La Question du Maroc, ce qu'on dit, ce qu'on croit, ce qui est vrai, mon Livre jaune. 1903

Page 1

La Question du Maroc, ce qu'on dit, ce qu'on croit, ce qui est vrai, mon Livre jaune, une solution / Jean Hess

Source gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France


Hess, Jean. La Question du Maroc, ce qu'on dit, ce qu'on croit, ce qui est vrai, mon Livre jaune, une solution / Jean Hess. 1903. 1/ Les contenus accessibles sur le site Gallica sont pour la plupart des reproductions numériques d'oeuvres tombées dans le domaine public provenant des collections de la BnF. Leur réutilisation s'inscrit dans le cadre de la loi n°78-753 du 17 juillet 1978 : - La réutilisation non commerciale de ces contenus est libre et gratuite dans le respect de la législation en vigueur et notamment du maintien de la mention de source. - La réutilisation commerciale de ces contenus est payante et fait l'objet d'une licence. Est entendue par réutilisation commerciale la revente de contenus sous forme de produits élaborés ou de fourniture de service. CLIQUER ICI POUR ACCÉDER AUX TARIFS ET À LA LICENCE 2/ Les contenus de Gallica sont la propriété de la BnF au sens de l'article L.2112-1 du code général de la propriété des personnes publiques. 3/ Quelques contenus sont soumis à un régime de réutilisation particulier. Il s'agit : - des reproductions de documents protégés par un droit d'auteur appartenant à un tiers. Ces documents ne peuvent être réutilisés, sauf dans le cadre de la copie privée, sans l'autorisation préalable du titulaire des droits. - des reproductions de documents conservés dans les bibliothèques ou autres institutions partenaires. Ceux-ci sont signalés par la mention Source gallica.BnF.fr / Bibliothèque municipale de ... (ou autre partenaire). L'utilisateur est invité à s'informer auprès de ces bibliothèques de leurs conditions de réutilisation. 4/ Gallica constitue une base de données, dont la BnF est le producteur, protégée au sens des articles L341-1 et suivants du code de la propriété intellectuelle. 5/ Les présentes conditions d'utilisation des contenus de Gallica sont régies par la loi française. En cas de réutilisation prévue dans un autre pays, il appartient à chaque utilisateur de vérifier la conformité de son projet avec le droit de ce pays. 6/ L'utilisateur s'engage à respecter les présentes conditions d'utilisation ainsi que la législation en vigueur, notamment en matière de propriété intellectuelle. En cas de non respect de ces dispositions, il est notamment passible d'une amende prévue par la loi du 17 juillet 1978. 7/ Pour obtenir un document de Gallica en haute définition, contacter utilisationcommerciale@bnf.fr.



OUVRAGES DU MÊME AUTEUR

...

L'Ame nègre, récits africains. 1 vol. in-12. (Ouvrage couronna par l'Académie française) A l'Ile du Diable, reportage. 1 vol. in-12 L'Affaire lukanthor, polémique. 1 vol. in-12. . . La Catastrophe de la Martinique, reportage, 1 vol.

....

3

fr. 50

3 fr. 50 3 fr. 50

3 fr. 50

in-12

Pour paraître prochainement : Nos bons Coloniaux. Etudes contemporaines, illustrées portraits par l'auteur. Notes sur la Chine. Reportage et études.

de

Les amants de Saint-Pierre. Roman de moeurs coloniales.

En préparation

:

Mademoiselle Salammbô. Roman scénique. Lettres cambodgiennes. Sanghâne. Roman africain.

Angkhor. Roman Khmer.


Jean HESS

qu'on dit — Ce qu'on croit Ce qui est vrai — Mon Livre jaune Une Solution Ce

PARIS

DUJARRIC

& Cie,

EDITEURS

50, RUE DES SAINTS-PÈRES, 50

1903



A VANT-PROPOS

il y en eut dans mes précédentes publications, il y a dans ce livre plus d'une page à Comme

faire rougir les Français qui aiment leur pays ; plus d'une page qui ma fait rougir, moi aussi, quand j'en ai réuni les éléments.

Et c'est

le vieux cas de conscience. Des patriotes affirment que révéler nos hontes c'est diminuer notre pays devant l'étranger, que c'est faire oeuvre détestable. Hier encore le problème était posé violemment dans les discussions relatives au rapport du général Voyron. Et tous ceux qui ne veulent pas « diminuer le prestige de nos missionnaires, le mérite de notre armée », répétaient ces mots de M. Waldeck-Rousseau : « Je me demande quel est, en vérité, ce mal étrange et pernicieux qui nous rend si enclins à tourner contre nous-mêmes et sans cesse tous les efforts de notre censure la plus amère, de nos critiques les plus cruelles, qui nous amène, semblet-il, à souhaiter comme une victoire la conquête


de quelques documents d'où pourrait résulter la preuve que nous avons manqué aux lois de l'humanité, à concevoir je ne sais quel désir de découvrir quelque raison secrète de rougir devant le monde ! » Eh bien ! n'en déplaise à cette éloquence, ce qui est détestable et pernicieux et bête, c'est l'obstination des gens qui, pour ne pas nous exposer à rougir devant le monde, veulent que ce qu'il y a de mauvais dans nos actes demeure secret. La femme de César ne devait pas être soupçonnée. C'était affaire à César. Mais si César avait reconnu qu'il était cocu — sans crainte d'en rougir celle la femme à flanqué qu'il eût porte, et sa — qu'il eût prise ensuite, peut-être ne l'eût-elle point fait cocu. Lorsqu'on révèle des actes mauvais, ne doivent en rougir que ceux qui ont commis ces actes. C'est à ne les point révéler qu'on devrait rougir, parce qu'alors on en devient complice. La poursuite du Bien exige la révélation du Mal par ceux qui savent le Mal, pour que le Mal disparaisse. La politique « du secret », du « confidentiel »... pour ne pas rougir, a toujours mal fini. C'est à vouloir que ce qui est gouvernement, du gouvernement, soit toujours insoupçonnable et insoupçonné, à vouloir que jamais prestiges ni mérités n'en soient diminués dans l'opinion, tandis que la réalité s'en ruine, qu'on arrive un laid jour aux catastrophes. La majesté royale était divine. En diminuer l'éclat c'était crime. Elle a fini sur la guillotine.


Ne rendez pas divin le prestige des hommes que la nation paie pour gérer ses affaires. La guillotine est remisée. Mais il reste des bagnes. De protester aujourd'hui contre les crimes de lèse-prestige comme on protestait jadis contre ceux de lèse-

majesté, ce pourrait devenir dangereux. Taire nos hontes n'est point nous en guérir. Et pour nous en guérir, il faut que nous les connaissions, et pour cela, que celui qui les sait les dise.



EN GUISE DE PRÉFACE

J.-B Say,le fondateur de Port-Say, sur la plage du Kiss à la frontière marocaine. — Louis Say n'admet point la guerre comme solution de la question du Maroc. — Il a montré une autre solution. — La pénétration de notre civilisation et de notre influence au Maroc par les voies de l'économie politique, et il a fondé pour cela Port-Say,où l'auteur du livre a passé la fin de l'été. Voyons l'oeuvre et qu'elle est bien la solution pacifique nécessaire...

A Louis

J'ai lu, mon cher ami, comme épigraphe à l'une de vos brochures : « Les qualités de l'observateur ne sont pas les mêmes « que celles du calculateur. Pour arriver à la vérité, « l'essentiel est de voir les choses, fondement de tout « calcul, non telles qu'on les souhaite, mais telles qu'elles sont, au moral comme au physique. Calculez « ensuite ou raisonnez là-dessus, si cela vous amuse; « vous pourrez vous tromper ; mais vous n'aurez pas « commencé par là. » (J.-B. Say, 1817.) Permettez-moi de reprendre cette phrase de vérité pour ce livre qui, je le veux et je l'espère, sera un livre de vérité sur ces questions franco-marocaines à propos de quoi tant de mensonges passent aujourd'hui pour des vérités. «


Mensonges conscients et mensonges inconscients car, si beaucoup de... petits hommes... traitent ces questions sans y avoir rien vu, rien compris, d'autres... des 'grands... qui ont vu, qui ont compris, les traitent néanmoins de la même façon, dans l'erreur. C'est que l'erreur qu'ils veulent dans le calcul politique du pays fait le bénéfice de leur calcul personnel. Peut-être avez-vous oublié qu'en 1881, lorsque vous parliez devant l'élite coloniale, vous demandiez qu'on inscrivit au programme des réformes algériennes : l'expropriation des grandes sociétés financières qui

n'ont pas rempli leurs engagements, mais pour qui l'Etat a toujours été si large quand il se montrait si dur pour les colons. J'ai retrouvé celle phrase... Et j'ai compris pourquoi vous avez trouvé tant d'obstacles sur votre route quand vous alliez nous gagner

les Berbères Sahariens ; et pourquoi les mêmes obstacles surgissent devant votre effort, maintenant que vous attirez dans la zone d'action française les Berbères maro-

cains.

Votre jeunesse clairvoyante avait découvert la plaie algérienne qui est celle de toutes les colonies et celle de la métropole. Croyant que la République, dans ses fonctionnaires de tout ordre, a des serviteurs de la nation payés pour travailler au bien de la nation, vous aviez montré où l'on devait agir si l'on voulait pro-

grès.

Mais cela était une menace contre les puissances fi-

nancières

qui ne remplissent pas leurs engagements ». Ce jour-là elles ont pris un engagement, qu'elles ont tenu, celui de vous combattre. Elles le tiennent encore. Il convient de rendre cette justice à la franc-maçonnerie spéciale par qui est dirigée notre force capitaliste ; «


elle combat avec suite les ennemis qu'elle ne peut ni

rouler ni acheter. On vous a combattu quand vous vouliez, quand vous auriez pu étendre pacifiquement notre influence dans les oasis do l'Extrème-Sud. On a préféré demander à la France du sang et de l'argent ; décorations pour les uns, rentes pour les autres. On vous combat maintenant que votre ténacité vient de prouver, par la création d'un important mouvement commercial au Kiss, à la frontière marocaine, à PortSay, combien il est facile de développer notre action économique dans les plus belles provinces du Maroc. Les mêmes hommes voudraient encore demander à notre pauvre France du sang et de l'argent pour de nouvelles croix, pour de nouvelles rentes. On a tout préparé dans l'ombre en fin d'une guerre franco-espagnole au Maroc... Pourrons-nous conjurer l'oeuvre néfaste ! Je vois luire une aube... les jours n'en brilleront peut-être pas sur nous. Mais la lumière en éclairera la joie de nos fils émancipés de l'erreur tueuse dans la vérité vivifiante... Vous le savez. Et vous ne vous arrêtez point à l'égoïsme du commun qui rapetisse les grandes oeuvres d'avenir humain à la durée d'une individualité. Pardonnez-moi la comparaison, vous fûtes marin.. .Dans une belle conscience d'être l'ancre forte à quoi se rive la chaîne d'un progrès nouveau, la chaîne dont les générations futures augmenteront les maillons, vous travaillez, heureux, sur cette plage du Kiss où je viens d'être votre hôte. Vous y faites Port-Say. Vous y édifiez l'oeuvre de la pacification, l'oeuvre du rapprochement entre deux civilisations, entre deux races que votre amour de la vie ne peut croire destinées à se combattre éternellement pour la mort.


C'est pour cela qu'il me plaît de vous apporter le concours de la force qui est en ce que je dis, en ce que j'écris. Humble force... mais force. Le coup de pic du carrier qui attaque la montagne c'est peu, ce n'est presque rien, et cela met à bas la montagne énorme. La plume de l'écrivain qui attaque les erreurs du moment, si puissantes, elle en vient à bout comme le pic du carrier vient à bout des plus liantes montagnes. Je sais que la montagne est passive et que l'erreur lutte ; mais la résistance fait plus pénétrante l'attaque. Plus fonce le taureau, plus s'enfonce la spada. Ceux qui prétendent connaître l'Islam disent que le glaive des fanatiques marocains s'opposera toujours au progrès venant du Roumi, de nous. Ceux qui dirigent nos destinées, par leur autorité ou par leur conseil, affirment aussi que notre progrès n'entrera au Maroc que par l'épée. Et c'est la guerre dite fatale, nécessaire, demandée, préparée. Les uns la veulent pour le progrès général ; les autres pour leur intérêt particulier. Thèse folle. In-

térêts criminels. Notre esprit ne conçoit pas la vie sortant de la mort. La guerre est un recul dans la sauvagerie. Nous ne pouvons la voir instrument du progrès dans la civilisation. La mort c'est la mort. La vie c'est la vie. Cela est tellement évident qu'on en devient bête à le dire... Et cependant, comme il faut le dire et le redire! Or, avec les philosophes qui respectent la Vie, avec les logiciens qui voient l'action féconde, vraie, non dans l'opposition, le heurt, mais dans l'union, le parallélisme des forces, vous n'admettez pas que le contact entre la civilisation musulmane qui dort au Maroc et la civilisalion d'essence chrétienne qui s'agite en Algérie, doive être fatalement un contact sanglant, comme aux temps où


les nations étaient conduites par des fanatiques, fous à s'entretuer pour la gloire d'un même dieu servi par

d'autres prophètes. Vous n'avez pas de taches de sang dans votre patrimoine intellectuel. Vous portez un nom rendu glorieux par les oeuvres de la paix. Les grands Français de votre famille vous ont appris qu'aujourd'hui ce que les nations (nous ne parlons pas des chefs, ni des clans directeurs) se demandent mutuellement, ce ne sont plus des coups, ni des oraisons, mais des produits, fabriqués ou naturels, qui leur permettent de mieux vivre... icibas. Celte notion des lois nouvelles qui s'imposent à l'humanité, et qui, progressivement, éteignent toutes les autres politiques dans l'économie politique, elle illumine votre esprit. Alors que tant d'autres ont une politique extérieure du genre de celle des guerriers du boulevard extérieur, celle de « la bourse ou la vie », à cette politique des conquérants vous luttez pour que l'on substitue celle des économistes, celle de la paix laborieuse. N'est-ce point, d'ailleurs, celle de toutes les sagesses, de toutes les religions ! « Tu ne tueras point. » « Celui qui frappe du glaive périra par le glaive. » Mais c'est l'unique, et la toujours pareille, et l'éternelle Vérité. Depuis que l'homme a pris le soin de fixer le souvenir de ses actes, l'histoire nous montre celte vérité. La guerre n'a jamais donné à personne une prospérité durable. La guerre n'a jamais réuni les peuples qui ne voulaient pas être réunis. Une guerre nouvelle a toujours séparé ceux qu'une guerre ancienne avait joints contre leur gré. Tout empire sorti d'une violence a toujours sombré dans une autre violence. Toujours. Toujours... Et aujourd'hui ne dément pas hier... Voyez ce qui


reste de l'Espagne conquérante. Voyez à la plus récente conquête anglaise les lézardes. Voyez en Europe même si l'édifice du conquérant est solide en Finlande, en Pologne, aux Balkans... et c'est toute l'histoire de tous les siècles. Il n'est besoin d'invoquer ni le droit, ni la justice mais la seule expérience et la raison et les plus matériels intérêts pour dire que nos relations avec le Maroc ne doivent être que commerciales, pour affirmer que notre pénétration au Maroc ne peut être que d'action économique. Qui veut demeurer logique ne peut parler autrement. Même les criminels et les fous qui travaillent à la guerre dont ils comptent nous imposer au moment opportun l'obligation, même ceux-là reconnaissent que notre thèse est la seule admissible. Lorsqu'ils parlent officiellement, ils parlent comme nous, affirmant la paix, invoquant le progrès pacifique. Mais ils mentent. La preuve c'est que tout en proclamant la nécessité de la paix avec le Maroc, ils s'opposent à vos travaux sur la plage du Kiss, ils ne veulent point qu'à la frontière, en face de la forteresse ancienne de Saidiya, marquant bien les rapports nouveaux entre les deux peuples, il y ait commercial... le port qui se fait malgré eux, port un car le progrès le veut, le port qui a votre nom, mon cher ami, le Port-Say. La nature elle-même éclaire en cette question leurs mensonges. Sur celte frontière marocaine elle a nettement désigné leur place aux gens qui rêvent la guerre et à ceux qui veulent la paix. Les positions de guerre, les Turcs les avaient et s'y cantonnaient. C'est Tlemcen, loin de la mer et des vaisseaux ennemis, Tlemcen défendu contre le Maroc par le désert d'Angad. C'est Nemours à la plage inabordable sous le roc des pirates, Nemours gardé contre la terre


par les impénétrables montagnes du Filhaousen et du Chaïbrasso (1). Excellentes pour la guerre, tolérables peut-être pour le commerce antique, ces positions ne conviennent pas au commerce moderne. Les positions que demande ce commerce, la nature les offre, toutes prètes, sur la frontière. La pénétration commerciale d'un pays exige une bonne route et qui parte d'un port, le plus près possible de ce pays. Il me semble que cela est une vérité claire, d'une évidence qui ne permet nulle contradiction et qu'on n'a besoin ni de démontrer, ni de prouver, ni d'expliquer... Il y a sur terre des gens bien bêtes, mais s'il y en avait de bêtes au point de ne pas comprendre ce que nous disons : Que pour le maximum d'avantages, la pénétration commerciale d'un pays neuf exige une bonne route et gui parte d'un port, le plus près possible de ce pays, ces gens seraient à enfermer de suite. Nul ne peut contester qu'appliquant cette vérité générale au cas particulier qui nous occupe, nous ne soyons encore dans la vérité absolue en disant : « Pour donner le maximum d'avantages, la pénétration commerciale (I) Un phénomène que beaucoup de gens ne comprennent pas

c'est que Berbères marocains, et surtout Kabyles algériens de cette région frontière ont l'habitude de cultiver en montagne leurs grains. Un militaire d'importance a cru à cause de cela qu'il y avait plus d'eau sur les sommets que dans les plaines ! Voici à ce propos ce que je lis dans la Relation d'un voyage fait en Mauritanie par le sieur Roland Frèjus, en 1666 . « Comme je vis que Chef Amar commençait à marcher, je me mis à le suivre... Je lui dis que j'étais charmé de tout ce que je venais de voir, et que si tout le reste était approchant, je ne m'étonnerais pas si l'abondance des grains était si grande en ce pays; mais que j'étais surpris que les gens abandonnassent les plaines et allassent cultiver le haut des montagnes et collines... à quoi il me répondit que l'appréhension dans laquelle ils étaient des courses et invasions que les Espagnols leur faisaient tous les jours en était la cause. »


française au Maroc exige une bonne route qui parle d'un port français le plus près possible du Maroc. » C'est ce il Kiss. montrez port est dites et ce ; au vous ; que vous Et vous montrez cette route; elle suit l'Oued-Kiss; elle traverse la plaine précieuse desTrifas ; elle suit la vallée fertile de la Moulouïa ; elle conduit à Taza, pour aller naturel du Maroc, même à obstacle nul coeur au sans Fez. C'est la belle et bonne route à travers les plus riches provinces du Maroc. C'est la vraie roule de la civilisation et de la paix. Et nous en avons la tête ; nous belle du plage Kiss où vous cette le port, sur en avons si délicieuse faire saison de de une passer nous venez bains de mer. Vous ne savez pas l'étonnement comique de nos amis parisiens quand je leur ai dit cet été que nous allions Kiss...— «Au Kiss??? bains de chez vous, au mer » aux du Maroc... » Et cela Oui, Kiss, frontière la sur au « — leur semblait paradoxal, une gageure ; non pas à cause d'un vieux bédouin comme moi ; mais une parisienne qui délaissait Deauville pour le Kiss, les plages normandes pour une plage marocaine, et laquelle, celle des pirates riffains Une plage de forbans, c'est tout ce que ce mot de Kiss !

leur disait. Ne les plaisantons pas trop. Moi-même, qu'est-ce que j'en savais, n'ayant jusqu'alors sur cette partie du Maroc-Algérie que des notions de lecture. Je savais que l'Oued-Kiss, une petite rivière, marque la frontière entre le Maroc et la France. Les cartes m'avaient montré du côté français le chaos du Chaibrasso, du Filhaousen ; autour du bastion, de la guérite avancée de Nemours, murailles de montagneuses large de soixante défense une kilomètres, fortification naturelle, gigantesque, impénétrable. Les écrivains me disaient du côté marocain le


Riff et ses berbères sauvages, les Beni-Snassen, dont le sol a gardé tant de cadavres français, les Kebdana qui, lorsqu'ils s'ennuient, vont tuer un espagnol des présides; des barbares ; les barbares classiques. Aussi, du diable, si jamais l'idée me serait venue d'aller chercher là une plage à saison marine... J'y fus cependant. Et nous y avons pris des bains de mer. Et c'était délicieux. Il n'y avait pas de planches. Il n'y avait pas de casino. Il n'y avait pas de petits chevaux. Il n'y avait raseurs, croupiers ni rastas. Il n'y avait rien de ce qui fait le charme de nos plages à la mode. Et c'est bien pour cela que c'était délicieux... Mer, sable, vent, soleil, espace, liberté... l'infini... et les chevauchées dans la lumière, dans l'air pur... toute la

lyre, vous dis-je ! Et puis, nos bons voisins les Berbères, ces grands calomniés. Vous m'avez conduit chez eux. Vous m'avez fait les connaître, et leur pays. Et j'ai pu voir de quels mensonges l'histoire est pleine que les « officiels » nous en racontent. Une fois de plus j'ai constaté sur place, qu'en cette question, comme en presque toutes les autres, les pontifes à qui nous payons mission de nous éclairer, nous, pauvre public, paient, eux, notre tète, se notre pauvre bonne tète...

J'en avais déjà pris quelque idée en étudiant dans les archives, sur document précis, l'histoire de nos relations avec le Maroc. A croire les gens qui en parlent, qui en écrivent, la France aurait au Maroc des droits que les Marocains violent ; et, de concert des extérieure coalition la avec puissances, les mauvais patriotes, les ennemis de l'expansion coloniale ne permettraient pas à la France d'agir pour faire respecter ses droits par le Maroc. J'ai trouvé autre chose ; la vérité.


En 1845, lorsque nous luttions contre Abd-el-Kader, bien que nous eussions battu une armée marocaine levée par et pour l'émir, notre situation à la frontière marocaine, et dans toute l'Algérie, était précaire. Nous avions besoin du Maroc pour réduire Abd-el-Kader. Oue le sultan de Fez, assuré d'appuis étrangers, anglais notamment, eût pris le parti de l'émir au lieu de s'unir à nous contre lui, nous tombions en grand péril. En réalité nous ne pouvions rien exiger du Maroc, c'est nous qui lui demandions un service... et qui l'avons obtenu, d'abord quand le sultan mit l'émir hors la loi, puis quand il nous le livra, traqué par les Marocains et par nous, réduit à se rendre. Quand nous avons traité avec le Maroc, c'est le Maroc qui nous a fait des concessions en acceptant comme frontière entre lui et nous la ligne qui bornait le pays soumis aux Turcs dont nous prenions la succession algérienne. Dans les archives de la guerre, il y a preuves que si le Maroc avait réclamé une partie des territoires turcs, nous les aurions abandonnés, que nous aurions évacué même des points importants comme Marnia. On ne dit pas cela, et cependant c'est l'histoire, la vraie. Le traité définissait la ligne frontière de la mer jusqu'au col de Teniet-es-Sassi, dans le Sud. Le reste, c'était le désert. Et le désert « qui est à Dieu » ne se partage point. Si la ligne frontière était nettement fixée tant qu'elle suivait l'Oued-Kiss, il n'en était plus de môme après. Il y eut là des difficultés. Il y en eut aussi pour le désert impartagé. Aussi, très tôt, et les autorités algériennes et les autorités marocaines s'aperçurent-elles que, dans l'intérêt des deux nations, il convenait de compléter le traité de 1845 :

i° Par une délimitation exacte, sur le terrain, de la


frontière à partir de l'Oued-Kiss jusqu'au col de Teniet es-Sassi. 2° Par le tracé d'une ligne frontière au sud de ce col. Depuis plus d'un demi-siècle, le gouvernement marocain et le gouvernement général de l'Algérie demandent cela aux Affaires Etrangères qui refusent. Pourquoi refusent-elles ? M. Waddington l'a dit en une phrase inoubliable. C'est que : « l'absence de frontières entre deux Etats est toujours préjudiciable au plus faible ». Ainsi, en remontant aux sources, j'avais vu tomber la légende de l'intransigeance marocaine, laquelle, disait-on, rendait nécessaire notre politique agressive dans le Sud. Ce que j'ai vu dans le Nord, en votre compagnie, sous votre conduite, mon cher ami, pendant mon séjour aux plages du Kiss et mes excursions chez les tribus voisines de la frontière, fait tomber d'autres légendes, celles de l'impénétrabilité du Riff, celles de la sauvagerie des Berbères, ennemis de notre pénétration économique au Maroc par les grandes routes commerciales qui parlent du Kiss et conduisent rapidement, sans naturels obstacles, jusqu'à Fez. Ah ! certes! si c'est parla guerre que l'on veut entrer, on n'entrera pas, ou, du moins, on n'entrera qu'après mille difficultés vaincues. L'annonce de ces difficultés, vous me l'avez montrée au premier pas sur la frontière, à quelques centaines de mètres de la mer et sur la rive même de l'Oued-Kiss. Là, voici une vingtaine d'années, des ingénieurs allemands ont réédifié pour le Sultan l'ancienne casbah de Saïdiya. La forteresse est symbole. Une volonté étrangère l'a placée là comme une sentinelle avancée, gardant contre nos convoitises guerrières, les riches plaines de la Moulouïa et la roule naturelle de Fez à la Méditerrannée.


Je sais bien que la brique des murailles en éclaterait à notre premier obus. Et je me rappelle que lorsque nous y fûmes saluer le pacha qui en a le commandement, nous n'y avons point vu les milliers de fantassins et de cavaliers que le gouvernement de Fez doit toujours y envoyer et dont l'arrivée, toujours, est pour le lendemain. Suivant l'expression chère à nos diplomates, le pacha, représentant le sultan derrière les murailles de cette forteresse frontière du Riff, n'exerce qu'une autorité « purement nominale ». Mais dans cette même casbah, prenant amicalement le thé, assis à côté du pacha, aux places d'honneur, sur les coussins de cuir, à l'obscur et au frais de la hutte nationale en roseaux tressés, nous avons vu les hommes de l'autorité effective, les capitans superbes, les marabouts vénérés et ce magnifique Bou al Nouar, votre ami le Père des Fleurs qui commande à tous les guerriers dans la montagne des Beni Snassen, dans celle des lvebdana et jusqu'à celle des Riata... Nous l'avons admiré lorsque avec lui, dans une enveloppée, dans une envolée de blancs burnous et de rouges caparaçons, nous galopions sur les chaumes dorés de la plaine immense... Que c'est beau

!

me disiez-vous.

» — Oui, c'était beau. Et c'était encore plus beau, lorsqu'en d'autres randonnées nous allions de la plaine des Oulad-Mansour à celle des Triffas par les gorges du Kiss ; Lorsque nous descendions aux marchés marocains où des milliers de vendeurs et des milliers d'acheteurs étaient rassemblés, tous cavaliers, tous armés ; Lorsque nous repassions la frontière et que par les pentes abruptes où nos chevaux grimpaient comme des chèvres, nous montions au bordj d'Aoudjeroud, la pauvre demeure en quoi l'ennui des spahis degar de

«


se distrait à confectionner des rapports économiques pour le général O'Connor ;

Et lorsque, poussant encore plus haut, nous allions sur les sommets du Tisza qui dominent le cap Milonia et votre ville, portant la vue aux plus lointains espaces du Maroc et même de l'Espagne. Dans les clartés de noroit nous y avons vu pointer les cimes de la sierra Morena. Dans l'Ouest, c'était le panorama grandiose, immense et d'inexprimable splendeur en la pureté des lignes, en l'éclat des couleurs, en la majesté de l'horizon que le regard semblait poursuivre jusque dans l'infini longues déroulement des le — plaines et des vallées donne celte illusion que refuse la haute mer— et c'est des plaines magnifiques de vie qui se déroulaient à nos pieds, jusqu'à la Moulouïa, jusqu'à Taza, des plaines superbes, terres rouges et sombres verdures entre les bleus de la mer et les violets des montagnes aux nobles silhouettes... Une Beauce africaine, une Suisse marocaine offrant leur richesse à la mer algérienne... chez nous ! J'admirais et vous me disiez : « — Comprenez-vous pourquoi l'on s'obstine à chercher accès au Maroc par des voies impossibles où la nature a pris plaisir d'accumuler obstacles sur obstacles, tandis que là, devant nous, c'est à la vue de qui veut voir, la bonne route, la route libre, la route partant de chez nous, la roule à nous ! « — Vous me dites ce que, bien avant la conquête de l'Algérie, quand le Maroc, beaucoup songeait au on « chevalier » de Suffren écrivait au Roy, vers 1764. A l'époque où la diplomatie montrait l'accès du Maroc sur l'Atlantique, à Salé, cet officier de marine, votre prédécesseur, votre précurseur, indiquait cette plage du Kiss et cette plaine des Oulad Mansour avec les Zaffarine comme point d'appui.


avait raison. Et j'ai raison. — maintenant lui, Plus que car une bonne part de « — celte plage du Kiss est française, et le point d'appui, ce n'est plus les trois cailloux des Zaffarine, c'est toute l'Algérie. » La vérité géographique ne change pas. Elle s'offre toujours aux gens qui veulent voir. Elle avait fait la conviction de M. de Suffren,de celui qui devint ensuite le bailli de Suffren. Elle a fait la vôtre. Elle fait la mienne. Et toute politique économique, pour réussir, doit être basée sur des vérités, sur des nécessités géographiques. Ces vérités, ces nécessités sont de celles que l'on peut voir le plus facilement, et qui pour emporter la conviction n'exigent aucun génie d'explication chez l'homme qui les énonce, aucun génie de compréhension chez l'homme à qui elles sont exposées... Ouvrir les yeux, tout simplement, regarder et voir... le pays... une carte, quelques photographies. Et cependant, combien de gens ne voient pas, ne savent pas voir, ne veulent pas voir ! Quelque jour, il faudra que j'étudie par tout le détail du mécanisme social en jeu, ce phénomène d'aveuglement des politiques devant les vérités géographiques. Il n'est point spécial à nos questions de frontière marocaine. Je l'ai noté en Indo-Chine. Là-bas nous avons pris la succession des Annamites qui avaient une marine de petits bateaux pour quoi suffisaient, pour quoi môme étaient nécessaires les petits ports fluviaux. Nous avons une marine de grands navires qui exigent de grands ports en eaux profondes. Et nous avons gardé les vieux petits ports annamites. Et le contribuable paie pour que l'on engloutisse des millions dans les vases d'Haïphong ! Notre colonisation devrait être une oeuvre scientifique, orientée vers l'avenir. Et nous la réalisons partout dans les erreurs du passé. Nous n'avons pas encore eu un «

M. de Suffren


seul colonial. Nous n'avons eu que des rhéteurs, des affairistes et des tueurs. Jamais parmi tous les illustres qui depuis trente années brassent et travaillent cette matiere, un homme n'a eu la conception scientifique de la colonisation... ou, du moins, jamais personne ne l'a énoncée ni mise en pratique (i). En Indo-Chine nous colonisons comme les Annamites, en Algérie comme les Turcs. Et cela nous ramène à

notre Maroc... ...Ils affirment, nos maîtres, qu'ils veulent avec le Maroc des relations telles que les peuples civilisés doivent eu avoir avec tous les autres peuples, même avec ceux qui sont moins civilisés, des relations pacifiques ; l'extension de notre influence, la pénétration légitime de notre civilisation supérieure, ils jurent ne les chercher que par l'exemple d'un voisinage meilleur, que par le progrès du commerce... et tous ces farceurs ne veulent pas d'autres routes que. celles des Turcs ! Certains, oh, délicieux qui se piquent d'érudition, prétendent que l'on ne suit pas le Turc, mais le Romain, ce maître dans l'art de la colonisation africaine ; que la voie romaine allait au Maroc par le Sud montagneux et à travers le désert d'Angad. La voie romaine... Monsieur ! Leur théorie d'érudits n'a qu'un défaut; elle manque de base; il n'y avait pas de voie romaine dans le Sud à travers l'Angad. Il suffit d'ouvrir l'itinéraire d'Antonin pour s'en convaincre. Et, quand bien même il y en aurait eu, cela ne prouverait pas que nous dussions, en 1902, suivre l'exemple des Romains. Les conditions du négoce ont changé depuis. La bonne route ne !

(1) J'entends l'objection. Ignorance ou présomption. Ni l'un ni autre. J'ai bien lu les livres de M. de Lanessan et quelques autres.

c'est pour cela que j'affirme avec tant de netteté cette vérité qu'il ny a chez nous plus de politique que de doctrine colopas niale «. scientifique ».


peut être celle qui part des montagnes difficiles pour traverser un désert plus difficile encore. C'est celle qui part d'un port pour traverser des plaines riches. Tous les empereurs de Rome, tous les généraux romains, tous les écrivains romains du passé et tous les pédants d'aujourd'hui ne peuvent pas faire que cela ne soit pas la vérité. D'ailleurs, et vous le pensez comme moi, mon cher ami, en matière de colonisation ce n'est pas derrière soi qu'il faut regarder, mais devant soi. Vous avez regardé devant vous lorsque, après avoir étudié en voyageur ces questions marocaines, vous avez compris en savant et en logicien quelle en est la solution, et que vous êtes allé planter votre tente sur la frontière, sur celte plage du Kiss. La nature y a tracé elle-même la voie que doit suivre notre civilisation... Vous nous avez montré cette voie. Et vous nous montrez que si des hommes ferment celle voie, ce n'est pas les Marocains. Ceux qu'on disait les sauvages, les pirates, les bandits... mais nous les avons vus, qui, en foule, apportaient aux chantiers du Kiss leur blé, leur orge et ne demandaient qu'à vivre en paix dans le travail et le négoce. Ils veulent la paix. Ils en apprécient comme tous les êtres raisonnables les bienfaits. Vivre en labourant leur semble un sort préférable à celui de mourir en se défendant. Mais si pour acheter nos produits, qui leur font la vie plus douce, ils aiment un pacifique labeur, tous on les trouverait debout et prêts à mourir si leur indépendance était menacée. Qui ne va pas chez eux en ennemi, en avant-coureur de l'ennemi, est bien reçu. Vous y allez. Vous y vivez, pour ainsi dire. Vous y êtes quelque chose de plus qu'un ami ; presqu'un chef ; un protecteur ; et certainement un grand sage; qu'ils aient votre tombeau, leurs fils l'honoreront comme nous


avons vu qu'ils vénèrent, eux, les blancs marabouts sous quoi dorment leurs bienfaiteurs de jadis, leurs chefs et leurs saints. Tous ces Berbères du Riff sont fermés à l'Europe parce que cette Europe a toujours affiché le désir de les soumettre à sa domination. Autrefois c'était pour les christianiser; maintenant c'est pour les civiliser. Mais

toujours avec un collecteur d'impôts et un douanier. Les Berbères demandent et Ils horreur. ont nous ne en n'accepteront de nous que les bienfaits matériels de notre civilisation. Je souligne le mot. Il convient d'insister sur le fait. Et que la notion en pénètre notre politique. Les bienfaits matériels seulement. Quant aux bienfaits Moraux, comme tous les Marocains, comme tous les autres peuples, de partout, chez qui nos politiciens envoient notre civilisation de l'intermédiaire nos arpar mées, les Berbères n'en veulent dans J'ai voyage pas. toute l'Afrique et dans toute l'Asie. Partout j'ai constaté celle répulsion. Mais produire industrie sait notre ce que pour améliorer le bien-être de l'homme dans sa lutte incessante contre la nature, j'ai vu partout que les hommes l'acceptaient, le demandaient, le recherchaient. C'est phénomène de raison et que l'on voit, que l'on verra partout lorsqu'une violence n'a point chassé la raison. Nous l'avons vu — parce que nous devions le voir, et qu'il était impossible que nous ne le vissions pas — puisque c'est un phénomène de raison toute simple, toute fruste, toute naturelle et barbare — nous l'avons vu chez vos Berbères de la frontière qui sont — comme tous les hommes — des êtres de raison, lorsqu'une menace, un danger ne les jettent point dans la folie féroce des attitudes et des actes de défense. Et là encore, de même que la raison est de nature identique et semblable à soi chez tous les hommes, cette férocité de la défense nous la retrouvons partout également folle.


Que les Marocains sachent, voient, à n'en pouvoir douter, que nous ne menaçons point leur indépendance, et tôt disparaîtront leurs folies de féroce défense pour faire place à leur raison, à ses besoins pacifiques. Nous n'avons, ensemble, rien vu chez vos Berbères, qui permît de croire à ce qu'on dit leur fanatisme irréductible

et leur haine contre tout progrès européen (I). L'Islam défend, n'est-ce pas, la représentation de la figure humaine, et se faire peindre, se faire photographier c'est crime non pas seulement pour un saint mais pour le moins fervent des croyants. Un fanatique serait mortellement offensé et pécherait gravement contre son Dieu, son prophète et ses saints, tolérant qu'on fît son portrait, ne s'en fâchant point. Mais le grand chef politique et religieux des Marocains les plus fanatiques, des Riffains, Bon Al Nouar, votre ami, a posé devant mon objectif... chez vous. Lui et ses chefs fanatiques. Et ils nous ont invités à les suivre dans les douars de leurs montagnes pour y faire d'autres photographies ; beaucoup. Cela n'inquiète pas leur « fanatisme ». La photographie ne les révoltera que le jour où nous voudrions l'introduire chez eux avec les autres accessoires du système Bertillon. C'est bien cela, n'est-ce pas, que signifiaient les conversations de vos hôtes lorsqu'en la personne de Bou Al Nouar et des autres grands chefs feudataires de la frontière, l'Islam du Maroc impénétrable, l'Islam des Berbères irréductibles, le Riff, pour l'appeler de son nom, venait, dans votre maison du Kiss, nous faire visite de (1) On a exploité

contre l'oeuvre pacifique de M. Louis Say au Kiss un tragique événement, l'assassinat de M. Jules Pouzet au cap de l'Eau. Ce meurtre fait l'objet d'un chapitre de mon livre. Il n'infirme en rien notre thèse qui est à vrai dire moins une thèse que la très simple expression de très simples vérités.


voisinage, boire du thé, bavarder des gâteaux, manger et — entre demandes de renseignements sur les cours de l'orge à Paris, Anvers, à Hambourg parler nous a — de grandes chasses dans la montagne, au printemps, alors qu'après les pluies d'hiver les vallées sont herbeuses, les sangliers gras, les coteaux fleuris...



LA QUESTION DU MAROC

LIVRE PREMIER Résumé historique des relations de la France avec le Maroc et texte des traités qui régissent ces relations.

CHAPITRE I Les sources

et la bibliographie.

Je rendrai le plus bref possible ce résumé, car l'histoire de nos relations avec le Maroc a été assez exactement, sinon très clairement, exposée par les auteurs jusqu'à la période contemporaine, que nous ferons commencer à l'année 1845. Avant 1845, l'histoire est vraie, ou, pour être plus précis, d'une suffisante exactitude. Car ces études rétrospectives n'ont, à mon avis, qu'un intérêt très restreint, Dans les questions où l'histoire est un élément de la politique, c'est l'histoire de l'époque, l'histoire actuelle, qui importe, celle avec quoi la diplomatie rend ou meilleure ou pire notre existence et celle des générations à venir. L'histoire la plus intéressante n'est


point celle qui distrait les académies, c'est celle qui dirige l'action. Cette histoire-là, pour les questions franco-marocaines, commence à 1845. Dès lors, en ce qu'elle a de public, en ce qu'on peut en savoir par les livres, elle est touffue d'erreurs qui la dénaturent complètement. Après avoir dit ces erreurs, je dirai la vérité. Les sources pour cette histoire sont nombreuses. On a chez nous, à toute époque, et sur tout sujet, beaucoup, énormément écrit. Il y a toujours des citoyens qui éprouvent le besoin d'écrire même quand ils n'ont rien de neuf à dire. La qualité de la bibliographie franco-marocaine n'en vaut, hélas, point la quantité. Aussi, que j'en déblaie vite la matière en citant les principaux ouvrages qui m'ont servi pour exposer l'histoire établie et les opinions reçues. D'abord, aux dates des événements, les journaux : Mercure Galant, Mercure de France, Moniteur, Journal officiel (relire les séances des Chambres pour les débats au sujet du traité de 1845.... on en verra de bonnes, et qu'à toute époque il y eut chez nous des parlementaires... intelligents), les Débats, le Temps. Par intervalles, en ces deux quotidiens, les questions africaines sont bien traitées. Cela dépend alors de la qualité des rapports entre les ministres au pouvoir et les écrivains spécialistes en exercice. Un peu de cette remarque aux grandes revues. La question du Maroc était déjà posée dans la Revue des Deux-Mondes en 1840, en 1849... Ci les principaux articles publiés : la question d'Alger, Maroc A Rey, 1er déet Le — cembre 1840. Maroc, Didier, Le 1er août, 1er novembre et Ch. — 15 décembre 1836 ; 1er février 1838 ; Ier août et 1er septembre 1845. 1844, X. Durrieu, 1er octobre 1844. Le Maroc en — du Maroc les intérêts question et La européens en — Afrique, Jules Duval, 15 décembre 1849. \


La de du Maroc l'Espagne, MaCh. guerre avec — zade, 1er janvier et 15 septembre 1850. Le Maroc la politique européenne à Tanger,. et — Valbert, 1er décembre 1884. souvenirs, Le Maroc. Notes et Maurice Paléolo— gite, 15 avril 1885. Une ambassade Maroc, Gabriel Charmes, au — 15 juin, 1er juillet, 15 juillet, 1er août, 15 août, 1er septembre 1886. français Un Maroc, G. Valbert, au voyageur — 1er août 1888. Les Anglais Maroc, 15 juin 1893. Edm. Planchat, au — Le de Moulai règne Hassau, Martiet II. de la — nière, 15 septembre 1894. L'islamisme les confréries Edouard et Maroc, au — Cat, 15 septembre 1898. Lalla Marnia frontière La algéde la convention et — rienne de l'ouest, H. de la Martinière, 15 avril 1897. Dans la Revue politique et littéraire en 1893, un article de M. Ordèga qui fut longtemps ministre à Tanger.

Dans la Revue de géographie, notamment une série d'articles de M. de La Martinière, une très bonne bibliographie marocaine (1888). En 1881, un article de M. A. du Mazet sur la frontière du Maroc. Dans le Bulletin de géographie historique, 1887. Le Rif, par M. Duveyrier. Peu de choses dans le Tour du Monde. Les amusants récits de Moquette, de Lemprière, en 1860. Le très intéressant voyage de ce pauvre Douls, en 1888. Dans la Revue Britannique, 1878, 1881, les voyages de Leclercq. Dans la Revue Encyclopédique, 1894, un article documenté de Marcel Paisant. Dans les Questions diplomatiques et coloniales, de nombreux articles, passim. A signaler ceux de Bernard d'Attanoux, envoyé jadis au Maroc par le Temps pour le couronnement du sultan. Dans les Bulletins de la société de géographie com¬


merciale, beaucoup de communications, notamment celles de Louis Say, 86, 87. Dans le Bulletin de la société de géographie de l'Est 1883, 1884, le travail de M. R. Basset. Dans le Bulletin de la société de géographie de Paris, beaucoup de notices ; particulièrement celles de A. Beaumier, juillet 1867 ; avril 1868, etc... — Graig mars 1870. — Mardochéc, décembre 1875. Tissot, 2me trimestre, 1876. — Demgis, 1878. Desportes et François, 1878. — De Castries, 1880. Duveyrier, mars, 1885. — Vicomte de Chavagnac, 1887.

Delbrelle, 1895. Doutte, 1902, etc... etc... Dans l'Illustration et le Monde illustré aux dates des actualités, surtout autour de nos occupations du Touat, des articles illustrés. Dans les Recueils cotisulaires, beaucoup de travaux. A citer les Instructions nautiques du ministère de la Marine et les cartes du ministère de la Guerre. Enfin pour l'histoire de ces dernières années, le Bulletin du comité de l'Afrique française qui depuis sa fondation publie, pourrait-on dire en chaque numéro, un article où les faits marocains sont exposés et souvent commentés. Maintenant la bibliographie des volumes. En 1892, Playfair, cité par La Martinière, en a publié une qui ne contient pas moins de 2243 numéros... Il y a dix ans! L'inondation a monté depuis ! ! Je ne vais point citer ici trois mille et quelques indications... car je ne crois pas qu'il y ait au monde un malheureux capable de lire trois mille et quelques ouvrages sur le Maroc... sur ce pays qu'on dit inconnu... D'autant plus que c'est une bénédiction de voir combien les bons auteurs sur celte matière ont su mettre au pillage et compléter les livres originaux relativement peu nombreux. C'est pour la plupart des copistes qui se recopient et se recopient.


Ma liste sera plus courte que celle de

Playfair.

Ali bey el Abassi. — Voyages, Paris, 1814. Cet auteur fut une véritable providence pour les autres pendant très longtemps. De Amicis. — Voyage, au Maroc. Traduction publiée par Hachette, 1882. Jean Armand, dit Mustapha, Turc de nation, — Voyages d'Afrique faits par le commandement du Roy et dédiés au duc de Richelieu, Paris, 1631. Barbie du Bocage. — Le Maroc, Paris, 1801. Beaumier. — Histoire des souverains du Maghreb, Paris, 1860. Blancard. — Documents inédits sur le commerce de Marseille au Moyen Age. Marseille, 1884. De Campou.— Un empire qui croule, Paris, 1886. Cassal. — La frontière marocaine, Oran, 1886. Rouard de Card. — Les traités entre la France et le Maroc, Paris, 1898. Castonnet des Fosses. — Le Maroc tel qu'il est, Paris, 1887. Gabriel Charmes. — Une ambassade au Maroc, Paris, 1887. De Chênier. — Recherches historiques sur les Maures, Paris, 1787. Collin. Louvain, intérêts belges, les Le Maroc et —

1900. Cotte. — Le Maroc contemporain, Paris, 1800. Cousin. — Tanger, Paris, 1902. Le Comte D... — Relation historique de l'amour de l'empereur du Maroc pour la princesse douairière de Conti, à Cologne, 1700. Darlach. — Le Maroc et le Riff, Paris, 1856. Durier. — Une excursion au Maroc, Paris, 1882. Duveyrier. — Le Riff, Paris, 1886. Erckmann. — Le Maroc moderne, Paris, 1885. Fillias. — Algérie ancienne et moderne, Paris, 1854. De Plassans. — Histoire de la diplomatie française.


De Foucauld. — Reconnaissance au Maroc, Paris, 1888. C'est la relation moderne la plus scientifique sur quoi l'on puisse construire la géographie du Maroc. Roland Frèjus. — Voyage en Mauretanie, Paris, 1670. Frisch. — Le Maroc, Paris, 1845. De Ganniers. — Le Maroc, Paris, 1894. Godard. — Description et histoire du Maroc, Paris. 1860. Houdas. — Le Maroc de 1631 à 1812. Jourdan. —L'empire du Maroc, Paris, 1852. Leclercq. — Maroc et Algérie, Paris, 1881. Lenz. — Le Maroc, Paris, 1880. Pierre Loti. — Au Maroc, Paris. 1890. Malavialle. — Le Maroc, Montpellier, 1888. Marcet. — Mission au Maroc, 1855.

qui a le plus l'homme doute Sans — travaillé la question du Maroc, en dehors des missions et voyages divers qu'il accomplit en ce pays. En a écrit dans toutes les revues. L'article le plus important du point de vue politique est celui de la Revue des DeuxMondes en 1897. La Martinière a dirigé sous le gouvernement de M. Cambon le service chargé de réunir tous les documents « possibles » et môme impossibles, sur la question du Maroc pour les archives du gouvernement général de l'Algérie. Il est actuellement consul général à Tanger. On lui prête un mot qui pèse sur sa carrière cependant brillante. « Trop jeune pour être ministre plénipotentiaire ; trop chic pour être attaché... » Ses amis craignent pour lui qu'il ne reste jeune encore longtemps. A publié en 1897 une Notice sur le Maroc où sont résumés ses travaux publics sur le Maroc. De Mas-Latrie. — Relationsde commerce de l'Afrique septentrionale avec les nations chrétiennes au Moyen Age, Paris, 1886. Merrier. — Histoire de l'Afrique septentrionale,

La Martinière.

Paris, 1888-1893.


Montbard. — A travers le Maroc, 1886. Mouliéras.— Le Maroc inconnu, Paris, 1898. Niessel. — Le Maroc, Paris, 1901. Reclus. — 1 volume de la Géographie universelle, Paris, 1886. Renon. — Description du Maroc, 1846.

De Saint-Olon. — Relation de l'Empire du Maroc, Paris, 1695.

Louis Say. — Afrique du Nord et Politique coloniale,

Paris, 1886. Frontière du Maroc, Paris, 1888. Le Kiss et Nemours, Oran, 1901.

Thomassy. — Le Maroc et ses caravanes, Paris, 1845. Tissot. — Recherches sur la géographie comparée de la Maurétanie, Tingitane, Paris, 1877. Wolfrom. — Le Maroc, Paris, 1893. Yriarte. — Sous la tente, Paris, 1873. Ajoutez à cela quelques ouvrages étrangers comme ceux de Rohlfs, de Richavdson, de Thomson, Conriny, Walson... etc... et Lenz dont la traduction figure plus haut... et ce sera à peu près tout ; car je crois inutile de citer en dehors de Léon l'Africain les anciens auteurs arabes compilés dans les ouvrages qui précèdent.

N'oublions cependant point les rapports consulaires, dont quelques-uns très consciencieux, publiés ces dernières années dans les recueils officiels des divers pays représentés au Maroc. Ceux de Belgique constituent des études fort documentaires.

Pour la domination marocaine au Sahara jusqu'à Tombouctou, le livre de Dubois, Timbouctou la mystérieuse.


CHAPITRE II

Le Maroc et les Marseillais. — Le Marseillais Bérard, premier consul français au Maroc. — L'explorateur Moquet, le sieur Delisle. — La piraterie. — Chrétiens et Turcs se valaient. — Les vols du sieur Castellane. — Note d'Oscar Lenz d'après Conring sur les vols modernes. — Le chevalier de Rasilly. Le traité entre Louis XIII et l'empereur du Maroc fait à Maroc le 17 septembre 1631. Le traité entre les mêmes,fait en rade de Saffi le 24 septembre 1631. Le traité entre les mêmes, fait à Saffi le 18 juillet 1635.

Dès qu'il y eut un Maroc on peut affirmer que Marseille y fit commerce. Les marseillais y allaient avant Béthencourt, lequel reconnut, en explorateur marin, le littoral marocain,

Tanger jusqu'à cap Blanc. Charles VI était trop occupé en France pour accepter les offres que l'aventurier lui fit de ce qu'il appelait ses « conquêtes ». Le roi de Castille les prit à son compte. Les Espagnols ajoutent celte cession des « droits » de Béthencourt aux droits historiques dont ils se prévalent aujourd'hui plus que de

jamais.

Nos premières relations « diplomatiques » avec le Maroc datent réellement de 1577. A cette époque Henri III établit à Maroc et à Fez un consul et un « facteur pour les nations ».


Voici la pièce qui donne la charge de consul au

seillais Bérard

mar-

:

Henry, par la grâce de Dieu etc. Considérant qu'il est nécessaire pour le bien de nos sujets trafiquant aux royaumes de Maroc et de Fez, pays, terres et seigneuries qui en dépendent, qu'il y ait aux dites parties un consul de ladite nation française, créé et autorisé de Nous, pour y avoir l'oeil et intendance sur toutes les affaires qui y peuvent concerner sur le service de nos sujets et pour y tenir un bon ordre de politique et de justice ; savoir fesons que nous inclinant libéralement à la prière et requête qui nous a été faite par le roi des dits royaumes de Maroc et de Fez, notre très cher et parfait ami, en faveur de notre très cher et très aimé le Guillaume Bérard, de notre ville de Marseille constituons, par ces présentes, consul de la nation française aux dits royaumes et octroyons au dit Bérard de l'exercer aux honneurs, autorités et prérogatives, prééminences, droits, profits, revenus et émoluments qui y appartiennent et en la propre forme et manière que les consulats qui nous appartiennent. » « «

Henry IV envoya au Maroc l'explorateur Moquet. Beaucoup de Français s'occupaient de ce pays, témoin la Relation du royaume de Maroc et des villes qui en dépendent, adressée au Roi par le sieur Delisle. Puis les rapports se lendent entre les deux nations. C'est l'époque où la piraterie sévit, où la mer est « écumée » aussi bien par les chrétiens que par les musulmans. Les forbans sont italiens, français, espagnols autant que marocains. La cruauté, la barbarie des bandits de la mer ne dépend pas de leur religion, ni de leur nationalité. Ils sont tous les mêmes. D'ailleurs à cette époque la notion du droit des gens,


du droit international est sauvage chez tous les juristes; ceux qui la cherchent dans la Bible et les Evangiles ne l'ont pas plus douce que ceux qui la prennent dans le

Coran. C'est partout la force et les abus de la force. M. de Mas-Latrie croit que cela est dù à l'établissement des Turcs : « Les temps les plus mauvais de la barbarie et de l'in-

hospitalité du Magreb, écrit-il, les seuls dont l'Europe et l'Afrique semblent avoir aujourd'hui conscience, sans en connaître l'origine, ne datent que du XVIe siècle et de l'établissement des régences barbaresques. A l'époque antérieure, quand il n'y avait en Afrique que des Arabes et des barbares, quelque dégradation qu'eût subie leur état moral, le gouvernement des princes s'inspirait encore de principes de justice d'impartialité et de tolérance. Les traités étaient observés, les tarifs commerciaux régulièrement appliqués, les naufragés assurés de la protection royale, la personne des consuls et des marchands respectée, leurs biens et leur fortune inviolables, leurs demeures, leurs églises et leur culte choses sacrées». Mais quand vinrent les Turcs, adieu la paix!... Il est vrai, je l'ai dit, et M. de Mas Latrie ledit aussi, que pour faire la piraterie, Chrétiens et Turcs se va-

laient. Et quand on veut citer des cas de perfidie, de vol, on ne les trouve pas seulement chez l'infidèle. Qu'on en juge à cet extrait du livre de Thomassy : «Vers 1617 un marseillais nommé Castellane s'établit à Fez comme consul français ; il commit un acte infâme dont la vengeance retomba sur tous les résidents français. Le pays de Fez était alors gouverné par le plus jeune des fils d'Almansor, Muley-Zeidan. La con¬


fiance de ce prince envers le sieur de Castellane était allée jusqu'à lui mettre dans les mains quatre mille volumes aussi précieux par leur reliure que par leur rareté, mais celui-ci, au lieu de les portera leur destination, taisait voile vers la France, lorsqu'il fut capturé par D. Luis Faxardo et mené en Espagne avec le dépôt de livres qu'il enlevait. En apprenant cette nouvelle, Muley-Zeïdan, irrité, fit jeter dans les fers tous les Français qu'il put saisir; et plusieurs d'entre eux y perdirent tous leurs biens. Constantiarrangée le sultan de L'affaire fut par « nople. » n'est pas seulement aux temps passés que nous voyons des exemples d'honnêteté spéciale donnés par les chrétiens dans leurs rapports avec les mulsulmans. La question des protégés, qui est une des plus délicates dans la politique des « puissances « au Maroc, a permis bien des abus dont ne sont point coupables les Marocains. Lisez celte page du voyageur Oscar Lenz, écrite en Ce

1884

:

«Les vices de l'administration de la justice au Maroc, la fantaisie et le manque de préjugés avec lesquels la plupart des gouverneurs et en général des fonctionnaires usent et abusent de leur situation, ont donné lieu à une institution qui a également ses côtés sombres. Beaucoup de sujets du sultan, Arabes aussi bien que Juifs, surtout dans les ports, se sont placés sous la protection d'un consul quelconque, et sont ainsi devenus en quelque sorte les sujets de l'Etat auquel il appartient. Leur motif d'agir ainsi est qu'ils acquièrent une protection plus sûre et une représentation plus active de leurs intérêts, en face des autorités marocaines, que s'ils n'étaient les protégés d'un consul. Le gouvernement marocain s'est vu préparer ainsi bien des difficultés, car certains consuls sans


conscience ne se sont pas fait faute de défendre énergiquement leurs clients, en le menaçant de complications diplomatiques même quand ces clients étaient notoirement dans leur tort. Ce genre de protection a quelques considéré représentants être souvent par pu européens comme une source de profits aussi abondante que constante et les a entraînés à agir en conséquence. Aussi la majorité des consuls cherchent-ils actuellement à régulariser ou même à supprimer le régime de la protection. A la vérité, on entend parler à Tanger, qu'on le veuille ou non, d'une foule d'abus qui ont eu cette origine. Celui de nos lecteurs qu'intéresseraient la chronique scandaleuse du corps diplomatique et ses relations avec les Arabes, les Juifs ou les Chrétiens de Tanger, trouverait, dans un livre publié par M. de Conring(Le Maroc, Berlin, 1880), une foule de détails spirituellement contés à ce propos. On souhaiterait pour l'honneur des représentants des Etats occidentaux qu'ils fussent simplement imaginés. » Des affaires comme celle de Castellane et d'autres encore ne pouvaient améliorer les relations commerciales. Richelieu s'en inquiétait Il confia deux missions au chevalier de Rasilly. Ce chevalier était un officier de marine, le précurseur de ceux qui aujourd'hui encore révent l'expansion commerciale de la France en Afrique. La Revue de Géographie, citée par M. Rouard de Card, à l'excellent ouvrage de qui je fais les plus larges emprunts, a publié un curieux mémoire, dans quoi le chevalier de Rasilly explique au cardinal de Richelieu l'utilité d'une action française au Maroc.

de Les l'Empereur du de Sallé, subjects navyrres «

Marocque, écrivait-il, prennent très grand nombre de navyrres de ce royaulme et gastent nostre trafficq. Fauldroyct les prévenyr. et aller mouiller l'ancre à la rade du dict Sallé avec six navyrres, dont l'un empeschera qu'ils ne puissent entrer ny sortyr sans estre


pris. Et du mesme voyage l'on pourra traicter la paix avec ledit empereur de Marocque, et retirer les pauvres Françoys détenus esclaves, pour la trahison et vol de Cathelane et aultres... Et du mesme voyage que l'on aura retyré les esclaves, l'on pourra laisser cent hommes à l'Isle de Montgaddor, sittuée à portée de canon de la terre ferme, à 32° de latitude, isle très aysée à fortiffyer. Il fauldroyt mettre six pièces de canon et laisser du biscuyt aux cent hommes, et avoyr nombre de planches de sap,pour y fayre des maisons, car d'aultres forteresses, il n'en est pas besoing, d'aultant que l'isle naturellement est toutte fortiffyée. Fauldroyt establyr dans ycelle ung commerce de thoille, fer, drap, et aultres menues marchandises, jusqu'à la somme de cent mil escus par an. L'on aura de la pouldre d'or en payement, dattes et plumes d'autruche. Et l'on pouroyt thirer quelques chevaux barbes des plus forts et meilleurs de l'Affricque. Le proffict de la vente des marchandises pouroyt monter à 30 p. 100 de gain, d'aultant que le voyage est fort court ; car des costes de France, ayant bon vent, l'on y peut estre huict jours. C'est avoyr ung pied dans l'Affricque pour aller s'estendre plus loing». Les diverses missions de Rasilly aboutirent aux deux traités de 1631 et à celui de 1635 que voici.

J'estime ces documents plus intéressants reproduits intégralement que simplement commentés. Ils donnent une idée plus nette des relations historiques, lesquelles font l'objet de cette partie de mon livre.

Traité de paix entre Louis XIII, Empereur de France, et celui du Maroc. Fait à Maroc le 17 septembre 1631.

Au Nom de Dieu tres-pitoiable et tres miséricordieux, auquel tout le monde doit rendre compte, par


commandement du tres-haut, l'Empereur tres-puissant et juste, le Successeur de la Maison du Prophete Mahumet, le Roi Molei Elgualid, et Fatmi, et Hafni et Prophetico. Dieu veuille favoriser son Roiaume, et que ses Armes soient toujours florissantes, et qu'il soit heureux en sa vie. Nous ordonnons avec la faveur de Dieu et son pouvoir et sa main droite avec ses benedictions, ce tres-haut Traité, l'Impérial, le Roial qui est pour le soulagement de tous les maux passez, avec l'aide de Dieu, et pour la continuation de Paix, contracté avec le tres-haut et tres-puissant l'Empereur de France, avec la confiance et seureté qui se doit tant en general que particulier. Sçavoir faisons à tous ceux qui liront et auront connoissance de la teneur du présent Traité, que nous faisons Alliance de nostre tres-Haute Couronne avec celle de l'Empereur Tres-Chrétien, qui professe la Loi du Messie, par l'entremise de tres-nobles, tresprudens et vaillans les Sieurs Chevaliers de Razilli et du Chalard Amiral et Vice-Amiral de la Flotte envoiée par Sa Majesté Tres-Chrétienne en nos côtes d'Afrique, avec pouvoir de faire et signer le présent Traité, pour et au nom du tres-haut et tres-puissant entre tous les Potentats de la Chrétienté, tenant le plus haut Siege de valeur et vertu l'invincible Empereur de France et de Navarre, Fils ainé de l'Eglise, Protecteur de Saint-Siege : afin d'entretenir la Paix et seureté qui a esté par ci-devant entre nos Prédécesseurs et les siens, et pour apaiser la Guerre, laquelle s'est du depuis ensuivie, et tant pour ôter toutes les occasions des maux, plaintes et dommages passez, Esprits la des seureté et cessation des pour que meurtres et captivités. La continuation de cette conformité sera véritable pour le commun Droit des Sujets de l'une et l'autre Couronne suivant les Conditions qui seront ci après déclarées, lesquelles obligent à toute sorte de tranquilité, profit et asseurance des


biens et personnes des dits Sujets, et avec ces Conditions avons accordé ce qui nous a ésté demandé aux Articles suivants : c'est à sçavoir; I. — Que tous les différends, pertes et dommages qui sont arrivez par ci-devant, entre les Sujets de l'une et de l'autre Couronne, seront pour nuls et non advenus. II. — Que tous les Captifs François qui sont et viendront à Salé, Saffi et autres endroits de nos Roiaumes, soient à l'instant donnez pour libres, et que l'on ne les puisse jamais captiver d'oresnavant. III. — Que les Mores ne pourront captiver aucun François que l'on amenera dans les Navires de Tunis ou Alger, et s'ils les acheptent, ne les pourront tenir captifs, ains au contraire seront obligez de les rendre libres. IV. — Que tous les Marchands François qui viendront aux Ports de nos Roiaumes pourront mettre en terre leurs Marchandises, vendre et achepter librement, sans paier aucun Droit que la Dixme et Tavalit reconneu comme aussi de même seront obligez en France les Marchands nos Sujets. V. — Que les Navires des François pourront emporter de nos Ports tout ce qui leur sera nécessaire, et des victuailles la part ou le temps leur offrira : et de même nos Sujets dans les Ports de la France. VI. — Que si la Mer par tourmente jettoit quelques Navires sur nos côtes et sables, qu'aucuns de nos Sujets ne soient si osez de mettre la main en aucune chose des dits Navires, et biens généralement quelconques, ni sur les hommes, ains au contraire qu'ils puissent retirer leurs dits Navires et biens, et les emmener ou emporter où bon leur semblera et de même les Mores en France. VII. — Que si quelqu'un des Navires de nos Sujets prenoit quelques Navires des Ennemis, dans lesquels


se trouvât des dits Chrétiens François seront libres

avec leurs biens. VIII. — Et leurs permettons qu'ils puissent establir des consuls François dans nos ports où bon leur semblera, afin qu'ils soient intercesseurs dans les dits Ports entre les Chrétiens François et les Mores, et autres quels qu'ils puissent estre, soit en leurs ventes ou achapts, et qu'ils les puissent assister en tout ce qui leur pourra arriver de dommages, et ne pourront faire les plaintes en notre Conseil suivant les coûtumes, et que l'on ne les trouble en leur Religion : et que des Religieux pourront estre et demeurer en quelque part que soient establis les dits Consuls exerçant leur dite Religion avec les dits François et non avec d'autre Nation. IX. — Que tous les différends qui arriveront entre les Chrétiens François, soit de Justice ou autrement, l'Ambassadeur qui résidera en nos dits Roiaumes, ou Consuls les pourront terminer, si ce n'est qu'ils veûillent venir par devant nous pour quelque dommage receu. X. — Que s'il arrivoit que les Consuls commissent quelque délit en leurs affaires, leur sera par-

donné.

XI. — Que s'il arrivoit que quelques uns de nos Sujets de ceux qui sont dans nos Ports ne voulussent obéir au présent Traité de Paix, contracté entre nos deux Couronnes, et prissent quelques François Chrétiens par Mer et par Terre seront chatiez, et pour cette occasion ne se pourra rompre la Paix qui est

entre nous. XII. — Que si les navires de nos ennemis estoient dans les Ports de France et en leur protection nos Navires ne pourront les en sortir, et de même les Ennemis de France s'ils estoient dans nos Ports. XIII. — Que l'Ambassadeur de l'Empereur de


France qui viendra en nôtre Cour, aura la même faveur.de respect que l'on rendra à celui qui résidera de nôtre part en la Cour de France. XIV.— Et si ce traité de Paix, contracté entre Nous et l'Empereur de France venoit à se rompre, ce que Dieu ne permette, par quelque différend qui pourroit arriver, tous les Marchands qui seront de l'un Royaume.à l'autre se pourront retirer avec leurs biens où bon leur semblera pendant le temps de deux mois. XV. — Que les Navires des autres Marchands Chrétiens, quoiqu'ils ne soient pas François, venans en nos Roiaumes et Ports avec la Bannière Françoise pourront traiter comme François, ainsi qu'il se pratique en Levant et Constantinople. XVI. — Que le présent Traité de Paix sera publié dans l'étendue des Empires, de Maroc et de France, afin qu'estant sceu, les Sujets de l'une et de l'autre Couronne puissent traiter seurement. Tous les Articles ci-dessus mentionnez sont seize, lesquels sont pour le bien general et particulier, sans qu'il y ait dommage ni préjudice pour le Morisme, ni pour les Mores, d'autant que c'est pour le soulagement et Paix generale, laquelle estoit contractée par ci-devant entre nos predecesseurs de l'une et de l'autre Couronne. Et par ainsi nous concluons avec la faveur de Dieu et son commandement et promet— tous de les executer sans y contrevenir, et nous obligeons à entretenir inviolablement cette paix et union que nous avons signée à Maroc le 18 du mois de Safar 1041 qui est le 17 septembre 1631.

Signé :

ELGUALID.

Et est ecrit le présent Traité en Arabique, sera nul s'il n'est conforme à celui que nous avons signé en

François. Signé : Le chevalier de

RAZILLI,

et du

CHALARD.


Traité entre Louis XIII, Empereur de France, et Molei Elgualid, Empereur de Maroc. Fait en la rade de Saffi, le 24 septembre 1631. Premierement differens les de l'une tous que — et de l'autre Couronne demeurent pour nuls d'oresnavant. II. — Qu'aucuns Mores ni autres Sujets de l'Empereur du Maroc ne pourront estre Captits en France. III. — Que Sa Majesté Tres-Chrétienne emploiera sa faveur pour le rachapt du Morabite nommé Sidi-leRagragri qui est à Malte, ainsi qu'il est porté par la lettre de l'Empereur de Maroc. IV. — Que Sadite Majesté Très-Chrétienne n'assistera ni aidera les Espagnols contre les Sujets dudit Empereur de Maroc, et en cas qu'il les assiste, les François qui se trouveront pris dans les Armemens, seront de bonne prise comme les Espagnols. V. — Que les François ne traiteront avec les Sujets rebelles de l'Empereur de Maroc, tant pour vendre que pour achepter, ni leur fourniront d'Armes et Munitions de Guerres, Navires ni autres choses qui sont ; c'est à sçavoir à Assi, de Messe et autres. VI. — Que si l'Empereur de Maroc a besoin de Navires et Munitions pour son service, il en pourra avoir de France, pourveu que ce ne soit pas contre les Amis de Sa Majesté Tres-Chrétienne. VII. — Qu'en France l'on ne forcera les Mores en ce qui sera de leur Religion, non plus que les François ne le seront dans les Roiaumes de l'Empereur de Maroc, et sans qu'aucune Justice contraigne lesdits Mores. VIII. — Que Sa Majesté Tres-Chrétienne donnera .la liberté aux Mores qui sont dans ses Galleres à I.


Marseille, comme semblablement l'Empereur de Maroc donnera la liberté à tous les François qui se trouveront en ses Roiaumes et Ports. IX. — Que s'il arrivoit quelque différend entre les Mores Marchands qui seront en France, l'Ambassadeur de l'Empereur de Maroc résidant en France les terminera, et le même se fera par l'Ambassadeur ou Consul de France en Affrique. X. — Que s'il arrivoit quelque différend entre les Sujets de Sa Majesté Tres-Chrétienne, et les Sujets de l'Empereur de Maroc, tant par Mer que par Terre, ou aux Ports et Rades de Barbarie, les François ne pourront faire aucune prise sur les Sujets dudit Empereur, ains s'adresseront à ses Juges et Officiers et restitution leur sera faite, ce qui sera réciproquement en France. XI. —Que les Sujets de Sa Majesté Tres-Chrétienne pourront empêcher et défendre qu'aucuns Anglois ou autres Nations puissent trafiquer ni porter aucunes Armes, ni autres choses aux Sujets rebelles de l'Empereur de Maroc. XII. — Que tous les Jugements et Sentences qui seront donnez par les Juges et Officiers de l'Empereur de Maroc entre les Sujets de Sa Majesté Tres-Chrétienne et les Sujets dudit Empereur, seront valablement executez, sans qu'ils s'en puissent plaindre au Roiaume de France, et le même se pratiquera entre les Sujets de Maroc et les François en France. XIII. — Que tous les Navires François qui traite ront aux Roiaumes et Ports de l'Empereur de Maroc, ne pourront tirer desdits Roiaumes de l'or monnoié, comme il estoit accoutumé du tems des Predecesseurs de Sadite Majesté Impériale ; mais pourront transporter toute sorte d'autre Or en Tibar, Lingots, et autre Or rompu et non monnoié, et s'ils en estoient trouvez saisis, sera confisqué en quelque quantité que ce soit. XIV. — Que si les ennemis de l'Empereur de


Maroc portent ou amènent en France de ses Sujets, ils seront mis en liberté de même qu'il a esté accordé pour les Sujets de Sa Majesté Tres-Chrétienne. XV. — Que les François ne pourront traiter de la Paix avec aucuns des sujets de l'Empereur du Maroc, que par mon Autorité ; d'autant que cette Paix sera publiée et exécutée par tous les Roiaumes de Sa Majesté. Et les présens Articles seront signés et scellés de la main et Sceau desdits Sieurs Commandeur de Razilli, du Chalard dont la ratification de Sa Majesté Tres-Chrétienne sera envoiée dans un an à l'Empereur de Maroc. Fait

à la

rade de Saffi, le

24e

jour du mois de septembre

Signé : Le Chevalier de

RAZILLI

et du

1631.

CHALARD.

Traité entre le Roi Louis XIII, Roi de France et de Navarre, et Molei Elgualid, Empereur du Maroc, Roi de Féz, de Suz et de Salé, etc. Fait à Saffi le 18 juillet 1635.

I. — Que leurs Majestez desirans relier leur amitié et bonne correspondance, avec sincere et reciproque affection, ayant esté interrompue par la faute de certains mal-intentionnez, dont la punition sera faite, Promettent que le Traité de la Paix cy-devant faite entre leursdites Majestez, au mois de Septembre 1631, est et demeurera valablement confirmée en tous ses Points et Articles, sans qu'à l'advenir il y puisse estre contrevenu en quelque sorte et maniere que ce

soit. II. — Et s'il arrivoit par l'entreprise d'aucuns des Sujets de leurs Majestés, de contrevenir audit Traité de Paix, que sur la plainte qui leur en sera faite, les


coupables seront chastiez comme criminels, rebelles et perturbateurs du repos public, et seront tenus du dommage des parties. III. — Que tous les François detenus esclaves, pris et retenus depuis le Traité de Paix, seront présentement rendus au sieur du Chalard, pour Sadite Majesté Très-Chrétienne : et de mesme les Sujets du Roy de Maroc, qui luy sont envoyez par Sa Majesté tresChrétienne. IV. — Que les Gouverneurs et habitans des Villes et Forteresses de Salé et autres Sujets du Roi de Maroc, rendront tous les François pris et retenus depuis la Paix, sans paier aucun rachap. Ce que ledit Roi de Maroc leur commandera tres-expressement par de Tres-Royales lettres, et en cas de refus, Sa Majesté Tres-Chretienne se servira de ses moyens, sans que la Paix d'entre leurs Majestez se puisse rompre. V. — Que les Raiz et Capitaines des Vaisseaux des Sujets du Roi de Maroc qui trafiqueront en France, porteront Passe-port de Sa Majesté ou des Gouverneurs des Villes et Ports où ils seront equippez : et de mesme tous les Capitaines ou Maistres de Navires qui arboreront la Bannière Françoise, seront obligez de porter un congé de Sa Majesté Tres-Chrétienne ou de son Eminence le Seigneur Cardinal, Duc de Richelieu Pair, Grand Maistre, Chef et surintendant général de la navigation et du commerce en France. VI. — Ne sera ni pourra estre rien attenté sur les personnes et les biens des Consuls de la Nation Françoise qui seront pourveus des dits offices par Sa Majesté Tres-Chrétienne et établis en chacune des Villes et Ports des Roiaumes et Empire de Maroc, ains en jouiront avec les Privilèges, Franchises, Preeminences, Droits et libertez; appartenans et attribuez ausdits consuls, lesquels seront assistez pour l'exercice de leur Religion, les François et autres


Chrétiens, des Gens d'Eglise François, qui seront envoiez pour demeurer avec les dits consuls en tous lieux d'Afrique. Et seront les dits articles de Paix, du mois de septembre 1631, publiez par.toutes les villes, Ports et Rades des Roiaumes de Leurs Majestez. Lesquels dits présens articles seront signez au nom de Sa Majesté Tres-Chretienne, par le sieur du Chalard, Conseiller en son Conseil d'Estat, et Gouverneur de la Tour de Cordouan, en vertu du Pouvoir et Commission qu'il en a du 24e jour du mois d'octobre 1634, etc... Signé : Louis.


CHAPITRE III

Le traité de 1682. — Louis XIV et les Marocains. — Un bluf réciproque. — L'ambassade marocaine et SaintSimon. — Pidou de Saint-Olon. — La princesse de Conti et le Sultan. l'Islam Turc Une alliance et avec — avec l'Islan du Maroc eût servi les intérêts français. — Décadence du commerce français au XVIIIe siècle. Le traité de 1767. Le sultan et la Révolution. — Le sultan et Napoléon Ier. — Les traités de 1824 et de 1823.,

Louis XIV trouva aussi le temps de s'occuper du Maroc. Roland Fréjus lui demanda et obtint une lettre curieuse pour le sultan Muley-Arxid. Le roi de France recommandait son sujet à Sa Majesté l'Empereur de Maroc... pour le commerce de la poudre et des armes. Le Chérif répondit gracieusement au Roi Soleil qu'il achèterait autant de poudre que le sieur Roland Fréjus voudrait bien lui en apporter. Est-ce parce qu'il acheta beaucoup de poudre que les pirateries reprirent de plus belle et nécessitèrent l'expédition de Salé, où Château-Renaud coula plusieurs corsaires marocains. Il y eut alors négociations et échanges d'ambassades pour aboutir au traité de 1682, que voici.


Articles et Conditions de Paix traitez pour l'ordre exprès de tres-haut, tres-puissant, tres-excellent et tres-invincible Prince Louis XIV, par la grâce de Dieu Empereur de France et Roi de Navarre, avec les Ambassadeurs de tres-haut, tres-excellent, trespuissant et tres-invincible Prince Muley Ismael, Empereur de Maroc, Roi de Fez et de Sus. Fait à Saint Germain en Laye, le vingt-neuvième janvier 1682.

I. — Tous Actes d'Hostilité cesseront à l'avenir entre les Armées de Terre et de Mer, et les Vaisseaux et Sujets de l'Empereur de France, et ceux de l'Empereur de Maroc, Roi de Fez et de Sus. II. — A l'avenir, il y aura Paix entre l'Empereur de France et ses sujets et l'Empereur de Maroc, Roi de Fez et de Sus, et les siens ; et pourront lesdits Sujets réciproquement faire leur commerce dans lesdits Empires, Royaumes et Pays, et naviguer en toute liberté, sans en pouvoir estre empêchez pour quelque cause et sous quelque prétexte que ce soit. III. — Les Vaisseaux armez en guerre dans les Ports de l'Empereur du Maroc, rencontrans en Mer les Vaisseaux et Bâtiments navigans sous l'etendart de France, et les Passeports de l'Admirai de France, conformes à la copie qui sera transcrite en fin du présent Traité, les laisseront en toute liberté continuer leur voyage sans les arrester ni donner aucun empêchement, ains leur donneront tout le secours et assistance dont ils pourront avoir besoin ; et réciproquement les Vaisseaux François en useront de même à l'égard des Vaisseaux des Sujets de l'Empereur de Maroc, qui seront porteurs des Certificats du Consul François qui sera établit à Salé, desquels certificats la copie sera pareillement transcrite en fin du présent Traité.


IV. — Les Vaisseaux de Guerre et Marchands des deux Nations seront reçeus réciproquement dans les Ports et Rades, tant de la domination de l'Empereur de France que de celle de L'Empereur de Maroc, et il leur sera donné toute sorte de secours par les Navires et pour les Equipages et Passages en cas de besoin. Comme aussi il leur sera fourni des vivres, agrez, et généralement toutes autres choses nécessaires, en les payant aux prix ordinaires et accoûtumez dans les lieux où ils auront relâché. V. — S'il arrivoit que quelque Vaisseau marchand François étant dans l'un des Ports ou Rades de la domination de l'Empereur de Maroc, fust attaqué par des Vaisseaux de guerre Ennemis, mesmes par ceux d'Alger et de Tunis, et des autres Ports de la Coste d'Afrique, ils seront deffendus et protegez par le Canon des Châteaux et Forteresses, et il leur sera donné un temps suffisant pour sortir et s'éloigner desdits Ports et Rades pendant lequel seront retenus lesdits Vaisseaux ennemis, sans qu'il leur soit permis de les poursuivre ; Et la mesme chose s'executera de la part de l'Empereur de France, à condition toutefois que les Vaisseaux armez en Guerre par l'Empereur de Maroc ou ses Sujets, ne pourront faire des prises dans l'étendue de six lieuës des Costes de France. VI. — Tous les François pris par les Ennemis de l'Empereur de France, qui seront conduits dans tous les Ports et les Terres de la domination de l'Empereur de Maroc, seront mis aussi-tost en liberté sans pouvoir estre retenus Esclaves, mesmes en cas que les Vaisseaux d'Alger, Tunis et Tripoly, et autres qui sont ou pourront estre en guerre avec l'Empereur de France, missent à terre des Esclaves François, ledit Empereur de Maroc donnera dès à présent ordre à tous ses Gouverneurs de retenir lesdits Esclaves et de travailler à les faire racheter par le Consul François, au meilleur prix qui se poura et pareille chose se pratiquera en France à l'égard des Sujets de l'Empereur de Maroc.


VII. Tous les Esclaves François qui sont à présent dans l'étendue des Terres de la domination dudit Empereur de Maroc, pourront estre racheptez moyennant trois cent livres piece, sans que ceux qui s'en servent à présent puissent en demander un plus grand prix; ce qui sera pareillement observé à l'égard des Enclaves, Sujets dudit Empereur de Maroc qui pourroient estre en France. Et comme par le projet de Trêve fait entre le Sieur de la Barre et l'Alcayde Omar, ledit Alcayde est convenu par le Billet signé de sa main, remis ès mains dudit Sieur de la Barre, qu'il seroit restitué le mesme nombre de François Esclaves qu'il y avoit de Maures sur le vaisseau du nommé Aly Baudit, lesdits Ambassadeurs assuerent qu'aussi-tost que ledit Empereur de Maroc leur Maistre aura connoissance de la vérité du billet donné par ledit Alcayde, il fera restituer le nombre de soixante-cinq François, pour avec vingt que ledit Alcayde a fait restituer, faire le nombre de quatrevingt-cinq, pour l'équivalent du mesme nombre de Maures qui ont été restituez par ledit Sieur de la Barre. VIII. — Les Etrangers passagers trouvez sur les Vaisseaux François, ni pareillement les François pris sur les Vaisseaux Etrangers, ne pourront estre faits Esclaves sous quelque prétexte que ce puisse estre, quand mesme le Vaisseau sur lequel ils auroient esté pris se seroit deffendu. Ce qui aura pareillement lieu à l'égard des Etrangers trouvés sur les Vaisseaux de Maroc, et des Sujets dudit Empereur de Maroc sur des Vaisseaux Etrangers. IX. — Si quelque Vaisseau François se perdoit sur les Costes de la dépendance de l'Empereur de Maroc, soit qu'il fust poursuivi par les Ennemis, ou forcé par le mauvais tems, il sera secouru de tout ce dont il aura besoin pour estre remis en Mer, ou pour recouvrer les Marchandises de son chargement, en payant le travail des journées de ceux qui auront esté em¬


ployez, sans qu'il puisse estre exigé aucun droit ni tribut pour les Marchandises qui seront mises à Terre, à moins qu'elles ne soient vendues dans les Ports de la domination dudit Empereur. X. — Tous Marchands François qui aborderont aux Ports ou Costes du Maroc ou Fez, pourront mettre en Terre leurs Marchandises, vendre et achepter librement sans payer autre chose que ce qu'ont accoûtumé de payer les Sujets dudit Empereur de Maroc, et il en sera usé de la mesme maniere dans les Ports de la Domination de l'Empereur de France, et en cas Marchandises lesdits leurs Marchands missent que ne à terre que par entrepos, ils pourront les rembarquer sans payer aucuns Droits. XI. — Il ne sera donné aucun secours ni protection contre les François aux Vaisseaux de Tripoly, Alger, Tunis, ni ceux qui auront armé sous leur commission : Et fera led. Empereur de Maroc deffenses expresses à tous ses Sujets d'armer sous commission d'aucun Prince ou Estat Ennemi de la Couronne de France. Comme aussi empeschera que ceux contre lesquels ledit Empereur de France est en Guerre puissent armer dans ses ports pour courre sur ses Sujets. XII. — Pourra ledit Empereur de France mettre un Consul à Salé, Telouan, ou tel autre qu'il trouvera bon, pour assister les Marchands François dans tous leurs besoins ; et pourra ledit Consul exercer en liberté dans sa Maison la Religion Chrestienne, tant pour luy que pour tous les Chrestiens qui y voudront assister. Comme aussi pourront les Sujets dudit Empereur de Maroc qui viendront en France, faire dans leur Maison l'exercice de leur religion ; et aura ledit Consul tout pouvoir et jurisdiction dans les differens qui pourront naistre entre les François, sans que les Juges dudit Empereur de Maroc en puissent prendre aucune connoissance. XIII. — S'il arrivoit quelque differens avec un


François et un Maure, ils ne pourront estre jugez par les Juges ordinaires, mais bien par le Conseil dudit Empereur de Maroc ou du Commandant pour lui dans les Ports où lesdits differens arriveront. XIV. — Ne sera ledit Consul tenu de payer aucune debte pour les Marchands François s'il n'y est obligé par écrit ; et seront les effets des François qui mourront audit pays remis ès mains dudit Consul pour en disposer au profit des François, ou autres ausquels ils appartiendront. Et la mesme chose sera observée à l'égard des Sujets de l'Empereur de Maroc qui voudroient s'établir en France. XV. — Jouïra ledit Consul de l'exemption de tous droits pour les provisions, vivres et Marchandises nécessaires à sa Maison. XVI. — Tout François qui aura frapé un Maure ne pourra estre puni qu'après avoir fait appeler ledit Consul pour deffendre la cause du François ; et en cas que ledit François se sauve, ne pourra ledit Consul en estre responsable. XVII. — S'il arrive quelque contravention au présent Traité, il ne sera fait aucun acte d'hostilité qu'après un déni formel de justice. XVIII. — Si quelque Corsaire de France, ou du Royaume de Maroc, fait tort aux Vaisseaux François ou Maures qu'il trouvera en Mer, il en sera puni et les Armateurs responsables. XIX. — Si le présent Traité de paix conclu entre l'Empereur de France et celui de Maroc venoit à être rompu, ce qu'à Dieu ne plaise, tous les Marchands François qui seront dans l'étendue des Terres de la domination dudit Empereur de Maroc pourront se retirer partout où bon leur semblera, sans qu'ils puissent estre arrestez pendant le temps de trois mois. XX. — Les Articles cy-dessus seront ratifiez et confirmez par l'Empereur de France et celuy de Maroc pour estre observez par leurs Sujets pendant le


temps de six ans ; et afin que personne n'en pretende cause d'ignorance seront leus, publiez et affichez partout où besoin sera. Fait et arresté à Saint-Germain-en-Laye, ce vingt-neuvième jour de janvier 1682.

Signé :

COLBERT DE SEIGNELAY. COLBERT DE CROISSY.

De lire les relations, mémoires

et documents de

l'époque, une amusante constatation ressort. Et le Sultan de Maroc et le Roi de France étaient persuadés qu'ils envoyaient chacun leurs ambassadeurs chez des barbares auxquels ils condescendaient à faire un excessif honneur. Les gens soucieux de commerce, qui désiraient avoir la paix au Maroc pour leurs affaires, n'hésitaient point à jurer au Sultan que le Roi de France faisait lui premier toutes ouvertures, et se déclarait honoré si ledit Sultan voulait bien traiter avec lui. Des discours semblables étaient tenus à Louis XIV, aussi quelquefois y eut-il des « accrocs » dans les négociations. Saint-Simon nous le dit avec une magnifique naïveté. Une ambassade du Roi de Maroc, que SaintOlon, envoyé du Roi en ce pays-là, en ramena, amusa tout Paris à aller voir ces Africains. C'était un homme de bonne mine et de beaucoup d'esprit, à ce qu'on dit, que cet ambassadeur. Le Roi fut flatté de cette démarche d'un barbare, et le reçut comme il est usité pour ces ambassadeurs non Européens, Turcs ou Moscovites, jusqu'au czar Pierre Ier. Torcy et Pontchartrain, qui furent ses commissaires, crurent en être venus à bout, lorsqu'il dédit et Saint-Olon et l'interprète, et qu'il ne voulut plus de commerce avec eux, prétendant qu'ils l'avoient engagé sans qu'il leur eût rien dit qui les y pût conduire. Cela fit un assez «


étrange contraste, le jour même d'une conférence à Versailles, où il étoit venu avec eux de Paris, et ne voulut jamais les remmener. Il déclara qu'il ne feroit point la paix, et on fut longtemps à le ramener et à finir un traité. » Quelque chose de pareil est arrivé ces années dernières dans les relations entre la Russie et l'Abyssinie. Un aventurier se présenta chez le Négus en disant qu'il venait comme agent du Tsar. Alors le Négus chargea cet aventurier de porter réponse au Tsar. Et cette réponse fut présentée au Tsar comme une demande d'entrée en relations... lesquelles durèrent quelque temps pour le plus grand bénéfice de l'aventurier. Une « méprise » du même genre explique les « malentendus » qui durèrent si longtemps entre Louis XIV et Mouley-Ismaël. Louis XIV croyait que ce « sauvage » d'Ismaël estimait l'honneur de son alliance alors que Ismaël croyait que ce « chien » de Louis XIV recherchait humblement son amitié. Ces deux orgueils de souverains absolus, qui tous deux se croyaient d'essence divine, leur faisaient oublier l'intérêt qu'ils auraient eu à faire bonne et solide alliance, intérêt que certains de leurs sujets compre-

naient bien. L'appui du Maure fortifiait notre marine dans la Méditerranée et notre commerce avec l'Afrique. L'appui de la France permettait au Maure de se débarrasser de l'Espagnol. Il y eut nouvelle ambassade française. Pidou de SaintOlon partit avec ordre méfiant de la d'agir circonspection, et, se en avec « parole des Maures, de se servir de tout ce qu'il y avait de réel dans les dispositions manifestées par l'Empereur du Maroc pour en tirer tout l'avantage possible en faveur du commerce, de la sûreté de nos


vaisseaux, et de l'exportation des marchandises du royaume. » Mais Pidou de Saint-Olon n'entendait rien à son métier. Surtout il ne comprit pas que, lorsqu'on traduisait à Louis XIV les lettres d'Ismaël, on les interprétait de manière à plaire au Roi et qu'on lui lisait des choses que le Sultan n'avait jamais écrites. Ce bon Pidou, ce bon représentant du Quai d'Orsay de l'époque, est sublime d'idiotie lorsque dans ses mémoires il confesse que le Sultan lui répondit par des propositions si extraordinaires et si opposées à la lettre qu'il avait

écrite au Roi, qu'il ne crut pas devoir s'y arrêter...

!

Alors rien de fait. Les hommes éclairés qui voulaient unir les deux pays ensuite d'Ismaël le bien des deux obtinrent pour pays qu'il envoyât nouvelle ambassade au Roi de France capable de l'aider contre l'Espagne. Mais l'Espagne avait des amis autour du Roi, et le Roi lui-même n'entendait rien, absolument rien à la politique française dans la Méditerranée. Aussi Benaïcha, le « barbare », comme l'appelait Saint-Simon, plus haut cité, amusa les Parisiens, s'en amusa surtout, et, de sa mission, rapporta au Maroc que la princesse de Conti était une belle fille... si bien que sur le rapport enthousiaste de main Roi la demanda ambassadeur, Sultan le au son de cette belle princesse. Que me demandez-vous, superbe Tingitane, Osez-vous y penser; La fille de Louis jusqu'au rang de Sultane

Peut-elle s'abaisser.

Ces mauvais vers de Senecé disent quelle fut la ré-

ponse du Roi, laquelle ne fut certainement transmise telles Sultan qu'avec des et formes atténuées » au «

qu'il convenait pour qu'il n'arrivât point malheur à celui qui la transmettait.


Louis XIV écoulait peu de gens. Il est regrettable que parmi ceux qu'il écoulait, personne n'eût compris l'avantage, la nécessité d'une alliance avec les forces de l'Islam, contre les forces qui se développaient en Europe en menaçant la force française. Les conseillers de l'Islam l'avaient compris. Du temps de François Ier, le Turc demandait à s'allier avec nous. Du temps de Louis XIV, il le demandait encore, et le Marocain le demandait aussi. En 1709, au moment où nous étions au plus bas, Mouley écrivait que « si la France avait besoin d'un secours de troupe pour se défendre contre la Maison autrichienne, il était prêt à l'envoyer tant en cavalerie qu'en infanterie ». La France alliée de l'Islam... François Ier avait eu ce rêve ! La réalisation en eût changé la face du monde. Les moines de Rome ne l'ont pas permis aux rois de France. Les moines de la Mecque ne le permettent plus aux souverains musulmans. Jamais on ne saura tout le mal fait à la civilisation Quoi Jamais... qu'il religion... de les moines toute par en soit, au XVIIIe siècle, les rapports commerciaux entre la France et le Maroc étaient considérables. En 1733, nous vendions au Maroc pour 640.000 livres de toiles de France, « telles que les Laval, les Bretagne et les Cambrai », et pour 900.000 livres de draps, papier, de quincaillerie, sortant etc., coton, nos manusucre, factures. Mais, si nous en croyons Thomassy, la décadence arrivait non moins rapide. Vers 1750, les bâtiments français pour le Maroc n'étaient plus que de 10 à 12 par de qu'un 4 à plus représentaient et commerce ne an 500 mille livres. Plusieurs pièces inédites nous apprennent aussi qu'à cette époque une foule de petits commerçants se rendaient au Maroc et compromettaient notre réputation commerciale par des entreprises « mal conçues ».


