. Sans
lui fallut-il ces trois jours
pour arriver à Ou, peut-
situation dans son ensemble.
saisir la
déterminé chez
être, la stupeur avait-elle
lui
une
sorte de paralysie ?
Mais
se ressaisit.
il
Oh
!
il
se ressaisit bien
vous assure qu'elles s'éteignirent, s'interrompirent,
qu'elles
que
les
levèrent
les
!
Et
je
pipes,
et
conversations,
et
jarrets se tendirent et
les
que
les
têtes se
!
Et devinez rité subite?
l'effet
Une
produit chez tous par sa sévé-
satisfaction intense
1
Au
fond, les
plus indisciplinés rougissaient de leur indiscipline et le respect
humain
qu'ils avaient
les
empêchait seul d'admettre
honte de leur débandade...
Le saviez-vous. Français, ô mes
frères
!
que vous
êtes de grands enfants?
Penser que cette monstruosité put s'implanter chez nous
:
le
respect
humain de notre patriotisme
1
Penser que nous avons eu honte d'avouer notre
amour pour
la
douce France, pour cette patrie
la
plus antique, la plus riche, la plus claire, la plus
32
FACE A FACE
noblej la plus vivante, la plus généreuse, la plus ternelle
ma-
!
Mais ces temps-là sont passés. Les mots de patrie, de France, de devoir, n'écorchent plus nos lèvres
dans
;
de la Marseillaise, chaque jour, nous
la forêt
allons cueillir des gerbes d'enthousiasme, et voici
ce que, ce matin
A
même, on m'a conté
Boncourt, petit village de
:
l'arrière,
où
l'un
des bataillons du VIII^ corps est au repos pour il y avait, hier, musique militaire programme comprenait la Marche lorraine. A
quelques jours, et le
peine les instruments attaquaient-ils les premières
notes du célèbre pas
redoublé que, sans s'être
concertés, d'une seule bouche, d'un seul cœur, les
hommes présents entonnèrent les paroles
cinq cents vibrantes
:
Fiers enfants de la Lorraine!..,
Et quand
les derniers accords, lancés
d'un élan
endiablé, s'arrêtèrent, toutes les voix étaient en-
rouées et de tous les yeux des larmes coulaient...
Le
rôle
monter
la
des territoriaux, à Gray, consistait à
garde dans l'immense gare régulatrice, à
accompagner
les
convois de munitions jusqu'à
frontière et à conduire vers Nevers
la
ou Paray-le-
33
TERRITORIAL Monial
prisonniers
les
qu'on nous amenait du
front.
Ce fut en accompagnant un convoi de
ment que ma compagnie,
la 12^,
descendre un zeppelin dans
ravitaille-
eut l'honneur de gare de
la
Badon-
viller (1).
Si ce
haut
maintenant,
fait se passait
il
vaudrait
à ceux qui l'accompliraient force citations et médailles.
Au mois le
d'août, à part
Petit Parisien,
le
Petit Marseillais et
personne n'en parla.
Je sais bien que, dans la vaste tourmente qui jetait la
France aux frontières,
zeppelin était tance.
Tout de même, on a
logie en créant la croix
(1)
le
la
destruction d'un
un événement de minime imporfait
preuve de psycho-
de guerre et en ajoutant à
Je suis heureux d'apprendre par son colonel lui-même de l'artilleur qui donna le premier coup au zeppe-
nom
lin n* 8
avec un obus de son 75
:
cet artilleur est le
canon-
nier Colibet. C'est grâce à cet
obus, magistralement pointé, que
zeppelin, incapable de faire
profondeur
le
manœuvrer son gouvernail de
offrit jaux territoriaux
du 62^ une
si
belle cible
;
ceux-ci ne laissèrent pas échapper l'occasion et décochèrent
au monstre, malgré les bombes, lesquelles achevèrent sa ruine.
Le sergent qui commandait
le
près
de 600 balles,
détachement des
territo-
riaux a reçu quelques mois après, à ce qu'on m'assure, la médaille militaire.
34
FACE A FACE
chaque numéro du Bulletin des armées un supplé-
ment de quatre pages pour
les citations
à l'ordre du
jour.
Le Français
est
amoureux de
gloire et sa vanité
foncière le persuade aisément qu'il est
né pour de
grandes choses. Dites à un lâche qu'il est lâche, et
vous
le
plongerez plus avant dans sa lâcheté. Dites
à un lâche qu'il est un brave, et
il
n'aura pas de
repos qu'il n'ait justifié à ses yeux et aux vôtres la
bonne opinion que vous avez manifestée de Si
lui.
vous obtenez ces résultats avec des éléments
inférieurs,
que sera-ce avec des hommes naturelle-
ment braves comme français
le
sont presque tous les soldats
!
On ne distribuera jamais trop de décorations. On peut poser en principe que tous ceux qui ont vu le
de
feu ont accompli, se bien battre,
non
leur devoir strict, qui est
mais plus que leur devoir, courant
au-devant du danger,
le
cherchant, s'y délectant, su-
perbement dédaigneux de J'ai participé à d'assez
la
mort.
nombreuses
affaires
avec
plusieurs compagnies différentes, et j'ai trouvé, en
tout et pour tout, deux lâches. Encore l'un des
deux
avait-il tellement
honte de sa lâcheté, qu'on
doit, je crois, incriminer sa faiblesse
que sa volonté.
nerveuse plus
35
TERRITORIAL Décoré ou non,
j'insiste là-dessus,
front doit être tenu pour
que j'exagère, qui, depuis le
me
dire
si
je
un brave.
vous invite à
début de
le
Si
vous trouvez
feuilleter les citations
la guerre,
jamais, dans
tout soldat du
cours,
s'accumulent, et à
non d'une guerre
unique, mais des guerres de tous
les siècles,
vous
pourriez amasser pareille collection de désintéresse-
ments, d'abnégations, de
sacrifices, d'actes héroï-
ques, de paroles sublimes.
A
certaines époques de notre histoire,
s'incarna dans
visage
:
un
Bayard,
être à qui Villars,
il
Du
le
pays
donna son propre Guesclin, Charles
Martel, saint Louis, Jeanne d'Arc... Aujourd'hui,
par un inouï miracle qui procure au spectateur frisson
de
l'infini, c'est
le
chaque soldat combattant
qui porte sur son front la majesté de la France.
IV LA MORGUE TEUTONNE
C'était fête,
pour nous, quand notre tour venait
de servir d'escorte aux prisonniers. Nous avions ainsi l'illusion de participer à la guerre et,
part, je ne pouvais
me
pour
ma
lasser d'interroger ces vi-
FACE A FACE
36
sages étrangers et de chercher au fond des regards
l'âme qui se manifestait avec tant d'énergie farouche. Prisonniers,
yeux
certes,
mais non vaincus. Leurs
criaient leur colère de la fortune ennemie, leur
mépris de géants pour
qui avaient
les Lilliputiens
réussi à les serrer dans leurs réseaux, leur conviction
passionnée d'une délivrance prochaine, leur
soif
de
vengeance. Cette attitude ne laissait pas que d'en impression-
ner plusieurs
de
la
siens
mais moi, pensant à l'effondrement
;
Prusse après léna, et à la servilité des Prus-
devant leurs vainqueurs,
autre nation ne donna de
servilité
dont aucune
mémorables exemples,
si
je répondais à l'arrogance par des sourires et je
renvoyais in petto
les
Teutons superbes au jour
inévitable où la défaite leur apparaîtrait certaine.
Je m'amusai, un jour, à une expérience dont je
me
repens maintenant,
— car on
ne saurait avoir
trop de respect pour un ennemi désarmé, et
pas permis de se
même que
n'est
le
résultat
me montra
à sa juste valeur
la fierté
allemande.
anodine,
je jugeais
livrer sur lui
— mais dont
il
â une plaisanterie,
J'avais pris en consigne
un détachement d'une
soixantaine de Bavarois et d'une vingtaine de Prussiens.
37
TERRITORIAL
Dès
le
premier contact, j'affectai une politesse
obséquieuse et des égards manifestement exagérés, m'effaçant avec précipitation pour laisser passer
qu'un soldat changeait de co mparti-
tel prisonnier
ment, offrant une allumette allumée à tirait sa pipe
autre qui
de sa poche, indiquant, avec une ama-
de garçon de magasin,
bilité
tel
traversées par
le
le
nom
des localités
convoi.
Les Bavarois, de vieux territoriaux tout neufs
du magasin d'habillement
sortis
çonne de n'avoir pas échapper à
fait
la captivité,
et
que
je
soup-
de grands efforts pour
me
manifestèrent leur re-
connaissance de mes prévenances, mais ne se départirent ni de leur résignation ni de leur tristesse les
:
uns disaient leur chapelet avec force signes de
croix
;
les
autres regardaient leurs gardiens à la
dérobée avec des yeux où se
Mais
les
Prussiens
lisait la crainte.
!...
Plus je multipliais mes égards, et plus croissaient leurs exigences.
C'était bien ce
que j'avais prévu.
Je redoublai d'obséquiosité, à la grande stupéfaction des soldats de
ma
section que je n'avais
pas habitués à cette attitude, et j'eus la
satisfaction de m'entendre dire par
officier
:
bientôt
un
sous-
38
FACE A FACE
—
Nous foulons que fous nous
fassiez tonner tes
cigares à la brochaine arrestation tu train
!
J'avais ce que je désirais.
Aussitôt
mon
se froncent,
ma
le sous-ofTicier
visage se rembrunit,
mâchoire
mes
sourcils
se contracte. Je regarde
prussien avec
un regard qui
le
perce
comme un coup d'épée et, d'une voix qu'étrangle la colère (je me jouais, en réalité, la comédie et je n'éprouvais d'autre sentiment qu'une forte envie
de
rire)
— —
:
Vous Che
dites?...
dis...,
che
dis...
Mais sa phrase s'acheva dans un bredouillement indistinct
;
il
baissa la tête, et, jusqu'à la
voyage, quand j'entrais dans
le
fm du
wagon des Prus-
siens, toutes les conversations aussitôt s'éteignaient
yeux cherchaient avec
et tous les
De j'eus
On
intérêt le plancher.
cette pauvreté de caractère des Allemands,
une autre preuve, plus péremptoire encore. avait descendu à Gray, pour
interrogatoire,
un
lieutenant
le
soumettre à un
de -Poméraniens,
accusé d'avoir donné l'ordre d'achever des blessés français.
gent,
le
Quatre hommes, commandés par un
gardaient dans une
Ce lieutenant au visage
était
salle
de
ser-
la gare.
un homme grand, vigoureux,
intelligent et qui eût été
sympathique
TERRITORIAL sans la morgue qui
le
39
déformait comme une blessure.
Quel mépris souverain quand, parfois, son regard
tombait sur l'un des hommes de son escorte il
se sentait
!
Gomme
d'une essence supérieure et comme, en devait maudire
lui-même,
il
lui, le roi
de
la jungle,
— Qu'est-ce
que
au
c'est
le
sort qui l'avait livré,
vil
troupeau des singes!
que ça
L'heure du déjeuner arrive.
?... (p.
On
lui
39).
apporte une
boule de pain et une gamelle.
—
Qu'est-ce que c'est que ça? demande-t-il en
tenant
la
boule entre deux doigts,
comme il eût
fait
d'une ordure.
— Votre repas, sergent. — Mon repas à moi ça dit le
!
l'autre
bout de
la salle).
!
On
(et
il
lança
le
ose donner ça à
pain à
un
offi-
FACE A FACE
40 cier
allemand
!...
commandant de
Allez dire au
la
même,
gare que j'exige d'être conduit, à l'instant
me faire servir le menu du jour et Vous entendez? tels suppléments qu'il me plaira à l'instant même, ou, sinon, il apprendra à me au
buffet, afin de
!
connaître
!
Le sergent du
hésite
prisonnier,
il
;
puis, sur
se décide
à
un
geste impérieux
aller faire la
commis-
sion. Il revient bientôt.
— Le commandant vous attend,
dit-il.
Sourire de triomphe du prisonnier
avec son escorte vers
min, Il
il
bureau
le
;
le
voilà parti
militaire.
En
che-
rencontre un adjudant qui oublie de le saluer.
s'arrête et, d'un ton furieux, rappelle à l'ordre le
sous-officier.
s'empresse de réparer son
Celui-ci
erreur.
Une effet,
des premières théories qu'on nous
fit
à notre arrivée à Gray, avait pour sujet
marques
extérieures de respect dues...
allemands. Nos
officiers
aux
:
en les
officiers
à nous, braves gens un
peu gênés dans leurs uniformes neufs, auraient fermé
les
passé
près
salut
eût
yeux
été
un de
refusé
Cette seule pensée pable.
si
d'eux sans
me
leurs saluer.
les
à un fait
hommes
était
Mais que ce
officier
ennemi
trembler pour
le
!...
cou-
TERRITORIAL
On
entre dans
le
bureau
41
pomé-
et le lieutenant
ranien recommence à débiter son histoire
qu'il
:
exige d'être conduit au buffet, sur l'heure, etc., etc.
La réponse du commandant sentie
— de
J'ai là,
dans votre dossier, de quoi vous
mon bon
plaisir.
convaincu d'assassinat et vous osez
la sorte
Le
mais bien
:
fusiller à l'instant si tel est
êtes
est brève,
me
faire
Vous parler
!
lieutenant,
tout
comme mon
sous-ofHcier
prussien, baisse aussitôt la tête, effondré
:
le
chan-
gement d'attitude n'a pas demandé une seconde. L'escorte
ramène, et
le
de garantir croyable
le
le
les
ces
n'est
que
ouragan.
paraîtra
in-
il
saluait
main^
soldats qui portaient sur leurs
moindre bout de galon,
et jusqu'aux
!
deux expériences
j'ai tiré la
il
d'avant, réclamait
salut d'un adjudant,
caporaux eux-mêmes
De
tant
lui qui, l'instant
tenant tous
manches
détail dont je suis obligé
l'authenticité
—
avec fureur
—
et d'autres semblables,
conviction que la force de nos ennemis superficielle et
Ils
ont
la
s'envolera
au
morgue des parvenus
premier et leurs
façons rappellent celles des grands seigneurs com-
me
Frontin ressemble à un gentilhomme quand
a endossé
le vieil
habit de son maître.
il
42
FACE A FACE
Un
peuple-roi que l'Allemand?
Un
peuple de
conducteurs et de chefs?...
Maraud, va m'apporte
me
mon bonnet
le
20 août,
de nuit
mes pantouffes
et
!
ACCOUTUMANCE
L
Vers
chercher
je
changeai de compagnie.
Peut-être trouverez-vous que je m'étends avec
trop de complaisance sur ces premiers souvenirs.
Vous avez hâte de me
voir sur la ligne de bataille.
Je n'y peux rien. Ce sont toujours souvenirs les plus abondants et
les
les
premiers
plus précis
:
plus
nous avançons et plus notre imagination se dessèche.
Nos années de jeunesse sont des océans de tions, d'images, de douleurs et de joies
;
sensa-
quant à nos
années d'enfance, leur richesse est telle qu'elles dé-
bordent
les limites
de
la
mémoire
semblent venir des origines
et qu'elles
nous
mêmes du monde.
Ainsi d'un voyage, ainsi d'un désir, ainsi d'un
amour, car
les
sentiments eux-mêmes ont leur
jeunesse.
Ainsi d'une guerre.
TERRITORIAL
La
et
son
m'ouvrit d'abord des perspectives
illi-
avec son imprévu
vie de mobilisé,
originalité,
43
Puis, l'habitude aidant, l'étrange devint
mitées.
familier et l'extraordinaire devint banal
tenant je couche dans
rampe
veille la nuit, je
hommes, je joue
la
et,
;
boue, je dors
le
main-
jour et
sous les balles, je tue des
à cache-cache avec la mort, et cette
existence, qui sans doute prend dans votre esprit
un
relief très
«
vie civile
menus
tel
mois de l'année passée
ment de
la guerre,
Ce que jardin ou
(1),
ma
je faisais tel
avant
je faisais?
Mais
le
le
déchaî-
matin, je bêchais
me promenais dans la forêt mon bureau le
maison déserte,
j'écrivais
;
ou
la
mon
de Marly soir,
je lisais,
terrompant, parfois, pour sourire à
me
de
en avril, par exemple.
l'après-midi, j'allais à
ma
faits
».
Demandez-moi, ex abrupto^ ce que ou
moi d'im-
accusé, ne dépose pas en
pressions plus profondes que les
;
dans
en m'in-
disparue qui
regardait dans son cadre et dont je sentais la
chaude et douce présence roulée autour de
cœur comme une
mon
fourrure.
Mais des souvenirs précis de ce mois-là, je n'en
ai
pas.
De même, (1)
ce
que
je faisais
en avril dernier, je
Ce premier volume de souvenirs a été
écrit
en 1915.
44
FACE A FACE
n'en sais rien. Mises à part quelques, grandes dates
de bataille qui émergent dans toute leur sauvage
ma mémoire
horreur,
est
nul événement n'accroche
Et
une plaine monotone où le
regard.
cet état d'esprit ne m'est nullement parti-
culier
nous sommes tous pareils sur
:
Même
ceux qui avaient, avant
d'une
ferme,
même même
les
d'une
front.
la guerre, le souci
industrie, d'un
commerce,
plus âgés d'entre nous, témoignent d'une
indifférente philosophie
des actes
le
difficiles
ils
;
accomplissent
avec insouciance, ou dangereux
avec sérénité.
— qu'on me pardonne l'expression un fonctionnaires de l'héroïsme. peu précieuse — Ils
sont
les
Bien plus est
!
cette vie, loin de leur peser, leur
devenue à ce point familière
qu'ils n'en
sou-
haitent pas d'autre tant que leur tâche demeurera intacte.
Vous
qui, à l'arrière,
de l'épreuve, et qui
vous
irritez
de
murmurez comme
dait d'un arrêté préfectoral
de
la
longueur
s'il
dépen-
débarrasser la
France de sa vermine, écoutez ce dialogue. Je
l'ai
major de
entendu, à Commercy, entre un sergent-
mon
régiment, épicier dans une ville du
Centre, et sa femme, qui avait réussi, au
d'un subterfuge, à pénétrer dans
la
moyen
zone des armées.
45
TERRITORIAL
trouvais à côté d'eux à table d'hôte et je ne
me
Je
pouvais pas ne pas entendre.
— Tous nos commis sont et
me
ne
il
partis, disait la
femme,
qu'un petit garçon de treize
reste plus
ans.
— quait
Raison de plus pour vendre la maison,
me
fatigue.
ne trouverai pas de la maison
le dixiè-
mari, et
le
— Mais
je
de ce qu'elle vaut
— soit
répli-
ne pas tomber malade de
!
Qu'est-ce que ça
pas compromise
fait,
pourvu que ta santé ne
?
— Tu ne pourras jamais remonter une maison comme
— fants
— dus
la
nôtre
!
J'aurai toujours
ma femme
et
mes
trois en-
c'est le principal.
:
Mais tous tes
efforts
de douze ans seront per-
!
— Tu diras une prière à saint Antoine pour me les faire retrouver.
Et
la
conversation continua de la sorte, mi-sé-
rieuse, mi-plaisante, jusqu'à
du mari, qui jeta et
la
de baisers (toute
une dernière réflexion
femme dans une la table
crise
de larmes
d'hôte feignit de ne rien
voir) et qui arrêta le torrent des lamentations.
— es
Mais
enfin, s'était-elle écriée,
content d'être en guerre
I
on
dirait
que tu
46
FACE A FACE
—
ma
Non,
sais bien.
chérie, je
ne suis pas content et tu
Mais à quoi bon déplorer ce qu'on ne peut
empêcher? Et
puis, suis-je
donc tant à plaindre, moi
qui ai trois enfants avec des joues pareilles
à
la
le
main une photographie)
qui m'aime
comme au
et
(il
tenait
une petite femme
premier jour?...
VI L UNION SACREE
En apprenant que
ma
de
j'allais les quitter, les
demi-section
me
hommes
témoignèrent leur sym-
me
pathie et leurs regrets avec une chaleur qui sensible. Je n'étais
peu de
fut
pourtant demeuré avec eux que
jours, et les services
que j'avais pu leur
rendre en m'occupant de leur bien-être méritaient
à peine un souvenir
que
du
l'uniforme
et lui rend
;
mais l'observation soldat rajeunit
fraîcheur des
la
est
un
banale
homme
sentiments de son
enfance. C'est là
comme vous
le
ce cataclysme aspects.
— non — guerre, de de verrez avec moi
un des beaux côtés
.
et
le seul,
la
si
épouvantable par tant d'autres
47
TERRITORIAL
Je ne saurais aller plus loin sans rendre aux gens
de Gray l'hommage qu'ils méritent.
Une vieille dame souffrante, }>l^^ Bernard, à qui le plus grand calme était nécessaire, accueillit cepen-
— Oh!
madame! on
sait vivre... (p. 47).
dant deux escouades dans l'appartement au-dessus
du sien.
Elle
de faire
le
recommanda simplement aux caporaux
moins de bruit
possible, et ceux-ci le lui
promirent avec des protestations et des jurements
— Oh
!
madame, on
sait vivre
!
Je vous crois qu'ils savaient vivre
vages
!
Ah
!
pauvre chère dame
I
:
!
Ah
!
les
sau-
48
FACE A FACE
Un autre habitant, les clés
voir
d'un logement inoccupé, et navré de ne pou-
me
rendre
que
service
le
m'autorisa à faire ouvrir
les pièces
précédente et
demandais,
je lui
les serrures
au besoin, à enfoncer
rurier et,
Et
campagne
qui avait laissé à la
la
par un
porte
ser-
!
avaient été remises à neuf l'année
elles étaient
entièrement meublées
!
Mais, ce qui donne à son geste une plus grande
valeur encore, c'est que ce logement n'était pas à lui,
mais à une parente partie pour
en avait laissé le
cœur de Et que
me
les ustensiles
siniers ?
de
dire
cet
Midi et qui lui
homme ait
une confiance
deux
éloge pour tous les
Graylois à
Que
la garde.
sa parente
le
eu dans
pareille,
quel
!
l'empressement
mis
par
les
prêter les marmites, les chaudières,
de toutes sortes nécessaires à nos cui-
Une pauvre
vieille
voulait
me donner
unique pot-au-feu. Quant au sacristain,
mon
je l'avais
du grenier à
la
refus opiniâtre^
il
écouté, j'aurais dévasté sa maison
cave. Pour se venger de
si
son
décida de distribuer chaque jour un quart de vin à
chacun des vingt hommes logés près de Ces souvenirs fique élan qui,
tous
les
!
me remettent en niémoire le magni-
aux premiers jours de la
Français
vraiment upe
lui
les
même
uns vers
famille.
les
guerre, jeta
autres et en
fit
TERRITORIAL
49
L'union sacrée ne fut pas alors un vain mot. Est-
même aujourd'hui?... Dites-nous qu'elle est toujours la même nous avons besoin de
elle
toujours la
;
le
croire et
ils
perdraient la plus grande partie de
leur raison d'être, nos sacrifices,
s'ils
ne devaient
pas nous donner une France plus unie, plus aimante, plus fraternelle.
Nous mais
autres,
elle est
ici,
— voilà une digression encore,
nécessaire et
ils
ne formeraient qu'un
vain bavardage, ces souvenirs,
ne cherchaient
s'ils
pas à tirer un enseignement de leur expérience,
nous autres,
ment
dis- je, sur le front,
et sans efforts, unifié
Nous
—
avons, natureUe-
nos âmes.
objecterez- vous que notre cas et le vôtre
ne sont pas semblables et que nous avons, nous,
pour cimenter notre union,
mun
et
la
le
sang versé en com-
mort bravée côte à côte? Non, vous
ne nous ferez pas une objection serait
dire
pareille, car ce
que vous distinguez votre sort du
nôtre et que, derrière la ligne de tranchées qui
nous sépare de l'Allemand, un autre fossé existe, plus
profond
encore,
qui nous isole
de notre
pays.
Oui, l'union sacrée fleurit
douleurs et
les joies
et les porte-monnaie.
;
ici.
communs
Communes
les colis
les
famihaux
Des semaines entières passent 4
•
50
FACE A FACE
sans qu'on entende
le
bruit d'une querelle, et
quand
par hasard deux coléreux s'oublient ce n'est pas
une voix, mais dix voix qui s'élèvent pour imposer
aux malavisés.
silence
La
fraternité est poussée jusqu'au scrupule
les
;
conversations évitent tout ce qui pourrait créer des
malentendus
;
de politique,
plus question, et,
si
l'on
il
n'est en particulier
vous dit que dans
telle
com-
pagnie se trouvent un prêtre et un vénérable de loge,
—
je
prends à dessein un exemple topique,
—
tenez pour certain qu'ils sont amis intimes. Affectation de leur part?
Oh! non pas! Mais
leur violent désir de bien faire et leur soif ardente
de concorde
les
ayant rapprochés l'un de
sont arrivés à se connaître,
et,
se sont appréciés et aimés.
Il
l'autre,
ils
s'étant connus,
ils
y a tant de
pour nous Français, de nous chérir tres, et
motifs, les
au-
!
de chevalerie, nous a reille,
uns
y en a si peu de nous haïr Notre longue commune, fleurie de vaillance et parfumée
il
histoire
les
fait
une âme tellement pa-
noble à souhait et gentille à plaisir
!
Nos
dis-
sentiments ont des causes presque toujours futiles
De
si
!
grands progrès ont été réalisés sans aucun
doute, mais nous voudrions mieux encore. Qu'il
y ait de
légers
nuages au-dessus des familles
TERRITORIAL les plus unies,
eh
!
nous
le
51
savons bien
;
mais
les
circonstances actuelles ne sont pas les circonstances ordinaires de la vie. L'épreuve a ravivé nos suscepaiguisé nos scrupules, et la plus petite
tibilités,
mésintelligence entre Français nous fait peine et
comme
nous choque, pute dans
la
nous assistions à une
si
dis-
chambre d'un malade.
Oh mes frères mes frères Maman est blessée, maman souffre Serrons-nous autour d'elle et !
!
!
!
qu'elle n'entende
de nos bouches que des paroles
d'amour.
VII LUTTES INT)MES
L'excellente M^»e Bernard, qui
deux de mes escouades,
tint à
me
avait accueilli
loger,
moi
aussi.
Mais, plus que la chambre à coucher confortable, plus que
le
ciré,
grimpantes,
plantes
lequel elle
—
salon
me
aux
j'appréciai
conduisit en
me
Je n'y descends jamais,
Avec
fenêtres égayées de
il
le
disant
jardin
dans
:
est à vous.
ses trois terrasses étagées, sa profusion
fleurs et
de
de verdure, son exposition incomparable
au-dessus de la Saône, ce jardin m'apparut
comme
FACE A FACE
52
un autre Paradou. Je d'un pommier, heures de le
plaçai
une table à l'ombre
et je passai là, désormais, toutes
loisir, lisant,
paysage merveilleux. La Saône coulait pares-
seusement à travers
la vallée
aux heures de l'aube
et
soleil
Le
son eau glauque
;
du crépuscule
comme une nappe
de midi,
parfois,
le
ce n'était là
prétexte
au
le jour,
n'était
vol des hirondelles, et quand, se
soir,
le
éclatait
liquide de métal.
uniformément bleu tout
ciel,
rayé que par
et
mes
ou rêvant devant
écrivant,
quelque léger nuage,
levait
d'une nature
qu'artifice
coquette
parer son
coucher de draperies
je n'arrivais
pas à tirer de ce spec-
à
multicolores.
Cependant
me
tacle toutes les jouissances qu'il
encloses.
En
vain
enthousiasme en extasiées
Tasset,
cherchais-je
exciter
mon
me remémorant mes promenades
d'enfant
à travers les campagnes de
mes méditations
sur
un brin d'herbe, mon
attendrissement devant une aller
semblait tenir
à
jusqu'aux larmes, et
qui pouvait
fleur,
la
ferveur sans cesse
renouvelée avec laquelle j'abordais tout paysage
nouveau au cours de mes voyages.
Comme
vous avez souri en moi,
.
collines de la
Riviera, parfumées de roses, et vous, apocalypses
des sierras, quels profonds Te
Deum m'ont chantés,
53
TERRITORIAL
SOUS les nuits embrasées de l'Espagne, vos orgues
gigantesques
!
Mais, de ces concerts,
mon âme ne me
plus qu'un écho à peine perceptible
rendait
mélan-
et,
sentais les années étouffer l'en-
coliquement, je
thousiasme.
Le mois avant
passé, qu'on m'avait
que
acceptés
fussent
ma
volontaires, je renouvelai
Mais
—
mon
capitaine
donné pour les
tentative.
:
De quoi vous embarrassez- vous pas,
a-t-il
de
ici,
délai
engagements
quoi
occuper
là?
votre
N'y
bonne
volonté ?
me
Et
d'insister je
Au
fond, je devais le reconnaître, je n'étais pas
fait
pour
qu'on
rêve,
combats
vie militaire
ma
pensée
c'était
non
ment de
sentis pas le courage.
métier des armes. Tout enfant, alors
le
ne
batailles,
ne
d'ordinaire,
que
chevauchées,
singuliers, je ressentais contre la
une aversion insurmontable, et ce que
me
représentait avec
la gloire
la victoire,
le
plus de force,
de l'ennemi vaincu ou l'enivre-
mais
la
dévastation des incen-
dies, la souffrance des blessures et l'horreur
cadavres déchiquetés par
Par
surcroit, des
projets,
s'en
des
les corbeaux...
camarades, au courant de mes
vinrent m'entreprendre
:
54
FACE A FACE «
que des barbons
Est-il admissible
battre
aillent se
aux côtés des jeunes gens? Aurais- je de
la force
ma
songer à
petite
papa au monde? Ces raisons
même
suivre? Et puis, ne devais-je pas
les
qui n'avait plus que son
fille,
»
me
semblaient raisonnables,
écoutais avec sympathie
je les
tout en cherchant
et,
des objections pour la forme, j'en arrivai très vite
à
me
convaincre
j'attendrais,
:
pour
aller
au
feu,
qu'on m'y envoie.
L'argument de m'arrivait
ma
malheur,
petite
fille,
orpheline
s'il
tous
les
par-dessus
pesait
autres. J'avais envers elle des devoirs. Ces devoirs
me
laissaient-ils le droit
son sort et de
lui
Providence?
Mes camarades, plus le
désintéresser de
enlever le protecteur naturel
qu'elle avait reçu de la
dans
me
de
problème, disaient
:
«
Non.
»
moi
que
désintéressés
Je devais
me
ranger à leur avis. Or,
un jour qu'on m'avait apporté
pour que
je le
Aussitôt,
trouver
sans
hésitation
je lus
les volontaires
quitter la territoriale pour entrer dans
comme
rapport
communique à mes hommes,
une note du colonel autorisant
actif.
le
d'une
seconde,
d'une chose depuis longtemps mûrie, le sergent-major et je lui dis
:
à
un régiment
j'allai
55
TERRITORIAL
—
Inscrivez-moi sur la
liste
des volontaires
Pourquoi cette soudaine volte-face? Je
demandai longtemps à moi-même, sans démêler
!
le
réussir à
Gomment
complication de l'écheveau.
la
me
une décision arrêtée, logique, reposante, se muat-elle
en une autre décision, non moins arrêtée, qui allait avoir pour effet de
mais plus
difficile, et
me
au milieu de dangers contre lesquels
jeter
criait
Je
ma
lâcheté instinctive?...
le sais,
maintenant...
Mais quel changement en moi, accomplie
!
Comme, de
lumière du jour
!
la vie, incontinent,
mon
L'enthousiasme de
Non,
mon
fum des
je n'avais
Je
le
retrouvai
pas l'imagination pétrifiée
commencé de
cœur, et toujours souriait en moi roses, et toujours grondaient
grandes orgues de
;
neiger le
par-
en moi
les
la ferveur.
demeurai à Gray huit jours encore
compteront parmi tence qui,
vint
!
enfance, je
non, la vieillesse n'avait pas sur
me
I
des prairies étaient attendrissants
intact.
ma démarche
Comme elle était pénétrante, Comme le bleu du ciel et le vert
une saveur nouvelle la
sitôt
les
:
ils
plus ensoleillés d'une exis-
pourtant... Mais ceci ne regarde per-
sonne. Je vécus dans une sorte d'extase et beau-
coup de secrets
me
furent dévoilés qui élargirent
56
FACE A FACE
l'idée
que
je
me
de
faisais
la
du monde.
vie et
Je sus qu'entre deux devoirs qui s'opposent, faut toujours choisir
plus
le
difficile
:
il
on a moins
de chances de se tromper. Je sus encore que nous ne perdons jamais rien à
nous montrer prodigues envers
Providence et
la
que chacune de nos générosités nous
est aussitôt
remboursée au centuple. Monstrueuse, maintenant, m'apparaît
que de venir à guerre,
mon sacrifice un dommage puisse surmon enfant. Même si je disparais dans cette même si ma petite fille reste seule, je dois
tenir pour éternel
somme
de joies
Vous que
que de
lui
ma mort une ma
écherra que de
cette affirmation inquiète
ma
fille,
l'heure
venue de m'en
ne plus jamais revenir peut-être, sans une larme, et ton souvenir
plus grande vie.
ou scandalise
ne dites pas que vous croyez en Dieu Oui,
la crainte
!
aller,
pour
je t'ai quittée
ici,
dans
la tran-
chée, ne m'apporte que des joies. C'est
que
et plus fort
je t'ai confiée à
un père plus tendre
que moi, un père dont
l'affection
ma-
ternelle te protégera, te bercera, te réchauffera et
enveloppera jusqu'aux épreuves dans la
douceur et
le
sucre de l'amour.
Je suis tranquille.
le
miel de
57
TERRITORIAL
VIII LE VENT DU LARGE
me
Il
fallut
à Bourges
et,
un mois pour, de Gray, retourner de Bourges, être envoyé sur
le
front.
ma
Ces quatre semaines furent pour l'occasion de copieuses
bombances.
volontaire resplendissait sur
auréole
et, loin
mon
ne «
approuvais et à
pas,
Encore
— Ah
!
je
comprenais,
devais prendre garde pour :
»
!
direz-vous.
certes, quelle sottise
bien qualifiés pour lecteurs, ô
je les
chaque coup d'encensoir, m'écrier
Quelle sottise !
Mon titre de comme une
front
de trouver exagérés les égards que
me témoignaient mes camarades, je les
vanité
mes
me
frères
!
Et comme vous
êtes
jeter la pierre, hypocrites
!
Je n'avais pas alors passé au creuset de la bataille et j'étais
de tous
les
convaincu de tous
sophismes qui font
les
le
mensonges
et
fondement des
sociétés humaines.
Je savais que
ma
personne était
le
centre de
FACE A FACE
58
l'univers et qu'elle se prolongeait dans l'illimité
de l'espace et du temps.
dans
même un jour? Il m'arrivait, parde parler de ma mort mais ce n'étaient là, ma bouche, que paroles vaines. Les autres,
oui,
évidemment,
Mourrais-je fois,
;
il
autres, la belle affaire
leur
Mais moi
1
mourir.
Les
Comment
tant
faudrait !
d'intelligence et de beauté, et de bonté, et de sa-
gesse
s'éteigne et sans sa base et
Ma
que
le
le
soleil
retombe au chaos?...
personne sacrée,
Mon
confortable.
il
était
donc juste et néces-
vêtue et logée de façon
existence à
l'infini
prolongée,
était juste et nécessaire, afin de lui assurer son
bien-être, d'amasser pour elle et
que
vaste éther chancelle sur
saire qu'elle fût très bien
il
sans
disparaître
pourrait-il
maison de
titres
ville,
dividendes copieux et multiples
de rente.
Dans un autre domaine, au culte de
l'idole
;
Je crois que ce
Maraud, baisse
les
il
me
j
'avais le devoir de veiller
fallait lui assurer sa
d'hommages
vision quotidienne
—
maison des champs
le
— Ce pauvre m'est antipathique de moi,
rien,
ce pas les
et de louanges
maraud me regarde de
yeux ou gare
pro-
travers.
coup de canne et
il
:
!
n'aura rien
pas même un centime. — Mais
Durand qui s'avancent? Tenez,
n'est-
mon
59
TERRITORIAL pauvre ami, voici une grosse pièce de dix sous
Ah
comme un roman
!
dapterait, en ce
ma femme
!
de Ponson du Terrail
moment, à mon
état
d'âme
!
—
s'a-
Mais
de ménage rôde aux alentours et je tiens
au respect de
ma femme
de ménage... Vite, plon-
geons-nous dans un volume de Nietzsche et ca-
chons nos bâillements
!...
Cette hypocrisie, cette duplicité, cette sottise, c'est là, oui, c'est là tout le
humaines,
et, elles
fondement des sociétés
disparues, que nous resterait-il,
sinon à dire adieu à
la
vie et à nous ensevelir
dans une chartreuse ? L'adieu à la vie, les tranchées.
ils
l'ont dit,
ceux qui occupent
Les tranchées sont un couvent et
nulle thébaïde jamais n'eut
une règle aussi austère.
Dépouillés de leurs mensonges, délivrés de leurs servitudes, les poilus contemplent le
monde avec
des yeux qui n'ont jamais servi encore, et
ment
qu'ils
éprouvent pour
lui,
le senti-
sentiment
lassitude et de torpeur, ne peut pas
même
fait
de
rouler
par delà l'indifférence pour tomber jusqu'au mépris.
Souvent des écrivains s'étonnent de
la
modestie
des combattants qu'ils rencontrent. Cette modestie est
générale au front et jamais les tranchées ne
retentissent
du
récit des prouesses.
Chacun de nous
sait trop bien ce qu'il peut, ce
60
FACE A FACE
manque. Et
qu'il vaut, sent trop bien ce qu'il lui
puis,
comment
quand on
se
s'enorgueillir
de ses pauvres exploits
remémore tous
héros tombés, les
les
meilleurs, les plus braves, et dont les hauts faits
n'ont eu d'autre témoin que Dieu?
Rien de de
tel
que
mort pour
la
flamboiement
le
ininterrompu
éclairer les tréfonds de l'âme.
Cette vanité sotte, dont je parlais tout à l'heure,
commença
mon
d'être battue en brèche,
départ, par
le
même
avant
spectacle des autres volon-
que moi.
taires plus vieux
Plusieurs sergents avaient dépassé la soixantaine,
—
même
jour que son plus
âgé de dix-sept ans.
Quant aux volon-
l'un d'eux, engagé le
jeune
fils,
taires de cinquante ans,
que j'eus avec un je
—
y en avait des multitudes.
noté également, daté de Gray,
J'ai
que
il
territorial
de
ma
le
dialogue
section
et
veux, pour votre édification, reproduire.
Sergent,
me
dit-il, je
demande à
partir avec
vous.
—
Avez-vous bien
Attendez encore
—
Ma
:
réfléchi?
répondis-je.
rien ne presse.
réflexion est toute prise et je ne
attendre.
— Vous —
lui
êtes
Oui, et
marié?
j'ai
quatre enfants.
veux pas
TERRITORIAL
61
— Quelle votre profession? — Marchand de journaux. est
Vous avez des
ressources, sans doute? des
économies r
—
— —
Sergent, je
demande à
Je vis au jour
partir avec vous... (p. 60).
le jour.
Mais qui viendra en aide à vos enfants,
si
vous êtes tué?
—
Mon
père, qui est valide encore et qui, après
62
FACE A FACE
nous avoir élevés, mes
frères et moi, élèvera bien
ses petits-enfants.
— Avez-vous demandé son — Ce pas peine, n'est
la
il
en 1870, et je sais qu'il sera
—
J'insiste encore
une décision
avis?
engagé lui-même
s'est fier
de moi.
pour que vous ne preniez pas
précipitée.
La guerre
se terminera
bientôt, peut-être (nous étions alors dans l'enivre-
ment de
la victoire
de
la
Marne), et vous n'aurez
pas besoin de vous battre.
—
Raison de plus pour que
trop de peine que la campagne
pu y Et
— et
me
finisse
hâte. J'aurais
sans que j'aie
participer. il
ajouta
:
Si je désire
si
vivement
ment à cause de mes que
je
les
enfants. Depuis que je sais
Allemands ont coupé
commis
partir, c'est juste-
les
mains à des bébés
d'autres atrocités sur des tout
petits,
ma
semble
je n'arrive pas à avaler
colère. Il
me
que ce sont mes enfants à moi qui ont été victimes il
faut que je les venge
;
!
Ces paroles, et d'autres semblables, venues d'anciens combattants qui attendaient au dépôt leur
renvoi sur
le front,
étaient pour
moi
le
sujet de
méditations fécondes et m'apportaient un premier
écho de
la
symphonie immense des tranchées.
63
TERRITORIAL Ainsi, bien le
avant d'arriver aux rives de l'Océan,
voyageur aspire
l'acre
saveur des exhalaisons
marines et sent ses poumons se gonfler aux souffles
du
puissants
large.
IX LA FOLLE DU LOGIS
Je partis pour
le
front avec
un détachement
de quelque quatre cents hommes, anciens blessés
pour
plupart.
la
Les souffrances n'avaient pas
ralenti leur ardeur et ce la
que
route,
comme
rires,
ne furent, tout
le
long de
chants, farces, espiègleries,
d'une bande de collégiens en promenade.
Octobre des talus
;
vieillissant
aux platanes
s'effilochait
mais, bien que la guerre fût
commencée
depuis plus de dix semaines, l'enthousiasme des populations traversées n'avait pas
dans
tout
les gares,
quand
j'étais
comme aux
passé par là avec
faibli. C'était,
premiers jours,
le 62®,
une affluence
de femmes, de vieillards, d'enfants, de jeunes
filles,
qui jetaient vers nous leurs acclamations, leurs baisers,
leurs
présents
:
sourires,
fruits
qui nous offraient leurs
du Berry, fromages du Bourbon-
64
FACE A FACE
Du
train qui se hâtait vers la frontière... (p. 64).
nais, vins, laitages, œufs, raisins,
miches savou-
reuses de l'opulente Bourgogne.
Quant à à
la
Lorraine, toute déchirée qu'elle fût
la tête et meurtrie, elle trouvait la force
apporter
l'obole de la
veuve
:
de nous
des brassées de
chrysanthèmes baignés des pleurs de
la rosée et
des gerbes de roses couleur de sang. Ainsi,
du
train qui se hâtait vers la frontière,
nous voyions
surgir,
doux visages de
Comme
la
aux courbes de
l'horizon, les
France.
elle était belle, cette
France, au mélan-
colique soleil de l'automne, avec ses prairies où
mugissaient
les
bœufs, ses plaines que
embrasés paraient du manteau royal,
les
ses
chaumes coteaux
lourds de pampres, ses bois de sapins tout réson-
nants du cor des paladins,
ses forêts
emplies de l'odeur austère des
de chênes
siècles,
d'où
les
65
TERRITORIAL
druides à barbe blanche nous saluaient au passage
de leurs faucilles d'or votre
amour pour
elle et
comme
et
;
je
comprends
votre ardeur à la défendre,
ô soldats du VII I^ corps, ô mes compagnons d'armes,
gars
du
du
13^,
du
29^,
du
vous qui,
134^,
les
faux dans ses prairies,
56^,
du
du
85e,
du
10^,
années passées, teniez la
charrue dans
la
ses vignes,
tombes vivantes des
ensevelis dans les
et qui,
27^,
tranchées, n'en sortez plus que pour les vendanges
de
bataille
la
et
les
moissons pourpres de
la
gloire.
Cette ligne de points représente deux longues
pages de confidences que je viens de déchirer, trop intimes. J'ai senti, à les relire,
de pudeur
froissée. Elles
comme une
vous auraient cependant
intéressés, je le crois, et elles n'eussent inutiles.
sorte
pas été
Pas plus que moi, vous ne devez aimer
faire route
avec un compagnon dont vous entendez
la parole sans
apercevoir
le visage, la tête dissi-
mulée sous un épais capuchon. C'est pourquoi, de ces confidences, j'ai tenu à vous en garder une.
Trop des vous
récits qui
lettre
vont suivre demeureraient pour
morte,
si
vous ne connaissiez
nition que déjà donnait de sait le
catéchisme
la défi-
moi l'abbé qui me
:
5
fai-
FACE A FACE
66
—
Péricard, ce n'est pas
un composé d'une âme
d'un corps, mais d'un corps et d'une imagi-
et
nation.
La
folle
du
logis
a toujours occupé chez moi la
mettant en pénitence et
raison, la bousculant, la
faisant d'elle
ma
gourmandant
place de maîtresse de maison,
une pauvre enfant martyre. Je
de vos yeux des larmes à vous narrer
les
tirerais
avanies
quotidiennes que doit supporter l'infortunée et les
brimades auxquelles
Le de
conflit
ma
vie.
trouvant
le
date de
aux
Jeune homme,
réelle,
des tout premiers temps
loin,
jardin paternel trop étroit et
la lune et
sorte de
je
je
allais
avec
me
fis
jou-
les étoiles.
deux existences
indifférent
yeux
m'épanouissais j'endossais,
ou
hostile,
baissés, gêné,
et Vautre, jaillie, tout armée, de
laume,
mes
jouer au ballon
mis danS mes divagations une
méthode. Je
passais, triste, les
m'en
billes
où tout m'était
dilatais,
soumise.
Je marchais à peine seul que déjà,
joux trop insipides, avec
elle est
mon
mal à
rêve,
la
:
où
je
l'aise
où
je
;
me
où, cabotin à la Guil-
;
pour
mon
tantôt l'un, tantôt l'autre de
seul
agrément,
mes somptueux
cos-
tumes. Je fus, tour à tour, ficences
de
son
le
verbe
poète qui tint aux magniles
multitudes pâmées
;
TERRITORIAL dans
l'architecte qui dressa si
hautes que
envol
;
67
le ciel
des cathédrales à suivre leur
les aigles s'essoufflaient
savant, maître des derniers secrets de la
le
nature, qui pouvait,
comme
il
est dit
de
la
lampe
merveilleuse, enchaîner à sa fantaisie les forces les
plus obscures de l'univers
les
mélodies, prises au
;
le
musicien dont
cœur même de l'âme uni-
(n'essayez pas de comprendre, c'est de
verselle
métaphysique), faisaient, réellement et sans
la
symbole, pleurer
les
rochers insensibles et danser les
arbres dans les clairières ainsi que de jeunes béliers. Je m'enivrai longtemps à ces sources vives. Mais les
années, les années passaient, et
admettre, à forts
avec
!
savant
elle
dut bien
— au prix de quels — que, mauvaise grâce
la fin, la folle,
quelle
définitif, je
ef-
!
ne parvenais pas à loger en
mémoire une formule de chimie
;
ma
qu'architecte de
cathédrales, je n'étais pas capable de clouer droit
deux planches l'une sur rival d'Orphée, je clair de la lune
ne savais pas
Ah
!
;
que, musicien
même
solfier
:
Au
!
Croyez-vous qu'alors folle?
l'autre
vous ne
la
elle
se tint tranquille, la
connaissez guère
!
Après une
période de dépression, très courte, elle s'avisa que, seule, la vie d'action
comptait au monde et
décida que je serais un
homme
d'action.
elle
FACE A FACE
68 Ce fut
Anglais
moins
Bothaland
sans
mais,
;
prépondérante à
Me pardonnent
Boers.
seraient-ils plus
couché
une part
pris
je
des
la guerre les
mes occupations
ainsi que, sans quitter
parisiennes,
doute,
nos amis bataillons
leurs
nombreux en France, des
leurs
dans
si
j'avais
plaines
les
du
!
De même, quable dans
je
la
m'expliquer
me
distinguai de façon remar-
guerre russo-japonaise, et je ne puis
encore
comment nos
virent leur échapper la victoire,
alliés
quand
russes
je
pense
aux multitudes de Japonais que, muni des
seules
ressources de
noyer dans
Aux
mes
les flots
la
de l'Océan
!
périodes de calme, lorsque nul conflit ne
faisait appel à
à
ruses diaboliques, je parvins à
mon
génie militaire, je m'adonnais
chasse aux grands fauves.
Je vous parlais, à l'instant, des déboires de
ma
pauvre raison. Représentez-vous un peu, essayez de vous représenter, je
vous
prie, la situation
de la malheureuse
en service chez un monsieur de vêture correcte, d'apparence respectable, marié, père de famille,
proposé deux et qui, à
fois
pour
une question
les
palmes académiques,
ainsi posée
:
«
Où donc
Monsieur?», aurait été obligée de répondre:
est
69
TERRITORIAL
—
Monsieur?
Il
occupé à chasser
est
dans sa
salle
à manger,
le tigre.
Ou
bien
—
Dans son cabinet de
:
en train de
toilette,
un troupeau d'éléphants sauvages
cerner
!
X SUR LE FRONT
Avec
que vous savez sur
ce
de
la folle
mon
logis,
vous devez vous imaginer dans quelles extravagances
elle était
tombée, tandis que
le train
roulait
vers la frontière, et vous devez entendre d'ici la belle scène
—
Nous
de ménage. arrivons, disait la folle,
venue nous rampons vers notre
fusil
en bandoulière
la
et
et dès la nuit
tranchée ennemie, notre
baïonnette
entre les dents.
—
Oui, se moquait
ma raison, belle
posture pour
traverser les abatis d'arbres et les rangées de
de fer
—
fils
!
Les
fils
de fer ne nous inquiètent pas, repar-
tait la folle, car
passage frayé par
nous découvrons facilement un les
obus.
Nous sautons dans
la
.
70
FACE A FACE
tranchée
tapant de
et,
la crosse,
tous ceux qui se présentent.
nous assommons
S'il
en est qui se
cachent dans quelque trou, espérant nous échapper, vaine espérance
bien
les
!
car notre baïonnette saura
La tranchée
dénicher dans leur repaire.
prise...
—
Comme
raison.
cela,
en cinq minutes
ma
s'écriait
!
Et vous n'aurez pas même reçu une
égra-
tignure ?
—
minutes ne nous suffisent pas, nous
Si cinq
en mettrons six
La première
même
et là
:
nous ne rêvons pas l'impossible
ligne prise,
nous courons à
besogne, mais plus
facile,
vrages de deuxième ligne sont moins
ceux de première. C'est ciers
:
oh
Au moins
—
que
se
deuxième
car les ou-
trouvent
les offi-
faire
six lieutenants et trois capitaines
Quoi
!
raillait
ma
raison, pas
que
fortifiés
beau carnage que nous allons
le
!
là
la
même un
!
!
offi-
cier supérieur?
—
C'est vrai, reprenait la folle qui n'y entendait
pas malice. Le colonel doit faire par
là
des rondes
fréquentes, et rien n'empêche que nous ne jetions
par terre
le
colonel et son état-major.
Une chose
m'ennuie, cependant...
— Vraiment
?
vous trouvez à
C'est bien extraordinaire
I
la fin
un obstacle ?
71
TERRITORIAL
— s'ils
que ferons-nous de nos prisonniers,
Oui,
refusent de nous suivre? Quatre cents
hommes
à mener, voilà qui n'est pas facile pour
un
seul
homme.
—
Quoi donc? Quatre cents prisonniers? Pas
davantage ?
—
Il
est de fait que,
pour une opération de
hommes
pareille envergure, quatre cents
consti-
tuent un maigre butin. Disons six cents, et nous serons modestes.
commencer
Et, impatiente de
le
chapitre de
me
mes
prouesses, la folle eût déjà voulu
mon
poste de bataille et prenait à partie
voir à
le
train
pour sa lenteur.
Le
dirai-je? Oui, puisque j'ai
de peindre
le
portrait fidèle d'un
formé
le
dessein
combattant de
la
grande guerre.
