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IMPRESSIONS DE GUERRE DE
PRÃ&#x160;TRES SOLDATS
ETUDES Fondées en 1856, paraissant deux fois chaque mois en grand in-8% la Revue comporte, avec des articles de fond et des variétés, une recension sérieuse des livres nouveaux. Recueil de haute vulgarisation avant tout religieuse, les Études font la première place à des sujets que leur importance maintient à l'ordre du jour, et auxquels l'intérêt passionné des hommes intelligents assure en notre temps livraisons de 144 pages
un
surcroît d'actualité.
Les Etudes ont publié, depuis septembre 1914, et continuent de publier, parallèlement à leurs Impressions de guerre, divers articles sur les questions de morale, de philo-
sophie et de psychologie soulevées par la présente guerre.
Les abonnements partent du 5 janvier, du 5 mars, du 5 juillet ou du 5 octobre.
Un an
:
Six mois
Fhance....
25
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—
France..
13
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—
:
Numéro spécimen
Union postale.. Union postale..
sur demande.
S'adresser à l'Administrateur des Études, 12,
rue Oudinot, Paris
(Vil')
30
fr.
16 fr.
IMPRESSIONS DE GUERRE DE
PRETRES SOLDATS RECUEILLIES PAR
Léonce de
GRANDMAISON
IMAGES DE LA GR.U'DE GUERRE
DE BRUXELLES A SALONIQUE
PARIS
LIBRAIRIE PLON PLON-NOUIIRIT ET C", IMPRLMEUKS-ÉDIÏEURS 8, RUK GARANCIÈRE — 6" 1917 Tous droils réserves
Nihil obstat. A. d'Alès. iO
décembre 1916.
Imprimatur Parisiis, die 16»
decembris 1916. H. Odelix, V- g-
Droits de reproduction el de traduction réservés pour tous pays.
AVANT-PROPOS
Un
petit
si
livre
ne souffre pas de
massif. C'est la raison qui
m'empêche de pré-
senter ce second volume d'Impressions
un
Recueil
du
militaire français de la
pour
servir
titre
à f histoire
et
à
comme
la psychologie
grande guerre.
Aumôniers, combattants, brancardiers,
les
prêtres-soldats qui ont bien voulu nous confier leurs souvenirs furent en contact étroit et continuel avec l'âme
du
soldat.
Sans y chercher un
sujet d'étude, appliqués entièrement à leur mi-
nistère sacerdotal et à leurs devoirs professionnels,
ils
n'ont pas laissé de bénéficier de la juste
confiance faite à leur caractère et à leur discrète sagesse. Peut-être n'ont-ils pas
que d'autres beaucoup
les
— encore que
la
mieux raconté
haute culture de
mît déjà hors pair parmi les chro-
IMPRESSIONS DE GUERRE
II
niqueurs du front
;
—
ils
ont sûrement vu mieux,
plus juste et plus au fond que la plupart de leurs émules,
touche au moral, aux
ce qui
croyances, aux sentiments, aux habitudes d'es-
bon accueil
prit des combattants. C'est, avec le
première série de ces Impressions de
fait à la
guerre des Études,
qui nous
ce
encourage à
publier celle-ci.
Quelques-uns des morceaux qui sent
:
Dans
Deux marsouins fournaise
la
moment ici,
ont retenu, au
qu'ils furent publiés, l'attention
large partie
vera
Verdun,
compo-
exemple, ou
de 1915, par
de
la
du public
français.
On
d'une
les retrou-
joints à d'autres récits d'une tonalité
plus grise, d'un intérêt peut-être moins poi-
gnant, mais donnant à merveille le sentiment
de cette longue guerre d'endurance guerre de
détail, d'attente et d'affût,
et invincible patience, et
primesautier de
excellé
—
l'offensive
et d'usure,
dans laquelle
la
à l'admiration et
la
de tenace
le
génie vif
France n'a pas moins
du monde
— que dans
guerre de mouvements.
Tahure à Troyon,
et
de Bruxelles à Salonique,
avec de longs arrêts dans ces
où nous promena
si
De
«
environs d'Arras
longtemps
la
»
prose réti-
m
AVANT-PROPOS
cente des Communiqués, et dans les champs,
désormais sacrés, des Hauts-de-Meuso
Verdun, nos souvenirs
se trouvent
et
de
former une
chaîne suivie. Mais, plus que dans cette continuité géographique, l'unité profonde réside
dans
l'esprit religieux qui
de ces pages où
anime
l'œil distrait
celles
ne verrait d'abord
puissamment rendues. Divers par l'attitude,
soudre section,
et
penché sur
le
consoler,
ou affermissant
le
mourant pour
entraînant le
fonction
la
moral de ceux qui le
soldat reste, dans ces récits sincères la réalité
messager
l'ab-
au feu sa
ont à subir l'assaut rageur des obus,
dans
même
sobrement notés, qu'émotions
que paysages
ou
ici
prêtre-
comme
de l'action, l'homme de Dieu,
et le bon sergenl
du Christ
Jésus.
Léonce de Grandmaison, Directeur des Études.
i" septembre 191G.
le
LIVRE PREMIER IMAGES DE LA GRANDE GUERRE
.
IMPRESSIOiNS DE GUERRE DE
PRETRES SOLDATS
EN CHAMPAGNE
1.
— Relève
de blessés à la Butte de
Tahure
{Champagne pouilleuse)
Mercredi 13 octobre 1915.
—
Hier au
soir,
au
coucher, on m'avertit que je devrais aller aujour-
d'hui aux blessés. Enfin, on va travailler sérieu-
sement! La nuit a été mouvementée; on a marmite notre bois; beaucoup d'entonnoirs dans
champ
le
à côté, quelques brandies d'arbres cassées;
pas d'autre dégât; mais les éclats au-dessus de nos abris
dormir dans une tombe.
:
sifflaient
ferme
j'avais l'impression de
IMPRESSIONS DE GUERRE
4
on nous donne un quart de café chaud, un morceau de fromage et du pain; puis on s'attelle deux à deux à une poussette, et
Dans
le petit jour,
en route. (La poussette est constituée essentielle-
ment par deux roues
assez hautes et légères, entre
un brancard. L'ensemble commode.) assez
lesquelles est suspendu est léger et
Nous
allons directement vers les tranchées, en
suivant la route de Perthes à Hurlus. Cette route a été
bien marmitée qu'il n'en reste plus grand'-
si
On en a fait une autre à quelques centaines de
chose.
mètres
;
On marche
à la queue leu leu, sans parler;
sergent.
dans
il
y a
donc douze hommes, un caporal
six poussettes,
un
route qui va vers Tahure.
elle aboutit à la
Nous suivons
la route
:
le jour est
le brouillard et le contraste est
et
rose
frappant de
ce calme et des horreurs que nous traversons.
A
une tombe d'Allemands a été retournée par une marmite c'est une sépulture de l'an dernier un crâne déjà desséché est sur le bord de l'entonnoir. Un peu plus loin, un obus est tombé, cette nuit, sur une cuisine roulante qui apportait la soupe aux combattants. Conducteur, côté de la route,
;
:
cuisinier, chevaux, tout a été horriblement déchi-
queté.
De
la cuisine,
il
reste quelques tôles tor-
dues, une ou deux tiges,
un robinet de cuivre
tout le bois a été consumé. C'est effrayant destruction. Il
;
comme
:
y a des débris informes mêlés à de
la terre
;
IMAGES DE LA GRANDE GUERRE ce sont les restes de deux
sont à côté
5
hommes. Les chevaux
l'un est décapité, l'autre a l'épaule
;
ouverte.
Une
pauvres
liéros
prière,
en passant, pour
les
deux
inconnus dont on ne parlera pas,
et
on continue. Nous arrivons au carrefour de la route de Perthes à Tahure. Le canon recommence à tonner. D'abord, une batterie de 75 qui tire derrière nous les obus doivent passer très peu liaut par-dessus nous on a une invincible envie de courber la tête et les épaules à chacun de ces Dumm... qui nous rasent. Puis, d'autres batteries s'y mêlent un peu plus loin, puis l'ennemi riposte. Nous avançons quand même. Les boyaux d'accès sont trop étroits pour laisser passer nos poussettes :
;
et
il
faut aller en terrain découvert en suivant la
Nous sommes obligés de contourner trois trous de marmite qui ont défoncé la chaussée. route.
Quelques
petits sapins
pés à hauteur
bordent
la route, tous
cou-
d'homme parles obus.
.En contre-bas, voilà un endroit ravagé, noirci, brillé...,
des bouts d'étoffe calcinés, des débris de
un entonnoir énorme, criblé de trous plus petits. C'est un dépôt de munitions boclies, qu'ils avaient abandonné là; un de leurs obus l'a fait
cuivre,
qui était
y a eu grand ravage tout ce inflammable, à 50 mètres à la ronde, a
flambé
poussettes, musettes, équipements, bois
sauter avant-hier,
de
:
fusil,
sapins.
plus triste
:
il
Un peu
;
plus loin, c'est encore
presque au milieu de
la
ciiaussée.
IMPRESSIONS DE GUERRE
6
quatre casques, trois énormes flaques de sang
avec quelques débris indiscernables; sur la haie, à côté, des cartouchières toutes neuves, avec leurs courroies jaunes. C'était,
hommes
qui se reposaient.
me
Un obus
Nous suivons encore
tous quatre...
milieu de débris de toutes sortes à côté,
dit-on, quatre
un boyau
circule,
;
les la
dans
on voit des
a tués
route au le
champ
têtes de fan-
y passent. Nous sommes au plus mauvais endroit, bien visibles, sur la route bien repérée tassins qui
par l'ennemi. Enfin, nous arrivons au poste de
On
secours où l'on doit nous amener les blessés.
de la route. Je
laisse les poussettes sur le côté
n'arrive pas à décrocher sette, la hâte
me
ma
bricole de la pous-
rend maladroit
mes camarades
;
sont déjà dans le boyau et m'appellent; j'essaye
de
me raisonner,
mais je sens, je l'avoue humble-
On ne
ment, une peur insensée m'envahir...
que moi, tout
me
Enfin, je
seul,
sur
cette route
décroche. Ouf
1...
blanche...
juste au
moment, une commotion me secoue;
voit
même
est-ce
un
vent violent, ou le bruit de la détonation, je ne sais
;
ma
tête rentre
qui se courbent
et,
d'elle-même dans
mes épaules
sans trop savoir ce que je
je dégringole dans le boyau. C'est
fais,
un obus de 305
qui a passé à 2 mètres environ au-dessus de moi, et a éclaté
100 mètres plus loin. Allons,
gardien veille sur moi
Le poste de secours
mon ange
!
est tout
simplement
le des-
IMAGES DE LA GRANDE GUERRE SOUS de
route
la
de tôle et de
:
un pont fait de rondins couverts y a peu de place et les bran-
terre. Il
cardiers n'y séjournent pas
blessés arrivent,
boyau
ils
:
en attendant que
Dans
les
côtés
de
creusés des trous, sortes de
les
un tronçon de
se mettent dans
de 100 à 200 mètres, parallèle à
long-
route.
7
cette
tranchée
loculii
où un
la
sont
homme
peut s'étendre. Ainsi on ne gêne pas la circulation dans
le
boyau,
éclats d'obus.
Il
et
on
peu près, des un obus tombe
est à l'abri, à
n'y a danger que
si
juste dans le boyau; alors on est enseveli.
Nous prenons chacun possession d'un trou attendons.
Il
et
y a encore, entre nous et les Alle-
mands, d'abord un terrain découvert, sans boyaux, de 1 500 mètres environ, coupé d'une ligne de tranchées
;
puis trois lignes de trancliées dans
un
le village
de
espace de 600^mètres environ; puis
puis Tahure occupé par nos tout avant-postes sommes nous L'endroit où mètres. l'ennemi à 300 ;
est
un des plus mauvais, car
rosent perpétuellement de
d'empêcher
les
munitions
« tirs
les
Prussiens
de barrage
l'ar-
», afin
et le ravitaillement d'ar-
river aux combattants de tranchées.
Et de
fait,
heures) que
sommes-nous là (il est sept marmitage commence; par rafales
à peine le
de quatre, de huit, de dix, les grosses marmites tombent. Elles s'annoncent de très loin par un
ululement qui s'approche, devient décliirant, puis éclatent en faisant une énorme colonne de fumée
"
IMPRESSIONS DE GUERRE
8
noire, de poussière, de débris... Les éclats vont retomber au loin en faisant chacun leur petite
musique.
On
se rencoigne dans son trou et
on attend en
supputant, de trou à trou, sur l'éclatement plus
ou moins proche de Il
marmite.
telle et telle
n'y a pas attaque aujourd'hui aux tranchées,
aussi les blessés sont rares, j'ai le temps de réfléchir dans si
mon
loculus.
Ce coin
oii
nous sommes,
horriblement bouleversé, coupé par les boyaux,
taraudé par les obus, remué, saccagé... C'est bien
sang
cette terre pétrie de
de ferraille dont on a
et
parlé dans les Études. L'impression est horrible-
ment
désolée, écrasante.
On
sent la puissance de
mort qui plane là. Une odeur douceâtre imprègne tout, odeur que je retrouverai plus tard la
sur les cadavres
:
celle
du sang desséché, cette
craie de Marne en est imbibée. C'est aussi l'odeur humaine pourrie, odeur d'excréments qui souillent
tous les tournants de boyaux, le réalisme
le
plus
abject à côté de l'horreur et de l'héroïsme; c'est
une odeur qui s'attache aux vêtements, à
la barbe,
qui reste en vous avec cette poussière pénétrante et
tenace... C'est ça, la guerre;
nous y sommes
en plein.
Le
bruit
du canon
est tel
que d'un côté à l'autre
du boyau on ne s'entend pas; je suis obligé de me faire entendre de l'homme couché à un mètre en face de moi. Un éclat d'obus gros
hurler pour
IMAGES DE LA GRANDE GUERRE
comme
la
premier de
main tombe entre nous deux journée; et
la
est cliargé de
fumée,
il
fait cliaud,
le ciel
:
9
c'est le
lourd,
semble tout
l'air
l)as
sur
nos tètes et toujours les marmites qui hurlent; il
est vrai
et ils
que
les 75,
en font, un
d'artillerie »
de tous côtés, y répondent, C'est le « duel acharné
raffiil!
que vous avez lu dans
les
commu-
niqués.
Le
sergent qui était resté dans
cours passe en se courbant dans blessé vient d'arriver.
A
Je sors du boyau avec sur la route.
Un
tète
le
«
Un
»
en se trouvant de
On ne
et seuls.
d'Iiommc dans cette plaine
battants.
:
coéquipier et monte
petit frisson
nouveau à découvert
boyau
le
votre tour!
mon
poste de se-
le
voit pas
une
remplie de com-
si
Les brancardiers régimentaires ont posé
brancard sur
par les boyaux.
le
bord de
Le
la
route et sont repartis
blessé est
là,
couché, en plein
sous les marmites qui passent...
Mon
Dieu,
j'ai
bien vu des l)lcssés à iMontauban, et {)Ourtant qu'était-ce à côté de
cela?...
On
n'a
même
pas
a malheureux en la jambe droite coupée au-dessus du genou, on voit les deux bouts d'os dans une bouillie rou-
pansé
le
:
vaut-il la peine?...
Il
jambe gauche broyée au til)ia; le [)ied gauche a été coupé en deux presque longitudinalement; une section assez nette qui laisse voir les bords du soulier emprisonnant une tranche de geàtre, la
quelque chose qui ressemble à du haciiis de porc.
IMPRESSIONS DE GUERRE
10
La
section, en biseau,
va de
la
base du petit doigt,
qui seul reste, à la clieville interne
terre.
c'est hor-
:
Les habits sont noircis de poudre
rible!..
Le
de
et
masque
visage entièrement couvert d'un
de sang- coagulé, à travers lequel fdtrent deux de
regards
comme
il
écrasé.
Il
ment
bête
peut, que c'est
explique,
une marmite qui
est resté huit
n'est-il
L'homme
blessée...
l'a ainsi
heures enseveli...
sont colles au sang de sa lèvre inférieure.
comme
au travers
il
peut.
Son aspect
nous restons abasourdis, malgré Puis
prend
Il
parle
que
est tel
danger.
le
sentiment de la réalité nous revient; on
le le
Com-
pas mort? Les poils de sa moustache
brancard, on le suspend à la poussette,
puis bricole à l'épaule, et en route.
On
sur cette route défoncée!
l'homme ne
se plaint pas
:
fait
«
Que de cahots
attention,
mais
Allez, vite, vite, »
Après 200 mètres, plus de route; une
répète-t-il.
marmite, depuis notre passage de ce matin, défoncée.
Il
faut descendre dans le
champ
l'a
(si
on
peut appeler cela un champ), puis, à force de
coups d'épaule, remonter
on
étouffe,
le
le talus.
casque pèse
entend un chant continuel,
Nous
haletons,
On
horriblement... srar
une note
jolie,
presque mélancolique... Je n'ai analysé que plus
Ce sont les obus de 75 qui passent sur nous et les éclats d'obus boches, en tard ce que c'était.
nombre basse est
qui pleuvent partout la par les éclatements de marmites à
incalculable, faite
:
IMAGES DE LA GRANDE GUERRE tout instant, et cela devient fait
si
11
continuel qu'on n'y
plus attention, on va tète basse, tirant de tout
son poids,
aliuri, abruti
par ce bruit, endormi par
On ne raisonne on n'a plus peur, on marche la gorge pleine de poussière je récite machinalement un acte de contrition que je recommence indéfiniment, sans trop savoir ce que je dis. Pourtant, je n'ai pas la cette note chantante des obus.
rien,
:
sensation d'avoir peur,
comme
tout à l'heure.
Derrière nous, le blessé se plaint;
demande
si
on n'a
})as
Un
arrêter. C'est dangereux... et ça
y
est.
On
arrête
il
a froid,
une couverture. effort
mon
il
faut
de volonté,
en pleine route.
n'avons pas de couverture, j'étends
Il
ma
Nous
pèlerine
m'a envoyée et qui fait pour la seconde fois la campagne) sur les jambes en bouillie du malheureux. Puis on repart. Enfin, voilà le relais de voitures. Un peu de calme. Le blessé est posé dans une tranchée tandis de caoutchouc (celle que
frère
qu'on charge d'autres brancards.
Le pauvre homme
s'est
confessé et a reçu
rextrôme-onction déjà, d'un prêtre soldat qui a aidé à le déterrer... Je lui renouvelle l'absolutionIl
est mort, m'a-t-on dit,
dans
la voiture, après
même
route, reprendre
2 kilomètres.
Nous revenons, par
la
au poste de secours et on attend. Les marmites sont un peu moins nombreuses, c'est-àdire qu'il n'y en a plus qu'une toutes les deux ou notre
[»lace
IMPRESSIONS DE GUERRE
12
minutes. D'autres équipes partent,
trois
emme-
nant chacune leur blessé... Je mets un peu de poussière de craie sur à
mon
sang qui est resté attaché
le
caoutchouc. Dans
de moi, un
l'abri, à côté
brancardier lime paisiblement un coupe-papier
du cuivre d'une ceinture d'obus. tout cela.
Je
Il
me
autre,
un
hommes
un peu dans
lève et circule
écrit...
est habitué à
est sur le front depuis le 10 août 1914.
homme
chaque trou a son qui
Il
fait
On en
le
boyau;
qui dort, qui
mange,
vient à se rassurer.
De temps
à
détachement de quinze à vingt
petit
vont vers les tranchées de première ligne
ou en viennent. Ils
passent à la queue leu )eu, surchargés de
leur sac et outils, pioches, pelles.
Ils
sont blancs
de poussière de craie, hâves, sales indescriptible-
ment. Plus de couleur à leurs habits, tout est gris; il
semble
qu'ils n'ont plus
de sourcils, que leurs
moustaches ont disparu; une couche de craie de sueur cache leur peau; leurs yeux brillent dedans;
ils
défilent
sans
parler,
et là
automatiques,
sans vous regarder. Pauvres gens; voilà quatorze
ou quinze jours
qu'ils
couchant par terre
ment, attendant
peu
et froid.
On
la
sont dans
l'incessant
bombarde-
à tout instant,
mangeant
sous
mort
tranchées,
les
leur porte la soupe de 2 kilomètres
à l'arrière, dans des seaux en
toile.
Elle arrive
couverte d'une couche de poussière de craie, et froide; et puis
ils
ont du
«
singe »; pas de vin, pas
.
IMAGES DE LA GRANDE GUERRE
13
d'eau ou presque... Ah! ceux qui se plaignent à l'arrière
Un
!
.
petit
groupe se forme au bout du Ijoyau. Le
sergent parle avec un Il
s'ag-it
homme
chercher
d'aller là-bas,
tombés devant Tahure sans passer sous
le
qui vient de Tahure.
et qu'on
deux blessés
ne peut aborder
feu d'une mitrailleuse boclie...
faut amener des poussettes pour les rapporter; on demande des hommes de bonne volonté, ce
Il
Nous partons à quatre, traînant deux poussettes, avec un sergent, gros pépère sera dangereux.
placide, calme et brave.
à Tahure,
On
la route directe, d'ici 1
200 mètres, mais
en enfilade par le feu des tranchées on interdit d'y passer, ce serait folie.
elle est prise
ennemies,
Par
y aurait à peine
il
et
un détour de 2 kilomètres. Il n'y a pas de boyau. Nous descendons de la chaussée; d'abord, un champ de terre rougeàtre avec quelques trous d'obus; puis nous contournons un petit bois au fait
:
tournant, quatre carcasses de ciievaux qu'il faut
enjamber
et
sur lesquelles faire passer les pous-
settes. C'est liideux!..
bois
s'élargit
passe sur
le
:
c'est
Le
petit défdé entre
deux
maintenant une piste qui
côté d'un
petit
clianip,
gorge de
30 à 40 mètres entre deux bois. Les deux bois sont remplis de nos soldats dans les trancliées;
ils
nous font signe de nous liàter en liocliant la tète. je regarde, il y a làIls lèvent les yeux en l'air bas, au bout (\u délilé, un ballon-saucisse boche :
n
IMPRESSIONS DE GUERRE
qui ne peut pas ne pas nous voir.
Nous formons
avec nos deux poussettes un groupe trop compact.
On va pas;
manque
certainement nous repérer. Ça ne
un obus de 77 tombe dans
qui est criblé de trous, déjà.
Il
champ
le
à côté,
n'éclate pas...
Nous
nous séparons.
mon compagnon. Un
Je prends de l'avance avec
obus tombe sur
la piste
derrière nous,
l'autre poussette, et éclate
retombe sur nous en d'arrière
pluie,
sonne sous un
devant
fort bien... La terre un casque du groupe
éclat d'obus...
Rien! pas
de blessés, c'est miraculeux. Nous prenons
le trot
en conservant nos distances.
Les poussettes bondissent par-dessus les entonnoirs. D'autres obus tombent dans le champ à côté... Les uns éclatent, les autres non, on n'y fait plus attention, on trotte. Le défilé s'allonge entre les bois.
Mon
Dieu!
comme
c'est long!
Implaca-
blement, les obus nous suivent et éclatent à notre liauteur,
mais à gauche... Décidément
» y voit de travers. Enfin voilà le bout du défilé;
la «
sau-
cisse
triste spectacle
tournant, à 4 mètres sur la gauche
:
au
un cadavre de
deux poings fermés, ©n distingue sa mâchoire crispée, ses deux poings menaçant le ciel. Il faut passer. Pauvre homme Qui est-ce? Qui le pleurera là-bas, en France?... soldat. Il est sur le dos, les
1
Un peu
plus loin,
un
autre, puis
deux ou
trois
autres en groupe, couchés sur le côté ou sur le
IMAGES DE LA GRANDE GUERRE
15
ventre, les bras étendus. Pauvres morts!.. Mais
nous sommes presque arrivés; tourné à angle droit et
là tout
la petite vallée
a
près on distingue à
300 mètres des j)ans de murs dans des arbres hachés, sur un monticule. C'est Taliure, dont on a tant parlé... Sur la droite, adossés à la colline,
protégés par un repli de la vallée, on distingue des
cahutes en bois très bien construites. Devant, des
hommes «
vont, viennent.
Écuries allemandes
».
Ce sont
les
l'hiver et s'étaient installés. L'offensive
tembre
les a chassés.
de secours... Les
anciennes
sont restés là tout
Ils
du 25 sep-
Maintenant, c'est un poste
hommes
qui sont là nous font
vivement signe de nous mettre sur
le côté
de la
vallée.
En
effet,
dans
le milieu,
mitrailleuse qui, par
on
est sous le feu d'une
une dépression do
la butte,
Et nous entendons soudain des dzinn^ dzimi, significatifs. Nous sautons de côté, et, après fauclie tout.
avoir passé par-dessus une tranchée, pleine de poilus, qui barre la vallée,
nous voilà en sûreté
aux Écuries boclies. Voici, sur une cinquantaine de mètres, à moitié creusées dans la colline, à moitié construites,
des écuries pour les
chevaux, des
hommes, un salon pour des officiers. Devant, une pompe bien cimentée. J'y vais prendre un peu d'eau, elle est fraîdie, excellente, je remplis mon bidon. Ce sont les Allemands habitations pour les
qui ont
fait
creuser ce puits, très profond,
paraît-il.
16
IMPRESSIONS DE GUERRE
Tout cela
est
organisé solidement, proprement,
durable, bien à
Nos deux blessés sont
l'abri.
là;
tombés au milieu de la vallée à 30 mètres ils à peine (là où nous sommes passés) en voulant aller directement de la tranchée aux Écuries, sans passer par le boyau. Ils sont restés quelque temps étaient
au milieu;
aller les
sûrement:
ils
chercher eût été se faire tuer
ont réussi à se traîner jusqu'à l'abri
des Ecuries. Blessures relativement légères dans les
jambes.
On
un peu; on en
souffle
pour
profite
regarder Tahure. Cette butte dont on a tant parlé, objectif qui a coûté
si
cher... J'y suis
presque
:
200 mètres à peine. Et qu'est-ce? Presque rien; petite butte, une taupinière; que de sang
une
Les obus français ont inondé pendant soixante heures tout le coin où nous sommes. On en a tiré, paraît-il, plus de deux millions et nous
versé
!
î
qui,
après deux cents ou trois cents marmites,
étions dans
un
d'énervement
état
!
A
quel degré
d'abrutissement n'ont pas dû arriver ceux
qui
étaient là, dans ces écuries bien propres, dans ce «
Voir
tant je suis ravi d'être
venu
salon bien coquet... J'ai envie de dire
Tahure
et
mourir!
»
jusque-là. Je pense au
tainement passé par
commandant
ici;
à
mon
:
H... qui a cer-
frère, dont cette
butte a été l'objectif pendant longtemps... Mainte-
nant ça y
est,
giner ce que,
elle est à ici,
ce
pensées, d'idées tristes
nous.
nom et
On ne
peut s'ima-
de Tahure évoque de
glorieuses à la fois
!..
IMAGES DE LA GRANDE GUERRE
17
Je veux essayer d'aller au village, dans lequel
il
une ligne de tranchées des nôtres. C'est interdit. J'aurais peut-ctre, au cimetière, s'il existe encore, trouvé quelques traces, une tombe... Il y a
faut repartir.
poussette. souffrent
chercher chir
:
le
Nous chargeons nos blessés sur
Ils
heureux
sont
pour nous si loin... Il
et
plaindre
oublient
qu'ils
venus
d'être
la
les
y aura un mauvais pas à fran-
milieu de la vallée, là où la mitrailleuse
donne. Nous y sommes passés sans défiance tout à l'heure maintenant, un petit frisson Allons, un acte ;
.
d'abandon à Dieu, un signe de croix au grand
Nous
voilà à
au beau milieu de
l'endroit le plus critique, petite gorge, pas loin
on se lance
et
trot, tirant les poussettes...
la
du groupe de cadavres qui
ont été étendus là par la mitrailleuse. Allons-nous être
dans
comme eux dans un instant?.. Mes idées filent mon esprit avec une rapidité vertigineuse :
je remar([ue presque simultanément notre petit sergent qui trotte
gros
de toutes ses forces, tout
suant, son ventre secoué
comme un
panier à sa-
remarque que les poilus de la tranchée, sur laquelle nous repassons, sont propres et
lade, et puis je
ont
l'air
doute...
content. L'eau de la
Ahl
les bienfaits
à Madagascar...
Si les
pompe
boclie, sans
de l'eau!... Puis je pense élèves
du collège nous
voyaient tramant cette poussette!.. Et puis, tout d'un coup, une vive douleur au talon
avec ledit talon n.
la
roue de
:
la poussette
j'ai
calé
lancée à 2
IMPRESSIONS DE GUERRE
18
toute vitesse sur
que, mais je
ment
me
une
petite pente; je
relève
mon talon me
;
tombe presfait
violem-
mal... Mais, dzin, dzin, dzinn... voilà la note
chantante des balles. Clopin-clopant, mais sans
diminuer
nous trottons, nous
la vitesse,
Nous dépassons
les cadavres
:
je
trottons...
remarque leurs
molletières, bien sanglées, couvertes de boue...
Et enfin,
le
tournant, la vallée où les obus nous
accompagnaient; nous sommes hors du champ de mitrailleuse.
la
n'y a plus
Il
que
obus
les
à
craindre, c'est relativement peu.
Nous allons au pas on est haletant, époumonné, notre blessé rit de tout son cœur Nous ;
refranchissons les cadavres de chevaux, comptons les trous
d'obus tout en marchant, nous rions,
nous sommes gais d'avoir échappé au danger et sauvé deux braves gars une fervente prière de remerciement. Et nous voici au poste de secours. :
Ce
n'est plus qu'un jeu
mais tout
il
:
y a encore du danger,
est relatif.
— Je
Jeudi 14 octobre.
passe la journée, assez
calme, à mettre en ordre affaires et souvenirs. Ce matin, un cheval a été tué dans le
champ
à
gauche
de notre cantonnement par un éclat, ou une balle perdue. Je le vois
d'ici,
noire au milieu du
promener à hier.
A
faisant
champ
une grosse bosse
grisâtre. J'ai été
me
cette place, en toute sécurité, avant-
sept heures du soir, on appelle les
hommes
IMAGES DE LA GRANDE GUERRE
ma
de
section; on craint
breux blessés, dans
comme
une attaque
de
et
Nous partons,
la nuit.
19
nom-
étjuipés
à l'ordinaire, mais sans musette ni bidon.
Je n'emporte que
mon
fidèle caoutcliouc.
Nous reprenons la même route connue; mais un dédale, un enchevêtrement, un fouillis
c'est
viennent
inextricable de cuisines roulantes qui
porter la soupe et le café aux combattants. Elles s'arrêtent en
hommes
lile
interminable sur la route et des
avec des seaux de
toile distribuent
la
pitance dans les tranchées... les Allemands connaissent certainement cette affluence de ravitaille-
ment,
connaissent aussi la route
ils
;
ils
ont assez
vécu dans ces parages, tout est repéré. Cependant, par une sorte de convention tacite, les canons se taisent à ce moment et, dans la nuit, la soupe va en paix vers
les poilus.
Pourtant quelquefois un
obus inattendu arrive en plein sur les
équipages enclievétrés,
fait
la route,
parmi
sauter cinq ou six
chevaux, autant d'hommes, une ou deux cuisines roulantes...
masse
et puis
le silence
les débris des morts,
se rétablit,
on écarte
éventrés et les cuisines serrent la primal)le, l'insouciance
monde
a par
de
la
les
file...
on
ra-
chevaux
C'est inex-
mort que tout ce
ici.
Comme
nous arrivons en cet endroit (l'embranchement des deux routes), traînant avec peine nos poussettes au milieu de cet enchevêtrement de
chevaux
et
de cuisines, je sens mes yeux
me
IMPRESSIONS DE GUERRE
20
une envie de fermer les yeux, de pleurer... Mes camarades connaissent déjà cela. » Vite, les lunettes bien « Des gaz lacrymogènes
picoter ferme, puis
!
assujetties sur le nez... Quelle tête devons-nous
avoir
!
Mais ce n'est pas assez, cinq ou
éclatent
pas
sourdement à quelque distance.
comme
on vous ser-
si
rait à la gorge... puis la respiration
nible
:
devant
«
Des gaz suffocants
le
!
obus
ne font
presque aussitôt, une
le bruit ordinaire... Et,
sensation d'étranglement,
six
Ils
»
On
devient pé-
adapte
le
masque
nez et la bouche, on serre vigoureuse-
ment, on est à moitié
nous entendons
les
étouffé.
Derrière
nous,
chevaux qui renâclent, qui
s'ébrouent; puis, une à une, les cuisines font tête-
à-queue
au plus vite en ferraillant.
et s'éloignent
Les poilus
auront-ils leur
soupe ce
continuons à marcher, à tâtons, car les lunettes
jaunes enlèvent
le
soir?... il
fait
Nous
nuit et
peu de lueur qui
Les yeux me piquent horriblement, par suite du gaz que j'ai emprisonné dedans on étouffe sous le bâillon du tampon-masque, et
reste...
;
pourtant c'est
le salut
:
il
faut les laisser.
L'impression de ces gaz est abominablement démoralisante. la
On
merci de tout;
se sent pris, sans rémission, à
c'est l'air respirable, la vie et la
vue qui manquent à la fois. Fuir... où? dans quelle direction ne s'étendent-ils pas? Ils couvrent toute la plaine; et cela
devrait
en plein
manquer de
air, là
où jamais on ne abominable
cet airl Quelle
IMAGES DE LA GRANDE GUERRE angoisse! Ah! les misérables! le seul
moyen de
Ils
faire reculer les
Avec un violent
effort
21
ont bien trouvé
Français
!
de volonté, en tenant la
mon
poussette qui est devant moi et que
coéqui-
marcher je ne sais comment, j'avance à tâtons, me demandant avec une certaine angoisse comment cela va finir... Je sens la peur m'envaliir de nouveau! et puis cela se dissipe peu à peu. La confiance me revient, aveuglé
pier,
aussi, fait
lui
mon masque
peut-être est-ce, tout simplement, que
fonctionne bien.
Nous Il fait
revoilà au poste de secours de ce matin.
noir
blessés;
il
cette nuit. bilisés là
comme
dans un four.
Il
n'y a pas de
n'y aura probablement pas d'attaque
Nous
pour
voilà vingt-deux
la nuit
croupit par terre sous
iiommes immo-
sans aucun travail.
le
pont de
la route, le
On
aux genoux. Défense d'allumer quoi que ce défense de causer trop
fort...
Et les
s'ac-
menton soit;
hommes com-
mencent à se traîner. Mon compagnon a une montre à cadran pliosphorescent, ce qui permet le raffinement du supplice de voir s'écouler trop lentement les heures. Neuf heures du soir... dix heures... Ouf! mes jambes recroquevillées me font un mal horrible. Je propose à mon voisin d'en face (car nous les
autres
comme
sommes
entassés les uns sur
des harengs dans une caque)
d'étendre une de ses jambes entre les miennes,
pour que je puisse en
faire autant de
son côté.
Il
IMPRESSIONS DE GUERRE
22
avec reconnaissance. Nous
accepte
amis pour
la vie. C'est horrible
voilà
bons
de rester replié
sur soi-même sans rien faire toute une nuit.
commence
On
à faire froid.
grelotte;
des changements de jambe... Enfin, on l'ordre
Quel
d'enlever les masques et les
De
bienfait!
l'air
pur!
par les deux bouts du pont,
Le temps
comme
fait
d'air frais
:
passer
lunettes...
est clair et
par des ouver-
tures de tunnel, on voit briller les étoiles...
gave
Il
on essaye
On
se
pendant ce temps, on ne pense
incommode
des jambes. Mais jambes recroquevillées vous rappellent durement à la réalité. Ce dessous plus à la position
tout passe, et bientôt les
de pont doit être
on s'étend faite, Dieu tant l'un
là
sale, ignoble.
On
n'y voit rien,
dedans, dans une boue douteuse,
de quoil...
sait
un coude
là
On
se repose en met-
dedans, puis l'autre.
contre l'autre; on grogne!
Il
On
s'accote
n'est qu'une
heure du matin encore quatre heures de supplice. :
Je n'y tiens plus, je sors
dans
le
et vais
me promener
boyau. Le bombardement recommence
:
ce sont des 77, dont beaucoup n'éclatent pas, heu-
reusement, car
la terre est ameublie... J'ai froid
aux pieds cruellement; je trotte dans le boyau. A côté de moi, quelques énormes rats, si gros que je les prends d'abord pour des chats, passent, disparaissent dans les trous où nous étions ce matin I
Quelle horreur!
Je dis
mon
De quoi
sont-ils nourris,
ceux-là?
chapelet, je fredonne, je pense
à
IMAGES DE LA GRANDE GUERRE Madagascar, à mes parents, je passe avec une lenteur!...
Il
23
le temps deux heures et
prie...
est
demie du matin; presque plus de canon. Seuls des 75, par petites raffiJes brutales qui déchirent le silence,
envoient des obus vers les Allemands,
puis tout redevient silencieux, pour
minutes plus
dix
Ils
recommencer
tard.
sont crispants, agagants, ces 75...
sont pas tus de toute la nuit;
ont
ils
l'air
ne se
Ils
de dormir
puis tout d'un coup, vlan, vlan... une rafale
et
rageuse montre qu'ils veillent.
Le sommeil m'accable...
tant pis
je m'enroule les pieds dans
mon
pour
les rats!...
caoutchouc, et je
m'étends dans les trous-abris d'hier. Le sol en est fait
de petits morceaux de craie,
loux concassés
:
c'est
comme
des
atrocement dur, ça
cailsalit
plus que la boue; ça entre dans les chairs... Ah! les
beaux habits bleu horizon! à quelle sauce on
même à moitié... Je rêve que les rats mangent mon caoutchouc et que je suis devant mon frère, penaud, m'excusant
les
met! Et je m'assoupis tout de
de n'avoir pas pris plus de soin de ce précieux
vêtement. Vendredi 15 octobre.
— Ouh!
là! je
engourdi, meurtri, roué de coups. Je peine, sors de
engourdis
mon
aussi,
me réveille, me lève avec
trou... D'autres brancardiers,
sortent
de
dessous
boueux, ignobles; je dois être
comme
le
pont;
eux. Je
IMPRESSIONS DE GUERRE
24
sens que
ma
barbe est pleine de
craie... Il est six
heures du matin. Nous repartons pour
nement,
et j'y dis
ma messe
tranchée relativement sûre
Que
le
bon Dieu
le
canton-
avec délices dans et
ma
presque propre 1...
est boni...
Paul DE LA
D...,
ancien missionnaire à Madagascar, brancardier à la N° division.
2.
— Leux marsouins
Fred... Frédéric sans doute. lui
connaissaient d'autre
nom
de 1915.
Les camarades ne que ce sobriquet
d'outre-Manche. Lui, pourtant, n'avait rien de britannique. C'était l'apache montmartrois dans toute la
pureté de la race, sans croisement aucun
:
m. 80 de haut, maigre, nerveux, la peau basanée par la fumée des bouges, les yeux noirs, vrillants 1
dans
l'orbite creusé
par les nuits de crime, parais-
sant plus noirs et plus mauvais encore sous les
cheveux de regard,
pour mieux dissimuler
le
descendaient jusqu'au bas du front;
le
jais
qui,
visage imberbe, malgré
ses
vingt-huit
ans; la
lèvre carminée par des années d'alcool et pen-
dante sous un bout de cigarette toujours éteint; les épaules voûtées, des bras et,
aux biceps d'athlète pour commencer tous les gestes, un mouve-
IMAGES DE LA GRANDE GUERRE ment de
main
la
Quand
poing fermé, où l'on
droite,
croyait encore voir le
«
surin
».
arriva sur le front, au mois de décem-
il
bre, instinctivement, les voisins
—
25
«
se garèrent
»,
d'autant qu'il n'était pas dans son escouade
deux
depuis
heures que l'on
savait
anciennes accointances avec Bonnot dernières
condamnations, à
déjà
ses
et ses trois
l'une pour vol,
lui,
deux autres pour meurtre.
On
distribuait ce matin-là des paquets de car-
touches. Fred prit les siennes des mains du gradé.
Attends un peu que je mette à part celle des gé-
néraux
», traîna-t-il
avec son accent faubourien...
Tous avaient entendu. Pas un
n'avait
souri;
dans ce régiment d'infanterie coloniale, où les ditions étaient particulièrement glorieuses,
chefs aimaient passionnément leurs
les
heures
difficiles,
où
hommes,
téressaient à chacun, vivaient de leur vie
tra-
et,
les
s'in-
dans
ne leur commandaient qu'une
chose, de les suivre, les complots antimilitaristes
Le mot de Fred était commandée
n'avaient pas cours. Or, l'escouade
jeune de tous. Petit-Pierre
comme on
—
ou
«
fit
scandale.
par le
le
plus
gosse
»,
l'appelait avant qu'il n'ait conquis ses
galons rouges. * *
De son
*
père, de sa mère, de son enfance, Petit-
Pierre ne savait rien. Ses souvenirs ne remontaient
IMPRESSIONS DE GUERRE
26
pas au delà d'un voyage en Amérique, avec une troupe de musiciens dont, à sept ans,
il
était le
violoniste prodige et l'attraction la plus lucrative. avait couru le
Depuis
lors,
monde
», disait-il
des grandes
En gent
il
monde,
—
le «
grand
voulait dire les musics-halls
villes.
août 1914,
—
il
:
car,
avait dix-huit ans, pas d'ar-
il
gagnait gros,
s'il
il
dépensait plus
— et
un ravissant minois blondin, qui lui une aventures romanesques et, tout fraîchement encore, une « peine de cœur », Celle-ci, beaucoup plus que l'idée de patrie, l'avait encore,
avait valu mille et
décidé à s'engager pour la durée de la guerre.
Je
fis
sa connaissance au début de l'hiver, dans
les tranchées de Massiges. la table rase
:
il
En fait de
religion, c'était
ignoraitjusqu'aunomde Notre Sei-
gneur Jésus-Christ, jamais entendu.
Il
c'était, croyait-il,
qu'il
ne se rappelait pas avoir
avait bien vu des crucifix, mais un épouvantail pour menacer
de pendaison les enfants pas sages. Dieu fut
vinement bon pour n'avait rité.
même
cette
âme
di-
à qui personne
essayé de donner un rayon de vé-
En quelques
jours la grâce l'illumina tout
entière.
Affiné par
l'art,
peut-être aussi par des hérédités
ignorées, Petit-Pierre goûtait de véritables jouis-
sances à s'entendre exposer les merveilleuses har-
monies du catholicisme. L'incarnation,
la
rédemp-
tion, l'eucharistie, la sainte Vierge, autant d'aperçus
IMAGES DE LA GRANDE GUERRE nouveaux qui
le ravissaient, qui satisfaisaient enfin
les aspirations
de sa belle nature.
Le baptême ne les ruines
22
tarda pas. Je le lui conférai dans
de Massiges, au matin d'une journée qui
ma
s'annonçait dure. Puis, sortant de petite hostie, je lui
custode une
donnai ce Dieu près duquel
il
avait passé dix-lmit ans durant, en inconnu, et qu'il aimait déjà
en ami, avec toute sa naïve
déli-
catesse dartistc. J'attendais, je l'avoue, avec une certaine curiosité, les premiers
quand
il
mots de cet enfant
se relèverait de son colloque intime avec
Jésus, la première pensée éclose de cette première
communion. Le moment venu de rejoindre son poste, il rouvrit les yeux et, m'embrassant doucement « Père, je vous les amènerai tous. » Dès cette première heure où il tenait son idéal, :
Petit-Pierre sentait le besoin, le devoir de le révéler
à d'autres. sig"ne
Ceux qui auront
eu,
comme
moi,
l'in-
bonlieur d'assister, durant la guerre, à la ré-
demption des âmes de soldats
et, chez bon nombre une sanctification rapide, précipitée, événements semblaient forcer la grâce à
d'entre elles, à
où
les
condenser en quelques jours son travail ordinaire
de longues années, auront remarqué que tout converti, si égoïste, si
timide
fût-il,
devenait, à dater
de son premier contact avec le corps du foyer rayonnant de vie divine,
Deux jours trois
après,
camarades,
o
«
Vous
le
un
gosse
Ciirist,
un
apôtre. »
les aiderez
amené un peu, Père:
m'avait
IMPRESSIONS DE GUERRE
28
comme
sont
ils
sur le bon Dieu.
j'étais;
Tout naturellement se
n'en savent pas long-
ils
»
aussi,
une transformation
dans son caractère, mais lente, très lente.
fit
Avant d'atteindre
la
fermeté du chrétien, sa nature
sensitive eut à subir des chocs douloureux. Et puis les habitudes
de toujours étaient
là, et la
situation
près des camarades, et les contre-attaques du
faite
démon, furieux d'une
si
belle prise de la grâce.
Contre tout, Petit-Pierre eut vite trouvé vatif
cliaque jour, où que nous fussions,
:
geait
il
«
exi-
sainte eucharistie.
» la
Que de ment, je
préser-
le
le
quand nous étions au cantonnetrouvai, le matin, rôdant aux alentours
fois,
de son abri! Assailli la veille au soir par les
solli-
citations criminelles de voisins de paille, incapable
de résister par la force, là,
toute la nuit,
il
s'était
enfui au dehors et
— ces nuits glaciales d'hiver, —
il
avait battu la semelle en récitant son chapelet.
Quand
je paraissais alors,
je vais enfin l'avoir!
malgré tout dait-ii, tant
vie,
a
Ne vous
que j'aurai
Et
il
radieux
était
comme
à Jésus
un
pour racheter
:
«
Ah!
je le grondais
inquiétez pas,
me
répon-
ma communion quotidienne,
marchera. Et puis, je suis
le reste d'ofi"rir
:
»
petit sacrifice
ma pureté.
si
heureux
pour expier
ma
»
La grâce résistait
le portait visiblement. Avec elle, il aux quolibets, muet d'abord et gauche,
bientôt gai, presque crâne. Lui, l'artiste rêveur,
IMAGES DE LA GRANDE GUERRE
29
nerveux, susceptible, craintif de toute gène tout danger, d'alléger ses
il
fit
de
serviable, toujours préoccupé
camarades
— pour
leurs;
se
et
— môme
vaincre la peur,
surtout les
rail-
se proposait à
il
toutes les patrouilles de volontaires; au créneau, il
regardait longuement par l'ouverture, défiant le
fusil
braqué en face, à 20 mètres, parfois moins.
Un beurcux coup allemand, où
gradé le
qu'il
il
de main sur
accompagnait, acheva de
respect des camarades
quand
le
et,
lui
«
:
Aujourd'hui,
donner à Jésus.
»
Il
galonnées de rouge.
escouade
et lui
hommes.
»
«
me
conquérir
un matin de décembre,
je lui apportai la sainte hostie,
radieux
petit poste
tua trois Boches et sauva la vie du
j'ai
un
petit
il
me
dit,
cadeau à
montrait ses manches
Je vais lui consacrer
promettre de
lui
mon
gagner tous mes
Et c'est pourquoi, sans doute, huit jours à peine après qu'il avait été
nommé
caporal, Notre Sei-
gneur amenait Fred dans l'escouade.
* *
Petit-Pierre avait tressailli au scandaleux propos
du nouveau venu.
Comme
éclair de pensée, la gravité
nait infailliblement
chef,
il
entrevit
entrevit, en
un
et ce qu'entraî-
— que d'autres de\oir; — comme
son intervention
auraient d'emblée jugée son apôtre,
il
du cas
une manière beaucoup plus
IMPRESSIONS DE GUERRE
30
haute de remplir ce devoir
Dieu Il
et,
:
même, donner un soldat à
par là
âme
sauver une la
à
France.
sembla n'avoir rien entendu. Mais, quand la nuit fut venue, tandis qu'on
veil-
aux créneaux, doucement il s'approcha de Sous la capote du petit caporal, le cœur battait à tout rompre cette première tentative pou-
lait
Fred...
:
vait tout
prière
gagner ou tout perdre. Quelle fervente
il fit
avant de parler!...
D'abord,
il
bon truc » pour l'ouverture du créneau
enseigna un
lui
masquer, tout en visant,
«
qui se détachait sur le clair de lune. Puis, accou-
dés sur les sacs à terre, tout bas, on causa de
choses €t
— des Boches qui
et d'autres,
qu'on entendait tousser,
dentes,
—
de
la
guettaient là
— des attaques précé-
guerre, pour la maudire, mais
aussi pour reconnaître qu'il fallait bien nous dé-
fendre et défendre les autres... Méfiant aux pre-
miers mots, Fred
s'était
peu à peu détendu. L'on
en vint tout naturellement, tout amicalement, à la plaisanterie malheureuse. Fred, de nouveau, se mit
en garde. Mais douce,
cœur durci qu'il
la
voix de l'enfant se faisait
elle allait si délicate
les
si
toucher au fond du
quelques fibres encore sensibles,
en fut tout remué.
Il
surtout parce qu'elle avait
regretta la parole dite, fait
de la peine au
petit,
peut-être aussi parce qu'il en sentait déjà la honte,
sans en comprendre encore l'erreur. Petit-Pierre, après avoir serré la
Et
main de
quand «
son
IMAGES DE LA GRANDE GUERRE
homme
»,
quitta le créneau,
les tranchées,
une
il
31
aperçut, par delà
au
étoile qui se levait
ciel
du
bon Dieu...
Le lendemain,
les jours suivants,
tâche, activement, hai)ilement Mais
à forte partie
Quand
me
de
ger.
Il
»
continua sa avait aflaire
l'apache tenait bon.
m'en
parla, je lui répondis
l'amener.
qu'il est,
rien.
il
:
il il
—
vous n'en ferez
n'y a que le
:
rien,
Tâchez tel
personne n'en fera
bon Jésus qui peut
Je ne pensai pas alors qu'il disait
Noël
«
Je tâcherai, Père. Mais,
le clian-
si vrai.
approciiait. C'était l'occasion rêvée. Petit-
Pierre se promettait d'amener Fred à la messe de
minuit que nous préparions dans une grange à moitié détruite, près des tranchées. Hélas! Fred, lui aussi, avait
organisé sa nuit de Noël et
lon dans son trou, à deux mètres sous
passa toute la nuit, ivre-mort... Malgré
le réveil-
terre. Il le
y
décor de
notre étahlc où naissait l'Enfant Jésus, malgré le Minuit, chrétiens, le Noël de Paix et toute la joie,
toute l'espérance de cette fête, quand Petit-Pierre s'agenouilla sur le foin pour
communier, je
vis
dans ses yeux des larmes de douleur. * * *
Un mois
après,
comme nous
étions au repos,
Fred, pour faire plaisir à son petit ami, accepta enfin de le suivre à l'église. C'était à C..., dans
IMPRESSIONS DE GUERRE
32
cette petite église
aux vitraux brisés par
les obus,
au bénitier ignoblement souillé par les Allemands sacrilèges, mais où la Vierge prit sa revanche en
ramenant à son
En rales,
Fils tant
d'âmes de coloniaux.
ce matin de dimanche, nef, chapelles laté-
chœur jusque
bien avant
derrière l'autel, toute l'église,
l'-heure, était
bondée de
soldats.
Sur
la
place, des flots de retardataires battaient la porte.
Fred, qui n'avait jamais franchi le seuil d'une église depuis près
pas.
Dominant
de quinze ans, n'en revenait de sa haute
la foule
taille, il
voyait
ces centaines de marsouins faire ce qu'il croyait
indigne d'un
homme
:
Tandis que, gagné
prier.
déjà par l'ambiance du recueillement,
cherchait
il
à se remémorer quelque bout de prière, on en-
tonna
les cantiques
:
Pitiés
mon
Dieu... Credo...
Ave, ave Maria..., des chants qu'il croyait bien avoir
entendus quelque part^ avoir chantés lui-même.
Avec ces vieux sentiments
ne
airs lui revenait
quelque chose des
qu'ils avaient jadis éveillés
sais quoi qui
en
lui,
je
montait du tréfonds de son être,
ohl de très, très loin, et qui était doux au cœur...
Les
refrains
scandés, puissants,
s'enlevaient,
dans l'accord des voix mâles de réservistes, qui chevrotaient sur les
couplets du
voix presque enfantines des
comme
foyer,
petits 15
»
et
des
sonnant
des clairons de charge. Dans ce cri de
toutes les poitrines passait si
«
un
tel
acte de foi,
ardente supplication, que Fred crut sentir
une une
IMAGES DE LA GRANDE GUERRE
33
larme perler au bord de ses yeux. Du revers de sa main droite, la main du surin, il effaça rapi-
—
—
dement, honteux.
On
sonnait le Domine, von sum dignm. Apres communié, je me retournai pour adresser quelques mots à cette foule Nous devions remonter aux tranchées le lendemain. Sur les liommes qui m'écoutaient, combien, avant le dimanche suivant, auraient déjà dû répondre à l'appel du Maître et Juge de là-haut? Cinavoir
quante au moins, avait attaque,
s'il
n'y avait pas attaque;
s'il
y deux cents, cinq cents peut-être. Et
combien avaient
la possibilité
de se confesser entre
corvées ou exercices presque ininterrompus
les
du cantonnement? Combien, dans de
la
la
promiscuité
tranchée? La plupart, cependant, voulaient
leur réconciliation avec Dieu; les autres étaient
près de la vouloir; et tous n'avaient-ils pas, en ce
danger de mort imminent,
le droit
— et
le
devoir
—
àmc par le divin viati(jue? Aussi, commenté l'Évangile du jour, (jui
de réconforter leur après leur avoir disait
la
prédilection du Pasteur pour
brebis
la
égarée, blessée aux ronces des mauvais chemins, je leur (lu
fis
faire l'acte
de contrition, l'acte do désir
retour au bercail, avec la promesse de la confes-
sion
quand
elle serait possible, et,
comme
toujours
en pareil cas, je leur donnai l'absolution générale.
mot d'un de mes amis, communion ».
Alors, suivant le « la
ruée à II.
la
ce fut
3
IMPRESSIONS DE GUERRE
34
yeux
Petit-Pierre, les
mains jointes
baissés, les
en prière sur son képi blanc de boue, vint à son tour.
n'avait pas regardé
Il
paupières closes, tout
Fred
mais sous ses
;
regard de l'àme
le
allait
à
lui, et toute la prière aussi.
Fred
hésita. Il se retourna.
ne bougeaient pas, mais
il
Quelques camarades
ne
les connaissait pas.
Son cœur se mit à battre. Pourquoi? il ne le savait Quelque chose l'attirait là oii le prêtre avait dit d'aller, là où les camarades allaient presque tous, là où Petit-Pierre allait avec tant de joie et trop.
de beauté sur
me
c'est lui qui
front. «
le
détailla
Après tout, se
me
Aurait-il pu Évidemment,
buer le
et c'est
quelque chose
mettra bien avec le bon Dieu.
grand pas décidé,
il
dire
»
Et, de
son
s'avança...
au juste ce
l'hostie
ronde
qu'il allait faire?
voyait distri-
qu'il
pas du pain ordinaire, on venait de
n'était
dire;
il
—
dans la suite ce drame
intime, — ça ne coûte rien qui
dit-il,
même
avait
compris
bon Dieu qu'on recevait
là.
que
c'était
Et, là-dessus,
le
de
vagues réminiscences de sa première communion lui passaient dans l'esprit, vagues,
—
oh!
très
quelques mots du catéchisme, des mots vidés
fleurs,
rouge que
le
— des
images d'autel couvert de de brassard blanc, de cierge à poignée
de leur sens,
et franges d'or,
de dispute à
père avait trouvé que
penses pour rien,
la
maison parce
c'était
bien des dé
— mais aucun souvenir de cœur.
IMAGES DE LA GRANDE GUERRE
35
aucune impression clirélienne qui subsistât, car aucune n'avait trouvé place dans ce cœur de onze ans déjà gâté, déjà plein d'idoles grossières, quand
Jésus y
était
venu pour
la
première
fois.
Cette seconde rencontre fut tout autre.
fumait encore,
le souffle
et assez puissant
pour
La mèclie
de Jésus fut assez doux
la rallumer.
Tandis que Fred, tout occupé de régler sur
les
voisins l'attitude de ses grandes mains, recevait
Dieu
et revenait
avec Lui près de Petit-Pierre,
doux
quelque chose d'infiniment quelque chose
même
:
Il lui semblait que tout qu'une vie nouvelle commenmalgré lui, il se redisait à lui-
s'en allait,
meilleure,
çait,
l'envahissait,
l'amour, mais l'amour vrai,
jamais connu.
qu'il n'avait
un passé
comme
« Il
et,
faut que tu ailles te confesser. Puisque
tu as
communié,
Va te
confesser.
La messe
c'est
comme
tu l'avais promis.
si
»
finie,
Petit-Pierre
emmena
Fred,
sous le porche, les yeux Immides de joie, serra violemment la
que
main
:
«
l'ajustant
avec
les
un regard
:
«
Oui,
—
fit-il
d'une voix
basse qui tremblait, presque honteuse,
que
circu-
remettant son képi, et
deux mains comme pour mieux
étouffer sa réponse
crois
et,
lui
C'est bien, Fred, ce
tu as fait là! » L'autre jeta
laire sur les voisins, puis
il
— oui, je
je suis changé. »
Vingt-([uatre heures encore
il
lutta.
lendemain, quelques minutes avant
le
Enfin, le départ,
il
IMPRESSIONS DE GUERRE
36
s'approcha de moi, esquissa
le geste
un salut militaire au garde à vous
me
l'aumônier, je voudrais
du surin, puis
confesser.
Monsieur
«
:
»
une scène toute divine. La grâce était visiblement agissante, donnant à ce criminel à
Ce
...
là,
fut
peine terrassé
repentir
le
et la générosité
d'un
saint.
Quand
il
se releva, de sa capote
tefeuille crasseux.
déchira deux photographies.
glabre d'apache, où s'adoucissaient, je «
sortit
Et, sur
déjà les
un
vis
un por-
plis
il
cette face
de
la
haine
sourire, le premier.
C'est fini », articula-t-il énergiquement.
En échange,
je lui donnai le corps très pur de
Notre Seigneur. Cette connaissance, avec la il
il
Simplement, naturellement,
fois, foi
il
le
reçut en pleine
ardente du néophyte, et
partit radieux.
Devant
la
grange, on
sifflait le
rassemblement.
Fred, en passant devant Petit-Pierre, lui jeta, tout
bas
:
«
Ca m'a
La Il
La
brebis galeuse est retrouvée et lavée.
b.
fait
.
.
route se
pleuvait.
du bien
fit
On
1
»
en silence. La nuit
glissait à
autre, quelque facétie
roulait dans la
tombée.
chaque pas. De temps à
du marsouin qui tourne tout
à la blague, quelque juron
ou
était
d'homme
boue avec sac
qui s'enlisait
et fusil.
IMAGES DE LA GRANDE GUERRE Fred,
37
fécond d'ordinaire en grossières apos-
si
ne disait pas un mot. Petit-Pierre respecce mutisme et, dans son âme débordante de
troplies, tait
joie,
continuait, lui aussi, l'action de grâces, en
il
égrenant son chapelet
et
des mots sans
fin
de
reconnaissance.
La relève faite, chacun veilla aux créneaux. L'ennemi, à qui ne pouvait écliapper ce long vaet-vient dans les
boyaux,
tiraillait
plus que de cou-
tume.
Quand
le
jour se leva, on s'aperçut de part et
d'autre que nul ne songeait à sortir pour attaquer; les fusils se
calmèrent un peu.
on commença
On alluma les pipes,
les causeries, ces interminables et
toujours identiques causeries des tranchées
connaissent que deux thèmes
:
la
(jui
ne
guerre présente
et les plaisirs passés.
A
première grivoiserie, on attendait
la
plique de «
Erreur,
Fred.
Elle
mes amis,
ne vint pas. On fit
la ré-
insista.
l'apache interpellé, vous
avez connu un Fred, vous en connaîtrez un autre.
Et ce fut autre.
vrai.
Tenue,
A
dater de ce matin, Fred fut
»
un
discipline, langage, préoccupation,
tout cliangé, méconnaissable, du jour au lende-
main, avec une violence de volonté extraordinaire.
Cependant, volonté, ils
il
ne
comme
s'il
se défiait encore de cette
quittait plus le caporal.
causaient des heures entières
aîné,
mais pour ce qui est de
:
«
Ensemble, Je suis ton
la religion, je suis
IMPRESSIONS DE GUERRE
38
ton bleu,
il
faut
que tu m'instruises.
»
Et Petit-
Pierre instruisait.
Sa première leçon sur la
avait,
comme
communion quotidienne
:
de juste, porté
désormais, ce fut
—
chaque pour eux deux que je dus chaque jour prêtaient du moins circonstances fois que les s'y
—
ouvrir
ma
custode en passant. J'avais pro-
posé à Petit-Pierre de suggérer à Fred quelques actes d'action de grâces. lui parlera
Non, Père,
«
mieux que moi.
Petit-Pierre^ depuis quelque
quait l'examen particulier
:
le
bon Jésus
»
il
temps
déjà, prati-
se reprochait,
comme
une grosse indélicatesse envers Notre Seigneur, de s'impatienter contre ses hommes. Il réclama une petite feuille pour Fred, lui expliqua le mécanisme et en détermina la matière. Ensemble, le matin, on se rappelait le défaut à combattre et l'on invoquait l'aide du bon Dieu et de la sainte Vierge ensemble, tout au long du jour, on s'avertissait; ensemble, le soir, on s'examinait, on marquait, ;
l'un contrôlant l'autre, et l'on se punissait aussi il
y avait un
tarif,
qui portait sur les
«
:
toujours fixé par Petit-Pierre,
douceurs
les misérables extras
». Ils
appelaient ainsi
qu'une bonne aubaine leur
permettait parfois de joindre au misérable ordinaire.
Le
soir était l'heure des plus délicieuses confi-
dences. Accoudés au créneau
— ou, quand on
au cantonnement, couchés l'un près de
était
l'autre,
—
IMAGES DE LA GRANDE GUERRE ils
commençaient par
ensemble
dire
persévérance à tous les
A
le cliapelet.
une inten« Pour notre toujours deux. » Puis on causait,
chaque dizaine, Petit-Pierre tion et la dernière était
39
spéciliait :
peu du passé, davantage de l'avenir
de ce que
et
du présent,
l'on ferait après la guerre, plus encore
des joies et des peines, des difficultés morales, de
Notre Seigneur surtout drais arriver,
me
de son amour.
et
«
Je vou-
confiait le catéchiste, à bien le
convaincre que cette vie n'est rien à côté de l'autre. »
Puis on choisissait une intention pour la
communion du lendemain et, toujours ensemble, on faisait un bout de prière, que Petit-Pierre terminait par cette demande « ... Et si nous devions :
plus tard mal tourner, faites-nous tuer maintenant.
»
D'abord Fred avait éncrgiquement protesté contre
mais
cette addition;
expli(juée qu'il s^était
l'autre
la
rendu
et,
lui
avait
puis,
murer
«
:
En me disait
Oui.
signe de croix
un
instant,
final,
mur-
»
parlant de ces causeries, Petit-Pierre
un jour
ciel... »
bien
presque toujours,
Petit-Pierre le voyait alors se recueillir
en faisant son
si
:
«
Je
commence mon
me
bonheur du
Et c'était aux tranchées, à quelques mètres
des fusils boches toujours en éveil, sous les incessantes rafales de
toujours
l'artillerie,
prêtes à sauter,
au-dessus de ruines
—
ou bien dans
granges ouvertes au froid, sur
la paille
les
nauséa-
bonde, peuplée de ce qui fut un des supplices
les
IMPRESSIONS DE GUERRE
40
plus durs de notre hiver
son bonheur du
:
l'apôtre
«
commençait
ciel »
En même temps
qu'il
façonnait le chrétien,
il
s'appliquait aussi à former le soldat. Habilement, il
avait dosé les difficultés, faisant appel à l'amour-
propre renaissant pour
lui confier des
périlleuses, lui faire prendre
missions
conscience de son
courage, lui faire rendre des services militaires
dignes d'être signalés aux chefs.
Très à ses
vite,
Fred
prit
communions
:
goût au métier. Je
lui aussi,
il
quotidien, mais parce que, disait-il,
donne la force de bien L'escouade
n'était
faire
pas
le sentais
réclamait son pain «
c'est lui qui
mon devoir
me
de soldat
sans bénéficier
».
de la
A eux deux, ils eurent tôt fait de donner aux conversations un ton nouveau, de bonifier, plus ou moins, chacun des camarades. transformation.
Aussi bien, Fred n'absorbait pas Petit-Pierre au point de lui faire oublier sa promesse à Jésus-
Hostie
:
«
Je
lui
gagnerai tous
mes hommes.
»
Bientôt il n'en restait plus que deux à décider. Fred avait dit « Ceux-là, c'est de mon monde, je m'en charge. » Mais, lui, il y allait à grands coups de voix. C'étaient des discussions violentes, aux arguments étranges, d'autant plus affirmatifs qu'ils ne valaient rien. Il ne s'en tenait pas là, heureuse:
ment. Avec un sens chrétien qui me surprit, il imagina de « se chiner un peu », comme il disait,
—
traduisez
:
de faire des sacrifices,
— pour
les
IMAGES DE LA GRANDE GUERRE âmes
qu'il voulait
semaines,
il
sauver. Et, pendant plusieurs
cessa de fumer, lui qu'on avait tou-
jours vu le mégot à la bouche; à dater du jour,
chine
«
41
»
plus sensible encore,
il
môme
abandonna
aux camarades ses rations de tafia... Un matin de mai nous avions alors
—
quitté le
secteur de Massiges pour le fortin de Bcauséjour
— nous le soir
:
reçûmes
nous tenir prêts pour
l'ordre de
des renseignements de prisonniers annon-
une attaque à dix-huit heures. Le temps était affreux. Pluie fine, pénétrante, qui ne cessait pas depuis trois jours. Les bovaux étaient rempHs d'eau. Durant plus d'un kilomètre, il fallait se dépêtrer d'une boue gluante, où l'on çaient
enfonçait jusqu'à mi-cuisse. pas, les
hommes
Y
trébuchant
à
chaque
étaient littéralement enduits de
marne blanche, vêtements
et
peau, depuis la chaus-
sure jusqu'au képi. Plusieurs, la nuit précédente, s'étaient enlisés,
si
bien qu'on avait dû les faire
dégager par une équipe armée de
pelles. D'autres,
blessés par les obus qui ne cessaient, eux aussi,
de pleuvoir, étaient tombés,
et la
les avait noyés. J'en recueillis un,
boue profonde dont rien, à
la
surface gélatineuse, ne décelait la présence, mais
mon
pied avait butté contre le cadavre.
Il
venait
sans doute de tomber là quelques instants avant
Dans ce bloc informe, je cherchai quchjue ap[)arence de chair pour y appliquer les que je
n'arrive.
saintes huiles...
IMPRESSIONS DE GUERRE
42
Comme
toujours depuis des mois dans ce fortin,
l'odeur des cadavres nous prenait à la gorge. Plus
de deux mille hommes, Français tués sur le
agonies,
et
Allemands,
coup ou morts après d'inimaginables en décomposition, jusqu'en
étaient là,
bordure des parapets. Impossible de
les
enlever
sans être visé à coup sûr par les mitrailleuses.
Impossible aussi de creuser fallait
pourtant bien
davres,
et,
—
la terre
ce qu'il
— sans piocher dans des on
tout au long des tranchées,
ca-
frôlait
membres suintants, des crânes ouverts... Quand je débouchai de l'escouade, les deux
des
inséparables étaient blottis l'un contre l'autre, les pieds dans la boue jusqu'au mollet, la tête sous la
de tente déjà traversée.
toile
Fred
astiquait son fusil, sa
avec amour.
Ahl le
je
«
commence
à vivre
Parce
»
1
pays, risquer la mort,
lui, le
main
C'est- il vrai qu'ils
il
caressait l'arme
vont attaquer? qu'il allait,
commençait à vieille
enveloppe
mâchonnée déjà par la pluie, une chanson. « Père, écoutez. Mais vous retournée,
franchement votre choisir
un autre
Et puis tout
Et
avis. »
d'une chanson ignoble...
si joli!
vivre,
viveur et l'antimilitariste d'hier!
Quant à Petit-Pierre, sur une
pu
pour
air...
le
il
Mon
il
rimait
me
entonna, sur
direz l'air
petit,
vous auriez
— Oh! Père,
celui-là est
«
monde
le
connaît et ça fera
que les soldats qui l'aiment auront dessus une bonne chanson au lieu d'une mauvaise. » Sa
IMAGES DE LA GRANDE GUERRE bonne chanson », dont il au Bulletin des Armées^ disait «
nial.
me
Je ne
du refrain
43
projetait déjà l'envoi les gloires
rappelle que
les
du N* colo-
derniers vers
:
Nous lutterons jusqu'au
trépas,
Mais les Boch' ne passeront pas.
La communion de
ce jour-là, dans l'expectative
d'une attaque, fut particulièrement fervente, énergique.
peuvent venir, maintenant,
» dit
Fret!
Or, dans l'après-midi, bien avant l'heure
dite.,
«
ïls
en remettant son képi.
une formidable explosion bouleversa notre première ligne. Trois mines allemandes venaient de sauter, ensevelissant une demi-section et creusant, sur une longueur de près de 50 mètres, un entonnoir dont
l'ennemi voulait
ment, une rafale d'obus chées. Mais, en l'autre côté, le
un
profiter.
Simultané-
s'abattait sur
instant, avant
commandement
nos tran-
même
que, do
de sortir fût donné,
nos marsouins, d'un bond, avaient franchi
le
para-
pet et sauté dans l'entonnoir. Spontanément, do ces héros courant à la mort, repris aussitôt par tous
un chant avait
jailli,'
:
Allons, enfants de la patrie...
En taient.
face, à
De
">
mètres, les fusils allemands crépi-
droite et de gauche, les mitrailleuses
balayaient les abords du trou, et
le siflleinent stri-
IMPRESSIONS DE GUERRE
44
dent de leur va-et-vient fauchait les renforts. Mais
mourants se vacarme des obus. Le canon-
et le bruit des balles et les cris des
perdaient dans
le
revolver rugissait, presque à bout portant; les lourds 105 ronflaient, puis éclataient
comme
des
tonnerres, soulevant des colonnes de terre et de
fumée
noire, pendant que
geurs par-dessus nos têtes
les et,
75
passaient ra-
avec une précision
hommes Un nuage
effrayante, craquaient là, à 20 mètres des
On
qu'ils protégeaient.
n'y voyait plus.
opaque, brûlant, à l'odeur acre, empoisonnante, couvrait le fortin.
Dans
cette nuit subite, l'écla-
tement des grenades jetait des lueurs rougeàtres, illuminant une mêlée monstrueuse de corps renversés, de baïonnettes, d'écrasements à coups de
Pour comble d'horreur,
crosse, à coups de pied.
chaque obus, frappant des cadavres,
faisait gicler
sur les vivants des lambeaux de chair humaine, fraîche ou pourrie... Et,
du fond du gouffre, à
vers ce fracas de mort,
monter,
alerte,
tra-
on entendait toujours
rythmée, enthousiaste,
la
Mar-
seillaise...
Petit-Pierre, été pris sous le
au
moment
un bloc de
premier étourdissement,
ramassant son
fusil,
de n'y être pas entré avait ner.
trempé dans
la
il
de l'explosion, avait
terre éboulé. il
Quand, après
put enfin se dégager,
courut à l'entonnoir, désolé
le premier...
boue
Hélas! son
et refusait
Le commandant de compagnie
arme
de fonction-
était là. «
Mon
IMAGES DE LA GRANDE GUERRE
45
mon fusil qui ne marclie plus! » 11 comme un bébé. On lui en trouva un qui
lieutenant, pleurait
marchait.
poussa un
Il
chœur qui
faiblissait,
cri
de joie
le
parce que les héros tom-
baient les uns après les autres, vibrante, où pas
soutenant
et,
reprit de sa voix
il
une note ne tremblait
Le jour de gloire
:
est arrivé...
Un obus éclata, l'abattit raide. Je le crus mort. Non une seule blessure, peu profonde, à ja tète, :
il
avait perdu connaissance, mais on le sauverait.
Hélas
fallait
il
!
l'abandonner aux brancardiers,
aux ambulances, à
Dans
l'arrière
pour quelque temps...
désordre de l'explosion, Fred m'avait
le
échappé. Mais d'autres l'avaient vu.
de courage, d'entrain. il
était
rade
nium
Il
fut
citait
—
fusée cerclée d'alumi-
— éclatait au-dessus de
battaient
l'entonnoir où
ils
se
Veine, alors! Ce qu'on en fera, des
«
:
Un cama-
de lui ce mot, tandis qu'une salve
les shrapnells à
bagues, tu
superbe
ce jeu du corps à corps,
depuis longtemps passé maître.
me
de 77
A
parles
deux cartouches,
il
!
»
Et,
avait
tranquillement,
ramassé
et
entre
mis en poche
l'une des fusées encore brûlante.
Quelques jours après, en revue
la
vant Fred
:
compagnie, «
comme
le
colonel passait
le lieutenant s'arrêta de-
Celui-ci, c'est
un brave.
» Il
fut cité
à l'ordre du régiment.
Un
malin,
il
m'arriva plus droit, plus grand que
IMPRESSIONS DE GUERRE
46
jamais.
Monsieur l'aumônier, tenez.
«
jours avec
de guerre.
me
allez ïiier
geste du surin,
le
La main
la bénir,
il
me
Et, tou-
»
tendit sa croix
Vous commu-
tremblait d'émotion.
me
«
l'attacher, je vais
avec, et vous demanderez au
sois toujours digne de la porter.
Puis, dans la journée,
il
bon Dieu que
je
»
détacha du ruban de
soie quelques fibres vertes et rouges et les encadra
dans une
ma
lettre à Petit-Pierre. « J'ai offert ce
belle croix
au bon Dieu, je
puisque c'est à vous deux que je
La même ris-toi vite
:
lettre portait
En
la dois. »
en post-scriptum
depuis que tu n'es plus
ça va moins bien. effet, la
matin
te l'offre aussi,
là, je
:
«
Gué-
sens que
»
ferveur, que n'entretenait plus la
présence constante de l'apôtre, diminuait notablement.
Il
lettres,
venait encore quelquefois m'apporter des
timbrées de Paris, cachetées
:
«
Tenez, je
reconnais l'écriture, faites-en ce que vous voudrez, je ne veux pas les texte, tantôt sous
paçaient. tait
La
lire. »
un
feuille
Mais, tantôt sous un pré-
autre, les
d'examen
communions
s'es-
particulier ne por-
plus aucun chiffre depuis le jour de l'attaque.
Il s'était
remis à fumer
et à boire
:
«
puisqu'ils ne veulent pas se convertir.
A
quoi boni
»
Nous causions de temps en temps, mais sans
IMAGES DE LA GRANDE GUERRE l'entrain
des semaines
47
précédentes, sans
cette
volonté qu'il montrait alors de se travailler, de
devenir meilleur. Ce qui lui manquait, c'étaient
bonnes causeries du
les
soir, les prières
sous
la
dictée de l'ami. Il
une
recevait bien, presque chaque jour,
lettre
de Petit-Pierre. Que je regrette de n'avoir pas transcrit en entier cette
me
donnait à
lire,
correspondance que Fred
ces pages de la plus fraîche et
chrétienne amitié Je n'en !
«
Ne
t'en fais pas,
mon
ai
gardé que des bribes.
cher Fred, ne t'inquiète
pas de moi, je souffre beaucoup de notre séparation,
mais peu de
ma blessure.
»
—
« Ici, les
sœurs
nous soignent très bien, elles sont aux petits soins pour nous, on ne manque de
rien,
on
a
même
tout
mieux manger du singe avec toi, près des Boches, que du poulet « Ce qui me manque, c'est la communion. ici. » Tu communieras pour moi, n'est-ce pas"? Tu diras au bon Jésus tout ce que je voudrais lui dire. « « Mon lit me fait mal, quand je pense à toi, dans la tranchée. Au moins, as-tu retrouvé une toile de ce qu'on veut. Mais jaimerais
—
—
tente depuis l'attaque? Cette
rêvais que
Que tu
voir le
me
suis
la fièvre.
Je
tu étais au créneau, sous la pluie, et
que tu n'avais pas encore de «
nuit, je
en sursaut, tout trempé par
réveillé
toile
de tente.
»
—
es heureux de pouvoir tous les jours rece-
bon Jésus!
suis bien sûr qu'il
moyen. Oh! je voudrait venir à moi et II sait
Ici, il
n'y a pas
IMPRESSIONS DE GUERRE
48
bien que je ne désire que Lui, mais personne pour « Aujourme l'apporter. J'ai faim, pourtant »
—
I
pour
d'hui, je suis sorti
la
première
dans le
fois
Tu
jardin. J'ai cueilli quelques fleurs.
les porteras
sur l'autel de la sainte Vierge, quand tu descen-
deman-
dras au repos. Elles seront fanées, mais tu
mon âme ne
deras à la sainte Vierge que
jamais fanée,
soit
non plus. peu près guéri, il se
et la tienne
»
lit prêter un d'hôpital. compagnons violon, pour Son talent fit sensation. Les concerts de la ville le réclamèrent. Ce lui fut une source de revenus qui, tous, prirent le chemin de l'ami, sous forme de
Quand
il
fut à
distraire ses
« petits
mon
colis ».
«
Mon
grand Fred,
encore
c'est
violon qui t'envoie des conserves, des confi-
tures et du tabac pour la tranchée. Je voudrais tant adoucir
un peu
blancs, tant de fais
tes souffrances, quand, moi,
mon lit me border, que la sœur vient
je retrouve tous les
soirs
bas, et j'ai honte d'être
souhai-
si
bien,
quand
le cafard,
me
me donnera
tu es
il
où on se bat pour écrivait à la
la
même
violon, je puis sortir à
ne
si
mal,
réveille toule
enfin la grâce de reprendre
toi, là
Et, à moi,
jusqu'au jour où
je
toujours là-
te vois
camarades. Aussi je
et tous les
jours avec
mon
en me
beaux rêves. Non, je t'assure que
pas de beaux rêves, car je
près de
mes draps
et
bon Jésus
ma
France. date
:
«
place
»
Grâce à
peu près quand je
veux. Aussi chaque matin je vais communier à
IMAGES DE LA GRANDE GUERRE
49
messe des sœurs est troj) 1(M. Je revis. le bon Jésus est bon! et comme il me manquait! Mais est-ce que Fred continue à communier tous les jours? Il ne me répond pas làl'église, car ici la
Que
dessus. J'ai pour.
»
* * *
En juillet, nous fumes envoyés au repos dans une séduisante petite ville, qui ne manquait pas de distractions mauvaises, bien entendu pour
—
—
des soldats privés depuis près d'un an de tout contact
avec
la civilisation.
