LES CAPTIFS DÉLIVRÉS. 1917

Page 1

.

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Il a été tiré

de cet ouvraqe

:

Mille exemplaires offerts à Varmée par l'auteur et teurs

les édi-

;

Cinq mille exemplaires sur lesquels l'auteur a abandonné droits,

un

tiers

ses

au bénéfice de l'Assistance mutuelle des veuves

de la guerre, un

tiers

au bénéfice de l'œuvre des Amis des soldats

aveugles, un tiers au bénéfice des Orphelins de la querre de la

Savoie ;

Cent vingt exemplaires sur papier de Hollande, dont soixante

numérotés de 1 a 60

et soixante

d'hommage

;

Vingt exemplaires sur papier des manufactures impériales du

Japon, dont dix numérotés I à

Un exemplaire unique

X

et dix

sur Chine.

d'hommage

;


%&•%>

LA CHANSON DE VAUX-DOUAUMONT

LES CAPTIFS DÉLIVRÉS


Ce volume a

été

déposé au ministère de l'intérieur en 1917.

DU MÊME AUTEUR OUVRAGES SUR LA GUERRE La Chanson de Vaux-Douaumont

du

fort de

Vaux

(9

— —

.

I.

Les Derniers Jours

mars-7 juin 1916).

La Chanson de Vaux-Douaumont. II. Les Captifs délivrés (Vaux-Douaumont 21 octobre-3 novembre 1916). :

Trois Tombes.

La Jeunesse nouvelle.

ROMANS ET NOUVELLES La Maison. L'Amour en fuite. La Petite Mademoiselle. La Neige sur les pas. Le Carnet d'un stagiaire. (Librairie

La Robe de laine. La Croisée des chemins. Les Yeux qui s'ouvrent.

L'Écran brisé. Les Roque villard. Plon-Nourrit et G .) ie

La Nouvelle Croisade des enfants. (Librairie

Flammarion.)

La Peur de vivre. Le Pays natal. La Voie sans retour.

Le Lac noir. Jeanne Michelin.

(Librairie \. Fontemoing.)

ESSAIS DE CRITIQUE ET VOYAGES LaVieauthéâtre(1907-1909. 1909-1911. 1911-1913).—-3 Portraits de femmes et d'enfants. Paysages romanesques. (Librairie Plon-Nourrit et G ie .)

Quelques Portraits d'hommes.

vol.

Vies intimes.

(Librairie A. Fontemoing.)

Ames modernes

Librairie Perrin).

Les Amants de Genève,

édition de luxe (Librairie

Dorbon

aîné).

THÉÂTRE L'Écran brisé. de Campagne. En collaboration avec M. Emma-

Un Médecin

nuel Denarie. (Librairie Plon-Nourrit et G".) PARIS.

TYP. PLON-NOURRIT ET Gie , 8,

RUE GARANC1ERE.

22508.


Capitaine

HENRY BORDEAUX

LA CHANSON DE VAUX-DOUAUMONT

LES

DELIVRES

CAPTIFS

DOUAUMONT-VAUX (21

OCTOBRE-3 NOVEMBRE Avec

1916)

trois cartes

PARIS LIBRAIRIE]

PLON-NOURRIT 8,

et

C»,

PLON

m

IMPRIMEURS-ÉDITEURS

RUE GÀRANCIÈRE

1917 Tous droits réservés

6e

1/y


Copyright 1917 by Henry Bordeaux. Droits de reproduction et de traduction réservés pour tous pays.


AU

GENERAL PETAIN



LES CAPTIFS DELIVRES DOUÀUMONT-VAUX (2

Deux

OCTOBRE-3 NOVEMBRE 1916)

1

dessins de Forain résument dans

un rac-

courci saisissant les deux phases de la bataille de

Verdun.

Comme un

lui impose

sculpteur, pétrissant la glaise,

une forme,

prodigieuse matière,

le

grand

artiste

a

tiré,

trique

et

marquée

cette

les traits essentiels.

Le premier, dédié au général Pétain, ne qu'une pierre

de

contient

qu'un mot. C'est une pierre kilomé:

Verdun, devant

laquelle gisent les

vagues allemandes échouées. Le mot, Bis hier, Friedland, Schiller dans son

c'est

und nicht

Wallenstein

:

:

la

borne.

weiter... dit

jusqu'ici, et

pas

plus loin.

Le second

dessin est moins noir et moins sombre.

Il est plein de

pelle

:

La

mouvement

reprise

du

fort

et

d'allégresse.

de Douaumont

Il s'apet

porte


LES CAPTIFS DÉLIVRÉS

2

en épigraphe

commencement du communiqué

le

mand du 26

octobre

favorisée par

1916

aile-

L'attaque française,

:

un temps brumeux... Dessous, un jambe

solidement ramassé sur la

soldat français,

gauche, envoie un magistral coup de pied dans

le

derrière d'un fantassin allemand qu'il expédie dans

au delà

l'espace

légende

La

...

:

Et

la

la victoire

:

se dissipa.

duré du 21 février au début

c'est la

borne. Elle a préparé

qui a été remportée dans

octobre et

les actions

de Genève a ainsi dégagé

clin

le

le

Journal

sens de Verdun

de Verdun marquera dans l'histoire

:

«

le

La dé-

de la puissance allemande... Lorsqu'on a vu,

après des mois d'une lutte écrasante,

mands

le

sang de leurs camarades,

monde a compris d'un coup

guerre.

les soldats alle-

reculer sur le terrain qu'ils avaient conquis

en pataugeant dans le

des

15 décembre 1916.

Lors de V anniversaire du 21 février,

bataille

Comme

reconquis.

terrain

bataille d'arrêt a

de septembre 1916

24

du

brume

le

symbole de

la

»

Verdun a pris d'emblée dans rieuse puissance de la légende.

l'histoire la

mysté-

Une matière épique


LES CAPTIFS DELIVRES

3

rassemblée qui formera plus tard, dans notre

est là

littérature,

le

comme

cycle de Verdun,

temps des Croisades ,

cycle de

le

y

il

au

eut,

Charlemagne

et celui

de Guillaume d' Orange

Je n ai pas eu de peine à rapprocher les Derniers

Vaux

jours du fort de

A

travers les siècles,

de la Chanson de Roland.

c'est,

selon la juste vision de

Barrés, le visage éternel de la France.

Au

cours de la bataille .de Verdun, sur

forts qui montent la garde autour de

deux furent faits prisonniers

resse,

25 février 1916 délivrés,

Vaux

3 novembre

Douaumont

:

7 juin. Les

le

Douaumont

ont été le

Vaux

et

les trente

la vieille forte-

le

suivant.

24

le

captifs

octobre 1916, et

C'est,

ici,

V histoire

de leur délivrance

Leur délivrance a

été précédée

de formidables

assauts allemands contre la colline et le fort de Sou-

rempart de

principal

ville,

furent

livrés les

tembre,

et

23 juin, 11 juillet,

Thiaumont, Fleury

:

1

er

Ces

août

assauts et

3

sep-

furent coupés de nos contre-attaques sur et

maintenir notre ligne.

nom

Verdun.

la bataille

Vaux-Chapitre,

V ensemble

devant Souville.

destinées à

peut prendre ce


LES CAPTIFS DELIVRES

4

un jour

L'histoire en sera écrite

:

Fleury, Thiau-

mont sont des noms qui égaleront ceux de Douaumont et

de Vaux.

A partir

sant plus des

combat sur

entre la cote tie et le

C'est

les

Somme,

sur la

deux

mule sur ce

pour alimenter

suffisants

le

rives à cause de notre offensive

restreint son effort à la rive droite,

du Poivre dont

il

fond de la Horgne à

par

Sur

de juillet, V adversaire, ne dispo-

moyens

occupe l'est

entend forcer

là qu'il

majeure par-

la

du fort de Vaux. passage

le

:

il

accu-

ce point le matériel et les effectifs.

champ de

bataille circonscrit, la principale

ossature du terrain est constituée par deux longues arêtes, l'une orientée

du nord-est au

nord-ouest

:

Douaumont-Froideterre, l'autre orientée du nordouest

au sud-est

mouvements de

:

Nawé-Fleury

Bois

terrain

se

soudent

à

Ces

.

deux

hauteur de

Thiaumont, composant ainsi une sorte de croix inégale. est

La branche

sud-ouest de la croix sur laquelle

accroché, légèrement à contre-pente,

Fleury, couvre deux ravins, le

ravin de

la

Poudrière

.

le

le

village de

ravin des Vignes

Fleury, plus régulières , ne sont entaillées que par ravin de Chambitoux qui sépare

Vaux-Chapitre de toux

est

Bazil

et

la cote

le

le

le

terrain bois&-de

320. Ce ravin de Chambi-

coupé perpendiculairement par prolongé vers

et

Les pentes nord-est de

nord par

les

le

ravin du

Fausses-Côtes.


LES CAPTIFS DELIVRES

Tous

vallonnements

ces

5

de chemine-

défilés servent

ments à l'infanterie ennemie qui, de Douaumont, sa place d'armes, cherchera à progresser vers Fleury-

V itinéraire Fausses-Cotes-Chambitoux

Souville par et,

plus tard, par

La branche Nawé,

les

couverts de Vaux-Chapitre.

nord-ouest de la croix,

face au nord

se replie

nord-est de Bras,

au-dessus

vient

et

de

ravins parallèles à cette croupe,

celle

la le

ravin de Bras

.

bois

mourir au

Meuse.

Trois

Helly, la

Dame, descendent de Douaumont

leuvre et la

du

Cou-

vers

le

Ce sont aussi des cheminements pour

l'infanterie allemande qui, de la feigne Saint-André,

cherchera à atteindre Thiaumont par V itinéraire

les

Fosses, les Chambrettes, les pentes est et ouest de la cote la

378. Notre

rejeter

dans

artillerie vigilante le

l'inévitable halte de la

hardie

descente

découvert de

Douaumont. Mais et périlleuse

Douaumont à

la

Nos observateurs en avions et les leçons

aura

ravin du Helly qui

la

vite fait

de

conduira à

après, ce sera

sur

les

pentes à

ferme de Thiaumont.

saisiront leurs colonnes,

données à leur audace seront

si

san-

glantes que l'ennemi préférera changer de parcours

en l'allongeant

mont par dont

il

le

et

amener

ravin du Bazil

occupe

ses renforts vers 'Thiauet par les

pentes de Fleury

le village.

La branche

nord-ouest de la croix

monte vers


LES CAPTIFS DÉLIVRÉS

6

Douaumonl en pente douce La branche

sud-est, c'est

.

Froide terre qui domine la vallée de

la

Meuse

et les

ra-

vins sud de Fleury et qui, malgré des bombardements incessants et formidables,

demeure

le

pivot de notre

V espoir d'une progression possible

défense,

veut reprendre Fleury

si l'on

un jour, Douaumont.

et,

Il

faut donc à tout prix consolider Froideterre en reprenant V ouvrage de Thiaumont perdu

Tout

cet

le

23 juin.

Au

ensemble s'appuie à deux bastions.

nord, c'est la côte du Poivre, en partie seulement en notre possession au mois d'octobre 1916, mais précieuse

par

les

vues de ses observatoires sur toute

région à l'ouest de

mamelon de

Douaumont. Au dominé par

Souville,

attaques allemandes

sud,

le fort,

qui voient en lui

c'est

la le

but des véritable

le

rempart de Verdun.

En

arrière de cette ligne de défense,

qu'une

dernière

crête

appuyée d'un côté à *des

:

n'y a plus

Belleville- Saint-Michel,

Meuse

et

de l'autre au Bois

Hospices.

Sur et

la

il

le

plan des lieux on peut mesurer l'importance

l'acharnement des combats qui se sont livrés au

cours des mois de juin, juillet, août

septembre devant Souville. Pour ville

représentait la

direct de

les

et

au début de

Allemands, Sou-

dernière étape avant

Verdun qui ne

l'assaut

serait plus alors protégée

que


LES CAPTIFS DÉLIVRES

par

la dernière

7

Pour nous,

ceinture de ses collines.

la reprise de

Thiaumont

nous fournir

la

et

de Fleury pouvait seule

base de départ indispensable à une

action de grande envergure destinée à nous rendre

d'un seul coup Douaumont plètement la repris les

ville

17-18 août

au delà de

la

et

Vaux

et

à libérer com-

de la menace allemande. Fleury et

est

nous avons pu nous établir

route de Fleury à Bras, c est-à-dire

presque en bordure de V ouvrage de Thiaumont*

Seules

les

archives du

commandement permettront

dans

de mettre en place,

de la grande

l'histoire

guerre, chaque épisode.

Aucun

peut être détaché de

l'ensemble

épisode, en effet, ne

perdre sa véritable signification.

risquer de

sans

De

la

mer du Nord

à la Mésopotamie, c'est une bataille unique qui se livre,

fragmentée en mille actions diverses. Mais ne

faut-il pas se hâter de recueillir, les

témoignages de

orale, sur

la

chacune de

quand on

tradition,

écrite,

soit

ces mille actions?

cette ti^adition est-elle susceptible d'être

peut,

le

soit

Sans doute

complétée

et

remaniée. Sans doute n'est-ce là qu'une chronique

qui n'engage que

le

chroniqueur.

recueillie avec dévotion partout

Du

moins

l'ai-je

où j'ai eu l'occasion


LES CAPTIFS DELIVRES

8

de la surprendre dans toute sa fraîcheur première,

avant quelle

ait

pu

s'altérer.

Après les Derniers jours du fort de il

pas indispensable d'écrire

acheva

la

longue

et

le récit

Vaux

de la victoire qui

dure bataille de Verdun?

H. B. i er mars

1917.

ri était-

.


LIVRE PREMIER

DANS LA CRYPTE DE VERDUN (13 septembre 1916)



13 septembre 1916.

Verdun

est

une

que romaine où

vieille ville qui,

l'un des remparts les

du monde occidental contre

invasions germaines. Lors du

de l'empire carolingien,

fameux

traité

de France

depuis l'épo-

s'appelait Virodwium, fut

elle

elle a

démembrement

donné son nom au

de 843 qui détachait du royaume

les Trois- Évêchés

l'empereur Lothaire.

pour

les

adjuger à

faudra des siècles de

Il

sagesse politique et d'esprit de suite pour réparer cette faute qui ouvrait les portes

Une Allemagne

qui se revendique de l'ancien

Empire veut trouver dans l'origine historique

que, dès riale

le

était

l'apanage

dixième

comté de Bar

les

du passé

siècle, la possession

et

impé-

que Verdun devenait

princes-évêques, rentrait,

tour, sous la suzeraineté

gée par

cette erreur

de ses convoitises, oubliant

supprimée des

aux Barbares.

tandis

un peu plus du

roi

que

le

tard, à son

de France. Assié-

armées de Charles-Quint (1544) Ver,


LES CAPTIFS DÉLIVRÉS

12

dun

fut reprise par

Henri

II

(1559)

et,

de

fait,

définitivement annexée au royaume, en sorte que le traité

de Westphalie ne

que confirmer un

fit

état de choses établi depuis près de cent ans. Cet

état de choses, la nécessité pour la France de se

garder

l'avait créé.

fut occupée

En 1792, Verdun,

que quarante-trois jours,

tres qui l'avaient livrée

En 1870, cernée malgré une

et

sortie

trahie,

ne

et les traî-

furent punis de mort.

bombardée dès

le

13 octobre,

heureuse qui occasionna des

pertes sérieuses aux assiégeants, trompée par la

communication de dépêches qui annonçaient

la

reddition de Metz, la capitulation prochaine de Paris et la fin de la guerre, la ville se rendit le

8 novembre, mais la garnison obtint les honneurs militaires et sortit

musique en

tête et enseignes

déployées. Libres, les officiers préférèrent de-

meurer prisonniers avec

Verdun

a

vu

les

duc de Brunswick

leurs

hommes.

armées de Charles-Quint, du et

du prince de Saxe;

elle n'a

pas vu, elle ne verra pas l'armée du kronprinz.

La

bataille qu'elle soutient depuis bientôt huit

mois,

la plus

comme

longue bataille de tous

elle a fait

les

temps,

apparaître sous les démolitions

l'ancienne ceinture de fortifications qui datait du

temps des princes-évêques, met en

relief l'intel-


DANS LA CRYPTE DE VERDUN

1&

ligence prévoyante des fondateurs de la force française qui marquèrent sur ses collines la limite

des invasions descendues des Ardennes

par

le

couloir de la Meuse.

Après

ses

échecs de

la

Marne

et

de l'Yser,

l'Allemagne se recueillait sur son front dental. Étonnée d'avoir manqué prise

que semblaient

lui

le

occi-

coup de

sur-

garantir sa préparation

directe à la guerre et son avance industrielle y

sachant bien que son principal adversaire était là, elle

renouvela patiemment son outillage et décu-

pla sa production. L'année 1915 confirma la fiance qu'elle gardait dans sa force

:

con-

n'avait-elle

pas contraint les Russes à reculer en Galicie, pris la

Pologne

et la

Gourlande,

mené de

concert avec

l'Autriche et la Bulgarie l'écrasement de la Ser-

bie? Alors, elle revint au plan primitif qui, seul,

pouvait amener la solution de

21 février, avec

la

même

guerre, et le

plus formidable accumulation

de moyens matériels qui

un

la

ait

jamais été réunie sur

point et qui représentait le travail pré-

paratoire de plus d'une année, elle attaqua le saillant

que notre secteur de Verdun creusait

dans ses lignes. La chute de Verdun elle rouvrir la

route de Paris,

cette carte trouvée sur

comme

un prisonnier

lui

devait-

l'indiquait le

23

juin.


LES CAPTIFS DELIVRES

14

et qui raccourcissait à dessein les distances

forteresse à la capitale, elle se rabattre

de

la

ou l'Allemagne pensait-

sur la Lorraine? Elle croyait

le suc-

pendant cinq jours.

cès certain. Elle put le croire

Aujourd'hui, 13 septembre, plus de deux cents jours se sont écoulés depuis son attaque, près de

cinq cent mille de ses soldats ont été mis hors de

combat,

et

au cœur

voitait, voici

française

et

vont

alliées

que les

même

le

la ville qu'elle

car

puissances

tranquillement,

y a de

il

presque

l'ironie à constater

l'impuissance du plus gigantesque effort,

une cérémonie symbolique, qui a parachevé l'œuvre de et sauvé

des

lois

du joug de

con-

président de la République

représentants des

célébrer

ironiquement,

de

la

de Verdun

la gloire la

Marne

— dans

et

de l'Yser

Force qui se met au-dessus

et des traités

la

France,

le

monde,

le

le

droit...

#

Verdun,

comme une

église, a sa crypte

jour n'entre pas, où ne pénètrent que les fidèles autorisés. Sa crypte, c'est la citadelle. Construite

sous

les

abbaye

fondations de l'ancienne

Saint- Vanne

qui couronnait la

placement de

la

ville,

de

proche l'em-

cathédrale actuelle,

elle

défie


DANS LA CRYPTE DE VERDUN tous les

bombardements

15

et sa vie souterraine n'a

jamais été troublée. Elle abrite de nombreux services qui n'ont pas été interrompus.

boulangeries y sont installées

Tune ou

çoit dans

l'autre

hommes demi-nus dont reflet des

brasiers et

l'enfournent.

rait

dans une

l'activité

y

est

de

ses

le torse est

aper-

travées des

rougi par

le

qui pétrissent la pâte et

des ambulances,

chirurgicales,

trique y fonctionnent.

vastes

le visiteur

:

Des magasins,

des installations

De

Une

une usine élec-

fois entré,

on

se croi-

ruche paisible et laborieuse,

grande et tant

la

tant

menace de

la

guerre en est absente. Car la ville est saccagée,

mais

la citadelle est intacte.

mais

les

remparts demeurent. Tout ce qui appar-

tenait à la cité

gère à

la

Les maisons croulent,

commerçante, trafiquante, étran-

défense, est à peu près détruit. Tout ce

qui relève de la cité militaire a résisté. Ainsi se

mesure l'impuissante rage de l'ennemi qui a précipité inutilement des milliers

sur

de tonnes de fer

Verdun sans atteindre réellement aucune de

ses fortifications.

Sans l'éclairage électrique,

la

citadelle aurait

l'aspect de l'un de ces vieux burgs formidables bâtis

dans

le

roc,

aux interminables couloirs,

aux casemates voûtées, aux oubliettes savam-


LES CAPTIFS DELIVRES

16

ment

pratiquées dans l'épaisseur des murs.

Il

faudrait des torches pour compléter ce décor des

But graves. L'escalier en colimaçon qui dessert

hommes

étages se perd dans l'ombre. Des

qués assurent

manœuvres roulent

garde. Des

la

les

cas-

des fardeaux. Le réfectoire occupe

toute une

travée et aboutit aux cuisines dont la fumée a noirci les pierres des voûtes romanes. Ce réfec-

La généreuse du général Dubois, com-

toire a reçu bien des hôtes illustres. et cordiale hospitalité

mandant d'armes, la bataille,

salle à

fait

a,

les

depuis

honneurs de

manger, qui réunit

l'éclat et

commencement de

le

au parfum d'une

la

la pittoresque

majesté d'une nef à

rôtisserie, à des princes,

à des généraux, à des ambassadeurs, à des écrivains, à des représentants de la presse française, alliée

ou neutre. Des discours historiques ont été

prononcés sera pas

ici.

Évoquer

chronique de

de

la vie

un des chapitres Verdun.

les

N'y

la citadelle

moins curieux de ai-je

il

est vrai,

en son

nom

la

pas entendu

M. Athos Romanos, ministre de Grèce à venu,

ne

Paris,

personnel et non

pas officiellement, qui, en présence de Maurice Barrés et de l'état-major de la place d'armes,

apporta dans

le

plus noble langage et avec

émotion chaleureuse

le salut

de son pays à

une

la ville


DANS LA CRYPTE DE VERDUN

17

assiégée? C'était le A avril. Après ses attaques frontales sur la rive droite

du 21

février

aux pre-

miers jours de mars et sur les deux rives du 6 au 12 mars, l'ennemi avait multiplié durant tout le

mois précédent la

les attaques locales sur le fort et

région de l'étang de Vaux, sur

s'acharnait

Il

alors

d'Haucourt

et

défense à

cote 304. Déjà

tion

bois de la

sur les bois de Malancourt et d'Avo-

Caillette,

court.

le

la

positions

de Béthincourt qui servaient de

Verdun

du monde qu'elle devait

tenir. L'entrée

nos

sur

dans

fixait l'atten-

si

longtemps re-

la citadelle,

par une porte

repérée et souvent battue, n'avait pas été sans

vacarme. Le

général Dubois,

offert à ses hôtes le tour

souriant,

avait

du propriétaire

à tra-

vers les ruines qui, çà et là, fumaient encore.

Ceux-ci, pour venir de Bar-le-Duc, avaient suivi la

fameuse

voie sacrée qui alimentait de ses ca-

mions automobiles toute ils

pénétrèrent dans

la bataille.

le réfectoire

Mais,

quand

voûté, quel ne

fut pas l'étonnement des visiteurs

en voyant

la

table jonchée d'œillets blancs et rouges? Les jar-

dins de

Verdun continuaient de

les

Et

fleurir.

toast de bienvenue qui les accueillit,

le

rappelant

souvenirs classiques que les Grecs d'autrefois

nous avaient transmis, comparait aux gardiens «.

2


LES CAPTIFS DÉLIVRÉS

Ï8

Douaumont

des Thermopyles les défenseurs de et

de Vaux. Les Grecs d autrefois

rire

du général

:

à peine le sou-

avait-il souligné l'ironie...

* #

Le dernier « civil » venu à Verdun, avant ce mémorable 13 septembre, fut M. Lloyd George, le

ministre de la Guerre britannique. Voici cinq

jours qu'il y fut reçu.

Un

des officiers qui ont

assisté à la visite

me

attendons devant

la forteresse,

raconte, pendant que nous

l'impression qu'il

en a gardée. La plupart des assistants ne savaient pas l'anglais et M. Lloyd George ne parle pas

le

français. L'interprète de Tétat-major traduisit en

hâte ses paroles en s'efforçant d'en maintenir Faccent. Cet interprète est un érudit qui se pas-

sionne pour les finesses du langage. dès qu'il eut regardé et entendu la difficulté serait

le

comprit,

Il

ministre, que

de communiquer à une traduc-

tion ce frémissement de l'âme qui fait palpiter sa phrase.

M. Lloyd George

est célèbre

pour avoir

multiplié dans son pays les fabriques d'armes et

de munitions et allumé au service de toutes les usines de la

tend à découvrir en

la

lui ces qualités

de

guerre

On s'atcomman-

Grande-Bretagne.


DANS LA CRYPTE DE VERDUN

dément, d'aisance,

d'activité

grand industriel. Et l'on d'un petit

homme

parence. Mais

physique que révèle

grand entrepreneur

d'un

l'extérieur

19

d'un

en présence

sans recherche et de peu d'ap-

yeux

les

se trouve

ou

flamme où

brillent d'une

l'on croit voir le reflet de tous les hauts four-

neaux d'Angleterre. Dès

une sorte

qu'il parle,

d'exaltation quasi religieuse s'empare de ceux qui l'écoutent.

elle

Il

est

notre Bretagne,

chargé de légendes.

idées. Et les idées,

Il

habite

le

et

monde la

matière.

du général Dubois, toujours

toast

le

des

au cours de cette guerre, ont

continué de mettre leur empreinte sur

Après

même comme

de ce pays de Galles, de

celtique que

race

ingénieux et disert, qui avait remercié

le

repré-

sentant du gouvernement anglais du témoignage qu'il venait vit

se

rendre aux défenseurs de Verdun, on

lever

homme

presque avec impatience ce petit

grave et ardent ensemble.

On

eut aussi-

quelque chose

tôt la sensation qu'il se passerait

d'important, de solennel. Ce qu'a dit M. Lloyd

George dans tacte après

cette

«

ici

la forteresse in-

deux cents jours de

entier l'a appris.

son soit

casemate de

Il

répétée

faut pourtant

siège, l'univers

que

sa pérorai-

:

Le nom de Verdun

suffira à

évoquer dans


LES CAPTIFS DÉLIVRÉS

20

un souvenir impéris-

Thistoire de tous les siècles sable.

Aucun des grands

toire de

France

d'armes dont

faits

est remplie

l'his-

ne témoigne mieux des

plus hautes qualités de l'armée et du peuple français, et cette

bravoure, ce dévouement à

auxquels

monde

le

la patrie,

hommage,

a toujours rendu

d'un sang-froid, d'une ténacité

se sont renforcés

qui n'ont rien à envier au flegme britannique. «

Le souvenir de

la victorieuse résistance

de

Verdun sera immortel, parce que Verdun a sauvé non seulement la France, mais notre grande cause les la

commune

l'humanité tout entière. Sur vieille citadelle,

puissance malfaisante de l'ennemi est venue

comme une mer

se briser,

granit. Elles ont le

et

hauteurs qui entourent cette

dompté

un roc de

furieuse sur

la

tempête qui menaçait

sens

remué profondément

monde. «

Pour moi,

en touchant ce

nom

personnel

je

me

sol sacré. :

émue de mon pays

Je ne parle pas en

je vous apporte et

l'admiration

de ce grand Empire dont je

suis ici le représentant. Ils s'inclinent

devant «

le sacrifice et

Une

fois

mon

devant

de plus, pour

la

défense des grandes

causes auxquelles son avenir

l'humanité se tourne vers

la

avec moi

la gloire.

même

est attaché,

France...

»


DANS LA CRYPTE DE VERDUN

— le

Il

parla sur

un ton

tout frais, l'office.

comme un

me

extatique,

témoin qui rassemble pour moi

21

rapporte

ses souvenirs

prêtre récite les prières de

Nous n'avions pas besoin de comprendre

ce qu'il disait pour deviner qu'il s'agissait de sacrifice et

de gloire. Et, quand

son discours,

il

prononça en

le

il

eut terminé

leva son verre et par trois fois

il

comme une invocaardente, comme une incan-

renforçant,

tion de plus en plus

mot unique Nous nous sommes tation, ce

:

France! France! France!

tous

trouvés

debout.

Je

m'étais levé sans y prendre garde et tous mes camarades avaient dû se lever ainsi une émo:

tion indicible nous étreignait,

un

frisson

d'amour

nous secouait. Nos peines n'existaient plus

:

il

n'y avait plus que la cause à laquelle nous appar-

mot prononcé non d'une auguste, mais d'un mystérieux man-

tenions corps et âme, et que ce

avec un

accent guttural

majesté plus

revêtait,

teau d'admiration étrangère...

La

vieille citadelle est

loir d'accès disparaît la

parée.

La voûte du cou-

sous les drapeaux. Celle de

casemate réservée à

la

cérémonie,

j'allais dire


LES CAPTIFS DELIVRES

22

au culte, est tapissée de électriques

suspendent

se

Les ampoules

lierre.

comme

des fruits à

aux cou-

cette verdure. Les parois sont pavoisées

leurs des nations alliées et décorées de panoplies.

Une

au fond, est

estrade,

avec une

dressée

assemblée de fauteuils rouges. L'entrée de l'écoute qui attend et leur suite est pareillement

nons de bronze, d'un modèle servi

en 1870,

garde

la

le

devant

les officiants

Deux ca-

ornée. inusité,

qui ont

Berceau et la Marie, montent

une

cuite de la citadelle

en

reproduction

terre

du temps de Vauban. Au

dehors, une compagnie du 49 e bataillon de chasseurs à pied, en armes, clairons tête, est prête à

Dubois

et

rendre

les

son état-major sont groupés face à

porte de la ville que doit franchir

Le jour

perdent dans

la

le

en

la

cortège.

campagnes

long du fleuve

gris,

se

brume. Les hautes murailles des

remparts semblent atteindre ce entend,

le

est triste, le ciel bas, les

meusiennes, là-bas,

On

et fanfare

honneurs. Le général

comme un

ments du canon. La

ciel

rapproché.

orage éloigné,

les roule-

bataille n'est pas finie.

Que

vient-on célébrer dans Verdun pareille à la Jéru-

salem désolée des Lamentations?

La cérémonie qui va s'accomplir

est sans


DANS LA CRYPTE DE VERDUN exemple dans

La

l'histoire.

gloire de

23

Verdun

sera

unique. La cité invaincue va recevoir l'hommage

de

France

la

de toutes

et

les

nations alliées. Le

Président de la République française lui apporte

de

la croix

Légion d'honneur;

la

tants des nations alliées, rains, lui

apportent

les plus estimés.

prendre «

au

nom

de leurs souvede leurs ordres

les insignes

Verdun va grouper

l'alliance et

toute sa signification.

Depuis

le

21 février,

dans

est-il écrit

port en date du 29 août, par lequel

de

la

représen-

les

Guerre présentait au chef de

décidant l'attribution de

la

le

le

rap-

ministre

l'État le décret

Légion d'honneur à

la

place forte, la ville de Verdun, dans sa farouche résolution de maintenir son territoire

inviolé^

oppose à l'armée de l'envahisseur une résistance qui fait l'admiration du

du gouvernement de que

la ville

la

monde.

.

.

Il

est

du devoir

République de proclamer

de Verdun a bien mérité de

la patrie.

»

— A bien mérité de l'Entente, ont voulu ajouter les Alliés.

A

la vérité le

mais à

La

la

ville

nom

manière de tous

les

noms de

batailles.

représente la barrière dressée devant

l'invasion. Elle a, indéfinis,

de Verdun est un symbole^

dans cette guerre aux fronts

l'importance d'un fleuve, la Marne,,


LES CAPTIFS DÉLIVRÉS

24

ou

l'Yser

la

Somme.

lines incurvées, la

Un

.

à un,

sans protocole apparent, les auto-

mobiles franchissent rêtent

N'a-t-elle pas, avec ses col-

forme d'un bouclier?

un peu avant

la

porte de la

ville et s'ar-

l'écoute, devant la

haie de chasseurs à pied.

A

armes, un soldat décoré de qui doit connaître son

double

voix basse, sous les

la

médaille militaire,

monde, énumère, pour

son voisin tout jeunet qui doit être une nouvelle recrue, les

noms des

— Mangin,

Un de

Anglais, la

arrivants

:

Nivelle, Pétain, Joffre.

civils.

un Russe, des étrangers. Le ministre

Guerre. Le Président.

Un

à un, tandis que les clairons sonnent aux

champs,

le

chef de l'État,

les

généraux,

les chefs

de

de Verdun remplaçant

la ville

de

la

Meuse,

ministres,

les

des missions alliées, l'adjoint

maladie rend indisponible, tés

Des

le

les

préfet

le

maire que

la

sénateurs et dépu-

du département,

le

sous-préfet de la ville défilent entre les chasseurs et disparaissent sous la voûte. Ils suivent le

couloir qui les conduit à la casemate

se déroulera la

rieur,

Il

aménagée

cérémonie.

Sur l'estrade a pris place République.

long

le

Président de la

est entouré du ministre de l'Inté-

du ministre de

la

Guerre

et des cinq

gêné-


DANS LA CRYPTE DE VERDUN raux

le

:

mandant

généralissime, le

le

général Pétain, com-

e

général

général

Verdun,

joint au maire, qui représente

au chef de l'État;

le

fait face

coussin où seront épinglées

décorations de la ville lui sera remis tout à

D'un côté de

l'heure. les

le

Nivelle, commandant la II armée, le Mangin, qui commande le secteur, le Dubois, commandant d'armes. L'ad-

général

les

du centre,

armées

groupe des

25

la salle

voûtée sont rangés

représentants des groupements

ral Gilinsky

pour

get pour

Grande-Bretagne,

la

ganze pour

alliés, le

Russie, le général

la

l'Italie, le

le

sir

géné-

A. Pa-

général di Bre-

major Monschaert pour

la

Belgique, le général Stefanovitch pour la Serbie, le

général Gvosvitch pour

Le

le

Monténégro.

silence s'est fait, immédiat.

République française prend

de

la

le

projet

d'hommage

ment

à l'empereur

qu'il

était

formé

la parole. Il dit

à Verdun, venu spontané-

de Russie en par

«

Il

dit le

cette citadelle inviolée

monde

et à la cité qui a »

.

temps

les

la

puissances

rendez- vous donné dans

tribut de reconnaissance à

victoire de la liberté

même

gouvernement de

le

République, et l'adhésion de toutes de l'Entente.

Le Président

»

pour

offrir

un pieux

ceux qui ont sauvé

payé de

ses blessures

«

le

la


LES CAPTIFS DELIVRES

26

murs où

Messieurs, voici les

«

se sont brisées

suprêmes espérances de l'Allemagne impé-

les

riale...

»

dit le

Il

magne

:

devancer

dont

le

empêcher

et

nom

l'Alle-

l'offensive

s'emparer

préparaient,

Alliés

les

double objectif poursuivi par

que

d'une place

historique rehausserait, dans l'ima-

gination allemande, l'importance militaire. «

Les débris de ces rêves germaniques gisent

maintenant à nos pieds. Il

dit le

plan d'action des Alliés

Chantilly, au

8

»

élaboré à

Grand Quartier Général,

décembre 1915, sous

Joffre et sur la proposition de çais, et destiné à

les 6, 7 et

présidence du général

la

coordonner

l'

état-major fran-

les

opérations de la

du front de

coalition sur l'ensemble indivisible

combat. C'est ce plan dont l'Allemagne a voulu, par

son

attaque

du 21

rompre l'exécution «

février

Verdun,

sur

:

Les admirables troupes qui, sous

dement du général Pétain ont soutenu, pendant de

et

si

le

comman-

du général

longs mois,

Nivelle,

le

formi-

dable choc de l'armée allemande, ont déjoué,

par leur vaillance

et leur esprit

desseins de l'ennemi. Elles ont permis

de sacrifice,

les

»

la

réalisation

du plan des


DANS LA CRYPTE DE VERDUN

Une

états-majors.

ont été engagées

:

27

à une les offensives prévues

de

celles

la

Russie les 4 juin et

2 juillet, celle de l'Italie sur Gorizia le 25 juin,

de

celle le

er

1

la

France

et

la

Somme

juillet.

Honneur aux

«

de l'Angleterre sur

semé

et arrosé

aujourd'hui.

soldats de

de leur sang

la

Verdun!

Ils

ont

moisson qui lève

»

Par eux ces deux syllabes de Verdun ont pris

un sens tout autre que

celui

que l'Allemagne

prétendait leur attacher. «

Ce

nom de

l'intensité

Verdun, auquel l'Allemagne, dans

de son rêve, avait donné une significa-

tion symbolique et qui devait, croyait-plie, évo-

quer bientôt, devant l'imagination des hommes,

une défaite éclatante de notre armée,

ragement irrémédiable de notre pays tation

passive de la

et l'accep-

paix allemande,

représente désormais chez les neutres,

chez nos

pur

et

devenu

alliés, ce qu'il

décou-

le

nom comme

ce

y a de plus beau, de plus

de meilleur clans l'âme française.

comme un synonyme

Il

est

synthétique de

patriotisme, de bravoure et de générosité.

»

Ainsi est dégagé le sens de la bataille de Ver-

dun. Certes,

il

tire sa

et des sacrifices.

grandeur de bien des ruines

Les pierres

comme

les poitrines


LES CAPTIFS DÉLIVRÉS

28

humaines ont souffert

et,

plus que ces stoïques

poitrines de chair, elles ont gémi. «

Mais Verdun renaîtra de ses cendres

:

les

villages détruits et désertés se relèveront de leurs

ruines;

les

reviendront

habitants, à

leurs

trop

longtemps

foyers restaurés;

exilés,

ce pays

ravagé retrouvera, à l'abri d'une paix victorieuse, sa

physionomie riante des jours heureux. Et pen-

dant des

nom

siècles, sur tous les points

du globe,

de Verdun continuera de retentir

une clameur de

victoire et

comme un

poussé par l'humanité délivrée...

cri

le

comme de joie

»

Cette action de grâces à Verdun, rendue par le

chef de

la

France, revêt une grandeur incompa-

rable.

Cependant

passée.

Gomme, dans la consécration

la force

des paroles sera désainte, l'idée

divine prend une forme tangible, l'offrande à la ville

apparaîtra dans une réalité vivante. Tout à

coup, dans cette casemate étroite, à demi étouffée sous sa voûte de lierre, perdue au fond de l'im-

mense

citadelle,

où ne parvient aucun bruit du

dehors, les nations, tour à tour, vont répondre à l'appel de leur

nom. Les

assistants ressentiront

véritablement l'impression de leur présence réelle.

Ce sera au cœur de Verdun l'assemblée des Alliés

groupés autour de

la

France.


DANS LA CRYPTE DE VERDUN

Le Président de

République, descendant un

la

degré, a repris lentement

fert

:

Verdun qui a souf-

Messieurs, à la ville de

«

pour

sacrifiée

la

France, à

pour

de Verdun qui

la ville

sainte cause

la

la ville

de Verdun dont

auront

laissé

les

du droit

de grandeur humaine, je remets «

Au nom

de

Au nom de

S.

S.

impérissable

:

M. l'empereur de Russie,

croix de Saint-Georges «

s'est

éternel, à

héroïques défenseurs

monde un exemple

au

29

M.

la

;

le roi

de Grande-Bretagne

et d'Irlande, la Military Cross; «

Au nom de

S.

M.

médaille

le roi d'Italie, la

d'or de la Valeur militaire; «

Au nom de

de Léopold «

S.

A.

Régent,

le

M.

des Belges, la croix

le roi

;

Au nom de

militaire «

S.

er

I

S. la

M.

le

roi

de Serbie et de

médaille d'or de

la

Bravoure

;

Au nom

de

S.

M.

le roi

de Monténégro,

la

médaille d'or Ohilitch; «

Au nom du gouvernement de

la croix

de

la

Légion d'honneur

guerre française.

la

République,

et la croix

de

»

Nul mot ne peut rendre l'impression de cette litanie

d'honneur. Les puissances sont

là,

non


LES CAPTIFS DELIVRES

30

pas seulement représentées, mais présentes. Et pourtant, ce qui donne tant de majesté et de

pathétique à

une autre présence,

la scène, c'est

invisible celle-là, qui s'impose

tous les assistants.

On

la

à la

pensée de

cherche des yeux,

sans la voir, aucun doute n'est possible là.

La

ville s'est faite esprit

nous. La et ses

ville,

:

elle est

non pas seulement

maisons,

:

et,

elle est

au milieu de remparts

ses

la cité militaire et la cité civile,

non pas seulement son corps troué de cent mille blessures, mais son

âme,

d'hommes accourus de

c'est-à-dire les milliers

tous les points de France,

tous ceux qui, pour elle et devant elle, ont tenu

dans

les

lages,

sur les collines,

ravins,

dans

forêts,

les

partout

dans

les

elle

menacée, ceux qui ont tout supporté pour

elle,

rigueurs des saisons et les supplices du fer

les

et

vil-

était

du

feu, les cruautés de la nature et celles,

bien pires, de l'ennemi, et tous fin,

terre

les

morts en-

qui resteront à jamais couchés dans cette

de Meuse dont leur chair aura

fait

une

terre humaine...

Le cérémonial

décorations sont épinglées sur

présenté par

le

Une

s'accomplit. le

à

une

les

coussin qui est

magistrat municipal de Verdun.

Voici la croix d'émail blanc de

Saint-Georges,


DANS LA CRYPTE DE VERDUN

31

portée par un ruban rayé noir et orange, et la Military Cross d'argent, au ruban blanc et violet.

La médaille d'or de la Valeur militaire, aux armes de la maison de Savoie, avec l'inscription

Verdun 1916, est suspendue

Alla cita di

:

à un ruban vert; à un ruban

de

daille d'or

Léopold

couleurs

Légion

au ruban ama-

,

nationales

rouge,

:

d'honneur. Les chefs rapprochés

sions étrangères se sont

au Président de

lui-même.

çaise qui les fixe

décoration,

er

I

la

bleu

enfin notre croix de guerre et

et blanc. Voilà

les insignes

mé-

médaille d'or Ohilitch du Monté-

rante, et la

notre

la

Bravoure militaire de Serbie.

la

Voici la croix de

négro, aux

rouge,

fanfare

la

des et

mis-

passent

République fran-

A chaque

remise de

des chasseurs joue

les

premières mesures de l'hymne national du pays qui laise

conférée. Puis le tumulte de la Marseil-

l'a

emplit

la

voûte.

L'hommage de Verdun ne lement rendu

d'honneur

si

le

serait pas intégra-

grand-maître de

ne remettait encore

la

grand-officier au général Nivelle,

de

la II

e

armée,

général Pétain. citation

:

c<

comme Il

il

l'a

remise

donne lui-même

la

Légion

plaque de

commandant le 1

er

mai au

lecture de la

Commande, depuis quatre mois, une


LES CAPTIFS DÉLIVRÉS

32

armée qui

a résisté victorieusement

aux attaques

sans cesse renouvelées de l'ennemi et a supporté

héroïquement

les plus

affirmé

les plus brillantes

chef,

une énergie

caractère qui ont

puissamment

qualités de

A

dures épreuves.

dans ce commandement, avec

une force de

et

influé sur le dé-

veloppement des opérations engagées sur tout le front.

Après avoir enrayé l'avance de

nemi sur un la

guerre,

a

devenu l'enjeu moral de

objectif

miner l'adversaire sur

La

pied à pied

repris l'offensive

par des attaques répétées,

dernier

par

bataille portée

même

le terrain

lui sur

et,

parvenu à do-

est

pour un

avait choisi

l'en-

que ce

effort décisif.

Douaumont,

»

les

22, 23 et 24 mai, pour détourner l'orage de la

rive

gauche menacée;

les

batailles

par l'ennemi pour s'emparer de

23 juin, 11 ville

juillet,

protégé

et

1

les

er

livrées

Souville,

les

août, 3 septembre; Sou-

innombrables

opérations

entreprises par nous pour rétablir notre ligne

sur la crête Thiaumont-Fleury, au bois de Vaux-

Chapitre et à la Laufée, pendant les mois de juillet et d'août, et

pour assurer

ainsi

une base

de départ aux opérations de plus grande enver-

gure dès longtemps projetées; tout cet effort

surhumain pour endiguer

le

courant et pour

le


,

DANS LA CRYPTE DE VERDUN remonter,

A ciel le

c'est la

la sortie

33

tâche accomplie devant Verdun.

comme

de l'écoute,

va se disloquer,

le

cortège

général Pétain s'avance,

le

visage rayonnant, vers son successeur au

mandement de bras,

il

la II

donne

lui

e

offi-

armée,

lui

et,

com-

tendant

les

l'accolade. Cette étreinte des

deux chefs qui, successivement, ont tenu dans

Verdun

leurs mains le sort de

matin leur

œuvre consacrée

achève de donner à

la

vu ce

et qui ont

dans

l'histoire

cérémonie son plein sens

en complète l'émotion.

et

Les automobiles se sont éloignés.

nouveau

à

ment ne l'horizon

Porte Neuve.

la

les a

a

ont franchi

Aucun bombarde-

menacés. La brume qui recouvre

empêché

l'observation

ennemis. C'est une chance, car la nuit plus

Ils

il

est

de cinquante obus sur

Chauffour choisi pour

l'itinéraire.

des

avions

tombé dans le

quartier

Verdun, pour

sa fête, a été favorisée.

#

Avant de rentrer dans revoir

un et

Verdun en

blessé.

Mon

fidèle

moi, nous gagnons II.

la

citadelle,

je

veux

Verdun appelle comme compagnon Louis Madelin

ruines.

la

superstructure et nous 3


LES CAPTIFS DÉLIVRÉS

34

voici

dans

haute. La vieille tour Saint-

la ville

Vannes, vestige de l'ancienne abbaye, est ébréchée et béante.

Un chéneau

çant qui se détache décrit dans

l'air

un

la

mena-

et

dessin caricatural.

nous avons à nos pieds, de

tordu

presque à angle droit

d'elle

c'est

bien

la

Ce que

désolation

Jérusalem du prophète. Nous descendons

vers la cathédrale qui dresse, suppliants, ses térieur

sert

comme deux

deux tours presque intactes

:

bras l'in-

de garde-meubles provisoire,

est

encombré de tout un bric-à-brac de pauvres mobiliers sauvés en hâte de maisons en flammes.

Nous traversons celle-là

même

jamais connaître

minuscule

la

d'armes,

place

le

Kronprinz, qui n'en devait

les

dimensions, annonçait au

début de février que l'Empereur passerait à fin

du mois une revue de

la

ceinturée

fête. Elle est

de démolitions qui furent des habitations et abriPartout des façades bran-

tèrent des familles. lantes, des

se

sert

murs croulants, des

peuvent reconnaître

aux

hommes dans

débris d'ustensiles

de

les

la

tas

restes

vie

un

de ce qui

quotidienne

ménage, de

chaises, de vitres, de vaisselle et

d'enfants. Ça et là,

de décombres

tables,

même

toit paraît intact

pousse une porte, et l'on trouve

le vide.

de

de jouets :

on


.

DANS LA CRYPTE DE VERDUN

A

peine

de loin en loin,

si,

tendre sa voix. La journée est

muette, et ce fut une

même un

ville.

canon

comme

Nous avançons dans

brouillard.

pas

le

35 fait

en-

ouatée de

une solitude

Pas un être vivant,

Le

chien errant.

silence est le

maître de ce désert.

Au

d'un

coin

pont, une sentinelle

casquée

immobile semble garder ce cimetière de maisons.

Nous arrivons à

Porte Chaussée dont les

la

mâchicoulis et les deux tours crénelées n'ont reçu

comme un beau

que des meurtrissures, éclaboussé. Nous suivons militaire. C'est de là

le

que

visage

fleuve jusqu'au Cercle

la ville offre

un spec-

tacle d'ensemble.

Le

ciel est

si

bas que l'on distingue à peine, en

se retournant, la ceinture des collines.. Delà ville

haute au fleuve qui roule ses eaux grises,

c'est

comme

une cascade de ruines. Au-dessus des

épaves,

comme un

drale dresse ses

deux tours désolées.

Pour exprimer remonter

le

vaisseau sur la mer, la cathé-

la

douleur de Verdun,

il

faut

cours des siècles et chercher les

images des Lamentations assise solitaire, la cité

:

«

Gomment

populeuse? Elle

est-elle

est

deve-

nue comme une veuve... Elle pleure amèrement durant

la nuit, et les

larmes couvrent ses joues.

.


LES CAPTIFS DÉLIVRÉS

36

Les chemins de Sion sont dans

que nul ne vient plus à évocation du prophète

que Verdun apparaît

:

le

deuil, parce

ses fêtes...

»

Étrange

au bord du fleuve, voici

comme une

veuve, et

larmes couvrent ses joues. Elle appelle

geance sur ceux qui

ont versé

lui

la

les

ven-

l'affliction et

qui ont précipité sur elle un torrent de maux.

Nous rentrons dans sion est tout autre. brille

la citadelle.

Dans

Là, l'impres-

cette crypte de

Verdun

flamme du sanctuaire. Nul vent ne

la

l'éteindra. Elle est le signe de la foi et de l'espé-

rance,

foi

dans

les

destinées

de

la

espérance dans ses puissances spirituelles térielles.

Verdun C'est ici

plus

Verdun

est déjà

doit être et sera

que

le

ardemment

cœur de

patrie, et

ma-

une défaite allemande.

une la

victoire française.

France a brûlé

le


LIVRE

II

LA VICTOIRE AILÉE



LES TROMPETTES DE CHARLEMAGNE

21 octobre 1916.

Comme

appels désespérés du fort de Vaux,

les

dans cette semaine tragique de juin où

fut

il

entouré, évoquent à travers les siècles d'histoire française les appels de Roland sonnant de fant, la

dans de

grande vague d'infanterie qui va déferler

les ravins et sur les collines

la

Meuse

et délivrer les

Douaumont, évoque sur le

l'oli-

champ de

le

bataille

deux

de

la rive droite

captifs,

Vaux

et

retour de Charlemagne

de Roncevaux et

ven-

la

geance de l'Empereur.

Roland

est

mort

:

Dieu en a l'âme aux deux...

L'Empereur, cependant, arrive à Roncevaux une seule

voie,

pas

même un

.

seul sentier, pas

Pas

un


LES CAPTIFS DÉLIVRÉS

40

un pied de

espace vide, pas une aune, pas il

n'y ait corps de Français ou de païen.

L Empereur

fait

sonner

terrain où

.

clairons,

ses

Puis

s'avance à cheval avec sa grande armée. Enfin trouvent la trace des païens,

mune, commencent

Mais

le soir

retraite

de l'ennemi,

accomplir

d'une ardeur com-

et,

la poursuite.

descend,

la sainte

.

la nuit

— Chevauche, Tu

défaut. sait.

Mais

et supplie

le soleil

préposé vient

Charles

:

le

Sei-

dans sa course. le

la clarté

rassurer

ne

te

:

fera point

fleur de la France, Dieu

as perdu la tu

la

temps va manquer pour

le

l'Empereur met pied à terre

lui est

va recouvrir

tâche des représailles. Alors

gneur Dieu d'arrêter L'ange qui

il

ils

peux maintenant

te

venger de

la

le

gent

criminelle.

L'Empereur remonte à cheval. Le mobilise dans

avant que

le ciel.

la nuit

«

II

le

temps,

tombe, d'écraser l'armée enne-

mie. Le comte Roland, et leurs

soleil s'im-

Et les Français ont

les

douze pairs de France

compagnons sont vengés.

a beaucoup appris, dit

le

vieux poète, celui

Mais

il

ajoute que le cri

qui connut

la

douleur.

»


LES TROMPETTES DE GHARLEMAGNE

41

des Français est Montjoie et qu'aucune nation ne leur peut tenir tête.

Roland

L'olifant de

a fait trembler les Pyré-

nées, tandis que le fort de

des appels muets, par

Vaux

n'a adressé que

de ses pigeons ou

le vol

par ses signaux. Les trompettes de Charlemagne ont rempli de terreur l'armée sarrasine avant

que l'ombre de l'Empereur soir

prolongé

sera

apparût

dans

le

l'armée allemande devant Verdun

:

soudainement

par

avertie,

le

vacarme de

plus de 600 bouches à feu entrant en action le

21 octobre, de la menace qui pèse sur elle et qui

va

la

balayer pour

la

délivrance de

Douaumont

et

de Vaux. Après

les

11 juillet,

du

grandes actions er

1

août,

Souville, après les durs et

de Fleury,

il

du

du 23 juin, du

3 septembre devant

combats de Thiaumont

semble, au mois d'octobre, que

la bataille

de Verdun se meurt. Les communi-

qués ne

mesurent plus qu'une place restreinte.

lui

Pour nous

n'a-t-elle pas rempli

son rôle en bar-

rant la route à l'ennemi, en retenant et usant ses forces,

en permettant aux Alliés de réaliser leur

plan d'offensive générale? Et pour les Allemands, contraints de faire tête sur la

Somme

et

de parer

au désarroi de l'Autriche, n'acceptent-ils pas,


LES CAPTIFS DÉLIVRÉS

42

avouant leur échec, de rester sur leurs positions? Mais cette stagnation, succédant à l'effroyable duel de plus de six mois dont

les

différentes

phases ont passionné l'univers au point de substituer une bataille d'opinion à la bataille straté-

gique, ne peut être qu'une apparence. Les positions

mêmes occupées

par

l'ennemi

permettent pas de renoncer à Verdun.

ne Il

lui

n'est

pas assez éloigné de Souville et de Froideterre

pour n'en pas subir

montrent

les

la hantise.

du monde

tactique, le regard

mêmes

L'orgueil et la et

la

exigences. Le 21 juillet,

le

53 e de

la

Kronprinz, haranguant un régiment,

50 e division,

l'a dit

le

dans

:

«

...Pour

plateau de Vaux, pour

résistance dans le difficile le difficile terrain

pour tout cela

le

après avoir rappelé les efforts

accomplis par ses troupes

combats sur

manœuvre

les

rudes

la fidèle

secteur de combat,

sur la hauteur de Vaux,

la Patrie

demeurera reconnais-

sante à la division avec qui votre brave régiment a conquis d'immortels lauriers. C'est pourquoi je suis

venu

ici

vous remercier, remercier chacun de

vous de tout cœur. Les Français se figurent maintenant que nous allons desserrer notre étreinte à

Verdun parce

qu'ils

grande offensive sur

la

commencé leur Somme. Au contraire, ils

ont enfin


LES TROMPETTES DE CHARLEMAGNE

43

nous leur montrerons

se verront déçus, et

qu'il

n'en sera pas ainsi...» La volonté allemande n'est

donc pas, ne peut pas sive

d'abandonner

être

l'offen-

sur Verdun. Mais, forcé de combattre

leurs, l'ennemi a

ail-

dû resserrer son champ d'ac-

tion sur la rive droite de la Meuse.

Au mois

d'oc-

tobre, son front entre le bois d'Avocourt et les

Éparges

est

occupé par quinze divisions, dont

huit sur le front d'attaque (entre la carrière d'Hau-

dromont

disposées de l'ouest à

et la Laufée),

Test dans l'ordre suivant sions de réserve,

réserve,

9

e

division,

50 e division. tions?

34

e

:

14 e

division,

33

e

13 e et 25 e divi-

54

e

division de

division de réserve,

Prépare-t-il de

Dans tous

,

nouvelles opéra-

les cas la disposition et

l'impor-

tance des forces qu'il maintient en ligne prouvent sa quasi-certitude de garder ses positions

en at-

tendant l'exécution d'autres projets.