Eh
je n'étais
pas du tout mécontent de
faut avoir récité
un chapelet de semaines à
bien
1
moi. Il
Notre-Dame
la
Mort pour s'estimer à sa juste
valeur et connaître,
comme au dynamomètre,
la
limite de sa force morale et celle de sa résistance à la fatigue.
Ni l'une ni l'autre ne permettent à personne un grand orgueil.
FACE A FACE
72
y a des jours où nul exploit ne semble impos-
Il
où l'escalade
sible,
fants.
Il
devant
y en a
le
même du
ciel
apparaît jeu d'en-
d'autres, les plus
nombreux, où,
danger, la nature renâcle, grince des
dents, tire sur la chaîne
:
faut la faire marcher
il
à coups de fouet.
Et
puis, qui établira,
la part qui revient
Les meilleurs,
dans chaque action d'éclat,
à ceux qui nous entourent?
les plus braves,
ceux qui davantage
au danger s'exposent, presque jamais
ils
ne recueil-
lent le fruit de leur courage parce que, se portant
au plus
fort
du
d'en revenir, bien peu
péril, ils ont,
de chances. Mais, au combat, les individus disparaissent et
ne possèdent plus qu'une âme. Ceux qui tombent passent à ceux qui restent
le
flambeau. Telle pa-
role sublime, jaillie de votre bouche, a été pensée
par
le
camarade qui
gît
à vos côtés
;
tel acte hé-
roïque accompli par vous est sorti tout brûlant
de son cœur.
Emporté par mon imagination au pays des
chi-
mères, j'étais, je le répète, très satisfait
de moi.
N'ayant combattu que dans mes rêves,
ne con-
je
naissais ni les obstacles ni les dangers, et je pou-
vais
me
lancer au grand galop de
risquer de faire
un faux pas
ma
fantaisie, sans
ni d'être arrêté par
73
TERRITORIAL
une blessure. L'habitude à ne pas sortir
ma
pensée sans toilette de
ma
contribuait également à attiser
action d'éclat
et crier
ber,
me
:
«
même
fond de
Bravo!
ville,
vanité.
Une
semblait indigne d'être vécue
nombreux
sans un
en m'obligeant
d'écrire,
auditoire pour battre des »
mains
et je ne concevais pas de
même
dans un coup de main,
la nuit, sinon
devant
J'arrivai sur le front à la
au pro-
président de la
le
République ou, tout au moins,
tom-
le
généralissime
I
fm d'une après-midi.
Quelques kilomètres auparavant, en traversant le
bois de Marbotte, plusieurs éclats égarés de 77
tombés sur
étaient
pour
le
taille
en pensant
—
ma
Le baptême du feu?
civières
fier,
j'avais
le
baptême du
candeur
feu.
!...
route de la Louvière, qui devait tranchées,
croisai
je
où gisaient des blessés
plusieurs
et des cadavres.
chaque pas des brancardiers,
saient
mètres
redressé la
:
Je viens de recevoir
En montant la me mener aux
A
droite, à cinquante
moins. Et, très
les civières lais-
tomber des gouttes de sang. Et
il
y avait
de larges flaques de sang sur l'accotement, de place en place, là
où
s'étaient reposés les porteurs.
— Ça vient du bois Brûlé, me
dit
un
voisin. Sale
74
FACE A FACE
endroit
!
On
s'y tue nuit et jour.
Chaque
sergent.
promener par
Vous verrez
ça,
bataillon doit, à son tour, aller se
là.
Je constatai que la vue des malheureux cama-
A chaque
pas des brancardiers...
(p. 73).
rades qu'on emportait vers l'ambulance ou cimetière ne m'avait et cette j'y vis
remarque
aucunement
me
une preuve de
serré le
cœur,
causa un sensible plaisir
mon
courage et de
esprit de résolution. C'était, en réalité, d'insensibilité.
le
;
mon
une marque
75
TERRITORIAL Il
a
fallu
communauté
la
fraternité
des dangers pour
camarades au mien
Chaque
mes
fois
et
les
lier le sort
rendre
de mes
inséparables.
qu'un de mes compagnons tombe à
côtés, c'est
blessures.
de la bataille et la
mon
sang qui s'échappe par ses
DEUXIÈME PARTIE SUR LE FRONT
I
PREMIÈRES IMPRESSIONS
Le
soleil allait se
coucher quand j'arrivai aux
tranchées.
De
quel vif éclat brillent, dans
menus
faits
dans
mémoire,
les
de cette première nuit et des quelques
jours qui suivirent ser
ma
mon
!
Avec quel
relief je
vois se dres-
souvenir l'humble tranchée couverte
de claies qui accueillit au seuil de la clairière pèlerin passionné
le
!
Justement, depuis hier
(1), la
compagnie nouvelle
à laquelle j'appartiens est venue s'établir en réserve
tout près des ruines de la tranchée d'octobre.
Ce matin, ébouriffées, (1)
je
me
dans
suis glissé,
le fossé
à travers
à demi comblé
Écrit en septembre 1915.
branches
les ;
j'ai
des-
FACE A FACE
78
cendu
les
marches de
l'un des artisans
;
l'abri des officiers,
j'ai
dont
layon qui menait aux premières lignes
le
je fus
parcouru, d'un pas fervent,
mais
;
je
charme étrange de l'humble
n'ai pas retrouvé le
village nègre, ni la mélancolie qui assombrissait le
front de la forêt meurtrie.
Pourtant, c'est un dessus de
ciel pareil
ma tête, un ciel ironique, gonflé de nuages
et noir de vent, qui entremêlait
rayon de
qui s'étendait au-
chaque averse d'un
soleil...
Je n'ai pas retrouvé non plus l'odeur du paysage.
Avez-vous remarqué que, lorsque l'âme à quelque émotion vive, l'odorat aspire
se dilate
le
monde
extérieur tout aussi fortement que la vue s'en im-
prègne? Chaque grand souvenir a ainsi son odeur
en
même temps
est trop subtile
que son paysage. Mais cette odeur
pour qu'un odorat blasé
très vite, elle se dilue
la perçoive;
au courant de l'accoutumance.
Après une brève présentation au capitaine, de
la
sixième, compagnie qui va être la mienne pendant plusieurs mois,
un agent de
mon compagnon
de route,
le
liaison
nous conduit,
sergent Janet et moi,
dans un coin de tranchée abandonnée.
— Votre chambre, messieurs, nous
dit-il
avec un
sourire.
Assis au fond d'un trou de crapouillot, près de la
SUR LE FRONT
hommes causent
tranchée, deux
— Avec Un Tel
Un
et
79
en fumant
la
pipe
:
Tel, ça fait cinq. Passe-
moi donc ton briquet.
—
Cinq? Tu crois? Je croyais que ça
Voici...
faisait six.
— Non, cinq — Alors, Un — Un
!
Tel, quel jour le mets-tu
que ça
Tel, c'est jeudi
?
kii est arrivé. C'est
pas vendredi.
—
Peut-être bien, après tout... Zut
qui recommence
!
la flotte
!
La voix était calme, sans trace aucune d'émotion, quasi indifférente. Jugez de
aux paroles qui le
ma stupéfaction quand,
suivirent, je compris qu'ils faisaient
compte des camarades tués la semaine précédente Par cette conversation, plus que par
des morts et des blessés rencontrés sur la j'eus la révélation
morts dont
de
ma vie nouvelle.
était question
il
!
spectacle
le
route,
que
les
appartenaient à
la
C'est
même compagnie que
moi. L'hydre que j'étais
venue combattre
un bond de mon
s'agissait plus toire, ni
faisait
A
ce
Il
ne
de combats livrés à l'autre bout du monde.
Cette guerre était j'allais
côté.
d'une guerre lue dans un hvre d'his-
prendre
ma
ma
guerre, et de ces
combats
part.
moment, pour
la
première
fois, j'eus
une
80
FACE A FACE
vision, qui souvent, par la suite, devait celle
d'un blessé accroché à des
Au
en vain
:
la nuit.
Ce
«
secours
!
»,
fils
et qui se
que l'imagination
mourait
:
criant
là,
dans
voyagé dans tous de
les
;
Grâce à
!
elle, j'ai
pays du monde et dans tous
l'histoire.
fleuve
commode
et bien
pour embellir une vie monotone
comme un
hanter
fer,
blessé, c'était moi.
Belle chose
les siècles
me
de
tous
L'or a coulé de les
mes
doigts
enivrements de l'action,
toutes les extases de la gloire, je les ai connus.
Mais
ment
la lance d'Achille
les blessures
ne guérissait pas seule-
elle était,
;
dans sa main, l'arme
la plus redoutable.
Un léger bobo
devenait, livré à
une infection mortelle par un ami,
elle
;
mon
imagination,
d'un salut distrait donné
concluait aussitôt à une brouille
sans espoir de retour, et
une heure convenue, ques minutes, cela
si
un
être cher,
se mettait
signifiait
automobile l'avait réduit en
attendu à
en retard de quel-
évidemmentou qu'une bouillie,
ou
qu'il gisait
dans quelque gouffre, par cent mètres de profondeur. Ainsi, par le fait de
mon
ni peines légères, ni joies
imagination, je n'avais
menues
;
la folle habillait
tout à sa mesure, et sa mesure était l'énorme.
Mon compagnon
de route, Janet, engagé volon-
SUB LE FRONT taire à
pôt,
cinquante-deux ans, venu avec moi du dé-
me
—
81
regardait.
Dans quelques
jours,
dis-je,
lui
yeux
les
pleins delà vision macabre, ce sera peut-être notre
tour.
—
Mais non, mais non,
s'écria-t-il.
noires. Moi, je suis sûr d'en revenir.
tu
Ça
Pas d'idées se sent, ça,
sais.
Quinze jours après,
il
tombait d'une balle au
cœur.
La gite
:
nous
pluie
un
fit
chercher un refuge dans notre
couloir étroit, à ciel ouvert, avec
un peu
de paille dans un coin, mais trempée, souillée, hors d'usage,
du fumier,
devrais-je dire.
Janet découvrit une niche à chien dans laquelle il
se pelotonna.
Avant de
quitter Bourges, je lui avais proposé de
partager avec moi
mon
attirail
:
il
avait
refusé
pour ne pas charger son sac outre mesure. Plusieurs fois,
dans
dépens de
le
trajet, sa
mon
verve
s'était exercée
dos courbé sous
le faix, et
de
aux
mon
front mouillé par la sueur.
A mon tour de triompher. mon « hadans ma cou-
J'attachai à des souches les brides de
mac
indéchirable
verture
»,
je
caoutchoutée
m'enveloppai et,
après
un
ironique
:
82 «
FACE A FACE
Bonne nuit
!
»
au malheureux enterré dans son
trou, je m'endormis, narguant l'averse, payé, en
coup, de mes fatigues et content
Mon contentement dura
Mon contentement dura
comme un
un
roi.
jusqu'aux environs de
jusqu'aux environs de minuit...
(p. 82).
minuit, heure à laquelle je m'éveillai brusquement,
nageant dans planche
»
la
boue. Nageant?
Non
serait plus exact, car j'étais
;
«
faisant la
étendu sur
le
dos.
Mon deux
et
«
hamac
m'avait
indéchirable laissé choir
1
»
s'était
partagé en
83
SUR LE FRONT
U CONSEILS AUX BLEUS
Je ne sais
ma
si
vous avez goûté beaucoup
chute du hamac et
si
cette aventure ne
pas semblé un peu mince pour valoir de
la publicité.
le récit
Je ne vous
l'ai
les
honneurs
si
vous
voulez bien, pour appuyer quelques conseils,
fruit «
vous a
pas racontée sans
dessein cependant, et elle va servir de base, le
de
de l'expérience d'un vieux
Poilus
»
Poilu
»
aux jeunes
qui se préparent à aller rejoindre leurs
anciens sur Si
«
le
front.
nous étions engagés dans une guerre normale,
pareille
à ses devancières, une guerre qui fasse
appel à
l'agilité
des jambes et à la vigueur des
épaules, alors, je vous dirais
— Alourdissez votre sac
le
:
moins
possible.
N'em-
portez que l'indispensable, c'est-à-dire, en dehors
du chargement réglementaire Pour l'alimentation
:
une
:
livre
de chocolat qui
s'ajoutera à vos vivres de réserve et qui vous fournira
un aliment rapide
et substantiel, et
une boîte
de comprimés de saccharine qui, sous un volume et
84
FACE A FACE
un poids
insignifiants,
vous permettra de sucrer
votre café, ou, du moins, vous donnera l'illusion qu'il est sucré.
Pour
correspondance
la
Cela
lettres.
et
suffira
:
un bloc-notes de
cela
ne
vous
cartes-
interdira
pas les longs épanchements, à l'occasion,
si
vous
avisez vos correspondants d'ajouter, dans chacune
de leurs
une
lettres,
feuille
de papier et une enve-
loppe.
Pour
la
vêture
:
un vaste
et
chaud foulard qui
servira, à la fois, de foulard et de
bonnet de nuit.
Il
sera bon, également, de remplacer le couvre-pieds
réglementaire par une couverture imperméable, en veillant,
lourde
cependant, à ce qu'elle ne soit pas trop
;
Pour
la
pharmacie
menthe, une autre
:
une bouteille d'alcool de
d'elixir parégorique,
un
flacon
de teinture d'iode, quelques cachets de bismuth et d'aspirine.
Rien de plus.
Le poids de
doit pas dépasser
Mais, puisque
que
la
chargement supplémentaire ne
ce
deux
le
livres.
fantassin s'est
moyenne des marches
mué
en taupe, et
militaires
oscille,
actuellement, entre cent et deux cents pas quotidiens,
vous pouvez vous permettre certaines fan*
SUR LE FRONT taisies qui
85
ne seraient pas de mise dans une guerre
entre civilisés.
Sans tomber dans l'exagération que confessée, et qui m'avait fait faire de
je
mon
vous
ai
havresac
une succursale de plusieurs grands magasins, ne craignez pas de vous munir de divers petits objets
qui vous rendront plus agréable
le
séjour
aux tran-
chées.
Pour le dieu Ventre,
—à
lui
l'honneur
!
— quelques
boîtes de sardines et de pâtés et quelques fromages.
L'ordinaire est abondant, mais peu varié, et ce
supplément ne paraîtra pas superflu certains jours de grand appétit.
Une
vingtaine de morceaux de
sucre remplaceront avec avantage la saccharine, car,
au seul avantage de
la saccharine,
qui est son
pouvoir sucrant, très fort sous un petit volume, s'opposent,
il
ne faut pas l'oublier, des inconvénients
multiples.
Pour votre correspondance,
le
cahier de
deux
sous quadrillé sera
le
meilleur des papiers à lettre,
plus pratique et
le
moins cher.
le
Pour
la vêture,
consultez votre résistance au
froid. L'été, le linge et les
vêtements du régiment,
augmentés de quelques semelles liège
intérieures,
en
ou en papier, suffiront amplement. Je ne parle
que pour mémoire du moustiquaire ou cagoule,
86
FACE A FACE
précieux contre
les
mouches
:
condensé,
il
tiendrait
dans un dé à coudre et son poids ne dépasse pas un
gramme. L'hiver,
il
un passe-montagne, une
faut ajouter
paire de gants fourrés,
un
solide tricot. Je
ne saurais
trop recommander, l'été aussi bien que l'hiver, une
—
pièce de toile caoutchoutée,
je
ne dis pas
:
cirée.
Prenez-la d'excellente qualité et très ample.
mienne avait
trois
La
mètres de long et un mètre vingt
de large. Innombrables sont
les services
dont
je lui
suis redevable.
m'a permis de me coucher sur
C'est elle qui terre
sans être
mouillée,
incommodé
tendue sur deux rondins, au-dessus de
me
servait de toit contre la pluie
nous
:
;
elle
la
qui,
la tranchée,
nous pouvions
abriter quatre sous son aile.
Avec
les
dimensions que
j'ai
données, la toile
caoutchoutée pèse deux kilogrammes environ. Ce serait
beaucoup, ce serait trop. Mais vous pouvez
remédier à cet inconvénient en vous faisant aider,
pour en
par
la porter,
même temps Le jour de
gerez en deux l'autre
camarades
qu'elle protège
que vous-même.
la :
les
marche en avant, vous
une moitié dont vous
que vous garderez
couverture imperméable.
si
la parta-
ferez cadeau,
vous n'avez pas de
SUR LE FRONT Mais
il
prévoir
n'y a pas que
la
87
grande marche en avant à
vous devez penser également aux petites
;
marches en avant, que constituent
Pour
les
attaques, on laisse
n'emporte que
musette,
la
le
attaques.
les
sac à l'arrière
le
bidon et
on
;
la couverture.
C'est dans ces circonstances-là surtout qu'on apprécie la
couverture imperméable, car
ennemies où
les
tranchées
prend pied sont, en général, bou-
l'on
leversées par l'artillerie, et,
si
des abris demeurent,
on n'a ni
le
goût de s'enterrer à
la
permission ni
plusieurs mètres sous terre.
Un
conseil encore en passant
moins possible, naires,
il
usez d'alcool
:
car, à tous ses inconvénients ordi-
ajoutera celui d'aggraver votre mal
venez à être blessé. tre involontaire,
J'ai sur la conscience
commis dans
blessé passait, criant la soif.
Pas d'eau sur
diers et je tendis
rhum
blessure,
:
au blessé
fis
une
plaie
il
la colline
mort. Or, sa
était
au ventre sans gravité
responsable, ainsi que
Un
bidon à demi plein
ne comportait aucune issue funeste le seul
janvier.
arrêter les brancar-
mon
une heure après,
vous
l'ignorance de ce qui
du mois de
où nous nous battions. Je
si
un meur-
précède, à une des attaques
de
le
me
:
spéciale,
l'alcool était
l'apprit le major,
quelques jours après.
Comme vous l'avez remarqué, il n"a pas été ques-
88
FACE A FACE dans cette nomenclature, d'objets
tion,
du
«
hamac
indéchirable
utiles, ni
innom-
ni d'aucune des
»,
brables inventions nées de la guerre, lesquelles ne séduisent que les profanes.
Croyez-en un vieux et
si,
une
«
Poilu
fois sur le front,
ô
»,
mes jeunes amis
!
vous avez de l'argent qui
vous embarrasse, payez des pipes
de
et des boîtes
sardines aux camarades de votre escouade.
III
PREMIERES EMOTIONS
La
nuit,
si
chute du hamac, s'acheva dans un angle de chée, sur
une grosse pierre dont
n'avait pu venir à bout.
dans
ma
ma
brusquement interrompue par
le
pic
du
la tran-
terrassier
Je m'assis, enveloppé
couverture, les pieds dans l'eau. Sur
caoutchouc, l'eau clapotait. J'essayai de
me
le
ren-
dormir, mais je ne pus. Je n'insistai pas.
La
situation nouvelle
charme.
J'étais
me
heureux de
dans ces tranchées fameuses,
semblait pleine de
me et
trouver,
enfin,
mon bonheur
se
composait, par parties à peu près égales, de patriotisme et de goût des aventures, d'esprit de sacri-
SUR LE FRONT de
et
fice
rêvé, saire,
89
Après avoir successivement
gloriole.
aux diverses étapes de
un missionnaire, un
ma
vie, d'être
un
ascète,
chasseur de fauves, voilà que
j'allais
un
cor-
guerrier,
un
pouvoir don-
ner carrière à toutes ces aspirations à la
Les
fois.
privations et les fatigues ne m'inspiraient aucune
frayeur
:
je les désirais,
au contraire, nombreuses
et fortes, afin d'éprouver la puissance
que
je sentais,
afin, aussi
ses droits
comme
de
mon sang
à vingt ans, bouillonner,
— avec moi, ne perd jamais — de fournir à ma volonté des adverl'orgueil,
saires dignes d'elle.
Et folle
ma
folle,
ma
folle, si
vous
l'aviez vue, plus
qu'aux beaux jours, toute mesure perdue,
courant de droite et de gauche, sans souci des de
la
ser
physique et de
me
la physiologie,
lois
faisant pas-
une semaine entière privé de nourriture,
pieds dans l'eau, sans que pour cela je perde sourire,
mon
ou m'attelant à des besognes qui eussent
fait reculer
Hercule,
comme
de hisser un canon
sur une colline ou d'aller repêcher
fond d'un gouffre
Un
les
appel mit
un caisson au
!...
fin
à mes rêveries
:
l'agent de
liai-
son revenait nous chercher, Janet et moi, pour
nous conduire à nos sections.
En
quelques secondes, Janet fut prêt
;
il
n'avait
90
FACE A FACE
que son équipement réglementaire,
homme, mais moi
Il
!...
m'eût
un bon quart d'heure de
et
queter et reficeler tous
humaine dont
grand jour
travail pour réempa-
de l'ingéniosité
les trésors
je m'étais assuré la propriété
deniers comptants, depuis
aux
pauvre
lui, le
fallu le
à bons
casque invulnérable
le
shrapnells, jusqu'aux guêtres antiboue.
Impatienté de
emmena
ma
l'agent de liaison
lenteur,
Janet seul (nous n'allions pas du
même
côté) après m'avoir indiqué le sentier à suivre
— Tout — Et à
droit,
me
dit-il,
:
pas à se tromper.
quelle distance, les Boches?
deman-
dai-je.
—
Oh au moins à deux cents mètres. Cet « au moins » me rendit rêveur. !
Avec beaucoup de
mon
de
La cœur fusil
bazar
;
pluie avait cessé et la joie
de
me
je
une partie le sentier.
pus goûter à plein
sentir seul,
dans une
forêt, le
à la main, avec une tribu entière de grands
ma
voix.
Surtout, avait ajouté l'agent de liaison, ne
vous trompez pas de chemin les
dans
puis, je m'engageai
fauves à portée de
—
peine, je recueillis
;
vous
iriez droit
chez
Boches.
Me tromper? L'homme pas à qui
il
avait affaire.
ne savait évidemment Il
était
admis par moi,
91
SUR LE FRO>'T dans toutes
expéditions, tant de guerre que de
les
chasse, que j'avais dirigées en imagination, avec
tant de bravoure, que
le
sens de la direction con-
une des qualités merveilleuses auxquelles
stituait
je devais ces succès extraordinaires, tels
sonne, je puis
ne peut
le dire,
se targuer
que perde sem-
blables.
C'est ainsi que pour chasser le
rhinocéros, en
Afrique, je ne prenais jamais de guide.
de trouver une trace,
fisait
sieurs jours,
sûreté
que
pour que si
même
Mais fois.
Il
je
vieille
me
suf-
de plu-
avec autant de
je la suive
l'animal lui-même
avait marché
me
venait l'envie
devant moi. De même, quand d'un cuissot de
Il
gazelle...
vous raconterai mes chasses une autre
s'agit,
pour
le
moment, de
Sûr de moi, d'autant plus que
le
la guerre.
chemin
était
unique et qu'aucune erreur ne pouvait se concevoir, je marchais, les
quand tit
yeux aux
le sentier,
étoiles, rêvant, rêvant...,
brusquement interrompu, abou-
à des broussailles sans
issue, et je
—
en plein bois et en pleine nuit, heures et demie du matin, milieu d'une de
mes
—
il
me
trouvai
était trois
plus égaré qu'au
forêts africaines.
Cette situation, déjà sans agrément, s'aggravait
de
la crainte d'aller
tomber chez
les
Boches, car.
92
FACE A FACE
VOUS
l'ai-je
dit,
à
mon
direction, s'ajoutait
sens remarquable de la
une non moins remarquable
inaptitude à m'orienter. Je n'ai jamais pu
me
mettre dans
la
tête le
nombre exact des points cardinaux.
Comme
je tournais en
son piège, une balle
rond
siffla,
comme un
rat
dans
puis une autre...
Je sentis leur souffle à mes
oreilles.
Bientôt, ce fut une véritable rafale. Les balles s'en-
fonçaient en claquant dans les arbres, tout autour
de moi, ou piquaient dans
le sol
avec un bruit mat.
Je m'aplatis derrière un gros chêne et j'attendis, le
cœur battant. Dans mon inexpérience,
je
m'imaginais que
ennemis m'avaient vu, malgré
l'obscurité, et
les
que
j'étais leur cible.
Allais-je être frappé dès le
premier jour de
la
campagne?...
IV LINDIFFERENCE AUX BALLES
mon chêne un temps que je ne mais qui me parut long, long, oh
Je restai derrière puis évaluer,
comme
il
me
!
parut long
!
SUR LE FRONT Enfin
homme
un
qui
parut
dans
pas
des
j'entendis
93
sifflotait
sentier,
le
C^est
:
roi
le
Dagohert.
— il,
en
Qu'est-ce que vous faites là ? s' arrêtant.
— Ce
que
je fais? répartis-je, stupéfait.
n'entendez donc pas
L'homme d'ironique Il
si
un
eut
que
sourire,
je
qualifierais
un autre que moi en avait
je cherchais,
Vous
les balles?
me demanda où j'allais
que
me demanda-t-
et
été l'objet.
me montra la
tranchée
à quelque dix pas de moi, cachée
par une touffe de coudriers. Puis, il
après avoir
s'en fut de son côté en
Maman,
un pas de
esquissé
les
valse,
chantant à tue-tête
:
pHits bateaux
Qui vont sur Veau, Ont-ils des
jambes?
Le vrai type du gavroche.
L'homme, comme
je le sus
un des agents de
liaison
pas de plus grand
plaisir
tranchée à l'autre,
du
par
que de
et, petit
la suite,
capitaine. se
:
était
n'avait
promener d'une
à petit,
à supplanter tous ses camarades
Il
il
avait réussi
c'était lui
que
le
capitaine chargeait de toutes ses communications
aux diverses
unités.
94
FACE A FACE
Quand une heure à ses services
passait sans qu'on eût recours
:
—
L'temps m' dure,
Et
il
s'en allait
promenade dans
A
ce
déclarait-il.
de lui-même
tranchées,
les
à dos de plaine qu'il devait »,
«
aux
trouvait
l'ai
balle.
dit,
donc
prome-
faire sa petite
Une de
Fer-à-Gheval, située
le
à cinquante mètres à peine de se
je
autres. C'est
au risque de recevoir une
nos tranchées notamment,
mande,
une petite
le bois.
moment-là,
n'étaient pas reliées les unes
nade
faire
la
tranchée
alle-
dominée par un mamelon
complètement dégarni d'arbres. Les relèves n'avaient lieu qu'à la nuit noire.
Comment
l'agent de liaison (j'ai oublié son
s'y prenait-il
pour traverser
le
nom)
mamelon, huit ou
dix fois par jour, sans jamais être blessé?
Mystère.
Les Allemands, qui taient avec une
de
la rage.
Une
le
connaissaient,
patience dans laquelle pluie de balles saluait
ses apparitions.
Mais
fendait la rafale
comme
lui,
le
guet-
on sentait
chacune de
rapide et insaisissable,
l'anguille fend l'eau
de la
rivière.
Et, pour politesse
«
», il
remercier ses amis les Boches de leur leur chantait,
une
fois
en sûreté dan»
SUR LE FRONT
95
quelque trou, une des chansons de son inépuisable répertoire.
Mais à trop tirer sur
Un
la corde...
jour qu'il était plus imprudent que d'habi-
La douleur
lui
lit
pousser des hurlements...
tude, une balle lui broya la cuisse.
(p. 9o).
La douleur
lui fit
pousser des hurlements, — ce n'était qu'un enfant,
un des tout derniers venus à en sautant de
gun
h
la
la
compagnie. Et
c'est
tranchée, pour lui porter secours,
pauvre Janet fut tué d'une balle au cœur.
^6
FACE A FACE
Cependant abri, je
ma
me
la fusillade avait cessé.
coulai dans la tranchée
Quittant
où
mon
se trouvait
demi-section. Encore sous le coup de l'émotion
ressentie, je
fis,
même les présentations, un mon aventure.
avant
récit pathétique de
L'attention qu'on m'accorda ne fut que distraite.
Je crus qu'on ne m'avait pas bien compris, et je profitai
de l'arrivée de plusieurs travailleurs, qui
avaient regagné la tranchée au petit jour, pour
recommencer mon
Même
récit
inattention polie.
Je compris, plus tard,
A
rence.
la
raison de cette indiffé-
vivre au milieu du danger, on en vient
très vite à n'y plus prendre garde, et l'agent de liaison
dont
un exemple
me
Je
je parlais
à l'instant ne constitue pas
solitaire.
rappellerai toujours
voir, quelques jours après
mon
ma
stupéfaction à
mon
arrivée,
vieux
camarade Tartary descendre de l'ouvrage du 134, bien en vue des Boches, en plein jour, à tout petit
pas de promenade, en lisant un journal Il
!
faut que la fusillade soit bien vive pour que,
même
maintenant, alors que des boyaux
sillon-
nent nos lignes en tous sens et en font de véritables
toiles
d'araignées,
cendent à prendre
le «
les
«
Poilus
»
chemin des taupes
condes».
Gela
SUR LE FRONT ennuie de suivre
les
97
méandres du terrassement, de se
garer pour laisser passer ceux qui viennent en sensinverse, de sauter les flaques d'eau
On
insignifiant
meneurs
—
si
on
« Il
le
répartit sur la
masse des pro-
compensé par
la place
à côté.
Au bois Brûlé, au fut quelque
l'attrait
l'air libre.
ne faut pas, d'ailleurs, s'exagérer
y a de
»
mois de janvier,
ma compagnie
temps en réserve sur un plateau où
françaises aussi bien que les allemandes.
taines heures rs
péril.
le
du
jour, le
se
—
les
—A
cer-
rencontraient toutes les balles de la région
V
si,
camarade tombe, le risque
est largement
d'une marche à Il
a plu.
il
marcher sur l'accotement, et
préfère
de temps en temps, un
—
quand
matin à l'aube, et
le soir
huit heures, la chute des balles pouvait se
comparer*ïi une averse, et cela sans aucune métaphore.
Bien entendu, nous allions d'un abri à
l'autre
—
il
n'y avait pas, alors, de boyau de
communication balles
—
sans plus nous soucier des
que d'une volée de moucherons.
Or, pendant la quinzaine de notre séjour,
n'y eut guère,
deux tués
si
mes souvenirs sont
et cinq
ou
six blessés,
exacts,
que
presque tous
appartenant à des troupes de passage sur territoire
il
«
».
7
notre
'
98
FACE A FACE
—
Ce sont des étrangers
;
les balles
ne
les
con-
naissent pas. Telle les
était
hommes
simpliste donnée par
l'explication
de
ma
compagnie.
V PREMIÈRE
La deuxième
AFFAIRE
section de la sixième compagnie,
qui allait être la mienne pendant plusieurs mois, était
commandée par
le
sergent-major. C'était
un
réserviste de la classe 1910, je crois, alerte, pétillant,
pétulant, et qu'on ne voyait jamais, sinon les yeux
allumés d'un sourire et la bouche fleurie d'une
chanson. Ses talents de chef de section en campagne
ne m'inspiraient qu'une confiance médiocre. Je
trompais lourdement
;
je le
reconnus par
me
la suite.
D'où venait l'impression mauvaise? Sans doute de cette gaieté, que je prenais pour de sans
le
vouloir.
la légèreté
L'observation n'est pas neuve
qu'une gravité prétentieuse en impose, et
les
doc-
teurs allemands, solennels et vides, sont une preuve
frappante de cet axiome.
SUR LE FRONT
99
Le deuxième jour de mon arrivée au
front,
ma
section fut chargée de prendre d'assaut la tran-
chée allemande placée devant
le
«
Fer-à-Cheval
».
Les masses de terre remuées chaque nuit par nos indésirables voisins faisaient craindre au
dant quelque traquenard
y
:
comman-
fallait savoir ce qu'il
il
avait derrière ces taupinières.
Ni Thémistocle au matin de Salamine, ni Christophe Colomb partant pour
monde, ne gonflèrent
j'allais,
pour
être, c'était
espoirs,
charger.
fois,
de
allions
Le passage
nous précipiter à travers
nous n'ayant qu'à
Notre mouvement,
si
Qui
suivre.
avant générale?... Et qui passerait tout, et qui entraînerait tous ses irrésistible
élan,
et
qui
d'exploits, et qui révélerait
que son
nom
un
le
les
massées sait?...
humble d'apparence,
peut-être constituer l'annonce d'une
son
d'une
franchis
je
la région entière.
lignes allemandes désemparées, les forces
derrière
je sus
sans doute, c'était certainement (trois
la clé
nous
quand
allions prendre, c'était peut-
du raisonnement que
étapes
enjambée) forcé,
mes
la première
Ce fortin que nous
cœurs
leurs voiles et leurs
d'espoirs comparables à
que
découverte d'un
la
allait
marche en
premier par-
camarades dans
accomplirait
tant
tel génie militaire
inconnu aujourd'hui,
allait,
dans
100
FACE A FACE
quelques semaines, resplendir d'une gloire prodigieuse ?
Qui,
vous
je
demande, sinon
le
modeste
le
auteur de ces lignes?
inconséquence
!
je
me
moi-même,
raille
je
me
trouve parfaitement ridicule, et dans cinq minutes, si l'occasion
m'en
est donnée, je
cerai. L'habitude est prise
bien prise
:
il
les
tranchées à
la
nuit noire pour
nous poster dans un entonnoir naturel situé
entre les
deux
lignes.
Le sergent-major envoya
un de
ses
les fils
—
trop
et
faut que je rêve les yeux ouverts.
Nous quittâmes aller
recommen-
maintenant
caporal Thépin et
le
hommes pour tracer un
de
fer
passage à travers
ennemis.
Je pense bien, leur
dit-il,
perez au moins trois rangées
:
que vous il
faut ça,
me
cou-
si
nous
voulons passer.
L'homme, Daviet,
mes caporaux,
et
qui, par la suite, fut
mort héroïque, m'a souvent patrouille
—
fait le récit
la
de cette
:
Nous partons, à
chait devant, en tâtant
pour
un de
dont j'aurai à vous raconter
plat ventre, le
bois
Thépin mar-
mort avec
ses
mains
l'écarter de notre route. Moi, je suivais avec
les cisailles.
Nous arrivons aux
fils
de
fer.
Je m'ap-
SUR LE FRONT proche et je coupe coup, floc la
tranchée boche.
tombant sur une
On
aurait dit
on va nous
qu'on nous
Thépin
;
l'éveil est
aux
sifflent
qu'il
donné
pétarade.
de tous
oreilles
les
nuit noire et
faisait
au petit bonheur
tirait
:
»
ta, ra ta ta, voilà la
Heureusement
côtés.
se débiner
tirer dessus.
Justement, ta ta
Les balles nous
une grosse pierre
casserole. Alors je dis à
— Mon vieux, faut
«
et
première rangée. Tout à
la
correspondait avec un signal dans
le fil
!
101
Vous croyez
!
que Thépin s'émotionne? «
—
Passe-moi
qu'il
les cisailles,
mission de couper trois rangées de
couperai trois rangées. Il «
dit
;
de fer
fils
j'ai :
je
»
me prend les cisailles et il s'avance vers les fils. Tu es fou, que je lui dis, tu vas te faire tuer.
—
Reste
si
Alors, «
me
—
tu veux il
:
moi, je fiche
se retourne et
Si tu fiches le
consigne
!
camp,
d'ici,
avec
:
f...
deux jours de
en pleine mitraille, pour
fil,
au point que
aller
je te
»
ce type, qui s'arrête de
de deux jours de consigne
j'attendis
dit
camp.
»
Vous voyez ça couper son
me
il
le
je
1
Il
m'avait estomaqué,
ne songeai plus à bouger et que
patiemment lui
!
me menacer
qu'il
eût
fini
pour m'en
102
FACE A FACE
— Si La mais
tu fiches le
camp, je
te
f...
deux jours!
(p. 101).
patrouille réussit à rentrer sans encombre, il
ne
fallait
Une seconde
pas songer à passer de ce côté.
patrouille,
envoyée sur l'autre
flanc,
fut éventée presque aussitôt et poursuivie par
L'alarme était donnée
mitrailleuse.
coup ne pouvait
le
ne
plus
restait
réussir
qu'à
le
que par
et,
une
comme
surprise,
remettre à une
il
autre
fois.
Comme
on
le voit, cette
première affaire ne fut
qu'une tentative manquée, et bien à tort
:
je
m'étais excité
ni les dangers courus, ni les résultats
obtenus ne justifiaient pareille débauche d'imagination.
Cet insuccès
me
navra,
et,
dans l'ardeur de
SUR LE FRONT
mon
103
inexpérience, je jugeai très sévèrement les
demeurer ina-
patrouilleurs qui n'avaient pas su
perçus et la
sergent-major qui n'avait pas ordonné
le
charge quand
même
1
un réseau de
J'ai vu, depuis, ce qu'est j'ai
fils
de
fer
;
appris ce que c'est qu'une charge, et je bénis le
sergent-major de sa sagesse.
Une attaque de
tran-
chée ne peut réussir que précédée d'un bombar-
dement
cpii
mette en pièces
les
ouvrages de défense
et démoralise les défenseurs.
Si donc,
parmi ceux de
s'impatientent
de
la
l'arrière,
longueur
qu'Us ne s'en prennent pas aux
Donnez aux tions
en
semaines,
«
Poilus
quantité ils
»
il
des «
en est qui opérations,
Poilus
».
des canons et des muni-
suffisante,
et,
en
quelques
vous auront débarrassés des Boches.
VI TRANCHEES
Ceux qui
D OCTOBRE
visitent les tranchées actuelles,
tées de tout le confort
moderne
»,
comme
dit
«do-
mon
ordonnance, ne se doutent guère des conditions de notre vie au mois d'octobre.
104
FACE A FACE
Les tranchées, étroites et limitées, ne permettaient que
genoux
deux positions
serrés
:
ou debout, ou
assis les
au corps.
comme
Rien de fatigant
de dormir
assis,
le
Quand je me réveillais, plumes genoux criaient de douleur,
corps plié en deux. sieurs fois la nuit,
comme
si
une chute
j'avais fait
et,
dans mes pieds,
privés de la circulation normale, les veines char-
au
riaient de la glace
C'est
lieu
de sang.
au mois d'octobre
novembre que j'éprouvai la
campagne, avec
au commencement de
et
les plus
grands froids de
blanches du petit jour
les gelées
et l'immobilité forcée. Plus tard,
décembre venu,
et les pluies, et la neige, et les avalanches, la lutte
contre l'hiver se
ments chauds
fit
et nos
à armes égales, avec nos vête-
cheminées aux grandes bûches
flambantes.
Mais
le
froid n'était
que
le
moindre de nos enne-
mis. Mille privations, mille ennuis se liguaient pour
rendre pénible notre séjour. Je puis parler ainsi d'autant plus librement que privations
et
ennuis
ont
disparu,,
maintenant,
devant l'expérience acquise.
Pas de tabac
:
le
paquet distribué chaque dix
jours fondait en quarante-huit heures, au feu de
notre désœuvrement. Les feuilles sèches et les tiges
105
SUR LE FRONT de viorne ne constituaient qu'un disette. Plus encore
maigre à cette
manquaient
bien
palliatif
que
le
tabac
les pipes et le papier à cigarettes
;
nous roulions nos cigarettes dans des morceaux de journal.
Rien à boire. Pas de vin vin
le
on ne peut appeler du
demi-quart d'eau rougie que distribuait,
chaque matin, celle
:
le
caporal d'ordinaire. Pas d'eau
que nous apportaient
les cuisiniers,
:
dans un
bidon parcimonieux, était de l'eau de mare, pleine d'impuretés, au goût de vase. Corollaire logique
dus rester quinze jours
je
:
sans connaître la douceur d'une goutte d'eau sur
mon
visage, et,
si je
pus
me
laver les mains,
un
matin, ce fut parce qu'il pleuvait, avec l'eau re(
ueillie sur
Pas
ma
couverture caoutchoutée.
journaux
de
:
nous
ne
communiquions
avec l'extérieur que par l'intermédiaire des cuisiniers.
Si
vous désirez connaître
baptisé
«
le
supplice
raffiné
supplice des émotions en bascule
»,
je
vous donnerai l'adresse de quelques-uns de nos cuisiniers d'alors,
un
jour,
jusque sur
de ces malfaiteurs publics qui,
précipitaient les rives
nos armées victorieuses
du Rhin
et qui, le lendemain,
faisaient flamber Paris sous les
420 des Boches
!
106
Le
FACE A FACE froid, le
grand
air, le
manque de sommeil,
avaient développé chez moi un de ces appétits
dévorants qu'on ne connaît qu'à certaines époques
Ma
de croissance précipitée.
comme une
repas,
boule de
ma
pour tromper
réduit,
racines que
le
boule fondait en un
gomme,
faim, à
et j'en étais
mâchonner
les
terrassement mettait à nu dans la
tranchée.
y a une de ces chaudement pour Il
racines que je vous
recommande
époques de disette
les
;
elle est
presque entièrement comestible, et sa saveur, comparable à celle de Vassa fœtida, procure de telles
nausées que tout appétit disparaît pour un bon demi-jour.
Me
croira-t-on? Ces privations
froid, et ces fatigues,
sympathique
séjour
et ce
contribuaient à me rendre à la Louvière, en me four-
réconfort de la difficulté vaincue. Je
nissant
le
sentais
mon
après l'autre, partir en
le
mêmes,
corps
s'endurcir,
mes habitudes de
lambeaux
;
ma
je
voyais,
l'une
civilisé s'élimer et
volonté, cabrée d'abord
et renâclante, je la tenais domptée.
Aucune boisson
rafraîchissante au
cœur d'un
jour d'été, aucun vieux vin de nos vieilles vignes
après
un repas de grande
aussi délicieusement
ma
chère, ne délecta jamais
gorge que
la soif
qui
me
SUR LE FRONT
107
brûlait les entrailles certaine après-midi.
Et
si je
trouvais à redire à la faim c'était de n'être pas assez forte pour mériter l'apitoiement des générations futures
1
Très aimablement,
mieux pour nous
Boches faisaient de leur
les
distraire et
nous empêcher de
broyer du noir.
Une
nuit,
une section voisine de
arriver dans sa tranchée qui, après avoir
mener à un
de
là,
pour
les
demandé
le
Un bombardement La
vit
chef de section, lui dit
petit ouvrage
mettre à
mienne
un capitaine d'état-major
de faire sortir immédiatement ses les
la
hommes
et
de
abandonné, non loin
l'abri.
La
raison donnée?
qui allait se produire.
nuit était noire
;
les
hommes
n'en finissaient
pas de prendre leurs musettes et leurs bidons.
Le
capitaine bouillait d'impatience.
Enfin tout le monde fut prêt, et les premiers hommes commençaient à sortir, quand le chef de section, se précipitant à leur tête, leur
fit
faire
demi-tour.
Étonnement général. Pourquoi ce contre-ordre?.. Mais l'ét^nnement devint de
quand on cou
la
stupéfaction
vit le capitaine prendre ses
jambes à son
et disparaître
dans l'ombre, dans
des tranchées allemandes.
la direction
108
FACE A FACE
Si l'attention
du chef de
section n'avait pas été
du
attirée par les manières insolites si celui-ci,
capitaine, et
dans son impatience, n'avait pas
échapper un juron en allemand,
la section
laissé
tombait
dans un traquenard.
Le cap itaine d'état-ma j or était un Boche déguisé par
Eclairés
cet
épisode,
les
jours
deux caporaux, de façon
un gradé de
veille
décidâmes,
nous partager
l'autre sergent et moi, de
avec
nous
!
qu'il
auprès des
la nuit
y eût tou-
hommes
de
garde. C'est le service de quart tel que, maintenant,
il
existe.
Bizarrerie de la nature
ma
1
Alors qu'il sortait de
seule initiative, ce service était, pour moi,
plaisir
;
ce n'est plus maintenant
Les conversations, entre
les
un
qu'un devoir.
heures de garde,
ne roulaient que sur un seul sujet
:
campagne de
la
Lorraine.
Je la connais, cette campagne, l'avais
moi-même
vécue,
comme
tant j'en
ai
si
je
entendu
raconter de fois les moindres incidents.
Avec Roger, avec Daviet, avec Thépin, abattu
le
j'ai
poteau-frontière, j'ai envahi la Lorraine
annexée en
faisant, plusieurs jours de suite, des
étapes de 60 kilomètres. Je suis entré dans Sarre-
SUR LE FRONT
109
bourg illuminé, pavoisé, décoré, tout résonnant de cloches, tout vibrant de
:
«
Vive
la
France
!
»
ïïl^^'
\^. T~ /\
Le capitaine delat-major
était
un Boche
déguisé... (p. 108).
Les femmes saccageaient leurs jardins pour joncher nos pieds de fleurs, et, ouvrant les portes de leurs maisons,
elles
nous disaient
:
110
—
FACE A FACE Entrez, et emportez ce qui vous fera plaisir
tout est à vous J'ai
eu
:
!
mon
de flanquer
la joie
dans
soulier
le
mess
la caserne, et j'ai plongé,
avec
visage d'un Guillaume en plâtre qui ornait
des sous-officiers à
le
quelle volupté sanglante,
ma
baïonnette dans
le
dos d'un espion que j'avais surpris, dans une cave, en train de téléphoner à l'ennemi l'emplacement
de notre état-major. Quand
quand
les
il
fallut quitter la ville,
Lorrains amis, craignant
se cachèrent, laissant le
champ
les représailles,
libre
aux immigrés
qui, de toutes les fenêtres et de tous les soupiraux, tiraient sur nous,
aux Boches et
le
nous ne voulûmes pas donner
spectacle d'une retraite française,
nous nous éloignâmes, l'arme sur
haute, en chantant à pleins lorraine,
Et tout le
ce le
l'épaule, la tête
poumons
la
Marche
pour narguer nos vainqueurs éphémères. fut Mattexé, avec l'épopée
régiment
se
glorieux emblème
du drapeau,
ruant à la mort pour sauver blessé de mille blessures.
Puis Xivray, où, durant un long jour et une
longue nuit,
le
deuxième
bataillon, le nôtre, reçut
des obus par milliers, sans bouger d'une semelle, tant de milliers et de milliers d'obus que
les
champs
d'alentour ressemblaient aux eaux d'un lac bat-
tues par la tempête.
SUR LE FRONT
X^^fr-1t
Tout
-r
v:
régiment se ruant à
le
111
'^
la mort... (p. 110).
Je m'exaltais à ces récits, j'enviais les jeunes
hommes, de
les
enfants qui avaient été
épopée.
cette
On
appréciera
tard
les
conséquences
peut-être,
ne
pas exagérées ces paroles que
j'ai
ses
trouvera-t-on
souvent entendues sur Ville corps
La
héros
les
plus
de cette campagne de Lorraine, on
merveilles
—
connaîtra
et,
les lèvres
de
«
Poilus
»
du
:
bataille
de
la
Marne,
l'avons gagnée à Sarrebourg
c'est
nous
qui
!...
Notre seule distraction, aux tranchées de
La
Louvière, était de tirer sur les Boches, non à l'aveuglette,
comme
maintenant, par
les
bouches d'om-
bre des créneaux, mais au grand jour, sur vivant.
du
gibier
112
FACE A FACE
Nous
restions là, des heures, le doigt à la gâ-
chette, guettant sur
le
contraction insolite. côté, les
visage de la forêt quelque
Nous savions que, de
Boches ne nous épargneraient pas
imprudence nous valait une
La pensée de
balle
aux
:
leur
toute
oreilles.
mort, toujours présente, donnait
la
à chacune de nos actions une saveur amère qui n'était pas sans charmes.
VII LE SERGENT ROGER
La deuxième
section,
la
mienne, ne prenait
en un bloc. Les tranchées, trop
jamais
la faction
petites,
ne pouvaient abriter chacune qu'une demi-
section.
Le sergent-major, secondé par deux
gents, restait avec la première demi-section
ser;
le
sergent Roger et moi, nous partagions l'autorité
dans
la
deuxième.
Le mot
«
partagions
commandement de
la classe
avait
le
»
est inexact.
En
droit, le
appartenait à Roger, qui, étant
1912
et,
par conséquent, de
l'active,
pas, à grade égal, sur les réservistes, et, à
plus forte raison, sur
un
territorial.
SUR LE FRONT
113
Mon orgueil se fût, sans doute, révolté de se voir commandé par un enfant, si Roger n*avait mis tant de tact dans
la
Et
du
puis,
il
se parait
campagne avec
les
façon de donner ses ordres. prestige de ses débuts de
noms
éclatants de Sarrebourg,
Mattexé, Saint-Piermont. Les actes de bravoure que j'appris de lui achevèrent de
me
le
rendre sympa-
thique, et son sang-froid, pendant les bombar-
dements, m'inspira à son égard une vénération quasi religieuse.
Roger, que je place n'était,
avant
si
haut dans mon admiration,
la guerre,
qu'un petit cultivateur
berrichon, qui vivait auprès de sa mère, demeurée
veuve, dans une locature de quelques hectares.
Rien ne l'avait préparé au rôle de héros,
rien, sinon
l'application parfaite à ses petits devoirs.
sont de
—
lui,
ces paroles
EUes
:
Je ne savais pas, avant la guerre, que j'étais
patriote.
Pour moi,
il
est aussi naturel de tuer des
Boches que de labourer
mon champ
:
les
deux
opérations n'en font qu'une. Paroles profondes et qui sortent des entrailles de la pensée.
Les caporaux ne
le
cédaient en rien à leur ser-
gent. C'est l'un d'eux, Clemenceau, qui
—
Quand on m'envoie en
me
disait
:
patrouille, je ne rentre 8
114
FACE A FACE
jamais sans
renseignement que
le
de rapporter. Je vais où faut pour cela. Les
toujours
le
faut, et je fais ce qu'il
;
premier, loin devant eux, et que la
première balle serait pour moi,
ne peuvent
pris, ils
chargé
hommes que j'emmène trouvent mais, comme je marche
que j'exagère
parfois
il
je suis
nous étions sur-
si
autrement que de me
faire
suivre.
L'autre caporal, Boursin, un gros bébé joufflu et hilare, n'avait pas sur ses
hommes
l'autorité
de Clemenceau, froid, calme, pondéré, maître de lui
en toutes circonstances, mais
le
valait par la
me
coupe, après
il
bravoure.
— Je veux la guerre, les
bien, disait-il, qu'on
deux bras et
les
refuse d'être blessé avant la
deux jambes, mais
fm de
la
je
campagne. Je
ne veux pas rater une occasion de tuer des Boches. Malgré son
comme
«
refus
», il
fut blessé, pourtant, tout
Roger, et Clemenceau nous quitta égale-
ment pour retourner à son il
atelier
du
Creusot, où
était dessinateur.
Qu'on ne s'étonne pas trop dont
j'ai l'occasion
dans mes
récits.
ils
presque tous ceux
de parler, sont tués ou blessés
Je parle d'eux parce qu'ils étaient
particulièrement braves,
si
se sont
braves
;
étant particulièrement
trouvés particulièrement exposés.
SUR LE FRONT L'axiome font tuer
»
«
:
Ce sont toujours
115 les
mêmes
qui se
n'a rien perdu de sa justesse.
J'ai parlé
du calme de Roger sous
Toutes
après-midi, les Boches nous régalaient
les
les
obus.
d'un concert d'artillerie. Chaque tranchée fransoigneusement repérée malgré
çaise,
La
recevait une quinzaine de projectiles.
bution
que
si le
coup, dont on entendait
visite
aux
distri-
d'une tranchée à l'autre, sans autre
allait
règle
le
futaies,
les
hasard, de sorte qu'on ne savait jamais
voisins
le
départ, rendrait
ou à soi-même.