Par malheur, dans un régiment qui cantonnait là
comme
nous, Fred retrouva deux anciens de sa
bande montmartroise. Lui qui, depuis plusieurs jours, par sa faute, n'avait pas reçu la force dont il
avait besoin plus que
personne,
leur révéler sa conversion.
rencontre «
arroser
sur le zinc
« » la
On
il
n'osa pas
l'entraîna fêter la
on but encore pour
»,
croix de guerre
— dont on se moqua
bien un peu, mais déjà Fred avait trop capitulé
—
pour protester contre cette nouvelle insulte, finalement, quand
il
sortit
du café, à moitié
était leur cliose. Ils l'entraînèrent plus loin... le
et,
ivre,
il
Tout
bel édifice de Petit-Pierre était écroulé.
Averti par des amis, je tentai de ramener
pauvre brebis encore une ronces. n.
Ce
fut
fois
perdue dans
la
les
en vain. Des camarades, des con4
IMPRESSIONS DE GUERRE
50
vertis qu'il avait gagnés, lui, essayèrent également.
Peine perdue. Le respect humain, plaisirs, la
des
le relent
honte d'elle-même avaient, d'un seul
coup, rejeté très loin de Dieu cette nature violente
beaucoup plus qu'énergique. * * *
De
jour en jour j'attendais
le
retour de l'ami.
Lui seul saurait relever, pierre par pierre, ce avait une première fois construit avec tant de Il
tact.
ne nous revint qu'au mois d'août.
Je
le vois
encore accourir un soir à
se jeter dans arrivé,
il
mes
s'était
ma
bras en sanglotant.
cagna
et,
et
Aussitôt
rendu à son escouade, que
tenant tenait à lui restituer, il
qu'il
le lieu-
du premier regard,
mesuré le désastre, dont mes lettres et de Fred ne laissaient soupçonner qu'une
avait
celles partie.
Dès
lors,
l'âme de Petit-Pierre, que je retrouvai
aussi pure, aussi ardente qu'avant le départ, fut
toute à la supplication douloureuse.
Quinze jours se passèrent sans résultat. n'obtiendrai plus rien, résisté à la grâce. » dis-je «
un
me
—
«
disait-il désolé. Il
»
quand
il
fut
comment Fred
voulait sauver des
Faites-vous des sacrifices pour
Ce
Je
Petit-Pierre, lui répon-
jour, vous rappelez-vous
se chinait
«
a trop
lui,
âmes?
vous aussi?
»
une révélation pour son âme généreuse.
IMAGES DE LA GRANDE GUERRE Dès
on
lors,
corvées
5i
vit cet enfant, si frêle, à l'afrûf
pour
prenant
des
que caporal, tout ce qu'il y avait de plus rude dans la tâche de l'escouade, aussi ingénieux à mettre à pénibles,
bien
lui,
chaleurs de septembre que d'autres à
profit les
s'en garantir, se refusant tout rafraîchissement, tout
repos;
moyen
de
sur «
nuit de travail,
il
même,
l'ordinaire
gagner
»
(juelque
trouvait
il
chose; après la
sommeil du
se refusait le
Je dus intervenir pour modérer. Mais
le
jour.
cœur de
Notre Seigneur avait été touché.
Nous approchions du 25 septembre, tous nous pressentions marquée pour la nos armes, pour
la
date que gloire de
mort aussi d'un bon nombre
d'entre nous.
Le régiment, revenu dans son ancien
secteur de
Massiges, se trouvait morcelé, aux tranchées de
première ligne, aux tranchées-abris, au bivouac.
Dans certaines compagnies, tout le loisir de se préparer.
les
En
âmes avaient eu
ces quinze derniers
jours, j'eus la consolation, l'une des plus grandes
de
ma
tagée
de
la
de distribuer cinq mille communions. compagnie des deux amis était désavan-
vie,
Mais :
la
impossible de la réunir de jour. Je décidai
rassembler, elle et ses deux voisines, pour
une messe de
nuit.
Le matin, Petit-Pierre tenta un suprême effort. La conversation fut aussi habile, aussi douce, aussi efficace que celle de la première nuit, au
IMPRESSIONS DE GUERRE
52
créneau. Fred, à qui la grâce n'avait jamais cessé
de parler
et qui,
contre
elle, avait
dû se violenter
deux mois durant, vaincu enfin par son ami, se laissa subitement détendre. Assis près de Petit-
Pierre,
il
pleura longuement.
Il
avoua
tout, ses
fautes, ses remords, le besoin qu'il avait toujours
chemin, l'image du
senti de revenir dans le droit
bon Pasteur «
et
de
la brebis blessée, qui le hantait.
Et puis, Petit-Pierre,
te
faim.
Eh bien! moi
nion
me
aussi, j'avais faim.
Nous nous vîmes dans
Le
:
J'ai
La commu-
manquait. Jamais je n'avais aussi bien
compris que je ne pouvais pas
était
mot
rappelles-tu ce
d'une lettre que tu m'écrivais de l'hôpital
complet,
me
passer
l'après-midi.
d'elle. »
Le retour
définitif.
où le bombardement se faisait moins intense, nous dressâmes un autel dans le haut du ravin, au pied de l'échancrure que nous soir, à l'heure
appelions le Faux-Col de V... et par où, dans quel-
ques heures,
allait
passer tout le régiment pour
s'élancer à la mort.
L'échancrure, derrière laquelle veillaient les sentinelles allemandes, faisait, à quelques mètres
de l'autel, la toile de fond. A droite, une tombe que nous venions de fermer sur un de nos plus braves, un engagé de dix-sept ans image des :
IMAGES DE LA GRANDE GUERRE
53
morts à venger, des milliers de victimes, camarades aimés, tombés glorieusement comme rançon de la victoire
et qui,
de là-haut, allaient demain
A
nous porter secours. les cagnas, évocatrices
gauche,
les tranciiées et
de toute une année d'indi-
cibles souffrances, qu'on
ne voulait pas, qu'on ne
pouvait pas revivre. L'autel était dressé sur la petite table de fortune qui, durant le
combat, porterait
décisions de
état-major. Au-dessus, seule déco-
les cartes et les
notre drapeau du Sacré-Cœur, claquant
ration,
dans
l'
la nuit.
Un
Sur
falot éclairait le missel.
le
reste, la lune jetait sa lueur pâle.
Au-dessous de
hommes
l'autel,
dans
de l'ennemi interdisait les dait
que
tous les
le ravin,
La proximité cantiques. On n'enten-
des compagnies présentes.
la prière
du prêtre
et le
passaient en sifflant, semblant
canon. Les obus raser
tètes
les
droites, et s'en allaient éclater bien au delà.
Mais quelle sup[)lication muette montait de tous ces
cœurs, où
se
formulaient, à
cette
heure
les plus beaux actes de sacrifice (ju'un liomme puisse jamais faire sacrifice enthousiaste de l'engagé, (jui rêve de tomber pour la France en
suprême,
:
pleine tranchée conquise; sacrifice réfléciii, conscient,
presque
froid,
du père de
famille, qui sait
bien quelles seront, là-bas, lui disparu, les gènes et
les
inconsolables douleurs, mais qui, pour la
France, fera son devoir jusqu'au bout
et
s'en
IMPRESSIONS DE GUERRE
54
remet à Dieu de tout
le reste;
chez tous, sacrifice
total, résolu, fier.
Au moment
de la communion, tous, pêle-mêle,
genoux
se pressèrent autour de l'autel, mendiant à le
pain des forts. Officiers et soldats,
confondus dans le sacrifice,
la prière
comme
ils
dans
étaient là,
devoir et
le
sans distinctions de galons, sans autre
ordre que celui qui, peut-être, les alignerait demain sur la crête au fur et à mesure qu'ils seraient
fauchés par les mitrailleuses. Mais, devant leurs cadavres, je pourrais, du moins, rappeler à JésusChrist sa solennelle et infaillible promesse
qui
mange ma
citerai
la
ment...;
:
— acte d'ado-
maître du monde, maître de la vie
«
mon
de la mort,
je lus, à haute voix, des
aux circonstances
actes appropriés
et
Celui
»
communion,
ration à Jésus
«
chair a la vie en lui et je le ressus-
au dernier jour.
Après
:
— acte
maître... »; acte de remercie-
d'offrande
:
« ...
Disposez de moi
selon qu'il vous plaira. Je sais que tout ce que
vous gardez est bien gardé. Puisque je m'abandonne à vous, je sais que tout ce qui m' arrivera sera pour le fiance
mieux
et j'accepte
Sacré de Jésus,
de demande
:
j'ai
Cœur
confiance en vous »;
— acte
patience
famille; lumière
d'avance avec con-
quelle qu'elle soit.
votre volonté,
pour
et
consolation
les chefs;
pour
pour
les
la
cama-
rades, courage, fidélité au devoir, salut du corps,
de l'àme surtout;
«
...
à moi, Seigneur Jésus,
IMAGES DE LA GRANDE GUERRE donnez avec cette vaillance,
la
grâce aussi de
revenir sain et sauf. Mais ce que je vous
demande
mon àme
par-dessus tout, c'est le salut de
vous promets de vous rester toujours si
55
:
je
mais
fidèle,
vous prévoyiez que je dusse un jour manquer à
ma
parole et perdre le ciel pour l'enfer, je vous
demande de me prendre maintenant. sais
que reprendre
Quand
la
soir, tandis
»
— Je ne
fai-
la belle prière
de Petit-Pierre.
messe
fut achevée, à
neuf heures du
qu'on
allait
prendre un peu de repos
avant les dures journées qui venaient, les deux amis, très émus, se tenant par la main, s'approchèrent de l'autel que je repliais.
«
Avec
dit Petit-Pierre, je suis prêt à aller
— Moi, repartit Fred, le sens.
c'est
au
ciel
le
bon Jésus,
n'importe où.
que je
vais, je
Et ça vaut mieux, n'est-ce pas, monsieur f... de faire un ciirétien bon Dieu de méprendre demandé au
l'aumônier? Je ne suis pas qui dure,
j'ai
tout de suite.
»
* *
Le 23 septembre,
*
à neuf heures quinze, sous
un
feu d'artillerie intense, la première vague monta,
au pas.
Des jeunes, ardents, débordèrent. « Halte cria un officier. A droite, alignement! » Au miheu des t
éclatements d'obus, repartit au pas,
la ligne
comme
Petit-Pierre avait
se redressa et l'on
à l'exercice.
mis Fred à sa gauciie.
Ils
IMPRESSIONS DE GUERRE
56
n'avaient pas
50 mètres, que la mitrailleuse
fait
qui nous prenait de flanc, par la droite, atteignit l'enfant au ventre.
Il
mon
Fredl...
«
tomba comme une masse. Jésus!... Et dire
que je ne
verrai pas la victoire!... Fred, embrasse-moi... Va,
Oh! je
fais ton devoir.
t'en supplie, tâche de
rejoindre là-haut près du bon Jésus.
Après une dernière
me
»
rage au vague qui
étreinte. Fred, la
cœur, courut reprendre sa place dans
la
montait toujours.
On
atteignit les
premières tranchées allemandes,
bouleversées par notre
artillerie.
Les
balles sifflaient tout
On
les franchit.
temps de se
Mais l'ennemi avait eu le
au long de
ressaisir.
la crête, et ce
fut bientôt la lutte affolante des grenades.
Fred se trouvait en tête de l'escouade. « En avant! en avant! » répétait-il furieusement. Mais, au moment où, de sa main droite renversée en un dernier geste qui rachetait tous les autres, jeter
une grenade, une
trine. Il chancela,
ser. « Il
Laisse-moi, je suis
tout, la
f
!
.
.
Mais je vais au
pan-
ciel.
. .
»
:
il
le
en avant Vive de sang.
.
le
recueillir
France vaut bien
son casque,
flot
balle lui traversa la poi-
un instant. Puis, s'arc-boupoignets, il grommela encore « Après
sembla se
tant sur ses
allait
essaya de se redresser, glissa
Son voisin s'empressa pour
sur le parapet.
il
ça. »
Et alors, saisissant
Camarades, retomba, dans un
brandit en hurlant
la
France
!
»
Et
il
:
«
IMAGES DE LA GRANDE GUERRE
A
la
même
seconde, j'aime à
Pierre expirait aussi
:
57
le croire, Petit-
encore guidé par
lui,
achevait de monter vers Dieu et leurs deux entraient
ensemble dans
(jUcUes
béatitude
la
Fred
âmes
avaient ensemble conquise, où les attendait Jésus, le divin
Ami
de l'Hostie.
Louis Aumônier de
—
3.
La
la
h....
N' division coloniale.
Confession du Juif.
Cette histoire-là, je n'en fus ni acteur, ni témoin.
Mais Jean, qui
me
l'a
contée, est digne de
foi.
Jean est caporal. C'est un de mes amis, des plus braves. Sa frimousse de fillette porte à peine quinze ans. Aussi pose-t-il, très sérieusement, au «
paternel
vieux barbons de son
envers les
»
escouade.
Parmi ses
«
— se trouvait su
le vrai
plus
enfants le
nom
loin qu'on
»
—
comme
fameux Youp, dont :
pauvre
jamais
reconnaissai»lo du
juif,
apercevait son
sous sa capote crasseuse dont
les appelle
il
je n'ai
le
profil,
pitovable
bleu liorizon tour-
nait au vert boche, semblant toujours
demander
grâce au passant, tant on l'avait accoutumé aux horions.
En
vertu de ses devoirs de
«
père
»,
Jean
s'était
IMPRESSIONS DE GUERRE
58
Tous les
constitué le défenseur de l'opprimé. faisait acte d'autorité
il
ou
en arrêtant
jours,
quolibets
les
les vilains tours.
Youp
n'était pas d'une tribu riche
pour
colis
lui.
:
jamais de
Et les copains, sans méchanceté,
sans réflexion, se figuraient que la zone de camaraderie aux armées,
si
vaste pourtant, ne pouvait
dédom-
pas comprendre les fds d'Israël. Jean
le
mageait en
meilleure,
lui
abandonnant, sinon
la
du moins la plus grosse part des paquets volumineux que, chaque quinzaine, confectionnait la maman. Comme un bon gros chien, Youp ne le quittait plus d'une semelle, ce qui gênait parfois bien un
peu
le fier caporal,
mais, au fond,
le flattait
plus
encore. Et, tout naturellement, à force de protections
et
aimer
le
«
de
colis
partagés, Jean avait
fini
par
pauvre Youp.
Vous devriez entreprendre sa conversion, un jour. Il éclata de rire « Luil mais
lui dis-je
:
» il
ne croit ni à Dieu ni à diable. Il n'est pas plus juif que chrétien ou turc. Quand, des fois, on discute entre nous sur la religion, il se met à rigoler. Et qu'est-ce que vous voulez qu'il ait une croyance? il
n'a pas d'àme.
»
J'eus beau le gronder, le raisonner, fît
:
«
Je vous dis qu'il n'a pas d'âme.
— rien n'y
»
Or, l'autre jour, Jean m'est arrivé, très ému, et voici ce qu'il
m'a conté
:
IMAGES DE LA GRANDE GUERRE « J'étais cette
trois autres.
boche.
nuit en patrouille, avec
Nous avions rencontré une
On leur
avait tiré dessus, et,
ma
5t
Voup
et
patrouille
foi, je
crois
bien qu'on leur en a descendu deux ou trois. Mais
ont
ils
une
amoché mon Youp Le pauvre type
pas à
avait
!
dans
halle
le ventre. Il
le faire taire
1
J'ai dit
gémissait, que j'arrivais
aux deux autres de
filer,
avec Marcel, nous l'avons ramené.
et,
Seulement voilà-t-il pas qu'une mitrailleuse boche nous aperçoit avec les gémissements qu'il «
:
Heureusement qu'il y un trou de marmite on s'y met tous
faisait, fallait s'y attendre.
avait pas loin
:
les trois.
lui
«
:
Jean, qu'il
grave ce que
me
là?
j'ai
dit,
vivre?
»
réponds
Moi, qui voyais :
«
Trente ans,
rhume de cerveau. rien,
moi, Alors
s'il allait il
me
»
que je
confesses.
si
tu n'attrapes pas de
mourir ou pas.
serre encore plus contre lui
— Alors,
que je m'en
comme
que je
qui blagues! C'est pourtant pas tout là-dessus
:
ça.
:
vais,
Faut que
lui dis, c'est toi le
moment,
sur-
tu sais bien que j'aime pas ça. »
Jean, qu'il
Mais pas du
tout,
me
bien réfléchi, y a que la ^Taie
dit, j'ai
oui et
encore à
D'autant que je n'en savais
Jean, blague pas, je sens
me
à
c'est-ii
lui dis, j'ai
tire
qu'il se frappait, je lui
Écoute, je peux pas mourir tu
me
et
dis-moi vrai,
— Oh!
— Combien de temps est-ce que
non.
«
Youp me prend
Alors ce pauvre
«
il
ne blaguait pas.
«
rcli-
IMPRESSIONS DE GUERRE
60
gion qui a pu
mourir dans
te faire
si
bon pour moi; Faut que tu
cette religion-là.
je
veux
me
con-
fesses. »
Ce que j'étais embêté! Qu'est-ce que j'allais Lui refuser? c'était le rendre plus malade... Le confesser? mais je suis pas curé, moil... Vrai, j'aurais mieux aimé que le capitaine m'en«
faire?...
voie prendre la mitrailleuse qui nous
tirait
dessus.
Tout à coup, une idée subite. « Mais, que je lui dis, tu peux pas te confesser, puisque tu n'es ça ne compterait pas. Eh bienl pas baptisé alors, qu'il me répond tout de suite, baptise«
—
:
moi. «
»
Ça, oui, je crois que je pouvais
tement
là,
j'ai pris
—
je ne sais pas trop faisait nuit;
mais,
si
elle
comme
fait rien, il n'était
—
était propre,
c'était
et je l'ai baptisé... C'est-il
mule, soyez tranquille,
« Il
I
vu
qu'il
pour Youp, ça ne
pas regardant à ces choses-là, ça qu'il
monsieur l'aumônier?... Oh! chisme
le faire, n'est-
de leau qu'il y avait jusdans notre trou de marmite, dame
ce pas?... Alors
j'ai
fallait faire,
oui, je sais la for-
bien appris
mon
caté-
autrefois...
Mais ça ne
lui a
pas
suffi,
à ce pauvre Youp.
voulait absolument que je le confesse.
Ce que
embêté Enfin je me suis dit qu'il valait mieux ne pas le chagriner, que je ferais semblant,
j'étais
et puis «
1
que je vous en parlerais après.
J'ai dit à
Marcel de se boucher
les oreilles,
vu
IMAGES DE LA GRANDE GUERRE qu'il
fil
ne pouvait pas bouger, rapport à la mitrailque j'ai dit à Youp « Vas-y, maintenant
leuse, et,
:
que tu es chrétien, ça peut marcher. » « Alors, il m'a sorti tout son fourbi. Ce qu'y en avait Je comprends que ça lui pesait sur le cœur, !
le
pauvre type
après; alors
Moi, je ne savais pas quoi
1
j'ai récité
un
«
Notre Père dans
lui ai dit d'avoir bien confiance
»
le
lui dire
et puis je
bon Dieu,
qui est tout ce qu'il y a de meilleur.
Ah! ce qu'il était heureux, ce pauvre Youp! Il m'a embrassé sur les deux joues, et je crois qu'il pleurait. Moi, je me tenais à quatre pour ne pas en «
faire autant. «
Nous avons attendu quelque temps encore
pour tromper
même
dame,
en traînant Youp. Mais
avons regardé
m'a
fait
comme «
...
nous avons tout de
la mitrailleuse et
pu, avec Marcel, ramper jusqu'à la tranchée
le
pauvre type,
un coup! Je
si c'était
mon
Mais d'abord,
suis
là, il
quand nous mort. Ça
était
encore tout
cliose,
frère qui était mort... dites, qu'est-ce qu'il faut
j'en fasse, de ses péchés
?
que
»
Louis Aumônier de
L...,
la N' division coloniale.
II
EN ARTOIS
—
i.
Au
Une Saint-Martin mouvementée.
des
cours
mois de février
et
de mars,
plusieurs églises de Paris ont retenti des accents
éloquents de
Mgr
l'évêque d'Arras
des Conférences s'est
honorée en
:
et la Société
l'invitant à retracer,
devant un public de choix, le martyre de sa métropole
(i).
Dans toutes
ces circonstances, l'ora-
teur a dû s'en tenir aux grandes lignes, négligeant
nécessairement une multitude de détails qui pourtant ont leur prix. C'est
un ou deux de
ces détails
que je voudrais rappeler aujourd'hui. J'avais
connu Mgr Lobbedey quand
il
était
évêque de Moulins. Revue hebdomadaire du 11 mars 1916. L'intérêt de si émouvante déjà par elle-même, se trouve doublé, quand on la lit avec, sous les yeux, l'album d'art publié par l'abbé Foulon et intitulé Arras sous les obus, chez Bloud, (1)
Cf. la
sette conférence,
:
éditeur.
IMAGES DE LA GRANDE GUERRE
La première
que
fois
j'eus,
au cours de
«3
cam-
la
pagne, l'occasion de pénétrer dans Arras,
novembre 1014,
6
—
apparaissait déjà
il
—
le
comme
devant être l'une des grandes figures épiscopales de cette guerre. Je n'eus rien de plus pressé que d'aller lui présenter
mes hommages
et,
comme
je
prévoyais pour moi un long séjour dans son diocèse, de
me
mettre filialement sous son obédience.
Depuis un mois, les obus ne cessaient de détruire.
pour
De
où
la cathédrale,
messe
j'avais célébré la
rue des
les soldats, jusqu'à la petite
F...,
un boulevard, pas une place qui fût indemne. Partout flottait une odeur d'incendie. Çà et là, de grands pans de murs où
habitait l'évéque, pas
s'étaient effondrés déjà, livrant
aux regards
indis-
crets toute l'intimité des salons de famille,
de
et,
loin*en loin, dans les rues entièrement désertes, les éclatements continuaient plus
ou moins pro-
ches.
Monseigneur
me
reçut
avec cette
cordialité
flamande que connaissent bien ses visiteurs. Rien n'avait été
changé à ses habitudes
son bureau, travaillant,
était là à
ne pus m'empècher d'en
un moment où tout caves...
—
déjà
mais songez à
je
dit,
le
et
d'autrefois. il
souriait.
remarque
faire la
monde
mes
En
me
l'a
perte de temps!* Et puis,
ne pourrais transporter
livres, toutes
«
vivait dans les
Oui, je sais, répliqua-t-il, on la
:
Il
Je
là
en bas tous mes
notes. D'ailleurs
pour
travailler
IMPRESSIONS DE GUERRE
64
n'a-t-on pas besoin de cette belle lumière?
Et en
»
parlant ainsi, son regard plongeait par deux baies
un
vitrées sur
causé par
la
malgré l'abandon
petit jardin où,
guerre, l'été de la Saint-Martin s'an-
nonçait radieux.
me
L'évêque
conta quelques événements du
mois écoulé et notamment les tristesses de la semaine précédente, lorsque au matin du 30 octobre, deux obus s'abattant ensemble sur l'iiôpital Saint-Jean, firent plus de trente victimes et
un
plus grand nombre de blessés. « Dès que ce fut possible, je m'y rendis. Mais quel spectacle d'horreur, et grandiose aussi!
partiment de
exposé
;
la cave^
Dans
le
devant l'ostensoir,
et,
le plus vaste
com-
sacrement
était
saint les
sœurs plus âgées
priaient à haute voix, les blessés gémissaient et les plus valides continuaient d'aider leur vaillant
aumônier, l'abbé de laF...-D..., à descendre dans cette chapelle ardente les restes mutilés des vic-
times, lambeaux
anonymes pour
la plupart. »
J'appris aussi que, le jour de l'inhumation,
matin de
la
Toussaint, je crois,
personne ne cimetière.
s'était
Tous
présenté pour
le transfert
les véhicules et les
avaient été réquisitionnés pour le plus
— le
— à l'heure prévue, au
conducteurs
emmener en
grand nombre de vivants loin de
hâte
la cité
de
mort. Trente-cinq cadavres attendaient et je n'ai
pas besoin de dire qu'on n'avait pas eu
le
temps
de confectionner pour eux trente-cinq cercueils...
IMAGES DE LA GRANDE GUERRE L'aumônier
s'était
mis en
(juôte, avait fini
découvrir un tombereau et un su,
par
clic\ al l)oileux, avait
obus qui recommeng aient à pleuarracher à leurs caves deux iiommcs de
malgré
voir,
65
les
bonne volonté
et,
dans ses bras, de
presque seul, la
cave à
trente-cinq cadavres, puis,
au cimetière,
avait entrepris
il
rue, le transport des
la
presque seul encore
les descendait et les
il
mettait en
terre (i).
—
M
justement à déjeuner ce matin notre
J'ai
jeune brave. Restez avec nous... retiens.
Vous
Si, si
ferez connaissance.
Je m'attendais à voir un colosse
morts entre fallut fois
I
:
trente-cinq
les bras... et à trois reprises!
en rabattre;
c'était
presque
de plus je compris qu'une
je vous
»
Mais
le contraire.
il
Une
àme vigoureuse
est
capable de décupler les forces d'un corps fragile.
où se trouvait alors ma formation, j'appris du curé ([ue le dimanche suivant, 15 noRentré à
D...,
vembre, tombait la
Saint-Martin.
populaire,
un
la fête patronale
Une
de sa paroisse,
pareille solennité,
soldat, qui
saint si
en Gaule, tout près
aux portes d'Amiens, avait accompli rité illustré
un
l'acte
d'ici,
de cha-
par tant d'artistes! Le fêter ainsi dans
un cadre de guerre, au milieu des troupes sans
(1)
Tou3
ces détails
ont été depuis sanctionnés par une
{glo-
rieuse citation à l'ordre du jour, que l'Illustration du 17 mars a reproduite en dessous de la photographie du valeureux prêtre.
IMPRESSIONS DE GUERRE
66
cesse en cantonnement d'alerte, qui prenaient à
peine le temps de déposer leurs armes pour entrer à l'église et
communier; qui
n'aurait pas vibré en
face d'une telle perspective?
Resté seul,
la cordiale réception
du matin
me
revient en mémoire. Si nous invitions Monsei-
gneur? pensai-je. Mais aussitôt girent si
:
peu de
seul;
cliose...
un dessous,
serait
Bahl
tent. «
les objections sur-
n'était-ce pas indiscret?... le déranger pour
M.
le
s'il
Et puis, et
M.
le
y a un
s'il
n'acceptait pas, ce
curé no serait pas con-
dessous,
il
sera pour
moi
curé n'en saura rien; je ne l'avertirai
si Monseigneur accepte... » Monseigneur accepta ex intimo corde, avec une
qu'après,
clause cependant, dictée par les circonstances
:
Si l'autorité militaire n'y voyait pas d'inconvé-
«
nients...
»
D'inconvénients?... et le
mot
était
au
lesquels? Je savais que dans le pays,
pluriel;
certaines
gens prêtaient aux espions une puissance occulte considérable. Était-ce cela? J'allai confier
mes doutes à l'autorité militaire la « Aucun inconvénient, me
plus élevée du secteur.
répondit-on, au contraire. déjà l'évêque d'Arras,
ils
Nos
soldats connaissent
seront flattés de le voir au
milieu d'eux et puiseront dans ses paroles un nou-
veau motif de mieux faire encore tout leur devoir. » J'objectai timidement tous les bruits qui couraient. «
Oh pour I
cela,
monsieur l'aumônier, soyez tran-
IMAGES DE LA GRANDE GUERRE quille,
C7
—
nous y avons l'œil... n'est-ce pas, L...? » chargé des dossiers du conseil
L... était l'officier
de guerre.
—
Mais ce qui
«
rumeur publique
me
fait
a fortement exagéré
croire que la
— oh!
il
y a
beaucoup d'autres indices! mais enfin, en voici un, c'est que nous avons des batteries à N... et
—
N.
. .
,
par
des choses assez mal dissimulées,
la force
en position depuis plus de cinq semaines n'ont pas encore été repérées. Or, était aussi bien
organisé qu'on
première chose qu'il
le
si
et qui
rcsj)ionnage
prétend, c'est la
irait révéler. Il faut être
sur
évidemment; et cela c'est notre affaire surtout, l'affaire du commandement. Mais c'est rendre un mauvais service aux troupes et diminuer ses gardes,
leur confiance que de laisser s'accréditer de pareils bruits. »
C'était bien le
langage d'un chef. Je
tout heureux, en songeant qu'en effet lait tenir
compte de toutes
me
retirai
s'il lui fal-
les suggestions,
un per-
sonnage important, général ou autre, ne devrait jamais plus se déplacer, ni présider de réunion
dans
Au
la
zone battue par les obus.
reste,
convenu avec M. le curé que venue de Monque, par un surcroît de précaution, il
fut
l'on n'annoncerait pas à l'avance la
seigneur
et
nous changerions ce jour-là l'heure des vêpres. Seulement, comme pour les fêtes de la Toussaint, le grand nombre des soldats assistant aux offices avaient, en occupant les chaises des paroissiens.
IMPRESSIONS DE GUERRE
68
une émeute (!), M. le curé voulut remettre les choses au point; et le petit discours suivant, dont je ne puis donner malheureusement qu'un hien terne résumé, fut presque toute la préparation de la fête patronale. Pour lui rendre un susciter
failli
peu de saveur,
il
faut le lire, ainsi qu'il fut pro-
noncé, sur un ton tranchant
comme une lame
d'épée. «
hien chers frères, puisque à la Tous-
Mes
saint,
en raison de l'affluence des soldats, plusieurs
pu se confesser, dimanche
d'entre vous n'ont pas
prochain, à l'occasion de la fête de saint Martin,
nous leur procurerons toutes saires.
les facilités néces-
Et à ce propos, je tiens à vous
faire
remar-
quer qu'aux vaillants soldats qui viennent nous édifier et
sachions
nous défendre, il est bien juste que nous offrir dans notre église une place très
large, et aussi confortable que possible. C'est grâce
à eux que nous la possédons encore, cette église, où nous venons chanter et prier. Ils no7it pas dechaises, eux, dans la boue de leurs tranchées; c'est bien le moins que vous leur offriez les vôtres ici.
Voyez aux environs, M.
le
à Ficheux, Mercatel... (et
curé énumérait des noms de communes
occupées par l'ennemi), les
les églises sont détruites,
temples du Seigneur sont muets
clocher s'élève encore fièrement,
et si notre
cher
nos
sol-
c'est à
devons. Nous sommes, rappelez-
dats que
nous
vous-le
bien, en
le
;
temps de guerre, donc en un
IMAGES DK LA GRANDE GUEUHE
69
temps OÙ chacun doit savoir se [rôner of au Itosoin assister inèuic à une messe, debout. Ils en font bien d'autres, eux qui donnent pour nous leurs forces,
—
leur sang- et leur vie!... Et puis
c'était
un
et
puis que Rossuet n'eût pcut-rtre pas sio;né, mais
qui valait toutes les transitions du puis, j'aimerais
bien
que
les
monde
I),..ois
—
et
prennent
exemple sur ces braves soldats, qui viennent ainsi nous édifier chaque jour par leurs communions et leurs chants. Cela vaudrait mieux (pie de se plaindre de chaises occupées... cluait-il, je
D'ailleurs, con-
connais assez la générosité de
mes
chers paroissiens pour savoir qu'ils accepteront de
bon cœur ce léger sacrifice, en faveur de ceux qui si généreusement pour la France, jiour
combattent
la justice et
Ah
!
le
pour Dieu...
»
brave curé je suis bien sur que, malgré !
l'orage des amours-propres, ce petit discours ne lui
perdre les sympathies d'aucun de ses parois-
lit
Quant aux troupiers, leurs yeux
siens.
de joie et j'en vis plusieurs, à
la (in
du
brillaient
salut, venir,
en signe de reconnaissance, écraser silencieuse-
ment
les robustes
mains du curé, qui
le leur rendit
bien.
Ainsi jtréparée
«
à la
militaire »,
rommcnt
la
Saint-Martin n'eût-elle pas réussi?
Notre église, ayant
un
])li
la cliance
de se trouver dans
de terrain, ne pouvait être suspecte de ser-
vir d'observatoire et n'olfrait pas de cible à l'artil-
IMPRESSIONS DE GUERRE
70
lerie
ennemie; de temps à autre seulement
obus
lui faisaient
un
les
arc-en-ciels allant chercher
plus loin de plus hautes victimes. Or, dans cette
matinée du 15 novembre, malgré une limpidité d'atmosphère qui favorisait merveilleusement tir,
les
plète
:
l'église,
un
le
Allemands nous laissèrent une paix comet les
cinq messes purent se succéder à
avec chants et orchestre.
Il
y eut
même
du Conservatoire!
solo de violon d'un prix
—
le moindre arc-en-ciel siffleur. Retenu durant la matinée dans sa ville épisco pale, Monseigneur ne devait présider que l'office
sans
du
soir.
Vers onze heures
et
demie,
arrivait,
il
conduit dans une automobile de la division,
demi-heure plus tard, général lui-même était
fidèle là,
une
et,
au rendez-vous,
heureux,
le
de
disait-il,
pouvoir, au moins durant quelques instants, faire trêve à ses travaux et fêter avec le prélat français, qui réunissait les
deux
titres
un
saint
de soldat
et
d'évêque.
De
fait,
cette réunion
au presbytère
fut
charme, trop court seulement, car vers
un
vrai
la fin
du
déjeuner, le général devait déjà repartir, rappelé
par ses occupations. L'église n'était séparée de la cure que par l'an-
cien cimetière, un rectangle de 20 mètres de large,
une municipalité bienveillante avait autorisé, un coin de libre, l'inhumation des iiéros morts pour la France. Ainsi, c'était les yeux
oïl
tant qu'il y eut
IMAGES DK LA (JUANDr: GUERRE et le
cœur
plein de leur souvenir (ju'on francliis-
sait le seuil
de
maison de Dieu.
la
cérémonie approchant, M. tout un dernier cou[) d'œil.
Pour
71
le
L'Iieui-e
de place, on avait eu
faire plus
de la
curé alla jeter sur
le soin,
sauf en faveur de quelques personnes plus âgées,
d'empiler dans
fond toutes les chaises
le
pauvres paroissiens, réduits cette de
la stricte égalité
!
aimablement je
me
«
:
—ô
au régime
— Pourtant l'église était déjcà
pleine, et de divers côtés de
arrivaient encore.
fois
nombreux groupes
Monsieur l'aumônier,
le curé,
vous prendrez
la
me
dit
chape; moi
chargerai de placer la foule, je connais
mieux
les coins
de monde
de
mon
église, j'y ferai tenir plus
(juc vous. »
Lorsque, revêtu des ornements de drap d'or qui brillaient au soleil et
précédé de deux belles ran-
gées de clergeons rouges, je revins au presbytère
chercher Monseigneur dis-je;
:
« Il
n'y a [)lus do place, lui
Votre Grandeur ne pourra pas entrer.
se mit à rire
:
«
vous verrez qu'un évèque a toujours
parmi son peuple.
De
fait, sitôt
et la réception
» II
Tant mieux, tant mieux! Mais sa place
»
l'encens béni à la porte d'entrée,
accomplie selon
Comme
les rites,
il
fallut
un caoutchouc ipii se comprime, la masse humaine se resserrait un instant pour nous permettre de passer; puis, automali(pi(.'ment, elle se distendait à nouveau sans
jouer des coudes.
IMPRESSIONS DE GUERRE
72
laisser
aucune trace du
de notre cortège.
sillage
Monseigneur montait en chaire. Le bref éloge qu'il fit d'abord du pasteur de la paroisse fut émouvant; les soldats y apprirent que, durant les deux derniers mois, parmi les Quelques psaumes,
et
horreurs de l'invasion
et
sous
le
d'Arras, ce prêtre qu'ils voyaient
bombardement
si
attentif à leurs
besoins avait vu successivement mourir son père et sa
mère, sans que l'àme eût en rien
été détournée de son
ment. Félix nomine, son texte
:
ou
ait
disait l'évêque, felicior virtute.
Puis un grand signe de croix çait
faibli,
dangereux poste de dévoue-
« Scmctijîcate
et l'orateur
bellum
:
énon-
sanctifiez la
guerre, messieurs, d'abord en respectant l'autorité
dont la force vient de Dieu même. Au-dessus du gouvernement qui vous mobilise, au-dessus des chefs qui vous commandent, sachez voir Celui qui, ayant créé les patries, veut aussi qu'on les défende contre un injuste agresseur... Sanctifiez la guerre ensuite, en assouplissant vos qui, par ses
âmes à
la discipline
exigences, peut nous aider à mater
des instincts mauvais et nous impose des sacrifices quotidiens dont les ascètes n'avaient l'idée.
même
pas
Enfin, sanctifiez la guerre en pratiquant la
belle vaillance...
»
Monseigneur en était là de son développement quand je crus remarquer autour de moi qu'on ne prêtait plus à l'orateur l'attention du début; des têtes se tournaient et certains regards,
au lieu de
IMAGES DK LA GRANDE GUERRE continuer à fixer la
cliaire,
semblaient se porter
alternativement vers la voûte et dans
du porche. « tendre
73
Serait-ce?... » Je n'eus pas
la direction
louglcmps à
Là-haut, tout là-haut, des sifllcnionts
l'oreille.
passaient, prolongés, qui allaient se terminer... [)as très loin,
\)av
un
«
halahôô
caractéristique.
»
Et Monseigneur continuait, donnant très tranquillement à tous l'exemple du calme en
temps que
le
précepte
« l']n
:
pratiquant
la vaillance,
secouant
continuait-il, cette vertu si française, qui
en nous devant les
met en
le
danger
même
les meilleures énergies,
pleine valeur,
et,
par une sorte de
magnétisme, communique à notre entourage une part de leur vertu...
Cependant rageurs
sifflements
les
et les
»
se
faisaient
plus
éclatements plus proches. Dans
le
fond de l'église, on distinguait des chuchotements à voix basse et des piétinements de souliers ferrés
se dirigeant vers les portes. L'évéque avait inter-
rompu son
discours, puis, de nouveau, sa voix
s'éleva très calme
pas; ce la
:
«
Mes
n'est (ju'un petit
frères,
ne vous
bombardement.
bouche de quelqu'un
(|ui
»
troui)lez
Tombant de
savait à quoi s'en tenir,
en ayant depuis six semaines subi bien d autres, ces paroles eurent
le
don de produire un apaisement,
ce qui permit à quelques ofliciers d'entreprendre
avec métliode un sage «
mouvement
d'évacuation.
Laissez d'abord sortir les femmes!
»
cria-l-on.
Cet ordre venait à peine d'être lancé qu'une
IMPRESSIONS DE GUERRE
74 «
arrivée
nouvelle
»
à 50 mètres
produisit
se
tout au plus, éclatante, sèche,
accompagnée d'un
écroulement de maison; on ne Tavait pas entendu venir, mais
nous en reçûmes tous la commotion. long, un peu trop à gauche
C'était
encore un coup
et trop
sud-ouest; mais visiblement le clocher ser-
vait de point de mire.
y eut quelques
Il
cris
de femmes. Impassible,
toujours dans la chaire, Monseigneur dominait le
tumulte, le visage tourné vers teries
ennemies.
«
l'est,
Mes bien chers
face aux bat-
frères, conservez
tout votre calme; je vais vous donner la bénédic-
du bon Dieu. » il entonna d'une voix
tion
Et
— Adjutorrum nostrum
in
forte
Du chœur, nous répondîmes
— Qui
fecit
cœlum
et
:
nomine Domini. à
poumons
pleins
:
terram.
— Sit nomen Domini henedictum. Alors,
ce
fut
impressionnant
entière, je n'oublierai ce spectacle
et, :
de
cet
ma
vie
évéque en
crosse et mitre, donnant la suprême bénédiction à cette foule
où
la
mort
allait
vraisemblablement,
dans quelques secondes, se choisir des victimes.
— Benedicat
vos omnipotens Deus, Pater et Filius...
Soudain, un fracas épouvantable... Monseigneur n'eut pas le temps d'achever, ou du
des paroles se perdit dans
le bruit.
moins Parmi
le reste
les plus
braves, instinctivement, plusieurs, dont le front était déjà
penché sous
la
bénédiction, s'étaient
IMAGES DE LA (iRANDE GUERRE
75
courbés plus bas, chercliant à protéger leur tête contre un écroulement de la voûte. Puis on s'était
étonné de voir
relevé, tout
n'étaient pas en
que
les
miettes et que la
encore là-baut. Seule,
la
verrières
voûte
était
maison contiguë au pres-
ou 20 mètres, venait d'être écrasée; nous n'avions reru dans les vitraux que des
bytère, à 13 et
débris de tuiles et de briques.
Les
clîoristes
eurent un admirable sang-froid. Je
ne sais de qui vint l'impulsion; mais dès que
les
furent redressées, instantanément,
un
tètes
se
immense
mon
Pitié,
«
Dieu!
»
retentit sous ces
voûtes ébranlées, repris avec confiance par des centaines de vibrait
—
Une
poitrines.
tension de prières
dans toutes ces voix. Vingt mètres plus long
20 mètres, c'est-à-dire une iiaussc impercep-
tible,
un
moins
souffle de vent
fort!
chain ol)us, entrant à plein par un
—
et le pro-
vitrail,
ne tom-
pas au beau milieu de cette foule"? Et
berait-il
alors?
Un lui
de
seul sentiment m'occupait et m'écrasait
ma
responsabilité, car enfin c'était
J'eus en ce
moment
ma
:
ce-
faute.
l'impression très vive et dont
je ressens encore, en fixant ces souvenirs, toute l'acuité
une catastrophe se indemne, je deviendrais fou
douloureuse, que,
produisait
me
à l'instant
même.
laissant
Kt, toujours sous la cliape dorée,
je priais et disais à
résolu de
me
si
Dieu
reprendre
:
«
la
Seigneur,
si
vous avez
raison, vous en avez
IMPRESSIONS DE GUERRE
76
le
moyen,
c'est facile
cependant,
:
s'il
est possible,
sauvez ce peuple qui a confiance en Vous!
Tout à coup, je
»
Monseigneur devant moi des-
vis
cendre de chaire où son rôle prochait du tabernacle, la
transmise par l'évêque,
il
était
achevé;
il
s'ap-
demeure du Maître;
me
sembla que
que nous continuions de chanter
et,
la prière
serait plus puis-
sante que l'artillerie adverse. Dieu de clémence, Dieu Protecteur, Sauvez, sauvez la France
Par votre Sacré-Cœur!
La
France, en ce moment-là, pour nous,
de
de cette
D..., c'était surtout l'enceinte
Et de
à quelques kilomètres de
fait,
allemande,
la batterie
satisfait
tir.
»
église...
là, le
chef de
sans doute de son
œuvre, dut dire à ses servants arrêtez le
c'était
de l'Artois, c'était ce cantonnement
le petit coin
:
«
C'est assez
L'obus qui avait écrasé
la
;
maison
voisine fut le dernier de la série.
Mais nous, nous ne savions pas alors que ce rait le dernier; et
nous poursuivions notre
J'en fus tiré par
un
se-
prière.
petit clergeon qui, s'étant
sagement évadé pendant l'alerte, s'en venait maintenant fureter dans les bancs du
prestement
chœur le
et
à la recherche de sa casquette perdue.
voir,
cela
me
fit
De
songer à ceux du dehors,
blessés, agonisants peut-être, qui pouvaient avoir
IMAGES
mon
besoin de
LA (IRANDi;
l)K
fi IJ i; Il
"7
UK
ministère; et je partis en hâte pour
tournée des postes de secours
faire la
Sonniie toute, les pertes étaient hicn inférieures il
ce qu'on aurait pu craindre. Seul, le premier
projectile, le
lon^
[tius
«
dans un délachement
même
», a\;iit
fiiit
deux morts,
moment
arrivait en ce
(jui
du dépôt. Les blessés étaient au nombre de compris une femme, tenanci^rc d'un esta-
sept, y
minet, atteint par l'avant-dernier obus, à 50 mètres
du clocher.
lintérieur de l'église, rien,
à
xAIais,
pas une g^outte de sang, pas une égralignure. Lors(ju'on a été secoué par de fortes émotions,
on aime d'instinct à se serrer davantage autour de ses chefs,
quand ce ne
(ju'ils
pensent.
tente,
comme
coup dune
On
que pour savoir ce
serait
éprouve, à ce contact, une dé-
si les
nerfs étaient déchargés tout à
électricité
mauvaise, lourdement accu-
mulée. Aussi, je ne fus pas long à franchir les
deux kilomt'tres lui faire
mon
(|ui
me
séparaient du général, pour
rapport. Mais le téléphone avait été
plus rapide; on était déjà là-haut très au courant.
Yovant sans doute mon émoi, d'état-major que je rencontrai plus aimable
:
«
le
premier
me
du ton
dit
a
.Mais
phiisanterie
II
devina
non: sérieu.sement
hommes
le
Une fameuse chance, monsieur
l'aumônier, que votre réunion à l'église! à une
officier
!
mon
»
Je crus
in(|uiétude
:
sans celte réunion, les
auraient erré dans
le
caiiloiuieinent et
nous aurions eu beaucoup plus
de
casse...
Kt
IMPRESSIONS DE GUERRE
78
sûrement, au cabaret, times que
la
gérante
!
il
»
Quant au général, dès devants
pour résoudre
qu'il lisait
y aurait eu d'autres vicqu'il
il
prit les
point d'interrogation
le
dans mes yeux.
croire que la présence
m'aperçut,
Surtout, n'allez pas
«
de l'évéque
ce bombardement. Pas Les Allemands ont tiré ce
ait
été
pour
moins du
rien dans
le
monde
soir systéma-
!
tiquement sur plusieurs églises d'Arras
et
des envi-
rons; le dimanche est leur jour préféré.
Ils
ont
envoyé des obus incendiaires sur Saint-Jean-Baptiste,
qui est en train de flamber. Et Monseigneur
n'y était pas pourtant. D'ailleurs, plus amples renseignements.
Une
j'ai
demandé de
»
sonnerie, et le général était appelé au télé-
phone. « C'est la réponse, me dit-il en revenant, réponse qui confirme pleinement mes prévisions et
les précise. Il paraît
que
la division
marocaine,
notre voisine, avait eu vent ce matin, chez les
Bavarois d'en face, d'un gros rassemblement en train de se former;
on a prévenu toutes
les pièces
qui pouvaient battre ce point; puis, le rassemble-
ment achevé, fois; ils
on leur a
toutes les batteries ont craché à la fait
du mal naturellement. Ce soir, tir de représailles, mais à
ont voulu faire un
leur manière, sur les églises...
Une
autre fois, ce
sera sur les ambulances. Inutile de ciiercher plus loin; c'est toute la loyauté de ces gens-là. »
IMAGES DK LA GRANUK GUERRE «
me
Et puis,
révè(jue
!
me
<'ii
auront appris (juun l)onii)ard('ment
Ils
souvent plus de bruit que de mal,
tout cas on ne
garderont Il
officier,
pour nos hommes,
le dîner,
superbe leçon de crànerie que l'allitude de
(juelle
fait
un autre
disait
raccompagnant après
79
en
le
gagne jamais en
qu'en
rien à s'affoler. Ils en
souvenir, vous verrez.
fut ainsi,
et
»
maintes
elfet, j'eus
fois l'occa-
sion de m'cMi apercevoir au cours des six mois que je passai
Quand
encore
du X' d'infanterie,
majeure partie de
l'auditoire ce jour-
i|ui
formait
là
«
:
dans cette héroïque division.
je rencontrais des soldats la
Vous vous rappelez
deD...,
»
demandais-je.
Et l'un d'eux pelle!
dame
me
Ils s'en
une
dit
novembre, à
le lo
fois
:
«
dame non
!
Et c'est pounjuoi, saint Martin,
m'en
Si je
raj)-
oui! le jour où l'évéque a arrêté
obus avec sa bénédiction... En voilà un pas peur,
l'église
souvenaient tous.
un
n'avait
»
somme
du haut du
gine, d'être trop
(jui
ciel,
toute, Mi;r l'évéque
n'eut pas lieu, j'ima-
mécontent de sa
fête guerrière...
un peu mouvementée cependant. Georges
(i...,
.\unu^llier luiiiluire
nu
.N*
liRlaillon de chasseurs à pied.
IMPRESSIONS DE GUERRE
80
2.
— Au
24 mai 1915.
seuil de la terre natale.
—
Décidément, nous liquidons
Voici nos successeurs. Depuis nous piétinons sur place. Nos
Ça
ragaillardis.
semaines. Le
cafard
«
plus
août, septembre
s'ennuyaient ».
on
On
avait
avril;
s'était
est de la réserve,
part. Qu'est-il
advenu de
escompté
mais
les
»
toujours
Pensez donc, depuis
ou octobre 1914, pas une nouvelle
de là-bas. Savait-on ce qui autres,
sont tout dernières
ces
poussait à boire, et le vin
»
ils «
après leur famille
«
12 septembre,
hommes
guère,
n'allait
troublait les tètes, et
le
I
la
la
passé? Et, nous
mariés pour
femme
et
la plu-
des mioches?
délivrance pour mars ou
longs mois d'hiver avaient
amené
des mois de printemps encore plus longs...
« Ces quand c'est-y donc qu'on les décollera de chez nous? » En ce soir de mai, l'ardente espérance ressuscite au cœur de tous. Ça y esi, nous partons. Ça chaufl'e déjà du côté de chez nous. Si cette fois, on pouvait les avoir! Des perspectives radieuses s'entr'ouvrent dans
sales Boches,
:
la
maisonnette, la petite famille, délivrée du poing
de fer
et
de
la
famine organisée, renaît à
facteur lui apporte lit
une
lettre, la
à travers des larmes,
que
la joie; le
première, qu'on
l'on porte
en toute
IMAGES DE LA GRANDE aux amis
liàlc
et voisins la plus
bins retrouvent
le lait (jui
le
«
coron
81
Oul)liée, la
».
dure de toutes
dure privation, Bientôt
de
GUEKItl.
!
Les bam-
leur manquait peut-être.
vaguemestre ramènera de
poste divi-
la
sionnaire une précieuse enveloppe contenant leurs pbotos, y compris celle du nouveau bébé attendu
Le
l'an dernier.
voir sur le bras de sa
Des ombres surgissent. On
riante!...
mère sou-
les refoule.
L'heure est aux espoirs. QH tjui
juai.
n'en
—
La
finit plus.
mais dans
tesse,
nuit, sac
Tous
au dos, sur une route
se taisent.
Aucune
tris-
les tètes s'agitent les conjectures
des derniers jours
:
«
Bien sûr, on va s'embarquer,
Peut-être pour l'Italie? ou l'Alsace?
Un
très haut
voyage « beau et long ». Tourfusées lumineuses qui jalonnent
gradt' a parlé d'un
nant
le
dos au.x
de leurs étoiles fugitives
la ligne
des tranchées,
Nous logeons dans un village voisin, fourbus, mais le cœur soulevé par des espérances plus ou moins confuses. Toute la nous marchons vers
division se
E...
rassemi)le
en ces parages. Plus de
doute.
—
La gare. Tous en gaieté. Un bataillon 28 mai. est déjà embanjué, prêt à partir. Quelle direction? Pantin. Paris? Bah! Tout le monde [)asse par Paris. Ça n'apprend pas grand'ciiose, ça 11 y
—
—
a bien des lignes, bien des II.
fils
qui divergent du 6
IMPRESSIONS DE GUERRE
82
En
centre de notre toile d'araignée.
On
voiture.
on s'amuse avec insouciance, se laissant con-
rit,
duire par le mécanicien, l'état-major et la Provi-
dence.
Des réseaux de fil de fer barbelé. Camp retranché de Paris. Des faubourgs, des femmes à tous les étages qui agitent des mouchoirs, la France désarmée pour qui nous allons au feu, la France sauvée en septembre dernier de
la terrible inva-
France pour qui nos provinces souffrent long martyre... Et des larmes viennent aux
sion, la
un
si
paupières. Qui ne se rappelle alors les
femmes
et
nous saluaient de la main, lorsqu'un train pareil à celui-ci nous emportait en août 1914 vers l'inconnu? Mais encore on pense à d'autres
les enfants qui
aux êtres chers que
villes, à d'autres rues,
quittés
Ce
l'on a
parmi des sanglots.
Voyez Tour Eiffel;
n'est qu'un éclair de tristesse.
silhouette
brumeuse de
cette vieille
:
la et
puis blanche, aérienne, la basilique de Montmartre.
Tous
se pressent
aux portes grandes ouvertes des
fourgons. Les regards se tendent avidement.
Pantin N'?
alors
un
Arrêt-jus. «
Vous avez vu passer
nous remontons vers
brin d'émotion.
Le les
:
— Oui. — Quelle direction? — On
train s'engage,
commentaires de
S... -D...
le...l »
le
—Mais
Surprise, avec
n'ose conjecturer encore.
en
effet,
jaillir.
sur la ligne du... Et
On
avait parlé de tout,
sauf de çat Et les cœurs de battre, saisis plus que
IMAGES DE LA GRANDE GUERRE jamais par l'attraction du
nous
allions
la fois trop
sol. Est-il
possible que
en plein pays d'origine? Ce serait à
de bonheur et de tristesse.
Les âmes se sont
Les
recueillies.
alourdies par les veilles, les corps
chaleur accable.
fatigue, la
83
On
se
t(Hes
sont
rompus par
tait,
la
on s'endort.
Trop énervé pour m'assoupir, je regarde. Le train va droit son chemin sur la grande ligne. Nous allons sûrement à... Nous en approchons toujours, et les l'autre.
aller
Mais au
«
poilus
fait,
»
se réveillent l'un après
de A..., nous pouvons encore
ou plus bas ou plus haut que
le
pays.
Le nom
d'une rivière fameuse est prononcé.
Le train est aiguillé sur la gare S...-R... Tiens Une ligne à une seule voie, champêtre, entre des! haies. Ah! mais pour le coup, je pousse un -cri, un « Ligne de D... Je m'en vais presque cri du cœur :
tout droit vers chez nous! » Caliin-caha. les deux machines essoufflées m'en rapprochent pénible-
ment. L'abrutissement de
la
fatigue
l'emporte
mendors, accroupi. Demisommeil fort agité... Rêve ou réalité? Tout le monde descend! En effet, c'est bien la gare de D. Des hommes passent avec des torclies, dont la vue appelle de vagues réminiscences classifjues. Avec le temps et la fraîcheur de la nuit, la pensée se ranime un peu. 11 me souffle au visage comme une bouiïée de l'air natal. J'en suis tout réveillé et remué. Dire qu'à 2G kilomètres d'ici enfin sur l'émotion. Je
.
.
IMPRESSIONS DE GUERRE
84
— une étape — mes être,
dans
parents sont encore
cher viUage envahi,
le
B...,
peut-
là,
par delà la
me
barrière infranchie jusqu'à ce jour. Et pour
rendre à qu'à
filer
B..., n'était
cette
barrière, je n'aurais
droit vers l'est, j'y serais
aux premières
heures du jour...
—
29 mai. Logés à 5 kilomètres de D... Après un court sommeil, vite en chasse. N'y aurait-il pas ici des réfugiés de B...?De fait, je trouve un jeune homme et une veuve avec sa fille. Ces dernières me reçoivent, comme si j'étais le messager de la délivrance, dans leur modeste logis; pour sièges, des caisses. Et tout de suite on questionne sur les chosics de là-bas. Ces femmes se sont enfuies le 3 octobre, veille de l'entrée des elles
me
Allemands à
B...;
disent leurs terreurs, les obus qui pleu-
maisons démolies,
vaient, les
les
victimes con-
nues, et leur odyssée de village en village.
Ils
sont
rares, ceux qui se sont échappés. Se rappelant la
conduite correcte des Allemands à leurs passages antérieurs, confiants d'ailleurs que les nôtres tien-
draient la voie ferrée, la plupart sont restés à B..., et
le
4 au matin, sous
un bombardement encom-
intense, alors que nos troupes en retraite
braient les chemins, la fuite se trouva
dangereuse. est
parmi
A
les
part les mobilisés, toute «
envahis
apprendre, c'est que
le 4
».
Ce que
difficile et
ma j'en
famiUe ai
pu
octobre au malin, tous
IMAGES DE LA GRANDE GUERRE
Un
étaient encore sains et saufs.
capés avait vu
mon
sous les obus;
le reste
l'abri
85
des derniers res-
père tranquille et plaisantant
de la famille
s'était
mis k
dans une cave voisine avec bon nombre
d'autres personnes.
La maison
n'avait été visitée
que par un obus, dégâts inconnus. Aux alentours, une vingtaine de civils
rien que des ruines, et
avaient été tués. L'un d'eux aurait été atteint en
Mon
passant devant la maison.
entendu
beau-frère avait
maisons voisines de
la
sienne avaient été évcntrées par les marmites.
Le
dire
que des
bruit courait d'une jeune
lille
morte victime des
Allemands, d'une autre qui aurait succombé à la fièvre typhoïde.
Une grande
enlevée aux liabitants
:
M.
consolation avait été
Doyen, deux
le
fois cité
devant une sorte de conseil de guerre, avait été
emmené
par les Allemands, et les douze cents
envahis étaient restés sans prêtre. Bien des racontars avaient circulé, et
démentis par
la suite
:
un tel fusillés [)ar les Allemands. Les communiqués officiels avaient parlé
un
tel
à plu-
sieurs reprises des exploits et méfaits de l'artillerie
en notre région.
H...,
à 4 ou
îi
kilomètres des tran-
chées de première ligne, résidence probable d'un état-major ennemi, n'avait-il pas été saccagé par
nos propres obus? tiraient, paraît-il,
II
est vrai
que nos
artilleurs
ne
qu'avec une extrême réserve sur
les villages. Loiscju'ils avaient
dû abattre
le
clo-
cher d'un village voisin, qui servait aux Allemands
IMPRESSIONS DE GUERRE
86
d'observatoire,
l'avaient démoli en
ils
coups bien calculés
et
quelques
étonnamment justes... Mais
encore? il y eut l'hiver, les privations, les émoPapa avait besoin de bien des ménagements. Et ma bonne grand'mère, si usée et accablée d'infirmités, à cause de qui peut-être on n'avait pas voulu fuir? Et ma chère maman, et mes deux sœurs, et mes petits neveux? Tous les moyens de correspondance ont été essayés. Au plus, pouvons-nous espérer qu'un mot est arrivé à B..., pour calmer les inquiétudes ressenties à notre sujet. Mais rien n'est venu d'eux, rien ne nous a parlé d'eux. Toujours le
Et puis,
tions.
même
terrible point d'interrogation, le
douloureux
mystère.
30 mai.
— Mon
oncle et
ma
tante de S... sont
réfugiés, pas tellement loin d'ici;
je courais jus-
si
qu'à eux? L'occasion est unique.
Surprise inexprimable pour giés.
Mon
me
suis
Eh
quoi? Toi par
«
me
nommé. Ma tante
lorsque je
loquée
:
mes pauvres
oncle sur la route ne
seulement d'entretien.
La
icil »
tante en larmes
pour
ma
famille.
jeune sœur ne
Il
me
dit
est toute inter-
Un
quart d'heure
joie de se revoir
d'égale que la tristesse avivée par
Ma
combien
ma
n'a
présence.
elle s'inquiète
peu que ma partie avec eux et venue
s'en est fallu de si
soit
réfu-
reconnaît que
IMAGES DE LA GRANDE GUERRE
comme eux
en lieu sûr! Elle avait une
des Prussiens,
«
telle
surtout lorsqu'ils ont bu
nouvelles d'un
(le
fils
87
».
peur
Et pas
resté quelque part vers la
Tout abandonné et tout perdu, sauf un cheval et la voiture que l'on garde pour le retour. Leur liabitation, à un kilomètre de la ligne de feu, n'existe sans doute plus; les Allemands auront frontière.
pillé
ce qui avait échappé aux obus et aux incen-
Le dur liiver qu'ils ont passé, dans la maison « Nous ne sonmics pas ici chez nous. » Et moi de répéter le nécessaire refrain courage
(Hes.
d'autrui!
:
conliance! Des
et
région.
Il
troupes se
n'est bruit
massent dans
la
que d'une vigoureuse ofTen-
sive.
31 mai.
— Tambours
un régiment de jeunes.
battant, clairons sonnant, Ali!
ça va chauffer! Les
préparatifs sont énormes, à ce que l'on raconte. dit
que
le
Grand-Père est
là,
cette route. L'attaque est
On
que son auto passe sur
imminente. Les soldats
se recueillent dans l'attente
du
sacrifice.
Les réfu-
giés, impatients de voir se réaliser leurs désirs, se
font lédio de bruits naïfs et venus on ne sait d'où
nos
troupes
auraient
seraient parvenues aux
qu'en octobre
et
déjà
repris
un
:
village,
haies de B... C'est ainsi
novembre
dernier, la délivrance
avait été plusieurs fois annoncée. Et les pauvres
gens se mettaient en marche aussitôt vers leur village. Illusions suivies
de déceptions cruelles.
Un
IMPRESSIONS DE GUERRE
88
fermier était
allé
jusqu'aux premières
trois fois
lignes, jusqu'aux balles, afin de voir «
si
vraiment
sa terre était encore aux mains des Boches
— Enfin, départ
»
!
une heure du matin. donc là que va donner la division? Mon pauvre beau-frère Vers la fin de notre séjour en Champagne, il s'était un peu rasséréné, et commençait à porter avec moins 7
juin.
Nous
à
allons droit vers B...! C'est
I
d'abattement sa lourde épreuve. Mais de se trouver si
près de sa
aux volées de
femme
de son enfant, de penser
et
tombent de
mitraille qui
l'autre côté,
et de se sentir à la veille peut-être de risquer sa vie
à
si faible
distance d'eux
Vers six heures, table
halte.
canonnade dont
en viatique.
A
peine
!
On
le
en remontant
la vallée
détour,
les
paraissent en
B...
un
nuages meurtriers
qui
C'est la zone
Halte au cimetière lamentable percutants
homme du
éclatent
pays
me
Marche au canon,
encaissée. Soudain, à
petits
l'air.
dru dit
Communié
temps de prendre une tasse
de café chez des réfugiés de voici
entend une épouvan-
la terre tremble.
que
d'
de...
derrière les
«
la
arrosage
Fusants crête.
».
et
Un
Allemands bombar-
dent la ferme qui a servi de base à notre attaque
de ce matin. Dans la vallée à gauche, concert de grosses pièces avec réplique de grosses marmites.
Combien
Q je
de fois
familiers tous ces
mon
noms de
villages!
cher papa les a parcourus
!
IMAGKS DE LA GRANDli: GUERRE
Une
sorte de bois en face de nous.
pas H...?
me
que je
faut
Il
Ne
89
serait-ce
rende compte. Je
grimpe sur un arbre. C'est bien
cela. H... est là,
enfoui <lans son épais manteau de grands arbres. Il
est
occupé par nous. Derrière
seulement plus
yeux du dedans
au cœur, B.
et
H..., à 5 kilomètres
mais
loin, invisible,
.
.
si
présent aux
est là, entouré, lui
avec les deux longues maison natale peut-être on ruines,
aussi, de prés et d'arbres,
rues, avec la
En
peut-être encore habitée.
tout, (pic la volonté
du Seigneur soit faite... Nos régiments sont aux tranchées, mais en deuxième ligne seulement. C'est le N' corps qui a attaqué ce malin, avec un élan magnifie jue. Plein succès.
mencée
La reconquête du :
un
sol nalal est bien
com-
fortin et plusieurs lignes de tranchées
ont été pris en quelques minutes. Ce terrain, l)Ouleversé, émictlé par les pics, les pelles et les obus, c'est
du
nous! Doublement sacré, par
sol de ciiez
sueur des ancêtres,
10 juin. de...
et le
la
sang des braves tombés.
— Arrivés de bonne heure
à la Ràperie
J'en avais vu jadis la cheminée bien des fois,
lorsque je venais à
S...
chez
mes
grands-parents.
Et cette route ne m'est pas inconnue. Je vie, tout
jeune encore,
Maintenant, de
la
tronçon informe, balles.
me
cheminée, et la
l'ai
sui-
rendant au marché. il
ne subsiste qu'un
route est balayée par les
IMPRESSIONS DE GUERRE
90
Deux de nos régiments cinq heures du matin.
sont prêts à attaquer dès
Il fait
une brume
En
atten-
deux
côtés.
L'attaque est retardée d'heure en heure. dant, arrosage intensif, formidable, des
épaisse.
Canons, obusiers, mortiers, lance-bombes,
cra-
chent leur mitraille.
Et les blessés sont nombreux. cote 163, lorsque la
de
les arbres
brume
C'est le
S...
En revenant de
s'est levée, je vois
hameau
qui est
quelque sorte l'objectif de nos attaques.
La deuxième
en entrant,
c'est là
sa jeunesse.
en
S... n'est
qu'à 3 kilomètres de la Ràperie, et c'est le natal de papa!
la
bien
hameau
habitation à gauche
que papa a vécu son enfance
Nous y fîmes de
et
bons séjours
si
durant les vacances, jouant au pied du Calvaire et
dans
les prés
où pendaient tant de fruits... A prédécombres et désolation.
sent, tout est là-bas
L'attaque se déclenche à cinq heures du
Nos hommes mènent farouche.
Ils
ger. Et puis, Ils
l'assaut avec
soir.
une résolution
ont des injures personnelles à venil
faut en finir avec tant de misères.
ont conscience de travailler à la délivrance.
Ils
viennent à bout de la tâche assignée pour ce jourlà. Les gains précédents ont été élargis. Des tombés, la plupart
sont morts, à la lettre, pour la
délivrance de leur terre et de leurs bien-aimés...
11 juin. allemands.
— Interrogé
des prisonniers et blessés
Ceux-ci ne connaissent
pas du tout
IMAGES DE LA GRANDE GUERRE mais affirment aussi
B...,
bre
à P...
(le civils
Mes parents sont Si près et
d'ici.
Il
91
bon nom-
qu'il est reste
faut se rendre à la vérité.
aussi dans la fournaise, tout près
Entre nous,
loin!
si
bien
c'est
magnum.
chaos
12
juin.
— Rencontré
la 22'
dans
le
Mon ami, le sous-lieutenant me voit, appelle en souriant le
(ju'il
boyau de
R. V..., dès
relève.
sergent A...
Regards croisés, une poignée de main, un court bonjour, (juc de cboscs senties doit attaquer nette,
demain;
en pareil lieu
timent
«
:
Tu
A...
Il
va marcher à
verras, c'est
ici
répondre"?
«
Et
que
échappé tant de
fois à la
providentielle,
pour
«
Ce
je tomberai!
Allons, bon courage...
mon
:
confie son pressen-
offrande
Seigneur, mais plutôt moi.
lui,
baïon-
la
remet de l'argent
me
»
répète intérieurement
si
me il
sera moins exposé.
Que
!
La compagnie
!
»
:
»
»
Et je
Non pas
«
Aurait-il déjà
mort,
même
livrer
son
d'une fa(;on
sang
et
sa
dépouille à cette terre?
—
Anniversaire de notre première com13 juin. munion, la mienne, celle de ma sœur, de mon beau-frère, de deux cousins. Dès la pointe du jour, formidable lutte d'artillerie
et
arrosage
des tranchées.
A
cinq
attaque. A... en est. Et j'en prends aussi part.
Car
les
lieures,
ma
Allemands exécutent un violent
petite tir
de
IMPRESSIONS DE GUERRE
92
barrage sur les carrefours de
Ça dégrin-
cote.
la
gole, percutants, gros fusants noirs.
Un homme
est blessé à l'entrée de notre abri précaire. Trois
quarts d'heure entre la vie fiée
et la
mort, l'àme paci-
dans un abandon tranquille. Les obus français
de gros calibre s'abattent peut-être aussi en rafales sur ce qui reste de B...
au loin dans
A
l'Est, toute
part
mon
frère, qui est ici
au
minimum
de
notre famille est
feu.
L'attaque a bien réussi, avec pertes.
Mais
que
devient-il"?
le
Toute
la
journée,
ceux qui reviennent, blessés, corvées.
j'interroge
La
A...,
section d'A... n'a pas attaqué. Mais elle est
cruellement éprouvée par
le
bombardement. Le
sous-lieutenant R. V... a été écharpé par un obus.
Bonnes nouvelles d'A... Les sergents l'un après mis hors de combat. Il reste indemne. Grande joie. Serais-je exaucé? Quelques lettres d'adieux aux amis.
l'autre sont
15
juin.
—
Rapporté un blessé de
la
première
boyaux interminables, peut-être à mon oncle. Ce sera un
ligne par des
travers des propriétés de travail
énorme de combler plus
de tranchées et
et
de reprendre
En première l'énervement,
que
les
tard ces labyrinthes
de boyaux, de rebâtir les maisons le
métier d'autrefois.
ligne j'étais
la fatigue,
impressions
si
près de B...! Avec
l'accoutumance, je sens
s'atténuent
et
tendent à
IMAGES DE LA GRANDE GUERRE une
dans
s'évanouir
toute
vie
93
mécanique
et
inconsciente. Et c'est une horrible souflrance de sentir (ju'on devient insensible en do telles con-
jonctures
:
Le temps, ce ravisseur de toute joie humaine, Nous prend jusqu'à nos pleurs, tant Dieu veut nous
Nouvelle subite
:
éloignons. C'est la
la division se retire.
du cauchemar. Mais reste dans ses
n'est
S...
Nous nous
On
sort
pas délivré.
B...
de l'ouragan de
fin
sevrer...
fer.
brumes d'angoisse. Nous n'avons
reconquis que des parcelles du sol natal. Cette aiïaire,
que
imaginations, les espoirs avaient
les
démesurément grossie à l'avance, s'est réduite à une simple diversion, à une modeste rectification de front.
Nous retournons
à l'arrière, au lieu de
Les pays envahis restent envahis. La barrière demeure infranchie. Les âmes soulevées dans une attente ardente retommarclier de
bent.
l'avant.
Espoirs
mon âme,
ajournés, jusqu'à quand? Allons,
reprenons
la croi.x. Patience,- et,
malgré
tout, confiance.
10 juin-18
juillet.
— Repos
dans une délicieuse
placidité champêtre.
Bruit sensalioinu'l
:
permis.sions accordées au.x
soldats du front. El de fait des Ustcs sont dressées.
Où
iront les sans-famille?
dix, huit sont de
Dans
pays envahi.
mon
escouade, sur
IMPRESSIONS DE GUERRE
94
C'est donc vrai, la mobilisation industrielle bat
On
son plein.
rappelle dans les usines
bon nombre
d'ouvriers-soldats.
Avec
désenchantement
prolongement de », revu et augmenté, chez plusieurs. Cependant, nous sommes loin d'être larmoyants. On rit, on plaisante, on le
l'attente, résurrection
s'amuse,
comme
du
et le
cafard
«
des enfants parfois.
La
gaieté
règne toujours, mais plutôt collective qu'individuelle.
Dans
l'intimité,
ou
seul avec
soi-même,
les
pensées vont aux absents.
22
août.
— Nos
cet avantage de
allées et
venues ont du moins
me ramener vers mon
vais le surprendre
une seconde
à 10 kilomètres de B...
On
ami
fois, et
dirait
M... Je
reviens
ici
que nous tour-
noyons, hésitant à quitter ces parages que
la divi-
sion a ensanglantés et glorifiés pour sa part.
25
août.
—
Indices sérieux que
nous allons
réoccuper un secteur un peu plus haut, mais encore assez près deB...
Nous
de nos régiments
fixer
en cette région! Deux
seraient en plein
district
de
recrutement.
26
août.
—
tion.
Demi
tour et départ définitif. Grand'halle au-
Non. Changement brusque de direc-
près du village où nous avons logé le 29 mai, à la
descente du train.
IMAGES DH LA GRANDE GUERRE
95
Ainsi donc nous bouclons la boucle, nous fer-
mons
le cercle de ces trois mois passés dans l'atmospbère du pays. Trois mois au seuil de la terre
natale...
Terre qu'appellent en vain nos espoirs
mêlés de craintes.
douleurs, nos
En
avoir été
si
prières
traversées
près, et en rester
si
de
loin,
combien de temps encore? Adieu à ma terre, à et à mes vivants; à quand le revoir?... allons, Debout, pour la France! Et que Dieu très grand et très bon ait pitié de nous!
mes morts
L. C. .., N' régiment d'infanterie.
3.
—
Ma
batterie
24 septembre 1915. n'est
pendant
— Etre
l'offensive.
bombardé en
« d'être l'objectif »...
se vivent; c'est
Pourtant ces bcures cruelles
moins extraordinaire
comme
sen-
une
bat-
sation qu'on ne le croirait à voir de loin terie
bombardée. Au fond
est impuissant à réaliser
A
ville
absolument rien auprès de cette impression
(et
lieureusement) on
pleinement
la situation.
partir d'une certaine intensité de sensation, notre
sensibilité, pas faite
pour ces doses-là, n'enregistre
plus; on ressent une vague et générale borreur de la
situation, et l'on
continue d'être impression-
IMPRESSIONS DE GUERRE
96
nable aux
menus
bombardé,
je
me rappelle m'être préoccupé de ne sur mon stylo dans ma poche, de peur
pas appuyer
de le casser. Après
ma
partout
une
par exemple, dans l'abri
faits;
le
bombardement, je cherchai
capote que j'avais laissée deliors, et
véritable angoisse m'étreignait à ne pas la
retrouver.
A
d'éclats
Heureusement que
dans!
:
me dit-on. me fit rire beaucoup
»
Cela
d'ailleurs là...
«
la fm, je la retrouvai, toute
on
riait
percée
tu n'étais pas de-
de la retrouver ainsi;
de pas grand' chose à ce moment-
L'équilibre ne s'était pas encore rétabli dans
la cervelle. le civil,
Ce
même
soir,
un servant qui
fut,
dans
typographe, socialiste, voire candidat à la
députation, ne voulait-il pas m'entraîner dans une
une discussion mondiale », disait -il, pendant que nous mangions, dehors, entre deux trous de marmites, attendant les prochaines. Le thème de son monocar ce fut un monologue était « guerre logue à la guerre »! Or, ce brave socialiste est un excelvaste discussion politico-religieuse,
«
—
—
lent canonnier, qui ne renâcle jamais à tirer sous le feu;
seulement, à cette heure, il jurait ses grands
dieux que les obus envoyés lui faisaient autant de peine que les obus reçus
coup nos Savoyards Ai-je déjà noté
que
reconnues pour des
une soixantaine en
:
cette idée
amusa beau-
!
«
nos
»
marmites ont été
210? — Nous
tout.
en avons reçu
IMAGES DE LA GRANDE GUERRE
— Hier, cette
25 septembre 1915.
nuit, ce matin,
journée tranquille pour nous... pas pour
mands. Rien en recevoir,
(ju'à
97
les Alle-
entendre ce qui part, sans njômc
y a de quoi devenir fou. Certainement l'imagination la plus folle n'eût jamais rêvé pareille
il
débauche d'obus
et,
môme
en y assistant,
on demeure impuissant à pleinement réaliser ce qui se passe.
Les
quelques
civils,
du moins,
civils
pu se résigner à s'en
n'ont
tiers,
aller.
les cafe-
Je n'aurais
jamais imaginé qu'au cours d'une lutte pareille on pût aller bien paisiblement
«
boire un verre
».
Cette journée du 24 et la nuit suivante étaient
mes
vingt-quatre heures de repos.
j'en ai joui,
me
lant sur la paille,
en un mot
me
Ah! comme
débarl)Ouillant longuement, m'éta-
baguenaudant, causant, fumant,
reposant copieusement... J'admire
que revêtent en ce moment toutes ces sensations animales je suis comme un bon sau-
la fraîcheur
:
vage.
une course jusqu'auprès de l'aumônier divisionnaire. Pendant que je roulais, brusquement, comme pour une répétition de Sur
le tard, j'allais faire
l'assaut linal, se déclencha le plus furieux orage
probablement été ouï depuis que monde. Cela dura dix minutes 75 à
d'artillerie qui ait le
monde
est
:
toute allure et toute
la
grosse
:
c'était
surhumain,
tellement inouï de puissance déchaînée ijue cela passait les limites
du beau.
IMPRESSIONS DE GUERRE
98
Pendant ce temps, je
me
confessais. Oh! que
ma
conscience m'était claire, vide de tout nuage, de tout scrupule, et presque d'orgueil.
Dans l'après-midi, j'ai essayé de faire un peu de piano. Quoique aucune pièce ne tirât très près, on s'entendait à peine en jouant fortissimo. J'ai joué
du Wagner, mais l'accompagnement nons français, exclusivement. Depuis
était
trois jours,
hors les rares accalmies, on se crie à ce que
de ca-
l'oreille
l'on veut se dire.
Ce matin, quelques hommes viennent de l'écheIls sont beaucoup plus émus amusant de voir la tête d'ailleurs c'est que nous de nos conducteurs de passage, quand on les
lon nous renforcer. ;
amène devant longe un peu
la batterie dévastée. Si l'on pro-
la
causerie, on
s'aperçoit qu'ils
écoutent distraitement et repartiraient volontiers.
Nous ne sommes pas plus braves qu'eux, mais nous sommes « baptisés ». Étrange chose que la peur ou le courage. Deux, parmi nos servants les plus dévoués,
les
plus braves gens, sont, quoi qu'ils fassent, absolu-
ment paralysés par l'épouvante physique. lent
quand
même
bras-le-corps
servir la pièce,
ils
un camarade pour un
S'ils
veu-
empoignent à levier, renver-
sant les obus sur le terre-plein, prennent pour sifflement boche la plainte aiguë d'une
qui se détache. Finalement,
malades
:
«
ils
un
ceinture
sont malades, très
diarrhée des combattants
»,
indiges-
IMAGES DE LA GRANDE GUERRE
9a
lion, troubles cardiaques, toutes sortes de vraies
soufl'rances les envahissent
:
il
n'y a plus qu'à les
soigner.
De môme tempérament, mais plus
intellec-
«
Un
simple
ouvrier des villes, plus habitué à vivre par
l'intel-
tuels »,
ils
pourraient peut-être réagir.
ligence, vécût-il, d'ailleurs, de
manderait mieux. Ceux de trop
«
nature
». Ils
mais leur volonté,
la
mensonges, se comcampagne, eux, sont
veulent tous faire leur devoir,
très instinctive elle-même, n'ar-
rive pas toujours à faire ployer l'instinct.
^ la totalité de nos près
—
hommes
— à cette exception au devoir,
est aussi tranquillement
c'est
que, chez eux, l'instinct ne crie pas par trop fort;
mais cela ne veut pas dire mérite.