De son

côté, le

commandement

peut accepter de laisser

français ne

la ligne au point où l'ont

portée les derniers combats des premiers jours

de septembre.

Il

a réagi contre

chacune des

grandes attaques allemandes. Ces répliques qui

nous ont restitué celle

de

la

la crête

Fleury-Thiaumont

et

Haie -Renard ont rendu à nos troupes

l'ascendant moral, indispensable à une plus vaste


LES CAPTIFS DELIVRES

44

entreprise. Elles ont rétabli en avant de Sou ville,

but immédiat des offensives ennemies, une barrière,

de

la

route de l'ouvrage de

Thiaumont au

bois de Vaux-Chapitre, mais une barrière qu'il faut consolider, et, partant, porter plus avant. C'est alors (mi-septembre) se ralentir.

Le duel

que

la bataille paraît

dans ce secteur

d'artillerie,

éternellement tourmenté, se

mène

à l'économie.

Et l'infanterie ne sort plus de ses trous. Les deux adversaires restent en présence, l'un rivé à ce

Verdun devant lequel point où

il

est

il

ne pouvant, au

s'use et

parvenu après tant de mois

et tant

de pertes, renoncer à son but sans humiliation, l'autre préparant la vaste et foudroyante opéra-

tion qui va devenir la victoire de

Douaumont-

Vaux.

Le 21 octobre, observations

21 février,

le

temps

par ballons

s'était-il

s'élève, facilitant les et

avions.

allemand contre Verdun. La revanche Notre

artillerie entre

Sur tout l'immense champ

et

le

est prête.

en action. de bataille ont

retenti les nouvelles trompettes de

La

Ainsi,

élevé pour le grand départ

terre tremble et les

deux

Charlemagne.

captifs,

Vaux, attendent frissonnants.

.

Douaumont


II

LA MAIRIE DE

X.

X... est un gros village dont le bas est tra-

Verdun

versé par la route de Bar-le-Duc à

et qui

s'étage sur la pente de l'un de ces longs vallonne-

ments dont église le

pays de Meuse est parcouru. Son

le

domine

s'aperçoit de très loin. fait

Le paysage qui l'entoure

alterner les boqueteaux et les prairies, les

coteaux et rain,

les plaines.

presque

comme ment

Les mouvements de ter-

semblent moutonner,

réguliers,

les lentes

en retrait de

et

de son clocher

et la petite flèche

la

vagues de l'Océan. La mairie,

grande route,

un gros

est

bâti-

carré, orné d'un fronton en arc de cercle

précédé d'un perron à double escalier massif.

Devant ce monument banal, qui donc passera plus tard sans s'arrêter? Car toire. C'est là

bataille de

ordres.

est tout

que furent élaborés

Verdun,

il

le

c'est

général

de

de

chargé d'his-

les

plans de la

que sont

partis les

Castelnau

reçut le


LES CAPTIFS DELIVRES

46

25 février 1916, par un temps de neige, ral Pétain

qui venait prendre

de l'armée de Verdun. Là, chargé d'enrayer

nemi sur ce

les efforts

le

géné-

le

commandement

le

général Pétain,

que prononçait

l'en-

front, devant la puissance et le déve-

loppement d'une attaque qui, de

la rive droite,

gagnait la rive gauche et s'étendait d'Avocourt

aux Éparges, tantôt simultanément

et tantôt suc-

cessivement, prépara cette résistance célèbre qui devait rendre la rupture du front impossible. Là, le

général Nivelle, prenant à son tour

commandement de chef d'état-major,

la II le

e

armée, où

er

le il

1

mai

le

trouve un

colonel de Barescut, et un

état-major éprouvés par son prédécesseur, mit au point l'opération qui devait changer l'échec alle-

mand

en définitive victoire française et restituer

à la place forte la ceinture intégrale de ses forts.

Dès

le

mois

mont.

Il

commandait

le

d'avril

il

a jeté les yeux sur

alors le 3

e

corps.

Douau-

Il

prend

secteur dans les conditions les plus défavo-

rables; l'ennemi vient de s'emparer Caillette et

descend dans

ques jours plus tard

il

le

lui

du bois de

la

ravin du Bazil. Quelfaisait

remonter

les

pentes et poussait jusqu'aux approches du grand fort ses postes d'écoute.

prononce sur

la rive

En mai, quand l'ennemi

gauche une offensive qui,


LA MAIRIE DE

4T

X...

met en possession de la cote 304, il libère cette rive gauche menacée par le moyen d'une attaque montée sur la rive droite qui réussit à s'emparer (22 mai) du fort de Douaumomentanément,

le

mont où nous ne pouvons, il est vrai, nous maintenir. L'attaque a été menée parla 5 division (général Mangin). Douaumont repris a été reperdu. e

— Nous

le

général

le

Pétain,

reprendrons, a déclaré calmement Nivelle,

commandant

avec

d'accord le

le

général

groupe d'armées.

Voici que l'heure est venue. offensives de détail, qui a

La méthode des

donné en

juillet,

en

août, en septembre de bons résultats, puisqu'elle

nous a permis de réduire nos

lignes

par

23 juin, du II

les

creusé dans

le saillant

opérations allemandes

juillet,

du

er

1

du

août et du 3 sep-

tembre, doit être abandonnée. Toute progression

nous mettant en vue de l'ennemi, velle

serait

la

position nou-

immédiatement rendue intenable;

toute action de détail réussie serait à reprendre

fatalement. Seule une action à grande envergure

qui reporterait notre ligne en avant et au delà de

l'ancienne barrière des forts, ôterait à l'ennemi ses observatoires,

du

nous restituerait

la supériorité

terrain, libérerait définitivement

pas se contenter

de batailler pour

Verdun. Ne reprendre


LES CAPTIFS DÉLIVRÉS

48

Thiaumont ou

Damloup, mais

de

batterie

la

emporter d'un seul élan Douaumont les ravins et les collines

Vaux

et

qui les entourent

Au général Mangin a été commandement des troupes d'attaque. l'objectif.

et

tel est

:

confié le

Cette vaste opération présente de graves diffi-

L'audace de sa conception doit plaire à

cultés.

celui qui, dès qu'il a

mis

les

pieds sur

rive

la

droite de la Meuse, a affirmé son esprit d'offensive.

Le

5

avril,

le

commandant du

rédigeant un de ses ordres, écrivait

«

:

3

e

corps,

Jamais on

immédiate qui renverse

ne voit

la

rôles, le

coup de poing donné par réflexe immé-

diat,

riposte

en riposte au coup de poing reçu.

l'assailli,

il

entend

faire l'assaillant.

cution de l'attaque, reprend-il

pondre

la

»

Dans

21

»

De

l'exé-

avril,

on

Avec de l'audace,

n'est jamais trop audacieux.

rien d'impossible.

le

«

les

Mais à l'audace doit corres-

préparation minutieuse qui prévoit et

force la chance.

«

J'aimerais mieux,

a-t-il

dit

encore, ne rien faire que d'engager une opération qui serait

mal préparée.

»

L'attaque frontale d'un adversaire posté à travers

des

un

terrain découvert est, à la guerre,

manœuvres

montre

les plus hardies. L'histoire

la rareté

une nous

de son succès. La ligne ennemie


LA MAIRIE DE

en avant de Douaumont

un ensemble de

de Vaux présente

et

positions formidables.

saillant trouvera-t-il le secret

la

49

X...

Tas-

de sa supériorité?

Le commandement n'a pas cru indispensable de le nombre. Par son deuxième

rechercher dans

bureau d'état-major,

il

connaît très exactement

le chiffre et la valeur des unités

allemandes

qu'il

a devant lui sur le front qu'il veut attaquer entre

Thiaumont

Laufée

et la

mière ligne,

en soutien, 10 en réserve.

7

pareillement

nombre de

le

rière ces troupes, ter le

combat.

trois divisions

21 bataillons en pre-

:

Il

sait

peuvent être alertés

et

alimen-

ne mettra lui-même en ligne que

la division

:

11

bataillons qui, der-

Guyot de

Salins,

com-

posée de zouaves, de tirailleurs et de marsouins, la division

Passaga et

— fantassins

la division

de Lardemelle,

et chasseurs à pied,

la

première

e

renforcée du 11 régiment d'infanterie, et la dere nière d'un bataillon du 30

main

.

Mais

il

aura sous

les réserves suffisantes, prêtes à relever

la

en

cas de nécessité les divisions d'attaque sur le terrain conquis et à assurer, soit son occupation définitive, soit la

progression ultérieure, plus deux

divisions en réserve d'armée. Ces troupes ont pré-

cédemment occupé le

secteur Thiaumont-Fleury-

Vaux-Ghapitre

connaissent donc

:

elles

le terrain


LES CAPTIFS DELIVRES

50

et l'adversaire.

La

Guyot de

division

Salins de-

puis près de deux mois, les deux autres depuis

plus de trois semaines, ont été retirées du front et

mises au repos et à l'instruction dans

la

zone

des étapes, en arrière de Bar-le-Duc. Cette instruction, après les avoir remises en main, les a

préparées directement au but poursuivi.

aménagé qui

rain a été bat.

Un

plan du fort de

dessiné

Douaumont y

exactement que, lorsque

si

chargé de prendre

Un

figurait le terrain de

le fort

fut

ter-

com-

même

le bataillon

y parviendra, chaque

soldat gagnera presque machinalement le poste

qui lui aura été assigné.

nombre, rité et

de

de

le

la

A

commandement

la

supériorité

du

a préféré la supério-

valeur individuelle, de

la

valeur morale

l'habileté technique.

Au mois

d'avril,

avant de lancer une troupe à

l'assaut, le général Nivelle écrivait

dans un ordre

du jour « Que tous, avant de partir, aient jeté leur cœur par-dessus la tranchée ennemie. » De:

venu commandant d'armée, note du 17 octobre,

moral

:

mois de

ment

«

la

il

affirme, dans

puissance de l'ascendant

Vingt-sept mois de guerre,

bataille à

une

dit-il,

Verdun ont affirmé

huit

et confir-

tous les jours davantage la supériorité du

soldat français sur

le soldat

allemand. Cette su-


LA MAIRIE DE périorité, est

dont

il

51

X...

faut que tous aient conscience,

encore accrue par

diminution progressive

la

de qualité des troupes que nous avons devant

nous

et

dont beaucoup reviennent de

très affaiblies

supériorité

au matériel manifeste

se

comme par

au moral. Cette

la

avant l'assaut... Aucun être plus favorable

aux der-

groupes nombreux,

en

affaires,

moment ne

avec

facilité

laquelle les prisonniers se sont rendus, nières

Somme

la

même

saurait

donc

pour attaquer l'ennemi,

lui

de nombreux prisonniers, mettre définitivement Verdun à l'abri de ses entreprises, abaisser

faire

encore mies.

le

moral de

la

nation et de l'armée enne-

Une artillerie d'une puissance exceptionnelle

maîtrisera l'artillerie ennemie et ouvrira la voie

aux troupes d'attaque. La préparation dans toutes ses parties est aussi

complète, aussi parfaite que

possible.

Quant à l'exécution,

manquer

d'être

discipline, à la

elle

ne saurait

également parfaite, grâce à

bonne

la

instruction, à la confiance

et à l'entrain résolu des troupes qui

auront l'hon-

neur d'en être chargées. Leur volonté de vaincre, d'apporter un gage important de plus à toire définitive, de couvrir leur

la

Vic-

drapeau de nou-

velles gloires,

rend un succès magnifique absolu-

ment

»

certain.


LES CAPTIFS DELIVRES

52

Cette préparation

a

aussi complète, aussi par-

faite

que possible

et le

moral des troupes, leur équipement, leur

»

comporte, outre l'instruction

armement, leur transport rapide à pied d'œuvre afin

que

les relèves s'effectuent sans fatigue

l'attaque.

avant

Les services d'arrière fournissent

remise à neuf de tous

équipements,

les

la

les vivres

de réserve de la meilleure qualité et du moindre poids, les outils, les munitions

ment nouveau,

il

est

si

et

;

complet

quant à l'arme-

permet à

qu'il

l'infanterie de résoudre par ses seules ressources

de nombreux problèmes du champ de bataille. Les transports auront leur part dans

pour l'ordre

et l'exactitude

le

succès,

de leur marche, se-

lon les horaires et les itinéraires combinés. «

C'est par le feu et

décident aujourd'hui

non par

les

choc que se

le

batailles,

constatait

»

déjà Napoléon. Dès avant la préparation directe

de l'opération du 24 octobre,

notre artillerie

empêche l'ennemi de mettre en

état

un

sol

bou-

leversé par les combats de juillet, d'août et

commencement de septembre t-il

que de rares

ligne.

Qu'on

l'artillerie,

siste à

se

:

ainsi

boyaux pour gagner

du

ne disposesa

première

rende compte, pour l'emploi de

des difficultés du problème qui con-

disposer sur le terrain

le

nombre de bat-


LA MAIRIE DE teries estimées nécessaires,

53

X...

souvent sur plusieurs

lignes successives, dans tous les

emplacements

favorables, à les

dissimuler aux vues aériennes,

à combiner

moyens de transport pour

les

innombrables tonnes de munitions qu'exige

consommation de

ennemi.

tir

étudier minutieusement les

par

les

moyens

la

guerre actuelle, à abriter

la

pièces, servants et munitions

des vues et du

les

pour Il

les

préserver

en outre,

faut,

objectifs à battre,

les plus scientifiques

:

photogra-

phies, instruments d'optique perfectionnés, etc., installer les

communications sûres qui permettent

aux observateurs temps, malgré

et

les

aux cadres d'opérer en tout

bombardements ennemis

plus violents, suivre au fur et à

les

mesure des des-

tructions obtenues l'état des travaux de l'adversaire, surveiller

nouveaux

qu'il renforce les

les

réfections ou les ouvrages

qu'il improvise,

ou

repérer les batteries

qu'il déplace, afin

de pouvoir

combattre efficacement. Le travail de

lerie

l'artil-

réclame une précision mathématique en

même

temps qu'une direction qui

se

peut com-

parer à celle du chef d'orchestre par qui

la parti-

tion est interprétée et de qui les instruments

reçoivent la mesure et l'élan. Et quelle savante orchestration

que

celle-ci

où,

de

l'artillerie


LES CAPTIFS DELIVRES

54

lourde à grande portée à

l'artillerie

de cam-

pagne

et

terie,

chaque canon doivent tenir leur partie!

aux engins de tranchées, chaque bat-

L'accumulation des moyens matériels ne vaut

que par

la

rigueur de l'organisation qui

les

met

en œuvre. L'agencement de cette organisation, dans

la

bataille

de Douaumont-Vaux,

a

été

poussé à la perfection.

Non moins fixent

les

étudiée est la série des ordres qui

différentes phases de

commandement

l'attaque.

a décidé d'atteindre

un

Le

objectif

qui, sur un front de 7 kilomètres, constituerait un gain de 3 kilomètres de profondeur en moyenne, des carrières d'Haudromont à l'ouest à la batterie de Damloup à l'est, en y compre-

nant

les forts

nier

devait

de Douaumont et de Vaux. Ce der-

primitivement faire l'objet d'une

opération postérieure, puis le

plan général. Ainsi

il

fut

la barrière

compris dans

des forts dressée

devant Verdun serait-elle intégralement rétablie.

Or

le terrain

à parcourir, battu depuis tant de

mois, creusé de trous d'obus qui, souvent remplis d'eau, forment fondrières, ajoute des obstacles

naturels aux obstacles dressés par l'ennemi. Ces derniers, l'artillerie les réduira, tout au

dans leurs parties essentielles. Pour

moins

les autres,


LA MAIRIE DE la qualité

55

X...

des troupes et leur connaissance du

secteur en répondent.

Il

faut pourtant insister

sur cette difficulté du terrain, sans quoi se rendrait pas

de

la

un compte

valeur des troupes.

suffisant «

On

de

Ton ne

l'effort et

a souvent tenté,

a écrit le capitaine Gillet qui connaît le secteur et qui est,

dans

la vie civile,

style riche et savoureux,

criptible, ce

un

critique d'art

paysage sans

nom

qui s'étend main-

tenant de Souville à Douaumont. a parcouru les

au

de décrire ce lieu indes-

champs de

Un

bataille

général qui

de tous

les

fronts assure qu'il n'y en avait pas, fussent les

marais de Pinsk, de comparables à celui-là. parle de paysages de cratères rait l'idée la plus exacte, ce

:

On

ce qui en donne-

sont les abords fan-

geux d'un abreuvoir piétiné par des milliers de bêtes. Mais

il

faut se figurer, au lieu d'empreintes

de sabots, des entonnoirs où des cadavres flottent

comme des mouches dans un bol.

Car, avec l'habi-

tude qu'ontles sources dans ce pays convexe de se

percher sur

les

hauteurs, chaque trou devient

un

trou de boue rempli d'un dépôt visqueux de vase et d'eau croupie. sinistres, des

Il

y a eu

engloutissements

des drames, des

d'hommes happés

par ces trous. Tel part en corvée dans

la nuit, tel

coureur emporte un message, qui ne revient


LES CAPTIFS DÉLIVRÉS

56

jamais et dont on n'a plus de nouvelles. L'eau est sur ces plateaux

une ennemie plus

traîtresse,

plus enveloppante, plus redoutable que le feu.

À

de certains endroits, autour du fort de Douau-

mont, cette argile détrempée, suante

comme du

beurre, a été tellement brassée, fouettée par

les

obus qu'elle a pris tout entière une boursouflure

d'écume,

la consistance

d'une mousse de savon,

l'apparence de ces grands bouillonnements de lait

qui est celle des mers en furie.

Afin de ne pas excéder sur les

forces humaines, la

coupée en deux avance,

le

un

»

pareil terrain

marche en avant sera Dans une première

parties.

groupement des

divisions d'attaque

doit s'emparer de la ligne générale suivante

d'Haudromont, ligne à contre-pente sur

carrière la

croupe nord du ravin de

ment au nord de de

la

:

Fausse-Côte

Vaux-Chapitre

et,

la ,

la

Dame, retranche-

ferme Thiaumont, batterie éperon sud-est du bois de

devant

le fort

de Vaux, tran-

chée Viala au bois Fumin, petit Dépôt à droite de la

route

Werder

du

fort,

tranchées

face à la batterie de

de cette position,

les

immédiatement, sans

de

Steinmetz et

Damloup. Maîtresses

troupes la consolideront répit,

en

la

reliant

aux

organisations de départ et en assureront l'occu-


LA MAIRIE DE pation par

57

X...

des unités spécialement désignées,

tandis que des reconnaissances seront poussées

au contact de l'ennemi. L'objectif assigné à seconde phase de l'action

ligne à contre-pente sur la croupe nord

de

la

la

est ensuite celui-ci

:

du ravin

Couleuvre, village de Douaumont, fort de

Douaumont, pentes nord

et est

du ravin de

la

Fausse-Côte, digue de l'étang de Vaux, village et fort de

Vaux, enfin batterie de Damloup. Cette

deuxième position conquise doit dans

les

mêmes

être

occupée

conditions que la première.

Entre ces deux objectifs, un arrêt d'une heure

permettra aux troupes de s'organiser et de re-

prendre leur dispositif de combat. La liaison, toujours

si

délicate et importante entre l'artille-

rie et l'infanterie, est réglée

un horaire

fixé,

dans

le

temps selon

ce qui apparaît possible pour

une opération limitée

et ce qui évitera la diffi-

culté ou la confusion des signaux. Les tirs s'al-

longeront selon cette

le

rythme

marche s'accomplira

fixé à la

collée

marche,

et

aux barrages

successifs.

L'installation sur les positions

façon à éviter saut,

la

crise

le

est réglée

désordre qui souvent suit

de

l'as-

de détente et d'incertitude qui

peut fournir à l'ennemi l'occasion de contre-


LES CAPTIFS DELIVRES

58

attaquer et réoccuper

perdu. Chaque

le terrain

chef de section est muni d'un plan à grande échelle et sait exactement où

hommes;

les

doit poster ses

il

compagnies de mitrailleuses con-

naissent d'avance

remplacement de

leurs pièces

et leur mission.

Ainsi la

manœuvre

prendre vie sur

est-elle articulée et prête à

le terrain.

A

partir

du 15 octobre

elle pouvait jouer. Il fallait un temps favorable. Le 20 octobre, le baromètre monte, présageant une période sèche. Les bulletins météorolo-

giques sont rassurants. Le 21 octobre, docile-

ment, arides

le soleil

se lève, éclairant

paysages de Meuse où va

bataille.

Les avions courent dans

lons se hissent en

l'air,

les

se

tristes

et

livrer la

le ciel, les

bal-

formant une immense

ligne de transmission. Après de courts réglages, l'artillerie

entreprend son œuvre de mort. Le

jour est arrêté

:

les

troupes d'attaque partiront

mardi 24 octobre. L'heure sera

le

fixée ultérieure-

ment.

A

la

mairie de X.

.

.

le

général et son état-major

ont achevé l'œuvre de préparation.


111

LE

CARREFOUR

22-23 octobre 1916.

Sur

la

route de Bar-Ie-Duc à Verdun, à quelques

kilomètres de la four a été

de

ville et

aménagé pour

le

la

Meuse, un carre-

tournant des camions

automobiles. Les troupes l'appellent C'est

quet.

que

prendre part à

les

le

Tourni-

régiments amenés pour

la bataille et relever les

cama-

rades en ligne descendent de voiture pour gagner leur secteur à pied.

La route de Bar coupe la

à angle presque droit

route de Sainte-Menehould à Verdun. Ce val-

lon,

que pressent des pentes couronnées d'arbres,

s'en va d'un côté vers l'Argonne, de l'autre vers le fleuve.

visés,

Ces pentes portent des villages impro-

bâtis

en

planches,

magasins ou ambulances,

cantonnements,

des écuries ouvertes,


LES CAPTIFS DÉLIVRÉS

60

des abreuvoirs. Ce n'est qu'un rappel des travaux

de construction prodigieux effectués dans toute la

région pour supporter

le

poids de la bataille

:

voies ferrées, routes, gares, approvisionnements,

camps, hangars, aqueducs,

etc.

La guerre mo-

derne exige des ingénieurs, des architectes, des entrepreneurs, des hydrographes, des forestiers, des charpentiers, des cantonniers, etc.

Les camions s'arrêtent, puis décrivent un cercle et vont à vide

hommes

prendre

pour

la file

le retour.

qui descendent se rangent par batail-

lons en masse dans les prairies voisines,

nées que l'herbe en a disparu, forment ceaux, boivent la

Les

le

café suivant l'heure ou

soupe. Puis, en ordre,

de Verdun

qu'ils

à la nuit les

prennent

ils

si

piéti-

les fais-

mangent

le

chemin

vont contourner pour atteindre

boyaux

d'accès.

En

s'éloignant,

ils

dessinent de petites lignes bleues, bientôt confuses, et l'on dirait sur la terre

brune une fumée

légère au bord des bois déjà dépouillés à demi.

Je n'ai jamais passé

en

ai-je

eu l'occasion!

là,

et

combien de

fois

sans m'arrêter pour

regarder ces départs. De ces soldats qui vont et

viennent au repos, allument de bois mort, font

amis pour avaler

le feu,

la cuisine, se la

soupe ou

l'alimentent

groupent entre

le café,

fument,


LE CARREFOUR plaisantent, insouciants,

ou

61

s'isolent

pour

de leur musette une feuille de papier à la

sortir

lettre et

remplir d'un crayon rapide et appliqué, avant

de reprendre leur fourniment et leurs armes au signal

du commandement

savent

de

:

ces

s

parlent, les uns jeunes, les

tous

sol

le

autres mûrs,

de France. Parmi eux

de désignés pour

patrie.

la

ils

visages

les

poussiéreux, tendus, beaux

bronzés,

comme

de marcher

et

soldats

et il

tous

divers

y en a

Tous ne redescen-

dront pas du secteur. Et tous y montent sans se détourner. Il

semble que cette

même

gravité

confiant?

Il

fois le

est-il

:

départ n'ait pas la

plus insouciant ou plus

y a plus de gaieté dans

propos,

les

sur les figures. Est-ce le pâle soleil d'automne

qui détend les nerfs et caresse les yeux?

Un mot

comme une paume qu'on

se lance

passe et repasse

en manière de jeu d'entendre «

Il

le

pierre angulaire

»

C'est

de

la

si

bizarre

fameuse

ainsi traité familièrement!

Douaumont comme on Saint-Germain ou à Versailles. Une prome-

semble qu'on

va à

Douaumont.

:

nom menaçant aille à

nade, quoi, et un déjeuner sur l'herbe! Voici des zouaves,

et

des

C'est la division

tirailleurs,

et

des marsoijins.

Guyot de Salins qui achève de


LES CAPTIFS DÉLIVRÉS

62

débarquer. Elle ne cloute pas une minute de

la

quête de Douaumont. Sans doute

monté

la tête

mais quel feu

:

lui

Douaumont

con-

Les

et quelle certitude!

marsouins, surtout, ne cachent pas est fixé.

a-t-on

est

but qui leur

le

devenu leur propriété,

leur villégiature. Malheur à qui voudrait le leur

enlever Tout de !

même,

il

leur faudra le prendre.

hommes

Le général de Salins connaît ses sait leur parler.

Breton d'Auray,

voyagé, beaucoup actif de

«

roulé

»

.

Il

a

il

et

beaucoup

compte à son

nombreuses campagnes coloniales. Colo-

nel à Madagascar, au début de la guerre,

a

il

pu

rentrer en France à la fin de 1914. Voici Tordre

du jour

qu'il a adressé à sa division

L'heure

est

arrivée où, après avoir barré pendant

huit mois la route de la France à notice laire et exécré,

:

ennemi sécu-

V héroïque armée de Verdun va à son

tour prendre V offensive.

A

la

...

division,

déjà illustre par ses brillants

faits d'armes sur VYser,

Chapitre, à Fleury,

reprendre

le

la cote

304, à

Vaux-

incombe l'honneur insigne de

fort de Douaumont.

Zouaves, marsouins, rivaliser de

à

tirailleurs , Sénégalais,

vont

courage pour inscrire une nouvelle vic-

toire sur leurs glorieux

drapeaux.


LE CARREFOUR

Deux

des régiments de la division ont déjà été

à V ordre de V armée;

cités

63

les

deux autres brûlent du

désir de l'être à leur tour.

Vos baïonnettes seront appuyées

par

travail

le

formidable de 650 canons. Vous serez appuyés à

gauche par

le

11 e régiment d'infanterie, quia fait

preuves à Thiaumont,

ses

et

à droite par

la belle

division Passaga, composée de chasseurs à pied et de

régiments

d'élite d'infanterie.

Votre victoire est certaine

pour

le

En

:

le

châtiment

est

proche

Boche abhorré.

avant pour

la

France!

Le général Passaga, qui commande

la division

voisine, n'a pas été en reste. Lui aussi a servi

aux

colonies.

Il

a pris part en

du Dahomey où

1892 à l'expédi-

a été blessé. C'est

un

chef expérimenté, calme, toujours maître dé

lui.

tion

Il

appelle sa division

termes

il

lui

les divisions

il

la Gauloise, et voici

en quels

propose, de son côté, un match avec

concurrentes

:

Officiers, sous-officiers , soldats.

Il

y

a près de huit mois que V ennemi exécré,

Boche, voulut étonner

le

monde par un coup de

le

ton-


LES CAPTIFS DÉLIVRES

64

nerrc en lus de

s'

emparant de Verdun. L héroïsme des poi-

France

lui a

barré

route et a anéanti ses

la

meilleures troupes.

Grâce aux défenseurs de Verdun, infliger à l'ennemi

rer près de

la

une sanglante défaite

400 000

Russie a et lui

prisonniers .

Grâce aux défenseurs de Verdun, VAngleterre France

la

elles lui

se battent

Grâce aux

les

chaque jour sur

ont déjà fait près de

Salonique,

la

Verdun,

Balkans, battent

les

et

Somme, où

60 000 prisonniers

défenseurs de

celle des

pu

captu-

.

l'armée

Bulgares

de et

Turcs.

Le Boche tremble maintenant devant nos canons et

nos baïonnettes

est

proche pour

A

.

que l'heure du châtiment

Il sent

lui.

nos divisions revient l'honneur insigne de lui

porter un coup retentissant qui montrera au la

monde

déchéance de l'armée allemande*

Nous

allons lui arracher

un lambeau de

cette terre

où tant de nos héros reposent dans leur linceul de gloire.

A

gauche combattra

notre

illustre,

composée de zouaves,

Marocains

et d' Algériens

de reprendre

Que

le

:

une division

déjà

de marsouins ,

de

on s'y dispute l'honneur

fort de Douaumont.

ces fiers

camarades sachent bien

qu'ils

peu-


LE CARREFOUR vent compter sur la Gauloise pour

ouvrir la porte

et

Officiers

65 les

soutenir, leur

partager leur gloire!

y

sous-officiers, soldats,

Vous saurez accrocher la croix de guerre à vos

drapeaux

et

à vos fanions; du premier coup, vous

hausserez votre

régiments

La

et

renommée au rang de

de nos bataillons

les

de nos

celle

plus fameux

.

Patrie vous bénira.

Cet ordre du jour, c'est chasseurs à pied qui

comme un

chait

me

l'a

un sous-officier de montré Il le remâ.

cheval son avoine.

— Douaumont! me

dit-il.

Pourquoi leur a-t-on

donné Douaumont? Il

enviait les marsouins, les tirailleurs et les

zouaves.

— faudra prendre, me considéra, étonné — Oh! couru, Il

le

Il

objectai-je. :

déclara-t-il

c'est

simplement.

Quelles troupes que celles-ci qui, d'avance, se

disputent l'enjeu! Et quelle influence d'hypnose

exerce sur tous ce

nom

de

Douaumont

!

Je n'ai

guère assisté à un départ aussi plein d'ardeur. D'habitude, on montre moins d'entrain, plus de souci. et

il

Le secteur

n'est pas

engageant

:

il

est

connu

ne jouit pas d'une réputation de tout repos. n.

5


LES CAPTIFS DELIVRES

66

Tandis que ces régiments vont au but avec certi-

Douaumont, ce formidable Douaumont

tude.

tombé on ne la division

après

y

comme

sait

Mangin

n'a

rentrée

être

le soir

pu

du 25

février,

se maintenir le

22,

le

24 mai

appartient

leur

d'avance. m

Les soldats de chasseurs

la division

et biffins

devant eux. Vaux

est leur objectif.

humaines. Nulle part on ne ravin des Fontaines, c'est bois

Fumin

Vaux, la

Douaumont Dur objectif :

chaque pouce de terre représente des

là,

c'est

n'a plus

un

division

la

le

un

vies

s'est tant battu.

Le

ravin de la Mort.

Le

Le secteur de

arbre.

cercle de l'Enfer. Les soldats de

de Lardemelle sont

graves qui viennent pour

tagneux,

de Lardemelle

— n'auront pas

Savoie,

L'existence y est sévère.

plupart de pays

la

Dauphiné,

le Il

hommes

des

le

mon-

Bugey.

n'y a guère parmi eux

de jeunes gens aventureux, avides de courir

monde, comme

il

marsouins,

tirailleurs.

les

France, toujours

y en a parmi

le

faut en conquérir

même,

un

qu'on ne leur dise

autre,

Un

les

le

zouaves, les

coin de

sol

de

leur suffit. Puisqu'il ils

sont prêts. Mais

pas de phrases

:

ils

sont


LE CARREFOUR réfléchis,

s'expriment peu,

ils

exhortations. devoir, et

feront leur devoir, tout leur

Ils

même

au delà, résolument, mais sans

On

vaine gloire et sans éclat.

grands sacrifices

les plus

et

sentent en de-

ils

Point n'est besoin de leur adresser des

dans.

tile

67

:

peut leur demander

seulement,

d'y substituer des mirages, car

ils

ils

est inu-

il

voient clair

voient de loin. Troupe de paysans obstinés

et endurants,

troupe facile à mener pour qui

la

connaît.

Le général de Lardemelle

est

jeunes divisionnaires de l'armée.

gué en Chine à la

la

un des plus Il s'est

distin-

défense de Tien-Tsin, lors de

révolte des Boxers.

Chef d'état-major d'un

corps d'armée, puis d'une armée au début de la guerre,

il

Orient.

Il

commandé

a

ensuite une division en

revient de Salonique et

Verdun

l'a

reçu.

Le long du bois à demi dépouillé, dont d'automne caresse de rouille, tion de

le soleil

les dernières feuilles d'or et

les bataillons se suivent

dans

la direc-

Verdun, laissant entre eux des intervalles.

Bientôt,

ils

ne font plus qu'une légère trace

bleue, petite

fumée surgie du

sol

de France,

d'une couleur semblable à celle qui monte des villages paisibles à l'heure

du retour des champs.


LES CAPTIFS DÉLIVRÉS

68

Les

trois divisions d'attaque

parallèles

vont occuper leurs

ou leurs tranchées de départ.

Les camions automobiles vides attendent au carrefour.

doivent

Ils

emmener jusqu'aux

tonnements de repos, dans ou dans au fur

celle

et à

de

la vallée

can-

de l'Ornain

Saulx au sud de Bar-le-Duc,

la

mesure

qu'elles seront relevées, les

troupes des deux divisions qui ont été chargées

d'aménager Après

les

le

secteur de combat.

opérations des mois de juin, juillet,

août et début de septembre menées de

d'Haudromont à

la

Laufée,

la carrière

le sol était si

boule-

versé qu'il n'y restait plus trace des anciens tra-

vaux.

Il

fallait

les renforts,

et

créer des boyaux, des abris pour

pour

les postes

de secours, pour

de

les batteries,

commandement pour

les

de munitions. Le mauvais temps qui

dépôts

fut,

au

commencement d'octobre, presque continu, le bombardement ennemi qui ne cessait jamais, obligeaient à reconstruire plusieurs fois abris et

tranchées. Cependant, avec une obstination qui sut triompher de tous les obstacles, les travaux

ont été achevés en temps voulu.

A

partir

du


LE CARREFOUR

69

15 octobre, date primitivement fixée, nous pou-

vions aborder l'ennemi.

ne

Il

restait plus

favorable pour

guetter l'heure

la

qu'à

préparation

d'artillerie.

C'est la

une manière de combattre que de creuser

terre sous le feu, et

est juste d'associer à

il

l'œuvre de la victoire ceux qui l'ont laborieuse-

ment préparée

ne

et

la

verront pas.

Les voici qui, à leur tour, viennent s'embar-

quer au Tourniquet.

du

sissent le long

route,

de

la terre

même

de loin qui gros-

bois, sur la prairie

ras

du

sol.

les

Du

ou sur

comparer

la

à de la

Bien plutôt on croi-

en marche. Sont-ce des

ou des blocs de boue? c'est la

les voir

on ne peut songer à

fumée bleue au rait

A

hommes

casque aux godasses,

teinte uniforme, cette argile

de Verdun dont tout soldat qui a passé

brune recon-

naît la couleur et l'odeur, et qu'il ne saurait plus

confondre avec celle d'Artois ou de Champagne. Elle recouvre les capotes, les culottes, les molletières, les

ceinturons et les courroies, les bidons

et les musettes,

sages.

Dans

jusqu'aux

ces visages

fusils,

jusqu'aux vi-

barbus ou mal rasés,

hâves, creusés et bronzés, les yeux brillent de fierté

et

d'espoir.

Fierté de la besogne

faite,

espoir du repos gagné. Les corps se courbent


LES CAPTIFS DELIVRES

70

sous les

le sac, les

mains s'appuient sur des bâtons,

pieds traînent.

Le

poids

portent peut bien les faire plier

que ces épaules :

c'est

un

faix

vingt jours de peine au moins. Le retard de

taque a prolongé

le

dur labeur.

Ils

de

l'at-

sont à l'extré-

mité des forces humaines, cette extrémité qui n'était peut-être

bataille de

connue de personne avant

Verdun. De bons cantonnements

attendent. Demain,

la les

déjà, lavés, brossés, ayant

dormi leur saoul, ayant mangé sans marmites, ils

seront tout autres. Mais leur défilé, aujour-

d'hui, est glorieux et douloureux ensemble. C'est la

marche Ils

lente des boueux.

montent péniblement dans

béants,

ils

les

camions

s'aident à se hisser à l'intérieur,

s'installent sur les banquettes après avoir

ils

ramassé

entas, soigneusement, les armes, les fourniments, les sacs.

se

Alors les pipes s'allument, la respiration

modère, mais

la

conversation ne reprend pas

encore. La fatigue clôt les bouches. Les moteurs ronflent, les automobiles démarrent, la poussière

vient se coller sur la boue, et dans les visages gris les

yeux

brillent

comme

des veilleuses dans les

chapelles. Ils

ne verront pas l'attaque.

Ils

ignoreront,

cette fois, son angoissant réveil, les serrements


.

LE CARREFOUR

11

de main aux camarades, l'anxiété du départ,

mais aussi victoire. Ils

la

marche en avant,

Cependant

ont laissé du

fusil

ils

la

conquête,

ne sont pas tous revenus.

monde

là-haut, l'outil ou le

aux doigts. La mort frappe au hasard

vailleurs

la

ou guetteurs. Et

les

tra-

revenants aux faces

de boue et de poussière, aux regards chargés

d'ombre, disparaissent presque sans parler sur

chemin par où

les

le

troupes d'attaque sont venues,

joyeuses, pour délivrer

Douaumont

et

Vaux.

.


IV LE MOULIN

23 octobre 1916.

C'est la jeunesse de la vie, ce sont les per-

«

sonnes qui font

les

beaux

sites (1

)

.

»

Ce pauvre village meusien, tout près de Ver-

dun,

triste et sale,

au creux d'un vallon peu pro-

fond, partie en bordure de la grande route, partie

descendant vers une eau courante

bétail cherchant l'abreuvoir,

retenir les yeux. toire

Et pourtant

n'a rien qui puisse les

curieux d'his-

y viendront chercher des évocations.

Sa maison principale

est à

l'écart,

d'une cour, ceinte d'un jardin. C'est

Un

comme un

précédée le

Moulin.

salon de campagne, assez vaste, occupe la

majeure partie du rez-de-chaussée

:

des tables,

des fauteuils de cuir, des cartes sur chevalets ou

(1)

Chateaubriand.


LE MOULIN fixées

au mur,

le

73

meublent. De lourdes

toiles

de

tente le coupent en deux, séparant le cabinet de

du général Mangin

travail

et celui

de son chef

d'état-major, le colonel Fiévet.

Le général Mangin, qui commande

les

troupes

d'attaque, délibère avec le général Nivelle,

mandant mandant

la II

e

armée,

et le

général Pétain,

comcom-

groupe d'armées. La pensée de

le

bataille qui se livrera

demain

la

ne serait

est là. Elle

rien sans l'exécution. L'exécution n'est rien sans

Un plan de bataille se porte dans le comme celui d'une œuvre d'art avant de

elle.

forme.

Il

commence de

ration; puis l'action le

se réaliser

commence.

dans

Elle a

cerveau

prendre

la

prépa-

commencé

21 octobre par l'entrée en jeu de l'artillerie;

commandement

pu suivre

jour par jour,

le

destructions.

Ce 23 octobre, un incendie

déclaré dans le fort de

a

Douaumont

les

s'est

à la suite de

l'éclatement d'un obus de 400. Les abris des carrières

d'Haudromont à

Damloup

à

l'est,

l'ouest,

de

la batterie

de

sont bouleversés. Les ravins

sont fouillés et martelés.

Une

fausse attaque a

invité l'ennemi à dévoiler toutes ses batteries qui

viennent d'être reconnues au nombre de 150 environ et dont plus de 60 ont pu être immédiate-

ment

et

heureusement contrebattues.

(C'est ce


LES CAPTIFS DELIVRES

74

dans son communiqué du 24

qu'il appellera

briser

les

:

attaques françaises.) Les renseigne-

ments d'avions

et

de ballons sont complets et

concordants. u

On ne

fait

de grandes choses, écrivait Napo-

Ton

léon, qu'autant que

un

entier sur

objet, et

même

marcher à travers tous

même

contretemps vers un

concentrer tout

sait se

but à travers tous

but.

»

contretemps

les

les

Marcher vers un les trois

:

qui derrière ce rideau de toiles de tente règlent les dernières dispositions

suivi depuis des

dun hors

mois

même objet

le

d'atteinte, et

pour l'attaque ont pour-

pour cela

mettre Ver-

:

lui restituer la

ceinture de ses forts et de ses collines.

Le

soir

dre son

du 25

février 1916,

commandement

quand

venait pren-

il

sur la Meuse, le général

Pétain fut accueilli par cette nouvelle

Douaumont était pris,

est

mais

l'ordre était

village

tenait.

donné de reprendre

l'ennemi, entré par surprise, tranché. Le 27, les

pas à pied d'œuvre et

moment

le

26,

le

fort.

Mais

déjà re-

moyens matériels

n'étaient

il

fallait

colonel Joulia, qui avait

au

Dès

s'y était

village assiégé sans arrêt.

était tué

de

Douaumont

perdu. Le fort de le

le fort

:

de

la

barrer la route du

Le 28,

le lieutenant-

préparé l'opération, conduire. Le 29,

les


MOULIN

LE

75

échelles destinées au franchissement des fossés

bombardement. La male-

étaient brisées par le

chance s'acharnait contre Douaumont. Le géné-

homme

ral Pétain n'est pas

à risquer inutilement

des vies. La bataille faisait race sur tout

de Verdun

la résistance afin

ganiser

du

fleuve.

Douaumont, car Le

3 avril,

de garder

remit à plus tard

Il

front

tâche la plus pressante était d'or-

la

:

le

il

sait

quand

mandait alors

3

le

le

e

la rive droite la

reprise de

attendre son heure.

général Nivelle, qui com-

corps, vint reconnaître le

secteur qui lui était confié entre le bois de la Caillette

au sud-ouest de Douaumont

loup,

fut accueilli

il

L'ennemi s'est glissé

ferrée

s'est

par

emparé du

dans

le

ravin

cette

et

nouvelle

Dam:

bois de la Caillette;

du

il

Bazil jusqu'à la voie

de Fleury à Vaux. Qu'allez-vous faire?

— Attaquer. Sa volonté immédiatement.

Il

d'offensive se manifeste

a déjà le général

Mangin au-

près de lui à la tête de l'une de ses divisions.

L'ennemi,

cependant,

ne cesse pas lui-même

d'attaquer. Ses attaques et les nôtres se heurtent et se brisent. et

du

il

doit

Les nôtres finissent par l'emporter

remonter

les

pentes jusqu'aux abords

fort.

C'est dans la région de Frise,

il

soutenait à


LES CAPTIFS DÉLIVRES

76

la fin

de février une lutte opiniâtre et

que

général Mangin apprit

le

Douaumont. Ayant mands, il dit à ses

officiers

s'entendent à tirer

parti

succès.

un

fait

La

lu

du

reprise

— Les Allemands

de cet inconcevable

fort par

nos troupes serait

.

— Un mois

plus tard,

Verdun. En

avril, elle

.

En mai

reprenait la Caillette.

pour quarante-huit heures

fameux

reconnaissances,

pour

il

— dans

rentrait le fort.

proie.

demain —

-

24 octobre

trois chefs la réalisation

volonté ancienne.

Un

ses

approché de tout près,

comme une

Ainsi l'opération de les

Lui-

Dans

fort qu'il visait.

l'avait

ainsi dire

pour

elle

deux mois en intimité cons-

avait vécu ces

tante avec ce

est- elle

:

de

alle-

d'armes qui exciterait l'admiration de

sa division était appelée à

flairé

fort

radiogrammes

les

l'univers. Elle s'impose.

même

difficile,

du

la perte

d'une

projet longtemps porté,

longtemps ajourné par suite des circonstances, s'il

prend corps,

Douaumont,

c'est qu'il est

quel

mûr. Pourtant,

morceau royal!

Il

s'élève,

comme un

géant, au-dessus des autres collines de

Meuse.

est

Il

qui domine

pour l'ennemi l'observatoire idéal

les

deux

rives

du

fleuve.

Comment

l'ennemi ne mettrait-il pas tout en œuvre pour le

garder? Le fort de Vaux est

le

soutien ou la


LE

menace de

MOULIN

Woëvre.

la

Il

est la

Souville. Par Vaux-Chapitre

Vaux,

c'est

77

il

première

clé

de

y conduit. Perdre

Pour

renoncer à Souville.

re-

le

prendre, sommes-nous à distance d'assaut? Le

chemin

parcourir est long et épuisant

à

rien

:

que des trous pleins d'eau croupie, une boue qui colle

aux jambes, où l'on risque de

s'enliser,

chaos sans nom. Les retranchements sont

breux

et

ne peut

les

L'ennemi a dû pousser

ses

redoutables

avoir tous détruits.

l'artillerie

:

réserves, appeler ses renforts.

groupées dans

un

nom-

le secteur.

Il

a sept divisions

L'entreprise n'est-elle

bien audacieuse, au-dessus de nos forces?

pas

L'Allemagne a rempli

le

monde de

ses victoires

Douaumont et de Vaux pour les célébrer embouché la trompette héroïque, elle a

de

:

elle a

mobilisé toutes les puissances de sa presse et de ses

agences.

Gomment imaginer que d'un

seul

coup nous jetions à bas tout cet échafaudage laborieusement construit pièce à pièce en huit mois ? Et voici

que

les

doutes reviennent, que l'inquiétude

étreint le cerveau et le cœur. Pourquoi, derrière

ces toiles de tente, délibèrenW/s

A

défaut des paroles

si

longtemps?

non entendues,

il

y a

les

visages qui parlent, et voici les trois chefs. Les

visages sont tendus, mais visiblement satisfaits.


LES CAPTIFS DELIVRES

78 Ils

disent la gravité de la décision prise et l'abso-

lue confiance dans le résultat.

a son air des grands jours

:

gnement des paupières sur

les

chez

lui la

Le général Pétain

le teint pâle, le cli-

yeux qui indiquent

préoccupation, mais aussi ce rayonne-

ment du regard,

cette majesté de la tête redres-

sée qui impliquent et

communiquent

Le

pur du général Nivelle sem-

profil régulier et

blerait s'immobiliser

médaille ou il

est

calme

le

comme

marbre de

si

le

la certitude.

métal de

et respire la paix et l'harmonie,

mouvement des

lèvres

la

la statue le figeait, tant

ne

si le

non

trahissait,

le

doute, mais l'importance de la détermination.

Le général Mangin rées, le

mais

les

a les

yeux rient

pommettes un peu et la

bouche

sanglier a reniflé l'odeur du gibier,

colo-

est joyeuse il

le tient...

J'apprends que rien n'est changé aux ordres l'heure

même

est fixée.

Cependant

redevenu incertain. Le soir a tout l'horizon. je n'ai collines.

Du

pu voir

fort voisin

tiré

le

:

temps

:

est

des brumes sur je suis

remonté

ni la ville, ni le fleuve, ni les

Les éclairs intermittents des batteries

déchirent seuls

le

paysage de ouate violette, et

là-haut ce grand feu qui ne repose sur aucun trépied,

qui est

Douaumont

comme suspendu

qui brûle.

en

l'air,

c'est


LE MOULIN

19

Un

Voici une poignée de nouvelles.

allemand capturé apporte sous son désarroi d'un bataillon

dans ce message,

le

pigeon

aile l'aveu

du

ennemi à Thiaumont

chef déclare toutes

:

les tran-

pas en état

demande instamment la même, les hommes n'étant de combattre. Une centaine de fan-

tassins

sont constitués

chées bouleversées et relève pour le soir

se

prisonniers dans la

région de Fleury pour échapper au bombarde-

ment de

leurs abris et,

parmi eux, unof6cierqui,

interrogé, a déclaré avec assurance

:

«

Nous ne

prendrons pas plus Verdun que vous ne reprendrez Douaumont.

Pourvu

»

qu'il fasse

beau temps demain!


LA VICTOIRE AILEE

24 octobre 1916.

Du sommet

de Souville,

escalader et couronner

Nos

batailles

j'ai

vu

Douaumont.

modernes ne

la Victoire

.

s'offrent guère en

spectacle. Elles sont d'habitude cruelles et térieuses.

d'obus

trous

marquent

main

De grands espaces coupés

et

la terre

comme

mys-

vides parsemés de

de longs sillons qui les

veines marbrent la

des colonnes de fumée qui montent des

;

éclatements; une ligne d'ombres bleues qui rasent le sol,

puis disparaissent;

un

reste

de village

ruiné qui flambe; un barrage qui s'allume comme

une rampe de théâtre

et laisse

dans l'incertitude

du drame qui s'accomplit derrière ce rideau soudainement dans

tiré,

la bataille

et c'est tout.

Geux qui sont

n'en connaissent jamais qu'un

épisode. Elle se suit des observatoires dont le


LA VICTOIRE AILÉE

champ les

est

uns

81

souvent restreint et qui se complètent va dans les postes de

les autres. Elle s'en

commandement, conduite jusqu'à rains ou leurs abris par les

leurs souter-

téléphoniques,

fils

transmise par les signaux optiques, volant sur les ailes

des pigeons, portée par les coureurs. Mais

la victoire

du 24 octobre, je

devant moi brusquement, Sans en avoir des forces

la

l'ai

vue se dresser

comme un

être vivant.

portée, sans avoir mis

enjeu

provoqué de

telles

comparables

ni

conséquences, cette journée historique du 24 octobre nous a ramenés aux heureuses journées des 10 et

11

manœuvre de

septembre 1914 où l'immortelle la

Marne

aboutissait à la retraite

de l'armée allemande.

Verdun

J'ai traversé

jour.

Le

dépasser

sentier la

que

livide et

j'ai suivi

morose au

petit

pour atteindre, puis

caserne Marceau était obstrué par

des chevaux morts. Dans la cour intérieure de cette caserne qui n'est plus

mare de sang

:

un

viennent d'être tués

un

que décombres, une

attelage et ses conducteurs ;

des brancardiers emportent

blessé la tête recouverte, n.

*

voilé devant la 6


LES CAPTIFS DÉLIVRÉS

82

mort comme une femme arabe devant l'amour,

me

dit

là je le

mon compagnon

qui a vécu en Orient.

monte directement

celui de l'ennemi.

de cracher ville

que

le.

le

je suis surpris de la

de notre

artillerie et

Nos batteries ne s'arrêtent pas

connu

si

La nature

bois brisés,

tir

que ce chemin de Sou-

feu, tandis

j'ai

tout repos.

De

à Souville sans prendre

boyau trop boueux. Et

disproportion entre

»

marmite

est

presque de

est

malade, ce ne sont que

défoncements du

entonnoirs

sol,

pleins d'eau, mais on y circule presque tranquil-

lement. Mes derniers souvenirs étaient plus tra-

sommet de

giques. Le

la colline offre

tacle qui dépasse l'imagination si

un spec-

labouré

:

comme

d'invisibles charrues l'avaient retourné, tantôt

troué de gouffres et d'abîmes et tantôt redressé

en amas de

terre,

il

ressemble à une mer furieuse

chargée d'épaves, charriant des cadavres.

La cuvette de Verdun montant

:

était

recouverte

J'avais cru percer cette

brouillard.

elle

m'enveloppe

et

occupe

le

plateau

de Souville. D'elle rien n'émerge. Elle noie tonds et

les

coteaux pareillement.

paysage éloigné. Mais

elle

Un

les

n'y a plus de

semble donner de

distance aux objets rapprochés.

mutilé,

Il

de

brume en

la

tronc d'arbre

un entonnoir, une baraque démolie,


LA VICTOIRE AILEE

83

prennent une importance inattendue. Elle ajoute

une sorte d'immensité désolée à l'horreur des lieux

dont elle-même,

pourtant,

impose

les

limites.

La voûte arrondie de la tourelle nous fait Nous nous engouffrons sans hâte dans

signe.

l'ouverture. Sans hâte,

quand

il

en juin y

fallait

entrer ou bien en sortir en courant. Les Boches sont-ils terrorisés

ou intoxiqués pour riposter

si

mal à notre feu d'enfer? La rampe du couloir d'accès est

encombrée

:

des corvées descendent

des piles de pains, font rouler des tonneaux avec

On met en

précaution.

sûreté le précieux ravi-

taillement. J'arrive aux salles

du bas

:

des cou-

reurs sont rassemblés autour d'une lampe dont la

lumière sous l'abat-jour

sages dans

un clair-obscur

turellement, ordres.

Dans

ils

fait

à la

Rembrandt; na-

jouent aux cartes en attendant

la

salle

du fond,

néral Passaga donnant des officiers

apparaître les vi-

les

je trouve le gé-

instructions à

des

de liaison. Souville est son poste de

commandement. Le temps ne lui cause pas d'inquiétude. Le sort en est jeté il faut courir :

la il

chance. Mais, grave et goguenard ensemble,

ne doute point que cette chance ne

rable.

soit favo-


LES CAPTIFS DÉLIVRÉS

84

pour guetter des

Je ressors

éclaircies.

brouillard paraît encore s'épaissir.

au moment de casser une croûte,

A

Le

dix heures, afin d'être

débarrassé de tout souci matériel à l'heure fixée

— une

mauvaise nouvelle nous

pour l'attaque

,

parvient

général Ancelin,

:

le

Tune des deux brigades de blessé

gravement

comme

commande

qui

la division, vient d'être il

rentrait d'une der-

nière inspection à son poste de

commandement

de Fleury. Seconde communication téléphoni-

que

:

il

est

mort. Dès

première,

la

son remplaçant est arrêté.

mandement au

le

— Je passe

choix de le

com-

colonel Hutin, ordonne le divi-

sionnaire.

Le colonel Hutin

meroun;

il

est

revenu récemment du Ca-

a été l'un des

conquérants de

la colo-

nie allemande.

— Pauvre général Ancelin!

ajoute

Passaga en se retournant vers nous.

le

Il

général

est triste

pour un chef de disparaître au moment de tion.

Il

eût bien conduit sa brigade.

l'ac-

Nous

le

regretterons demain. Aujourd'hui, soyons tout à

notre affaire. C'est la courte et belle oraison funèbre d'un

soldat par

un

soldat.

L'heure approche. Le général veut se rendre


LA VICTOIRE AILÉE

compte par lui-même de

85

des lieux et du

l'état

temps. Nous gagnons l'observatoire. Seule de toutes les hauteurs qui entourent Verdun, la col-

on

line de Souville,

Douaumont. Entre les deux rivaux émerge

comme

de Fleury qui rejoint, la

le

de Douaumont

la côte

bras d'une croix,

côte de Froideterre dont les pentes

jusqu'au fort

de

le sait, atteint l'altitude

montent

qui occupe la crête

en forme de dentelures ou de créneaux. Des ravins se creusent entre la charpente de cette

croix allongée. Ce paysage de ravins et de collines qui

domine

paravant, qu'il

le fort, je l'ai

me

tant regardé au-

sort des yeux, et

cherchent en vain devant moi.

mes yeux

Au bout du

le

ter-

rain bouleversé qui descend, je n'aperçois qu'un

arbre déchiqueté qui se dresse péniblement dans la

brume

et qui

ressemble à un calvaire.

Cependant, ce brouillard n'est pas inerte. est

comme remué,

sant et invisible des obus.

continu que, malgré

chercher en

l'air

soi,

ils

Leur sifflement

on lève

la tête

les

le

si

les

les positions

jours précédents. Et je

souviens de ces journées angoissantes de la février

est

pour

devraient former une

voûte d'acier. Notre artillerie écrase

ennemies repérées

Il

travaillé par le passage inces-

fin

vol des obus venait s'abattre

me de sur


LES CAPTIFS DÉLIVRÉS

86

nous. J'éprouve l'impression inverse,

j'ai la

sen-

sation de notre supériorité nettement affirmée. six ou sept cents voix de nos canons font un chœur prodigieux, s'assemblent en une clameur

Les

sauvage tration

et je

cherche à décomposer leur orchesdes 75, basses pro-

cris secs et stridents

:

fondes des 155 et des gros obusiers, plaintes déchirantes des pièces de marine, aboiements des crapouillots. C'est

Dieux ou

cule des

abîmes de

la terre

comme le prélude du comme un psaume

Crépussur les

qui s'entr'ouvrent.

Attaquera-t-on malgré cette ombre? Ne sontce pas des conditions désastreuses pour le doit

accompagner

traire,

effet

le

la

de surprise? Je consulte et

ma

un

montre, l'heure

dans cette attente on se sent gagné

par l'inquiétude de rance ajournée.

partie remise,

la

de l'espé-

L'opération a été minutieuse-

réglée, les troupes sont prêtes. Mais je sais

l'audace de l'entreprise il

qui

marche en avant? Au con-

brouillard ajoutera-t-il à l'attaque

approche,

ment

tir

est vrai,

:

trois divisions,

appuyées

mais chargées d'en déloger sept de

leurs positions

formidablement organisées. Entre-

prise hardie mais proportionnée et qui devait se réaliser

si

exactement qu'une

parut toute simple.

fois

exécutée

elle


LA VICTOIRE AILÉE

Sur

87

que je connais bien, je

l'invisible terrain

mémoire les trois divisions d'attaque carrières d'Haudromont sur ma gauche jus-

dispose de des

:

Douaumont en

qu'au fort de sion et

de

face de moi, la divi-

Guyot de Salins avec ses régiments de zouaves tirailleurs, tous déjà cités, et le

fameux

giment colonial du Maroc qui a repris de Fleury

le

et le ravin

17 août; à droite, entre

de

la

ré-

le village

Douaumont

Fausse-Côte, les fantassins et les

chasseurs à pied de la division Passaga; plus à droite, dans le secteur de Vaux-Chapitre, les ré-

giments de

la division

de Lardemelle. Je

les

ima-

gine, et je ne vois pas à cinquante mètres devant

moi. Et j'imagine aussi, non sans une angoisse secrète, l'ordre de bataille allemand, 21 batail-

lons en première ligne, réserve,

les

lignes de

7

en

soutien,

10 en

tranchées, les défenses

accessoires, les redoutes, telles

que je

les ai

vues

sur les photographies prises en avions, l'ouvrage

de Thiaumont, la carrière d'Haudromont, enfin et surtout les forts,

teries les ont-elles

cuisinés,

Douaumont

et

Vaux. Nos bat-

suffisamment réduits,

mis en bouillie?

triturés,

Gomment nos hommes

viendront-ils à bout de tels obstacles matériels et

humains?

A chaque

instant je regarde

ma montre

:

onze


LES CAPTIFS DÉLIVRÉS

88

heures, onze heures vingt, enfin onze heures quarante. j

'aurais

C'est l'heure

Cette attaque,

fixée.

que

dû voir déferler dans le ravih pour remon-

ter ensuite les pentes, a-t-ellelieu

en ce moment? de

L'artillerie a-t-elle allongé son tir? Impossible

Rien n'est changé au rythme des

rien savoir.

obus qui passent.

heures cinquante,

est onze

Mais qu'est-ce que j'entends sur

est midi.

droite?

Il

Le

il

ma

tac tac des mitrailleuses. Si les mi-

trailleuses tirent, l'attaque est déclenchée. Si les

mitrailleuses tirent,

il

n'y a pas de surprise et les

nôtres rencontrent de la résistance. Je ne les entends plus.

remplit l'espace, plutôt projectiles

dont

la

Le

bruit des canons

même

que leurs départs

le sifflement

sonorité est amortie par

nouveau,

c'est l'inquiétude^

qui se prolongent.

brume. De

la

c'est

l'incertitude

Pour savoir ce qui

retourne au poste de

se passe, je

commandement.

Les coureurs attendent leur tour de partir. sont coiffés du casque, le

A

des

et leurs éclatements

Ils

masque en bandoulière.

cause de l'abat-jour leurs visages sont dans

l'ombre.

Ils

pendant

les

ne parlent pas,

ils

sont prêts. Ce-

nouvelles affluent. Le départ a été

magnifique, à l'heure prescrite. La division de Salins a atteint son premier objectif

:

la carrière


LA VICTOIRE AILÉE

89

d'Haudromont, l'ouvrage de Thiaumont, puté

mois précédents,

les

la

si

dis-

ferme de Thiaumont

qui est au delà (quelle ferme! on n'en retrouve

même

pas les murs) sont à nous.

Passaga a atteint

la batterie

de

La

division

la Fausse-Côte.

La division de Lardemelle rencontre au bois Fumin une résistance acharnée. Partout on a progressé. Selon les ordres, on s'organise, repartir,

de

comme

on repart. Mais

suivre une opération!

chaque instant coupé, cité inouïe

vont sous

il

Le téléphone

et des équipes le

on va

est difficile est

à

d'une téna-

feu rétablir les

fils,

Les

coureurs, les pigeons se succèdent. Des prisonniers sont signalés

du

Petit-Bois.

officier

:

En

au poste des Carrières, à celui voici

une vingtaine dont un

maigre, enfiévré,

face brûlée disparaissant à

casque de tranchée, tions

et dit

il

les

yeux

brillants, la

demi sous l'énorme

répond à toutes

la surprise

les

ques-

des Allemands dans

le

brouillard. Les zouaves descendent dans le ravin

de

la

Dame

et

dans celui de

la

Couleuvre. Les

chasseurs montent les pentes de la Caillette...

Mais de tout cela qui, ce

soir, sera

éternelle, rien n'apparaitra-t-il

une

victoire

donc aux yeux

dans cette maudite brume? Elle a joué son rôle efficace.

Maintenant, ne va-t-elle pas se dissiper?


LES CAPTIFS DÉLIVRÉS

90

Je regagne les pentes de Souville. Le moteur

ma

d'un avion ronfle au-dessus de bas qu'il va

me

lard.

chant, avait fait

le

soir

que

Il

vole

la colline.

dans

et grisâtre,

si

Je

le brouil-

pen-

l'aviateur, se

geste d'applaudir les fantas-

que ceux-ci, de

sins et

accrocher

frôler,

immense On m'a dit le

l'aperçois,

tête.

avaient rendu à

la terre,

l'oiseau son salut.

Voici que, vers deux heures, le vent, plus fort,

commence de tourmenter

nuages.

les

chasse, d'autres reviennent,

Il

Il

pour-

les

redouble de vio-

lence, les déchire enfin, et les nuages poursuivis

une

se livrent à

fuite

éperdue,

comme

en mon-

tagne au passage des cols quand souffle pête.

Les

comme

nuages tordus

des drapeaux.

leur course,

et

Dans

la crête

les

de Fleury,

le village

pentes de Douaumont,

sa dentelure. Les

qu'en

un

intervalles

les

une pente, une crête

vois, je vois, je reconnais la côte

clin

de

surgissent. Je

de Froideterre,

réduit en poudre,

Douaumont

enfin et

nuages vont maintenant

d'œil leur

tem-

la

claquent

froissés

troupeau

si

vite

dis-

s'est

persé, et le paysage se livre avec cette extraor-

dinaire netteté qui précède ou qui suit le

mau-

vais temps.

Avec mes jumelles,

je

scrute

l'horizon.

Je


LA VICTOIRE AILEE pourrais compter les trous d'obus. d'eau,

ont passé

comment

;

comme

sont pleins

pu passer! Mais

ont-ils

ce paysage n'est point mort.

sous nous,

Ils

ou presque. Nos soldats

se rejoignent

ils

91

saisie

La

terre tremble

de frissons. L'artillerie

ennemie, ressuscitée ou renforcée, multiplie barrages. Trop tard

au

Et

delà.

là,

nos

:

hommes

les

doivent être

devant moi, sur

la

pente de

Douaumont, des hommes couleur de la terre remuent. Ils marchent en colonne par un, en ordre.

Sur

Ils

avancent,

ils

la crête à droite,

montent,

venant de

ils

approchent.

la batterie Est,

en voici un qui se profile en ombre chinoise, puis

un autre,

et

un autre encore.

11

en vient

aussi de l'autre côté maintenant. D'autres des-

cendent dans ils

gorge. Mais

la

ils

vont se faire voir,

vont se faire mitrailler. Ne vous montrez donc

comme ça! c'est insensé! Ils s'agitent, ils tournent, comme s'ils. décrivaient une ronde aupas

dessus de la

Douaumont

conquis, une farandole de

Victoire. Écrasent-ils

un corps à corps? De danse sacrée. Puis térieur.

Un

la

les

loin,

défenseurs? Est-ce c'est

comme une

plupart disparaissent à l'in-

avion décrit de grands cercles au-

dessus du fort,

Douaumont

comme un pris

!

oiseau de proie.

Est-ce possible? J'ai envie


LES CAPTIFS DÉLIVRÉS

92

de crier. le

J'ai

son de

ma

mais je n'ai pu entendre

crier,

voix dans

le

fracas de la mitraille

qui ébranle la colline. Les obus éclatent dans

notre voisinage Souville. J'ai

un peu de

terre

à nous. Le géant

mâche maintenant

crier, car je

qu'un obus vient de

ma bouche

jusque dans

Douaumont

est

faire jaillir

Douaumont

ouverte.

qui, de sa

de ses observatoires, domine

Meuse,

allemande sur

c'est la riposte

:

deux

les

est

masse

et

rives de la

de nouveau français. Le captif est

délivré.

Je

me

souviens de ce soir

dans

dernier où,

la

apprîmes que Douaumont voulions pas

ce

Douaumont, avec

carrières

Côte,

aboli.

le

est

un

pas sur

En moins

reçoit

le fort

il

la

de

Faussequatre

allemand de huit mois

;

il

se

est

veut pas croire, lui soit ravi.

ne Il

attendra plus d'une

heure avant d'oser régler son conquête. Mais

le

territoire qui va des

L'ennemi à son tour ne

tire

nous

moins de quatre heures,

tout

rendu.

travail

février

neige,

perdu. Nous ne

était

peut pas croire que Douaumont

ne

du 25

la

d'Haudromont au ravin de

nous

heures,

et

Nous ne pouvions pas

le croire.

croire. Et voici qu'en

triste

boue

tir

sur son ancienne

rattrape sur Souville qui

une large distribution. Les pentes sont


LA VICTOIRE AILÉE

93

sonne, la terre saute. Faut-il

pilées,

la tourelle

donc

vite s'arracher à cette vision

si

triomphale?

Étrange destinée de ce Douaumont pris et repris sans coup

pareil

férir,

à

que. Ion croit inaccessi-

gneuses et distantes,

tombent en un

bles et qui

femmes dédai-

ces

instant. Tandis

que

Vaux, moins important, moins solennel, ramassé là-bas sur sa colline ronde, se refuse avec obsti-

nation. Il

est quatre

tombe sur

:

il

Vous passez par

:

la

ceau. Chargez-vous de ce Boche.

voyer à

l'arrière.

Et l'on

me

prisonnier et

de

la

caserne Mar-

Vous

l'y

dépo-

L'interprète l'interrogera avant de l'en-

serez.

.

soir, déjà,

temps de redescendre de Souville

est

Verdun

heures et demie. Le

»

un infirmier allemand

confie

amené au

division.

C'est

poste de

un jeune garçon roux

A

et

ma

capote

peine sommes-nous partis

qu'un

rose, docile et serviable. Je lui

à porter.

fait

commandement

donne

obus nous couvre de boue. Nous sommes in-

demnes, mais

ma

il

s'est

couché de tout son long sur

capote que je reprends, non sans irritation,

toute maculée.

Il

est fort

penaud

et bredouille

des excuses, mais se colle au sol dès qu'il entend

un

projectile.


LES CAPTIFS DÉLIVRÉS

04

Je retraverse

nuages,

tragique,

chaos de Souville. Entre

le

couchant

ciel

le

jaune,

enflammé.

sulfureux,

rayons obliques viennent atteindre ils

de

se reflètent; le cours

par contraste Froideterre noire.

dépassent

Ils

vers

les

Gham-

Hardaumont.

montée

à Souville a été facile, autant

descente en est pénible. L'ennemi veut se

venger de son silence de

copieusement

les

m'arrêter devant

la

compatriotes. Mais a

ses

l'attente

raisons.

ne

me

barrages avec

dun

les

il

le

le

bon

mon plaisir

est

Boche, de

ses.

bonne que

si

Marceau

et j'arrive seul à

la nuit est tout à fait

venue. Ver-

Le bombardement

fait

faubourg que je traverse. Cependant

une équipe de territoriaux s'apprête à

comme chaque ment.

arrose

maudit plus que moi.

La journée

n'est pas épargné.

rage sur

Il

cause nulle mauvaise humeur.

Enfin, je le laisse à

Verdun quand

matinée.

pentes et les ravins. Je dois les

attendre en sa compagnie

Il

airs.

disparaissent

ils

brettes ou vers

la

étincelle, et

une grande ombre

fait

maintenant, s'emparent des

Douaumont, la

ciel

Des

les flaques

Meuse

la

les

qu'une multitude de nos avions,

Voici

Autant

un

se découvre,

soir,

en corvée de

partir,

ravitaille-


LA VICTOIRE AILÉE

95

Qu'est-ce que ce bruit de pas et ces ombres qui s'avancent?

Un régiment

Aucune

relevé?

relève ne devait avoir lieu cette

nuit. C'est le

y en a plus d'une brigade. Déjà cinq mille, m'assure un sous-

troupeau en ordre des prisonniers.

officier

de l'escorte, et

Une colonne de cinq

il

en descend d'autres.

mille prisonniers, je n'avais

pas encore vu ce spectacle

Même

la nuit

c'est

Il

un

soir d'attaque.

une vision inoubliable. La

lumière d'une fusée lointaine, tout à coup, dé-

uniformes verts, leurs casques ou

leurs

voile

leurs bonnets de police, leurs figures terreuses.

Puis je ne vois plus que leur masse plaisante, leur défilé ininterrompu.

Partout où je passe, dans cette soirée rable, la joie rayonne.

mémo-

Quel peintre rendra

visage d'un général vainqueur,

le

immédiatement

après la victoire?

Au est

poste de

venu

le

commandement du général Mangin

généralissime.

Il

y a trouvé

les

deux

chefs successifs de l'armée de Verdun, le général

Pétain et prise,

le

Thiaumont,

heureuses,

mont, Et

général Nivelle.

Il

a reçu sans sur-

mais avec satisfaction, la suite des nouvelles

la

Haudromont,

Douau-

Fausse-Côte.

le soir

même,

à la table de travail où

le


LES CAPTIFS DÉLIVRÉS

96

général Pétain avait,

10

le

avril,

après

la

plus

puissante attaque allemande sur les deux rives

de

la

Meuse,

écrit son

immortel

:

Courage, on

les

aura, le général Nivelle a rédigé ce court et saisissant bulletin de victoire

:

Officiers, sous-officiers et soldats

du groupement

Mangin,

En

quelques heures d'un assaut magnifique, vous

avez enlevé d'un seul coup, à votre puissant ennemi, le

terrain

hérissé d'obstacles

et

de forteresses du

nord-est de Verdun, qu'il avait mis huit mois à arracher,

par lambeaux , au prix

d'efforts acharnés et

de sacrifices considérables

Vous avez ajouté de nouvelles les

drapeaux de l'armée de

cette

armée, je vous remercie.

à celles qui couvrent

Verdun,

Au nom

de

et éclatantes gloires

Vous avez bien mérité de

la patrie.


LIVRE

III

DOUAUMONT



I

DE LA CARRIÈRE d'hAUDROMONT AU VILLAGE DE DOUAUMONT

Les

trois divisions se sont dressées à l'heure

dite et ont

Guyot de

marché sur leur

Salins, renforcée

fanterie, de la carrière

Douaumont

objectif

du

II

e

:

la division

régiment d'in-

d'Haudromont au

fort

de

qui lui est attribué; la division Pas-

saga des angles sud-est et nord-est du fort au ravin des Fontaines

;

enfin la division de Lardee

du 30 régiment

melle, augmentée d'un bataillon d'infanterie, entre le bois

Fumin

et le

fond de

la

Horgne, face au fort de Vaux.

Le départ

s'est

donc accompli dans

le

brouil-

lard épais qui recouvre les vallonnements de la

Meuse

et la série des crêtes.

On

a progressé à la

boussole, sans hâte, en ordre, sur ce fantastique terrain de

bucher

boue

et

de trous où

ni s'enliser.

il

ne faut ni tré-

Les observatoires n'ont pu


LES CAPTIFS DELIVRES

100

tout d'abord être utilisés, mais plusieurs avions,

malgré

la

brume, sont

sortis

maîtres des airs

:

car leurs rivaux d'outre-Rhin ne les ont pas imités

et volant très bas,

sont parvenus à suivre

ils

commande-

l'avance des troupes et à renseigner le

ment. Les liaisons par fils[téléphoniquessans cesse réparés, par coureurs, et, plus tard, par postes

optiques,

quand

permis de connaître

De

brouillard

le

les

phases de

ont

dissipa,

se

la bataille.

tout le front, ou presque, les nouvelles de

victoire se sont à

peu d'intervalles succédé

dromont, ravins de

Dame

la

Thiaumont (ouvrage lage et fort,

et

ferme)

et

bois de la

de ,

la

:

Hau-

Couleuvre,

Douaumont

Caillette,

vil-

ravin de la

Fausse-Côte, bois Fumin, batterie de Damloup, tous ces coins de sol

si

chèrement disputés depuis

huit mois, enjeu de cent combats, arrosés de tant

de sang,

illustrés

de tant de gloire, tombaient

entre nos mains d'un seul coup.

Cependant, au bois Fumin réduit fortifié pour

et

au Petit Dépôt,

un bataillon qui couvre

la

route du fort de Vaux, la division de Lardemelle rencontrait une elle et

pour

résistance opiniâtre qui,

la division

pour

Andlauer chargée de

relever, devait prolonger le

combat sans

la

inter-

ruption jusqu'au 3 novembre dans des conditions


D'HAUDROMONT

A

DOUAUMONT

101

particulièrement dures. Les opérations du sec-

d'un mot

teur

de Vaux,

doit,

pour plus de

à part. Voici,

la

de Vaux

bataille

clarté, être isolée et présentée

d'après les témoignages écrits et

oraux recueillis avec diligence aussitôt après tion, les opérations

ravin de

Fausse-Côte.

la

l'ac-

du secteur d'Haudromont au

Douaumont en

est le

centre, l'objet principal, le roi. C'est la bataille

de

Douaumont. La

bataille

de Douaumont va

nous apparaître tout d'abord aux deux prise

du

fort

en sera

ailes.

La

couronnement.

le

* #

A

l'aile

gauche, notre ligne, avant l'attaque

du 24 octobre, partait de

la

Meuse au delà de

Bras, mais en deçà de Vacherauville qui appartenait à l'ennemi, et remontait les pentes de la

côte du Poivre dont nous ne possédions qu'une partie.

La côte du Poivre termine

massif de

le

Lonvemont qui vient s'opposer à la crête Fleurybois Nawé par la masse boisée d'Haudromont. Haudromont commande la route de Douaumont à Bras et les vallonnements qui conduisent au village de

Douaumont

faut descendre

et

contournent

d'Haudromont sur

le

le fort. Il

ravin de la


LES CAPTIFS DÉLIVRÉS

102

Goulette pour remonter ensuite sur Froideterre.

De

son importance pour l'ennemi et pour

nous. La carrière d'Haudromont sera donc

le

pivot de la bataille. Position rapprochée de notre front, elle peut suivre et enrayer toutes les ten-

tatives

La

que nous ferions sur Douaumont.

crête Fleury-bois

Nawé forme, on

se sou-

vient de l'image, le bras transversal de la croix

dont

la

charpente principale est

ascen-

la crête

A

dante de Froideterre au fort de Douaumont. l'ouvrage de les

Thiaumont

Après

se fait la soudure.

combats acharnés du commencement de sep-

tembre, nous tenions cette crête jusqu'à

la

route

de Fleury à Bras, sans avoir repris l'ouvrage de

Thiaumont. Le bois Nawé rejoint four au nord-ouest de

le bois

Chauf-

Douaumont par un

fouillis

de mouvements de terrain coupés de ravins ravin de la

Dame,

:

ravin de la Couleuvre et plus

en arrière ravin du Helly. Ces ravins coulent tous des pentes de

Douaumont

:

le village est

en

contre-bas du fort et à l'ouest.

Pour assurer la

gauche,

il

la possession

de Douaumont sur

faut donc s'emparer de la carrière

d'Haudromont, des ravins de Couleuvre,

de

l'ouvrage

Thiaumont. L'attaque

se

et

la

Dame

de

fera par

la

et

de

ferme

deux

la

de

batail-


D'HAUDROMONT

3

le

ments de

e

en

bataillon

gauche à

la

avec l'objectif suivant

réserve,

régi-

les

droite dans Tordre et

la :

1 I

e

régiment d'infanterie

e

d'Haudromont) 8 régiment de tirailleurs 4 zouaves (ravins de la Dame et de la Cou-

(carrière et

103

chaque régiment accolés en première

Ions de ligne,

DOUAUMONT

A

;

e

leuvre)

4 e régiment mixte, zouaves et tirailleurs

;

ferme

(ouvrage et

Douaumont) Maroc,

.

Thiaumont,

de

village

le fort lui est

réservé.

La carrière d'Haudromont, au-dessus de

Douaumont

route de

de

Quant au régiment colonial du

car elle découpe sur la colline

les crêtes voisines,

argileuse, plus proche

un long rectangle

la

à Bras, s'aperçoit de toutes

du sommet que de

clair

la base,

de 2 à 300 mètres de lon-

gueur sur 50 ou 60 de largeur. Dans sa pierre calcaire, qui est utilisée depuis bien des

par tous

les bâtisseurs

de

la

années

région, l'ennemi a

creusé des abris, des casemates, des galeries qui défient les gros calibres, et

il

en a protégé

les

abords par des retranchements et des flanque-

ments garnis de mitrailleuses. Au début de bataille

l'ont

de Verdun,

les

troupes du 20

e

la

corps qui

occupée l'avaient fortifiée en creusant en

avant une tranchée qu'elles ont appelée du

du général commandant

le

nom

corps d'armée, tran«


LES CAPTIFS DÉLIVRES

104

chée Balfourier, et sur

Nourrisson, du

flanc, courant

le

une seconde

au nord,

nom du divisionnaire.

du sud

tranchée

tranchée, la

L'ensemble

de ces travaux forme une sorte de vaste triangle

dont

la carrière serait la base.

1916,

Perdue

le

17 avril

carrière a été reprise le 21 mai, lors de

la

notre offensive sur Douaumont, et reperdue

24 avec

Le

e

1 I

régiment d'infanterie, dont

premier colonel

et

fut le cardinal

composé de Gascons

est

le

le fort.

et

fondateur

le

de Richelieu,

de Basques. C'est une

troupe remuante, ardente, loquace et d'un élan

Son chef,

gai.

un

colonel de Partouneaux, est

le

brillant cavalier qui a

seurs

commandé

le

12 e chas-

lorsque les Allemands, battus aux Éparges

:

en mars 1915, menèrent une violente offensive au mois il

d'avril suivant sur la

amena

ses escadrons

barrer la route d'état-major de là,

il

à la

si

tranchée de Galonné,

promptement

l'ennemi. Plus tard,

il

qu'il

put

fut chef

région fortifiée de Verdun.

commandement d'un

fut appelé au

De

régi-

ment d'infanterie. La tranchée de départ occupée par

le

II

e

régiment

coupe à angle droit

est la

tournée vers

et

route de Bras à Douau-

mont. A 200 mètres environ risson lui fait face,

l'est

la

tranchée Nour-

que rencontre en oblique

la


D'HAUDROMOINT tranchée Balfourier;

Le

A

DOUAUMOJNT

la carrière

ferme

105

le triangle.

bataillon Martel est chargé de se jeter sur la

tranchée Nourrisson et de gagner de

chée Balfourier, tandis que

là la tran-

bataillon Négrié

le

fera l'assaut de la carrière. Les

hommes

sont

si

impatients de partir qu'ils devancent de deux

minutes l'heure prescrite. La tranchée Nourrisson tranchée Balfourier se défend, mais

est vide, la elle est

débordée

et

dépassée, et d'ailleurs

si

bou-

leversée qu'il est assez malaisé de la reconnaître. Il

faudra revenir en arrière,

installer et

donner

qui attaque

la

la

la carrière.

La

5

déblayer pour

s'y

e

main au

2 bataillon (Négrié) e

e

et la 7

compagnies

de ce bataillon montent à l'assaut en entonnant couplet de

la Marseillaise

un peu modifié

Nous entrerons dans

Quand

les

le

:

la carrière

Boches n'y seront plus...

Les Boches y sont encore et pourraient y opposer une défense redoutable et prolongée s'ils n'étaient surpris

désemparés.

et

Il

faut avant

toutes choses paralyser l'action des mitrailleuses

qui

suffiraient à faire

avorter

l'opération.

Le

sous-lieutenant Sergent aborde avec sa section le

blockhaus par

le

sud

:

une douzaine d'Allemands

sortaient à cet instant pour servir les pièces; le


LES CAPTIFS DÉLIVRÉS

106

feldwebel qui

les

conduisait est tué, les autres se

rendent, les mitrailleuses sont prises et retournées.

Le sous-lieutenant Carême

hommes

par

le

nord.

Il

arrive avec ses

marche

le

premier, en

avant, et se trouve tout à coup entouré d'ennemis

armés* de grenades qui s'étaient

compagnies d'assaut nique parmi

infiltrés entre les

et tentaient

les assaillants. Il

de jeter

la

tenait à la

son pistolet-lance-fusée. N'ayant pas

le

pa-

main

temps de

chercher une autre arme ni d'appeler du secours, il

tire sur le

groupe qui s'avance. La fusée part,

traînant derrière elle toute celles.

Un

une queue

d'étin-

grenadier est atteint. Le groupe, épou-

vanté par cet engin inconnu, se hâte de se rendre

au sous-lieutenant Carême que rejoignent heureu-

sement

ses

pagnie

hommes. Deux

entrent

supérieur et

la

dans

la

e sections de la 7

carrière

lutte continue

par

com-

l'étage

au dedans

,

les

Allemands lançant des grenades de bas en haut, nos fantassins tirant de haut en bas.

Un homme

découvre un dépôt de grenades ennemies qui est aussitôt utilisé avec des cris de joie. Les sapeurs

font sauter les

casemates. Enfin, un mouchoir

blanc apparaît au bout d'un bâton. Le reste des assiégés,

une cinquantaine,

capitule.

Le 11 e régiment, au pivot de

la bataille, avait


D'HAUDROMONT

DOUAUMONT

A

107

peu d'espace à parcourir, mais une forte position à enlever. Unissant l'audace de l'attaque frontale

à l'habileté de la

manœuvre de

flanc,

il

lui fallut

néanmoins plusieurs heures pour venir à bout d'un ennemi formidablement retranché. il

avait

subir,

dès

bombardement meurtrier. Dans plus rin,

et

atteinte,

comme

le

Déjà

pointe du jour,

la

un

tranchée la

la

Mau-

sous-lieutenant

commandant le peloton, venait d'être tué les hommes, immobiles, sans abri,

que

montraient quelque inquiétude, Causans,

faisant fonction

le

capitaine de

d'adjudant-major au

2 e bataillon, se porta auprès de ce peloton et,

pour

maintenir en état de confiance,

le

parapet

sur le

et

il

y demeura tranquillement.

L'usure des compagnies d'assaut obligea

mandement

monta

à faire appel au

er

1

le

com-

bataillon, mis en

réserve, pour alimenter le combat.

Le

soir,

une

contre-attaque allemande déclenchée contre la

compagnie de gauche qui perdit

trois

officiers

sur quatre, venait se briser sur nos lignes.

#

Le et

le

8

e

4

tirailleurs (lieutenant-colonel e

zouaves

Dufoulon)

(lieutenant-colonel Richaud)


LES CAPTIFS DELIVRES

108

doivent atteindre, à travers pentes nord du ravin de

les

pentes nord

les

Couleuvre. C'est un terrain acci-

la

qu'un bombardement de

denté

Nawé,

bois

le

Dame comme premier

comme deuxième,

objectif, et,

du ravin de

la

mois

huit

achevé de bouleverser, tout en bosses, en

a

taillis

arrachés, en déclivité tantôt lente et tantôt rapide, nid à traquenards et à surprises, propre à

une guerre d'embuscades, à une faudra parvenir jusqu'à

la

route

guérilla.

Il

de Douaumont

à Bras pour tenir le village et interdire à l'ouest l'accès

du

rain, sera

fort.

La

difficulté,

de maintenir

sur

un

les liaisons.

pareil ter-

On

de vue aisément, on ne peut garder

se

la

perd

même

allure sur la raideur des pentes et sur les surfaces plates.

Le combat

d'épisodes.

Ici,

se

l'on

contre mauvaise. Là,

rompra en une multitude avance presque sans renil

faut s'attardera l'assaut

d'un blockhaus ou d'un élément de tranchée. La beauté de la

la

marche

aux

détails

manœuvre

et

sera d'assurer l'unité de

de pousser au but sans s'attarder

de l'opération. Les

hommes

passe-

ront par-dessus des abris armés et bourrés de

garnison, continueront leur course au delà de l'obstacle franchi, quitte à revenir ensuite vérifier le terrain

acquis et briser les résistances qui


D'HAUDROMONT s'y

A

109

pourraient encore dissimuler ou laissant

soin de ce nettoyage

Le

saut.

soir

Dame

et

le

aux dernières vagues d'as-

du 24 octobre

trois jours qui suivront, les la

DOUAUMONT

du ravin de

la

et

même

les

deux ou

redoutes du ravin de

Couleuvre seront en-

core explorées, assiégées et réduites

il

:

en sortira

des prisonniers qui n'auront pas soupçonné les résultats de notre victoire et qui seront surpris

d'avoir été dépassés.

La merveille de et les

l'opération, pour les tirailleurs

zouaves, sera donc d'avoir suivi rigoureu-

sement l'horaire

de s'être donné

fixé et

la

main

sans interruption de la chaîne.

A

la

gauche,

bataillon

les

deux bataillons de

Bureau

et bataillon

marchent accolés. Sur gènes,

le

le

tirailleurs,

Donafort,

départ des troupes indi-

commandant Hoog, chef d'escadrons

au 4 e régiment de spahis, adjoint au colonel

commandant

le 8

e

régiment de

tirailleurs,

porte cet incident caractéristique

rap-

au point de

vue des résultats de notre politique musulmane et

de l'attachement indéfectible qu'elle a su

pirer pour la France

:

«

Aussitôt après la sortie

des tranchées qui s'était accomplie dans parfait et dans

deur

et

ins-

un ordre

un calme impressionnant de gran-

de beauté,

les tirailleurs

indigènes qui se


LES CAPTIFS DÉLIVRÉS

110

portaient en avant dans

commandant Donafort

immédiat du

cercle

le

précipitent

se

sur leur

chef dans un élan joyeux, lui baisent l'épaule et l'assurent par les démonstrations les plus vives

de leur bonheur de se mesurer enfin avec l'en-

nemi de

France, de

la

victoire et de

combattre jusqu'à

le

la

mourir pour leur patrie d'adoption.

Magnifique spectacle que rendait plus émouvant encore l'instant précis où

La première vague et

de

fusiliers, la

fusiliers.

est

il

s'accomplissait.

composée de grenadiers

deuxième de voltigeurs

Presque dès

le

»

et

de

départ, des mitrailleuses

ennemies, dissimulées dans des trous d'obus, entrent en action. Tandis que des groupes de

grenadiers les prennent à partie,

continue cidents

:

«

vagues déferlent à

le

des

même

la

»

.

«

premières tranchées

Lecoq

capitaine

19 e compagnie, se

fit

allure,

sont dirigés vers l'ar-

rière en véritable troupeau

écrit

progression

sans être retardée par ces petits inci-

les

les prisonniers affluent et

sement

la

qui

Le franchisallemandes,

commande

sans difficultés.

la

La vague

de renfort resta formée en petites colonnes pen-

dant toute

la

durée de

l'assaut,

celles-ci trouva facilement

La première vague

fut

et

chacune de

un point de passage*

un peu disloquée

(les


D'HAUDROMONT

hommes

A

DOUAUMONT

111

étant obligés de descendre et de re-

monter pour franchir

les

tranchées)

,

mais se

remit très rapidement en ordre. L'ennemi n'offrit

aucune résistance digne de soldats, mais au

contraire se rendit en masse. Les prisonniers qui

ne furent pas dénombrés furent immédiatement dirigés vers l'arrière; la soudaineté de l'assaut les

avait rendus

ennemis, dans

fous de terreur.

de

les ravins

la

Les abris

»

Dame

et

de

la

Couleuvre, regorgaient d'habitants qui pensaient éviter les ennuis de notre

bombardement. On

les

ramassa en paquets.

Au

un chef de bataillon

fut capturé avec tout son

ravin de la Couleuvre,

état-major.

Cependant un groupe ennemi escortant une mitrailleuse

bat

en retraite

méthodiquement,

s'arrêtant tous les cinquante pas la

pour remettre

pièce en batterie. Mais les grenadiers, courant

sur ses flancs, parviennent à le dépasser et le

prennent à revers

:

le

servant avait sa mitrail-

Un

leuse amarrée au poignet.

poste téléphonique

oppose une résistance acharnée à une section de la 6

pris

e

compagnie dont le

sous-lieutenant Terson a

le

commandement

capitaine

:

trois

après la mort de son

de nos

pénétrer à l'intérieur

hommes ils

sont

réussissent à

grièvement


LES CAPTIFS DELIVRES

112

blessés par l'explosion d'une

mine dans

ment

des appareils.

coupaient

qu'il

delà du ravin de

les

fils

Couleuvre conquis

la

patrouille pousse jusqu'au ravin

moAu

le

une

,

du Hellyoù

elle

ne découvre personne,

mais nos barrages ne

permettent pas

plus

lieutenant

porte

se

Douaumont

au

fraction

delà de

la

sous-

de

sa

route de

à Bras, trouve quatre pièces de 77

un obusier de 150 que notre

ou moins détériorés achève de

Le

ayant.

avec une

Gilbert,

compagnie,

et

d'aller

:

artillerie a plus

ne pouvant

les

ramener,

mettre hors de service avec

les

il

les

pétards qu'il a emportés et avec des grenades qu'il

allume et

leur bouche.

glisse

sodes, tandis que talle

dans l'âme des canons par

Le combat s'achève dans

au sud de

la

le

ces épi-

gros des tirailleurs s'ins-

route de Bras et entreprend

sans retard l'organisation

de

la

position

con-

quise.

e"

sa

Le 4 zouaves (lieutenant-colonel Richaud) a bonne part dans la conquête des ravins aux

pentes abruptes et perfides de la

Dame

Couleuvre. Déjà, au début de septembre, contribué à arrêter

la

et il

de

la

avait

dernière des offensives


D'HAUDROMONT

A

DOUA1ÎMONT

allemandes sur Souville par Chapitre et

ferme

la

colonel Richaud, torité

bois de Vaux-

Haie-Renard. Dans son rapport sur

la

événements de

les

les

journée,

chef à

et paternelle

lieutenant-

le

l'œil clair,

compose, sans

leurs adversaires,

faits

Dame

la

de

Les nom-

«

:

prisonniers dans les ravins

Couleuvre témoignent pour

de

la

la

plupart d'un ahurissement complet

s'ils

et

de

et celle

l'avoir cherché,

plus pittoresque des diptyques

breux Allemands

à l'au-

ensemble, — mettant

en regard l'attitude de ses zouaves

le

113

comme

ne s'étaient nullement attendus à notre atta-

que...

Un

officier

supérieur sorti en hâte de son

en

abri à l'appel de l'adjudant Caillard, apparaît culotte, sans molletières, tenant à la

dernières qu'il offre à «

main

ces

l'adjudant en criant

Chef de corps! chef de corps!

»

Un

:

vague-

mestre était en train de procéder au triage des lettres;

il

deux bras aux

sort de son trou, les

levés, brandissant

lettres,

monsieur!

» II

plupart criaient «

Camarades.

tassin

u

d'une main sa boîte

»

:

«Pardon! pardon,

est d'ailleurs à

remarquer que

Pardon

plus encore que

:

«

!

»

Voilà en propres traits

allemand de 1916, <

les

de l'autre une liasse d'enveloppes et

d'une voix suppliante

s'écrie

yeux hagards,

tel

le

la :

fan-

que l'attaque des 8


LES CAPTIFS DELIVRES

114

lignes de

Douaumont nous

le

révèle...

»

Quel

réconfortant spectacle offre par contraste l'autre

panneau!

«

Avant l'attaque, pendant

l'assaut,

dans l'organisation des positions conquises,

le

zouave demeure toujours égal à lui-même, digne des

traditions

certain

des

de section

glorieuses

triomphes de lui

incarne,

qu'il

demain.

donnent un

superbe

gage

Ses

chefs

et

cons-

tant exemple. C'est le lieutenant Jamilloux,

un

merveilleux entraîneur d'hommes, sérieusement blessé au bras dans l'assaut,

même

demeurant quand

à son poste de danger jusqu'à ce que ses

forces le trahissent; c'est le sous-lieutenant

Bon-

nin qui pleure de rage quand son capitaine

le

place en réserve, et qui trouve toujours un bon prétexte,

— vague de

brume ou de fumée,

à protéger, mitrailleuse à aller prendre,

dépasser l'objectif

fixé et flairer

péril; c'est le sous-lieutenant le

premier partout, à

flanc

— pour

de plus près

le

Lemaire, toujours

l'assaut, à

la

reconnais-

sance, et qui ne devient le dernier que lorsque celle-ci reçoit l'ordre

de rentrer...

»

La

citation

des gradés et des zouaves n'est pas moins savoureuse. Elle se termine par

«

leur aïeul à tous,

Redonnet, engagé volontaire à cinquante-sept ans et plus jeune de cœur que les plus jeunes*


DMIAUDROMONT présent

fait à la

A

DOUAUMONT

génération de

115

par

la victoire

la

génération élevée voici bientôt un demi-siècle

dans

crépuscule de nos malheurs...

le

»

Redonnet, simple soldat, réclame une pause de quelques minutes. Je tiens de lui-même son histoire.

faut la lui

Il

tirer

de la bouche. Ce

Gascon n'est pas vantard. Les cheveux gris, la barbe

grise,

les

joues creusées,

les traits graves, le teint basané,

pour un vieux marchand de

le

on

nez busqué, le

tout à son

tapis,

affaire et ne devant rien à personne, vifs, serrés

prendrait

si

yeux

les

entre de petites rides, ne contenaient

plus de songes que l'existence ordinaire n'en peut réaliser.

pierres.

La Il

vie l'a patiné

est

du pays de

Garonne. Dans

comme le temps les Commenge en Haute-

sa jeunesse,

il

fut colporteur et

roula un peu partout, en Espagne, en Angleterre,

au Mexique, transportant en tous lieux avec son ballot l'admiration et

quitte

l'amour du pays natal. parle que

sans cesse et ne

mariage,

le fixe

de choix. Ce

à trente-six ans dans

nomade

se

mue

de

lui.

Il

le

Le

une métairie

aisément en paysan

sédentaire, chargé de famille, élevant en paix ses

huit enfants. Mais, il

quand

la

guerre est déclarée,

veut en être. Fils aîné de veuve,

à tout service militaire.

Le

il

fut étranger

voilà qui*

un

jour$


LES CAPTIFS DELIVRES

116

annonce

femme

sa résolution.

On imagine

est consternée et effarée; sa

la

scène

mère,

sa

:

vieille

personne autoritaire accoutumée au gouverne-

ment,

déclare sans barguigner qu'il dit des

lui

sornettes, qu'il est trop vieux et ne partira pas.

Alors

fait

il

Boches,

des concessions

«

:

Je veux voir des

garder des prisonniers au Maroc.

j'irai

Des prisonniers, va pour des prisonniers

c'est

:

un métier de son âge. Et l'ancien colporteur va.

On

au Maroc

le croit

se bat à Verdun.

Il

il

:

se bat

»

s'en

en Artois,

il

revient au pays, en permission,

avec deux étoiles sur

de guerre.

la croix

«

as-tu pris ça? questionne l'aïeule. Pas en gardant

des prisonniers, bien sûr.

On

coupable.

ainsi qu'il fut

capitaine,

pardonne

de

l'affaire

avait bien essayé, le vieil

homme

en route, en

le

moyen de

l'accompagnait.

couvrant une des autres

repart. C'est

de Douaumont. Son

de Clermont-Tonnerre,

fonctions utiles, nécessaires

il

comme un

tout de

— de

faire,

même,

le

semer

confiant l'une ou l'autre de ces

Au

à rester à l'arrière.

trouva

et

il

— parce que,

en veut trop

lui

avoue,

Il

lui

capitaine

le

»

le «

même, qui obligent moment Redonnet

dernier

rejoindre

et,

Le capitaine,

facilité

dans l'attaque,

me dit-il,

re-

merveilleuse pour parler

a gardé sa canne sous

le

bras pendant


D'HAUDROMONT toute la bataille.

Il

marche.

»

pour

la

A

DOtJAUMONT

ne s'en

même

est

117

pas servi

Et son accent qui carillonne

comme

précipite les syllabes

me-

aussi

elles

si

naient l'assaut.

Le capitaine de Clermont-Tonnerre qui, canne pendue au bras, conduit

comme un

bagarre

hommes

ses

la

à la

père ses enfants à la prome-

nade, ancien officier, ami et jeune disciple du

comte deMun, attaché aux œuvres sa place d'élite

comme

son illustre patron

dans l'armée et demandé

le

plus de prisonniers

(4

le 1

:

le e

Son bataillon

sert.

il

Jacquot) est peut-être celui qui,

ramené

naturellement

sociales, a repris tout

:

régiment capitaine

24 octobre, a

600. Sur l'heu-

reuse et presque joyeuse progression de sa

pagnie et de

la

com-

compagnie voisine, capitaine

Àgcron, un des acteurs a par les Boches dans

le

écrit

:

«

ravin de la

Un abri occupé Dame résistait,

tandis que les vagues d'assaut continuaient leur

marche triomphante. Le capitaine Ageron,

les

poches bien garnies de grenades, vient vérifier l'œuvre de ses nettoyeurs. Soudain, de

d'un souterrain, plusieurs officiers

l'orifice

surgissent,

revolver en main. Ageron lance une grenade;

par malheur

elle rate

son objectif, atteint

le

mon-

tant de l'entrée, éclate et blesse le propre ordon-


LES CAPTIFS DÉLIVRES

118

nance du capitaine. Des zouaves accourent «

camp, leur

F... le

dit

que je vous tape dessus!

Et,

»

substituant le

revolver, plus précis, à la grenade folle, se débarrasse

de

:

Ageron, vous voyez bien

six adversaires.

Un

Ageron

septième se

rendit ou, plus exactement, blessé, se releva pour

rejoindre au pas de gymnastique des

rades

»

qu' Ageron,

«

kama-

après les avoir extraits et

groupés, venait d'expédier vers l'arrière. capitaine

Ageron reçut, pour

»

Le

ses exploits dignes

des chansons de geste et accomplis dans la bonne

humeur, neur.

«

la croix d'officier

Quand

nerre, réserve

la

du

de

la

Légion d'hon-

compagnie de Glermont-Tonbataillon,

formée en

petites

colonnes d'escouades, descendit à son tour flanc

du

ravin,

on put voir ce spectacle étrange,

inoubliable, de visés

le

deux courants d'hommes subdi-

en de multiples

filets

parallèles et qui

mar-

chaient en sens inverse. L'un constitué par les

zouaves, la pipe et la bretelle, filait

la

gaudriole au bec, l'arme à

d'une allure calme et tranquille

vers les positions boches; plus épais, était formé de

l'autre, plus dense,

files

de

«

kamarades

»

silencieux qui, dans une hâte fébrile, couraient vers nos tranchées de départ, courbant l'échiné

sous les shrapnells de leurs frères.

Aucun désordre,


D'HAUDROMONT aucun mélange. Les

DOUAUMONT

A

files

d'attaque se rappro-

de captifs pour quérir,

chaient seulement des

files

au passage,

de cigares ou

par

livrés le

les boîtes

les

marche sur

objectif, rares étaient les

zouaves qui

kamarades. Pendant

ne fumaient pas un énorme cigare; fut arrivé,

saucissons

la

les

deuxième

119

le

repas de

et,

quand on

s'agrémenta

conserves

de délicatesses d'outre-Rhin. En tête de leurs

hommes, officiers

et

la

mine basse, manteau

flottant, les

allemands ne sortaient de leur attitude

de leur torpeur que pour saluer

français qui s'en allaient à l'attaque.

Un

autre trait complétera cette

précise et allègre.

Comme

mont-Tonnerre gravit de

Dame, un

la

les

officier

la

les officiers »

description

compagnie de Gler-

pentes nord du ravin

supérieur allemand pri-

sonnier, décoré de la Croix de fer et de plusieurs

autres ordres, la regarde monter, puis s'avance ,

vers le capitaine, la

main tendue en un

hésitant et une attitude contrite.

geste

Le capitaine de

Clermont-Tonnerre, qui tient son revolver d'une

main, prend de l'autre sa canne suspendue au bras

:

il

se contente

de regarder fixement son

étrange partenaire qui ramène aussitôt la main

tendue à

la visière

du casque

et s'incline

dément. Et ce dialogue s'échange

:

profon«

Soyez


LES CAPTIFS DELIVRES

120

sans crainte pour vos

on ne leur

hommes;

fera pas de mal.

monsieur, répond l'autre, sont

que

soldats

lang

.

j'aie

ma

vus de

se rendent,

s'ils

»

vie

«

Vos zouaves, beaux

les plus

mein Leben

>

»

#

Gomment

#

quitter les zouaves sans relater

Tune des aventures

les plus stupéfiantes

un véritable conte des

taille,

Mille

de

la

ici

ba-

une Nuits,

et

tout à coup intercalé parmi les chants d'épopée?

Et précisément à cause de son air de conte des Mille

une Nuits,

et

il

faudra bien donner à cet

épisode l'authenticité d'un rapport. J'ai dit que les

vagues d'assaut avaient passé par-dessus des

abris bourrés de Boches sans prendre le

de

les

et

même

nettoyer et qu'il y eut,

Tintérieur

hommes

jours

les

et

des

fantassins

temps

du 24

combats

des

suivants,

de nos nouvelles

soir

le

entre

lignes

allemands

à

nos

sortant

de leurs trous et ne comprenant rien à leur situation singulière.

Mais ce qui arriva au ser-

gent Julien est autrement bizarre. à lui tout seul de six officiers, et six mitrailleuses, et Il

appartient à

la

il

Il

s'empara

deux cents soldats

en fut

le

plus étonné.

13 e compagnie du 4 e zouaves.


D'HAUDROMOJNT Voici

comment

le fait

rapport de sa compagnie relate

le

la naît

du 24 au 25 octobre 1916,

de ravitaillement de conduite par

de

le

la

journée,

nuit

était

tanément sa heures sur

corvée

la e

e

13 compagnie du 4 zouaves,

sergent Julien,

Douaumont-Bras

la

La

121

:

Dans

route

DOUAUMONT

A

,

se

de

rendait

au cours

objectif atteint

au point de ravitaillement très

obscure

elle

:

la

de.,.

momen-

perdit

direction et se trouva vers vingt-trois le

plateau

au sud- ouest

du fort de

Douaumont. Soudain

le

sergent Julien et

qui marchaient en

tête, se

chaîne de tirailleurs dont

le

zouave Bourdassol,

virent mis en joue

par une

ombres avaient surgi à

les

quelques pas.

A peine ne

tirez

avaient-ils crié

pas!

»

qu'ils

Les

«

Quatrième zouaves,

furent entourés

zouave Gueno qui marchait la corvée

:

le

et saisis

troisième;

avec

le reste

le

de

put s'esquiver.

trois

prisonniers furent précipités violemment

dans une sape profonde au fond de laquelle s'ouvrait

une longue galerie, fort bien éclairée provisions, Ils

tonneaux d'eau-de-vie,

et

garnie de

conserves,

etc.

furent conduits dans une chambre où se trouvaient

six officiers

allemands. Ils apprirent alors qu'ils


LES CAPTIFS DELIVRES

122

M

dans un certain ouvrage

étaient

(l)

,

dépendance

du fort de Douaumont, occupé par une compagnie allemande. Interrogé par

capitaine,

le

défendit d'être prisonnier vous,

Damloup

et

vous

c'est

batterie

de

êtes cernés.

»

la

fort,

officiers témoignèrent alors une grande

et

le

commandant de compagnie donna

l'ordre de déséquiper les

pour

et sortit

le

sont entre nos mains

Les six surprise

Les prisonniers ,

«

.

Douaumont,

dit-il.

sergent Julien se

le

hommes.

Il fit

aller se rendre avec toute sa

même

de

compagnie

à V officier du régiment colonial qu'il rencontra

le

premier.

Les coloniaux entrèrent alors dans V ouvrage prirent livraison des

et

200 Allemands.

En reconnaissance,

sans doute,

au sergent Julien son revolver

le

et

capitaine

donna

son couteau-poi-

gnard à dragonne d'argent. Julien avait aperçu six mitrailleuses

deux avec V intention de

Le

sol était si

disant (1)

et qu'il

cet

officier

qu

en prit

qu'il dut

renoncer à

remit ses deux mitrail-

au lieutenant Roux, de à

//

porter à son capitaine.

peu praticable

conserver sa prise leuses

les

.

la

elles

19J52 du Génie, en appartenaient au

Cet ouvrage a été identifié. C'est l'Abri 320, proche

de Douaumont.

le fort


D'HAUDROMONT e

4 zouaves dassol

.

Il

les

roi Scharriaret

zouaves Bour-

pour

qui,

.

distraire le

l'empêcher de dépeupler l'Arabie,

inventait Aladin ou les

les

123

tranchées de sa compagnie

La sultane Scheherazade

Baba ou

DOUAUMONT

regagna ensuite avec

Gueno

et

A

la

Lampe

Quarante voleurs

merveilleuse, Aliet

d'autres

tant

histoires qu'elle enchevêtrait les unes

dans

les

autres pour en reculer le dénouement, à la façon

des architectes égyptiens

qui construisirent

le

Labyrinthe, n'aurait pu trouver mieux que l'aven-

Douaumont. Rien n'y manque,

ture du zouave de ni le

chemin perdu

et la surprise

ténébreuse descente dans

nocturne, ni

la terre,

la

ni le réveil

dans un palais enchanté, aux parois ornées de

tonneaux

et

de boîtes de conserves, ni

brillamment éclairée où ni le

les

brusque renversement de

du captif

profit

maitre

qui,

la salle

chefs se rassemblent,

tout à

la situation

coup,

devient

au le

de ses gardiens et de leurs richesses.

Assurément, dans

la

grande guerre,

de Douaumont méritait un chapitre.

le

zouave

Gomme

les

musiciens introduisaient de gré ou de force un ballet dans les opéras les plus dramatiques,

sorte

que

le

en

public fût préparé par le spectacle

des entrechats et des pointes à la mort de

Roméo


LES CAPTIFS DELIVRES

124

et Juliette,

de Raoul et Valentine, ou de

couple désigné par

mont, dans

la

la poésie, le

tel

autre

zouave de Douau-

sévère épopée de Verdun, repré-

sentera le divertissement d'usage. * # *

Le 4

e

régiment mixte, zouaves

et

tirailleurs

(lieutenant-colonel Vernois), doit s'emparer en

deux bonds de toutes sives

de

Douaumont. Ayant

organisations défen-

les

Thiaumont au

crête de

la

deux

à enlever

mêmes

bataillon

à

indigène,

un

bataillon, réservant au

dont l'élan au cours d'un

assaut est remarquable,

l'enlèvement du pre-

mier objectif (jusqu'au sommet de tre les ravins et confiant

de

la

dif-

décision de confier

colonel prit la

le

chaque mission

de

objectifs suc-

cessifs qui paraissaient présenter les ficultés,

village

Dame

et

de

au bataillon de zouaves

du deuxième objectif

(lisière

la crête

la

nord

en-

Couleuvre) la

conquête

du village

de Douaumont) qui semblait devoir exiger l'em-

manœuvrière. Le dispo-

ploi d'une troupe plus sitif

adopté fut celui-ci

:

le 6

e

bataillon de tirail-

leurs indigènes en tête, puis le 6

zouaves,

le 3

e

e

bataillon de

bataillon de tirailleurs restant


D'HAUDROMONT en

réserve,

A

chaque

double, les compagnies

colonne double,

les

DOUAUMONT

125

en

colonne

bataillon

formées également en

compagnies de mitrailleuses

échelonnant leurs sections sur

A

les flancs.

entraînés

l'heure prescrite, les tirailleurs,

par leur chef,

le

commandant Maffrey,

s'élan-

cèrent d'un seul bond hors des tranchées. Malgré les difficultés de parcours d'un terrain argi-

leux qui, sur la crête de Fleury, est particulière-

ment détrempé sans arrêt

le tir

et

bouleversé,

franchissent

ils

de barrage adverse et atteignent

en quelques minutes

les

premières tranchées

ennemies. L'ouvrage de Thiaumont est débordé sur la droite par la section de l'aspirant Baylot,

soutenue par

la

section

en renfort, tandis que

du sous-lieutenant

Ali

deux sections des

les

adjudants Beaufrère et Delbecq marchent droit sur l'ouvrage. L'aspirant Baylot arrive

mier

:

il

se heurte à la résistance

mands terrés dans un abri Le premier qu'il aperçoit à lève les bras,

tandis

que

le

comme

s'il

deuxième

l'entrée

faisait le

pre-

de sept Alle-

moitié

à

le

éboulé.

de

l'abri

Kamarad

«

met en

joue.

l'abri.

L'ouvrage

est

emporté,

la

il

,

Sans

perdre son sang-froid, l'aspirant se couche à coups de revolver et de grenades,

»

et,

nettoie

marche çon-


LES CAPTIFS DÉLIVRÉS

126

tinue sur la ferme de Thiaumont. Le brouil-

de

comman-

vient survoler nos lignes à

moins de

lard est toujours

dement

L'avion

épais.

50 mètres de hauteur. distinguent-ils, mais

A

ils

peine

les tirailleurs le

entendent

le

bruit du

moteur. Alors un clairon, pour avertir teur, la

la marche du régiment Au drapeau. L'aviateur,

sonne

sonnerie

et

l'avia-

exécute

renseigné,

repart pour rendre compte.

