Les derniers jours du fort de Vaux. 1916

Page 1

T-LJ rjfl



6T.

MICHAEf

TORONTO

6,

CANADA




Il a été tiré de cet

ouvrage

:

Mille exemplaires offerts à V armée par V auteur et teurs

les édi-

;

Quatre mille exemplaires sur lesquels l'auteur a abandonné ses droits,

de

la

un

au bénéfice de l'Assistance mutuelle des veuves

tiers

guerre, un tiers au bénéfice de l'œuvre des

aveugles,

Savoie

un

tiers

au bénéfice des Orphelins de

Amis des la

soldats

guerre de la

;

Cent vingt exemplaires sur papier de Hollande, numérotés de 1 à 120, dont destinataire

50

destinés à

l'armée et portant

le

nom du

;

Vingt exemplaires sur papier des manufactures impériales du

Japon, numérotés I à

XX.


LES DERNIERS JOURS DU

FORT DE VAUX (9

MARS-7 JUIN 1916)


DU MEME AUTEUR

OUVRAGES SUR LA GUERRE Les Derniers Jours du fort de Vaux. Trois Tombes. La Jeunesse nouvelle.

ROMANS ET NOUVELLES La Maison. L'Amour en fuite. La Petite Mademoiselle. La Neige sur les pas. Le Carnet d'un stagiaire. (Librairie

La Robe de laine. La Croisée des chemins. Les Yeux qui s'ouvrent.

L'Écran brisé. Les Roque villard. Plon-Nourrit et G )

La Nouvelle Croisade des

ie

enfants.

(Librairie

Flammarion.)

La Peur de vivre. Le Pays natal. La Voie sans retour.

Le Lac noir. Jeanne Michelin.

(Librairie A.

Fontemoing)

ESSAIS DE CRITIQUE ET VOYAGES La Vie au théâtre (1907-1909. 1909-1911. Portraits de femmes et d'enfants.

1911-1913).

—3

vol.

Paysages romanesques. (Librairie Plon-Nourrit et

Quelques Portraits d'hommes.

G

ie

)

Vies intimes. (Librairie A. Fontemoing)

Ames modernes. (Librairie Perrin)

Les Amants de Genève,

édition de luxe.

(Librairie

Dorbon

aîné)

THÉÂTRE L'Écran brisé. Un Médecin de campagne. En collaboration avec M. Emmanuel Derabié. (Librairie Plon-Nourrit et PARIS.

TYP. PLON-NOURRIT ET CU , 8,

C ta )

RUE GARANC1ERE.

22266.


Capitaine

HENRY BORDEAUX

LES DERNIERS JOURS DU

FORT DE VAUX (9

MARS-7 JUIN

1916)

PARIS LIBRAIRIE PLON PLON-NOURRIT 8,

et

O, IMPRIMEURS-EDITEURS

BUE GARANCIÈRE 1916 Tous

droits réservés

6*


7

1955

Copyright 1916 by Henry Bordeaux. Droits de reproduction réservés pour tous pays.

et

de traduction


AUX SOLDATS DE

VERDUN



.

LES DERNIERS JOURS DU

FORT DE VAUX

Verdun

:

ces

deux syllabes que

déjà marquées sonnent aujourd'hui cuivrées d'un clairon.

En

sans frissonner d'orgueil.

l'histoire

comme

France, nul ne

En

De

la bataille,

de

la victoire

mois

perdu momentanément

le 7

îios siècles tout

militaire, nos vieilles

mouve-

.

de Verdun, voici un

celui du fort de Vaux, assiégé

:

évoque, par delà

Amé-

*

épisode et

entend

Angleterre, en

metit spontané tous les assistants se lèvent.

*

les notes

les

rique, si quelque orateur les prononce, d'un

avait

pendant

juin.

trois

Sa défense

dorés de splendeur

chansons de gestes, une chanson l


LES DERNIERS JOURS DU FORT DE VAUX

2

de Roland dont

le

premier personnage,

invisible et

toujours pré sentf est l'honneur français.

Comme Roland sonnant

de C olifant raconte de loin

drame de Roncevaux à Charlemagne qui repasse

le

monts,

les

le fort,

jusqu'au dernier moment, a tenu

commandement au courant de sa par

le

J'ai

moyen de

le

vie et de son agonie

ses pigeons et de ses signaux.

pu toucher

ses blessures et sa force de résis-

tance au mois de mars, avant les combats suprêmes des premiers jours de juin. J'ai interrogé ses défenseurs presque à chaque relève. J'ai connu ses appels et ses

dernières paroles. Ainsi ai-je désiré de trans-

crire les témoignages de sa gloire.

Ces témoignages, malgré mes efforts minutieux que le sort

leur

a favorisés, je n'ai pu

manque d ailleurs

secret du

cette

commandement

jamais présenter qu'un toire

la

elle-même.

et

rassembler tous.

chose essentielle qui est

me pardonnent,

les

le

de l'histoire, non l'his-

reflet

La guerre que nous

on n'en peut compter

Il

sans laquelle on ne pourra

mer aux flots sans nombre

oubliés

les

:

vivons est

on en

saisit le

comme rythme,

vagues. Que tant de héros

si je n'ai

su tirer leurs actions

de l'ombre!

Les circonstances m'ont permis de suivre différentes

phases de

la bataille de

Verdun. J'ai profité de tous


LES DERNIERS JOURS DU FORT DE VAUX

mes

instants de loisir

ces notes incomplètes que

Comment

publier.

à écrire quand un le train

3

assez rares

— pour réunir

f ai obtenu

l'autorisation

résister

de

au démon qui nous pousse

tel sujet s'offre

de lui-même?

Dans

ordinaire de la vie, j'aurais réclamé plus de

temps pour d'hui, est

mener à

le

bien.

Mais

le

temps, aujour-

mesuré à chacun.

*

*

Aucun en

*

épisode, au cours de cette guerre, ne peut,

réalité, s'isoler.

les combattants de

la Galicie,

Une

étroite solidarité

Verdun à ceux de

du Trentin, de

la

la

d'armes unit

Bukovine, de

Somme. Ce qui

passé à Vaux ne fut indifférent à aucun des rants, ni

On ne

même à aucun peuple

s'est

belligé-

de la terre.

peut parler de la victoire de

sans que la poitrine se soulève de joie

la et

Marne

sans que

monte aux lèvres un cantique de délivrance. Les départs de la

Champagne

l'allégresse des matins

et

de la

d été. La

Somme

ont toute

beauté de Verdun

plus âpre et sévère. C'est la bataille de patience sacrifice

oii

le

mot d'ordre

est

:

et

est

de

tenir et retenir. Il

faut non seulement barrer la route à l'ennemi qui

veut rompre

notre ligne, mais encore

le

fixer sur


LES DERNIERS JOURS DU FORT DE VAUX

4

place tandis que

les Alliés

fensive générale

et

l'exécutent. Et c'est pourquoi la

résistance du fort de

que

la

élaborent leur plan d'of-

défense d'un

Vaux coifi

victoire, elle fait partie

sert

de

un dessein plus vaste

sol. Elle se relie

d'une victoire,

mesure à l'échec du projet

et

de

à une

si la victoire se

la volonté adverses.

Qu'u?i reflet de cette beauté de nécessité et d'endu-

rance éclaire

la geste

du fort de Vaux...

H. B.

Juillet

1916.


LIVRE PREMIER

LE FORT



.

I

LE FORT

Dans

Verdun

la

grande escadre des

à distance,

sur la haute

Vaux

forts qui

comme une

flotte

mer en avant d'un

défendent

échelonnée

port, le fort de

mo-

aurait droit au rang de croiseur. Plus

derne que Souville et Tavannes, et caponnières,

moins vaste

Douaumont dont

et

forts à cavaliers

moins armé que

l'enceinte contient

un monde

de tourelles, de coupoles, de casemates, de casernes et de places d'armes, la terre ses

Bâti en

murs

il

enfonce mieux dans

arasés.

maçonnerie vers 1880,

il

fut,

après

l'invention de l'obus-torpille (1885), reconstruit

en béton, puis en béton armé et achevé seule-

ment en 1911

Au nord de

la

grand'route de Verdun à Metz,


LES DERNIERS JOURS DU FORT DE VAUX

8

par Étain,

monte

il

face à Thionville.

la

A

garde devant

l'extrémité d'un plateau qui

Douaumont

s'encadre entre le massif de bois

mamelonnés de

la forteresse,

Laufée

la

d'eux par d'étroits vallons,

et les

et qui est séparé

semble

il

de

sortir

l'embouchure d'un fleuve bordé de collines pour venir fendre de sa proue la plaine de la Woëvre.

La mer de Woëvre bat

ses pentes nord-est qui

sont d'abord abruptes et font

un angle mort,

puis s'inclinent en pentes douces jusqu'au fossé

que flanquent

Deux

ses coffres.

villages bâtis

en longueur dans

Vaux-devant-Damloup au nord, sud,

1

escortent

comme

et

les fonds,

Damloup au

des bateaux de

commerce

un haut navire de guerre. Vaux-devant-Damloup commande trée d'un vallon

un peu plus

loin

l'étang de Vaux. la voie ferrée le

passage.

affluents,

:

c'est le ravin

du

ainsi

l'en-

Bazil qui longe

un étang précédé d'une digue,

La route

(de

Verdun à Vaux)

(de Fleury à Vaux) lui

Le ravin du

Bazil reçoit

du plateau qui porte

et

empruntent

comme

des

le fort, le ravin


.

LE FORT des Fontaines qui coupe

dans

la direction

Douaumont,

bois de Vaux-Chapitre

le

de Souville,

les bois

d'Hardaumont. Ce sont

relles, les voies d'accès qui,

conduisent à

terrain,

et,

du massif de

ravins de la Caillette et de la

les

Fausse-Côte qui traversent et

9

un

les

de

la Caillette

tranchées natu-

d'un mouvement de autre.

Un

sol

ainsi

boisé et accidenté est favorable à une guerre de

de

surprises,

d'embuscades,

traquenards,

coups de main, d'infiltration lente se prête

au flux

nade. Bois de

et

et perfide. Il

au reflux des combats à

la Caillette,

bois

de

la gre-

d'Hardaumont,

ravins de la Caillette, de la Fausse-Côte, duBazil, retraites obscures, à

geur

l'été

tirées

de l'ombre

aimait à s'égarer,

gloire sanglante fort

dont

demi sauvages, où

le

mais aujourd'hui

et toutes resplendissantes :

à leur sort est

elles sont les

voya-

lié le

d'une

destin

ouvrages avancés.

.

du


II

CE QU'IL A VU AVANT LE 21 FÉVRIER 1916

Dès

les

premiers jours

de ce brûlant mois

d'août 1914, où les nations commencèrent de s'affronter, le fort de

de

la

Woëvre du

attendait,

chocs.

La

côté de Thionville et de Metz,

anxieux, nuit,

il

Vaux, interrogeant la plaine

les

résultats

des premiers

voyait errer au-dessus de lui les

longs bras lumineux des projecteurs de Verdun,

cherchant parmi

les étoiles les

zeppelins ou

les

taubes. Des régiments, le dépassant, avaient pris position plus à Test, en avant de Jeandelize ou de

Conflans. L'attente se prolongeait.

Il

tirer le

canon, mais non pas dans

dont

avait la surveillance.

il

Longwy ou

peut-être de

entendait

la direction

Le son venait de

Longuyon La tempête, .


CE QU'IL A VD AVANT LE

contournant les

la

21

FÉVRIER

1916

II

Lorraine, semblait s'abattre sur

Ardennes.

Le 20

et le 21

août, le fort vit défiler des

troupes, le rire aux dents, la chanson aux lèvres, qui, par la route d'Ornes, montaient vers

Lon-

guyon. Elles ne connaissaient pas encore

dure

la

guerre nouvelle. Gaiement, elles s'y rendaient,

comme

à un rendez-vous de jeunesse.

La

III

e

ar-

mée, concentrée à Verdun, marchait sur Virton. Dès

le

22, elle se heurtait à l'armée du kronprinz.

Le 25, un bon tour

vint réjouir la garnison

fort qui en eut aussitôt connaissance.

mobile allemande, portant major, engagée sur

la

sur les distances,

était

dans nos lignes où

commandement

les

Une

ordres de

du

autol'état-

route d'Étain, se trompant entrée la veille au soir

elle avait

été capturée. Notre

profita de cette saisie

heureuse

du plan adverse pour tomber à l'improviste sur le flanc

gauche de

la

35 e division de landwehr

qui, jetant ses fusils, s'enfuit jusqu'à Saint-Privat, et

du XVI e corps qui formait

l'aile

gauche de

l'armée du kronprinz et qui se replia précipitam-


LES DERNIERS JOURS DU FORT DE VAUX

12

ment

sur Bonvillers. Ce

combat

peu connu des premières

d'Étain, épisode

batailles,

fit

peut-être

échouer une attaque brusquée sur Verdun.

Cependant

il

rompre

fallut

le

contact dans la

nuit du 25 au 26 août, pour demeurer en liaison étroite avec les et

mouvements de l'armée

voisine,

passer sur la rive gauche de la Meuse, en

laissant des divisions

de réserve à

rive droite sur la ligne

la

garde de

la

Ornes-Fromezey-Hermé-

ville.

Ce que

le fort

de Vaux

de ses pentes, c'est

le

vit alors

passer au bas

spectacle que n'oublieront

jamais ceux qui l'ont vu. Plus tard,

ils le

raconte-

ront à leurs enfants, puis à leurs petits-enfants, afin

que

des générations en garde

la suite

moire. Sur

la

un havre de

mé-

route d'Étain à Verdun, cherchant salut dans la vieille forteresse qui,

plus d'une fois au cours des siècles, a dû proté-

ger les populations meusiennes contre la ruée des chars à deux

hordes germaines, se pressent

les

ou quatre roues,

les

conduisant à

main

qu'ils n'ont pas la place d'en-

leur

machine

cyclistes

la


CE QU'IL A VU AVANT LE fourcher, les

les

chiens,

FÉVRIER

21

1016

13

brouettes, les poussettes, les piétons, les

qu'il possède

troupeaux. Chacun emporte ce

de plus cher, ou ce qu'il a

au hasard dans sa maison. Sur

cueilli

les voitures

s'em-

pilent les matelas, les malles, les édredons, les

provisions, les meubles, et par-dessus ces

démé-

nagements

et

les

vieillards,

les

invalides

les

mioches. Gosses, malades et vieillards n'y ont pas tous trouvé place. Parmi ceux qui s'en vont à pied,

il

y a des aveugles et des boiteux, des

femmes qui portent

leurs petits, des petits qui

portent une poupée ou une cage. Parmi ceux qui s'en vont à pied,

il

y en a qui traînent une fatigue

trop grande pour leurs jambes tordues ou leurs

jambes trop courtes. Derrière vanté, flambent les villages.

jour dans

la

campagne. Peu

La à

cet

exode épou-

nuit,

ils

refont le

peu l'incendie

se

rapproche. Voici Rouvres qui brûle, et voici Étain.

Une femme au bord du chemin assise; elle a téter à

s'est arrêtée et

découvert son sein pour donnera

un bébé tout rond

et rose qui a déjà des

boucles frisées et qui ressemble à ces enfants


LES DERNIERS JOURS DU FORT DE VAUX

14

Jésus de cire exposés dans les crèches de Noël.

Autour

d'elle trois gosses se

sont groupés.

Un

un

sol-

soldat s'est approché et l'interroge. C'est

dat déjà vieux, un territorial. la

nichée

chez

si

tendrement

lui tout

un

petit

— Gomme Les s'est

— se

ils

ils

Ils

qu'il a sans

doute laissé

ma

pauvre dame

?

y ont mis le feu.

sont jolis!

ne sont pas

les

mêmes. Et cependant on

compris.

m'en manque un,

Il

dit la

femme. Et

elle

prend à pleurer.

— Qu'en avez-vous — me Ils

ont voulu

moi à

fait?

l'ont tuée. Elle avait huit ans.

l'ont tirée à la course ils

couve des yeux

monde.

— D'où venez-vous, — De Rouvres.

Il

me

le

dans

lui sa baïonnette.

la rue. Celui-ci aussi,

prendre. Je

l'y faire rentrer.

Ils

le serrais

contre

L'un d'eux a baissé sur

Mais un de ses camarades

l'a

détournée.

L'enfant est repu. Le groupe repart. C'est la guerre nouvelle, la guerre de terreur


CE QU'IL A VU AVANT LE

recommandée par Bernhardi. dans

la

la

fut

1916

15

un temps où,

les blessés.

Il

fut

un temps où,

guerre, une chevalerie s'était créée pour

protéger

moyen

Il

FÉVRIER

guerre, on faisait trêve pour enterrer les

morts et recueillir

dans

21

le faible et

l'innocent. C'était le barbare

âge. Mais la civilisation et la culture sont

venues. C'est

la

guerre sans miséricorde ni merci,

où l'un des deux adversaires, en déchirant

les

chiffons de papiers qui règlent les traités et les

devoirs des nations, en bafouant la

foi

jurée, en

écrasant les innocents et les faibles, a imposé à l'autre l'obligation stricte

à

un fou

de

lui passer,

comme

furieux, la camisole de force. C'est la

guerre qui ouvre d'infranchissables abîmes et laisse des souvenirs impérissables. C'est la

infernale qui exige

Le

fort

le

une sanction divine.

de Vaux, de sa colline, a vu cela. Et,

tatant ses pierres,

que

guerre

il

les a

trouvées moins dures

cœur des hommes qui avaient répandu ce

torrent de

maux

La route

sur la terre.

s'arrêta

de couler.

pareille à ces anciens

lits

Bientôt elle fut

de rivière qui laissent


16

LES DERNIERS JOURS DU FORT DE

une trace blanche au milieu de

la

VAUX

verdure pâle

des saules.

Le

fort,

dans sa solitude, songeait

— Mon tour va

:

venir. Je vais servir, j'attends.

Ce formidable Douaumont qui

me domine

défendra-t-il plus longtemps que

moi?

davantage vannes,

si

se

sollicite

Il

obus. Quant à Souville et à Ta-

les

l'ennemi vient du nord, je suis devant

eux, je les abrite.

Un personnage

important,

Verdun en personne,

le

gouverneur de

vint inspecter

ses

res-

sources, examiner son état physique et moral,

ausculter sa force.

— Vos yeux d'assez loin?

sont-ils bien protégés et voient-ils

Vos armes

sont-elles suffisantes et

vos boucliers résistants? Avez- vous de quoi tirer,

de quoi manger, de quoi boire? Connaissez-vous toutes vos consignes et spécialement la principale, celle qui est

mourir que Et,

se

commune

à tous les forts

:

plutôt

rendre?

ce disant,

il

visitait les observatoires, les

coffres, les casemates, la tourelle, la place d'ar-


.

CE QU'IL A VU AVANT LE

mes,

dépôts de vivres,

les

en revue Il

la

21

FÉVRIER

les citernes, et

1916 il

passait

garnison.

venu au début du mois d'août.

était déjà

Cette seconde visite laissait prévoir

une attaque

prochaine. L'ennemi n'était pas éloigné

:

on

signalait à Étain, à Billy-sous-Mangiennes, à

magne-sous-les-Côtes

grandes masses.

Verdun et

17

Du

:

Ro-

de petits paquets, non de

nord,

se rabattait

le

il

passait au-dessus de

surl'Argonne. Verdun, bien

défendue, servait de point d'appui à l'armée française

Un

pour l'immortelle manœuvre de

la

Marne.

des historiens neutres de la guerre, Gottlov

Egelhaaf, cité par M. Hanotaux, a écrit

:

«

Si les

kronprinz de Bavière et de Prusse avaient été en

mesure de s'emparer de Verdun en août-septembre 1914 Meuse,

les

et

de forcer ainsi

la

ligne de la

armées allemandes auraient foncé sur

Paris d'un seul

mouvement. Mais

les princes res-

tèrent accrochés à Verdun, et ainsi le

ment suprême de l'armée dut ner en arrière

l'aile

commande-

se décider à

rame-

droite de l'armée allemande.

Parce que Verdun ne put être pris,

il

.

parut né-


,

LES DERNIERS JOURS DU FORT DE VAUX

18

cessaire de changer le plan de guerre.

»

Explica-

tion bien incomplète de notre victoire de la

Marne

mais qui, du moins, souligne l'importance du rôle joué par

réservé

deux

Verdun

fois la force

Le

fort

canon de

à

Verdun en septembre 1914.

ou briser

allemande.

qui s'est livrée sur la rive gauche

Meuse, devant Bambercourt-aux-Pots,

Beauzée, La Vaux-Marie.

au son du canon, de remontait vers

le

Il

rendu compte,

s'est

la retraite

de l'ennemi qui

nord.

Mais voilà que,

le

19 septembre,

canon plus au sud. On les

il

entend

le

Camp

Romains au-dessus de Saint-Mihiel, on les

le

se bat sur Hattonchâtel et

Hauts de Meuse, on bombarde

dans

était

de Vaux n'a pu suivre qu'au son du

la bataille

la

d'attirer et d'user

Il

des

se bat

casernes de Ghauvoncourt. L'ennemi n'a

pas renoncé à

la

tenté d'investir

proie qu'il convoite. Après avoir

Verdun par

la

revient par la rive droite. Mais

rive le

gauche,

il

front se fixe à

Spada, Lamorville et Gombres. Il

se fixe à six

ou huit kilomètres en avant du


.

CE QU'IL A VU AVANT LE fort de

Vaux

FÉVRIER

21

1916

19

sur la ligne Trésauvaux, Boinvilie,

Fromezey, Ornes, bois des Caures. Le 18 février 1915, jour mémorable,

fort reçoit

le

obus de 420. Douaumont en a reçu Puisque Douaumont en a reçu,

Le

recevoir.

les

1

5 et le

1

7

convenait d'en

fort se tâta et fut content.

— Le génie

a bien travaillé.

seule a souffert.

ture

il

le

quelques

Ma

superstruc-

Quant à mes casemates,

matériaux en sont bons.

Et

que

il

s'amusera fort

le

lendemain en apprenant

fameuse batterie de 420 a

cette

été repérée

au

bois d'Hingry, repérée, contre-battue et détruite.

On

a fait taire les géants, et

Avril

Avec

le

et

promptement.

mai furent des mois d'espérance.

printemps apporteraient-ils

la victoire?

Les canons tonnaient quotidiennement à Marché-

aux Éparges conquises. La Woëvre fumait,

ville,

comme

si

l'on y avait

vaise herbe. Puis la sité.

amoncelé

teigne

au

tenait à nos

cuir

de mau-

canonnade diminua d'inten-

La guerre, décidément,

un ennemi qui

les tas

chevelu.

serait

longue contre

campagnes comme Elle

la

réclamait de la


LES DERNIERS JOURS DU FORT DE VAUX

20

patience, de l'endurance, de l'obstination, de l'organisation, des munitions. Tout cela, on l'aurait.

On s'accoutuma donc vie de garnison. villages de

Vaux

comme

à la guerre,

Les territoriaux cantonnés aux et

de Damloup, quand

ils

au repos, jouaient au bouchon, dans s'installaient

à la

au cimetière

toir. Ils aidaient les

comme

étaient

la rue,

ou

dans un dor-

paysans à faire

les foins. Ils

cherchaient des champignons ou des fraises dans les

de Vaux-Chapitre

bois

et

d'Hardaumont,

Aux

après y avoir cherché des muguets.

chées

l'existence,

s'écoulait dans

si

agitée l'hiver

monotonie. Les la

relatif?

relatif

et

soirs d'été, sur l'escarpe

garnison s'asseyait,

petite

précédent,

un calme évidemment

mais qu'est-ce qui n'est pas

les

tran-

dans

du

— la

fort,

jambes pen-

dantes, et regardait la nuit monter de la plaine

de Woëvre. Parfois une fusée lointaine

tomber des Tant le fort

et

si

laissait

étoiles.

bien qu'un jour, à

la fin

d'août 1915,

entendit ce langage qu'on lui tenait brus-

quement

:


.,

CE QU'IL A

— Tu Ou

VL*

AVANT LE

FÉVRIER

21

n'as pas l'importance

que tu

1

G

1

t'attribues.

plutôt la terre de France toute entière a la

même

importance que

toi.

Ne

s'est-elle

pas

ouverte d'un bout à l'autre des lignes pour abriter ses défenseurs?

Maintenant

il

est avéré

que

l'on peut tenir l'ennemi en respect fur n'importe

quel point du

sol

national. Berrv-au-Bac est en

saillant isolé sur la rive droite de l'Aisne

au-Bac n'a pas cédé. qu'avec de

s'emparer

l'artillerie

de

Maintenant

n'importe

Éparges formaient une

nous avons

de

et

pris

les

la

il

Berrv-

:

avéré

est

volonté on peut

quelle

Les

redoute. naturelle

forteresse

et

Éparges. Les places fortes

n'ont pas eu de cbance au cours de cette guerre. Elles offrent

une

cible trop facile

aux obusiers

gros calibre. Anvers. Maubeuge. Varsovie.

Lem-

berg. Przemysl, se sont rendus avec leur matériel,

leurs magasins,

sera plus

une place

leurs troupes. forte.

Verdun

cune ressource, aucun butin

Verdun ne

n'offrira au-

à l'ennemi.

Verdun

ne sera qu'un point d'appui pour une armée. Toi tu ne seras plus

qu'un poste de vigie

et

un

abri.

.


LES DERNIERS JOURS DU FORT DE VAUX

22

— Je veux bien, a consenti je ne suis qu'un soldat, et

Mais fer

mon métier est d'obéir.

j'ai les reins solides. Il

pour

faire,

Le

si

me

faudra beaucoup de

Vous verrez ce que je saurai

jamais je suis abordé.

fort

l'hiver.

les casser.

le fort. D'ailleurs

diminué s'enfonça dans

De moins en moins

il

les

entendait

Sa garnison réduite s'ennuyait dans

presque déserts. Allons! rien ne avant

le

brumes de canon.

le

les couloirs

se

passerait

prochain printemps. Les nouvelles qui

venaient de l'arrière contenaient de mystérieuses allusions à

une grande offensive des

Alliés qui se

préparait lentement, qui se déclancherait à son

heure, peut-être pas avant l'Angleterre accomplissait

l'été

de l'année 1916

méthodiquement son

œuvre gigantesque de rénovation fallait

du temps à

la

militaire, et

au bord de tants

et

si

la

flatteur,

même

cam-

quand on habite

Woëvre, d'avoir des amis

lointains,

il

Russie pour cicatriser les

blessures qu'elle avait reçues pendant la

pagne de 1915. C'est

:

s'ils

si

impor-

réclament un

certain temps pour arranger leurs affaires.


CE QU'IL A VU AVANT LE

En

FÉVRIER

21

1916

23

janvier et février (1916) le fort ressentit

quelque appréhension

— Ce calme où

:

l'on

me

Ton ne

laisse

ne

me

dit rien

mais on a des

qui vaille.

Ici,

intuitions.

Ça remue de l'autre côté. Sûrement

quelque chose

se prépare.

Ça remue en dans

la forêt

sait rien,

effet

dans

la forêt

de Spincourt et

de Mangiennes. Nos avions doivent

bien s'en douter, car

ils

multiplient leurs randon-

nées. Mais le terrain se prête

mal à l'observation

avec ses vallonnements innombrables et ses couverts.

Même quand

bois

les

se

taillis

les feuilles

n'ont pas poussé,

défendent contre

photo-

les

graphes aériens.

On

signale

que

la

voie ferrée de Spincourt,

Muzeray, Billy-sous-Mangiennes,

travaille

façon inaccoutumée. La nuit, on perçoit des trains qui passent.

Il

le

d'une bruit

paraît que des pièces de

gros calibres ont été débarquées.

On

assure que de nouveaux corps allemands

ont été amenés dans la région, et parmi eux le III

e

qui revient de Serbie.


,

LES DERNIERS JOURS DU FORT DE VAUX

24

Enfin, les clochers de Rouvres, de Mangiennes,

— comment épargnés? — ont

de Grémilly, de Foameix

été abattus par

été jusqu'alors les

Allemands

avaient-ils

:

sans doute pouvaient-ils servir de

points de repère à notre artillerie.

D'où proviennent ces bruits Il

est impossible

de

et les colportent.

dant

Il

Le

est

si

rapportent

les

silence n'est pas

y a de l'inquiétude dans

temps

le

démêler exactement. Les

remontent de Verdun

soldats qui

française.

le

et ces précisions?

affreux

— que

vent, tempêtes de neige

une vertu

l'air.

Cepen-

bourrasques de l'attaque paraît

improbable, ou tout au moins ajournée.

Demain, songe

solidité

de ses murailles.

Le 20

février, le

à sept heures

fort

le

foi

dans

la

Ou après-demain.

temps

du matin,

qui a

se

met au beau. Le 21

le

premier obus tombe

sur Verdun, proche la cathédrale. La plus grande bataille

de

la plus

grande guerre commence.


LIVRE

II

LA BATAILLE



LE VOL DES CORBEAUX

Les observateurs sur avions ou ballons qui ont

vu s'allumer

le

volcan ont déclaré qu'ils ne pou-

vaient pointer sur leur carte toutes les batteries

en action. Les bois de Gonsenvoye, de Moirey, d'Hingry, de Grémilly,

de Mangiennes,

mont liers

les forêts

les côtes

soufflaient de la

de Spincourt et

de Romagne

et

de Mor-

flamme comme des mil-

de dragons infernaux.

Le commandant d'une compagnie de chasseurs à pied, qui fut blessé au bois desCaures, a déclaré «

La violence du feu

:

avait été telle qu'en sortant

de nos abris nous ne reconnaissions plus

le

paysage

auquel nous étions habitues depuis quatre mois. Il

n'y avait presque plus d'arbres debout; la cir-

culation était très difficile à cause des trous d'obus

qui avaient bouleversé

le sol.

Les défenses accès-


28

LES DERNIERS JOURS DU FORT DE VAUX

endommagées, mais

soires étaient fort

un

tel

enchevêtrement de

fils

il

y avait

de fer et de branches

cassées que le tout constituait encore

un obstacle

sérieux pour les assaillants. Les boyaux de

com-

munication n'existaient plus. Les tranchées par contre

avaient été fort touchées, mais étaient

encore utilisables

:

elles furent aussitôt garnies.

Elles furent aussitôt garnies

place la volonté

:

»

constatation qui

humaine au-dessus de

toutes les

puissances physiques déchaînées. Le haut com-

mandement en

a tiré cette formule

l'artillerie réalise, c'est la

:

«

Ce que

diminution des moyens

matériels de la défense et son usure morale,

pas sa destruction.

»

De cette averse de feu

— Ça,

c'est

non

,

le fort a

reçu sa large part

:

du 150. Voilà du 210. Oh! oh! du

380 à n'en pas douter. Mes voûtes sonnent. Mes voûtes tiennent. résistent.

Et

ma

observatoires?

Il

Que deviennent mes

Ils

tourelle? Bile est debout. Les

y en a un qui est touché.

voit très bien avec

peut-être

coffres?

un

réparable.

œil. D'ailleurs le

La

contrescarpe

mal a

On est

une


LE VOL DES CORBEAUX

On

brèche?

29

bouchera un jour meilleur.

la

Mon

grand voisin, Douaumont, fume encore plus que moi.

Il

attire la

comme un chêne

foudre

orgueil-

leux sur une colline. Je voudrais bien savoir ce

Mes téléphones ne fonctionnent

qui se passe.

plus. Je suis séparé reil

du

reste

du monde. Un pa-

ouragan ne peut pas durer. Attendons

La son

fin

ne vient pas, l'ouragan roule toujours

tonnerre,

montent deux

la fin.

les

mais

les

mauvaises

nouvelles

pentes on ne sait comment. Sur les

Meuse,

rives de la

les villages brûlent, les

bois gémissent, les pierres s'écroulent.

Plus on est près des événements et moins on est

renseigné sur eux. Les corvées de ravitaille-

ment

sont encore la meilleure source. Mais ces

cuisiniers exagèrent sans nul doute

:

ils

racontent

des choses lamentables.

— Le — Le là.

bois desGauresaété perdu le second jour. bois des Gaures? impossible. Driant est

Ou Driant

— On ne n'était

que

est

sait le

mort.

pas ce qu'il est devenu. Et

bois des Gaures!

si

ce


LES DERNIERS JOURS DU FORT DE VAUX

30

A

en croire, Herbebois

les

le village

d'Ornes

et,

dans

Fromezeyet d'Herméville,

et le bois le la

Chaume,

Woëvre, ceux de

ces derniers

abandon-

nés volontairement pour prendre appui sur les

Hauts de Meuse, seraient aux mains de l'ennemi.

Au

diable ces cuistots de malheur, bons pour

semer

la

panique

!

Pourtant leur métier Il

s'est

singulièrement gâté.

n'y a guère que les coureurs pour en faire

Et

pareil.

gés

:

ils

même

les

coureurs ne sont pas char-

bondissent librement de trou d'obus en

trou d'obus,

ils

se

couchent, se terrent, dispa-

raissent, se relèvent, lancés et à

nouveau

coupent

un

se collent

la route,

au

comme sol

des flèches,

quand

les rafales

tandis qu'on ne trotte guère

avec vingt boules sur

le

dos et des bidons en tra-

vers ou toute une ferblanterie de boîtes de conserve,

ou des sacs de denrées de toute nature

et,

par surcroît, sur la face un masque qui vous étouffe à moitié, à cause de tous ces gaz empoi-

sonnés qui traînent longtemps dans

dans

les replis

les ravins

de terrain et vous guettent

ou

comme


LE VOL DES CORBEAUX de8 voleurs pour vous saisir à

la

31

gorge. Les fonds

Tous

de vallon sont quasi impraticables.

chemins sont repérés

et battus.

les

Les secondes et

troisièmes lignes sont aussi marmitées que les

premières. Jamais, de mémoire de biffins partis

au premier jour, de

la

Marne

et

Champagne, on fer et

et revenus,

on ne

sait

comme,

de l'Yser, de l'Artois et de

la

pareille avalanche

de

n'a

subi

de feu. Alors un cuistot qui parle, c'est un

soldat qui vient de l'arrière à l'avant avec de

l'honneur par-dessus sa charge.

Le quatrième jour, un jeudi, un agent de son assure qu'on a perdu

le bois

liai-

des Fosses et

le

bois des Caurières.

— sont déjà dans — Dans ravin de Ils

le

le

ravin de

la

la

Vauche.

Vauche? Douaumont

va donc les voir.

Maintenant allées

et

les

nouvelles affluent, à cause des

venues qui se multiplient

:

relèves,

blessés, traînards, ravitaillements se croisent sur les

pentes de

la colline,

ne cesse jamais

sous l'averse d'obus qui

et qui vise tout

spécialement

le


32

LES DERNIERS JOURS DU FORT DE VAUX

fort et ses abords immédiats.

solide

faut avoir la tête

Il

pour mettre un peu d'ordre dans ces nou-

velles alarmantes et souvent contradictoires. les

a vus à Dieppe, on

loup.

Enfin, on

les

les

a vus tout près de

voit partout.

Le

On

Dam-

fort,

qui

digère allègrement sa ration quotidienne de pro-

écoute avec philosophie ces propos in-

jectiles,

quiétants. Maintenant

murailles. Ce qui c'est le destin

Or,

le

il

connaît

l'intéresse

la solidité

de ses

particulièrement,

de Douaumont.

25 février au

soir,

un vendredi, trempé

de neige et transi de froid, voici qu'un blessé qui cherche son chemin, et qui a gravi clopin-clopant la colline, traînant le

une cuisse écorchée qui rougit

pansement sommaire, débarque à

la

poterne,

barbouillé de sang et de boue et les yeux cuits, et ose

annoncer qu' ils sont entrés dans

Douaumont.

le fort

de

Ça, par exemple, c'est invraisem-

blable.

On

voisin,

on n'apprend pas

a beau souhaiter quelques horions au

protestation.

Un

fort

sa

mort subite sans

ne s'avale pas

comme

ça.

Et puis un fort n'est pas un poste de secours.


LE VOL DES CORBEAUX

Un

ne reçoit pas

fort

33

n'importe

qui.

chemin, colporteur de malheur

votre

ravant,

Aupa-

vous en avez, donnez donc, tout de

si

même, quelques

— On

!

Passez

les

détails.

..

a vus sur les banquettes.

Même

on a

cru que c'étaient des zouaves. Des zouaves dans leurs uniformes kakis.

— Parbleu! Ce sont

zouaves.

les

Ils

ont passé

hier pour aller prendre position.

— Les zouaves ne coups de

Ils

tiré

des

fusil.

vous ont pris pour des Boches.

La nuit tère.

nous auraient pas

n'est pas faite

pour

Mieux vaut compter sur

lendemain,

c'est

éclaircir

un mys-

lendemain. Le

le

une autre musique. Des chas-

seurs qui refluent ont confirmé

la

nouvelle. Les

Allemands sont à Douaumont.

Vaux ne songe

plus à plaisanter sur les mésa-

ventures d'un vieux camarade.

On montait

la

garde ensemble depuis des années devant Ver-

dun.

On

isolée.

vivait

On

de

la

se voyait

même

vie,

un peu

triste et

de loin, on échangeait des


34

LES DERNIERS JOURS DU FORT DE VAUX

signes.

L'un comptait sur l'autre pour

comme deux compagnons meurt, l'autre

est

en

de tranchée.

de

et

Si

l'un

de son observa-

péril. Et,

toire intact, le fort observe les pentes

mont

la bataille,

la Caillette, les ravins

d'Hardau-

suspects et la

plaine déserte de la Woëvre.

Le dimanche 27

février, sa

viennent de Verdun, ont Exagèrent-ils?

jamais.

Ils

disent que

Verdun avec une on

le

sait,

garnison

Les renforts, des territoriaux qui

est renforcée.

récits.

petite

et

On le

bouche pleine de

la le

saura plus tard, ou

Boche

s'est

artillerie infernale,

de reste

autour du fort et sur

:

déchaîné sur

— parbleu

considérez

le fort!

le

!

paysage

qu'il a cru tout

casser, tout briser, tout tuer et s'avancer l'arme

à la bretelle sur un terrain nettoyé, qu'il a trouvé à qui parler au lieu des morts qu'il pensait fouler, et

que maintenant des troupes

arrivent

:

le

coup

Joffre veillait, en sa partie

quand

il

leurs Castelnau est

fraîches

nous

est raté, la route est barrée.

attendant de livrer lui-même

voudra, où

venu

il

voudra. D'ail-

et Pétain s'installe

pour


LE VOL DES CORBEAUX

commander. Pétain

Alors,

commande,

35

venu,

Gastelnau est

si

si

tout ira bien.

— Et Douaumont? Parlez-moi de Douaumont.

— Le Ne — Je mais — On ne va pas fort est pris.

je

le savais,

le

à

le

le

savez-vous pas?

ne

croyais pas.

le

leur laisser.

On

prépare

se

leur reprendre.

— Ce sera dur. Ces oiseaux-là aiment à nicher dans

les nids

des autres

et,

en un

clin d'oeil,

ils

encore

s'y enfouissent et s'y retranchent. Dites

ce que vous savez.

Le

fort,

à part lui,

que vous ne savez

murmure

pas.

»

Car

:

«

Et

même

ce

ont de

les pierres

l'expérience, et partant de l'ironie.

— Eh bien, aussi

que

mont,

il

je

la division

de fer est

ne connais pas.

Au

là.

D'autres

y a un colonel qui a déclaré

vivant, les Boches n'entreront pas.

— Toujours dangereuses, — Les Boches ne sont pas

Douau-

village de :

«

Moi

»

ces déclarations! entrés.

Ils

ont été

arrêtés devant le village. Là, nos mitrailleuses les

ont fauchés par centaines.


LES DERNIERS JOURS DU FORT DE VAUX

36

— Et ce colonel — On Certes.

l'a

est

encore vivant?

relevé et je

l'ai

rencontré.

a une figure calme et des yeux de feu.

jamais

la voix, et l'on

Il

Il

n'élève

entend sa voix en dedans,

qui vous gouverne et vous

fait

marcher.

C'est

dans son régiment qu'au bois Brûlé, vers Saint-

un adjudant

Mihiel,

morts!

a

crié

:

«

Debout,

les

»

— Et

les

morts

ont-ils

— Que voulez-vous

répondu?

qu'ils

répondent?

— Les morts répondent toujours quand on appelle.

Les morts ont

fait

la

patrie

que

les les

vivants continuent. Ce sont des morts qui m'ont construit. Et les morts sont les os de tes os et la

chair de ta chair,

ma

comme

ils

sont la pierre de

pierre.

Cependant on a doublé qu'il est à

dans

la

Douaumont,

puisqu'il est descendu

Woëvre, l'ennemi va tenter

jour à l'autre. Le 8 mar6,

Vaux;

les sentinelles. Puis-

le

9 et le 10

il

il

attaque

l'assaut d'un le village

de

se lance à la fois contre le

village et contre le fort.


LE VOL DES CORBEAUX

Le

fort, sur sa colline,

comme un vaisseau

37

résiste à la

tempête,

battu des lames.

* *

Au-dessus du champ plaines de jetées

l'air,

de

bataille,

dans

les

ondulations électriques pro-

les

au loin vont s'inscrire en signes sur

les

récepteurs et portent aux quartiers généraux, aux nations,

au monde

entier,

par

fil,

sent

comme

les

et se livrent

des caravanes d'oiseaux migrateurs

de mystérieux combats.

L'Allemagne,

le

26 février, lâche un premier

corbeau, porteur de ce message l'est

de

télégraphie

nouvelles de la guerre. Elles se croi-

sans

A

la

la

Meuse, devant

S.

:

M. l'Empereur

et Roi,

qui était sur le front, nous avons obtenu des succès

importants. Nos vaillantes troupes ont enlevé teurs au sud-ouest de

mont

Louvemont,

le

village

les

hau-

de Louve-

et la position fortifiée qui est plus à l'est.

Dans

une vigoureuse poussée en avant, des régiments du

Brandebourg sont arrivés jusqu'au cuirassé de

Douaumont,

qu'ils

village et

ont enlevés

au

fort

d'assaut.


38

LES DERNIERS JOURS DU FORT DE VAUX

Dans

la

Woëvre,

le front

dans

ennemie a cédé sur tout

la résistance

région de Marché ville (au sud de la

la

route nationale Paris-Metz). Nos troupes suivent l'en-

nemi de près dans Il

sa retraite.

d'assaut donné au

n'y a pas eu

Douaumont, enlevé par lage de

Woëvre

nœuvre stratégique est

de

surprise. Contre le vil-

Douaumont, tous

ont échoué. La

fort

les assauts

allemands

a été évacuée par

et l'ennemi, méfiant,

ma-

ne

s'y

aventuré qu'avec crainte, dut s'arrêter devant

Manheulles

27 février et ne put entrer dans

le

Fresnes que

7

le

mars. Mais

comme

cela fait

mieux dans un communiqué de représenter excellents mitraille

Brandebourgeois escaladant sous les

glacis

d'un

fort,

échelles sur la contrescarpe,

appliquant

montant à

ces la les

l'assaut,

franchissant les fossés, heureux de vaincre ou de

mourir sous

les

yeux bienveillants de

pereur et Roi, sans doute présent à

casque d'or sur

la tête

et

un

S.

M. l'Em-

la fête,

un

glaive d'or à la

main! Le goût des visions romantiques a gagné le

grand état-major allemand.


LE VOL DES

Le second corbeau lâché

le

la prise

mars

9

du

fort

Douaumont A l'est du

et

39

est plus audacieux.

annonce au monde

il

de Vaux. C'est

un diptyque

:

CORBEALX

offert

fleuve (la Meuse),

11

est

attentif

pendant de

le

aux nations.

pour raccourcir

les liai-

sons au sud de Douaumont avec nos lignes de laWoèvre, le village, le fort cuirassé

de Vaux, ainsi que

nom-

les

breuses fortifications voisines de l'adversaire, ont été, après une

une

enlevés dans

forte préparation d'artillerie,

brillante attaque de nuit des régiments de réserve

de Posen, n ot 6 l'infanterie

et 19, sous la direction

du général de

von Guretsky-Cornitz, commandant

la 9* di-

vision de réserve...

Comment en doute

le

la

monde

véracité

étincelant et précis? l'heure, les titre

la

la

d'un

On

radiogramme donne

lui

numéros des régiments,

du général qui

a

ne s'inventent pas. Le de

attentif oserait-il mettre

mené

le le

aussi

jour et

nom

et le

l'action. Ces détails

détail,

mais

c'est la force

méthode allemande. L'érudition

n'est

que

connaissance des détails. L'histoire? Détails ou

suite d'affirmations détaillées.


40

LES DERNIERS JOURS DU FORT DE VAUX

Le

de Vaux

fort

serait-il pas,

Gornitz,

le il

l'a

pris?

régiments 6 et 19 de

les

Évidemment

il

:

général avec ses deux régiments

y a

le

puisque c'est le général von Guretsky-

commandant

Posen, qui

Gomment ne

pris?

est-il

de Vaux. Dès

le fort

lors,

y a d'une part

de l'autre,

et,

comment

le fort

de Vaux ne logerait-il pas ce général, et ses deux régiments avec lui?

nous?

»

«

Boche.

Cette malle est-elle à

«

demandait Robert Macaire au

trand. Et

nous.

il

concluait aussitôt

— Le

Il

fort est-il à

:

Elle doit être à

«

nous?

doit être à nous.

fidèle Ber-

demande

se

— Et

aussitôt

le il

l'annonce.

Seulement

de ne pas être à le

9,

et pas

pas à

le fort n'est

lui le 8

davantage

Guretsky-Gornitz,

mars, le

10.

commandant

lui. Il se

et pas

permet

davantage

Le général von la 9

e

division de

réserve, en est pour sa forte préparation d'artil-

pour

sa

brillante

attaque de nuit. Le

lerie

et

haut

commandement allemand ne peut pourtant

pas confesser au

Guretsky-Gornitz

monde que s'est

le fier

général von

moqué du monde. En


LE VOL DES CORBEAUX

lâche un troisième corbeau,

hâte, le 10 mars,

il

avec ce

son aile

billet sous

Les Français ont

fait

que près du

fort

:

de violentes contre-attaques

sur notre nouveau front à ainsi

l'est et

de Vaux.

Au

au sud du

ailleurs,

village,

cours de ces actions,

l'ennemi a réussi à reprendre pied dans

lui-même. Partout

41

le fort

cuirassé

assaillants ont été re-

les

poussés avec de fortes pertes.

Ainsi le tour est-il joué.

Rendons

le fort

aux

Français puisqu'ils y sont et y ont toujours été.

Rendons-le, car nous

sommes honnêtes

et

loyaux

:

nous rendons ce que nous n'avons pas. De quoi les

Français se plaindraient-ils? Nous leur avons

rendu un

fort par

une contre-attaque. Nous leur

prêtons une contre-attaque qu'ils n'ont jamais

Nous leur attribuons un succès

faite.

pas eu. dira

:

Le monde nous admirera. Le monde

— Voilà

bien

la

franchise germanique.

Les Allemands avaient pris C'était

qu'ils n'ont

un magnifique

l'ont reperdu.

Eh

le

succès.

bien!

ils

fort

de Vaux.

Le lendemain,

ils

n'hésitent pas à le

proclamer. Décidément on peut se

fier

aux com-


LES DERNIERS JOURS DU FORT DE VAUX

43

mimiques allemands. leur désavantage.

Mais

ment

est à

sont beaux joueurs...

mensonge exige une continuité

le

dont

forts

Ils

avouent ce qui

Ils

imposteurs

les

les plus avisés

d'ef-

sont rare-

capables. Qui dit la vérité est le seul qui ne

se co'jpe jamais. Trois

mois plus tard

mois plus tard

ces trois

:

— mesurez

exactement quatre-

vingt-huit jours, soit tout l'intervalle qui sépare

de l'annonce du 9 mars le 7

la

chute réelle du

fort,

juin au petit matin, quatre-vingt-huit jours

de froid ou de chaud, de fatigue, de soif et de

manque de sommeil, de bombardements sauts,

mois plus tard,

trois

réellement pris. Le haut

mand

9 mars.

Il

Or,

dit

par nous...

Il

:

il

oublie son

dit pas,

Vaux

est

il

est

alle-

annonce fièrement

radiogramme du

Le fort cuirassé de Vaux

ne

fort cuirassé de

de Vaux

commandement

sait ce qu'il lui coûte. Il

la nouvelle.

le fort

et d'as-

est

n'ose pas dire

occupé :

«

Le

réoccupé par nous...

»


II

le chemin (11 mars.)

Voici Verdun, pareille à une Florence

au milieu de son cirque de jours de froid et de neige,

dans

les

tranchées

n'être plus

que

la

La

si

inattendu de :

il

est

venue brusquement déet la terre gelée.

ce

nom charmant

bien

C'est l'heure

du cou-

mauve

ligne si-

baigne d'or et de il

et

anime

les

la

eaux mornes de

Meuse débordée.

Au de

bouleversées et réduites à

Florence.

nueuse des coteaux, la

hommes

forte qu'elle fait courir sur les

lèvres déshabituées

chant

cruels à nos

membres engourdis

surprise est

Après des

jonction de trous d'obus, une

douceur printanière tendre les

si

collines.

du Nord

la

pied de la morose cathédrale,

si

différente

gracieuse Sainte-Marie-des-Fleurs aux mar-


44

LES DERNIERS JOURS DU FORT DE VAUX

bres colorés,

murs

à

on traverse un couloir sous des

demi démolis

rasse qui

et l'on parvient à

donne sur toute

une

ter-

douleur de Verdun

la

maisons éventrées montrant leurs étages à nu perdant leurs meubles

comme

:

et

des bêtes leurs

entrailles, façades écroulées, portes

ouvrant sur

le

vide, pans de murailles déchiquetés et dentelés,

surmontés souvent de hautes cheminées et tout

cela

qui n'est plus qu'un tas informe

de décombres fut

commerçant, Verdun,

et

paix.

le

la

rue Mazel,

le

quartier

le

plus

plus brillant, le plus vivant de

du Verdun de

mouvementé,

inutiles,

la

plaisant et gai

Le bombardement

viennent s'appuyer

les

que

le

Verdun de

a dégagé d'anciens

parts, datant sans doute

évêques, qui encerclent

guerre autrement la

rem-

du temps des princes-

la ville

haute et auxquels

ruines

de

la

nouvelle

ville.

Un

chien errant qui, seul être vivant, erre

dans

les

rues désertes, pousse de plaintifs aboie-

ments. Des obus tombent sur Jardin-Fontaine. Juste au-dessus de la ville deux avions se poursuivent.

On entend

le

tic

tac de leurs mitrail-


LE CHEMIN leuses

:

45

l'Allemand regagne en hâte ses lignes...

chaux dans

J'habite une cellule blanchie à la

une caserne de Verdun. ture, je dors sur

mandant

un

P... entre

lit

Plié

de camp, lorsque

en coup de vent

de sa petite lampe électrique, saut.

Au début de

dans une couver-

la

me

campagne

le

d'un jet

et,

réveille

il

com-

en sur-

m'avait offert

une hospitalité plus luxueuse dans

les

caves de

Berry-au-Bac. Les caves de Berry-au-Bac étaient

encombrées de bronzes d'art.

tapis,

On

de fauteuils, de glaces, de

y mangeait dans de

la vaisselle

à fleurs, on y buvait dans de la cristallerie fine. Si les services

l'illusion

de

la

étaient dépareillés,

ils

donnaient

profusion.

Nous passions l'Aisne en bateau. Parfois balles

nous accompagnaient

comme un

les

essaim

d'abeilles et l'eau semblait prolonger leur plainte.

Quand nous descendions, pour nous mettre l'abri,

à

dans ces fameuses caves voûtées, ornées


46

LES DERNIERS JOURS DU FORT DE VAUX

comme

des salons dont les miroirs doublaient la

perspective, nous nous

épanouissions dans un

bien-être inespéré.

Voulez-vous aller au fort de Vaux?

demande

à

brûle-pourpoint

Occasion unique.

Il

me

commandant.

le

faut trois officiers cette nuit,

l'un au fort, l'autre au village de Vaux, le troi-

sième à Damloup. Départ dans un quart d'heure. J'avais

exprimé

le désir

d'accomplir ce pèleri-

nage. Je suis servi à souhait l'ordre est immédiat. :

est nécessaire, ajoute-t-il,

Il

nuit, afin d'explorer le terrain

Un

quart d'heure

automobile,

le

après,

au

de partir de

petit jour.

nous montons en

capitaine L..., de l'état-major du

corps d'armée, et moi. Nous prendrons au passage le

capitaine H... à l'état-major de la division.

Nous suivons

la

route d'Étain, puis laissons la

voiture pour gravir à pied une pente boisée et

gagner naire.

le

poste de

La région de

commandement du la

mort commence. Au bord

du chemin que nous venons de vêtrent,

se

division-

quitter, s'enche-

mêlent des débris de chariots, des


LE CHEMIN sacs ouverts, fusils et

47

harnachements

des

souillés, des

des corps gonflés de chevaux jambes en

l'air, intestins

dehors. Dans

le bois, les

branches

cassées obstruent parfois le passage, les pieds

s'accrochent aux souches ou trébuchent dans les

Quand

entonnoirs.

notre voisinage,

les

obus écrasent

Car

la

suie, lanuitclaire.

nuit est toute claire. Entre les arbres

coule la lumière bleutée de la lune qui

jour adouci, refusait de

de

dans

une colonne de fumée noire

comme une poussière de

tache,

le sol

pudique,

délicat,

nous

laisser

comme

approfondir

un

fait si

elle

les blessures

la terre.

Nous descendons maintenant dans un ravin par un sentier en lacets pareil à un sentier de

montagne. La pente hâter

:

est forte et

mieux vaut

se

l'endroit est repéré et copieusement arrosé

sans répit.

Un

cadavre est

Plus bas, devant

le

là qu'il faut

poste de

enjamber.

commandement, un

autre qui parait dormir sous son casque.

main pieuse écrabouillé.

a

recouvert du casque

le

Une

visage


LES DERNIERS JOURS DU FORT DE VAUX

48

Nous entrons dans loir,

le sol creusé.

où dorment, serrés,

les

agents de liaison,

une pièce boisée, avec un siège dans

fond, un

le

lit

de

fer.

Après un cou-

et

une

table, et,

Le maître de céans,

général de B..., est penché sur sa carte. redresse en nous voyant.

Il

:

se

est jeune, allègre, la

parole nette, les yeux lucides. fatigue

Il

le

Un

seul signe de

poches qui se sont creusées sous les

les

yeux. Combien en ces chefs qui,

ai-je vus,

en pleine action, de

dominant l'épreuve physique

et le

risque, et portant sans faiblir le poids de toutes les vies confiées à leurs ordres, les plus fidèles

quand

leurs aides

succombaient au sommeil ou à

l'in-

quiétude, employaient tranquillement leur cer-

veau à l'étude d'un plan et réglaient minutieuse-

ment, sans de

les

la fièvre,

mauvais conseils de

les

moindres

la

hâte et

détails d'une opéra-

tion!

Les Allemands sont au pied du fort de Vaux et

même

ils

sont à mi-hauteur. Les pentes des-

cendent tout d'abord sans hâte, devant

pendant un espace de

trois à

le fort,

quatre cents mètres


LE CHEMIN

au plus, puis la

elles

49

coulent brusquement jusqu'à

plaine de Woëvre. Cette descente rapide fait

un angle

droit

que notre

artillerie

ne peut battre

à cause de ses trajectoires. Les Allemands sont installés

là.

importe de

Il

village et, plus à l'est,

situation

s'est

le

aux abords de Damloup?

faut, avant d'agir, la

ment. On

déloger. Quelle

au bas d'Hardaumont, sur

ligne suivent-ils

Il

les

déterminer très exacte-

battu ces jours derniers

et la

demeure quelque peu confuse. Notre

caravane se coupera donc en trois

nous aura son objectif Vaux, :

;

le fort et

chacun de

Damloup,

chacun son guide. Et je

me

mon-

souviens de ces conciliabules en

tagne avant d'entreprendre une ascension qui présentait telles ou telles difficultés, ou, dans la

cabane de Lovitel en Dauphiné, de ces

petits

conseils de guerre, la veille d'une chasse au cha-

mois

:

l'un prendrait tel sentier, l'autre tel cou-

loir; attention,

il

y a un passage dangereux,

il

convient d'emporter un bout de corde.

Après

main

et l'on

quoi, au petit jour, on se serre la

A


,

LES DERNIERS JOURS DU FORT DE VAUX

50

part chacun de son côté pour se retrouver au

rendez-vous.

Nous remontons voici dans

un

la

pente du ravin et nous

bois de plus en plus clairsemé. Oui,

départ pour une ascension

c'est bien le

difficile.

L'air est vif, les étoiles sont à peine visibles tant

lune brille. Lorsque l'on gagne de l'altitude,

la

végétation se raréfie

la

les

:

arbres se rabou-

grissent, quelques mélèzes tenaces,

aux racines

tordues, s'obstinent à croître, puis c'est la zone

des arbustes étiolés et maigres, et enfin, plus rien que la terre nue.

retrouve

mais les

ils

ici

:

La

autour de moi

même ,

il

progression se

y a bien des arbres

sont en morceaux, les branches brisées,

troncs meurtris, les racines

sorties

du

sol

crevé, et bientôt ce ne sont plus que de lamentables balais.

ou

la

Le sommet ne doit pas

région des glaces et de la désolation.

La montagne tage du silence.

murmure et

être loin,

même

a pourtant l'incomparable avan-

On

s'habitue

si

vite

au régulier

des torrents qui roulent dans les fonds, ce

murmure

fait

comme une chanson


LE CHEMIN intérieure qui est

accompagne

obsédé par ce

51

la rêverie.

continuel

Ici,

sifflement

l'on

aigu,

menaçant, inquiétant qui précède l'éclatement des obus. Et parfois

il

faut s'arrêter, se coucher

ou plonger dans un entonnoir l'embarras du choix ser les rafales. repart.

La

on n'a que

— attendre pour

Quand

le

laisser pas-

barrage s'interrompt, on

terre est percée

comme une écumoire

hommes ou chevaux,

aux carrefours

les

se multiplient.

La lumière nocturne

cadavres,

;

les

recouvre

d'un mystérieux suaire. Arrêt à la carrière qui est

dement de

la

brigade.

le

poste de

aussi veille

comman-

un chef qui

achève de préparer l'opération ordonnée. Grand, très

jeune d'aspect,

le

verbe haut, l'abord franc,

on retrouve pareillement en traîneurs l'élan.

d'hommes qui

Et quelle clarté

sait ils

exposés et leurs prévisions

dans ces prévisions

le

lui cette race

!

d'en-

unir la méthode à

ont tous dans leurs Quelle place occupe

souci des vies à

ménager!

Quelle franchise dans l'accent, quel art d'aller au

but directement!

Il

n'y a plus

ici

ni flagornerie,


LES DERNIERS JOURS DU FORT DE VAUX

52

Une

ni vanité, ni désir de plaire.

morale par

tion

commandement

le

Quand on connaît

sorte d'élévas'est

faite.

question traitée, une simple

la

conversation téléphonique est un modèle de précision de langage

et

de justesse de raisonne-

ment. Ainsi, d'un poste à l'autre, le dialogue se con-

tinue dans la nuit.

On

croirait visiter successive-

même

ment des catacombes où

le

à la chétive clarté de la

lampe du sanctuaire. Et

office se célèbre

emporte une impression de respect religieux.

l'on

— Bonne

chance

!

me

souhaite

me

reconduisant sur

me

reposer quelques heures.

Il

le

le

colonel en

pas de la porte. Je vais

deux heures du matin.

est

Le plus mauvais passage

reste à

franchir

:

quinze à dix-huit cents mètres sur un plateau qui,

de jour, est çà et

vaguement protégé contre

vues par des boqueteaux

— mais vert.

la

Au

fileront

— quels

les

boqueteaux

î

plupart du temps est en plein décou-

clair

de lune, nos silhouettes ne se pro-

guère sur

le

chemin de

crête; le retour,

si


LE CHEMIN

nous repartons après

le lever

53

du

soleil, sera

un

peu plus compliqué.

Nous marchons à capitaine P.

,

. .

la file

indienne,

de l'état-major de

la

le

guide,

le

brigade, qui a

voulu m'accompagner, et moi. Les obus tombent

comme devenue cendre.

La

grêle. si

terre qu'ils

friable

qu'elle

ont remuée est à de la

est pareille

Quinze à dix-huit cents mètres,

beaucoup plus long qu'on ne

croit.

de presser chaque seconde de

On

a le

c'est

temps

sa vie.

Ce sont encore des souvenirs de montagne qui

me

reviennent à

passage d'un col,

de Fée et

la le

la vallée

mémoire. Cette

Neuweisthor, entre de Zermatt dans

Valaisanes. Nous avions pris un il

fallait suivre

fois, c'est le

la vallée

les

Alpes

chemin étrange;

une arête qui, de chaque côté, don-

nait sur l'abime

:

à droite, on distinguait

une cre-

vasse peu attrayante; à gauche, tout au fond, la petite ville italienne de si

directement sous

soi

Macugnaga

apparaissait

qu'on avait l'impression

de rouler certainement jusque-là, à deux ou

trois

mille mètres de profondeur, au cas où l'on trébu-


LES DERNIERS JOURS DU FORT DE VAUX

54

L'arête était

cherait.

étroite

si

que

les

deux

pieds ne s'y pouvaient placer côte à côte,

et

qu'on ne savait où poser son piolet. Pour aggraver la situation,

si

le

guide de tête était solide,

porteur qui marchait à la queue de

la

cordée

avant de partir. Nous étions à

s'était saoulé

le

la

merci d'un faux pas de cet ivrogne. Mais son

honneur

professionnel

avait

passé

dans

ses

jambes. L'arête aboutit à une sorte de tour de

un

pierre où l'on peut souffler en s'accrochant à

me

sérieux point d'appui. Là,

mon homme, hors de et

ruisselant de

la tête

recouvré

:

il

sueur et

les

yeux

avait éliminé tout son alcool

de ses facultés de

plénitude

la

retournant, je vis

guide.

La

piste

que nous suivons n'est pas

mais autrement redoutable.

A chaque

faut franchir des corps jetés en travers.

si

ardue,

instant

Tous

il

les

dix ou douze mètres, et bientôt tous les cinq ou six pas,

nous sommes contraints d'enjamber un

cadavre ou

même

uns déchiqueté*,

des grappes de cadavres, les

les autres

dans

la

position de la


LE CHEMIN course,

comme

pleine action.

s'ils

La

55

avaient été

foudroyés

en

clarté de la lune atténue l'hor-

reur de leurs blessures sans la voiler tout à

fait.

Beaucoup d'entre eux sont de ces coureurs qui assurent les liaisons, portent les ordres, indiquent les itinéraires.

qualités

Dans cette guerre, où toutes

d'héroïsme

rendre un spécial

rivalisent,

hommage

il

convient de

à ces soldats qui,

tandis que leurs camarades se terrent

peuvent sous l'averse de

les

comme

fer, s'élancent à

ils

décou-

vert pour suppléer à la difficulté des signaux ou

à

la

les

rupture des lignes téléphoniques. Par eux efforts

se

coordonnent, l'entente se réalise

sur tous les points du front, la chaîne des unités se maintient. Si l'un

tombe, un autre aussitôt

remplace. Ceux qui restent sont toujours dispos ils

offrent

même

leurs services avant

le :

que leur

tour soit venu. Prêts aux plus dangereuses missions,

ils

composent une garde mobile autour de

leur chef et sont

ment de les

sa

le

prolongement,

le

rayonne-

pensée qui, par eux, dirige au loin

volontés et règle ou rectifie les dispositions de


LES DERNIERS JOURS DU FORT DE VAUX

56

combat. Ceux qui sont tombés

là,

ou du moins

quelques-uns d'entre eux, semblent avoir dans

la

mort

la

pose

des

antiques

pris

éphèbes

qui se transmettaient la torche sacrée. Est-ce la

lune qui m'aide à voir ces blanches statues brisées? Retrouverai-je au grand jour cette vision

marmoréenne? Le jour cru la

beauté de

la

mort.

Le soldat qui nous train.

11

n'est pas favorable à

donne

sert de guide

marche bon

des arrêts, quand

le signal

obus tombe trop près de nous, ou quand

un la

cadence des éclatements indique un barrage systématique.

Il

ses haltes et

ne choisit pas l'emplacement de

nous

fixe tout à

cadavres, trop heureux

si

coup

le

nez sur des

nous ne recevons pas

au visage des éclaboussements de chair morte écrasée à nouveau par l'effroyable pilon.

Mais pourquoi s'arréte-t-il en ce

cadence précisément semblait se le

cas d'en profiter.

mort. les

11 le

Le

moment? La

ralentir. C'était

voilà qui dépouille

un

soulève à demi et lui retire une à une

courroies qu'il portait en sautoir. Ainsi dégage-


LE CHEMIN

57

quatre ou cinq bidons de deux

t-il

débouche

et flaire tour à tour,

non sans inquié-

obus qui pourraient

tude à cause des

rompre dans son opération. Sa

tant de

méthode

figure

s

l'inter-

éclaire

:

Celui qu'il a dépouillé avec

est potable.

l'eau

litres qu'il

un ravitaillement en eau,

portait

et l'eau, sur ce plateau desséché, est aussi pré-

cieuse qu'au désert est

La source où

au bas des pentes

ver, ni d'en revenir.

:

l'on va puiser

on n'est pas sur d'y

Au

fort, tant

pirent après les fraîches fontaines

Le guide, ceinturé de

arri-

de lèvres sou-

!

ses courroies

de bidon,

reprend hâtivement sa course, nous entraînant

comme un A

chevreuil une meute.

cette allure

nous dépassons une caravane de

porteurs chargés d'un lot de grenades qui che-

minent

aussi vite

que

le leur

permet leur charge,

sous la pluie de fer. Rien n'arrive

d'homme. Pauvres est encore la plus

C'est

La

petits

ici

hommes dont

qu'à dos le

cœur

grande puissance militaire!

une guerre scientifique, a-t-on proclamé.

victoire est

au matériel. Le matériel écrase et


LES DERNIERS JOURS DU FORT DE VAUX

58

— Et quand

détruit tout.

l'artillerie croit

avoir

tout détruit, la volonté

humaine oppose encore

des poitrines de chair

:

supporté, gissent

le feu, la

du

donné de

faim,

des

exemples de

Le paysage

est

ont tout

le froid, la soif et

sur-

Aucune guerre n'aura

sol bouleversé.

tels

hommes

la supériorité

comme

humaine.

brûlé. Les laves d'un

volcan, les secousses d'un tremblement de terre, tous les cataclysmes de la nature ne l'auraient

pas davantage écorché. C'est un chaos sans

un

nom,

cercle de l'Enfer de Dante. Je cherche dans

ma mémoire

des visions comparables

:

peut-être

certaines solitudes alpestres dont les glaciers se

sont retirés, où les moraines alternent avec les

abîmes, et qui n'ont jamais entendu un chant d'oiseau ni subi

un contact

vivant.

Les entonnoirs se touchent, s'ouvrent

comme

des cratères béants- Des branches coupées, des blocs roulés, des détritus de toutes sortes et des

débris

humains

monte du

se mêlent.

Une odeur

sans

nom

sol convulsé.

Voici que devant nous se dresse une muraille


LE CHEMIN

59

recouverte de terre. Elle porte des balafres et

par ces fissures

somme

fossé. Mais,

dans

pierres ont coulé

les

le

toute, elle a subi l'avalancbe

sans fléchir. La porte voûtée est aux trois quarts

masquée par une masse de béton qu'a détachée

un obus de 380 ou de 420.

C'est l'antre

du Cy-

clope que bouchait une pierre et qui reçut Ulysse et ses

compagnons. Dans

l'intervalle libre

nous glissons en hâte, car l'ouverture

lement battue par vres, plus

assommait-il

les

solides

Cyclope

l'attestent. Ainsi le

étrangers.

Quelle n'est pas rieur du fort

est spécia-

ennemie. Les cada-

l'artillerie

nombreux,

nous

ma

surprise en trouvant l'inté-

intact!

Il

fut

construit

avec de

matériaux, pour avoir résisté à un

martelage.

L'escalier,

les

couloirs,

les

tel

pièces

sont encombrés. C'est un spectacle curieux qui grouille à la lumière des

lampes électriques

dormeurs étendus dans toutes couchés n'importe où,

mêmes pour

tenir le

les poses, les

les autres repliés sur

:

uns eux-

moins de place possible,

tous rebelles aux bruits, refusant de se réveiller,


€0

LES DERNIERS JOURS DU FORT DE VAUX

goûtant cette détente ineffable du sommeil hors

du risque; corvées chargées

ment un passage

se frayant difficile-

à travers la cohue

;

hommes de

garde redescendant ou remontant à leur poste; blessés

portant

sur leurs plaies

des bandages

blancs; sections groupées, isolés cherchant leur

compagnie.

On

ment, auquel

devine la cause de cet encombrefaut porter remède.

il

son plateau, joue tagne où

les

le rôle

Le

fort, sur

de ces refuges de mon-

caravanes perdues viennent s'abriter

contre la tempête. C'est

le

havre de salut

:

celui

qui parvient à franchir la zone dangereuse respirera à l'aise sous l'arc des voûtes.

Peu à peu nise.

le défilé

La droite

est

s'ordonne, la cohue s'orgaréservée aux

entrants,

gauche aux sortants. Voici l'ambulance, poste et voici le

la

voici le

commandement.

Notre guide obtient à l'arrivée un

Son harnachement de bidons

lui

joli succès.

vaut d'être ac-

La source

la

plus proche est au ravin des Fontaines, et

le

clamé. La soif

ici

fait

des ravages.

ravin est sans cesse criblé de mitraille. Cepen-


LE CHEMIN

61

dant on risque sa peau pour aller boire. L'eau crée des mirages

si

douloureux. Dans

informes qui leur servent d'abris,

troupes,

les

bouche brûlée, attendent de Teau avec

la

on en

est réduit, parfois,

sillons

les

fièvre

:

à boire l'eau corrom-

pue, l'eau pourrie qui stagne

dans

trous

les

d'obus; on en est réduit à boire son urine. Qui dira jamais toutes les souffrances endurées

Verdun

Un

et

pour

France qui

la

soldat déjà vieux,

un

est derrière?

territorial sans doute,

arrive avec des boules de pain sur le dos. fale,

il

souffle,

est foute

— Tu Où

blanche

de

:

la

un geste vague. Le

tait.

geste de

les les

de garde.

corvée? reste de la corvée n'a

pas suivi, n'arrivera jamais.

chercher

Il s'af-

sue à grosses gouttes et sa face

es seul? interroge le sergent

est le reste

Il fait

il

pour

Cependant

il

faut

approvisionnements qu'elle apportrouvera-t-on? Loin d'ici? Nouveau

lassitude, d'indifférence, d'ignorance,

on ne peut deviner.

— Explique-toi,

à la fin.


LES DERNIERS JOURS DU FORT DE VAUX

62

Le soldat pose

sa charge, se redresse

J'y retourne,

dit-il

simplement. Et

passe le seuil, suivi de deux

par

:

hommes

re-

il

désignés

le sergent.

Le commandant du domaine, toires

les

fort

me

casemates de Bourges,

dont l'un peut

son

visiter

fait

les

observa-

servir, la tourelle

démunie

de 75. Nous croisons

le

commandant du

taillon de chasseurs, qui tient le secteur

fort jusqu'au village, et

3 e ba-

devant

le

l'aumônier du bataillon,

l'abbé G..., qui, sous le casque, avec ses traits patines et sa barbe longue, ressemble plus à croisé qu'à

un moine.

Celui-ci arrive de la re-

doute voisine, petit ouvrage où

un poste de secours

— Hier,

me

qu'il a

dit-il,

il

avait installé

dû déplacer.

nos chasseurs y avaient

ramené un prisonnier tout gémissant qui ne sait

de répéter d'une voix lamentable

derî Vier Kinder !

»

pas l'allemand,

il

un

:

«

Vie?'

ces-

Kin-

Et pour ceux qui n'entendaient

montrait de

la

main une suc-

cession de tailles échelonnées et comptait quatre

sur ses doigts. Nos

hommes

l'installèrent à l'in-


LE CHEMIN

un coin de

térieur dans étroite,

G3

la

redoute qui est très

quand eux-mêmes,

faute de place, res-

taient exposés sur la porte

commandant

aux

éclats d'obus.

Le

qui passait a fait cesser cette ano-

malie. Et, tout en lissant sa barbe,

phiquement

— Après Il

il

ajoute philoso-

:

tout, ce qui

tombe vient de chez eux.

estjuste qu'ils en apprécient la qualité.

Le commandant du parapets qui,

fort

me

conduit sur

sans cesse écrasés,

les

sont rétablis

sans cesse.

— Attention, pour y

aller,

il

faut traverser au

une zone que bat une mitrailleuse enne-

plus vite

mie. Plus perfides que les sifflements d'obus, abeilles

nous passent au-dessus de

lui-même ne lés,

dans

guetteurs

se presse

la terre et,

la tête,

les

mais

nullement. Là sont instal-

creusée, tant bien que mal, les

sous des abris à peine plus résistants,

nos mitrailleuses.

Le

petit jour

commence

à poindre, effaçant la


LES DERNIERS JOURS DU FORT DE VAUX

64

lune.

A demi couché

sur

le

parapet, je vois se

lever la plus radieuse aurore de printemps. Elle

de

réveille les plaines

mine

les

la

Woëvre dont

ruisseaux et les mares. Voici

elle illule village

de Vaux à gauche, et voici celui de Damloup à droite. Plus loin, cet important

maisons

détruites,

n'est-ce

agglomérat de

pas

Leurs

Étain?

ruines blanches, au soleil levant, dessinent une dentelle de pierre, évoquent des cités d'Orient.

Et voici les pentes sombres d'Hardaumont. Douau-

mont nous domine, Douaumont que l'ombre garde encore

comme un mauvais

Mieux que l'ennemi, pentes du

la

génie.

lumière gravit

Elle est rapide et légère

fort.

une messagère de bonne nouvelle. elle

me montre

là,

les

comme

Souriante,

devant moi, à deux ou

trois

cents mètres en avant de la contrescarpe, sur le

gazon qui descend, de nombreuses bosses verdâtres presque alignées. Ce sont les cadavres alle-

mands, fauchés aux assauts du 9 mars. tombés devant

les

nombrer. Déjà

le

fils

de

fer.

compte n'y

On

Ils

sont

pourrait les dé-

est plus.

Avec des


LE CHEMIN

65

crocs ou des cordes leurs camarades, la nuit, les tirent à eux.

Le et

soleil s'est

monte

détaché de

vite à l'horizon.

douceur exquise dont

le

la

La matinée

et

est

J'ai derrière

pattes sans

remuant

charmante

becquetait la lumière.

pour

les

petite chose vivante

qui vibre sans se déplacer en face de moi,

tète

moi un

changer de place dans l'atmosphère

rose. Je vois cette

elle

d'une

devant moi un charnier. Cependant une

alouette chante en battant des ailes et

si

la terre

contraste est étrange

avec ces paysages tragiques.

chaos

bordure de

la

Un

chercher des yeux.

comme

guetteur lève la Il

regarde un

la

instant avec tendresse, puis reprend son observation.

Les obus qui passent ne

dérangent

la

point.

Que

se passe-t-il

donc là-bas, parmi

les

cada-

vres aux uniformes verts? L'un d'eux a fait

mouvement;

il

se glisse

dans l'herbe

un

comme une

couleuvre. L'ennemi se sert des morts

comme

d'un bouclier ou d'un trompe-l'œil et vient ainsi reconnaître

le

terrain.

Un

guetteur a surpris


LES DERNIERS JOURS DU FORT DE VAUX

66

comme moi

cette

anormale résurrection.

Il

tire.

Rien ne bouge. Nous avons dû nous tromper.

Longtemps

après,

un peu plus bas qu'au point

un corps bondit

suspect, disparaît

à

l'endroit

subitement davantage

Gomme rizon et lines.

d'un saut brusque

et

pentes s'inclinent

les

et font

en montagne, je

un angle mort.

mon

fais

donne des noms aux vallons

Douaumont, sur ma gauche,

plus haute (388 m.)

et

est la

arrière, qui soutienne la comparaison.

que

sa

menace pèse

aux

col-

cime

la

n'y a que Souville, en

il

:

tour d'ho-

Il

semble

sur tous les alentours. Je suis

séparé de lui par les pentes boisées de VauxGhapitre, par

par

les bois

se

dresse

le

ravin

du

montant de

comme une

que

je devine, et

la Caillette.

Hardaumont

Bazil

au-dessus de la

falaise

Woëvre. La Woëvre à perte de rue s'étend, coupée de boqueteaux, de routes.

Au grand jour

villages,

je vois

mieux

striée

sa misère

que l'aurore, compatissante, dissimulait. Son inculte ressemble à droite,

un

de

sol

vaste marécage. Sur la

mes yeux rencontrent

la

tache noire du


LE CHEMIN bois d'Herméville.

m'en cache une C'est

sur

là,

La

67

suite des

Hauts de Meuse

partie. le

village,

contre

ces pentes,

contre Damloup, que l'ennemi s'est brisé. Et fort,

le

sur son plateau, avec sa superstructure à

demi écrasée,

ses

semble être

formidable carcasse d'un cuirassé

la

doubles murailles ébréchées,

qui flotte sur les eaux et que son équipage n'a pas quitté. La tempête a cru

vaincu

le

foudroyer et

il

a

tempête.

la

Nous nous sommes longtemps attardés pour tout voir selon nos instructions. le soleil est

Neuf heures du matin

déjà haut. Le ciel est clair, les vues

sont bonnes, l'observation facile, et

boches nous regardent.

Il

La traversée de

repartir.

:

est plus la crête

les

ballons

que temps de risque d'être

malaisée.

En

effet, la sortie est difficile.

Nous sommes

cadavres,

maintenant indiscrets,

un

fil.

Les

exhibent

de

aussitôt encadrés. L'existence tient à

hideuses blessures. Quelques-uns seulement sont intacts

:

j'ai

peine à retrouver

les statues brisées


LES DERNIERS JOURS DU FORT DE VAUX

68

du

clair

de lune. Et

dans une révolte de celle d'être ainsi

n'être

même

sentiment de

le

l'être,

supprimé

plus

mort

revêt,

une horreur spéciale

:

et volatilisé, celle de

un mort, mais un amas ano-

nyme, ou une poussière de la

la

chair. Gela, et aussi

pensée de n'être pas enterré. Cette pensée n'est pas davantage

même. Nous avons

venue

d'elle-

franchi deux cadavres

petit soldat tout jeune,

:

un

imberbe, classe 1915 sans

doute, recouvert d'un peu de terre, deux ou trois pelletées qui ne réussissaient pas à le cacher, et,

tout près de lui,

un brancardier désigné par son

brassard de la Croix-Rouge, la tête fendue, tenant

encore une bêche à été tué

comme

devoir funèbre.

donnés.

Il

il

la

main. Le brancardier a

essayait d'accomplir son pieux

Ici, les

faut laisser la

morts doivent être aban-

mort ensevelir

Une légende rapporte que

les

les

morts.

âmes de ceux

qui n'ont pas été déposés en terre sainte errent

dans l'espace sans jamais trouver de repos. Mais le sol

de

la Patrie

envahie est une terre sacrée.

Qu'ils reposent en paix, ceux qui se sont couchés


.

LE CHEMIN sur elle en la défendant!

Du rappel de

L'Église

qui accompagne

mémento quia pulvis

es,

des cendres sur

front des fidèles,

le

69

la

:

pose

aurais-je

imaginé jamais paraphrase plus éloquente?

Une

dernière caravane de ravitaillement nous

croise. Elle n'a pas

pu atteindre de nuit son but.

Le jour on ne va pas au

fort d'habitude.

— Allez-vous jusqu'au — On — Bonne chance. essaiera.

.

fort?


III

LE MAITRE DE L'HEURE (14 mars)

Dans la cour de passé une

si

cette caserne de

courte nuit,

il

Verdun où j'ai

y a un peu plus d'af-

fluence que d'habitude. Et chacun suit du regard

deux généraux qui

L'un

est

promènent d'un pas

vêtu de

comme

troupe,

se

tout

bleu le

horizon,

lent.

comme

la

monde. Son visage brun,

dont je connais bien toutes

les expressions,

et

qui unit tant de bienveillance à une intelligence

en quête de précisions et de certi-

toujours

tudes, livre le secret qui le tourmente.

mande ment

le

secteur

attaqué,

le

le

com-

plus exposé, le plus violem-

plus délicat de tout le front de

l'armée qui couvre Verdun,

de tout

le

au

de Douaumont et

fort

Il

et,

en ce moment,

front de l'armée française. il

défend

Il

le

touche fort

de


LE MAITRE DE L'HEURE

Vaux.

vit

Il

hommes

71

de cœur et de pensée

avec ses

qui sont là-bas dans l'ouragan de fer et

qui tiennent le coup.

Il

soulève

le

fardeau de

leurs privations et de leurs efforts. L'inquiétude

de savoir Et ses

le

traits

dévore. Le souci de vaincre

en ont

les

creuse.

le

beaux stigmates.

L'autre, de haute taille massive, porte l'ancien

uniforme, dont leurs

les

yeux ont désappris

cou-

culotte rouge, tunique noire, képi rouge

:

à la double rangée de feuilles de chêne. fixer

les

Il

semble

au-dessus de son interlocuteur un point

invisible.

Il

semble suivre, tout en écoutant, un

songe intérieur. Le visage est barré d'une épaisse

moustache blanche. Les yeux ont une expression lointaine.

La

réalité présente leur suffit-elle,

ou

une carte du monde pour

les

faut-il, peut-être,

contenter? Voici que tous deux se sont arrêtés près de notre

groupe. Le grand chef dit à son compagnon,

comme

s'il

— un

donnait une conclusion à leur diadialogue où

ilogue

qu'ici la parole

:

il

a pris à peine jus-


LES DERNIERS JOURS DU FORT DE VAUX

72

C'est bien, et

maintenant vous pouvez être

tranquille.

L'autre parait surpris.

Il

dans une inquié-

est

tude mortelle et on l'engage à

la tranquillité

!

Il

paraît attendre autre chose; c'est pourtant bien

conclusion en effet.

la

appelée.

Vous pouvez

Paix

me

être tranquille.

Un de mes cama-

dans ses courts

relit

et qui est

loisirs

aide

Guerre

et

doué d'une prodigieuse mémoire,

André Bol-

rappelle le passage où le prince

konsky,

a été

salue, c'est le départ.

Il

rades qui

Une automobile

de camp du général Bagration,

vient rapporter à

son chef ce qu'il a pu sur-

prendre des forces adverses qui menacent l'armée russe «

:

En

devant

une

l'écoutant, le prince Bagration regardait

lui, et le

prince André se demandait, avec

curiosité inquiète,

en étudiant

les traits for-

tement accusés de cette figure dont étaient

à

moitié

les

yeux

fermés, vagues et endormis,

quelles pensées, quels sentiments se cachaient

derrière ce

masque impénétrable.

»


,

.

LE MAITRE DE L HEURE

Les yeux, loin,

:3

regardent, mais regardent au

ici,

comme pour

au delà de

voir

l'horizon

de Verdun.

bien

C'est

comme

dit

simplement Bagration

ce qu'il venait d'entendre avait été

si

prévu par

.

lui.

Et ce qu'il vient d'entendre, c'est

la

menace

pesant sur son armée.

Ce qu'il vient d'entendre ne a

répondu

:

c'est bien,

l'a

pas troublé.

comme

si

la

Il

menace

ne pouvait en rien déranger ses plans. Plus tard, le sens de ce souvenir, éclairant la

phrase qui m'avait presque scandalisé, devait sin-

gulièrement se préciser dans gir

comme

mon

esprit et s'élar-

ces cercles qui, d'un jet de pierre, se

forment dans l'eau qu'en atteignant

et

ne

les rives.

cessent de s'étendre .


IV les premiers comrats de

vaux

(9-10-11 mars)

16 mars.

De

la

route, je vois des soldats étendus sur

l'herbe, se chauffant au soleil printanier, ou pé-

chant dans

la rivière,

ou jouant au ballon

comme

des collégiens. Des autobus les ont cueillis non loin

du champ de

bataille

ment, pour

les

transporter

campagnes.

Ils

n'entendent

de Verdun, brusqueici,

dans

même

la

paix des

plus le canon.

C'est étrange, ce contraste entre l'enfer de

Vaux

et ces bucoliques.

La

vallée

de

la

Saulx

est,

meusiennes volontiers un peu la plus riante, la plus fleurie,

Une eau

claire

en arrose

parmi

les

vallées

tristes et graves, la

plus coquette.

les prairies et allonge


LES PREMIERS COMBATS DE VAUX

75

indéfiniment son cours par ses méandres. Voici Montiers-sur-Saulx, où cantonne pour quelques jours la 303 e brigade. Le sire de Joinville y de-

meura

:

on peut

lire

charte par laquelle

il

aux archives de

mairie

la

concéda aux habitants

la

l'ex-

ploitation d'un partie de son bois. Jeanne d'Arc

songeant à sa mission. Les troupes

le traversa,

en casque bleu-gris qui circulent sur centrale où joue la

musique

la

militaire ne sont pas

très différentes,

dans leurs uniformes

leur salade, des

hommes d'armes du temps

Par petits groupes

les

hommes

se

allument leurs pipes, causent avec C'est

place

clairs et sous

jadis.

promènent,

les habitants.

une vision de manœuvres pendant un jour

de repos,

et

même

les

démarches sont

si

alertes

qu'on imaginerait des troupes fraîches nouvelle-

ment débarquées Cependant vant

la

et prêtes à rejoindre le front.

la sentinelle

qui

monte

la

garde de-

mairie a son casque troué. D'autres cas-

ques sont bosselés ou défoncés. L'un ou l'autre de ces paisibles promeneurs a

la

main bandée ou

quelque cicatrice au visage. Le colonel qui com-


LES DERNIERS JOURS DU FORT DE VAUX

76

mande dont

brigade porte à

la

la

joue une estafilade

sang achève de sécher

le

modestes bles-

:

sures qui n'ont pas été estimées dignes d'une évacuation.

Ces hommes-là sont ceux qui ont contenu

les

assauts des Allemands contre le village et le fort

de Vaux

les 8, 9 et

peine qu'ils ont

10 mars.

Ils se

souviennent à

reculer l'ennemi;

fait

trop occupés à oublier leurs misères, neige, le

manque de sommeil,

les

ils

sont

le froid, la

longues heures

passées accroupis dans des trous de loup, les

camarades perdus,

présence continue de

la

mort pendant ce bombardement qui

la

brise les

nerfs et broie la pensée.

Aucun d'eux ne une aventure

un mot,

si

de lui-même allusion à

fait

proche

:

qu'il faut être

par-ci, par-là,

de

la partie

seulement

pour com-

prendre. Plus tard,

chez eux ou sur un autre

théâtre de la guerre,

quand

devenu

le

passé,

ils le

ce passé-là sera bien

raconteront à leur façon.

Encore ne tarderont-ils pas à

le

mêler à d'autres

événements antérieurs ou postérieurs. Pour

le


LES PREMIERS COMBATS DE VAUX

moment,

ils

se contentent

de dire que Verdun

enfonce tout, et l'Argonne,

Champagne,

bois

le

l'Artois,

et

d'Ailly,

et

graduer

à

aucune

mérites.

les

bois le

le

satisfaction

à

revenir

passeront pas »

Et

.

posément

malgré ils

«

leur

n'éprouvent

Ils

sur

accompli, sauf pour affirmer que

lourde

et la

Ces comparaisons de connaisseurs suf-

Prêtre. fisent

et

77

ce qui

est

Boches ne

les

sacrée

artillerie

s'ouvrent à la joie de revivre

et sans risque.

Pour un peu

ils

se tâte-

raient les os afin d'être surs qu'ils sont encore

bien vivants. Les visions de cauchemar qui leur

reviennent

les

en feraient douter encore.

Il

faut

sans hâte prendre contact avec leurs chefs et avec

eux-mêmes pour démêler

petit à petit la vérité et

reconstituer les premiers combats de Vaux. Il

n'y a pas eu à proprement parler de pre-

miers combats de Vaux. Les opérations forment

une chaîne ininterrompue. Maîtres de Douau-

montle 25

ment

février, les

Allemands ont immédiate-

tenté d'utiliser leur succès.

Douaumont ne

pouvait effectivement leur servir que

s'ils

parve-


LES DERNIERS JOURS DU FORT DE VAUX

78

naient à en déboucher pour marcher sur la ligne

formée devant Verdun par le village

de Fleury à contre-pente de

de Souville et

fort

but

la crête, le

de Tavannes. Dans ce

le fort

tâcheront de progresser à l'ouest, dans

ils

bois

de Froideterre,

la côte

Nawé

le

qui est coupé d'une série de ravins

propices à l'attaque, descendant des pentes de

Douaumont de

la

vers la

Meuse

du Helly, ravin

(ravin

Couleuvre, ravin de la Dame) pour atteindre

l'ouvrage de Thiaumont

et,

de

là, celui

même

de Froi-

deterre.

Leur manœuvre sera

dans

bois de la Caillette et celui d'Hardau-

le

la

à

l'est,

mont, eux aussi traversés par des ravins (ravins de

Caillette et

la

cendre dans par

suite,

le

à

Fausse-Côte) pour des-

de Vaux-Chapitre,

direction de Souville. ils

la

ravin du Bazil et remonter en-

bois

le

de

De

dont

sur le village et

la

conquête

la réalisation

la

l'un et de l'autre côté

trouveront le chemin barré, et

l'est

dans

le fort

ils

s'acharneront

de Vaux, positions

est pareillement indispensable à

de leur plan. Repoussés du bois de

la Caillette, ils

aborderont par

le bois

d'Hardau-


LES PREMIERS COMBATS DE VAUX

mont

le fort

la

qui donne la clé du ravin du

le village

Bazil et

1d

du ravin des Fontaines.

attaqueront

Ils

par ses pentes nord-est, de front, aidés par

configuration du terrain qui, une fois

le

bas

des pentes occupé, leur permet d'avancer, hors

de

la

vue

et

hors de

la

portée du canon, à cause

de l'angle de chute, jusqu'à mètres du

mur de

trois

contrescarpe.

Notre 303 e brigade (408 e occupe, dans

de

la nuit

tenant

les

tenant

le

er

1

409

e

régiments)

au 2 mars,

le secteur

bataillon

du 408

e

pentes du fort, deux bataillons du 409 e

cimetière et le village. Le fort lui-même

deux compagnies du 71 e

a pour garnison

ment

du

et

Damloup, un

la Caillette à

ou quatre cents

territorial,

régi-

composé de braves gens de

l'Anjou, consciencieux et calmes.

Mais, qu'on

n'imagine pas une ligne de tranchées continues et organisées,

avec boyaux de communication,

abris-cavernes, dépôts de munitions, etc., etc.!

La violence de le

l'attaque allemande déclanchée

21 février contre Verdun a substitué

de campagne à

la

la

guerre

guerre de siège, momentané-


LES DERNIERS JOURS DU FORT DE VAUX

80

ment. Les lignes de défenses ont été reportées en arrière, et l'artillerie a tellement battu le terrain

qu'elle a détruit tantes.

Il

toutes les organisations exis-

n'y a plus que des trous d'obus et des

amas de décombres.

Il

a fallu tenir sur ce sol dé-

vasté, s'y accrocher, le creuser avec la pioche et,

à défaut de pioche, avec la baïonnette, avec les

ongles, vivre dessus

dedans,

quand on ne pouvait entrer

veiller, tirer, tuer,

mourir sans accepter

de reculer. Les premiers jours qu'elle occupe

progresse légèrement dans

brigade

la

le secteur, le

bois

d'Hardaumont. Une compagnie occupe l'ouvrage sud

et s'y retranche.

bombardement lider.

est

vers onze heures

menée par e

et 19

main Elle

est tel

les 5, 6 et 7

mars,

le

qu'on ne peut s'y conso-

Les ravitaillements se font difficilement.

Une attaque

(6

Mais

les

e

la

imminente. Elle

du matin, sur

se produit le 8,

le village. Elle est

fameuse brigade Guretski-Gornitz

régiments) qui devait avoir le lende-

honneurs du radiogramme allemand.

débouche, partie du bois d'Hardaumont, où


COMRATS DE VAUX

LES PREMIERS

81

notre ouvrage est perdu, partie du remblai de la voie ferrée qui

contourne

le

et qui a servi

de

Les vagues de l'infanterie ennemie

paravent.

parviennent à déborder notre première ligne et à submerger

un

bataillon

arrêtent à l'entrée du village

mitrailleuses les qu'elles

ont

occupent

même

presque entier. Nos

à

réussi

dont

atteindre et

elles

quelques maisons. Devant notre

feu les vagues d'assaut refluent, mais avec les

prisonniers que

leur

a laissés

notre première

ligne débordée.

Un peu se

plus tard,

déclanche plus à

quand une nouvelle attaque

l'est,

entre

cimetière et les

le

pentes du fort, les grenadiers ennemis qui la pré-

cèdent sont revêtus d'uniformes et de casques

dont

ils

ont dépouillé les prisonniers et

en un français chargé d'accent ajoutant

(409 la

e )

même

dont

ils

le

:

«

Ne

ils

crient

tirez pas

»

,

numéro écorché du régiment

portent

les

écussons. Déjà, dans

matinée, pour se rapprocher du ravin, l'en-

nemi

s'est servi

d'une

fois

d'une autre ruse

qu'il

a plus

employée. Des brancardiers, montrant 6


LES DERNIERS JOURS DU FORT DE VAUX

82

ostensiblement leur brassard de la Croix-Rouge,

semblent transporter une civière ou creuser une

tombe

une mitrailleuse,

cette civière contient

:

cette fosse est

un embryon de trancbée.

Cette série d'attaques a tout de

même

conduit

l'ennemi jusqu'aux abords du village et du cimetière

de Vaux. Par quelle erreur de liaison s'en

croit-il déjà le

veille l'a-t-il

maître? Son demi- succès de

la

Le 9 mars, au matin,

il

grisé?

e envoie deux ou trois compagnies du 19 régiment

occuper sa prétendue conquête. Les compagnies font leur entrée dans Vaux, tranquillement, en

colonnes, sans reconnaissances préalables. Or un bataillon nous est précisément

dans

la

nuit

mandant

du 8 au

Delattre.

Il

venu en renfort

9, sous les ordres

du com-

accueille cette visite par

feu d'enfer, contre-attaque à la baïonnette rejette

l'ennemi jusque

ravin d'Hardaumont.

Le commandant

diatement

le

fusil à

dépassé

de

la

la

et

la

main, entraîne

ses

un

immé-

dans

le

Delattre,

hommes.

Il

a

cinquantaine, son âge et les fatigues

campagne auraient pu

lui valoir

un repos


LES PREMIERS COMBATS DE VAUX qu'il a refusé

de

guerre

la

liens sacrés.

un

:

et

un frère tués au cours

retiennent à son poste par des

le

Il

fils

83

sait d'ailleurs

il

va.

La

veille

a confié sans tristesse ses pressentiments

camarade

à

pays. C'est un honneur. Après frère, j'achèverai il

meurt en

Dans

la

de

le

mon

mon

effet sur le terrain reconquis.

journée du

village de

et

fils

le

mériter.

9,

l'ennemi revient à la

charge et parvient à s'installer dans

du

un

:

— H y a des familles désignées pour sauver Et

il

Vaux

et

dans

le

la

partie est

cimetière.

Il

essaie

d'atteindre le fort par son versant nord, mais ne

peut l'aborder

:

nos feux l'arrêtent à

qui a été creusée derrière

ou

trois cents

les fils

de

la

tranchée

fer,

à deux

mètres de l'ouvrage.

La journée du 10 sera plus rude encore. s'agit

de justifier

a annoncé au

Toute

fort

la

communiqué mensonger qui

monde

la nuit

née du 10,

le

Il

la prise

du

du 9 au 10 mars

fort de

Vaux.

et toute la jour-

préparation d'artillerie accable

le

de projectiles de tous calibres et tâche de


LES DERNIERS JOURS DU FORT DE VAUX

84

l'isoler

par

des

spécialement

Damloup,

le

fond de

le

la

Horgne du côté de

ravin des Fontaines dans le bois de

Vaux-Chapitre et

les

le fort et la partie

un

tée forment-ils

quand

l'infanterie,

de barrage qui arrosent

tirs

avancées de Souville. Ainsi,

du

village qui

écrasé sous le feu,

îlot

elle

nous est res-

marchera, croira ne trou-

ver que des déchets de matériel et une garnison

nettoyée

ou

tellement réduite et bouleversée

qu'elle sera incapable d'une défense.

Or 3

e

les renforts

sont venus

quand même. Le

bataillon de chasseurs est en réserve, prêt à

donner son concours à

brigade engagée. Les

du 71 e n'ont pas suspendu

territoriaux

vées

la

d'eau,

de vivres

les cor-

ou de munitions. Les

coureurs n'ont pas suspendu leurs courses. Là est le miracle continu de

bardement sans

Verdun. Sous un bom-

égal, tout se fait, relèves, ravi-

taillements, liaisons.

Une pensée

d'ordre dirige,

l'exécution s'accomplit.

Le commandant Belleculet commande au Outre

les

deux compagnies de

fort

territoriaux,

il


LES PREMIERS COMBATS DE VAUX dispose d'un bataillon actif.

Il

a

85

organisé

sa

défense en avant du fort, sur les pentes déjà

abordées

de

fils

le fort

de

veille,

la

fer.

que protègent deux rangées

L'ennemi bat moins ces pentes que

lui-même, ou parce

qu'il croit ses

propres

lignes plus rappochées ou parce qu'il veut profiter,

pour amènera pied d'oeuvre

saut, de la chute plus rapide

plaines de

Woëvre après

ses troupes d'as-

du plateau sur

les trois

les

ou quatre cents

mètres de lente inclinaison devant

la

contres-

carpe.

Dès huit heures du matin, de l'observatoire qui a résisté, le

descendre la

les

gauche de

commandant

voit de petits paquets

pentes d'Hardaumont et se masser à la

voie ferrée.

Il

peut évaluer à

trois

bataillons les forces repérées. Sans doute les ré-

serves sont-elles plus considérables, hors des vues.

A sité.

midi,

A six

le

bombardement augmente

heures du soir

il

d'inten-

cesse brusquement.

Le

village et le fort sont attaqués à la fois. C'est la

brusque attaque frontale, audacieuse, presque téméraire, qui a réussi à l'ennemi au début de la


LES DERNIERS JOURS DU FORT DE

86

bataille de

Verdun, qui compte sur

du bois de

pas maître de Damloup,

il

la supériorité

ou l'énervement.

d'artillerie et sur la surprise

n'est pas maître

la Caillette,

et

bélier

Sur

saillant

limite la

pos-

dans nos lignes,

heurte de toute sa violence,

le

il

un

n'est

il

Il

un obstacle déterminé dont

session lui assurerait

Il

n'a aucune prise, ni

sur notre droite, ni sur notre gauche. l'opération à

VAUX

comme un

une porte. le fort, l'assaut est livré

cessives,

par vagues suc-

non pas en cordon, mais en

petites

colonnes, tantôt directement face aux parapets, tantôt en obliquant sur notre gauche, entre le

cimetière et

408 e

.

le fort,

il

Des brèches qui n'ont pu être réparées et

qui datent des précédents

dans il,

trouve un bataillon du

les fils

de

fer.

bombardements existent

Sans doute l'ennemi

sur ses photographies d'avions, plus impor-

tantes qu'elles ne sont en réalité.

nos mitrailleuses et nos

De

les croit-

six à huit

heures du

fusils

soir,

il

Il

est

reçu par

sur toute la ligne. revient à la charge

avec une ténacité et une vigueur qu'il est équi-


LES PREMIERS COMBATS DE VAUX table de reconnaître.

tout prix.

de nos

Il

y met

Il

veut forcer

prix et

le

bonshommes

il

le

ils

passage à

échoue. Les

fusils

s'échauffent tant qu'il faut

demandent

relever les tireurs. Les territoriaux

comme une

87

faveur d'opérer cette relève.

Ma

foi

î

s'appliquent mieux que leurs jeunes cama-

rades.

Ils se

coups de

rappellent leurs affûts et leurs beaux

fusil,

dimanche, à l'orée des bois

le

d'Anjou. Pour bien

ne jamais

A

il

faut

du sang-froid

et

se presser.

l'intérieur

du

fort, les soldats

du bataillon

achevé de nettoyer et graisser leurs

actif ont

armes.

tirer,

Ils

savourent un certain bien-être. Mais

l'un d'eux propose

:

— Les vieux sont

toujours là-bas. Va-t-on les

y laisser, eux devant et nous derrière?

Personne ne rechigne.

Les chefs n'ont pas

besoin d'insister. Mais les vieux ne veulent pas

céder

la

champ de

place

qu'ils

estiment

tir est parfait,

de terrain où

les

dans une trappe.

bonne, car

le

sauf cette sacrée chute

Boches disparaissent

comme


88

LES DERNIERS JOURS DU FORT DE

Le canon de 75

VAUX

a sa part dans la bagarre. Ses

barrages, au bas d'Hardaumont, font merveille.

Des parapets, on voit voler en

l'air les

bras et les

jambes. Les renforts n'arriveront pas. C'est de

la

belle besogne.

dans

Et,

la

nuit

lieutenant attaché à et

envoyé

froid,

l'

sur cette

descend du

taille,

qui

est

venue, un sous-

état-major de la brigade

du champ de ba-

partie

fort

en courant. Malgré

arrive en sueur au poste de

il

le

commande-

ment.

— A boire, réclame-t-il

comme Gargantua

en

naissant.

On

l'entoure,

on

le presse,

on

l'interroge,

on

veut savoir. Le village a résisté dans sa partie principale, mais le fort? L'assaut a rible.

A qui

est le fort?

Ça y

est,

répond laconiquement

être ter-

l'officier

en attrapant un bidon.

— Gomment, ça y — Non, Boche le

Et

il

est?

Le

fort est pris?

est battu.

achève en paix sa libation.


LES PREMIERS COMBATS DE VAUX

89

* *

Retour à Verdun dans le-Duc, je

camions

de

tées, les

ou je

croise

automobiles

nuit.

la

dépasse

Après Bardes

troupes

:

matériel du génie, munitions.

campagnes sombres,

longue

trace

pue. Parfois,

lumineuse

une voiture

théories

transpor-

À

travers

ces convois font

presque

une

ininterrom-

est pleine

de chan-

sons.

Je peux mesurer l'entretien de la route à l'ab-

sence de cahots. Dans

le jour,

on

territoriales casser les cailloux,

voit des équipes

combler

les or-

nières, refaire la voie presque sous les roues.

pierre que chacun de l'édifice

ouvriers pose sert à

commun.

Je n'entends pas la

ces

La

voiture,

d'éclairs.

éloigné...

mais

Le

le

la

champ

canon à cause du bruit de nuit

de

est

toute

bataille

palpitante n'est

plus


autour du lavoir

Dans

la

(18 mars)

cour intérieure d'une caserne de Ver-

dun, autour du vaste lavoir,

c'est

une ruée de

chasseurs bleu sombre et de biffins bleu clair qui

combattre

viennent de

ment,

et qui

semblent prêts à en venir aux mains

pour gagner un rang eau

ensemble, fraternelle-

courante.

et se

rapprocher de

Faudra-t-il

établir

un

d'ordre? Le régiment de ligne (158 e ) et e

lon de chasseurs

(3

nuit dernière.

ont

moment

Vaux

service

le batail-

ont été relevés ensemble fait le

de partir, car

village de

La

Ils

)

la belle

ils

la

coup de feu jusqu'au

défendaient

le fort et le

sur lesquels l'ennemi s'acharne.

bataille, c'est,

pour

toire ancienne puisqu'ils

le

moment, de

l'his-

en sont revenus. Après

tant de nuits rigoureuses, la chemise ouverte, les


AUTOUR DU LAVOIR bras nus,

ils

se laissent réchauffer la

soleil printanier.

gronder

et des

Sans doute

le

canon continue de

le

encadrés par

;

les

avions courent dans

les flocons

blancs que les écla-

tements font tournoyer autour vol de mouettes. Mais il

peau par

colonnes de fumée montent de Jar-

din-Fontaine bombardé le ciel,

91

deux comme un

personne n'y prend garde

:

y a de l'eau pour boire et pour se débar-

bouiller.

Imaginez-vous ce que peut être

et

d'une eau courante

!

la

vue de l'eau

— pour ces gars qui,

depuis dix jours, n'ont pu se laver ni rafraîchir leurs

lèvres

avec abondance?

Ils

savourent à

l'avance son froid baiser salubre et ceux qui ont

plongé tout entière en

elle leur face

pleine encore de l'éclat

du combat

poussiéreuse, et aussi

misère, la retirent toute ruisselante avec rire

de sa

un gros

de volupté. C'est leur fatigue qui coule. Les

traits

tirés,

plombés, douloureux, en quelques

instants rajeunissent.

Chacun voudrait bien pro-

longer les ablutions, mais pense au voisin qui attend son tour, et de lui-même

il

s'efface

pour


LES DERNIERS JOURS DU FORT DE VAUX

92

donner

au suivant. Plus tard, on pourra

sa place

revenir.

A

ou

l'un

l'écart,

Une

fenêtre, sur

l'autre, sur

caisse, installe

en un

une glace, sort une savonnette se raser.

déjà

Le

avec

clients,

coiffeur d'une

une

rapidité

clin d'œil

et s'apprête à

compagnie besogne

d'escamoteur,

prennent

sagement,

un rebord de

la

file.

et

les

Pourquoi

diable, à l'intérieur, les appelle-t-on les poilus? Ici,

le

mot ne

plaît à

quand on ne peut pas mauvais jours,

les

deviennent ensuite relève,

On

personne.

est

poilu

être autrement, dans les

jours cruels et tragiques, qui les

grands jours. Mais, dès

la

on ne demande qu'à reprendre sa bonne

figure habituelle, nullement terrible, nullement hirsute. C'est

une nation d'honnêtes gens qui

se

bat pour ses foyers, pour son sol envahi, pour

son droit et sa liberté, pour tout

le

passé qu'elle

continue, pour tout l'avenir qu'elle est chargée d'assurer, et

non pas une troupe de bohèmes à

demi sauvages, mal

policés, sans feu ni lieu. Les

plus jeunes classes sont d'ailleurs presque im-


AUTOUR DU LAVOIR berbes et

de mieux assujettir

les plus âgées, afin

le

masque contre

le

port de la barbe. Je ne

gaz asphyxiants, ont sacrifié

guère que l'aumônier qui

vois

exception.

les

93

porte

Il

une grande

fasse

barbe

noire,

tachée de gris par endroits, dans laquelle

il

mène un peigne avec

tient à

ne pas

se

obstination, car

montrer moins soucieux de

il

pro-

personne

sa

que ce groupe de jeunes lieutenants que

voici

déjà rasés, brossés, en uniformes clairs et neufs,

moustache retroussée,

la

l'oeil

vif,

transformés

par un coup de baguette magique en freluquets de garnison. Aussi informé qu'un officier d'étatmajor,

le

Père G.

.

.

,

que j'ai déjà rencontré au

de Vaux, parle avec admiration,

fort

mieux encore,

avec tendresse, de son cher bataillon de chasseurs, de ses

«

diables bleus

»

,

qu'il

accompagne

depuis l'Artois et Notre-Dame-de-Lorette (1). sort de sa

poche

le

carnet précreux où

il

Il

note ses

impressions dévie militaire. (i) ...

e

Voir Avec

les diables

bleus,

par P.

C...,

aumônier au

bataillon de chasseurs à pied (Beauchesne, édit.).


LES DERNIERS JOURS DU FORT DE VAUX

— Je voudrais — Laissez-moi

une de vos journées.

lire

celles

Le la

du 16 3

e

et

du

rédiger les

deux dernières,

17.

bataillon de chasseurs à pied donnera de

tablature à son mémorialiste.

sur tous les fronts.

s'est

Il

battu

Le 10 août, en Lorraine,

il

repousse seul, à Provenchères, quatre attaques

allemandes, fortes de quatre bataillons. Le 14, il

est

Du 29 de

bois

la

prendre

pour

Artois.

Le

il

Ghipotte. sa

part

il

il

d'Ypres.

On

c'est la

la

débarque

premier dans

région

En

Il

la

la

en pre-

remonte

croyait ne rien voir de pire, et Veril

retourne en Artois,

de Lorette. Le 8 mai

dans un élan magnifique, Blancs.

de

longue et dure bataille

dun viendra. En décembre, dans

rappelé

est

mière maison d'Ablain-Saint-Nazaire. :

tient

il

bataille

la

d'octobre,

il

subit de furieux

Puis

de

voici qui entre le

plus au nord

19,

août au 5 septembre,

Au début

Marne.

Le

Saint-Blaize.

engagé à Valerysthal où

assauts. les

combat de

au

est

il

1915,

attaque les Ouvrages

juin, c'est le Bois Carré et le

chemin


AUTOUR DU LAVOIR Creux; en octobre, c'est

Verdun

vient

comme un bouquet

Bois en Hache.

le

couronner

95

tous

décore un

ces

souvenirs,

Ne

toit.

Et

dirait-on

pas la tirade de Flambeau? Mais combien de nos

régiments Il

la

a perdu

peuvent reprendre?

deux de

ses

commandants,

mandant Renaud à Bréménil et

en Artois,

des

Ouvrages

Madelin qui cier,

le

8

mai

Blancs,

19 août 1914,

le

après l'attaque

1915, ce

commandant

jeune

était le type le plus

com-

le

achevé de

à la fois calme et entraîneur

l'offi-

d'hommes,

élégant et cordial, brillant et cultivé, frère de

mon

et

compagnon

d'armes, l'historien, aujourd'hui

le

sous-lieute-

nant Louis Madelin, de qui

hasards de

cher camarade de lettres

guerre

m'ont

les

brusquement rapproché

et

m'offre un asile dans sa baraque en planches.

commandant Madelin ont succédé, en

mon ami

le

commandant Pineau que

à l'état-major, puis vient de descendre

le

qui

Au

Artois,

je retrouve

commandant Tournés

du secteur de Vaux où

rencontré, préparant une attaque.

la

je

qui l'ai


96

LES DERNIERS JOURS DU FORT DE VAUX

Un mouvement

se produit

une compagnie, dont se

dans

je devine

la

cour. C'est pertes, qui

les

rassemble en cercle autour du capitaine et du

sergent-major.

A

figures s'éclairer,

exceptionnel.

voir les cous se tendre, le

rapport

Sans doute y

offre

est-il

un

les

intérêt

question des

cantonnements de repos ou, peut-être, des permissions.

La permission, mirage

où, sur la lu-

mière, se profilent une maison et des êtres ai-

més! Je m'approche. Le sergent-major donne lecture de l'ordre le

du jour adressé

le

10 mars par

général en chef aux soldats de Verdun

:

Soldats de l'armée de Verdun! Depuis trois semaines, vous subissez le plus formidable ASSAUT QUE l'eNNEMI AIT ENCORE TENTÉ CONTRE NOUS.

L'Allemagne escomptait le succès de cet effort qu'elle croyait irrésistible et auquel elle avait con-

sacré SES MEILLEURES

TROUPES ET SA PLUS PUISSANTE

artillerie.

Elle espérait que la prise de Verdun raffermirait


AUTOUR DU LAVOIR

97

le courage de ses alliés et convaincrait les pays neu-

tres de la supériorité allemande.

Elle avait compté sans vous! Nuit et jour, malgré un romrardement sans précédent vous avez résisté a toutes les attaques et maintenu vos positions.

La lutte

n'est pas encore terminée, car les Alle-

mands ONT BESOIN D'UNE VICTOIRE. VOUS SAUREZ LA LEUR arracher.

nous anons des munitions en abondance et de nombreuses réserves.

Mais vous avez surtout votre indomptable courage et votre foi dans les destinées de la république.

le pays a dont on dira de Verdun

!

les yeux sur vous. :

« ils

vous serez de ceux

ont barré aux allemands la route

»

Le sergent,

pris

un intervalle entre

lui-même la

à sa lecture, laisse

dernière phrase et

le clas-

sique rompez! qui libère les auditeurs.

Et

la

comme à

compagnie rompt regret. Les

le

cercle, lentement,

hommes comprennent mieux

ce qu'ils ont accompli, leur misère passée brille à leurs propres yeux. Ce sentiment de solitude qui,


LES DERNIERS JOURS DU FORT DE VAUX

98

dans à se

les

longs combats, peu à peu, porte chacun

plaindre des souffrances particulières,

croire à l'indifférence

du commandement

pays, disparaît brusquement étaient jetés au gouffre,

là-bas,

:

pays et

le

à

et

du

quand

ils

chef

les

le

voyaient tous.

Et dans

le

pendant un instant,

silence qui,

coud toutes ces

lèvres, immobilise

ces visages

devenus graves, réunit toutes ces pensées éparses dans une pensée commune, passe un frisson historique. rien ne

Les

individuels

destins

compte plus que l'œuvre

s'élargissent; collective.

Puis des groupes se forment, les bouches se délient. Et,

pour

la

première

depuis

fois

la relève,

on consent à parler des dix jours révolus dans

le

secteur de Vaux.

Impressions confuses qui se

résument dans ce

cri

— Tout de même,

de

ils

fierté

ont

f

.

.

:

.

.

le

camp

cette

nuit.

Le bombardement

infernal et continu,

si

dur

à subir dans l'attente passive, inspire des protestations.

Les vieux soldats de l'Artois comparent


AUTOUR DU LAVOIR et

99

conviennent qu'ils n'avaient jamais vu pareille

débauche de

projectiles.

— Ça ne devrait pas

être permis, déclare

un

nouveau.

comme un

Modestement,

un caporal du 158

e

banal

fait

divers,

raconte à des chasseurs sa

part du dernier combat, celui de la soirée du

16 mars, dans çais,

mi-boche

tranchées

le

et

coupé par des barricades

dans

les

en

On

garnit les parapets. Le

Ne vous

pressez pas, les amis,

lieutenant dit

:

«

tas.

laissez-les rappliquer.

On

tomber,

les voyait

encore.

ils

mais

On

avertissent

les laisse venir,

et

Ils

si

on

les poussait.

ont de l'aplomb.

fusillade.

sans

comme

sont revenus, et une deuxième fois

Maintenant

une

»

guetteurs

sont à bonne portée, on tire dedans.

ils

Pourtant

près de la barricade.

le village,

marmitage,

qu'e/s arrivent

quand

et des

:

J'étais

Après

de Vaux qui est mi-fran-

le village

les

témoignages crépitent

Rappel des morts

insistance

et

et

comme

des blessés,

sans tristesse

:

c'est


LES DERNIERS JOURS DU FORT DE VAUX

100

au destin qui choisit qui

affaire

Éloge

lui plaît.

des brancardiers qui, guidés par les cris ou l'instinct,

ramènent

les blessés, et

debout entre

qui,

les lignes,

jusqu'à cet aveugle

marchait

mains

les

en avant, sans savoir où, hagard et hurlant;

quant aux morts, velir.

les

obus

«

cuistots

engagé pour

s'est

la

sans quoi...

ment personnel sance

le

qui diri-

si

gros Suisse

guerre

la

long, ajoute-

comme un

compli-

se trotte pas avec

un

ballot

dos.

Carrières

:

j'avais rencontré

un

au poste des

visage aminci d'un dessin pur, yeux

doux habituellement

à coup

éclat

d'acier,

et qui

torse

prennent tout maigre,

vibrants, d'un ascendant irrésistible sur ses

mes

et

:

Le colonel que

bleus,

ense-

l'expression de cette reconnais-

— Parbleu, on ne sur

reçoit

Un

durée de

sans se douter que ce serait

t-il,

»

les

roulantes,

cuisines

les

portent le ravitaillement.

qui

ne faut pas songer à

Gratitude envers les

gent sous de

il

à qui

il

sait

communiquer

sa

nerfs

hom-

haine du Boche


AUTOUR DU LAVOIR

la

haine chez nous tombe

son régiment à

— La faim,

bouche

la

Vous passez

:

n'a que

:

le

temps

menace des grosses marmites

ce fracas et cette il

vite

si

l'insomnie et tout

la soif,

qui s'écrasent,

101

a tout supporté sans broncher.

chacun vous

suit des yeux, espère

en vous, croit en vous. Alors on tant de confiance.

On

est gonflé

est contraint

de

de bien com-

mander. Ainsi

cœurs

du

fait-il jaillir

le

de l'adhésion collective des

commandement comme

la

graine sort

sol fertilisé.

L'aumônier a

fini

grâce du monde,

il

d'écrire et, de la meilleure

me

tend

les

notes où

il

vient

de relater son séjour du G au 17 mars au fort de

Vaux ou

dans

émouvantes, à

environs immédiats. Pages

les

la fois

pittoresques,

doucement ironiques, où couru

je refais le

et retrouve l'assaut

pentes du fort,

tel

que

du

sincères

et

chemin par-

10 mars sur les

les acteurs

me

l'avaient

conté sur place. Les jours suivants, notre com-

mandement prépare

à son tour

une

petite ezpé-


LES DERNIERS JOURS DU FORT DE

102

du bas de

dition pour s'emparer

Allemands sont

les

peut battre. Voici

journées des 16 et 17 où

cette attaque est relatée

:

Extraits du journal de l'abbé

du

ces pentes

que notre 75 ne

invisibles et les

VAUX

aumônier

C...,

3 e bataillon de chasseurs à pied.

Jeudi 16.

Grande

activité

pendant

la nuit.

L'ennemi donne des signes manifestes d'inquiétude et

de nervosité. Nombreuses fusées, travail ininter-

rompu à

leurs défenses accessoires.

Tout cela fait plaisir cet

.

Ils

élan irrésistible qui devait s'achever en apothéose

dans Verdun, en attendant s'évanouit dans des trous

fonce. les

ont donc peur! Et voilà

On

!

les

Champs-Elysées qui ,

Fébrilement , chacun s'en-

a lâché la baïonnette pour

la pioche,

prestigieuses étapes vont faire place

et

aux mono-

tones relèves.

La

tâche n est pas finie, cependant

.

dix-sept forts, je crois. Vous en tenez

rades brandebourgeois l Vraiment,

Verdun compte

un

seul,

cama-

c'est insuffisant.


AUTOUR DU LAVOIR Treize heures.

Le bombardement redouble.

Les coups se font plus sonores. la terre

à

103

de notre piafond

est

Il devient évident

emportée

et le

béton mis

nu en plusieurs endroits. On projette un

rafisto-

quand? Les promenades

lage en sacs à terre; mais

sur notre terrasse ne sont pas à recommander,

au

que

même

clair de lutte.

Le

fer

et

Quatorze heures. doit détruire les fils de

tir

du

crapouillot qui

défenses accessoires

est

impossible du fort ; trois artilleurs qui installaient la pièce sont blessés. tat est

On

mais

essaye ailleurs,

moins bon. Notre grosse

artillerie

le

résul-

n'y peut

rien non plus. L'attaque qui était fixée à ce soir est

remise au lendemain cinq heures

.

On

tentera

un coup

de surprise.

Vingt-trois

armes! Ce

cri,

heures jeté par

trente. le

cette

période dont tous

Alerte!

Aux

guetteur, roule d'un bout

à l'autre des sombres couloirs dant

les

.

A

cette heure, et

pen-

instants sont tragiques,


.

LES DERNIERS JOURS DU FORT DE

104 il

.

est

VAUX

particulièrement lugubre. Aussitôt, l'amoncelle-

ment des pauvres coiys engourdis, qui prenaient sur le

pavé un vague

repos, s'agite;

chacun ajuste son

équipement, s'assure que son fusil premières minutes

d' hébétude passées,

s'engagent à voix basse.

Que

Des guetteurs ont vu uns

est

bien là

et,

les

les réflexions

se passe-t-il?..

cru voir, disent quelques-

des travailleurs creuser des tranchées

tout

près des défenses accessoires du fort. Des ombres?

Des Boches? Des patrouilles égarées?.

..

Le

clair de

luneblafard, coupé de quelques nuages, semble prêter

au mirage des imaginations tendues. La mitrail-

leuse

du parapet balaye

Le four nous

le

sol.

Plus rien ne bouge.

instruira.

Visiblement, l'ennemi est encore plus agité que les nuits précédentes ; son artillerie tonne avec

un peu partout, au le

fort

arrivent lent de

et

petit

aux abords.

fureur

bonheur, spécialement sur Toutes

accusent des pertes. Les

les

corvées

hommes

qui

ruissel-

sueur après la course éperdue quils ont à

fournir pendant entonnoirs

400

mètres à travers

le

chaos des


.

.

.

AUTOUR DU LAVOIR

105

Vendredi 17 mars, deux heures matin.

—y

demie du

et

os patrouilles reviennent. Elles ont bien

D'ennemi, nulle part, du moins

fouillé les abords.

vivant.

Dans

la

matinée

en avant des

le soleil

l

outil en

instruit.

Là, un peu

de fer, on distingue de

fils

fraîchement remuée leurs,

nous

:

terre

la

à coté une dizaine de travail-

main ou

à leurs pieds,

le

corj>s

ri-

gide, encore courbé sur la tâche inachevée

Ce sont nos Boches d'hier soir surpris en plein vail

par notre mitrailleuse.

eu

temps de creuser leur fosse!

le

Mais, sans

nous trouvions

la

Ils

n avaient pas

La

même

vigilance de l'officier mitrailleur,

là,

au

petit

jour, un nid de Boches,

dont, vu la configuration du terrain , difficile

tra-

eût été bien

il

de se débarrasser. Vigilance périlleuse certes.

veille

au

soir, à cet endroit,

non loin de

lui,

mon

voisin de gauche fut tué net et celui de droite blessé

grièvement Enfin, on s'entend.

opération.

monte à

l

A

Un peu

de repos avant

cinq heures, heure dite,

observatoire. Je

me blottis,

le

la petite

commandant

l'œil

au créneau


DU FORT DE VAUX

LES DERNIERS JOURS

106

prime aurore. Le champ de vision

C'est la

On

restreint.

écoute anxieux

demi-silence. Il se

le

La mèche n

prolonge. Tant mieux.

est très

est

pas éventée.

Au

bout de dix minutes, violent combat de grenades ;

on

voit la

fumée

bleuâtre monter

du

sol, les mitrail-

leuses crépitent. Puis plus rien!... Quelle angoisse!

Vingt minutes après,

le

capitaine qui dirigeait l'at-

taque arrive. C'est un jeune

sur sa demande, a quitté

la.

et

veste écarlale

tunique sombre des chasseurs attaque

avec amour,

y

sémillant spahi qui,

.

la

monté son

Il avait

travaillant

pour

jour

et

nuit.

L' avant- veille c'eût été un intéressant coup de main,

mais après

trois jours

de contre-ordre ,

se sont totalement modifiées s^est

passé

glissés

:

habilement,

les

.

Il

les

conditions

nous raconte ce qui

huit grenadiers se sont

jusqu'au réseau ennemi

temps ont expédié aux ennemis

et le

sans perdre de

contenu de leurs

musettes, prêts à se jeter dans les fils de fer et à sauter

plus loin. Mais

les

Allemands sont nombreux

leur ligne légèrement incurvée encercle

chasseurs

.

Ils se

se poursuit.

:

un peu nos

défendent. Et l'échange des grenades

Les nôtres portent;

le

Boche hurle. Les


autour du lavoir siennes s'en vont bien trop loin;

nos diables bleus si près d'eux leurs

mitrailleuses

ils

!

s' ébranlent

.

.

.

et

107

n imaginaient pas

En même de

temps,

leur cadence

infernale fauchent sans effort tout ce qui se trouve

devant

Sous

elles.

nappe de

balles, nos

les trous et

cette pluie

hommes

joyeux de

indemnes

deux éraflures

pour un

trajet

C'est presque

cette équipée,

de plus de

Cet effort d'ailleurs

faveur de

le

sourire

cette

dans

aux

reviennent tous

insignifiantes, c'est tout,

80 mètres

miraculeux

et

se laissent glisser

quelques minutes après,

lèvres, tout :

de grenades

à travers champs.

.

est loin

cette diversioii,

la

d

être inutile.

A

la

fraction amie d'à côté

pouvait prendre pied dans une longue ligne de tranchée ennemie, en voir fuir ceux qui s'y trouvaient

et

par conséquent améliorer encore, passablement, notre situation.

Et quand

la

nuit eut étendu sur nous son voile

protecteur , nous parlons

vreux, sordides,

.

.

.

Exténués, amaigris, fié-

physiquement à bout, mais d'un

moral splendide! On

voit cela

aux yeux

brillants,


LES DERNIERS JOURS DU FORT DE VAUX

108

aux conversations

vives, à toute celte allure qui

nifeste clairement ï empire absolu

que

ces

âmes

mavail-

lantes gardent sur des corps complètement épuisés.

Plus ou moins confusément, mais réellement, cha-

cun

se

heures.

rend compte qu'il vient de vivre de nobles

Eux,

petits, isolés, fatigués,

échec des masses énormes ; leur force morale à

que

térielle tel

semblable

.

le

ils

ont opposé l'énergie de

n'en avait jamais connu de

Quelques corps ont

été brisés.

eux

La

victoire

à la volonté humaine, à la vail-

nouveaux che-

lance froide, obstinée, à ces enfants, valiers d'une

ont tenu en

un déploiement de puissance ma-

monde

est restée à l'idée,

ils

France que l'on ignorait, qui

aussi, sous V œil de Dieu,

vent leurs pèi'es, pour

le

comme

luttent,

ont fait si sou-

droit et la justice, et persé-

véramment, depuis tantôt deux ans, offrent au

monde qui

s'émerveille le prodigieux exemple de leur

abnégation

et

Tout de la

guerre,

de leur héroïsme...

même même

chacun ne

débrouillés et une

voit

que son coin à

ce témoin-ci qui a les yeux

bonne plume.

Il

restreint à


AUTOUR DU LAVOIR

109

notre petite attaque les combats des 16-17 mars. Or, le 16 mars, dans la soirée,

il

y eut un essai

d'offensive allemande qui se prolongea la nuit,

7

e

entre

le village et le fort.

Un

bataillon

régiment de réverse allemand (121

y subit de cruelles pertes. Tout un sonniers

faits

e

du

division)

lot

de pri-

au sud-est du village a déclaré

ces pertes et souligné l'importance

A

pendant

côté de nous, l'eau

du

de l'échec.

lavoir continue de

ruisseler sur les visages, les cous et les mains. Elle efface le souvenir de l'effort et de la peine.

Et ces

hommes

qui se croyaient épuisés en arri-

vant se sentent une force nouvelle, l'avenir attend d'eux...

la

force

que


VI MÉDITATION SUR LA MORT

Même jour.

Il

est cinq

heures du

soir. Je

gagne une colline

qui domine Verdun. C'est un triomphal soir de

printemps. Les courbes de la Meuse étincellent

au

couchant

soleil

un chemin de

et dessinent sur la plaine pâle

feu,

analogue au ruban des con-

vois automobiles dans la nuit. L'air est chargé de

caresses.

Et dans ce paysage de paix rien ne

remue qui ne n'existe

soit

que pour

la

Sur Froideterre

destiné à la bataille,

guerre.

et sur Souville, les

obus sou-

lèvent en éclatant d'épaisses colonnes de noire.

Dans

le ciel,

rien

une

flottille

fumée

de nos avions

rentre au port. Les ballons captifs achèvent leur


MÉDITATION SLR LA MORT observation pendant que la

la

lumière

le

111

permet. Sur

route qui monte, passent sans arrêt des caissons des cuisines roulantes, des troupes.

d'artillerie,

Tout ce monde, tout ce matériel

rapprochent

se

des lignes afin de ravitailler ou de prendre position dans quelques heures à la faveur des ténèbres.

Je m'étends sur l'herbe pour échapper à ce contraste et ne plus respirer que la douceur soir.

Un peu

plus loin, quelqu'un a eu la

pensée que moi. il

est

Il

ma

préféré la solitude. Je le regarde

On

qu'une

plaie. Je

ne vient pas

s'accomplit

Mais

la

ici

ici

pour

Telle

que sous

qu'elle

mieux

se

:

:

c'est

sa figure

un mort.

s'isoler et rêver. Ilien le

la

manteau de

la

ne

mort.

guerre, a perdu beau-

coup de son importance. Elle lière.

venue. J'aurais

m'approche

mort, avec

même

couché de tout son long,

ne prête pas attention à

n'est

du

est

présente

devenue famila

plupart du

temps, non glorieuse et choisissant ses victimes

dans

l'ardeur

du

départ,

mais

sournoise

et

effroyable sous la forme d'un bloc de fer lancé

à des kilomètres de distance, elle inspire

le

plus


LES DERNIERS JOURS DU FORT DE VAUX

112

profond dégoût, certes, mais on

on subit une

vieille

son. Si

Ton ne

consent

même

forme à

comme

la subit

servante qui gouverne la mai-

se révolte pas contre elle,

l'on

si

à l'accepter, voici qu'elle se trans-

façon des sorcières de jadis dans

la

les

contes de fées. Le bideux squelette se recouvre

déjeunes cbairs qui sentent

les fleurs.

Le visage

qu'elle

approche

Dans

baiser qu'elle donne, passe la tendresse

de

le

la Patrie

pour

est

ses enfants.

Oui, chacun s'est peut-il

me

rester

d'une beauté lumineuse.

si

fait à l'idée

de

la

mort. Que

je survis à la guerre?

De mon

plus lointain passé à la

minute présente, tant

d'années dont je

compte tiennent dans

fais

le

comme un peu

mon

souvenir

de

main. Que je desserre

la

s'écoule.

d'eau dans

le

creux

les doigts et cette

Le passé rassemblé qui me

eau

paraît

si

court dépasse de beaucoup tout l'avenir que je puis espérer.

mort ne

fait

Que

cela est

que desserrer

donc peu de chose les doigts

!

La

du Temps qui

porte nos jours futurs. Et nos jours, en tombant, glissent

comme

des gouttes et ne font aucun bruit.


MÉDITATION SUR LA MORT

113

Détachement dangereux, sérénité endormante contre lesquels

il

faut se défendre.

La mort ne

doit qu'interrompre notre volonté de vivre, la

non

détendre à l'avance. C'est l'enseignement que

nous a donné, sans

le

chercher, un de nos cama-

rades, le capitaine D..., fois

deux

deux

fois blessé,

revenu au front, en nous racontant, un soir de

Verdun, sa seconde blessure.

Il

rain, la poitrine ouverte; son

ordonnance qui ne

quittait pas

le

gisait sur le ter-

avait été blessé lui aussi, mais

légèrement, à l'épaule. Tous deux Bretons, tous

deux croyants,

ils

ensemble avant de partir à

Nous

coups de lais

communié

avaient

l'assaut.

étions là, côte à côte, disait-il, et les

fusil s'éloignaient.

mourir

matin

le

et j'étais

Je pensais que j'al-

dans un état de joie

Mon amour pour ma femme

et

mon

infinie.

fils

que je

devais quitter n'en était nullement altéré. Je ne sais

comment vous

plus et de tais

mes

délivré.

expliquer

:

rien ne

me

plus chers sentiments je

Gomment

pareille occasion de

pesait

me

sen-

rencontrerais-je jamais

mourir? Tout, en moi, autour 8


1

LES DERNIERS JOURS DU FORT DE VAUX

14

comme un vol

de moi, était léger, facile Je ne souffrais plus. Dans

même,

je trouvais

difficulté à respirer

une sorte de béatitude. Je

me

comme une

par

sentais soulevé vers Dieu, le

ma

d'oiseau.

vent. Alors j'ai dit à

feuille

mon ordonnance

— Tu

:

vas t'en aller. Toi, tu n'es pas gravement touché.

Moi, je resterai rir.

Il

ne m'écoute pas,

relever, et,

ici.

:

regardé puis,

douleur

la

— Laisse-moi, Il

il

pouvant pas,

le

malgré

porter, résiste

ne

bien pour mou-

ici, j'y suis très

veut m'aider à il

cherche à m'em-

de son épaule. Je

te dis-je, je

comme

s'il

ne comprenait pas

un peu timidement d'abord

assurance,

il

m'a grondé que vous

taine, mais ce

chrétien.

veux mourir

arrêté dans son travail,

s'est

:

m'a

il

très bien,

et bientôt

— Pardon, mon

avec capi-

faites là, ça n'est pas

moi

J'étais scandalisé, je l'avoue,

qui m'estimais

si

me

près de Dieu.

11

reprend

:

Pas chrétien du tout. Le bon Dieu n'a que la vie à nous donner.

Vous

— Mais puisque

n'allez pas Lui faire affront.

c'est

Lui qui m'appelle?

S'il

vous appelle, vous L'entendrez bien. En attendant


MÉDITATION SUR LA MORT vous vivez encore. Et c'est et

pour nous en

la vie qu'il

servir, tant

tort.

pour ne pas

Le

— Et

faire

du

je

me

nous donne,

que nous pouvons,

pour Lui bien entendu. Vous

causer du

n'allez pas

suis laissé

Lui

emporter

tort à Dieu...

soir est tout à fait

tombé sur Verdun. Voici

des brancardiers qui viennent chercher

La

115

mon

voi-

quand

la cein-

ture de ses collines semble flotter encore

comme

sin.

ville est

déjà dans l'ombre,

une écharpe dans

la

lumière.

Il

est

temps de

redescendre. Le sentiment de la mort ne nous

demande mais de

pas en ce

l'action...

moment

des méditations,


Vil LES TÉMOIGNAGES DE L'ENNEMI

J'ai dit, sans

mènent nos

en rien cacher,

la

dure vie que

soldats dans la région de

assauts terribles et l'effroyable

Vaux,

les

bombardement

qu'ils subissent, les difficultés des ravitaillements

et des

relèves

d'eau,

le

guerre

il

tenir.

Il

,

le

manque

d'abri

,

le

manque

manque de sommeil. Mais dans ne

suffit

la

pas de souffrir, de résister, de

faut atteindre,

frapper l'ennemi.

La

tâche de l'armée de Verdun est d'user l'armée

allemande devant Verdun. Le lerie

lui

occasionne-t-il

couche-t-elle

marchent à

à

l'assaut?

ses

artil-

considé-

mieux encore,

et ses relèves?

terre

de notre

dégâts

des

rables? Gêne-t-il, lui aussi et ravitaillements

tir

ses

Notre infanterie

fantassins

quand

Nos contre-attaques

ils

les


LES TÉMOIGNAGES DE L'ENNEMI

117

rejettent-elles avec pertes? Quelle existence con-

traignons-nous

le

Boche

nous? Nous désirons le

Nos

sachions.

vains.

Nos

mener en

le savoir.

efforts

sacrifices

à

Il

face de

que nous

faut

ne doivent

pas

être

ne doivent pas être perdus.

L'ennemi va nous apporter son témoignage. nous dira

si

nous savons nous défendre

savons attaquer, et

si

nous

et

si

Il

nous

lui laissons ses aises

en

face de nous.

Quelques

interrogatoires

quelques extraits de lettres

de

prisonniers

et

saisies sur les prison-

niers et les morts, exclusivement dans la région

de Vaux, au cours des mois de mars suffiront à

nous renseigner. C'est

la

et d'avril,

source la

plus authentique. J'ai rassemblé les témoignages les plus significatifs,

mais tous sont concordants.

Ce n'est pas diminuer un adversaire faire

avouer ce qu'il a souffert

qu'il

a éprouvées,

mais

c'est

et

les

que

lui

pertes

marquer mieux

notre force guerrière et les résultats obtenus par les soldats

de Verdun.


LES DERNIERS JOURS DU FORT DE VAUX

118

# *

•»<?

Les prisonniers des 9 e et 13 e compagnies du 19 e régiment

combat du 9

ainsi le

1

er

V

division de réserve,

capturés à

réserve)

Le

e

(9

Vaux

le

9

e

corps de

mars racontent

:

bataillon a reçu l'ordre, dans la matinée

9 mars, d'occuper

le village

été déjà annoncée.

La 13

e

de Vaux, dont

du

la prise avait

compagnie y entre

la pre-

mière, en colonnes par quatre, sans patrouilles de sûreté ni avant-garde.

Subitement

elle est accueillie

par un feu

violent de mitrailleuses, puis chargée à la baïonnette.

Les

hommes

les

se sauvent et se défendent dans les

Français

les

maisons

massacrent à coups de grenade. Les

prisonniers ont l'impression que toute la 13 e compagnie

a été exterminée.

Le 3

La 9

e

e

bataillon a attaqué sur le versant

compagnie en

nord du

fort.

tête s'est engagée successivement

par pelotons. Le peloton auquel appartiennent

les pri-

sonniers s'est heurté à une tranchée française et a été

fauché par

les

mitrailleuses

:

vingt-cinq

hommes

ont


LES TÉMOIGNAGES DE L'ENNEMI

119

été tués, trois ont été faits prisonniers, les autres se sont

enfuis.

Les prisonniers de

la 9

e

compagnie du

réserve (121 e division) faits

ment de

le

7

e

régi-

17 mars

au sud-est du village de Vaux donnent ces détails sur

le

Le

combat des 16-17 mars

3* bataillon

quer sur tié

les

au

du 7 régiment de réserve devait e

Une

est

couchée à terre par

vingtaine

plus, parviennent

cueillis.

Le

reste a

empêchant de départ.

Ils

atta-

pentes nord du fort de Vaux. Plus de la moi-

du bataillon

françaises.

:

fuir

les mitrailleuses

d'hommes de la 9 compagnie, e

aux tranchées françaises où

ils

sont

être anéanti, les feux de barrage

et de regagner

ont d'ailleurs vu tomber

les

la

tranchées de

plupart de leurs

camarades.

Le ravitaillement des troupes en première

ligne est

presque impossible. Les troupes sont réduites à consom-

mer

leurs vivres de réserve.

On

soldat

du

même

régiment retrace cette

scène qu'il tient d'un camarade rentré

récemment


LES DERNIERS JOURS DU FORT DE VAUX

120

de permission spéciale, Ce permissionnaire a vu passer un convoi de prisonniers français dans une

gare allemande

:

des

femmes

se

moquaient d'eux

et les insultaient. Alors l'un des Français a crié

en allemand

:

Femmes

«

allemandes, ne riez pas.

Nous sommes prisonniers,

mais

il

y a

devant Verdun des Allemands étendus par

tas

que

aussi hauts

n'ont plus rien

ça.

c'est vrai,

Alors les

»

femmes allemandes

dit.

* * #

Voici, maintenant, des extraits de lettres trou-

vées dans

le

secteur de

ou sur des morts

Du

soldat £...

Vaux sur des

:

du 6 e Leib. Gren.

Devant Verdun, 10 mars. a beaucoup de neige; opérations

de

froid,

pons à qu'il

prisonniers

elle

— Depuis

Reg'.

hier matin

il

y

arrête tout et ralentit les

devant Verdun; nous ne sortons pas du

la pluie,

de

la neige,

la belle étoile,

peut et

s'installe

chacun

de

la

boue

et

nous cam-

se fait son trou

du mieux

dans son manteau et sa

toile

de


LES TEMOIGNAGES DE L'ENNEMI

En

tente et passe sa nuit à geler.

121

outre, nous

constamment sous un feu intense

sommes

d'artillerie qui

fait

chaque jour bien des victimes, car nous n'avons ni tranchées, ni abris; jusqu'à présent nous avons été en

deuxième ligne.

Ce

ligne.

lourde

le fort et le

Le soldat du

la prise

hier matin, notre division avait pris

;

village de

parce que notre

Vaux, mais

E... a cru ce

mars.

devant

trois

de Vaux.

la position qui était

se

qu'on

les

lui avait dit

pentes de

Au

lever

A

sur

régiment

Vaux

sait à

tenue par

la

position

du jour, nous occupons le

6 e régiment. Le fort

La position

cette ligne.

compose de trous qui sont réunis entre

court.

e

7

heures, départ pour

200 mètres en avant de

Deux

évacuer

les

:

—À

le fort

a

L'ober-lieutenant du

fort.

quoi s'en tenir

elle

dedans sans arrêt.

artillerie tirait

de réserve qui est sur

est à

en première

Nous ne pouvons avoir aucune confiance en notre

artillerie

1 1

nous passons

soir

eux...

cents mètres, sans doute voit-il un peu trois cents

mètres du

fort, le

1 1

mars,

on ne voyait que des cadavres. Quelques jours plus tard, un soldat, dont

le


122

LES DERNIERS JOURS DU FORT DE VAUX

nom

est

pentes de

illisible,

Vaux

griffonne cette carte sur les

:

Le 24 mars 1916, devant

le

fort de Vaux.

pas besoin d'en écrire davantage. Tout

Je n'ai

le reste se

prend. Je veux cependant avoir de l'espoir. C'est

bien amer! Je suis encore

si

jeune!

A

comamer

!

Que

quoi bon?

sert de prier, de supplier? Les obus! les obus!

La

lettre

suivante a été saisie sur

un

blessé

allemand du 56 e régiment de réserve (121 e divicapturé

sion)

date. Elle tibles.

le

mêle

2 avril. Elle ne porte pas de

la religion et l'usage

des comes-

Le correspondant venait sans doute de

l'écrire et n'avait pas

Ma chère Je vous

fais

eu

le

temps de l'envoyer

:

soeur et mon cher beau-frère, savoir que je suis en

bonne santé bien

qu'à moitié mort de fatigue et d'effroi. Je ne peux pas

vous décrire tout ce que loin tout ce qui avait

jours

environ,

la

hommes. Et bien

eu

j'ai

vécu

ici,

cela a dépassé

En

trois

plus de

cent

lieu jusqu'à présent.

compagnie a perdu

des fois je n'ai pas su

si

de

j'étais

encore


LES TÉMOIGNAGES DE L'ENNEMI

123

vivant ou déjà mort. Et nous n'avons pas encore été

devant l'ennemi, mais nous y allons demain

ici

et ce n'est

pas une petite affaire. J'ai déjà abandonné tout espoir

de vous revoir. Celui qui sortira remercier Dieu.

vous

l'ai

reçu votre paquet, ainsi que je

J'ai

déjà écrit par carte postale et je

immédiatement, car core

entier pourra

d'ici

je

le faire plus tard.

ne savais pas

envoyé

J'ai

l'ai

je pourrais en-

si

ma

solde à la mai-

son, car on ne trouve rien à acheter par

Le

3 avril, le lieutenant E.

réserve (9 e division

,

écrit

. .

,

du

consommé

ici...

e

6 régiment de

au sous-lieutenant L.

.

.,

e

du 202 régiment de réserve 3 avril.

— Vous

situation chez

:

pouvez vous

nous par ce

fait

que

faire le

une idée de

la

corps des officiers

entièrement renouvelé. Les pertes du régiment sont

est

assez élevées, car sa position (plateau de Vaux) est assez

dégoûtante. Nos bataillons se relèvent entre eux, mais

les

positions de réserve et de repos reçoivent autant d'obus

que

la

première ligne, à part quelques rares exceptions.

Cette lettre

du soldat

réserve, n'est pas datée

Tu ne peux

S. ..,

e

du 206 régiment de

:

pas t'imaginer à quel point

j'ai

parfois


LES DERNIERS JOURS DU FORT DE VAUX

124 assez

de

la

affreux

et

qu'aux

os.

Hier,

vie...

faisait

il

encore un temps

nous étions de nouveau transpercés jusAlors on a dit

:

Pourquoi ne chantent-ils

pas aujourd'hui? Et dans notre misère

il

a fallu encore

chanter...

Le

du

soldat S...,

1916

II avril

...

feu

que je

tombé tout

écrit à la date

:

Nous sommes

d'enfer, ainsi

e

du 80 régiment,

ici

directement dans

un trou

Ce n'est pas

d'artillerie,

jour et nuit.

me

imaginé. Hier un obus est

le suis

près de l'église, et du coup, trois

tués, neuf blessés.

Tu

aurais

dû nous

voir courir! Si

seulement cette malheureuse guerre prenait

un homme raisonnable ne peut

justifier

hommes

une

fin!

Pas

telle tuerie

d'hommes...

Nous sommes en ce moment au nord-est de Verdun, certainement une situation bien délicate... ...

Bien que nous ne soyons pas depuis longtemps en

position, et

nous en avons tous assez

et aspirons à la paix,

nous voudrions envoyer au front tous ces Messieurs

qui sont cause de la guerre et y trouvent encore de térêt. S'il

en

longtemps...

était

ainsi,

nous aurions

la

l'in-

paix depuis


LES TÉMOIGNAGES DE L'ENNEMI

125

Voici enfin une lettre qui fournit de plus plets détails sur les effets

de notre

artillerie et

nos mitrailleuses. Elle est écrite par

nant H..., du 81 e régiment,

com-

le

de

lieute-

et fut- saisie sur lui lors

de sa capture devant Verdun

:

En campagne,

le

15

avril

1916.

Mes chers parents, probablement avec impatience un

Vous attendez

signe de vie de moi. J'espère que cette lettre vous par-

viendra, mais

à

il

n'est pas facile

ici

de mettre ses lettres

la poste.

Mon beau temps ment 56 en

de liaison avec

est passé depuis déjà plusieurs jours.

officiers

fallu

d'officier

que

je

le régi-

Nos pertes

sont assez considérables, de sorte qu'il a

prenne

la

8 e compagnie,

comme comman-

dant de compagnie en toute première ligne. Je trouve actuellement avec tiné dans

un tout

ma

petit trou

me

compagnie. Je suis rata-

de boue qui doit

me

pro-

téger contre les éclats des obus ennemis qui arrivent

sans arrêt. J'ai déjà vu bien des choses à

mais je n'avais

la

guerre,

encore jamais connu une situation


LES DERNIERS JOURS DU FORT DE VAUX

J26

ne veux pas

aussi indescriptiblement épouvantable. Je

vous en

une description

faire

Nous sommes jour

inquiéterais inutilement.

un

«monstrueusement»

résistance

nous avons

une attaque pour prendre

d'artillerie

considérable,

très

Le 11

opiniâtre.

Nous avions commencé par

françaises.

ration

fait

et nuit sous

Les Français font une

effroyable.

d'artillerie

tir

car je vous

détaillée,

les

faire

avril,

tranchées

une prépa-

pendant douze

heures, puis l'attaque d'infanterie s'est déclanchée mitrailleuses françaises étaient sorte

que

la

absolument

:

les

intactes, de

première vague d'assaut a été immédiate-

ment fauchée par

le tir

quitté la tranchée.

En

à leur tour un

tel

des mitrailleuses dès qu'elle a

outre

les

Français ont déclanché

de barrage

tir

qu'il

d'artillerie

a été impossible de penser à aucune autre attaque.

Nous sommes dans à environ

tranchée de première ligne,

la

120 mètres des Français. Le temps

est

je voudrais

que

lamentable, froid et pluie continuels

vous voyiez en quel état je

trempés

Tous par

les

suis, bottes, pantalon,

manteau

couverts d'une couche de boue d'un pouce.

chemins sont

pris sans arrêt sous le

l'artillerie française, si

même ces

et

;

canon

bien que nous ne pouvons

pas enterrer nos morts. C'est lamentable de voir

pauvres diables gisant morts dans leurs trous de

boue. Tous

les

jours,

nous avons des tués

et des blessés.


LES TÉMOIGNAGES DE L'ENNEMI

127

Ce n'est qu'en risquant des existences qu'on peut mettre repas

les

à

blessés en sûreté.

3 kilomètres en

lantes, et là

aussi,

Il

faire

faut aller chercher le

arrière

aux cuisines rou-

y a danger de mort. Nous avons

il

tous les jours des tués et des blessés parmi ceux qui

vont chercher

mieux Dans

repas,

souffrir de la faim

la

Être à

le

que

d'aller

compagnie, presque tout

la pluie

dormir dans

dement

bien que

si

toute

la

la

le

monde

pendant huit jours

malade.

est

et huit nuits

complètement les nerfs. Au point de

vue santé, je vais encore assez bien. et froids et

J'espère que j'aurai le le

chercher à manger.

bouc, être nuit et jour sous un bombar-

consécutifs, cela brise

me

gens aiment

journée, complètement trempé,

effroyable, et cela

tement trempés

les

un

froid colossal

bonheur de

souhaite, car on ne peut

complè-

J'ai les pieds

aux genoux.

sortir vivant d'ici, je

même

pas y être enterré

proprement... *

Quelques réponses reçues d'Allemagne ajouteront deux ou trois traits à ce tableau de l'armée

allemande dans

le

secteur de Vaux.

Sur un mort cette

lettre

fut trouvée, toute

maculée, gardée malgré sa date ancienne

:


LES DERNIERS JOURS DU FORT DE VAUX

128

Cologne, 29-12 1915.

.

.

.

Certes,

mon

où nous vivons, fin.

Tu me

cher Willy,

il

est bien triste le

ne peut encore en entrevoir

et l'on

de ne pas croire tout ce qu'écrivent

dis

mung)

sur

1'

«

enthousiasme braillard

front?

le

la les

comme

journaux. Mais penses-tu donc que nous croyons

au début à

temps

(Hurra-Stim-

»

y a un an on croyait entendre

Il

l'enthousiasme guerrier dans chaque chanson que chantaient les soldats. Mais aujourd'hui! Hier soir j'ai assisté

par hasard au départ de 30 à 35 Landsturmiens. Cinq de ceux-ci étaient en train de chanter aussi bruyamment

que possible patrie, adieu ivres

qu'ils

Et je chante donc gaiement

:

!

Mais tous

durent

cent mètres derrière

darmes

qui

se le

veillaient

devienne pas excessif à lire

les

:

Chère

cinq étaient aussi tellement

soutenir

réciproquement.

groupe, marchaient

trois

A

gen-

que l'enthousiasme ne

à ce la gare.

Voir de

tableaux et

tels

ensuite dans les journaux les récits d'actes de cou-

rage, crois-tu qu'on y réfléchit seulement?

Eh

bien! oui,

Willy, voilà ce que c'est que la guerre, la guerre salutaire qui devait venir, qui était nécessaire

monde devienne

meilleur.

Il

est drôle

pour que

le

que depuis dix-

sept mois de guerre, je n'ai pas encore

pu découvrir


.

LES TEMOIGNAGES DE L'ENNEMI

dune

trace

mon

même

amélioration

entourage immédiat

!

.

parmi

lettres furent saisies

Heissen,

nous crevons de froid

depuis

le

matin jusqu'au

quefois à

maison

la

queue toute

faut faire la

il

mon

donc

qu'il

écris

le

20 mars 1916.

que vous avez dû sucer de la

J'arrête

est

ici

autrement ces

publier davantage? (1) Lire

(extraits et

pour

de

les

lettres

la

D'autres :

neige,

mon

cher petit

faim, mais crois-tu

ici?

extraits (1).

compléter

la

faim, ce n'est pourtant

vous faut souffrir de en

fait la

aussi.

ici

pas cela qui a dû vous rassasier. Oui, il

queue

cher Fritz, vous tenez en pays

tellement vous souffriez de

homme,

front

encore on rentre quel-

soir et

Strassburg (Prusse),

Tu nous

le

journée et on n'a rien à manger. C'est

la

mais,

triste,

et

:

24 mars 1916.

mains vides après avoir

les

ennemi, nous tiendrons

...

le

vaut encore mieux maintenant être sur

Il

qu'ici,

bien

personnes de

.

Sur des prisonniers, ces

...

les

129

A

quoi bon en

lettres

Devant Verdun

:

ne

l'aveu

nous

allemand

allemandes\ par Louis Madelin (Plon-Nourrit

C'\ éditeurs).

9


130

LES DERNIERS JOURS DU FORT DE VAUX

apprendraient rien de plus sur

allemand devant

l'état

du soldat

de Vaux. Nous y pour-

le fort

rions puiser à foison des plaintes sur les difficultés

économiques. Que

allemand qui

le soldat

se bat

à Verdun connaisse par surcroît l'insécurité matérielle

de ceux qu'il a laissés en arrière, c'est une

trop juste punition de l'abominable fléau dé-

chaîné par une nation, toute entière enivrée de sa force, qui ricanait

1870

et qui a

reur, et c'est

quand

Paris avait faim en

voulu organiser

la

guerre de ter-

une brûlure de plus dans son enfer.

Les soldats allemands appelaient

Mort-Mare

et le bois le Prêtre qui sont à l'ouest

de Pont-à-Mousson, de

la

Woëvre avec des

l'un le bois

Mort,

bois de

le

nom

Quel

à la jonction des les

ondulations de

Veuves,

l'autre le

donneront-ils à

la

la

bois

plaines

Haye, de

la

région de

Vaux? C'est la

6

e

division

du

III

e

corps

actif qui


LES TÉMOIGNAGES DE L'ENNEMI

131

attaqua au début de mars l'ouvrage d'Hardau-

mont. Les assauts du les 8, 9 et

J'ai cité,

V

e

de Vaux

sans commentaires, interrogatoires

de

lettres.

venu fouler, notre

:

La preuve

est faite

par

sur le sol français qu'il est

artillerie et

distribuent copieusement la il

fort

corps.

l'ennemi en personne

quand

du

e 10 mars, furent livrés par la 9 division

de réserve du

et extraits

village et

notre infanterie lui

mort ou

lui

imposent,

y échappe, une vie assez rude. C'est ce

qu'il appelle sans

doute une résitance monstrueu-

sement opiniâtre.

Ce mot d'étonnement scandalisé et aussi tude des prisonniers que

dont aucun, ou

presque

j'ai

l'atti-

vu interroger,

aucun,

et

fùt-il blessé,

malingre, abruti, hideux, ne renonce à manifester son orgueil d'être

Allemand, m'ont

chercher sur un carnet, où

j'ai

fait re-

noté quelques

pages de nos maîtres plus particulièrement propices à fournir la guerre,

la

un aliment à nos méditations de

une phrase de Fustel de Goulanges sur

façon d'écrire l'histoire en Allemagne. Les


LES DERNIERS JOURS DU FORT DE VAUX

132

historiens allemands, dit-il,

«

ne trouvent rien de

plus beau dans l'histoire que cet empereur alle-

mand

qui

campe

sur les hauteurs de Montmartre,

ou cet autre empereur qui va enlever dans la

Couronne impériale en passant sur lccorps de

quatre mille Romains massacrés sur

Ange. Mais que

la

lieu,

que Henri

II,

Riche-

Louis XIV, en fortifiant Metz et Strasbourg,

sauvent la

Pont-Saint-

le

France mette enfin un terme à

ces perpétuelles invasions;

de

Rome

la

France

et l'Italie

de ces débordements

race germanique, voilà les historiens alle-

mands

qui

s'indignent

s'acharnent contre

les

et qui,

vertueusement,

ambitions françaises.

Ils

ne peuvent pardonner qu'on leur interdise de

commander aux

autres peuples. C'est manie bel-

ligérante que de se défendre contre être

conquérant que de

quérir.

les

eux; c'est

empêcher de con-

»

Les historiens allemands auront de quoi plus tard s'indigner contre la borne de

Verdun qui

brisa les os de tant de leurs soldats. Mais que,

du moins,

les historiens

de chez nous, en retra-


LES TÉMOIGNAGES DE L'ENNEMI

133

çant les efforts surhumains dépensés, dans une résistance calculée et

nécessaire, destinée à se

changer ailleurs en offensive, au cours de bataille

de Verdun, exaltent chez

les

nouvelles l'orgueil d'être Français.

la

générations


VIII

DU 30 MARS AU 31 MAI

Qui

dira, jour après jour, l'épopée

Vaux? Périodiquement succèdent avec

même

la

du

fort

relevées, les troupes se

endurance dans

le

même

enfer. Saura-t-on jamais, dans cette guerre

épisodes

innombrables,

d'être fixés?

interroger

Une

nom

Que de morts

il

les

traits

dignes

faudrait réveiller et

anonyme

a bâti,

comme une

murs vivants de Verdun. Un

qu'on

pas cités,

tous

aux

!

foule

drale, les

de

cite feraient tort à s'ils

n'étaient

qu'il faut revêtir

ici

cathé-

corps,

un

ceux qui ne sont

mentionnés parce

de chair et d'os

les

exemples.

Et d'avance, n'ayant pu tout savoir ni tout rassembler, je m'excuse de tant d'omissions involontaires.


DU

MARS AU

30

31

MAI

135

Depuis qu'il a pris Douaumont dont

comme une

il

agite

cloche les syllabes sonores dans ses

communiqués, l'ennemi, pour s'emparer de ville,

cherche à aborder

fense

:

en est un des soutiens. Dès

le

battait les pentes

du

fort et les

continue de

les

heurter de front

lage. le

grande ligne de dé-

Froideterre, Fleury, Souville. Vaux, fort

et village, il

la

la

Il

même

temps,

il

9

mars

abords du

essaie son habituelle

et,

vil-

dans

manœuvre

d'enveloppement, en débouchant d'une part dans le

bois de la Caillette et, d'autre part, en débor-

dant

Au

de Damloup.

le village

sud-est du fort,

Damloup

comme une

est

pointe à l'extrémité d'une jetée entre deux ravins, le fond de la et le la

fond de

Laufée.

dont

nord-ouest,

la partie est a été

dure de

la

Bazil dont

le

sépare du fort,

Gayette qui descend du bois de

la

Au

Horgne qui

perdue, est bâti en bor-

route de Dieppe, dans il

commande

200 mètres en remontant

une digue, puis un

de Vaux,

village

le

l'entrée.

ravin,

le

petit lac

:

ravin du

le

A

150

ou

on trouve

l'étang de Vaux.


LES DERNIERS JOURS DU FORT DE VAUX

136

C'est là qu'aboutit le ravin des Fontaines, appelé

par nos le

ravin de la mort, qui traverse

le

de Vaux-Chapitre. L'ennemi assiège

bois

mais

village, le

hommes

il

tente aussi de descendre

ravin du Bazil en progressant dans

la Caillette.

coupée de

le

le

dans

bois de

Là, dans cette région tourmentée,

futaies,

de

taillis, d'étroits

vallons, de

gorges, se livrera une lutte obscure et opiniâtre

qui se prolongera durant des semaines et

même

des mois.

L'ennemi, à de

la

Woëvre

Vaux

ces

la fin

la

de mars, a ramené du front

121 e division.

Il

va utiliser contre

troupes fraîches. Le 31 mars, après

avoir effectué la veille une importante reconnaissance,

il

couvre d'obus

le fort,

le village

et le

ravin du Bazil. C'est le présage de l'attaque. Les

communications téléphoniques sont coupées les liaisons se font

par coureurs, la région acci-

dentée ne permettant pas, sauf sur fort,

l'usage

précèdent

des

les trois

et

signaux.

le

plateau du

Les flammenwerfer

vagues d'assaut, fortes cha-

cune d'un bataillon, qui déferlent successivement


DU

30

MARS AU

31

La première

sur le village.

MAI

est

deux autres, au prix de sanglants

Le 2

foudroyée;

les

sacrifices, réus-

compagnies qui occu-

sissent à encercler les trois

pent encore

137

la partie ouest.

avril,

le

er

1

bataillon

du 149 e régiment

(commandant Maganiosc) qui occupe ,

les abris

du

ravin des Fontaines, reçoit Tordre de réoccuper le village. il

Au

petit jour

se fractionne

en

d'une compagnie,

compagnie

a

il

trois la

se porte à la digue,

groupes formés chacun

quatrième en soutien. Une

pour objectif

la

rue principale

;

une

autre opérera plus au nord, entre la voie ferrée et le ruisseau,

chasseurs;

la

en liaison avec

le 3

e

I

bataillon de

dernière plus au sud, par

les jardins.

En quelques bonds, nos hommes ont

atteint le

village et se sont avancés jusqu'à l'église. Mais

un barrage

d'artillerie les

isole et

empêche

les

renforts de leur parvenir. Les agents de liaison

qui réussissent à traverser ce barrage continu

apportent des nouvelles d'abord exaltantes, puis

de plus en plus inquiétantes. Les assaillants ont été contre-attaques et sont

submergés sous

les


LES DERNIERS JOURS DU FORT DE VAUX

138

colonnes d'assaut. Sur la rive droite, dans jardins, la

le

lieutenant Vayssière qui

compagnie a

Dans

le village

on

officiers des trois

ou capturés, qui

et

ment

ont reflué.

se bat corps à corps.

groupements sont

parmi eux

commandait

commandait

hommes

été tué et ses

la 2

e

Tous

les

tués, blessés

Toussaint

le capitaine

compagnie

les

et qui, grave-

frappé, encourageait encore ses

hommes

à

Des sous-officiers prennent leur

ne pas

se rendre.

place.

L'ennemi flambe

trole.

Le sergent Chef a

les

maisons avec du pé-

rallié les

survivants et,

les

groupant avec une section de mitrailleuses à

la

sortie

dans

la

arrêté

l'étang,

il

s'est

barricadé

dernière maison, a creusé une tranchée et

l'ennemi.

Au

nord,

même jusqu'à

tient de

ments.

du côté de

On

travaille à

tandis que son

la

sergent Chapelle

le

nuit avec quelques élé-

deux

camarade

:

l'un fait

tire.

mandes sont considérables. Un vues disait allongés

!

:

«

Il

un

Les pertes

trou, alle-

soldat qui les a

y en avait, chez eux, des

»

Si le village est

perdu, sauf

la

dernière maison,


DU le

chemin de

30

la

MARS AU

31

MAI

139

digue est barré. Mais, sur

le

revers nord du ravin, les Allemands ont réussi à se

rapprocher de

Dès

le

la voie ferrée.

lendemain,

le 74*

tranchées perdues de sa progression,

qu'à

la crête

il

régiment reprend ces

la Caillette et,

continuant

pousse ses postes d'écoute jus-

du fameux Douaumont.

# #

Gomment énumérer

tant de combats presque

ininterrompus, et tant de prouesses? Le

1 1

avril,

l'ennemi attaque par deux divisions accolées sur

un

front de 3 kilomètres, du

mont au

de Vaux

fort

nous l'attaquons et des

il

(trois bataillons )

200

de

l'attaque

:

la

de

la

le

Douau-

Le

15,

e

du 36 régiment ravin de la Cail-

Fausse-Côte, et

lui faisons

Le

reprise de

prisonniers.

19,

81 e brigade enlève un fortin rempli

de cadavres et de blessés,

dont 9

de

est repoussé.

éléments du 120 e entre

lette et le ravin

près

:

fort

fait

260 prisonniers

officiers, 4 aspirants et 16 sous-officiers,


LES DERNIERS JOURS DU FORT DE VAUX

140

s'empare de mitrailleuses

et

de tout un ma-

Vainement l'ennemi

de lance-flammes.

tériel

et

essaie de reprendre trois jours de suite l'offensive

il

;

ne peut nous arracher

tranchées

les

laborieusement conquises. Toute cette période

nous

d'avril

est

dans

favorable

la

région de

Vaux. Le général Nivelle, qui commande

le sec-

teur, a préconisé, d'accord avec les instructions

du général en chef

mande

et

l'armée, une défense active qui excite

moral des troupes

et

versaire. Satisfait

du

rives

du général Pétain qui com-

de

la

déjoue

les intentions

de

résultat obtenu sur les

le

l'ad-

deux

Meuse au cours des dernières opéra-

tions, le général Pétain, appelé le

général en chef à prendre

le

30

avril

par

le

commandement du

groupe des armées du centre, avant de remettre au général Nivelle

le

commandement de

la 11

e

ar-

mée, adresse aux troupes un ordre du jour où dit

il

:

Une des plus yrandes

batailles

que l'Histoire

ait

enregistrées se livre depuis plus de deux mois autour

de Verdun. Grâce à tous, chefs

et soldats,

grâce au


DU dévouement services,

30

MARS AU

un coup formidable a

141

hommes

à l'abnégation des

et

MAI

31

des divers

à

été porté

la puis-

sance militaire allemande.

Le 10

avril,

reprenant après cinq siècles

mot de Jeanne d'Arc, On

il

avait lancé le

fameux

:

les aura.

Un

but excitant et précis est visé au cours du

mois de mai

:

la reprise

Quel soufflet serait

du

fort de

ainsi appliqué

allemand! Douaumont qui la

le

Douaumont. sur l'orgueil

lui a fait

emboucher

trompette épique; Douaumont, conquête

chée qu'il a badigeonnée de

la gloire

Douaumont reperdu,

imaginaire;

tri-

d'un assaut

ce serait dans

tout l'empire un cri de surprise et de colère. Et le

22 mai, à midi, nos bonshommes rentrent

dans

le fort

de Douaumont. Soldats de

Mangin, bataillons des 36 e

,

129

e ,

7 4

e

la division

et 5 4

e

régi-

ments, vous vous souviendrez de cette heure et de cette date où vous égalâtes conquérants!

les plus

audacieux


142

LES DERNIERS JOURS DU FORT DE VAUX

Le

de Vaux

fort

les suivit

de ses observatoires

pénétrer par la brèche du sud.

et les vit

Hardaumont

aida de ses feux sur

Et ses murs qui sonnaient sous

ennemi semblaient bondissaient

le

les

et la Caillette.

bombardement

comme

de joie,

tressaillir

Il

les collines d'Israël, à la

délivrance

de son vieux compagnon.

Du

fort de

jalonnent trois

les

Vaux à

l'Étang, les défenses qui

pentes de la colline sont reliées par

redoutes ou retranchements plus ou moins

ruinés,

R

1 ,

R2

et

R3

en

Le capitaine

style abrégé.

Delvert qui, du 17 au 24 mai, occupe

R

1

avec

la

e 8 e compagnie du 101 régiment, et qui le réoccu-

pera du 31 mai au 5 juin, pendant tique, est

révélés à

un de

ces officiers

eux-mêmes en

ils

Normalien, agrégé d'histoire, il

est le

que

les retirant

des carrières civiles dont

de réflexion,

la

le

la

guerre a

brusquement

étaient l'honneur.

homme

contemporain,

marade d'Emile Glermont,

période cri-

il

d'étude et était le ca-

romancier doulou-

reux, délicat et subtil de Laure et à' Amour promis, qui, des spectacles de sang dont

il

avait l'instinc-


DU

30

MARS AU

31

MAI

143

un enseignement favorable

tive horreur, sut tirer

à son élévation intérieure avant d'être tué dans

une tranchée. Sa génération de tous

les

chemins de

la

était à ce carrefour

jeunesse qui nous a tour

à tour, tous ou presque tous, vus hésitants

hommes,

guerre, en lui confiant des

paré à diriger

les intelligences. Il

:

la

l'aura pré-

porte

la

Légion

d'honneur et la croix de guerre. De taille moyenne, hàlé, les

le teint

le

lorgnon,

la

yeux pleins de feu

brillant sous

voix sourde et le geste éloquent,

il

a pris l'habitude du dédoublement préconisé par

Stendhal et ses disciples.

temps

qu'il agit.

incommodé par

se

Il

la

Il

s'analyse

voit agissant sans

présence de ce

témoin. Ainsi retient-il

dans

les faits

le

être

perspicace

dans leur préci-

sion et leur signification ensemble. Les fonds de toile

ne

lui

échappent pas;

il

rétablit

aisément

le

décor des épisodes qu'il brosse en peintre, à

grands

traits

rapides

Des hommes comme

et

à

celui-là seront, plus tard,

d'admirables chroniqueurs. tragiques,

il

couleurs chaudes.

remarque

la

Aux heures

les plus

pose sculpturale d'un


LES DERNIERS JOURS DU FORT DE

144

grenadier, ou

il

est sensible à la caresse

laissé consulter

:

du

soleil.

recours aux notes qu'il

Plus d'une fois j'aurai

m'a

VAUX

il

y faudrait ajouter

cent à la fois concentré et ardent de ses

l'ac-

commen-

taires.

Dans

du 17 au 18 mai,

la nuit

Delvert gagne avec sa compagnie

ment R par 1

le

ravin des Fontaines.

commandant du dans sa cagna écrit-il,

le

retranche-

En

route, le

bataillon qu'il relève le reçoit

et lui passe les consignes.

«

C'est,

un homme grand, mince, d'une

quantaine d'années,

le

lèvres se plissent d'un sourire d'ironie.

En deux

lignes voilà

nous

cin-

visage glabre. Ce visage

deux beaux yeux d'intelligence

s'éclaire de

« Il

capitaine

le

un

et les

»

portrait.

reçoit, continue-t-il,

de façon char-

mante. La conversation s'engage avec notre chef de bataillon. «

— Nous

mite? «

le

mar-

allons à la digue. Est-ce très

— Mon Dieu

!

commandant X.

répond avec beaucoup de flegme .

.

,

un de mes

officiers a

compté


DU

30

MARS AU

31

MAI

145

dans son secteur une moyenne de quatre obus par

minute pendant toute une journée. «

— Et

chef de bataillon? Son poste de com-

le

mandement? «

sortir.

C'est assez solide, Il

donne

-sur

mais on n'en peut pas

un ravin perpétuellement

battu. «

a

— Et d'où tombent — Du nord, de

ces obus?

l'ouest et de l'est.

du sud que

Il

n'y a que

sauf

l'on n'en reçoive pas,

quand

nos 155 tirent trop court... (Un silence...) Et puis, vous savez, vous aurez des totos

«

— Des — Oui

«

Nous sortons de

«

geons dans taines.

!

totos? !

Quoi des poux Tout !

le

!

la

le

monde en

a.

cagna et nous nous enga-

boyau qui mène au ravin des Fon-

La désolation du paysage devient de plus

en plus poignante. Les arbres, déjà, ne sont plus

que des piquets. Pour comble, à certains endroits

— comme canal

:

il

a

plu

le

boyau

40 à 50 centimètres d'eau.

se

change en

»

10


.

LES DERNIERS JOURS DU FORT DE VAUX

146

Et

les

obus commencent de pleuvoir. Sauf du

sud, en effet,

il

en vient de partout.

Le capitaine Delvert débarque enfin Chaque jour,

poste.

l'officier

Voici

dresse son bilan,

de quart, sur un croiseur,

son

comme

fait le point.

journées du 18 au 24 mai. C'est

ses

tableau de

Vaux

il

à

la

vie

qu'on mène dans

la

le

région de

:

Journal du capitaine Delvert (18-24 mai).

Jeudi 18 mai.

domine

le

— Ma

tranchée de la voie ferrée

ravin de Vaux, lequel

est

troué

comme

une écumoire d'entonnoirs d'obus remplis d'eau.

En

avant, cette ruine, à soixante ou quatre-vingts

mètres du village, des

c'est la

«

maison Ouest de Vaux

»

communiqués

Le

village nest plus

qu'un monceau de murs crou-

lants sur lesquels s'écrasent nos

155.


DU

En face du

33

MARS AU

poste de

Vaux. Au nord

à

et

MAI

31

147

commandement

l'est les

est le

fort de

tranchées boches l'en-

tourent.

Rien ne saurait rendre

A

heure (dix-neuf heures)

cette

douce

la désolation est

il

de ce paysage.

enveloppé de

la

chaude lumière pourprée du couchant. Les

et

croupes apparaissent dénudées, sans un brin d'herbe.

Le

Fumin est réduit

bois

comme

croupe,

sa

sent

Massiges Chenille

que

>>

»

.

Le

que

la terre est

que

les

à quelques piquets qui héris-

les

ce

bois

de

troupiers avaient

sol a été tellement

«

Main de

la

surnommé

remué par

«

obus

les

devenue meuble comme du sable

trous d'obus

y font

la

et

maintenant des effets de

dune.

Tout à coup,

mée

se déchaîne.

canonnade qui

un peu

cal-

Nous comptons en une minute

huit

la

obus boches sifflant sur nos

Sur les

la

s'était

têtes.

croupe de Vaux, pourprée par

le

couchant,

nuages noirs de nos 155 s'élèvent de tous

côtés.

Cest un concert infernal.

Le poste de commandement recouvert de quelques poutres

et

est

un trou d'obus

d'un peu de

terre.


.

LES DERNIERS JOURS DU FORT DE VAUX

148

Sous

sont des cadavres, peut-être ceux que

sol,

le

l'obus a enterrés.

On

couche là-dessus

la tête

appuyée sur

sac.

le

Les hommes sont empilés dans des niches gui ne les

protégeraient certes pas de la pluie.

Attendons !

Vendredi 19.

On

ni nuit.

est

— La canonnade ne

assourdi,

comme

cesse ni jour,

hébété.

Aujourd'hui, depuis dix-huit heures,

Vaux

les

pentes de

disparaissent sous nos obus.

On les voit d'ici tomber juste sur que font dans

les lignes

blanches

la terre les tranchées et les

boyaux

boches.

La

nuit, sous les étoiles, de nos premières lignes

au fond du ravin montent des fusées longez

le tir!

Allongez

le tir! »

vertes

:

«

Al-

crient nos pauvres

camarades Et d'autres appels s'élèvent de tous côtés.

Fusées «

JSous

rouges

sur

le

plateau

sommes attaqués!

Tirez!

d' Hardaumont.

Tirez!

rades! Barrez la route devant nos tranchées!

Cama»


DU

MARS AU

30

31

MAI

140

Fusées rouges du fort de Vaux! Fusées rouges, là-bas,

au

Fumin. Que d'appels déses-

loin, derrière

pérés sur cette terre sombre!

Cependant que des lignes boches partent d'autres fusées,

éclairantes ,

des fusées

lissent des ténèbres

à

tout

celles-là,

instant

gui jail-

pour

veiller

remuée par

ce

qu'aucune

les

victimes désignées à l'écrasement des obus.

Le

pelletée de

terre

ne

soit

à

sifflement des projectiles qui se croisent en tous

sens au-dessus de nos têtes est

bord de

mer,

la

les

oreilles

tel

qu'on se croirait au

bourdonnantes de

la

houle des flots soulevés. Le fracas des éclatements

ponctue

la

tempête de coups de foudre s'écrasant en

un tonnerre continu.

Samedi 20

(vingt-trois heures)

étend ses eaux mornes jusqu'aux

.

— Le tî'ois

lac

sombre

croupes qui

ferment l'horizon. La lune tend sur ce lointain

comme un

voile d'argent où les collines s'estompent

en points plus sombres. elle

verse sur

ainsi qu'un

le

iloi

Au

pied de nos tranchées,

marais du ravin sa lumière mouvante aveuglant parmi

les frissons

de Veau.


150

A

LES DERNIERS JOURS droite,

sur

la

DU FORT DE VAUX

digue,

une théorie d'ombres

funèbres glisse en silence. C'est la relève qui passe.

Sans heurt, d'un pas continu,

monte vers

elle

le

plateau d'Hardaumont, ou s'écrasent nos obus, d'où

sans cesse s'élèvent dans

rouges ou vertes

— feu

le ciel les

gerbes blanches,

ceux qui vont

d'artifice de

mourir.

— Le beau temps

Dimanche 21 mai. La canonnade

continue.

aussi.

Minuit.

Les Boches nous ont envoyé ce soir à la nuit des sible, ces

foque;

gaz lacrymogènes. Désagréables au pos-

gaz. Les

yeux piquent

la tête est lourde.

La canonnade fait Le 124

e

:

on pleure; on suf-

Quel supplice!

rage.

sur

les

pentes

mon monde

est

à son

doit attaquer tout à l'heure

de Vaux en avant de poste de combat.

Vaux allonge rouge de

tombée de

la

La

R

l .

Tout

colline

qui domine

sa ligne sombre sous

le

la lune. Il vient se refléter

le

fort de

disque à demi

au

bas,

immo-


DU dans

bile,

30

MARS AU

MAI

31

marais, au pied de nos tranchées.

les

Une brume argentée enveloppe le

ravin

le

et

151

lointain

l'horizon, le fort,

profond où s'enfonce

la

Woè'vre.

Auprès de moi, à droite

et

à gauche, je vois, au-

dessus de la tranchée, étinceler sourdement, dans

f ombre,

forme dans

d!

les

casques des hommes. Je songe à la plate-

Elseneur

et

aux

la nuit.

Les

sentinelles,

casques deux

ici,

yeux

ne se relèvent pas. Sous ces

veillent, fouillent le

talus, le ballast de la voie ferrée. la

qui s'y relèvent

sentinelles

flamme fauve

De

ravin

et

le

tous côtés jaillit

des obus qui s'écrasent. Les éclats

retombent en pluie bruyante dans

les

marais

:

d'autres

viennent avec un ronflement de toupie se planter

dans

La

la tranchée. lutte

obscure

A une heure intense.

La

et sinistre

continue.

cinquante, la canonnade devient plus

fusillade,

C'est dans la nuit

les

mitrailleuses

un fracas confus que

crépitent.

répète l'écho

de la vallée.

Des fusées rouges partent sans cesse des lignes


LES DERNIERS JOURS DU FORT DE

152

allemandes. Sur poing, nous

le

parapet, l'œil au guet,

sommes

les

VAUX le

fusil au

témoins, muets d'horreur,

d'un combat mystérieux dont nous entendons cas sans voir les acteurs.

de nos tranchées

:

«

Des fusées

Allongez

une

que

la

fra-

vertes jaillissent

le tir »

,

tandis

mitrailleuse boche crépite à coups secs

Encore

le

préparation

quune

et précipités.

d'artillerie

a

oubliée.

La

vallée s'emplit d'une vapeur opaque, faite de

poussière

et

de fumée,

et

à travers laquelle on ne dis-

tingue plus rien.

Sur

le

plateau d'Hardaumont,

le petit

jour com-

mence à poindre. Mais

la lutte

ne s'apaise point. Elle fait rage, de

plus en plus violente, dans ce brouillard que rayent les

fusées

et

d'où jaillissent sans cesse

De

rouges

des éclatements.

sifflent

autour de nous. Les petits de

dont le

c'est le

parapet.

main, nous carton sur

baptême du feu,

tous

côtés

les

flammes

les

balles

la classe

16,

se pelotonnent contre

Cfficicrs et sous-officiers, les

les

le

fusil à la

exhortons. Bientôt chacun fait son

Boches que l'on voit

maintenant


DU le

jour

est

levé

30

MARS AU

31

MAI

153

refluer le long des pentes de

Vaux.

Lundi 22 mai.

mon

dans

et s'est

— Un

trou, a brisé la

aplati à côté de

Onze heures. tranchée que

le

ma

124 e a

les voit s'aplatir,

En

tête.

prise ce matin. Des détacheles

pentes.

puis reprendre

Braves soldats tout de même,

Un feu

Nous le

les

tirons;

pas de course.

être touché.

ces gens-là.

On

se bat à la gre-

effroyable foudroie

Fumin par où

sont arrivés à la .tranchée.

nade.

doivent arriver en renfort d autres unités du

A

entré

jambe de tnon ordonnance

voici un qui reste allongé. Il a

Ils

est

Contre-attaque allemande sur la

ments boches traversent on

130

culot de

notre gauche,

Douaumont

est

124

e .

repris depuis ce

matin.

Mercredi 24 mai, une heure du matin. fois, c'est bien l'enfer. Il fait

Cette

une nuit d'encre. Le

vallon semble un gouffre géant entouré de collines fantastiques, masses sombres de ténèbres

aux con-


154

LES DERNIERS JOURS DU FORT DE VAUX

tours indécis.

Au fond du

gouffre,

les

flaques d'eau

du marais miroitent mystérieusement dans Des vapeurs sombres montent sans

et

un

blanches

faisant brusquementjaillir de l'ombre

des montagnes de ténèbres qui paraissent cerclées de lumière et rentrent aussitôt

A

noir.

cesse avec

fracas effroyable; des lueurs rouges s' entre-croisent ,

le

un

dans

instant la nuit.

travers l'air lourd, irrespirable de poussière et

de fumée, ce ne sont que glissements

invisibles, siffle*

ments, rugissements , craquements effroyables d'où jaillissent des flammes , et cela inlassablement.

Est-ce

le

Crépuscule des Dieux? Le Gôterdâmme-

rung qui hanta ï imagination grandiose de leur géant barbare?

La

terre s* entr

ouvrant

et

l'effondrement

dans un abîme de feu de ce monde sauvage dont gueule monstrueuse a failli dévorer l'humanité?

Non.

— Ce

n'est

qu'un épisode de

contre-attaque allemande sur

Une

ligne de

communiqué,

Huit heures.

— Les

R

cette

guerre

:

la

— la

l

,

peut-être.

pentes de

plus sinistres encore qu'auparavant.

Vaux paraissent


.

DU Le long de

30

MARS AU

31

MAI

155

tranchée allemande disputée, des

la

corps raidis, en capote bleue, des casques, des traînées noires.

Le

sol

par endroits semble brûlé. Un

cadavre a été dépouillé de sa capote.

On

voit ce dos

nu au

Chaque épisode de

soleil.

.

la bataille se relie à l'en-

semble des opérations. L'attaque de Douaumont aura

sa

répercussion

immédiate.

La

bataille,

sur le front de Verdun, est en fonction de la bataille l'îlot

unique qui assiégé de

monde

se livre sur tous les fronts. Ainsi

Vaux

entier.

Nos troupes n'ont pu fort de la

du

va-t-il fixer l'attention

Douaumont dont

se

maintenir dans

elles

le

n'occupaient que

superstructure et une partie des casemates.

Le 24 mai, une contre-offensive allemande réussi à envelopper et reprendre l'ouvrage. lors

l'ennemi ne cesse plus d'attaquer.

que l'audacieuse entreprise du 22 mai

Il

a

Dès

semble

ait excité


LES DERNIERS JOURS DU FORT DE VAUX

156

sa fureur

taureau.

comme une bande a

Il

affront le détermine à se ruer

avec une violence accrue.

un corps nouveau, 26

et 27 mai,

mont, dans

du 31 mai,

il

le

er

I

il

Il

se laisser

:

un

tel

contre Verdun

corps bavarois. Les 25, la

ferme de Thiau-

de Froideterre.

oblique sur sa gauche

pitant sur le fort de Vaux, à

rouge un

lance à l'assaut tout

fonce sur

la direction

toile

Douaumont

perdre

failli

de

détourner de

A

partir

et, se préci-

ne consentira plus

il

la

proie qu'il

voite et qu'il croyait déjà tenir trois

con-

mois aupa-

ravant.

Son plan sera de déborder le ravin l'est

A

du

le fort

à l'ouest par

Bazil et le ravin des Fontaines, et à

par Damloup. la

date du 31

mai, notre ligne remonte

encore au delà du ravin du Bazil pour contourner, dans le bois de la Caillette, le saillant d'Har-

daumont qui nous franchir

le

appartient. Puis elle revient

ravin sur la digue, passe devant les

retranchements

R

3 ,

R2

et

R

1 ,

enveloppe

le fort

à 200 mètres à peine de la contrescarpe,

des-


DU cend dans

le

30

MARS AU

fond de

la

le

MAI

157

Horgne pour

ger en pointe au village de

en arrière dans

31

fond de

Damloup la

s'allon-

et revenir

Gayette devant

la

Laufée.

Le

saillant

d'Hardaumont

et le village

de

Dam-

loup sont en flèche et leur défense est précaire.

Les retranchement sont bouleversés. Quelle barrière

peut encore

offrir le fort?



LIVRE

III

L'ÉTREINTE



LA PIERRE ET L

Dans quel depuis

qui,

HOMME

état est-il, ce pauvre fort de le

21

février,

depuis

reçoit sa ration quotidienne d'obus

moyenne pour

la

Vaux

cent jours, dix mille en

:

région, et de tous les calibres,

mais principalement des plus gros, du 210, du

305

et jusqu'à

du 380?

Il

doit être martelé, pilé,

écrasé, concassé, nettoyé, pulvérisé et inhabitable, peut-il être autre

nom

sans

:

inutilisable

chose qu'un amas

de pierre et de terre, de débris de

toutes sortes changés en poussière ou en cendre?

l'artillerie

nablement a

de l'empereur Guillaume a conve-

travaillé,

on assure

qu'il

ne reste rien

L'herbe ne pousse plus où mes chevaux pas-

sent

»

De

,

proclamait Attila.

fait,

l'aspect extérieur

du

fort est

lamen-

n


.

LES DERNIERS JOURS DU FORT DE VAUX

162

Les superstructures sont tout à

table.

truites et le dessus n'est plus

L'entrée par

temps ne on passe soit

par

Le été

sud

le

par

le coffre

écroulée et dès long-

double du nord-ouest,

coffre double est écrasé, mais

cèdent dans

le

l'intérieur

simple du nord-est.

le coffre

aménagée à

dé-

qu'un chaos.

Pour pénétrer à

sert plus. soit

s'est

fait

une

issue a

l'usage des troupes qui se suc-

secteur à l'ouest du fort (courtine,

tranchée de Besançon). La gaine qui bâtiments est fissurée près de

la

le relie

aux

descente dans

le

fossé et crevée près de la caserne.

De même

le coffre

simple nord-est a été percé

vers l'extérieur et fournit

ments qui tiennent

les

un passage aux

élé-

tranchées est et nord

(tranchées du Fort et de Belfort)

Ces deux entrées, qui sont du côté du trapèze le plus

rapproché de l'ennemi, favoriseront

saillant. C'est il

par

là qu'il s'introduira.

l'as-

Mais peut-

s'attendre à une résistance dans une telle ruine?

La

tourelle de 75 a

munication avec

la

beaucoup

souffert; sa

com-

caserne est obstruée. L'en-


,

LA PIERRE ET L'HOMME

semble n'est pas

utilisable.

163

Les deux observa-

toires cuirassés ont résisté,

mais on ne peut y

introduire des mitrailleuses.

Le

sud-ouest est en assez bon état

:

sa

communica-

bouchée, a été rétablie

tion, qui avait été

du

coffre simple

:

n'a

il

pas d'ouverture extérieure. La caserne enfin est fissurée,

mais tient bon. Une garnison peut

s'y

abriter.

Le double réseau de

fil

de

fer qui ceinturait le

fort est

en morceaux, ou enfoui dans

d'obus.

On ne

saurait

compter sur

la

les trous

résistance

des contrescarpes et des escarpes et du fossé qui les

è

sépare

les

:

murs ébréchés ont coulé

demi comblé, Tel

n'est plus

un obstacle.

ce tronçon de fort, ce

est

et le fossé

moignon de

défense que l'çnnemi aborde. Le 9 mars, quand il

fil

l'assiégea,

de

fer,

il

rencontrait encore devant lui

des remparts, des parapets, des abris

de mitrailleuses. Maintenant, teindre

et

il

le

pas à 200 mètres acrobatie,

du

et

parvient à

touche presque,

pour

s'il

il

il

l'at-

n'en est

peut monter dessus sans

entrer

dedans

il

trouve,


LES DERNIERS JOURS DU FORT DE VAUX

164

béantes de son côté, les deux issues des coffres nord. Maintenant

n'y a plus rien, en dehors

il

des tranchées bouleversées qui sont en avant et sur les flancs, pour s'opposer à son envahisse-

ment. Plus rien que des

comme

tempête,

des

hommes

qui attendent la

marins résolus à ne pas

abandonner leur vaisseau désemparé. a

pour chef le commandant Raynal,

du 96 régiment

d'infanterie, qui, blessé, n'a pas

La garnison e

voulu attendre sa guérison pour reprendre du service. le 7

à

Bordeaux où son père

était bottier,

mars 1867, d'une famille originaire de Mon-

tauban,

le

futur défenseur de

Vaux

fait ses classes

e au lycée d'Angoulême, puis s'engage au 123 régi-

ment

le

15 mars 1885. Cinq ans plus tard,

il

entre à l'École de Saint-Maixent, en sort sous-

lieutenant

le

er

1

1891 avec

avril

le n°

Capitaine lorsque la guerre éclate,

chef de bataillon

commandé de l'armée

le

il

l

sur 328.

est

nommé

24 août 1914. Comment

il

a

son bataillon, une citation à l'ordre le

montre

de son régiment

le

:

Commandant U avant-garde

14 septembre 1914

et

ayant pris


LA PIERRE ET le

L'HOMME

165

contact dès le matin à faible distance de l'ennemi

fortement retranché, a immédiatement établi son

d appui

bataillon sur les points

énergiquement sous

le

feu de

et l'y

a maintenu

l'infanterie, des

mi-

trailleuses et de l'artillerie lourde allemandes. Blessé

sérieusement dans l'après-midi, a conservé

mandement de son ligne

pour

y

un terrain

bataillon, se tenant sur la

assurer

la direction

com-

première

du combat, dans

couvert, jusqu'à

et

difficile

le

ce

qu'une

trop grande perte de sang l'obligeât à se retirer.

Crouy, lui a

de

la

le

14 septembre, une balle de mitrailleuse

labouré

la poitrine

du côté gauche. Chevalier

Légion d'honneur du 11

promu

A

»

officier le

1 1

juillet

1900,

il

est

janvier 1916 avec ce libellé

:

Officier supérieur de haute valeur morale et militaire. Blessé

grièvement

revenu au front où

il

leurs services; blessé à

3 octobre 1915 et

méthode à

bataillon. Il

le

14 septembre 1914,

est

n'a cessé de rendre les meil-

nouveau

très

grièvement

le

alors qii il procédait avec sang-froid

la

reconnaissance du secteur de son

»

a reçu à

Tahure, en Champagne,

sa

seconde


166

LES DERNIERS JOURS DU FORT DE

blessure la crête

un

:

de

l'abdomen

éclat d'obus à

l'os iliaque

VAUX lui a brisé

avant de ressortir par le

dos.

Trop mal remis encore pour pouvoir assurer un

commandement il

actif,

il

y eût peu à bouger

et

Vous commanderez un

commandant découvert.

— Vaux Et

fait la

— Le

a

demandé un

beaucoup à risquer.

Le

de Verdun.

fort

grimace

il

:

préfère le terrain

fort le plus exposé.

évidemment.

le voilà parti.

Alors, va

Tel est

confiées les destinées

du

poste où

— Lequel? pour Vaux.

l'homme à qui sont

fort.

Sa troupe se com-

pose d'une compagnie du 142 e régiment, la 6% sous les ordres du lieutenant Alirol (120 fusils),

d'une compagnie de mitrailleurs du 142 e

(lieute-

nant Bazy), d'une trentaine d'artilleurs, d'une dizaine de soldats

du génie, d'une vingtaine

d'in-

firmiers, brancardiers ettéléphonistes, d'une ving-

taine de territoriaux

pour

les corvées.

de 250 à 300 hommes. Mais c'est

normal, réglementaire de suite

il

la

s'augmentera d'une

Au

total,

là le chiffre

garnison. Tout de

cinquantaine

de


LA PIERRE ET L'HOMME mitrailleurs

167

du 53 e régiment, puis des blessés

qu'on apportera au poste de secours, puis des éléments du 101 e et du 142 e régiments qui, protégeant

en avant

le fort

et sur les flancs, reflue-

ront à l'intérieur par les ouvertures des coffres sous la poussée ennemie. Dès le 2 juin, flera et,

s'en-

de 250, s'élèvera bientôt à plus de 600,

ce qui aggravera les difficultés déjà la

il

défense.

En

effet,

si

si

grandes de

ravitaillements en

les

munitions, génie, service de santé, sont large-

ment

suffisants, les

approvisionnements en vivres

ont été prévus pour une durée de quinze jours,

mais pour une garnison de 250 hommes. Les citernes ont bien été remplies, mais les troupes

du secteur qui

l'ont su n'ont pas

sidérer

comme un

le fort

tiellement

manqué de

con-

point d'eau, providen-

aménagé contre

la

soif

si

terrible à

supporter sur ces pentes arides et battues. Les

commandants du

fort ont

contre cette tendance ils

:

eu sans cesse à lutter

pendant

le

mois de mai,

ont réussi néanmoins à créer une réserve. Cette

réserve a été apportée par des

hommes

de corvée


168

LES DERNIERS JOURS DU FORT DE VAUX

porteurs de bidons de deux

litres

:

corvées héroï-

ques et parfois tragiquement interrompues.

29 mai, litres.

elle s'élevait à

peine à deux ou

La garnison normale, dès

le

Au

trois mille

début ration-

née, aurait trouvé là des ressources pour une

durée de dix à douze jours, Elle sera

débordée par

et

même

les arrivants

jour. L'eau ne tardera pas à

davantage.

dès

le

manquer

premier

et la soif

sera la plus cruelle souffrance de la défense de

Vaux.

Cependant

la

mandant Ray nal

garnison est prête, et attend.

le

com-


II

l'étreinte se resserre

Dès

le

31 mai

mières lignes de Bazil,

sur

le

le

a

l'ouest

bombardement

la Caillette et

er

(1

sur nos pre-

sur le ravin

bois de Vaux-Chapitre, le

toute la région de Vaux, sur

dépasse dans de

telles

juin)

Damloup

proportions

et la le

du

fort et

Laufée,

pilonage

accoutumé, que Ton s'attend à une offensive. Sur quel point se déclanchera-t-elle? Sur l'ensemble

de ce front, ou sur un étroit secteur ? Fidèle à sa tactique qui est d'avancer successivement l'une et l'autre épaule,

du

l'ennemi n'attaque qu'à l'ouest

fort. Il limitera ses objectifs

au saillant dHar-

daumont que nous tenons encore, bois de la Caillette, au ravin

à la lisière

du Bazil où passe

du la

voie ferrée, à l'étang et à la digue, enfin au bois

Fumin,

partie

du bois de Vaux-Chapitre qui

est à


170

LES DERNIERS JOURS DU FORT DE VAUX

l'est

du ravin des Fontaines.

Fumin,

il

S'il

emportera aisément

chements R 3

,

R2

R

et

1

parvient au bois

la série

des retran-

qui défendent les pentes

au-dessus de l'étang de Vaux jusque près du fort

s'empare des retranchements,

S'il

le fort

débordé

tombera à son tour. Peut-être une journée

lui

pour opérer ce mouvement tournant

suffira-t-elle

qui lui livrera

fameux

le

fort cuirassé dont la

fausse conquête avait, le 9 mars, fait tressaillir

En

d'orgueil l'Allemagne.

trois

mois, ce malheu-

reux fort a été réduit en poudre. N'importe porte un offrir

nom

aucune

raient dans

il

retentissant et sa prise ne doit

difficulté

un

:

tel

:

quels

hommes

s'enferme-

abri? Et pour en finir l'ennemi

lance, entre le bois de la Caillette et le fort, la re

e

l

division (moins le 3 grenadiers), devant le fort

la

50 e division,

division re

la

l

XV

e

combinée comprenant

division,

corps.

A

les

e

le 3

e

grenadiers de

126 e et 105 e régiments du

l'importance des effectifs engagés

encore devra-t-il la 2

Damloup une

et entre le fort et

les

renforcer dès

brigade du corps alpin

il

le 5 juin,

avec

montre tout

le


L'ETREINTE SE RESSERRE A L'OUEST

171

prix qu'il attache à cette proie déjà tant blessée.

Notre défense hors du fort est ainsi disposée

au saillant d'Hardaumont (bois delà bataillon

e

du 24 régiment; de

chement R

1

er

le

bataillon

1

la

(commandant Fralon)

e

la 3

e

un peloton à chaque redoute) e 2 bataillon

fort, le

101 e la 7

e

(la

8

e

à la digue,

lieutenant Goûtai

,

un

Caillette)

digue au retran-

du 101 régiment (une compagnie

compagnie

:

une

R etR 2 3

à

,

de R à l'ouest du 1

;

(commandant Gasabianca) du

compagnie, capitaine Delvert)

en crochet défensif devant

et à

,

à

R

1 ,

gauche du

fort.

La chaîne

se

continue par

le

142 e régiment

(colonel Tahon) qui a fourni au fort sa garnison et qui

occupe, devant et à e

l'est, la

Belfort avec son 2 bataillon vassu)

les 7

:

de Belfort,

Le

er

1

e

et 8

les

e

(commandant Che-

compagnies dans

la

tranchée

deux autres en soutien au

bataillon

en flèche de Damloup avec

gnies,

la

4 e tenant et la

sud-est.

(commandant Mouly) occupe

village

Damloup

tranchée de

en arrière

la

trois

le

compa-

batterie

tranchée de Saales qui, de

de la


LES DERNIERS JOURS DU FORT DE VAUX

17-2

batterie, rejoint le village. Enfin le 3 e bataillon

(commandant Bouin)

du

secteur de

la 1

Dicourt et de

plus à Test,

l'ouvrage de

la

défense. er

Le

chargé,

Des relèves ou des renforts compléte-

Laufée. ront

est

juin, à huit heures, l'ennemi, après son

intense préparation d'artillerie, attaque ce saillant

d'Hardaumont que nous tenons encore au

nord du ravin du Bazil où passent Vaux. De

et la route de Fleury à

la voie ferrée

redoute

la

sur les pentes du plateau qui porte

Vaux,

le

capitaine Delvert

le

fort

R

1 ,

de

aux premières

est

loges pour suivre Faction qui se déroule en face

de

lui,

sins

de l'autre côté du ravin.

allemands

sortir

comme

Il

voit les fantas-

des fourmis quand

on a frappé du pied une fourmilière. Les

voici

qui dévalent sur notre tranchée du saillant.

Ils

sautent dedans. La fumée blanche qui en sort

indique qu'il s'y livre un combat à

la

grenade. Des

essaims de capotes bleu clair essaient plus loin de

regrimper

les

pentes

déjà inondées de soleil

du :

ils

bois

de

la

Caillette

refluent en désordre


L'ÉTREINTE SE RESSERRE A L'OUEST sur

173

ravin de la Fausse-Côte et redescendent

le

vers l'étang. Les obus éclatent au milieu d'eux,

mais presque personne ne tombe. Puis

mands, en colonne par un, la ils

voie ferrée. Nul doute

tiennent Ils

les Alle-

le saillant est

:

long de

se glissent le

perdu et

ravin.

le

continuent de défiler jusqu'au talus de

voie ferrée.

En nombre toujours

arrivent à la digue,

abordent

le

ils

Fumin

bois

grossissant,

Et

franchissent.

la

la ils ils

retranchements.

et les

Ces retranchements ne sont plus guère que des trous d'obus reliés entre eux,

encore un air

armé

et

nemi dont

:

pu

lui

Fumin

»

R

8

subis-

et

fauchent

les

rampe sur

les

fusils

est aussitôt repérée et fusillée. est

venu bien près

:

on

prendre sur place un lieutenant, un aspi-

rant et quatre soldats terie.

midi, R" et

larve grise qui

«

Tout de même, l'ennemi a

A

leur résistance, enfin, arrête l'en-

mitrailleuses

vagues. Toute

1

avec ses murs en ciment

son haut talus.

sent l'assaut

pentes de

fortifié

saufR qui garde

e

du 41 régiment d'infan-


.

LES DERNIERS JOURS DU FORT DE VAUX

114

ne s'arrêtera pas

Il

près du but, malgré ce

Un

bataillon remplace le batail-

A deux

heures de l'après-midi, nou-

sanglant échec. lon détruit.

si

vel assaut qui se prolonge avec des alternatives

d'avance et de recul. La lutte est chaude dans

boyaux

les

et les tranchées à

grenade, à

Ce qui

revenu

deux retranchements sont per-

tale

produit à la digue, personne n'est

s'est

le raconter.

occupés par

les

Ce qui

adressée d'un

R

2

s'est passé à R* et

3

deux pelotons, une carte pos-

du lieutenant Goûtai qui

camp de

commandant

Lanusse,

la

baïonnette, corps à corps. Mais à

la

trois heures, les

dus.

demi comblés, à

commandait,

les

prisonniers au colonel le

101 e

régiment,

et

datée du 5 juin, mais retardée dans son envoi, est

venue l'apprendre un mois plus

J'ai

rencontré

le

colonel Lanusse

nait de débarquer dans

un

tranchées chaleur,

il

:

comme

il

ve-

un cantonnement de repos,

petit village souriant

mentés de l'Argonne.

tard.

Il

au bord des vallons toursortait

d'une période de

ayant posé sa vareuse à cause de

la

accordait un piano qu'il avait décou-


L'ÉTREINTE SE RESSERRE A L'OUEST

un habitant. Cette bonne fortune

vert chez

un amateur de musique. Une

rare pour

un violon, posés sur une

— Vous — Ou

le

voyez,

détectât,

ma grammaire Avec

même

la

d'un

flûte,

trio classique.

musica

dit-il,

me juvat.

répondis-je en pieux souvenir latine.

simplicité,

il

évoqua pour moi

semaine où son régiment

la terrible

carte

me

est

table, attendaient les

artistes, et aussi la partition

de

175

du lieutenant Goûtai Ta

réjoui

s'illustra.

La

comme une

marche guerrière, mais ne Ta pas étonné.

Il

était

sûr que les choses avaient dû arriver ainsi. Et s'il

appuya sur

ciers,

il

se hâta

lui-même,

il

le rôle

de

tel

ou

tel

de ses

offi-

de rendre justice aux autres. Sauf

me cite tout son monde.

Voici donc

le

témoignage du lieutenant Goûtai qui, en quelques

mots laconiques, résume

Blessé

mands

et

le

défense de R* et

été

»

.

"

Rs

:

ramassé par Alle-

emmené ici. Avons scrupuleusement

ordre donné prétexte

1" juin. Ai

la

exécuté

ne pas reculer d'un pouce sous aucun

C'est ainsi qu'isolés, tournés de toutes


.

176

LES DERNIERS JOURS

parts, nous avons

DU FORT DE VAUX

succombé sous

le

nombre. Je suis

tombé L'un des derniers, frappé en plein ventre par une balle Huret,

tirée

le

à dix mètres de distance. Le lieutenant

Pasquier ,

blessé.

le

L

corps.

front.

Farjou,

L'adjudant

droite broyée et la cuisse balle.

Le sous -lieutenant

bras droit fracassé.

la

main

gauche traversée par une

aspirant Tocabens, cinq éclats d'obus dans

Le

Le

sergent Lecocq, tué d'une balle en plein

reste de la

compagnie à l'avenant. Cette

énumération, plus qu'aucun commentaire, vous dira

comment nous avons compris

notre devoir

et satisfait

V honneur Je vous signale la vaillante conduite du lieutenant

Huret,

de l'aspirant

Tocabens

et

spécialement de

V adjudant Farjou, sur la poitrine duquel la médaille militaire serait bien placée.

Après chaque assaut, c'est

émouvante des chefs

et des

la

même

litanie

gradés blessés ou

morts.

La première

carte écrite le 5 juin par le lieu-

tenant Goûtai du lazaret où

il

est

soigné est


L'ÉTREINTE SE RESSERRE A L'OUEST adressée à son colonel;

femme,

à Toulouse

lui dit-il, ai été blessé

depuis vingt jours,

bataille par

Allemands

et

d'une

emmené prisonnier. Doc-

teur estime qu'il m'en tirera. Confiance! suis

en brave, l'honneur

sa

champ de

ventre. Ai été ramassé sur

balle au

pour

est

Combattant sous Verdun

«

:

seconde

la

177

est sauf.

Mais

tombé

suis navré, car

désormais croix de guerre impossible...

Un mois

plus tard,

de détails, mais braves gens,

la

dit-il

13 juillet,

le

même

pensée

il

donne plus

l'agite

de sa compagnie, se sont

presque tous tuer ou blesser sur place, officier n'est sorti il

ajoute

:

«

indemne de

Gomment ma

un

Tout

que

un

Puis

bienfait de la Pro-

ma

un pouce de terrain

la position

et pas

la bataille.

vidence. Enfin ce sera l'orgueil de

tombé sur

fait

blessure n'a-t-elle pas

été mortelle? C'est encore

n'avoir pas cédé

Ces

:

le

vie

de

et d'être

pays m'avait confiée.

cela, vois-tu, fait oublier la souffrance et

grandit la

mémoire de

morts autour de moi...

tous les braves qui sont »

Enfin, au mois d'août, on le devine remis de 11


sa blessure

plein

et

siens, gentiment, «

DU FORT DE VAUX

LES DERNIERS JOURS

178

d'espoir.

flète

douce France d'où

la

fine et narquoise, la

comme un

demande aux

quelques cigares à dix centimes,

de ces bons cigares de

monte,

Il

fumée bleue qui

re-

coin du ciel miré dans nos belles

eaux limpides où se regardent nos coteaux, nos grands bois, notre terre chérie avec ses vingt siècles

de gloire, d'honneur et de

foi, la

enfin pour qui, avec tant de joie,

d'autres nous avons

sang. t-il

»

Pour supporter

des vers.

lettres

Ne

le

meilleur de notre

l'exil,

sans doute écrira-

convenait-il pas de citer ces

er

1

la

juin?

cours de cette journée du

reurs,

et tant

d'un prisonnier avant de revenir à

journée du

Au

donné

moi

France

er

1

juin, les cou-

presque tous volontaires,

assurèrent les

liaisons

avec un dévouement inlassable.

d'eux arrive au poste de

Fumin, franchissant

L'un

commandement du

— par

quelle chance

!

bois

— un

de barrage très serré.

tir

— Tu dit

aurais pu attendre quelques instants, lui

paternellement

le

colonel.


L'ÉTREINTE SE RESSERRE Mais

— Mon de

la

L'OUEST

1T0

montre l'enveloppe.

il

Deux

A

colonel,

y avait écrit

il

autres sont envoyés

brigade.

En route

qui supprime avec

,

urgent.

:

du régiment au poste

l'un d'eux est tué

parun 1 05

dont il étaitporteur. Son

lui le pli

camarade retourne au poste du colonel, réclame une copie du pli Maîtres

et repart

pour remplir

sa mission.

des deux retranchements,

mands s'avancent dans maintenant forcer R chée du

fort, et ils

l'ouest et

même

hardiesse

le lui

Cependant

par

l ,

bois

le

Fumin.

redoute

la

la

Il

Alle-

leur faut

plus rappro-

aborderont alors le

les

le fort

par

sud. Notre surprise et sa

livreront peut-être sans coup férir. le

du 101 e

colonel

,

en bon chef

d'orchestre, accorde ses dispositions de combat. Il

place ses réserves

cherche

et trouve sa liaison

et creuse la terre la

en barrage dans

nuit suivante

sans relâche,

pour il

s'y

fera

profitant

le

bois,

au ravin des Fontaines

mieux agripper. Toute travailler

ses

hommes

de l'indécision sur

lignes qui paralyse l'artillerie

ennemie, pour

couvrir et organiser son front entre

R

l

les

se

et le ravin.


LES DERNIERS JOURS

ISO

Car er

1

la

juin.

R

redoute

Deux

1

est assiégée dès le soir

tir,

du

mitrailleuses qui battent les pentes

calment l'audace ennemie de

DU FORT DE VAUX

:

«Devant leur champ

on voit des groupes de corps

sur la terre...

»

est déjà tragique

gris

Dans nos tranchées a

:

Partout

le

les pierres

étendus

spectacle

sont ponc-

tuées de goutelettes rouges. Par place, de larges

mares de sang le

violet et gluant restent figées.

boyau au milieu du passage, sur

grand toiles

soleil,

le

Dans

parados, au

des cadavres gisent, raidis dans leurs

de tente sanguinolentes.

de débris sans

nom

:

.

.

Partout des amas

boîtes de conserves vides, sacs

é ventres, casques troués, fusils brisés, éclaboussés

de sang. Au milieu d'un de ces horribles

une chemise toute blanche rouge.

et

tas s'étale

dégouttante de sang

Une odeur insupportable empeste

Pour comble,

les

l'air.

Boches nous envoient quelques

obus lacrymogènes qui achèvent de rendre irrespirable. Et les lourds coups de

marteau des

obus ne cessent de frapper autour de nous. Ce tableau

est

vu

taine Delvert qui

le soir

du

er

1

commande

juin par

la

l'air

le

»

capi-

défense de

R

1 .


L'ÉTREINTE SE RESSERRE

R

1

A

va résister jusqu'au 8 inclus.

que dans

nuit

la

du 8 au

la statue, la

défense de

image en raccourci de épisode de

per

la

nemi

sait

artiste

dans

tailler

le

redoute est une fort.

Cet

R

1 ,

d'ailleurs, se bat iso-

pas ce qui se passe à sa droite,

croit protéger

un des

ou

la

flancs

mort du

quand

fort

l'en-

réussira à passer entre le retranchement

et la contrescarpe.

tance

sera pris

d'un bout à l'autre en

ni à sa gauche, ignore la vie il

la

181

redoute, mieux vaut ne pas en cou-

empiétant sur l'avenir.

dont

1

défense du

la

le récit et le suivre

lément, ne

R ne

Gomme un

9.

ébauche une maquette avant de

marbre

L'OUEST

a,

Celui qui a

pour en être

particulière.

rables notes

mené

l'historien,

une autorité

en partie,

Voici donc,

du capitaine Delvert, du

qu'au soir du 5 où

il

fut relevé

la résis-

les

admi-

2 juin jus-

:

Journal du capitaine Delvert (2-5 juin).

Vendredi 2 juin. ment

alertée.

Nous

— Nuà ?i avons

d'angoisse perpétuelle'

pas

été ravitaillés hier.


.

La

VAUX

LES DERNIERS JOURS DU FORT DE

182

soif surtout est pénible. Les biscuits sont recher-

Un

chés...

obus vient de faire glisser

nest pas tombé loin. Il

commandement par fourrier,

le

pauvre

est

entré dans

la porte et a

petit

ma

C...

broyé

Tout a

plume. Il

le

poste de

mon

été ébranlé.

Pas une

J'ai été couvert de terre. Et rien!

sergent

égrati-

gnure.

Vingt heures. de leur tranchée.

— Les Boches Ici, tout le

d'en face sortent

monde

est

au créneau.

J'ai fait distribuer à tous des grenades, car à la dis-

tance où nous

Les voilà

— En S.

.

.

sommes

le

fusil est impuissant.

!

avant,

coupe

les

enfants! Hardi!

les ficelles et

nous

les

expédions

Les Boches nous répondent par des grenades à fusil,

mais qui portent trop

loin.

surpris par notre accueil, vitesse

— sauf ceux

Ceux qui

sont sortis,

regagnent Sarajevo en

qui restent de place en place,

parfois par groupes, étendus sur la plaine.

De Sarajevo (la tranchée de Sarajevo, occupée par l'ennemi, est à

50 ou 60 mètres à peine de

la re-


.

L'ÉTREINTE SE RESSERRE A L'OUEST doute), on voit des

ombres

se diriger vers l'arrière

:

183

précipitamment

sortir

et

sans doute la seconde vague

qui se dérobe.

— Aux

fusils, les enfants,

feu de poursuite

!

Ch... lance une fusée rouge. Si nous avions un tir

de 75 maintenant, ce serait parfait.

Tout à coup, des flammes fusent derrière nous, avec des torrents de fumée blanche

et

noire.

Ce sont

de véritables jets de flammes. Pas de doute! Ils ont

forcé à droite

més

.

et

nous lancent

ici

des liquides enflam-

.

Mais voilà que de l'incendie montent des flammes vertes et rouges. Je

me

rends compte. C'est

pôt de fusées qui flambe.

Heureusement que

les

le

pareil

dé-

moment!

Boches ont été soignés. Des

malheureux dévalent sur ques

A un

mon

la droite

hommes s'émeuvent auprès

en criant. Quel-

de moi

et

quittent

créneau.

A

vos places! N... deD...! Et vous, tas de

gourdes! vous f...

le

camp parce que deux fusées

flambent!

En

moi?is de

deux minutes

l'ordre est rétabli.


.

LES DERNIERS JOURS DU FORT DE VAUX

184

Les flammes montent

dans

la nuit,

et

bouillonnent sans cesse,

au milieu des obus. A

tout

moment une

nouvelle fusée lance son jet de flammes

L'incendie gagne

commandement d'où

deux langues de feu.

bientôt sortent

d'abord sauver

Un

poste de

le

Le

crépitement.

le

nous faut

grenades qui sont à proximité.

les

sac de cartouches est resté dans

entend

Il

le

brasier, car on

terrible est

que

les

murs

sont faits de sacs à terre et alimentent eux aussi

Et

foyer.

les

obus,

et

les balles

le

qui ne cessent de

siffler.

Enfin ! Toutes blayées. terre,

Le feu, sur

diminue

lequel tombent les pelletées de

d'intensité.

Heureusement grenades.

de grenades sont dé-

les caisses

Il est

les

Boches ont été calmés par nos

vrai que maintenant

en aller chercher d'autres

une autre attaque.

On

si

il

l'on veut

en a vidé près

nous faut résister

à

de vingt

caisses.

— Un homme arrive du poste bidons d'eau — dont un vide

Vingt-deux heures.

du colonel avec cinq

— pour

toute la

compagnie

.

Ce sont des bidons de


L'ÉTREINTE SE RESSERRE

deux

litres.

Cela fait neuf

litres

pour 60 hommes, 8 sergents, 3

V adjudant

A

L'OUEST

185

— à peu près —

officiers.

moi, avec une parfaite

fait devant

équité, la distribution de cette eau, qui sent le cadavre.

Samedi

3 juin.

//

y

a près de soixante-douze

heures que je n'ai pas dormi.

Deux heures nouveau

trente.

Boches attaquent à

:

— Du calme, On

— Les

les

enfants! Laissez-les bien sortir!

A 25 pas!

a besoin d'économiser la marchandise.

Tapez-leur dans

la

gueule!

A mon commandement!

Feu! Et allez donc

!

Un craquement d'explosions bien ensemble! Bravo !

Une fumée

noire s'élève.

les

genoux

se laisse rouler

et

voit les groupes boches

Un ou deux Boches

tournoyer, s'abattre.

sur

On

s'esquivent en rampant.

dans

la

tranchée,

tant

il

se lèvent

Un

autre

est pressé.

Quelques-uns cependant progressent vers nous, pendant que leurs camarades restés dans nous criblent de balles.

la

tranchée


LES DERNIERS JOURS DU FORT DE VAUX

186

Un s'avance mêmejusqu'au réseau Brun, du parapet. D.

A

trois

.

monte aux

beau

en ont assez soleil.

tête.

et l'entrent

Une chanson me

lèvres.

— Vous pris.

Il fait

ils

3 mètres

grenade en pleine

l'écrase d'une

heures trente,

dans leur trou.

.

à

êtes

g aiy mon capitaine.

Evidemment. D'ailleurs quand

le

parti est

A

..

six heures, les brancardiers boches sortent

ramasser leurs

blessés,

f empêche de tirer dessus.

Les Boches passent sans discontinuer occupent B*

.

ISous

sommes menacés de

situation est vraiment terrible.

serre

le

Digue.

Ils

tous côtés.

La

la

Une angoisse indicible

cœur.

....... Ce

pour

soir,

.

.

.

.

.

.

.

.

préparation d'artillerie formidable de la

part des Boches.

Nous serons sûrement attaqués de

nouveau. Je fais rétablir la plate-forme de mitrailleuses dé-

molie dans la journée

et

deux

réparer.

pièces qu'on a

pu

mettre en batterie une des


.

L'ÉTREINTE SE RESSERRE

Pour

boire,

comme

il

L'OUEST

A

pleut, les

hommes

187

ont mis

leurs quarts dehors, et établi des toiles de tente.

A

ces Messieurs

vingt heures trente,

d'en face

sortent de Sarajevo.

Les poilus en sont joyeux

font un

tel

trailleuses

L'attaque

A

barrage à d'un

tel

la

A 15

.

mètres

grenade, appuyé par

feu, que

les

ils

les

leur

mi-

Boches n'insistent pas

est arrêtée net.

vingt-deux heures, un officier parait dans

la

cagna.

Ce sont des renforts, quelques éléments des 124' et

298

La

e

régiments qui viennent coopérer à la défense.

petite

garnison de

R

l

très

,

éprouvée, se trouve

déjà très réduite.

Les obus

se remettent à

tomber.

Impossible d'allumer une bougie dans

commandement Si peu de lumière que .

dehors,

Pour

les

poste de

l'on voie

du

marmites arrivent.

rédiger

suis obligé de

couverture,

le

et

le l'apport

de vingt-quatre heures, je

m' accroupir dans un coin, sous une d' écrire

par

terre.

Quant à reposer une seconde,

il

n'y faut pas son-


188

LES DERNIERS JOURS DU FORT DE VAUX

ger.

Le bombardement ne

d'autre part, twus

nous nous grattons

Dimanche 4

R

pour

mes

l

,

sommes si

«

juin. »

me

une minute

si criblés

comme

Boches!

les

cesse pas

et,

de totos que

nous avions

la gale.

ne sont pas vernis

Ils

jette

en passant un de

poilus.

J'étais à la redoute à organiser la liaison avec

ma

gauche.

— Eh heure-ci,

bien! hier,

me dit

à

la

cette

X...

— Oui! vous avez vu Au même

vous avez eu chaud à

cette distribution

de grenades.

instant, pétarade significative

:

on

se bat

grenade.

Je grimpe en vitesse l'étroite

dans

la tranchée et

Il fait

rampe gui me mène

gagne mon poste de combat.

un temps magnifique. Les grenades

quent de toutes parts. Très beau,

nade

:

le

le

combat à

la

cla-

gre-

bombardier, solidement campé derrière

parapet, lance sa grenade avec

le

le

beau geste du joueur

de balle. S.

.

.,

accroupi près des caisses , coupe tranquillement


.

L'ÉTREINTE SE RESSERRE A L'OUEST

des cuillers et nous les passe avec beaucoup

les ficelles

de simplicité ; une le ciel,

189

fumée

noire, épaisse, s'élève

dans

en avant de la tranchée.

A quatre

heures,

tout est fini.

Encore quelques

coups de fusil. Les derniers sanglots après

la

grosse

émotion.

un

Il fait

encore

Des

soleil

la désolation

cier

s'est

Dans

le

et

.

entre autres,

.

sont entrés

a eu

le

crâne troué.

bout de tranchée qu occupent des bomba?-

diers de la

5e

et

dix

hommes du 124

e ,

deux Boches

ont été bousillés.

et

prisonnier descend. Il a la face imberbe,

yeux hagards «

des tués, ce pauvre D.

sang

dressé sur la tranchée pour abattre un offi-

boche

Un

de ce ravin.

blessés descendent couverts de

On ramène qui

radieux qui rend plus poignante

Kamarade

Il lève ses

.

! »

mains sanglantes en criant

Dans une

salle

vais.

Lugubre,

sombre mal

ce poste de

éclairée d'une

bougie, des corps gémissants sont étendus. Ils

reconnaissent

et

:

Nos hommes l'emmènent en courant

au poste de secours. J'y secours.

les

m'appellent.

me

L'un deux me de-


,

190

LES DERNIERS JOURS DU FORT DE

mande

depuis longtemps;

ses nouvelles

veut que je donne de

il

Un

à son frère.

VAUX

me demande

autre

d'écrire à ses parents.

Le pauvre caporal figure,

me fait

des adieux qui

Et tous souffrent fièvre,

ils

Dans

0..., qui porte la mort sur la

me

atrocement,

tirent des larmes.

car,

altérés

par

la

n'ont pas une goutte d'eau à boire.

la courtine,

classe 16, celui-là; petit, sec,

blond,

autre prisonnier boche, de la

une brute. Puis un unler-offizier

distingué

un

vingt-quatre ans,

:

architecte des environs de Cologne. •

••••• Dix-huit heures.

— Le

......

bombardement recom-

mence.

Le brancardier L..., haletant, quelques instants au

mur

de

vient s'appuyer

mon poste

de comman-

dement. Sa bonne figure d'honnête brave creusée;

les

yeux

cerclés

homme

est

de bleu semblent sortir de

la tête.

— Mon

capitaine, je n'en puis plus.

tons plus que trois brancardiers

:

les

Nous ne

res-

autres sont tués


.

L'ÉTREINTE SE RESSERRE ou

A

L'OUEST

mangé,

Voilà trois jours que je n'ai pas

blessés.

191

que je n'ai pas bu une goutte d'eau, que je ne pas allé à

On

suis

la selle.

que ce corps frêle ne

sent

miracle d'énergie.

On

que par un

tient

parle toujours de héros; en

voici un, et des plus authentiques

L'effroyable canonnade dure toujours.

Et pas de fusées vertes. D...,

R...

et

moi,

nous attendons sous un bas

hangar en planches couvertes de quelques

quinous écrasera. Les mines sont graves.

terre l'obus

On

à

sacs

sent que tous sont seiTés

Vingt heures.

par l angoisse.

— Nous sommes

Vingt-trois heures.

relevés!

— Courrier du

raison des circonstances,

le

colonel

101 e ne peut

:

«

En

être relevé,

i

Merci. Quelle déconvenue pour mes pauvres troupiers! Ils

font [admiration du lieutenant X.

quoi, mais

Lundi

il

.

Il

y

a de

ne m'en reste plus que 39!

5 juin.

les totos s'y

.

— Je

opposent.

reposerais volontiers,

mais


.

LES DERNIERS JOURS DU FORT DE VAUX

192

Le contre-ordre de

que

relève fait

la

compagnie

n'aura pas encore d'eau aujourd'hui. Sitôt

le

contre-

ordre reçu, j'ai envoyé une corvée d'eau. Elle n'est

pas revenue. Elle a dû

être prise

par

le

jour. Elle

sera restée à Tavannes ou au tunnel.

Heureusement

des toiles de tente et

Une

ma

y

hommes vont

étaler

recueilleront de Veau.

soif terrible dessèche la gorge.

Manger du ter

pleut. Les

il

singe avec

du

biscuit

J'ai

faim.

va encore augmen-

soif.

— Mon Ch...

capitaine, voilà

est

du café !

devant moi, tenant des deux mains une

gamelle fumante. C'est bien du café! Je n'en puis croire

mes yeux.

Mon

capitaine,

café ; alors j'ai dit

:

j'ai trouvé des tablettes de voilà

mon

affaire, je

faire du café. Si vous voulez accepter

le

vais

premier

quart?

Ah!

les

braves gens! Je suis

ému à ne

savoir que

dire

— Mais, mon ami,

— Nous

et toi?

en avons d'autre.

Et

tes

camarades?


.

L'ÉTREINTE SE RESSERRE

Mais, je ne puis,

L'OUEST

A

accepter un quart!

ici,

193

Une

gorgée, je veux bien.

— Non,

mon

non,

V..., passe

Tiens,

capitaine,

pour vous.

c'est

donc des quarts ;

la

gamelle, j'en

ai besoin.

Je

me

laisse faire.

de

côté.

quart

Il

mets

Je

précieusement

me permettra

de

manger

le

un

biscuit.

Quels braves gens! Quels braves gens!

Dix-sept heures.

Pourvu

Nous la

— L'ordre

de relève

est arrivé.

qu'il soit définitif!

laisserons nos morts

tranchée.

comme

Leurs camarades

souvenir dans ont pieusement

les

placés hors du passage. Je les reconnais. Voici et et

sa culotte de velours

;

A

.

.

,

pauvre

D... qui allonge sa main cireuse,

lançait si vaillamment la grenade; et

petit, classe

L...,

et

et

celte

C, 16,

main qui

P..., et G...,

tant d'autres!

Hélas! que de lugubres sentinelles nous abandonnons!

Ils sont là, alignés

sur

le

parados, roidis dans

leur toile de tente ensanglantée, dégouttante de sang

— gardes

soleiuiels

et

farouches de ce coin de sol 13


LES DERNIERS JOURS DU FORT DE VAUX

19-4

français au

semblent, dans la mort, vouloir encore

ils

interdire à V ennemi.

Vingt et une heures.

Relève.

Le bombardement ininterrompu, l'incendie dans

voisinage du

le

assauts

quotidiens,

manque

d'eau, le

dépôt de

le

grenades, les

manque de

vivres,

manque de sommeil,

le

l'odeur

des cadavres et celle des obus asphyxiants, l'es-

rongé par

prit

vermine, ces

y a du

qu'il

lui venir

la

hommes

soleil, le

êtes gai,

rire

le

corps par la

ont tout enduré. Et parce

capitaine sent une chanson

aux lèvres.

— Vous — Évidemment. Tout

mort comme

est là.

Un

mon

capitaine.

D'ailleurs,

quand le parti est pris !

soldat qui passe jette dans

un

:

Ils

ne sont pas vernis pour

Oui, tout est tenir à soi.

:

R

l

,

les

Boches!

tenir à son poste et ne pas


L'ÉTREINTE SE RESSERRE A L'OUEST e

La 6 compagnie du 101

e

195

est relevée le 5 juin

au soir par une compagnie du 298 e qui résistera trois jours encore,

dans des conditions de plus en

plus précaires, mais qui sera débordée dans la

nuit du 8 au 9. L'ennemi a pu progresser sur la droite. lui a

La chute du

fort, le 7

juin au petit matin,

donné un point d'appui.

Mais

R

1

,

pendant tout

7 juin, a flotté

le siège

comme une barque

vagues au flanc du grand navire.

du

fort,

du 2 au

victorieuse des


III

l'étreinte se resserre a l'est

Le 2

du matin,

juin, à six heures

Tahon, commandant

commandement du

le

village de

sur

Damloup

le

secteur qui s'étend du fort de

Le plateau qui porte l'est

colonel

le

142 e régiment, prend

Vaux au fond de Dicourt, au

diatement à

juin

2

:

le

sud-est.

le fort s'infléchit

fond de

est bâti

la

immé-

Horgne. Le

au bord de

la

Woëvre,

au point de chute d'un promontoire qui sépare le

ravin de la

fond de

de

la

la

Horgne

et le

fond de

Gayette s'appuie à

la

la

hauteur boisée

Laufée, laquelle est battue par

Dicourt.

Il

n'est pas inutile

Gayette. Ce

le

fond de

de rappeler une

fois

encore cette configuration des lieux. J'ai let,

vu

le

colonel

Tahon un dimanche de

au nouveau poste de commandement

juil-

qu'il


L'ÉTREINTE SE RESSERRE

L'EST

A

197

occupait alors dans l'Argonne. Ce poste se cachait

dans un nid de verdure. L'air l'ombre

même

était

chaude. Entre

des insectes bourdonnaient dans

de clarté. Gà

et là,

les intervalles

on rencontrait une sentinelle

tation de forêt vierge. Pas

intrus. Sans ce rappel,

arrêt de la vie que le

campagnes

les

Autrefois

Dans

Un

passait,

:

la

y

cette végéfusil;

par-

comme un

on aurait pu croire à cet

promeneur remarque dans

dimanche. Autrefois, ce coin de

violemment disputé

sol fut

faisait

le

un coup de

un obus

seulement,

branches,

les

ou une corvée, troublant de leur pas

fois,

embrasé,

était

a-t-il

donc

si

et arrosé

de sang.

longtemps?

cagna soigneusement recouverte,

il

une fraîcheur de cave assez appréciable.

certain confort y régnait

:

des fauteuils, une

table et sur cette table une[ photographie, des plans, des cartes. vite

Terrant

:

Le goût du home reprend

l'abri

banal qu'il faudra quitter

demain devient en quelques

instants

quelques instants un intérieur. Ce |que fait

si

et le

pour 142* a

dans ces mémorables journées de juin, je

l'ai


LES DERNIERS JOURS DU FORT DE VAUX

198

su

là,

de

bouche de son chef, soucieux d'en

la

parler avec équité et de contenir l'élan qui le

hommes;

portait à glorifier ses

je l'ai su de la

bouche de ces hommes qui étaient revenus de vu soi-même,

loin. Si l'on n'a pas

il

si

reste à inter-

roger ceux qui ont vu. Lorsqu'il vint occuper son poste le 2 juin, à six heures,

une partie de

disposition

du précédent commandement,

déjà en ligne.

Le 2

e

son du fort dont l'est

avec

Damloup

les

e 7% 8

compagnie

et 5

e .

et la batterie

mandant Bouin)

,

Le

er

1

6

Le

e

)

plein.

la garni-

nord

la

le 3

et à

e

(com-

Laufée. La nuit

fort avait subi des assauts.

bruits couraient

:

le fort

aurait été

on aurait aperçu des ombres sur

pris,

était

bataillon occupait

de Damloup;

Dicourt et

avait été très agitée.

De mauvais

(la

tenait les abords au

il

la

(commandant Ghe-

bataillon

vassu) formait d'une

mises à

ses troupes,

le terre-

Les gaz d'innombrables obus asphyxiants

empoisonnaient encore l'atmosphère au lever du jour

de

la

:

dans

les ravins,

spécialement dans

le

fond

Horgne, leurs nuages traînaient, pareils à


L'ÉTREINTE SE RESSERRE ces buées

montent

qui

A L'EST

matin de

le

199 la

terre

humide.

A

huit heures, un sergent accourt tout suant,

essoufflé, effaré.

— Damloup Il

tir

est

perdu. Les Boches arrivent.

faut prendre des mesures immédiates.

de barrage est demandé à

et à Test

de Damloup et dans

de façon

le

en avant

ravin de la Horgne,

empêcher toute progression ennemie.

à

Le bataillon Bouin pagnies

l'artillerie

Un

11

(la

e ,

est alerté, et l'une

capitaine Hutinet)

de ses com-

rapprochée

pour contre-attaquer immédiatement. La 4 e compagnie (capitaine Cadet), qui a été détachée du bataillon de nit la

Damloup pour

tenir la batterie, gar-

tranchée de Saales qui

les relie afin

poser à toute sortie des Allemands

s'ils

de s'opessaient

de déboucher du village. Enfin des renforts sont

demandés

à la brigade, qui

du secteur

le

met

bataillon Pélissier

à la disposition e

du 52 régiment.

Des coureurs qui ont pu s'échapper de Damloup viennent confirmer la nouvelle apportée par le

sergent.

A

la

faveur des épaisses et mortelles


DU FORT DE VAUX

LES DERNIERS JOURS

200

vapeurs produites par

obus asphyxiants

les

stagnent dans les fonds de

la

Horgne

Gayette, l'ennemi a pu pénétrer dans

On

l'alarme.

de

et

la

le village.

Les guetteurs intoxiqués ou surpris ont

samment donné

et qui

s'est battu

insuffi-

dans

les

caves et dans les maisons, sous les jets des flammeniverfer et des grenades tardive qui n'a pas sauvé

:

défense

difficile et

Damloup. Et l'ennemi

va certainement tenter d'avancer sur

promon-

le

toire.

La compagnie Hutinet

le

peu de temps pour gagner par

boyau de

le

bout de laquelle

la

prévient.

troupe s'en vient hardiment à ciers et sous-officiers et

suit la jetée

au

et

la

marcher sur

comme

cette

rescousse, offi-

en tête! Bien peu de temps

l'ennemi a déjà organisé sa conquête.

Un la

et,

se trouve le village,

Damloup. Bien peu de temps,

a fallu

de combat

l'abri

Bruche qui

Il lui

officier

défense de

de

la

compagnie qui

la batterie

:

«

préposé à

de Damloup,

le sous-

et

donne ces

Nous voyons nos camarades

partir tête

lieutenant Brieu, a suivi détails

est

le

combat


L'ÉTREINTE SE RESSERRE

d'obus. Mais les Allemands ont

démolie et

de barrage achèvent de briser

En quelques

attaque.

amené des mi-

qui faucbent nos pauvres poilus, et

trailleuses tirs

et l'on

la

le

deux sous-lieutenants grièvement

compagnie

e

est

capitaine Hutinet

lutte

viennent se réfugier près de nous.

Le

blessés.

encore, mais

son effectif est des plus réduits et

À

les

ce

débris

moment,

colonel Tahon, mis au courant, nous donne

l'ordre de tenir à tout prix la batterie et

cher

les

organise 11

contre-

instants la pauvre 11

nous ramène

restant de cette

le

iOl

de trou d'obus en trou

baissée en bondissant

leurs

A L'EST

e

ainsi

Boches d'avancer. Le capitaine Cadet la

e

position avec la 4 et les restants de la

qu'avec une section de mitrailleuses.

Nous nous mettons au nous sentons que prendre

la

pons. Toute vive...

d'empê-

les

travail

avec activité, car

Allemands vont chercher à

position importante que nous occula

journée, nous

sommes

sur

le

qui-

»

La contre-attaque de

la

1

1'

compagnie du

l

a donc été fauchée par les mitrailleuses installées


202

LES DERNIERS JOURS DU FORT DE VAUX

à la sortie de

de

Damloup, juchées sur

épargnés par

toits

mulées derrière

les

les

er

1

des grenades

lui

bombardements,

effectifs plus

du 52 e

bataillon

morceaux dissi-

pans de murs. Faut-il

recommencer avec des Le

les

est

la

importants?

prêt à marcher

:

ont été distribuées. Mais les

quelques heures qui se sont écoulées ont permis à l'ennemi de se

mieux retrancher. Damloup, du

côté ouest, est plus aisé à défendre qu'à attaquer.

Les ravins qui

le

flanquent sont jusqu'aux pentes

sud aux mains des Allemands et qui y conduit est étroit.

En

le

promontoire

outre, des renforts

ont été vus qui venaient de Dieppe, des travailleurs ont été signalés à l'artillerie sur les faces

ouest et sud. Mieux vaut fortifier la batterie de

Damloup,

les

du fond de organiser

la

pentes sud du fond de la Gayette et

Horgne

et profiter

de

la

nuit pour

solidement cette nouvelle ligne qui

peut tenir. Et l'on se met au travail tandis que l'artillerie

ennemis «

Les

disperse sans cesse les rassemblements

et arrose le village

hommes

perdu de Damloup.

creusent et se mettent à l'abri. Le


L'ÉTREINTE SE RESSERRE A L'EST

203

déluge de fer a recommencé et dure toute c'est

le

la nuit

:

vacarme assourdissant des explosions

ininterrompues.

»

Le lendemain, au lever du

jour, la situation s'est améliorée et de pied ferme

hommes

nos

attendent

les attaques.

Le bombardement qui

les

précède bouleverse

tranchées aménagées hâtivement, face à

les

loup, et écrase la batterie. C'est

provoque l'incendie. Ce n'est qu'à

du

soir

Ici,

les

tocsin qui

trois

Allemands montent à

je recours à la relation

Brieu

«

que

le

Dam-

heures

l'assaut.

du sous-lieutenant

:

Le

3, le

jour se lève, trouvant chacun à son

poste et dans une situation améliorée. Je pense

rêveusement à ce que cette journée nous réserve et

j'examine mes hommes.

fatigués, cela se qu'ils

lit

Ils

sont certes très

sur leur figure, mais on voit

sont décidés et qu'on peut compter sur

eux. «

J'ai

nombre

eu hier pas mal de tués s'est

accru

la nuit et ce

et

de blessés;

matin

le

le

bom-


LES DERNIERS JOURS DU FORT DE VAUX

204

bardement me pauvre ami

fait

encore des victimes dont

lieutenant Métayer,

le

tué

mon

à son

poste, d'une balle au ventre. «

Tout à coup, vers quinze heures,

allemande qui son Ils

tir et

fait

rage depuis un

l'artillerie

moment

allonge

nous voyons des Boches qui s'avancent.

sont fauchés par nos balles de fusils et de

mitrailleuses.

Ils

redoublons notre

hésitent et s'arrêtent et nous tir

pendant que

celui de nos

mitrailleuses s'arrête. Je regarde et je vois au

milieu de

la

poussière des ombres qui s'agitent.

C'est le sergent Favier qui, sorti

indemne, déterre

sa pièce, la nettoie sous le feu de l'ennemi et,

aidé de ses

hommes,

quillement qu'à «

la

la

met en place

aussi tran-

manœuvre.

Vers dix-sept heures, nous voyons, à notre

grande surprise, une soixantaine de soldats français sortir des tranchées allemandes. Ils viennent

sur nous. «

Ils

ont des grenades et vont

Feu! ce sont

cri

que

et les

les

les

Boches!

»

J'ai à

les

lancer

:

peine lancé ce

feux de salve se succèdent rapidement

quelques Boches habillés en Français qui


.

L'ÉTREINTE SE RESSERRE A L'EST

205

n'ont pas été atteints s'enfuient éperdus

et re-

gagnent leurs trous. «Vers dix-neuf heures, de deux côtés à

du nord batterie

d'assaut

de

et

ils

;

la

l'est,

les

la fois,

Boches s'avancent sur

la

veulent nous encercler et prendre

position confiée à notre garde. Mais

nous tenons bon,

l'artillerie

barrage efficaces,

le bataillon

exécute des

tirs

de

e

du 52 nous envoie

des renforts et nous repoussons toutes les attaques

Des Boches tombent à moins de dix mètres de batterie.

Certes,

les

minutes sont angoissantes,

mais nous devons tenir coûte que coûte l'ordre et nous l'exécutons. velle

la

A

:

c'est

vingt heures, nou-

attaque, nouvelle défense de

notre part.

Enfin, nous pouvons respirer, enterrer nos morts,

évacuer nos blessés, reconstituer nos positions et

nous préparer à repousser de nouveaux assauts. Mais c'est pas,

trois

la

nuits

qui

ajoutent

leurs

tout ce que nous avons enduré

Qu'importe, personne ne songe à il

dormons

troisième nuit que nous ne

fatigues à

précédemment. se reposer, car

faut garder le sol qui nous est confié.

.

.

»


LES DERNIERS JOURS DU FORT DE VAUX

206

Les Allemands ont attaqué batterie de trois côtés

la

position de la

à l'est en débouchant

:

Damloup avec des uniformes

village de

au nord face à

la

tranchée de Saales

en montant du ravin de assauts ont échoué, mais

français;

à l'ouest

;

Horgne. Tous leurs

la

ils

du

sont parvenus jusqu'à

dix mètres de la batterie. L'alerte a été chaude et

rude

combat. Le bataillon

le

soutenu

le

choc ou

l'a

du 52 e a

Pellissier

prévenu. Les feux des deux

bataillonsGhevassuetBouindu 142 e l'un à gauche, ,

l'autre à droite, l'un au-dessus

Horgne,

du ravin de

du ravin de

l'autre au-dessus

la

la

Gayette,

ont mitraillé l'ennemi. Les pertes de celui-ci ont été considérables. les

On

a

pu voir dans

les

fonds

taches des uniformes gris-vert se multiplier.

L'ordre donné prescrivait de

avec

la

résister sur place

dernière énergie et de maintenir nos posi-

tions ». l'être

«

Il

a été fidèlement exécuté. Pourra-t-il

dans sa seconde partie,

Par suite des pertes et de

hommes,

la situation est

nue à

grouper dans

se

le

lendemain?

l'état

de fatigue des

grave. L'ennemi conti-

le

ravin de la Horgne

:


L'ÉTREINTE SE RESSERRE A L'EST

207

notre artillerie tire sur ces rassemblements qui

mais

se dispersent

reforment. Et sur

se

la crête

de Vaux des sections allemandes apparaissent que nos mitrailleuses prennent pour cible. Le fort est-il

encore à nous? C'est l'angoissante question

qui se pose.

Une

patrouille exécutée en avant de la batterie

ramène deux prisonniers d'après

renseignements

les

cinq compagnies

du

autres, sorties

taquer «

du jour

à la pointe

fournissent,

qu'ils

occuperaient Damloup, village, seraient

trois

chargées d'at-

la batterie.

Toute

la

nant Brieu,

lemment

journée du 4, note

les

et,

C'est à ce

sous-lieute-

le

Allemands nous bombardent

dans

la

soirée,

brusquement encore. Notre

moment que

le

ils

vio-

nous attaquent

fusillade les arrête.

brave et cher capitaine

Cadet tombe, frappé d'une balle au front,

pendant que deux soldats emmènent

peu en

arrière,

tir

le

et,

corps un

nous continuons de nous battre.

Enfin, dans la soirée, nous

Un

:

sommes

relevés.

efficace de notre artillerie sur

»

Damloup,


DERMERS JOURS DU FORT DE VAUX

LES

203

sur

le

Horgne

ravin de la

rie disperse les forces

et

en avant de

ennemies, et

la batte-

passe

la nuit se

e sans attaque. La relève, par un bataillon du 305

bom-

s'accomplit sans pertes. Le 5 juin, nouveau

bardement

et

fauché avant Il

nouvel assaut parti de

même

la

Horgne

du

s'est passé à l'est

er

1

.

lant

L'ennemi,

le

Vaux

fort de

er 1

le

2 juin et

d'Hardaumont dont

a été barré au bois

qu'à

la nuit

attaques.

s'est

il

Fumin

du 8 au 9 juin,

De même,

dès

juin, s'est jeté sur le sail-

emparé. De

a pénétré dans les retranchements il

et

de déferler.

les jours suivants ce qui s'est passé à l'ouest, le

,

le

R

et 1

R3

et

devant

là,

il

R 2 mais ,

R

1 .

Jus-

résiste à toutes les

2 juin, les Allemands,

profitant de leur préparation par les gaz, occupent

Damloup, mais dit le

la batterie

débouché du

contre cette batterie

de Damloup leur inter-

village. le

forces sans cesse accrues

En

vain se ruent-ils

3 et le 4 juin avec des :

ils

ne parviennent pas

à y entrer. Plus heureuse encore que celle de sa

défense

Encore,

le

se

prolongera jusqu'au 2

2 juillet, l'ennemi en sera-t-il

R

1

,

juillet.

immé-


L'ÉTREINTE SE RESSERRE

diatement chassé tenir,

que

Ainsi le

du

le

a

L'EST

n'y rentrera-t-il,

et

209

pour y

10.

mouvement

destiné à l'enveloppement

fort a-t-ii été entravé à droite et à

gauche par

des défenses accessoires qui n'ont pu sauver fort,

mais qui,

même

après sa perte, ont ralenti

le

la

marche ennemie.

La

belle défense de la batterie de

Damloup

été soutenue par des unités réduites n'ayant

leurs vivres

de réserve,

souffrant du

a

que

manque

d'eau et privées de tout repos, de tout sommeil. 11

semblait que

dît la position

la

brusque perte de Damloup ren-

presque intenable. Mais y

a-t-il

une position intenable pour une troupe décidée?

Le

fort

de Vaux va nous révéler de

nouvelles

puissances d'endurance.

u



LIVRE IV

LA

SEMAINE TRAGIQUE



LA

BATAILLE SUR LE FORT

Ceux qui ont pu drame. Toutes soit à

les

sortir

du

(2 JUIN)

fort ont raconté le

scènes qui se sont déroulées,

l'extérieur, soit à l'intérieur, et qui sont

relatées ont été vues et vécues.

ici

sont

ici

parlé. Jusqu'au nie,

par

il

le

a

moyen de

La tempête

er

1

la

dans

commandement

de ses signaux.

juin a été chargée d'angoisse.

a obliqué sur la

gauche, mais

l'air

Bazil a été

digue a été franchie, l'ennemi a pénéle bois

Fumin. Sur

ments qui jalonnent fort,

a

jusqu'à l'ago-

imprégné d'orage. Le ravin du

perdu, tré

le

ses pigeons et

lui-même

fort

le

moment suprême,

communiqué avec

La journée du

reste

Enfin,

les acteurs.

Les témoins

les

deux ont cédé. R

l

les trois

retranche-

pentes entre l'Étang et tient encore,

mais

le

suffira-


214 t— il

LES DERNIERS JOURS DU FORT DE VAUX à contenir l'ennemi? Entre

R

1

et le fort, la

tranchée de la Courtine et celle de Besançon qui

un contour au

aboutit par

coffre double (nord-

demi éventré, sont garnies par

ouest) à

pagnie du 101 e régiment. Devant

chée qui

protège

le

et,

la 7

e

com-

le fort, la tran-

plus à l'est, la tranchée de

e Belfort sont occupées par la 7 et la 8 compagnies e

e

du 142 régiment, dont

la 5

e

est sur le plateau,

en soutien. Ces troupes suffiront-elles à contenir les

Ne

assauts?

l'ouest par le bois le

fond de

fait

seront-elles

Fumin, à

l'est

Horgne sur quoi

la

pas

débordées à

par Damloup et

bombardement

le

rage?

La nuit

est toute

innombrables des fusées

sombres

animée

tremblante des

éclairs des batteries, des ascensions

et

de leur chute en

qu'elle,

des

colonnes

montent des éclatements. De

homme

et

étoiles.

de

Plus

ténèbres

l'observatoire,

un

de garde signale des mouvements au bas

des pentes.

Personne ne dort,

blessés à bout de forces.

appuyé sur

sauf quelques

Le commandantRaynal,

sa canne, fait le tour des couloirs.

Il


LA BATAILLE SUR LE FORT parle peu,

il

est

énergique rassure.

préoccupé, mais «

Les

215

son attitude

officiers, dit

un témoin,

passaient sans cesse au milieu de nous, leur calme habituel,

mais nous

l'heure était proche, car détails.

la

le lever

et les vagues,

:

elles

avant sans être rompues, et

contre

que les

du jour,

en demi-

déferlent contre nos défenseurs. Notre

barrage a été tardif

contre

sentions

examinaient tous

heures quinze, avant

ennemi s'allonge

cercle,

avaient

»

A deux le tir

ils

ils

les voici

qui arrivent

tranchée du fort qui leur

la la

ont pu se porter en

fait face,

tranchée de Besançon à l'ouest, contre

tranchée de Belfort à Test.

En

face, elles se heurtent à la 7 e

142 e régiment qui

les reçoit

Le premier peloton

compagnie du

à coups de grenades.

se fait tuer sur place après

avoir infligé à l'ennemi des pertes sévères. Le

second, qui était en soutien, se précipite à

la res-

cousse et c'est une ruée formidable contre dos forces plus

nombreuses

qu'il

empêche de

passer.

Le capitaine Tabourot commande ce peloton de


216

LES DERNIERS JOURS DU FORT DE VAUX

Un

renfort, assisté de l'aspirant Buffet.

de

capés a

fait

lui

ce portrait

bourot

se battait

comme un

nait tous de sa haute taille,

d'une voix brève, plaçait. Puis,

grenades

il

il

fois.

lion.

Il

donnait ses ordres

il

un peu en

nous

et

le

sac aux

arrière,

il

bras, tranquillement, visant

Alors, cela nous excitait, et nous

faisions de la belle besogne.

ça n'ait pas duré

!

Quel

dommage que

»

L'héroïque troupe est tout à coup derrière, entre la tranchée et le fort. effet, la

nous domi-

puisa lui-même dans

les lançait à plein

chaque

Le capitaine Ta-

nous encourageait

se renversant

et,

«

:

des res-

par

assaillie

A

l'ouest,

en

tranchée de Besançon, après avoir re-

poussé un premier assaut, a cédé. Sa petite garnison,

débordée,

s'est

vers

repliée

le

coffre

double où se trouve l'une des deux entrées du fort. Déjà,

il

a fallu transporter à l'intérieur l'in-

trépide lieutenant Tournery,

la

tète

traversée

d'une balle, qui, mortellement frappé, mettra trois jours à

mourir sans avouer

troupe qui cesse d'être

ses tortures.

Une

commandée cherche un


LA BATAILLE SUR LE FORT abri pour se refaire.

dans

par

fort

le

verture. Mais l'ennemi

devant

interdit par

pu

Le

défend l'ou-

elle

se

glisser

fossé

nord

un canon-revolver placé dans

double, mais, -peloton

dont

a

contrescarpe.

la

décimée, rentre

Celle-ci,

le coffre

217

le

longeant,

a

il

jusque est

lui le

coffre

pris à revers le

du capitaine Tabourot.

Le capitaine nade qui

«

Domptant

sa douleur, dit le

ne

laissa pas

échapper une plainte

deux jambes. il

par derrière d'une gre-

brise les reins et lui décbiquette les

lui

déjà cité,

est atteint

témoin et

je le vois encore passer devant nous, porté par

deux de

ses sergents.

montrait l'ennemi.

Il

était

pâle, mais

il

nous

«

Les brancardiers l'emmènent à l'infirmerie. Le cortège pénètre à l'intérieur par

la

brèche du coffre

simple nord-est. Les médecins doivent pratiquer

immédiatement l'amputation double des chevilles.

Le commandant Tlavnal vient

un peu plus brève

:

tard. L'entrevue des

le

rejoindre

deux soldats

aucune parole de consolation,

est

aucune

fausse espérance. L'un se devine perdu; l'autre


LES DERNIERS JOURS DU FORT DE VAUX

218

l'estime trop pour recourir au

accolade, puis tente de dire

le

commandant du

êtes

Le capitaine pense à

con-

un brave.

ses

commandant,

Ma compagnie

passé.

fort se

:

— Tabourot, vous

— Mon

mensonge. Une

hommes

:

Boches n'ont pas

les

leur a barré le chemin.

Après ce témoignage,

cun a repris son poste.

il

Il

ferme est seul

les

yeux. Cha-

avec

le

méde-

cin auxiliaire Gaillard parmi les blessés qui se

lamentent.

Il

réclame après un instant l'aspirant

Buffet. Mais l'aspirant Buffet se bat avec le reste

de

la

compagnie. Il

faut le laisser, dit le mourant.

au médecin auxiliaire Gaillard cette

dicte

Il

lettre

pour

sa

femme

:

«

Ma

à mort, j'ai été tué en faisant bien et

maman,

ma

chérie, je suis blessé

mon

devoir. Soigne

je t'aimais bien, je vous embrasse, toi

petite fille.

»

Déjà

il

parle de lui

comme

s'il

n'était plus.

Un peu lui-même

plus tard, l'aspirant le rejoindre.

Menacé

Buffet vient de d'être tourné, ce


LA BATAILLE SUR LE FORT qui restait

du peloton

pour rentrer dans

— Approche, si

tu reviens

la

femme comment je En

se frayer

un passage

le fort.

mon

de

a

219

paix avec ses

petit; toi qui es

guerre, suis

de Dijon,

tu iras dire

à

ma

mort.

hommes

conscience de

et sa

chef, le capitaine s'est tourné vers son foyer. Ce

furent ses dernières paroles. Désormais, jusqu'à la

mort qui tarde de quelques heures,

il

réserve

toutes ses forces à ne pas accuser les horribles

blessures auxquelles

il

ne pouvait survivre.

Déjà son

nom

court dans la nuit, porté par un

pigeon qui

s'est

envolé du fort à trois heures du

matin «

:

L'ennemi

est

autour de nous. Je rends

hommage

lu brave capitaine Tabourot, très grièvement blessé r

e

142 )

:

nous tenons toujours.

»

Quelques heures plus tard un second pigeon annonce «

sa

mort

:

Capitaine Tabourot, du

142

e ,

mort glorieuse-

ment, blessure reçue en défendant la brèche nord-est.

Demande pour

lui

Légion d'honneur.

«


220

LES DERNIERS JOURS DU FORT DE VAUX

Ce n'est

qu'une partie du message

:

l'autre

aux opérations.

a trait

Cependant

les

Allemands sont parvenus aux

deux brèches ouvertes, l'une dans nord-ouest et l'autre dans est. Ils essaient

le coffre

le coffre

d'en forcer

le

double

simple nord-

passage.

A chaque

entrée, c'est une lutte corps à corps. Sur la droite,

sont tout d'abord repoussés.

ils

dit

un des combattants,

«

Nos grenades,

faisaient des vides dans

leurs rangs, mais des renforts arrivaient toujours.

Leurs morts

et leurs blessés

formaient des

mouvants que venaient encore déchiqueter de nos projectiles.

éclats

On

se bat

maintenant dans

fait installer

les

»

les

coffres, conduisent à l'intérieur.

Raynal

tas;

gaines qui, des

Le commandant

des barrages de sacs à terre

préparés à l'avance.

Au

dehors,

la bataille n'est

pas moins violente.

Le bataillon Ghevassu, du 142 e régiment, va

se

trouver dans une situation critique. L'ennemi, s'il

est

contenu à l'ouest du

ment R dont 1

il

fort par le retranche-

ne peut s'emparer, a réussi à

se


LA BATAILLE SUR LE FORT glisser entre la courtine et le fort.

Damloup

côté sud. D'autre part,

ou sept heures du matin,

arrive sur le

11

a été pris à six

par

et,

221

le

ravin de

Horgne, des forces nouvelles montent

Le bataillon Ghevassu, qui dans

le fort (la

mandait la

le

6

e

effet sur la

un

,

:

la 7

la

e

que com-

a dans sa mission il

se maintient

tranchée de Belfort et sur

de Montbéliard où corps.

de

et les débris

défense du côté est du fort

à l'assaut.

deux compagnies

a

capitaine Tabourot)

la

lutte devient

la

en

tranchée

un corps à

Le sous-lieutenant Huguenin, attaqué par désarme

soldat ennemi, le terrasse, le

bat avec

et se

de son adversaire. Les Allemands

le fusil

reculent, mais reviennent à la charge, l'après-

midi, baïonnette au canon. Les

hommes du 142%

renforcés d'une compagnie du 53

au

cri

de Vive

Cependant,

la

e ,

les

reçoivent

France!

le

bataillon

est

menacé

d'être

tourné. Ses sections de mitrailleuses se déplacent, font face de trois côtés, en avant, du côté de

Damloup

à l'est, et à l'ouest contre l'ennemi qui

débouche au sud du

fort.

Les chefs de pièces


LES DERNIERS JOURS DU FORT DE VAUX

222

désignent calmement

Le sergent

objectifs.

les

Narcisse qui se tenait debout auprès de sa mitrailleuse est tué d'une balle en plein front. C'était

un brave qui bataille

avait reçu la médaille militaire à la

de Champagne. Le caporal Réveille

remplace

et crie à ses

pas de bile, je

hommes

:

«

Ne vous

me charge de nettoyer

les

le

faites

Boches.

»

Les observateurs en ballon signalent au nord

du

fort des troupes

de plus en plus nombreuses

qui se terrent dans nos anciennes tranchées pour éviter nos barrages et gagner les intervalles.

En

réalité,

il

du

terrain

pendant

n'y a plus de tran-

chées, rien que des trous d'obus qui ne sont pas reliés entre eux, ce qui explique le

manque de

liaison entre les sections et l'infiltration

A midi, fort, la

heures, «

ennemie.

une quarantaine d'hommes sont vus sur le plupart cachés dans des trous. le fort

L'ennemi

donne lui-même de s'est

emparé des

et blessés.

quinze

ses nouvelles

coffres nord-est

nord-ouest. Je poursuis la lutte dans

breux réfugiés

A

les

gaines.

:

et

Nom-

Officiers et soldats font

tout leur devoir etnous lutterons jusqu

au bout.

»


LA BATAILLE SUR LE FORT

A

223

sept heures du soir, les observateurs sur les

postes de la redoute de Fleury signalent que des

éléments d'infanterie en

files

de plusieurs com-

pagnies montent actuellement du nord au sud, à la

corne nord-ouest du fort de Vaux.

ladent le

se

le

fort

esca-

Ils

et disparaissent à l'intérieur

par

sommet. Pendant ce temps, d'autres groupes glissent le

long des tranchées entourant

le

fort.

Et à deux heures du matin,

mandant optique «

Raynal

envoie

encore

com-

message

ce

:

Situation inchangée. L'ennemi irai aille sur

dessus

et

autour de l'ouvrage. Faire battre

petits calibres.

le

les

fort par

L'ennemi occupe en nombre nos an-

ciennes tranchées premières lignes //

le 3 juin, le

et les a

renforcées

.

semble avoir une tranchée armée mitrailleuse face

au sud-ouest, non Cette

loin

du fossé de

la

g or (je.

mitrailleuse n'est pas dans

gorge, mais sur la superstructure

où l'ennemi a réussi à bat le côté sud.

Il

est

la

le

de

fossé

même

du

fort

transporter et d'où

impossible de

le

il

déloger du


LES DERNIERS JOURS DU FORT DE VAUX

224

terre-plein

tourelle de

la

:

75 est démolie,

il

n'existe pas de tourelle de mitrailleuses, et l'on

a vainement essayé de passer des mousquetons

par

des observatoires, mais ces armes

les fentes

trop longues n'ont pas sins

pu

servir à tuer les fantas-

allemands qui n'en étaient qu'à quelques

mètres.

La 8

e

du

face sud

compagnies

fort a été

2 juin par la soir,

e

1 I

e )

,

les

renforcées

le

e

et

matin du

compagnie du 53 e régiment

par un bataillon du

5

de mitrailleuses du

et la section

bataillon Ghevassu (142

sauvée par

même

et, le

régiment. Ce

bataillon devait contre-attaquer sans retard, mais il

arrive à pied d'œuvre très éprouvé par les tirs

de barrage subis en cours de route, et doit se

borner à tenir

le terrain,

à reconstruire les tran-

chées détruites et à s'intercaler entre réduites

Donc, nord il

est

du 142 le 2

et ouest.

les sections

e

au

.

soir,

l'ennemi est dans

Contenu en partie à

l'est et

maître des deux coffres nord et

progresser dans l'escalier.

En

les fossés

outre,

il

il

au sud,

essaie de

a grimpé


FORT

LA BATAILLE SUR LE dessus, et là côté sud.

il

225

bat de ses feux de mitrailleuse

Toute

devient

sortie

sinon

difficile,

impossible. Toute communication est coupée.

que

reste

les

est entassée

pigeons et

dans

les

les

Il

ne

signaux. La garnison

casernes. Elle peut accéder

encore aux observatoires

et

au coffre simple sud-

ouest qui n'a pas d'ouverture sur l'on a

le

le

dehors, où

pu installer une mitrailleuse pour battre

le

fossé sud.

— Nombreux

réfugiés

mandant Raynal.

C'est

celui de l'extérieur. et trop

et blessés,

a signalé le

com-

un danger presque égal

à

Le spectacle trop rapproché

continu des mourants et des morts qu'on

ne peut emporter risque de démoraliser

la

garni-

son. Les ordres se transmettent plus lentement

dans

les couloirs

encombrés. Enfin,

s'il

y a assez

de viande de conserve et de biscuits pour tous, l'eau va

manquer.


II

LE FORT APPELLE

Roland qui passe les

dit

aux

«

:

Je sonnerai de l'olifant,

défilés, l'entendra. Je

Francs rebrousseront chemin...

Roland a mis bien

et

hautes

»

H

l'applique

sonne de toute sa force. Les montagnes sont et le

son se prolonge.

gnons V entendent

...

vous assure que

l'olifant à sa bouche.

On

à trente grandes lieues. Charles

taille.

Charles,

et

.

Le

roi dit

:

en entendit l'écho

«

compa-

tous ses

et

Nos gens ont ba-

»

Le comte Roland , à grand'peine,

effort, et avec

grand

à

une grande douleur sonne à son

oli-

fant. Le sang clair jaillit de sa bouche. Près de son front, sa tempe est rompue. Mais le son de son cor

porte

si

Naimes

loin! Charles

V entend qui passe aux

l'entend... Et le roi dit

:

«

défilés;

J'entends

le

cor


LE FORT APPELLE de Roland. taille.

Il

ne sonnerait pas

22"

ny

s'il

avait ba-

»

Le comte Roland

...

a

bouche sanglante.

la

tempes sont rompues. Avec

Auprès de son front

les

douleur

sonne V olifant. Charles

et

peine,

il

Français l'entendent. Et haleine.

qui

est

»

Le duc

en peine.

il

:

a

répond

:

Ce cor «

C

a longue

est

Roland

trembler

l'olifant qui firent

les

y a plus de dix siècles, sont-ils plus

émouvants que

Vaux

N aimes

roi dit

»

Les appels de Pyrénées,

le

et ses

les

appels silencieux du fort de

qui, par-dessus les lignes ennemies,

muniquent au commandement

les détails

com-

de son

agonie et sa résolution de tenir?

Le

3 juin au matin,

un pigeon au

vol rapide

arrive au colombier.

— Messager,

quelles sont les nouvelles? Le fort

vit puisqu'il t'envoie.

Dis-nous

un siège jusqu'à ce que nous

En dont

s'il

peut soutenir

allions le délivrer?

vain chercbe-t-on sous son aile il

doit être porteur.

la

Mal attachée,

dépêche elle est


LES DERNIERS JOURS DU FORT DE VAUX

228

tombée en route. L'oiseau a

Combien Le

reste-il

au fort de

4, vers midi, le

été lâché

pour

rien.

compagnons?

ses

colombier reçoit un pauvre

pigeon blessé qui se traîne péniblement jusqu'au

On

gîte.

ses

prend, on

le

le caresse, vite

plumes. Celui-ci n'a pas

«

un voyage

fait

Voici la dépêche qu'il apporte

on soulève inutile.

:

Tenons toujours, mais nous subissons une atta-

que par

gaz

Les

et les

fumées

très

dangereuse.

Il

y

a

urgence à nous dégager, faites-nous donner de suite

communication optique par Souville qui ne répond pas à nos appels. C'est

mon

Le dernier pigeon! Les

dernier pigeon.

»

téléphoniques sont

fils

dès longtemps coupés et les signaux ne fonction-

nent pas. Le dernier pigeon 1

trait

d union avec

isolé.

le fort.

Aucun battement

paroles.

Il

restera

muet

si

lui.

sur sa

Au colombier

main

le

dernier

maintenant

ne portera plus ses

l'on ne parvient pas à

On ne

militaire

l'oiseau qui fut,

blessé en service

c'est

fort est

d'ailes

rétablir la liaison optique.

de

Le

:

commandé.

saura plus rien

un

soldat a posé

comme un

coureur,


LE FORT APPELLE

220

L'après-midi du 4 se passe sans que

pondance du

fort

soit rétablie.

un

Il

est impossible d'obtenir

doute n'a-t-on pu repérer

signal. Sans

l'emplacement de son appareil. Mais trois

heures du matin,

ment de

le

poste de

la division voit arriver

la section

lis

appar-

de projecteurs. Alors, puiset

signaux ne fonctionnaient pas,

il

avait plus

à

5,

deux hommes qui,

de pigeons

qu'il n'y

le

commande-

tout simplement, sont sortis du fort,

tiennent à

corres-

la

puisque fallait

les

bien

venir rétablir la communication. C'est l'évidence

même.

— Le — Ils

devant

fort n'est

donc pas encerclé?

sont dessus avec une mitrailleuse, mais

la sortie sud,

— — On

il

n'y a personne.

Cette sortie-là est bouchée.

saute d'une fenêtre dans

le fossé.

D'autres ont essayé, mais n'ont pas réussi

à

s'échapper. Ceux-ci ne donnent pas beaucoup de détails.

moment,

Ils ils

en

donneront plus

tard.

sont trop préoccupés.

des professionnels.

Si

Tour

le

Car ce sont

l'on tiendra? La vie

n'est


i>30

LES DERNIERS JOURS DU FORT DE

pas

drôle

à

enflammés de

monde

est

bon.

et à cause :

A

.

les

.

ils

Il

cause

la soif.

liquides

Et puis

il

hommes. Mais

y a trop

le

moral

de Vaux n'est plus

le fort

parle et on lui répond.

Les monts sont hauts, ténébreux

.

des

vont essayer de correspondre.

heures et demie,

7

seul.

de

plus de 600

Là-dessus,

à

l'intérieur

VAUX

immenses,

et

vallées profondes, les torrents rapides.

derrière l'armée, les trompettes

sonnent

Devant et

et

toutes

semblent répondre à l'olifant...

Mais quand sonnent

magne, Roland,

les

trompettes de Gharle-

déjà, n'est plus. Imaginez-le, se

redressant devant la mort pour écouter ces fanfares

Le

!

fort

de Vaux renseigne

le

commandement

sur la position de l'ennemi. Son message est plein

d'espérance «

L'ennemi travaille à partie ouest du fort à cons-

tituer

avec

:

fourneau pour faire sauter

artillerie.

voûte.

Tapez

vite

»

Dix minutes plus tard,

il

insiste

:

«

êtes-


LE FORT APPELLE

vous?»

À

231

huit heures, n'ayant pas reçu de réponse

ou n'ayant pas pu angoisse

la déchiffrer,

:

iV entendons pas votre artillerie.

qués par

(jaz et liquides

extrémité.

A neuf mis

:

enflammés.

Sommes

Sommes

heures, enfin, ce signal

Charlemagne. Elles sont

musique

à toute

lui est trans-

Courage, nous attaquerons bientôt.

«

atta-

»

Roland mourant a entendu

fait

avoue son

il

est

si

douce!

Il

si

les

»

trompettes de

lointaines,

se redresse,

il

mais leur écoute,

il

signe à la mort d'attendre. Mais que les Fran-

çais se hâtent! Déjà, les ténèhres l'envahissent et

sa parole se trouble.

Le

fort, tout le jour, attend.

venue,

il

nuit qui

tombe ne

être compris

:

son funèbre,

il

..

nuit est

sera-t-elle pas la dernière,

pas

la suite est

ne

du suaire mortel? Le

commencement du message

.

la

donne des signes d'impatience. Cette

l'enveloppera-t-elle

«

Quand

qu'il adresse ne

peut

déjà pareille à une orai-

y parle de ses défenseurs au passé

jour précédent.

Il

:

faut que je sois dégagé ce


LES DERNIERS JOURS DU FORT DE VAUX

232

soir et

que ravitaillement en eau

tne

parvienne immé-

diatement ; je vais toucher au bout de mes forces. Les troupes

— hommes

et

gradés

en toutes circonstances

ont fait leur devoir jusqu'au bout.

N'est-ce pas l'adieu râle

de l'agonie qui

dans

le

»

suprême? N'est-ce pas

commence? Et

voici

bombardement formidable qui de

le

que,

part et

d'autre couvre de fer et de feu la colline, un de

nos postes de projecteurs

gnaux fragmentaires u

53.

...

interviendrez

France.

la

Pour

pond au »

la

la

. .

aspire.

.

de pertes.

.

complet épuisement.

Vous

Vive

la

Debout,

il

appelle.

Il

tend

douce France,

seconde

magne ont

rage.

avant

s'est relevé.

bras vers

Pour

:

blessés.

.

si-

»

Roland les

.

encore ces

saisit

fois, les

trompettes de Charle-

retenti jusqu'au val de

seconde

fort de

fois, le

Vaux

:

Roncevaux.

poste de Souville ré-

«Reçu votre message. Cou-


LE FORT APPELLE

Du t-il

courage, ce tronçon de fort en trouvera-

encore après

La tempête

les trois jours

qu

vient de vivre?

il

n'a pas cessé un seul instant d'ébran-

déchaîne

ler le plateau. Elle se

R

retranchement droite

233

1

gauche sur

à

qui a l'audace de résister, à

sur la batterie de

promontoire

et balaie le

débouché du

village,

Damloup

fond de

qui tient

Horgne

la

la

fait

succéder

semble aux attaques locales

coup toute

la

les

afin

Montbé-

attaques d'en-

d'emporter d'un

position ou d'obtenir un fléchisse-

ment en un point où

il

se précipitera.

gouffre trois divisions qu'il devra

par une brigade du corps alpin,

de

et le

Courtine, à

droite parles tranchées de Bclfort et de

L'ennemi

le

sur les abords immédiats

qui sont défendus à l'ouest par

liard.

le

trois côtés,

il

est autour,

il

même

il

est

Il

y en-

renforcer

assiège

dessus,

le il

est

refuse de se rendre. Isolé

dedans. Et, têtu,

le fort

tout un jour,

ne se sent pas abandonné.

il

tort

Au


23i

LES DERNIERS JOURS DU FORT DE VAUX

dehors,

il

en

l'intérieur,

cades.

Il

est certain,

il

on

travaille

pour

lui.

A

multiplie les barrages et les barri-

défend marche à marche

pas à pas, les couloirs.

les escaliers et,

supporte

Il

canon,

le

les

mitrailleuses, les grenades, les flammes, la fumée, la soif, la

l'empoisonnement, l'intoxication, l'odeur,

pourriture.

humaines,

ira

Il

encore lorsque l'on

celle qui recule

croit l'atteindre sible.

jusqu'à la limite des forces

Entre

dépasse l'attendu et

et.

pierres

ses

voûtes sonnantes,

le

resserrées,

douloureux

pos-

le

sous

sacrifice

ses s'ac-

complira jusqu'au bout.

Un

sous-lieutenant du 142 e qui

fait partie

du

bataillon Ghevassu et se bat sur le plateau hors

du

fort a décrit plus tard à

ribles journées sière,

et

:

«

Tout

un camarade

n'était

que feu

ces teret

pous-

dans cet enfer, quelques soldats aux

aguets empêchaient

les

masses boches de passer.

Leurs attaques se sont renouvelées tous tantôt frappant

ici,

tantôt là

;

jamais nous ne leur

avons cédé un pouce de terrain, tant

un soldat pour

le

les jours,

qu'il y a

défendre. Je ne te dirai pas

eu les


LE FORT APPELLE

23")

souffrances que nous avons endurées. Pas d'eau,

pas de ravitaillement, ceux qui ont voulu nous

en apporter sont restés en route.

Il

n'y a que les

munitions qui ne nous ont pas manqué. Nous

sommes

exténués, mais

si

heureux d'avoir

fait

notre devoir, d'avoir contribué à empêcher les

Boches de prendre Verdun que leur Empereur leur avait promis et qu'ils n'auront jamais...

11

faudrait qu'ils passent sur nous etqu'ils marchent

sur les cadavres de tous ceux que nous leur avons tués... fois,

Ils

nous attaquaient de

leur étreinte n'a pas

Pendant

la

ments

le

sive, le

A

pu nous

saisir...

à la

»

journée du 3 juin, l'ennemi veut

exploiter la prise de fort à l'est.

trois côtés

Damloup

et

Des éléments du 142

contiennent et

même,

e

contourner et

du 53

e

le

régi-

passant à l'offen-

contraignent à reculer.

tous les échelons,

division et brigade, le

armée, corps d'armée,

commandement

soutient

lutte qui s'étend

du bois Fumin au fond de

Gayette, alimente

le

attaques.

la

la

combat, prépare des contre-

Contre-attaque sur Damloup, dès

la


LES DERNIERS JOURS DU FORT DE VAUX

236

matinée du 2 juin, qui du moins dégage Contre-attaque sur

rie.

le fort

dès

la batte-

le soir

du

2,

e par un bataillon du 53 régiment qui doit traver-

peut que ren-

ser les barrages meurtriers et ne

forcer les troupes 3 juin sur notre

du secteur. Contre-attaque

gaucbe pour reprendre

des retranchements et venir en aide à

R

1

le

la ligne

qui tient

toujours. Et les observateurs en ballon ne cessent

pas de signaler des colonnes ennemies gravissant les

pentes et venant grossir

le

nombre des

assail-

lants.

Certes,

sont

là,

il

faut se relier

au

:

des camarades «

Nous

fort des camarades français,

télé-

qui attendent leur délivrance

avons dans

le

phone l'armée,

il

faut

les

dégager

entrer en liaison avec eux.

Devoir sacré. le

fort

»

et,

:

tout d'abord,

C'est le devoir de tous.

Le général Tatin, qui commande

secteur, dirigera

Mais l'ennemi

lui-même l'opération.

.ne

cesse pas d'attaquer, et

inonde son objectif d'une pluie de feu qui ne

terrompt jamais. Le 298 e régiment

A deux

heures du matin,

le 4,

est

il

s'in-

rapproché.

une attaque

est


LE FORT APPELLE

déclanchée sur le sud-est.

par

le fort,

Elle

par

elle est arrêtée

nord-ouest et par

le

commence

23"

par progresser, puis

les mitrailleuses.

Un

avion,

au petit jour, vole au-dessus du fort et descend sibasqu'il fait de l'ombre sur ce chaos. L'auda-

cieux oiseau va-t-il se faire blesser nier pigeon?

Il

parmi

glisse

comme une salamandre

dans

se redresse et s'éloigne.

sur

la

les le

comme le der-

obus

et les balles

feu et le voici qui

a rempli sa mission

Il

superstructure du fort,

il

a

:

repéré l'empla-

cement des mitrailleuses. Quelques

instants plus

tard, notre 75 et notre 155 démolissent toutes les

ennemies établies sur

installations

supérieure de l'ouvrage.

par temps

clair,

les

A

la

partie

dix heures du matin,

avions constatent que les

tranchées du fort sont complètement nivelées et

que personne n'occupe

le

dessus du fort.

La nuit suivante, l'ennemi recommence sur

la

superstructure ses travaux et ses abris de mitrailleuses.

Il

condamne

interdit le

départ

reconnaissances

ainsi et

— dès

les

la

sortie par le sud.

communications.

Il

Des

qu'elles ont été proposées,


LES DERNIERS JOURS DU FORT DE VAUX

238 le

nombre des

le fort.

si

grand

qu'il a

ont essayé de pénétrer

Aucune n'a pu accomplir sa mission.

En revanche on le

un choix

fallu faire

dans

volontaires a été

a

pu

sortir.

Deux signaleurs, nous

savons, ont franchi les lignes dans la soirée du

4 juin. Quelques heures plus tard, dans la nuit du

4 au trois

5,

l'aspirant Buffet,

hommes de

à leur tour.

la 7

e

sous-officiers et e

compagnie du 142 sortent

Le problème

sortie qu'à l'entrée.

deux

est

Pour

moins insoluble à

sortir,

il

faut se garer

des mitrailleuses boches, mais pour entrer

en outre, se garer des nôtres. Le

la

fort,

il

faut,

pour ne pas

être investi, doit garderie fossé sud et ses abords.

Toute ombre qui s'approche ficulté est «

mis

dif-

de se faire reconnaître.

Courage, nous attaquerons le signal.

paratifs d'une

nombreux. 6 juin, à

La

est suspecte.

Et

le

bientôt,

commandement

»

a trans-

hâte les pré-

nouvelle attaque à effectifs plus

Elle ne pourra être déclanchée

deux heures du matin.

que

le


LE FORT APPELLE

Il

faut maintenant

revenir en

savoir ce qui s'est passé à

Depuis

le

lion secoue

même

pour

arrière

intérieur du fort.

1

matin du 2 juin,

fort,

le

comme un

crinière pleine de vermine,

sa

rongé parle Boche qui sus et

'239

est devant,

dedans, car

de côté, des-

a plongé par les

il

est

deux

ouvertures des coffres et tâche à pénétrer dans le

cœur de

la

place

mis de l'ordre dans et le reflux des le

que de

la 6

e

Le commandant Raynal la

garnison dont

a

les hlessés

éléments voisins ont trop aug-

nombre.

menté

i

ne devrait se composer

Elle

compagnie du

1

i2

e ,

de

de mitrailleuses et du génie du

la

fort.

compagnie Les

7

e

et

e 8 e compagnies du 142 qui défendirent les coffres

de droite l'ont renforcée de plus de cent la

V

e

compagnie du 101 qui défendait

fusils;

les coffres

de gauche en a ramené une cinquantaine. Une

compagnie de mitrailleuses du 53 Avec

les blessés, cela fait

un

total

est

restée.

de plus de

six


LES DERNIERS JOURS DU FORT DE VAUX

240

cents

hommes.

Six

abreuver quand

hommes

et

la

hommes

cents

citerne se vide

faut

qu'il

Six cents

!

parmi eux des blessés minés de

fièvre

qui réclament à boire! Cependant la garnison est

subdivisée en relèves, guetteurs et fractions au repos, et les distributions de boîtes de conserve,

de biscuits, de chocolat et

même

d'eau-de-vie

sont faites régulièrement. La ration d'eau, qui était

d'un

litre le

trois quarts

de

demi, puis

à

conditions!

31 mai, est réduite

litre. Elle

va tomber à un quart et

un quart à peine

Dès

le

2 juin à

le

et

dans quelles

4 juin, une détermination

s'imposera au commandant.

Doue, coffres.

le

matin du 2 juin, l'ennemi

Malgré ses pertes,

près les défenseurs

il

est

aux

réussit à serrer de

qui battent en retraite. Le

canon-revolver du coffre double a été mis hors d'usage par un obus. La mitrailleuse qui garde l'entrée est brisée par une grenade. est refoulée à l'intérieur.

diatement les

Un barrage

établi sous la brèche,

Allemands

le

dominent

La défense est

immé-

mais du dehors

et l'accablent

de gre-


LE FORT APPELLE

nades.

Il

241

faut reculer le barrage jusqu'au pied de

l'escalier qui

construit au

monte

à l'observatoire.

sommet de

est

Ce dernier

l'escalier.

Même

tiendra jusqu'au 4.

Un autre

manoeuvre au coffre

simple qui est à l'angle nord-est

contiennent l'ennemi devant

:

les

la grille

barrages

du couloir,

en face des cabinets d'aisance qui demeurent utilisables. «

Dans

la

demi-obscurité du

capé du 142 e lait

,

fort, écrit

un

res-

continue. L'ennemi vou-

la lutte

nous exténuer en nous privant de sommeil

en nous prenant par

la

Nous ne cédions

L'atmosphère

A chaque

lourde et empestée. rages sautaient et

soif.

la lutte à la

et

était

instant les bar-

grenade reprenait.

pas. Mais toutes ces explosions

échauffaient l'air;

la

fumée

et l'odeur

le

ren-

daient presque irrespirable et l'on se battait toujours.

Nous avions

installé des mitrailleuses qui

barraient les couloirs et qui faisaient du bon travail. C'est alors

que

les

Allemands, ayant réussi

à faire sauter un barrage, nous lancèrent des jets

de flammes et des liquides enflammés. La chais


242

LES DERNIERS JOURS

provoquèrent une minute

surprise

leur et la

DU FORT DE VAUX

d'hésitation. Mais le lieutenant Bazy qui était là

avec sa mitrailleuse s'élança et

il

fut

si

rapide

qu'avant que nous soyons revenus de notre étonneraient,

était

il

debout au milieu du couloir

et,

tout seul, se battait contre les Boches à coups de

grenades. Les flammes venaient jusqu'à ses souliers,

il

blessé,

avait le bras

mais peu

lui

ler à cause de cette

gauche bandé, étant déjà

importait

:

ne pouvant par-

fumée noire

et acre,

il

nous

donnait l'exemple. Aussi, débarrassés de notre stupeur, nous venons à tour de rôle nous placer à ses côtés. rent.

Enfin, les lance-flammes s'éteigni-

Nous avions

commencions Boches

se

réussi

à arrêter l'attaque et

à remonter le barrage lorsque les

mirent à envoyer des pétards qui nous

projetèrent tous à terre avec J'ai

bien pensé avoir

que

la force

l'infirmerie

les reins brisés et je n'ai

de mettre

l'odeur du gaz.

Un

les sacs sur le dos.

mon masque

soldat

pendant que

en sentant

m'a dégagé

et porté à

la lutte reprenait.

Allemands lançaient des gaz dont

la

eu

Les

masse lourde


LE FORT APPELLE

243

stagnait dans les couloirs. Malgré toutes leurs

de flammes,

inventions diaboliques, leurs jets leurs

leurs gaz,

pétards,

nous criaient en français

C'était superbe. Ils «

n'avançaient pas.

ils

Rendez-vous, sinon vous serez tous tués,

:

et

»

nous répondions avec des grenades dans leurs figures.

.

.

C'était

»

superbe!

que

cette

pleine bagarre, est plaisante

exclamation,

î

C'est le 4 juin vers midi

que

les projetaient

ouest.

Une fumée

fort.

Pour respirer,

«

la

par

la

produite

s'est

cette attaque par liquides enflammés.

mands

en

Les Alle-

brèche de

acre et noire

n

la

gaine

remplit

le

garnison doit déblinder les

fenêtres de la caserne.

Le feu

arrive jusqu'au

couloir des chambres. Quelques soldats sautent

même

dans

le fossé

pour reprendre haleine. Les

mitrailleuses installées sur le fort ont été détruites le

matin par notre

coupe

les issues

ment,

les

artillerie.

Le

tir

de barrage

un peu plus au sud. Tranquille-

soldats regagnent l'intérieur,

faut refermer les fenêtres.

mais

L'ennemi balance

il

clés


LES DERNIERS JOURS DU FORT DE VAUX

244

sacs de

grenades à fusée retardée

dans

ouvertures et tente de faire sauter ainsi

les

qu'il

envoie

plaques de blindage.

les

Cependant,

du nord-est. dans

il

Il

a progressé dans le coffre simple

a fallu refluer de quelques mètres

le couloir,

mais en deçà des cabinets d'ai-

sance. Les malades, les blessés doivent se soula-

ger sur place. Les brancardiers ont profité de

la

destruction des mitrailleuses ennemies installées sur

le fort

pour

sortir des cadavres

dans

le fossé

sud, pour nettoyer l'infirmerie de tous ses

mondices. Dès

la

nuit suivante ce travail leur

deviendra impossible.

meurer avec

im-

Les morts devront de-

Une horreur

les vivants.

sans

nom

envahit ces voûtes à demi obscures où, dans une

atmosphère méphitique

et épaisse, sans appareil

de ventilation, une garnison sans sommeil, angoissée et altérée, s'entasse et veut lutter encore. Il

bout

a suffi d'un et dressé,

homme,

comme un

au milieu du couloir, le

le

le

lieutenant Bazy, dedieu, dans la fumée,

bras gauche en écharpe,

bras droit lançant des grenades,

barrant

la


LE FORT APPELLE

245

route à l'ennemi, pour conjurer l'attaque par les

flammes. officiers

d'élite

Il suffit

du commandant, de quelques quelques

soldats

pour que subsistent, parmi ces souffrances,

une seule pensée, un

Le

de

et sous-officiers,

fort est séparé

seul but

du

:

tenir.

du monde, son der-

reste

nier pigeon a été lâché la veille, et ses signaux

ne sont pas transmis. Mais signaleurs bondissent dans blir les

la

nuit venue, deux

le fossé

:

ils

vont réta-

communications.

Le lendemain,

l'appel

du

fort est

entendu.


ni LA

Le 4

SORTIE

juin, la ration d'eau a été d'un quart.

quart de

litre,

pour des

hommes

battus et se battent dans la

qui se sont

fumée des grenades,

des flamme nufàrfer , des gaz asphyxiants

de

litre

Un

!

Un quart

pour des fiévreux qui s'agitent au poste

de secours bondé entre des mourants et des morts! Les plaintes montent, suppliantes, lamentables.

Mais

le silence se rétablit

dès que parait le et rien

Un

instantanément

commandant Raynal. Un

quart,

de plus. Qui donc a réclamé davantage?

quart, c'est déjà beaucoup. Les blessés eux-

mêmes

Chacun avale

se résignent.

sa douleur,

n'ayant plus de salive.

Le commandant ce qui n'en

fait

a

dénombré

la

garnison. Tout

pas régulièrement partie devra


LA SORTIE

A

quitter le fort.

la

247

faveur de

la nuit, la sortie

sera tentée, soit par le fossé sud en sautant des

fenêtres de la caserne, soit par le coffre sud-ouest

qui n'appartient pas à l'ennemi.

Ceux qui doivent

L'ordre est formel. essaient à la lumière

du jour de mesurer

cultés de l'entreprise

:

y

sur

a-t-il

mitrailleuses et des guetteurs? Les

le

tirs

partir

les diffi-

fort des

de barrage

allemands, à quelle distance et dans quelle direction sont-ils déclanchés?

La

sortie est bien

chan-

ceuse, mais les Français ne doivent pas être, bien loin.

À

dix heures et demie du soir, les premiers qui

sautent dans

fossé sont des volontaires

le

deux signaleurs dont les

j'ai parlé,

:

le

les

cama-

bruit de la chute, puis

silence, pas de

coups de

bombardement

habituel, rien de plus.

fusil,

les

qui vont rétablir

communications. Le cœur battant,

rades écoutent

:

pas de fusée, Ils

le le

n'ont

pas été repérés.

Les détachements du départ est

fixé

10T

et

sont rassemblés.

du 142* dont

le


248

LES DERNIERS JOURS DU FORT DE VAUX

Allez, leur dit le

commandant Raynal,

et

si

vous échappez, dites quelles sont notre situation et

notre résistance.

Les deux groupes saluent. C'est la sortie. Il est

une heure

semble que

marmitage

L'aspirant

du 142

e .

Il

le

et

moment de

demie du matin

soit

et

le

détachement

une brèche découverte à

utilise

corne sud-ouest et descend

le

il

en décroissance.

commande

Buffet

le

la

premier, suivi d'un

coureur et du caporal fourrier. La compagnie s'égaillera derrière

pour ne pas

eux en laissant des intervalles

attirer l'attention.

et les guetteurs allemands,

en

Un

caillou a roulé

du haut du

éveil, lancent des fusées et font feu.

aussitôt,

leur

artillerie

exécute

fort,

Presque

un effroyable

de barrage aux abords immédiats du

tir

fort..

L'aspirant a passé, suivi d'un petit groupe. arrivent aux lignes

mis

françaises qui sont

Ils

toutes

proches. Le premier reçoit un coup de fusil qui le

manque.

On

Il

se fait reconnaître,

s'explique,

bombardement

on s'embrasse, fait

non sans peine. tandis

rage en arrière de

que

le

la petite


LA SORTIE

249

troupe. D'autres sont en route

garde à ne pas

On

les fusiller.

après une longue attente,

deux ou de

Le

trois.

les attend,

n'en

il

que

arrive

pu traverser

reste n'a

mais,

la pluie

fer.

Un

soldat

du 142

e ,

blessé dans l'attaque par les

flammes, raconte ainsi cette paroles du

commandant,

vers la lucarne d'où

de

qu'on prenne

:

trois

il

senti

mètres. Je tâtai

une vive douleur.

fusil dirigés sur

moi

Après

me

les

dirigeai

sauter d'une hauteur

mes

reins

endoloris.

me

suis élancé. J'ai bien

J'ai

entendu des coups de mort, car

et j'ai fait le

Boches veillaient encore. Je ne

temps

«

:

je saluai et

fallait

Puis, sans réflexion, je

sortie

sais

les

combien de

je suis resté ainsi. Pourtant, au bout d'un

grand moment,

j'ai

ventre à travers de

commencé

à

ramper sur

nombreux cadavres. Douce-

ment, glissant d'un cadavre à un autre, je arrivé à sortir

du

le

suis

fossé et à franchir la Ligne. Je

pouvais à peine respirer sous

le

bombardement

qui ne cessait pas et en6n je réussis à atteindre, je

ne

sais

comment, un poste de

secours. Je ne


LES BERNIERS JOURS DU FORT DE VAUX

250

me

me

réveillai à

donné de grands

résultats.

souviens plus de la

une infirmerie.

La

.

.

nouvel

mais je

»

sortie n'a pas

Elle est à

fin,

recommencer. Le 5 juin, au

essai,

petit jour,

la journée s'écoule,

nouvel échec. Et

La

plus cruelle encore que les précédentes.

aux barrages reprend avec

lutte

grenades, avec les

les

flammes. L'eau ne se distribue plus que goutte à goutte. Des blessés réclament qu'on les achève. Il

faut jeter de la

chaux sur

peut pas emporter. Les

mais l'espérance a taire soir,

les

:

les

maux

jailli.

Le

morts qu'on ne

sont plus lourds,

fort n'est plus soli-

deux signaleurs,

partis la veille

ont réussi dans leur mission.

parle,

on l'entend

et

on

nous attaquerons bientôt.

lui »

Quand

répond

:

«

au

le fort

Courage,

Les camarades n'ou-

blient pas les défenseurs. Ils préparent leur déli-

vrance.

Une journée

encore, et

ils

seront

là.

Une

journée, que c'est long et dur! Mais elle passera,

comme

les autres.

On ne peut

pas rester aussi nombreux. Les

contingents du 101 e et du 142 e dont la présence


LA SORTIE

251

nouveau

n'est pas nécessaire reçoivent de

Au cours de

de partir.

hommes car

il

nuit, plus

de cent

réussissent à s'évader. Voici l'un d'eux,

faut

monde,

la

l'ordre

On ne

choisir.

et rien

ne

fait

peut

citer tout

mieux comprendre de

tragédies que de poser sa

main sur une

humaine pour en surprendre

les

la

telles

poitrine

battements.

Le brancardier Roger Vanier, du 101 e ment, a reçu

le

régi-

médaille militaire pour sa con-

duite au bois Sabot les 26, 27 et 28 février 1915,

avec ce motif «

A

fait

:

preuve cfun dévouement

d'un courage

et

héroïques. S'est dépensé pendant trois jours et trois nuits

sans prendre de repos. Est

reprises sotis

le

feu de l'ennemi chercher des blessés

entre les tranchées

ramenés. A

nombreux lequel

à

il

fait

tués.

s'est

à plusieurs

allé

A

françaises

en

et

allemandes

même temps

fait l'admiration

et

les

l'identification

a

de

du bataillon pour

aussi dévoué. Etait du service auxiliaire

la mobilisation et

Le général

a demandé à partir,

Joffre

le

décore en

25 mars (1915) à Gourtisols.

n

personne

\c


LES DERNIERS JOURS DU FORT DE VAUX

252

A il

la bataille

le

21 septembre,

Tordre du corps d'armée

est cité à «

de Champagne,

:

Voyant quelques camarades hésiter à sortir de la

tranchée pour l'attaque, enleva son brassard de la

Croix-Rouge, monta sur «

avant!

jambe. Il

et

»

le

alors

fut

parapet en criant blessé

d'une

balle

:

taille

à

la

moyenne,

ombre

plutôt délicat de santé, le teint brun, une

de moustache,

la figure ouverte,

ardente,

échauffée par l'expression des yeux.

danger, »

dit-il, je

Et

il

va.

ne

me est

Il

à Montfort-l'Amaury. riste,

En

»

appartient à la classe 1913

j'aille.

u

:

connais plus

«

il

:

comme Dans

faut

le

que

né d'une famille modeste

Un de

ses frères,

sémina-

e caporal téléphoniste au 146 régiment, a

été tué le 2

brisée par

mars devant Douaumont

un obus,

des Fontaines où est resté là.

il

il

:

la

jambe

a été transporté au ravin

a expiré

peu après. Son corps

Le brancardier du 101 e venu à son ,

tour dans la région de Vaux, aurait pu se trouver face à face avec le cadavre

cher de l'eau dans

le

quand

ravin.

il

Avant

allait

la

cher-

guerre,

il


LA SORTIE était, lui, valet

233

de chambre. Mais depuis qu'il a

servi son pays et

perdu son

être, après la guerre,

frère,

ne veut plus

il

qu'au service de Dieu à

la

place du mort.

Qui donc a formé ces cœurs-là? Vanier porte toujours sur lui une lettre de sa mère.

femme de Montfort-l'Amaury vrier

cœur résolu

d'un

hésitante

lui écrit le

29 fé-

orthographe

d'une

et

La bonne

:

«... Je

que ton pauvre frère

sait

à

c'est-à-dire

que

l'honneur, car,

est

à Verdun,

c'est

beau pour

l'armée française de tenir là cette horde de sauvages,

comme

il

heureux, notre lou y de voir

doit être

la

guerre hors des tranchée. Oh, que c'est grand! J'ai toujours rien de J'ai toujours

Et

mais

bien prudent,

tu

mon

peut pas sans doute.

il fie

un graiid espoir

moji trésor,

toi,

soit

lui,

doit

qu'il n'y arriveras rien.

avoir beaucoup à faire,

chéri, mais de plus en plus

courageux. Sauve tous ses malheureux blessés resté là

dans

rester

la

neige et

le

pe?idant qu'il

sang.

y a

Le mien

boitillone

de

tant à faire là-bas à

ramasser tous ses malheureux. Pourquoi ne pas vouloir

de

femme

où elle serai

si

nécessaire? Ah! oui.


LES DERNIERS JOURS DU FORT DE VAUX

254 la

place des mères c'est de ramasser tous ces pauvres

enfants et leur donner une bonne parole. Remplace les

mères,

sible,

toi,

mon

chéri, fait

pour faire du

bien,

ramper à

te voit aller, courir,

blessés. Oui, je voudrais

mon

petit, je soit

oui,

que

Courage, courage, je

me

même

l'impos-

beaucoup de bien. Je

la recherche de tout ses

faufil 1er là près de

c'est là sait

tout,

que

ma place

toi,

près de vous.

c'est le début de la fin

qui sera bien belle pour tous ceux qui auront combattu la juste cause...

»

Ces mères françaises ne sont-elles pas au front

avec chacun de leurs enfants, saignant de toutes leurs blessures, mais les poussant en avant, vers le devoir,

pour

le

pays?

Le brancardier Vanier 1

er

est

juin, desservant avec ses

de secours, sous rables

le

au

fort depuis

camarades

commandement

médecins Gaillard, Conte

C'est lui qui, avec

un camarade,

le

le

poste

des admi-

et Boisramé.

est allé

en plein

jour, le 31 mai, chercher le lieutenant Tournery blessé et le

ramener au fort, malgré les

rage allemands.

Il

est

tirs

de bar-

coutumier des beaux gestes


LA SORTIE

de guerre.

faut

Il

2Ô5

donc à tout prix dégager

la

garnison. La sortie du 4 au soir a échoué. Le

5 fut une journée épuisante qui s'achève dans

l'étonnement de résister encore. Que

sera-t-il

du

lendemain? Mieux vaut ne pas l'attendre. Ce qui reste

du 101 e

et des 7

e

et 8

e

compagnies du

l

'ri"

va tenter de partir.

Vanier forme groupe avec Ils

sont au

nombre de

La consigne

blessés.

les

hommes du

34, et parmi eux

est

de quitter

IV

1

il

y a des

le fort

à n'im-

porte quel prix, sans s'occuper les uns des autres.

Chacun

a dans le jour repéré sa direction. Yanier,

à dix heures et demie du

dans

fossé,

le

remontent

la

soir, saute le

premier

avec un camarade. Tous deux

pente en rampant et

les voilà

cou-

rant à toutes jambes.

— Halte

!

Ils

s'arrêtent et se jettent dans

un trou d'obus. Vanier

arme son revolver pagnon

a compris

:

Ver da?

et dit à voix basse à son

Il

com-

:

Mon

petit,

ne viens pas avec moi. Je ne

veux pas être prisonnier

:

je

me

ferai tuer.


256

LES DERNIERS JOURS DU FORT DE VAUX

— Mais Ils

c'est

un Français, répond

s'approchent

200 mètres du

et

se

un détachement du 298 e On .

rière,

on leur

fait

reconnaître.

font

fort à peine

ils

emmène

— du

vin!

à l'ar-

quand

on n'a pas bu d'eau depuis trente-six heures! on

A

sont tombés sur

les

boire du vin

l'autre.

les interroge.

Sur

qué à

les trente-quatre,

l'appel.

cinq seulement ont man-

Vanier va rejoindre son colonel au

cantonnement de repos où

il

retrouve son régi-

ment.

— Je

te

nomme

caporal, lui dit le colonel qui

l'embrasse. Ainsi le brancardier Vanier a-t-il gagné ses

galons de laine.


IV

quelqu'un est rentré

Léon

L'aspirant

Tabourot mourant

assistait le capitaine sorti

du

dans

fort

détachement de classe 19 16.

la

sa

mère

compagnie, appartient

un ouvrier.

est

et

il

il

a réussi

était étudiant

en

a

perdu,

la

Gôte-d'Or. Excellent

au baccalauréat latin-grec lettres

Le futur professeur visage, qui porte

Il

est

à la

a été élevé au petit sé-

minaire de Flavigny, dans élève,

et qui est

nuit du 4 au 5 juin avec un

Son père

tout petit, sa

e

du 141 régiment, qui

Buffet,

quand un

la

petit

guerre

homme

une barbe courte,

et

il

l'a pris.

Frêle.

Le

est tout brûlé

par des éclats de grenade et des jets de flammes.

Quand

il

division,

arrive au poste de il

a les

commandement de

yeux presque hagards

la

et parait

être dans cet état d'agitation qui précède l'épui17


LES DERNIERS JOURS DU FORT DE VAUX

258

sèment nerveux. Cependant, combats à

du

l'intérieur

allemands,

sur

les

les

sur les travaux

fort,

positions

donne sur

il

allemandes,

des

précisions et des déductions telles que le division-

naire l'envoie au quartier général du secteur.

Là,

il

recommence son

Le général le

repos.

récit et ses explications.

l'écoute, l'observe, puis lui

Le jeune homme,

ordonne

à bout de forces, se

couche. Quelques heures plus tard, lavé, rasé, nourri,

il

apparaît déjà transformé.

De nouveau, presse

:

un

le

général

le

reçoit.

cas grave va se poser.

préparée pour dégager

Une

Le temps attaque est

le fort. Elle sera

déclan-

chée dans quelques heures. Le commandant Raynal peut contribuer à son succès. Qu'il signale s'il le

sur

peut

la position

le fort, qu'il dirige ainsi

l'artillerie

:

il

dans

nuit

le tir

de

travaillera ailleurs, l'ennemi dans

gaines des coffres. Mais

jusqu'à lui?

la

aidera à l'opération. Qu'il retienne,

pendant qu'on les

des mitrailleuses ennemies

A

comment

parvenir

diverses reprises, des reconnais-

sances et des corvées d'eau ont essayé d'entrer


QUELQU'UN EST RENTRÉ en

liaison avec lui,

de

le ravitailler.

Elles n'ont

pas pu franchir la gorge, arrêtées ou fauchées

par

les

barrages allemands, ou

même

par

la

mitrailleuse qu'il a fait placer pour garder le fossé

sud. Celui qui connaîtrait les êtres du fort, ses

tenants et ses aboutissants,

pourrait peut-être

remplir une mission aussi délicate. L'aspirant Buffet est seul à posséder cette supériorité.

J'irai, dit le

homme

jeune

qui ne laisse pas

achever.

Le général, dont

le fils

unique a été tué,

le

regarde avec une complaisance et aussi une émotion paternelles.

— Ce peu,

il

aurait dit

demande, est bien.

un ordre, mon ami

n'est pas :

mon

c'est plus

Y

enfant.

que

le

— pour un

— Ce que

je vous

devoir. Sortir du fort

rentrer, je ne vous le

commande

pas.

— répète Buffet avec énergie. — Naturellement, vous récompensé J'irai,

serez

Légion d'honneur ou

— Oh! rien.

la

:

la

médaille militaire.

non, déclare l'aspirant

:

j'irai

pour


LES DERNIERS JOURS DU FORT DE VAUX

260

Un

officier

demande

d'état-major

à l'accom-

pagner.

Je préfère être seul, objecte-t-il.

A.

l'arrivée,

com-

ce sera plus facile. Et puis, je désire être

plètement libre de mes mouvements.

Le chef d'état-major les lit, les relit, les fixe la feuille

car

:

La nuit

léger,

il

on

dans sa mémoire

le

et

Il

rend

conduit en automobile

automobiles peuvent

les

main de

serre la

les ordres.

ne doit rien emporter.

vient,

que

aussi loin

il

remet

lui

l'officier

dans

se jette

aller.

qui l'accompagne

l'ombre

Il

et,

où bientôt sa

silhouette se perd.

a été

Il

le

convenu que,

s'il

rentrait dans le fort,

projecteur terminerait ses prochains signaux

par

A

:

Vive la France.

onze heures et vingt minutes du

soir, le

mes-

sage optique transmis du fort de Vaux, après un

commencement que permis de

saisir,

le

bombardement

transmet cette phrase

interviendrez avant complet épuisement

France.

n'a pas :

:

«

Vous

Vive

la

» :


LES DERNIÈRES PAROLES

L'effort

pour dégager Vaux n'a pas cessé un

instant. Mais les attaques allemandes et les nôtres se succèdent, se heurtent, se préviennent, s'an-

nihilent les

unes

les

autres.

Aucun des deux

adversaires ne parvient à progresser. L'ennemi

ne peut déboucher de Damloup à droite brise contre la batterie.

dans

le

tête.

La

bois

Fumin

bataille

se

et

R

A 1

gauche,

se

est barré

il

continue de

prolonge dans

et

lui

tenir

fort

le

en-

fermé, incendié et affamé où l'énergie de quel-

ques

hommes

éternise la résistance.

Mais nous

ne pouvons reprendre l'ouvrage extérieur, que garnissent des mitrailleuses. Tout ses pentes sont battus au point

pareille à de la cendre.

le

que

plateau et la

terre


LES DERNIERS JOURS DU FORT DE VAUX

262

Dans croire

matinée du 6 juin, nous avons pu

la

un

instant

fort tout entier et

Une

que nous tenions à nouveau que

la

le

garnison était délivrée.

attaque avait été montée qui devait se dé-

clancher à deux heures.

A

quatre heures, un

pionnier allemand du 27 e régiment est

amené

tout effaré, les vêtements en lambeaux, au poste

de

commandement de

la division. Il

a été trouvé

dans nos lignes, sans armes, hagard et courant. Interrogé,

il

déclare s'être échappé du fort de

Vaux lorsque

les

Français Font entouré.

L'attaque devait aborder faces

:

le

fort par ses trois

sur la face ouest une compagnie du 238 e

sur la gorge,

régiment

et

une autre compagnie du

une section du génie, sous

du commandant Mathieu; enfin sur e

deux compagnies du 32 I sous

mandant Favre. Le

les

les

;

même ordres

la face est,

ordres du

signal devait être

com-

donné à

deux heures du matin par un bouquet de fusées.

A

droite, les

deux compagnies du 321% vigou-

reusement entraînées par leur chef, atteignirent en deux vagues

le fossé

de contrescarpe où

elles


LES DERNIÈRES PAROLES furent accueillies par un barrage de grenades et

de mitrailleuses. Décimés parle

tir

de ces mitrail-

leuses couronnant le parapet d'escarpe, les pre-

miers grenadiers refluent.

A

leur tour, les deux

vagues successivement déferlent. Mais ceux qui les

conduisent sont presque immédiatement et

presque tous atteints d'une balle à

:

commandant

le

la tête; le

lieutenant Ray,

lieutenant Rives, gravement blessés;

tenant Bellot, blessé mais ramené;

nant Morel, tué;

le

blessé.

ensemble

Une

et quel

ciers! Privée

le

sous-

sous-lieu-

le

le sous-lieute-

sous-lieutenant Billaud, tué;

sous-lieutenant Desfougères, blessé

Aymé,

Favre, tué

telle

;

le

le

lieutenant

nomenclature, quel éloge

martyrologe d'un corps

d'offi-

de direction, une troupe hésite. Le

capitaine adjudant-major

mandement du

Baume prend

le

com-

bataillon, reforme les unités en-

gagées, distribue les

commandements

et se tient

prêt à repousser une contre-attaque qui, devant l'attitude

de ses hommes, n'ose pas sortir de-

tranchées. Les coureurs tiennent la

brigade au courant de

le

régiment

la situation.

et

Quels que


LES DERNIERS JOURS DU FORT DE VAUX

264

soient les barrages,

nique et

parcourent ce

ils

remplacent

les survivants

sol volca-

les blessés

ou

morts.

les

e Plus à gauche, l'attaque du 328 sur la face

ouest et

gorge a rencontré

la

les

mêmes

obstacles.

Elle a, quelques instants, encerclé le fort, mais

n'a pas lerie

pu

se maintenir.

Un

l'a

de notre

artil-

pour y démolir

sur la superstructure,

mitrailleuses ennemies,

tir

les

gênée elle-même. Elle

a dû, elle aussi, se rabattre sur les positions de

départ.

Avec quelle angoisse, de

l'intérieur

du

fort, les

phases de l'action ont été suivies

différentes

!

Sentir que les camarades approchent, qu'ils sont qu'ils

là,

apportent

délivrance, et puis qu'ils

la

échouent au port, quels tressaillements d'espérance et quelle déception! matin,

le

six

heures vingt du

6 juin, ce message, brouillé à demi,

est transmis «

A

...sans

du

fort

:

avoir obtenu

ennemies au-dessus du fort être battues

par obus.

.

.

»

objectifs. :

celles-ci

Mitrailleuses

auraient dû


LES DERNIÈRES PAROLES

Où donc

sont-elles, ces mystérieuses mitrail-

leuses que notre artillerie ne parvient pas à dé-

truire?

Dans quel angle embusquées, sous quel

abri?

un compte rendu de

C'est là

la bataille

telle

que, du fort, on a pu l'observer. Quelques minutes plus tard,

donne

à ses paroles la majesté de l'hon-

fois,

il

neur

et la tristesse

Rouvrez

la

à nouveau, parle. Cette

le fort,

de l'agonie résignée.

Chanson de Roland, aux versets où

Roland vainqueur, mais grièvement traîne dans le val de

Roncevaux

blessé,

se

à la recherche

des pairs de France et ramène un à un leurs

cadavres au pied de l'archevêque Turpin qui leur

donnera

la

Roland taille,

et il

son

bénédiction suprême

a' en

va. Seul

:

parcourt

il

bat la vallée et bat les monts.

compagnon

trouve Anséis

et

Gérier,

Samson,

comte de Roussillon. revient avec

rang à

ses

il

Il

.

..

Il

trouve Ocrin

trouve Bérenger il

trouve

emporte

les

le

et

Otton,

rieur Gérard,

barons un à un,

eux vers l'archevêque,

genoux

champ de ba-

le

et

les

dépOi


.

LES DERNIERS JOURS DU FORT DE VAUX

266

Roland retourne

ami

son

cœur

et

Le

Olivier,

comme

fort

et il

il

va battre

la plaine. Il a trouvé

Va serré étroitement sur son

peut revient vers V archevêque.

de Vaux, après l'insuccès de

tentative de

ne

délivrance,

d'heures ou de minutes

il

sait

dernière

la

combien

plus

Dans

lui reste à vivre.

un message qui ressemble à un testament,

noms de

commandant rassemble

les

compagnons

rend

hommes

et

d'armes, les

au

offre

.

le

ses vaillants

hommage

à

ses

commandement. A

heures et demie, ses signaux transmettent ce

six

message

:

Je n'ai plus

«

jours précédents

.

d'eau malgré Il faut

ravitaillement en eau

que je

le

rationnement des

sois

dégagé et qu'un

me parvienne immédiatement.

Je crois toucher au bout de mes forces. Les troupes,

— hommes

et

gradés

fait leur devoir «

Je cite

:

en toutes circonstances , ont

jusqu'au bout.

lieutenants de Roquette et Girard du

Bazy, Albanac du 142 e , tous aspirant Buffet, adjudant

de

JSizet

et

Rabatel,

blessés, Alirol,

Brun du 142

artilleurs,

e ,

53 e

,

Fargues,

lieutenants

lieutenant

Roy


LES DERNIERES PAROLES et

«

et

Bérard du 2 e génie, caporal Bonnin

aspirant

du 142 e

.

Pertes

:

lieutenant «

76

liaires d

161

7

tués,

Tournery du 101*.

blessés dont

Conte

dont capitaine Tabourot du 142"

4

officiers et les

médecins auxi-

Gaillard.

et

Espère que vous interviendrez de nouveau éner-

giquement avant complet épuisement.

Le devoir du chef

est rempli.

Il

»

n'a oublié que

lui-même. Puis le fort garde

née du G,

aucun message.

pour braver toutes la

bataille

flammes

et

aux les

les

barrages,

la soif

libre

mort,

encore?

Il

se

recueille

les

grenades, et

:

\v

gaz et l'asphyxie, l'horreur des

loups et qui arrache Est-il

jour-

souffrances accumulées

odeurs et des spectacles sans nom, tout, la soif,

la

optiques aux aguets n'enre-

les postes

gistreront plus

De toute

le silence.

la

est-il

On ne

qui

hurler

fait

langue

par-dessus

comme

les

et les lèi rt

vivant?

sait plus.

et,

Est-il

pris,

est-il

L'angoisse de savoir

torture et excite toute l'armée. Elle se transmet à


LES DERNIERS JOURS DU FORT DE VAUX

268

bout de

En

Comme

les

signaux, elle va jusqu'au

la nation, elle

va jusqu'au bout du monde.

distance.

vérité, la terre entière frissonne

de ce qui se passe à Vaux. Et c'est la résistance qui, seul, a

dans l'attente le

miracle de

provoqué ce grand

fris-

son d'admiration et d'inquiétude.

Mais

le

sollicitude

fort n'est pas

abandonné. Toute

la

de l'armée est employée à son salut.

Sans retard, une nouvelle offensive est montée.

Un

régiment de zouaves

un régiment

et

d'in-

fanterie coloniale, formés en brigade mixte, sont

rapprochés de tion

région.

la

méthodique

le

Dès qu'une prépara-

permettra,

ils

entreront en

ligne.

Une fait

volonté égale anime l'ennemi qui, stupé-

de cette prolongation de lutte, veut à tout

prix venir à bout de la défense.

quel prix exorbitant carré des pentes

il

A

a déjà payé

du plateau

!

tout prix?

De

chaque mètre

Nos observatoires

signalent que des fantassins allemands montent

en colonne de compagnie à l'assaut du fort de

Vaux.

Il

est

sept

heures

et

demie

du

soir.


LES DERNIÈRES PAROLES

L'orage, encore une fait

fois, se

rage sur ce chaos.

Et

le

grand quartier général, à huit heures

demie du

mée

soir,

envoie au quartier général de

ce télégramme qui

fort par signaux optiques

«

déchaîne. L'artillerie

et

l'ar-

doit être transmis au :

Le général commandant en chef adresse au

corn-

mandant du fort de Vaux, au commandant delà garnison ainsi qu'à satisfaction

l'expression de sa

leurs troupes,

pour leur magnifique défense contre

les

assauts répétés de V ennemi. J

Dans dans line,

le

éclairs

les

OFFRE,

v

des batteries et des fusées,

fracas de la tempête dont tremble la col-

message

le

est transmis.

Mais

le

fort

ne

répond pas. Des fusées rouges en gerbes sont aperçues

au-dessus de

vivant? Est-il pris,

A neuf chef se

est-il libre

heures du

fait

lui.

Est-il

mort,

est-il

encore?

soir, la voix

du général en

encore entendre, dominant l'ouragan

de fer et de feu

:


LES DERNIERS JOURS DU FORT DE VAUX

210 u

la

Le commandant Raynal

Légion d'honneur. Il

est fait

commandeur de

»

faut faire l'impossible

pour transmettre cet

ordre. C'est le désir du général en chef. Vaine-

ment Vaux

est

appelé par des signaux multipliés

Vaux ne répond

plus. Or, tout à coup, le 7

petit jour, à trois heures voici

que Vaux

»

réveillé fait des appels.

— Ne

rant qui retient la

Le

fort

quittez

au

cinquante du matin, Les postes

de signaleurs saisissent ces trois mots quittez pas.

:

pas

:

main aimée. Et

de Vaux ne parlera plus.

geste

:

«

Ne

du mou-

puis plus rien.


LIVRE V

LE DÉNOUEMENT



LE RÉCIT ALLEMAND

Le

Vaux

Un

7 juin, à trois

heures cinquante,

de

respirait encore. récit

allemand de son agonie

sans doute tendancieux,

rend

le fort

hommage

et

de sa mort,

mais qui, néanmoins,

à la défense, a été publié

dans

la

Breisgauer Zeilung des 16, 17 et 18 juin. La pre-

mière partie est datée du 4 juin,

du

7. Il est signé

et la

deuxième

de l'un des correspondants de

guerre admis au grand quartier général, Kurt

von Reden, mais

il

du

est daté

Général des troupes d'attaque

«

»

Grand Quartier et

il

est aisé

de

deviner, à certains détails, qu'il a été revu, sinon rédigé, à l'état-major. Voici donc, dans son texte intégral, la version adverse

:

18


274

LES DERNIERS JOURS DU FORT DE VAUX

PREMIÈRE PARTIE

Quartier Général des troupes d'assaut, nord-est de Vaux,

Le 2

juin, à quatre heures

pagnies

du matin,

étaient disposées en

d'assaut

100 mètres environ autour du

fort

sèrent d'un coup jusqu'au fossé

10 mètres

et

les

4 juin. quatre com-

demi-cercle,

de Vaux;

même

elles

à

pous-

qui, large de

profond de 5 mètres, entre

ses

murs

abrupts de grosses pierres carrées, enferme tout l'ouvrage, en forme de trapèze irrégulier.

A

travers

l'ef-

pu

traî-

froyable feu de barrage des Français on n'avait

ner jusque sur matériel

haches

Le

et des cisailles.

puissamment

construit, n'était plus ca-

par suite du long bombardement des pièces

lourdes,

mais

hauteur du fort qu'une partie du

des lance-flammes, des grenades à main, des

:

fort, très

pable,

la

les

de défendre efficacement l'espace alentour; abris-cavernes, creusés profondément dans

le

roc et couverts de béton armé, avaient résisté. Les coffres de

flanquement des fossés n'étaient pas non plus

hors de cause.

Il

s'agissait

donc d'abord de rendre inof-


,

LE RÉCIT ALLEMAND fensifs ses

'275

canons et ses mitrailleuses, qui, par leur feu

enragé, rasant

le

fond du fossé, interdisaient de

chir pour gagner l'intérieur du fort.

le

fran-

Chacun des deux

épaulcments antérieurs présentait une brèche ouverte, par

l'effet

de très lourds projectiles, dans

tesques blocs de béton qui était

formaient. