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3 5 &Q I
?
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The
Library of
Congress
http://www.archive.org/details/lalgrieetlagueOOml
JEAN MELIA
L'ALGÉRIE ET
LA GUERRE (1914-1918) QUATRIEME EDITION
PARIS LIBRAIRIE PLON PLON-NOURRIT et C IMPRIMEURS-ÉDITEURS ie
,
8,
RUE GARANCIÈRE I918 Tous droits réservés
6e
L'ALGERIE ET LA (1914-1918)
GUERRE
Ce volume a
été
déposé au ministère de l'intérieur en 1918.
DU MEME AUTEUR
:
|
La Vie amoureuse de Stendhal. Les Idées de Stendhal. (Mercure Stendhal
et ses
(Mercure de France.) de France.)
commentateurs. (Mercure
Le Triomphe de
de France.)
l'argent, roman. (Fasquelle.)
POUR PARAITRE PROCHAINEMENT La
Ville
Blanche (Alger et
Laghouat
ou a
la
son département). (Plon-Nourrit.)
Réunion de Maisons entourées de jardins
».
{La Ville Blanche devait paraître, par traité, chez PlonNourrit, le 15 octobre 19 14; la guerre remet cette publication à une date ultérieure.)
PARIS. TYR.
PLON-NOURRIT ET
C", 8,
RUE GARANC1EKE.
—
23023.
JEAN MÉLIA
L'ALGÉRIE ET
LA GUERRE I914-I918)
PARIS LIBRAIRIE PLON PLON-NOURRIT et C IMPRIMEURS-ÉDITEURS ie
,
S,
RUE GARANCIÈRE
—
I918 Tous droits réservés
6e
v|$i\-* 9
Droits de reproduction et de traduction réservés pour tous pays.
à A
MARCEL MÉLIA pour qu'un jour, en revivant
C'est
souvenirs
tes
d'enfant, tu te rappelles plus encore la profonde émotion
qui
fit
battre le
cœur de
siasme qui la
dans
ta terre natale et le
accourir,
fit
toutes ses forces,
V Allemagne déclara
la
aux
grand enthou-
dans toute sa jeunesse frontières
et
menacées quand
guerre à ta patrie, que je
te
dédie ce livre.
Tu
ne peux heureusement comprendre encore toute
l'horreur déchaînée
par
la barbarie la plus sanglante;
mais, petit Algérien, tu as vu ta chère Algérie transportée à l'annonce de la plus formidable
dans
yeux, reste à jamais gravé
tes
navires emportant la vivace tirailleurs
bronzés par V endurance
mâle aspect les
spahis
races
et
fleur
et
et les
les artilleurs
goumiers, tous
de toutes
décidé et leur
parmi
les religions,
amour pour
le
guerre,
de ton pays et
et,
spectacle des
les
:
les
zouaves au
lesquels ton père et
les soldats
de toutes les
déjà héros par leur air
la patrie.
Et tu as instinctivement pressenti qu'un grand drame se jouait
quelque part sur la terre
et
ton
cœur
s'est
ému
L'ALGÉRIE ET LA GUERRE dans
spontanée
la reconnaissance
et vive
prochain bonheur de ton pays, tu allais ces soldats partis
Comme
pour
t'
que, tout le
devoir à tous
la frontière.
yeux grands
tu les regardais, de tes
tous ces tirailleurs
le
tous ces zouaves,
et
ouverts,
comme
et
ils
apparaissaient, durant leurs quelques jours de per-
mission, ainsi que des êtres à part! Tous, jusqu'aux
plus jeunes,
tes
aînés à peine d'hier, tu les considérais
avec la plus touchante
que tu
et la
pensive admiration, parce
devinais dans la monstrueuse fournaise de
les
liquides
et
enflammés
et
d'obus, dans la rigueur des saisons
tombe vivante de
grands capitaines dont
où
la tranchée
des mois, plus stoïques encore tes
ils étaient
depuis
plus beaux que
et
les
maîtres te célébraient l'héroïque
existence.
Ils ont combattu et
pour que
France
la
leurs pères avaient subie en
i8yi ;
—
ceux qui sont morts, tu as contracté qui soit au
en
soit victorieuse
afin que ta vie ne soit pas gâtée par l'humiliation que
effet,
de toutes
La c'est
monde
surtout envers
et,
la
plus haute dette
devant leur mémoire sacrée, tu
:
à jamais comptable de chacun de tes
es,
tes actes et
pensées.
France, qu'ils
te
en la faisant plus
remettront glorieuse
belle
encore par
le
et libérée,
cœur,
comme
plus puissante par
les
armes, que tu seras
digne de leur souvenir auguste.
—
belle
ils l'ont faite
dans
l'intelligence
aussi dans
attendrie
l'harmonie
guerre, dont tu n'as vu
mais dont
de
de la
toutes
par les
le
et
car
la
vie fraternelle,
aucune rouge lueur à
tu as senti le fier frisson
cœur,
choses,
l'horizon,
aux mâles poignées
MARCEL MÉLIA
A
main
de
des jeunes soldats, a donné
plus entière leçon
noble
et la
pour
la défense de
l'étaient
pour
la
la
même
:
ni
au monde
la plus
qu'égaux devant la mort
patrie, tous les
part de soleil
et
de ton pays
fils
de bonheur.
C'est en ta vaillante Algérie, petit Algérien, que cette loi
de fraternité doit principalement recevoir mainte-
nant son application. Le devoir qui nous incombe a
une double cause
amoureux de
parce que nous sommes Français
:
la beauté
sante de la mère patrie
morale toujours plus resplendiset
parce que nous sommes Afri-
cains qui avons la certitude que l'avenir de la France est
en notre énergique, vivante
et
inépuisable Afrique, où
d'hommes
et
Algériens, quelles que soient leur race
et
se trouvent les plus magnifiques richesses s' épanouissent
de biens qui
Tous
les
dans
l'univers.
leur religion, ont donc acquis leurs définitives lettres de
naturalisation
forme par
le
:
il
n'y a de véritable race que
cœur et notre cœur
Au-dessus de toutes patrie;
et,
celle
qui se
tout entier est à la France.
les religions, il
y a
sur ces bords méditerranéens,
la religion de la il
n'y a plus ni
Français vainqueurs ni indigènes vaincus
:
il
n'y a
que des frères vivant pour une France plus grande
et
plus prospère.
Et
si l'on
veut faire pénétrer en ton jeune cœur
souvenir des haines anciennes ou l'égoïsme exploitant sans pitié
le
plus faiple,
du plus
le
fort
si l'on veut te per-
suader qu'il ne faut rien changer du passé en Algérie, repousse, petit Algérien, funestes et ces
mon
cher
filleul, ces conseillers
mauvais prophètes.
L'Algérie musulmane, dans la presque unanimité de
L'ALGÉRIE ET LA GUERRE
iv
ses cœurs, s'est farouchement et merveilleusement dêvox
à la France. Il n'est pas jusqu'aux femmes indigent qui, et
dans
la ruisselante
douceur des blanches mosquées
des saintes zaouïas, n'aient invoqué Allah pour
triomphe de
la
France pourtant chrétienne,
—
que l'Algérie musulmane, dans son ensemble, a et patriote, parce,
que toutes
eu des enfants morts pour
familles indigènes ont
la
défense de la France, les
quelques douars qui ont encore,
mauvais
parce
les
ne soyons pas inexorables pour les
et
été fidèle
quelques tribus ou
comme on
dit,
ui£\
état d'esprit.
S'il est vrai qu'il
y
ait encore, en notre terre natale,
des âmes rebelles à l'appel de la France, nous savons bien qu'il n'y a là que
le
suprême sursaut d'un passé qui
s'en va parce qu'il n'a plus sa raison d'être, et que
l'amour qu'inspire notre patrie l'emportera irrésistible-
ment sur
cœurs ignorants
les
et
que l'ignorance
encore se replier sur eux-mêmes pour
Et en souvenir des
un temps
faifç
passager.
milliers et des milliers de soldats
musulmans qui sont si héroïquement tombés sur nos champs de bataille, enfant qui, demain, comprendras toute la tristesse de nos misères, tu pardonneras, comme nous pardonnons, à leur tendras la
A
ces indigènes, et
comme
quoi servirait à la France d'être triomphante, si
la victoire qui est aussi la gloire des soldats
qui ont combattu à nos côtés, n'était pas, en la
nous, tu
main.
grande
et
musulmans
même
temps,
généreuse rédemption de leurs coreligion-
naires qui ont failli ?
Mais
le
souvenir de ces défaillances va
bientôt dis-
1
MARCEL MELIA
A paraître dans
autour
d'elle,
le
sublime rayonnement qu'exerce ta patrie
comme
disparaissent
les taches
du
soleil
dans V éblouissement pur de sa majestueuse lumière. Et, dans notre Algérie, où
n'y aura,
il
que place pour la justice
et
pour
comme en France,
la devise républicaine,
tout sera beau, tout sera fécond, tout sera grand.
mon cher Marcel, ce livre est-il, même temps qu'un document historique, une louange
Aussi, petit Algérien,
en
justifiée,
à
la gloire
de tous nos frères de ce côté-ci de la
Méditerranée, quelles que soient leur race
gion
et
dont
les
dances complexes,
sangs divers les
et
commun, dans
le
creuset de la
l'incomparable terre est
cette
faisait battre d'émotion si le
leur reliten-
les
aspirations multiples et parfois
contradictoires se fondent admirablement, tin
et
tumultueux,
«
vive
mère
pour un des-
patrie,
et
grand cœur de Prévost-Paradol.
dont
et
chance suprême d'espoir sans
»
qui
L'ALGÉRIE ET LA
GUERRE
(1914-1918)
1
LES VISÉES ALLEMANDES EN ALGÉRIE
Le temps n'est plus où Bismarck pouvait dédaigneusement déclarer « Nous autres Allemands, nous n'avons pas besoin de colonies. » L'Allemagne a, en :
effet,
d'un côté, développé sa force industrielle autant
que sa force militaire et, pour son expansion économique, il lui faut des débouchés. D'un autre côté, métropole industrialisée et militarisée à l'excès, il lui est indispensable d'avoir une quantité infinie de matières premières, que ce soit des céréales pour son
du minerai pour ou du cuivre, du fer et de
manufactupour ses arme-
alimentation,
ses cités
rières,
l'acier
ments toujours croissants. Depuis qu'elle a pris rang parmi les premières et les plus actives nations du monde, à l'encontre de ce qu'affirmait Bismarck qui fut, pourtant, son plus grand homme, l'Allemagne a besoin de colonies. Cela devient une nécessité nationale de plus en plus impérieuse. Écrivains et
hommes politiques
allemands,
L'ALGÉRIE ET LA GUERRE
2
;
soucieux de l'avenir de leur pays autant que d'une patrie dont l'ambition est d'exercer une hégémonie universelle,
le
comprennent
et
le
proclament pour
pousser leurs compatriotes, dans un irrésistible élan
de croisade, à la conquête de colonies. Le docteur Péters, en créant à Berlin, en 1884, la Société pour la colonisation allemande, a bien soin de poser comme principe fondamental :
«
L'Allemagne
doit
nationale énergique
plus vite et
le
cette
;
œuvre de colonisation œuvre doit s'accomplir le
faire
plus activement possible, de façon à
détourner vers des terres allemandes leurs
territoires
le flot
annuel
empêcher que les meilextraeuropéens ne tombent tous,
de l'émigration allemande
et
exclusivement, au pouvoir des nations étrangères.
»
L'élan est donné; et déjà tous les Allemands par-
tagent cette idée qu'en 1899 sert définira ainsi
monde,
il
magne qui
:
«
géographe Kurt Hasfait le partage du
le
Lorsqu'on a
une puissante
n'existait pas encore
aurait
pu
dire son mot,
eut une puissante Allemagne,
L'heure a donc sonné pour
le
—
monde
elle
Alle-
et lorsqu'il
était partagé.
y »
de réclamer sa part
et, pour cette indispensable revendication, elle ne devra épargner aucun effort. Notre avenir est sur la mer, s'écrie un jour Guil-
laume
II,
c'est-à-dire
par delà
avec des ports d'attache où les marine marchande déverseront
les
océans lointains,
flottes
géantes de la
le trop-plein
de
l'in-
dustrie nationale et d'où l'on exportera toutes les
manquent à la mère patrie. Ce rêve d'une Allemagne coloniale se développe
richesses qui
avec l'ambition la plus démesurée. Le Togo, le Cameroun, le Sud-Ouest africain, l'Afrique orientale, c'est-
LES VISÉES '
ALLEMANDES EN ALGÉRIE
3
une superficie totale de 2 700 000 kilomètres une population indigène totale de 11 millions et demi d'habitants, approximativement, et un mouvement d'affaires de 278 500 000 francs, ne suffisent pas à calmer l'impatience germanique. à-dire
carrés, environ, et
A
cette impatience s'ajoute la sourde colère qu'ins-
Le traité du 4 noFrance s'implante au Maroc, cause à l'Allemagne une profonde désillusion. L'attaché militaire de l'ambassade française à Berlin, le colonel Pelle, écrit, en effet, en 1912, au ministre de la guerre à Paris « Le ressentiment éprouvé dans toutes les parties du pays est le même. Tous les Allemands, jusqu'aux socialistes, nous en veulent de leur avoir pris leur part au Maroc. Il semblait, il y a un an ou deux, que les Allemands fussent partis à la conquête du monde. Ils s'estimaient assez forts pour que personne n'osât entamer la lutte contre eux. Des possibilités indéfinies s'ouvraient à l'industrie allemande, au commerce pirent les convoitises manquées.
vembre 1911, par lequel
la
:
allemand, à l'expansion allemande. a Naturellement, ces idées et ces ambitions n'ont pas disparu aujourd'hui. Les Allemands ont toujours besoin de débouchés, d'expansion économique et colo-
estiment qu'ils y ont droit parce qu'ils granque l'avenir leur appar-
niale. Ils
dissent tous les jours, parce tient. Ils
nous regardent, avec nos 40 millions d'hommes,
comme une
nation secondaire.
Et Joachim de Bulow Deutsch «
»
d'écrire
dans West-Marokkô
:
Il est
impossible que la France garde
le
Maroc
même pendant des dizaines d'années. Si sa population diminue comme elle l'a fait dans les derniers temps,
L'ALGERIE ET LA GUERRE
4
on peut calculer
moment où
elle
sera obligée de
s'adresser à ses voisins pour avoir des
hommes. Aupa-
ravant,
elle
le
s'estimera heureuse de céder ses colonies
à la nation la plus forte.
»
Aussi, la France doit-elle faire place à l'Allemagne.
Outre-Rhin,
le regret
devient de plus en plus vif de ne
—
pas s'être emparé en 1871 de l'Algérie, l'Algérie porte d'or ouverte sur le continent africain et nostalgique entrée du plus beau paradis colonial perdu.
Mais ce qu'une guerre n'a pas
fait,
une autre guerre
le fera.
19 14, le chancelier de Bethmannpour s'assurer la neutralité britannique, expose à l'ambassadeur d'Angleterre à Berlin, sir E. Goschen, que, sachant que la Grande-Bretagne ne
Le 29 Hollweg,
juillet
consentira jamais à se tenir à l'écart de façon à laisser écraser
la
donnera toutes les ne revendiquera aux frais de la France».
France, l'Allemagne
assurances qu'en cas de victoire,
elle
aucune acquisition territoriale Sir E. Goschen ajoute « J'ai posé à Son Excellence une question au sujet des colonies françaises il me répondit qu'il ne pouvait s'engager d'une manière semblable à cet égard. » Le comte von Bernstorff, ambassadeur d'Allemagne à Washington, est plus brutal, mais plus explicite. Il spécifie, en effet, au lendemain de la déclaration de guerre, que Guillaume II réclamera à notre pays, après l'inévitable victoire des armées allemandes, entre «
:
;
autres choses et en premier lieu «
Toutes
compris, bien entendu, nisie.
En
:
les colonies françaises le
sans exception, y
Maroc, l'Algérie et
la
Tu-
»
mi-juin 1917, la ligue pangermaniste tient une
LES VISÉES ALLEMANDES EN ALGÉRIE
5
grande réunion au cours de laquelle est adoptée la résolution suivante «
...
:
L'Allemagne devra, d'autre part, annexer
gérie et le Maroc...
l'Al-
»
Mais l'Allemagne n'a-t-elle pas déjà atteint une la partie de ses conquérantes visées, en appliquant à événements, les par poussé Bismarck, de parole adopter sur la
fin
même temps
en
de sa carrière, la politique coloniale qu'une tactique appropriée à cette
Le marchand d'abord, le soldat, après »? Le rapport de l'Office du gouvernement général de
dernière
:
«
l'Algérie, à Paris, publié
en
effet les
en
fin
décembre 1914, donne
renseignements suivants
La valeur des exportations de magne en 19 13 a été de 13 666 000
:
l'Algérie
en Alle-
francs, c'est-à-dire
qu'au cours de cette dernière année, elle représente atteignant précile double de ce qu'elle était en 1904, celui des hostiprécède sément, pendant l'exercice qui d'immaximum le commerciale, lités et de la rupture auparavant. eu portance qu'elle ait jamais Les principaux articles que l'Allemagne a reçus de l'Algérie en 19 13 ont été
:
Phosphates naturels 3 240 000 francs minerai de francs zinc 2 412 000 francs peaux brutes 2 296 000 fr. 1246000 brut liège francs crin végétal 1740000 ;
:
;
:
;
:
:
minerai de fer
:
1
;
:
;
126 000 francs.
Viennent ensuite, par ordre d'importance, mais en proportion beaucoup plus réduite, les huiles volatiles
ou essences végétales 238 000 francs les vins ordinaires et de liqueur 5 368 hectolitres et 165 000 francs ; liège ouvré, les fruits de table, les laines et déchets, le ;
:
:
les espèces médicinales, la cire
et tartres bruts, les
animale, les
pommes de
terre, les
de vin tabacs en
lies
L'ALGÉRIE ET LA GUERRE
6
feuilles
es 1
et
fabriqués, le
boyaux
frais, secs
lin,
ou
les
minerais de cuivre sons ou fourrage'
salés, les
b
alfa, etc.
'
Comme on peut s'en rendre compte, la nature des produits que l'Allemagne achète à l'Algérie est des plus variées. A ces rubriques, il convient d'ajouter orge en grain que l'empire allemand importe pour
alimentation de ses brasseries et dont il avait reçu d Algérie, en 1912, 85192 quintaux évalués à 1
917 000 francs.
1
De 1902 à 1913, les importations de l'Allemagne en Algérie s'établissent ainsi qu'il suit
1902 1 415 000 francs; 1913 Ces chiffres témoignent de :
:
l'effort
conquérir
le
marché
:
7470000
francs
allemand pour
algérien.
Les principaux produits qui font ventes ont été en 19 13
l'objet
de ces
:
Houille crue carbonisée et agglomérée 1 741 000 produits chimiques 1062000 francs; :
fr
machines et mécaniques 908 000 francs; ouvrages en caoutchouc et gutta-percha 606000 francs; pommes de terre légumes secs et leurs farines 416 000 francs; objets et ouvrages en métaux 398 000 francs; tabacs en feuilles et fabriqués 380 000 francs; poteries, verres et cristaux 364 000 francs. :
:
:
:
:
:
:
«
Le marchand d'abord,
le
soldat après.
»
En
atten-
dant que le sort des armes appelle le soldat il y a dans tout marchand un espion et cela est indispensable pour la réussite des visées allemandes en Algérie Un rapport officiel et secret sur le renforcement de 1 armée allemande, daté de Berlin le 19 mars 1913 et dont le gouvernement français reçut communication d une source sûre, nous renseigne à ce sujet C'est
LES VISÉES
ALLEMANDES EN ALGÉRIE
7
but et l'un des devoirs de la politique nationale » allemande. Son système d'espionnage s'étend donc, comme un filet, sur toute l'Algérie, pour la connaître en tous ses détails et pour l'utiliser contre la France «
le
elle-même.
n'y aurait pas à s'inquiéter du sort de nos colonies, dit le rapport officiel et secret du 19 mars 19 13. Le résultat final, en Europe, le réglera pour elles. Par contre, il faudra susciter des troubles dans le «
Il
nord de l'Afrique
et
en Russie. C'est un
sorber des forces de l'adversaire. Il est
moyen
d'ab-
donc absolu-
nécessaire que nous nous mettions en relations, par des organes bien choisis, avec des gens influents
ment
en Egypte, à Tunis, à Alger et au Maroc, pour préparer les mesures nécessaires en cas de guerre européenne. « Bien entendu, en cas de guerre, on reconnaîtrait ouvertement ces alliés secrets et on leur assurerait, à la conclusion de la paix, la conservation des avan-
On peut réaliser ces desiderata. Un premier essai qui a été fait il y a quelques années nous avait procuré le contact voulu. Malheureusement,
tages conquis.
on n'a pas consolidé les relations obtenues. Bon gré, mal gré, il faudra en venir à des préparatifs de ce genre, pour mener rapidement à sa fin une campagne. de guerre « Les soulèvements provoqués en temps soigneuseêtre à par des agents politiques demandent ment préparés par des moyens matériels. Ils doivent éclater simultanément avec la destruction des moyens de communication, ils doivent avoir une tête dirigeante que l'on peut trouver dans des chefs influents, religieux ou politiques. » La main des agents de l'Allemagne se trouve par-
8
L'ALGERIE ET LA GUERRE
tout, avec
une audace extraordinaire
et l'assurance
cynique qu'inspire à tout sujet du Kaiser la croyance qu'il a de la supériorité et de l'invincibilité de son pays. Le chef de l'espionnage allemand en Algérie est un nommé Richard Heckmann, agent maritime de la
Norddeutscher Lloyd en notre colonie. Ses bureaux sont boulevard de la République, à Alger, en face du square. Il a une ressemblance assez marquée avec Guillaume II pour que d'aucuns se plaisent à assurer qu'il est un de ses parents naturels. Avec une fleur à la boutonnière, toujours assortie à la nuance de sa cravate, son excessive affabilité, son genre actif et éblouissant de brasser les affaires, il a réussi à s'immiscer dans un certain nombre de milieux. On se méfie de lui, mais on le tolère, et plusieurs traitent des affaires avec lui. Pourtant, il est inscrit au carnet B des suspects du département d'Alger, depuis le 5 novembre 1893. Ses fréquents voyages à l'étranger, notamment en Allemagne, la protection dont le couvre le consul d'Allemagne à Alger qui a facilité ses débuts, l'autorité mystérieuse dont il est de plus en plus investi au point que son protecteur allemand ne fait bientôt plus que suivre son inspiration, ses relations avec les Allemands de passage en notre colonie et, au Maroc, avec les frères Mannesmann, ses conciliabules avec les capitaines des paquebots allemands, ses dépenses excessives peu en rapport, dans les premières années surtout de son séjour à Alger, avec ses ressources, la composition en majeure partie allemande ou suisse allemande de ses bureaux dont les chefs de service sont le Suisse allemand Spilmann et l'Allemand Kozlovoski, tout le fait considérer
comme un
individu très dangereux.
LES VISÉES ALLEMANDES EN ALGÉRIE
g
quelques Il subit à Alger, il y a plusieurs années, jours de prison, sous l'inculpation d'espionnage, mais bien qu'il soit l'objet d'une surveillance constante, et tant, dit-on, son habileté est grande,
aucun
fait carac-
ne peut être établi contre Pourtant, ne sait-on pas que, pour éviter la poste française, il remet certaines de ses lettres directement aux capitaines des bateaux allemands mouillés dans lui.
térisé
le
port d'Alger, au
moment où
ils
s'apprêtent à partir?
L'on n'ignore pas que Richard Heckmann a un piëd-à-terre rue Monge, n° 3. Il a loué à cette adresse chez une Mme R..., une chambre meublée à 60 francs par mois, mais à la condition expresse que personne ne se trouve dans le couloir de l'appartement au moment où il y est lui-même. Il reçoit assez souvent à cette adresse delà correspondance au nom de R. Grenneville, et, lors de ses fréquents déplacements, prie
Mme
R... de la lui faire suivre à Cologne. Quelques jours avant la guerre, une maison de commission, à désinence française, et opérant dans la
capitale de l'empire turc, lui écrit pour lui
demander
de se charger de faire transporter à Constantinople 250000 fusils Mauser qui se trouvent dans un port mais Richard Heckmann a déjà quitté italien, l'Algérie, laissant un fort passif. Il a filé à Londres où,
—
sous un
nom
pion et où Enfin,
il
les
numéro du
d'emprunt,
continue son métier d'es-
il
ne tarde pas à être arrêté. Nouvelles, d'Alger, publient dans leur
5 octobre
1917
:
La prison militaire de notre ville donne en ce moment l'hospitalité gratuite à un espion de marque, M. Richard Heckmann, qui, à la demande des «
autorités militaires, a été extradé d'Angleterre où
L'ALGÉRIE ET LA GUERRE
io
il
s'était «
réfugié
avant
la
déclaration
Le Boche Heckmann sera déféré à
taire sous la
de
guerre.
la justice mili-
double inculpation d'espionnage et de
livraison d'armes et de munitions de guerre à des tribus dissidentes marocaines. »
D'autres espions résident également dans toutes nos ils sont surtout hôteliers. La plupart des grands hôtels deviennent d'actifs centres d'espionnage. L'hôtel Excelsior, boulevard Laprincipales villes de la colonie
;
ferrière,
à Alger, n'est-il pas clandestinement muni d'un appareil de télégraphie sans fil? Les Allemands installent en Algérie des usines comme l'usine de K... dont le directeur est un nommé von Vaenkel, officier dans l'armée de Guillaume II, usine dans laquelle on trouve
pour
la confection de la
du
sable fin employé
dynamite, des cloisons
iso-
lantes contre matières explosives, etc., et qui est située sur la côte algérienne, entre Mostaganem et Ténès, où, dans la suite et pendant la guerre, plu-
—
sieurs navires sont torpillés.
Que
il
les touristes qui, villes et
parmi ceux qui viennent visiter y a 60 pour 100 d'Allemands parmi chaque année, parcourent nos grandes
d'espions
l'Algérie, car
nos lointaines oasis
geurs allemands
même
On rencontre des voyasur les routes où ne passent !
que des nomades et qui mènent dans le désert à des points que jamais ne fréquentent les Européens. Mais les les
voyageurs allemands sont là sous les prétextes Comme une mission commerciale ne
plus divers.
se justifierait pas,
ils s'improvisent savants orientaparce qu'ils sont ou géographes ou ethnographes, ils cherchent à se mettre en relations avec tous les groupements musulmans, si intimes soient-ils.
listes et
LES VISÉES Ils
de
ALLEMANDES EN ALGÉRIE
n
demandent le nombre des habitants, le nombre dont on dispose, ils interrogent sur l'état
fusils
d'esprit des indigènes et font miroiter à tous ceux-ci
que;
si
l'Algérie était
allemande,
ils
ne paieraient
plus d'impôts et auraient toutes les terres pour leurs
troupeaux. soi-disant savant baron von Oppenheim, accrépar toutes les académies impériales d'Allemagne et par l'empereur lui-même, finit presque par se croire déjà maître en Algérie., de même que le profes-
Le
dité
seur Léo Frobenius.
En juin 19 14, les archéologues allemandes, Léo Frobenius, Martins, Corman, Cari Aniens, Fischer, Derenburg, von Stetten et Bauskhe sont encore en département de Constantine et, le 3 juin, la Dépêche de Constantine
Algérie. Ils viennent de parcourir le
publie l'entrefilet qui suit
:
On
nous signale des invasions d'archéologues allemands. Ils opèrent, en ce moment, des fouilles considérables à Siba et dans les environs d'El-Guerrah. Ils ont déjà recueilli, paraît-il, quantité de matériaux du plus haut intérêt scientifique qu'ils ont expédiés aux musées de leur pays. Comme il est interdit aux simples particuliers de disposer des richesses archéologiques qu'ils découvrent, on nous demande pour«
quoi les savants d'outre-Rhin font exception à la règle
commune
et
peuvent en toute
notre région au profit de Berlin.
Le
liberté exploiter
»
préfet de Constantine veut faire saisir ces maté-
riaux, mais, le 16 juin,
du serment, que
Léo Frobenius
déclare, sous la
contenant les richesses archéologiques sont déjà expédiés en Allemagne. On s'incline devant le serment de ce chef de mis-
foi
les colis
L'ALGERIE ET LA GUERRE
12
sion officiellement accrédité par le
mand, on ne perquisitionne pas Régence, à Alger; où priétaire-gérant est
il
est
un de
colis suspectés étaient
gouvernement
ainsi
descendu
alle-
à l'hôtel de la et
dont
le pro-
ses compatriotes. Or, les
encore à cet hôtel et y restèils furent embarqués sur
rent jusqu'au 22 juin, jour où le
bateau allemand York.
Le 17 juin 19 14, Léo Frobenius a même l'audace au gouverneur général de l'Algérie vous serais infiniment reconnaissant, monsieur Je le Gouverneur général, si vous vouliez bien faire aviser M. l'Administrateur à Tiaret, et donner, si possible, des ordres pour qu'un agent puisse m' accompagner afin d'ôter des difficultés possibles et d'empêcher des malentendus. » Ces Frobenius, Martins, Corman, Cari Aniens, Fischer, Derenburg, von Stetten, Bauskhe prétendent aussi faire des voyages d'études scientifiques dans le d'écrire
:
«
Sud
algérien.
En
d'autres choses,
réalité,
s'occupent bien plus
ils
— surtout de
la légion étrangère.
Le
17 avril 19 14 ne se sont-ils pas entretenus à Sfissifa avec un caporal et un soldat boulanger de ce régiment et
ne leur
ont-ils
pas
fait faire
un copieux repas au
cours duquel les langues se délièrent?
Le 17 avril, Frobenius et ses acolytes sont surpris avec des légionnaires. Le 29 avril, M. Zimmermann, sous-secrétaire d'État aux affaires étrangères, entretient
la
commission du budget du Reichstag des
enrôlements qui se font dans la légion étrangère, le
30
avril,
et,
à Berlin, une des ligues fondées en Alle-
contre cette même légion donne une réunion au cours de laquelle on représente une scène où est fusillé un déserteur portant l'uniforme de ce régiment.
magne
LES VISÉES
ALLEMANDES EN ALGÉRIE
13
moyens d'espionnage sont bons. A la à Blida, en janvier 1908, Mers-el-Kébir, zaouïa de ferveur sur le tombeau du avec priant pas, n'y a-t-il Tous
les
musulman, un individu, vêtu d'un burnous, qui, quelques jours après, était arrêté, puis remis en liberté et ce pieux persondes ordres venus d'Alger,
saint
—
sur
nage n'était qu'un Allemand, soi-disant converti à l'islamisme?
Et à
maison mère des Pères Blancs d'Afrique,
la
comme à Maison-Carrée, près d'Alger, n'y a-t-il pas,. qui, Allemands membres de cet ordre, trente-trois encore circulent guerre, durant les premiers mois de la français librement, sous prétexte que leur supérieur leur garant, et n'est-ce pas parce que le fin à scandale est trop grand que l'on se décide à la
s'est
fait
au Fort l'Empereur? Parce que les espions allemands jouissent d'une on veut à tout prix tolérance excessive parmi nous, le gouvernement avec diplomatiques éviter des conflits être déjà semble Africain Nordnotre du Kaiser, inorale., conquête de et d'élection terre devenu leur
les interner
—
—
ne prennent même plus les plus élémentaires préla puiscautions. Tout ne doit-il pas trembler devant ils
sance allemande? plus Cette puissance s'affirme, d'ailleurs, jusqu'à la un de 1910, commencement Au provocation. insolente le navire de guerre allemand n'entre-t-il pas dans les port d'Alger comme en port conquis, sans faire
cette salutations d'usage, et l'émotion est telle en où déjà l'on a vu avec stupéfaction des ville^ déserteurs de la légion étrangère être embarqués
_
allemands par des émissaires alleque le gouverneur général, M. Jonnart, en
sur des navires
mands,
—
L'ALGÉRIE ET LA GUERRE
14
M.
réfère
Aristide Briand, président du Conseil. à l'orientaliste Becker, professeur à l'Université Bonn et directeur de l'Institut colonial de
Et de
Ham-
bourg, d'exposer en 19 14 même « La crainte des Allemands atteignait chez les Français un degré souvent risible. Il y a quelques années, :
la presse française s'est
préoccupée du fait que des à Tunis ou à Alger avec de grosses lettres de crédit. Comme on ne prenait pas garde à la richesse croissante de l'Allemagne, on voyait dans ces touristes des agents de la politique islamique alle-
AUemands venaient
mande. « Mais
les sympathies pour l'Allemagne et pour l'empereur allemand n'avaient pas besoin d'être excitées chez les musulmans de l'Afrique du Nord. Beaucoup d'Allemands ont remarqué qu'en Algérie et en ^
Egypte leur qualité d'AUemand leur valait d'être particulièrement bien accueillis par les indigènes. Dans les colonies françaises et anglaises, on trouvait la
demeure de beaucoup de musulmans
l'empereur.
dans de
le portrait
»
Dans bien
cette illusion mensongère, l'Allemagne compte que, selon le rapport officiel et secret
du
19 mars 1913, le but et le devoir de la politique germanique étant de susciter des troubles dans l'Afrique
du Nord,
ces troubles se produiront.
Déjà au cours de la guerre de 1870-1871, elle avait tenté de le faire. M. Warnier, préfet d'Alger après la révolution du 4 Septembre, déposant devant la Commission d'enquête sur les actes du gouvernement de Défense nationale, déclare, en effet, ce qui suit « Voici des faits bien autrement graves dont la
la
:
Commission d'enquête doit tenir grand compte.
1
LES VISÉES ALLEMANDES EN ALGÉRIE
15
« Tunis et Tanger étaient deux foyers de propagande allemande contre la sécurité de l'Algérie. Le consul général de Tanger nous a informé que deux Prussiens partis de Tunis avaient traversé toute l'Algérie pour arriver au Maroc, semant l'argent sur leur route, recrutant des chefs pour l'insurrection, et qu'ils venaient d'arriver à Tanger il ne comprenait pas que ces deux fauteurs de révolte ne nous eussent pas été ;
livrés.
Tous
de tous
les points, on
nous signapu en capturer un seul, pas plus qu'à Paris, d'ailleurs, où ils étaient nombreux. «
lait
«
les jours, et
des émissaires prussiens. Jamais on n'a
Mahon
était le point d'observation
mouvements,
et,
de tous nos
des Baléares, on expédiait sur les
côtes de l'Algérie, en contrebande, des armes et des
munitions. «
A
armes
Tunis et
et
à Tanger, on vendait ouvertement des
des munitions pour l'insurrection, et les
convois qui les apportaient aux futurs insurgés de 187 nous étaient dénoncés, mais n'ont jamais pu être saisis« La fièvre jaune régnait sur les côtes d'Espagne de Gibraltar à Barcelone, et nous étions sans lazarets, en Algérie, il a fallu en improviser en toute hâte. « A la même époque, le gouvernement nous avisait que des flibustiers allemands avaient acheté des bâtiments en Amérique et les avaient armés de pièces à
longue portée, à destination de la Méditerranée, pour venir incendier nos établissements de la côte algérienne et provoquer la révolte des indigènes.
Nous
n'avions pas un seul canon sur toute la côte, en dehors
de nos places fortes et pour défendre nos villes pas une seule pièce n'eût pu envoyer un boulet à 5 kilo;
L'ALGERIE ET LA GUERRE
j6
Avec une
mètres.
telle artillerie,
comment lutter contre
des canons portant à 6 ou 7 kilomètres? Le gouver-
nement, en
même temps
qu'il
nous donnait cet
avis,
expédiait trois frégates cuirassées dans le détroit de
Gibraltar pour arrêter ces flibustiers, les combattre, si elles les
ville
rencontraient, et envoyait, pour défendre la
d'Alger contre toute attaque, deux autres frégates
cuirassées. «
Ces précautions nous ont probablement préservé
d'un danger sérieux. «
La population ne
que nous recevions
;
savait rien des avertissements
elle
ignorait toutes nos préoccu-
On nous accusait souvent de ne rien faire. Nous laissions dire, sans confier à qui que ce soit le secret de nos travaux de jour et de nuit. On sait ce que les nouvelles de ce genre, exploitées par les passions politiques, peuvent amener de troubles pations et nos occupations.
dans toutes
les.
intelligences.
De nouveau au
»
cours de la guerre 19 14-19 18 pour
parvenir enfin à susciter des troubles en Algérie contre la France, l'Allemagne n'épargne
Elle agit encore à la veille
Le 28
juillet 1914,
croit être
mand
—
aucun
même
effort.
de la guerre.
M. Othon de Bulow,
— que l'on
en réalité l'ex-chancelier de l'empire encore en voyage en Algérie.
est
alle-
Il
naturellement descendu à l'hôtel Excelsior dont propriétaire est
Allemand
muni d'un poste de l'avons déjà
dit.
et qui est
est le
clandestinement
fil, ainsi que nous Richard Heckmann a déjà avec le fondé de pouvoirs de sa
télégraphie sans
Comme
quitté l'Algérie, c'est
maison que cet Othon de Bulow a de fréquents rendez-vous jusqu'à l'heure, où, dans la matinée du 28.. il s'embarque sur le Gœben.
LES VISÉES ALLEMANDES EN ALGÉRIE
i
7
L'Allemagne agit aussi dès l'ouverture des hostilités. Des émissaires allemands sont signalés aux autorités supérieures,
comme
circulant, déguisés en Arabes, à
travers les douars où
ils tenteraient de fomenter une Leur principal centre d'où part toute action contre notre Afrique du Nord est le Maroc espagnol.
agitation.
Là,
ils
ont toute liberté d'allure et toute liberté d'ini-
avec ou de certains
tiative. Ils agissent à leur guise et, souvent,
la bienveillance étrange
ou
la complicité
chefs espagnols.
Comme ment chez 19 15
ils
naguère en Algérie, ils se croient telleeux, en ce Maroc espagnol, qu'en mars
poussent l'outrecuidance, à Mélilla, où
~sont établis presque à
demeure, jusqu'à
faire
ils
des autorités locales une démarche afin de savoir les déserteurs
y
y
se
auprès si
seraient bien accueillis et pourraient
être enrôlés.
Berlin édite les brochures les plus propres à frapper les esprits
Tunisie
et
:
Mensonges
français, Barbarie française en
en Algérie, Intrigues françaises contre
l'Is-
lam,; etc.
Un
certain El
Hadj Abdallah qui
tenant, fait paraître une brochure
mée
dans laquelle il prétend que « les cravachent impitoyablement et lancent des
française,
officiers
épithètes grossières à l'égard des les
s'intitule lieu-
l'Islam dans l'ar-
:
soldats indigènes sont
jamais à l'honneur
Un
»,
etc.
autre qui se dit être
«
musulmans
»,
que
toujours à la peine et
*
«
Mehmet
l'Algérien, officier
de l'armée française, passé en Turquie pour combattre les oppresseurs de l'Islam », assure que les Français sont ignorants, obtus, menteurs, infidèles, ivrognes, libidineux, mais
que l'Allemand, travailleur émérite,
L'ALGERIE ET LA GUERRE
i8
l'homme « le plus instruit, le plus méditatif et le mieux éduqué de l'Europe., qu'il a le culte de la jusest
dans la peau,
tice
si
l'on peut s'exprimer ainsi, qu'il
est honnête, sincère, vénérant, etc.
Guillaume
est
«
la civilisation industrielle
—
et
Mehmet
»,
que l'empereur
et
un grand honnête homme qui défend au milieu de son peuple
raconte ces choses dans une
imprimée à quatre pages,
intitulée
le
»,
feuille,
Devoir, et qu'il
tâche d'adresser de Se ville, sous enveloppe affranchie
à vingt-cinq corréos. Comme, malgré tout, ces brochures ne peuvent avoir accès dans nos douars, ce sont mille bruits que l'on tâche de faire circuler parmi
musulmans. Les une coiffure différente de celle des soldats français les Allemands ne tirant pas sur eux, la France a donné ordre d'enlever aux tirailleurs leur coiffure spéciale, ce qui fait que, malgré eux, les Allemands tuent autant de musulmans que de Français. On fait encore courir le bruit que Guillaume II a prononcé la profession de foi mahométane et que c'est pour cette raison que le sultan de Constantinople a pris les armes contre les Alliés, afin d'être aux côtés d'un empereur qui s'est déclaré le champion des musulmans. les
tirailleurs algériens, raconte-t-on, avaient ;
On
fait aussi circuler
L'une conseille à faire
attention
à
des chansons en arabe.
celui qui se
rend en France de
Hadj Guillaume qui possède des
canons puissants, des obus empoisonnés et des appareils qui volent dans le ciel autant que des étoiles. Une autre établit qu'El Hadj Guillaume est fort
comme une contre sept
panthère,
qu'il
lutte
nations et que, par
d'autres grandes villes seront rasés.
lui,
victorieusement Paris et bien
LES VISÉES ALLEMANDES EN ALGÉRIE
Une
19
autre encore déclare qu'El Hadj Guillaume
est le vainqueur,
zeppelins,
qu'il
frappe dans
le ciel
avec ses
sous l'eau avec ses sous-marins, et sur
terre avec ses 420.
On
chante aussi que
le
Français est insensé dans
sa croyance que Stamboul lui appartiendra, qu'il se ruine dans cette lutte et que, contre ces lions puissants
mands
et se
que sont
les
dresseront bientôt
se dressent
lui,
Turcs
les Alle-
et
tous les Arabes de
tous les Saharas. Puis, voici
une longue pièce de vers arabes, auto-
graphiée sur papier pelure, ayant pour titre brillantes à la louange des
hommes de
la
:
«
Paroles
Chaouia
»,
ayant pour refrain « Gens de la Chaouia, élancezvous avec entrain et allégresse à la guerre sainte contre la France traîtresse et sanguinaire. » On s'adresse également aux soldats de la légion étrangère, d'origine allemande, et on établit, dans l'espérance de la leur faire parvenir, la lettre suivante nous envoie, nous, « Camarades, notre empereur ses officiers, vous dire que le passé sera pardonné et oublié pour tous ceux qui, en cette heure décisive, tireront l'épée pour la gloire et l'honneur de l'Allemagne. Nos frères d'Allemagne ont payé leur dette. La Russie gît, brisée à terre. La France sent la main de l'Allemagne sur son cou; avec le concours des troupes revenant de Russie, son anéantissement n'est plus qu'une question de peu de mois. Le moment est venu, maintenant, de porter en Algérie et en Tunisie le coup mortel aux Français. « Camarades, ré jouissez- vous que notre empereur vous ait assigné ce devoir, à vous, soldats de la légion étrangère, et que vous puissiez gagner, en combattant, et
:
:
L'ALGÉRIE ET LA GUERRE
2o
et prompt retour dans votre patrie. Vous souvent risqué votre vie pour un rien vous n'hésiterez pas maintenant que c'est votre empereur
honneur avez
si
:
qui vous appelle. «
Au
cas où vous ne pourriez vous rendre maîtres
de votre garnison par un coup de main, enfuyez-vous immédiatement, autant que possible avec vos fusils, chez les Arabes vivant en dehors des villes, lesquels sont tous nos amis et dont la lettre arabe ci-jointe
j
vous assure le secours et l'accueil hospitalier. Vous apprendrez d'eux où nous séjournons et où se rassemblent les combattants de la Turquie, notre alliée, et de Sidi Ahmed El Senoussi. « Aux légionnaires non Allemands qui se joindront à vous, nous garantissons une riche récompense. L'avenir nous appartient. Sur vous, camarades, plane le bonheur; ayez le courage de le saisir. Que votre A bas les Français, les ennemis mot d'ordre soit :
mortels de notre chère patrie allemande » On essaie aussi de distribuer des médailles !
commé-
moratives, venant d'Espagne, de la dimension d'une pièce de cinquante centimes, portant à l'avers cette « Dieu protège nos devise, gravée en allemand armes, » et, au revers, ces mots inscrits dans la même langue « Bombardement de Philippeville et de Bône
i
;
:
j
!
:
j
4 août 1914. » On tente de jeter le trouble parmi la population algérienne tout entière, et, sur les murs de la ville d'Alger, principalement du côté de la place du Gou-
par
les croiseurs
vernement
et
Gœben
et Breslau, le
du quartier Bab-el-Oued, où domine
l'élément étranger, on colle des bandelettes de papier, portant ces mots « Vive Guillaume à bas Poincaré !
:
Vive l'Allemagne, à bas la France
!
»
!
j
LES VISÉES ALLEMANDES EN ALGÉRIE
21
Quels sont donc les malfaiteurs qui, en pleine guerre, ne craignent pas de se livrer, en pleine terre française, à cette propagande en faveur de nos ennemis? Se trouvent-ils dans la tourbe des bas-fonds qui existent
dans toutes
les villes
cosmopolites, ou bien parmi ces
contrebandiers qui opèrent de tout temps sur la côte ouest de l'Algérie ?
Ces émissaires allemands ou payés par l'Allemagne, dont on craint à chaque instant l'action un peu partout, semblent insaisissables, et très dangereuse est cette propagande qui veut s'exercer à bon escient pour parvenir à soulever l'Algérie contre la France et à
de soldats en notre coloavec des éléments louches ou
faire retenir le plus possible
aux
nie,
ainsi,
prises,
avec l'Islam à nouveau soulevé. Mais, après tout, cette propagande est-elle dangereuse? L'Allemagne réalise-t-elle ce but et ce devoir
de sa politique nationale qui, aux termes de son rapofficiel et secret du 19 mars 19 13, est de susciter
port
des troubles dans l'Afrique du Nord? Trouve-t-elle « un moyen Comment va
ainsi
d'absorber les forces de l'adversaire»? se
comporter, durant
la guerre
de
19 14-19 18, cette population algérienne dont la minorité est composée d'éléments français et dont la très grande partie est faite du trop-plein, parfois aventurier ou parfois aventureux, de tous ies pays du monde? Est-il vrai, comme le prétend l'orientaliste Becker,
que
les
sympathies pour l'Allemagne et pour l'empemême pas besoin d'être excitées
reur allemand n'aient
chez
les
musulmans de
Comment va
se
l'Afrique
du Nord?
comporter aussi notre Islam nord-
africain, cette Algérie., la plus belle colonie
dont l'Allemagne regrette
tant
de
ne
du monde pas
s'être
L'ALGÉRIE ET LA GUERRE
22
emparée en 1870-1871
et qui est
un des principaux
enjeux, sinon le principal, de la guerre de 19 14-19 18?
L'Algérie
musulmane
va-t-elie être fidèle?
Cette guerre de 1914-1918
est,
y va de
en
effet, la
pierre de touche,
il
France en Afrique,
et le tragique conflit
l'avenir
grande
même
de la dans lequel se
joue toute la destinée de notre pays va décider à jamais si les indigènes algériens reconnaissent vraiment et uniquement la France pour leur patrie et s'ils
méritent d'être enfin considérés et traités
des Français.
comme
îï
LA NOUVELLE DE LA GUERRE A ALGER
Nous nous souvenons encore. Il flottait en ce commencement d'août 19 14 une très grande douceur de vivre. Dans la tiédeur qui l'enveloppait, Alger s'étirait paresseusement au bord des
flots
bleus de la Médi-
Du
boulevard de la République, l'incomparable spectacle s'étalait dans la magnificence chanterranée.
Les voiles des barques blanches qui se reposaient sur la mer azurée, et les arbres qui couronnent les collines encerclant la baie d'une étreinte amoureuse semblaient un long déroulement d'éclatantes émeraudes. Toute la ville, la veille encore, avait un air de fête. Juillet avait toute la beauté de la terre mûrissante par geante de toutes étaient
comme
les heures.
de grandes
ailes
ses blés et ses vignes et les arbustes en fleurs
maient
la
campagne
embau-
algérienne. Notre raison d'être
de nous abandonner entièrement au ravissement de la nature. Nous ne pouvions avoir d'âme et de pensée que pour l'enchantement de cette Méditerranée éprise de sa propre langueur et dé ce ciel qui finissait lui-même par partager cette extase qu'il imprégnait dans tous les cœurs. S'il nous arrivait parfois de nous arracher de la était alors
L'ALGERIE ET LA GUERRE
24
splendeur environnante, c'était pour songer aux bruits sinistres qui
nous venaient de la terre d'Europe. Nous
savions bien qu'un cliquetis d'armes retentissait déjà,
dans le mystère effrayant des massacres prémédités, par delà cette mer amusée et si tranquille nous n'ignorions rien de l'insolence autrichienne à l'égard de la ;
Serbie et des agissements de l'Allemagne, mais nous
ne voulions pas croire à l'inévitable. toutes les âmes, toutes les choses étaient
Ici,
si
premier jour d'août, par les moissons commencées et les prochaines récoltes, créait encore
fraternelles, et ce
tant de vie, toute une vie nouvelle
!
Il était
impossible
que la terre épanouie dût s'offrir pour l'hécatombe et pour la mort. La beauté de la nature amollissait nos âmes de nouveau, nous nous laissions reprendre par ;
de cette miraculeuse baie d'Alger, nous emportait bien loin, dans le parfum des dans le sourire des grappes d'or, dans la nostal-
l'ensorcellement et le rêve roses,
gique attirance des lointains Saharas. Mais, de plus en plus, quelle contradiction entre la sérénité continue de la mer,
du
ciel et
et le désarroi sans cesse grandissant
des campagnes
de nos âmes
!
Le télégraphe nous transmet, en effet, des extraits de journaux parisiens. M. Stéphen Pichon, devenu, depuis, ministre des Affaires étrangères dans le cabinet
Clemenceau, «
Le
écrit,
dans
sort en est jeté.
guerre.
Toutes
les
le
Petit
Journal
Nous sommes
:
à la veille de la
puissances sont sous les armes.
L'Autriche a mobilisé, la Russie, répondant à cette initiative,
a mobilisé à son tour
;
l'Allemagne mobilise
France ne peut pas ne pas mobiliser. Jusqu'à la dernière minute, nous avons voulu espérer contre l'es-
et la
pérance.
»
LA
NOUVELLE DE LA GUERRE
A
ALGER
25
semble qu'en une seconde nous ressurgissions âmes dans la croyance que tous les hommes étaient frères vraiment, c'est le douloureux échec de toutes nos illusions, la défaite de tous nos rêves d'amour s'étendant sur toute la terre, et, dans la plus sainte ferveur de la patrie, dans l'élan de notre âme ramassée et ne vivant plus désormais que pour la pensée qui agite la France, nous sommes pris tout entiers par l'idée de la Il
hors de la léthargie qui avait engourdi nos
;
guerre.
Nous ne parlons plus que
d'elle,
et la Méditer-
ranée et toute la nature africaine ont beau être les splendides courtisanes qui se
moquent de tout
ce qui
peut bouleverser l'âme des hommes, pour continuer à exercer leurs captivants sortilèges, ni la nature africaine ni la Méditerranée n'ont plus d'empire sur nous. Nous leur en voulons maintenant de demeurer si
le
indifférentes à tout ce qui nous
émeut
et
de dresser
superbe désintéressement de leurs cœurs, en face
de l'anxiété des nôtres. Sans doute, il faut que cela soit. La mer, le ciel, la. terre ont leurs profonds déroulements et nous passerons dans nos angoisses, dans nos indignations et
dans tous nos
sacrifices, tandis
que
tinuera à incendier la radieuse
mais aujourd'hui,
il
s'agit
le soleil
d'or con-
baie d'Alger.
Oui,
du destin même de la France,
et tous les destins s'agitent, entraînant,
dans leur tra-
gique solidarité, celui de la patrie.
Et
voici
que
la
proclamation adressée par
le prési-
dent de la République à la nation française nous parvient dans son héroïque sérénité, prête à braver tous les effets
:
«La France
qui a toujours affirmé sa volonté paci-
L'ALGÉRIE ET LA GUERRE
26
qui
fique,
a,
dans des jours tragiques,
donné à
l'Europe des conseils de modération et un vivant
exemple de sagesse, qui a multiplié ses efforts pour s'est elle-même préparée
maintenir la paix du monde,
à toutes les éventualités et a les
pris,
dès maintenant,
premières dispositions indispensables à la sauve-
garde de son
de partis,
il
et résolue.
territoire...
tout entière unie dans dignité.
Et
A
cette heure,
il
n'y a plus
y a la France éternelle, la France pacifique Il y a la patrie du droit et de la justice, le
calme, la vigilance et la
»
c'est l'annonce. de la mobilisation qui
presque en
même temps que
de Jaurès. Alors que
la nouvelle
nous arrive
de l'assassinat
pays fait appel à toutes ses en supprime une des plus généreuses et des plus grandioses. La mort de Jaurès jette un voile sur la ville ensoleillée. Ici où l'on aime, comme on dit, ceux qui parlent bien, Jaurès, aux idées de justice et de fraternelle émancipation, appaforces,
un misérable
raissait comme un
le
lui
homme au-dessus des autres hommes,
maintenant que nous le savons victime du plus odieux des crimes, dans l'éloignement où nous sommes, sa face d'apôtre et de martyr monte à notre horizon comme celle d'un dieu. et
Nos
indigènes,
pas son
nom
compter sur
comme
sur
même
les plus incultes, n'ignoraient
et ils savaient lui,
aussi qu'ils pouvaient
qui avait déjà pris leur défense,
un grand
frère qui leur tendait la
main
son affranchissement moral et politique. C'est sa mort, autant que les prochains et sanglants événements que prépare et précipite l'Alle-
pour
les élever à
magne, qui leur donne, à eux comme à nous tous, à penser que c'est la plus formidable crise qui, dans
LA NOUVELLE DE LA GUERRE A ALGER
27
monde comme
elle
quelques heures, va bouleverser
le
a déjà bouleversé les cœurs.
Dès demain, tout ville
le
monde va
être soldat.
blanche, naguère en fête par
le soleil et
Dans
la
par
les
fleurs, une âme unique se forme qui pense au salut suprême de la patrie, et cette âme, maintenant, s'exalte de plus en plus. M. Stéphen Pichon avait raison le sort en est jeté. Va donc pour la guerre, car c'est pour la plus grande et la plus belle cause qu'on se battra :
bientôt
Oh!
!
cette soirée
du
tout l'honneur, tout
I er
août où nous sentons que
le génie,
France se jouent pour jamais, dissement
même du monde
toute la lumière de la
avec eux,
et,
entier
!
le resplen-
Un frisson parcourt
tout Alger, mais c'est un frisson de résolution virile et
de mâle énergie. Chacun
président de la République
fait siennes les paroles :
«
A
cette heure,
il
du
n'y a
» il y a la France éternelle Les adversaires politiques d'hier fraternisent sans même avoir eu l'idée de se réconcilier, car vraiment, a-t-on jamais été séparé quand la patrie a besoin de l'union de tous ses fils? Et le soir tombe sur les maisons et sur les rues, le boulevard de la République conserve toute la majesté de son infinie splendeur, toute la ville, comme à l'ordinaire, semble illuminée par toutes ses maisons et âgées et éclairées les mille feux de son port paraissent, dans l'immensité, comme autant d'étoiles endormies sur le velours calme et sombre de
plus de partis,
!
;
la Méditerranée.
Toujours ce contraste entre la magnificence de l'imdu cœur de l'homme Mais, pour la première fois certainement, ce soir, on n'a pas d'yeux pour ce ciel si beau où la lune argentée
passible nature et l'agitation
!
L'ALGERIE ET LA GUERRE
2S
se balance et
pour
la
masse ondoyante des
collines
du
Sahel s'allongeant dans la nuit.
Nul ne peut demeurer chez
soi,
tous les cœurs ont
besoin de se rapprocher. Toute la ville descend dans
on se presse dans les cafés, principalement dans ceux de la place de la République et dans ceux de la rue de la Liberté. Les orchestres font entendre des airs patriotiques. Alors, comme il n'y a plus qu'une âme dans la foule, le même refrain emportant, comme un torrent, toutes les âmes, éclate dans la nuit. On chante la Marseillaise. La voix de la foule monte jusqu'aux étoiles étonnées et qui regardent tous ces jeunes gens qui chantent maintenant et qui, demain, seront des dieux parce que c'est en héros qu'ils combattront et qu'ils mourront. La foule se rassemble au square de la République. On dirait que le tressaillement guerrier des manila rue
;
festants réveille jusqu'à la vieille terre africaine endor-
mie à cette heure. Ici, c'est un lieu de vaillance et d'espérance. A la place même où s'élève le kiosque de musique se dressait autrefois la kouba de Sidi Bekta. Sidi Bekta y vivait de sa vie ascétique, quand la flotte de CharlesQuint apparut à quelques kilomètres de là. Le vieux marabout sentit renaître en lui toute son énergie pour l'indépendance de sa terre natale. Il demanda, avec ses amis Sidi Ouali Dadda et Sidi Bou Gueddour, la protection divine. Un pouvoir miraculeux anima leur croyance. Les trois saints descendirent sur la plage et en appelèrent à la fureur de la mer familière. Sidi Bekta et Sidi Ouali Dadda étaient armés de bâtons. Ils en frappèrent les flots et ceux-ci se cabrèrent. Tandis que ses deux compagnons flagellaient ainsi
LA
NOUVELLE DE LA GUERRE
A
ALGER
29
vagues écumantes, Sidi Bou Gueddour brisait des le rivage et destinés à un marchand mozabite de la rue Bab-Azoun. A chaque coup de bâton, les flots se soulevaient davantage, à chaque pot cassé s'engloutissait un navire espagnol. Le puissant empereur échouait dans son orgueilleux rêve d'hégémonie universelle. La vieille terre africaine demeurait dans la volonté farouche de son indépendance entière. Il semble que l'âme indépendante de Sidi Bekta reparaisse dans ces lieux et communique à l'âme de la foule son sublime entêtement d'aimer par-dessus tout la liberté de son pays. La Marseillaise alterne avec le Chant du Départ. Il n'y a plus maintenant d'émotion possible. Tous ces jeunes gens qui chantent ont l'exaltation du sacrifice pour la patrie et la haine irrémissible de cette Allemagne qui va s'attaquer à la France. Au-dessus de la mer mouvante, des fronts échevelés, des drales
pots débarqués sur
peaux
se
déploient,
emplissant toute la
La
foule se
et
acclamations
les
montent,
ville.
met en marche
et c'est déjà
comme
le
bruit martelé des pas de tous les régiments courant
La
foule se presse davantage, une emparée d'elle, elle n'est plus seule, elle est, en effet, avec le drapeau tricolore, c'est-à-dire avec la. France elle-même et c'est la France maintenant qu'on applaudit et qu'on acclame. La foule se dirige vers la rue d'Isly, au quartier
à la frontière.
grande
général
fierté s'est
du
XIX
8
se dresse la statue
Père de tous est
devenue
si
les
corps d'armée. Mais, sur la place,
du maréchal Bugeaud. soldats, général
dont la casquette
légendaire, tu déclaras, dans une de tes
proclamations, qu'il
fallait
que
«
le
drapeau de la
L'ALGÉRIE ET LA GUERRE
3o
France soit seul debout sur cette terre d'Afrique ». Du haut du socle sur lequel tu te dresses pour que
monte vers toi, comme un reconnaissant encens, tout l'hommage de ce sol algérien que tu fis si glorieux par l'épée et
si
vainqueur
fécond par la charrue, soldat sublime,
d'Isly, regarde
le
:
drapeau de
la
France
est seul, debout.
Ses
claquements te disent l'âme de tout ce Tu disais que tu arriver à fonder une province française »
fiers
peuple, ton cher peuple algérien. voulais
«
sur ces bords africains. Elle est fondée, cette province,
et
française
autres provinces,
et,
et
vaillante
comme
toutes les
parce qu'elle sait que tu
le
sens
dans ton âme de bronze, voici qu'elle t'acclame aussi
comme
si
tu étais vivant.
Quelqu'un monte sur ton socle, entoure ta statue de drapeaux. Ce drapeau qui flotte auprès de toi, tu le tins d'une main ferme, d'autres mains, demain, vont le tenir aussi fermement. Un vif enthousiasme s'empare de la foule. Celle-ci comprend maintenant, plus que jamais, que, pour triompher, elle a le souffle des grands aînés, tous les souvenirs de gloire comme les tiens, et aussi, quoique cette terre algérienne soit le le
née d'hier à la patrie,
elle a,
au plus haut point,
sentiment de la tradition française. Elle sait que pays auquel elle appartient ne peut pas disparaître,
mais
elle se dit
que, pour cela,
il
faut
le
défendre,
jusqu'à la mort même. Père Bugeaud, on acclame en e toi, devant ce quartier général du XIX corps d'armée,
tous
La
les soldats
de
la patrie.
devenue belliqueuse presque tous ceux qui la composent, demain même, rejoindront la caserne, mais à présent, elle veut témoigner de l'hostilité que foule est
;
NOUVELLE DE LA GUERRE
LA
A
ALGER
31
fait pénétrer en elle, elle s'est mise en marche, elle se dirige rue Michelet et conspue le consulat d'Allemagne. Le préfet Lefébure et le maire de Galland interviennent et font appel au calme patrio-
l'ennemi a déjà
tique et digne des manifestants.
La
foule rebrousse
chemin et, de nouveau, la MarMais un cri de rage sourd
seillaise se fait entendre.
de toutes
les poitrines.
vont se battre les accueillit
la
comme
concurrence et
laient faire
sa.