Roger, dès les premiers coups de canon, faisait
hommes avec
coucher ses
à cause des s'il
était
Mais
éclats.
il
Si
ou
les
s'il
la tête,
même quand
aussi, j'ai
pu donner à mes
tard, l'exemple d'un courage qui ne
m'était pas naturel,
si
j'ai
pu
leur apprendre à
Quand
défier la mitraille, je le dois à Roger.
sentais
quand
mon cœur j'étais
en fermant
avait la
ne se couchait, jamais
shrapnels volaient aux alentours.
moi
parfois,
hommes, plus
la tête,
continuait d'écrire,
lui
ne consentait à baisser
les éclats
havresac sur
en train d'écrire, ou de fumer,
pipe à la bouche. Jamais il
le
se décrocher
tenté de
les
yeux
me
et
en
dans
ma
je
poitrine,
terrer dans quelque trou
me bouchant
pour ne rien voir ni entendre,
les oreilles
je n'avais
qu'à
me
116
FACE A FACE
rappeler les
étroites
Roger fumant
et
tranchées de la Louvière,
sa pipe en souriant
pour rougir aussitôt de moi
mon
de
Il
et reprendre possession
calme.
nous a quittés, peu après
aux combats de novembre, sur
aux marmites,
un nouveau
front.
Il
et
il
mon
arrivée, blessé
se bat,
maintenant,
ne se doute pas,
le
petit
paysan taciturne, que sa pensée demeure vivante
parmi nous,
et
que sa pensée nous réconforte aux
heures d'angoisse. Voilà bien l'illustration frappante de sabilité
la
respon-
humaine. Pas un de nos actes, et parmi
plus indifférents,
qui n'ait sa répercussion
les
illi-
mitée, quasi infinie, et qui ne contribue, pour sa part, à l'élévation ou à l'abaissement de l'âme de
nos Il
frères.
y
a,
dans cette pensée, de quoi trembler, mais
aussi de quoi sourire.
|
VIII
PREMIÈRE PATROUILLE
J'ai
dit
les
lacunes du système des tranchées
au mois d'octobre,
aussi bien chez nous que chez
SUR LE FRONT
117
Allemands. Aussi, très souvent, à dessein ou non,
les
les patrouilles
de l'un ou l'autre
saient-elles la
ligne adverse.
Il
camp
franchis-
n'était pas rare
qu'une sentinelle française, en faction face à nemi,
vît,
en se retournant à quelque bruit
des casques à pointe derrière
elle.
Et, de
l'en-
insolite,
même,
il
ne se passait pour ainsi dire pas de jour sans que quelqu'un des nôtres, s'égarant dans
le
dédale des
sentiers de la forêt, ne se vit arrêté par le fossé
d'une tranchée remplie d'ennemis.
Des
cuisiniers boches,
trompant de route,
se
apportèrent un jour leur soupe dans une de nos tranchées. Les nôtres accueillirent avec empres-
sement
les cuisiniers ahuris,
mais
ils
se gardèrent
bien de toucher à leur ratatouille.
Même
aventure advint à l'un de nos cuistots, qui
portait à son escouade le café
en arrière de ses camarades,
au
lieu
sur
il
du matin. Demeuré avait tourné à droite
de tourner à gauche, et était tombé en plein
un nid de casques à pointe.
Stupéfaction des Boches, stupéfaction du cuistot. Mais, d'intelligence plus rapide, celui-ci saisit
la situation
par
le
Boches
fond, les
en une seconde. Prenant sa marmite il
en lança
le
contenu au visage des
plus rapprochés de
lui, et,
pendant que
ceux-ci hurlaient de douleur au contact
du
liquide
118
FACE A FACE
brûlant, le cuistot faisait demi-tour et disparaissait
au grand galop derrière
—
ma marmite
Avec
quand
fièrement,
il
avait-il soin
!
même
le
une nuit plutôt,
jour,
genre
:
les infirmiers
de secours de Ronval jouaient à porte de leur cagna s'ouvrit.
la
d'ajouter
racontait l'aventure.
Autre anecdote dans
Un
les arbres.
garde, tout à leur partie, et
il
au poste
la manille, Ils
quand
n'y prirent pas
pour attirer
fallut,
leur attention, qu'une voix inconnue s'élevât
—
Eh
bien
!
on ne
quoi,
dit pas
:
bonjour aux
amis ?
Regards
Stupeur
levés.
main tendue
eux, la
L'homme
:
un Boche
était
devant
!
expliqua qu'il en avait assez de se
battre, qu'il était garçon de café, à Paris, avant la
guerre, qu'il avait
beaucoup d'amis en France,
que ça l'embêtait de
A
question
la
Il
répondit
— — du
êtes- vous arrivé jusqu'ici?
:
Comment?... Je
je suis
venu,
et
camarades.
:
— Mais comment —
tirer sur des
les
suis sorti
de
ma
tranchée et
mains dans mes poches.
Et vous n'avez rencontré personne? Si,
feu.
un de vos brancardiers qui m'a demandé J'ai
allumé
mon
briquet.
Il
a allumé sa
SUR LE FRONT cigarette,
il
m'a
serré la
main
Il
pas vu à qui
avait affaire.
Gr, le poste
il
est parti en
de Ronval
se
trouve à deux kilo-
mètres au moins de notre première ligne
— El bien,
quoi
?.
. .
me
faisait tellement noir qu'il n'a
disant bonsoir. il
et
119
On ne
dit
pas bonjour aux amis
!
!...
(p. 118).
Connaissant ces particularités, vous ne vous
étanerez pas de
la
grimace que
nut, le sergent-major,
apeler et
— iG^é,
me
dit
mon
je fis
quand, une
chef de section,
me
fit
:
Le capitaine vous charge
d'aller,
dès
le soleil
en patrouille au sommet de l'ouvrage du 134.
FACE A FACE
120
Tout neuf encore
le
arrivé,
pu reconnaître
n'avais
je
terrain avec la jumelle, de sorte que
j'allais partir
un peu à
l'aventure.
Ce fut cette raison que
major pour expliquer
donnai au sergent-
je
ma grimace.
Entre nous, Men
franchement, j'avais peur.
Pour monter à l'ouvrage du par un chemin séparé de
un simple rideau Qu'un
un
arbre, et
il
il
fallait passer
tranchée allemande par
d'arbustes.
Boche
seul
la
134,
se
trouvât à l'affût derrière
descendait la patrouille en qiatre
coups, sans nous laisser
temps d'une
le
rip)ste.
Je partis avec mes trois hommes.
Me ceau et
:
souvenant des paroles du caporal Glenen«
En
patrouille, je vais toujours devait
pour ne pas
dans
ma
me montrer
»,
inférieur à ceux à qui,
vanité naïve, je m'étais flatté de \9nir
prêcher d'exemple, je marchais
le
premier, suri à
dix pas de l'un de mes hommes, et à vingt pas
des deux autres.
Lecteur fervent, en
Aimard avec soin
et les
de
ma
jeunesse, de Gustjve
Fenimore
Gooper,
j'appliqu.is
préceptes du «parfait Peau-Rougt»,
rampant comme un évitant de froisser
ver, retenant
même un
mon
haleire,
brin d'herbe, de p-
muer même une feuille, de heurter même un
caillou
121
SUR LE FRONT
Je ne doutais nullement de la stupéfaction de
mes hommes, à
voir leur vieux sergent
si
souple
mais comme, pour accroître leur admiration, glissais, telle
une couleuvre, à travers un
je
;
me
feuillage
qu'il eût été bien plus simple de contourner, je
122
FACE A FACE
moment, sans
quoi, le parfait Peau- Rouge et sa
troupe eussent passé un mauvais quart d'heure, après un
moment
et,
d'émotion, nous continuâmes
notre marche.
En haut du la
la colline
où
se trouvait l'ouvrage
cacher mes hommes, pour surveiller
tranchée que nous avions laissée derrière nous,
m'avançai
et je le
de
134, je fis
seul, sur l'autre versant, à travers
jusqu'à
taillis,
ce
que j'aperçusse quelques
détails de cette terra incognita.
Cette partie de l'exploration n'était pas dans
'avais honte de ma peur, et je senme réhabiliter à mes propres yeux.
programme, mais tais le besoin
En par
de
lo
j
revenant, je changeai de route et je passai
le
fond du ravin qui séparait nos positions
y avait là deux cadavres putréfaction commençante. J'é-
des positions ennemies.
de Boches à
la
prouvai, à contempler la véracité
Il
les
deux morts malodorants,
de la parole célèbre
:
—
Le cadavre d'un ennemi sent toujours bon. Le capitaine se montra ravi du résultat de la
patrouille et, en témoignage de satisfaction, fit
il
me
porter, par le sergent-major, des félicitations et
un paquet de Ce fut qui
me
ma
tabac.
première citation et l'une de
causèrent
le
plus de plaisir.
celles
FRONT
;UR LE
123
IX LA VISITE
Vers quelle époque assisté à
une
pour
la
première
visite sur le front?... Je
seulement qu'il
un pauvre
ai-je,
faisait
soleil
rappelle
d'automne,
qui semblait, lui
languissant,
soleil
aussi, réclamer
un pâle
me
fois,
du major.
les soins
Une hutte de quatre mètres de
L'infirmerie?
long sur trois mètres de large et deux mètres de haut.
Pour
porte,
une
claie
planche sur deux tonneaux
médicaments, une
;
pour table, une
pour armoire aux
;
vieille caisse d'épicerie
avec des
rayons.
chaque matin,
C'est ici que,
légers s'entend et à mesure,
;
les autres
par
mala-
se présentent
des de la veille et blessés de la nuit,
—
blessés
sont transportés, au fur
les brancardiers,
dans des ambu-
lances automobiles.
Le major? Un
petit
homme
bourru pour
le
nerveux,
ori-
qu'il neige,
maus-
moindre rayon de
soleil.
ginal, jovial dès qu'il pleut
sade et
sec,
ou
Chef de clinique dans un hôpital de grande
ville,
FACE A FACE
124 il
connaît son métier et n'aime pas qu'on
lui
raconte
des histoires. Malheur aux tire-au-flanc, aux candidats embusqués, aux fricoteurs
Car des fricoteurs,
il
vous n'en doutez pas,
!
y en a dans
même
je pense, et
braves ne sont pas fâchés
tranchées,
les
d'aller,
les
plus
à l'occasion,
reposer leur flemme pendant deux ou trois jours.
Les soldats connaissent l'humeur du fantasque
major
et,
jettent sur
voir
à
regards
les
me
le soleil, il
consternés
prend une
folle
qu'ils
envie de
rire.
—
Qu'est-ce que tu as, toi?
L'interrogé prend une mine funèbre
voix dolente,
s'entend à peine
— —
M'sieur
(Le
Tu
mange trop,
Eh
reviendras
désigne ça
bien
me
son
me brûle mon gaillard,
une autre
toi?...
me
Et
toi?
fait
mal,
Quand
là.
je
!
!
si
tu n'as qu'à ne pas tu reviens
fois, je te fiche
en bas, tu m'entends
Et
le dire.
bas- ventre).
tant te bourrer la panse. Et ter ça
j'ai...
sais pas, retourne l'apprendre aux
Moi, c'est l'estomac qui soldat
—
:
major, je ne sais pas ce que
Si tu ne le
tranchées.
—
le
d'une
et,
cassée de centenaire, qui
une voix
!
dans
Allez, ouste,
me
racon-
l'étang, là,
aux tranchées
!
125
SUR LE FRONT Les exécutions
Ne
poursuivent impitoyables.
se
croyez pas, cependant,
major dénué d'huma-
le
On le voit bien au regard apitoyé qu'il jette un homme qui lui présente sa main, dont un
nité.
sur
deux doigts
ricochet a tailladé
panse lui-même chante
d'affreuse sorte.
11
avec une minutie tou-
le blessé
puis, la voix redevenue cassante, et le
;
front sévère
:
— A un autre
!
De temps en temps, l'examen du malade prolonge.
Le major tâte
roge, puis l'habituel
placé par
:
«
Aux
pouls, ausculte, inter-
le
Aux
«
:
se
tranchées
éclopés !» ou
:
«
A
!
»
est
l'hôpital
rem!
»
Les regards des autres malades s'allument de convoitise jalouse et leurs lè\Tes remuent
toujours
le
même
:
«
Veinard
!
un mot,
»
Veinard, qui, dans une charge, a attrapé une entorse
!
Veinard, celui dont
qu'un boudin violacé Veinard, Ils
même,
vont s'en
le
!
pied gelé n'est plus
Veinard,
typhique
aller
le
se
le
bronchiteux
!
!
reposer douillettement
semaines, un mois
pendant quinze jours,
trois
dans un
les autres, les infortunés
lit,
tire-au-flanc,
alors
que
affligés
demeureront dans
les
d'une santé qui s'obstine, tranchées, les pieds dans la
boue, sans réussir à se doter du plus petit rhume
!
126
FACE A FACE
Je vous en fais juge
:
est-ce juste?
Mais d'où vient que, brusquement,
s'éclaire le
visage de ceux qui n'ont pas encore visite ? » C'est que, ô
du
levée
Le vent
sol,
la
bonheur, une brume, soudain
dilue le bleu
souffle
passé
«
du
ciel et voile le soleil.
du nord-ouest
:
bonne pluie
c'est la
en perspective.
Et
le
major rajeunit à vue
d'oeil.
Et
la
dureté de
son regard se fond dans un sourire. Il
y
maintenant, des
a,
«
exempts de service
variété jusqu'ici inconnue, et des
motivées
Et
Le
«
la répri-
capitaine.
Pas trop de confiance, cependant
—
consultations
qui éviteront aux bénéficiaires
»,
mande du
«
»,
toi,
mon
!..,
pauvre vieux?
pauvre vieux
»,
encouragé par ces douces
paroles, explique qu'il est fatigué,
ah
!
mais, bien
fatigué.
— Ah — Oh — Il
!
1
mon pauvre
vieux, tu es bien fatigué ?
oui, m'sieur le major.
faudrait
te
un
peu
de
repos,
pas
Combien? Deux jours? Quatre jours? Huit
vrai?
jours?
L'homme s'est
jubile.
mis sur
figure de
le
Le masque de souffrance
visage
tombe
et sa
paysan retors s'épanouit
qu'il
bonne grosse d'aise.
127
SUR LE FRONT
—
Oh
m'sieiir le major, ça sera
!
comme vous
voudrez.
— Comme
je
Eh bien mon
voudrai?
reposer aux tranchées
Ahurissement du
«
ami, va te
!
!
malade
».
Sourire sarcastique
du major. Cependant
premières gouttes de pluie com-
les
mencent à tomber. Le major épanche
qu'il Il
me
— Ah ici.
sergent,
!
Hier,
sur l'épaule
faut
:
on en voit de tous
un malade prétend avoir
tends un thermomètre et je
—
Il
dont son âme déborde.
l'allégresse
pose sa main
est radieux.
lui dis
les calibres,
la fièvre.
Je lui
:
Fourre-toi ça dans l'anus.
L'homme prend
l'instrument,
tourne,
le
le
retourne...
—
Eh
bien
!
quoi, qu'est-ce
que tu attends?
Fourre-toi ça dans l'anus, qu'on voie ta température
!
—
L'anus?
qu'il
me
fait,
point donné au magasin cet autre encore, de
Il
vient,
jour,
prétend-il. Or, le fièvre insiste
du :
à
a
1
Et
un
On m*en
.candide.
même
la
acabit
visite,
avec
:
la
fleuve,
thermomètre ne marque pas de
tout. Je l'attrape,
comme
de juste.
Il
128
—
FAOE A FACE Je VOUS assure,
Comme lui
du temps à
j'avais
explique
le
j'ai la fleuve !
mécanisme du thermo.
et son visage s'éclaire
—
Comme
perdre, ce jour-là, je
me
ça,
Il
comprend
:
pus que ça monte, pus
dit-il,
qu'on est malade?
— C'est
même.
cela
Le lendemain,
— Encore —
toi
il
!
J'ai la iieuve
Hum avoir
revient
Qu'est-ce que tu as? !
Je lui fais donner
!
l'air,
:
du coin de
un thermo
et,
sans en
l'œil, je le surveille.
Qu'est-ce que je vois? L'animal qui s'écarte,
allume des allumettes et chauffe regarde le mercure, sourit, puis,
avec cet
malades
—
air
thermo
!
Il
venant vers moi,
de moribond que prennent tous
les
:
Voilà, m'sieur
Je regarde à
maximum
:
toi,
le
mon
major
tour
42 degrés
Une brusque
— Et
le
!
:
1
le
thermo marquait
le
»...
volte-face.
qui me regardes
comme si. j 'étais un phé-
nomène, qu'est-ce que tu as?
L'homme Il
fait
signe qu'il ne peut pas parler.
montre de son doigt
sa
bouche ouverte,
et ce qui
sort de sa gorge n'est qu'un grognement inarticulé.
129
SUR LE FRONT
— Ah
ah
!
!
Voyons un peu
extinction de voix ?
ça.
Le major enfonce la
manche d'une
le
bouche du malade, examine
—
dans
Oui, évidemment, tu ne peux pas retourner
aux tranchées avec ça
De sage
tête,
la
—
et
ah
!
!
muet approuve
pauvre
le
sentence,
sourire dire
cuiller
:
douloureux
si
—
!
cette
douloureux
d'un
sourit,
il
veut
qui
:
— Aux
tranchées
avec une gorge pareille
!
moi dans
ce serait la mort pour
les
!
vingt-quatre
heures...
Quand, brusquement
—
Ah
là là
î
Qui parle distincte
Mais
d'une voix
fait
irritée et
mal
!
tout à
fait
malade lui-même, l'homme à l'extinction
le
— Vous Il
que vous m'avez
?
le
de voix,
!
ainsi,
:
pauvre aphone l'entendez
!
!
clame
ne pouvait pas parler, et
terrible
le
le
major.
voilà qui gueule
comme une baleine parce que je l'ai pincé au bras Ah mon gaillard, que je t'y reprenne à vouloir me monter le « job » Allez ouste aux tranchées !
î
!
aux tranchées
La
!
!
!
!
visite est terminée, et,
comme
le
vent souffle 9
130
FACE A FACE
avec fureur et que
la pluie fait rage, le
major, inca-
pable de demeurer en place, tant sa joie porte, sort
brusquement de
la
cahute
le
trans-
et, tête
nue,
sous l'averse, s'en va faire un tour de promenade
à travers la forêt.
TROISIÈME PARTIE
PREMIERS COMBATS
I
LA FRATERNITÉ DES ARMES Après
trois
semaines passées à
changeâmes de secteur
La
Louvière, nous
pour
sans,
cela,
nous
éloigner des premières lignes.
Je fus logé, avec trois autres sergents de la compagnie, dans une étroite cagna située trait
et
un peu en
re-
de nos tranchées. L'espace nous était mesuré
nous ne pûmes tenir que par
tion du moindre centimètre fraternité dans ce petit coin
la parfaite utilisa-
Mais quelle
carré.
!
A la guerre, l'intimité est vite nouée s'établissent qu'il faudrait des années
;
des amitiés
pour cimenter
en des circonstances ordinaires.
Pourquoi l'amitié
fleurit-elle
jeunesse et pourquoi est-elle
si
aux jardins de
rare
la
aux champs de
FACE A FACE
132 l'âge
mûr?
C'est
que
les
jeunes gens ont une
âme
neuve, simple, sans apprêt, sur laquelle l'aimant de la
sympathie agit naturellement
et sans effort.
Mais
quelle sympathie assez forte pour percer les couches
successives de rouille, de poussière, de boue, de vernis, de peinture, accumulées par l'âge sur les
âmes usagées ?
La plupart de nos
—
et
imperfections et de nos vices,
pourquoi cette restriction?
— toutes nos im-
perfections et tous nos vices proviennent d'un dé-
faut d'intelligence, j'entends de l'intelligence véritable, celle qui sourd
non des lobes cérébraux, mais
du cœur. Mal conseillés par notre orgueil, nous nous laissons aveugler par
les
apparences et nous
allons chercher des fruits sur fleurs
parmi
les granits roses et
au milieu des glaces du
peu de chose
chardons, des
des sources vives
pôle.
Mais, à la guerre, ah
et
les
I
qu'elles
les satisfactions
comme, suspendus nuit
comptent pour
de l'amour-propre,
et jour entre la vie et la
mort, nous nous persuadons aisément de bilité
de
vanités
la
l'insta-
fortune et de la vanité de nos vieilles
I
L'âme redevient premières années,
naturelle et vraie
et, purifiée
comme aux
au feu de l'épreuve,
débarrassée des tartres et des scories,
elle
reprend
133
PREMIERS COMBATS en partie
la fraîcheur et la
du Créateur.
sortant des mains
Regardez
les soldats
quelque grand jeter
dans
attiré vers
péril
qui viennent d'échapper à
ou qui vont, tout à
la fournaise.
Gomment ne
ceux dont
yeux vous
les
Je suis conseiller municipal
«
que je porte, «
il
sort de chez
J'ai dix mille francs
—
Ami,
sérable
mon
;
grâce qu'elle avait en
je suis
»,
de rente
autant que
:
«
non pas
:
Ce complet
ou encore
:
mais simplement
:
Tel
»,
pas se sentir
disent,
ou bien
Un
l'heure, se
1
»,
toi, faible, petit,
mi-
ne veux-tu pas enrichir ta pauvreté de
indigence et renforcer ta faiblesse de
ma
dé-
bilité?...
J'avais trois
Roger,
Mouché
Roger, vous
compagnons de chambre,
ai- je dit
:
et Desnues. le
connaissez déjà de vue.
Desnues, brave garçon, au caractère jovial, avait
pour mission de tenir au beau
fixe le
baromètre de
notre gaieté, et d'augmenter l'ordinaire de notre
popote avec recevait
les délicieux
fromages de chèvre
qu'il
du Berry chaque semaine.
Quant à Mouché, surnommé par l'homme
le
plus brave
ses
du corps d'armée,
camarades il
se paraît
en plus de sa bravoure, d'une douceur et d'une modestie délicieuses, virginales, devrais-je dire, s'agissait
pas d'un hirsute poilu.
s'il
ne
134
FACE A FACE
Quand on cité à l'ordre
— Et
de l'armée,
Parce qu'il si
demandait pourquoi
lui
fallait
il
avait contribué à sauver se récusait
le
drapeau du régiment,
;
Ce n'est pas moi plus que tous
Nos
:
on voulait savoir dans quelles circonstances
il
étaient
avait été
une citation à la compagnie.
il
—
répondait
il
les autres
qui
là.
loisirs
ter le poêle
au prix
de la journée s'employaient à alimen-
que nous avions réussi à nous procurer
d'efforts
commençât à
homériques. Bien que
le
froid
de l'armée en
sévir, le ravitaillement
combustible ne s'effectuait pas encore de façon régulière. Seuls, les officiers et l'adjudant recevaient
chacun un sac de charbon par se posait la
donc de
la
Le problème
jour.
façon suivante
:
prélever sur
part des favorisés de la fortune la part des
pauvres diables que nous étions, nous quatre.
Desnues opérait chez l'adjudant. Tout en amusant celui-ci de quelque histoire plaisante, plissait
quel
il
il
rem-
en cachette un petit sac au gros sac sur
était assis.
Roger
«
travaillait
de secours, soit au magasin du corps.
»
soit
le-
au poste
Ma victime,
à
moi, était le capitaine. Je
me
révélai prestidigitateur expert et je
vois
toujours la mine ahurie de l'aumônier en visite dans
PREMIERS COMBATS
135
notre cagna, un jour que, revenant d'une expédition, je sortais
de mes poches, pêle-mêle,
du chocolat, des morceaux de
choir,
porte-monnaie,
ma
charbon de bois
!
mon moucoke, mon
blague et des morceaux
de
Je prie qu'on remarque l'habileté et l'astuce tout
à
fait
extraordinaires qu'il
l'attention
du capitaine
mais, ce tribut payé à je dois,
c'est sait,
me
fallait
et de ses
mes
pour dérouter ordonnances
bien qu'U m'en coûte, formuler
que
le
capitaine n'était pas dupe
de mes manèges
au contraire,
sa barbe devant
;
qualités de pickpocket,
moi pour en
rire
et
il
un aveu Il
!
en
aux
:
s'amu-
riait
dans
éclats,
moi
parti...
Quelle désillusion,
quand on m'apprit
quelques mois plus tard
Le
soir, la
ces détails,
!
bougie allumée, confortablement assis
sur la paille, les pieds au feu, nous devisions. guerre,
il
n'était
De
la
que peu question. Nous parlions
surtout du pays, de ce Berry auquel nous apparte-
nions tous les quatre, et qui nous devenait plus cher à mesure que s'éclairait et se fortifiait notre
amour pour
la
grande patrie.
Nous chantions
les
ribiaude, la Bargère
chansons patoises
aux champs,
ner, presque toujours,
et,
:
la
Cha-
pour termi-
mes compagnons me
de-
FACE A FACE
136
mandaient de parler de mes voyages, eux presque aussi contents de m'entendre raconter nirs
que moi de
Je disais
le
mes souve-
les revivre.
Portugal pittoresque et multicolore,
écharpe d'Orient nouée aux flancs de l'Espagne l'Espagne accueillante et grave, ennemie de fantaisie, où,
dans
comme un
reçu
la
ministre
patrie des sangliers, où,
un coup de maître
balle,
deux
moi
et
;
la
et,
le
la
;
pour
soir,
conduit au
Corse hospitalière,
mon coup
Et un
gibiers de choix
:
mon
voisin de chasse
que ne
un
petit coin de l'Allemagne, et
l'Italie...
puis-je, à cette liste ridiculement
étriquée, ajouter tous les pays il
un visage
me sourit par delà la mort.
la Suisse, et
!
même
Belgique amie, parcourue en des jours
petit coin de
Ah
d'essai, je
et faillis jeter bas, de la
inoubliables, au-dessus de laquelle plane
adoré qui
la
même journée, je fus, le matin,
poste entre deux alguazils
fis
;
du monde,
et sera-t-
comblé jamais l'ardent désir de voir qui
jette
mon âme vagabonde aux quatre coins de la terre ? Un silence religieux enchâssait mes paroles. Dehors, les balles volaient, les canons grondaient
corps à corps, chaque nuit, jetaient les
autres des
fois,
les
;
des
uns contre
hommes, à quelques pas de nous. Par-
déchirant
les
ténèbres et
la pluie,
un grand
cri,
PREMIERS COMBATS
137
hurlement d'agonie ou chant de victoire, parvenait jusqu'à nos
oreilles.
Mais que nous importait, à
y eût la guerre en Europe La magie de mes paroles nous avait emportés
nous, qu'il
jusqu'au
!
monde merveilleux du
de mes auditeurs stimulant passais et
rêve, et l'attention
mon
génie, je
profond et tendre, spirituel. Parfois,
ému
m'arrachant à l'enlizement des
souvenirs et fixant
je
dé-
et railleur, pathétique et
mes yeux
sur les
voisins pour jouir de leurs larmes rires,
me
me surpassais moi-même, tour à tour
yeux de mes
ou de leurs sou-
m'apercevais qu'ils dormaient... Je
hâtais alors de détourner la tête, afin de
me
me
trom-
per moi-même, et une toux opportune permettait
à mes auditeurs de se réveiller et de dispenser à mes récits
Un
un
juste tribut de louanges.
soir,
on nous prévint que,
le
lendemain,
la
compagnie donnerait l'assaut d'une tranchée au Bois-Brûlé.
Nous fîmes
aussitôt, tous les quatre,
notre testament, ceux qui succomberaient dans l'attaque laissant
aux autres
les
provisions de
leurs musettes et les réserves de leurs ha\Tesacs.
Le lendemain. Mouché et
et
Roger étaient
blessés,
Desnues tombait dans une embuscade.
La foudre
avait passé, frappant l'arbre à la tête
et dispersant les feuilles. Et, maintenant, Roger,
138
FACE A FACE
guéri, se bat
dans
le
Nord, Mouché est instructeur,
Desnues languit dans un camp d'Allemagne. Et reste seul à tisonner
mes
je
cendres.
II
LA FORCE DE L EXEMPLE
La tranchée
qu'il s'agissait
de prendre était de
grande importance stratégique. Après plusieurs assauts infructueux tentés la veille, l'ordre était
venu au commandant Blavet, qui que
:
«
coûte.
Emparez-vous de
ma
cette tranchée, coûte
N'y épargnez aucun
Ce fut alors que
le
effort.
compagnie pour un nouvel assaut
gnant, sans doute, que
à notre tête
—
Mes
les
;
mais
crai-
échecs de nos camarades il
résolut de se mettre
:
enfants, nous
premier.
que
»
commandant Blavet désigna
ne nous eussent découragés,
le
dirigeait l'atta-
Je
dit-il,
compte que
je
vous
vais marcher
me
suivrez
partout.
De toutes nos bouches, une exclamation indignée.
Comment reille
1
pouvait- il nous poser une question pa-
Nous connaissions
sa bravoure, son habileté,
PREMIERS COMBATS
139
son sang-froid. Les plus anciens de nous l'avaient
vu à l'œuvre, à Sarrebourg une partie de
serait
:
une charge avec
lui
plaisir.
Par suite d'événements trop longs à raconter et dont
s'égara pendant la plus,
un peloton
la fatalité seule est responsable,
marche d'approche
au commandant que
les
;
il
ne restait
deux premières
sec-
tions.
Quand
il
se rendit
compte de
Que
xiété se lut sur son visage.
l'attaque ? Mais était formel
Prendre
Je
le vis
— Il
Mes
Remettre
grand jourallaitparaîtreetl'ordre
la tranchée,
fermer
les lèvres
grave, les
faire?
:
—
remuer
le
la situation, l'an-
;
les
coûte que coûte.
yeux quelques secondes
et
puis, tourné vers nous, le visage
yeux souriants
:
enfants, allons-y
!
partit le premier, le revolver à la main, suivi
du lieutenant Jeunet
hommes de
la
derrière lequel marchaient les
première section, en colonne par
un.
En même
temps, partait
la
deuxième
sergent-major Dia en tête et moi derrière
section, le lui.
Les deux colonnes suivaient chacune un layon différent à travers la forêt, hors l'autre.
La
neige,
de
la
vue l'une de
tombée une partie de
la nuit,
140
FACE A FACE
couvrait
le sol
d'une couche de sept ou huit centi-
mètres.
Les ordres reçus portaient que nous devions nous approcher
le
plus près possible de la tranchée, puis
nous coucher pour attendre de
le
coup de
sifflet,
signal
la charge.
Il
partit le premier, revolver à la
main
(p. 139).
Nous avançons, à plat ventre, à travers les balles. Les Allemands tirent au jugé, sans nous cause de la brume. c'est
voir, à
De temps en temps, un
cri
:
un camarade qui tombe.
Quelle
ennemie?
distance
nous
Très courte,
sépare
sans
de
la
tranchée
aucun doute, car
nous entendons distinctement parler
les
Boches.
PREMIERS COMBATS
Nous nous étendons
derrière
à gauche et moi à droite,
les
141
un gros chêne, Dia
hommes
derrière, et
nous attendons...
De temps en temps, tion,
il
je
tourne la tête
de
:
la sec-
ne reste qu'une douzaine d'hommes, mais
ce sont vraiment des
«
hommes
»,
vétérans de
popée de Sarrebourg, vétérans dont
l'é-
plus vieux
le
n'a pas dépassé la vingt -cinquième année. Si j'avais besoin de réconfort, je le puiserais
visages épanouis
du caporal Hatton
et
aux
du soldat
Gauthier.
Mais non
;
je suis
puis-je craindre?
extraordinairement calme. Que
N'avons-nous pas avec nous notre
commandant? Un
chef de bataillon, pour nos
sections toutes seules, quelle aubaine rien de fâcheux ne peut
I
deux
Avec
lui,
nous advenir.
Ces sentiments sont en nous, inexprimés mais véritables.
Qui dira
la force
de l'exemple, la puis-
sance d'une volonté qui se substitue aux volontés
environnantes, chêne qui tend son tronc
robuste
aux plantes grimpantes des alentours ?
La présence du lieutenant Jeunet, également nous rassure. Le lieutenant Jeunet est réserviste, mais par son énergie, par son autorité naturelle, par son extraordinaire aptitude aux travaux de
campagne,
il
donne l'impression d'être de
l'active.
142
FACE A FACE
Nous connaissons
sa bravoure.
Nous savons que
hommes,
ne cédera sa place
parti en tête de ses
il
à personne tant qu'il demeurera debout...
Cependant
les
minutes passent. Nous sommes
toujours à plat ventre dans la neige et
attendu ne se
fait
quelque peu,
la
nous ne tage
;
le
pas entendre. La brume
signal
le
se dissipe
tranchée ennemie est plus près que
croyions encore, 6 mètres, pas davan-
nous percevons tous
ses bruits
comme
si
nous
étions ses hôtes.
Un
seul sentiment en
moi
dir et de faire connaître à
sang. Oubliées,
mes
l'impatience de bon-
ma baïonnette le
goût du
terreurs de la veille à l'annonce
de l'attaque, alors que je barbelés, criant
:
ma
me
voyais, râlant sur des
douleur et
ma
soif
!
J'ai
épuisé en imagination toutes les horreurs de
l'at-
fils
taque et Si,
je
n'en garde plus que l'ivresse.
cependant, une inquiétude, mais tellement
burlesque, étant données les circonstances, qu'en la
formulant, je ne puis m'empêcher de sourire
rester
si
longtemps couché dans
pas attraper des rhumatismes
la neige,
:
à
ne vais-je
!
Le sergent-major, près de moi,
plaisante.
Il
me
pose des devinettes, chantonne, sculpte dans la neige des
bonhommes
tenir en place,
il
grotesques, puis, ne pouvant
abandonne l'abri du chêne et va
se
• 143
PREMIERS COMBATS
plein terrain décou-
du layon, en
poster au milieu vert.
— Vous comprenez, nous empêchent de
arbres
tirer, et
il
faut que j'en
démo-
ici,
\m pour passer le temps.
lisse
Heureusement pour 11e,
talus.
tranchée, toute nou-
lui, la
n'a pas de créneaux encore et, pour tirer sur
lui, les
le
les
m'a-t-il dit,
Boches doivent passer
Mais Dia a
l'œil vif et
la tête par-dessus le
son
fusil est
toujours
premier à partir. Je regarde à
sommes
—
là
!
Chef
!
ma
montre
:
une heure que nous
J'appelle le sergent-major
chef
I
il
:
doit se passer des choses bi-
nous; voulez-vous que j'aille aux
zarres derrière
nouveUes ? Dia ne m'entend pas. Je répète
ma question, deux fois, trois fois...
Mais, je t'en fiche
I
II
est bien trop
passionnant jeu de massacre. rent
aux
balles qui, de
excité, joyeux, qu'il est
— Pan 11
—
et,
;
temps en temps,
débordant,
il
se parle à
!...
je crois qu'il
Ah
!
en a dans
indiffé-
le frôlent,
comme un grand
tout en tirant,
Tiens, ce gros-là, tu le vois?
recharge
occupé à son
Il tire, tire,
enfant
lui-même
Ah mon colon !
:
!..
l'œil.
:
là, là
!
ce gosse
I
C'est toi qui voudrais
144 •
FACE A FACE
m'avoir?
mère Je
Va donc
te faire...
pan
le
Il
moucher par ta
regarde admiratif et quelque peu ahuri.
C'est la première fois que je vois
sous
!...
!
le
un
soldat français
feu, et ce spectacle, ainsi qu'il
m'arrive
est bien trop occupé à son jeu de massacre... (p. 143).
chaque
donne à
fois
qu'un sentiment violent
la fois
— Chef — Ah !
!
envie de pleurer et de
me
me
rire.
voyons, écoutez-moi. Chef
c'est vous,
secoue,
!
chef
!
Péricard? Venez donc auprès
de moi essayer votre chance. C'est amusant tout plein, et...
pan
!...
à tous les coups l'on gagne.
PRE^HERS COMBATS Les soldats l'écoutent et rient
145
En
!
vérité, se
croirait-on à quelques mètres des Boches,
Que l'ennemi
des nôtres?
si
loin
sorte de la tranchée et
nous sommes perdus. Mais
le
nouissent. le
chef plaisante et tous les
«
s'épa-
Aucun danger ne menace et tout est pour
mieux du monde puisque
à une
hommes
assemblée
Toujours
»
la force
Cependant tour encore.
le
chef s'amuse
de l'exemple
l'aiguille
ma
de
1
montre
Nous ne pouvons pas
Partir en avant, sans coup de seuls la tranchée
Ce
?
comme
du pays.
serait folie
fait
un demi-
rester
sifflet,
ainsi.
et charger
!
Je m'adresse de nouveau à Dia, la voix pressante, et j'obtiens enfin la
permission d'aller voir en arrière
ce qui se passe.
III
PREMIÈRE BLESSURE
Ce n'est pas sans peine que
je réussis
à m'ar-
mon alvéole de neige, et plusieurs guêpes méchantes me bourdonnent aux oreilles, avant que
racher de
je puisse m'enfoncer
dans
le fourré,
hors de
teinte des balles. 10
l'at-
146
FACE A FACE
Brusquement, une plainte arrête -
—
Sergent Péricard
Je tourne la tête
:
voix est
la
ma rampée
Sergent Péricard
!
celle
du
:
!
petit B...,
couché en travers du boyau.
—
Sergent Péricard, venez
bras cassé et la jambe aussi
me
J'achève à peine de
:
je
me
panser
j'ai
Et moi
une
î
remettre de l'émotion de :
aussi, sergent Péricard, je suis blessé
balle
O mes comme
j'ai le
ne puis pas bouger
cet appel qu'une seconde voix s'élève
—
;
dans
le
ventre
pauvres soldats
leurs plaintes
me
!
venez
;
me
chercher
mes pauvres
font
mal
:
petits
!
!
!
Je leur crie de patienter, que je ne puis pas m'arrêter maintenant, mais
que
je vais revenir, bientôt,
dans quelques minutes... Ils
ne veulent rien entendre et leurs appels con-
tinuent, plus pressants et plus lamentables à mesure que je m'éloigne.
—
Sergent Péricard
abandonnez pas
Un moment,
!
Sergent Péricard
!
ne nous
!
la
tentation
me
vient de
me
piter à leur secours. Mais, la mission qui
préci-
m'est
confiée?...
Je continue
ma
route et j'arrive à la clairière
d'où sont parties nos deux colonnes.
Une cabane
de bûcheron couverte en terre se tasse dans un coin.
PREMIERS COMBATS Entre
elle et
147
moi, une dizaine de corps inertes.
donc eu combat
Il
ya
par derrière nous, et nous ne
ici,
nous sommes doutés de rien
!
Je m'approche de la cabane. sont couchés, une voix étouffée
De
l'un de
ceux qui
:
— Sergent, sergent, couchez-vous — Me coucher pourquoi donc — Couchez-vous couchez- vous ou !
?
et
?
!
mort
!
Tellement impérieuse
ment,
A
vous êtes
!
la voix, que,
machinale-
suis-je laissé choir que,
d'un fourré
j'obéis.
peine
me
situé à quelque dix pas,
un coup part qui m'est
certainement destiné. La balle touche
le
demi-mètre avant d'arriver à moi, laboure et s'arrête juste à
mon
sol
un
la terre
œil droit, après avoir tra-
versé la paupière.
Je regarde
le
sang couler et
faire,
sur la terre, une
large tache. Je ne doute pas que j'aie l'œil crevé.
Cependant, pour m'en assurer,
je
che
s'en est fallu d'une
:
ligne
ô joie
que
la
!
j'y vois encore
!
11
ferme
l'œil
gau-
catastrophe n'arrivât.
J'interroge à voix
murmurée mon
voisin, celui
qui m'a sauvé la vie par son avertissement. J'ap-
prends que
le
commandant Blavet a
été tué,
que
tous ceux qui l'accompagnaient sont tués ou blessés.
1
FACE A FACE
48
Je comprends, maintenant, pourquoi nous atten-
dions en vain
signal
le
Les Boches ont occupent
le
et ce sont
!
une contre-offensive
fait
;
ils
front entier de la forêt face à nos lignes,
eux qui viennent de
tirer sur moi.
Quel parti prendre?
me
Si j'essaie de
pas de
lever, les
Boches qui, à quelques
guettent et qui croient m'avoir tué par
là,
coup à bout portant, tireront sur moi de nou-
leur
veau
et ne
me manqueront
pas, cette fois. Je vais
donc rester tranquille à attendre la
prudence et Mais
ne vais
Un
la sagesse
les autres, là-bas,
me
événements
les
:
le conseillent...
qui attendent et qui,
si
je
les prévenir, se feront surprendre?...
court combat intérieur, puis,
le
sentiment du
devoir l'emporte.
Oh
!
je n'écris
pas ceci pour quêter des louanges.
Je dois rougir, au contraire, de ces hésitations qui
montrent combien Je dis à
est superficiel
mon voisin
fasse. J'attends
moi-même,
carpe qui
me
courage.
quelques minutes pour détourner
de moi l'attention des Boches sur
mon
de ne pas remuer quoi que je
je fais
;
puis,
me
ramassant
deux prodigieux sauts de
jettent (je ne
me
serais pas cru capa-
ble de semblable prouesse) l'un, de l'autre côté de
mon
voisin
;
l'autre,
par derrière
la
cabane.
149
PREMIERS COMBATS maintenant,
J'ai,
moi
:
Un
je suis
la
cabane entre
ma
section est là, couché, perdant
son sang en abondance. Je puis, prenant son fusil
cabane,
la
le
panse rapidement,
pour remplacer le mien
me voilà parti à la
camarades. Je m'égare à travers j'arrive
Boches et
sauvé.
blessé de
devant
les
en vue de
la
sillade m'accueille.
recherche des le
fourré et
tranchée ennemie. Là, une fuJe rebrousse chemin, reviens
à la cabane, repars... et je m'égare encore Enfin, je
!
rencontre Gauthier, un de mes hommes,
de tous ces braves
le
plus brave peut-être, puis
caporal Hatton et deux autres Ils
laissé
m'apprennent que
le
hommes
le
encore.
sergent-major, ne
me
voyant pas revenir, a battu en retraite. Hatton et Gauthier ont essayé de ramasser il
eût fallu des brancards et
ils
les blessés
;
mais
ont dû se contenter
de panser leurs camarades.
Dia et
le
reste de la section ont disparu.
Un à un, nous nous défilons dans le bois. est tué et
quatre
:
nous arrivons quatre à notre tranchée,
tout ce qui reste d'une demi-compagnie.
Les camarades J'ai été
me
Gauthier
vu avec
me font un accueil qui me touche. mon visage couvert de sang et on
croyait mort. Je
mandant
demande des
détails.
Le com-
a bien été tué. Dia, blessé, a été fait pri-
FACE A FACE
150
sonnier par une patrouille boche. Blessé également et prisonnier le lieutenant Jeunet. Blessés,
Mouché
et Roger.
L'attaque a échoué, mais l'honneur est sauf.
que
Si long
minime
soit ce récit,
il
ne contient qu'une
partie des péripéties de la journée. Je ne
puis, cependant, passer sous silence la conduite
l'homme aux
du caporal Thépin, et
de
fils
aux deux jours de consigne, — vous
le
fer
rappelez-
vous?
Comme panser
j'étais derrière la
le blessé, je le
extrémité de la tout près, et je
cabane, en train de
vois arriver, debout, à l'autre
clairière. Je lui
lui fais signe
montre
les
de se baisser.
Il
Boches ne m'é-
coute pas.
— Oh
Mais !
ils
sont là
!
lui dis-je.
ce geste superbe d'indifférence
J'appris par la suite que, cinq
fois,
!
il
était parti
en patrouille, volontairement, et qu'à chaque il
avait laissé ses
hommes en
arrière
pour
fois,
s'en aller
seul à la découverte.
— lui
Pourquoi ne vouliez-vous pas vous baisser?
demandai-je.
Écoutez cette réponse
— les
On
:
m'avait chargé de savoir où se trouvaient
Boches.
Il fallait
bien que je reste debout pour
PREMIERS COMBATS
me tirent
qu'ils
les balles
151
dessus et que je voie d'où partaient
!
Le caporal Thépin n'a pas
la médaille militaire...
IV
GRANDEUR ET DECADENCE
Je ne sais j'ai
dans
si,
que
le récit
mis suffisamment en
je viens
relief le
me
extraordinaire avec lequel je
de
faire,
calme vraiment
promené au
suis
milieu des balles et des embuscades.
me pardonne cette réflexion, qui est d'un fat accompli la suite de mon récit va me présenter sous un tel jour que je sens le besoin de me chercher (Qu'on
:
dès maintenant, des excuses.)
Calme extraordinaire, oh
!
certes
!
C'est
ainsi
qu'en rentrant dans nos lignes, j'entrepris, au lieu de prendre
layon d'accès, de sauter par-dessus
le
les nls
de fer du réseau de défense. Entreprise
alors
que
les
Boches
30 mètres dans les
mailles
chaque pas fois.
Les
le
étaient et
bois
me !
suivaient
Le réseau
serrées.
tombai
je
balles bourdonnaient
folle,
quelque
était
large,
m'empêtrais à
Je
ne
à
sais
à
combien de
mes
oreilles
;
152
FACE A FACE
deux hommes, qui venaient
derrière moi,
furent
me
regar-
tués.
Les camarades qui, de
la tranchée,
daient venir, ouvraient des yeux terrifiés et criaient de faire vite. quille
aux
le sourire
»,
Mais
j'allais
lèvres,
en
«
me
Père Tran-
m' amusant de leur
frayeur et ravi de la prolonger.
mon
y a eu dans
Il
part d'inconscience
ne
je
me
:
sang-froid, ce jour-là,
c'était
ma première
une
affaire, et
rendais pas très bien compte des dangers
courus. Mais
il
répéter, l'élan
y a eu surtout, je ne saurais trop le donné par la présence immédiate
d'un chef en qui j'avais confiance, ce commandant Blavet qui,
si
héroïquement, se
fit
tuer à notre tcîe.
Je ne devais plus retrouvrer ce calme. Dans tous les
combats auxquels, par
m'a
fallu maîtriser
ma
la suite, j'ai pris part,
il
frayeur à coups de volonté.
Cette angoisse nerveuse, cette peur de la mort, ce
renâclement de
la
bête devant l'obstacle à sauter, ils
furent particulièrement sensibles dans la journée du
26 novembre, causes
:
de sommeil sortes
et les jours qui suivirent.
A cela, deux
l'extrême abattement causé par et,
le
manque
d'autre part, les fatigues de toutes
que venait renforcer
la dépression
de
la dé-
faite.
Je puis
le dire,
maintenant, cette
fin
de novembre
PREMIERS COMBATS fut désastreuse tiels,
153
pour nous. Malgré des succès par-
nous ne pûmes venir à bout de
prise, et,
si
les
la
tâche entre-
Allemands perdirent beaucoup de
monde, nos pertes à nous furent égales aux
leurs,
supérieures peut-être. J'ai
d'autant moins de scrupules à faire cet aveu,
qu'il s'agit làd'unfait exceptionnel, dire,
dans
l'histoire
de cette année de guerre. Avec
leurs habitudes d'attaques par les
unique, peut-on
Allemands ont toujours
masses compactes,
offert
à nos coups des
cibles merveilleuses et leurs victoires
été payées d'un tel prix que,
prodigalités pareilles, ^
lus
il
mêmes ont
pour expliquer des
faut mettre en avant, en
de l'inconscience développée par des théories
tyranniques, la cécité que produit
un
orgueil sans
bornes.
Après l'attaque du 25 au matin, ou mieux, ce qui reste de
la
la
compagnie,
compagnie,
se
rassem-
ble dans notre tranchée, attendant l'ordre de tenter
une nouvelle attaque. Vers la
fin
de l'après-midi, un pâle
soleil fait
fondre la neige qui couvre les claies et les talus, et
comme
la
tranchée se trouve en contre-bas, l'eau
monte, monte, monte... Bientôt, nous avons les chevilles noyées.
En vain,
plaçons-nous sous nos pieds des fascines, des ron-
154
FACE A FACE
dins, des sacs à terre
Très tard, dans la
:
l'eau garde le dernier mot.
soirée, les cuisiniers arrivent
;
mais leurs pérégrinations à notre recherche, parmi le
dédale des boyaux, ont demandé des heures
Les cuisiniers arrivent...
;
les
(p. 134).
boules de pain, détrempées par la pluie, ne forment plus dans les sacs qu'une affreuse bouillie gluante il
;
faut nous contenter pour dîner, de la soupe froide
sur laquelle la graisse forme des caillots, et d'un
morceau de bouilli sans pain.
PREMIERS COMBATS Je suis assis sur une fascine,
le
155 derrière et les
pieds dans l'eau. Près de moi, l'adjudant Auger et le
La
capitaine de
commandant
Source, qui a pris la place
du
Blavet.
Ce que disent
les
agents de liaison, je l'entends
;
des ordres donnés, aucun ne m'échappe.
Un
exemple entre dix pour montrer à quelle
épreuve sont soumis
les nerfs
de
«
ceux qui savent
».
Après plusieurs tentatives d'attaque, qui, toutes, ont échoué,
le
capitaine fait appeler le lieutenant
et le sous-lieutenant
—
de
la
....®
compagnie
Messieurs, vous allez prendre vos
:
hommes
et
vous porter avec eux à hauteur du gros chêne. Là,
vous
leur
ferez
commencer une tranchée
en
se servant des outils portatifs qui sont sur leurs sacs.
Le gros chêne en question
n'est pas à plus
de
40 mètres de la tranchée occupée par les Allemands.
Le feu de
leurs mitrailleuses balaie le terrain sans
Comment avancer dans ces conditions en terrain découvert, et comment se maintenir à l'enarrêt.
droit indiqué
pendant
le
temps nécessaire à
la con-
struction d'un ouvrage?...
— obéis.
Mon
capitaine, répond
Vous
le
lieutenant, je vous
savez, n'est-ce pas, que vous nous en-
voyez à une mort presque certaine?
156
FACE A FACE
—
Je
tentée.
—
le sais
Il le
Bien,
;
mais celte manœuvre doit être
faut.
mon
capitaine
!
Les deux lieutenants saluent, font un demitour réglementaire et s'enfoncent dans la nuit.
Les
hommes marchaient
en colonne par un...
(p.
156).
Un
quart d'heure après, un fourrier se présente
—
Mon capitaine, la compagnie a quitté ses abris
•
pour exécuter l'ordre que vous
hommes marchaient la
même,
qui a pris
le
les
avez donné. Les
en colonne par un. Les deux
lieutenants étaient en tête.
ment
lui
:
Une
balle, probable-
a tués tous les deux. L'adjudant
commandement de la compagnie, a
fait
PREMIERS COMBATS couchef'ses hommes et
demande c e qu'il doit faire (1 ).
Représentez-vous la scène qui tombe,
157
le sous-officier
la nuit noire, la pluie
:
au
«
garde à vous
!
»
dé-
bitant son rapport d'une voix que sa volonté maîtrise
pour
du même
la rendre indifférente
choc, voit tomber
poirs et disparaître
deux de
nous tous qui écoutons
;
le capitaine, qui,
un de ses derniers
et qui,
ses frères
d'armes
officiers,
Bien,
mon
les
jeunes, ardents, pleins de vie, qui,
l'ordre reçu, fixent leur chef «
;
devant nos yeux, en
un diptyque violemment heurté, contemplons deux
es-
capitaine
!
»,
de leurs yeux résolus
puis^ les
:
deux mêmes,
étendus dans la forêt, côte à côte, inanimés, sanglants,
On
ombres fondues dans l'ombre de
la nuit...
a beau se croire à l'abri de toute émotion
vaine par la fréquentation quotidienne de la mort,
on a beau s'imaginer son cœur entouré d'une cuirasse plus épaisse
que
le triple airain
disciples des légendes antiques, faire sibilité
un piédestal à son
orgueil,
il
du poète
et,
de son impas-
y a de ces oppo-
sitions tellement tragiques qu'elles forcent la vo-
lonté la plus rebelle et tirent des profondeurs de l'être
des réserves insoupçonnées de larmes.
(1) J'ai
appris par la suite que l'un des deux officiers, le
lieutenant B... avait été blessé grièvement et
Après une longue convalescence sur
le front.
il
non pas
tué.
a pu reprendre sa place
158 •
FACE A FACE
—
Dites à votre adjudant, répond
capitaine au
le
fourrier, qu'il regagne les abris avec sa
Le capitaine de La Source compagnie, ou plutôt ce
qu'il
y a un peloton qui
s'est
Il
comme je taque de
qui n'a
l'ai dit, et
la
compagnie.
se retourne vers
en
ma
reste.
égaré dans la forêt,
pu prendre part à
matinée ce peloton :
se portera
l'at-
en avant
à son tour. J'attends
un complément à
cet ordre
:
ne va-t-on
pas exempter de cette nouvelle attaque
hommes dont je partie
dans
du
suis,
quatre
qui se sont battus une grande
jour, qui ont passé des heures couchés
la neige,
dont
de ramper, qui ont
camarades,
aux
les
les
genoux sont écorchés à force
vu tomber à leurs côtéstous leurs
dont
l'épuisement
atteint
presque
limites des forces humaines?...
Mais non
;
de nous, personne ne parle.
L'attaque est fixée pour dix heures, puis à onze heures, puis à minuit... Cinq fois de suite, dans la nuit, l'ordre est reculé
ma
;
cinq
fois,
il
me
faut refaire
provision de courage.
Aux
fatigues physiques s'ajoutent, pour moi, les
harcèlements du remords tranquille. Je pense
:
je n'ai
pas
aux hommes de
ont disparu. Ont-ils été tués? N'y
la conscience
ma section
a-t-il
pas,
qui
parmi
eux, des blessés qui attendent, couchés parmi la
159
PREMIERS COMBATS
neige à demi fondue, dans l'angoisse de la nuit et de la souffrance,
qu'on vienne
est d'aller à la
découverte
min
;
les relever?
moi
Mon
seul connais
devoir le
che-
à suivre.
Mais
je suis las,
tenaille. Si
pieds dans
mais
je grelotte,
incommode que
soit
mais la faim
ma
me
position, les
l'eau glacée, je n'ai .pas la force de
me
hommes que je m'imaimpose silence comme à des
de mes
relever, et les appels
gine entendre, je leur
importuns. Je crois en avoir
Vers dix heures, taires
pour
aller
fini
le
avec mes. remords
capitaine
chercher
le
;
hélas
!
demande des volon-
corps du
commandant
Blavet. Quatre jeunes soldats de la classe 1914 se présentent. Ilsnesont arrivés que de quelques jours.
De nouveau, ma
— Vas-tu
conscience crie
:
laisser partir ces enfants sans chef,
sans guide? Lève-toi
!
Où
Qu'attends-tu?
sont tes
belles résolutions d'octobre?
Ah La
!
oui,
mes
résolutions d'octobre, où sont-elles?
gloire, le devoir, la patrie,
plus, je
des mots! Je ne pense
ne rêve plus qu'à trois choses
manger,
:
me
chauffer, dormir.
Quand
les
quatre volontaires s'enfoncent dans
la nuit, je
détourne la tête
je respire
avec force
;
il
et,
quand
ils
est trop tard,
ont disparu,
maintenant
;
160
FACE A FACE
même si Et, crite,
e le voulais, j e ne pourrais plus les rej oindre.
danger passé, je pense, affreusement hypo-
le
dans un désir violent de
même,
—
j
ce qui des mensonges est
Je ne demandais pas
me le
mentir à moipire
:
mieux que de les accom-
pagner. Pourquoi donc sont-ils partis
si
vite?...
V UNE CHARGE
La
nuit lamentable se traîne.
La boue, main-
tenant, monte jusqu'à mi-jambe. Des dents claquent.
La toux
déchire les poitrines.
Minuit. L'attaque est définitivement fixée pour trois heures.
Encore
trois fois soixante interminables,
minables
manger.
minutes.
On
Des
hommes froissés.
Les mâchoires
marchent, mais lentement, péniblement passe pas.
de
entend des couteaux qui s'ouvrent, qui
Des papiers sont
se ferment.
essaient
abo-
:
«
Ça ne
»
Ce n'est pas l'approche du combat qui nous déprime, mais ce froid pénétrant, mais cette neige
fondue qui
colle à
nos semelles, entre dans nos
souliers par tous les pores
du
cuir,
imbibe nos
161
PREMIERS COMBATS
â&#x20AC;&#x201D; jVivement,
qu'on "charge
!...
(p. 162).
11
FACE A FACE
162
chaussettes et glace nos pieds. Nos pieds sont des blocs de glace.
Nos
orteils
puis nos chevilles. Encore
monte aura gagné nos Personne ne parle
De temps à exclamations
— —
autre,
refusent de remuer,
un peu,
genoux... ;
on n'en a pas
force.
la
seulement, quelques brèves
jaillissent
du fond de notre
Vivement, qu'on charge J'aimerais
et le froid qui
mieux une
détresse
:
!
balle
dans
peau!
la
Trois heures, enfm. Sous la claie qui abrite les
des bruits de pas, des cliquetis de four-
officiers,
reaux, puis la voix du capitaine
—
Debout, mes enfants
En un
clin d'œil,
:
!
nous sommes prêts.
Et nous voilà partis à travers dans
le fusil serré
la
main
droite, la
les
fourreau de la baïonnette, pour éviter Parfois,
nous mettons
à grenouilles
»
le
boyaux,
main gauche au le
cHquetis.
pied dans un
«
trou
nous nous enfonçons dans l'eau
et
jusqu'à mi-jambe. Mais que nous importe?
Nous sommes tellement heureux de ne plus piétiner sur place, de dégourdir nos jambes, de
dégeler notre sang
—
Halte
C'est
là.
!
!
C'est
arrivés que nous
de
la
tranchée où nous voici
allons bondir.
PREMIERS COMBATS Tranchée? Non
pu
à peine une rigole, tout ce qu'a
;
compagnie du lieutenant Daval en
la
faire
163
quelques heures de travail dans la nuit noire.
pour diriger l'attaque de ce
L'officier désigné
côté passe dans nos rangs
—
Mes amis, nous
charger. Je
rieux
:
allons avoir l'honneur de
compte sur vous.
La charge çais, qui,
:
!
mot magique, mot tellement
chez les
u
lettrés
»,
évoque des noms
Marignan,
Bouvines,
Cependant
les
et des
glo-
Fontenoy, Valmy,
Reichshoffen..., qui, chez les autres,
vismes inconscients
fran-
remue des
ata-
héroïsmes insoupçonnés.
premières clartés de l'aube ont
élargi l'horizon.
A
notre droite, la ligne des assaillants se pro-
longe.
— là,
Les
officiers
expliquent l'offensive
La tranchée que nous allons prendre
se
:
trouve
dans la direction de ce gros chêne, à quelque
cent mètres de nous. Entre elle et nous, ce fourré
que vous voyez, fourré absolument impénétrable, sauf par quatre sentiers à peine tracés...
L'ordre vient. Sans bruit, nous nous ghssons hors de la tranchée. aussitôt, afin
Nous
voici
dans
le fourré, et,
pour imiter ceux qui nous précèdent
et
de rester le plus longtemps possible hors de
vue, nous nous jetons à plat ventre...
164
A
FACE A FACE plat ventre
imagination
Tout comme
!
rêvais, c'était cela
Une
moue
la
fait
:
la
veille
!
Mon
cette charge dont je
!
vingtaine de mètres sont parcourus sans
encombre;
puis, soudain, de la tranchée adverse,
part une fusillade infernale.
Les balles à gauche;
sifflent
elles
au-dessus de nos têtes, à droite,
s'enfoncent dans les troncs d'arbres
avec un claquement
coupent
sec, elles
les
bran-
chettes.
Un moment
d'hésitation,
un
Derrière moi,
comme
la lune.
secondes
nous repartons.
d'arrêt, et
longé
quelques
hurlement d'un chien qui aboie à
le
Le cœur
se serre
camarade qui vient
Le moment
est
d'épouvante, aigu et pro-
cri
un peu à
la
pensée du
d'ôire frappé. Pensée brève.
venu où chacun ne
doit songer qu'à
soi-même. Voici, en effet,
que
le
devant moi vient de soupir
:
une balle
pant près de vite, je
—
lui,
détourne
Bzz
!
Bzz
!
a traversé
lui
le
un
raide,
sans
crâne.
En ram-
j'aperçois l'affreuse blessure et, les
yeux.
Bzz
!
font les balles...
Je rampe toujours, et
Le layon
caporal qui marche juste s'arrêter,
les cris se
s'est rétréci. Il faut,
multiphent
!...
maintenant, pour
165
PREMIERS COMBATS
avancer, passer par-dessus les masses inertes des
cadavres
et les
neige s'est
corps pantelants des blessés.
changée en une boue noirâtre,
striée
La de
rouge. Les mains sont pleines de sang, de sang qui poisse.
Fontenoy
!
Valmy
Fontenoy! Ici,
au milieu de
ses
!...
Valmy!...
(p. IGo).
camarades, à 50 mètres de
l'ennemi, on se sent seul, tout seul, plus seul que
dans un désert. Nulle aide à attendre de qui que ce soit, nul réconfort.
substance
le
menaçante,
faut tirer de sa propre
Il
sang-froid
qui s'oppose à la folie
la ténacité qui
garde aux yeux
le
but à
atteindre, le courage qui réchauffe les veines prises
FACE A FACE
166 de
glace
qui
et
On rampe
fouaille
les
nerfs
en
révolte.
toujours, et toujours les balles péta-
radent et les morts se font de plus en plus nombreux.
On
se dit
—
Pourrai-je aller sain et sauf jusqu'à cette
:
souche ?
—
Bzz
Bzz
!
Bzz
!
!
jettent,
en passant,
les
balles.
On
pense
—
Où
•
Enfin
Dans
homme
:
serai-je
dans une seconde?
bois est traversé.
le
groupe auquel j'appartiens, pas un seul
le
de
ma
compagnie. Nous arrivons
six
au
dernier trou d'obus, à sept ou huit pas à peine de la
tranchée boche. Nous nous tassons
là
dedans,
face à l'ennemi. Par-dessus nos têtes, les balles de mitrailleuses tissent leur réseau meurtrier.
Que
faire ? Reculer, c'est la
avancer nous
offre
mort presque assurée
;
une chance. Que nous prenions
notre élément de tranchée et les camarades accourront à notre secours...
Nous nous consultons du regard
:
mieux vaut
mourir face en avant.
Nous nous ramassons, un signe de
l'un
le fusil
à la main, et sur
de nous, nous nous levons...
PREMIERS COMBATS
Avant même d'avoir
fait
167
un pas, quatre de nous
tombent. ne reste plus avec moi qu'un homme, un bleu
Il
certainement,
14
classe
ou engagé volontaire,
enfant maigriot dont les yeux ardents luisent der-
Nous nous regardons
rière les lunettes. sible fais
de parler dans
un
geste découragé
Mais .
:
clairement
brave
le
!
:
pas de il
petit,
la fusillade. Je
jamais revu, bien que
avis, et le
»
!
qu'est-il j'aie
son visage au défilé de tous
mon
désigne la tranchée
Allons-y
«
impos-
rien à faire.
lui, l'enfant, n'est
signifie
l'ai
tumulte de
superbe avec lequel
ste
Oh
le
:
devenu? Je ne
anxieusement épié
les ré^^iments
qui sont
passés devant moi, depuis. Je fais terre de
Mes
«
non
»
de la tête et je
me
laisse choir
à
nouveau.
fatigues,
un moment èecouées dans
tation de l'assaut,
me
l'exal-
retombent d'un coup sur
les
épaules, accrues de tous les efforts nouveaux que je viens
de
faire, et
de toute l'horreur des spec-
tacles contemplés, et de toute la désillusion par ce
nouvel insuccès accumulée. Je demeure quelques instants dans d'obus. J'ai besoin de
me
mon
trou
remettre de mes émo-
tions violentes et de recueilhr des forces nouvelles
168
FACE A FACE
pour parcourir en sens inverse Mais
ne puis m'éterniser
je
le
chemin sanglant.
là.
Voyant l'attaque
avortée, les Boches peuvent sortir et
sonnier
Je
:
cela, non,
me
glisse
me
faire pri-
à aucun prix.
ma
hors du trou et je reprends
rampée de tout à
l'heure.
L'infernale averse des balles ne s'est pas ralentie.
me
J'attends, de seconde en seconde, celle qui doit frapper.
—
Ce sera avant cet
L'arbuste dépassé
—
•
arbuste-là...
:
Ce sera entre ces deux cadavres...
Puis,
Ce que
mes préoccupations changent
je
d'objet.
cherche à prévoir, c'est l'endroit du corps
me frappera. Sera-ce à la nuque, comme ce caporal, qui rit de toutes ses dents ouvertes? Ou au front, comme cet adjudant? Ou au cœur, comme ce soldat?... Petit à petit, j'avance, cependant. Me voici à la où
la balle meurtrière
lisière
de
la forêt.
Là
je m'arrête, épuisé. Je
pourrai pas aller plus loin, je
le sens.
ne
Je ferme les
yeux, souhaitant presque qu'une balle vienne mettre fin à
mes
tortures.
Notre tranchée n'est pourtant pas loin dizaine de mètres. Si j'essayais?... Je je
retombe
;
je
me
me
:
une
raidis,
raidis encore, et je réussis enfin
169
PREMIERS COMBATS
à atteindre la tranchée, après des efforts tels qu'il
me me
semble à chaque instant que par-dessus
traîne
tomber de tout mon
talus
le
je vais mourir.
et
je
me
Je
laisse
long, la face contre terre, les
yeux fermés, n'ayant plus qu'une pensée, qu'un besoin, qu'un désir: dormir, dormir, dormir jusqu'à la fin
du monde.
VI LIEUTENANT DAVAL
LE
Je souffle à peine depuis
voix m'appelle
—
Péricard
.
!
Je lève la tête
:
c'est le lieutenant
rares officiers qui
charge. et
le
Daval, un des
sont revenus indemnes de la
commandement
des survivants
s'occupe d'amalgamer les éléments hétéro-
il
clites
—
a pris
Il
un quart d'heure qu'une
que
la
débandade
Péricard,
sergent
;
je
me
dit-il,
vous confie
amène de tous
lui
vous êtes le soin
le
côtés.
plus ancien
d'organiser cette
partie de la tranchée. Il
tombe bien
!
Moi qui
n'ai
de tenir mes yeux ouverts
pas
même
la force
!
Je n'ose, cependant, rien dire.
Je sais que le
170
FACE A FACE
lieutenant Daval, sergent-major à la mobilisation,
a gagné ses grades en quelques mois, qu'il a été cité à l'ordre
croix. Je ne
de l'armée, qu'il
veux pas
est
proposé pour la
donner de moi une
lui
opi-
nion mauvaise. Je m'adresse aux soldats qui m'entourent et qui, tous,
—
me
sont inconnus
Allons, les gars,
:
on va
travailler
un peu
:
ça
nous réchauffera. Cette invitation ne soulève aucun enthousiasme.
La
lassitude est générale.
Pour donner l'exemple, traîne et je frappe
un
semble que mes bras
se
désemboîtent.
me
Il
je
prends un pic qui
coup...
!
là, là
!
11
me
décrochent et que mes os se
me faut
cinq bonnes minutes pour
remettre.
Nouveau coup de
pic,
nouveau martyre.
ma
Je lutte ainsi contre
fatigue et
sement, mi-dormant, mi-éveillé, le
Oh
cœur
vide, avec
la
mon
épui-
bouche amère,
une envie de pleurer comme un
petit enfant.
De temps en temps, d'une voix qui s'efforce
—
Du
Mais
j'encourage les :
courage, allons,
je
parvienne.
doute que
hommes
du courage
mon
!
bredouillement leur
171
PREMIERS COMBATS Le
travail n'avance guère.
peu profonde,
qu'il
La tranchée
est
si
faut piocher à genoux, de peur
des balles. Je devrais leurs,
balles
me
lever, longer le
marquer à chacun sa
me
retient,
lequel
il
lieutenant Daval.
le
celui-ci quitte le talus
est assis, et
à pas tranquilles,
les
en entier découvert
il
se
promène
mains derrière !
le
n'ai
:
cachent
balles ainsi
pas faim. Per-
est froide et
bonne soupe chaude qui nous Je regarde l'heure
le
!
Les cuisiniers arrivent. Je sonne n'a faim. La soupe
derrière
dos, le corps
Les broussailles
de se l'imaginer
De
derrière nous,
aux vues de l'ennemi mais non aux qu'il a l'air
des
cette peur nerveuse que m'a
de regarder
temps en temps,
La peur
tâche...
de tout à l'Heure.
laissée la fusillade
J'évite
rang des travail-
il
n'y a qu'une
ferait plaisir.
deux heures de
l'après-
midi ? Je croyais qu'il était à peine huit heures du
matin
!
Soudain, un éclatement qui
me
fait tressaillir.
D'où vient ce bruit? Et cette colonne de fumée noire?...
Un Et
voisin
me
renseigne
:
c'est
une bombe
!
je frissonne.
Je sais que les Boches se servent de
bombes à
172
FACE A FACE
main
;
mais
jamais encore été soumis au
je n'ai
feu de ces projectiles. J'ignore que les les
bombes
grenades, terribles dans une attaque, dans
et
un
corps à corps, sont quasi inutiles dans une lutte
de tranchée à tranchée
temps de
:
on
voit venir,
les
on a
le
se garer.
Pour moi,
le
mot de bombe
s'associe
aux noms
de Ravachol, d'Henry, et autres anarchistes. La guerre actuelle m'apparait hideuse. Voici quatre bombes, coup sur coup, mais lancées trop court.
Comme
nous attendons,
le
travail
interrompu, l'œil aux aguets, un obus éclate derrière
nous, bien reconnaissable, c'est le 75 qui
vient à notre secours, mais qui, nous croyant, sans
doute, beaucoup plus en arrière, tire en plein sur l'ouvrage
où nous sommes
en
train
nous
de
retrancher.
Le lieutenant Daval à 200 mètres de niquer avec
là.
se précipite
Avant
l'artillerie,
au téléphone,
qu'il ait
nous couvrant de débris de toutes sonne n'est atteint. Par quel miracle Cette
fois,
sortes.
Per-
!
c'en est trop. Ces épreuves succes-
sives sont au-dessus de
m'en
pu commu-
deux autres 75 tombent,
mes
forces. Il faut
que
je
aille.
Je vais trouver
le
lieutenant Daval, mais je
PREMIERS COMBATS
ma
n'ose formuler si
pareil à lui-même,
aux obus,
j'ai
A
demande. si
—
En
fait,
voir
le
aux
indifférent
si
calme,
balles et
honte de moi.
Nous causons, nous parlons de qui a été
173
de ce
l'attaque, de ce
qu'il eût fallu faire peut-être.
tout cas, conclut-il, les Boches ne passe-
ront pas. Si nous n'avons
pu
aller
chez eux,
ils
n'entreront pas chez nous tant que je serai là
!
me démonter. Je pense comme moi, passé la nuit
Cette énergie achève de
que
lieutenant a, tout
le
dehors, sous la pluie
il
par quatre
a,
entraîné sa compagnie à l'assaut. Cependant,
fois, il
que, ce matin,
;
ne songe pas à s'en
me
Je
jambes
Tant
lève
je vais
;
ma
flageolent,
pis
aller, lui,
bien au contraire
regagner
mon
cervelle
est
poste.
!
Mes
douloureuse.
!...
Mais, juste à ce face de l'endroit
me Mon
moment, une bombe
que
je viens
éclate en
de quitter.
Cela
décide.
—
lieutenant, dis-je, j'ai été blessé, hier,
à l'œil et je ne
me
suis
pas
fait
panser encore. Vou-
lez-vous m' autoriser à aller au poste de secours?
La permission obtenue, science crie et
me
je m'éloigne.
reproche
ma
Ma
con-
lâcheté. Je suis
fatigué? Mais les autres le sont autant que moi.
Ma
blessure?
Un
prétexte...
Elle peut bien at-
174
FACE A FACE
tendre. D'ailleurs n'ai-je pas sur moi tout ce qu'il
faut pour la panser?
Je fais la sourde oreille et je marche à grands pas. Je côtoie la cabane tragique près de laquelle failli
Où
être tué hier.
Tout en marchant, apitoyer
major
le
vaillance d'alors
anémie
cérébrale...
mensonge,
le
d'ici et être
renvoyé à
bombes,
l'œil,
cela.
l'arrière, loin
de la fusillade,
loin des tranchées, loin de l'en-
!...
J'arrive plaie,
suis
me
au poste de secours. Le major lave
panse.
n'épargne pas
Il
naïvement heureux de
Voici
le
me
les
bandes, et je
sentir ainsi ficelé.
:
—
Maintenant,
fait-il...
—
Maintenant,
dis-je
précipitamment, en
coupant la parole, maintenant je retourne tranchées avec
A
ma
pansement terminé. Le major va pro-
noncer son arrêt
les
camarades
lui
aux
!
ce revirement subit, ne vous hâtez pas d'ap-
plaudir, ou de pleurer d'enthousiasme. je
Mais
puis m'échapper
je
si
va
à m'évacuer sur un
Mensonges que tout
qu'importe
?
je forge le discours qui
douleurs internes, picotements à
:
fer
ma
et le décider
hôpital
loin des
est
j'ai
Oh
!
non,
vous en supplie, ne pleurez pas d'enthousiasme.
Car, tout à l'heure,
quand vous
allez savoir...
PREMIERS COMBATS
Quand vous
allez savoir
175
!...
Mon Dieu, je n'ai pas plus le droit de me calomnier moi-même que de calomnier quiconque, ait
ma
dans
sement
n'est pas impossible
il
que l'exemple du lieutenant
mon
à
y
une parcelle de courage, cela n'est pas
et
impossible. Et
agir
et qu'il
détermination une once de désintéres-
insu
dans
Daval
non plus
venu
soit
profondeurs de
les
ma
conscience.
Mais ce voici
qu'il
y a d'abord, ce
qu'il
y a surtout,
le
:
Sur
mon
chemin, tout à l'heure,
un régiment de tend dans
le
j'ai
rencontré
réserve, faisceaux formés, qui at-
bois l'ordre d'aller remplacer ceux
qui sont tombés. Les
hommes, venus d'un long
repos à l'arrière, sont propres et luisants
comme
des soldats de plomb d'étalage, et le contraste était
frappant entre leur tenue de parade et la
mienne
:
gaine de boue allant des souliers aux
cheveux, pantalon que mes rampées trouèrent
aux genoux, capote écorchée par Et, soudain,
—
•
que l'aveu
est
les ronces.
donc pénible
!
—
soudain, en tâtant des deux mains le pansement qui ne laisse à j'ai
nu qu'une
partie de
mon
visage,
pensé qu'il serait glorieux, qu'il serait superbe,
de traverser à nouveau, sale et loqueteux,
le
beau
176
FACE A FACE
régiment les
propre, et d'entendre de l'un à l'autre
si
chuchotements admiratifs
—
•
Oh
!
:
dis donc, dis donc, regarde ce blessé qui
a la moitié de la tête enlevée battre
retourne se
et qui
1
VII LE LIEUTENANT PORTEFAIX
Si j'ai insisté sur le récit
de cette
que ce fut une de nos rares
affaire, c'est
défaites, et
que nos
défaites doivent être connues aussi bien
que nos
victoires
plus que les victoires, elles demandent
:
aux soldats
les
vertus de leur état, et c'est une
si-
tuation atroce, je vous assure, que de se battre,
que de braver
comme fièvre
le
la
mort avec cette pensée lancinante
tic-tac
d'une pendule pendant une
:
— Tout meurs,
ma
cela ne sert à rien, rien, rien... Si je
mort sera
un vaincu, un
inutile...
Je suis un vaincu,
vaincu...
Se doute-t-on de la fermeté qu'il «
Poilus
»
pour
tenir,
fallut
pendant cet hiver
aux
terrible,
dans leurs luttes sans fm, qui consistaient à
re-
PREMIERS COMBATS
177
prendre un jour ce qu'ils avaient perdu la et vice versa?
ment
Ne
veille
leur mesure-t-on pas trop chiche-
la reconnaissance?
Vous vous
récriez.
Vous protestez de
la vivacité
de vos sentiments à l'égard de vos défenseurs. Soit
;
mais, alors, écoutez cette histoire qu'on
de
vient
me
dire
me
qui
et
dents de colère, moi l'homme
le
fait
des
grincer
plus pacifique
du
monde.
Un café,
groupe de permissionnaires rencontre au
dans une grande
groupe de secrétaires
ville,
non
loin
de Lyon, un
et d'automobilistes.
La
con-
versation s'engage, conversation que l'on devine entre des
«
Poilus
»,
au front depuis
des gens qui font œuvre je
le
début, et
utile, certes, nécessaire
n'en disconviens nullement, mais qui, tout de
même, ne courent aucun danger. Et
voici ce qu'à
aux combattants
taires servirent
—
bout d'arguments,
Pour ce que vous y
Que
les
:
faites,
permissionnaires aient
les séden-
aux tranchées
manqué de
!
diplo-
matie dans leurs paroles et qu'ils aient sorti à tort l'injure d'
mais
je fais
«
embusqués
»,
je le crois sans peine
;
appel au bon sens des secrétaires et des
automobilistes
:
ne pouvaient-ils endurer patiem-
ment ce coup d'épingle de
la part
de ceux qui ont 12
FACE A FACE
178
donné pour
le
commun
salut
tant de coups de
baïonnette?...
De
grâce, qu'on n'entende plus de ces paroles
impies
1
Pendant
les
jours qui suivirent les attaques de
cette fin de novembre, nous fûmes chargés d'occu-
per les tranchées du Bois-Brûlé, face aux ouvrages
que nous avions en vain essayé de prendre. Si,
par
imposés déprimé, rieur
Le route,
les
grands que m'avaient
efforts plus
les circonstances, j'étais les
particulièrement
hommes ne montraient
beaucoup plus reluisant que soldat français n'est pas
— sans doute,
par
un
manque
pas un exté-
le
mien.
soldat de dé-
d'habitude,
—
plus que les fatigues, pesaient à nos épaules
et,
l'humiliation
de la défaite et
notre impuissance. n'avoir pas réussi
;
sentiment de
mais nous nous sentions parfai-
tement incapables d'un nouvel
Tout notre
le
Nous nous en voulions de
être haletait vers
effort
immédiat.
un long repos à
l'arrière.
Ce
repos, nous l'estimions dûj après les
journées de bataille, après
le
deux
long séjour ininter-
rompu aux tranchées de première
ligne, et notre
désillusion ajoutait à notre lassitude.
Quelques plaintes
se
murmuraient d'une
oreille
PREMIERS COMBATS à Fautre, les seules que
pagne,
et
179
entendues de
j'ai
la
cam-
moi-même, moi qui m'étais imposé pour
tâche d'être pour mes camarades, partout, en toutes circonstances, quoi qu'il pût advenir, le sourire qui réconforte et la parole qui encourage,
montrais un visage fermé, une bouche cousue,
je
dans mes lettres à mes parents, à mes amis,
et,
je
ne savais plus écrire que ces quelques mots,
toujours les
En
mêmes
:
«
Je suis bien fatigué
».
quelques heures, mes cheveux étaient de gri-
sonnants devenus tout blancs...
Comme
aucune épreuve ne devait nous être
épargnée, notre capitaine fut blessé. Je ne crois
pas l'avoir
nommé
encore
:
c'était
le
capitaine
B...
Les événements l'avaient affecté autant que nous, plus que nous peut-être.
Il
avait pleuré à
chaudes larmes en voyant l'hécatombe de
mes
et,
témoin de notre épuisement,
ses
hom-
souffrait
de
au milieu de nous
le
il
son impuissance à nous venir en aide.
La
balle qui l'atteignit
frappa dans
le bras, alors
que, venus d'une tran-
chée de deuxième ligne, nous suivions
Après avoir passé
le
le
commandement de
pagnie à l'adjudant Auge,
—
il
boyau. la
com-
ne restait plus d'of-
.
FACE A FACE
180 ficier valide,
—
il
monta
sur le talus et s'éloigna,
la tête baissée, le front barré, sans
même un
sans nous faire
Comme
nous tous,
nous dire adieu,
geste de la avait
il
main
!
l'extrême
atteint
limite de ses forces.
Ce court
trajet à travers la forêt,
ma
demeuré présent à
comme
est
il
mémoire! Chaque arbre,
chaque buisson, évoquait un souvenir des combats précédents. Bien que la ligne ennemie demeurât assoupie, j'entendais les balles
gronder
siffler et
les
obus.
Et
je sentais l'odeur
La Mort a une du combat ont
de
la
Mort.
Même quand les cadavres enterrés, même quand toute
odeur. été
trace de la lutte a disparu,
il
flotte sur le
de bataille une odeur caractéristique qui
aux passants Est-ce
la
:
«
On
s'est
battu par là
nature qui
peine à
dans
les
reprendre son
les
?
La sève
veines des arbres
herbes se sont-elles évanouies d'horreur
Ou
fait dire
».
calme et tremble encore d'épouvante s'est-elle aigrie
champ
?
Les
?
cadavres conservent-ils, longtemps après
la
mort, une vie végétative
la
mince couche de terre qui
nières vibrations de leurs
chaleur de leur sang
?..
?
Exhalent-ils à travers les
recouvre, les der-
nerfs et
la
dernière
181
PREMIERS COMBATS Parvenus à
la tranchée,
en place et je m'établis sur
que protégeait une dos
mon
claie posée
à ce moment-là,
c'était,
:
nous eussions contre
les
mis mes hommes
je
dans un coin
sac,
du parapet au parales seuls abris
que
intempéries.
Je venais à peine de m'asseoir qu'un grand corps étroit et
découpa dans l'obscurité commençante
se
une voix
:
—
Le monsieur qui
—
Le sergent Péricard, mon..., mon...
devant moi
est
Je cherche à voir sur la
manche
le
est qui?
nombre de
alons...
— le
Monmon,
Je ne m'appelle pas
quand on
lieutenant Portefaix. Et,
dit,
en s'adressant à moi
Puis, sans interruption
— à
Mon
est poli,
lieutenant
!
on
»
:
Le sergent Péricard ignore peut-être que été choisi
j'ai
«
:
m'appelle
je
tête
la
de
particularités,
me
faire
—
choix,
le
pour remplacer la le
capitaine B...
compagnie? Connaissant ces sergent
plaisir
me
le
—
Péricard
voudrait-il
ou l'honneur,
mon
à
son
poste de
comman-
regarde, étonné. Quel poste de
comman-
•
de
céder
dement ? Je
le
dement ?
—
Le sergent Péricard ne m'a pas
l'air
d'avoir
FACE A FACE
182
l'intelligence bien éveillée.
Que
faisiez-vous dans
le civil ?
— —
Journaliste?
clairement
fie
mon
Journaliste,
:
lieutenant.
Hum
!
(Ce
Pauvre garçon
commandement,
poste de
hum
apitoyé, signi-
!
Eh
!)
bien
mon
!
même,
je l'établis ici
sous cette claie. Avez-vous compris, maintenant?
mon
J'enlève
me
sac et je m'éloigne.
formaliser de ces
Mais non. Je
sais
Je devrais
façons d'agir.
singulières
qu'à une originalité incontes-
une non moins
table, le lieutenant Portefaix unit
incontestable bravoure, une bravoure
folle, invrai-
semblable, épique.
A
l'attaque
— c'est
le
mot
doit prendre. lui
;
mais
il
du 26 novembre,
précipite
se
il
— sur l'élément de tranchée
Tous
hommes tombent
ses
ne s'arrête pas pour
aux ouvrages ennemis. Entre
les
peu.
si
qu'il
derrière Il
arrive
deux pare-éclats
qui barrent la tranchée, des Boches sont en train de tirer à
coups précipités
mais,
;
comme
des directions différentes, aucun ne
Le lieutenant pique de
la pointe
ils
l'a
visent en
vu
venir,
de son sabre
dos du Boche qui se trouve juste devant
le
lui.
Celui-ci lève la tête...
— Ah
!
mon
lieutenant à
vieux, racontait par la suite le
un de
ses
camarades,
si
tu avais vu
PREMIERS COMBATS cette binette
ouvre des yeux plus grands que
Il
!
des fonds de quart et
comme
seulement
yeux
les
il
reste là à
radeau de
j'étais le
si
183
avec des dents plus noires
mais une gueule
Pouah
!
dévisager
Méduse. Et pas
la
qu'il ouvre,
me
!
Je ne pouvais
pourtant pas embrocher un bipède aussi laid
Boche ahuri, qui ne pense
Et, laissant le
pas à se servir de son arme,
le
différente,
mais
je
ne
passant,
—
que
il
fond demeure
le
lieutenant Por-
le
je
même.
choisis
un nouveau
lieutenant.
Il
marche à longues
corps plié à cause des claies.
le
me
abri,
le
pas installé encore que voici
suis
de nouveau enjambées,
le
mon
Chassé de ;
!
donne de l'anecdote une version un peu
tefaix
coin
même
lieutenant fait demi-
tour et revient dans nos lignes Je dois à la vérité de dire
!
jette
Levez-vous
!
En
:
et
montrez-moi l'emplacement
de la première section.
La première compagnie,
le
section occupe, à la droite de la
point
le
plus exposé
du
secteur.
La
tranchée n'est qu'ébauchée. Impossible de se tenir debout. Cependant
il
faut tirer, tirer sans relâche,
pour répondre au feu terrible des adversaires,
les-
quels ne sont qu'à une dizaine de mètres en avant et qui,
au moindre arrêt de notre
feu, bondiraient
FACE A FACE
184
comme
sur nous
ils
l'ont fait plusieurs fois déjà.
Le boyau qui mène à que de
tranchée n'est ébauché
la
la nuit précédente.
A peine a-t-on pu creuser
d'une trentaine de centimètres
le sol
pierreux.
Je vais devant pour montrer le chemin. Les balles sifflent, sifflent
ment de
;
et,
un
sans
léger vallonne-
terrain devant nous, nous serions atteints
dès les premiers pas. Je marche lentement, courbé
en deux. Derrière moi,
—
le
Plus vite, voyons
pressez-vous donc
Impatienté à
!
lieutenant s'impatiente.
plus vite, que diable
!
!
la fin, je
me
retourne
;
je vais très
poliment, mais en termes sentis, faire remarquer
au lieutenant combien son impatience
est
intem-
pestive...
La stupeur me
clôt la bouche...
Le lieutenant Portefaix marche
derrière moi,
tout debout, un brin d'herbe aux lèvres L'effroi
—
Mon
vous
!
quel Il
!
rend la parole
lieutenant
Vous
— Ah De
me
allez
vous
!
!
:
mon
lieutenant
faire tuer
Baissez-
!
!
vous croyez?
quelle voix indifférente
homme
est-ce
se baisse
il
a dit cela
!
Ah
ça
I
donc?
un peu, cependant
;
mais seulement
une seconde, et voilà de nouveau son grand corps
PREMIERS COMBATS dressé tout droit, brusquement,
185
comme un
cou-
drier qu'on lâche après Favoir, en passant, courbé.
Le lieutenant Portefaix marche derrière moi...
(p. 184).
Par quel miracle, malgré l'obscurité, peut-il arriver
Sa
indemne à
visite faite,
la tranchée?...
nous repartons.
186
FACE A FACE
En
boyau
l'étroit
—
Qu'est-ce que tu fiches là?
Mon
lieutenant,
couché de
:
—
•
la
homme
chemin, nous croisons un
son long dans
j'assure
la
entre
liaison
première et la deuxième section.
— Ah
!
comme
tu assures la liaison,
comme une
bouse
ça,
vautré
Veux-tu bien te lever tout de
!
suite et aller te mettre derrière cet arbre
!
Là, au
moins, tu pourras voir ce qui se passe.
—
mon
Mais,
lieutenant,
assez gros. Je puis recevoir
Alors
—
Et
le lieutenant,
puis, après?
l'arbre
une balle
superbe
n'est
pas
!
:
Apprends, clampin,
qu'il
ne
peut rien t'en arriver de plus heureux que de mourir
pour ton pays
ma
Arrivé à
!
section, je laisse le lieutenant con-
tinuer sa tournée.
Une demi-heure après, le
—
sergent Tartary passe
Dites donc, vous savez?
le
:
lieutenant Porte-
faix...
— —
•
Il
est tué ? dis-je
;
j'en suis certain
?
Non, pas tué, mais blessé grièvement d'une
balle à la tête.
Parbleu Il
!
était resté à la tête
moins de douze heures.
de
la
compagnie un peu
187
PREMIERS COMBATS
VIII A LA DERIVE
Me
voici à la fin des souvenirs de la retraite.
Qu'on ne
misme
;
se hâte pas
de
me
reprocher
ture au noir. Ce chapitre terminé,
aura
avec
fini
l'arrière, le
souvenirs sanglants
heureux et
jours
veau
ma plume
en
Une
se-
les descriptions attristantes.
maine de repos à les
mon pessima pein-
qu'on ne m'accuse pas de pousser
temps de mettre sur azuré de quelques
le voile
vous verrez
nou-
poindre à
ma bonne humeur et celle de mes compagnons
d'armes.
Mais Il le
promis d'être sincère et
j'ai
je
veux
l'être.
que vous reviviez avec moi tous
faut, afin
les
aspects de la campagne.
La première à l'endroit
le
section
se trouvait,
plus exposé.
Un
je
l'ai
dit,
feu terrible
la
décimait.
Du
coin
défiler
nuit.
où
je m'étais établi, je
voyais
les blessés
devant moi à toute heure du jour et de
Presque tous avaient été touchés par des
cochets
;
les éclats
la ri-
de pierre ou d'acier faisaient
188
FACE A FACE
dans
les chairs
des blessures peu profondes, mais
larges et affreuses à voir.
Le caporal Thépin le
au nombre des
fut
regardai s'éloigner,
cœur
le
gros,
blessés. Je
profondément
conscient du vide que creusait parmi nous son départ, et
me
sentant plus seul encore.
Le sergent qui commandait d'une balle au cou
Descendu au
même soleil
il
était arrivé
feu, la nuit
lever sur
se
les
du dépôt
tué
la veille.
ne vit pas
tombante,
il
tranchées
son
premier
!
C'est à ler
;
la section fut
moi qu'échut
la triste
mission de dépouil-
son cadavre des papiers et des objets ayant une
valeur de souvenir. Le sang, tiède encore, s'atta-
mes mains. Je gardai de
chait à
plusieurs jours de suite.
Il
ce sang
aux doigts
s'en alla tout seul, par
écailles.
Je n'étais pas
le
seul à
manquer de courage. Les
corps de nos camarades tombés les jours précédents
jonchaient
sonne
le
bois tout près de nous
n'allait relever les cadavres, et
;
mais perpas
même
ceux qui affleuraient nos ouvrages. Bien plus,
il
sur
une
au-dessus de la tranchée. Ses jambes
claie, juste
pendaient
y avait un cadavre étendu
et
nous ne pouvions passer sous
sans nous cogner après
elles.
la claie
Huit jours durant,
il
189
PREMIERS COMBATS en fut ainsi
et,
n'avait pas bougé de place
La de
rouille,
Une
Boches viennent de
et je
donnent l'alarme
!
me
précipite vers
étaient
les
:
mes
:
Joue..., feu
Deux coups seulement partent viers
chargés
sortir de. leurs tranchées et
conmiande
Feu par salves
fusils
boyaux
ne manœuvraient que par force.
foncent de notre côté. Je
—
les
fusils,
noyant
nos vêtements. Les
nuit, les guetteurs
hommes
cadavre
!
pluie tombait sans arrêt,
et transperçant
le
quand nous partîmes,
!
;
tous les autres
enrayés par la rouille et
les
gra-
!
Sans notre mitrailleuse qui faucha et les contraignit
à
la retraite,
que
les assaillants
serait-il
advenu
de nous?
Brave sergent Garinot, sauvé la
c'est
vie, cette nuit-là,
vous qui nous avez
par votre sang-froid et
votre courage. Ces exploits vous sont, d'ailleurs, familiers, et
du 20
ms
c'est
vous encore qui, à l'attaque
janvier, votre mitrailleuse
endommagée
et
autre arme pour vous défendre, avez cepen-
dant tenu tête à vos assaillants et défoncé leurs crânes à coups de pic
Cet
!
hommage rendu à votre vaillance,
moi un aveu. Je vous en voulus
et je
permettez-
vous maudis
FACE A FACE
190
d'avoir gardé quinze jours avant de
chaud foulard de
me
le
rendre
que j'avais enlevé de
soie
le
mon cou
pour l'enrouler au vôtre. Ce geste, imité de saint Martin, m'avait semblé superbe et la couronne de laurier
que
me
je
Alexandre
posai aussitôt sur la tête, jamais
Homère
ni
n'en
portèrent
d'aussi
touffues.
Mais j'aurais désiré le sacrifice, et,
mon dévouement, aux
la gloire
sans pousser au bout
quand un rhume vint récompenser ce
dévouement me sembla lourd
épaules.
Enfin nous reçûmes l'ordre du départ.
Malgré
la
joie
de cette nouvelle et la vision
éblouissante des voluptés qui nous attendaient à l'arrière, ce
furent des fronts soucieux, des yeux in-
dans
quiets, des épaules rentrées qui défilèrent
boyau de
la route
le
conduisant à l'étang de Ronval.
Nous ne pouvions
croire à notre
bonheur
;
il
nous
apparaissait irréalisable.
De nos
ces balles perdues qui rôdaient au-dessus de
têtes, laquelle allait,
nous? De ces 77
sournoisement, se jeter sur
qui, sans trêve, balayaient le ravin,
l'un, sans doute,
nous attendait
là-bas,
au détour,
pour faucher nos rangs? Mais non, le
le
ravin fut franchi, l'étang dépassé,
bois escaladé, sans que rien de fâcheux nous
I
PREMIERS COMBATS
un
advînt. Encore
effort, et
191
nous voilà de l'autre
côté de la crête. Là, plus de balles à craindre et plus d'obus.
Oh
!
Nous
étions sauvés
!
vous aviez vu soudain tous ces
alors, si
vi-
sages se détendre, toutes ces bouches s'ouvrir, et fuser tous ces rires, et cataracter ces torrents de
paroles
!
Oubliée, la fatigue niées, les
épouvantes
!
!
Oubliés, les dangers
Dans notre
nos yeux, une seule image
dans son vallon
paisible,
:
celle
!
Re-
esprit et
devant
du bourg
abrité
où nous pourrions, toute
une longue semaine, dormir notre content, manger chaud, boire du vin, garder nos pieds au sec et
fumer du matin au
soir....
IX PREMIER REPOS
Com-
C'est Vignot, petite ville à 2 kilomètres de
mercy, qui nous reçut à notre premier repos. Il
y avait cinquante-sept jours que
je gardais les
tranchées sans aucune relève.
A
vrai dire,
mon
rieur à celui de
total se trouvait
un peu
mes camarades, puisque
infé-
j'étais
FACE A FACE
192
arrivé sur le front trois semaines après le début de la guerre
et de
de taupes, mais
bonne
foi
je n'en
comptais pas moins
cinquante-sept jours.
:
La
loi
l'unifocme (l'étymologie elle-même l'atteste souffre
pas d'exception
s'identifie
toute
:
dont
capote porte encore
la
du dépôt, vous racontera sans
rire
endurées
cet hiver
parmi
souffrances
les
boues de
son entrée à
par
forêt
la
la reçoit,
la poussière
Sarrebourg et
les
ne
nouvelle
recrue
instantanément avec l'unité qui
et tel bleu,
!)
de
lui
d'Apre-
mont.
Dans
« le civil »,
cela s'appelle
suggestion, faiblesse d'esprit
nomme De
:
;
:
vantardise, auto-
à l'armée, cela se
esprit de corps.
quels
yeux nous revîmes des maisons, des
gens, des boutiques, des cafés, des églises, vous seuls le comprendrez, explorateurs, qui,
de
suite, êtes
deux ans
demeurés perdus au fond d'un désert
ou ensevelis dans
les glaces
du Pôle
!
Les habitants à Vignot sont charmants, mais enfants y sont délicieux.
Il
y a
là
une
les
collection
unique de longs cheveux bouclés, de grands yeux ingénus, de quenottes éblouissantes, de teints vermeils, d'angéliques sourires.
Passent un bébé en train de fourrager une boîte
de bonbons, une
fillette
chargée d'une brassée de
PREMIERS COMBATS vous
fleurs. Si
vous
les
les
193
regardez et qu'ils s'en aperçoivent,
verrez tout aussitôt accourir
— T'en veux,
dis, soldat,
:
un bonbon?
Ou
bien
—
Prenez mes fleurs puisqu'elles vous plaisent.
Chères
:
fillettes
de Vignot, je vous dois
jolis
paysages d'amour que
mes
regards.
Des heures
la
les
plus
guerre ait déroulés à
je suis
demeuré,
dos à
le
quelque mur, épiant vos silhouettes adorables, les
comparant à
la tienne, ô
Madeleine a tes yeux,
ma
les
les tiens resplendissent
fille.
Yvonne a ton
âge,
cheveux de Marinette
et
de pareilles lueurs fauves
et le rire de Thérèse fait, tout
comme
le tien,
tinter
des clochettes de cristal.
Mais ta grâce, ô
ma
fille,
nulle part je ne
l'ai re-
trouvée, ni non plus ta douceur, soit que, lâchée
par
les prés ainsi
qu'une chevrette, tu lèves à tes
gambades des essaims de
libellules, soit
que, pelo-
tonnée aux genoux de ta vieille mémère, tu habilles et déshabilles ta poupée avec des gestes qui tous
s'achèvent en caresses, et des caresses qui toutes
s'achèvent en baisers.
Le sergent-major Dia ayant
été fait prisonnier,
comme je l'ai dit, c'est à moi que revint le commandement de
la section.
13
194
FACE A FACIS
Je profitai du séjour à Vignot pour e^tî-er daps
de mes hommes, m'efîorçant à leur rendre
l'intimité
ces quelques petits services, sans grande importance
intrinsèque, mais dont la valeur se multiplie par
toute la distance qui sépare un chef de ses subor-
donnés.
Mon éniotion était profonde à me voir, pour
première
la
en temps de guerre,
le
chef de
hommes
sur lesquels, par la faÇQ]^ dont
fiomprendrP
mon rôle devait l'ennonii, je me
cinquante j'alle^is
fois
tfpviverais avoir en fait le droit de yie pt de mort.
Dans
la guerre
en rase campagne,
responsabilité appartient
la
au capitaine
pagnie est l'unité constituée à laquelle
souvent appel
Dans
la
le
:
la
fait le
complus
haut commanden^ent-.
guerre de tranchées, cette responsabilité
passe aux chefs de section.
nn
plus grande
A chaque chef de section
secteur à surveijler, distinpt des secteurs ypisins,
parfois
même complètement
par section qu'ont
lieu les charges,
attî|.ques rnenées sur ii'initjative,
séparé d'eux, et c'est
nn
même
section doit les avoir, qu'il
hiver.
sergenf/, con^^fne
Que
rais, hélas
les
de coupd'œil, de courage, d'endurance,
de paternité, exigées du capitaine Idéal,
ou simple
dans
large front. Les qualités
le
chef de
soit lieutenant, adjudant \\
est arrivé parfois cet
ces qualités fussent miennes, je ne sau!
et quelle
que
soit
mon
infatuation,
le
195
PREMIERS COMBATS
prétendre. Je mets à part, cependant, l'endurance et la paternité.
Pour l'endurance, on n'a jamais suffisamment indiqué, dans les récits que j'ai lus de la guerre,
l'heureuse influence de Ja vie de tranchées sur la
santé des occupants. Le grand
intempéries endurcissent
l'habitude des
air,
que
corps, cependant
le
la nourriture saine, la privation d'alcool, la conti-
nence, la paix de l'âme, éliminent peu à peu de
ganisme les
les
l'or-
humeurs malignes, principe de toutes
maladies.
Pour
la paternité...
C'est
une chose
terrible,
de commander à des l'avais éprouvé, bien
quand on y pense, que
hommes
avant
:
ce sentiment, je
dépendaient de moi. Malgré
la froideur
mes rapports avec eux, malgré mes brusquerie
même,
fraternelle. Je
—
je
me
me demandais souvent
Suis- je digne de les
comment
moi à
ils
la légère,
voulue de
exigences,
sentais pour
ma
eux une âme :
commander? Qui
quels sentiments éveillent en eux sait
avec ceux qui
la guerre,
sait
mes actes? Qui
me jugent? Telle parole, jetée par comme un chiffon de papier par-
dessus l'épaule, ne va-t-elle pas soulever
un
regret,
nourrir une inquiétude, creuser une haine?...
Cette conscience de sa responsabilité, combien
FACE A FACE
196
plus forte l'a-t-on en temps de guerre
de
fois n'ai-je
et de leur dire
—
mettez-moi simple soldat
Pour la paternité,
;
je
mes chefs
n'en veux plus
la
suffisance et qui
me
re-
!
mes hommes qui
conviction que j'avais de
L'amour
;
ai- je dit...
C'est l'affection que je portais à
contrebalança
combien
et
:
Otez-moi mes galons
doutables.
!
pas été tenté d'aller trouver
fit
mon
in-
conserver des fonctions re-
est la loi
de l'humanité aussi
bien que des mondes, et toute tâche accomplie sans
amour a
les racines brûlées.
Je
me
dis qu'en
aimant
ceux qui m'entouraient, en étant pour eux, selon leur âge,
un ami ou un
père, je diminuerais leur iso-
lement, je rendrais moins lourd
le
poids de leurs
fatigues, j'augmenterais par là même leur
rendement
au combat. Ai- je réussi?...
Des larmes que
j'ai
d'adieux, ces larmes
vu répandre à
me
certains jours
portent témoignage.
QUATRIÈME PARTIE TÊTE-A-VACHB
I
LA GUERRE DE DÉCEMBRE
Le repos de cinq jours Vignot pour
Le
écoulé, le bataillon quitta
aller s'établir
froid est vif sur les
la Tête-à- Vache.
à
Hauts-de-Meuse.
Il
nous
semblait davantage encore dans nos pauvres
le
tranchées misérables, auprès desquelles les tranchées actuelles apparaissent
comme
des
palais
surgis d'une banlieue de grande ville.
Nul abri contre
les
tion contre les obus
lement des eaux les
;
;
intempéries
;
nulle protec-
pas un puisard offert à l'écou-
pour toute toiture, des
claies
que
shrapnels déchiraient, nous obligeant à d'inces-
santes et vaines reprises, que levait
au passage
et laissait
canement moqueur.
le
vent curieux sou-
retomber avec un
ri-
198
FACE A FACE
Dans notre misère cependant une grande
vreté,
joie et
et
dans notre pau-
une grande opulence
:
les
feux que nous allumions, la nuit venue.