Pendant que

organisent la pre-

les tirailleurs

mière position conquise,

le

bataillon des zouaves,

qui les suivait à 200 mètres, les rejoint, franchit la crête qu'ils

occupent

sur le village de

Douaumont dont

liaison étroite avec le et le

et se porte

il

s'empare en

régiment colonial à droite

4 e régiment de zouaves à gauche.

peine trois heures du

programme il

:

a-t-il été

a

fallu

Il

est à

soir. Ainsi l'invraisemblable

rempli à l'heure dite.

L'ouvrage de Thiaumont,

mont

d'un seul élan

tant de

le village

sang,

de Douau-

d'efforts

et

de temps à l'ennemi pour prendre ces amas

de ruines dont nous l'avons chassé

Sur sa hauteur,

mine tout

le

le

fort

champ de

bataille.

passé sur sa gauche. Mais que droite?*

»

*

si

vite!

de Douaumont do-

Le

voici

dé-

se passe-t-il à sa


II

DE LA BATTERIE DE DOUAUMONT AU RAVIN

DE LA FAUSSE-CÔTE

Sur

même

la droite

du

temps, s'avance

pour son premier delà

fort

de Douaumont, dans la

division Passaga qui, doit

objectif,

du fameux ravin du

où passe

Bazil

la Caillette, la batterie

de

la

au

atteindre,

ferrée de Fleury à Vaux, la partie sud

de

le

la

voie

du bois

Fausse-Côte

et,

sur le versant sud de ce ravin, les pentes nord et est

de

la

a gardé

croupe de Vaux-Chapitre dont l'ennemi

une partie en

combats de septembre

sa

possession après les

et qui

faisaient saillant

dans nos lignes. Ce premier objectif représente déjà

un

effort et

un gain considérables,

et la

division Passaga est, des trois divisions d'attaque, celle qui a le plus

long chemin à parcourir. De

plus, à cause de ce saillant

même,

ses troupes

sont disposées en équerre dans les tranchées de


LES CAPTIFS DÉLIVRÉS

128

en sorte que

départ,

manœuvre

il

:

le

départ est déjà une

faut se redresser sans confusion,

calculer exactement les distances pour les batail-

lons accolés.

cette difficulté s'ajoute celle

manœuvre

la

du

qui complique les liaisons. Cepen-

brouillard,

dant

A

s'exécute au mieux. Le second

objectif doit porter la division jusqu'à la tourelle

qui se trouve à

l'est

du

fort,

aux pentes nord

et

du ravin de

la

Fausse-Côte et à l'ouest de

l'étang de Vaux.

Il

décrit

est

une ligne légèrement forme

même du

faut

donc des-

remonter

les pentes.

incurvée sur la droite, selon

la

Des crêtes occupées,

il

ravin.

cendre dans

La

les fonds, puis

division est

ments

à

:

gauche

le

composée de deux groupegroupement Anselin compre-

e

nant le 321 régiment (lieutenant-colonel Picard) le

36 e bataillon de

tirailleurs sénégalais

compagnies sont intercalées entre 116 e bataillon de

les

Raoult) et 102 e

sous

le

commandement du

Hutin; à droite

107

e

tiaux)

le

et le

du 321% (commandant

Florentin) réunis

lieutenant- colonel

groupement Doreau, avec

bataillon de chasseurs

;

le

(commandant Pin-

401 e régiment d'infanterie

nant-colonel Bouchez)

les

celles

chasseurs

(commandant

dont

en réserve

le

(lieutee

32 batail-

lon de chasseurs (commandant Wendling). Le


DOUAUMONT

DE

A LA

FAUSSE-COTE

129

général Anselin, inspectant ses troupes, constaté la veille est

émouvant.

»

«

:

On

avait

hommes comme il

L'enthousiasme des sait qu'il fut tué,

revenait à son poste de Fleury, une heure avant l'action.

Le colonel Hutin prend

sa place,

rem-

commandant mener personnelle-

placé lui-même par le

Raoult qui

espérait avoir l'honneur de

ment Au

à l'assaut son bataillon de chasseurs.

départ, les compagnies du 321 e ont à tra-

verser la crête glaiseuse de Fleury qui est, par

elle-même, un

obstacle.

Elles

sans arrêt, avant que le barrage

franchissent

la

ennemi

s'abatte

sur Fleury. D'ailleurs, l'artillerie allemande, sans

vues

et sans

Fleury et

renseignements, laisse

la voie ferrée

raison des difficultés

la

zone entre

à peu près indemne.

de

terrain

et

des

En

résis-

tances escomptées, spécialement pour la prise du

deuxième

objectif, le colonel Picard a

commandement de

fortement

organisé

le

saut

Estimant que l'action des chefs

«

:

la

troupe d'asétait

limitée en largeur à la vue directe de leurs élé-

ments, quatre groupements étroits mais échelonnés en profondeur étaient confiés à trois ciers supérieurs et les

troupes

du 321 il

e .

offi-

un capitaine adjudant-major,

noires

encadrées entre

Ce dispositif

très

les

unités

simple avait été pris 9


LES CAPTIFS DÉLIVRÉS

130

dès

départ par les éléments de deuxième ligne

le

qui devaient simplement rafler au passage du

premier objectif

les unités

de soutien des batail-

lons de première ligne et renforcer ainsi les deux ailes.

»

Le brouillard,

du départ, avait été barrages à

qui, après le redressement si

utile

pour parvenir sans

la voie ferrée, se lève

par éclaircies et

permet d'apercevoir par intervalles

Douaumont.

le

fort

de

L'effet de cette apparition est pro-

digieux. Dès lors, c'est la ruée joyeuse à l'assaut.

Cependant

souins,

nous

le

quelques

biffins

et se contenter

la tourelle

tassins.

faut laisser le fort

aux mar-

ne résistèrent pas,

verrons, à l'honneur d'y pénétrer les

premiers,

de

il

«

de

la batterie est et

qui sont bientôt couvertes de fan-

Le spectacle,

dit le lieutenant-colonel

Picard qui s'était porté de sa personne au-dessus

de

la

voie ferrée pour embrasser l'ensemble de la

position, était grandiose

:

les

coloniaux,

une marée montante, submergeaient lequel la lutte continuait; à le

les

l'est,

comme

le fort

dans

on apercevait

groupe des bataillons de chasseurs gravissant pentes de la Caillette et de

la

Fausse-Côte,

pendant qu'une interminable colonne grise de prisonniers

remontait

vers Fleury. Chacun,

le

glacis

de Chambitoux

ému, regardait son

voisin,


DE DOUAUMONT A LA FAUSSE-COTE

€n croyant à peine

mée

yeux

et,

chasseurs qui grimpèrent lette sont tout e

1

fut confir-

»

102 e bataillons de

Les récits du 116 e et du

16 bataillon,

sombourg

quand

de Douaumont, ce fut une minute

la prise

inoubliable.

ses

131

les

pentes de

la Cail-

débordants de mâle allégresse.

Au

capitaine adjudant-major De-

le

a pris

commandement. Avant

le

le

départ, le sergent-prêtre Nozeran passe dans les sections et

donne l'absolution

mandent, puis,

à ceux qui la de-

debout à côté de l'aumônier

qu'un obus tuera tout à l'heure, tous deux bé-

nissent les chasseurs qui vont partir.

heures quarante

c'est l'heure fixée,

;

«

les

Onze chas-

Le capitaine La première vague

seurs se dressent, baïonnette haute.

Desombourg

lève sa canne.

s'ébranle, suivie de près par les autres.

d'œil est splendide

:

Le coup

couverts de boue, de

la

cou-

leur de celte terre de France qu'ils défendent et

veulent arracher à l'ennemi, les chasseurs sont

Que vont-ils Combien de nids de

superbes de calme et de résolution. trouver derrière

la

mitrailleuses vont

crête? se

révéler et faucher leurs

rangs? Sous quelles rafales de gros obus vont-ils se

trouver pris? Qu'importe.

ordre

comme

à

la

Ils

marchent en

manœuvre. Le

terrain est


LES CAPTIFS DELIVRES

132

pénible figée

on

;

de

:

une mer houleuse subitement

dirait

la

boue, des débris, des cadavres. Des

chasseurs s'enlizent, on les dégage. Le barrage

ennemi commence à les

vagues passent,

éclatent derrière

gnés

Chambitoux des

artillerie,

qu'elles tra-

abris qu'a épar-

balles

grenades bien ajustées et »

.

les

Les

sifflent.

nettoyeurs de tranchées s'y précipitent

marad

impla-

déferlent

Elles

De quelques boyaux ou

notre

:

sont passées. Les obus

elles

elles.

cables dans le ravin de versent.

Trop tard

se déclencher.

:

quelques

Boches font

Ka-

«

Ahuris par notre apparition soudaine,,

hébétés par

le

bombardement,

ils

donnent des

cigares, des cigarettes, leurs bidons, leurs casques

à leurs gardiens sortir

;

de cet enfer.

n'ont qu'une pensée

ils

va vous y conduire,

»

«

Verdun,

dit

un

:

vite

c'est là-bas,

loustic.

on

Dans deux

abris à notre droite, des groupes ne veulent pas se

rendre,

ils

tirent sur les chasseurs.

gent M... s'approche des abris

:

Le

deux grenades

incendiaires... et l'on n'entend plus rien.

fumée épaisse s'échappe de nuent à brûler jusqu'au lente,

soir.

ser-

Une

ces abris qui conti-

L'avance continue,

méthodique. Les obus de nos 75, qui font

barrage en avant de nous, refrènent l'ardeur des impatients. La fumée augmente,

le

brouillard.


DE DOUAUMONT

FAUSSE-COTE

A LA

est épais, on se dirige à la boussole.

133

Le ravin du

Bazil est franchi, la tranchée de Berlin nettoyée,

prisonniers

les

Les

affluent.

chasseurs

sont

joyeux de voir leurs groupes qu'on ramène à l'arrière

.

A douze heures trente, la voie ferrée A douze heures trente-huit, les vagues

est atteinte.

sont arrivées au vin qui est

le

leurs, placés à

sommet de

la crête

but assigné. Les

nord du ra-

fusiliers mitrail-

quelques mètres en avant, scrutent

de tous leurs yeux

le

brouillard traître derrière

contre-attaques

lequel

les

doute.

Les chasseurs,

préparent

se

sous

cette

sans

protection,

s'organisent et creusent des tranchées pour gar-

der

le

envoyé

conquis. Le

terrain :

o

comme un fracas du

signal

e

116 chasseurs objectif

rauque

cri

bombardement.

vitesse

»

est

C'est le

»

pour atteindre successivement record de

atteint.

de victoire dominant

Cinquante-huit minutes ont

ce

convenu

prend

suffi

les les

aux

deux

vitriers

objectifs

allures

:

d'une

marche triomphale.

Non moins e

alerte et lyrique est le

102 bataillon de chasseurs qui opère à

récit

du

la droite


LES CAPTIFS DELIVRES

134

du 116

On

e .

comme

que leurs chefs écrivent

dirait

leurs fanfares sonnent et

colonnes courent

:

«

:

c'est

Tordre du général.

l'heure dite, les chasseurs quittent les paral-

lèles

de départ

aucune hésitation, aucun

:

même du

ment, en dépit l'artillerie

cun

le

de barrage que

tir

et,

dans

paysage et amollit

tingue des silhouettes s'alignent

et

en éventail,

le

brume

légère qui

formes, on disqui, en silence,

comme

pour

On

et

hommes, dont

nisme unique qui essaie conscience de sa valeur.

ses

À

forces

un orgaet

prend

treize heures, sans

colonnes d'escouade s'étirent et se

transforment en chaînes continues de la

métho-

l'énergie ramas-

sée est tendue vers l'ennemi, semblent

L'arme à

gagne

par une volonté puissante et

articulée

les

et

reparaître à nouveau.

Rien n'arrête leur progression lente

bruit,

ma-

voit ses colonnes d'escouade

s'évanouir,

tenace. Tous ces

la

de tirailleurs déployés

la ligne

102 e bataillon s'avance

ravin du BaziL

apparaître,

la les

d'hommes

rangent

se

nœuvre. Derrière

dique,

flotte-

allemande concentre sur Fleury. Cha-

son poste,

est à

ouate

le

leurs

L'attaque sera déclenchée à

onze heures quarante

À

comme

main,

les

tirailleurs.

chasseurs du 102 e bataillon

s-avancent et gagnent

la

crête qui

domine

le


DE DOUAUMONT ravin

du

Bazil.

FAUSSE-CÔTE

A LA

Aucune

résistance

135

serait-ce

:

donc un piège? De-ci,

de-là, des patrouilleurs se

détachent et gagnent

la

positions.

sont

là.

nemi

Une

croupe qui domine nos

fusillade vive les accueille.

Ils

Impatients, les chasseurs courent à l'en-

et

ne

crépitement des mitrailleuses

le

réussit pas à briser leur élan.

Rendez-vous

!

rendez-vous! Les sommations s'accompagnent de gestes significatifs, tandis

vous! Le crépitement sur

le

ciel

mine de

que de part

et d'autre

— Rendez-vous!

la fusillade reste vive.

rendez-

jaillit et l'on voit se profiler

sombre quelques ennemis qui font

jeter bas

merad... Méfiants,

les

armes

:

Kamerad, Ka-

chasseurs continuent leur

les

progression de trous d'obus en trous d'obus.

ne sont plus qu'à 50 mètres,

Ils

et l'on distingue la

haute silhouette d'un capitaine allemand qui lève les bras et incite, semble-t-iî,

suivre.

Geste loyal? non

réédition d'une vieille

:

ses

c'est

hommes

à le

simplement

la

ruse habituelle de nos

ennemis. Nos vitriers n'ont pas avancé d'une semelle que toutes les

démasquant

les

ombres s'évanouissent,

mitrailleuses.

Cette félonie re-

double l'ardeur de nos troupiers

nades arrosent bientôt faiblit sous le

choc

et

les lignes

:

balles et gre-

de l'ennemi qui

cherche son salut dans

la


LES CAPTIFS DÉLIVRÉS

136

fuite.

Mal

l'aide

de leurs camarades et prennent d'enfilade

les

lui

en prend. Les

fusiliers

accourent à

boyaux par où l'Allemand tente d'échapper à

nos coups. Blessés et mourants jonchent et

nos chasseurs s'élancent à

le sol,

poursuite des

la

fuyards. Leur défaite tourne bientôt en déroute;

nombre

d'entre eux, jetant armes et bagages,

cherchent refuge dans nos lignes. Heureux de leur succès, les

hommes

arrachent aux prison-

niers quelques dépouilles opimes le désir

:

la curiosité et

d'emporter un souvenir vont-ils arrêter

leur course et

compromettre

leur attaque?

Un

la

pleine réussite de

clairon a observé cet arrêt à

peine perceptible de nos lignes d'assaut et soudain, vibrant et clair, on entend retentir sur le

plateau les notes entraînantes de la charge a de

la goutte

à boire là-haut,

boire... L'irrésistible

même

de

la vieille

il

sonnerie

y

a de

y à

:

émane de l'âme

France, rappelle à chacun où

est le devoir, et la poursuite continue,

et serrée.

//

la goutte

Nous touchons au but

:

implacable

la

deuxième

ligne allemande est entre nos mains. Mais serat-il

donc impossible d'accuser le coup, de

signifier

à l'adversaire notre volonté de vaincre et de re-

conquérir pied à pied surprise,

sur

le

notre

sol qu'il

récente

nous dispute?

conquête deux


DE DOUAUMONT

A

LA FAUSSE-COTE

137

gradés viennent de planter soudain un drapeau

d'étamine aux le sol

cette heure, sur

qu'ont ensanglanté de longs mois de luttes,

nuance de

la vive

cet étendard de fortune

crier à l'ennemi défaillant «

A

trois couleurs.

poterne du Rhin.

»

:

«

semble

Verdun

est la

Gardiens vigilants du pa-

trimoine qu'ont amassé nos pères, fidèles aux traditions

qu'ils

nous ont léguées,

tons pour la liberté du

nous

lut-

monde. Nos pas demain

réveilleront les morts de Lorraine et d'Alsace.

»

Trop rarement, dans cette guerre souterraine de tranchées

et

de mines, d'entonnoirs et de

camouflets, de va-et-vient sur les dévastés,

mêmes

lieux

dans cette guerre d'attente, d'endu-

rance, de souffrance et de patience, l'occasion s'est

présentée de sentir passer sur soi

puissant de la Victoire. Ceux de la si

las

de leur redressement

le

souffle

Marne

étaient

fantastique

qu'ils

n'ont pu comprendre qu'après coup toute l'im-

mensité de

la

tâche surhumaine accomplie par

eux. Le désintéressement du soldat a revêtu,

pendant tant de jours, un caractère quasi sacré qui l'apparente au renoncement de la sainteté.

Mais toire,

là,

on

dans cette bataille de Douaumont, la tient

au cou, on ne

avance, on conquiert

et,

la

la vic-

lâche plus

:

on

ce que l'on conquiert,


LES CAPTIFS DÉLIVRES

138

ce sont des coins de

chargés de

sol déjà tout

passé historique par un flux et un reflux de cent

combats. Alors, de tous ces paroles recueillies, J'ai

eu l'occasion de

regarder sur

une

telle

lire

terrain

le

une

jaillit

de toutes ces

récits,

belle

flamme

claire.

bien des rapports, de

même

bien des visages

:

expression d'allégresse, je ne l'avais pas

encore rencontrée. C'est

la

fleur

poussée sur

le

Douaumont.

cratère de

Le nombre des prisonniers, leur promptitude à se rendre étonnent et réjouissent nos chasseurs et nos biffins. Voici

un capitaine qui ne

ce qu'est devenue sa

compagnie

pas, lui dit familièrement

un

:

«

Ne

d'eux, presque

pas

t'inquiète

vitrier, tu la retrou-

veras à Verdun; on te la rassemblera.

de tout jeunes qui se

sait

y en a mettent à pleurer. L'un

un enfant aux joues

»

Il

roses, qui

porte à peine quinze ou seize ans, se précipite sur le chef de bataillon du 102 e qu'il vient d'aper-

cevoir et se jette à ses genoux en joignant les

mains. Touché de sa jeunesse,

le

commandant

Florentin lui tape sur la joue en riant

:

«

Pauvre

gosse, va-t'en, nous ne faisons pas la guerre

moutards. solliciter

»

Et

le

petit

aux

Boche, rassuré, s'en va

des corvées. Sans les officiers qui les

maintiennent,

ils

n'opposeraient guère de résis-


DE DOUAUMONÏ A LA FAUSSE-COTE

139

tance. Dès que les chefs sont blessés, la défense mollit.

Sur

la

marche du 102

e

bataillon de chasseurs

à pied, voici quelques fragments empruntés' au

commandant

journal du lieutenant Jean Petit, 2 e compagnie.

hommes ciers.

et

Ils

sur leur confiance dans leurs offi-

Le lieutenant

Petit est le

du tribunal de commerce de Cyrien de 1914,

il

de guerre avec

affaires

fils

la

du président Seine. Saint-

a vingt-deux ans, trois bles-

Légion d'honneur,

sures, la croix de la

promu

la

en disent long sur l'élan des

trois

palmes.

Il

la

croix

a précisément été

chevalier de la Légion d'honneur pour les

du 24 octobre, avec

Le 24

octobre

l'assaut à

la

tête

1916

s'est

cette citation

:

brillamment élancé à

de sa compagnie

.

Arrêté par une

position intacte et

puissamment défendue, a attaqué

avec ardeur à

grenade, puis a chargé vaillam-

ment à

la

baïonnette,

la

contribuant pour une large

part à V enlèvement de la position, à la capture de

600 riel

prisonniers et à la prise d'un important maté-

de guerre. Blessé, ne

s'est laissé

évacuer que par

ordre.

Donc,

le

102 e bataillon de chasseurs

matin, dans ses tranchées de départ où

un

violent

marmitage

:

est, il

le

subit


LES CAPTIFS DÉLIVRÉS

140

Heures

où l'homme

terribles

appel à

doit faire

toutes les ressources de son énergie.

Quel plus bel exemple de force morale

de

et

stoï-

cisme que celui de tous ces jeunes hommes attendant,

minute suivante qui

sans sourciller ni se plaindre,

la

doit peut-être leur apporter la

mort

Les minutes semblent des

11 h. 30,

le

marmitage

plus atroce!

la

siècles.

11

Soudain, un chasseur court vers moi

lent.

lieutenant, le capitaine est blessé

dire que vous preniez

pagnie.

le

15,

h.

toujours aussi vio-

est

:

Mon

«

:

m'envoie vous

il

commandement de

com-

la

»

Quelle joie! Dès lors je ne pense plus aux mar-

moi

mites. C'est bien moi, et

l'honneur de conduire

Jx

Cela m'était bien dû

et

augures.

11 h. 35,

nutes, les enfants!

11

canne

h. :

40! «

.

.

.

l*

je vois «

qui vais avoir

seul,

attaque

ma

le

chère 2 e

meilleur des

mi-

encore cinq

allons,

.

»

Je

me

lève d'un

Debout! tout

le

bond

monde!

et

:

«

Le

moi qui commande ! A moi

ma

»

De chaque trou d'obus mes chasseurs La main en cornet sur la bouche, toutes les directions

brandis

surgissent.

je crie dans

capitaine est blessé la liaison!

:

c'est

»

Je vois des figures radieuses se tourner vers moi,

L

adjudant-chef Adam,

le

casque

défoncé,

la


DE DOUAUMONT A LA FAUSSE-CÔTE

14!

figure tuméfiée, et qui vient d'être retourné trois fois

par un obus, refuse de moi,

se faire évacuer,

il

vient à

au moment de partir, nous nous embras-

et

sons dans une profonde étreinte.

Déjà,

116

le

e

chasseurs, qui doit marcher devant

nous à 800 mètres, décolle sur

dans

le

brouillard

ma

J'assure

boussole ce

En

:

«

avant!

liaison, à droite avec le ve

enfonce

et j'agite

ma

401 d'infane

compagnie ; je sors

angle de marche 46° »

s'

.

à gauche avec la l

terie,

la crête et

»

,

c'est

canne dans

ma

notre tour

:

la direction

des Boches.

La compagnie en

lignes d' escouades

par un, sur

plusieurs vagues en profondeur, se met en

marche

tranquillement.

Nous dépassons nos

crapouillots qui se sont tus,

nous franchissons nos anciennes tranchées de première ligne,

et

nous arrivons sur

les

lignes boches,

ou plutôt sur remplacement où étaient autrefois ces lignes

Ce

.

n'est plus

qu'un bouleversement chaotique de

trous de torpilles béants, entonnoirs gigantesques

6 à 7 mètres de profondeur dans de où des mottes de

grammes paille.

de

la terre glaise,

terre de plusieurs centaines de kilo-

ont été projetées

comme

de simples fétus de


LES CAPTIFS DÉLIVRÉS

142

Spectacle jdanétique ou lunaire?

franchissant avec peine

les

On

croit rêver

en

bords de pareils cratères.

Attention surtout de ne pas glisser dedans!

humain, dans de pareils

L'esprit

ainsi volontiers la représentation

lieux, s'imagine

du néant dans

l'au-

delà.

La zone

crapouillotée une fois dépassée,

change, nous nous trouvons dans véritable désert

Le

le

le

décor

Sahara. C'est un

au travers duquel nous avançons.

sol est nivelé par les obus, sa surface est recou-

verte de matériaux de toutes sortes, brisés, pulvérisés

havresacs

tête!

.

boches,

débris

bottes,

..,

humains, un bras! une jambe! une

tout est haché.

.

Notre marche continue, l'arme à

Le

équipements,

casques,

fusils,

:

la bretelle.

brouillard est toujours aussi dense

et

je

me

dirige toujours à la boussole.

mon

J'aperçois

gauche, à

la

camarade

Bourdier

1™ compagnie, qui me

dit

sur

ma

bonjour en

agitant sa canne.

Avec boche

la

mienne, je pique au passage un calot

cela

me

servira d'étendard.

J'entends soudain des exclamations sur

ma

droite,

je regarde, que vois-je! émergeant du brouillard

venant vers nous, des Boches! Oui, Boches, cueillis par

le

116

e

!

ce

sont

et

des


DE DOUAUMONT A LA FAUSSE-COTE Les

prisonniers

en

défilent-

143

par

colonnes

quatre. Les chasseurs exultent. Puis on franchit le

fameux

laire,

bois de la Caillette, le bois Triangu-

on arrive au ravin du

quart d'heure et

116

e

le

pour prendre

Ou

avant.

juge de

102

la

l'ardeur d'un

l'heure

il

Bazil. Là, repos

du lieutenant

son capitaine qui

prendre

commandement de

prendre

A 116

1 e

notre

Petit

:

il

et tout

à

n'a guère songé à s'apitoyer

blessure de le

le

du mouvement en

nouveau chef,

Mais son capitaine eût été

d'un

dépasse

bataillon

tête

la joie

a toute

e

le

sur la

permis de

lui a

compagnie.

la

premier à

le

com-

:

h.

40 nous

Nous dépassons

repartons.

le

Nos 75 doivent nous précéder dans

chasseurs.

marche en allongeant leur

tir

à

raison de

100 mètres en quatre minutes. Nous avançons donc chapeau des 75

et

lentement,

coiffés

toujours couverts par

le

par

le

brouil-

lard.

Le ravin de

la

«

Fausse-Cote

»

est

V atteindrons-nous? Nous savons, en défendu par de foires tranchées boche s'y

tient

et

notre objectif, effet,

qu'il est

quun

bataillon

en permanence, en réserve.

Nous franchissons un

bois déchiqueté, je passe le


LES CAPTIFS DELIVRES

144

long des tranchées retournées , un canon boche brise

gueule fêlée.

est là, la

Notre marche en

tirailleurs est p arfaite

manœuvre sur

vraie

Le

comme

terrain

le

.

C'est de la

à Salmagne

commence à descendre.

sol

Brusquement

le

nuage de bitume

se

déchire

et

devant nous, à 100 mètres en avant d'un profond

— une

ravin, des silhouettes se découpent, tirailleurs couchés,

ligne de

ce sont les Boches qui

nous

attendent!

Un

au

officier seul est debout,

son casque, un revolver à

la

centre, coiffé

hommes qui

semble parler à ses

Il gesticule et

de

main. se

dissimulent.

Je flaire

le

danger, mais rien n'arrête mes chas-

avançant

seurs. Ils crient tous en

venez avec nous! venez par Je

me

laisse entraîner

ici!

:

«

à crier moi-même.

L'officier allemand, toujours debout,

des gestes

incompréhensibles ,

qu'il refuse avec

même, à son crie à pleins

où je

répond par

tour,

,

et

lui-

nous fait signe d'avancer. Je

poumons à mes chasseurs

peine ai-je

démêler

crois

morgue nos propositions

donc, mais tuez-le donc

A

Camarades,

»

!

:

«

lirez

»

prononcé

ces paroles

de mitrailleuses boches se déclenchent.

que des feux


DOUAUMONT

DE

commande

Je

jetons par terre

un

éclair, le

Couchez-vous!

«

:

FAUSSE-CÔTE

A LA

145

Nous nous

»

j'ai juste le temps de voir, dans

et

crâne d'un de mes Sénégalais voler en

éclats.

A mes

cotés,

mon

caporal fourrier se roule sur

Son bras saigne.

sol en criant.

le

L'officier boche, à

coups de revolver qui m'étaient destinés, lui a traversé

le

bras droit

Bien

et brisé le

commandés par

bataillon,

cet énergique

Allemands

les

attaquer à

la

poignet gauche.

résistent.

grenade. La

lieutenant,

»

rale. le

la

baïonnette!

»

C'est

Les chasseurs enlèvent

profond ravin de

cède et

commence

cette retraite, par

«

la

ordonne

le :

jeune «

En

une ruée géné-

la crête qui

Fausse-Côte.

opérer

à

les

Y' s'débinent,

un chasseur. Et

crie

lieutenant, dressé d'un bond,

avant, à

faut

Il

lutte est très dure.

Brusquement, l'ennemi décolle.

mon

chef de

la

domine

L'ennemi

retraite.

un boyau que battent

Mais

aussitôt

nos fusiliers mitrailleurs, se transforme en capitulation. les

Six cents Boches levant

mains en

poumons c'est

le

sonnent II.

:

«

l'air

se

mettent à crier à pleins

Kamerad!

tumulte de la

charge.

brusquement

la

Au

»

La

joie est délirante,

victoire,

les

clairons

loin, sur les ruines 10

du


LES CAPTIFS DELIVRES

146

fort de

Douaumont

courent

f arrache fonne

qui se détachent sur

mon

une feuille de

aussitôt ces quelques mots

Nous avons enlevé

le ciel,

des marsouins.

les silhouettes

carnet «

:

et

je grif-

Objectif atteint.

ravin de la Fausse-Côte

le

et

cap-

turé ses défenseurs après une magnifique charge à la

baïonnette

.

terie

»

Nous nous

Je fais parvenir

installons

pli

le

au delà de

la bat-

au commandant.

Quelques minutes plus tard je vois accourir sur position

la

même

capitaine

le

Voirin,

capitaine

adjudant-major du bataillon. Je vais à

me

disant

petit!

lui. Il

:

«

me

très,

vasse

Je

ma

de

les

vie!

ordres

:

«

Se

lignes de tranchées les félicite

résister,

je

les

que

.

est

leur

»

embrasse tous

ma joie

et

fortifier sur place et creuser

tous de leur courage et je ne

L'étreinte que ces telle

mon

ce sont les minutes les plus

Sur-le-champ, j'appelle mes sous-officiers

deux

en

les briser

très bien,

»

J'en pleure de joie, belles

mains à

serre les

C'est très bien,

les

uns après

braves gens

les

peux

y

autres.

me donnent

est

à son comble.

Je redescends alors dans

le

ravin; car un de mes


.

DE DOUAUMONT A LA FAUSSE-COTE agents de liaison vient de

Ravin Je

était là, blessé, le

C'est

me

prévenir que

allemand qui commandait

bataillon

sur

le

le

147

chef de

camp du

le sol.

trouve, étendu de tout son long dans la boue

un homme de forte

taille,

la

moustache

coupée en brosse au-dessus des lèvres. Sa culotte

demi arrachée

et

est

à

un pansement plein de sang entoure

sa cuisse gauche qu'une balle a fracassée.

Je

me présente a

à lui

:

Lieutenant Petit, des chasseurs à pied.

Pensant quil comprend mal

le

»

français, je con-

tinue la conversation en allemand. Il se

nomme

Capitaine Mathesius, faisant fonction de chef

u

à son tour

:

de bataillon au 154 e régiment

«

d' infanterie prussienne

Je vous reconnais! C'est vous qui étiez sur la

crête tout à V heure, le revolver

de vos hommes, ral fourrier à

— —

«

«

c'est

mes

Non, non! Si, si,

au poing, au milieu

vous qui avez blessé

mon

capo-

côtés.

ce n'était

pas moi.

je vous reconnais, vous

êtes

officier

de réserve?

«

— —

«

Non (avec orgueil), aktive offizier. De quel pays êtes-vous ? Etes-vous marié?

«

Je suis Silésien, j'habite Breslau

femme, je

n'ai pas d'enfants.

»

avec

ma


LES CAPTIFS DÉLIVRÉS

148

L'Allemand

lui

remet

sa croix

de fer

et

son

portefeuille.

Je les enverrai à votre

guerre,

lui dit

Comme dans

il

généreusement

demande

pastilles

emportées. Puis

qu'il avait

après la

lieutenant Petit.

à boire, Petit lui glisse

bouche quelques

la

femme

le

il

le fait

au menthol transporter

au poste de secours par quatre chasseurs. Le

commandant Mathesius mourut dans Cependant,

le

deuxième

la nuit.

objectif atteint,

chasseurs dansent et jonglent avec leurs

Un

long

cri retentit

:

On

les

a.

Le passage de

l'avion de la division volant à quatre-vingts tres

pour repérer

les

d'entendre

le

mè-

fanions qui indiquent les

nouveaux emplacements conquis achève de enthousiasmer.

les

fusils.

les

Le bruit du moteur empêche passager, mais on voit

de ses mains qui applaudissent. C'est qui vient d'en haut,

comme

dans

les

le la

geste gloire

légendes.

# =&

A

la

=&

droite de la division, en liaison avec la

division de Lardemelle, le

(107

e

groupement Doreau

bataillon de chasseurs et

401 e régiment)

doit enlever les pentes nord et est de la croupe


DE DOUAUMONT

A LA

FAUSSE-COTE

de Vaux-Chapitre, puis gravir

du ravin de

est

la

149

pentes nord et

les

Fausse-Côte et les tenir jusqu'à

l'ouest de l'étang de Vaux.

«

Onze heures

...

trente-cinq, disent les carnets du 107

e

bataillon

de chasseurs, un silence solennel; encore cinq minutes... encore quatre... encore trois... Enfin,

un coup de corne

un

retentit,

unique, mais qui sort de toutes

répond,

et

Ton

part.

ment détrempé

.

c'est

:

qu'on patauge dans

genoux, évitant

A

Le

.

les trous faits,

d'obus innombrables.

on aperçoit une masse

compacte, en colonne par quatre

grise,

«

abominable-

boue jusqu'au-dessus des

montée de bras levés au Kamaradesi

Mais

les poitrines, lui

terrain est

avec peine, mais gaiement

la

peine cent mètres

qui semble

cri

pliants, et

pagnies

*

Eh quoi!

ne se

ils

!

Cela crie en

ciel.

et sur-

chœur

:

ce sont là les Boches!

défendent pas

:

les

voilà sup-

il y en a la valeur de plus de deux comL'enthousiasme grandit au point qu'à

peine s'aperçoit-on que

la

tranchée de Sophie est

dépassée et qu'on est déjà à Et voici à gauche

les

de chasseurs alpins

:

la

tranchée d'Eisa.

camarades du

1

pour un peu on

e 16 bataillon

se jetterait

à leur cou. Les officiers, non sans peine, arrêtent le flot;

on souffle

sur

droite,

la

et l'on se

met en ordre.

Puis,

on aperçoit d'autres camarades

:


LES CAPTIFS DELIVRES

150

401 e avec lequel on va marcher mainte-

c'est le

nant. Vite, on prend langue

re

la

:

l

s'aligne et se tient prête à filer avec le

Le moment vient

beau 401 e

le

premier, et

les abris

boches fourmillent de matériel abandonné, de mitrailleuses en parfait sont les Boches? sans encombre,

à

la

même

Mais où donc

état...

Le ravin du

comme

Bazil est traversé

parade, et peu après

nous voici à l'étang de Vaux. Déjà! Mais on de

taille

.

au deuxième objectif:

d'aller

comme pour

bah! ce sera

compagnie

est

à aller plus loin. Cependant les balles

de mitrailleuses, parties de notre droite, nous rappellent à la réalité. L'ordre est exécuté

deuxième objectif est tenu, organisons-le. Et main,

l'outil à la l

re

les

hommes du 401

compagnie du 107

creusent

la

terre

et se

on sera en

réagit,

e

bataillon de

lui

et

le

de

la

chasseurs

l'ennemi

Si

fortifient.

mesure de

e

:

vite,

répondre.

Encore des Boches qui viennent, des

blessés,

puis des équipes sanitaires boches transportant

nos propres blessés. Ah! mais voici un

deux même, interroge,

il

dant.

les

guetter

comme une

«Moi, couper caboche, a

:

.

que le commandant les un noir qui, son couteau à la

et tandis

y a

main, semble ticule

.

» Il

officier,

faut toute l'autorité

tiré

proie et ges-

sur

mon adju-

du colonel du 40 I e


DE DOUAUMONT A LA FAUSSE-COTE

pour

le

151

renvoyer à son corps. Les prisonniers

continuent à affluer, et ce sont des grenadiers, des soldats d'un corps d'élite,

de leurs pattes d'épaule et

monogramme

le

la patte

du

col l'indi-

quent. Peu à peu, la nuit tombe; mais les tran-

chées s'approfondissent saura file

à

qui parler.

Le

et, si

l'ennemi vient,

silence s'établit.

il

La brève

de nos derniers blessés s'allonge vers l'ar-

rière. Allons! la

journée a été bonne,

les pertes

pendant l'attaque; on s'endort après une

nulles

croûte cassée, espérant que le lendemain «ça collera aussi bien

»

et

qu'on

les

rejettera dans la

«

plaine.

On

s'endort

:

qu'est le

fameux Rêve de Détaille,

avec ses faisceaux bien alignés et son bivouac de jardin public, auprès

dans

la

boue

froide, sous le

continue, après

A

du sommeil de

ces enfants

bombardement qui

la victoire?

l'extrême droite du groupement Doreau,

marche donc

le

«

beau

»

à la droite le refrain est le

401 e

.

De

même;

change, plus grave ou plus aigu.

la

gauche

seul le ton «

Enivrés de

confiance par l'intensité de nos feux d'artille-


152

LES CAPTIFS DÉLIVRÉS

rie

auxquels ripostait faiblement l'ennemi,

hommes l'heure «

piétinaient

décisive.

Quel

sale

temps

!

»

impatiemment,

Onze heures quarante disaient les

ils

:

hommes voyant

quinze mètres, leur voi-

l'épais brouillard qui, à lait le terrain

les

attendant

devaient progresser.

Ils,

ne

comprirent qu'après, devant l'ahurissement des prisonniers, avait

de

l'utilité

écran opaque qui

de cet

masqué leur départ et leur avance. Au coup du commandant, tous les hommes bon-

sifflet

dissent sur le parapet, se resserrent d'abord en

grappes autour de leurs chefs de section pour se détendre ensuite en lignes d'escouades, en ordre,

comme

à la

s'écrient les

manœuvre.

hommes en

une étreinte hâtive

Hardi,

«

les

»

main dans

se serrant la

et

gars!

enthousiaste.

A

peine

avait-on franchi de vingt mètres notre ancienne ligne que les bras éperdus des prisonniers s'agitaient, attestant déjà,

avant

rielle, l'écrasante victoire

çais.

conquête maté-

»

Une

autre paraphrase complète le tableau de

ces rapides capitulations

qu'on reflet

la

morale du soldat fran-

vit

dans

les

«

:

C'est là, dit-elle,

yeux boches

de nos baïonnettes...

Le régiment a franchi,

la

puissance du

»

lui aussi,

le

ravin

du


DE DOUAUMONT Bazil.

A

LA FAUSSE-CÔTE

153

doit atteindre le ravin de la Fausse-Côte

Il

à son extrémité,

où ce ravin rejoint l'étang de

Vaux. De ce côté,

c'est le fort

de Vaux,

un grand sphinx» au-dessus de

blable à

dormantes, qui exerce sa fascination.

«

«

ces

semeaux

Rien ne

s'oppose à notre marche. Nous devons attendre

que

le

75 allonge. Nous repartons en obliquant à

gauche. L'étang de Vaux apparaît, entouré de trous d'obus qui le prolongent en marais. Rien

devant nous

:

notre coin semble désert. Plusieurs

se plaignent de ce

que l'on

nous ne sommes pas rante

dans

:

le

s'arrête

seuls.

— Treize heures qua-

notre bataillon poursuit l'avance. Alors, brouillard qui se dissipe, nous découvrons

vallon de l'étang, la ligne de

le

chemin de

gauche, une jetée à l'extrémité,

du

fort

au premier

Mais prudence, et souvenons-nous que

objectif.

la

fer à

masse grise

de Vaux, à droite, semblable à un grand

sphinx qui garde ces marais,

de Vaux dans

le

fond.

A

les ruines

du

village

gauche, une mitrail-

leuse crépite, on s'arrête, elle s'éteint. Et, l'arme

à

la bretelle,

nous remontons

la

pente nord-est

de l'étang. Posément, nous jalonnons nos deux lignes, tandis

que l'avion qui plane bien près de

nous peut saluer, au milieu des panneaux blancs,

de

petits

drapeaux aux couleurs françaises.

»


LES CAPTIFS DELIVRES

154

L'avance n'est pas aussi aisée sur tout

du régiment. La

11

e

compagnie

le front

a fort à faire

pour franchir

la tranchée Hindenburg et pour masquer l'ouvrage delà Sablière qui menace de flanc l'attaque. C'est un avant-goût de la résis-

tance opiniâtre que

rencontrera dans toute

la

de

Fumin

région de

la

Vaux. Le sphinx qui domine

fort de

de

de Lardemelle

la division

Woëvre voudra garder son

la Sablière

est

secret.

un repaire de

L'aspirant Vasseur arrive

le

devançant ses hommes.

et

Le réduit

mitrailleuses.

premier devant

Un Allemand

l'abri,

est là,

baïonnette au canon, qui en défend l'entrée.

A

nous deux

!

crie Vasseur.

— Déjà

précipite baïonnette basse, mais tête le

le

Boche se

s'affaisse, la

mise en bouillie par une grenade qu'a lancée

soldat Keyser accourant au

chef.

de

il

du

les plaines

Dans

fusil.

l'abri, les

Allemands

Une ou deux

la rescousse.

sections

secours de résistent à

son

coups

du 230 e arrivent à

Les grenades de Keyser, lancées

d'une main calme, tombent avec une implacable précision. Après chaque explosion, ce sont des cris et

des râles dans la fumée, jusqu'à ce que

les fusils se taisent et

par un,

les bras

en

que

les

Boches sortent un

l'air.

Ces combats locaux ne retardent pas l'ensemble


DE DOUAUMONT A LA FAUSSE-COTE de l'opération.

«

On

155

touchait à l'objectif, rap-

porte une note du régiment qui, à elle seule, fait tableau.

En

descen-

ravin de la Fausse-Côte, les

hommes

Le spectacle

dant dans

le

fut splendide.

découvraient là-haut, à gauche, leurs camarades

vainqueurs du fort de Douaumont. Électrisés par cette vue,

ils

qu'au terme

ne firent plus qu'une course jus-

fixé à leur élan.

tachait, sur la cote 330,

Devant eux

se dé-

un grand nègre agitant

un drapeau au bout de son

fusil,

pendant qu'un

autre, debout sur la crête en arrière, sonnait la

charge éperdument. Si le fort

de

»

Douaumont magnétise

ainsi à dis-

tance les combattants dont les objectifs sont à sa droite et sa gauche, quelle emprise ne doit-il pas

exercer sur ceux qui sont chargés de l'aborder, l'attaquer, le reprendre?...


III

DOUAUMONT

LE FORT DE

Douaumont égale,

de sa hauteur que Souville seul

:

domine

il

vues au loin sur

les

deux

rives

du

les vallons et les

fleuve;

il

a des

creux qui peu-

vent servir de cheminements aux Français, et

protège la

Meuse ou

sera pas

vers le Bazil. Tant

pris,

Douaumont ne

Verdun

est

que Souville ne

protégée.

sera pas repris,

nuera d'être menacée

il

de ses flancs, coulent vers

les ravins qui,

Tant que

Verdun

et la bataille

conti-

de Verdun ne

sera pas gagnée. Tous les combattants de

Verdun

ont subi sa hantise. Mais lui-même, n'est-il pas

hanté? Des prisonniers ont raconté que l'un de ses couloirs voûtés sert

bataillon.

de cimetière à tout un

Un coup heureux de

notre artillerie,

avant notre assaut du mois de mai, a incendié un

dépôt de munitions

:

la

garnison presque entière

aurait péri et l'on aurait poussé pêle-mêle les


LE FORT DE

DOUAUMONT

157

cadavres calcinés et recouverts de chaux dans

une cave qu'on aurait murée. Cependant e

ments de notre

5

22 mai n'ont pu

vérifier la

les régi-

division qui sont entrés le

chose

eux-mêmes,

:

après une lutte sanglante, débordés par tours

du

quête.

fort,

en-

ont dû abandonner leur brève con-

Douaumont porte malheur.

chenfels

les

Pareil au Dra-

qui dresse au-dessus du Rhin sa tour

ruinée où, jadis, Siegfried tua

au rocher de

la

le

dragon, pareil

Lurlei où la sirène, procédant

par avance aux perfides rigueurs de sous-marine, attirait traîtreusement

la

guerre

les bateliers

qui abandonnaient au courant leurs bateaux sans direction,

il

est déjà tout

rhénanes. Sa chute,

du

sortilège.

enveloppé des terreurs

le soir

Gomme

les

du 25

février, tient

brumes de l'automne

paraissent le reculer et l'agrandir, les combats sans

nombre dont

il

fut le

témoin

une atmosphère d'épouvante

et de

lui

composent

danger qui

le

rendent plus redoutable, plus inaccessible.

Comment

cette

légende de Douaumont, qui

risquait de rendre plus troublantes et plus aléatoires les tentatives faites

pour

le

délivrer, est-

Douaumont? Quand il eut décidé l'opération qui devait restituer à Verdun la ceinture de ses forts et de ses collines, le comelle

devenue

le

culte de


LES CAPTIFS DÉLIVRÉS

158

mandement fut

Chacune

choisit les troupes d'assaut.

Douaumont

fut spécialement préparée à son rôle.

donné au régiment colonial du Maroc qui

avait reçu la fourragère

pour Dixmude

et Fleury.

Et ce phénomène étrange fut constaté

d'élection réservé en

loin de

:

Douaumont devenait

servir d'épouvantail,

récompense aux plus braves.

Puisqu'on leur avait donné Douaumont, avait plus qu'à y aller.

Avant de

sûrs d'y parvenir et d'y rester. l'avaient vu,

ils

saient pour sa

ils le

le lieu

il

n'y

ils

étaient

De Fleury

nivelé,

partir,

connaissaient.

Ils le

connais-

menace permanente, pour son

orgueil et sa puissance; et voici que, rapprochés

de

par

lui

le

don

qu'ils

en avaient reçu,

ils

en

parlaient avec familiarité, presque avec insolence.

On

le plaisantait,

Car on la

le

on

le foulait

campagne, près de

proche Saint-Dizier où

Maroc le sol

était

même

aux pieds.

prenait chaque jour en effigie. Dans

au repos,

Stainville, le

gros

bourg

régiment colonial du

le fort avait été

tracé sur

avec ses dimensions exactes. Des exercices

de régiment apprenaient aux bataillons à établir entre eux les accords nécessaires, aux unités et

aux divers groupes de

spécialistes à se

diriger

sans hésitation sur leurs objectifs en prenant des points de repère sur les saillants et sur les dis-


LE FORT DE

DOUAUMONT

159

tances. Chacun des trois bataillons reçut sa mis-

Au 4 (commandant Modat) e

sion spéciale.

dra

la

mise en marche,

le

Tandis qu'une compagnie

signal

revien-

du départ.

sénégalaise

une

et

compagnie de Somalis occuperont nos tranchées au net-

et procéderont, à la suite des marsouins,

toyage des obstacles que ceux-ci dépasseront, le bataillon Modat, sans se laisser distraire de son

but, atteindra le premier objectif qui, au delà

ennemies, amènera

des premières défenses

autres bataillons à distance d'assaut. er

1

bataillon

fort, le

(commandant

Groll)

les

Puis,

le

contournera

le

dépassera, se portera à 200 mètres envi-

ron en avant, et rain. Enfin le 8

e

organisera solidement le ter-

bataillon

(commandant Nicolay)

sera chargé d'attaquer le fort, de front, de s'en

emparer, de de

le

nettoyer et de

le

remettre en état

servir. 11

y eut entre

tion ardente.

invoquait affaires

son

les trois bataillons

Chacun voulait passé,

le

une émula-

fort.

Chacun

non pas seulement

les

de Dixmude et de Fleury, mais cL'autres

actions, plus lointaines, engagées

pour

grande France. Le bataillon

par exemple,

n'avait-il pas déjà fait

Croll,

la

plus

au Maroc son apprentis-

sage pour s'emparer des places fortes? Et

quand


LES CAPTIFS DELIVRES

lbO

empare,

garder. Le 12 juin 1914,

il

s'en

il

avait participé à la prise de la forteresse ber-

il

sait les

bère de Khenifra par

le

général Henrys. Khenifra

une des charnières

est

cette

armature de

maintenue après

la

la

général Lyautey.

lea plus

importantes de

défense du Maroc, créée et

déclaration de guerre par le

Elle

fut

assaillie,

le

23 no-

vembre 1914, avec une violence inouïe, par les tribus descendues de l'Atlas. L'assaut dura trois

jours et les assaillants durent se retirer avec de

grandes pertes.

A

cette occasion, le

commandant

Groll et son bataillon furent l'objet des citations

suivantes

:

Croll, capitaine

Resté

roc.

1

er

bataillon colonial

du Ma-

commandant d'armes de Khenifra,

23 novembre 1914, le

au

le

avec trois compagnies, alors que

détachement de sortie attaqué par un ennemi

très

supérieur en nombre venait de subir un gros échec,

perdant tous

les officiers

supérieurs , a

à la garnison son calme,

son

énergie morale grâce auxquels les

attaques

et

communique

sang-froid il

et

son

a déjoué toutes

tenu l'ennemi en respect pendant trois

jours jusquà V arrivée des colonnes de secours. 1

er

bataillon d'infanterie coloniale

13 novembre 1914,

du Maroc. Le

à l'affaire d'El Herri, sous

le


DOUAUMONT

LE FORT DE

161

feu meurtrier d'adversaires très nombreux et très mordants, s'est engagé à fond jusqu'à épuisement complet de

ses

considérables

munitions

pour aider au

cés de la colonne

en subissant des pertes

et

repli des groupes

pour protéger

et

le

avan-

convoi de blessés

par l'ennemi; avec ceux de sa

serré de très près

compagnie restés à Khenifra, a réussi, en prenant position en avant

du

blessés et à protéger

saillants très

poste, à assurer la

la

place contre

nombreux

et très

Le général Lyautey

tint à

lui-même au fanion du croix de guerre avec

rentrée des

les tentatives

audacieux

d'as-

.

honneur d'épingler

bataillon

la

première

palme décernée aux troupes

d'occupation du Maroc. La cérémonie eut lieu

au cours

dune grande

revue passée avant

départ du régiment colonial pour

le

le

front de

France au mois d'août 1915.

Cependant

le

bataillon Nicolay a été

choisi.

C'était

son tour, et aucun des trois ne peut être

l'objet

d'une préférence. Le lieutenant-colonel

Régnier qui

commande

compter sur tous

les

commandant Nicolay

le

régiment

trois

au

même

ii.

un

sort

peut

titre.

Le

arrive d'Indo-Chine et ce

sera sa première affaire. Débuter n'est pas

sait qu'il

commun.

Il

a

parDouaumont

dû beaucoup 11

intri-


LES CAPTIFS DÉLIVRÉS

162

guer pour quitter

la

colonie où ses services rat-

tachaient, s'embarquer et prendre sa part de la

grande guerre. D'avance, gloire.

La

très grand, très

flaire sa proie et la

il

Ta brûlé

vie exotique

et vieilli.

Il

est

maigre, un peu voûté, un peu

blanchi, la moustache tombante; dans les yeux

flamme dorée qu'ont sou-

méditatifs passe cette

vent

les

regards des voyageurs et des rêveurs,

lueur restée des soleils ou des mirages entrevus. Il

marche comme

s'il

suivait ses songes et l'on

devine où vont ses songes et que rien ne l'arrêtera.

Quand

il

se redresse,

ou d'un prophète, sis

et ses

il

a l'air d'un

hommes

mage

se sentent sai-

de respect. Est-ce l'Orient qui donne aux

chefs cette grandeur, ce prestige quasi sacerdotal,

et

non pas seulement à un Lyautey, à un

Gôuraud, mais à des commandants de bataillons ou de compagnies?

J'ai

commandant

fils

siteur, le

d'Ivry,

de ce charmant compo-

marquis d'Ivry, qui

des Amants de Vérone,

Mourmelon fin

déjà vu cet air-là au

quand

écrivit la il

musique

rassemblait au

son bataillon marocain. C'était à la

d'août 1914. Je lui avais porté

départ. Je ne devais pas le revoir.

l'ordre de

On m'a

ra-

conté que, miné de fièvre, condamné, ne pou-

vant plus marcher mais refusant d'être évacué,

il


LE FORT DE

DOUAUMONT

se faisait hisser sur son cheval,

cher

On

atta-

lignes.

voyait apparaître au pas ce cavalier fantôme,

où nul être vivant ne

même

aux premières

ainsi se rendait-il

:

et

163

montrait de jour.

se

mourant

C'était à n'en pas croire ses yeux. Ce

entendait choisir sa mort

:

il

fut tué sur son pié-

destal.

Quand on compte de troupes.

a

vu l'homme, on

l'influence qu'il

se

rend mieux

dut exercer sur ses

Le commandant Nicolay ne

se contenta

pas de régler avec soin et méthode, pour tous les

exécutants, l'économie des divers dispositifs

d'attaque, ni de pousser à la perfection le dres-

sage individuel des fusiliers, des voltigeurs et des autres spécialistes;

il fit

êlre à mille têtes.

«

l'objet,

se

fît

a-t-il écrit,

de son bataillon un seul

La désignation dont

il

était

l'enthousiasmait, sans qu'il

illusion sur les difficultés qui l'attendaient,

ni sur les droits équivalents des autres bataillons

du régiment

à

un choix aussi désirable.

»

Chaque

soldat sait ce qu'on attend de lui, mais entend

concourir au

but

commun.

Il

n'y

a

plus de

volontés individuelles, mais une volonté collective

réglée par le chef.

officiers

Le commandant

ont pris langue avec les

et ses

officiers

129 e régiment qui sont entrés dans

le

du

fort le


LES CAPTIFS DELIVRES

164

22 mai

:

conférence utile pour éclairer

équipe sur

velle

la

nou-

précautions essentielles à

les

prendre, et qui rapproche

but en

le

possible puisqu'une première fois

montrant

le

a été réalisé,

il

bien que sans lendemain. Les photographies du fort par avions ont été officiers et

minutieusement étudiées

gradés ont été conduits en automo-

biles jusqu'à d'autres forts similaires

de Verdun qu'ils ont le

:

commandant,

«

visités.

toute

de

la

région

En somme, conclut

l'affaire

présente

se

bien, solidement montée, soumise à la chance

comme

tout projet de bataille, mais à une chance

qui valait dix fois qu'on la tentât. cette majesté de visionnaire qui

sonne

il

autour de

contribue à

Et de toute

émane de

répandre

et

à

sa per-

propager

de Douaumont. Dans la Douaumont communie tout le régi-

lui la religion

religion de

ment

»

colonial,

composé d'éléments

hétéroclites,

où se mêlent classes, races, croyances, mœurs, accents

:

une

même

foi a fait ce

miracle.

Le groupe d'attaque comprendra e

e

2 compagnies du 8 bataillon,

du génie, leuses,

la

la

les

re

l

et

compagnie 19/2

moitié de la compagnie de mitrail-

une section de lance-flammes, un groupe

médical, médecins et brancardiers, un groupe

de liaison, téléphonistes et signaleurs. Le fort de


DOUAUMONT

LE FORT DE

Douaumont, devant

pour

d'avance divisé, secteurs, l'un

prise

les

en oblique,

superstruc-

les

le cavalier, l'autre

est

en deux

assaillants,

comprenant surtout

compris

tures, y

abordé par son flanc

être

gorge

ouest et par sa

165

comprenaut

surtout les casemates du rez-de-chaussée et

Au

sous-sol.

le bataillon Croll à

Après

tance.

dernier le fort

Le 23

100 ou 200 mètres de

premier

le

devait

que

le

départ, le bataillon devait suivre

objectif

pour

donc s'ouvrir

e

le 8 bataillon

atteint,

dis-

ce

encercler

aborderait directement.

octobre, le régiment gagna ses positions

de départ. Dans l'après-midi, on s'en souvient,

un heureux obus de 400 détermina un incendie dans

le fort.