Ces Allemands, contre lesquels
les manifestants, la
les
France pacifique
des hôtes, et ces hôtes, déjà, par méfaits de leur commerce, vou-
conquête. Ils s'implantaient chez nous
en trafiquants audacieux où, dans l'audace,
comme une
victoire
;
ils
il
y avait
bâtissaient des hôtels, et voici
beaux d'Alger Ce soir de veillée guerrière, il érige ses hauts étages sombres comme un lourd défi et le cri de rage de la foule se précise plus encore. Cette façade d'hôtel est comme un symbole de cette insolence allemande qui prétend à la domination. On verra bien si cette domination doit l'emporter, et les manifestants se ruent contre les devantures de l'hôtel l'un des plus importants et des plus
:
l'hôtel Excelsior.
Excelsior.
On
mais de plus hauts que ceux d'un saccage d'hôtel doivent animer ceux qu'exalte la cause de la France, et les groupes se reforment plus loin, ils vont vers le consulat de Russie témoigner de leur fidélité et de leur amour envers la grande nation. De nouveau, l'hymne national retentit et les manifestants se séparent en divers sens. Toute la ville est haletante dans l'impatience, puisque le sort en est jeté, des grands événements qui doivent se succéder.
soucis
brise les vitres des fenêtres
;
L'ALGERIE ET LA GUERRE
32
A
comme un grondement
travers toutes les rues,
farouche et sourd, courent
magne, vibre
puis,
une
comme un
fois
cris
les
conspuant
l'Alle-
de plus, l'airain de la Marseillaise
écho sonore.
C'est la grande
communion dans
patriotique de toute la
ville,
mais,
même pensée comme pour les
la
prochaines attaques, on a besoin de se retrouver unis.
La
foule compacte se recherche du square, sur le boulevard de les
et se reforme. la
bureaux, pour la navigation, d'un
Heckmann dont nous avons Chacun
En
République,
nommé
face
y a Richard il
parlé.
pressentait en lui le chef de l'espionnage
allemand en Algérie maintenant, l'instinct populaire, de par les faits qui se succèdent, en a la certitude. L'exaspération s'empare de la foule, on veut détruire ces bureaux où se tramaient tous les complots. Des projectiles sont lancés contre les vitres de l'entresol, les devantures plient sous les coups redoublés, les glaces sont brisées. Les agents interviennent. Les cris redoublent c'en est fait, on est décidé à répondre jusqu'à la mort à la provocation de l'Allemagne, on ira se battre à la frontière, et le Chant du Départ se fait entendre à nouveau sur ce boulevard de la République qui domine la mer, à la balustrade duquel on s'accoude, chaque jour, pour voir les navires prendre la route aimée de la métropole, et la voix mâle des manifestants monte, grave et résolue, en ce ciel africain qui est aussi, plus que jamais, celui de la patrie ;
;
française.
III
LE JOUR DE LA MOBILISATION
Nous nous rappelons encore ce matin du 2 août 19 14. Dans la tiédeur ensoleillée qui fait d'Alger la merveilleuse
ville
blanche,
toute la population s'était
dans une ardeur incomparable. C'était le premier jour de la mobilisation. Un grand et noble orgueil semblait douer d'une vie plus nouvelle et martiale les plus jeunes, ceux à qui l'honneur était dévolu de donner l'exemple. Tous ces enfants d'hier avaient une âme qu'animaient les plus hautes résolutions. Ils n'avaient mis aucun soin raffiné à leurs personnes et, dans la .hâte de répondre à l'appel de la France, on les voyait, courant dans les rues, avec leurs paquets à peine ficelés et où ils avaient rassemblé à tout hasard les objets de première nécessité. réveillée
Devant
les casernes, stationne
une foule dense; ce
sont les parents et les amis qui ont accompagné les
premiers mobilisés et qui demeurent sur la chaussée pour affirmer qu'ils sont de cœur avec les jeunes partants.
Tous
On
les
regards se tendent vers les portails de
voit s'engouffrer sous les hautes voûtes
celles
de la caserne Pélissier, en face
le
fer.
comme
lycée,
ou
pénétrer dans l'immense cour de la caserne d'Orléans,
L'ALGÉRIE ET LA GUERRE
34
dans la
Casba, tels jeunes gens connus dont on noms. On leur sourit dans la patriotique fierté qui s'est emparée de tous à voir ces futurs combattants auxquels l'on découvre un air viril que l'invieille
se redit les
souciance des jours précédents n'avait jamais fait deviner.
Mais on ne peut s'empêcher d'une émotion profonde c'est
bien l'arrachement à la famille, c'est
:
le sacrifice
entier à la patrie qui s'accomplit, l'acceptation
du
devoir jusque dans ses conséquences les plus terribles.
Malgré nous, nous songeons aux paroles de Jouhaux, secrétaire général de la Confédération générale du Travail, aux obsèques de Jaurès « Comment trouver des mots; notre cerveau est obscurci par le chagrin et notre cœur est éfreint par la douleur. » C'est que Jouhaux aperçoit, à côté de la tombe ouverte du grand tribun, toutes celles où s'enseveliront :
des milliers d'êtres braves, vaillants et qui étaient l'avenir et l'espoir «
Nous serons
du pays. Et Jouhaux continue
les soldats
:
de la liberté pour conquérir
aux opprimés un régime de liberté comme le nôtre, pour créer l'harmonie entre les peuples par la libre entente des nations... Cet idéal nous donnera la possibilité de vaincre. >
C'est ce qui fait qu'à Alger
on considère
ailleurs,
cet
comme
à Paris et partout
arrachement à
la famille, ce
sacrifice entier à la patrie et cette acceptation
comme
les choses les plus naturelles. Il
du devoir
n'y a plus de
doute on s'est déjà habitué à l'état de guerre, et des groupes se forment où l'on discute les chances de la :
victoire.
Dans la rue de la Marine où sont les bureaux de recrutement militaire, des hommes se pressent de tous
LE JOUR DE LA MOBILISATION
comme
côtés; ce sont
35
des vagues de têtes humaines
qui s'agitent sous les arcades et tout
long de la
le
chaussée. L'exubérance de la jeunesse éclate heureu-
sement, on se reconnaît, on s'appelle, besoin de paroles d'encouragement,
n'est nul
il
résolutions
les
viriles entraînent à la gaieté. Tous ces jeunes gens qui, demain, affronteront les pires destins et dont beaucoup vont mourir, frappés par devant comme les
héros antiques, plaisantent, s'amusent et chantent. « Que viens-tu faire là, toi qui n'es pas soldat? » demande quelqu'un à son voisin qu'il sait réformé. Et l'autre lui répond d'un ton dont l'extrême
simplicité exclut d'avance toute louange
m'engager.
Sur
:
«
Je viens
»
du Gouvernement, à tous
la place
les carrefours,
sur les terrasses des cafés, on épilogue, on fraternise.
On apprend que
tous les bateaux sont réquisitionnés,
on se raconte que
ne s'arrêtent plus, que
les trains
le
télégraphe fonctionne de tous côtés, chacun est avide
de nouvelles, les cœurs s'exaltent les plus petits faits sont démesurés. Qu'importe La sincérité rend plus touchante encore :
!
vibrant patriotisme.
le
les
« Il
premiers jours, dès
y a
les
là
une âme dont, dès
premières heures, on a
dans l'air, les vibrations. » C'est l'âme même de la France, après la déclaration de guerre, et cette âme, comme affirme Edith Wharton, « c'est le magnifique élan d'un grand peuple résolu à résister à la
senti,
destruction
».
Oui, mais, après la première émotion qui, en instant,
nous a
fait surgir
fait vivre
un
tous les instants et nous a
hors de nous, au-dessus de nous, après la
flamme spontanée qui
jaillit
de notre orgueil redressé
L'ALGÉRIE ET LA GUERRE
36
en face de l'insolence allemande, après le pur enthoules foules, l'empyrée patriotique où nous avons atteint en Algérie nous sera-t-il con-
siasme qui soulève servé? et
comme on l'a
est-il vrai,
envolée ait une fin? Car
ici,
où
dit,
les
que
la plus belle
éléments
plus
les
en notre colonie qui
divers s'entre-croisent,
fut,
à
travers les siècles, le carrefour livré à tous les passants et
à toutes les races, est-ce que les mentalités mulvont reprendre chacune ses secrètes aspirations,
tiples
ses primitives tendances et vont-elles converger vers
des affinités étrangères ou hostiles à notre pays?
Le Français lui-même qui a quitté son clocher natal où dorment ses aïeux pour venir en
et la terre bénie
que le soleil parfois dessèche, ce Français que l'éloignement peut rendre étranger ou indifférent, avec le temps, aux saintes traditions et aux grands
ces lieux
souvenirs de la vieille famille métropolitaine, verra-t-il
son élan retomber
et les ailes
sur elle-même? L'Algérie
âme
de son
l'a-t-elle pris
point de ne plus se reconnaître?
C'est ce
«
se replier
tout entier au
que j'aime
un personnage de la Cina. Ce n'est pas comme en France ou ailleurs aucun clocher n'y arrête le dans le vieux monde de ce pays
:
la liberté
de l'espace
!
dit
:
regard. tient,
On
s'imagine que toute la terre vous appar-
qu'on n'a qu'à marcher devant
soi,
qu'à mar-
cher toujours... Oui, on devient des errants, de vrais
nomades d'Afrique » Et puis, le sentiment de !
la race qui dressait Vercin-
gétorix contre la puissance romaine et l'humble
de
Domrémy
fille
contre l'envahisseur sera-t-il tout à
partagé, épousé
même
par tous ces
fils
fait
d'étrangers qui,
sous l'habit du soldat français, parlent encore la langue
de leurs ancêtres? Gustave Flaubert
l'a
dit,
dans
LE JOUR DE LA MOBILISATION Salammbô, en pariant de l'Afrique du Nord
37
:
«
Il
y
hommes de toutes les nations. » Est-il donc vrai, comme Louis Bertrand le fait dire à l'un de ses personnages, qu' « il y a chez nous, comme à avait là des
toutes les époques africaines, une plèbe confuse faite
de toutes en ce
méditerranéennes, laquelle cherche
les races
moment à se
définir,
à s'affirmer
comme un peuple
homogène, » si bien, comme s'écrie un autre personnage du même romancier « ... Mais, ils ne s'intéressent à rien, les militaires Ils voient passer dans leur com:
!
pagnie des Espagnols, des Italiens, des Maltais, des Arabes, des Juifs, toutes les races composantes de l'Algérie actuelle
quelque chose
numéros Il
y a
!
!
!
Si
vous croyez que ça leur apprend
Pour eux, ce sont des
«
hommes
»,
des
»
aussi les Juifs, ces naturalisés en
v
masse du
décret Crémieux, à propos duquel, dès le 22 avril 187 1,
Gueydon, gouverneur général de l'Algérie, au président du Conseil « Cette mesure n'a pas été seulement une erreur administrative regrettable, mais encore une grande
l'amiral de écrivait
:
faute politique. D'après toutes les informations qui
me ont
parviennent, et de l'avis unanime de ceux qui le
plus d'occasions
en rapport avec
d'être
les
populations indigènes, ce décret est bien certainement
une des causes principales, sinon fection des Arabes.
la seule,
de la désaf-
»
fait assez pour les rayonnement généreux de la France, leur avons-nous, par notre sympathie et notre esprit
Ces Arabes, enfin, avons-nous
attirer
dans
le
de réformes, c'est-à-dire par notre sagesse même, fait ou bien, devant les dangers qui nous menacent, demeureront-ils les vaincus qui partager notre idéal,
L'ALGÉRIE ET LA GUERRE
38
dans
se détournent de la cause de leurs vainqueurs,
la
tentante et secrète espérance de pouvoir s'insurger?
Toute cette masse musulmane, l'avons-nous trop tenue
comme un
peuple inférieur et maintenant, venger de nos dédains hautains, en se repliant, comme en son blanc burnous, dans un éloignement où il y a de l'indifférence, en même temps qu'une attentive observation? Ah si nous allions regretter de n'avoir pas davantage associé l'indigène à notre vie nationale pour qu'il pût maintenant comva-t-elle se
!
prendre que notre cause
est la sienne et
succombe, s'éteindront avec
que
si la
France
toute force morale,
elle
toute lumière intellectuelle et toute flamme d'idéal
Une
autre pensée nous obsède
!
en 1892, dans son rapport à la Chambre des députés, sur le budget de l'Algérie,
Burdeau rappelait
:
premier devoir du musulman,
:
«
La
»
et
guerre sainte est il
justifiait ces
le
mots
par ce verset du Coran « Achevez mon œuvre, étendez partout la maison de l'Islam. La maison de la guerre est à Dieu, Dieu vous la donne. Combattez les infi:
dèles jusqu'à leur extermination. le
maniement des armes
Deux ans
est
un
Pour tout musulman,
acte de religion.
»
M. Pourquery de Boisserin, à son tour rapporteur du budget de l'Algérie, écri« A côté du clergé des mosquées, salarié par le vait gouvernement et des medersas subventionnées, existent les zaouias, qui sont en même temps des lieux de prières, des maisons hospitalières, des écoles. Là s'élève tout ce qui peut être appelé à exercer une influence dans le monde islamique de nos départements africains, iman, khodja, instituteurs, médecins arabes, après, en 1894,
:
'
tolba, marabouts. religieuse fanatique
Ils
en sortent, pénétrés de l'idée
dont
la caractéristique
dominante
LE JOUR DE LA MOBILISATION Djehad, c'est-à-dire
est le saris
paix ni trêve
L'infidèle,
c'est
la guerre sainte perpétuelle,
comme
le
39
sans merci contre
l'infidèle.
Contre lui s'ajoute la vainqueur et le maître. »
Français.
haine du vaincu contre
le
L'Algérie est au tournant le plus tragique de son histoire.
plus
savoir si
La guerre
émouvante si
son
âme
va devenir pour elle la de touche, car nous allons bat à l'unisson de celle de la France, actuelle
pierre
tous les éléments venus de tous les coins
monde malgré
se sont fondus la
dans
du vaste
de la patrie et si, l'antagonisme des
le creuset
complexité des races et
religions, la terre sur laquelle le général
planta, en 1830, le drapeau de
Valmy
est uniquement, essentiellement une Algérie française.
de Bourmont
et d'Austerlitz,
et jusqu'à la
mort,
IV LES FRANÇAIS DE FRANCE
Voici les Français de France, les
fils
— comme on
dit
ici,
—
des premiers colons, des fonctionnaires et des
soldats.
que l'Algérie a nécessité une double
C'est
conquête, par l'épée d'abord, par la charrue ensuite, et,
du
dans ce pays où tout était à créer, dans la fertilité sol ou dans la sécheresse horrible ou le marais
pestilentiel,
et
contradictoires,
parmi des populations aux intérêts a bien fallu administrer à tâtons
il
souvent, parfois dans la lumière,
si
bien que tous,
colons, fonctionnaires et soldats, ont concouru à la
même œuvre
d'une France plus grande et plus puis-
sante.
A
tous,
à remplir le
soldat,
il :
a fallu la plus haute conception du devoir
la
suprême endurance contre l'ennemi pour
contre la terre elle-même pour
contre l'erreur et l'injustice pour et c'est ce qui fait
le
le
colon,
fonctionnaire,
en Algérie toute la magnificence
de ce que la France entreprit dès 1830 et continue pour la gloire de son génie et pour le bienfait de tous.
Chacun de ces fils a hérité des qualités qui caractéBugeaud l'esprit de suite et de décision, la méthode, le pressentiment de l'avenir. Bugeaud voulait assurer en ce pays la prédominance française. risèrent
:
LES FRANÇAIS DE FRANCE
41
« Ces colons, écrit M. Victor Démontés, il les rangea un peu comme on range les soldats dans une armée leurs villages, il les plaça ainsi que des places fortes sur des plateaux peu accessibles ou des éperons mon;
tagneux d'où des
créa
il
Ou
la défense était facile.
agglomérations
dans
le
places fortes occupées par nos troupes.
bien, encore,
voisinage
des
»
Ces pionniers de la plus grande France, venus prin-
cipalement de la Provence, du Dauphiné et du Lan-
guedoc avaient l'attrait
le
goût de l'aventure et aimaient tout
du danger. Leurs descendants qui vont com-
battre sur le front ont la
mante
même
insouciante et char-
vaillance.
C'était
pour l'honneur français surtout
qu'ils s'atta-
quaient à ces terres où, selon la parole du général Duvivier, les seules colonies florissantes étaient les
acceptaient la fièvre, la faim, la misère
cimetières et
ils
et la mort.
La
terre,
comme
Saturne, dévorait ses
enfants, mais ceux-là, finalement, l'emportèrent.
Age
de fer et époque héroïque, la colonisation française a eu ses dévoués et ses martyrs. C'est pourquoi, pour tous les
fils
de ces colons sublimes,
3e sol algérien,
c'est aussi la patrie, la patrie, aujourd'hui, à la végé-
tation luxuriante, riche de céréales, de vignes et de fruits d'or, et c'est
pour
elle qu'ils
vont combattre,
car par toutes les souffrances endurées, les invincibles
espérances, les abondantes moissons et l'idéal fécond,
par toutes
les
mères vaillantes qui partagèrent tous
accablements de leurs maris, par les pères qu'aucune fatigue ne rebuta et qui dorment, tout près de là,
les
dans l'étroit cimetière, par ces ancêtres d'hier, devenus les dieux protecteurs des foyers nouvellement établis, l'Algérie s'est à jamais pétrie à l'image de
L'ALGÉRIE ET LA GUERRE
42
la
métropole
et
C'est aussi la
est devenue la France elle-même. France pour tous ces fils de soldats
qui vécurent la vie errante et fébrile sous la liberté
du grand
soleil éblouissant,
à tous
les pas. Ils
même
qui,
mais avec
les
avaient à lutter contre
le
embûches pays lui-
pour garder sa farouche indépendance, en
hérissait ses collines et transformait ses rivières
torrents.
Mais ce fut
la plus belle
épopée qu'ait jamais vécu
armée, digne des douze pairs de Charlemagne. Le clairon sonne. la
«
J'écoute ce clairon avec délices
France qui parle Ici,
!
»
écrit
:
c'est
Emile Masqueray.
l'armée a un renom légendaire, c'est l'armée
d'Afrique. C'est pourquoi tous ces Français de France, qui, demain,
s'embarqueront pour
patrie attaquée, sont, tous, les
fils
aller
des Lamoricière, et des Margueritte,
dans leur
âme
la
défendre la
des Changarnier,
—
prodigieuse volonté
car
ils
ont
de vaincre,
l'opiniâtreté hardie, l'élan, le mépris des plus affreux
en avant leurs pères sur la dans la charge, dans la fournaise et dans la mort, au point que Guillaume I er ne pouvait s'empêcher de murmurer « Oh les braves gens » Raymond Aynard écrit « L'Algérie a été, est encore
périls qui portaient plus
terre fauchée par les éclats d'obus,
:
!
!
:
une merveilleuse école d'initiative hardie et patiente, de courage et de constance pour notre armée, pour nos administrateurs, pour tous nos créateurs d'ordre et de richesse elle a formé de Bugeaud à Lyautey une famille de chefs militaires aux conceptions claires et vastes, aussi ardents aux travaux de la paix qu'ordonnés et méthodiques dans les opérations de guerre, généraux à la romaine qui ont ouvert à nos ;
LES FRANÇAIS DE FRANCE
N
armes des voies nouvelles, aussi nobles
43
et plus larges
qu'aucunes autres. Dans l'œuvre algérienne, il y a mieux que de la gloire, il y a de la vie pour la com:
prendre,
faut aimer la vie et l'action, malgré leurs
il
erreurs et leurs duretés, malgré les cruelles surprises
de la nature et
Comment et la
les
âpres luttes des races.
»
de ces créateurs d'énergie nouvelle de vie emportée et plus belle n'adoreraient-ils pas France? Ils savent qu'elle n'a pas voulu la guerre les
et que, selon le
fils
message adressé au Parlement par
le
président de la République, elle représente aujourd'hui,
une
fois
de plus, devant l'univers, la liberté, la événements
justice et la raison. Ils n'ignorent rien des
qui se passent dans la métropole.
«
Cette terre algé-
rienne, écrivait déjà Prévost-Paradol vers la fin de
l'Empire, est assez près de nous pour que le Français,
qui n'aime pas à perdre de vue son clocher, ne s'y
regarde pas des
yeux
Comme
et
comme
exilé, et
du cœur
ils
puisse continuer à suivre
les affaires
de la mère patrie.
»
triomphent, en cette heure, de la joie
la plus patriotique et la plus justifiée,
ceux qui ont
toujours prétendu que l'Algérie n'est pas, à propre-
ment parler, une colonie, mais qu'elle est le prolongement même de la France. Elle est en Europe, peut-on dire. M. Arthur Girault n'amrme-t-il pas, dans ses Principes de colonisation
et
de législation coloniales,
que l'Algérie se rapproche de l'Espagne, de l'Italie et du midi de la France par sa formation géologique, par son climat, par les productions de son sol, et M. Augustin Bernard ne nous indique-t-il pas que la limite de l'Europe est plutôt le Sahara que la Méditerranée? C'est encore M. Arthur Girault qui proclame avec raison qu'à l'histoire des civilisations qui
L'ALGÉRIE ET LA GUERRE
44
ont
fleuri
sur les bords de la Méditerranée, celle de la
Berbérie est intimement
liée.
Voilà pourquoi l'Algérie, prolongement de la France, l'Algérie, française
comme
le
sont la Provence, la
Gascogne ou toute autre province,^ relève, elle aussi, le défi de la provocation allemande. La première victoire, gage de toutes les autres, est déjà remportée. Elle l'est sur nous-mêmes, -car il n'y a plus entre nous, qui nous divisent, les discordes personnelles ou les dissensions politiques. Chacun obéit à la voix com-
mune
de la patrie, à l'appel de
la
France. Désor-
mais, nous ne songerons plus qu'à l'ennemi. C'est
M. André Houbé, député d'Alger, qui
télé-
graphie, dès le 4 août 1914, à M. Charles Lutaud, « Au moment où gouverneur général de l'Algérie tous les partis communient dans la religion de la patrie, je vous tends une main loyale, certain que tous mes amis sont déjà groupés autour du représentant de la France. » Et M. Charles Lutaud de répondre « Votre geste vous honore. J'y réponds avec empressement par une entière réciprocité. Ici, tous les Fran:
:
çais sont unis et enthousiastes...
C'est
la première
suivit
»
M. Morinaud, maire de Constantine,
qui, dès
séance des Délégations financières qui
l'ouverture
des
affirme solennellement
hostilités,
le
24 juin
19 15,
:
« Aux heures tragiques que nous vivons, nous ne pouvons échanger que de brèves paroles sur les affaires de l'Algérie. Que sont-elles dans l'horrible tourmente actuelle? Bien peu de chose. Un grain de sable sur la
plage. Aussi, nos pensées ne sont-elles point
traversent la Méditerranée,
elles
sont
ici.
Elles
d'une façon
constante près de ces vaillantes armées françaises qui,
LES FRANÇAIS DE FRANCE
45
sous la conduite d'un soldat de génie, sont en train,
avec un héroïsme surhumain, de libérer le sol national, de faire mieux encore, de défendre, de faire triompher la cause sacrée de la civilisation et de l'humanité... » Et, abordant la discussion même du budget de notre colonie, il a soin d'ajouter « Je voudrais que les :
paroles que je vais prononcer ajoutent
un anneau de
plus à la chaîne de cette union sacrée qui existe entre
tous les citoyens de France et qui doit relier plus que
jamais l'Algérie à la France.
»
Les Françaises de l'Algérie actuelle sont les nobles continuatrices de leurs aînées qui vinrent, dès le lendemain de l'occupation, partager tous les périls avec leurs frères et leurs maris. Il y a aussi l'épopée de la femme algérienne écrite avec les larmes et le sang. Mais jamais, compagne du colon-soldat, colon-soldat elle-même, elle ne se laissa abattre un seul instant. Elle aussi a fait la conquête de l'Algérie, par son courage à demeurer dans la ferme isolée, alors que la fièvre
ravageait
membres et que du lendemain.
sa
poitrine,
Elle était héroïque, cette
le
grelotter
cantinier qui, ne
le suivait
avec sa petite
âgée de dix ans, et qui trouvait avec
11 septembre 1833, dans Elle est incomparable
pidité,
cette
femme de
colonel Trumelet
le défilé
d'amour
ses
dans l'incertitude
femme de
voulant pas quitter son mari, fille
faisait
la famille peinait
lui la
mort,
de Boufarick.
solidaire et d'intré-
fermier dont nous parle
le
Toujours sur la brèche de 1836 à 1839... Quand Laurans repose, c'est à sa femme que sont confiées la garde et la défense de la ferme, et, le fusil à la main, la voilà guettant avec une patience féline, l'œil au créneau, les gourmands de son bien. » :
«
L'ALGERIE ET LA GUERRE
46
Laurans tombe un jour aux mains de l'ennemi, il est emmené prisonnier chez les Hadjouth. « En apprenant cet enlèvement, la femme de Laurans, au lieu de s'abandonner à sa douleur, sauta sur son arme et se précipita à la recherche de son mari. Elle avait déjà dépassé le fossé d'enceinte de la ville, lorsque cinq ou six colons se mirent à sa poursuite pour l'empêcher de tenter une entreprise ne présentant pour elle que des périls.
A
»
toutes ces vertus se joignent les dons les plus tou-
chants de l'âme. Ces colons qui disputent
la terre
aux
marais pestilentiels et qui vivent, avec leurs femmes, sous des gourbis faits de branchages, de roseaux et
de
paille,
pressentent dans celui-là
même
qui,
pour
assurer l'indépendance de son pays natal, ne craint
pas de
les tuer/
«
un
frère prochain, et, déjà,
ils
veulent
à eux par un dévouement sans bornes. milieu de la Mitidja, à douze lieues d'Alger,
l'attirer
Au
au delà de notre poste
le
plus avancé, s'élève une
construction récente, ouvrage de quelques Français,
admirables d'entre eux, le baron une ambulance ou hôpital provisoire destiné spécialement aux Arabes malades des tribus de la plaine et des montagnes de l'Atlas... A la fondation de cette ambulance se lie un plus grand projet
écrit l'un des plus
Vialar
:
c'est
:
de faire précéder tous les pas importants de notre armée en Afrique par des établissements semblables,
celui
afin
de ne pas maintenir seulement
les
populations
indigènes par la force des armes, mais de nous les
attacher par les bienfaits de la civilisation.
A la
cette ambulance,
sœur
même du
il
»
y a des femmes, entre autres
baron Vialar,
qui,
par leur patrio-
tique empressement et leurs soins qu'aucun mal ne
LES FRANÇAIS DE FRANCE rebute, se font déjà les
47
compagnes secourables
;
les
travaux de l'hôpital provisoire à peine terminés, en mai 1835, de dix-sept hommes, trois femmes et trois enfants. Les Françaises d'Algérie de la guerre 1914-1918, dignes de leurs sublimes devancières, n'ont pas, qui peut les abattre, le désespoir préconçu des plus formidables actions. Dès l'annonce de la mobilisation, les
hommes
ont quitté leurs faux et leurs charrues et les restées dans les fermes à la richesse ten-
femmes sont
tante par les moissons épanouies et dont l'isolement
semble emprunter à l'heure tragique qui sonne le mystère du chaos et l'angoisse du lendemain. Elles se sont mises à toutes les rudes besognes qu'exige la
devenu
terre africaine et elles conserveront ce sol
magnifique, dans l'attente patiente
et
si
résolue des
héros et des vainqueurs.
comme
leurs aînées des premiers jours de la prouvent leur solidarité à la patrie, et le prouvent aussi, comme la sœur du baron Vialar, toutes celles, mères au cœur attendri, jeunes filles dignes, par leur si sincère et fraternel dévouement, des plus beaux fiancés qui s'en vont à la guerre cueillir des lauriers, toutes celles qui, sous la haute et très noble inspiration de Mme Charles Lutaud, femme du gouverneur général de l'Algérie, de Mme Moinier, femme du général commandant en chef les forces de terre et de mer de l'Afrique du Nord, et de Mme Ardaillon, femme du recteur de l'Académie d'Alger, ont soulagé Ainsi,
conquête,
elles
tant d'infortunes et soigné tant de blessés.
A
ces
femmes
se
sont jointes toutes
les
autres,
que soient leur race et leur religion, et toutes ensemble ont montré, en cette grande crise, les émiquelles
nentes qualités de la
femme
algérienne.
L'ALGÉRIE ET LA GUERRE
4S «
le
La femme
algérienne, a déclaré
M. Charles Lutaud,
6 juin 19 16, à rassemblée plénière des Délégations
financières, a dressé
pour
les
combats de
la vie sa
robuste stature. Ce ne fut pas pour nous une révéla-
nous étions accoutumés à la voir participer aux travaux agricoles les plus ingrats. Mais nous avons vu surgir en elle, à côté des élans de son cœur, des restion
:
sources inépuisables d'énergie, des intuitions merveilleuses d'organisation, de
ment.
méthode
et
de commande-
»
Ses vertus s'auréolent
du plus pur
patriotisme.
L'Algérie a été frappée dans sa chair, dans toutes ses forces vives. C'est qu'elle a intégralement accompli
son devoir avec cette spontanéité, cette ardeur joyeuse, ainsi que s'exprime M. Charles Lutaud, qui,
—
—
en temps de paix, inspire à ses colons plus téméraires et qui, sur
le front,
les initiatives les
désigne tradition-
nellement ses zouaves et ses tirailleurs pour les plus meurtrières.
les
tâches
Les femmes d'Algérie sont au
rang glorieux de ces soldats.
Le lieutenant-colonel commandant
le 3 e
zouaves.
Le
Bouhelec, exprimant à tous ses hommes « son entière satisfaction pour leur décision, leur entrain, leur crâne c'est dans attitude au cours de l'attaque d'hier », ajoute, dans son ordre du régiment, le l'Aisne, « Aucun ne perdra de vue que les ... novembre 1914
—
—
:
mères et les femmes souffrent sans se plaindre et donnent le plus noble exemple de courage et d'abnégation à la patrie.
Puis
il
»
tient à porter
«
à la connaissance du régiment
par la mère du sergent Pavet, de la 4e compagnie, tombé au champ d'honneur ». Cette lettre est ainsi conçue
la belle lettre écrite
:
LES FRANÇAIS DE FRANCE
49
—
« 16 octobre 1914. Monsieur, nous venons d'apprendre la mort de notre fils, Paul Pavet, sergent à la e 4 compagnie. Nous savons qu'il a fait son devoir
jusqu'au bout, départ
et,
comme
qu'il n'a
il
l'a
toujours fait depuis son
pas souffert, ayant été tué instan-
tanément. «
Malgré notre immense douleur,
les détails
qui nous
ont été donnés par son ami ont un peu calmé notre angoisse et nous pensons à ceux de ses camarades qui restent. «
Je vous
prie,
monsieur, de leur distribuer
les effets
d'hiver que nous avions, nous et des amis, adressés
à ce pauvre soldat en différents parvenait un
colis
mandat de cinquante
distribuez-le, en souvenir
de
lui,
;
de
même
francs en son
s'il
nom,
à ceux qui l'appro-
chaient de plus près.
Mes
et moi confectionnons des effets pour les nous continuerons pourrions-nous vous les adresser pour votre campagne? « Paul a été, il y a quelques jours, rechercher son lieutenant sous le feu de l'ennemi afin qu'il ait une sépulture; Dieu a permis que cette charité lui soit faite à lui-même. Que sa volonté soit faite, que la France soit victorieuse et que la plus grande partie de ses enfants qui se battent rentrent dans leurs foyers, près de leurs parents si angoissés dans les terribles moments que nous traversons. « Nos vœux sont avec vous tous, ainsi que notre «
filles
soldats,
;
cœur. «
Signé
:
E. Pavet, Mondovi, près Bône, Algérie.
»
V LES NÉO-FRANÇAIS
La
place
du Gouvernement
était jadis
un
lieu
recueillement et de prière. Sur son emplacement vait,
en
comme
effet,
de
s'éle-
avant 1830, une mosquée, gracieuse
son nom, la mosquée Es-Sida, la mosquée de
dame. Les deys habitaient tout près de là, à la filles, les belles princesses aux voiles
la
Jenina, et leurs
mystérieux, venaient
le
vendredi prier à Es-Sida,
le
beau temple aux colonnes de marbre, aux voûtes dentelées et consacré à leur piété.
Aujourd'hui, un brouhaha emplit cet emplacement saint.
La
foule se presse sous les rangées d'arbres et
déborde sur la chaussée qu'encombrent les voitures et les tramways. Il y a là tous les visages du monde et toutes les expressions. Nous nous rappelons les paroles de Paul Margueritte, se promenant sur cette place
un raccourci d'humanité qui
roule, avec le
accentué des passions propres à
:
«
C'est
masque
chaque peuple,
»
de Charles de Galland C'est le carrefour où se coudoient des Européens, petits rentiers et flâneurs, des ouvriers en quête d'embauchage, des Espagnols qui, en attendant la fortune, offrent l'imprévu de leur costume national, et celles t<
:
LES NÉO-FRANÇAIS
51
hommes de Valence, de Minorque ou d'Iviça, gitanos aux cheveux huilés, des gitanes, marchandes de toilettes; des Arabes trop loqueteux, de grands chefs indigènes trop pompeux, des petits Arabes, cireurs ou marchands de journaux, effrontés, amusants et braillards, des Mauresques d'un style trop moderne, prêtresses d'un Orient facile et douteux.
Les sentiments et se heurtent ici comme
les
les
»
égoïsmes de chaque race passants eux-mêmes et ce
forum, établi au cœur du premier Alger, semble un
microscome où,
parfois, le
pur Français craint
de
voir se diluer l'idée qu'il se fait de sa patrie.
Mais, aujourd'hui,
le
murmure de cette
foule bigarrée
a quelque chose de plus rauque et de plus passionné,
de plus vif et de plus émouvant. C'est que, pour la fois peut-être, une même pensée agite tous
première
pour la première fois peut-être aussi, le drapeau qu'on aperçoit, flottant sur le sommet du Palais Consulaire, a une signification, en harmonie avec cette pensée c'est la France qui est en guerre, la France généreuse, la France hospitalière, ouvrant toutes grandes les portes de l'Algérie à ceux qui, accablés ou brisés dans leur propre pays, viennent, sur ce continent africain, chercher, en même temps qu'une nouvelle raison de vivre, la joie de l'espérance et l'attrait du bonheur. Dans tous les cœurs que l'exil, l'incertitude et la souffrance ont fait replier sur eux-mêmes, dans tout ce cosmopolitisme où régnent, d'ordinaire, l'indifférence et l'égoïsme, il y a à cette heure une émotion profonde sans doute, l'inquiétude du lendemain devenant plus particulière à chacun, mais aussi, mais surtout une émotion instinctive, communicative, faite à la fois
les esprits, et,
:
L'ALGÉRIE ET LA GUERRE
52
de reconnaissance pour la France accueillante et nouroù tous les fils de la terre, quelles que soient
ricière,
un
leur race et leur religion, ont
libre foyer, et d'in-
dignation contre cette Allemagne qui, dans son rêve
d'hégémonie universelle, prétend à tout asservissement, jusqu'à celui des exilés. Et parce qu'on respire le même air, parce que les yeux se sont familiarisés avec le même azur, surtout parce que toute la ville fut maternelle aux âmes opprimées, voici que cette foule cosmopolite entre en
communauté
d'angoisses et d'espérances,
d'enthou-
siasmes et de réflexions, avec la foule française, et c'est cela qui donne à tous la certitude que la guerre
qui
commence
justice,
est bien la guerre de la liberté, de la de la tendresse humaine elle-même contre
le droit de la force. Sans doute, nous aurons beaucoup à souffrir de quelques-uns de nos frères latins, nous serons cruellement blessés dans nos illusions, dans nos sympathies, dans nos attentes. Dans l'Oranie, que l'Espagne occupait encore quarante ans avant la conquête française, bien de tristes
l'égoïsme brutal et
racines
trouveront
un terrain favorable, bien des
bruits rencontreront de complaisantes oreilles il
n'est pas de latinité parfaite,
soleil
il
;
hélas
!
n'est pas de
sans tache!
C'est qu'ici, plus
sons
comme
le
que partout au monde, nous subis-
contre-coup direct à la
fois
de l'idée allemande,
du principe allemand, de la propagande allemande. Le plus grand romancier de l'Espagne moderne, sublime esprit qui
s'est
voué au culte de
Blasco Ibanès, nous prévient
dans
:
«
la France,
Ceux qui représentent
la péninsule ibérique les idées
de pouvoir, de
LES NÉO-FRANÇAIS force et de tradition,
—
53
les dirigeants, les prêtres,
—
ont tout de suite formé des vœux pour la victoire des armes allemandes, qui représentent à leurs yeux ce
même pouvoir,
cette
même
force, cette
même
tradi-
tion qu'ils prétendent détenir encore. Les monarchistes
voient dans
le
succès des empires centraux
ment du pouvoir royal contre
le renforce-
les "idées républicaines
représentées par la France démocratique et libérale... «
Ce que
les cléricaux
ont en horreur, ce n'est pas
spécialement la France de 19 15, c'est la France des encyclopédistes, celle des Diderot, des Condillac, c'est la
France de Voltaire. Pour eux,
essence,
un
le
Français
sainte règle de l'Église catholique et qui
l'impénitence finale.
Comment donc
pourraient-elles ne pas aller
encore
les
est,
par
être impie, toujours en révolte contre la
mourra dans
leurs sympathies
aux puissances où régnent
vertus médiévales de l'obéissance aveugle,
de la soumission à la force et du respect servile pour pour les honneurs? h
les castes et
En
—
et ainsi que l'expose encore Blasco pendant que les soldats de l'Allemagne égorgeaient systématiquement les civils belges, ses agents commençaient en Espagne une propagande « colossale » en faveur de la « Kultur ». Conférenciers et journalistes nous inondèrent de leurs feuilles mensongères et de leurs brochures tendancieuses. Il n'y eut pas de jour que, sur un communiqué de l'agence Wolf, annonçant un nouveau succès des armées impériales, les Allemands et leurs partisans ne manifestassent avec bruit, en déclarant bien haut que la France était perdue et que le Kaiser entrerait sous peu à Paris. »
outre,
Ibanès,
Or
—
«
l'Algérie est la terre bénie des prêtres et des
L'ALGÉRIE ET LA GUERRE
54
contrebandiers de la péninsule ibérique,
par eux
et,
y viennent en nombre, un sentiment hostile a été entretenu comme une flamme de sanctuaire en notre qui
même
parmi nous, les journaux germanoEspagne ont eu un cours presque constant. Les forces du passé ont allongé ici leurs colonie
et,
philes imprimés en
survivantes tentacules et ont étouffé en bien des âmes jusqu'à la simple reconnaissance de l'hôte satisfait.
Mais un bonheur immense de
féconde et du
la terre
est
en Algérie qui tient
éblouissant
ciel
ici,
;
tout
captive et tout retient. Nul ne peut plus les oublier
qui a vraiment goûté la tendresse généreuse de notre sol et toute la fraternité sincère
plus au
monde
de nos cœurs
:
il
n'est
d'autre pays que l'Algérie.
Souvenons-nous de ce passage du Sang des races : « Écoute Ramon, disait le vieux en adoucissant qui abandonne son pays renie son sang. sa voix, Et le sang ne se renie pas, vois-tu, c'est plus fort que
—
!
—
tout... les yeux farouches Qui renie son sang renie le Christ et le Christ le maudira le jour du Jugement... Entends-tu, Ramon? « Celui-ci, sans lever les yeux vers son père, répondit simplement «
Puis s'exaltant, soudain,
:
«
:
«
Non
!
»
C'est que,
comme
dit encore
Louis Bertrand,
«
cette
Afrique à demi sauvage, tous ces Espagnols la considéraient
comme
chaient les
leur conquête
champs
:
ceux de Mahon
produire, tondaient les plaines d'alfa. et
d'Alicante,
défri-
incultes, forçaient le sol aride à
avec des
efforts
Ceux de Valence
surhumains, entraî-
naient de lourds chariots chargés de vivres et de matériaux, à travers les sables
mouvants du
sud.
»
LES NÉO-FRANÇAIS
55
Ils sont venus principalement d'Espagne, d'Italie ou de Malte sur cette terre que, légendairement, ils
connaissent, parce qu'il
du monde.
grenier
Ils
y a des
siècles elle a été le
n'ont qu'à traverser la
mer
familière, cette Méditerranée toujours ensorcelante et
bleue sur chacun de ses rivages, et nul ne peut se
dépaysé en cette Algérie, à l'ouest de laquelle ceux des rives du Guadalquivir ou des bords de Carthagène et d'Alicante, par delà les flots aimés, voient croire
montagnes natales, tandis qu'à l'est, ceux du Piémont, de Naples, de Sicile et de Malte aper-
la ligne des
çoivent, émergeant de la tranquillité transparente des
eaux, les chères et
que 'dore
le
îles
qui rappellent la patrie éloignée
même
soleil.
Espagnols, dans l'Oranie, Italiens, dans
ment de Constantine,
ils
domaine qui a appartenu à la vieille terre villages,
départe-
le
reprennent possession du leurs ancêtres
;
ils
réveillent
endormie, créent des fermes et des
transforment tous
les
lieux en jardins
au
milieu desquels palpite l'âme des jets d'eau, en
champs
de verdure et de fruits où dominent toutes
les pri-
meurs,
—
et tous
ensemble, terrasssiers et maçons,
laboureurs et maraîchers, rudes travailleurs et défri-
cheurs hardis, du sol inculte ou des pierres même, font
jaillir,
comme des
les richesses,
ils
étincelles, toutes les vies, toutes
toutes les splendeurs. Grâce à leur patient
labeur et à leurs constants efforts, dans
le
triomphe
sacré de la résurrection, l'Algérie redevient de plus en
plus le grenier qu'elle a été
du temps des empereurs
romains.
Mais ce domaine dont ils reprennent possession, maintenant sous la domination de la France, à l'ombre du drapeau tricolore. Ils le savent et s'inc'est
L'ALGÉRIE ET LA GUERRE
56
clinent devant la fatalité des
que le
c'est grâce
armes
et
ils
reconnaissent
à la France qu'ils partagent avec
elle
bon pain quotidien dans l'ordre et dans la paix. Ainsi, il y a eu, dès les premiers jours, communauté
d'épreuves entre tous ces pionniers venus de nos provinces et de tous les bords de la Méditerranée,
eu fraternité dans
la douleur et
dans la
joie.
il
Et
y a les
existences se sont tellement mêlées; les cœurs ont
tellement vibré à l'unisson de
si
semblables souvenirs
;
toutes les espérances, tous les bonheurs sont pour tous
devenus
si
Alors,
menter
«
la
Français font en
pareils, qu'étrangers et
Algérie une grande et
même
famille.
puisque nous n'avons plus l'espérance d'aug-
moyen de
population française au
—
que s'exprime
la colo-
gouverneur général Louis Tirman au Conseil supérieur de gouveril faut chercher le nement, le 20 novembre 1884, remède dans la naturalisation des étrangers... Nous proposons de déclarer Français tous les étrangers nés dans ce pays, à moins que, dans l'année de leur majorité, ils ne répudient cette qualité. Ce projet, j'en ai l'espoir, nous donnera d'heureux résultats. » La loi du 26 juin 1889 est ainsi intervenue. Aux temps antiques, l'étranger était celui que ne protégeaient pas les dieux de la cité. La France de 1889, plus généreuse et plus confiante, certaine de la prédominance de son génie, convie tous ces fils d'étrangers qui ont contribué à la fertilisation de son sol et au développement de son commerce en Algérie, à s'asseoir à son propre foyer. Sans doute, il faut se rappeler ce que dit Montesquieu à propos de tous ces peuples d'Italie résolus à périr ou à être cito3*ens romains
nisation
officielle,
ainsi
—
:
le
LES NÉO-FRANÇAIS «
Rome
57
accorda ce droit tant désiré aux
n'avaient pas encore cessé d'être fidèles, peu, l'accorda à tous. cette ville esprit,
chirée
dont
le
Dès
lors,
Rome
alliés et,
qui
peu à
ne fut plus
peuple n'avait eu qu'un
même
un même amour pour la liberté... La ville déne forma plus un tout ensemble, les sentiments
romains ne furent plus.
»
Ce fut le commencement de la décadence romaine. Est-ce que la loi du 26 juin 1889 se tournerait contre la magnanime France? Mais, consultée sur le projet qui devait devenir la
de naturalisation automatique, l'École de droit
loi
d'Alger déclarait déjà en 1884 «
:
L'absorption des étrangers, bien qu'accélérée, ne
s'en fera pas
moins d'une manière progressive
:
c'est
par une sorte d'alluvion insensible que, chaque année,
au moment du tirage au sort, l'élément français s'augmentera de ces couches nouvelles. Les jeunes gens, ainsi incorporés dans notre armée, auront grandi sur notre sol, au milieu de nos compatriotes l'instruction obligatoire les aura rendus familiers avec la langue, ;
l'histoire et les institutions nationales
taire
;
le service mili-
achèvera de développer chez eux
patriotique.
D'excellents et purs Français, Soliers,
ont
le
sentiment
»
dit,
dès
le
comme M.
premier jour
Félix de
:
Ce sera une nouvelle variété de la race française une teinte plus fraîche sur la vieille uniformité du type national, et plût au ciel qu'elle pût ainsi essaimer des peuples nouveaux sur tous les points du globe, apportant avec eux, en même temps que la langue, le génie délicat et étincelant de la mère patrie, afin de lui assurer dans le monde une éternité relative. » «
destinée à jeter
L'ALGÉRIE ET LA GUERRE
5S
Oui, cette guerre de 19 14-19 18 est,
comme nous
l'avons déjà écrit, une pierre de touche.
Est-ce que l'École de droit d'Alger s'est montrée clairvoyante?
que
Est-ce
commencé chez
ces
le
sentiment patriotique
par l'instruction
néo-Français
obligatoire a vraiment achevé de se développer avec le service militaire?
Est-ce que ces naturalisés d'hier
vont, selon l'espérance de M. Félix de Soliers, assurer
à la France dans le
comment
et
où
monde une
tous ces nouveaux
Hoche
s'illustrèrent
et
éternité relative,
—
venus dans la famille
Kléber vont -ils supporter
qu'à leur patrie adoptive l'Allemagne adresse?
le défi
Nous nous en
référons à la plus haute autorité de
notre colonie. M. Charles Lutaud affirme au Conseil
du gouvernement, le 27 juin 1916 Le peuple algérien, envisagé dans toutes ses fractions, a été admirable. Son élan a été unanime; le supérieur
:
«
premier appel de
la mobilisation, qui retentit
en pleine
période de récoltes, n'a donné lieu qu'à des scènes
d'enthousiasme, auxquelles ont participé, pêle-mêle et
du même cœur, Français tion.
C'est le
d'origine et Français d'adop-
»
un
cri
de solidarité
et
d'amour qui
jour de la déclaration de guerre.
retentit, dès
Témoin
cet appel
adressé par François Hurtado, de Marnia, départe-
ment d'Oran, à «
A
ses coreligionnaires
:
l'heure tragique où les destinées de la France
vont s'accomplir, notre devoir à tous qui avons vécu sous la protection de la grande nation sœur est d'aider
dans la mesure de nos moyens notre patiie d'adoption. La reconnaissance que nous devons à la nation qui nous a accueillis, instruits et nourris sans rien exiger de nous, nous impose un devoir impérieux
LES NÉO-FRANÇAIS «
Ce devoir,
c'est
59
de payer sa générosité en nous
rendant utiles à quelque chose dans
les difficultés
l'heure présente. Présentons-nous tous en foule,
mandons des armes,
agissons
de vrais Français. Ce sera
comme si nous moyen de
le seul
de de-
étions
recon-
naître tout le bien qu'on nous a fait. Vive la France,
que le Dieu des armées soit favorable à ses armes » M. E. Sabatier, président de la section des colons aux Délégations financières, raconte dans une de ses et
!
conférences
:
Le 4 août 19 14, vers le Pons, un de ces nombreux «
soir, je
rencontrais le père
jardiniers, d'origine
maho-
naise,
qui cultivent les environs d'Alger, et qui, à
force
de sobriété, de ténacité, de labeur, se sont
implantés dans
le
pays,
y ont
fait
souche, et s'y sont
une situation modeste. Il était rayonnant, radieux. Il m'annonça qu'il venait d'accompagner ses quatre fils à la caserne. Comme je le félicitais, il me répondit simplement « Tout ce que je possède, je l'ai gagné ici, c'est la France qui m'a enrichi; il est bien juste, puisqu'elle est attaquée, que mes enfants la défendent. » A Fort-de-1'Eau, près d'Alger, il y a un très pauvre et vieux pêcheur italien, nommé Almaviva. Quatre de ses fils sont déjà partis au front et le cinquième, de la classe 17, va rejoindre la caserne. Or, un de ses enfants vient d'être tué et au maire qui lui apprend avec ménagement la fatale nouvelle, il répond d'une créé
:
voix qui, noblement, lutte contre toute émotion, et
main tremblante seulement par l'âge « C'est pour la un geste de résignation
tandis que sa esquisse
:
France » Ce sont les mères qui encouragent les fils. Mme veuve Torro, humble ouvrière de Barrai, département de !
L'ALGÉRIE ET LA GUERRE
6o
Constantine, 3
e
à
écrit
son
Emmanuel,
enfant,
zouaves, la lettre suivante, en
date du
du
14 oc-
tobre 1914 « J'ai bien reçu en son temps ta lettre et télégramme :
me
disant que tu étais blessé, ça m'a fait beaucoup de peine, ainsi qu'à toute la famille, mai? enfin, que veux-tu, il faut que tu prennes beaucoup de courage, car ici, nous avons tous confiance à ce que ça finisse par une grande victoire pour la France, notre
Nous sommes
patrie tant aimée.
aussi heureux de te
savoir en voie de guérison. Prends patience et courage,
quoique loin de
et nous,
toi
par
la distance qui
nous
sépare, nous souffrons avec toi ta douleur qui ne sera
pas longue. Sois bon pour notre chère France et reviens-nous vainqueur. »
Ce sont des mères natives d'Espagne qui deviennent dignes des plus héroïques Françaises.
Carmen Ramos
en sa langue natale, cette lettre que M. Augustin Bernard cite dans une conférence en juin 1916 « Ma peine est bien grande, car j'ai perdu mes plus chères espérances, mais je vis dans l'espoir que le sacrifice de mon fils ne sera pas inutile. Il a donné son écrit,
:
cœur à
la
patrie.
La Vierge du Carmel me donne
France
vivre, car je fils.
Bien
ne
et
vis
il
ne faut rien regretter pour la force
la
de
que pour prier pour l'âme de mon au sein de Dieu, je pense toujours
qu'il repose
à l'endroit où je pourrai aller chercher cet enfant adoré, mais je ne dois pas le pleurer, car il est mort
pour la défense du pays. Je dois me résigner, espérant que cette maudite guerre finira et qu'on me rapportera mon fils, pour que je puisse pleurer de tout mon cœur et je
me
consolerai.
Ce sont
les fils
»
qui sont dignes de la voie indiquée
LES NÉO-FRANÇAIS
61
les pères et du tendre encouragement des mères. Le zouave Vives Ginès écrit à l'un de ses amis en fin novembre 19 14 « J'ai été blessé le 8 septembre, après une journée de lutte terrible contre les Boches. Nous leur avons fait voir ce que valent les troupes d'Afrique. Tu peux croire que tous les enfants d'Alger leur ont montré ce qu'ils étaient. Ils ont montré aussi à notre belle France chérie ce que valent ses enfants d'adoption, car la moitié, parmi nous, nous sommes fils d'étran-
par
:
gers.
Nous avons voulu payer à notre
«
patrie le bien
en les adoptant sur cette belle terre d'Algérie et en leur donnant, sous ses trois couleurs, un asile pour nous élever. Maintenant la France qu'elle a fait à nos pères
peut être
fière
d'avoir de tels enfants. Il nous tarde
pour pouvoir retourner au feu. Vivent les Algériens, vive la France » Combien, pour servir cette patrie adoptive, affronteront joyeusement tous les périls C'est le cas de ce modeste ouvrier de la marine dont parle le Petit Orad'être guéris de nos blessures
!
!
nais
du 24
A...
S...,
avril 19 15
:
aujourd'hui
zouave
à
Oran,
s'abstenir de servir la France. Il n'avait,
qu'à, exciper sa nationalité l'en suppliaient.
tu
«
allais être tué?...
Tu »
cela,
Ses parents
de famille... si de répliquer « Je suis né ai gagné mon pain et celui
es marié, père
Et
lui,
à Oran, j'y ai été élevé, j'y
de
espagnole.
pouvait
pour
ma
famille.
me
suis toujours considéré
:
Je ne connais pas
ma
patrie d'origine
comme
Français. Et au moment où la France a besoin de moi que je la renierais. Ce serait une lâcheté » Puis, pour rassurer « Chacun ici-bas suit sa destinée. Si je dois les siens et
c'est
!
:
L'ALGERIE ET LA GUERRE
62
tramway
mourir, je périrai aussi bien écrasé par un
ou une automobile qu'écrabouillé par un obus. » M. E. Sabatier raconte encore « C'était un Espagnol, Sanchez, grand, élancé, des yeux de flamme, des lèvres décolorées, une petite moustache brune. A vingt ans, devenu, par suite de circonstances douloureuses, soutien unique de deux familles, il eut peur de l'avenir et, quoique né sur notre :
sol, il
de
revendiqua sa nationalité,
au régiment «
il
y a quelques années
Ses camarades, ses amis, ses parents allaient
cela.
et
en revenaient
fiers et
purifiés de l'infériorité originaire
pas d'histoires de zouaves à conter.
Il
comme
heureux,
»
;
seul,
n'avait
il
en était quelque-
fois soucieux.
Août 1914 la guerre tous s'en vont à la caserne, dans les rues, avec eux, il chante, il crie Vive la France Mais, à la porte, l'oreille basse, il lui faut faire demi-tour. Alors son cœur d'Algérien se ré«
!
!
et,
:
!
volte,
il
entre, lui
On
aussi.
l'interroge;
On
se dit
il
on zouave « Mais on apprend le subterfuge. On le renvoie on ne peut accepter que les règlements sont formels des Français aux zouaves Pas une minute d'hésitation, il va droit au recrutement, il s'engage à la légion. La légion part pour les Dardanelles. Elle aussi enfin, il va se battre Et il est admise à la gloire se bat si bien qu'on lui donne des galons de laine,
Français, l'habille,
il
il
a perdu son
est
livret.
l'incorpore,
!
;
:
!
!
;
qu'on apprend ses exploits, et qu'à Paris, sur sa demande, on va lui donner ses galons de Français. « Quelle joie il éprouvera en recevant le pli officiel que sa femme est chargée de lui transmettre Quel !
bon Français de plus
!
Avec
quelle
ardeur
il
va
se
|
LES NÉO-FRANÇAIS battre pour la France, sa nouvelle patrie
enthousiasme
triomphera avec
il
elle!...
63
!
Avec quel Le pli est
revenu non décacheté... Au verso, il y avait ces « Caporal Sanchez, mort au champ
simples mots
:
d'honneur » Et je songe à vous tous, néo-Français, fils de la terre algérienne. L'avez-vous assez aimé, par exemple, ce !
quartier Bab-el-Oued, faubourg ouvrier de notre capitale,
qui offre, étrangeté peut-être unique au monde,
cette particularité d'avoir des colonies étrangères, tiples,
çaise
mul-
indépendantes, autonomes, dans la colonie fran-
elle-même
!
Vos pères vivaient
là,
dans leurs coutumes
et leurs
traditions, pratiquant toutes les fêtes qui leur rappelaient la patrie absente et les consolaient
de leur éloignement. Alger s'agrandissait. Les hautes maisons surgissaient de jour en jour, comme si quelque fièvre d'impatience travaillait le sol pour faire de la ville une capitale encore plus grande, plus magnifique et plus riche. Vous vous intéressiez à l'essor de votre ville natale, et,
avec la florissante ascension de cette dernière, vos esprits s'ouvraient aussi à plus d'aspirations et de nobles désirs. Toute la beauté de la ville pénétrait
dans vos âmes d'alentour,
du
et,
avec
ciel,
de
elle,
la
toute celle' des choses mer, de l'horizon sans
bornes.
Vous
étiez les vivants
exemples de ces générations
ignorantes, que la longue misère des ancêtres avait
conduites à la résignation, à la privation des choses primordiales,
du cœur vers
même
de
celles
l'art et le
de
l'idéal et
de tout élan
beau. Vous étiez les rejetons
des pauvres vieilles races engourdies, qui s'éveillaient
64
dans
L'ALGÉRIE ET LA GUERRE le bien-être,
dans
le
foyer stable, dans le soleil
et la lumière.
Quel contraste, jeunes ouvriers au sang étranger et françaises, vous formiez, dans votre amnement quotidien, avec les parents âgés que la séculaire soumission à leur sort malheureux rendait encore d'esprit timide et qui, resserrés les uns contre les autres par la constante appréhension des inconnus lendemains, n'avaient pas même éprouvé le besoin de changer de langue et parlaient encore espagnol ou italien, malgré leurs années d'Algérie. Étrangers nés sur la terre française, vous secouiez la tradition des ancêtres, vous vous libériez des anciennes coutumes, vous rejetiez vos races derrière vous, et, en vous évadant, sans même vous en apercevoir, du vieil esprit de vos familles, vous brisiez tous les dieux privous deveniez mitifs. Une autre aurore vous attirait Français par tout ce qui vivait en vous, par tous les bouillonnements des sèves de votre jeunesse éprise d'un nouvel horizon et d'autres connaissances humaines, par tous les sentiments qui montaient en vous et dont, chaque jour, vous découvriez, avec des cris de joie, la
aux tendances déjà
:
sincérité profonde, la générosité sublime, toute l'éter-
L'âme française s'emparait ainsi de vos âmes, derniers fils d'une Espagne ou d'une Italie qui n'avait pas su garder ses fils, et dont le souvenir s'ef-
nelle beauté.
façait avec les générations.
Votre faubourg Bab-el-Oued subissait en même temps que vous l'impérieuse évolution des temps ses masures croulaient pour laisser place à de blanches bâtisses ses terrains vides, ce qui restait de ses champs en broussailles se couvraient de hautes maisons et se transformaient en larges rues il devenait un beau ;
;
;
LES NÉO-FRANÇAIS
65
ses harmofaubourg. C'était encore la France qui, par à marquait pierres, de entassements durs nieux et de volonté la enfance votre de berceau du chaque coin civilisation. son génie tutélaire et les progrès de sa senti que', par instinctivement pas n'aviez vous Si la grande votre humble travail, vous vous associez à
œuvre de votre nouvelle patrie, vous vous avec moins de cœur à vos rudes besognes.
seriez livré
Mais vous sentiez, vous vous assimiliez pour jamais, vous l'aimiez, Latins qui n'étiez plus que Français. Et main, vous la par pris cette France qui vous avait êtres beaux de vous de fait guidés, qui avait avait
accomplis. regretParce que vous vous saviez dignes, vous ne regards des fixité la supporter pouviez tiez rien, vous pays et si, parfois, des vieux parents attachés à leur montait à votre méans premiers vos le souvenir de de coutumes des et anecdotes des rappel si le
moire, propres demeures, l'ancienne patrie se précisait dans vos tradition des anla de sursaut final et si l'inattendu
comme une tradicêtres faisait frissonner votre sang chair même de sa tion qui ne veut pas mourir dans la dans l'âme de son âme, parce que votre évoluloin du solde tion s'était faite de par votre naissance dans votre vos aïeux, dans la fatalité de l'existence, ne pouvous pas, entière sincérité, vous n'aviez
chair,
plus
race quittée. viez pas avoir le remords de la
de vivre pour la France et vous de combattre et de étiez, suprême honneur, dignes mourir pour elle. Oh votre départ pour la frontière La Méditertransparente où ranée offrait sa surface tranquille et rayons du soleil les perdre plongeaient et semblaient se
Vous
étiez dignes
!
!t
5
L'ALGÉRIE ET LA GUERRE
66
Elle était
comme un
les collines
du
miroir
immense qu'encerclaient
Sahel, le cap Matifou et, plus loin, la
Le ciel était d'un bleu sans dans ce merveilleux azur, se dessinaient davantage les cuirassés, les torpilleurs, les paquebots,
ligne jalouse de l'horizon.
tache
et,
tous les navires sous pression prêts à lever l'ancre au
premier signal.
Toutes ces forces de la France donnaient à tout le un aspect majestueux. Quelque chose de solennel et de poignant flottait dans l'air et qui
port d'Alger
rendait plus silencieuse la foule contemplative, appuyée
à la balustrade du boulevard de la République. Tous quais étaient remplis de soldats en armes, de
les
parents venus pour les accompagner et voulant demeurer jusqu'au dernier instant près du ponton de la
Compagnie Transatlantique. Les soldats gravissaient l'étroit escalier accolé aux en montait encore, de plus en
flancs des paquebots. Il
plus, des zouaves, des tirailleurs, des spahis, des artilleurs, des chasseurs d'Afrique et des goumiers, c'est-
à-dire des
hommes
les races.
C'était la première et plus
de toutes
les religions et
de toutes
belle victoire
morale déjà remportée par la mère patrie que l'unanimité, l'enthousiasme et l'élan spontané de tous ces
musulmans, d'origine française, étranou kabyle, s'embarquant ensemble, d'un cœur, frères d'armes aux visages empreints des
chrétiens, juifs, gère, arabe
même
mêmes
résolutions.
en montait toujours, des soldats, accourus des villes, des fermes lointaines et du bled où ne vit aucun Européen. Il en montait jusqu'au plus haut des mâts, Il
grappes humaines qui, de point en point, déployaient le drapeau de la France, et c'était maintenant des
LES NÉO-FRANÇAIS
67
tout hourras qui partaient de toutes les poitrines, ciel
le
en était ébranlé.