Un mot
ultime motif de courage
pour tirer, on moindre pose dit-il, il
qu'ils n'aient
pas de
de l'un d'entre eux livre leur
lui dit
:
et tout
«
:
comme
il
quittait l'abri
Mais ça tombe!
en sortant
:
«
»
Que
Sans
la
veux-tu,
faut bien faire son devoir. »
Et je crois que cette simple remarque permet de se rendre
compte de
la différence entre le
courage
de l'Iiornme, courage véritable, à base de devoir,
mais à demi inconscient, cier
:
celui-ci
ni plus méritoire;
à
ses
et le
courage de
l'offi-
ne sera pas plus grand peut-être, seulement, beaucoup plus clair
propres yeux, beaucoup plus domini' par
rintolligence,
il
sera mieux en garde contre les
terribles retours de l'instinct
:
il
pourra se garder
IMPRESSIONS
100
lui-même
et «
encadrer
DP:
GUERRE
courage de l'homme.
» le
une aristocratie, pas nécessairement de naissance, mais toujours une aristocratie de l'intelligence, de l'éducation, de la fortune même, ou tout simplement du grade... car, il n'y a pas à dire, le monsieur pour Et cela impose
à l'armée d'être
;
qui l'on réquisitionne
un
lit
son ordonnance, a plus de
gneux
et qui se fait cirer facilité
que
le
par
beso-
deuxième classe pour rester ou non pas un citoyen, mais un soldat « conslibre de son intelligence, c'est-à-dire un
soldat de
devenir, cient », chef.
Onze heures allé
manger
la
et
demie.
— Des
soupe, on
a,
cuisines,
où
j'étais
vers onze heures, rap-
hommes aux pièces. On se chuchote fameuse heure H, l'heure initiale, d'où
pelé tous les
que
la
datent toutes les opérations de l'assaut
aujourd'hui midi. Je ne sais car le temps est détestable
si c'est :
final, serait
bien exact,
—
nuageux, pluvieux,
brumeux. Il ne faudrait pourtant pas que cela tarde trop, car cette lutte finit par épuiser les nerfs des artilleurs
eux-mêmes
comme nous
—
et
même
en ayant
le
dessus,
l'avons.
Onze heures cinquante.
— Le
tir
est toujours fu-
rieux, quoique ce ne soit pas encore le grand
déclenchement.
IMAGES DE LA GRANDE GUKRIU: Midi
cinq.
— La batterie
commence
101
à faire feu
des quatre {)ièces. C'est bien l'assaut
Tout
final.
ce qui a bouclie de canon tire de toute sa vitesse
sur l'ennemi
c'est
:
le plus infernal
«
clialiut
»
Le bruit court d'une victoire Ceux qui auront perdu cette occasion
qu'on puisse rêver. anglaise...
de devenir fous, fous d'enthousiasme
ne
le
A
et
de bruit,
deviendront jamais. la 3° pièce, P..., le sous-officier, crie
voyez!
»
comme
le cuisinier C..., et
:
«
En-
l'obus allongé
s'envole avec ses 12 kilogrammes de mélinite.
Midi vingt-cinq.
ché
et
que
le
— Je croyais que
vacarme ne pouvait
c'était
être dépassé;
mais non, voici seulement que commence
déclenchement du 75 à toute
déclen-
le
grand
allure.
C'est fou! Je n'ai plus d'expression. Suis-je de
ce monde, ou d'un autre, infernal ou divin?
ne
— On
sait plus.
Midi trente-cinq.
— Je viens de
sortir; j'ai
donné
à quelques-uns du coton pour se mettre dans les oreilles.
On
dit
qu'en Champagne, on aurait déjà,
à onze heures, avancé de
Là-haut
1
500 mètres...
— aux pièces — on parle par gestes ou
bien on se liurlc dans l'oreille; Ihori/on est gris, les arbres gris, tout vacille et
fumée que des machines
vibrations et la rien
:
il
tremblote dans les
n'y a plus
(jui les
d'hommes,
asservissent et les
IMPRESSIONS DE GUERRE
102
font se
démener
long
le
d'elles,
trempés de sueur,
pleins de poussière, demi-vêtus. «
», me dit P... comme d'un ouragan,
Plus d'un coup par minute
Il y a des demi-accalmies, puis, brusquement, sur tout
béte,
le front
de l'immense
un sursaut plus désespéré, un hurlement
plus fort qu'avant.
Une heure quinze. «
tournée
»
—
On
de rhum; j'y
fait,
aux pièces, une
ai droit, paraît-il, et je
m'administre un demi-quart, sans
—
Le major Deux heures. Danse effrayante. Deux
heures cinq.
me
visite les
faire prier.
batteries.
— Le lieutenant arrive
:
«
Nous
sommes dans B... Les Boches ne tirent plus sur nos tranchées que quelques coups qui semblent venir de très loin.
»
—
Un taube a le toupet de venir Deux heures dix. « Abritez-vous. » Tout s'arrête. nous survoler Sur tout le front, calme étrange. Les chevaux doivent, paraît-il, être garnis pour :
six heures.
L'enragée canonnade reprend. Trois heures.
prisonniers
:
— Passage d'un
petit
groupe de
jeunes et beaux gars; ce sont des
IMAGES DE LA GRANDE GUERRE chasseurs à pied, pris devant
pas encore h nous.
ma
103
B..., car B... n'est
bon
air et je
ne
puis qu'admirer l'allure militaire avec laquelle
ils
Ils ont,
foi,
partent, reviennent, font demi-tour au
commande-
ment de leur sous-officier. Le 75 près de l'autre
—
—
batterie
a eu un
accident de pièce; autre accident à notre droite,
mais pas un liomme de touché. Quatre heures
trente.
de roue a sauté à la
— Un élément de
2° pièce;
il
l'obturateur; pas étonnant, après
moment,
répare en ce
dans
et
C'était tout de
sion,
tir pareil.
tirent toujours.
Huit heures dix du matiu.
même
une
vieilles
On
minutes, on
—
belle et grandiose vi-
notre batterie au travail, une vision
m'évoquait ces
où
—
un
cin((
recommencera. Les autres pièces 27 septembre.
ceinture
avait fallu changer
qui
gravures de guerre navale,
l'on voit des canonniers dépoitraillés et
mus-
culeux, ficelés
d'une ceinture en désordie, se démener, mouchoir au cou, cheveux au vent, autour des caronades. Il
aurait valu la peine
bonshommes la culotte
:
aux iianches,
la
grand mouchoir bleu dans
comme un chaude.
d'en
croquer, de nos
par exemple ce petit ciiargeur
diable sur
le
ciiemise
\if,
ouverte, un
dos, qui se démenait
un marchepied, à sa culasse
IMPRESSIONS DE GUERRE
104
Mon
un jeune voyageur bien planté dans un bleu
ex-brigadier infirmier,
de comniôi'ce, crâne et
campait à sa pièce^ en belle
horizon neuf, se allure, le képi
un peu sur
l'oreille,
comme
si
toute
une galerie féminine eût pu l'admirer. A la pièce voisine. P..., le benjamin des sous-offs, rose et florissant, « envoyait » avec un sourire, pendant qu'à côté de lui, le bon M..., placide, faisait sa distribution sans y mettre aucune méchanceté. Deux pas plus loin, émergeaient du terre-plein la tête reposée eL les moustaches gauloises de M. J.-L. R..., bon propriétaire savoyard, qui alignait ses angles successifs, comme il eût fait pour une enchère de bestiaux ou de grains. Oh! la peu féroce batterie que la mienne et combien française, brave, tranquille et gaie; et pourtant quel
Cette idée
mal nous avons dû faire à l'ennemi! me frappe brusquement au moment où
passe derrière
les
pièces le capitaine, attentif,
calme, soucieux de ses
hommes,
l'air très
bon, et
peu féroce, lui aussi! « Tu vois cet homme, dis-je au sous-chef, eh bien, il en a des morts sur la conscience !» Et le sous-chef, qui aime à taquiner si
—
«
—
«
dis. «
:
Dis donc, B...,
tue pourtant des catholiques? »
il
Qu'est-ce que ça fait? »
Le
envoi
»
Il
les envoie
en para-
qu'à cette heure, j'accepte cet
fait est
de nos frères d'en face avec beaucoup
de désinvolture
et
pourtant sans aucune haine.
Noire sous-chef C'est ce 1
qu'il
y a de plus beau
IMAGES DE LA GRANDE GUERRE ilans la batterie
grammes,
au travail
ce colosse de 12*i kilo-
une clieune pipe triple-
velu, tranquille, débonnaire,
mise noirâtre sur
ment
:
105
culottée, se
au
le dos;
promène
l)ec,
tout le jour d'une pièce
tomber
à l'autre, occupé, pas allairé, et laissant
de sa voix flamande quelque appréciation savoureuse
Et
et traînante
sur les gens de là-bas.
lavage des pièces, entre deux coups, pour
le
de guerre! Le cbef
les refroidir, typique tableau
de pièce empoigne l'éponge,
lance à la tète
la
d'un servant, qui, les mancbes retroussées, suant et rapide,
plonge dans
lu Ijaille.
inonde
la
culasse
brûlante, toute noire, pendant que les autres sautent sur le gros écouvillon poilu et ruisselant, le
repassent dans
passent et
lo
à présent,
comme trempée
Tout
à
de sueur,
elle
aussi...
avant-hier que je l'admirais.
cela, c'est
Hier, j'étais relevé
reposer
qui dégoutte
la pièce,
aux pièces
200 mètres de
là,
et
comptais
me
près des cuisines, au
cantonnement. C'est
H
dimanche
est ex(juis
et
Le
rapide.
comme
de voir
eidin ses ofliciiM's.
mal
messe
:
la batterie
apprécie
ca[)itaine, (ju'on connaissait
(piun se ligurait un peu distant, a mainte-
nant une cote énorme.
On
courageux, oublieux de
l'a
lui,
vu calme, prudent,
passionnément sou-
cieux de ses liommes; sa très grande bonté s'est enfin épanouie en quelques il
est maître
de
la
mots heureux;
situation,
et
par
le
bref
dedans.
IMPRESSIONS DE GUERRE
106
Le
parmi
lieutenant, lui, jette
les
hommes une
note d'entrain jeune, de courage insouciant, qui
semble s'amuser des obus;
sait faire rire
il
pour
qu'on n'ait pas peur.
Quant à l'adjudant
chef, sérieux, paternel, rece-
humeur
vant les marmites avec une bonne
hommes
nique, les
iro-
ont dès longtemps deviné sa
d'àme sous des dehors un peu bourrus.
qualité
Tous
les chefs de pièce ont été à hauteur; leurs
hommes
sont contents d'eux.
Ils
sont contents
aussi de leurs majors, qui ne les ont pas quittés
d'une semelle;
aiment
ils
courage un peu fan-
le
tasque et parfois trop luxueux du major
rage modeste, calme et Bref,
auxiliaire.
sûr de
si
batterie
la
lui,
—
le
cou-
du médecin
cimentée
sous cet
orage forme vraiment un bloc d'une seule coulée, d'un
même
grain, inentamable.
L^union sacrée,
«
marmites
I
Et
»
comme
qu'elle est facile sous les
alors
on
la
comprend
et
pratique droitement, sans abdication ni vexations.
Ce
soir
parmi était
— au
les
mon
café,
où je
faisais ces réflexions
—
quelques-uns qui trinquions ensemble, socialiste discuteur d'avant-hier
:
avec
quelle aisance entière nous causions et nous sentions amis, plus
âme
que cela
rendait bien le
même
:
frères, et
comme
son que les autres
son :
un
son français! L. B..., Brigadier au groupe 155 du N' d'artillerie.
IMAGES DE LA GRANDk: GUERRE
—
4.
J'ai
mettre
Sur
107
pentes de Notre-Dame-de-Lorette.
les
F.TTRKS
A
I
1.
eu
la joie très vive,
I.
il
NOTRE-DAME. y a quelque mois, de
main sur une poignée de documents où
la
se révèle an vif la piété de nos combattants. C'était
Notrc-Dame-de-
au nord du famou.x éperon de Lorette, sur
la lisière
Le dimanche
du bois de
N...
ma messe
4 juillet, après
au milieu d'une clairière ensoleillée, dant de F... m'aborde et
me
dit
:
«
le
célébrée
comman-
Monsieur
l'au-
inônier, coimaissez-vous, sous les liètrcs là-haut,
chapcdlc
la petite l'i^-^norais
derrière la statue prières,
domine nos batteries'? Je « Nous avons découvert tout un monceau d'e.x-voto, de
(jui
»>
entièrement.
— connncnt dire cela? — de
billets adres-
sés à la sainte Vierge par nos soldats de passage. Ils
sont
si
touchants que, par crainte d'une profa-
nation, nous n'avons pas osé les enlever. Et pourtant, trois
si
on
les laisse, ils
semaines,
le tas
en
vont se perdre; depuis
est déjà bien
diminué;
il
y a les allants et venants, et puis cela s'envole,
(juand on nettoie ou qu'il vente...
»
Tout en causant, nous arrivions. toire
l\»rt
tv\ii;u,
mesurant au
C'était
jtUis
un ora-
S inètrcs sur
IMPRESSIONS DE GUERRE
108
S mètres, mais élégant, élancé, de style ogival et entièrement construit d'une belle pierre sculptée.
Le temps de Madone
—
cieux
courrier
«
main
glisser la
surmontait l'autel et le
—
derrière la statue qui
la boîte
aux
commandant me
lettres de
la
remettait le pré-
»
C'était la plus étrange liasse de bouts de papier
qui se puisse voir, de tout format et de toute cou-
Ah!
leur. rie
ils
ne sortaient pas d'une élégante
librai-
de boulevard. Avant de servir de messagers
célestes,
avaient traîné dans les poches ou les
ils
sacs, tachés
de graisse, de sueur
cartes postales, revers lettres,
dans
la
môme
de boue
:
d'enveloppes, résidus de
fragments détachés des
reçus du pays, ou
et
«
petits
paquets
»
simples bandes découpées
marge d'un journal... Et sur
ces lambeaux,
toutes les orthographes, toutes les encres, tous les
genres de crayon, toutes les calligraphies,
—
et
toutes les supplications. Suivant l'expression du
commandant, chacun la sainte
Vierge
».
Il
constituait bien
un
« billet
à
y en avait près d'une cen-
taine.
Je les parcourus avec avidité, muet de surprise,
debout devant
la Vierge, à qui je répétais les
mes-
sages. Après seulement, je m'aperçus que j'aurais
dû les
Un ment et
lire à
genoux.
des suppliants, C. W..., implorait simultané«
Notre-Dame de Lourdes, de la Delmande ». (1" juin 191S.) Les autres se con-
de Lorette
IMAGES DK LA GRANDE GUERKE tentaient,
pour
la
d'une
d'ordinaire,
seule
10»
adresse;
et,
plupart, c'est vers la vierge de Massahielle
qu'ils se
tournaient
soit qu'il eût passé
:
dans ce
hois plusieurs régiments des Basses-Pyrénées, soit
simplement
tout
que
parce
le
de
sanctuaire
Lourdes est pour toute àme française — peut-être même pour toute àme catholique — plus popule
du monde
laire
entier.
Quel(iues-uns bref
se
contentaient
mot
très
— M.
V...,
d'un
:
Merci à Notre-Dame de Lourdes.
«
ingénieur A. M., N' d'infanterie. L'a échappé belle le
12 octobre 1914. «
»
Notre-Dame de Lourdes,
votre protection. gnie.
—
je
vous remercie de
N' territorial,
L...,
3°
compa-
»
Un bon nombre, raient entre
d'un
eux que par
libellé le
uniforme, ne
diffé-
plus ou moins d'appli-
cation dans les jambages. Ainsi ce texte, répété cinq ou six fois «
:
Remerciements jusqu'à ce
santé et courage ainsi qu'à
tégez-moi jusqu'à la N..., le
pagnie.
Ou
28 avril 1915.
lin
ma
jour.
Donnez-moi
ciière famille.
Pro-
de cette maudite guerre.
B...,
adjudant au
N%
1"
—
com
»
bien, avec quelques variantes
Notre-Dame de Lourdes,
:
priez pour
moi
et
ma
IMPRESSIONS DE GUERRE
dlO
petite famille.
«
Donnez-moi bon
sort et courage
de cette guerre.
—
L..., sergent. »
Notre-Dame de Lourdes,
je
dépose ce simple
jusqu'à la
fin
pour vous prier de
billet
me
tenir sous votre pro-
tection pendant toute la durée de la guerre, pro-
mettant de vous rester toujours
ma
toute
ment
vie.
à pied.
Ailleurs,
destinatrice
de l'àme
—
fidèle
pendant
30 mars 1915. B. M..., N° régi-
»
une clausule discrète rappelait à la un contrat intime passé jadis au fond
:
Remerciement à Notre-Dame de Lourdes, priez pour moi et pour tous mes parents qui sont à la guerre et faites que nous puissions rentrer dans notre famille... Je suis toujours fidèle. C..., du «
—
Nv
»
Je soulevais une feuille toute maculée une invocation plus pressante encore
et c'était
:
«
Aix-Noulette, 18 avril 1915.
Mère de Dieu... et genoux que je vous demande la continuation de votre haute protection pour moi, votre très humble fils, pour ma famille et pour mes cama«
Je vous remercie, sainte
c'est à
rades. Ainsi
Ou
soit-il.
celle-ci,
—
que l'on
jauni d'un ménestrel
:
D..., sapeur,
croirait
N' génie.
»
tombée du psautier
IMAGES DE LA GRANDE GUERRE
Madame
« «
la Vierge,
Je viens à vous pour vous demander
d'avoir pitié de moi, de
mon
d'assurer
et
111
me protéger de
retour auprès
de
la
grâce
tout danger
mes bons
parents et de celle à qui je pense. «
Que
votre volonté
comme au Et dans « «
— L...
ciel.
le
même
soit
faite
sur
la
terre
»
genre, pour lui faire pendant
:
Monseigneur Jésus-Christ,
Tenez compte de mes prières, pardonnez-moi
bien vite
mes
oifenses, ayez pitié de
moi
et proté-
gez-moi beaucoup de tout danger en m'accordant
un procbain retour auprès de mes bons parents de celle à qui je pense. Veni Creator,
vous pour
me
si
loin de moi.
Au nom du
et
n'y a que
sauver et m'accorder une vie heu-
reuse. Protégez-moi ainsi que
sont
il
Que
mes
chers frères qui
votre volonté soit
faite.
Père, du Fils, du Saint-Esprit. Ainsi
soit-il. »
Deux
autres, encore plus simples, dont l'écriture
très irrégulière,
grands «
me
mais
très appliquée, (jénotait de
elForts.
Remerciements à Notre-Dame de Lourdes de me donner du courage comme
protéger et
IMPRESSIONS DE GUERRE
112
VOUS avez donné jusqu'à ce jour
et
de santé.
—
au N' territorial, le 20 mai 1915. » Notre-Dame de Lourdes, je m'adresse à vous pour que vous me donniez la grâce de revenir un M..
,
«
jour voir
mon
petit foyer
famille que je suis
avec toute
éloignée
si
(sic).
ma
petite
Préservez-moi
contre les malheurs que je risque chaque jour et je vous en supplie faites arrêter le plus possible
carnage qui
vite ce terrible
Priez
et levez
les
tant de cadavres.
bras pour arrêter tout ça. Je
serai reconnaissant toute
Pyrénées.
fait
ma
vie.
—
L...,
vous
Basses-
»
Tout naturellement nos hommes n'oubliaient pas de prier pour
de ce genre
la victoire.
Et les supplications
— supplications nationales — se
fai-
saient volontiers collectives.
« «
A
Notre-Dame de
L...,
Humblement prosterné devant vous,
supplie de bénir la France et ses armées
que
la victoire
vienne récompenser les
je :
vous faites
efforts
de
ses enfants en flottant dans les plis de son drapeau et
que je revienne auprès de ceux qui espèrent en
mon «
retour.
—
G... »
Marie, Vierge très pure et Mère de Dieu, nous
voici prosternés à vos pieds pour vous offrir nos
prières fdiales et donner à votre patrie.
—
Sergent
L..,,
N%
cœur notre chère
11°
compagnie; L.
IMAGES DE LA GRANDE GUERRE
N% U' compagnie; D..., N% R. ,N% M"; B. C ..,N% M'.
P.
«
compagnie;
11"
J...,
Souvenir de notre passage à N.-D. de
17 juin 101 0.
113
L..., le
»
Des cavaliers aussi sont venus à
l'oratoire,
mais
à pied sans aucun doute, en attendant qu'ils y reviennent et le dépassent bientôt au galop de leurs montures. «
Remerciements
Notre-Dame de Lourdes.
à
Qu'elle nous préserve jusqu'à
maudite guerre,
comme
elle
la
de
lin
cette
nous a préservés jus-
qu'à ce jour. Veillez sur nous.
—
T... Julien, cavalier; T...
Emile, sous-officier, natifs des Vosges. «
N' régiment de chasseurs à cheval,
cembre 1914.
le
30 dé-
»
Je restai longtemps sous les hêtres, poursuivant
ma
lecture...
Que l'idée
faire
no
d'un pareil trésor? Pas un instant
me
vint de
m'en
propriétaire. Et cependant
con.sidérer il
fallait le
comme
le
soustraire
au gaspillage. Je levai les yeux.
A
travers les troncs d'arbres
se profilait la crête de Notre-Dame-de-Lorette, et,
par liniagination, je
me
représentai
là,
tout à la
pointe de l'éperon, l'imposante basilique qui, très
certainement II.
et d'ici
peu, serait construite sur cet 8
IMPRESSIONS DE GUERRE
114
immense
ossuaire, à la place de l'ancienne cha-
pelle, invitant d'un geste incessant à prier
milliers de braves
tombés
ici
pour
la
pour
les
France. Sans
conteste, c'est là-haut que se trouvait le titre de propriété, et
mon
devoir très net était de conserver
ces reliques pour les archives de ce futur sanctuaire.
En
attendant, j'en ferais dresser plusieurs
copies, dont l'une serait l'intrépide
Ainsi fut
évêque de
immédiatement remise à Mgr Lobbedey.
l'Artois,
fait (1),
Et maintenant, pour
les
suis séparé des originaux
mettre en sûreté, je ;
je n'ai plus
qu'une de ces copies. Je viens de faut-il
me
avec moi
la relire.
Mais
avouer que, dans ces lignes calligraphiées
d'une main très sûre, je n'ai presque rien retrouvé de l'intense émotion qui m'avait saisi en face des chiffons sales et déchirés, dont la détresse évo-
quait
aux yeux
l'aspect
même
des
«
poilus
»
sup-
pliants qui les avaient rédigés ?
Et qui
sait si,
après la guerre, les signataires de
ces billets ou leur famille ne seront pas heureux
de venir baiser ces souvenirs, en reconnaissant,
dans
l'acte
de
foi
qui les inspira, soit la cause de
Bien m'en prit d'avoir retiré ces ex-voto. Dix jours plus un obus, arrivant de plein fouet sur l'un des montants du portique, épanouissait sa nappe de fer à l'intérieur de la chapelle, descellait les vitraux, brisait en partie la statue et, sous les yeux du capitaine L..., qui restait indemne, criblait d'éclats et tuait un de ses lieutenants. Quand j'y retournai quelque temps après, ce n'était plus qu'une ruine. (1)
tard,
IMAGES DE LA GRANDE GUERRE
un motif d'espérance pour
leur préservation, soit
larmes
adoucir les
115
de
versées sur
chers
dis-
parus?
I
Ceux qui
LEURS PAROLES
prient ainsi savent souiïrir en chré-
tiens et, (juand
Que de
—
2.
fois,
le faut,
il
admirahlcment mourir.
à l'aube d'une nuit passée auprès
des blessés et des mourants,
pouvoir
me
blimes, par lesquels «
pour
la
si
regretté de ne
simples,
avaient accueilli
ils
suprêmes consolations
n'est
j'ai
rappeler les mots
»,
si
su-
l'offre
des
du cœur où rien
cris
parade, et livrant dans leur sponta-
néité toute fraîclie le fond le plus réel des intimes
pensées. Dans ces moments, on n'a pas le temps
de
s'étudier », pas le
«
leurs y sonj,^e-t-on?
temps de
— L'âme
s'attifer,
—
laisse jaillir
d'ail-
en une
plu'ase son trésor le plus caché. Et c'est si beau,
que
Dieu
je
me
suis
surpris souvent à bénir
et à exalter
la
mère ou
le prêtre
devant dont les
enseig^noments avaient jadis formé les premiers
germes de ces richesses vivantes. Et pourtant, quand j'essayais do me rappeler ces paroles, la mémoire était rebelle, ou si j'arrivais à les reproduire, je
me
trouvais seulement en
face de mots secs et décharnés, ou bien au con-
IMPRESSIONS DE GUERRE
116
traire
rhétorique
de
soufflés
repartie,
et toujours
humaine
et le
amené
la
sublime
y manquait l'expression
il
son de
oublié le
j'avais
;
question qui avait
contexte, la
Dans l'immense
la voix...
chaos, pourtant, quelques-uns ont surnagé.
Voici un brancard sur lequel on achève de panser
un bombardier;
visage disparaît presque
le
entièrement sous l'ouate se penche à
mon
oreille
:
et les «
bandages
;
le
major
Affreuses blessures par
un œil arraché, l'autre presque sûrement perdu. » Des vingt camarades présents, pas un ne parle. Bien qu'habitués à de pareils specgrenades
tacles, pitié
ment
:
on
les
devine encore saisis d'horreur
de
Com-
ma
visite,
ce
malheureux
va-t-il accueillir
monde? Je m'in-
surtout en public, devant tant de
un genou en
cline
et
par la plaie qu'ils viennent de voir.
terre, bien près
du pauvre
vi-
sage.
—
C'est l'aumônier,
mon
petit,
qui vient te dire
bonjour. merveille! je vois les deux mains inertes qui se cherchent l'une l'autre, se joignent dans
un
geste de prière, et se lèvent vers moi.
— — —
Oh! monsieur l'aumônier, que je suis con-
tent!
Tu
beaucoup ? Je n'y pense pas. Et prenant les mains qu'il souffres
me
proche plus près encore de son
tendait, je
oreille
:
m'ap-
IMAGES DE LA GRANDE GUERRE
—
117
Est-ce que tu as pensé à faire ta prière de-
puis que tu es blessé?
—
Oli
oui, allez, et
!
même
que j'ai bien remercié
le
bon Dieu.
Je ne sus que répondre. Remercier, dans une circonstance où tant d'autres auraient eu peine à réprimer une plainte, peut-être
phème
même un
blas-
!
C'était
un Lyonnais de suite, il se mit à me Les yeux morts semblaient ;
parler de Fourvières.
en contemplation devant
la sainte colline et la basi-
lique de là-iiaut. Touciianle coïncidence!
voulus voir
le
nom
çus que, sauf une tait le il
fut
même nom
inscrit à
lettre, ce fils fidèle
que sa
heureux quand
Durant
je lui
quand
lAIère
en
fis
du la
de Marie por-
ciel; et
comme
remarque
!
la nuit qui suivit la terrible attaque
IG juin, je
me
je
son poignet, je m'aper-
du
trouvai seul par une obscurité pro-
fonde, au milieu d'un carrefour de tranchées ré-
cemment conquises, en compagnie de trois mourants. Deux n'avaient déjà presque plus la force de parler. Quand je me tournai vers le troisième, j'entendis ses lèvres qui remuaient.
— —
C'est l'aumônier, petit.
Quelle chance justement, je priais. Je souflVe !
tant! Je voudçais trop
mourir; est-ce
(|ue c'est
un
péché, dites?
Quel genre de blessé avais-je devant moi? Vite,
IMPRESSIONS DE GUERRE
118
un coup de lampe nous
électrique, rapide,
faire repérer,
paume de
la
pour ne pas
en formant abat-jour avec la
main. Pauvre amil ce n'était plus
qu'un tronçon d'homme; une jambe l'autre pendait,
était partie,
paquet de drap sanglant
et terreux
enveloppant des os broyés.
Sous
le
même
un de
c'était
regardé
éclair, j'avais
le
nom;
noms bretons dont la sonorité mot d'Armor pour qu'on les oublie
ces
rappelle trop le
jamais.
Le cher
enfant avait remarqué
— Monsieur puisse vivre? — Mon
petit, tu sais,
decin.
Il
mon examen. que je
l'aumônier, croyez-vous
moi
je ne suis pas
faut toujours espérer,
mais
s'il
mé-
te fallait
mourir, cela t'ennuierait-il?
— non, au — Tu voir bon Dieu. y eut un — Comme ça? Tout de suite? Ohl non. — Et pourquoi pas? — Oh monsieur l'aumônier, ne mérite — Comment, n'as-tu pas ton de\ — autant que pu, mais comme pas mieux. — Et maintenant, souffrance^ que tu acceptes? — Oh! toutes. contraire.
Ob',
iras
le
silence.
Il
je
1
le
pas.
fait
Si,
oir?
les
j'ai
si,
autres,
tes
les
oui,
est-ce
IMAGES DE LA GRANDE GUERRE
H9
— Pour l'expiation de fautes — Oui. — Pour France? — Oui, pour France. — Pour parents? — Oui, pour — En union aux souffrances de Notre-Seigneur. — Oh! les
?
la
la
tes
tous.
ouil
Et en disant
cela,
de quel cœur
il
pressait sur
ses lèvres le crucifix que je lui tendais!
—
Mais alors,
pas aller au
—
mon
pelit,
pourquoi ne veux-tu
ciel tout droit?
Je ne sais pas... Si vite! Je ne croyais pas
qu'on pouvait. Alors, peut-être dans quelques mi-
nutes?
— —
Peut-être...
En
de pareils moments, je ne sais quel désir
Oh! que je suis content!... Et pour endormir sa souffrance, il se remit à prier, tandis que je procédais sur ses cliers memhres meurtris aux suprêmes onctions.
vous prend qu'un obus vienne
d'accompagner
celui
qu'accroché à une
et
vous broie,
que l'on console.
âme
Il
afin
semble
aussi belle, on monterait
plus vite et plus droit. Illusions peut-être; là surtout,
A
il
faudrait être digne.
côté de ces admirables sentiments, bien pâle
apparaîtra, (juoiquej'en aie été sur
le
coup extrême-
IMPRESSIONS DE GUERRE
120
ment touché, cette supplication rimée que je recueillis' un soir sur les lèvres mourantes d'un artilleur. Il venait
de recevoir, en pleine connais-
sance, les derniers sacrements. sentais le crucifix
veur en
le
«
Oh!
»
soupira-t-il
baisant; et distinctement,
une prière dont nette,
:
Comme
l'originalité,
et la
il
je lui
pré-
avec
fer-
murmura
cadence très
m'aidèrent à retenir du moins quelques-
unes des premières assonances
:
mon Jésus mignon, Venez avant que ce soit long! Si je ne gagne plus mon pain, Qui donc le donnera aux miens?
Dans une circonstance analogue, mais au fond d'une cagna. un petit chasseur grièvement atteint
me
confia qu'il n'était pas baptise.
— Comment — On me toujours — Tu as d'autres — Oui. — Baptisés? — Pas plus que moi. — Pourquoi? — Le père pas temps. qu'on — Et maintenant, voudrais? — Oh! ça va vous déranger. — Penses-tu! Et que religion? — Ce que vous le sais-tu?
dit.
l'a
frères?
n'avait
disait
le
tu
oui, mais...
qu'est-ce
la
disiez à l'église.
tu
sais
de
IMAGES
—
Tu
I)K
LA grandi: GUE RRK
121
y venais?
— Tous — Mais
les soirs.
alors,
pourquoi ne m'as-tu pas domando
plus tôt?
— Je n'osais pas, j'avais honte. L'instruction fut vite coniplét^e, je lui
fis
renou-
veler devant témoin son désir du baptême. Mais
mains du jeune séminariste que je chargeai de projeter sur le front du néophyte, pour me guider, les faisceaux d'une petite lampe! Et je ne tremblais sans doute pas tremblement dans
«juel
moins
(|ue lui,
les
en répandant sur ce front illuminé
l'eau régénératrice.
Comment
dire enfin l'émotion qui
vous
saisit,
lorsqu'on trouve parmi les reliques d'un de ces petits
("liers
une
lettre
comme
famille m'autorise à publier
«
La personne
(jui
l'envoyez à
mes
plait «
celle-ci,
que
la
:
trouvera cette lettre
s'il
vous
parents.
Cher papa ciière sœur et cher frère Depuis le que je combat pour le salut de la France
10 août et
de
me
la patrie j'ai
conduire
parfait h
me
comme
il
fait
donner
me
le
mon
possible, pour
faut jai été et ne suis pas
mais priant Dieu matin
lion Dieu «
toujours
et soir
pour m'aider
courage nécessaire j'espère que
le
pardonnera.
Tomber au champ d'honneur
je
reconcilhant avec Dieu et le prie de
meurt en
me
me donner
le
IMPRESSIONS DE GUERRE
122
courage de supporter l'agonie
et
ma
dernière pen-
sée est pour vous tous chers parents oncles tantes
cousins et cousines dont je vous envoie
mon
der-
nier adieu.
moi je Bon Dieu
Priez pour
«
vous, c'est le
vera tous au Paradis «
Lucien, votre
Encore une
fils
fois,
là
prie
pour vous consolez-
qui le veut, on se retrou-
où on aura
qui
tombe en
le
bonheur.
chrétien.
»
bénies soient les mères dont la
formation a su faire germer dans l'âme de leur des sentiments d'une
haute valeur morale
!
l'abbé JOSEPH RÉGAT, SAVOYARD
3.
Il
si
fils
faut
se
borner. Je
terminerai par la
fin
héroïque d'un jeune sous-lieutenant savoyard, qui
ne passa pas même quinze jours sur le front et sut en si peu de temps conquérir l'admiration de tous. D'apparence malingre, l'abbé Régat avait été
exempté après quelques mois de service militaire. Récupéré d'iiier, il avait voulu, « pour mieux servir », devinant la pénurie d'officiers où
jadis
la
France
allait
se trouver, suivre les cours des
E. 0. R. Et c'est en cette qualité qu'il nous arrivait
au
N°
bataillon
de
chasseurs,
après
les
furieuses attaques des 25, 26 et 27 septembre, où
IMAGES DE LA GRANDE GUERRE tant de
chefs,
en
effet,
123
avaient jalonné de leur
corps la légère trouée faite dans les lignes alle-
mandes. Très réservé, timide à l'excès,
il
n'avait rien de
ce qui inspire de prime abord la confiance au soldat.
On
m'avait prévenu que, parmi les nouveaux
arrivés, se trouvait
un
prêtre, et j'allais plein de joie
à sa rcclierclie; un prêtre! quelle bonne aubaine! le
premier que
Quand
nous envoyait.
Providence
la
je le rencontrai, faut-il dire, à
(lue j'eus
comme un
(juiélude"?
La
pières avaient
ma
honte,
instant de déception et d'in-
parole était hésitante et les
pau-
un battement nerveux qui donnait
au regard une indécision pénible; quelle figure allait-il
entrait?
faire
—
au milieu du corps
Fou que
j'étais!
d'élite où il Heureusement, un
hommes au
autre, plus habitué à juger les
mier coup d'œil,
Ayant
allait
à peine fait
mieux
pre-
l'apprécier.
quelques mois de service, Ré-
gat était en droit d'espérer poursuivre sa formation,
comme
second ou troisième de compagnie, sous
les ordres
de chefs expérimentés. Mais de ceux-là,
depuis les attaques de restait pas assez
la
semaine précédente,
pour en fournir
chaque compagnie. Et par
quand après
trois jours
la
de repos
même
il
ne
un seul à
force des choses,
— de
rej)Os'?
—
il
le 4 octobre, remonter en première fameux bois en Hache, le sous-lieutenant Régat, vicaire aux Allinges quehiues mois encore
nous
fallut,
ligne au
IMPRESSIONS DE GUERRE
iU
auparavant, se trouvait commandant de compa-
un
gnie dans
cité à l'ordre
bataillon de
du jour depuis
campagne. Et pour
la
pas un seul
lui
chasseurs deux fois le
commencement de
seconder
le
n'avait avec
il
point d'adjudant, mais en
officier,
tout et pour tout quatre sergents, dont deux nouveaux venus. Dans ces conditions, et vu l'insécurité du secteur, il ne pouvait guère songer à la
consolation de célébrer la sainte messe.
Aussi,
tous les jours je m'efforçai de lui porter, matin ou soir, la sainte
communion.
Il
en
fut ainsi le o, le
G et le 7.
Or, le 10,
de nouveau j'appris
que
un dimanche, le
alors
que
le bataillon,
éprouvé, comptait sur la relève,
fort
lendemain soir une attaque devait
avoir lieu et que, parmi les deux compagnies dési-
gnées pour marcher en
tête, se trouvait la
6%
celle
du lieutenant Régat.
Le
service dominical dans les
soutien
»
avait
empêché
le
matin
«
tranchées de
ma
visite quoti-
dienne. De suite après déjeuner, je partis avec commandant de l'autre compagnie d'attaque
—
1"
— qui Le
allait
précédents.
Le
vent avaient asséché les boyaux
les pluies torrentielles des jours ciel était
admirablement limpide^
un terrible à coup. Les Allé-
tellement que vers quatorze heures
bombardement
la
faire sa reconnaissance.
soleil et le
détrempés par
le
se déclencha tout
IMAGt;s DE LA
GRANDE GUERRE
125
mands redoutaient-ils une attaque pour ce soir-là? En tout cas, ils étendaient un tir de barrage en règle sur tous les boyaux d'accès. il
A
plusieurs reprises,
nous garer pour laisser passer
fallut
le
gros des
rafales et n'avait été celui qui attendait là-bas la
jamais osé enfreindre
visite divine, je n'aurais
consigne formelle de
la
la
brigade, ordonnant de se
murer systémati(|uement sous terre au cours des bombardements. La compagnie de Régat avait changé d'emplacement.
chercher
fallut la
Il
sonne pour
me
et
naturellement per-
Au
carrefour, là où le
:
renseigner.
boyau débouche dans un chemin creux formant tranchée de deuxième ligne, à côté d'un entonnoir qu'un obus vient de creuser, un chasseur est étendu de tout son long sur arrivé, sans doute,
malgré
sortir,
(l).
gents de la
6'.
sans son casfjue; un
pénétrer au-dessus de sa tempe
me
penche
:
C(i>ur
il
un des quatre
c'est
ser-
Allons! Régat n'en aura plus que
demain pour mener son
trois
son
Je
Nouvel
conmiis l'imprudence de
a
les ordres, et
vient de
éclat
gauche
il
le visage.
aura
le «
alTairo;
Roi des sergents
mais dans », (juc
je lui
amène.
Le fi)
lieutenant était dans son gourbi; pour y
Transporté de suite par
cardiers, le sergent
bulance de après.
H...,
H
..
mais,
les soins
de nos dévoués bran-
étail trépané le soir
hélas!
même
à l'am-
y succombait deux jours
IMPRESSIONS DE GUERRE
126
trouver place, je dus attendre dans
son ordonnance se
fût,
trou de renard.
était très
Il
le
boyau que
à quatre pattes, tiré de ce
calme
et lisait
avec
soin de longues feuilles polycopiées à l'encre vio-
—
lette
son ordre d'attaque du lendemain évi-
demment.
Il
me
voulus déposer
salua joyeusement et lorsque je le saint
Sacrement sur une plan-
me
chette qui formait saillie, je crois
commença par
qu'il
glisser sur le bois
souvenir
rugueux ces
papiers, qui, parce qu'ils lui dictaient son devoir,
apparaissaient nettement à
comme
ses
yeux de prêtre
porteurs de la volonté de Dieu. Ce serait
une première nappe pour la sainte custode, plus précieuse au cœur du Maître que les plus fines batistes; et quel symbole du pacte passé entre Jésus
Ce
et
son prêtre
qu'il
me
I
dit alors, je n'ai
pas
le droit
de
le
répéter; mais je sais très bien que, lorsque j'eus
achevé
— je
ma
confession,
reçus de
lui,
— car je
la fis à
relativement à
mes
dans ce milieu militaire où je l'aurais cru
mon
tour,
fonctions si
novice,
des conseils empreints de la plus haute maturité.
L'attaque était fixée pour
heures quinze. Dès le
lendemain à seize matin, Régat va trouver le le
capitaine D..., chargé de conduire toute l'affaire. «
Vous me
dans
le métier.
personne, ce «
connaissez,
Quel
soir,
est
dit-il,
je suis
mon devoir
que dois-je faire?
Tout d'abord,
me
tout neuf
précis?
De ma
»
raconta depuis le capi-
IMAGES DE LA GRANDFil GUERRE
127
taine D..., de qui je tiens tous ces détails, je ne lui
— ce
dissimulai pas redit
que
peu de temps avant
très difficile.
commandant m'avait
le
— que l'opération
était
Puis j'ajoutai Vous êtes seul officier; :
partir en tète, c'est laisser la moitié de vos chas-
seurs sans
commandement. Votre devoir
de lancer la première vague
— car sinon ce
serait inutile,
est
donc
et si elle progresse,
:
— vous partirez avec
la seconde.
A
ces mots je vis Régat réfléchir
un instant, uniquement soucieux du meilleur succès et comme s'il n'eût pas été lui-même en cause; puis très calme, il répondit « Mon capitaine, je ne crois pas. Précisément parce que je suis seul officier, si je ne pars pas avec la première vague, ça ne décol«
:
lera pas. Si vous voulez, je partirai en tète, cela
vaudra mieux. «
»
J'admirai celte belle crànerie
çais! et sachant l'état des cadres
:
—
— je ne crus pas devoir m'opposer mais
c'est lui (jui le voulut.
avait raison; peut-être
entraîner le reste...
Son
attacjue
mitrailleuses.
c'était si fran-
trois sergents!
à sa décision;
Et probablement
fallait-il
cet
il
exemple pour
»
devait partir de la tranchée des
Longtemps
à
l'avance,
Régat
s'y
trouvait, réglant les derniers dispositifs, plaçant
chacun, indi(iuant l'objectif à atteindre, disant à tous
le petit
mot d'encouragement
voir, cette fois, ça
va marcher.
Ils
:
ne
«
Vous
allez
s'v attendent
IMPRESSIONS DE GUERRE
128
pas,
En
vont être surpris.
ils
cinq minutes on y
Tout comme aurait fait le père K..., » un vieux cliasseur, évoquant le souvenir
sera... » «
me
disait
de l'un des capitaines les plus populaires de la
compagnie, qui avait eu
6"
lors des
même pu
rait
offensives
fait
mieux que ce que
faire; très
qui le désiraient,
poitrine défoncée
la
du 16 juin. Le prêtre avait père K...
« le
au-
il
avait offert et procuré le béné-
d'une dernière absolution.
fice
Le chronomètre en main,
il
attendait
heures dix; plus que cinq minutes quinze
un
houp
:
signe,
1
il
est le
sans un
et...
intermédiaire; très maître de sait.
sionnant
s'était
seize
le
parapet, fait
ça décolle merveilatteignait la sape lui,
La seconde vague partait à son
les mitrailleuses
:
onze, treize,...
:
premier sur
mot
leusement! D'un bond, l'on
fils
»
simplement, à tous ses chasseurs
allemandes dont
Régat l'organitour
et,
le tac-tac
malgré impres-
subitement déclenché, malgré les
barbelés, au milieu des chicots d'arbres, parmi
les troncs déracinés, les trous d'obus, les
cadavres
des jours précédents, un enchevêtrement de ronces
inexprimable, nos chasseurs pénétraient dans la trancliée convoitée, en chassaient l'ennemi et s'y
maintenaient.
Mais
le lieutenant n'était
plus
là.
Tué? Blessé?
Des bruits contradictoires circulaient. En tout on l'avait vu tomber mais oii?Le comman-
cas,
:
dant de l'autre compagnie, sous-lieutenant aussi,
IMAGES DE LA GRANDE GUERRE venait d'être également frappé.
129
Son regard
vif à
l'ordinaire et ardent de fièvre avait encore brillé cette soirée-Lî d'une lueur particulière. Quatre fois
on
l'avait vu,
sur un autre point que Rogat, aller et
venir de la tranchée conquise à l'arrière, enchaî-
nant chaque
fois
de flamme.
A
de nouveaux renforts à ses yeux
la
quatrième,
il
avait été tué, et
maintenant on rapportait son corps.
Au
poste de secours delà trancliée des Saules où
confluaient les blessés des différents secteurs, j'appris la disparition de Régat.
De notre
droite,
N° d'infanterie avait, presque sans perte, très
lamment
où
le
bril-
participé au combat, j'avais la certitude
qu'on n'amènerait plus de blessés graves, je pouvais
donc
aller; et,
en prenant pour monter au bois
boyau régulièrement affecté à la descente^ j'auchance de croiser tous les convois et de ne manquer aucun blessé qui aurait besoin de mon le
rais
ministère.
compté sans un autre convoi, (jue l'on malheureusement pas habitué à rencontrer
J'avais n'est
tous les soirs de bataille... Par cente,
le boyau de desune longue colonne de prisonniers alle-
mands, de
fait descendait et
m'empècliait de monter.
Embouteillé dans un garage, je fus contraint de les
regarder passer.
Ils
étaient iinbillés de neuf;
à la lueur pâle de la lune, je distinguai, sur leur patte d'épaule, l'une des inscriptions de la garde
impériale II-
:
1.
A. entrelacés. Je sus depuis qu'on 9
IMPRESSIONS DE GUERRE
130
sur plusieurs une proclamation de
avait trouvé
Mackensen, Pologne
en
qui,
les
arrachant aux marais de
se trouvaient encore la semaine
011 ils
précédente, les conviait à aller moissonner sur le front occidental de
nouveaux
lauriers.
•
Le défilé me parut interminable. En réalité, il n'y en avait pas plus de deux mais à chaque nouveau je songeais Régat?
garde, dominant tous
un
cents,
Que devient
la défaite,
même
à tomber,
eu
»
;
la tête, très
conserve
même
sous la fine bruine qui com-
une
belle allure très fière.
moins grands
petits chasseurs sont « ils l'ont
capitaine de la
de
les autres
haut, d'une forte carrure, qui
mence
«
»
Enfin, voici le dernier, c'est
dans
:
et
Nos
cependant
ce n'est pas toujours le colossal
qui triomphe. Derrière, ce sont nos blessés, les vainqueurs de la soirée, blessés légers qui se
voix les incidents du combat. terroge sur Régat. Quelqu'un
racontent à haute
En
les croisant, j'in-
me
répond
:
— Où? — Ahî dame,
tombé à côté de moi.
« Il
est
c'était
un trou d'obus, derDes arbres, des trous d'obus, des ronces barbelées,. cela manquait de précision.
là-haut, près d'un arbre, dans rière les
fils
de
fer. »
.
.
Nous approchions. Émergeant de trous
noirs,
on devinait de petits groupes se partageant hâtive-
IMAGES ment, à nuais
des
fusil,
mes
«
même
avait cherché;
perçois
pelle
incertitude. Et cependant
un caporal
l'obscurité,
Ah!
«
:
Régat
de patates. Je conti-
»
c'est
est là-bas, le
ai serré la
on
un sergent avaient
et
spécialement dans ce but
Dans
131
interrogations, mais sans plus de suc-
cès; toujours
fait
LA GRANDE GUERRE
fortune de la cuiller, et sans pcrtlre de
la
vue leur
Di:
le tour
des lignes.
soudain, une voix
m'inter-
vous, monsieur l'aumônier.
genou
brisé.
Je
vu, je lui
l'ai
main dans son trou dobus.
splendide, vous savez.
Il
a été
»
commandant.
C'était le
Je ne voudrais froisser l'amour-propre d'au-
cune autre arme, mais
me
semble qu'il comprendre tout ce que renferme de vertu magique, réconfortante, enfin,
il
faut avoir été chasseur, pour
ce
mot « le commandant ». De savoir que le commandant :
calme se
lit
a\ait vu Kégat, le
subitement en moi,
j'allais
sûrement
être renseigné, et de façon précise.
— Pour
le
commaiulant,
— D...,
Le il
retrouver à coup sûr
vite,
mon
plus simple;
allez
trouver
le cajjitaine
vous donnera un agent de liaison pour
vous conduire aux pionniers de raccord; c'est à
et
(juc faire?
là,
(jui
creusent
la
sape
vous demanderez au chef d'é(|uipe;
quelques mètres à gauche.
IMPRESSIONS DE GUERRE
132
Cinq
mon
minutes après, précédé de
lidèle
séminariste, j'étais au milieu des pionniers. Escalader le parapet fut chose aisée,
encore à Iiauteur de
ne venait pas
il
Mais
la ceinture.
sitôt
au-
dessus, quel fouillis inextricable! le pied s'enfonçait
dans un sol mou, fraîchement remué par la
pioche,
— ou
par l'obus,
— puis
se heurtait à
il
un chicot de chêne fortement enraciné, à des chevaux de frise, à des armes brisées; on butait et la main s'écorchait à un hérisson rouillé, ou s'appuyait à un cadavre ancien. Heureusement,
moins pour
sinon pour les risques, du
la rapidité
était parfait.
vaient,
—
A
de l'entreprise, l'éclairage
chaque instant des fusées
faisant jaillir
leur
«
pchchî
nant à quelques mètres de nous,
»
s'éle-
impression-
soit
en avant
chez l'ennemi, soit en arrière. Nulle interruption entre elles,
si
bien que sur tout
le taillis
s'épandait
une lueur crue, assez semblable à celle d'une lampe à arc, mais lueur ambulante, qui faisait se mouvoir les troncs déchiquetés et leur donnait un aspect de vivants en marche.
Le
lieutenant Régat était bien
pente d'un petit entonnoir.
là,
Comme
étendu sur il
la
était pâle et
Dans un regard voir. Mais ce nous toute joie de sa il sut mettre une contren'était pas le moment de causer
comme
son visage
était contracté
1
:
IMAGES DE LA GRANDE GUERRE attaque était
à craindre.
Hélas! point
de
l'emporter...
fallait
Il
brancard;
l'on
et
133
ne
pouvait
attondro. « Prenez une toile de tonte, dis-je, au moins jusqu'à la sape, c'est le seul moyen. » On le lit; mais lorsqu'on dut toucher au g^enou brisé déjà raidi, le pauvre blessé ne put retenir un gémissement et ses traits se crispèrent davantage. «
C'est le
moment de
— Oui, oui, tout ce fort
A
souflrir, lui dis-je à l'oreille. qu'il faudra,
mais
c'est plus
que moi, n'en tenez pas compte.
moment, on
ce
vint
mavertir
mètres en avant, un agonisant l'aumônier, au bord du trou où
un mouchoir
(jue
quelques
râlait. «
Monsieur
il
est, j'ai accrociié
une ronce pour vous guider... et puis, (juand on s'arrête, on l'entend respirer. » Charmant petit, je n'ai jamais su le nom de celui qui m'avait ainsi prévenu; mais ce sont des services que Dieu lui-même se charge de récompenser. J'y ritains
à
allai
achever
bien vite, laissant les bons
auprès de
Sama-
Régat leur délicate
besogne.
Dans
la
tranchée conquise, se trouvaient aussi
des mourants. Je m'y glissai en suivant
la
sape
amorcée, enjambant à chaque pas des dormeurs qui, sans lâcher leur outil, prenaient à terre
un
quart d'heure de sommeil, en attendant leur tour
de piocher. Des blessés que je nistrer, quatre
vis là et
pus
atlnii-
au moins ne devaient pas être rap-
IMPRESSIONS DE GUERRE
134
portés vivants au poste de secours. Mais chez les vivants, quelle bonne humeur! Et quelle ardeur pour organiser, sous la direction du sous-lieute-
nant
H...,
la
conquête de
la
soirée.
Encore un
jeune, ce sous-lieutenant que les événements ame-
—
naient à vingt ans
—
tances!
à faire
et
dans quelles circons-
provisoirement fonction de chef
de compagnie.
Ce
fut lui qui
me
valut de revoir, dès le len-
demain, Régat à l'ambulance. Vers
la pointe
du
jour, tandis qu'il profitait des premières lueurs
pour examiner en tête de sape de sa situation, nade.
La
il
les « possibilités »
reçut au crâne
aussitôt l'usage de la parole très
d'appuyer sa pauvre seurs,
il
éclat de gre-
difficile.
Impos-
coucher sur un brancard, ni
sible surtout de le
boyaux
un
plaie était pénétrante et rendit presque
tête.
Soutenu par deux chas-
voulut faire à pied les 6 kilomètres de et
de sentiers qui nous séparaient des
autos d'évacuation; et
là,
je fus
admis à monter à
ses côtés, pour lui servir d'oreiller, jusqu'à l'am-
bulance de H... J'eus la joie d'y retrouver le lieutenant Régat extrêmement faible et souffrant beaucoup. Arrivé au milieu de la nuit, il avait eu de suite le genou
nettoyé à fond par les chirurgiens de garde et soi-
gneusement pansé
:
on espérait sauver
la
jambe.
IMAGES
LA GRANDK GUIiRRK
DI-:
Quarante-huit heures plus tard, à cet espoir.
Quand
il
fallait
135
renoncer
je le revis dans la soirée
du
15 octobre, l'amputation avait étë faite et l'avait laissé tellement aHaibli que, et les
pas
brûlures occasionnées par la plaie, on n'osait
mettre sur un brancard pour refaire son
le
Mais
malgré ses souffrances
moral
le
saumure
»,
me
restait
indemne
disait-il
:
lit.
Je suis dans la
«
en essayant de sourire.
Lorsqu'on sut que je revenais de voir Uégat,
beaucoup
mer de
me
tirera,
moi pour
se pressèrent autour de
ses nouvelles. dit
Vous
«
un capitaine;
somme
très bien... Et,
toute,
même
s'en tirera
il il
récla-
verrez qu'il s'en
aura eu
la
plus
belle des carrières qu'on puisse rêver dans cette
guerre.
n'en a pas subi les horreurs, avec les
Il
piétinements dans l'eau et les cantonnements malsains.
Il
n'a pas vu de retraite. :
victoire...
Tout
le
chée, vous savez,
monde
même
voulez-vous de plus?...
La
il
aura
la croix, la
sur une jambe de bois! songez,
croi.\
Ce
ciwé
le
Que
jand)e, oui, c'est vrai;
tard, à l'influence
sera
connu
n'a pas pris une tran-
pour plus rez ça...
n'a pas
après (juinze mois.
mais ça se remplace. Et puis, palme. La
Il
dès son premier engagement, c'est une
l'insuccès
le
que cela
lui
donnera.
plus colé du diocèse, vous ver-
»
Mêlas! c'est seulement du paradis que Uégat devait être ce curé. été trop violent.
La
Le
choc opératoire
avait
nature, déjà peu vigoureuse
IMPRESSIONS DE GUERRE
136
par elle-même, n'avait pas eu la force de réagir.
Vers
le
20 octobre, assisté du doyen de H... et
des quelques confrères infirmiers, qui avaient tout
essayé pour adoucir
mal,
le
généreux prêtre
le
achevait de souffrir. Je n'étais pas nuits de repos, le bataillon était
meux
là.
Après quatre
remonté au
fa-
bois en Hache, reprendre son poste d'avant-
garde. Et nul de ceux qui gravirent derrière ce
corps mutilé la colline abrupte où se trouvent l'église
et
cimetière
le
de
H...
ne connut
la
leçon d'héroïsme donnée par ce vaillant, quand il
avait dit
mieux! » Avant la
Je partirai en
«
:
commandant
fin toutefois, le
la joie d'aller épingier, sur la le
ruban dont
la
du pays pour
vaudra
tête, cela
avait eu
chemise du mourant,
couleur signifie la reconnaissance
le
sang versé, accompagné de
la
croix de guerre avec palme, l'un et l'autre motivés
par
la citation
suivante
:
LÉGION d'honneur Pour (f
chevalier
:
M. Régat Joseph, sous-lieutenant à
titre
poraire au N' bataillon de chasseurs à pied «
Officier d'une
preuve, le 11
haute élévation morale.
octobre
d'une abnégation
1915,
admirables.
la cuisse
gauche.
»
A
fait
d'une bravoure et
Très
grièvement
blessé en entraînant sa compagnie, a été
de
tem-
:
amputé
IMAGES DE LA GRANDE GUERRE Mais
plus bel éloge
le
du lieutenant
ait été fait
jour à table, à
encore
le
(jui,
la
ma
à
137
connaissance,
Uég^at, je l'entendis
popote,
alors
qu'on
un
espérait
sauver. J'ai encore dans l'oreille ces
phrases courtes
martelées
et
:
Monsieur l'aumô-
«
vous savez, épatant...
nier, Réjj^at a été épatant,
Il
ne connaissait pourtant rien du métier militaire..., ah!
si! le
devoir
c'était
:
un
prêtre...
c'est leur alFaire, ça, le ilevoir
J'en connais deu.x qui ont
fait
;
ils
leur
prêchent...
demande
venir au bataillon; cela n'a pas abouti
mage.
Les prêtres,
le
:
c'est
[)Our
dom-
»
Paroles que les confrères de Régat ne peuvent enregistrer sans rougir. Elles c.\j)riment tellement
moins ce qu'ils sont que ce qu'ils doivent élre, et ce que le peuple chrétien attend qu'ils soient, toujours! * *
Au
reste,
pour toutes
les catégories
de combat-
tants, quelles qu'elles soient, les résultats de l'ob-
servation sont les
Quand ou
mêmes.
jn'm'lrc
au fond dva âmes, on
s'aj)er<;oit
beaucoup, durant cette guerre, ont trouvé
que dans leur croyance
mée
—
et
dans
la
— parfois reconquise, ou raniprati(jU("
religieuse, la furcc de
mifu^v accomplir leur di'voir. Prier, soullrir, rir
:
triple
moudu
ascension, pour elles, sur la roule
sacrilice austère.
IMPRESSIONS DE GUERRE
138
Un vénérable
me
ouvrières,
religieux, très entendu en
œuvres
récemment avoir
joint à
racontait
tous les petits
paquets de Noël destinés à ses
jeunes gens mobilisés, un Enfant Jésus de cire;
dans leurs tranchées boueuses, cette fraîche apparition avait délicieusement réveillé
en eux leurs
impressions d'enfance, avec ses souvenirs de la crèche, de la
messe de minuit
et
des arbres de
Noël. Or, arrivant en permission quelque temps après, l'un d'eux lui avait avoué, triste et bien
penaud, qu'
venu
«
un
accident de marmite était sur-
là-bas, qui avait tout brisé
son petit Jésus
».
Mais, ajoutait-il vivement, en tirant de sa poche
une enveloppe de pansement
individuel^ « voyez,
j'en ai conservé là dedans tous les
En
morceaux.
écoutant l'autre jour cette histoire^
si
»
digne
s'est
un nouveau chapitre de la Légende dorée, n'est-ce pas un symbole de ce qui passé pour beaucoup de nos chers soldats?
Eux
aussi avaient reçu dans leur enfance, de leurs
d'inspirer
je songeais
:
mères ou de leurs prêtres, non pas seulement entre leurs mains, mais gravée au plus intime de leur âme, l'image du Clirist, par le baptême et l'éducation chrétienne. Et puis, des accidents sont
survenus
:
ambiance, fréquentations, lectures, à
l'école, à l'atelier, qui ont brisé cette
image. Or,
bien souvent, au cours de cette horrible guerre,
ces
morceaux se
il
âmes de bonne volonté, sont rejoints et mieux encore
est arrivé que, chez les
—
IMAGES DE LA GRANDE GUERRE
—
13»
que, SOUS l'influence de la grâce divine,
ont
ils
une vie nouvelle. L'image de Jésus-Clirist y a reparu, compagne de route pour la rude étape.
repris
Et c'est de cette merveille qu'on est l'iicureux
témoin quand on pénètre au fond des âmes.
Georges Aumônier
G...,
militaire au N* bataillon de chasseurs.
5.
Le boyau de
—
Le prisonnier.
notre poste d'écoute serpentait
Celui de l'ennemi
sous bois.
d'une prairie jusqu'à
montait la pente
la lisière.
Ces deux vipères
liumaines, aux replis gonflés de plusieurs sortes
de mort, avaient posé leurs tètes plates à quarante pas l'une de l'autre, dans les buissons de leurs réseaux, et leurs yeux invisibles s'épiaient nuit et
nous avions reçu
jour. Jusqu'à minuit, pilles,
deur d'un seau à cliarbon;
ment, attendent faisant
(jui
le
(il
de
et
un
des torla
gran-
tombent gaucbeéclatent
petit îrou. Ils
en en
sont mieux.
dcu.x beures
grincer
elles
trois secondes, puis
beaucoup de bruit
ont d'aulres
A
là
de ces torpilles qui ont la forme et
du malin, un guetteur entendit
fer, et vit
cria d'une voix forte
:
«
une ombre
Halte
là!
Qui
le francbir. Il
vive?...
Aux
IMPRESSIONS DE GUERRE
140
L'ombre s'aplatit. Elle n'était pas enles deux postes, mais en arrière du nôtre. C'était dangereux de tirer, car évidemment tous les guetteurs en alerte dépassaient du buste le parapet. Le caporal suivit donc le boyau jusarmes!
»
tre
qu'à se trouver en face de l'ombre,
lança trois grenades. tres ratèrent.
La première
et,
au jugé,
éclata, les au-
Après l'explosion, on n'entendit plus
rien.
Au
bout d'une demi-heure, une sorte de plainte
arrivait de l'autre côté des
fils
de fer
— un gémis-
sement qui fit tressaillir les chasseurs. Leur gibier, blessé, était là, à portée, caché par la nuit.
L'effort de repasser le réseau avait
faire s'évanouir. Il
sa patrouille fût à plat ventre autour de d'ailleurs sous les
dû
le
y avait des chances pour que lui. Il était
grenades du poste allemand.
Crânement, deux sergents
caporal enjambè-
et le
rent le réseau.
Au
fait par un obus lourd une forme. En les voyant, elle fit un cri. Tu vas te taire, ou je te zigouille », dit l'un
fond d'un cratère
gisait «
qui
fit
voir
un
large couteau.
«
Ouste, enlevez-
Les trois hommes empoignèrent bras et pieds du blessé qui n'était pas lourd, sans oublier la grenade qu'il tenait et le poignard qu'il avait »
le.
jeté.
On
se passa le corps par-dessus le
ronces, et l'on sauta dans le boyau.
Le
champ de plus sur-
IMAGES j)renant est fut «
Dli
que
LA GRAN'DK GUERRE
141
poste ennemi n'ait pas bougé.
le
Il
au-dessous de tout. Je suis un feld\vel)el
yeux
d'abord. IHiis, les
douleur qui
Au
avait dit le prisonnier
»,
iernn^s,
il
s'isola
dans sa
arracbait des plaintes.
lui
matin, on
le
porta jusqu'au poste de secours,
qui se tenait dans
une cave;
et le docteur,
avec
des gestes adoucis, se mit à couper ses vêtements.
Au
fur et à
pour
mesure, on se
palper.
les
les passait
Sa tenue
était
au dehors,
judicieuse
:
ni
tunique, ni papiers, ni rien qui pût être un indice.
Ses bottes étaient de cuir souple
gant,
son
gilet
de peau
cagoule parfilée de villes.
Dans
rouge
et noir,
monnaie
Du la
les
lils
comme un
de daim, une longue
verts descendait
aux che-
poches, une petite glace à l'aigle une montre quelconque, un porte-
usé.
de
iiaut
l'escalier,
on voyait, au fond de
cave, le corps étendu sur une table, entouré
d'infirmiers
(jui
tanqjonnaient les blessures.
Il
y avait un trou rouge au genou gauche, trois sur la jambe droite, un au flanc droit. Il parlait
un français pur, en cherchant ses mots.
Il
disait
:
merci.
Quand il tut vtMu de bandelettes, ainsi qu'une momie, et cpi'on eût tendu sur lui sa cagoule, le capitaine descendit les marches et se penciia sur ce visage que les
Les joues
yeux fermés ne défendaient
pas.
étaient maigres, les lèvres minces, la
IMPRESSIONS DE GUERRE
i42
sculpture du front, délicate, le tout blanc
comme
La main
qui bat-
du marbre
il
:
avait dix-huit ans.
Sans doute un étudiant qui,
tait l'air était fragile.
de son français,
fier
s'était
proposé pour venir sur-
prendre nos paroles.
— Souffrez- vous beaucoup? La
—
figure muette
avant-hier, est-il
signe que oui.
mort ou
— Oui, répondit — Blessé? — Non,
fit
— Quel Des
La
fit
Notre soldat, reprit
encore la tête aux yeux
est le
qui est sorti
Mort?
la tête.
clos.
numéro de ton régiment?
plaintes reprirent.
question est répétée en allemand.
Alors, des lèvres tirées, sif
l'officier,
blessé?...
filtra
ce présent expres-
:
— Ich sag
es nicht.
Je ne
le dis pas.
Le capitaine ne se sentit pas l'àme assez basse pour tourmenter un mourant. D'ailleurs, l' étatmajor qui, à coups répétés de téléphone, réclamait le blessé, pourrait l'interroger. Sur une civière, le long du marais où caquetaient les poules d'eau
dans
les
premières feuilles des saules, on l'em-
porta.
Opéré à
l'hôpital,
il
mourut après
trois jours.
L'éclat de grenade avait perforé trois fois l'intestin.
Sa plaque
d'identité portait
Th..., rue Elisabeth.
Gérard
D...
de
IMAGES DE LA GRANDE GUERRE
143
—
Il avait du cran, dirent les chasseurs. Sa jeunesse et son courage méritent que sa mère apprenne, un jour, qu'il est mort noble-
ment. Frédéric de
B...,
Capitaine au N* bataillon de chasseurs à pied.
III
DANS LA FOURNAISE DE VERDUN
1.
— La
Le 26
dernière barrière (26-29 février 1916).
février 1916, dans la soirée, l'anxiété était
grande au nord de Verdun. Sous un déluge d'obus, les
le
Allemands avaient écrasé, durant
régiment qui défendait
La
la
la
journée,
croupe d'Haudromont.
nuit venue, les misérables débris de cette belle
troupe avaient dû évacuer la position. était faite, la route
Ce même
La trouée
de Verdun ouverte.
jour, d'autre
part,
les
Allemands
un peu plus à l'est, aux débris du fort de Douaumont. Dans la soirée, escomptant sa double victoire, l'empereur, par le télégramme étaient parvenus,
lyrique que l'on
chute imminente
sait,
annonçait à ses sujets la
de l'imprenable
forteresse
et
allumait dans leurs cœurs un enthousiasme immense, avec des espoirs sans bornes. Chez nos chefs, l'anxiété était grande pour nous, modestes troupiers, nous étions dans une :
ignorance complète de
la situation réelle, et
nous
IMAGES DE LA (IRANDE GUERRE
145
avions passé la journée dans une sorte d'indiflé-
même
rence, et
dans une certaine
Amenés avant
tran(|uillité.
pointe du jour dans un bois
la
nous formions (nous
situé sur le liane d'un vallon,
l'avons appris depuis) la réserve des troupes qui luttaient ce jour-là.
dant
moment
le
Nous n'avions donc, en
atten-
d'intervenir, qu'à contempler le
spectacle. Il
vraiment intéressant
lut
et, poiu*
nolie premier
jour de guerre vraie, d'une guerre de
à
mouvements
seulement de positions, nous fûmes servis
et plus
Un régiment
souhait.
en
aligné
plein
air
tout entier de 73
derrière la crête (|ue nous
avions devant nous. Dès
mirent
à
était
matin, les canons se
le
donner avec entrain. Dans quel
liut
précis
rageurs formant, au-
se multipliaient ces coups
dessus de nos têtes, un grondement ininterrompu? Tir de barrage? Tir de démolition? Tir contre l'infanterie?
Nous
le
sûmes jamais,
nous ne cberciiàmes pas à pas curieu.x!
En
mands,
bientôt
drues.
car
le
savoir
tout cas, ce
leurs
Nous entendions
le
tir
:
et, le
du
reste,
soldat n'est
gênait les Alle-
marmites arrivèrent sifllement avertisseur,
lent d'abord, puis s'accélérant rapidement, et, lors-
que
sifllement était encore au-dessus de nos
le
têtes,
nous
apercevions
soudain,
sur
le
flanc
opposé, un sursaut, une flamme, un gros nuage noir et ensuite, longtemps après, nous parvenait
une secousse formidable. Nous vîmes M.
ainsi 40
les
IMPRESSIONS DE GUERRE
146
obus
fouiller la croupe, avancer, reculer, battre à
droite, à gauche,
mais sans parvenir jamais à
l'en-
droit où nous savions être les 75. Et toujours ceuxci,
acharnés, de leur voix rauque de dogues im-
patients, ripostaient
aux longs abois des grosses
pièces de l'ennemi. Constatant leur insuccès, les
Allemands envoyèrent à cinq reprises des avions tir. Leurs obus se rapprochaient un peu, mais jamais ils n'atteignirent nos
pour redresser leur artilleurs.
Nous passâmes
ainsi la journée à
compter
et à
apprécier les coups. Sans deux obus qui s'égare rent dans nos rangs et y firent quelques victimes,
nous eussions
Le tion,
été plutôt divertis par le spectacle.
soir vient.
bientôt
Que
bivouac pour garder sur la Meuse.
va-t-on faire? Grave ques-
Nous
résolue.
allons
coucher
au
passage d'un ravin donnant
le
La mesure
nous n'y entendîmes rien. A part une section qui
était significative,
doit veiller,
sons donc nos tentes sous les sapins,
endormons dans une quiétude
mais
nous dres-
et
nous nous Brusque-
parfaite.
ment, à neuf heures, branle-bas et ordre de départ. Il paraît que l'on va « occuper » ou « creuser » des tranchées, on ne sait au juste. Je recueille bien, du
commandant Gaby,
ce
allons relever le N"...,
mot énigmatique
ou
dément mon intelligence prends pas.
les
Boches
»;
:
«
Nous
mais déci-
est fermée, je
ne com-
IMAGES DK LA GRANDI: GUERRE
147
Nous marchons. Étape interminable et lugubre! Nous sinuons dans des vallons, à travers champs, dans des ravins; nous longeons des voies de che-
min de
fer;
nous trébuchons sur des corps de che-
vaux morts, nous tombons dans des trous de le canon bien proche! Ses obus ont l'air de nous chercher. Ils éclatent à droite, à gauche de la route. Heureusement ils n'ont garde de tomber juste. Un réflecteur, là-bas, sur notre droite, fouille la nuit. Pourvu i|ue son pinceau ne s'arrête pas sur nous! Jamais encore je n'avais vécu nuit aussi sinistre. Les cœurs sont marmites. Mais voici
serrés.
Enfm nous
ma
nomme. «
arrivons à une ferme.
Un homme me
compagnie, originaire des environs,
réahse
Je »
me
donc
souviens l'avoir vuesur
la carte.
la situation et je vois enfin à
de la
Je
peu
près où nous allons.
La marche
continue,
morne
et lente.
Nous nous
engageons dans un ravin aux bords escarpés boisés.
Là nous devons
indienne, fatigue! taillis,
Il
le
déhler un à un, à la
et lile
long d'un sentier improvisé. Quelle
faut
monter, descendre, se dépêtrer des
se hâter pour ne pas perdre la
lile.
Il
faut
IMPRESSIONS DE GUERRE
148
se garer des branches qui
nous cinglent
le visage,
de Feau qui gicle sous nos lourds souliers. L'obscurité est complète.
Nos yeux,
fatigués par trois
nuits sans sommeil, cherchent en vain à la sonder. Ils
perçoivent quelques vagues linéaments et aus-
sitôt ils
tiques.
«
construisent
»
les objets les plus fantas-
Pour mon compte, je vois des maisons, des
animaux, des hommes, qui s'évanouissent lorsque j'en approche.
A chaque
instant des fusées s'élèvent, jettent
subitement leur s'éteignent,
clair
éphémère, puis
de lune
nous laissant dans une obscurité plus
complète. Sans discontinuer, le canon tonne sour-
dement, à tous
points de l'horizon. Devant
les
nous, à courte distance, de nombreux départs. Des
marmites viennent éclater sur
les lèvres
Sommes-nous protégés par
pentes abruptes, ou
bien les
Allemands
les
du ravin.
simplement mala-
sont-ils
droits?
Mais une odeur étrange nous prend à
On
dirait l'odeur
de cadavres.
la gorge.
Où sommes-nous
donc? Et que sont ces taches étranges, indécises,
que je vois les
là,
yeux, qui
effort
sur le bord du sentier? J'écarquille «
construisent
pour ne voir que
dirait d'un
homme
un cadavre! Un
le
»
toujours. Je fais
réel.
J'approche.
étendu, les jambes écartées
frisson d'horreur parcourt
corps. Et cette tache-là? Tiens, elle a
un
On
blessé, couché sur
:
mon
remué! C'est
un brancard, recouvert d'une
IMAGES DE LA GRANDE GUERRE toile
de tente.
En
voici encore un, encore un, et
encore d'autres. Que ont
commencé
Pourquoi les pas avec eux? Sans doute
font-ils
brancardiers ne sont-ils ils
Brancardiers
«
:
là".'
leur tâche et vont revenir. Sou-
dain, de la profondeur du bois table
149
monte un
brancardiers
!
!
»
cri
lamen-
L'horreur
est intense. Je voudrais courir
au secours de ces
me
hâter pour ne pas
malheureux, mais je dois perdre
la (ile.
Le cœur
Nous reprenons en
luttant contre
serré, je m'éloig-ne.
marche et de nouveau, tout un sommeil do plomb, écrasant, la
insurmontable, nous iieurtons
le sac
de notre de-
nous butons, nous pataugeons. Enfin nous voici dans une large clairière. Les compavancier,
gnies qui nous précédaient s'y sont massées et
déjà tout
Avant je
monde
le
tout,
dort.
Il
gèle; peu importe.
dormir! Je m'étends et instantanément
tombe endormi. Bien
vite pourtant je
veille, trlacé juscju'aux moelles.
pas pour
me
réchauller,
[)uis,
Je
fais
me
ré-
(|uel(iuos
de nouveau, dormir!
Quatre heures du matin. Debout! J'entends
commandant
(|ui
indiipie à
mon
capitaine les
placements à prendre. Que va-t-on
Nous
partons.
le
em-
faire'.*
Nous débouchons dans un
autre
beaucoup plus large, perpendiculaire au A la bonne heure! Nous en avons assez de marcher sous bois. La compa-
ravin,
premier. Voici une route.
gnie prend
la
route; je la précède. Bientôt le capi-
IMPRESSIONS DE GUERRE
150
taine
me donne
l'ordre de rassembler les agents
de liaison et de l'attendre à un endroit déterminé,
pendant
qu'il
J'ai ainsi
va diriger
les sections.
un moment de
répit. J'en profite
inspecter la position. Voilà devant
de
la
cuper
moi
la
pour
croupe
ferme d'Haudromont où nous devons « oc» des tranchées. C'est une croupe massive,
bien arrondie, une de ces croupes qui font le désespoir du soldat. à dix pas, et puis
en voit devant
Il il
lui la crête,
la voit s'éloigner à
mesure
qu'il monte. La forme de cette crête devait plus tard nous sauver, en nous mettant à l'abri des coups de l'artillerie; mais alors je ne soupçon-
nais pas cet avantage.
Par
ailleurs, cette
croupe est bien mal entourée.
Elle est bordée par des ravins profonds au sud, à l'est et
à l'ouest, et pour accéder à cette position,
en venant du sud, il n'y a que deux autres ravins. L'ennemi pourra donc couper nos communications, quand il le voudra. Spontanément, se présente à
mon
mot fameux d'un des géné-
esprit le
raux qui présidaient à notre désastre à Sedan,
où nous devions nous faire bien pis, c'est une souricièrçt
lorsqu'il vit l'entonnoir
encercler.
« Ici,
c'est
Si l'ennemi est audacieux et intelligent,
il
fera de
nous ce qu'il voudra. » Je ne m'attarde pas, bien entendu, à ces pensées déprimantes. Du reste, je n'ai pas de temps à perdre en rêves.
J'ai
rassemblé mes agents de
IMAGES DE LA GRANDE GUERRE liaison; à {)résent, je dois retrouver
hommes
Je laisse mes la
mon
151
capitaine.
à leur poste et j'avance sur
A
roule vers l'ouest.
travers la demi-clarté de
un spectacle navrant s'offre moi les signes maniprécipitée voitures abandon-
l'aube encore lointaine,
à
mes
regards. J'ai devant
festes d'urkç retraite
:
nées, gros mortiers, affûts, caisses de projectiles,
un cheval mort. Plus mobile sur
le
désespéré. J'en Il
un cheval
loin,
bord de
ai pitit', je
vivant, im-
route, l'œil
la
flatte, je
le
morne le
et
caresse.
reste insensible. Je i)rends la corde de son licol
pour l'emmener; résiste. J'use
de
refuse de bouger. Je
il
la force,
suasion. Rien n'y
fait.
tire,
il
des menaces, de la per-
Découragé, je l'abandonne
à son malheureu.x sort et je m'éloigne.
Quelques pas plus vres
:
bute sur des cada-
loin, je
immédiatement, dans
la
demi-obscurité,
ou j'en devine une trentaine.
j'en vois
sont
Ils
là
étendus, rai<los et grimaçants, dans toutes les positions. J'inspecte les
numéros
:
il
y en a de quatre
ou cinq régiments. Que signifie ce mélange? Soudain j'entends un cri étouffé, lointain. « Qui est là? » Longtemps après, un autre cri. Cette fois, je devine
reprend
:
«
:
«
A boire! A boire!
— Où »
présumée, mais ne vois «
Où
étes-vous?
»
La
ète.s-vous?
J'avance dans rien.
La voix
De nouveau j'appelle
voi.x, cette fois,
de terre. Je cherche au hasard des gourbis creusés dans
»
la direction
semble
et bientôt je
le flanc
de
la
:
sortir
trouve
croupe. J'y
IMPRESSIONS DE GUERRE
152
découvre une vingtaine de blessés.
Ils
étaient là
depuis trois jours, laissés aux soins d'un brancardier, qui s'était
spectacle était
dévoué pour rester avec eux. Ce navrant que les larmes me mon-
si
eux
tent aux yeux. Je partage entre
d'eau
et,
mon
bidon
après quelques paroles d'encouragement,
après avoir promis de leur envoyer les brancardiers
mon
de
régiment, je continue
mon
Pas de capitaine. Sans doute,
il
exploration.
est
monté sur
la
croupe. Je grimpe donc la côte. Je montais péni-
blement, poursuivant la crête toujours fuyante, lorsque deux fusées vertes s'élancèrent dans ciel «
Tiens lies Allemands
sais-je; et
soudain
les
Boches,
»
machinerie!
et leur
le voile se déchira.
commandant Gaby ou
le
au-dessus d'un bois à 200 mètres en avant.