Ma
section s'ornait d'un braconnier,
expert aux industries de la forêt. C'est
lui
Ragotin, qui m'ap-
prit à choisir, enti-e les diVet-sës essences, celles qui
conviennent à une flambée rapide et
celles
qui s'im-
posent pour une braise prolongée. Il
savait découvrir la souche morte de chêne, qui,
placée dans
sume
le
foyer avant
le
lever
du
soleil, se
con-
lenteitient et sans fiiniée^ entretenant tout le
jour la braise qui permet aux cuisiniers de servir
un
café brûlant.
Lui
seul,
de branches
iiiouillées,
de rondins char-
gés de neige, pbiivait, en quislquës secondes, faire jaillir la
borihë fîanimë chaude et claire.
Heures exquises du
soir,
où, peliDtohiiés
éii
autour des bûches Crépitaiites, nous laissions
peu tomber nos voix poùf nOus rêveries.
Ëh même temps
liVrëi"
cercle j)eil
eh paix à
qu'à nds guêtres
à
liOS
s'écail-
lait la boue, nous sentions, à là douce chalëut",
fondre
le froid dii
manteau des
jour et tomber de nos épaules
fatigues.
Et des visages aimés les
le
lious souriaient à travers
flammes. C'est
pendant ces
veillées
de décembre qU'àvëc
199
TETE-A-VACHE plus de force que jamais s'imposa devant ditatioiis le
problème de
J'étais alors
un
mes mé-
la guerre.
guerrier asàez neuf pôùt m'élon-
ner encore de certaines particularités de tna pro-
Heures exquises du
soir.., (p. 198).
fession nouvelle. Aujourd'hui, le visage de la guerte
m'est tellement familier que je ne la coUçois pas d'autre sorte.
Quelle est l'otigine des guerres? Et
massacres
se concilient-ils
Providence?..,
comment
ce^
avec l'hypothèse d'Une
200
FACE A FACE
Ce thème fut avec
le
griffes
l'objet de
maintes controverses
vent aux mille voix grondantes, dont assiégeaient la
tranchée,
les
soulevaient les
mes épaules
claies disjointes et déversaient sur
les
rafales de neige.
Au
fait,
vous
déjà que
l'ai-je dit
le
vent est
mon
ami? Enfant,
je
me
cachais derrière les haies pour
le
surprendre au passage, ne pouvant m'imaginer qu'un
personnage aussi je fus bien
ma
bruyant
convaincu de
curiosité n'en
fût invisible.
Quand
de mes
efforts,
l'inutilité
demeura que plus
vive.
Le mys-
tère de cet être qui courbait les arbres, couchait les
emportait au
blés,
ciel les
papiers et les étoffes,
me
passionnait. Je m'appliquai de longues heures à déchiffrer son langage et j'y parvins.
Maintenant nous causons, tous les deux, en vieux camarades. laisse à
triste
de
mon
quand
rire,
Il
n'est pas exigeant, et toujours
initiative les sujets de conversation, je suis
morose, hilare quand
porte-parole de cette deuxième
chacun de nous héberge en Il
il
ne se permet de
me
j'ai
envie
âme que
soi.
contredire et de
me
railler
que dans nos conversations philosophiques. Sans doute parce qu'alors sérieux moi-même....
j'ai
peine à
me
prendre au
TÊTE- A-VACHE
Nous
voici
donc tous
les
201
deux, moi assis sur une
souche, au fond de la tranchée, devant la flamme
du
foyer, lui
m'enveloppant de dix côtés à
par la cheminée, par
la fois,
dédale des boyaux, par les
le
claies disjointes...
Je prends
— que
la parole.
Méphisto, dis-je au vent (c'est donne), t'es-tu
je lui
le
nom d'amitié
demandé déjà pourquoi
douze millions d'hommes sont en train de s'égorger en Europe?
— Tout
simplement, répond Méphisto, parce
que l'homme est un animal sanguinaire.
—
Non, Méphisto, ton explication ne vaut pas
chipette.
L'homme
est
un animal sanguinaire,
je le
concède, mais pas au point de se lancer volontaire-
ment dans
l'arène. Interroge l'un après l'autre cha-
cun des combattants et tu n'en trouveras pas un sur mille, de ceux qui ont connu déjà l'horreur d'un
combat, pour préférer
la guerre
à la paix. Pas
un
sur mille.
—
C'est, repart
Méphisto
animal sanguinaire,
est,
agressif,
que l'homme,
plus encore,
un animal
absurde.
Mais
je
ne juge pas à propos de relever cette
sinuation outrageante et je poursuis
—
Aux temps
de
ma
jeimesse,
in-
:
temps des longs
202
FACE A FACE
espoirs et des vastes pensées, je méditais entre
autres chefs-d'oeuvre immortels
(ficariement
Méphisto) iine Légende des
devant laquelle
l'œuvre de Victor
comme la
Hugo
siècles
de
évanouie soudain
se fût
pâlote lueur d'un ver luisant parmi l'aveu-
glante clarté d'un phare d'automobile
Légende des siècles^
il
Dans
!
y avait notamment une
cette
pièce,
vrai bijou d'anthologie (nouveau ricâiiéiiieht), ddril voici
sommaire
le
:
Satan n'a pas encore sombré dans est toujours l'èiiiant firéiétê
beau des anges,
son orgueil liàissant
rtiais
sager sa chute. Pour lui iiiontrer
Jéhovali
donne
liii
met à l'œuvre génie,
il
crée
le
la tévolte. 11
Jéhovâh,
clé
le
scJri
le
plus
lait pré-
impuissance,
pouvoir de cré&r, SltâU
et, tèridaiit
se
toutes les forces de son
un motidd
inoiidé dés ihsëctëâ, inais
avorté, amaiit de l'ombre et de
lé.
fange
;
larves ih-
colores, vers rainparits, cloportes répugnants, mille-
pattes hideux.
Dieu contemple
les
monstres qui grouillent dans
leurs cavernes souterraines, puis
il
étend
la main...
Aussitôt des ailes poussent à ces enfants des ténèbres, les têtes resplendissent sous les facettes des prunelles, les dos sombres s'illuminent de toutes les couleurs
dé
lurnière dorée
l'arc-en-ciel, et voilà sdUdaih,
du
soleil, la
à la
sflléndeUr des papillons.
203
TÊTE-A-VÀCHE la grâce des libellules, là magnificétlce royale
des
coléoptères.
—
J'ai lu
dans Victor Hugo, ricane
vent, cer-
le
taine légende d'Iblis qui rappelle fiirieusemeiit ton histoire
—
!
De même que
œuvre, hélas la
guerre
l'Esprit
!
ces insectes avortés d'une
mort-née
I
je
concevrais volontiers
comme une monstrueuse
du Mal. Qui
sait
forces mystérieuses qui
où
s'arrête le poùvoii" des
nous dominent
véritable de ceux qu'oii à appelés siècles
:
création de
?
Le nom
cours des
àii
Hasard, Fatalité, Destin, qui peut
le dire ?...
Voilà donc instituées les guerres...
— donc
—
J'admire, ricane Méphisto, là logique de ce I
Voilà donc, poursuis- je, instituées les guerres,
ces égorgemeiits farouches dont la seule pensée à dé
quoi faire hurler d'épouvanté. ïîètireuseineiit Dieti est là,
Dieu qui
facultés qu'il
laisse
leui"
à ses créatures l'usage des
a données, inais qui ne permet
pas que ces facultés s'opposent à sa justice et à sa miséricorde. Sur la création infernale
main
;
par-dessus les incendies,
cruauté, la soif pitié, le
du
saiig, le
courage, l'oubli dé
les
carnage,
soi, l'esprit
étend la
il
pillages, il
la
établit la
de
sacrifice,
la fraternité, la t*àtrie, toutes choses si douces, si
204
FACE A FACE
pures,
lumineuses, que la
si
aussitôt transfigurée, que
haine devient
s'en trouve
guerre
chef-d'œuvre de la
le
chef-d'œuvre de l'amour, et que
le
Dieu ajoute à ses
titres d'Éternel et
de Tout-Puis-
sant celui de Sabaoth, Dieu des armées.
—
faut croire, dit Méphisto, que, malgré cette
Il
adoption de
la
guerre par le Très- Haut, l'Esprit du
Mal a gardé sur sa création une une guerre
rante, car, pour
au moins ont à l'envie
ou
juste, une
bonne dizaine
leur origine la cupidité, l'orgueil,
la cruauté.
combats
sort des
direction prépondé-
Et ne vois-tu pas que pour
la justice
de la cause ne passe
qu'au second plan, bien loin derrière
42i et
—
les Il
les
y
aurait là-dessus gros à
répliquer et le
quable de tous, n'est pas unique dans la faiblesse
plus remar-
l'histoire
forcément rares
ma
:
ces interventions surnaturelles, elles
ne sont nullement indispen-
thèse. Sache, Méphisto,
que
d'une guerre n'est pas dans cette guerre pital, les
mais bien
âmes
est le
et
de
opprimée. Pourtant j'accepte de ne pas
compte de
sables à
canons de
gros bataillons?
l'exemple de Jeanne d'Arc, bien que
tenir
le
dans
la
l'issue
le fait
ca-
transformation qui s'opère dans
les
vainqueur et
cœurs. le
En
d'autres termes, qui
vaincu véritables, de celui à
qui a sourit la fortune des armes, et qui, grossier
205
TÊTE-A-VACHE avant
pendant
la guerre, cruel
la guerre,
ne trouve
dans son succès qu'un aliment nouveau pour sa de celui dont la force a trompé la va-
bestialité, et
mais qui sort de
leur,
un cœur
et
semble
la lutte
avec une
âme épurée
forgé d'acier pur? Cette victoire qui
le fuir, elle
décrit au-dessus de sa tête des
cercles de plus en plus rapprochés
;
le
jour n'est pas
elle
viendra se poser sur son épaule et man-
ger dans sa
main comme une colombe apprivoisée.
loin
La
où
victoire est toujours
—
Ho ho !
!
au plus digne.
proteste Méphisto
;
voilà
un maître
paradoxe.
—
Paradoxe, à ne considérer qu'un court espace
d'années, peut-être. Si j'avais des connaissances historiques
un peu moins rudimentaires, Méphisto,
je te citerais
de ce que j'avance de multiples et
futables exemples. Je sens
si
irré-
ma théorie ma main à ce
fortement
qu'elle doit être exacte, j'en mettrais
brasier.
Méphisto n'est pas convaincu (entre nous pas tout à
fait tort)
;
il
grogne, mais
n'a
il
comme
son
grognement ne s'accompagne d'aucune objection nouvelle, je continue
—
Si,
:
maintenant, quittant
spéculation, nous
examinons
guerre à la seule lumière des
le le
domaine de
la
problème de
la
faits,
nous voyons
FACE A FACE
206
s'imposer à notre esprit les mêjnes conclusions dé-
concertantes
:
guerre est,
la
fabuliste, ce qu'il
comme
la
langue du
y a au monde de meilleur
pire, et l'homnie n'est précipité
et de
dans l'abîme grouil-
lant des vampires et des stryges que pour rebondir,
par un merveilleux tremplin, vers
les
hauteurs
le
vent, d'en
éthérées des sylphes et des étoiles.
—
L'ironie est
un peu
forte,
gronde
appeler aux étoiles pour une industrie qui n'est au
fond qu'une vaste entreprise d'assassinat.
—
Ne jouons pas
sur les naots, Méphisto
nous traiterons également d'assassin
le
;
sinon
passant qui
abat son agresseur. Considérons non pas l'objet
immédiat de
la guerre,
qui est
meurtre, mais les
le
mobiles qui ennoblissent cet objet. Le soldat tue,
non par
mais par devoir
et
non par cruauté
naturelle.
pas de repousser de toute
plaisir,
par nécessité et
Mais
ne
je
me
mon indignation
infamant d'assassin appliqué au soldat, que, pour
lui,
aucune louange ne
me
ce ternie
je déclare
semble assez
rare, ni assez hyperbolique. Je réclame
me
contente
pour l'hom-
de guerre uue place au fronton des cathédrales,
parmi
les gloires
de
la cité, au-d.essus
même
de
te récrie pas.
Ou
alors, dis-moi quelle règle monastique, parmi
les
l'anachorète et de l'apôtre.
Ne
plus sévères, impose à ses adl:iérents, en addition
207
TETE- A-VACHE
aux vœux habituels de pauvreté, de chasteté, d'obéissance, qui sont les vœux commuiis du moine et
du
soldat, l'obligation de vivre à ciel ouvert
comme
l'herbe de la prairie et le risque
permanent
des blessures et de la mort ?
Que
guerre soit horj-ible en ses moyens, qui
la
songe à dire
l'homme
;
le
moyens
contraire? Mais les
sorit
de
ce qui est de Dieu, c'est d'avoir fait
douceur sur
croître la pitié siir le mp^ssacre, la
vastation, l'amour sur
la dé-
le pillage et l'incendie.
Jusqu'oy ne s'étend pas l'influence bienfaisante de
la guerre
!
Elle exalte en
l'homme toutes
puissances intellectuelles et paorales.
En
chant de son amour inmiodéré de la vje, taclie,
le
les
déta-
elle |e
dé-
par conséquence, de son corps de chair, des
appétits, des passions, des désirs de ce corps de chair, elle l'apparente,
en quelque sorte, ^ux purs
esprits.
Quand, en
avrjl, les
premiers rayons du
soleil
font tomber devant les escargots la porte de leur prison, les
gourmets ouvrent à
reuses bestioles des
la
vue des savou-
bouches baveuses. Mais la pru-
dence tempère leur ijnpatience.
Ils
savent qu'a-
vant de paraître sur leurs tables, beurrés, rissolés
à
plaisir, les
aillés et
escargots doivent être enfermés
en des vasps bien clos où ils se débarrasseront dans
208
FACE A FACE
un long jeûne des humeurs malignes déposées en leurs artères par les herbes nouvelles.
La
guerre est pour les
où s'opère familles,
le
ce vase bien clos
jeûne de leurs âmes. Séparés de leurs
de leurs
se défont
hommes
plaisirs, seuls
avec eux-mêmes,
peu à peu de leurs égoïsmes
ils
et de leurs
petitesses.
Leur
orgueil, qui se dressait
au-dessus de leurs têtes,
—
même temps
fauchent en
comme un panache
les balles
que
les
qui passent
branches et
graminées. Leur avidité, leur cupidité, leur
de
l'or
qui
les
attachaient à la terre
et
le
les
amour étaient
—
comme des racines à leurs pieds, les obus les arrachent en même temps qu'ils renversent les arbres et
mettent à nu
les
leur sensualité, leur
autour d'eux
comme
souches. Leur gourmandise,
amour du les
bien-être, projetés
tentacules des fraisiers et
des violettes qui vont, quêtant les sucs de la terre et la chaleur
du
soleil,
—
le
jeûne
les
dessèche,
le
froid les flétrit, la pluie les désagrège.
Vous pouvez vous pencher vers eux, ô mon Dieu, et laisser sur eux reposer vos regards
sont devenus tels que vous les aimez et candides
comme
:
;
ils
nus, simples
de petits enfants...
Ainsi rêvais-je, aux veillées de décembre, par-
devant
les
bûches crépitantes, cependant que
le
TÊTE-A-VACHE
me
vent moqueur étincelles fales
ou
jetait
faisait
209
au visage
les
cendres et
tomber sur mes épaules
les
les ra-
de neige.
II
NOËL 1914
Ce fut aux tranchées de déroula,
la
devant mes yeux,
Têt e-à- Vache que se plus fantastique
la
aventure de cette première année de campagne.
Deux
jours avant Noël, les Boches placés devant
nos lignes nous firent savoir que sance de Jésus,
ils
toute la journée de Noël faire
«
pour fêter la nais-
demeureraient bien tranquilles ».
nous invitaient à
Ils
de même.
Ces propositions n'engendrèrent que
Nous sommes payés pour savoir
la
méfiance.
ce que valent les
promesses de nos loyaux ennemis. La conclusion tirée
par nous fut que
les
Boches méditaient pour
Noël une attaque en masses et que leur proposition avait pour but d'endormir notre vigilance. Aussi les
gardes furent-elles doublées.
Nous avions
tort.
De
nuit de Noël, pas
toute
la
fut tiré par les
un coup de
Allemands. Par contre,
ils
14
feu
ne
alter-
210
FACE A FACE
nèrent
un
les
cantiques et
les
chansons bachiques avec
rare souci de la neutralité.
Vers une heure du matin, petits postes avancés de
melle de café brûlant c'est ainsi
que je pus
(il
j'allai
ma section
porter à
un des
une grande ga-
gelait à pierre fendre) et
assister
au concert en première
loge.
Cette mise en scène ne
fit
qu'augmenter notre
méfiance. Chat échaudé... Et nous étions prêts à parier que les Boches nous préparaient pour le petit
jour une surprise.
Cette surprise se produisit, mais non
telle
que
nous l'attendions.
Dès
les
premières lueurs de l'aube, en
effet, les
Boches sortirent de leurs tranchées, sans armes, sans équipement, capotes déboutonnées, des bouteilles
à
la
main, abominablement ivres
!
Les uns nous montraient leurs bouteilles et nous invitaient à aller trinquer avec
prenaient par la
taille et
eux
!
D'autres se
dansaient. D'autres encore,
sans plus se soucier de nous que des buissons des alentours, s'asseyaient sur les talus, sur les rochers,
sur les souches déracinées et, choquant leurs bouteilles,
continuaient leurs beuveries et leurs chan-
sons.
Je ne puis,
même maintenant,
analyser les senti-
211
TÊTE-A-VACHE c'était
un mélange
d'horreur, de répulsion et de stupeur,
une impres-
ments
ressentis à ce spectacle
1
:
à-
y^..f y
...
Dès
les
premières lueurs de l'aube
sien analogue à celle que
p. (210).
nous aurions pu éprouver
en voyant des tigres, des ours, des chacals et des hyènes, habillés en
hommes,
singer les manières des
FACE A FACE
212
hommes
et
mimer
amusements d'une kermesse,
les
avec des pattes et des visages dégouttant encore du
sang de leurs victimes... Je vous entends. et faire
Il
eût fallu profiter de l'occasion
un massacre de tous
ces ivrognes.
Là
était,
sans conteste, notre devoir.
Mais
allez
donc persuader à des soldats français
tirer sur des
de
fussent-ils des
ennemis désarmés, ces ennemis
Boches
De
!
notre générosité vient
notre faiblesse, mais aussi notre force. Ce n'est pas
au hasard du grain qui vole que
germé sur notre
la chevalerie
a
terre.
Des messagers furent envoyés au commandant de
la
tranche
ments firent
et
(1),
pour rendre compte des événe-
demander des
pas attendre
:
entre les belligérants tirer
ordres. Les ordres ne se
aucune trêve ;
il
fallait,
légale n'existait
en conséquence,
immédiatement sur tout ennemi
visible.
Ces ordres eussent été obéis, sans aucun doute,
quoiqu'à contre-cœur.
Un événement
providentiel
vint nous enlever nos scrupules de conscience.
Cinq minutes à peine avant
le i-etour
des mes-
sagers, des officiers boches sautèrent sur les parapets et,
à grands coups de poings et de pieds, firent ren-
(1)
le
Tranche
(n.
commandement
fém.), ensemble de tranchées placé sous
d'un
officier supérieur,
213
TÊTE-A-VACHE dans
trer les ivrognes
secondes
il
ne
les
restait plus
Nous eûmes, deux
tranchées
:
en quelques
personne au dehors
jours plus tard, par
un
I
déser-
teur, l'explication de l'événement.
Les leurs
allemands ignoraient l'équipée de
officiers
hommes. Alors en partagent
et chefs
mêmes
dangers;
effet
que chez nous, hommes
mêmes
les
les officiers
privations et les
allemands demeurent
en troisième ligne et laissent l'administration des tranchées aux sous-officiers. C'étaient ceux-ci qui,
de leur propre initiative, avaient organisé toute l'affaire.
Mis au courant,
tôt bondi
hommes aux convenances avec leur sont coutumiers
Ce fut Bavarois,
avaient aussi-
les officiers
en première ligne et avaient rappelé leurs
fini
de
arguments qui
!
rire.
comme un
les
Nos
sociables ennemis, des
déserteur nous l'apprit, furent
aussitôt remplacés par des Prussiens de Poméranie, et ceux-ci prirent à
mansuétude de
tâche de nous faire oublier la
leurs prédécesseurs.
Le croiriez-vous? niens nous apporta
cet
acharnement des Poméra-
un soulagement
sensible. Cela
nous surprenait et nous choquait de trouver dans les
Boches des êtres qui ne fussent pas complète-
ment des sauvages, s'être,
par
et
nous leur en voulions de
la confiance qu'ils
nous avaient montrée,
214
FACE A FACE
rendus en quelque sorte dignes de cette confiance.
Les Boches disparus, nous pûmes terminer fête en famille.
On fredonna
main en main passèrent
les bouteilles
la
De
des noëls patois.
de Champagne
distribuées la veille.
Un
soleil
magnifique resplendissait dans un
ciel
pur de tout nuage Sa chaleur, combattue par une .
bise glacée, n'arrivait pas à fondre le givre de la
nuit
mais
;
ses
rayons habillaient de pourpre et
d'or les talus des tranchées et cachaient sous les
du manteau royal
plis
de
les squelettes
lamentables
la forêt.
Or, trois collines bornaient notre horizon, et soleil planait,
cimes
—
le
les trois
:
Regardez, sergent,
bleus
nous
enfermé, semblait-il, entre
»
;
on
un
dirait
me
dit
soleil
un de mes «
rien
«
petits
que pour
»...
Et, tout en faisant les cent pas d'une tranchée à l'autre, je « Ils
monologue
:
sont d'un pareil mirage victimes ceux qui,
rêvant d'une terre
gnent pas de jeter
hommes
«
rien les
que pour eux
uns contre
les
»,
ne
crai-
autres des
à qui Dieu vint apprendre qu'ils étaient
frères. »
L'évangile de l'amour,
ils
l'ont enseveli sous
215
TÊTE-A-VACHE des
flots
de sang
ils
;
ont dressé sur son cadavre
l'évangile de la haine. » »
Eh bien soit. Gomme cela fait du bien de pouvoir impunément !
se livrer
une
à ses instincts de brute, de sentir pour
fois le ciel et l'enfer réconciliés
dans son cœur,
de haïr à pleine haine avec la permission de Dieu »
Pourtant, c'est Noël aujourd'hui.
inconnue dilue
!...
Une douceur
paysage et des anges chantent
le
au-dessus de nos
têtes
Pax hominibus bonœ
:
voluntatis. »
Jésus, petit Jésus, que viens-tu faire ici? tu vas
te faire blesser
par une balle ou mettre en pièces
par un crapouillot.
remonte là-haut,
Allons, va-t'en,
mon pauvre
haine, ô sainte haine
»
!
mon
enfant
;
petit...
que
c'est toi
je placerai
ce soir sur la paille de la crèche et que j'adorerai
sur
mes deux grands genoux.
»
III
LE CAPORAL DAVIET
Le
1^^ janvier,
il
y eut attaque des tranchées
allemandes de La Louvière, par
le
premier batail-
FACE A FACE
216
Les autres bataillons, dont
Ion.
le
mien, demeu-
raient spectateurs.
Je
me
ma
trouvais avec
en réserve
section,
de la compagnie, dans un des boyaux menant de la Tête-à- Vache à la Louvière.
Suave...
du haut d'un dir
doux de contempler
est
Il
la bataille
tranquille observatoire et d'applau-
aux prouesses de^ camarades quand on
soi-même à
l'abri des balles et des obus...
moins doux de
se voir, sans préparation
précipité dans la fournaise
est
brusquement arraché
se trouver
à sa quiétude pour
Il
est
aucune,
!
ce qui advint par suite d'un
C'est pourtant
ordre qu'un agent de liaison transmit de travers.
— Vite,
vite
me
!
crie
attend là-bas tout de suite
Me
voilà donc parti au
fâcheux.
le
On vous
!
canon avec
ma
section.
Les shrapnels éclatent au-dessus de nos têtes plusieurs blessés
et
nous abandonnent.
chemin, nouvel avatar.
Je
dois
A
mi-
envoyer deux
escouades aux cartouches, de sorte que lorsque
nous sautons
du
134, nous
sergent
barriau
« le
»,
à mi-côte de l'ouvrage
sommes tout
Henry,
le
y compris le caporal Daviet et moi, une juste,
douzaine.
Maigre renfort
!
N'importe
;
nous nous préci-
217
TÊTE-A-VACHE
pitons à travers le fourré, afin de prendre à revers les positions
A
ennemies.
mes hommes
part deux anciens, tous
sont
des bleus de la classe 14, arrivés de l'avant-veille, et je
ne puis
comment
me
défendre d'une appréhension
:
comporter pour leur coup
vont-ils se
d'essai?...
Garde tes appréhensions pour et tâche plutôt de n'être
tu commandes d'ailes rire
«
une paire
aux pieds, une flamme aux yeux
aux
et le sou-
lèvres... ils
:
s'amusent
!
ont retrouvé le jeu de leur enfance, cette
petite
guerre
d'hommes en Mais, cette dit
pas inférieur à ceux que
Regarde-les bondir,
!
Pas de doute Ils
vieux birbe,
toi,
qui
»
leur
les
donnant
fois, c'est «
en Berry, et
sont des balles
haussait
la
taille
l'illusion
du
péril.
pour de bon
les balles qui «
à
»,
comme on
viennent de la droite
pour de vrai
».
Nous nous échelonnons à mi-pente de qu'on nous
Allons, voilà
tire
la colline.
maintenant de
gauche, du haut du coteau de la Tête-à- Vache.
Nous sommes de
pris entre
deux feux.
J'ai besoin
réfléchir.
Je
commande
naître le terrain.
:
«
.
A
genoux
!» et je vais recon-
218
FACE A FACE
Nouvelle rafale de balles, venant cette tout juste
l'avant.
J'ai
derrière
une
l'averse.
Le feu
lade est
jeter
cesse aussitôt. alors
:
celle
folle,
temps de me
que sur
les côtés la fusil-
du devant provient d'une
troupe qui nous voit, qui nous vise, et qui ne qu'à bon escient. Mais
malgré
les arbres,
de
de rondins pour laisser passer
pile
Pas de doute
le
fois
si
elle
nous
le fourré, c'est
voit,
tire
malgré
donc qu'elle
est
tout près de nous, en avant de la crête, à 10 mètres
au
plus... Il
faut
se
débarrasser de ces gêneurs avant
d'aller plus loin.
Je reviens au milieu de mes hommes, non sans servir encore
une
fois
de point de mire. Je
les fais
cinq dans un trou d'obus, les autres à
s'établir,
plat ventre derrière des souches, et je
— Tirez
commande
:
à volonté, sans vous presser, cinq
cartouches chacun, en visant un peu en avant de la crête.
Le feu
La
crépite, diminue, puis s'arrête.
leçon aura servi, car on ne nous tirera plus
de ce côté.
Mais ne
voilà-t-il
maintenant de
pas que
l'arrière,
les balles
nous arrivent
des balles françaises
Notre mouvement tournant nous a placés sur
!
la
219
TÊTE-A-VACHE ligne de tir des nôtres
nous héritons de tous
:
leurs ricochets, de toutes leurs balles perdues, et
de tous
les éclats
des 75 tirés sur les lignes boches.
Nous nous trouvons bientôt au miheu d'un ouragan de des
feu.
blessures
coupées net,
ou de
Autour de nous, reçues,
branches
les
reculer.
d'eux-mêmes, sans ordre,
me
disent
:
Eh
«
Ils se
arrêter pour !
les
si
bien
Mais non,
le
!
en avant
!
je
même
pas nous
ne commanderai pas en avant
En
:
hâte, je les fais tous coucher,
Henry près de moi
sergent
Qu'atten-
!
me couche moi-même, un peu Trop
!
impa-
»
braves petits
ce serait folie. je
peu
sont relevés
et leurs regards
dez-vous? Nous n'allons tout de
Oh
s'abattent,
comme à laserpë. Impossible d'avancer
Mes hommes me regardent. tients
geignent
les arbres
fort est l'ouragan
pas bientôt. Ce sera
et j'attends.
pour
l'affaire
en arrière d'eux,
qu'il
ne se calme
de quelques minutes.
Soudain un coup au cœur...
Ayant
relevé machinalement la tête, je viens
d'apercevoir le caporal Daviet, à trois pas sur
ma
droite, debout, bien en vue, sans la
broussaille Il
pour
le
garantir
moindre
!
a sorti de sa poche sa blague et son cahier de
220
FACE A FACE
Job, et
dans
en train de souffler placidement
est
il
cahier
le
entr'ouvert
pour détacher une
feuille...
Je
lui crie
—
•
Voulez-vous bien vous coucher la
fait
Il
:
referme
sourde
le cahier, le
blague, prend
—
du
;
1
la feuille détachée,
met dans
tabac...
êtes-vous fou
!
il
sa poche, ouvre sa
Daviet, fais-je en donnant toute
Daviet Il
oreille
ma
voix
;
!
ne m'entend toujours pas,
il
ne veut pas
m' entendre. Bien tranquillement,
roule sa cigarette, la
il
mouille...
—
Daviet
!
dis-je,
me
en
soulevant à demi et
d'un ton qui n'admet pas de réplique, je vous
ordonne de vous coucher II
!
tourne alors la tête vers moi, d'un geste
lent,
me regarde sans mot dire, puis, montrant hommes couchés devant nous, et qui du coin l'œil
nous observent,
il
les
large qui s'achève vers le
les
de
enveloppe d'un geste
ciel,
ce qui, joint à
un
signe de tête qu'on ne peut dépeindre, signifie
clairement
—
:
Les bleus qui sont
anciens
comme moi
là, il
faut bien que les
leur donnent l'exemple
!
221
TÊTE-A-VACHE
C'est cela qu'il veut dire, je le jurerais. Cela
du devoir
s'accorde trop bien avec son sens élevé et
son mysticisme de paysan vendéen.
Sans s'occuper de moi davantage, son briquet, allume sa cigarette, tire
enflamme
il
une bouffée,
envoie la fumée en défi dans la direction des Boches...
Cette
Ah se
1
fois,
va
il
bien oui
met à
se cacher, j'imagine
il
1
par
tirer, balle
champ de
!
prend la position à genoux balle, aussi
et
calme qu'au
tir.
moment, l'homme placé devant
Juste à ce
à quelques pas, et qui était couché,
lui,
lui,
bien
incrusté dans la mousse, est tué d'une balle au front.
Daviet ne s'émeut point, et son
tir,
entremêlé de
bouffées de cigarette, ne s'accélère ni ne se ralentit.
A
le
voir jouer ainsi avec sa vie
un mirliton d'un
l'affection qu'il
un de ceux pour qui
mes
enfants.
me
droite d'un père sur
Je
me
dis
une paire de
:
«
j'ai
me
porte,
de
mon
Je vais
gifles... »
est
cœur, j'appelle
sens des droits sur
un
il
une âme paternelle, un de
le secret
Je
avec
sou, je ferme les poings de colère.
Par son âge, par
ceux que, dans
comme
fils
me
lui,
les
désobéissant.
lever et aller lui donner
222
FACE A FACE
Ma
pensée chemine encore que, horreur
venue de
balle
frappe dans
le
une de nos
l'arrière,
que
prend
je n'ai
je
le
ne puis m'expHquer
jamais vu se reproduire,
Voilà, en
feu...
une
dos à la hauteur de sa cartouchière.
Par un phénomène que et
!
balles,
deux secondes,
capote
la
la
flamme
qui monte, monte, et atteint les cheveux.
Henry de képi,
moi nous nous précipitons.
et je
frappe sur
les
flammes
;
A
coups
Daviet, pen-
dant ce temps, tourne sur lui-même
comme une
toupie, s'imaginant instinctivement qu'il pourra
atteindre la flamme qui s'obstine à rester derrière lui. Il
ne
me faut pas moins d'une dizaine de coups de
képi pour éteindre l'incendie J'offre
à
Daviet
un de
l'accompagner au poste de
!
ses
camarades pour
secours...
m'en rends compte. Au combat,
J'ai tort, je
on ne doit plus connaître de camarades en avant, tant pis pour qui tombe
ni d'amis !
La
:
seule
préoccupation doit être celle du but à atteindre,
de l'ennemi à réduire.
Mais ce n'est pas Daviet qui d'une lâcheté.
Il sait
mes hommes
il
main
:
:
que
refuse
je n'ai
mon
se ferait
complice
pas trop de tous
offre.
Je
lui
tends la
TÊTE-A-VACHE
—
Ce ne sera
rien,
dis- je,
223 de
essayant
lui
mentir.
Daviet ne répond pas, mais qu'il fixe sur
Je suis perdu
Puis
il
!
regard profond
ma
moi en prenant
serrant dans une chaude «
le
main
en la
et
étreinte, ce regard dit
:
»
s'en va, tout seul, très droit, la tête
haute, narguant une dernière fois les balles qui
l'accompagnent en
à ses oreilles
sifflant
comme
un essaim de mouches méchantes. Qui pourrait penser, à
le
voir ainsi marcher,
impassible, qu'il a le corps traversé de part en part, qu'il lui faut, pour surmonter sa souffrance,
une énergie surhumaine,
tout à l'heure, à quelques pas
ayant
atteint,
va s'abattre
qu'il
et
du poste de
dans un suprême
secours,
effort
de
sa
volonté, l'extrême limite de ses forces?
Père et mère de Daviet, vous dont la pensée l'accompagnait
sans
cesse
encore avant sa mort, n'ai
il
et
que,
huit
jours
embrassait en rêve, je
pu, ayant perdu dans la tourmente
carnet d'adresses, vous parler
voulu de votre
fils
et
comme
vous raconter
mon
je l'aurais
ses derniers
moments.
Dans votre
lointain village de la Vendée,
y
a-t-il
chance que ces lignes tombent un jour sous vos
224
FACE A FACE
yeux? Dieu que votre
permette, afin que vous sachiez
le
a vécu en héros et est mort de
fils
même. Il
pour nous un exemple,
était
et
je
vois
le
toujours, ce matin de novembre, en haut de l'arbre
sur lequel
il
avait grimpé, croquant sur son bloc-
notes les tranchées ennemies placées à deux cents
pas de
là,
rades,
indifférent
sourd aux appels effrayés de ses cama-
aux
branches autour de
qui
balles
lui
hachaient
en faisant voler l'écorce
Et sachez aussi qu'un de mes premiers
nommé sous-lieutenant, entendre ma voix, a été d'obtenir quand,
osé
j'ai
!
actes, faire
pour votre
fils
de guerre.
la croix
Que
les
le
chef qui a accueilli
ma
requête
(1) et
qui
m'a permis de récompenser deux de mes braves, les
caporaux Daviet
sion de J'ai
ma
et
Thépin, reçoive
ici
l'expres-
respectueuse reconnaissance.
voulu annoncer moi-même à Daviet
bonne
Evoquant
nouvelle.
celles de tous
les
son
image
la
parmi
morts qui, tombés à nos côtés,
continuent de nous encourager par leur présence «
Mon
enfant
s'est brisée (1)
Le
»,
dans
ai-je
commencé...
ma
voix
les larmes.
colonel de Bélenet qui
et qui est
Mais
:
maintenant à
commandait
la tête d'une brigade.
alors le 95®
225
TÈTE-A-VACHE
IV JE
NOMMÉ GÉNÉRAL DE BRIGADE
SUIS
L'affaire
du
l^^^
janvier se termina pour nous
Nous n'avions
vers trois heures de raprês-midi.
mangé
rien
ni
bu depuis
pas
la veille,
même
le
traditionnel quart de jus.
Les musettes des camafftdes étaient, tout aussi
complètement que
En
ma
rejoignant la compagnie à la tête de
sectioti,
je croisai
85^, assis sur
dans
la mietine, vides.
la
main
dans un boyau un soldat du
une banquette de
tir, et
qui, tenant
droite son couteau ouvert, dans la
main gauche un morceau de pain,
était
en train
de manger.
—
Part à deux,
lui dis-je, la
main tendue.
L'homme, ouvrant sa main gauche, me montra une bouchée de pain surmontée d'un bout de saucisson gros
comme
l'extrémité
du
petit doigt
— Vous m'excuserez, sergent. C'est me
reste. Il
n'y a pas
même
:
tout ce qui
de quoi se caler une
dent creuse. Si je
l'excusais
1
Mais j'aurais vidé dans 15
sa
226
FACE A FACE
main tout
le
contenu de
mon
porte-monnaie
pour ce cadeau royal.
— Part à
deux!... (p. 225).
Une bouchée de pain pas
le
!
Ceux qui ne conçoivent
moindre déjeuner sans des
ne se font aucune idée de
la
livres de victuailles
quantité de substance
TÊTE-A-VACHE
227
alimentaire contenue dans une bouchée de pain. J'en eus pour une demi-heure à la humer, à la grignoter, à la mâcher, à la savourer, à extraire d'elle
toutes les jouissances gastronomiques qu'elle
tenait encloses.
Et,
le festin
terminé, des remords
de n'avoir pas songé à inviter N'importe, je trouvai
on
dit
le
me
vinrent
camarades
les
!
«temps long», comme
chez moi, jusqu'à six heures du
soir,
heure
à laquelle arrivèrent nos cuisiniers.
La semaine entière
qui suivit se passa presque tout
en réserve dans
le
ravin de la Tête-à-
Vache.
Sans attaque nouvelle, sans événements extérieurs dignes de remarque, ce fut
cependant une
des semaines les mieux remplies de
en moins de huit jours, je fus
ma
promu
vie, car,
général de
brigade.
Cette prodigieuse fortune n'étonnera que ceux qui ignorent les prouesses réahsées par moi au
cours de
mon
je découvris
existence. C'est ainsi qu'une fois
au fond du Pacifique, quelque part
me demandez pas trop de précisions) un tinent grand comme l'Austrahe. Une autre (ne
à la tête d'une légion de cent
hommes,
je
confois,
me
228
FACE A FACE
taillai
dans l'Amérique du Sud un empire qui, en
dix ans...
heureux les
Une
—
autre fois encore,
car
mon
un coup de Bourse
activité s'exerce
dans tous
genres — un coup de Bourse heureux me rendit •
somme
maître, en une soirée, d'une milliards.
J'avais gagné exactement quatre mil-
liards et vingt millions,
reusement
de quatre
les
vingt
mais j'abandonnai géné-
aux
millions
ma
m'aidèrent à endosser
huissiers
qui
pehsse, au sortir de la
Bourse...
Je vous fais grâce de l'énumération des prodiges qu'il
me
réaliser
fallut
pour bondir par-
dessus tous les grades intermédiaires, jusqu'aux étoiles
peau
de brigadier. pris,
Je
me
souviens d'un dra-
d'une batterie de 150 mise à mal,
d'une percée victorieuse à soixante kilomètres
au delà des premières
lignes allemandes...
Ce ne fut pas tout, mais, pour un
seul
homme,
ce n'est déjà pas mal.
A
ceux qui hausseront
les
épaules et qui trai-
teront d'enfantillages ces châteaux en Espagne, je
répondrai que seuls
donnent du prix à
Non seulement
les
de l'existence, mais et des
les
la vie
châteaux en Espagne
pour
les Imaginatifs.
rêves colorent la monotonie ils
sont des créateurs de force
fomenteurs d'énergie,
et
jamais Napoléon
229
TÊTE-A-VAGHE
devenu empereur
ne fût
s'il
commencé
n'eût
par admettre en lui-même la possibilité de
le
devenir.
Je n'ambitionne nullement la couronne impé-
— et peut-être cette superflue — mais j'aime
riale
l'action,
!
et,
que
protestation était-elle
me
l'on
ou non,
raille
même
en rêve,
je continuerai
de
rêver.
Donc,
me
voilà général de brigade. Cette sou-
daine élévation m'avait été inspirée en partie par la joie d'être
Mais
trière.
Ce
sorti
vivant d'une attaque meur-
avait une autre cause...
elle
fut, s'en souvient-on,
à la suite d'un ordre
transmis de travers par un agent de liaison que je
me
trouvai mêlé à l'action
autre élément
du
l^'^
janvier.
Nul
en dehors du premier bataillon
(j'appartenais alors au
deuxième) ne
prit
part
à cette attaque.
Mais une légende, à
On
(cet
mon
insu, se forma.
on mystérieux dont personne jamais
n'entrevit
le
visage),
on
affirma
que
j'avais
couru au feu de moi-même, en entraînant mes
hommes. On vaillance
Déjà,
;
on
en
se
pâma
me
baptisa héros.
revenant
d'admiration devant
de l'attaque,
je
ma
m'étais
étonné de la chaleur des poignées de main que
230
FACE A FACE
m'avaient données
le
capitaine
commandait
lin
qui commandait la compagnie.
le
moi méritions quelques le savoir
Source,
bataillon et le lieutenant Mer-
se peut, avais-je pensé,
Il
La
de
qui
que mes hommes
éloges,
et
mais qui peut
en dehors de nous, puisque nous étions
seuls?...
Le lendemain de l'attaque vants, je poilus
;
croisés j'allais
me
vis
dans
montré du
ou quatre
trois
même, des
devancèrent
me
jours
sui-
doigt, de loin, par des
fois
la tranchée,
leur faire et
les
et
saluèrent
officiers,
le salut
que
d'eux-mêmes
les premiers...
Quand
j'appris ce dont
il
retournait, je rougis
de honte à la pensée d'avoir participé, sans savoir, à
un mensonge
aussi monstrueux, et je
m'empressai de protester, chaque sion
m'en
le
fois
que
l'occa-
fut donnée, de toute la chaleur de
mon
indignation.
On
secoua la tête en souriant et l'on continua
de m' entourer d'une considération particulière. Je protestai encore, mais plus faiblement, et
comme
ma
je n'arrivais
n'est-ce
pas à
— après tout pas? —
foi, alors
me
faire croire, alors,
je n'y étais
pour
alors je laissai faire, et
au fond de moi, tout au fond,
la
pensée
rien,
même,
me
vint
TÈTE-A-VACHE
231
que, peut-être, que, sans doute, j'avais rêvé en
croyant voir l'agent de liaison, et que certaine-
ment un
j'avais bondi de
moi-même au canon comme
coursier généreux.
Je vivais donc en pleine gloire geais à troquer les les trois étoiles
deux
étoiles
et, déjà, je
son-
de brigadier pour
de général de division, quand je fus
soudain précipité de
mon
char de triomphateur
par une malencontreuse botte de
paille...
LA BOTTE DE PAILLE
Une
Un
botte de paille?
me
soir, je
Eh
!
disposais à
oui pas davantage.
me
coucher dans
ma
cagna, en deuxième hgne, quand un soldat de
ma
me
section vint
—
Sergent,
une botte de
La Source
trouver
:
une voiture vient d'apporter paille.
l'enverra
ici
Paraît que le capitaine de
chercher
demain
matin.
Quoi que faut en faire? Vous savez qu'y pleut
comme vache qui pisse... — Eh bien mettez-la dans 1
n'est pas occupée.
la
tranchée qui
Elle sera à l'abri de la pluie.
232
FACE A FACE
Et
je
m'endormis, Fâme tranquille, inconscient
des calamités qui allaient fondre sur moi.
Le lendemain matin, niser
les
corvées
de
corvée
habituelles
— pour
C'est
La botte de encore
se présentèrent
La Source
paille?
Du
la botte
l'homme qui
J'appelle
l'avait
ça et là
bois,
:
paille
?
diable
si
j'y pensais
lui
déposée
;
de paille
:
en vain.
l'avait rangée la veille
sous la tranchée couverte il
de
nettoyage,
!
Nous cherchons
où
de
qu'on a déposé une botte de
ici
capitaine de
le
corvée
:
corvée
terrassement,
quand deux hommes
en train d'orga-
j'étais
;
il
me montre
la place
des brins de paille épars
portaient témoignage
mais de
;
la
botte
elle-même, nulle trace.
Sans aucun doute, des soldats l'avaient aperçue en passant
et
empressés de s'en faire
s'étaient
cadeau à eux-mêmes pour rendre leur couche plus moelleuse.
—
•
Vous rendrez compte au
capitaine,
dis-je
aux deux messagers, que la botte de paille a été prise, cette nuit,
Et
je n'étais
par des inconnus.
pas
Pauvre de moi
ému
outre mesure.
!
Une demi-heure
après
survient
le
capitaine,
233
TÈTE-A-VACHE pas content du tout. de la paille
était
Il
paraît que cette paille
de premier
choix.,
d'avoine d'une valeur considérable. lant pas sur elle
comme
de la paille
En
ne
veil-
mes
sur la prunelle de
yeux, je m'étais rendu complice du larcin. (Surd'indignation
saut
ma
on voulait bien écarter
si il
de
part.) le. délit
En
tout
cas,
de complicité,
n'en restait pas moins établi que, par la négli-
gence dont j'avais indigne de
fait
commander à des hommes. En
quence, on m'invitait,
mante voie
preuve, je m'étais rendu
si
consé-
je voulais éviter l'infa-
cassation, à faire, à qui de droit, par la
une
hiérarchique,
remise
volontaire
de
galons.
Stupéfait, à court de repartie, je promets de
rédiger la demande.
—
Je l'attends,
me
en
me
dit
le
capitaiae,
Je vais aussitôt trouver
le
lieutenant Merlin
quittant.
pour lui
rendre
lui
compte de
demander une
feuille
la
conversation et
de papier réglemen-
taire.
— Ah
1
mais non
!
proteste
le
lieutenant.
ne veux pas qu'on enlève ses galons à
mon
Je
meil-
leur sous-officier.
Qu'on me pardonne
la
naïve exactitude de ce
234
FACE A FACE
rapport. Gela ne fait de mal à personne et cela fait,
à moi, tant de plaisir
— Allez poursuit faite,
trouver
le
le
me
!
capitaine
de
La Source,
lieutenant et dites-lui que, réflexion
vous refusez de rendre volontairement vos passe outre
décide de vous
galons.
S'il
casser,
vous demanderez à parler au colonel
je
vous accompagnerai
Oh
!
le
regard que
tant parler!
Il
y
et
et,
s'il
;
nous verrons.
me jeta le capitaine en m'écou-
avait dans ce regard de la stupeur
de l'indignation devant tant d'inconscience!
et
— Alors,
vous ne vous rendez pas compte,
vous refusez de vous rendre
compte de
la gravité
de votre faute?
Non, dis
je
ne m'en rendais pas compte. Je ne
pas en propres termes, mais
mon
mon
le
attitude et
regard attestaient que je ne m'en rendais
pas compte.
—
J'aurai donc
le
déplaisir de
demander votre
cassation. Considérez-vous, dès maintenant,
comme
déchu de votre grade. M'être élevé, à force de vaillance et de génie,
aux premiers rangs de l'armée
quement au
dernier, cela
me
et
retomber brus-
sembla dur.
J'essayai cependant d'espérer que le capitaine
ne mettrait pas à exécution sa menace.
235
TÊTE-A-VACHE Vain espoir
!
me
Quelques jours après, on vient
— —
Le colonel demande à vous
Ça y
Sur ces coste
est
!
chercher
:
parler.
pensai-je.
entrefaites,
un de mes caporaux m'ac-
:
—
combien
Sergent,
envoyer ce
—
soir à la
d'.hommes
faudra-t-il
corvée de bois?
Je ne suis plus votre sergent, lui dis-je.
Et, laissant le caporal les
yeux
écarquillés, je
m'éloigne.
En
arrivant près
du poste du
à la porte un groupe formé par
ray
le
La
de
—
commandant de
colonel de Malle-
Bélenet, et
capitaine
le
Source.
Oh
capitaine
Que
le
colonel, je vois
là
1
!
!
là
Mais
!
deux
c'est
officiers supérieurs et
un
un
vrai conseil de guerre.
va-t-il advenir de moi, Seigneur?...
Je
m'approche.
Je prends la
taire.
Je salue. Mais je n'ai pas
tre la
main dans
le
le
position
mili-
temps de remet-
rang que vers moi trois mains
se tendent.
J'hésite. Suis-je le jouet
dit
dans
les tragédies.
d'un songe?
Mais non,
même
comme on
les visages
mes supérieurs
sourient,
et leur poignée
de main m'est bien destinée.
celui
du
de
capitaine,
236
FACE A FACE
me
Je
laisse
m'entends lance et
féliciter
ma
comprendre,
sans
faire
chaleureusement sur
et
ma
superbe conduite au combat du
je
vail-
i^^ jan-
vier.
Je pense
:
— Allons, Et
bon
;
encore la légende
!
une protestation qu'on écoute
je bredouille
en hochant des têtes incrédules.
— s'il
En
fais-je,
en désespoir de cause,
en est qui méritent des éloges en
sont
mes
Que La
de
tout cas,
l'affaire,
ce
poilus.
Le capitaine
passé, je l'ignore.
s'était-il
Source,
qui était,
au fond,
le
meilleur
des hommes, m'avait-il, craignant d'avoir poussé sévérité
la
loin,
l'ai
jamais
tion? Je ne
Ce que
ménagé
trop
j'allai
me
retrouvai
soldat
sergent
et
France ni
même
exemple d'une
si
dans
ait,
que, de
;
que,
comme
Je ne pense pas qu'il y
qu'en l'espace
du grade de sergent
à celui de général de brigade simple
compensa-
su,
je sais seulement, c'est
de quelques jours,
retombai
cette
prodigieuse et
je
finalement,
je
devant.
dans
l'histoire
là,
l'histoire
de tous si
les
de la pays,
soudaine
élé-
vation, suivie d'une chute aussi soudaine et aussi prodigieuse...
237
TÊTE-A-VACHE
VI
COMME
IL
Y A DIX MILLE ANS
L'hiver vient vite sur les' Hauts-de-Meuse et, dès la mi-novembre, la bise gelée qui soufflait des Vosges faisait faire aux guetteurs
le
gros dos
sous la toile de tente drapée en manteau. C'est dans les derniers jours de
19 novembre exactement
novembre,
le
— date mémorable — !
que l'autorisation nous fut donnée d'allumer des feux.
Quelle joie
!
Les pics eurent tôt
fait
de creuser, dans
parapets, des fours énormes
mèrent à travers
les
chênes
des brasiers flambèrent
;
et,
dont
les
haches
les
s'escri-
dès la nuit venue, la tradition
perdue depuis que se sont écroulées
les
était
cheminées
colossales des châteaux féodaux.
A tives
partir de ce jour béni, des mains, plus atten-
que
celles
des Vestales, veillèrent à ce que
ne s'éteignît jamais brûlaient
branches
les ;
le
feu sacré. Toute la nuit
troncs d'arbres
puis,
et
au petit jour, sur
les le
maîtresses
foyer incan-
FACE A FACE
238
descent, des souches mortes étaient posées qui,
consumant lentement, sans flamme
se
fumée, entretenaient
et
la braise jusqu'à la
sans
tombée
de l'ombre. C'était là notre seul luxe. jour,
Nous en
rêvions, le
pendant nos longues stations dans
les tran-
chées, les pieds dans la boue. Réunis le soir autour
des feux, nous mêlions la fumée de nos pipes à l'acre
fumée des chênes. Les uns écrivaient pen-
chés vers la lueur tremblotante
;
les autres
échan-
geaient leurs idées sur la guerre et refaisaient la
carte de l'Europe avec une fantaisie profondément
dédaigneuse des atlas et de l'ethnographie...
Des chansons du pays terminaient une vision étrange que
C'était
hommes
la soirée. celle
de ces
aux accoutrements bizarres, qu'éclairait danse précipitée des flammes.
On
se
seule
la
serait
cru transporté tout à coup à dix mille ans
en
arrière,
au temps de l'homme des cavernes...