Le roulement des tambours
se prolongeait
au
loin,
chant martial et clair les clairons éclataient et leur miroir des eaux jusqu'au faire frissonner semblait
;
perçantes comme le puis c'était la nouba, aux voix dans leur timbre si violentes armes, tranchant des de la victoire, farouche volonté la marquant net et et dont le frénécouleurs mille aux musique étrange ville entrain déchirait l'azur et criait devant la tique
loyalisme et la fidélité des ksars, des de tous les Hautsdouars, des oasis, de tout le Tell, France allait sans Plateaux, de tout le Sahara où la combattants. cesse recruter de nouveaux Babpartiez. Pères, mères, parents, amis, tout
entière
le
Vous
avait une émo-
el-Oued se pressait sur les quais. Il y particulière. Les plus tion profonde dans cette foule plus vieux, parfois, les jeunes s'efforçaient de sourire et angoisses ne pouvaient dissimuler leurs
et leur
suprême
déchirement.
Vous ne vouliez
pas, pour la dernière fois, voir vos
pour mieux vous faire entendre vous employiez, celle que d'eux, c'était leur langue que puisqu'elle avait été bien si d'ailleurs vous connaissiez disiez de n'avoir leur Vous enfance. a langue de votre pas, que trembliez ne vous vous, pas peur puisque qu'il leur en ce Allemands aux montrer vous alliez qu'il était bien juste coûterait de vous avoir dérangés, où était en jeu que vous prissiez part à cette guerre et c'était à de vieux -parents le sort du pays adoptif, italien, que vous, espagnols ou italiens, en espagnol ou français et patriotes jeunes étrangers d'hier, parliez en
parents accablés
et,
en vrais soldats de la France
!
L'ALGERIE ET LA GUERRE
6S
Mais
le
bateau
sifflait
;
une
fois
de plus,
les
s'agitaient, les acclamations retentissaient
des mâts et
du haut des boulevards
le
;
drapeaux du haut
même
refrain
emplissait la ville blanche et la rade, la Marseillaise
vous emporter vers vos nouveaux
éclatait qui allait destins.
Puis tout fut jaillir
dit.
Les amarres tombèrent, faisant
l'eau en grosses perles, les hélices tournèrent,
nouba, et tous prenant la passe, se mirent en marche
les sirènes retentirent et les clairons et la les navires,
au chant de suprême
le
la Marseillaise, mille voix, mille accents, salut,
bruyant
délirant, le suprême dans la volonté, dans de tous ces soldats si
et
à l'Algérie française,
adieu
l'apothéose et dans la gloire,
dignes de leurs frères de France. Et, tandis que la foule, après avoir répondu en agitant les chapeaux et les mouchoirs, remontait
quai ou quittait
le
boulevard,
les
du
paquebots, emportant
toutes les forces vives et tous les grands espoirs de la colonie, tournaient la jetée, dépassaient la baie,
ayant
les cuirassés à leur tête, et, près d'eux, les torpilleurs, flotte
sublime s'en allant dans la solennité du
ciel,
vers la défense de la patrie. Bientôt l'horizon se ferma
sur elle dans le silence de l'infini, dans le triomphalement, parsemait, en tous lieux,
soleil qui, l'or
de ses
rayons.
vous quittiez la belle terre immense vos yeux s'ouvraient dans l'étonnement de votre pensée nouvelle, vos âmes s'agrandissaient et se magnifiaient de tout
Pour
la première fois,
algérienne, et sur l'espace
l'azur et de toute la Méditerranée.
Lorsque vous débarquâtes sur le sol de dans le frénétique et enthousiaste
patrie,
la
mère
grouille-
LES NÉO-FRANÇAIS ment des grands quais tive
vous entraîna
bataille, la
si
69
marseillais, lorsque la
rapidement vers
le
locomo-
champ de
reconnûtes-vous selon votre rêve, cette
France qui, dans votre éloignement africain, vous paraissait le pays même de l'idéal, de la bonté et du génie, des plus admirables choses de tout l'esprit
humain? dans les regards des foules encombrant les mères tendres comme les vôtres, de ces travailleurs comme vous, de tout ce peuple, enfin, qui se dressait impatient de sacrifices, que vous voyiez l'âme admirable de la France, telle que vous l'aviez conçue. Votre rêve se réalisait. Avec quelle divine exaltation, quand le train s'arrêtait, vous fouliez la terre de France Mais le sang de la vieille race reprenait sa sourde jalousie. Toutes vos lettres, dans la suite, sans vous en douter, se ressentaient de cet état. Ce n'était pas pour la gloire du sol de vos ancêtres que vous L'ancienne tradition, sucée avec le alliez combattre lait maternel, les premiers souvenirs de votre enfance, toute la mémoire du passé se réveillaient en vous, à votre insu, dans un sursaut suprême et, dans la tranchée où la mort encerclait de toutes parts, les premiers mots appris revenaient à vos lèvres, votre pensée évoquait les vieux parents au costume national, vos cœurs, loin des vôtres, s'attendrissaient. Mais le signal de l'attaque était donné. Vous secouiez comme une poussière tous les vieux souvenirs, vous rivalisiez d'entrain, vous donniez l'exemple, vous ne craigniez rien, vous riiez au plus fort du danger. N'étiez- vous pas de ces zouaves au renom légendaire, prêts à toutes les offensives et réclamant encore plus de périls? C'était
gares, de ces
!
!
;
L'ALGÉRIE ET LA GUERRE
7o
Vous aviez
l'ivresse
complissiez, et,
pour
du devoir à
remplir, vous l'ac-
la victoire française,
giez en jurant en espagnol
ou en
italien
;
vous charet puis,
encore touchant retour des choses d'autrefois,
— —
pour charmer vos heures de repos, des cartes espagnoles, des jeux italiens que vous demandiez dans vos lettres, tant il est vrai que, pour l'homme qui va mourir, il n'est d'émouvant et de cher que le rappel des c'était,
premières années.
Mais
obus de l'ennemi fauchaient vous vous indigniez de ces massacres et une grande haine s'emparait de votre cœur, contre tous ces Allemands aux crimes prémédités, votre esprit n'était alors altéré que de justes représailles, et, maintenant dans vos lettres, ce n'était plus les demandes de cartes espagnoles, c'était la transcription de la légitime vengeance, la volonté nette de tuer plus de soldats allemands que l'ennemi ne tuait de soldats français, la décision farouche de la défense, la bataille dans son caractère le plus sacré. Vous ne désespériez les balles et les
les rangs,
pas à l'idée des reculs déjà oubliés et des tranchées perdues vous n'aviez plus en vous que l'âme de la France, et vous écriviez que la France est immor;
telle.
que votre hérédité essayât, de reprendre en vous le cœur de ses fils à jamais perdus pour la race, car il n'y avait en vous que la plus profonde sincérité et la plus grande somme des plus probes sentiments, comme si, à l'instant le plus tragique de votre vie, il vous fallait encore Il était
bon,
une dernière
il
était noble
fois,
choisir.
Mais la France était attaquée et envahie, et, après aimée dans toutes ses vertus et dans toutes ses
l'avoir
LES NÉO-FRANÇAIS
7»
et chérissiez grandeurs, maintenant vous la vénériez ravagés champs ses pour d'une incomparable affection pour ruines, ses toutes pour pour ses villes détruites,
vous accomtous ses morts. Fils de races étrangères, sublime votre même, bataille de plissiez, sur le champ élue. avaient âmes vos que patrie ascension vers la éléfrançaise si et divine cette de Pour la beauté ^
vation,
il
fallait que, la plupart,
vous mouriez
et
que
fût aussi arrosée de votre la terre de votre pays adoptif et de gloire. sang pour les futures moissons de lauriers pas Beaucoup d'entre vous ont été tués. Ils n'ont cœurs, les tous de tombes ils ont toutes les tombes, ;
honnête et
si toute la France, car leur vie si humble, souvenir que le désormais, dans si vaillante, apparaît '
nous gardons de leur mémoire,
comme
le
symbole de
par leur mort même, cette Algérie néo-française qui, place au foyer de acquiert son éternelle et définitive la patrie.
cosmopoLeur dévouement a effacé toute trace de il prouve irréfutablement, litisme en notre colonie et, multiplicité la malgré que, dans notre Nord-africain, races, il suffit du génie des sangs et la complexité des Français de tous les des faire de la France pour
Algériens.
VI LES ISRAÉLITES
Il y eut la plus profonde émotion dans notre colonie lorsqu'on lut ces mots placés au commencement du décret du 24 octobre 1870 « Les israélites indigènes des départements de l'Algérie sont déclarés citoyens :
français.
»
C'était tout
un monde nouveau qui
s'ouvrait pour
la race la plus désemparée. Les errants de la terre
que
le sort
momentanément
avait
fixés
en notre pos-
session africaine étaient enfin assurés de la patrie stable, dans la tranquillité de l'ordre et sous la pro-
tection des
lois.
Lorsque l'empereur Napoléon III avait parcouru l'Algérie en 1865, le grand rabbin d'Oran à la tête de son consistoire n'avait-il pas sollicité :
«
par
Sire, le
cinquante
mille
coreligionnaires
protégés
drapeau glorieux de la France, sans patrie
depuis bien des
sont encore aujourd'hui sans vous la demander, sire tous leurs efforts comme ceux de leurs frères de la mère patrie tendent à s'en rendre dignes. » Et le grand rabbin de Constantine n'avait-il pas siècles,
patrie. Ils osent
;
remis cette adresse collective «
Nous aimons
:
la France, notre nouvelle patrie...
.
LES ISRAÉLITES
73
Que Votre Majesté nous soumette à une fixe et
législation
uniforme, propre à nous soustraire à des inter-
prétations arbitraires, qu'Elle nous ouvre les carrières
qui nous sont encore fermées et Elle nous verra bientôt
répandre notre sang sur les champs de bataille, à côté de nos frères de France. Elle nous verra bientôt accourir partout où il faut de l'intelligence et des études
pour parvenir.
A la
»
vérité, les esprits n'étaient
pas encore préparés
à ce grand acte, l'heure était devancée et c'est la
de la vive émotion qui s'empara de au lendemain du 24 octobre 1870. Ici, tous les événements prennent la plus formidable signification. La France est en guerre et la mort plane justification
l'Algérie entière
en tous lieux. Pour être à la hauteur du péril et de l'angoisse,
il
faut avoir l'âme dégagée des ténèbres
dans une masse, victime des dans une dégradante déchéance, il n'est que l'élite, c'estet l'esprit conscient. Or,
séculaires humiliations et encore tenue, la veille,
à-dire le très petit
nombre qui
puisse aspirer à
un
des-
promesses que faisaient à l'empereur Napoléon III les grands rabbins tin meilleur et jurer les solennelles
d'Oran C'est
et
de Constantine.
du temps
seul qu'il faut attendre l'émancipa-
tion intellectuelle et morale des humbles, des miséreux,
damnés de
que l'on Nul ne doit donc s'étonner que dans le monde nouveau où on la fait tout à coup pénétrer, la malheureuse masse des des ignorants, de tous les
la vie
redresse vers la lumière et vers l'espoir.
les anciennes tares et ne atavisme et par habituelle résignation, devant l'éblouissement qui frappe soudaine-
asservis et des incultes
y porte
regrette, par lamentable
ment et vivement ses yeux, l'ombre des j ours précédents
L'ALGÉRIE ET LA GUERRE
74 Il
y a
la crainte des"
nouveaux venus,
l'effroi
des
dans ce bouleversement des êtres et des choses, toutes les imperfections, toutes les pauvretés de Tâme tâchent, une dernière fois, de reprendre le dessus. Alors, les émancipés semblent indignes de leur affranchissement et il arrive que les émancipateurs reculent devant la noblesse même de leurs .gestes timides
et,
fraternels.
Cette vérité de l'histoire, Lamartine l'a rappelée en termes immortels, le 18 juillet 1847, dans un banquet célèbre «
:
C'est la marche, c'est le flux et le reflux de l'esprit
humain. Souffrez une image empruntée à ces instruments de guerre que beaucoup d'entre vous ont maniés sur terre et sur mer, dans les combats de la liberté. Quand les pièces de canon ont fait explosion et vomi leur charge sur les champs de bataille, elles éprouvent par
le
contre-coup
un mouvement qui
même
les fait rouler
de leur détonation en arrière. C'est ce
du canon. en politique, ne sont pas autre chose que ce refoulement du canon, en artillerie. Les réactions, c'est le recul des idées Il semble que la raison humaine, comme épouvantée elle-même des que les «
Eh
artilleurs appellent le recul
bien
!
les réactions,
!
vérités nouvelles
nom
que
les
révolutions faites en son
le monde, s'effraye de sa propre audace, se rejette en arrière, et se retire
viennent de lancer dans
lâchement de tout le terrain qu'elle a gagné. » Le décret du 24 octobre 1870, établi à Tours où siégeait le gouvernement de la Défense nationale et connu sous le nom de décret Crémieux, est une révolution faite au nom de la raison humaine. La France s'effraye, en Algérie, de sa propre audace, et son plus
LES ISRAÉLITES
75
haut représentant en notre colonie, l'amiral de Gueydon, gouverneur général, de télégraphier au président
du
Conseil, le 22 avril 1871
:
Des considérations d'un ordre supérieur me portent à désirer plus vivement encore le retrait du décret de Tours, 24 octobre, relatif à la naturalisation en masse des israélites algériens. Cette mesure n'a pas été seulement une erreur administrative, mais encore une grande faute politique. » Les émancipés, avons-nous dit plus haut, semblent indignes de leur affranchissement. C'est dans cette indignité que le gouverneur général puise une force nouvelle pour tâcher de rejeter les israélites algériens dans leur obscurité première et les maintenir dans «
leurs tares originelles.
au ministre de l'Intérieur, le 4 juillet 1871 Accoutumés à vivre partout en étrangers, depuis
Il écrit «
:
leur dispersion séculaire, l'idée de patrie n'existe pas
pour eux, et jamais aucun des élans généreux qui naissent du sentiment patriotique n'entra dans l'âme d'un israélite indigène. Ils viennent prouver dans l'insurrection actuelle, où ils ont refusé de marcher en recourant à toutes sortes de mauvais prétextes, ou ceux qui ont marché en petit nombre n'ont pas voulu s'accommoder de l'ordinaire du soldat en campagne, sous prétexte que leur loi «
de
Aussi sont-ils de détestables soldats.
le
religieuse s'y opposait.
»
Or, Lamartine avait nobleFrance « Mais cela n'a qu'un jour D'autres mains reviennent charger cette artillerie pacifique de la pensée humaine et de nouvelles explosions non de boulets, mais de Fallait-il désespérer?
ment prévenu
la
:
!
L'ALGÉRIE ET LA GUERRE
76
umières, rendent leur empire aux vérités qui paraissent abandonnées ou vaincues » C'est l'éternel honneur de la France de ne pas vouloir replonger dans leur dégradante misère ceux qu'elle a appelés à sa civilisation. Aussi, demeure -t -elle fidèle à la plus haute mission qui soit, pour le bien de l'humanité, donnée au plus grand peuple. Elle a fait, de par le rayonnement seul de son génie, évoluer les sans-patrie d'hier vers l'amour de la patrie et elle leur a inculqué ces généreux élans qui, selon les justes paroles du gouverneur général de Gueydon, naissent du sentiment
J
!
patriotique.
Ce sont
les lois et les
vertus naturelles, à jamais
souveraines de la France, qui ont dominé et pétri
comme
d'une matière nouvelle l'âme juive algérienne.
Et
raison
la
«
»,
qui
est, dit-on,
«
d'essence divine
»,
notre patrie a prouvé qu'elle était aussi d'essence française en l'accordant
entièrement aux israélites
algériens par son éducation, par son instruction à pleins bords, et, parce qu'elle les a habitués à rai-
sonner, c'est-à-dire à avoir une perfection de plus en plus vaste de la pensée, elle leur a donné la vraie
conscience et la pure morale. Parce qu'elle en a fait des êtres humains, elle en a fait de bons Français. N'est-elle pas d'un
M. Abraham à son
fils,
bon Français,
cette lettre de
Zerbib, rabbin à Constantine, et adressée
soldat de l'armée de Salonique
:
un bon soldat, brave, obéissant envers tes chefs et doux avec tes camarades tu n'es plus enfant, tu es un homme puis« ...
Ce que
je te conseille, c'est d'être
;
qu'on
t'a
fait
l'honneur de t'envoyer à la guerre
défendre notre chère patrie, la France. L'honneur de toute la famille est maintenant entre tes mains,
il
faut
\\
LES ISRAÉLITES le
conserver
pour
et,
nom
porter le vice,
le
conserver,
un bon
soldat, et si tu es
il
77
faut être
un bon
soldat, tu seras digne de
de Français. Enfin, fais bien ton seril faut que tu retournes chez nous,
ton devoir
;
après la victoire, décoré de la médaille militaire et de la croix
de guerre...
»
de ceux qui étaient « accoutumés à vivre partout en étrangers depuis leur dispersion séculaire » savent maintenant lutter, souffrir et mourir pour la patrie qui les a si volontairement et Les
si
fils
et les petits -fils
généreusement,
bien voulus à «
comme
elle.
Les
la meilleure des mères, si
fils
et les petits-fils
de ces
détestables soldats qui refusaient de marcher en
recourant à toutes sortes de mauvais prétextes
»
sont
des héros et des vainqueurs.
symbole rédempteur de son antique race, cet soldat de 2 e classe au 3 e bis régiment de zouaves, Jouda ben Bourrack, qui, sur le champ de bataille, voyant son lieutenant blessé et menacé par deux Allemands, se précipite à son secours et réussit à le sauver en tuant ses deux ennemis. Lui-même faillit succomber et c'est le général en chef Joffre qui Il
est le
humble
juif,
lui attribue, le
de par cet ordre
27 février 1915, la médaille militaire « Blessé très grièvement à la poitrine :
« Ma peau France » donnant le plus bel exemple de patriotisme et d'abnégation à ses cama-
pendant «
le
cours de l'attaque, s'est écrié
n'est rien, vive la
rades qui l'entouraient.
:
!
»
non moins représentatif par son entrain patriotique, ce typographe du Petit Oranais, Moati, qui, en août 1914, écrit à sa famille « Je suis versé à la 6i e comIl
est
:
pagnie, i re section de zouaves... J'espère que vous
n'avez pas été effrayés par la déclaration de guerre.
L'ALGÉRIE ET LA GUERRE
78 Ici,
nous en sommes heureux,
il
faut en finir avec cette
sale race allemande... J'espère être bientôt à la fron-
compte pour
tière et je
ma
vraie bataille
!
C'était
part descendre quelques
me
casques à pointe... Qu'il
mon
tarde d'assister à une
rêve quand j'étais petit
!
»
Son rêve se réalise. Il est blessé et il écrit encore aux siens « J'ai bon estomac, bon pied, bon œil, et, sur la conscience, sept Alboches,ce qui ne m'empêche pas de dormir... Un éclat d'obus, au rein, huit jours de repos et on y retourne. J'ai frôlé la mort de près :
et elle
ne
me
La jeune
fait
pas peur.
»
demeure digne de en 1865, demandait à l'empereur Napoléon III la naturalisation en masse de tous ses coreligionnaires. C'est, par exemple, M. René Mesguich, sous-lieutenant d'artillerie à l'escadrille n° 12, deux fois blessé, élite
juive d'Algérie
celle qui,
décoré de la croix de guerre, de la médaille militaire,
de la Légion d'honneur et dont la citation, à l'ordre de « Officier d'une vaillance et d'un
l'armée, comporte
:
dévouement à toute épreuve. A livré dix combats aériens, au cours desquels il a abattu trois avions ennemis. Volontaire pour
les missions à
longue portée,
a exécuté, en particulier, une reconnaissance de deux cents ldlomè très dans les lignes ennemies. »
M. Edmond Benhamou, engagé médecin des hôpitaux d'Alger, cité ainsi, « Médecin chef de service à l'ordre de la division d'une haute compétence, plein d'entrain et d'énergie, a fait preuve d'un réel courage et du plus grand zèle dans l'organisation du service de santé du régiment à Verdun, parcourant lui-même tout le secteur, malgré la violence du bombardement, d'abord pour reconnaître et installer les postes de secours du régiment, C'est entre autres
volontaire,
:
LES ISRAÉLITES puis,
pour
les visiter
aux moments
7g
critiques,
donnant
à tous l'exemple du courage et du dévouement. » Ce furent de louables audacieux et de clairvoyants
que ceux qui, comme les grands rabbins d'Oran et de Constantine, demandaient que la France devînt la patrie de leurs coreligionnaires sans patrie. Malgré la défaillance même de leurs proches, ils croyaient en l'avenir et ne se laissaient rebuter par aucune critique. Ils prévoyaient que le sang des juifs
initiateurs
algériens serait courageusement, les
champs de
bataille,
un
jour,
répandu sur
à côté de celui de leurs frères n'a pas à regretter la beauté
de France, et celle-ci de son geste ni l'hospitalière générosité de son cœur. Et c'est une grande leçon d'humilité que donne l'histoire. Quand des serments sont solennellement proclamés par des collectivités entières
comme ceux que
transmettait le grand rabbin de Constantine à l'em« Nous aimons la France, notre pourquoi juger définitivement et
pereur Napoléon III nouvelle patrie,...
»
:
démentir, d'après des ressentiments politiques, des dépits personnels, des arrière-pensées ou des craintes
intimes ? les promesses jurées des consistoires d'Or an de Constantine, sans oublier celui d'Alger, l'amiral de Gueydon, ne s'en tenant qu'aux contingences momentanées et n'ayant aucune vue sur les temps qui « Les suivraient, affirmait péremptoirement encore israélites sont aujourd'hui avec nous parce que nous les protégeons contre les musulmans, mais il leur
Malgré
et
:
serait parfaitement indifférent
que l'Algérie appartînt
à toute autre nation qui les protégerait également...
»
L'amiral de Gueydon se distinguait par la droiture
de son esprit et la sincérité de son cœur.
Comme
il
se
L'ALGÉRIE ET LA GUERRE
80
déjugerait patriotiquement devant l'acte d'un Jouda ben Bourrack jurant devant la mort que sa peau n'est rien et criant
:
«
Vive la France
!
»
sous les obus et la
mitraille, car cette guerre de 1914-1918 est aussi la réhabilitation des races opprimées et méconnues C'est l'honneur des plus clairvoyants antisémites de !
reconnaître que les héroïsmes
rances
communs et les enducommunes ont supprimé toute raison d'être à
leurs particulières croyances, et c'est le plus touchant et le plus magnifique gage de l'Algérie à jamais récon-
avec elle-même, que d'entendre M. Charles de Galland, maire d'Alger, élu avec l'enthousiaste et ciliée
unanime appoint des voix antijuives, prononcer, le 15 mars 1916, sur la tombe du très jeune médecin auxiliaire israélite Edmond Timsit, mort des suites de maladies contractées aux Dardanelles et en Serbie, où il avait demandé à aller et où, dans la retraite de Stroumitza, malgré ses souffrances personnelles, il avait été jusqu'à porter des blessés sur son dos, ces éloquentes paroles, si fraternelles et bien françaises :
La
guerre que nous subissons fait des ravages dans tous les rangs et la mort frappe également le «
chef et
Mais
le
simple soldat, l'humble et l'intellectuel.
a mis fin à des malentendus qui divisaient les enfants de la France, aux haines politiques et elle
religieuses. Il n'y a plus
patrie
!
qu'un seul culte
:
celui
de la
»
Le 15 août 1916, un jeune Algérien, le lieutenant Victor Daveluy, convalescent de la terrible blessure qui mit si longtemps ses jours en danger, écrit à M. Mallebay, directeur des Annales africaines : Lorsque l'éminent professeur Morestin, « un sculpteur en chair humaine, aura terminé la recons-
—
—
\
LES ISRAÉLITES truction chirurgicale de
mon
Si
crâne, je pense venir
passer quelques jours à Alger. « Je rêver rai avec la joie que vous devinez tous ceux qui ont été des camarades dévoués et à qui je n'ai pas ménagé mon estime.
« Et, parmi eux, plusieurs sont de ces juifs à qui, avec votre coutumière impartialité, vous avez rendu un juste hommage dans votre bel article consacré à
la retraite
ont
juifs «
par
A
d'Edouard Drumont,
fait leur
devoir
car,
comme
avez-vous
dit, les
les catholiques.
ce sujet, laissez-moi corroborer votre assertion
mon modeste
témoignage, en vous contant, de
anecdotes entre beaucoup d'autres que je pourrais dire sur le même thème.
petites
«
Au
cours d'un violent bombardement, un de mes
zouave Draï, — du — reçoit un shrapneli à jambe.
compagnons brancardiers, département d'Oran, Je cours à lui pour secours
;
juif
le
la
le faire
évacuer sur
le
poste de
mais, sans s'occuper de lui-même et quoique
il ramasse un de ses camarades blessé comme l'emmène. « Dans une autre circonstance, un 150 venait d'arjuif de Consriver sur un abri. Le zouave Assoune, avait le bras affreusement déchiqueté. Le tantine, malheureux, qui souffrait horriblement, trouva ces simples mots prononcés dans le sabir que vous con« Ma lieutenant, j'y meurs ici, j'y meurs à naissez « l'hôpital, ça fait rien, j'y meurs quand même au « champ d'honneur. » « Le brave n'est pas mort, il a été amputé et on lui a donné la médaille militaire. « Puisque je suis sur le chapitre des anecdotes, encore une autre, si vous voulez bien.
boitant,
lui et
—
:
—
L'ALGÉRIE ET LA GUERRE
S2
«
je
Convalescent de ma première blessure, à Paris, trouvais un jour à la terrasse d'un café du bou-
me
levard des Italiens. Le zouave Simon, d'Alger,
—
blessé,
—
un
juif
comme moi, vint me tenir compagnie
nous parlâmes des choses de la guerre. Après que de plusieurs de ses coreligionnaires, Simon, enthousiasmé et ému, s'écria « Il n'y a donc plus de question « juive, permets-moi de t 'embrasser. » Et nous nous et
je lui eus dit la belle attitude, sous la mitraille,
:
donnâmes
l'accolade.
Cher monsieur Mallebay, après nous être donnés, nous, à la défense du pays, ce sera le rôle de tous les publiciste^ probes, ce sera le vôtre de vous consacrer à la reconstitution du pays et à la réconciliation défi«
nitive de tous les partis.
»
VII LES INDIGÈNES POUR LA FRANCE DÈS LE PREMIER JOUR
Ah
!
la douloureuse
méconnaissance des
hommes
et
des choses dans laquelle beaucoup d'entre nous ont
assombrir et désespérer leurs âmes Hélas, combien d'entre nous ont manqué de foi dans l'irrésistible attrait qu'exerce la France sur tous les cœurs et combien ont douté de la fidélité des indigènes Il semble qu'avant cette guerre de 1914-1918, nul de nous ne se connaissait en Algérie. Nous vivions trop sur les anciens et mauvais souvenirs et, parce que certaines tribus s'étaient soulevées en 1871, d'aucuns étaient portés à oublier le dévouement jusqu'à la mort de ces tirailleurs, qui semaient, à la même époque, l'épouvante dans les rangs de l'armée allemande. Pourtant le chef de bataillon Lamy avait écrit pendant l'année terrible « J'ai vu passer, se rendant au lieu d'embarquement, un de nos régiments de tirailleurs indigènes, presque tous Kabyles et Arabes arabisants. Le regard comme la tournure de ces enfants des montagnes étaient martiaux. Pleins d'enthousiasme, ils allaient, pour le sultan français, recommencer les exploits de Crimée et d'Italie. La tête de colonne, fanfare et tambours, laissé
!
!
:
L'ALGÉRIE ET LA GUERRE
84
dans les rues. Un ouvrier, sur sa porte, à ces bruits joyeux, s'écrie «Tiens, ce ne sont pas des Français, ce sont des Arabes » Et aussitôt un tirailattirait la foule
:
!
leur de tourner la tête et de s'écrier à son tour « «
Nous, pas Français?... pour le sultan »
Si,
:
nous, Français... mourir
!
Le capitaine
Villot, chef
de bureau arabe dans la
province de Constantine en 1870-1871, avait dit «
La
:
déclaration de guerre ne surprit point les indi-
gènes, habitués au succès de nos armes et ce fut avec
enthousiasme que
les turcos
opérèrent leur concentra-
tion. L'attitude des troupes indigènes
pour la France
ment
était
était tel que,
vraiment belle à
comme
s'embarquant
voir.
L'empresse-
punition, on avait eu l'idée
de mettre à l'ordre que les tirailleurs qui se griseraient ne partiraient point. Cette menace avait suffi pour les empêcher de se griser. » Et n'était -elle pas admirable, l'attitude de ce Ben Kaddour, dont un modeste monument, sur les lieux mêmes de ses exploits, rappelle la sublime vaillance? C'était au combat de Lorcy, le 26 novembre 1870. Ben Kaddour reste seul, le bras fracassé. « Il demande à un mobile blessé de charger les fusils et, de son bras valide,
il
tira,
visant juste, sur une colonne ennemie
qui s'avançait, l'arrêtant ainsi par plusieurs décharges successives. Il
fit
Le souvenir de
feu jusqu'à ce qu'il
tombât mort. » Ben Kad-
ces milliers et milliers de
dour qui ont porté la gloire de la France sur les plus lointains
du globe
aurait
dû
les
points
être la grande
le gage de la plus patriotique entente. Mais cela n'a pas suffi. Comme au conseil municipal d'Alger, M. Ladmiral « Il ne faut pas que l'on s'écriait, le 28 mars 1913
espérance et
:
LES INDIGÈNES POUR LA FRANCE
85
vienne suspecter le loyalisme des indigènes. Il me semble que ceux-ci ont assez donné de preuves de fidélité. Beaucoup sont soldats, beaucoup ont versé leur sang pour la France », M. Eugène de Redon interrompait avec emportement « On les paye pour cela » Ne nous étonnons pas de cet état d'esprit. Le 19 juin 1912, M. Albin Rozet n'avait -il pas déjà fait connaître à la tribune de la Chambre des députés « Je aois vous dire que, il y a cinq ou six mois, au début de la guerre italo-turque, on a fait dans les journaux d'Alger une campagne tellement violente contre les musulmans en général, que le gouvernement, et cela ne peut être démenti par personne, a prié :
!
:
—
—
officieusement, au point de vue de la neutralité, les journaux français d'Algérie de mettre une sourdine à leurs attaques contre les musulmans. » Malheureusement, le doute gagne aussi la métropole.
M. Georges Clemenceau, devenu, depuis, président du Conseil, s'adresse, le 10 février 19 12, à la tribune du Sénat, à M. Raymond Poincaré, alors ministre des Affaires étrangères et président du Conseil « Vous vous souvenez de l'insurrection algérienne de 1871? Vous avez maintenant allumé un foyer qui va de l'Atlantique de M. Caillaux à sa Grande-Syrie. Quant au XIXe corps, je crois que vous feriez très bien de n'y plus songer... » (M. le comte de Treveneuc « Très bien! ») M. Clemenceau « ... parce qu'il aura de la- besogne et que vous devrez ou abandonner vos colons au massacre, ce que vous ne ferez jamais, ou '
:
:
:
bien sacrifier le
XIXe
corps.
(«
Tout cela ce sont des président du Conseil » bancs.)
!
Très bien raisons,
»
sur divers
monsieur Te
L'ALGERIE ET LA GUERRE
86
C'est le Radical, de Paris, organe officiel
du parti
radical et radical-socialiste, qui affirme, le 25 juillet
19 12
:
Tout
«
Un
en Algérie, pour l'explosion
est prêt,
d'une guerre sainte.
»
autre président du Conseil, M. Monis, dit à la
tribune du Sénat, le 20 juin 1913
nous abordons
sommes
:
«
grand problème
ce
Au moment où algérien,
nous
déjà en lace d'une situation plus générale et
qui s'impose à l'attention de la métropole. La sécurité de l'Algérie est un des éléments de notre force. Une attaque de nos frontières peut avoir pour contre-coup des tentatives de troubles possibles en Algérie. » Le 24 juillet 1913, M. Georges Clemenceau récidive dans l'Homme libre : « Nul n'ignore qu'en cas de guerre nous aurions sur les bras une formidable insurrection en Algérie et au Maroc, sans parler de la Tunisie. » En fin mai 19 14, au moment même où le général
Lyautey
visite les soldats
musulmans
algériens blessés
à Taza et adresse au lieutenant indigène félicitations écrit «
pas
dans
le
pour sa
belle
Réveil de Relizane
J'espère en la victoire, qu'ici,
Ayad
ses
conduite, M. Jules Boss
et,
:
quoique âgé,
je
ne doute
en Algérie, où j'habite depuis plus de
un
pour vendre le plus dans le cas possible d'une insurrection arabe... Mieux vaudra mourir les armes à la main que de tomber entre les mains des Arabes ou des Allemands. » Le malaise, par conséquent, se précise, effrayant. D'aucuns, certains de la conquête définitive par les armes, ne croient pas à la conquête morale de l'Algérie. Quand donc pourra s'établir la réconciliation des trente ans, je prendrais
chèrement
ma peau
fusil
et celle des miens,
LES INDIGÈNES POUR LA FRANCE
87
cœurs et la fraternité des intérêts? M. Maurice Wahl, en 1889, tâchait d'expliquer « Qu'il en soit ainsi, la faute n'en est pas tout à fait ni aux indigènes ni à nous. Quand le contact a comdéjà,
:
mencé à peuples
s'établir, les
;
rien
n'était
commun
sociales, l'organisation
causes de mésintelligence et d'éloignement.
Et
entre les
mœurs, les institutions économique étaient autant de
croyances, les
»
août 19 14, la guerre éclate avec l'Allemagne, cette Allemagne qui a, depuis tant d'années, de Palesle 2
tine à Agadir, si inlassablement travaillé et agité le
monde islamique Que va-t-il se passer en Algérie? Le 27 juin 19 16, dans son discours d'ouverture au Conseil supérieur du gouvernement, M. Charles Lutaud, !
gouverneur général, rappelait
les craintes
que certains
avaient eues dès l'annonce des hostilités et avouait
qu'on ne pouvait se défendre d'un frisson rétrospectif «
En
:
pleine activité productive, en pleine fièvre
créatrice, notre
pays a été secoué par une tourmente
sans précédent. Les problèmes les plus troublants, les plus angoissants se sont subitement dressés devant nous. « Les populations autochtones, d'origine, de tempéraments si divers, envisageraient-elles sous le même angle leurs devoirs à l'égard d'une patrie dont l'idée repose sur un concept si divergent de leur mentalité et qui, jusqu'à ce jour, ne leur avait demandé qu'un respect nominal ou abstrait? « Étions-nous bien sûrs de leur avoir inculqué par notre enseignement rudimentaire, et par notre exemple, le culte d'un idéal -dont la beauté ne peut apparaître qu'à des esprits parvenus au stade le plus élevé de la civilisation? Le spectacle de nos discussions et de nos
L'ALGERIE ET LA GUERRE
88
luttes contrastant si
étrangement avec leur concep-
tion d'un régime d'autorité, ne les détournerait-elles
de sacrifice et d'amour nécessaire pour un pays menacé? Ces populations avaientelles pu résister au venin de propagande germanique dont le pays avait été pénétré par une infiltration
pas de
l'esprit
secourir
occulte et persévérante? «
On
ne peut se défendre d'un frisson rétrospectif les dangers auxquels
quand on passe en revue tous
nous étions exposés... » Mais un grand bonheur nous était réservé, surtout à nous dont l'immense fierté est d'avoir sans cesse et fermement cru au loyalisme sincère et à la haute fidélité
des indigènes d'Algérie.
Le 2 août 19 14
est affichée sur les
murs d'Alger
la
proclamation au peuple français, signée par le président de la République, M. Raymond Poincaré, et par
du Conseil, M. René Viviani Le gouvernement compte sur le patriotisme de tous les Français et sait qu'il n'en est pas un seul
le
président
:
«
qui ne soit prêt à faire son devoir.
Aussitôt
un comité indigène
l'appel suivant «
»
se
forme qui lance
:
Les indigènes sont
les
enfants adoptifs de
la
France
;
élevés à l'ombre de son drapeau, sur les bancs de ses écoles,
grandissant aux côtés des
fils
de colons,
ils
ont appris à aimer la mère patrie. « Depuis de longues années, ils ont mêlé leur sang au sang gaulois sur les champs de bataille. Frœsch-
Tonkin, Madagascar, pour le prouver. « La patrie est en danger, nous voulons lui manifester notre attachement et notre lovalisme en versant
willer, Villersexel, la Tunisie, le le
Maroc sont
là
LES INDIGENES POUR LA FRANCE
89
pour elle jusqu'à la dernière goutte de notre sang. « Les régiments indigènes vont être, nous l'espérons, les premiers à marcher. « Mais nous demandons plus encore nous voulons que les bureaux de recrutement s'ouvrent tout grands devant les nôtres, qui sont prêts à prendre ou à reprendre du service. « Un comité indigène composé de notables musulmans algériens vient de se former pour faciliter l'engagement des volontaires. « Il fait appel à toutes les bonnes volontés que ceux ;
;
qui sont prêts s'adressent à
lui, qu'ils
fassent parvenir
demandes au siège du Comité, rue de la Marine, M. Sliman Brizène. « Déjà, des demandes actives ont été faites auprès de M. le général Moinier, commandant en chef de
leurs
n° 9, chez
l'armée d'Afrique, qui connaît bien les spahis et les turcos, qu'il a «
En
si
souvent conduits à la
victoire.
avant, pour la patrie, pour la France
!
Pour le comité Mohammed Brizène, Braham ben Roudouane, Chérif-Zehar Touhami, Hamdam ben Roudouane, Hamadou Oukil, Mustapha Bouchelaghem, Ali ben Abdelkader, Larbi ben El Guedj. » Ici, les événements qui se précipitent ont leur «
:
superbe signification Ils
et la plus
révèlent hautement l'âme
admirable éloquence.
musulmane,
la lient
pour
jamais à la France, et répondent enfin de l'avenir.
Le 6 août 1914, les journaux publient la proclamasuivante du Gouverneur général, M. Charles Lutaud, qui fait allusion aux bombardements de Bône et de Philippeville, par le Gœben et le Breslau, dont tion
nous parlons plus loin «
:
Indigènes musulmans
!
Vous aimez à vous pro-
L'ALGÉRIE ET LA GUERRE
go
clamer les enfants de la France. Vous rendez hommage aux bienfaits qu'elle a prodigués dans vos tribus. Vous reconnaissez ainsi que vos destinées sont unies à celles de notre nation, vous partagez désormais ses dangers, ses aspirations, ses espérances
joies, ses
!
Musulmans, l'Allemagne nous déclare la guerre, et, honneur suprême, c'est la terre d'Algérie, votre terre natale, que vous contribuez tous les jours à rendre si o
belle et si féconde, qui reçoit les premières atteintes.
Aussi ressentirez-vous avec indignation cet acte
«
accompli par des ennemis jaloux de notre grandeur et de notre puissance.
Pourquoi
«
ont-ils choisi
pour
cible
une population
sans défense plutôt que d'aller se heurter tout d'abord à nos bataillons de fer? « Auraient-ils escompté quelque défaillance ou quelque trahison? Ce serait pour vous un sanglant ils oublieraient les paroles qu'a prononcées outrage :
votre grand prophète et dont vous vous inspirez «
Dieu n'aime pas « Il
les traîtres
!
:
»
n'en existe pas parmi vous
!
J'affirme solennel-
lement, devant tous, votre loyauté, parce que je
l'ai
personnellement éprouvée et que vous avez hérité des traditions chevaleresques de vos ancêtres.
Nos ennemis
«
feraient peur
!
ont-ils
pensé que leurs canons vous Quel musulman a
Quelle démence
!
jamais connu la crainte et la lâcheté
!...
L'état de siège est décrété sur tout le territoire
«
de la France et de l'Algérie. La République est résolue à faire respecter partout l'ordre et la sécurité. Aideznous dans cette tâche. Rendez toute précaution inutile Demeurez nos collaborateurs et nos frères et souvenez-vous que la France, à travers les siècles, !
LES INDIGÈNES POUR LA FRANCE fut toujours la nation la justice!...
De son
du
droit,
91
de la générosité et de
»
dans son message à la Chambre des le président de la République
côté,
députés et au Sénat, affirme
:
Dans
la guerre qui s'engage, la France sera énergiquement défendue par tous ses fils dont rien ne brisera, devant l'ennemi, l'union sacrée, et qui sont aujourd'hui fraternellement assemblés dans la «
même
indignation contre l'agresseur et dans la
foi patriotique.
même
»
Cette union sacrée, que certifie M. caré, s'opère aussitôt
parmi tous
les
Raymond
Poin-
indigènes et leurs ;
vieux-turbans et jeunesspontanément, du même cœur, à l'appel du gouverneur général Dès le premier jour, des manifestations de sympartis,
adverses la
veille,
algériens, se rendent
pathie se produisent et continuent plus vives et plus
nombreuses avec
les
mois
et les années.
Faut
il
en
rappeler qui se distinguent par leur noble caractère? C'est
M. Hadj-Harnmou, cadi de
la
Mahakma
d'Au-
male, qui, le 23 août 19 14, fête de l'Aïd-Seghir, convie tous ses coreligionnaires, tous les fonctionnaires civils
de la garnison à la mosquée de la prononce un mémorable discours « Louange à Dieu, à Celui qui rend puissant et aussi démoralise, à Celui qui a partagé le monde en différentes puissances, qui, selon son gré, abaisse ou élève, qui peut nuire ou être utile... « Chers coreligionnaires, je commence par vous recommander de mettre toute votre confiance en Dieu. Evitez tous troubles, ne commentez pas, ne discutez pas les ordres que vous pourrez recevoir et ne proet tous les officiers
ville et
:
L'ALGERIE ET LA GUERRE
92
pagez aucun faux
bruit...
Mes
frères,
il
nous incombe
d'aider notre gouvernement à remporter la victoire,
de
le
commune avec
défendre et de faire cause
ses
enfants, nos frères, pendant ces terribles événements,
de faire face à l'ennemi et d'y consacrer nos vies et nos fortunes. a A l'appel que nous a adressés par voie d'affiches, le 6 août 19 14, M. le Gouverneur général, appel com« Vous aimez à vous proclamer les mençant ainsi « enfants de la France... » nous répondons que cela est l'exacte vérité et que ce n'est pas par parade que nous parlons ainsi. « Oui, nous sommes les enfants de la France, nous mettons tous nos efforts dans l'exercice de nos fonctions et nous donnons au gouvernement et au pays l'assurance formelle de notre fidélité et de notre loyalisme. Nous sommes prêts à accepter gaiement tous les ordres que vous voudrez bien nous donner, à y répondre par l'obéissance la plus absolue, et, en re:
tour de notre
vaillance, à ajouter tout
notre
zèle
dans leur exécution. « Nous invoquons Dieu et formons des vœux pour qu'il repousse nos le bien de notre gouvernement ennemis et que sa gloire soit éternelle. Et tous, dans une même idée et par une même voix, crions Vive la France, vive l'Algérie, vive la République » A ces lignes d'un indigène, personnage officiel, ajouunion sacrée, celles d'un des organes les tons. plus répandus des Jeunes- Algériens, et à qui une entière indépendance permit souvent de critiquer les actes de l'administration, le Rachidi, du 28 août 19 14, et dont ;
:
!
—
le
service est
tement
:
—
spécialement
fait,
ce
jour-là,
gratui-
LES INDIGÈNES
POUR LA FRANCE
93
« L'interruption de notre journal nous a empêchés de publier plus tôt l'admirable proclamation de M. le
Gouverneur général. « Malgré que beaucoup de nos confrères aient
fait
connaître à leurs lecteurs cette proclamation, nous
croyons de notre devoir de publier également
les élo-
quentes paroles de notre Gouverneur général abonnés, qui conservent
le
;
nos
Rachiâi, auront ce précieux
document dans leurs collections. « Avec quelle joie profonde, nous avons vu M. le Gouverneur général, de sa voix autorisée, dire, bien haut, à la face du monde, le loyalisme de nos coreligionnaires «
!
C'est le fossé qui séparait les habitants de l'Algérie
à tout jamais comblé. « «
C'est la fraternité proclamée.
C'est la libération de l'Islam algérien
coup que
la
libération de
du même
l'Europe par la guerre
actuelle. « Que M. le Gouverneur général veuille bien accepter l'hommage de notre gratitude avec l'assurance de notre indéfectible dévouement. » Le peuple indigène, lui-même, tient également à exprimer d'aussi nobles sentiments. Dès le 15 août 1914, un nombreux groupe d'habitants musulmans de la commune du Camp-du-Maréchal envoie au Gou-
verneur général l'adresse suivante «
:
Vos paroles ont profondément
cœurs.
La haute
retenti dans nos
confiance dont vous nous honorez
nous touche au plus haut point. Nous en comprenons le prix, monsieur le Gouverneur général, et nous allons tâcher de nous en rendre dignes. Nous vous le promettons solennellement, devant Dieu, sur notre honneur.
L'ALGÉRIE ET LA GUERRE
94
Vous
l'avez dit nos destinées sont unies aux nous partageons désormais vos joies vos oui, oui dangers, vos aspirations, vos espérances Dans nos souffrances, dans nos infortunes, nous avons toujours senti la France auprès de nous, soulageant, encourageant Nous l'avons toujours vue attentive à (f
vôtres
:
;
;
!
î
î
notre progrès et à notre bien-être. «
C'est à notre tour de
à remplir
ici,
chacun dans
la mère patrie Nous sommes prêts
montrer à
qu'elle n'a pas obligé des ingrats. la
mesure de
devoir qu'elle attend de nous, avec la cience,
la
même
ses forces, le
même
cons-
ardeur que ceux des nôtres
qui
vont, dans les plaines d'Alsace, marcher au feu, aux côtés de leurs vaillants frères français auxquels
dévolu
le rôle
sacré de sauver la situation.
est
»
Pourquoi ces témoignages d'amour et de fidélité venus de tous côtés? Pourquoi la France attaquée fait-elle l'unanimité des cœurs et le rassemblement de toutes les énergies autour d'elle? C'est que tous les indigènes ont senti, les uns par pure compréhension, les autres instinctivement, que notre patrie accomplit ici une œuvre de très noble civilisation, qu'elle est la source de toutes les libertés et la mère de tous les droits et qu'on peut faire appel sans cesse à sa justice et à sa générosité.
C'est que, vaincus d'hier, ils ont compris que la France n'était pas une nation victorieuse comme les autres, parce qu'elle est secourable envers les malheureux et fraternelle envers les faibles, parce qu'elle ne conquiert pas pour abaisser, mais pour élever dans la sollicitude, dans l'équité, dans le progrès. C'est surtout parce que, malgré les désillusions passagères ou les désappointements inhérents, parfois, aux choses
LES INDIGÈNES POUR LA FRANCE
mêmes de
la vie,
ils
95
n'ont jamais désespéré de ses
nobles traditions et qu'ils ont la plus entière confiance
en son magnifique idéal. L'œuvre française en Algérie et qui explique
le
loyalisme dont les indigènes donnent la preuve la plus constante et de plus en plus vive, Si
Allouache,
muphti de
la
M'hamed
mosquée de Bougie,
l'a
exposée de la façon la plus haute et la plus émouvante. C'était lors d'une grande prière, dite en sa mosquée, le
18 décembre 1914, pour
soldats morts
le
repos de l'âme de nos
au champ d'honneur
et la victoire
de la
France. Si
M'hamed Allouache s'exprima en
O mes
«
frères
!
ces termes
:
Par l'expression de nos vœux pour France, nous acquitterons dans une
triomphe de la mesure la dette de reconnaissance contractée envers elle, car vous n'ignorez pas, mes frères, que c'est à elle que nous devons notre relèvement matériel
le
faible
et moral.
Depuis quatre-vingt-cinq ans qu'elle dispense dans
«
ce pays les bienfaits de son administration, elle ne s'est
jamais lassée de se pencher sur nous, de nous
tendre une main maternelle pour nous élever dans le bien-être et la dignité.
du Moghreb avant 1830? un quasi-esclavage et que tous les
Qu'étaient les indigènes
«
Des
ilotes réduits à
maux
affligeaient.
Un pâté de monts, de vallées et de plaines agrestes et peu pra«
Qu'était l'Algérie à cette époque?
ticables. «
Afin de nous apporter
les avantages de sa civiliFrance a sillonné le pays de grandes routes de chemins de fer, jeté des ponts sur les rivières
sation, la et
L'ALGÉRIE ET LA GUERRE
96
et les torrents infranchissables et établi
vigilante
pour
la sécurité
une police
de nos campagnes.
« Elle a creusé des ports nombreux sur le rivage barbaresque et créé, ainsi, pour notre pays et des
habitants, des sources intarissables de bien-être. «
Nos
abandonnées par montagnardes sans cesse divisées par les
terres, autrefois incultes et
les tribus
luttes intestines, sont aujourd'hui fécondes en produits
de toutes sortes, grâce aux instruments aratoires modernes et aux méthodes culturales dont la France les a dotées. Les chiffres, mes frères, apportent, dans ce domaine, leur haute éloquence les transactions com:
merciales, qui n'atteignaient pas cinquante millions de
francs en 1830, dépassent aujourd'hui le milliard et
demi. «
A
la faveur
de ce bien-être incontestable, la popu-
lation elle-même s'est accrue, et, dans le
même
laps
de temps, elle est passée de deux millions et demi d'âmes à cinq millions. « La France nous a apporté plus que le bien-être matériel, elle a dispensé le bien-être moral. Elle a respecté nos croyances et encouragé l'étude de notre langue maternelle autant que de la sienne. Pour nos enfants, elle a édifié des écoles pour l'étude du français et des médersas pour l'étude de l'arabe, s'efforçant par cela de nous rendre meilleurs et plus éclairés par la pratique de la morale et de la science, la science qui '
élève et ennoblit.
Devant
»
déclarations et ces purs témoignages de fidélité, qui donc ne s'inclinerait pas? La Dépêche algérienne, qui, toujours, défendit avec acharnement la cause des colons et combattit avec non moins d'âpreté l'arabophilie du Temps et de ces
solennelles
LES INDIGExNES POUR LA FRANCE M. Albin Rozet, vembre 19 14
écrit
97
dans son éditorial du 11 no-
:
« Ne doit-on pas rendre à nos frères d'armes, les Arabes et les Kabyles, ce témoignage qu'ils se sont groupés autour du drapeau tricolore au moment où il
était le plus
les
menacé? Dès l'ouverture des
hostilités,
contingents réguliers, tirailleurs et spahis, partirent
aux avec un entrain admirable. Mais il y a mieux heures d'angoisse que nous a fait vivre la retraite :
de Charleroi, des milliers de volontaires s'enrôlèrent dans les goums, sous les ordres des notables qu'ils s'étaient
donnés pour chefs
et
dont
ils
subissaient l'as-
cendant moral, souvent doublé d'une influence religieuse. Nous les avons vus, le 5 et le 6 septembre,
avant la victoire de la Marne, embarquant leurs petits chevaux nerveux, leurs paquetages de caravaniers, joyeux de cette joie sobre et grave qui distingue leur race et parlant de leurs prochaines rencontres avec les Boches en découvrant leurs dents blanches d'un rire silencieux. Depuis lors, dans les brouillards de l'Aisne, dans les marécages des Flandres, ces enfants du soleil se
sont battus terriblement, à côté des nôtres, rivalisant
d'endurance et d'audace avec les soldats de métier. La Dépêche algérienne ajoute
»
:
Cela, nous ne l'oublierons pas. » Non, nous ne l'oublierons pas. Déjà, Français et indigènes, ne sommes-nous pas devenus frères par la communauté des angoisses, des souffrances, de la joie réconfortante des combats qui nous étaient propices, et par la communauté, après les dures épreuves de trois années, du bonheur espéré de la victoire? Il y a deux nations qui, dans l'histoire et à travers «
les siècles, se
sont disputé l'empire des terres et des
98
L'ALGÉRIE ET LA GUERRE
mers et qui
se sont, sans cesse, entre-déchirées.
du péril commun et quand humaine et du triomphe de
il
s'est agi
Au
jour
de la justice
la civilisation, toutes les
haines séculaires ont disparu, et aussi les rivalités anciennes, tous les arguments, tous les obstacles. C'est la plus belle victoire
côtés de la
remportée sur
Manche que
de l'Angleterre
et
les
âmes des deux
cette fraternelle réconciliation
de la France.
Et après ce grand acte de la conscience nationale qui fît oublier noblement et patriotiquement le bûcher de Jeanne d'Arc, 'holocauste de Trafalgar, la défaite de Waterloo et le rocher de Sainte-Hélène, nous nous souviendrions que nous sommes seulement les conquérants de l'Afrique du Nord et nous appliquerions, sans cesse,
nous
î
l'inexorable loi
du plus
fort! Mais, là aussi, tous les
mauvais souvenirs d'autrefois doivent Il
disparaître.
n'y a plus sur la terre algérienne ni vainqueurs
ni vaincus
;
il
n'y a que des Français, oui, de la
France, glorieuse et adorée, au-dessus de tout pour bien de chacun de ses enfants et pour
monde
le
le
progrès du
entier Les musulmans qui tombèrent à. Wissembourg, à Frœschwiller, à Villersexel, partout où notre pays a dû combattre, le prouvèrent. Quarantequatre ans après, leurs fils, massacrés à Charleroi, ou l'emportant, pour le triomphe de leur nouvelle patrie, sur la Marne, sur l'Yser, à Verdun, sur la Somme, en renouvellent sublimement le témoignage. Eux aussi, dans l'histoire, seront les grands ancêtres devant lesquels s'inclineront pieusement tous les enfants de ce pays. Leur indomptable vaillance et leur grandiose souvenir se confondent avec ceux de leurs frères de France. La terre de la patrie commune est aussi arrosée de leur sang, et lorsque, dans les anciens !
LES INDIGÈNES POUR LA FRANCE territoires envahis, aujourd'hui libérés,
ossements sous
le
il
99
soulève des
soc de sa charrue, le laboureur ne
s'ils sont ceux d'un de ses propres fils ou d'un de ces indigènes, accourus de tous les points de l'Algérie, pour donner, dans l'oubli du passé, leur
peut distinguer
force, leur
endurance, leur
foi
même, jusqu'à
la mort,
à la nation qui, pourtant, l'emporta sur leurs pères.
Tous
ces indigènes qui
dorment leur suprême sommeil
dans la terre de France, héros anonymes et martyrs obscurs, sont les très chers, très hauts et éternels garants de leurs coreligionnaires.
Les
mêmes
deuils, les
mêmes
espérances, la
du devoir accompli habitent
et légitime fierté
même
les
mai-
sons de la métropole et les plus pauvres gourbis de
La grande tourmente
notre colonie.
fondu dans un glorieux
et
même
d'avenir
est passée qui a
creuset de larmes, de sursaut
fécond,
toutes
les
âmes,
et,
désormais, nous faisons confiance aux indigènes d'Al-
comme à des frères ayant même idéal que nous.
gérie, et le
Et lisme
c'est
pour
les
mêmes
aspirations
sanctifier patriotiquernent ce loya-
musulman que nous
allons plus particulièrement
parler des chefs indigènes, des jeunes Algériens, des
muphtis, des marabouts, du peuple indigène, car tous, chargés d'honneurs ou esprits d'extrême indépendance,
ou personnages religieux, humbles ou dans les agitations des assemblées, dans le recueillement des mosquées, dans la tendresse des chères zaouïas et jusque dans la pauvreté des douars éloignés,^montré qu'ils étaient nos égaux et nos semblables par la dignité de la pensée au milieu de la guerre, par la fidélité du cœur et par l'inaltéclergé officiel
ignorants, ont,
rable
amour envers
3a France.
VIII LES CHEFS INDIGÈNES
La France
n'a pas cru
bon jusqu'à
ce jour, en ce
qui concerne l'organisation administrative des indigènes, de porter une modification fondamentale à ce
qui existait avant sa conquête de 1830. Elle a laissé subsister le régime des grandes familles et, dès la
première
heure,
sur
pour étendre
elles
exclusivement
s'est
elle
et
maintenir
appuyée
sa prépondé-
rance.
Dans
cette absence
totale de corrélation directe
entre la France et le peuple indigène, les chefs de ces
grandes familles sont devenus
les indispensables inter-
médiaires et c'est encore par
hérédité que le plus
souvent se transmettent certains pouvoirs,
— comme
—
les plus
ceux de bach-agha, d'agha ou de caïd. C'est aussi parmi eux que sont choisis les membres de 'nos principales assemblées, telles que les Délégations financières et le Conseil supérieur du gouvernement. Ce système peut avoir ses avantages. L'administration d'un peuple dont les traditions diffèrent totalement de celles d'un conquérant, et aussi les lois et les coutumes, est ainsi plus immédiate et plus facile, elle ne trouble pas les habitudes des indigènes et leur importants, surtout,
LES CHEFS INDIGENES' offre
même
101
des garanties de continuité dans les façons
de penser et de vivre. Mais ce pouvoir, conservé aux chefs de ces grandes familles, peut parfois se retourner contre le pays qui le perpétue et, par là, le fortifie avec le temps. A la voix de ces chefs, aux heures troubles de l'histoire, le peuple s'insurge et c'est une nouvelle conquête, encore plus âpre, parce qu'inattendue et répétée, que la France
doit poursuivre. Si ces chefs
ne sont pas des esprits que l'amour de
l'indépendance pousse jusqu'à la révolte, on peut craindre que, dans leur complet ralliement, ils ne deviennent trop les instruments dociles du pays vain-
queur. Pour plaire à ce dernier et mériter un traitement toujours grandissant d'honneurs et de faveurs, ils
peuvent abdiquer toute personnalité,
s'incliner con-
tinuellement devant tous les désirs de l'administration, et d'aucuns,
de par leur complaisance, ont pu
se voir qualifier de cette épithète de
«
Beni-oui-oui
»,
de celui qui répond toujours affirmativement, grâce à son extrême docilité. Mais, là encore, un danger peut être latent et sourd et éclater à l'occasion la plus propice. Ce renoncement de toute conscience et cette spontanéité à se faire immanquablement les agents de toutes les mesures, parfois, ne sont qu'apparentes et les protestations de fidélité dissimulent habilement bien des rancœurs et c'est-à-dire
cachent, sous leurs brillants dehors, bien des ferments
de haine. Ainsi, pays vainqueur et grands chefs du peuple vaincu se mentent dans leurs réciproques témoignages de confiance, et ce qui est bien plus mutuel, c'est le
caractère méfiant qui subsiste en secret au fond de
L'ALGERIE ET LA GUERRE
io2
tous les actes. Seuls, de graves événements peuvent arracher tous voiles et mettre les cœurs à nu. alors
ouvertement prendre
parti, car
il
Il
faut
y va même de
toutes les aspirations intimes., de toutes les arrièrepensées, de l'avenir tel qu'on l'avait entrevu dans
de son rêve ou dans la préparation réfléchie de son plan demain, il sera trop tard. Or, l'Allemagne a flatté par une insidieuse et pénétrante propagande jusqu'aux plus folles tendances d'un islamisme irraisonné, elle a eu la prétention de s'ins-
l'élan
:
de ceux qui, de par le que devant le croissant, elle leur indépendances et a mis à leur ser-
tituer la puissante protectrice
monde, ne
s'inclinent
a promis toutes les vice sa poudre sèche et sa pointe aiguisée.
L'occasion est donc la plus favorable,
s'il
est
en
Algérie de grands chefs indigènes qui veulent renouveler les tentatives de certains anciens bach-aghas.
Mais qui a donc douté de leur loyalisme
et
de leur
fidélité?
et
Le temps n'est plus aux déshonorantes duplicités aux lâches trahisons. Toutes ces grandes familles
indigènes se distinguent à travers l'histoire par leur esprit chevaleresque, et, de l'heure
où
elles
ont cons-
taté que l'idéal de la France est en harmonie avec leurs nobles sentiments, elles ont le profond respect
des paroles données.
Leur honneur, durant cette guerre de 19 14-19 18, de prouver la sincérité de leur ralliement à la cause
est
française, et, dès le premier jour des hostilités, elles se
sont, indéfectiblement et
du cœur
le
plus
vif,
groupées
autour du Gouverneur général de l'Algérie. Si
plus
Eddin, bach-agha des Ouled-Sidi-Cheik, une des hautes figures musulmanes du Sud-Algérien,
LES CHEFS INDIGÈNES n'avait-il pas d'ailleurs certifié
103
au Gouverneur général
de l'Algérie, le 5 avril 1912, et devant MM. Etienne et Thomson, députés de notre colonie « Nous sommes les :
enfants de la France, prêts à mourir pour le
commandera
elle
quand elle
»?
M. Ali Mahieddine, membre du Conseil supérieur de gouvernement, président des Délégations financières, section arabe,
n'avait-il pas,
dans la séance
du 23 juin 19 14, que M. Charles Lutaud demandait
plénière des Délégations financières
expliqué, alors
que la contribution de l'Algérie dans les dépenses militaires de la France fût portée à quatre millions « Si j'ai demandé la parole, ce n'est pas pour venir discuter le quantum de la contribution que nous demande la mère patrie, c'est uniquement parce que je tiens à faire une déclaration, qui est, soyez-en convaincus, l'expression véritable du sentiment des indi:
gènes. «
Cette déclaration est que, lorsque,
comme
rappor-
du budget et président de la Délégation des indigènes, j'ai demandé à mes collègues s'ils étaient teur
somme de cinq millions que la France fait la moindre observation. Au Ils se sont tous élevés pour dire Comment
d'avis de voter la
demande, pas un n'a contraire
!