En 1764, un grand mouvement d'opinion se produisit chez nous en faveur du Maroc. C'est à cette date qu'un jeune officier de marine, qui devait être plus tard le bailli de Suffren, adressait au roi un mémoire préconisant notre établissement aux tles Zaffarines. . En 1767, nous signions avec le Maroc un traité important que voici :

Traité de paix et d'amitié entre ta France et le Maroc le 28 mai 1767. Que le nom de Dieu unique soit loué ! Traité de paix et d'amitié conclu (le dernier jour de la lune Hagat-el-Haram, dernier mois de l'an 1180 qui est le 28 du mois de mai de l'an 1767 de l'ère chrétienne) entre le très puissant Empereur de France Louis quinzième de son nom, et le pieux Sidy-MuleyMouhamed, fils de Sidy-Muley-Abdallah, fils de SidyMuley-Ismaël, de glorieuse mémoire, Empereur du Maroc, Fez, Miquenez, Sus, Tafilet et autres lieux, par l'entremise de Son Excellence M. le Comte de Breugnon, ambassadeur muni des pleins pouvoirs de son Empereur, aux conditions ci-après. ART. 1. — Le présent traité a pour base et fondement celuy qui fut fait et conclu entre Louis XIV, Empereur de France, de glorieuse mémoire, et très haut et très puissant Empereur Sidy Ismaël, que Dieu ait béni. ART. 2. — Les sujets respectifs des deux Empires pourront voyager, trafiquer et naviguer en toute assurance et partout où bon leur semblera par terre et par mer, dans la domination des deux Empires sans craindre d'être molestés, ni empêchés sous quelque prétexte que ce soit. ART.3. — Quand les armements de l'Empereur du


Maroc rencontreront en mer des navires marchands portant Pavillon de l'Empereur de France et ayant passeports de l'amiral dans la forme transmise au bas du présent traité, ils ne pourront les arrêter, ni les visiter, ni prétendre absolument autre chose que de présenter leurs passeports et, ayant besoin l'un de l'autre, ils se rendront réciproquement des bons offices ; et quand les vaisseaux de l'Empereur de France rencontreront ceux de l'Empereur du Maroc, ils en useront de même et ils n'exigeront autre chose que le certificat du consul François établi dans les Etats du dit Empereur dans la forme transcrite au bas du présent Traité. Il ne sera exigé aucuns passeports des vaisseaux de guerre françois, grands ou petits, attendu qu'ils ne sont pas en usage d'en porter: et il sera pris des mesures dans l'espace de six mois pour donner aux petits bâtiments, qui sont au service du Roy, des signes de reconnaissance dont il sera remis des copies par le consul aux corsaires de l'Empereur du Maroc ; il a été convenu de plus que l'on se conformera à ce qui se pratique, avec les corsaires de la régence d'Alger, à l'égard de la chaloupe que les gens de mer sont en usage d'envoyer pour se reconnaître. ART. 4. — Si les vaisseaux de l'Empereur du Maroc entrent dans quelque port de la domination de l'Empereur de France, ou si respectivement les vaisseaux françois entrent dans quelqu'un des ports de l'Empereur du Maroc, ils ne seront empêchés ni les uns ni les autres de prendre à leur bord toutes les provisions de bouche dont ils peuvent avoir besoin et il en sera de même pour tous les agrès et autres choses nécessaires à l'avitaillement de leurs vaisseaux, en les payant au prix courant, sans autre prétention ; ils recevront d'ailleurs tous les bons traitements qu'exigent l'amitié et la bonne correspondance. nations deux Les ART. 5. respectives pourront — librement entrer et sortir à leur gré, et en tout temps,


des ports de la domination des deux Empires et y trafiquer en toute assurance, et si par hasard, il arrivait que leurs marchands ne vendissent qu'une partie de leurs marchandises et qu'ils voulussent remporter le restant, ils ne seront soumis à aucun droit pour la sortie des effets invendus : les marchands François pourront vendre et acheter dans toute l'étendue de l'Empire du Maroc, comme ceux des autres nations, sans payer

aucun droit de plus : et si jamais il arrivait que l'Emreur du Maroc vînt à favoriser quelques autres nations, sur les droits d'entrée et de sortie, dès lors les François jouiront du même privilège. ART. 6. la paix qui est entre l'Empereur de Si — France et les régences d'Alger, de Tunis et deTripoly et autres venait à se rompre, et qu'il arrivât qu'un navire François, poursuivi par un ennemi, vînt à se réfugier dans les ports de l'Empereur du Maroc, les gouverneurs desdits ports sont tenus de le garantir et de faire éloigner l'ennemi, ou bien de le retenir dans le port un temps suffisant pour que le vaisseau puisse luy-même s'éloigner, ainsi que cela est généralement usité : de plus, les vaisseaux de l'Empereur du Maroc ne pourront croiser sur les côtes de France qu'à trente milles loin des côtes. ART. 7. — Si un bâtiment ennemi de la France venait à entrer dans quelque port de la domination du Roy du Maroc, et qu'il se trouve des prisonniers François qui soient mis à terre, ils seront dès l'instant libres et ôtés du pouvoir de l'ennemi ; il en sera usé de même si quelque vaisseau ennemi de l'Empereur du Maroc entre dans quelque port de France et qu'il mette à terre des sujets dudit Empereur. Si les ennemis de la France, quels qu'ils soient, entrent avec des prises françoises dans les ports de l'Empereur du Maroc, ou qu'alternativement les ennemis de l'Empereur du Maroc entrent avec des prises dans quelque port de France, les uns et les autres ne pourront vendre leurs prises dans les deux empires, et les passagers, fussent-


ils même ennemis, qui se trouveront réciproquement embarqués sur les pavillons des deux empires, seront de part et d'autre respectés, et on ne pourra, sous aucun prétexte, touchera leurs personnes ou à leurs biens, et si, par hasard, il se trouvait des François passagers sur des prises faites par les vaisseaux de l'Empereur du Maroc, ces François, eux et leurs biens, seraient aussitôt mis en liberté, et il en sera de même des sujets de l'Empereur du Maroc, quand ils se trouveront passagèrement sur des vaisseaux pris par les François ; mais si les uns ou les autres étaient matelots, ils ne jouiront plus de ce privilège. ART. 8. — Les vaisseaux marchands François ne seront point contraints de charger, dans leur bord, contre leur gré, ce qu'ils ne voudront pas, ni d'entreprendre aucun voyage forcément et contre leur volonté. ART. 9. — En cas de rupture entre l'Empereur de France et les régences d'Alger, de Tunis et de Tripoly, l'Empereur du Maroc ne donnera aucun aide, ni assistance aux dites régences en aucune façon, et il ne permettra à aucun de ses sujets de sortir, ni d'armer sous aucun pavillon desdites régences, pour courir sur les François, et si quelqu'un desdits sujets venait à y manquer, il sera puni et responsable dudit dommage. L'Empereur de France de son côté en usera de même avec les ennemis de l'Empereur du Maroc, il ne les aidera, ni ne permettra à aucun de ses sujets de les aider. ART. 10. — Les François ne seront tenus, ni obligés de fournir aucune munition de guerre, poudre, canon ou autres choses généralement quelconques servant à l'usage de la guerre. L'Empereur France ART. II. de établir, dans peut — l'Empire du Maroc, la quantité de Consuls qu'il voudra, pour y représenter sa personne dans les ports dudit Empire, y assister les négociants, les capitaines et matelots en tout ce qu'ils pourront avoir besoin, entendre


leurs différends et décider des cas qui pourront survenir entre eux, sans qu'aucun gouverneur des places où ils se trouveront puisse les empêcher. Les dits Consuls pourront avoir dans leurs maisons leurs églises pour y faire l'office divin et si quelqu'une des autres nations chrétiennes voulait y assister, on ne pourra y mettre obstacle ni empêchement ; et il en sera usé de même à l'égard des sujets de l'Empereur du Maroc, quand ils seront en France : ils pourront librement faire leurs prières dans leurs maisons. Ceux qui seront aux services des consuls, secrétaire, interprète, courtiers ou autres, tant au service des consuls que des marchands, ne seront empêchés dans leurs fonctions et ceux du pays seront libres de toute imposition et charge personnelle ; il ne sera perçu aucun droit sur les provisions que les Consuls achèteront pour leur propre usage, et ils ne payeront aucun droit sur les provisions ou autres effets à leur usage, qu'ils recevront d'Europe, de quelque espèce qu'ils soient ; de plus, les Consuls François auront le pas et préséance sur les consuls des autres nations, et leur maison sera respectée et jouira des mêmes immunités qui seront accordées aux autres. ART. 12. — S'il arrive un différend entre un Maure et un François, l'Empereur en décidera, ou bien celuy qui représente sa personne, dans la ville où l'accident sera arrivé, sans que le Cady ou le Juge ordinaire puisse en prendre connaissance; et il sera usé de même en France, s'il arrive un différend entre un François et un Maure. ART. 13. — Si un François frappe un Maure, il ne sera jugé qu'en la présence du Consul qui défendra sa cause, et elle sera décidée avec justice et impartialité ; et au cas que le François vînt à s'échapper, le Consul n'en sera point responsable ;et si, par contre, un Maure frappe un François, il sera châtié suivant la justice et l'exigence du cas. ART. 14. — Si un François doit à un sujet de L'em¬


pereur de Maroc, le Consul ne sera responsable du payement que dans le cas où il aurait donné son cautionnement par écrit : alors il sera contraint de payer ; et par la même raison, quand un Maure devra à un François, celuy-cy ne pourra point attaquer un autre Maure à moins qu'il ne fût caution du débiteur. Si un François venait à mourir dans quelque place de l'Empereur du Maroc, ses biens et effets seront à la disposition du Consul qui pourra y mettre le scellé, faire l'inventaire et procéder enfin, à son gré, sans que la justice du pays ni le gouvernement puissent y mettre le moindre obstacle. ART. 15. — Si le mauvais temps ou la poursuite d'un ennemi forcent un vaisseau François à échouer sur les costes de l'Empereur du Maroc, tous les habitants des costes où le cas peut arriver seront tenus de donner assistance pour remettre ledit navire en mer, si cela est possible ; et si cela ne se peut, ils l'aideront à retirer les marchandises et effets du chargement dont le consul le plus voisin du lieu (ou son procureur) disposera suivant leur usage: et l'on ne pourra exiger que le salaire des journaliers qui auront travaillé au sauvetage ; de plus, il ne sera perçu aucun droit de douane ou autre sur les marchandises qui auront été déposées à terre, excepté celles que l'on aura vendues. ART. 16. — Les vaisseaux de guerre François, entrant dans les ports et rades de l'Empereur du Maroc, dus leur les honneurs à salués et seront avec y reçus pavillon, vu la paix qui règne entre les deux empires ; et il ne sera perçu aucun droit sur les provisions et autres choses que les commandants et officiers pourront acheter, pour leur usage ou pour le service du vaisseau, et il en sera usé de même envers les vaisseaux de l'Empereur du Maroc, quand ils seront dans les ports de France. ART. 17. — A l'arrivée d'un vaisseau de l'Empereur


de France dans quelque port ou rade de l'Empire du Maroc, le Consul du lieu en avisera le gouverneur de la Place, pour prendre ses précautions et garder les esclaves pour qu'ils ne s'évadent pas dans ledit vaisseau, et au cas que quelque esclave vînt à y prendre asile, il ne pourra être fait aucnne recherche à cause de l'immunité et des égards dus au pavillon ; de plus le Consul ni personne autre ne pourra être recherché à cet effet; et il en sera usé de même dans les ports de la France, si quelque esclave venait à s'échapper et passer dans quelque vaisseau de guerre de l'Empereur du Maroc. avoir ART. 18. pourraient Tous qui les articles — été omis, seront entendus et expliqués de la manière la plus favorable pour le bien et l'avantage réciproque des sujets des deux empires, et pour le maintien et la conservation de la paix et de la meilleure intelligence. ART. 19. — S'il venait à arriver quelque contravention aux articles et conditions sur lesquels la paix a été faite, cela ne causera aucune altération à ladite paix : mais le cas sera mûrement examiné et la justice sera faite de part et d'autre, les sujets des deux empires qui n'y auront aucune part n'en seront point inquiétés, et il ne sera fait aucun acte d'hostilité, que dans le cas d'un déni formel de justice. ART. 20. —Si le présent traité de paix venait à être rompu, tous les François qui se trouveraient dans l'étendue de l'empire du Maroc auront la permission de se retirer dans leur pays avec leurs biens et leurs familles, et ils auront pour cela le temps et le terme de six mois. Ce traité est signé personnellement par le Roy du Maroc et affirmé de sa tape ou sceau privé. L. S. Le soussigné, ambassadeur de l'Empereur de France et muni de ses pleins pouvoirs datés de Versailles du 23 mars dernier, déclare avoir terminé et conclu le présent traité de paix, d'amitié et de commerce


entre l'Empereur de France et l'Empereur du Maroc, et à icelui fait opposer le sceau de ses armes. Fait à Maroc, le

28 mai 1767.

Le Comte BREUGNON.

traité dut donner beaucoup de satisfaction aux scribes de nos affaires étrangères... belle pièce, monsieur, magnifique pièce pour les archives... ! Au Maroc je suis bien assuré qu'on s'en moquait. Et ce serait une étude bien curieuse que de grouper tous les faits capables de montrer en bonne lumière historique cette comédie vaudevillesque des rapports diplomatiques entre les deux cours de Fez et de Versailles tels qu'ils se poursuivaient dans une adorable et sereine méprise mutuelle. Le protocole était parfait... Louis XVI notifia son avènement au Sultan, lequel envoya (1777) une ambassade à son « bon ami de France ». Shaell a publié dans son Histoire des Traités et Rouard de Cart a reproduit une bien amusante pièce qui tendrait à prouver que le Sultan considérait bien le Roi comme son « bon ami » et qu'il fut affligé par la Révolution. Ce

J'ai été informé, aurait écrit le sultan, en 1793, que tous les souverains d'Europe, l'Impératrice de Russie, l'Empereur d'Allemagne, les Rois d'Espagne, d'Angleterre, de Portugal et de Prusse, la République de Hollande et enfin tous les souverains qui professent la foi de Jésus, ont réuni toutes leurs forces pour restituer au fils du roi de France, si méchamment tué, le trône avec son ancienne autorité, et au Royaume ses lois, ses anciennes coutumes et sa constitution «

primitive. « Je déclare à la face de la terre que je pense comme


tous ces grands monarques, et que je crois que leurs plans devront être exécutés pour le bonheur du monde et de tous les mortels en particulier, car tout ce que les souverains ont fait ou font encore, est la volonté d'un Dieu juste et tout-puissant qui désire qu'on vienne au secours des malheureux persécutés. « En conséquence, j'offre de coopérer de toutes mes forces à cette grande entreprise, et je défends l'entrée de nos Etats à tous ces rebelles et méchants qui ne reconnaissent pas leur légitime souverain et roi. » Discuter l'authenticité de cette pièce me paraît dénué de tout intérêt. Il est plus amusant de rappeler, d'après M. Malavialle, comment Soliman devint solliciteur auprès de Napoléon 1er. Vers 1808, une belle fille de Corse avait de Maroc. du sultan harem de favorite dans le rang Cette excellente créature n'oubliait point sa famille. Arrivée aux honneurs, elle songeait à sa mère et surtout à son frère. Elle pensa qu'une recommandation de son de de l'effet chez l'empereur aurait son empereur frère... un « pays » d'ailleurs... Et tant fit-elle auprès de son impérial propriétaire, le sultan de Maroc, que ce bon Soliman envoya à Napoléon Une ambassade chargée de recommander tout spécialement le frère do la belle favorite corse pour un poste important. « Mais, ajoute

sultan fut jugé incapable malgré cette haute protection. » Quand je vous disais qu'on trouvait du vaudeville dans les relations diplomatiques entre la France et le Maroc. M. Malavialle, le beau-frère du

On s'occupait tout de môme quelquefois de choses

plus sérieuses que l'avancement des parents des filles du harem. Ainsi en 1824 et 1825, deux actes, que voici encore :


Articles additionnels aux traités de 1767 entre la France et le Maroc, conclu à Wtiarga, le 17 mai 1824.

Gloire à Dieu qui est unique. Loin de nous, Grand Dieu, les attributs qu'ils vous donnent ! Le consul de France, Sourdeau, après avoir remis à Notre Majesté une lettre du Roi Louis XVIII et nous avoir présenté le Traité de paix qu'il dit avoir été fait entre nos illustres aïeux (que Dieu sanctifie leurs cendres) et la nation française, nous ayant demandé de marcher sur les traces des mêmes ancêtres auxquels nous avons succédé, nous en confirmons les vingt articles ci-contre, dont le premier commence base, le derle Traité et présent pour mots : a par ces nier par ceux-ci : si le présent Traité vient à être rompu. Vu l'amitié que la Nation française porte à notre Cour, et son attention pour ce qui regarde nos affaires, raison qui nous la fait distinguer des autres Puissances, et préférer dans notre amitié, nous voulons que tous nos officiers, chargés d'exécuter nos ordres, aient pour son consul, ses gens et ceux attachés à lui, toutes sortes d'égards et de considération, et cela à cause de l'estime méritée que nous avons pour sa nation. I° De plus, nous accordons aux armements de guerre français, lorsqu'ils amèneront dans nos ports protégés de Dieu des prises faites au delà de la portée de nos canons et hors de notre protection, sur des nations chrétiennes avec lesquelles ils seraient en guerre, la faculté entière de les vendre, s'ils le veulent, soient empêchés par aucun des officiers qu'ils en sans exécuteurs de nos ordres, sous la condition de payer les droits de douane voulus par l'usage; — 20 Pareillement, les armements de guerre français qui se ren¬


dront dans les ports protégés de Dieu et qui auront besoin de s'approvisionner en boeufs, poules et autres articles de subsistance, en sus de ce qu'ils chargent ordinairement sans payer de droits, le chargeront ; mais ils paieront des droits de douane qui existeront lorsqu'ils opéreront leurs chargements. Cet ordre a été rendu le 18 ramadan très révéré l'an 1239 (17 mai 1824). SOURDEAU, Consul général, Chargé d'affaires du Roi au Maroc. (Grand sceau de l'Empereur) MULEI-ABD-EL-RHAHAMAN.

Articles additionnels conclus le 28 mai 1825, entre la France et le Maroc, portant renouvellement des traités subsistants entre les deux Empires. Gloire à Dieu, lui seul suffit. Salut à ceux de ses serviteurs qu'il a élus. (Ici le sceau de l'Empereur du Maroc). Ce rescrit respectable de N. M. est pour faire connaître clairement que sur l'envoi que S. M. le Roi Louis fit à N. M. d'un ambassadeur français pour renouveler le traité passé entre nos aïeux (que Dieu leur soit propice) et ses ancêtres, et confirmer les articles de la paix et de la bonne union qui existent entre les deux Empires, nous avons rempli ses désirs et satisfait à ses demandes par l'article additionnel scellé de notre sceau impérial, inscrit à la page ci-après et placé au dos du premier article du traité. Peu après la ratification, le souverain susdit mourut; et son frère, notre ami, le Très Haut et Très Fortuné Roi Charles, étant monté au trône de ses ancêtres, nous a adressé une députation avec une lettre de sa


part que nous recevons actuellement, pour nous demander de renouveler le Traité et d'en assurer les bases en le confirmant. Pour satisfaire à ces intentions et désirant d'autant plus maintenir la paix et les Traités, que le Gouvernement français est, auprès de notre cour, le plus favorisé, parce que de tout temps, il s'est étudié à faire ce qui pouvait nous être agréable et être utile à notre service, nous suivrons le traité dans toute sa teneur et nous vivrons avec S. M. dans le même état de paix, bonne union et affection sincère qui a existé, sans y porter la moindre atteinte, ni l'altérer en rien, s'il plaît à Dieu. C'est à ces causes que nous émanons le présent Ordre impérial et exécutoire. Fait le 10 de Chaoual, mois très béni en 1240 (26 mai 1825). Et enfin nous ferons pour la Nation française ce que nous ferons pour celle des Nations chrétiennes la mieux accueillie et la plus favorisée de notre Cour. Approuvé ce dernier paragraphe portant la même date que dessus (sceau de l'Empereur).


CHAPITRE IV

La conquête algérienne. convention La de 1844 et le — traité de 1845. — Les troubles. — Les autres actes officiels. — Le règlement de 1863 sur la protection à Tanger. — La convention de Tanger en 1865. — La convention de Madrid, 3 juillet 1880. — Lettre chérifienne sur un accord commercial du 24 octobre 1892. — Les

traités du Maroc avec les autres puissances.

Et ce fut ensuite notre conquête algérienne. Dire qu'elle fit plaisir au Maroc serait exagérer. Sans doute le Maroc avait eu souvent maille à partir avec les Turcs. Et des guerres sanglantes avaient plus d'une fois lancé les vrais croyants du Maghreb contre les « moins vrais » croyants du royaume de Tlemcen. Le souverain de Fez n'avait repris Oudjda qu'en 1795. Entre les deux royaumes il y avait souvent des coups de fusil... Mais voir le drapeau d'une nation chrétienne remplacer l'étendard d'une nation musulmane, même ennemie, ne pouvait réjouir le sultan du Maroc... Aussi avoir voulu qu'en vertu des traités anciens qu'on vient de lire, il nous soutînt dans notre oeuvre de conquête algérienne, qu'il nous aidât, joyeusement, sincèrement, dans notre installation à coté de chez lui, cela dénote, chez les diplomates, les guerriers, les hommes d'Etat et les historiens qui ont exprimé ce désir... une belle santé... comme on dit aujourd'hui dans les salons du grand monde.


Nous arrivons à la période obscure, à la phase volontairement obscurcie, de nos relations avec le Maroc. L'essence officielle de celte histoire, M. de la Martinière nous la donne en sa notice de la Grande Encyclopédie.

Et c'est

:

l'occupation d'Oran devait avoir un profond retentissement au Maroc et à la cour chérifienne en particulier. On sait que Maulay-Abderraman essaya alors de s'emparer de Tlemcen. Il y était également poussé par l'orgueil fanatique de son entourage et par les intrigues étrangères. La mission du comte d'Auvray, envoyée à cet effet à la cour de Fez pour faire renoncer le chérif à ses visées, ne paraît pas avoir eu grand effet, car Abderraman n'en persista pas moins à charger son neveu Mauley-Ali de garder le rayaume de Tlemcen, et il envoya lui-même des agents jusqu'à Médéah et Milianah se faire reconnaître par les populations, comme gouverneurs au nom du Makhzen marocain. Il fallut la mission spéciale de M. de Mornay qui, en 1823, se rendit à Méquinez lui porter un ultimatum très net pour le faire renoncer à ses prétentions. Dans la suite, la cour chérifienne n'en devait pas moins aider de toute son influence Abd-el-Kader, qui reçut même, dit-on, à Taza, un burnous d'investiture d'Abderraman. Ce fut du reste par la voie du Maroc qu'Abd-el-Kader tira tous ses approvisionnements et munitions-durant sa lutte contre les Français d'Algérie. On en eut les preuves les plus décisives et le colonel de la Rue fut envoyé à Méquinez afin de rappeler le sultan à l'observation de la neutralité. La révolte des Oudaïa qui arriva sur ces entrefaites devait l'y forcer tout naturellement; mais, peu après les difficultés augmentèrent le long de la frontière oranaise que les Marocains voulaient reculer à la Tafna. Le sultan ayant concentré des troupes considérables à Oudjda, « La prise d'Alger et


l'audace guerrière des populations ne cessa d'augmenter; la situation devint intolérable, jusqu'au moment où les agressions se multiplièrent. Le maréchal Bugeaud dut engager l'action, prendre Oudjda et enfin, le 14 août 1844, l'armée marocaine, commandée par Sidi-Mohammed, fils d'Adberraman, fut complètement défaite à la bataille de l'Isly. Pendant ce temps, le prince de Joinville bombardait. Tanger et Mogador. La paix fut ensuite conclue... » Elle le fut par la convention de 1844 et le traité de 1845, que voici :

Convention conclue à Tanger le 10 septembre 1844, paur régler et terminer les différends survenus entre la France et le Maroc.

Français, d'une part, et S. M, l'Empereur du Maroc, Roi de Fez et de Suz, de l'autre part, désirant régler et terminer les différends survenus entre la France et le Maroc et rétablir conformément aux anciens traités, les rapports en bonne entente qui ont été un instant suspendus entre les deux Empires, ont nommé et désigné pour leurs Plénipotentiaires : S. M. l'Empereur des Français, le sieur AntoineMarie Daniel Doré de Nion, officier de la Légion d'honneur, chevalier de l'ordre royal d'Isabelle-laCatholique, chevalier de première classe de l'ordre Grand-Ducal de Louis de Hesse, son consul général et chargé d'affaires près S. M. l'Empereur du Maroc et le sieur Louis Charles-Elie Decazes, comte Decazes, duc de Glücksberg, chevalier de l'ordre royal de la Légion d'honneur, commandeur de l'ordre royal du Dandbrog et de l'ordre royal de Charles III d'Espagne, S. M. L'Empereur des


chambellan de S. M. Danoise chargé d'affaires de S. M. l'Empereur des Français auprès de S. M. l'Empereur du Maroc ; Et S. M. l'Empereur du Maroc Roi de Fez et de Suz, l'agent de la Cour très élevée par Dieu Sid-Bou-Selam Ben-Ali, lesquels ont arrêté les stipulations suivantes: ART. Ier. — Les troupes marocaines réunies extraordinairement sur la frontière des deux Empires, ou dans le voisinage de ladite frontière seront licenciées. S. M. L'Empereur du Maroc s'engage à empêcher désormais tout rassemblement de cette nature. Il restera seulement, sous le commandement du caïd de Oueschda un corps dont la force ne pourra excéder habituellement deux mille(2,ooo)hommes. Ce nombre pourra toutefois être augmenté si des circonstances extraordinaires, et reconnues telles par les deux Gouvernements, le rendent nécessaire dans l'intérêt commun. ART. 2. — Un châtiment exemplaire sera infligé aux chefs marocains qui ont dirigé ou toléré les actes d'agression commis en temps de paix sur le territoire de l'Algérie contre les troupes de l'Algérie contre les troupes de S. M. L'Empereur des Français. Le Gouvernement Marocain fera connaître au Gouvernement Français les mesures qui auront été prises la clause. de l'éxécution présente pour ART, 3. — S. M. L'Empereur du Maroc s'engage de nouveau, de la manière la plus formelle et la plus absolue, à ne donner, ni permettre qu'il soit donné dans ses Etats, ni assistance, ni secours en argent, munitions ou objets quelconques de guerre à aucun sujet rebelle ou à aucun ennemi de la France. ART. 4. — Hadj-Abd-el-Kader est mis hors la loi dans toute l'étendue de l'Empire du Maroc, aussi bien qu'en Algérie. Il sera, en conséquence, poursuivi à main armée par les Français sur le territore de l'Algérie, et par les Marocains sur leur territoire jusqu'à ce qu'il en soit expulsé ou qu'il soit tombé au


pouvoir de l'une ou l'autre nation. Dans le cas où Abd-el-Kader tomberait au pouvoir des troupes françaises, le gouvernement de S. M. L'Empereur des Français s'engage à le traiter avec égard et générosité. Dans le cas où Abd-el-Kader tomberait au pouvoir des troupes marocaines, S. M. l'Empereur du Maroc s'engage à l'interner dans une des villes du littoral ouest de l'Empire jusqu'à ce que les deux Gouvernements aient adopté de concert les mesures indispensables pour qu'Abd-el-Kader ne puisse, en aucun cas, reprendre les armes et troubler de nouveau la tranquillité de l'Algérie et du Maroc. ART. 5. — La délimitation des frontières entre les possessions de S. M. l'Empereur des Français et celles de S. M. l'Empereur du Maroc reste fixée et convenue conformément à l'état de choses reconnu par le Gouvernement marocain à l'époque de la domination des Turcs en Algérie. L'exécution complète et régulière de la présente clause fera l'objet d'une convention spéciale négociée et conclue sur les lieux, entre les plénipotentiaires désignés à cet effet, par S. M. l'Empereur des Français et un délégué du Gouvernement marocain. S. M. l'Empereur du Maroc s'engage à prendre sans délai, dans ce but, les mesures convenables, et à en informer le Gouvernement français. ART. 6. — Aussitôt après la signature de la présente convention, les hostilités cesseront de part et d'autre. Dès que les stipulations comprises dans les articles I, la été exécutées satisfaction à du auront et 5 4 2, Gouvernement français, les troupes françaises évacueront l'île de Mogador ainsi que la ville de Oueschda, et tout les prisonniers faits de part et d'autre seront remis immédiatement à la disposition des deux nations respectives. ART. 7. — Les deux H. P. C. s'engagent à procéder de bon accord, et le plus promptement possible, à la conclusion d'un nouveau traité qui, basé sur les traités actuellement en vigueur, aura pour but de les conso¬


lider et de les compléter, dans l'intérêt des relations commerciales des deux Empires. En attendant, les anciens traités seront scrupuleusement respectés et observés dans toutes leurs clauses, et la France jouira, en toute chose et en toute occasion, du traitement de la nation la plus favorisée. ART. 8. —La présente Convention sera ratifiée et les satisfactions en seront échangées dans un délai de deux mois ou plutôt si faire se peut. Ce jourd'hui, le 10 septembre de l'an de grâce 1844 (correspondant au 25 du mois de Chaaban de l'an de l'Hégire 1260) les plénipotentiaires ci-dessus désignés de leurs Majestés les Empereurs des Français et du Maroc, ont signé la présente convention et y ont apposé leurs sceaux respectifs. Ant. M. O. DORÉ DE NION DECAZES, duc de Glucksberg. (Place du cachet du plénipotentiaire marocain).

Traité de délimitation conclu le 18 mars 1845 entre la France et le Maroc. Louanges à Dieu Unique ! Il n'y a de durable que le royaume de Dieu ! Traité conclu entre les Plénipotentiaires de l'Empereur des Français et des possessions de l'Empire d'Algérie et de l'Empereur du Maroc, de Suz et Fez et des possessions de l'Empire d'Occident. Les deux Empereurs, animés d'un égal désir de consolider la paix heureusement rétablie entre eux, et voulant, pour cela, régler de manière définitive l'exécution de l'article 5 du Traité du 10 septembre de Tan de grâce 1844 (24 cha'ban de l'an 1260 de l'hégire).


Ont nommé pour leurs Commissaires Plénipotentiaires à l'effet de procéder à la fixation exacte et définitive de la limite de souveraineté entre les deux pays, savoir : L'empereur des Français, le sieur Aristide-Isidore, comte de la Rue, Maréchal de camp dans ses armées, commandeur de l'Ordre Impérial de la Légion d'honneur commandeur de l'Ordre d'Isabelle la Catholique et chevalier de deuxième classe de l'Ordre Saint Ferdinand d'Espagne. L'Empereur du Maroc, le Sid Ahmida-Ben-Ali-el Subjâaï, gouverneur d'une des provinces de l'Empire. Lesquels, après s'être réciproquement communiqués leurs pleins pouvoirs, sont convenus des articles suivants dans le but du mutuel avantage des deux pays et d'ajouter aux liens d'amitié qui les unissent : ART. I.— Les deux Plénipotentiaires sont convenus que les limites qui existaient autrefois entre le Maroc et la Turquie resteront les mêmes entre l'Algérie et le Maroc. Aucun des deux Empires ne dépassera la limite de l'autre; aucun d'eux n'élèvera à l'avenir de nouvelles constructions sur le tracé de la limite ; elle ne sera pas désignée par des pierres. Elle restera, en un mot, telle qu'elle existait entre les deux pays avant la conquête de l'Empire d'Algérie par les Français. ART. 2. — Les Plénipotentiaires ont tracé la limite lesquels elle lieux des par passe et toumoyen au chant lesquels ils sont tombés d'accord, en sorte que cette limite est devenue aussi claire et aussi évidente que le serait une ligne tracée. Ce qui est à L'Est de cette limite appartient à l'Agérie. Tout ce qui est à l'Ouest appartient au Maroc. ART. 3. — La désignation du commencement de la limite et des lieux par lesquels elle passe est ainsi qu'il suit : Cette ligne commence à l'embouchure de l'Oued (c'est-à-dire cours d'eau) Adjeroud dans la


mer, elle remonte avec ce cours d'eau jusqu'au gué où il prend le nom de Kis ; puis elle remonte encore le même cours d'eau jusqu'à la source qui est nommée Ras-el-Aïoun, et qui se retrouve au pied de trois collines, portant le nom de Menasseb-Kis, lesquelles, par leur situation à l'Est de l'oued, appartiennent à l'Algérie. De Ras el Aïoun, cette même ligne remonte sur la crête des montagnes avoisinantes jusqu'à ce qu'elle arrive à Drâ-el-Doum ; puis elle descend dans la plaine nommée El-Aoudj. De là, elle se dirige à peu près en ligne droite sur Haouch-Sidi-Aïèd. Toutefois, le Haouch lui-même reste à cinq cents coudées (250 mètres) environ, du côté de l'Est, dans la limite algériennne. De Haouch-Sidi-Aïèd, elle va, sur Djerfel-Boroud, situé sur l'oued Bou-Naïm ; de là elle arrive à Kerkour-Sidi-Hamza ; de Kerkour-Sidi-Hamza à Zoudj-el-Beghal ; puis longeant à l'Est le pays des Ouled-Ali-ben-Talha jusqu'à Sidi-Zahir, qui est sur le territoire algérien, elle remonte la grande route jusqu'à Aïn-Takbalet, qui se trouve entre l'oued BouErda et les deux oliviers nommés el-Toumiet qui sont sur le territoire marocain. De Aïn-Takbalet, elle remonte avec l'Oued Roubban jusqu'à Ras-Afour : elle suit au-delà le Kef en laissant à l'Est le marabout Sidi-Abd-Allah-Ben Mehammed-el-Hamlili ; puis, après s'être dirigée ves l'Ouest, en suivant le col de El-Mechêmiche, elle va en ligne droite jusqu'au marabout de Sidi-Aïssa, qui est la fin de la plaine de Missiouin. Ce marabout et ses dépendances sont sur le territoire algérien. De là, elle court vers le Sud jusqu'à Koudiet-el-Debbagh, colline située sur la limite extrême du Tell (c. a, d. le pays cultivé), De là, elle prend la direction Sud jusqu'à Kheneg-el-Hada, d'où elle marche sur Tenïet-el-Sassi, col dont la jouissance appartient aux deux Empires. Pour établir plus nettement la délimitation à partir de la mer jusqu'au commencement du désert, il ne faut point omettre de faire mention, et du terrain qui


touche immédiatement à l'Est la ligne sus-désignée, et du nom des tribus qui y sont établies. A partir de la mer, les premiers territoires et tribus sont ceux de Beni-Mengouche-Tahta et de Aâttïa. Ces deux tribus se composent de sujets marocains qui sont venus habiter sur le territoire de l'Algérie, par suite de graves dissentiments soulevés entre eux et leurs frères du Maroc. Ils s'en séparèrent à la suite de ces dissensions et vinrent chercher un refuge sur la terre qu'ils occupent aujourd'hui et dont ils n'ont pas cessé jusqu'à présent d'obtenir la jouissance du souverain de l'Algérie, moyennant une rente annuelle. Mais les commissaires plénipotentiaires de l'Empereur des Français, voulant donner au représentant de l'Empereur du Maroc une preuve de la générosité française et des dispositions à resserrer l'amitié et à entretenir les bonnes relations entre les deux Etats, a consenti au représentant marocain, à titre de don d'hospitalité, la remise de cette redevance annuelle (cinq cents francs pour chacune des deux tribus), de sorte que les deux tribus susnommées n'auront rien à payer, à aucun titre que ce soit, au Gouvernement d'Alger, tant que la paix et la bonne intelligence dureront entre les deux Empereurs des Français et du Maroc. Après le territoire des Aâttïa vient celui de Messirda, des Achâche, des Ouled-Mellouk, des Beni-Bou-Saïd, des Beni-Senous et des Ouled-el-Nahr. Ces six dernières tribus font partie de celles qui sont sous la domination de l'Empire d'Alger. Il est également nécessaire de mentionner le territoire qui touche immédiatement à l'Ouest la ligne sus-désignée, et de nommer les tribus qui habitent sur ce territoire, a portée de la mer. Le premier territoire et les premières tribus sont ceux des OuledMansour-Rel-Trifa, ceux des Beni-Iznêssen, des Mezaouir, des Ouled-Ahmed-ben-Brahim, des Ouled-el-


Abbès, des Ouled-Ali-ben-Talha, des Ouled-Azouz, des Beni-Bou-Hamdour, des Beni-Hamlil et des BeniMathar-Rel-Ras-el-Aïn. Toutes ces tribus dépendent de l'Empire du Maroc. ART. 4. — Dans le Sahara (désert), il n'y a pas de limite territoriale à établir entre les deux pays, puisque la terre ne se laboure pas et qu'elle sert seulement de pacage aux Arabes des deux Empires qui viennent y camper pour v trouver des pâturages et les eaux qui leur sont nécessaires. Les deux souverains exerceront de la manière qu'ils l'entendront toute la plénitude de leurs droits sur leurs sujets respectifs dans le Sahara. Et, toutefois, si l'un des deux souverains avait à procéder contre ses sujets, au moment où ces derniers seraient mêlés avec ceux de l'autre Etat, il procédera comme il l'entendra sur les siens, mais il s'abstiendra envers les sujets de l'autre gouvernement. Ceux des Arabes qui dépendent de l'Empire du Maroc, sont : les M'bèïa, les Beni-Guil, les HamianDjenba, les Eûmour-Sahara et les Ouled-Sidi-Cheikhel Gharaba. Ceux des Arabes qui dépendent de l'Algérie sont : les Ouled-Sidi-el-Cheikh-el-Cheraga ; et tous les Hamian, excepté les Hamiam-Djenba sus-nommés. ART. — 5. Cet article est relatif à la désignation des kessours (villages du désert) des deux Empires. Les deux souverains suivront, à ce sujet, l'ancienne coutume établie par le temps, et accorderont, par considération l'un pour l'autre, égards et bienveillance aux habitants de ces kessours. Les kessours qui appartiennent au Maroc sont ceux de Yiche et de Figuigue. Les kessours qui appartiennent à l'Algérie sont : Aïn-Safra, S'fissifa, Arsla Tiout, Chellala, El-Abad et Bou-Semghoune. qui ART. 6. Quand Sud des kesest pays au au — sours des deux gouvernements, comme il n'y a pas


d'eau, qu'il est inhabitable et que c'est le désert proprement dit, la délimitation en serait super-

flue.

d'un Etat Tout réfugierait individu qui se — dans l'autre ne sera pas rendu au gouvernement qu'il aura quitté par celui auprès duquel il se sera réfugié, tant qu'il voudra y rester. S'il voulait, au contraire, retourner sur le territoire de son gouvernement, les autorités du lieu où il sera réfugié ne pourront apporter la moindre entrave à son départ. S'il veut rester, il se conformera aux lois du pays, et il trouvera protection et garantie pour sa personne et ses biens. Par cette clause les deux souverains ont voulu se donner une marque de leur mutuelle considération. Il est bien entendu que le pré sent article ne concerne en rien les tribus : l'Empire auquel elles appartiennent étant suffisamment établi dans les articles qui précèdent. Il est notoire aussi que El-Hadj-Abd-el-Kader et tous ses partisans ne jouiront pas du bénéfice de cette Convention, attendu que ce serait porter atteinte à l'article 3 du traité du 10 septembre de l'an 1844, tandis que l'intention formelle des hautes ,parties contractantes est de continuer à donner force et vigueur à cette stipulation émanée de la volonté des deux souverains, et dont l'accomplissement affirmera l'amitié et assurera pour toujours la paix et les bons rapports entre les deux Etats. Le présent traité, dressé en deux exemplaires, sera soumis à la ratification et au scel des deux Empereurs, pour être ensuite fidèlement exécuté. L'échange de ratification aura lieu à Tanger, sitôt que faire se pourra. En foi de quoi, les Commissaires Plénipotentiaires susnommés ont apposé au bas de chacun des exemplaires leurs signatures et leurs cachets. Fait sur le territoire français voisin des limites, le 18 mars 1845 (9 de rabïâ-el-oouel, 1260 de l'hégire). ART.


Puisse Dieu améliorer cet état de choses dans le présent et dans le futur ! Le général Comte

DE LA RUE.

AHMIDA-BEN-ALI.

partir de la signature de ce traité, les informations publiées par les journaux, officiels et autres, reproduites dans les diverses publications, revues, brochures, livres, nous montrent : Le Maroc méconnaissant ce traité par des violations de frontière ; les chapitres des livres qui traitent de l'histoire de cette époque sont intitulés. « incursions et pirateries des Marocains », incursions et pirateries qui motivent toutes les expéditions que l'on sait, depuis la campagne contre les Beni-Snassen, qui est de 1855, jusqu'à l'occupation du Touât, qui est d'hier. Entre temps, à Tanger et à Fez c'est une lutte continuelle de tous les représentants des diverses puissances étrangères pour « chambrer » le sultan à leur profit. Nos représentants à nous obtiennent : A

Un règlement relatif à la protection à Tanger, arrêté d'un commun accord entre la Légation de France et le Gourvernement marocain, le 19 août 1869. La protection est individuelle et temporaire.

Elle ne s'applique pas en général aux parents de l'individu protégé. Elle ne peut s'appliquer à sa famille, c'est-à-dire à la femme et aux enfants demeurant sous le même toit. Elle est tout au plus viagère, jamais héréditaire, sauf la seule exception admise en faveur de la famille Benchimol, qui, de père en fils, a fourni et fournit des censaux interprètes au port de Tanger. Les protégés se divisent en deux catégories :


La première catégorie comprend les indigènes em-

ployés par la Légation et par les différentes Autorités consulaires. La seconde catégorie se compose des facteurs, courtiers ou agents indigènes employés par les négociants français pour leurs affaires de commerce. Il n'est pas inutile de rappeler ici que la qualité de négociant n'est reconnue qu'à celui qui fait en gros le commerce d'importation et d'exportation, soit en son propre nom, soit comme commissionnaire. Le nombre des courtiers indigènes jouissant de la protection française est limité à deux par maison de commerce. Par exception, les maisons de commerce qui ont des comptoirs dans différents ports pourront avoir des courtiers attachés à chacun de ces comptoirs et jouissant à ce titre de la protection française. La protection française ne s'applique pas aux indigènes employés par des Français à des exploitations rurales. Néanmoins, eu égard à l'état de choses existant et d'accord avec l'Autorité marocaine, le bénéfice de la protection accordée jusqu'ici aux individus compris dans le paragraphe précédent subsistera pendant deux mois à dater du Ier septembre prochain. Il est entendu, d'ailleurs, que les cultivateurs, gardiens de troupeaux ou autres paysans indigènes au service des Français ne pourront être l'objet de poursuites judiciaires sans que l'Autorité consulaire compétente en soit immédiatement informée, afin que celle-ci puisse sauvegarder l'intérêt de ses nationaux. La liste de tous les protégés sera remise par le Consulat respectif à l'autorié du lieu, qui recevra également avis des modifications apportées par la suite au contenu de cette liste. Chaque protégé sera muni d'une carte nominative de protection en français et en arabe, indiquant la nature des services qui lui assurent ce privilège.


Toutes ces cartes seront délivrées par la Légation de France à Tanger (1). Tanger, le

19

août

1873.

Ils participent ensuite à la Convention conclue à Tanl'Autriche, la BelFrance, la 31 mai 18(>"> le entre ger gique, l'Espagne, les Etats-Unis d'Amérique, la GrandeBretagne, l'Italie, les Pays-Bas, le Portugal et la Suède d'une part, et le sultan du Maroc d'autre part, concernant l'administration et l'entretien du Cap Spartel ; puis à la Convention de Madrid passée le 3 juillet 1880. S. Exc. le Président de la République française; S. M. l'Empereur d'Allemagne, roi de Prusse; S. M. l'Empereur d'Autriche, roi de Hongrie ; S. M. le Roi des Belges; S. M. le Roi de Danemark ; S. M. le Roi d'Espagne; S. E. le Président des Etats-Unis d'Amérique; S. M. la Reine du Royaume-Uni de GrandeBretagne et d'Irlande ; S. M. le Roi d'Italie ; S. M. le Sultan du Maroc ; S. M. le Roi des Pays-Bas ; S. M. le Roi de Portugal et des Algarves ; S. M. le Roi de

Suède et de Norvège ; Ayant reconnu la nécessité d'établir sur des bases fixes et uniformes l'exercice du droit de protection au Maroc, et de régler certaines questions qui s'y rattachent, ont nommé pour leurs Plénipotentiaires à la Conférence qui s'est ouverte à Madrid, savoir : S. Exc. le Président de la République française, M. le Vice-Amiral Jaurès, sénateur, commandeur de la Légion d'honneur, etc., etc., Ambassadeur de la République française près S. M. C. ; S. M. l'Empereur d'Allemagne, Roi de Prusse, M. le Comte Eberhart de Solms-Sonnewalde, commandeur de Ire classe de son ordre de l'Aigle rouge avec

(1) A ce règlement ont adhéré la Belgique, la Sardaigne, les .Etats-Unis, la Grande-Bretagne et la Suéde.


feuilles de chêne, chevalier de la Croix de fer, etc., etc., son Envoyé extraordinaire et Ministre Plénipotentiaire près S. M. C. ; S. M. l'Empereur d'Autriche, Roi de Hongrie, M. le Comte Emmanuel Ludof, son conseiller intime et actuel, grand-croix de l'ordre impérial de Léopold, chevalier de Ire classe de l'ordre de la Couronne de fer, etc., etc., son Envoyé extraordinaire et Ministre Plénipotentiaire près S. M. C. ; S. M. le Roi des Belges, M. Edouard Anspach, officier de son ordre de Léopold, etc., etc., son Envoyé extraordinaire et Ministre Plénipotentiaire près S. M. C. ; S. M. le Roi d'Espagne, don Antonio Canovas del Castillo, chevalier de l'ordre insigne de la Toison d'Or, etc., etc., Président de son Conseil des Ministres; S. Exc. le Président des Etats-Unis d'Amérique, M. le général Lucius Fairchild, Envoyé extraordinaire et Ministre Plénipotentiaire des Etats-Unis près S. M. C. ; S. M. la Reine du Royaume-Uni de la Grande-

Bretagne et d'Irlande, l'honorable Lionel SackvilleWest, son Envoyé extraordinaire et Ministre Plénipotentiaire près S. M. C. ; lequel est autorisé à représenter S. M. le Roi de Danemark ; S. M. le Roi d'Italie, M. le Comte Joseph Greppi, grand-officier de l'ordre des SS. Maurice et Lazare, de celui de la Couronne d'Italie, etc., etc., son Envoyé extraordinaire et Ministre Plénipotentiaire près S. M. C. ; S. M. le Sultan du Maroc, le taleb Sid Mohammed Bargach, son Ministre des affaires étrangères et Ambassadeur extraordinaire ; S. M. le Roi des Pays-Bas, M. le Jonkheer Maurice de Heldewier, commandeur de l'ordre royal du Lion néerlandais, chevalier de l'ordre de la Couronne de Chêne du Luxembourg, etc., etc., son Ministre Résident près S. M. C. ;


S. M. le Roi de Portugal et des Algarves, M. le

Comte de Casal Ribeiro, pair du Royaume, grandcroix de l'ordre du Christ, etc., etc., son Envoyé extraordinaire et Ministre Plénipotentiaire près S. M. C. ; S. M. le Roi de Suède et de Norvège, M. Henri Akerman, commandeur de Ire classe de l'ordre de Wasa, etc., etc., son Ministre Résident près

S. M. C.

;

Lesquels, en vertu de leurs pleins pouvoirs, reconnus en bonne et due forme, ont arrêté les dispositions suivantes : ART. IER. — Les conditions dans lesquelles la protection peut être accordée sont celles qui sont stipulées dans le traité britannique et espagnol avec le gouvernement marocain et dans la convention survenue entre ce gouvernement, la France et d'autres puissances, en 1863, sauf les modifications qui y sont apportées par la présente convention. ART. 2. Les Représentants de chefs étrangers, — mission, pourront choisir leurs interprètes et employés parmi les sujets marocains et autres. Ces protégés ne seront soumis à aucun droit, impôt ou taxe quelconque, en dehors de ce qui est stipulé aux articles 12 et 13. Les consuls, vice-consuls ou agents conART. 3. — sulaires, chefs de poste, qui résident dans les Etats du Sultan du Maroc, ne pourront choisir qu'un interprète, un soldat et deux domestiques parmi les sujets du Sultan, à moins qu'ils n'aient besoin d'un secrétaire indigène. Ces protégés ne seront soumis non plus à aucun droit, impôt ou taxe quelconque, en dehors de ce qui est stipulé aux articles 12 et 13. ART. 4. — Si un Représentant nomme un sujet du Sultan à un poste d'agent consulaire dans une ville de la côte, cet agent sera respecté et honoré, ainsi que sa famille habitant sous le même toit, laquelle, comme


lui-même, ne sera soumise à aucun droit, impôt ou taxe quelconque en dehors de ce qui est stipulé aux articles 12 et 13, mais il n'aura pas le droit de protéger d'autres sujets du Sultan, en dehors de sa famille. Il pourra, toutefois, pour l'exercice de ses fonctions, avoir un soldat protégé. Les gérants des vice-consulats, sujets du Sultan, jouiront pendant l'exercice de leurs fonctions des mêmes droits que les agents consulaires sujets du Sultan. ART. 5. Le Gouvernement marocain reconnaît — aux Ministres, Chargés d'affaires et autres représentants le droit qui leur est accordé par les traités, de choisir les personnes qu'ils emploient, soit à leur service personnel, soit à celui de leurs gouvernements, à moins toutefois que ce ne soient des cheiks ou autres employés du Gouvernement marocain, tels que les soldats de ligne ou de cavalerie, en dehors des maghaznias préposés à leur garde. De même ils ne pourront employer aucun sujet marocain sous le coup de poursuites. Il reste entendu que les procès civils engagés avant la protection se termineront devant les tribunaux qui en auront entamé la procédure. L'exécution de la sentence ne rencontrera pas. d'empêchement. Toutefois, l'autorité locale marocaine aura soin de communiquer immédiatement la sentence rendue à la Légation, Consulat ou agence consulaire dont relève le protégé. Quant aux ex-protégés qui auraient un procès commencé avant que la protection eut cessé pour eux, leur affaire sera jugée par le tribunal qui en était saisi. Le droit de protection ne pourra être exercé à l'égard des personnes poursuivies pour un délit ou un crime avant qu'elles n'aient été jugées par les autorités du pays et qu'elles n'aient, s'il y a lieu, accompli leur peine.


protection s'étend sur la famille du protégé, sa demeure est respectée. Il est entendu que la famille ne se compose que de la femme, des enfants et des parents mineurs qui habitent sous le même toit. La protection n'est pas héréditaire. Une seule exception déjà établie par la convention de 1863, et qui ne saurait créer un précédent, est maintenue en faveur de la famille de Benchimol. Cependant, si le Sultan du Maroc accordait une autre exception, chacune des Puissances contractantes aurait le droit de réclamer une concession semblable. ART. 7. — Les Représentants étrangers informeront par le Ministre des affaires étrangères du choix qu'ils auront fait des employés. Ils communiqueront chaque année audit Ministre une liste nominative des personnes qu'ils protègent ou qui sont protégées par leurs agents dans les Etats du Sultan du Maroc : Cette liste sera transmise aux autorités locales qui ne considéreront comme protégés que ceux qui y sont inscrits. ART. 8. — Les agents consulaires remettront chaque année à l'autorité du pays qu'ils habitent une liste, revêtue de leur sceau, des personnes qu'ils protègent. Cette autorité la transmettra au Ministre des affaires étrangères, afin que si elle n'est pas conforme aux règlements, les Représentants à Tanger en soient informés. L'officier consulaire sera tenu d'annoncer immédiatement les changements survenus dans le personnel protégé de son consulat. ART. 9. — Les domestiques, fermiers et autres employés indigènes des secrétaires ou interprètes indigènes ne jouissent pas de la protection. Il en est de même pour les employés ou domestiques marocains des sujets étrangers. ART. 6. — La


Toutefois, les autorités locales ne pourront arrêter un employé ou un domestique d'un fonctionnaire indigène en service d'une Légation ou d'un Consulat, ou d'un sujet ou protégé étranger, sans en avoir prévenu l'autorité dont il dépend. Si un sujet marocain au service d'un sujet étranger venait à tuer quelqu'un, à le blesser ou à violer son domicile, il serait immédiatement arrêté, mais l'autorité diplomatique ou consulaire sous laquelle il est placé serait avertie sans retard. ART. 10. — Il n'est rien changé à la situation des censaux, telle qu'elle a été établie par les traités et par la convention de 1863, sauf ce qui est stipulé relativement aux impôts dans l'article suivant. Maroc ART. 11. Le est propriété droit de au — reconnu pour tous les étrangers. L'achat de propriété deva être effectué avec le consentement préalable du gouvernement, et les titres de ces propriétés seront soumis aux formes prescrites par les lois du pays. Toute question qui pourrait surgir sur ce droit sera décidée d'après ces mêmes lois, avec l'appel du Ministre des affaires étrangères stipulé dans le traité. ART. 12. — Les étrangers et les protégés propriétaires ou locataires de terrains cultivés, ainsi que les agril'impôt admis l'agriculture, payeront à censaux cole. Ils remettront chaque année à leur consul la note exacte de ce qu'ils possèdent, en acquittant entre ses mains le montant de l'impôt. Celui qui fera une fausse déclaration payera, à titre d'amende, le double de l'impôt qu'il aurait dû régulièrement verser pour les biens non déclares. En cas de récidive, cette amende sera doublée. La nature, le mode, la date et la quotité de cet impôt seront l'objet d'un règlement spécial entre les représentants des puissances et le Ministre des affaires étrangères de S. M. Chérifienne. les cen¬ protégés les et ART. 13. Les étrangers, —


saux, propriétaires de bêtes de somme, payeront la taxe dite des portes. La quotité et le mode de perception de cette taxe, commune aux étrangers et aux indigènes, seront également l'objet d'un règlement spécial entre les Représentants des puissances et le Ministre des affaires étrangères de S. M. Chérifienne. La dite taxe ne pourra être augmentée sans un nouvel accord avec les représentants des puissances. ART. 14. — La médiation des interprètes, secrétaires indigènes ou soldats des différentes Légations ou Consulats, lorsqu'il s'agira de personnes non placées sous la protection de la légation ou du consulat, ne sera admise qu'autant qu'ils seront porteurs d'un document signé par le chef de mission ou par l'autorité consulaire. ART. 15. —Tout sujet marocain naturalisé à l'étranger, qui reviendra au Maroc, devra, après un temps de séjour égal à celui qui aura été régulièrement nécessaire pour obtenir la naturalisation, opter entre sa soumission entière aux lois de l'Empire ou l'obligation de quitter le Maroc, à moins qu'il ne soit constaté que la naturalisation étrangère a été obtenue avec l'assentiment du Gouvernement marocain. La naturalisation étrangère acquise jusqu à ce jour par des sujets marocains, suivant les règles établies par les lois de chaque pays, leur est maintenue pour tous ses effets, sans restriction aucune. ART. 16. — Aucune protection irrégulière ni officieuse ne pourra être accordée à l'avenir. Les autorités marocaines ne reconnaîtront jamais d'autres protections, quelle que soit leur nature, que celles qui sont expressément arrêtées dans cette convention. Cependant l'exercice du droit consuétudinaire de protection sera réservé aux seuls cas où il s'agirait de récompenser des services signalés, rendus par un marocain à une puissance étrangère, ou pour d'autres motifs tout à fait exceptionnels. La nature des ser¬


vices et l'intention de les récompenser par la protection seront préalablement notifiés au Ministre des affaires étrangères à Tanger, afin qu'il puisse, au besoin, présenter ses observations ; la résolution définitive restera néanmoins réservée au gouvernement auquel le service aura été rendu. Le nombre de ces protégés ne pourra dépasser celui de douze par puissance, qui reste fixé comme maximum, à moins d'obtenir l'assentiment du Sultan. La situation des protégés qui ont obtenu la protection en vertu de la coutume désormais réglée par la présente disposition sera, sans limitation du nombre pour les protégés actuels de cette catégorie, identique pour eux et pour leur famille, à celle qui est établie pour les autres protégés. la de la nation ART. 17. Le droit traitement au — plus favorisée est reconnu par le Maroc à toutes les Puissances représentées à la Conférence de Madrid. ART. 18. — La présente convention sera ratifiée. Les ratifications seront échangées à Tanger dans le plus bref délai possible. Par le consentement exceptionnel des Hautes Parties contractantes, les dispostions de la présente convention entreront en vigueur à partir du jour de la signature à Madrid. En foi de quoi, les Plénipotentiaires respectifs ont signé la présente convention et y ont apposé le sceau de leurs armes. Fait à Madrid, en treize exemplaires, le 3 juillet 1880.

Nos représentants obtiennent encore une

Lettre chérifienne réglant l'application de l'accord commercial du 24 octobre 1892. Louange à Dieu seul. Il n'y a de force et de puissance qu'en Dieu.


(Grand sceau de Mouley-Hassan). A nos serviteurs les Oumanas du port de Tanger (i). Le Ministre de France nous a demandé certains changements au traité de commerce conclu entre les deux gouvernements à la date du 26 chaban 1260 (10 septembre 1844). Les produits pour lesquels il a demandé ces changements sont d'abord les six mentionnés ci-contre en premier lieu (A), avec les droits y afférents, et ensuite les huit qui suivent (B , dont l'exportation était interdite et que nous venons d'autoriser avec les droits stipulés en regard. Nous vous ordonnons de laisser embarquer ces huit produits en percevant les droits portés en face de chacun d'eux, à la condition que le négociant qui voudra acheter, pour les emporter, les cinq premiers de ces huit produits, c'est-à-dire les écorces d'arbres, le liège, le minerai de fer et tous les autres minerais à l'exception du plomb ne pourra en faire l'acquisition que des indigènes dans les huit ports ouverts au commerce, à l'exclusion de tous autres endroits. En ce qui concerne les six produits mentionnés en premier lieu, nous vous ordonnons de vous contenter de percevoir les droits portés en regard de chacun d'eux. Tous produits ou marchandises exportés des ports marocains, autres que les quatorze produits en question, continueront à subir le traitement appliqué actuellement en vertu d'autres traités. Quant aux produits français importés au Maroc, ils seront soumis aux mêmes droits que ceux perçus actuellement. Mais les tissus de soie pure ou mélangée, les bijoux d'or et d'argent, les pierres précieuses et fausses, les rubis, les galons d'or, toutes les espèces de vins ou de liquides distillés et les pâtes alimentaires ne payeront pas plus de 5 % ad valorem. Ces marchandises seront estimées sur le pied de leur (1) Une

lettre identique fut adressée aux Oumamas de Tétouan,

Larache, Rabat, Casablanca, Mazagran, Saffi et Mogador.


valeur marchande, au comptant, en gros, dans le port du débarquement, en réaux de vellon. Salut. 2 Rebi II, 1310 (24 octobre 1892). A. — Produits dont les droits ont été réduits

.....

Cumin, le quintal Cornes, le mille. Suif, le quintal Carvi, le quintal Chanvre et lin, le quintal . . Cire blanche, le quintal...

Réaux de vellon 6 — — —

8 1 3

8

6

(60

B. — Produits dont l"exportation était interdite et vient d'être autorisée avec la perception des droits ci-dessous. Ecorces d'arbres, le quintal Réaux de vellon 6 . . Liège, le quintal 6 — Minerai de cuivre, le quintal 5 — . Minerai de fer, le quintal 2 — . . Autres minerais, sauf le plomb, le quintal 5 — Osier, le quintal 2 — Bois d'arar et de cèdre, la 1/2 6 charge de chameau. — Bois d'arar et de cèdre, la 1/2 charge de mule 5 — Le quintal mentionné ci-dessus équivaut à 50 kilogrammes 75 et le réal de vellon est celui qui se trouve au nombre de 20 dans le douro espagnol.

...

Pour traduction conforme : Le consul faisant fonctions de Ier drogman, HÉLOUIS.


Voici l'énumération des principaux traités conclus par le Maroc avec les autres puissances durant le même

temps

:

Traité de paix et de commerce signé avec la Sardaigne le 6 octobre 1825. Traité de paix et de commerce signé avec l'Autriche le 19 mars 1830. Traité de paix et de commerce signé avec les Deux-

Siciles le 25 juin 1834. Traité de paix et d'amitié signé avec les Etats-Unis le 10 septembre 1836. Traité général avec la Grande-Bretagne signé le 9 décembre 1856. Traité de commerce et de navigation signé avec la Grande-Bretagne le 9 décembre 1856. Traité de commerce signé avec les Pays-Bas le 18 mars 1858. Traité étendant les limites de la juridiction de Melilla, signé avec l'Espagne le 24 août 1859. Traité de paix signé avec l'Espagne le 20 avril 1860. Traité de commerce signé avec l'Espagne le 20 décembre 1861. Traité d'amitié, de commerce et de navigation signé 1862. janvier Belgique le 4 la avec Traité de commerce signé avec l'Allemagne, le Ierjuin 1890. Convention relative à la place de Melilla,. signée avec l'Espagne le 5 mars 1894.


LIVRE DEUXIÈME Ce qu'on appelle actuellement la question du Maroc.

PREMIÈRE PARTIE

Cette question telle qu'il est possible de la concevoir d'après les livres des voyageurs, les travaux des politiques, les discours et les déclarations des diplomates et des gouvernants, en un mot d'après les documents privés, officiels ou officieux rendus publics.

CHAPITRE V Unanimité des écrivains à condamner le Maroc. — Une appréciation de Voltaire. — Les Encyclopédistes. — Charles Didier. Dès 1836, cet auteur déclarait que le Maroc doit être « absorbé » par l'Europe. — M. de Mas-Latrie estime que nous sommes désignés pour régénérer le Maroc. — Une malédiction de M. Montbard sur le Maroc. M. Erckmann ne croit pas que le Maroc se civi— lise de bon gré ; les Marocains ne sont pas touchés par l'exemple de la civilisation.— M. de Foucault, tout en jugeant moins sévèrement les Marocains, croit que l'on doit joindre le Maroc à l'Algérie. —L'article classique, l'article type de M. Valbert dans la Revue des DeuxMondes en 1884. Nous avons le droit et le devoir d'agir au Maroc, mais ce sera difficile. — D'après M.de Campou, nous devons prendre le Maroc parce que c'est un pays riche. — Feu Castonnet des Fosses dito...


Nous venons de passer en revue les éléments historiques officiels de la question du Maroc. Cherchons comment elle a été présentée au public. Faisons pour cela, de concert, un voyage d'exploration à travers les trois mille et quelques numéros de la

bibliographie marocaine. Pauvre Maroc! Il y est maltraité. C'est la quasi unanimité. C'est la condamnation pour ainsi dire sans appel. Il doit disparaître. Et suivant leur nationalité, les écrivains affirment que ce Maroc maudit doit revenir à leur pays. Même les Belges... Les Belges? oui, vous avez bien lu. Un écrivain belge affirme, sans rire, que l'avenir de la civilisation en Afrique exige l'établissement du protectorat belge au Maroc. Cet écrivain est M. Victor Collin. Je le citerai plus loin. Occupons-nous principalement de l'opinion française. Et sans remonter au Déluge, voyons ce que Voltaire en écrivait... Il est notable, en effet, que la question du Maroc existait déjà chez nous de son temps. Je lis dans

l'Essai sur les moenrs :

«L'empire du Maroc s'étend jusqu'aux frontières de la Guinée sous les plus beaux climats ; il n'y a point de territoire plus fertile, plus varié, plus riche ; plusieurs branches du mont Atlas sont remplies de mines et les campagnes produisent les plus abondantes moissons et les meilleurs fruits de la terre. Ce pays fut cultivé autrefois comme il méritait de l'être,, et il fallait bien qu'il le fût du temps des premiers califes, puisque les sciences y étaient en honneur, et que c'est toujours la dernière chose dont on prend soin... Tout a dégénéré depuis, tout est tombé dans la plus profonde barbarie... C'est là que le despotisme se montre dans toute son horreur... Dans quelque abrutissement que ces peuples soient tombés, jamais l'Espagne et le Portugal n'ont pu se


venger sur eux de leur ancien esclavage, et les asservir à leur tour... Les Maures avaient accablé toute l'Espagne, et les Espagnols n'ont pu encore que harceler les Maures... Les Maures, mal armés, indisciplinés, esclaves sous un gouvernement détestable, n'ont pu être subjugués par les chrétiens. La véritable raison est que les chrétiens se sont toujours mutuellement déchirés. Comment les Espagnols auraient-ils pu passer en Afrique avec de grandes armées et dompter les Musulmans, quand ils avaient la France à combattre ? ou, lorsque étant unis avec la France, les Anglais leur prenaient Gibraltar et Minorque ? » En 1750, les Encyclopédistes donnaient au public sur le Maroc cet aperçu très simpliste :

peuplé, à cause de son terrain sablonneux et ingrat, qui ne permet pas l'abondance des grains et des bestiaux ; il produit seulement une grande quantité de cire et d'amandes qui se débitent en Europe. On compte dans tout ce royaume 25 à 30 000 cabanes d'adouards, qui font 80 à 100000 hommes, payant au roi la dixme de leurs biens depuis l'âge de 15 ans. Un adouard est une espèce de village ambulant, composé de quelques familles arabes, qui campent dans lieu, tantôt dans tantôt des un tentes, un sous autre ; chaque adouard a son marabou et son chef qui est élu. Rien n'est comparable à la misère et à la malpropreté de ces Arabes. » « Le royaume de Maroc est très peu

Ceux qui plus tard connurent mieux le Maroc, même après le livre fameux d Ali-Bey, que l'on soupçonna toujours de bienveillance exagérée, le montrèrent encore écrivait qui Didier, jour favorable. Dans peu sous un en 1856, je lis ;


« On ne trouvera jamais chez ces tribus barbares, ni sympathie, ni assurance d'aucune sorte. Leur hostilité nous est à jamais acquise ; ils ne soupirent qu'après notre ruine et y emploieront tous les moyens. Malheur à qui comptera sur leur neutralité et se fiera à leurs protestations de fidélité ; ce sont de vaines paroles, quand ce ne sont pas des pièges. On enverra chez eux agent sur agent, ils promettront tout ce qu'on voudra, ils jureront par tous les dieux ; que

coûte un serment à qui n'a pas d'honneur ? Me prends-tu infidèle, esclave être pour un pour — de ma parole, ne suis-je pas maître d'en changer. Cette profession de foi, du plutôt de perfidie, d'un prince marocain, fait suffisamment connaître les principes qui président aux relations diplomatiques de la Cour africaine. » Et encore

:

montagnes environnent le Riff d'une ceinture de forteresses imprenables : ce sont ces inexpugnables remparts qui inspirent aux naturels leur mépris pour l'autorité et leur sécurité dans la révolte. Leur amour de l'indépendance s'exalte dans l'isolement, leurs farouches instincts s'y développent et s'y perpétuent. Allez parler à ces enfants de l'Atlas des bienfaits de la civilisation et des garanties de l'ordre social, ils ne vous comprendront pas, et si vous essayez de plier au travail leur oisiveté séculaire et de les parquer en départements, en communes, ils n'y consentiront jamais. A moins de les anéantir tous jusqu'au dernier par le fer, comme les Peaux Rouges d'Amérique, il faudra une longue suite de révolutions et un nombre de siècles incalculable, pour leur persuader que la possession d'un fusil n'est pas le souverain bien, la vengeance, le suprême bonheur, et pour soumettre au sceptre de l'intelligence leurs appétits sanguinaires. « Des


La vue de cette Europe qu'ils ont face à face, au lieu de les relier à sa civilisation ne fait que les en

éloigner encore davantage en éternisant la réaction. Il est vrai qu'elle ne se présente pas à eux sous des formes bien séduisantes ; j'en avais sous les yeux un triste exemple : Un bâtiment de commerce anglais était échoué sur la grève et l'on était occupé au sauvetage de la cargaison. J'appris que ce navire avait été perdu à dessein, après avoir été assuré à Londres bien au-dessus de sa valeur. Ce naufrage volontaire avait été arrangé d'avance entre le capitaine et la maison qui faisait l'expédition. Si telle est la civilisation à laquelle on veut convertir les Barbares, mieux vaut les laisser à leur barbarie. » Ajoutons, si cela peut servir à la réhabilitation des Marocains, que Didier les trouvait plus honnêtes que les Espagnols :

Quant aux voleurs, le danger est bien moins grand que sur la rive opposée ; en Espagne, un seul homme d'escorte ne nous eût pas suffi et nous aurions été nous-mêmes armés jusqu'aux dents. » «

Mais le bon auteur, le clairvoyant politique, ne doute Maroc l'avenir fatalement réservé instant de au pas un

qu'il voit menacé par l'Angleterre, l'Espagne et la France

:

la Providence, quelchoix de à le soit Quel que « qu'une des trois rivales qu'elle confie son mandat suprême, l'avenir de ces peuples n'est pas douteux, ils sont promis à l'Europe ; ils lui appartiennent fatalement par le droit de l'intelligence ; la civilisation occidentale doit les entraîner tôt ou tard dans son irrésistible tourbillon.

*


Le comte de Mas-Latries, lui, est persuadé que nous serons les élus de la Providence pour régénérer le Maroc. Il écrit :

L'Algérie et ses annexes sont bien désormais des terres irrévocablement françaises. C'est une idée qu'il est bon de propager et de faire pénétrer de plus en plus dans la pensée de nos amis et voisins. Il faut que l'on sache bien que la France est chez elle à Tunis comme à Alger et qu'elle est résolue à développer son autorité en ces contrées au mieux de ses intérêts et de ses droits. La sécurité exige que sous les formes diverses de la possession du protectorat ou de la surveillance, elle établisse sa prépondérance d'une façon indiscutable sur tout le littoral maugrabin, depuis Tripoli jusqu'à Figuig et à la Moulouïa, et plus loin encore, si on nous y oblige, en respectant partout les droits de la grande nation espagnole avec laquelle nous avons tant d'intérêts communs. » «

Il a étudié la question. Prendre tout le Maroc lui semble une bien grosse entreprise. Les petits journalistes d'aujourd'hui et notre grand ministre des Affaires étrangères ne croient pas cette entreprise au-dessus de nos forces ni de notre droit. M. de Mas Latries, lui, se contentait de nous conduire à la Moulouïa, notre « limite naturelle et historique ». Il est vrai, ajoute-t-i), que si on nous y oblige, nous irons plus loin... avec l'Espagne. L'Alliance franco-espagnole contre le Maroc n'est pas une conception d'aujourd'hui. Ne la reprochons qu'à demi à M. Delcassé. On voit qu'elle faisait partie du mobilier du quai d'Orsay. Voulez-vous maintenant une belle exécution du Marhétorique. M. Montbard nette, brève, sans nous la roc,

donne

:

la bestia¬ où fondre sont C'est le creuset venues se «


lité du nègre, la férocité de l'Arabe, l'astuce du Maure, la fourberie du Juif, la bassesse d'une poignée de renégats, l'écume de la population de l'Europe donnant comme résultante le Marocain, un composé de tous ces vices, une espèce inutile et nuisible qui disparaît devant l'invasion des occidentaux... » Erckmann, qui fut officier instructeur au service du Maroc, bien qu'il semble prendre pour la devise dont les Marocains sont dignes, ce proverbe arabe qu'il cite au cours de son livre : M.

des gens qui en causant seraient capables de voler les dents de leur interlocuteur sans qu'il s'en aperçoive. » « Il y a

est moins féroce dans sa condamnation. Car c'est une condamnation que son livre. Il ne croit pas que le Maroc se civilise jamais de bon gré.

jamais civilisation Notre pénétrer chez pourra ne « eux. On perd son temps en leur donnant des conseils. Ce n'est ni par apathie, ni par indolence que les Marocains s'isolent du restant du monde, c'est par système. Les chérifs sont totalement dépourvus de l'esprit d'imitation ; ils ne veulent à aucun prix penser, agir, vivre autrement que leurs ancêtres. L'Angleterre qui ne cesse de trembler pour Gibraltar ne craint pas de jouer un rôle anticivilisateur, et entretient soigneusement le gouvernement dans ces idées. Ne possédant ni routes, ni chemins de fer, ni télégraphes, n'ayant ni dette ni crédit, et cherchant toujours à réduire les relations diplomatiques au strict minimum, le Maroc fait peu de bruit Trop de nations sont intéressées à la neutralité du détroit de Gibraltar pour que l'une d'elles puisse chercher à y


acquérir une situation prépondérante sans soulever des tempêtes. D'autre part, le Maroc peut vivre encore longtemps malgré une situation économique excessivement mauvaise. Les nègres, qui sont tout étonnés qu'on s'occupe d'eux, croient que « c'est Dieu qui les a faits esclaves » et ne pensent pas à une liberté dont ils ne sauraient que faire ; les tribus divisées entre elles ne s'occupent que de leurs affaires intérieures et sont satisfaites lorsque l'eau de Dieu ne leur fait pas défaut; les Maures sont enchantés de leurs villes ruinées et de leurs rues sales; personne ne cherche à changer de régime et rien ne fait supposer que la situation actuelle vienne à se modifier dans un avenir prochain. » M. Erckmann affirme que l'exemple de noire civili-

sation, des avantages matériels qu'elle comporte ne touche et ne louchera jamais les Marocains.

« Les rares marocains qui ont visité Paris sont

presque toujours revenus chez eux avec une profonde satisfaction, sans tirer aucun profit de leur voyage. Leur opinion peut se résumer ainsi : de il beaucoup ville grande où Paris est y a une « monde, beaucoup de chevaux et de voitures ; on ne doit pas y mourir de faim, car on y trouve un grand bâtiment en fer rempli de victuailles ; on y voit aussi des grandes boutiques formées de plusieurs maisons bâties les unes au-dessus des autres et dans lesquelles Les d'étoffes de toute sorte. des quantités trouve on hommes sont propres et aimables, mais ils ont la faiblesse de se laisser commander par leurs femmes ; ces malheureux ne doivent pas tenir beaucoup aux plaisirs de l'amour, car ils n'ont qu'une femme, et fûtelle vieille ou laide, ils sont obligés de s'en contenter. ils se tracassent beaucoup pour gagner leur vie,


et ont tant d'occupations qu'ils ne trouvent pas le temps de prier Dieu. Ils ont l'infamie de traiter les juifs comme les autres hommes, contrairement aux prescriptions du Coran. Depuis leur guerre avec les Prussiens, ils ont même été obligés d'enrôler les Juifs d'Algérie dans leur armée. » « Le télégraphe et les chemins de fer leur semblent

absolument inutiles. »

Mais voici qu'un autre auteur, qui lui aussi a vécu au Maroc, dans le Maroc fermé aux autres Européens, qui a voyagé déguisé en juif marocain chez les plus fanatiques sujets du Sultan, sur ce fait spécial de l'impression laissée par le spectacle des merveilles de la civilisation dans le cerveau des Marocains, nous dit

exactement le contraire.

les polis plus généralement hadjs Les sont que « autres musulmans. C'est à tort qu'on se figure parfois qu'ils reviennent de la Mecque plus fanatiques et intolérants qu'ils n'étaient ; le contraire se produit :

leur long voyage, les mettant en contact avec les Européens, leur fait voir d'abord que ceux-ci ne sont dépeints avait ils leur qu'on sont les ; monstres pas surpris et reconnaissants de ne pas trouver chez nous d'hostilité; puis, nos bateaux à vapeur, nos chemins de fer les frappent d'admiration ; au retour ce n'est leur esprit, Khaba qui hante souvenir de la le pas celui des merveilles des pays chrétiens, celui d'Alexandrie, de Tunis, d'Alger. La plupart du temps le Pèlerinage, loin d'augmenter leur fanatisme, les civilise et leur ouvre l'esprit. » M. de Foucauld nous donne aussi l'explication logique

de la répugnance des Marocains à recevoir des voyageurs étrangers dans leur pays.

« Les cinq sixièmes du Maroc sont entièrement


fermés aux chrétiens ; ils ne peuvent donc y entrer que par ruse et au péril de leur vie. Cette intolérance extrême n'est pas causée par le fanatisme religieux ; elle a sa source dans un autre sentiment commun à tous les indigènes : pour eux, un Européen voyageant dans leurs pays ne peut être qu'un émissaire envoyé pour le reconnaître; il vient étudier le terrain en vue d'une invasion ; c'est un espion. On le tue comme tel; non comme un infidèle. Sans doute la vieille antipathie de race, la superstition y trouvent aussi leur compte ; mais ces sentiments ne viennent qu'en seconde ligne. On craint le conquérant bien plus qu'on ne hait le chrétien. »

Pour peu que l'on se rappelle les procédés d'expansion coloniale de l'Europe chrétienne, on conviendra que les Marocains n'ont pas tort quand ils voient dans le voyageur chrétien l'avant-coureur de la conquête chrétien ne... Ces deux explications notées en passant, si nous demandons à M. de Foucauld son impression sur le Maroc et ce qu'il entrevoit comme solution ou, si l'on préfère, comme avenir, voici : Triste région où le gouvernement fait payer cher au peuple une sécurité qu'il ne lui donne pas ; où entre les voleurs et le qaïd, riches et pauvres n'ont point de répit ; où l'autorité ne protège personne; menace les biens de tous ; où l'Etat encaisse toujours sans jamais faire une dépense pour le bien du pays ; où la justice se vend, où l'injustice s'achète, où le travail ne profite pas ; ajoutez à cela l'usure et la prison pour dettes: tel est le blad el makhzen. On travaille le jour, il faut veiller la nuit: ferme-t-on l'oeil un instant, les maraudeurs enlèvent bestiaux et récoltes ; tant que l'obscurité dure, ils tiennent la campagne ; il faut placer des gardiens ; on n'ose sortir du village ou du cercle des tentes, toujours sur le qui-vive. A «


force de fatigues et de soins, a-t-on sauvé les moissons, les a-t-on rentrées, il reste encore à les dérober au qaïd : on se hâte de les enfouir, on crie misère, on se plaint de sa récolte. Mais des émissaires veillent. Ils ont vu que vous alliez au marché sans acheter de grains. Donc vous en avez. Vous voilà signalé. Un beau jour arrive une vingtaine de Mkhaznis ; on fouille la maison, on enlève et le blé et le reste; avez-vous des bestiaux, des esclaves, on les emmène en même temps ; vous étiez riche le matin, vous êtes pauvre le soir. Cependant il faut vivre.il faudra ensemencer l'année prochaine ; il n'y a qu'une ressource, le Juif. Si c'est un honnête homme, il vous prête à 60 0/0, sinon à bien davantage. Alors c'est fini. A la première année de sécheresse viennent la saisie des terres et la prison, la ruine est consommée. Telle est l'histoire qu'on écoute à chaque pas; en quelque maison que l'on entre, on vous la répète. Tout se ligue, tout se soutient pour qu'on ne puisse échapper. Le qaïd protège le Juif qui le soudoie. Le Sultan maintient le qaïd qui apporte chaque année un tribut monstrueux, qui envoie sans cesse de tiches présents, et qui, enfin, n'amasse que pour son seigneur, car, tôt ou tard, tout ce qu'il possède sera confisqué, ou de son vivant, ou à sa mort. Aussi, règne-t-il dans la population entière une tristesse et un découragement profonds. On hait et on craint les qaïds. Parle t-on du Sultan: « tema bezef», il est très cupide, nous répond-on-. C'est tout ce qu'on en dit et c'est tout ce qu'on en sait. Aussi combien ai-je vu de Marocains revenant de l'Algérie envier le sort de leurs voisins : il est si doux de vivre en paix! Les routes sûres, les chemins de fer, le commerce facile, le respect de la propriété, paix et justice pour tous, voilà ce qu'ils ont vu par delà la frontière. Que leur pays, si misérable quoique si riche, serait heureux dans ces conditions ! »


Ainsi, en résumé, l'impression d'un pays perdu, d'un pays qui ne se relèvera que si on le joint à l'Algérie où les indigènes sont si heureux. Avec M. de Foucauld nous arrivons à la thèse que la France doit conquérir le Maroc pour rendre heureux les Marocains. Les politiciens graves, les gens sérieux ne demandent pas mieux aussi que de faire le bonheur des Marocains en même temps que celui des Français, mais ils n'osent pas conclure franchement : Il faut... Il ne faut pas... Et leur oracle peut s'interpréter en tous sens. Voici celui de la Revue cles Deux-Mondes, en 1884, sous la signature de Valbert.

connaissent pas le vrai repos, leur condition est plutôt l'immobilité dans la fièvre, et quand l'Egypte, Alger, Tunis se taisent, l'inquiète Europe, prêtant l'oreille, croit entendre entre le Rif et la Mietzin comme le vague murmure d'une marmite qui bout. Qu'y a t-il dans cette marmite? Personne ne le sait. Ce n'est rien, disent les les C'est disent les quelque chose, autres— et uns. journaux s'empressent d'ajouter que le Maghreb s'agite, qu'il s'y passera avant peu des événements qui pourraient bien mettre en danger la paix générale. On apprend aussi de temps à autre qu'un des souverains de l'Europe vient d'envoyer à Fez une ambassade chargée d'offrir quelque splendide cadeau au sultan Muley Hassan, que cette ambassade est le Sultan destination, heureusement à que parvenue s'est donné le plaisir de la laisser se morfondre une heure durant, exposée tête nue aux ardeurs d'un soleil africain, qu'il a daigné paraître enfin, monté sur un cheval richement harnaché qui lui sert de trône, et qu'après quelques propos insignifiants il a tourné bride pour rentrer dans son harem. A quelques mois de là, le bruit se répand qu'un Maure ou qu'un juif protégé par une puissance européenne a eu des avanies à « Les sociétés improgressives ne


souffrir dans ses biens ou sa personne. Cette information fâcheuse donne lieu à une négociation que le flegmé musulman s'applique à traîner en longueur. Tout se termine par une indemnité payée de mauvaise grâce, acceptée sans reconnaissance; encore pour l'obtenir faut-il parfois se fâcher, et on apprend par un télégramme parti de Tanger que tel ministre plénipotentiaire se dispose à amener son pavillon. Mais aussitôt les autres ministres s'entremettent pour accommoder ce procès, car chacun d'eux a pour principe que le premier devoir d'un diplomate est de se procurer des affaires qui fassent parler de lui, et que le second est d'empêcher les autres d'en avoir. Quelque incident qui se produise dans l'Empire de l'Extrême-Couchant, l'Europe s'en émeut; ce qui l'émut plus que tout le reste, ce fut l'envoi d'une escadre française dans les eaux du Maroc. A Madrid comme à Londres, et à Rome encore plus qu'à Madrid, on s'empressa de dénoncer les insatiables convoitises, les perfides menées de la France qui se disposait à mettre la main sur le Maghreb. Les assurances données par notre gouvernement calmèrent les esprits échauffés ; mais pour les échauffer de nouveau, il suffit d'un taux-bruit, d'un rapport controuvé qui donne lieu à des conjectures hasardeuses, d'une entre-mangerie de consuls ou d'envoyés extraordinaires. Nous avons pu croire quelque temps que nous ... avions de sérieuses difficultés avec le gouvernement de Fez. Nous savons depuis hier qu'on nous a fait des excuses, que tout s'est arrangé. « Qu'on dise ce qu'on voudra, écrivait il y a deux mois dans la Gazette de Cologne un célèbre voyageur allemand,M. Gerhard Rohlfs, il y a une question marocaine, on s'applique peut-être à l'étouffer, à l'assoupir, cela n'ira pas longtemps. » Heureusement le Maroc est un pays où les choses qui vont mal peuvent aller longtemps encore. Quand la marmite menacera de faire sauter son cou¬


vercle, il se trouvera quelqu'un pour l'écumer; après quoi elle recommencera à bouillir à petit feu. Au milieu de ses tracas, de ses déplaisirs, de ses alarmes, l'empereur du Maroc a un sujet de joie, un bonheur dont il ne saurait trop remercier Mahomet. La meilleure garantie qu'il puisse avoir de son droit, de sa sûreté, de la conservation de son empire, ce sont les jalousies réciproques de trois puissances européennes qui se surveillent d'un oeil inquiet et dont chacune a juré qu'elle ferait tout pour empêcher que le Maghreb ne devienne la proie des deux autres. Quand on ne peut obtenir ce qu'on convoite, on trouve du moins quelque consolation dans les mésaventures d'autrui.

Quant à la France, pour qu'elle pût se désintéresser de ce qui se passe dans le Maghreb, il faudrait qu'elle renonçât à la possession de l'Algérie. Les aflaires des deux pays sont étroitement liées. Il y a des tribus nomades qui campent tour à tour dans l'un et dans l'autre. C'est au Maroc que se préparent les révoltes qui éclatent à l'heure marquée dans nos tribus arabes ; c'est au Maroc que se réfugient les insurgés après leurs défaites sans que nous puissions les poursuivre

dans les oasis de Figuig, de Kuetsa ou de Touat, où ils sont reçus à bras ouverts. Le Sultan n'exerce aucune autorité, aucune police dans toute cette partie de son empire et, eût-il les meilleures intentions du monde, il est hors d'état d'y faire respecter le droit des gens. La France soupire depuis longtemps après une rectification de frontières, et M. Gérard Rohlfs convient que ce voeu est fort légitime, qu'elle a commis une faute impardonnable en laissant à son voisin de l'ouest la vallée de la Muluya et plus au midi ces oasis qui sont des foyers de troubles et de complots toujours dénoncés et presque toujours impunis. Jus¬


qu'au jour où nous pourrons conclure avec le Maroc un arrangement favorable à nos intérêts, nous aurons des affaires désagréables à démêler avec lui, de sérieux griefs contre son mauvais vouloir ou contre son impuissance. Le rôle que nous jouons à langer est le plus ingrat de tous... La France est l'éternel réclamant, l'éternel plaignant, et on goûte peu les gen qui se plaignent sans cesse. Quelque incident qui survienne, quelques chicanes qu'on lui cherche et quelle que soit la puissance européenne qui le tracasse, le sultan Muley-Hassan a cette bonne chance qu'il est sûr d'en trouver deux autres toujours prêtes à lui venir en aide. C'est grâce aux jalousies de l'Europe que le Maroc, comme la Turquie, conserve son indépendance. A cet égard, sa situation est encore meilleure que celle de l'empire ottoman. Il y a dans la Turquie d'Europe des populations chrétiennes, dont le chef de l'empire orthodoxe, souverain de toutes les Russies, est le protecteur naturel et qui constituent un parti de l'étran-

ger.

L'Empereur du Maroc n'a point de sujets chrétiens et dans toute l'étendue de ses Etats, l'étranger chercherait vainement à se créer un parti. La puissance qui voudrait s'en emparer, ne pourrait s'y ménager aucune intelligence. Avant de se lancer dans son entreprise, le conquérant calculera tout l'argent qu'il faudrait dépenavoir faudrait raison qu'il le verser pour tout sang ser, d'un peuple que dévore le zèle de la maison d'Allah. Quiconque a gouverné des Arabes sait ce qu'il en coûte de réduire à l'obéissance cette race indocile et redoutable, qui, joignant la légèreté des pensées à l'obstination des rancunes, fidèle à sa haine et oublieuse de son malheur, puise dans la folie de ses espéle renaître toujours à courage des promptes rances vaines tentatives et des éternels recommencements.


Cet article dont

j'ai tenu

à reproduire les extraits

caractéristiques — largement — a été, jusqu'à celui de M. de La Martiniére en 1897, dans la même Revue, l'article inspirateur, l'article fond, l'article à commenter, à résumer, à délayer, à démarquer, l'article providence de tous ceux qui écrivaient Maroc... et n'avaient pus le temps de se documenter longuement. Mais les conseils de prudence, on les laissait de côté. On retenait seulement ceci que nous avions le devoir et le droit d'agir au Maroc... Le refrain si connu. Quelques-uns l'ont modulé avec élégance. Ecoutez

M. de Campou en 1886.

« Si pour l'heure

actuelle nous ne pouvons avoir que la politique du chien du jardinier, comme me le disait récemment un homme d'Etat, nous devons en tout cas, n'allant pas nous-mêmes au Maroc, empêcher qu'aucun peuple ne s'y établisse avant nous, et sauvegarder ainsi la liberté du détroit, notre colonie algérienne et les intérêts de notre commerce présent et futur avec le Maroc et Tombouctou, et montrer au besoin au Sultan et au Makhzen que si la France est la justice, ce qu'ils savaient déjà, ce qui les touche peu, elle est aussi la Force, ce qui les touchera davantage. » Vous savez bien, la Force, la seule chose que comprennent des barbares comme tous ces peuples qui n'ont pas la peau blanche... chez ces peuples où les gens ne sont pas tout à fait des hommes. Le marocain n'est pas un homme ! ! Mais, bon lecteur, cet admirable « naturaliste » qu'est M. de Campou l'affirme expressé-

ment. Ecoute

:

Chez les peuples civilisés, l'homme pense quelquefois par lui-même. La femme pense toujours par l'objet aimé. Le Marocain, lui, ne pense ni par lui-même, ni par un autre, et vit heureux de cette vie animale qui est «


un intermédiaire entre la vie du mulet et celle de l'homme raisonnable, traversant d'un pas toujours égal ce monde qu'il ne fait qu'effleurer, et dont il n'aura vu que la lettre sans jamais en apercevoir l'esprit. » Le même de Campou a écrit

:

Tout bon Marocain a deux cultes qui sont la crainte et la piastre. » «

Passons... Passons... Passons... car si nous insistions, nous désobligerions tous ceux qui nous montrent le Maroc comme un pays très riche et qui se plaignent de l'opposition des puissances à notre action... Mais, ce culte de la piastre, où, dans quelle politique ne le trouverons-nous point ! On dirait qu'il suffit aux hommes d'être voisins d'une richesse pour que ce voisinage leur confère droit sur cette richesse. Toute la politique extérieure des peuples est une politique de convoitise. Il y avait dans les cercles géographiques un brave homme qui s'appelait Castonnet Des Fosses et qui a écrit sur tous les sujets de géographie que la politique mettait à l'ordre du jour. Il a donc écrit sur le Maroc il dit homme de brave naïveté belle nous a et avec sa pourquoi nous devions tourner notre attention du côté du Maroc : possède de qui grandes rineuf C'est pays « un chesses et n'a pas encore été exploité ; aussi nous ne saurions trop nous occuper de cette région qui touche notre frontière. »


CHAPITRE VI

Ternant voit des richesses incalculables au Maroc, et veut nous les donner. — L'opinion moyenne de la bourgeoisie éclairée est merveilleusement exposée par M. Malavialle. — Une inconscience admirable du droit des gens ; la théorie bourgeoise du droit de conquérir. cependant jamais il ne saurait y avoir n'y Il et eu a — droit dans une conquête — Une thèse se précise avec M. de Ganniers : nous devons prendre le Maroc parce que nous avons déjà pris l'Algérie. — M Mouliéras croit que les Marocains préféreront le joug français. — Le seul homme qui connaisse le Maroc, c'est M. Mouliéras.

M.

!

Cette idée de la richesse incalculable du Maroc laissait calme ce bon Castonnet Des Fosses, mais il y en a d'autres qu'elle affole positivement. Ainsi un M. Ternant, qui voit au Maroc toutes les abominations de toutes les désolations, écrit :

Cet anachronisme, de honte siècle cette notre ... doit bientôt tomber et disparaître. Il est intolérable qu'en face de l'Europe, près de l'Algérie et de la Tunisie maintenant rachetées du barbarisme (sic) par le sang et les trésors de la France, se trouve un vaste territoire D'UNE RICHESSE INCALCULABLE, qui soit encore sans gouvernement réellement établi, sans relations directes avec les autres nations, presque hermétiquement fermé à la civilisation et en proie


à toutes les exactions honteuses d'un tyran qui ne se maintient sur son trône chancelant qu'en fomentant la discorde parmi les tribus géographiquement comprises dans son empire, et que par suite de la terreur qu'il inspire à ses sujets et de sa descendance du faux prophète. »

Eh!...

va donc... descendant d'un faux prophète!

Ternant n'a pas les pieds nickelés pour te l'envoyer, la vérité. Ce que c'est tout de même... hein ! que d'être le souverain d'un vaste territoire, d'une richesse incalculable ! Voici maintenant un homme de la société de géographie de Montpellier. M. Malavialle. C'est un professeur d'histoire. Il a potassé consciencieusement la question. Il a tout lu, tout commenté... jusqu'en 1888. Et il a médité. Le résultat de ses lectures, de sa compilation et de ses méditations m'apparaît donc excessivement intéressant. La pensée bourgeoise qui suit un regard universitaire sur cette « grave question ». Lisons : M.

« L'empire chérifien se disloque. Il ne peut durer qu'en se transformant. Il est impossible que cette situation se prolonge, Il y a là non seulement une injure pour la civilisation, mais un danger pour la tranquillité de la Méditerranée. Il faut que la Chine africaine s'ouvre enfin. Le Maroc est dans une situation analogue à celle de la Turquie. Les divisions de la chrétienté le main-

tiennent debout. La « concentration» européenne contre le Maroc ...exigée est par l'intérêt supérieur de la civilisation. Quant à la France vis-à-vis du Maroc, sa situation dépend, et son attitude doit s'inspirer à la fois de ses intérêts commerciaux et diplomatiques dans la Méditerranée, fondés sur une tradition historique plusieurs


fois séculaire, et de son établissement contemporain au coeur même du Maghreb par la conquête de l'Algérie et le protectorat de la Tunisie. Cette position privilégiée lui crée un ensemble de droits et de devoirs qui semblent la destiner mieux que toute autre nation

prendre la protection ou à recueillir l'héritage de « l'homme malade » du Maghreb. Nous avons d'abord le droit et le devoir de faire respecter la sécurité de la frontière algérienne. Il n'y a pas entre la province d'Oran et le Maroc de limites naturelles. Le traité de 1845, s' légèrement négocié par le général de la Rue, ne nous a même pas conservé la rive droite de la Moulouïa qui formait pour l'ancienne Mauretanie sinon une barrière géographique facile à détendre, du moins une séparation historique précise. La ligne tout idéale de la frontière actuelle, après avoir suivi un instant l'OuedAdjeroud, coupe des fleuves comme l'Isly, les montagnes comme le Toumzaït, les hauts plateaux et les Chotts comme le Rarbi ; puis tournant brusquement vers l'est, laisse à l'empire chérifien les oasis de Figuigd et de Touat. Les tribus nomades du sud oranais et du sud marocain circulent librement d'un pays à l'autre. C'est au Maroc que se préparent les révoltes qui éclatent à l'heure marquée chez nos Arabes, comme celles de Si-Sliman ou de Bou-Amena. C'est au Marebelles les se réfugient après leur défaite que roc les puissions poursuivre dans les Ksour, nous que sans où ils sont reçus à bras ouverts, réconfortés et encouragés. Le Chérif n'exerce aucune autorité, aucune police dans cette partie de ses Etats, et, eût-il les meilleures intentions du monde, il est incapable de faire respecter le droit des gens. A chaque instant ce sont des excursions, des violations de territoire, des pillages de récolte, des vols de troupeaux. De là des réclamations continuelles, des demandes de châtiment et d'indemnité qui nous donnent à Fez un rôle ingrat et déplaisant. La France est l'éternel réclamant, l'éter¬ à


LA QUESTION DU MAROC

113

nel plaignant. Son ministre y est regardé comme un fâcheux, comme un trouble-fête... Le moyen de terminer ou d'atténuer ces difficultés, c'est d'exiger une rectification de frontières qui nous donnerait la Moulouïa, l'Oued-Guir et Figuiz. Nous la demandons depuis longtemps... On la reconnaît juste, on la promet toujours, et on ne l'accorde jamais. Réclamons encore, réclamons toujours avec patience mais avec énergie, et si un jour l'ordre est trop gravement troublé, si le mauvais vouloir du Makhzem ou son impuissance à le garantir éclatent, alors serons-nous prêts à le sauvegarder nous-mêmes, comme en Tunisie, et à montrer que si la France est la Justice, ce que les Marocains savent déjà et ce qui les touche peu, elle est aussi la Force, ce qui les touchera davantage (i). Un second point également hors de doute, c'est que, même avec une frontière plus sûre, nous ne devons pas souffrir sans manquer à tous nos intérêts qu'une autre puissance européenne s'installe au Maroc à côté de nous... Notre situation nous permet et nous commande plus encore. Maîtres de la moitié du Maghreb, nous avons plus d'intérêt et plus de chance que personne d'avoir un jour le reste. L'intérêt est évident... C'est une nécessité historique et géographique. Il n'y a pas de raison pour que le Maroc n'ait pas le sort de la Tunisie ; il y en a beaucoup au contraire pour qu'il suive les mêmes destinées. Mais, dira-t-on, c'est donc une nouvelle guerre que vous voulez ? Pas le moins du monde. Une action militaire n'est pas indispensable et serait dangereuse. Il faut l'éviter dans la mesure compatible avec notre dignité, nos intérêts, nos droits et ne s'y engager qu'à la dernière extrémité. Si elle devenait un jour inévitable, elle nous serait plus aisée relativement qu'à tout autre peuple... Nous avons une base d'opé(I) Phrase de M. Campou. Celles qui précèdent sont celles de M. Valbert.


ration, une route d'invasion tout ouverte, le chemin d'Oudjda à Fez par Taza, récemment exploré par le vicomte de Chavagnac et facilement praticable à une armée. »

N'est-ce pas admirable. Nous ne voulons pas la guerre... non... mais nous voulons le Maroc... et pourquoi le voulons-nous. Parce qu'il est près de l'Algérie, et que nous avons pris l'Algérie... alors le Maroc doit suivre. Il est inutile de revenir en récrimination sur le passé. On me permettra toutefois de noter que lorsque nous avons pris l'Algérie, l'excuse morale que nous nous sommes donnée de cette prise, c'est qu'il fallait supprimer la puissance malfaisante de ces pirates barbaresques, de ces bandits qui avaient des captifs, des esclaves. Or, à celte époque, la France achetait, vendait des esclaves. L'organisation du travail colonial français était basée sur l'esclavage! Prendre le Maroc parce qu'on a pris l'Algérie... Imaginez ce que répondrait un président de tribunal au monsieur qui pour s'excuser de la prise d'une montre dirait : « Mais mon président, j'avais déjà pris la

chaîne!

Imaginez... Mais poursuivons notre enquête à travers livres. Avec M. de Gauniers c'est encore la thèse de la tache d'huile. Quand ou a mordu à même un gâteau, il faut prendre tout le gâteau, quitte à crever d'indigestion en le mangeant, ou en essayant de le manger. Rien n'est admirable comme l'inconscience de la classe dirigeante française, à notre époque, sur ces questions de conquêtes coloniales, de prise de pays liab ités par des gens d'autre religion, d'autre civilisation, d'autre couleur. Autrefois, quand le barbare du Nord ne trouvait plus d'herbe pour ses animaux, que l'hiver avait été trop froid, l'été trop sec, et que ce barbare avait faim, si on lui indiquait ailleurs des régions fortunées où l'on pouvait manger et qu'on lui en montrât le chemin, il des¬ »


cendait, il se précipitait. Il voulait manger. Et qui sy opposait, il le tuait. Il n'invoquait d'autre droit que sa faim, que sa force.

Aujourd'hui c'est plus compliqué. Le civilisé qui a faim, pour employer sa force à satisfaire sa faim, se croit obligé à un tas de chichis véritablement réjouissants. Il trouve les droits naturels, historiques, les exigences de la civilisation... et il écrit par la plume des citoyens que nous venons de lire par celle de M. de Ganniers, des belles choses comme ceci :

L'adjonction de la Tunisie à l'Algérie a donné à la France, dans le nord de l'Afrique, la limite territoriale naturelle qu'elle devait atteindre vers l'est. Mais ce premier résultat obtenu, il était rationnel que les préoccupations de notre pays se portassent sur l'autre flanc de notre grande colonie, et que les esprits désireux de voir notre Algérie également assurée à l'est et à l'ouest se demandassent si vers le Maroc nous avions bien les sécurités auxquelles nous étions en droit d'aspirer... Il est incontestable, l'histoire est là pour le démontrer, que le N.-O. de l'Afrique constitue une région unique à laquelle conviendrait une unique souveraineté. Il est certain que la position prépondérante de la ... France dans la Méditerranée, et son établissement définitif en Tunisie et en Algérie, donnent, le cas échéant, à notre pays, le droit d'envisager le sol marocain faisant partie de son domaine. Toutefois, dans la situation de la politique européenne et avec les bases du droit public tel qu'on l'applique aujourd'hui en fait de colonies : à savoir que la terre est au premier occupant pourvu que l'occupation soit effective, il faut peut-être s'attendre à voir nos justes prétentions contestées. Maroc est Il le n'est d'ignorer permis que pas ... une succession ouverte... «


Il semble incontestable qu'un pied pris actuellement sur le sol africain, des titres de suzeraineté territoriale admis par les traités antérieurs des relations commerciales importantes, une situation géographique spéciale, enfin d'anciens droits de conquête et d'occupation ne constituent des titres parfaitement valables. » Même les arabisants, les gens qui, pratiquant la

langue arabe, sont presque toujours gagnés à l'Islam, aux moeurs arabes, et ont généralement une certaine tendresse — inconsciente souvent — pour le maintien de l'état de civilisation musulmane; même ces gens-là deviennent farouches contre le Maroc et veulent qu'on prenne ce malheureux Maroc. Tel ce doux professeur d'Oran, M. Mouliéras, qui nous révéla récemment un Maroc inconnu.