Sans doute,

un dépôt de munitions

comme au mois avait-il

de mai,

sauter. Peut-

être la garnison avait-elle subi des pertes. C'était

d'un

bon

présage.

Dans

leurs

parallèles,

les

troupes confiantes attendaient l'heure fixée avec impatience. Si

minutieusement achevée que

paration,

si

toutes les affaires

soumises à

soit leur pré-

complètes que soient leurs prévisions,

la

humaines demeurent encore

chance,

dant Nicolay des

comme

projets de

le dit le

comman-

bataille.

divine est réservée. Or, dans l'affaire de

La part Douau-


LES CAPTIFS DÉLIVRÉS

166

mont,

il

semble au début que tout conspire à son

échec. Puis la fortune tourne, le destin parle, la victoire s'envole.

Le brouillard qui pouvait favoriser en avant, qui, sur presque toute

la

marche

ligne, la

la

aucun

favorisa, ne cause en face des marsouins effet

cier

de surprise. Sentant venir l'attaque, un

allemand dont

la

hardiesse

hommes,

cher, enlevant ses

compagnie occuper

les

faillit

venu avec

était

laise,

sa

tranchées de départ que

nos soldats avaient évacuées pour laisser

Quand

libre à l'artillerie.

offi-

nous coûter

la

le

champ

compagnie sénéga-

préposée àleur garde, revient pour se mettre

en place, elle trouve la place prise.

combat s'engage chez nous, au

Un

violent

lieu d'être porté

d'emblée chez l'ennemi. Fâcheux début qui risque de tout compromettre par

le retard.

Le comman-

dant Moclat, qui doit conquérir avec son bataillon le

premier objectif

et entraîner après lui le régi-

ment, sent l'inquiétude l'heure fixée

le

gagner à mesure que

— onze heures

quarante

— appro-

che. L'heure vient, et l'on se bat toujours. N'im-

porte taillon

:

il

donne

Groll,

s'il

le

signal; derrière lui, le ba-

est nécessaire,

renforcera les

Sénégalais et les Somalis. Les premières vagues se

dressent,

franchissent

nos

parallèles

d'où


LE FORT DE

DOUAUMONT

monte, avec un bruit de

fumée des grenades le

Boche qui

boueux

«

De

la

se

Prévenu par

tranchée Augusta,

il

le

Mais

un adver-

est

tumulte, massé

attend notre attaque.

flanquement,

terribles feux de

précipitent à

et bouleversé.

aux marsouins

fait face

saire redoutable.

dans

lutte corps à corps, la

éclatées,

l'assaut sur le terrain

167

écrit le capi-

commandement du baque le commandant Modat fut blessé,

taine Alexandre qui prit le taillon après

prennent d'écharpe frappent à

la tête

les

premiers assaillants et

un grand nombre de ceux qui des boyaux glissants

s'efforcent de

sortir

mouvement ne

se continue bientôt plus

trous d'obus en trous d'obus.

Modat sent que

moment

le

est

la

même

pensée

et

dès qu'ils voient

:

le

que de

Le commandant décisif; les com-

mandants des compagnies Dessendie ont

:

Maufredi

le

chef dé

bataillon

demander

coûte,

entraînent leur compagnie violemment,

ils

l'effort

suprême coûte que

sans souci des pertes. Les officiers, les gradés et

quelques

hommes

pleins de bravoure enlèvent à

leur suite, malgré la boue, dans irrésistible, les sections qui

un mouvement

avaient ralenti leur

débouché. Le spectacle est alors admirable ne voit que des dans

le

files

:

on

d'hommes debout chargeant

brouillard à la recherche des groupes


LES CAPTIFS DÉLIVRES

168

d'ennemis qui tirent toujours. Les pertes aug-

mentent rapidement

dix officiers, dont

:

le

chef

de bataillon, sont mis hors de combat. La compagnie Maufredi perd tous ses officiers et près de la

moitié de son effectif,

la

compagnie Dessendie

est

fortement éprouvée aussi, mais l'élan définitif

est

donné,

les

marsouins ne songent plus qu'à

venger leurs chefs

éléments de

d'œil,

les

résisté

au feu de notre

courte

distance,

camarades. En un clin

et leurs

tranchées

qui

avaient

artillerie sont encerclés à

indépendamment

les

uns des

autres, par les fractions de soutien des

compa-

gnies de tête et des compagnies de soutien. Les

premières vagues, après avoir massacré ou pris tout ce qui était devant elles, s'élancent sur le

premier objectif à mille mètres environ...

»

Elles

disparaissent dans le brouillard, ayant soin de relier

fortement

la

chaîne.

Derrière elles, les

groupes ennemis qui ont été dépassés pent toujours les

la

,

et qui occu-

tranchée Augusta, paient cher

feux de flanquement

si

meurtriers qu'ils ont

exécutés quelques minutes auparavant. Cependant,

«

les survivants

de l'attaque boche étaient

dignes des marsouins qui

coup refusèrent de grenades jusqu'à

la

se

les

combattaient

:

beau-

rendre et lancèrent des

mort.

Un jeune

officier

d'une


DOUAUMONT

LE FORT DE

169

belle stature, cerné par trois coloniaux et

de se rendre, répondit en «C'est impossible.

»

Un

autre officier ennemi tira

groupes d'Allemands

qu'il fût massacré. Certains

mains quand

Heureux d'avoir

la vie

breux cigares. Quand

:

de son revolver jusqu'à ce

sans relâche les balles

levèrent les

sommé

regardant fièrement

les

ils

se virent cernés...

sauve,

ils

nom-

offrent de

la section laissée

de

»

en arrière

première vague,

s'élance

à la

hommes

présentent des cigares à leur chef qui

suite

doit se fâcher

mais qui

ment

est

pour

les

la

remettre dans la réalité,

désarmé par un courage

insouciant, et c'est avec la

fumer

»

objectif.

que

ment mixte

«

si

atteint,

rapide-

permission de

la section se dirige vers le

Le but

les

en liaison avec

le

premier 4 e régi-

à gauche et le 321 e régiment à droite,

on s'organise sur place

et

creuser une tranchée sous

la

l'on

commence

à

protection des petits

postes qui sont détachés en avant.

Au

tour maintenant du bataillon Croll.

Il

a

achever, avant de partir, de briser la résistance

de

la

tranchée Augusta. Le

commandant

un

tertre, a près

poste, à peine abrité par le

à son

de

lui

téléphoniste Pain, coiffé de l'écouteur, qui

cherche à percevoir

les

marmites. Devant eux,

appels dans les

le

fracas des

casques boches parais-


LES CAPTIFS DÉLIVRÉS

170

sent et disparaissent. Quelles belles cibles! Les

camarades font de

esclave forte.

Il

le

coup de feu

et

Pain regarde

consigne. La tentation est trop

sa

prend son arme

toujours coiffé de

et,

l'écouteur, sans changer de position et à moitié

découvert, le

il

chef? Le

cement de

glisse

une cartouche. Mais que dira

commandant

a vu le geste.

Un

fron-

sourcil et le téléphoniste reprendra sa

tâche ingrate. Non, rien, seulement une imperceptible détente dans les traits, rire.

Lentement il vise,

Dans

la

tire,

comme un

sou-

un casque disparaît.

marche en avant, à

l'est

.

de l'ouvrage

de Thiaumont, à cause du brouillard et des difficultés

parmi

de terrain, un certain mélange se produit les unités

avec déviation de direction.

Il

faut modifier les ordres primitivement donnés et

boucher d'extrême

Du bord

urgence un trou dans

les

de son trou de marmite qui

lui

sert d'observatoire, le chef de bataillon fait

un

lignes.

signe, l'agent de liaison

Demousaix, tout jeune,

presque un gosse, s'avance, ordres sans être vu, se

et

Il

l'homme

l'a

repéré.

Il

Il

les

vînt

n'y pense pas.

respectueusement penché,

ordres à transmettre.

mitrailleur

Pour recevoir

faudrait que

coucher contre son chef.

genoux les

il

a

il

A

écoute

va partir, mais un

est atteint

de plusieurs


LE FORT DE

DOUAUMONÏ

171

balles et s'affaisse sur place, perdant son sang à flots.

Un

place...

autre agent de liaision vient prendre sa

Quelques jours plus tard, au retour de

»

la bataille, le

chef de bataillon cherche un empla-

cement. Voici

Un

les

trou d'obus

anciennes lignes allemandes.

le petit

:

coureur est toujours

dans son attitude déférente, simplement

comme

projectiles.

Un salut,

il

Il

a été respecté par les

faut partir. Tout à l'heure,

brancardiers divisionnaires viendront relever

les le

était fatigué.

s'il

là,

affaissé

corps du courageux enfant...

Le bataillon occupé par le

fort

à

le

Groll dépasse le premier objectif

bataillon Modat.

droite

et

Il

doit contourner

à gauche, et le

bataillon

Nicolay, qui doit le suivre de près, abordera de front

de

Douaumont. Suivant

l'artillerie, les

le

barrage protecteur

patrouilles, précédant les va-

gues, progressent de trous en trous. Soudain,

un

obstacle plus considérable se dresse. Nul doute c'est le fossé

du

fort.

se déchirer sous l'action

fort

est là.

du vent qui

se lève.

si

thème de

souvent répété à Stainville. Ce fossé

amoncellement de

grillages

Le

Le caporal André Barranger qui

dirige la patrouille de tête connaît le

manœuvre

:

Le brouillard commence à

— ne

terre,

de pierres et de

doit pas être franchi.

Il

sait

que


LES CAPTIFS DÉLIVRÉS

172

ce sera

mission du bataillon Nicolay, ainsi en-

la

cadré par

les

compagnies du bataillon

Groll qui

s'ouvriront pour couvrir ses flancs et dépasser l'obstacle.

n'est pas

Il

retourne

se

là. Il sait

Que

server en avant.

le bataillon

:

Nicolay

encore qu'il est chargé d'ob-

pas sur cette masse?

verra-t-il,

ne grimpe

s'il

sait aussi

Il

que

fossé

le

doit être flanqué de mitrailleuses, que le fort est

un éboulis

peut-être miné. Qu'importe! Par laisse glisser

fort

dans

avec ses

hommes. Les cœurs

les poitrines.

Le

se

battent

fossé est vide et

Les marsouins montent sur

il

muet.

passeront

le fort. Ils

dessus. Ils

de

biffins a

la division

devancé

les

poi-

coloniaux. La gauche

Passaga est formée par

ment du commandant Mégemond

le

qui

groupe-

comprend

19 e et 23 e compagnies du 321 e régiment et

les

5e

Une

n'y sont pas venus les premiers.

gnée de

compagnie de

mitrailleurs.

de s'emparer d'un ouvrage, fort, et

de donner

la

main

il

le fort

ne voit pas

la

a pour mission

la batterie, à l'est

du

au bataillon -Groll en

avant de Douaumont. Quand rie,

Il

il

arrive à la batte-

le bataillon Croll.

Va-t-on laisser

échapper? Se conformant aux ordres du

commande

23 e com-

lieutenant

Rambaud

pagnie,

sous-lieutenant Leseux laisse

le

qui

la

le

gros


DOUAUMONT

LE FORT DE

173

de sa section aux abords immédiats du fossé qu'il abordait par

mes,

Dumont

et

Meydon,

quarts comblé la

et

il

met

lien,

le

Jayr et

grenadiers

les

franchit le fossé aux trois

le

pied sur l'observatoire et

Avec quelques autres

petite tourelle à Test.

hommes, dont

hom-

sud-est et avec trois de ses

le

le fusilier mitrailleur

caporal Laly et

Jul-

le fusilier

capture un sous-officier allemand et sept

il

hommes,

tandis que Jayr ouvre le feu sur

créneau de mitrailleuses, pratiqué à

petite

la

tourelle de l'observatoire. Peut-être est-ce

un

donner

l'alarme à l'ennemi avant d'être en force. Mais la petite

troupe ne quitte ces lieux fameux où

est rentrée la les

première que lorsqu'elle aperçoit

premiers éléments du bataillon colonial.

La patrouille du caporal Barranger de

elle

la

compagnie Dorey. Le

l'initiative

de franchir

tourner afin de

le fort

profiter

fait partie

capitaine Dorey prend

au lieu de

le

con-

de l'ahurissement de

l'ennemi, tout en cardant la liaison avec les unités voisines.

Le mouvement

malgré

chaos du terrain. Sa compagnie traverse

la

le

s'exécute

en

ordre,

superstructure effroyablement bouleversée et

reste

en surveillance sur

qu'à l'arrivée alors sa

le fort

pour ne

du bataillon Nicolay.

marche au delà du

fort

le

quitter

Elle reprend elle

se rac-


LES CAPTIFS DÉLIVRÉS

174

corde avec

Le

autres compagnies et le 321 e

les

.

bataillon Nicolay avait pris place, le 23 oc-

tobre au soir, soit dans l'Abri des Quatre-Che-

minées qui

sur

est

la

pente

de

descendant au ravin des Vignes,

Froideterre

met en

route, par le brouillard, sur

glissant.

se

Il

dans

soit

boyaux avoisinants. Le 24, à l'heure

dite,

un

les

se

il

terrain

hâte afin de pouvoir établir sa

liaison avec le bataillon Groll qui doit le précéder

dans

la

marche sur

le

fort.

Quand

il

arrive

aux

parallèles de départ, le bataillon Groll a déjà dis-

paru dans

la

brume. Le brouillard

n'y voit pas à vingt mètres. trous plus larges

aux chaussures

donc resserrer

crevé de

marche.

en largeur

profondeur. Trois sections de il

terre très lourde

la

et ralentit la

le dispositif

pagnie s'égarent,

sol est

on

encore et plus profonds que

ceux du ravin des Vignes, colle

Le

s'épaissit,

la

Il

faut

comme

en

première com-

faut les rappeler. Enfin,

une

erreur de boussole, déviée probablement par voisinage d'un revolver, la

direction

compte de rectifier?

hésite.

Il

de

amène

le bataillon

Thiaumont. Le chef

la fausse direction.

se

rend

Dans quel sens

a gagné la tête de la colonne, et

La boussole

exactement? Quel

s'affole.

est,

au juste,

le

le

dans

la il

se trouve-t-on

retard?

Il

con-


DOUAUMONT

LE FORT DE

naît la pire angoisse, celle de

175

manquer

à sa mis-

préparé et outillé

sion. Seul, son bataillon

est

pour attaquer

nettoyer et l'occuper.

S'il

est

le fort,

le

n'arrive pas à temps, la bataille tout entière

compromise, l'ennemi peut

se ressaisir et se

consolider dans l'ouvrage, et ce serait à recom-

mencer. Le commandant Modat, au départ, a traversé fois, le

une inquiétude analogue. Pour

la

seconde

régiment rencontre l'obstacle qui conduit

à l'échec. Pour vais sort.

la

seconde

Douaumont

fois,

il

conjure

comme un

brouillard se déchire

le

mau-

a son destin marqué.

Le

rideau, le fort

apparaît dans une éclaircie. Et tandis

que

les

marsouins fascinés regardent, deux prisonniers boches,

amenés à

l'arrière,

remarquant

leur

ébahissement, montrent du doigt Douaumont en leur disant

:

«

Gapout!

»

La marche

est aussitôt

reprise après redressement.

De

plus en plus le brouillard se dissipe. Quel-

ques nuées qui s'étirent encore aux flancs de

comme du

la colline,

coton traînent

trompant sur

la

Douaumont apparaît comme une montagne sainte, Douaumont approche, Douaumont est là. Le fort est abordé par la gorge. Quand le bataillon y parvient, quand il comprend ce qui distance.

va s'accomplir, pris soudainement d'un frisson


LES CAPTIFS DELIVRES

176

religieux qui se s'arrête.

communique de

l'un à l'autre,

il

Les notes du commandant Nicolay cons-

tatent cet extraordinaire arrêt, unique peut-être

dans l'histoire, du conquérant devant sa conquête

Arrachant l'un après l'autre leurs pieds de boue,

écrit-il,

pour

les

:

la

marsouins gagnèrent de l'avant

profiter de leur chance. Nulle

canonnade sur

leurs lignes, pas de résistance d'infanterie; le bar-

rage boche intense, mais loin en arrière,

dans

le

ravin des Vignes, Il était près de quinze heures,

le

détachement Dorey venait d'entrer dans

coup férir; ments

il

était installé

et tourelles,

en

le

fort sans

au sud-ouest des loge-

belle attitude,

recevant aucun coup de fusil.

Il

ne tirant ni ne

ne pouvait être

question de prendre d'abord méthodiquement la for-

mation de combat primitivement arrêtée;

au contraire attaquer au plus

tôt

il

fallait

avant que l'ennemi

fut revenu de son ahurissement.

Sous couleurs

vol bas de l'avion de France

le

croisant

au-dessus du fort,

le

aux

trois

bataillon

aborda le fossé en lignes de colonnes de section par un, chefs en

lada

les

tête et

l'arme à

la bretelle,

puis

il

esca-

pentes r aides du rempart de gorge. Arrivé

au haut de

ce rempart,

il

avait devant lui les ouver-

tures béantes des casemates

du rez-de-chaussée

et y


DOUAUMONT

LE FORT DE en avant,

Devant

cour extraordinairement bouleversée.

la

ce chaos qu'était

bole de volonté et

recouvré

les

',

regardèrent.

177

têtes

devenu

le

de puissance de colonne

Le chef de

s

grand

fort,

immobilisèrent

mouvement,

rejoignit la tête à cet instant

hommage

et d'inoubliable,

trailleuses

il

et

bataillon, qui s'était arrêté

momentanément au fond du fossé pour rendant

sym-

merveilleusement

à ce que

donna

vérifier le

tout en

et,

la vision avait

de sacré

mi-

l'ordre d'attaquer les

du fond des casemates, commen-

qui,

çaient à entrer en action. Fusiliers, grenadiers et lance-flammes eurent tôt

fait de réduire cette première résistance sans conviction qui ne nous coûta le

que quelques hommes. Puis

cavalier fut abordé et chacun, d'une manière gé-

nérale, se rendit à son objectif qu'il sut

malgré

le

changement d orientation de

de route,

coui^s

les insistances

retrouver

En

l'attaque.

rencontrées

aux

tou-

relles

furent dominées l'une après l'autre. Une sec-

tion

de

1

500

.

mitrailleuses

sous

son feu,

à

mètres, des attelages allemands sur lesquels

.

Le bombardement

indifférents

de n.

se mit de la partie. Mais,

aux gros obus,

qu'ils sentaient

rien

prit

aussi notre artillerie.

tirait .

nos

grande,

les

leur activité ni de

tout

à

œuvre

leur

marsouins, ne perdant leur sang-froid, 12

sub-


H8

LES CAPTIFS DÉLIVRÉS

mergèrent magne.

le

joyeux de plumer

fort,

l'aigle d'Alle-

.

Le commandant Nicolay a rédigé un rapport officiel

qui relate sans commentaires

fort et

opérations du bataillon

les

du

la prise

mais

:

il

a

voulu exprimer ce qu'il avait éprouvé au cours de cette journée mémorable. Son style grandiose se ressent

a vécu.

Il

de

la

poésie de ces pays d'Orient où

s'harmonise avec sa personne dont

prend naturellement

Le grand dont

il

la

fort est,

est difficile

il

majesté.

d'apparence, un

de reconnaître

le

ouvrages. Le fossé esta demi comblé a coulé dedans.

il

La superstructure

fouiliis

tour et les :

l'escarpe

est défoncée.

Les gros calibres l'ont pour ainsi dire coupée en deux, mettant à découvert

les

entrées des galeries

des bâtiments. Les abris des tourelles de 75 et

de 155 ont résisté; ceux des tourelles des mitrailleuses sont assez

simples et

peuvent

encore

opposeront de nications

détériorés. Les

deux coffres

double de

contrescarpe

le coffre

la

abriter

des

la

mitrailleuses

résistance, mais leurs

sont coupées.

Quant aux

qui

commusous-sols,

lorsque l'on y pénétrera, sauf ceux des casemates effondrées, on les trouvera à peu près intacts.


LE FORT DE

La superstructure

et

DOUAUMONT

179

ouvrages extérieurs

les

sont donc à nous. Le chef de bataillon se rend

au rez-de-chaussée pour organiser l'attaque des logements.

confie

Il

Perroud

capitaine

mission

cette

qui

difficile

commande

au

compa-

la

gnie 19/2 du génie, en lui adjoignant une demisection

de marsouins. Le maître-ouvrier Paul

Dumont

et le

sapeur-mineur Jean Ygon, de cette

compagnie du génie, marchant les premiers, s'emparent de nombreux prisonniers et d'un important matériel.

à

fait,

:

bataillon remonta alors sur le cavalier

la lutte avait cessé vers

au rez-de-chaussée où que

culier

les

il

dix-neuf heures ;

premières résistances rencontrées

laquelle

un sous -lieutenant

avaient

été le

rapidement

capitaine

que sa mission

était

il

revint

apprit que tout allait bien

une contre-attaque à

heures,

soir, et déjà

fort.

Le chef de

et

heures du

avant qu'elle ne fût venue tout

importait de fixer les consignes pour la

il

garde du

était cinq

Il

tombait

la nuit

la

,

en parti-

grenade au cours de

du

génie

surmontées.

fut blessé, Vers

vingt

Perroud venait rendre compte terminée

et qu'il

était entière-

ment maître de l'infrastructure du fort. Il avait fait une trentaine de prisonniers dont quatre officiers.


LES CAPTIFS DÉLIVRÉS

180

Une vingtaine de Boches avaient en dans

coffre nord de

le

outre été pris

contrescarpe par

la

le

déta-

chement mixte coloniaux -génie du sergent Fainot de la l sitôt

re

compagnie Le chef de bataillon .

se rendit aus-

auprès des prisonniers pour séparer

de leur troupe,

mann

de V artillerie,

Prollius,

maire en V absence du

les officiers

guidé par

le

haupt-

commandant

intéri-

et il visita le fort,

titulaire parti à

temps en per-

mission.

Cet heureux

permissionnaire était

Marquardsen. Le

chef observateur dans s'était réfugié

dans

le

le

toyage des firent

bureau de

le

et

la

Komman-

deux

officiers,

capitaine Perroud entreprit le netsous-sols.

aucune

Les

difficulté

quatre

pour

mandant intérimaire déclara à une progression fort lui

major

secteur de la division,

dantur avec un médecin-major lorsque

le

capitaine d'artillerie Prollius,

si

se rendre. qu'il

Le com-

ne croyait pas

rapide de notre attaque

paraissait hors

d'atteinte.

l'explosion produite la veille par

ne

officiers

Il

:

le

confirma

un obus de 400

:

à la suite de cette explosion une partie de la gar-

nison avait évacué

le fort.

Lui-même

n'y était

rentré que dans la matinée et pensait remettre les défenses

en état quand

les

marsouins étaient


DOUAUMONT

LE FORT DE

En

arrivés.

outre,

informe

il

le

Nicolay qu'un incendie, allumé

181

commandant veille,

la

con-

tinue de couver dans le voisinage d'un dépôt de

6 000 grenades. aident

La

hommes

Ses

faits

prisonniers

coloniaux à l'éteindre.

les

visite intérieure

du

un spectacle

fort offre

hauptmann Prollius marche le predominé par la haute taille du commandant Nicolay. C'est tout un monde de lugubre. Le

mier, suivi de près et

que cet

couloirs, de casemates, de salles,

inté-

Le commandant Raynal, à Vaux, a tenu

rieur.

cinq jours dans un réduit moins vaste, moins aéré,

moins

tacts, sauf

aisé à défendre.

séabonde accompagne sont dans

un

le

Les corridors

repoussant. Les

plus grand désordre

équipements abandonnés gisent en

et

Toutes

les visiteurs.

de saleté

état

chambrées sont dans armes

Les murs sont in-

une voûte défoncée. Une odeur nau-

les inscriptions

des murs ont été repeintes

en allemand. Voici une

salle qui a

voulu résister;

bondée de cadavres à demi calcinés,

elle est

masques sont encore attachés sur vision de

cauchemar

à vivres est assez serves

:

viande,

et d'épouvante.

abondamment

lait,

:

tas.

haricots,

les

les

visages,

Un magasin

fourni de con-

légumes

frais,

eau

minérale, pain de guerre, sucre, thé, café, etc.


LES CAPTIFS DELIVRES

182

Demain, on

fera l'inventaire

du bureau de détruits

:

du butin. Les papiers

Kommandantur

la

n'ont pas été

demain, on entreprendra leur dépouil-

lement. Dans

les couloirs,

en

encore

leuses sont

une dizaine de

batterie;

à

mitrail-

cause

du

bombardement,

les

précaution de

descendre des tourelles, sans se

les

Allemands avaient

pris

douter qu'ils se désarmaient. Décidément,

la

ils

n'avaient pas imaginé que les Français auraient

l'audace de franchir une distance de près de trois

kilomètres et d'arriver au fort d'un seul élan.

Et

le

commandant

Nicolay, dans cette visite

comme un grand

nocturne,

prêtre chargé des

exorcismes, dissipe les fantômes, chasse les lé-

gendes d'outre-Rhin, ouvre

les portes à la claire

histoire de France. Plus de Drachenfels, plus de

Lurlei, plus de maléfices ni de sortilèges, le fort

désinfecté va redevenir un des bastions de Ver-

dun.

Toutes

les issues

des logements sont gardées à

l'intérieur par des sentinelles

pagnie du génie, extérieure.

A

les

que fournit

marsouins assurant

onze heures du

soir, le

envoie son dernier compte rendu gnies continuent à se retrancher. tion

la la

comgarde

conquérant

les compaAucune réac:

allemande ne menace directement notre


DOUAUMONT

LE FORT DE

commune

conquête, œuvre

du régiment

:

des trois bataillons

du bataillon Modat qui a ouvert

voie en brisant les premières lignes prix de pertes sérieuses

passé partie autour

pour entre

s'établir

;

du

au delà

les fossés

mandes

83

du bataillon

;

la

ennemies au Groll qui a

fort et partie sur le fort

et interposer ses

de l'ouvrage et

tranchées

les lignes alle-

du bataillon Nicolay enfin qui a

pris

possession de la forteresse. Ainsi fut conquis le fort de

Douaumont dans

l'après-midi du 24 octobre . Ainsi fut délivré

premier des deux

captifs.

le


IV LENDEMAIN DE VICTOIRE

— Un quart d'eau minérale? Bien que de marque allemande,

elle est

agréable et se laisse boire.

C'est le commandant Nicolay, nommé commandant du fort, qui, le lendemain de la victoire, fait les

honneurs de

sa

maison.

s'est installé

Il

dans un local aménagé au premier étage, déblayé

en gros,

et

que

la

découverte de deux batteries

d'accumulateurs a permis d'éclairer. Le lieute-

commande

nant-colonel Régnier qui colonial

du Maroc, son

le

régiment

officier adjoint, le capi-

taine Monnerat, et son état-major, ont établi leur

commandement dans un abri du sousles visites commencent voici le lieutenant Pichery, commandant une section de pro-

poste de sol.

Déjà

:

jecteurs, envoyé pour assurer les liaisons optiques et l'éclairage intérieur, voici le lieutenant

chargé du

service des tourelles.

d'état-major, des officiers

Des

du génie, de

Manhès officiers

l'artillerie,


LENDEMAIN DE VICTOIRE

185

se succèdent avec des missions spéciales.

organiser

le

faut

Il

en

en munitions,

ravitaillement

vivres, en eau, créer des pistes, rétablir les

com-

munications, nettoyer, rapproprier, reconstruire.

Du

haut en bas,

le fort est étudié, scruté, inter-

A la lueur des bougies, les cortèges comme les bandes de touristes dans

rogé, palpé. se suivent, les

châteaux du Rhin. Mais, dans

aux cadavres

faut prendre garde

les couloirs,

et

il

aux débris de

toutes sortes.

— Nous

n'avons pas encore

la

lumière élec-

commandant Nicolay, mais nos prédécesseurs ont eu

trique partout, explique en s'excusant le

l'attention de

nous

gènes auxquels ne tiel.

groupes électro-

laisser des

manque aucun organe

essen-

Leur remise en marche ne saurait tarder,

nous attendons un personnel spécial d'un

et

moment

à l'autre. Quant à la saleté des appartements, elle dépasse toute imagination Il

un

:

faudra plusieurs jours pour

les

L'état extérieur et intérieur

des constatations suivantes

Aspect général.

ment bouleversés

et

— Tous

véritable fumier.

remettre en état.

du

fort est l'objet

:

les

abords sont complète-

comprennent une succession

terrompue d'entonnoirs de diverses dimensions.

inin-

On


1

LES CAPTIFS DELIVRES

80

encore nettement l'emplacement des fossés

distingue

dont

les

mauvais

côtés et le fond sont en fort

état, les

maçonneries étant presque entièrement éboulées, talus

détruits

réseaux de

fil

et

la

d'escarpe

grille

de fer n'existent plus.

inexistante.

On

les

Les

trouve cepen-

dant quelques blocs de béton surmontés de morceaux

de piquets en fer ayant

fait partie

locaux de l'entrée du fort le

des créneaux. Les

sont détruits. Cependant

passage voûté de l'entrée, protégé par un mètre de

sable et résisté,

1

m. 50 de béton de ciment, semble

au moins dans

sa partie centrale. Les

mités sont obstruées par

les

avoir

deux extré-

décombres. La façade des

locaux bétonnés, qui étaient en maçonnerie ordinaire

m. 80

de

d'épaisseur, a été très fortement

endom-

magée. Les Allemands l'avaient remplacée ou doublée par un

mur

de sacs à terre, dans lequel des créneaux

pour mitrailleuses ou pour grenades avaient été parfois

ménagés. Les piédroits en bétons de 2 m. 50 sur 2 m. 50 ont été détruits en grande partie. La traverse terrassée symétrique

dement par rapport à

du massif des locaux de commanl'axe

Etat intérieur du fort.

du

fort n'existe plus.

— Le

fort se

compose de

locaux supérieurs, en maçonnerie ordinaire, protégée

par une couche de sable d'un mètre d'épaisseur et une

couche de béton de ciment ayant 2 m. 50 d'épaisseur dans

la partie

avant et

1

m. 50 dans

la partie est.

Au-

dessous de ces locaux se trouvent des locaux en soussol séparés

m. 80

par une voûte en maçonnerie ordinaire de

d'épaisseur.


.

LENDEMAIN DE VICTOIRE Tous le

les

187

locaux du sous-sol sont en parfait état, sauf

dernier local à Test dans lequel se trouvait un appro-

visionnement de grenades qui a sauté.

est possible

Il

que

remonte aux premiers temps de l'occu-

cette explosion

pation du fort par les Allemands

tous les prisonniers

:

avaient en effet raconté que l'explosion d'un dépôt de

grenades à l'intérieur du fort avait

de nombreuses

fait

explosion a entraîné

Cette

victimes.

la

chute de

la

voûte séparant ce local du local placé immédiatement au-dessus. Sur les piédroits de ces locaux apparaissent traces des

visibles les

très

déflagration des grenades...

de ce local, tous état.

Deux

les

flammes provenant de

En résumé,

locaux du sous-sol sont en parfait

d'entre eux servaient aux Allemands de

gasin aux vivres et de magasin à eau

En les

du rez-de-chaussée,

ce qui concerne les bâtiments

déblaiement.

mates de

ont

ma-

.

.

extrémités de chacun des couloirs est et ouest sont

encombrés par

les

la

exception faite

les

Ils

la partie

décombres.

On

fait

aucune

Toutes

ouest sont en parfait état

obus de gros calibre tombés sur

de leur

s'occupe

paraissent intacts.

le

les et,

béton

case-

malgré

et qui

y

des entonnoirs de profondeurs assez variables, fissure

ne se remarque sur

mates. Seule, Tune

d'elles,

percée par des 400, vers

sur

les

le

les

voûtes des case-

milieu du fort, a été

façades.

Le trou a 4 ou

5 mètres de diamètre... Presque en face, dans un local servant autrefois de magasin à munitions d'infanterie,

un autre coup de 400, venant un peu obliquement, a percé

la voûte...


LES CAPTIFS DÉLIVRÉS

188

En résumé, inutilisables

bon

état et

faits

par

trois

locaux d'habitation seulement sont

au rez-de-chaussée. Tous

autres sont en

les

on y retrouve les lits de casemate à quatre places d'autrefois ainsi que les lits en bois à deux étages les

Parmi

bon

Allemands...

les abris à

munitions,

état, les autres éboulés.

uns sont en

les

Les magasins de

la

tourelle de 155 n'existent plus, mais la tourelle

a

Celle

résisté.

réparable.

de 75 est endommagée, mais

La casemate de Bourges

a eu son

mur

de façade en béton armé détruit en partie. Des

murs en

sacs à terre avaient été édifiés par les

Allemands pour

le

remplacer

et le doubler.

La

plupart des communications bétonnées ont été

coupées. Les Allemands avaient projeté trois passages souterrains, mais un seul était en construction au

moment

de

la prise

du

fort

fond du couloir d'accès du sous-sol, les

:

partant du

il

desservait

locaux de gorge actuellement détruits.

Les citations de ce rapport

officiel,

27 octobre après une vue des lieux

rédigé

le

faite la veille,

répondent par avance aux tentatives d'explication

que vont donner

les

Allemands par

le

moyen de

l'agence Wolff et de leurs journaux sur leur défaite

du 24 octobre.

«

Les

forts

de

Douaumont


LENDEMAIN DE VICTOIRE et

18&

de Vaux, diront-ils, ont joué dans

la bataille

de Verdun un rôle important aussi longtemps qu'ils furent,

comme

des défenseurs.

Verdun,

ils

forts français,

au pouvoir

Afin d'affaiblir la position de

durent être rendus inoffensifs. Privés

de leurs moyens de combat et en grande partie détruits,

ils

n'offraient à l'assaillant, au point de

vue tactique, qu'une valeur limitée dès

Verdun

tant où l'attaque contre

pue

(1)

.

.

.

était

l'ins-

interrom-

»

L'Allemagne avait claironné dans tout l'univers les s'est

noms de Douaumont

et

de Vaux. Elle

chargée de leur assurer une publicité incom-

parable, colossale. Et

pour

sants deviennent

Douaumont, de

elle

en

vous

mauvais

aucune importance précisément quand

;

avez forts

noms noms de

arrière

:

défaites,

entendu

Vaux, parler?

démembrés,

nous allions

les

retentis-

ces

des

machine en

aussitôt elle fait

c'étaient

quand

les

sans

abandonner

Français se sont avancés.

Ils nous gênaient; positivement ils nous gênaient. Nous serons beaucoup mieux en arrière. Les

Français se sont

venus quand

(i)

même

le retrait

trop pressés

de notre ligne

Agence Wolff, 3 novembre 1916.

:

ils

sont

commen-


LES CAPTIFS DÉLIVRÉS

190

çait

de

Simple

s'accomplir.

coïncidence

:

ils

avancent, nous reculons. Coïncidence toute fortuite; s'ils avaient

eu

la

patience d'attendre,

auraient trouvé place nette. Je ne sais

la

si

mands

est

histoire

comme

coutume des

d'accommoder

mener

pour

le

pays.

n'était

nullement

quand

le bataillon

«

Le

quand

plus tard

Nicolay

ses

nous avons

de Douaumont

le

»

réoccupa. Le génie

même

statisticiens

triompher

fourniront la

des tonnes de fer qu'il a reçues en regard de

incomplètes démolitions. Quant à son

très

importance, blir.

les

l'in-

Nous

détruit en grande partie

français qui l'a construit pourra

liste

bataille.

la

fort

En

l'histoire.

comme

travaillerons pour la vérité, travaillé

historiens alle-

ainsi

en guerre, nous n'avons pas

tention de leur laisser

ils

.

Dans

le

les

Allemands

bureau de

la

se

chargent de

l'éta-

Kommandantur,

fort

bien tenu, un dossier de plusieurs centaines de pièces,

uniquement consacré à Douaumont,

a été

dressé avec bordereau et couverture. Déjà interprètes volontaires se sont mis à

le

les

traduire,

avant qu'il soit expédié au Quartier Général de l'Armée.

On

le

dépouille en hâte et l'on y fait des

découvertes intéressantes. Dans un mémoire sur le fort,

composé en septembre 1916,

les raisons


LENDEMAIN DE VICTOIRE

191

de conserver cet ouvrage sont énumérées avec un soin extrême.

y a du plaisir à

Il

minutieux.

aussi

L'auteur

l'usage qui en serait fait

La valeur du

fort,

y

lire

n'avait

un

travail

pas

prévu

un jour.

est-il dit,

abstraction faite de la

grande importance politique de sa possession, réside dans

de dominer par notre

la possibilité

rain situé devant lui, grâce établis

dans

les

artillerie le ter-

aux observatoires excellents

Une

tourelles cuirassées.

surprise de

notre première ligne d'infanterie ne peut être empêchée

que par ce moyen. De plus,

mesure

restreinte,

un bon

le

une

fort assure, dans

abri à nos réserves, à deux

kilomètres de notre première ligne.

Vu

la

proximité de

l'ennemi, l'absence de tout point d'appui entre la pre-

mière ligne

et le fort, l'état tout à fait insuffisant des

défenses d'infanterie du fort lui-même,

encore aujourd'hui, à tout instant,

la

il

faut entrevoir

possibilité

d'une

surprise...

Excellent

dence

du

:

mémoire qui recommande la prumanque, ni la valeur politique

rien n'y

fort, ni l'intérêt,

pour

l'artillerie,

de ses mer-

veilleux observatoires, ni celui de ses abris les réserves.

mière ligne

mand

Pas de point d'appui entre et le fort

:

le

pour

la

pre-

commandement

alle-

s'en est préoccupé, car

surprise d'une attaque, et le

il

faut prévoir la

18 septembre,

le


LES CAPTIFS DÉLIVRÉS

192

général von Lochow, d'attaque

manière

est,

commandant

groupe

le

donne Tordre d'organiser d'une première ligne qui

très puissante cette

doit être susceptible de tenir par elle-même

La

...

:

ligne atteinte à présent doit être tenue et ren-

forcée par une défense acharnée...

Le développement

des travaux visera à établir plusieurs positions compre-

nant chacune plusieurs Il

lignes...

importe tout d'abord

— notamment

teur Thiaumont-Bergwald (Vaux-Chapitre)

bien

dans

le

— de

sec-

ren-

première ligne qu'elle puisse résister

forcer

si

même

à de fortes attaques et de diminuer les pertes des

relèves

la

en construisant des boyaux et des tranchées

d'approche... Le temps qui nous sépare de la mauvaise saison et les forces importantes qui peuvent être mises

encore en première ligne doivent être dernière énergie en vue d'activer

que des

difficultés

avec

la

travaux, de façon

ne surgissent pas en hiver, ou en cas

de diminution des ...

les

utilisés

effectifs...

La continuation des attaques ennemies

doit,

aux

termes d'un ordre intercepté par nous, être attendue avec certitude sur postes de

la rive droite

commandement

l'attitude à tenir

de

la

Meuse. Tous

les

doivent donc mettre au point

au cas où l'adversaire déboucherait sur

un point de nos

positions,

ou

même

au cas où des

attaques généralisées de sa part réussiraient. Ce calcul doit

prévoir

minutieusement

concevables et préparer dans

toutes les

les

éventualités-

moindres

détails

les


.

LENDEMAIN DE VICTOIRE contre-mesures

les plus pratiques. Il Éa ut

193

à ce sujet faire

connaître ses intentions aux unités voisines, afin que ces dernières puissent,

le

aux contre-

cas échéant, collaborer

attaques...

La bles et

situation exige qu'on

ménage

des forces disponi-

constamment prêtes à un nouveau coup de

collier

acharnées au travail, et cela partout. La relève des

divisions qui, jusqu'ici, avait lieu

faut plus compter.

fréquemment,

Le général von Lochow

Il

le

tomne

qui lui valut l'ordre

suivant, les feuilles de chêne.

pereur,

opéra-

les

Mérite auquel l'Empereur ajouta, l'au-

huit jours avant la bataille,

bre,

24 octo-

le

1915

dirigeait en janvier

tions devant Soissons, ce

pour

n'y

Allema-

jouissait en

gne d'une grande réputation avant bre 1916.

il

.

Le 17 octo-

comme

accompagné du Kronprinz,

devant Verdun

les

«

inspectait

troupes de choc

Lochow commandait,

général von

l'Em-

ce

»

que

le

dernier

adressa

au visiteur une harangue enflammée

dont

le

texte

juste

à

«

temps

parvint au

pour nous

Nous soupirons tous,

moment où fois

il

fort

de Douaumont,

être

communiqué.

disait le général, après le

nous sera permis d'attaquer une

de plus, dès que Votre Majesté jugera que

moment II.

est

venu,

»

le

Malheureusement, ce sont 13


LES CAPTIFS DÉLIVRÉS

194

moment

nos généraux qui ont jugé

le

a ainsi des coïncidences,

mais fâcheuses.

moins ne

venu.

Il

pour tout

sont-elles pas fâcheuses

y

Du le

monde. Son ordre

est-il assez clair?

doit pouvoir résister

La première

aux attaques ennemies. Ces

attaques sont certaines et prochaines. voir toutes les éventualités.

Et

le

tembre, des ordres de détail pour inférieurs

faut pré-

général von

les

le

20 sep-

échelons

:

Ce qui continue toute l'étendue construire en

à presser le plus, c'est d'établir sur

du front

même

la

toute première ligne et de

temps

qu'elle les obstacles et dé-

fenses accessoires qui en font partie. faites sur la

Somme

que

moyen

c'est le

nemi de culbuter

la

la

Les expériences

ont à présent démontré à nouveau

le

plus sûr de rendre difficile à l'en-

première

Le 25 septembre,

mandant

Il

commande le secteur ajoute,

Planitz qui

ligne

le

ligne...

général

Hancke, com-

e

33 division de réserve, indique, avec

l'ordre d'urgence des travaux à exécuter, l'em-

placement des lignes successives.

ment

Il

n'est nulle-

question, dans ces ordres donnés à la fin

de septembre, de prévoir l'abandon du terrain occupé. Et voici un ordre du 23 octobre 1916


LENDEMAIN DE VICTOIRE veille

— du général von Zwehl, com-

de l'attaque

mandant

VII

le

e

195

corps de réserve, qui achèvera

de prouver à quel point

Allemands étaient

les

que jamais à défendre

alors résolus plus

et assu-

rer leur conquête.

25 e D. R.

— 83

D'après des renseignements

e

R. R. 23/10 1916.

d'agents,

il

faut s'at-

tendre à une attaque française à Verdun. La position

de combat doit être tenue à tout prix. L'infanterie et

ment

à repousser

munitions et

les

Transporter

Krupp

le

en

et Brody),

leuvre) et ouest)

une attaque française (préparer

les

grenades à main).

nades à l'avant. mitrailleuses

les

mo-

mitrailleuses doivent être prêtes à n'importe quel

plus grand

nombre

Les réserves réserve

et

les

possible de gre-

compagnies de

au Thiaumont-Hang (abris

au Ablain-Sclilucht (ravin de

la

Cou-

au Minzensehluclit (ravin du Helly, partie

doivent être prêtes pour une entrée en ligne

immédiate.

Chaque chef de pièce

mitrailleuse

devra se

mettre

doit savoir

en position

(faire

sa

des

essais)..'.

Signé

Eh

bien!

est- on

:

Zwehl.

suffisamment prévenu, de

l'autre côté, d'une attaque française?

Les ordres


LES CAPTIFS DÉLIVRÉS

106

de veiller et de résister à outrance sont-ils

samment

nets? Mais c'est

ici

que Ton

suffi-

voit l'im-

portance des combats ininterrompus livrés par nos troupes en

juillet,

en août, au début de sep-

tembre, pour répondre aux violentes offensives de l'ennemi

les

23 juin et 11

juillet, à ses atta-

ques moins nourries mais redoutables encore des er

1

août et 3 septembre

:

nos soldats ont pris

l'ascendant sur l'adversaire. L'adversaire n'a plus

en état d'infériorité morale Ainsi tout se tient dans le grand drame de Verdun. confiance

Jamais

;

il

l'art

est

.

des préparations n'a été plus utile,

ni mieux appliqué. Les obscures luttes devant Tbiaumont, devant Fleury ont rendu possible la

victoire éclatante

morale du

mont

du 24 octobre. Cette

infériorité

soldat allemand, c'est encore

Douaû-

écrite.

Au fameux

dossier trouvé dans le bureau de la

Komman-

qui en apporte

la

preuve

dantur figurent ces instructions données dès 16 septembre 191 G par

commandant Remarques

Il

est

la

le

général von Vitzhum,

192 e division, sous

spéciales

le

au secteur

le

titre

:

:

indubitable que nos troupes se sont

fait

des

idées exagérées au sujet de la situation tactique de ce

secteur, sur les rapports d'autres troupes, etc.

Le

senti-


LENDEMAIN DE VICTOIRE ment de

que nos

l'adversaire,

sur

leur supériorité

197

avaient rapporté à juste titre du bois d'Avo-

hommes

Le grand nombre de disparus en

court, a fléchi.

preuve éloquente. C'est les officiers, et

le

devoir

en général de tous

est la

plus noble de tous

le

de cœur

hommes

les

qui sont au front, de relever la confiance chez nos trou-

La

piers.

parole, l'exemple et, avant tout, les

récom-

penses décernées judicieusement, devront être

employés

dans une large mesure pour rendre à toute

la

troupe

cette attitude résolue.

Trois circonstances rendent le secteur particu-

lièrement 1°

difficile

:

La marche d'approche pénible,

accompagnée de grosses pertes 2°

;

Le grand emploi d'engins de tranchées de

part de l'ennemi 3°

Le feu de

...

Diverses

de

feu

adverse.

compagnies ont

ennemie

l'artillerie

détachements

et

été

dispersées

n'avaient

sont produites

hommes ne tion

des

les

le

pas

assez

de

le sien.

hommes; guides

:

Les pertes

que l'ensemble des

surtout parce

couchaient pas assez tôt à l'appari-

globes lumineux ou se comportaient mala-

droitement par

se

par

ne sont arrivées aux

chaque section au moins doit avoir se

la

;

l'artillerie

premières lignes qu'avec trente ou quarante ces

souvent

par

clair

de

lune.

La conduite à

détachements nombreux,

pris

tenir

sous les fais-


LES CAPTIFS DÉLIVRÉS

198

ceaux lumineux de l'ennemi, fera l'objet d'une instruction détaillée et très approfondie, de

rampante d'un entonnoir à

la

marche

même que la marche

l'autre par les nuits claires

et la course sont impossibles.

Il

ne faut

pas que ce soient les armes de l'ennemi qui nous enseignent la conduite à tenir en de pareilles circonstances.

La diminution des dans

les

effectifs

ne provient pas seulement,

compagnies, des dispersés

et des égarés,

mais

nombre important de tire-au-flanc. Ce désordre commence déjà dans le fort de Douaumont c'est pourquoi chaque compagnie laissera un poste de encore d'un

;

police, jusqu'à ce qu'elle soit partie avec tout son effectif.

Pendant

la

marche,

l'officier et le sous-officier

gés de la police suivront la

colonne, et

les

char-

hommes

seront répartis de manière que les plus vaillants et plus sûrs, qui

forment toujours

d'appui aux timorés. officiers, ni

le

dernier lieu,

il

ne

faut, chez les

indulgence, ni laisser-aller, mais des mesures

impitoyables envers

dans

En

les

majorité, servent

la

devoir par

la

les

troupes qu'on n'aura pu retenir

bonté.

.

Ces remarques sont l'indice d'un grave relâ-

chement de

la discipline.

Les cas d'abandon de

poste, les désertions abondent. Et le

dement

se

comman-

préoccupe de cet état évident de dé-

pression, à en juger par cet ordre

du général von

Lochow, appuyant avec énergie

les

de son inférieur

:

conclusions


LENDEMAIN DE VICTOIRE

Groupe d'attaque Est.

Q. G.,

199

le

16/9/16.

a Nr. 1349-Secret.

I

'Les comptes rendus présentés par les corps d'armée

sur

au

mesures prises pour diminuer

les

moment où

les

vent que je suis en parfaite les

le tirage-au-flanc,

troupes montent en ligne,

me

prou-

communauté de vues avec

généraux commandants de corps d'armée sur l'im-

portance des mesures à prendre.

Quatre points valeur 1°

sont particulièrement

à mettre

en

:

Agir énergiqtiement

ployer

les

tous ceux contre lesquels levées).

et

impitoyablement

armes ou poursuivre par

les

(em-

voies légales

des fautes auront

été

re-

Les cas particulièrement caractéristiques se-

ront rendus publics, afin d'apprendre à tous qu'il n'y a aucune mesure de pitié à attendre dans tous les cas

de lâcheté; 2°

Relever la discipline, par du rang serré; exercer

continuellement une discipline bienveillante, mais sans

au cours ou en dehors du service (attitude, marques extérieures de respect, conduite); relever le faiblesse,

sentiment de l'honneur et de la tâche à accomplir, difficile situation actuelle,

la

conviction de la nécessité

— particulièrement dans — par des théories

et

la

par un

contact personnel avec la troupe; 3°

Prendre des dispositions en vue de

la répartition

de Tordre de marche et de la détermination de

l'effectif


LES CAPTIFS DÉLIVRÉS

200

des troupes

montantes; répartir

les

troupes dans

abris; prévoir la place des cadres; vérifier à

indiquer

l'effectif;

arrière, etc. cis,

est

Il

par suite de

aux

l'objectif

hommes

les

nouveau

laissés

en

impossible de donner des détails préla

différence qui existe entre les sec-

teurs. L'amélioration de la position facilitera de façon

importante

la surveillance

;

par des postes à proximité de

4° Exercer,

La

zone

de feu, une surveillance active en arrière du front; patrouilles de

sur

gendarmes, cavaliers

les routes. Visite

des trains de

combat

envoyer

et des trains régimentaires

appels fréquents y seront d'autorisations écrites

;

faits.

celles-ci

fréquemment par tous

homme

et cyclistes à

des camps, des abris, des cantines,

Pourvoir

des

devront être examinées

supérieurs;

les

;

tous les isolés

arrêter

tout

trouvé non porteur de permis; ne délivrer au-

cune nourriture aux hommes n'ayant pas d'autorisation; inspecter sans se lasser les localités abandonnées, infirmeries, les

camps

et les abris.

les

Les divisions instal-

leront aussi près que possible des lignes de points de ras-

semblement pour

examen

après

ci,

les

hommes

cl

détermination de l'unité à laquelle

égarés ou débandés. Ceux-

appartiennent^ seront dirigés sur

ils

dont

ils

J'attire

états-majors

de nouveau toute l'attention des généraux

commandants de corps d'armée ces

les

relèvent ou sur des locaux disciplinaires.

mesures.

La

nécessité

sur l'importance de

où nous sommes de tenir

avec nos seules forces nous oblige d'une manière pressante à porter toutes les troupes disponibles jusqu'en


LENDEMAIN DE VICTOIRE première ligne pour

la

201

défense et l'organisation de nos

positions.

Le général commandant

la

192 e division re-

vient encore sur les mesures à prendre pour arrêter cette

démoralisation croissante

192 D. I e

:

Q. G.,

le

21/9/16.

Ni. 3087.

II a

Toute fausse

1)

pitié,

tout pardon,

aller,

toute faiblesse,

tout laisser-

pour quelque motif que ce

soit,

On

devra

rendent les supérieurs complices des coupables. intervenir avec

une main de

lances se produisent 2)

...

On

est

savoir qu'ailleurs efforts

leur

la

se produire.

hommes au

situation

repos, en

est obligé d'exiger

de

mots

Us devront

générale.

la

troupe des

incomparablement plus grands que ceux qu'on

demande,

en masse,

et

on

partout où des défail-

ou commencent à

expliquera aux

simples, quelle

fer,

et

que plus l'ennemi attaque violemment

plus

la

décision

de

la

campagne

est

proche. .

.

.

Une

caractéristique des Français est de faire

com-

prendre aux troupiers que chaque grenade restée sans réponse est un indice de leur supériorité, et que chaque prisonnier blessé

de

la

tombé dans

leurs

mains

est

démoralisation de l'armée allemande...

une preuve


LES CAPTIFS DÉLIVRÉS

202

Combien

commandement

le

français avait rai-

son de ne pas rechercher, pour

24 octobre,

la

supériorité

la bataille

du nombre

préférer la qualité des troupes

et

de

du lui

!

Ces témoignages ne sont pas isolés. D'autres

viennent

les

confirmer, les compléter.

tous tirés des registres de

Douaumont,

Ils

sont

classés,

étiquetés et mis en ordre dans le bureau bien

tenu

du

de

fort

un

drait écrit

la

Kommandantur. Le commandant

lui-même,

major Marquardsen, vou-

le

surcroît de pouvoirs.

Le 19 octobre,

il

:

Étant donnés l'importance du fort et son rôle essentiel

dans

le secteur,

j'estime que

le

fort devrait avoir les prérogatives d'un

commandant du commandant de

place forte.

D'autre part, fort, devrait

le

commandant, en

conserver

le

cas d'attaque

du

commandement suprême de

toute la garnison s'y trouvant, et réunir dans sa seule

main que

toutes les directions de la défense, sans compter

le

commandant du

son long séjour sur

fort, après

place, connaît exactement toutes

les particularités

du

fort et tous les besoins de la défense. Il

faudrait

moment

considérer

comme

attaque du fort

où, sans doute aucun, après

le

bombardement

systématique, l'attaque d'infanterie ennemie se produirait

dans

la direction

du

fort.


LENDEMAIN DE VICTOIRE Évidemment. Après matique, dans

la direction

du

s'est

systé-

déclenchée

fort. Elle est allée

pas donné au

vite, elle n'a le loisir

bombardement

le

française

l'attaque

203

un peu

commandant du

de réunir dans sa seule main

fort

toutes

les

directions de la défense.

Voilà ce que l'on apprend à

Douaumont, tout

en buvant de l'eau minérale bénévolement transportée par les corvées allemandes. Certes,

du

plaisir à dépouiller

les couloirs

du

dues pour

fort,

que

mitrailleuses

les

un

fait.

y a

Dans

on a ramassé dix ou quinze Allemands avaient descen-

les soustraire à

Elles étaient mises

dossier bien

il

notre bombardement.

en batterie, mais

ils

n'en ont

pas fait usage. Aujourd'hui, nous nous en servons. Ainsi en est-il du dossier de la

Komman-

dantur.

Cependant,

les visiteurs

apportent aussi, d'en

bas, leur part de nouvelles. Ils disent le chiffre

des prisonniers qui, déjà, a dépassé 5 000, plus

140

officiers

et ce

disent

chiffre

dont 8 commandants de bataillon,

augmente de jour en

l'importance

du butin

:

dans

jour. la

Ils

seule

journée du 24 octobre, 15 canons dont 5 de gros


canons de tranchée, 140 mitrailleuses

calibre, 51 et

un considérable matériel de guerre compre-

nant

fusils,

munitions, outils et deux postes de

télégraphie sans se

OEUVRES

LES CAPTIFS

204

défend encore

fait rage.

seul

coup

fil.