:
!
vous voulez qu'on discute cette demande et qu'on dise à la France, notre patrie d'adoption, que nous ne voulons pas lui donner de l'argent, quand elle nous en demande ? Cela n'est pas possible « Quelques-uns sont même allés jusqu'à faire observer qu'il existe un proverbe arabe qui dit que le serviteur et sa fortune appartiennent à son maître. Ils ont con!
sidéré la le
mère patrie comme un véritable maître,
cas d'appliquer ce proverbe, et
ils
c'est
ont ajouté
:
L'ALGÉRIE ET LA GUERRE
io 4 «
Elle a besoin de notre concours, nous ne
v
le lui refuser. «
pouvons pas
»
Puis, sans discussion, on a vcté les cinq millions.
iVujourd'hui, nous n'avons qu'un regret, c'est celui de
nous rallier à la proposition de l'administration qui propose une diminution sur ce que nous avions voté, nous voterons donc les quatre millions. Sans cela, nous aurions maintenu notre vote de cinq millions. » C'est aussi la mobilisation des cœurs indigènes qui s'opère durant la première quinzaine du mois d'août 19 14. Les grands chefs indigènes, gens de courage et de poudre, organisent ces goums qui vont attester, sur le sol même de la Belgique, que les musulmans d'Algérie veulent, eux aussi, participer, sous l'égide de la France, à la libération des peuples opprimés. Faut-il citer des
noms?
L'agha Djelloul ben Lakhdar, de la Confédération des Larbâa, fils de l'illustre bach-agha Lakhdar, compte parmi les membres de sa famille un très grand nombre d'engagés volontaires, dont son fils, Belgacem, adjoint indigène du douar Ighoud, à Teniet-el-Haad, et luimême va sur le front prendre sa part des tragiques événements et toujours encourager ses coreligionnaires à plus d'action et plus d'entrain, tandis que son autre fils,
Daillis, caïd des caïds des
goum
Maamra
(Laghouat),
Sud Oranais, alors qu'il a déjà participé à l'expédition du Maroc. Le frère de l'agha Djelloul, El Hadj Ben Aouda, caïd des caïds des Larbâa de l'Ouest, ancien officier qui a fait la campagne de Tunisie, devient le chef du convoi qui va jusqu'à Fort-Flatters, à la frontière tri-
prend
la tête
d'un
qui va dans
le
politaine.
Un
autre descendant de cette illustre famille, Lakh-
LES CHEFS INDIGÈNES
105
dar ben Hamza, caïd des Mekalif Lazereg, part au comme lieutenant de spahis.
front
L'agha Ben Chérit, d'Aïn-Mâabed, près de Djelfa, a son
fils
aîné
aux armées,
le
caïd
Ben
Chérit, lieute-
nant de spahis.
Le caïd Yahia Taouti, de Tadjmout, près de Laghouat, donne aussi son fils aîné à la France, ainsi que le caïd de Laghouat Cheikh-Ali. Le caïd des Brarcha donne cinq membres de sa famille, dont son le caïd des Allaouma, Si Ferhat fils Si Ahmed Lakhdar ben Ahmed Chaouch, donne trois membres, dont son neveu, Si Cherif ben Tlemç.ani, qui fit déjà la cam;
pagne du Maroc. M. Mohamed ben Abdesselam, fils du caïd Gaba ben Brarcha, s'engage également et l'avocat Méhana, fils de l'adjoint indigène du douar des Aït-Itichem (Kabylie), part avec les camarades français de sa classe. Le caïd Ourabah Abderrhamane, ne pouvant s'enrôler à cause de sa santé débile, fait partir dans les spahis auxiliaires son fils unique qu'il aime par-dessus tout et cet exemple de sacrifice stimule toutes les familles notables de sa région, celle de la Soumman. On voit le chef des Oulad Chamokh, du cercle de Tébessa, insister, malgré son grand âge, pour partir avec trois de ses fils. L'adjoint indigène de Zarza, commune mixte de Fedj-M'zala, ancien lieutenant de tirailleurs et officier de la Légion d'honneur, demande à reprendre du service.
L'agha Boudiaf Seddik, de M'Sila, a constitué un dix membres de sa famille sont attachés. L'un de ses fils, sous-officier, écrit à l'un de ses frères, en octobre 19 14 « Tu nous recommandes du courage. Je pense que tu ne doutes pas de notre courage et de
goum auquel
:
L'ALGERIE ET LA GUERRE
io6
notre dévouement pour la France. Nous marcherons au
combat, décidés à vaincre ou à mourir... » et, à la même époque, M. Ali Ou Rabah, caïd de Dra-Larba, qui, bien qu'il atteigne la soixantième année, est parti pour la frontière à la tête du goum d'Oued-Amizour, écrit au chef de sa famille :
«
Confiance, courage, bravoure, voilà ce qui domine
Tu peux compter sur moi et sur nous tous morts ou vivants, tu peux porter la tête haute, carie nom de la famille Ou Rabah, que tu représentes, sera dignement porté. Enfin, tu peux dire que tu as envoyé, pour défendre la Patrie, des lions... Je sais que vous pensez à nous, mais ici, je te l'avoue, nous ne pensons qu'à sentir la poudre... » Faut -il citer les membres de la célèbre famille des Ben Gana, Si Abdelaziz ben Gana, que son ardeur entraîne toujours plus loin, ou le caïd Si Ali ben Gana dont l'irrésistible ascendant sur tous ses soldats fait que ceux-ci le suivent au plus fort des périls ? Faut-il citer encore l'agha Sahraoui ben Mohamed, ici...
membre
;
des Délégations financières et du Conseil supé-
rieur de gouvernement, en la personne duquel le
Gou-
verneur général de l'Algérie saluait, le 7 juin 1915, « l'incarnation même de ce loyalisme et de cette bravoure indigène qui auront été pour nous une source joie dans la guerre actuelle ». Mais écoutons M. Charles Lutaud « Dès que retentit le premier appel de la patrie, l'agha Sahraoui sentit bouillonner en lui les ardeurs de sa jeunesse, réchauffée par cet amour de la France dont il nous a donné les preuves depuis de longues années. Il prit le commandement d'un escadron de spahis recrutés par ses propres soins. Je copie textuellement
de
:
LES CHEFS INDIGÈNES
[07
Depuis le début de la montré un vrai chef « indigène tant par son commandement, son tact et sa « tenue que par sa noble attitude au feu, tout partier octobre, le « culièrement à Douai, le I 9, à Berles« aux-Bois et le 19 à Schudeberg, au nord deBovekerke. « Dans ces circonstances, se trouvant en reconnais« sance avec son escadron, est resté sous le canon et « sous une vive fusillade, avec le plus grand calme et « la plus belle indifférence, exécutant les ordres de « son colonel, qui, très audacieusement, ramenait sous « un feu nourri des troupes en retraite. » Avec quelle grandeur d'âme s'est manifestée la générosité de ces chefs indigènes Ils ont voulu courir à la défense de la France et ils l'ont fait dans le plus haut esprit de désintéressement. Tous les goums qu'ils ont levés l'ont été à leurs propres frais et c'est sur les étendards de ces compagnies, inconnues avant la guerre présente sur les champs de bataille européens, qu'ils ont inscrit l'ardeur qui les anime. C'est ainsi que l'étendard des goumiers de Khenchela porte l'inscription suivante « République Française. Goum de la commune mixte de Khenchela, département de Constantine. Dieu accorde la victoire aux soldats français et à leurs frères musulmans. Amen. » Sur celui des goumiers de Bou-Saâda, on lit la célèbre inscription « Le succès vient de Dieu l'appréciation de ses chefs «
:
campagne, l'agha Sahraoui
«
s'est
!
:
—
—
—
:
et la victoire est proche.
»
Ceux qui restent témoignent des plus
sincères sen-
timents, et ceux-ci sont traduits dans la lettre que le
cadi d'Aïn-Bessem, M.
Bou Djemia,
sénateur Henry Bérenger « Il
y a longtemps que
adresse à M. le
:
je n'ai
eu de vos nouvelles
et,
L'ALGÉRIE ET LA GUERRE
ioS
dans cette période troublée que traverse actuellement manquerais à tous mes devoirs de ne pas
la France, je
demander des
vôtres.
Nous sommes
vous, et nous formons des
ici
vœux pour
tous
comme
la réussite sûre
et certaine des opérations françaises. «
Cette noble et grande nation qui fait l'admiration
de toutes
les
puissances par son esprit
de bonté,
d'équité et de droiture ne peut que. sortir victorieuse
de cette guerre. C'est notre vœu, à tous, musulmans, compter sur ses enfants d'adoption. « Ce que font nos frères les tirailleurs, goumiers et spahis, nous tous, sommes prêts ici à le faire encore, car aucun sacrifice ne sera assez grand pour montrer au gouvernement français le respect et l'amour que nous avons pour lui. » Aux jours de marché, sur les places publiques des douars, caïds ou cadis réunissent leurs coreligionnaires et, comme le fait par exemple M. Hassani ben Hamouda, président du douar Cheuder et conseiller municipal d'Haussonvillers, ils exposent à leurs auditeurs tout ce que la France a fait pour eux ils les exhortent à se montrer respectueux et soumis dans toutes les circonstances, à exécuter ponctuellement toutes les mesures ordonnées par les autorités, à ne rien tenter contre les personnes et les propriétés et leur font jurer de s'unir à leurs frères français pour et la France peut
;
repousser l'envahisseur.
ments éclatent
et le
De
frénétiques applaudisse-
serment, réclamé par
les chefs, se
dans cette foule uniformément blanche par les burnous, aux cris de « Vive la France » Mais, pour que ce calme puisse continuellement se
précise,
:
!
maintenir, afin que la France, sans entrave, porte tous ses efforts contre l'ennemi
commun,
il
faut assurer
If
LES CHEFS INDIGÈNES la tranquillité
publique et
109
les chefs indigènes
d'en
prendre aussitôt la responsabilité. Faut-il citer, entre autres,
M. Ben Daoud Mohamed
Taïeb, affecté au 6 e chasseurs d'Afrique à Tlemcen,
déclarant qu'il tient à la disposition des autorités
un
de caïds ou de notabilités, pour contribuer au service de sécurité du département. d'Oran, ou bien le président de la commune indigène de Rebeval, M. Mahidine Hassen, habitant l'annexe d'Horace-Vernet, et ses deux frères, MM. Hussin Mahidine et Mezian Mahidine, affirmant tous trois, aux colons de ce centre, ainsi qu'à ceux de Rebeval, qu'ils prennent toute la responsabilité de ce douar? Le caïd Titouche Mohamed ben Ahmed, du douar Rouafa, commune mixte de Bordj-Menaïel, sachant qu'un déserteur indigène appartenant au I er tirailleurs cherchait secrètement à se rendre dans sa famille, se postait sur un sentier et l'arrêtait le 23 août 19 14. Puis il remettait sa capture entre les mains de l'autorité militaire en faisant connaître qu'il renonçait patriotiquement à la prime à laquelle il avait droit. En faveur des soldats qui vont être blessés ou des familles que la guerre frappera dans tous leurs intérêts, des souscriptions circulent et des comités d'assistance se fondent dès août 19 14. A Alger, MM. Boutaleb Boubeker, cadi malékite, Lehtihet Mohamed, étudiant en médecine, Lakehal corps de soixante-dix cavaliers, tous
fils
—
Abderahmane, bach-adel à
Yousn Hamida,
secrétaire
la
Mahakma
malékite,
au Parquet du Tribunal
répressif, lancent l'appel suivant
:
Le moment est venu de montrer notre amour, notre dévouement et notre reconnaissance à la France «
L'ALGÉRIE ET LA GUERRE
no
noble et généreuse qui a tant des hommes.
De chaque
pour
fait
faire
de nous
point de l'Algérie, des pro-
testations de loyauté parviennent
aux autorités supé-
Mais nous estimons que l'heure n'est plus aux paroles, mais aux actes. « Par décision en date du 17 août 19 14, M. le général gouverneur de la place d'Alger, commandant supérieur de la défense, nous a autorisés à former un comité à l'effet de recueillir les oboles des musulmans d'Algérie en faveur de l'Union des Femmes de France. Cette institution humanitaire est composée de femmes qui, affrontant avec un courage sublime tous les dangers, prodiguent, avec dévouement et abnégation, les soins
rieures.
matériels et
moraux aux
blessés, sans distinction
de
race ni de religion, et les soldats indigènes qui sou-
tiennent avec leurs frères métropolitains l'honneur
des armes françaises vont être l'objet de leurs meilleurs soins et de leur constante sollicitude. «
Mais, malheureusement, aucune
musulmane ne
fait
partie de cette institution ou d'une autre similaire.
Nos mœurs tel
et notre religion ne leur permettent pas honneur. Aussi, avons-nous pensé, pour remédier
à cet état de choses, à recueillir les dons des musul-
mans généreux
Femmes de
et à les transmettre au Comité des France, la seule société d'assistance aux
blessés représentée en Algérie. C'est
une des meilleures
façons, nous semble-t-il, de servir la France et l'Hu-
manité...
»
A K errata, Messouaf prète
le
Hamou
judiciaire
cadi
Abdellatif
termes leurs coreligionnaires «
Rabia,
les
caïds
Chemssaoui Shmaire, et l'interHacène Ahmed, exortent en ces et
Louange à Dieu
seul
!
:
A
tous nos frères musul-
m
LES CHEFS INDIGÈNES mans habitant
de Takitount et les sur vous « Vous n'êtes pas sans savoir qu'une guerre est actuellement engagée entre notre chère patrie d'adoption et le peuple allemand, son ennemi. Cette guerre a été provoquée par ce dernier peuple qni a toujours
environs de
foulé et
la conscription
K errata,
aux pieds
que
le salut soit
!
de droit et de justice
les principes
méconnu les traités internationaux. « Vous n'ignorez pas non plus que dans l'armée
fran-
combattent côte à côte, contre le même ennemi, des soldats français et musulmans, défendant ensemble avec un égal courage et un élan admirable le même çaise
idéal et le sol
secret
commun
pour personne,
;
la
car, aujourd'hui, ce n'est
rançon de guerre,
si les
un
Teu-
tons en sortent victorieux, est notre belle Algérie, cette terre qui nous est si chère et que, pour plusieurs
raisons
bien
compréhensibles,
nous
ne
voudrons
jamais voir devenir allemande... «
C'est
pour toutes ces raisons que nous venons
faire
appel à votre concours et à votre bonne générosité
pour nous aider, chacun dans son possible et selon ses moyens, à soulager les braves soldats blessés au champ d'honneur... « Allah le Très-Haut et le Très-Puissant a dit Aidez-vous les uns les autres dans la générosité et dans vos devoirs. » Puis « N'oubliez pas de vous :
« «
:
montrer généreux les uns envers les autres certes, « Dieu voit et surveille toutes vos actions !... » On pourrait citer bien d'autres appels, mais ceux-là suffisent. Nul n'ignore, en effet, que l'on peut assurer, sans conteste, que dans toutes les manifestations de solidarité qui ont eu lieu en Algérie, à propos de la guerre, les indigènes ont été de ceux qui se sont dis«
;
L'ALGÉRIE ET LA GUERRE
ii2
tingués par leur générosité et la spontanéité de leurs élans.
Le comité d'assistance musulmane aux blessés de la que préside M. le Cadi malékite Boutaleb Boubeker, a assuré que l'heure n'était plus aux paroles mais aux actes, et quel acte de plus belle moralité sociale que celui par lequel M. Seddik Boudiaf, conseiller général de M'Sila, demande, en avril 19 15, en son nom et au nom de tous ses collègues indigènes du guerre,
conseil général de
Constantine, l'interdiction, dans
toute l'Algérie, du
kiff et de la chira (mélange de d'opium) qui font parmi leurs coreligionnaires autant de ravages que l'usage de l'absinthe et de l'ani-
kiff et
parmi les Européens Devant les dangers qui menacent
sette
paraissent
!
toutes
les
la
considérations
France
dis-
personnelles.
L'union sacrée ne doit pas être un mot seulement de il faut que le monde sache que notre pays est décidé à le pratiquer par-dessus tout. L'agha Djelloul ben Lakhdar, de la Confédération des Larbâa, en donne la plus digne preuve. Depuis plusieurs années, il n'avait plus de relations avec le chef de la Confrérie des Tidjania, Sid Ali ben façade et
Sid
Ahmed
Tidjani. Cette séparation de
deux grandes un malaise parmi tous les indigènes de notre Sud Algérien. Le chef de l'annexe de Laghouat lui ayant demandé de dissiper tout regretfamilles laissait subsister
table malentendu, à l'heure où le rapprochement de
toutes les fidèles volontés était
si nécessaire, l'agha Djelloul n'a pas hésité à montrer le plus grand esprit
de conciliation. Il se rendit donc à Kourdane, près d'Aïn-Mahdi, à la somptueuse demeure de Sid Ali. Celui-ci alla
LES CHEFS INDIGENES
113
au-devant de lui pour bien marquer également qu'il ne
aux you-you stridents des femmes et aux accompagnements des joueurs de musique que le chef de la famille de feu le bach-agha Lakhdar devint l'hôte du marabout des Tidjania. Pendant deux jours, ce ne furent que fantasias et diffas et, pour sceller leur amitié, Sid Ali fit les cadeaux d'usage à l'agha Djelloul.
subsistait plus rien des anciens différends, et c'est
Cette réconciliation produisit la plus favorable impression dans tous les milieux musulmans. Elle est pour nous une nouvelle marque de très haut patrio-
tisme et c'est une grande leçon de concorde que nous donnent ainsi ces indigènes de l'ancienne école que qualifier de vieux-turbans et qui, ainsi que le dit M. Morinaud, n'ont de vieux que leur dévoue-
Ton aime à
ment à la France. Que devient donc aussi l'épithète de Beni-oui-oui? Aux yeux du Gouverneur général de l'Algérie, elle « une ironie à la française, une au fond très innocente ». Aussi déclare-t-il, le 30 juin 19 16, au Conseil supérieur de gouvernement « La France a fait appel au concours des indigènes, sous la forme où il était le plus précieux elle leur a demandé, de tous les sacrifices, le plus noble, le plus complet, le plus sublime, celui de leur vie. Nous avons vu aussitôt sortir de terre, avec une rapidité foudroyante, ce régiment de spahis auxiliaires. Qui l'a composé? Les Beni-oui-oui. Qui en a formé les cadres? Nos chefs indigènes, les membres des grandes familles, ceux que nous avons toujours trouvés à nos ordres, dans les bons comme dans les mauvais jours... « Qui a constitué la masse du régiment ? Leur clien-
n'est plus, dès lors, qu' raillerie,
:
;
tèle, leurs
amis, leurs fermiers, leurs
khammès. Plus
L'ALGÉRIE ET LA GUERRE
ii4
tard,
quand on a eu besoin de
tirailleurs,
créer des régiments de
à qui s'est-on adressé? Quels sont ceux qui
nous ont apporté leur collaboration? Les Beni-ouioui. C'est grâce à eux et à eux seuls que des dizaines de milliers de tirailleurs se sont enrôlés, les mêmes qui, ces jours-ci encore, à Verdun, ont fait preuve d'héroïsme et ont inscrit sur les drapeaux de leurs régiments des gloires nouvelles.
»
IX LE CLERGÉ OFFICIEL
Il n'est rien
notre
MUSULMAN
de plus pur dans la douceur bleue de
d'Afrique que la blancheur des minarets
ciel
du haut desquels à la prière.
La
le
muezzin appelle tous les hommes musulmane, avec ses lois
religion
d'amour, ses règles sociales et ses principes de toléune religion faite pour l'humanité entière,
rance, est
car le Prophète a dit « J'ai été envoyé pour tous les humains. » Toute âme est avec Dieu unique et le calme infini qui règne dans les mosquées met la conscience en face de l'absolu même. C'est cette tendresse, enveloppante dans la blancheur sans tache des mosquées majestueuses en leur suprême nudité, qui a conquis le cœur d'Ernest Renan et de Guy de Maupassant, du Père Hyacinthe Loyson et d'Emile Masqueray, si bien :
qu'ils
ont eu la troublante et enivrante tentation
d'adorer
le Croissant.
Dieu est clément et miséricordieux, » a certifié le Prophète et il est dit dans le mandement de Si Mahmed ben Aïssa dont le saint tombeau est à « Les cœurs sont des jardins, les prières Méquinez en sont les arbres, les mots sont une eau vivifiante, » «
:
et voici
qu'hommes d'une autre race
et
d'une autre
L'ALGÉRIE ET LA GUERRE
n6 religion,
il
nous
est
donné d'en vivre
la plus frater-
nelle démonstration.
Du jour où la
guerre a été déclarée, on prie, en
effet,
à l'ombre du Croissant, pour la France, c'est-à-dire
commune, pour sa victoire et pour les que ces soltombés au champ d'honneur, car la dats soient musulmans, chrétiens ou juifs,
pour
la patrie
—
soldats
—
France, en ce conflit, qui incendie toute l'Europe
d'une sanglante pourpre, représente la justice et le droit, c'est-à-dire la plus belle part de l'humanité,
même humanité à laquelle s'adresse la religion du Dieu clément et miséricordieux. Dans chaque mosquée, au jour saint du vendredi, tous les croyants musulmans rendent un pieux homcette
mage à
leurs frères français qui
meurent
et sur
combattent et qui eux appellent les bénédictions d'Allah. les cœurs des Si Mahmed ben Aïssa a raison maintenant ouverts à l'esfidèles sont des jardins, pérance de la patrie aimée l'emportant sur l'injustice et la barbarie, et les mots que l'on prononce sont bien l'eau vivifiante qui retrempe l'énergie de la nation :
—
—
comme Et
du
l'acier
de l'épée.
cela est si vrai
clergé officiel
cultuelles,
imans
que tous
musulman et
les
appels patriotiques
d'Algérie,
muphtis,
—
— associations
sont
rédigés sous
forme de sermons, débutent par une exhortation à ses adeptes les engageant à craindre Dieu et à se conduire dans les différentes circonstances de la vie suivant les principes de la morale mahométane et sont destinés à être lus dans les mosquées à l'issue de la prière du vendredi. Ce sont ensuite les exposés les plus sincères, les conseils les
touchantes.
plus louables, les implorations les plus
LE CLERGÉ OFFICIEL Est-il, entre autres,
MUSULMAN
117
appel plus noble et plus français
que celui de l'Association cultuelle musulmane du département d'Alger et qui fut rédigé sous l'égide de son président, M. Mohammed ben Siam, le 15 Ramadhan 1332, correspondant au 7 août 1914? « ... Vous savez avec quelle audace et quels procédés inavouables l'Allemagne vient de déchaîner une guerre générale. Elle a refusé de prendre part à une discussion diplomatique engagée entre les grandes puissances en vue de trouver une solution pacifique au conflit. « Sans déclaration de guerre préalable, elle a envahi des pays neutres et violé des territoires. Sa soldatesque, véritables hordes de barbares, s'est jetée à l'improviste sur la France, notre pays d'adoption, que nous aimons par-dessus tout. « En agissant de la sorte, les Allemands ont foulé aux pieds le droit des gens et méprisé les principes du droit international. Cela ne nous surprend, d'ailleurs, pas de leur part l'Allemand est connu pour son injustice, son impiété, son arrogance, sa violence, sa vanité, ;
sa grossièreté. «
Notre belle France est réputée, au contraire, pour
sa pitié, sa sollicitude pour les faibles, sa compassion. Elle est le
champion de
fraternité,
de l'équité
de l'égalité, de la de la générosité. Elle a répandu partout la civilisation et accompli de grands progrès pour le bien-être de l'humanité. Elle protège les sciences et tend une main généreuse aux peuples dépourvus de moyens de progresser dans l'univers. « C'est en raison de ces belles qualités de la France que Dieu a placé sous son égide les plus vastes colonies, et lui a donné, dans maintes rencontres, la victoire sur ses ennemis la liberté,
et
L'ALGERIE ET LA GUERRE
n8 «
Quelle attitude devons-nous avoir vis-à-vis de
cette nation noble et chevaleresque
que
dirige, vers
des destinées lumineuses, une République vigilante et impartiale? Soyons-lui
toutes nos espérances en
soumis elle.
et
dévoués
Ayons
!
Mettons grande
la plus
confiance dans la puissance de ses armes et l'intrépidité
de ses soldats pour lui assurer la victoire. « Toute défaillance dans notre loyalisme équivaudrait à un véritable suicide, nous agirions comme un fou qui mettrait le feu à sa propre demeure. « Fidèles N'oubliez pas que la France généreuse vous a adoptés. Elle compte sur vous comme sur ses propres enfants. Il vous faut justifier cet espoir par des actes et montrer que vous êtes dignes de vos ancêtres hommes résolus et pleins de bravoure, ils ont accompli des prodiges et mêlé leur sang sur les champs de bataille à celui de leurs frères d'armes français. Leur admirable conduite au combat força l'admiration de l'ennemi. Cela, l'histoire est là pour vous le dire. « C'est à vous qu'il appartient d'augmenter ce lot de belles actions que vous ont légué vos pères et de montrer à l'univers que c'est bien leur sang qui coule !
:
dans vos veines. «
Si notre patrie d'adoption fait appel à vous, soyez
hommes
répondez à son appel. Mettez vos biens En défendant ses droits, vous défendez la cause de l'humanité. « Ne troublez pas l'ordre et la tranquillité. Respectez les mesures nécessitées par les circonstances et so}7ez fidèles à la parole donnée. N'enfreignez pas les des
et
et vos personnes à son service.
lois et «
pas
ayez
le
Redoutez les seuls
respect des droits d'autrui. les
désordres
;
les injustes
qui en souffriraient.
ne seraient
LE CLERGÉ OFFICIEL
MUSULMAN
119
« En tout, il faut considérer la fin. Celui qui ne se soumet pas à cette règle s'expose aux pires consé-
quences. «
C'est
un devoir que d'observer
les
rapports de bon
Que
voisinage et de faire le bien à son prochain.
la
Dieu inspire vos rapports avec vos voisins. Ne vous conduisez pas vis-à-vis d'eux d'une façon crainte de
indigne. «
N'écoutez pas
les
racontars et ne vous
fiez
pas aux
colporteurs de nouvelles plus ou moins fausses.
Ne
vous occupez pas de choses qui ne vous regardent pas. Gardez votre sang-froid et soyez réservés.' « Nous ne saurions trop vous recommander la soumission et l'obéissance, qualités qui vous rendront heureux. «
Ces bons conseils nous ont été dictés par
le seul
souci de votre bonheur. «
Si
vous manquez à ce devoir,
les liens
qui nous
unissent à notre glorieux gouvernement pourraient
en souffrir
;
les
marques de sa
sollicitude
pour nous en
seraient également affectées. Les conséquences d'une pareille situation seraient incalculables et
raient dans l'abîme. celui a
pas «
Ayez
le
nous mène-
souci de vos personnes et
de vos familles.
Ne commettez
point d'injustices, car Dieu n'aime
les injustes.
Ne vous
mains dans Dieu aime ceux qui font
précipitez pas de vos propres
l'abîme. Faites le bien, car le bien.
Abou-Hourira rapporte que l'Envoyé de Dieu le un jour par la main et lui dit « O Abou-Hourira tu ne commets pas d'action répréhensible, tu seras le plus pieux des hommes. Contente-toi de ce que «
prit «
«
:
!
L'ALGÉRIE ET LA GUERRE
i2o «
Dieu t'aura donné, tu seras
«
Fais le bien à ton voisin, tu seras an vrai croyant.
«
Fais pour autrui ce qu'on désirerait qu'on te
«
seras «
plus riche des
un bon musulman. » Le même compagnon raconte, d'autre
Prophète a «
le
dit
qui la réveille.
a
:
La
guerre dort
;
hommes.
part,
maudit
fît,
que
tu
le
soit celui
»
En
août 1914, M. Mouddah Abdelkader ben Sedik, muphti de Mascara, exhorte également en ces termes,
à la grande mosquée, ses coreligionnaires «... Sachez que le peuple allemand, notre ennemi :
commun,
—
que Dieu
le
précipite dans l'abîme, à
perdition, et fasse qu'il soit vaincu et
abandonné
!
—
a déclaré la guerre à la France, la bien secourue de Dieu. «
Prions Dieu,
—
qu'il soit exalté
la victoire à notre puissant
!
—
d'accorder
gouvernement français
de lui prêter son assistance, qu'il disperse les débris de l'empire allemand aux quatre points du globe, fasse que l'humiliation et le mépris soient son lot et qu'il sème dans le cœur de ses armées la terreur,
et
l'effroi, la
Tous
lâcheté, la nonchalance
!
»
imans de notre colonie expriment les mêmes sentiments, et voici que, pour la première fois en ces heures meurtrières où la France a besoin de l'union de tous les cœurs, pour l'emporter dans la bataille, que les portes des mosquées s'ouvrent solennellement aux chrétiens et aux juifs. Des cérémonies ont lieu, de grandes prières publiques sont organisées où sont invités toutes les autorités civiles et militaires et les représentants des principaux groupements de les autres
l'Algérie.
N'est-ce pas, par exemple, en présence
du Comité
LE CLERGÉ OFFICIEL
MUSULMAN
121
de l'Union des Femmes de France, que M. Lefgoun Zououi ben Mohamed Salah, iman de la grande mosquée de Constantine, déclare au commencement de décembre 19 14 « Nous, musulmans, nous devons. nous coaliser avec la nation française bien-aimée pour la défense de sa cause, avec abnégation et loyauté... « La France, à nos yeux, ne peut être comparée qu'à la pleine lune qui éclaire nos destinées. Elle est la gardienne de notre sécurité et la motrice de notre :
existence... «
Rallions-nous à son drapeau et marchons avec
abnégation et cohésion dans ses rangs pour vaincre ou mourir. Luttons sans reculer contre les hordes qui
cherchent à envahir son sol sacré, et redoublons nos
pour leur écrasement par une victoire éclatante. attendant cette heure solennelle, levons nos mains au ciel et invoquons le Dieu puissant et suprême de sauvegarder notre patrie d'adoption de tout le malheur et de lui accorder la victoire contre ses ennemis malfaisants. « O Dieu daigne exaucer mes prières et confondre nous te prions, ô Seigneur, nous, tes les méchants humbles créatures qui implorons le secours de ta grâce éternelle, de protéger notre gouvernement de la République et de ne pas nous tromper dans nos espérances efforts «
En
!
;
!
Amen! » La France, avons-nous pour
la justice
et
pour
l'humanité la meilleure, phète.
En
le
le
telle
combat en droit,
que
cette guerre
c'est-à-dire
pour
la concevait le Pro-
luttant pour la patrie française, les musul-
mans sont d'accord avec dans
dit,
Coran
:
leurs croyances, car
il
est dit
122
«
L'ALGÉRIE ET LA GUERRE Dieu que de comcomattaquant les premiers,
C'est agir selon la volonté de
battre ceux qui vous feront la guerre, mais ne
mettez point d'injustice en les car Dieu n'aime point les injustices, » et à tous ceux qui se sacrifient pour la même cause, on peut « Vous êtes tous appliquer la parole du Prophète devenus un peuple de frères. » Frères quels que soient leur race et le Dieu qu'ils adorent, car jamais tolérance n'eut plus large tendresse « Certes, ceux qui que celle qu'établit Mahomet croient (les musulmans) et ceux qui suivent la religion juive et les chrétiens et les sabéens, en un mot, quiconque croit en Dieu et au jour dernier et qui aura fait le bien, tous ceux-là recevront une récompense de leur Seigneur... » et c'est ainsi que, dans les mos-
—
:
:
quées, les hommes et les femmes indigènes, à l'appel de leurs imans, ont prié pour tous les soldats de la France, morts dans la bataille, fussent-ils chrétiens
ou juifs. Tous sont, en
effet, les
même cause, la même où ils suc-
héros d'une
plus sacrée. Leurs tombes sont là
combèrent. Mahomet aime tous ces vaillants. Lorsque lui-même combattait les koreïchites, au soir de la défaite d'Ohod, « il défendit, ainsi que le rapporte M. Kasimirski, de transporter les morts du champ de bataille pour les enterrer ailleurs, il défendit même de laver leur sang, en disant que les martyrs paraîtront au jour de la résurrection avec leurs blessures saignantes et exhalant l'odeur du musc, il recommanda seulement une prière sur les corps des morts ». Cette prière est maintenant dite, pour les héros français, dans toutes les mosquées de l'Algérie, et toujours revient, en même temps, la plus touchante
MUSULMAN
LE CLERGÉ OFFICIEL pensée que soient protégés tront jusqu'au triomphe.
les
123
vivants qui combat-
M. Ben Mouhoub, muphti malékite de la grande mosquée de Constantine, prie ainsi en novembre 19 14 «... C'est Dieu que nous invoquons, devant qui nous nous humilions, à qui nous demandons de nous diriger dans la bonne voie et d'accorder la miséricorde aux vivants et aux morts Dieu est le plus grand Combien :
î
est «
!
magnifique sa miséricorde
!
Musulmans, vous qui êtes doués de
la pitié et
du
sentiment, vous savez que vos enfants ainsi que les fils
de vos
frères, chrétiens et israélites,
combattent
même
cœur, pour défendre l'honneur du gouvernement de la République française qui actuellement avec
le
aime, plus que tout, le progrès et la paix... «
Ces héros sont contents d'être atteints, car chacun
d'eux préfère la mort à la perte d'une seule parcelle
du
sol national...
Levons nos mains et adressons-nous avec humilité au Dieu à qui aucun secret n'est ignoré, et deman«
dons-lui l'éclatante victoire
et, enfin, la
large miséri-
corde pour les assistants, les absents, les vivants et les morts... »
Comme en décembre 19 15, sur l'initiative des Dames de France, une grande prière était dite en la mosquée de Bougie, pour le repos de l'âme de nos soldats morts au champ d'honneur et pour le succès de la France, le muphti Si Allouache Si M'hamed de qui nous avons rapporté, dans un précédent chapitre, les raisons qui font aimer la France par les indigènes, prononça l'admirable allocution suivante « Louange à Dieu unique Mes frères, la céré:
!
monie à laquelle vous
—
assistez
si
nombreux au jour-
L'ALGÉRIE ET LA GUERRE
124
d'hui nous permettra d'élever nos cœurs et nos
âmes
vers l'Éternel Dieu et la France, notre patrie. « Nous voulons d'abord dire une prière pour le repos de nos morts, sans distinction de culte et de race, qui
dorment du sommeil éternel après avoir bien rempli champ de bataille nous voulons invoquer ensuite le Dieu tout-puissant pour qu'il étende sa protection sur les armées françaises et alliées, combattant pour une cause juste la défense de la liberté et de la civilisation. Puisse le Tout-Puis-
leur devoir de soldat sur le
;
:
sant affermir leur courage et fortifier leurs rangs. «
Je vous invite donc à lever vos mains suppliantes
et porter
vos regards d'humilité vers
le
Souverain des
cieux et de la terre, pour lui demander, en faveur des
morts de nos armées, sa haute miséricorde, et, pour les vivants qui continuent à lutter sur les champs de bataille, la victoire prochaine sur les hordes de Guillaume, émule d'Attila et de Pharaon. « Ne cessons point de le prier, par l'intervention de tous les prophètes, afin que les peuples de mensonge et de barbarie, indignes de la lumière du ciel, ne trouvent, par le monde, ni influence auprès des États, ni échos à leur voix prions-le avec ferveur, pour que l'empire des tyrans germaniques s'écroule et que ses armées, souillées de sang innocent, se dissolvent au vent de la victoire française, comme la cire au souffle ;
du
brasier.
Ainsi cessera
l'injure
à
la
civilisation
humaine, ainsi sera vengée la civilisation meurtrie. « O Dieu éternel, reçois nos ferventes prières et accorde-nous, pour la patrie en armes, les faveurs que nous espérons de ta sainte bonté !... « O mes frères, qu'a fait l'Allemagne à l'égard des peuples vaincus, non de l'Afrique, mais de l'Europe
LE CLERGÉ OFFICIEL
même «
:
MUSULMAN
125
ceux de Pologne, d'Alsace
Pour
et de Lorraine? domination arroa détruit les écoles où s'en-
établir sur ces peuples sa
gante et tyrannique,
elle
seignait leur langue maternelle,... elle a multiplié les
peines d'amende et de prison pour imposer à tous son
Deutschland
iiber ailes
au mépris du droit
et
de la
conscience universelle... « O mes frères, élevons nos vœux les plus ardents pour la victoire de la France, notre mère, sur ses ennemis, maudits du ciel. « Ne cessons de nous montrer loyaux et dévoués pour elle à l'exemple de nos enfants qui luttent à côté de ses propres enfants, à l'ombre de ses glorieux drapeaux. C'est aux puissants et aux riches à donner l'exemple du grand devoir; les paroles ni l'argent ne suffisent point ceux-là n'auront rien donné à la France, s'ils ne lui ont pas donné le sang de leur chair. « Ayons confiance dans l'avenir, combattons partout l'impatience et le pessimisme qui troublent les cœurs la victoire, qui, déjà, point à l'horizon, ne tardera pas à irradier les nues et à éclairer le monde d'une ;
;
lumière bienfaisante et régénératrice
comme
le soleil
de Dieu.
Vivent la France et ses Alliés Vive son gouverneVivent nos armées Que ces mots soient dans nos cœurs et sur nos lèvres s'élevant en prière fervente vers le Seigneur tout-puissant » Ainsi le clergé officiel musulman d'Algérie se montre, en son grand cœur et en son inlassable dévouement, l'ami fidèle que ne troubla pas la défaite de Charleroi dans la patriotique certitude que suivraient d'immortelles victoires comme celles de la Marne ou de Verdun. «
ment
!
!
!
!
X LES MARABOUTS
Une aube, enfin, commençait à dissiper les ténèbres au cœur des hommes. Il n'y avait plus d'autre dieu que Dieu dont Mahomet était le sublime envoyé. Alors, pour célébrer ce mémorable événement de la religion à jamais fondée et qui devait s'étendre un jour des aux confins de l'Afrique, Mahomet
confins de l'Asie
en pèlerinage à la Mecque. Les fidèles arrivaient de tous les points de l'Arabie pour accompagner celui dont l'œuvre impérissablement sainte avait commencé dans le mépris des uns et dans le blasphème des autres. Ils arrivaient de plus en plus nombreux par centaines et par milliers, et quand le mont Arafat fut tout peuplé de croyants en prière, le sublime envoyé de Dieu invoqua la justice et l'humanité elle-même « O mon alla
:
Dieu, s'écria-t-il ensuite, ai-je rempli
ma
tous les pèlerins répondirent d'une
commune
«
Oui, tu l'as remplie
!
mission?
»
et
voix
:
»
C'était en la dixième
année de
L'œuvre Dieu n'avait
l'hégire.
auguste était pour toujours accomplie
:
plus qu'à rappeler à lui l'homme d'ardente extase à la et d'énergique action qui avait été son plus magnifique serviteur. Quelques mois après, un jour
fois
qui était un lundi, celui entre les épaules
duquel,
LES
MARABOUTS
127
alors qu'il était adolescent, le moine arabe chrétien, du nom de Bahira, avait découvert le signe divin, le « sceau de la prophétie », expirait sur les genoux de sa
chère Aïcha. C'était à Médine, et Médine, gardant
tombeau de l'envoyé de Dieu, devenait monewwereh, c'est-à-dire l'illuminée. Des hommes sont venus dans la suite qui ont eu l'âme illuminée comme la sainte ville gardienne du corps du grand prophète. Dans la lumière bleue qui les imprégnait de toutes parts, ils ont tendu les bras vers l'immensité, car le bonheur et l'ivresse de l'absolu entraînaient leur cœur comme s'ils pouvaient conl'éblouissant
templer face à face
Et
ces
le
hommes,
dieu unique.
fussent-ils
fils
des plus pauvres
laboureurs, n'ayant pour tous garants devant leurs frères
de misère et de céleste espérance que leur foi, au nom même de Mahomet, dont, presque
ardente
toujours,
ils
se sont affirmés les descendants,
— —
et ils
par la pieuse exaltation de leur esprit, ont voulu continuer son œuvre sur la terre, cette même mission que, sur le mont Arafat, tout un peuple de
l'étaient
pèlerins avait jugée
Tous ceux qui
si
bien remplie.
pauvres et les faibles, de ce monde, tous ceux qui étaient épris d'amour infini, de justice, de fraternité, suivaient la lumineuse voie de ceux qui parlaient au nom de Mahomet, se groupaient autour d'eux en disciples et en apôtres, prêts à tout affronter, les pires tourments et la plus horrible mort, quand ces prétendus descendants du prophète le jugeaient souffraient, les
tous ceux dont
le
et l'ordonnaient
au
bonheur
nom
n'était pas
d'Allah.
Ainsi, à l'impérieuse voix des marabouts, toutes les
zaouïas se sont, plus d'une
fois,
farouchement dressées,
L'ALGERIE ET LA GUERRE
128
par le
fer et
par
le feu,
contre la domination
par la révolte et par
même
le
massacre,
de la France. C'est pour-
quoi M. Pourquery de Boisserin a pu écrire, en 1894, dans son rapport à la Chambre des députés sur le budget de l'Algérie « A côté du clergé des mosquées, salarié par le gouvernement, et des médersas subventionnées, existent les zaouïas, qui sont en même temps des lieux de prière, des maisons hospitalières, des écoles. Là s'élève tout ce qui peut être appelé à exercer une influence dans le monde islamique de nos départements africains, iman, khodja, instituteurs, médecins arabes, tolba, marabouts. Ils en sortent pénétrés de l'idée religieuse fanatique dont la caractéristique dominante est le Djehad, c'est-à-dire la guerre sainte perpétuelle, :
sans paix ni trêve
comme
sans merci, contre
dèle. L'infidèle, c'est le Français.
Contre
l'infi-
lui s'ajoute
du vaincu contre le vainqueur et le maître. » Mais la générosité de la France n'est pas de poursuivre d'un inextinguible ressentiment ceux qui ont rêvé et tenté de réaliser l'indépendance de leur pays. Son honneur est de rendre hommage à ces adversaires, très souvent implacables, qui, des monts hérissés de la Kabylie aux plaines mystérieuses du Sahara, ont la haine
lancé le
mot
Sa dignité
d'ordre des plus sanglants soulèvements.
et la conscience
de sa mission
civilisatrice
furent de les combattre, parfois de sévère façon, mais
dès que le sort des armes eut décidé, la France a su se
montrer
qu'à
le
pay, fraternel dont l'indulgence va
jus-
l'oubli.
Devant étudier maintenant la pensée et l'action des marabouts durant cette guerre de 1914-1918, les paroles que le maréchal duc d'Isly transcrivait dans
?H| sa circulaire
à l'esprit «
LES
MARABOUTS
129
du 17 septembre 1844 nous reviennent
:
L'Arabe
est très sensible
n'ai eu jusqu'ici qu'à
me
aux bons procédés
et je
louer de les avoir employés
si on pourrait citer deux ou Arabes ayant répondu aux bons traitements par
avec eux. C'est à peine trois
l'ingratitude. .
Et
voici
»
que ces farouches,
insaisissables et puissants
ennemis d'hier, dès qu'ils ont vu la France attaquée par l'Allemagne, ont montré la noblesse de leur cœur, la fidélité de leur reconnaissance, et, à notre pays en guerre, ont magnifiquement donné sans arrière-pensée l'appui de leur influence religieuse et de leur autorité
morale. C'est tout d'abord Sid Ali ben'Sid
Ahmed
Tidjani,
dont la somptueuse résidence est à Kourdane-Aïn-Mahdi, qui écrit à M. le général Moinier, commandant en chef des forces de terre et de mer de l'Afrique du Nord «... Lorsque j'ai appris que la guerre était déclarée chef de la célèbre confrérie des Tidjania,
:
entre notre puissante nation et ses ennemis, les Alle-
mands, je me suis rendu sur-le-champ, à Laghouat, dans le but de savoir si cette nouvelle était exacte. « Elle m'a été confirmée et je tiens à vous dire que je suis prêt à consacrer tous mes efforts au service de la France et tout mon zèle à l'assister et à encourager tous les habitants de notre région à se lever pour la servir et lui prêter leur concours contre ses ennemis,
en
lui
consacrant leurs personnes, leurs enfants, leurs
biens, et en versant leur les conduire, «
Ils
sang partout où
elle
voudra
j
seront prêts à répondre à votre appel de nuit
comme de
jour.
M
L'ALGÉRIE ET LA GUERRE
130 «
Que
représentants de notre gouvernement ne
les
s'imaginent pas qu'une agitation quelconque puisse se produire «
Non
dans
;
parmi
ils
les
gens de notre région.
sont tous debout pour le servir et lui obéir,
de leur cœur et la pureté de leurs sen-
la sincérité
timents, dussent-ils périr jusqu'au dernier. « Nous demandons au maître généreux d'assister la France contre ses ennemis et de lui accorder la victoire, en quelque lieu qu'elle se dirige... « Nous demeurons fidèles à la parole donnée et nous vous conservons notre amitié sincère... » L'ordre des Tidjania, fondé vers 1780, à Aïn-Mahdi, est depuis très longtemps fidèle à la France, et, dès 1838, Abd-el-Kader voulut lui faire expier son dévouement à notre pays, en assiégeant, durant de longs mois, sa ville sainte. En 1844, lorsque l'armée du duc d'Aumale, ainsi que le rappelle M. Gaston Marguet, dans l'Echo d'Alger du 23 septembre 19 14, se dirigeait vers Biskra pour s'en emparer, tous les chefs des Zibans et du Souf, qui étaient des adeptes de la confrérie des Tidjania, vinrent trouver leur grand-maître pour lui demander conseil sur la manière d'arrêter la
marche des Français « C'est Dieu qui a donné l'Algérie aux Français, répondit le vieux Sid Hadj Ali, alors presque, cente:
—
naire, c'est lui qui veut les y voir dominer. Restez en paix et ne faites jamais parler la poudre contre eux. »
Malgré toutes
Tes angoisses
qui suivent la déclara-
tion de guerre avec l'Allemagne, les Tidjania ne déses-
pèrent pas du sort de la France et c'est pourquoi
le
de leur zaouïa de Tmassine, Bachir ben Mohamed ben Mohamed Laïd, adresse en juin 1915 l'appel suivant khalife
:
LES MARABOUTS
131
A
nos frères musulmans, à nos fidèles adeptes de à tous ceux qui vivent sous la vigilante protection du peuple français. «
la confrérie Tidjania,
Chers frères,
«
il
n'est point nécessaire d'insister
sur la douloureuse situation qui est faite à l'humanité
par cette épouvantable guerre préparée, voulue et imposée par l'Allemagne l'univers entier est, depuis dix mois, plongé dans des inquiétudes et des tourments sans bornes et il n'est pas un de nous qui ne ressente ou ne subisse les conséquences de ce sanglant :
à l'heure actuelle, il est du devoir de de cœur, de tout concitoyen, d'alléger dans la mesure de ses forces le poids des charges écrasantes qui pèsent 'sur les épaules de notre pays...
conflit. Aussi,
homme
tout
«
Apportons aux autorités
le
concours
la collaboration la plus fraternelle
;
le
plus dévoué,
que chacun de
vous s'ingénie à leur faciliter leur tâche ardue et difficile. Mettons à la disposition de la nation française, autant que chacun de nous peut le faire, non seulement nos biens, mais encore et surtout no^ personnes. En ces temps de luttes et d'héroïsme, l'abandon de notre vie, le sacrifice de notre sang, seront nos plus belles et précieuses offrandes. «
Tournons nos regards vers le ciel, implorons le Très-
Haut de hâter la fin de cette calamité, de cet horrible cauchemar. D'un cœur ardent et pieux, élevons nos âmes et prions Dieu de donner la victoire à nos armées qui combattent pour la civilisation, la vraie, celle qui n'exclut ni le droit ni la justice. Faisons également
des
vœux pour
pour
le
Comme à leurs
les
puissances qui luttent à nos côtés
triomphe de la bonne
et sainte cause...
les chefs indigènes, les
coreligionnaires
»
marabouts déclarent
qu'une des conditions
les
i
L'ALGÉRIE ET LA GUERRE
32
plus précieuses de l'heure présente est la concorde entre tous. L'exemple doit venir de haut, c'est-à-dire d'eux-mêmes, et c'est une leçon admirable qu'ils donnent au monde que l'oubli même de leurs plus personnelles et familiales revendications.
Un Sid
des marabouts d'A'ïn-Mahdi, Si
Mohamed El
Mahmoud ben
Béchir, est en conflit, au sujet
du
partage de la succession de Si El Bachir, avec son cousin Sid Ali ben Sid Ahmed Tidjani. Mais la France
en guerre et la pensée de la France attaquée doit dominer seule. Si Mahmoud promet donc à l'autorité de ne soulever aucune contestation tant que ne sera pas vaincue l'Allemagne, et il se met au service de notre pays, en allant jusqu'au Maroc rallier à notre est
cause de farouches rebelles.
Et
pas moins grandiose et réconfortant du chef de l'ordre des Rahmania de Seddoukou-Fella, M. Belhaddad Ahmed, allant trouver l'adn'est-il
l'acte
ministrateur de la
commune mixte d'Akbou,
c'est-
pour lui déclarer qu'il se met à l'entière disposition du gouvernement français et l'assurer de son concours, ainsi que de celui de ses adeptes, quand on songe que le marabout Belhaddad Ahmed est le petit- fils de celui qui, s'unissant au chef indigène Mokrani, proclamait en 187 1 la guerre sainte contre la France? C'est la plus grande gloire morale de notre patrie d'avoir rallié à sa cause les fils de ceux qui, comme nous le démontrerons plus loin, s'insurgèrent contre elle, et cette gloire est encore plus magnifique quand il s'agit d'ordres religieux, longtemps si inexorablement fermés à nos contacts. à-dire de sa circonscription,
Et
comme
l'on
s'est
parfois,
même
jusqu'au
LES
MARABOUTS
133
2 août 19 14, étrangement mépris sur
digènes
!
On
beaucoup
d'in-
suspecte de panislamisme militant cet
autre chef de la confrérie des Rahmania, en résidence
Mohamed El Hamel ben
à Souk-Ahras, Si
Azzouz.
Or, dès août 19 14, Si Mohamed El Hamel ben Azzouz adresse à ses frères musulmans la proclamation suivante, qu'il fait ensuite répandre en Algérie à un
nombre considérable d'exemplaires
:
Apprenez que l'Allemagne, ennemie de l'Islam, depuis le sultan Modjir Eddine qu'elle assiégea dans la ville de Damas au sixième siècle de l'Hégire, a déclaré la guerre à la France notre patrie, qui est, depuis l'illustre Napoléon I er l'amie sincère des musulmans. « Cette guerre est une preuve incontestable de la «
,
politique de tyrannie et d'oppression de l'Allemagne.
«
« L'historien et philosophe Ibn Khaldoun a dit Les peuples barbares déchaînent la guerre dans le but de s'approprier ce qui est à autrui. Ils n'envisagent nullement les terribles conséquences de leurs
«
actes, la perte
«
national.
:
« «
«
Telle est la déception qui est réservée à l'Alle-
magne «
de leur royaume et de leur honneur
»
provocatrice.
Vous accomplirez donc votre devoir qui
consiste à
aider la France en lui fournissant tout ce qu'elle
demandera, en vous associant à toutes ses entreprises, en vous rangeant pleins de courage et d'abnégation aux côtés de ses fils. « Vous lutterez âprement et, animés de la résolution de vaincre et de détruire les ennemis de la France qui sont aussi les vôtres, vous contribuerez à assurer l'inviolabilité de son territoire. « Vous ferez cela en retour des innombrables bien-
L'ALGERIE ET LA GUERRE
134
faits dont elle vous a comblés depuis un siècle et qu'elle ne cesse de semer sur cette chère terre algérienne. Ce sera de votre part un témoignage de loyalisme, de fidélité et d'attachement. « La victoire éclatante qui lui est réservée rejaillira en partie sur vous et vous assurera un avenir meilleur
encore. «
Musulmans
!
En
attendant, soyez calmes, évitez
tout ce qui est susceptible de troubler l'ordre public.
Vive la France, vive la République, vive l'Algérie » C'est également un autre marabout rahmania, le cheikh de l'importante zaouïa d'El Hamel, près de Bou-Saada, dans le département d'Alger, qui offre spontanément aux autorités françaises son dévoué concours et, par une circulaire à ses mokkadem, recommande à ses nombreux khouans la plus complète soumission aux lois et la plus grande confiance dans l'issue de la guerre où la France est engagée, et son frère Hadj Brahim donne l'exemple comme lieutenant «
!
de spahis auxiliaires. Les autres ordres suivent la même conduite. Faut-il citer des exemples le cheikh de la confrérie des Chadelia, M. Boukachabia Omar ben Belkacem, qui réside au douar Ouïchaoua, commune mixte de i'Édough, département de Constantine, et dont le père, officier :
de la Légion d'honneur et conseiller général, fut un des plus fidèles amis de la France, écrit au préfet de Constantine « Louange à Dieu qui illustre la souveraineté de notre gouvernement français et le couvre de gloire, qui humilie et couvre d'opprobre quiconque cherche à l'opprimer et qui réserve à la France à tout moment :
des
alliés
et des défenseurs résolus, dignes, remplis
^
LES MARABOUTS pour
'
135
de sollicitude, qui protègent son pays, raf-
elle
fermissent son ardeur, entretiennent et propagent ses idées généreuses... «
envoyé de nombreuses proclamations, entre
J'ai
autres à Philippeviile, à Jemmapes, à Guelma, à la Galle,
à Souk-Ahras, au
Kef
,
et
mes
émissaires ont reçu
Tordre de leur donner la plus grande publicité...
Chaque
«
suivantes «
jour, je rappelle
aux Arabes
les paroles
:
N'oubliez pas les services de la France qui met sa
comme vous mettez votre confiance vous faut répondre à son attente par des actes dignes. Montrez-lui que vous êtes ses enfants, que, parmi vous, il est des hommes loyaux et braves qui se sont dévoués pour elle avec abnégation, jusqu'à lui sacrifier leur vie... Et si le peuple français a besoin de vous, soyez hommes et répondez à son appel avec confiance en vous
en
elle. Il
obéissance et sans arrière-pensée... «
Que Dieu
«
A
l'aide
fortifie la
de ses balles invincibles «
artillerie et la pluie
:
cœur de l'ennemi de ses terribles aux étendards victorieux, dont les rangs
Qu'elle écrase le
bataillons,
sont «
puissance de la France...
de la foudre de son
si
impénétrables
;
Qu'aucun ennemi présomptueux ne puisse conce-
voir l'espoir de les percer
Que
;
peuple français triomphe des ennemis et qu'il réduise son adversaire «
le
!
«
Prions Dieu qu'il maintienne sur nous la souverai-
neté de la France...
Mohamed ben
»
moqquadem de l'ordre des en résidence à Nedromah, département d'Oran, n'approuvait pas la conscription des indigènes Si
Chadelia,
Rahal,
136
L'ALGÉRIE ET LA GUERRE
et suscita bien des difficultés lorsque celle-ci fut appli-
quée pour la première fois. Depuis cette époque, il était quelque peu tenu à l'écart, ce qui lui causait quelque dépit. Mais il tint, dès la déclaration de guerre, à aller, en compagnie du cheikh Mohamed ben Soulmane, trouver l'administrateur de sa commune, et lui dire, encore piqué dans son amour-propre d'être un objet de méfiance « Vous ne me verrez point mettre d'empressement à aller au-devant des nécessités du moment, mais n'oubliez pas, je vous prie, que chaque fois qu'il vous plaira de faire appel à mon concours en quelque moment que ce soit et pour qui que ce soit, vous pouvez compter sans réserve sur mon concours le plus sincère, ne l'oubliez pas, je vous prie. » Le chef de la confrérie de Moulay-Tayeb, Si Ahmed ben El Hosni, chérif d'Ouazzan, se rend dans les principales communes du départernent d'Oran où ses adeptes sont très nombreux, et fait une active propagande à l'effet de provoquei des enrôlements dans les corps de troupes indigènes. Les marabouts Si Ali ben Brahim, de Gouraye, Si Mammar ben Abdallah, de Morsott, les fils du marabout de Guemmar (El Oued) Si Mohammed El Aroussi, dans le département de Constantine, et, entre autres, le marabout « ben Choua », Si El Hadj Aïssa, de Crescia, dans le département d'Alger, observent la même attitude patriotique, ainsi que le marabout de Chellala, Mokhtari (Abderrhaman ben Boulanouar) dont le frère Mokta s'engage dans les spahis auxiliaires. Le cheikh ben Tekhouk, le grand marabout de la région de Bouguirat, dans le département d'Oran, écrit à ses frères Si Abdallah ben Amar, Si Abdelkader ben Khaled et Si Mihoub ben Ali « Que le salut :
,
:
MARABOUTS
LES soit sur
vous
!
Au
137
reçu de cette lettre, chacun de vous
se rendra dans les tribus et les villages de l'arrondis-
sement de Mostaganem et en portera le contenu à la connaissance de nos frères, amis, alliés et affiliés, en leur recommandant d'observer strictement nos recommandations. Faites-leur comprendre, afin qu'ils le sachent bien, que nous sommes entièrement dévoués à la France et que nos sentiments sont bien sincères... » Et comme, à la sous-préfecture de Mostaganem, aghas, caïds et autres chefs se réunissent pour la formation d'un goum qui ira combattre à la frontière, c'est le fils du cheikh ben Tekhouk qui est proposé pour en prendre
De son
le
commandement.
côté, le cheikh el
moqquadem de la secte des
Ammaria, à Constantine, M. Chabi Hadj M'barek ben Cheikh Ahmed Bougherara Bouchakour, conseille à ses coreligionnaires
:
Le gouvernement de la République, nos frères musulmans, nous a traités comme ses fils. C'est le moment de lui montrer notre leconnaissance. Vous ne «
devez pas
faillir
à ce devoir, vous devez aimer la France
et lui apporter tout votre concours. «
Je ne suis investi d'aucun pouvoir
conscience m'oblige,
comme
officiel,
mais
ma
chef religieux, à vous
dicter votre devoir qui, dans les circonstances présentes, est d'aider la
votre disposition.
France par tous
Que
les
les
moyens à
braves accourent sous ses
drapeaux, que les riches viennent en aide aux victimes de la guerre, voilà ce que vous devez faire pour attirer sur vous les bénédictions de Dieu. »
Le grand marabout de Tolga, M. Omar ben Ali ben Omar, proclame à son tour « ... Apprenez que l'Allemagne vient de déclarer :
L'ALGÉRIE ET LA GUERRE
133
injustement la guerre au gouvernement de la République française, qui nous a toujours traités avec bienveillance, justice et équité. «
Notre devoir
est
donc de nous mettre à
la disposi-
tion de la France, de combattre dans ses rangs et de
nous confondre avec l'ennemi commun...
ses enfants,
afin de terrasser
»
De même que les chefs indigènes, les marabouts se mettent à la disposition des autorités pour assurer l'ordre public. En fin avril 1915, c'est aussi grâce à l'intervention du marabout Si Lazhani ben Mazouz que le bandit Boukhatem Naceur, dont les méfaits s'exerçaient dans la région de Morsott et de Boudjabeur, est obligé de se constituer prisonnier, et qu'en mars 19 16, M. Lazari Mohamed ben Mostefa, cheikh de la confrérie des Rahmania à Nef ta, remet à la justice le bandit Zerouali ben Gargah et profite ensuite de son passage à Négrine pour engager certains de ses affiliés religieux à restituer aux nomades du Souf plusieurs animaux dont ils s'étaient emparés quelques mois auparavant. Tous les marabouts assurent la France de leur dévoué concours, qu'ils s'appellent Si Mohamed ben Derrouiche, moqquadem de la zaouïa des Taibya et dont l'influence est considérable parmi les Beni-Menir, les Beni-Mishel, les Beni-Abend et les Beni-Khalled, à l'ouest de l'Algérie, et que, à l'est,
Abdel hafid ben
M'Hammed
de Khirane, Khiari
(Si
ils
s'appellent Si
Lazari, chef de la zaouïa
Mohamed ben Hadj
Lakhdar),
chef de la zaouïa de Si El Hadj Lakhdar ou (Si
Saïd ben
si
Amrani
Messaoud), chef de la zaouïa de Sidi
Boubekeur. C'est enfin le ralliement à notre cause
:
le
marabout
MARABOUTS
LES
139
Barbara, dont la zaouïa du douar El Meddad, com-
mune mixte de
Teniet-el-Hâd, département d'Alger,
avait fait, jusqu'en mi-septembre 19 14, l'objet d'une
Comité de Separmi les indigènes de sa région et des environs il se montre très sensible à cette marque de confiance et son dévouement est acquis à la cause française. M. Fadel Mohamed ben Salah, marabout de l'ordre surveillance spéciale, est chargé par le
cours algérien
»
de
«
recueillir les souscriptions ;
des Hansalis, domicilié à Gastonville, avait,
il
y a
quelques années, prêché la guerre sainte contre la
France
et,
pour
ce, était, lui aussi, l'objet
d'une sur-
bonnes relations avec nos concitoyens s'affirment de plus en plus. Il est à jamais passé le temps où l'amiral de Gueydon, gouverneur général de l'Algérie, écrivait, en fin juin 1873, au ministre de l'Intérieur « ... Le peuple arabe et kabyle est essentiellement guerrier. Au premier signal de ses chefs et marabouts, il court au combat... Nous devons donc prendre des mesures sérieuses et rapides, afin que, si l'éventualité de nouvelles complications venait à se produire en Europe, nous ne soyons pas exposés à avoir suri les bras une autre insurrection qui serait alors d'autant plus terrible et désastreuse que la haine invétérée des veillance spéciale
:
ses
:
indigènes serait incontestablement exploitée avec habileté et succès
combattre.
par l'ennemi européen que nous aurons à
»
L'amiral de Gueydon, dont l'excuse était d'avoir
de 1871 et d'avoir dû énergiquedans ses sentiments, sans écrivait 'encore à la même époque,
assisté à l'insurrection
ment
la réprimer, persistait
prévoir l'avenir.
au
même
Il
ministre
:
i
L'ALGÉRIE ET LA GUERRE
4o
« ... Il suffit que la voix d'un chef religieux, d'un personnage jouissant d'une influence traditionnelle, vienne, dans un moment de mécontentement ou d'hallucination, rappeler aux indigènes que le temps des épreuves est passé et que l'heure de la délivrance a sonné pour les musulmans. Il en sera ainsi tant qu'il existera en Algérie un marabout, un ordre de khouans
ou une famille féodale importante.