:
«
Nous :
pen-
allons relever le N*
se présenta à
vis clairement la situation
»
La parole du
il
mon
esprit, et je
n'y avait plus per-
sonne devant nous. Nous sommes en immédiat avec l'ennemi. La lutte avait
contact été hor-
rible les jours précédents, et aujourd'hui c'était à
nous à en supporter tout
Le moment
le poids.
était sérieux;
il
n'y avait pas de
temps à perdre. Rejoignons au plus taine, qui doit avoir besoin de
Pendant que
j'étais à la
mes
tôt notre capi-
services.
recherche de
ma com-
pagnie, celle-ci avait gravi la pente. Elle marchait
IMAGES DE LA GRANDE GUERRE
153
en sections déployées, chaque section précédée à distance i)ar une patrouille. Bien vite, le contact
Le
avait été pris sur toute la ligne.
chait avec la patrouille
du centre.
gravité de la situation et pourtant
une indiirérence superbe, l'étui.
un Allemand
lui crie
Sur
Il
grantées, le
d
en poussant une
un bond de
fait
un
française,
instant
côté.
La
interloquée,
n'y a plus rien.
la gauciie, le
patrouille.
avançait avec
Halte là! Rentez-fous!
«
:
exclamation énergique,
s'élance.
il
mains
les
lieu de se rendre, le capitaine,
patrouille
coiuiaissait la
Soudain, de derrière un arbre,
revolver dans
Au
capitaine mar-
Il
sergent G... commandait la
Sans se douter de
rien,
il
tombe, avec
une trentaine d'AUoinands, ou reconnaissance. Mais son allure est
ses quatre lioinmes, sur petit po.>ite si
décidée,
«
Allons, les
il
commande d'une
Germains sont
peur
pris de
jambes. C'est alors que lancées. Sans
voix
si
tonitruante
gars, foncez là-dessus!
les
aucun doute
et
que
»
:
les
détalent à toutes
fusées vertes furent elles
annonceraient la
présence de l'ennemi. Aussitôt
la
fusillade
se
déclenobe. Les nôtres
continuent rourageusement à progresser, malgré le
crépitement des balles, jusqu'à
un peu en deyà de
la crête.
la ligne
fixée,
Nos hommes, d'abord
surpris de ce contact rapide, se remettent vite de leur émotion. Aussitôt arrivés à leur em[)lacemenl, ils
se constituent en
équipes do deux
:
pendant
IMPRESSIONS DE GUERRE
154
que l'un creuse hâtivement un trou pour se mettre à l'abri, l'autre épie l'ennemi avec le sérieux et
calme du chasseur
mouvement, Guidé par
qui, aussitôt
le
un
vise et tire. les
coups de feu
outils? j'ai vite fait
taine, à
qu'il perçoit
grincement des
et le
de rejoindre
poste du capi-
le
une cinquantaine de mètres en
me
service
la ligne. Aussitôt le
arrière de
prend
:
faut
il
reconnaître l'emplacement des sections, faire rectifier la ligne,
Deux du
transmettre des ordres de détail.
fusées rouges
renfort.
En
:
les
Allemands demandent
attendant, de-ci
de-là,
ils
nous
envoient quelques coups de feu, auxquels nous
répondons copieusement. tentent
même
d'avancer
A :
plusieurs reprises,
ils
on entend alors toute
une série de grognements, « de vrais cris d'animaux, » me diront les hommes, et en s'encourageant ainsi bruyamment, ils s'élancent. Nos tireurs calment vite cette ardeur, et ils retournent un à un à leur premier emplacement en s' effaçant, d'arbre en arbre. Plus d'un est abattu en route.
Leur
infanterie est impuissante
alors de la partie.
Malheureusement,
coups tombent juste en face, à nos
hommes
le
:
qui rient de bon
la
77 se met
les
premiers
grande gaieté de
cœur
et
décochent à
leurs vis-à-vis des plaisanteries salées.
Deux
fusées blanches
:
invitation
à prendre garde et d'allonger le
ques instants après,
les
aux
En
artilleurs
effet,
quel-
obus tombent plus
loin,
tir.
IMAGES DK LA GRANDK CUKRRK beaucoup plus courbe
loin.
terrain.
(lu
15$
Nous sommes protégés par la Lo 77 ne pourra rien contre
nous.
Une
lieuio environ se passe,
variés.
A
subitement
réveillée,
se sont
mises de
et
crachent à
tètes, à
nos côtés,
la vitesse
les balles
un
tinta-
à l'infini par l'écho des
(jui le renvoient en vagues Les renforts ennemis venaient
dos ravins
assourdissantes. d'arriver et
mais ce
Les milrailleuses
i)Ourdonnent, ricochent! C'est
marre infernal, multiplié bois
grêle.
la partie et
ma.xima Au-dessus des sifflent,
devient violente,
la fusillade
im crépitement de
(l'est
coupée d'épisodes
sept heures trente, notre attention est
ils
donnaient.
(jui était
titude des
Je fus
Le
spectacle était beau,
beau par-dessus
tout, c'était l'at-
hommes.
saisi
immédiatement par
celle beauté et
porté très liaul, bien au-dessus des misères de la
moi que je un des grands moments de ma vie, un moment d'épopée, où l'on sort pour tout île bon de l'égoïsme et du terre à terre, au service des grandes causes. Dans mon exaltation, je n'en continuais pas moins à observer, à admirer mes vie quotidienne. Je sentais au fond de
vivais
hommes. une
Qu'ils étaient beaux! Ils se trouvaient à
lioure des plus critiques, avec, en face d'eux,
un ennemi en outillé, et ils
force,
sûr
de
lui,
puissamment
demeuraient dans un calme complet.
Je les voyais devant moi tirer avec assurance, un
IMPRESSIONS DE GUERRE
156
peu vivement, sans doute, mais sans Ils
précipitation.
causaient entre eux, se passaient les indications
même. On
plaisantaient
utiles,
se
serait
l'exercice, à part cette noble élévation de
que
ne retrouve qu'au
l'on
Beaux
cru à
lame
feu.
aussi, les gradés, et vraiment l'âme de
ce corps multiple. Ils étaient tous debout, derrière leurs
hommes
fait les
couchés.
Le brave adjudant
S...
cent pas derrière sa section, sans paraître
entendre les balles qui
un jeune de
le frôlent; l'aspirant L...,
la classe 15, reçoit le
baptême du
mais ne perd rien de sa jeune gaieté;
feu,
le sergent
donne, du haut de
V... plaisante gaillardement et
son insouciance du danger, des conseils de prudence;
sergent L... garde sa bonhomie savou-
le
reuse. J'étais
confondu. Ces héros qui jouaient avec la
mort, c'étaient ces
hommes que le comme de bien
tran-tran
de
braves gens,
la vie
m'avait révélés
sans
doute, mais que je n'eusse jamais pensé
d'un
capables j'avais telle
même
ou
tel
heure, une
patriotisme, déploré du
comme La
ils
Parfois,
cru constater, chez l'un ou l'autre, à
telle
Comme
matérielles.
d'eux-mêmes.
oubli
certaine
langueur de
moins des aspirations trop
je
appréciais
les
se connaissaient peu
fusillade continue.
Bien
mal,
et
!
vite,
de mauvaises
nouvelles nous parviennent. Les ravitailleurs nous
annoncent
:
«
Un
tel est tué,
un
tel est
blessé », et
IMAGES DK LA (JRAMJK GUKRRL:
157
un serrcnient de cœur
«loulou-
cliiKiiie
fois, c'est
reux.
Puis un niomont passer en première lution
(l'acralniio. J'en
aux mourants,
et
les blessés.
Le
soldat Les-
s'est affaissé
Il
du ton d'une simple constatation il
est mort.
d'une balle à Il
a
le criine
»
—
traversé.
piers
;
» et il
tombe
Je circule eà et les rangs.
refroidit
est atteint oii
il
Il
:
«
Mon
lieutenant, je
porte-monnaie
et
mes
pa-
raide. là.
Les morts sont encore dans
Mais leur présence n'épouvante pas, ne
même
insensibles
!
pas les
hommes. Non
Je vois bien
;i
qu'ils soient
leurs paroles qu'ils
souffrent de perdre leurs camarades, mais
emj)Ortés par la grande pensée de
défendre
visait.
se lève, accourt vers son
compte
mon
en criant,
Na, Lescroart,
moment
au
l'œil g-aucbe
mort! Prenez
-uis
«
:
Le caporal Wartel
lieutenant, lui rend
pour
de réconforter
J'y recueille des détails épiques.
(Toart vieii( d'être tué.
profile
de donner une abso-
alin
li{j;ne,
Ils
la
sont
ils
France à
sont tout entiers à l'action. Les uns
pansent leurs camarades blessés
;
d'autres appro-
fondissent hâtivement un rudiment de tranchée.
Dautres guettent l'ennemi,
et
ils
sont vraiment
intéressants. Ils ont organisé des concours de
tir.
cin(|, six ou sept, Tout à coup, l'un grimpé dans un arbre.
Associés par petits groupes de ils
observent attentivement.
d'eux a ajteryu un .\lleinand
Aussitôt, le guetteur est signalé à l'attention gêné-
IMPRESSIONS DE GUERRE
158
raie
«
:
Ravise
là!
— Tu vois? —
Laisse, c'est à
moi de tirer! » L'homme vise lentement et tire. Manqué! « A moi, maintenant, » s'écrie un autre, et
il
vise à son tour. Pan! l'observateur dégringole,
la tête la première.
—
moins. Vive
Et
parmi
P...!
le sifflement
poursuis
ma
»
le
un
et
son côté
tournée est
longtemps. et
un brancardier un faux brancardier, il a
tournée. Je trouve c'est
Ma
A
un revolver dans sa
finie.
«
huit heures, déchaînement soudain
concours de
§0 mètres
poche...
Je respire un peu, pas
bien plus brutal encore que
sergent L..., chef de la le
té-
jeu tragique continue,
des balles qui nous frôlent. Je
allemand tué, mais fusil à
Bravo, s'écrient les
«
en
tir
»,
précédent.
le
4' section,
Le
en épiant pour
à travers les arbres,
à
vu l'ennemi s'avancer en colonnes par quatre. Les Allemands marchent fièrement, avec la morgue de YUebermensch. Us poussent de nouveau leurs grognements et leurs cris. Un officier, sans doute pour u Paonnette au nous effrayer, crie en français ganonl » Le sergent, sans perdre la tête, pousse le cri d'alarme et en même temps l'on voit débouavant,
soudain,
a
:
cher d'autres colonnes massives, sans
queue se perd derrière
Le
spectacle est effrayant.
secoue
les
fin,
Un
frisson affreux
corps, mais immédiatement,
mues par un
déclic, les
dont la
la crête.
âmes
comme
se haussent, se font
IMAGES ol)»''ir, f't
nous vivons une heure
nément, sans commandement, tous levrs, et je les
mince cordon que
GUERRE
159
d'^popf^'e.
Sponta-
LA (iRANDK
DI-:
la furie
les
Iiommes
se sont
devant moi, debout,
vois
teutonne va emporter,
ce semble, en un clin d'œil. Mais |)as un n'hésite
ne tourne
et
la tète
en arrière pour mesurer, à
chemin de la fuite. jambes écartées, ils «
l'avance, le
sur les et font taires,
campes
Droits, bien tirent
dans
le tas
«
mouvements réglemenconnne au stand, à part la vitesse. La correctement
cible est
si
proche
les
(|u'il
est inutile d'ajuster les
coups.
La
fusillade fait rage.
De nouveau,
les mitrail-
leuses se sont mises en branle et les bois nous
renvoient leurs
siasme a gagné chercher
la
tic-tac furieux.
l'arrière.
pli
hommes
arrivent en ligne,
capitaine envoie
du
tendu en avant, ;
L'onde d'enthou-
compagnie de renfort «|ui attendait terrain. Elle monte de suite et les
dans un
sérieux
Mon
le
la baïonnette
quelques-uns
même
sables. Jusqu'à présent,
ils
leur i)remier contact avec
dos courbé,
menaçante.
le
Ils
cou sont
halètent, bien excu-
étaient à l'abri et c'est la
mort. Mais
ils
sont
ardents, décidés; on le voit au brillant de leurs
yeux. Et quels beaux officiers
Le
B.
..,
ils
ont!
un saint-cyrien imijcrbe de
Le
lieutenant
la
promotion
do Montniiiail, arrive en plaisantant gèrent,
ils
exagèrent!
»
:
et cela est dit
«
Ils
exa-
d'un ton
tellement jovial, tellement moqueur, (jue
moi.
IMPRESSIONS DE GUERRE
160
homme
me
de l'avant, je
sens ragaillardi par cet
« arrière ».
Tout
le
monde
se tient prêt à bondir,
la ligne fléchissait.
hommes, ont avant
un
pris
nerveusement.
Tous,
Ils
fusil, qu'ils
jamais
serrent
effort
les
un peu
n'attendent que le cri
pour se précipiter dans un
»
si
comme
les officiers
En
«
suprême.
L'on sent monter, à cette minute, en soi, et comme courir à fleur de peau, les grands sentiments qui
en temps ordinaire dorment assoupis au fond de
Les anciens se rappellent avec colère le bois où un épisode malheureux a failli jeter, combien à tort! le discrédit, pendant quelques
l'âme.
d'Ailly
jours,
sur le brave rég-iment que nos généraux
appelaient
«
la
Vieille
Garde
». Ils
sentent que
l'heure est arrivée de maintenir au régiment sa
réputation de leurs
g-loire.
Beaucoup aussi pensent à
familles, isolées
mandes,
là-bas, dans le
derrière les
Nord,
lignes
et ils sont
alle-
heureux
de faire payer à l'envahisseur ces longs mois d'inquiétude tout cela! trés,
et
de douleur. Tous revoient
— ces évacués, ces
«
en longs cortèges de misère, sur
Verdun,
et
ceux qui ne
ils
— ah
réfugiés
»,
I
sur-
rencon-
la route
les ont
pas encore connues.
Cependant, l'attente se prolonge. Fil ténu d'apparence
de
jurent d'épargner ces horreurs à
frêle,
mais
fait
et
d'un infrangible métal,
notre cordon reste inviolé. Pas un Allemand n'ar-
IMAGKS DE LA liKANUK GUEHRK rive jusqu'à nous.
Ils
(liaient
fiers
si
161
(juand
ils
débouchaient, confiants dans leur élan, conscients
de leur force,
par leur masse Mais
et faisant bélier
cette assurance dura peu.
!
Les
fusils, les mitrail-
On
leuses, bientôt le 75, se mirent de la partie. alors la bêle
innombrable hésiter,
éléments épars, sous
les
vit
flotter; [)uis, ses
comme
coups redoublés,
font les fourmis devant le danger, se serrèrent, se
tassèrent les uns contre les autres, pour reprendre
En
haleine.
vain
:
à
chaque
rafale, ils
par écailles; à cha(jue coup de 75,
coupée d'une large trouée. Peu à peu,
sembla se
s'émiett.a,
tombaient
colonne
la
était
masse
la
volatiliser; les vivants se dis-
persèrent à travers les arbres.
Il
ne resta plus sur
place que des jonchées de cadavres et de blessés.
L'orage
était passé. Aussitôt, la vie «
de reprendre, et d'apparaître
du
travail.
normale
»
savante division
la
Les téléphonistes achèvent
et perfec-
tionnent leurs installations; les patrouilleurs se portent en avant, en quête de renseignements; les ravilailleurs, (|ui avaient déjà travaillé
tourmente, se hâtent de compléter
nements en munitions; portent au
[)lus vite les
les
les
brancardiers
le
plus
trans-
blessés. Ainsi se passe la
matinée dans une activité bienfaisante bel
en pleine
approvision-
entrain, l'ordre,
la
:
partout
meilleure bonne
volonté.
A onze
heures, grande distraction
(Wtrémement M.
violente
éclate
sur
:
une fusillade notre
droite. 11
IMPRESSIONS DE GUERRE
162
N'ayant pu nous entamer de front, l'ennemi emploie sa tactique habituelle;
ment tournant.
il
essaye un mouve-
C'est également en pure perte.
laisse sur le terrain de
nombreux cadavres
Il
et doit
reculer bien vite.
Vers
la
parvient.
même heure, une sinistre nouvelle nous Un homme de liaison aborde le capitaine
de la compagnie de renfort dit
:
Mon
«
et,
capitaine, vous
d'un ton êtes
officiel, lui
désigné pour
commandement du bataillon, en remplacement du commandant Gaby, tué par un éclat
prendre
le
d'obus.
»
Aucune catastrophe Le commanavec nous depuis un mois seule-
Le commandant Gaby
tuél
n'aurait causé plus de consternation.
dant Gaby
était
ment, mais par son calme, sa bonté paternelle, par le cœur des non seulement le res-
quelques actes simples qui enlèvent
hommes, pect,
il
mais
s'était acquis,
l'affection, je pourrais dire l'adoration
La nouvelle de sa mort est pour un coup terrible et nous sommes dans la stu-
de son bataillon. tous
peur. le
mes-
—
Non,
Après un instant de trouble, j'interroge « Le commandant est mort? sager :
mais
il
est sans
connaissance!
»
Mon
devoir de
prêtre m'appelle là-bas. Je descends la croupe à toutes jambes et j'arrive au poste de
ment. J'y trouve tout m'adresse à l'adjudant
le :
«
commande-
personnel en larmes. Je
Où
est le
commandant? »
IMA(ii:S 11
GRANDE
LA
—
rrpond pas
ino
iH'
pèclient
I)i:
—
nie le
il
(l«'si!?nc
d'un geste. et le
Le
et
affreuse
respire
Il
profondément.
spectacle est pitoyable; de suite je sens les
me
sanglots
soulever
la poitrine.
commandant! Entendez-vous? la G'f
Je
soulève
vois assis, la
blessure et macule son bel uniforme.
lentement
Je,
Le sang coule lentement d'une
tête handre.
103
sanglots l'en cni-
les
couvre
la toile (le lente (jui le
(iUF.RRi:
me
»
reste insensible.
Il
recueille donc
tant, je récite la
«
:
Mon
C'est le fourrier de
est inutile d'insister.
un instant
et,
tout en sanglo-
formule de l'absolution. Pendant
bommes
ce temps, tous les s'étaient
Il
J'appelle
présents, spontanément
rassemblés en demi-cercle devant leur
commandant
et,
à genoux, la tête découverte,
ils
priaient et pleuraient.
Je
(juelques instants pour cet
jiriai
admirable,
si
bon,
gnai mon poste. Mon capitaine,
si
généreux,
bommc
et aussitôt je
rega-
craignant d'attrister sa troupe
en jdeine action, avait voulu leur cacber la nouvelle.
A mon
avait déjà
retour, la
filtré.
Tout
rumeur, mvstérieusement,
le
long de
la
ligne,
on se
la
cbucbotait et aprè^ son passage, les visages restaient assombris.
Les iiommes sentaient
avaient perdu un père.
qu'ils
IMPRESSIONS DE GUERRE
464
II
Midi.
— La
différent.
bataille allait
prendre un tour bien
Jusque-là, nous avions lutté, soulevés
par l'enthousiasme, entraînés par la fièvre de tion.
l'ac-
Désormais, nous allions être laissés à nous-
mêmes, en
proie à une furie aveugle et fatale, en
apparence,
comme
Le matin,
les
celle des éléments.
Allemands croyaient n'avoir en
face d'eux que des troupes démoralisées par les
combats des premiers jours, d'infanterie
trompés.
Ils
suffirait
et
qu'un bon assaut
refouler.
à
Ils
s'étaient
donc reprendre contre nous
allaient
la tactique qui leur avait si bien réussi contre les
Russes, contre les Serbes et contre nous-mêmes, faire le vide devant eux par Leurs fantassins n'auraient plus
les jours précédents
un déluge de
fer.
:
ensuite qu'à occuper le terrain déblayé.
A
douze heures
précises, les
jusqu'alors nous avaient
visités
marmites, qui
avec une certaine
discrétion, subitement, multiplièrent leur souffle
puissant.
Peu
à peu, la cadence s'accéléra et la
situation devint terrible.
Les
artilleurs
méthodiquement
le terrain;
bientôt en plein dans la
fournaise.
battaient
lorsque les éclatements
ennemis
nous fûmes
Au
avaient lieu à
début,
500 ou
IMAGES DE LA (iKANDE GUERRE 600 mètres de nous, férents,
mais quand
chèrent,
ils
nous laissaient assez
les points
nous
tout autour de
et
indif-
de chute se rappro-
cra(|uomcnt de l'explosion
le
105
en nous;
et
('-hranlait
chaque
fois
une secousse douloureuse pour les nerfs. Lorsque nous percevions le souffle dans le loin-
(•"était
tain,
corps
le
résister
tout
entier
contractait
se
pour
aux vihrations trop amples de l'explo-
chaque reprise, c'était un nouvel assaut, une nouvelle fatijrue, une nouvelle souffrance. A
sion, et à
ce régime, les nerfs les plus solides ne peuvent résister longtemps; le
sang monte à
où
la tête,
moment
où
arrive vite où le
la lièvre brûle le
corps
et
deviennent incapables de réagir.
les nerfs, usés,
La meilleure comparaison serait peut-être celle du mal de mer, mais d'un mal de mer « agressif » produit par la morsure incessante des lames balayant
naufragés sur leur radeau.
des
s'abandonne
alors, l'on n'a
même
L'on
plus la force de
se couvrir de son sac pour se proléger des éclats, et c'est à peine si l'on
peut encore se recommander
à Dieu. 11
secondes
est des
— des
siècles
— épouvanta-
bles; entre toutes, celles où les arrivées se sont
rapprochées
du
tir,
(Ml!
que
alors,
et
les
où
l'on pressent, d'après la
coups prochains vont être pour nous.
(pielle
poindre dans
méthode
le
subitement l'on
horreur, lorscjue l'on
entend
lointain le souffle ténu, lent, et pcrt;oit les
que
nuances spéciales de
IMPRESSIONS DE GUERRE
166
l'obus
«
personnel
»,
l'accélération
extrêmement
rapide, le crescendo brutal du sifflement. Alors, l'on est crispé depuis la pointe des clieveux jusqu'à la
plante des pieds, et l'on attend, dans une sorte d'agonie, en élevant
une dernière fois son cœur à une brûlure, un choc
Dieu, le coup suprême
:
épouvantable, la dislocation
puis plus rien!
et
Lorsque la marmite éclate à quelques mètres, c'est une secousse affreuse, puis une confusion indescriptible
:
de la fumée, de la terre, des
cail-
loux, des branchages, et trop souvent, hélas! des
membres, de la chair, une pluie de sang. Aussitôt s'élève un concert épouvantable ce sont les cris :
des blessés qui semblent répandre leur àme. L'on est
submergé d'une horreur intense qui vous pos-
sède quelques secondes
une détente
et cède, très vite après, à
bienfaisante.
La
crise est passée; l'on
peut respirer quelques instants; l'on se reprend à vivre.
Est-ce la peur de la mort qui donne cette sensa-
tion?Non. Le matin, j'avais été exposé aux balles; je n'avais rien ressenti de pareil. C'était
une hor-
reur toute physique; c'est la chair qui se cabre
devant le traitement infligé être
;
c'est la révolte
de notre
nerveux contre des chocs qui dépassent sa
force de réceptivité, mais c'est surtout l'horreur
du
néant
«
»
— je
ne saurais dire autrement
—
de la dislocation. Mourir d'une balle semble n'être rien
:
les parties
de notre être restent intactes
;
IMAGES mais
L'trc
LA (IRANDK GUKRRK
l)K
167
disloqué, écarlelé, réduit en l)Ouillie,
une appréhension (jue porter et qui est au fond de
la chair
voilà
la
ne peut sup-
grande soulFrance
du hombardement. Ce supplice dura sans interruption de midi à
deux heures;
il
bombardement et,
fut intense, surtout à la fin, car le était
malgré notre
devenu extrêmement rapide mental, nous
anéantissement
pressenlions que nous toucliions à une crise.
En
effet,
à deux heures, silence subit et quelques
instants après, fusillade éclate
comme une
toile qui se déchire, la
brusquement sur notre gauche. La
du débordement {)ar les ailes continuait. Depuis plusieurs heures déjà, le lieutenant T....
tacli(iuc
préposé avec sa section à
la
garde du ravin ouest,
avait deviné que quelque chose se préparait de son
un à un au pas de course à travers un espace découvert, pour se masser dans un pli, à l'abri de nos cou{)s. Pendant côté.
11
avait
vu
ce temps, ses
organisé leur tirer ils
au
gîte,
tiraient
au
les
Allemands
hommes «
s'étaient divertis. Ils avaient
concours de
comme
défiler
tir »,
mais au lieu de
leurs camarades de droite,
vol.
Le mouvement
cessa.
On
lut
alors dans
tente inquiète qui précède les grands coups. fut pas long.
Une colonne par
coup du
et
pli
l'at-
Ce ne
(juatre surgit tout à
s'avancja rapidement, menaçante.
Elle n'avança pas longtemps. la fusillade et le martelasse
Le déchirement de
des mitrailleuses éclata
:
IMPRESSIONS DE GUERRE
168 la
colonne s'écroula. C'était
s'enfuirent
à toutes
jambes
Les survivants
fini.
sur la pente, à la
grande joie de nos poilus qui leur adressaient, avec des coups de
des épithètes homériques.
fusil,
L'attaque avait échoué.
dans la
c'est
bombardement supplice
se
de la
loi
«
11
pendant
heures encore. Nous attendions
:
ennemie. Le
que jamais,
reprit plus furieux
poursuivit
»
venger
se
fallait
mentalité
la
et le
longues
trois fin,
inertes,
usés.
Cinq heures.
— Calme soudain. Nous hésitons un
peu, ne sachant que penser,
et,
comme
le lièvre
après le passage du chasseur, nous dressons la tête et inspectons l'horizon.
Décidément
c'est fini.
Nous sortons de notre trou avec l'impression d'un damné sortant de l'enfer; nous nous dégourdissons les membres. Qu'il
fait
bon vivre!
Aussitôt on s'égaille, la fourmilière s'agite. Des
hommes, entourés d'une carapace de cendent au ravin le Il
:
bombardement; faut aussi des
nuit
bidons, des-
la
troupe a été altérée pendant
il
faut de l'eau en abondance.
monceaux de cartouches pour
heureusement nous avons trouvé dans
:
ravin des fourgons pleins, abandonnés.
soires Il
le
faut des
des hommes s'en vont au lieu de distribumais reviennent avec des provisions déri-
vivres tion,
Il
la
:
:
le
ravitaillement est presque impossible.
y a de nouveaux blessés; les brancardiers les
IMAGES DE LA GRANHE GUERRE descendent au mvin sur notre
tallée
lirlas! ils
:
Une
leur luire tVanciiir.
169
ne pourront
le
mitrailleuse ennemie, ins-
<lroite,
commande
le
passage
et
fauche tout ce qui se présente. Plusieurs brancardiers et plusieurs blessés ont
tentant le passage.
Il
faut
déjà été
tués, en
donc attendre
la nuit.
Certains blessés sont là depuis le matin. Quelquesuns, pris par la fièvre, sont morts avant l'arrivée
des soins. Les morts sont encore sur
le terrain.
portent au cimetière improvisé, au
croupe.
Il
aussi
faut
reconstituer les
faire
cadres.
s'impose, urgent fondie.
Il
de les ramasser. Des équij)es les trans-
est urL^ent
la
:
bas
de
la
des appels sérieux,
Enfin
le
grand travail
tranchée doit être appro-
Demain matin, nous devons
être installés,
à l'abri, pour défier tout nouvel assaut.
Tout
le
profitant c'est
monde se met courageusement àTceuvre, de
demi-obscurité de la brume,
la
dans une activité
presque
heureuse
s'écoulent les dernières heures d'un jour
28
février.
—
si
et
que
pi-niblo.
Nuit calme. De temps à autre une
vive fusillade, très courte, et tout rentre dans
le
silence.
Un
seul incident
suis réveillé par
:
vers une heure du matin, je
un blessé qui me demande de
jiaiiscr
Tout en nouant son bandage,
causer.
Il
était
je
le
le
fais
en sentinelle aver un camarade, en
avant de notre ligne. Soudain, un bruit se produit
IMPRESSIONS DE GUERRE
170
du côté ennemi. Sur notre ligne, un homme apeuré crie « Voilà les Boches! » et aussitôt tous les fusils partent. Les Allemands répondent :
:
Notre sentinelle n'y comprend
fusillade générale.
rien et n'y voit goutte. «
Il
Les Boches viennent,
nier!
»
ne pense qu'à une chose vais
je
:
être fait prison-
Et pour éviter ce malheur, que
les lâches
désirent tant, malgré les balles qui se croisent au-
dessus de
une
lui, il
regagne notre ligne en rampant;
balle lui traverse le bras.
plus qu'une idée
bien savoir
gent? »
s'il
:
Mon
est revenu.
— Elles sont
âmes de nos
«
A
présent,
il
n'a
camarade, je voudrais
Vous ne savez
belles,
petits soldats
pas, ser-
dans leur simplicité, les
Le
I
reste de la nuit a
Enfoncé dans mon trou, malgré une position des plus incommodes, et les crampes été tranquille.
qui
me torturent les
jambes,
j'ai
dormi d'un som-
meil de plomb.
A
six heures, je
disposition
:
me
réveille
dans une étrange
calme, l'énergie ont disparu; je
le
sens du trouble, une inquiétude vague. Hier, au
moment
le plus affreux, j'ai
au tréfonds de
conservé, sans lacune,
mon être, une
assurance sereine
:
je
ne devais pas mourir. Aujourd'hui, cette assurance m'a abandonné je vois la mort devant moi. Bien que l'air soit calme, je crains les obus, « mon :
obus
».
Je passe ainsi quelque temps en proie au ma-
rasme. Puis, machinalement, je grignote un bis-
IMAGES DE LA GRANDE GUKHRE cuit, et soiiflaiii je liaiu'c est
me
revenue,
retrouve moi-iiH'ine
171
:
la
con-
de nouveau je nie remets
et
avec sérënité, sinon a\ec indillércnce, entre
les
mains de Dieu.
111
La matinée
passe. Quclcjucs petites
des coups de feu isolés
Allemands ont renoncé à Verdun? allons faire
une
fu.<^illades,
et c'est tout. Est-ce
que
— Hélas!
les
Nous
expérience de l'opiniâtreté
terrible
teutonne.
A en
dix heures précises, alerte! des souflles sont
l'air.
Vite dans les trous! car nous ne connais-
sons pas encore
la
méthode de
tir
adoptée.
Il
faut
éviter les sur[)rises.
Les marmites tombent en plein dans sud. Elles ont l'air tout rai)ord d"y aller
ment
:
le
ravin
prudem-
hésitantes, rares, elles étudient le terrain.
Puis, tout d'un coup, les artilleurs ont sans doute les
éléments voulus
toute sa violence. ils
:
la
tempête se déchaîne dans
Les gros obus se suivent serrés;
éclatent simultanément dans toutes les parties
du ravin sud
et aussi
bien loin dans
Ferme de Thiaumont. dresse de\ant nous;
L'ennemi nous riés
:
(|uel(jucs
sert
Ils
le
ravin de la
fouillent la pente (jui se
montent juscpi'ii nous. un assortiment des plus vails
maigres 77,
(jui
semblent se perdre
IMPRESSIONS DE GUERRE
172
dans cette mêlée, des lOo, des 150, mites
»
;
les 210, les «
maous pépères
»
les « ;
mar-
les 30b, les
380, qui ébranlent la terre jusque dans ses fonde-
ments et répandent d'énormes nuages noirs. L'Allemand recherche la destruction, mais aussi la teril aime l'effet. De gros fusants lancent en reur :
leurs
l'air
pétarades
assourdies
nuages tout ronds; puis voici quatre, six
et
crèvent en
les « trains »
:
trois,
obus qui arrivent ensemble, précédés
par un vent de marée, et éclatent avec une rage de titans.
Les coups se succèdent à une cadence plus ou moins rapide, mais toujours très rapprochée. Parc'est une rafale inferfois la cadence s'accélère :
une explosion n'est pas apaisée qu'une autre un bruit continu de craquements secs ou lourds, amplifiés à l'infini par l'immense écho des bois. C'est un ébranlement gigantesque; on croirait assister à l'écroulement d'un monde. Et par-dessus tout flotte un épais nuage de belle fumée bleue, voile opaque qui semble vouloir déronale
:
la prolonge. C'est
ber au
dans
ciel les
horreurs qui se déroulent là-bas.
le fond.
De nouveau nos que
nerfs sont au supplice. Plus vite
la veille, ils ont
atteint le
paroxysme de
la
fatigue; et alors nous attendons dans l'hébétement,
sans plus penser, que le concert meurtrier prenne fin.
Pourtant, dans notre demi-conscience voilée,
IMAGES
LA GRANDK (JUKRRK
Dt:
173
monte insidieusement un sentiment Lien pénible nous sommes abandonnés! Au-dessus de nos
:
tètes,
nous entendons bien passer
les sifflements aigus,
coléreux dos 75, mais c'est
le seul bruit frant;ais.
Oîi donc est la « lourde »? Nous ne percevons aucun muiîissement! Le 75 est très bon, mais il faudrait de la lourde pour museler un peu lénorme
bétc décbainée
;
et
du
reste, ces
malbeureux
75,
sans défense contre un ennemi posté trop loin, seront vite bors de combat.
Puis les aéros allemands sont constamment au-
dessus de nos tètes. raissent, reviennent.
puis cinq
quatre,
;
Ils
Ils
vont, viennent,
dispa-
sont d'abord deux, puis
bientôt douze
croiseront
si-
multanément. Où sont donc nos aviateurs fran«;ais
[[)!
Et toujours siste à la
le
bombardement
s'amplifie. J'as-
genèse de ces sentiments incobérenls
préparent les défaites.
nous a jetés dans
la
«
(|ui
Nous sommes perdus! On
fournaise, sans vivres, prestjue
sans munitions. Nous étions
la
dernière ressource
:
on nous a sacrifiés. Nous sommes perdus! Nous avons lutté bravement, mais notre sacrifice sera vain. et
»
Ces pensées déprimantes pesaient sur nous,
cependant personne ne bougeait, tant
(liez ces
braves
le
était fort
sentiment du devoir!
Ces notations Jocrivuiit iino piiase de la bataille coniinonon sait si, liepiiis, nos aviatt-iirs ont pris iine belle revanche et reron<iuis. Je haute lutte, l.i maîtrise de l'air. (1)
cailla (i8 f<vrior);
IMPRESSIONS DE GUERRE
*74
A
heureuse diversion.
trois heures,
assourdissant se
fait
Un
silence
soudain, et de suite, une fusil-
lade éclate sur la gauche. L'ennemi s'obstinait à
nous tourner. Il s'était même avancé bien loin à la faveur du bombardement. Heureusement nos mitrailleuses et nos fusils lui font faire demitour.
Reprise du supplice,
et cette fois
sans interrup
tion.
Enfin, à cinq heures, calme soudain.
dement
est
Jamais
fini.
pareille chose
:
ils
Le bombar-
les anciens n'avaient
vu
en demeurent ébaubisl
Nous avions atrocement
souffert.
Et pourtant
à la périphérie de la
nous étions presque nous avons eu surtout arrosée :
zone
la souffrance
morale. Quelle a donc été la situation des malheu-
reux qui se trouvaient dans
miheu de de
me
la fournaise?
rendre compte.
Une
Mon
les ravins,
en plein
occasion se présente
capitaine m'envoie por-
renseignements au commandant. Je m'empresse de descendre la croupe et, ma mission rem-
ter des
plie, j'inspecte.
Spectacle terrifiant.
sages lunaires
béants de toutes les lées et brûlées. il
Le
sol fait
penser aux pay
une succession de cratères grandeurs, aux parois fendil-
c'est
:
Les
taillis
sont fracassés, hacliés
n'en reste que des débris. Les arbres sont
tilés.
Un
certain
nombre ont
été
:
mu-
coupés net à des
IMAGES DE LA GRANDE GUERRE liauleurs variables.
La cime
est
tombée
175
droite à
côté du stipe étété.
Mais ce n'est
là
le sol est tapissé tilés!
En
le
décor d'une scène atroce
voici
un qui
lui,
:
de cadavres. Pauvres corps mu-
Quelles profanations odieuses
l'arbre a été
sur
que
était
coupé
abrité
et le tronc est
en l'écrasant contre
tétc aplatie, sans blessure,
ont subies.
ils
un arbre; tombé d'aplomb
derrière
Cet autre a
le sol.
comme
si
elle
la
eût été
en carton.
o.-^^^' Et partout
une mixture atroce de cliair et de sang d'où s'élève une vapeur à l'odeur fade, écœurante. Une liorrour indicible mélreint à cette vue, mais aussi quelle pitié je ressens pour ces malbeu-
c'est
reiix!
Comme j'implore
Dieu de mettre
fin
à ces
ignominies. Jamais je n'ai prié avec tant de cœur. Quelles scènes ont
dii
se passer
ici
pendant
le
bombardement! Cependant, ces braves gens sont restés justju'au bout au poste que leur assignait le
devoir. Admirable force de la discijdine militaire! Il
est vrai (jue la discipline coûte
reçoit de baut les beau.x
eux.
A quelques
pas,
ils
peu
exemples qui
lorscpio l'on .s'ollraicnt à
voyaient se profiler
la sil-
IMPRESSIONS DE GUERRE
176
houette d'un médecin-major, en manteau leur et en képi.
Il
d'artil-
avait eu son poste de secours
retourné par les marmites, un médecin aide-major,
un médecin
auxiliaire, plusieurs infirmiers et
officiers tués à ses côtés.
Il
était
breux cadavres qui avaient expiré
entouré de nomlà,
de mourants,
de blessés qui gémissaient pitoyablement. Rien de cela n'avait ébranlé son courage
;
il
toujours, sous les marmites, avec la rité
que dans une
même
dexté-
salle d'opérations.
Us avaient au milieu d'eux
commandant
se dévouait
régiment.
le
le lieutenant-colonel
Celui-ci
n'avait
pas
un Keu plus hommes, pour parmi ses voulu être il avait sûr prêcher d'exemple. Et quel exemple! Le colonel s'abritait (était-ce une ironie héroïque?) sous une cherché, pour y établir son poste, :
toile de tente.
Sous
cet abri superbe, entouré de
son
état-major, qui se modelait sur son attitude,
comme au Les hommes
il
était indifférent, tranquille,
jour d'une
revue. Exempla trahunt!
pouvaient-
ils s'affoler
en face de
tels
chefs?
J'admire cette prodigalité d'héroïsme; mais finalement, le sentiment qui domine en moi c'est une colère intense, et
qui ont déchiré
accès de
comme mes
implacable, contre ceux
frères. Je sens
monter un
rage contre ceux, personne, parti ou
peuple qui, en voulant
la
guerre, consciemment,
ont voulu ces atrocités. Je vois devant moi la face
de ces officiers que les caricatures de Zislin et
m
IMAGES m: LA grandp: guerre Hansi ont rendue populaire, cation, je
me
et,
devant cette évo-
possède à peine. Je pleure d'impuis-
sance et d'indignation.
29
—
février.
Nuit calme. Dans la matinée, les
Allemands tentent encore un la tactique
nombre,
effort.
C'est toujours
d'encerclement que permet leur grand
Les miLeur tentative est vaine. fini. L'ennemi est convaincu de
talent encore notre gauciie.
ils
trailleuses veillent.
Désormais
c'est
ils nous laisseront en paix. La roule Verdun est barrée, du moins provisoirement, en ce qui nous concerne.
notre force; de
Dans
la
journée, un bruit se répand
relève ce soir.
Comme
on
la désire!
il
:
y a
Nous sommes
vraiment exténués. Depuis huit jours, depuis que
nous avons été enlevés en autos, ininterrompue de fatigues
avons
pas.sé
cincj
et
c'est
une
série
de privations. Nous
nuits consécutives à peu près
sans sommeil, huit jours sans nourriture récon-
une diète presque complète. bombardements, livré pendant trois jour.s des combats acbainés. Quelle force de résistance n'offre pas la nature humaine il n'y pas eu un seul malade parmi nousl Mais la fatigue est grande. Sous des S(iuames de saleté, on aperçoit des traits tirés, des yeux enfoncés, des visages fortante, quatre dans
Nous avons
subi trois
:
extraordinairement amaigris. n.
iS
IMPRESSIONS DE GUERRE
178
Un
grand réconfort vient nous remonter dans
On fait circuler dans les rangs un message du chef de corps. Il nous communique une lettre du colonel commandant la brigade, ainsi conçue
l'après-midi.
:
«
Mon
«
Vous
«
au «
cher R...,
le
Général m'écrit ce qui
adresserez tous
N%
particulièrement au N".
:
et
»
Je viens d'envoyer un second message en
disant que le N' a été héroïque. tenir
comme
faire relever. «
suit
mes compliments au N'
En
tous,
Il
faut continuer à
des teignes. Je ne tarderai pas à vous
—
L...
portant cette note à la connaissance de
le
commandant
lieutenant- colonel
adresse ses remerciements. tion sera maintenue,
malgré
Il
pense que
le
N'
la posi-
les souffrances et les
privations qui ne sont ignorées de personne.
—
R... »
Nos chefs savent aller droit au cœur de leurs hommes. Ils ne nous ont envoyé que quelques lignes très simples, et pourtant, lorsque nous les lisons, elles
nous font
l'effet
d'un baume.
Instantanément tout est oublié et, nouveler
l'effort,
s'il fallait
re-
on marcherait de bon cœur. Le
lieutenant-colonel avait déclaré, paraît-il, que le N"
mort il ne s'était pas trompé. A minuit, le régiment de relève arrive c'est un régiment d'élite. Nous sommes heureux de lui
tiendrait jusqu'à la
:
:
IMAGES DE LA CRANDE GUERRE remettre
conquis;
terrain
le
il
sera
1)1011
179 ganl«''.
Nous partons contents, fiers du devoir accompli courageusement; nous ne regrettons rien. Mais en descendant la croupe, tout le monde a le cœur serré. Dans le grand silence qui plane au-dessus de nous, on sent que chacun reste étroitement uni, par la pensée et la prière, aux
dorment tion.
camarades qui montant leur dernière facen leur adressant un souvenir ému
tout près,
là,
Et c'est
que nous nous enfonçons, sans mot
dire,
dans
la
nuit i)leuàtre des ravins.
2.
— En
réserve sous
les
obus.
Dans la nuit du 29 février au 1" mars 1016, nous (juittions la croupe d'Haudromont, que nous avions coD(|uise et ensuite conservée, en dépit des ellorts
acharnés de l'ennemi. Cependant notre rôle
dans la bataille de Verdun n'était pas encore
nous devions à présent constituer Iroupos faisait
<|ui
la
venaient de nous relever. Si
moins âpre, nous
beaucoup, plus
allions
fini
:
réserve des la lutte se
soullrir
encore, sous certains
encore
rapports,
qu'en première ligne.
Nous nous rendîmes dans une caserne de Verdun, comptant bien y prendre un repos réparateur. A notre arrivée, une grande joie nous était
IMPRESSIONS DE GUERRE
180
réservée notre «
«
:
dissimulé derrière le
torpilleur »,
mur
de clôture,
entouré des sympathiques
cuistots » et de la fig-ure chafouine
du légendaire
caporal d'ordinaire, nous attendait au milieu d'un nuage de vapeur, chargé de chaudes promesses. Ce véhicule, lourd et disgracieux, prit dans notre esprit la valeur d'un symbole de vie calme et heureuse.
Ce sentiment de quiétude n'eut que d'un éclair.
La cour de
durée
la
offrit un encombrée disposées dans un
la caserne
nous
spectacle moins réconfortant. Elle était
de voitures de toutes sortes, ordre plutôt vague
:
aux roues étaient attachés
les
chevaux, qui paraissaient en proie au plus morne
Nous apprîmes bientôt que la caserne était bombardée; et nous pûmes d'ailleurs le constater ennui.
:
la
cour
était constellée
de trous d'obus; Jes ca-
davres de chevaux gisaient, déchiquetés, auprès des brancards; aux toits béaient des ouvertures.
C'en fut
fait
de notre repos
rité disparut;
:
le
sentiment de sécu-
nous étions derechef dans
l'attente
anxieuse des obus.
Nous nous
installâmes
calme indifférence dans ci
cependant
avec
une
Ceuxdans ses
les vastes bâtiments.
étaient bien beaux, mais l'architecte,
devis, n'avait pas prévu de
bombardement
:
murs
peu épais, toits minces. Il eût été à peu près aussi avantageux de camper sous la tente. Après avoir remonté notre volonté d'un vigou-
IMAGES DE LA GRANDE GUERRE reux élan, nous prîmes nos places sur
un
monde dormait
clin d'iril, tout le
181
le sol et,
à
[)oin{:^s
en
fer-
més, sans plus se soucier des obus qui pouvaient
nous
réveiller
Durant
la
dans
l'éternité.
matinée,
sèrent tranijuilles.
les
Allemands nous
lais-
envoyèrent quelques rares
Ils
dans
projectiles, qui éclatèrent
les
cours sans trou-
bler notre sommeil. Mais l'après-midi ce fut autre
chose. Les aviateurs avaient-ils signalé la présence
des nombreux é(juipages; avaient-ils été avertis de notre présence par quelques veillés, qui avaient l'air?
Toujours
réveillés
éprouvé
hommes, le
trop tôt ré-
besoin de prendre
que, vers midi, nous fûmes
est-il
brutalement
par
des
explosions
proches. Aussitôt, émoi intense. Tout
mur
se jette contre
le
dans l'angoisse
(jue la
très
monde
le
prolecteur, et l'on attend
sérénade prenne
fin.
Heureusement les Allemands avaient un tir très précis. Sans doute aussi la Providence pre-
peu
nait-elle soin de nous.
L'on est tenté, en
reconnaître son action en face de
énorme d'obus
inutiles.
Il
la
eiïet,
de
proportion
n'y eut ce jour-là que
quebjues rares accidents; nous en filmes quittes,
en somme,
[)Our
Nuit calme.
une
forte émotion.
Quelques
coups
seulement, que
nous entendîmes vaguement du fond de notre lourd sommeil.
Le 2 mars, par Du matin jus(ju'a
contre, fut la nuit
une journée
terrible.
tombée, nous filmes sous
IMPRESSIONS DE GUERRE
182
le feu et, cette fois, l'arrosage fut
A
dense
et précis.
chaque instant, nous devions nous jeter contre mur, et attendre des heures entières que les
le
ennemis prissent quelque repos. Les
artilleurs
pertes furent assez fortes. Des obus éventrèrent
des chevaux; d'autres, affreusement blessés, restaient étendus sur le sol,
au milieu d'une flaque
énorme de sang. Les pauvres de
leur état, faisaient
se relever.
Les
bêtes, inconscientes
des efforts désespérés pour
tètes se dressaient
farouchement
et tentaient d'entraîner le corps. Parfois le corps
se soulevait à demi, mais l'arrière-train, mutilé,
un soubresaut de douun clapotis de sang-,
refusait de suivre et, avec
leur, la bète s'écroulait, dans
sous
le
regard inintelligent de ses voisins, en-
core indemnes. Ceux-ci, surexcités, dressaient les oreilles, lâchaient, dès
qu'un sifflement
des ruades gigantesques était
et,
arrivait,
lorsque l'explosion
proche, s'emportaient dans une frénésie infer-
nale.
Des voitures en désordre, du carnage de chevaux tués et blessés, de la folie des autres, de la cour jonchée de débris, montait un sentiment de tristesse et d'horreur qui pesait sur nous.
Pourtant notre
pitié.
caserne
et,
des
objets plus
dig^nes
sollicitaient
Quelques excités avaient croyant se mettre à
réfugiés dans
un ravin peu
quitté
la
l'abri, ils s'étaient
éloigné.
Les obus
les
avaient poursuivis, encerclés dans cet entonnoir
IMAGES DE LA GRANDE GUEHKE et
183
finalement massacrés. Des promeneurs témé-
raires s'étaient fait surprendre dans la cour; leurs
cadavres pantelants gisaient çà
tombés sur
étaient
aucune protection planches feuille
les :
et
de papier, sous
d'ardoise, de
cracjuaient,
ils
le
Des obus
là.
Ceux-ci n'oiïraient
mince surface
de plâtras,
et
toits.
comme une
choc de l'explosion,
et les
pauvres habitants étaient criblés d'éclats et de dé-
Pour ceux du dehors c'était, temps que l'explosion, un s'ouvrait, un nuage de fumée qui
bris de toutes sortes.
subitement, en trou béant
(jui
même
montait. Kt aussitôt se posait l'angoissante question
:
«
Qu'y
a-l-il là
dedans"?
Oh
!
les
malheureux.
]*our ceux du dedans, c'était atroce.
Le
»
frêle abri
des toits leur donnait, malgré tout, une impression
— ne
de sécurité; lièvres
croient le danger passé dès
(pii
voient plus?
cœur
sommes-nous pas comme
Ils
laissaient
serré, certes, sans
coup, choc formidable,
(ju'ils
donc tomber
les
ne
le
l'averse, le
peur cependant. Et tout à
toit
crevé, salle remplie de
débris et de fumée. Avant que personne fût revenu
de sa stupeur, s'élèvent les clameurs lamentables des blessés secours!
»
:
«
.Mon Dieu,
mon
Dieu, oh, oh!
Au
l'explosion a éi)ranlé les nerfs des sur-
vivants; aussi les cris montant du sein du brouillard
nous saisissent d'horreur;
il
faut se maîtriser,
avant d'aller vers les malheureux.
On
alors en présence d'un dur spectacle livides,
se trouve :
des corps
couverts de débris, des figures reflétant un
IMPRESSIONS DE GUERRE
184
effroi indicible et les souffrances liorribles
de ces
pauvres membres déchirés, meurtris, parfois déchiquetés. Notre
cœur saigne au contact de
tant de
misère, et nous ne souffrons guère moins que les blessés.
Ces terribles scènes se sont gravées dans nos mémoires; elles y vivent désormais avec la force et le relief
d'un souvenir d'enfance.
Cependant
les pertes de la
journée avaient été
sérieuses; la situation était intenable. Les autorités décidèrent
de nous porter plus près des lignes,
dans un ravin
;
nous y serions protégés par
pente du terrain,
et
la
l'ennemi, ignorant notre pré-
sence, nous laisserait en paix.
Vers
trois
émotions de
Où
vrier. fois,
heures du matin, l'ordre du départ
donné. Nous alUons revivre à peu près les
était
la
marche nocturne du 26 au 21
allions-nous?
nous n'en savions
Même Ça
doit aller mal, là-bas
le
fé-
première
Une impression
!
et,
»
ce-
nous peu à peu Nous nous attendions
et s'imposait à
donc à marcher au feu dans
cette
rien. Qu'allions-nous faire?
point d'interrogation.
pendant dominait «
Comme
:
avant de nous hausser
plan de la résignation
—
nos soldats ne
sont pas héros par nature, mais par volonté
—
nous étions vaguement troublés. Vite cependant le
calme, l'insouciance revinrent.
la grille
En
franchissant
de la caserne, nous étions résolus, presque
IMAGES DK LA (inANDK GUERHK heureux de
faire
quelque cliose,
d'aller
18o
donner une
aux Boches. Marche à l'aveuglette dans l'obscurité épaisse, par des chemins inouïs. De nouveau nous trébuchons, nous pataugeons, nous choppons, nous dégringolons. La situation avait-eUe changé? Dans
nouvelle
le
« pile »
lointain,
allemands,
mêmes
lueurs sinistres des départs
même grondement
continu du canon;
plus ])rès, craquement presque ininterrompu des
explosions, lueurs blafardes des fusées qui montent
De
sur la plaine, défaillent, s'étalent et meurent.
temps
à autre
une courte
fusillade,
un déchirement
de mitrailleuse. Plus près encore, les aboiements des braves petits 75, la grosse voix de quelques pièces de lourde.
De nouveau nous sommes em-
poignés par une horreur intense, pas celle de peur, mais l'horreur sacrée la
grandeur, c'est-à-dire,
tions
(jui
s'impose devant
la
mort. Nous sen-
ici,
que nous entrions chez
et,
ou moins
elle; plus
consciemment, nous rendions jesté
la
hommage
à sa
ma-
graves, nous avancions silencieusement,
courageusement, religieusement.
Vers cinq heures, pendiculairement
le
colonel nous
la j)ente
fait
gravir per-
du ravin que nous
vions déjà depuis longtemps, et
fait
sui-
dis[)0ser les com-
pagnies, en lignes déployées, à différentes hauteurs, il
grandes distances. Que signifie cette disposition?
\ en juger par
les fusillades,
nous sommes encore
loin des lignes. Pour(|uoi celle formation dispersée?
IMPRESSIONS DE GUERRE
186
Un
ordre vient nous
fixer.
«
Prenez vos
portatifs et creusez devant cliaque section
chée-abri.
allons
»
Nous sommes donc en
nous constituer des
outils
une
tran-
réserve et nous
bien que
abris, tant
mal, en prévision des événements.
Les cœurs se détendent
ce n'est pas pour
:
aujourd'hui! Et l'on respire plus à
l'aise.
sont tirés de leurs étuis et l'on se
met
L'on
immense
d'une
dirait
Les
outils
à l'œuvre.
carrière, exploitée par
des ouvriers au courage féroce. C'est qu'il faut se hâter! L'expérience des jours précédents nous a
appris qu'il
fait
bon sous
vaillent fébrilement.
des pics frappant
Le
terre.
Nos hommes
tra-
ravin retentit du bruit sec
du grincement pénible des Sur toutes les lignes, l'on
le roc,
pelles fouillant le sol.
entend des conversations animées, à voix basse, émaillées de bel esprit.
Çà
et là, l'on
surprend une
chanson débitée en sourdine. L'ardeur est grande, mais
le travail
n'avance
guère. Les outils portatifs mordent peu et le sol est si dur. Voici le plein jour arrivé;
hâter.
Le
ciel est
clair
:
les taubes
tarder à nous survoler et nous serons à l'immobilité absolue. Vite, une partie
il
faut se
ne vont pas
condamnés des liommes
s'égaillent dans le bois, à la recherche de poutres,
de rondins. Heureusement l'ennemi a travaillé
pour nous.
Un peu
bois à foison;
il
à l'écart, les obus ont coupé
n'y a qu'à prendre. Les
du
hommes
reviennent, porteurs de charges incroyables. Les
IMA(ii:S
DE LA (iRANDK GUERRt:
187
sections disposent les rondins en avant de leur
suriUèvcnt ainsi
al)ii et
parapet. HàtivonienljCes
le
rondins sont recouverts de terre bien tassée; puis le
tout est dissimulé sous des !)ranchag'es plantés
dans un savant désordre. Enfin
raliii est
mais
liélas!
terminé.
c'est la guerre,
guère profond,
n'est
Il
nous savons nous
plier
aux circonstances. Nous nous reposons donc bien contents
et,
pour essayer notre
terrier,
nous nous
y étendons. Nous ne nous doutions guère que cet abri, dont
nous étions dont
comme
beureux
fiers et
des entants,
transformer en un lieu de souffrances,
allait se
souvenir marquerait tristement dans notre
le
mémoire.
sommes
Brutalement, nous
tude, et ra|)pelés à la réalité. «le
grosse
artillerie venait
tirés
Une
de notre
série de départs
d'ébranler la crête devant
nous.
«
Ab! mais, qu'est-ce que cela?
nage!
»
Telle fut la [)remièrxî réflexion.
nous avions un
(juié-
fort à (juelques
(icbu voisi-
En
efTet,
centaines de mètres
de nous.
Pendant (Ir
(jue
nous supputons
les consécjuences
cette découverte, voici qu'éclatent derrière nous,
sur
la
Pour
crête opposée, les glapissements des 75. le
coup, c'était trop. Nous étions donc dans
une région
«
trullée!
cette constatation
«
Quebjue consolante que
pour
la
fût
défense de Verdun, elle
IMPRESSIONS DE GUERRE
188
ne nous charma nullement. Notre esprit s'arrêta sur cette seule pensée
par derrière!
artillerie
beaux draps!
:
«
Artillerie par devant,
Nous sommes dans de
»
Bien vite nous eûmes un avant-goût de nos
Nous
misères.
étions
condamnés à une
passivité
absolue. Constituant la réserve, nous devions être prêts à partir à tout instant
de rester sur place.
:
Il fallait,
force nous était donc
pas surcroît, prendre
garde d'éveiller l'attention des avions ennemis,
donc se tenir
Nous
cois.
étions rivés. Cette immobilisation devait
être la cause de bien des souffrances lier,
elle
nous exposait à un froid
;
en particu-
glacial,
sans
réaction possible.
Le
jour, le
mal
était
encore anodin. Nous étions
sans doute réduits, parfois pendant des heures entières, à rester figés sur place.
Le
froid piquait
alors, mais au moins nous avions un peu de répit.
Quand
le ciel était libre et
que
les
marmites
n'ar-
rivaient pas, nous pouvions sortir de notre terrier et faire les
l'immobilité
cent pas. Mais la nuit! C'était alors absolue.
L'obscurité
était
impéné-
moindre faux pas risquait de nous faire dégringoler jusqu'au fond du ravin. Nous étions trable; le
trop épuisés pour
rester debout,
il
fallait
dor-
mir. Malgré notre répugnance, nous devions donc
nous coucher. Nous nous étendons sur
l'isolateur
IMAGES DK LA GRANDE GUERRi;
1
vt
branchages, qui bientôt nous rentrent dans les
(le
membres Pour
et
nous font
soulîrir à l'égal
résister au froid,
uns contre
formant un
nous nous
comme
les autres, serrés
banc
«
».
En
vain.
la protec-
et le contact
nous sommes bientôt glacés.
voisins,
des harengs
Malgré
maigre couverture
tion do notre
de l)lessurcs.
blottissons les
Il
des
faut pour-
tant rester là, des heures et des heures, à claquer lies
dents
:
c'est
encore
le
moindre mal.
Dures nuits! Les poètes antiques ont inventé toutes sortes de supplices compliqués, à l'usage
dos suppliciés de leur enfer.
Ils
ont cherché trop
loin.
Dures
mais surtout atroces réveils
nuits,
nom
peut appeler de ce
énervé
à
une
veille
le
(si
l'on
passage d'un sommeil
comateuse). Quel moment! La
couverture osl blanche de givre, parfois de neige, corps glacé et endolori, les pieds insensibles,
le
les
membres
prit est
raides.
comme
l'e.',-
ankylosé, l'intelligence assoupie,
pensée absente. rieur de
Dans ce corps engourdi,
Il
la
ne nous reste que ce degré infé-
conscience, sans idée, dans lecjuel sur-
nage une seule impression
La volonté
:
«
Oh, que
j'ai
mal!
est inerte, elle aussi écrasée par
m
une
sensation d'épuisement.
Cependant, l
es[)rit
revient
le le
réveil s'accentue et,
premier à
peu
la réalité. 11
à peu,
revoit la
situation et, devant les dangers qui s'annoncent la
\uluntt' ii';i\aMt pas
encore repris
les
rênes —
— il
IMPRESSIONS DE GUERRE
d90
une détresse
plongé, sans réaction, dans
reste
sans bornes.
Les hommes flottent ainsi dans le brouillard, heureusement pas longtemps. Ils sortent de leurs trous.
Aux premiers
pas,
ils
d'hommes
font l'effet
ivres et titubent, brouillés avec l'équilibre; puis,
de l'esprit s'affirmant un peu plus, ils marchent avec des gestes désordonnés de pantins aux membres raides et mal articulés. Enfin, ils la maîtrise
essayent clopin-clopant un tour de pieds
sont
tellement
endoloris
manège
qu'ils
:
les
refusent,
longtemps encore, obéissance. Cependant, avec chaleur
et,
avec
le
mouvement
elle, la force.
est
revenue
la
L'intelligence rede-
vient lucide, la volonté se ressaisit. Les conversations s'engagent;
joyeux, fuse.
Du
quise, paisibles,
bonne humeur, en
la
rires
haut de notre indifférence recon-
nous attendons
les
événements.
Les quatre jours que nous passâmes dans ce ravin nous parurent d'une longueur interminable. Ils
s'écoulaient,
comme
au compte-goutte, sous
poids de deux obsessions énormes le
:
le
les aéroplanes,
bombardement. Vingt
coup de tout
le
fois, trente sifflet
monde
fois
strident
par jour, retentissait un :
Aéroplanes! Aussitôt,
se jetait dans l'abri,
Nous percevions bientôt
le
immobile.
bourdonnement du
hanneton monstrueux, puis de deux, de
trois,
IMAGES DE LA (iHANDE GUERRK parfois de plus encore
Nous tournions
un concert de
:
la tète
dans
191
soir do mai.
la direction
i)résumée
aprrs des rechcrclies parfois longues, à travers
et,
nous découvrions loi-
brancliaiios dénudés,
les
seau de mort. l'épervier, les
comme
Fascinés,
yeux
liés
l'alouette
nous
à lui,
le
par
suivions
Nous voit-il? » Parfois au-dessus de montait au paroxysme
dans ses évolutions l'angoisse
:
«
:
nous, l'avion lâchait une fusée,
ou bien, virant
l)rus(]ucmonl,
vers les lignes
à tire d'ailes
filait
allemandes. Alors pesait sur les esprits avec le poi<ls «
d'une chape de plomb cette lourde pensée
Ça y
nous sommes repérés!
est;
:
Et guettant,
»
dressée, les souffles annonciateurs, tous
l'oreille
se tenaient prêts à faire
«
carapace
sous l'averse
»
attendue. Grâce à Dieu, nos craintes ne se réalisèrent pas
:
nous ne fûmes jamais
«
l'objectif ».
Pourtant, à plusieurs reprises, nous devions être vus. Entre autres,
Du
il
me
reste
un souvenir aigu.
côté des lignes, croisaient quatre ou cinq aéro-
planes, dont nous ne pouvions distinguer la nationalité,
lîionlôt l'un d'eux
Celait un
fran(;ais,
vol imposant, inégal
11
un
un peu
était à
sembla
se
rap{)rocher.
biplan qui s'avançait d'un lent.
Il
fuyait
un combat
présent au-dessus de nos tôtes,
Nous vécûmes un(> minute douloureuse. lOn arrière, un peu plus haut, fonçait, l'air menaçant, avec une vitesse d'autour, un avion de très bas.
chasse allemand.
Il
gagnait rapidement du terrain
IMPRESSIONS DE GUERRE
192 et
soudain, brutalement, sa mitrailleuse se mit à
cracher. Accusant le coup, le français s'inclina,
Une sueur
tournoya, piqua.
heureusement ce presque à
la
n'était
nous couvrit;
froide
qu'une
hauteur des arbres,
il
feinte.
Arrivé
se redressait et,
majestueusement, continuait sa route, pendant
que
l'autre,
faire
emporté par son élan,
s'efforçait
de
demi-tour.
Notre avion nait critique
descendu
était
sauvé, mais la situation deve-
pour nous. Le boche, en
très bas, lui aussi;
100 mètres de nous. Nous étions
ne remuant souffle.
môme
virant, était
était à
il
moins de
blottis, serrés,
pas la tète, retenant notre
Comment ne nous
pas? Sans doute,
vit-il
dégrisé par la disparition soudaine de son adversaire,
ne songeait-il qu'à échapper aux mitrail-
leuses et aux 75 qui commençaient à le chercher.
Ohl ces aéroplanes. Et pourtant, par eux-mêmes,
ils
étaient
dangereux. Ce que nous redoutions surtout, le
de
bombardement nos
canons,
prendre part à
:
c'était
par suite du fâcheux voisinage
nous la
peu
fête,
devions
nécessairement
et revivre les
terribles
heures de bombardement des 21 et 28 février. Tristes jours passés dans l'attente des obusl
Nous
étions cette fois laissés à
tion, sans rien
une entière inac-
pour nous distraire du danger. Les
impressions ressenties alors se sont enfoncées
profondément dans
ma mémoire
si
que je puis encore
IMAGES DE LA GRANDE GUERRE les dérouler, à volonté,
comme un
193
film de cinéma.
J'cnlends encore nos canons envoyer leurs pre-
miers obus
quelques minutes après,
cl,
la
pre-
mière rafale ennemie déferler. Elle éclate là-haut sur lu crête devant nous. Bah! c'est pour
pensons-nous,
nous restons bien
et
le fort,
trancjuilles à
continuer notre manège. Quelques minutes après, deuxième rafale les obus éclatent plus bas. Un soupçon d'inquiétude est-ce que ça va descendre sur nous? Quelques minules de calme. Tout à :
:
coup, sur
c'est
dans
le plateau,
faibles souffles.
le
pour nous! D'instinct,
quelcjLics
lointain, quelques
Nous dressons
hommes,
l'oreille.
Horreur!
dos se voûtent;
les
plus im[)ressionnables,
s'a[ila-
Les obus éclatent à une centaine de mètres. Nous sommes avertis. Rentrons dans nos tisscnt.
trous et étudions le
Une
autre
tir.
rafale
souflles brulau.v
survient.
nous donnent
De nouveau, la
les
sensation de la
marmites éclatent dans à Dieu, entre deux tranchées. Nous en sommes quittes pour un clioc intense et une bonne émuliun. catastrophe
finale.
Les
notre position, mais, grâce
Ut
le
tir
continue, lent, intermittent. Les Alle-
mands arrosent méthodicjuement
le
ravin; leurs
obus montent, descendent, s'écartent sur reviennent.
Ils
s'élè\ent
au-dessus
les côtés,
des
cimes,
s'abaissent jusqu'au sol (piils rasent, en nous iiap-
pant dans leur souffle brutal. n
Du
fond de nos trous, IS
IMPRESSIONS DE GUERRE
194
serrés frénétiquement contre le parapet, courbant
nous-mêmes, nous
l'échiné et pelotonnés sur
vons avec une attention déjà fatiguée
sui-
les péripé-
ties du bombardement. Comme bercés par un rythme de vague, nous voyons les arrivées s'éloigner, se rapprocher et nous passons, à intervalles
réguliers, de la détente joyeuse à l'horreur affolante. J'ai
encore dans les oreilles les bruits sinistres
de ces secondes interminables lointain,
mais
le
qui, dès le
nous savons
pacifique,
souffle
là-bas,
:
premier instant, glace
pour nous! Puis
qu'il est
s'accentue, s'amplifie
et, le
dans
le
timide, dirait-on, d'effroi
:
le souffle
temps de s'en remettre
à la bonté de Dieu, les quatre craquements formidables, au milieu de nous, ébranlent le sol, nous
couvrent de terre
et
de débris.
Souvent, nous ne souffrons aucun dommage.
Mais de temps à autre, la catastrophe tant redoutée se produit un, deux obus tombent dans un abri ou dans son voisinage immédiat. C'est alors pour les :
voisins table.
une secousse physique
Le
et
morale épouvan-
plus douloureux, c'est la suite, ce sont
les cris pitoyables des blessés, distingués
au milieu
des morts, à travers la fumée et la poussière. J'ai
encore, très nette, la vision d'une de ces
séries, la plus atroce
que
j'aie vue.
Un obus
venait
de tomber au milieu d'un groupe. Aussitôt des cris
nous font dresser
les
cheveux. Nous levons la
IMAGES DE LA GRANDE GUERRE {Me
cherchons à percer
et
Nous approclions; nous;
le sol (Hait
le
mystère du nuage.
l'horrible tableau s'étale
devant jonché de débris humains; deux
cadavres étaient étendus
et,
entre eux, un pauvre
blessé dressé sur son séant. D'un tinctif,
s'eiïorçait,
il
et les avant-bras pendaient. le
mouvement
comme pour
secours, de lever les bras; mais
de blessures d'où
195
La
ils
appeler
ins-
au
étaient cassés
tétc était criblée
sang découlait sur
le
visage,
Les yeux étaient perdus, tournés vers le ciel, comme pour im{)lorer l'aide suprême, et la bouche entr'ouverte poussait des « au seen
stries rouges.
cours
»
profonds, terrifiés, qui nous prenaient aux
entrailles.
Jamais
les peintres n'ont
aussi pitoyable. reculer,
de
me
me
Ce
imaginé (VEcce Homo
fut plus fort
que moi. Je dus
détourner, l'espace d'un instant, avant
maîtriser et d'aller au blessé.
Telle fut notre vie pendant (juatre jours.
hommes
t
taient
épuisés.
malgré
Pourtant,
Les les
dangers qui planaient sur eux, leur courage restait indomptable. Sans doute, durant les bombardements, sans fanfaronnade
Cependant
ils
inutile, ils se terraient.
conservaient leur calme, l'on pour-
Leur angoisse intérieure un aurait pu s'v tromper. Les con-
rait dire leur indifférence.
se manifestait par une certaine gravité, mais esprit inatlcntif
même
versations continuaient leur train et loustics lançaient, sur le com[)le des
obus
et
les
des
IMPRESSIONS DE GUERRE
196
Boches, des
les visages et
monter
les rires. Il
moments de
fois des
dérider
traits d'esprit qui faisaient se
y avait bien par-
silence lourd, lorsque l'on
entendait arriver la rafale dangereuse.
Une
fois
ou
y eut quelques instants de trouble un obus venait de tomber dans l'abri. L'émotion du
l'autre,
il
:
premier instant lard, les
aussitôt :
«
ailleurs!
Dans
le brouil-
corps s'agitaient, couraient de-ci de-là,
affolés, à la
gique
était trop violente.
recherche d'un refuge plus sûr. Mais
une voix de gradé
crevait le silence tra-
Restez à vos places! Ça n'ira pas mieux »
Et sans hésitation, tout rentrait dans
l'ordre.
Patiemment,
l'on attendait.
Le bombardement
moins pour trous, une cer-
cessait enfin, au
quelque temps. Bientôt, dans les
taine impatience se manifestait. Si l'on
sortait?
Quelques-uns, plus pressés, se redressaient, passaient la tête
prudemment, inspectaient
:
tout est
calme. Bientôt l'enquête recommençait; c'est bien fini,
on n'entend plus
La
de souffles. rait.
rien.
Plus de départs, plus
troupe sortait, se répandait, cou-
Nous nous dégourdissions
volupté, tranquilles
comme au
les
membres avec le champ
repos sur
de manœuvres, jusqu'à la prochaine
alerte.
Ces jours sombres eurent enfin un terme. Il était temps physiquement, nous n'étions plus que des loques. Ces jours avaient été sans doute moins dangereux que ceux passés en première ligne; :
IMAGES
D1-:
LA GRANDK
GUliRRl-:
197
nous n'avions pas eu à supporter d'assauts; le bombardement avait été beaucoup moins intense. Pourtant leur lot de souffrances nous semblait plus lourd. Nous avions eu à lutter contre l'obsession lancinante des aéroplanes, des obus. L'intermit-
tence du
tir
nous avait forcés, à maintes
et
maintes
aux circonstances notre système nerveux, par un rétablissement éjjuisant. reprises, à adapter
Nous avions
aussi soullcrt d'un froid
vif,
presque
sans arrêt. Notre pitance avait été parfois insuffisante. Surtout, devant cette avalancbe de misères,
nous n'avions eu aucun dérivatif
:
nous étions
face à face avec elles, à les considérer dans leur
horreur.
Nous
étions donc usés jusqu'à la corde.
traits étaient tirés, les llottait.
signe
Mais l'àme
plainte.
était nécessaire; s'il
était intacte.
Jamais
Les
ceinturon
le
moindre
Nous savions que notre présence nous ne demandions rien de plus,
avait fallu marclier encore, malgré notre
accablement, personne n'eût Il
le
de mécontentement, de lléchissement, la
moindre et
yeux enfoncés;
liésité.
y a (picbpics semaines, les
journaux ont rap-
Le président Poincaré, à l'issue d'une revue, demandait à un général son appréciation sur l'attitude de ses hommes. Celuici avait répondu « C'est à se mettre à genoux devant eu.\. » Le Président, très ému, n'avait rien pu répliquer. A nous qui avons été témoins, cette porté un
trait
toucbant.
:
198
IMPRESSIONS DE GUERRE
scène nous apparaît d'une vérité saisissante. Devant
nos braves,
il
n'y a qu'une
attitude
:
celle
du
général; qu'un sentiment: celui du Président, l'ad-
miration muette.
Notre rôle
était fini. L'état-major, se
rendant
compte de notre usure, avait donné l'ordre de nous renvoyer à
l'arrière,
pour de bon cette
7 mars, de très grand matin,
fois.
Le
nous quittions donc
—
l'arnous nous dirigions à pas lents vers une caserne de riéré de fatigue était grand
le ravin et
—
Verdun.
De nouveau, torpilleur » il
;
joie
immense de retrouver notre
à lui seul, pendant quelques minutes,
absorbe toutes les puissances de notre
être.
Nous
nous installons dans un hangar à fourrage enfouis sous la paille, nous
dormons toute
et,
la
matinée.
Vers midi, réveil. La soupe nous attend. Nous mangeons avec délices, comme jamais gourmet ne l'a fait chez Durand ou Prunier. Puis nous jouissons du calme, encore passablement hébétés. Peu à peu, les exigences animales de notre être étant
nous sortons de nous-mêmes et de nouveau considérons le monde. C'est pour retomber sous le sentiment d'insécurité. Les aéroplanes satisfaites,
ennemis nous survolent. Ils ont même lâché quelques bombes, mal ajustées, il est vrai. Notre caserne est un peu plus éloignée des lignes, mais
IMAGES DK LA GRANDE GUERRE
199
hors do portée du canon? Des obus sont
est-elle
tombés,
les jours prëcédents, à
quelques centaines
de mètres. Étaient-ils à bout de course ou bien
mal
diriirés? C'est la question.
dans rattente, éprouvant caractéristique; mais
Nous sommes donc serrement de cœur
le
nous restons toujours calmes
et gais.
—
5.
Retour de
Le lendemain matin,
8
Verdun.
mars, irrande nouvelle
nous nous en)barquons en autos, à quelques mètres, à
la limite
de
la
:
kilo-
zone dangereuse.
Les sacs sont montés allègrement, les faisceaux alignés, les compagnies tenues sur le qui- vive.
Nous attendons
l'ordre de départ avec impatience.
Mais voilà des aéros, là-bas! Sont-ce des boches? « Rentrez sous les hangars. » La cour grouille
—
de troupiers;
il
faut faire le vide, sinon la proie
serait trop belle. Vite,
nous nous précipitons,
et,
cachés sous l'ombre, immobiles, nous suivons les t'volutions des
grands oiseau.v.
Ce sont des allemands! restons
là,
Il
nous
faut attendre, et
anxieux, des heures et des heures
:
les
aéros persistent. Impossible de bouger. Enfin
au vol
«
le ciel s'est éclairci.
L'occasion est
sai.sie
Par bataillon, en avant, colonne par quatre,
ordre normal.
»
Ce comuiandement nous inonde
IMPRESSIONS DE GUERRE
200
de
joie.
Le
sac est hissé avec enthousiasme;
il
ne
pèsera pas lourd durant cette marche! Des hangars sortent lentement, l'une après l'autre, les
longues chenilles qui, sur
la route,
déroulent leurs
lourds anneaux.
Nous arrivons au
d'embarquement. Les
lieu
On ronchonne un peu. Mais énormes voitures surgissent, pareilles à des monstres menaçants. Elles s'arrêtent en tête de la colonne et se massent en ordre serré leur suite constitue une rangée imposante. L'embarquement commence. Opération longue et compliquée. L'on maugrée, tant l'on a hâte de autos se font attendre.
voici le convoi; les
:
quitter ces lieux funestes.
Enfin notre bataillon est casé, le convoi s'ébranle.
Tout C'est
le
monde pousse un
fini,
«
ouf
»
de satisfaction.
plus d'obus. Les cœurs se desserrent
pour de bon
et
une
joie
débridée épanouit les
visages. Elle s'exprime par des chants
:
Marche
la
Montagnards, que tout le
du 8% Sainbre-et-Meiise,
les
monde chante
poumons, surtout à
à pleins
versée des villages, bondés de troupes, n'ont pas encore simplicité,
nous
la tra-
—
qui
marché (du moins, dans notre le
supposons).
Il
s'agit
montrer que nous revenons de Verdun nous sommes prêts à y retourner Les cahots des lourdes voitures,
de leur et
que
1
le
ronflement
des moteurs, les vapeurs d'essence ont tôt
fait
d'user le peu de forces récupérées depuis la veille.
IMAGi:S DK LA
Le
monte
sanjr
GRAND K
à la tête, les
GUKR R
201
F.
idées deviennent
pénibles, rares, la conscience se voile. Bientôt la
cargaison humaine soinl)re dans un lourd sommeil
et,
au bruit monotone des moteurs, nous rou-
lons, bercés, le
un peu brusquement, par
le roulis et
tangage du vaisseau de route.
Nous roulons, nous roulons, des heures et des heures. Soudain un arrêt brus(juc nous fait basculer en avant et nous réveille en sursaut
nuit
:
Où sommes-nous? Personne ne le sait et au fond, peu importe. Ne sommes-nous pas des vagabonds? Un commandement « Tout le monde en noire.
:
bas
»,
répété le long du convoi.
Serions-nous
arrivés? Oui, car l'on appelle les fourriers à grands cris.
Je jette fusil et
mon
sac sur le dos, j'empoigne
m'élance dans
la
nuit
il
:
mon
ne s'agit pas
d'arriver le dernier, sinon je j)ourrais servir de
déversoir à l'adjudant, qui doit être de mauvaise
humeur! Je me \
glisse le long des
erse en bolide les grou[)es
(|ui
camions; je
débarcjuent, et
tra-
me
chargent d'imprécations; je lieurteles peaux d'ours des conducteurs magnifiques, peu habitués à une telle précipitation.
ajirés
et,
mille
Je trébuche sur
avenlurt\s.
la
comme
neige foulée sortant d'un
rapide de fleuve africain, jarrivc au but. Il
s'agit à
présent de faire
rapidement encore
!
le
cantonnement,
Car là-bas [)ersonne
et
n'est dis-
posé à attendre. Besogne compli(|uée, plus que
IMPRESSIONS DE GUERRE
202
jamais.
Il
faut d'abord réveiller le
«
bourgeois
»,
Je m'y applique de mon. mieux, non sans quelque
malice
:
il
est
naturel
en voyant émerger
au soldat de
s'amuser
soudain d'une fenêtre
casque qui n'a rien d'une bourguignotte
—
et
un
vous
accueille plutôt sans enthousiasme. Je prends alors
une
tête
de circonstance; je plains les pauvres
obligés de se lever par une nuit si froide. Sur mes bons sentiments, l'accord se fait bientôt; civils,
j'inspecte les granges, les greniers. Je rassure les
braves gens sur
la qualité
de leurs hôtes
leur donner ce qu'il y a de et je
:
je vais
mieux au régiment!
—
passe plus loin, où la séance continue.