:

Cependant,

le fort

de Vaux

sur Vaux-Chapitre, la bataille

Vaux, décidément, ne tombe pas d'un

comme Douaumont.

Mais voici qu'un

officier

e

du 2 bureau, rassem-

blant et comparant les interrogatoires des prisonniers, reconstitue la bataille

du côté allemand.

Rien n'est plus profitable que de l'écouter

:

on a

l'impression que l'ennemi livre ses misères. Le

Douaumont est dépassé. Le commandement allemand, au

dossier de

breux

officiers,

dire de

nom-

ne croyait pas à une offensive de

grande envergure tout au plus s'attendait-il à des ;

attaques locales destinées à retenir des effectifs

devant Verdun. Le dispositif adopté compliquait les

ordres

:

sept divisions accolées sur un front

de 9 à 10 kilomètres, ayant chacune une étroite fenêtre en première ligne et des bataillons au

repos à une étape en arrière. Notre préparation d'artillerie,

commencée

trois jours

avant

l'at-

taque, avait en majeure partie nivelé les organisations défensives de l'ennemi, dans la zone qui

s'étendait

du ravin de Helly à

la

Fausse-Côte,


LENDEMAIN DE VICTOIRE défoncé

205

enterré les mitrailleuses.

les arbres,

La

destruction des abris de première et deuxième ligne eut pour conséquence d'obliger les renforts et les réserves à se disperser

pour chercher une

protection dans les trous d'obus

première ligne,

pour

soit

;

ils

comme

lors d'être disponibles soit

cessèrent dès

soutien de la

contre-attaques

les

locales automatiques telles qu'elles sont

mandées par

les instructions

allemand. Les tion,

tirs

recom-

du commandement

de destruction, de neutralisa-

d'aveuglement, ont produit leur effet sur

les batteries et les observatoires.

Le 22, au cours

d'une attaque simulée, 160 batteries s'étaient dévoilées en quelques instants, tirant sur le secteur

Hardaumont- Vaux-Chapitre. Le 24, jour de une centaine au

l'attaque, dans toute la journée,

plus ont été vues en action sur ce

On

peut juger par

Quant aux pertes au cours de que, dès

le

la

même

il

était

tir.

ennemie

infligées à l'infanterie

préparation, elles furent

23,

secteur.

des résultats de notre

si

élevées

devenu nécessaire de ren-

forcer ou plutôt de relever presque

toutes les

unités en ligne. Les relèves furent tentées dans la nuit

du 23 au 24

:

notre canon les

fit

avorter

ou ne permit aux renforts d'arriver qu'avec des effectifs très réduits.

Une

carte avait été dressée


LES CAPTIFS DÉLIVRÉS

206

17 octobre des

le

camps

et des

chemins de

re-

lèves de l'ennemi. Les interrogatoires ont établi

que

avaient effectivement et exac-

les relèves

tement

suivi

repérés et y

itinéraires ainsi

les

avaient été impitoyablement saisies, détruites ou dispersées par notre canon. Les réserves furent de

même

atteintes dans leurs

camps

et

aux emplace-

ments que nos renseignements leur assignaient. Notre attaque conditions

s'était

plus

les

donc déclenchée dans

favorables.

Ainsi

les

put-elle

atteindre d'un seul élan, sur tout le front, sauf

dans

le

secteur de Vaux, les objectifs extrêmes

qui lui avaient été fixés.

Au

centre, dans le sec-

teur Thiaumont-Douaumont, la résistance opposée

par

les

34 e

54 e divisions fut promptement bri-

et

sée, et le fort

de Douaumont tombait entre nos

mains. La 3 e division ne comptait que trois régi-

ments qui s'attendaient d'un jour à retirés

l'autre à être

du front de Verdun. La 54 e ne

plus que d'effectifs affaiblis, cent

disposait

hommes

par

compagnie. Les relèves intérieures, commencées dans

la nuit

du 23 au 24, n'étaient pas encore

terminées. Cette avance foudroyante sur Douau-

mont

un

produisit

effet

de terreur sur

les divi-

e sions voisines de droite (25 division de réserve)

et

de gauche

e

(9

division) qui eurent la sensation


LENDEMAIN DE VICTOIRE d'être

débordées

et

207

taillon

A

ne résistèrent guère.

25 e division, quelques éléments, dont

du 83 e régiment, réussirent à

3

le

e

la

ba-

se soustraire

à notre étreinte par la fuite et à se rallier au nord

du ravin du Helly.

A

la 9

e

du

gnies de première ligne

7

e

bas les armes sans combattre

;

grenadiers mirent les

compagnies de

deuxième ligne Voulurent s'enfuir dans de

la

compa-

division, les

le

ravin

Fausse-Côte où elles furent abattues ou

faites prisonnières. Trois

compagnies du 154 e ré-

giment, alertées dans leurs abris du ravin de

la

Fausse-Côte, étaient venues s'établir vers trois

heures de l'après-midi sur

la crête

sud de ce

ravin où elles essayèrent de résister. Mais, bien-

fuyards du 7 e grenadiers,

tôt entraînées

par

elles battirent

en retraite avec eux, dans

les

grand désordre, vers

les

le plus

d'Hardaumont.

bois

Toute cette colonne fut arrêtée, prise d'enfilade fauchée dans

et

le

ravin de la Fausse-Côte par

nos mitrailleuses mises en batterie à l'extrémité est

de ce ravin.

Cependant pas aux

ailes.

la

débâcle du centre ne se propagea

A

l'aile droite,

la

13 e division de

réserve résista vigoureusement derrière les organisations relativement carrières

solides

d'Haudromont

.

abords des

des

Notre

11

e

régiment


LES CAPTIFS DÉLIVRÉS

208

d'infanterie n'en fut maître

du

soir après

33 e division de réserve

la

que vers

un rude combat. A

heures

six

gauche,

l'aile

et surtout la

50 e divi-

sion rendirent notre progression très pénible et

24, aux lisières nord de

la limitèrent, le

boisée qui entoure taille

le

la

fort de Vaux. C'est

zone

la

ba-

de Vaux qui continue, qui ne se terminera

que par

du

la prise

fort.

Ainsi la preuve est-elle faite par l'ennemi lui-

même

de notre efficace préparation

de l'élan de nos soldats.

et

Il

d'artillerie

n'a pas seulement

perdu un terrain laborieusement gagné arpent par arpent au cours de huit mois de combats

ininterrompus

dun

il

:

l'infériorité

a

dû reconnaître devant Ver-

de son

commandement

et

de ses

troupes.

Des carrières d'Haudromont au ravin de Fausse-Côte, les vainqueurs organisent territoire reconquis.

ser

Mais

ils

n'ont pour se repo-

bombardement moderne, un soir de

qu'une boue glacée sous

ennemi. Dans victoire est

un

la bataille

soir

le

de peines et d'efforts. C'est

vainqueur qui n'a plus d'abris et qui, plus

ment

la

le vaste

le

facile-

repéré sur les positions qu'il occupe et que


.

LENDEMAIN DE VICTOIRE vaincu occupait

le

la veille

209

encore, subit la pire

averse de fer.

Nous nous sommes

un

installés, écrit

qui logeait facilement toute trou, nous

il

un

trou de 400

Là, dans ce

section.

la pluie s'étant

pieds dans Veau, pas

les

moyen de

n y fallait pas songer. Nous passions nos à grelotter de froid,

nuits et journées

également, car

jour de

ma

avons beaucoup souffert,

mise à tomber,

dormir,

le

à sa marraine

soldat du régiment colonial, dans

le

et la

faim

ravitaillement était difficile. Enfin

la relève arrive.

Nous

étions contents de

nous, car nous avons fait ce qu'il était possible à des marsouins de faire.

Le ravitaillement étant

comme

quer une

.

était

enveloppé de feu.

piste. Pas

Douaumont

difficile, Il

fallait prati-

de plainte cependant

:

on

dit

ce qui est, voilà tout.

Oui, les nuits sont froides, la boue est glacée. Il

pleut,

ses

chacun grelotte

membres

forte ces

et

peut à peine remuer

transis. Qu'est-ce

hommes

donc qui récon-

privés de sommeil, presque de

nourriture, et sans cesse menacés?

102 e bataillon de nuit.

Il

interpelle

fatigue, travaillent

Il fait 11

chasseurs

fait

Un

officier

du

ronde de

sa

des chasseurs qui, malgré la

pour

se réchauffer

:

froid, les petits gars. 14


LES CAPTIFS DELIVRES

210

— Qu'est-ce les a eus,

on

que ça

les aura.

fait,

mon

lieutenant?

On

Ça réchauffe.

Les jours suivants, une série de contre-attaques

allemandes échoue contre nos défenses déjà établies

et

,

même la

division de Salins progresse légè-

rement au delà dufortdeDouaumont, Passaga au ravin de

la Fausse-Côte.

c'est le colonel Régnier,

et la division

Devant le

fort,

commandant le régiment

colonial, qui a pris l'initiative de cette progression. Notre ligne avait été repérée par l'ennemi,

dont

le tir

par 77

et

sionner des pertes.

dans

la

située à

Une

88 commençait à nous occaIl

décide de faire occuper,

nuit du 27 au 28 octobre, une carrière

400 mètres environ au nord-est du

section

commandée

par

un

officier

fort.

est

chargée de cette opération qui réussit brillam-

ment après une simple menace d'engagement la

à

grenade.

Nous partons sous

la pluie,

en colonne par un,

raconte

le

sergent Bousson, moi entête, pour aller

occuper

les

Carrières, sautant d'un trou dans l'autre,

par une nuit bien noire ^attendant un ou une fusée pour nous diriger sole. Enfin, trois

après avoir

et

éclair de

canon

rien qu'à la bous-

rampé dans

la

boue pendant

heures au moins, nous arrivons à des abris sous

terre,

mais vides de Boches. Nous décidons avec

mon


.

LENDEMAIN DE VICTOIRE chef de rester

au

jusqu'au jour

nous nous mettons

:

une tranchée pour nous

nous faisons

travail,

mettre à l'abri. Pendant ce temps, et

nous fouillons

moi,

211

ces

mon

lieutenant

qui étaient

carrières

immenses , n'ayant qu'un bout de bougie que nous voulions économiser

camarade tissait

Enfin je fus chargé avec un

.

d'aller reconnaître si le souterrain n'abou-

pas au fort; mais, après avoir marché quatre

nous avons eu

cents mètres à peine,

voir une lampe allumée

et

la

surprise de

du monde qui dormait.

Sans bruit nous revenons sur nos pas pour rendre compte de notre trouvaille au lieutenant qui décida de

coups de grenades sans savoir

attaquer à

les

combien

ils

étaient.

Nous nous élançons après avoir

braqué un fusil-mitrailleuse à les

l'entrée.

avait réveillés et à notre approche

à crier

quatre

:

«

:

Camarades!

»

Mais ils

le

se mirent

Ils étaient huit et

nous nous emparons du souterrain sans

un coup de revolver qui puisse lieutenant

envoya un

nous tirer

attirer l'attention.

homme pour

Le

rendre compte

immédiatement au commandant du fort qui prendre.

bruit

les fit

.

Le lendemain,

la ligne fut tout entière

portée

à la hauteur des Carrières.

Après

la relève,

le

général Guyot de Salins

adressa cet ordre à sa division

:


LES CAPTIFS DÉLIVRÉS

212

Le général commandant l'armée vous a

nom

au et

...

e

que,

la

France,

remerciements

les

vous

de

exprimer

les

adressé

de

Patrie; je

la

nouveau

de

Le Kaiser allemand

maître

du fort de Douaumont,

Verdun

clef de

et

y

de

s'était

quand

entrerait

tiens

nom

au

division.

déjà,

félicitations

les

la

vanté

tenait

il

il

à

la

vou-

le

drait.

Pour reprendre Douaumont, appel à sa plus belle division, à Votre

la

France a fait

la vôtre.

par vos

attaque, admirablement préparée

camarades

artilleurs, a été

un

heures vous étiez maîtres du fort de

mont

et, si

vous n'êtes pas

Er

succès foudroyant.

trois

allés plus

Douauque

loin, c'est

vous en aviez reçu l'ordre formel.

Devant vos uniformes redoutés de marsouins de ,

zouaves, de tirailleurs ,

les

Allemands épouvantés

sont rendus en masse. Vous en avez

2 500 dont 50 Soyez

fiers

officiers.

de votre œuvre,

le titre

Au nom

de

de la

«

car vous vous

noms vous avez

couverts de gloire et à vos

jamais

se

ramené près de

attaché à

Vainqueurs de Douaumont

France

>»

.

Merci!

:

Le général Passaga, à lèbre le culte des morts

êtes

:

la division voisine, cé-


.

LENDEMAIN DE VICTOIRE .

Camarades, saluons fièrement ceux des nôtres

.

.

213

dont

le

sang généreux a payé ce triomphe.

héros ne sont pas morts

futures, fera

nobles martyrs de la plus

:

âme

iuste des causes, leur

Ces

généreuse, dans

nous

rayonner sur

les luttes

l'amour sacré

d'une Patrie chérie, indignement souillée.

.

*

Du commandant écrite

.

.

.

du

fort

Nicolay

même

:

L' enlèvement du fort de

d'un mérite collectif agréé par

Ce mérite

reçu cette lettre

j'ai

Douaumont

résulte

le destin.

de préparation minutieuse, de

est fait

volonté obstinée et d'esprit de sacrifice. Il ne s'est

pas manifesté par une

somme

d'actes

remarquables à l'inverse de ce qui premières lignes.

Au

s'est

individuels

passé sur

les

fort, notre décision collective a

pris d'emblée le pas sur la décision allemande que

nous avons dominée en allant rapidement chacun à son objectif, sans tenir compte du bombardement, sans hésiter devant

les

et

premières résistances rencon-

trées.

Cela

journée

s' est

la

passé ainsi. Il faut voir surtout dans

cette

marque du

des-

grandeur du

résultat et la


LES CAPTIFS DÉLIVRÉS

214 tin.

Quant à l'homme, en

très bien le

préparé,

il

s'est

tant qu'individu,

donné complètement,

sentiment de la grandeur de sa tâche

eu une seconde d'hésitation. Cela

La

prise de

tive

Douaumont

les efforts

est

il

était

il

a eu

na pas

et il

bien ainsi...

une œuvre collec-

est

de tout un bataillon, après

ceux des deux autres qui l'ont préparée, viennent se perdre. Le premier commandant du fort

ne veut pas qu'un rayon de cette gloire tache pour mettre un visage en lumière.

un prophète d'Orient, deux

fois. N'est-ce

déchirant

les

il

pas

invoque

le

se dé-

Gomme

le destin, et

par

destin qui, tout à coup

nuages, a désigné

le fort,

d'avance

conquis, aux assiégeants égarés? Mais, lui-même, le destin

le

ne

l'a-t-il

pas marqué?

vainqueur de Douaumont.

Il

Il est, il

pour accomplir cet exploit légendaire accompli, suffit

A

il

disparaîtra, car

une

mers

et, l'ayant

telle

fortune

à porter une vie humaine.

la

prochaine

bataille, celle

qui a pour objet d'élargir forts

restera

a passé les

de façon à

les

le

mettre hors des distances

d'assaut et qui achèvera par là

de Verdun dont

du 15 décembre, cercle autour des

même

elle est l'épilogue, le

la victoire

comman-

dant Nicolay conduit son bataillon à l'attaque du


LENDEMAIN DE VICTOIRE

camp de

camp de Heurias

Heurias. Ce

du ravin qui porte

sur les pentes

215

le

est disposé

même nom,

en arrière d'Hardaumont et devant Louvemont. 11

constitue la défense qu'il faut réduire avant que

Louvemont

découvert. C'est une sorte de

soit à

redoute avec des abris-cavernes. La surprise permettrait d'en occuper les issues et de s'en

coup

rer sans prise. la

il

empa-

n'y eut pas de sur-

Les premières vagues furent retardées par

boue épaisse qui

se collait

elles déferlèrent, la

sortir et

aux semelles. Quand

garnison avait eu

le

temps de

de se mettre en arrêt. Elles furent accueil-

une

par

lies

Mais

férir.

fusillade

meurtrière.

Un

tireur

commandant qui marchait avec elles. Comment n'aurait-il pas reconnu en lui le chef? ajuste le

Tout

le

cette

sorte de majesté qui

sonne.

désignait,

Il

haute

taille,

son allure,

émanait de

deux yeux,

et

Il

le

Son

fut atteint d'une balle entre

tomba d'un

seul coup. Mort,

continua de servir. Ses soldats enragés gèrent, et

sa per-

méritait l'honneur d'être choisi.

destin l'attendait. les

sa

le

il

ven-

camp de Heurias fut emporté. le commandant Nicolay,

Ainsi devait finir

revenu dlndo-Chine^ pour prendre

Douaumont.

le^ fort

de



LIVRE IV

VAUX



LA PREMIERE JOURNEE DE LA BATAILLE DE

VAUX

24 octobre.

Un

allemand,

officier

du 24 octobre au

Petit

vrage

la

sur

fortifié

que

lorsqu'il apprit

entre nos mains, eut

prisonnier le soir

du

est

fort

un ou-

de Vaux,

de Douaumont

était

un moment de stupeur, déclara

il

:

«

Vous avez

Douaumont, mais vous ne prendrez pas

Vaux. Il

route

le fort

puis, se ressaisissant, pris

fait

Dépôt qui

»

dans

était

commandant

le destin

de Vaux, aurait

dit le

Nicolay, d'offrir chaque fois une

résistance plus opiniâtre et prolongée que celle

de son orgueilleux

mands dès tombé que (1)

V.

les

le

rival.

9 mars,

le 7

juin

le

Assiégé par les Allefort

de Vaux n'était

(I). Il s'était

défendu

trois

Derniers jours du fort de Vaux (9 mars-7 juin 1916)

(Pion, édit).


LES CAPTIFS DÉLIVRÉS

220

mois

même quand

et,

commandant Raynal

il

fut investi (1

er

juin), le

l'héroïque garnison y tinrent encore pendant six jours. S'il avait nécessité

un

si

et

long siège, des pertes

l'usure de plusieurs divisions,

il

si

considérables,

représentait aux

yeux de l'ennemi un objectif d'une importance capitale vrait

pour une offensive sur Verdun.

du côté de

la

Woëvre

qu'il

Il

le

domine;

couil

lui

permettait d'utiliser les ravins du Bazil, du bois

Fumin, des Fontaines et

de

la

et les fonds

et préparer ses actions;

il

par

les bois

Le

du

Horgne

il

des vues

lui ouvrait

en6n,

de Vaux-Chapitre, l'accès de Sou-

rempart de Verdun. fort est élevé sur

une hauteur arrondie qui

est le dernier contrefort la

la

lui fournissait

sur Tavannes et sur Souville;

ville,

de

Gayette pour dissimuler ses mouvements

du massif de Souville sur

Woëvre. Cette hauteur, engagée entre Bazil au

le

ravin

nord qui aboutit au village de Vaux-

devant-Damloup,

et,

au sud,

le

fond de

la

Horgne,

ressemble à quelque lourd vaisseau échoué à

l'embouchure d'un fleuve, car ses pentes,

elle

surplombe de

d'abord lentes, puis raides,

de Woëvre, pareille à

la

mer. Elle

de ravins profonds dont tous

nus familiers

:

les

la plaine

est entaillée

noms

sont deve-

ravins des Fontaines, de la Sa-


LA BATAILLE DE VAUX

du

blière,

bois

A

Gayette.

Fumin, de

la suite

221

Horgne, de

la

la

des combats livrés dans cette

région dévastée depuis des mois, le terrain est

complètement bouleversé. Avec

trous,

les

les

fondrières, les arbres arrachés, les racines, les

débris de toutes sortes,

oppose des obstacles

il

naturels à une progression. Notre attaque devait

du Nez de

s'étendre dans ce secteur, sorte de

Souville,

promontoire au-dessus du ravin des Fon-

taines dont l'ennemi s'était

emparé au début de

septembre, jusqu'au fond de Beaupré que nous

dominions par

et qui est séparé

la crête

Elle avait

Gayette

pour

nom de crête du Mont-Blanc.

le

objectif,

401 e régiment de

Fumin

la

qu'un régiment de Savoie a désignée

ironiquement sous

le

du fond de

en liaison à gauche avec

la division

Passaga,

le bois

du ravin des Fontaines, jusqu'à

à l'est

commande l'entrée village même, toute la

l'étang de Vaux, la digue qui

du

village de

Vaux

croupe portant

cendent fond de

à la la

par

la

jusqu'aux pentes qui des-

Woëvre,

Gayette et

deux. Ainsi

les

et le

le fort

le

fond de

le village

la prise

du

la

Horgne,

le

de Damloup entre

fort serait-elle étayée

possession des pentes et des ravins qui lui

servent d'accès.

L'ennemi avait organisé, non sans habileté, sa


LES CAPTIFS DÉLIVRÉS

222

plus solide ligne de défense très en avant du fort

dont sés,

ouvrages extérieurs, contrescarpes, fos-

les

coffres,

notre

observatoires, tourelle, battus par

étaient en mauvais état. Cette organi-

tir,

sation comprenait

:

en première ligne, une

tranchée continue, allant du Nez de Souville aux pentes sud du fond de la Gayette (tranchées Hin-

denburg,

Brochmuch, de Moltke, Glausewitz,

Seydlitz,

Mudra, Steinmetz, Werder, von Klûck);

2° à

un kilomètre environ en

ligne, partant

taines (tranchées de Gotha, le

bois

arrière,

une seconde

de l'embouchure du ravin des Fon-

Hanau, Siegen dans

Fumin, Brunehild dans

Horgne, de Saales rejoignant loup au village de Damloup)

le

fond de

la batterie ;

la

Dam-

de

3° entre les

deux,

une ligne de soutien non continue, comprenant divers points d'appui

:

la Sablière,

Carrière, le Petit Dépôt, l'Abri batterie de

Damloup;

la

Grande-

de Combat,

4° enfin, des trous

transformés en repaires de mitrailleuses.

nombre de boyaux

tain

pour

relier la

tien

trois

du

;

Petit

la

d'obus

Un

cer-

étaient en construction

première ligne à

la ligne

de sou-

de ces boyaux étaient terminés, boyaux

Dépôt, des Maîtres-Chanteurs

et

de

Tannhauser. L'aile

gauche du

dispositif allemand était

com-


LA BATAILLE DE VAUX posée, du bois

Fumin

Damloup, de troupes de

à

33 e division de réserve et de

la

La 33

e

division (67

e ,

223

364° et

la

50 e division.

30 e régiments)

1

"

avait subi de grandes pertes dans les

,

qui

combats du

début de septembre, avait été reconstituée avec des renforts de bonne qualité, anciens soldats blessés et renvoyés au front. Elle tenait les orga-

nisations du bois

Fumin

ses réserves dissimulées

et le

et

de

dans

le

la

Vaux-Régnier,

ravin

du Muguet

fond du Loup. La 50 e division (53 e

39 e et

,

158° régiments) allait du bois Chesnois à loup, ses réserves dans le ravin de la

Dam-

Plume

et

au nord de Damloup. Elle fournissait au fort sa garnison (deux compagnies du 53 e ). Elle était favorisée par

un système défensif puissant et pro-

fond, incomplètement détruit par notre préparation d'artillerie. Les déserteurs et les prisonniers faits

dans cette région, au cours des journées qui

précédèrent

la bataille

du 24 octobre, déclarèrent

que l'ennemi s'attendait à être attaqué préparait.

Il

et s'y

n'y eut pas d'effet de surprise, tan-

que Douaumont se La tâche assignée à

dis

croyait hors d'atteinte. la division

de Lardemelle,

qui livrera la bataille de Vaux, est donc particu-

lièrement délicate et

composent

Les régiments qui

difficile.

cette division (230

e ,

333 e 299 e 222 e ,

,

,


LES CAPTIFS DÉLIVRÉS

224

plus les

un groupe de deux e

50 et 71% et un

sont, je

l'ai dit,

bataillons de chasseurs,

bataillon

du 30 e régiment)

du

fournis par des contingents

Dauphiné, de la Savoie, du Bugey. Peu ou pas de jeunes classes, des

hommes mûrs,

la

plupart

mariés et pères de famille, presque tous paysans, graves et braves, un peu taciturnes, et qui, après avoir

donné leur sueur à

donner leur sang.

«

Si

sauront

la terre,

ture, déclarait le général de Négrier,

faut faire appel au

lui

vous êtes en fâcheuse pos-

dévouement

et

s'il

vous

au cœur de

la

troupe, c'est le paysan de France qui vous tirera d'affaire.

Croyez-en

un vieux légionnaire.

»

Certes, nous ne serons jamais en fâcheuse pos-

ture pendant la bataille de Vaux; mais

durement besogner. Tandis que

leurs

il

camarades

de gauche, plus heureux, se reposeront

même

faudra

le

soir

sur les objectifs conquis, les soldats de la

division de Lardemelle ne connaîtront pas d'arrêt jusqu'à leur relève.

sauront remuer

Mais ces paysans armés

le sol et

Pour résoudre

tracer peu à peu leur

problème posé à

la

division de Lardemelle, le 24 octobre, a écrit

un

sillon.

«

le

bon juge, problème qui

s'est révélé

dès la première minute,

il

formidable

a fallu le paysan de

France conduit par des cadres exceptionnels.

»


LA BATAILLE DE VAUX

Ces cadres

:

225

souvent de petits capitaines ou lieu-

tenants de vingt à vingt-cinq ans, que suivent,

comme

des fétiches, ces

hommes

qui ont passé la

trentaine.

Le premier de ces jeunes rencontre le

le

nom

dans

officiers

bataille

la

dont je

de Vaux est

com-

sous-lieutenant Auguste Soudan, de la

e pagnie 13/63 du 4 génie. Le génie prépare

actions et les accompagne.

dans

succès.

le

Il

les

a sa grande part

Le père du lieutenant Soudan

Lui-même

instituteur à Cognin (Savoie).

est

pensait

consacrer son avenir à renseignement. Entré à seize ans à l'École

normale d'Albertville,

parait le professorat de sciences à l'École

de Grenoble lorsque Ses maîtres

mages.

Ils

d'élite

:

lui

la

guerre

vingt ans.

ont rendu de touchants

hom-

comme un

sujet

considéraient

le

le prit à

pré-

il

normale

plus encore que

son intelligence,

ils

célèbrent en lui une sorte de grâce juvénile qui prenait

le

cœur

et

une noblesse de nature qui

l'élevait bien au-dessus des intérêts habituels la vie. Il créait

par sa seule présence une atmos-

phère de bien-être moral, de paix dans cité et

l'harmonie. Artiste,

M.

de

il

la simpli-

adorait la musique, 15


LES CAPTIFS DELIVRES

22G

qui s'accordait avec

en

lui. Il

monde

le

donnait aux

parence de ces eaux pures de coulent sur de l'eut pris,

la

mousse. Dès que

la

il

pas

guerre

la

mit à sa vie nouvelle. Cepen-

dant cette transposition qui parut fit

montagne qui

ne fut plus qu'un soldat. Toute sa

il

conscience,

la

idéal qu'il portait

soirées de famille la trans-

sans

mais aucun

secousse intérieure,

Nommé

signe n'en fut révélé.

aisée ne se

si

aspirant du génie

mois après son incorporation,

quelques

commander une

section

va

il

de sapeurs dans

les

Vosges. Ce garçon qui n'est pas majeur, et qui

doux

est

et

timide

comme une

tout ce qu'il veut de ses transition

hommes.

fille,

obtient

débute sans

Il

aux plus mauvais jours de l'Hart-

mannsweilerkopf.

et

il

y a bien des chances

sourit et

il

ajoute

camarade, Il

— Oh

!

sourire et

pour que...

:

me

moi, cela ne

mes parents. Ce camarade devait

avait pas

fait

pas peur.

n'y

S'il

.

la

se rappeler plus

simplicité véridique

tard ce

du ton sur

lequel ces paroles furent prononcées. Mais croyait invulnérable, a-t-il ajouté. Et lui

un

Cette guerre est terrible, confie-t-il à

demandait pourquoi,

il

il

comme

le

on

en donna cette raison


..

LA BATAILLE DE VAUX étrange

227

— Parce que certains êtres ne devraient

:

pas être tués..

Après

le

bombardement viennent

les

tragiques de l'attaque du Vieil-Armand.

jours

La

sec-

du génie que Soudan commande achève

tion

la

préparation du terrain, puis monte à l'assaut

avec l'infanterie. L'aspirant est blessé devant ses

hommes

et reçoit sa

première citation (21 dé-

cembre 1915)

A

peine

voici de

demande

il

à repartir.

nouveau en face du Vieil-Armand où

Le il

a

tant de travaux de préparation et de défense.

fait

s'attache

Il

remis,

peu à peu à ce coin de

terre, à ces

vallées d'Alsace, à ces horizons de montagnes

qui

lui

capitaine

de

Belmont

nature,

la

il

mobile, grave, à se

pays

rappellent le (1),

il

la traite

se plaît

se

reprocher ces pures joies

les

Vosges

est

où tout

risé et

(1)

mont

:

il

mort,

il

11

aime

est fraî-

en arrive à guerre dans

la

devenue trop calme; la

le

en compagnie

et tendre.

ces forêts

cheur, paix et silence. Et puis

camarades sentent

Comme

en personne vivante,

émouvante

promener dans

natal.

ailleurs ses

se trouve trop favo-

pour un peu s'en adresserait des reproches.

V. la Jeunesse nouvelle et a sa famille. (Pion, édit.)

les Lettres

du capitaine Bel-


LES CAPTIFS DÉLIVRÉS

228

Excès de scrupules et de délicatesse où se reconnaît une sensibilité trop

déjà prête au

fine,

sacrifice.

nommé

est

Il

sous-lieutenant

l'armée de Verdun. Verdun

un son héroïque

et

ramène en Savoie. les sent

partir avec

mûr dont

et

que

les

parents

Une

dernière permission

C'est

comme une

en famille. Personne ne

chacun

envoyé à

syllabes qui rendent

:

douloureux

redoutent d'entendre. le

et

dit ses

retraite

pressentiments et

On le voit un visage d'homme

peser sur son cœur.

un visage décidé,

la vie est

remplie et non plus son ingénu

visage de grand enfant. C'est ainsi que le revoient

désormais ceux qui l'ont aimé. Il

arrive aux abords de Vaux.

vaille à la

«

grande préparation

»

Le génie

dont on parle

mystérieusement aux cantonnements sera

tranohées. Cette fois, ce

la

tra-

et

dans

les

délivrance de

Verdun. Les parallèles de départ s'achèvent. Le 21 octobre, l'œuvre de

Au

l'artillerie

commence.

cours d'une reconnaissance en première ligne

avec son capitaine, reçoit

un

le

éclat d'obus

sous-lieutenant

Soudan

au cœur. La mort

touché avec précaution, d'un seul coup, sans

l'a

le

torturer, sans le défigurer.

«Nous avons rapporté son

corps, a écrit son


LA BATAILLE DE VAUX

229

meilleur

camarade,

avoir fait

un cercueil nous-mêmes, nous l'avons

et,

pieusement, après

porté en terre dans

le

de Belrupt. Belle et

triste

que

petit cimetière militaire

du drapeau

tricolore

la

files

larmes aux yeux. C'était

Devant

pendant

la

de

pente

de sa section en

armes, notre petit groupe suivait et les

:

bière recouverte

montaient

entre les deux

la colline,

cérémonie

sapeurs portant

les six

lui

la tête

basse

du jour.

la fin

tombe non comblée, notre capitaine

sa

a fait son éloge, a dit notre affection à tous, et

donné

lui a

revenus

les

le

suprême adieu... Et nous sommes

uns à côté des autres, mais sans

pouvoir échanger une parole. Deux jours après

nous étions vainqueurs. Cette victoire, dont aurait été il

ne

l'a

En

si

joyeux,

pas vue...

il

l'a

payée de son sang et

»

guise de préface à la bataille de Vaux, ne

convenait-il pas, en rendant cier

il

hommage

du génie tué au cours de

la

à

un

offi-

préparation, de

rappeler ces admirables sapeurs dont les travaux tour à tour facilitent le départ de l'attaque et

organisent

le terrain

Le 23 octobre

les

gagné?...

régiments occupent

leurs

tranchées de départ. C'est pour tous ceux-là qui

ramassent en partant, dans une rapide pensée,

la


LES CAPTIFS DÉLIVRÉS

230

vision d'un coin de terre, d'un toit, d'un foyer,

qu'un poète a

écrit sa Veille d'assaut

...

Un

De

la

frisson lent, parti

seconde ligne,

Court sous terre

Chacun

:

à ce signe

est averti.

Approche ton

oreille,

Puis chuchote à ton tour

Aujourd'hui

Demain

sera le Jour.

Si tu sens

C'est

Et

fais

:

c'est la Veille,

que

ta lèvre

Sèche et tremble, «

:

un

dis-toi

:

frisson de fièvre,

»

n'importe quoi.

Mange ou Et,

Ne

graisse ton arme, ton cœur se fend, crains rien d'une larme, si

Mon courageux enfant. Tu peux Sous

encore écrire,

le faible

rayon

D'un méchant bout de

Une ...

lettre

cire,

au crayon...

Revoir, dans l'ancien

monde

Brusquement entr'ouvert, L'étroite clarté

ronde

D'un calme abat-jour

vert,


LA BATAILLE DE VAUX

Une

Au

abîmée

coin de l'àtre obscur,

Une Sur

Un Un

vieille

231

fleur le

imprimée

papier d'un mur.

petit œil qui brille,

duvet fin et blond, Et le choc d'une bille Contre un soldat de plomb...

La chandelle est éteinte. Quelle heure?... Pas un bruit. Rien dans le sol qui suinte

Que

l'attente et la nuit.

Pendant ce temps, là-bas, dans les maisons tranquilles, L'enfant dort, un rameau de buis à son chevet,

Gomme Et

les

les

autres soirs la

femme

Le 24 octobre au matin, prêts.

se dévêt,

derniers passants circulent dans les villes

Ils

les

(1)...

hommes

sont

ne regardent plus en arrière, mais

devant eux,

là,

ce terrain défoncé que martèlent

nos obus, cette ligne imperceptible qui abrite l'ennemi. Malgré

le

brouillard,

ils

la

peuvent

apercevoir, car les lignes, sur presque tout front

du secteur, sont

dant

la

(1)

très

rapprochées. Cepen-

préparation d'artillerie sur

François Porche.

le

le

fort

de


LES CAPTIFS DÉLIVRÉS

232

Vaux devait matinée du

se

24,

faire

principalement

et le

brouillard

dans

empêche

la les

réglages.

Le général de Lardemelle en deux groupements de Souville et

Vaux,

le

gauche à

route qui conduit au fort de

la droite le

e

230 régiment,

bataillons de chasseurs (50 et 71

et le

le

du 299

e ;

e )

333 (moins les

le

deux

et le bataillon

à droite, entre la route de

fond de Beaupré,

la

e

de réserve de division), e

Casella

Nez

groupement Challe comprenant de

bataillon

le

la

a disposé ses troupes

à gauche, entre le

:

groupement

Giralt

Vaux com-

posé d'un bataillon du 299 e régiment, du 222 e et

d'un bataillon du 30 e

.

faut d'abord emporter la

Il

continue

des

Souville aux pentes sud

puis

première ligne

tranchées ennemies,

du fond de

du Nez de la

Gayette,

faut parvenir à la seconde ligne qui appuie

il

à l'ouest et à l'est et, pour l'atteindre,

le fort

forcer au préalable la série des ouvrages intermédiaires. tif.

Il

Le

fort sera le troisième et dernier objec-

avait été mis tout d'abord en dehors de

l'opération, tant le

chute

commandement

difficile à obtenir, puis

moment. Le départ dans dans un ordre

et

le

estimait sa

ajouté au dernier brouillard se fait

avec un élan magnifiques. Toute


LA BATAILLE DE VAUX la

233

première ligne ennemie tombe, sauf

chée Glausewitz au centre

la tran-

une partie de

et

la

tranchée Mudra un peu plus à droite. Mais les obstacles se multiplient. C'est une série de véri-

un

tables forteresses qui exigent

siège

:

redoute

d'Hindenburg au Nez de Souville, réduit

du

Sablière dans le ravin

organisé

en

caverne

même nom,

.de la

Clausewitz

retranchements et

avec

meurtrières, Grande Carrière à gauche et Petit

Dépôt à droite de

la

Damloup

bat et Batterie de

De

ces réduits, les uns

comme loup, la

dent ou

l'Abri de

à l'extrême droite.

sont enlevés d'emblée,

Combat,

la

redoute d'Hindenburg,

witz, le Petit

Dépôt

plupart retar-

marche en avant

tombent entre nos mains que la

la

la

la

qu'il faut

à rassembler.

:

tels

Clause-

contourner pour

en une série d'épisodes que

ment parvient

ne

et

nuit venue

Sablière,

prendre à revers. La bataille générale ainsi

Dam-

de

la Batterie

Grande Carrière, mais empêchent

Com-

route du fort, Abri de

Le

le

se

le

rompt

commande-

soir

du 24 oc-

tobre est un soir de succès, puisque notre progression est assurée, mais de succès laborieux et

incomplet, et des ordres nouveaux sont donnés

pour reprendre et le village

le

lendemain l'attaque sur

le fort

de Vaux. La journée qui, des car-


LES CAPTIFS DÉLIVRÉS

234

rières

d'Haudromont au ravin de

la

Fausse-Côte,

s'achève en triomphe, a été sanglante et disputée sur le sol bouleversé du bois la

région de Vaux.

On

Fumin

et

dans toute

continuera de

s'y battre

toute la nuit, et le matin du 25 trouvera encore les adversaires

aux

fait à distance,

comme

La défense du

prises.

aux ouvrages qui

protègent

le

des bastions avancés et qui,

fort se

rendus,

le

laisseront à découvert.

* # #

Chaque épisode mérite du

le

Nez de Souville

dispositif, entre le

Carrière, opère le

sa relation.

A

la

gauche

et la

Grande

230 e régiment qui a pour chef

lieutenant-colonel Viotte. Le lieutenant-colo-

nel Viotte, ancien chef d'état- major d'une excellente division, la 40

e ,

est

un

petit

homme

brun,

ardent, vivant, vibrant, à l'intelligence prompte,

à l'énergie comrnunicative.

Il

ressent à distance,

par une télépathie merveilleuse, tout ce que ressentent ses

A

la

hommes. guerre on peut tout leur demander,

déclare-t-il, et pourtant ce sont des gens paisibles

de

la

montagne.

Le 6

e

bataillon,

en liaison avec

le

401 e qui


LA BATAILLE DE VAUX

forme

235

droite de la division Passaga, s'en-

l'aile

gage par compagnies accolées,

deux

droite avec

compagnie de

la

sections d'assaut e

deux sections de renfort

(2

(l

re

vague),

vague), la compa-

gnie de gauche avec ses sections en profondeur (quatre vagues

dune

section chacune)

taillon part à l'attaque, ses trois

Le

.

5

e

ba-

compagnies en

profondeur, chacune avec trois sections d'assaut et

une de renfort, mais

les sections

colonnes d'escouades par un. élan, dit le rapport

en

tête, les

bon ordre,

hommes la

du 6

e

formées en

«

D'un seul

bataillon, les officiers

surgissent des tranchées en

baïonnette haute, et s'élancent en

avant. Le lieutenant Seigner enlève ses

au

cri

de

Quelques quelques

:

«

En avant

coups

de

les gars fusil

hommes tombent

lieutenant Seigner est du niers.

La

!

Vive

la

hommes

France

!

»

allemands claquent, tués ou blessés, et le

nombre de

ces der-

»

bataille s'engage

tranchée Brochmuch,

immédiatement. Dans

les bras se lèvent, les

ches se rendent. Mais

il

la

Bo-

faut que la section du

sous-lieutenant Gollonge contourne la tranchée

Hindenburg pour le

s'en emparer, et voici

que sur

Nez de Souville, aux ouvrages d'Hindenburg

qui

forment un labyrinthe de tranchées pro-


236

LES CAPTIFS DÉLIVRÉS

*

fondes avec de nombreux trous de renard, se révèle

un centre de résistance ennemie dont

garnison décidée sera

difficile à réduire.

la

Le sous-

lieutenant Place en entreprend le siège avec sa section. Vers midi et demi,

Une heure

sonniers en sortent. velle sortie

:

une quinzaine de

plus de trente,

plus tard, nou-

dont un

officier.

C'est l'effet des grenades bien ajustées. Mais

bien sont-ils donc là dedans? fusillade,

ils

A en

com-

juger par leur

doivent être encore en force. Avec

du sous-lieutenant Rey

l'aide

pri-

et

de sa section,

le

lieutenant Place, dont la section a été fort éprouvée, tente

un assaut

à la baïonnette, mais

il

repoussé à coups de grenades. Arrive alors

— qui

lieutenant Condamin, état,

— avec une section

camarade

et

demie.

les

demie du :

soir,

il

et,

vers huit heures

tient enfin l'ouvrage tout

ce qui restait de la garnison, quarante

hommes il

relève son

démonstrations, pourchasse

l'ennemi de réduit en réduit

entier

Il

le

de son

Place, poursuit le siège méthodique-

ment, multiplie

et

est prêtre

est

et

un

se précipite

officier,

s'est

rendu. Après quoi,

en avant pour rejoindre sa compa-

gnie. Caries vagues d'assaut ont progressé sous le

commandement énergique du

tier

(22

e

lieutenant Sau-

compagnie), bientôt rejointes par

la


LA BATAILLE DE VAUX

compagnie (23

e )

du capitaine Favre. Mais

taine Favre vient se heurter

Un mouvement

le

capi-

à la redoute de la

Sablière qu'assiège déjà une section

ment.

237

tournant,

du 401 e

régi-

opéré par

le

sous-lieutenant Collonge, décide de la prise des abris

où quarante-huit Allemands sont capturés

avec quatre

Le capitaine Favre

mitrailleuses.

poursuit sa marche sur

ravin des Fontaines

le

jusqu'à la tranchée Gotha en liaison e

401 régiment qui arrive sur

la

avec

le

croupe de Vaux-

Chapitre.

Dans un

tel fouillis d'actions,

mettre l'injustice de choisir

il

faut bien

et, si l'on

visage plus plaisant ou plus émouvant,

en deux

traits.

longue et

com-

rencontre le

dessiner

Les jeunes gens, sur cette guerre

triste, jettent

un charme d'aisance che-

valeresque. Plus détachés du passé,

nent avec plus d'élan à

la

ils

se

don-

tâche sacrée. Ce capi-

taine Favre est à peine majeur, et son grade lui

a été

donné à

an avant

il

la

titre définitif.

guerre,

il

Entré à Saint-Cyr un

n'a passé qu'un an à l'École.

a gagné sa croix de la Légion d'honneur, à

son âge,

comment

de ce qu'il a

le saurai-je?

fait. Il est

il

ne parle jamais

aussi simple dans la

fortune que dans la mauvaise, à quoi on

bonne

le

peut

reconnaître pour Savoyard. Car le Savoyard ne


LES CAPTIFS DÉLIVRÉS

238

s'en laisse pas accroire. Les

maux

ni les

honneurs

ne triomphent aisément de son humeur placide. supporte

Il

uns et

les

les autres

avec sérénité. Sa

philosophie naturelle lui a enseigné qu'ils finis-

donc

sent. Voici

de

taines.

s'y

Il

commande

capitaine Favre, après la prise

abouche avec la

le

ravin des Fon-

lieutenant Féron qui

le

compagnie de droite du 401

liaison entre les il

le

descendu dans

la Sablière,

deux

e .

La

divisions est parfaite. Puis

arrive à la hauteur de la tranchée Gotha, sur les

pentes ouest du bois Fumin, un peu au-dessus du ravin

des Fontaines. Ses patrouilles n'ont pas

trouvé

contact de l'ennemi.

le

Il

pourrait pour-

marche en avant jusqu'à son dernier

suivre la

objectif qui est l'étang de Vaux, mais la résistance

rencontrée par

compagnies de droite de son

les

bataillon sur la crête et les pentes est de ce bois

Fumin ne vement.

lui

permet pas de continuer son mou-

doit rester sur place et fait construire

Il

une tranchée

qui, le

déjà une protection

ne peut

se

il

il

il

se décide

une forte patrouille aux abords de

Ma

foi, sa

compagnie

tranchée qu'elle a creusée plutôt

offre

Le matin du 25,

résoudre à l'immobilité et

à envoyer l'étang.

lendemain matin 25,

efficace.

:

il

est à l'abri

dans

la

accompagnera, ou

conduira sa patrouille composée du


LA BATAILLE DE

VAUX

239

sergent David et d'une douzaine d'hommes. Le ravin des Fontaines débouche à l'étang de

au delà, du côté du village,

est

petite troupe va jusqu'à la digue.

comme site

le

Vaux;

digue.

la

La

Brusquement,

capitaine Favre, qui est devant, vi-

une tranchée allemande entièrement bou-

leversée,

il

un Boche fumant tranquil-

aperçoit

lement sa pipe à l'entrée d'un abri au-dessous de

lui.

Car, dans cette guerre aux larges espaces,

on fume tranquillement

La

s'égorge à côté.

bataille fait rage

tranchée Gotha. Devant

lemand

se

croit

sa pipe ici, tandis

le village

coup

:

Le capitaine Favre

on a fait

se terrer sans bruit.

Ce sera

devant

Il

un beau coup de

le

la

de Vaux l'Al-

en villégiature. Vaux, dont

conquête a donné tant de mal, repris d'un

qu'on

la

ne peut être

temps de voir venir.

signe à ses

hommes

de

a déjà arrêté son plan. filet

:

toute la garnison

des abris faite prisonnière. Mais

il

lui

faut

un

renfort de grenadiers pour opérer plus sûrement.

Un

de ses compagnons va

les

chercher.

Il

en

ramène une dizaine aux musettes bien garnies, sous la conduite de l'adjudant Perret. Pendant

son absence,

le

Boche n'a pas cessé de fumer,

Fabre de l'observer et d'étudier

ni

le terrain et les

ouvertures des abris. Le chasseur à l'affût n'est


LES CAPTIFS DÉLIVRÉS

240

pas plus attentif à la surveillance du gibier. Mais gibier ne va-t-il

le

même où

l'instant

il

pas le dévorer? Voici qu'à

va ordonner d'occuper toutes

une section d'infanterie débouche à

les issues,

trente mètres de lui, en colonne par un, venant

du

de Vaux.

village

«

Couchez-vous,

corn-

»

mande-t-il à voix basse. Les

hommes

au

et la

colonne s'en-

Gela

fait

sol.

ne sont pas vus,

Ils

dans

gouffre

monde

cavernes.

les

dedans, et

il

un vieux routier

est

Avant de risquer l'aventure,

avisé et prudent.

convient de mettre de son côté toutes Il

demande deux

volontaires

et le soldat Arpaillanges se

miers.

A

eux

trois, ils

:

le

Cependant,

des

Boche fume toujours

décide à

mettre

lui

le tue. Il lève

sa pipe, car tirer

un

utiles.

:

il

pre-

les

main au

à

l'une

sa pipe.

collet

:

s'il

des

On

se

appelle,

œil étonné, prend à la

homme

une bouffée,

dement une

un

la

chances.

caporal Farjon

présentent

entrées, le

abris.

les

il

font une nouvelle recon-

naissance

on

bien du

peut-être d'autres

y a

Le jeune chef

ouvertures.

se collent

main

à demi étranglé ne peut

et se tait.

On

l'interroge rapi-

fournit les derniers renseignements

Le capitaine Favre, prompt à l'exécution

fois qu'elle est résolue,

range ses

aux diverses entrées. Une grenade

hommes

suffit;

les


LA BATAILLE DE VAUX

Allemands, sans

difficulté, sortent

plus de soixante, dont

de médecins.

«

de leurs trous

un lieutenant

Est-ce tout?

l'officier. L'officier

et

demande Favre

»

lui.

:

une paire

ne répond pas, mais ses

que non derrière

dats font signe

241

à

sol-

Évidem-

ment, une ou deux nouvelles grenades convaincraient les récalcitrants, mais le capitaine Favre,

prudent pour ses hommes, ne Test guère pour

lui-même,

et

un paladin.

par surcroît

Il

il

est

généreux

descend tout seul dans

son revolver en main, et les retardataires, leur

il

conversation avec

lie

affirmant qu'il ne leur sera

aucun mal. Les derniers sortent

fait

le total

est

comme

le réduit,

à leur tour

de quatre-vingt-deux. Maintenant

:

il

faut revenir, avec cette forte colonne, quatre fois

plus

nombreuse que son

d'être

compliqué

:

Le retour risque

escorte.

un agent de

liaison vient pré-

venir le capitaine Favre que des éléments enne-

mis progressent sur sa droite.

On

presse le pas

une mitrailleuse du 401 e protège tirant sur la crête

en

du bois Fumin. Le terrain

est

mauvais, défoncé, glissant, fait il

une entorse

a les

:

défilé

et doit rester

le

boueux. Favre se en arrière. Aussitôt,

deux majors allemands à

ses pieds qui le

palpent, le frottent, le massent et multiplient leurs services. ».

Appuyé sur cette

singulière garde d'hon16


LES CAPTIFS DÉLIVRÉS

242

neur, il

il

parvient à rejoindre sa compagnie, mais

commandement au

doit céder le

sous-lieutenant

Place...

A

droite de la

compagnies

compagnie Favre,

s'étaient heurtées, le

22 e

les

21 e

et

24 octobre vers

deux heures de l'après-midi, aux défenses de

la

tranchée de Gotha. L'ennemi retranché, payant d'audace, sort de l'ouvrage avec ses mitrailleuses.

Le sous-lieutenant Hugonnenq,

fils

du doyen de

Faculté de médecine de Lyon, officier remar-

la

quable et d'un courage éprouvé, est tué; son

camarade,

le

sous-lieutenant Favrichon, blessé.

Mais, aidés par la demi-section du sergent Brochier,

ils

ont eu

le

temps de

sur l'ennemi qui se replie.

jeter leurs sections

Le brouillard

sipe, les avions volent au-dessus

du

fort

se dis:

sans

connaître encore les nouvelles, par ces mystérieuses affinités qui traversent les airs

oiseaux migrateurs,

de

la victoire.

mandes

les

les

hommes

Cependant

comme

des

ont la sensation

les mitrailleuses alle-

empêchent de progresser au delà de

ce premier bond.

La nuit finie et

officiers «

On

les

quand

surprend quand la ligne

cherchent à

la lutte n'est

demeure

pas

incertaine. Les

réparer cette

n'entendait pas un bruit, a écrit

confusion. le

capitaine


VAUX

LA BATAILLE DE

Fonbonne commandant

243

21 e compagnie; seu-

la

lement retentissaient par instants

appels de

les

trompettes lancés par une fraction allemande que

nous encerclions sur

le

Nez de Souville

de faire savoir qu'elle

tait ainsi

et qui ten-

résistait

encore.

»

Ces mélanges ne sont pas rares au soir d'une attaque.

La mort du sous-lieutenant Philippe va

être causée par l'intérieur

un retour

même de

nos lignes. Le sous-lieutenant

Philippe veillait sur ses terre

offensif de l'ennemi à

hommes

qui remuaient la

pour creuser une tranchée.

en large,

Il allait

canne sous

la

pipe à la bouche,

entend des pas derrière

la

Soudain

il

renfort,

ou une relève? Sans méfiance

tourne,

il

aperçoit des

lui.

de long le

bras.

Est-ce

ombres. L'une

d'elles

s'avance et prononce ces paroles étranges en :

«

C'est

çant et couvrant ses ajoute

le

un

— «Nous venons nous rendre. Où — moi Philippe

français parfait est l'officier?»

un

se re-

il

capitaine

»

,

hommes.

s'avan-

dit «

Un coup

Fonbonne à qui je

de feu,

dois ce récit,

quelques grenades, des ombres qui traversent, fuyant vers

les lignes

Philippe était balle au

allemandes, puis plus rien.

tombé sans un

cri,

atteint d'une

cœur, tué par un parti allemand égaré

dans nos lignes et qui tentait par ruse de fuir vers le village

ou

le fort

de Vaux. Ses

hommes

le ra-


LES CAPTIFS DÉLIVRÉS

244

mènent près de moi de froid

et

et,

de faim, je

durant

longue nuit

la nuit,

la veillée

fis

funèbre alors

qu'à quelques cents mètres Goury, qui devait

mourir le lendemain, pleurait son ami disparu. Philippe et Goury, sous-lieutenants à la

compagnie du 230

e ,

étaient tous

deux

d'apparence,

même

instituteurs

en Haute-Savoie. Une de ces amitiés guerre en noue

»

comme

la

les unissait, etpourtantils étaient,

si

différents

:

Philippe grand, sec,

robuste, plutôt silencieux, presque rigide,

cœur

ardent et sensible sous une écorce rude; Goury court et replet,

la face pleine et réjouie, le

cœur

sur la main, la plaisanterie sur les lèvres, gai

dans

les plus

dures traverses.

Comment ne

pas

rendrais-je

un hommage

mes deux glorieux compatriotes ? Auguste

rapide à

Philippe,

néàBeaumont

(canton de Saint-Julien-

en-Genevois) avait trente-trois ans. Fils de cultivateurs,

il

sortait

de

la terre

les plus solides et les plus

:

elle fait les races

soumises au devoir,

car elle est exigeante mais bonne conseillère.

Un

de ses frères, soldat au 140 e régiment, a été tué

en Champagne en septembre 1915. Instituteur à Saint-Didier, tandis

femme

qu'il

il

s'était

enseignait

instruisait

les

marié selon les

petits

petites

ses

goûts

garçons,

filles.