»
Toutes les familles féodales ont été remarquables par la fidélité de leurs sentiments et leur action continue à servir notre pays. Quant aux zaouïas que dirigent les marabouts et qui pour les khouans sont la sainte et belle maison-mère, « elles ne sont pas, comme l'affirment certains auteurs qui ne les connaissent que de nom, des écoles de fanatisme, » dit un des plus admirables et des plus inspirés écrivains de l'Algérie, Isabelle Eberhardt. Celle-ci, qui les fréquenta assidûment, ajoute « Outre l'instruction musulmane, leszaouïas dispensent les bienfaits de leur charité à des milliers de pauvres, d'orphelins, de veuves et d'infirmes :
qui, sans elles, seraient sans asile et sans secours.
Et
elle
»
redevient de la plus haute et véridique actua-
lité l'adresse
que
les
taient à l'empereur
indigènes notables d'Alger remet-
Napoléon
sur la terre nord-africaine
III,
débarquant, en 1865,
:
« Nous approchons respectueusement du trône de Votre Majesté pour protester contre les allégations qui représentent les indigènes de l'Algérie comme une population fanatique et rusée, insensible aux bienfaits
de la France. « Ces exagérations de langage, après s'être traînées dans les journaux les plus passionnés et les moins éclairés
de
l'Algérie,
ont retenti jusqu'à la tribune du
LES MARABOUTS |
ij
;
S
141
Corps législatif. Il n'est pas nécessaire de chercher laborieusement dans le Coran quelques versets qui semblent commander la haine et la guerre contre les peuples non musulmans.
On
sait
que toutes
les reli-
gions croient posséder la vérité et adorer le vrai Dieu j
|
j
I
et qu'elles
condamnent
les
croyances qui diffèrent de de tous de mettre
la leur. Il serait plus utile à l'intérêt
en lumière les paroles de notre Livre saint qui prêchent concorde entre les peuples, qui rendent hommage à toutes les convictions religieuses sincères et qui rappellent aux hommes qu'ils sont les enfants d'un la
même «
Dieu.
Nous ne pouvons que
protester aussi contre ce
qu'on a dit au sujet des confréries religieuses musulmanes (khouans). Ces associations pieuses ont été observées très superficiellement et qualifiées delà façon la plus injuste
quelques
par
les
auteurs qui en ont parlé. Sur
faits isolés, d'après les
réponses d'informa-
teurs ignorants à des questions captieuses, ralisé des incidents particuliers,
on a géné-
sans réfléchir que ces
jugements inconsidérés propageaient la défiance et l'antipathie contre la population musulmane tout entière. « Lorsqu'on voudra y regarder de plus près, on se convaincra que les khouans sont, pour la plupart, de pauvres gens rudement éprouvés par les misères de la vie et cherchant dans les pratiques religieuses une consolation à leurs souffrances. Les associations religieuses ne sont d'ailleurs pas spéciales à l'Algérie et à l'islamisme. Elles existent aussi pour le catholicisme dans tout le midi de l'Europe. On n'a cependant pas encore songé à transformer les pénitents, les congrégations, les confréries catholiques en sociétés secrètes politiques.
L'ALGERIE ET LA GUERRE
U2 «
Si ces accusations étaient vraies, si les zaouïas
de l'Algérie fomentaient incessamment, au nom du Coran, la guerre sainte et la haine des chrétiens, si nous étions les fanatiques qu'on dépeint, croit-on
que notre
race,
dont la
lettre impériale adressée le
6 février 1863 au duc de Malakoff attestait la fierté et le courage,
ne répondrait pas à ces excitations par
des actes de désordre et de violence sur tous les points
du
Aurions-nous laissé les colons européens pacifiquement au milieu de nous, souvent au détriment de nos intérêts les plus chers? territoire?
s'établir
« Le grand cœur et l'esprit élevé de l'empereur n'ont pas été trompés par de fausses apparences, comme ceux qui ont pris la dignité du caractère pour de la ruse et l'attachement aux traditions nationales et reli-
gieuses pour «
du fanatisme.
Aussi, c'est sous l'égide de l'empereur que nous
nous plaçons pour qu'on n'empêche pas les Français de nous estimer et de nous aimer comme nous sommes portés nous-mêmes à les aimer et à les respecter. » Aujourd'hui, c'est sous la maternelle égide de la République qu'ils se placent avec le plus absolu dévouement, et pour qui croit encore aux légendes enfin surannées, appelons-en, une fois de plus, à la plus haute autorité de notre colonie. M. Charles Lutaud, gouverneur général de l'Algérie, certifie le 6 juin 19 16, dans son discours prononcé à l'ouverture de la session ordinaire des Délégations financières «
:
Oui, affirmons-le avec joie, les indigènes ont mani-
de la France le loyalisme le plus comD'aucuns, paraît-il, en avaient douté ceux qui, voyant la Turquie entrer en lice, avaient redouté de festé à l'égard
plet.
:
I
LES MARABOUTS
un entraînement de fanatisme.
la part des indigènes
Mais
si les
143
indigènes d' Algérie sont religieux, *
sont pas fanatiques.
ils
ne
»
Et, pour terminer, le sont-elles, enfin, ces confréries religieuses des
Ouled Sidi Amar, Bou
Aïssaouas,etc,
les
Alia, Khadria,
Aïssaouas qui quelquefois traînent,
à leur suite, des lions apprivoisés et fascinés, disent-ils, par l'influence de leur grand saint Sidi Ben Aïssa, et qui, dans l'embrasement de leur foi exaltée, se brûlent, se lacèrent, broient des épines et les avalent, saisissent et déchirent
avec leurs dents des scorpions et des
vipères et qui, avec leurs
yeux égarés, leurs cheveux au dire d'Emile Mas-
longs, leurs corps torturés, font,
queray, de leur scène religieuse un cercle
même
l'enfer, le sont-elles enfin, fanatiques, toutes ces
fréries qui, ainsi
que
le
rapporte
le
les
emblèmes français
du Bône pour
Réveil bônois
2 août 19 16, se sont rendues à la mairie de
prendre
de
con-
et alliés qu'ils ont joints
à leurs pieux emblèmes en se rendant en cortège à Sidi-Brahim, à l'occasion de la fête de i'Aïd-Seghir?
XI LES JEUNES-ALGÉRIENS
Ce qui fait la noblesse de la France en Algérie, que son droit de conquête n'est pas basé sur la force matérielle. La France a trop de souvenirs généreux et de triomphes désintéressés comme ceux de La Fayette allant assurer par delà l'Océan l'indépendance américaine ou ceux des soldats de Napoléon III franchissant les Alpes pour établir fraternellement c'est
l'unité nationale
en
Italie
tions idéalistes qu'elle
a,
;
elle
a trop de pures concep-
sans cesse, mêlées, à travers
son histoire, à ses conceptions humaines, à l'idée qu'elle se fait de la civilisation et du progrès, pour ne pas trouver en chaque individu un être susceptible de
penser et de s'abreuver aux sources inspiratrices de
son génie. Voilà pourquoi toute conquête française
est,
par-
une conquête morale et pourquoi la sublime mission de notre patrie est, à travers le monde et principalement à travers les pays où passe son drapeau, une mission d'affranchissement d'esprit et de dessus tout,
relèvement intellectuel.
La propagation de notre enseignement dans le nord de l'Afrique, ce n'est pas le flambeau porté dans les ténèbres de l'Islam, car l'Islam avant eu, à travers
LES JEUNES-ALGÉRIENS
145
beauté de sa haute culture, n'a pas d'obspour une renaissance de la pensée, l'espérance d'un peuple que l'on réveille dans l'épanouissement de tout ce que la France a de supéles siècles, la
curité, c'est l'acte fraternel,
d'amour pour le cœur, de liberté humain. Propager notre instruction, c'est battre, indéfectiblement et pour jamais, le rappel de toutes les âmes au foyer de la France et rieur
pour
l'esprit,
et d'égalité
c'est
pour
l'être
éternellement assurer, de ce côté de la Méditer-
une Algérie vraiment française. Des jeunes gens, indigènes algériens, dont
ranée,
les
pères
vivaient dans l'immuabilité des choses de leur race,
ont rejeté le manteau que le passé appliquait jalousement sur leurs épaules, et, attirés par l'irrésistible prestige du génie de la France, comme jadis Christophe Colomb et Vasco de Gama par l'éblouissante tentation des terres nouvelles, sont accourus parmi nous à la découverte de tout ce qui fait grande l'intelligence française et incomparables la dignité élevée et la noble indépendance de notre conscience nationale. La France les a accueillis dans toute sa ferveur maternelle parce qu'ils étaient, parmi leurs coreligionnaires, les hérauts annonciateurs d'une ère nouvelle elle leur a prodigué toutes les fleurs de son âme ;
tous les trésors de sa pensée.
et
«
Nous
leur avons, dit
M. Victor Trenga, parlé de
conscience humaine, de droits et de devoirs indépen-
dants du droit divin, basés sur distributive et de libre arbitre la
pensée
ditions,
;
les notions de justice nous leur avons montré
libre, s'affranchissant
nous leur avons
fait
des dogmes et des tra-
toucher du doigt la réalité,
la nécessité des droits imprescriptibles
du
citoyen.
de l'homme et
»
10
L'ALGÉRIE ET LA GUERRE
146
Ils se sont, dit
encore M. Victor Trenga,
ces idées nouvelles
»,
et
ils
«
grisés
de
ont regardé autour d'eux
de la cité agonisante parce qu'elle ne correspond plus aux temps modernes et dans laquelle leurs êtres chers vivent en la mélancolie du dernier la tristesse
rayon d'un soleil finissant. Ils se sont penchés sur leurs frères de misère pour les appeler à la lumière, à l'instruction, le doux lait de la France maternelle et parce qu'ils ont eu le dévouement et le courage de vouloir attirer leurs coreligionnaires hors de l'atmosphère traditionnelle, ils sont, en notre Nord- Africain, devenus les apôtres des temps nouveaux, de l'âme islamique se fondant indissolublement, de l'Atlantique au golfe de Gabès, dans l'âme française, comme jadis l'âme chrétienne, des mers du Nord au golf e de
—
;
Lion.
—
•
Sans doute, dans l'ivresse de leur liberté et leur de cette même justice ardent amour de la justice, qui est le glorieux et rédempteur apanage de la France,
—
—
ils
se sont laissés parfois aller à des écarts, mais
quel novice a la prudence calculée des esprits expéri-
mentés? Ils ont quelquefois employé de vives paroles, mais est-ce qu'en Algérie, comme dans la métropole d'ailleurs, l'impétuosité des mots a causé quelque crainte?
du caractère de
Il est
la France,
dans sa rédemp-
tion des peuples et dans l'ascension qu'elle veut leur favoriser, de
ne pas se
laisser
émouvoir par quelques
heurts ou par quelques désillusions. M. Charles Lutaud,
Gouverneur général de
ment à
la tribune
l'Algérie, l'expliquait très noble-
de la Chambre des députés,
vrier 1914, en sa qualité de commissaire
nement
:
le
9 fé-
du gouver-
LES JEUNES-ALGÉRIENS «
Il arrive parfois
qu'un enfant ou un
147
homme impar-
faitement éduqué est grisé par le grand air et par
l'es-
de formules sonores, une sorte de vertige s'empare de lui et engendre quelquefois des états d'âme pour lesquels je suis, personnellement, plein d'indulgence, pour lesquels d'autres se montrent pace
;
il
est enivré
plus sévères.
On
va, parfois, jusqu'à qualifier certaines
manifestations d'esprit qui se produisent chez ceux qui ont été imparfaitement éduqués. Je crois que c'est là
un mal passager. Il «
ajoutait
La
»
:
reconnaissance est un fruit très lourd à porter
pour une
pas encore assez vigoureuse; nous recueillons quelques manifestations d'ingratitude de la part de ceux qui pourraient nous être le plus dévoués, nous avons lieu de penser qu'à la seconde génération, ces hommes seront plus clairvoyants, qu'ils seront plus justes pour la souveraineté française et nous ne devons pas les condamner et
si,
tige qui n'est
parfois,
d'emblée.
»
Mais tous protestent de leur dévouement à la France. M. le docteur Belkacem Bentami, conseiller municipal d'Alger, chef de la délégation des Jeunes-Algériens à Paris, ne certifie-t-il pas, en juillet 1912, à toute la presse de la capitale « Tout d'abord, nous tenons à déclarer que les musulmans d'Algérie sont prêts à remplir, vis-à-vis de la mère patrie, tous leurs devoirs de patriotes. » Ne dit -il pas à M. Raymond Poincaré, président de la République « La délégation musulmane algérienne vous est profondément reconnaissante du grand honneur que vous avez bien voulu lui faire en lui permettant de venir :
:
i
L'ALGÉRIE ET LA GUERRE
43
présenter ses
hommages respectueux au
chef de l'État.
Elle saisit cette heureuse occasion avec le plus grand
empressement pour vous exprimer tout le respect et le dévouement que les musulmans français de l'Algérie professent pour votre personne et vous
tout
assurer de leur loyalisme et de leur inaltérable attache-
ment à la France
et à la République.
»
même époque
que M. Bentami verse, à Paris, la somme de 29 896 francs produite par la souscription ouverte par le Comité Central indigène d'aviation et qui doit servir à la construction de deux aéroplanes auxquels on donnera le nom de « Musulman C'est à la
français
».
M. Mokhtar Hadjsaïd, avocat à Châteaudun-duRhummel, n'écrit-il pas, en fin janvier 1914, à M. Servier, rédacteur en chef de la Dépêche de Constantine : « Nous sommes, nous, tout simplement, de JeunesFrançais musulmans, et nous ne voulons pas être autre chose. Dans ces conditions, il est à peine besoin de déclarer que tous ceux qui sont les adversaires de notre patrie sont nos pires ennemis, quelles que soient leur nationalité ou leur religion... « Je combats ouvertement vos opinions parce que j'estime que lu Dépêche de Constantine est injuste et qu'elle est surtout de nature à semer la haine et la discorde entre Européens et indigènes, deux éléments qui sont faits pour s'entendre, vivre en paix et travailler en commun pour la prospérité du pays et la grandeur de la patrie. » Or l'Allemagne, orgueilleusement confiante dans la savante préparation de ses plans militaires, dans son audacieuse puissance et sa patiente et habile propagande, déclare la guerre à la France. Tout aussitôt,
LES JEUNES-ALGÉRIENS les
149
Jeunes- Algériens suivent l'élan de leurs cœurs et
sont parmi les premiers à se resserrer autour de la
France attaquée, en proclamant leur haine de l'Allemagne. M. Sadek-Denden, directeur de l'Islam, écrit « Notre devoir de musulmans loyalistes profondé:
ment attachés aux tracé
:
tous,
institutions républicaines est tout
comme un
seul
homme, nous devons
faire
face à l'ennemi teuton et seconder de toute la force
de notre âme les trois couleurs a triompher du soudard allemand... « L'Allemagne, dans ses conceptions chimériques, rêve de faire de l'Algérie une colonie allemande, mais il y a loin, dit la sagesse "des peuples, de la coupe aux lèvres, et c'est à nous, musulmans algériens, par notre courage, par notre esprit d'abnégation, à démontrer aux assassins de Samain qu'ils se sont trompés d'adresse et qu'aussi bien Français qu'indigènes défen-
dront leur sol jusqu'à la dernière goutte de leur sang.
»
Par l'organe de leurs présidents. Ml le docteur Belkacem Bentami et M. Sarrouy, les sociétés la Rachidia, l'Union franco-indigène et laToufikya adressent
à leurs
membres
l'appel suivant
:
Les conditions actuelles imposent aux indigènes, enfants de la France, des sacrifices en rapport avec les «
circonstances. a
Frères musulmans, vous qui avez fraternisé jus-
vous qui avez bénéficié comme eux des avantages consentis par la mère patrie, votre devoir est tout tracé « Tout pour la France » M. Mahmoud Mouhoub, d'Alger, qu'un député de notre colonie, M. Broussais, avait mis en cause à la tribune de la Chambre, fait parvenir à Mme la Préqu'ici avec les Français,
:
!
L'ALGÉRIE ET LA GUERRE
150
Femmes de France une somme de cinq mille francs destinés aux soins à donner aux blessés de la guerre, donnant par là un exemple qui sera admirablement suivi par tous les indigènes. Le Rachidi, qui, ainsi que nous l'avons dit plus haut, avait avec spontanéité répondu à la proclamation du 6 août 19 14 du Gouverneur général, expose dans son numéro du 28 août de la même année « Les nombreux musulmans algériens que l'instruction, répandue par la France, met à même de lire et de comprendre commentent et flétrissent comme il convient la conduite de nos ennemis ils expliquent autour d'eux le rôle odieux de l'Allemagne qui a tout d'abord commencé à faillir à sa propre signature en violant la neutralité de la Belgique qu'elle s'était engagée à respecter et à faire respecter. Ils savent d'avance la condition misérable qui leur serait faite si, par impossible, notre généreuse France devait succomber. » Sans doute., il est, parmi les musulmans, comme d'ailleurs parmi d'autres, des pessimistes, des mécontents ou des gens intéressés à répandre certains bruits. Mais, n'est-ce pas le Rachidi qui, en fin octobre 19 14, sidente de l'Union des
:
;
prévient
:
Depuis le commencement de la guerre, on a pu constater que les nouvelles les plus fantaisistes concernant les hostilités sont lancées par des personnes certainement hantées par l'esprit du mal. Les auteurs de ces bruits sont passibles du conseil de guerre une récente circulaire du gouvernement est venue «
:
rappeler à ces langues trop longues les peines qu'elles
encourent.
»
L'établissement
des listes de
recensement de
la
LES JEUNES-ALGÉRIENS
i
5
ï
de 19 15 donnant lieu à certaines difM. Mokhtar Hadjsaïd, avocat, s'empresse, en mi-septembre 1914, d'expliquer, dans une conférence à la salle des fêtes de la commune mixte de Châteaudundu-Rhummel, le mécanisme de la loi à ses coreliclasse indigène ficultés,
gionnaires et dissipe, ainsi, toute regrettable émotion. « pays de lumière et terre de liberté », proclament les Jeunes-Algériens, qui a fait que, « sur les bancs de ses écoles, ils ont acquis la dignité qui convient à des hommes libres ». Elle les a fait « sortir de leur sommeil léthargique, de leur ignorance pour les faire marcher vers la civilisation »,
C'est la France,
comme
la
comme
l'écrit le
Rachidi.
Aussi ressentent-ils tout ce qui porte atteinte à cette <t
mère chérie
».
Les Allemands ont donné la mesure
de leur culture en incendiant Louvain et Malines, en détruisant la cathédrale de Reims. Les Jeunes- Algériens ont été blessés dans tout l'amour de l'art et des belles choses
que
la
France leur a inculqué.
Eux
aussi
marquant
protestent contre les grossiers vandalismes,
du « pays de lumière », et de leur sommeil léthargique
ainsi qu'ils sont dignes
qu'ils
sont bien
et
«
sortis
leur ignorance
Le 3 octobre
de
».
1914, en effet, l'Islam écrit
brûlé, détruit, pulvérisé la
:
«
De
quelle
Allemands qui ont cathédrale de Reims, poème
excuse pourront jamais s'abriter
les
de pierre, cerveau du passé, cœur qui protégeait, réchauffait, réconfortait, de son palladium, des blessés ennemis, âme élancée d'un jet vers le ciel et qui exprimait et une foi et une race Quelle excuse à ces êtres de destruction?... « O musulmans, qu'auraient-ils laissé de vos minarets, de vos mosquées, de vos médersas, de votre art !
L'ALGÉRIE ET LA GUERRE
152 si
de tout ce qui est votre
délicat,
foi,
votre âme,
votre pensée, ces destructeurs? Qu'auraient-ils
laissé,
pour assouvir leurs instincts barbares, les Gœben et les Breslau, de nos belles mosquées, des admirables mosquées d'Alexandrie, de Tunis, d'Alger,
eu
s'ils
en avaient
le pouvoir?... «
Et vous aurez
été,
ô
hommes du
Livre,
parmi
les
meilleurs bras choisis par Dieu pour anéantir cette race
de malédiction Soyez fiers, ô musulmans d'Afrique Soyez fiers, ô musulmans français » De son côté, le docteur Morsly, un de nos plus érudits indigènes, écrit dans le Républicain de Constantine, le 8 octobre 19 14 «... Les Teutons ont donc détruit pour le plaisir de détruire, comme ils ont fait pour Louvain, Malines et Reims. C'est pour assouvir leurs instincts de bêtes fauves qu'ils ont détmit brutalement tous ces chefs!
!
!
:
d'œuvre, toutes ces richesses amassées à grands depuis des
siècles. Ils
ont
fait disparaître
frais,
en un clin
d'œil tous ces trésors qui faisaient l'admiration et l'orgueil
du monde
l'univers
puisqu'ils
entier, qui
appartenaient à tout
représentaient
toute la science humaine et que
tous
celle-ci
les
génies,
n'a pas de
patrie... «
Chose étonnante, ce sont
mêmes
ceux-là
les
Allemands, c'est-à-dire
qui osent se qualifier d'être à la tête
de la civilisation et du progrès, qui se montrent
le
plus acharnés après leurs victimes, qui commettent
le
plus d'excès,
le
plus d'ignominies. Leurs actes, dont
auraient honte les plus arriérés, sont réprouvés par le
monde
entier parce qu'ils les ravalent
les plus
immondes...
au rang des bêtes
»
Ainsi, les Jeunes-Algériens, qui, grâce à la France,
LES JEUNES-ALGÉRIENS ont marché vers la civilisation
153
en déplorant la une autre relitrès haut exemple de tolégion que la rance et de concorde pour tout ce qui touche au patrimoine de notre patrie et de la patrie opprimée qu'est «
monuments leur, donnent un
destruction de
»,
glorifiant
la Belgique.
Cet exemple d'union sacrée, étendu aux personnes mêmes, dès
l'ont
ils
d'ailleurs
premier jour de la
le
mobilisation.
M. Sadek-Denden écrit dans l'Islam : « Pour Dieu, pour nos foyers, pour nos biens, pour la patrie enfin, oublions nos mesquines querelles d'hier trêve à nos zizanies pour ne former avec nos frères français qu'un faisceau puissant et indissoluble, capable de mener nos troupes, fraternellement unies dans un seul et héroïque élan, à la victoire finale. » Le Rachidi imprime de son côté « Plus de partis Coopérons tous à la victoire et unissons-nous pour rendre au pays l'Alsace et la Lorraine. Musulmans d'Algérie, nous devons, avec les Français, nos frères, ;
:
avoir le
même amour
lonté de vaincre
La
;
de la patrie
commune
et la vo-
plus de divisions, plus de discordes
!
»
Rachidia, l'Union franco-musulmane et la Tou-
fikya conseillent à leurs
influence
auprès
qu'ils soient
diligents et
De
!
de
membres
:
«
Usez de votre
vos coreligionnaires
en toutes circonstances
les
loyaux des autorités françaises.
nobles cœurs reconnaissent
le
et
faites
collaborateurs «
mérite des Jeunes-
Algériens,
Comme
à la séance du conseil municipal de Cons-
M. Christofle, en s'adres« Il n'y musulmans, déclare
tantine, le 17 octobre 1914,
sant à ses
collègues
:
a plus de différence entre vos enfants et les nôtres,
i
L'ALGÉRIE ET LA GUERRE
54
puisque tous combattent pour la défense du sol franà tous ces vaillants fils de la France, je vous propose d'adresser l'expression de notre admiration et de notre reconnaissance », M. Morinaud, maire, tient à approuver les paroles de son collègue et çais. Aussi,
à faire remarquer que « l'attitude des indigènes, toute d'attachement et de dévouement à la mère patrie, est la plus noble justification de l'œuvre accomplie par la France depuis près d'un siècle dans le nord de l'Afrique elle a su se faire aimer des indigènes », car il a pu personnellement apprécier beaucoup de ces ;
indigènes cultivés et lettrés.
Et en
c'est
fin
l'honneur de son esprit de justice d'exposer,
janvier 19 17, à la délégation de la Commission
des Affaires extérieures de la
Chambre des députés les incidents du
venue en Algérie pour enquêter sur Sud-Constantinois qui l'ont réfléchi «
les
On
ému
et sur lesquels
il
a
:
a trop négligé les jeunes indigènes instruits.
a souvent traités
comme
On
des ennemis publics.
Je n'ai jamais pu obtenir une modeste décoration telle les palmes académiques pour un docteur en méde-
que
conseiller municipal de Constantine, tel que M. Moussa. M. Kaiafa Medjoub, vieux professeur du lycée de Constantine, naturalisé français, n'a jamais eu la décoration de la Légion d'honneur tant prodiguée aux cheikhs et aux cadis. Même observation pour M. le docteur Morsly, de Constantine, et tant d'autres. « Chaque fois qu'un indigène instruit et indépendant s'est présenté aux délégations financières et au conseil général, il a été combattu avec acharnement cine,
par l'administration qui n'a jamais eu qu'une pensée, faire entrer dans nos assemblées des gens ne parlant
LES JEUNES-ALGÉRIENS
même .pas
le français. C'est là
155
une politique indigène
détestable qu'il convient d'abandonner complètement.
Sans
sacrifier les
jours bien servi,
«
il
vieux -turbans
tinctions et d'honneurs
Nous aurions
lectuels.
dans
le
M.
le
qui nous ont tou-
aux indigènes algériens intelun solide appui de plus
ainsi
milieu indigène
Comme
»
faut réserver une «juste part de dis-
»
docteur Bentami, conseiller municipal
d'Alger, président de la délégation des Jeunes-Algériens à Paris,
s'embarque pour
la
France en qualité
d'aide-major, M. de Galland, maire, lui écrit «
Mon
cher conseiller et ami.
—
:
Au moment
où,
appelé par la confiance du gouvernement à soigner nos
concitoyens indigènes blessés, vous allez vous embarquer, je tiens à vous adresser, au
lègues de la municipalité et
sentiments de
commune
du
nom
de tous
les col-
conseil municipal, nos
sym-
fraternité et de cordiale
pathie.
de votre mission, vous dont vous nous avez déjà donné des preuves et, à ce propos, je me fais un devoir de reconnaître avec quel louable empresse«
suis sûr qu'au cours
Je
apporterez
le
même dévouement ;
ment vous vous
de concert avec vos collègues, malheureux de la commune d'Alger. Je vous souhaite bon voyage tous nos vœux vous accompagnent. » êtes,
employé à secourir
les indigènes
;
Ce mérite que l'on reconnaît
ainsi à
vos coreli-
gionnaires, la France vous le reconnaît aussi, capi-
taine émir Khaled, petit-fils d'Abd-el-Kader
;
aides-
majors Belhandouz, Meridi, Morsly, Moussa, BouloukBachi à vous, agrégé de l'université et professeur au ;
lycée d'Alger, Saoulah, caporal fourrier
aux zouaves
à vous, instituteurs ou moniteurs indigènes
:
;
Dennoum,
i
L'ALGÉRIE ET LA GUERRE
56
Kouadi, Amhis, Azouaou, Tehamine, Mahed, Tirouche, Boudekhil, Àmmena, Riabi, Bilek, Saïdi, Mostefa Garadelli, Taïf, Younès, Maabed, Abderrahim, Saadi, Alim, Medjoubi, El-Aïd, Chenikar-Saïd, Benmostefa Mohammed, zouaves ou tirailleurs lieutenant-colonel Kadi, ;
capitaine
Diimi,
Guennoum.
lieutenant
lieutenant
Benbacite,
Tabti,
lieutenant
sous-lieutenant
loudj, officier interprète Tabti
fils,
Mou-
aviateur Hadj ou
Saïd; avocats Enfâa Djouadi, Abdesselam Mehana, Teleb Abdesselam, artilleurs; ingénieur électricien Achour, soldat du génie; étudiants en médecine
Maachou Hadj ben AbdeLkader auxiliaires
;
étudiant Kessous
médecins
et Askri,
lycéens
;
Kheddar
et
zouave Metahri Sadek, spahi Chennouf, et à vous, Rachidi, qui faisiez connaître en « Le Rachidi suspend sa publication mi-août 19 14 nos rédacteurs et une jusqu'à la un de la guerre partie du personnel de l'imprimerie ont été appelés par la mobilisation pour remplir un devoir sacré » et « Tous, pour la France!... Haut les qui ajoutiez « cœurs Vive la grande France En avant » En avant aussi, tous ceux dont nous n'avons pas cité les noms pour ne pas faire trop longue cette énuStambouli, tirailleurs
;
:
:
:
!
!
!
mération. Capitaine Khaled, digne figure qui émerge au-dessus de tant de figures nobles cependant, vous êtes le symbole franco-indigène du devoir accompli. Vous vous êtes superbement distingué au front, ainsi que l'attestent la croix de guerre avec palmes et étoiles et la rosette de la Légion d'honneur qui brillent sur votre poitrine. Petit-fils
de celui qui, avec tant de fière dignité, et qui se raJlia pour jamais à elle
combattit la France
LES JEUNES-ALGÉRIENS quand
il
157
eut compris que sa puissance militaire, dont
pu triompher, s'unissait à la plus haute beauté morale et à la plus fraternelle générosité pour
il
les
n'avait
vaincus remplis de vaillance et de sentiments qui
forcent l'admiration
du vainqueur, vous avez donné à
votre pays adoptif votre lot d'énergie, de courage et
de souffrances. Nous vous avons vu, amaigri et pâli, à l'hôpital Maillot d'Alger, le cœur toujours débordant d'indomptable espoir pour la France dont la pensée, en vous, se confond si magnifiquement avec celle que vous avez pour tous ceux de votre race. Dans le pavillon des officiers, ancienne maison de plaisance construite par BabaHassane, yers 1760, au milieu des jardins et devant Méditerranée resplendissante sous l'éclat du soleil, vous nous avez dit votre confiance en l'avenir, malgré les désillusions causées par ceux qui ne veulent pas connaître le fond de l'âme si sincère et si reconnaissante de vos chers coreligionnaires, et vous en appeliez à plus d'équité et de sagesse de la part de ceux qui dénigrent si inconsciemment le monde musulman algérien, et à plus de lumière pour tous les vôtres, à plus d'instruction, à tout l'enseignement français qui fera des indigènes nord-africains des êtres pensants et la
dignes.
Et vous avez raison il ne faut pas se laisser abattre par l'âpre égoïsme des uns et par la médisance des autres. Calomnier les bienfaits de l'instruction fran:
même
de la France en notre de son génie, le rayonnement de son amour, c'est désespérer de tout progrès et de toute civilisation. Mais c'est déjà pour vous la plus touchante récomçaise, c'est nier la
mission
sol natal africain, c'est nier l'attraction
i
L'ALGÉRIE ET LA GUERRE
53
pense que de vous voir compris et approuvés par des patriotes qui ont, au-dessus de toute compétition per-
sonnelle et de tout appétit de caste, le souci de la
France en Afrique. M. E. Bresson, rédacteur en chef du Petit Tlemcénien, écrit, en effet, très justement, le 10 septembre 19 14 a Aujourd'hui, instruits dans nos écoles, dans nos lycées, dans nos universités, une importante cohorte :
d'indigènes qui ont appris à connaître l'histoire française
par
ses hauts faits de gloire, sont à
même, par
des comparaisons faciles à établir, d'apprécier que les
musulmans ne sauraient accorder leur sympathie leur dévouement à d'autres qu'à la France. «
Les indigènes
Algériens
»,
lettrés,
et
que nous appelons les « Jeunesune belle mission
ont, à l'heure qu'il est,
à remplir auprès de leurs coreligionnaires. Cette mission,
ils
la remplissent déjà
d'un mouvement spontané,
en proclamant bien haut que la France est leur mère d'adoption et que, dans
les circonstances
graves qu'elle
traverse, tous les indigènes d'Algérie doivent se dévouer
pour
elle.
Aussi, voyons-nous, grâce à cet enthousiasme,
se manifester partout des actes de loyalisme qui se
traduisent par un profond respect des personnes et des propriétés, par la constitution de comités de secours et surtout
Et
par des engagements dans notre armée.
suprême
»
Les soldats musulmans qui sont prisonniers en Allemagne sont en butte à toutes les -sollicitations pour qu'ils abandonnent la cause de la France et pour qu'ils s'engagent dans les rangs de l'année turque. Chacun d'eux voici
,1a
et plus belle consécration.
a un dossier spécial.
M. Taouti ben Yahia, fils du caïd de Tadjmout et descendant de l'illustre famille de Ben Salem qui fut
LES JEUNES-ALGÉRIENS
159
maître de Laghouat avant l'occupation de cette ville par les Français, rapatrié en Algérie le 15 juin 1917 après avoir été blessé et fait prisonnier le 12 octobre 19 14, nous dit à ce sujet «
:
Nous apprîmes que nos réponses
étaient notées
:
mauvais, susceptible, jeune-algérien, etc., ce terme de jeune-algérien signifiant resté fidèle à la France. » bon,
:
XII LE PEUPLE INDIGÈNE
Parce que toute l'ardeur qui nous anime, tout
l'idéal
qui nous soutient nous font sur ce sol africain inces-
samment songer après celui du et
comme
le
à la France,
ciel,
comme
le
plus beau
royaume
disaient les poètes anciens,
proclame, de nos jours,
le
monde
entier,
du dévouement, de l'honneur, de l'altruisme, civilisation et du progrès pour tout le genre
la terre
de la humain, parce que notre sincère exaltation est de voir, chaque jour, la France accomplir la rédemptrice mission qui fait d'elle la nation élue pour être la généreuse
ou la patrie de toutes les patries, parce que nous avons l'indestructible et enthousiaste certitude que les peuples ensommeillés trouveront leur plus magnifique réveil dans la clarté française et que les peuples qui se fanent dans la misère, la faiblesse ou l'oppression trouveront leur plus complet épanouissement dans le bien-être, dans la puissance et la liberté qu'apporte la France à l'univers, parce que notre unique ferveur, brûlante, dans notre âme, comme la plus pure des flammes divines, est de voir la France
inspiratrice
d'autant plus belle qu'elle est plus rayonnante, d'autant plus respectée et plus forte qu'elle est plus grande,
nous aimons, de tout cœur
et
de toute espérance
LE PEUPLE INDIGÈNE
161
nous considérons nos égaux de demain, tous ces millions d'indigènes dont l'âme admirable fit la conquête de leurs vainqueurs même, si bien que ce*sont les Bugeaud, les Changarnier, les Saint-Arnaud, les Lamoricière, les Du Barail et les Margueritte qui se sont faits devant leur propre pays les garants de leurs vaincus. d'awmir, notre terre
comme
algérienne,
comme
nos frères de toujours,
Soldats, c'est-à-dire les héros les plus désintéressés,
ne mourant que pour l'honneur et la beau rêve matérialisé qu'est la patrie, ils ont livré maints combats aux Arabes et aux Kabyles, et voici que musulmans et Français se sont reconnus par leur nature chevaleresque, leur mépris de la mort ne vivant
gloire
de ce
et
si
et leur courage.
Leurs âmes pareilles se sont éprouvées par la », dit Emile Masqueray, et ce dernier en est si convaincu qu'il certifie ensuite « Aghas et généraux, «
guerre
:
caïds
et
capitaines,
hommes que
je viens
spahis et chameliers,
tous ces
de voir n'ont pas été vainement
forgés et soudés ensemble, tout
un arsenal de
force et
de courage n'a pas été rempli pour que les portes en restent fermées... Une heure sonnera dans laquelle nous
comme par une empire africain qui nous
serons secoués et poussés en avant,
main puissante, vers
cet
attend depuis quarante ans.
»
France est en Afrique. L'avenir de fait qu'Onésime Reclus, clairvoyant qui ce C'est esprit, demeure optimiste malgré les inquiétudes causées en 1914-1915 par la guerre que l'Allernagne a déchaînée, et, optimiste, il le reste à jamais à cause de l'Afrique même. Il voit surgir de son sein toute une France nouvelle, « la France future, une France à la la
L'ALGERIE ET LA GUERRE
i62
population innombrable, une France puissante, riche, prospère, magnifiquement jeune et vivace et qui déjà s'élabore dans l'immense creuset
cain
du continent
afri-
».
Nord- Africain sera pour la France bien plus pour Rome. Il donna à cette deinière toutes ses richesses matérielles, ses épis de blé
Tout
qu'il
si
ne
le
fut, jadis,
épais et
si
lourds qu'ils suscitaient les cris d'admi-
i
.
ration de la Ville Éternelle, le sang rouge de ses vignes
sang d'or de ses olives, toutes ses céréales et tous que son sol fut merveilleusement mis en valeur, il devint le grenier du pays des Césars. De jour en jour, ce Nord-Africain sera beaucoup plus pour la France, car il est aussi dès à présent le grenier de millions d'êtres humains, dont les fils travaillent aujourd'hui à sa défense et travailleront, demain, à la reconstitution de ^es villes envahies. Car ces Arabes sont, de moins en moins, ces nomades dont les chevaux légers n'avaient dans leur course rapide, pour limite, que l'horizon, toujours fuyant ils sont, de moins en moins, ces derni-sédentaires dont la patrie était où se fixait, jusqu'à un hasard nouveau, car ces Kabyles sont, de moins la mouvante tribu en moins, les montagnards liés à leur rocher natal, car les temps s'accomplissent et la France est venue qui a introduit parmi eux ses plus rudes fils du Languedoc, du Dauphiné, de la Provence, qui a tracé des routes et le
ses fruits et, parce
;
i
;
;
et des voies ferrées, qui a établi l'ordre et a assuré
nomade, est plus tranquille dans les chemins déserts où passent, seules, les caravanes et, s'il est devenu plus sédentaire, il est plus heureux dans son commerce, à l'abri des incerla paix, et l'Arabe, s'il est encore
titudes des lendemains pillards
;
et le
Kabyle, malgré
(
!
i
LE PEUPLE INDIGÈNE
163
son amour pour la montagne, descend dans la plaine et peut, dans la certitude que tous les siens ne sont plus en danger, donner libre cours à son humeur aventureuse en parcourant le monde.
Tout ce bien-être, même si relatif qu'il soit pour mais plus assuré qu'il ne le fut jamais, cette
certains,
liberté et cette paix féconde, tous ces bienfaits, l'indi-
gène, fût -il le plus ignorant, sent,
ment,
qu'il les doit à la France. Il
même
instinctive-
a appris à aimer son
Algérie plus belle et plus tranquille, l'Algérie dont la face a été complètement renouvelée et qui est devenue la
France elle-même.
sommes nés, où sont où il y a identité d'intérêt en même temps que d'idéal, où l'histoire se fait de plus en plus pour tous les êtres qu'un sort propice unit au même coin de l'univers, l'histoire, mère des traditions com-
La
patrie est la terre où nous
enterrés nos pères,
munes, source de la même inspiration, foyer de lumières diverses et pourtant semblables
aux
autres.
L'Algérie, c'est-à-dire la France, est notre patrie, à
nous dont les ascendants vinrent de la métropole ou de l'étranger ou dont les aïeux étaient déjà établis sur ces bords méditerranéens. Nous sommes les fils du même sol et du même amour, de quelque race ou de quelque religion qu'on nous désigne, et, tous,
nous aurions été les exilés et les arrachés, contre notre volonté, de la patrie française, si l'Algérie, c'est-à-dire la France, de par le sort impie des armes, était devenue allemande. Il
n'y a donc pas de loyalisme chez
les
musulmans
Français ou néo-Français d'Algérie, il y a un patriotisme égal, digne à titre unique, qui tient au cœur des indigènes et de tous les Français,
et patriotisme
chez
les
L'ALGÉRIE ET LA GUERRE
i6 4
métropole, — y va de son honneur, pour lequel — ne doit établir ni catégorie ni la
et
il
distinction.
La guerre actuelle a été aussi, a été surtout pour le monde musulman, au regard de la France, la plus formidable, la plus émouvante et l'éternelle pierre de Il n'est plus l'être fanatisé par on ne sait quel de guerre sainte contre le chrétien, l'être hanté par on ne sait quel amour d'indépendance qui ne serait, d'ailleurs, que passagère, l'être animé par on ne sait quelle haine contre le vainqueur qui lui tend la main
touche. esprit
ouvre son âme, il n'est plus rien de tout cela. Mais il est Français par le cœur et par l'esprit, par sa' conscience patriotique et noble fondue dans la et lui
conscience nationale elle-même, l'indigène qui, pour
défendre la France, devient soldat, que ce soit par ou par engagement volontaire, ou qui
la conscription
s'enrôle s'il
comme
travailleur dans les usines,
ou
qui,
n'est ni l'un ni l'autie, montre, par la sagesse de son
existence durant cette guerre, par son application à
de vouloir susciter la moindre au contraire, à sa plus grande prospérité et à son plus beau renom et qui ne vit par son action quotidienne et par sa foi que pour que la France soit victorieuse. N'oublions pas, par exemple, que, si pauvre qu'il soit, l'indigène a tenu à cœur de payer ses impôts et de s'inscrire le plus possible à toutes Jes souscriptions, et que tous les hommes et toutes les femmes du monde musulman algérien ont, ainsi que nous l'avons déjà dit, prié dans toutes les mosquées et dans toutes les zaouïas afin que la France triomphe de l'Allemagne. M. Camille Jullian, membre de l'Institut et professeur au Collège de France, étudiant la place de la ses labeurs, que, loin difficulté
à son pays,
il
s'efforce,
LE PEUPLE INDIGÈNE
165
guerre actuelle dans l'histoire de la France, déclare
que
c'est «
une guerre nationale,
la première et la seule
guerre qui ait été vraiment nationale, faite par la
nation entière et faite uniquement pour
elle.
Au
delà,
dans le passé, si grandes que furent les autres guerres, aucune n'a mérité d'être, comme celle-ci, la guerre pure et sainte de la France. Toutes les autres ont été mêlées d'éléments impurs, de ceux qui troublent ou divisent
un peuple.
»
Guerre nationale, guerre pure
et guerre sainte
la France, les indigènes l'ont ressentie avec la
âme que nous
tous.
n'est
Il
donc pas
de
même
vrai, selon la
phrase routinière, et que répétait inconsidérément et
malheureusement une
fois
de plus l'Echo d'Alger du
25 décembre 1915, sous la signature de M. L. Martin, avocat à Sétif, que « l'admiration des indigènes,
sinon leur sympathie, va 'd'abord instinctivement à celui qui est le plus fort
».
Quand l'Allemagne a battu
la France à Charleroi, quand, ainsi que l'exposait le président du Conseil, M. Aristide Briand, le 19 décembre 1916, à la tribune du Sénat, « l'Allemagne s'est précipitée, après quarante années de préparation systématique, à travers la Belgique violée et sanglante, sur 3a France, que sa vague est venue jusqu'aux portes de Paris, oui, à ce moment -là, on pouvait croire qu'elle triomphait, elle avait le droit de l'espérer... alors la France était presque isolée et dans son organisation militaire et dans son outillage... » Alors, c'était bien Guillaume II
qui était
le
plus fort.
Qui donc, autant que la France ou que l'Algérie française, l'a éprouvé, au plus haut point, si ce n'est le monde indigène de notre colonie, car nos plus vail-
L'ALGÉRIE ET LA GUERRE
ï66
lants régiments de tirailleurs ont leroi,
—
et ni
«
l'admiration
musulmanes n'ont est le plus fort
»,
été
«
»
succombé à Char« sympathie »
ni la
instinctivement à celui qui
c'est-à-dire à l'Allemagne.
Cette admiration et cette sympathie ont été, d'un seul élan, dans la plus touchante et inoubliable spon-
à la France vaincue dont bien des pays,
tanéité,
même finale.
attendaient impatiemment l'agonie
neutres,
A
cette France vaincue, les indigènes algériens
ont aussitôt donné leurs plus intrépides et valeureux enfants, car l'histoire enregistrera que c'est surtout au
mois d'août 1915
qu'il
y
eut,
en notre Nord- Africain,
le
plus d'enthousiasme et le plus d'engagements volon-
pour nos régiments de tirailleurs, de spahis et de goumiers. M. Charles Lutaud, Gouverneur général de l'Algérie, expliquait fort justement, dans son discours d'ouverture de la session ordinaire des Délégations finan-
taires
cières, le 7 juin
1915
:
Dès le premier jour des hostilités, l'indigène s'est donné à nous franchement et sans réserve. Il a senti confusément planer sur l'humanité comme un immense danger. Il a compris que nous approchions peut-être d'un des grands cataclysmes de l'histoire. D'un mouvement rapide, dont le caractère prime-sautier avait «
quelque chose de touchant,
On
il
s'est resserré contre nous.
dissertera sur le point de savoir si ce
tané a été instinctif ou
réfléchi.
don
si
spon-
Les deux hypothèses,
remarquons-le, seraient également favorables à la souveraineté française, qui contient, pai elle-même, une si
haute puissance d'attraction
si
particulier sur les peuples où s'éveille
cension et de civilisation.
»
un prestige un désir d'as-
et exerce
LE PEUPLE INDIGENE
167
L'année suivante, à l'ouverture de la session ordinaire des
mêmes
Délégations financières,
6 juin 19 16,
le
M. Charles Lutaud certifiait une fois de plus « Au lendemain de la déclaration de guerre, j'ai affirmé solennellement que les indigènes resteraient :
Nous
étions
autorisés à parler ainsi, nous ne redoutions
aucun
indéfectiblement
à la France.
fidèles
démenti. Les événements ont justifié notre pronostic.
Nous avons vu qu'à
l'appel de ses
muphtis
et
>>
de
marabouts le peuple indigène s'assemble et prie pour la France dans les mosquées et zaouïas. Pour « affirmer avec enthousiasme leur patriotisme et leur dévouement au gouvernement français par les cris de « Vive la France » les indigènes, descendus des douars, se réunissent sur la place publique de leurs communes, ainsi que, par exemple, le télégraphie le maire de Dellys au Gouverneur général de l'Algérie en mises
!
:
août 19 14. Ils sont
là,
au nombre de plus de
mille,
comme
ils
sont le double, quelques jours après, à Duperré et
dans beaucoup d'autres centres. Les orateurs muphtis, :
musulmane, proclamations de M. Charles
cadis ou présidents d'association cultuelle lisent et
Lutaud
commentent
les
et rappellent, en glorieux exemple, la conduite
des soldats indigènes qui ont mêlé leur sang à celui de leurs frères français sur lçs
gascar,
au Tonkin,
champs de
et, hier
Maires, administrateurs de
mandants d'armes faits
et
ils
de l'œuvre de
commune mixte ou com-
la civilisation française
indigènes. C'est le péril !
A
à Mada-
font, à leur tour, ressortir les bien-
certifient avoir confiance
des races
bataille,
encore, au Maroc.
dans
commun
qui
le
parmi nous
loyalisme des
fait la fraternité
ces manifestations publiques correspond
L'ALGÉRIE
i6S
LA GUERRE
E?T
une recrudescence d'engagements volontaires. Même de vieux tirailleurs qui ont fait la campagne de 1870 demandent à reprendre du service. Nous avons dit, plus haut, qu'à l'assemblée plénière des Délégations
financières, le
23 juin 1914,
M. Ali Mahieddine avait rappelé qu'un proverbe arabe avait assuré que « le serviteur et sa fortune appartiennent à son maître
et
»,
qu'en l'occurrence,
le véri-
table maître, c'était la France.
Dès la déclaration des hostilités, le peuple indigène montre qu'il pense de la même façon et il s'empresse de faire connaître aux administrateurs des communes mixtes que ses bêtes de trait, son matériel agricole, ses bestiaux et ses grains sont à la disposition du gouvernement et, chaque fois qu'il s'agit d'un transport pour les services de la patrie, il réunit, en quelques heures, le nombre de mulets ou de chameaux nécessaires, si bien que les autorités locales s'accordent pour certifier que son état d'esprit est le même que ;
même
celui des Français, avec le
premiers jours, la
même
certains revers et aussi la
dans
le
Que
succès
même
et tenace espérance
final.
d'autorités font remarquer que les indigènes
emploient l'expression
non
enthousiasme des
inquiétude à l'annonce de
:
«
Nous serons vainqueurs,
»
Les Français seront vainqueurs, » identifiant par là leur cause à la nôtre On constate que les indigènes, ayant conscience de nos graves préoccupations, se montrent beaucoup moins bruyants qu'à l'ordinaire sur les marchés et dans les cafés maures, partageant ainsi notre recueillement. Toutes les fêtes religieuses musulmanes, comme celle du Mouloud, jour de la naissance du Prophète
et
:
«
!
;
LE PEUPLE INDIGÈNE l'Aïd-es-Seghir, la
«
petite fête
du Rhamadan
»
169
célébrée à l'occasion
« grande au cours de laquelle tout musulman aisé doit égorger un mouton, dont il donnera au moins le quart aux pauvres, moyennant quoi, à sa mort, le mouton lui servira de monture, pour aller, après le jugement, prendre sa part du paradis, toutes les fêtes religieuses donnent lieu d'ordinaire à de grandes et exubérantes réjouissances. Chacun s'habille de neuf, les femmes
de la
fête
fin
;
l'Aïd-el-Kebir, la
»
revêtant leurs plus beaux atours,
et, la nuit, les
mu-
siques se font entendre dans la clarté rouge des feux
de bengale et dans l'accompagnement de pièces d'artifices. Le Rhamadan s'achève aussi dans la joie. C'est la satisfaction légitime d'un devoir accompli. Mais souvent, quand le jeûne rituel a été rendu particulièrement pénible par la chaleur excessive de juillet, la joie
dégénère en désordre et en querelles surchauffées.
Or, durant
calme et
la guerre,
ces fêtes
se passent
dans le vou-
la dignité les plus parfaits, les indigènes
une fois de plus la preuve de leurs sentiments à l'égard de la France. Le cheikh ben Tekouk, chef de la zaouïa des Oulad Chaffaâ, n'écrit-il pas, en fin août 19 14, au sous-préfet
lant ainsi solennellement donner
de Mostaganem «
:
De temps immémorial, nous donnons, dans
le
mois de septembre de chaque année, un grand toâm pour perpétuer la mémoire de notre ancêtre Sidi Charef dont le mausolée est situé dans la commune de Bouguirat. Français et indigènes, fonctionnaires, notables et pauvres assistent à cette fête. En raison des circonstances actuelles, j'ai supprimé ce toâm en signe de deuil, car nous partageons, avec les Français, aussi bien leurs peines que leurs joies.
i
L'ALGÉRIE ET LA GUERRE
7o
«
Toutefois, nous réservons cette fête. Elle aura lieu
après la victoire des Français et sera comprise parmi
qui seront données par les
les fêtes et réjouissances
Français. Vive la France «
!
D'autre part, à l'occasion de la fête de l'Aïd-Seghir
mes recom-
qui aura lieu demain,
je
mandations aux
qui viennent habituellement
fidèles
faire la prière à la zaouïa.
Aux grandes des vœux sont
Comme
renouvellerai
»
prières qui terminent les cérémonies,
formulés pour
le
triomphe de notre
10 Dou-el-Hadja 1333, correspondant au 20 octobre 19 15, à l'occasion de la fête du patrie.
mouton,
les
le
fidèles étaient
tombe de son
venus
faire leurs prières
M. Bendjoudi Cheikh Yahia ben Djoudi exhorta ainsi ses coreligionnaires de la commune des Biban « Mes frères, voilà quinze mois que nos héros se battent pour notre mère la France. Ses enfants cou rageux et ses héroïques alliés font le sacrifice de leur vie pour la civilisation et l'humanité. Que Dieu les préserve. O héros, prenez patience, faites feu sur vos sur la
père, Sidi-Yahia,
Ahmed ben
:
adversaires et tirez
La
le
sabre contre eux. Patience
victoire finale arrivera avec l'aide
!
du maître de
l'univers... «
Cette guerre a arrêté vos affaires commerciales et
vos relations avec
les
et les syndicats. Le commerce manipulait
banques
dernier parmi nous pour son
des milliers de francs. Ce qui
fait
que certains que vous
connaissez sont devenus riches et propriétaires, alors qu'ils étaient
auparavant des gardiens de moutons ou
des colporteurs transportant leurs marchandises sur des ânes de marché à marché. Tout cela ncus a été
donné par
la
domination pacifique de
la
France.
LE PEUPLE INDIGENE
171
Étant donné ce jour de fête et, par la grâce de ce mains et prions Dieu à haute voix pour que la France et ses alliés soient victorieux de nos «
jour, levons les
ennemis.
»
La guerre actuelle aura été la cause d'initiatives que la religion musulmane prohibait cependant. La Dédu 15 décembre 1915 explique
pêche tunisienne ces prohibitions «
La
îeligion
ainsi
:
musulmane en
au point où
est encore
se trouvait la primitive église chrétienne qui était
opposée,
si
nos renseignements sont exacts, à ce que
le
prêteur perçût de l'emprunteur quoi que ce soit, en
dehors de la «
Les
somme prêtée. de Mahomet se
fidèles
basent sur ce verset du
Coran pour régler leur conduite dans les questions de prêt d'argent « O croyants ne vous livrez pas à « l'usure en portant la somme au double craignez le « Seigneur et vous serez heureux. » « Les commentateurs mahométans qui font autorité connaissant les défauts de la race, l'imprévoyance d'un côté et l'âpreté au gain de l'autre, ont, en se basant sur le verset précité, défendu d'une manière formelle le placement d'argent à intérêt de quelque manière que ce soit et quel qu'en soit le taux. « Le prêt n'est donc licite qu'à la condition absolue de ne produire aucun intérêt. Il doit être un service rendu et non un motif de profit. C'est la cause principale du refus de tous les musulmans d'acquérir des actions ou des obligations et de se livrer à la spécula:
!
;
tion des valeurs.
»
Mais de nouvelles circonstances, les plus hautes qui soient, se produisent en Europe il y va du salut de la France, et devant ce salut s'inclinent les préceptes de :
i
L'ALGÉRIE ET LA GUERRE
72
exemple, que, à l'emprunt de 19 15, les indigènes de la commune mixte de Mascara participent pour plus de 30 000 francs la djemâa du douar d'El-Ouessah, dans le département de Constantine, souscrit pour 40 000 francs les sociétés de prévoyance indigènes d'Algérie participent pour 118 685 francs de rente moyennant le dépôt d'un capital de 2 087 033 francs et elles auraient fait un apport plus considérable si elles n'avaient pas été tenues par leurs statuts. Le même fait se reproduit dans toutes les villes et, dans l'ensemble, pour plusieurs Ja loi coranique. C'est ainsi, pai
;
;
millions. Il
se renouvelle pour' l'emprunt de 19 16 avec la
même
pour de plus grandes sommes au que 186 indigènes de Laghouat sousd'autres souscrivent à crivent pour 85 000 francs Beni-Mansour pour 10 315 francs et à Bou-Saada pour 16 705 francs, ce qui fait dire à la Dépêche algérienne du 13 novembre 1916 « Une nouvelle preuve de loyalisme a été fournie en la circonstance par la population indigène de la commune mixte de Bou-Saada qui, une fois de plus, a montré combien sincère est sa foi pour les destinées de la France en souscrivant généreusement à l'emfidélité
et
total. C'est ainsi
;
:
prunt.
»
Le même enthousiasme se produit pour l'emprunt de 19 17. Tous les indigènes comprennent que prêter à l'État, c'est contribuer à hâter la victoire et
il
n'est
pas jusqu'au plus humble qui ne s'efforce de souscrire.
Des comités de propagande pour ce troisième emprunt se constituent en Algérie, et les musulmans y participent. C'est ainsi qu'en font partie, aux Attafs,
LE PEUPLE INDIGENE
173
municipaux Abdelhakan Atba ben Atba Bouziane Rahmani ainsi que les chefs de fraction et, à Oued-el-Alleug, les conseillers municipaux Laouri, Tefïali et Tchantchane. Tous les indigènes se rendent, en effet, aux sages paroles que M. Djoudi Mohamed, cadi de la mahakma de Duperré, prononce sur la place publique de cette ville, le 4 décembre 19 17, devant 4 000 assistants les conseillers
et
musulmans «
fils
:
Coreligionnaires, vous avez
qui ont rendu, partout où
vices.
La France demande,
Donnez-le-lui
;
donné à
ils
la
France vos
sont de brillants ser-
à présent, de l'argent.
affirmez encore votre
amour
à votre
mère adoptive. Donnez dans la mesure de vos moyens, mais donnez tous. » C'est avec le même empressement que le peuple indigène paye l'impôt. Le Mobacher, journal officiel de l'Algérie, le 22 novembre 19 16, publie un tableau des recettes budgétaires de l'exercice 1915. Il est à remarquer que si l'ensemble des recettes de cette année 19 15 accuse un fléchissement de plus de 7 millions et demi sur l'exercice 19 14 et de 41 millions environ sur les évaluations budgétaires de l'année, les contributions et centimes additionnels de l'impôt arabe considéré isolément sont cependant en excédent de 17 477 francs sur ces mêmes évaluations et en augmentation de 552 344 francs sur les recouvrements de 19 14. Cet empressement patriotique est d'autant plus touchant qu'on ne peut s'empêcher de songer que la propriété non bâtie européenne qui rapporte, par ses magnifiques vignobles, des millions et des millions
à leurs détenteurs, était hier encore exonérée d'impôt et que,
comme on
le
verra plus loin, à propos de Tin-
i
L'ALGÉRIE ET LA GUERRE
74
sécurité, le peuple indigène a,
durant cette guerre,
considérablement souffert de misère par suite de la
de la mortalité de ses troupeaux et des ravages des sauterelles. Ne nous étonnons pas d'ailleurs de ce qu'il ait si bien acquitté ses impôts. Comme, pour équilibrer le budget de l'Algérie, il fallait établir de nouvelles charges, aux Délégations financières, les sections arabe et kabyle se sont montrées le plus prêtes à voter
sécheresse, des intempéries,
immédiatement tout ce qu'exigeait la situation. M. Ben Siam déclarait à l'assemblée plénière du 25 juin 19 15 « Les indigènes sont prêts à consentir tous :
fices
qui leur seront demandés.
les sacri-
»
M. Si Henni appuyait cette observation Chenane affirmait à son tour
et
M. Ben
:
«
L'indigène est prêt à payer les taxes qu'on lui
demandera
:
il
le fera
avec patriotisme.
»
Ainsi le peuple indigène, par ses souscriptions et ses
engagements volondonne son courage jusqu'à la mort, et, par la main-d'œuvre dans nos usines nationales, il donne son énergie et sa force au impôts, donne son argent
;
par
les
taires et la conscription militaire,
il
travail.
Que de et aussi
détails touchants
l'amour
le
!
Le cœur
patriote peut demeurer insensible
Un modeste
entier s'y révèle
plus pur pour la France. Quel
aux
faits
suivants
:
ouvrier kabyle de Chéragas, arrondis-
sement d'Alger, M. Chabane ben Mohamed, originaire de Zouaoua, a aidé au déchargement et au transport de sacs destinés au magasin de réserve de la « soupe populaire » de la commune. Comme on insistait pour lui faire accepter une rétribution, il refusa en déçla-
LE PEUPLE INDIGÈNE rant
C'est pour la France
«
:
d'hui
:
je fais
mon
devoir.
que
175
je travaille
aujour-
»
Informé de cette action par le maire de Chéragas, Gouverneur général de l'Algérie envoie à Chabane ben Mohamed, avec ses compliments personnels, un « Puisque tu aimes bien la France, fusil d'honneur nous te comptons parmi ses enfants et nous t'offrons cette arme qui te permettra de contribuer à protéger le
:
et à défendre ta patrie.