écrit-il, de savoir à qui appartiendra une simple enclave entourée de toutes parts par les territoires français. Maintenant si nous consultons les sentiments d'un peuple destiné tôt ou tard à passer sous le joug étranger, ce peuple répondra que la domination française lui est la moins antipathique. » « Il s'agit,

malheureux lapin dont les cuisinières provençales prétendent qu'il demande à être sauté à l'huile, tandis que les normandes ripostent : « au beurre ! » et que les alsaciennes crient : « à la graisse ». Que si vous consultiez le lapin, il vous répondrait certainement qu'il ne demande huile, beurre ni graisse. Tel le Marocain. Nul joug étranger ne lui apparaît moins antipathique qu'un autre. Il n'a de sympathie pour aucun. Il est vrai que M. Mouliéras prétend qu'un seul homme peut parler au nom des Marocains. Lui. Un seul homme connaît les Marocains. Lui. Dans son livre (une géographie sur racontars d'un ça me rappelle assez le


indigène, et qui produit à la lecture la même impression qu'un acte de notaire arabe délimitant une propriété), M. Mouliéras constate avec mélancolie que nous ne connaissons à peu près rien du Maroc. Il en raille les

«faiseurs de cartes et les bons géographes, qui, chaque fois qu'il est question de celte contrée, se copient les uns les autres, sans critique ni souci de la vérité ». Et, afin de nous expliquer pourquoi la science ignore le Maroc, M. Mouliéras ajoute :

«Pour pénétrer dans le Maroc et l'explorer jusque

dans ses moindres recoins, deux sciences qui n'en font qu'une sont indispensables à tout Européen qui voudra s'aventurer dans ce pays ; il faut connaître assez bien l'arabe littéraire et parfaitement bien l'arabe vulgaire. Cette unique condition n'est pas des plus commodes. Qu'on en juge : outre qu'il est absolument nécessaire de parler l'arabe comme sa langue maternelle, ce qui est pour un étranger un tour de forces inouï, il faut encore savoir presque tout le Coran par coeur; pouvoir le psalmodier suivant des règles fixes, avec le plus pur accent arabe ; connaître sur le bout du doigt les traditions relatives au Prophète, à ses compagnons ; faire dans les mosquées des conférences religieuses sur la Divinité, les prophètes et les saints de l'Islam dont le nombre est incalculable, surtout au Maroc ; connaître les éléments de droit musulman, diriger les prières publiques ; assister aux enterrements en psamoldiant avec les autres clercs certains versets du Coran et des poésies funéraires en honneur dans le pays. Voilà de quoi occuper l'Européen le mieux doué pendant une quizaine d'années, sans perdre une minute. »


Et il ajoute... taleb besogneux, d'avance rompu aux ... privations et aux fatigues, on pourra s'engager hardiment dans n'importe quelle partie du Maroc, en se gardant bien d'avoir une recommandation quelconque de qui et pour qui que ce soit. Tous les explorateurs européens ont échoué, échouent ou échoueront au pays musulman à cause de leur ignorance de la langue arabe. Voyager dans un pays dont on ne connaît pas la langue, c'est voyager en sourd-muet. » « Vêtu en

A telles conditions, il est probable que la fin du

monde arrivera sans que la science ait connu un explorateur européen du Maroc. A moins toutefois qu'un gouvernement éclairé ne se décide à supplier M. Mouliéras d'aller au Maroc pour nous en révéler les mystères un peu plus clairement et d'une manière plus précise que par les souvenirs de son ami indigène, lequel parcourut en mendiant pendant vingt ans les plus sauvages régions du « Maroc inconnu ». Jusque-là contentons-nous de gémir, avec ce brave homme, de ce que nous ne prenons pas le Maroc, dont le bloc de populations africaines que cette conquête donnerait à la France nous vaudrait « une armée de deux millions de Berbères qui nous assurerait l'hégémonie européenne ». C'est écrit... je vous assure.


CHAPITRE VII

Le Maroc et les artistes. — Edmundo de Amicis. — Après

la séduction des premiers jours, l'écrivain condamne comme les autres. — Pour ne pas condamner, Loti demeure dans le rêve. Ses fantaisies littéraires. — Une appréciation curieuse de l'économiste Collin de Louvain.

maltraité, même par les professeurs d'arabe, a-t-il au moins trouvé grâce devant les artistes ? Deux voyages d'artistes sont en quelque sorte devenus classiques. Celui de Edmundo de Amicis et celui de Pierre Loti. Citons. Citons encore... dût-on faire à mon livre e reproche de n'être qu'une compilation, ou bien m'accuser d'avoir, en le composant, abusé des ciseaux du journaliste. Il faut pour étude semblable à celle dont la majeure partie de mon livre est l'objet, il faut citer. Pour exposer l'opinion d'un peuple sur une question, il faut citer les gens dont la réunion réalise l'expression de cette opinion. Et les citer suffisamment, tous, militaires, économistes, polygraphes, historiens, journalistes, artistes, diplomates, commerçants, politivoyageurs, . ciens, fonctionnaires, gouvernants, les citer. Edmundo de Amicis, comme tous les artistes, est du premier coup séduit par tout ce qu'il y a de beauté naturelle (c'est la vraie beauté artistique) en ces peuples qui, non industrialisés, jouissent du privilège d'habiter Ce Maroc si


un pays de lumière, c'est-à-dire un « pays artistique ». Les Marocains ne sont pas asservis à nos livrées européennes de la vie industrielle, car même le plus esthète chez nous subit les lois, les obligations, le joug de l'industrialisme ; les Marocains ont encore le droit à la paresse noble en costume coloré dans la lumière harmonieuse. Et c'est ce qui dès l'abord a frappé de Amicis arrivant à Tanger : moi côté de J'ai de moi-même quand à honte passe « un de ces beaux Maures en habit de fête. Je compare mon vulgaire chapeau à son large turban de mousseline, ma misérable jaquette à son caftan couleur de jasmin ou de rose, l'étroitesse enfin de mon habillement gris et noir à l'ampleur, à la blancheur éclatante, à la noblesse simple et éclatante du sien, et je me fais l'effet d'un scarabée à côté d'un papillon. Je reste quelquefois longtemps à contempler, de la fenêtre de ma chambre, un pan de culotte couleur de sang et une babouche couleur jaune d'or qui se détachent à droite d'un pilier, en bas, sur la place, et j'y trouve un tel plaisir que je ne puis en détourner les yeux. Mais ce qui, plus que tout, m'enthousiasme et me fait envie, c'est le haïk, cette longue pièce de laine ou de soie blanche striée de raies transparentes, qui s'enroule autour du turban, retombe sur le dos, tourne autour du corps, se replie sur les épaules et descend jusqu'aux pieds, en voilant vaguement les couleurs somptueuses de la robe, qui tremble au moindre souffle du vent, ondule, s'enfle, semble s'enflammer aux rayons du soleil, et donne à toute la personne l'apparence vaporeuse d'une vision. Dans ce voile charmant s'enroulent et s'étreignent, lors de la nuit nuptiale, le musulman amoureux et son épouse. »

L'artiste se voit dans une atmosphère de beauté. Et il admire... il est charmé au point de comprendre presque et de goûter ce qui fait hurler les autres Européens,


comme les chiens au clairon, la musique des Maures

:

« J ai senti la musique arabe. Dans cette continuelle

répétition du même motif, presque toujours mélancolique, il y a quelque chose qui va à l'âme. C'est une espèce de lamentation monotone qui finit par subjuguer l'esprit. ...C est une musique barbare, mais naïve et pleine de douceur... » Mais il n'est tout de même pas un Maure, et bien qu'il trouve sage ce que lui disait un Marocain : « N'exigez pas

que tout le monde vive à votre façon et soit heureux comme vous l'entendez. Restons tous dans le cercle qu'Allah nous a tracé. Allah a eu un but en étendant la mer entre l'Europe et l'Afrique. Respectons ses decrets. » de Amicis ne larde pas à se retrouver Latin dans un milieu où tout horripile sa race :

« Plus j'étudie ces Maures et plus je suis disposé à croire près de la vérité, malgré mes illusions des premiers jours, les jugements des voyageurs qui s'accordent tous à les appeler race de vipères et de renards ; faux, lâches, humbles vis-à-vis des forts, insolents vis-

à-vis des faibles; rongés par l'avarice, dévorés par l'égoïsme, brûlés par les passions les plus abjectes qui puissent naître dans le coeur de l'homme. Comment pourrait-il en être autrement? La nature du gouvernement et l'état de la secte ne leur permettant aucune ambition virile, ils trafiquent et travaillent mais ne connaissent pas le travail qui fatigue et qui réjouit ; ils sont sevrés complètement de tout plaisir qui dérive de l'intelligence ; ils ne se soucient pas de l'éducation de leur propre fils, et n'ont aucun noble but dans la vie. Ils s'adonnent de toute leur âme et


pendant toute leur vie à la jouissance d'amasser de l'argent, et partagent le temps que leur laisse ce soin entre une oisiveté somnolente qui les amollit et des plaisirs déréglés et grossiers qui les abrutissent. Dans une existence aussi efféminée, ils deviennent naturellement cancaniers, vaniteux, mesquins, pervers ; ils se déchirent mutuellement avec une rage impitoyable ; ils mentent par habitude avec une impudence incroyable ; ils affectent un esprit de charité et de religion et sacrifient un ami pour un écu ; ils méprisent la science et accueillent les superstitions les plus puériles et les plus vulgaires ; ils se baignent tous les jours et laissent dans les coins de leurs maisons des monceaux d'immondices. Que l'on ajoute à tout cela un orgueil diabolique dissimulé selon l'occurrence sous des dehors humbles et dignes en même temps qui paraissent l'indice d'une âme noble. Aussi m'ont-ils trompé les premiers jours, mais je suis convaincu aujourd'hui que le dernier d'entre eux croit, au fond du coeur, valoir infiniment plus que nous tous en bloc. Les Arabes nomades conservent au moins la simplicité austère des coutumes anciennes et les Barbares sauvages ont l'esprit guerrier, le courage, l'amour de l'indépendance. Les Maures seuls unissent en eux la barbarie, la dépravation et l'orgueil, et sont la portion la plus puissante de la population de l'empire, celle qui fournit les négociants, les oulémas, les tholbas, les caïds, les pachas, qui possède les riches palais, les grands harems, les belles femmes, les trésors cachés, et reconnaissables à l'embonpoint, à la carnation claire, à l'oeil rusé, aux gros turbans, à la démarche majestueuse, à la mollesse, aux parfums, à l'insolente ostentation. » L'enthousiasme des premiers jours n'a pas tenu. Le courant n'a point passé. La sympathie n'a pas pris. Les


yeux de l'artiste ont vu beaucoup le mal... presque pas ce qu'il y a de bon... En un mot ça n'a pas collé... L'impression est meilleure chez Loti. Réelle? Sincère ? Ou bien littérature pour conserver le prestige d'exotisme en quoi, par quoi l'écrivain désire être original ? Est-ce pour avoir le droit de se faire photographier enveloppé d'un costume marocain dans son cabinet de travail à décor marocain que Loti, aux âmes changeantes et nombreuses, voyageant au Maroc, s'est découvert l'âme marocaine, et a chanté en marocain la beauté marocaine de l'empire marocain... et celle du jeune empereur marocain ?

«Il est bien un peu sombre cet empire du Maghreb,, et l'on y coupe bien de temps en temps quelques têtes,

je suis forcé de le reconnaître ; cependant je n'y ai rencontré pour ma part que des gens hospitaliers — peutêtre un peu impénétrables, mais souriants et courtois dans même le peuple, dans les foules. Et chaque — fois que j'ai tenté de dire à mon tour des choses gracieuses, on m'a remercié par ce joli geste arabe, qui consiste à mettre une main sur le coeur et à s'incliner, avec un sourire découvrant des dents très blanches. Quant à S. M. le Sultan, je lui sais gré d'être beau ; de ne vouloir ni parlement, ni presse, ni chemins de fer, ni routes ; de monter des chevaux superbes ; de m'avoir donné un long fusil garni d'argent et un grand sabre damasquiné d'or. J'admire son haut et tranquille dédain des agitations contemporaines; comme lui je pense que la foi des anciens jours, qui fait encore des martyrs et des prophètes, est bonne à garder et douce aux hommes à l'heure de la mort. A quoi bon se donner tant de peine pour tout changer, pour comprendre et embrasser tant de choses nouvelles, puisqu'il faut mourir, puisque forcément un jour il faut râler quelque part, au soleil ou à l'ombre, à une heure que Dieu seul connaît.


Plutôt gardons la tradition de nos pères, qui semble un peu nous prolonger nous-mêmes, en nous liant plus intimement aux choses passées et aux hommes à venir. Dans un vague songe d'éternité, vivons insouciants des lendemains terrestres, et laissons les vieux murs se fendre au soleil des étés, les herbes pousser sur nos toits, les bêtes pourrir à la place où elles sont tombées. Laissons tout et jouissons seulement au passage des choses qui ne trompent pas, des belles créatures, des beaux chevaux, des beaux jardins et des parfums des fleurs... Donc que ceuxlà seuls me suivent dans mon voyage, qui parfois le soir se sont sentis frémir aux premières notes gémies par des petites flûtes arabes qu'accompagnaient des tambours. Ils sont mes pareils ceux-là, mes pareils et mes frères ; qu'ils montent avec moi sur mon cheval brun, large de poitrine, ébouriffé à tous crins; à travers des plaines sauvages tapissées de fleurs, à travers des déserts d'iris et d'asphodèles, je les mènerai au fond de ce vieux pays immobilisé sous le soleil lourd, voir les grandes villes mortes de là-bas, que berce un éternel murmure de prières... Pour ce qui est des autres, qu'ils s'épargnent l'ennui de commencer à me lire ; ils ne me comprendraient pas ; je leur ferais l'effet de chanter des choses monotones et confuses, enveloppées de rêve... »

n'est pas des choses enveloppées de rêve, c'est des choses qui sont le rêve. Et je veux de suite observer, noter que le musulman du Maroc n'est pas du tout dans ce rêve. Le moine fanatique, sans doute, le moine qui est de même esprit paresseux, extatique, en tous pays ; mais les autres, les hommes ordinaires qui mangent de leur travail et non de celui d'autrui, ceux-là, au Maroc, ainsi que partout, vivent la réalité et se moquent du rêve. Les belles prairies fleuries, c'est du blé qu'ils y veulent, du blé, de l'orge, de quoi se nourrir, eux et leurs chevaux ; et quand ils montent ces chevaux, ils Ce


préfèrent de bons chemins au désert, même si les cailloux de ce désert sont ornés d'iris et d'asphodèles. Les Marocains aiment la jolie musique, les jolis vers, les jolies histoires et les contes égrillards leurs plaisent beaucoup plus que « les prières sous le soleil lourd, dans les villes mortes ». Le frais, les bons coussins, le bon thé, sucré de bon sucre, parfumé de bonne menthe, et les bonnes pâtisseries... il n'y a que les santons complètement fous ou bien les aïssaouas en crise de délire qui dédaignent ces bonnes choses matérielles de la civilisation matérielle. Tous les autres, tous les Marocains, comme d'ailleurs tous les hommes qui jouissent de leur raison terrestre, désirent les choses qui rendent la vie moins pénible... Citons encore la rêverie de Loti : moins paraît nés sont nous y « misérable que la nôtre et moins faussée. Personnellement j'avoue que j'aimerais mieux être le très saint calife que de présider la plus parlementaire, la plus lettrée, la plus industrieuse des républiques. Et même le dernier des chameliers arabes, qui, après ses courses par le désert, meurt un beau jour au soleil en tendant à Allah ses mains confiantes, me paraît avoir eu la part beaucoup plus belle qu'un ouvrier de la grande usine européenne, chauffeur ou diplomate, qui finit son martyre de travail et de convoitises sur un lit, en blasphémant... O Maghreb sombre, reste, bien longtemps encore, muré, impénétrable aux choses nouvelles, tourne bien le dos à l'Europe et immobilise-toi dans les choses passées. Dors bien longtemps et continue ton vieux rêve afin qu'au moins il y ait un dernier pays où les hommes fassent leur prière... Et qu'Allah conserve au Sultan ses territoires insoumis et ses solitudes tapissées de fleurs, ses déserts d'asphodèles et d'iris, pour y exercer dans les espaces libres l'agilité de ses cavaliers et les jarrets de ses '

a vie de ceux qui


chevaux; pour y guerroyer comme jadis les paladins et y moissonner les têtes rebelles. Qu'Allah conserve au peuple arabe ses songes mystiques, son immuabilité dédaigneuse et ses haillons gris Qu'il conserve aux musettes bédouines leur voix triste qui fait frémir, aux vieilles mosquées l'inviolable mystère suaire le des chaux blanches ruines... et aux — J'éprouve un mouvement de reconnaissance ... envers le Sultan de Fez pour ne point vouloir de sleeping dans son empire, et pour y laisser les sentiers sauvages où l'on passe à cheval en fendant le vent,.. » !

Eh bien tout ça c'est du battage littéraire. Quand on passe à cheval sur les sentiers sauvages, on ne fend pas le vent ; on va au pas durant les heures; et ces heures languies sur le dos d'un cheval dont les sabots glissent, butent, roulent, elles paraissent excessivement longues même aux Marocains rêveurs. Et je le répète, tout homme ayant lueur de bon sens, fùt-il grand mufti, pour traverser les déserts sablonneux, les montagnes pierreuses, n'hésitera pas dans son choix entre quelques heures de sleeping-car et quelques jours de cheval... au pas. Car c'est au pas... au pas... Le cavalier qui fend le vent c'est de la blague. S'il veut courir d'allure à « fendre le vent », il se casse les reins ; le cheval qui est un animal très sage ne veut pas fendre le vent sur les sentiers sauvages et lorsqu'il sent à l'éperon de son cavalier que celui-ci veut « fendre le vent », il le dépose. Pourquoi, diable, chercher impression réelle sur un pays chez les poètes, même quand ils écrivent en prose comme Loti ! Est-ce que nous trouverons plus exact, plus vrai, mieux vu chez ceux que le consentement public a sacrés économiste dit: Un sérieux. nous gens

caprice des historiques, évolutions Placé par un «


aux portes mêmes de l'Europe civilisée pour y contraster de toute la laideur de son antique guenille barbaresque avec l'orgueil de notre culture avancée, le Maroc nous gêne comme un gourbi dans la cour d'un palais. Invinciblement les diplomates ont dû mettre la main sur cette communauté misérable et hautaine qui leur cache de si belles perspectives d'Afrique. Mais elle se dérobe tour à tour nerveuse et molle, n'offrant aux prises de l'Europe avide aucun point d'appui fixe. Son gouvernement est flexible, sa capitale changeante, ses frontières élastiques, son armée vagabonde, ses tribus autonomes, son pays peu connu et à moitié légendaire encore. » Ajoutons pour ceux que tel français, donné après celui de Loti, étonnerait, que l'économiste ainsi « gêné» par le Maroc est un écrivain belge, M. Victor Collin, de Louvain. J'ai tort de railler, car il y a chez nous aussi quelques écrivains... de Louvain.


CHAPITRE VIII

Nous avons, nous aussi, sur le Maroc, quelques écrivains de Louvain. — Le Maroc au Parlement. — M. Raiberti. Etienne. Delcassé. M. M. — — — lin article de M. Etienne sur les droits et les devoirs de la France au Maroc ! — M. Etienne apprécie le traité de 1845. — M. de la Martinière aussi. — M. de la Martinière critique le traité

mais défend les négociateurs, car il est renseigné, bien qu'il ne publie de ses renseignements que ce qui donne tort aux Marocains. — Le statu quo. — Encore M. Moulieras Une explication naïve de la naïveté des plénipotentiaires de 1845.— M. Sourdeau fit en 1820, une douloureuse expérience de l'ironie diplomatique des Marocains. — Ayons une diplomatie franche...

Nos écrivains...de Louvain, on peut les trouver dans notre Journal Officiel. Cherchons dans le compte rendu des séances de la Chambre des Députés, à la date du 21 janvier 1902. Le ministre était interrogé sur « la sauvegarde de nos droits» au Maroc. Et de ce que disaient nos honorables on pourrait croire que la notion claire de nos fameux droits au Maroc serait facile à dégager. Essayez. M. Raibert disait :

juillet 1901, M. le Ministre des'Aflaires étrangères déclarait au Sénat que « la France, maîtresse de l'Algérie et, par cette colonie, limitrophe du Maroc sur une immense étendue, était tenue de suivre ce «Le

5


qui s'y passe avec un intérêt singulier, dont nul ne saurait contester équitablement la légitimité». M. le Ministre ajoutait que « notre vigilance ne tendrait qu'à assurer la tranquillité, la prospérité et l'intégrité de l'Empire chérifien ». Nous ne rêvons ni annexion, ni conquête. Nous n'avons qu'un but, le maintien de l'intégrité de l'empire du Maroc. Nous sommes décidés à la respecter ; mais nous sommes décidés aussi à la faire respecter par les autres.

Instruits par l'exemple que l'Angleterre nous a donné elle-même, il nous appartient de lui faire savoir que, si nous avons pu transiger au Bahr-elGazal, sur des droits qui, en somme, n'étaient pour des Maroc droits secondaires, au avons nous nous que jamais, transigerons et, nous lesquels nous ne sur servant de son propre langage, de lui notifier que nous considérerions la poursuite de ses vues actuelles sur le Maroc comme un acte antiamical. Nous ne cherchons pas contre elle une revanche d'amour-propre. Nous défendons nos droits. La question de Bhar-el-Gazal n'était pour nous qu'une affaire de sentiment. La question de l'intégrité du Maroc touche à nos droits les plus essentiels. Nous réglons notre attitude sur nos intérêts et nous souhaitons que l'Angleterre ne trouve pas seulement dans les circonsdésir de le mais dans ménager qu'elle traverse, tances la raison de légitimes, plus les susceptibilités ne nos qui pourrait attitude, dans persévérer ne pas une pas de les bonne rapports plus longtemps concilier avec se amitié que notre plus vif désir est de conserver avec elle. M. Etienne ajoutait dans la séance de l'après-midi

:

collègue, honorable question Il notre est une que «


M. Raiberti, a traitée ce matin avec un remarquable talent. Tout le monde comprend qu'il y a pour nous un intérêt supérieur à ce que le Maroc soit maintenu dans son intégrité absolue. L'Europe entière sait

qu'il nous est impossible d'admettre qu'une influence supérieure à la nôtre puisse s'établir au Maroc. Ce serait compromettre d'une façon absolue nos intérêts dans le bassin méditerranéen. C'est la sécurité française qui est attachée à cette importante question. M. le Ministre des Affaires étrangères n'a pas hésité à proclamer au Sénat, comme le rappelait M. Raiberti ce matin, à proclamer devant l'Europe quel était le prix que nous attachions au maintien de notre prépondérance au Maroc. Il a su dire, j'espère qu'il le redira ici encore avec une plus grande netteté pour qu'on comprenne mieux, qu'il est impossible de supporter qu'une puissance quelconque tente de diminuer notre influence au Maroc pour y substituer la sienne. Si je tiens ce langage, si je jette ce cri d'alarme, c'est que les faits sont tangibles. Assurément, cette action inlassable et tenace des Anglais est de nature à provoquer l'admiration, car aujourd'hui, alors que peut-être ils devraient être si prudents, alors qu'ils devraient songer à régler les énormes difficultés qui pèsent sur eux, ils continuent la même politique active et inquiétante. Cette politique mondiale, je ne sais comment la traduire ; c'est une politique insatiable qui n'a jamais de répit, qui poursuit les autres puissances là où elles sont nettement établies. Ce Maroc, dont nous voulons réserver l'intégrité, où nous voulons avoir une influence prépondérante, ce Maroc devient la convoitise du peuple et du gouvernement anglais. Je crois, messieurs, que l'attitude de l'Angleterre à cette heure a été provoquée par nos actes dans le Sud-


Oranais. L'Angleterre a été émue, inquiète de constater que nous allions prendre possession de territoires qui nous appartiennent. Car — fait singulier — nous n'avons pas le droit, paraît-il, de faire, comme le disait si bien M. Ribot, en 1890, la police nousmêmes dans des régions exclusivement françaises. L'Angleterre nous conteste, paraît-il, ce droit. Elle a agi avec la dernière énergie auprès de la Cour chérifienne pour qu'elle nous adresse les plus vives protestations. La Cour chérifienne a fait entendre à notre gouvernement qu'il n'avait pas le droit d'occuper les oasis sahariennes, qu'il entamait le territoire marocain et qu'il devait abandonner ses projets immédiatement. Heureusement, le gouvernement ne s'est pas arrêté à ces protestations et il a occupé les oasis sahariennes. Mais pour prouver à l'Europe combien sa politique est pacifique, combien elle est exempte d'ambitions, la France ayant provoqué la venue d'une ambassade marocaine, a signé un protocole avec le Maroc qui assure à ce dernier juridiction — je ne dis pas possession, parce qu'il lui est impossible d'aller prendre possession de ces territoires, — mais juridiction sur des tribus sur lesquelles le Maroc n'a jamais pu établir son autorité. Nous lui reconnaissons des droits de souveraineté sur toutes les tribus du Beld-es-Sibà, c'est-à-dire sur des régions jusqu'ici indépendantes ; car le Maroc se divise en deux parties : au nord, le Maghzen, territoire appartenant à la Cour, et au sud, le Bled-Siba, territoire indépendant sur lequel le Sultan n'a aucune influence. Or, la France, qui veut l'intégrité de l'Empire marocain, a informé les puissances européennes de ses dispositions pacifiques et a déclaré au Sultan, ainsi qu'à son ambassadeur: « Nous ne voulons pas entamer vos frontières ; nous allons au contraire augmenter votre autorité, puisque nous allons la reconnaître là où vous n'avez pas encore pu l'établir ; et cette reconnaissance va vous donner, sur ces


populations mêmes, une autorité exceptionnelle. » Et

M. le Ministre des Affaires

étrangères répondait

:

Quant au Maroc, je dirai que l'ambassade marocaine, qui est venue à Paris au mois de juin dernier, après le règlement des incidents du mois de mai, et qui, de Paris, s'est rendue à Saint-Pétersbourg, a eu des résultats dont je crois que l'un et l'autre pays auront lieu d'être satisfaits. Les envoyés marocains ont pu voir, et ils auront dit au Sultan ce qu'est la France, ce qu'elle peut, quels sentiments amicaux on y nourrit pour lui et son empire, et avec quelle bienveillance nous nous sommes prêtés à la réalisation des désirs qu'ils nous ont exprimés en son nom. Sur leur prière, nous avons précisé la portée et réglé les conditions d'application du traité de paix de 1845 dont les dispositions, en ce qui concerne les limites des positions respectives au sud de Figuig, avaient un vague qu'explique l'insuffisance et d'ailleurs le peu d'intérêt pratique des données géographiques à cette époque ; et, par une juste répartition des tribus, qui réserve la faculté des populations, de choisir la puissance protectrice, nous avons écarté, — nous l'espérons du moins, — la principale source de difficultés avec un plus de la nul à que nous, cause commuque pays, nauté des frontières, n'a intérêt à savoir tranquille et prospère, que nul n'a autant de raisons que nous de vouloir indépendant. «

Etienne, sur les épaules de qui ses amis prétendent Ferry, s'est succession coloniale de Jules la repose que de la question marocaine. Il est occupé toujours » « oranais. Il est député d'Oran. Que l'expansion de la France au Maroc tienne la première place dans les préoccupations politiques de cet homme d'Etat, c'est normal. Dans quelques-uns des très nombreux articles M.


qu'il a consacres à l'étude, à l'exposé de celle question, parfois il s'est montré plus net que dans le discours dont je viens de publier un extrait. Ainsi on peut lire, de lui, dans la Revue Questions diplomatiques et coloniales: « L'occupation du Touat n'est qu'une partie de

l'oeuvre qui nous incombe pour améliorer le statu jusqu'ici maintenait qu'à marocain qui ne se quo notre détriment. Nous avons avec le Maroc une frontière commune et sur cette frontière un point im-

portant. Lalla-Maghina dont le grand géographe Elisée Reclus a indiqué en ces termes le rôle futur : « LallaMaghina est la vraie porte du Maroc, et c'est bien là que doit pénétrer le chemin de fer qui rattachera Fez et l'ensemble du Maroc, au réseau du reste de la Berberie. » Il se fait le long de la frontière, dans la région dont Lalla-Maghina est le centre, un commerce des plus importants. Les mesures prises jusqu'ici pour assurer à la France une part importante de ce commerce ont été insuffisantes. La création des marchés francs de LallaMaghnia et d'El Aricha n'a pas donné les résultats attendus. Il faut faire plus et mieux en dirigeant par la Tafna, c'est-à-dire par la voie la plus courte, la plus directe, la ligne d'Oran à Aïn-Temouchent, transformée en voie étroite, jusqu'à la frontière. Ce serait là une puissante artère, portant la vie et la prospérité dans la région, et propre à jouer un jour le grand rôle que la parole d'Elisée Reclus a justement prédit. Ainsi se préparerait la pénétration lente et pacifique de l'Ouest marocain par l'industrie et le commerce français ouvrant les voies à la pénétration politique qui serait l'oeuvre du temps. Mais ce serait méconnaître l'histoire que de ne pas se tenir prêt à


soutenir par la force la légitime action pacifique que notre situation nous donne le droit d'exercer au Maroc. Dans ce but, la création d'un port militaire à l'embouchure de la Tafna, à Rachgoun, a été sérieusement préconisée par les ingénieurs hydrographes et par les plus hautes personnalités maritimes. Le bassin occidental de la Méditerranée est dépourvu d'un point d'appui effectif pour la flotte française, et comment alors s'étonner qu'on ait songé à opposer dans l'avenir à Gibraltar Rachgoun et les facilités de refuge et d'abri qu'offrirait un port dans la Tafna, port qui serait relié par une voie ferrée à section étroite, à Tlemcen ? Dans les conjonctures douloureuses de l'heure présente, quel est le Français qui ne souhaiterait pas que ce port fût déjà fait au lieu d'être à faire ?

La France a, au Maroc, des droits et des devoirs supérieurs à ceux de toute autre puissance, même à ceux de l'Espagne. L'Espagne ne peut plus guère invoquer que des titres historiques respectables sans doute, mais qui ne sauraient faire obstacle aux intérêts primordiaux que crée en faveur de la France une frontière commune de 400 kilomètres. Ces intérêts, la France a été la première à les négliger et à les oublier. Comment s'étonner que ses rivaux, suivant notre exemple, se soient ingéniés à les battre en brèche et à les ruiner ? Mais il est temps de se reprendre. La cause première de nos droits, leur raison d'être présente et future est toujours là, solide et vivante, c'est l'Algérie. L'Algérie nous a conduits en Tunisie. Elle doit plus justement, quoique plus difficilement sans doute, nous conduire au Maroc. Ce n'est pas en un jour que s'est faite la conquête de la Tunisie. Les apparences sont trompeuses, nous


l'avions comme pénétrée et enserrée bien avant de la prendre. Au Maroc, la même tactique s'impose, avec plus de lenteur, plus de prudence, à raison même des rivalités en éveil ; notre longue inaction a rendu la tâche plus lourde, d'autant plus périlleuse. Mais il est temps de regarder en face les problèmes de l'avenir, à la lumière des leçons d'un passé récent. Sachons bien ce que nous voulons. Et une fois notre choix arrêté, nos résolutions prises, marchons droit au but sans peur et sans reproche. Il est des inimitiés qui seront obligées de s'incliner devant notre bon droit si évident, devant notre ferme propos de le faire prévaloir. » Les problèmes de l'avenir? M. Etienne en spécifie un : le creusement d'un port à Rachgoun, avec la construction du chemin de fer Aïn Temouchent-RachgounMarnia. Les autres, il nous permet de les lire entre ces lignes : « L'Algérie nous a conduits en Tunisie. Elle nous doit plus justement, quoique plus difficilement sans doute, conduire au Maroc. » Sans avoir la clairvoyance des somnambules extra-lucides, on en peut conclure que M. Etienne, porte-parole et chef du parti colonial, veut la conquête du Maroc. Il la veut. Oui. Mais pour nous, et pas pour l'Espagne avec qui M. Delcassé vou-

drait agir. M. Etienne trouve « la scène marocaine trop exclusivement accaparée par les faits et gestes de l'orgueil castillan ». Aussi quelle colère chez lui le jour où M. Delcassé l'a consulté sur son projet d'alliance espagnole pour la conquête de cette « scène marocaine ». Ce fut une « scène » oranaise, de français d'Oran qui voit l'Ouest algérien devenir « castillan ». Comme tous les coloniaux militants, M. Etienne estime de provient mauvaise notre Maroc situation ce que au que les traités de 1844-1845 sont mauvais. Il laisse entendre que les négociateurs de ces traités furent


au-dessous de leur tâche, car il pense avec M. Ordega, notre ancien ministre à Tanger, qu'alors « le Maroc était à nos pieds et que nous aurions pu en disposer à notre convenance ». M. Etienne est même acerbe dans sa critique des gouvernants de 1845, lorsqu'il rappelle. de Guizot cette grande parole néfaste : La ... France est assez riche pour payer sa gloire. Traduisez «

cette formule oratoire si applaudie en son temps en langage clair, précis, exact, et vous verrez qu'elle cachait la méconnaissance absolue de nos intérêts et de notre situation en Algérie, l'oubli complet de nos revendications, l'abandon des résultats d'une victoire décisive. Au lendemain de la victoire d'Isly, le Maroc était à notre merci. Nous devions, dès ce jour, prévoir les lointains lendemains, et sans tirer de ce glorieux fait d'armes des conséquences excessives de nature à compromettre leur solidité, il nous était permis de faire nos conditions et d'obtenir non seulement des satisfactions pour le présent par une bonne frontière, mais aussi les avantages que la France, désormais grande puissance méditerranéenne, avait le droit de revendiquer dans le bassin occidental de la Méditerranée à l'entrée du détroit de Gibraltar. Mais, ni le présent ne fut assuré, ni l'avenir sauvegardé. Au XVIIIe siècle, on se contentait, en pareil cas, d'un bon mot; au XIXe siècle, nous nous croyons plus exigeants, et cependant la grande phrase de Guizot suffit à ses contemporains, moins frivoles peut-être, mais à coup sûr aussi ignorants en matière coloniale que ceux de Voltaire. »

C'est toujours un plaisir nouveau pour moi que de citer la littérature de notre grand chef en politique

coloniale. Tons ces extraits vous montrent comment s'est faite l'opinion du public français, lequel croit que la France a le droit de posséder le Maroc et qu'elle a eu tort de ne


pas le prendre en 184 ; un tort qu'il conviendrait de réparer le plus tôt possible. Elle est presque unanime la condamnation des négociateurs de 1844-1845 On les dit « au-dessous de leur tâche ». Même, comme c'est l'Angleterre qui, parait-il, défendait le Maroc contre nous, je m'étonne de ne pas avoir noté dans les historiens ou chez les publicistes l'accusation de trahison ! Je viens d'écrire condamnation « presque unanime». Un homme s'est en effet trouvé qui a défendu ces pauvres négociateurs! En 1897. Dans un article de la Revue des Deux-Mondes. M. de La Martinière. Non qu'il approuve ce traité. Il le juge ainsi, en critique documenté: !

part l'Oued-Kiss, qui forme une ligne de démarcation à peu près nette, la moitié des points désignés par la convention ont donné lieu à des contestations. Algériens, Marocains réclamaient tour à tour, car, depuis 1847, pendant plus de dix ans, ce ne fut qu'une longue série de conflits, auxquels les officiers chargés de la surveillance des cercles bordant la frontière, avaient la plus grande peine à mettre fin. C'est qu'en dehors de cette difficulté constante soulevée par la dénomination inexacte des points de frontière, on se heurtait à un autre inconvénient qui ajoutait encore aux complications. Des tribus reconnues comme marocaines se trouvaient sur le territoire algérien, tels Attia et les Beni Mengouche Tahta ; d'autres étaient des fractions infimes de sujets algériens ; nos Angads avaient des propriétés aux portes d'Oudja, ceux du Maroc sur les bords de la Tafna. Nos Oulard-Sidi-Medjaher possédaient leurs établissements d'hiver sur le territoire marocain, etc... L'application 1863, qui de du sénatus-consulte ... constituait la propriété indigène força à vérifier d'une façon plus attentive le tracé de la frontière. C'est ainsi «A


que l'on constata le vague et l'inexactitude des points désignés par la convention. Par exemple, si nous cheminons de Ras-el-Aïoun vers le sud, nous arrivons au point dit Dra-el-Doum. C'est un contrefort de 4 kilomètres de long ! De même pour la plaine d'El-Aoudj qui lui fait suite, plaine très grande, assez fertile, également convoitée par les Beni-Snassen marocains, nos Beni-Ouassin et nos Achache, et que l'on ne savait comment départager. Plus loin, c'est un kerkour. On nomme kerkour des amas de pierres, sortes de pyramides, que les indigènes marocains ne se font, on le devine, aucun scrupule de déplacer. Quand ils ne les déplacent pas, ils en élèvent d'autres là où leur intérêt les engage à le faire. C'est ce qui était arrivé pour le kerkour SidiHamza désigné par le traité. Puis, on s'apercevait que l'Oued-Rouban n'existait pas, que Kouddiet-el-Debar, après la plaine de Missiouin, envahie par les BeniHamelil marocains, se trouvait à l'est et non au sud du point noté, ce qui faisait perdre à nos Oulad-EuNehar toutes leurs terres. Or, comme cette vérification de frontière avait pour but de s'entendre avec les autorités du Maroc, afin de régulariser une situation difficile, que nous devions, pour éviter d'interminables complications, nous montrer accommodants, il en résultait que nos administrés se trouvaient lésés en partie de leurs droits. Que faire ? Rester dans le statu quo sur la plupart des points-frontières et continuer à subir les conséquences de cet état fâcheux. Plus tard encore, toujours pour obvier à ces difficultés, on reprenait, d'accord avec les autorités marocaines, la vérification de la frontière; mais on ne parvenait pas davantage à s'entendre ; aussi bien il fut décidé de laisser des terrains neutres, dans lesquels Algériens et Marocains pourraient s'établir, sans qu'ils fussent censés avoir franchi la frontière,


soit d'un côté, soit de l'autre. C'est ainsi que l'on procéda entre Djorf et Baroud, Zoudj-el-Beral et les deux kerkour Sidi-Hamza, etc... En somme, à part la ligne de l'Oued-Kiss, il n'y a pas eu de limite nettement caractérisée, nettement tracée. Il apparaît jusqu'à l'évidence, que la reconnaissance des points assignés par la convention, n'a pas été laite sur place et que, d'autre part, les indigènes intéressés n'ont pas été consultés sur leur droit. » Mais tandis que les autres auteurs, sur la foi de documents incomplets ou erronnés, accusaient d'ignorance, d'impéritie, d'imprévoyance ou tout ou moins de légèreté

les négociateurs des traités 44-45, M. de La Martinière, qui est renseigné, écrit, lui: « La convention de Lalla-Mar'nia fut à peu près ce

que les circonstances permettaient qu'elle fût. S'il y a eu faute, cette faute remonte plus haut et s'explique. Elle est sortie tout entière de la situation politique et militaire que nous avions à cette époque en Afrique. Dès Isly, nous nous arrêtâmes bien vite, les deux grandes préoccupations du moment dominèrent toutes négociations : i° Nous emparer d'Abd-el-Kader ; 20 éviter le moindre froissement avec la GrandeBretagne et pour cela ménager le Maroc.» Et il ajoute :

pensions être obligés de nous en tenir strictement aux données vaguement fournies par les indigènes sur les droits des Turcs qui nous avaient été reconnus, car ces droits nous les ignorions absolument... De frontière telle que nous la concevons, il n'y en avait pas. Oudjda, depuis 1745, était en la possession du Maroc. La frontière naturelle de la Muluïa n'existait plus. » « Nous


auleur, renseigné et avisé, de retomber dans la phraséologie des polémistes vulgaires pour affirmer, en remontant aux Romains, que nous avions le droit de prendre les territoires marocains jusqu'à la Moulouïa. Les deux Mauretanies étaient séparées par la Moulouïa. L'Algérie et le Maroc doivent avoir la même frontière. M. de La Martiniére l'affirme en écrivant : Ce qui n'empêche pas cet

Aucun acte sérieux, sauf une usurpation de pouvoir, n'est venu changer cet état de choses constant à travers tant de siècles, depuis la domination romaine. Ce sont donc là des droits, des droits indiscutables et qu'assurément nous étions les seuls à ignorer. Lorsque Abd-ur-Rahman recommandait à son ministre de revenir sur la convention de Lalla-Mar'nia, illavait soin de maintenir le tracé que nous lui avions imposé. Et cela n'était pas sans raison. Les droits que nous possédons sur la ligne de la Moulouïa sont précis, éternels. Eternels parce que ce sont des droits historiques et que ceux-ci, par leur nature même, sont imprescriptibles. » «

C'est beau la notion historique des droits historiques ! Nous réclamons au Maroc des territoires en marquant les délimitations romaines de deux provinces romaines devenues l'une le Maroc, l'autre l'Algérie. Mais alors qu'est-ce que le droit historique ne permettrait point aux Italiens de nous réclamer? Maintenant comment ce diplomate, qui reflète bien les idées gouvernementales puisque après la publication de cet article on lui a confié les fonctions de consul général à Tanger, expose-t-il la question marocaine, comment apprécie-t-il le statu quo dont M. Etienne est si nettement l'ennemi ? Il dit que la question marocaine, à quoi il a consacré

tant de pages, rieristepas, pour nous... quant à présent.


Mais oui. Il le dit. Vous allez le lire

!

Et tandis que toute sa carrière est consacrée à l'oeuvre de la conquête du Maroc, alors que son ministère ne veut que cette conquête, ayant avis public à donner, il se prononce pour le maintien du statu quo. Voici d'ailleurs : « Le régime actuel nous suffit, nous nous contentons de la Convention de 1845, si peu soucieuse de nos droits, bien qu'elle ait tourné à notre détriment. Nous ne ferons rien. Nous n'avons rien à faire pour tenter

qu'elle se modifie, car nous n'avons aucune convoitise. Mais si Sa Majesté chérifienne voulait reprendre, comme Moulai-Abd-ur-Rahman en avait manifesté l'intention, la rédaction du traité, nous pourrions, mieux informés sur la légitimité de nos revendications, l'aider à réparer les injustices voulues ou non, dont nos intérêts se sont trouvés victimes. Une convention nouvelle ne saurait en effet avoir d'autre base que la clause du traité de Tanger, nous substituant aux Turcs, et nous savons à présent quels furent leurs droits. Mais la Cour de Fez n'y songera pas, et nous ne souhaitons aucunement, — bien que devant en bénéficier — que cette éventualité se produise. Il n'est personne, en effet, qui, au courant des choses algériennes, forme le voeu de nous voir entrer en conflit d'intérêts avec l'empire chérifien. Notre colonie se développe normalement, son rayonnement civilisateur se poursuit lentement vers le Sud, amenant avec des habitudes d'ordre et de paix la sécurité dans un milieu livré jusqu'à présent à une piraterie intolérable. Nous ne demandons au Maroc que de nous aider dans cette tâche en observant les conventions établies, c'est-à-dire en ne donnant aucun espoir de soutien, même moral, aux fauteurs de troubles, aux fanatiques religieux, tels que Bon-Amama, par exemple.


Nos sentiments amicaux envers la Cour marocaine sont d'autant plus sincères qu'ils correspondent à nos intérêts bien compris. Quant à présent, la question marocaine n'existe ... pas pour nous, puisqu'il apparaît que l'on ne saurait s'attacher avec trop de soin à en retarder l'ouverture. Mais si d'autres plus remuants venaient à la poser d'une façon inéluctable, il va sans dire, que plus qu'aucun, nous aurions le devoir d'intervenir et de faire valoir, non plus seulement les droits sacrifiés de nos prédécesseurs, mais les droits personnels acquis par cinquante années d'efforts, de luttes et de sacrifices incessants. » La menace, toujours la menace... qui devait aboutir à l'accord secret de septembre 1902 au projet de conquête du Maroc par l'Espagne et la France, à ce projet qui motivait dans un article, inspiré par M. Hanotaux, un rappel à la prudence tout à fait caractéristique (Journal, 24 octobre 1902). La légende des plénipotentiaires français roulés par les Marocains est solidement ancrée. Elle se corse quelquefois de racontars vraiment joyeux. Cueilli ceci dans l'ineffable volume de M. Mouliéras :

frontière de l'antique Ma uretanie Tingitane étant la Melouyia, tout ce pays de Cocagne des BenZnasen devrait faire partie du domaine de l'Afrique française. On se demande pourquoi le microscopique Ouad-Kis a supplanté lors des délimitations définitives l'énorme cours d'eau qui avait été de tout temps considéré comme le fossé naturel séparant deux mondes très différents, le May'rib-el-Ak'ça (l'occident extrême), c'est-à-dire le Maroc actueletle May-rib-elAousset (l'occident central), c'est-à-dire notre Algérie. Les Marocains disent, entre eux seulement, qu'après la victoire d'isly, la France était en droit d'exiger « La


tout le territoire qui s'étend jusqu'à la Melouyia. Ils ont appris comment nous avons été encore une fois les dupes de la diplomatie arabe. Avant d'envoyer son fils Sidi-Mouhammed combattre les Français sur la frontière algérienne, le sultan Moulaye Abd-ur-Rahman lui aurait dit : Conserve brûle les lettres, bonnes maumes —

vaises. Fais ce que je te commanderai dans les mauvaises, ne tiens aucun compte des bonnes. Le jeune homme observa scrupuleusement ces recommandations. Chaque courrier lui apportait deux lettres de son père, une bonne et une mauvaise. Dans la première, le monarque adjurait son général de ne jamais attaquer les Français, de se montrer d'une conciliation extrême envers eux, d'empêcher toute déprédation sur leur territoire, de conclure le plus tôt possible une paix sincère et durable ! Voyons maintenant le revers de la médaille. La mauvaise lettre disait: « Repousse ces chiens de chrétiens, tue-les partout où tu les trouveras; pas de quartier pour personne. Aucune paix pour ces mé-

créants. » Le 14 août 1844, complètement battu à Isly, SidiMouhammed se sauva du champ de bataille en abandonnant sa tente, ses bagages et jusqu'à son fameux parasol qui fit plus tard l'admiration des badauds de Paris. Dans les caisses on trouva les bonnes lettres, rien depuis été brûlées les mauvaises bonnes, les ayant que longtemps. Les Français s'extasièrent sur l'exquise bonté du Sultan. Celui-ci du reste s'empressa de désavouer tout ce qu'avait fait son fils, disant que le prince ne lui avait pas obéi, qu'on pouvait s'en convaincre en lisant sa correspondance... Nos compatriotes, toujours naïfs, toujours chevaleresques, tombèrent dans le piège, s'excusant presque de leurs victoires, cédant de la meilleure grâce du


monde à l'artificieux Abd-ur-Rahman ce beau territoire qu'ils avaient conquis à la pointe de l'épée. » N'est-ce pas délicieux ? M. Mouliéras en a vraiment de

fortes. Excuse. Il est certain que dans ce que les hommes disent la diplomatie, et qui est l'art de duper, les Marocains se révèlent parfois artistes de génie. Ainsi dans le livre de Ch. Didier, j'ai noté une histoire exquise. « Vers 1820, M. Sourdeau

consul de France, terrassé en pleine rue par le coup de bâton d'un santon, de manda justice à Muley Suleiman qui régnait encore et exigea que le coupable lui fût livré pour venger sur lui cet outrage au droit des gens. Le Sultan répondit au consul par une lettre restée célèbre dans le monde consulaire. En voici la traduction : «Au nom de Dieu clément et miséricordieux. Il n'y a ni puissance ni force, sinon avec Dieu très haut, très grand, amen ! Consul de la nation française, Sourdeau ! Salut à qui marche dans le droit sentier! Comme tu es notre hôte, sous notre protection et consul d'une grande nation dans notre empire, nous ne pouvous te souhaiter que la plus haute considération et les plus sublimes honneurs, lu comprendras que par là ce qui t'est arrivé nous a paru intolérable, quand bien même c'eût été par la faute du plus cher de nos fils et amis. Quoiqu'on ne puisse faire obstacle aux décrets de la divine providence, il ne peut nous être agréable qu'un semblable traitement soit fait, même au plus vil des hommes, pas même aux bêtes ; et certainement nous ne manquerons pas, Dieu voulant, d'en faire sévère justice. Toutefois, vous autres chrétiens, vous avez le coeur ouvert à la pitié, et vous êtes très patients aux injures, à l'exemple de


votre prophète que Dieu ait en gloire, Jésus fils de Marie, lequel dans le livre qu'il vous apporta au nom de Dieu, vous commande, si quelqu'un vous frappe sur une joue, de présenter l'autre. Lui-même, que Dieu bénisse éternellement, ne se défendit point quand les Juifs vinrent pour le tuer et c'est pourquoi Dieu le retira à lui. Dans notre livre il est dit par la bouche de notre prophète que nul peuple ne se rapprochera plus des vrais croyants dans la charité que ceux qui disent: Nous sommes chrétiens. Ht cela est vrai puisqu'il y a parmi eux des prêtres et des saints hommes qui ne s'enflent pas d'orgueil. Notre prophète nous dit encore qu'il est trois sortes de personnes dont il ne faut point imputer à crime les actions, savoir : l'insensé jusqu'à ce que le bon sens lui revienne, le petit enfant et l'homme qui dort. Maintenant, cet homme qui ta outragé est insensé et n'a pas de jugement. Cependant nous avons décrété que justice te soit faite de son crime. Si pourtant tu lui pardonnes, tu feras encore oeuvre d'homme magnanime et tu seras récompensé par le très miséricordieux. Mais si tu veux absolument que justice te soit faite dans ce monde, cela sera en ton pouvoir, afin que personne dans notre empire ne craigne ni injustice ni voies de fait, avec l'aide de Dieu... » Allez lutter avec des gens qui manient aussi délicieu-

sement et supérieurement l'ironie C'est pour cela que je voudrais pour les temps nouinternatioRépublique, dans rapports de la ses veaux de diplomatie besoin plus qu'il fût « ». Au panaux, ne nier tous les gens d'esprit conquérant dont l'avidité pour triompher a besoin du mensonge et de la force Franchise et loyauté, c'est la devise nouvelle qui doit être adoptée pour notre politique extérieure. Cette politique doit suivre l'évolution qui s'est produite dans les rapports de négoce entre les hommes. Le vendeur !

9


marque sa marchandise au prix légitime et ne cherche plus à la majorer suivant la tête du client. Je parle du commerce normal où l'on trouve que chercher à se tromper mutuellement c'est perdre peine et temps. Il faut qu'il en devienne ainsi pour la politique entre nations. Elle doit être faite au grand jour et sans arriére-pensée comme tout ce qui est honnête, loyal. Elle doit être basée sur le respect mutuel des droits et des intérêts. Il n'y a que le vol qui prépare ses coups dans l'ombre. Que nous ayons affaire au Maroc ou à d'autres, notre politique doit être celle de gens qui, ne voulant pas être trompés, ne peuvent vouloir et ne veulent pas tromper. Elle doit être avant tout et surtout une politique de paix. Car le droit et l'intérêt nous commandent cette politique.


DEUXIÈME PARTIE La question du Maroc telle qu'on doit la concevoir d'après la « vraie » vérité historique et les faits dont la réalité est établie par une suite de documents officiels... que je publie.

CHAPITRE IX

Nous n'avons pas de droits sur le Maroc.— Notre situation en 18H. — UNE LETTRE DU MARÉCHAL BUGEAUD A M. GUIZOT SUR LE PRESTIGE DE L'EMIR.— En échange de la mise d'Abdel-Kader hors la loi, que nous demandions au Sultan du Maroc, nous offrions d'évacuer Marnia. — Preuve. — INSTRUCTIONS REMISES PAR LE MARÉCHAL BUGEAUD AU GÉNÉRAL BEDEAU, AU MOMENT DE LA CONFÉRENCE DE L'OUED-MOUILAH.

— Nous avions grand besoin du Sultan. — Preuve. — RAPPORT DU GOUVERNEMENT GÉNÉRAL D'ALGÉRIE. — Le Sultan

tiraillé entre deux intérêts contraires. — LETTRE DE M.

DU.

CHASTEAU, CHARGÉ D'AFFAIRES A TANGER.

Nous n'avons le droit de rien prendre au Maroc. Ce qu'on appelle nos droits historiques avec tant d'ignorance et d'emphase, cela n'existe pas. Nous n'avons aucun droit qui autorise une action violente quelconque en fin de la prise d'un territoire

quelconque. Notre intérêt, c'est la paix. Notre intérêt,c'estde profiter de nos avantages actuels


relations de développer nos commerce avec le pour Maroc. Ces affirmations contredisent l'opinion et les affirmations de tous. Tous ont tort. Mes affirmations c'est l'expression de la vérité de fait sur la question droit, de la vérité de raison sur la question intérêt. Assez affirmé. Je prouve. Quelle était au, commencement de 1844, notre situation en Algérie ? Nous venions de battre Abd-el Kader. Nous étions épuisés. Nous sentions le pays conquis plus menaçant que jamais. Ne riez pas de la comparaison, elle est juste, et si tant de crétins l'ont galvaudée, ce n'est point motif suffisant pour la rejeter quand elle peut servir : nous campions sur un volcan.

L'Emir, lui, s'était réfugié sur territoire marocain. Il se refaisait. Que tout homme de bon sens y réfléchisse ; les Marocains pouvaient-ils être ses ennemis? Il ne faut pas oublier quelle était la personnalité de l'Emir et de quel prestige il jouissait dans le monde musulman. Ce prestige existait enrore en 1846 lorsque le MARÉCHAL BUGEAUD écrivait à M. Guizot (3 mars) :

On est dans une profonde erreur quand on ... croit que nous ne sommes occupes qu'à combattre

un chef de partisans qui mène avec lui 7 à 800 cavaliers. On oublie que c'est ci la nation arabe tout entière que nous avons affaire, et que si nous manoeuvrons avec tant d'activité pour empêcher Abdel-Kader de pénétrer dans l'intérieur du pays ou du moins de s'y fixer, c'est pour qu'il ne vienne pas mettre le feu aux poudres accumulées derrière nous, pour qu'il n'ait le temps de rien organiser


ou consolider. Nous connaissons le prestige immense qu'il exerce sur les Arabes par son génie, par son caractère éminemment religieux, par l'influence qu'il a gagnée en dix ans de règne... Son influence sur les peuples est excessivement puissante, aucune tribu ne sait lui résister... sa présence même n'est pas nécessaire. Abd-el-Kader n'est point un partisan, c'est un prétendant légitime pour tous les services qu'il a rendus à la nationalité arabe et à la religion... et qui est assuré de l'amour passionné de tous ses anciens sujets. Au commencement de 1844 Abd-el-Kader était

beau-

coup plus puissant...

généraux instruits par une dure expérience désespéraient de pouvoir s'emparer de l'émir rebelle. Nous étions positivement hypnotisés par cette question de l'asile qu'il avait trouvé au Maroc. » (Archives du Gouverneur Général de l'Algérie.) « Nos

Tout le Maghreb se soulevait pour la guerre sainte. La partie était très dangereuse à l'Empereur du Maroc, de nous soutenir contre Abd-el-Kader et de mettre hors la loi, pour nous faire plaisir, ce défenseur de la foi.

Nous reconnaissions nous-mêmes que nous lui demandions un grand service puisque nous lui offrions, en échange, d'évacuer le poste de Marnia qui, devant Oudjda, nous assurait la garde de la route TlemcenFez. Voici le document qui prouve cette assertion ignorée des historiens :

Instructions remises par le MARÉCHAL BUGEAUD au général Bedeau,au moment de la conférence de l'Ouad-


Mouilah (le 14 juin 1844), avec Si-Ali-el-Guennaoul, caïd d'Oudjda. Les premières conditions pour le rétablisse... des relations de bonne amitié entre la ment France et le Maroc sont : 1° Qu'Abd-el-Kader parti depuis quelques jours pour l'Est, les chefs qui l'auront servi, les tribus qui l'accompagnent ne soient plus reçus sur le ter-

ritoire marocain. 2° Qu'il ne leur soit donné aucun secours patent ou occulte en hommes ou en argent, en armement, en équipement et en munitions de guerre ni en

vivres. 4° Que la Deïra d'Abd-el-Kader, les chefs qui l'auront servi, ses parents et ses amis réfugiés sur le territoire du Maroc soient envoyés dans l'ouest de l'Empire. 4° Que si Abd-el-Kader lui-même demandait encore asile au Maroc, l'Empereur le ferait interner également dans l'ouest de l'Empire. 5° Que les tribus non soumises de notre frontière qui se sont retirées sur le territoire de l'Empire de Maroc soient immédiatement renvoyées sur leur

territoire.

6° Que le Maroc s'oblige à ne plus les recevoir en corps de tribus. La France de son coté prend le

même engagement à l'égard des émigrations marocaines qui pourraient demander un refuge sur le territoire de l'Algérie. 7° Qu'il sera nommé de part et d'autre des commissaires pour régler définitivement la délimitation des frontières entre les deux pays. Quant aux relatiotis commerciales, vous pourrez dire qu elles pourront être ultérieurement réglées favorable traité aux parties contracpar un

tantes.

Vous ferez comprendre que ce commerce

peut


prendre un grand développement par les progrès l'Algérie et inévitablement ferons faire à nous que que c'est un des grand motifs qui doivent nous faire désirer mutuellement la bonne harmonie. Vous ne parlerez pas le premier de la possibilité d'évacuation du poste de Lalla Mar'nia, niais si cela vous est demandé eu échange de toutes les conditions ci-dessus indiquées, vous pourrez répondre que vous êtes autorisé par moi à dire que si toutes les stipulations susdites sont complètement exécutées par l'Empire du Maroc et après un temps déterminé, nous supprimerons ce poste, bien qu'il soit sur notre territoire et qu'au fond il ne menace en rien la sécurité de l'Empire. Il était impossible au Sultan du Maroc de ne pas avoir de troupes aux côtés de l'Emir à l'isly... Il eût joué son royaume et sa vie en employant alors ces troupes contre Abd-el-Kader. Et je ne suis pas loin de croire que la défaite des troupes réunies du Sultan et de l'Emir n'ait pas été voulue par le Sultan. Vainqueur des Français, Abd-el-Kader, s'il le désirait, avait des chances de prendre à Fez la place de Moulai-Abd-ur Rahman. Celui-ci le savait mieux que nous. Ce n'est pas pour nous faire plaisir, puisqu'il n'y obtint aucun bénéfice territorial, qu'il accepta les conditions des traités 1844 et 1845. Il avait lui-même avantage à la chute de l'Emir. Mais cette chute nous importait a nous beaucoup plus. Aussi, rendait service. En le Sultan contribuant, nous en y

effet : Et je cite un

Rapport au GOUVERNEMENT GÉNÉRAL DE L'ALGÉRIE.(Documents sur le Sud-Ouest algérien réunis en 1896, folio 15.) «

Continuer la guerre à outrance pour se saisir


« « « «

d'Abd-el-Kader, il est de la Maroc personne au douteux que nous y ayons mieux réussi qu'en Algérie où le maréchal liugeaud avec 80.000 fusils fut impuissant à s'emparer du rebelle. »

Malgré notre victoire de l'Isly, nous demeurions les obligés du Maroc s'il nous aidait contre Abd-el-Kader. Mais quelle situation délicate pour le Sultan... et qui durait encore après le traité en 1846, lorsque M. DU CHASTEAU écrivait (Ire juillet) :

Il est à peu près certain que l'Empereur ne nous aime pas et que ce n'est que par crainte qu'il nous

fait mille protestations d'amitié. Il est également certain qu'il n'aime pas Abd-el-Kader et qu'il

voudrait eu être débarrassé. Mais le respect humain musulman l'empêche de se laisser aller ouvertement à sa haine contre son coreligionnaire, tout aussi bien que de se montrer hautement résolu à agir de concert avec nous contre lui. Sous l'influence de ces sentiments, il agit mollement et emploie des demi-mesures. Il ne peut nier que nous ayons le droit de pénétrer sur son territoire ; il ne peut aller au secours des tribus que nous attaquerons; mais il serait possible qu'il fît secrètement travailler l'esprit fanatique de ces populations pour les engager à opposer une énergique résistance à bien Peut-être aussi serait il aise que troupes. nos ces tribus, rebelles à ses ordres, reçussent une forte leçon de nous,sans qu'il etit l'air, à leurs yeux, d'y avoir prêté les mains. On ne peut, en vérité, faire que des suppositions... cependant des faits. Nos expéditions qui allaient jusqu'à la Moulouïa « n'avaient pas toutes le résultat qu'on devait en espérer » et l'Emir ne se rendit que lorsque l'action du Sultan l'y força. Il y a


CHAPITRE X

Sur l'établissement de la frontière. — La carte d'Ali-Bey donne la Tafna comme frontière. — La CARTE du GÉNÉRAL TURC MUSTAPHA-BEN-ISMAIL prêtait à confusion mais pas sur la Moulouïa manifestement au Maroc. — NOTE DU GÉNÉRAL DE LAMORICIÈRE SUR LA FRONTIÈRE SUD.

NOTE — SUR LA FRONTIÈRE OCCIDENTALE DE L'ALGÉRIE ÉTABLIE AU DÉPOT DE LA GUERRE DE 1843 ET JOINTE AUX INSTRUCTIONS QUE LE MINISTRE DE LA GUERRE FIT REMETTRE AU GÉNÉRAL DE LA RUE LE 10 JANVIER 1845. — On ignorait le désert. —

Pourquoi nous sommes allés sur les Hauts Plateaux. — Le Sultan se crut lésé par le traité. — LETTRE DE LÉON Il ROCHES. fut en effet lésé. —

Nos coloniaux prétendent — on l'a vu — que la victoire de l'isly nous donnait le droit de prendre au Maroc tout ce qui nous plaisait et que ce fut une faute de ne pas pousser l'Algérie à la frontière de la Moulouïa. L'histoire étudiée de près montre que de celte victoire il nous était possible de prendre un seul droit, celui d'ailleurs dont nous avons profité, celui de nous faire livrer Abd-el-Kader par le Sultan. Celui-ci, en échange de ce service promis, voulait la frontière de la Tafna. Loin d'accuser de maladresse les plénipotentiaires de 1844-1845, il me semble au con-

traire qu'il y aurait plutôt lieu de les louer pour avoir

conservé Marnia et la frontière du Kiss. Ils ne se figuraient nullement faire ce qu'on leur reproche aujourd'hui, abandon d'un droit quelconque. Ils


ne songeaient pas du tout à la Mauretanie Tingitane. Ils étaient devant le Maroc qui, pour gage de l'action contre Abd-el-Kader, leur réclamait la frontière de la Tafna en s'appuyant sur une situation de fait. Le seul droit qu'ils pouvaient invoquer et qu'ils invoquèrent, c'est le droit turc. Ils réclamèrent pour nous la frontière turque. Aujourd'hui on prétend que la Moulouïa formait celte frontière. Cela est inexact. Et si peu précis que fussent les documents cartographiques mis à la disposition des plénipotentiaires, ils n'en marquent pas moins nettement la frontière très à l'est de la Moulouïa. La carte d'Ali-Bey place cette frontière à mi-distance entre la Moulouïa et Oran ; sans indiquer le nom du point, c'est vrai. Mais voyez sur les cartes actuelles où se trouve la mi distance Oran-Moulouïa,c'est à l'embouchure de la Tafna. Cette carte était connue et de nous et des Marocains. Ceux-ci disaient Tafna. Nous avec les Turcs nous disions Kiss. En effet,la carie que nous avions demandée au général turc Mustapha-ben-Ismaïl sur la frontière, si elle désignait l'Oued-Miliah qui se jette dans la Tafna, donnait aussi l'Oued-Kiss, en disant : ce qui est à l'est nous appartient, ce qui est à l'ouest appartient au Maroc. A l'est de quoi, de l'Oued-Kiss, de l'Oued-Miliah ou de la Tafna? On pouvait discuter pour ces trois rivières, mais pas pour la Moulouïa. C'est ce que firent nos plénipotentiaires, et ils obtinrent la plus favorable à nos intérêts, le Kiss. Pour le Sud,le document turc se contente de dire que « le pays au delà de Koudyat el-Débayh ne peut se délimiter, c'est le pays des fusils ». Et il ajoutait, pour les terres plus lointaines, celle phrase qui se retrouve dans le traité : « Le désert, il n'appartient à personne. » C'était l'avis des autorités algériennes qui, dans le désert ne voyaient rien. Les Marocains,eux,y connaissaient les oasis qui jalonnaient la route de Tombouctou, la


route suivie par les représentants du Maghzen, qui allaient exercer sur les rives du Niger l'autorité du Sultan. Mais cela nous no le savions pas. Et véritablement nous aurions mauvaise grâce à leur reprocher de ne pas nous avoir renseignés sur ces choses de l'Extrême-Sud qui, à cette époque, ne leur semblaient pas plus à eux qu'à nous avoir une relation quelconque avec celles de l'Algérie, voire de l'Isly. Trois jours avant la signature du traité, le 15 mars 1845, le général DE LAMORICIÈRE commandant la province d'Oran, dans une lettre au ministre de la guerre, exposait d'une façon précise où il estimait la frontière sud de notre Algérie.

sud des populations que je viens d'indiAu ... (celles situées à l'ouest du Djebel-Amour) se quer trouve la plaine de sable où les tribus ne peuvent plus camper avec leurs troupeaux, que les caravanes seules peuvent franchir et qui forme de notre coté, pour cette cause, la véritable frontière sud de l'Algérie. A l'ouest sont les populations nomades qui dépendent du Maroc. Il y a aux archives du ministère de la guerre une note qui nous indique sur quoi le général de Lamoricière établissait ses « opinions frontières ». C'est une note sur la frontière occidentale de l'Algérie établie-nu dépôt de la guerre en 1813 et jointe de le ministre la guerre fit reinstructions que aux mettre au général de la Rue, le 10 janvier 1815; et la voici :

En 1808, le capitaine Burel dresse la carte d'un pays entre Tanger, Fez et Méquinez. En 1832, le capitaine Tatareau donne une faible partie du cours de l'Aggierout (sic) rivière, qui, séparant près de la mer l'Algérie et le Maroc, coule dans...


En 1812, le commandant Gouyon fait nne re-

connaissance topographique de la province de Tlemcen, mais s'arrête sur le Djébel-Zemidal, à trois lieues du ruisseau sur lequel il place les limites et qu'il appelle Menasseb-el-Khis. Au surplus, tous ces documents indiquent les limites comme partant de la mer et s'êlevant par une ligne plus ou moins sinueuse jusqu'à la chaîne du petit Atlas, qui, dans cette partie, est fort rapprochée de la mer, laissant Oudjda (1) à l'ouest.. L'ouvrage public en 1834 par M. Groeberg de Hemso place la frontière près d'un cap de la Guardia à Trount (sic) entre la Malouja et la Teyna (sic). Cette direction est la même que celle donnée en 1803 par la carte d'Ali-Bey, qui n'indique aucun point pour le tracé des limites... La Malouja formait anciennement la frontière naturelle des Mauritanies Tinyitane et Césa-

rienne... Dans l'incertitude où nous laissait la rareté des documents sur la partie occidentale de l'Algérie et les différences qu'ils présentent, on doit d'abord rechercher et constater la position de l'Aggierout de M. Tatareau, ou Oued-Menasseb de M. Gouyon, qui paraissent être le même ruisseau; on doit ensuite chercher dans les accidents de la montagne des points remarquables sur lesquels les limites puissent être assises. Il serait certainement préférable de les porter sur la Malouja, qui est un fleuve assez considérable, même en prenant un des affluents orientaux qui remontent vers le désert d'Amgad. Mais c'est une partie riche, importante, du territoire tnarocain, qu'on ne pourrait probablement pas avoir sans négociations. (1) Oudjda avait été 1795 par le Maroc.

repris au Sultan de Tlemcen en


Le Menasseb-el-Khis est connu ce me semble, c'est l'Oued-Kiss. Quant à l'Aggierout, il n'y a pas besoin de faire grand effort pour y voir l'Aoudjeroud, nom actuel d'une partie du cours de l'Oued-Kiss. Le général de La Rue savait à n'en pas douter que notre frontière légitime c'est où le traité l'a placée. Le général de la Rue s'est attaché à négocier une frontière là où la frontière apparaissait importante. Dans le Sud, d'accord avec le général de Lamoricière, le maréchal Bugeaud,avec tous les hommes qui connaissaient l'Algérie, il ne voyait par matière à insister. C'était le

désert. Et je cite encore le rapport du GOUVERNEMENT GÉNÉRAL de l'Algérie.

quelque chose figurait yeux, « Nos deux empires. comme une mer commune aux préoccupations jusqu'alors n'avaient pas dépassé le Tell où nous avions si fort à faire. Et nous n'imaginions pas que nous aurions un jour à nous avancer vers des contrées que nous jugions inhabitées, inhabitables inconnues et fort lointaines. Nous pensions qu'à l'exemple des Turcs, nos prédécesseurs, nous restreindrions au Tell notre occupation. Les événements ne nous avaient pas encore amenés à aborder les Hauts-Plateaux. Ils étaient pour nous le seuil du désert. » Ce désert, à nos

la succession turque est toujours invoquée pour légitimer un empiétement. Quant à l'occupation des Hauts-Plateaux, voici pourquoi nous y fûmes : c'est pour garantir les immenses concessions données à la société franco-algérienne. Cela est dans une pièce du général Saussier que je citerai plus loin. Pour faire monter le papier d'une compagnie financière, nous avons entrepris la conquête de quelques nomades qui récoltent quelques dattes en des oasis perdues au milieu des immensités du sable et du caillou. Une observation

:


Un beau travail pour un statisticien. Les frais et les béfices de l'opération, Les frais, je doute qu'on les trouve jamais dans l'imbroglio de nos budgets, Quant aux bénéfices, je crois les avoir indiqués : des dattes. Nos historiens disent que de suite après le traité, l'op-

position parlementaire trouva que nous avions été d'une inexplicable faiblesse en abandonnant au Ma-

roc... etc... Voici qui nous montre que le Sultan était, lui, persuadé que nous ne lui avions rien abandonné du tout, et qu'en cette affaire le dupe c'était lui :

été l'infen toujours convaincu, ai ...Comme « tention de ce prince est de revenir sur les traités de délimitation dans lesquels nous avions inséré deux ou trois articles essentiels, indispensables même, mais qui lui portent ombraqe et qui blessent son orgueil musulman. Il a donc prescrit à Bouselham de refaire une autre convention, de n'accepter que la délimitation du Tell, de rejeter celle du désert et d'éloigner tous les articles relatifs aux tribus et aux droits de souveraineté sur elles... Lettre de LÉON ROCHES, en mission à Larrache (juin 1845), à M. de Chasteau, chargé d'affaires à Tanger. C'est que le Sultan voyait dés le lendemain du traité quelle suite de difficultés (qui durent encore) allaient surgir et de l'établissement d'une limite bonne pour des citadins dans un pays de nomades, et du manque de limites plus bas dans un pays où il se croyait le maître mais où il voyait que nous conduirait notre action fatale contre les tribus nomades que le traité nous abandon-

nait. Loin de tirer avantage de sa trahison contre Abd-elKader, de cet acte que tout croyant devait maudire, il s'apercevait qu'il nous ouvrait le Sud de son Empire,


le Sud qu'il connaissait, tandis que nous l'ignorions. Et il voulait se reprendre, « rejeter tous les articles

relatifs aux tribus et aux droits de souveraineté sur elles ». Mais il était trop tard. Il était lié. Il était obligé d'agir contre l'émir ; il ne pouvait plus se faire payer cette action. Nous avions pris l'avantage. Et nous ne l'avons pas perdu. Nous avons su profiler et de l'établissement de la frontière au nord du Teniet-es-Sassi, et de l'absence de frontière au sud de ce col. Là où il y avait frontière,chez des gens qui n'avaient pas l'idée européenne de frontière, nous avons donné aux incidents de frontière, insignifiants si on les considérait du point de vue local, toute l'importance qu'ils auraient eue du point de vue européen, et en Europe. Et là où il n'y avait pas frontière, nous avons profité de tout incident pour étendre notre action en nous prétendant toujours chez nous.


CHAPITRE XI

La question ouverte. — Le Maroc et l'Algérie veulent la « fermer ». Le quai d'Orsay ne veut pas. — Les incidents

de frontiére. Ce qu'ils valent

NOTE DE M. BOURÉE, MINISTRE A TANGER. — On demande une frontière. — NOTE DU GÉNÉRAL CEREZ. — NOTE DE M. AUBERT GRÉVY. — NOTE DE M. TIRMAN. NOTE DU GÉNÉRAI. THOMASSIN NOTE DE — — M. WADDINGTON. Le ministre explique pourquoi on ne

doit pas donner de frontière. — Annotation de M. de La Martinière. — LETTRE DU GOUVERNEUR GÉNÉRAL DE L'ALGÉRIE RÉSUMANT EN 1880 LA QUESTION DEPUIS 1845. Il dit que les autorités marocaines demandent aussi une frontière. — NOTE DE M. TIRMAN SUR FIGUIG — Une noie OFFICIELLE SUR LES DEMANDES MAROCAINES POUR UNE FRONTIÈRE ET SUR LE REFUS DU QUAI D'ORSAY.

La question du Maroc était ouverle et entretenue. C'est ce que désirait notre ministère des Affaires étran-

gères.

Mais cela créait mille difficultés et au gouvernement marocain et au gouvernement général de l'Algérie. Et

alors nous assistons à ce spectacle peu banal : Du gouvernement général de l'Algérie réclamant de concert avec le gouvernement marocain : I° Une rectification de la frontière au nord du col de Teniet-es-Sassi.

détermination d'une frontière au sud de ce col. Et du ministère des Affaires étrangères refusant! Ce ministère accuse les Marocains de violer une fron¬ 2° La


tière qui n'existe pas, une frontière qu'il n'a jamais voulu établir parce que, disait M. Waddington, l'absence de frontières n'est préjudiciable qu'au peuple le plus faible ! Les gouverneurs de l'Algérie ont souvent estimé, dit et répété avec insistance que celte absence de frontières était également préjudiciable au peuple fort. Les gens du quai d'Orsay les ont toujours sur ce propos traités en Marocains. C'est fantastique. C'est inimaginable; accusation de polémiste habile à travestir les faits. J'en conviens, on ne peut, sans preuves, admettre que ce soit vrai, tellement c'est fou. Mais c'est vrai ! Et voici encore des documents inédits qui sont des preuves, et qui emportent la conviction des plus incrédules. Nous protestons avec indignation contre le moindre incident, et cependant nous savons la réelle valeur de ces incidents.

En 1874,

écrit :

M. BOURÉE,

ministre de France à Tanger,

Une ligne frontière au delà de laquelle commence cette chose sérieuse qu'on appelle une violation de territoire éveille des idées dont la gravité et la rigueur ne sont probablement jamais entrées dans l'esprit d'un souverain maure, ni de ses ministres, et il faut reconnaître que l'ancien voisinage des Turcs et que le vague des limites sud de l'empire ne sont pas faits pour leur donner ces notions. Si cela est vrai, avons-nous bien intérêt à établir entre le Maroc et nous quelque chose de précis qui engagerait notre respect pour la légalité et n'engagerait jamais aussi sérieusement nos voi-

sins. Dans le Sud, plus que dans le Tell, le fusil est le dernier et quelquefois le premier argument. Là errent les tribus qui peuplent le Sahara algérien


et le Sahara marocain, je ne vois rien de mieux pour les régir que l'article 4 du traité ; ces tribus s'arrangent entre elles; si au lieu de s'arranger, elles se battent, l'empereur du Maroc n'y peut rien et nous pas davantage : là, surtout, il y a des traditions et des besoins plus forts que tous les traités. Supposons la ligne tracée, qui engageraitelle ? L'idée de frontière, qui est si peu rigoureuse à Fez, ne saurait à plus forte raison exister dans la tête de ces gens-là, et le mieux sans doute est de les laisser à eux-mêmes ; de leur abandonner le soin de mesurer les résistances ou les concessions à leurs besoins d'eau et de pâturages et aux besoins de leurs adversaires. Dans ces régions sahariennes, l'eau amène souvent des questions de vie ou de mort, laissons-les se trancher comme elles se sont tranchées depuis des siècles. Si une frontière d'un tracé rigoureux créait des difficultés, l'absence de frontière en créait encore plus. En 1849, le général Pelissier commandant la province d'Oran, sur les observations du général de Mac-Mahon commandant la subdivision de Tlemcen, envoyait au général Charon, gouverneur général de l'Algérie, un mémoire proposant de prolonger la frontière au sud du

col de Teniet-es-Sassi. Mais on ne voulait pas. La demande du général Pélissier, le GÉNERAL. CÉREZ la faisait encore en 1879.

L'établissement d'une limite fixe, disait-il, ne mettra peut-être pas fin immédiatement à toutes nos difficultés, mais elle dégagera et simplifiera singulièrement la situation. Nous saurons ainsi exactement où nous serons libres d'agir et oit deà l'action du s'arrêter qui Maroc; tout sera vra ce l'ouest de cette limite appartiendra au Maroc, sera régi et administré par les autorités marocaines ; tous les gens, sans distictions de nationalité, qui se


trouveront à l'est de la ligne frontière, seront soumis à notre autorité et nous devront obéissance ; les Marocains qui, pour une cause quelconque, franchissent la frontière seront soumis à nos lois, absolument comme les Espagnols, les Italiens ou autres étrangers qui viennent en France. L'adoption d'une limite exacte dans le Sahara les établir bien de conséquence enfin resaura pour ponsabilités, de faire disparaître l'état de confusion et de désordre permanent qui régne dans la région. soutenait vivegénéral, gouverneur ment cette idée. Il disait à la même époque : M.

ALBERT GRÉVY,

Si l'on examine quelle a été notre action dans le Sud, jusqu'à ce jour, en vertu du regrettable traité de 1845, si l'on remonte dans le passé, et que l'on recherche les résultats obtenus à la suite des diverses expéditions toujours assez onéreuses, dirigées dans le Sud-Ouest, soit pour ramener nos dissidents, soit pour châtier les tribus marocaines qui avaient adhéré à leur cause, on constatera que ces résultats ont été et ne pouvaient être que de peu de durée. Une fois le châtiment infligé, nous reprenions suffiQuelques positions. anciennes années nos saient ensuite à faire, oublier à ces populations, aussi mobiles de caractère que d'habitudes, la repression quelles avaient essuyee. Il nous fallait alors repartir en expéditions, recommencer nos poursuites contre un ennemi presque insaisissable à une distance si considérable de notre base d opérations que notre action s'en trouvait forcément diminuée, et cela pour atteindre un résultat qui était le plus souvent hors de proportion avec l'effort tenté. Le jour où nous aurons au sud du Teniet-es-Sassi une ligne de démarcation nettement


établie, il n'en sera plus ainsi : le gouvernement marocain ne pourra plus nous inciter à procéder nous-mêmes contre nos dissidents. Chaque fois que notre frontière sera violée, il nous devra une réparation et il appartiendra à notre représentant diplomatique près la Cour de Fez d'en fixer la nature et l'importance, de nous la faire obtenir réellement. Dans le cas, où par un aveu définitif d'impuissance de la part du Sultan, cette satisfaction ne pourrait pas nous être accordée, il y aurait lieu d'examiner dès lors dans quelles conditions nous pourrions nous faire justice nous-mêmes. Il est donc de notre intérêt bien entendit d'amener le Maroc à prolonger au sud de Teniet-es-Sassi la ligne de démarcation officielle entre les deux Etats. Nous verrons par une autre pièce qu'il n'était pas nécessaire d'amener le Maroc à cela puisqu'il le désirait lui aussi. Mais ceux qui ne voulaient pas, c'étaient les gens du quai d'Orsay. En 1881, M. ALBERT GRÉVY revenait à la charge, il informait le ministre des Affaires étrangères qu'il comptait prescrire aux autorités de la province d'Oran de considérer comme frontière une ligne hypothétique parlant du Teniet-es-Sassi et allant aboutir à mi-distance des Ksour d'ich et d'Aïn-Sfissifa. Il faisait ressortir que l'état particulièrement difficile de notre situation dans le Sud « était, à proprement parler, l'absence de limites et de territoires distincts à partir de Teniet-es-Sassi », ce qui engendrait nécessairement la confusion de toutes les responsabilités.

Fort de l'art. 4, § 1, ajoutait-il, le Sultan pourrait envoyer ses cavaliers jusque dans notre Sahara oriental, soi-disant pour rechercher des Marocains en rupture de nationalité, et de notre


côté du moins nous aurions également la faculté de pénétrer jusque dans les profondeurs du Sahara marocain sous de semblables prétextes; d'autre part, le cabinet de Fez peut toujours se retrancher

derrière cette absence de démarcation territoriale pour récuser toute responsabilité dans les incursions que tentent nos dissidents. Il est inutile d'insister sur les conséquences d'un pareil état de choses auquel il serait prudent de remédier le plus tôt possible en obtenant la modification du premier paragraphe de l'art, 4 du traité de 1845 et en ajoutant au détail topographique de la limite indiquée à l'article 3 que cette limite sera continuée, à partir du Teniet-es-Sassi par une ligne hypothétique reliant ce point au Ksar d'AïnSfissifa. Nous pourrions admettre alors sans grand inconvénient qu'au-dessous de la latitude de ce Ksar il n'y aurait plus réellement de limites entre les deux Etats. Le 3 août 1882, M.

TIRMAN

disait

:

Le bon sens veut qu'il y ait au sud du Tenietes-Sassi un Sahara marocain et un Sahara français, et il n'y a qu'à revenir dans la pratique à été la politique généraux des toujours qui a ce qui ont commandé la, division d'Oran, à regarder comme limite de notre territoire algérien la ligne

Aïn-Sfissifa... etc...

Une observation à noter est celle que fit à ce propos LE GÉNÉRAL THOMASSIN.

Il est à remarquer que cette innovation constitue seul véritable rectification traité d'un par un une

des contractants. A ce titre je la considère comme de nature à nous susciter des embarras multiples, soulève le marocain la Gouvernement si car


moindre objection à l'encontre de la ligne hypothétique servant de base en même temps que de justification à certains de nos actes, nous n'aurons aucune réponse plausible à formuler et nous nous trouverons vis-à-vis d'un Etat inférieur dans la situation fâcheuse que crée à tout contractant la négation pratique de la parole donnée. Entrant résolument dans la voie que vous avez tracée, nous nous enlevons tous droits et peut-être toutes chances d'obtenir de l'Amel d'Oudjda qu'il fasse honneur aux engagements de son souverain, nous ne devons plus rien attendre que de l'emploi exclusif de la force ou de l'exploitation de l'intérêt occasionnel que nos voisins pourront avoir à nous donner certaines satisfactions. L'avenir dans ces conditions me paraît gros d'imprévu. Mais, mon général, tout ce que vous redoutiez était prévu, voulu, est arrivé, arrive. C'est pour employer vos expressions : La négation de la parole donnée entraînant à l'emploi de la force. Les Marocains sont les plus faibles; qu'importe la situation fâcheuse qui vous estomaquait songiez lorsque vous que vous pouviez » « d'un Marocain face trouver en vous rappelant la vous diplomates Les de l'estomac donnée ont parole » « mais donnée la nier, l'éluder et la reparole la ; eux ; prendre aussitôt qu'on le peut, est-ce que cela n'a pas été toujours le fond de la diplomatie, comme la force est le fin du fin dans l'art militaire. Aux guerriers la force; aux diplomates le mensonge. On croit que cela est indispensable au bonheur de l'humanité. Et les quelquesuns que nous sommes, disant le contraire, on nous utopistes, fous... et quelquefois rêveurs, marque !

traîtres. Un homme qui n'était pas un rêveur, mais un patriote pratique, M WADDINGTON, lorsqu'on lui soumettait et demandes du gouverneur général Grévy et


observations des officiers, répondait en invoquant les maximes chères à notre diplomatie, à toutes les diplomaties, à LA DIPLOMATIE. Il écrivait :

L'ABSENCE DE LIMITES OFFICIELLES ENTRE DEUX ÉTATS EST TOUJOURS AU DÉTRIMENT DU PLUS FAIBLE. Nous ne devons pas reconnaître sans nécessité ... évidente, le droit absolu de l'empereur du Maroc sur des territoires oit son autorité n'est le plus souvent que nominale et que nous pourrions avoir un jour l'occasion de revendiquer surtout si les études du chemin de fer transsaharien aboutissaient à des conclusions pratiques. Vous frémissez. Vous sursautez. L'étonnement vous, fait supposer que vous avez mal lu. Et quand ayant relu,. vous êtes obligé de convenir que vous aviez bien lu, vous vous indignez. Contre le ministre? Non.

Contre le publiciste. Car vous ne pouvez croire qu'un ministre de votre estimé universellement l'est aussi homme que pays, un M. Waddington, un homme honnête, honorable, honoré, ail jamais pu écrire semblable chose, une telle... immoralité; et l'idée vous vient que j'invente, ou que je travestis, ou que je dénature. Eh bien ! Non. J'affirme que cette... immoralité... est bien de M. Waddington, et qu'elle existe aux archives du gouvernement général de l'Algérie. Celte lettre éclaire toute notre politique dans la question franco-marocaine, elle confirme les immoralités signalées par ce bon général Thomassin dans la pièce plus haut citée. Elle montre quelle conception de l'honqui, tel les gouvernants ont d'une république ce neur Waddington, écrivent que lorsque le fort se trouve en


dissussion avec le faible, il n'a qu'à s'asseoir dessus « surtout » s'il y a une affaire après l'écrasement. N'est-ce pas l'histoire de notre politique en Indo-Chine ; de notre façon d'agir contre l'empereur d'Annain. contre le roi du Cambodge, sans aucun respect des traités qui engageaient notre parole, notre honneur, notre dignité de grande nation vis-à-vis de ces souverains? Là aussi j'ai eu l'occasion de dénoncer les pires actes officiels. Mais revenons au Maroc... Les belles théories de « prudence» diplomatique dont on vient de lire une belle expression, le MINISTE DE L'INTÉRIEUR les renouvelait le 18 janvier 1886 :

Si l'on a justement regretté que les négociateurs du traité de 1845, en procédant au partage des tribus insoumises du Suhara, aient abandonné au Maroc des populations rattachées aux groupes algériens, on a cru devoir, jusqu'à présent, tenir compte des obstacles que rencontrerait au delà du Teniet-es-Sassi la délimitation des contrées où la terre est de libre parcours, où les habitudes et les intérêts des populations nomades auront toujours plus de force que les stipulations diplomatiques. Ces idées ont été soutenues avec trop d'autorité pour que nous ne nous demandions pas si l'établissement conventionnel d'une froutière précise dans la région des Ksour n'aurait pas pour effet de multiplier les incidents que les deux gouvernements cherchent à prévenir. D'autre part serait-il sage de reconnaître le droit de l'empereur du Maroc sur des territoires où son autorité n'est que nominale, et sur des tribus auprès desquelles une politique habile et persévérante peut de développer les moyens d'action permettre nous que nous créent nos rapports de voisinage ? Celte lettre est annotée ainsi par M. de La Martinière dans un rapport au Gouvernement général :


C'est là, en effet, la politique que l'on s'est toujours proposée, attirer et capter, fixer et retenir les tribus nomades du Sud. On peut cependant se demander si ce n'est point une illusion. Il ne parait pas que des musulmans acceptent arec facilité la domination de chrétiens. Leurs intérêts les amèneront à un semblant de soumission, mais cet état restera toujours aléatoire. Notre seul but semble devoir être de nous établir solidement au milieu de ces populations, de profiter pour cela de l'absence de frontière, d'enclaver les tribus dont nous avons à craindre la turbulence, jusqu'au jour où la question du Maroc se posant d'une manière définitive, nous pourrons agir et

parler

en maîtres.

Quoi qu'il en soit des difficultés créées par le traité de 1845, il semble en résumé qu'elles aient été peut-être exagérées, et que les avantages que nous avons pu tirer et que nous pourrons encore tirer de l'absence de frontière, soient bien réels ; à plusieurs reprises, le Maroc a tenté vainement de écouler arrêter, et pas ne pu nous avons ses nous réclamations et poursuivre ainsi notre installation dans le Sud.

GOUVERNEUR le annotée, ainsi ministérielle lettre cette GÉNÉRAL, répondait par une longue lettre exposant comment il comprenait la question, depuis 1845.

A

Au fond, nos diplomates estiment que ce traité si défectueux doit être prolongé et maintenu jusqu'au jour où les circonstances fourniront à la France les bases d'une révision nous donnant au moins nos frontières historiques et nécessaires : la Moulouïa, Oudjda, Figuig, le Touat et le Gou-

rara.

Cette opinion peut avoir une valeur reelle à Paris ou à Tanger, où l'on n'a affaire qu'avec la


cour chèrifienne et les agents diplomatiques de puissances qui surveillent d'une façon jalouse et malveillante nos relations avec le Maroc. Ce traité permet toujours, en effet, d'établir pour des tiers (en dehors de l'occupation de Figuiq) que nous restons dans le texte et l'esprit du traité (ainsi que le faisait observer M. llourée en 18o0). Mais en Algérie, où nos commandants territoriaux de l'Ouest sont tous les jours aux prises avec les difficultés de détail que crée cette absence voulue de toute délimitation territoriale, les généraux qui ont successivement administré la division d'Oran, et les divers gouverneurs qui ont eu la direction de la responsabitité officielle de cette administrationr ont certainement demandé la revision ou au moins la précision du traité de 1845. La vérité est qu'en 1845, pas plus les délégués marocains que le plénipotentiaire français ne savaient au juste ce qu'il y avait au sud de Tenietes-Sassi. Les Arabes nomades n'étaient point alorsy pour le Maroc, des populations administrables. Nous avons introduit dans celles de ces régions (que la logique et le bon sens ont faites territoire français, en dépit du traite) des habitudes d'ordre et de régularité qui ont profité à nos voisins. En dépit de la théorie islamique, qui veut que la terre soit à Dieu et les musulmans sous les ordres du successeur du Prophète, nos voisins immédials, comme l'empereur du Maroc, ont compris qu'un Etat avait des limites, et ils acceptent très bien, comme plus pratique aujourd'hui l'exercice de l'autorité sur un territoire, et non plus sur des agglomérations humaines. Les Marocains, qui viennent sur nos chantiers et nos marchés, ne songent nullement à réclamer un régime à part; ils savent parfaitement que dans notre pays le lieu et non la qualité de la personne entraîne la juridiction.


Les différents amels d'Oudjda qui ont été en relations constantes avec nos chefs de la frontière, leur Mackzen, les notables d'Ich ou de Figuig, les nomades mêmes des Mehaia, Oulad Djerir, BeniGuil, comprennent et acceptent ce modus vivendi qui n'est pas, du reste, d'une nouveauté absolue,

car, contrairement aux affirmations du traité, il n'est pas un point du Sahara ou des Hauts-Plateaux, qui n'ait un maitre nominal ou effectif, et de tel ou désigné soit mots, parcours par ces ne tel. La situation spéciale de l'empereur du Maroc impose, je le reconnais, au département des affaires étrangères, une grande circonspection dans l'affirmation de nos relations internationales avec nos voisins de l'Ouest. Je comprends parfaitement qu'on hésite, depuis 1830, à aborder cette grosse question de la revision du traité de 1845. Mais il ne s'agit pas ici de revision ni de remaniement de frontières. Quelque désirables que puissent être pour nos intérêts algériens l'occupation de Figuig et le replacement de la frontière à la Moulouia, ce n'est pas cette grosse affaire que mes prédécesseurs et moi poursuivons depuis demande 1850, qu'ils ont instance; ce avec simple c'est aujourd'hui, demande je une ce que affirmation, une simple interprétation officielle et compréhensible de ce que le traité a évité d'affirmer ; c'est le tracé d'une ligne géographique qui nous donne une ligne à l'est de laquelle nous soyons

chez nous. Que cette ligne se rapproche autant que possible de la droite hypothétique allant de Teniet-es-Sassi à mi-distance d'Ich et d'Ain-Sfissifa, il n'y a nulle difficulté à cela; les Marocains, tant les sujets de l'Ouest, que les personnalités de la cour de Fez, sont prêts à accepter ce modus vivendi qui n'engagerait en rien l'avenir, car il pourrait toujours être


présenté non comme une modification du traité, mais comme une convention annexe fixant un point d'exécution dudit traité. Le département des affaires étrangères objectera qu'il d'affirmer de n'est utile doute et pas sans reconnaître le droit absolu de l'empereur du Maroc sur des pays où son autorité n'est que nominale, et sur des tribus auprès desquelles une politique habile et persévérante peut nous permettre de développer les moyens d'action que nous créent les rapports de voisinage. Cette objection pourrait avoir une valeur réelle s'il s'agissait de statuer sur les tribus ou sur les ksour marocains. Mais si la limite tracée ne va pas au sud de la latitude de Figuig, l' objection n'a plus sa raison d'être.

Quant au fait de reconnaître et (l'affirmer que Ich, Figuiq, les Mchaïa, Oulad Djerir sont marocains, je n'y vois aucun inconvénient. Si Figuig est nécessaire à notre sécurité, ce n'est pas en tant que forteresse, c'est comme refuge d'influences qui nous sont hostiles. En affirmant et en aidant même l'empereur du Maroc à faire valoir ses droits, et à développer ses if contribuons place, autorité cette nous sur moyens à assurer notre propre sécurité. Quand le chemin de fer de Méchéria sera prolongé au sud d'Ain Sefra sur notre territoire, les gens de Figuig seront plus à nous qu'à l'empereur du Maroc, et ils se rapprocheront de nous d'autant plus facilement, et d'autant plus vite, que nous aurons évité une annexion brutale et précipitée. En somme, ce que nous demandons, c'est la régularisation d'un modus vivendi qui existe en partie, qui s'impose à tous les riverains, qui est désiré par les autorités marocaines comme par offi¬ consécration d'une n'a besoin qui et nous, que


cielle, consécration qui peut être présentée comme rexécution pure et simple d'un point du traité de 1845. Par cette pièce on voit qu'en 1886 le Gouvernement général de l'Algérie estimait que l'occupation de Figuig pourrait être difficilement présentée comme légitime... à des tiers... (Ah! s'il n'y avait que des Marocains devant nous!) Mais en 1882, M. TIRMAN croyait le morceau beaucoup plus facile à faire passer.

Il écrivait alors, en mai :

...La cession de

ses droits

sur Figuig ou simplement l'autorisation d'occuper temporairement ce ksour peut rapporter à S. M. chérifienne plus d'argent qu'il n en tirera jamais de ce pays, et une convention de ce genre nous permettrait de triompher diplomatiquement des résistances espagnoles au anglaises. L'empereur, qui craint fort l'ingérence de ces deux puissances et qui apprécie la loyauté de nos bons procédés et de nos ménagements à son égard, estimera peut-être que son véritable intérêt est d'accueillir nos propositions. D'ailleurs, l'occupation de Figuig... ne saurait porter ombrage à aucune puissance européenne. ...Elle ne saurait avoir pour les puissances européennes plus d'importance que ces empiétements qui ont lieu chaque jour en Asie de la part de l'Angleterre ou de la Russie sur les pays à demi

sauvages, voisins de l'empire chinois, empiétements qui font reculer la barbarie au profit de la civilisation. ...Nous pouvons prendre Figuig d'après Vopinion du général Saussier et le sentiment presque unanime des anciens officiers généraux de la divi¬


sion d'Oran sans avoir à redouter une résistance bien sérieuse (I). Dans la même pièce, le gouverneur de l'Algérie dit très nettement que le gouvernement marocain nous demandait une frontière saharienne. Sur ce point, voici des explications plus précises, complètes, empruntées au RAPPORT LA MARTINIÈRE déjà

cité:

Lorsquen 1877 M de Vernouillet présenta ses lettres de créance à la cour de fez, la question d'une frontière dans le Sud fut directement abordée

le Sultan. M. de Vernouillet, conformément à ses instructions, s'efforça de l'éluder en invoquant les diffi-

par

cultés très réelles qu'il y aurait pour les deux gouvernements et surtout pour le gouvernement chèrifien à composer le personnel chargé des travaux géographiques. Plus tard, en 1884, lors de l'entrevue qui eut lieu à Ich en septembre 1884, entre un frère du sultan Moulai Arafa et le lieutenant-colonel Marmet, commandant supérieur d'Aïn-Sefra, le prince marocain par la ouvertement de l'intention où était le Sultan d'ouvrir des négociations en vue de la fixation de la frontière dans le Sahara, et de la détermination des tribus respectives des deux

Etats.

Les déclarations de Moulai Arafa demeurèrent sans effet. La question de la frontière du Sud fut de nou(1) M. le Général Saussier et les anciens officiers généraux de la province d'Oran, si l'on en croit l'assertion que leur prête

M. Tirman, n'avaient qu'une notion très superficielle de la force de résistance du Maroc. J'ai pu me rendre compte en août 1902 que cette résistance serait au contraire très sérieuse. Voir plus loin le chapitre que je consacre à cette question.


veau soulevée par le Maroc à l'époque des incidents qu'amena notre projet de création d'un poste à

Djenien-bou-Resk. Dans l'entrevue qui eut lieu en novembre 1885 à Djenien-bou-Resk même pour examiner nos droits de possession sur ce point, les délègues des deux gouvernements se mirent d'accord pour proposer d'adopter, comme limite au Sud des ksour, Ich milieu méridienne du point etitre partant une et Ain-Sfissifa et tracée vers le Sud. Enfin, dans les derniers jours de juillet 1891, le Cabinet chérifien informait notre chargé d'affaires au Maroc que pour mettre fin aux discussions qui se produisaient journellement sur la frontière, des ordres avaient été donnés aux gouverneurs d'Oudjda et de Figuig afin qu'ils compensent (sic) dorénavant toute affaire que leur présenteraient les autorités algériennes par une réclamation analogue et équivalentepriseparmi celles qui existent contre nos tribus. En même temps le gouvernement chérifien proposait la nomination d'une commission francomarocaine qui serait chargée de parcourir la frontière d'une extrémité èi l'autre et d'y comparer l'état des lieux avec les clauses insérées dans le traité de 1845 afin de s'entendre sur la possession de points au sujet desquels notre ministre à Tanger, M. Patenôtre, avait fait toutes ses réserves. Cette question paraissait d'autant plus délicate, qu'à ce moment même Moulai-el-Hassan contestait notre droit d'occupation des oasis du Touat qui, prétendait-il, relèvent de son empire. Le Gouverneur général, amené à donner son avis sur les questions soulevées par le Cabinet de Fez, fit, remarquer que, bien certainement, étant donné l'état de civilisation des populations qui habitent les deux côtés de la frontière, des actes de violence et de rapine se sont toujours produits ci ennemies, tribus toujours entre produiront se


mais qu'on ne peut comparer la police qu'exercent nos officiers avec la complicité plus ou moins déguisée des agents marocains avec les pillards qu 'ils gouvernent. « Mais, en dehors de mêmes incidents de frontière qui se produisent sans cesse, des plaintes formelles et portant sur des faits relativement graves nous ont été précédemment faites, et leur entière fausseté a pu être établie. Il y a donc lieu de laisser entièrement de côté les griefs du Maroc, qui ne sont invoqués que pour les besoins de la cause. » En ce qui concerne l'établissement d'une commission internationale destinée à déterminer d'une façon précise la limite entre les deux pays, M. Cambon ne pensait pas qu'il y eût lieu de l'accepter. En effet, « d'une part ce serait reconnaître que le Maroc peut élever des prétentions sur les localités dont nous lui contestons absolument la souveraineté. D'autre part, l'existence de celte commission dont le travail durerait nécessairement longtemps pourrait nous empêcher, en cas de besoin, de prendre les mesures de protection que les circonstances peuvent rendre d'un jour à l'autre nécessaires. » Le Ministre de la Guerre approuva de son côté les conclusions du Gouverneur général, ajoutant : « Il est d'ailleurs hors de doute que l'opération de la délimitation donnerait lieu à des discussions interminables sur la durée desquelles le gouvernement marocain compte vraisemblablement pour gagner du temps et détourner notre attention de ses agissements et de ses empiétements au Touat. » Une note. — La question du Touat est réglée. Néanmoins le quai d'Orsay ne veut pas plus de frontière que par le passé. De hautes personnalités militaires de la province d'Oran m'ont dit à Oran (septembre 1902) que les travaux de la commission de délimitation ont été interrompus par ordre exprès de M. R., agent du ministre des Affaires Etrangères.