Ils

:

sa

prati-


LA BATAILLE DE VAUX

quaient

même

le

solidarité

humaine,

attendaient

leur qua-

idéal de

étaient heureux,

ils

ils

245

trième enfant, quand, sur cet humble bonheur, la

guerre éclata. La maladie vint compliquer la

comme

séparation. Philippe, appelé

sergent ins-

tructeur au 30 e régiment à Annecy, dut laisser sa

femme en

péril. Elle fut

sauvée et

une brève permission pour le

la

nouveau-né. Le 12 octobre,

Vosges avec

le

230 e

et

il

put obtenir

revoir et, avec elle, partait

il

pour

les

ne devait plus quitter

le

front. Ces détails de famille rappelleront à tant

de soldats vie

en

quoi

il

faut,

de temps à autre, descendre au

vie. Philippe est

nant en novembre 1914,

il

nommé

sous-lieute-

est cité à l'ordre

25 juin 1915. Mais

sa division le

militaires ne lui inspirent

les

de

honneurs

aucune vanité

en dedans, sans cesse ramené vers la

C'est pour-

reflète des milliers d'autres.

fond d'une

Une

épreuves qu'ils ont traversées.

les

:

vit

il

par

les siens

pensée, et l'on peut suivre dans ses lettres à sa

famille le travail intérieur qui le conduit à l'ac-

ceptation complète

au

sacrifice

donné pour ses

enfants.

parce qu'il

du devoir, à

accompli pour le Il

le

l'oubli

était

parti

soi,

pays, à l'exemple

soutien moral de sa

le fallait, et

de

femme

et

de

sans enthousiasme,

même

il

était

de ceux


LES CAPTIFS DÉLIVRÉS

246

à qui

la

comme une mons-

guerre apparaissait

trueuse erreur du passé. Ses premières lettres sont pleines de tendres souvenirs et de conseils

touchants sur l'éducation de ses enfants. La paix

de son foyer

On

connaître.

ment

Des chers

le suit.

petits

veut tout

il

devine les profondeurs du sentiPuis un autre souci

paternel.

prend,

le

peu à peu, souci de chef qui s'accorde avec conscience professionnelle scrupuleuse et rigoureuse

hommes

des

:

sa

délicate, presque

si

celui de ses

hommes,

diriger et conduire au

qu'il doit

combat. Son idéal tout humain trouve à s'ap-

hommes

pliquer. Ces

veut connaître,

il

qui dépendent de

lui,

il

les

veut se faire aimer d'eux, leur

inspirer confiance. écrit

Il

en toute simplicité, sans rien exagérer,

sans rien dissimuler.

peu

à

Aucune

peu on découvre chez

du danger que

le

«

qui est de

les rassurer

peur, et pour un peu

cache pas à sa

mais

il

femme

diminue pour

les

familiers

:

donner des

«

lui cet oubli

devoir recouvre.

cupé de sa tâche,

hommes, de

vantardise, mais

»

il

,

qu'il

est

complet si

préoc-

conduire ses

en omet d'avoir

s'en excuserait.

les risques qu'il

ainsi dire

Tu nés pas de

illusions

Il

en

les

Il

ne

court,

rendant

celles à qui

il

faut

de fausse sécurité. Je

t'es-


La bataille de

time plus haut que cela... la paix intérieure. «

Nous avons bien

wvt

ui

lui

recommande

Il

»

En mars 1916,

lui écrit

il

:

mais nous ne sommes

souffert,

que des gosses en face de ceux de Verdun. Peutêtre

que leurs

penseront

d'autres efforts.

sent que :

il

va, par

Verdun

lui

raffinée :

il

Il

lui fait

j'ai,

que tu m'as donné, tout

bonne

nécessaire pour que je fasse

il

y

hommage

Dis-toi bien,

«

la ras-

quand

et c'est, je crois, sa dernière lettre,

écrit-il

toi

elle pres-

;

prendra son mari.

de sa propre acceptation

que

l'effraie

n'y est pas encore envoyé. Et,

une délicatesse

dis-

Verdun, cependant,

»

préoccupe sa femme. Verdun

sure

nous

efforts, leurs souffrances

le

lui

courage

figure... Dis-

bien que tu es avec nos quatre chers petits

tout

mon bonheur

et toute

presque un testament.

Il

ma

ment des questions d'éducation ses enfants fussent élevés la dignité et

de

pensée...

se préoccupait :

il

»

C'est

constam-

voulait que

dans une haute idée de

la solidarité

humaines. Dans ce

constant travail de ciselure intime par lequel

il

s'affine et s'épure chercha-t-il à s'attacher

à

quelque chose de plus doux que pli

pour

gueil? «

»

le

Un

le

a

devoir accom-

devoir lui-même avec une sorte d'or-

de ses compagnons d'armes

un mystique dont

la foi

le définit

sur la fin regrettait


US

LES CAPTIFS DÉLIVRÉS

d'être toute

kumaine

»

et

,

comme taillée

ajoute

il

ne pouvait concevoir une

:

vilenie...

«

Son âme

elle était,

son corps, robuste et saine et

dans

le

roc...

Faction qu'il exerçait

son ordonnance ne voulut

:

pas quitter sa dépouille et

pleurant

comme

il

fut tué et vint ainsi se

il

comme

Dernier témoignage de

»

en

la veillait

coucher aux

pieds de son chef.

Cependant

le

combat reprend dans

la nuit.

Du

ravin des Fontaines à la crête et aux pentes ouest

du bois Fumin,

A

la

il

faut tenir le terrain conquis.

faveur de l'obscurité les Allemands tentent

une contre-attaque.

Ils

rôdent sans bruit, en

quête d'un passage.

Ils

surprennent une senti-

nelle qu'une grenade écrase. petit caporal

chantant tion

mais

:

Balestibeau, qui

est criblé

dont

fait partie

il

Il

de

un

nom

la sec-

a le flanc déchiré,

se redresse, s'offrant à l'ennemi, et crie

de toutes ses forces Il

éclat atteint

de vingt ans, un Landais au

du lieutenant Philippe. il

Un

:

«Aux

de coups et

faut sauver le

il

fusils,

meurt

nom. Les

:

camarades!

»

humble d'Assas fusils

partent et

l'attaque éventée échoue.

Le sous-lieutenant Goury ne survivra à Philippe qu'un demi-jour.

Il

n'avait cessé de plai-

santer à son habitude dans cette terrible journée


.

LA BATAILLE DE VAUX

du 24 octobre qu'en apprenant ami. L'aube du 25 fut radieuse

douceur avec avidité, puis section à l'attaque.

il

la

249

perte de son

il

:

dut conduire

lui-même de mourir. Cette attaque

tomba en avant de de

ses

:

se heurta à

Goury, une balle au front,

hommes

redoute allemande qu'il

la

la

sa

avait, dès la veille, accepté

Il

des défenses intactes

en respira

à quelques mètres fallait

emporter.

Il

avait exécuté sa consigne et précédé sa troupe.

Ainsi les deux amis furent-ils de la

comme

ils

Au régiment engagés, 6

e

le

du

étaient

le

même

voisin, le

5

e

pays.

333

e ,

les

.

deux bataillons

(commandant Deleuze)

(commandant Lourdel) doivent premier laissant passer

conquis

les

plus

:

le

et les

comme deuxième.

et

le

se succéder,

second après avoir

comme

tranchées de Moltke et Fulda

premier objectif, rières

même mort

Grandes

et Petites

Pas de surprise

Car-

non

dès que les vagues apparaissent hors de nos

tranchées, elles sont accueillies par les feux de

mousqueterie et de mitrailleuses.

compagnies, deux troisième, le

officiers

A

l'une des

tombent sur

trois

:

le

sous-lieutenant Bataillard, prend


LÈS CAPTIFS DÉLIVRÉS

250

sans désemparer

le

commandement et

tranchée de Moltke.

franchit la

Cette tranchée qui est lé-

gèrement à contre-pente a échappé à nos d'artillerie

quasi

est

:

les sapes

intacte

l'ennemi est

si

et

ne sont pas détruites, fortement occupée.

tirs

elle

Mais

stupéfait de notre élan et de notre

mépris de ses mitrailleuses en action qu'il lâche ses

armes

et se rend.

est simplifié

chent à

se

:

Le

travail des nettoyeurs

seuls, quelques groupes, qui cher-

défendre avec des pétards, sont exter-

minés. En dix minutes, cette première ligne de défense est entièrement conquise.

Un Ils

si

rapide succès excite, grise les

se précipitent sur les Carrières,

hommes.

ouvrage d'une

étendue considérable qui pouvait être un centre de résistance malaisé à réduire. Les premières

vagues

les

dépassent et vont en battre

les lisières

nord. Six mitrailleuses ennemies, sorties en hâte des profondes sapes où elles s'abritaient, n'ont

pas

temps de

le

vants.

se

mettre en batterie. Leurs ser-

ahuris de nous voir arriver, écrit un des

conquérants, alors qu'ils comptaient certaine-

ment

sur la protection que leur offrait la tranchée

de Moltke, se rendent sans combattre, à part quel-

ques les

isolés qui sont expédiés.

Carrières

sont prises

et

»

À

midi

et quart,

nettoyées presque


LA BATAILLE DE VAUX sans coup férir.

251

En une demi-heure

objectifs ont été atteints

Petites Carrières nord.

ou presque.

les

deux

reste les

[1

Le sous-lieutenant

Bailly

y court en reconnaissance avec une demi-section

un groupe d'Allemands veut tement

est

il

mis en

fuite.

se défendre,

Ton

Et

retard sur les emplacements enlevés.

Au boyau

avait continué

:

si

prodigieusement la résistance

les sections Larivière et

les

tué

comme

de ses pièces, debout sous

le

Védrines

deux chefs y

il

laissè-

commandait

rent la vie. L'aspirant Védrines qui les mitrailleurs fut

promp-

s'organise sans

Fulda, en arrière,

en vinrent à bout, mais

dirigeait le tir

feu pour

mieux voir.

Le bataillon Lourdel, qui doit dépasser bataillon Deleuze, se

pour éviter

met en marche à peu

midi.

De

le tir

de barrage

premier objectif;

deuxième vers deux heures de là,

il

ner par l'ouest

le

d'intervalle, franchit les

parallèles de départ, puis le atteint le

:

il

l'après-

doit se porter plus avant, contourle fort

de Vaux que

les

deux batail-

lons de chasseurs attaqueront de front. Mais le

mouvement ne peut

s'exécuter, à cause de ce qui

se passe sur la droite, à la

tranchée Clausewitz et

au Petit Dépôt. Contre-ordre est donné

:

les

com-

pagnies se fortifient sur place en reliant par des

tranchées

les trous

d'obus.

La

fin

de

la journée

du


LES CAPTIFS DÉLIVRÉS

252

24

et la nuit

du 24 au 25 sont

pour ces

utilisées

travaux.

La

résistance de l'ennemi au centre de la ligne,

c'est-à-dire

aux tranchées Glausewitz

et à l'ouvrage

du

Petit

le sol à droite

de

la

et Seydlitz

Dépôt qui dépasse à peine

route du fort et qui contient

des abris pour un bataillon entier,

fait

échouer

de Vaux.

l'attaque directe préparée sur

le fort

Pour

groupe des deux

cette attaque directe, le

bataillons de chasseurs, le 50 blés sous le

e

Or,

si le

sible

rassem-

nette devant lui.

230 e a progressé péniblement jusqu'à

emparé brillamment de

Moltke

,

faut, avant qu'il

il

qu'il trouvé place

tranchée Gotha qu'il n'a pu réduire, s'est

e

commandement du lieutenant-colonel

Desportes, a été réservé; mais soit lancé,

et le 71

et des

la

Grandes Carrières,

il

si

la

333 e

le

tranchée

de

a été impos-

au 299 e régiment (lieutenant-colonel Vidal)

de remplir sa mission dans bataillon Gasella

e

le

du 299 lance

temps ses

fixé.

Le

vagues d'as-

saut sur les tranchées Glausewitz et Seydlitz qui

sont malheureusement intactes, garnies de fer et protégées par des mitrailleuses.

vient à pénétrer que dans

Il

fil

de

ne par-

un élément d'où

il


LA BATAILLE DE VAUX

253

renvoie à l'arrière un officier et une vingtaine de prisonniers.

La

compagnie du 71

e

bataillon de chasseurs achève

de Clausewitz, mais

prise

la

heures. Reste

d'une

lutte se prolonge. L'aide

le Petit

plusieurs

après

Dépôt. Le bataillon Casella

ne peut l'aborder à cause des mitrailleuses. faut que le 71

e

bataillon de chasseurs le contourne

par l'ouest, tandis que

299

e

truit

déborde par

le

Il

le

Picandet du

le bataillon

nord-est, après avoir dé-

une section de mitrailleuses, flambé un

dépôt de munitions, dépassé un blockhaus. Mais à l'heure tardive (minuit) de ce succès

chèrement

payé, on ne peut plus songer à l'attaque du fort. Il

y faut d'autant moins songer que

les

deux

bataillons de chasseurs, destinés à l'assaut, ont

beaucoup

Le bombardement de

souffert.

l'en-

nemi, sur toute cette région de Vaux, a été continu, effroyable, meurtrier,

vu dans notre préparation

comme

s'il

d'artillerie

n'avait

des jours

précédents que l'indice d'une offensive sur Vaux,

estimantDouaumont hors de portée. Avant l'heure

même

de l'action,

le

50 e bataillon de chasseurs a

eu ses cadres décimés. Son chef, Imbert,

le

fait

le

progresser cependant à hauteur

du bataillon Lourdel du 333 e qui ,

rières. Blessé,

il

commandant

doit cédeple

est

aux Car-

commandement au


LES CAPTIFS DÉLIVRÉS

254

capitaine Magner. Celui-ci se porte à une dis-

tance de 3 à 400 mètres du fort, mais

il

est

arrêté par des feux de mitrailleuses et ne peut

avancer davantage, en raison de Petit

Dépôt

droite.

et

la résistance

du

du manque de couverture sur

sa

D'ailleurs les effectifs sont réduits, les

équipes spéciales de sapeurs,

de

porteurs

de

lance-flammes, de grenadiers, de nettoyeurs sont disloquées.

Le bataillon n'a plus tous

pour procéder à une attaque.

A

la

moyens

ses

nuit

il

s'orga-

nise sur le terrain qu'il a couvert, cherchant sa liaison à droite avec le 7

Le 25 au matin,

e

I

bataillon de chasseurs.

capitaine

le

à son tour, passer le

Magner

blessé doit,

commandement au

lieute-

nant Rousselot qui est chargé de ramener

le

bataillon en arrière pour le former en réserve de division. L'ordre

ne pourra être exécuté que

nuit suivante, tant le et

bombardement

la

est violent

rend impraticable une relève en plein jour.

Le 71 Cour) encore.

e

bataillon de

a traversé

Une de

des

ses

chasseurs

épreuves

compagnies,

(commandant plus

la 8

e

pénibles (capitaine

Paillard) aide le bataillon Casella à s'emparer de la

tranchée Glausewitz où

cent prisonniers et délivre

le

elle

cueille

plus de

sous-lieutenant Ber-

thelin qui avait franchi l'obstacle avec les pre-


LA BATAILLE DE VAUX

mières vagues de et

255

e 9 compagnie et qui, blessé

la

revenant en arrière,

s'était jeté

dans

les

mains

de l'ennemi à Glausewitz, croyant cette tranchée déjà entre nos mains. Glausewitz liquidé, c'est

combat du que

le

Petit Dépôt.

Il

manœuvrer

faut

:

le

tandis

bataillon Gasella l'aborde de face et que le

bataillon Picandet l'est, la

8

e

mouvement par

opère son e

compagnie du 71 bataillon de chas-

seurs prend par l'ouest.

La

7

e ,

capitaine Jolly,

vient la renforcer et subit des pertes graves par le tir

des mitrailleuses. Le capitaine Jolly, mar-

chant en tète de ses

hommes

ciance presque téméraire,

avec une

insou-

tombe un des pre-

miers. Descendu au fond d'un boyau par ses chasseurs et se sentant

avec ce message je suis

par

le

:

— Va

mort pour lieutenant

la

mourir,

dire au

France.

il

le

un de

renvoie

commandant que

Il

est

remplacé

Duménil qui perd presque aus-

sitôt trois

de ses chefs de section. Cependant on

aborde de

trois côtés le Petit

Dépôt, on y pénètre, grande galerie une centaine

on y trouve dans la d'Allemands qui se rendent. La liaison

s'établit

entre les chasseurs et les fantassins. Mais

il

est

minuit, et l'on ne peut songer à une nouvelle

progression immédiate. Le bataillon s'installe au

coude de

la

route de

Vaux

et

du nord du

Petit


LES CAPTIFS DÉLIVRÉS

256

Gomme

Dépôt.

Tordre de

comme vante.

50%

il

25 au matin,

reçoit, le

reformer en réserve de division

se

ne peut l'exécuter que

lui,

Il

le

ne

lui restait

que cinq

officiers

commandant*. Mais voici que, sur bataille

même,

trois

de ses

et,

la nuit sui-

le

dont

le

champ de

officiers, le capitaine

Fischer, les sous-lieutenants Ricoux et Ghasta-

gner, blessés au début de l'action, viennent, à

peine pansés, rejoindre leur corps. L'un est

vreux et porte

le

bras en écharpe

couvert de contusions. N'importe

que dans une et

ils

pareille bagarre

accourent sous

En revanche,

le

les

fié-

L'autre est :

ils

sentent

on a besoin d'eux,

obus et sous

les balles.

capitaine Paillard et le lieute-

nant Buisson, blessés et perdant beaucoup de sang, ne veulent pas s'en aller et

il

faut presque

les chasser.

#

Le bataillon Desbrochers des Loges (5 e ) du 222% à la droite du bataillon Casella qui fut

temps arrêté devant

les

les

prolongent s'achève,

long-

tranchées Glausewitz et

Seydlitz, a la charge de prendre, objectif,

si

comme premier

tranchées Mudra et Steinmetz qui

la

première ligne ennemie, laquelle

à l'extrême droite de notre dispositif


LA BATAILLE DE VAUX

de combat, par est confiée à

la

257

tranchée Werder dont

la prise

un bataillon du 30 e régiment,

pour second objectif,

redoutes, dont l'Abri de

Combat

Damloup. L'Abri de Combat,

et la batterie

noms que nous connaissons bien, célèbres où Ton s'est tant battu, où le 142

lieux e

et le

accomplirent des prouesses

commencement de

quand

juin

le fort

de

Dam-

batterie de

la

loup,

52 e régiments

et,

divers retranchements et

au

de Vaux fut

entouré, et qui ne furent submergés et perdus

que dans

la

grande attaque du

1 1

juillet.

L'Abri

de Combat est de dimensions étroites et n'a pas

Damloup est nombreux abris pou-

d'observatoire. Mais la batterie de

un vaste ouvrage dont

les

vaient contenir, avant

éboulée, pour

le

Son importance

qu'une partie n'en fût

moins une compagnie est

grande

:

elle

et

domine

demie. le

fond

de la Horgne, dont les pentes opposées conduisent au fort de Vaux, elle

ment de les

fonds de

village

commande

terrain, semblable à la

Horgne

et

de

la

le

mouve-

une jetée, qui, entre Gayette, conduit au

de Damloup au bord de

la

Woëvre. Le

vil-

lage est relié à la batterie par la tranchée de Saales. Prendre la batterie de tenir en partie les accès

Le

du

Damloup,

fort à l'ouest.

bataillon Desbrochers des Loges a II.

c'est

deux com17


LKS CAPTIFS DÉLIVRÉS

258

pagnies en première ligne, à gauche,

dide) droite,

et

la

une

18 e

la

19 e (capitaine Fai-

(lieutenant Golonna)

en soutien,

la

17 e

à

(lieutenant

Reneau). La compagnie Faidide saute d'un bond

dans

la

tranchée Mudra, y trouve quelque résis-

tance qu'elle brise, et s'empare d'une soixantaine

de prisonniers dont un

constamment gênée tion

du combat à

officier.

Mais

prolonga-

et entravée par la

sa

gauche dans

elle sera

la

tranchée

Seydlitz. Elle est prise de flanc par des mitrail-

leuses ennemies.

un pointeur,

Le lieutenant Onillon

tire

sur

tue et s'empare de sa pièce;

le

le

mitrailleur Gecillon tue les servants d'une autre

commande au

pièce. Mais le capitaine Morel, qui

bataillon la 5

e

compagnie de mitrailleurs, devra

mettre en surveillance face à gauche, organiser

se

la position, tirer

par intermittences dans

la direc-

tion de cet îlot qui éternise sa résistance devant le

bataillon Gasella

du 299 e Sa principale mission .

sera de couvrir sur la gauche son bataillon et de lui

permettre ainsi de progresser;

tera à merveille.

il

s'en acquit-

La compagnie Faidide pourra

se

porter en avant, prendre et nettoyer plusieurs abris, se maintenir à la

Golonna qui aura terie

hauteur de

la gloire

de Damloup, et

la

compagnie

de s'emparer de

même

la bat-

collaborer à cette


LA BATAILLE DE VAUX

259

dernière opération en fournissant l'appoint de la

du sous-lieutenant Dechatre.

section

La compagnie Colonna a commencé par enlever

tranchée

la

ennemie. Le

Steinmetz en première ligne

sous-lieutenant Marron y est blessé

à la tête et ne consent à quitter le terrain que

l'hémorragie devient trop abondante.

lorsque

Une

mitrailleuse

ennemie arrête

la

marche de

la

section Duchosal. Les soldats Gambrezat et Tripier s'élancent et debout, à quatre mètres, avec

une insolence inouïe, l'un des grenades,

ils

tirant, l'autre lançant

tuent pointeurs et servants. La

tranchée prise est pleine de cadavres ou de prisonniers. C'est

une section de

17 e compagnie qui,

la

sous les ordres du sous-lieutenant Frécaut, est

chargée d'aller en reconnaissance à l'Abri de

Combat. Le sous-lieutenant Frécaut dépasse avec ses

hommes

tion

la

tranchée Mudra, détache une frac-

sous les ordres du sergent

prendre

même

la

Roujon pour

position par l'ouest, tandis que lui-

l'attaque de face.

Il

entre dans l'abri qu'il

Un officier, blessé à la « Lieutenant, hommes

crible de grenades. se

rend avec

six

ma compagnie, peine l'abri

:

les autres

est-il

ont été tués.

»

tête,

voici

Mais à

occupé, que des mitrailleuses,


LES CAPTIFS DÉLIVRÉS

260

venant à

l'aide,

nant Frécaut

ouvrent

le feu.

les neutralise

Le

sous-lieute-

avec ses fusils-mitrail-

leuses.

Reste

on

la

fameuse batterie de Damloup. Au 222 e

est expéditif, et l'opération n'est pas longue.

Deux

sections de face,

au sud-est

:

tel

est le

lieutenant Golonna.

Il

une au nord-ouest, une dispositif adopté par le est aidé à l'ouest

par

le

e sous-lieutenant Dechatre de la 19 compagnie, et e à l'est par une section du 30 régiment qui opère

à sa droite. A.

doute

est

deux heures de l'après-midi,

la re-

en notre pouvoir, avec une centaine de

prisonniers dont deux officiers et tout un matériel.

Le bataillon Desbrochers des Loges

un succès complet

:

a

remporté

500 hommes de troupe,

10 officiers, 2 canons de tranchée,

18 mitrail-

leuses, plusieurs dépôts de munitions sont

bés entre ses mains. La batterie de

tom-

Damloup a

fourni, de ce butin, la plus grande partie.

Enfin, à l'extrême droite,

du 30 réussi.

e

le

régiment, n'a pas Il

a enlevé la tranchée

bataillon Baillods,

moins brillamment

Werder

chée von Klûck qui se rejoignent à vrent en équerre, triangulaire.

vant

formant

ainsi

et la tran-

l'est et s'ou-

une position

La tranchée von Klûck aboutit dede Damloup dont elle complète

la batterie


LA BATAILLE DE VAUX les

défenses.

mum de

a payé sa conquête d'un mini-

Il

pertes

:

un tué

et dix-sept blessés

journée du 24. Rien dans été laissé

261

au hasard

:

dans

la

la

préparation n'avait

trois

bons observatoires

avaient permis à l'artillerie de perfectionner son tir. Il

est vrai

que

la

zone à maîtriser était sans

profondeur pour l'ennemi qui avait à dos de

la Gayette,

en sorte qu'une

le

fond

fois installé, le

vainqueur n'avait aucune réaction à redouter, à la

condition toutefois que

fût enlevée.

la batterie

de Damloup

La compagnie de gauche du bataillon

Baillods, entendant dans le brouillard des mitrail-

leuses en action de ce côté, inquiète sur son flanc

gauche, détacha une flanc-garde d'une section

pour parer à ce danger

et ce fut cette section qui

donna un coup de main à du 222

Tel est la

compagnie Golonna

.

#

de

la

e

le

#

bilan de la bataille de

première journée. Toute

la

Vaux au

première ligne

des tranchées ennemies, de Hindenburg à der, est plète.

tombée.

A

droite, la victoire est

Nous tenons sous nos feux

Gayette. La prise de

la batterie

ouvre, d'une part,

le

soir

le

Wercom-

fond de

la

de Damloup nous

chemin du

village, et

de


LES CAPTIFS DÉLIVRÉS

262

l'autre l'accès

dans

du

fond de

le

pentes

du

est.

Au

la

par l'ouest, en descendant

Horgne

centre

Petit Dépôt,

rières,

fort

la prise,

après celle,

ravin

lente et difficile,

rapide, des Carfort,

mais facile

A

gauche,

si

nous tenons

des Fontaines qui nous permettra de

marcher vers l'étang barrés au bois

chée Gotha.

cris

si

une distance à découvert,

à surveiller et à battre.

glants,

en remontant ses

nous conduit aux abords du

laisse à franchir

le

et

et la digue,

Fumin par

Au

la

nous sommes

défense de

la tran-

prix de sacrifices cruels et san-

nous nous sommes rapprochés, mais

les

de victoire poussés à Douaumont n'ont pas

eu d'écho à Vaux. Le fort

assailli se

reçoit des renforts, toute l'artillerie

centre ses feux pour

le

protéger.

dressé au-dessus de la

son énigme.

défend

:

il

ennemie con-

Le grand Sphinx

Woëvre garde encore


II

SUR LE FORT

25 octobre.

journée du 24 octobre n'a pas été mar-

Si la

quée, à

l'aile

droite de l'armée française, par

un

succès aussi complet qu'à son aile gauche à la Carrière

mont,

d'Haudromont

la division

et à son centre à

Douau-

de Lardemelle a pu néanmoins

réaliser

un progrès

du

de Vaux à distance d'assaut. Surtout

fort

a réduit

un

à

un

pour

suffisant

les obstacles

rapprocher elle

rencontrés, ne lais-

sant subsister derrière elle aucune

mesure

se

menace,

et,

à

qu'elle avançait, elle a consolidé son front

qui a résisté à toutes

les

contre-attaques.

La

préparation d'artillerie n'avait pas écrasé toutes les

tranchées ennemies qui, au centre, ont ralenti

notre offensive. Le brouillard de la matinée du 24 avait

empêché

les

réglages sur le fort

même.

Enfin l'importance des centres de résistance qui


LES CAPTIFS DÉLIVRÉS

264

au cours de l'attaque n'avait pas

s'étaient révélés

permis à nos troupes de première ligne de contourner

ces îlots sous le

sans en entreprendre

feu des

le siège.

Le général de Lar-

demelle avait jugé plus prudent poursuivre leur réduction avec

mitrailleuses

de

et plus sûr

lés unités

amenées

à leur faire face et de rétablir avec les réserves le dispositif face à la direction des contre-attaques

probables. Ainsi les circonstances l'avaient-elles contraint,

pour s'emparer du

deux

ailes, le 7

e

I

e

du 299 à

qu'il destinait à l'assaut

Le combat

a

du

la

Du

du capitaine Favre

sans rencontrer de difficulté

Fumin. Devant

Siegen,

le

:

et à

la crête et les

les

bataillon

s'est

digue

l'est

de

prisonniers.

pentes ouest du

tranchées de Gotha et de

Berthelot et

Romain du 230 régiment e

la

des abris à

ramené quatre-vingts

Mais l'ennemi tient bois

la droite,

ravin des Fon-

avancée jusqu'à l'étang de Vaux

elle a

forces

les

nuit du 24

gauche à

la

est la suivante.

taines, la reconnaissance

il

fort.

continué toute

au 25. Le 25 au matin, de

digue

les

droite. Mais

pour cette manœuvre,

avait utilisé,

la

Dépôt, à

bataillon de chasseurs à gauche,

et le bataillon Picandet

la situation

Petit

manœuvre d'encerclement par

exécuter une

le

bataillon

sont arrêtés. Seul,

le


SUR LE FORT bataillon

265

Rendu, à gauche, pourrait avancer en

bordure du ravin

et le sous-lieutenant Place, qui

comman-

a remplacé le capitaine Favre dans le

dement de digue; mais

la

e

23 compagnie, de

l'arrêt

est retourné à la

ne permet pas

la droite e

Le 333 régiment

cette progression isolée.

bonne posture, au delà des Carrières emportées à côté

l'est

de

la

en

est

a

qu'il

route du fort. C'est de son

qu'une attaque sur

pourrait être

fort

le

tentée avec chance d'aboutir. Les deux bataillons

de chasseurs ont reçu l'ordre de se reconstituer

en réserve de division. Avec leur aide,

donc et

fini

par enlever

le Petit

le

Entre

222

lui et le

,

e

le

333 e

long couloir formé par

le

a

Dépôt, vers minuit,

par s'établir au delà, en liaison avec e

299

.

le

boyau des Maîtres-Chanteurs ramène cette ligne en arrière. Enfin,

le

bataillon Desbrochers

et le bataillon Baillods

mier coup leur

Damloup, sur

e

du 30 ont

objectif,

la crête

Horgne, coupant

atteint

au delà de

qui

la jetée

domine

e

du pre-

la batterie

de

fond de

la

le

qui aboutit au village

de Damloup et tenant sous leurs feux la

du 222

le

fond de

Gayette.

Le commandement estime nette pour que l'assaut être ordonné. N'est-il pas

du

cette situation assez fort

de Vaux puisse

en droit de compter sur


LES CAPTIFS DÉLIVRÉS

266

désarroi causé par la chute de

le

paralyser l'adversaire? division Àndlauer

la

à la disposition

attaque

cette

:

Il

met

Douaumont pour

trois bataillons

un du 305 e

et

du général de Lardemelle pour

qui

au 25 octobre

fixée

est

dix heures du matin. Le 4 e bataillon

dant Derode) du 305 e régiment est

bonne heure

assurer sa liaison avec e

du 222 en déblayant

le

Il

à

(comman-

mené de

à la tranchée de Seydlitz

place du bataillon Picandet.

la

de

deux du 216%

il

très

prend

commence par

bataillon Desbrochers

boyau des Maîtres-Chan-

le

teurs que l'ennemi tenait encore et qui creusait

un

saillant

matin,

il

dans nos lignes. Puis, à

attaque

sud du fond de

les

la

(capitaine Ghaduc) et 15

e ,

six

heures du

retranchements ennemis au

Horgne et

:

la

14 e compagnie

un détachement des 13

e

sous les ordres du lieutenant Noël, mar-

chent sur ces abris,

les

trouvant de nombreux

forcent et les nettoient, y cadavres, une centaine de

un important matériel de mitraillance-bombes, fusils, munitions. La main-

prisonniers, et leuses,

mise sur de

du

la

les

retranchements et

Horgne assure notre

les

pentes du fond

droite pour l'assaut

tort.

Cet assaut se déclenche à l'heure dite, après

une préparation

d'artillerie qui a

duré toute

la


SUR LE FORT matinée.

est

Il

Gargat) et 6

e

mené par

les

267

4 e (commandant

(commandant de Varax)

bataillons

e

du 216 (lieutenant-colonel Perchenet) Le

batail-

.

lon Lourdel, du 333

e ,

quia

si

l'enlèvement des Carrières,

brillamment achevé

la veille,

doit l'étayer

à gauche en se portant à la corne nord

en liaison avec

les bataillons

gresseront dans

le bois

dessus de la digue

Vaux

:

Fumin

à

du

du

du

fort,

qui pro-

hauteur

car l'attaque

au-

et

village de

Mais

les

du 230 rencontrent au bois Fumin

les

doit suivre de près celle

bataillons

du 230

e

fort.

e

retranchements des tranchées d'Altenkirchen et

même

de Siegen qui n'ont pas été détruits, ni désorganisés par

le tir

de

est impossible d'avancer. fait

le

mouvement

l'artillerie,

et

Le bataillon Lourdel

prescrit

:

la

21 e

230 de

e

la

la suit à

les laisse

a

23 e compagnie

(lieutenant Iwolski) atteint la corne nord la

leur

il

du

fort,

150 mètres en arrière. L'arrêt du en flèche. La 21 e

glisse à la

gauche

e

23 pour former crochet défensif. Mais

les

deux compagnies sont dans une situation précaire, prises d'enfilade

homme

fort.

Dès qu'un

visé.

Les liaisons sont

droite, les

taquer

par

les mitrailleuses

quitte son trou, difficiles. e

Que

deux bataillons du 216 chargés

le fort?

il

font,

du est à

d'at-


LES CAPTIFS DÉLIVRÉS

268

* # *

Ils

doivent partir des Carrières où

ils

ont été

massés. Les Carrières sont à cinq cents mètres du fort.

Le 6

e

bataillon a pour objectif le saillant

ouest, tandis fort par l'est.

que

le

4 e essaiera de contourner

Dans quel

du bombardement de désemparé

et

la

le

état est le fort à la suite

matinée? L'ennemi

est-il

tremblant dans ses casemates et ses

abris? A-t-il subi le contre-coup de la défaite de

Douaumont? et

ne

Laissera-t-il

lui opposera-t-il

approcher

l'assaillant

qu'une résistance molle

et

sans conviction? Dans les Carrières où les troupes

attendent l'heure,

les chefs

tâchent à s'en rendre

compte. Le chemin sera malaisé à parcourir

:

pas un coin du sol intact, partout des trous d'obus,

des fondrières, des souches arrachées, et a détrempé

tout

ce chaos. Nul

désolé, plus meurtri, plus funèbre. le la

la pluie

paysage

plus

Hardaumont

domine

et le bat de ses feux. Le fort vomit de fumée comme un cratère de volcan. Au mois

de juin, quand

le

pouvoir délivrer

commandement croyait encore commandant Raynal luttant

le

désespérément dans sa cave avec une troupe de héros, la brigade mixte, mise sous les ordres du


SUR LE FORT

269

composée du 2 e régiment de

colonel Savy et

zouaves et du régiment colonial du Maroc, parvint à déborder le fort sur les côtés, atteignit les

dut battre en retraite devant

Elle

fossés.

les

mitrailleuses qui occupaient la superstructure.

Le 216

e

heureux

sera-t-il plus

cette fois?

neuf heures et demie un obus tombe dans ;

rière sur le

groupe des

officiers

de

la

est

Il

Car-

la

22 e compa-

gnie, quatre sur cinq sont atteints, dont le lieute-

nant Brugel qui

la

commandait. Le cinquième,

sous-lieutenant Doutre, prend le L'artillerie

hommes

ennemie

attendent.

difficultés

fait rage. Ils

À

dix

Ils

:

officiers, les

Vaux, décidément,

sont prêts,

heures précises,

s'ébranlent.

commandement. Les

n'ont pas de doute sur les

de l'opération

un repaire tragique.

le

les

ils

iront.

deux bataillons

Dans chaque compagnie, deux

tions d'assaut, accolées,

est

sec-

forment deux vagues

et

deux sections de renfort deux autres vagues. Le

commandant

est

au centre du

teur de la troisième.

bonds successifs

dispositif, à

La progression

et courts.

A

gauche,

hau-

se fait le

par

bataillon

de Varax traverse sans trop d'encombre un pre-

mier Mais et

tir

de barrage, va s'appuyer à

route.

aux

saillants ouest

la ligne

qui sépare ces

les mitrailleuses placées

sud du fprt et sur toute

la


LES CAPTIFS DELIVRES

270

deux points entrent en action. Maudites mitrail-

du 8

leuses qui déjà firent échouer l'assaut

échapperont-elles donc toujours au artillerie?

Sur

fort

le

tir

juin,

de notre

comment

martelé,

de-

meurent-elles intactes? Trouvent-elles des abris

dans

bouleversement

le

Ordre

ture?

même

donné

est

de

aux

la

superstruc-

compagnies

de

stopper.

Mais

les

21 e et 22 e sont déjà parties et ne

peuvent être rappelées. Elles arrivent aux abords

immédiats du

fort. Elles

gereux Sphinx,

A

cher son secret.

l'amener

doivent

Doutre, qui

:

fort, la

le

22 e

,

pirant Néris. Le voyant tomber,

et

dan-

sous-lieutenant reçoit

une

c'est le dernier officier

compagnie qui tombe. A côté de ses

le

lui arra-

bonds qui

l'un des derniers

au

commande

en plein front

vont reconnaître

regarder face à face,

le

balle

de

la

lui se tient l'asil

se

tourne vers

hommes car tous deux étaient devant « A mon commandement, la 22 » Sous crie e

!

:

le tir

qui les arrose, tant de face que de flanque-

ment, une trentaine d'hommes parviennent aux fossés, se blottissent

dans

les trous d'obus. L'as-

pirant Néris, trois sergents et cinq grenadiers, se traînant, avancent encore et tentent d'aveugler les

fatales

mitrailleuses à coups de grenades.


SUR LE FORT

Deux hommes,

Néris est blessé à la tête.

atteignent la superstructure. Ils

Ils

sont sur

enfin,

le fort.

ont dépassé l'exploit des marsouins de Douau-

mont. Dans monstre.

Vaux. Et

la

ils

tempête,

posent

ils

le

pied sur

le

seront les premiers vainqueurs de

Ils

n'en sont pas revenus.

Les premières vagues de

pu

27J

se glisser

la

15 e compagnie ont

dans la direction du saillant sud,

cherchant à encercler

le fort

par

l'est.

Mais

elles

sont prises à partie par les batteries ennemies de la

Woëvre,

de lourdes pertes. La

et subissent

2 e section arrive jusqu'au fort avec des éléments

de

la

13 e et de la 14 e compagnies. Elle jette

des grenades à l'entrée des casemates qui lui font face. Les mitrailleuses la

ennemies crachent

mort sans discontinuer. L'angle ouest du

fort

en

est garni.

Impossible d'aller plus loin.

Pourtant, quelques fort au-dessus

du

hommes

fossé.

se

hissent

sur le

Le sous-lieutenant Mor-

gana y mène une partie de sa section. Ils ne peuvent s'y maintenir et redescendent. Les audacieux qui se sont avancés jusque-là, qui ont exécuté leur mission avec cette folie d'ardeur et de sacrifice,

n'ont

plus

que

quelques trous d'obus où biles,

de nouveaux ordres.

l'abri

ils

précaire

attendront,

Si l'ordre est

de

immode mar-


272

LES CAPTIFS DELIVRES

cher encore,

ils

du

marcheront. Mais

du monde. Toutes

reste

ils

sont coupés

commu-

tentatives de

nication par coureurs demeurent infructueuses

pas une ne parviendra à destination.

heures du matin, la nuit.

malgré

Et,

et

il

si

lente pour eux

l'ennemi, pour les découvrir,

inquiet de notre attaque, éclairantes, crée

onze

faudra rester ainsi jusqu'à

nuit venue,

la

la saison,

est

Il

:

un jour

multiplie les fusées

pour

artificiel

les

repé-

rer dans leurs trous, balaye sans cesse le terrain

du feu de

Ceux qui

ses mitrailleuses infatigables.

sont revenus de cet enfer ont connu le

de l'énergie humaine. pelés,

ils

se retrouvent

Au

petit matin, enfin rap-

aux Carrières.

L'attaque de face sur

le fort

réussi, parce qu'elle n'a pas

pu

de Vaux n'a pas

être suffisamment

étayée à l'ouest, et surtout parce que n'a pas

Vaux

pu maîtriser

doit

tomber

sa chute et d'artillerie.

:

les mitrailleuses. le

l'artillerie

Pourtant,

commandement

ordonne de reprendre Il

la

et

a décidé

préparation

faut reporter notre ligne

en arrière, jusqu'aux Carrières

Le mauvais temps

sommet

un peu

au Petit Dépôt.

et l'extrême difficulté des ob-


SUR LE FORT

273

servations vont prolonger cette préparation. Elle

pas la longue lutte entreprise sur la

n'arrête

gauche de

pour nous assurer

la division

sion définitive de la croupe la

du bois Fumin. Après

première ligne des tranchées ennemies, après ouvrages d'Hindenburg et de

les le

posses-

la

Sablière,

la

230 e a rencontré l'obstacle des tranchées de

Gotha

et

de Siegen.

tomber sur de

les

Ces

Fritzlar.

croupe du

en* a

Il

triomphé, mais pour

retranchements d'Altenkirchen

retranchements

vont

Successivement e

bataillon

mis à

Viotte qui

la

Romain,

du 305

la disposition

commande

Le 26

effort prolongé. e

village.

le

les bataillons Berthelot,

Rendu, ont fourni leur tobre, le 5

et

bois jusqu'aux pentes ouest qui des-

cendent sur l'étang de Vaux et sur

lay) est

de

(commandant

oc-

Bal-

du lieutenant-colonel

Une nouvelle

ce secteur.

attaque sera tentée sur Altenkirchen et Fritzlar

qu'une ligne solide puisse être établie de

afin

corne sud-ouest de l'étang de Vaux à de Fumin.

Au

du 305 e

bataillon frais

Viotte joint deux compagnies

230

e .

Ce bataillon est

Rendu, de

la

officier

du 6

commandé fille

le

de

croupe

le

colonel

bataillon

par

de réserve, qui est

célèbre sœur Rosalie,

e

la

la

le

du

capitaine

petit-neveu la

Charité.

Les lieutenants-instituteurs Philippe et

Goury


LES CAPTIFS DÉLIVRÉS

274

ont servi, en conduisant leurs

de solidarité humaine

Rendu

taine

la

;

hommes,

leur idéal

formation d'un capi-

est toute religieuse.

On

se souvient

de cette sœur Rosalie qui vint du pays de Gex

pour assouvir dans un quartier populaire de Paris au choléra

sa passion des pauvres, qui tint tête

en 1832,

pendant

et qui,

la

fut respectée des insurgés

Révolution de 1848,

au point de leur pou-

voir arracher toutes les victimes réfugiées chez elle

avec ce beau

cri

donné des

Filles

nition

Une

«

:

On ne

«

:

de

ici. »

Elle avait

Charité cette admirable défi-

la

Fille

tue pas

de Saint-Vincent-de-Paul est

une borne sur laquelle tous ceux qui sont fatigués ont la

le droit

de déposer leur fardeau.

Légion d'honneur sous

accepta

jamais

la croix

(1)

.

le

Décorée de

»

Second Empire,

par simplicité mais ne

la

elle

porta

Son petit-neveu, Xavier Rendu, ancien

élève des Beaux-Arts, architecte à Saint-Claude, la

devait mériter à son tour dans ces terribles

journées d'octobre devant Vaux avec cette citation

:

Capitaine au

230

e

régiment,

a

toujours fait

preuve des plus hautes vertus militaires tobre (1)

édit.)

1916 a V. les

conquis, dans

Semeurs

:

Sœur

un

.

Le 24

oc-

magnifique élan, les

Rosalie, par F.

Laudet (Perrin,


SUR LE FORT

275

positions allemandes de son secteur sur

une profon-

deur de 1 200 à 1 500 mètres. Arrêté ensuite dans sa progression

organisé

par un ouvrage ennemi puissamment

garni de mitrailleuses , a maintenu son

et

au contact de

bataillon

cet

ouvrage pendant deux

jours sous un feu violent, soutenant par une action personnelle

moral de

le

souci constant de la

ses troupes et conservant le

manœuvre ; a poussé

des recon-

naissances hardies très au delà de la position quil a

enveloppée pour couper nison.

de

A

le

ravitaillement de la gar-

capturé au cours de ces trois journées plus

400 prisonniers

et

7

mitrailleuses.

Le capitaine Rendu, comme Philippe, lui

comme

une femme de santé précaire

en bas âge.

le

lieutenant

tant d'autres, laissait derrière

Sa jeune

femme

et des enfants

avait offert ses

souffrances pour le salut de son mari et

réclamé «

à

même

Dieu qu'elles fussent augmentées.

Mais, disait-elle à sa garde-malade, je crains

d'avoir été présomptueuse, car parfois je souffre trop et cela nuit à l'accomplissement de

devoirs

d'état.

»

C'est ici

tueux et pieux rendu à une morte, car

elle

succomba à

mes

l'hommage respecsainte

et

à

une

ses souffrances

en

décembre (1916), comme son mari, après s'être illustré dans les combats de Vaux, avait obtenu


LES CAPTIFS DÉLIVRÉS

276

de venir voir leur troisième enfant nouveau-né. Il

n'est pas indiscret de

donner sur l'un ou

l'autre

de nos combattants ces détails privés sans quels ne se pourraient comprendre ni tère de cette guerre ni la tels

et la vertu

de

exemples.

Le n'a

grandeur

les-

carac-

le

tir

pu

de

l'artillerie

lourde, à cause du temps,

être réglé ni par observateurs terrestres,

ni par

A

observateurs aériens.

cinq heures du

soir, l'attaque est lancée. Elle atteint et nettoie

plusieurs abris du bois

Fumin où

de cent prisonniers, mais elle défenses toujours intactes de

la

sont se

heurte

et

de cés

compagnies fin

,

est tué.

de combat des détachements

une tranchée

la

Le

les plus

reliant

sud-ouest de l'étang de Vaux à

de

commansoir,

emplacements

s'installent sur les

et creusent

aux

neuf chefs de section. Le

sous-lieutenant Rey, du 230 e les

plus

tranchée d'Alten-

kirchen. Le bataillon Ballay perd un

dant de compagnie

faits

avan-

corne

la

la partie

ouest

tranchée de Gotha qui est en notre posses-

sion. Les prisonniers ont signalé la présence de

onze mitrailleuses dans

le

boyau d'Altenkirchen

qu'il faudrait battre d'enfilade

toute la position de la croupe

pour

faire

tomber

du bois Fumin.


SUR LE FORT

277

#

#

Le 27 octobre, commence

la relève

de

la divi-

sion de Lardemelle par la division Andlauer dont

plusieurs bataillons pris au 305 e et au 216 e ont

déjà

été

engagés. Le général Andlauer entre-

prendra une série d'opérations locales pour se relier

par

la

digue à

la division

Arlabosse qui a

relevé la division Passaga et pour entrer en possession de tout le bois

abord ouest du

fort.

Fumin

et tenir ainsi les

L'audacieuse attaque du

25 octobre qui nous a menés sur

la

superstruc-

ture a montré à l'ennemi notre volonté inébranlable de pousser notre offensive jusqu'à la prise

de l'ouvrage. L'ennemi a pu se rendre compte

que

les

jours du fort étaient comptés et ne dépen-

moyens manœuvre qui

daient plus que du renforcement de nos matériels et de l'achèvement de la

l'encagerait définitivement par la possession des

pentes ouest et

Au 28

octobre, la bataille de

nait plus de

42

est.

1

officiers, 4

Vaux nous don-

500 prisonniers hommes de troupe, canons français de 90, 23 lance-

mines, 54 mitrailleuses, deux lance-flammes et

un butin considérable de

fusils et

de munitions.


LES CAPTIFS DÉLIVRÉS

278

Quelques jours plus tard,

général de Larde-

le

melle, voulant fixer le souvenir de cette lutte de trois jours

furent

où tant de bravoure

dépensées,

troupes

adressera

et

cet

d'endurance ordre

à

ses

:

Vous venez d'écrire avec votre sang une page admirable devant laquelle s'inclinera

Devant vous prise,

la postérité.

ne pouvait être question de sur-

il

l'ennemi vous en avait avisés

la

veille

de

l'attaque.

Devant vous, dans

la

zone des approches du fort

de Vaux, sur une profondeur de douze cents mètres,

l'ennemi avait accumulé obstacles sur obstacles, pensant ainsi rendre vaines toutes

les tentatives

dirigées

contre cet ouvrage.

Tous

ces obstacles ,

un dans une

lutte

qui dura vingt heures,

voure

et

les

avez renversés un à

et

dans laquelle votre bra-

vos qualités manœuvrières eurent raison de

la ténacité

La

vous

pied à pied d'une violence inouïe

allemande.

question des approches du fort de

été ainsi résolue

Vaux ayant

par votre vaillance, l'ouvrage de-

vait tomber sans coup férir entre nos

mains peu de

jours après. Vous avez fait ce que l'ennemi considérait

comme


SUR LE FORT impossible.

Vous

avez provoqué son admiration.

Honneur à vous, mes que vous avez remplie de vous-mêmes, votre vivra

!

279

gars,

pour

la

rude tâche

si glorieusement. Soyez fiers

race est la plus belle

:

elle


111

LE JOUR DES MORTS DANS LE FORT DE

Au

VAUX

général Andlauer revient l'honneur d'avoir

réoccupé

le

dont

fort

voqua l'évacuation par repris les villages

la

bataille de

les

Vaux

Allemands,

fameux de Vaux

pro-

et d'avoir

de

et

Dam-

loup.

Le 28 octobre, un pionnier

fait

prisonnier

donne des renseignements précis sur 300 hommes y tiennent garnison,

Pendant que et

relèves d'infanterie

118 régiments prenant e )

bétonnés,

la face sud.

les

e

216

la

le

19°

(les

place des 305

e

et

s'exécutent régulièrement, et qu'une lente

progression se poursuit à l'ouest au bois

:

mitrail-

les

leuses sont installées sous des abris

principalement à

le fort

305 e régiment a repris

les

Fumin

attaques du 230 e

sur les tranchées d'Altenkirchen, et à

l'est

au-

dessus du fond de la Horgne où la tranchée de Saales qui joint la batterie de

Damloup

à

Dam-


MORTS DANS LE FORT DE VAUX

LE JOUR DES

loup est pour tillerie

de

la

masse de

ses

tir

:

la

de barrage sur toutes

sur la route de

Damloup

les

le fort

et

région inha-

de harcèlement sur tous

d'interdiction dans le fond

l'ar-

155 et de ses 220.

déluge de fer rend à l'ennemi

bitable tirs

grande part occupée,

lourde écrase sans discontinuer

ses entours

Un

la plus

281

abords,

les

voies d'accès, tirs

du ravin de Fumin

à Vaux,

et

de destruc-

tirs

La

tion enfin sur le fort et sur le village.

riposte

de l'adversaire, d'abord redoutable, va en dimi-

nuant il

il

:

a tenté de résister à notre domination,

il

la subit

en grondant,

elle

redouble ses coups,

cède. Cette lutte d'artillerie dure sans inter-

ruption du 28 octobre au 2 novembre.

Le feste

2

novembre,

que

de porter

le

la

disproportion est

commandement juge

le

coup

décisif.

encore se défendre

le

si

mani-

moment venu

Sans doute

le fort

peut

l'infrastructure doit garder

:

des parties intactes et dans des conditions aussi

défavorables

le

mes, débordés

commandant Raynal et cernés,

et ses

hom-

ont tenu et n'ont été

forcés que parla soif. Mais la ténacité est

devenue

vertu française. L'attaque est fixée au 3

novem-

bre, dans la journée. se précipitent

:

le

teurs signalent des

Cependant

les

événements

2 au petit jour, nos observa-

mouvements de troupes en


LES CAPTIFS DELIVRES

282

du

arrière

s'en vont.

moins

fort; ces troupes, Il

lieu

d'approcher,

y a donc une évacuation, tout au

partielle,

un peu plus

au

du

fort.

Des explosions y sont,

tard, signalées. Enfin le

radiogramme

allemand annonce lui-même, dans l'après-midi, l'évacuation totale.

Le général décide de brusquer l'occupation. du 2 au 3 novembre,

Elle se fera dans la nuit

mais sera précédée d'une reconnaissance qui

se

rendra compte des lieux. Contraint d'abandonner

un

pareil point d'appui qui nous

la

Woëvre

donne barre sur

et qui fut le théâtre

de l'un de ses

succès les plus longuement disputés, les plus sanglants, les plus célèbres, contraint d'avouer par là sa

renonciation définitive à toute entreprise

nouvelle sur Verdun, l'ennemi a pu nous tendre

un piège, tout au moins céder un terrain miné.

Le capitaine de Persan, de l'état-major de division Andlauer,

est

envoyé, porteur des or-

dres, au lieutenant-colonel

298

e

régiment alors

Le 298 tres

dont

e ,

dont

les

Hauw, commandant

en réserve

de

drapeau

l'attaque

du

est décoré.

fort;

pénétrera dans

le

division.

contingents solides et opiniâ-

viennent du Forez, est un régiment le

la

le

le fort,

Il

était

d'élite

désigné pour

premier détachement qui il

le

fournira. Ce sera pour


LE JOUR DES

MORTS DANS LE FORT DE VAUX

revanche des journées de juin,

lui la

283

haras-

si

santes et angoissantes, qu'il passa aux abords

immédiats de Vaux où

muré. On

était

commandant Raynal

le

de

était alors sans nouvelles

l'in-

térieur dont les messages optiques ne parvenaient

quand un groupe du 101 e dont

plus,

,

dier Vanier, et

le

e

un groupe du 141 dont

brancarl'aspirant

Buffet, réussirent à s'évader dans la nuit 5 juin (1)

:

ils

e

terré

Petit Dépôt. Les

pre-

furent recueillis par

entre les Carrières et

miers témoignages,

il

le

du A au

les a

le

entendus.

298

était là

Il

encore, lorsque les zouaves et les marsouins,

dépassant

le 7 juin,

de délivrance. devant

Il

tentèrent

les

vit

le

suprême

effort

revenir après l'échec

les mitrailleuses. Ainsi,

les plus

pathé-

tiques journées de Vaux, les plus cruelles,

secteur,

le

fort qu'il a

prêt à

il

il

a été choisi pour l'assaut.

vu perdre,

il

le

reprendra.

marcher quand arrivent

les

les

Revenu

a vécues et n'en a pas perdu le souvenir.

dans

le

Il

Le

était

nouveaux or-

dres.

La mission confiée au lieutenant Diot, commandant la 21 compagnie, est celle-ci recone

:

naître

Cl)

V.

si

le fort

les

de Vaux, dans lequel un incendie

Derniers jouis du fort de Vaux.


LES CAPTIFS DELIVRES

284

occupé ou libre de tout ennemi

s'est déclaré, est

dans ce dernier cas, l'occuper. Les

hommes

;

sont

transportés en automobiles à la batterie du tunnel

de Tavannes.

Il

est huit

heures du

soir.

Le

taine de Persan, le lieutenant Diot et le

lieutenant Lavève, qui doit conduire

capi-

sous-

un détache-

ment du génie, les ont précédés. A son poste de commandement, le général Andlauer leur a donné le

ses dernières instructions.

commandant

le

1

18 e qui doit fournir une compa-

gnie de soutien. C'est elle

contournera

au delà, sur de

Vers dix heures,

lieutenant Diot s'arrête au poste du colonel

la

les

la

le fort, le

compagnie Fouache

:

dépassera et s'établira

pentes qui font face à

la

plaine

Woëvre.

Le lieutenant Diot aux abords du

fort.

se dirige avec sa

compagnie

Vers minuit, trois patrouilles

sont envoyées en reconnaissance

:

une du 298 e

sur la face ouest-sud du fort, celle qui se présente du côté français, et les deux autres du

1

18

e

avec ordre de déborder l'objectif à l'ouest et au sud-est.

Le lieutenant Diot attend

ments de aucune

ses patrouilleurs

fusée,

:

aucun coup de

les

renseigne-

la nuit est

feu,

sombre,

mais des bar-

rages en arrière, vers les Carrières et

le

Petit

Dépôt. Une escouade de coureurs est formée pour


LE JOUR DES

MORTS DANS LE FORT DE VAUX

Les patrouilleurs rentrent

assurer les liaisons.

une heure plus tard

285

:

les

abords et

le fossé

du

fort sont libres.

Le lieutenant compagnie,

la

personne avec

Diot, après avoir fractionné sa

conduit au le

y pénètre de sa sous-lieutenant Lavève et le fort. Il

détachement du génie, non sans avoir éprouvé quelque

difficulté à découvrir

une ouverture.

Il

inspecte rapidement l'infrastructure qui est déserte.

y

est

Des débris y fument encore, l'atmosphère presque irrespirable. Un peloton de sa com-

pagnie est appelé à l'intérieur. L'autre monte sur la superstructure.