»
Quelques semaines après,
le
maire de Chéragas
écrit
à M. Charles Lutaud « Il y a quelques jours, Chabane ben Mohamed, qui :
ne sait plus comment manifester sa joie depuis qu'il possède le fusil que vous lui avez offert, est venu me trouver à la mairie,
me demandant
s'il
lui serait pos-
pour l'élever, un petit orphelin ou une petite orpheline de nationalité française, parce que, « Je ne connais pas « les Belgique ». Ma ajoutait-il « femme et moi, nous sommes seuls, il nous ferait plai« sir de garder un enfant nous mangerions du pain, « mais, pour le petit Français, il y aurait toujours des sible d'obtenir,
:
;
«
confitures. «
Je lui
»
ai
répondu que
j
appréciais beaucoup sa
demande qui prouve son dévouement, mais que
la
question était toute nouvelle et qu'elle pourrait être étudiée je lui ai signalé que l'éducation d'un enfant dans ces conditions n'entraînait pas une aide pécuniaire de l'État, comme dans certaines espèces prévues d'assistance publique. « Il m'a répondu qu'il était loin de sa pensée de solliciter quelque secours que ce soit, que sa femme et lui avaient quatre bras, qu'ils étaient ouvriers, et que, s'ils avaient eu des enfants, ils les auraient élevés ;
i
L'ALGÉRIE ET LA GUERRE
76
sans rien demander à personne. Je iui ai formellement promis de vous exposer sa demande et je m'empresse de le faire. «
L'adjoint indigène des trois tribus, stimulé par
l'exemple deChabane, et qui est plus fortuné, est V3nu
me
même
il prétend que d'autres par des indigènes des tribus. Je ne sais si pareilles demandes ont pu vous être formulées par les indigènes d'autres tribus, mais je les ai trouvées touchantes et exprimant dans toute la force de l'offre rattachement à la France des indigènes de
faire la
demandes seront
nos tribus.
proposition,
faites
»
Écoutons le Gouverneur général de l'Algérie « Il est de touchantes et délicates manifestations de dévouement comme celle des tribus de diverses communes mixtes qui, recevant des commandes de peaux de chèvres et de moutons d'une valeur de :
12 654 francs, ont refusé tout
payement parce
qu'il
s'agissait d'envois à l'armée. D'autres tribus ont trans-
formé le payement de ces fournitures en dons à diverses Quoi de plus touchant que ces oboles de pauvres gens marquant ainsi leur attachement à la France? » Et cet humble vendeur de fruits et de légumes au marché de Karguentah, à Oran, nommé El Mahjoub ben Chaach Onld Mohammed ben El Mahjoub, qui fait parvenir au président de la République une figue de Barbarie en indiquant « qu'un fruit qui apparaît hors de saison et envoyé au souverain est un présage de victoire », ce dont M. Raymond Poincaré le fait sociétés de bienfaisance et d'assistance.
officiellement remercier
Et
?
cet Oranais, Zerouali
père, lieutenant
aux
ben Aouda, dont
tirailleurs,
blessé
le
trois
grandfois
à
j
LE PEUPLE INDIGÈNE
i7:
Malakoff et une fois à Puebla, fut décoré de la Légion d'honneur par Napoléon III, aux Tuileries, et dont le père, gendarme en retraite, fut blessé comme caporalsapeur des turcos à Wissembourg, en 1870? Zerouali ben Aouda, étant à Paris à la déclaration de guerre, s'emploie aussitôt à faire engager des mineurs kabyles, chassés
du Nord par
2 064. Puis
il
s'engage
l'invasion, et réussit à en enrôler
comme simple soldat, est nommé
successivement sur le champ de bataille sergent, puis adjudant-chef au 46 e de ligne, régiment de La Tour
d'Auvergne, et sa citation comporte « A ramené en bon ordre sa compagnie dont tous les gradés étaient tombés au champ d'honneur et a sauvé, sous le feu de l'ennemi, Pierre de Castelnau, neveu du général du même nom, commandant la 2 e armée. » Bouaziz Ammar ben Mohammed, du douar Aïn:
Tabia, écrit de Trouville-sur-Mer, à l'administrateur
de sa lui et
commune mixte, son frère Ahmed
Collo,
pour
lui faire savoir
ont été blessés
que
23 août 1914, souhaitent tous deux d'être le
au combat de Dinant. Ils vite rétablis pour rejoindre leur troisième frère Boudjema, car, écrit Bouaziz Ammar, cent Prussiens ne font pas peur à un tirailleur. L'administrateur convoque le père de ces trois jeunes soldats, le plus âgé ayant vingt-cinq ans, Bouaziz Mohammed ben Ahmed, pour lui donner des nouvelles de ses enfants, et ce père de répondre très simplement « Je suis content que mes fils aient été blessés en défendant le drapeau français. J'ai moi-même, comme tirailleur, servi la France pendant onze ans et ai pris part à l'expédition du Mexique, à la guerre de 1870, pen:
!
dant laquelle
j'ai été fait
prisonnier à Sedan, et à
l'insurrection kabyle de 1871. Je n'ai
qu'un regret
i
L'ALGÉRIE ET LA GUERRE
73
aujourd'hui, celui que mon âge avancé ne pas de combattre à côté de mes enfants. »
me permette
Kara Mohamed Ould Kara, fils d'un officier de campagne de 1870, appartient à
spahis qui a fait la
la fraction des Douaïres, la première qui se soit ralliée
à la France, ce qui lui vaut
le privilège
d'une diminu-
tion d'impôts. Kara, malgré son âge, soixante-deux ans, a tenu à partir sur le front avec les spahis auxi-
vaillamment comporté et a été nommé logis sur le champ de bataille. Naoun Mahmoud, soldat au 111 e d'infanterie, dont le père est gendarme en retraite, est blessé en Lorraine, non loin de l'endroit où, en 1870, son grand-père mourut pour la France, et, à peine « remis sur pied », demande à repartir au front. Trois prisonniers allemands évadés du camp de Mezouir, commune mixte de Maillot, franchissent le col de Tizi-N'kacilel, traversent les douars Houdrarine et Akbils, ne voyageant que la nuit, évitant de s'approcher des villages et se cachant dans les broussailles durant le jour. Ils arrivent ainsi jusqu'à proximité du village de Taourirt-Amrane, à trois kilomètres de Michelet. Là, ils sont aperçus par un indigène occupé à moissonner et qui va, aussitôt, prévenir l'administrateur de sa commune. Une heure liaires, s'est
maréchal des
10 juillet
après, c'est le
allemands sont ils
n'ont rien
clarent qu'ils
arrêtés.
19 15, les trois prisonniers
Leur fatigue
mangé depuis se sont
contre promesse
est
extrême,
leur évasion et
ils
dé-
adressés en cours de route,
d'argent,
à des
Kabyles qui ont
refusé de leur prêter assistance et de leur donner de la
nourriture.
Les femmes ne sont pas moins admirables. Le Matin
5
LE PEUPLE INDIGÈNE
i
79
du 7 octobre 19 14 publie la lettre suivante dont il supprime la signature mairie d'une petite commune du « Secrétaire de littoral algérien, je suis chargé de recevoir les demandes de secours des femmes de tirailleurs partis à la frontière elles viennent par longues théories, voilées de blanc, toutes jeunes et presque toutes très belles, et voici la conversation que nous avons « Ton mari est soldat tu viens pour toucher ce à :
;
— quoi tu as droit? — Mon mari
:
;
est à la guerre, monsieur le khodja mais je viens seulement te demander de lui écrire que je suis heureuse de le savoir en campagne, défendant la France. Nous avons bon courage et espérons qu'il fera tout son devoir, et que, s'il «
secrétaire),
(le
revient, ce sera après l'extermination des lâches Prussiens.
»
Ce secrétaire de mairie ajoute
:
«
Je vous assure que
c'est sublime. »
Et pourquoi ne l'indiquerions-nous pas en songeant que Jésus rallia à sa foi jusqu'aux blondes Samaritaines de son époque? Il n'est pas jusqu'aux prostituées musulmanes qui ne fassent sincèrement des vœux pour la France, et les Ouled-Naïls, les belles danseuses aux voiles éclatants, sont prêtes à lui donner les pièces d'or dont elles sont pourtant si orgueilleuses et si jalouses pour l'ornementation de leurs coiffures et de leurs cous. Les enfants partagent le même enthousiasme que s eurs amis français. L'Echo d'Or an du petits 15 mars 19 15 relate l'exemple suivant :
Deux
m'amènent à reparler du loyalisme des indigènes d'Ammi-Moussa. Dernièrement, un tout «
faits
L'ALGERIE ET LA GUERRE
iSo
jeune indigène, dix ans environ, arrivait de la mon-
commune mixte pour contracter un engagement de quatre ans, afin, tagne et se présentait directement à la
se battre contre les Boches.
dit-il, d'aller «
L'autre jour, c'était un autre jeune indigène,
Draoua Bouzid,
seize ans environ, qui, à l'insu
de ses
parents, se présentait à la caserne de notre garnison et sollicitait l'autorisation
ment pour
de contracter un engageUn de ses frères
durée de la guerre...
la
Abdelkader, âgé de dix-neuf ans, est parti pour la comme spahi auxiliaire; il avait été cependant ajourné, l'année
frontière, dès les premiers jours d'octobre,
précédente, par la Commission de conscription,
Renault,
comme faible de constitution.
à
»
Les secrétaires du colonel commandant le terriGhardaïa ne virent-ils pas se présenter, en avril 19 16, un petit nègre qui arrivait à pied, après plusieurs jours de marche, vivant de mentoire militaire de
zaouïas d'Aflou où on n'avait pu de son jeune âge, dans l'espérance qu'à Laghouat on le déclarerait bon pour le service? dicité
ou dans
les
l'enrôler à cause
Et
les
fils
du colonel Ben Daoud
qui, à la tête
du
I er
régiment de spahis, fit des prodiges de valeur et combattit toujours si vaillamment à l'ombre du dra-
peau français?
Que de
fois n'a-t-on
Parlement,
pas
cité,
même
à la tribune
du
comme preuve
s'assimiler, le
d'une race qui refuse de colonel Ben Daoud, prenant sa retraite,
se retirant dans son douar et vivant à
nouveau parmi qu'aux premiers jours de sa jeunesse Mais quelle étrange preuve et combien mal choisie Le colonel Ben Daoud se retire dans son douar comme tant d'officiers français dans leurs petits villages, mais
les siens, ainsi
\
!
1
LE PEUPLE INDIGÈNE il
1S1
continue à élever ses enfants dans l'amour de la
France.
L'un d'eux est capitaine et sert très dignement son pays adoptif sur les confins de la Tripolitaine. Un autre, Abdramen ben Daoud, est engagé au 4e
régiment de et part
Maroc guerre.
En
a
tirailleurs. Il
au front dès
janvier 19 15,
il
les
est
fait la
campagne du
premiers jours de la
en traitement dans un
hôpital de Clermont-Ferrand, et voici comment un de nos confrères de cette ville, après l'avoir été visiter, relate ses exploits «
A
Charleroi,
:
pendant que
la bataille faisait rage,
son capitaine tomber, une jambe fracassée, à quelques mètres de lui il se précipita sur l'officier, le plaça sur son dos où il l'attacha avec sa ceinture et, sous la tempête formidable des
Abdramen ben Daoud
vit
:
obus, des shrapnells et des balles, l'emporta loin du ainsi 25 kilomètres pour trouver
champ de combat. Il fit
l'ambulance où le capitaine put recevoir des soins. « Le tirailleur algérien repartit dans la nuit et retourna à la bataille qui continuait. Son lieutenant venait d'être blessé par un éclat d'obus quinze blesil chargea sures. Abdramen ben Daoud n'hésita pas autre une vers alla l'officier sur ses épaules et s'en :
:
ambulance plus rapprochée qu'on
lui avait
indiquée
:
il parcourut 17 kilomètres avec son précieux fardeau. Quand il parvint au but, son lieutenant, après l'avoir remercié, lui conseilla de se reposer jusqu'au lendemain.
—
Je ne veux pas me reposer, répondit-il, je veux aller tuer beaucoup de Boches encore. » « Mais en route, dans son courageux sauvetage, famille il avait perdu son sac contenant des papiers de médaille et quelque argent de plus, ses médailles, «
;
—
L'ALGERIE ET LA GUERRE
iS 2
coloniale, militaire,
agrafe Maroc et agrafe Oudja, médaille du Nicham-Iftikhar et du Nicham du Maroc,
— avaient été arrachées de leurs rubans Abdramen ben Daoud eut des larmes dans yeux. — On te remplacera, médailles, va ;
les
tes
les
«
dit l'officier.
Ne
!
te désole pas ainsi et reste avec
lui
nous
pendant quelques heures encore, tu dois être éreinté
!
»
Le vaillant soldat répondit négativement. Il serra main de son lieutenant et fit le trajet du retour au
«
la
pas de gymnastique comme s'il craignait de ne pas arriver pour reprendre sa place à sa compagnie.
Abdramen ben Daoud coup de feu pour défendre une position autour de laquelle pendant deux jours, «
Le combat touchait à sa
revint dans les rangs et
fin.
fit le
la lutte avait été opiniâtre et glorieuse. C'est à ce
moment qui
le
qu'il fut atteint
au visage par un éclat d'obus
blessa gravement aux yeux.
L'histoire se fera
un
»
jour, très complète,
reconnaissance de la victoire à laquelle
le
dans la peuple
musulman
d'Algérie aura porté son impérissable et magnifique contribution. C'est pour cela que nous sommes persuadés que c'est par la masse indigène, au cœur naïf mais très sincère, à l'intelligence encore peu ouverte, mais qui ne demande ardemment qu'à être cultivée et instruite, à la nature spontanée, virile et saine, que l'assimilation à la France doit surtout se faire.
Tout un peuple est là, qui ne vit que dans le désir de se dresser dans la majesté et la lumière de notre pays. Qui a vécu dans sa fréquentation est persuadé qu'on peut tout obtenir de lui par la fraternité et la justice.
Ce sera
la
grande
fierté
de beaucoup d'entre nous
LE PEUPLE INDIGÈNE
183
d'avoir sans cesse et fermement cru en la haute fidélité
et le patriotisme
sincère
des
musulmans d'Al-
gérie.
A nous trer
que
aussi,
on
a,
les indigènes,
à toute heure, essayé de démonétant d'une autre race et d'une
autre religion, ne pouvaient avoir ni notre mentalité, ni notre attachement pour tout ce qui était le plus
cher
:
tradition et patrie.
A nous
aussi,
on a essayé, de
tout temps, de faire entendre que, ne pouvant les plier ni à nos coutumes, ni à nos conceptions, toujours nous
marcherions côte à côte avec les indigènes sans jamais pouvoir nous confondre dans la même pensée et les
mêmes aspirations. La guerre de 19 14-19 18 donne
à toutes ces tenta-
tives le plus cinglant démenti.
Devant
exemples sublimes et les détails touchants auxquels cette guerre a donné lieu et dont nous n'avons, ici, reproduit qu'une très faible et modeste partie, comment oserions-nous croire encore que la race est un obstacle insurmontable, que la religion les
creuse des abîmes, qu'une mentalité nouvelle et indestructible ne peut pas se faire dans le génie et l'amour
de la France?
Comment
pourrions-nous imaginer que, seuls de
l'immense univers, les indigènes d'Algérie se refuseront à acquérir et aimer jusqu'à nos traditions même, fait notre vie et notre unique piété dont la foi
—
—
notre raison d'être?
Mais
ils
ont, dit-on, leurs souvenirs, leurs tendances
et leur idéal. Elles avaient bien les leurs, toutes les
provinces françaises, jadis et à travers les siècles, en lutte impitoyable les unes contre les autres, au point
de former des patries étrangères
les
unes aux autres,
L'ALGÉRIE ET LA GUERRE
i84
jusqu'à l'heure où toutes celles-ci se sont réconciliées
dans une seule et même patrie. Le sentiavec ses coutumes, sa souvenance, sa touchante pensée du passé c'est cette diversité qui fait la force et l'originalité de l'âme française. Nous espérons que le jour est proche où le sentiment du terroir des musulmans d'Algérie, s'unissant intimement et pour jamais à tous les autres de la métropole et de notre colonie, ajoutera à cette âme française une force plus grande et une originalité nouet fondues
ment du
terroir subsiste
:
velle.
Seulement, il faut le répéter sans cesse et de la plus haute voix tout égoïsme doit, pour toujours, être banni, et les appétits, depuis trop longtemps déchaînés sur notre terre natale, doivent disparaître, entraînant avec eux les jalousies secrètes et les haines sourdes, :
les préjugés et les barrières
;
l'instruction doit être
répandue et la justice doit souverainement régner. Autrement, il en sera fait de l'avenir et de la grandeur de la France en Algérie et, par conséquent, sur tout le
continent d'Afrique.
La concurrence, au
sens noble du mot. fait le développement, la prospérité et la richesse d'une nation. Le plus digne doit l'emporter. Il n'y a plus de tare originelle. Il n'y a que la suprématie française dans la pensée, dans l'idéal et dans l'action de chacun,
comme taire.
elle est
dans sa
loi civile et
dans sa force mili-
^
XIII LES CONSÉQUENCES NULLES DES BOMBARDEMENTS DE BONE ET PHILIPPE VILLE
Ainsi, fidèle à sa grande idée dont elle ne met pas en doute la féconde réalisation, l'Allemagne veut empêcher le transport dans notre métropole du XIXe corps d'armée et surtout, par un soulèvement
des indigènes algériens, créer à la France une guerre intérieure. Aussi, dès 19 13, envoie-t-elle
dans la Médi-
terranée deux de ses meilleurs et plus rapides croiseurs, le
Gœben
et le Breslau.
Mais les espérances germaniques ne se réalisent pas. L'Allemagne n'a pas la maîtrise méditerranéenne si convoitée, les troupes africaines, sans difficulté, se
rendent à Marseille.
Il
ne reste donc plus que
le
projet
de fomenter des troubles en Algérie, en frappant l'esprit des indigènes par des bombardements successifs.
Le Gœben
et le Breslau s'en
d'ailleurs sans défense
:
Bône
prennent à deux
villes
et Philippeville. Ils
y
causent quelques morts et quelques insignifiants dégâts le
4 août 19 14.
Là non plus, ment atteintes.
les visées
allemandes ne sont nulle-
Tout d'abord, ces bombardements ne donnent qu'à des actes de courage.
Il suffit
lieu
de citer celui du
L'ALGÉRIE ET LA GUERRE
186
sergent réserviste Courtois, du 3 e zouaves, à Philippeville. Il est ainsi rapporté par la Dépêche de l'Est :
:
Alphonse Courtois ne fut pas atteint par le bombardement, mais celui-ci mit le feu au baraquement! où étaient les zouaves et le sergent Courtois s'élança' au secours de ses camarades. Des munitions entreposées dans le baraquement explosèrent. Courtois fut atteint par un éclat d'obus qui lui enleva le pied et la cheville gauches. Il ne laissa entendre aucune plainte % il sortit son couteau, trancha les chairs qui pendaient et se fit un pansement, pour arrêter l'hémorragie, avec son mouchoir et sa musette. Alors, seulement, il demanda du secours et fut transporté à l'hôpital où il reçut les soins du docteur Noël Martin et des médecins militaires. L'amputation de la j ambe fut jugée nécessaire et Alphonse Courtois subit courageusement l'opération, déclarant n'avoir qu'un seul regret celui de n'avoir pu tirer un coup de fusil sur les ennemis de sa patrie. » Dès qu'il apprit le bombardement de nos côtes, le Gouverneur général de l'Algérie rédigea cette proclamation «
il
\
\
:}
1
:
:
«
Algériens, l'heure décisive, a sonné.
«
L'Allemagne a ouvert
et pacifique France.
les hostilités
Vous
contre la noble
enregistrerez avec orgueil, [
dans votre histoire, l'immense honneur d'avoir reçu le premier choc. Ce matin, Bône a été bombardée à 4 heures, Philippe ville a eu le même sort à 5 heures il y a peu de victimes. « Je vous notifie d'urgence ces événements parce que je sais qu'ils ne vous feront pas trembler. Ils exalteront simplement l'héroïsme dont vos ancêtres ont donné tant de preuves et que vous êtes prêts à ;
déployer à votre tour.
BONE ET PHILÏPPEVILLE «
1S7
Vous défendrez
qu'elle est le
disparaissait,
la France jusqu'à la mort parce grand foyer de l'idéal, parce que, si elle la civilisation reculerait de plusieurs
Vous défendrez
siècles.
l'Algérie
jusqu'au sacrifice
suprême parce que cette terre est votre création, parce que les fermes blanches, les moissons et les vignes qui en sont la parure représentent le fruit de votre intrépide labeur. «
Dans
de plus
ces circonstances tragiques, justifiez
les
Soyez calmes panique,
une
fois
espérances que la patrie a fondées sur vous. et
comme
résolus
;
abstenez-vous
de toute
de toute manifestation bruyante.
»
un autre manifeste, s'adressant particulièrement aux indigènes, il fit savoir « Musulmans, l'Allemagne nous déclare la guerre, et, Puis, dans
:
honneur suprême, c'est la terre d'Algérie, votre terre natale, que vous contribuez tous les jours à rendre si
belle et si féconde, qui reçoit les premières atteintes. «
Aussi ressentirez-vous avec indignation cet acte
accompli par des ennemis jaloux de notre grandeur
de notre puissance. Pourquoi ont-ils choisi pour une population sans défense, plutôt que d'aller
et
cible
heurter tout d'abord à nos bataillons de fer?
se
Auraient-ils escompté quelques défaillances ou quelque
trahison ? «
Ce
serait
pour vous un sanglant outrage
:
ils
oublieraient les paroles qu'a prononcées votre grand
prophète et dont vous vous inspirez « pas les traîtres. »
:
«
Dieu n'aime
Quelle fut la réponse de l'Algérie indignée au bombardement de Bône et de Philippeville ? Le Gouverneur général l'indique dans son adresse aux musulmans :
L'ALGERIE ET LA GUERRE
iSS «
De nombreux
indigènes sollicitent ardemment,
depuis quelques jours, l'honneur de servir J'avais
vœu.
demandé à
la
France.
République d'accéder à leur; leur sera donné satisfaction. Gloire à eux et
Il
merci au
nom
la
de la patrie.
»
Voici ce que dit le maire de Bône, le 12 août 19 14 « La situation politique et l'état d'esprit des indi:
gènes n'ont pas changé depuis l'ouverture des hostilités
en ce qui concerne
ma commune.
Les indigènes con-
tinuent en général à faire preuve de leur attachement
à la France et le meilleur garant des sentiments qu'ils manifestent à cet égard paraît résider tout entier dans les
nombreux engagements
volontaires qu'ils
con-
tractent journellement dans l'armée française. J'ajouterai, en outre, que jusqu'à ce jour, aucun fait de nature à faire douter de leur loyalisme ne m'a été
signalé.
»
Les actes correspondent aux nobles sentiments. Faut-il faire connaître que le petit- fils du gouverneur
de Bône qui remit en 1832, aux Français, les clefs de M. Ali Ahmed Cheikh, s'engage au 7 e régiment de tirailleurs et qu'il est blessé dans un des combats
la ville,
de la Marne ? M. Bou Maïza, conseiller général de Bône, et fils du caïd Tahar, prend une part active à l'organisation, du Comité de secours algérien, et déclare « Nous avons été à Bône les premiers insultés par les Allemands. Nous avons actuellement à Bône plus de huit cents engagés volontaires. Tous les indigènes ont tenu à payer leurs impôts. Nous sommes heureux d'avoir eu cette occasion de prouver notre dévouement :
absolu à notre mère patrie, la France.
»
Enfin, on annonce de nombreuses manifestations du
BONE ET PHILIPPEVILLE
189
revêtent une patriotisme musulman et l'on en cite qui Bône, plusieurs forme particulièrement touchante. A engagement pour la indigènes qui ont contracté un toucher la prime. Une durée de la guerre refusent de soldats, employés au trentaine de dockers, anciens le montant chargement des phosphates, abandonnent trop âgés camarades de la prime au profit de leurs
pour porter
les
D'un autre
armes.
côté, voici ce qu'explique le sous-préfet
août 1914 dans toutes les communes « La situation est calme de mon arrondissement. mixtes de plein exercice et parvenus établissent sont me qui Les renseignements beaucoup d'intérêt avec suivent qui que les indigènes, tenu à ce jour aucun n'ont guerre, la les nouvelles de contraire. Leur Au défavorable. soit nous propos qui permet plus correctes jusqu'à présent, nous
de Philippeville,
le 7
:
attitude,des
que nous n'aurons à redouter aucun mouvebien compte ment de leur part, car ils se rendent très que puissantes que la France et ses fidèles alliées, plus comEn dernière. auront raison de cette
d'espérer
l'Allemagne,
mune de
plein exercice et en
commune
mixte, aussi
réquisitionnés pour bien les goums que les indigènes services ont autres la garde des voies ferrées ou
entendre
répondu à toutes les convocations sans faire la moindre protestation. » jours après, de Le maire de Philippeville, quelques dire à son tour qui m'ont été fournis « D'après les renseignements :
notamment par M.
«
La
commissaire de police et l'ad-
que
de ma commune
est
joint indigène,
gènes 3
le
résulte
il
l'état d'esprit des indi-
excellent.
panique occasionnée par
le
bombardement du
L'ALGÉRIE ET LA GUERRE
i9o
4 août courant ne les a nullement impressionnés. Ils ont conservé le calme le plus absolu. Ils sont animés des meilleurs sentiments envers la France et sont disposés à verser leur sang pour elle. Ils se tiennent d'ailleurs à la disposition des autorités locales et sont prêts à répondre aux réquisitions qui pourraient leur être adressées.
Un
I
I
»
seul fait hostile s'est produit à Philippeville
;
ne concerne pas un indigène et revêt un caractère original et comique. C'est un muet, suspecté plusieurs fois de vols, qui manifeste en faveur de l'Allemagne. il
Il est
arrêté en fin août 19 14. Mais écoutons le
missaire de police
comb
:
mis à la disposition de l'autorité militaire, après information judiciaire, pour manifestation séditieuse, le nommé Franck Léon, âgé de trente-trois ans, «
J'ai
portefaix, demeurant à Philippeville. Cet individu est d'origine alsacienne et a vécu ses premières années
en pays annexé, où son père, retraité du P.-L.-M., s'était retiré. « Il est de nationalité française. Il est muet. Il a manifesté, à plusieurs reprises, à sa façon, sa sympathie pour la nation allemande. En proie à une surexcitation visible depuis les premiers événements, il
a,
une première fois, arraché rageusement une affiche qui portait une nouvelle favorable à nos armes. «
Quelques jours après,
il
artilleur territorial sa haine
manifestait auprès d'un
pour l'armée française en
crachant sur son képi, en faisant le simulacre d'un écrasement de nos troupes par les Allemands en dessinant trois drapeaux, un français, un anglais et un alle-
mand et en indiquant par geste sa préférence pour ce dernier et son mépris pour les autres. »
BONE ET PHILIPPEVILLE
191
Le commissaire de police établit encore que ce muet, par des mots obscènes écrits sur une feuille l'appui, de papier et par des gestes significatifs à l'Allemagne. pour sympathie sa de témoigne Depuis cette époque, la guerre sous-marine a fait les plus émouses ravages sur la côte algérienne. Parmi
du Calvados torpillé mort de sept cents le 4 novembre 19 15 et causant la soldats qui revenaient du front et celui, en mai 19 17,
vants sinistres,
de la Medjerda
il
faut citer celui
s' engloutissant
à son tour, avec plu-
sieurs centaines de soldats permissionnaires. M. Broussais dit à la tribune de la Chambre des
députés, le 26
mai 19 17
:
sur la côte « L'audace des pirates austro-allemands Comme extraordinaire. véritablement algérienne est
au cours d'une interruption, mon collègue M. Trouin, nous avons vu, le 26 avril, entre Tenès et Alger, en suivant la côte, dans les villages de Dupleix, de Villebourg et de Gouraya, les témoins du torpillage du navire anglais Rinaldo, survenu le 18 avril à
l'indiquait,
20 milles dans l'ouest de Cherchell. et n'était « Le sous-marin avait envoyé sa torpille L'équipage sorti de l'eau qu'un quart d'heure après. anglais une fois débarqué, le pirate avait tiré quarante
coups de canon sur le bateau anglais. Puis, le bateau embarcoulé, le sous-marin s'était dirigé vers les deux avait les et voisines cadères des mines' de fer les plus sont se l'équipage détruits. Ensuite les hommes de de feu, du fait ont installés sur le pont, ont déjeuné, Gouet Villebourg Dupleix, la photographie devant raya.
ne sont partis qu'à 6 heures du soir. » L'Allemagne espère ainsi que, principalement, «
Ils
la
192
L'ALGÉRIE ET LA GUERRE
population indigène de notre Nord-Africain ressentira une pénible impression de tous ces faits et finira par être ébranlée dans sa conviction qu'elle a que la France et l'Angleterre ont la' maîtrise des mers.
Sans doute, il y a, de 19 15 à mai 19 17, quatre-vingtquatre navires coulés le long de la côte algérienne. Notre colonie en a été, chaque fois, douloureusement affectée, mais, indigènes aussi bien qu'Européens, tous se sont vite ressaisis, et, là encore, l'Allemagne en
—
j
est
v
pour la honte de
ses crimes.
* \
*••
XIV
l'insurrection de 187i et la guerre de 1914-191-8 :
eut en 1871'^ten Algérie, une insurrection qui causa les plus vives inquiétudes à la France et la mort d'un nombre considérable d'êtres humains c'est celle de la Grande et Petite Kabylie. Il nous a Il
y
:
paru intéressant de rechercher quelle est actuellement la conduite des descendants de ces révoltés et quelle est actuellement aussi l'attitude des principaux centres qui fuient cruellement ensanglantés, il y a quarantesept ans.
'
A
de la France d'avoir su attirer l'amour de tous ces descendants, c'est le très grand honneur de ces derniers de s'être noblement ralliés à notre pays, et c'est un des résultats de la C'est
une des
gloires éternelles
guerre actuelle de mettre ces Jleux points en lumière. L'insurrection de 1871 éclate à la voix de Mokrani, bach-agha de la Medjana, et se généralise à l'appel du chef de la zaouïa rahmania de Seddouk, le cheikh
El-Haddad, proclamant la guerre sainte. Il est à remarquer que le tombeau de Mokrani est un lieu de pèlerinage, non pas en sentiment hostile à la France, mais en souvenir du chef dont le nom est populaire en notre colonie. Ce tombeau, qui est dans la
i
L'ALGÉRIE ET LA GUERRE
94
commune mixte d'Akbou, a été
restauré quelques mois avant la guerre, en février 1914. Cette restauration a occasionné une dépense de 500 francs couverte par souscription publique indigène. Or, dès le commencement d'août 19 14, on annonce officiellement de Bou-Saada « Douze cavaliers d'El-Hamel, commandés par Si Brahim ben El Hadj M'Hammed, frère du cheikh de la zaouïarahmania d'El-Hamel, viennent de partir pour le front. Le départ de Si Brahim, avec le goum, produit :
une excellente impression parmi
la population indi-
gène, d'autant plus que, parmi ses cavaliers, se trouve le fils
de Mokrani,
le
bach-agha de
la
Medjana, chef de
De nombreux engagements ont au siège de la commune mixte. »
l'insurrection de 1871. lieu journellement
Un de ses neveux, M. Mokrani, muphti de la mosquée d'Orléans ville, fils de Mokrani ben Megrak, qui, lui aussi, se révolta en 1871, est attaché à l'hôpital musulman de Nogent-sur-Marne près de Paris, et, par un des plus
ses paroles et ses écrits, est
fidèles parti-
sans de la cause française. Enfin,
un des
petits-fils
de Mokrani, caporal à la
compagnie du 4e régiment de tirailleurs, écrit au Gouverneur général de l'Algérie la lettre suivante, dont le capitaine Pérot, commandant cette i re comi re
pagnie, certifie la signature «
Meknès,
le
8 juin 19 15.
faire connaître que nous
:
—
J'ai l'honneur
sommes
six frères
de vous au 4e régi-
ment des tirailleurs indigènes et que j'ai plusieurs membres de ma famille actuellement au 3 e tirailleurs algériens. Nous sommes honorés par notre République française
réservés
qui nous a conféré les grades aux plus dignes de ses enfants.
militaires,
INSURRECTION DE
1S71
ET GUERRE
1914-191S
195
« C'est grâce à Dieu, grâce à nos alliés, et grâce à nos vaillantes armées que nous marchons et que nous sommes heureux pour la victoire. Aujourd'hui la
Mokrani est devenue une famille militaire Après une lutte sanglante, je rejoindrai mes frères qui sont au front et, avec eux, j'enfoncerai nos baïonnettes jusqu'au bout au cœur de nos en-
famille de française.
nemis...
Le
»
du cheikh El Haddad qui proclama la en 187 i, M. Bel-Haddad Ahmed, devenu
petit- fils
guerre sainte
à son tour chef de la zaouia de Seddouk, va, dès le commencement des hostilités, trouver l'administra-
commune mixte d'Akbou de laquelle il l'assurer de tout son dévouement à la pour dépend que « si le gouvernement français déclare il et France, en cas de besoin, il s'engage à lui, à appel faire veut prêcher la bonne parole à tous ses khouans avec l'espoir que ceux-ci le suivront partout où la France
teur de la
l'enverra.
»
Les indigènes d'Akbou, principal centre dé la Kabylie dans la vallée de Bougie, où l'insurrection de 187 1 mit tout à feu et à sang, et où le bach-agha Mokrani trouva la mort, écrivent au maire de cette commune, en novembre 19 14
:
musulmans de la commune de d'Akbou tiennent à vous exprimer l'indignation qu'a fait naître en eux l'attitude agres«
Tous
plein
les
indigènes
exercice
sive de la Turquie vis-à-vis de la France et témoigner de leur attachement plus que jamais ferme à leur
patrie adoptive.
Ces Kabyles élevés par des Français avec leurs propres enfants ne considèrent plus ces derniers que comme des frères et méprisent ensemble tout ce qui «
L'ALGÉRIE ET LA GUERRE
io6
porte atteinte à la dignité et aux intérêts de la France. n'ignorent pas que leurs malheureux coreligion-
Ils
naires d'Orient sont leurrés et entraînés à leur perte fausse panislamiste inté-
par l'Allemagne brutale, ressée, et protestent
énergiquement contre l'interven-
tion de la Turquie, pour
que
celle
une cause aussi injuste telle de la Germanie, notre ennemie à mort. Ils
regrettent que le gouvernement
ottoman
agir avec discernement et se ranger,
n'ait pas su
comme
c'est son dans l'intérêt même de l'Islam, pour combattre avec la France et ses alliés qui ont pour eux un si grand nombre de musulmans.
devoir,
Cependant, cette odieuse agression ne change en bons Français et ils vous affirment une fois de plus leur fidélité et leur entier dévouement à la France. » Le fils du bach-agha de Chellala, qui se rangea du côté du bach-agha de la Medjana, M. Ben Aly Chérif, «
rien leurs sentiments de
est aujourd'hui
un des délégués
financiers de la Kabylie qu'un fonctionnaire des plus dévoués à la France, et Chellala, où son père commanda en 1871 jusqu'au moment où il se révolta, est une des communes mixtes où l'état d'esprit des indigènes est
en
même temps
excellent et qui a fourni de
nombreux engagements M. Mokhtari (Mokhtar ben Boulanoir), frère du marabout de Chellala, n'est-il pas devenu spahi, comme preuve du loyalisme de sa famille, et l'iman de la mosquée de Chellala ne s'est-il pas disvolontaires.
tingué par ses appels en faveur de la France? D'autres fils de chefs indigènes ayant participé à l'insurrection de 1871 donnent actuellement le plus bel exemple.
En
fin
août 1914, un boucher indigène de passage
INSURRECTION DE à Marceau,
1871
ET GUERRE
commune mixte de
avoir lu dans
les
journaux que
les
1914-1918
197
Cherchell, annonce
Prussiens sont près
ont lancé des bombes sur la capitale. de Mohammed, cheikh de la section Tahar Sahraoui M. ces paroles, proteste énergientendant Marceau, de quement, invective le propagateur de mauvaises nouParis et qu'ils
en lui disant que ces renseignements doivent de la peine à chacun et qu'il serait mieux inspiré en ne les répandant pas. Or, M. Sahraoui Tahar Mohammed est précisément le fils de l'un des chefs qui fomentèrent en 1871 la révolte des Beni-Menasser. velles
faire
Le 10 novembre 19 14, M. Charles Lutaud cette adresse
reçoit
:
sa Seigneurie, Monsieur le Gouverneur général de. l'Algérie, que Dieu fasse durer sa puissance. «
A
«
Tous
les
indigènes des Beni-Menasser
du Nord,
aussi bien que les fils, de ceux qui commirent l'erreur de se révolter en 1871, que ceux dont les ancêtres
furent toujours fidèles, unis dans un même sentiment d'amour pour la patrie et de reconnaissance pour l'administration, adressent à Monsieur le Gouverneur général la nouvelle assurance de leur respectueux
dévouement
et
de leur inaltérable attachement à la
France. «
Ils
font des
vœux pour
le
lesquelles leurs enfants
succès des armées alliées combattent pour l'hon-
dans neur du drapeau français, qui est leur seul drapeau. comme ils Ils prient Dieu (qu'il soit exalté !) de châtier,
Turcs, qui, après avoir été tyrans de leurs pères, sont devenus les complices de leurs ennemis. » Et de Cherchell d'où dépendent les Beni-Menasser
le méritent, les traîtres, les les
on
fait
remarquer
:
L'ALGÉRIE ET LA GUERRE
i9§
« Depuis 1871, la juxtaposition plus intime des deux races a produit un rapprochement des esprits. Le colon, implanté sur les terres séquestrées, a fourni
aux dépossédés du
sol
une main-d'œuvre
souvent
et
des avances qui leur ont permis de vivre. En fréquentant son patron, le Kabyle a parfois appris sa langue, les échanges de vues et d'informations ont alors pu se produire avec plus de facilités. Les brutalités alle-
mandes qui hantaient l'esprit de tout Français après nos désastres ont fait l'objet de conversations qu'approuvaient toujours les anciens tirailleurs. Sur ce
point, les
Kabyles n'ont donc jamais
même
impression qui leur Allemands. »
fait
accueilli
qu'une
redouter de devenir
De Cherchell même, on assure également La situation politique des indigènes est
«
:
toujours
excellente. Les réquisitions de blé se poursuivent dans le plus grand ordre. Elles se font non seulement sans
récrimination, mais
même
avec empressement. Nomqui nous ont déclaré « Demandez-nous tout ce que vous voudrez, tout ce « que nous avons est au baylik. » Les anciens tirailleurs ont répondu sans défaillance à l'appel des réservistes. »
breux
sont
les
Kabyles
:
Comme
M. Morinaud, maire de Constantine, le félienvoyé son fils, des parents et des amis comme goumiers en France, le bach-agha Ali Bey citait d'avoir
répondit
En
:
71, des indigènes
mal inspirés ont fait une tache à notre burnous, nous voulons l'enlever pour «
toujours.
»
A Telergma, où population a toujours été plus remuante qu'ailleurs et qui s'est soulevée il y a quarante-sept ans, l'état Faut-il citer d'autres exemples?
la
INSURRECTION DE d'esprit des lent.
1871
ET GUERRE
1914-1918
m
excel-
indigènes est depuis longtemps
'
des région de Beni-Mansour a été, en 1871, l'un ont tribus les principaux foyers de l'insurrection et considéfourni, toutes, sans exception, des contingents
La
Mokrani. D'aucuns ont était encore populations affirmé que l'esprit de ces des loyalisme Le mobile. extraordinairement
rables et acharnés
aux
frères
demeuré
l'épreuve par la tribus de Beni-Mansour est mis à une impression rapporte en chacun guerre actuelle. Or, des tribus sont populations les Partout réconfortante.
animées
des
meilleurs
sentiments,
les
autorités
de nombreuses marques d'attacheet, là aussi, se font d'impordévouement, ment et de volontaires. engagements tants La commune mixte de Souk-Ahras a été aussi en par les spahis 1871 le théâtre d'une révolte provoquée
reçoivent d'elles
Gambetta. de la smala d'Aïn-Guettar, aujourd'hui de la partie Ceux-ci avaient entraîné la plus grande des tribu la tribu des Hanancha et une partie de appartenaient Ouled-Khiar. Les chefs du mouvement encore, à l'importante famille des Resgui, qui existe région la dans prépondérante et dont l'influence était les tous fidèle actuellement Or, cette famille nous est longtemps, depuis observent, descendants des insurgés engagements l'attitude la plus correcte. De nombreux mixte de commune la dans volontaires ont eu lieu ;
beaucoup d'indigènes se sont fait inspas toucher la crire en déclarant qu'ils ne voulaient prime d'argent. Dans la nuit du 16 au 17 mars 1871, Bordj-bousignal de Arreridj était pillé et incendié. C'était le Souk-Ahras
et
l'insurrection, celle-ci éclatait
de tous côtés,
la
Kabylie
L'ALGÉRIE ET LA GUERRE entière se soulevait,
et, principalement, les Européens de Palestro étaient massacrés. Or, à Bordj-bou-Arreridj, les opérations de la conscription se font, durant la guerre, sans incidents
les
jeunes conscrits musulmans manifestent de l'enthousiasme dans la viUe, des engagements volontaires se produisent, les indigènes font des commentaires des nouvelles qu'ils apprennent et sont heureux des succès de nos armes.
A Palestro, l'état d'esprit
des indigènes donne toute dans le douar Beni-Khalfoun que se trouve la population la plus remuante et que les Européens craignent le plus depuis le massacre des habitants de Palestro en 1871, c'est aussi dans ce douar que s élèvent les plus belles et importantes forêts en valeur Or, nen n'est venu, dans la guerre actuelle, susciter une émotion quelconque. Les zaouïas satisfaction. C'est
fonctionnent régulièrement, les chefs religieux sont animés des meilleures intentions. L'autorité militaire réquisitionne les
mulets et l'on constate de la part des indigènes un empressement marqué à se rendre aux lieux fixés pour le rassemblement des bêtes. Les descendants des insurgés de 1871 souhaitent publiquement et vivement le triomphe des armées françaises. On leur fait confiance et il est décidé que les quatorze mille indigènes desservis par le pont de Palestro pourront y circuler en toute saison.
Veut-on un exemple collectif? C'est celui que donnent les musulmans d'Azeffoun (Port-Gueydon) Ils adressent, en effet, au Gouverneur de l'Algérie dès les « «
premiers jours d'août 1914, l e message suivant Louange à Dieu seul.
La population indigène de
la
:
commune mixte
INSURRECTION DE
1871
ET GUERRE
1914-1918
201
voyant la situation dans laquelle se offrir au gouvernement français, en échange des bienfaits à eux rendus par ce dernier, son appui dans le cas où d'Azeffoun,
trouve leur chère patrie adoptive, vient
son intervention serait jugée nécessaire et utile. « Pour dissiper l'ombre de doute qui peut exister chez quelques Français, doute fondé et créé par 4a faute
commise par
ses ancêtres
en 1871,
les adjoints
de la commune susdite, soussignés, se portent garants de tout ce qui peut se produire dans leur douar de nature à troubler la tranquillité et le indigènes
prestige de leur patrie adoptive. «
De nombreux
indigènes de la région sont prêts à
tenir leur place auprès de leurs frères déjà sous les
drapeaux
et seraient très
triompher. et
Ils
heureux de voir ses couleurs
veulent prendre une part à ce triomphe
pouvoir ainsi racheter la faute commise par leurs
ancêtres. «
Animés de
ce sentiment
;
ils
sont décidés à verser
jusqu'à la dernière goutte de sang pour défendre leur chère Algérie rendue
si
convoitée.
Persuadé que toutes les régions de l'Algérie, principalement la Kabylie, sont animées des mêmes sentiments, le gouvernement français peut donc, sans arrière-pensée, concentrer ses forces pour défendre le sol français et être assuré que ses sujets algériens, désireux, eux aussi, de manifester leurs sentiments patriotiques, défendront de pied ferme leur chère Algérie... » Veut-on un exemple individuel? M. Kaci Abdallah Salah ben Belkacem dit à l'Echo d'Alger du 16 septembre 19 14 « Mon père prit part au mouvement insurrectionnel de 1871 mais depuis il a reconnu les bienfaits de la «
:
;
L'ALGERIE ET LA GUERRE
202
de se dévouer à la
civilisation française et n'a cessé
France. « Quant à moi, je me suis fait un devoir d'aider à la propagation de tout ce qui peut servir la cause française je suis membre fondateur de plusieurs sociétés de gymnastique et de prévoyance sociale je travaille de mon mieux à éduquer la jeunesse musulmane dans ;
j
;
;
un
esprit français...
Toute ma famille est animée comme moi de sentiments qui se résument en ce cri « Vive la France, ma « patrie Vive l'Algérie française » «
I
:
!
j
!
La conquête de la Kabylie a été la plus dure expéLa France se trouvait devant un pays dont
dition. les
montagnes formaient autant d'inexpugnables citadont les habitants, farouchement attachés
delles et
à leurs rochers, épris de liberté battait leurs
comme
de soldats de l'armée
de
l'air
formaient
robustes poitrines,
qui
autant
la plus décidée à vaincre
ou à
mourir.
Les Romains, qui entreprirent dans
le
nord de
l'Afrique les plus gigantesques travaux, à tel point
que
l'on retrouve encore partout leurs traces invulné-
rables, se sont pourtant brisés à ces inaccessibles
La
mon-
Kabylie ne se laissa pas dompter par les anciens maîtres du monde et quand, bien des siècles après, une nouvelle nation, la France, éteignit les feux qui, de rochers en rochers, affirmaient, contre tous les tagnes.
fière
conquérants, l'indépendance kabyle, quand sions de
Mac-Mahon, de Renault
et
les divi-
de Yusuf
attei-
audacieusement les cimes vierges des montagnes enfin domptées, un marabout en prière ne put s'empêcher de s'exclamer « Les Français sont un grand peuple ils sont montés là-haut » Son cœur était gnirent
si
:
;
!
!
INSURRECTION DE
1871
ET GUERRE
1914-1918
203
empli de la plus profonde tristesse et de la plus
humble
résignation.
Mais l'âme encore farouche de la Kabylie rejetait toute tristesse et proclamait que la résignation n'est l'attribut que des cœurs veules. Elle voulait âprement reconquérir son indépendance et la France dut, une fois de plus, la soumettre en 187 1. Le sort en était enfin jeté. Les nobles vaincus rendaient
hommage à la puissance française et se ralliaient elle. De ces pics abrupts de l'énorme
loyalement à
Djurdjura, de Fort-National, cœur de la
d'où l'on découvre
le
des crêtes découpées
fière
Kabylie,
spectacle magnifique et terrible ,
de Michelet, situé plus haut
encore, d'où l'on ne peut s'empêcher de songer
aux
de la conquête, car il y fallut vaincre jusqu'à la nature même, les fils des anciens révoltés descendent jusqu'à Tizi-Ouzou, qui fut naguère le plus difficultés
vaste entrepôt
fortifié,
accourent à l'appel de notre
patrie devenue la leur, lui offrent l'élan de leur
âme
indomptable, l'appui de leur endurance trempée à
même de leurs vaillants rochers, et vont, soit comme soldats, soit comme travailleurs, affirmer au celle
front ou dans les usines de la défense nationale que les
enfants de ceux qui, jadis, ne s'étaient pas inclinés
devant les aigles romaines n'ont, à jamais, pour drapeau, que celui de la France. Dès le premier jour de la déclaration de la guerre, ils manifestent leur attachement à la patrie attaquée par l'Allemagne. Les patrouilles effectuées par les goumiers assurent la sécurité, l'état d'esprit se montre excellent, et, en août 1914, c'est
—
un
spectacle inou-
la perception des impôts ne que de voir pouvant se produire, faute de personnel dans le service
bliable
L'ALGÉRIE ET LA GUERRE
204
—
les douars descendre des contributions diverses de la crête des montagnes où sont accrochées leurs habitations et gravir les hauteurs éloignées de Michelet pour payer ce qu'ils doivent à l'État. Que de Kabyles, dans le ferme enthousiasme de contracter un engagement volontaire et soucieux tout d'abord d'échapper aux reproches et aux récriminations de leurs mères craintives, s'en vont des massifs du Djurdjura ou quittent Fort-National pour s'enrôler dans des garnisons très distantes de leur résidence, à Tizi-Ouzou ou à Dra-el-Mizan, à Blida ou à Maison-
Carrée
!
Que de Kabyles s'en vont en France, comme travailleurs. Il y en a des milliers à tel point que ce patriotique exode va changer toute la face de notre colonie. Cette assimilation
que d'aucuns imaginaient
impossible ou certifiaient très lointaine pourra donc
même si sûrement que l'étude du problème algérien s'impose enfin, le plus favorablement, sans crainte de heurt, au seul point de vue de la prédominance française par l'esprit, par la loi, par le cœur, par toute la façon de penser, par toute la manière de vivre s'opérer le plus rapidement, s'opère
I
XV LA DÉCLARATION DE GUERRE AVEC LA TURQUIE
Un des faits les plus angoissants pour la prépondérance française dans l'Afrique du Nord éclate en novembre 19 14. Les agissements de la Turquie sont tels que la France est dans l'obligation de lui déclarer la guerre. Or, d'un côté, la Turquie compte sur la puissance spirituelle de son sultan pour déchaîner la guerre sainte parmi les musulmans de l'Afrique du et ceux-ci, au dire de l'Allemand Becker comptent sur la Turquie contre leurs maîtres ». Est-il vrai que les croyants du monde entier considèrent encore les Turcs comme leurs protecteurs naturels? Une supplique en vers « composée par les Andalous pour solliciter l'intervention du sultan ottoman à l'époque où les Espagnols conquirent leur pays et les forcèrent à abjurer l'Islam » comporte « N'êtesvous pas généreux, glorieux, élevé et le secours suprême des serviteurs d' Allah dans tous les moments cri-
Nord, «
:
tiques?
»
C'est là l'origine de ce qu'on a appelé le panisla-
misme. Tous
les
musulmans, en quelque
terre qu'ils habitent, relèvent d'un
verains
musulmans eux-mêmes,
État
de la Les sou-
lieu
idéal.
fussent-ils d'Egypte,
L'ALGERIE ET LA GUERRE
2o6
de Tunisie ou du Maroc,
comme
autrefois d'Algérie,
doivent reconnaître l'un d'entre eux
comme
chef
suprême. Ce chef est le porte-drapeau de la communauté musulmane contre les infidèles, quels qu'ils soient, et c'est le sultan ottoman. Il descend, assuret-il, du Prophète et il se considère comme le successeur des khalifes orthodoxes de l'ancien empire arabe.
Ce panislamisme a atteint un caractère aigu depuis que l'Allemagne a voulu jouer un grand rôle dans le monde de l'Islam et s'est habilement, pour étendre sa politique de domination, inféodé la Turquie elle-
même. Ses savants ont développé, commenté pagé
les doctrines
et pro-
panislamiques, son gouvernement a
distribué tout l'argent nécessaire, et cela principa-
lement pour jeter la perturbation et semer un esprit de révolte parmi les populations musulmanes qui vivent à l'ombre du drapeau de la France. Le Temps du I er novembre 1912 donne, en effet, par la plume de son correspondant du Caire, les renseigne-
ments suivants «
La
:
plus active des sociétés panislamiques dans
du Nord est une Union Maghrébine » dont
l'Afrique
société secrète,
«
le titre seul
dénommée
indique qu'elle
tend à englober tous les musulmans du Maghreb, c'est-à-dire non seulement la Tripolitaine, mais la Tunisie, l'Algérie, le
Maroc
tale française. Cette société,
et
même l'Afrique
occiden-
d'abord organisée au Caire,
au cours de ces dernières années, a
fixé
son siège à
Alexandrie « Ses principaux membres sont deux Égyptiens,
Mohamed Pacha trésorier est
Cherei et Cheikh Ali Youssef
un Algérien, Amin Bey
el
Maghrebi.
;
le
On
DÉCLARATION DE GUERRE
A LA
TURQUIE
207
assure aussi que la société a fondé une section à Alger et à Tunis.
Sa principale agence, à Constantinople, serait « El Montada el Adabi », qui recrute des officiers dans les régiments de l'armée cette société s'était donné pour objet, à turque l'époque de sa formation, de restaurer l'empire musulman dans l'Afrique du Nord, sous les auspices de l'Al«
actuellement la Société
;
lemagne... «
L'activité de l'Union
Maghrébine
est
également
dirigée contre l'Algérie et la Tunisie. D'après des ren-
seignements que
je crois dignes de foi, une réunion du Comité de l'Union s'est tenue le 20 septembre dernier afin d'examiner la proposition alléchante que lui faisait le représentant d'une grande puissance européenne. La puissance en question s'engagerait à verser immédiatement à la société une somme de 600000 francs, afin de préparer un soulèvement général dans l'Afrique en cas de guerre européenne. « Il s'agissait de répandre en Algérie et en Tunisie un grand nombre d'agents provocateurs turcs, syriens ou arabes. Ces agents devaient travailler la population musulmane et lui distribuer des armes en cas de guerre
européenne.
»
L'Allemagne estime qu'elle peut d'autant plus compter sur le succès de ses projets qu'il y a encore en Algérie des indigènes dont les ascendants turcs vinrent se fixer en notre colonie en 15 17 lors de l'expédition de Baba-Arroudj qu'il y a aussi un grand nombre soit de Hadris qui n'ont d'ailleurs de commun avec les Turcs que la religion, soit de Koulouglis, descendants issus de l'union des Turcs avec les femmes mauresques et dont beaucoup ont encore ,
L'ALGÉRIE ET LA GUERRE
208
le pays de leurs ancêtres. Donc, une action universelle s'engage. Bien avant l'ouverture déclarée des hostilités, les journaux turcs s'appliquent à préparer tous les esprits musulmans, et beaucoup d'entre eux s'adressent spécialement à leurs coreligionnaires de l'Afrique du Nord.
conservé des relations avec
Le périodique
religieux Selilurrichad (Droit chemin),
en octobre 19 14, publie la traduction en langue arabe d'une proclamation qui, par les soins du comité panislamique de Stamboul, est envoyée au Maroc, en Algérie et en Tunisie pour être distribuée aux tirailleurs et
aux
spahis.
Après avoir cité plusieurs versets du Coran, la proclamation exhorte longuement les musulmans à ne pas se battre à côté des Français, car ce sont les ennemis d'Allah. Ceux qui combattent avec eux encourront la malédiction de Dieu. S'ils veulent mériter la récompense céleste, les musulmans doivent, au contraire, prendre les armes contre les Français. La proclamation les convie à la guerre sainte et conclut ainsi «
:
Soldats musulmans, attendrez- vous encore jusqu'à
ce que ces barbares nous tuent, nous volent notre patrie et mettent fin à votre religion, à votre patri-
moine d'honneur et de vie? » La fameuse agence Wolf, toujours aux aguets pour amplifier dans le monde entier les nouvelles favorables à l'Allemagne, télégraphie jle 23 novembre 1914 « D'après une communication officielle du Cheikhul-Islam, eut lieu dimanche une réunion à laquelle :
prirent part trois anciens cheikhs-ul-islam et plusieurs
autres dignitaires religieux et ulémas.
On
décida à
l'unanimité qu'un appel serait adressé à la corporation
^DÉCLARATION DE GUERRE A LA TURQUIE
209
des ulémas pour qu'elle annonçât au peuple musulman que la guerre sainte était proclamée. » Un des principaux manifestes répandus dans le nord de l'Afrique et qui a le mérite, en prônant la guerre sainte, de bien démontrer de quelle nature sont les excitations
Tous
«
dérer
les
comme
panislamiques, est
le
suivant
musulmans du monde doivent frères et s'entr'aider
:
se consi-
en conséquence.
Celui qui ne donne pas son appui à un frère sur lequel pèse la tyrannie des infidèles est honni par la Pro-
vidence. Depuis la proclamation de la guerre sainte, tous, petits et grands, doivent se considérer
comme
des
soldats...
Dès aujourd'hui, la guerre sainte est pour tous musulmans une obligation fondamentale, Il faut, c'est un devoir absolu, porter en conséquence, tous les coups possibles, en public ou en secret, aux a
les
—
infidèles
—
ennemis qui se trouvent dans la patrie. Selon
du Coran, tuer un infidèle est un acte aux yeux du Tout-Puissant. Tout bon musulman doit s'efforcer d'en exterminer au moins trois ou quatre, car il est sûr qu'il en aura sa récompense au jour du jugement... « Vous ne devez plus vous soumettre à la domination des ennemis de Dieu et du Prophète, pas même à leur Et même si vos parents, vos frères se soututelle le
verset 88
méritoire
!
mettent à eux, vous ne devez plus les considérer comme vos frères. Il faut que vous n'ayez, comme amis, que les vrais
croyants.
La position des musulmans, aujour-
d'hui, est remarquablement favorable à la guerre sainte, alors
que l'Angleterre aux Indes,
la
France au Maroc
en Algérie, l'Italie en Tripolitaine et la Russie en Perse et au Caucase sont dans une tout autre situation.
et
L'ALGERIE ET LA GUERRE
210
« Le but de tous les musulmans doit être la libération de leurs territoires de l'esclavage des infidèles... « En conséquence, aucun musulman ne doit payer aux infidèles des impôts, qui sont un déshonneur pour la religion. Aucun ne doit faire d'affaires avec ceux qui ont envahi le territoire musulman et avec les ennemis de l'Islam. Aucun ne doit leur obéir... « Les musulmans doivent lutter jusqu'au sacrifice pour atteindre le but suprême, celui de leur vie, ils doivent s'efforcer de former des bandes de fixé
—
—
;
partisans et prendre une part active à la guerre régulière,
en. distinguant cependant les amis des ennemis
ceux avec lesquels il existe une convention ou un pacte. » La Tribuna italienne, du 25 février 19 15, annonce qu'un groupe d'agitateurs panislamiques est envoyé à Algésiras, qu'il doit s'y établir à demeure et qu'il a pour mission de susciter des troubles au Maroc et dans toute l'Algérie. On annonce aussi que des émissaires à la solde de la Turquie et de l'Allemagne, entre autres le panislamiste dangereux Soliman el Baronni, vont parcourir nos régions. Celui-ci est accompagné d'un voyageur allemand, d'un Tunisien nommé Mohammed Kamoun et d'un officier turc du nom d'Abdul Salem bou Géchiat, et qui est porteur d'une forte somme donnée par le comité jeune-turc à l'instigation de l'Allemagne et de l'Autriche. Les bruits courent dans nos milieux indigènes, que, la Turquie entrant en guerre avec la France, le Gœben et le Breslau vont revenir bombarder les côtes algériennes, et, dans ces milieux, il y a l'action de certains meddah ou conteurs publics ambulants, sortes de trouvères religieux, qui, grâce au prestige qu'ils et aussi
DÉCLARATION DE GUERRE A LA TURQUIE
211
exercent sur la foule toujours crédule, facile à émouvoir et à entraîner, peuvent être de dangereux agents de propagande antifrançaise. On assure que des croyants habitant l'Algérie ont fait un jeûne de trois jours pour prévenir une calamité qui menacerait les musulmans. L'explication publique est que cette calamité serait une grande chute de neige qui ferait périr nombre d'hommes et d'animaux, mais le motif secret est que toutes les mortifications sont préconisées pour conjurer l'attaque éventuelle de Cons-
tantinople.
D'aucuns, dit-on, espèrent, parmi nous, tout au fond de leur cœur, car il serait trop dangereux de se découvrir publiquement, que le sort de l'empire turc sera préservé et, au bruit de la détonation des premiers obus lancés sur les forts des Dardanelles, ils vont,
parmi
leurs coreligionnaires, entretenir la croyance
enracinée, passée au dogme, que, malgré l'effort de
toutes les forces des infidèles, Constantinople ne tom-
bera pas.
L'image de
la destinée
de cette
ville, racontent-ils,
se traduit par cette phrase qui constitue toute la foi « Les ennemis pourront arriver jusque devant Stamboul, mais, à ce moment, s'élèvera de la Grande Mosquée un immense drapeau et tout ce qui est ennemi sera pulvérisé et disparaîtra. » La propagande antifrançaise va jusqu'à s'adresser aux Français d'Algérie. Certains de ceux-ci n'ont-ils pas reçu, sous enveloppe affranchie à dix centimes dans les premiers mois de 19 15, un libelle portant la signature « Youssef Fehmi, 26, avenue Duquesne, à Paris, publiciste turc, auteur de nombreux ouvrages, domicilié à Paris pendant dix-neuf années consécutives, pos-
islamique
:
L'ALGERIE ET LA GUERRE
2i2
sédant un casier judiciaire immaculé et des certificats d'honorabilité des autorités françaises elles-mêmes
» ?
comporte entre autres aménités « Français, écoute bien ceci. Toute l'immonde clique militaire et politico- financière qui gouverne la France fait la guerre pour le profit des forbans de l'Angleterre et des cannibales de la Russie. L'Angleterre, la perfide ennemie de tous ceux qui ne servent pas ses intérets, vient de déclancher la plus grande boucherie des temps modernes... « Marchez, pioupious de France et moujicks de Russie Et vous aussi, braves Belges, mourez pour la plus grande gloire des inventeurs des balles doumCe
libelle
:
[
|
!
doum «
!...
Hip, hip, hourra
!
Découvrez-vous devant l'avant-
••
garde de la civilisation. Laissez passer les Cosaques qui portent à la semelle de leurs bottes la « haute culture
moderne
éventrez
outragez
Délicieux Cosaques
».
les
combattants,
!
Scalpez, écorchez,
souffletez
les filles, piétinez les vieillards
les !
femmes,
Vous portez
flambeau de la civilisation Vous venez, soutenus par la France et protégés par l'Angleterre, apporter le
!
aux Allemands
les
méthodes nouvelles de
la
plus
exquise sensibilité. «
A bas les Gœthe, les
Schiller, les
Gluck,
les
Beetho-
ven. les Mozart, les Wagner, les Leibnitz, les Kant, les
Hegel, les Frédéric A bas les Allemands Vivent les hommes-loups » Le conseil général de Constantine s'émeut de cet !