CHAPITRE XII

Le traité de 1845 ne doit pas servir au Maroc. — NOTE DE M. FLOURENS. — OBSERVATION DU MINISTRE DE LA GUERRE. GÉNÉRAL DE L'ALGÉRIE. APPRÉCIATION DU GOUVERNEUR — abusions. profitions Sur les et dont razzias nous — — EXTRAITS DE RAPPORTS DE M. DE LA MARTINIÈRE sur DIFFÉRENTES OPÉRATIONS DE RAZZIA. — L'indemnité de l'affaire

de R'orfa. — Quelques réflexions...

ministre des Affaires étrangères, n'exprimait point de formules lapidaires comme celles de M. Waddington mais, appréciant un différend pour quoi le Khalifa de Figuig invoquait le traité de 1845, il écrivait : En 1887, M.

FLOURENS,

...En l'état actuel des choses, convenait il de laisser tomber, s'il était possible, la discussion assez mal engagée sur ce terrain diplomatique... et de régler l'affaire sur place sans mettre en

cause des questions de principe que nous n'avions nul intérêt à voir soulever par la Cour de Fez. En à Fez la discussion souvent portant trop ... d'affaires de frontières... nous avions appris au gouvernement marocain à se prévaloir, de son coté, des dispositions internationales dont il sait aujourd'hui apprécier comme nous la valeur. C'est beau, n'est-ce pas... et c'est vrai! Le quai


d'Orsay, car en ces sortes d'affaires le ministre qui, signant, endosse la responsabilité de pareilles déclarations, obéit à l'anonyme tradition du Bureau spécial, le quai d'Orsay a rarement exposé avec plus de franchise la lettre Waddington dans la bonne exceptée que — — diplomatie les traités ne doivent être respectés qu'autant qu'ils servent les intérêts du fort. Ce génial M. Flourens ne pouvait admettre qu'un Marocain invoquât le traité de 1845... cela n'était permis qu'à nous. En cette affaire dos Beni-Guil, le traité était formel, les Marocains avaient raison. Et cela navrait notre ministre des Affaires étrangères. Je dois ajouter que si au quai d'Orsay on traitait « la signature de la France » avec une telle désinvolture, au ministère de la Guerre — tellement la question était nette — on reconnaissait le droit des Marocains.. LE MINISTRE DE LA GUERRE faisait observer que :

l'article 4 du traité est absolu... ment précis et ne peut laisser aucun doute sur les droits respectifs des deux pays. Il peut se faire, ajoutait-il, que le Khalifa de l'amel d'Oudjda à Figuig, en réclamant pour ses administrés le libre parcours des pâturayes sahariens déjà fréquentés par nos tribus, obéisse à une influence hostile à la nôtre. Mais il n'en est pas moins vrai qu'il revendique un droit formellement reconnu par un acte international, et, de quelque façon que l'on envisage la question, on se heurte à ce traité. Ce texte de

De son côté, le GOUVERNEUR

GÉNÉRAL DE L'ALGÉRIE

profitait de l'occasion pour faire valoir la thèse ancienne des gouverneurs de l'Algérie, celle des difficultés causées par l'absence de frontière au sud du Teniet-es-Sassi, et pour demander une fois de plus au quai d'Orsay de consentir enfin au règlement de la question.


Il écrivait :

On ne peut méconnaître l'importance et la ... valeur des raisons d'ordre supérieur qui nous imposent dans nos relations avec le Maroc une extrême circonspection et une attitude absolument correcte; mais cette correction serait bien mieux

démontrée aux Cabinets européens s'il existait une frontière réelle au lieu de ces conventions contraires à la fois à ce que les diplomates estiment être un traité de délimitation et à ce que veulent les traditions, droits et usages des intéressés, nomades et pasteurs des deux pays. Cette correction, d'ailleurs nous fait perdre dans la pratique journalière tout le bénéfice qu'un Etat fort et bien organisé peut, en théorie, retirer vis-àvis de son voisin plus faible, d'une frontière indéterminée... Nous sommes toujours placés dans l'alternative ou de provoquer les réclamations des Cabinets européens en usant vis-à-vis du Maroc des droits exorbitants, illogiques, surannés que nous confère le texte si critiquable du traité de 1845, ou de placer nos commandants territoriaux dans une situation fausse, humiliante et préjudiciable à la fois à l'action légitime de la France au sud du Tell algérien, et à celle aussi de la civilisation européenne vis-à-vis de demi-sauvages. Il n'est qu'un moyen de sortir de cette impasse, c'est d'avoir une frontière, car il ne semble pas qu'aujourd'hui on puisse comme jadis autoriser le général commandant la division d'Oran à agir frontière Ce existait s'il reconnue. une comme modus vivendi très pratique a pu être, à une offrant des solution avantages époque, autre une réels, mais depuis longtemps il est reconnu impraticable parce qu'il donne au Maroc et à ceux de nos ennemis européens qui l inspirent, le


droit de nous accuser de violer le traité de 1845, Il est donc plus sage de compléter ce traité par la fixation d'une ligne frontière. Je signale à la méditation du lecteur ce rapport du gouverneur de l'Algérie. Les considérations sur notre « attitude correcte » vis-à-vis du Maroc, etc... valent qu'on s'y arrête. Est-ce donc que parfois nous manquions de correction dans notre attitude ? Hélas on vient de lire déjà quelques exemples de ce qu'était notre altitude lorsque « des raisons d'ordre supérieur » ne nous l'imposaient point « absolument » correcte. L'étude approfondie des archives du gouvernement général qui donnent le détail de notre action quotidienne depuis 1845 sur la frontière franco-marocaine et dans le Sahara indivise, celte élude montre que le droit existait pour nos agents surtout lorsque « des raisons d'ordre supérieur » les rappelaient à une « absolue » correction. Voici trois extraits qui me semblent significatifs. Ils font voir à quel point nous abusions des dommages réels que causaient les nomades marocains à nos nomades, et comme, condamnant les razzias marocaines nous en pratiquions nous-mêmes à l'occasion. C'est d'abord un extrait d'un RAPPORT DE M. DE LA MARTINIÈRE (archives du gouvernement général) sur une razzia opérée, par ordre, chez les Amour, Marocains, par Lakdar, Algérien:

La tranquillité ne fut plus troublée jusqu'à la fin de l'année 1875 que par une razzia opérée le 31 octobre par Djelloul ould Lakdar sur des Amour. Avec 44 chevaux et 80 fantassins des Mer Aoulia, il tomba à l'improviste sur les troutribus... de et razzia 5.000 moutons. Le ces peaux coup de main avait parfaitement réussi ; mais malgré toutes les recommandations faites, certaines


fractions des Hamian avaient plusieurs troupeaux un peu aventurés dans le Sud, et quelques-uns de ces troupeaux, dix environ, purent être enlevés par les cavaliers des Amour qui s'étaient aussitôt lancés à la poursuite de Djelloul ould Lakdar et de son goum. Les propriétaires de ces troupeaux exagérèrent considérablement les pertes qu'ils avaient éprouvées, et il s'ensuivit de vives récriminations ; mais ces indigènes durent convenir ensuite qu'ils avaient été razziés par leur faute et que leurs récriminations ne provenaient que du dépit de n'avoir point participé à la razzia conduite par Djelloul ould Lakdar. La razzia de ce dernier ne constituait pas un fait de désordre... elle n'était, au contraire, que l'exécution d'ordres donnés par l'autorité à la suite d'une razzia de dissidents sur nos fidèles... ...Djelloul s'était conformé strictement aux instructions données qui étaient de poursuivre les Amour et de les razzier dès que l'occasion s'en présenterait et jusqu'à ce qu'ils se soient (sic) décidés à accorder les satisfactions exigées d'eux, telle que la restitution des troupeaux enlevés à Tiout. Le MINISTRE DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES, par lettre (14 mai 1885), affirme que lorsque nous razzions, c'est en « plénitude de notre droit ».

...Si de notre côté nous écartons toute revendication du Sultan en faveur de ses tribus, si nous lui contestons absolument le droit de prendre en

main les intérêts des gens qui ont enfreint ses ordres, nous avons nous-mêmes exercé dans toute sa plénitude le droit de représailles et nos colonnes ont successivement razzié les Amour, les Cheurfa, les Beni-Guil et d'autres tribus marocaines. S'il s'agit de ne pas laisser en souffrance les dommages de nos administrés, nos prises ont sans


doute été suffisantes pour nous permettre de prélever le complément de leur indemnité sur le produit des razzias effectuées par nos troupes. Le traité de 1845 ne donne cependant pas à nos troupes le droit de faire des razzias, même par représailles. Une razzia c'est un vol à main armée. Quand les Turcs le pratiquaient, nous disions qu'ils étaient des brigands, et nous avons allégué la nécessité de faire cesser leurs brigandages pour légitimer notre action quand nous les avons chassés d'Algérie. Lorsque des Marocains font une razzia, nous disons de même qu'ils sont des brigands. Que sommes-nous lorsque nous en faisons? Nous n'en faisons que par représailles. C'est possible, je veux même admettre que ce soit vrai. Mais quelqu'en soit le motif, une razzia n'en demeure pas moins toujours une razzia ; et rien n'en peut dénaturer la réalité criminelle. C'est par la voie diplomatique et par celle-là seulement que nous avons le droit d'obtenir satisfaction des razzias marocaines; opérant nous-mêmes des contrerazzias, nous sortons de la légalité. Il est vrai que même en contre-razziant, nous réclamions légalement des

indemnités. Il est vrai aussi que lorsque nous agissions légalement, nous avions parfois une singulière comptabilité dans la confection des notes d'indemnités présentées au Sultan. Voici encore à ce propos un extrait des plus intéressants du rapport déjà cité de M. de La Martinière: C'est une note sur l'affaire de R'orfa en 1891 :

Cette année-là, lesflamian décidèrent d'envoger des faire achats de dattes à grande caravane une Tafilalet. Partie le 26 novembre 1891, leur caravane se divisa en deux groupes.,. Arrivés à El-Rorfa, nos gens, auxquels s'était jointe en route une caravane de Doui-Menia,


village dévoues à ces derniers. Mais ils se déclarèrent dans l'impossibilité d'entamer aucune transaction avec eux en raison des ordres donnes par Moulai-Rechid, grand-oncle du sultan Moulai-Abdelaziz, et qui réside au Tafilalet. En même temps, nos gens apprenaient que les lettres de Moulai-Rechid avaient été lues dans toutes les mosquées de la région prescrivant, sous les peines les plus sévères, de ne, rien vendre aux Hamian, qu'elles traitaient de Mezanales (c'est-àdire de serviteurs des mécréants ; on avait fait courir le bruit que deux officiers français déguisés se trouvaient parmi les Hamian (1). Le 10 décembre, une bande composée d'environ 1.000 à 1.200 fantassins, gens sans aveu, de toutes origines et principalement de Reraber, déboucha de Dar-el-Béïda et vint attaquer nos gens. Parmi eux on apercevait, une soixantaine de cavaliers. Mais tous étaient mal armés de fusils à pierre, de haches et de couteaux. Nos Hamian s'empressèrent de faire prendre à leurs chameaux la direction du Nord-Est, tandis que les 70 ou 80 cavaliers se préparaient à faire face à l'attaque. A la première décharge, le désordre se mit parmi les assaillants : deux de leurs cavaliers ayant été tués, les autres prirent la fuite, bousculant les fantassins. Ceux-ci firent mine de mieux résister, mais mal armés, ils ne purent tenir et lâchèrent bientôt pied. Dans ce combat nos gens avaient eu un homme tué, un autre blesse, deux juments tuées et une perdue. Les pertes des Beraber furent évaluées à

furent bien reçus par les habitants de

ce

(I) Et cela, c'était vrai. Nos officiers ont ainsi étudié toute la zone marocaine convoitée. Preuve : leurs cartes au service des affaires indigènes. Nous nous plaignons des actes de la propagande des agents marocains chez nous. Le Sultan peut se plaindre de nous pour des raisons similaires.


140 tués que nos gens dépouillèrent consciencieusement avant de se retirer. Le combat terminé, les Hamian, craignant un retour offensif, se mirent en retraite vers l'OuedGuir. Là ils se séparèrent, un groupe gagna Bechar, Kenadsa et Ouadka, un autre se rendit aux Beni-Goumi, le troisième prit la direction de Fi-

guig.

Un nouvel incident

allait se produire parmi

ceux qui s'étaient rendus à Bechar, incident qui allait encore augmenter le chiffre des pertes subies par nos gens. Un homme des Bechara, connu par ses excentricités, croyant reconnaître sa jument perdue dans celle d'un indigène des Oulad-Djerir, habitant Bechar, sauta dessus et s'enfuit en criant aux llamian qu'ils étaient trahis. Il se produisit dans le premier moment une panique parmi nos gens. Dès que le calme fut rétabli, plusieurs d'entre eux se lancèrent à la poursuite du fugitif sans pouvoir l'atteindre. La conséquence de cet acte de folie fut que les gens s'emparèrent de tout ce qui appartenait à nos Hamian qui se trouvait à leur portée et particulièrement de tout ce qu'ils avaient déjà versé en précision de leurs achats. Ces divers incidents étaient de nature à nioliver de notre part une demande de réparations au gouvernement marocain. En prévision d'une telle éventualité, le général commandant la division d'Oran fit dresser l'état des perles subies par nos Hamian. Le total de ces pertes s'élevait :

Pour l'affaire de R'orfa à.... Fr. 215.. 240 Béchar à 18.496 — — Soit en tout... Fr. 233.745 Le ministre des Affaires étrangères prescrivit de réclamer cette soumme...


En septembre 1892, l'affaire était conclue à notre entière satisfaction par le comte d'Aubigny. Vous avez lu attentivement. Vous avez compris. Une rixe, une de ces rixes en quelque sorte normales dans la vie sociale de ces pays (1), une nefra à quoi tout le monde prend part, a lieu. Les Marocains Beraber ont 140 tués, que les nôtres

dépouillèrent consciencieusement. Nos Hamian ont de leur côté un homme tué, un blessé, deux juments tuées et une perdue. Voilà le fait. Il est difficile de l'apprécier comme une

où les Hamian soient des victimes. Il est difficile de croire que des Marocains aient risque coûté leur combat puisque le folle, aussi attaque a une 140 morts, alors que ceux qu'on les accuse d'avoir voulu piller ont eu un mort Pour tout homme de bon sens et jouissant de la moindre lueur de raison, il est évident que la responsabilité du sang versé incombait aux gens assez forts et assez bien armés, et assez bien placés pour tuer cent quarante adversaires en ne perdant qu'un homme. Une telle disproportion ne permet pas de dire que nos Ha-

«

affaire

»

!

(1) Le général Chanzy écrivait dans un rapport, en 1870 : Placées aux deux extrémités de deux Etats impuissants à les maintenir, les tribus de la zone frontière restaient livrées sans frein aux instincts de pillage qui dominent chez tous les nomades, tiraillées par les influences religieuses qui ont une action si puissante sur leurs imaginations ardentes et satisfaites d'une vie de troubles, de dangers, d'aventures, préférables pour elles à un ordre de

choses régulier qui eût pu porter atteinte à leur indépendance. Toutefois ces querelles soulevées par des questions de jalousie ou d'intérêts, ces luttes au bout desquelles venait toujours la razzia, étaient pour ainsi dire locales, et l'un ou l'autre des gouvernements intéressés ne pouvait y voir aucune menace sérieuse pour la tranquillité générale.


mian furent attaqués. Il est évident qu'ils attaquèrent et exécutèrent. On ne peut expliquer, on ne peut comprendre autrement la nefra qui, d'un côté, couche cent quarante morts et de l'autre un. Eh bien, pour celle affaire de R'orfa, par voie diplomatique nous réclamons au sultan 215.249 francs d'indemnité et nous les obtenons. C'est du fait. Du fait que je n'invente pas. Du fait dont je prends la preuve aux archives du gouvernement général de l'Algérie. Il y a chez nos publicistes, nos écrivains et nos orateurs, quand ils traitent les questions internationales, une caractéristique remarquable. Toujours ils voient la mauvaise foi d'autrui. Jamais, ou si rarement qu'on peut dire jamais, jamais la nôtre. LU habitant de la planète Mars qui tomberait sur la terre et, pour prendre une notion des relations et du caractère moral des différents peuples qui se combattent sur notre planète, se documenterait seulement chez nous, serait stupéfié d'apprendre qu'un seul de ces peuples respecte la foi jurée ; que nous nous déballons contre une persécution universelle parce que nous representons le Droit, la Justice et la Vertu ; que tous les autres sont des méchants ; que l'Allemand de sa force prime le droit ; que la mauvaise foi est un article britannique dont l'Angleterre à pris la recette à Carthage ; que la duplicité est une spécialité turque ; l'astuce un produit chinois ; le mensonge un monopole marocain... etc... etc... Et combien augmenterait son étonnement lorsque cherchant renseignements chez les autres peuples, il verrait que tous ont l'absolue conviction d'être, chacun, l'exclusive incarnation du Droit, de la Justice et de la Vertu ; que, dans les conflits, chacun est persuadé qu'il a pour soi le Droit toujours, et que l'ennemi c'est la canaille. Et si cet être de la planète Mars allait au fond des choses pour sa méditation, que de phénomènes curieux il constaterait ! Chez nous, par exemple, en notre étal de


civilisation catholique, que dit le prêtre au fidèle ? « Tu es un homme, tu es sujet à l'erreur c'est péché de croire que ta raison humaine est infaillible ; tu dois l'humilier devant ton prochain... etc... ht quand il s'agit de » ces fidèles réunis en nation, le patriotisme inspirant ce même prêtre, le discours devient contraire. Un homme est faillible. X hommes faillibles, obéissant à un ou quelques hommes faillibles cela fait une nation infaillible, soutenue, conduite par Dieu, etc... Vous voyez, n'est-ce pas, sans qu'il soit nécessaire d'insister, en quel abîme de contradictions, d'antinomies et de choses folles, cet être venu de Mars tomberait s'il essayait de comprendre la politique internationale des peuples de la Terre, et comme il s'enfuirait bien vite, retournant à sa planète. Nous ne pouvons en faire autant. Nous devons demeurer sur la nôtre... et nous y sommes pour l'instant occupé des affaires franco-marocaines en suite du traité de 1845.


CHAPITRE XIII

Comment on éluda les clauses les plus formelles du traité de 1845. — L'histoire du cercle d'Aïn-Sefra. — RAPPORT LA MARTINIQUE CITANT LE GÉNÉRAL SAUSSIER et le MINISTRE DE LA GUERRE. UNE NOTE DU GÉNÉRAL DELEBERQUE. UNE NOTE DE

Pour prendre une tribu affirmée au Maroc par le traité, on change le nom de cette tribu. — Ce « coup » des Amour et de Djemba, on le refait pour Mengoub. — L'AVIS DE M. RIBOT. — Ainsi, par une série de citations officielles est bien établie la question de droit. Nous n'avons pas de droits. — Il n'y a qu'injustice dans les politiques actuelles. — La tristesse de l'historien. M. ORDEGA. —

Nous avons déjà vu combien nos diplomates avaient tendance à ne reconnaître, à n'admettre en ce traité que les clauses favorables à nos désirs de conquête, et avec quelle habileté ils essayaient de défendre aux Marocains l'usage de cet « instrument international », dès que cet usage pouvait devenir favorable aux intérêts du sultan. Aux Marocains les inconvénients du traité, à nous les bénéfices. Voilà de parfaite diplomatie. Voulez-vous savoir comment on s'y prenait pour éluder les clauses les plus formelles du traité. Lisez C'est l'histoire du cercle d'Aïn-Sefra. M. DE LA MARTINIÈRE (loc. cit.) l'expose de la sorte :

Par arrêté du 20 mars 1882 le général Saussier,

commandant le

19e corps

d'armée, alors chargé de


l'administration des territoires militaires, créa le cercle d'Aïn-Sefra qui comprit les Ksour d'Asla, Tiout, Aïn-Sefra, Aïn-Sfirsifa, Moghrar-Foukani et Moghrar-Tatani et les trois tribus des OuladBou-Bekeur, des Oulad-Selim et des Souala. Ces trois tribus constituaient la confédération des Amour. Dans la rédaction de l'arrêté on avait semblé éviter d'employer l'expression de Amour (1). Néanmoins le ministre de la Guerre s'émut (2). Il fit remarquer que pour nous, tant que le traité de I845 subsistera, nous n'avons qu'à l'observer religieusement, que si les Amour sont propriétaires dans nos Ksour, ils sont soumis à nos lois pour tout ce qu'ils possèdent dans ces Ksour, mais qu'il ne découle nullement que nous ayons à les considérer comme nos sujets. Et pour cause, le traité de 1845 stipulait Marocains les Amour ainsi annexés ! (2) Il y a dans ce fait, et beaucoup d'autres de même nature, matière à études intéressantes sur la psychologie conquérante. Sur place, les militaires aussi bien que les agents civils, sont hypnotisés par un lopin de terre à ajouter au territoire, par une tente à faire rentrer sous notre autorité. Ils n'ont, pas plus les uns d'une que les autres, la notion pratique du bénéfice qui résultera dépense, d'un effort, d'un sacrifice. L'importance d'une tribu de pouilleux, d'un arpent de cailloux prend dans leur esprit, toujours tendu sur ce même objet, des proportions énormes ; qu'ils réussissent, et cela compensera la perte de l'Alsace-Lorraine. En réalité, quand leur enthousiasme — de départ très noble, très généreux, tout à tait patriotique j'en conviens — n'est point réfréné ils nous entraînent à des opérations folles. Plusieurs centaines de mille francs, plusieurs centaines d'existences, pour qu'une cinquantaine de tentes nous obéisse et nous paie un millier de francs d'impôts... Mais cette notion de la réalité revient quelquefois aux militaires quand ils sont éloignés du désert hypnotiseur, et de la sorte s'expliquent les quelques circulaires de bons sens dues au ministère de la Guerre dans cette question franco-marocaine. Ce qui ne s'explique pas, c'est la perpétuelle folie de duplicité et de mauvaise foi du quai d'Orsay. Ignorance ? Bêtise ? Mais je viens d'écrire le mot : c'est folie. (1)


Vous croyez que ces observations de bon sens et en tout cas justes, puisqu'elles rappelaient au respect d'un traité, furent écoulées. Le traité de 1845 ? mais s'il nous gênait, il était bien simple de l'éluder. Et on le lit bien voir. Tout d'abord le ministre de la guerre reçut du GÉNÉRAL SAUSSIER un rapport où je lis :

L'obligation de protéger les Hauts Plateaux, ... où le gouvernement avait donné d'immenses concessions à la Compagnie franco-algérienne (1), nous a entraînés dans les ksour avec la résolution d'y être les maîtres. Or, cela ne pouvait être quà la condition expresse de posséder les montagnes qui les dominent, ainsi que les tribus qui les habitent. Les Amour sont dans ce cas. Militairement parlant, ils ne peuvent être qu'à nous... La diplomatie doit en cette occasion céder le pas au grand intérêt militaire qui nous a fait agir et il est nécessaire que les choses restent, en l'état où nous les avons mises. Peut-être d'ailleurs trouvera-t-on le moyen d'arranger les choses à l'amiable en donnant aux Amour une autre dénomination politique. a, sur l'interprétation des traités et sur le respect du droit des gens, le même esprit... Il écrit : M.

LE GÉNÉRAL DELEBECQUE

(I) Il est intéressant de noter cette explication an passage. Il serait intéressant de comparer — ce que les opérations de la compagnie franco-algérienne ont rapporté au pays — ce que la protection grâce a quoi ont été faites ces opérations a coûté au pays. Il se passe quelque chose de similaire — et beaucoup plus lamentable — au Congo. L'exploration, la conquête, l'administration et la garde du Congo ont coûté et coûtent au budget des quantités de millions. Résultat : le Congo livré à des sociétés qui coûtent à l'épargne publique une centaine de millions.


Des individualités aux Djemba que le traitde 1845 a si malencontreusement reconnus maroé cains sont venus successivement se réfugier chez nous. A une certaine époque ces individualités formèrent un groupe si nombreux et si confus que, pour assurer la police et la sécurité du pays, il fallut bien les organiser... Pour les Amour il en a été de même... ... Propriétaires de la plus grande partie des jardins de nos ksour, tous ceux des Amour qui sont dans ce cas sont venus individuellement se ranger sous notre autorité, après avoir au début, quand nos colonnes ont paru dans le pays, fait acte d'hostilité contre nos troupes dont elles croyaient la présence simplement temporaire comme d'habi-

tude. Leur exemple a été suivi par les gens qui, sans être propriétaires dans nos ksour, y ensilotent leurs grains, y déposent leur avoir. On ne pouvait pas plus repousser ces gens que les laisser vivre à l'abandon. Nous les avons organisés et, dans l'arrêté du 20 mars qui sanctionne cette organisation, le mol Amour n'a pas été plus énoncé que celui de Djemba pour la constitution du cercle de Sebdou. Telle est la situation. Elle est correcte, ni l'amel d'Oudjda ni son gouvernement n'ont formulé la moindre protestation. Nos hésitations seules pourraient à la longue leur en imposes l'idée. C'est très beau. C'est d'une correction... militaire et diplomatique. M. ORDEGA, notre ministre à Tanger, écrit en effet sur cet escamotage des Amour :

L'adoption de la mesure proposée par le gouverneur général de l'Algérie n'a rien de contraire à l'esprit même du traité de 1845... L'arrêté du 20 mars ne désigne d'ailleurs que ...


des fractions de tribus et s'abstient de nommer les Amour. Dès lors, nous n'infirmons en rien la souveraineté du sultan sur ses sujets. Et voici le commentaire d'un autre diplomate, de M. DE LA MARTINIÈRE, pour une mesure du même genre qui concernait les Djemba:

En mai 1882, la ligne de conduite à suivre avec les Djemba fut définitivement réglée... elle enleva au gouvernement marocain tout droit à protester, par ce fait que nous administrons une tribu marocaine.

Larticle 7 du traité de 1845 dispose en effet que chaque Etat a le droit d'accueillir les individualités de l'Etat voisin qui viendraient à se réfugier sur son territoire, mais que cette mesure ne s applique pas aux tribus. Dès lors, la dénomination des Djemba n'est plus emplogée. Nous recevons les individualités de cette fraction qui se présentent, et du service en besoins les classons les nous pour groupes auxquels nous donnons certains noms de famille ou autres, mais ne figurant pas au traité de 1845, tels sont les noms de Mer' aoulian Sen-

dan, etc...

Le sultan eut beau protester... Il avait alors des embarras berbères. On le menaça d'une entrée en campagne de nos troupes. Il céda. Il nous autorisa même à faire agir nos colonnes sur son territoire. « Pour

obtenir ce consentement, dit M. Ordega, notre ministre à Tanger, il a fallu laisser entendre au souverain que nous saurions au besoin nous en passer. » Comme l'opération des gens qui, le poignard sur la gorge, vous demandent la bourse ou la vie se traduit élégamment en langage diplomatique ! Le « coup » des Djemba et des Amour était trop beau pour ne pas devenir classique et de tradition. Lorsqu'on


voulut occuper Mengoub, en 1892, on l'employa de nouveau. Et avec un égal succès. Ecoutons encore M. DE LA MARTINIÈRE qui, sur cette « opération » de Mengoub, a résumé pour nous les avis du GÉNÉRAL DETRIE, du .MINISTRE et du GOUVERNEUR GÉNÉRAL : Les Marocains réclamaient. Le général Detrie dit qu'on ne devait pas les écouter. Cet officier général proposa : « de revendiquer les droits des nôtres en se basant sur leur longue pos-

session qui en droit vaut titre. » Il se rappela qu'il a toujours paru préférable de ne pas trop invoquer, en pareille circonstance, la lettre du traité de 1845, car « cette manière d'envisager la question, si on avait recours à la voie diplomatique, outre les lenteurs qui en seraient la conséquence, n'aurait sans doute d'autre résultat droits les égaux de faire reconnaître aux popuque lations marocaines frontières, et aux nôtres, sur les points d'eau et les pâturages qui sont presque sous nos postes du Sud » . Enfin le général Detrie faisait remarquer que si nos droits sur les trois points de Oubakak, Galoul et Djenan-el-Adham étaient incontestables, il pouvait y avoir quelque doute à propos de Mengoub, mais cela ne lui paraissait pas une raison suffisante pour ne pas en revendiquer hardiment la possession ; et pour couper court à toute revendication de même nature, il proposait de faire occuper par les Hamian, les points d'eau contestés dès le commencement de la saison des pâturaqes... Ces mesures, approuvées par le Gouverneur Général, qui donna les ordres d'exécution nécessaires, le furent également par M. Ribot. Celui-ci reconnut que « les localités dont il s'agit se trouvant au sud du Teniet-es-Sassi et n'étant pas comprises par conséquent dans les territoires attribués au sultan par le traité de 1845, il est de toute évidence


que nos nomades sont fondés à y exercer leurs droits de parcours (1) ». L'interprétation du ministre tranchait nettement la question. Elle permit au Gouverneur de prescrire non pas l'occupation momentanée, mais permanente des points en litige. Le Gouverneur Général consentit cependant une concession : « Nous ne pouvions, dit-il interdire d'une façon absolue aux tribus marocaines l'usage des points d'eau en litige, car le texte de l'article 4 du traité de 1845 nous en impose l'obligation. « Toutefois, en raison même de nos droits de propriété, nous ne devons autoriser l'accès de ces localités que par tolérance et nous réserver, si les circonstances nous y obligent, de modifier complètement notre manière de faire. » Je borne là mes citations. Elles pourraient être plus nombreuses, mais telles quelles, je crois qu'elles situent et caractérisent suffisamment la question marocaine. En tout cas, ces documents officiels montrent notre diplomatie et notre gouvernement et notre armée d'Algérie dans un tout autre jour que les communiqués officieux. Loin de moi l'idee de vouloir présenter les Marocains en saints. Mais quand j'entends toute une diplomatie, toute une presse, tout un gouvernement crier haro sur répondaient qu'il était non moins évident, et pour les mêmes raisons, que leurs nomades pouvaient y exercer aussi leurs droits, et qu'en tout cas nous n'avions pas le droit d'occuper, d'aministrer, etc... Mais cette riposte devenait chez eux de la duplicité. Le même argument, suivant qu'il est prononcé par M. Ribot ou par le sultan, est un argument honnête ou malhonnête. Notons aussi qu'à cette occasion la cour de Fez demanda, une fois de plus, la nomination d'une commission mixte de délimitation de frontières pour éviter le retour de pareils incidents, et qu'une fois de plus la France refusa de fixer la frontière dont périodiquement, régulièrement, nous reprochons la « violation » aux Marocains. (1) Les Marocains


ces pauvres diables en les accusant de tous les méfaits, de tous les crimes, afin de donner à l'opinion publique l'illusion que nous avons le droit de prendre le Maroc, alors cela me paraît « roide ». Je me renseigne. Je cherche. Et je trouve... que nous sommes aussi Marocains que les Marocains. Et je me demande ce que le droit vient faire en celte histoire très humaine, en cette histoire d'hier, d'aujourd'hui et de demain, et peut-être de toujours, en cette histoire d'un peuple fort qui veut manger un peuple faible.

Et comme cette histoire est nette, simple et claire lorsqu'on arrive aux faits en jetant de côté tout le verbiage des chancelleries, des gouvernements et des journaux ! Deux peuples. Le nôtre, fort ; le Maroc, faible. Voisins. Un traité fixe les frontières. Nous partageons les points connus. Cela nous suffit. Et cela devait suffire à tout être raisonnable. Mais un jour, oh ! très vite après le traité, pour ainsi dire le lendemain, on s'aperçoit que ce traité donne matière à conflits entre les deux Etats. Que le Maroc, pour régler ces conflits, invoque la lettre du traité, nous en alléguons l'esprit. Qu'à son tour le Maroc parle comme nous de l'esprit du traité, alors nos prétentions changent, il nous en faut la lettre. Et quand la lettre et l'esprit sont contre nous, c'est la force qui est notre argument. On en pourrait multiplier les cas. Nous en avons déjà lu quelques uns. En voici un autre tout petit. La très faible tribu des Cheurfa n'a pas été mentionnée dans le traité. Nous la prenons. Mais cette tribu, c'est ma famille, dit le sultan! Qu'importe... ce qui n'a pas été spécifié doit être à nous. Et la même prétention appuyée par la force qui dispense du droit, au même titre qu'elle nous a donné récemment le Touât, nous avait, longtemps auparavant, donné une tribu qui est la famille du sultan... la famille, vous lisez bien... la petite tribu des Cheurfa.


Le traité, c'est évident, n'était pas net suffisamment, donnait matière à contestations. On devait le reviser. Honnêtement, suivant les intérêts des deux parties. Mais il y a au quai d'Orsay un bureau où, depuis cinquante ans, on ne veut pas que ce traité soit revisé de manière à garantir la paix entre les deux peuples. Dans ce bureau vivent et se succèdent des gens qui aiment la question marocaine comme une dartre à gratter... Çà les amuse, ces culs de plomb, d'entretenir là-bas, en un point du monde où leurs hémorrhoïdes ne leur permettent point d'aller, çà les amuse d'entretenir cette

question qui fait éclater poudre et plomb, qui fait couler du sang... Quel chapitre à écrire pour un fouilleur d'âmes, que celui d'un bureau comme celui-là !... Ces gens se sont mis dans l'esprit que le bureau devait donner le Maroc à la France. Et ils y travaillent. Une guerre tout de suite ? Non pas. Il faut que ce soit le Maroc qui ait tort. Il faut que ce soit le Maroc qui de lui même s'offre en holocauste. Il faut tromper l'opinion française. Et il faut, je ne dis plus tromper, rouler les chancelleries étrangères. Un des moyens classiques, longtemps ce fut l'indemnité qu'on réclame quand une razzia a fait passer un troupeau d'une tribu dans une autre tribu du Sud. Il fut un moment où l'on présentait notes sur notes. On croyait que le Maroc, n'ayant pas d'argent, ne paierait point et qu'on pourrait faire le grand coup. Mais le Maroc paie... encore, toujours. Et M. de La Martinière écrit en parlant de cette politique de factures... payées : « Elle ne pouvait qu'être préjudiciable à nos intérêts, en permettant à nos nomades de constater que nos rapports avec le Maroc s'étaient transformés et que, loin d'imposer nos volontés comme par le passé, nous acceptions maintenant de discuter sur le moindre incident. » Le Maroc paie ce que nous lui réclamons, souvent avec injustice... (car il arrive qu'ayant à nous plaindre


d'une tribu marocaine qui a pris quelques moutons à l'une des nôtres, nous commençons par razzier la tribu marocaine et que, malgré le bénéfice de la razzia, nous présentons par surplus la note à payer au sultan (1) et, de ce que le Maroc paie, nous trouvons que c'est préjudiciable à nos intérêts ! De quelque façon qu'il agisse, toujours le Maroc est dans son tort ; il est le faible... En vain il demande qu'on lui dise une fois pour toutes ce qui est à lui et ce qui est à nous dans le Sud... On élude la question. Nous avons vu, dans les pièces citées, que les instructions données en 1877 à M. de Vernouillet portaient qu'il ne devait pas répondre aux « ouvertures marocaines » sur la question de fixation de la frontière. Depuis cette époque, les Marocains, en cela d'accord avec le gouvernement général de l'Algérie, ne se lassent point de réclamer celte frontière. Mais c'est toujours en

vain.

Si Feddoul Gharnit a beau insister, en juillet 1891, auprès de M. Patenôtre, en août 1891 auprès de

Souhart, pour que nous lui disions où nous voulons établir notre frontière dans le Sud... et qu'on discute. Le quai d'Orsay ne veut pas engager la discussion sur ce point. Et quand les événements l'y forcent, comme l'an dernier, quand, pour étayer ses affirmations pacifiques, il est obligé de consentir à la mesure pacificatrice depuis M.

(1) On en a vu plus haut quelques exemples. Encore celui-ci, de 1881. Un de nos dissidents, Si Sliman-ben-Kaddour, razzia nos Ha-

mian. Nous nous vengeons en razziant la région marocaine. En même temps nous présentons au sultan une facture de 429.000 fr... Pour avoir la paix, le sultan, qui légalement ne doit rien, consent à payer. Il donne un acompte de 100.000 francs. Puis il apprend qu'en nous vengeant de Kaddour, nous avons razzié à fond ses tribus ; il nous présente alors à son tour une facture de I.800.000 francs. Mais nous ne discutons pas. Nous gardons les 100.000 francs.


si longtemps réclamée, il ne cède que pour gagner du temps, il ne tarde pas à se ressaisir à la première occasion. C'est lui qui lait arrêter les travaux de la commission mixte à la frontière. Une frontière dans le Sud? Jamais. C'est contraire à sa politique traditionnelle. Il ne peut se résoudre à limiter aux yeux des Marocains nos territoires. Là où nous porterons notre drapeau, les Marocains verront que c'est fiançais et cela doit leur suffire. C'est ainsi qu'ils ont renseigné le Maroc sur le Touat. C'est

ainsi qu'ils espèrent le renseigner un jour sur tout l'empire. Voilà toute la question du Maroc. Le quai d'Orsay veut tout le Maroc. Pour être plus precis, je devrais écrire voulait, car M. Delcassé avant reconnu la proie trop grosse pour ses moyens se résout aujourd'hui à la partager avec... un peu ple fort et capable de nous seconder puissamment dans la conquête... j'ai nommé l'Espagnol. La besogne de l'historien qui veut travailler sans autre parti pris que celui de rechercher, de trouver et de dire la vérité entière et quelles que puissent éclater les conséquences de son oeuvre, est la plus triste que je sache. Elle lui vaut écoeurements tels qu'il n'y en a point dans les métiers les plus sales. Des vidangeurs mangent avec plus d'appétit que les vendeurs de parfums; le fossoyeur est gai; le bourreau fait des calembours ; les bouchers adorent la poésie de Coppée, les guerriers les fleurs ; et je me rappelle avoir passé à l'amphithéâtre des heures délicieuses. L'odorat s'habitue aux pires odeurs; les yeux se font aux plus répugnants spectacles. Mais à ce que je découvre chaque fois que je fouille une question de notre histoire contemporaine, c'est hauts le coeur et nausées, toujours, et plus âcres. Un être de raison ne peut habituer son esprit à cette idée d'expérience et de fait que le gouvernement des


états civilisés, dans les relalions internationales, c'est oeuvre de mensonge ou de guerre; que l'habileté, le génie, le patriotisme des conducteurs de peuples, c'est de se parjurer ou de tuer à tins de vols. Et l'histoire ne nous montre que cela, hier, aujourd'hui, tou ours S'il n'avait pas l'espoir que cela ne sera plus demain, s'il n'avait pas la conscience que son devoir est d'éclairer son siècle pour que le passé n'enténèbre point l'avenir, il me semble que l'historien, le vrai, sombrerait sa raison au vertige des iniquités où les troupeaux d'hommes voient les vertus patriotiques... !

Tout cela pour le Maroc... !

!

!

Oui.

J'entends les rires. Mais je les vois sur les lèvres des sots. Et je m'en moque. Riez. Riez. Oui, tout cela pour le Maroc... Et je voudrais bien que quelqu'un put me démontrer honnêteté, justice ou respect du droit dans les pièces officielles que j'ai citées ; dans ce Livre Jaune, plus sincère et plus complet que ceux du quai d'Orsay.



LIVRE TROISIÈME

CHAPITRE XIV

La thèse de l'intérêt. Nous avons vu en prouvant, en établissant la vérité de fait que nous n'avons pas le droit de faire la guerre au Maroc. Voyons maintenant, en établissant la vérité de raison, que nous n'y avons pas davantage intérêt. — Spécification de l'intérêt. — Les intérêts privés dans les guerres ne doivent pas nous imposer des conquêtes nuisibles à l'intérêt général. — Quel serait l'intérêt général dans la conquête du Maroc. Les intérêts politiques. — Prestige moral; il dimi-

nuerait.

Mais, homme naïf, en ces affaires extérieures il n'est question, entends-le bien, ni de justice, ni d'honnêteté, ni de respect des droits d'autrui. C'est l'intérêt supérieur de ta patrie qui est en jeu, de ta patrie que ses enfants ont le devoir de rendre plus belle, plus forte, plus grande, plus riche, la plus grande et la plus riche. Dans cette oeuvre sublime pour quoi les ouvriers doivent se résigner joyeusement à toutes les abnégations, à tous les sacrifices, tu ne saurais discuter les moyens mais seulement considérer le but. Eh bien ! soit ! Faisons taire notre raison qui n'admet pas le sophisme des deux morales ; notre raison qui ne voit pas le


miracle par quoi ce qui est crime dans l'acte d'un individu volant, tuant un autre individu peut devenir vertu dans l'acte de X individus volant, tuant X autres individus ; notre raison qui, lorsqu'on nous parle de notre patrie, songe à celle des autres; la raison qui, Anglais, lorsqu'on parle Transvaal, nous demande ce que nous dirions Boërs ; la raison qui, Français lorsqu'on parle Maroc, nous demande ce que nous dirions Maures; la raison qui, Américains, lorsqu'on parle Philippines, nous demande ce que nous dirions Tagals; la raison qui, dans toute « augmentation » (1) d'une patrie nous montre la diminution d'une autre patrie. Je n'écoute plus cette raison. Comme Pascal s'inclinait d'autant plus pieusement devant les mystères que la raison les montrait absurdes, j'accepte votre patriotisme et qu'il exige qu'un homme politique en la direction des affaires de son pays fasse litière de tout ce qui est le droit, la justice et l'honneur, mente en niant, en éludant les clauses des traités, tue en faisant la guerre, vole en faisant la conquête... cela pour servir, défendre et faire triompher les intérêts de la patrie. Et dans cette question marocaine nous ne discuterons plus que l'intérêt, que les intérêts de la France. Laissons de côté ces vaines sentimentalités du droit, de la justice et de l'honneur qui font de nous des insensés, des fous, des êtres d'exception dans la foule des « patriotes » lorsque nous demandons que les engagements (i) Je mets entre guillemets ce mot augmentation pour que le sens n'en permette pas discussions d'interprétation malentendue. Quand augmentation signifie augmentation économique, c'est-àdire conquête sur la résistance ou l'inertie de la nature, augmentation agricole, industrielle ou commerciale, par échange des produits de l'agriculture et de l'industrie, cette augmentation n'a point pour corollaire la diminution, mais l'augmentation similaire d'une autre patrie, dans la condition commerciale. C'est l'augmentation politique d'une patrie qui entraîne la diminution d'une autre patrie. C'est l'augmentation résultant de la guerre qui est

criminelle.


soient tenus, les trai tés respectés et que le puissant n'opprime point de sa force le faible... Tout cela n'est point, pour la masse des gens qui croient raisonner, l'intérêt... Bien que, dans la réalité — je le liens des philosophes chinois — la suprême justice, le religieux respect des engagements, la conception divine du droit, procèdent de la compréhension logique de l'intérêt, de tout ce que cet intérêt comporte de plus matériel et de plus terre à terre... mais ils ne comprendraient point, malgré les plus claires démonstrations, malgré les plus évidentes preuves, ils ne comprendraient point, ceux qui ont la folie de se croire patriotes en parlant guerre et conquête, ils ne comprendraient pas que la suprême justice dans la paix se confond avec le suprême intérêt, ils ne comprendraient point et d'essayer de le prouver pour eux serait pages perdues qui, en même temps, nous éloigneraient de notre actuel sujet qui est le Maroc. Pour en traiter la question à quoi nous revenons délestés de toutes considérations de droit, de justice et d'honneur, nous ne discuterons plus que l'intérêt de notre pays, l'intérêt dans les sens que le commun attache à ce mot. Et nous devons nous demander ceci : En poursuivant — je crois avoir prouvé qu'elle la poursuit — en poursuivant la conquête du Maroc, la politique traditionnelle du quai d'Orsay, —M. Delcassé, je l'ai dit, n'en est qu'un passager instrument — cette politique sert-elle l'intérêt de la France (1)? La conquête (i) Je crois que cela ne supporte pas long examen. En s'opposant

depuis cinquante ans « au règlement de la question du Maroc », en escomptant la guerre, en entretenant les difficultés au lieu de les résoudre, eu faisant de nos agents diplomatiques des machines à réclamations perpétuelles, cette politique du quai d'Orsay cause le plus grand tort à l'intérêt, aux intérêts français de tout ordre au Maroc. Cette politique, c'est celle des gens qui ne comprennent rien aux affaires, qui vivent en de perpétuels renouvellements de billets, qui, au lieu « d'arranger » leur situation la compliquent


du Maroc servira-t-elle ce môme intérêt? Quand, hors de la partie réservée à l'Espagne. un gouverneur français demandera l'impôt aux Maures des plaines, aux Berbères des montagnes; leur fera rendre la justice par des magistrats français ; leur donnera des garnisons françaises ; quand les deux versants du grand Atlas verront leurs carrières exploitées pour la construction de palais gouvernementaux, administratifs et militaires ; quand le Maroc sera couvert de fonctionnaires et de soldats ; quand on y fera des transports de ravitaillement; quand les terres des indigènes seront inscrites au cadastre comme terres de colons français ; quand les usuriers juifs se trouveront en concurrence avec les grandes banques françaises ; quand... enfin quand on aura pris le Maroc, aura-t on fait une bonne affaire ? En servant quelques intérêts particuliers — toute guerre, toute conquête assure quelques fortunes dans le clan des gens bien informés, bien apparentés — aura-ton servi l'intérêt de tous les Français, de tous les contribuables, l'intérêt de la France? Il est inutile de discuter, je crois, pour établir qu'une guerre au Maroc et la conquête du Maroc serviront

quelques intérêts particuliers. Hier nous renseigne sur demain. Si des particuliers qui sont puissants ne gagnaient pas beaucoup d'argent à ces sortes d'entreprises, la et l'aggravent sans cesse. Il faut avoir le courage de prendre une résolution, quelle que soit cette résolution. Si on veut la guerre, eh bien il fallait avoir le courage de la faire, franchement... Je parle le langage que m'ont tenu des gens d'affaires, des gens qui ont essayé de faire des affaires au Maroc, et qui y ont perdu de l'argent à cause des continuelles tergiversations, des éternelles réticences, des compromis sans fin de notre diplomatie .. Si c'est la guerre, faites-la, grands Dieux... et qu'on sache à quoi s'en tenir Si c'est la paix, assurez-la par des actes, et qu'on puisse travailler Mais une solution, v il à ce que réclame l'intérêt. Tous les gens qui ont des intérêts au Maroc veulent que cette solution soit pacifique.


France n'aurait pas fait tant d'opérations coloniales depuis trente ans. On rencontre dans la vie parisienne des gens qui, pour vivre, ont besoin de trente à quarante mille francs par an et qui, incapables de les gagner par une production personnelle, les font à la commission. C'est toute la catégorie des intermédiaires d'affaires, que connaissent bien les personnes qui ont jeté un coup d'oeil sur la vie financière. Ces gens, pour faire leur matérielle annuelle, s'ingénient à forcer leurs amis de verser dans telles et telles entreprises des sommes suffisantes au prélèvement de la commission désirée. Ils coûtent à leurs amis, de la sorte, cinq, six et même dix fois plus qu'ils ne gagnent. Quand un tel a perdu cent mille francs dans une affaire qu'un autre tel lui a recommandée, souvent il ne songe pas qu'en donnant à cet autre tel, tout de suite, dix pour cent, il aurait sauvé les quatrevingt-dix des cent que cet autre tel lui a fait perdre par ses conseils, l'insistance, et la suggestion de ces conseils. Dans les affaires politiques du pays on trouve beaucoup do ces « autres tels ». Ils ne peuvent pas directement se faire donner sur le budget les sommes dont ils Ont besoin pour vivre. Ils les gagnent en commissions sur les crédits qu'ils font voter et qui, inscrits nu chapitre dépenses de guerres et d'expéditions coloniales, sont employés aux frais nationaux de ces opérations, frais encaissés normalement, légalement, régulièrement telles dis loyalement je point compagnies, par ne — — individus. tels par Tout le monde à Paris sait que X, Y, Z, parlementaires, ont neuf mille francs d'appointements, n'ont par ailleurs aucune fortune personnelle, aucun métier avouable qui leur fasse gagner un sou, et que cependant X, Y, Z, dépensent annuellement de soixante-dix à quatre-vingt mille francs. Tout le monde sait que les jeunes A, B, C, du Tout-Paris politique et financier n'ont aucune profession connue, mais seulement des relations et des amitiés retentissmtes, et qu'ils en vivent bien.


Tout le monde sait que tels et tels journalistes, qui opèrent dans les « marches » de la vie parlementaire et de la vie d'affaires, ne touchent à la caisse de leurs journaux que des sommes dérisoires et que cependant ils en dépensent de très importantes... D'où vient, à ces gens qui font l'opinion publique, et qui contribuent à faire voter les dépenses de guerre, leur supplément de ressources, ce supplément qu'ils ne tiennent pas d'un métier avoué? Quelle belle élude sociale à tenter dans cet ordre de

fais ?

Cherchez quels groupes, quels individus sont prêts à recueillir les divers bénéfices résultant des dépenses qu'une imsuites de marocaine les celle et guerre guerre — — poserait au budget. Voyez ensuite quels groupes, quels patriotique conviction de plus le préconisent avec gens demandent les entreprises Maroc et que, guerre au une suivant l'opinion générale, la conquête seule rendra possibles. Et je serais bien étonné que ces groupes et ces individus ne fussent pas les mômes.

Donc les groupes X et les individus Y verront servir leurs interêts si la France entreprend — môme avec l'Espagne — la conquête du Maroc. Mais, et c'est les seuls dont nous devons nous occuper, les seuls que nous puissions loyalement, honnêtement défendre, les intérêts de la France, les intérêts de la communauté française seront-ils également servis ? Je sais bien que toutes les fois qu'un Français gagne de l'argent, augmentant sa fortune, il augmente d'autant la fortune générale, la fortune de la communauté, la fortune de la France. Mais encore faut-il que son bénéfice ne vienne pas d'une commission réalisée sur les dépenses inutiles, sur les pertes de la masse. Et en l'espèce il est évident que ce serait le cas.

En quoi consiste l'intérêt de la France, ou plus exactement les intérêts de la France qui se trouvent en jeu


dans la conquête marocaine et que prétendent servir les hommes qui veulent la guerre? C'est des intérêts politiques et des intérêts économiques. Les politiques : Un prestige moral plus grand en suite d'une victoire, d'une augmentation territoriale... Notez bien que le gouvernement du Maroc ne nous attaque point. Qu'il ne saurait donc être question d'une guerre de défense, d'une de ces guerres qui permet lent encore d'employer dans le langage des gens raisonnables cet accouplement fou, monstrueux, des deux mots juste et guerre, pour dire une juste guerre. Ce serait donc, sous quelque prétexte hypocrite qu'on en déguisât l'action ; et ce prétexte serait vile qualifié, maintenant que mon livre a donné la version officielle de nos relations avec le Maroc depuis un demi-siècle ; ce serait donc une guerre de conquête. Et nous arrivons à demander : Aujourd'hui, à l'aurore du XXe siècle — je sais aussi l'emploie c'est je de siècles mol division cette ; un que compréhension la générale et parce dans demeurer pour qu'il évoque l'idée du progrès de l'intelligence humaine dans une évolution repérée par la mesure du temps — aujourd'hui le fait qu'un peuple fort bat un peuple faible et ajoute au territoire gouverné par son administration, régi par ses lois, celui du peuple faible, est-il encore peuples, des l'opinion autres dans fait, ce de nature à augmenter le prestige du conquérant? Je ne crois pas. * Dans un monde spécial d'individus, le mâle assez fort pour en écloper un autre et lui prendre son bien, jouit encore d'un très vif prestige. A Ménilmontant, les Mais Ménilmontant n'est admirés. sont costeaux » « d'hommes, de beaucoup la Et cité. la ceux toute pas police et de la magistrature, entre autres, ceux à qui les paisibles citoyens ont délégué leur droit d'apprécier et, si possible, de corriger les costeaux quand ceux-ci récollent, au milieu de leurs « poteaux », du prestige par des actes d'attaques, de guerres, de conquêtes et d'an¬


nexions individuelles, jugent ces acles de toute autre manière que les compagnons des dits « costeaux ». Il n'y a pas longtemps, au siècle dernier, c'est tout proche, la généralité des peuples, des hommes de tous les peuples admettait comme la plus noble et la plus pure des gloires celle de la guerre, de la Victoire. Encore maintenant cette idée est très répandue que les plus glorieux sont les conquérants. A beaucoup si vous demandez noms de grands hommes la désignation viendra des noms d'Alexandre, de César, de Napoléon. Timourleng, Gengiskhan et Attila étaient des hommes à peau jaune ; c'est pourquoi ils ne figurent pas sur le palmarès glorieux des hommes à peau blanche. Par contre, nous y inscririons volontiers celui du nègre Menlech... à creuser, là, des pourquoi... Le fait c'est que la plus noble, la plus haute, la plus éclatante, la plus pure personnification de la gloire humaine, jusqu'à ces derniers matins, c'était pour nous presque tous, le conquérant. Si, d'aventure, un homme de bon sens, de raison, insinuait que le grand Napoléon avait été un immonde souteneur, un voleur, un assassin, un parfait gredin en tant qu'homme privé, et que sa politique d'ambition, servie par ses instincts de bête de proie, donnant à ce soldat jeune et leste, en face d'ennemis vieux et lents, le génie d'un général de nouvelle tactique (à son tour devenu vieux, gros et paresseux et lent il fut battu comme le sont, dans le désert et sur les boulevards extérieurs, les animaux et les rôdeurs engraissés âgés) que cette politique a fait à l'Europe autant de mal que vingt épidémies de choléra morbus, à la civilisation plus de mal qu'une nouvelle invasion des Barbares ou que les incendies d'un nouvel Omar... on ne discutait même pas, on souriait, on prenait pour un fou l'homme raisonnable qui disait cela. Aujourd'hui on commence à se demander si, au contraire, les fous ne sont pas ceux qui osent encore glorifier le bandit conquérant, le voleur couronné, le tueur impérial, le détraqué qui trouvait aussi naturel de coucher avec sa soeur que de faire une guerre pour lui donner un trône.


Que si tant de raison moderne vous effare, et qu'il y ait encore en votre esprit trop du fumier des préjugés d'hier et que... tout de même... vous ne puissiez aller dans la logique pure jusqu'à... cela, notez, sur celte question du prestige de la guerre et de la conquête, ces

deux seuls faits qui sont actuels : Les Etats-Unis d'Amérique ont fait la guerre aux Tagals et annexé les Philippines. On n'a pas très bien connu en Europe les sales dessous de l'opération. Néanmoins, il a semblé que la conscience civilisée trouvait la dite opération quelque peu barbare. Et si elle n'a pas déshonoré les Etats-Unis d'Etat dont les hommes — et les soldats se sont conduits là-bas — j'y étais, j'ai vu — comme les guerriers d'Attila, je ne crois pas cependant qu'elle ait rien ajouté au prestige moral de la grande république de Franklin, de Pierpont-Morgan, de Rockfeller et de Schwab. Il y eut dans cette conscience civilisée, que les penseurs et les philosophes et les moralistes éveillent à la réalité de la Justice universelle et du Bien le même pour tous, il y eut comme un malaise. Et ce malaise est devenu souffrance aiguë lorsqu'on a vu la grande, la puissante, l'énorme, la gigantesque Angleterre écraser le petit, le faible et le pauvre Transvaal. Je vous le demande, je le demande à tous, est-ce que d'avoir battu les Boërs, est-ce que d'avoir annexé le pays des Boërs cela a augmenté le prestique moral de l'Angleterre au regard des nations civilisées?... Eh bien ! ne demandons plus si le prestige moral de la France peut gagner quelque chose à une guerre marocaine. La question est en tendue ; n'est-ce pas.


CHAPITRE XV

La conquête augmenterait-elle notre puissance militaire? Dans l'offensive ? Non. — Dans la défensive ? Non plus. Comparaisons avec l'Algérie. — L'Espagne aurait avantage, nous pas. — C'est une faute de s'allier avec l'Espagnol qui est détesté par le Marocain. — Nous n'avons pas assez d'hommes pour augmenter nos territoires à

défendre.

Un autre intérêt politique inhérent à la victoire, à la conquête, avec l'augmentation du prestige militaire, prestige moral, c'est l'augmentation de la puissance militaire, assurant l'efficacité de l'offensive et garantissant la force de la défensive. Cela, sur les données de la politique qui assimile les nations civilisées à des dogues montrant leurs crocs soit dans les grognements du repos, soit dans les aboiements de la lutte, c'est-à-dire

toujours. Car cela est encore un des phénomènes sociaux les plus dignes de fixer la méditation Toutes les forces nouvelles des hommes qui, progressivement, reçoivent et comprennent de plus en plus la lumière des besoins réels attachés à leur condition terrestre, tendent à la paix, aux besognes pacifiques de la vie moins pénible... l'humanité se civilise.... et c'est l'esprit du passé, l'esprit des générations où pour avoir on estimait nécessaire de prendre, et de défendre, c'est l'esprit des barbares, l'esprit militaire qui domine les générations d'au-


jourd'hui ; le fond de leur politique c'est d'armer pour attaquer, pour se défendre. Admettons-le. Et suivant cet esprit, pour les nécessités que reconnaît cet esprit, discutons si la conquête marocaine augmenterait notre puissance militaire dans l'offensive et dans la défensive. Dans l'offensive. Contre qui pourrait nous servir la possession du Maroc? Contre l'Espagne. Contre Gibraltar. Ce serait par une action maritime. Contre l'Espagne. C'est avec le concours de l'Espagne, l'on l'Espagne le partageant que se propose de avec et en conquérir le Maroc. Admettant même que nous le prenions et que nous le gardions seuls, combien de temps et d'argent pour y établir contre l'Espagne une base d'offensive que nous avons ailleurs, chez nous... Alors contre Gibraltar. Comme nous « marchons » avec l'Espagne et que cen'est pas pour rien que nous avons donné à ce pays quinze points de plus-value sur sa rente extérieure, Espagne Gibraltar qui tout est contre en ce avons nous nécessaire et beaucoup mieux que ce que nous pourrions trouver au Maroc. Que nous agissions sans l'Espagne... Y a-t-il un port au Maroc? La rade de Tanger en face de Gibraltar, cette rade qui est — de fait — en quelque sorte internationalisée — en admettant qu'elle devienne nôtre, en supposant qu'on y fasse à coups de millions toutes les installations d'un point d'appui d'escadre, ce n'en sera toujours qu'un point de départ pour une attaque contre Gibraltar. Un point de départ ne permettant plus auforce l'éléescompter réalité la Et a nous cune surprise. ment surprise dans les actions prévues si on les veut capables de succès. L'avantage de la moindre distance serait compensé par les désavantages de la plus grande surveillance. (Tout cela, vous savez, c'est des questions de simple bon sens, et il n'y a pas besoin d'être amiral pour avoir le droit de les traiter).


Et qu'elle parte d'un peu plus près ou d'un peu plus loin, si elle est assez forte, une escadre vaincra dans les deux cas; et faible sera toujours également battue. L'action offensive par des torpilleurs... à huit heures de torpilleur, à 160 milles de Gibraltar, sur la frontière algéro-marocaine, il y a Port-Say qui pour des bateaux rapides comme les torpilleurs peut servir de point d'appui. Et Port-Say nous l'avons. Si en offensive la conquête du Maroc ne nous donne que l'avantage de posséder un port de départ de torpilleurs plus rapproché de Gibraltar que ne l'est Oran, pour avoir ce port à une distance suffisamment utile point n'est besoin de conquérir le Maroc. Nous n'avons qu'à utiliser ce que nous possédons, Port-Say. Nous serions même sages de faire cela. Ça ne coûterait pas cher. Ça coûterait beaucoup moins et, plus près, servirait mieux que Rachgoun. Ça coûterait surtout beaucoup moins que la conquête de Tanger. . Reste la question de l'augmentation de notre force militaire du point de vue de la défensive. Nous aurions un nouveau pays à défendre. Voilà le fait évident. La possession de ce pays nous donneraitelle de nouvelles forces, soit pour nous aider à la défense du nôtre et de ceux que nous avons déjà, soit pour nous aider à le défendre, lui ? Nous avons vu plus haut qu'un brave professeur de langue arabe, qui exerce doctement son métier à Oran, a publié que la possession du Maroc jointe à celle de l'Algérie nous vaudrait deux millions de soldats berbères, avec lesquels nous n'aurions qu'à vouloir pour reprendre l'hégémonie européenne. C'est de bonnes plaisanteries de maître d'école parfaites pour égayer les livres qui traitent de matières sérieuses. Mais, n'y revenons point et ne sortons pas une seconde fois cet excellent M. Mouliéras de son rêve; beau rêve, et patriotique, mais rêve. Serrons la discussion, sur des faits. En 1870-71,


quelle fut l'importance du concours de nos soldats sujets algériens pour nous défendre contre les Prussiens ? Ils se sont très bravement battus à Woerth... et puis après? Des pieds gelés. Des figurants d'ambulance et d'hôpital. Et pendant qu'ils encombraient de leur non-activité nos armées, nous avions dù, pour nous défendre contre leurs frères demeurés au pays, envoyer en Algérie des contingents de mobiles qui, si nous les avions eus dans les armées de la Loire, du Nord et de l'Est, nous eussent beaucoup plus servi. N'oublions pas, en effet, qu'un instant la Fortune hésita, et que dans l'Est, notamment, les défenseurs de Belfort entendirent le canon de l'armée de secours dont l'effort, trop faible, vint se briser sur les lignes de la Lisaine. Et la guerre allemande à peine terminée, c'était en Algérie l'insurrection. Il est vrai qu'il y avait aussi la Commune à Paris. Mais pas pour les mêmes causes. Les Communards voulaient une république meilleure, qu'ils n'ont, c'est justice à le constater, pas beaucoup améliorée lorsqu'ils en sont devenus les ministres. Quant aux Algériens, quarante ans après la prise d'Alger, apprenant par leurs frères qui venaient de servir dans les rangs de nos armées, sur le continent, la pile reçue par ces armées, ils pensaient le moment venu pour nous reprendre leur pays. Et ils s'y essayaient. Cela, c'est des faits, des faits qui permettent par comparaison de juger quelle aide défensive lendemain de la Marocains chez les trouverions au nous conquête si nous avions besoin de cette aide. Qu'on n'objecte pas les services rendus par les Algériens au Tonkin, à Madagascar. Dans la campagne de France, c'est le froid qui les mettait hors de combat — en majorité; —au Tonkin et à Madagascar, c'est le chaud et la fièvre qui produisaient le même résultat. Les indigènes du nord de l'Afrique ont sous les tropiques beaucoup moins de résistance que nous. Les Marocains moururent « comme des mouches » lorsqu'on voulut les employer aux travaux du chemin de fer du Sénégal. Dans un voyage d'exploration au Congo, les


Algériens engagés, contre mon gré, pour nous servir d'escorte, ne résistaient ni à la chaleur, ni à l'humidité, ni à la fièvre. Voila, par des faits, jugée la question. La conquête du .Maroc ne nous donnerait pas une force nouvelle pour notre défensive métropolitaine ou coloniale. Elle nous amoindrirait dans celle défensive car elle nous prendrait une part de notre force existante pour défendre le pays conquis, et contre une action extérieure possible, et contre des actions intérieures probables, certaines. Ainsi notre force défensive actuelle serait non pas augmentée, mais diminuée. Est-elle assez supérieure à ses obligations actuelles ou même suffisante, pour que cette diminution puisse aller sans dommage ? Nous en sommes réduits à parler dommage! La France a-t-elle assez d'hommes pour qu'à toutes les garnisons lointaines qui en immobilisent et, hélas! en consomment tant, nous puissions, sans risque, ajouter celles qu'après les pertes de la conquête nécessiterait l'occupation du Maroc. Voyez d'un côté le chiffre de la population indigène d'Algérie, de l'autre celui de la population française et naturalisée, et étrangère, civile, et celui des corps d'oc-

cupation.

Calculez maintenant, par analogie, quel effectif sera nécessaire pour garder le Maroc, où il n'y a pas de population étrangère civile et où la population indigène est de quatre à cinq fois plus nombreuse qu'en Algérie. Rappelez-vous en outre que les populations marocaines prennent très facilement les armes contre l'autorité qui les régit, et que celte autorité est musulmane. Et vous

arriverez à cette conclusion rationnelle que pour garder le Maroc il faudrait une armée quatre fois plus nombreuse que celle qui garde l'Algérie... Et ne perdez pas le souvenir des doléances régulièrement publiées par des spécialistes avisés quand ils voient en même temps la diminution de la mortalité française et l'augmentation du nombre de jeunes français nécessaires pour la garde des possessions françaises. Chaque année devient plus pé¬


nible le recrutement du contingent colonial. Vouloir augmenter ce contingent des cent mille hommes qui seraient nécessaires à l'occupation du Maroc — même partagé avec l'Espagne — c'est folie. Je comprends que l'Espagneait cette folie. L'Espagne avait à Cuba et aux Philippines des garnisons qui vivaient de ces colonies, soit par les soldes régulières, soit par les exactions, devenues, quoique contre toute règle, la règle. Il y avait un roulement qui permettait aux officiers métropolitains d'aller se refaire aux colonies. Quand ils avaient assez « gagné », à Cuba, aux Philippines, ils revenaient en Espagne, dans l'Espagne pauvre, et cédaient la place à d'autres. L'esprit du colonial espagnol n'a pas changé depuis Cortez et Pizarre, c'est un esprit do vol cruel, féroce. Il fait des officiers coloniaux des voleurs. Nous aussi nous volons. Mais c'est généralement dans l'intérêt collectif. Les vols individuels sont plus rares... quoique!... Mais en Espagne il n'en est point de même. J'ai fait à Manille une enquête sur l'administration militaire espagnole. Que de voleurs Et pour l'Etat, et pour eux personnellement. Aujourd'hui l'Espagne n'a plus de colonies. Et elle a dans la métropole beaucoup d'officiers coloniaux qui désirent s'occuper, travailler, qui veulent une colonie et qui, en attendant, sont prêts à toute révolution intérieure. Je conçois donc que le gouvernement espagnol trouve de bonne politique une opération qui le débarrasse de ces éléments dangereux pour sa tranquillité intérieure, d'abord en en faisant tuer une partie dans les batailles de conquête, ensuite en gardant l'autre dans les garnisons d'occupation. L'Espagne pour payer ses militaires inoccupés, pour boucher le trou fait dans son budget par la suppression des dimes prélevées sur Cuba et les Philippines, ces colonies si riches et si prospères, ne peut pas refaire tout le temps le coup de l'Extérieure, ni trouver surtout ailleurs des pays qui l'acceptent comme nous l'avons accepté. M. Gogo est français. Pour retarder la crise


qui la menace, une première fois, l'Espagne, grâce à des concours français, a jeté sur le marché français un titre qui valait peut-être encore moins que sa cote de 70 francs, un titre qu'on avait vu à moins de 60 francs, et l'a fait monter jusqu'à 85 francs, le plaçant par paquets aux naïfs emballés. La hausse de l'Extérieure et le placement chez nous de tout le papier de réserve du gouvernement espagnol, joint à la spéculation faite en connaissance du lendemain, cela constitue — si l'on veut bien réfléchir que le change restait insensible à cette hausse — cela constitue une des plus belles habiletés financières de notre temps, une habileté qui a fait passer dans les caisses d'un gouvernement étranger (et de quelques Français) de formidables sommes prélevées sur l'épargne française. Mais tout cela n'a fait que retarder de pénibles échéances au bout de quoi le gouvernement espagnol est exposé à trouver la faillite et la révolution. Il porte le boulet de l'armée, des officiers de Cuba et des Philippines. Il faut payer ces gens pour ne pas être dévoré par eux. Quand on ne peut plus les payer, il faut leur donner une proie... Le Maroc est tout indiqué. Nulle guerre ne serait plus populaire en Espagne qu'une guerre contre les Maures. La haine date de loin. Au Maroc aussi. Quand on veut voir un Marocain céder à la plus folle colère et donner les manifestations extérieures les plus caractéristiques de la haine, il suffit de vanter à ses oreilles l'Espagnol. Le Marocain n'est pas de tempérament irritable, surexcité par des générations et des années d'alcoolisme, cependant le nom abhorré de l'Espagnol lui donne des crises de fureur comparables à celles qu'éprouve un Irlandais saturé de whisky lorsqu'on lui dit la générosité d'un landlord. Le patriotisme espagnol vibre jusqu'à la folie contre le Maure exécré, contre le Maure dont on n'a pas oublié la domination. Quant au patriotisme marocain, il tourne en rage contre l'Espagnol, contre le Castillan dont les crimes sont légendaires au pays du


Maghzen (1). Depuis des siècles le sang coule entre les deux races. Ce n'est pas la Méditerranée qui les sépare, mais un océan de sang. Avec tous les peuples chrétiens, les musulmans du Maroc pourront lier partie et s'entendre. Avec les Espagnols ce sera toujours la lutte, la guerre, les assassinats et les tueries jusqu'à ce qu'une des deux races disparaisse, anéantie par l'autre. Aussi le gouvernement espagnol est rassuré. En lâchant ses hordes militaires sur le Maroc, il est certain que de longtemps il n'y aurait dans la péninsule révolution militaire soit républicaine, soit carliste. Le Maroc suffirait, et pour longtemps, à occuper toutes les inquiétudes guerrières, toutes les activités belliqueuses des sujets espagnols qui, habitués au métier des armes, sont in-

capables d'en prendre un autre. Un danger politique serait « écarté » du champ des préoccupations gouvernementales espagnoles... Mais l'économique,c'est moins sûr. On se battrait sur le pays; il n'est pas certain qu'on en vivrait. Mais nous serions là... C'est pour cette double opération que l'Espagne après nous avoir fait le coup de l'Extérieure voudrait nous entraîner au Maroc où nous ne demandons pas mieux que d'aller (2). livre du brave M. Mouliéras dont nous avons déjà parlé est une véritable mine à joyeusetés. J'y trouve cette explication délicieuse de l'origine des haines marocaines contre l'Espagne... il y a, sait-on généralement, toutes les vieilles guerres qui depuis des siècles ont mis aux prises les deux peuples, les deux races, les deux religions... ce n'est pas cela... écoutez : très venteux, s'oublient à « Les Espagnols de la basse classe, dessein en passant près de leurs ennemis mahométans. De sonores émissions de gaz, éclatant en pleine rue, déchirent l'air, empoisonnent l'atmosphère, exaspèrent le Rifain qui a en horreur ces écoeurantes détonations. » Le mendiant marocain qui a documenté M. Mouliéras sur les mystères du Maroc inconnu en avait de bonnes ! (2) Les événements de fin décembre font ressortir cette intention espagnole d'employer au Maroc avec des fonds étrangers, l'armée nationale inoccupée. (1) Le


On vient de voir qu'à cette aventure l'Espagne aurait un avantage hors de doute, l'emploi de forces dont l'inactivité dans la métropole constitue un danger. Cet

avantage politique, nous ne l'aurions pas. Nous n'avons, en effet, ni trop d'hommes, ni trop d'officiers. Le nombre de ce que nous avons suffit à peine à l'emploi actuel. Augmenter le rayon de cet emploi serait en diminuer l'efficacité. Quand une grenouille veut s'enfler au volume d'un boeuf, elle en pèle, elle en crève, nous a dit le fabuliste. Une nation qui n'accroît pas sa population ne peut, à l'infini, étendre l'action militaire de ses contingents. Une comparaison triviale encore, mais très juste. Ces contingents, c'est la trame et la chaîne de l'étoffe sous quoi nous abriterions contre le soleil et la pluie... Si l'on veut augmenter la zone d'abri de celte étoffe sans avoir trame ni chaîne en plus, on écarte les mailles du tissu, et alors ce tissu ne protège plus, il laisse passer et soleil et pluie. Voilà des vérités burlesques, mais nettes et dont la méditation pourrait, s'il leur restait quelque sens, permettre aux impérialistes à outrance de comprendre combien est idiot leur rêve de conquête et de domination universelle. Quand on veut un empire en Asie, un empire en Afrique, un empire en Amérique, un empire partout, quand on veut que sur toutes les terres et sur toutes les mers du globe flotte le drapeau, si noble que soit un tel désir, encore faut-il qu'il ne ressemble pas à celui des gosses qui demandent à leur nourrice la lune... plus belle que les tétons de la dite nourrice; dans les mirages de l'Asie et de l'Afrique et de toutes les régions lointaines, sur quoi le populaire n'a et ne veut données précises, les trois couLes journaux anglais, notamment le Daily Graphie (30 et 31 décembre), émettent l'idée que la France et l'Angleterre donnent des capitaux permettant à l'armée espagnole de rétablir l'ordre au

Maroc.

Noter que la mise en campagne de Bou-Hamara est due à une action espagnole, dont j'ai surpris l'intrigue aux Zafïariues et à

Melilla.


leurs, il est certain qu'elles apparaissent beaucoup plus belles et plus chères que sur les portiques de nos gendarmeries, et qu'un attendrissement vous saisit rien que d'y penser... Mais pour le porter en tous ces tas d'endroits il faut beaucoup d'hommes; pour l'y faire « flotter » et le garder, encore plus. Et tous ces hommes qui seraient nécessaires à la France pour réaliser ses rêves d'impérialisme, chaque année les femmes de France en font moins. Dans la politique coloniale qui nous vaut les guerres coloniales, il y a une idée apostolique d'émancipation mondiale comme jadis d'émancipation européenne dans les guerres de la Révolution. La France n'avait plus d'hommes après les guerres de la Révolution suivies par •celles de l'Empire, et elle a connu l'écrasement. Mais en suite de cet écrasement, bien que surtout fussent restés comme reproducteurs les dégénérés, les tarés, les inférieurs, ceux qui n'avaient pas été bons pour la guerre, et que revinssent de la guerre beaucoup d'éclopés, d'ivrognes et d'avariés, les femmes de la France ont enfanté beaucoup. Les dernières guerres coloniales aux pertes des campagnes et des garnisons algériennes ont ajouté les pertes des campagnes et des garnisons d'Indo-Chine, de Chine, de Calédonie, de Madagascar, du Congo, du Dahomey, du Soudan, du Sénégal, etc., etc... Il est impossible d'en faire le compte exact, car jamais les ministères n'ont voulu que ce compte fut rendu possible. Mais, en ajoutant le bilan Algérie au bilan colonial du deuxième empire et de la troisième république, je crois que les pertes (morts sur place et morts dans les cinq années du retour) ne s'éloignent pas beaucoup du million. On ne compte jamais, dans le nombre des pertes, que ceux qui ne reviennent pas. Il convient d'ajouter ceux qui, revenant, meurent dans les cinq ans, ceux qui meurent de l'affaiblissement rapporté. En outre, parmi ceux qui survivent, combien doivent être également comptés au chapitre pertes, qui ne se


maintiennent que comme individus chétifs et ne sont plus des reproducteurs. Aussi terrible que la dégénérescence tuberculeuse, alcoolique, dans les causes de la dépopulation de la France,il faut compter la cause coloniale. Un cinquième des hommes forts, enlevés à la métropole par les aventures coloniales, guerrières ou pacifiques, meurt, deux cinquièmes sont rendus inféconds ou reproducteurs de

tares acquises. Après « l'apostolat » révolutionnaire et du premier empire qui avait dévirilisé la France, les femmes ont repeuplé. Sous l'apostolat colonial de Napoléon III et de la république actuelle, la France se dévirilise et le phénomène apparaît d'autant plus effrayant que les femmes ne repeuplent plus. Il y a, suivant une proportion constante, chaque année moins d'hommes pour défendre un territoire qui s'étend chaque année. Tout accroissement nouveau de territoire, loin d'augmenter la puissance militaire de la France, la diminue. Ainsi, pas plus qu'elle n'accroîtrait notre prestige politique, moral, la conquête du Maroc n'accroîtrait notre prestige militaire, notre puissance guerrière.


CHAPITRE XVI

frais de la conquête. — Sang. — La résistance probable. — L'année marocaine. Ibn-Khaldoùn — Ali— Bey. —Erckumann. diplomates La Martinière. Les — — voient la conquête non pas au conditionnel, mais au futur. — L'opinion qu'on a des forces marocaines est erronée.— De Foucauld. — Mac-Lean. — Mauvaise méthode des Européens pour juger. — Il n'y a pas de soldats au Maroc, mais il y a des guerriers. — On doit raisonner sur des faits. — La résistance marocaine exigerait trop de sang.

Les

A-t-on sérieusement songé aux frais, argent et vies, conquête? semblable nécessiterait une que Le Maroc, je le répète, a cinq fois plus d'habitants joug étranger, réfractaires d'habitants l'Algérie, au que d'habitants qui n'avaient jamais été soumis par les Turcs dont nous avons pris la succession et qui, somme toute, nous avaient quelque peu mâché la besogne. Il a fallu cinquante années de luttes, des centaines de milliers d'hommes et pas loin d'un milliard pour dompter l'Algérie. J'écris dompter et pas soumettre, domestiquer. Le seul gage de la fidélité des indigènes en Algérie, c'est notre force métropolitaine connue et la force vue des effectifs d'occupation. Cela est un exemple de ce que serait la lutte au Maroc. A lire certains guerriers en chambre et les stratèges de quelques journaux, à lire même certains rapports mili¬


taires d'officiers algériens, à lire aussi les ouvrages des voyageurs au Maroc, on pourrait croire que ce pays, n'ayant point d'armée, serait incapable de résister aux efforts d'une armée européenne d'invasion. Les précédents de l'Isly (1) et de quelques guerres espagnoles sembleraient, de plus, à première vue, confirmer cette croyance. Il est certain qu'il n'y a pas au Maroc une armée comparable, disons même opposable, à une division espagnole ou à une division comme celle que commande le général O'Connor dans la province d'Oran. Cependant, les armées espagnoles qui opéreraient au Maroc sont les mêmes que celles qui furent battues, il n'y a pas longtemps, par les petits Tagals d'Aguinaldo. N'insistons point. Je ne voudrais pas chercher de comparaisons du même genre dans notre histoire coloniale d'avant-hier, ou d'hier. Ce ne serait pas d'un bon patriote. Cependant je ne crois pas que le culte de la vérité permette de dire que nous ayons été vainqueurs, toujours, dans nos rencontres avec des jaunes, avec des

noirs...

je n'ai insisté sur les défaites espagnoles je n'insisterai sur les nôtres. Je veux simplement que nous ne soyons plus exposés, par ignorance, à de nouvelles défaites. Ceux qui montrent le Maroc si faible ont étudié la question d'un point de vue européen, avec un esprit habitué à croire que la force défensive d'un peuple c'est uniquement la force de ce peuple organisée en armées sur le mode européen. De ce qu'une force diffère d'une autre il est téméraire de conclure que cette force n'existe point. Mais pas plus que

Les forces marocaines différent essentiellement des

forces européennes. Le tempérament militaire du Marocain n'est pas le (I) Nous avons vu plus haut qu'à la bataille de l'Isly le Sultan avait peut-être plus d'intérêt à être battu qu'à nous battre


même que celui du chrétien. Cela n'est pas une nouveauté que je révèle. C'est écrit dans tous les auteurs. Ibn-Khaldoûn, cité par Mas-Latrie, nous en donne une preuve quand il décrit le mode de combattre des Marocains :

«...On établit une ligne de ralliement derrière

l'armée pour communiquer confiance aux troupes qui combattent par attaque et par retraite. Ce fut pour le même motif que les rois du Magreb prirent à leur service et admirent au nombre de leurs milices des corps de troupes européennes (frendj). C'est un usage qui leur est particulier et qu'ils adoptèrent parce que tous les habitants de ce pays étant dans l'usage de combattre d'après le système d'attaque et de retraite, ces princes tenaient beaucoup dans leur propre intérêt à établir sur les derrières de leurs armées une forte ligne d'appui qui pût servir d'abri aux combattants. Pour former un telle ligne, il fallait de toute nécessité employer des gens habitués à tenir ferme sur le champ de bataille; car, autrement, ce corps reculerait ainsi que font les troupes qui ne savent combattre que par charges et retraites successives. S'ils lâchaient pied, le Sultan et toute l'armée seraient entraînés dans la déroute. Les souverains maugrebins eurent donc besoin d'un corps de troupes habituées à combattre de pied ferme, et ils les prirent chez les Européens. Pour former le cercle de troupes qui les entourait pendant la bataille, ils prirent aussi des soldats de cette race. C'est là, il est vrai, s'appuyer sur des infidèles, mais ces princes ne regardaient pas cela comme un sujet de reproche ; ils étaient obligés de le faire, ainsi que nous venons de l'expliquer au lecteur, par la crainte de voir le corps de réserve qui les entourait prendre la fuite. Sur le champ de bataille, les Francs tiennent ferme ; ils ne con¬


naissent que cela, parce qu'ils ont été habitués à combattre en ligne; aussi forment-ils des troupes plus solides que celles de tout autre peuple. Du reste, les rois maugrebins ne les emploient que contre les Arabes et les Berbères qu'ils veulent faire rentrer dans l'obéissance ; mais ils se gardent bien de s'en servir dans les guerres contre les chrétiens, de peur que ces troupes auxiliaires ne s'entendent avec l'ennemi et ne trahissent les musulmans. Voilà ce qui se pratique dans le Magreb encore de nos jours, nous venons d'exposer les motifs de cet usage, et Dieu sait toutes choses. » Ibn-Khaldoun terminait ses mémoires vers 1390. Au commencement de ce siècle, Ali-Bey écrivait :

tactique des Marocains est toujours la même dans toutes les batailles, Elle se réduit à s'approcher de l'ennemi à la distance de cinq cents pas à peu près. Là ils se déploient par un mouvement soudain, et cherchent à présenter le plus grand front possible ; puis ils courent de toutes leurs forces en ajustant le fusil. Arrivés à la demi-portée, ils tirent leur coup; ils arrêtent le cheval par un fort mouvement de bride, et, tournant le dos, ils battent en retraite avec la même vitesse. Ils rechargent tout en courant, et si l'ennemi recule, ils continuent à faire feu en gagnant du terrain ; mais si l'action s'échauffe et que l'on tire l'épée, quel doit être l'embarras de ces hommes, qui, sans aucune espèce d'ordre, tiennent chacun de la main gauche la bride et leur long fusil, et l'épée de la droite. Dans ce cas, ils placent le fusil devant eux sur l'arçon de la selle, et de cette manière chaque homme occupe un front de plus de deux, et reste isolé, sans appui, sur ses côtés. Quel doit être alors l'effet d'une ligne de bataille européenne sur de tels pelotons ! C'est en raison de cela que le cavalier maure évite autant qu'il est possible de s'engager à « La


l'arme blanche ; il fonde sa supériorité sur la vitesse de son attaque, de sa retraite et sur sa dextérité à manier le fusil : il ne pense à faire usage de son épée qu'à la dernière extrémité.» Les documents modernes sur l'organisation de l'armée marocaine sont fournis par le livre, d'ailleurs assez vague, de M. Erckmann, officier instructeur français au service du Sultan. C'est ces documents qui servent de base à tout ce qu'on publie depuis quelques années sur l'armée marocaine. On délaye, on commente, on enjolive, c'est toujours les données Erckmann. Où elles ont été le mieux présentées, il me semble que c'est dans la notice de M. de la Martinière. Et voici :

titre Sultan le du saurait donner On troupes aux ne « d'armée, car le recrutement s'en fait un peu au hasard, suivant le bon plaisir des gourverneurs des provinces qui en profitent pour commettre maintes exactions. En principe, chacune des tribus qui forment la partie militaire du pays, le Makhzen, doit fournir un combattant par foyer ; mais ce mode de recrutement, des plus défectueux en ce qu'il amène sous les armes les éléments les plus disparates, et ceux qui ne peuvent échapper à cette manière de conscription, est une des causes de l'infériorité de l'armée chérifienne. La concussion règne dans tous les grades. Aucun vertige de service administratif n'existe, et, en un mot, cette comédie d'armée ne saurait être prise au sérieux. Jadis des renégats européens, aventuriers parfois de mérite, servaient dans les armées marocaines, et sans même remonter aux temps du Moyen Age, alors que des milices kourdes ou chrétiennes donnèrent maintes fois la victoire aux troupes des Almoravides ou des Almohades, on vit, principalement au XVIIIe siècle et au commencement de celui-ci, les


Sultans faire de réels efforts pour se constituer une organisation militaire. C'est ainsi qu'après la bataille de l'Isly, Maulay-Abd-ur-Rhaman voulutéquiper à l'européenne quelques bataillons d'infanterie. L'artillerie fut aussi l'objet des soins attentifs des derniers Sultans et surtout de Maulay-el-Hassan ; mais, bien qu'une mission militaire française soit depuis dix-sept ans déjà installée près du Makhzen (i), que d'autres officiers étrangers s'en soient également occupés, l'instruction et l'organisation de la troupe marocaine sont absolument rudimentaires, et l'on peut avancer hardiment qu'à aucun point de vue elle n'offre quelque valeur. C'est un instrument de domination qui permet au Sultan de recueillir les impôts sur une partie de son territoire mais qui serait absolument hors d'état de résister à une action européenne, La difficulté de la conquête du Maroc proviendra... Voyez comme cette idée de la conquête du Maroc est entrée dans la mentalité de nos diplomates, et comme

ils trahissent, lorsqu'ils ne veillent point à mentir, que celle idée est devenue chez eux directrice. Lorsqu'ils ne « diplomatisent » pas leur discours, lorsqu'ils écrivent naturellement, simplement, d'après leurs idées acquises, lesquelles dirigeant par instinct acquis, sans volonté qui leur rappelle l'intérêt de la dissimulation et leur en inspire l'effort, composent leur mentalité normale et sincère, alors ils ne parlent pas de la conquête du Maroc comme d'une opération que les événements pourraient rendre nécessaire. C'est pour eux une entreprise fatale. Ils ne la voient plus dans les possibilités, dans les probabilités du conditionnel. Ils la (I) Ce que nos journaux'coloniaux disent régulièrement en affirmant que nous devons conquérir le Maroc, les preuves officielles que j'ai publiées du désir de cette conquête dans notre politique avec le Maroc, etc... tout cela suffit pour que l'on se demande si réellement des officiers français peuvent travailler de bonne foi à l'armement d'un pays considéré comme ennemi...


voient dans les certitudes, dans les assurances, dans les réalités humainement décrétées, voulues du futur. Ils n'emploient pas le conditionnel mais le futur. Ils n'écrivent point : « la difficulté de la conquête du Maroc proviendrait », mais bien « proviendra ». On objectera que M. de la Martinière sait mal le langage français, qu'il le parle et l'écrit mal. Cette ignorance de leur langue est assez commune chez nos diplomates ; c'est vrai ; mais par cela même qu'ils sont des diplomates, il est à cette langue des nuances que tout de même ils ne peuvent ignorer. Et la différence qu'il y a entre le conditionnel et le futur pour un événement tel que la conquête d'un pays ne saurait leur échapper. C'est parce qu'il sait bien que nous voulons conquérir le Maroc, parce qu'il est employé à cette conquête future, parle futur Martinière lorsqu'il parle de la M. au en que franchement. Donc il écrit : La difficulté de la conquête du Maroc proviendra de

la valeur guerrière des tribus berbères (1)dont

beaucoup sont armées de nos jours de fusils à tir rapide. La haine de l'étranger, le fanatisme, les grouperont contre l'envahisseur. Actuellement (1896) la base de l'armée est la réunion des combattants appartenant aux tribus du Makhzen et formant ce qu'on appelle le guich. Le guich dont l'effectif dépasse rarement neuf mille hommes se compose d'une partie sédentaire qui ne quitte que rarement la ville ou la tribu où il a été formé, et d'une partie active qui alimente les escadrons de mesekerin, mechaouri, etc... et presque tout le personnel administratif. Les cavaliers du guich sont à la fois soldats et agents du gouvernement... L'équipement de la cavalerie marocaine est misérable. Les chevaux sont insuffisamment nourris et le harnachement ma(I) C'est toutes des tribus barbares que nous laisserait le partage espagnol projeté par M. Delcassé.


rocain est fort mauvais, en tous points inférieur à celui des Algériens. Il en est de même pour la race des chevaux... Le guich fournit aussi l'artillerie de campagne qui se compose de deux bataillons commandés chacun par un caïd agha et formant 15 mia ou compagnies de cent hommes, rarement au complet. Le matériel, essentiellement disparate, se compose en général d'une dizaine de batteries. On a essayé d'organiser des batteries montées qui ne servent guère qu'à des manoeuvres de parades au moment des fêtes religieuses. Ce qui reste n'est que de l'artillerie de montagne, mal servie par des canonniers sans discipline et par des officiers marocains qui ignorent même l'emploi de la hausse. Quant à la défense des ports, elle est confiée à des artilleurs sédentaires, une centaine environ par port, qui servent de père en fils, exercent un métier quelconque, et touchent une faible paye mensuelle. A Tanger, on voit six canons armstroug de 20 tonnes installés dans trois batteries avec réduit et construits par des ingénieurs de Gilbraltar ; à Rabat, le sultan Maulay-el-Hassan, dans les dernières années qui précédèrent sa mort, fit construire par un ingénieur allemand un ouvrage d'une grande puissance, armé de deux énormes pièces krupp. L'artillerie des places de l'intérieur est tout à fait insignifiante. La marine marocaine, si fameuse au temps des pirates barbaresques, n'existe plus ; seul un bâtiment à vapeur, mauvais cargot-boat acheté par le sultan Maulay-el-Hassan, bat encore le pavillon marocain. Outre les troupes dont nous venons de parler, les tribus fournissent des cavaliers appelés nouaïb et qui ne rejoignent l'armée qu'en cas de besoin. Ils ne causent au Sultan aucune dépense... Les tribus berbères fournissent des nouaïb à pied qui sont d'excellents fantassins énergiques, sobres, habiles tireurs, et qui, durant la guerre de Tétouan, résistèrent parfois victorieusement aux Espagnols. Quant à l'infanterie régulière (asker), bien qu'habillée d'une façon à peu uniforme, instruite en partie par un sous-officier


anglais et armée de fusils modernes (Martini Henry, Comblain. Gras), elle offre peu de solidité. L'effectif total dépasse rarement 8.000 hommes. L'armement de la troupe marocaine est très mauvais, car le gouvernement marocain, malgré sa méfiance instinctive pour tout ce qui vient d'Europe, ne cesse d'être victime d'industriels et d'agents qui lui vendent au poids de l'or des armes parfois de rebut. Dans les dernières années, l'effectif des troupes employées pour soumettre les tribus n'a pas dépassé 25.000 hommes, nouaïb compris. S'il s'agissait d'une guerre sérieuse, le Sultan pourrait mettre sur-pied environ 40.000 hommes d'infanterie et presque autant de cavalerie. » Outre les réflexions que cette note nous a déjà inspirées lorsque nous avons observé que le diplomate qui en est l'auteur estime la conquête du Maroc non prohabilité, mais réalité à venir, il importe, je crois, de retenir que, sauf quelques réserves relatives aux tribus, le Maroc est présenté comme un pays sans aucune force défensive. Le Sultan, si nous eu croyons les documents officiels français, ne dispose que de troupes sans valeur, incapables de résister à une action européenne. On ajoute bien que dans les tribus berbères il y a quelques bons fantassins, lesquels ont donné preuve de vertus militaires en quelques rencontres pendant la guerre de Télouan, que les difficultés de la conquête viendront du fait de ces Berbères... Mais comme aussitôt est ravalée, rabaissée, détruite l'idée de la puissance de résistance de ces tribus berbères, puisqu'on établit ce fait que l'armée insignifiante du Sultan, bien qu'elle ait été battue récemment par le prétendant Bou Hamara, avait suffi jusqu'alors à maintenir dans l'obéissance toutes les tribus berbères si souvent en révolte! Ainsi l'opinion des gens qui ont la conduite de notre politique vis-à-vis du Maroc, c'est que le conflit qu'ils prévoient, préparent, mettra aux prises nos excellentes


troupes avec deux sortes de forces : 1° celle des réguliers du Sultan, force insignifiante ; 2° celle des tribus berbères plus sérieuse de réputation, mais également sans importance puisque toujours elle cède à la première qui est insignifiante ; le succès d'une campagne apparaît donc certain à nos maîtres. Cela nous explique la tranquillité d'âme des gens du quai d'Orsay, leur sérénité à considérer la résistance marocaine comme une des données négligeables du problème et à ne voir, pour la solution de la question marocaine, difficultés que dans l'attitude et les actes hostiles des puissances. Même ces gens de bureau qui jugent les conditions mondiales sur rapports d'agents sont en quelque sorte excusables. M. Delcassé n'a jamais essuyé les verres de son lorgnon devant les réalités marocaines ; pour avoir la notion du Maroc, il est obligé de croire des gens plus myopes que lui et qui n'ont rien vu, rien distingué du Maroc, sans doute parce qu'ils avaient oublié ou perdu leur lorgnon. C'était la même chose pour M. Hanotaux. Ce sera la même chose pour celui qui prendra la place de M. Delcassé quand Doumer en aura chassé « cette teigne ». Le mot n'est pas de moi. Je suis trop respectueux des autorités à qui le suffrage universel et les votes du Parlement contient les affaires de mon pays pour les traiter ainsi. Le mot est de M. Doumer qui l'a prononcé devant moi. Je le répète, voilà tout ; en reporter ramasseur de miettes pour l'histoire. Deux bonnes heures de ma vie c'est: une où Doumer m'a prouvé que Delcassé était le dernier des imbéciles ; une où Delcassé m'a prouvé que Doumer était le dernier des idiots. Ce que je disais, moi? J'écoutais. Je n'avais rien à dire. Tout au plus aurais-je pu me permettre une observation timide : qu'en pareil cas il vaudrait peutêtre mieux dire simplement l'avant-dernier... Donc, lorsque des gens de carrière qui ont consacré leur carrière à* étudier le Maroc leur disent : « Vous pouvez y aller hardiment ; le Maroc, ça n'existe pas, on n'a qu'à s'asseoir dessus ; les seuls qui crieront, c'est


l'Anglais, c'est l'Allemand... » je comprends que nos ministres ne songent qu'à trouver quelque part dans l' univers morceaux de gâteau qui adoucissent l'Anglais, l' Allemand, et si savoir de s'inquiètent du tout ne pas les soldats qu'ils enverront s'asseoir dessus le Maroc n'y trouveront pas un peu trop de baïonnettes. On leur dit que ces baïonnettes ne comptent pas, que la place est rase, qu'on peut y aller... et ils le croient. Car ceux qui disent cela, c'est les patentés, les assermentés, les officiels du métier. Et les autres, ceux qui crient casse-cou, méfiez-vous... cest les irréguliers, ce n'est que le reporter vagabond, ce n'est que le pamphlétaire... Cependant M. Delcassé devrait se rappeler la leçon de la Chine, la leçon du Siam... La Chine, tout le monde affirmait qu'avec quatre hommes et un caporal on en aurait immédiatement raison. Cent vingt mille hommes y furent... Le Siam. En 1893, on pouvait en obtenir quelque chose ; on voulait plus. En 1899, on ne pouvait plus en obtenir grand'chose et on voulait encore plus. J'ai eu l'occasion de dire alors, de même la Chine que pour — personnellement à M. Delcassé, et de publier qu'il — ne fallait point laisser échapper l'occasion, que le Siam grandissait, qu'il n'aurait bientôt plus besoin des puissances pour se défendre, qu'il saurait le faire lui-même.... Les officiels prétendaient que le Siam « n'existait pas ». Il prouve aujourd'hui qu'il existe. Et s'il demande à quelqu'un de l'aider en cette démonstration, ce n'est pas à des puissances européennes qu'il s'adresse, c'est à des asiatiques, à des jaunes, aux Japonais. Et si on ne se contente pas de ce qu'il veut bien aujourd'hui nous abandonner, demain il ne nous laissera plus rien prendre du tout. Et si on veut le contraindre par les armes, il est de taille à riposter. On était mal renseigné et Siam. le et Chine la sur sur On en a fait désagréablement l'expérience. Que cette expérience, au moins, soit utilisée, qu'elle


fasse hésiter devant celle que l'on veut réaliser, à nos dépens, au Maroc. Je sais bien qu'à côté des renseignements comme ceux que je viens de citer, il y en a d'autres comme ceux de M. de Foucauld, lequel écrit : « Nulle part on ne

désirait la guerre sainte; mais l'ignorance qu'entretient la politique craintive des puissances européennes est si grande que tout peut arriver : malgré le calme actuel, il suffirait que, soit le Sultan, soit quelque grand chef religieux levât l'étendard de la guerre sainte pour réunir en quelques jours une armée de 50.000 hommes. Cette masse animée plutôt par l'espoir du pillage que par le zèle religieux s'évanouirait à la première défaite et se doublerait au moindre succès. » L'opposition marocaine, d'après col auteur, s'évanouirait après une défaite... or, il est certain que la première rencontre d'une armée européenne avec une « troupe » marocaine aboutirait à une défaite de celte troupe...

alors... Je sais bien aussi que pour se confirmer dans cette

idée de la faiblesse certaine des résistances à prévoir, nos maîtres n'ont qu'à lire ce qu'écrit un homme dont le témoignage ne saurait apparemment être suspecté de tendre à favoriser nos entreprises, le caïd Mac-Lean. Cet Ecossais qui commande la garde personnelle du Sultan écrivait en octobre 1899, dans le Times, les lignes qui suivent, et dont j'emprunte la traduction à M. Collin. « Sous le présent vizir la condition de l'armée a été considérablement améliorée, et il est assisté très ha-

bilement par son frère Si-Saïd, commandant en chef. L'armée régulière se compose d'infanterie, de cavalerie et d'artillerie donnant un chiffre rond de 40.000 hommes — toutes troupes plus ou moins exercées.