Le lieutenant Labarbe

et sa

section trouvent, en haut, une issue par laquelle

descendent

ils

3

et

rejoignent les occupants. Le

novembre, à deux heures trente du matin,

presque cinq mois après sa chute, est

le fort

redevenu français. Le second captif

de Vaux est dé-

livré.

Un jour

entier, le fort est

demeuré

vide, et ce

jour, le sort a voulu que ce fût la fête des Morts.

Les lueurs

Allemands sont

partis

du matin, non pas dans

la

aux

premières

calme exécution

d'un plan mûri qui s'accomplit à l'heure

fixée,.


LES CAPTIFS DÉLIVRÉS

286

préparatifs terminés à l'avance,

sans hâte, les

mais dans

précipitation d'un départ

la fièvre et la

improvisé qui ressemble étrangement à une

De

cette fuite le butin

abandonné

est la

un million de cartouches, un millier de

fuite.

preuve

:

bouteilles

d'eau Minérale, trois mille boîtes de conserves, tout un matériel de fusils, de grenades, de lance-

flammes, quatre mitrailleuses dont deux empaquetées,

prêtes

à

être

Gomme

emportées.

Douaumont, bien qu'en moins grande des papiers révélateurs ont été laissés

;

à

quantité,

parmi eux

une consigne, datée du 21 octobre, concernant la

défense du fort en cas d'attaque. Les fuyards

se sont bousculés. Ils ont pris leur résolution la

nuit et

ils

Ainsi n'ont-ils pas eu les

dans

ont voulu profiter des ténèbres. le

temps d'accomplir toutes

destructions qu'ils eussent souhaitées. L'ar-

rière-garde a

voqué ça petit

promené au hasard

et là l'incendie,

même

la

torche et pro-

l'explosion d'un

dépôt de grenades ou de cartouches.

nous avaient accoutumés à un travail plus

Ils fini,

plus soigné, plus perfectionné. Visiblement c'est

l'œuvre de gens pressés dont ils

la

main tâtonne. Et

ont tant bien que mal bouché

les issues

pour

retarder l'entrée du vainqueur. Départ piteux

dont

le

témoignage

est partout écrit

dans

le fort


LE JOUR DES MORTS DANS LE FORT DE VAUX sali,

somme

maculé, pollué, mais,

287

toute, intact;

départ brusqué qui ressemble à celui des voleurs

quand l'aube menace. Il

du

de minuit lorsque

était plus

envoyée par

fort. Elle a suivi ce fossé à

mur

le

la

patrouille

lieutenant Diot parvint au fossé

le

demi comblé par

d'escarpe écroulé. Elle a vaguement dis-

tingué dans l'ombre les emplacements béants des

casemates, pareils à des ouvertures de grottes.

Épiant

ment,

moindre

le

bruit,

elle a interrogé le

silence.

Puis

le

et interprété

son

lieutenant du génie et ses

le

est entré

il

moindre mouve-

lieutenant Diot s'est avancé à

son tour. Et, avec

hommes,

le

Sphinx

dans

le fort.

Mais, entre leur départ et notre arrivée, tout un

jour

s'est

Vaux ont

écoulé. Tout

leur défaite

de terre,

un

été les maîtres,

abandonne

mais

et

jour,

les

non pas

morts de

les leurs

que

recouvre d'un peu plus

les nôtres, délivrés

sous une terre

qui est redevenue française. C'est aux morts que le fort

a été rendu.

et ils attendaient,

L'ennemi ne ils

les voyait pas,

guettaient sa fuite pour

célébrer leur fête. Alors, dans les couloirs, dans les

casemates, dans

tout

ennemi

vivant,

les ils

chambres débarrassés de se sont rassemblés

comme

une mystérieuse garnison. Morts des premiers


LES CAPTIFS DÉLIVRÉS

288

mois de mars, morts des 407 e

assauts du e

408 régiments tués du 71 e régiment

du

à l'entrée

et

morts

village,

territorial tués sur les parapets,

morts du 3 e bataillon de chasseurs et du 158 e ré-

giment tués sur assauts de juin, rent ces

les pentes,

du 101

e

et

morts des mortels

du 142 e qui défendi-

décombres quand l'ennemi

était autour,

dessus et déjà dedans, morts tout chauds encore

du 216

e

qui, le 25 octobre,

marchèrent sous une

pluie de feu jusqu'aux fossés, morts des

brables

combats

humaine,

les voici

livrés

sur

ce

les

ils

appellent à

morts de Verdun, ceux des premières

journées qui

ont

revanche, ceux de partis avec tant

table

chair

qui se rangent en ordre par

bataillons et par compagnies. Et

eux tous

innom-

de

sol

attendu la

leur

dernière offensive qui sont

de confiance. N'est-il pas équi-

revivent

qu'ils

longtemps

si

le

jour

leur

s'achève, et peut-on concevoir sans eux

œuvre

la libéra-

tion d'une parcelle de territoire?

Un grand

poète de chez nous a écrit que

yeux humains ne sauraient sans templer trop longtemps «

Les déesses

niquement,

mêmes

le

se

les

détourner con-

spectacle de la douleur.

s'en lassent, ajoutait-il iro-

et les trois mille

Océanides qui vin-

rent consoler Prométhée sur sa croix du Caucase


LE JOUR DES MORTS DANS LE FORT DE VAUX s'en retournèrent le la victoire

soir. »

Vaux

289

est conquis, et

de Vaux est acquise. Avant de se tour-

ner vers cette victoire, pour que nul ne soit plus tard tenté d'oublier les sacrifices qui la payèrent,

pour que

soit

qui précéda

devant

le

symbolisée

la joie

la

douleur de Verdun

de Verdun,

triomphe cette

vigile

le

destin a placé

que

fut,

dans

fort désert, la fête des morts.

19

le


IV LA VICTOIRE APTÈRE

L'ennemi

s'est replié

Vaux. Le 3 novembre

au nord du ruisseau de

le

118 e prend possession

des glacis du fort jusqu'à la ligne de plus grande pente. le

Le

4, des patrouilles d'officiers explorent

ravin de l'ouest, jusqu'au cimetière et aux pre-

mières maisons du village

;

là elles

par des coups de feu. Mais, dès

le

sont arrêtées

lendemain

5,

e

un détachement du 19 régiment peut s'avancer au delà et capturer un sous-officier allemand et quelques hommes. De l'étang au village de Vaux, ce n'est d'ailleurs qu'un vaste marécage. Néan-

moins,

les ruines

sont fouillées et les pentes gar-

dées.

Damloup vembre.

Un

est,

de

même, réoccupé

petit poste

une cave. Le

allemand y fut

sous-officier qui

le

le

4 no-

pris

dans

commandait

ayant exprimé son désappointement d'être

cueilli


LA VICTOIRE APTÈRE

moment

au

d'une relève, nos

291

hommes attendirent

emmenèrent par surcroît. nous sommes redevenus les maîtres de

cette relève qu'ils

Ainsi

tout le plateau et des ravins qui l'entourent et

que commandent à leur embouchure

Au

de Damloup et de Vaux. tenons

la

crête militaire qui, à

mètres au nord-est,

cents

abruptes tombant sur

fort

nous

deux ou

trois

domine

mars, avant

les

les

pentes

de Woëvre. Notre

la plaine

ligne est rétablie telle qu'elle était

contre

les villages

du

delà

au début de

attaques directes de l'ennemi

le fort.

*

.

.

.

Au-dessus d'Athènes, à l'extrémité du rocher

de l'Acropole,

découpe sur

le petit le

ciel

temple de

pur

la Victoire se

comme un

mer. Ses colonnes ioniques,

si

semblent ne supporter aucun poids les

porte elles-mêmes.

domine

le

De

cap sur la

fines et élégantes,

cet

:

la

lumière

emplacement, on

port du Pirée, la baie du Phalère,

l'île

de Salamine. Tout, clarté

ici,

semble

du jour,

offrir

la gloire

font retentir. Mais

des ailes

:

l'air,

la

du passé que ces noms

la Victoire à

qui les Athéniens


LES CAPTIFS DÉLIVRÉS

292

offrirent

vain

lui

un temple

est la Victoire

chercherait-on des

C'est, expliqua jadis

aptère

:

en

ailes.

un Grec

subtil,

afin

qu'elle ne déserte plus Athènes.

La de

de Vaux n'a pas eu

victoire

la victoire

le prestige ailé

de Douaumont. Elle fut plus lente,

plus difficile, plus coûteuse. Cependant elle est

peut-être plus

significative

encore.

Un ennemi

qui abandonne une place avoue un moral plus affaibli

toire

va

qu'un ennemi qui

de Vaux, c'est

plus.

sauvée.

Elle

se

défend mal. La vic-

la victoire

aura son

aptère qui ne s'en

temple

dans Verdun


LIVRE V

LES SANCTUAIRES



VAUX 3 novembre 1916.

Le

Vaux

fort de

a été repris cette nuit,

mon

colonel.

C'est déjà

connue à

trois

une

vieille nouvelle.

Nous l'avons

heures du matin. Une chaîne de

coureurs a relié immédiatement

mier poste de commandement du 118 téléphonée à

au pre-

le fort e

qui Ta

demander une

faveur.

la Division.

Alors, je viens vous

— Laquelle? — Y monter. — Attendez point de La boue barrages nombreux. — D'autres y y — Évidemment. Eh commandant de :

il

n'y a

piste.

est effroyable et les

sont et d'autres

vont.

bien, le

Douglas doit y aller. Le général vous autorisera sans doute à l'accompagner. Vous serez averti.


LES CAPTIFS DÉLIVRÉS

296

Ainsi ai-je obtenu la promesse du colonel Fiévet,

chef d'état-major du groupement Mangin.

5 novembre.

Le rendez-vous

est à la

bord du bois des Hospices

:

ferme Bellevue, au de

nous passerons

entre Tavannes et Souville pour obliquer à droite

dans

la direction

du Ghênois. Voici

le

dant de Douglas, chef d'état-major de

commanla division

Andlauer après avoir commandé un bataillon de chasseurs à pied.

Du

chasseur

il

a gardé le pas

rapide et l'allure allègre. Mais notre marche est bientôt ralentie. rition, s'est

Bien

La lune, après une timide appa-

couchée, et

qu'il soit plus

rien ne présage que

jamais

boyau

finir. si

la nuit est toute noire.

de quatre heures du matin, cette

épaisse nuit puisse

Nous nous étions engagés dans un

rempli d'eau que nous devons l'aban-

donner. Aucune piste n'est encore tracée

et

nous

suivons la vague levée de terre qui accompagne ce boyau, en évitant les trous d'obus. évite malaisément, et de

mation ou

le

On

temps à autre une excla-

bruit d'une chute dans une

mare

indique suffisamment que l'un ou l'autre de petite caravane barbote

les

la

au fond d'un entonnoir.


VAUX Il

faut

trous la

si

297

décidément prendre garde.

y a des profonds qu'on risque de s'y enlizer dans Il

boue. Et l'on s'accroche à des restes de

de

souches d'arbres arrachés, et Ton fran-

fer, à des

Ma

même

ou

chit des branches travers.

fils

des troncs jetés en

de nous se décide à faire

foi! l'un

usage de sa petite lampe électrique. Mieux vaut encore attirer

Un

les

obus que

souvenir littéraire

me

se casser

une jambe.

revient. Sainte-Beuve,

qui devait se battre en duel un jour de mauvais

temps, déclara qu'il ouvrirait son parapluie sur le terrain;

un coup de

voulait bien recevoir

il

mais non pas attraper un rhume de

pistolet,

cerveau. D'ailleurs, en perdant Douaumont,

ont perdu leur meilleur

observatoire.

ils

Cepen-

dant, ces lueurs intermittentes empêchent les

yeux de s'accoutumer à l'obscurité. Quand ténèbres retombent,

il

semble que

le sol se

les

dé-

robe. Les fusées qui déchirent la nuit achèvent

de jeter

le

trouble et l'hésitation sur la

elle-même,

si

elles

permettent de

marche

rectifier

la

direction.

Le guide meilleure.

queue de

a

trouvé

Gomme

piste

en montagne, de

un peu

la tête à la

colonne, chacun passe au sui-

la petite

vant les consignes

une vague

:

entonnoir à gauche,

fil

de fer


LES CAPTIFS DÉLIVRÉS

298

à droite. J'ai mis

mou,

Un

pied sur quelque chose de

le

et instinctivement j'ai fait

de lumière

jet

jaillit

sur

un pas en

arrière.

un uniforme

vert,

maculé de sang.

Un

me

Boche,

dit

mon

voisin.

Nous avons

passé le Chênois et laissé le Petit Dépôt à notre

gauche. Nous arrivons au fond de passé

là.

Il

la

Horgne.

J'ai

n'y a guère que des cadavres alle-

mands. J'aime mieux ça.

quand

j'étais

venu,

Au commencement de mars, n'y avait que des cadavres

il

français, coureurs, relèves

ennemie

Vaux

:

ou corvées de

Au commencement de mars,

lement.

écrasait sans répit toute

les

210 arrivaient en

nôtre, aujourd'hui,

dont

la

la

région de

rafales.

C'est

la

voix domine. Les

éclairs

de nos

batteries nous

départ

comme

des regards amicaux.

teries

ravitail-

l'artillerie

réjouissaient au

allemandes répondent assez mal.

Les bat-

A

que nous nous rapprochons, néanmoins,

mesure les écla-

tements deviennent plus nombreux autour de nous. Je n'avais pas suivi ce chemin. J'avais pris par la

Vaux-Régnier

et la route

nous descendons dans

remonter ensuite

le

du

fond de

fort, tandis la

les pentes. Il fait

que

Horgne, pour

moins sombre

:


VAUX voici la pointe

du jour, une aube lugubre,

fureuse, couleur d'ocre. l'endroit

299

sul-

Nous distinguons mieux

où nous marchons. Les ténèbres étaient

préférables du moins recouvraient-elles d'un manteau pudique les blessures de la terre et les :

restes

humains. De ce

sol qui, jadis,

porta des

arbres, de la verdure, et des fleurs au printemps, la

guerre a

pouce n'est

fait

un désert chaotique dont pas un

intact, et qui est tout entier

comme

une vaste plaie purulente. Les entonnoirs

se

rejoignent, se recoupent, entrent les uns dans les autres.

Dans

les rares intervalles, la terre rejetée

forme des excroissances, des boursouflures. Au fond des trous stagne une eau verdâtre. Des

équipements, des sacs, des armes, des débris de toute nature y nagent. Çà et

là,

dans cette eau

croupie ou bien appuyé à l'une des bosses de terre,

gît

un cadavre ou quelque morceau de

cadavre. Celui-ci qui est recouvert d'une toile de tente, c'est, par exception,

Allemands, dans leur

un des

retraite, ont

nôtres. Les

laissé

de nom-

breuses plumes.

Maintenant, nous gravissons qui,

du fond de

la

la

dernière pente

Horgne, nous mènera au

fort.

Nous croisons une corvée de ravitaillement qui redescend, des brancardiers emportant un blessé,


LES CAPTIFS DELIVRES

300

au prix de quelles

difficultés! sur

peine tracée. Et

fort

nant

le

plateau

le

une

piste à

nous apparaît, couron-

allongé,

en forme de meule

écrasée et sombre. Les ouvertures des casemates

y dessinent des taches plus claires

tre.

et régulières,

mons-

aux yeux multipliés d'un

pareilles de loin

Je resterais volontiers en contemplation de-

vant cette vision

:

le

Sphinx de

la

l'appelaient les chasseurs, est

Woëvre, comme

là.

Il

est

devant

nous, celui qui a dévoré tant de victimes et dont le

nom

a pris place à

France. Mais qui entoure

et

fossé

le

était

de

copieusement arrosée. La

choc des obus. Nous nous hâtons

rapproche.

la

Il

:

n'y a plus de contrescarpe

comblé aux

est

entrons dans

l'histoire

ne faut pas s'attarder. La zone

il

le fort est

terre jaillit au le fort se

jamais dans

trois

quarts.

Nous

gorge qui a été rouverte, car

elle

bouchée. Nous descendons un escalier, nous

en remontons un autre. Nous sommes dedans. Les

couloirs,

encombrés par sommiers de

déjà déblayés en partie,

les lits

fer.

sont

allemands à deux étages

Dans une

petite salle voûtée

et

que

des bougies fixées dans des goulots de bouteilles éclairent, le

commandant du

quartier général.

de choix,

le

Nommé

de

fort a installé son la veille à ce poste

capitaine Peyron. adjudant-major au


VAUX

301

e

298 régiment, nous reçoit en tenue d'intérieur, bonnet de police,

et

comme pour

déséquipé,

affirmer sa prise de possession et la sécurité de ses fonctions.

Il

tenait conseil sur les travaux à

accomplir avec majeur,

la tète

le

capitaine Àrrighi,

enveloppée, car

il

peine

à

a reçu

un

éclat

d'obus, et le lieutenant Diot, premier occupant.

Le lieutenant Diot, qui

Roanne dans grand,

la vie civile,

entrepreneur à

est

porte trente ans

:

il

est

en force, bien découplé, une tête

taillé

impérieuse de général de

Révolution accou-

la

tumé

à toutes les initiatives, le teint olivâtre, la

lèvre

ombrée d'une mince moustache courte,

yeux noirs pleins de feu dont sentir à distance, peser sur

le

les

regard doit se

les objets

il

se

pose. L'ensemble est solide, dominateur et fruste.

Et rien qu'à

de cet il

le voir,

homme,

on comprend

choix qui,

le

a fait le maître de Vaux.

n'a chassé que des fantômes.

Il

en chasser l'ennemi. Sa bravoure

était

et

Du

de

fort,

taille à

son audace

sont légendaires dans son régiment. C'était une

attaque en règle qu'il devait bre, quand, dans la soirée

conduire

la

expédition,

mener

du

2,

il

le 3

novem-

fut appelé à

reconnaissance du terrain. Sur son il

est

lui-même

reconstituer dans ses détails,

très sobre. il

Pour

la

faut revenir sou-


LES CAPTIFS DELIVRES

302

vent sur

En

trait.

de

le sujet, afin

tirer

chaque

ajoutant l'un à l'autre, patiemment,

les

on arrive à recomposer l'aventure de mosaïque. Et

vail

quelque

fois

:

c'est

un

faut interroger ses

il

tra-

com-

pagnons. ... Il

est

une heure du matin,

novembre.

le 3

Le lieutenant Diot attend avec

ses

hommes en

avant des Carrières, à 100 ou 200 mètres à peine

du

retour des patrouilles qui sont par-

fort, le

ties vers

fossé.

minuit pour inspecter

Une

à

une

les

abords et

les trois patrouilles

reviennent.

Leurs renseignements sont concordants

âme

qui vive sur tout

mouvement, pas un pas une fusée; un

le

pas

:

terrain fouillé, pas

bruit, pas

le

un coup de

un

fusil,

silence presque impression-

nant. Les barrages ennemis se font en arrière, à

hauteur des Carrières est nette, la

il

du

et

Petit Dépôt.

La place

n'y a plus qu'à entrer. Pendant que

compagnie du 118

commandée par

e ,

le

capi-

taine Fouache, va contourner le fort et s'établir

au-devant,

le

lieutenant Diot

gnie jusqu'au fossé

:

amène

le

détachement de lui a été adjoint.

la

compa-

un peloton occupera

dessus, l'autre le suivra à l'intérieur.

s'avance avec

sa

le

Lui-même

sous-lieutenant Lavève

et

le

compagnie 13/63 du génie qui

La nuit

est noire

comme

l'encre,


VAUX la

303

moindre lumière révélerait

les

A

le projet.

tâtons,

explorateurs cherchent une ouverture pour

s'y glisser.

Les casemates,

la

gorge, toutes les

issues sont murées. Enfin, au coffre sud-ouest,

une

trou est découvert qui devait servir à leuse.

un

mitrail-

Le lieutenant Diot essaye de s'y introduire

:

la fente est trop étroite. Quel est le soldat le plus

maigre? Poulain

se présente qui a

tournure de

jockey. C'est lui qui, le premier, descendra bra-

vement dans

Diot se déséquipe, ôte sa

l'antre.

capote et plonge

on

à hue, à dia,

:

le

pousse par

derrière tandis que Poulain le tire à l'intérieur. Soufflant, ahanant, peinant,

par surcroît,

de Lavève.

il

A eux

soldat a allumé

ont poussé

le

il

passer et,

à

trois ils fouillent le sous-sol.

une lanterne,

les

deux

Le

officiers

ressort de leurs lampes électriques.

Leurs pas retentissent sous chent à en étouffer ignorent

parvient

a élargi la lucarne. C'est le tour

voûtes

les

la sonorité.

:

ils

cher-

Tout de même,

comment finira la visite.

Ils

sont à

la

ils

merci

d'une mine ou d'un guet-apens. Une odeur insupportable les prend à

la

gorge

:

mélange de fumée,

de gaz, de pourriture. Le spectacle qu'ils ont sous les

yeux

est sinistre

restes de

:

des détritus brûlent encore,

grenades ou de cartouches explosées,

débris sans

nom, fumier de guerre. Deux ou

trois


LES CAPTIFS DÉLIVRÉS

304

cadavres sont étendus dans un couloir.

Un

brasier

qui meurt jette sur eux des lueurs brèves. Cette fu-

mée, pourtant, a dû trouver une s'est

par

issue. L'incendie

propagé au dehors, des flammes ont été vues

Tout à coup un bruit de voix,

les aviateurs.

de pierres qui tombent. Les

trois

hommes

restent

revolver au poing. Mais ces voix parlent

en arrêt,

le

français.

Le lieutenant Labarbe, inspectant la su-

perstructure, a pu pénétrer à l'intérieur avec sa

La jonction

section par une voûte crevée.

gaiement. Cette chez eux. souillée

il

Ils

fois, les

réoccupent une maison française,

est vrai,

mais

commandant Raynal Ils

se fait

explorateurs se sentent

utilisable.

L'exemple du

n'a pas tenté les Allemands.

ont vidé les lieux avec promptitude.

.

Le capitaine Peyron ne manque pas de nous offrir le tour

du propriétaire. Les ouvrages extémal en point

rieurs sont assez

:

contrescarpe sont dévastés, sauf ouest aisément sauté.

réparable.

Une

Le couloir qui conduit à

Bourges de gauche est détérioré, vatoires sont en

mauvais état

quasi détruite par

un obus

On

le coffre

de

sud-

des galeries a la

casemate de

les

deux obser-

et la coupole de 75

lourd. Mais la visite

intérieure est consolante. Déjà les

propres et rangées.

les coffres

achève

chambres sont

la toilette

des cor-


VAUX

305

ridors. Et pourtant, quelle

besogne ingrate! La

boche a dégoûté

saleté

ne

prit

pour

le

298 e Jamais locataire .

congé dans des conditions aussi fâcheuses

sa réputation.

Une

galerie d'une quarantaine de mètres de

profondeur, boisée et aménagée dans

du nord,

et

dont

la

la direction

devait aboutir aux

sortie

abris qui étaient édifiés sur les pentes face à la

Woëvre,

a été trouvée et déblayée.

Nous nous sommes trop

général Mangin en l'apprenant

:

pressés, dira le

un peu plus

tard,

nous l'eussent livrée achevée.

ils

Nous

voici

dant d'armes,

Un

lit

à

comman-

de retour au bureau du la

Kommandantur

deux étages en occupe

le

des Allemands. fond.

Du second

étage émerge la tête hirsute de l'aumônier divisionnaire, l'abbé Rochias.

messe dans tissé.

le

a célébré

Il

hier la

grand couloir sommairement ra-

La première messe de Vaux

inoubliable pour les assistants

!

:

quel souvenir

Gomme

les

mau-

miasmes ont été chassés par la ventilation, démons d'Odin et de Wotan que les Allemands avaient amenés jusque-là ont été exorcisés. Mais comment l'abbé Rochias est monté

vais les

volontairement au fort dans

la nuit

du 3 au

ce n'est pas lui qui le dira. n.

20

4,


LES CAPTIFS DÉLIVRÉS

306

A les

neuf heures du

novembre,

soir, le 3

comme

médecins-majors achevaient une journée assez

rude au poste d'évacuation non loin de Verdun, le

médecin-chef de

reçoit

la division, le

un message téléphoné

docteur Antoine,

lui

donnant l'ordre

d'envoyer immédiatement au fort de Vaux un

médecin

et

quatre infirmiers pour assurer

le ser-

garnison et organiser un poste de Le docteur Antoine voudrait bien se

vice de la

secours.

désigner lui-même et

il

a l'amour

son activité n'est jamais lasse

:

du danger

:

on

l'a

vu

recueillir

en

personne des blessés, ensevelir des morts en pre-

mière ligne. Mais l'importance de

ambulance,

l'attache à son

et

il

decin auxiliaire Agostini dont

il

vouement.

— Ce

Il

ne

lui

ses fonctions

désigne

était plutôt

dé-

cache pas son dépit.

La première impression

désagréable. Nous étions fatigués,

nous allions nous reposer. Et quant au

Vaux,

le

dépit nous a fait du bien, m'avoue en sou-

riant le docteur Agostini.

il

mé-

le

connaît

nous avait laissé de tristes

quand nous

fort

étions dans son voisinage au

mencement de

juin.

de

souvenirs

Le retrouver ne nous

comdisait

rien qui vaille. Puisque nous faisions envie au

médecin-chef, et

c'était

une mission de confiance,

nous sommes partis avec sérénité. Ce qui


VAUX

307

acheva de nous ragaillardir, ce

fut l'insistance

de l'aumônier pour nous accompagner. vous tranquille,

lui

Eh! vous vouliez quoi, nous

disait le

partir,

»

Tenez-

lui répliqua-t-il.

Sur

remmenâmes.

Les voilà en route pour Rochias,

«

médecin-chef.

le

Dépôt, l'abbé

le Petit

docteur Agostini,

les

quatre

infir-

Au Petit Dépôt, devenu un poste de commandement, changement de guide. Dame! celui-ci n'est pas miers, plus un guide qu'on leur a donné.

très sûr

mais

du chemin qui

la distance

n'est guère fréquenté,

à franchir

n'est pas

grande,

cinq ou six cents mètres. Partie à minuit du Petit

Dépôt,

la

heures

et

retard,

il

caravane n'arrivera au fort qu'à

demie du matin. Pour comprendre ce faut avoir vu le terrain. Par surcroît,

elle se perdit. Il

complète,

pleut à torrents, l'obscurité est

les trous sont

profonds, les obus tom-

bent, le guide ne sait plus très bien où s'en douter,

son

trois

il

monde aux

a contourné le fort et

il il

est.

Sans

conduit

nouvelles tranchées esquissées en

première ligne, à deux cents mètres en avant, sur les glacis face à la Woëvre.

de

On

visites, et l'on est fort surpris

Le chef de section qui s'informe à voix basse

n'y attend pas

de cette arrivée.

reçoit la petite troupe

car l'ennemi n'est pas


LES CAPTIFS DÉLIVRÉS

308

loin «

Il

— de

Nous

ce qu'elle vient faire en ces lieux. l'avez dépassé.

Un peu plus, vous On va vous montrer

faut retourner en arrière.

tombiez chez le

— Vous

allons au fort.

Boches.

les

chemin. Combien êtes-vous?

quatre infirmiers,

le

— Un médecin,

guide et l'aumônier.

— Ah!

vous avez un aumônier. Passez-moi votre aumônier...

entend passe dat.

confession de

la

à

De

ligne.

Dans un trou d'obus, l'abbé Rochias

»

un

l'officier.

sergent, qui

trou en trou,

Cependant,

le

passe

le

me

dit l'un d'eux,

cet

homme

à

un

le

sol-

prêtre fait la première

les infirmiers

attente se prolonge.

Celui-ci

attendent et leur

Malgré notre impatience,

«

nous ne pouvions qu'admirer

qui, sans ordres, par simple devoir

sacerdotal, était parti avec nous et trouvait le

moyen, sous un feu sévère, sans compter une pluie diluvienne, de

trempés

et

donner à de pauvres poilus

en danger permanent, quelques pa-

roles de paix et de consolation qui ne devaient

pas leur faire de mal. le vrai

ment

chemin du battu.

C'est la fin?

Un Il

fort.

Enfin, la caravane prend

Mauvais chemin,

n'éclate pas.

est

terrible-

obus tombe presque sur eux.

nant, déclare un

homme-là

»

un

Ça n'est pas éton-

«

des pèlerins sorcier.

»

à l'arrivée. Cet

Et

il

montre

le


.

VAUX

309

pauvre abbé Rochias tout aminci, recroquevillé, transi et réduit, qui voudrait bien se sécher.

Le temps passe,

mée les

:

il

la

Là, jadis,

:

c'était

y a

il

de mars

mois

une radieuse aurore

l'alouette

est déjà bien enta-

de Woëvre, faire avec

au

c'était

'lever

matinée

faut partir, mais, auparavant, regarder

plaines

tour d'horizon.

la

.

un

si

et

yeux un

les si

longtemps

vu

j'avais

se

entendu chanter

étrange contraste avec

tragédie que nous vivions alors, cette douceur

printanière,

ce

inondée sous un

chant

La Woëvre, un immense maré-

d'oiseau.

ciel gris, fait

cage que viennent heurter

la falaise

de Vaux,

pointe de Damloup, celle de Dicourt.

On

dirait

qu'au bord de cette plaine une main géante

appuyée, écartant

les

creusent les ravins.

A

la

s'est

doigts entre lesquels se

notre gauche, voici la crête

noire d'Hardaumont; c'est,

de ce côté,

nier observatoire de l'ennemi.

Plus

à

le

der-

gauche

Douaumont apparaît, dominant tout le Douaumont qui est à nous. La sortie n'est pas commode. Il faut attendre

encore, décor,

la

chute d'un obus, prendre son élan

et filer à


LES CAPTIFS DÉLIVRÉS

310

toute allure.

Eh!

«

comme

là,

ces jeunes gens

trottent! ralentissons, je vous prie.

La troupe

»

nous en profitons pour nous retour-

ralentit, et

ner et emporter dans

le

regard

le fort

aux yeux de

monstre, Douaumont le géant, et, plus près, la Woëvre dont un fugitif rayon de soleil fait tout à

coup miroiter

les

eaux. Puis nous reprenons notre

marche sur ce sol convulsé, sans végétation, dont le jour ne permet plus d'ignorer aucune horreur.

Un

paysage d'astre éteint, de

voilà ce

que

les

monde inanimé

Allemands sont venus

faire

cette terre de France. Et cette terre qui ses plaies crie contre eux. Mais le

commencé

;

:

montre

châtiment a

partout gisent des équipements de

chez eux, des sacs verts, des uniformes verts, tas le

temps

même chemin

qu'au

de cadavres qu'on n'a pas encore eu d'ensevelir.

Nous avons

repris

le

départ.

Nous sommes maintenant au pied de

Souville,

mordoré dans

la

lumière pâle. Les écla-

tements autour de nous sont devenus plus rares.

Cependant, sur

la

piste

même

que nous avons

suivie, trois corps sont étendus, tués par le

projectile.

Ils

même

sont encore tout chauds. Leurs

blessures sont effroyables et leurs chairs mêlées.

A

peine à quelques pas plus loin, deux soldats


VAUX creusent un boyau.

Ils

311

ont continué leur besogne

presque sans interruption.

Ils

pour leurs camarades

rien

vont venir. Alors,

il

et les brancardiers

faut bien

Nous avons passé

fasse.

ne peuvent plus

que

le travail se

tout à l'heure

quoi ceux-ci plutôt que nous? C'est aurait dit le

du

fort,

il

commandant

le

:

pour-

destin,

Aux abords

Nicolay.

n'y avait pas de victimes

ici

:

comme

à la montagne, aux endroits périlleux les acci-

dents sont exceptionnels plus menacé, la

mort

quand on ne

et,

se croit

vient.

Ceux-ci ont été frappés l'outil à la main.

ont l'air de s'être serrés

les

pour unir leur faiblesse.

Il

dans

uns contre

y a deux ou

secteur des Éparges, le

le

Ils

les autres

trois jours,

commandant de

Lépinière, du 108 e régiment territorial qui est

un régiment de Savoie, pour me montrer

la soli-

darité qui lie ses vieux soldats, la plupart venus

des champs, eux.

étaient

Ils

même

deux du

l'air

la

mort de

même

l'un d'entre

patelin,

de

la

quarantaine, qui tra-

peu de distance l'un de

même

pilles qui

en

racontait la

année au delà de

vaillaient à

ser le

me

l'autre à creu-

boyau. Une de ces mauvaises tor-

mènent un grand vacarme

et

tournent

avant de choir, éclate dans leur voisi-

nage. L'un est blessé et l'autre

indemne. Le


LES CAPTIFS DELIVRES

312

blessé appelle à l'aide. L'autre accourt, prêt à

l'emporter.

Il

en a emporté tant d'autres à l'am-

bulance. C'est un

mesure pas

homme

noueux qui ne

fort et

Mais cette

ses services.

fois,

voit

il

bien que ce n'est plus la peine. Déjà la mort a

mis son ombre sur ce visage terreux. ché

«Mon pauvre

:

moribond rouvre les sais plus.

cherche,

Mais

pas plus long que insiste

yeux

et

toi.

il

»

répond Dis-les

Alors

muscles. Ainsi qu'on hisse il

murmure

toi, dis-les.

mourant.

le

s'est

vieux, dis tes prières.

les

fouille et

il

Il

«

:

pen»

Le

Je ne

L'autre hésite. :

«

Il

Je n'en sais

quand même,

»

l'homme tend ses un seau d'un puits,

tâche à retirer du passé des syllabes oubliées.

Mais qui

seau remonte presque vide

le

êtes

meure

aux

coi,

mourant

cieux,

finit-il

»

:

«

Notre père

par dire. Puis

il

de-

n'ayant pu trouver la suite. Et déjà

a répété d'une voix qui faiblit

père qui êtes

aux deux..,

»

Il

reste la

:

«

le

Notre

bouche ou-

verte, attendant ce qui doit venir et qui ne vient

pas. tira.

la

Ah! mais, patience, on travaille, on abouDe nouveau l'homme lance le seau et tire

corde, les veines de son front se gonflent et

cette fois

il

ramène

vous salue, Marie,

»

:

«

Je vous salue, Marie.

Je

a redit le blessé docilement.

Et son regard interroge encore. Mais qu'y

a-t-il


.

VAUX

313

donc après ces paroles? Quand l'homme petit, sa

mère

le savait et le lui avait

mais tant d'eau a coulé sous cette époque.

Il

un

est

ponts depuis

territorial des dernières

Ce n'est pas sa faute

classes.

les

était

appris. Oui,

chemin depuis son enfance.

s'il

a fait tant de

A-t-il fait tant

de

chemin? Sur là

la route, il y a les auberges et c'est qu'on oublie. Mais quoi? le camarade en rede-

mande

et

le laisser

tourne vers

arracher, avec il

lui

un œil suppliant.

Va-t-il

dans l'embarras? Alors, d'un effort à la

corde, toute

parvient à amarrer ce

la

margelle du puits,

troisième

commence-

ment: Je crois en Dieu. Le mourant l'a déjà happé. Il

n'y en a pas long. Et puisqu'il en réclame

encore

et

puisqu'on ne peut décidément

donner davantage, ses trois prises

litanie

:

et les fait alterner

Notre Père qui

lui

en

que l'homme enchaîne

voici

êtes

aux

comme une

cieux. Je vous salue,

Marie. Je crois en Dieu, jusqu'à ce que les lèvres

de son camarade n'aient plus soif de remuer.

et s'arrêtent

.

Nous sommes de retour. Le général Andlauer, quia repris Vaux etDamloup, veille,

un des premiers.

est

Gomme

monté au

fort la

général

Man-

le


LES CAPTIFS DÉLIVRÉS

314

comme

gin,

les

généraux de Salins

a passé aux colonies sa jeunesse

et Passaga,

il

s'y est dressé

il

:

à l'organisation des territoires et des expéditions.

en a gardé un goût de l'aventure physique. De

Il

Vaux de

il

a rapporté

une vision de vase où l'on

mais aussi d'orgueil. C'est

lize,

la

s'en-

dernier captif

grande bataille de Verdun enfin délivré.

Le plus étrange spectacle cours de

mort

la

Enfoncé dans

la

pose de

cette

Il

marche. En passant de

avait été

les

genoux, le

casque

ce soldat tué semblait

pour avancer encore.

la

au

renverser.

boue coagulée,

la tête saignante,

se raidir

pu

pas

n'avait

boue plus haut que

maintenu droit par tombé,

qu'il ait rencontré

guerre, c'est peut-être celui d'un

la

mort que

il

le

changé en statue.

avait gardé la

la vie à la

mort

.

Toutes ces visions d'horreur et de splendeur

mêlées forment autour de Vaux un halo légendaire.

Gomme une

sentinelle docile,

poste au bord de la ter la

Woëvre.

garde en avant de

pourtant,

il

semble

les

a repris son

continue de

la Ville

sauvée.

les

mon-

Il vit.

qu'il fait déjà partie

patrimoine du passé où ser,

Il

il

Et

de ce

poètes viendront pui-

conteurs chercheront des récits pour

exalter l'imagination des enfants et leur donner

à jamais l'amour et l'admiration de la France...


II

DOUAUMONT 3 décembre 1916.

Un

mois a passé depuis

la victoire

de Douau-

mont-Vaux et déjà il n'en est plus question ici où Ton est tout entier aux derniers préparatifs de la nouvelle

opération.

Cette

nouvelle

opération

achèvera l'œuvre des 24 octobre et 3 novembre qui a

Vaux par

et

les

de

de Verdun.

fortifiée

Douaumont demeurent menacés, feux d'Hardaumont qui

l'autre par les et

barrière

rétabli la

la cote

observatoires

378 qui ne

des

le

l'un

dominent,

Ghambrettes

lui est inférieure

que

d'une dizaine de mètres. Le projet est de pousser

jusqu'aux bois des Fosses et des Gaurières qui furent le théâtre des premiers combats les 21, 22 et

23

s'agit

février.

De Vacherauville

d'emporter

la cote

378,

les

la côte

à

Hardaumont,

il

du Poivre, Louvemont,

Chambrettes

et

de pousser jus-


LES CAPTIFS DELIVRES

316

qu'à Bezonvaux. Certes, la ceinture des forts est

renouée, mais, quand on veut être chez

soi,

il

faut pas laisser l'ennemi trop près de la porte

monte

Je

Douaumont avec

à

ne

(1)

capitaine

le

Cavaignac. Le départ à trois heures du matin est glacial.

Le temps

s'est

Les étoiles brillent

mis au beau, mais

comme

elles font

mains de mauvais temps, après que lavé.

Au

poste de

il

gèle.

aux lende-

le ciel a été

commandement de

la division,

nous trouvons un guide qui dort à poings fermés sur

un

dont de

fauteuil devant

un magnifique feu de bois

matériaux ressemblent

les

Nous

planchers.

place. Mais

il

fort à des débris

prendrions

volontiers

sa

faut se hâter.

La montée de

la côte

commence

de Belleville

de nous réchauffer. La nuit, l'incomparable nuit d'étoiles

nous

tient

Vaux, une planète d'éclat

compagnie.

Du

que nous sommes tentés de

pour une fusée

la

et d'attendre sa chute.

nous a accoutumés à

côté

la pluie

des astres

de

— a tant

Jupiter peut-être

prendre

La guerre artificiels.

Mais, plus encore, elle a rattaché l'homme aux constellations.

Il

a

si

souvent vécu

la

nuit qu'il a

s'est faite le 15 décembre 1916 Louvemont-Hardaumont qui a complété la de Douaumont-Yaux. (i) Cette

victoire de

opération

:

c'est la

victoire


DOUAUMONT pris

goûta

la

connaissance des étoiles.

ignore leurs noms, rieux,

lutions. et

vivait

sait

Il

quand

les suit

il

317

elles

Même

s'il

beaux noms mysté-

leurs

elles-mêmes dans leurs évo-

quand

elles naissent

meurent.

Un

au firmament

poète américain qui

en France, Alan Seeger, et qui,

la

guerre

déclarée, voulut servir son pays adoptif et s'enga-

gea dans

la

Légion étrangère, a magnifiquement

exprimé ce sentiment nouveau, né d'une familiarité plus étroite

avec

la

nature.

Il l'a

exprimé,

non pas dans un poème, mais dans une lettre qu'il adressait à sa mère avant d'être tué à l'assaut de Belloy-en-Santerre (4 juillet 1916) soldat en sentinelle,

écrivait-il,

:

«

Le

considérant la

crête qui appartient à l'ennemi et au-dessus de

laquelle la

Grande Ourse remonte vers

éprouve un enthousiasme sublime lui jusqu'alors,

une

le

zénith,

inconnu de

camaraderie avec

sorte de

les

n'y avait auparavant que les astro-

étoiles,

m

nomes

et les pâtres

11

et

pour ressentir cette sorte de

camaraderie...

Nous redescendons vers pour remonter

la

le

ravin des Vignes

pente de Froideterre. Mais, que

de changements depuis que

j'étais

venu! Voici

une voie ferrée où des hommes poussent des wagonnets,

et voici

une route, une vraie route


LES CAPTIFS DÉLIVRÉS

318

marquée sur la carte. mon compagnon, on construit

qui n'était certes

— Oui, me

dit

pas

25 kilomètres de route C'est

pour

Ce que

10 de voie étroite.

et

prochaine offensive.

la

préparation d'une offensive, dans la

la

guerre moderne, réclame et représente de tra-

vaux, on

saura un jour, avec stupéfaction. Le

le

peuple romain est grand dans l'histoire parce

peuple bâtisseur. Tout chef d'armée

qu'il a été le est

un constructeur aujourd'hui.

Ces voies ferrées, ces routes nouvelles ont été

gagnées sur l'effroyable terrain qu'est leux de Verdun. et

promener

le

Il

a fallu apporter

le sol argi-

pierre

ici la

rouleau. Mais cela ne

fait

que de

minces rubans tout bordés de précipices. De

chaque

côté,

d'énormes entonnoirs nous guet-

tent, souvent remplis d'une se

prendre

reflétant.

la

les

lueur des astres.

laissons à notre droite l'abri des Quatre

Cheminées sur

les

pentes du ravin des Vignes. Le

petit jour qui point le

en

Et d'inquiétants débris se distinguent

vaguement à

Nous

eau qui commence à

et qui brouille les constellations

poste de

nous permet de reconnaître

commandement

119, puis l'ouvrage

de Thiaumont pareil à une grosse motte de terre. Fleury est là-bas, longue tache blanche étendue


DOUAUMONT

comme un la

suaire.

douleur et de

Tous ces noms représentent de

la gloire

mettre ses doigts dans

comme Thomas et c'est les

les

voir leur réalité, c'est

:

mit dans

la voie ferrée

de Verdun,

plaies

les

les plaies

mettre ainsi après

Cependant

319

la

du

Christ,

résurrection.

que nous avions

le parti de suivre n'est pas achevée.

pris

nous faut

Il

maintenant marcher sur une piste verglassée glissante.

Il

mètres à parcourir sur un terrain durci par gelée quand, d'habitude,

fond où

il

ici

la

une boue sans

comme

sur

un maré-

perdu des

hommes

Des coureurs n'ont pas reparu. Qu'on

imagine ces voyages dans

c'est

faut se hasarder

cage. Des relèves ont enlizés.

et

ne nous reste que huit ou neuf cents

la

nuit et sous les obus,

l'on a la sensation d'enfoncer

dans une terre

gluante sans pouvoir trouver un point d'appui

pour

s'y raccrocher,

et

qu'on imagine ce que

représente d'efforts une marche en avant dans de telles

conditions

!

Cette masse noire qui se rapproche, c'est le fort.

Au

encore laisse se

jour naissant qui ne des

contours

perdre dans

comme une moraine

nettement la

impose pas

lui

définis

pénombre,

chaotique,

travaillée par les avalanches. Mais,

il

et

le

apparaît

déchiquetée,

de plus près,


LES CAPTIFS DÉLIVRÉS

320 il

humain

porte la trace du travail

et serait plutôt

comparable à quelque énorme tank dressé pour écraser de son poids allure et

le visiteur. Il

brusquement

il

avance à grande

Nous sommes

disparaît.

entrés dans la gorge et nous avons été happés par

trou d'ouverture. Nous

le

couloir central, mais

par

descendons dans

le fort a été

le

coupé en deux

obus de 400 qui a creusé un entonnoir de

vin

25 mètres de diamètre. Les galeries que nous suivons portent les

des vainqueurs

:

général Nivelle, général Mangin.

Pétain,

une

noms

tourelle Nicolay. L'ancienne

général Il

y a

kommandantur,

belle pièce éclairée par plusieurs

lampes élec-

commandant d'armes, commandant de Montalègre, du

triques, sert de logis au

actuellement

le

49 e bataillon de chasseurs à pied. Sur travail, dort

C'est

un gros

et gras

sa table

matou au

un allemand, nous

dit-il.

de

poil gris.

Mais nous

l'avons naturalisé.

En

effet,

il

porte autour du cou un

ruban

tricolore.

Comme

à Vaux, c'est le tour

du propriétaire.

L'héritage ennemi a été plus important à Douau-

mont

:

appareils électriques, appareils de télé-

graphie sans

fil,

appareils téléphoniques, le tout

plus ou moins utilisable. Les magasins de vivres


DOUAUMONT

321

feraient penser à quelque grande

mentation,

s'il

ne

flottait

maison

d'ali-

encore dans l'immeuble

une vague odeur cadavérique. L'étage inférieur entonnoir qui

rompu, a l'une ou

l'a

ses galeries crevées.

çoit des

fameux

L'étage supérieur, outre le

est intact.

Par

morceaux du

l'autre

de

ouvertures, on aper-

les

ciel levant,

tout vert et or,

au-dessus d'un premier plan bouleversé, reste du

demi comblé, levées de

fossé à

terre de la super-

Le con-

structure, démolitions et trous d'obus.

de ce

traste

duquel nous

fleuri

ciel le

du gouffre du fond

et

regardons

songer à quelque

fait

vision aperçue de X Enfer de Dante.

De

la

superstructure se découvre

le

paysage de

mort, moins étendu qu'on ne s'attendrait à

de Douaumont qui, de tout Souville le plus haut

en avant à

mont,

si

la cote

le

sommet, car

378

et

Meuse

:

les

ont perdu leurs yeux.

la

vue

se

au regard

Allemands, en

Il

voir

heurte

aux Chambrettes. Douau-

l'on se retourne, livre

rives de la

le

massif, est avec

le

les

deux

perdant,

ne nous offre pas à nous,

de leur côté, un aussi merveilleux observatoire. Je m'oriente, pour embrasser, avant de repartir,

champ de

le

futur

se

prépare et qui va dégager

mont

et il.

bataille, celui les

de l'opération qui

abords de Douau-

de Vaux, fixer définitivement notre ligne 21


LES CAPTIFS DÉLIVRÉS

322

A mes

au delà de Verdun. brunes de

pieds, ce sont les pentes

la colline, toutes

noirs et de tranchées entaillées par

une

piquetées d'enton-

comme un

visage marbré, et

de ravins. Sur

série

la

gauche,

voici les ravins de la Couleuvre et

du Helly qui

vont se perdre vers Hardaumont.

semblent sor-

tir

Ils

de cette tache blanche presque lumineuse qui

n'est autre

que

village

le

montent

dessus, ces pentes qui c'est la cote

de Douaumont. Au-

me

et

378 qui barre l'horizon

et

font face,

masque

le

bois des Fosses. Plus à droite, sur cette crête, le bois déchiqueté des Ghambrettes rassemble ses rares

plumeaux. Toute

tion,

semble frappée irrémédiablement

ne portera plus

elle

et là

cette terre, sans végéta:

jamais

ni des fleurs ni des fruits.

Çà

des colonnes de fumée qui montent des écla-

tements

et

que

les

détonations accompagnent font

penser à des volcans souterrains qui grondent.

Des souvenirs

me

reviennent des

premiers

jours de la bataille, quand de poignants messages annonçaient successivement la perte du bois des Fosses, celle

du bois des Gaurières, la victoire

nous a ramenés au

du jeudi 24

les

innombrables

soir

assauts

livrés

celle

du 24 octobre

des Ghambrettes. Déjà

février.

Tous

par l'ennemi

depuis cette date sont annihilés. Et déjà, nous


DOUAUMONT préparons

nous Il

est

323

nos

poursuivre

à

avantages.

temps d'abandonner ce belvédère,

le

chance

soleil est déjà

haut sur l'horizon. Mais

la

nous favorise

et notre sortie est aisée.

Un grand

tumulte nous

retourner

fait

:

derrière nous

un

barrage tardif fracasse des pierres et nous nous

mieux emporter

arrêtons pour

masse désordonnée le

grand

fort.

la vision

Les photographies d'avions

attribuent des contours définis et

que

ses

il

il

lui

faut croire

redoutes ont gardé leur

fossés et ses

dessin, puisque, de haut,

de plain-pied,

de cette

romantique que présente

et

ils

s'aperçoivent. Mais,

plus de

n'a

forme. C'est

la

moraine des grands mouvements géologiques. Le blanc gel qui

la

recouvre

et la

étinceler

fait

achève de nous reporter aux époques glaciaires.

Ce blanc gel donne à tout entoure une apparence à tout instant notre pler.

si

paysage qui nous

fantastique qu'il ralentit

marche pour le mieux contem-

Nous pouvons nous croire transportés sur

une chaîne des Alpes. Dans ravins, c'est la les

le

sommets,

mer de nuages.

et ces

sommets

fonds, dans les

les

Seuls,

émergent

qui, dans la réalité,

n'ont que trois ou quatre cents mètres à peine,

prennent des froide

du

airs altiers

en se caressant à

soleil d'hiver. Souville,

la clarté

aux flancs bai-


LES CAPTIFS DÉLIVRÉS

324

gnés de brume,

comme une

teau flotter

haute

laisse la ligne

sinueuse de son pla-

écharpe légère. Cette

falaise arrondie au-dessus*d'un

océan confus

qui recouvre la plaine de la Woëvre, porte

de Vaux. Autour de nous,

la

teau d'hermine sur les affreux débris

de bataille

:

un casque, une gamelle,

Ton regardait de

là et, si

bordent

les trous,

le fort

mandu champ

gelée a jeté un

brillent çà et

plus près les bosses qui

on distinguerait des cadavres.

Mais pourquoi regarder de plus près? Ce beau

met l'âme en

soleil d'hiver

Les pentes de

liesse.

Froideterre, maintenant hors des vues de l'en-

nemi, se sont animées. La voie ferrée charrie des

wagonnets de munitions

et

troupe bruyante accompagne. tier

en plein

travail.

la

nous cherchons des yeux

la

Mais

Meuse

Seules, les

nuages

Le

et

dirait

comme deux

silence revêt le plus

la

un chanouvrier

l'autre

côte de Belleville,

Meuse

Verdun sont dans

deux tours de

Un lendemain

On

L'un ou

chante à pleine voix. De

la

de vivres qu'une

et

Verdun.

le brouillard.

cathédrale sortent des

bras levés.

grand

nom du monde

sans borne enveloppe Verdun.

Là, les hommes français sont venus un à un, Pas à pas, jour par jour, seconde par seconde, Témoigner du plus fier et plus stoïque amour.

:




.

DOUAUMONT

325

sont endormis dans la funèbre épreuve. Verdun, leur immortelle et pantelante veuve, Gomme pour implorer leur céleste retour, Tient levés les deux bras de ses deux hautes tours

Ils se

(1).

Apparition prodigieuse de ces deux bras levés

au-dessus de

la

grande ruine victorieuse que

douces nuées sont venues panser,

comme

les les

déesses accourues vers Prométhée crucifié.

Le

fort

de Vaux m'avait

laissé

une impression

de douleur et de désolation. Mais ce retour de

Douaumont prend un rythme joyeux.

Ici,

le

24 octobre 1916, l'hymne de délivrance a com-

mencé de

retentir

quand

captif furent brisées.

Henri Heine, voyageant en qu'il lut pris

lon lui cria

le

les

chaînes du premier

.

moins Allemand des Allemands,

Italie,

raconte dans

les Reisebilder

d'un éblouissement quand

le postil-

:

— Nous sommes sur

le

champ de

bataille

de

Marengo. «... C'est

(1)

Mme

ici,

de Noailles.

écrit-il,

que

le

général Bona-


LES CAPTIFS DELIVRES

326

parte but

un coup

si

copieux à

gloire que, dans l'ivresse, sul,

Empereur, maître du monde

Et quand

ne put

et

se

»

la visite s'achève,

il

ajoute, le soir

«... J'aime les

:

la

devint Premier Con-

il

réveiller qu'à Sainte-Hélène.

de son pèlerinage

coupe de

la

champs de

bataille, car tout horrible qu'est la guerre, elle

témoigne pourtant de

la

grandeur

de l'homme qui peut défier puissant ennemi héréditaire.

la

intellectuelle

mort, son plus

»

Plus tard les pèlerins qui, pieusement, gravi-*

ront les pentes de ces deux sanctuaires français,

Douaumont

et

Vaux, viendront y célébrer l'im-

mortelle victoire de Verdun qui

de

la

marqua

puissance germanique. De Verdun,

l'arrêt ville

de

douleur, datera, pour la France, une nouvelle ère de gloire. Et

ils

sentiront sous leurs pieds

cette terre frémissante et

comme

soulevée par

tous les morts qui en ont fait une terre sacrée

À

force d'engloutir, la terre s'est faite

:

homme...

En aucun lieu du monde ne fut révélé au monde par les hommes un plus grand courage devant

la

douleur et devant

chose qui vaille a dit

un

la

la

mort

:

«

la seule

peine que l'histoire soit écrite,

historien,

M. de

la

Gorce, c'est-à-dire


.

DOUAUMONT le spectacle

d'une

âme

327

plus forte que le péril.

»

Et ce spectacle a été donné, pour notre salut, notre sécurité, notre paix, et renseignement de

nos générations nouvelles et à venir, par une

armée

sortie des entrailles de la nation, qui por-

tait

sur ses mille visages

vers

un but unique

nos campagnes, et la confiance

dont

aux regards tendus

la diversité

le reflet

de notre

la suite a fait notre

âpre ou riante de

de nos foyers, l'espoir

sol et

du passé millénaire

France.

Novembre 1916-Février 1917.

FIN

.









TABLE

LIVRE PREMIER

DANS LA CRYPTE DE VERDUN LIVRE

II

LA VICTOIRE AILÉE I.

II.

III.

IV.

V.

— — — — —

Pages.

Les trompettes de Charlemagne

,

La mairie de X Le carrefour Le moulin La victoire ailée

39

45 59 72 80

LIVRE

III

DOUAUMONT I.

IL

— —

De la carrière d'Haudromont au village de Douaumont De la batterie de Douaumont au ravin de la

— —

Le fort de Douaumont Lendemain de victoire

Fausse-Côte III.

IV.

99 127 156

184


LES CAPTIFS DELIVRES

330

LIVRE IV

VAUX I.

II.

III.

IV.

— La première journée de — Sur — Le jour des morts dans — La aptère.

Pages la bataille

de Vaux

victoire

219

263

le fort

le fort

de Vaux

.

280 290

LIVRE V

LES SANCTUAIRES I.

II.

_ —

Vaux Douaumont

295 315






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