!
!
état de choses,
MM
suivant «
et, le
27 avril 1915, à la demande de
Vallet, Bardedette, Dussaix, etc.,
Le
émet
le
vœu
:
conseil général appelle respectueusement l'at-
i
DÉCLARATION DE GUERRE A LA TURQUIE tention
mettre
213
du gouvernement français sur la nécessité de par une surveillance constante et efficace
fin,
dont l'absence a été regrettée bien souvent, et par des conventions diplomatiques dont la formule est à
aux complots d'origine turco-germanique, tramés au cours de ces dernières années par des puissances européennes, complots qui, sous le couvert de propagande religieuse, auraient pour but d'entraver rechercher,
l'œuvre de civilisation et de régénération entreprise
dans
le
monde
jeter des
islamique de l'Afrique du Nord et de
ferments de discorde et de haine entre
ment indigène de nos populations arabes
l'élé-
et l'élément
européen qui administre ces populations. » Que vont faire, dans le conflit turco-français,
les
indigènes algériens ?
Beaucoup d'hommes politiques ou d'écrivains de notre colonie ont cru de leur devoir de se méfier de certaines parties de nos populations ce,
mahométanes,
et
sous prétexte de guerre sainte, de panislamisme
ou de nationalisme musulman. M. Broussais, député et président du Conseil général d'Alger, n'explique-t-il pas, en décembre 1911 « Quant à la grande masse des' indigènes ignorante et travaillée par les émissaires orientaux, elle pourrait être assez facilement détournée de son loyalisme actuellement encore très sincère. Elle observe, avec conviction, toutes les obligations imposées par le Prophète, elle ne peut pas oublier qu'un des devoirs essentiels textuellement prescrit par Mahomet est celui de combattre les infidèles jusqu'à leur complète :
soumission à la «
foi islamique...
L'indice de la volonté de Dieu est dans la force mili-
taire
même
qu'il
donne à l'oppresseur. Dès que cette
L'ALGÉRIE ET LA GUERRE
2i 4
force faiblit
ou disparaît,
les fidèles
ont l'obligation
impérieuse de proclamer la guerre sainte et de chasser l'étranger, quel qu'il soit...
Rien à espérer par conséquent d'une action paciappuyée sur une force militaire redoutée. Et encore faut-il que l'armée «
fique et persuasive qui ne serait pas
d'occupation contienne des éléments et des cadres français bien constitués et nombreux...
M. André
»
en chef de la Dépêche de Constantine, ne va-t-il pas, en 1912, jusqu'à écrire tout un volume sur le Nationalisme musulman, que Servier, rédacteur
commentent en ces termes Le livre qu'a publié notre distingué confrère démontre de façon frappante et avec une documentation
ses partisans
:
«
musulman
irrécusable l'existence d'un nationalisme
s'opposant, en Algérie
comme
française et constituant,
un élément de
si
ailleurs, à la
domination
on ne réagit sérieusement,
trouble, sinon de danger, dans le déve-
loppement normal de notre œuvre et de nos efforts en ce pays. » Le 11 août 19 13, dans la Dépêche algérienne, M. Jules Rouanet n'amrme-t-il pas, en s'inspirant de son confrère constantinois «
par
:
L'idée nationaliste est cultivée les
comme un dogme,
Jeunes- Algériens, ambitieux, désireux de jouer
un
rôle, exaspérés d'orgueil par la conscience qu'ils ont de leur supériorité intellectuelle. Elle est servie par la presse indigène, dont le plan général d'action
consiste à discréditer l'administration française, exas-
pérer les indigènes et prêcher la solidarité musulmane. Elle est exprimée par les revendications des JeunesAlgériens. «
Et cette unité de vues, de tendances
et de
ma-
DÉCLARATION DE GUERRE
A LA
TURQUIE
215
nœuvres constatée en Egypte, en Tunisie et en Algérie, jette une vive lumière sur l'âme musulmane que rien ne désarme et qui n'abdique jamais ses espérances dans le triomphe de sa foi sur l'univers et dans la reprise des pays occupés par l'infidèle. » Le péril est-il donc si immense? On semble le croire.
Pourtant, un jeune indigène très instruit, caïd de Port-Gueydon,
fils
d'un
M. Mehenni Zaïd, a bien
soin,
dès le 29 septembre 19 14, d'écrire patriotiquement dans l'Echo d'Alger : « Au moment où la Turquie, poussée par de sourdes menées, semble s'apprêter à prendre part aux graves événements qui se déroulent en Europe, il est intéressant de faire connaître d'une manière précise la posture que prend, à tort, cet État aux yeux du monde musul-
man. «
La
lignée des Osmanlis
(les
sultans de Turquie)
n'est pas le vrai soutien, elle n'est pas la descendance
directe
du prophète Mahomet,
et si elle détient
son
étendard, cause de sa popularité, c'est par usurpation
par la mainmise sur l'Arabie et en parti-
et surtout
culier sur la Mecque...
»
Et M. Mehenni Zaïd de conjurer gionnaires
ainsi ses coreli-
:
Musulmans, ne vous laissez pas prendre au piège que vous a tendu l'Allemagne Luttez de toute votre force pour l'anéantissement complet de cette race germanique, indigne de pitié Soyez grands comme l'émir Abd-el-Kader qui, après la conquête, a su reconnaître les bienfaits que la France apporterait «
grossier
!
!
en Algérie et qui a si bien soutenu ses intérêts en Syrie L'Allemagne est jalouse de la grandeur de la France,
!
L'ALGERIE ET LÀ GUERRE
2i6
vous avez à venger en 1870 »
les tirailleurs et les
Français morts
!
Un
des chefs
Morsly, ne
du
s'est-il
parti jeune-algérien, le docteur
pas noblement appliqué à prévenir
qu'en cas d'une agression turque, la France n'avait rien à redouter des indigènes algériens bien au :
contraire
;
et n'a-t-il
pas écrit dans,
le
Républicain
du 16 octobre 19 14 un article intiPauvre Turquie, malheureux Ottomans » et dans lequel il est admirablement et magnifiquement de Constantine
tulé
«
:
spécifié «
!
:
Jupiter rendra-t-il donc toujours fous ceux qu'il
veut perdre sans rémission?...
Et voilà que
la Turquie retombe encore entre les de l'Allemagne et cette fois pour ne plus en sortir. Au lieu de garder sa neutralité dans les événements actuels et de panser ses blessures béantes et non encore cicatrisées, elle prend rang avec les ennemis «
griffes
de la France. Pauvre Turquie, malheureux Ottomans Quelle malédiction vous poursuit, quel démon pousse à votre ruine a Quant à nous, musulmans algériens, tant que vous n'avez eu qu'à guerroyer contre des peuples qui nous étaient indifférents, nous vous avons aidé de nos sympathies, de nos vœux et même de nos deniers. « Nous ne pouvions pas oublier, en effet, malgré tous les mauvais souvenirs qu'a laissés votre gouvernement dans ce pays, que vous êtes musulmans comme !
!
nous. « Mais aujourd'hui, malgré les fonds avancés par la France pour vous sauver de la mort, vous vous mettez contre elle, vous marchez avec les Allemands, ah ça !
non
!
!
DÉCLARATION DE GUERRE A LA TURQUIE «
Ne comptez donc
connaissons pas «
plus sur nous
:
217
nous ne vous
!
Nous ne sommes
ni jeunes-turcs, ni vieux -turbans,
ni turcs-musulmans. «
Nous sommes
et resterons toujours
:
Français-
musulmans. M. le docteur Morsly le dit admirablement il faut rester Français-musulman, car la France ne peut être tenue pour responsable des tragiques événements qui se produisent. Elle a de tout temps aimé la Turquie, et, au moment même où elle s'apprête à la combattre, elle estime de sa justice de rendre hommage au peuple turc et de proclamer, malgré tout, sa sympathie pour )>
:
lui.
Le manifeste du Gouverneur général de
l'Algérie,
en
date du 5 novembre 19 14, spécifie en effet « Sachez toutefois que la France ne nourrit aucune :
colère contre le peuple turc, brave, loyal, digne de
sympathie. Elle ne
tirera vengeance,
où
qu'ils
se
cachent, que des Allemands ou de ceux qui, se faisant leurs esclaves
ou leurs complices, violeraient
les droits
de la France et entraîneraient la Turquie hors de ses destinées et de sa politique traditionnelle. «
Vous n'ignorez pas
l'amitié séculaire qui a régné
entre la Turquie et la France, amitié désirée, recherchée,
obtenue par
le
grand Soliman, dès l'arrivée du peuple Vous vous rappelez les services rendus
turc en Europe.
par la France à la Turquie, l'an dernier encore, quand l'or
de la France, guérissant
les plaies
balkanique, sauva la Turquie de la «
de la guerre
faillite...
Et aujourd'hui, l'ambition personnelle de quelques
ministres jeunes-turcs,
musulman,
faciliterait,
ayant renié tout sentiment à l'ombre du Croissant, les
L'ALGERIE ET LA GUERRE
2i8
Allemands? Cela n'est pas possible! La France aime le peuple turc. Elle hait le kaiser allemand qui déchaîne les plus effroyables maux sur l'humanité. Elle veut abattre à tout prix sa puissance infernale. Malheur à lui et malheur à ceux qui se feraient les instruments de ses perfidies !... Et aujourd'hui la Turquie lui prêterait la main Ce serait de l'égarement et de la démence !... » forfaits des
!
Que répondent,
tout d'abord, ces Jeunes-Algériens
que, pour employer
un mot de M. Philippe
pamphlétaires dénués de sens critique
»
Millet, « des
s'acharnent,
pour maintenir d'injustes privilèges en leur faveur, pour se refuser à tout esprit de réformes en faveur des indigènes, à dénoncer comme ennemis de la France? Ah îles admirables réponses de ces grands calomniés, les réponses-, à la patrie française, de tous ces nobles cœurs Elles ne se font pas attendre Le 6 novembre 1^14, au Conseil municipal d'Alger, M. l'Admirai donne, en effet, en son nom et au nom de ses collègues musulmans, MM. Omar Bouderba, Bentami, Mustapha Hadj Moussa et Oulid Aïssa, lecture de la déclaration suivante « Hier, dans un éloquent et patriotique langage, M. le Gouverneur général, à raison d'événements soit soit
!
!
:
récents, adressait
un appel à la loyauté des musulmans
d'Algérie. «
Nous venons répondre
Au nom
à cet appel
de la population indigène qui nous a donné le mandat de la représenter au milieu de vous, nous tenons à affirmer publiquement et plus fortement que jamais ses sentiments d'inaltérable fidélité et d'attachement absolu à la France. Et nous tenons «
DÉCLARATION DE GUERRE A LA TURQUIE
pouvoirs publics qu'aucun événement,
à assurer
les
quel qu'il
soit,
mans de
219
ne pourra jamais détourner
les
musul-
leurs devoirs et de leurs obligations envers le
généreux pays qui a fait d'eux ses enfants. « A l'heure où la France envahie, menacée dans son existence même par une horde de barbares forcenés, sonnait le ralliement, la voix des musulmans, des premières, est «
la
Pour
montée vers
la France,
formule d'hier
:
elle pour lui crier présents L. en avant et toujours C'était là :
!
ce sera, encore, croyez-le, le geste
de demain. « Et voilà la déclaration bien nette, bien formelle que nous sommes chargés de vous apporter... « Un mot encore l'aspiration, pour tout cœur français, en ce moment, surtout, est de travailler à faire une France plus grande, plus forte, plus prospère à cette aspiration, laissez-nous vous l'affirmer, l'indigène s'associe sans réserve. Car une France plus grande, c'est son propre patrimoine qui s'enrichit. Une France forte et prospère, c'est son bien-être qui s'affirme, en même temps que l'assurance pour lui de pouvoir vivre et travailler dans le calme et dans la paix. « Et c'est pourquoi, demain comme aujourd'hui, vous le trouverez aux côtés de son frère français, la main dans la main, grossissant cette cohorte de héros lutter jusqu'à la qu'une unique résolution anime mort pour la libération complète du territoire et pour le triomphe de la grande cause de la civilisation devenue :
:
:
la nôtre...»
Des étudiants, comme MM. Omar Cadi
et
Mehamed
Djendi, télégraphient, de Bône, le 6 novembre 1914, à M. Charles Lutaud « Lâche agression Turquie sera :
pour nous occasion prouver patriotisme jeunesse uni-
L'ALGERIE ET LA GUERRE
220
versitaire indigène, prête à verser son
fendre intégrité France immortelle
;
sang pour dé-
sera heureuse con-
du
tribuer écrasement jeunes-turcs laquais kaiser.
Le président Rachidia «
sinistre
»
Dans
»
et les
membres du
Conseil de
écrivent au Gouverneur général
les circonstances actuelles, les
Conseil d'administration de
«
à vous assurer de leur loyalisme l'entrée de la
Turquie dans
sentiments n'ont pas varié
le
»
tiennent
plus pur. Malgré
le conflit
européen, leurs
plus que jamais,
et,
la
membres du
Rachidia
la
«
:
ils
sont attachés à la France qu'ils aiment et pour laquelle ils
sont prêts à tous les sacrifices pour la servir.
»
Les conseillers municipaux indigènes de Constantine,
hommes
épris de progrès et qui,
comme
leurs
collègues d'Alger, prônent l'évolution de leur race
dans la
civilisation française, remettent
Constantine la motion qui suit
au préfet de
:
Les conseillers municipaux indigènes de Constanpar le gouvernement turc dans la guerre provoquée par l'Allemagne et l'Autriche... affirment plus que jamais leur attachement et leur fidèle amitié pour la Fiance et ses alliés... et expriment, à nouveau, leur foi inébranlable dans le triomphe final des armées alliées qui sera celui de la «
tine, regrettant l'attitude prise
civilisation et
du
droit...
»
MM. Mehenni
Zaïd et Morsly, dont nous avons cité les paroles qu'ils ont prononcées avant que la Turquie ne se range définitivement du côté de l'Allemagne, écrivent ensuite, quand le sort en est jeté, le premier,
dans l'Echo d'Alger du 22 novembre 19 14 « Les Allemands ont soif de sang et veulent que toutes les nations du globe entrent dans le conflit :
DÉCLARATION DE GUERRE européen.
ont cru, et en cela
A LA
TURQUIE
221
trommusulmans se solidariseraient et se lèveraient en bloc pour essayer de les sauver de l'impasse où le fol orgueil Ils
pés, qu'en forçant la
ils
se sont bien
main du Turc, tous
les
et la rapacité de leur kaiser les a entraînés. Mais le but qu'ils se proposaient d'atteindre est manqué, car tous les musulmans réfléchis se sont au contraire levés
du côté du droit et de la justice... Les musulmans du nord de l'Afrique, comme on le sait, n'ont rien de commun avec le Turc dont ils se rappellent le joug cruel et humiliant... Aussi, c'est avec joie qu'ils s'enrôlent dans les tirailleurs et dans et rangés «
les
goums pour
l'univers entier.
Et
le
se
défendre contre les ennemis de
»
second, dans
le
Républicain de Constantine du
28 novembre 19 14 « On craignait à tort que les musulmans du :
monde
entier se solidariseraient avec la Turquie... Mais
ceux
qui pensaient ainsi ne connaissaient pas l'âme musul-
mane
et oubliaient
que nous sommes au vingtième
siècle. «
L'unité islamique n'existe plus depuis longtemps.
Les Turcs n'ont aucune influence sur
en général,
ils
les
musulmans
ont perdu tout prestige aux yeux de
leurs coreligionnaires... «
Ces
mêmes musulmans ne
craignent pas de se
battre contre leurs coreligionnaires, les Turcs, qui se
sont jetés aveuglément dans les bras de la perfide
Allemagne pour le plus grand malheur de leur pays. » S'il est exact, comme le prétend le panislamisme, que le sultan ottoman, successeur des khalifes orthodoxes de l'ancien empire arabe, soit le chef suprême et le porte-drapeau de la communauté musulmane
L'ALGERIE ET LA GUERRE
222
contre les infidèles,
lui-même
s'il
est exact
est issu des préceptes
et qu'il revêt ainsi
enfin exact qu'au
un
que
de la
le loi
panislamisme
mahométane
caractère d'ceuvre pie,
s'il
est
nom
de la guerre sainte officiellement proclamée par le Cheikh-ul-Islam à la Grande Mosquée de Constantinople, les vrais croyants sont dans l'obligation absolue de rejeter le joug des infidèles et qu'ils obtiendront d'autant plus, au jour du jugement, les récompenses du Tout-Puissant, qu'ils auront, même sanguinairement, agi contre ceux qui ne pratiquent pas leur religion, il faut donc, en notre Afrique du Nord, tout redouter de l'action des mara-
bouts et des zaouïas.
Ne
l'oublions pas, en effet
assuré que tant qu'il ;
l'Algérie,
:
que de
fois
nous a-t-on
y auia parmi nous un marabout,
en particulier, sera toujours à la
veille des
plus graves événements et que les zaouïas sont à sur-
rigoureusement parce qu'elles sont des centres
veiller
et des foyers d'insurrection.
jamais patriotes ont eu, au cours de cette une conduite admirable dont l'ardeur ne s'est pas démentie un seul instant, ce sont bien les maraOr,
si
guerre,
bouts.
Nous avons
nettement hostile à fois, par ses émissaires dans le Sud- Algérien notamment, essaya de les attirer à sa cause. Leur attitude contre la Turquie n'est pas moins significative. C'est là un des faits les plus considérables de notre histoire nord-africaine. Les proclamations en faveur de la guerre sainte comportent, avons-nous dit, que tuer un infidèle est un acte méritoire aux yeux du Tout-Puissant. Les marabouts d'Algérie repoussent énergiquement ces dit leur attitude
l'Allemagne qui, pourtant, plus d'une
j
DÉCLARATION DE GUERRE A LA TURQUIE
223
tous publient que la France, par chacun de ses actes, a droit à la reconnaissance du monde musulman et font de nouveau preuve du plus grand et noble esprit de tolérance. Sid Mohamed El Hamel ben Azzouz, chef de la confrérie des Rahmania, à Souk-Ahras, ne conseillet-il pas à ses frères musulmans, à ses moqquadem et à appels sanguinaires
;
ses élèves, après les avoir conviés à rester indifférents
Faction de la Turquie «
Comparez
les
à
:
beaux principes de
la civilisation
française avec ceux adoptés par les Allemands qui ont
profané l'antique cathédrale de Reims. » Sid Ali ben Sid Ahmed Tedjani, chef de la zaouïa
mère d'Aïn-Mahdi, adresse à le
noble appel qui suit
ses
nombreux
affiliés
:
Nous avons appris avec une profonde tristesse que gouvernement turc s'était engagé dans la guerre actuelle aux côtés de l'Allemagne, nation barbare et que Dieu l'extermine, la couvre de confusauvage, Et comment ne sion et la conduise à sa perte serions-nous pas peines de voir le gouvernement turc «
le
—
!
—
épouser la cause de l'Allemagne contre la France, l'Angleterre et la Russie? effet,
que
N'est-il pas
certain, en
cette aventure aboutira à la ruine complète
de l'empire ottoman?... «
Vous n'ignorez
pas, ô Tidjania,
comment
se
com-
portèrent les Turcs lorsqu'ils exercèrent leur domination sur l'Algérie...
Dans
ces conditions, qu'y a-t-il
d'étonnant à ce que nous soyons, tous,
du gouvernement turc?
Il
nous
les
suffit d'ailleurs
ennemis de nous
rappeler les paroles de l'Être sincère et loyal entre tous, notre prophète
Mohammed,
— que Dieu répande — lequel
sur lui ses bénédictions et lui accorde
le salut,
L'ALGERIE ET LA GUERRE
22 4
a dit
:
«
Détournez- vous des Turcs tant
qu'ils
«
laisseront tranquilles, mais combattez-les
«
attaquent.
s'ils
vous vous
p
»
« Peut-on trouver une preuve plus éclatante et un argument plus probant pour démontrer que les Turcs
sont un peuple pervers dont l'avenir est condamné d'avance?... « La France est pour nous une tendre mère, pleine de bonté et de compassion et, nous tous musulmans, nous avons le devoir impérieux de l'aider de nos personnes, de nos biens et de nos enfants contre son ennemie l'Allemagne et contre l'Autriche et la Turquie qui se sont jointes à cette dernière. A tout instant du jour et de la nuit, nous devons prier pour le triomphe de la France et de ses alliées, l'Angleterre et la Russie, de même que nous devons demander à Dieu d'assurer
de l'Allemagne, de l'Autriche de la Turquie. » Les autres chefs Tidjania, également descendants du grand saint Sid Ahmed Ettidjani, Sid Mohamed El Kebir et Sid Mahmoud, tous deux d'Aïn-Mahdi Sid Mphamed El Bechir, cheikh de la zaouïa de Temacine Sid Mohamed El Arroussi, cheikh de la zaouïa de
la défaite et la ruine et
!
!
;
;
Guemar, tiennent
le
même
j
t
langage.
Les chefs des confréries des Rahmania Sid Mohael Kamel ben Azzouz, de la zaouïa de SoukAhras Sid Amor ben Ali ben Othman, de la zaouïa de Tolga Sid Mohamed Esseghir, de la zaouïa des Ouled-Djellal, expriment les mêmes sentiments que Sid El Mokhtar, de la célèbre zaouïa rahmania d'El:
j
med
;
j
i
;
I
I
Flamel.
Ce dernier dit à tous les musulmans en général khouans en particulier
ses
et à ;
:
j
DÉCLARATION DE GUERRE A LA TURQUIE «
225
Je vous félicite d'avoir su, au cours des événements témoigner votre parfaite fidélité et votre
actuels,
dévouement à notre chère France... La Turquie dans une terrible épreuve qui la mènera engagée s'est inévitablement à sa perte... Les Ottomans avaient le devoir de se souvenir des bienfaits de la France et de ne pas se laisser circonvenir par les intrigues alleentier
mandes... «
Ces circonstances nous fournissent à nous, musul-
mans algériens, une nouvelle occasion de montrer
et de au gouvernement français et de lui marquer notre attachement en déployant tous les efforts dont nous sommes capables pour
prouver notre
fidèle amitié
l'aider contre ses ennemis...
Tous
les chefs
»
des autres ordres maraboutiques, que
ce soit le chérif Sid
Tekkoud Ahmed
Charef, cheikh
de la confrérie des Senoussia, à la zaouïa des OuledChefaa ; que ce soient les chérifs de l'illustre maison
d'Ouezzan, confrérie des Taibia, et en particulier Sid Ahmed ben El Hosni Sid Mohamed El Hachein, ;
cheikh de la confrérie des Chadoulia, à la zaouïa de Boghari Sid El Hadj Ahmed ben El Mebkhout, de tous, dans leurs l'ordre des Derkoua, à Mecheria, ;
—
que la folie s'est emparée des dirigeants de la Turquie, qu'à l'époque de la domination ottomane l'Algérie gémissait sous le poids de l'arbitraire, de l'injustice, des méfaits et des iniquités de toutes sortes, que l'entrée de la Turquie dans la guerre ne peut aboutir qu'à sa ruine et surtout qu'il faut énergiquement aider la France bien-
solennelles proclamations, écrivent
aimée, mettre à sa disposition
hommes, enfants
et
biens et être prêts à marcher contre ses ennemis où qu'ils soient. 15
L'ALGERIE ET LA GUERRE
226
Le clergé officiel musulman d'Algérie ne se laisse pas, non plus, émouvoir parce que le sultan ottoman est dogmatiquement le gardien des Saints Lieux et parce qu'il se déclare le
commandeur des
croyants.
Deux
exemples suffisent. Si Bennaceur Mohamed Arezki, muphti maléki à la Grande Mosquée d'Alger, dit dans une interview parue
novembre 1914, dans VÉ clair eur algérien : Les musulmans du nord de l'Afrique n'ont rien de commun avec les Turcs que leur religion... Assez d'équivoque. Qu'on ne nous confonde pas avec nos le
15
«
Pour mille raisons, nous ne saurions nous solidariser avec eux. Mais il en est une qui les prime toutes, c'est que nous avons apprécié le cœur de la France et que nous lui sommes par gratitude indissolublement attachés... » Et voici l'appel fait à la population musulmane, à l'issue de la prière du vendredi, à la Grande Mosquée et à la Mosquée de la Pêcherie, à Alger, par les muphtis des deux rites maléki et hanéfi coreligionnaires de Constantinople.
:
«
Sacrifiant ses intérêts vitaux et le véritable rôle
qu'elle aurait
dû
s'assigner dans le
la Turquie, obéissant à la parole et
monde musulman, au geste de son cri-
minel fondateur, vient, par une agression des plus lâches, de se jeter dans la mêlée et de déclarer la guerre
aux
trois
grandes puissances de la Triple-Entente
la France, l'Angleterre et la Russie.
En
:
agissant ainsi
gouvernement turc a commis une lourde supportera toutes les conséquences. Sa lâche agression ne peut avoir aucune excuse. Elle est surtout contraire à la parole de Dieu Combattez dans la voie de Dieu contre ceux qui vous font mal, mais ne commettez point d'injustice... à la légère,
le
faute dont
il
:
DÉCLARATION DE GUERRE A LA TURQUIE «
227
Que nos coreligionnaires algériens sachent que nous musulmans algériens, aucun intérêt à
n'avons, nous,
nous solidariser avec les Turcs dans l'abominable forfait qu'ils viennent de commettre. Au contraire, notre intérêt nous recommande, pour^ notre salut et pour le salut de notre patrie, la France... »
Tous les chefs indigènes, aghas, caïds, cadis, membres du Conseil supérieur, délégués financiers, conseillers généraux ou municipaux, tous réprouvent, de leur côté, l'attitude de la
Turquie et tiennent, à cette
occasion, à affirmer leur profond attachement à la
France et au gouvernement de la République. Leurs il en est plus d'une centaine, adresses, ont presque toutes été publiées dans l'Echo d'Alger du 6 au 28 novembre 19 14. Elles se résument toutes dans la mâle et patriotique dépêche que l'agha Djelloul, le caïd des caïds Benaouda,
—
—
membres de du célèbre bach agha Lakhdar envoient collectivement, de Laghouat, au Gouverneur général, le 8 novembre 19 14 « Nous avons appris avec indignation l'agression caïd des caïds Daïlis et tous les autres
le
la famille
:
inqualifiable de la Turquie contre les puissances alliées et,
plus particulièrement, contre la France, sa bien-
faitrice. «
Nous tenons, dans
cette circonstance, à vous don-
ner une nouvelle assurance de notre loyalisme et à
vous dire que nous sommes prêts à marcher contre Turcs, comme nous marchons contre les Allemands et tous les ennemis de notre patrie, la France. » Et le peuple? Il est certain que beaucoup de cœurs ont été impressionnés en considérant l'étendue des conséquences qui pouvaient résulter pour l'avenir de les
L'ALGÉRIE ET LA GUERRE
228
T Islam en Europe, du fait de l'entrée de la Turquie dans la guerre, le khalife étant le représentant de Mahomet sur la terre comme le pape est le vicaire de Jésus-Christ. L'atavisme turc a, en outre, encore laissé des racines profondes dans les familles des Koulouglis. Aussi a-t-on accusé les Jeunes-Turcs d'être auteurs responsables des calamités qui allaient
les
fondre sur l'empire ottoman et a-t-on espéré qu'une révolution se produirait à temps qui, en renversant le parti germanophile, permettrait de signer la paix avec les Alliés
Bien des croyants ont
même compté
sur
un pouvoir
surnaturel pour sauver la patrie des ancêtres. Mais rien, durant cette guerre, n'a modifié l'attitude de ces Hadris et de ces Koulouglis, qui est restée, en fait,
sinon en intention, parfaitement loyaliste.
Ils se
sont
rigoureusement abstenus de tout acte ou de tout propos susceptible de porter ombrage à la France et se sont toujours montrés déférents et respectueux envers les
agents de l'autorité.
Il
faut ajouter que le plus grand
d'origine turque
dès
le
ou passant pour
début des
nombre des
familles
telles s'est appliqué,
hostilités, à être des plus
prompts
à manifester son attachement et son dévouement à
notre pays.
Quant aux indigènes
ils ont vu sans émodu côté de l'Allemagne.
algériens,
tion la Turquie se ranger
un pays lointain, sur lequel, ne sont plus habitués à compter
C'est qu'elle est pour eux
depuis longtemps,
ils
et, malgré le lien religieux qui les unit à elle, ils ne se souviennent que des iniquités et des vexations du pouvoir arbitraire des Turcs en Algérie.
En beaucoup
d'endroits, le souvenir néfaste des
DÉCLARATION DE GUERRE A LA TURQUIE anciens dominateurs
229
ainsi que, dans y a un lieu, dit Guelter-rous (le sac des Têtes), qui prit ce nom-là à la suite d'un châtiment infligé aux Ouled Meriem auxquels il coûta environ trois cents têtes. A Tlemcen, le pacha turc laissait toute liberté à ses seïdes pour commettre
survit.
commune mixte d'Aumale,
la
C'est
il
pires exactions et l'on se raconte encore, par exemple, l'histoire d'un jeune berger surpris dans la montagne par des gendarmes turcs, gorgé et gavé de lait par eux. Puis ils percèrent, du bout de leur poignard effilé, l'estomac ballonné et congestionné du les
malheureux et se délectèrent au spectacle répugnant du mélange de sang et de lait qui giclait par la blessure.
Aussi la propagande turco-allemande que tentent certains émissaires est-elle sans effet. Les indigènes
arabes et kabyles demeurent inébranlablement atta-
même au nom entamer leurs sentiments, et l'exemple le plus admirable, durant cette guerre, est celui qu'ont fourni nos soldats musulmans. Le communiqué officiel du 17 mai 1915 relate en chés à la Fiance. Aucune propagande,
du
Croissant, ne peut parvenir à
effet: «
Sur
l'Oise,
près de Bailly, les Allemands, pour
impressionner sans doute nos
devant nos le Croissant.
lignes,
tirailleurs,
ont placé,
un drapeau ottoman,
vert, avec
Nos troupes
sitôt à cette provocation,
africaines ont
en abattant
répondu ausdrapeau à
le
coups de fusil. Un tirailleur est ensuite allé le chercher et l'a apporté dans nos lignes. » Ce tirailleur se nomme Menas Ali ben Djarallah. C'est un engagé volontaire, originaire du douar Hamemcha, commune mixte de la Se fia, département
L'ALGÉRIE ET LA GUERRE
230
de Constantine, soldat de 2 e classe à la 5 e compagnie du 3 e régiment de marche. Sa citation, avec médaille militaire, relate «
Voyant
les
:
Allemands arborer, à quelques mètres
en avant de leurs tranchées, l'étendard turc, s'est élancé brusquement en avant du réseau de fils de fer et est allé, malgré un feu violent des mitrailleuses, prendre ce drapeau que ses camarades venaient d'abattre à coups de fusil. » Dilmi Ahmed, tirailleur de 2 e classe au 2 e régiment de marche, et Athman Belaïd ben Mohamed, clairon au même régiment, sont cités, à leur tour, pour ce fait « Les Allemands, ayant placé à l'avant de leurs tranchées une pancarte incitant les tirailleurs à la désertion, se sont présentés comme volontaires pour aller chercher cet .écriteau. Ont parcouru ainsi deux cents mètres de terrain découvert et battu par le feu ennemi. Ont ramené la pancarte à la tranchée. » Rien n'a été épargné, en Allemagne, à nos soldats musulmans pour leur faire abandonner la cause de la France et les engager à aller combattre dans les rangs :
de leurs coreligionnaires turcs. Pour atteindre ce but, on use soit de la séduction, soit de la brutalité. Dans certains camps de prisonniers, Guillaume II fait construire à ses frais des mosquées ces prisonniers musulmans sont séparés des autres prisonniers et deviennent l'objet de soins constants, on les comble de promesses, principalement d'argent. Le côté alimentaire joue un grand rôle. On leur fait de la cuisine selon leurs rites. N'a-t-on pas reçu dans nos douars algériens des cartes postales de militaires indigènes détenus en Allemagne et portant en tête, écrit en arabe, et imprimé ou lithographie le menu des ;
DÉCLARATION DE GUERRE A LA TURQUIE
231
repas qui leur auraient été servis, entre autres, du
29 août au 4 septembre 19 16? Ces cartes postales n'avaient vraisemblablement d'autre but que d'influencer les musulmans appelés à en prendre connaissance et de leur démontrer que leurs coreligionnaires
étaient l'objet d'une attention toute spéciale de la
part des autorités allemandes.
Ferid
Bey
et divers autres agitateurs panislamistes
camp de Wiïnscommandé par cinq
résidant à Genève se rendent au dorff, près Zossen,
ou
six officiers
camp qui
est
allemands qui parlent couramment uniquement dans cette langue
l'arabe et s'entretiennent
avec
les prisonniers
l'empereur,
ils
musulmans à
qui,
de la part de
font maintes promesses. Ferid
Bey
et
compagnons sont conduits au camp avec une mission spéciale. Ils causent longuement avec les prisonniers, les catéchisent, leur font longuement ressortir ses
indignement trompés par la France et qu'un seul but replacer les terres ottomanes sous l'étendard indépendant du Prophète. L'émir Ali Pacha, fils de l'émir Abd-el-Kader et vice-président de la Chambre ottomane, et le cheikh Ahmed el Kouzbari visitent à leur tour les prisonniers musulmans et les haranguent en ces termes « Soldats musulmans, vous vous trouvez sous les ordres de l'ennemi du droit et de la croyance. Avec lui, vous allez en guerre. Mais, ce faisant, vous commettez un péché qui provoquera contre vous la colère qu'ils sont
l'Angleterre et que l'Allemagne ne poursuit :
:
de Dieu. « Les soldats musulmans qui tombent sur un champ de bataille à côté des ennemis de la foi devront languir à perpétuité dans l'enfer où ils seront associés aux
L'ALGÉRIE ET LA GUERRE
232
égarés et aux pécheurs. Car les Français ont foulé
aux pieds votre croyance et déclaré la guerre à Dieu et au ciel. « Mais Allah déclare dans le Coran qu'il détruira ceux qui font la guerre avec un peuple scélérat. Il est donc de notre devoir d'exterminer les Français et de lever contre eux l'étendard de la révolte. Tous les
maux
qui ont atteint l'Islam ont été causés par l'An-
gleterre,
la
Russie et
la
France.
Les temps sont
accomplis. Révoltez- vous contre ceux qui vous ont ravi votre honneur et votre fierté.
»
L'émir Ali Pacha ajoute ensuite « Les Français ont pris vos terres.
:
Ils
vous accablent
d'impôts et vous maltraitent. Croyez-moi, allez combattre cette nation maudite.
»
Pourtant en 19 13 l'émir Ali Pacha, après avoir combattu dans les rangs des Turcs en Tripolitaine, passa à Tunis, se rendant en Algérie et en France. Avant de quitter cette ville, il adressa en janvier de la même année, à M. Alapetite, résident général de France à Tunis, une lettre dans laquelle il disait « J'ai été vraiment rempli d'admiration pour l'œuvre colossale que la France a accomplie dans ce pays et j'ai constaté avec joie les rapports cordiaux qui régnent entre les populations françaises et musulmanes. « Je garderai un souvenir ineffaçable de cette brillante armée française à laquelle pendant quelques instants j'ai eu l'honneur d'appartenir et qui me retrouverait dans ses rangs le jour où le drapeau de la France serait en danger... » Les prisonniers indigènes algériens donnent à ce fils renégat du noble Abd-el-Kader la leçon la plus digne :
DÉCLARATION DE GUERRE A LA TURQUIE à la fois et la plus méprisante que puisse inspirer
plus pur patriotisme. Ils lui répondent «
233 le
:
Nous sommes des
soldats français, nous avons été de guerre, qu'on nous traite comme Si Ton veut nous faire plaisir, qu'on nous renvoie
faits prisonniers tels.
chez nous. Ils fils
»
suivent ainsi l'exemple de fidélité de cet autre
d'Abd-el-Kader, l'admirable et vénéré émir Omar,
qui fut pendu en Syrie, par les Turcs, en décembre 19 16, à cause de son inébranlable amour pour notre pays.
Furieux de cette réponse, l'émir Ali Pacha les menace en déclarant que Guillaume II les enverra de force contre les Russes. Mais les prisonniers musulmans se et cela est confirmé par les promettent entre eux, dépositions des grands blessés rapatriés en France, qu'ils saisiront la première occasion pour passer du
—
—
côté des Russes.
La séduction n'ayant eu aucun résultat, on a recours A Ohrdruff, nombreux sont les tirailleurs qui ont le bas du dos lardé de coups de baïonà la brutalité.
n'empêche pas de les exposer à la curiomoqueuse du public, et, tous les dimanches, la population des régions avoisinantes est admise, moyennette, ce qui
sité
nant 20 pfennigs, à circuler autour des grillages dans lesquels sont enfermés les prisonniers et qui forment «
la
cage des coloniaux
».
Le journal arabe El Ahram,
d'avril 1915, rapporte de l'attitude patriotique de nos soldats musulmans, les Allemands les menacent des pires représailles. « Vous irez de force chez les Turcs puisque
que, furieux
vous ne voulez pas vous y rendre volontairement, finirent-ils par dire. » Et alors, toutes les vexations possibles furent infligées à nos malheureux frères. Ils
L'ALGÉRIE ET LA GUERRE
234
furent soumis aux travaux les plus durs et les plus
répugnants, on alla jusqu'à
lès priver
de nourriture.
Et ce ne sont pas que les hommes qui menaçaient, les femmes allemandes, que Ton pourrait croire plus accessibles à la pitié, en faisaient autant.
El Ahram ajoute qu'il lui a été rapporté par un grand blessé rapatrié qu'une religieuse allemande lui « Lorsque tu seras guéri, tu iras comdit un jour battre contre la France dans les rangs des Turcs. » Devant les protestations indignées du tirailleur, elle entra dans une violente colère et lui dit « Eh bien, :
:
tu iras de force, Il est
reconnu que
l'émir Ali
a
fait
comme
Pacha
tous tes frères.
la pression exercée
et le cheikh
»
par Ferid Bey,
Ahmed ben Kouzbari
impression sur quelques-uns de nos soldats
cains. L'autorité
allemande a
même
afri-
préparé l'évasion
de certains et a vu, en eux, pour l'avenir, de précieux émissaires auprès de nos populations arabes ou auprès
de nos troupes indigènes dans le cas où ils seraient renvo} és sur le front. Mais cela n'a donné aucun résultat. 7
M. Mokhrani Boumezraq, dans sa brochure sur l'Islam dans l'armée française, écrit
:
que des militaires musulmans de l'Afrique du Nord ont été envoyés à Constantinople. Qu'ils y soient venus volontairement ou contraints, ils ont encore pu se rendre compte, là-bas, du degré de confiance que l'on doit accorder aux Allemands et à leurs alliés. Nous avons, en effet, été informés que «
Il
est certain
des tirailleurs algériens et tunisiens, trouvés à Constan-
abandonnés à la charité publique et mourant de misère dans les rues et les fondoucks de la ville, avaient dû être secourus par l'ambassade d'une puis-
tinople,
sance neutre.
»
DÉCLARATION DE GUERRE A LA TURQUIE
235
Mais, en face de ces défaillances isolées et qui furent négatives, mettons ce qu'écrit
un
journaliste neutre,
M. R. Payot, dans la Gazette de Lausanne, en décembre 1916 « La loyauté des musulmans, qui souffraient cependant du climat, ne laissa pas d'impressionner leurs gardiens. Ils introduisirent dans le camp des espions qui s'aperçurent que les indigènes obéissaient docile:
ment à quelques grands
chefs arabes, possesseurs d'un
grade dans l'armée française. «
Parmi ceux-ci
se trouvaient, entre autres, le sous-
fils du grand marabout Sidi Mokhtar, de Chellala, qui s'était engagé à l'âge de quinze ans. Ces chefs, qui usaient de leur influence pour prêcher la fidélité à leurs coreligionnaires, furent dispersés dans toute l'Allemagne et très durement traités. Mais leur bel exemple et leurs exhortations avaient fructifié. Malgré les offres renou-
officier
Taouti, de Laghouat, et le
velées et les insidieuses tentations, les indigènes ne faillirent pas.
musulmans, eux, furent séparés de Allemands se montrèrent d'une grande prévenance à leur égard. A Krefeld, où se trouvaient des membres de familles arabes connues, telles que les Ben Gana, les Ben Bonsid, les Ben Chérif, chaque officier reçut une chambre particulière. On ne les sollicitait pas ouvertement de déserter, mais on les nourrissait de fausses nouvelles par le moyen de la Gazette des Ardennes et du Bruxellois. Tous les jours, leurs gardiens les interpellaient familièrement « Vous savez, leur disaient-ils, quand vous le voudrez, on vous laissera partir. » «
Les
officiers
leurs soldats, mais les
:
«
A
ces discrètes invitations, se joignaient mille
L'ALGÉRIE ET LA GUERRE
236
amabilités. Les
madan
musulmans purent observer
et leurs aliments étaient préparés
Rha-
le
par un cui-
sinier indigène. « Mais toutes ces avances restèrent stériles. C'était, en vérité, mal connaître le caractère chevaleresque de la race arabe que de s'imaginer qu'elle trahirait la foi jurée. Loyale dans son pays, elle le resta dans sa captivité. Un lieutenant, le caïd Ben Chérit, de Djelfa, refusa même les privilèges qu'on voulait lui accorder et réclama d'être traité comme ses camarades français. » M. Taouti ben Yahia, dont parle M. R. Payot, fut, ainsi que nous l'avons déjà dit, rapatrié le 15 juin 1917. Il nous raconte qu'étant, le 31 décembre 1914, interné au camp de Merseburg, il fut avec deux cent cinquante de ses compagnons l'objet de certaines sollicitations. « Nous répondîmes aux autorités allemandes que nous étions tous Algériens et que nous ne comprenions pas ce qu'on attendait de nous, que plusieurs de nous occupaient des postes, soit dans la magistrature fran-
çaise, soit
dans l'administration française,
et
qu'au
surplus nous avions juré fidélité à la France qui protégeait nos biens et nos familles
:
« ...
Vous voulez bien
«
nous parler de religion, mais vous savez aussi bien que nous que les questions de nationalité passent avant les questions de religion et qu'avant d'être les disciples de Mahomet, nous sommes et resterons
«
surtout Français.
«
« «
»
M. Taouti ben Yahia nous rapporte les paroles de M. Ben Houra Bouzare, fils du caïd de Ténès, en réponse à Cheikh-Salah qui l'engage à passer, avec ses cointernés, dans les rangs de l'armée turque
:
«
L'en-
fant ne doit pas lutter contre sa mère, sans quoi serait
un
lâche,
»
et cette
mère, c'est la France.
il
DÉCLARATION DE GUERRE
A LA
TURQUIE
•27
Le goumier Benhabid Abdelmajid, de l'Oued Amizour en Kabylie, objet de la même pression turco-allemande, « Les Kabyles ont fourni répond courageusement volontairement la plus grande masse combattante algé:
neuvième de ma famille sous les « Pourquoi attaquez- vous l'Allemagne, puisque vous n'êtes que des sujets français? » Benhabid répond « Les Allemands connaissaient rienne et je suis
drapeaux.
»
A
le
la question
:
:
si
bien notre solidarité nationale qu'ils ont bombardé
les
ports de Kabylie les premiers jours de la décla
ration de guerre.
»
Le panislamisme, le nationalisme musulman sont donc choses qui n'ont existé que dans l'esprit leurré ou intéressé de certains agitateurs eu de certains pamphlétaires.
Ce qu'on appelle
le réveil
commune,
n'est pas la sortie
selon
de l'Islam, ce
un mot
d'ordre,
de la torpeur de leur race de deux cents millions de
musulmans. Et comment a-t-on pu s'imaginer ou oser faire croire que cette race est une de par le monde, comme si elle ne formait qu'un bloc avec une même
âme
et des
mêmes
sentiments?
ses membres répartis en Europe, en Afrique et en Asie, ont des nationalités différentes, avec des chefs différents, avec un langage propre seulement aux mêmes agglomérations et ayant
Cette race est multiple
des aspirations que
;
le lieu, le
climat et les traditions
rendent très dissemblables. Il
n'y a rien de
commun entre le Marocain et l'Égyp-
tien, entre l'Algérien et le Persan, si ce n'est le lien
religieux, mais, à ce point
plus d'influence que
le
de vue, l'islamisme n'a pas
christianisme ou
le
judaïsme.
ne se bat plus au nom d'une religion, mais au nom d'un pays, et, s'il y a, en 1914-1918, une croisade fran-
On
L'ALGÉRIE ET LA GUERRE
238
de la France, à la fois chréles ennemis du droit,
çaise, c'est la croisade
tienne, juive,
musulmane, contre
de la justice et de la liberté. L'exemple de la Turquie, proclamant en vain la guerre sainte et essayant, par ses agitateurs et avec le concours de l'Allemagne, de débaucher, à son profit, nos soldats indigènes, prisonniers affaiblis par les privations et les maladies, désorientés par
un climat
néfaste, en proie à toutes les sollicitations, victimes
de toutes si
les
menaces
inébranlables et
France,
Le
le
et
de toutes les cruautés, mais dans leur amour pour la
si fidèles
prouve à jamais.
réveil de l'Islam, ce n'est, en réalité, pas autre
chose que l'entrée dans
le
monde civilisé et dans le monde qui semblait, aux
progrès moderne de tout un esprits ignorants
ou peu clairvoyants, encore
réfrac-
taire à toute idée, à tout élan, à toute aspiration
de
notre époque.
Mais chaque individu évolue dans son milieu social, le tempérament que lui assigne son climat, avec la tournure que lui implique en quelque sorte, l'expression géographique dont il dépend par hérédité et depuis des siècles, et suivant le régime national et avec
politique sous lequel
il
est né.
Vers cette évolution, tout
l'attire,
c'est l'irrésistible attraction des
de lui il secoue sa séculaire apathie, à la vie de son époque. ;
L'indigène,
comme
même
malgré
temps. C'en est il
lui,
fait
veut participer
tout autre être humain, sent
instinctivement que cette évolution l'appelle à un
nouveau où il y aura pour lui, comme aux temps heureux de ses ancêtres, plus de lumière, de bienêtre et plus de bonheur. sort
DÉCLARATION DE GUERRE C'est
une évolution
A LA
TURQUIE
239
comme comme elles,
naturelle, impérieuse
toutes les choses de la création, forte
parce qu'elle est imprescriptible, et vouloir, soit l'étouf-
par des théories fabriquées de le panislamisme ou le nationalisme musulman, c'est ignorer la vie de son temps, c'est méconnaître l'éternelle ascension de l'esprit humain fer,
soit la retarder
toutes pièces,
comme
vers des perfections toujours nouvelles.
Cette évolution, c'est la grande loi de l'humanité, c'est
son honneur, c'est sa raison d'être.
Il est
de notre
intelligence raisonnée, de notre dignité française, de
notre devoir, de la favoriser, de hâter car ce siècle, pas plus que
temps d'attendre, car
il
même sa marche,
le siècle dernier,
n'a pas le
y a des étapes que l'homme
peut franchir d'un seul coup, il y a l'œuvre de plusieurs siècles dont il peut s'imprégner en quelques années, car on peut, de la pénombre d'hier, passer sans transition dans la clarté d'aujourd'hui, et l'exemple de toutes les Amériques et l'exemple le plus récent du Japon sont là pour attester qu'il faut faire confiance à tous les êtres humains.
Comment ne
ferions-nous pas confiance à ceux qui
peuplent notre Afrique du Nord?
A
ceux qui hésiteraient encore dans la sincérité de et de Français, faisons remarquer que cette évolution des âmes et des peuples, parce que naturelle, doit tout d'abord être acceptée par chaque leur
cœur d'homme
esprit clairvoyant et doit ensuite être saluée
comme
ne s'opère et ne peut uniquement s'opérer qu'au contact d'une nation civilisée, c'està-dire qu'elle ne peut se produire, pour ce qui concerne l'Afrique du Nord, qu'au contact de la France, et que celui qui subit, même malgré lui, ce contact, en est à
un
bienfait, car elle
2 4o
L'ALGERIE ET LA GUERRE
jamais imprégné
;
il
en a l'empreinte ineffaçable
et
en
porte la marque jusqu'en son cœur. C'est pourquoi,
même
s'il
n'est pas
degré quelconque de culture,
il
parvenu à un
se sent néanmoins,
confusément que ce soit, solidaire de tout ce qui se autour de lui dans la pensée de la nation qui le gouverne il s'élève, dans son humble ignorance, jusqu'à l'idée de patrie, et, si alléché même qu'il soit par la prime d'argent qu'il puisse toucher en signant son engagement volontaire, de par le fait qu'il y a engagement volontaire, il y a, en l'indigène algérien, le désir, sans doute indéfinissable, mais certain, de participer, lui aussi, au grand drame qui va fixer la destinée nouvelle du pays devenu le sien. C'est donc la France qui est la souveraine maîtresse et l'indigène algérien veut penser, non pas en car au point de vue social et politique, musulman, comme pour le chrétien ou le juif, c'est chose impossible, et parce que le monde se divise en nations, mais en français uniquement, comme son coreligionnaire du Caucase, par exemple, de par la force même des choses, pense en russe. Cette guerre avec la Turquie, considérée au commencement avec tant d'appréhension, au point de vue religieux, montre que l'idée de guerre sainte a disparu tout autant que celle des croisades chrétiennes, que le bloc universel musulman n'a pu être établi que par une généralisation d'idées tout à fait chimérique, par des rêveurs ou par des intéressés, que, si l'islamisme, tout comme le christianisme ou le judaïsme, n'a pas de patrie, le musulman, tout comme le chrétien ou le juif, en a une à laquelle il tient par-dessus tout, et que, pour le musulman nord-africain, c'est uniquement la France. si
fait et s'agite
;
—
—
XVI DE QUELQUES TROUBLES
A PROPOS
Ainsi donc,
hommes
ils
étaient de faux prophètes et des
d'État peu clairvoyants ceux qui allaient
déclamant partout
«
qu'en cas de guerre nous aurions
sur les bras une formidable insurrection en Algérie
Et
qu'une
».
de plus l'on songe à ce que Jésus, monté sur une barque où il s'était assis, disait au peuple qui se tenait devant lui, debout sur le faudra-t-il
rivage
:
«
Leurs
fois
oreilles
sont devenues sourdes et
ils
ont fermé leurs yeux, de peur que leurs oreilles n'entendent, que leurs yeux ne voient, que leur cœur ne
comprenne
»?
Mais d'autres avaient heureusement déjà compris, quand le petit-fils d'Abd-el-Kader, le capitaine émir Khaled, avait dit en décembre 19 13 « Que la France ait demain besoin de nous sur ses frontières et nous serons encore là, au premier rang. » « Vienne le moment des Il avait noblement ajouté sacrifices et ceux qui ont donné donneront encore et rappeceux qui ont marché marcheront encore, » et, lant magnifiquement l'inébranlable fidélité de son grand-père qui, Vercingétorix de l'Afrique du Nord, lutta jusqu'au bout pour l'indépendance de son pays, et comme son Dieu avait prononcé son jugement en :
:
—
16
L'ALGÉRIE ET LA GUERRE
242
faveur de la France, se rallia à suite, jusqu'à ouvrir
elle et
alla,
dans la
aux chrétiens menacés en Syrie
—
il prononçait ce serment de sa maison, au péril de sa vie, dans les tranchées de première ligne « Nous serons avec vous aux heures
les portes
qu'il a respecté,
:
du danger. » Tous les indigènes algériens, grands chefs, muphtis ou marabouts, Jeunes-Algériens ou gens du peuple, jusqu'à ces admirables femmes musulmanes priant dans les mosquées ou sur les tombeaux de leurs saints triomphe de nos armées, se sont sans cesse France attaquée, car tous, sans même vouloir envisager de quel côté serait finalement la victoire, se sont fondus en elle « Quand nous pouvions croire notre histoire terminée, avait également expliqué l'émir Khaled, elle recommençait avec vous, comme la vôtre, au temps de vos ancêtres gaulois, recommença avec Rome. » Aussi, est-ce que les incidents parfois graves qui se sont produits sur quelques points de notre colonie peuvent jeter une ombre indélébile sur l'ensemble
pour
le
sentis solidaires de la
:
de l'Algérie musulmane patriote et fidèle à la France? Il ne vient à l'idée de qui que ce soit de nier que des faits douloureux ont éclaté çà et là, mais les conséquences parfois sanglantes, qui découlent du malaise créé par l'état de guerre, feront-elles que les exceptions locales l'emporteront sur la règle générale, si
admirable, observée par
les
divers éléments de la
population algérienne, notamment indigène?
Enfin faudra-t-il
faire des distinctions
que
le
sou-
venir de certains heurts ne pourra jamais faire disparaître et l'abîme
demeurera- t-il toujours ouvert? Dans faire, en ce qui
nos départements algériens, va-t-on
A
PROPOS DE QUELQUES TROUBLES
concerne
le
monde
243
indigène, d'irréparables sépara-
tions, va-t-on se livrer à des calculs
que d'aucuns se sont
laissés aller
mesquins, et parce à la violence, va-t-on
oublier toutes les circonstances atténuantes, c'est-
même de la générosité frande diminuer le fraternel élan cjui rapproche irrésistiblement la France de l'Algérie musulmane, et, par là, tenter aussi d'amoindrir l'immortel à-dire ce qui est l'apanage
çaise, va-t-on essayer
exemple de bravoure
et
de
sacrifice
leurs qui furent sans cesse les
de tous ces
tirail-
aux rudes combats dont
régiments sortaient tous décimés?
C'est cette crainte de se voir victimes d'un ressen-
timent injustifié qui
coup d'indigènes.
Si
chef de la confrérie
assaille parfois l'esprit
de beau-
Abderrahman ben El Hamlaoui, Rahmania à la grande mosquée
Aïn-el-Ars, à Oued-Athménia, dans
une proclamation
adressée à tous ses adeptes, énonce tout d'abord avec la plus admirable fidélité et le patriotisme le plus
élevé «
:
Nous prions avec une énergique
mokkadems
et tous les
insistance nos
adeptes de notre confrérie,
que tous nos coreligionnaires, d'indiquer aux chemin qui les conduira à la paix et protégera leurs intérêts, de leur expliquer intelligemment qu'une opposition quelconque à l'exécution des lois formelles du gouvernement n'est qu'un crime incomparable, car elle n'occasionnerait au pays et aux habitants que la ruine et la calamité... « Ce que chacun de nous doit savoir, c'est que notre devoir vis-à-vis du gouvernement français n'est pas seulement de souhaiter sa victoire, ainsi que celle de ses alliés, et de rester inactifs en jouissant de la paix et de la liberté, mais que notre devoir sacré, à ainsi
gens
le droit
,
L'ALGÉRIE ET LA GUERRE
244
nous tous, musulmans, est de lui venir de bon cœur en aide et faire pour lui des sacrifices de corps et de biens.
»
Mais Si Abderrahman ben El Hamlaoui ne peut s'empêcher, en déplorant la manière d'agir de certains de ses coreligionnaires d'Aïn-Touta, dont nous parlerons plus loin, de faire remarquer « Cette façon nous cause beaucoup de peine et certainement beaucoup d'inquiétude, car, en parlant des indigènes d'une façon générale, on pourrait étendre à tous le déshonneur de pareil acte. « Mais nous avons le grand espoir que les Français intelligents, ainsi que les hommes éminents qui représentent l'autorité, se garderont bien, au moment d'adresser de justes blâmes, de les généraliser et de faire retomber une responsabilité épouvantable sur le peuple arabe. » C'est ce que le Gouverneur général de l'Algérie a également bien soin de faire remarquer dans son dis:
cours du 8 mars 19 17, à l'assemblée plénière des
Délégations financières «
J'ai dit
:
que nous ne devions pas commettre
la folie
de rendre la population indigène solidaire des excès commis par quelques-uns et que nous ne devions pas méconnaître les manifestations de dévouement de nos sujets au milieu de la crise la plus effroyable et la plus propice aux trahisons.
»
Quatre faits ont causé en notre colonie des émotions dont chacun reconnaît le profond caractère, et des troubles, dont la gravité a douloureusement affligé le cœur de tous ceux qui veulent une Algérie irrépro chablement belle. Au surplus, ils sont de notoriété publique. Ils ont
A
PROPOS DE QUELQUES TROUBLES
eu leur écho dans
les
Nous
notre colonie.
assemblées et
les
journaux de
allons les exposer avec la plus
sincère impartialité, et aussi avec la brièveté
commandent
245
que
présentes. L'histoire
les .circonstances
plus tard fera la lumière sur tous ces points et décidera
en toute
justice.
— général départements — Ce sont — C'est
fait
qui s'est étendu à nos trois
l'insécurité.
faits particuliers
—
qui ne se sont produits
les engagements volonqu'en quelques milieux taires, le recrutement, par voie de réquisition, des travailleurs destinés à participer en France, soit à des travaux urbains ou agricoles, soit à ceux des usines
fonctionnant pour la défense nationale, et la conscription militaire.
L'insécurité.
Toujours, cette question s'est posée en Algérie, soit
comme attentats communs à l'espèce humaine et délits envers les personnes
ou
crimes
:
les choses, soit
comme
attentats d'un ordre national, contre la domination française, c'est-à-dire la révolte
ou
l'insurrection.
D'un côté donc, sécurité privée, de l'autre, sécurité politique. Or, à aucun moment, cette dernière, durant cette guerre, n'a été menacée en Algérie, et c'est ce qui beauté intégrale de notre colonie et l'irréfutable de la métropole s'est créés la famille indigène. Sécurité privée tous les attentats sont, connus, le problème est sans cesse le même et il est discuté depuis fait la
et impérissable valeur des titres, qu'à l'égard
:
où notre patrie a conquis ce pays. M. Camille Sabatier, qui fut juge de paix en
l'heure
Algérie,
L'ALGÉRIE ET LA GUERRE
246
commune mixte, avant de en 1882, condensé en quelques mots l'opinion générale qu'en notre colonie la misère puis administrateur de
devenir député d'Oran,
a,
est la cause la plus active de la criminalité. suffit
« Il
que l'année
soit
exceptionnellement sèche.
En effet, l'Arabe n'a d'autres ressources que les céréales et l'élève du bétail. En tarissant les sources, en desséchant prématurément les pâturages, en portant obstacle à la germination des semailles ou à leur croissance, la sécheresse a pour objet de priver l'Arabe en même temps de tous ses moyens d'existence et la famine ne tarde pas à éclater avec son cortège habituel
:
le
choléra et
le
typhus.
»
Dès le lendemain du 2 août 19 14, on fait connaître que l'état d'esprit des indigènes est calme et satisfaisant, mais qu'il y a une circonstance fâcheuse qu'il importe de
faire ressortir
de suite
:
la perspective
de
une fois de plus déficitaires, et les tempêtes de neige éprouvant fortement, par une mortalité continue, les troupeaux déjà mis en état de moindre résistance par l'insuffisance des
la misère, les récoltes de céréales étant
On constate, à propos de la difficulté qu'il dans certains centres, à faire rentrer l'impôt, qu'il faut en chercher la cause, non dans les événements suscités par les hostilités entre la France et l'Allemagne, mais dans la misère extrême des populations qui ont souffert de plusieurs mauvaises récoltes suc-
pâturages.
y
a,
cessives.
On rien à
établit
qu'il
manger,
les
faut craindre que, n'ayant
plus
indigènes ne se livrent à quelques
méfaits, et le résultat, presque au lendemain de la
guerre, ne se fait malheureusement
sur beaucoup de points,
il
pas attendre
y a recrudescence
:
d'atten-
A
PROPOS DE QUELQUES TROUBLES
247
tats contre la propriété privée, et le motif est partout le
même
:
la misère.
Le Gouverneur général de l'Algérie ne dissimule pas l'intensité du mal. Le 7 juin 19 15, à l'assemblée plénière des Délégations financières,
il
dit,
en
effet,
après
avoir hautement proclamé que, depuis le 2 août 19 14, toute notre colonie a rempli tous ses devoirs patriotiques
:
Pendant ce temps, l'Algérie était aux prises avec des difficultés que d'autres provinces n'ont pas con«
nues.
Elle n'avait point seulement
à seconder ses
agriculteurs et ses commerçants, elle avait la charge
redoutable de pourvoir aux besoins de quatre millions cinq cent mille indigènes.
Nos indigènes étaient
atteints
sous deux formes. « L'année 19 14, parachevant le désastre d'une longue période de sécheresse, avait anéanti la plus grande
partie de leur récolte de céréales. le
moyen de «
En
ïl fallait
leur donner
vivre et d'ensemencer.
second
lieu,
les
débouchés sur lesquels
ils
avaient coutume de compter se sont trouvés subite-
ment
fermés. C'est ainsi que la guerre a interrompu
brusquement
la
campagne
ovine.
L'Algérie n'avait
que 650 000 moutons, il en restait plus de 400 000 que nos indigènes ont vainement offerts en août et en septembre ce reliquat est resté invendu, soit par suite de la mobilisation des acheteurs, soit par la suppression du crédit dans les banques, soit par l'interruption des transports. « Les indigènes ont ainsi subi une perte sèche qu'il faut évaluer à un minimum de 10 millions de francs. encore exporté
le
31
juillet
;
Pendant
ce temps, les dattes, les figues, les caroubes,
les huiles,
produits indigènes par excellence, se heur-
L'ALGÉRIE ET LA GUERRE
248
taient à la fermeture de tous les marchés habituels
de consommation, dont beaucoup étaient en Alle-
magne
et
en Autriche.