Elles sont armées de Martini Henry, ont deux batteries de canon Gardner et un Maxim, dans le maniement desquels elles sont très adroites. L'artillerie avec ses canons Krupp et ses batteries de montagne est instruite par une mission militaire française que composent un commandant, un capitaine, un adjudant et un médecin qui vivent tous à la cour. Il y a aussi une autre mission française à Rabat, composée d'un capitaine et de quelques sous-officiers qui exercent l'infanterie... En outre de l'armée régulière, le caïd de chaque tribu doit fournir un contingent dont la force dépend de la situation de la tribu. » Ainsi, de l'aveu d'un grand dignitaire européen de l'armée marocaine, cette année ne comprendrait qu'environ 40.000 hommes plus ou moins exercés. Un rien. Donc et sur l'avis unanime, notre quai d'Orsay peut croire qu'aucune résistance « sérieuse » ne s'opposera à la marche de corps franco-espagnols attaquant Fez par les routes de Tanger et deTlemcen. Et cette croyance lui dicte sa politique. Et lorsqu'une compensation égyptienne, ou arabique, ou terreneuvienne aura obtenu le consentement anglais ; Une compensation océanienne et africaine le consentement allemand ; Une compensation tripolitaine le consentement italien ; Une compensation antillaise le consentement américain, etc... etc... Enfin, lorsque les puissances permettront à la France et à l'Espagne d'agir, notre gouvernement a tous les motifs logiques de croire que cette action sera facile. Tous ceux qui le renseignent lui disent en effet cela. J'apporte la note discordante. Je l'ai donnée cette note sur les affaires du Siam et de la Chine. On n'a pas cru. L'événement a montré que j'avais raison.


Je la donne sur les affaires du Maroc. Je ne me fais pas l'illusion de supposer qu'on me croira davantage. C'est le propre des organisations comme celles du quai d'Orsay de ne pouvoir s'arrêter que la bêtise consommée, la culbute faite.

L'état social du Maroc n'admet point les armées telles de de force réL'idée les Europe. que nous concevons en sistance d'une nation, d'un peuple, est inséparable en notre esprit de celle d'un certain nombre d'hommes de qui Ce habillés armés. uniformément peuple, et a ce frappé beaucoup M. de La Martinière dans son tableau de l'armée marocaine, c'est le mauvais harnachement des cavaliers. Les adjudants de sellerie mesurent ainsi la valeur des groupements armés. Dans les réalités les hommes de mentalité inférieure ne voient pas l'essentiel, mais le relatif, et dans ce relatif le terme seul à quoi ils correspondent. La mentalité de nos directions est inférieure. La logique universitaire, les dogmes d'école, toutes les orthopédies de notre mécanisme social, en travaillant aux moules nationaux les cerveaux de la bourgeoisie encore dirigeante, en ont fait, pour la vision et le jugement, des machines qui ne voient que certains spectacles, ne pensent que certaines pensées, comme les fusils Lebel certaines cartouches. tirent que ne Evidemment, tout voir et penser tout, nous tombons dans l'absolu, dans le divin. Cependant, que diable et sans concurrence déloyale au Père Eternel, on peut rire en admirant la vision, le jugement « moulé » de nos diplomates, de nos voyageurs, de nos publicistes (1) quand ils s'appliquent à nous renseigner sur les autres nations. Leur examen est libre. La liberté du Juif quand il regardait les Gentils. La liberté du catholique apostolique (1)

Orgueil?

Oui. On me l'a déjà dit. Pour la réponse voyez Mesureur.


et romain quand il observe la vertu des païens. La liberté du derviche quand il étudie si bien réellement le soleil éclaire aussi les infidèles. Ce n'est pas la même chose. Si. Admettons, néanmoins. La beauté d'un nègre, si vous n'avez pas libéré votre esprit du moule, vous riez à cette imagination. L'élégance du paysan, les belles madames n'y croient que sur les toiles de Millet. Au village on raille le chic de la ville. Paris ne comprend pas pourquoi les Chinois s'enrobent ; et Péking n'a pas compris nos culottes. Les Congolais au premier bloc de houille apporté pour les machines demandèrent pourquoi l'on se moquait d'eux en leur disant qu'on allait brûler ces pierres comme du bois. Pour conserver leurs muscles, nos forts boivent du vin et mangent de la viande et n'admettent pas que d'autres forts puissent étaler besognes plus « fortes » en l'eau. de buvant du riz, mangeant que en ne que ne Dans le môme esclavage de préjugés, dans la même infériorité d'esprit, dans la même faiblesse d'examen les hommes nés en caporalisme ne peuvent voir force aux pays qui n'ont point le caporalisme. Un peuple qui n'a pas beaucoup de soldats comme les nôtres est incapable de résistance. Et cette erreur devient directrice de notre politique extérieure. On confond ces deux mots et les deux réalités qu'ils représentent : soldat,

guerrier. C'est vrai, le Maroc n'a que très peu de soldats et mauvais. Mais à nos soldats et bons il opposera beaucoup de guerriers et aussi bons. Aucun Marocain n'est soldat, parce que la vie marocaine n'est pas organisée pour produire le soldat comme le produit la vie européenne. Mais tous les Marocains sont guerriers. Devant une armée de soldats envahisseurs, à chaque pas, de chaque abri surgiront au Maroc des milliers et des milliers de guerriers armés et décidés à mourir plutôt qu'à supporter le joug de l'étranger. Vaine prédiction. Rappelez-vous donc l'Algérie...


J'ai écrit guerriers armés. Les témoignages cités le constatent. Il est donc inutile que j'insiste sur ce que je viens de voir à notre frontière ; les fusils les plus perfectionnés, vendus sur les marchés, achetés... et les tribus armées. Qu'on ne s'arrête donc pas à des appréciations, pas plus à celles des informations officielles, qu'aux miennes, mais qu'on retienne les faits, et qu'on réfléchisse. Les faits : C'est une population de quatre à cinq fois supérieure en nombre à celle de l'Algérie. C'est cette population affirmant, de l'aveu de tous, son amour de l'indépendance et sa haine contre l'étran-

ger;

C'est cette population armée ; C'est cette population habitant un pays propice aux guérillas de résistance ; C'est l'histoire des résistances que des populations de même race nous opposèrent en Kabylie. Sur ces éléments de fait réfléchissez, jugez. Les difficultés apparaissent évidentes. Pas insurmontables, non. Mais à quel prix ? Multipliez par quatre, par cinq la note algérienne. Et pour quoi ? Pour les intérêts supérieurs... Entendu. Nous avons déjà établi que, loin d'y gagner, notre intérêt politique de prestige moral et de puissance militaire y perdrait. Vous souffrirez que je liquide, en passant, rapidement, cet autre argument des partisans de la conquête. Il faut que le Maroc, voisin de l'Algérie, soit à nous pour ne pas être à une autre puissance. En développant le raisonnement de ces grands politiques on arriverait à cette conclusion que l'univers entier doit être à nous... si l'on veut que les pays voisins du nôtre ne soient pas à d'autres puissances. Ce n'est pas la même chose pour ce


cas particulier du Maroc ; c'est vrai... la menace au flanc... ça doit être d'Etienne cette belle ligure... La menace au flanc de l'Algérie. L'Algérie incomplète. On a même écrit mutilée. L'extension des possessions à défendre, loin d'être un élément de force est une cause de faiblesse. Il est inutile de revenir sur celle démonstration. Quant à la prise du Maroc par d'autres puissances, mais tout ce qui nous la rend difficile et même nous la défend, tout cela existe aussi contre les autres puissances. Nous n'avons même pas à jouer le rôle du chien du jardinier, le Maroc se défend tout seul contre les autres aussi bien que contre nous. Et même mieux, car cela lui est plus facile. J'ajouterai que notre politique serait de l'y aider. Ouvertement ou secrètement. Mais efficacement. La défaite subie en décembre devant Bab-Taza

par

l'armée du Sultan, non plus que la marche de Bou-Hamara sur Fez,pas plus que la chute possible du Sultan, que son remplacement par le prétendant, avec ou sans auxiliaires européens,n'infirment quoi que ce soit des considérations qui précèdent sur la force guerrière du Maroc. Et tous les Marocains qui ont été mis en campagne les uns contre les autres se retrouveraient unis contre l'étranger, si l'étranger menaçait leur indépendance.


CHAPITRE XVII

Frais d'argent. L'intérêt permet-il de les risquer? Les retrouverait-on. Las de trésor à prendre. — Contribution de guerre impossible, puisqu'on annexerait. — Les impôts ne permettraient pas l'amortissement. — La puissance de rendement du Maroc. — Où apparaît la question juive. — Elle complique la conquête et la rend excessivement dangereuse. — Les tueries certaines. — Et la concurrence juive certaine ne permettant pas la colonisation commerciale. — Apparente mais irréelle prospérité qui suit les guerres et coïncide avec l'établissement des conquérants. — Critérium de la prospérité d'un pays. — Comparaison avec l'Indo-Chine. Reste donc en la thèse des intérêts, ceci : La conquête, pour en compenser le désavantage moral, politique, militaire, nous assurant un bénéfice purement économique. Argent augmentant notre richesse; par indemnité de guerre nous payant les frais de conquête; impôt nous payant les frais d'occupation ; prélèvement sur les opérations commerciales internationales ; augmentation des opérations du commerce na-

tional. La guerre moderne coûte cher, très cher. Voyez les notes du Tonkin, de Madagascar, de Chine, demandez à l'Angleterre celles du Transvaal. La note des guerres d'Algérie — bien que très élevée — ne saurait être invoquée, même que pour multipliée.


C'est aujourd'hui plus coûteux qu'alors. Tout au plus pourrait-on demander au ministre de la Guerre à quels miracles il a dû s'ingénier, de concert avec le gouvernement général d'Algérie, pour que la facture Touât ne

ressortit point fantastique. Qu'on estime le devis conquête Maroc à cent millions ou à cinq cents millions, à plus, à moins, qu'importe, à chaque estimation il serait facile de donner des chapitres détaillés, normaux, probables... et puérils. Contentonsnous d'un vague : Beaucoup. Ça coûterait beaucoup. Cela est incontestable. Les cas similaires le prouvent. Même en admettant que les Marocains n'aient que 40.000 mauvais réguliers, et autant d'irréguliers, un peu meilleurs, à nous opposer; même en admettant que les troupes marocaines s'évanouiraient après une première défaite, et que la marche sur Fez ne soit qu'une promenade militaire, celle promenade et l'entretien des effectifs de guerre nécessaires à l'occupation des premières années coûterait encore beaucoup d'argent, beaucoup. Récupérer cet argent par une indemnité de guerre... mais puisque on annexerait! la conquête supprime l'indemnité de guerre. Et dans le cas Maroc elle ne nous donnerait pas la possession de caisses d'Etat contenant le moindre douro. Il n'y a pas de caisse d'Etat au Maroc, il n'y a que le trésor, que les trésors du Sultan. Grosse légende, réalité discutable. Sans doute, jamais. sait les souverains de cette espèce avec on ne Témoin, bien qu'il ne s'agisse plus d'un musulman ni d'un sémite, mais d'un indo-chinois, témoin cet empereur d'Annam dont on a déterré les trésors dans les cours et sous les bâtiments du palais de Huë. Je ne sais pas quelles sommes ont été mises de la sorte au jour, ni en quelles caisses elles sont rentrées, caisses particulières, de l'empereur, ou sociales, du protectorat,.etc... Mais ce que je sais bien, parce que je l'ai vu de mes yeux, c'est qu'on a sorti de caveaux creusés à deux mètres de profondeur une très grande quantité de lingots. J'en ai vu la valeur de deux cubes d'un mètre cinquante de côté.


C'était du temps où M. Boulloche était résident supérieur et M. Doumer gouverneur général. On escompte peut-être des trouvailles semblables pour remplacer les caisses régulières de l'Etat marocain et s'y payer des frais de conquête et de première occupation. On ne peut escompter que cela. Il n'y a pas de réserve gouvernementale, officielle connue. Et,je le répète, l'annexion supprime la contribution de guerre. Bien que ce soit une coutume d'Islam, une coutume marocaine, turque et que nous pratiquons dans l'ExtrèmeSud, on ne saurait tout de même, en manière de don de joyeux avènement, et pour inaugurer un régime civilisé, prendre les frais de guerre à nos concitoyens, à nos nouveaux sujets (car il y aurait des juifs et des musulmans) en les razziant ou en les frappant d'une contribution extraordinaire jointe aux impôts ordinaires qu'ils devraient payer pour notre administration. C'est alors par prélèvement sur ces impôts ordinaires, sur les impôts normaux que l'on serait obligé d'amortir le capital d'établissement? Ce que nous avons vu ensemble du pays, ce que nous en savons maintenant, et de la résistance des habitants (qui se prolongera tant qu'elle sera possible et même quand elle n'aura plus aucune chance de succès), dans ces contrées sans routes et sans aucune organisalion comparable aux nôtres, nous permet de dire, toujours en procédant par comparaison avec l'exemple tout proche de l'Algérie, que l'occupation, l'administration et les travaux de toute nature, puisque tout est à faire, que nécessiteront celte occupation et celle administration, exigeront, pendant très longtemps, des sommes énormes, et bien au-dessus de tout ce que les optimistes prévisions peuvent assigner au rendement régulier des impôts. On n'a aucune donnée précise permettant d'estimer exactement ce que paient aujourd'hui les Marocains. M. de La Martinière croit 15 millions, chez les autres ça


varie entre 10 et 20 millions de francs. Prenons le chiffre moyen de 15. Pour quinze millions, le ministère qu'on chargerait de ce soin aurait de la peine à garnir de marins, de militaires et de fonctionnaires civils la nouvelle conquête. Il ne s'en « tirerait » pas. Il ne faut pas oublier, en effet, que pour obtenir du peuple marocain ces 15 pauvres millions, le Sultan doit toujours faire collecter à main armée. Il demande peu à son peuple, et son peuple ne lui donne ce peu que le couteau sur la gorge. Tous les troubles du Maroc, tous les soulèvements des Berbères, toute l'émigration des tribus dans les parties montagneuses inaccessibles, tout cela est dû à ce seul fait que le Marocain éprouve à payer l'impôt une répugnance insurmontable, et que toutes les fois qu'il peut ne point payer cet impôt il ne le paie pas. Il n'a pas été élevé dans le décent respect et la salutaire crainte du du recevoir doit le percepteur il trouve percepteur; que plomb au lieu d'argent; il n'est pas civilisé. Nous pourrons lui envoyer du papier blanc, du papier rouge, du papier vert, du papier jaune; il ne sait pas lire; et il lui faudra quelque temps pour apprendre, par nos imprimés de couleur, que le devoir d'un civilisé est de se soumettre aux contraintes bien timbrées. Mauvaise opération, vous dis-je... Et vous le comprenez, j'en suis sûr. N'écoutez pas ceux qui vous affirmeront, avec des chiffres dans chaque parole, que les Marocains succombent aux exactions des fonctionnaires de tout ordre, et que notre administration probe, régulière, insoupçonnable et insoupçonnée, tout en faisant payer beaucoup moins au peuple, donnera beaucoup plus à l'Etat. J'avais amené,à l'Exposition de 1900, un ami d'Orient, dont le voyage a fait quelque bruit. Cet ami nous a dit quelques vérités sur notre administration coloniale et sur ce qu'elle coûte à l'indigène. Et il faut bien croire qu'il avait dit de vraies vérités, puisque le résultat de sa


plainte, la sanction de notre campagne, ce fut la révocation retentissante du chef suprême de notre administration au Cambodge. J'ai beaucoup voyagé, dans tous les pays où notre administration a sauvé les indigènes des prévarications et des exactions de leurs maîtres indigènes. Et je suis arrivé à me faire celte conviction que l'administration d'un fonctionnaire français, le plus honnête, pèse sur l'indigène plus lourdement que l'administration du fonctionnaire indigène le plus malhonnête. Ce n'est pas un paradoxe. C'est la vérité pour l'Indo-Chine. Il se pourrait qu'après la conquête marocaine, ce devint également vrai pour le Maroc, surtout si les bureaux arabes y faisaient des petits. Et il en faudra des bureaux arabes... Car vous ne voyez certainement pas nos doux informateurs politiques, nos calmes courriéristes parlementaires, nos sédentaires des rédactions de journaux devenus percepteurs grâce aux Etienne, dont ils auront chanté l'effort pour la conquête, aller opérer là-bas et lancer leurs huissiers, leurs recors dans l'Atlas à la poursuite du contribuable récalcitrant... Nous demeurent pour frais et bénéfices de la conquête et de l'occupation (thèse désintérêts) les recettes de douanes, le prélèvement sur le commerce international et sur le commerce national. Un drapeau civilisé flotte au sommet des minarets branlants, sur les murailles ruinées des vieilles capitales du Maroc. Aux salves de nos canons, le pays des paresses barbares s'agite en fièvre de production. Partout les moissons couvrent les plaines Les pâturages verdoient aux coteaux. Les troupeaux sont innombrables. C'est la richesse de Chanaan. Et la comparaison est exacte. Car cette richesse serait pour Israël. En attendant qu'un canon civilisé la lui donne, il vit sur celte terre marocaine qui, cependant. produit si peu. Il vit mal, et brimé, et persécuté, mais il vit. Aussi, dés qu'une transaction commerciale


nouvelle sera possible, si vous escomptez celle transaction pour vos douanes, vous pouvez être assuré qu'elle sera faite. Et il n'y sera pas besoin de nouveaux venus, Israël est déjà là. Notez que je ne suis pas le moins du monde anti-sémite. Je l'ai, du reste, prouvé. Ce que je dis est pour prévenir ceux qui désirent la conquête en escomptant le commerce à faire, après. Il y eut quelques déceptions en Indo-Chine, où les nouveaux venus trouvèrent la concurrence du Chinois, qui vend de tout, et sur tout se contente du plus minime bénéfice, et qui, pour transformer sa marchandise en argent, s'il a de suite emploi rémunérateur de cet argent, n'hésite même pas à vendre à perte. Au Maroc, dans toutes les branches du commerce, dans le grand, dans le moyen, dans le petit, les nouveaux venus, ceux qui croiront faire fortune en suivant les armées d'envahissement, trouveront la place occupée par des gens qui ne leur laisseront rien à tondre... par des gens qui seront même plus forts que le Chinois, puisque le fait seul de l'annexion les rendra citoyens français et électeurs. Ce ne serait pas le moins curieux en l'aventure si nous avions la sottise de la pousser à bout; nous aurions au Maroc un établissement de « toute inquiétude» et de « toute insécurité », grâce à la question juive. Je le répète encore, je n'ai aucune passion antisémite. J'écris pour renseigner le quai d'Orsay. Un peuple est haï par le Marocain, l'Espagnol; haine séculaire, irréductible, la haine qui s'est transmise avec le sang, la haine qu'on a sucée avec le lait de la mère, la haine qui est devenue normale comme toutes les autres idées, les autres sentiments, les autres passions qui régissent, d'instinct, sans effort de la volonté, les actes des individus... et c'est avec cet Espagnol détesté, méprisé, haï, que le quai d'Orsay nous prie de marcher à la conquête du Maroc. Une religion, une race, apparaissent au Marocain comme choses que l'on ne méprise même plus, tellement


elles sont viles et au-dessous du regard de l'honnête homme, du croyant, la religion du juif, la race du juif. Et lorsque nous arriverons en conquérants au Maroc, dès que le Maroc sera devenu pays français, partie intégrante du sol français, la première conséquence de notre victoire, de notre prise de possession, conséquence inéluctable, fatale, ce sera comme en Algérie les droits de citoyenneté pour le Juif ! Que, pour tourner la difficulté et pour escamoter les joies que donnerait à toute administration la transformation des mellas en circonscriptions électorales, on fasse un protectorat ; dans ce cas, au lieu d'avoir un droit de plus que les musulmans, le juif n'aurait plus que les mômes droits, mais il les aurait. Il ne serait pas possible qu'il en fut autrement. Quand bien même une explosion de fanatisme musulman devrait nous ensevelir sous les ruines de Fez, aussitôt que le drapeau français flotterait sur les murs de Fez la ville ne saurait plus abriter deux sortes de sujets français, les musulmans libres et les juifs parqués. Cela est aussi indiscutable, aussi certain que l'émancipation des esclaves à Madagascar a été indiscutable, et faite. L'émancipation du juif marocain suivrait immédiatement notre prise de possession du Maroc. Cela est nécessaire. Cela est légal. Cela est juste... Et ça fera couper le cou à quelques milliers de pauvres diables. Quand, aux déjeuners de la Société de Géographie Commerciale, aux dîners de l'Union coloniale, aux soirées du Comité de l'Afrique française, un beau monsieur dit avec des roulades patriotiques dans la voix: « La civilisation exige qu'un peuple européen aille conquérir le Maroc ; le droit historique et nos intérêts indiscutables exigent que ces conquérants ce soit nous... » et quand ces belles paroles, notées par un reporter diligent, sont imprimées le lendemain dans un journal bien pensant, tous les patriotes, ceux qui ont entendu, ceux qui ont lu, éprouvent un petit frisson noble ; ça fait très bien ; c'est très beau.


Quand j'entends ça, quand je lis ça, d'effroyables tableaux surgissent devant moi. Je ne les imagine pas. Je ne les rêve pas. Je les vois. C'est la ville marocaine. Au clairon nos soldats entrent. Sur la roule ils ont vu quelques burnous. On a tiré. Les burnous ont fui. Il n'y a pas d'armée marocaine. Dans la ville blanche, on appelle les gens au salut des couleurs. Les Juifs déchaînent la porte du ghetto. Les Juifs viennent. Chaussés. Ils passent devant la mosquée. Les femmes des Juifs viennent aussi. Et leurs sandales soulèvent la poussière devant la mosquée. Les femmes des Juifs sourient aux soldats. On boit. On chante. On danse. Mais où sont les femmes du Maure? Où sont les enfants du Maure? Où est le Maure?... dans cette ville aux maisons closes, dans celte ville où ne sonne que le rire du Juif autour de la joie du vainqueur... Les femmes du Maure et les enfants du Maure sont aux abris de la montagne avec les femmes du Berbère et les enfants du Berbère. Et voici que viennent Maures et Berbères; ils viennent; ils viennent... Et la ville blanche aux maisons closes n'entend plus la joie,du soldat, le rire du Juif, et la femme du Juif ne chante plus. C'est des hoquets, c'est des râles. Et la ville blanche est toute rouge... Oui c'est bien cela. Je vois... Et je vois aussi les marches longues sous le soleil dans les plaines désertes, sèches, marches longues sans eau vers le puits vide, vers la mare empoisonnée. Et je vois toutes les misères, toutes les soifs, toutes les fièvres. Je vois toute l'horreur de nos glorieuses aventures, l'horreur sale, écoeurante, celle que j'ai vécue au Tonkin, en Chine, à Madagascar, au Congo, au Dahomey... l'horreur des morts dans l'épouvante, l'horreur des agonies dans le désespoir, toute l'horreur dont le souvenir me glace au seul mot, à la seule idée de la guerre et me fait dire aux malheureux qui osent clamer la


beauté, la nécessité, la sainteté d'une guerre quelconque : ou bien qu'ils sont des fous dignes de pitié, de soins, ou bien qu'ils sont des criminels. Oui... les pires et les plus abominables des criminels, des fous. malheureux plus les ou Lorsque M. de Martimprey conduisit une armée contre les Beni-Snassen, plus de dix mille jeunes hommes de France moururent. J'ai vu au pied de la montagne des redoutables Berbères Je camp de la mort où les corps des dix mille ont engraissé la terre. Combien y aurait-il de camps de la mort entre la frontière et Fez? Combien. Et pour quel résultat ? Pour amoindrir notre force politique, notre force militaire, pour nous faire dépenser sans aucune chance de remboursement un énorme capital de conquête, pour nous mettre, dans notre installation, en face de mille difficultés dont celles de l'émancipation juive ne seraient pas les moins

terribles... . Qu'on n'aille surtout pas comprendre en ce que j'écris que je ne désire pas l'émancipation des juifs marocains. Mais je ne veux point en les émancipant par une guerre les jeter au massacre. Je trouve que l'asservissement de ces malheureux, ainsi que l'esclavage des noirs que l'on vend encore sur tous les marchés de l'intérieur est une des calamités les plus odieuses qui pèsent sur le Maroc. Mais en Roumanie aussi les juifs sont hors la loi. Mais en Russie également, il y a quelque parias, et si on vous demandait que la République française fit la guerre aux Roumains, rompît l'alliance russe parce qu'il y a dans ces pays d'abominables choses, que répondriez-vous. Si même on vous montrait chez nous toutes les victimes qui souffrent encore de lois d'exception, et qu'on vous dise « l'intervention d'une nation étrangère plus forte est nécessaire pour les libérer » que répondriez vous? Au Maroc, ainsi que partout ailleurs, la libération des opprimés et des esclaves est une mesure de politique intérieure que l'on ne peut attendre que


du développement des relations pacifiques internationales. Mais, que ces digressions, lesquelles d'ailleurs nous maintiennent toujours « sur la question du Maroc », ne nous éloignent pas du développement logique de la thèse exposée, poursuivie, défendue. Ces bénéfices matériels, cet argent à gagner, seule conséquence qui demeurait encore possible, en notre étude, nous voyons par l'indication de l'élément juif (si on ne le massacrait pas) que l'espoir en est défendu à nos nationaux qui escompteraient la conquête pour des installations commerciales au Maroc. Les individualités françaises n'ont aucune chance de pouvoir faire du commerce dans le Maroc conquis. Le juif y a des capitaux amassés et un personnel préparé qui rendent la concurrence impossible. Oui. Mais si le mouvement commercial se développe, qu'il soit entre les mains d'immigrants français ou de juifs marocains devenus sujets français, il n'en résultera pas moins du bénéfice pour la France conquérante, soit que les produits, grâce aux tarifs de protection, viennent de la métropole, soit qu'il viennent de l'étranger, car dans les deux cas ils donneront lieu, sinon à perceptions douanières égales, du moins toujours à perceptions d'octrois et de taxes de consommation, à tous les revenus des impositions directes et indirectes. S'il se développe... et c'est de nouveau toutes les questions déjà traitées. L'état de guerre ; l'état d'insurrection (et nous avons montré les certitudes qui permettent d'affirmer que la guerre durera longtemps, l'insurrection plus longtemps encore; ne permettent pas un développement réel, un développement utile, rémunérateur du mouvement commercial d'un pays. La prospérité commerciale qui accompagne l'action des armées est factice. Quand nous enverrons deux cent mille hommes au Maroc, quand après leurs victoires pour garder les places prises nous y laisserons cent mille hommes et


tout le personnel civil en proportion, il est évident que cela créera un grand mouvement économique ; mais ce mouvement ne sera pas rémunérateur pour les conquérants puisqu'il n'aura pas de contre partie dans le pays conquis. Quand M. René Millet eut fait dépenser en travaux publics, ports, chemin de fer, roules, etc., etc., un grand nombre de millions, mettons X, ces X millions introduits brusquement dans la circulation tunisienne avec en même temps les X ouvriers et les X matériaux nécessaires à l'exécution du programme — d'ailleurs très beau, et même nécessaire — il en est résulté une augmentation énorme du mouvement économique de la Tunisie. Mais une augmentation factice, éphémère. Et ceux qui auraient pris les statistiques de ces années-là pour établir que notre action en Tunisie avait immédiatement centuplé la prospérité du pays se seraient trompés. En citant les statistiques, on ne mentait pas. Mais pour être complètement vrai, il fallait les corriger par... le reste. La prospérité économique d'un pays dépend uniquement de ce fait : la terre de ce pays, le travail des gens de ce pays, est-ce d'une production supérieure à la consommation locale ? Quand le pays produit moins que sa consommation, il ne vit pas. Quand il produit sa consommation, il vif. Quand il produit plus que sa consommation, il prospère. Voilà le fin du fin de l'économie politique. Le reste c'est du battage. C'est pour cela que l'on a eu quelques déboires en Tunisie. C'est pour cela que l'on court au-devant d'une catastrophe en Indo-Chine, malgré toutes les belles statistiques de M. Doumer. Vous envoyez là-bas un millier de fonctionnaires en plus. Vous leur expédiez une solde et pour vivre ils la dépensent. Alors vous inscrivez dans vos statistiques l'entrée de celte solde, et l'entrée des marchandises à la consommation de quoi sera employée


cette solde. Et s'il y a des économies sur cette solde et qu'elles rentrent en France, vous les inscrivez en sor-

ties...

Vous empruntez à la France des millions pour un

travail là-bas. Ces millions vous permettent encore quelques belles statistiques.., Rien que le passage par Saigon, où transite tout ce qui est destiné au Tonkin par les messageries maritimes vous permet de doubler parlementaire le chiffre du le naïf mouvepour — — ment économique. Vous envoyez un kilog de fer pour Hanoï. Ce kilog débarque à Saïgon, et vous portez: entrée à Saïgon un kilog de fer. Il repart de Saïgon à bord d'un autre bateau pour le Tonkin, et vous portez au mouvement commercial de Saïgon, sortie d'un kilog de fer. Enfin quand il arrive au Tonkin, vous portez : entrée au Tonkin d'un kilog de fer. Trois opérations statistiques qui faussent les chiffres du mouvement économique de l'Indo-Chine en les triplant. Maintenant, pour peu que ce kilog de fer ne vaille rien, ce qui arrive quelquefois, et qu'au lieu de le recevoir on le réforme en le jetant au fumier; si un Chinois le ramasse et le remporte à Hong-Kong, la douane n'oubliera certes pas de le marquer et ça fera une quatrième opération. Je ne plaisante pas. Quand on prend des lingots d'argent, des lingots locaux, et qu'on les envoie frapper en piastres à Hong-Kong, on porte exportation d'argent : tant. Importation de monnaies : tant. Et ça grossit d'autant les statistiques économiques, lesquelles permettent de dire : la vie commerciale de l'Indo-Chine lorsque j'en ai pris le gouvernement était de 1, elle est de 10 quand je m'en vais. Battage ! Bluff. La seule preuve d'augmentation de la prospérité de l'Indo-Chine ce serait qu'on pût nous dire l'Indo-Chine produisait tant de riz, elle en produit tant aujourd'hui, et ce tant est supérieur à celui d'avant. Notez que je ne parle pas de l'impôt. Un pays n'est pas en effet un pays prospère si l'augmentation de l'impôt ne correspond pas à une augmentation de la production.


C'est la production qui est le barème. Et rien d'autre. Jetez des millions d'emprunt dans la circulation. Jetez-y des millions de solde. Et pour essayer de reprendre l'amortissement et l'intérêt de tout cela, augmentez les impôts, serrez le contribuable indigène colon, le et — car le peu qu'il y en a se plaint ! — jusqu'à sa dernière expression... si en même temps vous n'avez pas augmenté la production du sol et l'industrie des habitants, vous pourrez peut-être, à force d'acrobatie, équilibrer des budgets trompe-l'oeil, mais loin d'établir la prospérité du pays, vous en avez préparé la ruine. C'est le cas en Indo-Chine. De même au Maroc, il y aurait de grandes dépenses de guerre et de premier établissement, une énorme circulation d'argent... mais le fond, la base qui est la production du sol, le travail des habitants, quand l'aurait-on ? et à quel prix ? au prix d'une guerre d'extermination qui livrerait la terre à des immigrants. Pas autrement. Est-ce que pour parler comme un paysan de bon sens qui calcule le prix de revient et le prix de rendement d'un champ à « prendre », est-ce que le jeu en vaudrait la chandelle. D'autant plus que pour arriver à ce résultat que l'industrie française gagne de l'argent par le développement du commerce français ou, pour être plus exact, par le développement du commerce de produits français au Maroc, il n'est pas du tout besoin d'une guerre, d'une conquête, d'une annexion, qui loin de hâter ce résultat,

l'éloigneraient, le compromettraient. Nous voyons très bien le Maroc ruiné pour de longues années par la guerre, et nous le voyons aussi se développant dans la paix, nous faisant à nous, Français, beaucoup plus qu'aux étrangers, gagner de l'argent... quand nous voudrons. Les mômes gens qui disent la conquête nécessaire à nos intérêts prétendent que le Maroc est fermé de religion à toute influence extérieure de nature à modifier quoi que ce soit des conditions actuelles...


CHAPITRE XVIII

Les partisans de la conquête ne sont point logiques dans leur appréciation du fanatisme musulman. — Analyse

du fanatisme en général et du fanatisme musulman en particulier. — Le secret de l'Islam. — Les confréries religieuses au Maroc. — Edouard Cat. — Depont et Coppolani, leur énumération des confréries marocaines. Il de force. faut appréciation cette Leur ne cepen— — dant pas exagérer. — Augustin Bernard. — Le fanatisme n'empêche pas le Maroc d'être conquis par le commerce. Reclus. —

Et voici que se dresse l'argument du fanatisme musulman, de ce fanatisme qui trouverait au Maroc sa force la plus vive, la plus aiguë, la plus irréductible et la plus hostile à toute modification venant de l'étranger, de l'infidèle. Notez que dans la thèse des partisans de la conquête fanatisme le présente comme opposé aux importaon tions pacifiques de l'Europe et qu'on le présente en même temps comme prêt à subir le joug de l'Européen et toutes les importations de l'Européen, dès qu'une défaite aura dispersé la première armée de résistance. Il est admirable de voir combien les gens qui sont au service de l'Erreur, combien les ennemis de la Vérité manquent toujours de logique. Si le marocain était fanatique au point de ne jamais vouloir accepter de l'Européen farine plus fine et plus


blanche que la sienne, vêtements plus légers ou plus chauds que les siens, au point de ne jamais vouloir de son plein gré cultiver sa terre pour en échanger pacifiquement les produits contre ceux de l'Europe... si cela était vrai, comment des gens de tel caractère obéiraientils au conquérant le lendemain de la conquête, comment la défaite en bataille rangée de cent mille soldats transformerait-elle de suite les cinq, ou six, ou huit, ou dix millions d'autres Marocains en contribuables paisibles, en producteurs dociles ; comment la guerre en fin pourrait-elle « européaniser » les besoins de ce peuple que vous dites par ailleurs si fanatique. On ne peut comprendre. Mais on peut comprendre : Que, reconnaissant l'utilité du progrès matériel, le Marocain fasse taire son fanatisme pour obtenir les bénéfices de ce progrès et accepte pour cela le commerce de l'Européen, du Roumi qui les lui apporte dans la paix; Et que, malgré-cette concession faite à son intérêt, cette concession de raison, laquelle n'aurait pas entamé son fanatisme, l'aurait simplement fait mettre de côté, comme on range un parapluie quand il ne pleut pas, le Marocain se voyant menacé dans son indépendance, qui est un peu sa religion, retrouverait immédiatement son parapluie... pardon... son fanatisme.. Devant la menace étrangère le patriotisme politique se confond avec le patriotisme religieux, et c'est le fanatisme. Entier. Absolu. C'est un phénomène de défense, qui, pour rendre plus effective la résistance, arme tous les ressorts psychiques de l'individu à leur maximum de puissance en les unifiant dans une sorte de folie furieuse. Qu'on l'étudié dans tous les peuples, à toutes les époques de foi religieuse, on retrouve toujours des nécessités de sauvegarde politique, traduites soit par des actes de défensive, soit par dès actes d'offensive. Le fanatisme du païen qui croit à ses fétiches tabou, celui du Turc attaquant le chrétien, celui du chrétien marchant contre


le Turc, c'est de la même psychologie. Le fanatisme qui aujourd'hui frappe le plus les observateurs parce qu'il

leur est donné d'en étudier directement les manifestations entières, qu'on ne trouve plus, en quelque sorte, que dans l'histoire pour les autres religions, est celui des musulmans. Dans beaucoup d'esprits, islam est de fanatisme. devenu synonyme presque La religion de Mahomet, d'ailleurs, est aujourd'hui la seule qui remue encore des grandes masses d'hommes, et obtienne de ses adeptes qu'ils donnent avec leur argent, leur sang. Je parle des masses, non des individualités. Il y a des missionnaires catholiques qui meurent pour leur foi. Il n'y a pas de masses catholiques mourant pour leur foi. Les chrétiens de Chine ne sont pas des chrétiens. Ils sont des révoltés politiques. De même que les chrétiens d'Arménie. La guerre sainte ne peut plus lever une armée de chrétiens, nulle part. La défense la seule seule gloire de la et sainte, pour guerre la religion du prophète, lève encore des armées de musulmans. La seule religion qui progresse aujourd'hui c'est celle de Mahomet. Les noirs d'Afrique acceptent l'islam. Les jaunes d'Asie, dont le bouddhisme avait fait des victimes si faciles pour les entreprises guerrières de l'Europe, se réveillent, sous les nécessités de la résistance, de la lutte, musulmans. On a présenté le péril jaune sous bien des aspects ; le seul terrible parce qu'il s'offre dans une réalité menaçante, on doit le voir dans la conversion des jaunes à l'islam. Un docteur de la loi trouve dans ces phénomènes la révélation de sa religion. Il vraie de la » « preuve explique tout par la volonté de Dieu, Sans aller chercher si loin on peut tout de même expliquer. Analysons. Le secret de la force d'extension de l'islam, on le comprend, si on analyse les sentiments qui apparaissent les plus puissants dans la psychologie humaine. Et par sentiments puissants, nous entendrons, si vous le vou¬


lez bien, les sentiments qui procèdent naturellement de

besoins naturels. Un de ces besoins, le premier peut-être qu'ait éprouvé l'homme « faible et nu » dans la nature ennemie, c'est le besoin d'assistance par son semblable. D'assistance demandée, d'assistance donnée volontairement, assistance mutuelle unissant des faibles en un groupe fort. Fort contre la forêt, contre le fleuve, contre les animaux, contre les autres humains. Fuis un autre besoin fut celui d'assistance imposée forts faibles demeurés devenus faibles les aux par faibles ; la servitude. Cela par simple nécessité d'existence, de développement. Deux besoins naturels, impérieux, régissant inconsciemment, bestialement, les actes des humains. Vint la conscience et ce furent les sentiments d'amour et de haine entre les hommes. Vinrent avec le développement et les curiosités de la conscience les raffinements et les inquiétudes psychiques, et les religions qui anoblissaient, qui divinisaient ces sentiments nés du besoin, furent les bien acceptées. L'islam a eu grande force, toujours, parce qu'il est basé sur ces deux sentiments, dans une lumineuse et magnifique simplicité. «Tu aimes Allah l'unique et Mohammed l'unique; tu es mon frère et je l'aime ; ensemble courons sus l'infidèle que nous haïssons. » Nulle religion n'a comme celle de Mohammed, sous une forme plus saisissante, plus concise et plus apte à conquérir l'esprit des hommes simples, donné majesté sacrée, divine, et satisfaisant la conscience humaine en simplise, à ces deux groupes de besoins qui sont le tréfond de la mentalité et de l'âme des hommes, les besoins d'amour et les besoins de haine. L'homme, en fin de toute analyse, l'homme moderne, celui des semblable à cela, cavernes — les philosophes en libérés des atavismes sont bien rares — l'homme n'a


bon appétit que dans la haine, bonne digestion que dans

l'amour.

Les Mahomélans l'ont compris, mettons si vous préférez, senti, lorsqu'ils ont serré leur doctrine en quelques mots : « Dans l'adoration de Dieu et le respect du prophète, amour aux croyants, haine aux infidèles. » Et voilà pourquoi l'islam a sa force d'extension, d'expansion, de prosélytisme et de conquête ainsi qu'au premier jour. Le christianisme l'a perdue celte force, qui, au début, lorsque la parole de Jésus secouait les opprimés pour les unir dans un amour commun, dans une haine commune, était aussi d'une action « contagieuse », parce que la doctrine était simple : amour, haine. Tous les docteurs qui l'ont compliquée n'ont fait qu'en arrêter l'élan. Dans l'islam les complications des docteurs sont moindres, ou bien ne descendent point chez tous les simples fidèles, qui se croient aussi savants et aussi grands que les plus savants et les plus grands docteurs, lorsqu'ils savent « que Dieu est Dieu et Mohammed son prophète ». Et ceux-là sont la masse, la masse que déjà l'on ne peut plus dénombrer et qui s'accroît chaque jour... ...et qui sera en Asie, en Afrique, un danger redoutable si on s'obstine à « l'embêter »... On a dit que le plus fanatique sanctuaire de l'islam, fanatique autant, sinon plus, même que celui de la sainte La Mecque, est le Maroc tout entier. Le pays apparaît comme un vaste jardin de la foi intransigeante, où des quantités de confréries religieuses, de moines complètement fous, entretiennent avec ferveur la flamme de l'intolérance islamique... mots et figures sont des gens qui disent cela. Il faudrait voir, comme dit le sage. Edouard Cat, un renseigné, écrit:

«Les confréries religieuses sont très nombreuses au Maroc, une vingtaine environ y sont nées et s'y sont développées ; celles même qui ont surtout leurs


adeptes en Algérie, en Tunisie, en Tripolitaine, les Tedjinya, les Rahmanya, les Derkaoua, les Aïsles Senoussia Cheikhya, les ont une origine saoua, marocaine. » D'autres renseignés, dont l'ouvage constitue le répertoire le plus documenté sur ce sujet des confréries religieuses musulmanes, Depont et Coppolani, écrivent : « Le Maroc semble vouloir se réserver le privilège de

conserver au monde musulman le corps des Chorfa, sensiblement diminué dans les autres contrées de l'Afrique septentrionale. Les grandes zaouïa de Mouley Idriss Seghuir à Fas, avec le tombeau du célèbre propagateur des doctrines soufites, Sidi-Abdesselam-ben-Machich, étendent leur influence sur une partie des populations du Rif et contrebalancent l'autorité du Sultan. Les zaouïa du marabout Sidi-Allel-el-Hamoussi et de Mouley-bou-Cheta, dans les régions du haut Ouar'ra, forment autant de confédérations religieuses, vivant du produit des offrandes de leurs serviteurs. Ouazzan, siège de la confrérie de Mouley-Taieb, est une sorte de principauté soumise à la seule domination de la zaouïa de ce nom, asile inviolable pour les criminels, qui étend son influence sur les populations de l'extrême Nord, dans toutes la région de l'Oudjera, notamment, dans le centre et dans l'est du royaume de Fas. Les contrées qui séparent le bassin du Sebou de la frontière oranaise, les Haïaïna, les R'iatsa, les Miknassa, les Tesoul, les Oulad-Bekar, les Houara, les Magraoua, les Oulad-Bou-Rouma, les Metalsa, les Beni-Bou-Iahim et jusqu'à la grande tribu des Beni-Ouaraïne ne reconnaissent que l'autorité religieuse des chorfa d Ouazzan. Les Derqaoua, nouveaux cyniques fiers de leurs haillons, avec leur zaouïa, mère de Bou-Berih ; leurs deux ramifications principales, dirigées l'une par le


cheikh El-Habri, de Drioua (Beni-Suassen) et l'autre par les chorfa de Mdaghara, prennent tous les jours un ascendant considérable sur les populations marocaines. Les Zïanïa, chers aux commerçants de l'ExtrêmeSud marocain, nos alliés reconnaissants de notre attitude à leur égard, perdent tous les jours du terrain. Leur zaouïa-mère de Khenatza ne compte plus que des serviteurs religieux dans le bassin de la Moulouïa, chez les Guelaïa et dans le Rif. Les Kerzazïa, de Fas, répandus le long de la frontière marocaine, n'ont plus qu'une importance secondaire. Les Zadrïa, connus sous le nom de Djïlala, ont leurs principales zaouïa à Oudjda, à Fas et à Melilla. Leurs affidés sont répandus entre Marrakech et les Sénégal le et Tombouctou, s'étendent qui entre pays le Souf. Les Tidjanïa de Fas, qu'il ne faut pas confondre avec les Tidjanïa algériens, sont très nombreux chez les Guelaïa et dans le Garet.

Leur principal chef, Sid-El-Ghali-ben-Azzour, est un des personnages marquants du Maroc. Enfin, la célèbre zaouïa-mère, de l'ordre des Aïsgrande aujourd'hui située Meknès, à sans est saoua, influence politique, mais exerce toujours sur les indigènes un ascendant mystérieux. Les Oulad-Sidi-Ahmed-Moussa sont en assez grand nombre dans les provinces du Sous et de Draâ. Les Nacerïa, très répandus dans le Sud, à partir de Rabat, avec leur principale zaouïa à Tameyrout, comptent peu d'adhérents, dans le nord de l'Empire. Les Senoussïa et Madanïa y sont à peine connus. Indiquons encore dans le Garet la zaouïa du DjebelOnerk dirigée par Teliouanti des Beni-Chiker ; la confrérie de Si-Ahmed-Filali, et pour mémoire celle des R'azïa, cantonnée dans l'oued-Draâ et sans influence bien apparente.


Que devient le bon populaire sous la direction de ces confréries de moines? On peut en juger par ce que Depont et Coppolani écrivent du populaire d'Algérie où sévissent, malgré la conquête, malgré notre administration (le curieux serait que ce fût à cause de) autant sinon plus de confréries qu'au Maroc.

mourid, l'affilié d'en bas, est un esclave, un instrument, un cadavre. Ses biens, sa femme, ses enfants sont la chose du cheikh. Et ici il ne faut pas croire que ces recommandations demeurent lettres mortes ; qu'on ne s'attende pas à voir le caractère entier, farouche et parfois sauvage de l'Arabe ou du Berbère prendre le dessus, se révolter contre un pareil asservissement. On chercherait en vain cet esprit d'indépendance dont l'autochtone a donné tant de preuves, que l'Arabe a si souvent mis en pratique... Nous avons vu nombre de Khouan spoliés, maltraités bâtonnés par leur maître spirituel, sans qu'un geste, une syllabe soient venus trahir leurs souffrances : leurs yeux levés au ciel, ils semblaient prendre à témoin l'invisible, implorer l'intervention divine, et encore, cette prière muette, cette expression de l'âme qui se lisaient dans leurs regards vagues et éperdus, n'était point faite dans l'espoir de porter remède à leurs maux qu'ils supposaient mérités ni pour arrêter le lourd bâton qui s'abattaif comme une masse sur leur corps endolori, mais bien pour demander au clément, au miséricordieux de pardonner à leur seigneur un instant sorti de la voie, possédé sans doute par les démons et éloigné ainsi de la grâce divine. Et si l'instinct de la conservation prenait le dessus, s'ils s'affranchissaient de la lourde dîme que leurs intercesseurs auprès de l'Etre suprême prélevaient sans cesse pour satisfaire leurs appétits inassouvis, par un effet qu'ils considéraient comme providentiel, leurs « Le


récoltes, leurs huttes étaient incendiées, leurs bestiaux volés, leurs femmes et parfois leurs personnes mêmes mises en péril. Que de fois n'avons-nous vu arriver des vieillards en pleurs, des fellah les yeux injectés de sang demandant justice, criant vengeance ! Et lorsqu'un otficier de police judiciaire perspicace, un administrateur bien renseigné mettait le doigt sur la plaie, lorsque l'inspirateur de pareils méfaits apparaissait sous le burnous noir ou la Khirga de leur moqaddem de prédilection, nous voyions ces mêmes victimes retirer leurs plaintes, devenir suppliantes, rétracter leurs déclarations, faire de faux témoignages pour sauver leur dieu terrestre et ne pas encourir la colère d'Allah et de son prophète ! » Ainsi, dans notre Algérie, le peuple serait aveuglément soumis aux confréries religieuses, toutes puissantes... Alors, au Maroc... imaginez l'effet d'une guerre sainte prêchée par tous, par le clergé, par les moines et par les gens du Sultan. Et la guerre sainte, si nous en croyons MM. Depont et Coppolani, que le signal en partît de La Mecque, de Constantinople ou de Fez, pour peu que nous eussions en même temps quelque embarras européen, ce qui serait probable, aurait chance de nous créer les plus grands dangers, non seulement dans le pays où nous opérerions, mais aussi en Algérie. L'aveu est à retenir, il émane de l'administration algérienne. L'ouvrage de MM. Depont et Coppolani est en quelque sorte une publication officielle, et il porte l'estampille du Gouvernement général. Accueillis au Maroc par une déclaration de guerre sainte, nous serions exposés en même temps à des soulèvements algériens. Je sais bien que d'autres auteurs qui ont étudié à fond le mécanisme des confréries musulmanes, après en avoir exagéré la puissance, les apprécient maintenant de toute autre manière. Dans les questions diplomatiques et coloniales, M. Augustin Bernard écrit :


On en est arrivé à considérer les confréries musulmanes comme d'immenses associations temporelles religieuses, étendant dans le monde musulman leurs ramifications maçonniques. M. Le Chatelier lui-même s'y était trompé, dans le livre qu'il consacra jadis aux Confréries du Hedjaz. Il estime aujourd'hui qu'il y a dans cette manière de voir beaucoup de parti pris et d'exagération, et nous croyons, en effet, qu'il y a lieu de réagir contre cette idée fausse. Seules, quelques confréries, les Derkaoua notamment, sont vraiment des sociétés religieuses organisées en vue d'une action politique. Même en ce qui concerne les Senoussiya, l'imagination romantique de Duveyrier avait singulièrement dramatisé les choses. La vérité est qu'une confrérie nouvelle qui se fonde est obligée de renchérir sur les autres sous le rapport du fanatisme et de la haine du chrétien, afin d'attirer les fidèles et les ziara; mais elle est bientôt absorbée par le souci de ses intérêts temporels, et son intransigeance première fait place à la plus souple diplomatie. Il faut ajouter que les confréries ont été étudiées en général en Algérie par des administrateurs, à un point de vue essentiellement administratif ; de là leur souci de tout cataloguer et hiérarchiser, de tout faire rentrer dans certains cadres préparés d'avance : les zaouïas, munies de moqaddem attitrés, sont considérées comme dépendant les unes des autres, de même que le sous-préfet dépend du préfet et celui-ci du gouverneur. Par goût de la symétrie, on désigne sous le nom de Cheikhia la grande famille féodale des Ouled-Sidi-Cheikh, qu'on ne saurait considérer uniquement comme une confrérie religieuse, et qui ne nomme des moqaddem que depuis quelques années. Comme le dit très justement M. Le Chatelier, « la vie d'un peuple, vue à travers le prisme administratif, apparaît autre que sans ce prisme ». En réalité, il s'agit ici de confréries religieuses plutôt que d'ordres religieux. Les khouan d'un ordre «


quelconque ne sont pas plus nécessairement les affidés d'une conjuration permanente que les dévots de saint Antoine de Padoue. « Je me souviens, raconte M. Le Chatelier, de la surprise que j'éprouvai à Fez en faisant la connaissance d'un sellier, commerçant assidu dans la journée, et qui était apparu au regretté Duveyrier comme moqaddem révéré des Tidjaniya. Moqaddem, certes il l'était, mais comme, dans une ville pieuse d'Espagne, tel commerçant qui, sa journée de travail finie, ira présider une récitation de litanies à la Vierge, devant un cierge hebdomadaire. Et cette fonction pieuse n'avait rien de commun avec la théorie du Tidjanisme universel. » Si donc il est vrai de dire que dans l'Islam occidental, l'Islam mystique est presque seul agissant, en dehors du Maroc, et que dans l'Islam mystique les confréries religieuses agissent seules, il s'en faut de beaucoup que toutes soient des associations secrètes organisées en vue d'un but politique défini. » Evidemment la toute-puissance n'est pas aux moines musulmans, pas plus qu'elle n'est ou ne fut chez nous aux moines, même quand ces moines servaient des agents politiques, lesquels avaient pris soin de les bien organiser pour le but poursuivi. Mais qu'on se rappelle ce que les moines ont fait chez nous à diverses périodes de notre histoire et notamment lors des grands massacres de huguenots. La crédulité musulmane des Marocains pourrait être comparée à ce qu'était alors la crédulité catholique des Français. Quand le peuple eut été enragé par les moines contre les huguenots, lorsque les moines eurent bien fait pénétrer dans le populaire que le huguenot trahissait, qu'il ruinait non seulement la sainte Eglise mais la sainte patrie, ce fut l'explosion du fanatisme et religieux et patriotique. Jugez par analogie pour le Maroc. Et notez aussi les troubles récents de Margueritte. Des gens renseignés m'ont affirmé que cela n'avait été qu'un avertissement


du Sultan à propos de Mitylène et de nos menaces

navales. N'exagérons donc point la puissance des moines marchands de fanatisme. Mais rappelons-nous qu'elle existe. Elle agit quand elle trouve un point d'appui dans le patriotisme menacé. Elle dort quand les gens à qui elle s'adresserait, ses instruments, ont intérêt à demeurer dans la paix qui améliore leur condition matérielle. Et je crois de parlait bon sens cette note de Reclus:

serait injuste de répéter avec plusieurs écrivains que la « Chine barbaresque » est fermée à tout progrès. Les récits des voyageurs, comparés entre eux, prouvent que, dans les cinquante dernières années, de grands progrès se sont accomplis. S'il est toujours dangereux de voyager parmi les ... tribus berbères, la cause n'en est pas à leur haine du Roumi, mais à leur méfiance de l'observateur, c'est-àdire de l'espion. Le Maroc est entraîné graduellement dans l'orbite des nations européennes... Défendu politiquement par la jalousie de nations rivales, le Maroc est annexé peu à peu par le commerce. » « Il

Les conquêtes actuelles, les seules qui soient réelles, les seules qu'admettent le bon sens, la logique, la justice et la civilisation, ce sont, en effet, les conquêtes par le

commerce. Encore une note à propos des événements de décembre. Ce n'est point par haine du progrès que Bou Hamara a entraîné les Berbères à la révolte contre le Sultan maure. C'est au contraire avec des subsides étrangers qu'il a commencé campagne. C'est pour conquérir un trône qu'il bataille. La haine ou l'amour du progrès, il s'en moque. C'est le trône qu'il veut.


CHAPITRE XIX

Les relations des peuples ne sont plus régies par des lois de force politique mais de force économique. — L'évolution des intérêts. — Les masses d'attraction. — Les découvertes scientifiques par leurs applications révolutionnent l'ancienne « distribution » des hommes. besoin de s'imL'attraction des intérêts n'a pas — poser; elle est. — La thèse des intérêts économiques en opposition avec les intérêts politiques pour l'influence à exercer dans les Etats faibles apparaît dans le droit international. — Les intérêts Belges au Maroc. livre Une thèse belge. Le de M. Gollin. — La Bel— gique offre son protectorat au Maroc. — Et pour convaincre l'Europe de l'opportunité de ce protectorat, M. Collin offre l'exemple du Congo. — Le roi Léopold est un bandit. — Les intérêts anglais, allemands, des Etats-Unis. — La conquête ne nous donnerait aucun avantage dans la lutte économique. — D'ailleurs, dans la crainte qu'elle nous en donne, les autres peuples s'y opposent.

Une loi nouvelle régit les Etats. Ce n'est plus la puissance des guerriers mais la richesse des banques, la production des industries, l'activité des commerces qui créent les centres sociaux d'attraction, et tracent aux Etats moins riches, moins industrieux, moins commerçants un orbe de gravitation autour de ceux dont la « masse » les attire. De ce fait constaté, qu'on étudierait en tous les dé¬


tails, avec chiffres, graphiques, etc... etc.., celui qui aura temps, volonté, patience pour ce travail, déduira l'exposé de lois internationales, d'une rigueur, d'une précision mathématique et aussi évidentes que les lois du système des mondes... maintenant qu'on les sait. La constatation du fait, elle est de chaque jour. Il n'est de semaine où les Etats-Unis ne nous en donnent l'occasion. Tous les chroniqueurs, même les plus vains, les plus légers, quand a soufflé le vent des trusts, ont courbé la tète, attentifs malgré eux, et sans comprendre, ils ont senti que c'était nouvelle puissance. Ce n'est plus le vent de l'esprit qui souffle où il peut. C'est quelque chose de beaucoup plus fort et d'irrésistible, et qui ne souffle ni où il peut, ni même où il veut, mais où il doit. Car le phénomène échappe à la volonté des hommes, chefs ou autres, il est fatal et résulte d'influences beaucoup plus puissantes que la volonté d'un empereur, que cet empereur soit de droit divin, de plébiscite, de parlement, ou par la puissance de l'or accumulé. C'est la résultante de toutes les forces sociales actionnées par les nécessités sociales et telles qu'elles sont produites par les conditions sociales nouvelles que le progrès de la science impose à l'humanité. Toute la force de Napoléon n'a pas modifié l'Europe et le monsieur qui inventa la machine à vapeur a transformé cette Europe. La puissance d'attraction des blocs d'or, du plus colossal capital accumulé dans la plus riche des banques du Nouveau-Monde au service du plus génial des trusteurs, elle serait nulle ou minime si un citoyen n'avait pas domestiqué l'électricité. Etc... etc... Il y aurait là matière à nouveau discours sur l'histoire universelle qui, au lieu de la volonté de la Providence employant le peuple juif au salut de l'humanité pour le triomphe et le développement de l'Eglise catholique, nous montrerait en actions simultanées et en développements parallèles, quelques forces naturelles


comprises, domptées, asservies par quelques savants, et renouvelant les groupements humains dans leur existence particulière aussi bien que dans leurs relations. La nature des intérêts qui en réalité dirigent les relations des hommes s'est dègagée de plus en plus de tous les oripeaux religieux, dynastiques, diplomatiques militaires, etc... etc... dont les siècles anciens la paraient, la dissimulaient pour devenir dans la dure et brutale vérité d'aujourd'hui, l'intérêt tout court, l'intérêt économique. Les considérations historiques, les droits historiques, les prestiges historiques, au rancart cela, et c'est une vieille hèle à proprement parler, que celui qui ose encore invoquer des prestiges historiques, lesquels devraient maintenir les nations dans l'attraction des puissances historiques. L'histoire d'hier, c'était Louis XIV considérant le globe terrestre comme habité par des sauvages à peine dignes d'un reflet du soleil de Versailles. C'était aussi Napoléon croyant que le globe terrestre était un fromage où son épée devait tailler des tranches pour sa famille et ses amis. L'histoire d'aujourd'hui, c'est Guillaume II, le plus orgueilleux des souverains, un illuminé qui estime encore que Dieu l'a couronné pour le bien de ses sujets, c'est cet empereur recevant Pierpont Morgan comme une puissance égale et traitant avec lui les questions de navigation transatlantique, questions vitales pour la prospérité de l'Allemagne, et pour quoi le Kaiser a besoin du grand trusteur.

L'histoire d'aujourd'hui, c'est l'autocrate de Russie, empereur et pape, demandant à Marianne ses économies... L'histoire d'aujourd'hui, c'est, surgissant comme de nouveaux pôles magnétiques, les grandes puissances d'attraction économique du genre des Etats-Unis d'Amérique. Ces puissances ne viennent pas nous prendre. Elles attirent les plus faibles. Aimants ou gouffres.


Comme vous voudrez. Il n'y a plus besoin de flottes ni d'armées. La force conquérante prend une forme nouvelle. Et subtile. Comme cette autre force qui a déjà changé le monde. Celle du crédit. Qu'est-ce que le crédit? Qu'est-ce que la circulation fiduciaire? Rien. Et

tout. C'est une de ces réalités matérielles qui semblent immatérielles parce qu'on ne les saisit qu'à leurs résultats. Le crédit. L'électricité Les deux fluides « immatériels » ou de matière également subtile qui donnent à la vie sociale sur le globe une répartition, une action, une relation nouvelles, que jamais n'aurait soupçonnées le brenn à la lourde épée, le monarque absolu à la lourde couronne, et que le dernier César entrevit... à SainteHélène, en mourant. Celle transformation dans quoi nous sommes, nous avons peine à nous en rendre compte, une peine dans le genre de celle qui nous a si longtemps fait ignorer la rotation de la terre. Même quand nous sentons les réalités nouvelles, pour les traduire nous employons les anciens mots qui traduisent des réalités différentes. Ainsi dans un article que je lis ce malin, un article de M. Pierre Baudin, l'ancien ministre des travaux publics qui vient d'être professionnellement à même de considérer quelques-uns des phénomènes les plus caractéristiques de celte transformation des puissances mondiales, je lis celte phrase : « Une invasion, que les armes sont impuissantes à prévenir, celle des intérêts, prendra à notre insu notre bien. Défendons-nous... » Il parle de la concurrence américaine dans le domaine de la mécanique. Mais notez ces mots « invasion », « armes ». Ce n'est pas une invasion; M. Baudin le sent puisqu'il dit que les armes sont impuissantes à la prévenir. C'est une attraction. Les intérêts n'envahissent pas. Leur oeuvre de conquête ne procède pas comme celle des barbares. On devait obliger les hommes par la force à reconnaître la suprématie de tel roi, la divinité de tel


Dieu parce que c'étaient là des choses qui ne s'imposent pas d'elles-mêmes à la raison — ne parlons pas de raison si ça vous déplaît et mettons — aux besoins des hommes. Mais les intérêts, par cela même qu'ils sont les intérêts, s'imposent sans aucun effort — aux Marocains tout comme à nous. Nous avons de la répugnance à crier « vive le Roi de Prusse », mais quand les industriels du Roi de Prusse nous ont apporté leurs produits à meilleur marché, il n'y a pas un patriote qui ait hésité à les acheter. Quand on m'offre du pain à meilleur marché, ou de meilleure qualité, il n'y a pas besoin de coups de canon pour me décider à prendre ce pain. Où il faut un effort, c'est pour me prouver que je ne dois pas acheter ce pain, c'est pour m'empêcher de l'acheter. Et encore n'y réussit-on pas. Même au Maroc. J'ai dans mes notes oublié de marquer où j'ai pris celte anecdote sur le pain des Kebdaniens : « La farine a beau être blanche, le pain est toujours verdâtre. Est-ce parce qu'il manque de levain ? Cette

couleur extraordinaire, peu appétissante, est due d'après la croyance générale à la prière d'un grand saint très connu dans le pays, Sidi-Brahim, qui a sa zaouya au N-O. d'Ez-Zekanin. Ce vertueux personnage, sachant qu'il est impossible de rendre les humains parfaitement heureux, demanda à Dieu de satisfaire tous les désirs de ses contribules en leur infligant, comme compensation, le léger désagrément du pain vert. Il fit ce voeu en prose rimée: «O Kebdaniens, que vos désirs ne soient pas déçus et que votre pain ne cuise pas. » Eh bien ! vous croyez que ces Kebdaniens fanatiques doivent être heureux de manger leur pain vert. Pas du tout. J'ai vu des Kebdaniens à Port-Say et aux Zafarines.


La première chose qu'ils recherchaient, c'était du pain

blanc. La thèse des intérêts, créant des droits en remplacement de l'ancienne thèse des droits historiques résultant de possession, d'action, de traités anciens, ou de droits de voisinage, etc... etc... a déjà été formulée. No. tamment à propos du Maroc. Je l'ai trouvée dans un livre belge, de M. Collin, un savant professeur de l'Université de Louvain. Ce livre est d'hier. Presque d'aujourd'hui. De 1900. Suivant ma méthode, je procéderai par de larges extraits qui ne sauraient, comme toujours les analyses, être suspectés de dénaturer la thèse de l'auteur.

l'avenir du Maroc réside dans sa richesse économique, qui le désigne bien plus que sa position stratégique à la conquête européenne. Ce pays, si mal gouverné, tombé si bas, est en effet un des plus riches du globe, un de ceux qui joueront un rôle prééminent dans les relations économiques aux siècles prochains. La valeur du Maroc est plus grande aux yeux des nations du Nord qu'au point de vue des pays qui en sont le plus rapprochés. L'Espagne, notamment, peu peuplée et peu riche, ne se presse pas de commercer avec un pays qui ne lui donnerait que ce que son sol lui fournit déjà, tandis que l'Angleterre et l'Allemagne surtout ont un intérêt direct à aller chercher au Maroc les produits que leur propre sol ne leur donne pas et qu'ils ne peuvent, comme c'est le cas pour l'Allemagne, tirer de leurs colonies. A ce titre, ce pays doit séduire également le commerce belge. » « Tout

Il l'a d'ailleurs séduit. Et M. Collin s'attache à nous dans de c'est très vastes proportions. Ses que exposer chiffres, il les groupe pour montrer que la Belgique est une des nations qui « font le plus d'affaires » avec le Maroc. Il déclarerait pour un peu qu'elle y possède la


suprématie économique. Cela, non dans un but de vaine gloriole. Non. Les Belges sont généralement pratiques. Et si parfois ils « zouanzent », presque toujours c'est dans une intention très intéressée. Voyez d'ailleurs.

logique que toutes les nations qui ont au Maroc des intérêts commerciaux, sans en excepter les nouvelles venues, aient voix au chapitre dont dépend la mise en oeuvre directe de ce champ d'exploitation. Ce droit, les gouvernements intéressés le doivent revendiquer, non seulement pour sauvegarde de leur dignité mais avant tout et surtout pour le bien matériel des commerçants, des industriels et des travailleurs de toute catégorie qu'ils représentent. La conquête étrangère peut enlever à ceux-ci un débouché qu'ils ont péniblement ouvert aux produits de leur travail et sur lequel ils ont un droit aussi légitime que respectable. » « Il est

La Belgique, qui a des intérêts commerciaux au Maroc, affirme ainsi sa volonté d'être consultée si d'autres puissances prétendent agir dans leurs intérêts politiques

au Maroc. La prétention est juste... si elle est vraiment basée sur des intérêts commerciaux suffisants. Mais où la thèse se précise avec des prétentions peutêtre moins acceptables, c'est lorsque M. Collin fait siennes les lignes qui suivent et où M. Picard résume les conférences qui ont eu lieu entre le baron Wettinall et le Makhzen.

aurore, des perpectives séduisantes se lèvent pour la Belgique. Le Grand Vizir est un fanatique du Maroc fermé. Garnit non. Le Sultan non plus. Ceux-ci voudraient le progrès commercial et industriel par les Maures. Le Maroc aux Marocains. Le Maroc fermé a du bon ; mais on l'a déjà trop ouvert. « En


persistait, les puissances le forceraient à coups de canon. Il faut se soumettre à l'inévitable. Mais les grandes puissances avec leur goût de conquête sont peu sûres. Il faut une nation honnête, sans visées ambitieuses. La Belgique neutre s'indique. Elle aussi est entourée de gros voisins dont les rivalités la garantissent. L'analogie est frappante. Elle s'est développée merveilleusement en cherchant en tout le progrès. Ne pourrait-elle envoyer ici une mission civile d'ingénieurs... Ils seraient les éducateurs des Marocains et les contrôleurs des envois belges pour déjouer les livraisons discréditantes des spéculateurs trompeurs. La Belgique est pacifique. Elle est arrivée avec des présents pacifiques, et non, comme d'autres, avec des fusils, des canons et des mitrailleuses. Elle est venue sans cuirassés et sans cuirassiers, sans ces gros cuirassiers français et allemands, triés parmi les athlétiques, qu'exhibaient avec un faste menaçant les missions antérieures. Elle n'a pas eu l'arrogance habituelle... Si on

M. Picard, M. Collin ne l'envoient pas dire

aux autres nations. Pour sauver le Maroc menacé par elles, il faut une nation honnête, il faut l'honnête Belgique... et l'honnête Léopold. Quand je vous disais qu'on entendait la plaisanterie en Belgique. Mais ce n'est pas tout. Les conclusions de M. Collin nous réservent d'autres joies. « Nous avons

dit-il, démontré deux choses : la première que le Maroc est destiné à devenir dans un avenir plus ou moins éloigné un des marchés les plus importants et les plus riches de l'ancien monde ; la seconde que la Belgique est en voie d'y conquérir une suprématie commerciale absolue, et qu'il est utile, par conséquent, qu'elle avise aux moyens de se maintenir dans cette voie. »


la conquête » est venue d'abord, le commerce ensuite » et il ajoute : Il parle ensuite du Congo ou

«

question marocaine se présente autrement. Ici nos intérêts commerciaux existent ; ils ont précédé la conquête — conquête qui se fera un jour ou l'autre, mais peut-être pas à notre profit. Admettons cependant l'hypothèse d'un établissement politique des Belges au Maroc. Ce ne serait plus là une fondation purement artificielle. Ce serait la conclusion même du développement de notre commune dans ce pays. Et ce développement, on l'a vu, ne tient même pas à la volonté raisonnée, tenace de nos négociants. Leurs sucres, leurs fers, leurs draps, leurs ciments, ont pris tout naturellement le chemin du Maroc parce qu'il se faisait qu'on les y demandait. Et si l'on réfléchit que ces produits d'exportation eux-mêmes tiennent à la nature constitutive ou géographique de notre sol, développement indusde historiques notre aux causes triel, force sera de constater que ce n'est ni un roi, ni un explorateur, ni un congrès qui poussent les Belges vers le Maroc, mais tout bonnement Dame Nature elle même. » « La

Et qu'y devraient-ils faire, si nous en croyons toujours M. Collin, les Belges que « Dame Nature elle-même » pousse vers le Maroc ? « Ce serait la constitution d'un Etat indépendant

calqué sur l'Etat du Congo, état neutre, pacifique, administré par des Belges avec le concours d'officiers étrangers, et offrant dans toute l'étendue de ss territoires un traitement commercial égal pour toutes les nations. Cette organisation répond en effet à toutes les exigences d'une situation qui un jour deviendra un grand embarras et même un grand danger pour la paix de l'Europe. »


La Belgique a pour mission d'écarter de l'Europe les dangers qui menacent la paix, c'est entendu. Une première fois elle a excipé de celte mission qui alors se doublait d'une croisade philanthropique et antiesclavagiste pour se faire adjuger par l'Europe le Congo. Le roi des Belges, le grand Léopold, à son titre exotique de souverain du Congo voudrait ajouter celui de protecteur du Maroc. C'est un désir que l'on comprend. Le succès d'un coup engage à tenter d'autres coups. Mais il parait difficile qu'après celui du Congo, l'Europe (en y ajoutant les Etats-Unis d'Amérique) se laisse faire celui-ci. La morale des bourgeois, des paysans, des gens simples, des bonnes gens, dit que l'homme qui garde les biens de sa soeur folle, qui trompe sa femme au point de la rendre folle, et qui empêche une fille de venir pleurer au lit de mort de sa mère est un être abominable et digne de tous les mépris. Léopold II, roi des Belges, est cet homme. La morale de tout le monde dit qu'un souverain qui, chargé de réprimer l'esclavage et de détruire la traite dans un pays, se fait des bénéfices par l'esclavage et la traite est un malhonnête homme et un bandit... Lisez l'histoire du Congo belge et vous saurez que ce malhonnête homme, que ce bandit c'est Léopold, souverain de l'Etat indépendant du Congo. C'est cet homme abominable, cet homme méprisable, ce pirate, ce négrier, ce bandit, cet homme au nom de qui on fouette et on mutile les hommes noirs, les femmes noires, les enfants noirs au Congo, c'est cet être digne du bagne peine de je réprouve la car — mort — que les économistes belges voudraient donner comme protecteur au Maroc en garantie de la paix eu-

ropéenne. La plaisanterie est mauvaise. N'insistons point davantage. J'ai cité longuement le livre de M. Collin parce qu'il enregistre, en marquant date, la thèse des intérêts éco¬


nomiques dont l'importance est aujourd'hui mise en opposition aux droits politiques dans l'action des grandes puissances sur les petites. Nous ne parlons plus des prétentions de la Belgique. Mais il y a celles de l'Angleterre. Là, comme partout d'ailleurs. Et ce serait faire injure au lecteur que d'appuyer d'une citation. Mais il y a celles de l'Allemagne. Le n° de décembre 1900, du Bulletin du Comité de l'Afrique française, disait à ce propos : D'après un rapport officiel du ministère de la marine allemand, il y a, dans le ressort du consulat de Tanger, seize maisons allemandes faisant le commerce d'importation, d'exportation et de commission, surtout avec l'Allemagne et l'Angleterre. Leur capital d'exploitation s'élève à près de 2 millions de marks. Les crédits garantis au commerce par les maisons allemandes dépassent à l'ordinaire 2 millions de marks et beaucoup plus dans les années de bonne récolte. Dans quatre ports, le pavillon allemand a la prééminence. Il vient presque au premier rang pour les exportations. Dans le commerce d'importation, les Allemands sont fortement distancés pour le sucre, et les cotonnades qui vien-nent d'Angleterre; mais, pour le thé, Hambourg et Brême pourraient sans peine rivaliser avec Londres. A Mogador, en 1900, les importations de l'Allemagne ne représentaient que 5,7 0/0 au total, mais les exportations, qui formaient 22 0/0 en 1898, ont atteint la proportion de 34 0/0. Si l'on tient compte des maisons industrielles allemandes représentées au Maroc et des compagnies d'assurances, on voit que la valeur totale des intérêts de l'Allemagne dans ce pays se monte à 8 ou 10 millions de marks. Ces intérêts seraient bien plus considérables encore, dit la Kolonial Zeitung, et un plus grand nombre d'Allemands viendraient s'établir au Maroc si les «


affaires de la colonisation n'y étaient entravées par la détestable situation politique qui nécessitera évidemment une intervention des puissances européennes L'Allemagne ne se désintéresse pas de la question, car si elle se laissait prévenir par la France, elle ne ferait pas plus figure au Maroc qu'en Algérie et en

Tunisie.

»

Mais il y a celles des Etats-Unis. Je me rappelle, ces temps derniers, la joyeuse assurance de notre presse française à propos d'une note d'un journal anglais qui mettait en jeu les Etats-Unis dans la question du Maroc ; on raillait ; on demandait ce que les Etals-Unis d'Amérique pouvaient bien avoir à faire

au Maroc... J'ai vu sur les marchés marocains voisins de notre frontière algérienne des boîtes de farine américaine. Voilà, non ce que les Etats-Unis ont à faire au Maroc, mais ce qu'ils y font. Nos minoteries marseillaises ferment les unes après les autres parce que l'exportation n'entretient plus leur activité. Et à cinquante heures de Marseille, dans un pays où, depuis 1867, par frontière de terre, les échanges commerciaux ont lieu librement, c'est des minoteries américaines qui fournissent le blé

travaillé. Et notez que ce n'est pas d'aujourd'hui que les EtatsUnis songent au Maroc, et réciproquement. Je lis dans le livre de M. Ternant.

président des Etats-Unis, une ambassade chargée de lui demander sa protection, et, si cette ambassade n'est pas arrivée jusqu'à Washington, c'est simplement parce Etats-Unis des Ministre le à Tanger refusa de que l'accréditer auprès de son gouvernement. » « Mouley-el-Hassein envoya, vers 1880, au

Et dans celui de M. Malavialle

;


«On vit apparaître, en 1885, sur les côtes du Maroc, une frégate de guerre américaine chargée d'appuyer les réclamations d'une maison de commerce de Casablanca. » n'est pas l'attraction commerciale belge, quoi qu'en prétende M. Collin, qui peut être, qui peut devenir un danger pour nous au Maroc, c'est celle des Etats-Unis, jointe à la concurrence allemande et anglaise. Et contre cette concurrence, nulle mesure belliqueuse rien. Reprenons la phrase de M. Baudin, les peut ne armes n'y servent de rien. La conquête marocaine ne pourrait même pas nous donner dans ce pays pour notre industrie un traitement de faveur. Et si vous avez mémoire, quand nous avons traité de la conquête en examinant les bénéfices, l'intérêt qu'elle nous donnerait, nous avons démontré l'inanité de tous les autres, il restait plus que celui-là ; l'intérêt des importations françaises privilégiées. Les autres puissances ont mal digéré la réforme douanière de Madagascar ; elles ont surtout fort mal pris les mesures intérieures qui ont amené la fermeture de quelques-unes de leurs maisons. Elles ont une expérience. Elle ont une école. Elles sont prévenues de ce qui les attendrait si elles toléraient une deuxième édition des réformes malgaches. Elles ne tiennent pas à en avoir une édition marocaine. En admettant même qu'elles nous chargent de cette besogne que tous leurs diplomates reconnaissent né cessaire au Maroc, je veux dire la besogne de voirie, de gendarmerie et de police, et la judiciaire qui garantirait les contrats, il y a pour la matière des importations quelques traités où le Maroc a promis à toutes ces puissances toujours le traitement de la nation la plus favorisée. On admet qu'une puissance prenant un pays, cela se passe comme dans les héritages ; un bloc; les charges si l'on veut les bénéfices ; jamais les bénéfices sans les charges. Les bénéfices de la conquête marocaine, il n'y Ce

¬


si aurait des charges. même Et Mais il aurait y pas. en paradoxal que cela paraisse à première vue, en dehors de toutes les considérations qui précèdent, la conquête ferait tomber les avantages commerciaux que nous possédons actuellement — car nous en possédons — et nous mettrait en beaucoup plus difficile posture pour étaler la concurrence étrangère. Et cela nous conduit à parler dès maintenant de la lo

de 1867.

L'Angleterre, on l'a vu, dans une note en fin du chapitre XV paierait volontiers (du moins si l'on en croit les journaux anglais) des « gendarmes » espagnols, pour protéger ses intérêts marocains. D'autres journaux disaient le 1er janvier que si la France abandonnait ses droits de Terre-Neuve et ses « capitulations » d'Egypte, l'Angleterre pourrait lui donner liberté d'action au Maroc. Merci du cadeau!!! Un Transvaal marocain... j'espère que les dieux nous épargneront ces étrennes britanniques.


CHAPITRE XX

Notre commerce avec le Maroc, par frontière de terre. — Un article de Jules Duval en 1859. — La loi de 1867 et le régime de 1867. — Complété par l'établissement des

marchés francs, ce régime permet un mouvement commercial franco-marocain augmentant chaque année. — M. Revoil veut ce commerce encore meilleur... et il

l'arrête.

La question du Maroc, cette question du Maroc, nous ne saurions trop le répéter, n'est pas une nouveauté dans notre pays, pas plus d'ailleurs que les solutions raisonnables dont elle pourrait être l'objet si nos gouvernements étaient des gouvernements raisonnables. En 1859, M. Jules Duval écrivait dans la Revue des

Deux-Mondes : des plus illusions, grandes les Entre toutes une « serait l'espoir de séduire les peuples du Maroc par les bienfaits moraux de la civilisation : ils en apprécieraient les bienfaits matériels, non les savantes combinaisons auxquelles ils préfèrent leur simple organisation. Celles des pratiques administratives qui blessent nos habitudes d'ordre les irritent moins, pourvu que les exactions ne dépassent pas une certaine limite. Quand la tribu a payé l'impôt, même après quelques


coups de fusil, elle est libre et chacun de ses membres reste maître de sa conduite. Le pouvoir n'intervient en rien dans leurs affaires. Pour n'être pas le nôtre, ce mode d'existence n'est pas dépourvu de toute raison, et la politique doit le comprendre, sous peine de s'égarer. Du côté des frontières de terre, on répugne à le dire, les barbares en fait d'institutions commerciales ne sont pas les Marocains. Pendant que tous nos produits s'écoulent librement chez nos voisins, tous les leurs, après avoir été longtemps absolument prohibés, passent sous les fourches caudines de nos douanes. Nemours, Marnia, Sebdou, Tlemcen sont dotés de bureaux où le tarif est le moindre des ennuis. Les formalités à remplir par des étrangers, ignorants de notre langue et de nos habitudes administratives, exigent des interprètes qui rançonnent ces malheureux à des taux criants. Une multitude de petites charges accessoires aggravent la taxe principale, et irritent le maître de la caravane qui promet bien de ne plus se laisser prendre. Pendant des siècles, d'impérieuses nécessités commerciales conduisirent les marchands d'Oudjda, Teza, Fez, Figuig, Tafilet, à Tlemcen que son admirable position avait faite la capitale d'un royaume, une cité peuplée de cent mille âmes. Les convenances du pèlerinage religieux prolongeaient le courant des voyageurs à travers toute la régence d'Alger... Quand ces voies commerciales et religieuses coupées par la guerre se rouvrirent avec la paix, la douane s'empressa d'y mettre ordre, par la prohibition d'abord, puis par des tarifs. Au début, la puissance des habitudes procura d'assez belles perceptions et l'on crut à un succès. D'année en année, les recettes baissèrent ; aujourd'hui la douane ne fait plus ses frais, tout le commerce du Maroc fuit de jour en jour un pays inhospitalier.


Dans une carrière pacifique et fructueuse d'échanges l'Europe recueillerait des triomphes plus satisfaisants que dans une guerre de conquête et d'extermination contre l'empire du Maroc. » Eh oui, le commerce, pas la guerre. Mais M. Jules Duval, qui avait de la logique en cette question, avait beaucoup moins de données géographiques, c'est pourquoi il recommandait la route de Tlemcen. Il ignorait

Port-Say. Quoi qu'il en soit, tous ses conseils étaient justes. L'opinion qu'il résumait alors est celle des gens sensés de toutes les époques. Faites du commerce, ne faites pas la guerre, cela était vrai en 1859, c'est encore vrai aujourd'hui. Je pourrais presque dire c'est encore plus vrai, puisque — je vais l'établir dans les chapitres qui suivront — nous avons la meilleure route de pénétration commerciale au Maroc. Pas à Tlemcen qu'indiquait M. Jules Duval. Mais au Kiss, à la plage du Kiss que l'on avait oubliée depuis que le chevalier de Suffren en avait parlé... Le résultat de la campagne de bon sens dont l'article qu'on vient de lire est un incident, ce fut l'établissement de loi de 1867 pour nos relations commerciales avec le Maroc par les frontières de terre. 23

juillet

1867.

Loi sur le régime commercial de l'Algérie. TITRE II

Paragraphe 2. Importations par les frontières de terre. 6. Les produits étrangers importés en Algérie par les frontières de terre seront soumis au régime établi par

le tableau D annexé à la présente loi.


Voici le tableau D.

Importations par les frontières de terre. — Produits naturels ou fabriqués, originaires de la régence de Tunis de l'empire du Maroc et du sud de l'Algérie, exempts : de toute autre origine, même régime qu'à l'importation par mer. Cette loi a permis à l'Oranie de ne pas mourir de

faim. Elle lui a permis de manger du boeuf marocain et du mouton marocain. Elle lui a même permis d'en exporter en France. Et quand dernièrement, cette loi qui avait, de fait, à la liberté d'entrée des produits marocains en Algérie par terre la contre partie de la liberté d'entrée des produits français au Maroc par terre, fut complétée par la loi des marchés francs permettant d'apporter à Marnia, à Aïn-Sefra, les produits français à des prix abordables pour l'acheteur marocain, celui-ci trouvant à acheter après avoir vendu, apporta beaucoup plus à vendre. Dans le livre de M. Collin que j'ai cité plus haut, l'économiste belge, utilisant les statistiques publiées, nous montre le commerce français baissant à l'importation, par les ports, au Maroc, de 25 0 0 en cinq ans, de 02 à 96.

Voici ses chiffres en francs. 1892 1893 1894 1895 1896

12.877.405. 12.043.540. 12.685.550. 11.713.280. 9.050.730.

l'exportation, la diminution est moins sensible, néanmoins elle est appréciable ! A


1892 1893 1894 1895 1896

6. 954.250.

7,214.560. 5.562.530. 4.655.405.

Et cela fait dire à cet excellent économiste : commerciale de décadence la France au Maroc La « est aussi manifeste, si pas aussi profonde, que celle de l'Espagne. » Oui pour les ports, oui lorsque nous sommes soumis à la loi commune, lorsque nous restons vis-à-vis du Maroc dans la commune situation de la nation la plus favorisée pour les importations maritimes. Avec le 10 0 0 à l'entrée et le 10 0 0 à la sortie. Avec les 25 fr. de droit impérial par tète de bétail. Avec les restrictions mpériales de sortie des céréales. Avec en un mot la législation du commerce maritime entre le Maroc et les puissances qui n'ont que des relations maritimes avec le dit Maroc. Mais par la frontière de terre, par l'ancienne frontière turque devenue frontière française, par la frontière telle que nous sommes les seuls à en avoir une avec le Maroc (on ne saurait en effet y assimiler les frontières des présides espagnols régies suivant d'autres coutumes). Mais situaprivilège de donne frontière qui celle nous un par tion, que nous garderons aussi longtemps que nous éviterons la sottise d'une conquête, par cette frontière où les échanges, depuis 1867 librement depuis font où et se la création des marchés francs nos produits arrivent dégrevés des octrois de mer et autres droits algériens, par cette frontière où nous n'avons pas à redouter la concurrence étrangère puisque, de fait, cette concurrence est impossible, notre commerce n'est pas en décadence. développe même dans des proportions mer1 se veilleuses... Témoin cette correspondance de Marnia que l'Echo d'Oran publiait en octobre dernier:


« Nous donnons à titre de documents, dans les deux tableaux ci-dessous, les chiffres des importations et exportations de la place de Marnia, pour les

années 1900 et 1901

:

Importations du Maroc Année 1900

Espèce chevaline (têtes) mulassière » » asine » » » ovine » bovine » » » caprine »

Année

*75

293 93

257 106

56

254-571

24.883 703

1901

269.898 42.061 5-530

Exportations au Maroc Année 1900

Sucre (en kilogrammes) Café » Poivre »

Cannelle Girofle Farine Semoule Benjoin Thé Fenouil

» » »

»

» » »

954.!9° 16.884 5-779 559 1-337

54.986 58.277

Année

1901

1.614.067 15.625 6.153 942

2.318 17.310 35.245 221

»

196

»

60

»

On peut remarquer que les importations des bovins et des ovins sont en légère augmentation. En ce qui concerne les exportations, nos voisins nous ont demandé, en 1901, bien moins de farines et de semoules qu'en 1900. Cela tient, probablement, à l'excellente récolte de l'année dernière succédant à une série de mauvaises. En revanche, les exportations de sucre ont aug¬


menté de plus de moitié. Cette progression dans les •expéditions de cette marchandise n'est pas accidentelle, car si nous en jugeons par les nombreux convois qui partent toutes les semaines, l'année 1902 donnera un chiffre bien supérieur à celui de ses devancières. » Certes l'année 1902 donnera un chiffre bien supérieur. J'ai pu m'en rendre compte. Rien que dans le mois d'août de cette année, 278 000 kilogs de sucres français ont pris par Marnia le chemin du Maroc. Grâce à la situation privilégiée que la frontière de terre crée aux échanges franco-marocains, le commerce entre les deux pays se développe dans des proportions telles et suivant une marche ascendante si régulièrement dessinée, indiquée, marquée, maintenue, affirmée, qu'il est permis d'envisager l'avenir avec confiance... L'avenir commercial, cet avenir que M. Revoil chantait il y a quelques mois dans ces termes ;

digne de nos efforts et de nos préoccupations. Nous possédons avec ce grand empire le seul voisinage de terre utilisable pour ses relations commerciales ; ce voisinage s'étend aujourd'hui du rivage de la mer aux confins du désert. Il n'est pas douteux que nos relations commerciales avec lui ne répondent pas encore à ce qu'elles devraient être en raison d'une situation aussi privilégiée ; je me félicite, certes, de l'accroissement considérable des importations du Maroc sur notre marché, où il vient renforcer notre production locale. Je sais que déjà le courant de nos importations suit une marche ascendante, mais ce trafic ne pourra vraiment se développer que par la création d'un régime qui multiplie et favorise les échanges et fasse disparaître dans la plus large mesure possible les entraves fiscales ou réglementaires. Sous quelque ciel et quelque loi qu'il vive, un invincible instinct « Le commerce marocain est

,


pousse le cultivateur vers les marchés où il pourra échanger les produits du sol qu'il cultive, avec les objets qui sont nécessaires à sa vie, mais que l'industrie nationale ne lui fournit pas. Pour un tel échange, l'Algérie a droit au bénéfice que lui assure la supériorité de sa civilisation parmi tous les pays de l'Afrique du Nord. Qu'elle travaille à se l'assurer chaque jour davantage ! Il n'y a là que l'exercice loyal et légitime d'une influence pacifique que personne aujourd'hui ne songe plus à contester à la France. » La paix, le commerce... L'influence pacifique... Pourquoi donc M. Revoil, avec de si belles intentions, si bien exprimées, fait-il exactement le contraire de ce qu'il dit? Il veut qu'on développe le commerce avec le Maroc et lorsqu'on lui demande une autorisation pour le développer en créant de nouveaux centres de commerce avec le Maroc, il biaise, accorde à moitié, puis reprend, refuse. Le prétexte : des négociations d'ordre commercial avec le Maroc. Cela n'est pas possible. Toute négociation d'ordre commercial avec le Maroc si nous obtenions un avantage quelconque ne pourrait que nous nuire. Ce n'est point paradoxal. Réfléchissez. Vous connaissez notre situation privilégiée sur la frontière de terre. Nous obtenir mieux. mieux. Nous Si le ne pouvons y y avons nous obtenions un avantage nouveau ce serait dans les ports ouverts, dans les ports ouverts à tous. Et alors tous nos concurrents par le fait même qu'un avantage nous serait accordé l'auraient aussi. Alors ce ne serait plus un avantage. Et voici comment ce deviendrait un désavantage. Toute amélioration dans le commerce de nos concurrents diminuerait d'autant la supériorité que nous vaut par terre le régime de 1867. Donc, à moins d'être complètement fous, nos maîtres ne peuvent travailler, en négociant nouveaux traités, à diminuer notre privilège « de terre ». El s'ils parlent de négociations commerciales, c'est pour ne point avouer leurs inavouables desseins belliqueux.


LIVRE QUATRIEME

CHAPITRE XXI

Nous avons établi que la vraie question du Maroc c'est le développement de nos relations économiques avec le Maroc. — Comment les développer?— En acceptant l'oeuvre de Louis Say qui ouvre un port à l'entrée de la route de pénétration commerciale au Maroc. — Les motifs de l'opposition à cette oeuvre. — M. Etienne. — Louis Say. Ses travaux africains. — Ses voyages à Ghadamès en 1875. — A Temassinin. — Ses relations avec In Salah. — Ses idées de réforme algérienne en 1881. — Les inimitiés qu'elles lui créent; inimitiés qui le poursuivent encore. — Dès 1881 Louis Say montre la vraie voie d'accès au Maroc. — Ses voyages au cap de l'Eau et à la Moulouïa. — Son programme pour les relations franco-marocaines. Pas de guerre. — Son installation au Kiss et la fondation de Port-Say. — Obstacles. Défenses, etc.

Au cours de cette étude, suivant toujours la route qui

devait nous mener au but, malgré que cette route fût quelquefois ravinée, tortueuse, difficile, j'en conviens, nous arrivons à ce but. Nous avons montré les erreurs et nous avons montré la vérité sur celle question du Maroc. Nous avons montré que le droit nous défendait


une politique agressive. Et nous avons montré que l'intérêt nous la défendait aussi. Nous avons montré que la seule question du Maroc c'est pour nous de profiter de nos avantages de voisinage terrestre afin de développer nos relations économiques avec le Maroc. Alors ce livre est terminé ? Non. C'est le développement de ces relations économiques en le précisant, que nous devons maintenant étudier. Le régime de 1867 complété par celui des marchés francs, nous venons de le voir, nous assure un privilège économique sur la frontière de terre et nous crée une situation de droit qu'on ne saurait désirer meilleure. La situation de fait est-elle aussi bonne? Non.

Et si vous avez trouvé quoique intérêt à cette étude, et l'ayez suivie avec quelque attention, je vous prie de relire le chapitre qui sert de préface à mon livre. Puis je vous prie de regarder une bonne carte du Maroc. Reclus Etat-Major. Au retour de mon prochain voyage j'en publierai une nouvelle et plus complète)... Et vous comprenez mon premier chapitre, et vous comprenez l'oeuvre de Louis Say, qui (pour que son pays, sans guerre, sans complications nouvelles, rien qu'en utilisant l'actuel, profite de tous les avantages que représente, à côté de l'Algérie, le marché immense du Maroc), veut que son pays se serve enfin de la seule route par quoi se peuvent développer des relations économiques modernes, de la seule route qui du Maroc aboutisse au port français le plus voisin de la frontière. Et vous vous demandez, comme moi, pourquoi depuis longtemps déjà (1) il n'y a pas un port français, une (1) Il est certain que cette merveilleuse position fut occupée

jadis, aux siècles heureux dont parle Mas-Latries lorsqu'il n'y avait dans l'Afrique du Nord que des Arabes et des Berbères, que le commerce se faisait régulièrement, que les traités et les conventions étaient respectés, avant que les Turcs et les Chrétiens


ville française au Kiss, pourquoi ce que fait maintenant Louis Say on ne l'a point fait depuis longtemps... Regardez encore la carte. La ville la plus proche de la frontière, c'est Nemours. Eh bien on a délaissé le Kiss, on a combattu Port-Say parce que les gens de Nemours ne veulent pas qu'on trouble leur sommeil commercial. Regardez encore la carte. Voyez la Tafna, la plage de Rachgoun. Eh bien, on a violemment combattu Port-Say parce que les propriétaires des sables mouvants de la Tafna voulaient y creuser un nouveau Rizerie. Regardez encore la carte. Voyez Ain Temouchent. Voyez Tlemcen, Marnia, Oudjda. On a levé toutes les forces gouvernementales contre Port-Say, parce que des financiers qui ont déjà cependant coûté quelques sous à nos budgets veulent faire là — contre la nature — malgré la nature — mais à gros renfort d'argent — le nôtre — un chemin de fer de pénétration marocaine et de... stratégie. Et tout ça se trouve dans la circonscription électorale d'un homme puissant... Vous savez bien, Etienne. Ce brave Etienne. Et alors ç'a été la folle histoire du Kiss, une histoire qui montre ce qu'il y a de bouffon, de ridicule, et de lamentable en notre organisation actuelle et dans ce que j'appelais jadis la politique coloniale, dans ce que j'appellerai demain la farce coloniale.

Auguste... — donc, Taisez-vous nous ne sommes pas encore au — cirque. Ce sera pour un prochain volume. Après le n'eussent fait de la Méditerranée une mer de pirates. J'ai vu des ruines sur le promontoire qui domine Port-Say. Et il y en a aussi, d'un très curieux appareil, à la base de la colline sur quoi est construit le bordj d'Aoudjeroud. A mon prochain voyage je me propose de faire en cet endroit des fouilles que j'espère intéressantes.


Kiss. Maintenant c'est le Kiss. Le Kiss dont je veux conter par le menu l'aventure instructive. C'est de l'histoire. De la bonne. Il en faut noter ainsi quelquefois pour caractériser l'époque. Ainsi nous pourrons faire comprendre à ceux qui viendront après nous, et sans cela ne comprendraient pas, ce que signifiaient pour le Français du commencement du XXe siècle les « voix électorales ». Jeanne Darc a sauvé la France pour obéir à ses voix. Nous avons quelques citoyens qui la perdent pour obéir aux leurs. — Auguste... dis... n'y Mais je nous sommes pas que vous non, — encore. Et c'est regrettable car les voix d'Auguste sous les chênes des fées... Est-ce que moi aussi je vais faire le clown, le pître, et de basses plaisanteries... D'être amené à présenter ces gens dans la gloire de leurs exercices vais-je devenir

funambulesque ? Pourtant... ça ne se prend pas quand on n'est point de la môme race... La carrière de Louis Say, l'homme dont la ténacité jointe à un grand sens et à une parfaite intelligence des réalités africaines, aura valu à notre pays la solution pratique, pacifique, économique de cette vieille et irritante question du Maroc, est un exemple à donner à nos jeunes gens qui se plaignent de l'ennui ; elle leur apprendra comment on peut, avec de la volonté, se distraire en servant son pays et l'humanité. Elle est aussi un exemple à soumettre aux méditations des sociologues dont la thèse attrista ces dernières années. Vous savez, la thèse de la supériorité Anglo-Saxonne. Finis, vidés, usés, à mettre au fumier, les Celto-Latins. Il n'y aurait d'avenir que pour les Anglo-Saxons. Chez les Anglo-Saxons seulement on trouverait des hommes. Que donc ces sociologues cherchent à concilier avec leur thèse des exemples comme celui de Louis Say, qui, seul contre tous, sachant à quelles inerties, à quels


obstacles, à quelles résistances, à quelle opposition, à quelles attaques il va se heurter, se dit un jour après avoir étudié la situation de la France dans l'Ouest africain : « La nature a mis à la frontière du Maroc, à l'entrée de la roule d'accès au Maroc une plage pour un port et pour une ville. Je ferai ce port. Je ferai celte ville. » Et qui, malgré les résistances d'inertie et d'opposition, fait ce port, fait cette ville. N'est-ce pas un homme ? Il y a encore des hommes, dans notre pays. Guillaume le Normand ne les a pas tous conduits à la conquête de l'Angleterre, La Fayette à l'émancipation des EtatsUnis. Il en resta quelques-uns, nous on sommes les fils. Bien certainement, si elle montre ce que peut la volonté d'une individualité française, l'histoire de Louis Say fondant Port Say, prouve aussi, hélas ! de quels détestables mécanismes est faite notre organisation politique, notre système parlementaire, notre machine administrative et combien le fonctionnement en est défectueux, l'action désastreuse. Mais que cela ne permette pas triomphe aux zélateurs de l'Anglo-Saxon. Il y a pis de l'autre côté do la Manche,et il y a pis encore de l'autre coté de l'Atlantique. Nous sommes évidemment très mal lotis mais les autres ne le sont pas mieux. Et je crois bien que c'est encore chez nous que les tempéraments énergiques, vigoureux, patients peuvent le mieux s'affirmer contre la Routine, l'universelle Routine des gouvernements et des administrations. Quelques grands mouvements d'émancipation humaine ont déjà eu leur origine en France. Je veux espérer que c'est encore de France que partira celui d'émancipation des masses exploitées gouvernementalement et administrativement, sans aucun souci de progrès par quelques-uns pour le bénéfice de quelques autres. L'histoire du Kiss et des oppositions vaincues par Louis Say n'est point un phénomène isolé. C'est un des actes particuliers du gigantesque effort social qui agite notre pays, de la crise dont, je l'espère, nous sortirons plus libres.