La compagnie est installée, mes officiers Tout le monde s'endort sans hésitation. De
ce premier cantonnement de repos,
un grand
souvenir émerge dans un passé confus d'une immense
sensation
logés.
:
celui
de fatigue, d'épuise-
ment.
A mon
premier
réveil, j'étais
rompu. Durant
la
nuit, la détente s'était produite, complète; le sys-
tème nerveux, jusque-là serré par une main de fer, s'est littéralement écroulé, abandonnant le pauvre corps aux suites des fatigues et des misères accumulées. Une faiblesse extrême s'appesantit; les membres sont mous, flasques la poitrine ;
vide, la respiration profonde, toujours insuffisante le
cerveau
comme
anéanti
:
;
plus de mémoire, plus
IMAGKS DE LA (iRANDE GUERRE d'attention
;
impossil)lc de lier
deux
idées.
103
La senPour
sation de faim s'impose aussi avec acuité.
comble de malheur, arrivée.
Il
la
un
faim était loin
contraire.
L'estomac
engourdissement
et
vrai repas de fauves;
calmée, bien au
d'être
réveillé de
s'était
il
était
impossible de les
tendance n'avait pu fournir que et
le
ravitaillement privé
procurer
première
fois
vaient réunis,
même
talilo.
Le
que
les
était
gnante,
Notre
pas.
au désespoir. aussi! C'était
sous-officiers
cercle formé,
se
trou-
:
une émotion dou-
les vides creusés par
mort apparaissaient dans leur et la
l'in-
depuis la tragédie, autour d'une
loureuse pesa sur les cœurs la
:
la ration ordinaire,
Ce premier repas, quel souvenir la
subie.
dicte
la
lui
n'existait
pauvre chef de popote en
son long
impérieusement
réclamait
d'énormes compensations pour Mais
pas
n'était
faut attendre. Notre premier repas fut
pris avec avidité; ce fut
mais
distribution
la
tristesse
comparaison du passé avec
le
poi-
présent
Nous avions été si heureux dans notre popote! Le brave adjudant Seiller, en accablait les esprits.
vrai père, avait su si bien
nous unir, adoucissant
avec une patience inlassal)le les lieurts de
la vie
comnume, cahnant les compétitions, les rivalités. Un véritable esprit de famille régnait parmi nous; nous étions plus que des camarades, des
frères.
Quelles bonnes soirées nous avions passées dans notre intimité, plus heureux que i)eaucoup d'au-
IMPRESSIONS DE GUERRE
204
très obligés,
par des discussions aiguës, de cher-
cher ailleurs, dans le vin, des distractions qu'ils
ne pouvaient trouver dans leur milieu troublé. Quelles bonnes fêtes innocentes nous avions connues, étroitement groupés autour de notre table
de popote
t
Les vides nous obsédaient
:
là,
au milieu de la Et en
table, n'était-ce pas la place de l'adjudant?
face, ces
vides? c'était l'aspirant
Lecœuvre
à la
doux
et si
délicieuse gaieté, le sergent Leclercq,
si
délicat. Il était fini, le
tation, lait,
beau passé! Devant
nous restions écrasés
comme un
et le
cette consta-
repas se dérou-
dîner d'enterrement, sous
un lourd
silence.
Une semaine se passa dans une vie presque purement animale manger et dormir! Toute oc:
cupation plus relevée nous semblait interdite.
Ce pied.
délai écoulé, Il
ne
restait
nous étions de nouveau sur de l'épreuve que de légères
Nous étions prêts à répondre à l'appel de nos chefs. Cet appel ne se
traces; le passé était oublié.
fit
pas attendre et vint,
l'eau
Le étape
pierre dans
dormante, troubler notre quiétude. 13 mars, nous partions pour Nicey. Cette
nous rapprochait du
donc rentrer dans était
comme une
la
front.
Allions-nous
fournaise? Cette perspective
peu rassurante; aussi nous relevâmes notre
IMAGLS
âmo
LA GRANDK tiUKRRK
I)K
20.ï
à la hauteur de la situation nouvelle. Cle fut
en pure perte
:
nous nous jjrrparions
nous ne devions connaître
à riu''roïsnie;
du
(juc les vulgarités
repos à l'arrière, les détails fastidieux du service intérieur et la vie
monotone
d'exercice.
Cette vie vulgaire épaissit de nouveau l'atmosphère.
En quchjucs jours,
moral
le
était
redescendu
au niveau
commun
avaient
place à d'autres, beaucoup plus
destes.
fait
La
:
L'enthousiasme patriotique
combattu derechef par
ombres cliancolantes volonté,
si
erraient
retentissaient.
éraiilés
générale et
si
terrain, laissait place, ici
au régiment,
« l'esprit
était
la lassitude, le scepticisme.
moralité se relâchait aussi
chants
mo-
j)auvre nature liumaine s'aflaissait dans
le terre à terre.
La
sentiments surélevés
les
:
le soir;
quelques
par les rues
Surtout
la
;
des
bonne
complète, là-bas, sur
ou
là,
le
à ce qu'on appelle,
de carotte
»
;
les loustics
de
nouveau déployaient leur astuce. Voulez-vous un tableau de genre? Le soldat D... s'était fait
tude superbe
:
remarquer à Verdun par son c'était un lion. Il était monté à
saut avec une rage qui étonnait chez territorial;
durant
la lutte,
tireurs les plus acharnés.
il
11
atti-
l'as-
un vieux
avait été l'un des
était l'un
des héros
vers les((uels les yeux se tournaient
Mais
D.:. était
un
loustic. Célibataire endurci,
aimait peu la contrainte;
«
j'ni'cn
lichiste
»,
il il
IMPRESSIONS DE GUERRE
206
prenait
peu de choses au sérieux;
très
croyait pas
!
Par
l'homme de tous
était
dévouements,
les
tum de son escouade. Mais n'était pas à la
la vie
il
n'y
généreux,
ailleurs, caractère
il
le facto-
de cantonnement
hauteur de son activité; les cor-
vées, l'exercice étaient indignes de
Malin,
lui.
il
savait toujours se tirer d'affaire.
Aussi dès le premier jour, notre tait
un
à la visite.
Il
comique pour ceux qui connais-
air misérable,
saient leur (D... était
bonhomme.
une
vieille
Qu'est-ce que tu
Y
présen-
D... se
avait revêtu pour la circonstance
—
«
Eh bien,
c'est toi, D...?
connaissance pour
—
as?
le
major.)
Rien, m'sieu l'major.
veul't m'faire aller à l'exercice; j'su fatigueîe;
j'voudro bin m'arposer!
Sans se
Le major
»
faire illusion sur la
octroyait à D...
a
gravité
bon cœur. du cas, il
un repos d'une journée.
«
Mon
vieux D..., repose-toi aujourd'hui; mais demain, il
faudra
Et
le
aller à l'exercice
lendemain
encore plus pitoyable. toi,
!
»
D... se présentait «
Eh
bien, c'est encore
D...? Qu'est-ce que tu as?
l'major. J'ai
mal aux
avec une tête
— Rien,
m'sieu
pieds, et pi j'su viu, vous
savez; j'peu pas marcher!
»
De nouveau
le
major
se laissait attendrir. D... sortait d'un air
Dans
le
malheureux.
courant de l'après-midi,
si,
là-bas sur la
une silhouette enflée par d'innombrables bidons, marchant d'un pas allègre, le dos crête, se défilait
IMAGKS DE LA GRANDE GUERRE courbé SOUS
cliarge,
la
le
bâton classique à
main, l'on pouvait être certain
(jue
KnlVeignant toutes les consignes, travers
champs vers
Pour
c'était
pinard
«
être complet,
s'en allait à
il
il
».
faut ajouter (]u'un beau
prendre en flagrant
fit
la
D...
les villages voisins, à la re-
cherche du précieux jour, D... se
207
commandant en personne.
D...,
délit
sommé
par
le
de fournir
des explications, leva sur son supérieur un regard
chien battu, chargé de tant de crainte et
(le
«l'innocence, l'histoire qu'il raconta avec candeur
que
fut si claire,
le
commandant ne
put rester
inflexible.
Tel
était l'état d'esprit
débattre les
Grandeur venus des
contre lequel devaient se
malheureux sergents
et
décadence
gaillards.
pas définitive,
et,
:
et
caporaux.
nos héros étaient de-
Heureusement
la
chute n'était
tout en contemplant ces malins
d'un sourire amusé, je les aimai.s bien encore et
de tout
mon cœur.
Durant ce séjour, une grande joie nous réservée le
:
un matin
régiment est
le
rapport nuus annonce que
cité à l'ordre
plus appréciée, que
le
était
de l'armée,
et,
faveur
général Jolfre viendra épin-
gler la croix de guerre à notre drapeau.
Le grand jour La division tout
se
lit
attendre, mais enlin
il
\int.
massée en colonnes profondes des deux côtés de la roule. Le spectacle entière s'était
IMPRESSIONS DE GUERRE
208
de cette moisson de tètes casquées
était
magni-
une impression de force s'en dégageait qui enlevait les âmes nous étions replongés dans fique;
:
l'atmosphère des grands jours.
Nous attendîmes longtemps, pataugeant dans boue, glacés par
la
Cependant nous n'en
vent.
le
voulions pas trop au général de se faire attendre;
ne si
faut-il
pas payer les honneurs, et nos chefs sont
occupés! Enfin les guetteurs donnent
le signal
arrivent là-bas dans le lointain, sous gris. L'attention
endormie se
réveille.
:
les autos
un nuage Des ordres
rapides, brefs, descendent le long de la hiérarchie l'on
rectifie
pour
la
n%
et
;
enfin dernière fois,
l'alignement; chacun, d'un brusque coup de main,
tenue; les armes sont présentées d'un
rectifie la
magnifique mouvement d'ensemble
et, raide, l'on
attend.
Les autos cifiquement
de quatre
s'arrêtent. et
Le
s'avance,
général descend paescorté
modestement
officiers d'état-major. Instinctivement,
je pense à la
pompe
qui doit se dérouler, là-
bas, de l'autre côté, en de telles
circonstances.
Je ne regrette pas pourtant ce déploiement théâtral.
La
simplicité
du
plus captivante que la
grand-père
est
bien
morgue hautaine d'un
Guil-
«
»
laume.
Le général passe devant nos d'un regard
rangs, nous fixant
attentif, attendri, croirait-on.
Puis
il
IMAGES DK LA se dirige vers le
GHAN
IJ
K
GUKRRK
groupe des décorés
(1;,
20'J
où notre
drapeau a pris place au premier rang.
Nous voyons lever les
le
l)ras, et,
drapeau s'abaisser,
deux symboles de enlacés
:
le
général
pendant queUpies instants, la patrie
les
restent étroitement
l'émotion est intense; tous, blasés et
comme les autres, sont empoignés par un sentiment de noble fierté (2). Nous menons, depuis trois semaines, la vie scepti(jues
d'exercices, lors(ju'un bruit circule dans deux jours :
nous nous embarquons en chemin de fer à Lignyen-Barrois. Mais on ne donne pas notre destination. C'est
un mvstère! Va-t-on nous conduire en
Alsace, en Artois?
deux tots,
Il
paraît que
<;a
chaufFe aux
du moins le ravitaillement et les cuismystérieusement, raldrment. Nous ne pouailes,
Notre collahorateiir omet de diie iiuf, dans co groupe, il de très beaux i-oniidéraiils. (2) M. -Maurice Bariôs, dans un rtcent discours, a attribué au XX' corps, dont nous ne jalousons pas la légendaire bravoure, la gloire d'avoir arrêté k- flot germain, les il et 28 février, à l'ouest de Uounuinont. Ses paroles li.-rpient de consarror une confusion. La Censure, qui a autorisé la diffusion de cette erreur partielle, nous pirinetlr;i sans doute de la rectilicr. L'assertion de Maurice liarris est d'ailleurs en paiiie exacte. Le XX« Corps, h celte date, occupait bien le secteur indicpié, mais il avait ù sa dis{)ositiun une division < invitée >. la nùU'O. Les lecteurs voiidronl bien so reporter au cliajjitro précédent • I.,a dernicie barrière ». Ils y trouveront les exploits rapportéa par le grand crrivain. Ces exploits ont été accomplis par une division n-- comptant pas un seul L)rrain à son elTectif. Le XX' corjïs est assez riche do gloire jjour no pas entreprendre sur celle des • invités • i|ui l'ont, ces jours-là, fraler» nellemenl aidé, de tout leur etrort, de tout leur sang. (1)
(igurail liii-mt^mc nvet-
:
II.
14
IMPRESSIONS DE GUERRE
210
vons rien démêler à l'énigme
de guerre lasse,
et,
nous nous en remettons à la discrétion de l'étatmajor, comme à une bonne Providence. A la date et à l'heure dites, nous partons.
Marche
très
longue
nous étouffons sur
sive;
C'est la pre-
et très pénible.
mière journée de printemps;
la chaleur est excesla
poudreuse;
route
pourtant nous plaignons les malheureux forts », qui
«
ren-
ne sont pas encore aguerris.
Écrasés de fatigue,
congestionnée, nous
la tête
arrivons à la gare et nous alignons le long de notre train.
Son aspect
est austère
à bestiaux. Mais nous ne
sommes
Nous ne voyons qu'une chose pour
les
ce sont des
:
:
c'est
pas
wagons
difficiles.
de l'économie
jambes.
Notre installation est
tôt faite
:
il
,n'y
a pas de
bancs, tout simplement une légère couche de paille déjà bien aplatie par de
nombreux prédécesseurs.
Nous nous alignons donc prestement cloisons
;
nous déposons notre charge
le
long des
et
nous res-
pirons.
La grande
question de nouveau se pose
:
où va-
t-on? Tout à coup une forte secousse nous bouscule.
Nous
partons. Ah! bravo! c'est la direction
de Bar-le-Duc
;
donc nous allons en Artois, vers
chez nous. Tout le
Nous
monde
est heureux.
nous sentons rouler avec délices
:
il
y a
longtemps que nous n'avons plus voyagé en chemin de fer, que nous menons la vie primitive si
IMAGRS DE LA fiRANDK (le
l'homme des
expédition. enfin,
ce le
Nous en éprouvons une
hois!
comme un bambin
enfantine,
nous
Verdun,
joie
faisant sa première
Une autre impression (jiiittons
2H
GUKRRIi:
la
dilate les
cœurs:
région terrible. Et
mot de Verdun, par un cfïet magique, évoque passé. Avec la vivacité d'une hallucination,
nous revoyons funèbre,
« le
la
croupe d'Haudromont,
ravin de la Mort
pelons, les tombes
»
le
ravin
comme nous
l'ap-
de nos chers disparus. Ces
souvenirs, dans leur cortège, ramènent par bouffées les
vagues d'enthousiasme de
là-bas.
Les
C(rurs se remplissent d'énergie, de vaillance; se soulèvent, et tout à coup, d'un fait,
ils
ils
ensemble par-
explosent en un chant qui nous paraît
magnififpie
:
C'est le Fluitièm' qui déOl'
devant vous;
C'est le FTuitit'm', tous ces petits pioupious: lis
marcli'nt,
Tant
ils
C'est
le
Ils
vont sans
s'fair'
sont sOrs d'être les Ihiitii-ni'
de
Itilc,
j)his lialMles.
qui passe tout jojeux.
C'est le Iluitièin', la gloire de nos aïeux!
Salucz-le d'une façon très grave. Saluez-le. car ce sont tous des braves
Un
!
sceptique aurait peut-être souri d'entendre
ces braves chanter eux-mêmes naïvement leurs
hauts
monté geais
faits, et,
le
sur ses lèvres, sans doute, serait
miles (jlonosus.
leur
état
rythme largo
d'.àme,
Quant
à moi, (jui parta-
j'écoutais
ce
chant
et j)uissant porter bien loin
dans
au la
IMPRESSIONS DE GUERRE
212
plaine l'affirmation de leur vaillance. J'étais sous le
charme de
cette force superbe, et ravi je
me
laissais bercer, soulevé d'admiration et de respect.
à la portière des wagons,
Nous roulons. Assis
comme
des enfants, nous nous intéressons aux
Nous suivons des yeux les fils télégraphiques qui alternativement montent et descendent, nous saisissons au vol un disque qui brusquement défile. Nous comptons les trains rencontrés passant en coup de vent. Nous voyons des mille détails du voyage.
villages qui tournent là-bas sur la ligne d'horizon.
Nous admirons
cette
belle terre
de France que
nous avons préservée de la souillure teutonne d'où monte un grand calme qui nous pénètre.
Nous suivons des yeux un long nuage blanc
et
qui
une route, parcourue sans doute par un convoi de camions. Tout à coup, la route semble vouloir se coller à nous. Sous la tonnelle de poussière, nous distinguons alors les masdécoupe
todontes
la plaine. C'est
emportés d'un mouvement furieux.
l'arrière des voitures,
A
sous la bâche entr'ouverte,
apparaissent des soldats qui nous regardent cu-
rieusement
.
s'étreint à la
Ils
s'en
vont là-bas!
pensée de ce qui
Notre
les attend.
cœur Nous
leur envoyons nos souhaits par des saluts cor-
diaux qu'ils nous rendent de bon cœur; le
convoi, en
un
le train et
clin d'œil, se fleurissent
de
mou-
choirs multicolores qui s'agitent frénétiquement.
Voici
un
village
que nous allons traverser.
1
IMAGES
I)i:
LA GRANDE GUERRE
Qu'est-ce Jonc? Les enfants, les
femmes
213
se met-
tent sur le j)as des portes, accourent vers nous.
Les mouchoirs hravo!
»
flottent; les voix crient
:
«
Hravo,
Ces braves gens avaient reconnu en nous
des défenseurs de Verdun
et, de tout leur cœur, ils nous manifestaient leur reconnaissance, leur admi-
ration.
-de
Ce premier salut de la France fit jaillir les larmes nos yeux. Nous étions si peu préparés à cette
manifestation de sympathie. Quehjues permissionnaires, en effet, racontaient à leur retour, en une sombre litanie, qu'à larrière on se moquait pas mal de nous, que le pays avait assez à s'occuper de ses plaisirs. Nous nous étions habitués à vivre repliés sur nous-mêmes, à faire notre devoir, le vœur navré, pour des gens qui n'en étaient pas
tous dignes; et voici que tout à coup nos préjugés,
vommc un
voile, tombaient.
Nous avions en
instant la sensation, très vive, de la
tournée amoureusement vers nous
cet
France entière
et suivant,
d'un
regard attendri, nos souffrances et nos misères.
Nous
étions confondus et ravis.
Cette
impression,
encore bien plus <le
nous
forte.
allions
Nous
la
ressentir
arrivions en gare
IJar-lc-Duc et notre convoi venait
juste en face d'un train international.
se ranger
Au premier
abord ces wagons monstres nous remplirent d'une <iainte respectueuse. N'était-ce pas la civilisation
qui surgissait soudainement à nos yeux dans
le près-
IMPRESSIONS DE GUERRE
214
tige de sa supériorité, à
que ron wagons
transportait,
nous
les
comme
à bestiaux? Puis
pauvres sauvages
des colis, dans des
tout naturellement la
comparaison des deux trains s'imposa. Elle piquante.
était
D'un côté des hommes vigoureux,
le
trésor de la France, des braves qui avaient re-
noncé à tout et à eux-mêmes, pour les autres. Et en face?... Qu'étaient ces gens qui, sur toute la longueur du
train,
accoudés aux portières, nous
dévisageaient curieusement?
Nous
les
étudiâmes quelque temps dans un froid
silence. N'était-ce pas la fine fleur de cet
tant exécré? Cette cargaison, de quoi
composée? De jouisseurs peut-être qui
«
arrière »
était-eUe
profilaient,
pour se donner du bon temps, de nos peines et de notre sang. Ces gros bourgeois? N'étaient-ils pas de ces fournisseurs sans conscience qui s'engraissaient à nos dépens? Ces ventres dorés? N'étaient-ils
pas de ces financiers éhontés qui spéculent sur notre vie? Et surtout, ces figures à l'insignifiance
importante, n'étaient-elles pas celles de ces politiciens, les grands
tèges
ennemis du
au six-centième de
de cabinet, répliques
Gambetta, qui enrayent
les
soldat, de ces stra-
mouvements oppor-
tuns et décident les offensives désastreuses?
Sous hostilité
l'influence de
ces pensées,
montait en nous.
Le
moindre incident poudéchaîner Forage. L'incident se produisit en
çant, la tension extrême; le vait
une sourde mena-
silence était
IMAGES DE LA GRANDE GUERRE
il5
comme sous l'cfTet d'une mise à la nuage soudain se déchargea. Un soldat avait travers») le quai. Il s'arrêtait devant une porsens inverse
:
terre, le
tière,
et,
levant
tète,
la
d'un air timide,
il
ile-
manda: « Vous n'avez pas un journal, monsieur? » Le voyageur se jeta dans son compartiment et, avec
l'instant d'après, re[)araissait
le
plus gracieux
sourire, portant
une brassée de papier. Alors ce
comme une
traînée de poudre. Sur toute la
fut
longueur de l'International, les bustes disparurent derrière l'éclat des vitres et aussitôt à toutes les
portières des journaux apparurent. L'elFet lut
gique.
De notre
hommes
train,
bondirent sur
de le
ma-
tous les wagons, les quai, d'un saut traver-
sèrent les voies et assiégèrent les portières. Les
journaux s'éparpillèrent. De tions s'engagèrent
Qu'avez-vous
fait?
:
Ou
«
suite, les
conversa-
Vous venez de Verdun?
éliez-vous? C'était terrible?
»
Les voyageurs étaient d'une avidité insatiable. Cependant cette avidité se calma peu à peu et, à mesure cpie le calme descendait, l'union des cœurs s'aflirmait. De nouveau la distribution générale Par
reprenait.
portières passaient, en
les
ordre
serré, les provisions de voyage, les gâteaux, les fruits, les cigares, les cigarettes.
dépouillé
n'avaient
et,
les
Le
train fut vite
mains vides, ces braves gens
j)lus à ofl'rir {|ue
leur
cœur
et leurs
sou-
rires.
Du haut
d(!
mon
marchepied, j'admirais celte
IMPRESSIONS DE GUERRE
216
scène émouvante, par une force
le
cœur
supérieure
étreint. J'étais ;
j'avais
le
d'une présence auguste, maternelle, et
dominé
sentiment si
grande
!
L'àme de la France planait au-dessus de nous, et ce sourire qu'elle nous adressait n'était qu'un faible
symbole de l'immense amour
qu'elle
nous
portait.
Un
coup de corne retentit. Il fallut nous arracher au charme et regagner notre lit de paille. Le train s'ébranla. Assis aux portes, nous nous laissâmes rouler, délicieusement pénétrés par la
douceur du paysage lorrain
par le calme du
et
soir qui tombait.
Le sommeil s'était Nous rentrâmes pour nous
Bientôt ce fut nuit noire.
appesanti
sur nous.
étendre sur notre couche rude,
et,
heurtés par les
durs cahots des lourdes voitures, nous nous endormîmes, bercés par la caresse reçue de la douce
France, dont l'image,
tel
un doux
rêve, flottait sur
nos esprits charmés.
Le 27 mai 1916.
Paul
D...,
Sergent-fourrier [depuis, sous-lieutenantj
au N' de
ligne.
IV I.
i.
Verdun
GUEnUE DE DETAIL
A
—
Le cadre
est loin
Le Uain
!
In rie.
et
(jui
nous emmenait
vers l'Ouest ne nous a pas transportés jusqu'en Artois, ainsi qu'à la fois,
craignions.
Il
nous l'espérions
et le
est allé bien loin, cependant, jusqu'à
une vallre fameuse où, en septembre l'.Mi, notre elFort s'était buté contre un plateau escarpé.
Verdun
est
loin
!
C'est le [tassé déjà reculé,
A
presque disparu sous l'borizon.
présent, nos
esprits sont tournés avec confiance, avec curiosité
aussi, vers le secteur (jue
nous allons occuper.
Ce secteur nous a été présenté sous un jour c'est un secteur de tout repos, un sec-
favorable teur
«
:
pt'père
»
!
Pensez donc,
nous relevons sont restées place.
Le
lieu n'est
là
les
troupes que
di.x-buit
donc pas bien
ces régiments, ayant devant eux
mois sur
terrible. la
Et puis
persj)ective
d'un séjour indéfini, ont sans doute organisé par-
IMPRESSIONS DE GUERRE
218
faitement leurs positions
nous allons trouver des
:
tranchées solides, des réseaux parfaits; nous vi-
vrons en pleine sécurité. aussi du confortable et
nous, heureux
:
Ils
nos abris seront superbes,
comme
des princes!
Nous avançons d'un pas rêves d'espérance.
sournoisement
Un
se seront préoccupés
allègre, bercés par ces
autre sentiment cependant,
dans nos esprits. Fautdonc avouer une ombre de jalousie? Nous pensons à ces heureuses troupes stationnées, presque s'est coulé
il
depuis le début, dans une douce semi-quiétude,
nous prenions part à des actions terribles. Leur bonheur nous serait-il amer? Pauvre humanité, petite et mesquine tandis que nous,
I
Travaillés par ce ver rongeur, nous rencontrons
quelques détachements avant-coureurs
des par-
Avec ébahissement, nous voyons les sacs ornés de piquets de tente. Chez nous, il y a beaux jours que, au cours de nos pérégrinations multiples, nous avons semé sur la route ces accessoires gênants et peu utiles. Heureux de saisir une tants.
preuve tangible de longue immobilité, d'un air narquois, nous lançons
dépôt? ironie tour!
» :
»
La malice
:
«
Eh
s'en mêle.
bien, on vient du Nous crions avec
« Vous allez à Verdun ? C'est bien votre Le détachement défile en nous renvoyant,
coup pour coup, quelques gasconnades,
et
chacun
continue son ciiemin.
Nous approchons.
Là-bas,
à
quelques
kilo-
IMAGES DE LA GRANDE GUERRE mètres,
triste
l'borizon
:
et
dénudé,
le
219
plateau abrupt barre
une gigantesque muraille de Chine! Sur
les pentes courent
de longues levées de terre
si-
nueuses, semblables aux galeries de taupes dans
nos prairies. Ce sont les boyaux. Des tranchées,
nous ne voyons rien encore. Le premier aspect de notre nouveau séjour calme un peu notre enthou-
siasme
les
:
pentes sont bien raides pour nous,
habitués aux étendues plates du Nord; est bien
nu
;
pas un arbre
I
le
plateau
faudra se terrer sans
II
répit.
Encore un petit effort, et nous voici à domicile. Le boyau s'ouvre devant nous. Impression excel-
Large comme jamais nous n'en avons vu de pareil; le fond est pavé de caillebottis qui, par mauvais temps, doivent faciliter les lignes singulièrement les allées et venues lente.
Il
est superbe!
;
téléphoni(jues sont parfaites
:
isolateurs en porce-
laine i)lanche et [)arallélisme impeccable
!
Ahuris de ce confort, nous nous avançons saisis de crainte
et
de respect.
Comme
le
parent pauvre,
le
vestibule magnifique du cousin
millionnaire, nous
sommes gênés nous craignons
pénétrant dans
:
nous nous posons cette « Que signifie donc ce luxe? » question Depuis, j'ai eu la clef de l'énigme. Lors de mon premier voyage au village tout proche, des habide casser, de
salir,
et
:
tants
me
renseignèrent.
Le
secteur, peu de se-
maines auparavant, avait eu l'honneur d'une
visite
IMPRESSIONS DE GUERRE
220
d'hommes politiques du plus haut rang, qui étaient venus s'y faire une compétence. L'autorité avait choisi à cet effet un secteur modèle, se prêtant aisément aux évolutions des puissants personnages.
Mon
interlocuteur ajouta une anecdote savou-
reuse. L'autorité consentait bien à se prêter au désir
des nobles visiteurs, mais elle entendait les
où
mener
pas plus loin. On s'y prit de jolie Au moment voulu, des grenades sont lancées
elle voulait et
façon.
aux Allemands; ceux-ci, mécontents, répondent. Bientôt le 75 intervient dans le débat;
adverse en
l'artillerie
autant, et en quelques minutes,
fait
un
concert peu rassurant ébranlait la position.
Les
illustres
dèrent-ils
:
«
s'arrêtèrent, interdits,
visiteurs
dressèrent la tête.
«
demanLes Boches veulent nous
Qu'est-ce que cela?
Oh! rien!
ennuyer; nous allons les faire
nous n'irons pas jusque-là Rassuré,
le
!
taire.
»
Au
reste,
»
cortège reprit sa marche jusqu'à la
on s'arrêta dans la première tranchée de la deuxième position pour examiner le paysage. La vue était splendide. La tranchée commandait un ravin large et profond. Sur la pente opposée,
limite fixée
tout
:
en haut, à des bandes grises se devinaient
des lignes de tranchées. Mais quelle était leur nationalité? Rien ne le révélait à des
rimentés.
donner
Les visiteurs pouvaient
la fière illusion
yeux inexpétrès
bien se
de se trouver en première
IMAGKS DE LA GRANDE GUERRE iig;ne,
221
face à l'ennemi, et de barrer, de leur poitrine,
à l'envahisseur, le chemin de Paris.
Leur suggéra-t-on narrateur ne
me
cette enivrante illusion?
le dit pas,
mais que
alors do n'avoir pas assisté à la
nos
précédents
mainte
ro[)risc',
secteurs,
Mon
j'ai regretté
comédie! Dans
j'avais
rencontré,
à
des curieux de l'arrière, cavaliers,
automobilistes, C. 0. A., inlirmiers en cours de
tournée, qui se risquaient jusqu'à nous pour son-
der
le
mystère de
la tranchée. Ils
avançaient l'œil
inquiet, courbant le dos, et leur attitude parfois
incertaine excitait notre malice de
vétérans.
chaque pas, des iiommes charitables leur saient à l'oreille ces avis touchants
ce boyau est
—
:
«
Attention,
d'enfdade par une mitrailleuse.
[)ris
Attention, ce carrefour est balayé!
sages se rembrunissaient reflétaient
un peu
et,
»
hommes
le
«
vi-
quelques secondes,
la
s'aplalissant, passait à la course l'endroit
prodiguant des
Les
d'indécision. Puis, voulant être
bravo devant les vulgaires fantassin.s, reux. Les
A
glis-
les laissaient défiler
gare à vous
»,
troupe,
dangeen leur
pleins d'intérêt et,
dernier disparu au tournant, les rires explo-
saient.
Mais je m'égare à
Reprenons notre
la suite
des grands iiommcs.
fil.
Long dédale de boyaux nous nous engageons dans une série interminable de tranchées, suivant :
IMPRESSIONS DE GUERRE
222
à l'aveuglette notre guide.
La marche
est pénible
:
nous avons déjà parcouru pas mal de kilomètres, escaladé des pentes raides qui nous ont brisé les
jambes
et
fatigué les
poumons; nous sommes
écrasés par notre charge de portefaix et surtout
nous étouffons dans l'air stagnant des boyaux, où le soleil déverse inexorablement sa moite chaleur. L'esprit, anéanti, n'a plus devant lui
idée
:
«
Sommes-nous
que cette
bientôt au bout?
»
Enfin
nous débouchons dans la tranchée qui fut le terminus des fameux visiteurs et de là nous jetons un rapide coup d'œil sur la position. Le site est superbe à la vérité, mais nos puissances admiratives sommeillent. Le guide nous montre, accroché sur la pente d'en face, à mi-hauteur,
du
bataillon. C'est notre but, cela
nous
le P. C. (1) suffit.
Hyp-
notisés par cette idée du terme, nous descendons le ravin,
puis entreprenons la nouvelle et dernière
poumons fonctionnent mal: tous ou 5 mètres, nous nous arrêtons pour comprimer les soubresauts désordonnés du cœur, et ascension. Les
les 4
respirer à traits profonds.
Enfin, nous y
sommes. Nous laissons tomber
notre sac; nous déposons notre équipement en-
€ombrant, notre lourde capote,
et
nous soufflons.
Bientôt nos facultés sont revenues et nous nous intéressons à notre
(1)
nouveau
Poste de commandenieat.
séjour.
Spectacle
IMAGES DE LA GRANDE GUERRE encliantcur.
A nos
223
pieds s'étend un ravin aux
courbes gracieuses.
A
gauclie,
se ferme avec
il
l'éléganco d'une carène de navire, tandis ijue, de l'autre côte,
il
s'évase et débouche dans une molle
vallée, sur laquelle
il
ouvre une large perspective
se perdant à l'infini des lointains. ravin, des buissons isolés; dans le fond,
perte de
vue, s'étend
Sur
un sur
tapis
arbres à
moutonnant de
lesquelles
le
premier
un manteau de tendre verdure.
étendue tranquille,
celtu
du
flancs
là-bas dans la vallée,
et
cimes innombrables, printeinjis a jeté
Aux
sont accrochés, dus
le soleil
verse avec
sérénité sa douce lumière. Saisis de cette splen-
deur
et
de cette immensité, nous admirons et nous
méditons. Quelle vie calme
et
heureuse nous
mener dans ces beaux lieux! Rien ne manque à notre bonheur
al-
lons
est ravissant;
:
le
paysage
notre abri est solide, les Hoches
sont calmes. C'est bien
le
secteur rêvé.
Le jour de l'arrivée, fatigué par une longue marche et de pénibles ascensions, je n'étais pas monté aux tranchées. Du reste, j'en avais déjà tant vues,
même
de première ligne, que je n'avais
plus les curiosités des maraitouts de l'arrière.
Le lendemain matin, une occasion se présente; pour rendre visite à mes amis. J'enfile
j'en profite le
boyau.
lier.
11
n'est guère
commode
J'avance quelque peu,
voici au P. C. de
mon
j)uis
:
c'est
tout à
un escacoup
capitaine. Quoi, déjà?
me
Dans
IMPRESSIONS DE GUERRE
224
€6 cas>
les lignes sont loin?
Non, à quelques cen-
Que l'ennemi nous donne un coup de coude et nous tombons au fond du ravin. Au moins cette situation
taines de mètres. Mais c'est effrayant
1
détestable est compensée, sans doute, par des tra-
vaux parfaits? Je pousse
ma
mon
compagnie
le front
exploration à travers
de
une impres-
et partout je recueille
mes camarades fond « Que vaut
sion fâcheuse. Je rencontre l'un de
qui connaît déjà la position à
notre secteur?
Voyez
les
—
Boches!
Rien; ils
:
est très
il
dangereux!
nous dominent de partout;
rien ne leur échappe. Et de notre côté, quelle
pauvre organisation! nous n'avons pas de poste de guetteurs, pas
même
de créneaux. Nos senti-
nelles sont forcées de rester au fond de la tranchée et d'observer
par
l'oreille. Si
jamais elles passaient
une grêle de balles. Ce un blessé dans ces conavons déjà eu matin nous
un
œil, elles recevraient
ditions et depuis personne n'ose plus lever la tête.
Nous sommes aveugles! Et pour comble, nous ne
sommes pas pas
;
protégés. Pas de réseaux, ou presque
les lignes étant trop rapprocliées,
nos prédé-
cesseurs n'ont pas osé en placer. Mais voyez ceux
des Boches
!
»
Je passe en deuxième ligne.
—
«
La
terre des
Etes-vous bien installés?
boyaux
et
Même
impression.
— Ah oui! regardez!
des tranchées forme des
levées tellement hautes que nous n'avons aucun
IMAGKS DK LA GRANDE GUERRE
champ
(le
tir!
— Oui,
abris?
profonds, et
rennemi
— Au ils
la
moins, vous avez
sont
<i
bons
fie
toute épreuve, mais trop
Que
plupart n'ont qu'une issue.
fasse irruption et
des lapins au gîte
nous serons pris
comme
!
Attendons (juebjuos jours; que
«
22o
le colonel
ou
un général passe l'inspection, et nous aurons du travail
:
création de réseaux, installation de cré-
neaux, d'abris de guetteurs, arasage des talus, ouverture
mer
des
Nous
abris.
pas
n'allons
chô-
»
!
Mon ami
à cette conclusien d'ordre
s'arrête
pratique, et c'est bien naturel.
Quant à moi, moins
mon
intéressé dans la question, je redescends à
poste frappé par la complexité de la guerre, surtout de la guerre de tranchées.
On ne
considère
la
jamais que sous un angle. Nous y voyons bien, nous, la résistance, mais encore et surtout le plus
grand
tort
possible
fait
à l'ennemi. D'autres,
contraire, envisagent de préférence férent
:
la
à limiter.
mais
les
un aspect
au
dif-
défensive, le risque à éviter, les pertes
Chez eux,
les abris seront inviolables,
travaux défectueux, et
les
amorces
d'at-
taques moins poussées. Il
semble que cette dernière conception
ait
pré-
^alu dans notre région. N'en eussions-nous pas d'autres preuves, nous en serions avertis par les
nombreuses plaques
installées partout
absolument défendu de II.
:
«
Il
est
toucher aux obus non 15
IMPRESSIONS DE GUERRE
226
Ces rectangles de bois sont un signe révélateur, l'enseigne de la maison. éclatés.
»
Nous prenons possession de notre
secteur, do-
minés par cette impression d'insécurité qui nous oppresse. Mais peu importe. On nous l'a confié; nous ne tromperons pas la confiance de nos chefs. La position est fâcheuse; nous compenserons déficits par un peu plus de courage, une bonne volonté plus grande, et tout ira bien.
donc ses
Partagés entre ces sentiments d'inquiétude et de décision, nous entrons résolument dans notre vie nouvelle
— vie de calme
et
de monotonie.
Le
temps s'écoule lentement, toujours pareil à luià une bande uniforme qui se
même, semblable
déroule sans arrêts, sans points de repère
:
plus
de jours, plus de semaines, plus de quantième,
presque plus de mois. Ce n'est plus celé, divisé; c'est
mieux,
comme
presque
le
l'éternité
temps mor-
immobile, ou
disent les philosophes scolastiques,
Yaevum.
Nous commençons la guerre de détail, de petit détail. En haut, sur le plateau, c'est l'immobilité absolue, mais vigilante. Les guetteurs sont à leur
une attention constante les moindres mouvements de l'ennemi. Malheur à celui qui se révèle passe-t-il la tête au-dessus du poste, épiant avec
:
un rarement, un
parapet, obscurcit-il le trou clair d'un créneau,
coup de
fusil retentit et parfois, trop
IMAGK.S fl
a-ia-iaïe »
Di:
LA GRANDK (iUKHRE
éperdu s'élève de
la
iil
tranchée d'en face.
— Toujours
un de moins, pensent nos hommes
en cho'ur.
d'un!
l']t
I']t
reprend, aiyui».
la vigilance
L'insensihle course du temps est brisée, çà et là,
par des incidents qui reposent un instant
tention. Tantôt
un Boche audacieux
l'at-
paraît sur le
parapet, (juclques instants, là-has dans le lointain. Inutile de
tirer,
est troj)
il
—
loin!
Tantôt, des
tranchées et des boyaux ennemis, surgissent des pelletées de terre qui planent lent sur les talus.
Les
«
autres
un instant
et s'éta-
» travaillent.
Vite,
un coup de téléphone à l'artillerie « terre remuée, boyau Ilindonhurg! » Quelques instants après, :
retentissent les départs, puis voici en arrière, bien loin,
des sifflements qui se pressent furieux et
passent rapides au-dessus de nos tètes.
En même
temps, en avant, au milieu des pelletées de terre surprises,
jaillit
soudain une
monte un nuage rond et strident. Les coups ques instants, puis
se succèdent pendant quel-
le silence et
solus cette fois, se rétablissent.
casse là-bas? Mystère!
ment
retentit
en
flamme fugitive, un choc sec
et enfin éclate
l'air.
l'immobilité, ab-
Y
— Parfois
a-t-il
eu de
la
un bourdonne-
Aéroplane!
Ne bougeons
plus! Et l'on observe attentivement. Est-il fran-
Les yeux exercés ont vite résolu le problème. C'est un allemand! Oh, le voleur, comme il est bas; il nous nargue. Attends un peu; çais? allemand?
et aussitôt sur le passage de l'oiseau, les fusils
IMPRESSIONS DE GUERRE
228
partent; les mitrailleuses, tour à tour, du fond de
leur gîte, étendent sur
route
sa
leurs
volutes
d'acier et remplissent le ravin de leurs crépite-
ments qui roulent par vagues immenses vers lointain. L'artillerie arrive enfin
des sifflements plaintifs; qui piquètent le
ciel,
immobiles dans
:
et voici
le
des coups sourds, des points blancs
poursuivent l'aéro, et restent
l'azur
comme pour
jalonner son
passage. Les fantassins fascinés suivent la poursuite.
Trop long!
hasard,
donc au hasard, ces
Ils tirent
Ah, très bon!
artilleurs? Meilleur.
murmure un
— Oui, coup de
disparaître derrière la hauteur. Touché!
en a! Les cœurs se dilatent
Il
nous
ment reprend
et
et là-bas,
reprend son essor
au
va Touché! il
pendant que nous
du bon coup, soudain
félicitons
mo-
sceptique! Pourtant le
teur s'est tu; l'oiseau descend rapidement;
le
loin, l'aéro,
ronronne-
moqueur,
et s'éloigne.
D'autres distractions sont moins agréables.
Un
de nos guetteurs se montre; une balle le salue.
Ce
n'est rien.
fait a
Il
rigodon
»
Un homme, en
met son casque au bout du pour
se rendant au poste d'écoute,
che sans prudence
Un
et fait
Allemand, averti,
nemi
fusil et
nique au Boche.
faire la
sonner
lui lance
—
mar-
les caillebotis.
une grenade. L'enun coin
a cru deviner des travailleurs dans
de boyau.
Il
leur envoie
un
«
seau à charbon
»,
qui éclate avec une furie indescriptible, mais lieu-
reusement ne
fait
aucun mal.
IMAGES DK LA GRANDE GUERRi: Tels sont les très loin,
menus incidents (jui, <le loin en la morne hanalitt' du guet. Un
rompent
instant l'esprit se distrait et bien vite le
poids de
La
229
la
retombe sous
lourde atonie.
nuit est plus agitée
des ténè-
le voile épais
:
permet toutes les aules Allemands vont daces. La vigilance redouble peut-être travailler à leurs réseaux, ou môme favorise l'activité et
itres
:
envoyer des patrouilles; nos cbevaux de l'ont dtjîi fait elles
frise,
elles tenteront
nos sphères,
de voler
comme
elles
s'agit
donc
— ce qui est bien vexant! — ou bien
essayeront un nouveau coup.
Il
de percer les ténèbres, de deviner des ombres à
une
sim{)le
nuance de
encore plus, de les
noir. Vigilance de
l'oreille.
De temps
lonl
et,
à autre, dans
réseaux ennemis, un grincement, des chocs se
produisent. Les guetteurs écarquillent les yeux. «
Ah, gredins! Attendez
là, si je
vous vois!
»
Un
une fusée qui prend son vol en dessinant sa trajectoire par une traînée de feu. Parvenue au sommet de sa course, elle s'allume soudain et [)lane, entraînée doucement Iffou elFrayant retentit; c'est
par
le vent, tandis qu'elle
Le guetteur scrute rats
sans
doute
!
la
verse sa pâle lumière.
région suspecte
La
:
Rien
!
Des
fusée s'éteint, l'obscurité
retombe. Quelques instants après, les Boches sont rassurés et les grincements reprennent. Les refiards se tendent
Le guetteur
avec
effort.
Ah!
aper(;oit trois, quatre
enfin, les voilà!
masses grises
IMPRESSIONS DE GUERRE
230
qui s'agitent dans le noir. Justement les voilà qui se groupent.
braque son
La
fusil,
cible est trop belle.
face lui répond et bientôt, de
Le guetteur
Un râle en nouveau un silence
vise au jugé et
tire.
d'horreur pèse sur le plateau. Il
ne
pas de veiller;
suffît
énorme
besogne
est
ennuyer
les travailleurs
:
il
faut agir aussi, et la
passer les
fils
de fer pour
ennemis, surprendre les
patrouilles, éventer les ruses, obtenir des rensei-
gnements. Dès que
la nuit
épaissie, trois,
s'est
quatre ombres escaladent le parapet et se glissent
sans bruit dans la section tortueuse du réseau. Les voici en terrain libre.
La
situation' est délicate
;
la
moindre imprudence, une légère témérité peuvent causer un désastre.
La
patrouille se déploie et en
rampant, prudemment, à travers
les
herbes hautes,
Il
n'est pas bien
s'avance vers l'objectif désigné.
temps pour y parvenir! On avance pas à pas, évitant le moindre heurt, le moindre souffle. Il faut inspecter à chaque pas, éloigné, mais que de
surprendre les bruits, les interpréter. Les jours sont revenus des trappeurs et des Mohicans. Si
jamais une patrouille boche allait
se jeter sur la
était à l'affût
gueule des
attendre, laisser à l'ennemi,
s'il
est là, le
déceler sa présence, puis l'encercler le
massacrer.
—
Mais, rien!
fusils
En
I
1
Si l'on
Donc,
temps de
et, s'il résiste,
avant! Encore
quelques mètres. Tout à coup, une lueur blafarde
de
clair
de lune
:
une fusée. Vite à
plat ventre.
IMAGES DK LA GRANDE GUERRE sinon
va balayer
la mitrailleuse
trouille figée, le
que l'ombre
la
le terrain.
231
La
pa-
nez dans la terre, attend anxieuse
protège. C'est
fini.
Le
cbef, mettant
à profit la clarté, à travers les licrbes, a reconnu l'objectif
inspecté le chemin.
et
hommes rampent voici au but;
achevé son
ils
En avant! Les
s'avancent peu à peu. Les
et
sont renseignés
travail; ses
:
l'ennemi n'a pas
réseaux sont encore
— C'est déjà bien; mais nos
loqués.
dis-
chasseurs ne
veulent pas rentrer bredouille. Voici justement, à quatre mètres, le
débouché d'une
Bociies viennent travailler, serait trop
beau
!
La
sortie. Si les
passeront par
ils
là.
Ce
patrouille se range à grands
intervalles devant la sortie et, patiente d'une pa-
animale de braconnier, épie durant des
tience
heures, sans un mouvement, sans un souffle.
La
nuit, ce n'est pas
seulement
chasse; c'est avant tout
brume
est
descendue,
le
le
le
travail.
guet ou la
Dès que
la
plateau désert sort de sa
De la profondeur des gourbis, des ombres surgissent et, affairées, circulent. De l'ar-
léthargie.
rière, par les
boyaux,
les
corvées en longues
arrivent, portant le matériel.
nades, fusées,
courber
le
pelotes de
énormes
Dos munitions
torpilles
qui
dos; du matériel de défense fil
de
fer, splièrcs,
:
font :
files
grese
piquets,
gigantesques che-
vaux défrise (jui avancent à contre-cœur dans les boyaux tortueux. Les travailleurs montent aussi.
IMPRESSIONS DE GUERRE
232
nombreux. La tâche
immense
est
les réseaux, ouverts par les «
exigent des réparations. sont trop faibles;
La
il
En
et
pressante
seaux à charbon
quelques endroits,
:
», ils
faut les élargir et les épaissir.
corvée franchit donc
le parapet,
avec un cer-
tain frisson, sans hésitation pourtant, et, protégée
par une patrouille couchée à quelques mètres lignes sont
si
rapprochées que l'on ne peut
(les
aller
commence. Travail de mystère, dans l'ombre et le silence. Les piquets à vis s'enfoncent lentement, sans un coup, sans un choc; les fils de fer se déroulent et s'accrochent avec circonspection. Parfois un grincement. Le maladroit se fait rabrouer d'une exclaplus loin), elle se déploie et le travail
mation énergique, bien qu'étouffée, ou d'un coup de poing amical et vigoureux. Voilà une fusée la :
corvée raît
s'aplatit
solitaire,
dans
la
luzerne et
le
plateau appa-
innocent, sinistre. Puis, le travail
reprend, entrecoupé çà et
là
de
menus
incidents,
obstiné toujours.
Pendant ce temps, un peu en arrière, la terre Une équipe achève la construction d'abris
s'agite.
de guetteurs; une autre redresse dans les tranchées et couloirs les parois écroulées; une
troi-
sième approfondit les passages dangereux.
La
nuit s'écoule dans
mais dès qu'un
rais
une
activité
de lumière révèle
les choses, toute vie disparaît.
fiévreuse, les êtres et
Les habitants des
tranchées s'enfoncent dans leurs gourbis; les cor-
IMAGES DE LA GRANUK GUERRE vées réintègrent
les
radieux se lève,
dénudé,
morne
boyaux
il
n'est pas générale
immobile plane, mais dans
silence
se sont
Du
terriers.
surgir un à
plateau
En
haut
le ravin,
une
hommes,
fourmilière s'agite et se démène. Les (jui
soleil
le
(|u'uii
et désertique.
La mort, cependant, le
(juand
et,
n'éclaire plus
233
reposés la nuit, sont sortis de leurs iiaut
de
un de
ma
terrasse, je les ai vus
leurs trous noirs, s'assembler
(juelques instants, prendre des ordres, puis se dis-
perser.
Kn quehpies minutes, une
cité
s'est constituée; les ateliers se sont
ouvrière
groupés
et
chacun, utilisant ses talents, son expérience, se
met à l'œuvre. L'intéressante confrérie des
cuisi-
niers grouille autour de ses marmites; les ordon-
nances vaquent aux soins de leur ménage; l)ionniers
creusent, les
charpentiers
Voici des ateliers plus importants
:
les
martèlent.
une compagnie
tout entière travaille le hl de fer. Elle j)réj>are le
matériel de défense
aux tranchées
chevaux de
:
les
(jui, le
soir, sera transporté
uns dressent
frise; d'autres
et habillent les
enroulent des pelotes;
i
d'autres construisent des sphères. []n autre groupe dé[)ose, on tas bien ordonnés, le gros matériel, les
rondins, les traverses, les poutres, les planches (jui, la
nuit prociiaine, iront s'engloutir là-iiaut.
s])cctacle de
ce
jietit
monde,
se
Du
dégage une im-
pression de vie et de gaieté, aussi dilatante (|ue solitude alfectée
du plateau est impressionnante.
la
IMPRESSIONS DE GUERRE
834
C'est la vie de tranchées
surveillance immobile
:
d'une part, de l'autre, activité laborieuse. Bien
que
un
deux genres de vie ont ressemblance; tous deux sont
différents, ces
très
point d'étroite
même
dominés par un
sentiment
monotonie.
la
:
l'on soit sur le plateau ou dans le ravin,
Que
chaque jour
est la répétition
heure un décalque de nant
si,
avec un
saveur, et
si
tel
le
tristesse,
la veille,
chaque
Quoi d'étonvie perd de sa
la
hommes
s'ennuient?
grand ennemi
n'épargne personne.
peu de
régime,
parfois les
L'ennui est
de
la précédente.
En
général,
qui, finalement, il
est
bénin
un peu de vague à l'âme; ce
comme
pas dangereux. Cependant,
:
un
n'est
toute maladie
chronique, l'ennui a ses crises. Elles s'appellent le «
cafard
ronge
»
;
comme
alors
du
la bète
profondément
même nom,
l'ennui
désastres sont
et ses
immenses.
un mal étrange, aux origines mystoujours il naît sans cause Presque térieuses. apparente. Le matin, le malade s'éveille en mau-
Le
cafard est
vaises dispositions.
Le corps
mou,
est
l'énergie
absente; un poids pèse sur le cœur, un voile assombrit l'esprit. Un vague malaise oppresse, dont
on est à peine conscient. L'homme irascible. les
Son
front est barré
camarades se disent
:
«
et,
est
mécontent,
à ce
symptôme,
Laissons
le vieux tran-
quille. »
Dans
cet état d'âme, le
malade commence sa
IMAGES
DI::
LA GRANDE GUERRE
journée sans pensée, Il
se traîne.
noyé dans le va^c. cœur à l'ouvraj^e. o Eh demande un copain. Je
l'esprit
n'a pas
Il
le
—
bien, ça ne va pas? lui
ne
que
sais pas ce
Ce
Un
j'ai. »
a? C'est
qu'il
23S
mal du pays qui
le
petit incident fera éclater l'accès;
l'écrase.
nom
un
pro-
noncé tout près et qui réveille les souvenirs endormis, un visage qui en rappelle un autre de
un commandement un peu brusque qui, par contraste, fait penser au doux régime de la
là-bas,
famille.
Et voilà que tout à coup
déchire.
Le malheureux
homme
a
voile se
le
mirage
le
:
il
voit son intérieur, les êtres aimés, sa terre, le clo-
cher, loui ce
de
(jui
séparation
la
a fait sa vie jusqu'au jour cruel
—
sur ce tableau d'amour
et
plane l'atroce pressentiment plus. C'est fini à jamais
Une
détresse
mallieureux;
:
«
Tu ne
immense envahit son n'a
il
les reverras
o
I
c(pur.
Il
est
il
est
se traîne, ne sachant
que
raison de vivre;
plus
désespéré. Locjue lamentable,
il
«levenir et lorsque enfin libre, il
il
s'écarte
il
trouve un
— toute société
A
rien.
Il
ne pense
odieuse
lui est
s'assied et, la tête dans ses mains,
quoi?
moment
même
Il
rêve
A
pas aux siens;
leur .^^ouvenir lui est trop douloureux;
avec violence.
songe.
il
de
—
il
:
Pauvre oiseau perdu dans la bruine Sur le ludt d'un vaisseau perdu...
l'écarté
IMPRESSIONS DE GUERRE
236
L'amour enfin l'emporte. Il se redresse, tire de un portefeuille, y prend un carton et longuement le contemple. Les larmes montent à ses yeux et, comme un enfant, il pleure. Émus, les sa poche
camarades s'approchent en silence son épaule, saisis de
pitié, ils
jolis petits qui,
semblent dire tout bas
rire forcé,
dras-tu bientôt?
»
Et de nouveau
sentiment dans son cœur tinte
par-dessus
aperçoivent sur la
pauvre carte un groupe charmant
mère entourée de
et
:
une jeune
dans leur sou«
Papa! revien-
le
sombre pres-
:
le glas.
Ces crises aiguës sont rares, du moins chez
les
caractères trempés. Quant à l'ennui normal, chro-
nique, son influence n'est pas néfaste. Semblable à l'huile qui, autour du vaisseau ballotté, calme la
tempête,
il
assoupit plutôt les
ardeurs
tumul-
tueuses d'une gaieté trop vive. L'âme est moins agitée, elle n'en est
Et en
effet,
que plus ferme.
l'impression dominante qui se dégage
du spectacle de nos hommes
est celle d'un cou-
rage inusable.
Ce courage, selon son
objet, revêt divers aspects.
bonne volonté sans restriction. Évidemment, la vague d'enthousiasme de Verdun est loin, mais loin aussi est le laisseraller, l'esprit de « carotte » des cantonnements de repos. Tous sentent que la tâche actuelle est nécesDevant
le service, c'est la
saire, et ils l'accomplissent
soient aux
créneaux ou
avec conscience. Qu'ils qu'ils
exécutent
une
IMAGES corvée,
LA GRA^DK GUERRE
DI-:
ne connaissent
ils
ému
de fois n'ai-je pas été
Que
l'ordre vcru.
(juc
par
237
le spectacle
de ces
braves supportant les fatigues sans un murmure, de ces jeunes, encore ignorants dos soulFrances y a
idanchis
il
mois, mais surl(jut de ces l>ons vieux,
(jU('l([U('.s
rigueurs de la campagne,
les
[)ar
marchent graves,
dos voûté, plus ciiargés de
le
leurs soucis (jue de leur fardeau.
lourde certes, et
(jui
La
situation est
pourtant jamais une plainte ne
sort de leurs lèvres.
Devant la
le
régime rigoureux,
forme de
la
(ju'elle s'ignore.
Sans doute
ils
le
courage affecte
résignation parfaite,
si
parfaite
Et pourtant quelle vie est la leur!
ne supportent plus les horreurs du
premier hiver de tranchées. Mais avez-vous estimé le lot
veilles
de fatigues (jue leur imposent les longues les
et
innombrables corvées? Avez-vous
savouré l'austérité de leur existence?
souvent sur
la
Ils
couchent
dure, toujours sans confort. Leur
nourriture, suflisante, est sans délicatesse. Et la
plupart sont pauvres;
ils
ne peuvent donc
corder aucune compensation. Ajoutez [)erj)<'tuel
de
la vie
de
la discipline et, (jui
conunune.
billon de la vie
Il
jdus
s'ac-
l'empire
e.st, le
{)oids
faut se rendre réel le tour-
dans un gourbi encombré. Voulez-
vous reposer un peu? Quelques voisins, inattentifs ou
imléliciits,
ne se priveront pas de faire tajiage.
Recherchez-vous l'isolement pour écrire un mot en poix ou
lire, afin
d'oublier? Les causeries, les
238
IMPRESSIONS DE GUERRE
chants, le
vacarme
s'y opposent.
Et
par une
si,
volonté tendue, vous parvenez à vous écarter dans
un
coin solitaire et à vous abstraire du milieu, des
fâcheux viendront vous harceler de leurs conversations insipides. faire faits
Vous vous
efforcerez de leur
comprendre votre désir d'être seul eux, peu aux nuances, ne saisiront pas. Dans ce milieu :
l'homme a perdu tout droit de propriété sur luimême; il est devenu un bien banal à l'usage du passant.
Le renoncement est
absolu, en de telles conditions,
une vertu de rigueur. Tous, presque
professent
et,
ce qui est plus beau,
tous, le
n'agissent
ils
pas ainsi sous l'influence de réflexions profondes,
mais en suivant sité naturelle.
la
pente de leur âme, leur généro-
Et ce sacrifice est parfait
:
dans leur
dénûment, dans leur perte d'eux-mêmes, gais.
De
la
ils
gaieté insouciante des jeunes
sont à la
bonhomie grave des vieux s'étend une gamme où tous les tons figurent. Les tranchées sont loin d'être un séjour maussade de condamnés; la bonne chants, humeur éclate sous toutes ses formes plaisanteries, bons mots, farces, rien n'y manque. A part quelques notes graves qui, de temps à autre, marquent un temps d'arrêt, l'on croirait se trouver :
en présence d'une humanité nouvelle, oublieuse d'elle-même.
Les dangers courus mettent également en relief un courage magnifique. Devant eux, cette vertu
IMAGKS DE LA GRANDK GUKRRE revêt
forme
sa
croyez pas (|ue
de
La
là.
J'ai
supérieure
jo veuille
:
dire inscnsibilil»';.
Loin
chair parle encore et très haut jiarfois.
mémo
rcmar(jué que depuis Verdun hien des
plus facilement
ravin, les
et vibraient
qu'un semblant de bombarde-
:
ment s'annonce, que deux ou le
No
l'indifrérence.
systèmes nerveux restaient ébranlés,
dans
Ï39
trois
cœurs palpitent
obus éclatent
et les
membres
tremblotent. Mais la volonté reste aussi ferme que
jamais
et
peuvent
commande
souffler, les
sans défaillance. Les obus
marmites mugir,
les torpilles
Les dos se courbent d'instinct un instant; braves marchent droit leur chemin sans un
hululer. les
regard en arriére
:
leur consigne est sacrée
!
Ils
obéissent sans doute un peu à l'amour-propre, et
craignent avant tout de passer pour Lâches. L'habi-
tude a aussi sa part dans cette bravoure côtoyé
la
mort
si
:
ils
souvent que son horreur
ont s'est
usée au contact. Le fatalisme, chez les moins cultivés,
joue également son rôle. Mais ce qui domine
en eux, ce qui tient
les coule, et
dans cette attitude,
sant, encore être. Ils
savent
l'esprit, ils
réalité,
que confus et,
par
et
le
sentent (jue
finalement les main-
c'est
un sentiment puis-
vague
(jui
remplit leur
cœur bien plus que par
la patrie
est
une grande
an prix de huiuelle les individus sont des
êtres subordonnés, infimes, et
comme
sans valeur.
Sous l'empire de ce sentiment, auquel gieuse prête, ciiez
la
la foi reli-
plupart, (juchpic chose de
IMPRESSIONS DE GUERRE
240
son caractère sacré et de sa fermeté inébranlable, les
pensées égoïstes sont refoulées, les intérêts per-
sonnels éliminés, pour un temps, du tuel de leurs pensées.
encore
:
la
Une
champ
habi-
seule chose compte
France, la victoire,
le
devoir!
—
Un
et cette perspective fait malheur peut arriver mais peu importe. Animés monter un frisson de cet esprit de sacrifice, ils ont donc accepté la situation, et l'adaptation a été si parfaite que dé-
—
sormais
l'effort violent
est inutile
et
l'héroïsme
simple.
Les exigences du service, les rigueurs de la vie, grandeur du danger, tout glissera sur ces dans ce hommes, ils sont taillés dans le marbre la
—
marbre éclatant
et
pur d'où sortent,
ailées, les Vic-
toires.
2.
Le temps désert.
—
Les actions militaires.
se déroulait uniforme sur le plateau
Sa monotonie cependant devait
être
coupée
à plusieurs reprises par des faits de guerre d'une certaine importance.
Il
est indispensable de s'y
arrêter quelques instants, si l'on veut se rendre réelle la guerre de détail.
Nos prédécesseurs nous avaient vanté leur secteur de tout repos. Nous les avions écoutés avec un sourire sceptique « Les secteurs de tout repos, :
iMAGi:s
pensions-nous, nn son! pas
faits
241
pour nous,
et,
par liasard on nous les donne, nous les
(|uan(I
gâtons. Attendez que voir
guerre
la ghandI':
Dr:
le
21" arrive (1), et
vous
allez
»
!
Nos
pressentiments
iHaient
justes.
A peine
étions-nous installés depuis deux jours que
le ra-
vin, autrefois silencieux, retentissait, h intervalles
variés,
du fracas des obus, des prenades, des tor-
Les Allemands furent peu satisfaits de ce nouveau régime et, comme il menaçait de se pro-
j)illes.
indéfiniment,
lonf^^er
imposer, de nous
ils
décidèrent
dresser
«
»,
île
nous en
selon lexpression
technique.
La
fête fut fixée
au jour de Pâques.
l"]lle
ne
fut
Dans
la
matinée, un bruit étrange avait circulé dans
la
pas pour nous une surprise complrfc.
troupe
«
:
—
tin!
Itoches
Vous
savez, le baudet a chaulé ce
Quoi? Quel i)audet? !
— Le
—
Le baudet des
baudet des Boches! Qu'est-ce que
vous racontez là^
—
Eh
baudet et lorsqu'il ciiante
oui, les le
Boches ont un
matin,
il
y a bombar-
dement le soir. C'est le N' (|ui nous l'a Nous atlenilîmes donc, (juelque peu l'effet
Le
de
la
ma-
dit! »
scepli(pies,
prédiction.
soir, vers cinq
heures et demie, nous jouis-
sions eu paix de la douceur
dun beau
jour de prin-
temjis, lors(pie tout à couj) au-dessus de nos têtes
(1)
Lo rÔKinient M.
d'artillerie alTectt^ à notre division.
18
IMPRESSIONS DE GUERRE
242
plane un souffle de locomotive haletante qui,
l'ins-
tant d'après, piquait droit devant nous dans le
fond du ravin et éclatait avec un bruit de pétard.
un
C'était
tuyau de poêle
«
», la
dernière invention
du génie germanique. Cet incident revêtit de suite une grande importance
était
il
:
nous avaient, en que en «
effet,
passé cette consigne
Boches bombardent,
les
même
un présage. Nos prédécesseurs lorsla
répétition; leur imagination tactique est,
peu développée.
effet,
tuyaux de poêle
»,
envoient
Ils
tombent
là-bas,
ici
quelques
espérant sans doute nous
surprendre dans une douce quiétude pilles
:
toujours
c'est
à droite,
;
et
puis les tor-
ensuite les
explosions se propagent vers la gauche.
Et de cette
fait
fois
bombes
ce fut bien le bombardement, réglé,
encore, sur le
même
scénario.
Les
se mirent à fouiller notre creux de leurs
pétarades inoffensives, et pendant que nous nous divertissions de ce spectacle nouveau, soudain le
plateau s'ébranla, disloqué d'éclater.
:
une
torpille venait
Aussitôt d'autres suivirent
;
nos
artil-
leurs se mirent de la partie avec vigueur et bientôt la
hauteur ne fut plus qu'une ligne de cratères
d'où jaillissaient soudain des éclairs immenses, puis d'énormes nuages noirs qui montaient lente-
ment, tandis qu'un tremblement de terre se propageait au loin.
Nous
étions postés à 200 ou 300 mètres du lieu
f
IMAGES DE LA GRANDR GUERRE (les
243
explosions; nous pouvions donc contempler à
loisir
un tableau superbe. De nos
[lillcs s'«''lan<;aionl
le ciel
avec
la
lignes, les tor-
vivement, s'élevaient droit dans
légèreté de l'alouette, puis arrivées
à leur zénith s'inclinaient par une série d'ondulations gracieuses, souples Kilos hésitaient d'ai)ord, ^
•
iclinies, et ensuite, à
comme un vol d'oiseau. comme cherchant leurs
une vitesse effrayante, fon-
•aient sur leur proie. Elles disparaissaient enfin
sous
la ligne
du plateau
flamme
et la
jaillissait.
Ces oiseaux gracieux croisaient dans leur course lies
i)Ourdons énormes et lourds
charbon
»
:
les
«
de nos vis-à-vis. Leur vue
seaux à
était
gro-
une grâce de rustaud, en roulant sur eux-mêmes, comme dépourvus du sens de l'écjuilibre, et retombaient tesque. Ils montaient péniblement, avec
bourdonnement énorme et produisaient une explosion de tonnerre, un cataclysme. La vue de ce déchaînement de furie était ensuite, massifs, au milieu d'un
agréable, bien qu'émotionnante, à distance; dans les tranchées,
sous cette avalanche,
était terrifiante.
abris et,
La garnison
la situation
est rentrée
dans un silence accablant,
dans
elle
les
laisse
passer l'orage. Mais les guetteurs? Pour eux, c'est la lutte
Une
angoissante de
la souris
seule tacti(jue possible
:
contre l'aigle
t
sur[)rendre l'oiseau
dans sa course, suivre ses évolutions,
et lorscju'il
fonce sur eux, se dérober adroitement,
ils
sont
IMPRESSIONS DE GUERRE
244
donc tout yeux
et surtout tout oreilles.
un coup de pétard sourd tion! Voilà le bolide qui
:
c'est
un
face^
départ. Atten-
Où
monte.
En
va-t-il7 Ils le
suivent anxieusement, le voient hésiter. Tout à
coup
il
hommes
boum
!
c'est
!
se jettent derrière
foncent dans «
pour nous Les un pare-éclat ou s'envestibule d'un abri. Aussitôt un
Horreur
s'abat.
»
le
sonore retentit; quelques instants se
passent, longs
comme
oscille, la terre
des siècles, et puis le sol
semble s'ouvrir
et
une explosion
effroyable les heurte de son souffle, brutal
un coup de massue. Dans les périodes normales,
le
comme
danger n'est pa»
pressant; avec de l'attention, du sang-froid et
peu
d'agilité,
tres.
il
est possible d'échapper
Mais quand
le
bombardement en
un
aux monsest à
son
point de crise, la lutte devient inutile. Les torpilles et les «
seaux à charbon
retombent en rait
»
s'entre-croisent dans l'air,
pluie. Inutile alors
de se garer; ce se-
pour tomber de Gharybde en Scylla, et du reste
cet eff"ort n'est plus possible; les nerfs épuisés
une tension excessive, disloqués par sont à bout;
ils
ne réagissent plus.
Il
par
les chocs,
n'y a plus
qu'à attendre, dans l'hébétude, le coup atroce et le
déchirement horrible.
Ce
jour-là, l'un des nôtres, le soldat Hot, fut tué
dans ces circonstantes, victime de sa vaillance. la porte de Il
son abri,
il
De
observait le bombardement.
aperçut à quelques pas de lui l'un de ses cama-
IMAGES DK LA GHANUK GUFIRHK rades on faction, paie
— Rentre, je rien.
fait
Kt
»
il
l'averse terrilianle. <•(>
impossible;
fui
:
Il
«
J'ai
peur,
W'^*-
d'Iior-
lui
essaya d'user de tactique;
le tir «'tait
trop dense.
Pendant
d'un seau, une torpille percutante
qu'il se garait
tomba
mort,
avoua son prends ta place; moi, ça ne me prit bravement la garde sous
reur. Ilot s'informa
ami.
comme un
245
Le malretrouvé en lambeaux sous un amon-
à ses pieds et éclata sur le coup.
beureu.v
fut
cellement de terre.
La
situation
braves
était
épouvantable. Pourtant nos
dominaient de leur grandeur. Ces
la
notés parmi beaucouj) d'autres en feront
Le
traits
foi.
soldat D... guettait, insensible en apparence
au danger, absorbé par sa mission. Le moment criti(pie était arrivé la nuit commençait à tomber et l'irruption des Bocbes était à craindre. D .. :
redouiilait était
vue.
sur
do vigilance. Mais
dorii-
grande; des herbes hautes Il
le
eut bientôt trouvé la solution
le
monte donc dos courbé,
:
monterait
le
remuée,
cou tendu,
observe,
», le
l'cril lixe,
il
mort qui l'entoure.
l'arrivée des
envahi
il
à genoux, dans la terre
Une lourde obsession a
il
ne comptait plus! Sans hésitation
el,
indiiïérent à la
prits
:
parapet; le danger serait extrême, mais
verrait; le reste il
difliculté
la
coupaient la
lui
pesait alors sur les es-
ennemis. Le caporal
L...,
un
ccuur débordant de rage, les atten-
dait. Il se tenait
à la porte de son abri,
le fusil à la
IMPRESSIONS DE GUERRE
246
main le
droite,
une grenade dans
la g'auche.
Il
dos courbé, les jambes repliées; son front
barré d'un
pli féroce, ses
yeux
avait était
injectés de colère
:
un taureau en arrêt, n'attendant que l'ennemi pour bondir. Lui non plus n'avait pas peur, et pour lui non plus, la mort ne comptait pas.
La
hiérarchie, à tous les
degrés,
veillait.
Le
sergent C..., étant de service, devait s'assurer, par des rondes fréquentes, que les guetteurs étaient à
promenades étaient assurément peu agréables, mais il les accomplissait avec flegme; il n'eût pas fait un tour de boulevard avec
leur poste. Ces
plus de calme.
Au
cours d'une de ces rondes,
il
entra dans l'abri de sa demi-section, afin de constater si tout le
monde
sible. Il aperçut, blotti
hommes.
C'était
pour
était prêt
il
une mauvaise
avait répété
il
était arrivé.
tissait et C... avait
se tourna
:
«
n'avait
A
«
Oui, tu les verras
Le bombardement
besoin d'un
donc vers notre
Venez avec moi!
loqué.
preuve
:
On
les
!
homme
pour sa prochaine tournée. D'un «
repos,
aux tranchées » C..., sous n'avait pas sourcillé, mais intérieure-
l'insulte,
moment
Au
faire
tête.
s'était écrié derrière C...
verra, les serg-ents,
ment
pos-
dans un coin, l'un de ses
quelques semaines auparavant, pour de bel esprit,
l'alerte
»
Le
I
»
Ce
se ralen-
de liaison
air indifférent,
forte tête et lui dit
il :
soldat se redressa, inter-
l'attitude du serg-ent, il comprit qu'il aucune échappatoire. Il se leva en gro-
IMAGES DK LA GRANDE GUERRE
monta l'escalier.
gênant et, à la suite de son sergent, C...
247
niurclui sans se presser, imperturbable, puis
revint à l'abri.
Eb
«
bien, lança-t-il à son
compa-
gnon (le ronde, on les a vus, les sergents? » L'boinmc était maté. Tremi)lant des fortes émotions subies, bonteux sous le regard mofjueur de
ses camarades,
se jeta dans son coin et garda
il
un
silence morose.
Nous attendîmes en
vain; les Allemands étaient
sortis sur notre droite.
Voulant se renseigner sur
troupes qui les ennuyaient tant, et
les nouvelles
dans reur,
le
but
au.ssi
de leur inspirer une saine
avaient organisé un cou[) de main.
ils
nuit noire,
ils
ter-
A
la
bondissaient de leurs trous, et par
une brècbe de nos réseau.x
dislocjués, sautaient
dans notre trancbée. Une sentinelle tout à coup vit surgir
des ombres
qu'elle ait
pu jeter
et,
le cri
en
même
temps, avant
d'alarme, elle s'afFaissait,
frappée d'un coup mortel. Aussitôt les assaillants
passent par cette trouée, se divisent en groupes et s'enfoncent
dans nos lignes. Heureusement,
sentinelle voisine a
doimés qui s'agitent dans l'ombre. Elle devine danger
crie
et
répand dans s'organise
;
:
«
la
vu des mouvements désor-
Les Bocbcs
le (juartier et la
!
»
le
L'alarme se
résistance faroucbe
boyaux
un
combat
faits
qui s'accomplirent alors mérite-
de
s'engage,
acbarné.
Les bauts
IMPRESSIONS DE GUERRE
Î48
raient
un rapport
roïsme
détaillé, tant ils sont
beaux d'hé-
et d'abnégation. facile, les
Allemands
devaient s'emparer d'un poste d'écoute.
Un groupe
Pour
un retour
s'assurer
se dirige donc vers ce poste par la sape, le prenant à revers, pendant que d'autres, restés en avant,
Le caporal Ch... occuposte avec deux hommes. Tout à coup, il
s'approchaient de leur côté. pait le
se voit assailli, entouré. Admirable de sang-froid, il
charge ses
l'avant, Il
hommes
pendant
de contenir les Boches de
qu'il refoulera
ceux de
l'arrière.
s'arme donc de grenades, s'avance de quelques
pas
et les
lance aux assaillants qui, ahuris de cette
Le
résistance inattendue, reculent en désordre.
moment d'hésitation, un barrage au moyen de sacs
caporal, mettant à profit ce
improvise à de terre
la hâte
qu'il
arrache au parapet, puis, derrière ce
mur, il attend. Les assaillants, remis de leur déconvenue et encouragés par le revolver menaçant de leur gradé, reviennent à la charge.
nouveau,
ils
sont accueillis vigoureusement
grenades éclatent au milieu de leur
file.
:
Plusieurs,
blessés, s'éloignent en hurlant; bientôt, de sept huit, ils
ne sont plus que
trois.
De les
ou
Alors le caporal
renouvelle sa provision de grenades, enjambe son
barrage éperdus..
et
fusil et les
Le
poursuit ses ennemis qui s'enfuient
La sape
est libre; en avant, les
grenades ont écarté
poste d'écoute est dégagé.
les
coups de
assaillants.
Le caporal reprend
IMAGES DK LA (iRANDK GUKRRK
24'J
sa place et, l'œil au guet, le doigt sur la dt-tcnte,
attend (jue les Boches délilent.
En même temps, boyaux, aveugle
la lutte se
poursuivait dans les
Au
et hoirihle.
signal d'alerte,
la
troupe s'était précipitée de ses abris et courait à
Le
ses postes de combat.
en
sergent Patou marchait
de la section de droite, entraînant ses
tète
hommes. A un tournant du bovau, il se heurte à un énorme Teuton. Celui-ci tire un coup de revolver;
serjjent
le
s'affaisse,
Son énergie cependant
mortellement
reste intacte
:
il
atteint.
se dresse
sur les genoux, prend une grenade, l'amorce et
d'un geste défaillant
la huice
en pleine
[toitrinc
de
son agresseur. La grenade éclate, couchant l'agresseur,
mais
retombé,
ne l'entend plus.
sergent
le
la face
contre terre, et
il
râle.
est
Il
Galvanisés
par cet exemple d'énergie surhumaine, les soldats tour des grenades et s'avancent.
jettent à leur
L'ennemi est refoulé. Sur la gauche, un drame semblable se
La
vaillante troupe se précipitait de
jouait.
même
et se
Le soldat Borel, sans attendre ses camarades, a couru au danger. II aper«;oit l'ennemi et aussitôt, sans abri, fait le coup heurtait aux
Allemands.
de feu
jus(ju';i
couche.
A
gent
ce
F..., le
et l'abat.
ce
qu'une balle
moment,
la
premier, voit
Les autres,
tion s'avance et
«le
revolver
section arrivait. le
la
ser-
chef de hle interdit,
terriliés, s'enfuient.
occupe
Le
le
tranchée.
La
sec-
IMPRESSIONS DE GUERRE
S50
Surpris par cette riposte soudaine, les assaillants se sont ralliés
disparaissent dans leurs
et déjà
réseaux. Malheureusement,
quelques isolés qu'ils
ont
ils
fait
emmènent dans
prisonniers
leurs lignes.
L'un de ces prisonniers, confié aux soins de deux kamerads, grâce à la confusion du départ précipité, était resté en arrière de la bande. Lorsque le trio fut parvenu sur le terre-plein, l'un des Allemands fut atteint par
un
douleur,
s'enfuit vers sa tranchée sans plus s'oc-
il
éclat de 75; hurlant de surprise et de
cuper de sa mission. L'autre cependant conserve soigneusement sa capture; mais comprenant que
désormais il
la
prodigue
persuasion vaut mieux que la force,
les attentions touchantes. Il
chemin avec des gestes s'allume,
il
fait
amicale, puis le
délicats
coucher son fait
;
homme
relever de
indique
le
dès qu'une fusée
même.
d'une tape Inais notre
Français n'est pas séduit par ces bons procédés; la captivité
ne
lui sourit
nullement.
Il
étudie la situa-
tion et cherche un moyen rapide de fausser poliment compagnie à son tendre gardien. Tout à
coup, une nouvelle fusée éclaire le plateau les herbes, à
quelques pas devant
un énorme trou
d'obus.
Son plan
lui, il
;
entre
aperçoit
est vite mûri.
Au signal du kamerad, il se lève, se met en marche et, au moment où son compagnon passe sur le bord de l'entonnoir,
midable dans
du
trou.
lui lance
un coup de
la poitrine et l'envoie rouler
Le Boche
tête for-
au fond
furieux se relève péniblement
IMAGF.S DK LA
du revolver
et
celui-ci
t'tait
(;UI:RRE
(iRANI)l':
Franrais.
l'ingrat
clierclio
D»'jà
rentré chez nous. L'ordre est rctaldi.
Les hommes occupent la liizno des visages sont redevenus calmes, et tent leur rythme accoutumé.
Deux
251
tranciiées.