»
M. Charles Lutaud ajoute « Quels mois rudes et pénibles il nous a fallu traverser, lorsque les indigènes, dépourvus de toute nourriture, tendaient désespérément leurs bras vers nous » :
!
On
s'efforce d'organiser partout l'assistance
travail,
admirablement,
de prévoyance indigènes justifient
en ces douloureuses circonstances,
leur raison d'être
;
administrateurs des
les
communes
mixtes reçoivent la mission de faire de larges butions de céréales et de semences
Gouverneur général de «
Il
le
de remédier au chômage, d'ouvrir des chan-
tiers; les sociétés
le
par
;
distri-
on espère, mais
l'Algérie de déclarer encore
:
sera écrit que, jusqu'au bout, nous aurons à
compter avec
la fatalité.
Voici qu'une invasion de
inconnue jusqu'à ce jour, inonde les territoires du nord et du sud, et des orages de grêle viennent anéantir, dans la province de Constansauterelles, d'une intensité
tine, les plus légitimes espérances.
»
Cet état de misère des indigènes ne tuer.
En 1917,
c'est la
Aux intempéries les
famine
toires
que s'accen-
qui détruisent les récoltes et déciment
troupeaux s'ajoute
Celle-ci se fait
fait
même qu'il faut conjurer.
la
hausse de toutes
les denrées.
principalement sentir dans
les terri-
du Sud qui sont presque tous privés de moyens
de communication. Les indigènes vivent, là-bas, dans
une poignante misère qui accentue leur mortalité. Mais il ne faudra jamais oublier, et ce sera là le plus grand enseignement, que, chaque fois qu'un mieux-être s'est tant soit peu fait sentir, il y a eu aussitôt diminution de vols et de crimes. Sur ce point,
A il
PROPOS DE QUELQUES TROUBLES
y a unanimité dans tous
des administrateurs de et des
les
249
rapports hebdomadaires
commune
mixte, des maires
commissaires de police.
Faut -il
un exemple? L'administrateur de
citer
commune mixte de Tebessa écrit « La situation économique des
la
10 avril 19 15 indigènes commence le
:
à s'améliorer sensiblement. Le commerce des laines très rémunérateur, l'abondance des pâturages favorisée
par
les pluies
sont autant de facteurs nouveaux
qui contribuent à la prospérité de la région
si
éprouvée
nombre des crimes et délits va-t-il en diminuant depuis le commencement du mois. Cette semaine, on n'a eu encore à enregistrer aucun attentat contre les personnes ni contre les
par
les rigueurs
propriétés.
de
Aussi
l'hiver.
le
»
La Commission
instituée en
causes de l'insécurité et les
composée des sous-préfets la présidence
du
vue de rechercher
les
moyens d'y remédier,
et des administrateurs, sous
préfet, réunie à Constantine, le 27 fé-
19 15, n'avait-elle pas déjà voté tout d'abord « La Commission, considans son ordre du jour i° dans dérant que les causes d'insécurité résident la misère des indigènes qui est la conséquence de la crise économique provoquée par les événements actuels..., » et n'avait-elle pas émis, avant tout, le vœu « que des chantiers destinés à assurer du travail aux indigènes nécessiteux soient maintenus et augmentés vrier
:
:
et que toutes les mesures de nature à aider les indigènes à supporter la crise économique présente soient
prises »?
M. Camille Sabatier explique aussi
la
deuxième
cause de l'insécurité. «
Elle réside,
dit-il,
dans
le
plus ou moins de moralité
L'ALGÉRIE ET LA GUERRE
250
des populations indigènes qui, à cet égard rencient profondément entre
elles.
un honneur de
se font véritablement
,
se diffé-
Certaines
tribus
leurs habitudes
de vol et nous trouvons ce singulier préjugé non dans certaines tribus algériennes, mais
seulement
encore dans certaines autres appartenant à divers
Etats de l'Afrique
septentrionale.
Chez
les
nomades du Sahara, une expédition ayant
tribus le
vol
pour mobile rapporte autant d'honneur qu'une expédition militaire et, le plus souvent même, il est impossible de distinguer la seconde de la première, tant sont identiques, dans les deux cas, les procédés d'exécution,
Mais ce ce sont
b
qu'il
convient de faire remarquer, c'est que
non seulement
les
Européens mais surtout
les indigènes
qui sont les victimes de ces bandits.
tout temps
en a été
il
De
ainsi.
A travers les années,
les
mêmes
faits se
renouvellent
avec plus ou moins d'acuité. L'état de guerre est propice au réveil de tous les instincts, et il y a recrudescence d'attentats, mais presque toujours contre
les
choses. Les bandits établissent leur quartier général
dans des massifs inextricables et impénétrables qui recèlent des abris très sûrs et d'où
impossible de les déloger.
Ils
redoutables et leur audace est
jusque dans
Dans
les
la nuit
il
est à
peu près
s'organisent en bandes telle
qu'ils
opèrent
grands centres peuplés.
du 18 au 19
avril 19 15,
au
lieu dit
Bled-Deroua, douar de M'Fatha, commune mixte de Boghari, un djich de quinze personnes attaque la mecheta d'un nommé Guizane Rabah ben Lakhdar. Ce dernier et un nommé Azaïz Laichaoui ben Moham-
med
sont grièvement blessés. Les malfaiteurs enlèvent
-
A
PROPOS DE QUELQUES TROUBLES
251
un nombre considérable d'ovins 110 moutons, 412 agneaux, 5 chèvres et aussi 5 chevaux. A la même époque, un djich composé d'une douzaine :
d'individus de Djelfa et de Bou-Saada attaque, dans la région limitrophe des Ouled-Djellal-Djelfa, des ber-
gers de Mahilla et enlèvent 18
Dans
chameaux et 128 chèvres.
département de Constantine, un djich attaque, à 4 kilomètres de Barika, une caravane de grains, et l'un des conducteurs, Othman ben Gandouz, le
est tué.
Les vols surtout se multiplient qui aboutissent à une transaction sur béchara, le béchir étant un individu affilié à une bande de voleurs qui, contre récompense fixée par lui, offre de faire retrouver les objets volés dont il dit avoir découvert la piste, et la béchara étant la récompense que se partagent les malfaiteurs. C'est dans ce département de Constantine que sévit principalement, durant cette guerre, le banditisme. On attaque en plein jour le bordj de Belezma. Colons et indigènes sont en proie aux mêmes dangers. On pille les premiers, on va jusqu'à enlever les femmes des seconds pour exercer ensuite sur le père ou le mari le système fructueux de la béchara, ainsi que le raconte M. Carrât, le 27 avril 19 15, au Conseil général de Constantine.
Ce
jour-là,
et
dans cette assemblée, MM. Vallat, vœu tendant à mettre
Dussaix et Carrât formulent un
un terme à que
les
cette situation dangereuse,
«
considérant
colons et surtout les indigènes aisés sont l'objet
d'attaques nocturnes par d'importantes bandes organisées qui ont à leur actif
une longue
série
de vols et de
crimes presque tous restés impunis, considérant que l'audace grandissante de ces bandes inspire une véri-
L'ALGÉRIE ET LA GUERRE
252
table terreur dans le pays au point que dans certains mechtas (Oued Touidjine d'Aïn-Abessa, par exemple) les indigènes s'enfuient abandonnant leurs maisons et leurs récoltes.
»
L'état d'insécurité se prolonge de plus belle. L'ad-
Lamy écrit, le n juillet 19 15 mon devoir, en tant qu'adjoint
joint spécial de «
Je
crois
de
:
spécial
de Lamy, représentant les intérêts de ce centre, de venir vous faire connaître la situation que crée une toujours grandissante et contre laquelle
insécurité
aucune mesure réellement énergique semble avoir été prise jusqu'à ce jour. «
Dans notre région
les vols
et
radicale ne
succèdent aux vols,
attentats de toute sorte se font plus fréquents. trois routes sur
Bône,
la Calle et
les
Nos
Souk-Ahras sont
coupées par des bandes organisées de voleurs
de
grands chemins. Nul cultivateur n'est sûr de retrouver le lendemain, nul voyageur n'est certain au terme de son voyage sans avoir été dé-
son bétail d'arriver pouillé. «
Quant aux attentats commis sur
séminés dans notre massif plus.
les
forestier, ils
indigènes dis-
ne se comptent
Les brigands volent leurs bestiaux, violent leurs et, terrorisées par la menace de
femmes devant eux
représailles encore plus terribles, les victimes n'osent
même «
pas se plaindre...
Les indigènes honnêtes et travailleurs sont stu-
péfaits de ce qui se passe.
L'un d'eux
me
disait,
il
y a
quelque temps : « Qu'avez-vous donc, vous autres Français? Vous voyez que nous sommes rançonnés par des bandits et vous ne faites rien pour nous protéger. Vous les laissez tranquillement exercer leur profession ou si,
PROPOS DE QUELQUES TROUBLES
A
253
ébauchant quelques timides mesures de répression, vous procédez à quelques arrestations, ce n'est pas pour longtemps. Avez-vous peur ou bien n'êtes-vous pas assez forts pour commander en Algérie? » Les indigènes de toute notre colonie, qui souffrent, tout autant, si ce n'est plus que les colons, de ces vols et de ces continuelles attaques, sont donc les premiers à demander l'énergique répression de ce banditisme de plus en plus audacieux et qui rappelle celui de la Calabre et de la Corse. L'histoire dira que les indigènes, durant ces années de guerre, sont même venus au secours des colons. particulier en ce qui concerne Le danger commun, les biens privés, national en ce qui concerne la patrie rapproche ces deux éléattaquée par l'Allemagne, ments que l'on affirmait si opposés les colons et les
—
—
:
indigènes. C'est ainsi que, à la plus grande joie de tous ceux
qui ne rêvent que
les
temps
les meilleurs
plus importante colonie, devient enfin
pour notre
un mariage de
sentiment ce mariage de raison dont Albin Rozet parlait le «
9 juin 1889
La question
:
algérienne est double
:
il
y a là-bas
des colons et des indigènes. Je prétends et je crois que je ne serai démenti par personne que, pour que les colons soient
soient, et que, il
heureux,
pour que
il
faut que les indigènes le
les indigènes soient
heureux,
faut que les colons le soient également. Cela a l'air
d'une vérité de La Palisse, mais cela indique
le
mariage
de raison désormais indissoluble qui, pour les gens de bonne foi, doit être conclu entre nos indigènes et nos colons. Il
»
ne faudra jamais, en
effet,
oublier que,
comme
L'ALGÉRIE ET LA GUERRE
254
un des fonctionnaires des plus
autorisés de ce département de Constantine où la sécurité est la plus menacée « Les inquiétudes manifestées au début par les familles privées de leurs défenseur^ et habitant les fermes isolées se dissipent rapidement en constatant l'écrit
même
:
campements indigènes voisins qui se eux-mêmes les gardiens des propriétés européennes que nous avons confiées à leur surveillance. »
l'attitude des
font
Un écrit «
maire de ce
de son côté
Dans
même
département de Constantine
:
la situation
où nous nous trouvons,
gènes se sont joints à nous,
ils
les indi-
souhaitent de grand
coeur que les événements actuels soient favorables à la
France. Le jour où les hostilités commencèrent, se sont offerts
eux-mêmes pour garder
les biens
ils
des
colons actuellement sous les drapeaux et font en ce
moment village.
des rondes de nuit, à tour de rôle, dans
le
»
Que de
colons, à l'appel de la mobilisation de leurs
classes, sont
partis
au régiment après avoir remis
leurs familles et leurs biens à l'unique et fraternelle
protection des indigènes
!
fermes isolées de l'Algérie,
Dans presque toutes les femmes des colons sont
les
demeurées, admirables, vaillantes à leur poste, et toutes, dans les travaux agricoles, remplacent leurs maris mobilisés,
«
grandement
aidées,
comme
le dit
encore un autre important fonctionnaire constanti-
par les indigènes ordinairement employés et dont aucun, jusqu'à ce jour, n'a fait défection. » Des goums sont organisés avec le concours de marabouts et de personnages influents musulmans pour des nois,
patrouilles nocturnes et qui visitent toutes les fermes
A
PROPOS DE QUELQUES TROUBLES
255
pour s'assurer que rien d'anormal n'est à signaler. Ce
goums qui de communication, les routes au moment des passages des courriers, les lignes télégraphiques et téléphoniques. Les habitations isolées sont gardées par des groupements de tentes et les maisons forestières par des assès.
sont les indigènes faisant partie de ces
gardent
les voies
Lorsqu'en fin septembre 1915, on a eu à déplorer, dans la commune mixte d'Aïn-Temouchent, département de Constantine, le meurtre du maréchal des logis Roucoules et du gendarme Chesneau, tombés victimes de leur devoir sous les coups de deux assassins qu'ils recherchaient, ce douloureux événement a jeté. la consternation dans les milieux indigènes aussi bien qu'européens, et de nombreux musulmans, avec le concours de l'autorité militaire, se sont mis à la poursuite des bandits.
Ainsi la pensée qu'exprimait Jules Ferry, dans son
rapport sur 1892, au
gouvernement général de
le
l'Algérie,
en
nom de la commission sénatoriale d'études sur
« L'Algérie est nécessahement livrée au conflit de deux races rivales l'européenne et l'indigène, » n'est plus que le souvenir d'une époque à
notre colonie
:
:
jamais disparue.
Le manque de
sécurité et le trouble qu'il jette par-
tout n'entachent en rien
le
patriotisme des indigènes.
M. Charles Lutaud, traçant
le tableau général de l'Aldevant les Délégations financières, déclare à ce propos « Il nous est impossible, dans ce tableau général, de ne pas effleurer la question de la sécurité. Elle a
gérie, le 7 juin 19 15,
:
laissé à désirer sur certains points et à diverses
Nous n'incriminons point cependant
la
époques.
masse des
indi-
L'ALGÉRIE ET LA GUERRE
256
gènes, chez qui nous n'avons surpris aucune entente
pour troubler l'ordre à la faveur des embarras de la France... Toutefois une recrudescence de crimes et de délits de droit commun a été remarquée, mais les propriétaires indigènes en ont été victimes plus souvent que les Français. Ces attentats ont été accomplis là où la misère avait été la plus grande, sur les Hauts Plateaux du département de Constantine et seulement pendant les mois ingrats de l'année. « Reconnaissons enfin loyalement que la répression ne pouvait avoir cette année son efficacité ordinaire. Répondant aux sollicitations pressantes des fonctionnaires des communes mixtes et plus particulièrement de ceux qui étaient investis d'un grade dans l'armée, j'ai consenti à l'incorporation de quarantesix administrateurs ou adjoints, ce qui représentait une diminution de vingt-cinq pour cent. En même temps un grand nombre de commissaires de police étaient mobilisés.
»
Le 27 juin 19 16, devant le Conseil supérieur de gouvernement, M. Charles Lutaud spécifie :
Les indigènes ont aussi apporté leur tribut à l'harmonie des efforts communs. Ils ont respecté le serment «
de
fidélité
que leurs chefs politiques ou religieux
avaient prêté spontanément en leur nom. Les atteintes
à la sécurité publique dont
les statistiques
la recrudescence
ne sont pas dirigés contre
nation française.
La
nistrateurs,
accusent la
domi-
dislocation des cadres des admi-
de magistrats, de fonctionnaires de la quelque encouragement aux
police, devait apporter
malfaiteurs indigènes ou européens
;
elle
a permis,
d'autre part, le réveil de quelques instincts ataviques et
de certaines
rivalités,
assouvies par la violence,
A
PROPOS DE QUELQUES TROUBLES
entre tribus
ou entre !
Mais la souveraineté demeurée incontestée, et
familles.
française, affirmons-le, est c'est l'essentiel
257
»
Enfin, le 8 mars 1917, le Gouverneur général de l'Algérie dit encore devant les Délégations financières
:
dans leur aridité, nous apprennent ont diminué dans une proportion notable en 19 16, non seulement comparativement à l'année 19 15, mais encore, ce qui est plus intéressant, aux années 1912 et 1913. De ces statistiques, minutieusement établies, devons-nous conclure à une amélioration très sensible? En l'affirmant, nous ne donnerions pas une image fidèle de la situation, La diminution de la criminalité a pu résulter de l'absence des engagés volontaires, de tirailleurs ou de travailleurs qui ne se recrutent pas. dans les» classes les plus policées de la population indigène. Par contre, la mobilisation d'un nombre considérable de commissaires, d'agents de police, d'officiers de police judiciaire de tous genres aurait pu constituer un encouragement poUr les malfaiteurs. On peut admettre aussi que cerLes
«
que
chiffres,
les affaires criminelles
tains crimes,
comme
celui
commis sur
les
deux gen-
darmes de Rabelais, bien que comptant pour de simples peuvent avoir une gravité particulière. Ce qu'on peut affirmer toutefois, toute proportion étant observée, c'est que Tétiage de la criminalité reste sta-
unités,
tionnaire.
»
Les engagements volontaires.
Deux ans la
encore avant la déclaration de la guerre, France ne recrutait ses soldats indigènes que par 17
258
L'ALGÉRIE ET LA GUERRE
la voie des
engagements volontaires. Mais ce système
offre parfois des inconvénients.
En
d'un côté,
effet,
il
y a un grand nombre de
douars dans lesquels
les
habitués à s'engager,
même
indigènes
n'ont pas été
en temps de paix. D'un
autre côté, on ne permet pas aux indigènes de choisir leur corps.
Il
y en a qui considèrent
comme
les
régiments
de toutes les têtes folles et légères et éprouvent une répugnance à s'y enrôler. Cavaliers, ils désireraient s'engager dans un corps de spahis auxiliaires ou de goumiers, mais ou l'on refuse les engagements ou on les limite, sous prétexte, par exemple, de l'insuffisance des monde
tirailleurs
le réceptacle
tures.
Si la misère est, à certaine époque, un grand agent de recrutement, il arrive ensuite qu'il y a diminution dans le nombre des engagements volontaires sitôt que la situation économique s'améliore et que les travaux de la moisson et la vente des moutons procurent aux indigènes de nouvelles ressources. Il y a aussi que les indigènes des classes ouvrières, petits
artisans,
manœuvres,
terrassiers,
laboureurs,
dont un grand nombre se trouve déj à sous les drapeaux, ne se gênent pas pour dire que, si les engagements ont été considérables, ils l'auraient été davantage si les fils des notables ou commerçants avaient plus souvent donné l'exemple. Le iecrutement devenant ainsi parfois difficile, il et c'est un fait trop constaté sur lequel on a a y eu, presdéjà bien discuté pour le passer sous silence, sion de la part de certains agents de l'autorité, et le ministre de la guerre demandait, en fin décembre 19 14, qu'un zèle exagéré d'agents subalternes n'enlève pas
—
—
A à la
PROPOS DE QUELQUES TROUBLES
259
campagne en cours son caractère de recrutement
par engagements volontaires. Cette pression a donné lieu à des abus auxquels ont participé des adjoints indigènes ou des caïds. Contre ces agents, de l'autorité qui, d'après la déposition de
M. Baïlac, rédacteur en chef de l'Echo d' Alger, devant la Commission d'enquête parlementaire, le 27 janvier 1917, ont commis des maladresses, qu'a-t-on fait vraiment? Contre ces adjoints indigènes et ces caïds cou-
pables a-t-on pris suffisamment toutes
que commande
la justice?
Aussi a-t-on quelquefois
—
mesures
dans maintes
et déjà
discussions et maintes assemblées on
les
Ta reconnu
—
recruté sans considération, on a usé de mesures d in-
timidation, on a enrôlé en dépit d'un excès de jeunesse,
en dépit d'infirmités
même
très apparentes et en dépit
de toute moralité. N'a-t-on pas déclaré
:
«
Ces enga-
gements volontaires ont sur les appelés l'avantage de ne pas troubler les populations, de fournir des professionnels et de débarrasser la colonie des éléments les
plus turbulents?
A
»
qui, par conséquent, la faute,
des mécomptes?
s'il
Ne nous étonnons
y a
eu, ça et là,
pas que
popuque gagné quelques femmes musulles
lations indigènes aient été parfois indignées et
cette agitation ait
manes.
Nous dirons plus loin que, pour arracher leurs fils ou leurs frères à la conscription militaire, certaines mères et sœurs vendent, à vil prix, leurs bijoux et leurs lopins de terre. A propos des engagements, plusieurs vont, jusqu'aux portes des casernes ou des cantonnements, faire en sorte que, en entendant leurs plaintes ou leurs reproches, les enrôlés se décident à
L'ALGERIE ET LA GUERRE
260
fuir le régiment. S'ils
ne cèdent pas, des pierres sont,
moment du départ, lancées sur l'escorte. En fin septembre 1914, dans la commune mixte de
.au
Barika, trente-quatre indigènes des douars Seggana, Sefiàne, Barika et
Metkaouak contractent un engage-
ment pour
la durée
six heures
du
soir,
de la guerre ils sont dirigés, vers dans deux voitures sur Batna. A ;
vingt kilomètres de Barika, les parents
femmes
— des engagés de Seggana
sur la route
:
— dont
est environ dix heures
il
les
et Sefiane se postent
du
soir.
Ils
arrêtent les voitures sous prétexte de dire adieu à leurs enfants, puis, subitement, retentissent en arabe les cris « Descendez ne partez pas nous ne voulons pas que vous partiez » En vain, les cavaliers qui accompagnent les convois essaient-ils de faire comprendre aux parents la gravité de leur acte. Rien n'y fait. Trois ou quatre coups de fusil sont tirés en l'air pour effraj^er les conducteurs et les obliger à s'arrêter. Les jeunes gens, cédant aux sollicitations pressantes dont ils sont les objets,
de
:
!
!
!
sautent de voiture. enfants,
ils
Quand
les
parents
ont leurs
laissent les convois reprendre leur route
sans les inquiéter et tous, ensuite, pour se soustraire
aux investigations qui s'ensuivront, vont se cacher dans la montagne. C'est ainsi que les déserteurs, tenant la brousse, augmentent le nombre des bandits, commettent des vols de bestiaux qu'ils restituent, pour la plupart du temps, contre béchara et arrêtent des passants pour les dévaliser.
de la sécurité
De
même ce
quelquefois
fait, la
question
s'est aggravée.
M. Charles Lutaud l'explique dans son discours du 8 mars 1917
:
PROPOS DE QUELQUES TROUBLES
261
faut reconnaître que certains crimes, ayant
un
A « Il
caractère collectif, ont plus particulièrement
ému l'opi-
nion publique. Des groupes de bandits, d'évadés des pénitenciers, auxquels se mêlaient des insoumis, ont
troublé la tranquillité publique dans diverses régions
que la frontière nord de la Tunisie, la Kabylie et Dahra. Des opérations de police, accomplies par le des détachements de zouaves, de tirailleurs et de spahis, ont eu raison de ces actes, pour la répression desquels telles
les
populations indigènes, dès qu'elles se sont senties
rassurées par la présence de la troupe, ont prêté leur
concours loyal et dévoué.
La
»
réquisition des travailleurs.
La France a eu, de tout temps, besoin de s'adresser à l'étranger pour l'exécution de beaucoup de ses travaux. Elle a puisé dans les réservoirs des pays voisins
;
et
de Belgique, d'Espagne et d'Italie surtout, et
aussi de Pologne et de Galicie, des travailleurs sont
accourus qui trouvaient en France des salaires qui
manquaient chez eux. Or, au lieu de s'adresser à des étrangers, alliés ou neutres, chose difficile en temps de guerre, on a songé à utiliser, dans notre métropole, la main-d'œuvre disponible en notre colonie, beaucoup plus qu'on ne l'avait fait antérieurement.
En puisant dans ses colonies la France ne voit diminuer ni ses ressources ni son épargne, et, si, par les procédés ingénieux de sa main-d'œuvre, elle élève en
même temps manuel de font,
le caractère intellectuel et le caractère
milliers
dans la
çaises. Ainsi se
de travailleurs, ces travailleurs en
suite,
bénéficier d'autres terres fran-
développe, dans
un grand rayonnement
L'ALGERIE ET LA GUERRE
262
d'économie nationale, la civilisation industrielle de la France en vue de la prospérité du pays, l'intérêt collectif se confond avec l'intérêt particulier, le patriotisme s'unit aux besoins privés de chacun. La France a donc eu raison de s'adresser principalement à ses ressources nord-africaines. L'Algérie, comme le dit M. Charles Lutaud dans une circulaire adressée aux préfets d'Alger, d'Oran et de Constan;
tine, est, grâce à sa natalité et à sa puissante vitalité,
un
réservoir
de trouver, nale,
d'hommes où
comme
la
mère patrie
est assurée
aujourd'hui, pour sa défense natio-
une entière collaboration pour
les
multiples
de restauration des ouvrages de toute nature détruits par la guerre. entreprises
Pour cette patriotique coopération, la France peut compter sur le peuple indigène. Chez ce dernier, en effet, se produit une merveilleuse et propice évolution, si bien que le Gouverneur général de l'Algérie est en droit d'écrire dans la préface d'une brochure de propagande algérienne, le Cinéma colonisateur, ce passage significatif «
:
Quelle sympathie irrésistible n'éveille-t-il pas, ce
peuple indigène «
!
Qu'il s'agisse de l'Arabe grave, contemplatif et
fataliste,
portant imprimées aux lignes du visage,
comme aux
plis du costume, toute la noblesse et toute de sa race, ou bien du paysan berbère, fruste, amoureux du gain, à l'âme démocratique et égalitaire, raisonneur et frondeur volontiers... Obstinément accroché aux flancs de sa montagne, juché dans
la fierté
ses villages
dont
ce berbère a
le
pittoresque défie toute description,
vu dénier toutes
les
dominations
:
phéni-
cienne, romaine, vandale, byzantine, ottomane.
Il les
A PROPOS DE
QUELQUES TROUBLES
263
a toutes secouées, et voici qu'il s'éprend de la domination française qui lui offre à la fois justice, généroVoici qu'il descend de sa déchéria sité et bénéfice (village) escarpée pour se répandre dans nos plaines, !
pour emplir nos usines de labeur
et
que nous comptons
sur lui pour relever, après la victoire, nos cités ruinées.
»
Mais la campagne en faveur du recrutement des travailleurs devient d'autant plus difficile et délicate qu'elle suit celle en faveur des taires et qu'ensuite elle coïncide
Dans
engagements volonavec
nombre
certains douars, le
elle.
se fait plus rare
bonne volonté. Aussi, le 14 septembre 1916, rapports des ministres de l'intérieur, de la
d'esprits de
sur
les
guerre et du travail, le gouvernement décrète-t-il «
Article premier.
—
Il est
:
constitué en France
des formations de travailleurs indigènes, recrutés en
aux travaux agriceux des usines et de toute autre exploitation industrielle ou commerciale travaillant pour la défense nationale. Ces indigènes ne participeront en aucun cas à des opérations de guerre. « Art. 2. Le recrutement des indigènes aura lieu par voie d'embauchages volontaires, et, s'il y a lieu, à titre complémentaire, par voie de réquisition. Les embauchages et les réquisitions seront acceptés et faites parmi les hommes de classes antérieures à la classe 1915 et âgés de quarante-cinq ans au plus... » Décret maladroit qui, immédiatement, émeut toute l'Algérie. Aussi le Conseil général de Constantine votet-il à l'unanimité et transmet-il aux conseils généraux Algérie, et destinés à participer soit
coles, soit à
—
d'Alger et d'Oran, qui l'adoptent sans retard,
suivant
:
le
vœu
L'ALGÉRIE ET LA GUERRE
26 4 «
Le Conseil général, tout en approuvant les mesures gouvernement pour rendre plus intensifs
prises par le les efforts
qui convergent vers une défense nationale
intégrale et en souscrivant largement dans ce sens
aux
prélèvements des travailleurs algériens destinés aux chantiers de la métropole, '
«
Appelle l'attention des pouvoirs publics sur
dangers graves que présente
les
système de réquisition directe des travailleurs dans les douars ou groupements de l'intérieur de la colonie, prévu par le décret du 14 septembre 1916, et les conjure, dans l'intérêt bien compris de la défense nationale et d'une prudente administration du pays, de n'employer la réquisition qu'avec la plus extrême réserve, et comme ultime ressource, le procédé des embauchages largement rétribués pouvant seul, sans froissements inutiles et dangereux, être vraiment pratiqué dans une population qui a gardé jalousement, à l'abri de tous les le
contacts, des susceptibilités particulières et des con-
ceptions familiales découlant d'un statut personnel et religieux aussi absolu qu'intolérant.
»
Les froissements inutiles et dangereux que craignent les conseils généraux d'Algérie sont impliqués dans le décret lui-même. Celui-ci ordonne, en effet, que la réquisition s'applique jusqu'aux hommes de quarantecinq ans. Or la famille heure. la
La plupart
musulmane
s'établit
de bonne
des indigènes se marient bien avant
vingtième année et
un caractère
le
patriarcat revêt dans toutes
haut qu'il devient, lui aussi, en quelque sorte, religieux. Réquisitionner jusqu'aux hommes de quarante-cinq ans, c'est décapiter la
les tribus
famille
si
musulmane.
Cette famille qui a déjà vu, pris par la conscription
A
PROPOS DE QUELQUES TROUBLES
265
militaire, par les engagements volontaires ou par le recrutement des travailleurs, tous ses jeunes gens, s'étonne et ne peut pas comprendre qu'en surplus on s'empare de ce chef sacré et respecté qu'est le père,
et sur ce point des
femmes
se
montrent
les plus déci-
dées et vont jusqu'à pousser à l'insoumission tous leurs parents.
A
une perturpour la réqui-
cette perturbation morale s'ajoute
bation matérielle sition est celui
:
le
moment
choisi
de l'ensemencement des
terres, et les
indigènes algériens sont surtout agriculteurs. Ainsi, on
va de
force les arracher à leurs labours.
La Jusqu'en
conscription militaire.
juillet
1912, l'indigène, au point de vue
militaire, était considéré
seulement
comme un
excel-
lent mercenaire, sensible à l'appât de la prime et à la
promesse de certaines faveurs administratives. Mais, en juillet 1912, pour compenser la diminution du nombre des soldats français par suite des ravages de plus en plus considérables de la dépopulation, on a décidé de faire appel au contingent indigène algérien. Le service militaire est, depuis, et jusqu'en 1916, obligatoire, non pas pour tous les jeunes gens musulmans ayant atteint l'âge de la conscription, mais seulement pour un pourcentage fixé d'avance. L'enrôlement a lieu par tirage au sort, le remplacement est admis. A partir de 19 16, le service militaire ne comprend plus ce pourcentage, il devient intégral, mais le remplacement n'est pas supprimé. L'impôt du sang à une population, qui a toujours été systématiquement tenue à l'écart de notre vie
L'ALGÉRIE ET LA GUERRE
266
nationale, est une telle nouveauté, contraire surtout
aux habitudes depuis longtemps acquises, à l'état en est résulté, aux mœurs locales et aux coutumes de toutes les tribus, qu'on n'ose pas tout d'esprit qui
d'abord en poursuivre partout l'application. D'aucuns font remarquer que celle-ci est d'autant plus
—
allant jusqu'au qu'en face des devoirs de la vie pour la défense d'un pays conquéimposés aux indigènes, il n'y a l'établissement
difficile
sacrifice
rant
—
d'aucun droit qui donne satisfaction à la population musulmane en général. Ils ajoutent que cette population demeure encore soumise à un régime de lois d'exception, à une organisation administrative et judiciaire qui parfois a donné lieu à des mécomptes, et à un système d'impôts lourds dont la France, en s 'emparant de l'Algérie, a hérité de la rapacité turque. Sur certains points donc, dès juillet 19 12, il y a des incidents. Le plus important est celui qui se produit à Nédroma. Les conscrits ne se présentent pas à l'appel de leurs noms devant le conseil de revision il faut envoyer des gendarmes et des chasseurs d'Afrique à ;
leur recherche. C'est dans ces conditions que, en pleine guerre, la
conscription militaire, par suite du besoin pressant
d'un plus grand nombre de soldats, est appliquée là même où elle ne l'a jamais été et dans des douars d'autant plus mal préparés à cette opération qu'ils ont toujours vécu en dehors de la vie et de la pensée françaises et que, chez eux, n'habite
même
aucun Européen, pas
fonctionnaire.
Ne nous étonnons donc pas plication
milieux.
des difficultés que l'ap-
de la conscription rencontre en quelques
A
PROPOS DE QUELQUES TROUBLES
267
parce que les indigènes ne commesures d'obligation militaire dont ils sont l'objet. Il y a aussi des malentendus dans l'interprétation des instructions. Il y a, en outre, des tribus qui n'ont jamais eu de goût pour le métier des armes. Ce ne sont pas les événements de la guerre qui les affectent, mais seulement l'état de leurs labours ou
Tout d'abord,
prennent pas
c'est
les
de leurs pâturages. Ces populations sont essentielle-
ment
pacifiques, elles se livrent
culture, à l'élevage
du
uniquement à
bétail et désirent
de ne pas être troublées dans leur vie conscription militaire
la
arrache
les
l'agri-
ardemment normale. Or
brusquement
à leurs séculaires habitudes et à leur paisible mentalité.
La question
des embusqués impressionne aussi les
indigènes. Ils ne peuvent comprendre que leurs enfants
emvoyés au front, alors que beaucoup d'autres jeunes soldats restent à l'abri en des
soient sans retard
fonctions faciles.
Faut -il
citer
un exemple?
Un
mune mixte de Sebdou, dont mieux assises et au début de la mobilisation,
comme
com-
de fortune qui a été incorporé à Oran
est des
lité
réserviste de la
la situation
est
renvoyé dans sa loca-
infirmier à la suite, paraît-il,
— ce sont —
du moins les membres de sa famille qui s'en vantent,
de l'intervention d'une haute personnalité politique.
Xes notables indigènes de Sebdou vont trouver administrateur pour lui exprimer leur indignation voir ce jeune
homme de vingt-sept
leur «
de
ans, fort et robuste,
preuve de lâcheté en se faisant embusquer dans sa famille, alors que la population musulmane ne demande, au contraire, qu'à aller se faire tuer à la frontière pour la patrie française et pour le succès de faire ainsi
L'ALGERIE ET LA GUERRE
268
ses
armées
L'impression produite est
».
qu'elle est signalée en
Une
si
déplorable
lieu.
autre question, la plus importante, qui a con-
sidérablement gêné celle des
Une
haut
les
opérations de recrutement est
remplaçants.
personnalité administrative très autorisée
du
département de Constantine, où ont eu lieu surtout les difficultés, écrit en effet « A propos de la conscription, veut-on une objection? Celle relative aux remplacements. Nous craignons que cette mesure, qu'on nous autorise le mot, antidémocratique, n'apporte dans nos populations indigènes, dont nous nous plaisons à reconnaître la grande quiétude d'esprit, un certain trouble en voyant les favorisés de la fortune échapper en ce moment à :
l'impôt
le
plus grand, le plus lourd, à celui
Nous verrons
les
du sang.
gens aisés payer très cher des rem-
plaçants, tarir ainsi la source des engagements et exciter la jalousie dans les douars des
devront, eux, payer de leur personne.
Un
malheureux qui
»
autre fait significatif est rapporté qui montre à
quel point
le
des familles
remplacement
est
dangereux. Le nombre
indigènes qui, dans une
commune du
département d'Oran, entreprennent les démarches réglementaires en vue d'obtenir le remplacement d'un conscrit, est de vingt-sept, alors que le nombre total des recrutés est de quarante et un. Les représentants de ces familles déploient la plus grande activité et n'épargnent aucun sacrifice. Mères et sœurs n'hésitent pas à vendre leurs bijoux et leurs lopins de terre pour libérer leurs fils et leurs frères de la caserne, et des familles, qui se sont ainsi séparées, à n'importe quel prix, de leurs biens, sont jetées dans la misère et le prolétariat.
PROPOS DE QUELQUES TROUBLES Il
ne
269
en résulte des pratiques que la durée de la guerre qu'aggraver. L'Écho de Bougie de fin décembre
fait
19 16 le signale ainsi qu'il suit «
La
faculté de
familles aisées,
:
remplacement qui
un
crée,
au profit des
véritable privilège, doit être con-
comme une erreur de la loi militaire actuelle. Son application est d'autant plus dangereuse qu'elle favorise, surtout en ce moment, la spéculation. Ces
sidérée
remplaçants sont achetés et revendus au poids par des maquignons qui parcourent les marchés indigènes on raconte publiquement que, dans notre arrondisse;
ment, cette chair humaine quatre-vingts et
même
s'est
payée trente-cinq,
au-dessus de cent francs
le
kilogramme. « Le gouvernement devrait bien supprimer définitivement cette faculté de remplacement qui ne profite qu'aux riches indigènes, c'est-à-dire à ceux qui doivent le plus à la France par le crédit qu'ils trouvent
dans nos établissements financiers, la sécurité dont jouissent dans leurs affaires et dans leurs biens, les faveurs enfin dont ils ont toujours! été comblés et qui, à cette heure où notre pays est en danger, continuent à faire preuve d'un dévouement trop verbal, alors que c'est aux actes que l'on aimerait juger leur gratitude. » D'autre part, ce n'est que bien des mois après le commencement des hostilités qu'on s'est décidé à lever l'interdiction aux soldats indigènes, blessés ou non, d'aller en congé de convalescence ou en permission en Algérie. Le résultat bienfaisant s'en est immédiatement fait sentir. Ne signale-t-on pas que des blessés
ils
indigènes, ayant participé à des offensives, racontent
hauts de notre
les
faits
d'armes de nos troupes, la puissance la confiance dans le résultat
artillerie et
L'ALGÉRIE ET LA GUERRE
2 7o
final et
que ces
impression dans
grande et favorable douars qui tout d'abord se mon-
récits font la plus les
traient rebelles à la conscription militaire?
Ne
se convainc-t-on pas enfin, après tant d'injustes
empêchements, que la présence des permissionnaires a l'avantage de prouver aux indigènes que tous ceux qui se sont enrôlés ne sont pas « immédiatement donnés en pâture aux canons », comme c'est la croyance générale dans ces douars, et qu'on n'envoie les soldats sur le front qu'après leur avoir donné l'instruction
En outre, de tous côtés, maires de commune mixte, même de celle où il y a eu quelque agitation, ne sont-ils pas d'accord pour affirmer que « les permissionnaires qui reviennent du front sont nos meilleurs agents de propamilitaire nécessaire?
et administrateurs
gande
»?
Les incidents de Beni-Chougrane
Nous savons
et
d'Aïn-Touta.
nous ne voulons rien celer. Les événe sont -ils pas d'ordre public? Oui, sur quelques points d'Algérie, des indigènes ont déclaré que leurs enfants ne partiraient pas au régiment, ils ont même rapporté les convocations individuelles que les conscrits inscrits avaient reçues par les soins des adjoints des douars à l'effet de se présenter à la mairie pour donner leur signalement et former toutes réclamations utiles.; et, parmi ces indigènes, plusieurs, sans mot dire, ont jeté les convocations aux pieds du
nements
et
d'ailleurs
maire. Oui,
il
a fallu arrêter certains musulmans,
ben M commune mixte de
marabout B B...-A....,
K...
,
M
comme le
de la fraction des ,
qui a dit aux
A
PROPOS DE QUELQUES TROUBLES
271
« Vous me prendrez plutôt que mon fils ne partiront pas. » Oui, on a été dans l'obligation de prendre des mesures à rencontre des conscrits qui se sont réfugiés dans la montagne ou que leurs parents ont cachés, et force a dû rester à la loi. Oui, il y a eu les deux douloureuses et sanglantes affaires de Beni-Chougrane et d'Aïn-Touta. Tout d'abord celle de Beni-Chougrane, tribu dépendant de la commune mixte de Mascara (Perrégaux). « Il y a là, écrit M. Augustin Bernard, un canton très isolé, demeuré très sauvage et sans contact direct avec les Européens peut-être aussi, dans cette région voisine de Mascara, faut-il tenir compte du ferment insurrectionnel déposé jadis par Abd-el-Kader. » Les Beni-Chougrane habitent, en effet, un massif montagneux et forment, au dire même de l'administration locale, « une population remuante et facilement
autorités
nos
:
;
fils
;
». La déclaration de guerre cause dans commune mixte de Mascara une émotion profonde,
impressionnable la
mais qui se calme entièrement quelques jours après. Dans les fermes isolées qui ont été évacuées un peu précipitamment, les travaux agricoles reprennent partout et les indigènes s'occupent, dans la plus grande tranquillité, au dépiquage de leurs récoltes ou au transport des grains.
Deux Makda,
indigènes influents, les frères Boulenoir, de signalés à l'administration supérieure
comme
suspects et dont l'attitude incorrecte a motivé l'arrestation par l'autorité militaire, sont remis en liberté,
quarante-huit heures après, vers
le
15 août 1914. Cette
décision produit la meilleure impression.
D'autre part, ordre est donné de mettre en état
L'ALGÉRIE ET LA GUERRE
272
d'arrestation les
nommés Benberi (Mohamed
ould
el
Kébir) et Reguig (Baghdad ould Kada), malfaiteurs des plus dangereux qui sont la terreur de Thiersville
de nombreuses plaintes se sont promesures de sévérité sont judicieusement prises et toute la population honnête des douars y applaudit. C'est à elles qu'il faut attribuer, en grande partie, la tranquillité qui règne au début de la guerre dans la commune mixte de Mascara. Ni crimes, ni délits contre les personnes ou les propriétés ne sont et contre lesquels
duites. Ces
signalés.
Mais pourquoi fait-on davantage? Sous prétexte de rassurer les colons et en imposer aux éléments sus-
pects de la population indigène, des démonstrations
sont continuées. Des colonnes, auxquelles s'est joint
un peloton de chasseurs d'Afrique, parcourent tout
le
massif montagneux des Beni-Chougrane. Dans cette
population nable
»,
«
remuante
et
facilement
impression-
ce déploiement de forces produit l'émotion
durable que l'on devine. Or, quelque temps après, au
commencement
d'oc-
tobre 1914, a lieu la conscription militaire des indigènes. L'histoire établira la vérité sur ces faits doulou-
reux,
—
trois chasseurs d'Afrique furent tués,
— trop
récents encore pour que des polémiques s'ensuivent.
Mais, déjà, l'on a écrit sur eux. C'est ainsi que M. Rodolphe Re}-', avocat à Alger, ancien conseiller général et ancien délégué financier, déclare dans la Revue hebdomadaire du 19 juin 1915 « Quant à l'échauffourée de Perrégaux, qu'on a cru :
devoir taire à l'époque, ce ne fut qu'une effervescence
de douar, causée, peut-être, par
le
manque de
doigté
A^PROPOS DE QUELQUES TROUBLES
273
d'un fonctionnaire subalterne en tournée de conscription. Simple fait-divers, circonscrit à un village, et impuissant à entamer le sang-froid de nos cinq millions d'indigènes.»
La commune mixte d'Aïn-Touta, pour une
super-
de 283 852 hectares, et pour une population musulmane de 34 006 habitants, ne compte que 391 Français, dont 368 Français d'origine, 7 naturalisés, 16 israélites, et que '91 étrangers dont 82 Italiens, ficie
5 Espagnols et 2 Anglo-Maltais. Il faut tenir compte aussi des difficultés
du
terrain,
de la nature du sol, du climat, des routes mal commodes et peu sûres, des moyens de transport parfois presque impraticables.
Et rendons hommage à ces 391 Français, disséminés sur une étendue de 283 852 hectares et vivant parmi
une population, parfois encore ignorante et sur bien des points fermée au monde du dehors, de 34 006 indiils sont les pionniers des temps modernes et gènes :
les
apôtres de la civilisation française.
Perdus en des centres lointains ou dans les fermes de nos jours, le même courage, la même endurance et la même grandeur d'âme que les premiers colons venus au lendemain de la conquête et dont la vie de persévérance et de labeur constitue l'épopée de la France agricole en Algérie. Que de fois, lorsqu'on nous a annoncé certains incidents, n'avons-nous pas songé à tous ces Français épars sur le territoire de notre colonie, dont les plus jeunes étaient aux armées, dont les vieux demeuraient avec les femmes et les enfants, dans leur éloignement de toutes les villes et dans ces champs où s'abattent
isolées, ils ont,
tour à tour la sécheresse et la gelée, et la grêle, et cette 18
L'ALGÉRIE ET LA GUERRE
274
autre grêle encore plus dévastatrice que sont les sauterelles Il
!
n'y a pas eu, tout d'abord, un
A
Aïn-Touta, sur
mouvement
hos-
de la classe indigène de 1914, trois seulement manquent à l'appel, mais deux d'entre eux sont, le lendemain, ramenés par leurs propres parents, et le troisième ne tarde pas à être pris. Mais cet incident ne saurait atteindre « ni les parents ni les notables du douar qui viennent spontanément s'en excuser. Nous en trouvons la preuve dans ce fait que, quelques jours après, ayant à procéder dans ce même douar à l'examen des conscrits de la classe 16, nous n'avons constaté aucune tile.
défection.
On y
les vingt-sept appelés
»
constate aussi une augmentation progressive
d'engagements volontaires, et ce progrès est attribué « un peu à l'élévation de la prime d'engagement et surtout aux nouvelles qui parviennent dans les douars de militaires en garnison en Algérie ou sur le front, nous avons eu l'occasion d'en lire et qui, toutes, quelques-unes, tiques et élevés
— — manifestent des sentiments patrio».
Mais il faut remarquer que, dans quelques tribus, peu nombreuses d'ailleurs, l'état d'esprit se modifie, car la guerre dure et l'on affirme partout que les tirailleurs, participant à toutes les offensives et à toutes les
contre-attaques, sont particulièrement décimés. Ainsi,
chez quelques-uns de leurs coreligionnaires que rien n'a préparés à la vie militaire, naît la crainte du com-
bat cruel d'où l'on est presque certain de ne pas revenir. L'état d'esprit se modifie surtout dans le douar des
Ouled-Aouf où
les
la conscription
«
jeunes gens se montrent hostiles à non par mauvais esprit ou poussés
A
PROPOS DE QUELQUES TROUBLES
275
par un sentiment de rébellion, mais par peur d'être envoyés sur le front et d'y être tués », ainsi qu'en octobre 1915 l'avouent deux conscrits qui cherchent à s'y soustraire.
Or,
un an
même
ce
après, à la conscription suivante, c'est de
douar, et pour le
mouvement
même
entraînant avec lui
le
motif, que part douar Tilatou et
le le
douar El-Briket, où, nulle part, d'ailleurs, n'habite aucun Européen. M. Morinaud, maire et président du conseil général de Constantine, délégué financier et ancien député de ce département, dépose devant la délégation de la Commission des affaires extérieures de la Chambre, venue en Algérie pour enquêter sur ces incidents, en janvier 19 17
fin «
La
:
rébellion d'Aïn-Touta, de toute évidence, a
été occasionnée par le
mécontentement général des
indigènes provoqué par la conscription appliquée à
tous les conscrits et par la réquisition des travailleurs indigènes de vingt à quarante-cinq ans... « Pour atténuer les conséquences de la conscription, on a d'abord demandé une proportion infime de conscrits et l'on a admis le remplacement. Mais l'on en est arrivé avec la guerre actuelle à demander tous les conscrits valides, d'où explosion du mécontentement chez les indigènes. D'autre part, les remplacements ont été, de la part des cheikhs, une occasion de pillages nou-
veaux...
»
y a à déplorer la mort de M. Cassinelli, souspréfet de Batna, de M. Marseille, administrateur de la Il
commune
mixte, et de M. Terrezano, brigadier foresque d'une femme indigène. Dans son discours aux Délégations financières, le
tier, ainsi
L'ALGERIE ET LA GUERRE
276
mars 1917, le Gouverneur général déclare à ce propos 8
de l'Algérie
:
«
Ce sont
là des retours brusques à l'antique bar-
barie, tels qu'on peut les attendre
indigènes
quand
elles
de nos populations
n'ont pas été pénétrées par
l'ins-
dans les massifs montagneux, quasi impénétrables, où s'est fomentée cette manière de révolte. « Ainsi que je l'ai dit le lendemain même, sur la tombe du sous-préfet et de l'administrateur, une fissure insoupçonnée peut laisser échapper la lave d'un volcan mal éteint. Peut-on penser que la civilisation d'un peuple entier soit l'œuvre de quelques lustres? J'ai dit qu'il fallait observer, dans une répression nécessaire, la mesure qui convenait à des Français dignes de ce nom, conscients de leur rôle d'éducateurs, dépositaires d'un idéal de générosité qu'elle devait châtier les crimes commis, mais s'appliquer à transformer leségarés en collaborateurs de son œuvre finale de justice. » Après avoir exposé que nul ne devait commettre la folie de rendre la population indigène solidaire des excès commis par quelques-uns, paroles que nous avons citées plus haut, M. Charles Lutaud ajoute ces mots de réconfort « J'ai dit qu'aucune épreuve, aucune secousse ne devait détourner la France de l'œuvre de lumière et d'humanité qu'elle poursuivait ici, ni de son rôle de tutrice à l'égard d'un peuple attardé. » truction
;
c'est le cas
;
:
Regardons
les
beaux
faits présents.
Mais il faut chasser ces tristesses de notre cœur d'un œil confiant, regarder l'avenir et constater
et,
PROPOS DE QUELQUES TROUBLES
A
277
tout d'abord que tout ne tarde pas à rentrer dans Tordre en ce département si éprouvé de Constantine. Le Gouverneur général de l'Algérie peut, en effet,
annoncer le 8 mars 19 17 « Les musulmans ont fait, ces derniers temps, pour servir la France un effort trop visible pour n'être pas souligné. Nous venons de lever l'intégralité de la :
classe 19 17.
»
Que d'admirables manifestations
il
y a à placer en
face de ces événements attristants, qui n'ont qu'une
importance locale, à cause déterminée, non contre la Fiance, mais contre un système nouveau auquel rien ne préparait, événements dont le nombre est excessivement restreint, insignifiant par rapport au chiffre considérable de douars où, pour beaucoup, répétons-le, la conscription fut, en pleine guerre, exercée pour la première fois, douars étrangers à notre existence et où ne vit aucun Européen. Nous avons dit qu'en juillet 1912, à Nédroma, les conscrits ne s'étaient pas présentés et que, pour rétablir l'ordre, il avait fallu y envoyer des gendarmes et des chasseurs d'Afrique. Or la guerre éclate, et les autorités reçoivent aussitôt des caïds et des djemâas
l'assurance que les indigènes
non seulement
facili-
teront par leur calme et leur tranquillité la tâche de l'administration, mais encore qu'ils collaboreront avec plaisir
aux mesures
qu'il
faudra prendre dans
l'in-
térêt public.
A
Nédroma,
payement de l'impôt est, en effet, septembre 1914, il s'accomplit dans des conditions exceptionnelles d'empressement et de rapidité une collecte, au profit de l'Union des Femmes de France et close trop tôt, réunit en quelques jours terminé dès
;
le
fin
L'ALGÉRIE ET LA GUERRE
278
la conscription se fait dans le plus 5 127 francs grand calme et le départ des conscrits a lieu, après qu'une grande diffa leur a été offerte ainsi qu'à leurs ;
familles.
Dans combien de
centres, après avoir
répondu à
l'appel de la commission de recrutement, les jeunes conscrits indigènes ont manifesté joyeusement leurs sentiments patriotiques, en parcourant les artères de
drapeaux tricolores en tête, précédés de et de leurs flûtes Puis ils sont partis, accompagnés jusqu'à la gare ou jusqu'à la diligence, en musique et aux acclamations de leurs coreligionnaires. Faut-il relater un exemple significatif? C'est en septembre 1914 que, pour la première fois, à Bou-Sâada, département d'Alger, ont lieu les travaux préparatoires pour l'établissement des listes de recensement militaire des indigènes. Cela cause une certaine émotion. D'aucuns vont jusqu'à juger impolitique, en raison des événements, de procéder à la conscription. On l'applique quand même, et le temps et le patrionos
villes,
leur
tam-tam
!
tisme des indigènes font leur œuvre six
mois après,
rienne insère
:
«Bou-Sâada.
le
13
si
novembre 19 16,
bien que, vingtla
Dépêche algé-
— Conscription des indigènes. — Les 30,
31 octobre et I er novembre, les opérations de la commission chargée du recrutement des indigènes se sont effectuées dans le plus grand calme, au bureau de la
commune mixte. dans
les
Conscients du devoir qui leur incombe
circonstances actuelles, de participer, à côté
de leurs frères d'armes européens, à la grande guerre soutenue par les Alliés, les indigènes ont manifesté une fois de plus, à l'occasion de ces opérations, leurs sentiments de dévouement et de fidélité à notre cause.
A
PROPOS DE QUELQUES TROUBLES
279
Les opérations n'étaient pas terminées qu'une vingtaine
de conscrits
contractaient
des
engagements
volontaires pour quatre ans, par devancement d'appel, et que,
au lendemain du départ de
d'autres conscrits, au
la
commission,
nombre d'une dizaine, suivant
le
exemple des premiers, contractaient à leur tour des engagements analogues à la suppléance de Bou-Sâada. » Autre exemple non moins caractéristique. Il se passe en janvier 1917, dans le département de Constantine, en la région de Sétif, limitrophe de celle de Batna, où il y a eu quelque temps auparavant de tragiques incidents, et dans les trois douars -communes de la grande tribu des Beni-Yala. Ces trois douars ont pour caïds des membres de l'illustre famille des Smati qui a fourni à cette région frontière de la Kabylie des aghas et des bach-aghas dévoués à la France depuis plus d'un demi-siècle. Les trois caïds Smati, dont l'un, ancien lieutenant de goumiers volontaires au début de la guerre, a fait une longue campagne en Belgique, ont si bien su inspirer à leurs administrés la confiance et le respect de la France, que toutes les jeunes recrues indigènes de la dernière classe, sans aucune exception, ont réclamé leur incorporation par devancement d'appel sous les bel
drapeaux.
Le même fait se produit dans la commune mixte des Eulmas et dans la commune mixte de Saint-Arnaud, qui sont également dans le département de Constantine.
Que de jeunes
enrôlés musulmans demandent que prenne la précaution de les éloigner immédiatement de leur commune d'origine pour les soustraire aux sollicitations de leurs parents qui ne veulent pas les voir partir, et que d'indigènes demandent qu'il
l'on
L'ALGÉRIE ET LA GUERRE
2 8o
leur soit permis de s'engager ailleurs que chez eux pour conserver ainsi toute indépendance même vis-àvis de leurs familles Que d'engagés volontaires, comme la population de leurs douars les accompagne, en les acclamant, à la gare ou à la diligence, disent aux administrateurs de leurs communes mixtes ou aux maires présents à leur départ, comme à ce maire d'une ville constantinoise « Nous partons le cœur léger et plein de courage. C'est avec fierté que nous allons combattre pour la France. Mais ce sont vos touchantes manifestations qui nous émeuvent. Nous partons en toute confiance et en toute quiétude, avec le ferme espoir de revenir vainqueurs, nous disant que, si notre heure a sonné, nous nous inclinerons devant le destin, sachant bien que les nôtres ne seront pas abandonnés par la France » !
:
!
Combien ont patriotiquement déclaré « Nous courons à la frontière où la victoire nous appelle et où nous sommes déjà en retard » Combien que le sort n'a pas encore désignés pour :
!
aller
au
front, impatients, veulent passer outre, et
des mesures doivent être prises pour qu'ils ne se glissent pas
dans
les
rangs des partants
L'avenir de la France
Nous avons vu, durant
est
!
en Afrique.
cette guerre, toute l'Algérie
au point mère patrie.
française, néo-française et israélite être digne qu'elle s'est indissolublement fondue en la
Nous avons vu pour que sur les
la
musulmane se menace allemande et,
aussi toute l'Algérie
dresser patriotiquement contre la
France
champs de
soit
à jamais victorieuse, envoyer,
bataille et
dans
les usines
de la
A PROPOS DE
QUELQUES TROUBLES
281
défense nationale, les plus vaillants et les plus robustes
de ses enfants. C'est là le grand
domine toutes
Quand
fait historique et
réconfortant qui
les autres considérations.
la guerre sera finie et qu'il faudra renaître,
chaque pays, dans son ancienne et formidable préoccupation de l'avenir, devra dresser le bilan de ses forces matérielles et morales.
On
verra que la France, qui, dans l'horrible mêlée,
même temps que sa suprême récompense,
sut tout sacrifier pour défendre, en liberté, la liberté
du monde,
est,
la nation privilégiée, parce que,
de par toutes ses pos-
sessions africaines, lui est réservé le plus radieux destin.
Elle a,
aux portes de sa métropole, des peuples
emplis de jeunesse, aux cœurs vaillants, aux muscles puissants, qui vont accourir pour le relèvement de sa force économique,
comme ils sont
dès l'heure du danger et
ils
accourus à son appel
lui assureront
des cadres
dans lesquels la France pourra compenser heureusement sa faible natalité, pourra éternellement puiser, parce que ces peuples sont très féconds. Ce n'est plus dans la vieille Europe usée et fatiguée que les nations européennes pourront trouver le complet développement de leur intelligence et de leur activité. Il faudra qu'elles débordent par-dessus les mers et qu'elles cherchent dans leurs colonies l'expansion nécessaire et les ressources indispensables.
Là
encore, nulle nation ne sera plus favorisée que la
France. Notre continent africain recèle en son sein toutes les richesses. Celles-là s'offrent à perte de vue, il
n'y a qu'à se pencher pour
trésors
du monde sont
les exploiter
:
tous les
réservés à la patrie française.
Merveilleuse harmonie des
hommes
et des
chc^s
!
282
L'ALGERIE ET LA GUERRE
Tandis qu'elle trouvera jusqu'au cœur du continent un neuve d'ardente espérance et de vie toujours nouvelle, la France donnera à son tour à tous les peuples répandus sur ces immenses territoires des raisons à chaque instant multipliées d'espérer et d'exister, car elle les élèvera de plus en plus à son niveau. Déjà français par le sang répandu sur les champs de bataille, ils seront tout à fait français par la langue qui rend plus intime la communauté de la pensée et la France véritable, c'est-à-dire la et du cœur, plus grande France, dont les vastes routes familières franchiront la mer et le désert, aura deux capitales la vieille capitale historique, dont la clarté brille comme une étoile pour conduire le monde entier à travers tous les bienfaits de son génie et de sa civilisation, Paris, la ville-lumière mais aussi la ville-mère, et Alger s'épanouissant dans un formidable et heureux développement, s'ouvrant, dans toute sa jeunesse et dans toute sa blancheur, sur le continent noir, comme le plus beau portique sous lequel, pour aller à toutes noir
—
:
les utiles et
généreuses conquêtes, passeront toutes
les initiatives,
toutes les intelligences expertes, tous
cœurs dévoués. L'Allemagne devinait jalousement ce sublime destin africain réservé à la France quand elle formait le rêve brutal de s'emparer de l'Algérie, de la Tunisie et du Maroc. Mais, instruits par les visées rappelées au début de ce livre, nos peuples outre-méditerranéens ont compris le danger qui planait sur eux et se sont plus que
les
jamais rapprochés de la France. Nous avons exposé l'émotion et l'entrain à la
fois
suscités par la déclaration de guerre, décrit le spectacle de réconfort et d'enthousiasme offert en notre
A PROPOS DE
QUELQUES TROUBLES
chère Algérie par la mobilisation et célébré la le
2S3
fidélité,
patriotisme et la vaillance de toute cette complexité
de races qui ajoute une race nouvelle à la mère patrie. Parfois il y eut quelques ombres, mais combien légères à côté de la splendeur éternelle de l'ensemble Les détails se perdent, l'œuvre de la France, la paix, !
—
faisant de
nouveau
fructifier
—
tous ses bienfaits,
apparaîtra, en notre nord-africain, dans toute sa
ma-
dans toute sa gloire, prête à un définitif et incomparable essor. Le vieil Atlas porte, depuis la naissance du monde, le ciel lui-même sur ses rudes jesté et
épaules
;
il
va jusqu'à
la fin des siècles porter aussi
de la France. L'avenir de la France est en Afrique Ce sera le grand, le merveilleux, le sublime enseignement de enseignement que l'Allemagne n'avait cette guerre, pas prévu dans l'aveuglement de son cynique impéque l'Afrique, par son loyalisme inébranrialisme, lable et son indéfectible bravoure, ait prouvé qu'elle était digne de contenir cet avenir. L'Algérie en a fourni l'irréfutable exemple, la preuve le destin
!
—
—
historique la plus certaine siècles
futurs,
et
;
déjà, elle en appelle
aux
son cœur bat dans l'impatiente
attente qui verra de plus en plus se dresser tout le nord-africain pour aider, en solide, sa
fils
aîné,
indomptable
et
mère, la France, à demeurer encore et pour
jamais au premier rang de toutes
FIN
les nations.
TABLE DES MATIERES
— Les allemandes en Algérie. IL — La nouvelle de guerre à Alger — Le jour de mobilisation IV. — Les Français de France V. — Les néo-Français VI. — Les VIL — Les indigènes pour France dès premier jour VIII. — Les chefs indigènes IX. — Le clergé musulman X. — Les marabouts XL — Les Jeunes- Algériens XII. — Le peuple indigène XIII. — Les conséquences des bombardements de Bône^et de Philippe XIV. — L'insurrection de 1871 guerre XV. — La déclaration de guerre avec Turquie. XVI. — A propos de quelques troubles I.
visées
la
III.
la
israélites
la
Pages. i
23 33
40 50 72
le
officiel
83 100 115
126
144 160
nulles
ville
actuelle..
et la
la
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