Nous ne nous attarderons point à détailler la carrière de Louis Say. Ce n'est pas l'homme qui nous intéresse. C'est l'effort de l'homme sur ce point particulier de la frontière marocaine. C'est l'homme ayant lutté pour que l'intérêt général fût satisfait dans une oeuvre de progrès, alors que quelques intérêts particuliers voulaient s'opposer au développement de cet intérêt général dans le progrès, voulaient le maintenir dans les errements du passé. Quelques mots néanmoins sur les précédents de cet homme, car on n'improvise pas le caractère nécessaire pour une telle oeuvre. Le tempérament que donnent la naissance et l'éducation, évidemment est nécessaire. Mais l'apprentissage est non moins nécessaire. Officier de marine, pour occuper un congé (il y en a qui vont à Monte-Carlo, d'autres dans les châteaux, etc.), Louis Say, en 1875, va à Rhadamès. Un petit voyage facile. A l'époque surtout. On voit que ce n'est pas d'hier que le fondateur de Port-Say, à qui un gouverneur général prudent recommandait l'an dernier de ne pas aller chez les Marocains... dangereux... a fait son apprentissage de savoir vivre en populations musulmanes hostiles. Ce premier voyage à Rhadamès fixe sa destinée et donne à son activité un but qu'il voit sur le pont des vaisseaux de guerre moins effectif pour son pays. Après une croisière en Méditerranée comme enseigne de vaisseau, il revient au Sud algérien. Par Touggourt, Ouargla, les sources d'Aïn-Taiba, il explore les Gassi jusqu'à Et-Biod ; il campe au milieu des Chaamha dissidents réfugiés chez les Asdjer. Puis avec une escorte de Touaregs, parmi lesquels les fameux Abd-el-Hakem, Dehanna, Karka, Chaffao et le vieil Handboul, dont le corps portait la trace de 43 blessures, il descend jusqu'aux oasis de Temassinin. Il y prend contact avec des d'Insalah, et des cette; année 1877 il noue des relagens tions qui auraient pu nous conduire au Touât autrement que par une guerre. On l'écouta d'abord... Après un voyage d'etudes archéologiques avec


l'a secondé dans la construction de Port-Say), notre marin qui décidément préfère le sable du désert au pont des vaisseaux, retourne dans le Sud. Il a à ce moment les appuis administratifs. On a compris son idée d'InM. Bourmancé (le père du dévoué jeune homme qui

Salah. Le général de Loverdo l'installe dans la casbah d'Ouargla. De là, ses messagers reparlent à travers le Sahara, et inaugurent des transactions commerciales régulières. Un convoi d'autruches lui est adressé par les grands chefs du Touât... et arrive. Louis Say avait alors pour compagnon à Ouargla, M. Cailhol qui viendra plus tard le retrouver au Kiss. Il quitte Ouargla en 1879. En 1880, il donne sa démission d'officier de marine. Il passe comme sous-chef au Cabinet de M. Rouvier, ministre du commerce et des colonies. En 1881, il fait à la Société de Géographie une conféil dont longtemps retentissante portera le boulet, rence car les ennemis qu'il s'y crée sont de ceux qui ne peuvent oublier quand l'homme qui les a troublés dans leur quiétude est un homme comme Louis Say. Quel était donc son crime? Jugez. Après avoir exposé la quintessence de ses études algériennes, montrant l'avenir, il recommandait un programme de colonisation fait pour servir l'intérêt du pays, mais par contre, peu fait pour conquérir les svmpathies des puissances gouvernementales ou des puissances financières qui, grâce à notre organisation sociale, imposent leurs volontés au parlement, au gouvernement et à l'administration. Il disait : Plus de colonisation artificielle. Plus de création de villages sans vitalité. Plus d'ingérence administrative. Plus de pression administrative. Plus de surveillance administrative. Plus de colonie qui soit un bagne pour les colons. Et il assignait au gouvernement ce rôle :


La constitution de propriétés indigènes le long des voies ferrées. La rente aux enchères de tous les biens domaniaux. l'expropriation des grandes sociétés financières qui n'ont pas rempli leurs engagements, mais pour qui l'Etat a toujours été si large, quand il se montrait si dur pour les colons. Un rien. Vous voyez. Une révolution. Et vous comprendrez maintenant pourquoi jusqu'en cet an de grâce 1902 on l'a poursuivi, traqué, attaqué ; vous comprendrez pourquoi il a suffi qu'il montrât à la porte du Maroc la solution économique de la question pour qu'on n'en voulût point. Et vous comprendrez quelles magnificences d'énergie, de volonté, de ténacité furent les siennes, pour arriver au résultat que tout le monde peut constater en prenant la peine d'aller admirer PortSay. Cette solution par le Kiss il la montrait déjà dans cette même conférence de 1881. Il l'avait vue, en économiste, par la fatalité des né. essités géographiques. C'est la solution qu'il montrait pour le problème de colonisation de toute l'Afrique du Nord, en signalant : «... L'importance économique des larges bassins qui, points de la côte de Barbarie, s'enfoncent « de tous les des terres, et sont autant de grandes l'intérieur dans « l'eau naturelles tracées la marche de voies par a notre « coloniale. expansion « En vallées, les d'un remontant passant bassin dans « mystérieux le des suivant fleuves l'autre, cours sou« révèle la sonde des puits artésiens, terrains nous que « eussions : nous « « Pénétré au Maroc par la vallée de la Moulouïa, l'Oued-Namous... Touât etc., etc. » par au « Il essaie de faire prévaloir ses idées transsahariennes dont la justesse avait été démontrée par son voyage à Temassinin et ses relations avec In-Salah. Mais toutes les oppositions des puissances qu'il a froissées se liguent contre lui. Nul appui, nulle part. Il fait à ses dépens l'expérience de l'inutilité des « grands milieux géogra¬


phiques et coloniaux parisiens » quand on n'y vient point en numéro catalogué par les puissances qui nous régissent. On ferme le Sahara à son activité patriotique. Ses forces, son intelligence, cequ'il acquit... tout son offre au service de la pénétration française dans le Sahara... Cela ne compte pas. Il est l'ennemi à éteindre. Mais des lammes comme celle-là, même quand on y emploie tous les goupillons de nos bénisseurs coloniaux assermentés, on ne les éteint pas. Il tourne ses regards vers le Maroc. Ce qu'il a écrit par raison géographique sur la pénétration par la vallée de la Moulouïa, il va s'en rendre compte sur place. La région qu'on dit inaccessible et fermée aux chrétiens par le fanatisme intransigeant des Riffains, il la parcourt. Et dans son esprit germe alors, étayé non plus seulement par des raisons spéculatives mais par des réalités vues, un projet grandiose. L'achat des territoires du Cap-de-l'Eau aux peuplades marocaines, et la création d'une ville et d'un port à l'embouchure même du fleuve qui conduit jusqu'à la porte de Fez, à Bab-Taza, d'où la vallée du Sebou fait une route sans obstacles jusqu'à la capitale du Maroc. Mais cela est une entreprise qu'il ne peut réaliser seul (à l'époque surtout !) et revenu à Paris, il se heurte aux mêmes obstacles que pour ses projets sahariens. Il ne se décourage point. On lui fait des objections... il retourne au Maroc, sur place, y chercher nouvelles réponses. C'est dans un travail consécutif à l'un de ces voyages, que je retrouve un passage où il indiquait la politique à suivre, en réponse à ceux qui lui disaient que d'installer l'influence française dans la vallée de la Moulouïa, ce n'était point affaire de l'initiative privée, mais besogne de gouvernement ; qu'il importait de réviser le traité de 1845, et que pour agir à la Moulouïa, il fallait que celte vallée fût devenue territoire français, par traité si possible, par conquête si nécessaire.


Il écrivait lui

:

« Parler de rectifier la frontière de l'Aoudjeroud,

c'est vouloir : l'Oued de Kiss Passer à la Moulouya; — — Annexer à l'Algérie l'amalat d'Oujda; Ht enlever au Maroc cinq millions d'hectares. — Mais c'est porter atteinte à l'empire du Maroc dont l'intégrité du territoire doit être sacrée à nos yeux ; c'est justifier toutes les appréhensions de l'Espagne, c'est autoriser toutes les convoitises, et peut-être aussi nous embarquer dans une aventure coloniale rappelant l'expédition de 1859 et l'échec de Martimprey. Une politique plus sage, plus prévoyante, plus haute de vues, nous conseillerait, au contraire, de mieux étudier toutes ces tribus de la frontière, les Mehaïas, les Angades, les Beni-Snassen, qui s'usent en querelles intestines, mais qui se ligueraient pour nous repousser si nous envahissions leurs vallées et qui ne demandent au fond qu'à nous servir, si nous respectons leur autonomie et à nous ouvrir la route de Fez si nous savons les utiliser. » Nous avons vu, dans la deuxième partie de ce livre, que le plan depuis si longtemps poursuivi par nos diplomates voulait précisément le contraire de ce que recommandait ainsi Louis Say en 1888. Aussi, je crois inutile d'insister longuement sur l'accueil fait à ses propositions d'installation pacifique, d'initiative privée, au Cap de l'Eau. Ce fut enterré sous la raison d'Etat, sous la raison di-

plomatique.

Louis Say a quelque volonté. Et cette volonté est tenace. On lui défendait, au nom des relations internationales, de s'établir à l'embouchure de la Moulouïa. Parfait. Mais la Moulouïa se jette à la mer dans une large plage. A 10 kilomètres du fleuve, la plage devient française. Une plage qu'un fleuve traverse pour se jeter à la


mer, on peut dire, en vérité géographique, que cette plage est tout entière l'embouchure du fleuve. La plage du Kiss a douze kilomètres de longueur. Deux en sont français. On ne pouvait, par convenance internationale, s'installer sur les kilomètres marocains. Mais sur les deux kilomètres français ? Louis Say y avait campé, avec les acheteurs de blé. Il nous a même tracé de la vie qu'on y menait alors ce joli tableau :

Quand viennent les caravanes du Maroc, les chameaux et les mulets sont déchargés sur le sable, les tellis sont vidés sur les nattes, le blé mesuré, mis en sac, amoncelé en tas énormes sur la plage du Kiss et recouvert de bâches, jusqu'à l'arrivée des bateaux. Au mois de juillet commence l'embarquement des céréales et l'animation est extraordinaire sur la côte, dans les chantiers, à l'embouchure du Kiss. La mer se couvre de gabares portugaises et de balancelles espagnoles ; le Rosario et l'Espoir, d'Oran, arrivent de Nemours, amenant, à la remorque, les gondoles et les soixante hommes de l'escale, soixante gaillards, Arabes ou Espagnols, dont le métier est de charger les navires. Les gondoles se tiennent sur leurs grappins, à vingt mètres au large; les Arabes entrent dans l'eau jusqu'aux épaules avec les sacs sur la tête ; les Espagnols arriment les embarcations et les accostent le long des bateaux mouillés sur la rade. Le soir venu, le travail cesse; les chaloupes sont halées sur le sable ; de grands feux s'allument sur la plage ; les Arabes de l'escale, transis de froid, se changent ; les pêcheurs reviennent de l'embouchure de la Moulouya, leurs barques bondées d'ombrines et de serranos ; les matelots des voiliers descendent à terre; les spahis du Bureau arabe arrivent pour l'absinthe ; les Kabyles du Chaïb-Ras-Ho accourent «


chargés de bois et de poulets ; les caravanes de la haute Moulouya sont campées près des chantiers; les femmes arabes font la cuisine dans les zeribas; le kaouadji distribue de petites tasses de café maure sur d'énormes plateaux de cuivre ; les Espagnols de Nemours boivent l'anisette en chantant autour des marmites et Vicente Martinez, le premier colon de la plage, le chef de colonie, le représentant des Drêveton, raconte ses aventures après le dîner. Trois heures durant, ce ne sont plus alors qu'histoires fantastiques, événements tragiques ou contes étranges, tenant suspendu aux lèvres de Vicente, que les indigènes appellent Bacenti, tout un auditoire émerveillé d'Arabes, de Beni-Snassen, d'Espagnols, de pêcheurs et de kaïds marocains. C'est son arrivée sur la plage du Kiss ; le naufrage de la balancelle la Mathilde, en 1866 ; la disparition du fils et du frère de Carmello Garcia ; la mort de Napoléon Nantieri, tué endormi sur un tas de blé par les Oulad-Mansour ; c'est l'assassinat de Sébastien Labador, poignardé au Bieder, et la fin misérable des assassins, enfermés dans les prisons d'Oujda, devenus aveugles et mourant de faim ; ce sont des histoires d'Espagnols échappés des Presidios de Melilla venant lui demander asile au Kiss et envoyés par lui, avec de faux noms, aux mines de Ghar-Rouban, d'où ils sortent enrichis, pour aller vivre à Oran, en caballeros; ce sont enfin toutes ses équipées dans la montagne chez les Beni-Snassen, du temps d'Ali-OuRaba et d'Ould-Bechir, que le Sultan manda un beau jour à Fez, d'où ils ne revinrent plus. Les feux éteints, Bacenti charge ses armes, monte sur les tas de blé pour surveiller ses bons amis, les Oulad-Mansour, et on n'entend plus dans la plaine que les aboiements des chiens de la kasba marocaine où dort, sur la rive gauche du Kiss, Si Hallal, le khalifa du Sultan. »


Et alors, sa ville, son port, il résolut de les installer là, sur celte partie du Kiss, à dix kilomètres de la Moulouïa, sur celte partie française d'où la diplomatie ne pourrait point le chasser au nom des a convenances internationales. » Il avait compté sans les convenances nationales ! Juin 1900 il va revoir ses amis de Kebdana et des Beni-Snassen, leur annonce qu'il devient leur voisin. Bon voisinage, disent-ils ». Et ils s'en félicitent. Et ils le félicitent. Certain alors d'avoir des tribus marocaines de la frontière le « bon voisinage » nécessaire pour une installation sur celte frontière, Louis Say achète les terrains du Kiss jusqu'au cap Milonia, en comprenant dans son domaine les plages du Chetih et de la Moscarda. Et il plante sa tente où est maintenant sa maison, au pied du promontoire d'El-Kelaa. Mouley-Amar, son vieil ami, le chef des Oulad-Mansour, passe la frontière pour lui tenir compagnie aux premiers jours de sa prise de possession. Et de suite c'est des bonnes, des cordiales, des pacifiques relations entre les deux côtés de la frontière. Il y a tantôt des Marocains sur la rive française, tantôt un Français sur la rive marocaine. Cela aurait dû enchanter notre « diplomatie » et le gouvernement général de l'Algérie, de voir sur cette plage ensanglantée par tant de luttes, troublée par tant d'aventures, naître des relations pacifiques,civilisées, civilisatrices, que l'installation à demeure de Louis Say rendait durables. Mais cette oeuvre de rapprochement, cette besogne « d'apprivoisement » si on veut me passer l'expression, elle dérangeait tous les plans anciens et les desseins belliqueux plus que jamais poursuivis. Et le 28 août 1900,le commandant supérieur du cercle de Marnia, par ordre du gouverneur général de l'Algérie, notifiait à Louis Say qu'un Français ne devait pas aller sur territoire marocain. Inutile de dire l'accueil fait à cette note et... que cette «


fois on vit Louis Say tous les jours chez ses amis du

Maroc. Alors on se rappela qu'il est lieutenant de vaisseau de réserve, et le 19 octobre, le ministre de la marine lui transmettait les observations du ministre des Affaires étrangères sur ses incursions en territoire marocain !... Et tout cela, je vous le répète, c'est de l'histoire exacte, vraie... On ne voulait pas que Louis Say demeurât au Kiss. On ne voulait pas qu'il fût en bonnes relations avec les Marocains. On voyait se dessiner son oeuvre et on voulait l'écraser dans le germe. Aussi, quelles clameurs de « Je l'avais bien dit! » quand, l'année d'après, le 3 avril 1901, éclata la « ca-

tastrophe Pouzet ».


CHAPITRE XXII

La catastrophe du Cap-de-l'Eau. — Les bateaux de Louis Say sont fusillés par les Kebdana du chef Arfonf. — M. Jules Pouzet venu en touriste d'Oran est mortellement frappé. — Le rapport officiel de Louis Say adressé au

gouvernement sur cette aventure. — Ce qu'il faut ajouter à ce rapport. — Les dessous. — Les vrais assassins. C'est le N'insistons prodest. cui focit ls cas. — — — point.

En deux mots voici

Louis Say voulant aller avec un Français d'Oran, M. Pouzet, en promenade aux Zaffarnies, lait escale au Cap-de-l'Eau. El là, un chef Kebdana (l'ennemi du chef qui traitait Louis Say en frère de des haines dans le berbère sommes pays nous — çof, ne l'oublions pas) attaque les bateaux, les mitraille, et le malheureux Pouzet est mortellement frappé, tandis que plusieurs matelots bocoyas, au service de Louis Say, sont faits prisonniers par les Kebdana. Il convient d'expliquer ce « malheur » qui d'ailleurs n'a en rien arrêté le développement de Port-Say, et quoiqu'on ait pu dire et prédire, n'indiquait en réalité nulle menace pour l'avenir dun centre de colonisation sur la frontière. Voici tout d'abord le rapport écrit par Louis Say :

pour le gouvernement, rapport publié par l'Echo

d'Oran :


mardi, 2 avril dernier, par une jolie matinée de printemps, j'étais sur la plage ensoleillée du Kiss, à peindre en blanc les deux balancelles le San-Miguel et la Marie. A 8 heures, on m'annonce l'arrivée d'un yacht français et d'un Européen qui se présente à moi, M. Jules Pouzet, d'Oran, me tend une lettre d'un arabe de Nemours, Bel Hadj, l'ancien petit commis des Dreveton, devenu le roi des blés, de Nemouis à Marnia. M. Pouzet me montre son yacht, la Jeune Anna. Je souhaite la bienvenue aux arrivants, je fais seller mon cheval avec ma selle marocaine. M. Pouzet, tout heureux, monte mon petit barbe alezan, et par le sentier du Caroubier, nous grimpons au bordj du Bureau arabe, pour aller saluer les deux officiers, Lhabib et Raouty, qui, devant se relever, m'avaient invité à déjeuner. M. Pouzet retrouva en eux deux anciens camarades du 2e Spahis ; de là, déjeuner charmant plein de souvenirs pour eux. A 4 heures, retour sur la plage du Kiss, visite au village naissant : aux écuries, à la cuisine, au four, au puits, à la noria, à la pépinière et à la fameuse posada espagnole aux allures de château castillan dont mon ingénieur, M. Thomasset, l'ancien directeur des eaux de la ville d'Oran, terminait la cheminée féodale. Le soleil tombait sur la plaine des Oulad-Mansour, qui sépare l'Oued-Kiss de la Moulouya, plaine unie comme la Camargue, au niveau même de la mer, où vivent dans des douars les derniers Arabes du Maroc oriental, ayant pour chef un grand vieillard biblique du nom de Moulay Amar, dernier fils de grande tente, descendant des anciens conquérants devenus pasteurs et gardeurs de troupeaux. Pouzet restait les yeux fixés sur cette côte aux pentes si douces que les lames déferlent en mourant, se suivent et s'étalent en nappes de mousse bleutée comme une mer d'argent. « Le


A nos pieds se déroulait la plage de vingt kilomètres qui s'étend en serpentant du Kiss au Cap-del'Eau, ayant pour cadre merveilleux, au sud, le massif montagneux des Kebdana, à l'horizon l'immense pyramide des Guelaïa, et au nord le groupe bleu des trois îles Zaffarines. L'île la plus haute, élevée de 135 mètres, est l'île du Congresso, à l'aspect grave d'un lion immense au repos. L'île de l'est, Isabel-Secunda, n'est qu'un rocher avec un quadrilatère aux murs lézardés, surmonté par une petite croix de fer, que de loin nous ne pouvions pas voir. L'île du milieu est l'île du Rey. Avec sa porte, ses murailles crénelées, sa torre de la conquista de 1849, son nouveau phare blanc et ses maisons étagées, cette ville a des silhouettes de cité arabe avec terrasses et

minarets. Extasié et ardent : « Partons pour les Zaffarines », s'écria M. Pouzet. Le départ est fixé au lendemain, au jour; Mansouri, mon voisin au Kiss et fils d'un caïd marocain emprisonné depuis dix ans à Fez, viendra avec nous. Mercredi matin, à 6 heures, les bateaux sont prêts. La Jeune Anna mouillée à cinquante mètres de la plage du Kiss ; les Bocoyas mettent le San-Miguel à la mer, et Mansouri arrive avec son burnous blanc. Un Arabe suivait la plage au bord de la mer et venait à nous. Il s'approche, c'est un Kebdani, c'est Belkacem ben Zerriho, ami du caïd des Kebdana ; il me remet deux lettres venant de Mimoun Arfouf, cousin du caïd ; la première pour moi, me demandant de lui apporter douze quintaux d'orge, la seconde pour Mansouri, le priant de parler en sa faveur et de se porter garant, au besoin, pour l'orge demandée. Tenez, dis-je M. à Pouzet, voilà précisément le — cousin du caïd des Kebdana qui me demande de


l'orge, et vous savez qu'ici les sacs d'orge sont encore les meilleurs bataillons. Bravo, dit Pouzet, Destin s'en qui c'est le me — mêle. C'est une occasion inattendue qui se présente; nous saisissons la balle au bond ; nous ferons un crochet au Cap-de-l'Eau. Nous verrons le Cap-de-l'Eau et les Kebdana et nous filerons déjeuner aux îles Zaflarines pour rentrer le soir au Kiss. Le 2 février dernier, j'avais, sur la prière du caïd Arfouf lui-même, fait porter cinquante sacs d'orge au Cap-de-l'Eau par les Bocoyas, sur leur barque, le San-Miguel, avec une permission écrite du caïd, et rien n'était plus simple que de recommencer la même opération pour douze quintaux d'orge. A 8 heures, nous étions en mer, les deux balancelles côte à côte, filant au gré des rafales par une faible brise de terre. A 10 h. 1/2, nous étions arrivés par le travers de la Moulouya. A II heures, nous déjeûnons au galop. A II h. 1/2 nous armons le youyou de la Jeune Anna. M. Pouzet, Mansouri et moi, nous descendons à terre, sans armes, sans un revolver, avec le mousse du bord, le petit Jean Garcia, d'Oran. La Jeune Anna reste sous voile, au large, avec le patron, Abraham Attia, et les deux hommes du bord, Navarro et Lopez. Les Bocoyas seuls nous suivent, s'approchent de terre, carguent leur voile et mouillent le grapin du San-Miguel à toucher les rochers du Cap-de-l'Eau, au pied de la falaise. Larbi, le patron du San-Miguel, Molino et Feroco viennent nous rejoindre sur la plage pour attendre le caïd des Kebdana ; les deux autres Bocoyas, Allouch et Bottar, restent en mer à bord du San-Miguel. J'avais envoyé le premier Marocain venu prévenir Mimoun et le caïd. Je voulais leur parler à tous deux,


en même temps, pour obtenir du caïd Arfouf une permission en règle, relativement à l'orge que me demandait son cousin. A midi, Mimoun et Arfouf arrivent. Mimoun à pied et le caïd Arfouf à cheval, accompagné d'une quinzaine d'hommes et de trois ou quatre cavaliers. Salutations ordinaires, le bonjour usuel à Mimoun et au caïd, mais air embarrassé du premier, air furieux du second : « C'est moi qui suis le caïd, ce n'est pas Mimoun, s'écrie-t-il. Pourquoi Mimoun t'a-t-il écrit? Je ne veux pas que tu lui apportes de l'orge, c'est moi le caïd. » Je réponds que c'est parfait, et qu'alors nous partons. Je le salue, et nous allons au youyou pour embarquer et retourner à bord. Le caïd saute de cheval, fait un signe ; les Marocains se ruent sur les trois Bocoyas, Larbi, Molino et Feroco ; en un clin d'oeil ils sont liés et entraînés. Je me retourne, je cours au caïd, mais ce dernier avait bondi par la falaise sur le rocher, au pied duquel était ancré le San-Miguel. Le caïd, rouge de colère, braquait son fusil sur le pont, menaçant de tuer le premier de Bottar et d'Allouch qui bougerait. Embarqués dans lé youyou, Pouzet, le mousse et moi, nous nous étions portés au secours du San-Miguel. mais à peine quatre ou cinq coups d'aviron que Pouzet me criait de ne plus avancer, que le caïd allait tirer et nous foudroyer. A peine ces mots prononcés, deux Marocains sautent du rocher sur le pont du bateau et s'emparent de Bottar, le moins agile. Allouch, plus vigoureux, bouscule son Marocain, saute à la mer, pique une tête, plonge et vient reparaître auprès de nous, filant sous le youyou comme un marsouin. Mais le caïd avait fait feu sur Allouch qui lui


échappait ; le signal était donné : feu du caïd, feu des Marocains; nous étions à quarante mètres du SanMiguel; le mousse a son bonnet labouré par une balle, M. Pouzet a l'avant-bras gauche traversé, le youyou est criblé de balles. M. Pouzet tombe à la renverse, il a la hanche ouverte par une seconde balle ; le youyou, défoncé à tribord, se remplit d'eau et coule; impossible de nager plus longtemps, je largue les avirons et, me dressant debout, j'appelle la balancelle qui louvoyait au large, à six ou huit cents mètres, sans paraître nous apercevoir. Le youyou oscille comme une assiette dans une baignoire et s'enfonce. Nous voilà tous les trois à l'eau ; Pouzet et le mousse cramponnés à la carcasse du youyou, moi nageant vers la balancelle de toutes mes forces. Abraham venait de nous voir disparaître. Il vire de bord, laisse arriver, et fond sur nous comme un aigle avec une précision remarquable ; Lopez m'attrape par le bras, je grimpe à bord, j'empoigne Allouch, Navarro saisit M. Pouzet et nous voilà tous à le hisser sur le pont du yacht. Son bras gauche était transpercé par une balle, le radius tranché net ; par les deux petits trous que la balle avaient faits à la manche du veston blanc, sortaient lentement des filets de sang que la mer avait lavé et rendu rose. Toute la hanche gauche de son pantalon n'était qu'une large tache rouge sombre. Le veston blanc s'était, par une poche, accroché à une petite bitte de bronze du bastingage et nous avons un mal énorme à hisser complètement M. Pouzet à bord, sans meurtrir son bras haché et sa hanche en lambeaux. Ses mains longues et fines se cramponnaient à nous. Il souffrait le martyre. Quelques minutes après, il était allongé, immobile, dans la chambre du yacht. Mais le yacht avait filé, le mousse était resté à la traîne ; Abraham avait dû virer de bord pour ne pas courir sur les rochers ; le mousse était déjà loin der¬


rière nous, cramponné au youyou, criant, atterré, de ne pas l'abandonner, nous appelant, désespéré, pleurant, agitant les bras. Je lui criai d'attendre, de ne pas avoir peur, quand Abraham vira de bord. Nouvelle bordée, nouveau coup d'adresse; nous approchons du mousse, nous lui lançons une amarre. Le petit gars se cramponne, grimpe comme un chat, d'un bond saute à bord du yacht, tombe dans nos bras et se met à pleurer. Le mousse sauvé, en route pour les Zaffarines. Je rassure tout le monde sur l'accueil qu'on nous fera aux îles. M. Pouzet, tout trempé, avait une pâleur de cire; il restait immobile au fond du bateau, il était glacé. Du cap aux îles Zaffarines, deux milles, soit trois mille mètres ; le trajet ne dura pas un quart d'heure. Il nous parut interminable. A I heure 1/2, nous accostions au môle du port, au pied de l'île du Rey. Le Gouverneur général des îles, D. Pablo Artal y Abad le commissaire de guerre, ; D. Juan Laorden Fernandez; le docteur Vilaplana Gonsalez, et tous les officiers furent pleins d'empressement pour nous venir en aide et faire porter à l'hôpital nôtre malheureux compagnon. Des matelots apportèrent des couvertures, des sangles, des matelas; en un clin d'oeil, Pouzet fut rendu dans la lugubre chambrée où il devait encore avoir des lueurs d'espoir et tant souffrir. Chemise, tricot, manches, tout fut coupé pour mettre à nu les plaies de la hanche et du bras ; les membres et le ventre furent pansés et bandés, avec des précautions infinies, par D. Luis Casarez, l'aidemédecin de l'hôpital. Mercredi soir, à 5 heures, Pouzet était plus calme et rassuré. Il me pria de télégraphier à sa famille et à M. Gobert, le maire d'Oran, Jeudi matin, il allait assez bien. Au déjeuner, le docteur espérait qu'il ne se produirait pas de compli¬

l'


cation. A midi, il était très mal. A 2 heures, syncope ; le docteur frictionnait à outrance son côté qui ne battait presque plus. Son corps était blanc, d'un mat pur, et sur le coeur l'endroit frictionné était devenu rouge comme un ruban de la Légion d'honneur. Tout le monde pleurait. A 3 heures, il était mort ! Des complications intestinales étaient survenues subitement, il avait les intestins perforés ; des esquilles d'os et une balle Remington avaient labouré les entrailles en plusieurs endroits.

Vendredi matin, transport du cercueil à l'île de la Reine. Le gouverneur, tous les officiers, le Padre, l'équipage, tout le monde suivait, atterré. A 10 heures, nous pénétrions dans le quadrilatère aux murs lézardés, surmontés de la petite croix de fer que nous n'avions pas vue du Kiss, le mardi soir. Quand la cérémonie religieuse, imposante de simplicité, fut terminée, je fis apporter, par le maître d'équipage, les pavillons français et espagnol. J'ai voulu, en signe de gratitude pour le Gouverneur espagnol et pour les officiers, que Pouzet eût pour dernier oreiller les couleurs de la terre où, frappé par le Destin aveugle, et rendu au terme de sa dernière étape, il avait été entouré de soins si dévoués et de tant de sollicitude. Avec le pavillon français, nous fîmes un linceul dont les derniers plis formaient sur sa poitrine une croix avec un des plis rouges de la bandera espagnole. C'était la fin de ce drame poignant ! Revenus mornes et tristes à l'île du Rey, nous étions muets. Il faisait un brouillard épais, il fallait


songer au départ pour Oran et aux vivres pour la route. Nous remîmes au lendemain. Le soir, à 10 heures, une fausse joie intense ; on avait vu des feux, on avait cru voir les torpilleurs tant attendus. Puis, plus rien Mais la plage, de la Moulouya au Cap-de-l'Eau, s'était subitement toute embrasée de feux sur une longueur de six kilomètres et des nuées d'Arabes se profilaient. Les Espagnols avaient cru voir des torpilleurs, et maintenant ils disaient que c'étaient les Arabes qui mettaient le feu aux broussailles pour chasser les lapins. La nuit fut une anxiété mortelle. Au jour, un marin espagnol saute dans ma chambre. C'était bien les torpilleurs que l'on avait vus hier soir, mais de terre ils avaient été également aperçus et les Kebdana avaient allumé toute la côte pour y passer la nuit et surveiller la mer. Tout l'équipage vint dans ma chambre. Le mousse était radieux, il agitait son petit bonnet troué par les balles; il lui semblait, malgré le brouillard, que tous les matelots de cette petite escadre française avaient les yeux jetés sur lui et son bonnet, et le pauvre petit gars riait et pleurait nerveusement. Le Gouverneur espagnol, le premier, vint saluer les commandants des torpilleurs et leur rendit compte des démarches qu'il avait fait faire auprès du caïd des Kebdana par l'interprète des îles, don Eduardo Oses Garcia, et par le capitaine du port, don Gregorio Gallego. Ces deux officiers étaient allés deux fois au Cap-de-l'Eau pour ramener le youyou abandonné et tâcher de ravoir la balancelle et les Bocoyas; mais le caïd attendait des ordres du commandant du camp des Marocains, situé près de Mélilla. Le commandant des torpilleurs constata que la conduite du caïd avait été odieuse, et que les plus graves responsabilités pesaient sur sa tête, mais il n'avait d'ordres que pour ramener le corps de M. Pouzet et l'équipage de la Jeune Anna. !


Pendant les pourparlers, j'avais lu le nom des torpilleurs écrits en lettres d'or ; ils s'appelaient le Balny et le Déroulède, et ma pensée se reporta à vingt-cinq ans en arrière. Balny, enseigne de vaisseau, et moi, aspirant de marine, nous étions à Cherbourg, en 1873, embarqués sur le Destrées pour le Tonkin ; tous nous étions jeunes et radieux. Six mois après, Balny était massacré à Hanoï. Les Tonkinois lui coupaient la tête et les avant-bras avec leurs galons d'or pour les porter, piqués à des bambous, en trophées sanglants. Aujourd'hui, le Tonkin est terre française, et le Balny est l'un des torpilleurs qu'Oran admire dans son beau port. Oran, grande cité maritime, ne pensait pas aux jeunes officiers tués aux Colonies, ni aux larmes des mères ; elle ne voit plus que les jolis et fins torpilleurs, blancs comme des mouettes, aux noms écrits en lettres d'or et voilà que le Destin, aveugle ou mystérieux, vient de lui rappeler qu'une ville, aussi, est une mère en lui enlevant un de ses enfants. M. Gobert, maire d'Oran, a rendu hommage à Jules Pouzet en lui faisant présenter les armes par le Balny ; mais que ce rapprochement de noms et de destinées, si cruel qu'il soit, soit une leçon donnée par le Destin à la ville d'Oran et à son coeur de mère. Que cette grande cité ne laisse pas ses enfants inactifs se déchirer entre eux en luttes stériles. N'imitez pas les Kebdana se ruant sur leurs frères les Bocoyas. Ne vous divisez pas, unissez-vous pour être forts. Vous êtes le Far-West algérien. Vivez donc sur cette frontière de la grande vie coloniale, avec toutes ses joies comme avec toutes ses surprises, et ne vous laissez démonter par rien. Vous avez devant vous un champ immense ouvert


à votre énergie, à votre esprit d'aventures. Jetez les yeux vers le Maroc et sur cette côte, sur sa mer d'argent aux îlots bleus. Les grandes cités doivent marcher avec le soleil, de

l'Est à l'Ouest. Demandez à la Douane de quel droit elle ferme les plages de l'Ouest à votre commerce et aux transactions, faisant, depuis quatorze ans, perdre plus de soixante millions d'affaires au commerce maritime et au cabotage d'Oran. Jetez les yeux sur cette région merveilleuse de la Moulouya, avec ses trente mille hectares de plaine au bord de la mer, sur les gisements argentifères de Gharouban et du Djaber, sur les phosphates du Zendal. N'imitez pas Constantine à Tébessa, n'attendez pas qu'il soit trop tard. Multipliez vos caboteurs, armez vos balancelles, marchez vers l'Ouest, fécondez le Maroc avec vos capitaux, écoutez les leçons du Destin, et rendez votre grande cité maritime encore plus puissante, plus prospère et plus fière par votre initiative inlassable. Le nom de Jules Pouzet sera écrit un jour en lettres d'or, sur la coque légère de quelque torpilleur, mais n'oubliez jamais dans,quelles eaux et de quel côté le Balny, amené par Giraudet, sur l'ordre de votre Maire, est allé chercher le corps sanglant de Jules Pouzet, votre ami à tous, et le mousse Garcia, au petit bonnet troué. » Louis J.-B. SAY, Lieutenant de vaisseau de réserve. Voilà ce qu'a écrit Louis Say. Il y était. Tout est donc

vrai.

Mais il y a d'autres choses vraies, à dire, et que je veux dire, brutalement, quoique avec les restrictions...

nécessaires maintenant.


Certes, la haine d'Arfouf contre Mimoun, la colère d'Arfouf voyant Mimoun usurper son autorité ; Certes la vue des Bocoyas, de ces rebelles contre qui, peu de temps auparavant, les Kebdana avaient marché avec les troupes du Sultan pour une guerre d'extermination ; Cerles, cela suffirait pour expliquer les coups de fusil dans un pays où la poudre parle si facilement. Mais il y avait d'autres motifs à cette agression. Un véritable complot avait été ourdi. La lettre priant Louis Say de venir avait été écrite et était partie des Zaffarines. Et des influences venues du sol algérien avaient égale-

ment agi. Toute celle plage du Kiss, avant que Louis Say vînt y installer d'honnêtes gens, appartenait de fait aux pires bandits des trois régions-frontières, marocaine, espagnole et algérienne. Je laisse de côté les contrebandiers. A tout peser en équité, si nous analysons la mentalité de la généralité des hommes, si même nous scrutons bien la nôtre, un contrebandier peut ne pas être un bandit. S'il n'est que contrebandier, on peut le considèrer simplement comme une individualité en révolte contre les lois fiscales de la collectivité, comme un honnête homme qui n'aime pas la douane... quoi... ça arrive, et l'absoudre. A condition, toutefois, de n'être point un juge officiellement prié de statuer sur son cas. Mais malheureusement, surtout dans ces parages-là, un contrebandier est souvent doublé d'un voleur et même d'un assassin. Tout en faisant activement la contrebande par cette région du Kiss — et on en faisait, grands dieux ! Un commissionnaire d'Oran me disait, il y a environ deux mois, qu'il lui était impossible de placer un paquet de thé à. Nemours, Nemours ne buvant que du thé de contrebande, naturellement meilleur marché que ne peuvent le livrer les marchands d'Oran qui paient les droits — donc, tout en faisant la contrebande par la région du Kiss, certains honnêtes industriels, pour avoir bénéfices plus


grands que ceux que permettait l'importation de quelques paquets de thé, de quelques bouteilles d'anisette, ajoutaient à ces opérations de transit discret l'expédition non moins discrète des bestiaux volés dans la région. Quand des rôdeurs avaient subtilisé quelques boeufs autour des fermes de Nédroma, de Marnia, voire même de Nemours, un Marocain, bien connu, allumait un feu d'El Kelaa. promontoire Ce feu se voyait des Zafle sur farines. Et on le comprenait. Alors venaient des bateaux qui embarquaient, de nuit, le chargement, lequel retrouvait, quelques jours mis après, en vente à Mase laga. On en cuisait bien quelques morceaux à l'île de la Reine. Mais n'insistons pas. Et si vous voulez le nom d'un coupable en ces opérations, je vous donnerai celui d'un Marocain, le dénommé Zurlitto qui, voici quelques mois, éprouva le fâcheux désagrément de recevoir une balle et d'en mourir. L'installation de Say au Kiss apporta le trouble dans cette organisation qui fonctionnait si bien. Même plus que le trouble. Elle fit pincer des voleurs. Comme on ne pouvait plus embarquer au Kiss, on allait embarquer plus loin, sur territoire marocain, près du Cap-de-l'Eau. Une belle nuit, prévenu d'un passage, le pacha de la Casbah de Saïdiya chipa le convoi. On prétendit qu'il avait été prévenu par les Bocoyas de Louis Say, notamment par Allouch, lequel aurait été enchanté de jouer un bon tour à Zurlitto, à Darfouf des Kebdana... et à quelques autres. Cela est vrai. Et cela explique les coups du fusil du Cap-de-l'Eau, dans l'aventure où un malheureux hasard avait conduit l'infortuné Pouzet. Mais il y aurait, j'en suis sûr, encore des explications beaucoup plus intéressantes a découvrir si on voulait bien se donner la peine de les chercher avec la volonté de les trouver. Mon métier n'est pas d'envoyer des gens aux galères... Mais ça ne fait rien, il me semble que si j'étais


juge d'instruction, j'en trouverais quelques-uns pour

cet envoi. Mais n'insistons pas... C'est curieux, combien dans ce livre, j'arrive souvent à des découvertes et à des constatations nécessitant le n'insistons point !


CHAPITRE XXIII

Campagne pour l'ouverture des plages. — Pétition des ma— L'envoi d'Oran. des commerçants et Nemours rins de à Nemours. — La défense de Nemours.— Llabador (OrFanal. du Petit articles Les Nemours. de tave),avocat — de Nemours. municipal Conseil du délibération — Line Revoit protège Nemours. — Pourquoi Pourquoi — Etienne protège ses électeurs.

douloureux incident qu'on ne manqua point d'exploiter pour condamner le Kiss, n'arrêta point Louis Say dans son oeuvre. Il réunissait les marins de Nemours (car les marins, de des oeuvre) trouvaient intérêt à gens avec son eux, Marnia, de Tlemcen et d'Oran dans une pétition en fale 15 avril, l'adressait, des plages, et de l'ouverture veur général, remise d'Oran, préfet gouverneur au pour au voici forme la : que sous Ce

MONSIEUR LE GOUVERNEUR GÉNÉRAL,

Nous soussignés, marins, pêcheurs, ouvriers du port de Nemours, gens de mer, gens des escales, Français ou Arabes, adoptant les conclusions générales du rapport de M. Louis Say, lieutenant de vaisseau de réserve, sur la mort de M. Jules Pouzet et sur les plages de la frontière du Maroc, où nous devrions


plus souvent montrer notre pavillon, nous avons l'honneur de vous demander l'abrogation de la Circulaire du 3 octobre 1887, en vertu de laquelle la Douane a fermé radicalement les trois plages où nous allions successivement et périodiquement travailler au chargement des navires. Nous avons le ferme espoir que tous les grands négociants de Nemours et que tous les armateurs et marins du port d'Oran se joindront à nous. Depuis quatorze ans cette circulaire de la Douane entrave toutes les opérations commerciales et arrête tout mouvement des navires français sur des plages françaises. Depuis quatorze ans cette circulaire a occasionné pour les affaires algériennes sur la frontière du Maroc une perte globale de plus de cent millions de francs, au détriment des ports français de Nemours et d'Oran et au bénéfice du port espagnol de Mélilla par des vapeurs anglais ou allemands venant de Gibraltar. Les principales raisons qui nous font, en outre, nous préoccuper, à si juste titre, de la frontière du Maroc, sont: 1° L'importance commerciale de tout le Maroc oriental ; 20 L'étendue du bassin de la Melouya avec ses 400,000 hectares de plaines ; 30 Le nombre des grandes agglomérations à desservir et à approvisionner, telles que les Beni-Snassen,. les Triffa, les Kebdana et les Oulad Mansour, 40 La valeur incalculable des gisements miniers,, plomb argentifère, cuivre ou phosphates des massifs montagneux de Ghar-Rouban, du Djaber, du Zendal, du Tafoural et des Kebdana ; 5° L'exportation possible de cinq cent mille moutons et de cent mille boeufs pouvant être embarqués directement par les plages françaises, sans parler deslaines, de l'alfa, du crin végétal et des céréales ;


nécessité, enfin de voir s'arrêter et se charger, sur nos propres côtes, nos propres caboteurs ou navires côtiers, tels que : le Rosario, la Norma et le Zénith, obligés, depuis quatorze ans, de passer au large de notre littoral pour aller à Mélilla compléter leur chargement avec des produits du Maroc qu'ils pourraient embarquer au Kiss. Au nom des intérêts du port de Nemours et du grand port d'Oran, dont les gros navires ont besoin d'être alimentés par toutes les petites plages du littoral et par tous les petits navires de la côte, et au nom de notre grand Commerce national, qui a besoin de débouchés continuellement grandissants, nous avons l'honneur, M. le Gouverneur général, de vous demander de nous ouvrir entièrement ces trois plages du Sel, du Bieder et du Kiss, que nous voudrions voir féconder par des capitaux français, et où nous devons assurer la sécurité de nos personnes et de nos intérêts par notre initiative, par notre présence et par notre nombre, au lieu de déserter la place et fuir la lutte. Nous devons savoir comprendre la portée des indications que M. Say nous a données dans le rapport que l' Echo d'Oran a publié le 10 avril courant sur la mort de Jules Pouzet et la frontière du Maroc. Nous devrions voir la direction des routes qu'il nous a montrées et ouvertes sur la frontière de l'Ouest par son exemple, son énergie et sa témérité. Sur cette frontière la témérité est une force, l'insouciance serait une faute grave. Nous ne devons pas laisser tomber dans l'oubli le nom de Jules Pouzet, blessé mortellement aux côtés de M. Say, le 3 avril dernier, dans le youyou de leur yacht. Nous devons écrire son nom en lettres d'or sur la coupe légère d'un beau torpilleur blanc, plus agile que la Balny, plus infatigable que le Déroulède, et la mort de Jules Pouzet aura pour l'Algérie des conséquences pratiques, fécondes et glorieuses, si nous sa¬ 6° La


vons avoir réellement à coeur l'expansion de notre commerce, le développement de nos relations maritimes avec le Maroc, et la suprématie de la France sur toute cette partie du littoral de l'Afrique du Nord. Veuillez agréer, Monsieur le Gouverneur général, etc. Suivent 84 signatures, parmi lesquelles nous relevons : A NEMOURS: MM. Alfredo RASTOL, patron de la Candelaria ; Julien RASTOL ; Salvador ROUGET ; Paul et Louis CAIRE; OUKRAT; DARMON ; ROUMY père ; ZURITA, et 42 noms d'ouvriers du port, français ou arabes. A MARNIA ; MM. SOUIN, le fils du Commandant de Saphis; Pierre LEROY, directeur des Messageries nationales; FOURCADE et JEANNOT, les deux conducteurs bien connus du courrier de Nemours à Tlemcen. A TLEMCEN : M, A AYME, l'ancien banquier, au nom de la liberté commerciale. A ORAN : MM. GOBERT, maire d'Oran, au nom des intérêts maritimes de la ville; E. POURTAUBORDE, qui a déjà fait en 1886 des affaires considérables au Kiss ; CASTANIÉ et CHARBER, propriétaires de l'Espoir et de la Norma ; OSER, propriétaire du Zénith, etc, ; SCOTTO et Cie, propriétaires du Rosario et du Georges Henri ; Charles JULLIAN ; PARENT, agent de la Cie des Transports Maritimes, etc. Diable Les gens de Nemours, habitués à dormir derrière leurs comptoirs en attendant la pratique, en attendant les Marocains et les Kabyles français, condamnés à leur clientèle forcée, après de longues marches forcées à travers des montagnes dont la traversée exige vraiment des forces, les dits dormeurs de Nemours se trouvaient dérangés dans leur somnolence par cet aventureux explo¬ !


rateur... aussi eurent-ils

s'empressèrent-ils d'appeler le trouble-sieste un aventurier. Un aventurier. Ils le dirent immédiatement. Ils ne tardèrent pas longtemps à l'écrire... mais avec des formes, car « l'aventurier », bien que portant le nom pacifique des Say, avait tout ce qu'il fallait pour se faire respecter. Tout d'abord, ils protestèrent sur le fond de la question, qui était la « réouverture des marchés de la frontière marocaine ». Le 13 avril, leur porte-plume, un licencié en droit, un bon Français, tout à fait qualifié pour parler au nom des vrais intérêts français, M. Llabador, écrivait de Nemours au Petit Fanal, qui insérait, le 17 avril, cet article remarquable, et que je reproduis avec plaisir comme un excellent document : le réveil grognon et

Monsieur le Rédacteur en chef, J'ai lu, avec beaucoup d'intérêt, le compte rendu de l'entrevue de M. Gaston Serres avec M. Say l'un des héros de la douloureuse et lamentable aventure dans laquelle l'infortuné M. Pouzet a trouvé la mort. Je me fais aujourd'hui un devoir de rendre un pieux hommage à sa mémoire, mais j'ose espérer que ce regrettable et nouvel exemple, servira à l'édification de tous ceux qui auraient pu croire un seul instant que la sécurité est aussi grande sur la frontière marocaine que sur le boulevard des Italiens à Paris. Et, puisque d'une part, au cours de cette entrevue, mon nom a été prononcé et écrit dans les colonnes de votre estimable journal, et que, d'autre part, M. Say prête aux négociants nemouriens sur cette question de la réouverture des marchés de la frontière marocaine, des sentiments, des opinions, des aspirations qu'ils n'ont pas, qu'ils ne peuvent pas avoir, permettez-moi, monsieur, à ce double titre de me faire aujourd'hui l'interprète des véritables sentiments des intéressés sur la question, et de prendre


la défense des intérêts généraux de notre région, intérêts qui ne sauraient être sacrifiés au profit exclusif de quelques intérêts particuliers. Et d'abord, en ce qui concerne la sécurité, je puis affirmer sans crainte d'être contredit par personne, qu'elle n'a j amais existé, bien que les plages du Kiss, de Béder et du Sel aient été constamment ouvertes au commerce, de 1866 à 1887, c'est-à-dire pendant plus de vingt ans et pourtant jamais, pendant cette période, les yachts, les bateaux de plaisance, les petites embarcations ne sont venus visiter ces plages et jamais des abris n'y ont étés créés ; on savait trop

bien à quels dangers l'on s'exposait. La sécurité n'y a rien gagné, bien au contraire : les quelques commerçants qui, pendant cette période, ont cherché à négocier avec les populations de ces sinistres lieux, y ont trouvé, pour la plupart, la mort. C'est ainsi que le 15 septembre 1873, mon oncle, M. Sébastien Llabador, était odieusement assassiné avec son gardien sur la plage du Kiss et dépouillé d'une somme de sept mille francs. La justice informa, mais fut impuissante à découvrir les auteurs de ce double crime et de ce vol, qui restèrent impunis. Deux ans après, en 1875, trois malheureux marchands Israélites subirent le même sort sans qu'on pût jamais connaître leurs assassins. Plus tard, en 1880, le 30 septembre, à 7 heures du soir, un jeune homme de 28 ans, Napoléon Lantieri, envoyé sur la plage du Kiss faire des achats de grains pour le compte de la maison Dreveton, eut le crâne fracassé par une balle, alors que fatigué des travaux d'une laborieuse journée, il s'était couché, le soir venu, sur un tas de blé. Cette fois encore les auteurs de cet épouvantable attentat restèrent introuvables et toutes les recherches opérées, à ce moment, furent infructueuses. Quant au mobile de tous ces crimes c'était, vous vous en doutez, d'abord le vol et ensuite la haine de l'européen, de l'étranger quel qu'il fût,


qu'on traitait et qu'on traite encore avec le plus profond mépris. En voici d'ailleurs un exemple récent : Il y a deux mois, un groupe d'amis : M. Justin Sahut, le banquier avantageusement connu ici ; M. Hilbert, le sympathique vétérinaire de la conscription ; M. Philippe Baraquet et moi, nous allâmes en excursion au Kiss, où M. Say nous reçut avec toute l'amabilité qui le caractérise. Pris du désir de visiter la casbah de Saïda, nous nous dirigeâmes vers ce bâtiment, qui se trouve édifié à quelques mètres au-delà de l'oued Kiss, rivière qui marque notre frontière actuelle. Le chemin menant à la •casbah traverse cette rivière. Arrivés à cet endroit de la route, nous nous trouvons en présence d'une sorte de nègre, armé jusqu'aux dents, qui en gardait l'entrée. Nous lui demandons à traverser le ruisseau, dans lequel il se lavait les pieds, et à aller, visiter la casbah. Cette brute ne daigna même pas lever la tête et nous

fit un geste qui était suffisarnent significatif. Nous n'avions plus qu'à rebrousser chemin ; c'est ce que nous fîmes sans murmurer. Vous avouerez avec moi que ce sont de bien tristes constations à faire. Quoiqu'il en soit, ému par tous les crimes qui se commettaient sur ces plages et, saisi d'une pétition formée par de nombreux habitants de Nemours tendant à obtenir, d'une part la suppression des marchés de la frontière et, d'autre part, le retrait des autorisations accordées pour les embarquements et expéditions sur ces mêmes plages, M. le Gouverneur général, par une circulaire, en date du 13 octobre 1887, ferma ces plages au commerce. Quelques spéculateurs protestèrent bien un peu, mais la majorité de la population ici applaudit à cette sage mesure. C'est précisément cette circulaire qu'on cherche aujourd'hui à faire rapporter, dans un but que je ne veux pas connaître.


Dans un prochain article, je vous dirai quels sont actuellement les sentiments des véritables intéressés sur la question et quelles conséquences désastreuses aurait pour nous, nous tous habitants de Nemours, Marnia, et Nedromah, la réouverture de ces marchés de la frontière ! Octave LLABADOR, Licencié en droit.

Puis c'était, le 19 avril un long article où le conseil municipal de Nemours entrait en lice... galamment. Louis Say, par ces marchands, était traité de « spéculateur», avec une nuance de mépris qui donnait à ce mot le sens d'aventurier qu'on n'osait imprimer... mais qu'on disait. MONSIEUR LE RÉDACTEUR EN CHEF,

dernier mot sur la sécurité à la frontière depuis la fermeture officielle des marchés en 1887. Depuis cette époque, en effet, et jusqu'à il y a huit mois, personne n'avait songé à aller élire domicile dans ces lieux de désolation et de mort. Seul M. Say vint installer dans dernier s'y mois de septembre un au but que tout le monde connaît aujourd'hui. Cette installation a d'ailleurs été vue d'un fort mauvais oeil par les indigènes de ces régions qui lui manifestèrent clairement leur hostilité il y a un mois à peine en faisant feu sur son malheureux cheval ; la balle vint se loger dans la région de l'épaule, fracturant le bord supérieur du scapulum. Pour qui connaît bien les moeurs de ces populations, il est évident que cet attentat sur la bête constitue un salutaire avertissement pour le propriétaire, une sorte de congé signifié sans exploit d'huissier. Je crois M. Say trop intelligent pour ne rappelle la qu'il En compris. l'avoir tout se cas, pas triste fin de M, Sébastien Llabador en 1873, des trois « Un


marchands israélites en 1875, de M. Napoléon Lantièri en 1880 et de l'infortuné Pouzet tout récemment. J'en arrive maintenant au point capital : les conséquences de la réouverture des marchés de la frontière au triple point de vue de la salubrité de la diplomatie et surtout du commerce (1) D'abord en ce qui concerne la salubrité, il n'y a pas d'endroit où la fièvre règne avec plus d'intensité et fasse plus de victimes(2). La plaine du Sig en 1855 n'était rien en comparaison de cette nécropole. (1) Sans doute le lecteur pensera que je fais beaucoup d'honneur à ce licencié en droit de Nemours en reproduisant ainsi intégralement sa prose... mais il s'agit de documents. Et j'ai une méthode. L'expérimentale. Pour montrer ce qu'est une polémique algérienne et à quoi peuvent s'accrocher les grands intérêts d'avenir d'une grande nation dans ses relations économiques avec un peuple voisin, j'estime que résumer en expliquant ne vaut pas citer. On aurait trop de peine à me croire... Et c'est tellement beau, cette logique de ces gens de Nemours qui prétendent 's'opposer au progrès, et qui trouvent un homme d'Etat pour les servir et

cette tâche. (2) Cela est absolument faux. La plage du Kiss est saine. PortSay est dans une situation de parfaite salubrité. Ou prend la fievre au Kiss lorsqu'on veut y vivre dans des conditions d'hygiène absinthée, alcoolisée, a), qui partout ailleurs tuent. On y prend la fièvre lorsqu'on veut y vivre sans abri, exposé le jour au soleil, la nuit au refroidissement. J'ai vu des installations d'acheteurs de blé qui me faisaient trouver extraordinaire que les malheureux me fussent pas morts.

Principalement la partie Est de Port-Say, les deux plages de Moscarda et de Chétih en même temps qu'elles constituent un des plus admirables et des plus pittoresques paysages de l'Afrique du Nord, ont une situation hygiénique telle que l'on devrait y installer de suite un sanatorium pour les gens fatigués par les postes de l'intérieur. Cela je l'écris non pas en journaliste mais en médecin qui a exercé pendant de longues années la médecine coloniale et qui s'est particulièrement occupe dans toutes nos colonies, sur place, de ces questions d'hygiène exotique. (a) L'alcool doit être absolument prohibé dans la vie coloniale. Même dans la vie algérienne qui est une vie coloniale. Du vin, modérément. Et quand on veut un tonique, du vin Marinni. C'est mon système. Et ceux qui nie connaissent peuvent se rendre compte qu'il est bon, car je me porte bien après les plus pénibles et les plus fatigantes « campagnes » coloniales.


Les habitants de Nemours en ont d'ailleurs fait la

triste expérience, et les malheureux trafiquants qui, avant 1887, ont habité ces régions en sont revenus abattus, malades, minés par une fièvre, un impaludisme qui ne pardonne pas. Je pourrais citer des noms à l'appui de mes affirmations, mais je préfère les taire, de peur de réveiller de trop nombreux et trop douloureux souvenirs. Dix années de travaux d'assainissement suffiraient à peine à rendre habitable cette succursale du Père-Lachaise qu'on cherche à transformer en colonie française par l'abrogation de la circulaire du 13 octobre 1887. Cette obligation aurait donc pour résultat immédiat d'obliger les maisons de commerce à se transporter ou à envoyer des agents dans ces sinistres lieux où les malheureux contracteraient les germes de la lièvre, de la maladie, de la mort. C'est ce que M. le Gouverneur général ne permettra pas, j'en suis certain. Au point de vue politique et économique, ces conséquences sont encore plus désastreuses. A ce propos je ne puis mieux faire que de reproduire ici textuellement les considérants et les attendus du voeu que le Conseil municipal de Nemours a émis sur la question, dans sa séance du 21 mars dernier. « Le président expose qu'il tient de source certaine que M. Say, qui a acquis sur la plage du Kiss, à proximité de l'ancien marché de ce nom, des terrains de culture (1) qu'il cherche à utiliser en y installant une petite colonie dont le recrutement effectué en dehors de tout contrôle serait certainement à examiner de très (1) Notons en passant que ce que Llabador Octave appelle une plage à fièvre, une succursale du Père-Lachaise, le Conseil muni-

cipal de Nemours, qui ne suneille pas assez soigneusement ses expressions, l'appelle lui des terrains de culture... Toute cette plage du Kiss est effectivement des terrains de culture où poussent les céréales, à quelques mètres du rivage de la mer. On ne saurait mieux en affirmer la salubrité qu'en constatant que ce sont « des terrains de culture ».


près, et occasionnera probablement plus tard des désagréments et le renouvellement des crimes qu'on a eu à déplorer en 1873,-1875 et 1880, fait des démarches pour obtenir l'autorisation d'effectuer des embarquements au Kiss et d'établir des chantiers sur cette plage « Que, bien qu'il ait fait connaître à M. Say le sentiment de l'autorité supérieure au sujet de cette installation dont s'était déjà émue l'autorité militaire, ainsi que M. le Gouverneur Général, celui-ci n'en a tenu aucun compte, non plus que des embarras que pouvait susciter la dite installation par suite des conflits avec les indigènes dont l'hostilité s'est déjà manifestée par des coups de fusil tirés tout dernièrement sur son cheval. «Que ces embarquements au Kiss et que cette installation de chantiers sur ce point, s'ils étaient autorisés, auraient des conséquences désastreuses pour la ville de Nemours. L'expérience faite il y a quelques années a en effet surabondamment prouvé que la dite installation serait la ruine complète non seulement de la région de Nemours, mais aussi de celle de Nédromah et de Marnia dont la prospérité commerciale s'est affirmée d'une façon constante depuis la suppression, en 1887, des chantiers dont il s'agit, prospérité qui s'est même étendue jusqu'à Tlemcen, qui a profité dans une large mesure de cette suppression. « En dehors de cette question, il n'est pas nécessaire qu'il fasse remarquer combien la surveillance des embarquements et débarquements au Kiss serait difficile, et combien, malgré les promesses faites, assuret-on, par M. Say d'établir un poste de douane à ses frais, la contrebande alimentée par les barques espagnoles, dont quelques-unes viennent de la côte marocaine, et à de fréquentes reprises, fournir aux besoins de l'embryon d'installation de M. Say, trouverait de facilité à s'exercer sur une grande échelle(I). Cette question de contrebande est une de celles sur quoi la douane algérienne base son opposition au développement de (1)


Conseil d'émettre Il conséquence au propose en « un voeu formel pour que la création des chantiers du Kiss et de Bider projetée par M. Say et quelques négociants peu soucieux de la sûreté et de la vie de leurs employés sur ces plages peu abordables, où régnent des fièvres incurables, ainsi que la ruine géPort-Say. Et cela prouve que dans la douane algérienne il y a autant d'imbéciles que dans le Conseil municipal de Nemours (Imbécile n'est pas une injure. C'est un mot français qui vient du latin et dont le sens exact est faible, faible de jugement ; cela dit pour les gens de Nemours.) D'imbéciles ou de gens de mau vaise toi. Il n'y a en effet que ce choix. Sans rappeler ce qu'on a lu plus haut, ce qui est de notoriété publique en Algérie, sur la frontière, à Melilla, aux Zaffarines et même à Malaga, que la plage du Kiss après la fermeture de 1887 était devenue une plage à contrebandiers et à voleurs de bestiaux, et que l'installation de M. Say en a éloigné ces peu recommandables clients. Les coups de fusil du Cap-de-l'Eau viennent de là, nous l'avons démontré. Mais sans même rappeler des faits, est-ce que la plus simple logique ne permet pas de dire que la contrebande sera toujours moins facile sur une plage habitée, sur une plage devenue grand centre commercial, avec un port, que sur une plage inhabitée et abandonnée aux seuls rôdeurs ? Pour prétendre que des opérations commerciales, régulières, au grand jour, dans un centre où tous les honnêtes gens pourront s'établir, où la douane aura en même temps que ses agents, tous les amis qu'il lui plaira d'avoir, pour prétendre que cela favorisera la contrebande, il faut vraiment, comme dit l'autre, jouir d'une bonne santé ou d'un toupet... Encore une note sur cette question contrebande. Amusante. J'ai causé avec des fonctionnaires espagnols des Zaffarines et de Melilla. Je leur ai parlé de nos douaniers qui avec leurs embarcations « font la côte »— Des contrebandiers m'ont dit les Espagnols. J'ai ensuite causé avec nos douaniers de ces mêmes Espagnols qui sous prétexte de ravitaillement, de promenade, etc... viennent au Kiss. — Des contrebandiers m'ont dit les Français. Et d'une partr-comme de l'autre les histoires de pleuvoir ! Fautil ajouter que je n'en crois pas un mot. Je répète les accusations comme documents de mentalité, montrant quelles sont les relations sur ces frontières. Voilà tout. Et surtout quç la douane n'aille pas gémir que je l'accuse. Comme je voyage beaucoup, je tiens à demeurer un ami pour la douane, pour toutes les douanes.


nérale du pays soit rejetée par l'administration supérieure. » « Le Conseil. « Attendu qu'il importe avant tout de favoriser le commerce d'une ville déjà créée et du canton tout entier en y amenant le plus de trafic possible. « Qu'en autorisant les embarquements sur les plages du Kiss et et de Bider et la création de chantiers, on enlèverait la plus grande partie du trafic commercial qui se fait actuellement à Nemours et qui permet de vivre à un grand nombre de petits commerçants et d'ouvriers et assure la prospérité du pays, les Marocains qui viennent vendre leurs denrées et marchandises achetant en retour des produits manufacturés français et cela pour favoriser uniquement un ou deux spéculateurs dont l'intérêt particulier général de l'intérêt primer toute une doit ne pas région. surveillance, la facileoutre Considérant que en « ment assurée dans notre ville où existent déjà des brigades de douane et un service de police bien organisé, deviendrait à peu près impossible malgré toutes les mesures prises sur ces points de notre frontière ; « Que l'on a déjà été obligé en 1887 de supprimer les embarquements qui s'y effectuaient et les chantiers qui s'y étaient installés, les plages en question étant devenues un véritable nid de contrebande ; réinstallation la de ces chantiers Attendu que « nous occasionnerait journellement des conflits avec les autorités marocaines et amènerait assurément (1) est toujours dangereux de faire concurrence aux somnambules : le conseil municipal de Nemours voyait des drames... Des milliers de Kabyles et de Berbères ont fréquenté le Kiss pendant les deux campagnes 1901 et 1902... Il y a eu dix chantiers d'achat. Port-Say en 1902 a eu la vie la plus active. On en verra plus loin la chronique. Et il n'y a pas eu le moindre assassinat. Et il ny en aura pas aussi longtemps qu'on n'en voudra pas. Je souligne, car je suis renseigné, à bon entendeur salut. Et si jamais du (1) Il


le renouvellement des assassinats qui se produisaient à l'époque des installations antérieures à 1887 et dont on tente le rétablissement ; « Considérant qu'il importe d'appeler l'attention éclairée de l'administration supérieure sur les inconvénients et les dangers de la création à nouveau de chantiers au Kiss et à Bider et des embarquements effectués sur ces plages, ainsi que sur la situation désastreuse qui en résulterait au point de vue du trafic commercial et de la prospérité en général pour la région entière et surtout pour la ville de Nemours, dont ce serait la ruine complète et à brève échéance ; « A l'unanimité, émet de la façon la plus instante le voeu que l'arrêté gouvernemental de 1881 prohibant les embarquements ainsi que l'établissement de chantiers au Kiss et au Bider ne soit pas abrogé, que la mesure qu'il édictait soit absolument maintenue et que par suite la situation actuelle ne soit pas modifiée et prie son président d'appuyer aussi vivement que possible auprès des pouvoirs publics le voeu présentement émis, qui sera certainement examiné avec bienveillance par M. le Gouverneur général dans sa sollicitude pour les intérêts généraux du pays. » Tel est le voeu du Conseil municipal (1) de Nemours, qui est l'expression même des sentiments de tous les habitants du pays. J'ose espérer que M. le Gouverneur général en tiendra compte. sang coule... je sais faire les enquêtes, le l'ai prouvé. Eh bien je reviendrai. Et je trbuverai moi, les responsabilités. Et nous reprendrons alors l'affaire du cap de l'Eau. (I) La municipalité de Nemours n'a d'ailleurs, dans la pratique, négligé aucune occasion d'être hostile aux progrès du Kiss. Le maire M. Fenouil refuse à Louis Say les autorisations d'achat de poudre (pour ses carriers) sous prétexte que le Kiss dépend de Marnia. Mais cela n'empêche pas le même maire de toucher pour la caisse municipale de Nemours six sous par quintal embarqué au Kiss. Pour prendre l'argent du Kiss Nemours estime que le Kiss dépend de Nemours...


On voit donc par ce qui précède, quelles conséquences ruineuses pour toute la région de Nemours, Nédromah et Marnia, quels inconvénients, quels dangers de toute nature aurait la réinstallation des marchés de la frontière. Il est donc impossible qu'en présence de semblables résultats M. le Gouverneur général songe jamais à rapporter la circulaire du 13 octobre 1887, dont l'abrogation ruinerait toute une région au profit d'un ou deux spéculateurs. D'ailleurs, pourquoi aller au Kiss, à-Bider trafiquer, en dehors de tout contrôle, de toute surveillance, avec les Marocains, puisqu'ils viennent ici vendre leurs denrées et leurs marchandises et s'approvisionner de tous les produits manufacturiers dont ils ont besoin ? Est-ce que depuis 1887, c'est-à-dire depuis quatorze ans, les transactions commerciales avec nos voisins du Maroc ne se sont pas opérées ici normalement, régulièrement, loyalement, sans qu'il ait été nécessaire d'aller les effectuer à la frontière même ? Il y a tout simplement dans cette tentative de réouverture des marchés de la frontière une affaire de spéculation que je signalerai à l'attention des pouvoirs publics dans un prochain article. En attendant, je m'empresse de vous faire connaître qu'une imposante manifestation de toute la population commerciale et ouvrière de Nemours a parcouru aujourd'hui les rues de la ville en protestant avec indignation contre toutes les démarches tentées en vue de la réouverture de ces marchés. D'ailleurs, tous les habitants de la région, avec un ensemble qui témoigne du souci de leurs intérêts, viennent de signer une vaste pétition qui va être transmise à M. le Gouverneur général et au Conseil général d'Oran. OCTAVE LLABADOR,

Licencié en droit,


Dans un autre article le, déjà nommé, Llabador revenait à la charge et. dénonçait le crime de Louis Say (1). Louis Say faisait de la spéculation Louis Say avait l'intention de gagner de l'argent tout en créant à la frontière du Maroc, un marché et un port exigés par les conditions géographiques de la région. Louis Say ne voulait pas s'y ruiner Il devenait du coup un être vil, méprisable, à dénoncer à l'indignation publique et à la vigilance des pouvoirs publics, protecteurs de la morale publique... et Llabador le dénonçait vertueusement, Llabador, l'avocat d'une ville où jamais il n'y eut un spéculateur, où jamais personne n'a songé à gagner de l'argent dans une entreprise quelconque, où jamais personne n'a eu l'indélicatesse de vouloir à travail bénéfice... Etienne, que diable, n'a cependant pas pu faire des fonctionnaires d'eux tous, ni les alimenter tous aux dépens du budget ! Il s'est bien arrangé pour leur faire payer six sous du quintal par tous les acheteurs de céréales au Kiss. C'est quelque chose... mais peu... admettons qu'ils sont tous apôtres et qu'ils vivent de la rosée céleste comme les saints du désert, sans être obligés de gagner de l'argent comme les vils spéculateurs de l'acabit Louis !

!

(I) Un mot délicieux d'une grande dame, à Paris. Louis Say parlait de cet avenir dont une part est déjà réalisée, de cet avenir si beau .. La paix assurée dans ces régions troublées, la civilisation apportée par le commerce, etc... etc... un port, une ville, l'activité honnête, le travail fécond là où dans les brousses sauvages... etc... etc... Et la grande dame admirait. — « Que c'est beau d'être apôtre. . » — « Mais, riposta notre ami, car en français ce mot apôtre, même dit par une jolie bouche, prend toujours une signification presque désobligeante, mais je suis en même temps qu'un homme de progrès un homme pratique, et j'entends bien ne me point ruiner au Kiss? » Alors, la dinde : « Oh ? vous tombez du piédestal... » Nous en avons comme cela quelques-unes et quelques-uns. Ruinez-vous, ne vous enrichissez pas en servant les belles, les grandes et nobles idées... vous êtes un imbecile. N'y perdez point votre argent, gagnez-en, vous êtes un spéculateur ou un vendu. Logique admirable !


Say et Cie... Llabador ne m'en voudra point de n'avoir pas dit y compania. Cet ennemi vertueux de la spéculation écrivait donc :

Monsieur le Rédacteur en chef, J'ai promis de vous faire connaître la véritable raison, la seule qui motive tout le bruit fait autour de cette question de la réouverture des marchés-plages et qui explique l'activité déployée, en l'occurrence, par certains pour obtenir l'abrogation de la circulaire du 13 octobre 1887. Je tiens parole aujourd'hui. Toutefois pour ne pas envenimer les choses, je ne ferai pas de personnalités et ne citerai aucun nom, me bornant simplement à éclairer l'opinion en présentant la question sous son vrai jour. La plage du Kiss proprement dite s'étend sur une longueur de 500 mètres et une largeur de 150 à 200 mètres environ. Elle est en quelque sorte fermée au sud et à l'est par une ceinture de collines, à pente raide, et, à l'ouest, par notre frontière, l'oued Kiss, véritable marécage où régnent des fièvres incurables. C'est sur cette langue de sable dénudée et malsaine et au milieu de peuplades hostiles et presque sauvages, qu'avant 1887, étaient installés les fameux chantiers où se faisaient dans des conditions de salubrité, de sécurité et de loyauté commerciale déplorables, les achats de céréales et les échanges commerciaux avec les marocains. Notez bien que de toute cette contrée, la plage du Kiss est, avec celles de Bider et du Sel, beaucoup plus petites d'ailleurs, les seuls endroits où l'on puisse s'installer, grâce à leur proximité de la mer. Dès lors, il devient évident que, si on abrogeait aujourd'hui la circulaire du 13 octobre 1887, ou les propriétaires actuels de ces terrains tiendraient le sort de tous les commerçants dans la main et ceux qui 1


voudraient une concession pour s'y installer et travailler se trouveraient dans la cruelle alternative, ou de payer le prix exigé ou de s'en aller. En un mot il faudrait passer par les Fourches Caudines (le mot a été dit) de MM. les propriétaires dont les exigences ne connaîtraient plus de bornes. Ceuxci pourraient même, au besoin, se réserver exclusivement le monopole du trafic le plus important, celui des céréales, en ne cédant leurs terrains que sous la condition formelle de ne pas se livrer à ce genre de commerce et le tour serait joué. Il s'agissait par conséquent d'acquérir une bonne partie de ce nouveau pays de cocagne et après cela,, faire abroger le circulaire de 1887 en invoquant avec le plaisir ineffable de contempler dans ces régions les charmes de la nature, dans toute la splendeur de sa virginité, la nécessité d'étendre nos relations commerciales avec le Maroc, l'intérêt général, supérieur de la France dans cette contrée, sa mission civilisatrice dans le monde et principalement au Maroc, que sais-je ?

C'est précisément l'exécution de ce plan, magistralement combiné, la réalisation de ces douces espérances que l'on poursuit aujourd'hui avec acharnenement, une chaleur, une opiniâtreté dignes d'un meilleur sort. Le but poursuivi ne sera, fort heureusement, pas atteint parce qu'il ne se justifie pas avec une bonne raison. Tous les échanges commerciaux, tout le trafic, tout le commerce que l'on pourrait faire sur ces plages avec nos voisins, dans des conditions déplorables d'ailleurs, tout cela se fait aujourd'hui normalement, régulièrement, sous le contrôle des agents du fisc et sous la surveillance de la police dans nos trois centres de Nemours, Marnia et Nédromah (1). (1)

Voilà encore qui n'est pas vrai. Llabador, tout comme son


Qu'y a-t-il donc, en l'état actuel des choses, qui puisse justifier le déplacement immédiat et brutal de tout le mouvement commercial d'une région de plus en plus prospère, si ce n'est le besoin, la nécessité de faire aboutir et réussir cette spéculation dont je viens de vous entretenir, spéculation qui non seulement porterait un coup mortel à toute une région en ne profitant qu'à quelques-uns, mais encore ne ferait avancer d'un pas ni la question de la colonisation ni la question marocaine. Il y a d'ailleurs en cette matière un dilemme duquel on ne peut sortir et que je développerai dans un prochain article. Nemours,

19

avril 1901. OCTAVE LLABADOR,

Licencié en droit, agent maritime. Octave Llabador est certainement un homme vertueux que la spéculation fait rougir ; un Français de vieille souche qui pleure à l'idée de voir galvauder le prestige français sur des plages inhospitalières où l'on doit supporter les avanies de nègres armés jusqu'aux dents; un grand écrivain et un grand électeur... mais c'est non moins certainement un avocat d'une logique toute spéciale. Nous venons de l'entendre condamner sonseil municipal, a eu tort d'essayer de faire concurrence aux somnambules. J'ai vu cette année au Kiss venir des caravanes de Kebdaniens du versant occidental de la montagne Kebdana, qui auparavant allaient à Melilla. Jamais ces gens-là n'avaient songé à aller à Marnia, et encore moins à Nemours — grands dieux ! — parce que c'était trop loin de chez eux et que pour aller à Nemours les routes sont trop difficiles. Mais ils viennent à Port-Say. De même beaucoup d'autres. Port-Say ne déplace pas un mouvement commercial. Il en crée

un.


l'entreprise, mettons pour lui faire plaisir lu spéculation du Kiss, sous le prétexte que la liberté d'acheter et d'embarquer des grains au Kiss, ce serait « le déplacement immédiat et brutal de tout le mouvement commercial d'une région de plus en plus prospère », celui des « trois centres de Nemours, Marnia et Nédroma », et nous allons l'entendre, dans un dernier article, le meilleur, le bouquet, prétendre qu'on n'a rien fait au Kiss jamais, que l'on ne peut rien y faire, qu'on n'y fera jamais rien. Lisez plutôt. C'est dans le Petit Fanal du 6 mai 1901.

Utile rectification Je m'étais bien promis de ne plus m'occuper de cette question des plages-frontière, sur la solution de laquelle personne aujourd'hui ne se fait plus d'illusion ; mais, en présence des renseignements, des chiffres fantaisistes qui ont été publiés récemment à propos du trafic et du mouvement commercial de ces plages, pendant la période qui va de 1867 à 1887, je crois de mon devoir de sortir de ma réserve et de faire connaître, dans l'intérêt de la vérité, les renseignements et les chiffres exacts, officiels. Les voici dans tout leur laconisme, mais aussi dans toute leur

éloquence.

mai 1883, jour du décès de M. Jules Dreveton, la maison Dreveton et fils n'installa de bascules au Kiss, qu'à trois reprises: D'abord en 1873, année où fut assassiné M. Sébastien Llabador ; puis en 1876 et enfin en 1880, année où elle vit son employé Napoléon Lantiéri tomber sous les balles De 1867 au

19

marocaines. Les chiffres des achats de céréales faits pendant ces trois années, par cette maison sont :


En 1875, douze cents quintaux; 2° En 1876, quatre mille quintaux; 30 En 1880, cinq mille quin1°

taux. Les maisons Boulang et Darmon n'installèrent de chantiers au Kiss qu'en 1875 et 1880, mais n'atteignirent jamais le chiffre d'affaires de la maison Dreve-

ton. En somme le chiffre total d'affaires de ces trois maisons réunies, les seules qui s'installèrent au Kiss de 1867 au 19 mai 1883, est de :

Pour 1874, douze cents quintaux; 20 Pour 1876, dix mille quintaux, 30 Pour 1880, douze mille quintaux Total, 23, 300 quintaux de céréales en seize ans ! De 1871 à 1873, la maison Dreveton avait essayé de faire de l'alfa à Chaïb-Rasso, mais elle dût abandonner ce genre de commerce par suite du manque de salubrité, de sécurité et du vil prix de cette marchandise. De 1867 à 1883, on ne connut jamais à Nemours les vapeurs « Rosario » et « Espoir », pas plus d'ailleurs que la maison Chaber et Castanié. Les registres de la douane sont là pour le prouver. Ces navires ne firent donc aucune espèce de service de notre côte. Le seul petit vapeur qui commença à établir un service — pas régulier du tout — entre Oran et Nemours fut le « Victor» appartenant alors à M.Hautran, mais je m'empresse d'ajouter qu'il n'essaya jamais d'aller s'ensabler sur la plage impraticable du I°

Kiss.

Les vapeurs « Rosario » et «Espoir», le premier à la maison Chaber, le second à la maison Gonzalve»

ne commencèrent leur service sur Nemours et Melilla

qu'en 1885-86. Continuons; En 1885, trois maisons seulement s'installèrent au Kiss : les maisons Dreveton, Boulang et Pourtauborde. A elles trois, elles réussirent à peine à faire cette année-là vingt mille quintaux.


En 1886, seules les maisons Dreveton et Boulang

allèrent acheter au Kiss. Le chiffre global de leurs affaires atteignit à peine trente mille quintaux. Ce lut là une année d'abondance exceptionnelle puisqu'en 1887 les maisons Dreveton, Boulang, Ducomneur et Llabador, installées toutes quatre au Kis, ne réussirent à dépasser ensemble le chiffre de 19.000 quintaux. Voilà les chiffres officiels ; nous sommes donc bien loin des 200.000 et 300.000 quintaux par an !! En 1878 M. Dreveton. alors maire et conseiller général de la circonscription fit deux voyages à Oran pour voir le général Cerès, alors commandant la subdivision et pour tâcher d'obtenir la fermeture de ces plages. C'est donc qu'il en avait compris déjà toute la nécessité. Le Conseil municipal de Nemours prit, à cette époque, plusieurs délibérations dans le même sens et ce n'est que par suite d'un malentendu que ces plages ne furent fermées au commerce qu'en 1887.

Remarquez bien que jamais depuis quatorze ans la douane n'a signalé la présence de bateaux anglais dans les eaux du Kiss ni de toutes autres plages de la frontière. Depuis quatorze ans, les indigènes du territoire militaire ne sont pas plus ruinés que ceux du territoire civil. Tous ceux qui connaissent ici le pays — et ils sont légion — savent comme moi que les quinze mille indigènes qui habitent ce territoire n'ont ni transfiguré le pays ni défriché leurs montagnes qui restèrent et resteront encore longtemps ce qu'elles étaient en l'an de grâce 1700. Que voyons-nous, au contraire, en 1888 et 1889, c'est-à-dire après la fermeture de ces plages ? Que les chiffres des affaires en céréales, à Nemours, doublèrent, triplèrent, atteignirent des proportions considérables. Tout cela fut acheté et chargé à Nemours,


sous les yeux de la police et de l'administration des douanes, sous pavillon presque exclusivement français, sans fraude ni contrebande d'aucune sorte, développant ainsi les transactions, les échanges commerciaux entre les vendeurs de céréales et nos marchands de produits manufacturés et apportant sinon la prospérité, tout au moins un certain bienêtre à toutes les classes de la population. Dans tout cela, on a omis de vous expliquer comment on travaillait au Kiss, avant 1887. Je tiens à réparer ce petit oubli, sans doute involontaire. La chose mérite d'être connue. Oyez plutôt : Un marocain arrivait sur un chantier avec une charge de blé, par exemple. Les achats se faisant, dans ce pays, à la mesure et non au poids, on mesurait la charge.

Cette opération terminée, l'acheteur déclarait avoir trouvé 10 décalitres ; mais immédiatement le vendeur, quoique conscient de son mensonge, affirmait en avoir Il et en exigeait le payement immédiat, non sans accompagner ses paroles de menaces, faciles à exécuter sur ces plages désolées et lointaines à 800 mètres de la frontière. Il fallait bon gré, mal gré s'exécuter. D'autres, poussant la bestialité encore plus loin, se livraient, sur la personne des acheteurs, à des attouchements ignobles Beau pays ! N'est-ce pas ? Mais je m'abstiens de tout commentaire, laissant aux lecteur le soin d'en tirer la conclusion qu'il lui plaira. Si j'ai tenu à faire connaître ces détails, c'est pour que l'on comprenne bien pourquoi on ne tient pas à aller travailler au Kiss. Si j'ai donné des renseignements et des chiffres officiels, c'est pour qu'on ne s'exagère pas l'importance du Kiss et qu'on ne s'illusionne pas sur les affaires qu'on peut y faire. Je m'en tiens, là pour aujourd'hui, me réservant de revenir sur cette question si le besoin s'en fait sentir. Octave LLABADOR, Licencié en Droit, Agent maritime. !


Çà, c'est la logique de Nemours.

Et c'est celte logique, qui, transmise par le député de Nemours au gouvernement de la République et au gouvernement général de l'Algérie, leur fait commettre des injustices et des illégalités en faveur de Nemours contre

le Kiss.

Si le député de Nemours était un illustre inconnu, un des X... quelconques du Parlement, il est certain que le

gouvernement ne mettrait pas des faux poids dans sa balance pour juger les deux causes, qu'il ne serait pas volontairement aveugle à l'évidence... Mais le député de Nemours c'est un « routier » des affaires parlementaires ; il a quelques tours et quelques secrets dans son sac ; il a vu passer tant de muscades, qu'il en est devenu quelque chose de puissant. Il est le leader colonial, il est vice-président de la Chambre. Il est l'ancêtre que les jeunes, que les nouveaux regardent avec attendrissement, vénèrent — je n'ai pas dit respectent — et dans un état social, troublé comme le nôtre, où les gouvernements ont toujours besoin des vieux lutteurs, que voulez-vous que pèse le droit du Kiss contre la tyrannie envieuse de Nemours, lorsque Nemours et ses trois cents électeurs implorent Etienne. On sait que l'hostilité d'Etienne est de mauvaise digestion pour les gouverneurs de l'Algérie. Elle en envoie à Washington et à Madrid, c'est vrai. Mais malgré tous les mérites que nous sommes unanimes à reconnaître en la personne de M. Revoil, peut-être serait-il moins facile d'en faire un ambassadeur. Alors, vous comprenez. Quand on tient à sa place, que l'on soit ouvreur de portières ou Gouverneur général, on ménage les gens qui peuvent vous faire perdre celte place. Et quand on parle Kiss à M. Revoil, il vous dit : « Arrangez-vous donc avec Etienne. » Et quand on va trouver Etienne pour lui parler Kiss, il répond : « Nous ne pouvons tout de même pas ruiner Nemours pour faire plaisir à Say. » Je vous assure que ces deux réponses m'ont été faites, à moi ; la première par M. Bou¬


logne me parlant au nom de M. Revoil, et la seconde par Etienne lui-même me parlant affectueusement. Car nous nous connaissons depuis longtemps. Il m'aime bien. Et je l'aime bien. Il m'avait certes prié de ne point publier ma visite et n'hésite Mais bien, qu'il dit. je l'aime je m'a comme ce pas une minute à lui désobéir en imprimant sa phrase. Elle fortifiera l'amitié, la fidélité, le zèle de ses électeurs de Nemours et lui en donnera peut-être d'autres. Il les aime tant... que d'amour, seigneur,en ces pages !... il les aime tant, qu'il n'hésite pas à leur sacrifier tous les avantages qu'un port au Kiss offre à l'Algérie et à la métropole. Et ces avantages, lui, les sait bien, lui qui a tant prêché pour Rachgoun... et qui n'est pas un imbécile. Car dans la défense de Nemours il ne dit pas que le Kiss est une oeuvre mort-née, qu'on n'y saurait rien faire. Il a vu la situation, même il l'exagère en disant Le Kiss forcera Nemours Nemours. Kiss ruinera le que à travailler dans des conditions plus modernes, voilà tout. Il n'y a que Llabador Octave pour oser affirmer qu'on ne peut rien faire au Kiss, sur « ces plages désolées et lointaines » où les malheureux Français sont exposés de la part des Marocains « à des attouchements ignobles ». Quand je vous disais que cet honorable licencié en droit est un homme vertueux... et qu'il y a quelque drôlerie dans la façon dont un polémiste de Nemours entend les questions d'économie politique ! Il est à vrai dire excusable, car j'ai entendu beaucoup de « personnages » m'en servir d'aussi « fortes » sur cette question du Kiss. Un, entre autres, que je ne désignerai pas, car il m'a donné quelques bons renseignements, et il est plutôt sympathique, avait presque des larmes dans la voix en ose disant qu'à vouloir faire quelque chose au Kiss on se ruinera. Plage charmante, délicieuse, plage à bains de mer, plage a sanatoria pour les fonctionnaires du Sud... mais plage à commerce... Non, Monsieur ! La Ruine! !


Le même grand personnage en avait par ailleurs

d'exquises. Lorsqu'il avail dit « la Ruine ! ! » il ajoutait. : « car il est impossible de faire du commerce honnête au Kiss ». J'ai fait répéter ; je croyais avoir mal entendu. C'était bien cela, hélas Du même, ceci, que dans celle partie de l'Afrique il n'y a de l'eau permettant cultures... qu'au sommet des montagnes. Rien à faire dans les plaines. fait c'était j'ai bien aussi Ça répéter et ! ce que — j'avais entendu, hélas ! ! Et quand nous avons parlé port... frontière Mais serait la Un il port. et comme sur — qu'il y a sur cette frontière, bien loin dans l'intérieur desterres, des ports francs, on serait bien obligé de faire, de Port-Say, le seul port vraiment port, aussi un port franc... et (je vous assure la vérité de ma citation) : monde, aux « ...Et, alors, ce port servant à tout le étrangers comme à nous, on ne doit pas le faire. » Je vous répète que cela m'a été dit par quelqu'un de très... conséquent. Sans discuter la question des « ports francs » de la frontière qui sont des marchés francs, on peut se demander en quoi la distance du marché à la mer peut bien modifier la situation que nos nationaux et les étrangers y ont respectivement. Que le marché soit à Marnia, c'est-à-dire à 60 kilomètres de la mer ou à Aoudjeroud, c'est-à-dire à 1 kilomètre de la mer, ou même au Kiss. à Port-Say, à 10 mètres de cette mer, en quoi donc cette plus ou moins grande proximité de la mer peut-elle modifier la nature légale, réglementaire, d'un marché. Je vois bien les modifications naturelles, c'est-à-dire que le marché naturellement le meilleur est celui qui, tout en étant sur la frontière, est le plus près de la mer, le plus près du port ; et que le marché naturellement le moins bon est celui qui en est le plus loin. Ça c'est l'évidence. Et c'est aussi l'évidence que la suppression des droits algériens d'octroi de mer peut régle¬ !

!

! !


mentairement porter aussi bien sur des produits qui pour gagner la frontière auront X ou Y kilomètres à faire par terre... Alors... Vous ne comprenez pas le raisonnement de mon grand personnage. Moi non plus. Et sans doute aussi, lui non plus. On serait parfois tenté de croire à une Providence ayant le temps de s'occuper de nos petites affaires terrestres, car il est notable et notoire que tous ces gens qui s'acharnent contre le Kiss le font avec une telle... mettons naïveté... que vraiment la tâche est trop facile à leur répondre, à leur prouver qu'ils ont tort. Il est vrai qu'au fond, d'avoir tort ou d'avoir raison, ça leur est égal puisqu'ils ont la force gouvernementale et croient qu'ils l'auront toujours... Ce qui n'est pas sûr. Malgré toute la force, malgré toutes les forces de tous les gouvernements possibles et imaginables, la Vérité finit toujours par triompher de l'Erreur. Elle y met quelquefois le temps. Mais le résultat final est fatal. Et nous le verrons.


CHAPITRE XXIV

Une série d'articles de Louis Say en réponse aux gens de Nemours et à leurs protecteurs. — Sa thèse. — Ses preuves. — Elles établissent l'excellence de son oeuvre A ces plaintes, à ces réclamations, à ces protestations, à ce charivari des gens de Nemours — car les échan-

tillons de leur galanterie, qu'on vient de lire, ne sont que mignardises fleuries en comparaison de l'agitation locale qui les tirait de leur sommeil pour les jeter dans l'épilepsie... vous savez, le brusque réveil, ça vous fiche des crises, quand on n'en a point l'habitude — leur fureur allait jusqu'à payer des gamins, des petits voyous arabes pour insulter Louis Say quand il passait dans les rues ; on lui jeta môme des pierres —à ce concert d'imprécations, que répondait Louis Say ? Une magistrale suite d'articles que voici, et que je reproduis intégralement, car ils éclairent toute la question dans sa vraie, dans sa juste, dans sa bonne lumière.

1

Toute l'Algérie connaît Marnia, le célèbre marché de notre frontière marocaine, où 200,000 moutons défilent par année, mais bien peu de Français, même d'Oran, ont parcouru cette partie triangulaire du


littoral oranais qui a pour sommet le Col du Garbous et pour base la mer, avec les trois plages du Sel, de Bieder et du Kiss, qui terminent à l'ouest notre côte algérienne. Ce triangle c'est le massif montagneux des Msirda, des Attiya et des Beni-Mengouch, en tout 15,000 Berbères intelligents, travailleurs, un peu flibustiers, comme tous les gens de frontière, mais remuants, actifs, cultivateurs comme tous les Kabyles et de plus négociants dans l'âme, par suite de leur voisinage avec les Marocains des Beni Snassen, des Triffa et des Kebdana. Depuis vingt ans, de 1867, à 1887, entraînés, stimulés, guidés par l'énergie et le génie commercial de Jules Dreveton, le fils aîné de l'ancien meunier du moulin de Sidi-Amar, qui surplombe Nemours, ces 15,000 indigènes avaient transfiguré leur pays, défriché leurs montagnes, irrigué leurs ravins. Pas un un pouce de leur territoire n'était inculte et leurs jardins, clos de figuiers de barbarie, étaient des jardins japonais. A la période agitée de la conquête avait succédé le calme et le travail ; la sape avait remplacé le fusil, leur combativité native s'était transformée en activité commerciale, ils étaient devenus producteurs et marchands de céréales. Jules Dreveton avait établi des chantiers sur les trois plages avec Darmon, Bacenti, Lantiéri comme agents et les Kabyles rayonnants descendaient de la montagne-et venaient à la côte apporter des monceaux d'orge et de blé. Nous verrons plus loin comment Nemours s'y est pris pour aider, encourager et récompenser ces indigènes. Bref, sous l'impulsion géniale de Jules Dreveton (mort en 1885), ces trois plages du Sel, de Bieder et du Kiss étaient devenues des centres commerciaux extraordinaires de vitalité et du mouvement.


D'autres négociants de Nemours (MM. Boulang, Justin Sahut, Bel Hadj, Cohen, Darmon frères, Choucroun, le boucher) avaient imité Jules Dreveton et s'étaient établis sur les plages, dans des baraques ou des gourbis et avec des bascules. Il s'embarquait environ 200,000 quintaux de céréales en moyenne par an. Les deux vapeurs d'Oran, le Rosario et l'Espoir, de MM. Chaber et Castanié, faisaient un service régulier. Ils venaient à Nemours se faire expédier en douane et de là partaient pour les plages en emmenant à la remorque les gondoles de Nemours et les 60 hommes de l'escale. Le Rosario et l'Espoir stoppaient devant chaque plage; les sacs étaient cueillis au passage en un clin d' oeil, enlevés, chargés et embarqués à destination d'Oran. Certaines années le total des embarquements s'est élevé à 300,000 quintaux de céréales, soit environ trois millions de fret de sortie, soit six millions comme chiffre d'affaires total sur une seule matière première. Les plages avec les céréales allaient dépasser BéniSaf avec son minerai de fer. C'est ce mouvement commercial des plages, c'est leur avenir et leur valeur, c'est l'importance des affaires qui s'y traitent, c'est la fortune rapide de Jules Dreveton qui ont suscité toutes les convoitises et fait germer l'envie. Jules Dreveton mort en 1885, Nemours s'est révélée. Au lieu de faire un port, des jetées, les gens de Nemours envieux de la prospérité des plages, ont tramé. Une cabale étrange s'est formée. Deux ou trois petits négociants retardataires qui ne trouvaient plus de place au Kiss, se sont ligués contre leurs devanciers, plus entreprenants, plus actifs ou plus heureux.


Evincés du Kiss, ils ont palabré et comploté.

Les Conseillers municipaux ont dû entendre des

conseils perfides. Et la douane a fait cause commune avec les évincés du Kiss, avec les envieux en retard contre les colons industrieux et audacieux qui avait eu l'initiative et l'énergie d'aller les premiers se fixer sur les plages du Kiss pour acheter des blés directement aux kabyles ou pénétrer commercialement au Maroc, pour étendre leur rayon d'action jusqu'à la Melouya. Il fallait une pétition. Elle fut vite inventée. Un ancien négociant de Marseille nouvellement arrivé à Nemours, était allé le dernier au Kiss ; il avait trouvé toutes les places occupées ; il avait trouvé le voyage long, il avait eu la fièvre, il était tombé de mulet, il avait déclaré que le Kiss était inhabitable et dangereux; son opinion était faite. Il pétitionna. Il crut peut-être bien faire et voulut sauver Nemours. Tous les cabaretiers et tous les évincés de Nemours signèrent la pétition. La Douane s'en empara. C'est là qu'apparaît le fameux rapport de M. Taillefer, l'inspecteur des Douanes que tout Oran a connu et qui fut mis à la retraite un an plus tard. C'est là que l'on voit le fameux rapport Taillefer, où pour tout argument contre les plages on ne trouve que le privilège dont jouissaient les premiers occupants. Et cela a suffi au Gouvernement général de l'Algérie en 1887. M. Du Champ signa un arrêté au nom du Gouverneur et les plages ont été fermées. La Douane avait chassé les premiers occupants. Elle avait réussi. Et depuis 14 ans, pas un navire français n'accoste

plus sur cette côte française ;


Depuis 14 ans, les courants commerciaux qui sétait établis ont dévié ; Depuis 14 ans, les vapeurs anglais de Gibraltar inondent par Melilla, port espagnol, toute notre frontière marocaine de produits allemands ; Depuis 14 ans, les indigènes de notre territoire militaire sont ruinés et bloqués dans leurs montagnes et pas une voix ne s'est élevée ; Depuis 14 ans, 15,000 indigènes se voient leurs portes de sorties sur la mer fermées brutalement par une circulaire et personne n'a osé protester. Bien plus voilà aujourd'hui tous les propriétaires de Nemours et le Conseil municipal qui se lèvent en bloc pour demander le maintien du blocus au lieu de s'indigner au nom de la liberté commerciale. Nous sommes étrangement surpris. Mais nous allons chercher quels pouvaient bien être les calculs, bons ou mauvais, étroits ou grandioses, du Conseil municipal de Nemours.

Il Nous avons voulu connaître la véritable cause du blocus occidental dont sont victimes les 15,000 indigènes du territoire militaire qui s'étend de Marnia à la mer, le long de notre frontière marocaine. Nous avons voulu savoir le vrai motif de l'acharnement si étrange, et si passionné, que mettent les habitants de Nemours, à vouloir nous persuader qu'il n'y a rien à faire sur la plage du Sel, ni sur la place de Bieder, ni sur la plage du Kiss, et pourquoi ces trois plages, fermées depuis 14 ans par la Douane, doivent désormais rester closes à tout jamais. La réponse ne s'est pas fait attendre ; les Kabyles ont parlé.