Cette impression, je l'eus une nuit, saisissante
comme une
Ma côte
hallucination...
compagnie occupait des tranchées, à mi-
un furieux vent rues
neigeait.
Emportées par
d'est, des rafales
de neige, accou-
d'une coUine.
11
du fond d'une gorge
étroite,
montaient à
l'assaut de nos tranchées, les fouettaient de leurs
239'
TETE-A-VACHE tourbillons, et disparaissaient
dans
la nuit
avec
des hurlements de louves blessées.
Dans
casemate creusée à quelques mètres
la
C'était
en
de
arrière
d'hommes cercle,
une vision étrange...
la
première
(p. 238).
ligne,
une dizaine
étaient assis autour d'un feu, en demi-
attendant leur tour de garde.
Le foyer
était
large,
mais peu élevé,
et
les
flammes, tout de suite avalées par la cheminée,
'240
FACE A FACE
n'éclairaient les
hommes
qu'à demi, laissant leurs
bustes dans l'ombre, ainsi que
haut de
le
la case-
mate.
De
leurs souliers et de leurs jambières, plus de
trace
;
mais des bottes de boue séchée leur mon-
taient
à
Descendues
mi-cuisse.
peaux de mouton traînaient à
les
cartouchières
les
et
les
bretelles
des
épaules,
terre,
cachant
de
passe-montagnes boueux, entrés sur
tombés jusqu'aux yeux, leur
et
nières.
des
Une barbe
jolies, et
visage,
que
il
les
«
avec
n'y avait
yeux qui
plus d'humain, dans
».
Mon
limites de la conscience.
pleine
préhistoire,
hommes
se
peaux non tannées,
riture
que
la
allait
me
aux temps
laient de
fumais
aux
s'amincissant
jusque par delà
Je
terraient dans
je
rêve, se mêlant
se volatilisant
et
le
dans l'ombre.
luisaient
de Tépaisse fumée,
elle,
oreilles
hirsute mangeait ce qui restait
pipe de guerre
volutes
les
Des
faisaient des cri-
Debout, appuyé contre une paroi,
ma
cuir.
les
voyais jeté en
où
lointains
les cavernes,
et n'avaient
les
s'habil-
de nour-
chair des bêtes.
Ces pas lourds, résonnant à la porte, n'étaientce pas ceux de la sentinelle chargée par la tribu
de
signaler
daient-ils?
l'approche
Tout à
d'un
l'heure,
fauve? sans
Qu'atten-
doute,
je
les
TÊTE-A-VACHE
241
verrais se lever, étirer leurs grands corps et partir
pour
la chasse
avec leurs lances de silex et leurs
massues...
Ces temps héroïques ne durèrent qu'une partie
de
l'hiver.
feux de
L'ordre vint, un jour, de supprimer les
bois.
Les
«
marmites
massacré la forêt de
telle
et les
»
sorte
haches avaient devenait
qu'il
dangereux de pratiquer de nouvelles coupes. Les cuisiniers seuls gardèrent
le droit
de pren-
dre du bois pour leurs fourneaux, à condition de s'attaquer uniquement obus.
les
11
est vrai
aux arbres abattus par
que
les
obus sont de mer-
veilleux bûcherons, et qui ne boudent pas à la besogne...
Le coke
et le
charbon de bois remplacèrent
les
Chaque casemate, chaque élément de
bûches.
tranchée, chaque abri eut son brasero.
Le pittoresque y eût perdu, si l'intendance avait pu distribuer à profusion des braseros réglementaires, mais,
hommes des
fils
se
comme
elle
ne put y parvenir,
les
fabriquèrent des chaufferettes avec
de fer entrelacés, des marmites prises aux
Boches, et
avec de
même
vieilles
des casques percés de trous
baïonnettes.
J'avais une de ces chaufferettes originales.
Un
bandit de grand chemin
— que
ne puis-je 16
FACE A FACE
242
connaître son nom, pour
des siècles
—
^
1
^
me
le livrer
la vola, et je
à l'exécration
dus
la
remplacer
par un brasero.
Comme évoque
il
les
me
mot de brasero
déplaît, ce
grands
boulevards,
et
les
d'hiver passées aux terrasses des brasseries, cigare
!
Il
soirées
un
au bec, devant des soucoupes empilées.
Que d'heures Dites,
«
gaspillées et
Poilus
»,
ô
mes
que de temps perdu frères,
n'y
!
aura-t-il,
après la guerre, rien de changé dans notre vie?
VII
TRANCHEES LE JOUR
C'est je
une de nos journées aux tranchées que
vais tâcher
de photographier
de nos journées telles que je les
ici,
mais une
ai
vécues en
janvier 1915, journées qui ne ressemblent en rien
aux journées d'automne vous
telles
les dépeindre, ni à celles
que
j'ai
essayé de
dont j'aurai à vous
entretenir par la suite, ni à celles que d'autres
ont connues sur d'autres parties du front.
La où
vie dans les tranchées varie d'après le pays
l'on se trouve
;
d'après la disposition des tran-
243
TÊTE-A-VACHE chées les
d'après l'état de la température
;
consignes données par
bataillon
ou
Mais
y
il
le colonel a,
du
;
d'après
commandant du
le
secteur...
cependant, une physionomie com-
mune
à toutes nos installations souterraines.
plus,
Taspect
même
de l'horizon
ime grande partie de notre
sur
Apremont,
Alsace,
Hauts-de-Meuse,
collines légères, couvertes
De
sensiblement
est
le
front,
Argonne
:
de bois, séparées par
des ravins dénudés ou des vallées où coule un
mince
filet
d'eau.
C'est de nos tranchées de l'est celles
du nord m'étant tout à
fait
Le jour a paru. On a mangé le café.
On
que
je parle,
inconnues.
la
soupe
a mis de côté, dans la gamelle,
et
bu
mor-
le
ceau de viande qui servira au repas du miheu du jour.
On
a parcouru à la hâte
famiUe apportées par
les lettres
les cuisiniers...
Les chefs de section font relever postes avancés. Puis ils
Un homme
de la
«
commandent
par escouade
fait
les
les
petits
corvées
la toilette
».
de la
tranchée, ramasse les papiers épars, les boîtes de
conserves vides,
les
détritus
de toutes sortes.
Ces ordures sont portées en arrière, dans quelque trou d'obus, et recouvertes de terre.
Les autres
hommes vont au
poste
du
capitaine
244
FACE A FACE
chercher pelles feuillées
et
pics.
Les uns nettoient
les
parapet d'où
les
d'autres réparent
;
infiltrations d'eau
ou
le
la gelée ont fait choir des
mottes de terre ou des pierres gissent, approfondissent
d'autres élar-
;
ou prolongent tranchées
de renfort et boyaux de communication. Inutile de dire
pas, ce
que
les
créneaux ne demeurent
temps durant, sans
surveillance.
A
l'extré-
mité de chaque tranchée, deux guetteurs sont postés.
La
et le jour
Quand
faction dure pendant la nuit une heure,
deux heures. il
a plu pendant la nuit, une corvée
supplémentaire est chargée de l'écoulement des eaux. Munis d'écopcs, des
hommes
rejettent par-
dessus les parapets l'eau accumulée dans les creux
de terrain. puisards
:
Ils
aménagent ensuite de nouveaux
trous d'un mètre de profondeur recou-
verts de rondins, qui absorberont les eaux prochaines.
Ces divers travaux ne sont pas accueilhs avec la
mauvaise humeur qui accompagne toujours
les
corvées de la caserne
reux
de remuer,
de
ankylosés, de chasser vaillent,
la
pipe ou
:
les
hommes
dégourdir le froid le
leurs
sont heu-
membres
de la nuit.
refrain
mettent leur point d'honneur à
Ils tra-
à la bouche, et faire
du
travail
245
TETE-A-VACHE «
fignolé
Deux équipes
».
comparent
différentes
volontiers le travail exécuté par chacune d'elles et s'évertuent à prouver,
la
palme
A
lui revient
chacune de son côté, que
sans conteste.
ce propos, cependant,
il
convient de faire
une remarque intéressante. Cette tait
rivalité
déjà à la caserne, mais entre
provinces différentes. Les
«
exis-
membres de
Parigots
traitaient
»
avec une condescendance méprisante
les
ciaux quels qu'ils fussent.
ligués
par
représailles contre les Parisiens, n'en étaient
pas
Ceux-ci,
provin-
pour cela plus d'accord entre eux. Les Touran-
geaux s'estimaient nettement supérieurs à leurs voisins
les
Berrichons
;
les
Lyonnais n'avaient
pas assez de sarcasmes pour la stupidité des Mor-
vandiaux. Quant aux Méridionaux, qu'ils vinssent
de Bayonne ou de Marseille, c'était pour eux un motif de stupéfaction sans cesse renouvelé que la pesanteur d'esprit et la balourdise des gens
du
Nord!
Aux chevé
tranchées, rien de pareil. le
La
guerre a para-
grand nivellement national commencé
par la Révolution. La communauté de dangers courus, de bravoure dépensée, de services rendus, a enlevé aux Français cette idée qu'ils étaient,
par
le fait
de leur naissance en
telle
ou
telle
con-
246
FACE A FACE ou inférieurs
supérieurs
trée,
à
compa-
leurs
triotes.
Un
parler
un peu
un
lent,
patois pas très com-
préhensible, des manières de se comporter inha-
dans une cham-
bituelles, cela excitait l'hilarité
Mais
brée.
aux tranchées, l'héroïsme n'a pas
un langage com-
d'accent et la baïonnette parle
préhensible à tous.
La
rivalité
la
des équipes,
se renouvellent
n'y
donc
fait
place à
comme
ces
équipes
rivalité des provinces a
a,
pour
le
se
et
et
mélangent chaque jour,
il
pays, rien à perdre et tout à gagner
dans leur émulation.
A
onze heures,
repas.
les outils sont reposés. C'est le
Menu bœuf :
bouilli et parfois
un morceau
de gruyère ou une cuillerée de confiture. Mais ces largesses de l'ordinaire sont rares.
qui peut sortir de sa musette
matin, et dont
devant
ses
il
exhibe à gestes lents
camarades réunis en
Les yeux s'allument, les
les
n'y a pas
même
il
le
du
contenu
cercle.
bouches s'entr'ouvrent,
couteaux tremblent dans
Mais aux tranchées, il
un
Heureux
colis reçu
les
mains.
n'y a pas d'indifférents,
de camarades,
il
n'y a que des
frères.
Équitablement
et
généreusement,
les
provi
i
TETE- A- VACHE
â&#x20AC;&#x201D; Aux armes
!
(p. 248).
247
248
FACE A FACE
sions
diverses
sont
partagées
entre
quart de vin les arrose. Les estomacs sont
Chacun et
se
à
relit
blottit
plaisir,
lentement
le
papier.
On
fois
de ne rien
feint
Aux armes
Ce
cri,
un regard de
camarade, toujours,
le
!
jeté par
hommes
les
lecture
voir...
— tous
cette
la
la joue, coule
a honte, on jette
côté sur le camarade, mais
satisfaits.
goulûment,
et
s'accompagne d'une larme qui, de sur
Un
dans son petit coin
alors
du matin. Plus d'une
lettre
tous.
une des
sentinelles, précipite
sur leurs fusils.
On
court aux créneaux.
De
la
tranchée adverse,
les
Boches sont
sortis
en nombre. Sans doute au courant de nos habitudes, les
ont-ils
espéré
nous surprendre
pendant
deux heures de repos accordées aux hommes
au milieu du
La
fusillade qui les accueille les
vite, et ils se
A
jour.
détrompe bien
hâtent de rentrer dans leurs trous.
peine remis de l'alerte, les
hommes s'asseoient
à leur place et goûtent un sommeil bien gagné. Ils
ne se réveillent que pour prendre la garde,
quand vient
leur tour, ou pour quelque corvée
imprévue. Puis, les cuisiniers arrivent.
249
TÊTE-A-VACHE
VIII
TRANCHÉES LA NUIT
Il
sont
cinq
est
repartis
du
heures
avec
dernier quart de
leurs
soir.
Les
marmites
vin est avalé,
les
cuisiniers
Le
vides.
sont
pipes
allumées...
Le commandant de compagnie, qui observait guettant
l'horizon,
agents de liaison à
le
crépuscule, a envoyé les
chaque chef de section pour dire
que l'heure du service de nuit Chacun, aussitôt,
A
est venue.
s'affaire.
angle droit avec la tranchée,
monte vers
ouvrages ennemis une sape que creuse
Pendant
hommes
le
et
jour,
cette sape
un caporal. Ces
six
la
les
génie.
est veillée par six
hommes,
sapeurs qui gardent toujours leur
de
le
joints
fusil
aux
à portée
main, suffisaient à assurer la surveillance.
Mais, la nuit, les sapeurs s'en vont.
Aussi renforce-t-on
la
garde par dix
hommes
nouveaux, commandés par un sergent. Celui-ci place ses sentinelles,deux à l'extrémité de la sape,
deux un peu en
arrière,
et
deux à mi-chemin
250
FACE A FACE
entre son petit poste et notre tranchée, afin d'assurer la liaison en cas d'attaque.
Dans
la
tranchée même,
blées, triplées
les sentinelles
ou quadruplées, selon
sont dou-
sur
deux doit monter
uns
se tiennent
la garde.
mais
par-ci, par-là,
que
les
un homme assoupi
les sentinelles fassent
;
yeux
bruits s'entendent de loin, la nuit,
un
les
s'il
voit,
l'important est
bonne garde.
Par contre, aucun ronflement n'est
est profond, et
yeux
Personne ne doit dormir,
de ronde ferme
l'officier
les
entre les jambes, leur
le fusil
la tête.
les
trouve devant eux,
fixés sur la plaine qui se
couverture sur
homme
Pendant que
debout aux créneaux,
autres restent assis,
dont
l'effectif
dispose la compagnie. Le principe est qu'un
éclaireur
toléré.
quand
ennemi qui
le
Les
silence
réussirait
à s'approcher d'un peu près de nos lignes ne manquerait pas d'entendre
A
le
ronfleur.
chaque heure de nuit, une ronde passe. On
perçoit dans
le
boyau un bruit de pas assourdis;
puis, soudain, la toile de tente qui ferme la tran-
chée de chaque côté, pour
ou du d'un
sous-officier
éclair,
tous
la
lampe
d'air, s'écarte, et la
protéger des courants électrique de l'officier
de ronde illumine,
les
hommes
présents.
le
temps
Un coup
d'œil suffit pour s'assurer que chacun est à sa place.
251
TÊTE-A-VACHE
Jamais, peut-on dire, aucune observation n'est
à
faire.
Les hommes connaissent trop l'importance
de leurs consignes,
ils
savent trop que
la
moindre
négligence de leur part pourrait exposer leurs
camarades et eux-mêmes à une surprise ennemie. Par
inutiles.
A mesure
que tombe
se rétrécit, les accidents
mur d'ombre
yeux deviennent
sans lune, les
les nuits
du
sol disparaissent et
se dresse juste
C'est à l'oreille
l'obscurité, la plaine
devant
que revient alors
les
le
un
créneaux.
soin de
mon-
ter la garde, c'est à elle de noter les bruits suspects
et de
donner
Qu'un de
l'éveil.
ces bruits se produise et la sentinelle
envoie aussitôt prévenir celui-ci fait,
le
chef de section. C'est à
de décider, d'après
rapport qui
le
d'après les témoignages
nelles,
si
ce
bruit
est
lui est
des autres senti-
négligeable
—
branche
qui tombe, lapin qui passe, oiseau de nuit qui volète
— ou
si,
au contraire,
il
y
a lieu d'envoyer
en avant \me patrouille.
Chaque duit,
nuit,
même
si
rien d'insolite
ne
se pro-
une patrouille au moins va inspecter
rain devant la tranchée, s'assurer
que
les fils
le ter-
de
fer
n'ont pas été coupés, que les chevaux de frise et les
anses de panier (ouvrages de défense en
barbelés) sont bien à leur place.
fils
252
FACE A FACE
Ces patrouilles sont commandées par un sousofficier.
Les deux ou
trois
hommes
qui raccom-
pagnent sont des volontaires, presque toujours
mêmes. En
les
général, les meilleurs patrouilleurs se
recrutent parmi les contrebandiers et les braconniers.
Nul ne
Nul ne
sait
sait
comme eux ramper
comme eux ramper
cer en silence, distinguer
produisent ceux
qui
à terre, avan-
à terre... (p. 252).
parmi
les bruits
qui se
présentent un caractère in-
quiétant.
Ces qualités sont particulièrement appréciées
quand fils
il
s'agit d'aller, soit
de fer assez
loin,
soit reconnaître
chée ennemie. C'est alors
comme une
tendre des réseaux de
une tran-
qu'il faut savoir glisser
couleuvre, écarter de la
main
la
bran-
TETE-A-VACHE che morte que
le
253
pied briserait, éviter de remuer
les coudrières, lesquelles,
l'homme
passé, claque-
raient contre les arbres.
La nuit coule
ainsi, le plus
souvent sans incident.
Les guetteurs sont prévenus du secteur que parcourra la patrouille, afin qu'ils s'abstiennent de tirer tant qu'elle
Sur
les
ne sera pas revenue.
autres versants, on brûle de temps en
temps une cartouche,
histoire de trouver la faction
moins longue
montrer à l'ennemi que
s'avance
A la
il
et de
s'il
trouvera à qui parler.
mesure que
les
heures succèdent aux heures,
tâche devient plus dure. Le froid monte des
pieds jusqu'aux jambes. Parfois la pluie tombe, traverse les clayonnages qui recouvrent la tranchée et s'abat sur les épaules en gouttes
précipitées. Il
Et puis
de plus en plus
la fatigue se fait
faut lutter à la fois contre
impérieuse.
le froid et le
besoin de
sommeil...
Cependant l'obscurité
Une mince bande de
est
devenue moins dense.
clarté dessine l'horizon.
Les
silhouettes des arbres, indécises d'abord, se précisent, s'accusent, se démêlent.
Le mamelon, en la
colline,
face, devient perceptible, puis
à droite, puis la tranchée ennemie...
C'est le jour
!
254
FACE A FACE
Avec
lui
apparaissent
de chaque bras et
le
cuisiniers
les
chargés
sac de pain en travers de leur
leur dos.
Cette vue agit sur tous
En même temps que à terre toutes froid,
comme un coup
de fouet.
couvertures, sont rejetées
les
les fatigues
de
la nuit.
on n'a plus sommeil. On
On
n'a plus
se précipite sur sa
gamelle, on la fait emplir de bonne soupe fumante,
on puise dans
seau au café un bon quart de
le
on
liquide brûlant, on se regarde,
sourit,
on
plai-
sante...
Dieu dans
la
que
!
la vie est belle et
tranchée
qu'on est donc bien
!
IX LE LIEUTENANT TETENOIRE
Le 19
janvier,
ma
compagnie occupait des
tranchées de réserve dans
Une attaque
le
ravin des cuisines.
contre la crête de la Tête-à- Vache se
préparait depuis plusieurs jours et je pensais
—
Pourvu qu'avec
ma
veine habituelle je ne
trouve pas encore mêlé à cette
Avec un grand soulagement,
:
me
affaire.
j'appris
que
la
255
TÊTE-A-VACHE
mener
11^ compagnie devait
M.
taine,
un brave entre
Potier,
Le
l'attaque. les
capi-
braves, avait,
à en croire la rumeur publique, réclamé pour ses
hommes
l'honneur de la première charge.. Est-ce
exact? Je l'ignore
;
n'y a
il
du moins
là
que
très vraisemblable.
^^
Il
y avait à
la
11^,
avec
le
deux sous-lieutenants, Têtenoire deux
les
arrivés
au front de
capitaine
et Boiseau, tous
comme
retrouvé à Gray, au 62® territorial, avait
même temps que moi
dépôt
le retint
Potier,
l'avant-veille.
Bourges
de
enfant
Têtenoire,
en
rien
moi,
demandé
à passer au 95®, mais
le
plus longtemps que ne l'eût voulu
son impatience.
— Tu
es fichu de tuer tous ces
me
Boches,
dit-il,
en
me
serrant la
cochons de
main quand
partis de Bourges en octobre. Laisse-moi au
peau d'un pour m'en Paris avait
faire
marqué de son empreinte
lèvres sa
cigarette,
la ;
la
un perpétuel
bouche des
fester sa
moins la
une blague à tabac
rhon émigré tout jeune dans
que
je
la capitale.
1
ce Berri-
Pas plus
plaisanterie ne quittait ses sourire, creusait
sillons indélébiles, et,
mauvaise humeur
—
si
aux coins de pour mani-
par hasard...
—
il
ne connaissait pas d'autre façon que d'accentuer son sourire.
256
FACE A FACE
un de
C'était
autour d'eux qu'il avait lui
la
ces heureux caractères qui font
lumière et
le soleil.
Les
hommes
amenés du dépôt ne juraient que par
— après deux jours
!
Je rencontrai Têtenoire et Boiseau au coin de
ma
cagna,
le
— Alors, — Paraît,
19 au
soir.
dis-je à Têtenoire, c'est
mon
vieux
;
pour demain?
notre cadeau de
c'est
bienvenue.
— —
pas d'émotion?
Et...
Pftt
regardé?
des émotions
!
comme moi Une seconde, puis
laid
—
!
tu ne m'as donc pas
mort ne voudrait pas d'un vieux tout
la
!
Allons,
quoi,
un hareng saur qui
:
secoue-toi
!
tu
ressembles à
aurait des peines de
cœur
!
Ces paroles s'adressaient à son camarade Boiseau
—
qui,
demeurait taciturne et
lui,
Je n'ai pas envie de
je sais
rire,
sombre.
répondit Boiseau
;
trop bien ce qui m'attend.
Les pressentiments du malheureux ne paient pas
;
il
fut,
le
le
trom-
lendemain, une des pre-
mières victimes...
Une grande onzième,
partie de la nuit, les
hommes
de
la
imitant leurs ancêtres des Gaules, se pré-
parèrent au combat par des chants et des
rires.
257
TÊTE-A-VACHE
Ecrites les dernières lettres, les uns jouèrent la
manille d'adieux, les autres organisèrent
un con-
cert.
Et chait
je pensais
aux
leurs
les
écoutant
— ma cagna tou-
:
— Aurais-tu et ce
en
à leur place cette liberté d'esprit
courage tranquille?...
Ils
n^ font pas de
litté-
rature ni de psychologie, eux, ces braves gens à qui, peut-être,
en ton for intérieur, tu préfères ton
moi superbe
ils
;
de patriotisme,
ne
se
posent pas en professeurs
ne coupent pas des cheveux
ils
en quatre, et ce que peuvent donner
ments à
l'analyse,
peu
bien
Feiwa. senti-
chaut.
leur
Et
cependant...
Le 20 au matin, par
les
boyaux
glissants, la
colonne monte au plateau. Les places des sections ont été
tirées
au
sort.
couchent à plat ventre dans le
Les
hommes
la neige,
attendant
Le capitaine Potier parcourt
signal.
se
le
front
entier d'attaque. L'artillerie
commence le
pièces de l'étang
;
feu
puis les 75
;
;
d'abord
les grosses
puis les 80, et les
canons-revolvers.
Soudain, une explosion formidable qui nous tressauter,
réserve
:
fait
nous autres, dans nos tranchées de
ce sont les pétards que
le
génie a posés 17
258
tACÈ A FACE
pendant
nuit et qui éclalcnt, bouleversant les
la
défenses barbelées de l'ennemi.
Le colonel de Bélenet(l) dant Barra,
suit,
qui, assisté
d'une tranchée de première ligne,
du drame, lance une
les péripéties
du comman-
fusée-signal.
première vague part, baïonnette haute, aux
En avant » Des hommes tombent
répétés de
Une
!
dès
premiers pas.
les
mitrailleuse prend la vague de flanc et fauche
de gauche presque entière, y compris
la section le
«
:
La cris
sous-lieutenant Boiseau.
n'a pas
un
meilleur sort
balles la déciment
mande
;
arrive avec
ouvrages ennemis
;
le
;
les
La
section de droite
grenades à
fusil et les
sergent-major qui
la
com-
deux hommes seulement aux ils
sautent à
l'intérieur...
Que
sont-ils devenus?...
Seule, la section
dommage tête
les
;
la
tranchée boche,
Précédant
le
joue..., le
Un
tire et le
Boche à (1)
deuxième
la
parapet de il
atteint sans trop de le
sergent de
Thé en
occupants sont massacrés.
Potier s'élance. sur
du centre
vague,
le
capitaine
grand diable de Boche, monté la
deuxième
ligne, le
manque une de nos ;
met en
balles jette
terre.
Le commandant de Bélenet dont
haut avait été entre temps
nommé
il
a été parlé plus
colonel du régiment.
259
TÊTE-A-VACHE vague dont
C'est au tour de la troisième
partie Têtenoire
:
— Oui, mon vieux
«
filon
J'aurais
!
moins
on
si
de
:
la troisième
Têtenoire
ensuite
racontait
fait
préféré
on
est tué,
;
tu
d'un
parles
première vague
la
me
vague,
au
;
à quoi s'en tenir. Tandis
sait
dans son trou, on a beau
se
raconter des mots d'esprit à soi-même, c'est
le
qu'à attendre,
là,
diable pour se faire rire.
Nous parcourons
les trois
quarts du chemin sans trop de mal. Je pense. Allons, ça va
»
!
ça va
même
Je pourrai retourner à l'assemblée de lage
!
mon
tout
hommes
à
coup,
deuxième
en
placée
sont tués
— Sale boulot
;
!
une
ligne,
se
démasque.
d'autres blessés
que
je
me
Pas plus tôt ceci dit que
balle
sur
dans
un
dis.
l'épaule. Je
lit
Pouf
:
Faudra que
!
me
je
!...
voilà
une
tombe. Devine sur quoi?
de plumes, c'était réussi
!
î
Je reste deux secondes à terre, sans bouger,
puis je pense »
:
Des
tas de fds de fer barbelés, oui, m.on vieux
Comme »
vil-
boche
mitrailleuse
demande de l'augmentation à mon patron »
!
))
Mais,
«
très bien
Voyons,
î
suis-je
voir à savoir.
mort, oui ou non? Faudrait
260
FACE A FACE J'essaye de remuer
»
Donc,
je
le
ne suis pas mort. Car
vu des morts remuer
as
bras
me
»
Alors, je
»
Y a du bon
»
Et
je
dis
peux
je
;
ne
je
;
parfait
pas
sais
si
I
tu
bras? moi pas.
les
:
!
me mets
à genoux pour rattraper les
camarades, car tu penses bien que
je n'allais
pas
m'arrêter pour une malheureuse blessure de quatre sous.
Soudain
»
:
bzim
boum
!
rappliquent en plein dans
deux
voilà
1
mon
sement, mes jumelles se jettent entre
moi
balles qui
individu. Heureules balles et
et c'est elles qui reçoivent les balles à
place. Elles sont en
marmelade mais
je n'ai
ma
pas de
mal. »
Braves jumelles
!
et
dire
jamais la médaille militaire »
Je
me
ma qui »
direction
me Je
1
refiche à plat ventre,
Les Boches m'ont vu
comme
me
boche, la
il
lever et
était
temps
tirent
ils
!
dans
des enragés. Le tronc d'arbre
protège en voit de dures
me
n'auront
qu'elles
!
dirige
à plat ventre vers
nôtre
maintenant,
je
la
suis
tranchée obligé de
côtoyer des blessés et de passer par-dessus des cadavres. Encore tranchée.
un
effort
:
je
saute
dans
la
261
TÊTE-A-VACHE
Le capitaine qui me croyait mort ouvrait de
»
grands yeux. Je
J'ai la
»
la
lui dis
:
couenne imperméable
!
(p. 261).
— Mon capitaine, faut pas vous étonner
couenne imperméable
!
»
:
j'ai
262
a face
facï:
X LE DÉJEUNER CHAMPÊTRE
Ce fut à peu près vers l'heure du départ de troisième vague que
manda
vingt
le
hommes de ma
porter des cartouches
hommes et
je
partirent
section pour aller
aux combattants. Les vingt
avec
heureux d'être
Beauvais,
sergent
le
demeurai en arrière avec
section, tout
la
lieutenant Merlin nae de-
le
laissé
reste de
la
en dehors de
l'affaire.
Cependant, une situation,
fois épuisées
des remords
pensant que
la plus
me
leia
voluptés de la
vinrent. Je rougis en
grande partie de mes
couraient des dangers sans moi, et je
hommes
me
décidai
à aller les rejoindre. Ils allaient
justement commencer leur troisième
voyage.
Les caisses de cartouches ravin,
non
loin
du poste de
douloureux pour charger en route par
le
se
prennent dans secours.
le
Un ahan
la caisse sur l'épaule, puis
boyau qui monte à
pic
Nous croisons en chemin des blessés qui,
le
visage
263
TÊTE-A-VACPE barré par l'étoffe blanche ou
descendent
A
bras en écharpe,
la colline.
nos questions anxieuses
—
le
:
Quelles nouvelles là-haut?
Y
a-t-il
beaucoup
de pertes chez nous?
Les réponses
les plus diverses et les
tendues nons sont
plus inat-
offertes.
Réponses sincères cependant. Chacun ne voit les choses,
ne juge
les
choses que de son petit coin.
Pour qui a progressé de quelques pas dans de
direction
droyante
;
l'ennemi,
notre
est
la
fou-
pour qui a dû reculer de quelques pas,
notre défaite est imminente
il
pour qui a vu tomber
;
près de lui plusieurs de ses
des plus chers,
A
offensive
compagnons d'armes,
n'y a plus de vivants au monde.
mi-côte, des 77 nous arrosent et blessent
brancardier.
Nous hâtons
le
pas.
Il
un
est d'obser-
vation banale que, pendant les attaques de tranchées, plus on se rapproche de la ligne de feu,
moins grands sont Mais les
cela, vrai
les risques.
pour
les
obus,
l'est-il
autant pour
balles? la fusillade infernale, la plus furieuse, je crois,
que
j'aie
entendue encore
!
C'est
un
véritable
océan de balles qui, parti des lignes ennemies, déferle vers
nous en vagues crêtées de
feu.
264
FACE A FACE
Les boyaux trop peu profonds ou entamés par les
obus, ne nous offrent qu'une protection déri-
soire.
Les ricochets nous auréolent.
hommes
est blessé.
Un
Un
de mes
sapeur a la tête percée de
part en part.
Tous, nous devrions être jetés à terre, troués
comme
des passoires par
mort sans Il
qu'elles
Gom-
les balles acérées.
ment pouvons-nous coudoyer
ces messagères de
nous parlent à
Fareille?...
ne tombera pas un cheveu de ta
tête
sans
ma
permission...
à
C'est
çolens, nolens,
avec il
explication
cette
ne devrait plus y avoir un
aussi
bien
que,
faut en définitive recourir, car,
il
armes meurtrières de
les
surnaturelle
chez
l'un
que
la
guerre actuelle,
seul
homme
debout,
chez
l'autre
adver-
saire.
Nous avons déposé nos de commandement, mais la
bonne
place.
caisses auprès d'un poste il
paraît que ce n'est pas
Nous attendons.
Sur ces entrefaites, un sergent que pas, se précipite vers
—
— —
Vite
!
vite
!
moi
le
je
ne connais
:
commandant
t'attend
!
Qui, moi? Oui,
démarre
!
toi,
avec
tes
hommes.
Démarre
!
TÊTE-A-VACHE
— C'est tai-je,
— c'est
il
265
bien pour les cartouches, hein? insis-
n'y a pas d'erreur?
Mais non, ce n'est pas pour
les
cartouches
:
pour renforcer la première ligne...
Je m'en doutais
!
im moment
d'irréflexion et je
me trouvais pris de nouveau dans l'engrenage, tout comme au premier janvier Mon vieux, dis-je au camarade, on m'a déjà !
—
fait le
coup pour mes étrennes
mencer, attends au premier
;
si
tu veux
le
recom-
avril.
Le sergent qui m'a regardé d'un peu pkis près s'aperçoit de son erreur.
Il
me
ment. Quelques instants après, sant une section, la bonne cette
Un
obus éclate derrière nous
vais est couvert de terre
— Trois
hommes
;
quitte précipitamil
repasse, condui-
fois. :
le
un autre
sergent Beauéclate à droite.
tués d'un coup,
me
dit
un
brancardier qui vient de ce côté en courant...
Enfin
je
puis savoir où déposer
un agent de
mes cartouches
un peu moins
;
que
les
Près de la cabane qu'il m'a montrée du doigt,
un
autres,
liaison,
me donne
adjudant
le
affairé
renseignement.
se tient, tête nue,
couvert de terre, pes-
tant contre un fusil dont la culasse rouillée s'entête à ne pas
—
Mon
manœuvrer. Je m'approche
adjudant...
:
FACE A FACE
266
—
Je donnerais bien dix
d'un ton
colère,
interrompt-il
sous,
pour connaître
fant de garce à qui appartient ce
le
nom
Mon
adjudant, est-ce bien
ici
l'en-
n'y cou-
fusil. Il
mon billet
perait pas pour la boîte, je vous en fous
—
de
que
je
!
dois
déposer mes cartouches?
— Au
vous et vos cartouches
diable,
monde en apporte ferie?
;
elles
!
tout
le
nous embarrassent. Vous
mieux d'apporter des
D'un revers de manche,
il
front et, son fusil à la main,
canettes...
essuie la sueur de son il
se
hâte vers la
fusil-
lade.
Nos line le
caisses en place,
en saluant de
nous redescendons
la tête les
la col-
77 qui tombent dans
ravin.
Je regarde à
ma montre
Puisqu'ils ont pour le
;
dix heures et demie.
moment
assez de cartouches
là-haut..,
— Mes A
amis, dis-je, c'est l'heure de déjeuner.
ces paroles, les visages s'éclairent, les
sourient.
viande
;
Le pain les
Les uns
se
musettes ainsi que
la
couteaux sont ouverts.
s'assoient sur les caisses de cartouches
les autres sur
autour de
est tiré des
yeux
la
des gabions. D'autres font porte du poste de secours
;
le cercle
et,
pour
mettre en appétit sans doute, regardent, tout
TÊTE-A-VACHE en mangeant,
267
docteur Clerc qui,
le
mains
les
ensanglantées, s'affaire auprès des blessés qu'on lui
apporte, ainsi qu'un boucher autour de son étal.
Gomme
cette halte est la bienvenue et
comme
ce déjeuner champêtre s'annonce plein de charmes
On
se
bat à 200 mètres
d'ici,
mais
!
c'est derrière la
crête. Il
va
falloir
retourner là-haut, d'accord, mais
dans une demi-heure seulement, une heure peutêtre.
Et
d'ici là
!...
Des camarades sont tombés mais un peu plus
tôt,
un peu plus
près
de
tard... et
nous,
notre
tour à nous ne tardera pas beaucoup sans doute. Ainsi doivent, en leurs cervelles menues, rêver les
moucherons quand,
continuent leurs danses.
l'hirondelle
passée,
ils
CINQUIÈME PARTIE
LE BOIS-BRU LÉ
I
LE BOIS-BRULÉ
Tout comme
les
Boches, qui, guerriers valeureux
aux premiers mois de
la guerre, s'avérèrent ensuite
simples empoisonneurs, l'hiver, sur les Hauts-de-
Meuse, après s'être annoncé par des morsures de fauve, ne sut bientôt plus que fienter
comme une
bête puante.
Hors quelques jours en décembre jours en janvier, le froid que nous
et
quelques
connûmes ne
fut pas le froid loyal, tous poils hérissés
mais par
la froidure
du
gel,
de l'humidité sournoise qui monte
les souliers saturés,
descend par
les
épaules
transpercées, et tient bientôt, entre les deux crocs
de la tenaille, la chair entière, glacée jusqu'aux os, glacée
jusqu'au sang, glacée jusqu'à l'âme.
270
FACE A FACE
Sensibles
surtout
nous furent pluie
fondue, au secteur accolé contre
neige
et
mufle de la
le
Tête-à- Vache. Là, souvent, l'eau montait jusqu'à
mi-jambe
nous dormions sur
;
boue délayée,
la
nous restions parfois huit jours de
et
pouvoir remettre nos vêtements à
Cependant
la
machine humaine
suite sans
sec.
d'un
est
si
mer-
mécanisme que, l'habitude aidant, nous
veilleux
vivions au milieu de cette boue et de cette pourri-
ture
comme
l'ordinaire,
même
les
poissons dans l'eau. Pas plus qu'à
toux
les
nombreuses,
et
rhumatismes semblaient — ô sacrilège
se bien trouver
'--'
n'étaient
!
de ce régime.
Ainsi qu'il arrive toujours, nous nous étions
attachés à notre coin de misère et ce fut sans
enthousiasme que, l'ordre venu, nous quittâmes la Tête-à- Vache Si expressif
Brûlé,
il
pour
le
Bois-Brûlé.
que puisse être ce
n'est
nom
:
Bois-
pas assez sinistre encore. C'est
Bois maudit qu'il faudrait dire ou
le
le
le
Bois
d'enfer.
Le Bois-Brûlé
fee
trouve dans la forêt d'Apre-
mont, aux confins de fort
la
Woëvre.
Il
commande au
de Liouville, à la route de Saint-Mihiel, à la
route de Commercy. Son importance stratégique est
de premier ordre, car forcées
ses
dernières
271
LE BOIS-BRULÉ futaies, ce serait
pour
les
Allemands,
le
chemin de
l'invasion grand ouvert.
Aussi
acharnement de leur part à s'en
quel
emparer! Je ne sache pas que nulle part sur la hgne de
combat, cet hiver(l), sicen'est enArgonne,lalutte ait été aussi vive.
Le nombre de
soldats tombés,
de part et d'autre, sur ce front de quelques centaines de mètres, le saura-t-on jamais?
Le
Sol
y
aucune métaphore, pétri de
est, sans
cadavres....
Les stations de chaque bataillon au Bois-Brûlé, duraient huit jours en moyenne.
Nous partons, d'un cœur se
et plus
d'un front pâlit et plus
serre.
Pendant huit
jours,
il
faudra se tenir sur
le
qui-
vive, sans faire dé bruit, sans feu, sans dormir
observer
presque,
meurtriers
l'ennemi
habituer
;
ses
par
oreilles
des
à
créneaux l'infernale
clameur des obus, des bombes, des grenades, des «bouteilles»,
comme les «
tombent, tombent, tombent,
pluie en avril
plaintes
marmite
(1)
qui
»
et
les
;
râles
entendre sans tressaiUir des camarades qu'une
a fauchés tout près de soi
1914-1915.
;
s'assoupir
272
FACE A FACE
quelques instants, soudain,
réveiller
enseveli
bombe
défoncé une
entre les jambes, et se
le fusil
;
sous
un talus qu'a
recevoir à coups de fusil une
charge de Boches et
reconduire ensuite dans
les
leurs tranchées, à coups de baïonnette
s'emparer
;
d'un ouvrage ennemi par surprise ou par force, puis le perdre, le reprendre et continuer ainsi la sinistre partie
la
de pelote
fumée des cigarettes
;
ne pas fumer, car
et des pipes formerait des
points de repère pour les grenades
et, la nuit, la
flamme de l'allumette ou du briquet apparente
;
marcher dans
marquettent laver
boire
;
derrière
;
le
sol
de la tranchée
serait trop
de sang qui
les flaques ;
ne pas se
à peine, car la fontaine est loin
manger
mains tachées
froid et avec des
du sang du camarade qu'on a pansé tout à Ce qu'est devenu mois de
luttes,
le
même un
faire
de blessures.
Les uns ont
d'un seul coup par un obus, et leurs racines en
l'air.
une
idée.
arbrisseau qui ne
tombé au champ d'honneur ou
criblé
l'heure.
Bois-Brûlé, après quatre
on ne peut s'en
Pas un arbre, pas soit
le jour,
ils
qui n'ait été été
arrachés
gisent étendus,
Les autres sont rasés à un
mètre, deux mètres, trois mètres au-dessus du
Rarement voit-on d'arbres mètres.
sol.
s'élever à plus de trois
LE BOIS-BRULÉ
Des petites branches,
il
273
n'y en a plus
:
les balles
les ont toutes coupées.
Même
désolation sur le sol
tombés en vauchent.
telle
On
quantité que
:
dirait la surface
d'un lac dont
vagues auraient été brusquement
chaque pas,
le
C'est pourtant
Le
voici, tel
solidifiées.
les
A
pied se heurte à des fusées, à des
culots, à des éclats de fonte
un de mes plus
obus y sont
les
leurs trous se che-
ou
d'acier....
au Bois-Brûlé que
jolis
que
se rattache
souvenirs de cet hiver.
je l'ai noté sur
mon
carnet de
campagne.
La redoute ennemie la
est à
cinquante mètres de
redoute française. Bombes, grenades et fusils
à qui jettera par terre
rivalisent
nombre de morts, à qui
le
plus grand
réalisera le plus étourdis-
sant vacarme.
Le
sol,
derrière nous, s'étoile de cinq flaques
de sang, car cinq des nôtres sont tombés là tout à l'heure.
Dans debout
la forêt qui ;
nous environne, plus un arbre
quelques troncs brisés demeurent seuls,
sans ime branche, sans
même une parcelle d'écorce,
tant les éclats d'obus les ont labourés, tant les balles les
ont piqués et troués de leurs dards
innombrables. 18
274
FACE A FACE
Chacun consigne
à son poste ou vaque à sa
se tient
uns guettent aux créneaux
les
:
aux meurtrières
autres tirent
cartouches ravitaillent et les
maçons réparent
chaque instant,
les
La mort plane
les
les terrassiers
brèches que font, à
projectiles.
au-dessus de la redoute,
entend remuer ses longues
nous
;
sur une
Soudain,
chêne arrachée par un obus,
emporter
souche de
tout près, à trois
là,
mètres de nos créneaux, un rouge-gorge
comme pour une
s'incline
on
Lequel de
ailes noires.
la sinistre bête de proie va-t-elle
tout à l'heure?...
les
porteurs de
les
;
les tireurs
;
se pose. Il
révérence,
agite
sa
queue, exécute plusieurs fois de suite des demis à droite
des demis à gauche, pour nous faire
et
admirer
les
bile, la tête
magnificences de sa robe
penchée de côté
nous regarde en ayant
—
lui jette
biscuit
A
immo-
et le bec en avant,
de dire
faire
du pain émietté
trempé dans du vin
manger,
n'est pas
de
puis,
il
:
Et maintenant?...
On un
l'air
;
il
:
il
le
dédaigne
venu en mendiant, mads en voisin,
un brin de causette
et
qu'il
;
point ne lui chaut.
en a tant qu'il veut dans la forêt.
de sérénité sur ces visages
On
:
Il
histoire
de mettre un peu trouve trop graves.
s'appelle d'un créneau à l'autre
;
les
hommes
LE BOIS-BRULE de corvée laissent leurs outils détache et va prévenir
— Mon
lieutenant,
— Mon
lieutenant,
Bientôt nous
vivant
le
un caporal
;
lieutenant
:
un rouge-gorge
un rouge-gorge!
se
!
(p. îTo).
sommes une vingtaine à contem-
pler l'oiseau, l'œil
Depuis
le
275
aux ouvertures.
séjour à Vignot, c'est le premier être
— à part
les
hommes
et les
Boches
—
qu'il
FACE A FACE
276
nous
soit
permis de
Les balles
voir.
ont tué ou mis en fuite tous
de
les
et les
obus
anciens habitants
la forêt.
Cependant volète de
ci
le
de
rouge-gorge là,
Puis soudain, un coup d'aile et
Ce
doux
qu'il cherchait, le
grâce à
lui,
au
s'éploie
soleil,
revient, s'élève.
une quiétude
le voilà parti.
être,
est entrée
il
l'a
obtenu
:
dans nos yeux,
nos visages se sont détendus, nos âmes se sont reposées.
Cher petit rouge-gorge
!
'
n LE RECORD DE LA TRANCHEE
On
s'est
préoccupé cet hiver, dans
de savoir à qui appartient
le
les
journaux,
record de la tranchée.
Certaines unités se sont glorifiées d'avoir passé
dans
les
tranchées, sans relève, vingt jours,
un mois,
cinq semaines, cinquante jours.
Et
je souris.
Le record de
la tranchée, je crois
mer, toute vanité mise à part, revient...
pouvoir
l'affir-
à moi
qu'il
c'est
277
LE BOIS-BRULÉ
Le temps de
ce record fut
exactement de douze
heures...
Un
matin, est-ce en février? est-ce en mars? je
vins occuper avec
ma section, une tranchée avancée
à une vingtaine de mètres de la ligne ennemie.
Notre faction ne devait durer que vingt-quatre heures.
Comme je m'étonnais de la longueur de l'ouvrage qui m'était donné à garder avec
hommes,
—
le
lieutenant
me
mes quarante
prit à part
:
Je vais vous expliquer la situation.
que vous
la connaissiez
Il
faut
pour n'être pas surpris par
événements. Percevez-vous, sous vos pieds, ces
les
coups intermittents?... Nous savons que l'ennemi a creusé une sape sous
Où
la
tranchée que vous occupez
aboutit-elle? Voilà ce
que
le
génie n'a
pu
dé-
couvrir...
— Alors?
demandai- je,
comme
il
s'arrêtait
de
parler.
— Alors,
dame, sera-ce pour aujourd'hui? ou
pour demain? ou pour après-demain?... Mais moins il
y aura d'hommes en ligne... Et moins il en sautera en
—
comme
il
l'air,
achevai-je,
s'arrêtait encore.
Je vous fais grâce des réflexions qui, à partir de la révélation
du lieutenant, bouillonnèrent dans ma
278
FACE A FACE
tête. Il
que
y en eut pour emplir une
je dis là
vie entière, et ce
doit s'entendre au pied de la lettre,
Nous savons que l'ennemi a creusé une sape sous Ja tranchée...
(p. 277).
toute vanité de conteur mise à part, et toute
litté-
rature.
Le temps
n'existe
que par
les
sensations qui
le
279
LE BOlS-BRULÉ
manifestent. Pour la Belle au bois dormant, mise
mouvement
hors du
et de la pensée, les cent années
de son sommeil coulèrent sur une feuille de lierre.
comme ime
Il
y
a,
goutte d'eau
par contre, des
ins-
tants qui, littéralement, s'éternisent, et courante est l'expression
parut un
Je
«
:
Je vécus là une heure qui
me
siècle. »
me
souviens et je
me
souviendrai toujours
d'un cauchemar qui vint hanter une de mes nuits de fièvre au cours d'une grave maladie que je
aux environs de
me
Je
la
vis partant
vingtième année, à
pour
la guerre
la caserne.
avec
mon
ment. Je pris part à des combats, à des
Une
balle
me
et conduit
dans une tour.
On m'entoura
me
humide,
coucher ni
faisait froid. Je
il
me
corps
le
La lumière ne
parvenait que par une lucarne ouverte dans faisait
régi-
batailles.
brisa la jambe. Je fus fait prisonnier
d'une lourde chaîne fixée au mur.
il
fis
le toit
;
ne pouvais ni
mettre debout à cause de
la
chaîne.
Des jours passèrent, puis des semaines
des
Au commencement, je pensais « Est-ce ne va pas venir me délivrer? La guerre doit
années.
qu'on
;
:
être finie pourtant
qu'un espoir
:
«
!
»
Puis, résigné, je n'avais plus
Si je pouvais bientôt mourir
!
»
280
FACE A FACE
Et
les
années, toujours, succédaient aux années.
Je savais, sans blancs,
que
mon
j'étais
le voir,
que mes cheveux étaient
mes membres
visage ridé,
devenu un
ratatinés,
vieillard.
Je vécus en une seule nuit, toute une longue vie
d'homme Quand
!
je
me
réveillai le
d'hôpital, je fus stupéfait claire,
des
dessus de
lits
matin, dans
au spectacle de
mon
lit
la salle
blancs, des religieuses penchées au-
mon
front ruisselant de fièvre. Je ne
comprenais pas.
—
Où vous
vieille
êtes,
sœur, mais
mon
ici,
enfant?
me
répondit une
avec nous, à l'hôpital; vous
savez bien...
Mais non, oublier en
je
un instant une
débattais contre
—
ne savais pas
mon
;
je
ne pouvais pas
vie tout entière. Je
me
cauchemar.
Pourquoi m'a-t-on enlevé de
la
tour? ce
n'était pas la peine de m'enlever de la tour, puisque je suis
un vieux
et
que
je vais
mourir
!...
Ce fut un cauchemar d'une intensité prit possession de
moi dans
la
pareille qui
tranchée minée.
Les émotions d'une longue suite d'années visitèrent en quelques heures.
sur
moi par bandes,
fouillaient
me
Elles s'abattaient
mon
coeur de leurs
281
LE BOIS-BRULE becs de proie, mettaient
ma chair et
saient de
mes
nerfs à nu, se repais-
repartaient gavées, laissant la
place à d'autres.
ma torture,
Ce qui ajoutait à
mon
garder intact
nique parmi
les
c'est
que
je devais
secret pour ne pas jeter la pa-
hommes. La douceur m'était
re-
fusée d'une confidence.
Toute
mencé à les
la
matinée
six heures
— notre
— j'entendis
faction avait les
comptais, je notais aux secondes de
l'intervalle qui les séparait l'un
disais
«
:
Avant que
de
ma
je l'avais
breuses fois depuis c'était
une ennemie
je
montre,
l'autre. Je
me
cette petite aiguille ait achevé
son tour, je serai peut-être dans l'éternité.
La mort,
com-
coups sourds;
»
déjà regardée en face de
début de
le
loyale,
la
nom-
guerre, mais
aux yeux largement
ouverts, et non une conspiratrice sournoise qui se
dérobe et cache aux
plis
de son manteau
la
cruauté
de son visage. Je voulus prier, mais au lieu de s'élancer vers ciel,
mes
prières,
aussitôt libérées,
le
se laissaient
choir au sol de tout leur poids. Les coups qui sous
mes pieds tais
retentissaient, c'était cela
aux grains de mon
que
me
comp-
rosaire.
Après quatre heures de cette torture, plus. Je
je
dirigeai vers la
je
n'y tins
casemate du lieutenant,
282 et, «
FACE A FACE
mon discours dû me laisser dans
tout en marchant, je préparai
Mon
lieutenant, vous auriez
l'ignorance.
Ma
:
situation est intolérable.
Rester
vingt heures encore avec cette menace de toutes les secondes,
dépasse mes forces. Faites-moi rele-
ver par un camarade, je vous en supplie
!
»
J'entre dans la casemate, je salue.
— —
Eh bien mon ami, qu'y a-t-il ? Mon lieutenant, j'ai grand soif !
vous
est vide... S'il
et
un peu de
restait
mon
bidon
café de ce
matin...
Au moment démarche
Le
ma
de parler, j'avais eu honte de
!
café bu,
—
et
il
avait été
j'avais la gorge desséchée et c'était bien exact,
—
mon
le
bienvenu, car
bidon était vide,
mes
retournai parmi
je
hommes.
— Vous entendez, pieds?
sergent, ces coups sous nos
me demanda l'un d'eux.
Si je les entendais
Vers onze heures,
!
le
cahute, sous long, je collai
le
parados
mon
me ma mon
bruit cessa et ce silence
fut plus pénible encore. Je m'enfermai et,
oreille
au
dans
m'étendant de sol
:
silence absolu.
J'en conclus que les préparatifs étaient terminés et
que l'explosion ne tarderait plus longtemps.