Les
cœurs
bat-
les
jours après, les Allemands, peu satisfaits
sans doute de leur j»remier essai, rccommenraient et le
bombardement
même
Cette
rite.
re[)renait
résultat insigniliant
:
il
encore
l'ennemi
fois,
selon
le
n'obtint qu'un
enlève à notre droite un
seul isolé, mais, par contre, laisse entre nos mains
cadavre de
le
qui dirig-cait l'attaijue. Cet
l'officier
insuccès était dû à une vigilance plus étroite de notre part. Instruits par la première affaire, nous
pour é\iter
a\ ions pris les dispositions nécessaires la surprise.
les
Dès
hommes
(jue le
moment
critique lut arrivé,
sortirent et occupèrent leurs postes
de combat. Cette mesure
était terrible,
mais
elle
s'imposait: nos défenses n'étaient pas encore suffisantes,
et,
par ailleurs,
les risques <lu
il
était préférable
bombardement que de s'exposer
être massacrés, sans défense,
Cette
de courir
au fond d'un
à
abri.
précaution nous évita une catastrophe;
cUe nous coûta cher cependant.
tombèrent en
jtlein
Deivv"
torpilles
milieu de l'une de nos tran-
chées; elles nous tuèrent cinq
hommes
et
en bles-
sèrent plusieurs autres.
Vers dix heures,
le
bombardement
s'espa\;a et,
IMPRESSIONS DE GUERRE
252
peu à peu,
le
:
Dans
rétablit.
se détendirent et
nerfs
la nuit, les
plat
calme se
le silence
de
tombèrent à
nous étions usés. Nous dormîmes d'un lourd
sommeiJ, indifférents à
tout.
Le lendemain, nous ne reprîmes conscience que pour sentir douloureusement
parmi nous
:
le
veille encore,
la
grand vide creusé
moins de douze
heures auparavant, nos camarades vivaient dans
une heureuse tranquillité, à cent lieues de penser au sort qui les attendait. Et tout à coup la mort avait passé parmi nous et nos amis étaient disparus
1
C'était
fini.
La journée comprimait
l'accablement qui
se passa dans
les
esprits
et les
cœurs. Les heures
s'écoulèrent avec une lenteur désespérante,
attendant
le
moment
en
de rendre aux victimes nos
derniers devoirs.
La cérémonie six
était fixée
heures trente, les
pour
hommes
Vers
la soirée.
de service
et les
amis étaient rassemblés au poste de secours, départ,
ils
du
contemplaient les restes sanglants.
Le
triste spectacle!
figés
et
les préparatifs
pendant que s'accomplissaient
Des corps étendus, des membres
dans une dernière contraction, des
ments en lambeaux,
vête-
souillés de terre, et le
sang
coulant par d'horribles blessures! Mais ce qui par-
dessus
tout
pauvres tètes;
absorbait l'attention, c'étaient les visages crispés étaient noirs
les
de
IMAGKS pouilio.
Di:
I.A
(i
HANOI'; G U K R R K
maculés de houe jxHric de
25 J
sangf, les
che-
veux en désordre. Des yeux ouverts, sans reg^ard, roflélaicnt encore l'horreur suprême; des i)ouches héantes scnihlaient proférer encore
dernier
le
cri
d'angoisse éperdue.
Lentement le cort^g^e s'éhranle, encadré par le jiiquet (jui marche le fusil has, la tète hasse aussi. amis, en foule j»ressée, suivent, les fronts
JjCs
courbés, dans un silence poignant,
li\r<'s
sombres pensées. Sous une imj)ression de navrante,
la
funèbre troupe
défile,
dans
le
à
de
tristesse
jour qui
baisse, sur le tortueux sentier qui court au flanc
du ravin
et,
après une marche longue et
mono-
tone, arrive enfin au cimetière. Il
est
grand déjà, ce cimetière! Lentement, jour
par jour, les tombes se sont alignées et peu à peu ont envahi
le
champ
qu'elles recouvrent à présent
de leur glorieuse moisson de croix. Sur les inscriptions,
de
la
nous suivons
la j)rogression
inexorable
mort; voici tout d'abord des Anglais qui,
premiers, ont reconquis ce coin
<le
les
notre France;
leurs croix s'alignent avec cette brève mention X..., dead in the action. le défilé
:
Puis voici les Français, et
des régiments commence. Enfin voici
le
nôtre: déjà nous avons pavé notre tribut. Grand cimetière! Et combien d'autres pareils jalonnent la
longue ligne du front!
Mais bientôt une impression de sérénité monte du cimetière,
et
dépasse les noires pensées. C'est
IMPRESSIONS DE GUERRE
254 qu'il est
Pas de ces monuments encombrants
tière.
où
bien touchant, dans sa simplicité, ce cime-
s'étale la vanité des survivants,
et laids
pas de chaos
discordant dans lequel se survivent les inégalités
de la
vie.
Les tombes sont toutes
leur rusticité elles sont belles
:
pareilles, et
dans
de pauvres croix
de bois aux inscriptions uniformes, des encadre-
ments modestes, et sur la terre quelques fleurs, dernier témoignage d'un ami vigilant. De cette simplicité, un sentiment intense de paix religieuse se dégage nous sentons que nous sommes entrés dans le champ du repos, sous les yeux de Celui qui fait justice au cœur. Nous avançons, et voici que devant nous s'ouvre un vaste trou béant la tombe commune de nos :
:
Ses dimensions insolites évoquent
cinq braves.
derechef
Les
le
drame dans
brancardiers
sa tragique horreur.
s'approchent, déposent
les
corps et les alignent sur le bord de la tombe, pen-
dant que
la foule se
groupe en un morne demi-
cercle. Aussitôt les belles prières
se déroulent
:
les corps sont
commencent
descendus
et
et la der-
nière bénédiction leur est donnée.
Mais ce n'est pas pénétré tout
le
tout.
Les assistants n'ont pas
sens des formules liturgiques;
ils
n'ont pas saisi les touchantes implorations, les
demandes de pardon
et
de paix. Alors
ils
veulent
prier encore, prier à leur manière. Soulager leur
eœur
si
plein d'affection pour leurs pauvres amis
1
IMAGES DK LA GRANDE GUERRE Afin
permettre à co désir
(le
L'ajipel est
entendu
et
hord
biles,
(le
la
remuée,
la terre
sont
et
lomhc, en présence des corps immo-
une pricrc ardente monte vers
cœurs
cliapolct.
accepté avec joie. Aussitôt,
tous se mettent à genoux sur (lu
se satisfaire, je les
île
donc à réciter une dizaine de
invite
255
par
étroinls
Les
le ciel.
spectacle
le
navrant;
l'émotion se communi(iue, grandit, éclate
des
:
sanglots entrecoupent les paroles. Mais chacun se
empreinte d'une
raidit et la pricre se j)0ursuit,
foi
profonde et d'une intense imploration.
La
A
prière est finie.
présent pèse
le
silence
Les esprits se livrent aux pensées dégagent de cette tombe immense. Ils
lourd, tragique.
qui
se
\oient celte belle jeunesse brutal. Ils sentent, plus
fauchée, d'un coup
que jamais,
le
vide irrépa-
rable, les nobles amitiés brisées. Ils
revoient le
passé, les jours atroces supportés dans des souf-
frances
communes,
une douce
les
heures de paix vécues dans
intimité. C'est fini!
Mais surtout,
les
pauvres familles! Les imaginations se transportent au loin, se représentent les fovers atteints
:
vieux parents, é[»ouse entourée de beaux eid'ants,
sœurs
et
demain,
la
fiancées.
puis, pleins de c(dle (|ui
Nous
dernière lettre,
les
uiicbrc besogne.
voyons
la lire
recevoir,
avec amour et
confiance, attendre
ne viendra
Cependant
les
la
suivante,
j)lus...
brancardiers ont
commencé
La
glisse, coule et.
terre
tombe,
leur
IMPRESSIONS DE GUERRE
25C
peu
à peu, recouvre les morts.
la poitrine aussi.
Le
La
tête a disparu,
de terre peu
flux
à
peu
s'avance; le voici aux genoux, puis aux pieds; l'extrémité des brodequins, seule, émerge. Vite,
nous fixons perdre
le
cette
image comme pour ne pas nous adressons aux
dernier contact;
chers défunts un suprême au revoir, et c'est
Nous retournons lentement dans
fini.
calme de
le
la
nuit.
Les hommes étaient mortifiés de ces aventures n'avaient pas cependant des
ils
une
sourde
colère
les
après, cette colère reçut
des nôtres se fils
de fer
et,
agitait.
Quelques jours
un nouvel aliment. L'un
tuer, durant la nuit,
fit
;
âmes de vaincus;
en posant des
sous les rafales de mitrailleuses,
il
ramener dans nos lignes. Le pendant, pauvre haillon, apparut cadavre matin le dans le réseau. Les Allemands le virent aussi, et fut impossible de le
durant toute la journée
ils
s'amusèrent à
le trans-
percer de leurs balles.
Cet outrage indigna
les
hommes;
des désirs de
revanche commencèrent à se manifester. Sur ces entrefaites, parut une note du général de division. Elle prescrivait quelques mesures de précaution, ordonnait de ne laisser aucun répit à l'ennemi, de le harceler sans cesse afin de prendre l'ascendant sur ces termes
:
« Il
lui, et
se terminait à peu près en
est inadmissible
que
les
Boches
IMAGES DE LA GRANDE GUERRE
257
montrent plus de cran que nous Une occasion se présentera sans doute bientôt de leur montrer que les
Français n'ont rien à leur envier sous ce rap-
port.
»
Que
sig^niliaient ces
sonne ne
le
paroles énigmaliques? Per-
savait et les conjectures allaient leur
train.
Bien vite
nous
quelque chose
montaient
travailleurs
d'énormes
trou.s
lots, as.surait la
compte que Chaque nuit, des
rendîmes
nous
préparait.
se
en
ligne
et
des emplacements
:
creusaient île
cra[)0uil-
rumeur. Le doute un beau jour
fit
des
officiers d'artillerie arri-
vèrent, dressèrent leurs
plans et peu après les
place à la certitude
:
Nous allions donc avoir un bombardement, et même un bombardement soigné, à en juger par le nombre de batteries. Bientôt un énorme stock de torpilles, «
crapouillolcur.s
»
installaient leurs cnt;ins.
quinze cents, disait-on, arrivait. Dès il
fallait
amener
le soir
mrme,
ces nmnitions à pied d'œuvre et
une longue théorie montait lentement les escaliers raides. Les hommes étaient courbés sous le fardeau; ils haletaient de l'ascension pénible, mais ils
étaient contents.
«
Que transportez-vous
en écho
Boches!
Nous II.
u, et :
«
» et
aussitôt
Qu'est-ce tout le
»
« Un colis pour U'> une autre voix prolongeait
demandai-je au hasard. Boches!
là?
—
(ju'ils
monde
vont
prendic, les
riait
n'étions pas au bout do nos surprises. 47
Un
IMPRESSIONS DE GUERRE
258
ma compagnie et me rends au mon sergent-major. « Eh bien,
jour je monte à
l)ureau. J'y trouve
fourrier, quoi de neuf en bas?
rienl
— Rien! — Quoi,
Vous ne savez donc pas?
aurons bientôt concert!
—
— Oui, mais
ton mystérieux du sergent-major
Oh
nous
si,
après?
était
»
Le
chargé d'in-
connu. Je tentai inutilement de le sonder.
Au
reste, le
mystère devenait bientôt
de polichinelle tenter
le
secret
nous devions tout simplement un coup de main afin de terroriser nos vis-
à-vis et de
:
ramener,
niers. Ainsi
possible, quelques prison-
si
nous aurions
nous serions
la paix et
renseignés.
commençaient
Les préparatifs équipe spéciale
aussitôt.
Une
son dressage
était constituée et
entrepris sans retard.
L'opération avait été prévue dans ses plus petits
au hasard ou à l'improL'armement était conçu en vue de la lutte de boyaux un pistolet automatique, un poignard, des grenades. Le costume était adapté aux détails; rien n'était laissé
visation.
:
circonstances vareuse, ceinturon fortement serré, :
— pas de cravate;
sans cartouchières, la
vareuse ouverte
à l'ennemi.
:
il
La troupe
fallait n'offrir
était divisée
l'agrafe de
aucune prise
en groupes, à
un rôle spécial, simple, bien déterminé occuper un boyau, y établir nettoyer la tranchée sur un parcours un barrage; vider enlever un poste d'écoute; désigné; chacun desquels
attribué
était
:
—
—
—
IMAGKS un
LA GRAND K GUERRE
Des photos d'avion avaient
;il)ri.
aux
DI-:
officiers et ceux-ci,
ment, avaient instruits,
ils
a
259
été remises
grâce à ce précieux docu-
réalisé » la situation. Parfaitement
avaient dirigé sur un polygone d'exer-
cices des répétitions qui avaient fixé les idées de
chacun.
Tous
les acteurs
veille et attendaient
Le grand
possédaient leur rôle à mer-
avec confiance
jour, vers
une heure,
le
jour
la
séance com-
fixé.
mençait. Les 75 arrivaient i)ressés, coupaient leurs sifllements aigus.
(le
l'air
Les gros oiseaux de
tranciiées prenaient leur vol, montaient, fonçaient.
Kn quehiues minutes, craquements
le
sinistres.
J'étais alors enterré
combat du spectacle, mais
dans
bataillon. J'y
férét.
plateau retentissait de
la situation
le
fond du P. C. de
perdais l'avantage du
ne manquait pas
d'in-
vibrations arrivaient jusque dans nos
L<\s
[)rofondi'urs,
les
sons aussi, bien
qu'étouffés
:
un solo de grosse caisse, écrasant par la force des coups et leur martèlement continu. Je suivis ainsi pendant un certain temps, à ma façon, les périj)éties du bombardement, puis tout à coup mon attention fut distraite et ramenée à l'intérieur de notre souterrain par un ton de voix le téléphone parlait. Le bavard! Je nasillarde levai les yeux vers l'appareil. Le commandant était debout et, le o combiné » sur la bouche et
c'était
:
sur
l'oreille,
il
entretenait les quatre coins cardi-
IMPRESSIONS DE GUERRE
260
naux.
—
«
AUol compagnie ouest! Comment ça
Le bombardement avance? Et la brèche? Le 75 tire trop court! Vous recevez de nos crava-t-il?
pouillots!
—
Comment
vous des blessés?
Puis de nouveau un
même
cela se fait-il?
—
Avez-
— Vos tranchées sont abîmées? «
allô
»
»
retentissait et la
conversation reprenait avec la compagnie
est.
Et ce n'était pas tout, hélas!
mandant
Le pauvre com-
n'avait pas seulement à se renseigner;
devait ensuite transmettre les informations
:
il il
devait se débattre successivement avec les états-
majors étages qui tous voulaient s'informer directement.
Qu'ils
étaient
avides
et
qu'ils
étaient
impatients. «Allô! colonel! bataillon nord écoute!
— Allô! brigade! — Allô!
division!
»
mations revenaient à chaque instant
Ces exclaet
chaque
commandant, de son calme imperturbable, comme une leçon, la partie du dialogue que tout à l'heure nous avions devinée aux craquements du diaphragme. Nous avions la sensa-
fois le
répétait,
tion très vive
que de partout
les attentions étaient
tendues vers nous; nous sentions les états-majors, coiffés des oreillères,
au bout de nos
fils,
comme
à l'extrémité d'un nerf.
Pendant ces conversations animées, notre tir avait pris fin et celui des Boches, peu à peu, s'était assoupi. Les résultats nous arrivaient bientôt
:
les
brèches étaient amorcées, loin d'être à point. L'ar-
I
IMAGES
demandait donc un nouveau
lillcrie
afin
261
de ri^glage,
tir
de procc^der avec impeccabilité au grand bom-
hardernont du Il
LA GRANDF: GUKRRE
DI-:
soir.
compagnie que
fallait pr«''vt'nir la
reprendre, alin do Cette mission
me
mettre les
revenait, car
le
lir allait
hommes
à l'abri.
un
message ne
tel
pouvait être confié au lélrphono. parfois indiscret.
me
commandant;
«
Courez,
à
deux heures cinquante
dit le
;
vous avez un quart
d'heure, juste de quoi faire la route. je
me
hàto donc dans
le
reprend
le tir
»
C'était
dédale de boyaux
encombre au souterrain de mon
rive sans
peu;
et j'ar-
capi-
demande
taine. Je lui fais part de la nouvelle et lui le détail
des résultats obtenus. Pour être clair
précis,
veut les donner par
il
s'installe
diger
!
donc à sa
écrit.
Tranquille,
Le temps me
va recommencer!
long. Je
paraissait plutôt
:
«
Le
Kncore cinq minutes!...
Encore deux minutes! Oh! paperasses! PiMidaiit
il
table et je le vois rédiger, ré-
regardais courir la plume, tout en pensant tir
et
«
que je peste intérieurement contre
les
ra|»ports écrits, voici des sifflements qui passent «
Ça
y est;
le
jolie situation
!
tir
est repris! .Me voici
:
dans une
»
Aussitôt, du tac au tac, les Allemands s'étaient
mis h répondie; au bout de
(juel(|ues
jduio d'acier tombait drue.
A
houm d'une
minutes
la
cluujue instant
le
nous parvenait, puis après quelques secondes, écoulées lentement dans une chute
IMPRESSIONS DE GUERRE
262
un déchirement gigantesque
se
produisait. Et chaque fois c'était dans l'abri
un
attente axieuse,
un contre-coup douloureux, un coup de qui nous assommait. Les parois vacillaient,
choc, bélier
se déplaçaient dans le haut de 40 à 50 centimètres,
tantôt à droite, tantôt à gauche; parfois le plafond
nous recevions sur la tête un véricoup de massue. Nous étions dans un vais-
s'abaissait et
table
seau, battu par des vagues furieuses, implacables,
acharnées en meute. Pendant ce déchaînement, l'horreur s'était appesantie sur nous et dans
morne
silence
Enfin, le rapport est terminé. C'est le critique. Je
monte
l'escalier et,
moment
avant de m'enga-
ger dans la fournaise, j'inspecte les abords étaient battus
passer. le tir
et
Au
à chaque instant
;
:
ils
impossible de
reste, le rapport n'était pas pressant et
me
résignai donc,
quelques marches,
attendant une
ne devait pas durer. Je
descendis
éclaircie.
un
nous attendions.
Minutes longues
I
Déjà, à plusieurs reprises, le ciel avait semblé se rasséréner, et chaque fois j'avais été contraint
de rentrer prestement. Enfin, rétablir.
le
calme parut se
Fatigué d'une longue indécision, je
décide à risquer
le
passage. Je monte l'escalier
me et,
au moment où je vais déboucher du vestibule, j'entends à quelques pas, dans le boyau, un bruit mat, une chute. Qu'est-ce? Sans doute un débris,
une motte de terre? Je ne m'émeus pas; pourtant
IMAGliS
une prudence J'attends
mcnt,
LA GRANDE GUKKHli
l)K
instinctive
me
n'y a rien. J'allais
il
fait
reculer d'un pas.
secondes, peut-être
cinq
dans
rejeté, plaqué
émerger
l'escalier
seau à charbon
»
Je
!
:
me
i03
dix.
Dc'îcidé-
lorscjue je suis
bolide était un
le
relève meurtri, les
mend)res tremblants, sufToqué par des battements
ma
de ccrur désordonnés. L'aventure avait calmé
en patience
pense, je
lorsque
et,
Comme
eut cessé, je revins.
l'averse
A
mon mal
Je pris
bàtc.
bien l'on
« fis » vite.
part ((uclques rares obus, jusqu'à sept heures,
l'atmosphère
l'ut
obstinément à
calme. Cependant, nous pensions
camarades
nos
«jui
attendaient
l'heure d'entrer en scène.
En
ce
moment,
de leur donner force
et confiance.
«
gnole
»
Mais
les appétits
du menu
seul le
;
reçurent (jucltiue accueil. C'est
que ces braves depuis et qui oserait leur
cui-
préparé en vue
était
étaient loin d'être à la hauteur café et la
aux
étaient à l'arrière,
ils
où un bon repas leur
sines,
en
le
matin avaient
faire
un bhlme?
le trac
—
—
ne
Ils
pensaient à rien, ou plutôt une obsession les assiégeait, aveuglant le
champ mental
encore quatre heures, encore
trois
«
Ça approche; heures!
»
Par-
l'angoisse, changeant de pôle, s'intervertis-
fois sait
:
:
«
ça soit
Mon
Dieu, que c'est long! Vivement, que
fini! »
Angoisse sourde, profonde,
ralysait le cœur.
La
([ui
pa-
tétc était brûlante, des four-
millements dans les doigts,
les jand^es
molles.
IMPRESSIONS DE GUERRE
264
Nos hommes cependant
réagissaient, et superbe-
ment. Les chants résonnaient;
Un
bons mots fusaient.
les
les plaisanteries,
spectateur ignorant se
en présence de joyeux excur-
fût cru, sans doute,
sionnistes.
L'après-midi se passa dans ce lancinement énervant. Enfin, a six heures et demie, la période d'at-
On
marche vers les abris de première ligne, où, en deux groupes distincts, on devait passer la dernière heure de bombardement pour sauter ensuite chez les Boches. Ce que fut cette dernière heure, on le conçoit
tente prenait
aisément
:
fin.
se mettait en
l'angoisse pesait plus lourd, l'inquié-
tude physique
était
au paroxysme. Et
la
pensée
hallucinante s'imposait, plus tyrannique « Encore une demi-heure, encore dix minutes. Mon Dieu, que c'est longl » Pour maîtriser l'émotion, la gaieté s'affichait; quelques acharnés jouaient aux :
cartes.
Sept heures cinquante-cinq. Debout! L'action
mence. Instantanément l'inquiétude calme ses
com-
les quitte; le
est revenu. L'officier inspecte
rapidement
hommes, répète en quelques mots
le rôle
chacun, donne les dernières recommandations
termine par ces mots
Tous vont occuper L'officier
— 20
«
Courage, confiance!
et »
leur poste de départ.
prend sa montre en main
secondes...
Attention!
:
de
30 secondes...
— En avant!
:
7
h. 59...
45... 50... 55...
IMAGES DE LA GRANDE GUERRE
Au même pouillots
J65
instant précis, l'artillerie et les cra-
abandonnent
des-
le terrain d'attaijue et
sinent, on avant et sur les côté des assaillants,
une
barrière protectrice.
Les deux groupes, d'un seul bond, surgissent au-dessus de
à travers l'obscurité fran-
la sape,
cbissont les brèclies et disparaissent dans la trancliée
opposée. Aussitôt
Dans
le
les
fractions se séparent.
groupe de gaucbe, l'une va à gauche à une
cinquantaine de mètres et y établit un barrage; dans le groupe de droite, l'une s'en va à droite remplir
le
même
office
une autre s'enfonce à
;
toute vitesse dans le boyau, en se faisant précéder
de grenades,
et s'installe à
son poste. Pendant ce
temps, de gauche et de droite, deux autres partis s'en viennent à la rencontre l'un de l'autre alin de
nettoyer
la
Iraiichi'o;
néce[)tion
!
On
un
;iutre
inspecte le boyau.
ne trouve rien; pas l'ombre d'un
Boche. Kn tout un
fusil, celui
d'un guetteur qui,
sans doute, à l'apparition de cette troupe de dé-
mons,
s'était
enfui à toutes jambes. L'artillerie
avait trop bien travaillé
:
la Iranciiée et le
étaient bouleversés de fond en (le
comble
;
découvrir un poste d'abri. Çà et
mière ligne, la terre
lies
moyen en pre-
débris de poutres surgissaient de
dans un chaos inexprimable
vestiges de gourbis défoncés
Leurs
s'en trouvait, avaient leur comj)te lieu
pas là,
boyau
;
il
:
c'étaient les
liabitants,
s'il
n'v avait pas
de s'en [>réoccuper. Pour tout butin, un
fusil,
IMPRESSIONS DE GUERRE
266
un périscope, quelques grenades, un manteau de guetteur. Maigre prise! Mais que faire?
ne
Il
pas songer à pousser en deuxième ligne où
fallait
le gibier
ne manquait certes pas. Le cas n'avait pas été prévu; comment improviser en quelques secondes
une nouvelle tactique? Du
reste,
dans
caillebotis résonnaient déjà sous
le
boyau, les
des pas
nom-
breux. L'ennemi s'était ressaisi et arrivait force;
fallait
il
déguerpir au plus
tôt.
en
L'officier
donna un coup de corne; la troupe se rallia et en un clin d'œil disparaissait dans la tranchée d'en face. Le drame était joué. Du fond du poste de commandement, anxieux, nous attendions. d'attente,
du temps
Comme
eux, lors de la période
nous avions mesuré
comme
et,
écoulement
le lent
eux, nous avions senti
l'in-
A chaque intant les montres sortaient des poches. Enfin une voix quiétude physique monter.
s'écrie
:
«
C'est l'heure!
un
» et
silence de
plomb
s'appesantit sur nous. Plus fiévreux, quelques-uns
montent dans
le
boyau, gravissent
le
parapet et
Donc ça va bien! passent, sans un mot. Tout à
écoutent. Rien! Pas de fusillade!
Dix minutes se
coup l'avertisseur du téléphone brise
le silence
de
son grincement énervant. C'est la première ligne qui parle.
Ils
sont rentrés, tous, mais ne ramènent
pas de prisonniers
1
Les cœurs
aussitôt se
dé-
tendent, mais nous restons déçus.
Quelques minutes encore
:
une trombe se pré-
IMAGES DE LA GRANDE GUERRE cipitc
dans noire escalier.
voilât »
Nos braves font
entourent
le
commandant
un peu de calme
et se
Nous
«
irruption,
voilà!
nous
dansent, brandissent le le
qui s'efforce d'imjjoser
fusil,
s'agitent,
ils
élèvent les grenades,
manteau; ceux qui n'ont pas de butin
font tournoyer leurs C'est
une scène
leurs poignards.
pistolets,
diabolicjue,
un
vrai sabbat.
situation est dangereuse, au milieu de ces et
de ces explosifs
travail.
faire
Il
il
un
dérivatif.
n'y faut pas songer
commandant, causer avec
qu'un moyen
La
armes
nous sommes sur un volcan en
;
est urgent de trouver
remonter,
voir le
Nous
assaillent,
défend en vain. Tous parlent
à la fois, l'exaltation est extrême;
déploient
867
:
ils
lui.
Les
veulent Il
n'y a
les faire descendre encore. Le commandant, de toute la force de ses poumons, domine le tumulte « Allons, mes amis, du calme :
:
Je vais voir d'abord votre
et de la patience!
cier; je
vous écouterai ensuite
cette décision,
ils
ment descendent
»
offi-
Médusés par
se laissent pousser et docile-
l'escalier. L'air froid
rain les rafraicbit soudain
:
du souter-
l'exaltation tombe. Ils
ne sont plus qu'énervés, fortement. Nous prolitons de leur sagesse subite pour les désarmer.
Quelque
temps après,
ils
remontaient, rece-
vaient du connnandant un bon
mot de remercie-
ment et, le cœur léger, allaient dormir. Deux jours après, les braves partaient en permission. Le groupe s'éloigna joyeux, mais en
IMPRESSIONS DE GUERRE
268
un caporal marchait en
arrière,
triste, la tête basse. Il était
aucun
doute la permission
silence,
envahi
«
«
On
Qu'est-ce que tu as?
— Oh! — Où — Où vas-tu loger? — Je ne
!
Ce caporal
était
si.
un héros du
de tout esprit d'intrigue, en tout
moins
était étrang-e. », l'appelle
:
que tu n'es pas
dirait
content de partir? Paris
pays
«
l'air
sans
et
souriait
lui
qu'aux autres. Cependant sa tristesse
L'adjudant de bataillon, un
»,
—A
vas-tu? sais pas
devoir.
»
1
Dépourvu
se laissait faire,
il
sans jamais rien chercher, rien demander.
On
lui
une permission, il la prenait. Il n'avait aucun parent, aucun ami dans la France non envahie. Il irait donc à Paris, le refuge des épaves. offrait
Il
n'avait pas
d'argent
comme
plongeur.
hôtel,
la nuit,
:
il
Le
un
se louerait dans
jour,
il
travaillerait, et
pour ne pas dépenser l'argent gagné,
il
coucherait sur un banc de boulevard, sous un pont. N'était-il pas habitué à la dure? Et ainsi,
avec
la
somme
économisée,
jours de vraie permission, à la
Tel et «
était le
que,
pays
sans
il
deux
se payerait
fin.
plan que ce simple avait échafaudé,
aucun
calcul,
il
exposait à
son
».
Celui-ci ne l'entendit pas ainsi.
l'adresse des Réfugiés du Nord, lui
pour vaincre ses résistances, mander un logement.
lui
Il
lui
donna
conseilla et,
ordonna d'y de-
Arrivé à Paris, le caporal suivit cet avis et ce
IMAGES DE LA GRANDK GUERRE fut miracle. nel. Il
L'œuvre
lui
donna
y fut reçu et clioyé
en
269
l'adresse d'un colofils
de la famille.
Il
y vécut sans doute un peu gêné d'un luxe aucjuel il
n'était [)as fait,
mais rassuré par
cette cordialité
sans apprêts, de la part de personnes si
distinguées.
A son
pût y avoir des gens Parisiens au
retour, si
était
il
bons pour
cœur généreux,
si
riches et
confondu
(ju'il
pauvre hère!
lui,
allez
donc quel-
quefois attendre les trains de permissionnaires.
Vous
y trouverez de pauvres épaves qui, malgré
la charité
immense des œuvres, en
dépit de la
sollicitude de leurs chefs, errent perdues,
chant que devenir. Si vous n'êtes pas ouvrir
un
là
ne sa-
pour
foyer, tel brave qui risque sa vie
lui
pour
vous, vingt fois le jour, sans calcul et sans hésita-
couchera près de votre
lion,
logis, sur
un banc ou
sous une arche de ponl.
L'ennemi
n'était
pas encore suffisamment maté.
Une nouvelle leçon devenait
indispensable.
1" juin, la séance recommençait.
La première
épreuve avait fourni des enseignements, fois
les dispositions
Le
furent modifiées en
et cette
consé-
quence.
La manœuvre
réussit.
Le
tir île
Tarlillerie fut
moins violent et l'enquête, par contre, poussée plus à fond. Les explorateurs trouvèrent donc des abris.
A
la
porte de l'un d'eux,
En réponse, des coups de
ils
crièrent: Ileraus!
feu. Aussitôt «les gre-
nades sont lancées. Les explosions retentissent,
IMPRESSIONS DE GUERRE
270
sourdes, dans les profondeurs.
intense se produit.
A
Un
grouillement
travers la colonne épaisse
qui s'élève, percent des cris atroces. Puis tout s'apaise, et le
panache de fumée monte vers
le ciel
dans un silence de mort.
Un
autre détacliement parvient à une seconde
entrée.
Un Boche
surgit, tire
un coup de
puis décharge son revolver. Affolé,
personne
:
une grenade
le
il
couche par
fusil,
ne touche terre.
Lès
nôtres se précipitent; mais l'homme se relève et
un corps
à corps furieux s'engage. Pendant la
lutte, d'autres soldats
allemand
et des
occupaient l'entrée du réduit
Heraus impératifs, absolus, reten-
Une salve de coups de feu part du fond malheureux ont prononcé leur sentence. Un assortiment de grenades est jeté et, de nouveau, fumée et cris; fumée et silence... Les Allemands arrivaient nombreux. La corne retentit et la troupe regagne son point de départ.
tissaient.
:
les
Un homme
avait disparu dans la
confusion.
devenu? Personne ne le savait. La nuit passa en vaines recherches. Le lendemain, les se guetteurs aperçurent son corps accroché aux réseaux boches. Il faudra aller l'y chercher, mais comment faire? Les ennemis vont sans doute nous tendre une embuscade. La nuit tombée, l'essai est tenté cependant. Qu'était- il
Une
mitrailleuse, installée dans la journée, ac-
cueille
nos hommes. Inutile, hélas
1
d'insister.
IMAGES DE LA GRANDE GUERRE Mais
Boches n'auront pas
les
veulent pas nous rendre!
cadavre
le
Une
27!
qu'ils
ne
mitrailleuse fran-
çaise est aussitôt pointée en face et depuis, dans le silence de la nuit, au-dessus
immobile,
Sur
le
du pauvre cadavre
les adversaires dialoguent.
haut plateau dévasté, la monotonie de
nouveau règne,
et le
temps, minute par minute,
s'égoutle. Domine, ad adjuvandum... festina.
PaulD..., Sergent au N' de ligne.
Écrit sur les flancs du ravin de Trovon, dans
lampe Lorgne, parmi
à la lueur d'une
gourbi et
un trou
noir,
tumulte du sous l'ébranlement des torpilles, le 1" juillet le
d916.
3.
L'eiïeclif de
baisser
:
les
—
Uîi brave.
notre compagnie
commençait
à
évacuations successives avaient creusé
des vides qui allaient s'élargissant; notre nombre se restreignait et le service pesait lourdement.
Heureusement, ces temps derniers,
la
compa-
gnie reçut un renfort, un singulier renfort qui a
quadruplé sa force. Je
me
trouvais
un beau jour, vers
dix iieures
du
IMPRESSIONS DE GUERRE
2T2
matin, sur la terrasse de notre P. C. Après les pre-
mières courses, en attendant d'autres occupations, je respirais, j'admirais la
déroulait à
mes
pieds, et
calme qui montait de
mon
Soudain,
la
mer de verdure
me
laissais aller
qui se
au grand
nature tranquille.
attention fut attirée par deux
points qui se mouvaient sur le sentier dans le fond
du ravin et semblaient se diriger vers nous. Tout d'abord, je me désintéressai des nouveaux-
Qui
arrivants.
étaient-ils?
Sans doute des agents
de liaison, des liommes de corvée. Peu importait. Je
me
replongeai donc dans
sans plus
me
ma
contemplation,
soucier d'eux.
Quelque temps après cependant, poussé par une curiosité aux abois, en quête du moindre incident, j'inspectai
hommes
nouveau
de
le
sentier
les
:
venaient décidément à nous.
déjà suffisamment rapprochés pour
deux
Ils étaient
quaux
gestes,
à la démarche, nous puissions conje('turer leur
Pendant quelques
identité.
instants,
nous nous
efforçons de déchiffrer l'énigme. Quel est le pre-
mier?
du
ne répond au signalement d'aucun homme
Il
bataillon.
qu'un.
donc,
« il
«
Mais
Voyez,
est
un
Le second,
en capote. Et puis, voyez
—
Cest
c'est notre
certain, ajoute
»
un
il
autre.
margis, qui revient de chez
colonel et le ramène.
sac.
renfort, » s écrie quel-
a des cuirs jaunes tout neufs; })our sûr,
vient du dépôt!
le
il
c'est
Regardez,
il
porte son
IMAGES DE LA GRANDE GUERRE
273
Dix minutes
Les conjectures étaient justes.
compa-
après, le renfort, suivi de son charitable
gnon, ù quelcjucs centaines de mètres de nous, achevait de grimper la pente raide. Triste renfort!
Bien
de son sac,
qu'allc'gé
il
paraissait à bout
:
il
marches d'un pas lent, fatigué à chaque instant, il s'arrêtait pour souffler, s'efforçait de redresser, mais en vain, sa taille voûtée. escaladait les
—
:
Dame! murmura quelqu'un,
«
son magasin
!
le
dépôt a vidé
»
Bientôt, l'arrivant débouchait sur notre terrasse et sa
vue nous clouait sur place dans un véritable
ahurissement
:
un
malheureux! Que
vieillard à la tète vient-il
blanche
«
!
parmi nous?
faire
Le »
Telle fut l'unique pensée qui occupa nos esprits.
L'ancien semblait bien fatigué de sa rude montée
:
donc
était
il
appuyé sur son
et,
vague,
mîmes
congestionné,
il
aspirait l'air
fusil,
haletait.
Il
s'arrêta
sans parole, l'œil
Nous
à traits profonds.
ce temps à profit pour l'inspecter.
Il
parais-
mais, par contre, une âme de fer semanimer son corps débile sa figure maigre, à peau flottante, aux rides profondes, laissait
sait
usé
;
blait la
il
:
trans})araîtrc
une énergie indomptable. Un brave
assurément; du reste, cielle
:
il
en portait
la
marque
un galon de sergent rehaussait
offi-
le bleu
de
sa manclic et, sur sa poitrine, se détachaient le
vert d'une croix de guerre et le jaune de la daille militaire. 11.
Mais qui
était ce
brave? 18
mé-
IMPRESSIONS DE GUERRE
274
Pendant que
le
mystère tenait nos esprits en
suspens, le sergent, ayant recouvré son souffle et sa présence d'esprit, avait remarqué, à quelques
pas de
lui, le capitaine,
mandant,
qui,
en l'absence du com-
dirigeait le bataillon et qui, intrigué, le
dévisageait en silence.
Aussitôt l'ancien redressait, autant qu'il le pouvait,
sa taille branlante et présentait les armes
avec une conviction de conscrit, puis, encouragé par
un sourire bienveillant, s'avançait et, avec une bonhomie parfaite, tendait la main à l'officier. « Mon capitaine, dit-il, c'est vous qui commandez le bataillon?
Je suis bien heureux de faire votre
connaissance.
»
Le
geste et la démarche n'étaient
bon vieux était si touchant que le capitaine accepta de bonne grâce ces avances et y répondit par une poignée de main et par quelques franches paroles de cor-
guère conformes au protocole, mais
le
diale bienvenue.
Nous considérions ment amusé, lorsque rompre le charme « :
chota-t-il. Il a
Son père
fusillé, le
gèrent dans
compagnon de route vint C'est un Lorrain nous chu-
le
1
eu son père
vient pour le venger!
la
un étonne-
cette scène avec
fusillé
en 1870,
et
il
»
venger! Ces mots nous pion
stupeur.
En un
clin
d'œil,
les
images, les sentiments se pressèrent et défilèrent
en ordre serré devant notre esprit troublé. Le sombre drame se dressa, comme une féerie, de-
IMAGES DE LA GRANDE GUERRE
275
homme les yeux une rangée de Prussiens, et, une femme, des enfants qui pleu-
vant nos yeux. Nous vîmes un
bandés; devant
lui,
à l'arrière-plan, raient.
Une vague de
immense, mêlée de sourde nous ébranla et nos cœurs se soulevèrent. Puis, nous suivîmes notre Lorrain le long' de sa triste carrière; nous le vîmes quitter son pays, vivre en France, attendre avec impapitié
colère et de révolte,
tience le jour où lui et
lui le
venger
pourrait rentrer en maître chez
Nous parcourûmes avec
long calvaire d'attente
sombres années
défiler les
taient
il
le forfait.
un lambeau
stérile;
une
qui,
d'espoir.
Nous
contre l'abattement grandissant
nous vîmes
k une, le
empor-
vîmes
et, enfin,
lutter
dans les
dernières années, les années de lâche capitulation, j)leurer, la
sa chère
rage au cœur,
Lorraine.
souiïrîines la
gamme
irrémédiable de
la perte
En quelques
instants,
nous
ascendante des douleurs qui,
pendant un demi-siècle, avaient abreuvé ce cœur de leur amertume croissante. Nous étions remplis
soudain d'un profond attendrissement pour cette victime; mais on
même
temps,
la
grandeur de son
geste rélevait bien haut dans nos esprits et un sen-
timent de profond respect nous dominait.
Sous l'empire de ces impressions, nous nous étions approchés et, à notre tour, par des témoi-
gnages de ciiaude sympatiiie, nous nous cH'orcions de
faire sentir
au vieux sergent que son geste
était
IMPRESSIONS DE GUERRE
276
compris, qu'il n'avait parmi nous que des admirateurs; et que, dans notre rég-iment,
plus que des frères, des
fils
il
empressés
trouverait
et
aimants.
Notre entrevue fut de courte durée. Aussitôt remis de son ascension, le sergent n'eut plus qu'une idée
Je dois rejoindre
«
:
ma
— Parfait;
6'.
c'est la
—A — A la
compagnie.
laquelle étes-vous affecté? lui demandai-je.
mienne. Nous aurons donc
le plaisir
de faire ample connaissance au prochain
repos.
Je mis
»
mon nouveau compagnon
il s'enfonça dans le boyau vue pendant quelques jours.
route
;
Au
sur sa
et je le perdis
de
mon vieux Lortable de popote, où j'eus même la son voisin. Comme je l'avais promis
prochain repos, je retrouvai
rain à notre
chance d'être
à notre première entrevue, je nouai une connais-
sance plus intime.
Dans son passé, un épisode entre tous excitait curiosité le terrible drame de 1870. Je crai-
ma
:
gnais,
est vrai,
il
loureux
même,
de réveiller des souvenirs dou-
et j'hésitais à
aborder la question. Lui-
me
mit sur la voie. Je saisis
par hasard,
l'occasion et laissai entrevoir à
mon voisin l'intérêt
que provoquait en moi son
histoire.
grâce,
il
me
la
De bonne La
conta dans tous ses détails.
voici. «
En
1870, nous habitions dans un faubourg de
Metz, où, jusqu'alors, nous avions tranquille et heureuse.
Lorsque
la
mené une
vie
guerre éclata,
IMAGES deux de mes
ma
LA GRANDE GUERRE
Dli
frères s'engagèrent
277
aussitôt;
pour
part, je n'avais que treize ans, j'étais donc
condamné à
être le
témoin passif des horreurs de
l'invasion. Bien vite les terribles nouvelles arri-
vèrent
:
Français, vaincus, reculaient et les
les
Prussiens,
comme un
flot
menaçant, s'avançaient
vers nous. Bientôt Bazaine s'enfermait dans notre ville et,
pendant deux mois, nous vécûmes dans
l'espoir angoissé de la délivrance. Puis ce fut la
honteuse capitulation Allemands.
Ali!
mon
et aussitôt après l'entrée
des
ami! Quelle liorreur que la
lourde marche de ces sinistres soldats noirs! J'entends encore leurs pas marteler
pavé de notre
le
rue, pendant que, pleurant de rage, je les considérais derrière «
nos rideaux
tirés.
Et ce n'était que l'avant-goût des horreurs de
l'invasion!
Dès
le soir,
faisaient irruption chez tallaient
une douzaine de Bavarois nous
et,
sans façons, s'ins-
en maîtres. La paille de
suffisait pas;
il
donc chez nous
leur et
nos
lits.
Ils
ne leur
entrèrent
passèrent l'inspection des cham-
bres. Ils y trouvèrent
au jour un enfant,
fallait
l'étable
ma sœur qui
la veille.
venait de mettre
Sa situation aurait dû
exciter la pitié, sinon le respect de ces
hommes.
Mais ces Allemands étaient des brutes. Sans tenir
aucun compte des réclamations de des plaintes de la malade, ci
de son
ils la
lit
ils
et la traînèrent
ma mère
et
arrachèrent celle-
dans
la cuisine oîi
laissèrent évanouie sur le pavé froid. Puis
IMPRESSIONS DE GUERRE
278
chambres
se partagèrent les
ils
A
«
ce
et s'installèrent.
moment même, mon père rentrait et trou-
vait dans la cuisine sa
femme en
étendue par terre, sa
fille
pleurs essayant de la ranimer
et,
tout
autour, les petits poussant des hurlements d'effroi.
Mon
père s'arrêta interdit sur le pas de la porte.
Subitement, Il
ne
dit
devenu pâle comme un mort. ma mère un
était
il
pas un mot, mais fixa sur
regard interrogateur. Celle-ci tendit les «
chambres
Les Prussiens «
!
de rage;
sortit sans
reparaissait
ce qui
le
bras vers
murmura
:
»
Soudain, les yeux de
éclair
le
d'une voix étouffée
et
mon
père brillèrent d'un
sang empourpra ses joues.
Il
mot dire et quelques instants après, armé d'un gourdin. Nous comprîmes
allait se
passer
nous jetâmes sur reste tranquille,
glacés de terreur, nous
et,
Louis, pour tes enfants,
lui. «
» criait
ma
mère!
«
Papa, papa,
»
implorions-nous tous. Mais aveuglé par la rage, mon père n'entendit rien. D'un pas de somnambule,
il
se dirigea vers les chambres, ouvrit la
porte d'un geste brutal et disparut. «
Comment vous
vantable? L'horreur
raconter cette scène épou-
me
fait
encore dresser les
cheveux au seul souvenir. « Nous étions plongés dans une noire stupeur, dans
l'attente
d'une catastrophe, lorsque, tout à
coup, dans les chambres, ce fut un bruit de lutte,
des chocs, des cris; puis,
comme un
éclair, les
IMAGES DE LA GRANDE GUERRE
279
Bavarois défilèrent devant nous, poursuivis par
mon
père, qui frappait à tour de bras de son ter-
rible gourdin. «
Ils
n'étaient pas sortis tous! Quatre d'entre
eux gisaient dans
Mon
«
les
chambres,
le
crâne fracassé.
père rentra bientôt, jeta
milieu de la cuisine.
encore inanimée
et,
Il
s'assit
son bâton au
en face de sa
fille
sans un mot, plongé dans un
sombre désespoir, la considéra, les yeux fixes. « Ce ne fut pas long. Bientôt des pas cadencés faisaient sonner les pavés de la rue, et, quelques
instants après, des crosses retentissaient à notre porte. C'était la
garde!
Les Bavarois entraient
aussitôt; l'un d'eux, l'un de nos hôtes, désignait
mon
père d'un geste; les soldats se jetaient sur
lui et l'entraînaient
au milieu de nos
cris
de déses-
poir. «
Le lendemain matin,
garde
faisait
vers huit heures, la
de nouveau irruption
ciiez
nous
et,
sans un mot d'explication, nous emmenait tous, laissant la «
A
malade abandonnée.
Et savez-vous où ces monstres nous menaient?
l'exécution de
mon
père! Voyez-vous,
ils
n'ont
pas beaucoup changé depuis quarante-six ans, les
sauvages «
î
Nous fûmes donc conduits, comme des mal-
faiteurs, entre
rues de la
deux rangs de soldats, à travers les Malgré notre effroi, nous pous-
ville.
sions des cris pitoyables qui faisaient pleurer les
IMPRESSIONS DE GUERRE
280
passants la part
et
qui de temps à autre nous valaient, de
de notre escorte, des coups de pied, des
coups de crosse. «
Nous parvînmes
enfin à
une
place.
Des
sol-
dats étaient alignés tout autour; le peloton était
déjà disposé.
Nos gardiens nous conduisirent tout
auprès, afin que rien ne nous fût épargné de l'horrible spectacle.
au mur.
Un
de mort.
Mes
prendre; je
Mon
officier
me
père fut alors
amené
et collé
s'approcha et lut la sentence
sanglots m'empêchèrent de
souviens seulement d'avoir
comsaisi
:
ennemis sans défense! » « Nous voulûmes nous jeter alors sur notre père et l'embrasser une dernière fois, mais les sauvages furent sans pitié ils nous rudoyèrent de coups et nous ne pûmes envoyer en guise d'adieu que des « papa, papa » déchirants. «
hospitalité violée, » et «
;
En même temps, les fusils furent armés, s'abaissèrent; un commandement rauque fut poussé; «
une détonation
retentit et
mon
père
alla frapper
du front les pavés de la place. «
Aussitôt la troupe se retira; notre escorte
nous nous jetâmes sur le corps de notre pauvre père que nous couvrions de baisers nous et
laissa et
de larmes
et que,
dans notre égarement, nous
persistions à appeler de
«
papa
»
désespérés.
de douleur et, pendant quelques m'abandonnai sans résistance, sans réaction, à une immense détresse. Mais mon ef«
J'étais fou
instants, je
IMAGES DE LA GRANDE GUERRE fondrement dura peu je
me
:
j'étais
Lorrain; bien vite,
Ma
cabrai devant le crime.
281
pensée se tourna
vers ces brutes odieuses qui venaient de disparaître.
Mon cœur
bouillonna de colère, de rage. Je
sentais dans toute sa hideur l'infamie de l'assassinat et je
me
moi. Je
ne pouvais rien! Mais l'avenir redressai
devant
et,
le
était à
cadavre de
père, je jurai de le venger, de tuer,
quand
mon je le
pourrais, ces infâmes Prussiens. «
Vous me
oublié ans,
mon
j'ai
fert,
vous voulez, jamais
si
et,
je n'ai
pendant quarante-fjuatre
attendu patiemment roccasioii de l'exé-
Que
cuter.
croirez
serment
mon
ce fut long,
surtout
ces
ami,
et
que
j'ai
souf-
années, lorsque
dernières
la
France aveulie semblait nous avoir abandonnés! Mais enfin, l'heure est venue!
— Votre serment
grande partie; preuve,
il
lui dis-je
»
est déjà rempli, au moins en
me
semble que ceci en
est la
en montrant ses décorations.
Je voulais ainsi l'amener au récit de ses exploits.
Quelques anciens m'avaient
fait
à ce sujet des
allusions pleines de promesses. Je désirais donc
vivement en connaître ment,
si
les
dévoiler ses souffrances, gloire.
détails.
Malheureuse-
notre brave consentait, dans l'intimité, à il
n'aimait pas à étaler sa
Avec douceur, mais avec fermeté,
il
détour-
mes interrogations, mes allusions. Pour arriver à mes fins, j'usai donc de diplomatie. « Mon
nait
cher Chabrier,
lui dis-je, j'ai
besoin de votre livrot
IMPRESSIONS DE GUERRE
282
pour
le
mettre à jour. Pourriez-vous
— Très volontiers me
Je
son
le confier?
aussitôt le vieux sergent document, sans se douter qu'il me
tendit le
livrait
me
» et
!
secret. les
feuilletai
pages d'un
indifférent et
air
bientôt j'arrivai aux états de services et aux citations. J'avais
ma
base d'enquête. Avec
la ténacité
mon
interroga-
d'un juge d'instruction, je poussai
au piège, mon voisin esquissa un sourire bienveillant. « Puisque vous y tenez toire.
tant,
Se voyant
me
militaire
dit-il,
un
pris
allons-y. »
récit
Et
il
me
fit
de son passé
que j'écoutai, rempli d'une pro-
fonde vénération.
Ce
récit est
une épopée de patriotisme
et
de
courage.
Au
début de
la
guerre, Chabrier paraissait peu
appelé à une vie d'aventures. Mécanicien retraité
de
la
Compagnie de
l'Est,
il
jouissait d'une hon-
nête aisance; une belle famille lui donnait tout le
bonheur que l'on peut trouver en le retenait donc chez lui. Mais Chabrier était Lorrain,
terre d'exil.
et
il
Tout
n'avait pas
répudié son serment. Aussi, dès qu'un vent d'invasion souffla sur notre pays,
dans son cœur
la
rage
folle
il
sentit se rallumer
de sa treizième année.
Résistant aux sages conseils de ses anciens chefs qui lui opposaient sa situation et ses cinquantesept ans, brisant les résistances des siens,
il
s'en-
gageait à la mairie de Troyes; et quelques jours
IMAGES DE LA GRANDE GUERRE
hommes du
après, les
283
310° avaient la stupéfaction
de voir parmi eux une tète chenue et un corps hranlant.
de
Cliahrier était favorisé arrivait
pour un jour de
Providence
la
L'on
victoire.
:
il
était alors
à la veille de la hataille de la Marne, et le premier
ordre
entendit lire à sa compagnie fut la pro-
(|u"il
le général Joffre déclarait que l'heure venue de ne plus regarder en arrière.
clamation où était enfin
Regarder en pas.
Il
arrière, Chahrier n'y pensait certes
avait l'âme toute pleine des noirs souvenirs
de l'Année terrihle et surtout vant
lui,
il
voyait toujours de-
sur une place de Metz, contre un mur, un
corps étendu, immohile au milieu d'une
sang fumant.
nemi Il
Il
était
donc prêt à
et à se faire tuer plutôt
ne
que dclàciier pied.
pas réduit à cette extrémité;
fut
mare de
faire face à l'en-
il
eut la
joie délirante demarclier en avant et de tailler des
croupières aux Prussiens
:
il
les
poursuivit à tra-
vers les marais de Saint-Gond et les reconduisit
jusqu'à Reims. Hélas, la
marche en avant
était finie et
son en-
une austère à une longue patience. L'ennemi s'était
tliousiasme faisait hientot place à
énergie et
ressaisi et, solidement établi sur les liauteurs envi-
ronnantes,
il
résistait à
Le régiment de l'ordre de
nos assauts furieux.
Cliabrier, le 4
octobre, reçut
s'emparer de Brimont. Afin d'éviter
surprises, le
les
commandement décida tout d'abord de
IMPRESSIONS DE GUERRE
284
reconnaître le terrain. Chabrier
mission
rilleuse
pour
s'offrit
la pé-
avec quelques cama-
et partit
rades.
De leur hauteur, les Allemands suivaient tous mouvements des nôtres et, avec une prodiga-
les
lité
insensée, arrosaient impitoyablement les en-
droits
où
ils
découvraient quelque trace de
situation était terrible,
mais
héros était indomptable.
Il
à
un
Tout à coup,
il
vie.
La
courage de notre
courait d'un trou d'obus
autre, passait entre les
avançait.
le
marmites
fut surpris
et
toujours
dans un bond.
Les fantassins boches, qui depuis quelque temps une salve. Trois coups de le frappèrent une balle fouet en pleine chair avait traversé l'épaule, une autre le thorax, une autre le côté. Il se jeta dans un trou, se tàta, vit que rien n'était cassé et, sans calcul, contuma son exploration. Lorsqu'il fut en possession des renseignements attendus par ses chefs, il fit demi-
l'épiaient, lui tirèrent
:
A
tour.
son entrée dans
gouttaient de sang. Il
A
Il
la
tranchée, ses habits dé-
fut évacué.
ne traîna guère dans
les
hôpitaux
et le dépôt.
peine guéri de ses blessures et remis de son
alTaibhssement,
il
demandait à reprendre son
et à rejoindre le front
:
fusil
cette fois ce fut le 8" qui le
reçut.
Chabrier arrivait à point pour la grande offensive,
au printemps de 1915.
Il allait
prendre part aux
combats acharnés de Mesnil-les-Hurlus
et,
par sa
IMAGES DE LA GRANDE GUERRE
285
conduite héroïque, devait exercer une influence considérable autour de
Dès
début,
le
sa crànerie
et,
se
il
fit
lui.
remarquer par son entrain,
bien vite,
eut la joie farouche
il
un Prussien « Vous ne sauriez croire, me soulagement que j'éprouvai en le voyant tomber. Tout d'un coup, la contraction qui avait d'abattre
:
disait-il, le
serré
mon cœur
détendit et
mon pas
père
fini;
vengé
fallait
enfin!
Mais
les jours,
mon
:
rôle n'était
aussi venger la France!
»
comme un lion. Tous
continua donc à se battre
Il
la
était
il
quarante-cinq ans auparavant se
un contentement intense m'inonda
du 21 au 21 février,
il
monta
à l'assaut à
baïonnette et enfila des Boches. Entre toutes, le
27 février
fut sa
cette occasion,
journée de gloire.
une
attestation
mérita, à
Il
officielle
de bra-
voure de son commandant qui voulait, en attendant
la citation et la médaille,
à sa vaillance.
«
Je transcris
le
rendre un
document
hommage :
Sergent Chabrier, engagé volontaire pour la
durée de
mon
bataillon, 1"
du décembre 1914. Par son entrain, sa vaillance extraordinaire, son mépris dvi danger et son adresse, a abattu un Allemand; a exercé la plus iieureuse influence sur le moral de ses camarades pendant les attaques de Champagne. la
guerre
et arrivé à
H' d'infanterie, fin
«
S'est particulièrement distingué à l'attaque au
nord de Mesnil-les-Hurlus,
le
27 février
.
IMPRESSIONS DE GUERRE
286
A
« 1"
neuf heures, ayant aperçu un mouvement
dans un boyau commun, est
sorti
de la tranchée, a
abattu, en trois coups de feu, les trois premiers
grenadiers allemands et mis les autres en fuite,
sauvant ainsi toute sa section.
A
2°
quinze heures quinze, a chargé
démon
comme un
à la tête de ses camarades. Blessé à la tète,
a refusé de se laisser évacuer.
A marché jusqu'au
5 mars, jour où ses forces l'ont trahi. «
Ajoutons que Chabrier est parti en campagne le 310'
avec
« Il
où
mérite
il
a reçu plusieurs blessures.
la croix
de la Légion d'honneur. «
A. Ebernecht.
De nouveau, Chabrier connut la
la vie insipide et
lourde impatience de l'hôpital et du dépôt. Mais
son énergie il
»
le guérit vite et,
sans perdre de temps,
reprenait sa place sur le front.
La grise
nouvelle étape fut monotone des tranchées.
:
il
Cette existence
mena
la vie
était
trop
lui. Ses dix mois de fatigues, les viocombats auxquels il avait pris part l'avaient épuisé six semaines s'étaient à peine écoulées que
lourde pour lents
:
ses forces l'abandonnaient. Terrassé par la mala-
mort dans Fàme, il devait quitter ses compagnons et croupir à l'intérieur. Cette fois le séjour fut long. Sa santé était déladie,
brée.
de nouveau,
Malgré
la
les soins les plus attentifs à l'hôpital,
IMAGES DE LA GRANDE GUERRE et ensuite
287
au dépôt, en dépit des ménagements de
ses chefs attendris,
restait maladif. Sentait-il,
il
durant quelques jours, un afflux de force, vite
il
courait à l'infirmerie et sollicitait la permission de partir
Monsieur
«
:
redressant sa
homme
taille
major, regardez,
le
voûtée, je suis
de vingt ans!
»
Mais
disait-il
en
comme un jeune
le
major,
saisi
de
« Non, mon vieux Encore un peu de patience! » Pendant presque un an, Chabrier lutta contre
compassion, restait inexorable
:
Ciiabrier.
cette bienveillance et enfin l'emporta.
juin,
il
Au début de
revenait parmi nous, tout heureux de se
retrouver face aux Prussiens exécrés.
et
Ce vieux brave nous arriva auréolé de mallieur de gloire. En dépit de sa pudeur à étaler son
infortune, malgré
sa répugnance à chanter ses
exploits, son passé fut bientôt percé à jour et
tous le
il
martyr de Metz
Ces
pour
ne fut plus, au bout de quelques jours, que
titres lui
et le liéros
de Mesnil.
valurent aussitôt le respect général
une vénération profonde. En outre, il eut bientôt gagné tous les cœurs il était si bon, si dévoué, si paternel; il savait montrer tant d'intérêt à ses et
:
comme
camarades, à ses hommes, à ses enfants, il
disait.
De
plus, sa belle
l)atriotisme et d'énergie
:
il
âme
resplendissait de
suffisait
de
lui
entendre
prononcer quelques mots pour comprendre qu'une seule chose au
monde comptait pour
lui
:
la vie-
IMPRESSIONS DE GUERRE
288
en attendant,
toire et,
sans défaillance et
la lutte
sans merci. Et ce n'était certes pas un bluffeur.
Son
attitude
cérité
pour
aux tranchées
de ses paroles
là,
:
était
garante de la sin-
pas de besogne mesquine
lui; tout était sacré.
Il
ne
payait d'exemple le qui vive, le salut
:
de service, toujours
toujours
il
épiait le
aucune
tolérait
négligence autour de lui; mais, par
contre, il
Boche,
était
il
sur
comme
si
de la France eût dépendu de lui seul.
un vieillard débile hommes au cœur ils l'admi-
Cette bonté, cette ardeur chez
avaient touché les
:
raient, ils l'aimaient, ils l'imitaient.
Drapeau vivant, ce nous, nous avait
vieillard,
amené avec
en venant parmi lui
la force
d'un
bataillon.
PaulD..., Sergent au N" de ligne.
Depuis que ces lignes ont été Chabrier nous a quittés. forces;
Il
écrites, le sergent
avait
en quelques semaines,
présumé de la vie
ses
rude des
tranchées avait vaincu sa superbe énergie. Malade, il
a dû, avec un regret immense, dire adieu à ses
compagnons plus jeunes et plus heureux. Nous avons perdu notre drapeau, mais la grande leçon qu'il a préchée parmi nous reste gravée
dans nos cœurs
et
y porte ses
fruits.
DEUXIÈME PARTIE DE BRUXELLES A SALONIQUE
1»
LA BELGIQUE SU US LE JOUd
zuUen hem
Zij
Den «
Ils
niel (einmen
fieren
vlaamsehen Lcenw.
no
dompteront pas,
le
lier lion
de Flandre!
Lorsque, après de longs mois passés sous
joug allemand,
l'on se retrouve
est étonné des idées fausses et les
huit
amis sur
l'état réel
mois d'occupation.
de
en pays
le
»
libre,
le
on
que se font les neutres la
Belgique après dix-
Si l'on
exagère paifois
la
situation matérielle, nul ne soupt^onne le martyre intérieur.
C'est que les reporters postés à Taffùt des nouvelles, le
long des frontières, n'ont bien souvent à
enregistrer (|ue les bruits fantaisistes colportés par les fuyards
ou
les
jeunes volontciires. Le reporter
neutre obtient-il un passeport, il sentira l'indignation lui
monter au cœur devant
Nieillcs cités... Mjiis
il
les ruines
ne verra pas tout
:
de nos
les lues
ont été déblayées; les nécessités de la vie ont
fait
IMPRESSIONS DE GUERRE
292
La
surgir des reconstructions provisoires. tion en est
Belges
diminuée d'autant. Ce n'est pas par les
qu'il
qui
relle
désola-
aura la vérité complète. Pudeur natu-
empêche de
livrer ses douleurs à
inconnu, hantise de l'espionnage allemand,
ils
un ne
confieront pas à l'étranger le secret de leur cœur.
Bien moins encore
de l'envahisseur.
tions
compter sur
faut-il
les révéla-
Le gouverneur général
avouait que pour lui nous étions une
psychologique terait
donc pour
—
est rare
elle
»
:
il
le
n'a jamais dit
voyageur
d'assister
la
«
énigme
si vrai...
Res-
—
mais
chance
à quelque explosion
spontanée du sentiment national. Il verrait alors que notre peuple, soumis pour l'extérieur aux maîtres du moment, a compris le mot d'ordre de son grand cardinal
:
«
A
l'envahisseur vous ne
devez ni ohéissance vraie, ni estime, ni respect
vous ne connaissez qu'un seul lier
1
:
roi, le roi-cheva-
»
Les pages qui suivent ont pour objet de connaître
Tàme
belge pendant
faire
l'occupation.
Le
tableau est imparfait certaines sont peut-être trop :
détaillées, d'autres restent volontairement
incom-
plètes. Il y a des héroïsmes sur lesquels il n'est pas temps encore de faire pleine lumière... Les situa-
tions
décrites
Bruxelles,
oii
s^appliquent plus spécialement
à
d'heureuses circonstances me mirent,
pendant assez longtemps, à
même
de suivre l'évo-
lution des esprits dans les diverses classes de la
1)K
MHUXELLKS
société. Inutile de dire
démarquer certains
A
(ju'il
SALONIQUK
293
a fallu de-ci et de-là
accessoires...
Mais avant détudicr l'àme belge elle-même, faut voir (juelle situation lui est faite.
il
Donc, tout
d'abord, l'Allemand.
Sa
fat^on
résumer
de comprendre roccupaliou
ainsi.
Absence du
tact le plus
j)eut se
élémen-
manie de liarceler la population par des règlements mesquins qui, à la longue, exaspèrent, création d'une atmospbère indéfinissable de malaise et de défiance par un incessant espionnage. Pas l'ombre de psychologie. Ils sont incapables de comprendre que nous ne leur sachions aucun gré de l'Iionneur qu'ils nous ont fait de nous taire,
envahir. et les
Un lait
Pjt cela,
même
chez les plus intelligents
mieux disposés. savant qui, au
moment
de
la
guerre, travail-
depuis des années dans nos vieilles biblio-
thèques, revint l'été dernier et s'empressa d'aller
rendre visite à ses anciens amis.
Au cours de
trevue, très cordiale de sa part,
il
dence
:
«
Avant de revenir,
apporter de bonnes nouvelles ce (pion m'a dit de
fit
l'en-
cette confi-
j'ai
chcrclié à vous
et,
entre nous, voici
bonne source
:
le
gouverne-
IMPRESSIONS DE GUERRE
294
ment allemand gique,
il
est très bien disposé envers la Bel-
consentira à lui pardonner son alliance
avec la France
et l'Angleterre et lui fera
parmi
les
États de l'Union germanique une place meilleure
encore qu'à l'Alsace le roi Albert, folle
et à la
Lorraine. Évidemment,
qui s'est rendu impossible par sa
un prince
intransigeance, sera remplacé par
allemand, mais à part ce détail la Belgique verra combien l'Allemagne ouvrira larges pour elle les bienfaits de la germanisation.
A
la
»
lumière de ces déclarations,
il y a peut-être de concilier les appréciations divergentes
moyen
émises sur le gouverneur général Freiherr von Bissing.
Ceux qui l'approchent de manière
suivie
estiment qu'il pourrait être plus mauvais. D'après eux, son
manque de
bon adorateur de
doigté vient de ce que, en
la Deutschland iiber ailes! disciple
en politique de Nietzsche, credo s'énonce ainsi gique,
comme
:
l'article
premier de son
la raison d'être
de la Bel-
de tout autre État, est de graviter
comme
autour de la Germanie, tout
les
simples
mortels ne servent qu'à mettre en plein relief les qualités deVUebermensch.
Très logiquement dès lors
s'est
opérée la main-
mise sur tous les organes de la vie nationale. Tous nos monuments, nos musées, les chambres législatives, les ministères, le palais du roi, l'hôtel de ville, la
Bourse,
le Palais
de justice, et
même
la
place des Martyrs où reposent les héros de l'Indé-
DE BRUXELLES A SALONIQUE
293
attristé par le drapeau allemand. Partout des sentinelles allemandes, partout, même au cimetière d'E. .., auprès du monument de
pendance, tout est
soldats prussiens morts en 1870!
Au
Palais de justice, la salle d'audience, les
La
cours d'assises et de cassation sont envahies.
magistrature et
dans
le
les petites salles
relég;ués.
sont encore tolérés
barreau
où tous
Quel symbole!
Il
les services ont été
n'est pas rare
que
les
avocats, pour se rendre chez eux, doivent passer
dans
pour
corridor au milieu de soldats alignés...
le
médicale.
la visite
Le parc
est
fermé aux Belges;
chevauchent sur allées, et près
les
les officiers
plates-bandes et
du palais de
la
les
y
les
nation se trouve
grand garage des autobus qui vont
emportant
dans
le
et viennent,
accusés et condamnés politiques
vers les diverses prisons.
Ajoutons cependant que quelque chose a changé dans
l'altitude
des envahisseurs. D'abord
presque plus de
défilés
il
n'y a
de troupes, ni de parade
marsch. Arrivées et départs se font à la dérobée, surtout la nuit.
Non sans
raison
:
les soldats arri-
vent généralement bien dépenaillés, lois,
et les
Bruxel-
gens malins, pourraient se demander d'où
vient leur peu d'entrain à voler vers ces victoires décisives
(jui
se remportent
chaque
communiqvié.s. (Juclipiefois encore, le
bluft'
jour... sur les ils
innocent d'étaler leur butin.
se payent
En un
jour,
IMPRESSIONS DE GUERRE
296 j'ai
rencontré quatre
cortèges de mitrailleuses
montées sur mulets. Cette abondance m'aurait fait impression si, en queue des quatre défilés, je n'avais remarqué le même mulet blanc conduit par
le
même
gros Allemand...
Le même
jeu se
renouvelle parfois avec les cortèges de prisonniers,
mais plus rarement, car invariablement, à chaque
nombre des prisonniers baissait. Les officiers maintenant ont moins de morgue. Ils exigent de leurs hommes plus de tenue. Les trams sont, à ce point de vue, un excellent terrain «
exhibition
)),le
d'observation.
A
Bruxelles, dix soldats ont droit
dans chaque voiture au parcours ils
gratuit.
Quand
sont onze, le receveur n'arrive presque jamais
à percevoir le billet du voyageur supplémentaire, cliacun prétendant ne pas être le
« onzième »... Souvent le receveur juge prudent de ne pas insister. Mais qu'un officier paraisse, et on assiste à un
changement à vue le « onzième » vient spontanément payer son billet. J'étais un soir sur un des derniers trams qui :
vont de la Bourse à
la porte
de Tervueren.
Le
receveur n'avait pu s'opposer au chargement d'un soldat ivre que des
naient à la caserne.
Congrès monte un
kamarades complaisants ameA la hauteur de la colonne du officier, le
receveur expose
cas. L'officier fait aussitôt arrêter le tram,
ordre aux kamarades d'empoigner notre qui est jeté à bas du tram.
Comme
il
le
donne
homme,
ne tenait plus
DE BRUXELLES debout, on sur
le
A
prend à bras
le trottoir
SALONIQUE
S97
on
le traîne
le corps, et
jusqu'au poste de Treurenberg. Les
soldats reviennent, le tram repart, et l'officier, très
digne
Je tiens à ce que nos soldats se condui-
«
:
sent bien!
à
»
On ne saurait s'y méprendre, les chefs obéissent un mot d'ordre supérieur, dont on ne distingue
pas nettement les exploits
Je
mobile. Veulent-ils faire oublier
du début? Sentent-ils
la victoire leur
échapper? ou bien, au contraire, sûrs (subjective-
ment) de
la victoire (1),
veulent-ils préparer les
méthodique de notre
germanisation
civils
à
la
pays?
Il
est difficile de savoir;
mais qu'on ne se
laisse pas tromper parles apparences.
témoin hors
A
X...,
château,
Le
trait sui-
Texactilude m'est garantie
dont
vant,
pair,
rend bien
le
fond de
par
ma
un
pensée
:
un détachement allemand occupe un
le pro[)riétaire
possède des serres splen-
dides, et prie l'ofllcier qu'on veuille ne pas les sac-
cager de
:
les
si
on désire dos raisins,
cueillir
lui-même
ordres en conséquence....
:
il
un plaisir donne des
se fera
l'officier
Deux jours
après,
le
Ceci n'est pas une plaisanterie. Je t^uis persuadé que chez ces automates vivants, qui acliôtent chaque matin, pour 5 ou 10 pl'ennigs. aux aubctles de journau.x, leur nu'ulalitù (juotidionue, rùgin- l'a^surarice subjective du succès final. Le cuntiaire étonnerait quand on voit avec (juelie bonne volonté moutonnière ils avalent les communications .savanuncnt cuisinées par li' W. T, B. (cesl-à-diro, d'après les Anversois : Weinig Te Betrouweu, comme qui dirait Ne vous y liez (1)
l)on
nombre de
:
pas
»).
•<
IMPRESSIONS DE GUERRE
298
un soldat dans la serre, en remarque au feldvvebel, qui fait comparaître pauvre homme, et lui strie la figure de quelques
châtelain, surprenant fait la
le
coups de cravache bien appliqués. Discipline mande!... Après quelques jours,
va quitter
le
château;
proche du châtelain «
le soldat
et
lui
:
si j'ai
maraudeur
j'étais
homme du monde; ma
étonné; sachez ceci
Les Belges ont
saisi le
teutonnes restent
conduite vous aura dévasté votre serre,
qu'un terrain où terie, les frais.
On
trams
;
»
manège. Les politesses A leur grand
sans réponses.
ne sont invités ni
Dans
nulle part.
on
même
reçus
les ignore. Ils n'ont
la
rue,
ils
puissent essayer leur galan-
encore,
là
en sont pour leurs
ils
refuse de s'asseoir à côté d'eux, ou d'ac-
cepter la place qu'ils cèdent aimablement.
On
brosse ostensiblement quand on les a frôlés. petite scène
monte. «
:
avocat à N...
refus, j'aurais encore été puni davantage.
ils
s'ap-
formel du feldwebel; en cas de
c'est sur l'ordre
étonnement,
alle-
détachement
présente sa carte
Monsieur, en temps de paix
et suis
le
Un
vécue
:
le
tram
est
gros major se lève,
fait
une large place »
me
ferai
:
Là- dessus,
à Bruxelles se lève
aimable, Monsieur l'abbé, je
Une
comble, une dame
Merci, Monsieur, je resterai debout.
un abbé bien connu
se
:
un
«
Bien
plaisir
pour un peu attention à lui, un officier demande du feu à un Belge. Il faut s'exécuter. d'accepter.
»
Parfois, sur les plates-formes,
obtenir qu'on fasse
DK BRUXELLES A SALONIQUE mais lorsque l'Allemand rend on
sourire,
le jette, et
299
avec un
le cigare
gravement on en
un
tire
autre de son étui.
Malgré
désagréments,
ces
Bruxelles, où
ils
plaisent
se
ils
viennent oublier
à
mauvais
les
jours de l'Yser, Brussel, schoene Stadt, répètent-ils.
Pendant ces jours de repos, beaucoup reçoivent la visite de leurs familles; d'autres en grand nombre vont s'engouffrer dans leurs ignobles cafés-concerts, (jui sont arrivés
d'Allemagne avec personnel
complet.
Pour
(jui
saïque contre
rappelle leur indignation
se
phari-
corruption des races latines,
la
il
est
écûHirant de voir l'impudeur affichée qui organise «
les plaisirs des soldats
tions Il
»
voulues.
faut,
avec toutes
précau-
les
On m'excusera de ne pas
préciser.
par contre, rendre justice aux sentiments
profondément religieux des soldats catholiques.
Leur
livre de prières à la
pendant
cueillis ils
main,
les offices, et
passent devant une église,
ques minutes. Ce que c'est que,
même
l'autorité a des
l'on
ils
sont très re-
sipendant ils
la
journée
y entrent quel-
peut noter ce[)er.dant,
dans l'exercice de leur religion,
procédés qui choquent nos idées
les plus
rudimentaires sur
Un jour
j'ai assisté
la liberté
de conscience.
à des confessions militaires à
Sainte-Gudule. Les soldats arrivaient par paquets
d'une trentaine environ et se partageaient entre les six
ou huit aumôniers
militaires.
Dans
la nef.
IMPRESSIONS DE GUERRE
300
un feldwebel
se promenait, et de
tour, d'aller à tel confessionnal
Et
ils
temps en temps
signe à quelques soldats, qui attendaient leur
faisait
moins achalandé.
paraissaient trouver cela tout naturel. *
*
*
Cette esquisse d'ensemble devrait être précisée
sur beaucoup de points. Bornons-nous à quelques traits saillants.
D'abord l'organisation. Elle est admirable.
—
Qu'on veuille bien ne pas attribuer h cet adjectif un « jugement de valeur ». On peut constater chez des criminels des qualités de sang-froid et de pré-
voyance, sans rien abdiquer de Ihorreur qu'on a
pour
le
crime. Sous ce rapport, certains Belges,
emportés par leur juste indignation, perdent parfois de vue les droits de la vérité, et ne veulent voir dans leurs adversaires que des déficiences.
Pour avoir fait l'éloge de l'organisation allemande, je me suis un jour attiré cette réponse lyrique d'un bourgeois, très calme à l'ordinaire
:
«
Monsieur,
quant à moi, je ne saurais reconnaître aucune qualité
ma
au revolver qui a blessé à mort
mère!
la patrie,
»
Mais précisément,
c'est la perfection
de cette
organisation qui rend inexcusables les excès sans
nom
des premiers mois. Lorsque, en haut lieu,
on eut constaté que
les
cruautés avaient assez
DE BRUXELLES A SALONIQUE duré, on chang-ea le fusil d'épaule
on
enchantement, rouages tout
surgir
vit
{)réparés de leur
et,
301
comme
par
d'Allemagne
les
organisation
cjui
systématiquement, pas à pas, sans dévier d'une teront par
méthodiquement. Ils la compléune réglementation de plus en plus
ahsorhanle,
ils
ligne, se déroule
notre
retendront à toutes les hranches de
activité, à
territoire
:
toutes les
communes de
notre
vrai travail de pieuvre, enserrant pro-
gressivement ses victimes dans ses monstrueux tentacules, les étouffant sans qu'elles aient presque
poussé un
cri.
Nous ne parlons pas
ici
de
la
zone des armées,
Y Etappegebiet (Gand, Bruges, Tournai), mais de la «
Belgique occupée
général, et sous
lui,
».
A
sa tête est le
un gouverneur
gouverneur
civil, les
gou-
verneurs militaires de Bruxelles, du Brabant, des diverses Kommandanturs, assistés
eux-mêmes de
un essaim de Kreischefs, de Pass-centrale, de Pass-bùros, do Mehlamt de tout calibre. Les Meltout
les
bureaux où
devant gardes
civicjues, les
damt sont
milice, etc.,
sents
La
les
étrangers, les ci-
jeunes gens en
doivent à jour
fixe
police bruxelloise est
Lo Meldamt tor
bruxelloise) vatoire.
de
se porter pré-
(1).
restée
en fonctions.
Elle doit saluer les ofliciers allemands...
(1)
àg:e
t
si établi
quand
il
Bruuel (c'eal-&-dirc raR^lomération rue du Méridien, dirriète l'anciin Obser-
(îross
IMPRESSIONS DE GUERRE
302
n'y a pas
moyen de ne
pas les voir. Les vides
causés par la mobilisation ont été comblés par des
un
citoyens de bonne volonté, pas méchants pour sou, la
«
garde bourgeoise
l'arrière-ban de la
«
»,
populaire
garde civique
sont venus d'Allemagne.
Ils
».
Des
comme policiers
portent, suspendue
au cou par une chaîne, une plaque de cuivre avec l'inscription Polizei.
On
les voit
déambuler, graves,
partout où l'animation est plus grande.
Ils
sont
inoffensifs.
Nous n'en disons pas autant des nombreux commissaires généraux groupés autour du gouverneur. Ce sont des hommes mûrs, ayant dépassé l'âge de porter les armes,
qui,
chacun dans sa
branche, ont acquis une réelle compétence.
On
a
ainsi les commissaires des banques, des usines
métallurgiques, des charbonnages, des verreries, etc. Ces comde Allemagne missaires, ayant eux-mêmes en
des grains, des fabriques de cigares,
grands intérêts dans
la partie, sont
ce mandat, qui leur ouvre
enchantés de
— au nom de
la loi
I
—
toutes les portes chez leurs concurrents belges, leur permettent sous prétexte d'inventaire de pé-
nétrer tous les secrets de fabrication, le
d' «
éclairer »
les mesures les plus pour mettre l'industrie belge en coupe
gouverneur général sur
efficaces
réglée, et la ruiner pour de longues années.
La manière tisme
officiel le
cauteleuse dont s'opère ce bandi-
rend plus cruel encore à nos indus-
DE BRUXELLES A SALONIQUK
303
Les loups s'introduisent dans la bergerie telle bonhomie, alfectant de parler de
triels.
avec une «
communs
nos intérêts
l)ranche, sans paraître
qui accueille leur intrusion
Comment
faire
l'avenir de
»,
remarquer
trés
Un
«
le
Recueil
officiel
Moniteur
C'est alors que M.
génie qui
mondiale
lui :
»
(1).
des
«
chers adminis-
lois, arrêtés,
muniqués... du gouvernement général
remplacé
notre
réserve
parvenir cette réglementation
à outrance à la connaissance des »'/
«
la froide
belge,
»
a bien
mais personne ne
von Bissing
comle
lit.
con(;ut l'idée de
assure dès à présent une notoriété sur
l'affichage
tous
murs de
les
mêlent en un agen-
Tous les genres s'y cement kaléidoscopique; il y en a de toutes Bruxelles.
les
couleurs, de tous les formats, de tous les styles
Condamnations à mort, prix maximum de la farine ou de la viande, règlements sur la fréquentation scolaire, le nettoyage des étahles, le mora-
aussi.
torium, l'échenillage,
le
respect
de
l'occupant,
admonestations paternelles ou philippiques; tout cela pêle-mêle. Et ce n'est j)a8 la variété qui
que.
Par
o.\emi)le, sur
la
circulation
man-
des bicy-
Un iiidusliicl me disait qu'au lours d'une de ces enlrevue;!, conimis8;iire tira tout à coup de son porlefeuiilo une plioto• Ktapliie Ceii vous intéressera, cher colU''giie ma femme et ma petite fille. Dilos! ne les trc'uvez-vous pas gentilles'?. » Et (1)
le
:
:
.
mon ami
« ajoutait Combien volontiers je lui aurais luncc sa |iliologrujihio à la fdfv, mais il fallait me contenir... Ce cambrioleur-lionime du monde aurait pu d'un Irait do plume former mon usine, et mettre mon personnel sur le pavé I... • :
IMPRESSIONS DE GUERRE
304
dettes
:
en dix jours,
j'ai
vu
Premier arrêté
trois fois.
:
le «
règlement changer
A
partir
de demain,
toute circulation de bicyclettes est interdite
deuxième
arrêté
:
«
A
»;
partir d'aujourd'hui, peu-
vent seuls rouler en bicyclette, les ouvriers qui se
rendent à leur travail
»
;
troisième arrêté
:
«
Doré-
navant, personne ne pourra circuler en vélo que
dans un rayon de 6 kilomètres du lieu de son domicile.
»
M. von Bissing sait que le ridicule ne tue pas et donne à cœur joie. Il paraît ignorer parfois que les enfants peuvent lire ses affiches et que, s'en
chez nous, pueris debetur reverentia.
Organisation savante, mais qui n'est pas aussi efficace qu'on le voudrait chez
pour ces bureaux où
les
nos maîtres. Ainsi
gens d'âge militaire de-
vraient se présenter à jour fixe
:
des quantités de
jeunes Belges ont refusé de se soumettre à ces formalités qu'ils jugent déshonorantes, et beau-
coup
même
ont échappé aux lourdes pénalités
auxquelles les expose leur noble attitude. Cet accroc au prestige organisateur des Allemands ne laisse pas de leur être sensible.
Les Allemands n'ignorent pas l'omnipotence de presse, ils en ont fait un levier puissant de prussification. Un coup de cravaciie, et, nouveau
la
DE BRUXELLES A SALONIQUK Moïse,
von
I3issing
fit
couler sur les plaines de
A
Belgifiue les sources de la KuHur...
on compte une dizaine de ces allemands
»
Le ïiruxdlois,
:
Gazet van Brussel, internationale
insérer les
le
(?), etc.
305
la
«
Bruxelles
mares à canards
Belgique,
Quotidien,
le
Messager, l'Écho de
la
Presse
Tous ces journaux doivent
communi(jucs WollT, sans préjudice
des nouvelles qui doivent nous mettre dans la mentalité voulue; les Alliés n'y peuvent remporter
de succès qu'après approbation de dantur; plusieurs de ces journaux Bruxellois
— ont comme
la
Komman-
— leU'immonde
chef de rédaction un
offi-
cier allemand.
Deux circonstances rendent
l'influence de cette
presse particulièrement pernicieuse difficulté vit,
do s'en passer. Dans
le
:
d'abord la
désert où l'on
on peut se contenter des eaux saumàtres
qu'ils
offrent pour étancbcr un peu la soif des nouvelles. et bien rare est celui qui
plus dé[)rimé,
.
ne se sent pas un peu
un peu moins
confiant,
lorsqu'il
replie le journal.
En
outre, plusieurs de ces journaux font preuve
de j)hilantliropie
réelle.
La
Belgique, par
exemple,
a sa chronique (juotitiiennc où chaque infortune
peut solliciter des lecteurs besoin. Sans
le
secours dont
elle
a
aucun doute, ce journal a rendu de
vrais services matériels. iMais les patriotes avertis se déliiMit des intentions...
On
peut passer sous silence les nombreux quo
IMPRESSIONS DE GUERRE
306
tidiens d'outre-Rhin, dont la clientèle est presque
exclusivement allemande; mais
que tant de Belges achètent
faut regretter
les illustrés
surtout Vlllustrierte Kriegskurier.
l'image
il
est alléchant, je le
germains,
Le document par
sais
bien; mais on
oublie que c'est là soutenir l'ennemi, que les documents reproduits sont fort peu objectifs, quand ils ne sont pas honteusement truqués. Mais ils
viennent du pays de Haeckel, l'homme aux cences
scientifiques.
Exemple
:
li-
Kriegskurier
le
reproduisit à quelques mois de distance deux fois le
même
cliché
précipitamment varié
:
le
des mariniers anglais regagnarit
:
rivage.
le
premier échec
L'en-tête était
seul
avait
se passer
censé
près de Zeebrugge, l'autre aux Dardanelles. choix!
Ou
plutôt
non
un patient
:
Au
fureteur, en
parcourant les anciennes collections de
la
revue
allemande Die Woche, y découvrit vers l'année 1908 un article largement illustré sur « les récentes
manœuvres navales en Angleterre
des manœuvres, au
moment où
le parti
».
La fin
vainqueur
oblige les assaillants à une retraite précipitée vers
leurs navires, était illustrée... avec le cliché qui
deviendrait plus tard Zeebrugge et Gallipoli. *
*
Ce
*
qui rend la vie plus pénible encore, c'est la
perfidie de l'espionnage, l'arbitraire de la procé-
DE BRUXELLES A SALONIQUE
307
dure, le mépris de toutes les règles du droit, quand elles n'entrent pas
ûber
dans
Une nuée d'espions ,
sait
les cadres
du Deutschland
ailes.
On
s'est infiltrée partout.
que ces gens-là n'ont égard à rien pour arriver
à leurs
fins, qu'il n'est
naturelle
([u'ils
sentiment sacré d'honnêteté
ne profanent
:
ce point a été mis
assez souvent en lumière pour
Un
me
dispenser d'y
moins connu peut-être est l'heureux hasard qui mit un hon patriote en possession
insister.
détail
d'un groupe photographié!
Une
trentaine d'espions
allemands, dont plusieurs femmes. Inutile de dire
que
précieux document fut reproduit à des cen-
le
taines d'exemplaires, et qu'il a rendu des services
signalés
:
un
homme
La plupart de
averti en vaut deux.
ces espions ont été identifiés, à la
grande fureur de leurs patrons, qui aiment l'ombre plusieurs, hélas,
même,
dit-on,
viendra,
(jui
;
sont des Belges, on y
ou
deux
trois
tout payera!
compte soldats!... Heure
Les Allemands avaient
aussi réussi à corrompre quelques receveurs des
tramways bruxellois
:
ils
épiaient discrètement les
voyageurs, qui ne soupçonnaient rien, et saient
»
«
pas-
ensuite leurs victimes aux détectives alle-
mands. La direclion dos trams a eu vent de l'affaire actuellement, dans le personnel comme :
dans
le
public, presque tout le
numéro dos
monde
connaît
le
brebis galeuses.
Plus répugnante encore est l'action des agents
IMl'RESSIONS DE GUERRE
308
provocateurs, des français
ou
le
hommes
parlant parfaitement le
flamand, qui se mêlent aux groupes,
lient conversation
dans les trams, où
ils
disent pis
que pendre des Allemands. Malheur au naïf bourau premier
geois qui donne dans le panneau
:
arrêt du tram, l'agent provocateur hèle
deux ou
pauvre Belge est arrêté, conduit à Kommandantur, envoyé à Saint-Gilles, où il
trois soldats, le la
attend parfois très longtemps que l'on instruise
son
affaire.
Ce mot tion
instruction a ici
toute
spéciale
:
pour eux une avocats
les
significa-
ne reçoivent
qu'exceptionnellement l'autorisation de voir leurs clients, et
frère
»
encore toujours en présence d'un
teuton. Jamais
ils
arrive
que
«
aux plus
d'audience
surprises
lecture
la
con-
ne reçoivent communi-
cation du dossier, et peuvent s'attendre
invraisemblables
«
»
:
il
de l'acte d'accusation à
l'audience diffère en tous points de ce qui avait
paru
motiver
l'arrestation.
Comment
veut-on
qu'un avocat défende son client ainsi ex abrupto, alors qu'il n'a
pu discuter avec
défense, qu'il ignore et
ne
même
les
lui le
charges précises,
des pièces à conviction tombées
sait rien
entre les mains de la police impériale?
de l'Ordre
système de
Le Conseil
s'est élevé à plusieurs reprises
contre
des atteintes aussi flagrantes à la dignité du bar-
Réponse
M" Théodor, bâtonnier, plusieurs membres des plus éminents du Conseil de l'Ordre, reau.
:
DE BRUXELLES A SALONIQUE
309
ont été envoyés en Allemagne. D'autres avocats
ont reçu défense de se présenter encore à et c'est ainsi, par
n'a
pu défendre
la barre,
exemple, que M' Théodore Braun
la
malheureuse miss Cavell.
II
Tout ce qui précède
n'est guère
qu'une
toile
de
fond, le décor de la scène sur laquelle les Belges
un acte
restés au pays jouent
héroïque
— de
—
non
moins
le
la terrible tragédie qui se
déroule
en ce moment.
A
l'avant-plan, bien en évidence, se dresse la
noble figure du cardinal Mercier, toute nimbée du respect que tous les Belges, sans distinction d'opinions, lui ont voué. teste le
est actuellement sans con-
Il
premier citoyen de
la
Belgique,
notre auguste souverain, dont
leresque attitude.
On
se sait et se montre
a
il
le reflet
partage
pu dire de
lui
un juge; nulle
:
de
la cfieva-
ce vaincu
faiblesse
ne
paralyse l'indépendance de son verdict, nulle colère n'en altère la majesté. Est-il étonnant
Allemands (juer à sa
<our
le
détestent?
personne
jtontilicale
dont
:
Ils
n'est-il
la
que
les
n'osent pourtant s'atta-
pas prince de cette
diplomatie allemande doit
reconnaître l'inmiense autorité morale? Fortifiés par l'exemple de leur primat,
nos popu-
IMPRESSIONS DE GUERRE
310
lations continuent à porter l'épreuve
avec une
constance héroïque. Ce sentiment se manifeste
au dehors de façons
très variées. D'après les
pays
d'abord un oflicier allemand disait « A Liège, on nous ignore; à Namur, on nous craint à Bruxelles, :
:
;
on se
de nous.
reflux
d'espoir qui
»
Puis, d'après le flux et le
passent sur ces provinces,
d'après les mille autres circonstances qui influent
âmes Quoi qu'il en soit de ces nuances, on peut résumer comme il suit les sentiments des sur les
Belges
«
envahis
»
:
mépris
et
haine de l'envahis-
seur, attitude ferme de résistance passive, confiance inébranlable en
A
une restauration complète.
l'origine surtout le contraste était
nettement
tranché! Allemands et Belges vivaient côte à côte
en s'ignorant. Entre gens
comme
il
faut
il
n'était
pas reçu de s'écrire par l'intermédiaire de la kaiserliclie
deutsche Post; les volets
ou stores restaient
baissés; on ne sortait qu'en toilette sobre et de
couleur foncée; les pâtisseries étaient désertes...
La longueur de
l'épreuve et les nécessités de la
vie ont forcément
dans certaines
amené un
certain fléchissement
manifestations de
cette
réserve
digne, mais cuisante pour les occupants. Cette reprise partielle du tourbillon de la vie a
malheureusement une autre cause le retour au pays, vers le mois de novembre 1914, de cette :
partie frivole de la population qui, en août, avait fui vers la côte,
où sa légèreté insouciante avait
DE BRUXELLES A SALONIQUE
311
indigné nos sol3ats, pendant la retraite sur l'Yser.
Au mois
de mars, la taxe sur les absents
fit
rentrer
également des éléments moins désirables pour dignité nationale.
11
ceux qui sont rentrés
alors,
mais
il
la
blâmer tous
serait injuste de
est hors de
doute
qu'à ces deux époques on a remarqué une diminution dans la
«
mentalité de guerre
».
Comme
les
personnages en question sont très remuants, qu'on les voit le
malin au bois, à midi sur
cafés, l'après-midi
tennis, de
là
la terrasse
des
aux terrains de football ou de
dans
pour passer
pâtisseries,
les
ensuite leur soirée dans un music-hall quelconque,
on comprendra que
présence de quelques-uns
la
de ces bourdons suffise à modifier défavorablement l'impression que l'étranger rapporte d'une visite
en pays occupé.
Les dignité
«
vrais Belges
porte un des
noms
ont gardé fidèlement
les plus
plus de fleurs sur
riai,
»
de leur attitude. Dans
palmiers dans
le hall
anciens de notre armo-
la table
ou
la
famille, qui
telle
de travail, plus de
les escaliers
;
dans
le jar-
din, les parterres n'ont pas été renouvelés; à table
on a supprimé
le plat
de douceur, sauf les rares
occasions où l'on admet un intime des
«
o'clock
fm joyeux
et
» (1)
;
les
réunions
ont remplacé les Five
mondains;
le
soir,
après
le
Œuvre pour les tout petits jusqu'à trois ans. La discrète materoelle charité des c abeilles » a sauvû des cnfaots par
(1)
et
Petites Abeilles
miliiiTs.
IMPRESSIONS DE GUERRE
312
dîner,
on se rend au
salut,
ou
bien,
comme
vu, on va en famille, bourgeoisement,
je l'ai
humer
l'air
frais au square voisin. C'est la guerre, dit-on,
faut
montrer que
comprend
l'on
il
gravité de
la
l'heure présente.
Dans
les classes populaires, le
se fait jour plus
même
sentiment
spontanément peut-être, en tout
cas avec plus d'exubérance. Passez, le soir, dans la rue
Haute ou
la
rue Blaes, surprenez au passage
vous
les conversations sur le pas des portes, et
serez édifié «
:
il
n'est question que de notre roi
pour un fameux, ça en est une » de nos braves petits
—
vous!
—
fois un, savez-
soldats,
d'une
du front reçue par une voisine, d'une victoire nouvelle que les Alliés « auraient » remportée, des dernières « bêtises a des communiqués, lettre
de ce que les Boclies viennent encore d'inventer pour... ennuyer le monde, et de la dernière zivanze (moquerie, farce) par où
L'homme actes.
il
leur a été répondu.
du peuple passe vite des paroles aux
Les Allemands
le
savent; et
si
l'on voit
parfois défiler dans ces quartiers des patrouilles
on nombre, un s'y
«
singulier soldat
»
n'osera jamais
aventurer. (Allusion à une affiche célèbre
:
Défense formelle de se moquer encore non seulement des troupes qui défilent, mais aussi des «
singuliers soldats qui se
Une arrive,
promènent en
ville. »)
venue du front, disions-nous. en effet, et, pour bien des familles,
lettre
Il
en
c'est
DE BRUXELLKS A SALONIQUE rayon de
le seul
soleil qui éclaire la vie.
313
Pendant
des semaines, on ira retirer chaque jour
cieux document de la cachette où
il
le
repose.
pré-
On
le
larmes aux yeux... après avoir hien
relira
les
fermé
la porte; car si les
Malheureusement, un
Allemands
trafic
savaient!...
scandaleux exploite
trop souvent des sentiments aussi respectables, et 3, jusqu'à 5 francs, un mot de l'absent. connu une brave femme oblif^ée de demander ù son mari d'espacer davantage ses correspon-
fait
payer 2,
J'ai
dances, qu'en un mois VA\e avait
payées 35 francs.
elle avait
dû emprunter pour retirer
la
dernière
des mains d'un porteur sans compassion.
lettre
N'est-ce pas à pleurer? Sans doute,
il
organismes
renouent les
qui, par patriotisme pur,
existe des
liens entre les soldats et leurs familles, et leur
<-ourageux dévouement m('rite notre reconnaissance;
mais
la
des porteurs sont des
majorité
gens sans aveu pour qui un paquet de lettres n'est (|u'une marchandise lucrative. Une fois la frontière passée,
ils
la
vendront par
lots
régionaux au plus
oQVant; celui-ci clierclicra à écouler, avec
de bénéfice possible,
comnmne; [)orte
quel
Dans
la
velle s'est
d'avoir
un
stock de cluujue
plus
ville
ou
dernier porteur tiendra la dragée
le
haute devant
le
le
la famille,
j)rix
une
lettre
heureuse de paver n'im-
du cher absent.
bourgeoisie aussi, une mentalité noumanifestée. fils
soldat.
On
est
fier
maintenant
Les parents aiment
à racon-
IMPRESSIONS DE GUERRE
314
ter les actes de vaillance de leurs enfants. Ils les
encouragent dans leurs
lettres à faire tout leur
devoir. Bien rares ceux qui s'opposent à ce que
comme
leurs jeunes gens partent
pourtant
ils
volontaires, et
savent ce qu'une pareille décision
implique de dangers pour leur
de désagré-
fils,
ments possibles pour eux-mêmes. Il est clair que les « embusqués » jouissent d'une réputation plus qu'équivoque.
Le boycottage de
l'allemand est
en honneur, à
tout ce qui sent tel
point que le
Freiherr von Bissing a cru devoir menacer d'une
—
amende de 10 000 marks
excusez du peul
—
tous ceux qui chercheraient à enrayer la prospérité
des maisons allemandes.
Parmi les
relations qui sont dues à l'occupation,
notons en passant
les
gens du monde qui ont
fait
connaissance pour avoir passé quelques semaines
ensemble dans
On
finira
pas
fait
les prisons
de la Kommandantur.
par montrer du doigt ceux qui n'y ont
un
petit séjour.
On comprendra
aussi que la crainte continuelle
de l'espion rende la vie insupportable. respirer à l'aise
:
les
murs ont des
On ne peut
oreilles
être continuellement sur ses gardes. Et
que
cette
«
espionnite
»
quos amusants.
Un
cousins le
suivant
billet
donne
:
son
fils,
il
:
qui allait
«
faut
arrive
lieu à des quipro-
jour, je reçois d'un de
Mon
cher,
mes
une aven-
un de mes meilleurs s'engager, a été pris non
ture désagréable arrive à
amis
;
il
DE BRUXELLES loin
frontière.
(le la
La
très
«
tuyauter
SALONIQUE
315
famille est persuadée de la
du Monsieur qui est venu
parfaite honorabilité
chez eux
A
leur
»
(ils,
et qui leur a fait
bonne impression; pour moi,
je
ne puis
me
défendre de l'idée qu'ils ont eu affaire à un vulgaire espion. J'ai promis à la famille de les mettre
en rapport avec une personne de toute confiance,. et je le serais bien obligé
Si tu veux, retrouve-moi
au coin de
telle rue...
là,
je te présenterai à la
les
renseignements...
Heureux de rendre service à mon cousin,
fus exact au rendez-vous. Quelle ne fut pas prise, lorsqu'il
me
.
clair.
demain, à cinq heures,
donnera tous
famille, qui te
—
De
de tirer l'afTaire au
»
je
ma sur-
conduit dans une maison... où
moi-même quelques jours auparavant me nommer. Là tout s'expliqua dans un for-
j'avais été
sans
midable éclat de
rire
:
l'espion
présumé
n'était
autre que votre serviteur. J'avais, en effet, donné
au jeune
mais
Il
il
homme
avait eu
quelques renseignements
un malheur en cours de
serait intéressant de parler plus
événements
qui,
d'anons
au long des
périodiquement, viennent rallumer
l'enthousiasme populaire ville
utiles,
route.
alliés,
:
l'arrivée au-dessus de la
porteurs de proclamations (1);
(1) Si nos aviateurs gavaient quel réconrort ils apportent aux populations, nul doute ([u'ils ne multiplieraient beaucoup leurs
IMPRESSIONS DE GUERRE
316
du hangar et des zeppelins à Evere ou Mont-Saint-Amand, les magnifiques manifestations, pleines de dignité fîère, du 21 juillet et du
la destruction
4 août, mais cela
me
mènerait trop
loin.
Parlons plutôt de ce qui maintient
ment
moral des Belges; borner au principal. le
Tout d'abord, jamais ses
droits.
la
si
encore,
et, ici
efficaceil
faut se
zwanze bruxelloise ne perd
La
Libre Belgique résumait très
bien la situation dans une caricature
un gros
:
Allemand piétine un pauvre ketje (Bruxellois); le malheureux est écrasé, mais, la mine narquoise, il
lance à son Goliath
me
Je
«
:
....de toi
même! » Quelques exemples à l'appui. Rue Neuve les cuirassiers de la garde :
quand
impériale
s'exhibent en un cortège impeccable. Immédiate-
ment, au fur
et à
mesure que
les passants font demi-tour,
Allemands,
— L'arrêté
cortège s'avance,
dans
et s'absorbent
des vitrines.
le
tournent la
le
dos aux
contemplation
paraît ordonnant d'em-
ployer partout l'heure allemande; on enlève sim-
plement suffira
:
la petite
aiguille. L'aiguille
la diflférence étant
toujours distinguer 11
h.
25
des minutes
d'une Iieure, on saura et
12
h. 25.
Quelle joie de faire insérer dans les journaux vendus aux Allemands, des articles où l'on se moque d'eux, mais bien et dûment approuvés par randonnées en pays occupé. Pour c'est
comme un
trait d'union,
les Belges restés au pays, par-dessus la ligne de feu.
DK BRUXELLES A SALONIQUE la censure!
Par exemple une
po«5sie
317
parfaitement
insignifiante, mais formant acrosticlie,
et Tacros-
comment dire? eût été signé du général Cambronnc. A Anvers on vit se promener (1) pendant toute une après-midi, de l'air le plus sérieux du monde, trois grandes jeunes filles, habillées respectivement de rouge, de jaune et de noir. Les passants saluaient avec gravité... Les autorités
ticiie...
allemandes curent-elles
la jolie
ironie du vieux
gouverneur danois dont parlaient récemment Études
les
{'2)1
Mais voici qui dépasse la portée d'une simple
une place de choix dans l'histoire de la résistance. C'est un épisode qui tient du merveilleux. Pas un hameau perdu zwanze.
(jui
La
n'ait
fJbre Belgique aura
entendu parler du journal fantôme.
j)énètre dans tous les centres;
mense de
lecteurs, car
il
a
un
chaque exeinj)laire passe
par vingt, trente, quarante mains. Quand
lambeaux,
la
province
Il
cercle im-
le
il
est
réclame encore,
et
en il
(1) Sous le litre Chronique économique. Marché aux porcs, un JDurnal gerriianophile pubriail sérieusement à peu près ceci (Nous gazons.) « Le n)arcli6 est très menacé. Au commencement do la guerre, les arrivages itaieut nombreux et do bonne (jualilé. Mais la consommation a dupasse tontes les piévisions... Kn Flandre surtout, on eu a abattu des masses. A ce compte, les réserves des étables seroul bieiilôt épuisées. Actuellement d'ailleurs on les envoie trop jeunes à l'abattoir, etc. » Kt l'impitoyable allégorie se poursuivait durant deux longues colonnes. (i) Une Alsace danoise, le Slesvig du \nrd: Etudes du 20 janvier iKii), p. 252. Un arrête sur la mode serait beaucoup plus :
.
dans
le
goût du jour.
IMPRESSIONS DE GUERRE
318
continue à y faire du bien. Les Belges les mieux renseignés, les plus fins limiers venus de Berlin n'arrivent pas à savoir le secret.
Qui
le
Où
s'imprime-t-il?
La question est sur Une prime de 20 000 marks
rédige?
bouclies...
toutes les a été pro-
mise à qui découvrirait l'imprimeur. Un homme portant soutane s'est informé avec bienveillance en divers couvents. patriote
»
Au
confessionnal,
un
bon
«
a voulu remettre au prêtre 10 000 francs
à faire remettre au directeur du vaillant journal...
Souvent
le bruit
court
:
l'imprimeur est
Mais au bout de quelques jours,
le
mais ardent patriote nargue de nouveau
du
kaiser,
un nouveau numéro
arrêté!...
mystérieux la police
a paru, merveil-
leusement adapté aux nécessités du moment courageant
les
:
en-
déprimés, calmant les ardeurs in-
tempestives, aussi digne que cinglant. *
On
a beaucoup parlé de renouveau religieux.
en penser? Y a-t-il eu vraiment accroissement de sens chrétien? Un profane a ici doublement le droit de se taire les événements sont récents, et ils sont d'ordre intime. Ils échappent à
Que
faut-il
:
la
perception du public. Tout au plus pouvons-
nous enregistrer quelques manifestations extérieures de piété, en y ajoutant des indications qui
en rendront peut-être l'interprétation plus exacte.
DE BRUXELLES A SALONIQUE
En
319
général les offices divins sont suivis avec
beaucoup plus d'assiduité; le noml)rc des communions a beaucoup augmenté. On pourrait citer en
telle cliapelle où,
trois
mois, on en a distribué
autant qu'en une année normale.
On
a multiplié
comme
les
voyages au
les
pieux pèlerinages
:
et,
ne sont guère faisables,
loin
sont
d'églises,
pour
la
madones
les
locales
honorées que jamais. Dans beaucoup
plus il
y a tous les jours
un
salut
où
l'on prie
Belgi(jue meurtrie. Presque
partout, on messe pour nos
célèbre une fois la semaine une
au champ d'honneur. Mais
héros tombés
c'est
surtout aux services funèbres plus solennels que les églises sont combles.
Ces cérémonies devien-
nent parfois
manifestations nationa-
listes.
pour fusillé
de petites
Tels, par exemple, les le
ràmc de
de
repos
avec miss Cavell, de
Franck;
la foule
trois fois plus
nombreuse que
On
pieux et patriotiques...
se
de
l'office
trouvaient
Baucq,
MM. Bacckclmans
et
obligée de rester dans la rue était
entrer dans l'église.
la fin
services funèbres l'architecte
:
celle qui avait
pu
y distribua des souvenirs
Un moment
d'angoisse à
on savait que dans l'assistance
des
mouchards
de
la
komman-
dantur. Qu'allait faire l'organiste?... L'anxiété ne
dura qu'un
instant...
Tout à coup
les
grands jeux
de l'orgue entonnèrent les premières notes de
la
une foule enthousiaste. Elle pleurait ses héros sans doute, mais non lirabançonue, reprise par
IMPRESSIONS DE GUERRE
320 «
comme un
peuple qui n'a plus d'espérance
Des minutes
pareilles font oublier des
On
d'agonie...
a, je le sais,
».
semaines
cherché à énerver
la
portée de ces manifestalions de foi chrétienne,
on a
dit
:
visites
mondaines, plus de
fêtes
les
:
faire! Plus
de
bals^ de concerts ni
de
que de gens n'ont rien à
cérémonies religieuses sont un passe-
temps, un trompe-l' ennui, qu'on délaissera dès
— Les
églises, ajoute-
t-on, sont les derniers asiles, les
catacombes du
que
la vie
normale renaîtra.
patriotisme opprimé.
A
l'ombre de leurs voûtes,
une parole apostoliquement belge, l'hymne national couronne encore plusieurs de nos cérémonies, et réconforte des cœurs brisés retentit encore
sous l'épreuve. Le clergé, dit-on encore, jouit à
bon
droit
d'une popularité sans précédent. Son
attitude crâne et digne vis-à-vis de l'oppresseur,
son dévouement complet à soulager
la
misère
populaire dans toutes les œuvres d'assistance lui
ont acquis une sympathie qui explique peut-être
un peu
l'assiduité
aux
offices.
—
Enfin, fait-on
remarquer, que de plaintes, que de murmures ne surprend-on pas sur certaines lèvres soi-disant catholiques
t .
.
.
Quand donc
justice sera-t-elle faite?
N'avons-nous pas assez souffert? Qu'avons-nous fait
pour mériter un
tel
châtiment?
Ces objections prouvent tout au plus, ce
me
semble, que des facteurs naturels ont aidé le renouveau religieux, et, quant au dernier grief.
|{RUXKLLi:S A SALOiMQUfc:
l)K
gardons-nous d'exagérer de ces plaintes
:
trera indulgent
pour un
milieu de
nombre
le
cri
portée
et la
bon Dieu se monde douleur écbappé au
que
je crois
3il
le
dures épreuves. Celui qui connaît
si
notre caractère national sait suffisamment qu'il
ne faut pas prendre au tragique tous nos mur-
mures
et
nos critiques
:
au
moment décisif nous sommes bons
savons nous montrer ce que nous clirétiens et
:
bons patriotes.
III
Assurer
la vie matérielle,
dans
les circonstances
un problème d'une rare complexité. Les pouvoirs publics se sont vus tout à coup
présentes, est
devant des situations inextricables. Presque partout les ressources étaient coupées; le numéraire
manquait,
et
nécessité,
et
même parfois les objets de première même le pain. Ce (jui manquait
encore, c'était, quand on pouvait distribuer des secours, le
moyen de
discerner entre misère et
misère, exploiteurs et vrais malheureux. des situalion.s réduites à
la
si
y a anormales! Des familles aisées
ménages modestes Puis, comment des distributions faites, empê-
mendicité, des
qui n'ont presque pas surveiller l'usage
cher
le II.
Il
souffert.
gaspillage, ou encore raccaparemcnl par
u
IMPRESSIONS DE GUERRE
322
ceux qui ne sont pas dans force a été réalisé, et
il
le
besoin? Ce tour de
l'a été
sous les yeux,
ennemi peu scrupuleux. Il fallait spécialement empêcher que les secours ne fussent, sous une forme déguisée, réquisitionnés pour les besoins des troupes alle-
presque sous le contrôle, d'un
mandes. Telle est la tâche ingrate à laquelle s'est dé-
pensée sous
l'élite
pagne
de
la charité et
de la philanthropie,
haut patronage des ambassadeurs d'Es-
le
des États-Unis. Jamais la Belgique ne
et
sera assez reconnaissante envers ces deux diploïîiates et
envers les gouvernements
qu'ils repré-
sentent. Grâce à eux, notre pays n'a pas été livré
à merci. Les envahisseurs savent qu'il y a sur
place des diplomates de puissances neutres dont le
témoignage pourrait
Grâce à ces concours résolu,
(1)
—
être aussi
gênant qu'écouté.
éclairés, le
non pas adéquatement
Que penser, par exemple, de
ces
«
problème (1),
indigents
«
fut
c'eût été
qui prennent
chercher la soupe gratuite, ou des cinémas populaires, qui depuis leur réouverture, l'été dernier, font régulièrement salle comble? On ne peut évidemment approuver ces illogismes, et c'est à bon droit que les autorités communales retirent les secours à ceux qui fréquentent habituellement les séances. Mais qu'on ne condamne pas à l'aveugle, et qu'on veuille au moins avoir égard dans son jugement aux circonsl'épreuve est si longue, l'atmosphère en tances atténuantes pays occupé si déprimante, l'esprit sent le besoin d'une diversion à cette obsession qui dure depuis seize mois! Notons aussi que les cinémas font généralement des prix si alléchants, 50 pour 100 du prix de paix... Tout comprendre, c'est beaucoup excuser! le train
pour
aller
:
DE BRUXKLLES A SALONIQUE
—
impossible,
moins de façon aussi
«la
323 satisfai-
sante (juc possible.
donner une idée densemhle de ce
Tàciiotis de
ravitaillement dans la Belgique jectif est
double
:
«
occupée
».
L'ob-
l'entrée des secours, leur distri-
bution.
Le premier
service est assuré par le C. R. B.
(Commission of Relief for lieUjium),
le
second est
dirigé par le Comité national de secours et d'alimentation,
avec ses quatre miUe comités locaux, autour
desquels gravitent, dans un lien de dépendance
moins
plus ou
l'initiative
étroit, les
communale ou
L'action du C.
ment
œuvres diverses, dues à privée.
U. B. ne
toucbe qu'indirecte-
Bornons-nous à enregistrer
à notre sujet.
magnifique résultat obtenu pendant
année
:
la
le
première
251 navires ont décbargé à Hotterdam
plus de 710 millions de kilos de vivres (1) à desti-
nation de
la
Belgique, ce qui
fait
une
moz/é-n^é?
jour-
nalière d'environ 2 millions de kilos, soit le char-
gement de
1
200 wagons de
Ces
clieniin de fer.
secours proviennent, soit de dons spontanés olFerts
par les États de
moyen la «
des
1
sommes
B('lgi(jue
Union,
soit d'achats
faits
recueillies à l'étranger
martyre
».
Une des
au
pour
tâches les plus
ardues du C. R. B., c'est de faire parvenir ces marlèves, lard, salaisons. On regietto quo se réaliser, permettant l'introduction d'autres
(1) Bl<', riz, niaïa, i»ois,
l'accord n'ait ^irticles.
pu
IMPRESSIONS DE GUERRE
324
cliandises à pied d'œuvre, c'est-à-dire
principaux d'où
la distribution se fera
aux centres par les soins
du Comité national. Les chemins de fer sont presque entièrement affectés aux services militaires; seuls les canaux sont à peu près utilisables, encore faudrait-il en réfectionner un grand nombre. Là s'arrête la tâche du C. R. B. Seul un comité de contrôle parcourt
le
la distribution se fasse
ventions arrêtées de missaires partie
— une
pays pour veiller à ce que réellement d'après les con-
commun
accord. Ces
trentaine environ
com-
sont en
des universitaires américains, qui ont là
une occasion exceptionnelle de
ment
—
s'initier pratique-
à la vie économique. Détail qui m'a frappé
:
plusieurs parmi eux sont germanophiles, mais cela
n'entrave en rien leur admirable dévouement.
Ils
estiment que la victime de la parole donnée mérite protection et respect, et qu'un ennemi se déshonore, qui ne respecte pas ces titres.
Voilà donc le Comité national en possession des secours.
Comment
les répartir?
Un premier
par-
tage consiste à les distribuer entre les diverses provinces, arrondissements,
communes. Les bases
de cette allocation sont entre autres la population, le
degré des privations
tations causées par la guerre.
le chiffre et
de
des dévas-
DE BRUXELLES A SALONIQUE
3i5
Passons aux organismes créés par les com-
munes
:
commu-
soupes communales, mag^asins
naux, restaurants économitjues. Pour bénéficier <le
ces institutions,
ménage
»
il
fournir aux
une « carte de maison communale, se
faut posséder
délivrée à la
locaux désignés et dans les limites
nombre des personnes
lixécs d'après le
et leur
degré dindigence.
Les
«
soupes
»
sont installées dans les locaux
d'écoles, les tbéàtres, les cercles, etc.
Le matin,
vers onze iicures, on voit aux portes une
pit-
(ilc
toresque de gens de toute condition attendant leur «
tour de soupe
».
La
20 centimes, en coûte
même
est
tuitement aux plus indigents. J'en sieurs fois et la
l'ai
ai
goûté plu-
trouvée excellente. Chaque jour,
composition cliange, mais toujours
(pielques bons
ou donnée gra-
ration, qui revient à 15 5, et
morceaux de viande.
elle
S'il
contient
en est qui
réclament, ce sont généralement
ceux
temps de paix, étaient moins bien
servis.
tains jours fixes, on peut se procurer
endroit diverses autres denrées, sel, café,
A
qui,
au
pommes
A
en cer-
même
de terre,
légumes, à des prix d'aumône déguisée.
côté des
originale des
soupes
« «
»,
fonctionne l'institution
restaurants économiques
»,
dont à
Bruxelles plus de douze mille personnes usent chacpie jour. Ces établissements
— actuellement
au nombre de cinquante-sept dans l'agglomération
bruxelloise
—
sont des restaurants ou des
IMPRESSIONS DE GUERRE
326
hôtels qui, pour 45
porteurs de cartes
ou 7S centimes,
communales
d'une valeur respective de
1
différence est payée par les
offrent
aux
d'excellents repas
franc et
1
50.
fr.
La
comités d'alimenta-
tion.
Les
«
magasins communaux
autre besoin. nécessité
» répondent à un Beaucoup n'en sont pas réduits à la
d' « aller
à la soupe
Certain respect
».
iiumain, le rang à garder les en empêcherait. Mais tout le
monde
diminuer
tient à
dépenses du ménage.
ment
et la
le plus
Comment
possible les
éviter l'accapare-
maladie chère aux ménagères, la
visionnite?
»
Voici.
«
pro-
Les administrations commu-
nales achètent au Comité national les marchandises
de nécessité courante (café, sucre, sel,
riz,
confiture,
savon, etc..) et créent les magasins
naux, où chaque semaine se procurer à
un
les administrés
commupeuvent
prix abordable les diverses den-
rées en quantité raisonnable, d'après le
personnes constituant l'employé oblitère sur
le
nombre de
ménage. Chaque
ménage
la carte de
fois,
la case
correspondant à l'achat pour la semaine en cours.
On
paye, soit en argent, soit au
émis par
les
communes
et
moyen de
«
bons
»
par les divers comités
de chômage ou d'assistance. Désire-t-on certaines denrées en plus grande quantité, on s'adresse aux
magasins ordinaires. Notons que gasins
communaux ne
les prix des
ma-
sont pas de beaucoup infé-
rieurs à ceux des autres maisons, et par suite ne
DE BRUXELLES
A
SALOMQUE
327
causent pas trop de préjudice au petit commerce, tout en mettant
un
arbitrairo des prix.
frein efficace à
Le produit de
une majoration
léger
— concourt
à alimenter les
vente sert au
la
réapprovisionnement, tandis que
le
gain
—
très
œuvres commu-
nales de secours.
Quant au pain, on
est rationné;
chaque bou-
langer reçoit sa farine en proportion du nombre de clients
;
des mesures sont prises pour qu'on ne
puisse s'inscrire à la fois chez deux boulangers.
Changer de boulanger constitue, sous le régime allemand, un acte important de la vie civile, que les autorités doivent approuver, qui exige pas mal de formalités et de démarches !... Où est la liberté si chère aux Belges? Le boulanger qui enfreint le règlement se voit supprimer les matières premières.
Dans
munes
les
derniers mois, bon
nombre de com-
ont obtenu de faire venir de Hollande une
provision supplémentaire de pains.
Ils
se vendent
assez cher. Des journaux hollandais ont assuré que d'une seule ville (Maestricht) 2 500 000 pains entraient ainsi chaque semaine en Belgique
donne l'information pour ce
:
je
qu'elle vaut.
«
Un
autre signe des temps, c'est l'utilisation pour
la culture (surtout
des
pommes de
terre)
de
ter-
IMPRESSIONS DE GUERRE
328
rains vagues,
dans
même
le quartier
en pleine
ville.
C'est ainsi que
du Cinquantenaire, à l'avenue de
Tervueren, ou près de l'avenue Louise, tous les espaces non bâtis sont devenus des jardinets. L'ap-
provisionnement des communes a été ainsi aug-
menté dans des proportions grand avantage moral de cette
donné de l'ouvrage aux
mais
variables,
le
initiative est d'avoir
sans-travail, dont la
longue
inaction forcée coûte cher aux
communes, pourrait
créer un jour
la
un danger pour
paix publique, et
préparer pour l'avenir des désœuvrés incorrigibles.
Le problème du chômage est des plus délicats. Le nombre des sans-travail est estimé à sept cent cinquante mille. Le secours ne peut évidemment être refusé à
ceux que
la
guerre prive de leur
gagne-pain, mais doit cesser dès que l'ouvrier
trouve du travail
aussi exige-t-on que le
:
vienne chaque jour se porter présent à
chômeur
la caisse
chômage. Or,
qu'arrive-t-il?
dustrie a par
bonheur un peu de besogne,
Lorsqu'un chef
de
d'inil
ne
trouve qu'à grand'peine des ouvriers qui veuillent
échanger
les
allocations de
salaire qui peut n'être
directeur de fabrique toute
commande
chômage contre un
que de courte durée.
me
disait qu'il devait refuser
pressée, et ne travailler que trois
ou quatre heures par jour
:
ainsi les
ouvriers
avaient continuellement de la besogne, et
lement restaient
Ce
qui rend le
Un
officiel-
chômeurs » problème particulièrement ardu,
«
BRUXELLES
Dli
c'est l'intrusion
SALONIQUE
A
du gouverneur allemand,
prétexte d'enrayer la paresse, vices, olFre de la la confection
329 qui,
mère de tous
les
besogne aux Belges par exemple, :
de sacs, l'entretien des routes,
réparation de locomotives, et défend aux rités
sous
la
auto-
communales de soutenir en quoi que ce soit les
familles
des récalcitrants, parce que
On
vail » volontaires.
et ces réparations.
voit assez
sans-tra-
«
pourquoi ces sacs
Cliaque Belge employé à ces
travaux indispensables permet à un Allemand de
reprendre
le
fusil.
C'est avec
(|u'on enre-
fierté
gistre l'attitude de l'ouvrier belge
en face de cette
brutale mise en demeure.
Les événements de Malines
et
de Luttre ont été
particulièrement suggestifs à cet égard.
A
Malines,
von Bissiiig mit la ville aux arrêts (c "est-à-dire régime de terreur, défense d'entrer et de sortir, etc.) jusqu'à ce que cinq cents ouvriers se soient présentés. La menace fut publiée urbi et orhi sous forme d'afliciies comminatoires. Sic rolo, sic jubeo... En tout et pour tout, trente ouvriers s'inscrivirent, des congédiés en grande partie ou des incapables,
La
situation devenait intenable, et devant l'indi-
gnation [)opulairc
le
gouverneur général dut céder
au bout de six jours. Cela ne l'empccba lancer une
nouvelle proclamation
annon(;ant (ju'un noml)re... »|iio/. le
tour de pbrasc!
—
«
suffisant
s'était
j)a3
de
triompbante, »
— remar-
présenté et qu'il
levait l'interdit jeté sur la ville archiépiscopale!
IMPRESSIONS DE GUERRE
330
A
Luttre
— de réparations pour — se trouvaient, à date du atelier
les che-
mins de fer la 23 mai, deux cent trente locomotives à réparer. Sur les mille deux cent cinquante ouvriers de l'arsenal, vingt seulement acceptèrent le travail. Les autres refusèrent malgré toutes les réquisitions. Plus de deux cents furent déportés en Allemagne, leurs familles privées de secours, mais cet exemple n'eut pas l'effet escompté, et les Allemands durent renoncer à aller jusqu'au bout. * * *
Ces misères, ce cliômage ont eu pour résultat de mettre en relief l'a dit
la charité
avec justesse
:
des classes aisées.
On
jamais les pauvres n'ont été
mieux secourus que pendant
la
guerre, tant la
charité officielle et privée s'est ingéniée à atténuer
tous leurs besoins. Et entre temps, les riches
—
— en
n'ont pas hésité à payer courageusement de leurs personnes. A Bruxelles, il n'est pas rare de voir en rue deux dames ou demoiselles du grand monde, un panier sous le particulier la noblesse
bras, mendiant de porte en porte pour l'œuvre des
pauvres honteux, ou
les « Petites Abeilles ».
Et
lorsque les dames quêteuses ploient sous l'abon-
dance des dons, quelque passant inconnu, souvent
un homme du monde, le
s'offre à les aider. Il porte
fardeau jusqu'au local de l'œuvre, où les dames
DE BRUXELLES A SALONFQUE
33t
roffice et de la cuisine s'empresseront de pré-
(le
parer
repas des malheureux.
le
Au commencement donné
rosité s'est
Depuis
lors, le
les largesses.
existe
1'
particuliers
guerre l'élan de géné-
la
libre cours,
besoin s'est
un peu
à l'aveugle.
sentir de canaliser
fait
Actuellement, dans chaque quartier
Œuvre
«
de
du sou
»
qui recueille chez les
une cotisation mensuelle, à charge de du quartier la meilleure
faire entre les nécessiteux
répartition
Aussi voit-on
possible.
sur
presque
une petite affiche « Les habitants sont affiliés à l'Œuvre du sou; inutile de mendier. » Les secours en espèces sont donnés sous forme de bons d'une valeur variable, avec lesquels les pauvres peuvent acheter dans les mafoutes les portes
gasins
:
communaux
de première néces-
les objets
sité.
On dans
le
les
voit, la
grands centres, n'est
que d'aucuns se l'imaginent, ger est toujours
moins pas aussi mauvaise
situation matérielle, au
là
:
et
pourtant
que l'Amérique
raison ou pour une autre
—
le
dan-
— pour une
vienne
;i
suspen-
dre sa généreuse mission, et c'est la famine. s'en aper(;oit parfois, lorscjue le stock
daire n'arrive pas à
temps pendant quelques jours :
on est privé de pain, on se contente de de
terre.
On
hebdoma-
pommes
IMPRESSIONS DE GUERRE
332
Et les magasins, demandera-t-on, Impossible
donner
de
le
une
ici
commerce?
appréciation
unique. Certaines branches n'ont jamais connu de meilleurs temps, tels les charcutiers et les'autres
marchands de
«
delikatessen
», g-ràce
à leur nou-
velle clientèle, dont l'appétit est proverbial.
Les
lampes à acétylène également font
leur
lumière économique remplace
furie
:
le pétrole qui est
hors de prix. D'autres ont souffert du calme plat pendant les
premiers mois de
la guerre,
mais ont vu revenir
leur clientèle sous l'étreinte de la nécessité, tels les
magasins de blanc, d'aunages,
cordonniers, etc.
;
les tailleurs, les
on peut user jusqu'à
corde des
la
vêtements, qui, en des temps meilleurs, auraient été déclassés depuis longtemps on peut faire ressemeler une ou deux fois de plus ses vieilles paires de ;
souliers
:
un jour
arrive
robe sont épuisées,
il
où les réserves de la garde-
faut acheter
marcliand de chaussures sujet
que
le
me
Un grand
du neuf.
faisait
remarquer à ce
gain ne correspondait pas à la recru-
descence du commerce. Les gens n'achètent que de la camelote à bon marché. Résultat
minime pour
la
se souviendra lité et
:
maison, sans compter que
que
l'article était
oubliera qu'il
l'a
bénéfice le client
de mauvaise qua-
payé un prix dérisoire.
DE BRUXELLES
Pour
d'autres, c'est, ce sera
qu'à la
fin
aflaircs
:
terie,
SALONIQUE
A
(le
la
tels les
il
probablement jus-
guerre, la cessation de toutes
magasins de dentelles, de bijou-
d'ameublement, en g'énéral tous
de luxe. C'est non seulement car
333
l'arrôt,
les articles
mais
le recul,
faut continuer à faire face à des frais géné-
raux considérables.
A
côté de tout cela, les
«
métiers de guerre
»
ont surgi, et sans parler de tous les magasins qui «
retapent
»
les objets
usagés (par exemple, tein-
ture et remise à neuf de vêtements défraîcliis, re-
tournage de vieux habits, stoppage et mise de pièces invisibles),
on ne peut laisser sans mention
j)ullulement des gagne-petits.
Un
jour, j'ai
le
compté
plus de vingt-cinq camelots autour de la porte centrale.
Quel savoureux passe-temps que
d'aller
flâner devant ces charrettes à bras chargées de
fonds de boutique ou d'inventions sensationnelles
poudre
;i
;
enlever les taches de graisse, crayon
pour reproduire instan-la-nément. Messieurs
Dames! n'importe quel imprimé,
et
attache-col inu-
sable, parapluies incassables, la guérison par les
plantes de n'importe (juelle maladie,... j'en oublie, et
des plus intéressants. Les boniments de ces
brocanteurs
et
charlatans
étaient
souvent des
clicfs-d'œuvre, et la séance était agrémentée parfois
de tours originaux par des professionnels de
cirque, actuellement sans ouvrage.
Et l'on voit quelle
contre-vérité
énonçait
le
IMPRESSIONS DE GUERRE
3;U
chancelier de l'Empire, quanti
gique
la vie
économique
était
il
disait
qu'en Bel-
normale. Cela n'est
pas et ne saurait être tant que la situation ne
changera pas
:
le
numéraire manque
tout payer comptant;
et l'on doit
les meilleurs ouvriers sont
ceux qui restent préfèrent chômer; que
partis, et
d'usines doivent arrêter, par suite du
matières premières
!
Ajoutez-y
manque de
l'arbitraire
et
la
mutabilité voulue de tous les arrêtés, avis et décisions du nir
gouvernement général, au point de deve-
un écheveau
inextricable; en fin de compte,
on est si obsédé de ces formalités et perpétuels changements, qu'on renonce plutôt à faire des affaires sous un tel gouvernement. N'oublions pas que
le
blocus anglais pèse par
contre-coup sur notre pays aussi durement que sur l'Allemagne. Importations et exportations sont
impossibles
;
nos industriels ne peuvent disposer
de leurs dépôts bancaires en Angleterre ou en France. Avec une rare abnégation, notre population a compris la nécessité de ces sacrifices. Mais
tous ceux qui portent la responsabilité de l'avenir et notre gouvernement en premier vu qu'une pareille situation ne pouvait durer, qu'un épuisement trop complet briserait pour de bon les ressorts économiques et moraux
de notre patrie, lieu, ont
de r
«
héroïque petite Belgique
».
A
tout prix,
il
faut une solution qui permette — moyennant des garanties raisonnables — l'importation de ma-
DE BRUXELLES A SALONIQUE lières
335
premières, Texportalion de produits manu-
Ce sera une solution partielle de l'angoissant problème du chômage les secours seront la facturés.
:
rétribution du travail.
que en cours sont en voie d'aboutir. paraît
Il
les pourparlers
*
*
Une
dernière
*
question, les transports et
les
bagages.
Quand on difficiles
dit
que
les
déplacements sont devenus
en Belgique, on s'imagine parfois que
les
passeports en sont la cause. C'est une erreur
depuis des mois
qu'on
ait
la circulation
:
pourvu
sur soi sa carte d'identité, visée par
l'autorité allemande,
restrictions suivantes ijehiet
est libre,
(zone des
sous réserve cependant des :
rester en dehors de VElappe-
armées)
et
du réseau-frontière
(une bande de 5 à 10 kilomètres
le
long de
la fron-
tière hollandaise), et n'être pas soumis au contrôle
du Meldamt. Aux jeunes gens en âge de porter armes,
il
est interdit
les
de s'éloigner de plus de
5 kilomètres de leur résidence;
et,
obtiennent-ils
un passeport, par exemple de Charleroi à Bruxelles, ils doivent, pendant leur absence, se présenter à intervalles rapprochés au
nière
Meldamt de cette der-
ville.
Une des grandes entraves au sence
de
trafic, c'est l'ab-
communications rapides. Les
trains
IMPRESSIONS DE GUERRE
336
allemands sont boycottés, non seulement par pro testation patriotique,
Le
élevés.
autant qu'auparavant tour en seconde
mais aussi à cause des prix
simple Bruxelles-Anvers coûte
trajet
(1).
le
même
Puis
le
trajet aller et re-
service est extrême-
ment restreint. L'indicateur tient en quatre pages. De Bruxelles partent pour Tournai, Mons, Charleroi, Namur, Liège, Anvers et Gand un total de vingt-deux trains. La cause? Freiherr von Bissingdonnée dans une affiche demeurée célèbre Les Belges doivent s'en prendre à leur propre gouvernement, qui a osé emporter en France
l'a
:
plusieurs milliers des meilleures locomotives, et
refuse de les céder
pour
les
besoins du pays
occupé.
Les
sont extrêmement demie de Bruxelles à Anvers.
voyages
heure
et
lents
:
une
y a des formalités, les visites « corpoon est toujours exposé, surtout à Anvers. Dans les gares, aux guichets^ les affiches, Puis,
il
relles » auxquelles
inscriptions, horaires, tout est exclusivement alle-
mand
;
partout on voit l'invitation
:
Soldats, parlez
votre langue! Est-il étonnant que les trains alle-
mands ne contiennent généralement pas
plus de
dix à vingt civils?
Tout
le trafic se fait
par les lignes des trains
vicinaux qui n'ont pas encore été enlevées. Les (1) Par kilomètre, 10 centimes en troisième; 15 centimes en seconde; 20 centimes en première.
DE BRUXELLES A SALONIQUE Compag-nies font des aflaircs
soudé leurs services,
et
d'or.
337
Plusieurs ont
on a maintenant dos
vici-
naux-express avec voitures directes, par exemple Liège-Bruxelles (place
Rouppe)
(place nette,
;
Dailly)
Mons-Bruxelles
;
Charleroi-Nivelles-Petite-Espi-
de là Bruxelles. D'autres services ont
et
combiné leurs horaires, mais n'ont pas établi de services directs. Ainsi, en (juittant Maeseyck le matin vers quatre heures de train à Brée,
Louvain
demie, en changeant
et
Bourg-Léopold, Beeringen, Diest,
Tervueren, vous arrivez
et
vers douze heures et demie...
Pour remplacer
le
«
Bloc
rà
Un
vrai
»
(train
Bruxelles
charme
I
rapide de
Bruxelles à Anvers), voici ce que l'on recom-
mande
:
de Bruxelles à Vilvorde, en train élec-
trique; de là, en voiture jusqu'à xMalines, près
pont sur
du
Nethe, détruit lors du siège d'Anvers
le
en face du pont, un autre conduit via
Boom,
train attend et
;
vous
Aertsclaer, jusqu'à Anvers-Kiel,
où passe une ligne de tramways anversois. La durée totale de l'équipée est de heures, et
le prix,
Partout où rail,
de 3 à 3
fr.
trois à
quatre
23.
y a un hiatus entre les lignes sur on a vu surgir des services de voitures qui il
rappellent les diHgences.
Vieux véhicules
de chevaux poussifs refusés à l'armée.
mencement,
le
attelés
Xu com-
métier était rémunérateur, les gens
payaient volontiers, les bêtes étaient en bon
Maintenant, u.
elles sont
état.
surmenées coûte que coûte, :
a
IMPRESSIONS DE GUERRE
338
pourtant,
il
faut qu'elles rapportent de quoi assurer
leur nourriture. Or, l'avoine est hors de prix.
Il
évidemment pas question de vendre ces
n'est
haridelles.
Actuellement,
le
prix par personne, dans
voiture à quatre places, est de
pour
En qui
le trajet
au
fil
montaient au cœur, j'en
l'imperfection.
L'on
m'assure
telles quelles, ces notes
faire connaître et
mais reste
fière.
des souvenirs ai
senti toute
cependant
que,
seront les bien venues.
Je les livre au public. Puisse
buer à
50 ou 2 francs
1 fr.
Vilvorde-Malines, 13 kilomètres.
relisant ce croquis, tracé
me
une
mon
travail contri-
aimer la patrie qui souffre,
Puissent ces lignes encourager
tous ceux qui luttent pour l'indépendance de la
Belgique
!
Léo
l" janvier 1916.
Belgicus.
II
AVEC LES ANGLAIS DANS LES FLANDRES
Lettres d'un interprète
aux Forces de S. M. Britannique
Mardi 28 mars 1916.
— Je ne
sais si
vous aime-
ma vie. S'il ne fallait qu'un miracle pour vous attirer auprès de moi, j'en serais capable. Et je vous recevrais dignement cette semaine-ci,
riez à partager
:
mon
installation
votre
àme
est ravissante, elle agréerait à
un quar-
pacifique et rêveuse. Imaginez
tier silencieux
dans une petite
de province,
ville
blottie sous des toits ronds et moussus, une maison blanche entourée de jardinets et penchée
au-dessus d'un canal sinueux et rapide là.
En
face de moi,
et par derrière,
l'hôtel
Puis un
de
lac
j'habite
une écluse à demi vermoulue, îlot, un vieux moulin à
dans un
vent, à eau et à main.
de
:
ville et le
Au second
plan, le belfroi
clocher grêle d'un couvent.
inmiense produit par
la
crue de deux
eaux se rejoignent à quelques futaies qui émergent
rivières parallèles, dont les
travers les haies, et encore... Ajoutez
un bon
lit,
un bon
feu,
un peu
IMPRESSIONS DE GUERRE
340
de
loisir...
Et dites
si je
les
moments de
loisir, je
mon aise. me manque. Dan»
ne suis pas à
Pourtant vous devinez ce qui
un
sens plus que jamais
l'absence d'amis, que leurs
vide,
tueuses n'arrivent pas à remplacer.
lettres Il
affec-
y a dix-huit
mois que je vous ai dit adieu dix-huit longs mois de voyage et d'aventure, de pluie et de boue, de vent et de soleil, de faim parfois, de soif, et de :
nuits à la belle étoile, d'obus et de balles
de souvenirs où vers
ma
terre
où
mais où je suis
mon
famille, dans le ciel elle
diminue
elle
augmente, sur
n'est pas complet, parce
que
seul.
Je viens de regarder sur des lieux où
où
— mois délicieux en somme,
mon bonheur
un peu
— mois
esprit se reporte sans cesse
j'ai
mon agenda
la liste
séjourné, des personnes avec qui
La liste est longue; mais combien de maisons où j'ai chaudement dormi ne sont plus qu'un pan de mur entre des plâtras. Et combien d'officiers sous qui j'ai servi sont tombés, quand le régiment laissait sur le chemin une traînée de cadavres... depuis la Marne Presque tous les villages inscrits jusqu'à l'Yser. j'ai fait
connaissance.
hélas!
—
sur j'ai
mon
calepin, sauf les premiers en date, dont
quelquefois des nouvelles par les
qués, portent un
nom
communi-
qui sonne flamand, bourré
de werch, houck, ghem. Et les officiers sont tous Anglais
:
des désinences en wood, smith, bridge.
—
DE BRUXELLES A SALONIQUE
341
Vous voyez que mon expérience est fort rr Juite. Je ne connais guère qu'un champ de bataille, la Flandre;
qu'une armée,
et
naire britanni(juc
».
En
le «
Corps expédition-
revanche, je crois
les
con-
naître à fond.
Et à force d'être familiarisé avec eux,
La
par les aimer.
mitée par sa
comme
plaine où
je vis
me
j'ai fini
plaît. Illi-
que
l'océan, et plus bienfaisante
fertilité
lui
qui la transforme, mélancolique en
brume
germant au printemps une multitude de couleurs on dominent le verl et l'or, éblouissante et parfumée quand la grande hiver sous
la
grise,
chaleur mûrit les blés, baignant alors de l'aurore
au
soir dans le soleil
qu'aucune colline ne cache,
regardant miroiter l'innombrable
réseau de ses canaux
et
nonchalant
et rivières, taclietée
par des
bosquets, des chaumières et des églises plantées
au hasard
un peu partout, l'étendue flamande
exhale une j)oésie forte
que d'autres
la
et tranquille. Il est vrai
trouvent banale,
et j'en
ai
médit
—
et vous en êtes moi-môme; mais un pliilosophe s'étonnera point, et ne bâtira une théorie un
—
avec ces divergences.
Il
expliquera que
la
ne tient pas aux clioses, mais à l'âme qui
poésie l'y
pro-
jette et l'y retrouve; et, par conséquent, rien ici-
bas n'est pourvu ou dépourvu de poésie, car l'imagination, suivant son caprice, peut enluminer ou déflorer tout objet.
Et puis cette étendue est habitée par une race
IMPRESSIONS DE GUERRE
342
franchement sympathique; des corps robustes, des visages épais, mais resplendissants de santé, des
nombreuses
familles
—
âmes saines à
des
l'égal
des corps, que la civilisation actuelle n'a pas encore le bon sens et la foi sont enraLes passions du paysan sont puissantes,
corrompues, où cinés.
et par-dessus tout domine l'amour du lopin sur lequel sa ferme est bâtie, et
mais calmes,
du
sol,
dont
la fertilité
mystérieuse
le
frappe de respect. Païen,
11
est énergique, et
ne
le nourrit, l'étonné et
il
eût divinisé la terre.
marchande aucun
lui
soin.
Depuis deux ans, tous les jeunes gens sont partis, il
ne reste que des femmes
cependant
champs sont
et des vieillards, et
cultivés,
jusque sous
J'admire ces femmes qui se lèvent au
les obus. petit
les
jour
et
France leur
ne quittent
le
labour qu'à la nuit
:
la
doit tant de reconnaissance! C'est de
leur sang que sont nés les soldats, c'est de leurs
greniers pleins que s'acheminent les convois qui
nourrissent l'armée.
Mes hôtes
ont aussi leurs défauts, et c'est heu-
Leur esprit est juste, mais étroit ils ne comprennent pas les habitudes étrangères. Leur opiniâtreté virile confine souvent à l'entêtereux après
ment,
tout.
et rivalise
:
sans difficulté avec la ténacité
fameuse des Anglais quels
ils
qu'ils
se disputent de
hébergent, et avec les-
temps à
autre. Ils sont
âpres au gain, un peu ladres, capables pourtant de sacrifices
:
beaucoup fournissent l'aumône
et le
DE BRUXELLES A SALONIQUE
343
logement à des évacués. Et j'en ai vu, mainte fois, (levant leurs maisons bombardées, leurs toits béants, leurs meules en flammes, essuyer quelques
larmes
et refuser les
ples mots,
vous?
condoléances avec ces sim-
banals aujourd'imi
si
c'est la guerre.
punit nos pccliés.
»
»
Car
ils
ombre de
curé
et
fréquentent
le
Que voulezLe bon Dieu
:
ils
sont pieux,
superstition. Ils aiment le
l'église. Ils
les routes les cbapelles
toutes les fermes ont
«
:
ont une qualité qui
couvre une multitude de fautes dévots, sans
«
:
Et encore
une
ont multiplié sur
et les crucifix.
Presque
statuette encastrée dans
mur.
Vous croyez que plaisir i)ar ici?
je n'ai
Comme
jamais eu de grand
vous vous trompez! Je
bien des amis. Et quelles exquises
suis acquis
veillées d'iiiver j'ai passées,
gens, autour du
pendant que
au milieu des braves
fourneau rond, buvant
la pluie cinglait les
vitres, et
fermière en venait aux conlidenccs, lettres
par
du
fils
la prière
me
et
du mari... La
en commun,
coloriées dont les litliograj)liies
me
le
café
que
la
tendait les
veillée se terminait
— devant une des images
murs sont couverts,
— chromo-
importées de Malines, où les saints
trop vigoureux et trop joufflus sont dus au pinceau
d'un Hubens sans talent (encore qu'ils vaillent artistiipiement
mieux que
telles
de nos statues soi-
disant de Paris, aussi terrestres iju'étriquécs, que
l'anémie ne sauve pas de la vulgarité).
IMPRESSIONS DE GUERRE
344
Mais où vais-je m'égarer? C'est de la guerre que vous désirez entendre parler! Vous me pardonnerez d'avoir songé en premier lieu aux malheureux qui habitent aux abords de Ils
ont tant de droits à la
sonne ne s'intéresse à eux. C'est pouvoir, par
ma
la ligne
de feu.
pitié, à l'estime; et
per-
mon bonheur
situation, leur rendre
de
beaucoup
de services. Et puis une causerie
sur la guerre ne vous
offrira rien d'inédit, j'aurai
beau
faire,
vous avez
déjà trouvé mieux autre part, peut-être dans les
journaux, sûrement dans les lettres d'amis
:
com-
placés que moi, plus dange-
battants plus haut
reusement aussi, plus glorieusement. Ah! que nos aumôniers et nos frères-soldats continuent d'écrire! Elle forme un album sans précédent, la collection de leurs
lettres, si
souvent sanglantes, et dont l'àme
militaire de saint Ignace doit tressaillir de fierté.
La ici
vie à laquelle
est
qu'on
nous sommes accoutumés par
exactement semblable, je suppose, à
mène
ailleurs, le
long de 600 kilomètres,
depuis Nieuport jusqu'à la Suisse
:
quatre ou cinq
jours dans les dug-outs (en français on les gourbis) et quatre
dans
les
celle
dit,
je crois,
ou cinq jours en réserve, et les tentes. Pour dis-
maisons démolies
traction les obus, les
mines dont l'explosion ouvre
de larges cratères, les
petites expéditions noc-
turnes dans le voisinage des Boches, ou autres
DE BRUXELLES A SALONIQUE
même
intermèdes de
dans un
l'arrière,
345
agrément. Parfois, repos à
villag^e
moins endommagé, où
l'on s'ennuierait terriblement, sans l'exercice et soir, les jeux,
Les
Folies, c'est le
transporte
nom
toire suffisant,
matin
le ballon, et les Folies.
du théâtre que
la division
dans ses nombreux bagages,
comprend un et
notamment
qui
et
nombre de décors, un réperpas mal d'acteurs, quelques actrices,
certain
un phonograplie.
La nature du
terrain sur lequel les troupes an-
impose quelques
glaises livrent bataille leur cultés spéciales.
lument défilés
à
Le
découvert
diffl-
terrain étant plat, on est abso-
pas un de ces petits sentiers
:
que nous avions connus dans l'Aisne, de ces
jolis villages abrités contre le
vent du nord et les
Allemands. Pour comble,
terrain étant aqua-
tique, liiver,
il
le
est malaisé d'y creuser des tranchées.
l'inondation noyait
fossés, tranchées et
lils
la.
de
campagne, routes
fer,
En et
sous une surface
immense, uniformément jaune. Vêtus de longs pantalons en caoutchouc, emportant dans leur sac
malheureux fantassins deux jours. Et durant deux boue du reste du monde,
leurs provisions froides, les se relayaient tous les jours, séparés [>ar la
des nouvelles et de toute civilisation, ces demiscaphandriers, trempés, glacés, malades, pouilleux, héroïques, défendaient la ligne. I^icore
l'ennemi avait ralenti
le feu
Noël un bruvant réveillon
!
:
il
si
nous réservait pour
IMPRESSIONS DE GUERRE
346
Un
élément comique égayait nos misères
:
des
éclats
de rire se mêlaient aux éclaboussements
d'eau,
quand tous, à tour de rôle, y compris les plus une chute dans les
élevés en grade, nous faisions
trous ou les ronces, cachés par la crue.
changer les méthodes de
la
Il
a fallu
première heure; les
tranchées nouvelles ne sont pas enfoncées dans sol,
naire
mais
:
elles
fournissent une cible à
l'artillerie,
y vivent
les officiers, les troupiers et les rats
à sec.
ou
le
mais surélevées au-dessus du niveau ordi-
Le
plus désagréable en est parfois l'entrée
la sortie.
A
2 000 mètres de la ligne, on entend
les balles siffler, et le trajet
il
n'est pas rare qu'on ait à faire
en plein champ, sans un arbre, sans une
motte de terre pour protection. Quand on revient de permission, la promenade est de nouveau assez
émotionnante.
Du moins
les
Allemands
sont-ils
calmes, en
comparaison des jours d'antan, je veux dire de l'automne 1914. Quel tintamarre, quand rent de se frayer
un chemin vers
engins capables de faire
énormes
du
how^itzers jusqu'aux
ils
Calais!
bruit,
essayè-
Tous
depuis
fusils,
les
les les
aéro-
planes, les crapouillots, les mitrailleuses, les torpilles s'en
donnaient à cœur joie toute
la nuit.
Et
une féerie sinistre, quand, les oreilles assourdies par le mugissement et le crépitement, on avait le loisir de contempler, dans un firmament c'était
noir, sans lune, le tracé phosphorescent des
obus
(jui
DE BRUXELLES A SALONIQUE
347
s'entre-croisaient par-dessus nos têtes et le
sil-
lage
(les
fusées lumineuses.
Aux
alentours, des
maisons flambaient. Dans un cabaret voisin, choisi pour ambulance, les blessés et les mourants dormaient ou râlaient sur
le
parquet, sali de vin, de
bière, de crachats, de sang,
pendant qu'un chirur-
gien coupait des chairs à la lueur d'une bougie. J'ai
eu l'occasion plusieurs
fois
d'introduire
un
prêtre dans ces lieux d'agonie et de misère.
—
J'ai encore changé de 30 mars 1916. local. J'ai retrouvé un logement plus conforme à mon ordinaire, un peu trop près des trous d'obus une vieille cuisine, aux vitres brisées, mais pourvue d'un fourneau qui fume et tient d'autant plus cliaud, de vieux fils télégraphiques où pendent mes habits mouillés, et d'un solide carrelage où je partage ma paille avec un lieutenant, un chien adoptif et des souris. Je fais bon ménage avec nous nous disputons et nous ledit lieutenant
Jeudi
:
:
entr' aidons,
jouons aux échecs avec des cartou-
ches en guise de personnages et ne nous quittons guère. Je vous le présente
:
haut, maigre, capri-
cieux, en théorie anglican, réduisant en pratique
sa religion, pour autant que j'en puis juger, à
quelques préjugés contre
père.
le
pape; honnête
recevant des lettres magnifiques
leurs,
(|ui
duquel
il
est converti, fervent, et
porte presque en vedette
d'ail-
de son
pour l'amour
un Sacré-Cœur
IMPRESSIONS DE GUERRE
348
sur sa vareuse; sans
fierté,
sans méchanceté; con-
aimé
tent de peu, serviable, poli, fort brouillon,
des soldats, raffolant des chevaux, des jeux de
hasard
et
de ses
fillettes.
Pour se faire une idée exacte de l'officier anglais, il
faut le fréquenter assidûment, car
pas vite; l'étudier à deux
dans il
où
la tranchée,
il
il
moments
est à la peine;
ne se
livre
différents
:
au mess, où
se détend. J'ai
trouvé les définitions qu'on donne générale-
ment du caractère britannique, les jugements qu'on
comme
colporte
vérité, voire
des axiomes, fort éloignés de la
du bon sens. Je
dirais,
avec un peu
d'exagération, que toute la différence de Yinsulaire
au
côté de la
aime ces deux mots de l'autre Manche) tient à la cuisine et aussi à la
manière
de
continental (on
mais à glais la
Vu
ressemble au Français
même
âme. La
d'avoir produit
ne
aux habitudes extérieures,
saluer,
la cuisine surtout.
doit
:
par l'intime, l'An-
l'homme a partout
Grande-Bretagne
un tempérament
confondre avec aucun autre
oppositions sont
complexes,
si
se
vante
national, qu'on
si
:
mais
les
imprécises,
si
inattendues, qu'on en doute parfois. Et, par exemple, les
soldats
de
S.
M. George
V
n'ont ni le
flegme, ni la froideur qu'on leur prête. traire, il
un Anglais
l'est
l'école à
à
l'excès
masquer
es :
t
Au
con-
d'ordinaire
un sentimental,
seulement,
il
apprend dès
ses émotions. Et lorsqu'on dit
DE BRUXKLLKS A SALONIQUK
349
on se trompe. Les tranchées anglaises sont moins confortables que les qu'il reclierclie ses aises,
nôtres. L'officier anglais est
raidc, blond avec des
siasme, mais
il
en jargon de soldat, du
rabiot).
montre très strict sur le serune besogne qui lui est confiée sera remexactement. Sa bravoure, très admirée,
très
est faite d'un
tures,
a de l'enthou-
Il
est-il qu'il se
vice, et plie
yeux bleus.
n'aime pas faire du surérogatoire
(ce qui s'appelle,
Encore
généralement grand, sec,
amour spontané du
comme
risque, des aven-
aussi de son insouciance. Car l'in-
souciance est une des pièces maîtresses de sa nature
:
parti-pris
ou impuissance,
il
ne s'inquiète
pas de l'avenir. C'est la raison pour laquelle
il
ne
jamais économiser. Les soldats anglais gas-
sait
pillent à l'envi leur argent et l'argent
du gouver-
nement, au scandale des paysannes. L'Anglais ne pèche pas par excès d'iinagination; on
le
voudrait
plus ingénieux, plus fécond en expédients. lent à prendre
une décision. En revanche,
Il
est
il
est
sage, avisé. Qu'il s'agisse de stratégie ou d'habil-
lement, de
«
il
préfère le solide au brillant.
réaliser
»
Il
a le don
parfaitement les événements, les
donnent rare-
situations, car les apparences lui
ment le change. Il est tenace, mais uniquement quand il juge à propos de l'être sinon, il est accommodant. Quand il rencontre un étranger, il fait peu d'avances; il est simple pourtant, bon :
IMPRESSIONS DE GUERRE
3S0
garçon, se laissant traiter d'égal à égal par le pre-
mier venu.
manquer
tient
Il
personnellement à ne jamais
à l'étiquette, propre, ciré, rasé,
tocolaire;
mais
hommes.
Il sait
s'en passer.
Il
il
— pro-
n'exige pas l'étiquette des autres
également jouir du confortable,
et
emporte une réserve inépuisable de
bonne humeur, et d'iiumour même, plus causmoins joyeux que notre verve gauloise.
tique,
(Voyez dans
le
journal illustré
le
Bystander^ la
curieuse collection de croquis Fragments de France^ :
par
le
capitaine Bruce Bairnfather; la guerre a
improvisé caricaturiste ce soldat de métier,
et l'on
ne trouve peut-être nulle part plus de gaieté
et
plus de vérité.) Par-dessus tout, l'officier anglais est fier
de son pays, déteste les Allemands et croit
à la victoire.
Son grand défaut
est d'être trop
souvent païen,
au sens négatif du mot. L'anglicanisme
est
pour
beaucoup une pure formalité extérieure, qui ne perce pas jusqu'à l'âme.
Mes
officiers
n'éprouvent
aucun amour comme aucune haine pour leur reliet leur mort gion. Mais leur conversation prouve souvent qu'ils ont toujours vécu en dehors d'elle. Et si tel ou tel pèche contre les commande-
—
—
ments,
il le fait,
j'allais dire
sans malice, du moins
avec une spontanéité étrange, avec
l'air
naturel
d'un enfant dont la conscience n'est pas encore clairement éveillée.
L'Anglais est d'humeur indépendante;
il
ne se
DE BRUXELLES A SALONIQUE soucie guère des
«
qu'en dira-t-on?
anglaise compte-t-elle bon
nombre
»
Aussi l'armée
d'originaux. Je
vous citerais mille cas. Un major, dont
ment
j'ai juste-
fait connaissance avant-bier, emporte par-
tout dans sa sacoclie sa défunte première
laquelle
un
B5!
incinérer par
il lit
joli flacon
amour
et
femme,
enfermer dans
d argent.
Je rends cette justice à
mon
bataillon
que par-
tout où nous avons logé, les fermiers ont été satisfaits
yeux
de nous. Nous n'avons qu'un tort à leurs :
nous avons relevé
les Hindous...
Or
les vil-
lageois placent les Hindous
à cent piques au-
dessus de toute autre division.
Ils
ne se consolent
pas d'avoir perdu ces grands diables noirs, dont leurs enfants raffolaient
— non pas
les
Gourkbas,
qui sont des manières de Cbinois aux yeux cq
—
mais les Sigbs, amande, au visage jaune et rond au grand turban, aux traits fins, à la peau de bronze, aux yeux étonnés, au caractère très doux, très souriant, très complaisant,
En
ce
cbevaux;
moment, et
nous allons, pour
nous mettre en route vers parle
même
tent.
les
la
centième
mêmes
fois,
trancbées,
cbemin.
Vendredi 31 mars.
revenu sain
un peu mou.
j'entends qu'on barnaclie les
et sauf
:
—
Une
fois
de plus, je suis
ce dont je ne suis pas mécon-
Voici les cboses que je vois
cbaque jour durant
ma
et
petite expédition.
entends
IMPRESSIONS DE GUERRE
352
Le chemin contourne
d'abord l'église, dont les
ruines sont déjà tachées de mousse, et dont cimetière bouleversé laisse voir,
le
au fond des trous
où l'eau croupit, des bouts de squelette. On dit encore la messe dans cette désolation, parce qu'on la dit n'importe oii, même en plein air, même dans des chambres misérables, où les peignes, savons et habits, traînent sur le
lit
qui n'est pas
fait.
La
Providence n'épargne pas (sur terre) les paroisses où l'on pririt le mieux. Mais la piété des fidèles
un refuge
survit à l'autel démoli. Ils ont construit
au saint Sacrement, une hutte en terre sèche et en chaume, comme toutes les maisons des pauvres en cette région, propre, dant pour encore.
La
le petit
étroite, assez vaste
nombre
d'habitants qui restent
plupart, surtout les riches, ont définiti-
vement émigré. Quelques-uns nent selon les accalmies, et désert, redevient vivant.
données tallés
:
et qui s'effritent,
s'en vont et revienle village,
Dans
les
morne
et
maisons aban-
des réfugiés se sont ins-
pauvres femmes sans foyer, sans argent,
sans meubles, séparées de leurs maris
grands garçons que l'armée,
mands
cepen-
la
et
de leurs
mort ou
les Alle-
retiennent au loin; pas trop bien vues de
leurs voisins, pour qui elles sont très étrangères,
soupçonnées par
les autorités, elles
vrir sans patente
une
du chocolat, des bagues, de pleurent en cachette, des œufs
soldats et
essayent d'ou-
petite boutique,
—
vendent aux la brillantine
et guettent le
DE BRUXELLES A SALONIQUK facteur.
On
les voyait jadis, et
353
on en voit encore,
errer au iiasard des grandes routes, traînant
une
brouette, leur marmaille, et deux ou trois vaches
sauvées de l'incendie... obstinées à demeurer
le
plus près possible de la terre natale.
Les cabarets sont
très
achalandés
:
et c'est
un
spectacle triste de voir, au milieu des décombres,
une échoppe rafistolée tant bien que mal avec du papier, où les lumières sont tamisées par ordre supérieur, où l'on boit, où l'on chante, et où l'on oublie qu'on peut être surpris d'un instant à l'autre
— et
par un obus
le
jugement de Dieu. Hélas,
les
cantonnements ne sont pas des lieux toujours édifiants. La guerre a fait du bien dans les âmes, et du mal;
elle
avive toutes les énergies, toutes les
passions, les plus nobles et les plus viles; l'amour
du pays, de
de Dieu,
la famille,
comme
aussi l'ava-
rice et la sensualité...
A commencer
chandes en tout genre,
fruitières, mercières, char-
cutières, qui ne sont pas de (jui
ont décolleté leurs
tèle.
filles
par les mar-
méchantes femmes, et pour amorcer la clien-
Mais passons. Dans un groupe de maisonnettes
minuscules
et toutes
tionne encore
ouvrières
comme
il
le
:
semblables, une usine fonc-
charité d'un patron qui fournit auK.
logement
et le travail
y en a tant dans
admirablement son devoir
le
;
patron chrétien,
Nord, rem{)lissaiit
social.
Les alentours du village sont encon^ cultivés,
mais des tombes sont éparses au milieu des II.
i3
sil-
IMPRESSIONS DE GUERRE
3o4
Les laboureurs
Ions.
fleurissent parfois. et les
..
les respectent toujours, les
Plus on avance, plus la culture
maisons encore habitées se font
rares.
entre dans la zone déserte des terres en friche
tombes
se multiplient, avec l'inscription
un inconnu.