Ecoutez: Si la fameuse circulaire de la Douane, en date du 3 octobre 1887, n'est pas abrogée par le Gouvernement général de l'Algérie, les plages restent fermées; les 15,000 Kabyles des Msirda restent bloqués dans leur massif montagneux, et la mer, qui déferle au pied du Zendal, leur est interdite. Leurs trois portes de sortie vers le nord sont murées et le seul moyen qui leur reste pour vendre leurs récoltes, c'est de porter à dos de mulels leurs céréales à Nemours. Voilà la combinaison financière grandiose ou machiavélique. Voilà le calcul mauvais ou bon, bas ou génial du Conseil municipal de Nemours. C'est le coup du transport forcé par voie de terre, C'est 300,000 quintaux de céréales portés à dos de mulets et à 60 kilomètres de distance pour arriver à Nemours par l'avenue triomphale des Takaouts de M. Meissonnier, ancien adjoint au Maire. C'est 60 kilomètres par des chemins épouvantables à travers les ravins. C'est une surcharge de frais de 4 francs par quintal pour les mulets et les hommes. Cela représente 1,200,000 fr. pour 300,000 quintaux de céréales. Cela représente 800,000 francs pour 200,000 quintaux. Mais 800,000 francs ou 1,200,000 ; de quel droit imposer de pareils frais de transports, quand les indigènes du territoire militaire ont la mer bleue au pied de leur montagnes ? Et ces 1,200,000 francs de transport forcé, de frais de route multipliés par les risques et la distance, pour arriver à quoi ? à quels avantages ? à quelle compensation ? Pour arriver tout simplement à cette combinaison financière lumineuse de simplicité: Faire verser tous les ans par les indigènes du territoire militaire de


Marnia la somme ronde de100,000 dans la caisse municipale de la Ville de Nemours pour droit de marché et de stationnement ! ! Les chiffres sont brutaux et clairs 0 fr. 30 par quintal d'orge. 0 fr. 40 par quintal de blé. fr. par quintal d'amandes. 0 fr. 10 par âne. 0 fr, 20 par mulet.

;

3

0 fr. 25 par chameau. Bref, pour trois cent mille quintaux de céréales : 100.000 francs, au bas mot, de droit pour entrer dans Nemours après avoir payé 1,200,000 de frais de route pour y arriver par voie de terre à dos de mulets. M. Fenouil est le Maire vénéré de Nemours. C'est un digne et respecté vieillard, ancien fonctionnaire du ministère des Finances, esprit calculateur, mais ouvert, large, libéral; ardent républicain, partisan résolu de toutes libertés sociales, ennemi intransigeant de tout privilège et de toute injustice. Mais parlez-lui de ces 100,000 francs et de l'ouverture des plages. Demandez-lui ce qu'il en pense en toute équité et en toute justice. Instantanément, ce brave homme voit rouge. Il vous répond que Nemours est une ville historique et grand centre commercial, qu'on ne doit pas détruire ; que le Kiss serait la déchéance de Nemours ; que les intérêts primordiaux d'une ville sont sacrés ; qu'on ne doit jamais violer les lois organiques de l'économie politique; que Nemours a son budget spécial ; que Nemours a su créer des ressources et s'assurer des revenus ; qu'elle a des enfants et des vieillards, des propriétaires et des électeurs, qu'elle a un passé historique, des droits acquis, des traditions, que Ne pours enfin est l'antique Mosquée des Pirates, déjà célèbte au temps de Charles-Quint. Si encore, en arrivant à Nemours, après avoir sacri¬


fié plus d'un million pour frais de transport et droits

de marché, les 15 000 indigènes du territoire militaire de Marnia trouvaient un port et des quais. Mais rien. Rien depuis 1867. Ni ports, ni quais, ni jetées ! Rien qu'une rade foraine plus dangereuse que la plage du Sel, une rade ouverte à tous les vents où, par la moindre mer, les courriers passent au large sans pouvoir débarquer. Mais alors ce n'est ni un port, ni une ville moderne. C'est toujours la Nemours d'autrefois, c'est toujours la ville antique avec le même Conseil municipal. C'est toujours la Mosquée des Pirates. Mon Dieu oui ! Vous êtes restée la Mosquée des Pirates parce que vous avez dormi. Dans son remarquable discours du 22 avril au banquet de notre député et ami Etienne, à Nemours, Ben-Rahal, le grand chef arabe de Nédroma, vous l'a dit, avec toute la finesse subtile et diplomatique de son langage oriental. Vous êtes restée la Nemours d'autrefois, et le Kiss, aujourd'hui, vous effraie si violemment, parce que vous avez dormi. Votre inquiétude est si profonde, parce que vous n'avez rien su faire. Vous vous réveillez en sursaut, parce que vous avez trop sommeillé. Vous vous êtes laissé prendre au dépourvu, parce que vous avez tout attendu du Gouvernement en vous croisant les bras. Au lieu de vous entendre, vous avez été divisés. Au lieu de regarder droit devant vous et de faire route, vous avez flotté sans but. Vous avez attendu les cailles, disait Ben-Rahal, il y a quatre jours. En publiant avec tant d'empressement le discours de Ben-Rahal, M. Llablador n'avait pas remarqué que ce discours si oriental était un aveu terrible.


A quoi bon alors les dix protestations si étudiées,

si laminées, si pleines de citations latines ou clas-

siques et si aiguës d'ironie, publiées par le Petit Fanal dans ses numéros des 17, 19, 21,24, 25 et 27 avril; à quoi bon les rectifications si sèches dans l'Echo

d'Oran. A quoi bon tant écrire, tant parler, tant pérorer, tant protester, pour arriver à cet aveu que vous aviez

trop dormi. Vous avez dormi, les autres ont pensé. Vous avez attendu, les autres ont marché. Vous êtes restés immobiles à Nemours, les autres se sont installés au Kiss. Par la situation de Nemours, vous étiez les pionniers tout indiqués du commerce oranais vers l'ouest. Vous aviez devant vous les plaines fécondes du Maroc. Vous aviez à votre disposition les deux petits steamers d'Oran, le Rosario et l'Espoir, faisant un service régulier sur vos côtes et desservant vos plages. Vous aviez la « voie d'eau » aves ses trains de marchandises valant dix fois les voies ferrées de terre comme puissance de transport. Vous aviez la Mer qui vous apportait les blés du Maroc dans ses vasques de cristal bleu. Vous aviez l'horizon grand ouvert devant vous avec tous ses mirages, mais aussi avec ses routes ouvertes dans toutes les directions. Et vous, habitants de Nemours, si fiers de votre cité antique, si glorieux de votre passé historique, vous, les vrais descendants des Pirates de la Mosquée, vous avez eu peur. Vous avez eu peur! Et peur de tout: peur pour vous, peur pour vos capitaux, peur pour vos enfants, peur de l'imprévu, peur de la fièvre, peur du vent, du sable, peur des conflits diplomatiques, peur du Marocain, peur d'un nègre et peur du mal de mer ! Et vous avez fermé les yeux pour ne pas voir la. côte du Maroc.


Vous avez détourné la tête, préférant faire le mal autour de vous en séquestrant 15,000 Kabyles ! Et vous n'avez pas vu la fortune au cheveux d'or, qui passait radieuse à portée de vos plages, sur son joli yacht l'Espoir, de la maison Chaber et Castanié, d'Oran, et qui, du doigt, vous montrait la petite plage déserte du Kiss. III Vous de fermé tout, et avez eu peur vous avez — les yeux. Vous n'avez su voir ni le Kiss, ni les autres plages. Vous n'avez su : capitaux. Ni féconder le pays avec vos — indigènes. utiliser les Ni — Jules Dreveton et Beltracée la voie Ni suivre par —

Hadj.

nouvelles des à Ni routes enfants. montrer vos — profit, Ni endiguer, à les même votre courants — commerciaux qui venaient de l'Ouest et pouvaient vivifier Nemours. Et maintenant qu'il est trop tard, vous vous achardu Kiss plage étroite, la vouloir est à que prouver nez resserrée, malsaine, insalubre inhabitable comme un ilot isolé sur une côte aride, Mais Aden, Singapour, Hong-Kong, Zanzibar étaient des rochers nus, des ilots malsains, ou des îles imperceptibles auprès des continents. Vous savez ce que les Anglais en ont su faire avec leurs dépôts de charbons, leurs ports, leurs factoreries, leurs banques et leurs flottes de commerce. Ils ont assuré la route des Indes. Ils ont conquis commercialement toute la Chine. Et ils se sont emparés de toute la côte Orientale de l'Afrique, du Cap-de-Bonne-Espérance au delta du Nil.


petite plage isolée du Kiss ouvrait à votre initiative toutes les plaines du Maroc Oriental, et vous avez attendu en dormant que le gouvernement s'en mêlât et fit tout. Vous attendez depuis 1867, vous attendez depuis 34 ans. Vous attendiez les cailles, disait Ben-Rahal, de Nédroma, au banquet de Nemours. Vous avez été craintifs, hésitants, timorés dans un pays où il faut de l'énergie, de la volonté, de l'initiative, du courage, de la témérité. Et pour maintenir quand même la fermeture des plages, vous énumérez tous les dangers auxquels on s'expose au Kiss. Vous publiez la liste de tous les français ou agents commerciaux, tués sur les plages du Sel, de Bieder et du Kiss. Vous faites un tableau effrayant des risques que l'on courait autrefois sur les chantiers d'orge, pour prouver que les choses n'ont pas changé, que l'insécurité est toujours la même, que les indigènes sont hostiles à tout progrès. Vous citez vingt fois les assassinats de Llabador en 1873, des trois marchands israélites en 1875, de Lantiéri en 1880. Vous rappelez la mort de Jules Pouzet, au Cap-del'Eau, qui est au Maroc et non au Kiss. Vous qui avez peur de tout, vous sémeriez la Panique et vous cherchez à m'effrayer moi-même, en allant jusqu'à écrire que la blessure à l'épaule de mon petit cheval alezan devrait me donner à réfléchir! Et avec tout ce verbiage, avec toutes ces phrases, braves gens de Nemours, vous aboutissez à quoi ? à quelle conclusion ? A reconnaître dans votre protestation du 24 avril, que les échanges sur les plages se faisaient, au temps des chantiers d'orge de 1867 à 1887, dans des condiLa

tions déplorables de loyauté commerciale !!!

Il y a des mots qui tuent. Déloyauté ! Mais c'est un autre aveu terrible


après l'aveu du Banquet de Nemours, du 22 avril

dernier. Accroupis dans la Mosquée des Pirates, vous attendiez les cailles à dit Ben-Rahal, le grand chef arabe de Nedroma, au langage oriental charmant mais plein d'arabesques aiguës tracées, à votre adresse, avec un stylet d'acier tout damasquiné d'or.

Vous attendiez les cailles et vous dormiez en laissant sur les plages vos agents, sans scrupule, exploiter les Arabes, les Marocains, les Kabyles. Vous aviez peur de tout; vos agents exploitaient

tout, même votre peur. Vous dormiez à Nemours et vous n'osiez pas aller vérifier les bascules. Vous dormiez, vous n'entendiez pas les doigts presser furtivement les gachettes. Les coups de fusils vous ont surpris. Vous n'aviez pas pensé que la Déloyauté pourrait représailles. des amener Réveillés en sursaut vous avez compté les morts. Vous n'avez pas osé compter les coupables. Vous avez fui pour fuir les responsabilités. Vous avez déserté la place, vous avez abandonné la lutte et vous avez fait fermer les plages par la, Douane. Ne protestez donc pas éternellement à tort ou à travers. Ménagez l'ironie. N'employez pas les insinuations perfides. Ne parlez pas tant. Evitez de vous contredire, mais refléchissez, relevez la tête et agissez. Agissez en hommes sérieux et non pas en gens de sac et de corde. On ne colonise pas un pays en coupant les routes, en fermant les plages, en multipliant les entraves douanières et en séquestrant 15.000 Arabes. On colonise en perçant des chemins, en ouvrant des routes, en créant des ports, en faisant des warfs et des jetées, en sillonant les pays neufs avec des voies


ferrées, en déchirant les entrailles de la terre pour en chasser les ténèbres et en faire jaillir les sources d'or. La vitesse et la lumière sont les facteurs du progrès. Si vos aïeux historiques ont été des pirates, soyez des colons modernes. Mais soyez colons comme le sont les Américains, les Australiens, les Canadiens. Ayez de l'énergie et l'audace des yankées, des quakers, des cowboys ou des chercheurs de mines de l'Alaska. Le Maroc est un pays neuf ouvert à tous. Allez-y, créez des maisons de commerce, des factoreries, des banques, assurez votre propre sécurité par votre nombre. Faites-vous respecter par votre loyauté commerciale, imposez-vous par votre supériorité morale. De plus, soyez bien Français par le coeur; faites preuve de bon sens clair; soyez justes et généreux ; faites le bien après avoir fait le mal par ignorance; ouvrez désormais les mains si précédemment, par erreur, vous avez fait tout ce qu'il fallait pour ruiner les indigènes, pour les décourager, pour les révolter, pour les ameuter, pour les acculer à des représailles en les séquestrant dans le massif montagneux des Msirda ; en les bloquant par âpreté au gain et en fermant leurs plages, par calcul machiavélique, avec une circulaire de Douane arrachée par méprise aux bureaux du Gouvernement, dans les offices d'Alger, mais qu'aucun Gouverneur général de l'Algérie n'aurait osé signer lui-même.


CHAPITRE XXV

L'histoire officielle du Kiss dans ses rapports avec le gouvernement général de l'Algérie. — Une série de mesures sans franchise et sans légalité. — Une demande nouvelle de Louis Say pour la « réouverture » du Kiss, c'est-à-dire pour l'ouverture de Port-Say. — L'histoire d'un sac d'orge prouvant l'absurdité de la fermeture du Kiss. — Le gouvernement refuse le principe de l'ouverture du Kiss. — Il admet les mêmes nécessités de fermeture qu'en 1887. — Mais il donne des autorisations spéciales et conditionnelles. Discussions de la logique de ces restrictions. En même temps, Louis Say continuait son action auprès des pouvoirs publics. Nous avons vu comment il avait déjà adressé au gouvernement général une pétition signée même par des Nemourois dissidents pour obtenir la réouverture du Kiss. Le 3 mai 1901, il renouvelait en ces termes cette demande au préfet d'Oran, MONSIEUR LE PRÉFET,

Comme habitant à la Frontière du Maroc, la plage du Kiss, où j'ai construit un petit village et où j'ai l'intention de créer une ville française et un port de commerce, en vue de nos relations commerciales et maritimes avec tout le littoral du Maroc-Oriental, et au nom des Indigènes-Algériens de la frontière oranaise, j'ai l'honneur de vous prier de vouloir bien de 20*


mander au Gouvernement Général de l'Algérie l'abrogation de la Circulaire de Douane du 3 octobre 1887. Au moyen de cette circulaire, les quinze mille indigènes du territoire français voisin de la frontière marocaine sont gravement lésés dans leurs intérêts par les prétentions inexplicables des habitants de Nemours. Leurs routes commerciales vers la mer sont coupées. Leurs portes de sortie vers la Méditerranée sont murées. Depuis quatorze ans les plages du Sel, de Biéder et du Kiss sont fermées. Et depuis quatorze ans pas un navire français n'accoste plus sur cette côte française. Depuis quatorze ans les courants commerciaux qui s'étaient établis ont dévié. Depuis quatorze ans les vapeurs anglais de Gibraltar inondent par Mélilla, port espagnol, toute notre frontière marocaine de produits allemands. Depuis quatorze ans les kabyles des Attyia, des Beni Mengouch, des Msirda sont impitoyablement bloqués dans leurs massifs montagneux et se voient forcés d'aller par voie de terre, et à dos de mulet, porter leurs céréales à Nemours. Les frais de transports par les sentiers ravinés leur coûtent près d'un million par an. Le Conseil Municipal leur impose, en outre, à leur arrivée aux portes de l'ancienne mosquée des Pirates, un nouveau sacrifice de plus de cent mille francs pour droits d'entrée et de

stationnement. Cette circulaire du 3 octobre 1887 (5e Bureau, 2e Section) est une faute économique très grave. On ne coupe jamais des routes commerciales ; on les uti-

lise. Cette circulaire de Douane est, de plus, une faute politique. Elle impose des sacrifices trop lourds aux indigènes. Elle les ruine en entravant toute exploitation agricole ou minière de leurs massifs montagneux si peu explorés mais si riches. Elle finira par acculer


les kabyles du Zendal à l'émeute contre les habitants de Nemours comme les kabyles du Zaccar l'ont été contre les forestiers de Margueritte. Dans sa séance du 17 avril le Conseil général d'Oran, à l'unanimité, a voté la motion de M. Hippolyte Giraud, demandant au Gouvernement français d'agir avec énergie dans la direction du Maroc. L'ouverture des plages françaises- voisines de la frontière est la première mesure à prendre. Sans l'ouverture des plages, sans l'abrogation radicale de la circulaire de Douane du 3 octobre 1887, rien n'est possible pour nous, français d'Algérie, ni commercialement, ni politiquement, ni par mer, ni par terre, sur toute cette partie du littoral marocain où la mort de Jules Pouzet vient de nous rappeler, si cruellement,

que nous n'aurions jamais dû cesser de montrer notre pavillon. C'est au nom de la liberté commerciale la plus large, et au nom des intérêts français les plus pressants, que nous devons demander l'ouverture des plages et l'abrogation d'une circulaire de Douane qui est devenue l'obstacle qui, momentanément, s'oppose le plus à la pénétration de l'influence française au Maroc et qui depuis quatorze ans a fait perdre plus de soixante millions de francs d'affaires aux ports français de Nemours et d'Oran. Veuillez agréer, Monsieur le Préfet, etc... Ainsi l'action devenait pressante. Et cela se conçoit. Plus on réfléchit, plus apparaît absurde, illégale, cette prétention du gouvernement général de l'Algérie et de la Douane, à vouloir tenir « fermée » la place du Kiss, à défendre tout embarquement à Port-Say. Les administrations mettent toujours du temps à répondre, surtout quand elles se sentent dans leur tort. Louis Say voulut hâter cette réponse.


Au Kiss, sur terre française il a des champs que ses métayers cultivent, où ils font do l'orge. Un jour il mit dans son canot un sac d'orge, et s'en vint par mer à Nemours. Il voulut débarquer le sac. Emoi. Révolution dans la douane... Il n'avait pas le droit de débarquer ce sac. d'orge Mais c'est un sac — « qui vient de mon champ français et que j'apporte dans mon canot français et que je débarque dans une ville française. — De quel champ français ?—Du Kiss.— Vous n'avez pas le droit de venir ici du Kiss par mer; rembarquez votre sac d'orge et filez heureux de ne point avoir une contravention. — Mais... — Cependant comme vous êtes gentil, nous allons vous dire gracieusement ce que vous devez faire pour entrer votre sac d'orge à Nemours. Vous allez le retourner au Kiss. Et là vous le chargerez sur un mulet. Ce mulet marchera pendant deux jours, trois si les pistes ne sont pas très sèches, huit s'il pleut et que la terre glaise colle... et votre sac pourra entrer à Nemours... El puis, vous même, quand vous voudrez venir à Nemours, faites la même chose. Vous n'avez pas le droit de voyager par mer dans vos canots qui sont de Port-Say, car il n'y a pas de maître de port à Port-Say... etc... » Il y a beaucoup de terres françaises cultivables autour de Port-Say. Imaginez qu'un colon français en eût fait la culture et au lieu de vouloir embarquer pour n'importe quelle destination française, non pas un sac comme le faisait alors Louis Say, mais de nombreux sacs, toute une récolte... Des sacs français, de céréales françaises, des sacs qui doivent jouir de toutes les libertés que les lois françaises

accordent aux productions françaises, même on Algérie, car l'Algérie, que diable, c'est aussi la France... Eh bien celte récolte française d'un colon français l'administration veut qu'elle soit embarquée non dans le port qui est devant le champ, mais à Nemours, dans un port qui est à plus de soixante kilomètres de ce champ ! soixante kilomètres qui, étant donnée la nature de la roule, en


valent, suivant la saison, de trois à six fois plus. Il y a même des moments où, après quelques jours de pluie, la route est impraticable aux animaux chargés. Car nous ne parlons pas des voitures. En aucun temps le charroi n'est possible sur cette piste. Tous les transports s'y font à dos d'animaux. Forcer les récoltes à suivre celte roule c'est empêcher la colonisation européenne de les produire. Un Français ne peut, dans cette région frontière, cependant excessivement fertile, songer à faire une exploitation agricole quelconque. Tous ses produits seraient — si on ne triomphait point de l'administration — grevés : 1° d'une moyenne de trois journées de transport à dos d'âne ou de mulet ; 2° des frais de convoyeurs ; 3° des risques de route ; 4° des frais d'octroi de Nemours; 3° des frais de marché de Nemours ; 6° des frais de port de Nemours; 7° des frais d'entrepôt de Nemours; 8° des frais de sortie douane, statistique, de Nemours ; 9° des frais de « gondole » pour le trajet de la plage à bord (car ne l'oublions point, il n'y a pas de port à Nemours) ; enfin 10° des frais de séjour des animaux et du personnel à Nemours; 11° des frais de retour des dits animaux et du personnel à la ferme, car ils reviendraient sans charge. 12° Je ne vois pas. Car je ne suis pas un grand écomiste. Toutefois je suis bien certain qu'en cherchant un peu je trouverais le douzième chapitre des frais,dont serait écrasée l'exploitation d'un colon à la frontière, pour le bénéfice de Nemours. Mais, que la douzaine soit de onze ou de treize — les douzaines de mon village, onze quand on donne, treize quand on prend, — ça n'en fait pas moins une charge excessive et qui rend impossible pour un colon français l'exploitation agricole des terres françaises de Port-Say, le port français du Kiss français... N'est-ce point absurde... Avoir de belles terres devant un bon port et ne pouvoir charger la récolte de ces terres dans ce port. N'est-ce point illégal et dans le texte et dans l'esprit


358

LA QUESTION DU MAROC

des lois? Car s'il y a une loi qui défend toute opération maritime dans les ports, sur les plages, non ouverts par la douane, est-ce qu'il n'y en a point d'autres aussi qui garantissent au possesseur d'une terre le droit d'exploitation de celte terre? Et prendre des mesures qui rendent impossible cette exploitation, n'est-ce pas violer ce droit légal, ce droit constitutionnel ? Les Kabiles ainsi maltraités n'ont pas réclamé, parce qu'ils ne peuvent pas. On les traiterait plus mal encore. Mais un Français ne peut-il invoquer le droit constitutionnel ! Constitutionnel ? Parfaitement. Le grand maître des douanes de l'Algérie en forçant les producteurs du Kiss à paver tribut aux gens de Nemours fait une chose illégale. Sa circulaire subordonnant les droits d'embarquement du Kiss au paiement d'une taxe à la ville de Nemours viole la loi, est justiciable des

tribunaux. Et quand il refuse aux producteurs du Kiss l'autorisation d'embarquer, lorsqu'il les oblige, pour embarquer, à venir à Nemours par terre. Il viole le droit de propriété qui est la base de la Constitution. Celle obligation supprime de fait la possibilité d'exploitation de la propriété (1). Une atteinte au droit d'exploitation d'une propriété est aussi une atteinte au droit de propriété. Tous les sophismes gouvernementaux ne changeront rien à cette réalité. Quand on dégage la question de toutes contingences, et qu'on arrive à discuter les prin-

(I) Pour une exploitation française qui, ayant des frais, étant obligée à certains bénéfices, ne peut supporter les charges que supporte le Kabyle. Le malheureux les supporte en écrasé Mais je n'ai pas besoin de développer la comparaison pour que l'on comprenne que ce qui est possible à un Kabyle, de porter à Nemours cinq ou six charges de blé, sa récolte dont les quelques louis de vente feront son entretien de l'année, est impossible à un Français

qui cultiverait quelques hectares et produirait une grande quantité de sacs.


cipes sur quoi elle repose,on découvre des monstruosités de ce genre : le droit de propriété, le plus sacré de nos droits constitutionnels, froidement, placidement, sereinement violé par ces doux fonctionnaires que la société paie pour la sauvegarde des droits sociaux. Maintenant, peut-être M. Revoil, M. Moucheron et Cie sont-ils anarchistes, collectivistes... Moi je veux bien. Mais alors si c'est de la doctrine anarchiste qu'on se réclame, un anarchiste supprimera leurs personnes, si c'est de la doctrine collectiviste, la suppression portera sur une forte part de leurs traitements... Mais, plaisanterie à part, est-il possible d'admettre qu'un Français soit privé en France du droit d'exploiter son bien ?

Puisque je viens de parler des champs fertiles du Kiss, un souvenir que je recommande aux amateurs d'histoires paradoxales. Vous connaissez la charrue arabe. Mauvaise. Et il n'est personne de vous qui n'ait plaint ce pauvre Arabe, oblige de lutter contre le sol, avec un engin aussi rudimentaire. Il n'est personne, non plus, d'entre vous, qui n'ait plaint surtout la femme de l'Arabe, laquelle, sur les dessins classiques, nous représentant la charrue arabe, est toujours montrée attelée à cette charrue avec l'âne de l'Arabe... Et tous nous avons dit : « Comme cet Arabe serait plus heureux s'il pouvait labourer avec une bonne charrue perfectionnée. » Eh bien, oyez. Quand Vincenti laboura pour la première fois les champs de Louis Say, il avait une charrue arabe. Il obtint une récolte de blé court sur chaume. Une bonne récolte, qu'il ensacha. C'est môme un de ces sacs qui fit le célèbre voyage de Nemours dont on a lu plus haut l'incroyable et véridique récit. Louis Say a l'âme généreuse. Et il est observateur. Il avait vu Vincenti peiner, suer, souffler derrière sa mau¬


vaise charrue arabe, et il avait aussi vu; devant celte charrue, peiner, suer, souffler de pauvres bourriquots mais pas de femmes. Alors quand vint l'époque du second labour il se dit : Je vais faire à Vincenti un présent inappréciable » (une étrenne utile). El il lui donna une belle charrue moderne, avec tous les perfectionnements de la science, le dernier cri de la construction. Vincenti fut heureux. Il laboura joyeux, avec ardeur... Et celte année-là il n'eut pas de récolte ! Si bien et si profondément remuée, la terre avait fait les chaumes trop hauts, les épis trop lourds... Tout versa !... Et maintenant, si je les ai quelque peu malmenés en d'autres parties de ce livre, celle page me donne droit à la reconnaissance des Maîtres de l'Algérie. Je leur ai fourni une preuve contre le progrès. J'ai calé d'un argument péremptoire le lit vermoulu où dort leur routine sacrée. Vous riez. Mais c'est qu'ils l'emploieront cet ar-

gument... Jamais ils n'ont su en employer je ne dirai pas de meilleurs, mais d'aussi bons. Pendant que Louis Say conduisait ainsi vigoureusement l'action, que la question du Kiss devenait une des questions algériennes de passionnante actualité, des négociants avisés ne laissaient point échapper l'occasion d'en profiter. El c'est ici que nous pouvons admirer la souplesse d'esprit, le ressort et l'indéniable habileté du protecteur de Nemours. On ne pouvait pas décemment, sans tomber dans le ridicule et dans l'odieux, résister ouvertement, franchement au mouvement d'opinion que la justice de sa cause donnait au Kiss. On eût été brisé. L'absurdité, l'illégalité d'un refus brutal eussent apparu dans une trop réelle évidence. Alors, de même qu'on procède pour détourner, diviser, affaiblir et finalement arrêter la violence d'un torrent qui brise¬


rail toutes les digues en travers de son cours, on biaisa, on prit des demi-mesures. On donna des autorisations qui n'étaient que des morceaux d'autorisations, des autorisations limitées en la quantité. On les donna comme faveur à des amis. Et quand je vous disais que le protecteur de Nemours ne perd jamais le Nord, ces autorisations-faveur on ne les donna qu'à cette condition que chaque quintal de céréales embarqué à Port-Say paierait six sous de droits à Nemours. C'est la Douane qui sanctionna cette illégalité d'une taxe perçue au profit d'une commune pour opérations de commerce pratiquées sur le territoire d'une autre commune ; car Port-Say dépen administrativement de Marnia. On ne pouvait raisonnablement, légalement empêcher des citoyens français de commercer loyalement sur un point du territoire français, mais comme cela ne plaisait point aux gens de Nemours, le protecteur de ces gens faisait prélever, sur le trafic d'un lieu où ses électeurs n'avaient rien à voir, des dits électeurs. Et c'est profit la Douane dîme au une qui prenait la responsabilité de cette absurdité, de cette illégalité, je le répète, et commettait de la sorte un abus de pouvoir, un détournement d'autorité. Il y a chez nous des fonctionnaires spéciaux dont la charge est de rappeler les diverses administrations, au respect de la loi. Pour qu'ils n'aient point voulu agir encore, il faut supposer que ceux-là aussi croient que le bon plaisir d'Etienne en questions algériennes c'est la loi. Eh bien non. Si le bon plaisir de l'élu de Nemours a si souvent fait la loi, ce n'est tout de même pas la loi. On finira bien par en convenir, j'imagine. En attendant, quelques négociants ayant obtenu des autorisations d'embarquer des quantités limitées de céréales au Kiss (moyennant six sous par quintal au bénéfice de Nemours) installaient des chantiers d'achat. Et la vie commerciale renaissait sur cette plage si longtemps abandonnée à la seule contrebande et au vol. Louis Say, qui lui s'était adressé au gouvernement général pour obtenir une solution nette, complète, une solution de principe et non une demi-solution, qui vou¬


lait savoir si oui ou non c'est le régime du droit, le régime du droit commun et non celui du bon plaisir qui était applicable à Port-Say, insistait pour obtenir une réponse. Elle lui arriva enfin le 23 juillet 1901, et elle disait

:

(Gouverneur à Préfet d'Oran) Le 18 juin dernier vous m'avez transmis avec différentes pièces une demande formée par M. Say, demeurant au Kiss, à l'effet d'obtenir le retrait de la décision gouvernementale du 3 octobre 1897, qui interdit les embarquements de marchandises sur les plages du Kiss, de Bieder, et du Sel à l'ouest de Nemours. Les raisons qui ont motivé la décision sus-visée ayant encore toute leur valeur, il ne m'est pas possible de donner, pour le moment du moins, une suite favorable à la demande de M. Say. Comme vous le savez, j'ai autorisé récemment à titre tout à fait exceptionnel un certain nombre de négociants de Nemours à embarquer, à destination de ce port, des céréales et de l'alfa sur les plages du Kiss, de Bieder et du Sel, mais ces autorisations n'ont été données que pour des quantités expressément déterminées, et sous réserve pour les intéressés de se soumettre à certaines formalités et conditions. Agréez, etc... REVOIL.

notre tête, notre pauvre tète... elle éclate à vouloir essayer de comprendre quelle est la logique permettant une telle lettre. C'est la logique Revoil ; entendu ; mais ce n'est certainement pas la logique des bon qui de spéculant sur des vérités en désens, gens duisent des conséquences raisonnables. Voyons d'abord la référence indiquée pour les raisons de fermeture bonnes en 1887 et qui « ont conservé toute leur valeur en 1901 ». Oh

!


Que disait la décision de 1887 : Voici ; elle est du 3 octobre. Et c'est :

l'Algérie à Monsieur le Préfet d'Oran.

Le Gouverneur général de

MONSIEUR LE PRÉFET,

Le 6 avril dernier, je vous ai communiqué une pé-

tition formée par plusieurs habitants de la ville de Nemours, tendant à obtenir, d'une part, la suppression des marchés situés sur les plages du Kiss, du Bieder et du Sel ; d'autre part, le retrait des autorisations accordées pour les embarquements et expéditions sur ces mêmes plages. Vous avez exprimé l'avis qu'en ce qui concerne la Ire partie de la demande précitée, l'autorité supérieure Les rejet. marchés dont prononcer son peut que ne il s'agit ne sont que de simples bascules installées sur des propriétés particulières et les transactions commerciales qui se sont établies en ces endroits affectent un caractère purement privé. En ce qui touche toutefois les facilités accordées par l'administration des Douanes jusqu'à ce jour, s'effectuent qui grains de les embarquements pour qu'elles sauraient estimez plages, ne vous sur ces être tolérées plus longtemps, car elles constituent un véritable privilège au détriment des intérêts du Trésor et du Commerce en général. J'ai l'honneur de vous informer que je partage votre manière de voir à cet égard et j'ai donné des instructions au service des Douanes pour que les autorisations de l'espèce soient retirées. Veuillez agréer, etc. Pr le Gouverneur général : Le Secrétaire général du Gouvernement, *

Signé : DU

CHAMP.


Ainsi tout en reconnaissant qu'on peut acheter du blé sur les propriétés privées de la plage du Kiss, ce qui est un droit que l'administration ne saurait enlever à un citoyen, l'honnête Du Champ s'empresse de faire prendre par la Douane une mesure qui de fait supprime celle liberté d'achat qu'on ne peut enlever de droit aux citoyens. Il n'est pas possible d'avouer d'une manière plus bête que l'on commet une illégalité. Les conteurs arabes ont dans leur répertoire des histoires de ce genre. Je n'ai Mais Non... touchant... droit de le tuer te te en pas je te donne un coup de couteau et je suis en règle avec la loi, ce n'est pas moi qui t'ai touché, c'est le cou-

teau. Je n'ai pas le droit de t'empêcher d'acheter, de commercer... Non. Mais je t'envoie la Douane qui elle t'empêche d'embarquer ce que tu as acheté... Tu n'as rien à dire... Je n'ai pas touché à la liberté... N'est-ce pas humiliant de voir les chefs de notre pays, des gens qui exercent des fonctions aussi importantes que celles de gouverner l'Algérie descendre, à de pareilles... ma foi mettez le mot que vous voudrez. Et Revoil les fait siennes ! Mais voici qui est mieux. Dans sa lettre il parle des raisons de fermeture qui ont conservé toute leur valeur. D'après l'honnête Du Champ, ces raisons c'était que les autorisations — facilités employé, les l'autre préférez terme si vous ou autorisation, de la c'est à lettre, commencement au — la fin c'est facilités — constituent un véritable privilège au détriment du Trésor et du Commerce en général. Ne discutons point si cela est vrai, ou non. Admettons-le. Ainsi M. Revoil dit qu'il ne peut pas rapporter qui interdit décision les embarquements la 1901 au en Kiss parce que ces embarquements constituent un véritable privilège au détriment du Trésor et du commerce en général.


Le Trésor, d'après M. Revoil, serait lésé et le « Commerce en général » également si le droit commun était appliqué au Kiss, si tout le monde avait le droit — en se conformant aux lois, naturellement — d'y embarquer des marchandises. Mais alors ici que ma tète éclate c'est alors et — — je ne comprends plus... je ne saisis point par quelle grâce spéciale, par quelle miraculeuse intervention du Saint-Esprit, ce qui de la part de tout le monde, et pour une quantité non déterminée de produits, est nuisible au Trésor et au Commerce général, cesse d'être nuisible à ce même trésor, à ce même commerce général, quand c'est de la part de quelques-uns et pour des quantités

expressément déterminées. Je ne comprends pas, et je m'engage à donner le portrait de Revoil dessiné par moi à celui qui comprendra et me fera comprendre .. La seule chose que l'on puisse comprendre, et la seule raison qui a dicté à l'éminent Gouverneur général une telle absurdité (laissons de côté l'illégalité), c'est ce que j'ai indiqué plus haut. Il fallait en même temps ouvrir le Kiss et en même temps le fermer. Eh bien il en est des ports comme des portes. On sait qu'il faut qu'elles soient ou bien ouvertes ou bien fermées. Et quand on veut réaliser celte acrobatie de tenir un port ni ouvert ni fermé, il vous arrive ce qui arrive aux clowns qui essaient de s'enlever par les cheveux, on retombe à plat et on se fait fiche de soi. Je manque de respect. Paul préfère des comparaisons plus classiques. Il y en a une autre. Il a voulu pouvoir dire à l'opinion qui réclamait l'ouverture du Kiss : « Mais c'est ouvert, allez donc voir. On y travaille. » Et à Nemours qui réclamait la fermeture du Kiss : « Mais c'est fermé. On y travaille, c'est vrai. Mais vous savez bien à quelles conditions puisque vous touchez... à ce prix-là, c'est mieux qu'une fermeture. Vous ne faites rien pendant qu'on se décarcasse là-bas. Et on vous paie! » Lafontaine a parlé d'un individu qui soufflait et le chaud et le froid... et à qui ça


n'a pas réussi. Et Lafontaine également a parlé d'un animal qui aux souris disait je suis souris, voyez mes griffes, et aux oiseaux je suis oiseau, voyez mes ailes... et à qui cette double nature n'a pas réussi non plus. El nunc erudimini atque intelligite...


CHAPITRE XXVI

Condition des autorisations. — Le prélèvement d'une dîme en faveur de Nemours. — La pièce officielle qui contient cet « abus de pouvoir », ce « détournement d'autorité ». — Pièce que je dénonce à l'examen des pouvoirs supérieurs et du Conseil d'Etat. — Nouvelle demande de Louis Say résumant son oeuvre du Kiss. — Il demande l'autorisation d'embarquer pour l'étranger.

prétexte de négociations d'ordre commercial en cours avec le Maroc ! Absurdité du prétexte. Un mot sur l'exportation des céréales du Maroc. — — La zone d'appel des marchés terrestres. — On refuse sous

Dans sa lettre de refus, le sympathique gouverneur faisait allusion aux formalités et conditions qui transformaient pour quelques privilégiés de Nemours les embarquements nuisibles en embarquements favorables. Pour les connaître officiellement, bien que les sachant aussi qu'aules six c'était surtout et pour sous — — cune raison de fait ne pût motiver une perception quelconque en faveur de Nemours, Louis Say demanda l'autorisation d'embarquer des céréales à destination de

l'Etranger. Il reçut la réponse qui suit, en date du 18 octobre 1901. Le Gouvernemeut Général de l'Algérie à Monsieur le Préfet du département d'Oran. M. Say, lieutenant de vaisseau de réserve, domicilié au Kiss (par Marnia), m'a adressé une pétition


par laquelle il sollicite, en premier lieu, l'autorisation d'embarquer, sur la plage du Kiss, 10.000 tonnes de céréales à destination de l'étranger. J'ai l'honneur de vous faire connaître que la facilité sollicitée pourrait être accordée aux conditions suivantes, les mêmes qui ont été imposées en pareil cas. i° Les embarquements s'effectueront exclusivement à destination de Nemours, où aura lieu la vérification de l'espèce, du poids et de l'origine des produits transportés. 2° Le bénéficiaire aura à avertir, 48 heures à l'avance, le service des Douanes de Nemours, afin qu'un agent puisse être détaché sur les lieux d'embarquement, si les chefs locaux le jugent opportun ; dans ce cas, l'agent désigné sera admis à s'embarquer à Nemours à bord du bateau chargeur, et sera ramené à son poste par la même voie. 30 Tous les frais résultant de cette autorisation resteront à la charge du pétitionnaire qui s'engagera à les rembourser, tant à l'administration civile qu'à l'administration militaire. 40 Les marchandises ne pourront être réexpédiées de Nemours qu'après paiement des droits et taxes d'usage locales, stationnement et autres (droits de marché notamment) charges auxquelles le bénéficiaire devra, au préalable, consentir à se soumettre. Toutefois, et par application des tolérances généralement admises par la Douane, le débarquement pourra ne pas être exigé, si l'intéressé consent à acquitter les droits de marché sur les marchandises amenées,à Nemours. Il demeure entendu que l'autorisation d'embarquement sera immédiatement retirée en cas d'abus constaté. J'ai, en conséquence, l'honneur de vous prier de vouloir bien notifier la décision qui précède à M. Say afin de lui permettre, s'il le juge utile, de le mettre


en relations avec M. le Directeur des Douanes de

l'Algérie. Sur la demande écrite du pétitionnaire, ce chef de service lui fera connaître dans quelle forme doivent être établis les engagements préalablement exigés. Dès que j'aurai été avisé, de mon côté, que M. Say a rempli les formalités nécessaires, je lui ferai immédiatement tenir l'autorisation qu'il sollicite. Subsidiairement, M. Say demande : I° L'autorisation d'apporter directement tous les matériaux et approvisionnements nécessaires au développement de la petite ville du Kiss et de son port ; 2° La création dans cette localité d'un poste de douanes ; 3° La création d'un bureau des postes et télégraphes. Cette dernière partie de la requête qui nous occupe nécessite un examen approfondi, auquel les services intéressés vont se livrer. Je ferai connaître, ensuite, à M. Say par votre intermédiaire, la décision qu'il m'aura été possible de prendre à ce sujet. Pr le Gouverneur général empêché : Le Conseiller du Gouvernement délégué, Signé : MATTEI. Pour copie conforme : Le Capitaine, Directeur des affaires arabes, Signé

:

F. FARIAU.

Là ce n'est plus Revoil qui signe, c'est Mattei. Eh bien, Mattei est encore plus fort que Revoil en

matière d'abus... Ce document fournirait à l'examen d'un légiste matière a des volumes de critiques... Je me contenterai de la seule appréciation d'un conseiller d'Etat : abus de pouvoir et détournement d'autorité. Et j'ajouterai, à l'adresse du dit conseiller d'Etat ;


de détourneMaintenant abus de pouvoir et cet que « ment d'autorité sont rendus publics par le fait de mon livre, maintenant qu'il est avéré, patent, publié que le dit Mattei signant au nom du dit Revoit ont commis dans l'exercice de leurs fonctions un abus de pouvoir et un détournement d'autorité, poursuivez... d'office. Et cassez. » Le bon plaisir de Nemours ne pèse cependant pas sur le Conseil d'Etat. Et si le conseil d'Etat, contrôleur des actes de l'autorité ne rappelle point au respect de la légalité le gouvernement général de l'Algérie au sujet d'actes comme celui qui est plus haut publié, nous aurons le droit de dire que les gens de Nemours sont de rudes lapins pour de la sorte imposer silence au Conseil

d'Etat.

Notez que Louis Say avait demandé

embarquement pour l'étranger ; embarquement dans un port qui dépend de la commune de Marnia, qui est dans le prolongement administratif de Marnia... et que rien, rien ne pouvait légitimer le paiement d'une taxe quelconque à la commune de Nemours. Une taxe douanière pour le paiement des papiers d'expédition, etc., etc... Oui. Mais les droits de marché !!! En vertu de quelle loi ? En vertu de quel semblant de raison? Pardon,j'oubliais le bon plaisir d'Etienne! Note/, que lorsque Louis Say demande à embarquer à Port-Say des céréales à destination de l'étranger, on ne lui dit point, à cette époque, à cette première demande, comme on le lui dira plus tard, c'est possible ou impossible pour telles ou telles raisons d'ordre... Non... Qu'il promette de payer six sous. Qu'il « fasse des billets, » pardon «des engagements » en faveur de Nemours. Et pour cela on le mettra en relation avec le Directeur des Douanes de l'Algérie. C'est Moucheron l'agent d'affaires de la commune de Nemours. Mattei présente à Moucheron quand on veut bien marcher pour Nemours, avec Etienne dans la coulisse. :


Et pendant cela Revoil qui flaire l'énormité s'éclipse. C'est pas lui... Non. C'est Mattei. Mais j'insiste, si vaudevillesque et si farce que soit cette comédie, la critique définitive en appartient au Conseil d'Etat. Il semblait môme seulement impossible à Louis Say et à ses amis de Paris qu'une telle décision eût été prise — malgré qu'ils en eussent en mains la notification — c'était tellement « fort » que sur l'avis de ses conseils, notre ami, libéré de pénibles devoirs qui l'avaient appelé en France, renouvela sa demande de Paris, le 12 août 1902, à la veille de notre départ pour le Kiss. Il la formula en résumant l'oeuvre accomplie par lui en deux années sur celte plage que sa volonté ouvrait à la civilisation, et que la sottise des gens de Nemours, servie par le gouvernement, voulait rendre à la barbarie. D'ailleurs voici : A Monsieur Paul Révoil, Gouverneur général de l'Algérie. MONSIEUR LE GOUVERNEUR GÉNÉRAL,

Ayant depuis deux de créé toute pièce un ans — centre colonial français à l'embouchure de l'OuedKiss sur la Méditerranée ; des loué Ayant acheté propriétés la piage et sur — française du Kiss, par actes authentiques ; Ayant payé impôts à Marnia droits et mes mes — de douanes à Nemours ; fait Kiss des Ayant des Port du et travaux au — jetées d'accostage pour faciliter l'embarquement des céréales ; Ayant puits des des creusé ouvert chémins; et —


d'arbres aménagé Ayant plantations fait des et — des sources ; démontré Ministère de la Marine Ayant au — l'utilité d'un Port au Kiss comme point d'appui pour les torpilleurs ; Ayant de payé de et personne mon argent, ma — sans demander de subvention à personne ; d'études plein fait plusieurs Ayant voyages en — Maroc ; plusieurs fois les Benichez Ayant risqué vie ma — Snassen, sur la Melouya et dans les Kebdana : fusil Cap de l'Eau de Ayant des coups reçu au — oit Jules Pouzet, le 3 avril 1901, a été mortellement blessé à mes côtés. Ht finalement : — plage française du Kiss, Ayant la engendré sur — un mouvement d'exportation de céréales qui s'élève à plus de 30.000 quintaux métriques embarqués par des navires français à destination d'Oran depuis un an à peine ; J'ai l'honneur, monsieur le Gouverneur général, de venir, à mon tour, vous demander l'autorisation d'embarquer pour mon compte sur la plage du Kiss 200.000 quintaux métriques de céréales (orges ou blés), soit 20.000 tonnes à destination de l'étranger. Je ne demande pas l'autorisation d'embarquer des céréales pour l'Algérie ou pour Marseille ; je ne veux pas faire concurrence au commerce algérien ni à l'agriculture algérienne. Mais il s'agit pour nous et les capitaux français d'utiliser la puissance de production merveilleuse de notre frontière oranaise et du Maroc oriental pour alimenter directement par voiliers les ports étrangers du Nord et pour approvisionner directement les brasseries d'Angleterre, d'Allemagne et de Belgique. Il s'agit d'un champ d'opérations nouveau ouvert sur la frontière algérienne à l'initiative, à l'activité et


l'énergie des négociants algériens et français déjà au nombre de trente sur la place du Kiss. En me faisant l'honneur de me recevoir le 28 juillet dernier, vous m'avez fait part, monsieur le Gouverneur général, des violentes protestations de Nemours et vous m'avez avec bienveillance donné le conseil paternel de m'entendre avec les négociants nemouriens. Mais comment pourrais-je m'entendre avec eux quand ils n'ont peut-être pas le droit de protester. En faisant il y a quinze ans fermer les plages du Sel, du Bieder et du Kiss par la circulaire de douanes du 30 octobre 1887, les négociants de Nemours ont bénéficié pendant quinze ans d'un monopole féodal dont ils n'ont peut-être pas même su tirer parti. Si les négociants de Nemours n'ont pas su comprendre la valeur commerciale de la plage du Kiss ; s'ils ne se sont rendus compte de l'importance politique de notre frontière du Maroc avec le voisinage des îles Zaffarines ; s'ils ont déserté la lutte en faisant fermer les plages par manque d'énergie et faute de sentiment pratique des affaires, de quel droit viendraient-ils protester en constatant les résultats inattendus obtenus au Kiss par l'initiative d'un marin breton qu'ils raillaient il y a deux ans en le taxant de témérité. La lettre du 18 octobre 1901, que m'avait adressée le Gouvernement général de l'Algérie en réponse à ma première demande d'embarquement de céréales pour l'étranger sur la plage du Kiss, m'imposait avant toute chose l'obligation de prendre l'engagement formel de payer à la ville de Nemours les taxes municipales et notamment les droits de marché : soit o fr. 30 par quintal d'orge et o fr. 40 par quintal de blé soit en tout 70.000 francs à payer par moi à la ville de Nemours pour les 200.000 quintaux de céréales

à


que je vous demande, monsieur le Gouverneur, l'autorisation d'embarquer aujourd'hui sur la plage française du Kiss où sont mes propriétés. Mais le Kiss est une plage isolée à 52 kilomètres à l'ouest de Nemours et le Kiss dépend non de la commune de Nemours, mais du Cercle militaire de

Marnia. La petite plage du Kiss n'ayant pas de bureau de douanes, je suis obligé d'aller au bureau de douanes le plus voisin pour prendre mes papiers de bord et faire expédier mes navires en douanes. Mais ces formalités de douanes remplies, je n'ai rien à faire avec la ville de Nemours et je ne vois pas pourquoi j'aurais à lui verser 70.000 francs pour les droits d'un marché sur lequel ne paraissent même pas mes céréales. Les négociants de Nemours en réclamant ces 70.000 francs semblent vouloir faire taxer mon esprit d'initiative d'un droit protecteur en leur faveur. C'est mon esprit d'initiative qui serait taxé et frappé et c'est leur force d'inertie et leur manque d'énergie qui seraient protégés dans cette partie de l'Algérie, dans cette zone frontière, dans ce pays neut où ce qu'il faut avant tout ce sont des hommes

d'action.

Après avoir fait ce que j'ai fait sur la frontière du Maroc, je pensais avoir droit à un autre accueil et à un autre traitement. Je m'attendais à des encouragements et je ne rencontre que toutes ces entraves fiscales et toutes ces réglementations que vous flétrissiez, monsieur le Gouverneur, avec tant d'énergie, en parlant du Maroc dans votre beau discours à la Chambre de Commerce d'Oran le 16 octobre dernier. J'ai profité de mon passage à Paris pour consulter •des personnalités compétentes au Ministère des Finances, au Ministère de l'Intérieur, au Conseil d'Etat et au Parlement; il a semblé à toutes les personnes


que j'ai eu l'honneur de pouvoir consulter que les termes de la lettre qui m'avait été répondue en 1901, ne pouvaient être maintenus après examen ; il leur a semblé que cette protection toute particulière accordée par l'Administration algérienne à la ville de Nemours pourrait constituer de la part du Gouvernement général de l'Algérie un abus de pouvoir et un détournement d'autorité. Cet impôt indirect en faveur de Nemours, cette obligation pour moi de verser 70.000 francs à la ville de Nemours, cette perte pour moi de 70.000 francs frappant mes exportations de céréales n'a paru aux yeux des personnes consultées comme justifiée par une préoccupation d'intérêt général ou dictée par un sentiment quelconque d'équité et de légalité. Permettez-moi donc d'espérer, monsieur le Gouverneur général, que vous voudrez bien m'accorder l'autorisation d'embarquer sur la plage française du Kiss 200.000 quintaux à destination des ports étrangers sans autre obligation pour moi que de faire expédier mes navires en douane à Nemours sous le seul contrôle des mesures de surveillance que la direction des douanes de l'Algérie croira devoir prendre pour assurer la marche régulière du service des douanes, tout en facilitant nos opérations commerciales sur la plage du Kiss qui tire toute son importance du voisinage même du Maroc avec lequel nous avons le devoir d'augmenter par tous les moyens nos relations commerciales et maritimes. Veuillez agréer, etc... Signé : Louis SAY. Lieutenant de Vaisseau de Réserve, au Kiss par Nemours, département d'Oran. Eclairé, celte fois, renseigné sur l'énormité commise, sachant que jamais Louis Say n'admettrait de payer un sou pour Nemours, ne voulant plus fournir une


nouvelle preuve des illégalités perpétrées avec tant de désinvolture, le gouvernement général ne répondit plus que pour obtenir l'autorisation de commercer du Kiss avec l'étranger, il fallait qu'on se mît en relations avec le Directeur des Douanes en prenant l'engagement de payer des droits de marché à Nemours ; il avait une autre excuse à son refus — car vous pensez bien qu'il n'accordait rien — il alléguait des négociations francomarocaines en cours. En ces termes. Alger, Ier septembre 1902. MONSIEUR,

En réponse à votre lettre du 20 août courant,

solli-

citant l'autorisation d'embarquer sur la plage du Kiss 20.000 tonnes de céréales à destination des ports étrangers du Nord, j'ai l'honneur de vous faire connaître que j'ai décidé de n'accorder aucune autorisation d'embarquement sur les plages de l'ouest de Nemours jusqu'à la solution définitive des négociations engagées avec le Maroc pour le règlement de diverses questions d'ordre commercial intéressant les deux pays. Recevez, monsieur, l'assurance de ma considération distinguée. Gouverneur général, Le Conseiller de Gouvernement délégué, Signature illisible. Pr le

Et ici encore on voit que le gouvernement ne dit point la vérité. Cette vérité je l'ai exposée déjà, c'est qu'on prépare la conquête du Maroc de concert avec l'Espagne ; et les


incidents récents, actuels ne sont point pour démentir mon affirmation. Jadis c'est de la légation de Tanger qu'étaient parties les incitations à la révolte, en suite de quoi les Bocoyas prirent les armes et furent massacrés presque tous. Les survivants furent recueillis à Oran. M. Louis Say en emploie quelques-uns au Kiss. En novembre 1902, il est certain que les révoltés furent mis en campagne par des « confidente » ; par ceux que j'ai vu lors de mon voyage aux Zaffarines. Sans parler plus longtemps des « choses discutables ». revenons à celles dont la réalité ne peut faire doute pour personne. Au chapitre qui traite du régime de 1867, nous avons prouvé que l'on ne saurait demander mieux que ce qui existe ; que si on travaillait à des négociations commerciales ce ne pourrait être qu'au bénéfice de nos concurrents. Cela, on le sait aux affaires étrangères. On le sait au gouvernement général de l'Algérie. Nous pouvons concevoir que, dans ces deux sanctuaires de l'intelligence les grands prêtres, les prêtres, les diacres, les desservants et les enfants de choeur se fourrent le doigt dans l'oeil quand ils croient servir l'intérêt de la France en préparant la conquête du Maroc. Nous avons montré pourquoi ils pouvaient croire en cela bien agir. Mais si peu d'intelligence que leur erreur nous permette de supposer chez eux, ce peu serait encore suffisant, pour voir qu'il n'y a pas de négociations commerciales à faire avec le Maroc. Et quand bien même — admettons l'invraisemblable, l'impossible — on ne peut jamais savoir... avec de telles gens — quand bien même contre toute logique, contre tout souci de l'intérêt français, ils négocieraient commercialement, je cherche en vain quelles relations ces négociations peuvent avoir avec des permissions d'embarquement de céréales sur la plage du Kiss à destination de l'étranger. Est-ce que la plage du Kiss à l'est de l'Oued-Kiss est une plage marocaine? Est-ce que Port-Say est un port


marocain? Est-ce que Louis Say est un Marocain dont le Sultan pourrait avoir à demander au gouvernement français de surveiller les actes ? Est-ce que le gouver nement marocain peut avoir une ingérence quelconque dans cet acte d'un citoyen français qui embarquerait des céréales dans un port français ? Est-ce que cet acte peut influencer en quoi que ce soit des négociations entre les deux gouvernements ? Il s'agit d'un acte exclusivement français. Il s'agit de l'embarquement. C'est l'embarquement seul que vise le refus. En effet, il ne saurait être question des opérations d'achat qui sont libres, qui sont légales. D'où que viennent le blé, l'orge qu'on achèterait au Kiss, personne en France n'a rien à y voir. Et personne du gouvernement ne peut intervenir dans ces achats. Déjà en 1887, M. Du Champ le reconnaissait formellement. Tout au plus, pourrait-on discuter la destination ultérieure s'il s'agissait d'embarquement à destination d'un port algérien. Mais, et j'y insiste, c'est un embarquement à destination des ports étrangers. Et j'y reviens, en quoi cela peut-il intéresser une négociation franco-marocaine, cet embarquement français dans un port français à destination de l'étranger. Ça ne gène que Nemours, qui voudrait monopoliser les transactions. Ça n'intéresse que Nemours qui, voyant naître un grand mouvement commercial nouveau a la prétention de l'accaparer... oubliant que les conditions géographiques, lesquelles ont limité son trafic dans le passé, tueraient celui qu'elles convoitent dans l'avenir. Et qu'un ignorant quelconque ne vienne pas dire que la loi marocaine interdisant l'exportation des céréales, c'est l'autorisation de cette exportation que sans doute négocie le gouvernement pour que le marché du Kiss puisse être alimenté. Est-ce que tous les blés achetés à Nemours sont algériens ? à Marnia? Non. N'objectez pas que c'est pour régulariser une situa-


tion de fait. Elle est régulière. Et cela nous donne une fois de plus l'occasion d'admirer le panurgisme des gens qui écrivent sans prendre la peine de remonter aux sources, et qui acceptent sans contrôle les opinions en cours, même si ces opinions sont manifestement contraires à la probabilité, à la vérité des choses. Les quatre-vingt-dix-neut centièmes des écrivains qui traitent les questions marocaines prétendent que la loi musulloi la politique du Maroc ne qui religieuse est mane tolère point l'exportation des céréales. Cela n'est point vrai. Ce qui est vrai, au Maroc, ainsi d'ailleurs que dans tous les pays où la prévoyance du chef est obligée de veiller à ce que les sujets ne meurent pas de faim — dans les pays surtout où les communications difficiles et l'absence de réserve argent ne permettraient pas les ravitaillements si une récolte manquait — c'est que l'autorité veut que des réserves de nourriture soient maintenues dans le pays, jusqu'à ce que la récolte nouvelle permette de disposer du reliquat de la précédente. Dans l'ancienne France il y avait les greniers d'abondance. C'est le même principe qui au Maroc veille contre les famines possibles. Contre les famines qui sévissent — partout dans les pays similaires — quand ce principe est oublié. M. Doumer, qui est cependant un grand génie et un homme de principe, l'avait oublié, celui-là en Indo-Chine. Un événement, dont on n'a point parlé en France parce que la presse était dévouée aux gens qui s'intéressaient aux vastes entreprises de M. Doumer, a rappelé le dit principe au dit homme de principe. Un petit événement d'ailleurs pour les métropolitains. Un rien. Une famine qui fit périr quarante mille Anamites dans la seule province du Thanhoa. C'est pour éviter de tels événements que la loi musulmane apporte des restrictions à la sortie des blés. Et la loi musulmane a raison. C'est une loi paternelle. Sur ce fait lisez ce que dit un auteur peu suspect de tendresse pour les musulmans, un auteur que les écrivains


lisent peu, car il est un économiste du genre ennuyeux, mais documenté. M. de Mas Latries, en énumérant les conditions générales du commerce entre l'Afrique et l'Europe au Moyen Age, nous dit : « Les trois royaumes du Magreb vendaient des céréales aux gens d'Europe, sans droits s'il y avait disette bien constatée chez les Européens et si le prix du blé ne dépassait pas en Afrique un maximum fixé. » Voilà la loi musulmane, la loi traditionnelle et qui est la loi du Maroc sur le commerce des céréales. Nous n'avons, nous ne pouvons rien espérer de mieux que cela. Les plus fanatiques des Marocains ne demandent pas mieux que de nous vendre du blé, le plus possible. Bou-Al-Nouar, le chef des Beni-Snassen, après avoir constaté avec la plus vive satisfaction la reprise de la vie commerciale au Kiss, a dit devant moi celte année, que pour la prochaine campagne il ferait cultiver tous les champs de la plaine et tous ceux de la montagne... d'orge... blé, Je t'enverrai fleuve de mer une » « un Il n'a jamais parlé de la sorte, ni pour envoyer à Marnia, ni pour envoyer à Melilla, ni pour envoyer à Nemours... Car il y a autour de chaque marché une zone d'appel proportionnée à la distance et à la qualité des routes. Les Beni-Snassen sont en dehors de la zone d'appel des 3 marchés que je viens de citer. Ils sont, avec beaucoup d'autres riffains et un certain nombre de Kabyles français dans la zone économique d'appel du Kiss. Evidemment il y a en Algérie quelques citoyens qui se tordent en lisant des phrases comme cela : la zone économique d'appel d'un marché... d'une étendue rigoureusement proportionnelle, mathématiquement, à la distance, à la nature des voies et des moyens de communication et de transport. Parler de loi ; de loi économique ; inflexible, certaine... quand il y a des éléments arabes Cela bien certainement aux économistes du « Café de la Victoire » ou du « Bar des Zouaves » semblera d'un comique délicieux... et ils boiront quelques tournées de Berger !


blanche en mon honneur. Mlis cela n'empêche pas que cette loi est. Et que Bou-Al-Nouar y obéissait en me disant qu'il viendrait au Kiss, et lorsque je lui demandais pourquoi il n'allait pas à Nemours, à Melilla, me répondant : nous y allons pour ce qu'il nous est absolument nécessaire d'acheter et que nous payons avec nos grains, nos bestiaux, mais nous y perdons, c'est trop loin. Nous y allons pour nos besoins. Mais nous ne pouvons songer à des transactions rémunératrices régulières et se développant. C'est trop loin. » Et le pacha de la Kasba, le représentant du Sultan qui assistait à cette conversation, approuvait. Evidemment, c'est trop loin, et d'accès trop difficile. Le préjugé algérien, l'erreur algérienne, qui troublent la logique de gens, même de ceux par ailleurs pas trop bêles, c'est cette idiotie, cette absurdité, cette monstruosité... je ne trouve plus de mots... il en faudrait inventer... cette folie de : « Le temps ne compte pas pour l'Arabe. » « La distance ne compte pas pour l'Arabe. » C'est du même tonneau que : « L'Arabe demande à être mené à coups de bâton. » Mais si, que le temps et la dislance comptent pour l'Arabe. Ça compte pour tout le inonde, même pour les bêtes. Le mécanisme agricole et commercial des pays Berbères compte le temps et la distance pour un élément important. L'agriculteur a besoin de demeurer sur sa terre. Elle exige des soins constamment. Il produit. Mais ce n'est pas lui qui transporte. Ce n'est pas lui qui vend sur les marchés. Si, une récolte ramassée, le cultivateur du champ n'avait plus rien à faire sur le champ, autour du champ, dans son douar... on comprendrait que, devant manger en se reposant, n'ayant rien à faire de son temps, il emploierait ce temps à porter sa récolte au marché et à l'y vendre... Et comme il aurait du temps, comme il faudrait que de toute façon il mangeât, chez lui ou


dehors, on pourrait comprendre que le temps ne comptât point pour lui. Toujours resterait-il la distance et la fatigue proportionnée à cette distance et rentrant ainsi dans le temps. Mais il reste chez lui. C'est un intermédiaire qui achète pour aller revendre. Et c'est un intermédiaire qui porte. Cet intermédiaire ne peut réaliser qu'un bénéfice limité entre les prix d'achat et de vente. C'est sur ce bénéfice qu'il doit vivre, lui, ses animaux et les conducteurs de ces animaux. Il gagne sa vie quand il achète un sac chez les Kebdana, chez les Beni-Snassen et va le porter au Kiss en une demi-journée de plaine. Et alors il cherche à acheter beaucoup de sacs aux Kebdana et au Beni-Snassen, lesquels défrichent.-. If ne gagne pas sa vie quand il achète un sac chez les mêmes Kebdana, chez les mêmes Beni-Snassen, qui le lui vendent toujours le même prix, et que pour le porter à Nemours il doit faire la même demi-journée de plaine de plus deux trois Kiss, aller à en avec au pour que jours de montagne (et même plus suivant le temps), en fatiguant ses animaux, en se fatiguant lui et ses aides. Et à Nemours, ce sac on ne le lui paie pas plus cher qu'au Kiss. Et même quand on le tient là, obligé de vendre à tout prix, ne pouvant s'en retourner, on le saigne. Les plaisirs de la ville. Les délices du café citadines conversations danse la des L'attrait et maure. du ventre... Oui. Connu. Mais il y faut de l'argent... Et si le dit intermédiaire en veut pour se distraire, il faut qu'il le gagne. Il le peut en portant ses sacs au Kiss. Il ne le peut en les portant à Nemours. Et alors si on ne lui laisse que le marché de Nemours, il n'achète plus aux Kebdana, aux Beni-Snassen, qui eux ne cultivent plus. L'erreur très humaine en nos races blanches c'est de croire que dans les autres races il n'y a que des brutes. Celte erreur est devenue instinctive et directrice de toutes nos appréciations. On ne discute pas. On ne


cherche pas à distinguer les faits caractéristiques. A priori, sans réflexion, on part et on dit : « Le temps ne compte pas plus pour l'Arabe que pour les brutes. » Et encore mes seigneurs, réfléchissez donc ; quand un chien a soif, où va-t-il boire? à la fontaine la plus proche. Un chien des Beni-Snassen, toutes les fontaines de chez lui taries, cherchera-t il la Tafua ou le Kiss... Evidemment le Kiss qui est plus près. Tolérez donc alors que les Arabes y viennent aussi. Et mettez-vous bien dans l'esprit que tous les hommes de toutes les races, de toutes les couleurs, de toutes les civilisations, calculent parfaitement et pèsent toujours leurs intérêts dans le temps et la distance. Et même je serais tenté de croire que plus on avance dans nos civilations industrialisées, plus l'homme perd le sens du calcul de son intérêt, toujours plus âprement développé chez ceux qui sont restés le plus près de la terre, c'est-à-dire les moins civilisés. Notez bien qu'il n'y a pas de sauvages, dans le sens que l'on croit générale-

ment. J'ai eu quelques curiosités dans ma vie. J'ai eu notamment celle d'aller voir par mes yeux ce qu'était l'homme sauvage. Et je suis allé dans les pays les plus sauvages, des vraiment sauvages, dans le centre Afrique... eh bien, j'ai trouvé là des organisations sociales, même très compliquées. Certes on y tuait l'étranger, on y massacrait les voisins... cela arrive aussi quelquefois chez nous. La seule différence là-bas c'est que, au lieu de laisser les cadavres aux vers de la terre, l'homme les mange. Si c'est en cela que consiste la sauvagerie, je veux bien appeler avec vous ces gens-là, des sauvages. Mais n'en concluez point que le sens de l'intérêt en matière de commerce relativement au temps et à la distance leur manque... non. Vous vous tromperiez étrangement. De même que vous vous trompez quand vous dites que le Berbère de la frontière, que le Marocain, que le Kabyle français ne s'inquiètent ni du temps ni de la distance en matière


de commerce et qu'il leur est indifférent d'apporter leur blé au Kiss ou à Nemours. Et les protecteurs de Nemours le savent bien puisqu'ils combattent si obstinément le Kiss, puisque, en désespoir de cause, voyant que la perception des six sous par quintal ne peut être imposée aux embarquements du Kiss pour l'étranger, ils suppriment ces embarquements sous prétexte de négociations commerciales avec le Maroc... un prétexte qui ne supporte pas

l'examen, et dont l'inanité apparaît dans une indiscutable évidence. Si tant est qu'il soit permis de dire qu'une inanité apparaît. Mettons, pour ne point parler un langage d'une impropreté administrative, que là où les maîtres de l'Algérie nous disent qu'il y a des raisons, nous, qui au mot raison donnons le sens raison, et non celui motif, nous ne voyons pas raisons, mais motifs sans raison. Moucheron ne comprendra peut-être pas cette langue. Il n'a qu'à prier Matteï de la lui expliquer. Et si Mattei se dérobe, renvoyant à Revoit, que celui-ci allègue Etienne, Moucheron n'aura qu'à faire le voyage de Nemours, Fenouil lui dira « c'est six sous ».

Admettez-vous maintenant que l'histoire administrative du Kiss est une histoire instructive, et qu'il convenait de ne la point laisser tomber dans l'oubli, d'en grouper les éléments, pour permettre à ceux qui veulent aujourd'hui, qui voudront demain comprendre le mécanisme de l'expansion coloniale française au commencement du XXe siècle, d'en bien connaître les rouages, tous, et de pouvoir, comme on dit, juger sur pièces. De belles phrases dans les discours. Une rhétorique admirable... Je ne voudrais tout de même pas dire que les rhétoriciens de l'avenir étudie-


font les proses d'Etienne ou de Revoil comme on étudie celles de Démosthène ou de Gicéron. Non, quand j'écris rhétorique admirable, cela signifie... autre chose. Une rhétorique admirable... et dans la réalité ce qu'on vient de lire.


CHAPITRE XXVII

Malgré toutes ces oppositions, Port-Say est né, a grandi, s'est développé, vit. — Ce qu'est cette vie, demandons-le aux journaux d'Oran, qui publient la chronique du Kiss — La chronique relatant l'installation du télégraphe au cap Milonia. — Quelques explications sur ce télégraphe. — Les divers incidents de la vie au Kiss. — Le mouvement commercial et maritime de Port-Say. — Oran commence à croire que Port-Say vit bien réellement. Afin d'en être tout à fait sûr, le député César Trouin fait un voyage au Kiss. La croisière du Zenith.— Les conclusions des Oranais après ce voyage. —Mon séjour au Kiss. — Les visites du pacha à Port-Say. — La flotille de Port-Say.

Celte évidence que l'opposition au Kiss procède de motifs inavouables, a fait que l'on n'a pu empêcher Port-Say de naître. On n'a pu l'empêcher de se développer, de gran-

dir.

On ne pourra davantage l'empêcher de vivre. Car, malgré tous les obstacles accumulés contre le développement de l'oeuvre — et dont le lecteur peut maintenant se faire une idée — cette oeuvre a grandi.

Elle vit. Je pourrais écrire ici un chapitre « vu » sur l'existence du Kiss et de Port-Say, où j'ai vécu un si délicieux mois de septembre celte année. Je pourrais donner vivante et intéressante ma chronique du Kiss. Mais comme


je fais surtout un livre de documents, cette chronique du Kiss, je préfère la demander aux journaux. Elle n'en sera que plus vivante et plus intéressante. Et surtout on ne pourra me reprocher d'y avoir mis trop de ma littérature et de mon enthousiasme. Quand je dis journaux, ce n'est pas ceux du Kiss. Il n'y en a pas encore. Ça viendra. En attendant, ce sont les journaux d'Oran qui, depuis deux ans, et assez régulièrement, publient les « chroniques du Kiss ». J'en reproduis quelques-unes de l' Echo d'Oran. Voici, à la date du 15 octobre 1901, une savoureuse correspondance relative à l'installation du télégraphe au cap Milonia. On verra tout à l'heure pourquoi je la qualifie de savoureuse. C'est depuis dimanche matin que la ligne télégraphique est définitivement posée de Nemours au cap Milonia : le poste optique du cap Milonia est à cinq kilomètres au-dessus de la petite plage du Kiss au sommet du Chaïb-Rasso, à deux cents mètres d'altitude. Les appareils du nouveau télégraphe sont en place. Le tableau et les manipulateurs sont flambant neufs. Le grelot des sonneries fait déjà de petits bonds nerveux, le bureau est prêt. Le buraliste est attendu, et l'autorité militaire qui a demandé la construction de la ligne télégraphique pour relier le Kiss à Marnia, est toute triomphante du résultat obtenu, si rapidement, par les agents des Postes et Télégraphes, à travers les ravins inextricables du massif montagneux des Msirdas. En trente jours la brigade des télégraphistes a terminé sa tâche. Le 15 septembre dernier, MM. Boulat, Laurent Viniger, Cottet et Tel mont, surveillants et conducteurs des travaux, sous les ordres de M. Fauque, inspecteur de la ligne télégraphique, ont transporté, scellé et armé, 416 poteaux de six mètres, sur un parcours de 42 kilomètres et tendu, amorcé, soudé 40 ki¬ «


lomètres et tendu, amorcé, soudé 40 kilomètres de fil de fer de trois millimètres de diamètre avec des portées variant de 80 à 300 mètres. Depuis trente jours ces cinq agents du Ministère des Postes et Télégraphes, qui ont déjà construit précédemment toutes les lignes militaires du Sud Algérien, de Fort Miribel à Figuig par Duveyrier et Géryville, mènent, sur la frontière oranaise, dans la direction du Kiss et du Maroc, la vie de dévouement sans ostentation et de labeur sans bruit, qu'ils ont l'habitude de mener aussi bien dans les sables du Sahara que dans les plaines de la mer d'Alfa, ou dans les défilés des Haut-Plateaux, partout enfin où le Ministère de la Guerre les envoie, partout où la France va de l'avant sur les frontières de l'Algérie. Depuis trente jours, du 15 septembre au 15 octobre, sans trêve d'un seul instant, ils sont au travail sur la route du Kiss, dans la direction du Maroc, avec une équipe de 32 chameaux, de 17 ouvriers européens, de 16 arabes et une escorte de zouaves et de spahis fournis par le Cercle de Marnia. Le Kiss a donc le télégraphe. C'est déjà une petite cité à laquelle ne manquait plus que la consécration de la visite du Gouverneur. Que n'est-il venu cons-

tater les résultats si rapidement obtenus ! Au pied même du cap Milonia, au-dessous du nouveau bureau télégraphique, au bord de la mer « lente et bleue », comme l'écrivait M. Daniel Saurin dans l'Echo, il aurait contemplé le petit village naissant du Kiss en plein branlebas de combat ; il aurait vu les Bocoyas de M. Say astiquant leurs balancelles blanches, la mèche de cheveux noirs qu'ils portent si crânement tressée derrière la tête, comme les toreros espagnols, donne à ces braves marins du Rifl marocain des airs de pirates Chinois de la baie d'Allongh. En venant au Kiss, sur la frontière ouest du littoral Oranais, et en revoyant les bocoyas Larbi, Molino,


Ferocco et Bottar, M. Revoil aurait retrouvé un coin du Maroc et revu avec joie et fierté les gandouras brunes aux jolis pompons de soie verte qu'il avait données aux Bocoyas, au mois de juin dernier, après les avoir arrachés aux chaînes du caïd Arfoufet les avoir rendus à la liberté. Le Gouverneur de l'Algérie se serait rappelé avec un légitime orgueil le jour où, étant bachador de France à Tanger, comme le disent les Maures, il faisait comparaître devant lui le caïd des Kebdana, enchaîné comme un vulgaire rebelle, pour lui demander compte de l' Affaire du Cap de l'Eau, compte des coups de fusil tirés sur Allouch et M. Say, compte de la captivité de l'équipage du «San Miguel », et compte enfin de la mort de Jules Pouzet. Je vous garantis que les Bocoyas et toutes leurs femmes, aux types gracieux ou bizarres de gitanes andalouses, auraient préparé au représentant de la France une chaleureuse ovation de bienvenue. Mais en venant au Kiss M. Revoil aurait vu autre chose que les balancelles blanches au filet d'or de M. Say, et autre chose encore que les djelabas des Bocoyas, rayées de gris et de brun et chamarrées de

pompons de soie verts. Le Gouverneur de l'Algérie aurait constaté ce que l'initiative et l'énergie d'un homme ont pu faire sur une plage déserte, en luttant avec courtoisie contre cette force stérile qu'on appelle force d'inertie. Il aurait vu la petite plage du Kiss, désertée depuis 14 ans par les négociants de Nemours, rendue à la vie coloniale. Car ce petit coin de l'Algérie française, stérilisé depuis quatorze ans par la Douane française, frappé d'interdit et excommunié de la communauté, est revenu à la vie commerciale et rentré dans le mouvement social. Après 14 ans d'immobilité cadavérique, la petite


plage oubliée et méconnue du Kiss s'est subitement réveillée sous l'empire d'une force mystérieuse, comme un fakir de l'Inde surgissant tout à coup de son tombeau après quarante jours de sommeil léthargique. Après 14 ans, les sables se sont soudainement ent'rou verts. Une petite ville blanche est sortie des dunes, de petites maisons se sont alignées, superposées, étagées comme des cubes de craie, rappelant les petites cités grecques ou arabes des Echelles du Levant, des îles de l'Archipel, des côtes de Sicile, ou des flancs bleutés du Stromboli, à l'entrée du détroit de Messine. Mais certains jours la petite cité arabe ou grecque prend des allures de grande métropole américaine, avec le bruissement rugueux des treuils du Zénith et de la Norma, avec le sifflement strident des machines du bord, avec le beuglement des sirènes et les vociférations des soixante hommes de l'escale de Nemours, venus au Kiss avec les gondoles. Samedi dernier le Zénith et la Norma étaient mouillés côte à côte sur la rade du Kiss, par six mètres de fond et chargeaient ensemble 3.000 quintaux de céréales provenant des chantiers Turrel et Baraquet. Ce chiffre de 3.000 quintaux de céréales porte à 11.680 la totalité des quintaux embarqués au Kiss depuis le 7 août, jour du premier voyage triomphal du Zénith, arrivé tout pavoisé au Kiss, avec MM. Raynaud et Oser; d'Oran, pour fêter la réouverture des plages fermées par la Douane depuis 14 ans. Dans le même intervalle de temps, du 7 août au 14 octobre, Nemours a exporté 50.000 quintaux de céréales. Cette comparaison est éloquente. Mais il ne s'agit pas pour le Kiss de battre Nemours qui n'est pas un port; il s'agit d'un problème plus


élevé à résoudre. Il s'agit pour le Kiss de devenir luimême un port commercial de premier ordre, comme l'est devenu Béni-Saf avec son minerai de fer. Mais pour égaler et et surpasser Béni-Saf il faut faire preuve de vitalité commerciale et d'importance maritime méritant la construction d'un port par une Société ou par l'Etat. Le Kiss entend avoir un port et ne veut pas se contenter d'attendre 34 ans, comme Nemours, en se croisant les bras pour n'aboutir à rien. Pour avoir son port le Kiss entend le mériter en le prouvant possible, comme Béni-Saf a prouvé la nécessité du sien, en commençant par exporter successivement 30.000, puis 100.000, puis 200.000 tonnes de minerai de fer. Actuellement Béni-Saf exporte par an 400.000 tonnes de minerai à 10 francs, soit pour quatre millions de francs. Le Kiss peut en faire autant avec les céréales produites à profusion par les merveilleuses plaines qui l'entourent: plaine des Triffas, plaine des Oulad Mansour, vallée du Kiss, vallée de la Melouya, versants de Kebdana où l'on trouve des nappes d'eau à fleur de terres, de sources jaillissantes comme à Regada, ou des torrents comme à Larbal. Ce merveilleux Hinterland représente un ensemble de 50.000 hectares de plaines, pouvant donner, au bas mot, 500.000 quintaux d'orge ou de blé valant plus de cinq millions de francs et dépassant, en valeur, la totalité du minerai de fer exporté de BéniSaf. Ajoutez le soleil et la précocité à cette puissance de production, ajoutez la moindre distance, ajoutez l'exportation du bétail c'est le Kiss dépassant rapidement Béni-Saf, et Port-Say devançant Odessa sur le marché de Marseille. Tout cela mérite bien un port.


Et toutes ces choses sont si possibles que nous sommes forcés de constater que la présence de quelques européens au Kiss a déjà modifié en les améliorant les moeurs et la culturé du pays voisin. Les Marocains qui ne passaient la frontière que bardés de fer avec leurs Remington, n'apportent plus sur la rive droite du Kiss que des socs de charrue à réparer ou à refaire. La petite forge de M. Say est encombrée de

travail. Trinitario Martinez, le forgeron du Kiss, est le seul ouvrier européen qui gagne de l'argent par lui-même en répondant à des besoins urgents. Il avait apporté de Nemours des limes, des tournevis, des cheminées de fusil, des ressorts d'acier; il avait mis à sec la fameuse maison Eyriès, de Nemours. Il croyait avoir des monceaux d'armes à réparer et on ne lui apporte que de quoi éventrer toute la plaine des Triflas. C'est le triomphe de la charrue sur le Remington des Marocains. Et, du lever du soleil jusqu'au soir on n'entend plus au Kiss que le bruit de l'enclume de Trinitario. Et le martellement du fer a parfois des tintements affaiblis de cloches bretonnes. On croirait entendre des sons lointains d'« angélus ». Mais après tout c'est peut-être l'Angelus du travail que sonne l'enclume de Trinitario pour porter deux peuples à la réflexion et les pousser à s'entendre et à s'unir par le travail, au lieu de rêver continuellement de faire parler lapoudre. Le voisinage immédiat de la frontière du Maroc donne aussi, malgré tout, parfois, des sons étranges de clairon à ce bruit d'enclume. Le marteau de Trinitario sonne comme un pas redoublé de marche guerrière. Mais c'est la marche ardente des conquérants modernes que le bruit du travail stimule et qui ne s'arment de fer que pour mettre leurs efforts en commun et lutter ensemble contre les forces mystérieuses de la nature qui retiennent enchaînées, ou voilées, dans les entrailles de la terre, les richesses que les


hommes convoitent, dans leur ardent besoin de progrès, et que les Argonautes appelaient les toisons d'or. Au Kiss les toisons d'or sont tout simplement les mines de plomb argentifère de Ghar-Rouban et du Djaber, les gisements de cuivre des Beni-Snassen, et le fleuve de blé de la vallée de la Melouya. Voilà ce qu'aurait vu et entendu le Gouverneur général de l'Algérie, s'il était venu au Kiss : une grande cité naissante autour d'une petite forge. Et qui sait? peut-être lui aussi se serait-il arrêté pour écouter les bruits lointains et étranges que lait entendre parfois l'enclume de Trinitario quand le marteau martelle avec des sonorités de clairon son pas redoublé ou sa marche en avant que répercute l'écho dans la direction de l'Ouest... du côté du Maroc.

C... Quand j'écrivais savoureuse correspondance en tête de celte chronique, je réservais une explication. L'eau leur venait trop vite à la bouche, à ces bons colons d'avant-garde qui, mettant en pratique les recommandations patriotiques de tous les gouvernements, lesquels par la bouche de leurs représentants les plus autorisés, necessent de répéter : Allez développer le mouvement civilisateur français en faisant du commerce avec le Maroc, vous êtes des pionniers, vous êtes des héros », y étaient allés et réussissaient. Leurs opérations commerciales exigeaient des communications télégraphiques, et avec Oran et avec Nemours, avec Oran pour la banque et les envois de bateaux chargeurs, avec Nemours pour la douane. Aussi dès que ces opérations commerciales apparurent avec leur réelle importance, l'autorité militaire de qui dépend le Kiss, administrativement rattaché à Marnia, comme zone frontière, fit installer le télégraphe. Celle installation était chantée le 15 octobre 1901 par la chronique du Kiss, imprimée dans l'Echo d'Oran.


Eh bien, en septembre 1902 j'étais au Kiss et le télégraphe ne fonctionnait pas. L'administration militaire l'avait bien fait installer pour favoriser la vie commerciale du Kiss. Mais l'administration civile supérieure de l'Algérie, le gouvernement de M. Revoit lequel obéit à M. Etienne, lequel obéit aux rancunes de Nemours contre le Kiss, ne laissait pas fonctionner le télégraphe... et le télégraphe ne fonctionnait pas encore en septembre 1902. C'est sans doute ce que M. Revoil promettait quand il prononçait son fameux discours, où parlant du trafic franco-marocain il disait : « Ce trafic ne pourra se développer que par la création d'un régime qui multiplie et favorise les échanges et fasse disparaître dans la plus large mesure possible, les entraves fiscales ou parlementaires. » Cete belle phrase se traduit dans la réalité par le non-fonctionnement du télégraphe. M. Revoil en a de vraiment joyeuses... comme dirait le tringlot de garde au poste télégraphique dont les appareils ne marchent pas.

Encore un mot sur cette question du télégraphe. Notre point extrême de surveillance de la frontière c'est le bordj d'Aoudjeroud, sur la colline coupée par les gorges du Kiss, dominant ces gorges et dominant aussi la plage française du Kiss, avec une route d'accès relativement facile. Notez que c'est Louis Say qui a de ses deniers aménagé cette route pour qu'on y eût moins le risque de se casser les reins à la descente. Vous pourriez supposer que lorsqu'on a construit la ligne télégraphique on a pris comme point terminus ce bordj d'observation et de grand'garde où il y a une petite garnison d'une trentaine de spahis, afin qu'en cas de subite complication, de danger, ces soldats pussent prévenir, demander du secours. Ce serait bien mal connaître l'administration algérienne. Elle a arrêté cette ligne au poste optique du


cap Milonia... plus loin, et plus haut. Et cette ligne dont la pose a coûté de l'argent, nous avons déjà vu qu'elle ne fonctionne pas. Elle sert de perchoir aux petits oiseaux dans leurs jeux. Au cap Milonia c'est l'optique... avec deux « opticiens » du 15 avril au 15 septembre. Entre ces deux dates quand le temps le permet on peut transmettre une communication... à cinq kilomètres... en montagne... du bordj d'Aoudjeroud. Et de septembre à avril, rien. La boîte optique est fermée. Décidément c'est beau, l'administration algérienne.

Le télégraphe ne fonctionnait pas. Mais cela n'empêchait le Kiss de vivre et de fournir sa chronique aux

journaux...

Le 1er mars 1902, l'Echo d'Oran donne à celte chronique le titre très civilisé de mouvement maritime et commercial, tout ça pour M. Revoil et M. Etienne qui ne croient pas au port du Kiss. Et ce mouvement était ce jour-là peu banal. Lisez.

Port-Say (Kiss), 25 février. — Ce soir, à 4 heures, trois navires de guerre sont en rade du Kiss. Les deux torpilleurs français, l'Aventurier et le Doudard de La Grée, qui composent l'école de pilotage, sont arrivés à 3 heures précises, venant de Nemours. Ces deux jolis petits navires de guerre français, sous les ordres du lieutenant de vaisseau Colson, sont mouillés à peu de distance du transport impérial le Turhi qui, depuis vendredi, par une mer épouvantable, débarque lentement, en face de la Kasba marocaine de la rive gauche du Kiss, les approvisionnements envoyés de Tanger par le Sultan du Maroc au nouveau pacha, Si El Hadj Hallal, successeur du pacha Abdelkerroum, nommé, le mois dernier, gouverneur militaire (amel) d'Oudjda.


Six cents hommes de troupes impériales sont attendus à la Kasba marocaine. Sous le pacha précédent il était également toujours question de six cents hommes à la Kasba, mais on se rappelle que le Ier février dernier, quand le lieutenant d'artillerie marocaine est

dans l'envoyer détachement chercher pour un venu le Sud, il n'a trouvé, à la Kasba du Kiss, que 57 hommes valides qu'il a fallu renforcer de troupes françaises pour mieux assurer la sécurité à Figuig. Quoi qu'il en soit, le transport impérial le Turki débarque des vivres et du matériel ; un accident est venu malheureusement ralentir les opérations : une chaloupe a chaviré, un matelot a été broyé et s'est noyé ; quatorze sacs d'orge sont tombés à la mer, et les Marocains ont refusé de continuer le débarquement. Le capitaine Karrow, qui commande le Turki, et l'amin de la Kasba marocaine sont allés au bordj des Spahis et sont venus demander au lieutenant Holtz, qui commande le détachement des Spahis, l'autorisation de rapprocher le Turki du Kiss et de reprendre leur débarquement de matériel sur la petite plage du Kiss, mieux abritée. Le lieutenant Holtz s'est fait un vrai plaisir d'accéder à la demande du Pacha et du commandant Karrow. Les Spahis sont descendus en armes sur la plage pour assurer le service d'ordre. Le Pacha est venu lui-même pour remercier le lieutenant Holtz et M. Daniel Bourmancé, jeune élève de l'Ecole des langues orientales de Paris, qui commande en second au Kiss, et remplaçait M. Say, parti la veille pour Marnia. M. Bourmancé a fait au Pacha, au lieutenant Holtz et au capitaine Karrow les honneurs de la plage du Kiss. Il leur a fait visiter les sources du Caroubier, Montagne la de Marbre, et leur a montré pied de au les fameuses grottes où les Beni-Snassen prétendent que les Gênois venaient chercher des colonnes de marbres dorés et marbres transparents, selon les récits


écrits sur leurs vieux parchemins en peau de gazelles roulés dans des roseaux. Après la visite aux grottes de marbres et aux sources, tous ces messieurs se sont embarqués et sont allés à bord du Turki, où Mme Karrow attendait son mari et ses invités qu'elle s'est empressée de recevoir avec la plus gracieuse amabilité. Tous les officiers ou mécaniciens du Turki sont allemands. Ce soir, après les saluts et visites d'usage avec le transport marocain le Turki, les deux torpilleurs français sont allés mouiller au Iles Zaffarines pour reprendre demain matin la route d'Oran. Le 24 décembre dernier, le fameux contrebandier marocain Zurlito, qui faisait la contrebande des ani-

maux volés entre le Cap de l'Eau et les Iles Zaffarines, a été tué d'une balle à la tempe en cherchant à faire évader deux prisonniers Espagnols. Quatre autres marocains ont été tués ou grièvement blessés dans cette affaire par les sentinelles Espagnoles. Depuis, tous les rapports d'approvisionnements sont interrompus entre les Kebdana et les Iles Zaffarines. C'est au Kiss que les Espagnols viennent chercher des poulets, des légumes, des oeufs, des moutons et des boeufs. Le 15 janvier, le chantier Turrel-Fromentin s'est établi au Kiss ; le 6 février, le chantier Nebot et Baraquet, de Nemours, est venu : le 7 février, le chan-

tier Llabador-Mongrelet a suivi l'exemple donné. Tous les négociants de Nemours sont représentés au Kiss, et la campagne des céréales va reprendre plus active que jamais sur cette petite plage dont M. Say, par sa ténacité, a révélé toute l'importance commerciale et politique au point de vue de notre pénétration au Maroc.


Le II février, le commandant Chiché, qui commande le bataillon de zouaves, de Nemours, est venu au Kiss avec M. Hulin, en voyage d'études et en pro-

menade.

Le Kiss grandissait, le Kiss vivait, Port-Say existait. L'Oranie commençait à y croire. Dans les cafés d'Oran, si quelque grincheux de Nemours se risquait — notez qu'en Algérie tout le monde va au café, et qu'au café se traitent toutes les questions de tout ordre — si quelque complice de Llabador Octave apparaissait attristé, soucieux, on ne manquait pas de lui demander des nouvelles du Kiss. Les réponses vous les devinez. Celles que publiait le dit Llabador Octave ; le Kiss une plage où l'on était exposé aux pires dangers... Mais les gens d'Oran commençaient à se méfier des gens de Nemours. Ils lisaient la chronique du Kiss. Et, bien que l'on sache que les journaux ne publient pas toujours la vérité, sur cette question de fait, il eût été vraiment trop fort que les journaux abusassent de la crédulité publique au point de faire prendre à leurs lecteurs pour belles et bonnes vérités ce qui — suivant la thèse de Llabador Octave— n'aurait été que les rêveries de Louis Say. Et puis il y avait les arrivages du Kiss. Le Rosario, la Nomia, le Zénith, le Zénith, surtout, ne cessaient de faire la navette entre Oran et le Kiss et revenaient toujours avec leur plein de céréales... C'était donc vrai ce que disait Louis Say, ce qu'écrivait la chronique du Kiss. Et Oran pour en être tout à fait sûr, pour avoir l'absolue certitude, pour dissiper le cauchemar du doute, l'obsession d'incrédulité, les tourments de l'incertitude que les gens de Nemours apportaient en mauvais frères, Oran dépêcha son député au Kiss, à Port-Say. Peut-être y avait-il aussi là quelque malice sournoise à l'adresse d'Etienne. Bref, cela amusa les électeurs


d'Oran, première circonscription, d'Oran ville, d'envoyer leur mandataire élu voir sur place le théâtre de la grande colère de ces bons élecfeurs de la deuxième circonscription, de ces gens de banlieue, d'Oran campagne de ces grognons de Nemours. Et César Trouin partit pour le Kiss, accompagné de nombreux secrétaires et amis; et la chronique du Kiss enregistra celle fois les détails de la croisière de César au Kiss. César est un brave homme. Il vint. Il vit. Et il dit... ce qu'il avait vu. C'est tout ce que lui demandaient les gens d'Oran. Cette fois, ils étaient persuadés. Le Kiss avait été vu en pleine activité commerciale par César. Les constructions de Port-Say avaient été admirées par César. L'Oranie depuis ce jour croit que le Kiss et que PortSay existent... et sauf à Nemours et dans les conseils du gouvernement, personne ne veut plus ajouter foi à ce que pense, dit, ou écrit Llabador Octave, déjà nommé. L'opinion des gens sages, des gens raisonnables — malgré la chaleur et les cafés il y en a tout de môme en Oranie —je l'ai trouvée exposée dans l'Echo d'Oran, où le rédacteur de la chronique du Kiss, rendant compte de la croisière de César Trouin, et parlant de l'énorme labeur accompli au Kiss par Louis Say, disait le 23 août 1902. Et ce travail, dont les résultats sont formidables, étonna justement le député de la première circonscription. Depuis l'ouverture de la campagne, c'est-àdire depuis juillet, plus de trente mille quintaux de blé ont été reçus, payés au Kiss et réexpédiés sur Oran. De l'avis des plus timides, le chiffre de la campagne dépassera cent mille quintaux, et cela dans les conditions les plus difficiles d'exploitation : obstacles naturels d'un embarquement en mer, à dos d'hommes ; difficultés de toute nature pour le ravitaillement tant en vivres qu'en fonds ; absences de communications

régulières, obstacles que font naître à chaque instant l'incertitude du lendemain, les menaces des rivaux,


les efforts de ceux qui injustement se croient dépossédés ; obstacles enfin créés par la vie irrégulière du Kiss où tout autre trafic est interdit et dont on empêche le développement naturel par des mesures excessives. Cependant, que demandent les pionniers du Kiss ? Bien peu de chose, en vérité, pourra répondre M. Trouin. Sûrs qu'ils sont de la sûreté de leurs relations avec les Marocains, assurés de vivre et de faire oeuvre de propagande française aux portes mêmes du Maroc, ils désirent voir rendre définitive l'ouverture de la plage, de façon à ce qu'ils puissent s'installer de plus confortable et de plus rassurante façon ; ils voudraient voir s'élargir leur liberté commerciale afin que leurs chantiers puissent se transformer en comptoirs qui viendraient concurrencer Melilla, où vont se ravitailler de nombreuses caravanes, venues du Sud, clientes qui nous échappent et qu'un rien retiendrait, ainsi qu'a pu s'en assurer M. Trouin, lors de sa visite à la Casbah de Saïda, poste marocain proche des chantiers, et où on lui fit une hospitalière récep-

tion.

Ils voudraient, en outre, se voir moins éloignés du monde civilisé, et profitant du poste télégraphique installé au Cap Milonia, ils demandent l'autorisation d'y transmettre et d'y recevoir des dépêches, en attendant le moment où le poste de Milonia sera relié au fortin d'El-Aoudjeroud, dernier poste avancé face à la frontière marocaine. De telles prétentions sont loin d'être exagérées, et le député de la première circonscription, très touché de l'enthousiaste accueil fait aux voyageurs du Zénith par les hardis colons du Kiss, a pu, sans trop s'avancer, promettre tout son concours pour leur réalisation, persuadé, du reste, qu'en cela, comme toujours, il se trouvera d'accord avec M. Etienne. Nos braves compatriotes, tout charmés de cette visite inattendue, en conservent de précieuses espérances ; tous ceux


qui s'intéressent au sort de notre Colonie et au développement de notre influence dans ces régions tant convoitées applaudiront aux efforts des uns et au concours des autres et suivront avec intérêt les courageuses entreprises aussi brillamment affirmées que celle des pionniers du Kiss.

C,.. Puis, la chronique enregistre l'arrivée de l'illustre caravane (1) métropolitaine ou figuraient des illustres qui ne sont hélas point de Toulouse : mon excellent confrère Dubochet qui en temps ordinaire opère dans les couloirs du Palais-Bourbon ; un photographe, Vrina, grâce à qui on a maintenant des panoramas de la plaine des oulad Mansour, de la Moulonïa, et de la plaine des Triffas, qui permettent de montrer à Paris que ces régions sont... ce qu'elles sont, et non pas ce que disent les gens de Nemours ; un aquarelliste, de Broca, dont le talent a fixé la vie du Kiss et de cette zone frontière à une période de son histoire qui n'en sera pas la moins intéressante ; puis un économiste chargé de mission du Commerce, M. Laban arrivé au Kiss avec Caillol le vieux camarade de Louis Say à Ghadames en 1875. (Hier.) Puis moi. Puis, durant notre séjour, des invités d'Oran. Puis nos excursions, nos aventures ; une panne de tempête aux Zaffarines, entre autres, et durant quoi j'ai vérifié une fois de plus qu'il ne fallait jamais oublier dans les commandements du voyageur celui qui prescrit de toujours emporter un moustiquaire. Si quelqu'un de ceux qui me lisent va jamais aux Zaffarines, je l'en supplie qu'il prenne son moustiquaire ! Il me bénira. Et la vie suit son cours au Kiss. Et la Chronique du Kiss également. C'est, le 8 octobre, celte poignée de nouvelles

:

(1) Je suis bon. Je suis charitable. Je suis généreux pour les gens de Nemours. J'ai mis le mot caravane avec intention. J'espère bien que Elabador en profitera pour se donner à mes dépens

l'illusion d'avoir de l'esprit... français.


M. Fralicher, capitaine au 28e dragons, en garnison à Sedan, est arrivé au Kiss, où il sera l'hôte de M. Say pendant un mois. Les relations entre la casbah marocaine et le Kiss

deviennent de plus en plus cordiales. Les habitants des villas Say se rendent journellement à la citadelle-frontière, où ils reçoivent du pacha El-Hadj-El-Hal le meilleur accueil. Le pacha lui-même se rend quelquefois sur le territoire français. Ces jours derniers, il a été invité par M. Say à prendre un repas qui lui a été servi à l'européenne et auquel il a fait honneur. Certains détails du déjeuner l'ont beaucoup intéressé, comme par exemple les asperges en conserve. Un aquarelliste de talent, M. de Broca, actuellement à Port-Say, lui ayant présenté un portrait de la Loïe Fuller, le pacha s'est écrié : Teatro ! El-Hadj-El-Hal s'est ensuite rendu dans les appartements occupés par M. Tapié, qui lui a offert le thé à la marocaine, et avec lequel il s'est longuement entretenu du Sultan Abd- Hul-Hamid et des choses de Turquie. Le pacha marocain est un homme instruit, intelligent, plein de bonté et de savoir-vivre. D'accord avec le caïd et l'officier français commandant le bordj de Djeroud, il s'emploie avec beaucoup d'activité à régler fort équitablement les différends qui peuvent s'élever entre les négociants du Kiss et les agriculteurs marocains qui viennent y vendre leurs céréales. Une dispute assez grave qui a troublé les transactions du marché s'est élevée hier à Arbal, sur le territoire marocain, entre quatre indigènes. Un accident qui aurait pu être mortel s'est produit hier matin à un puits qu'on creuse actuellement auprès de l'avenue des Zaffarines : un ouvrier menuisier était occupé à recouvrir le puits au moyen d'un bonnet de police en bois lorsque, mettant imprudem¬


ment le pied sur une planche qui n'était pas fixée, il fut précipité dans ce puits d'une hauteur de quinze mètres. La nappe d'eau amortit heureusement la chute de l'infortuné ; on ne constata qu'une foulure du pied gauche et des contusions. Cet ouvrier a été aussitôt transporté à Nemours, après avoir reçu les soins que nécessitait son état. On apprend des Zaffarines que le lieutenant-colonel gouverneur du presidio est nommé gouverneur du fort Santa Caterina, à Cadix. M. Gregorio, maître de port de l'Ile de la Reine, est nommé à Mélilla en la même qualité. Ces deux fonctionnaires ont quitté les îles Zaffarines aujourd'hui, par le courrier Sévilla. Dans la nuit du 7 au 8, les autorités espagnoles des Zaffarines ont constaté qu'une porte du parc d'artillerie avait été forcée et que deux fusils de guerre Mauser avaient disparu. Les pêcheurs ayant quitté l'île le 8 au matin sans autorisation, furent appréhendés à leur retour, le soir, et trouvés porteurs d'une somme assez importante. Accusés d'avoir vendu, sur la plage du Kiss, les fusils dérobés, une instruction a été ouverte par le Gouverneur par intérim. Les accusés ont allégué pour leur défense que l'argent trouvé en leur possession leur avait été remis par un négociant d'Oran, arrivé dans la matinée avec le Zénith, lequel négociant aurait été le débiteur de l'un d'eux. Je ne donne pas la mercuriale des céréales sur notre marché, la campagne étant presque achevée. Du reste ces renseignements sont très exactement rapportés à Oran par les négociants de notre place. Et le

17 octobre celte

autre.

Hier, mercredi, à 4 h. 10 du soir, le petit côtre le direcKiss, venant Guillaume Tell arrivé est au « », tement d'Oran et n'ayant mis que 26 heures pour


effectuer cette traversée de 85 milles. Le moteur à pétrole installé à l'arrière de ce petit voilier de six tonnes, a normalement fonctionné sans aucun accident de mécanisme, les arrêts qui se sont momentanément produits, n'ont été dûs qu'à l'usure et à la polarisation des piles d'allumage qu'il a fallu démon-

ter, nettoyer, recharger. C'est précisément parce que ces petits moteurs merveilleux, légers et fragiles comme des ailes d'oiseau, peuvent être utilisés à bord des canots des torpilleurs, que le commandant Hautefeuille avait mis le second maître-mécanicien Henry, de la Défense mobile, à la disposition de M. Daniel Bourmancé, pour monter le moteur, l'étudier, le régler et conduire le « Guillaume Tell » au Kiss.

Le « Guillaume Tell » était piloté par le vieux pilote d'Oran, le père Thomas, et M. Say avait avec lui, à

bord, ses deux marins marocains, Bou-Rhaba et Allouch, qui est devenu le patron en chef des embarcations de M. Say, depuis l'affaire du Cap de l'Eau, où fut tué Jules Pouzet, il y a deux ans. Le 16, à 9 heures du matin, est arrivé au Kiss le commandant Bouvier, commandant supérieur du cercle de Marnia, en tournée d'inspection, accompagné du commandant Bunel et de Mlle Bouvier. Si el Hadj Hallal, le pacha de la Kasba marocaine, est venu à Il heures, saluer le commandant Bouvier, M. Say a retenu tous ces messieurs à déjeuner. A 1 heure, est arrivé sur rade, le Zénith, pour embarquer 3000 quintaux d'orge de M. Nougaret. Le 17, à 10 heures du matin, sont arrivés au Kiss les deux torpilleurs, l'Aventurier et le Dondard-deLa-Grée, conduits par M. Colson, lieutenant de vaisseau, qui commande l'école du pilotage et venait pour la seconde fois depuis un an montrer la frontière du Maroc aux élèves pilotes. C... Intéressante celle-là.


Un canot à pétrole attaché au service de Port-Say. Et puis cette autre indication, le pacha déjeunant chez Louis Say avec le commandant supérieur de Marnia. C'est là que fut faite l'invitation à la suite de quoi Si Hadj Hallal a assisté aux courses de Marnia ; politesse significative et que soulignèrent tous les grands journaux de la métropole. chapitre chronique du Kiss (une je crois Et ce que ... réunion, j'en conviens, peu cohérente de coupures de

journaux) mieux, beaucoup mieux qu'un morceau littéraire de belle tenue à quoi j'aurais pu hausser en l'ordonnant, mon effort, mieux et de manière surtout plus documentaire, vous a montré la vie de Port-Say en ce livre qui est une oeuvre documentaire. D'ailleurs je me propose de la reprendre quelque jour cette vie. Au programme de mes travaux à venir elle est inscrite pour un livre où je veux dire en tout le détail amusant que le sujet comporte, celte opération qui de nos jours est plutôt rare : comment on fonde une ville. Ici nous avons seulement une constatation à faire. Cette ville est fondée. Elle vit. Maintenant nous allons montrer en le demandant à des gens qualifiés pour le savoir le pourquoi de sa vitalité, le pourquoi dont les gens de Nemours n'ont pas l'air de se douter, pas plus que le gouvernement général de l'Agérie, le pourquoi maritime qui fait du Kiss et du Port-Say la tête maritime de la seule roule terrestre commerciale d'accès au Maroc par la Méditerranée.


CHAPITRE XXVIII

Port-Say vit. — Les raisons maritimes de sa vitalité et de son développement à venir. — On les voit 1° en consultant les cartes. 2° En lisant les Ins ructions nautiques, recueil officiel de géographie côtière publié par le ministère de l'a marine. — Ces instructions établissent les bonnes conditions maritimes et commerciales de PortSay. — Elles disent les mauvaises conditions maritimes et commerciales de Nemours, et signalent la décadence économique de cette ville. — Elles disent les mauvaises conditions de Rach'goun. Les instructions nautiques signalent les baies du Chetih et de la Moscarda comme bons abris naturels pour les bateaux de faible tonnage. Les torpilleurs sont des bateaux de faible tonnage. — La vérité géographique oblige à dire que le port du Maroc oriental et de l'Algérie occidentale, c'est Port-Say.

La marine entretient à Oran une

défense mobile », contre-torpilleurs et torpilleurs, une escadrille qui, en temps de guerre, serait chargée de surveiller les escadres ennemies débouchant du détroi de Gibraltar et menaçant de débarquements et de bombardements les divers points côtiers importants de la province d'Oran. Sans doute son programme d'action comprend-il aussi la surveillante de l'entrée des territoires Marocains du bassin de la Moulouïa. Lorsque j'éais à Oran, la « rumeur publique » disait que le commandant de la défense mobile, M. Haute— «


feuille, qui dut jadis, au Tonkin, sa belle réputation à des exploits de fantassin, n'aime pas beaucoup la mer, et que ce fait, joint au désir toujours louable chez ceux qui dépensent les deniers publics, de réaliser des économies, immobilisait souvent la défense mobile, et que les sorties maritimes, surtout dans les eaux frontières n'étaient pas très nombreuses. Les contretorpilleurs et les torpilleurs vont néanmoins dans les eaux du Kiss, devant le cap de l'Eau, devant les Zaffarines, quelquefois. Et leurs commandants n'ignorent pas les dangers de la côte entre le port d'Oran et la plage du Kiss ; ils connaissent la houle de Nemours et les cailloux de Rachgoun. Au cours de mon enquête leur demander ce qu'ils pensaient du Kiss, en marins, eût offert beaucoup d'intérêt. Leur avis, je n'en disconviens pas, aurait donné quelque autorité à mes notes de reporter. Mais lorsqu'on traite une question qui a donné matière et donnera encore matière à polémiques, il est toujours délicat, souvent maladroit d'aller interroger des fonctionnaires en exercice, que ces fonctionnaires soient d'ordre civil ou d'ordre militaire. Imaginez que j'aie été voir le général O'Connor et que cet honorable officier m'ait dit que le commerce pour être rémunérateur doit se faire par les territoires militaires du Sud, que les plages du Kiss malgré qu'elles commandent les plaines les plus riches du Maroc et qu'elles soient au débouché des montagnes Kabyles algériennes les plus cultivées ne pourront jamais servir qu'à l'installation de casinos, de bains de mer, si je le répétais la réputation de bon sens dont jouit le général O'Connor en souffrirait. Imaginez que le même officier général m'ait dit que le commerce entre Marocains, Kabyles et négociants oranais ne peut être fait honnêtement que sous la surveillance rigoureuse des militaires, dans les postes bien militaires, de territoires parfaitement et pour longtemps militaires, que ce commerce émigrant au bord de la mer, dans un port nouveau l'autorité civile à force d'intrigues en obtiendrait fatalement le contrôle et que du coup dispa¬


raîtraient avec la tutelle militaire les garanties militaires d'honnêteté qui rendent aujourd'hui ce commerce honnête dans les postes honnêtes de la frontière honnête du Sud... imaginez que cela me soit dit et que je le répète... vous voyez du coup cet élément de discorde entre l'autorité militaire et l'autorité civile, dont, chacun sait ça, l'union et la concorde sont exemplaires, touchantes. Imaginez qu'à la préfecture on m'ait dit... mais nous parlions marine. Imaginez que la défense mobile d'Oran m'ait dit : la plus Kiss marine, Rien faire la à pour pas « pour au marine de commerce que pour la marine de guerre... que je publie cet avis... et que demain te ministère de la marine, découvre avec les seules lumières du bon sens que pour surveiller la sortie du détroit de Gibraltar, que pour surveiller le mouillage-abri des Zaffarines, les torpilleurs doivent avoir leur station le plus près possible de ces points : imaginez que le ministère donne des ordres d'accord avec cette évidence et logique et géographique... je vous demande ce que deviendrait le prestige et l'autorité de ta défense mobile d'Oran ! Quel mal de mer, quel naufrage ! Aussi comme je ne veux point exposer de brave gens à de tels désagréments, je n'ai rien demandé au général O'Connor, je n'ai rien demandé aux officiers de la défense mobile d'Oran. Et ils ne m'ont rien dit. Et ce qui précède c'est des imaginations. Quand j'étudiais autrefois la logique on m'apprenait que la plus rigoureuse dialectique souffrait l'hypothèse. Donc hypothèses... Mais pour ce point spécial des appréciations des marins sur les avantages et les dangers du littoral méditerranéen à la frontière du Maroc et de cette frontière jusqu'à Oran, sans demander aux pontifes des interviews gênantes et qu'on dément ou que l'on confirme suivant la direction d'où souffle le vent, il y a, ce me semble des documents officiels publiés, publics.


Voyez les carles d'état-major ; les cartes marines (1). Ouvrons les instructions nautiques. Et lisons.

Du cap del Agua à la frontière. Entre le cap del Agua et le Skis, rivière qui forme la frontière entre l'Algérie et le Maroc, se développe la longue plage de Tazagranet parfaitement régulière. Derrière cette plage on voit une vaste plaine très peuplée qui s'élève en pente douce jusqu'au pied des montagnes situées à quelques lieues de la côte et habitées par les tribus des Beni-Snassen. Toute la plage est très saine. On peut l'approcher partout à I mille avec des fonds de 10 à 12 mètres. Les fonds de 20 mètres sont à 2 milles de la côte.

Skis ou Oued-Hadjeroud. Cap Milonia. La petite rivière Skis qui sépare le littoral marocain de celui de l'Algérie, coule à l'extrémité est de la

grande plage Tazagranet, au pied ouest d'un massif de montagnes mamelonnées, de 200 à 400 mètres de hauteur qui forme le cap Milonia situé à 3 milles, à l'est du Skis... Entre le Skis et le cap, la côte est composée de falaises très découpées, avec plusieurs petites criques ouvertes au Nord-Ouest où les navires d'un faible tonnage peuvent trouver un bon abri contre les vents d'Est au Nord-Est; la meilleure se nomme mer, Chellil ; cet abri est excellent pour cacher des embarcations. Cette côte paraît très peuplée surtout du côté du Maroc ; les relations sont fréquentes entre les deux rives du Skis ; mais elles ne sont pas toujours pacifiques. Fendant que les Marocains viennent reproduction en eut inutilement augmenté le prix de cet ouvrage. Ces cartes se trouvent dans toutes les bibliothèques. (1) La


sur notre territoire en toute liberté, pour faire le trafic de leurs denrées, montés sur leurs ânes, toujours armés de leur long fusil et de leur sabre, ils ne permettent pas aux nôtres de traverser la rivière ; on entend souvent la fusillade dans les montagnes voisines habitées par les tribus guerrières des BeniSnassen, qui semblent affranchies de toute autorité. La littérature et l'imagination perdent les humains. Parfois elle dictent sottise au marin. Il est vrai que la plage du Kiss, autrefois, lorsque les vendeurs marocains y trouvaient acheteurs nemourois qui pesaient le blé à faux poids sur balances truquées (1), a été le (I) Cette habitude n'a point disparu. Au mois d'août de cette année, sur certain chantier installé à l'embouchure du Kiss les autorités militaires de Marnia ont saisi, et emporté à Marnia, où les fraudes ont fait l'objet de procès verbaux, des faux poids. Inutile d'ajouter que Louis Say, le protagoniste de marchés réguliers, au Kiss, le fondateur de Port-Say, n'a aucun rapport avec les voleurs qui par de semblables pratiques semblent vouloir désormais compromettre son oeuvre. Louis Say n'a d'ailleurs jamais voulu faire oeuvre de commerce. Il veut mettre à la disposition du commerce, honnête et soumis aux lois, une ville, un port. Voilà tout. Et c'est beaucoup...

Il ne faudrait pas cependant accuser les seuls européens de la déloyauté dans ces transactions « céréales ». Evidemment il y en a beaucoup qui truquent balance et boisseau. Mais les veudeursarabes, Kabyles, marocains ne sont pas moins « ficelle ». Parfois il y a jusqu'à 15 kilogrammes de terre ou de sable dans un tellis de cent kilogrammes. On ouvre le sac on regarde le dessus. On plonge la main. On ramène des grains propres sans une souillure de poussière.« Bon voilà un arbi honnête, se dit l'acheteur... On va pouvoir le rouler. » Et tout en promettant le caoua au bon, à l'honnête arbi, le bon, l'honnête roumi, souriant, s'approche de la balance, donne un coup de pouce à la gâchette des grammes et prie le vendeur de verser son grain. Les regards des deux hommes sont alors admirables de bonhomie ; chacun sait qu'il va tromper l'autre, mais chacun croit qu'il sera seul à tromper l'autre... or ils sont tous deux également parfaits commerçants.


théâtre de fusillades sanglantes. Mais aujourd'hui elle est plus sûre que la banlieue de Paris. Quant à la fusillade » que « l'on entend souvent » dans les montagnes voisines, l'imagination a de quoi nous en étonner Les montagnes voisines, celles qui dominent l'est de la plage, la partie où est construit Port-Say, elles sont habitées par des Kabyles algériens, les Mengouch, nos sujets. Ces Français qui cultivent toutes les parties cul«

L'honnête roumi a truqué sa balance. Mais en versant son tellis dont les blés de dessus... quels magnifiques blés !... sont purs de tout mélange, un savant coup de pied du marocain dans la cascade et c'est le mélange, le terrible mélange du 15 % de perte au poids... la terre et le sable qui étaient au fond du sac, la balance en prend le poids avec celui du blé. Le Roumi jubile parce que l'Arbi n'a pas vu le coup de la balance. Et l'Arbi jubile encore plus parce que le Roumi n'a pas vu le coup du fond de sac. Et tous deux sourient. Et tous deux se félicitent mutuellement deleur extraordinaire honnêteté commerciale. Ah ! ce n'est pas comme à côté, diantre non ! l'air côté, le qui d'une l'acheteur d'à Tu sais a gros ca« naille... eh bien c'en est une,., sa balance pas bonne... jamais tu entends bien, n'y vas jamais et recommande aussi à tes copains de ne jamais y aller. Vous seriez volés... C'est pas comme ici : Ah non... — « Même chose moi, susurre le Marocain, bon blé, bono, bono... c'est pas comme cette canaille d'un tel (généralement le doux musulman cite son meilleur ami) Ah non ! c'est pas comme bien feras celui-là tu d'être ioudi... digne vaurien avec un avec ce d'ouvrir l'oeil... et le bon. » Ça en prenant le caoua au milieu des tas de blé sur la dune de la plage, vous ne sauriez imaginer plus exquise et délicieuse comédie. Et quels yeux, quels regards, quels sourires. Ce n'est plus le commerce entre deux races ennemies, c'est toutes les diplomaties de ces deux races l'une contre l'autre.

J'ai noté un curieux

«.

moyen de défense

»

de l'arabe contre les-

faux poids des balances. Il se pèse à une, à deux, à toutes les balances qu'il croit justes. Et quand il apporte son blé, pour contrôler la balance de l'acheteur il se pèse... Il voit ainsi —à peu près — si les pesées de son blé seront vraies. Mais le malheureux ignore le coup « de la réglette » des grammes.


tivables de la montagne, et qui plus que tous autres protestent quand on veut leur défendre d'embarquer leurs grains au Kiss, à deux pas de leurs champs, et qu'on émet la prétention de les forcer à porter leurs récoltes, à Nemours, très loin, à soixante kilomètres, par de mauvaises pistes ; ces français indigènes sont administrés par un caïd dont le bordj est construit à côté de celui de nos spahis d'Aoudjeroud. La seule fusillade que l'on pourrait entendre de la plage... et encore, il y faudrait l'ouïe bien fine... ce serait la leur. Et si parfois une vengeance tue quelqu'un chez eux, comme ils ne sont pas affranchis de toute autorité, qu'ils en ont une, et très serrée, la nôtre, celle de nos militaires, ils n'ont point la fusillade chronique. Loin de là ! Quant aux Beni Snassen, leurs montagnes sont séparées de la plage par la large plaine des oulad Mansour et par l'immense plaine des Triffas. Môme le canon chez eux ne pourrait s'entendre à la plage... Donc... Mais, ne retenons pas du rédacteur des instructions nautiques ce qu'il dit qu'on voit à la plage du Kiss ; plutôt ce qu'il a vu ; ce qui est plus de son métier. La plage qui continue.— il a oublié de le noter — sur quinze cents mètres entre l'embouchure du Kiss, la frontière, et la première falaise appartenant au système orographique du cap Milonia, cette plage, dit-il est « très saine. On peut rapprocher partout à un mille avec des fonds de 10 à 12 mètres. » Il est regrettable que les instructions nautiques ne donnent pas les sondages plus près de terre. Je les prends dans une brochure de M. Henri Caillol. (Le Kiss. 1901) Cet auteur dit :

trouvé des fonds de trois mètres et plus le long du promontoire d'El-Kelaa entre la plage du Kiss et celle du Chetih. A 200 mètres de la pointe d'El-Kelaa, il y a des tonds supérieurs à 5 mètres, ce gui n'existe à pareille dislance ni à Nemours ni à Melilla. « Il a été


construit une petite jetée bordant la crique formée par la plage et le promontoire d'ElKelaa et en creusant dans le dit promontaire une ouverture qui permet, par quelques rochers jetés à la mer, de s'approcher à moins de 100 mètres du Zénith » qui cale 3 mètres. « M. Louis Say a

Une observation du rédacteur des Instructions nautiques est à retenir. C'est celle qui a trait aux criques sous le cap Milonia. Il y a là deux jolies baies en forme de la lettre grecque oméga w, murs de rocs sur les côtés et rocher dans le point central ; les deux fonds en plage. C'est les baiesplages du Chetih et de la Moscarda. Elles offrent d'excellents abris pour les navires d'un faible tonnage ; parfaits contre les vents d'Est et Nord-Est disent les Instructions nautiques officielles. J'ajoute que des travaux peu coûteux compléteraient rapidement cet abri contre tous les vents. Et sans être marin, ni ingénieur hydrographe, ni stratège naval, ni constructeur de ports, sans vouloir prétendre à compétences professionnelles réservées, mais en homme de simple bon sens, et qui voit dans beaucoup des questions navales dont les imbéciles voudraient faire des choses mystérieuses, sacrosaintes, inaccessibles, tabou, des questions justiciables du bon sens et de la plus vulgaire logique, j'affirme que le point naturellement indiqué pour une station de torpilleurs destinés à surveiller les approches de nos côtes algériennes, c'est cet abri naturel du Chetih et de la Mosearda, sous le cap Milonia, à côté de la plage du Kiss, sur ta frontière. Cela est évident. Et quand un homme se trouvera au ministère de la marine qui voudra bien... je ne prétends pas lui demander le voyage du Kiss... mais simplement jeter les yeux sur une carte, s'il n'est pas un aveugle, il ordonnera l'immédiat aménagement d'un poste de torpilleurs eu Kiss. Les services de la marine algérienne compren¬


nent beaucoup de défendes inutiles dont la suppression donnerait tout de suite les ressources nécessaires à cette création. C'est d'ailleurs une question qui vaut mieux qu'un chapitre de ce livre, et je me réserve de la soulever et de la traiter ailleurs. Poursuivons la lecture des instructions nautiques. Les enragés adversaires de tout effort au Kiss, les gens qui voudraient que cette parcelle magnifique de la terre algérienne demeurât un camp maudit, un embarcadère redouté, abandonné par privilège national aux voleurs de bestiaux et aux contrebandiers, sont les gens de Nemours et les gens de Rachgoùn. Nemours dit « rien à faire au Kiss... impossibilités d'embarquement... folie d'y rêver un port. » Les campagnes de 1901, de 1902 les milliers de tonnes embarquées par le Zenith, par le Rosario, par la Norma etc... etc... sont, contre les arguments de Nemours une preuve du genre de celle qui servait au logicien de jadis contre les sophistes. Ceux-ci par des raisonnements subtils où l'aiguillage qui conduit à l'absurde se masquait de beaux mots, de belles fleurs de rhétorique sous quoi ne se voyait point L'amorce du déraillement, arrivaient à l'abrutissante conclusion que le mouvement n'existe point. Railleurs, superbes, heureux, triomphants ils disaient ensuite à leur contradicteur de bon sens qui était tout seul à protester en leur assemblée : « Réfutez, réfutez nos arguments si vous pouvez !... » L'autre qui ne voulait qu'une chose, prouver le mouvement, ne s'inquiétait pas de chercher phrases, dilemmes, synecdoques ni autres choses plus ou moins baroques où les autres l'eussent pincé et collé au demi-tour ; il ne s'embarrassait point dans tout cela ; mais, simplement, il se levait, il marchait... C'était du mouvement. La preuve n'avait pas besoin de phrases longues. Et même comme certains des sophistes qui n'admettaient pas encore cette preuve expérimentale, ayant de leurs clameurs échauffé les oreilles du logicien


de bon sens, un acte de mouvement plus démonstratif, un coup de poing sur le nez au plus braillard, les lit taire et leur montra cette fois sans réplique possible que le mouvement c'était belle, bonne, solide, et frappante et touchante réalité... Les gens de Nemours lorsqu'ils veulent, par les dissertations de LIabador Octave... et autres, prouver que l'activité commerciale maritime est impossible au Kiss me rappellent ces doux sophistes du Lycée qu'un homme de bon sens abrutit parle plus de je du ne coup — poing — en marchant devant leurs discours. Rien à faire au Kiss... Louis Say leur montre dix chantiers d'achat sur la plage aux coups de fusils, et plus de cent chargements de navires comme le Zenith, la Norma, le Rosario dans ce port du naufrage. L'expérience a montré par le fait, devant quoi tombent tous les sophismes, la vitalité maritime du Kiss dont les instructions nautiques officielles reconnaissent que c'est une plage très saine et qu'on y trouve des abris naturels pour les navires de faible tonnage. Que disent les mômes instructions de Nemours qui se croit en possession d'un port ? C'est court. C'est net. Voici :

Nemours. La petite ville de Nemours, fondéee n 1848 sur l'emplacement d'un poste militaire destiné à surveiller la

frontière du Maroc, est construite devant une plage de sable de 1300 mètres de longueur, orientée de l'E. N. E., à l'O. S. O et complètement exposée à la mer et au Mauvais temps du |N. O ; la moindre houle la rend inabordable, et en hiver les communications entre la terre et la rade sont le plus souvent impossibles. La population de Nemours et de sa banlieue est de 2490 habitants. ...Le débarcadère... est complètement exposé aux vents d'ouest...


Les conditions déplorables dans lesquelles sont les navires qui mouillent à Nemours pour charger ou dé-

charger nuisent considérablement à l'avenir commercial de cette petite ville. Aussi le nombre des bâtiments qui fréquentent ce mouillage est-il en décroissance; en 1875, on en comptait 334 par an, tandis qu'en 1890 ce chiffre descendait à 130, et encore faut-il comprendre dans ce total toutes les petites balancelles espagnoles qui viennent y trafiquer. Le tonnage effectif total (entrées et sorties comprises) était cette même année de 114.000 quintaux métriques. Une condamnation sans phrases. Que dis-je condamnation ! Une exécution. Les marins ne connaissent pas dans leurs travaux officiels, techniques, l'art de dorer la pilule. Comparez cette brève, sèche, froide et terrible et tranchante notice... un coup de sabre dans la ronce... aux périodes éloquentes et redondantes et charlatanesques de tous les hauts fonctionnaires et de tous les politiciens qui ont chanté à Nemours l'importance commerciale, l'avenir économique, la prospérité... boum ! boum!... de cette petite ville inabordable à la moindre

houle. Quand Louis Say disait aux gens de Nemours : « Votre situation géographique est mauvaise. Tout progrès vous est naturellement défendu, si vous vous obstinez à sommeiller derrière vos comptoirs, séparés de la vie commerciale algérienne et marocaine par d'infranchissable barrières, aussi bien du côté de la mer que du côté de la terre... ne dormez pas... Réveillez-vous. Agissez où l'action est possible, au Kiss. » Les gens de Nemours ont répondu à Louis Say par les pires injures et l'ont accusé de tous les crimes. Il était un calomniateur, un diffamateur... et un fou, Alors que peut bien être pour eux le rédacteur officiel des Instructions nautiques, publication officielle du ministère de la marine. Jamais Louis Say, jamais personne n'a été, ne sera si


terrible contre eux. Jamais condamnation de leur ville restée foetus en bocal, de leur ville sans avenir commercial, sans progrès économique possible, n'a été et ne sera si brutalement, si froidement, si impitoyablement, et ajoutons-le, hélas pour eux! si raisonnablement jetée dans la balance des de. tinées algériennes. Nemours a pu vivre au temps de la Piraterie. Elle ne peut que végéter et décroître et mourir au temps du commerce. Et notez le bien encore. Cela ce n'est pas des calomniateurs intéressés comme nous en sommes, Louis Say, moi... qui le disent. Non. C'est la froide science du ministère de la marine, et bien désintéressée dans la question, je vous prie de le croire, puisque cette condamnation de Nemours était publiée bien avant que fut soulevée la question du Kiss. « Rien à faire au Kiss, rien à faire Monsieur » c'est la dernière phrase que j'ai entendue à Nemours en y passant. Quand je lis les instructions nautiques je vois: de de commercial la plage Nemours, mouvement en« trées et sorties cent quatorze mille quintaux. » Et quand je suis parti d'Oran, M. Oser l'armateur du Zenith à qui je demandais le mouvement du Kiss m'a dit : Cette année, Monsieur, plus de cent mille quintaux. » Notez pour les sorties seulement. Car les entrées qui font la contre partie de ce mouvement de sortie, la sagesse de nos gouvernants qui croient défendre les gens de Nemours — des cadavres — les assure à Melilla. Ainsi est officiellement liquidée la question « marine » de Nemours et la comparaison entre les mérites commerciaux des deux ports le Kiss et Nemours. Observez bien qu'il nous serait absolument indifférent, que l'on fit à Nemours tous les sacrifices imaginables, pour que l'agonie commerciale de cette ville fut transformée en renaissance. Notre coeur de bon français se réjouira toujours de tout ce qui, contribuant à la prospérité d'une part quelconque du pays, contribue par cela même à la fortune générale du pays que nous aimons. Si nous traitons ainsi Nemours avec une férocité du


genre de celle qui inspirait le rédacteur officiel des instructions nautiques, dont l'impartialité est hors de doute, et qui, absolument désintéressé dans la question, n'avait aucune raison de n'importe quel ordre pour marquer d'une croix funéraire les portes de ce grand dortoir de Nemours, nous avons, nous, l'excuse de la lutte, la nécessité de la défense. Et s'il fallait trouver que, d'écraser ainsi la malheureuse cité, que de réveiller la « Laide au désert dormant » pour lui dire qu'elle va mourir, qu'elle doit mourir, qu'elle est condamnée sans rémission possible, et que la mort sèche, la mort lente qui l'ensable c'est une peine capitale contre quoi il n'est grâce ni sursis que l'omni intrigue de leur Etienne puisse obtenir de l'Etat, que le Président de la République n'a point pouvoir de remettre les peines de ce genre... s'il fallait en cela trouver quelqu'un que l'on dût accuser de féroce bourrellerie, je le demande est-ce nous qui serions coupables où bien le ministère de la Marine? Et les malédictions des condamnés de Nemours, la réprobation de leur patron Etienne, est-ce nous qui devrions en être l'objet? N'est-ce pas plutôt : 1° Le Bon Dieu qui a fait pousser autour de la mairie de Nemours le Filhausen et le Chaïbrasso ; le bon Dieu qui, devant les balances du marché à six sous le quintal, a fait monter le fond de la mer; le bon Dieu qui sous les gondoles des Llabador X. Y et Z fait rouler la houle... Un mauvais Dieu somme toute pour ces pauvres bougres. 2° Ces calomniateurs, ces médisants, ces diffamateurs du ministère de la marine qui sont cruels au point de constater les méfaits du mauvais dieu contre les malheureuses victimes nemouriennes, et plus cruels encore de publier ces constatations en les accompagnant de commentaires où se lit la mort de la cité... Qu'est-ce que les électeurs d'Etienne ont bien pu faire à Dieu et aux prédécesseurs de Pelletan pour être ainsi maltraités? Je concevrais qu'ils fussent en colère


et furieux contre ceux-là. Mais contre nous... Est-ce nous qui les avons attaqués?... Est-ce nous qui troublons leur somnolente agonie? Je sais bien que Louis Say a essayé de les secouer de leur torpeur en leur montrant le Kiss, mais comme ils préféraient dormir, mourir, et qu'ils « sentaient déjà » il ne s'est plus inquiété d'eux. Sans eux il est allé au Kiss. Ce n'était ni pour eux, ni avec eux... Mais ce n'était pas contre eux. C'était sans eux. Voilà tout. Et les yeux fixés sur l'avenir, sur l'avenir prospère, sur l'action moderne, sur la pénétration commerciale du Maroc par le Kiss, Louis Say jetait les fondations de Port-Say en oubliant Nemours et les dormeurs de Nemours. Mais comme tous les dormeurs maladifs, comme les agonisants, les gens de Nemours ne pouvaient souffrir, dans leur zône de léthargie, entre leur cité morte et le Maroc un centre de vie et d'action. Avant que Port-Say fut sorti du roc et du sable ils ont voulu, ils ont essayé de l'étouffer, de l'écraser. Ils ont attaqué Louis Say et son oeuvre, comme s'ils avaient eu devant eux un bas aventurier et une oeuvre anti-française. Et pour cela ils ont fait agir avec eux les gens qui voulaient Rachgoùn ne pouvaient admettre Port-Say. Rachgoùn... vous savez... celle position merveilleuse qu'on nous a tellement prônée, si vantée, et qu'on nous disait « en face de Gibraltar ! » En a-t-on assez joué, du spectre anglais et de la menace de Gibraltar pour essayer de faire passer l'entreprise de Rachgoùn ! Là, il n'y avait pas de spéculations, grands dieux, non ! c'était une oeuvre de défense nationale, une oeuvre de salut public... Il fallait à notre marine un port en face de Gibraltar, un port qui neutralisait Gibraltar ; et c'était du Gibraltar et de l'anti-Gibraltar à toutes les sauces... en face de Gibraltar, un simple coup d'oeil sur une carte et l'on pouvait voir la qualité de cet en face et l'équivoque. Mais ceux qui connaissent bien le public français, les habiles qui depuis tant d'années lui ont fait avaler... (voyez la cote aux pieds humides),


ceux qui savent qu'avec un roulement de tambour sur un appel aux trois couleurs, on peut en faire voir de toutes les couleurs à la naïveté publique, ceux-là chantent un couplet patriotique et présentent leurs affirmations sans crainte de les voir contrôlées par le client. Malheureusement, en l'espèce, le gros client c'était l'Etat. Et malgré toutes les objurgations des gardiens de la défense nationale algérienne — on dit que ces gens dévoués avaient obtenu que les terrains de Rachgoùn, terrains sans rapport, ne valant donc pas grand chose fussent donnés pour pas grand chose, pour rien, par leurs propriétaires à la patrie qui en avait besoin — malgré toutes les sollicitations, malgré môme cette offre généreuse — pleurez mes yeux ! — l'Etat commençait à trouver les ports algériens d'une digestion plutôt pénible. Et puis l'Etat n'avait pas le sou. On lui offrait bien les terrains pour rien. Mais il y avait le reste... qui coûte si cher. Malgré la meilleure volonté du monde on ne pouvait ajouter ce reste au budget. On n'a pas pu sauver la France à Rachgoùn. On la sauvait déjà en Indo-Chine, au Yunnan. Le parti colonial devait se contenter de s'immoler à la gloire et au salut de la France en n'obtenant garanties d'intérêt que pour les grosses affaires des chemins de fer Indo-Chinois et du Yunnan. Vous savez cette magnifique affaire des chemins de fer à construire au Yunnan, affaire votée par le Parlement sur un dossier où il ne manquait qu'une pièce. Insignifiante d'ailleurs. Le consentement du gouvernement chinois à la construction du dit chemin de fer sur son territoire. Car le Yunnan, c'est en Chine. De sauver ainsi la France en Extrême-Orient on fut obligé de négliger l'entreprise de Rachgoùn, ce port naturel en face de Gibraltar et dont les instructions nautiques nous disent :

Plage de 1300 à 1400 mètres de longueur orientée N. E. et S. O. complètement ouverte aux mauvais temps de l'Ouest au Nord. La mer y déferle très tré-


quemment ; les brisant communément loin au large, à cause des petits fonds de 5 à 6 mètres qui se trouvent au milieu de la baie. La rivière est barrée à son embouchure par des bancs de sable et l'on ne peut y faire pénéter les embarcations qu'en les traînant sur le sable. Décidément ces marins des instructions nautiques n'ont aucun respect des affaires ! Rachgoùn, espoir de la patrie, comme ils en avaient, avant le projet, férocement exécuté le projet... Si nous écrivions, nous, cela, que la plage de Rachgoùn, où l'on voulait faire le grand port de salut contre Gibraltar, en face de Gibraltar est inabordable à cause des brisants etc... etc... Si nous affirmions cela, on nous dirait que le souvenir des attaques dont fut entourée la naissance de Port-Say nous égare et que sans pitié avec la plus sauvage mauvaise foi nous nous acharnons sur des ennemis vaincus. Mais que les lanceurs de Rachgoùn « équivoquaient » lorsqu'ils disaient Rachgoùn en face de Gibraltar, est-ce de nous, cette constatation d'un équivoque bien près du mensonge. Non. C'est des cartes; de toutes les cartes; cartes qu'on ne peut modifier pour appuyer un pros-

pectus.

Mais que la plage devant le port à creuser à Rachgoùn ne soit pas abordable aux navires de guerre, est-ce nous qui l'écrivons; non; c'est les instructions nautiques, rédigées pour permettre aux bateaux de ne pas. se perdre. Mais que Nemours soit une plage où les navires mouillent en des conditions déplorables, qui s'opposent à tout progrès commercial, est-ce nous qui l'affirmons ; non ; c'est encore les instructions nautiques lesquelles n'ont pas à s'inquiéter, comme M. Etienne, des trois cents électeurs de Nemours, et ne voient, et ne disent

vérité. Mais que la plage du Kiss soit une plage « saine pour

que

la


les navires ; mais que des torpilleurs aient un abri naturel dans les baies du Chetih ; mais que Port-Say existe sous l'abri du cap Milonia ; mais que Port-Say soit au point de départ des vallées qui sont la roule naturelle de Fez ; mais que Port-Say soit le port le plus rapproché (ne disont point en face) le plus rapproché de Gibraltar; est-ce nous qui disons encore cela? Non. C'est encore les instructions nautiques et les cartes, qui, elles, ne s'inquiètent pas je le répète, de servir telle ou telle thèse, qui ne connaissent ni Louis Say, ni les gens de Nemours, ni M. Etienne, ni les gens de Rachgoùn, mais seulement la vérité. Or, nous, en luttant pour le Kiss, en nous défendant contre ceux qui attaquent le Kiss, nous ne voulons d'autres armes que celles que nous donne la vérité. Elles suffisent... on vient de le voir. El si l'on veut, résumé, ce chapitre intitulé le Kiss et la marine, ce sera, en absolue vérité, et sur le témoignage officiel des données de géographie nautique; ceci

:

marine de point de Port-Say Du vue guerre « » — •constitue l'abri naturel, c'est-à-dire creusé et indiqué par la nature pour une flotille de torpilleurs en action d'offensive ou de défensive, dans nos eaux les plus rapprochées de Gibraltar. Pour le môme objet Rachgoùn n'offre point d'abri et est trop éloigné. Quant aux travaux de création d'un grand arsenal... on en reparlera quand il n'y aura plus de déficit au budget de la République. marine de ». point de PortDu vue commerce « — Say est au débouché des routes commerciales. Port-Say a un port. Nemours est au pied de montagnes chaotiques sans roules commerciales. Nemours n'a pas de port. Et c'est Louis Say qui a raison contre Rachgoùn et Nemours, et contre les gens du gouvernement, qui pour Rachgoùn et Nemours méconnaissent la vérité géographique, la vérité économique.


CHAPITRE XXIX

Sur les îles Zaflarines dont le voisinage du Port-Say rends la notion intéressante. — Description des instructions nautiques. — L'histoire des îles Zaffarines. — M. de Suffren indiquait en 1764 ces îles et la plage du Kiss comme porte du Maroc. — Thomassy reprend cette idée. — Comment fut manquée l'occupation. M. de MacMahon arriva trop tard. — Une proposition de cession des îles à l'Allemagne en 1885. M. Ximènès. Projets actuels de dépôt de charbon.

Je suis allé aux îles Zaffarines. Mais pour les décrire je préfère transcrire les quelques lignes de notice des instructions nautiques du ministère de la marine. Ce sera plus court et plus... classique.

1

Ces îles placées sur une ligne est et ouest de mille d'étendue forment à 2 milles au nord du cap

Del Agua, une excellente rade abritée du vent et de la mer dans toutes les directions ; c'est le seul bon mouillage de toute la côte jusqu'à Oran. Les coups de vent de Nord-Ouest et de Nord-Est qui, en hiver soufflent quelquefois très frais au large, perdent beaucoup de leur force en pénétrant dans le golfe au fond duquel se trouvent les Zaffarines. Ces îles composées d'un sol granitique, absolument, stériles et privées d'eau douce, étaient restées inha¬


bitées jusqu'en 1847, époque où elles furent occupées par l'Espagne.

Ile Del Congresso. La plus ouest des trois îles est la plus grande et la plus haute ; elle a 900 mètres de longueur Nord-Sud et 136 mètres de hauteur ; elle est terminée par des falaises accores du côté sud mais on débarque facilement sur le côté est au pied d'un petit sentier qui conduit à mi-hauteur de la montagne à une maison qui existe là. Il n'existe qu'un écueil autour de ces îles, c'est un plateau de roches sur lequel il ne reste que 4 mètres d'eau. Il est situé à 400 mètres au Nord Nord-Est de la pointe Nord de l'île Del Congresso.

Ile Isabella Secunda. L'îlot du milieu, Isabella Secunda, de forme arrondie et de 40 mètres de hauteur, est occupée par le pénitencier qui s'étend sur tout le versant Sud. L'église et la tour d'un phare qui, toutes deux, s'élèvent au centre de l'île sont visibles dans toutes les directions. Feu. Sur l'île Isabella Seumda on allume dans une tour carrée blanche, à 64 mètres environ au-dessus du niveau de la mer, un feu fixe, blanc, visible par temps clair de 5 milles. Ile del Rey. Le 3e îlot surnommé île del Rey long, étroit et découpé, offre plusieurs mamelons, dont le plus élevé a 34 mètres de hauteur. Il est inhabité. Les îles Zaffarines quoique pas très connues ont une histoire dont le détail exigerait de longues pages. Tissot nous en dit : Le nom des îles Zaffarines est une corruption de celui de Djafferin qu'elles avaient reçu à l'époque de


la conquête arabe, de la tribu voisine des Beni Dja'fer. Le portulan de P. Visconte de Gènes, 1318, porte Zaffarim ; la carte catalane de 1375, Zaffarim ; celle de Jean d'Uzzano (1442), Jafarin. Ce nom s'altère de plus en plus dans les documents postérieurs qui écrivent Zafarinos, Chafarinas, Chafelines, Zapharines, Zaphran. El Bekri donne aux Djaferin l'épithète d'Iles de la Molouïa. L'île du centre est désignée par les indigènes sous le nom de Hadjera Kebdana, la roche de Kebdana. La plus occidentale était Tenenfa. On regrette aujourd'hui qu'elles ne soient pas à la

France, car elles offrent une admirable position pour fermer notre « mer Algérienne » à l'ouest, et seraient d'une utile opposition à Gibraltar. Ce n'est pas que depuis longtemps des observations sagaces ne les aient signalées à l'attention de nos gouvernements. Dès 1764 un homme qui fit ensuite son chemin dans la marine et dans l'histoire écrivait : « Si l'on

pouvait obtenir du Sultan de Maroc l'agrément d'établir un comptoir sur leurs côtes, les îles Chaffarines paraissent propres à cet objet. i° La rade est très sûre, et l'établissement sur une de ces îles, loin d'être dans la fâcheuse position de la Cale, serait indépendant ; 20 Il serait très avantageux pour notre navigation d'avoir sur la côte d'Afrique un port où l'on pourrait trouver tous les besoins ; 30 En cas de guerre avec Alger ou Maroc, on serait de la sorte à portée d'intercepter leurs corsaires et surtout les galiotes qui sont obligées de côtoyer; 40 En cas de guerre avec les Anglais, le port serait d'une grande ressource pour nos marchands qui viendraient y attendre le temps favorable pour passer le


détroit, et serait encore plus avantageux aux corsaires ou frégates en station sur ces parages ; 50 Quoique ces îles ne paraissent point susceptibles de rien produire, le pays qui est vis-à-vis étant très abondant, la garnison coûtera peu à nourrir. En vérité, en cas de rupture avec le Maroc, il faudrait se pourvoir en Espagne, mais le peu d'éloignement qu'il y a rend la chose aisée. 6° N'y ayant aucun port entre Ceutra et Oran, cette côte n'est fréquentée par aucun bâtiment, de manière que nous y ferions exclusivement un commerce très avantageux malgré la guerre. Autrefois des bâtiments français y ont eu du blé pour une même quantité de sel. Faute de renseignements sur l'intérieur d'un pays qui est très peu connu, je ne puis entrer dans les détails des avantages que ce commerce peut produire ; mais le blé peut aisément être exporté en contrebande et les autres marchandises telles que la laine, la cire doivent y être à bon marché, n'y ayant ni frais de transport ni concurrence; enfin l'on y trouverait le précieux avantage de faire ses chargements dans un bon port, au lieu de les faire dans les rades de la côte de Salé, très dangereuse en hiver, et où l'on est obligé quelquefois d'évader trois ou quatre fois avant d'avoir fini de charger. » Suffren écrivait cela au Roi. Après le Roi il y eut chez nous une République, un Directoire, un Consulat, un Empire, un autre Roi etc... et nous n'avons pas les Zaffarines. Oh ! certain jour, il faut nous rendre celte justice, on s'était décidé à les occuper. Après la conquête de l'Algérie après la paix avec le Maroc, les gens qui savaient l'existence de ces îles disaient que pour fermer notre nouvelle colonie à l'ouest, elles seraient d'une utilié plus certaine que la possession de la Molouïa. Des gens comme Thomassy écrivaient :


Depuis la conquête de l'Algérie, les îles Zaffarinessont devenues notre propriété et rien ne s'oppose maintenant à ce que nous en prenions possession pour mettre à profit les observations du « chevalier» de Suffren. Ces observations ont d'ailleurs été confirmées par celles de M. Berard, capitaine de vaisseau, et tout récemment elles viennent encore de l'être dans un important ouvrage sur la pêche publié par M. Berthelot, secrétaire général de la société de géographie. Nous verrons plus tard comment les Zaffarines pourront former un excellent port et un excellent lieu de pêche et de sécherie, tandis que la proximité de ces îles permettrait à nos vaisseaux partant pour les colonies d'effectuer sans retard un chargement de poissons de la meilleure qualité, et offrirait à l'Etat une nouvelle école pour nos marins. On finit par se rendre à l'évidence. On décida l'occupation. Mais voyez la malechance. Ecoutez la mésaventure. Je la coupe dans un vieux Bulletin de la société de Géographie d'Oran, sous la signature de M. Canal.

Les îles Zaffarines qui auraient pu faire l'office

d'un corps de garde sur notre frontière maritime de l'Ouest étaient inoccupées et libres au moment de la conquête. Après le traité, on réfléchit encore pendant deux ans, de 1845 à 1847, pour se décider à en prendre possession, reconnaissant enfin qu'elles pourraient être d'une grande utilité pour la surveillance des populations marocaines, si remuantes dans cette partie de la frontière. Une petite expédition combinée par terre et par mer partit alors d'Oran, sous le commandement du colonel de Mac-Mahon, pour en prendre possession. Mais comme toujours, malgré la discrétion des autorités militaires, cela fut un secret de polichinelle, et l'Espagne qui était aux aguets, prévenue par ses


agents consulaires, et profitant des retards qui se produisirent dans la marche de cette expédition, fit partir promptement de Malaga un vaisseau de guerre qui arriva aux Zaffarines quelques heures avant nous, en prit possession au nom de la reine Isabelle II et y planta le drapeau rouge et jaune. Quand notre expédition arriva sur les lieux, quel ne fut pas son étonnement d'apercevoir sur le plus grand des 3 îlots le pavillon espagnol ! Ce brave Mr de Mac-Mahon, sans doute, s'il était arrivé aux Zaffarines, il y serait resté ; sa fière devise eut alors été d'une application plus facile que... par la suite. Mais dès cette époque il y avait des jours où ce grand homme était dénué de chance, et où il se présentait trop tard. L'Espagnol occupait les îles quand les Français de Mr de Mac-Mahon, parurent au Kiss, Admirable ma-

tière à mettre en petits couplets si cela ne nous avait pas coûté si cher. Nous indigner, à quoi bon. Rire plus tôt. Car, dès l'époque, il y eut des gens qui s'indignèrent pour tout de bon, qui protestèrent... Et comment? Voici, un des plus farouches députés de l'opposition, lorsqu'on interpella sur ce « ratage » des îles Zaffarines, trompé par l'oreille, crut qu'il s'agissait d'îles à farine et blâma violemment le ministère de s'être laissé devancer par les Espagnols dans la prise de possession d'une contrée aussi fertile. (Malavialle) Lorsque j'étais aux Zaffarines en septembre dernier, j'y ai rencontré un homme d'affaires, délicieux compagnon d'ailleurs, et vivant trésor d'érudition pour tout ce qui concernait les îles. Il s'appelait Ximènes. Nous causâmes de tout et de plusieurs autres choses encore. L'univers n'a plus de secrets pour ce voyageur infatigable. Tous pays vus par moi il les avait vus. El il avait aussi vu tous ceux que je n'ai point vus. Il nous raconta qu'il avait étudié les Zaffarines depuis une quinzaine


d'années et qu'il revenait pour y établir sur l'île du Roi un dépôt de charbon, un atelier de radoub, un entrepôt de vivres etc... etc... Quelque chose de grandiose. — Avec quels capitaux ? — Les miens réponditil. — Et vous aurez pour alimenter votre affaire. — La clientèle des bateaux que ça ennuie de prendre du charbon à Gibraltar. — Ah ! ! ! Nous nous sommes quittés fort bons amis, car, je l'ai dit, Ximènès est un délicieux compagnon, et sur les Zaffarines entre autres il m'avait conté mille plaisantes histoires qui feraient, si je les répétais ici, un amusant contraste avec la tenue générale de ce volume. Ce sera pour une autre fois. Je préfère au lieu de raconter les histoires inédites que je liens de Ximènès, répéter celle-ci que M. de Ganniers a publiée sur Ximènès dans son volume consacré au Maroc. En mai on en juin 1885, un Espagnol qui a longtemps vécu à Oran où il servait d'une façon ostensible les intérêts allemands, et qui se trouvait alors

en résidence à Berlin, adressa à la Deutsche Kolonial Zeitung une communication singulière dans laquelle il invitait le gouvernement de Madrid à céder à l'Allemagne les îles Zaffarines. A la vérité, M. Jimenés n'avait à l'époque dont nous parlons aucune situation officielle. C'était un correspondant de journal qu'avaient seulement fait connaître quelques explorations dans le centre Afrique, et qui rêvait, dit-on, pour son pays de nouvelles conquêtes sous ces latitudes. M. Jimenés par lait donc ostensiblement sous sa seule responsabilité; toutefois nous avons de fortes raisons de croire que ce personnage n'agissait pas, en cette circonstance, sans l'autorisation de son gouvernement, ou plutôt sans l'autorisation d'un gouvernement. A ne prendre que les preuves morales, il nous paraît impossible qu'un écrivain, si audacieux qu'il soit, remaniât d'une façon aussi positive la carte de


son pays s'il n'était tacitement soutenu par le preneur ou par le bailleur. Que M. Jimenés rêvât dans son for intérieur de refaire la carte d'Espagne, qu'il échangeât avec l'Allemagne, l'Angleterre ou l'Italie telles possessions que ce fut, qu'il taillàt et coupât à son aise dans le manteau de Charles-Quint, nous n'y eussions point vu d'inconvénient... Mais quand au moment où... les visées de l'Allemagne (sur l'Afrique marocaine) n'étaient un secret pour personne ; quand à ce même moment un sujet espagnol écrivait publiquement à un journal comme la Gazette coloniale allemande : « Venez vous établir dans la Méditerranée, je vous y cède une position d'une importance considérable au triple point de vue militaire géographique, politique » il n'était pas permis de supposer que ce monsieur parlait en. son nom personnel. Car, en vérité, il n'y avait pas même une réticence dans la lettre à la Deutsche Kolonial Zeitung de M. Saturnino Jimenés ; on n'est ni plus affirmatif ni plus net. La base d'une intelligence sérieuse et durable entre l'Allemagne et l'Espagne, disait-il, pourrait être l'établissement d'une station navale aux îles Zaffarnies. Des îles Zaffarines, l'Allemagne commanderait la ligne de la Moulouïa et maintiendrait en équilibre les intérêts français et espagnols au Maroc. Et les obligations nouvelles qui incomberaient de ce chef à l'Allemagne seraient largement compensées par les avantages que retirerait cette puissance de l'occupation de ces îles. « Les îles Zaffarines constituent, il n'en faut pas douter, le meilleur port existant dans toute cette partie de la côte africaine, le seul mouillage naturel entre Mers-el-Kebir et Tanger. Elles ne sont d'aucune utilité à l'Espagne qui les occupe depuis 1845 uniquement pour ne pas les laisser à la France. « L'Allemagne, en prenant possession de ces trois îlots sous la condition expresse de garantir les intérêts espagnols au Maroc, se rendrait ainsi maîtresse


d'un point stratégique de premier ordre dans la Méditerranée. « Au cas d'une guerre européenne, les îles Zaffarines seraient appelées à jouer un rôle considérable et les intérêts allemands se trouveraient singulièrement consolidés par la possession d'une pareille base sur la côte algérienne. » Il est vraisemblable que l'Allemagne devait trouver l'offre fort à son goût... Nous devons à la vérité de dire que les insinuations de M. Ximénés furent fort mal accueillies en Espagne même par des organes comme la Epoca dont les

sympathies allemandes sont connues.

Et voilà, ce me semble, qui est de nature à rendre plus amers nos regrets d'avoir jadis confié le soin d'occuper les Zaffarines à un homme qui arriva trop tard. Et voilà qui devrait, ce me semble également, inspirer matière à méditations aux puissants du jour qui s'obstinent à ne pas vouloir écouter Louis Say quand à 6 milles des Zaffarines, en face des Zaffarines, c'est-àdire presque aussi près de Gibraltar que n'en sont les dites Zaffarines si désirées par l'Allemagne, il leur montre le Kiss et Port-Say.

Une lettre que M. Ximénés eut l'amabalité de m'envoyer à l'occasion du premier janvier m'annonce que sa « factoria nival de la isla del Rey » est définitivement installée. M. Ximénés ajoute «que cette entreprise est exlusivement espagnole.


CHAPITRE XXX

La route entre Fez et l'Algérie. — Documents sur cette route. — Il n'y avait pas de voie romaine. — Ali Bey. Thomassy indique la Moulouïa. — M. de Campou. — — M. de Foucauld. — Conclusions. — La tête de la voie de pénétration économique au Maroc, c'est à PortSay.

Surtout, qu'un homme intelligent n'aille pas objecter : Mais Port-Say est au diable. Port-Say peut bien être placé sur la frontière et à l'embouchure môme de la Moulouïa, Port-Say n'en est pas moins séparé de l'Algérie par tout le Chaïb-Rasso... Ça ne ferait pas plaisir à Nemours cela... Si Port-Say est le port d'entrée au Maroc par la Moulouïa, Port-Say n'est pas en communication avec l'Algérie par de bonnes routes... La meilleure route de communication entre les grandes villes que possède l'Algérie, c'est la mer. Evidence. De plus, pour aller retrouver Marnia et Tlemcen, PortSay a une route d'un relief beaucoup moins accidenté que celui des routes de Nemours. Autre évidence. Même si on voulait prendre comme tète de route conduisant à Fez la ville d'Oudjda, l'en-face de Marnia, le port de Marnia et d'Oudjda c'est géograpbiquement, non pas Nemours, mais Port-Say. Et cela est encore une autre évidence.


On n'a pas do donnéens nombreuses ni surtout très précises sur la route entre Oudjda et Fez ? Elle fut parcourue. Mais les difficultés de l'entreprise et l'hostilité indigène redoutée par les voyageurs qui ont fait ce parcours, n'ont pas permis beaucoup d'observations scientifiques. On en sait toutefois suffisamment pour affirmer qu'il n'y a pas entre Fez et notre frontière algérienne des obstacles naturels s'opposant à

l'établissement d'un transit commercial moderne comme il y en a tant, soit entre Fez et l'Atlantique, soit entre Fez et le détroit. Je n'irai pas jusqu'à dire, comme je l'ai lu souvent, comme je l'entendais encore affirmer récemment, que la voie d'entrée au Maroc nous a été tracée par les Romains, qu'on n'a qu'à reprendre la voie romaine qui, de Tlemcen par Oudjda et l'Angad, allait à Fez et Tanger, etc... Non. Car cela est faux. Il n'y avait pas de voie romaine. Tissot, qui a fait de très consciencieuses recherches sur la Mauretanie Tingitane et les vestiges des anciennes occupations, nous le dit sur les meilleures références, et nous pouvons l'en croire, il n'yavail pas de voie romaine entre les deux Mauretanies. Les grandes villes des deux Mauretanies étant sur la mer, c'est la mer qui les réunissait. Les deux seules voies établies dans cette partie de l'Afrique par les Romains c'étaient les voies qui conduisaient de Tingis à Sala et à Togolosida, nord-sud, parallèlement à la côte atlantique. Les notes les plus intéressantes que j'aie gardées à la lecture des auteurs qui ont écrit sur la route entre Fez et l'Algérie, les voici. Tout d'abord dans Ali-Bey, qui, arrivé normalement à Teza, nous trace de cette ville un joli tableau : Teza, petite ville située sur un rocher au pied d'autres montagnes plus hautes au Sud Ouest. Le tableau qu'elle présente est très pittoresque : la ville est entourée de vieilles murailles et la tour de la mosquée s'élance au-dessus comme un obélisque. Le


rocher est escarpé en certains endroits, et couvert de beaux vergers dans d'autres; des jardins entourent sa base. D'un côté une petite rivière qui se précipite, de l'autre, plusieurs ruisseaux qui tombent en cascades, un pont à demi-ruiné ajoutent à l'intérêt du tableau : une multitude innombrable de rossignols, de tourterelles, et d'autres oiseaux font de cet endroit un lieu ravissant. Les vallées couvertes de moissons abondantes me font croire que les habitants sont plus laborieux que ceux des côtes de la mer. Puis, au fur et à mesure de sa route vers Oudjda Le terrain de cette contrée est entièrement composé d'argile glutineuse qui forme les collines et les vallées

jusqu'à une grande profondeur, puisque j'en vis des coupes verticales de plus de quarante pieds. Le terrain composé d'argile pure présentait une

vaste plaine et un véritable désert sans habitants et sans autre végétation que quelques broussailles entièrement brûlées. rivière Moulouïa est profonde mais à l'endroit où nous la traversâmes, elle s'étend davantage et l'on y trouve un bon gué, Son cours est au Nord-Est. Son eau chargée de liNil celle du mais épaisse était et ; comme rouge mon étant reposée, elle est fort bonne. Ses bords sont bas et boisés à l'endroit où nous étions le jour précédent. La rivière Enza qui n'est pas considérable est enC'était d'arrosage. plusieurs diminuée canaux par core de moi de considérer les plaisir vrai marques pour un l'industrie humaine au milieu de ce désert. Le terrain présenta d'abord une continuation de la La


même plaine argileuse et déserte que j'avais remarquée la veille. A dix heures du matin on descendit dans un autre pays, alternativement composé de couches argileuses et calcaires, formant des collines... Nous entrâmes dans un pays bien cultivé, cou... belles moissons, vert de au milieu duquel se trouve l'Alcassaba, et au Nord la rivière Enza sur laquelle on fit halte. Ce désert est connu sous le nom d'Angad. Celte voie de pénétration par la vallée de la Moulouïa que Ali-Bey note en passant, n'échappe pas dans la suite à nos auteurs ; je lis dans Thomassy :

ville des Chérifs (Tafilelt) devient le lieu des relations de l'intérieur et du littoral de l'Afrique, et elle semble d'ailleurs nous convier à y prendre part Moulouïa voisin la si de l'Algérie... de le cours par La Moulouïa. en effet, quoique non comprise dans la carte de nos possessions d'Afrique, forme néanmoins sur la lisière septentrionale la séparation la plus naturelle du Maroc et de l'Algérie. Or, des îles Zaflarines situées non loin de son embouchure, et où nous avons droit de nous établir, son cours est navigable pour des bateaux à voile jusqu'au pied des contreforts de l'Atlas, tout près du défilé où passent les caravanes. Nos marchandises pourraient donc y arriver par eau en même temps que celles-ci... » La

C'est toujours la désignation des îles Zaffarines, la désignation de M. de Suffren qui revient aux gens clairvoyants lorsqu'ils étudient la question en géographes,

sans autres considérations. Et vraiment il faut être aveugle pour ne pas voir que la meilleure voie de pénétration quelque part c'est celle qui emprunte la route tracée par la nature, par les fleuves... Pour aller de la Méditerranée à l'intérieur du


Maroc, il faut suivre la vallée de la Moulouïa. Nous n'avons pas l'embouchure de la Moulouïa pour y faire le port français que réclame l'amorce d'une voie de péné-

tration française amenant le commerce français au Mal'extrémité plage, de la à Est la plage mais sur roc, d'embouchure de la Moulouïa, à dix kilomètres de celte embouchure, autant vaudrait donc dire à cette embouchure, nous avons la partie française de la plage du Kiss et Port-Say. Tlemcen, Marnia ne sont point dans la vallée de la Moulouïa. Un désert les en sépare. Port-Say est sur la plage d'embouchure de la Moulouïa. Dix kilomètres à peine de plaine fertile le séparent du cours du fleuve. Port-Say est dans la vallée de la Moulouïa. Port-Say est à la tête maritime de la vallée de la Moulouïa. Ce n'est pas de la polémique cela. C'est de la géographie. C'est de la géographie comme celle qui, en 1764, faisait dire à M. Suffren que la porte d'entrée du Maroc est en face des Zaffarines, au Kiss. C'est de la géographie comme celle qui faisait dire en 1845 à M.Thomassy que la voie commerciale d'accès au Maroc c'est la Moulouïa...

...

M. de Campou écrit

:

La Moulouïa a un développement probable de 450 kilomètres. Le débit d'étiage que j'ai pu étudier le 16 septembre était de 20 mètres cubes avec une largeur de 40 mètres et une vitesse superficielle de 1 mètre à la

seconde. Les crues d'hiver durent 20 jours et représentent alors un débit de 800 mètres cubes à la seconde avec une largeur à plan d'eau de 200 mètres. La pente de la Moulouïa est très rapide; c'est ainsi que l'altitude de la rivière sur la route de Fez à Oudjda était de 250 mètres au-dessus du niveau de la mer, à moins de 200 kilomètres de son embouchure.


Cette rivière est peu encaissée. Ses berges sont sabloneuses, couvertes de tamaris. Les plaines qui l'entourent sont caillouteuses, incultes, et demanderaient pour être mises en valeur des travaux d'arrosage et de colmatage. Notons qu'il n'a vu la Moulouïa que sur un point, et qu'un seul jour, le 16 septembre... Mais comme il y a vu beaucoup d'eau, bien que la contrée lui ait paru inculte, son témoignage est important. Il y a de l'eau... Et l'eau, avec la paix, en Afrique, c'est la richesse. Le même voyageur résume ainsi ses observations sur la route de Fez à Oudjda ;

parties. La première sur 120 kilomètres environ accidentée, contenant plusieurs cols à franchir où la population est assez abondante et l'eau également. La seconde sur 200 kilomètres tout entière dans le bassin de la Moulouïa ou de ses affluents et de l'OuedIsly se compose de plaines unies, incultes, désertes et dans lesquelles la population ne se trouve qu'auprès des Oueds-Msom, Moulouïa et Za. 2

Voici maintenant quelques notes cueillies dans le livre de M. de Foucault. « Il

Taza.

n'y a qu'une côte au sortir de Fez entre Fez et

Sur le flanc droit de la vallée de l'Oued-Sebou. Vallée de l'Ouad-Imaouen... Très cultivée. On la quitte près de Taza, le col de Taza. L'Ouad-Taza. Le voeu des gens de Taza, opprimés par les Riata c'est la venue des Français. Ils veulent commercer en paix avec Tlemcen...


Les Riata sont dans la montagne... ils font de l'orge

en abondance. Beaucoup de minerais... Riata, 3.000 fantassins, 200 cavaliers. Les Riata « n'ont ni Dieu ni Sultan. Ils ne con-

naissent que la poudre. » Leur truc de guerre, barrage dont ils lâchent l'eau sur l'ennemi. Puis des extraits du même voyageur

:

La région plate s'étendant entre la Moulouïa et Fez

se compose d'abord de deux plaines désertes, celle de Iell et celle de Baret, puis d'un plateau bas et ondulé servant de ligne de partage entre le bassin de la Moulouïa et celui du Sebou ; enfin de la vallée de l'OuadImaouen, affluent du Sebou. Le peu d'élévation du plateau en rend l'accès et le parcours si faciles qu'il prolonge plutôt qu'il ne coupe les plaines voisines. Ce n'est qu'un dos peu accentué séparant les bassins de la Moulouïa et du Sebou. Le désert d'Angad. C'est une plaine immense ayant pour limites à l'ouest, l'Ouad-Za et la Moulouïa, à l'est les hauteurs qui bordent la Tafna, au nord le Djébel-Beni-Iznater, au sud les Djébel-Beni-Bou-Zeggou et Zekkara faisant suite au Megershoum. Parfaitement plate au centre, elle est ondulée sur ses lisières nord et sud d'une manière d'autant plus accentuée qu'on se rapproche davantage des montagnes qui la

bordent. Le sol en est sablonneux; il est dur lorsqu'il est sec et forme une vase glissante où la marche est difficile aussitôt qu'il pleut. Nu d'ordinaire, le désert d'Angad se couvre d'une herbe abondante après les hivers humides ; cette année la surface en est toute verte : c'est un bonheur pour les tribus nomades dont les troupeaux trouvent à foison la nourriture qu'il faut d'habitude chercher dans le Dahra.


Cette bonne fortune arrive rarement : la plaine si riante en ce moment vient d'être durant cinq années nue et stérile, triste étendue de sable jaune sans un brin de verdure. Voilà ce qu'on sait de la route entre Fez et la fron-

tière algérienne. Eh bien Est-ce que cela. Est-ce que les données des cartes. Est-ce que tout ce que j'ai publié dans ce livre. Est-ce que cela ne permet pas de dire : capitale meilleure Fez du Maroc la entre et La route « l'Algérie c'est Fez-Taza-Moulouïa-Port-Say... avec ce port, la grande route, la belle route, la meilleure de toutes, la mer libre, et vers Oran Alger... et vers Marseille, et vers partout. » Notre habitude française veut que tout acte des Français soit un acte demandé, autorisé, surveillé, contrôlé, que dans tout pénètre l'ingérence administrative ; nous du papier jour et où nous naître sans un pouvons ne sommes entrés dans la vie, jusqu'à celui où nous en sortons, toujours c'est papiers... Même quand nous sommes morts il en faut encore à notre dépouille afin qu'elle puisse pourrir eu paix... Il faut que tout passe par l'administration. C'est la loi et nous ne l'avons pas encore changée. Nous devons donc la subir et nous y conformer. Nous en convenons. Il faut l'action du gouvernement pour sanctionner les vérités économiques et les vérités géographiques de quoi dépendent les seules relations commerciales avantageuses pour la France entre l'Algérie et le Maroc. Il a fallu cette action pour « amorcer » ces relations dans de des terre, conditions que frontières les par l'eloiguement de la mer rend désavantageuses. Celle action peut-elle faire défaut pour le seul point de la frontière qui ait l'essentiel, l'indispensable en matière de commerce, le port? Ne serait-il pas d'une fantaisie par trop outrancière et d'une drôlerie vraiment en dehors des limites que per¬ !


met le bon sens, qu'on ouvrît des ports franco-marocains jusqu'aux confins du désert, jusque dans les plus lointaines oasis du Sahara, et que le seul port frontière vraiment port, le port sur la mer, Port-Say, notre administration ne voulût point le considérer et le traiter comme un port. Alors nous pourrions croire que l'ami Courteline disait vrai lorsqu'il nous racontait que les anarchistes, pour démolir l'état social actuel, beaucoup plus sûrement que par la dynamite... avaient, il y a quelques années, délivré les fous de tous les asiles de France et les avaient lâchés dans le gouvernement, dans le Parlement, dans l'Administration... partout... Qu'il n'y avait pas besoin de chercher pourquoi tout allait si mal, pourquoi par exemple, en Algérie, on mettait les ports dans l'intérieur des terres, n'en voulant plus au rivage de la mer, pourquoi... tout ce que je vous ai signalé dans ce livre et dans d'autres... pourquoi l'ahurissement général de notre pays en si singulière posture devant la Raison... Qu'il n'y avait pas besoin de chercher ailleurs le pourquoi de tout cela. Il était là où il l'avait trouvé lui Courteline ; dans le coup des anarchistes... Au fait...


CHAPITRE XXXI

Politique et beaux-arts. — Tout se tient dans l'évolution des sociétés. — Les mêmes causes d'ignorance et d'aveuglement qui ont fait notre politique coloniale si mauvaise avaient aussi leur action dans les beaux-arts. Nous n'avons pas de littérature exotique. Jusqu'à Noiré nous n'avions pas de peinture exotique, orientaliste. — Ce qu'est Noiré.

Au cours de ce volume, nous avons été plus d'une fois — presque tout le temps, hélas! forcé de cons— tater l'incohérence de notre politique coloniale en général et de notre politique algérienne en particulier. Cependant beaucoup de grands, de nobles, de bons « esprits » ont étudié ces questions, et il serait étonnant, pensez-vous, que la venue de M. Jean Hess eût été nécessaire pour apporter etc... etc... etc... J'ai déjà, dans un chapitre de ce livre, dit ce que je pensais du propos (1), mais au moment de clore l'entretien et d'écrire le mot fin à cette revue des questions diverses qui sont « la question du Maroc », une comparaison me vient encore à l'esprit. Il en est de la politique coloniale comme de l'art colonial, comme de l'exotisme, comme de l'orientalisme. Je ne connais pas en littérature un écrivain qui nous (I) page... 334


ait donné la sensation vraie, l'évocation complète de l'Asie, de l'Afrique, de l'Orient... Et je crois bien avoir tout lu, ou à peu près, même Loti, surtout Loti ! En peinture, j'ai longtemps cherché un orientaliste ...vrai. L'orientalisme, c'est pour la masse quelque chose de légendaire; on ne sait pas trop quoi ; ça fait du bruit; ça brille ; verre ou cristal? or ou clinquant? on ne s'en inquiète pas ; mais on admire la chansonnette Loti, le cirque Fromentin, les joujoux Benjamin Constant. Cet orientalisme est une matière précieuse et d'une exploitation facile autant que rémunératrice, à beaucoup de citoyens, qui, paresse ou naturelle incapacité, ne savent pas plus voir que rendre. Une salade de mots pris dans le vocabulaire de l'orfèvre, du joailler et du teinturier... pas besoin de syntaxe, ni d'idées... à peine un frisson de sensation... et vous achalandez la boutique à Loti. Du bleu, du jaune, du rouge autour d'une figuration d'opérette et c'est les chefs-d'oeuvre honnêtes, réguliers, classiques, patentés, cotés, récompensés, décorés, qui, dans les expositions académiques, aux badauds louangeurs, montrent pour soleils d'Orient des feux de Bengale. Avant Chevreul, les fumistes de l'orientalisme ignoraient la couleur, la lumière ; ils étalaient leurs pâtes et les animaient en régisseurs de théâtre qui feraient le décor et la figure. Maintenant ils savent. Ils savent même trop; ils peignent en artificiers, en teinturiers ; à faire regretter les anciennes firmes. Quelques-uns virent le danger de la chimie dans l'orientalisme. La toile peinte avec toute la rigueur des formules était brutale de réalisme, effrayait le bourgeois, éloignait l'acheteur. Et nous eûmes sous couvert d'idéalisme les pantins de soie qui meurent bleus et mauves dans les paysages de mousseline rose... Et nous avons toutes les horreurs petites et grandes, insolentes et modestes, illustres et non connues, tous les articles qui


transforment en bazars les expositions d'orientalistes ; la tristesse, la pauvreté, la misère en quoi si souvent j'ai cherché, sans les retrouver, les joies, les splendeurs, les richesses que l'Orient mit en mon souvenir. J'ai vécu la lumière dans les pays de soleil. En vain je demandais cette lumière à l'art des plus illustres. Leurs yeux ne l'avaient point vue. Le marchand de couleurs ne la leur vendait point. J'ai brûlé mes pieds aux sables qui gardent pendant les nuits la chaleur des jours. Aux glorieux, que les catalogues signalent des Maîtres, je demandais en vain de me rendre l'éclat du désert ; il me semblait qu'ils n'avaient jamais étudié que le sable à briquer des cuisinières. Et les impressions de mes années d'Afrique, d'Arabie, d'Asie... car les terres de soleil, les magnificences désertiques sont partout les mêmes... tous les clairs souvenirs, qui aux heures brumeuses d'Europe, de lumière, je renonçais joies les moi font remonter en à les demander aux peintres, quand j'ai trouvé Noiré, quand j'ai vu son oeuvre. C'est la plupart du temps le génie d'un poète qui manifeste l'éclosion d'une race nouvelle à la civilisation. Je prie qu'on ne me chicane point sur celte phrase et qu'on l'accepte bien telle, sans que pour en fixer le sens absolu j'aie recours à longues dissertations. En Algérie, sur cette terre du soleil, de la lumière, il était normal au contraire, et fatal que le Gaulois vainqueur, le Celte conquérant, le Latin revenu fussent impressionnés par la splendeur des formes et l'éclat des couleurs, beaucoup plus vivement que par les autres beautés, les autres harmonies de la nature, de la vie africaine. Aussitôt qu'elle eut pris conscience de son adaptation à la nouvelle patrie, dès qu'elle fut assurée de son lendemain sur le nouveau sol, et libre de se manifester en art, notre race a produit un peintre. C'est Noiré. Il est né de la lumière algérienne. Il est le maître et le père d'un art algérien, de l'art algérien. Beaucoup


d'autres avant lui, avec lui, ont peint des sujets algériens. Dans l'orientalisme il y a un rayon algérien qui fut est, sera toujours très fourni. Mais Noiré est le pre, mier et je peux dire le seul qui soit en même temps qu'un peintre de l'Algérie le peintre algérien. Il avait, de race, comme les ont nos maîtres, et venues, on ne sait pourquoi chez un tel plutôt que chez tant d'autres, les qualités de l'art français, la franchise de métier, la sincérité d'exécution, la netteté de vision, la grandeur de conception. Et toutes ces qualités, que le mystère de l'évolution des groupements humains avait déposées dans son être, il les a magnifiquement développées, en peintre, dans la richesse de la nature africaine. Nourri de la lumière algérienne, il en est devenu le peintre. C'est lui que le destin avait bien réellement choisi pour en fixer l'éternelle beauté. Je voudrais pouvoir dire, savoir les mots qui diraient tout ce qu'il y a de grand art et de poésie dans son oeuvre, soit qu'il peigne le silence et la clarté du désert, la sauvagerie et l'effroi des ravins torentueux, soit qu'il montre le calme coloré des Hauts-Plateaux, l'agitation lumineuse des villages du Sud... Mais je ne suis pas un critique d'art. Je suis un voyageur qui aime ce que peint Noiré, et qui, dans la peinture de Noiré, revoit ce qu'il aime, le soleil, les terres chaudes, le désert. Quoi que peigne Noiré, les vastes plaines, les panoramas de villes, un rocher, une hutte, un coin de village, un berger, un troupeau, c'est toujours ce que nous avons vu, ce que nous pouvons revoir, dans l'aspect, l'attitude et à l'heure où le caractère s'en offre avec le plus d'intensité. C'est la vie des êtres et des choses dans ce qu'elle a de plus expressif. C'est la vie dans toute sa réalité qui est de suprême poésie. C'est la vie dans sa couleur, dans sa forme, dans son action ; la vie.

Tout simplement vue et rendue fidèlement, naïvement, bêtement ; avec génie. L'art n'est pas d'interpréter, mais de rendre ce qu'on voit. Les seules difficultés, c'est devoir, puis de rendre.


Il y faut, je ne crains pas de répéter le mot, il y faut du génie. Et c'est là qu'il apparaît. Quand c'est de la vie que vous devez me faire voir, de la vie que vous avez vue, et dont par votre art, je veux que vous me rendiez la vision, ne traduisez pas, vous trahiriez. Rendez. Rendez. Je ne veux pas que vous rêviez la nature, pour ensuite me la faire rêver. Je veux que vous la voyiez pour me la faire voir telle qu'elle est. Et c'est là tout le secret de

Noiré...

...Un photographe alors; un réaliste vil? Que non. Je ne vois pas, en effet, de peinture où il y ait plus la flamme de l'esprit. Je n'en connais point qui, par la chose vue et rendue telle qu'elle, évoque et fasse naître en moi plus d'idées. Mes émotions, mes sentiments, joies, tristesses, pensées, rêveries du désert, une toile de Noiré m'a fait revivre tout cela. Peindre le silence, l'immensité, l'infini, combien l'ont essayé par des sons, par dos phrases, par dos couleurs, et n'y ont point réussi ! Bon ouvrier de son art, Noiré l'obtient en se jouant de la difficulté vaincue. Il dédaigne les toiles grandes comme les murailles d'affiches. Le tableau de tout le monde, le tableau qu'on peut exposer sans construire des hangars lui suffit à ramasser, à contenir tout ce que son oeil d'aigle a scruté dans les paysages sans limites de notre belle Afrique. Et c'est aussi un contraste effarant pour les spécialistes du tout large ou du tout menu. Le détail des terres rouges, des granits déchiquetés, des ravins fissurés, des plateaux à lentisques, toutes les minuties caractéristiques du roc au seuil du désert, vous les voyez sur sa toile et cela ne vous fait que mieux voir l'immensité claire du silence des sables, dont les dunes fusent au ciel de la lumière, de cette lumière si vivante et si pure qu'elle en devient blanche, blanche comme l'or au creuset, comme le rayon des soleils de midi sur la solitude...


Et tout cela, avec des moyens très simples, avec un métier de primitif... mais avec un oeil qui voit, avec une âme qui sent, avec un esprit qui comprend, avec une main d'ouvrier sûr de son labeur, c'est-à-dire en peintre qui a toute la vigueur des réalistes, toute la délicatesse des idéalistes, en artiste complet, en Maître. Demandez aux pontifes des académies si avant Noiré il y avait un art exotique... Ils se redresseront dans leur ignorance exotique et vous diront : un art exotique., oui, Monsieur, celui que nous avons couronné. Ils ne couronneront pas celui de Noiré. Et Noiré ne leur demande pas cela. Demandez aux pontifes de la colonisation, à toutes les gloires de nos académies de science pure, de science demi pure et de science plus pure du tout, demandez

aux parlementaires, aux gouvernementaux et aux administrateurs de la colonisation s'ils connaissent une bonne politique coloniale... Ils se redresseront dans leur ignorance coloniale et vous diront : « La nôtre Monsieur ! et si vous en voulez savoir la qualité qui, chacun sait ça, dépend du prix, voyez au Budget. » Que si maintenant vous consultez le budget, vous constaterez, en effet, que leur politique coûte vraiment cher. Trop cher. C'est pour cela que, moi, je dis qu'elle ne vaut rien. Et elle ne vaut rien pour beaucoup de causes. Ce livre en vous expliquant nos erreurs marocaines, en vous montrant comment l'autorité persévère dans l'erreur (ce qui est diabolique, ô Revoil !) et comment elle lutte contre la vérité, vous a permis de comprendre quelquesunes de ces causes. Port-Say, septembre 1902. Paris, novembre 1902,


TABLE DES MATIÈRES

AVANT-PROPOS

1

EN GUISE DE PRÉFACE.

A

Louis J.-B. Say,le fondateur de Port-Say, sur la plage du Kiss à la frontière marocaine. — Louis Say n'admet point la guerre comme solution de la question du Ma-

roc. — Il a montré une autre solution. — La pénétration de notre civilisation et de notre influence au Maroc par les voies de l'économie politique, et il a fondé pour cela Port-Say,où l'auteur du livre a passé la fin de l'été. Voyons l'oeuvre et qu'elle est bien la solution pacifique nécessaire a

LIVRE PREMIER Résumé historique des relations de la France avec le Maroc et texte des traités qui régissent ces relations. CHAPITRE PREMIER

Les sources et la bibliographie

25


CHAPITRE II Le Maroc et les Marseillais. — Le Marseillais Rérard,

pre-

mier consul français au Maroc. — L'explorateur Moquet, le sieur Delisle. piraterie. La Chrétiens Turcs et — — se valaient. — Les vols du sieur Castellane. — Note d'Oscar Lenz d'après Conring sur les vols modernes. — Le chevalier de Rasilly. Le traité entre Louis XIII et l'empereur du Maroc fait à Maroc le 17 septembre 1631. Le traité entre les mêmes,fait en rade de Saffi le 24 septembre 1631. Le traité entre les mêmes, fait à Saffi le 18 juillet 1635

32

CHAPITRE III

Le traité de 1682. — Louis XIV et les Marocains. — Un

bluf réciproque. — L'ambassade marocaine et SaintSimon. — Pidou de Saint-Olon. — La princesse de Conti et le Sultan. — Une alliance avec l'Islam Turc et avec l'Islan du Maroc eût servi les intérêts français. — Décadence du commerce français au XVIIIe siècle. Le traité de 1767. Le sultan et la Révolution. — Le sultan et Napoléon Ier. Les traités de 1824 et de 1823 47 — CHAPITRE IV La conquête algérienne. de 1844 convention La et le — traité de 1845. — Les troubles. — Les autres actes officiels. — Le règlement de 1863 sur la protection à Tanger. — La convention de Tanger en 1863.-— La convention de Madrid, 3 juillet 1880. — Lettre chérifienne sur un accord commercial du 24 octobre 1892. — Les traités du Maroc avec les autres puissances. 66 .

.


LIVRE DEUXIÈME Ce qu'on appelle actuellement la question du Maroc. CHAPITRE

V

Unanimité des écrivains à condamner le Maroc. — Une appréciation de Voltaire. — Les Encyclopédistes. — Charles Didier. Dès 1836, cet auteur déclarait que le Maroc doit être « absorbé » par l'Europe. — M. de Mas-Latrie estime que nous sommes désignés pour régénérer le Maroc. — Une malédiction de M. Montbard sur le Maroc. — M. Erckmana ne croit pas que le Maroc se civilise de bon gré ; les Marocains ne sont pas touchés par l'exemple de la civilisation.— M. de Foucault, tout en jugeant moins sévèrement les Marocains, croit que l'on doit joindre le Maroc à l'Algérie. —L'article classique, l'article type de M. Valbert dans la Revue des DeuxMondes en 1884. Nous avons le droit et le devoir d'agir au Maroc, mais ce sera difficile. — D'après M.de Campou, nous devons prendre le Maroc parce que c'est un pays riche. — Feu Castonnet des Fosses dito 93 CHAPITRE VI

Ternant voit des richesses incalculables au Maroc, et veut nous les donner. — L'opinion moyenne de la bourgeoisie éclairée est merveilleusement exposée par M. Malavialle. — Une inconscience admirable du droit des gens ; la théorie bourgeoise du droit de conquérir. jamais eu et il ne saurait y avoir cependant Il n'y a — droit dans une conquête ! — Une thèse se précise avec M. de Ganniers : nous devons prendre le Maroc parce que nous avons déjà pris l'Algérie. — M Mouliéras croit que les Marocains préféreront le joug français. — Le seul homme qui connaisse le Maroc, c'est M. Moulié110 ras

M.


CHAPITRE VII Le Maroc et les artistes. — Edmundo de Amicis. — Après

la séduction des premiers jours, l'écrivain condamne comme les autres. — Pour ne pas condamner, Loti demeure dans le rêve. Ses fantaisies littéraires. — Une appréciation curieuse de l'économiste Collin de Louvain 119 CHAPITRE VIII

Nous avons, nous aussi, sur le Maroc, quelques écrivains de Louvain. — Le Maroc au Parlement. — M. Raiberti. Etienne. M. — — M. De'cassé. — En article de M. Etienne sur les droits et tes deroirs de la France au Maroc ! — M. Etienne apprécie le traité de 1845. — M. de la Martinière aussi. — M. de la Martinière critique le traité mais défend les négociateurs, car il est renseigné, bien qu'il ne publie de ses renseignements que ce qui donne tort aux Marocains. — Le statu quo. — Encore M. Moulieras. Une explication naïve de la naïveté des plénipotentiaires de 1845.— M. Sourdeau fit en 1820, une douloureuse expérience de l'ironie diplomatique des Marocains. — Ayons une diplomatie franche 128 CHAPITRE IX

Nous n'avons pas de droits sur le Maroc.— Notre situation en 1844.— UNE LETTRE DU MARÉCHAL BUGEAUD A M. GUIZOT SUR LE PRESTIGE DE L'EMIR.— En échange de la mise d'Abdel-Kader hors la loi, que nous demandions au Sultan du Maroc, nous offrions d'évacuer Marnia. — Preuve. — INSTRUCTIONS REMISES PAR LE MARÉCHAL BUGEAUD AU GÉNÉRAL BEDEAU, AU MOMENT DE LA CONFÉRENCE DE L'OUED-MOUILAH.

— Nous avions grand besoin du Sultan. — Preuve. — Sultan RAPPORT DU GOUVERNEMENT GÉNÉRAL D'ALGÉRIE. Le — tiraillé entre deux intérêts contraires. — LETTRE DE M. DU CHASTEAU, CHARGÉ D'AFFAIRES A TANGER 147


CHAPITRE X

Sur l'établissement de la frontière. — La carte d'Ali-Bey donne la Tafna comme frontière. — La CARTE du GÉNÉRAL TURC MUSTAPHA-BEN-ISMAIL prêtait à confusion mais pas sur la Moulouïa manifestement au Maroc. — NOTE LAMORICIÈRE SUR LA FRONTIÈRE SUD. DU GÉNÉRAL DE — NOTE L'ALGÉRIE ÉTABLIE AU DÉSUR LA FRONTIÈRE OCCIDENTALE DE

POT DE LA GUERRE DE 1813 ET JOINTE AUX INSTRUCTIONS QUE GÉNÉRAL GUERRE FIT REMETTRE AU DE LA LA MINISTRE DE LE RUE LE 10 JANVIER 1845. — On ignorait le désert. —

Pourquoi nous sommes allés sur les Hauts Plateaux. — Le Sultan se crut lésé par le traité. — LETTRE DE LÉON 153 lésé Il fut effet ROCHES. en — CHAPITRE XI

La question ouverte. — Le Maroc et l'Algérie veulent la « fermer ». Le quai d'Orsay ne veut pas. — Les incidents de frontière. Ce qu'ils valent. NOTE PE M. BOURÉE, MINISTRE A TANGER. — On demande une frontière. — NOTE DU GÉNÉRAL CEREZ. — NOTE DE M. ALBERT GRÉVY. — NOTE DE M. TIRMAN. — NOTE DU GÉNÉRAL THOMASSIN. — NOTE DE M. WADDINGTON. Le ministre explique pourquoi on ne

doit pas donner de frontière. — Annotation de M. de La Martinière. — LETTRE DU GOUVERNEUR GÉNÉRAL DE L'ALGÉRIE RÉSUMANT EN 1886 LA OUESTION DEPUIS 1845. Il dit que les autorités marocaines demandent aussi une frontière. —

NOTE DE M. TIRMAN SUR FIGUIG. — Une note OFFICIELLE SUR LES DEMANDES MAROCAINES POUR UNE FRONTIÈRE ET SUR LE 160 REFUS DU QUAI D'ORSAY

CHAPITRE XII Le traité de 1845 ne doit pas servir au Maroc. — NOTE DE M. FLOURENS. — OBSERVATION DU MINISTRE DE LA GUERRE. GÉNÉRAL DE L'ALGÉRIE. APPRÉCIATION GOUVERNEUR DU — dont razzias profitions Sur les abusions. et nous — — EXTRAITS DE RAPPORTS DE M. DE LA MARTINIÈRE sur DIFFÉRENTES OPÉRATIONS DE RAZZIA. — L'indemnité de l'affaire

de R'orfa. — Quelques réflexions

177


CHAPITRE XIII

Comment on éluda les clauses les plus formelles du traité de 1855. — L'histoire du cercle d'Aïn-Sefra. — RAPPORT LA MARTINIÈRE CITANT LE GÉNÉRAL SAUSSIER et le MINISTRE DE LA GUERRE. UNE NOTE DU GÉNÉRAL DELEHERQUE. UNE NOTE DE M. ORDEGA. Pour prendre une tribu affirmée au Maroc

par le traité, on change le nom de cette tribu. — Ce « coup » des Amour et de Djemba, on le refait pour Mengoub. —L'AVIS DE M. RIBOT. — Ainsi, par une série de citations officielles est bien établie la question de droit. Nous n'avons pas de droits. — II n'y a qu'injustice dans les politiques actuelles. — La tristesse de l'historien 188 , . . .

LIVRE

TROISIÈME

CHAPITRE XIV

l'intérêt. Nous avons vu en prouvant, en établissant la vérité de fait que nous n'avons pas le droit de faire la guerre au Maroc. Voyons maintenant, en établissant la vérité de raison, que nous n'y avons pas davantage intérêt. — Spécification de l'intérêt. — Les intérêts privés dans les guerres ne doivent pas nous imposer des conquêtes nuisibles à l'intérêt général. — Quel serait l'intérêt général dans la conquête du Maroc. Les intérêts politiques. — Prestige moral ; il dimi201 nuerait

La thèse de

CHAPITRE XV

La conquête augmenterait-elle notre puissance militaire ? Dans l'offensive ? Non. — Dans la défensive ? Non plus. Comparaisons avec l'Algérie. — L'Espagne aurait avantage, nous pas. — C'est une faute de s'allier avec l'Espagnol qui est détesté par le Marocain. — Nous n'avons pas assez d'hommes pour augmenter nos territoires à

défendre

210


CHAPITRE XVI

Les frais de la conquête. — Sang. — La résistance pro-

marocaine. — Ibn-Khaldoun. — AliL'armée Bey.— —Erckmann. diplomates Martinière. Les La — — voient la conquête non pas au conditionnel, mais au futur. L'opinion qu'on a des forces marocaines est erronée.— De Foucauld. — Mac-Lean. — Mauvaise méthode des Européens pour juger. — Il n'y a pas de soldats au Maroc, mais il y a des guerriers. — On doit raisonner sur des faits. — La résistance marocaine exi221 gerait trop de sang bable. —

CHAPITRE XVII

Frais d'argent. L'intérêt permet-il de les risquer? Les retrouverait-on. Pas de trésor à prendre. — Contribution de guerre impossible, puisqu'on annexerait. — Les impôts ne permettraient pas l'amortissement. — La puissance de rendement du Maroc. — Où apparaît la question juive. — Elle complique la conquête et la rend excessivement dangereuse. — Les tueries certaines. — Et la concurrence juive certaine ne permettant pas la colonisation commerciale. — Apparente mais irréelle prospérité qui suit les guerres et coïncide avec l'établissement des conquérants. — Critérium de la prospérité d'un pays. — Comparaison avec l'Indo-Chine. . . . 238 CHAPITRE XVIII

Les partisans de la conquête ne sont point logiques dans

leur appréciation du fanatisme musulman. — Analyse du fanatisme en général et du fanatisme musulman en particulier. — Le secret de l'Islam. — Les confréries religieuses au Maroc. — Edouard Cat. — Depont et Coppolani, leur énumération des confréries marocaines. Leur appréciation de cette force. — Il ne faut cependant pas exagérer. — Augustin Bernard — Le fanatisme n'empêche pas le Maroc d'être conquis par le commerce.

Reclus —

251


CHAPITRR XIX

Les relations des peuples ne sont plus régies par des lois de force politique mais de force économique. — L'évolution des intérêts. — Les masses d'attraction. — Les

découvertes scientifiques par leurs applications révolutionnent l'ancienne « distribution » des hommes. — L'attraction des intérêts n'a pas besoin de s'imposer; elle est. — La thèse des intérêts économiques en opposition avec les intérêts politiques pour l'influence à exercer dans les Etats faibles apparaît dans le droit international. — Les intérêts Belges au Maroc. belge. Une thèse livre BelLe de Collin. M. La — — gique offre son protectorat au Maroc. Et pour convaincre l'Europe de l'opportunité de ce protectorat, M. Collin offre l'exemple du Congo. — Le roi Léopold est un bandit. — Les intérêts anglais, allemands, des Etats-Unis. — La conquête ne nous donnerait aucun avantage dans la lutte économique. — D'ailleurs, dans la crainte qu'elle nous en donne, les autres peuples s'y op263 posent —

CHAPITRE XX

Notre commerce avec le Maroc, par frontière de terre. — Un article de Jules Duval en 1859. — La loi de 1867 et le régime de 1867. — Complété par l'établissement des marchés francs, ce régime permet un mouvement commercial franco-marocain augmentant chaque année. — M. Revoil veut ce commerce encore meilleur... et il

l'arrête

277

LIVRE QUATRIÈME CHAPITRE XXI

Nous avons établi que la vraie question du Maroc c'est le développement de nos relations économiques avec le Maroc. — Comment les développer?— En acceptant l'oeuvre de Louis Say qui ouvre un port à l'entrée de la


route de pénétration commerciale au Maroc. — Les motifs de l'opposition à cette oeuvre. — M. Etienne. — Louis Say. Ses travaux africains. — Ses voyages à Ghadamès en 1875. — A Temassinin. — Ses relations avec In Salah. — Ses idées de réforme algérienne en 1881. — Les inimitiés qu'elles lui créent; inimitiés qui le poursuivent encore. — Dès 1881 Louis Say montre la vraie voie d'accès au Maroc. — Ses voyages au cap de l'Eau et à la Moulouïa. — Son programme pour les relations franco-marocaines. Pas de guerre. — Son installation au Kiss et la fondation de Port-Say. —

Obstacles. Défenses, etc

285

CHAPITRE XXII

La catastrophe du Cap-de-l'Eau. — Les bateaux de Louis Say sont fusillés par les Kebdana du chef Arfoef. — M.Jules Pouzet venu en touriste d'Oran est mortellement frappé. — Le rapport officiel de Louis Say adressé au

gouvernement sur cette aventure. — Ce qu'il faut ajouter à ce rapport. — Les dessous. — Les vrais assassins. Is prodest. fecit cui — — C'est le cas. — N'insistons Point 299 CHAPITRE XXIII

Campagne pour l'ouverture des plages.— Pétition des marins de Nemours et des commerçants d'Oran. — L'envoi à Nemours. — La défense de Nemours.— Llabador (Octave), avocat de Nemours. — Les articles du Petit Fanal. du délibération Conseil municipal de Nemours. Une — Revoit Pourquoi protège Nemours. — — Pourquoi Etienne protège ses électeurs 313 CHAPITRE XXIV

Une série d'articles de Louis Say en réponse aux gens de Nemours et à leurs protecteurs. — Sa thèse. Ses preuves. — Elles établissent l'excellence de son 340 oeuvre


CHAPITRE XXV

L'histoire officielle du Kiss dans ses rapports avec le gouvernement général de l'Algérie. — Une série de mesures sans franchise et sans légalité. — Une demande nouvelle de Louis Say pour la « réouverture » du Kiss, c'est-à-dire pour l'ouverture de Port-Say. — L'histoire d'un sac d'orge prouvant l'absurdité de la fermeture du Kiss. — Le gouvernement refuse le principe de l'ouverture du Kiss. — Il admet les mêmes nécessités de fermeture qu'en 1887. — Mais il donne des autorisations spéciales et conditionnelles. Discussions de la logique de ces restrictions 353 CHAPITRE XXVI

Condition des autorisations. — Le prélèvement d'une dîme en faveur de Nemours. — La pièce officielle qui contient cet « abus de pouvoir », ce « détournement d'autorité ». — Pièce que je dénonce à l'examen des pouvoirs supérieurs et du Conseil d'Etat. — Nouvelle demande de Louis Say résumant son oeuvre du Kiss. — Il demande l'autorisation d'embarquer pour l'étranger. refuse On sous prétexte de négociations d'ordre com— mercial en cours avec le Maroc! Absurdité du prétexte. l'exportation des céréales du Maroc. Un mot sur — — La zone d'appel des marchés terrestres 367 . . . . CHAPITRE XXVII

Malgré toutes ces oppositions, Port-Say est né, a grandi, s'est développé, vit. — ce qu'est cette vie, demandons-le aux journaux d'Oran, qui publient la chronique du Kiss. — La chronique relatant l'installation du télégraphe au Cap Milonia. — Quelques explications sur ce télégraphe. — Les divers incidents de la vie au Kiss. — Le mouvement commercial et maritime de Port Say. — Oran commence à croire que Port-Say vit bien réellement. Afin d'en être tout à fait sûr, le député César


Trouin fait un voyage au Kiss. La croisière du Zenith. — Les conclusions des Oranais après ce voyage. — Mon séjour au Kiss.— Les visites du pacha à Port-Say. — La 386 flotille de Port-Say CHAPITRE XXVIII

Port-Say vit. — Les raisons maritimes de sa vitalité et de son développement à venir. — On les voit : 1° en consultant les cartes. 2° En lisant les Instructions nautiques, recueil officiel de géographie côtière publié par le ministère de la marine. — Ces instructions établissent les bonnes conditions maritimes et commerciales de PortSay. — Elles disent les mauvaises conditions maritimes et commerciales de Nemours, et signalent la décadence économique de cette ville. — Elles disent les mauvaises conditions de Rach'gonn. Les instructions nautiques signalent les baies du Chetih et de la Moscarda comme bons abris naturels pour les bateaux de faible tonnage. Les torpilleurs sont des bateaux de faible tonnage. — La vérité géographique oblige à dire que le port du Maroc oriental et l'Algérie occidentale, c'est Port-Say 406 CHAPITRE XXIX

Sur les îles Zaffarines dont le voisinage du Port-Say rend la notion intéressante. — Description des instructions nautiques. — L'histoire des îles Zaffarines. — M. de Suffren indiquait en 1764 ces îles et la plage du Kiss comme porte du Maroc. — Thomassy reprend cette fut manquée l'occupation. M. de MacComment — Mahon arriva trop tard. — Une proposition de cession des îles à l'Allemagne en 1883. M. Ximènès. Projets actuels de dépôt de charbon 423 CHAPITRE XXX La route entre Fez et l'Algérie. — Documents sur cette route. — Il n'y avait pas de voie romaine. — Ali Bey.


la indique Moulouïa. de Campou. Thomassy M. — — — M. de Foucauld. — Conclusions. — La tète de la voie de pénétration économique au Maroc, c'est à Port-

Say

M2

CHAPITRE XXXI

Politique et beaux-arts. — Tout se tient dans l'évolution des sociétés. — Les mêmes causes d'ignorance et d'aveuglement qui ont fait notre politique coloniale si mauvaise avaient aussi leur action dans les beaux-arts. Nous n'avons pas de littérature exotique. Jusqu'à Noiré nous n'avions pas de peinture exotique, orientaliste. — Ce qu'est Noiré 441


Turn static files into dynamic content formats.

Create a flipbook
Issuu converts static files into: digital portfolios, online yearbooks, online catalogs, digital photo albums and more. Sign up and create your flipbook.