283
LE BOIS-BRULÉ Je fus confirmé dans cette impression par
le re-
gard étrange que jeta de notre côté un Boche couvert de terre qui, sur
buste par-dessus
le
parition ne dura que
— ou
clairement,
sapeur
le
deux secondes, mais
crus
lire,
une
ennemi,
coup de midi, passa son
parapet de sa tranchée. L'ap-
— dans
les
je lus
yeux du
expression
satanique
de
triomphe et de cruauté.
La
soirée se traîna
faire le
Mon
comme un
ver parti pour
tour du monde.
cœur, dans
pulsations
ou
la
les
même
minute, précipitait ses
comme
ralentissait
s'il
allait
Mon sang, tour à tour, brûlait mes veines. Ma bouche était amère, mes
s'arrêter de battre.
ou glaçait
yeux douloureux,
Quand
je
ma respiration
oppressée.
passais derrière les
pour
guetteurs
quelque ronde, je recueillais de chacun des excla-
mations apitoyées et jamais semblables
— Comme vous pâle — Gomme vous êtes congestionné — Comme vous êtes jaune êtes
:
!
!
!
Les cuisiniers apportèrent
•
unique cuillerée apaisa sur coup
ma
la
soupe dm soir
;
une
faim, mais je bus coup
deux quarts de café brûlant
et
deux quarts
d'eau glacée. Les cuisiniers repartirent. heures. Encore douze heures pareilles
Il
était six
aux douze
FACE A FACE
284
heures qui venaient de s'écouler, plus terribles
même
ma
à cause de
fatigue et de
mon-
épuise-
ment.
Dieu eut
pitié
Comme je
de moi.
sortais d'une nouvelle conférence avec
le lieutenant,
un homme de
la section
m'aborda,
brave garçon que j'estimais pour son courage et
que
je
raillais
amicalement pour
langage
son
choisi.
— Vous Nous
un volcan,
dansons sur
pas, cette fois,
me
reprocher
miné sous nos pieds
— Chut
me
savez la nouvelle?
1
demanda-t-il.
et
vous ne pourrez
mon
image. Le sol est
1
lui dis-je
en montrant plusieurs soldats
qui pouvaient nous entendre. Pas devant eux
— Eux? mais section est
ils le
savent
au courant. C'est
Tout
!
le
le
monde
!
à la
planton du colonel
qui vient de nous renseigner. Mais rassurez- vous les
Oh
l
oui, elles étaient à la
stances, les
de
;
âmes sont à la hauteur des circonstances. âmes
la tranchée, je
!
Quand, à nouveau,
ne
Elles étaient plus
recueillis
ou moins
ment, mais toutes égales par voulait montrer qu'« on était
— Moi,
hauteur des circon-
j'avais toujours
je
fis le
tour
que des plaisanteries. spirituelles, la
évidem-
bonne volonté. On
un peu
là
».
rêvé d'être aviateur
285
LE BOIS-BRULE
me promener en l'air comme un Boches vont me donner ce plaisir.
pour
—
oiseau.
Les
Moi, tout ce que je demande, c'est de monter
On
voulait montrer qu'on était
un peu
làf... (p. 284),
assez haut pour retomber en plein sur le nez des
Boches.
—
Moi, je suis|trop gras. LaTpoudre boche ne
sera pas assez forte pour
me
soulever..»
286
FACE A FACE
Et voilà
l'effet
que cela leur
faisait,
à eux,
la
perspective de sentir la terre voler en éclats sous leurs pieds liations de
!
J'eus là une des plus grandes humi-
ma
campagne.
Cette humiliation s'accentua encore quand je
pus constater, dans
petits
dernière partie de notre
la
que l'attente d'un éparpillement en mille
veille,
morceaux n'avait
rien de particulièrement
redoutable.
Mais
on ne
si
on tient
mon
me refusera pas,
courage en piètre estime,
je pense, le record
de
la tran-
chée. C'est
une consolation.
J'ajoute, pour terminer l'histoire que notre garde
s'acheva sans encombre. L'explosion attendue ne se produisit que quelques jours plus tard.
III
CIMETIÈRES DE CAMPAGNE
Nos morts sont maintenant enlevés de
la ligne
de
feu et ensevelis dans des cimetières attenants aux villages de l'arrière. ainsi plus
f'acile
L'entretien des tombes est
et plus facile le salut
que
les soldats
287
LE BOIS-BRULÉ
tiennent à adresser à leurs camarades, chaque fois
que
circonstances
les
le
permettent.
Mais, dans les premiers jours de la guerre, allait les
pas de
même
:
la multiplicité
il
n'en
des attaques et
dangers de circulation à travers des boyaux à peine creusés, deux raisons entre
étroits,
autres qui nécessitèrent la
dix
création de cimetières
tout près des lignes. C'est
au Bois-Brûlé que
j'ai,
pomr la première fois,
vécu dans l'intimité d'un cimetière de campagne. J'en avais déjà
vu
plusieurs,
mais dissimulés, ou
dans des bouquets d'arbres, ou derrière des
replis
de terrain, ou loin des tranchées de passage.
Au
Bois-Brûlé,
vrages, tout
le
comme
le
cimetière fait partie des ou-
poste de secours ou les abris
de commandement. L'éminence, en haut de quelle
il
se dresse est, de
chaque boyau,
la-
visible, et
nous ne pouvions circuler d'une Ugne à l'autre sans contempler ses croix graves et
La tranchée ennemie peine. Les
tombes
elle
trouve à 200 mètres à
sont-elles
coup de main? Non pas rempart et
se
!
recueillies.
donc à
la
merci d'un
car elles constituent
m'a frappé par son symbole,
anecdote que m'a contée je ne sais plus qui
Une compagnie
un
cette
:
recule devant des forces alle-
mandes supérieures en nombre. Un
officier s'efforce
288
FACE A FACE
vainement d'arrêter cause,
s'écrie
il
la
déroute
en montrant
—
Et ceux-là, vous allez
Et
les
hommes
le
en désespoir de
et,
cimetière
:
les laisser aussi
s'arrêtent et
ils
!
repoussent
l'as-
saillant.
Tous
mune
ces cimetières ont
sur chaque
:
marqué au bordent
les
tôle.
même
croix avec le
un nom
bois ou gravé sur
Des pierres d'égale grosseur
tumulus. Les fleurs du printemps ou de à la faveur de l'aube, viennent exha-
l'été, cueillies
ler là leur
tombe une
rouge à
fer
une plaque de
une physionomie com-
âme
pins, arrachés
odorante. Et l'hiver, de jeunes sa-
dans
la forêt et transplantés sur les
tombes, marquent, par leur verdeur persistante,
la
force de notre persistant souvenir...
mères, ô
filles,
ô fiancées, ô veuves, pardon-
nez-moi ce blasphème. Mais quel que
soit
l'amour
que vous portiez à vos morts, vous ne sauriez donner à leurs dépouilles plus de soins pieux que ceux
dont nous «
X...,
les
entourons nous-mêmes...
mort glorieusement à l'attaque
tombé
du...
»
«
X...,
en défendant sa tranchée.
»
«
X... tué en s'emparant d'un ouvrage ennemi.
»
Toutes
le...,
les inscriptions se
ressemblent. Et
comment
différencier des héroïsmes qui, tous, ont leur fonde-
ment sur l'amour de la patrie et le mépris du danger ?
Parfois,
289
BOIS-BRULÉ
LE
cependant, des emblèmes rompent
monotonie du décor. C'est un képi qui coiffe ime croix milieu
du tumulus
celui qui est là?...)
;
c'est
(l'éclat ;
c'est
un
la
criblé de balles
au
éclat d'obus posé
sans doute qui a frappé
une couronne, achetée à
ville
voisine, ou une plaque émaillée, dont
d'un
frère,
la
la piété
d'un parent, d'un ami voisin de combat
du disparu, a tenu à
faire
hommage à
celui qu'il
aimait.
Quels sont
les
sentiments qu'éveille le côtoiement
quotidien des morts?
11
faudrait, pour répondre à
cette question, avoir la clé des âmes. J'ai cru re-
marquer toutefois plus de dans
les
colère
que de mélancolie
regards jetés sur les cimetières. Pleurer les
morts ? geste vain et sans portée ; mieux vaut songer à
venger.
les
Pour moi, quand
je
contemple
la
longue théorie
de mes années perdues dans une agitation vaine,
quand que
je réfléchis à tout ce
je n'ai
pas
été, je
que j'aurais pu être et
ne puis m'empêcher de
ja-
louser les morts. Ils
sont tombés dans l'exaltation d'un
combat
et les voici qui s'offrent, glorieux et purs, à l'affec-
tion et à l'admiration de tout Il
un peuple.
n'est pas de méditation plus salutaire
que
celle
qui se déroule, au son du canon proche, par devant 19
290
FACE A FACE
un cimetière de campagne,
me
nion avec ceux qui
me
nuit tombante, à
De
commu-
et c'est là, en
regardent, que j'aime, la
recueillir.
ces cimetières,
il
y en a cependant près
des-
quels je ne puis passer sans détourner la tête. Non,
vraiment, je ne saurais fixer mes yeux sur qui se dressent
Ce sont
les
croix
j'ai
con-
là.
les croix
qui abritent ceux que
nus, ceux que j'ai aimés, et qui, vivants et souriants
un matin d'attaque,
n'étaient plus,
le
venu,
soir
qu'une masse inerte et sanglante.
O
cœur qui
hypocrisie d'un
pas craindre
la
mort
s'enorgueillit de
et qui, superbe et
dédaigneux
loin d'elle, devient haletant et frémissant
que
fois
Si
mes
ses ailes le frôlent
seulement
je savais
disparus, et
vais accomplir
si,
chaque
!
où
ils
se trouvent, tous
m'armant de courage,
mon
ne
je
pou-
lugubre pèlerinage jusqu'au
y a des tombes anonymes, et si voulais rassembler tous mes morts, combien de
bout je
!
Mais non,
manquants à
il
l'appel
!
Des tombes anonymes? Hélas comprendra, je pense, sans que Mais, ô mères, ô
filles,
!
oui.
j'insiste
Et
l'on
ô veuves, ô fiancées, qu'im-
porte ? Sur la terre une seule France et dans
un
seul Dieu.
me
davantage.
le ciel
BOIS-BRULÉ
LE
Un
seul
amour.
nom
Les tombes sans
Ceux qui reposent
là
n'étaient pas assez
:
Dans
ils
ont donné leur dépouille.
les
France
la
sépare d'elle
les
pour
elle et,
sont les plus glorieuses.
avaient donné leur vie. Ce
amour de
leur furieux
voulu qu'on à
291
retrouver,
ils
;
il
ils
n'ont pas
se sont incorporés
faudrait fouiller et
retourner toute la terre française. Si je dois
pas
mon
tomber à mon tour, qu'on n'embusque
cadavre à
l'arrière
:
cela est
ma volonté.
Je veux reposer à côté de mes gars dans cimetières de croix sur
campagne de
ma tombe
:
la
la croix
grande
un des
forêt.
Une
de l'espérance, mais
pas de nom. Je veux être
un de
tombe de qui pourront rer toutes les robes
Et
toi,
mon
ces morts
anonymes sur
la
s'agenouiller, prier et pleu-
de deuil.
Dieu, bénis toutes les tombes.
IV LE CAPORAL HATTON
Nos journées de réserve dit,
à compléter
les
se
passaient,
l'ai-je
ouvrages de défense du Bois-
FACE A FACE
292
Brûlé ; nos journées et nos nuits même, fortifier certains points, visibles
—
car pour
des observatoires
ennemis, on ne pouvait travailler qu'à la nuit noire.
Presque toujours
nous
imposer
travaillions alors,
ou
la neige
la
pluie venait
compagnie importune.
Nous
encapuchonnés dans nos
toiles
sa
de tente, semblables à des moines en train de creu-
tombeaux.
ser leurs
De nos cagnas
à
nos chantiers,
chemin,
le
allongé par le serpent ement des boyaux, s'étendait
sur près de deux kilomètres. les
Ceux qui ont pratiqué
tranchées comprendront ce que
marche,
la
boyaux.
On
nuit, le long de se
une
deux kilomètres de
cogne l'épaule aux pare-éclats, on
s'accroche aux racines, pierre
signifie
le
pied bute contre une
ou s'enfonce dans une flaque d'eau,
le
front
se bosselé à toutes les traverses.
De
place en place,
comblé
un
le
un 105 a heurté
le
parapet et
boyau d'un amoncellement de
arbre, fauché
par
la
serpe
d'un
terre
150,
;
s'est
planté au beau milieu du passage. Parfois une troupe s'en vient en sens contraire
avec des planches, des gabions, des sacs de grenades
ou de cartouches. le talus
pour
Il
faut alors se hisser par-dessus
laisser libre le
chemin,
et
quand
la
pluie
tombe
et
293
BOIS-BRULÉ
LE
que
même
la
opération se répète à
plusieurs reprises, on se trouve entouré bientôt
d'une gaine de boue qui ne laisse visible aucune parcelle de la vêture.
Cette existence,
terne et triste à qui l'entend
si
conter, elle coulait pour nous sans regret et sans plainte.
A
travers la pluie et la tâche fatigante,
nous apercevions la
le
bon
Un
cagna hospitalière. d'un
assaisonné
repos, à la rentrée, dans
tasse de thé bien chaud,
bûches de chêne,
quignon de pain
morceau
gros
d'appétit,
sec,
une
une large flambée de
et voilà les fatigues oubliées, les
visages détendus, les cœurs heureux de vivre.
Souvent, au retour d'une de ces corvées nocturnes sous un
ciel
inclément, je contemplais avec
hommes
attendrissement mes vaillance
songeant à la
et,
déployée par eux devant la mort au
cours des attaques et des bombardements, à leur
indomptable bonne humeur devant
monotone,
et le travail
quels rudes
hommes
je
le
me
les
intempéries
plaisais à
m'imaginer
pays
allait
avoir en eux
après la guerre.
Pourtant,
que
j'avais
le
croiriez-vous?
vus au feu
antipatriote,
le
si
caporal
Parmi ces soldats
superbes,
il
se trouvait
Hatton, celui-là
dont à deux reprises je vous
ai
un
même
vanté la bravoure.
FACE A FACE
294
Hatton
était
typographe de son métier
beaucoup d'ouvriers, avant
comme
et,
la guerre,
estimait
il
inconciliables le syndicat et la patrie. C'est
une opinion que
là
Allemands, de
les
passage chez nous, déclaraient appuyée sur la philosophie la plus
Hatton peut
scientifique...
vanter
se
occupé
d'avoir
ma
pensée plus souvent qu'à son tour.
—
Mon
cher Hatton,
qu'une de
lui disais-je,
ses sorties habituelles contre la patrie,
vous vous excitez bien à tort
Quand
dupes.
mières le
fois,
je
:
nous ne serons pas
vous entendis parler,
les
pre-
l'impression fut déplorable, je ne vous
cacherai pas.
demandai
après quel-
s'il
A
plusieurs reprises
mon
n'était pas de
faire enlever des galons qui
même,
je
me
devoir de vous
vous permettaient de
répandre plus facilement des doctrines funestes...
—
Cela m'est bien égal, interrompait Hatton,
d'être
—
ou non cabot
!
Non, cela ne vous
est
on vous nommera sergent, bientôt, je l'espère,
pas égal,
—
— vous serez •
et
ce qui le
quand
arrivera
premier à vous
adresser des félicitations chaleureuses. Mauvaise tête et
bon cœur,
comme On
la définition classique
vous va
à nul autre.
—
n'a
qu'une
peau,
rétorquait
Hatton,
et
si
Je
ma
perds
peau,
— Vous êtes trop mon temps
me
ne
il
restera rien.
pour que
intelligent
y a des choses
mort
est la vie sans
et la vie sans liberté, et la vie sans
Mais vous
perde
je
Il
à réfuter ce sophisme.
préférables à la vie. Pire que la
honneur,
295
BOIS-BRULÉ
LE
amour.
savez bien. Si vous avez encore vos
le
galons rouges et
si
bientôt vous aurez des galons
dorés, c'est parce que je
25 novembre,
le
l*^*"
vous
vu à
ai
janvier, et
l'œuvre, le
chaque
fois
qu'a
craché la mitraille...
—
J'ai fait
—
Non, vous n'avez pas
monde, mais
comme je
l'ai
tout
le
monde.
comme
fait
bien remarqué déjà
tout le :
vous
avez honte de votre courage, vous vous en voulez
de
bien
déchéance
vous
battre
;
cela
Vous n'avez pas
!
monde, car tout
le
monde a
vous fait
été
semble
comme
une
tout le
brave ces jours-là,
mais vous seul êtes resté souriant. «
Vous avez plutôt un
Hatton, et
les paroles
sale caractère,
de votre bouche... mais passons. Or, d'attaque et de crapouillottage, cruste à vos lèvres et
mon
cher
qui sortent habituellement
demeure
le
les
sourire
jours s'in-
là jusqu'à la fin.
Par exemple, vous vous rattrapez bien,
l'affaire
terminée. Qu'est-ce qu'ils prennent, vos malheu-
reux poilus
I
296
FACE A FACE
Éclat de rire général. Et Hatton, mi-content,
mi-fâché
—
:
Je suis ce que je suis
;
mais vous ne
me
ferez
pas dire que la guerre n'est pas absurde.
— Allez
raconter cela à Guillaume
Votre réflexion
alors.
est
un exemple
!
disais-je
parfait de la
façon dont raisonnaient beaucoup de vos amis
avant
la guerre. Idéalistes incorrigibles,
saient d'ouvrir les
yeux aux sombres
ce qu'une chose était bonne,
Hélas
qu'elle était nécessaire.
bon,
lui aussi,
bonne
la
ils !
ils
refu-
réalités et
de
en concluaient
printemps est
le
douce chaleur du
soleil,
pourtant nous voici depuis plusieurs semaines,
et
sous un ciel pourri, obligés de patauger, du matin
au
soir,
dans
la neige fondue.
aussi bien décréter le perpétuel
paix perpétuelle
:
Vous pouvez tout beau temps que
la
vos deux gestes auront une
égale valeur... Il
avec
y a près d'un an que je devisais de la le caporal Hatton dans les cagnas du
Brûlé.
La
guerre a eu sur
lui
comme
d'autres une influence heureuse.
maintenant,
la
croix
de guerre
sorte
Bois-
sur beaucoup
Il
est
orne
sergent sa
poi-
trine.
—
Et Hatton, demandai-je récemment à un
de ses nouveaux chefs, toujours sombre?
— Sombre, soir
il
ne
que
fait
rire
du matin au
!
De il
lui?
297
BOIS-BRULÉ
LE
cette expérience et d'expériences semblables,
ressort
que
séjour
le
moins profitable à
aux tranchées
la santé
n'est
de l'âme qu'à
celle
pas
du
corps.
EN FAMILLE...
Quand ma
section n'allait pas en corvée la nuit,
on l'occupait,
le jour,
à approfondir
les
boyaux
des deuxièmes lignes.
Souvent
les
shrapnels
interrompaient
besogne et nous obligeaient à
dans ces
les abris. Mais,
bombardements
aller
notre
chercher refuge
à de rares exceptions près,
restaient inoffensifs
:
les arbres
demeurés debout s'opposaient, de tous leurs troncs mutilés, à l'action des jumelles ennemies et les
empêchaient de repérer leur
Le
soir, la
tir.
tâche terminée, nous nous réunissions
dans nos cagnas, autour des feux,
et
nous prolon-
gions, durant plusieurs heures, des veillées
nous donnaient
l'illusion
J'aimais ces réunions
;
qui
des veillées famihales. elles
me
permettaient
•
298
FACE A FACE dans l'intimité de mes
d'entrer
procuraient travail
à
mon
une détente
hommes
;
elles
imagination sans cesse
au
salutaire.
Chacun prenait place à
sa fantaisie.
Quelques dormeurs acharnés s'étendaient sur la
couche de
feuilles sèches, sitôt
bu
leur quart de
fermés jusqu'au lende-
café, et ronflaient à poings
main matin. Des joueurs de manille
se groupaient
autour
d'une bougie, à laquelle un pieu enfoncé dans sol
servait
de chandelier.
L'heureux possesseur d'un journal du jour rara avis
—
gourmande
le
s'attablait à son festin avec
—
une mine
quatre pages depuis la
et dévorait les
première ligne du titre jusqu'à la dernière ligne des annonces, indifférent aux regards affamés qui suivaient la lecture interminable, attendant leur
tour de pâtée.
Les autres
hommes
causaient.
Cette conversation vagabondait ainsi qu'il est d'usage, parfois plaisante, plus souvent sérieuse.
La
guerre imprime aux esprits une gravité remar-
quable. laisser
On
veut savoir pourquoi nous avons dû
envahir notre pays
pu poursuivre
ses
;
pourquoi l'ennemi n'a
avantages
;
quelles raisons rai-
sonnées expliquent et justifient la conviction de
LE
notre victoire inéluctable
fait
les
;
;
aux agresseurs pour
infligé
299
BOIS-BRULÉ
quel châtiment sera leur abominable for-
quels changements apportera la guerre dans
conditions de la vie française...
Je serai bien trompé, bien déçu,
si
les
préoccu-
pations du pays demeurent après la guerre ce qu'elles
avant,
étaient
vie privée et la
si
la
même
même
frivolité préside à la
insouciance à la vie publique.
Des forces insoupçonnées s'accumulent au cœur des combattants et particulièrement chez les plus jeunes, qui ne sont pas encore cristallisés dans leurs
habitudes.
Plus s'allonge l'épreuve, et plus table
y a
il
;
là
elle est profi-
pour l'avenir une réserve de
sur-
prises heureuses.
De nos
conversations, le
thème
favori était la
famille.
La
guerre a resserré jusqu'à la souffrance les
liens entre enfants et parents, entre
maris, entre fiancées et fiancés.
Un
femmes
et
double torrent
de lettres se dirige, chaque jour, de
l'arrière
à
l'avant, de l'avant à l'arrière, torrents de feu qui
brûlent
Oh
paille rancunes, colères,
désillu-
mauvais souvenirs.
sions,
ils
comme
!
comme comme elle
quel enivrement après la victoire
vont flamber d'amour
les foyers, et
;
300
FACE A FACE
sera
notre
belle,
avec
France,
d'amour qui l'enveloppera toute Sur
femmes
les
à l'ami
le
peu de paroles
les
:
confidences et les réservait
plus intime.
Mais que
la conversation arrivât
(rapide
était
parties
au galop
pente)
la
orgueilleux,
non moins
le
les
aussitôt
L'oncle et
le
père
premier non moins
prolixe.
habituel à ces causeries
gner aux enfants
aux enfants
tout
voilà
et
les langues.
chevauchaient côte à côte,
Thème
!
et les fiancées,
une pudeur retenait
flamme
cette
d'épar-
le désir
:
horreurs vécues par nous, la
conviction que notre sacrifice ne serait pas inutile.
Et cette conclusion, toujours
—
Qu'importe,
si
pourvu que mes enfants pas ce que je vois
Aucune de
et
même
la
je suis blessé
ou
si
je
:
meurs,
mes neveux ne voient
!
ces conversations qui ne fût illustrée
:
à la moindre allusion, au moindre désir, les capotes se
déboutonnaient, d'humbles porte-cartes s'ouvraient
ou de luxueux étaient
portefeuilles,
étalées, qui
Chacun d'avares,
les
connaissait
chacun
des photographies
de main en main passaient. ces
les connaissait,
images,
trésors
à force de les
contempler, aussi parfaitement que
les siennes.
Je savais que dans une grande ville de l'ouest,
une Marcelle de cinq ans
s'ornait
du plus
ravissant
donné de contempler à des
sourire qu'il soit
En
301
BOIS-BRULÉ
LE
pères.
Limousin, quelque part, un Léon de trois ans
serrait
par la main et couvait d'un air protecteur
un Jean de dix-huit mois aux grosses jambes
A
buchantes.
ans se tenait, tellement les lèvres se
sérieuse,
si
profondément
ils
:
«
et
Madame
te connaissaient de
ma
Solange.
Ils
savaient que ta
au
ciel,
que d'elles-mêmes
s'était
plaisamment
mordre avec force
ne pas l'appeler
Et
jolie,
penchaient vers son visage, tellement
qu'il fallait se
ô
tré-
Bourges, une Marguerite de quatre
!
la
sérieuse,
langue pour
»
même,
les
camarades,
maman, avant de
s'envoler
du manteau
dépouillée pour toi
royal de sa douceur, qu'elle t'avait parée de sa grâce, qu'elle t'avait la tendresse
donné
l'éclat
de son front,
de sa bouche, la magnificence de ses
yeux, et qu'elle avait mis dans ta poitrine son âme, son
âme
transparente, que jamais ne troubla
mensonge,
ni l'envie, ni l'orgueil, ni
le
aucune des
misères humaines...
Ma
fille...
Parfois, de tous les points de l'horizon accourus, ils
venaient, les petits anges évoqués en rêve,
venaient rendre visite à leurs papas.
ils
302
FACE A FACE
Cela se produisait soudain quand, des gorges trop grosses de trop d'émotions amassées, nulle parole ne pouvait plus sortir. Ils
entraient par la porte basse, ou par la chemi-
née même, ainsi que d'adorables et tout-puissants Noëls. Ils
se
glissaient
sur nos genoux,
tonnaient entre nos bras,
ils
ils
pelo-
se
appuyaient contre nos
barbes rèches de longues boucles dorées, des joues plus douces que des pétales. Et puis
Les flammes tombantes du foyer
le
silence.
se faisaient
nos complices. Et l'on ne voyait plus dans
cagnas d'autres lueurs que prunelles.
que
le
Et
le
scintillement
les
des
l'on n'entendait plus d'autre bruit
battement tumultueux des cœurs.
VI OFFICIERS ET SOLDATS FRANÇAIS
Par un matin triste de mars,
alors
que de chaque
branche tombaient des gouttelettes de brouillard, je résolus d'écrire ces souvenirs.
Était-ce le
temps mélancolique ou
les
bruits
d'attaque qui depuis plusieurs jours couraient
BOIS-BRULÉ
LE
303
parmi nous?... De sombres pressentiments autour de moi rôdaient et
le
mon
terme que j'assignais à
du
existence ne dépassait pas les derniers jours
printemps.
ma
J'eus peur de disparaître en ne laissant à petite ni
—
fille
avait trois ans alors
elle
testament
Comment
moral.
—
ni lettre
connaîtrait-elle
plus tard l'âme inquiète et tendre de son papa?
comment de
la
dégagerait-elle son
ombre des ombres
mort? comment pourrait-elle
se chauffer
à son amour?... Il
pour juger ces souvenirs, penser
faut,
furent écrits à l'intention de digressions
oiseuses
;
ma
fille.
De
qu'ils là ces
de là ces confidences qui
n'intéressent personne en dehors d'elle.
Je creusai pour
une des parois de
mon
ma
encrier
cagna
mes genoux me
tallée sur
;
une niche dans
une planchette
servit
de pupitre
;
ins-
une
mon porte-plume. Et je me mis à l'œuvre, ma petite Solange assise en face de moi et qui me souriait avec son sourire
branchette taillée fut
adorable. Or,
si,
la nuit,
nous avions licence d'allumer
les
forges de Vulcain, à condition toutefois d'éteindre
du dehors tente,
il
l'éclat
fallait,
de
la
flamme par nos
toiles
de
bien avant l'aube, faire dispa-
304
FACE A FACE
fumée à cause de
raître toute
Le charbon
allait, ainsi
l'artillerie
que de
justice,
ennemie.
aux
pre-
mières lignes et sans doute ces souvenirs auraienttraîné en
ils
commandait
route
si
le
colonel de Bélenet qui
régiment depuis janvier et dont
le
cagna touchait aux nôtres, n'avait enjoint à
la
ses
ordonnances de partager avec nous sa provi-
sion de coke et de charbon de bois. «
Ce
fut,
mon colonel, vous
matin de neige, que
en souvient-il? par un
le sergent
hardit à aller frapper à votre
Péricard
s'en-
porte pour vous
demander l'aumône d'un peu de charbon. »
De
la hardiesse
il
lui
en
fallait,
en
effet, car,
nouveau venu parmi nous, peu connu de vos passiez près d'eux pour
hommes, vous
un chef
juste et brave, mais dur. »
Depuis, la sévérité de votre front
nuée
;
vous
les
s'est
atté-
avez vus à l'œuvre vos Berrichons,
vos Morvandiaux, vos Bourguignons
;
vous savez
quels francs guerriers cela fait, vos gars, de quels
nargue-à-la-mort
à
ils
sont capables, et vos yeux,
les regarder, s'adoucissent »
Eux, de leur
avez donnée, leur salut
ils
de tendresse.
côté, l'affection
vous
que vous leur
la rendent avec usure.
quand vous passez devant eux
dans leurs regards
:
Voyez
et lisez
))
Mon
colonel,
plus
vous avez vaincu pour nous
de votre sang
violence
difficile
que
305
BOIS-BRULÉ
LE
;
là
c'est
les victoires
une victoire
du champ de
nous nous en sou\'iendrons...
bataille
ma
:
»
Quand, malgré le brasero, l'humidité qui des claies de
la
suintait
cagna, ouverte aux quatre vents,
m'avait glacé jusqu'à la moelle, je courais
où
réfugier dans l'abri des officiers,
me
j'étais certain
de trouver, en plus de l'excellent accueil, des cigares,
une goutte, un bon
feu,
un
café brûlant.
Ainsi, chacun, du plus élevé au plus humble,
contribuait à rendre plus affectueuse et plus intime la
grande famille du régiment.
Que les Ueutenants Merlin Jacquemont reçoivent
De
ici
cette
de cette serais-je
l'expression de
camaraderie,
pas à
même
commanda
l'arrivée
Le
la
Saury
bienveillance,
combien d'exemples ne
de citer le
et
reconnaissance.
bonne volonté, de cette
omettre en ces pages qui
ma
!
Je ne puis du moins
nom du
colonel de Malleret
tranche de Tête-à-Vache avant
parmi nous du colonel de Bélenet.
colonel de Malleret avait toujours ses poches
pleines de boîtes de bonbons, de paquets de tabac,
de boîtes d'allumettes, de couteaux, de briquets, de papier à cigarettes.
Chaque matin
il
faisait sa
ronde à travers 20
les
FACE A FACE
306 tranchées les
tout en inspectant d'un œil attentif
et,
travaux de
la veille,
distribuait ses richesses
il
aux poilus rencontrés sur son chemin.
A
cette
la plus
distribution
grande
bon
si le
;
présidait
l'impartialité
soldat recevait
un cadeau
en récompense de sa bonne conduite, médiocre recevait également
ragement à mieux
Et moi
Aubert. Avec
ma
longs,
mon
l'affaire
Je rencontre
comme
cadeau, un jour, quelque
du
janvier.
1^"^
aux environs du poste
le colonel
ma
soldat
encou-
faire...
j'eus aussi
temps après
le sien
le
capote boueuse, mes cheveux
barbe longue,
mon
visage non lavé, je
dois jouer assez bien le rôle de miséreux pour portail de cathédrale.
Une
pitié brille
regarde penser
dans
sans aucun douté
;
j'osais, je lui offrirais
sous
!
sourire. Il a
me
ferait plaisir
Premier mouvement de
bouche pour
—
se dit
je le :
«
Si
bien une pièce de quarante
Je parie, sergent,
de tabac vous
la
il
;
»
Mais soudain un
—
yeux du colonel
les
Du
tabac
dire ?
trouvé
dit-il,
!
qu'un paquet
l
fierté ridicule
:
j'ouvre
:
j'en
ai
distribué ce matin
paquet à chacun de mes hommes
!
un
307
LE BOIS-BRULÉ
Mais
a
il
l'air
heureux de sa trouvaille,
si
le
colonel, et c'est d'un ton tellement satisfait qu'il
ajoute
:
— Vous savez, ma foi, je
Alors,
gourmande
—
Oh
J'eus
le
prends un
je m'écrie
merci,
!
du tabac
c'est
!
air ravi, et
d'une voix
:
mon
paquet
fin
colonel
!
de tabac,
enveloppé
d'une
chaude poignée de main. Et jamais pipes ne
me
semblèrent meilleures
qu'avec ce tabac-là. Peut-être se trouvera-t-il à l'arrière quelques
bons esprits pour pHsser dédaigneusement lèvres
:
«
Un
les
colonel n'est pas une nourrice
;
il
a autre chose à faire qu'à distribuer des bonbons et des amusettes...
»
Sans doute, sans doute. Mais de ce à procurer quelques douceurs à ses
qu'il
cherche
hommes,
cela
l'empêche-t-il d'accomplir son métier de colonel?
Les soldats français sont trop pendants, trop
fiers,
pour
se
libres,
trop indé-
donner corps
à qui s'impose uniquement par ses galons
et et
âme par
ses connaissances militaires.
Derrière le chef
Et ne
dites pas
ils
que
veulent sentir l'homme. l'affection des soldats n'est
pas nécessaire à qui peut donner à ces soldats des
308
FACE A FACE
ordres.
Avec un chef qui a leur confiance, les
soldats
iront jusqu'à la limite des forces humaines.
un chef
Avec
qui, en plus de leur confiance, a su gagner
leur amour,
iront par delà leurs forces.
ils
Le Français
une merveilleuse machine de
est
guerre, mais le ressort le plus puissant de cette
machine demeure caché. sévères
ces
là
jugements
— et profondément injustes — portés sur armée,
notre
De
avant
par certains étrangers,
la
guerre.
J'entends toujours cet Alsacien qui, un matin de
novembre, sur
la route
de la Louvière,
me
faisait
ses confidences. Il
deux ans dans
avait servi
mande, mais,
la guerre déclarée,
l'infanterie alleil
avait aussitôt
franchi la frontière pour s'engager parmi nous. Il
m'expliqua qu'après l'enthousiasme joyeux
des premiers jours,
grande
— et
tristesse
il
pénétrer d'une
s'était senti
:
Je n'aime pourtant pas les sales
ma
fuite hors
«
Poches
d'Allemagne ne m'avait
aucun regret Mais votre
discipline est tellement,
différente de leur discipline à laisser aller des soldats
«,
laissé
dans
coutumières, en entendant
eux
!
En voyant
le
leurs petites besognes
les
remarques dont
ils
accueillent les ordres de leurs chefs, je m'étais dit
:
LE (c
Ce
n'est
armée.
pas ça des soldats
Au
feu, les officiers
à imposer leurs ordres
Mais
de
je viens
les
;
ce sera la débandade.
et
accompagner au
vus éparpillés sur
les
yeux
têtes.
marchant
la plaine,
et
moindre
Je et
tous,
fixés sur le capitaine sans
attentifs à son
l'air,
»
feu, ces insou-
mauvaises
chacun pour son compte
bondissant
cependant, avoir
ce n'est pas ça une
ne pourront pas arriver
ciants, ces indisciplinés, ces les ai
309
BOIS-BRULÉ
en
signal. Je les ai
vus ensuite charger avec la furie de vrais diables s'emparer d'une tranchée dans
et
faut les
pour rouler une
beaux,
heureux
!
les
braves soldats
combien
et
cigarette...
j'ai
!
et
le
temps
qu'il
Ah les bons, comme je suis
confiance
!
1
»
VII
COMMANDA>T DE LAFERRIÈRE
LE
L'attaque, prévue pour les premiers jours de
mars, avait été fixée au
de Laferrière la
fit
Le commandant de affaire
avec
dres actes.
le
Il
7.
La mort du commandant
reculer d'un jour.
Laferrière avait préparé cette
scrupule qu'il apportait à ses moin-
avait tenu à contrôler de ses propres
310
yeux il
FACE A FACE les
renseignements fournis par ses capitaines
;
avait tenu à faire lui-même le plan des défenses
ennemies.
A
toute heure de la nuit et du jour
l'adjudant de bataillon
—
Debout, Vérouille
Et
il
s'en allait, son
il
appelait
:
!
bâton à
la
main,
le
long
des boyaux et des tranchées, indifférent à la boue,
à la pluie, à la neige, au bombardement même.
Peu de paroles aux hommes rencontrés sur
un
route, mais
— Soyez Grand,
même
air
de
les
tranquilles, les gars, je suis là
robuste,
sa
regarder qui voulait dire
imposant,
:
!
un peu hautain
à qui l'approchait pour la première
fois,
il
avait plus vite gagné le respect que l'amour. Mais
l'amour venait ensuite, d'autant plus fort
qu'il lui
avait fallu passer par-dessus plus d'obstacles.
Gomment cet homme de tendresse et de sacrifice, comment ce grand sentimental pouvait-il forcer son talent jusqu'à donner l'illusion de la sévérité et de la rudesse?
Pour
lui
sans doute,
comme pour beaucoup
d'autres, l'explication doit
se chercher
dans
la
timidité, cette absurde et attendrissante timidité
de l'homme...
Une
fois parti
pour
ses
randonnées quotidiennes,
LE il
311
BOIS-BRULÉ
prenait à tâche de tout voir. Scrupuleux,
chait le scrupule
—
Songez,
détail, négligé
disait-il
par vous pour son insignifiance, coû-
Et pour mieux le
se rendre
compte,
buste par-dessus
ainsi les inconvénients
d'un
champ
prê-
à ses officiers, que tel petit
tera peut-être la vie à l'un de vos
à passer
il
:
hommes. il
n'hésitait pas
parapet, atténuant
le
de sa myopie par l'avantage
plus vaste.
Peut-être certains chefs sont-ils tentés de voir
dans leur dignité un moyen d'élargir leurs
aises,
de diluer leurs responsabilités, d'assourdir à leurs oreilles le fracas
dent-ils
de la bataille? Peut-être regar-
chaque galon nouveau comme un barreau
nouveau
qu'ils gravissent au-dessus
de la boue et
du sang des tranchées?... Pour
le
commandant de Laferrière, l'honneur de
commander à des hommes impliquait
Que pendant
si
épargné, cela tient
longtemps
les
du miracle Mais !
dépense
la
totale de son activité et l'absolu mépris
du
balles il
péril.
l'aient
ne faut pas
tenter le ciel et Lazare lui-même n'a été ressuscité
Le
qu'une
fois.
5 mars, vers trois heures de l'après-midi, le
commandant de
Laferrière se trouvait dans la
tranchée, à son habitude.
Un
élément d'ouvrage
312
FACE A FACE
ennemi de la
«
son attention, un peu à gauche
sollicitait
Palte-d'Oie
Que machinaient
».
de ce côté? Sans relâche on pics,
remuer leurs
les
les
Boches
entendait taper leurs
pelles et, sans relâche,
ils
tiraient
des coups de feu à balles retournées, qui faisaient
dans nos sacs à terre de larges
Le commandant créneau
se
met à un de nos créneaux,
de
meurtrier,
entailles.
réputation
sinistre,
par
lequel le guetteur ne hasardait que des coups d'œil
espacés et furtifs.
Sans
se presser,
Autour de est
lui
mauvaise
laisser
regarde...
il
tous tremblent
et
on
sait qu'il n'a
on
sait
que sa vue
pas l'habitude de
une tâche à demi accomplie.
L'inspection s'éternise
— Mon commandant, il
:
:
dit quelqu'un, prenezgarde,
y a eu six hommes déj à t ouchés à c e même créneau
!
Pas de réponse. Les balles retournées s'enfoncent avec un bruit
mat dans
les sacs
les cailloux
à terre ou font voler en éclats
du parapet.
Le commandant regarde Ceux qui sont
là
détournent
plus la force de contempler grincent des dents.
sement leurs
toujours. les
yeux
drame.
:
ils
n'ont
y en a qui D'autres mâchonnent nerveu-
ongles...
le
Il
LE
Tout à coup un grand
commandant en plein
313
BOIS-BRULÉ
vient de
On
cri.
se précipite.
tomber une :
Le
balle l'a frappé
front....
L'attaque,
ai-je
reculée
fut
dit,
d'un jour.
Seules y participèrent des fractions des 2^ et 3^
compagnies
:
Notre rôle taque
et
à
mon
bataillon fournit les réserves.
borna à prendre
se
attendre assis
entre les jambes,
la
un ordre qui ne vint
Rien de déprimant
tenue d'at-
dans nos cagnas,
comme
le fusil
pas.
de demeurer de lon-
gues heures dans l'incertitude.
Que
font les
cama-
rades? L'attaque réussit-elle? Cet agent de liaison qui se hâte vers le poste qu'il vient t-elle
A
du
capitaine, est-ce nous
chercher? Pourquoi
son tir? Pourquoi
l'artillerie allonge-
le raccourcit-elle?.,.
ces angoisses s'ajoutent les dangers courus,
d'autant plus sensibles qu'ils doivent être subis
dans l'immobiUté.
Pour
les écarts
de l'imagination, l'action est
le
meilleur des garde-fous.
Ce qui montre bien que n'est pas
du tout une
compagnies du
le
rôle des réserves
sinécure, c'est qu'une des
2^ bataillon, la 8^, eut à elle seule
plus de tués que les deux compagnies d'attaque.
Le champ de
bataille
forme en
effet
une zone
neutre où se mêlent les éléments de l'un et l'autre
314
FACE A FACE
parti et
que respectent
canons. Ceux-ci tirent
les
en arrière de cette zone, sur ce que traduisait
un jour de
vandiau placé près de moi
—
•
C'est
et c'est
justement,
cette façon
un Mor-
:
eux autres qui
moue
les réserves
s'
pignent (se battent)
qui reçoué les coups
!
L'opération ne fut pas de grande envergure.
simplement de
Il s'agissait
rectifier
notre ligne en
coupant une pointe ennemie de laquelle partait
chaque jour
et plusieurs fois
par jour une averse
de grenades.
Après un
tir très précis
déclenche. Par les quatre
communs
avec
les
de nos 75, l'attaque
se
boyaux qui nous sont
Boches, quatre groupes s'élan-
cent par-dessus les barrages de sacs. L'ennemi, interdit par cette Il
brusque irruption, recule d'abord.
revient sur nous pendant que nous perdons
temps à enlever
les
chevaux de
Nos hommes sont
arrosés de
frise jetés «
par
du lui.
boites de singe
»
qui font heureusement plus de bruit que de mal.
Notre compagnie de droite opère un simulacre d'attaque qui oblige les Boches à porter leur attention de ce côté.
Nos bombardiers
rivalisent d'en-
train.
A cheval
sur le parapet de la tranchée ennemie,
le sergent Pétouillat
vide sur la tête des
«
Fritz
»
315
BOIS-BRULÉ
LE
sa musette de grenades.
Il
paie, hélas
sa témérité
!
d'une balle en plein cœur.
Le
Aubrun
sergent
se
démène comme un
pos-
sédé et fait à lui tout seul autant de bruit et de
besogne qu'une section entière.
L'adjudant de la fier
2®,
sa réputation de
trop de tous ses
«
Durassié, qui tient à justi-
lanceur de poids
hommes pour
grenade n'attend pas que l'autre
— Ceux qui ne connaissent pas nettoyage par
un
œil par
Et
»,
n'a pas
le ravitailler.
le vide, déclare-t-il,
soit le
Une
tombée.
principe
du
n'ont qu'à jeter
ici.
bientôt, en effet, les Boches font le vide
devant
lui
:
ou tués ou mis en
Une amusante anecdote
fuite.
qui se rapporte à cette
affaire.
Un avant
de nos sergents du génie avait commencé, le
lever
du jour, à barrer avec des
un des boyaux conquis par nous. plat ventre pour offrir
Il
sacs à terre
s'était
mis à
moins de prise aux regards.
Derrière lui des sapeurs, à plat ventre également,
formaient une Ugne jusqu'à notre tranchée.
mains en mains
peu à peu
les sacs passaient
élevait son barrage.
De
et le sergent
Le jour vint avant
l'achèvement du travail. Le sergent n'y prit pas garde tout d'abord, tant fébrile était sa hâte.
FACE A FACE
316
A un moment, cependant, tion étouffée,
Et que
A
il
jette les
entendant une exclama-
yeux par-dessus
les sacs.
voit-il?
quelques mètres de
à terre à la main
un Boche
là,
devant
et,
lui,
qui,
un
travaillait de son côté, le fixe avec des
il
sac
un barrage auquel yeux
arrondis.
La
stupéfaction
du Français
Les deux sapeurs
Que
n'est pas moindre.
se regardent
quelques instants.
faire? Sauter sur les grenades et voir qui sera
champ de
maître du
bataille? Mais ce n'est pas
cela qui avancera la besogne.
Non.
Pour
Il
sera toujours
de continuer
apportés,
le
mur
fit
Ce dut mais
je
tacite,
on décide
et d'autre, les sacs sont
s'élève...
le dernier sac
grenade
cogner après.
les barrages.
Hâtivement, de part
—
se
moment, par une entente
le
Mais
temps de
en place, quel beau duel à la
place à la trêve être
!
également pendant cette
ne saurais l'affirmer
—
•
•
affaire
qu'on vit
les
prouesses d'un des artilleurs chargés du service
d'un
«
Un (1)
Louis-Philippe fantassin,
un
» «
(1).
pays
Mortier de tranchées.
»,
un ami d'enfance,
presque un sation,
au cours d'une conver-
frère, avait,
négligemment posé ceci dans
l'artilleur
—
jamais que des embusqués
Fureur de
—
la
main de
:
Après tout, vous autres
•
317
BOIS-BRULÉ
LE
l'artilleur
artiilots,
vous n'êtes
!
:
Est-ce que tu t'imagines que nous avons
la frousse
!
Crois-tu qu'on ne serait pas capable de
charger les Boches aussi bien que les sales fantassins
!
Eclat de rire ironique de l'ami d'enfance.
Alors l'artilleur fait ce serment solennel
—
La première
chette par le
premier
ici
y a un coup de fourbaïonnette), je marche
fois qu'il
(attaque à la
!
— Tais-toi donc plutôt que de Toi,
marcher
— fusil,
—
le
Ah
premier?
Bien sûr que
je
dire des bêtises.
là, là
!
marcherai
encore, rien qu'avec
le
!
!
premier, et sans
un bâton
Rien qu'avec ton bâton
artiflot
:
!
Un artiflot un sale !
!
Et un nouvel
éclat
de
rire
appuie
le
scepticisme
de l'ami d'enfance. L'artilleur garde
pour
jour de l'attaque, on
lui sa
rancœur, mais
le voit sortir
le
de la tranchée
à côté des assaillants et bondir à leur tête. Et
318
FACE A FACE
comme
arme, ainsi
seule
gourdin énorme
qu'il
l'avait
juré,
un
!
Le camarade qui me rapporta l'aventure ajouta
même deux
que
l'artilleur
prisonniers. Si
pour véridique,
trouva
La
joie
n'y vois pas d'objection. Je crois,
je
fois encore, la
légende a
l'histoire.
du succès
commandant de
fut gâtée par le souvenir
du
Laferrière. Cette attaque avait
été organisée par lui
pour
moyen de ramener
vous voulez accepter ce détail
quant à moi, que cette brodé sur
le
:
pourquoi
recueillir la gloire
n'était-il plus là
de ses travaux et de ses
peines?...
Sans l'avoir vu, sinon de très
loin, sans lui avoir
jamais adressé la parole, je partageais
les regrets
de mes camarades; dans un régiment, plus que
dans toute assemblée d'hommes, amour sont en
commun.
C'est dire le plaisir qu'un an plus tard la
ma
venue dans
commandant de dix-sept ans, Il
et haines
«
propre section du Laferrière,
y a de ces mots touchants qui
âme jusqu'en
fils
Jacques,
pour venger son père
me
causa
aîné
du
engagé à
».
éclairent
une
ses profondeurs.
Le jeune engagé
n'est resté près
de moi que
319
LE BOIS-BRULÉ
soixante jours à peine. Cela lui a suffi pour connaître l'âme des poilus de la grande guerre était ébloui
un de Il
—
et
pour
«
prendre la tranchée
ces secteurs qui sacrent
se
—
il
en
dans
»
une vaillance.
prépare maintenant dans l'étude à
la
noble
profession paternelle.
Ce que
veux
je n'ai
pu
le lui dire ici
en faire leur
son départ, je
lui dire savant
même,
profit, les
et peut-être pourront-ils
jeunes poulains de la classe
16 qui, piaffants et frémissants, se préparent à
bondir par «
Mon
la vaste steppe?...
cher enfant, gardez
de votre père
:
ils
plus noble héritage
sa bravoure, mais gardez-vous de sa
La prudence
témérité.
bien
:
le
et le
courage
s'allient très
forment un ménage très uni.
Quand
quand
la
mission qui vous aura été confiée impliquera
le
»
sacrifice
le
combat
de votre
vie,
sera engagé, ou
oh
!
alors allez-y
bon jeu, bon
argent. Tapez, enfoncez, égratignez, mordez, jetez
votre prudence aux orties, riez aux blessures et dites »
à
la
mort
:«
Je
me
f...
de
toi
!
»
Mais dans l'existence d'attente que nous don-
nent
les
tranchées, la consigne est de tenir, non de
se faire tuer.
vos sang.
audaces,
Calmez vos impatiences, réfrénez endiguez
l'impétuosité
de votre
320 »
FACE A FACE Songez à votre mère qui, à chaque heure du
jour et de la nuit, vous regarde. »
Et songez à
garçons
comme
la
France, qui a besoin de braves
vous.
»
VIII LE CAMP TOURET
Entre deux séjours au Bois-Brûlé, fit
ma compagnie
une courte station au camp Touret, sur
les
confins de la Woëvre.
Ce camp porte le 95<^
quand
le
nom du
chef qui
commandait
éclata le grand coup de tonnerre.
Le
colonel Touret prit, dans la fièvre de la déclaration
beau régiment neuf
mena, par
guerre,
le
marches
forcées, à travers la Lorraine reconquise.
et
C'est à Sarrebourg, qu'elle eût la
dû
l'atteindre,
balle qui, à quelques jours de là,
frapper, et
non sur
pleine retraite.
La
devait
plateau d'Hortoncourt, en
le
joie,
longtemps attendue
croyant à la délivrance
et les vainqueurs, éblouis
d'une aussi prompte fortune, voyaient déjà loin derrière
le
défaite était inconnue alors, les
Lorrains pleuraient de si
le
le
eux s'enfuir et l'Allemagne entière
Rhin ainsi
321
BOIS-BRULÉ
LE
que l'arène élastique d'un vaste champ de courses s'ouvrir à leurs bataillons fougueux...
Le camp Touret
est établi sur les pentes
teau qui s'étend entre
le village
du
d'Apremont
plaet le
Bois- Jura.
Par suite de
brusque du terrain
la dégringolade
en cet endroit, un visiteur venant des tranchées
d'Apremont
jusqu'à
arriverait
du plateau sans apercevoir le
le
l'extrême
camp
:
il
faut avoir
pied sur la descente pour remarquer
édifié là
bord
le village
par des fourmis humaines.
Fourmis humaines,
dit
ai-je
:
les
habitations,
Cil effet,
sont creusées dans le sol et seuls émergent
les toits
que supportent des chevrons. Regardez
3
toits
:
simplicité l€
méritent
portent dans leur
ils
le
—
troncs d'arbres et terre battue
témoignage du goût
son application dans
;
ils
affiné
—
de notre race et de
les petites
choses
;
ces toits
sont des œuvres d'art.
Les rondins ont été choisis bien
droits,
avec
une écorce sans défaut. L'intervalle entre chacun d'eux a été mesuré au milhmètre. Des planchettes d'inégale grandeur voici,
à
peu de
ont
frais,
fait
les
chapiteaux.
Et
d'imprévues colonnades
grecques.
Par-dessus la charpente
du
toit
—
tôles 2i
et
322
FACE A FACE
— on a disposé de
planches
la terre
soigneusement
égalisée et contenue sur le devant par
un rebord
de moellons.
Les plus coiffées
de ces habitations sont déjà
vieilles
de mousses, de lichens
et
de pieds de
graminées. Et cela, je vous assure, est du plus ginal effet
ori-
ces classiques frontons surmontés de
:
toits rustiques.
Le même goût a présidé aux arrangements
inté-
rieurs.
Certes, entrer,
il
première
la
une
faut,
impression
fois les
Pour
déçoit.
genoux ployés,
plier de
plus le corps en deux, tant la porte s'aplatit au sol.
Puis, cette obscurité froide parait, à qui vient
du grand
jour,
souverainement désagréable. Mais
attendez...
Attendez qu'on allume
le lustre,
et
qu'on
tire
jusqu'à vous un fauteuil confortable et qu'on fasse
quart sous des
pétiller votre
Tout
ici
— hors
le
flots
Saumur
de Saumur
!
— sort des mains des
poilus.
La
tapisserie des fauteuils est en toile d'embal-
lage et la
mousse séchée de
fonction de
Ce
lustre,
la forêt voisine fait
ressorts.
où brûlent, en l'honneur de
treize bougies
—
le
nombre
l'hôle,
treize étant considéré
•
LE BOIS-BRULÉ sur le front
comme un
avec une
édifié
mentée
—
porte-bonheur!
•
a été
souche curieusement tour-
vieille
et des fds
323
de cuivre qui reluisent
comme
de
l'or.
Voici encore des cadres en bois sculpté où trônent
Poincaré, Jofîre et Guillaume habillé en orang-outang
Des
:
porte-manteaux,
tout est sculpté sont apposés
ici
Boche, ce dernier
hideur et bestialité. sculptés
comme dans une
aux murs.
Un
brisées, fidèles servantes
La
le
—
également cathédrale
!
•
—
râteUer reçoit les pipes
mortes au champ d'hon-
pièce maîtresse de ce râtelier est
un gros
os taillé en forme de pipe et sur lequel
on peut
neur.
lire
:
dant
« :
Tibia de Boche
!
»
Ne
frémissez pas cepen-
ce tibia de Boche n'est qu'un os de cheval.
Sur des rayons,
les
harmonicas,
ocarinas,
les
les
bombardes, un violon des tranchées attendent
les
mains
bouches qui réveilleront leurs âmes
et les
endormies.
Sur d'autres rayons s'étage
bibhothèque qui sine avec
la
plus
Ponson du
Terrail,
Homère
s'appuie fra-
ternellement sur Xavier de Montépin et des courbes, tourné de trois quarts, a causette avec
Pour
un
les lits,
étrange
se puisse voir. Là, Corneille voi-
«
Manuel du
un Traité
l'air
de faire
parfait fricoteur
».
plus de cette paille nauséabonde.
324
FACE A FACE
réceptacle à vermine, cauchemar des nuits de cet
mais d'ingénieux hamacs en
hiver,
De
ci
de fer
fd
tendu sur des poutrelles.
treillage
— on
delà de judicieuses sentences, tirées
nous l'affirme du moins
—
•
des œuvres des plus
grands sages de l'antiquité, sont affichées sur
murs pour
les
l'édification et l'instruction des hôtes
et des visiteurs.
Comme
tout village qui
Touret a une
Le château
église et
se
respecte,
camp
le
un château.
— demeure
du colonel
—
est plus
grand, plus vas'e, plus haut de plafond que les autres logis, mais mériterait pas le
un
possédait
non pas mieux meublé,
nom
ne
ne
le toit) et
une
gale-
de tableaux, œuvre d'un prix de Rome.
Quant à
tout juste assez grande
l'église, elle est
pour contenir tes,
il
s'il
salon, salon véritable, avec plafond
lumineux (un trou ouvert dans rie
et
dont on l'honore
comme
l'autel, mais, ses
elle
deux portes ouver-
se prolonge et s'élargit soudain,
avec, par devant, la plate-forme sablée, puis la vallée, puis la colline, puis la forêt, et, au-dessus
l'immense vaisseau du
âmes là
ciel
!
C'est là qu'il faut venir,
tièdes qui bâillez devant le surnaturel
qu'il
faut
;
c'est
entendre la messe pour connaître
toute la douceur d'une conversation avec Dieu,
que devant
alors
325
BOIS-BRULÉ
LE
camp, à quelque
le
trois cents
mètres, canons et fusils tonnent et pétaradent, et que, à gauche, par
qui descend à la route,
funèbre procession,
passent,
tachées
le défilé
de
les
civières
grises
rouge...
IX LES HOTES DES TRANCHEES
Du camp
Touret,
garde dans
la
Brûlé.
Une
ma
compagnie
les tranchées,
à droite
ma
pipe,
un homme
trouver, la voix profondément
Sergent, venez vite
face de nos créneaux
Je
me
monter
du Bois-
nuit que je déambulais à travers les
boyaux en fumant
—
allait
Il
!
émue
vint
me
:
y a des Boches en
!
précipite. Arrivé à l'endroit d'où l'obser-
vation avait été
faite, les
à voix basse qu'ils ont
guetteurs m'expliquent
vu à
plusieurs reprises, par
les
ouvertures des créneaux, des ombres passer.
Ils
ont bien essayé, en regardant par-dessus
le
parapet, de surprendre les audacieux, mais la nuit
opaque ne
l'a
pas permis.
Que des Boches
se soient glissés jusqu'à
nous
326
FACE A FACE
pour essayer de surprendre nos conversations, n'est là rien d'extraordinaire
que
:
il
ce sont là visites
l'on se rend volontiers entre voisins
de tran-
chées par les nuits noires, et ce soir l'obscurité est telle
— pas de lune
que deux hommes qui pas
n'arrivent l'autre.
De
se tiennent
apercevoir
à
plus, le parapet
élevé derrière lequel
Cependant,
il
conserve
je
le
des les
par
visage
la
—
main
l'un
de
forme un talus assez
est facile
parvenus à nos créneaux, ils
de la pluie à discrétion
et
de
se dissimuler.
Pourquoi
doutes.
Boches s'amuseraient-
à passer et repasser de la sorte?
— Avez-vous entendu quelque bruit — Aucun, me répond-on. — Hum! — Je vais rendre compte de l'incident au ?
lieu-
tenant Saury, dont la cagna est toute proche. Celui-ci partage nelles insistent
:
mon elles
scepticisme. Mais les senti-
n'ont pas été victimes d'une
l'affirment.
Le lieutenant Saury
décide alors d'envoyer une
patrouille pour prendre
illusion,
elles
l'ennemi à revers.
De
hardis volontaires se pré-
sentent. Ils partent.
Nous
admirons
rampent sur
le
sol
l'habileté :
aucun
avec
bruit...
laquelle Si,
ils
pourtant,
on vient d'entendre un cliquetis de baïonnette...
Pourvu que l'alarme ne mi
327
BOIS-BRULÉ
LE
soit
pas donnée à l'enne-
!...
Mais non
nouveau une des ombres
;
vue"" distinctement moi-même
:
voici de
;
cette fois, je
l'ai
pendant une seconde
elle
a bouché
l'orifice entier
du créneau. Ces Boches-là ont décidément ime fière
audace
Mais
!
rira bien qui rira le dernier.
Les patrouil-
leurs ne doivent pas être loin maintenant...
Justement, voici qu'ils Ils
se lèvent,
tous ensemble.
bondissent, baïonnette en avant vers
et...
le
parapet,
mettent en fuite une dizaine d'énormes rats
en train de diner en famille autour d'une boule de pain jetée là
!
L'aventure nous plongea dans une hilarité douce et
nous
lui
dûmes de ne
quelques minutes, à
On
plus songer pendant
nos^ pieds mouillés...
n'en est plus à compter les alertes dues aux
rats des tranchées. initiés
Les bleus surtout, non encore
aux mœurs de ces voisins encombrants, ont
peine à s'habituer à leurs déconcertantes famiharités. Il
faut dire que les rats des tranchées, bien
nourris,
pourvus de menus variés, inconnus
jus-
qu'ici à la gent ratière, parviennent à des tailles
gigantesques.
La
vitalité naturelle des rats, qui
328
FACE A FACE déjà l'étonnement des physiologistes, est
faisait
encore accrue et
ils
résistent à des assauts
dont
le
moindre aurait vite raison des simples mortels
hommes que
des
(c'est
je parle).
L'appétit des rats est formidable, leur existence se passe à
dans
branchages qui
les
parapets, on entend
Ni
le
et nuit,
rondins qui plafonnent
les
dans
manger. Jour
de nuit surtout, les
servent
tranchées ou
aux
d'appui
crissement de leurs dents.
le
bruit des pas, ni le tumulte de la fusillade
n'interrompt leur repas
:
ils
sont aguerris
comme de
vieux grognards. Plus d'un paie de sa vie sa témérité, et
il
n'est pas
une sentinelle qui
à ses pieds un rat
troué d'une balle,
A
tombé du
n'ait
plafond,
vu le
rouler
ventre
ou la tête emportée par un
éclat.
part ces visites forcées que leur impose la
camarde,
les
rats se
sociables. Il n'en
montrent sauvages
va pas de
même
et
peu
des souris. Elles
sont beaucoup moins nombreuses que les rats, mais
beaucoup
plus
familières.
Elles
ne
craignent
jamais un brin de causette quand on
sait
leur
montrer un visage sympathique. Elles
vous fixent de leurs petits yeux
grignotant
quelque croûte,
et
leur
gris,
tout en
moustache
remue au bout de leur museau pointu de la façon la plus drôle
du monde....
Tous
même
hôtes de la tranchée sont nos aniis, et
les
les
ver,
compagnons
vers de terre,
longues heures de
Par
329
BOIS-BRULÉ
LE
le petit
silencieux des
veille.
trou rond qui décèle la présence du
on voit apparaître un tire-bouchon de terre
humide, puis un autre, puis
le
du
gros derrière
maître de la maison se montre à son tour, conges-
comme un
tionné rière
visage d'apoplectique.
Le
der-
achève de se vider bien proprement dans
le
vide, jusqu'à ce que, ses petits besoins satisfaits, il
disparaisse à
nouveau dans
Très longtemps,
les
hôtes des tranchées sans
exception
furent
nos amis.
jamais,
n'était
fait
il
sa profonde retraite.
Jamais,
de mal, par
quelque animal que ce
fût,
le
au grand
les poilus,
à
Boche excepté.
Ces hommes, dont l'unique occupation et l'unique
préoccupation
du combat,
est
de tuer, se montrent, en dehors
sensibles
comme
des femmes.
La
vie,
à tous les gradins de l'échelle, est pour eux devenue sacrée et j'ai vu, à l'automne dernier, blessé
aux deux jambes, quitter
suivait en forêt et se couler
ks ronces
et
l'étroit
dans
un
soldat
layon qu'il
le fourré,
malgré
malgré ses souffrances, pour ne pas
écraser une colonne barrait la route
de fourmis rouges qui
lui
!
Depuis quelques mois, cependant,
les rats et les
330
FACE A FACE
souris ont été
mis hors
commune. Ces
la loi
indis-
crètes bestioles ont, en effet, exagéré leur indis-
crétion
;
leur mépris de la propriété d'autrui vient
en droite ligne de Karl Marx. Bien plus,
ils
affectent
de nous traiter en intrus dans nos propres cagnas, et
ils
ne craignent pas de se promener sur nos
visages pendant que nous dormons, en poussant
des cris aigus qui semblent des rires diaboliques. Bref,
sont rendus insupportables et la
se
ils
guerre a été déclarée par nous à ces
Boches
»,
que nous
ainsi
les
tous les moyens utilisés pour plus pratique est
le
«
enfants de
avons surnommés. De les
mettre à mal,
le
piège rapporté d'Afrique par
des explorateurs qui l'employaient à chasser l'antilope
:
un
lacet
maintenue au
au bout d'une branche
sol
rat passe la tête
par une fourchette de bois
dans
le lacet, tire,
chette, et la branche se redresse
entraînant avec
flexible,
elle
;
le
arrache la four-
brusquement en
sa victime étranglée.
Je n'ai pas parlé des hôtes des tranchées les plus pullulants, les plus grouillants, les plus antipa-
thiques.
De
je pense,
davantage
qui je parle, on
le
devinera aisément,
sans qu'il soit besoin de m'expliquer :
il
me
vient, à leur seul souvenir, des
démangeaisons par tout Je n'ai rien dit
le corps.
non plus des hôtes des tranchées
les plus
gracieux et les plus charmants
que d'oiseaux
C'est
331
BOIS-BRULÉ
LE
dans nos forêts de
:
les oiseaux.
n'y en a plus, peut-on dire,
il
l'Est
les balles et les
:
obus
les
ont massacrés ou mis en fuite.
Dans tout mon premier hiver de campagne, n'ai
vu qu'un
seul oiseau
:
le
rouge-gorge dont
je
j'ai
parlé plus haut.
Mais
mon
séjour au
une grande depuis
mon
joie.
camp Touret me
C'était
arrivée au
première
la
front,
ma
réservait fois
que,
compagnie occu-
pait des tranchées de plaine. Vers six heures,
matin, je sors de
ma
un tour à travers
les
casemate
et
m'en vais
un
faire
boyaux. Soudain un coup au
cœur au-dessus de moi chante une alouette :
!
J'écoute le chant sacré et des souvenirs montent
qui
m'embuent
Je
me
vieiUe ferme. la
les paupières.
revois, tout petit, chez grand'mère, à la
prairie
Nous sommes tous
à garder
les
les
chèvres.
deux
assis
dans
Les alouettes
chantent.
—
Grand'mère,
les oiseaux, est-ce qu'ils
savent
ce qu'ils disent?
— —
Bien
sûr,
mon
Alors, celui-là,
enfant.
qu'est-ce qu'il dit, grand'-
mère?
—
Celui-là,
mon
enfant,
c'est
une alouette.
332
FACE A FACE
Elle dit
«
:
l'entend,
Prie Dieu
!
Prie Dieu
—
Et
si
—
Si
on ne prie pas,
Et quand on
aux anges.
on ne prie pas, grand'mère?
pleure et les anges
Bonne
»
faut faire bien vite une prière pour que
il
l'alouette aille la porter
-
!
vieille
vite j'ai fait
Porte-la au
mon
enfant, l'alouette
aussi...
grand'mère, en ton souvenir, bien
une
prière.
ciel,
ma prière,
ô alouette, et dis
aux
anges qu'ils viennent avec nous combattre pour délivrer
la
France.
X BIZOUARD
L ASPIRANT
Vers qui Il
le
milieu de
commande a
l'air
le
lieutenant Merlin
compagnie me
la
un peu gêné. Je sens
mots. Cette attitude,
nonça que
mars,
j'étais
il
fait
demander.
qu'il cherche ses
l'avait le soir
où
il
chargé d'aller tendre des
m'anfils
de
fer devant nos premières lignes.
Que
se passe-t-il
Ceci
:
donc ?
— La compagnie, me
dit-il,
a reçu du dépôt un
LE
333
BOIS-BRULE
aspirant et c'est à lui que revient, de par son grade, le
commandement de votre section, la seule
à sa tête ni lieutenant, ni
11
«
sous-officier supérieur
n'ya pas de quoi je
».
parle! j'écoute!... (p. 337).
— Mais, mon lieutenant, assez,
qui n'ait
cela est légitime, et
il
me formaliser. Vous me connaissez
pense, pour savoir que notre aspirant
peut compter sur
mon
concours
le
plus absolu.
334
FACE A FACE
Je regagne
ma
Une heure
après,
sente
cahute.
un agent de
liaison se pré-
:
—
Sergent, voici l'aspirant qui arrive.
Celui-ci
entre.
Je lui confectionne
Nous nous serrons un
la
fauteuil semblable au
main.
mien
:
couverture pliée sur un sac, et nous causons.
me
Je
doutais bien
1914.
classe
un peu trop
et soyeux, de
qui,
rire
le
visage.
me
le
la
la
nez, pas
Des cheveux blonds
feu follet vagabond,
éclaire
dit son
nom.
Il
tantôt
le
du visage.
appartient à l'École des
mines de Saint-Étienne. Incidemment,
que
de
grands yeux francs, un perpétuel sou-
front, tantôt les joues, tantôt le bas Il
être
parait vraiment
il
un duvet sous
jeune. Pas
une ombre de ride sur
devait
qu'il
Tout de même,
et
parce
question s'y prête, j'apprends qu'il a été
reçu à l'École normale supérieure, et qu'il a hésité entre les deux routes.
Il
raconte cela très simple-
ment, sans pose ni contentement apparent,
comme
une chose sans grande importance.
Ma
sympathie pour
lui,
née d'un premier regard,
s'accentue. Mais cette sympathie
qu'augmenter l'inquiétude qui
—
Comment
cet enfant,
même
ne
me tourmente
fait :
ce gosse, va-t-il s'y
prendre pour n'être pas inférieur à sa tâche ?
Sans avoir
335
BOIS-BRU LÉ
LE
d'y toucher, je
l'air
fais
allusion
à sa fonction nouvelle. Je l'entretiens de la section, raconte tel acte de bravoure de l'un, tel trait
je lui
de camaraderie de l'autre.
que l'aspirant va sentir
J'espère
sa responsabilité, qu'il s'effrayera la difficulté
Ah
poids de
le
un peu devant
de sa tâche.
bien, oui
!
trouve cela tout naturel, ce gosse, de com-
Il
mander à cinquante
dont
poilus,
plupart,
la
campagne, qui ont
bientôt, auront huit mois de
vu Sarrebourg, Matexé, Xivray,
la
Haute-Alsace
Les citations à l'ordre du jour? et puis après Les médailles militaires? front
L'héroïsme
!
tout l'hiver
?
pêle-mêle avec les averses guérit
ans
La mort
!
?
y en a tant sur
Il
est-ce
!
il
en a
!
!
le
plu
Les blessures? ça se qu'on meurt à vingt
!...
Cette
l'avoue, j'ai
je
fois,
un mouvement de
mauvaise humeur. C'est trop de jeunesse, à et d'inexpérience et de confiance en soi. petit,
je
t'attends
Nous verrons Je n'ai pas
un 77
—
éclate
si
«
la fin,
Toi,
mon
au premier crapouillottage.
tu réussis à garder ton sourire.
fini
non
de parler in petto que loin
:
Baoum
de notre abri.
Quel calibre? m'a demandé l'aspirant.
»
!
336
FACE A FACE
Sa voix
est
calme
;
mais l'obus
est
tombé à
20 mètres de nous. Gela ne compte pas. D'autres obus, plus éloignés encore. Soudain un fu-
tombe juste au-dessus de la cagna. Des shrap-
sant
dégringolent
nells
tout
autour de
nous,
mais
sans nous atteindre.
L'aspirant ramasse le
soupèse
—
un des morceaux de plomb,
:
Pas bien dangereux, hein ? moins à craindre
qu'un caillou lancé au tire-pierres? n'a pas bronché et son sourire est toujours
Il
le
même. Le
Il
commence à
s'allonge.
tir
une admiration commune
un péan à deux
sation
Le
tir se
—
Et
que
fait
et
de notre c:>nver-
voix.
rapproche.
puis,
continue l'aspirant, on peut dire
Barrés...
Un
sifflement
épouvantable, le
m'intéresser, le gosse.
Nous parlons de Barrés
ciel
un cataclysme, on
les gouffres
C'est
la terre se brise
en mille morceaux,
disloque, on se sent jeté,
se
roulé dans
apocalyptique, un grondement
enveloppé,
se sent précipité
dans
sans fond de l'abîme...
un 210 qui a frappé
du parapet de notre abri terre s'effondre, entraînant
sur la face extérieure ;
un énorme pan de un arbre qui domine
337
LE BOIS-BRULÉ le
talus
l'abri est
;
mottes de parts
;
terre,
à demi comblé
;
les cailloux, les
branches volent de toutes
les
des éclats de fonte passent en sifflant à nos
vont s'enfoncer dans
oreilles et
le
parapet adverse
avec un bruit mat.
un
Je ne suis pas touché. C'est Je regarde l'aspirant; lui atteint
j'écoute
—
Mais
!
...
ses
lèvres
miracle.
non plus
remuent
n'est pas
parle
il
;
;
:
ime partie de
la reconnaissance
que nous
devons à notre généralissime.
Que me fait
chante-t-il là?
L'épouvante
perdre la tête?... Je lui prends
fixe
dans, les
yeux toujours ce
le
lui a-t-elle
bras
sourire
je le
;
1),
je le
secoue.
— Il
— —
Hé là camarade réveillez-vous me regarde, interloqué semble-t-il Me réveiller? Pourquoi? !
!
— tour —
Mais, fais-je
l'jqué à
mon
votre généralissime?
—
Ce
serait plutôt
et c'est
moi qui
!
:
suis inter-
que voulez-vous dire avec
A
quoi cela rime-t-il?
à moi de vous demander
si
homme
vous ne dormez pas, riposte
le
avec un franc éclat de
Nous parlons de
rire.
Barrés, Tavez-vous donc oublié?
jeune
Et
je disais
que
Barrés, par la lucidité de son esprit, par son opti22
338
FACE A FACE
misme
raisonné, par les forces latentes qu'il décou-
vre et
met en mouvement dans
sance due à notre généralissime.
rait
le
la
reconnais-
»
un peu
J'écoute la voix posée,
Je regarde
masses pro-
les
fondes du pays, mérite une partie de
même.
lente
sourire qui atténue ce qui pour-
sembler d'un peu affecté dans cette sérénité
sous les obus... Ainsi donc, pendant
le
bouleversement produit
par la terrible marmite, malgré frayant qui serre rant, de sa
même
continuait
la
et maître de lui
le
cœur des plus
voix et de son
L'émotion m'étreint
;
ef-
résolus, l'aspi-
même
sourire,
commencée,
comparaison
comme un
tumulte
le
vieux grognard
l'admiration
me
calme I
trans-
porte. J'ai à la fois envie de pleurer et de rire.
Gomme je l'embrasserais volontiers le gosse le gosse, sonnent maintenant et même ces mots faux à mon oreille, tant l'aspirant a grandi à !
:
mes yeux, grandi
et vieilli
en quelques secondes.
Mais voici deux nouveaux obus,
deux
105.
L'un éclate à 10 mètres de nous, l'autre à 6 mètres.
Nul doute
;
la position est repérée
;
les artilleurs
boches en veulent à nos abris.
— Vite gagnons
!
la
dis-je
en
me
levant.
casemate blindée.
Dehors
!
et
LE
— Vraiment?
339
BOIS-BRULÉ
fait l'aspirant.
Vous croyez que
c'est bien nécessaire?
Le
sourire s'est accentué encore. J'ai l'impression
d'un peu de malice au coin des lèvres.
Ah
çà
!
est-ce
qu'il
de moi, par
ficherait
se
hasard? Aurait-il surpris dans mes yeux ou dans
mes
paroles une ironie pour son
nesse? A-t-il voulu
n'attend pas
le
me montrer que
fermeté, la bravoure
à
la tête
de ses
;
hommes
en a
il
qu'il
le
valeur
la
nombre des années, que,
pas l'expérience d'un chef, la
extrême jeu-
s'il
n'a
sang-froid,
saura se mettre
et mourir,
faut, en
s'il le
souriant, à la française?...
Quoi c'est
qu'il
pensé,
ait
un brave. Une
fois
je lui tends la main. Il surpris. N'a-t-il pas
quoi
qu'il
voulu,
ait
à l'abri dans la casemate,
me
tend
la sienne,
compris ce que
un peu
signifie cette
étreinte?...
Elle signifie,
mon
que de bon
aspirant,
et
grand
cœur, sans arrière-pensée, ni regret, ni amertume, vieux sergent,
le
si fier
pagne, remet, entre
les
de ses cinq mois de cam-
mains du bleu que vous
étiez tout à l'heure encore, l'autorité qu'ont lui
donner sur
ses
hommes, son
âge, ses
blancs et sa bonne volonté.
Vous
êtes son chef. Parlez
:
il
pu
cheveux
vous obéira.
340
FACE A FACE
XI LA VALLEE BLEUE
Ma
compagnie quitta
le
Bois-Brûlé,
dans
la
dernière quinzaine de mars, pour aller se reposer
quelque temps aux abris de l'étang de Ronval.
Un le
heureux hasard, auquel ne fut pas étranger
Ueutenant Jacquemot, qui commandait
pagnie, permit que plusieurs jours de n'eusse à conduire aucune corvée
:
la
com-
suite je
j'en profitai
pour pousser mes promenades autour de l'étang, dans cette vallée pittoresque au fond de laquelle coule le ruisselet de la fontaine.
Sur la prairie d'un vert sombre qui tapisse se reposent délicieusement
fond de la vallée,
le
mes
regards. Quel contraste avec les apocalypses de la forêt d'Apremonfe
:
entonnoirs tumultueux, souches
arrachées, branches éparpillées, végétation d'éclats
d'obus
!
L'étang, bordé de joncs, étale en son miheu une
nappe glauque que
ride le vent de la
Woëvre
et
sur laquelle se glisse parfois, rapide et peureuse,
une
sarcelle.
Des soldats égayent
les rives
de leur
LE
animation
de
et
linge, qu'ils
341
BOIS-BRULÉ
leiirs rires.
Les uns lavent leur
vont ensuite étendre sur
la route. D'autres plongent
les arbres
avec délices dans Teau
froide et transparente leurs torses nus, cirent les
fumées
Le long des
et les
Quand
marient
se
le ciel est
que noir-
boues des tranchées. grimpent
collines
hêtres, les ahziers dont teintés,
de
les
bouquets
en
sans nuages,
chênes, les
diversement
les feuillages,
harmonieux.
quand son azur peut
librement se réfléchir dans les brumes légères qui
montent du sol, la vallée entière semble vêtue d'une robe de gaze bleue.
Tout ici est intime et f amihal; tout
dit le bonheur
de vivre loin de l'agitation et du fraca« des
villes.
Mais pouiquoi nul battement d'ailes n'animet-il le
paysage
et
pourquoi le ciel de la vallée n'est -il
visité que des balles perdues et des éclats
A
balourd s?...
mi-chemin d'un coteau, en bordure de
forêt qui
commence, on a placé
cuisines
c'est le « village
:
nègre
la
l'infirmerie et les
».
Qui n'a pas vu ces quatre cents cahutes, dont pas une ne
émei^ent
se
les
ressemble
;
ces toits pointas d'où
faisceaux de perches; ces tourelies
composées de deux tonneaux superposés
et cou-
ronnés d'un clocheton de paille tressée; cette « villa »
dont qoiatre portes d'armoires, sculptées
342
FACE A FACE
d'un travail délicat, forment la façade ses trois autres pans, a
de coudrier
;
ce
«
dû
château
se »
et qui,
pour
contenter de claies
qui,
un premier
sur
étage de pierres, assemblées et cimentées avec de
//
Tout
la
ici est
boue, s'orne
«
\
/
intime et familial
comme au Louvre
nade de troncs d'arbres l'ingéniosité
(p. 341).
humaine,
;
»
d'une colon-
tous ces monuments de
toutes
ces
architectures
bizarres, issues d'une fantaisie désordonnée, celuilà ignore le sens
du mot
«
pittoresque
».
Les
voisins,
villages
343
BOIS-BRULÉ
LE
par
ruinés
canons
les
ennemis, ont fourni la plupart des matériaux. C'est
de leurs décombres qu'ont été retirés
les
poutres, les treillages, les planches, les boiseries,
meubles, qui ont servi à la construction et à
les
l'ornement des cabanes.
Pas une qui
n'ait
son Christ, sa Vierge de plâtre,
photographies de famille, son vase à
ses
fleurs,
voire son portrait de Félix Faure.
Ainsi des foyers nouveaux se dressent main-
tenant
sur les
débris des
disparus,
foyers
—
pauvres foyers mélancoliques uniquement peuplés
d'ombres
!
Marbotte ferme une des issues de l'amas
de ses maisons mortes,
la vallée
avec
au-dessus
des-
quelles, seule vivante, la petite église lance vers le ciel
son clocher haut.
Le talus de du
droite l'a protégée, et n'était le coq
clocher, dont une balle a tordu la patte, et qui
pointe la tête en avant,
on
dirait
que
comme
la guerre, prise
petite église, a fait
s'il
allait
plonger,
de respect pour la
un détour pour ne pas troubler
sa quiétude. J'entre, et
m'attend à nouille.
Un
devant
la porte,
la statue
de la Vierge qui
quelques instants je m'age-
regard ensuite autour de moi
:
rien
344
FACE A FACE
n'a changé, depuis la guerre, ni
ks bancs de
tout neuf, ni
chaire, ni la grille
le
chemin de croix
gros chêne poli, ni la
du chœur,
ni l'autel, avec ses
candélabres et ses sculptures naïves.
Cependant et cela
la
lampe du sanctuaire
est éteinte,
veut dire que des événements graves se
sont passés aux alentours et que l'église est aban-
donnée de son pasteur.
A
tout petits pas, je
Comme il fait bon ici... nous élèverons trois est apaisant,
réconforte
comme
«
dirige vers le
Maître,
tentes...
»,
si
vous
comme
le
chœur. voulez,
ce silence
ce spectacle familier apaise et
!
Chaque pas de
me
fait
lever
un souvenir
de campagne où
l'église
j'allais
:
souvenir
accompagner
ma
mère, enfant peureux qu'effrayait l'immensité
de
l'édifice
;
souvenir de première communion,
dans la basihque, tout embrasée de mille toïit
embaumée
souvenirs de la chère église, où
main de
ma main
dans
;
la
l'élue...
Comme Or, sans la droite,
mon
cierges,
d'encens, toute fleurie de roses
elle est loin, la
guerre
!
y prendre garde, je me suis écarté vers du côté du banc d'œuvre, et soudain,
pied trébuche. Je baisse les yeux...
coulé sur la dalle
et,
du sang a
sous une couverture enloques,
BOIS-BRULÉ
LE
deux cadavres sont cadavre
là,
d''un lieutenant
345
attendant la sépulture,
à la tête fracassée, cadavre
d'un soldat coupé en deux par un obus...
CHAPITRE Xn AD/UDAKT
Le séjour à l'étang de Ronval marque pour moi une date mémorable, car ce compagnie et
la 6®
depuis
A
mon
les
fut là
hommes
que
je quittai
avec qui
je vivais
arrivée sur le front.
plusieurs reprises, les
commandants de com-
pagnie qui s'étaient succédé à
une place sur
le
la 6®
m'avaient
tableau d'avancement
toujours
que fût l'insistance montrée.
j'avais refusé, quelle Ici
une parenthèse.
La
guerre
consomme beaucoup de
tion, et tout
:
offert
soldat,
ci»efs
de sec-
doué d'une intelligence et
d'une activité moyennes,
|>eut, sans
montrer une
ambition extrême, rêver aux galons d'adjudant
ou de sous-lieutenant. Qu'on ne voie donc pas, dans ce qui précède
marque
et
dans ce qui va suivre, une
spéciale de vanité, ni la conviction d'une
supériorité sur
mes camarades.
FACE A FACE
346 Je
de
me
rends compte, d'ailleurs, que
mes
me
ne
territorial
ma qualité
nuisait pas dans l'esprit de
chefs immédiats. J'étais, en effet, l'aîné de la
plupart d'entre eux, et je encore avec
le
paraissais davantage
mes cheveux argentés qui me don-
naient un faux air de vétéran.
Ce fut
lieutenant Saury qui se montra
le
ardent à m'entreprendre.
Il était,
avant
plus
le
la guerre,
avocat à Paris et probablement s'amusa-t-il de plaider cette cause, moins par une conviction pas-
sionnée de son sujet que par
triompher dans un art où Qu'il
ma
besoin d'exercer des
me pardonne
si
il
et
le
désir
ses
sa plaidoirie, traduite par
arguments,
essayer de les habiller
de
était passé maître.
bouche, ne garde plus aucune saveur.
reproduis
—
le
demeurées sans emploi
facultés
mais tout nus,
comme
il
savait
Je
sans
le faire.
Les services que vous rendez en n'étant que
sergent,
me
disait-il,
vous
les
rendrez bien mieux
avec un grade supérieur. L'autorité des galons renforcera votre autorité naturelle. Plus haut vous serez placé et
mieux vous pourrez remplir votre
devoir.
—
Ce n'est pas
mon
avis, répondais-je. J'étais
sergent dans l'active, je connais possède, et
si
je le
mon
métier, je le
domine un peu, tant mieux
pour ceux que
je
commande. Mais
préparé au rôle d'officier officier, inférieur
à
347
BOIS-BRULÉ
LE
ma
je
;
me
rien ne
tâche et dépaysé
avec des gens ne parlant pas
ma
comme
langue. Je nie,
que l'autorité s'accroisse avec
d'ailleurs,
m'a
sentirais, si j'étais
les galons.
L'autorité véritable ignore les marques extérieures
de respect.
Il
y a parmi
les.
simples soldats des
chefs-nés. Cela se reconnaît à la
promptitude de
la
à la fermeté du caractère, à la façon
décision,
joyeuse d'obéir. Cela se devine à une nuance de la voix, à
une attitude
Vienne une circonstance où
hommes
—
un
familière, à il
faille
et le chef se révélera et
il
du
pli
entraîner des se fera suivre.
Laissons^de côté les généralités,
lieutenant Saury, parlons de nous. nier que
l'homme
plénitude qu'en
visage.
disait
le
Vous ne pouvez
n'arrive à se réaliser dans sa
établissant
sa personnalité
au-
dessus des personnalités environnantes. Êtes-vous
donc
si
détaché des contingences que
l'offre
commandement^n'amène pas même un
d'un
cillement
à vos^ paupières?
—
Non
pas, je l'avoue
leux pour cela. Mais
il
:
je suis
y a des
bien trop orgueilsatisfactions d'un
autre ordre et que j'estime supérieures à la satisfaction^de et
commander.
A
mes débuts dans
la vie
tant que la maison choisie par moi ne fut
348
FACE A FACE
pas devenue ainsi que
«
ma
Maison
»,
je
me
suis
toujours efforcé de ne pas dépendre d'un seul
maître afin d'éviter à
mon cou
carcan de
le
la ser-
vitude. J'étais journaliste, mais j'étais professeur, et j'étais placier.
Ce besoin d'indépendance ne
pas atténué avec Page. Je ne veux pas
me
s'est
laisser
prendre dans l'engrenage. Je ne veux pas m'exposer à la tentation de collectionner des grades. Je
veux pouvoir
dire
au chef à qui
«Vous croyez que
plaire:
je
j'aurai cessé de
ne suis pas à
ma
place? remettez-moi simple soldat. Je n'en aurai nulle rancune pour vous ni pour
time.
—
moi
nulle méses-
»
Ce sont
là
de beaux sentiments, disait
le
lieutenant Saury....
Mais
une seconde parenthèse
ici
n'est peut-être
pas inutile.
Tout
ce qu'écrit
un peu, sans tament Il
un
qu'il le veuille, l'apparence
:
«Cette lettre que je
Ce chapitre que
dernier?...
Je
d'un tes-
.
pense
elles?
soldat qui se bat prend
l'ai,
fais,
d'autres la suivront-
je dévide, nesera-t-il
pas
le
»
cette impression, en écrivant ces pages,
plus forte que jamais.
Mon
bataillon, lancé en
LE
349
BOIS-BRULÉ
extrême pointe dans une région au
nom
enveloppé de trois côtés par
se trouve
ennemies. Le printemps s'épanouit dans
du
village
et de sa
Tout
tragique,
les
masses
les Jardins
occupée par nous, mais de sa fraîcheur
douceur jouirons-nous cette année? le
long, tout le long
du
jour, les
obus
ennemis martèlent et pétrissent nos décombres. nous faut nous terrer dans
Il
les caves,
en compa-
gnie des rats familiers. Quelle que soit l'ardeur soleil, c'est la
et
éclaire,
du
pâlote lueur des bougies qui nous
quand
parfois nous
nous risquons à
passer nos têtes par les portes basses, nous bat-
tons
paupières à la lumière trop vive, ainsi que
les
des oiseaux de nuit.
Nous ne sortons que
le
soir
quand
l'orage
s'apaise.
Vivre un printemps, la nuit, vous imaginez-vous '
que irs
cela représente?
la plainte
Pas de chants d'oiseaux,
de la chouette sinistre
:
c
Hou
hou,
hou hou! semble dire la chouette ;tu t'en vas parla lais
tu ne reviendras pas.
Dans
hou, hou hou
!
»
y a des fleurs ; nous ne les malgré nos yeux écarquillés, mais
les jardins
voyons pas,
Hou
il
parfois la brise soulève jusqu'à nos narines deS'
nappes odorantes, tissées de violettes et do fleurs de pêcher.
FACE A FACE
350
Des arbustes ils
Mais
rameaux que nous
s'abritent,
murs près
les
couvrent de feuillage.
desquels les
par
hâtifs, chaufîés se
pour sentir
brisons,
sous nos doigts la caresse des
feuilles,
nous sem-
rameaux
blent, avec la grisaille de l'ombre, des
d'automne, des rameaux de
feuilles
mortes.
Ajoutez à ces visions mélancoliques des obus
qui,
menace
la
nous sachant dehors, battent
plaine à notre recherche
;
la
qui nous suivent dans
nos rondes, qui nous guettent dans nos patrouilles et
permettez-moi de m'étendre tout à
puisque
le
sujet m'intéresse et puisque,
bout ce chapitre,
il
le
là
lieutenant Saury,
Diogène à qui
d'officier
mène au
mes pensées de
guerre...
de beaux sentiments, disait donc
moins de poser pour le
si je
;
aise,
permettra à ceux qui m'aiment
de connaître un peu mieux
— Ce sont
mon
un tantinet le
stoïcien de bronze
suffit
comporte
railleur. Mais,
à
ou pour
son tonneau, la qualité
avantages
certains
qui
ne
sauraient vous laisser indifférent...
—
Quels avantages? l'argent? je
besoins qui sont modestes
ne payerait pas
la
;
perte de
Le prestige? mes «sardines» (1)
suffis
à
une solde plus
mes forte
ma
liberté d'allures.
(1)
m'en rapportent
Désignation, dans l'argot militaire, des deux larges
galons dorés du sergent d'infanterie.
BOIS-BRULÉ
LE plus que ne
le
vous pas que avec
ma
351
Xe
feraient des galons ùor.
moustache épaisse de gendarme
front dégarni?
Qui
et
mon
dit sous-lieutenant dit saint-
jeunesse. Mais
yrien, polytechnicien,
bonne volonté
voye-z-
en sous-lieutenant
je serais ridicule
si j'ai
la
et l'ardeur de la jeunesse, je n'en
Que m'olîrez-vous encore?
ai plus les apparences.
des satisfactions matérielles? ime cagna moins étroite?
une couche plus confortable? une table
meilleure? mais ce qui justement dans
me
séduit davantage c'est qu'il m'appareille à
hommes. Je
vis avec
à leur gamelle j'ai froid
;
je suis ce
;
front
le
eux nuit
et jour
;
état
mes
mange
je
partage leur paille humide
je
avec eux
en venant sur le
mon
un
:
que
j'ai
vrai poilu.
;
rêvé d'être
Mon
sort est
plus beau et je n'en envie pas d'autre.
—
J'analyse vos arguments, rétorquait
tenant Saury, je
le lieu-
les dissèque, je les pèse, et
savez-
vous à quelle conclusion j'en arrive? Tout simplement à
vous formalisez pas) que
celle-ci (ne
vous avez peur des responsabilités.
—
Peur des responsabilités
profondément paraître.
mais
n'en
!
m'écriais- je,
voulant
Peur des responsabilités
ment, au cours de
ma
vie, ai
contraire, combien de fois
!
!
rien
moi qui
mérité
le
vexé
laisser
juste-
reproche
Combien de fois a-t-il dû
352
FACE A FACE
mon
refréner
zèle, le regretté
nos services à l'Havas
«
:
M.
de
Fillion, chef
C'est très bien, Péricard.
d'avoir des idées personnelles.
Il
ne faudrait pas
oublier cependant que la maison n'est pas à vous
Mais
s'agit ici
il
de sujets trop graves
d'enfants dont les mères
me
et,
»
plus encore,
du pays. D'autres sont mieux
salut
!
la vie
regardent, la vie de
pères dont les enfants attendent, le
:
qualifiés
que moi, que ces responsabilités stimulent. Pourquoi donc violenter mes goûts alors que sité
la néces-
ne m'en apparaît pas évidente?
Ainsi vagabondait la conversation de l'un à l'autre et je gardais le dernier mot.
Mais un jour
le
lieutenant Saury
avait dans sa voix
— Vous Il
ne
s'agit
déplacez constamment
le
il
y
:
problème.
mais de votre devoir.
êtes d'un avis, mais vos chefs sont d'un autre.
Et sans
biaiser, ni tergiverser
demande
:
«
Et
davantage, je vous
Avez-vous le droit de vous obstiner dans
votre refus?
»
Le
droit,
vous m'entendez,
cette fois le dernier
mot
devant :
le
chef de bataillon,
le
droit!
fut pour le lieutenant
Saury. Et quelques jours après,
sard
dit, et
pas de vos convenances, ni de vos pré-
férences, ni de votre opinion,
Vous
me
un peu d'impatience
le
je
comparaissais
commandant Fros-
LE
— le
Je vous ai proposé
commandant
les
yeux
Mais
...J'avais
de
BOIS-BRULE
se
il
comme
353 adjudant,
me
dit
Frossard, qui feuilletait des papiers,
baissés, et je suis heureux...
s'arrêta
brusquement. Ses yeux venaient
des souliers en boue, un pantalon en bous
(p. 354).
poser sur moi et une mine dégoûtée se des-
sinait sur ses lèvres. Il
faut dire que, descendu des tranchées la veille,
je n'avais
pas eu
le
temps encore d'enlever
souillures d'un long séjour en première ligne.
cheveux entraient dans mon cou
;
les
Mes
une barbe de 23
354
FACE A FACE
quinze jours hérissait jusqu'à mes yeux une forêt
de poils rêches
que de loin en
raître
mince carré
De quoi ne
le
des
j'avais
;
un pantalon en boue
;
boue ne
la
loin sur
en boue,
souliers
ma
laissait
appa-
capote quelque
d'étoffe jaunie... était-il
heureux,
le
commandant?
Je
saurai jamais sans doute. Je devais lui faire
horreur à lui toujours
si
net et
si
pimpant,
et qui
moyen de marcher dans nos boyaux
trouvait
sans maculer d'une tache
le
vernis de ses bot-
tines.
Je
fus
nommé
pourtant,
et
je
changeai de
bataillon.
comme
Quelques mois après, à Boncourt,
dans
saluais
celui-ci vint à
—
la
rue
moi
la
commandant
le
me
dit-il; j'ai
série,
appris avec
que vos chefs étaient contents de vous.
Je n'étais pas sans inquiétude (1)
Frossard,
main tendue.
Bonjour, Péricard,
plaisir
Dieu
je
(1)...
—
La
s'il plaît à suite de ces souvenirs paraîtra dans Pâques Rouges. C'est dans cette deuxième destinée à prendre place immédiatement après
—
Face à Face, que sera fait le Brùlé au mois d'avril 1915.
récit des
combats du Bois-
.
.
TABLE DES MATIERES
Pkéface
IX
PRE^nÈRE PARTIE
TERRITORIAL.
III.
La doulce mokt TAKTAKtS La ville désekte
IV.
La morgue TErxoNîîE
I.
II.
V. L'ACCOUTrMA>,XE
.
L'csios sackée
...
46
VIL Luttes rsTniEs ... VIII. Le VEXT du LARGE IX. La FOLLE DU LOGIS. X. Sur LE FRO>T
51
\T:.
.
.
.
57 63 69
DEUXIÈME PARTIE
SUR LE FRONT I.
Premières
impres-
sions
il coxsells aux bleus PRESnÈRES ÉMO.
77 83
m.
TIONS rV. L'rSDIFFÉKENCB
Première affaire. Tranchées d'octobre Yil. Le sergent Roger. V. VI.
88 VIII.
AUX
BALLES
Première
IX.
103 112
pa-
trouille 92
98
116 123
La \-isite
TROISIÈME PARTIE
PREMIERS COMBATS I.
II.
La
fraternité ARMES
La
force
DES 131
DE
l'exemple m. Première blessitre. rV. Grandeur et déca-
dence
V. \^.
Une charge
160
Le lieutenant DaVAL
169
Le
lieutenant Portefaix \T:II. a la dérive 151 IX. Premier repos. 138 145
^^I.
.
.
176 187 19i
.
TABLE DES MATIÈRES
356
QUATRIÈME PARTIE
TÊTE A VACHE I.
La guerre de
dé-
cembre
Noël 1914 III. Le caporal Daviet. IV. Je stns nommé géKÉRAL DE BRIII.
GADE V.
La botte de
VI.
paille.
Comme
il
y a dix
MILLE ANS
197
209 VII. Tranchées LE JOUR. 215 VIII. Tranchées la nuit. lieutenant IX. Le
Têtenoire 225 231
X.
237 242 249 254
Le déjeuner champêtre
262
CINQUIÈME PARTIE
LE BOIS-BRULÉ I.
II.
Le Bois-Brulé Le record de
269
la
tranchée
VII.
Le commandant de Laferrière
276 VIII. Le camp Touret. IX. Les hôtes des tran286 chées 291 X. L'aspirant Bi297 ZOUARD XI. La vallée bleue. 302 XII. Adjudant .
m. Cimetières
de campagne IV. Le caporal Hatton.. V. En famille et VI. Officiers
soldats français ....
!6.
— CoRBKiL, Imprimerie
CnÉrÉ.
309 320 325
332 340 345
UBRAIRIE PAYOT & C '^
Paris, 106, boulev.
CAPITAINE
Saint-Germam
Z...
L'ARMÉE DE LA GUERRE 3 50 de l'officier qui est l'auteur de Mais il a écrit, entre ses combats, un L Armée de la Guerre. livre remarquable, plein de feu, de maîtrise etde réalité; un livre qui suffit à classer son homme. Ce livre, je l'ai lu deux fois... ... I.' Armée de la Guerre aura certainement de l'influence sur notre corps d'officiers et sur les générations nouvelles. C'est, en quelque façon, un chef-d'œuvre... Il faut lire et faire lire L'Armée de la Guerre. Léon Daudet. {L'Action française.)
In-16 ...
J'ignore quel est le .
nom
.
STÉPHANE LAUZANNE
FEUILLES DE ROUTE D'UN MOBILISÉ 3 50 Ce livre est un de ceux qui, à distance, donneront le plus fldèlement l'impression de la guerre vécue au jour le jour... C'est par là. que des livres comme celui de M. Stéphane Lauzanne sont précieux ils nous défendront efficacement contre la légende de demain, et c est par eux que les hommes qui n'auront pas vécu le sombre drame comprendront vraiment pour quelle cause nous avons lutté et pour quel idéal nous avons In-16
:
soufifert.
Roland de Mabès. [Les Annales politiques
et littéraires.)
COMMANDANT EMILE VEDEL
NOS MARINS A LA GUERRE SUR MER ET SUR TERRE In-16
3 50
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On
s'étonnera que je parle d'un livre, ce que je ne fais jamais, surtout parce que je ne sais pas le faire. Mais ce livre-là, outre qu'il est admirable, est l'unique qui ait été écrit sur nos marins combattant à la mer. La grande épopée funèbre des Dardanelles, encore si peu connue du public français, a été fixée là par l'auteur définitivement, avec une vérité absolue et un relief souverain. Tels qu'il a su les décrire, à l'aide de mots pourtant très simples, les torpillages atroces, les luttes sousmarines dans l'étouffement et les ténèbres, les plongées pour ne plus reojonter jamais, dépassent en beauté et en terreur toutes les images qu'oo en avait données jusqu'à ce jour... Pierre Loti. {Le Petit Parisien.) .
LIBRAIRIE
PAYOT&C ^ Paris,
ANTOINE REDIER
106, boulev. Saint-Germain
(Lieutenant
R...)
MÉDITATIONS DANS LA TRANCHÉE ln-16
8 60
A mes fils, pour qu'ils hommes d'honneur, forts,
soient, quand ils auront grandi, des libres et braves », telle est la dédicace de ce livre de penseur et de soldat, franc et simple, profond et vrai. « Nous y avons trouvé, écrit M. Paul Courcoural dans le Nouvelliste de Bordeaux, de la joie, de la lumière, une âme et une pensée françaises au plus haut point, et, vraiment, c'est un beau livre, un livre puissant... un livre de bon sens, de santé et de vie ». «
ANTOINE DELÉCRAZ
PARIS
PENDANT LA MOBILISATION
—
1914
—
8 50
In-16
de M. Antoine Delécraz, Paris pendant la mobilisation, ne plaira pas à ceux-là seuls auxquels il est dédié, « aux Parisiens qui n'ont pas quitté Paris pendant les premières d'abord parce que beaucoup de journées de septembre » Parisiens ont du s'éloigner alors pour des raisons majeures ensuite parce que ce volume constitue justement un recueil de documents intéressants sur la vie civile de la capitale au début de la guerre enfin parce qu'il est écrit avec un pittoresque savoureux, et que les intentions parfois malicieuses de l'auteur s'atténuent d'une bonhomie indulgente et émue. ...
Le
livre
;
;
;
(L'Illustratio?).)
VICTOR BUCAILLE
LETTRES DE PRÊTRES AUX ARMÉES In-16
Uo
3 50
livre dont les multiples auteurs proviennent d'une partie très déterminée de la nation. Et il pousse pourtant notre vision bien au delà de telle catégorie sociale... toutes ses pages vibrent des frémissements de la patrie entière. Il s'agit des Lettres de prêtres aux armées qu'a recueillies M. Victor Bucaille... Pierre de Lescure. {Annales politiques et littéraires.) ...
LIBRAIRIE
PAYOT& C'^ Paris, 106, boulev. Saint-Germain LUIGI BARZINI
SCÈNES DE LA GRANDE GUERRE
—
1914
—
Traduction de Jacques Mesnil. 3 50
ln-16
EN BELGIQUE ET EN FRANCE
—
1915
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Traduction de Jacques Mesnil. 3 50
In-16
Je n'ai pas souvenance d'avoir lu livre d'impressions de guerre plus vivant ni plus poignant que les Scènes de la Grande Uuerre de Luigi Barzini... Il faut, pour que M. Barzini m'ait à. ce point séduit et bouleversé jusqu'aux moelles, qu'il ait été un témoin étrangement véridique et sincère, ingénu et savant... C'est un merveilleux écrivain, probe et sobre, un visionnaire précis, ardent et réfléchi. Je
prétends ne pas l'écraser sous le poids d'un souvenir trop puissant, lorsque j'affirme qu'il ne se trouve dans tout Tolstoï, ni dans La Guerre et la Paix, ni dans Le Siège de Sébastopol, une page plus angoissante, plus souverainement sensible et belle que celles qui sont ici réunie.-... C'est un livre en vérité entre tous les autres attachant et remarquable... Et j'attends avec impatience qu'il me soit permis d'en connaître les séries à venir, les Scènes de la Grande
Guerre en 1915.
André Foxtainas. [Mercure de France,
!«'
janvier 1916.)
COMTE ALEXIS TOLSTOÏ
LE LIEUTENANT DEMIANOF Traduction de Serge Persky. ln-16
3 50
Les récits du comte Alexis Tolstoï, dont les lecteurs du Temps connaissent le beau talent, méritent la lecture. Ce que je n'ai pu en montrer, c'est la singulière et saisissante ambiance de mystère dans laquelle ils se meuvent... Pierre Mille. [Le Ttmps.)
University of Toronto
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