»
Elles sont
:
«
;
On les
Ci-gît
souvent groupées main-
tenant par l'administration en petits cimetières, proprets, verts, gentils
Les grands vieux
comme un
cottage du Kent.
calvaires, érigés
aux carrefours,
veillent sur les morts. J'aime follement à chevau-
cher sans
compagnon dans
ces espaces solitaires,
sur les routes silencieuses... (Le cheval
quera après
la guerre,
il
me
choses)... et j'en ai profité
ment Il
et prier,
pour méditer longue-
l'automne dernier.
un second
faut traverser
ment
me man-
console de bien des
village,
mais absolu-
vide. Pénètre qui veut dans les logis sans
porte; on y aperçoit encore quelques bibelots, des
photographies pendues au mur, un jouet d'enfant,
un de ces curieux berceaux flamands sur lesquels une Vierge est sculptée... assez pour évoquer une scène paisible d'intérieur, rappeler qu^ici on s'aimait, une famille vivait heureuse, une mère priait
en souriant à son bambin. Sur
la
grand'-
place, le crucifix est intact; quelques mètres plus loin,
un
comme un mât, dernier tombée comme un capitaine au
dresse
pilier se
vestige de
l'église,
champ d'honneur. Hier et les silhouettes
soir,
il
faisait clair
de lune,
des toits écroulés, des pans de
DE BRUXELLES
mur
SALONIQUE
A
3o5
avaient un aspect fantastique. J'ai lu beau-
le décor conviendrait à coup de Sliakespcare souhait pour ses revenants... En tout cas, la lune est notre amie. Le soleil nous dénoncerait aux :
Allemands qui ont posté des distances.
La lune nous
Sans
on hute sur
elle
les
les haies,
elle
trahir.
qui met un peu de les
campagnes
trèfle, et les
hourg-eons
fait luire
premières pousses de
dans
nous
décomhres, on tombe
les
dans un trou d'obus. C'est poésie sur les ruines,
tireurs et repéré les
éclaire sans
dans
endort un rayon blanc sur les ruis-
seaux, et argenté
même
malpropres.
les flaques
que chantent les oiseaux du soir, et que résonnent allègrement les sabots de nos cheC'est pour elle
vaux sur
horribles; j'en ai
même
tinguais
Les nuils sans lune sont subi de pluvieuses où je ne dis-
le sol durci...
sement,
ma
pas les oreilles de
avancer quand
fallait
mémo au
grand
monture.
trot
:
Il
heureu-
ma bête a incontestablement plus dinstinct
que moi,
et se garait
soudain fort à propos par un
brusque écart d'un arbre renversé ou d'une ambulance silencieuse.
Nos camions versaient de temps
on temps dans les fossés. Je les imités.
Avec
le
ai
quelqucO^is
printemps, l'approche des tran-
chées deviendra plus aisée.
Sur (ior,
la ligne
de fou, vous
chaque maison, un
objet immobile a reçu
le
savez, cIukjuo sen-
puits,
un nom
une borne, tout :
souvenir d'un
IMPRESSIONS DE GUERRE
356
événement, jeu de mots ou
du Cheval
tué,
d'esprit
:
Carrefour
Hyde Park, Buckingham
palace..
L'utilité de ces désignations est incontestable, et les
poteaux indicateurs sont multipliés à profusion.
On nous
a fixé un rendez-vous^, et nous y ren-
controns les
on la
hommes
La boue
aide.
de corvée venus à notre
est épaisse et haute,
on patauge,
on se bouscule dans l'obscurité sans avoir
crie,
permission d'allumer une lampe électrique; on
décharge
les
camions sur des
petites charrettes à
et, de nouveau, en avant. Plus de route, un chemin de terre gluante et d'ornières; de temps en temps un pont trop étroit, simples planches
bras;
jetées en travers d'un ruisseau.
mais
le
temps les
le
On y
culbuterait
:
scintillement obscur de l'eau décèle à
danger.
On
passe
la carriole,
on
g-lisse;
roues s'enfoncent et s'arrêtent; on les déterre
à la lueur rapide des canons, ou des fusées lumi-
neuses, dont les Allemands sont prodigues. Brus-
quement, on
est surpris par
mitrailleuse, des obus. et le
On
un projecteur, une
se jette à plat ventre,
danger passé on repart. La charrette s'em-
bourbe encore, et la mitrailleuse, à l'affût d'une .si bonne aubaine, tire follement. On se démène pour se dégager... Oh! c'est alors que j'excuse les hommes de jurer un peu. On rit tout de même. deux (11 y a des incidents presque comiques ambulanciers portaient un blessé, sans connais:
sance, sans
mouvement; quelques
balles sifflent.
DE BHLfXKLLKS A SALOiMQUK
357
nos bons samaritains de déguerj)ir, en laissant
et
Quand
leur fardeau en place. j)lus
malade. Les balles
(le
forces, et, à son tour,
lui
ils
sont revenus,
avaient rendu des
s'était caclié.
il
Les deux
brancardiers en colère cberchaient partout, et de-
mandaient
On
arrive
à tout
venant
:
«
»)
—
état, et
en
L'avez-vous vu?
malgré tout; mais dans quel
quel lieu! Les trancbées sont des ruisseaux dégoû-
où on est à
tants,
l'étroit
—
contents quand le
parapet ne s'est pas effondré sous
la
pluie...
Je
un des heureux de ce monde. Je laisse mes pauvres compagnons barbotter, se gêner l'un suis
l'autre, et
crotté,
achever
la répartition
cours
je
grelottant,
des denrées; et
au Head-Quarters'
un trou un peu moins sale que les autres gourbis; et le whisky and soda, le café,
mess qui
est
les cigarettes, le rire
Au
retour,
mômes
Vendredi 7
durant
épître
(itril.
me
réchauffent.
incidents; nos brouettes...
—
sont pas toujours vides.
On emporte quelques
le
cimetière voisin. Les iniirmiers
les livrent
dûment empaquetés dans une
cadavres vers
nous
dû abandonner cette
J'ai
une semaine... Nos brouettes ne
toile grise, et
il
n'y a qu'à les déposer auprès des
trous, creusés d'avance. J'aide à la besogne, parce (jue c'est
je suis
une des sept œuvres de miséricorde,
probablement
s'ac(|uittent do la
le seul à prier.
corvée en
.silence,
Mes
et
voisins
avec respect.
IMPRESSIONS DE GUERRE
358
mais avec indifférence. Je songe à
la
pauvre mère,
la
veuve, qui écrit peut-être encore une
lettre; je
songe à l'àme surtout qui paraît devant
ou
à
Dieu. Les derniers indices, les papiers trouvés
dans
poche du mort ne permettent pas toujours
la
d'espérer fermement pour lui le repos éternel.
Mais qui
quand parfois
ils
à vos élèves,
se réveillent au dortoir, la nuit,
de songer à ceux qui n'ont pas de sous
bonté
sait à quelles limites s'arrête la
divine? Vous avez sûrement conseillé
tremblent
et
Jit
le froid, la pluie et les balles;
vous leur avez
spécialement recommandé les agonisants. Demandez-leur de vouloir bien réciter parfois
une oraison
jaculatoire pour les moribonds anglais baptisés, le
culte
ont été
ils
:
mais combien n'ont jamais appris, dans protestant, à aimer
quelque droit à notre
pitié
Dieu.
Ils
quand leur
ont bien
sang- coule
auprès du nôtre sur la terre de France. Serai -je
emmené
inconnue? Je et les
comme
un jour moi-même, l'ig-nore.
Heureux
les
jeunes prêtres
jeunes religieux qui sont tués, car
l'éternelle joie; et
heureuse
se sont sacrifiés
:
car
ils
pour laquelle expient ses fautes. Et
comme vous
autre poste, celui de la prière la victoire.
pas-
la patrie
heureux ceux que Dieu a désignés pour un nous donneront
ils
champs dans
sent d'un seul bond de la boue des
ils
eux,
par une nuit obscure dans une tombe
Quant
:
car
ils
à moi, empri-
BRUXELLES
Dli
SALONIQUE
une fonction sans
sonnt' dans
gloire, et parfois
de
même
tout de
utilité, j'ai
quel point j'aimais la France. le
359
une consolaLa guerre ne m'a pas seulement révélé à
médiocre tion.
A
Le
face à face avec
danger, qui nous guette partout, et avec
péché,
s'étale partout,
(|ui
mes
aussi, (ju'en dépit de
hommes
m'a
comprendre que les
fautes, celles
connaissent, et celles
j'aimais le
fait
le
qu'ils
ignorent,
bon Dieu. Et sous rinflucnce de
cette
pensée, je pourrai, à l'occasion, mourir en paix, et,
après avoir eu
le
cœur assez mesquin pour
re-
chigner devant les petits sacrifices quotidiens, du
moins,
si
chander
Dieu veut
ma
la
prendre, ne pas lui mar-
vie.
Souvenez-vous de moi quand vous êtes à genoux devant
le saint
Sacrement. Je vous embrasse très
affectueusement.
Georges
C...,
Interprète aux Forces de S. M. britannique.
P. -S.
—
A propos
de boue.
l'état-major anglais a créé tout
français)
le
principale
est de
dessécher
le
Savez-vous que
un corps spécial
Labour Corps, dont drainer les
la
(et
fonction
cours d'eau pour
pays? Pittoresques régiments, sans
uniformes, sans autres armes (jue des pelles et des faux, où se sont ennMés pour 3 à 4 francs par
jour tous les individus dont l'armée n'a pas besoin, les enfants, et les vieillards, et les éclopés. Ils ont
IMPRESSIONS DE GUERRE
360 fait,
je crois, de leur mieux, sans toutefois se fati-
guer outre mesure,
et,
en tout cas, sans donner
de grands résultats. Que faire quand jours,
quand une averse
il
pleut tou-
est assez puissante
pour
entraîner les sacs de sable, niveler les tranchées,
démolir les abris, tuer et ensevelir des soldats
sous les éboulements?
m LETTRES
1.
Toulon,
—
Eu
route fers la Serbie.
27 octobre 1914.
pris quel({ues jours
veau
U ORIF.NT
;
Notre division
a
pour se préparer à son nou-
rôle. Elle a laissé
lourdes voitures
—
dans un
dépcjt
du Midi ses
seules, des charrettes
roues pourront affronter
à
deux
les cliemins serbes, des
mulets en grand nombre sont venus renforcer ou
remplacer notre cavalerie. Tous ces préparatifs terminés, les troupes sont conduites vers différents ports; c'est à
Toulon que nous nous ren-
dons.
Le long des quais «rembarquement, et tran.sports
sont alignés.
Un coup
pa(|uebots
d'œil sur les
pavillons et l'entente entre les alliés s'affirme.
Le
l>remicr vapeur qui partira avec les soldats fran(;ais il
.son
bord sera ce grand navire italien qui emporte
un bataillon de cliasseurs à pied et qui larguera ses amarres aux sons de la Marseillaise et de la Sidi-Brahim. Suivra le paquebot français, iialiilu»'
IMPRESSIONS DE GUERRE
362
des courses entre le Havre et
New-York
et qui
porte le général de notre division.
démarre doucement, en silence, la nuit venue, comme un grand fantôme, tous feux éteints. Celui-ci
Seules trois lumières colorées brillent encore, ac-
crochées aux autre,
filins
du màt
d'arrière, tandis
qu'une
suspendue au màt d'avant, semble une étoile
descendue
marche du
très bas sur les
eaux pour guider
la
navire.
Notre formation est embarquée sur un bâtiment de la Cunard Company, aux dimensions déjà imposantes.
un habitué de
C'est aussi
l'océan, que
Liverpool a cédé momentanément à Toulon et qui a déjà effectué quatre fois le voyage des Dardanelles, pour y transporter des troupes britan-
niques.
Au
début de
la guerre,
il
a servi également
de prison flottante aux captifs allemands détenus
en Angleterre. C'est une geôle dont on peut s'ac-
commoder. Nos
troupiers, en trouvant les quinze
cents couchettes qui les attendent à bord de YAscania,
sont ravis d'aise
:
il
y a beau temps qu'ils A peine embar-
n'ont plus connu pareil confort. qués,
ils
roulent, de leur pas de
les différents ponts
été établie,
ils
promenade, sur
où nulle consigne n'a encore
examinent, par les hublots, l'ameu-
blement des cabines
du salon.
y a des fauteuils, des canapés, un piano... un luxe inouï pour et
Il
des gens qui, depuis tant de mois, ont surtout
connu
le
sommaire aménagement des tranchées.
Dic
i;ruxi;lli;s a
36 j
un peu en peine de savoir
D'ailleurs on serait les
saloniquë
impressions exactes de tous ces parlants. Sont-
ils fort
reux
émus do
ou plutôt heu-
quitter la France,
d'éclianger
monotone
vie
la
et
la
lutte
immobilisée contre une existence peut-être plus pittoresque et plus toutes ces
péraments «
cafard
les
»,
mouvementée? Y
âmes aux
cultures
à
beaucoup de victimes de ce du mal complexe qui sévit parfois dans tranciiées a, dès longtemps,
résignation
plusieurs la
d'autres n'ont retenu de ses leçons
qu'un certain fatalisme
même
parmi
variés,
si
camps? Lécole des
appris
si
a-t-il,
diverses, aux tem-
autlientique;
mal comprises
d'autres ne disent rien,
;
en pensent davantage.
s'ils
Dans
l'en-
semble, on chercherait en vain des manifestations
d'enthousiasme;
n'entend guère de récri-
si l'on
minations, la perspective d'un beau voyage ne suffit
pas à séduire ces voyageurs malgré eux qui,
depuis quatorze mois, ont quitté leur vie généra-
lement sédentaire. Et puis
le
terme
est incertain,
car chacun se rappelle plus ou moins explicite-
ment
le
proverbe
demande, en partant,
et se
si
l'on est parti à point. Pourtant l'on s'embarque,
sans tristesse apparente, puisque la consigne est d'aller là-bas.
Le bateau
a démarré
si
doucement,
à l'heure
du
dîner, (jue les paris s'engagent à table pour savoir si,
oui ou non, nous bougeons. Mais quand les
convives remontent sur
le
pont, les lumières du
IMPRESSIONS DE GUERRE
364
port forment un cordon déjà lointain,
un remor-
queur, aux flancs du navire, l'entraîne dans une
marche
lente
et silencieuse
que seul dévoile
le
d'écume de l'arrière. Puis brusquement remorqueur vire de bord et s'éloigne, cette fois
tourbillon le
à toute vitesse. Et YAscania toute sombre, car la crainte
du sous-marin
fait
voiler les lumières,
marchant décidément vers
g-agne la pleine mer,
l'inconnu.
Le lendemain, au
réveil, les côtes de la
Corse
sont en vue, sur notre droite, puis c'est une série d'îles
dont
l'île
d'Elbe est la principale. Chang'e-
ment des temps vant l'ancien
de
et
lief
En
la politique.
passant de-
de celui qui fut d'abord maître
de l'Europe, ensuite prisonnier de Sainte-Hélène,
un des
officiers
du bord, Anglais
fort courtois et
prévenant ainsi que ses collègues,
mieux pour
tout irait peut-être
léon
était
encore à leur
tête.
me
confie que
les alliés si
Puis
il
Napo-
ajoute
ce
truisme que les méthodes de guerre ont beaucoup varié depuis
un
siècle; le génie
échouer devant des mitrailleuses en face d'un réseau de
Nous marchons est
formée de
bateaux chargés de troupes,
torpilleur.
les routes ordinaires,
mauvaises rencontres, pas
le rite
de fer barbelés.
à lente allure, notre expédition
trois
convoyés par un
fils
militaire peut
et se désorienter
Le voyage ne
où pourraient se et
suit
pas
faire les
nous n'accomplissons
habituel qui consiste à saluer l'Etna, le
DE BRUXELLES A SALONIQUE roi
Une
bande de terre tout ce que nous apercevons de
des volcans.
l'horizon, c'est
lonj^uc
pour des lieures
Sicile, puis,
385
et
même
h la
des jours,
plus rien que l'eau, l'eau bleue, d'un bleu de saphir,
que l'on
opaque
recouverte d'un vernis
dirait parfois
que marbrent seulement,
et
navire, les veines blanclics
d:^
le
l'écume.
long du
Un
matin,
cependant, nous nous réveillerons devant Malle que nous saluerons sans entrer, et de nouveau l'immensité sans repère jusqu'à ce que la Grèce
vienne en vue (rancienne
avec les
îles
nouvelle Cythèrcj
et la
de son promontoire,
et
que nous
entrions définitivement dans l'archipel de la
mer
Egée. D'ailleurs, Teau bleue nous est clémente
nous
sans rudesse; une seule fois
traite
demi-jour
ot
pour un
et
nous secoue avec vigueur, juste
elle
assez pour nous montrer de ([uoi elle serait ca-
pable
moins débonnaire
si elle était
tomacs jugèrent
même
excessive la
nombre d'esbrève démons:
tration.
Et pendant que succèdent les
l'hélice
tourne
et
que
les
heures
au.\ heures, les troupiers, allongés sui-
planches du pont, goûtent les charmes de
manille aux enchères ou bien regardent sans la
mer sans
ligne
bornes. Rien n'apparaît inscrit sur
d'horizon
(juc
tous les
la fin
la
yeux interrogent.
l'avenir est à Dieu.
Le passé de se
le
lui
appartient aussi, et c'est
le
moment
rappeler en ces jours du début de novembre
IMPRESSIONS DE GUERRE
366
commémoration des défunts. Le octobre, les lundi 1" novembre et
OÙ se célèbre
la
dimanche 31 2, un office religieux groupe presque tous
mardi
les soldats
îieure
dans
la prière et le souvenir.
deux messes sont
A la même
dites, l'une sur l'avant-
pont, l'autre à l'arrière, pour les divers éléments
de troupes qui y sont logés. Et gravement, pieusement, les soldats de l'expédition serbe prient
camarades tombés en Artois, en Belgique, en Argonne. Requiescant in pace.
pour tous
les
—
Qu'ils reposent dans la paix, la paix plus complète
encore
et
meilleure que celle poursuivie sur tous
les théâtres
de guerre, celle qui recule, décevante,
plus loin, toujours plus loin.
2.
Cinq jours quille
— Salonique.
et six nuits
de cette navigation tran-
nous ont amenés à destination. Les sous-
marins n'ont point paru. Seules
les précautions
prises, l'escorte qui
nous accompagne,
du commandant sur
la passerelle
leur désagréable souvenir.
Deux
l'assiduité
nous rappellent
fois aussi,
durant
un signal convenu, les troupes doivent monter sur le pont, munies de la ceinture
la traversée, sur
de sauvetage,
et se
grouper par fractions en face
de la barque qui deviendra leur refuge
si
paraît la
DE BRUXELLES A SALONIQUE fâcheuse
367
Mais nous en restons, sur ce
torpille.
point, à la théorie.
Et maintenant, voici Saloniijue, voitée
« la ville
»,
De
laquelle se hraquent toutes les jumelles. elle
con-
qui apparaît au fond de son golfe et sur loin,
présente un amas confus de maisons carrées
que dominent
et hariolécs
les aiguilles
de nom-
hreux minarets. Lentement on avance, jetant sonde, car
le
fonçant sur
rames,
des
Vardar comhle peu à peu le navire,
harques
de toute la force de leurs s'approchent, lancent
amarre au hout de laquelle pend un panier, aussitôt les mercantis «
commencent
Tahac, cigarettes, figues, mettez
comme
Les soldats achètent,
leur la
Un aux
une
et tout
œuvre
monnaie.
:
»
toujours, et payent
des prix fabuleux ces produits de l'Orient
quement
la
le port. Et,
si
brus-
Champagne
offert
offerts.
dernier déjeuner à bord, le
officiers anglais
pour
cordialité constante et
eux-mêmes
les
remercier de leur
du repas dont
ils
ont tenu
à régaler leurs hôtes en cours de route.
Los chefs échangent des vœux, de cliaudes paroles malheureusement un peu refroidies par le canal il'une traduction nécessaire, car l'entente cordiale
a besoin, pour s'affirmer dans l'occurrence, d'un interprète, d'ailleurs fidèle. Et puis l'on descend
dans
les
remorqueurs aux couleurs franraises qui
ont accosté YAscania et qui rapidement nous conduisent à terre.
La
terre
d'Orient!
La
terre de
IMPRESSIONS DE GUERRE
368
Grèce! Tout à l'heure nous avons passé tout près
du mont Olympe que
l'on aperçoit encore, et les
jeunes g-ens se remémorent leurs souvenirs classiques.
un
Avouons qu'en
cette fin d'après-midi,
terrain quelconque, en attendant qu'on
dans
nous
chemin du camp voisin, la terre d'Orient n'offre pas un aspect particulièrement enchanteur ni un ahord très hospitalier. Les gens qui nous entourent sont fort dépenaillés, civils ou militaires ils nous regardent sans curiosité, car nos prédé-
indique
le
:
cesseurs les ont hahitués à pareil spectacle. Et de notre C(Hé, nous avons entendu des descriptions si
copieuses sur les oripeaux pittoresques, sur les
ânes minuscules et surchargés, sur tout ce mou-
vement multicolore
et
empoussiéré, qu'en l'aper-
cevant pour la première la
fois,
nous avons presque
sensation du déjà vu. D'ailleurs la lumière
manque ou
décline, cette
lumière indispensable à tous les mirages, et les préoccupations Est-il loin, ce
pratiques
absorbent
l'attention.
camp où nous devons nous
établir à
notre tour et quel abri nous offrira-t-il ? Enfin
le
envoyé en reconnaissance revient pour nous servir de guide et, dans la nuit tombée, nous nous engageons sur le chemin de Zeïtenlik, dont kilomètres nous séparent encore. Ce soir-là, nous ne verrons de la ville que quelques façades, des cafés où les consommateurs sont assis prè.s cycliste
des barriques qui les abreuvent. Nous ne voyon.s
DE BRUXELLES A SALONIQUK guère
309
rue elle-même, qui se continue par une
la
route, nous
en savons seulement
fondrières
les
par les dangers qu'elles font courir à notre équi-
nous en absorbons
libre et
la
poussière soulevée
par les convois. Anglais sur leurs montures de race,
indigènes
sur leurs poneys ou sur leurs
ânes, soldats, êtres de tout liabit et d'allures multiples, c'est
çonnons
nos
;
même
la variété,
au milieu de
la nuit qui
Une grande caserne grecque borde
la cache.
chemin
déjà un grouillement dont nous soup-
plus loin à droite, voici l'un des
alliés
le
camps de
britanniques, avec leurs tentes pointues
et blanches.
Nous tournons
à gauche, traversons
des baraquements où des mercantis nous saluent
comme
des cHents probables. Et nous arrivons,
après plusieurs recherciies, à notre emplacement.
On
y dresse quelques tentes, on y
vagues conserves
et puis,
verture, on s'endort
—
si
mange quelques
enroulé dans une coul'on peut
terre dont le premier contact est
—
sur cette
décidément un
peu dur.
Le lendemain, presque au
réveil, c'est la
douche
violente que le ciel d'Orient nous déverse. Et dans l'installation à
un
abri
peine ébauchée, chacun cherche
pour sa propre personne ou bien s'étudie,
par des rigoles hâtivement creusées, à sauver do l'inondation les bagages restés sur
bout d'une heure cependant soleil tant vanté, et 11
nous
lui
le
h' lorrain.
Au
soleil revient, le
savons un gré spécial 24
IMPRESSIONS DE GUERRE
370
de joinidre pour nous
Le
cfiiand
sommes
visite.
est
une vaste région
domine Salonique, à
droite de la ville
cajup où nous
inculte qui
de nous
l'utile à l'agréable et
sécher rapidement dans sa première
on se tourne vers
la
mer. Pas un arbre
n'apparaît sur toute cette étendue, sinon là-bas
une
sorte de bosquet
formé par
les vergers qui
entourent les établissements des Sœurs de charité et des
Pères lazaristes français. C'est un peu une
oasis dans le désert que
grands
édifices, sur lesquels flotte notre
national, et c'est aussi d'uiie.
ces
constituent
un
deux
drapeau
réconfort, au milieu
population dont la sympathie vraie est au
moiûs douteuse, de recevoir un
si
cordi£d accueil
chez les religieux de France. L'une de leurs maisons,, celle des
la
Sœurs, abrite quelques bureaux
et
demeure d^n général; l'autre, celle des Pères un ancien séminaire bulgare, vide
lazaristes,
aujourdhui de ses étudiants, a propriétaires
été offert par ses
pour servir d'hôpital aux soldats
français blessés ou malades.
Les Sœurs de
charité
y jouent naturellement leur rôle béni d'infirmières, coiniRe elles le font encore, dans la ville même, en leur maison de
la
«
rue Franque
»
également
occupée par nos soldats souffrants.
Quand on retourne au désert, c'est-à-dire quand on remonte vers le camp, on ne laisse pas que d'avoir un coup d'œil assez pittoresque, car le désert est, à l'heure actuelle, fort peuplé,
si le sol,
DE BRUXKLLKS par
la faulc
des
A SALOiNIQUF,
hommes, y demeure
371
stérile.
Sur
le
terrain rocailleux, vallonné, coupé par ses tor-
rents réduits aujourd'hui à de simples les
troupes, à
mesure
filets
d'eau,
qu'elles déharquenf, vien-
nent séjourner quelques jours. Elles y dressent leurs petites tentes, basses et oblongues, de couleur jaune, dont chacune peut abriter six habitants
couchés. Les cuisines fument, les lessives sèchent.
On
dirait
qu'une immense tribu de Romanicliels
s'est abattue sur
ce terrain vague où jusque-là
foisonnaient surtout les lézards, où se promenaient
lentement quelques rares tortues, où serpentaient quelques vipères heureusement plus rares encore.
D'innombrables bandes de corbeaux tournent audessus de ces hôtes insolites et parfois lorsque,
dans une chevauchée matinale, on s'aventure jusqu'au fond de
la plaine,
quelques vautours, au cou
dénudé, regardent sans
efTroi
passer les prome-
neurs.
Autour du camp, une ligne de collines partant ville s'en va, dans un demi-cercle, vers la
de la
vallée aussi,
du Vardar. Au sud, Salonique apparaît et dans une éciiancrure, la mer avec quelques
cuirassés alliés ou navires-hôpitaux qui dorment
sur leurs ancres.
Nous avons
refait plusieurs
courue dans l'obscurité,
le
fois la route par-
premier
soir.
Nous
l'avons refaite, en sens inverse, pour des excur-
sions dans Salonique
même. Le chemin
qui
mène
IMPRESSIONS DE GUERRE
372
vers la cité bruyante
de nécropoles.
commence par longer nombre
y a le cimetière catholique, le cimetière grec, entourés de murs et plantés d'ar-
A
bustes.
Il
gauche, ces pierres tombales, incrustées
d'inscriptions dorées,
marquent
les sépultures
à l'islamisme. Et toutes ces
juifs passés
des
stèles
lamentables, dispersées dans un terrain à demi
abandonné où stationnent
les
bêtes
de somme,
représentent le cimetière turc. Cette complexité des tombes rencontrées par le
marche vers Salonique ne lui donne encore qu'une vague idée du mélange des vivants
touriste en
dans
la
variées
ville. :
désigne
Ici
cohabitent les races les plus
nous sommes en Macédoine, dont le nom assemblages ^disparates, et Salonique
les
elle-même n'appartient à ans.
Par
le
nombre
prédominent le
et les
la
Grèce que depuis
trois
commerce,
les Juifs
emplettes deviennent
difficiles
et
par
le
samedi, car les magasins ferment en raison du
sabbat.
Les
fils
d'Israël sont discernables
pour un
observateur exercé; on rencontre dans les rues de
Salonique des types aux longues barbes, au nez arqué, qui ont figuré dans les tableaux de la Passion; les rabbins se
fourrure.
A
doxes, aux
promènent en robes au
col
de
côté d'eux passent les prêtres ortho-
abondants
cheveux surmontés
bonnet cylindrique. Puis
du
y a des Turcs, les anciens maîtres de céans, et parmi eux, ici ou là, il
quelque saint de l'Islam, porteur du turban vert.
DK BRUXELLES A SALONIQUI-: en signe Propliète.
373
«lu
pèlerinage accompli au tombeau du
Il
y a surtout des mercantis, de race et
de provenance incertaines, Grecs, Maltais, Espagnols, Italiens... qui tous s'accordent en l'univer-
Dans toute cette un fort continL'armée possède un uni-
selle exploitation de l'étranger.
foule bigarrée circule aujourd'lmi
gent de soldats grecs.
forme marron souvent défraîchi; quelques régi-
ments (ce sont, paraît-il, des corps d'élite) sont munis de hauts-de-chausse et bas blancs, ainsi que de souliers découverts dont la pointe porte un large pompon noir. Ces troupiers déambulent à travers les rues de Salonique, s'arrêtent, pour de
longues
et fréquentes stations, chez les
marchands
de liquides. Les documents nous manquent pour dire ce qu'ils y absorbent et
nous ignorons
si l'au-
provenance des boisNous savons seulement
torité militaire veille sur la
sons offertes aux soldats. qu'à l'élément
civil,
l'absinthe ou,
breuvage qui porte ce nom,
est
du moins, un
proposée pour un
prix dérisoire, tandis qu'une composition appelée «
» doit réaliser l'un des derniers mots de d'accommoder les produits frelatés. Quant aux soldats grecs en service, nous avons
mastic
l'art
aperçu souvent
devant eux
les
la file
presque sous
les
hommes
de corvée poussant
de leurs ânes qui disparaissent
deux
balles de foin dont
ils
sont
chargés, ou bien quehjues cavaliers chevauchant leurs très petites montures. I'en<lant notre séjour
IMPRESSIONS DE GUERRE
374
à Salonique, le prince héritier de Grèce est venu
passer en revue ses guerriers, mais, dans les
constances actuelles,
il
est difficile
aux
sister à ces exhibitions militaires et
donc pu juger de
l'attitude plus
cir-
alliés d'as-
nous n'avons
ou moins martiale
des troupes hellènes sous les armes. Salonique, la ville qui sert de cadre à cette population cosmopolite et à tous ces hôtes d'occasion,
une longue
a déjà eu
volumes érudits s'y mêlent,
et
comme
histoire
que racontent des
compacts. Tous
les
souvenirs
aujourd'hui se mêlent dans ses
rues toutes les races, et les gloires les plus loin-
y rejoignent les plus modernes illustrations. Le rectangle qui forme la ville est coupé de deux lignes médianes, perpendiculaires. L'une se nomme taines
la
nom
rue Jgnatia, d'un
vieux âges, l'autre popularité d'un tuelle. Ici
:
la
homme
qui remonte à de très
rue Venizelos, célèbre la fort
mêlé à
se dressent, en pleine
l'histoire ac-
ville, les
restes
d'un arc de triomphe qui date du règne d'Alexandre le
Grand, roi de Macédoine,
loin,
et,
quelques pas plus
une colonne commémore l'entrée des Grecs il y a trois ans. Les églises, témoins
à Salonique,
ordinaires des lointaines époques, racontent aussi, à leur manière, l'histoire de la ville qui les compte
en grand nombre.
On
n'y retrouve plus la trace
de la chambre où saint Paul devait réunir les fidèles
de Thessalonique, mais plusieurs édifices
datent des premiers siècles. Ces temples ont subi
DE BRUXliLLKS
A
SALONIQUH
ST.-i
divers avatars, par suilc de la religion des maîtres successifs de Salonique.
Aujourd'hui subsistent
encore des mosquées et des synagogues, mais l'ancienne calliédrale, Sainte-Sophie, a vu dég-ag-er
récemment
ses belles mosaujues
que
les
Turcs
avaient recouvertes, et dans la plupart des égii-ses,
ou diacres grecs psalmodient, chaque jour, dans leur langue nationale, tandis que l'offiles prêtres
ciant balance son encensoir à clochettes et qu-e les
rares lidèlcs, plutôt passants qu'assistants, s'incli-
nent devant
les icônes dorées,
être le tabernacle de l'autel.
ne compte (ju'une paroisse, ristes qui se dresse
La
en oubliant peut-
religion catholique
celle des
Pères laza-
au milieu du quartier français,
à côté de l'hospice des
Sœurs de
charité,
du grand établissement des Frères de
non
loin
Doctrine
la
chrétienne.
En dehors
de quelques églises, Salonique ne
possède guère de monuments remanjuables.
que cette
ville
beaucoup de ses rues sont assez larges a de ces
Ce
a de spécial en Orient, c'est que ;
ce qu'elle
commun avec ses sœurs ou rivales, c'est que mêmes rues sont mal pavées et mal entrete-
nues. Sur tout
un
ville, la saleté
règne sans conteste
quartier juif, le plus haut de la et les
vieilles
façades ornées de miradors ne dissimulent pas la
misère
des intérieurs qui prolonge celle de
chaussée. Ailleurs pourtant, (jui
il
la
y a des magasin.^
ne dépareraient pas nos grandes
villes et, spé-
IMPRESSIONS DE GUERRE
376
cialement
que
suit
long du port, en bordure d'un quai
le
un tramway
électrique, des
maisons de
meilleure apparence s'en vont rejoindre
neuf du boulevard Constantin
tier
et les
quar-
le
immeubles
de la colonie européenne.
On un
beaucoup français à Salonique. C'est voyagé
parle
résultat constaté par tous ceux qui ont
en Orient
et
un bénéfice pour lequel
c'est
voyageurs impartiaux saluent de France. ajouter
ici
l'Institut
Cette
même
les
les
missionnaires
nous
impartialité
fait
qu'en dehors des écoles catholiques de
commercial tenu par les Frères de
la
Doctrine chrétienne, l'usage de notre langue est
encore propagé par
la
Mission laïque et l'Alliance
israélite.
Mais nous nous sommes assez attardés dans ville.
la
Voici trois semaines bientôt que nous avons
débarqué
camp de
et
notre tente est toujours plantée au
Zeïtealik.
Le
soleil a brillé
chaud dans l'après-midi pour nous
sur
elle,
faire
assez
éprouver
parfois, dans la nuit suivante, de brusques des-
centes de 2o degrés.
La
pluie est aussi
venue
mettre à l'épreuve l'imperméabilité de nos toiles et le vent, soufflant le
lent
que son collègue
long du Vardar, aussi viole
mistral du
Rhône, a
furieusement agité nos éphémères demeures, dont plusieurs se sont effondrées sur leurs habitants.
Des détachements ont campé auprès de nous, puis sont partis pour le front serbe, des zouaves
DE BRUXELLES
A
SALONIQUE
377
errent par le camp, dans leur costume kaki, arrivés parfois des Dardanelles
ou expédiés de France pour
renforcer leurs régiments déjà engagés. Dans ce
sommes immobiles, et, pour notre commence à nous peser. ici en touristes et Salonique sommes pas ne Nous va-et-vient nous
part, cette immobilité
a épuisé les cbarmes de linconnu. Notre division a déjà combattu là-bas
et,
de ces engagements,
nous voyons revenir (juebjues blessés, nous entendons quelques écbos. Mais nous pourrions oublier, en ce qui partie
dune
nous concerne, que nous faisons Le canon ne
expédition guerrière.
s'entend plus, sinon pour saluer l'arrivée du dia-
doque ou
celle
encore de M. Denys Cocbin dans
sa mission problémati(juc. Enfin, notre tour survient avec l'ordre d'embar(|ucr sur la voie ferrée
grecque qui remonte théâtre de la
la vallée
du Vardar vers
le
guerre actuelle. Notre destination est
Krivolak, l'un des points les plus rapprochés des
Bulgares,
et, le
samedi 20 novembre, notre convoi
s'ébranle vers la Serbie.
.9.
—
En
Serbie.
Le train qui nous emporte vers le front serbe commence par traverser les terrains bas le long de la mer, adroite de Saloniuue, vers
la vallée
du Vardar.
IMPRESSIONS DE GUERRE
378
Jusqu'ici nous avons le fleuve
soupçonné plutôt qu'aperçu
désormais célèbre qui fermait notre hori-
zon par son ruban
brillant.
Ce matin, nous
le pas-
sons sur un pont sans parapet au-dessous duquel il
roule ses eaux jaunes et rapides.
monte maintenant
La
voie re-
à angle droit de sa direction
première, suivant presque constamment
la rive,
vers la frontière gréco-serbe que nous atteignons à Guevgueli. Là, une alerte; le commissaire de
gare nous arrête, tantes, et
peu
il paraît que les troupes combatdonc notre division, doivent évacuer sous
le territoire qu'elles
occupent;
est-il
bien utile
de nous envoyer les rejoindre pour un
mouvement
On va demander
des ordres
de repli imminent?
complémentaires par téléphone; en attendant nous
descendons de wagon
et nous avançons quelque peu dans la cité frontière. Un boulevard planté d'arbres en fait le plus bel ornement; le long de cette voie, des maisons d'aspect presque confortable. Nous stationnons en face d'un vaste bâti-
ment
à plusieurs étages, c'est
construction récente
actuellement s'est installée
un hôpital serbe de
et chère,
sur lequel
flotte
drapeau de
la Croix-Rouge et où une ambulance française. Nous cau-
le
sons avec quelques blessés convalescents, mais,
pour arrêt
ma
part,
une crainte
me
hante, celle d'un
à Guevgueli, avec l'inaction qui déjà fut
notre lot trop prolongé à Salonique. Était-ce la
peine d'être venu de
si
loin
pour piétiner sur
BRUXELLLIS A SALON IQUIi
DI-:
place? Mieux valaient, à ce compte, les
cantonnements de Ciiampagnc
dans
la
séjour dans
et les
tournées
tranchée crayeuse. Heureusement on nous
rappelle à la gare, les ordres ils
le
371
concluent pour
la
demandés sont venus,
prolongation de notre voyage.
Et nous voilà repartis vers Krivolak, notre pre-
Le soir tombe malheureusemesure ({ue la vallée se resserre il fait à peu près sombre lor.scjue nous passons les défilés de Demir-Kapou, où les hauteurs surplombent le fleuve pour ne lui laisser qu'un couloir assez étroit. Il fait tout à fait nuit lorsque nous atteignons le terme et que nous avons installé rapidement notre tente dans un terrain proche de la gare. Lors(jue le jour se lève, le lendemain, on aper(joit de l'autre côté du Vardar une agglomération de maisons rouges et une tour extrêmement efmière
ment
fdée
destination.
à
:
;
c'est
Krivolak avec son minaret.
Une
cein-
ture de collines arrête la vue et dérobe assez vite le
cours ultérieur du lleuve; ce sont les hauteurs
occupées par
les Bulgares, d'où ils
bombardent,
cha(jue jour, avec des obus de petit calibre, la gare et les trains
en manœuvre.
Ils
bombardent,
du moins l'intention qu'on leur suppose, réalité, ils n'ont jusiju'ici
c'est
car,
en
jamais atteint ce but et
se contentent d'envoyer leurs munitions dans les [)arages,
spécialement dans une iiauleur voisine.
Plus tard nous constaterons et nous entendrons dire par des témoins autorisés
que
l'artillerie bul-
IMPRESSIONS DE GUERRE
380
gare possède des pointeurs fort experts; le
bom-
bardement platonique de Krivolak-gare reste une énigme, peuf-être
les
canons ennemis avaient-ils
un autre objectif inconnu. Nous sommes au dimanche bre en plein
air,
et la
messe
se célè-
sur une modeste table, à mi-hau-
teur de la colline qui nous dérobe à la vue de nos adversaires. Puis on se
déjeuner
le sifflement
met
à table et pendant le
connu, mais à demi oublié
depuis six grandes semaines, se
fait
de nouveau
entendre; les Bulgares envoient à quelques centaines de mètres de notre salle à
pêtre leur ration
manger chamTous les
quotidienne d'obus.
projectiles n'éclatent pas; cette petite sérénade n'a
rien
évidemment des grands concerts habituels
aux régions d'occident. L'après-midi, on se remet en marche, notre
convoi refait en sens inverse,
et cette fois
route,
une minime
veille,
puis s'en éloigne vers l'ouest.
en
effet, aller
partie
par la
du chemin parcouru,
la
Nous devons,
rejoindre notre division groupée à
une douzaine de kilomètres, autour de Kavadar. Pour nous y rendre, nous traversons Négotin, un gros bourg dont la tour carrée, en briques, fait mais de loin seulement presque figure de loin
—
—
d'un de nos tier,
beff"rois
du Nord,
et
dont tout un quar-
démoli par les précédentes guerres, nous
rappelle les villages ruinés des environs de Ver-
dun.
DE BRUXELLES
A
SALONIQUE
381
Kavadar, où nous arrivons vers le soir, pour son voisinage immédiat, occupe
camper dans
assez exactement le foyer d'un arc d'ellipse plus
ou moins régulière, arc qui serait dessiné par la le Vardar lui-
Cerna, affluent du Yardar, et par
même. Les Bulgares occupent presque contour de cet arc, puisque à
dans
la
borde part,
l'est ils
tout le
se trouvent
région haute, voisine de leur frontière, qui
le
cours du g:rand fleuve, et que, d'autre
au nord
et à l'ouest, après avoir
territoire serbe transversalement,
de Monastir,
ils
dans
pénétré
le
la direction
se sont rabattus sur la rive
gauche
de la Cerna qui sépare ainsi les deux adversaires. Les troupes françaises, si elles doivent se replier, ne pourront donc le faire que par le sud, par la vallée du Vardar, et elles devront le faire aussi par échelons, afin de résister toujours à la pression
ennemie sur les parois de ce couloir nécessaire. Pendant que les éléments les plus avancés se retireront,
les
autres,
recule jusqu'à la la sécurité la
de
espacés depuis
le
front
qui
frontière grecque, maintiendront
la retraite
en faisant, pour ainsi
dire,
haie sur le passage, mais la haie face à l'en-
nemi. Ainsi qu'on nous l'avait
fait
de
pressentir à Guev-
gueli, c'est bien
en
(juestion lorsque
nous rejoignons notre division
efTet
la retraite (ju'il est
placée en extrême pointe sur la rive droite de la
Cerna.
Le
front actuel, ainsi limité
[)ar la rivière,
IMPRESSIONS DE GUERRE
382
date seulement de quelques jours
;
auparavant nos
troupes s'étaient avancées à 10 ou 12 kilomètres plus au nord; elles ont dû céder du terrain devant
Nous
des forces très supérieures.
recueillons, à
notre arrivée, les échos de ces combats récents où
nos soldats ont pris un premier contact avec
les
Bulgares. Ceux-ci sont des guerriers montagnards qui gravissent en courant les glissent dans les ravins
hauteurs, qui se
pour tourner
occupées par leur adversaire.
Ils
les crêtes
vont sans autre
chargement que leur fusil et leur ceinture de cartouches ils montent, avec un réel courage, parfois sous le feu de nos mitrailleuses, et quand ils ont occupé l'une des cimes convoitées, ils entonnent un chant de triomphe impressionnant. Prodigues ;
de leurs munitions, au moins en ce qui concerne les balles de leurs fusils bruyants, ils
donnent à
la
venant en foule,
guerre une physionomie différente
de celle qu'elle garde souvent sur le théâtre occidental.
Et nos soldats, habitués au silence fréquent
de la tranchée française, à
la
cohésion des troupes
chargées de la défendre, avouent être de prime
abord un peu désorientés lorsque, dispersés dans la
montagne par
tourmenté,
petits groupes,
difficile
à fouiller,
avec un horizon ils
voient surgir
masse d'uniformes couleur kaki qui représente une colonne d'assaillants. Les assaillants cette
ont, d'ailleurs,
pertes en
largement souffert, alors que nos
hommes
sont relativement faibles. Et la
DE BRUXELLES A SALONIQUE
383
conclusion de tous les discours est qu'il serait
de poursuivre l'ofTcnsive,
lacile
disproportion du
nombre
était
seulement
si
la
un peu moins écra-
sante en faveur de l'adversaire. Ceci doit être éga-
lement lavis des Bulgares eux-mêmes, car depuis ont atteint la rive gauche de la Cerna,
qu'ils
n'ont point
semaine,
delà.
Pendant une
repli se
continue tran-
nous inquiéter au
rivière et
le
ils
sérieux pour traverser la
fait d'elTort
mouvement de
qu'un rideau de troupes reste pour
quille, tandis
contenir l'ennemi.
Nous restons
pendant
aussi,
ces huit jours, aux environs inmiédiats de Kavadar.
La
ville, si
on peut l'appeler de ce nom,
n'a rien d'attrayant ni de pittoresque.
jours les les
mûmes maisons
murs de
terre, les toits
flèches de minarets.
âmes, les
La
offre toujours le
tou-
en
tuiles, les
mômes
population, cinq à six mille
même assemblage
plus disparates. Quelles pensées
derrière ces fronts
Ce sont
carrées, souvent basses,
sombres
et
des races
se cachent
ces physionomies
cuivrées? Les Serbes authentiques ne sont peutêtre pas très
nombreux en
quol(jues-uns,
ces })arages; on en verra
à l'annonoo
du
troupes
repli des
françaises, charger leur pauvre mobilier sur
chariot attelé de
bœufs
un
et s'en aller vers des ré-
gions moins exposées. iMais
il y a ici beaucoup de Turcs, qui possèdent un (juartier s])écial même
dans et,
les petits villages voisins.
plusieurs
fois
Il
y a des Bulgares
dans cette semaine,
il
faudra
IMPRESSIONS DE GUERRE
384
fusiller des comitadjis
venus sous un déguisement
pour des desseins plutôt mauvais. Si les g-ens ont ici l'aspect farouche, la terre qui les porte est morne, désolée. Nous sommes dans une plaine vallonnée, entourée de collines, plus hautes surtout du côté de la Cerna. Pas d'arbres, sinon quelques arbustes rabougris marquant le
cours de la Vética, petite rivière qui serpente et traverse Kavadar. Pas de végétation, surtout à cette époque. Certains
tivés et
Ton
champs sont pourtant
cul-
aperçoit de-ci de-là quelques charrues
non équarries et d'un soc en fer. Des petits bœufs gris tirent cet instrument d'une culture peu intensive, le laboureur porte une large ceinture souvent rouge et autour de la tête un mouchoir de même teinte. primitives formées de poutres
Mais en dépit de ces quelques travaux, l'ensemble de la plaine, avec ses gros galets de granit
et ses
vastes espaces inhabités, ressemble encore à
un
désert.
La
neige, au milieu de notre séjour, étendit sur
toute la région son tapis
d'une blancheur uni-
forme. Pendant trois jours, nous avons éprouvé les
charmes réfrigérants d'un campement d'hiver
bien réel, où la toile de tente qui vous recouvre se double d'une couche de glace, où le vent fait
pénétrer dans votre domicile précaire plus d'un flocon indiscret, où la cuisine a bien des luttes à soutenir contre les éléments pour servir une
DE BRUXELLES A SALONIQUE
385
soupe vaguement chaude. Hélas! l'épreuve devait ôtrc
fatale
M. l'abbé le
mon
à
collègue de
la
N" division,
V... Est-ce le froid qui réveilla chez lui
genne d'une maladie ancienne? Toujours
est-il
que, renvoyé vers Salonique, avec une très forte fièvre,
succomber quinze jours plus
devait y
Et cependant, nos
tard.
vite
il
abrégées par
l'abri
misères climatériques,
d'une maison abandonnée,
ne peuvent se comparer avec qui, chargés de garder le
celles des soldats
passage de
restèrent, huit jours durant, en de
dans
Cerna,
neige, l'œil au guet et le ventre trop sou-
la
vent creux, par suite du ravitaillement
Cependant, se
la
mauvais trous
les
difficile.
troupes se retirent et
le silence
peu à peu dans cette région tout h l'heure
fait
encore
si
mouvementée.
Il
d'après-midi où nous nous
nous souvient d'une
sommes avancés
route de Kavadar jusqu'au pont
troupes
— de
la
cette route était,
silence spécial
— détruit par nos
Cerna. Quelques jours plus
campements
et
français.
la solitude, c'est le silence, ce
aux temps de neige, avec
particulières à ces journées d'hiver. oii glisse
tôt,
sur une bonne partie de son
parcours, bordée par les
Maintenant, c'est
fin
sur la
patauge
mon
les teintes
Sur
cheval, on
la
route
n'aperçoit
(ju'un convoi de muletiers porteurs de provisions
pour nos derniers
défenseurs; dans
la
plaine,
quelques chiens errants. Et là-bas, de l'autre côté de
la
Cerna, les hauteurs occupées par les BulII.
25
IMPRESSIONS DE GUERRE
386
gares, hauteurs dont la taille s'exagère aujourd'hui, par suite de leurs névés
éphémères,
tompent dans un brouillard mauve. Notre tour est venu de nous en
s'es-
aller aussi et
nous repartons vers Krivolak, la gare où nous sommes arrivés, celle par où nous avons à nous
Oh
rembarquer.
!
la triste journée,
commencée
dès l'aube, sur le chemin souvent transformé en patinoire glissante,
où nos mulets
et
chevaux,
pourtant ferrés à glace, ont quelque peine à progresser! Puis c'est l'attente pendant de longues
heures, dans la boue que
le
dégel
amène
et
que
aux abords de la gare. L'obscurité vient et nous patientons toujours, errant dans le même marécage. Les Bulgares
malaxent
les
convois
envoient quelques salves
et
avec
l'ineffi-
dans cette région. Et nos
cacité propre à leur tir
chevaux
d'artillerie,
nos voitures sont enfin embarqués,
difficilement,
dans
la
nuit à peine
éclairée de
quelques lanternes, par des équipes de soldats
Le train s'ébranle pour redesdu Vardar; nous n'avons guère plus de 30 kilomètres à faire et cependant, le matin est déjà venu quand nous sommes à destinatransis et fatigués.
cendre
la vallée
tion.
Stroumitza, où nous
nous arrêtons, marque
où notre division devra tenir quelques jours, en attendant que d'autres troupes redesl'étape
cendent à leur tour.
A
la gare,
un vénérable adju-
Dli
BRUXELLES
m'aborde, en voyant
darit
une barbe superbe
et sa
SALONIQUE
ma
soutane.
physionomie
d'un soldat ordinaire.
celle
que
A
En
.187
Il
porte
n'est point
causant, j'apprends
devant moi un Père assomptionniste, de-
j'ai
puis vingt-six ans missionnaire en ces parages,
pendant la première guerre balkanique, fut lui-môme aumônier dans l'armée serbe et qui,
(jui,
présentement, sert d'interprète au corps expéditionnaire.
Bulgares.
me
dit-il,
donne d'intéressants détails sur les actuelle ne suscite chez eux, aucun enthousiasme, le peuple marche Il
La guerre
volontiers contre les Serbes, parce qu'il y a entre les
deux nations des
mais
il
iiaines vivaces et anciennes,
n'a point d'animosité spéciale contre les
Français. paraît-il,
Quant aux Russes, on a
été
obligé,
de faire appel à des divisions turques
pour garnir
la
frontière du
côté
où pourraient
venir les soldats slaves, car les Bulgares n'auraient point consenti à combattre ceux qu'ils regardent
toujours
comme
leurs libérateurs.
Le Père me
ra-
conte encore qu'appelé tout récemment par ses fonctions à interroger un sous-lieutenant bulgare blessé,
il
n'a pas été
peu surpris de se trouver en
face d'un de ses anciens élèves de Philippoj)oh,
qui lui-même ne cachait ni son émotion de revoir
son professeur, ni sa satisfaction d'en avoir lini personnellement avec une guerre déplaisante. Une transformation heureuse nous attendait à Slrou-
mitza
:
le soleil s'y
montre radieux, séchant capotes
IMPRESSIONS DE GUERRE
388
et chaussures, dissipant
presque
souvenir des
le
camp
Notre
mauvaises heures récentes.
a
un
aspect joyeux, au milieu de mûriers, entouré de collines couvertes de houx.
mais
Un
village le domine,^
population elle-même est beaucoup plus
la
sympathique que
les
demi-sauvages des régions-
parcourues jusqu'ici. Nous
sommes
toujours en
Macédoine, mais ces gens sont de race serbe. Peu
d'hommes sont restés, parce que la guerre les a réclamés. Les femmes portent des robes claires et une large ceinture rayée, d'étoffe voyante, dont un large pan retombe presque jusqu'aux pieds. Nous coulons là deux ou trois jours heureux et sans histoire. Mais, un soir, quelques soldats blessés d'un des régiments qui nous flanquent à l'ouest, arrivent
Un
avec d'assez mauvaises nouvelles.
bataillon a été surpris, à l'heure de la soupe,
dans un village de
la
montagne;
s'est
il
retiré
précipitamment, éprouvant quelques pertes. Par ailleurs,
au nord, vers Demir-Kapou, l'ennemi
s'avance.
temps d'accélérer un peu la represque tous les éléments qui campent
traite et
Il
est
avec nous reçoivent l'ordre de se replier, dans la nuit
même. Comme on nous
signale des blessés
qui seraient restés dans la montagne, au poste de
secours du bataillon un peu bousculé tout à l'heure,
un groupe de brancardiers
part avec quelques
mulets dans cette direction; je convoi.
Un homme
du pays nous
me
joins à leur
sert
de guide, à
DE BRUXELLES
A
SALONIQUE
389
nous et à une compagnie de chasseurs à pied qui monte là-liaut, avec d'autres renforts, en vue des combats probables pour le lendemain. Sans lumière et presque en silence, nous nous en allons par
un sentier où
les
mulets ont cent
fois
l'occasion de mériter leur réputation de grimpeurs,
où
les piétons trouvent autant
cueillir des entorses.
à pied s'arrêtent un et nous
A
de dangers de re-
mi-cliemin, les chasseurs
moment, nos mulets
les imitent
continuons, à quatre, toujours sous la
direction de notre montagnard.
Un
torrent à tra-
verser sur quelques pierres, une colline à contourner,
et
nous
arrivons
à
quelques
taclies
blanches étendues sur la terre. Ces taches représentent le médecin et les brancardiers que nous
recherchons sur
et qui
dorment, plutôt mal que bien,
le sol liumide. Ils
blessés
avant notre arrivée plète
nous apprennent que leurs
ont pu être reconduits jusqu'au village et
même
avant
la
chute com-
du jour. Tant mieux; nos mulets, dans la jamais réaUsé la gymnastique du
nuit, n'auraient
retour sans risquer d'achever les patients aventurés sur leur dos.
Pourtant,
ma
tête
—
comme je
n'ai plus de tente oîi
reposer
tous nos bagages sont partis tout à
l'heure avec les convois en retraite
—
et
comme
une journée mouvementée, je demeure à errer longtemps sur le sentier, tout lier de
je prévois
pouvoir
utiliser
mes connaissances fraîchement
IMPRESSIONS DE GUERRE
390
acquises et de guider,
un
tel
vrai
nouveaux renforts qui surviennent
montagnard, les et qui cherchent
leur voie.
Tous ces renforts
étaient à leur
mitrailleuses garnissaient les
place et les
crêtes,
quand
les
Bulgares attaquèrent, d'ailleurs assez mollement, quelques heures plus tard. Leur but principal semblait être, ce jour-là, de partie
gagner plus
vite la vallée
le
filer
du front défendu par
les
long d'une
Français pour
du Vardar
et troubler la
retraite des éléments qui continuaient à se replier.
Pourtant, dans l'après-midi,
ils
essayèrent de dé-
border l'une de nos sections établie sur une crête; le
mouvement, enrayé en temps voulu, n'eut pas
de suites et la nuit vint calmant les ardeurs
queuses de l'ennemi. Mais au jour suivant taque fut plus vive, plus nombreux les
bellil'at
effectifs
lancés contre nos compagnies. Les balles sifflaient, plus méchantes, petite
montagne
un peu dans tous les replis de la et même, dans un recul momen-
tané de nos soldats, le seul sentier de retraite,
exactement repéré par de shrapnells, des
sitôt
mitrailleurs.
l'artillerie,
se voyait arrosé
qu'y paraissaient les mulets
Le
vint,
soir
on
avait
cédé
quelque terrain, perdu un peu de monde, mais on avait tenu les positions essentielles pendant les
heures nécessaires où l'on
Et ce
fut
encore
la
était
de faction.
consigne toujours observée
des jours qui suivirent.
A mesure que
les troupes
DE BRUXELLES A SALONIQUE
391
françaises se rapprocliaicnt de la Grèce, les Bul-
gares devenaient plus pressants, on peut
demander
si
dans
heures
les dernières
même
ils
se
étaient
n'avaient point reçu
encore seuls et surtout
s'ils
de leurs puissants
du matériel de guerre. On
alliés
vit reparaître alors
les
dans
ment des
classi(jucs
«
de Macédoine
les plaines
nuages noirs qui inarquent,
ailleurs, l'éclate-
marmites
».
Un
jour, dès
l'aube et jusqu'à midi, en dépit d'un brouillard intense, les mitrailleuses, des
deux
côtés, n'arrê-
Ce jour-là, les évidemment plus nombreux chez
tèrent guère leur tic tac meurtrier.
blessés furent
nous que d'ordinaire, si les pertes des gros bataillons ennemis furent considérables. Presque tous les
régiments engagés connurent des moments
difdciles
;
des
compagnies entières se crurent
cernées et prises, mais réussirent pourtant à se
dégager
et à rejoindre.
Ce
fut
une
retraite
mou-
vementée pour tous, pour quelques-uns tragique, mais rien ne ressembla moins à une déroute que cette marche de la petite armée emportant son matériel à peu près intact, et toujours assez forte pour contenir un adversaire numériquement très supérieur.
venu
si
De
dire
pourtant
ce
qui
serait
ad-
l'unique piste, coupée de gués fréquents,
avait été déjà détériorée par les pluies abondantes
qui
tombèrent quelques jours plus tard, nous la mission ni la compétence; mais le
n'avons ni ciel
nous
fut
clément
et
la
terre
macédonienne
IMPRESSIONS DE GUERRE
392
ne garda aucun des nombreux convois qui
la fou
1èr ent.
Lorsque notre convoi personnel cembre, ce
trois
même
atteignit à pied
grecque, au soir du samedi 11 dé-
la frontière
semaines après l'avoir franchie en
point dans notre marche en avant, l'obs-
curité était déjà venue.
Après avoir traversé
la
voie du chemin de fer, nous nous arrêtâmes un moment. Déjà les dépendances de la gare de Guevgueli flambaient dans la nuit.
dans quelques heures.
mait progressivement, toiture,
importait de ne
aux Bulgares qui seraient
laisser rien d'utilisable là
Il
le
Un
vaste bâtiment s'allu-
feu couvait le long de sa
semblant de loin enflammer les cordons de
gaz d'un palais en
fête.
L'expédition serbe, tout
au moins l'un de ses chapitres, se fermait
ment sur
cette vision d'incendie. Alors
triste-
nous avons
passé le Vardar sur
le
magnifique pont de fer déjà
miné par
et
qui sauterait le lendemain
le
génie
sommes en territoire grec où nous avançons toute la nuit. Les Bulgares passeront-ils cette même fron-
matin. Désormais nous
tière? Telle était la question qui se posait diate et l'on s'est encore retourné faire face.
Nul n'a rien vu venir
ditionnaire a opéré
Désormais
immé-
pour attendre et le
et
corps expé-
une nouvelle concentration.
c'est la période d'arrêt, après
quelques
étapes faites sous la pluie torrentielle, c'est l'arrêt
dans
la
boue qui ne nous
laisse rien à envier à
nos
DE BRUXELLES A SALONIQUE frères
des trancliées françaises.
393
Et revenus de
l'expédition où les nouvelles ne nous atteignaient
guère, nous avons lu quelques journaux locaux,
nous en avons reçu d'autres en nos courriers plus ou moins tardifs. Nous avons vu que là-bas on iliscutait
notre cas et notre avenir, nous n'avons
pas encore bien démêlé quel serait notre sort. Ver-
événements ultérieurs ou bien resterons-nous l'arme au pied, en laissant faire le temps, à défaut d'une vaillance réelle mais
rons-nous de graves
inégale à la tâche
noncent, rôle
et
?
Que
responsables pro-
les
que Dieu bénisse leurs desseins. Le
du narrateur se termine
ici.
Henri du Aumônier de
P...,
la N' division.
Janvier 1915.
4.
—
Sur
la frontière grecque.
NE VOlS-TU RIEN VENIR.'
Au
bas du village dont les murs d'argile rouge
se détachent sur le tapis vert du sol, sur le fond
souvent violet des montagnes proches,
il
est
un
ravin où poussent les mûriers et les vignes rede-
venues sauvages. Deux
lilets
d'eau s'y précipitent,
IMPRESSIONS DE GUERRE
394
affectant des allures de torrents sur des cascades
en miniature. Autour d'une petite place, posée dans un élargissement du fossé, des tentes recouvertes de feuillage, des
tonnelles,
un pont rus-
Quelques chevaux, quelques mulets sont
tique.
attachés aux arbres,
une poule avec sa couvée de
poussins cherchant sa pitance. Est-ce un village suisse
comme on
en montre parfois aux exposi-
Non, nous sommes en Macé-
tions parisiennes?
doine grecque, les ruisselets déversent leurs eaux
dans le Vardar qui coule au bas de la pente,
campement
le
nomades par régions lointaines pour com-
est celui des Français,
devoir, venus en ces battre les Barbares.
Pourquoi ces combattants en expectative
ont-ils
dans ce ravin peut-être
planté leur tente
pitto-
resque, mais sûrement inconfortable, où présente-
ment
la pluie les
les grille?
Ce
inonde à moins que
le soleil
ne
n'est point affaire de goûts bucoli-
ques maintenus queuses, mais
il
même
au milieu des heures
belli-
est à cette résidence plus d'une
raison valable. D'abord le village voisin est en
piteux état,
comme
cette région
presque tous ses semblables de
macédonienne. Les guerres
d'il
y a
trois ans n'ont pas eu besoin d'engins perfectionnés
pour jeter bas nombre des mauvaises masures qui formaient les agglomérations campagnardes. Aujourd'hui, toutes ces petites localités sont aux trois
quarts en ruines.
Il
en est une, par exemple, non
DE BRUXELLES loin d'ici,
SALONIQUE
A
395
où l'on chercherait en vain une toiture
en place, seuls des pans de murs délimitent encore la
surface des maisons d'autrefois. Les habitants
ont fui ces demeures trop incomplètes pour être
encore hospitalières, mais d'autres habitués du village n'ont point voulu céder la place.
gnes ont bâti leurs nids dans la petite rivière
un
bordent
placides et familières, elles ac-
;
cueillent dans leur
D'ailleurs
Les cigo-
les arbres qui
domaine
troupier émigré.
le
au moins de leurs
trait
mœurs
s'ac-
corde, de façon fortuite, avec le cadre de guerre
:
rien ne ressemble au bruit de la mitrailleuse homi-
cide
comme
oiseaux de
le
claquement de bec habituel à ces
la paix.
Mais revenons à notre
village,
lage qui pourrait être nôtre étions écartés.
Chez
lui
si
ou plutôt au vilnous ne nous en
quelques maisons subsis-
tent encore, capables d'offrir
un
abri, surtout à des
gens qui n'ont plus connu, depuis six mois,
le
luxe
d'une bâtisse à peu près stable.
Seulement
villages sont endroits malsains
les
dans ce pays où ne passent point seulement
les
cigognes en un grand vol plané. D'autres oiseaux,
d'humeur plus farouche, circulent fréquemment, de jour et
même
de nuit. Icare, l'ancêtre des avia-
teurs eut, dit-on, en cette région, des expériences
malheureuses qui
finirent par
un plongeon dans
une mer voisine. Ses descendants,
les
hommes
volants d'aujourd'hui, passent et repassent,
au
IMPRESSIONS DE GUERRE
396
contraire, sous le ciel de la Grèce et jettent
coup
un
inquisiteur sur la région qu'ils domi-
(l'œil
nent. C'est pourquoi
mieux vaut
se tapir pour ne
point faciliter les choses à l'artillerie d'en face, ni servir d'objectif à quelques
bombes descendues du
ciel bleu.
D'ailleurs
même
les
indigènes ont abandonné la
place et se sont retirés,
pour
en des
la plupart,
zones plus calmes que celles des armées. Nous
avons assisté à leur exode pitoyable comme celui des fugitifs de France devant l'invasion des premiers mois. Eux aussi, les partants de Macédoine^ avaient entassé leurs trésors hétéroclites sur leurs charrettes de culture. Mais les charrettes étaient
seulement de forme plus mérovingienne etl' attelage des petits bœufs gris s'en
allait
lentement,
comme
à regret, conduit par leur guide aux haillons bariolés.
Ces partants n'avaient point pourtant
taches bien profondes dans le pays
seulement
trois
ans,
quand
les
même.
d'at-
Il
Grecs se
y a
firent
adjuger cette portion de terre macédonienne, X..., le petit village qui
domine notre
ravin, était habité
de Turcs et de Bulgares. Soit qu'ils aient
fui,
esprit de retour, lors des luttes qui ont
eu leurs
vallons pour théâtre, soit que les tres leur aient signifié
un
définitif
sans
nouveaux maîcongé, tous ces
indigènes ont disparu. Alors la Grèce
fit
appel,
pour repeupler son nouveau domaine, à des élé-
ments de race hellénique qui avaient
quitté la
mère
DE BRUXELLES patrie. Elle leur
fît
A
SALONIQUE
397
sans doute un tableau st'^duisant
des provinces offertes à leur zèle colonisateur. Les
émigrés revinrent,
ils
revinrent de Thrace, d'Asie
Mineure, des régions caucasiennes; pendant
trois
ans, ils s'applaudirent (encore n'est-ce pas très sûr)
dans
d'être entrés
la terre
promise. Mais aujour-
un nouveau départ s'impose à ces déracinés Les Français ne sont pourtant pas les seuls à d'hui
occuper actuellement cette région frontière, le bleu horizon
et le
ments qui
kaki n'ont pas
le
monopole des
vête-
Toute une phalange d'ouvriers a été recrutée pour la confection des routes et quand ces cantonniers partent au travail, la pelle
ou
la
se portent
ici.
pioche sur l'épaule, c'est une variété de cos-
tumes qui
défilent
les
fez
ou
les
bizarres et la
demanderait tout cela
le bataillon. Les larges immenses fonds de culottes,
avec
ceintures rouges, les
bonnets, les sandales, les gilets
peau des visages tannés, tout cela nuances d'une palette assortie et
les
désespère nos photographes dont les
plaques se refusent à enregistrer les couleurs.
Ces travailleurs
sont,
étrangers au pays. Dans
le
nous l'avons village à
dit,
des
peu près vide
de ses habitants normaux, un peu à l'écart et en contre-bas, l'église est
demeurée
intacte, si les pa-
une naguère
roissiens et le pasteur se sont éloignés. C'est église bulgare,
puisque
le
pays
était
encore partiellement occupé par des Bulgares, tandis
que
les
Turcs avaient, sur
la j)lace
même
du
IMPRESSIONS DE GUERRE
398
village, leur
mosquée restée maintenant sans
Mais depuis
tation.
doxes installés à
X
pour leur
l'église
..
affec-
Grecs ortho-
les
avaient naturellement utilisé
culte.
On y
n'y a rien à dire. ordinaire,
trois ans,
Du temple lui-même,
il
retrouve la disposition
beaucoup de bariolage sur les piliers de Dans le bas, séparé du reste par
bois et le plafond.
une cloison à claire-voie, se trouve l'espace réservé aux femmes, espace surmonté lui-même d'une tribune. Le chœur est évidemment séparé aussi de la nef par la paroi de l'iconostase qui
porte toutes les figures de saints devant lesquelles brûlent de nombreuses lampes.
Au
centre de cette
un espace libre permet d'apercevoir l'autel, mais un voile cache cet autel, suivant la coutume paroi
grecque, au
le plus
solennel de la messe.
nous y avons installé une bien en évidence, au milieu de la nef, devant
L'église table,
moment
était
vide
;
l'iconostase.
C'est là que, le jour de
un
pêtres, la cité
Pâques notamment, sur fleurs cham-
autel garni de feuillages et de
messe a
que veulent
été célébrée,
avec cette simpli-
les circonstances,
mais qui ne
détruit pas la solennité religieuse. Et tous les pa-
roissiens d'un jour de cette paroisse d'occasion,
par cette matinée radieuse et chaude, songeaient, sans doute, aux cloches de Pâques qui sonnaient,
dans leurs clochers de France
malgré
la tristesse,
et qui,
de loin, leur donnaient rendez-vous pour
DE BRUXELLES A SALONIQUE l'ail
89»
procliain à pareille date... au plus tard. Celte
cérémonie presque régulière, dans une église véritable, n'était pas uni(jue Ici,
pour
la
région.
plus que partout ailleurs, c'est l'exception
qui devient la règle, la voftte du ciel est à peu près la seule que connaissent nos cérémonies religieuses,
à moins qu'une atteintes directes
soleil
toujours fidèle à nos fêtes,
heureusement presque du vent qui soufUe les
Pâques surtout
lumières.
ne protège des
de tente
toile
du
vit
s'improviser plus
d'un autel, au creux des rociiers, dans
nombre de
ravins, et
soldats vinrent
s
le
fond des
agenouiller
sur le sol pour recevoir leur Dieu.
Mais en
guerre,
la
sont les
oîi est-elle
manifestations?
évidemment
en tout ceci
La guerre
et quelles
n'est pas ici
Les Allemands sont devant nous, pas très loin, flanqués de leurs amis les Bulgares. On sait (jue même ils sont en Grèce, puiscju'en ces derniers temps ils ont franchi la à
l'état
aigu.
frontière qu'ils avaient respectée trois mois, après la
conquête de
la
Macédoine serbe
l'armée française. Maintenant
quelques kilomètres
sommes
et
c'est
ils
et la retraite
de
ont pénétré de
peut-être (nous ne
pas dans les secrets stratégiques) pour
empêcher
le
progrès de cette marche en avant que
nos troupes sont en partie venues du camp relranciié
de Salonique occuper des positions aussi plus
avancées.
Depuis que
les adversaires se sont ainsi rappro-
IMPRESSIONS DE GUERRE
400
chés,
il
définir
même
y a ce que nos communiqués pourraient activité moyenne de l'artillerie ». 11 y a une activité intense de nos avions. Les
«
nous réaccompagner jusqu'à
autres, ceux de l'ennemi, viennent bien aussi
rendre visite et se
font
leurs lignes par des obus souvent fort bien pointés.
C'est tout
un
art, et
un
art difficile
que
le tir
à
l'aéroplane. Les artilleurs avouent y rencontrer des problèmes ardus et ne disposent souvent, pour les résoudre, (et,
que de moyens de fortune. Mais
ici
sans doute, ailleurs) se trouvent des spécia-
listes et
des instruments spéciaux.
La poursuite de
l'ennemi dans les airs devient un spectacle qu'on admire d'en bas, en oubliant, plus ou moins volon-
que malgré tout l'ennemi est un nombre de semaines, alors même Depuis homme. que les troupes françaises étaient toutes encore
tairement,
retranchées dans leur camp, les avions, de part et d'autre, firent leur besogne.
quelquefois, en bandes,
comme
teurs, et les échos lointains
bruit des
bombes
Les nôtres partaient des oiseaux migra-
nous apportaient
lancées sur les
le
campements de
Les Allemands rendaient la politesse, mais avec moins d'envergure. Les journaux, même l'adversaire.
français, ont signalé leurs raids sur Salonique et les environs,
Une ciel
avec accompagnement de zeppelins.
nuit, l'une de ces lourdes
machines, par un
assez nuageux, vint ronronner autour de notre
campement
personnel.
On
entendait très distinc-
DE BRUXELLES tement
le
A
SALONIQUE
401
moteur, on ne pouvait distinguer l'appa-
lui-même. Les bombes dont
il gratifia la campagne eurent moins d'effets meurtriers que celles dont ses congénères arrosèrent la ville en d'autres circonstances. Seul, un pauvre canonnier suc-
reil
comba, au moins indirectement, sous leurs coups, par l'éboulement
écrasé
(ju'un
projectile
avait
provo({ué.
Ces expéditions aériennes amènent des combats entre avions. Les nôtres comptent plus de victimes à leur actif
(|u'ils
n'ont subi de
l'heure nous exagérions tout de
pertes.
même
la
Tout à supério-
des temps nouveaux sur l'antiquité, quand nous parlions des progrès accomplis depuis le vol d'Icare. Par deux fois, les légers appareils, l'un rité
français, l'autre allemand, vinrent s'abattre, aussi,
dans
les
eaux d'un
passagers dans leur cimtc. les
deux
lac,
est vrai que,
Il
eux
tuant, hélas! les
cas, l'adversaire leur avait, plus
dans
ou moins
directement, brisé les ailes.
Tout ne se passe plus en
l'air,
maintenant que les
lignes sont en face l'une de l'autre.
ment réciproque
l'un des adversaires aperçoit
un
Le bombarde-
a conunencé,il se continue
objectif de choix.
ou
Et parfois
quand
croit apercevoir les lourdes
mites arrivent, hurlantes, pour
s'écraser
maravec
fracas. Parfois aussi, dans la nuit, les patrouilles
avancées en viennent aux mains, y laissent qucl(jues-uns des leurs ou ramènent quelques-uns des II.
28
IMPRESSIONS DE GUERRE
402
autres. Notre petit cimetière à X... contient
une
douzaine de tombes fraîches, marquées, sur le tertre
même,
d'une croix de cailloux blancs,
de gazon.
Une
celui qui est
bordées
et
autre croix de bois porte le
venu jusqu'ici tomber pour
nom
de
la patrie
lointaine.
Ces épisodes de guerre,
nous rappelleraient,
s'il
tristes
en
ou mouvementés,
était besoin, le
grand
drame où nous jouons un rôle momentanément effacé. Durant trois mois, au camp retranché de Salonique, la guerre active nous apparaissait plus lointaine encore et les soldats maniaient la pelle
beaucoup plus souvent que le fusil. Les fossés se creusaient dans un enchevêtrement calculé, les uns parallèles à ce grand fossé plein d'eau, Vardar,
la dernière
s'en allant en zigzags multiples, le tout
ment muni de rébarbatives, le
fils
le
des lignes défensives, les autres
de
fer.
camp dans l'immense
lonnée s'aménageait presque pour
y creusait des puits, on
y
abondam-
Derrière ces enceintes plaine val-
le confort.
On
délimitait des jardins
•
où déjà poussaient les radis roses, où les salades donnaient bon espoir. Plus d'un soldat
même
avait
armes pour la houlette et quelques bergers bleu horizon promenaient par la plaine le troupeau de leur régiment. Les habitations affectaient toutes les formes, tentes oblongues ou ma-
abandonné
les
rabouts ronds et pointus, cabanes de roseaux,
DR BRUXF.LLRS
A
en terre, cavernes
huttes
maisons
quelcjues
môme
SALONIQUR au liane
d'un ravin,
en vrai ciment, en pierres
Un Decau ville
autlientiques.
403
ment ordinaire des unités
aidait
plus
au
ravitaille-
lointaines,
en
attendant de servir au ravitaillement éventuel de la
grosse
artillerie. Il avait fallu travailler
pour mener
la
ferme
guerre
et,
de
loisirs.
Maintenant
dû
veilles ont
seurs le
la plupart
la citadelle
des auteurs de ces mer-
laisser derrière
fruit
comme nous mer en
travaux de
troupier d'Orient n'a pas connu beau-
la paix, le
coup de
à bien ces
eux
de leur travail
l'avons
dit.
;
Le camp
et
à des succes-
ils
ont
apparaît
avancé,
comme
formidable où l'on reviendrait s'enfer-
cas de besoin. Mais l'on songe plutôt à
partir plus
en avant encore. L'on songe surtout,
sans regret pour cette
terre,
étrangère remuée au
prix d'un constant labeur, à l'autre terre quittée
depuis six mois et vers laquelle se tendent
pensée ici, le
et les
vœux. Périodiquement
bruit du retour en France, et les
la
circule, par
moins
naïfs
mal de s'y laisser prendre, parce qu'on est toujours un peu dupe de ses propres désirs. Quand le courrier se fait attendre, la poste recueille une ample moisson de malédictions et Verdun nous intéresse plus que tous les hameaux se défendent
grecs de la région frontière. Presque tous les soldats d'ici ont
connu
le
front français ou celui des
Dardanelles; dans l'attente d'un avenir incertain.
IMPRESSIONS DE GUERRE
404 ils
s'amusent, un instant, du spectacle exotique
que
les hasards de la guerre leur ont
montré. Mais monotone, les comparaisons concluent à l'avantage du vieux pays que l'on aspire
le spectacle est
à retrouver. L'herbe verdoie, les pistes poudroient et l'on
ne voit rien venir, tandis que
monte plus chaud ou
être? la
les
le
soleil
à l'horizon. Les Serbes peut-
Russes encore? Pâques
est passé,
si l'on grogne marcher toujours, par le ignore, qui sera bon dès lors qu'il
Trinité s'approche. N'importe,
parfois, l'on est prêt à
chemin que
mène
l'on
à la victoire.
Henri du Aumônier de
Mai 1916.
FIN
la
P...,
N* division.
TABLE DES MATIÈRES
Avant-propos.
LIVRE PREMIER IMAGES DE LA GRANDE GUERRE I.
—
En Cliampagne
— — —
1.
2.
3.
IL
—
En
3
Rolèvc de blesses à la Butte (13-15 octobre 1915) DouK marsouins de 1915. La confession du Juif. .
de Taliure 3 24 57
.
Artois
1.
2.
— —
3.
—
4.
—
62
Une Saint-Martin inouvementée vembre 1915)
Au Ma
seuil
de
(11
no-
la terre natale (mai-avril 1915).
batterie pondant l'offensive {H-21 septembre 1915) Sur les pentes de Notre-Dame-de-Loretle
(juillet-septembre 1915) 8 1. I 2. 5 3. 5.
III.
—
Dans 1.
2.
3.
—
— — —
Lettres à
Le prisonnier
107 115 122 139
de Verdun (février-mars 1916)..
—
La dernière barrière
—
En réserve sous les obus Retour de Verdun
—
95
107
Notre-Dame
Leurs paroles L'abbé Jose(>b Régal, Savoyard
la fournai!^e
62 80
(26-29 février 1916)...
(l"-8
mars
j916).
144 144 17» 199
IMPRESSIONS DE GUERRE
406 IV.
-
La guerre de 1
2. 3.
— — —
détail (avril-juin 1916)
LIVRE
217 217 240
Le cadre Les actions militaires Un brave et la vie
271
II
DE BRUXELLES A SALONIQUE I.
II.
— La Belgique sous joug (191 — Avec les Anglais dans les Flandres (septembre 1914le
avril
III.
—
S)
1916)
Lettres d'Orient (octobre 1914-mai 1916) 1
2. 3.
4.
— En route vers la Serbie — Salonique — En Serbie — Sur la frontière grecque
Table pes matières
291
339 361 361
366 377 393
40&
PARIS TYPOGRAPHIE PLON-NOURRIT KT S,
rue Garancière,
6«
c'*
'
V
^
^.
>/
^^St ù^]
N"f0^.^r>
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^^^
,
4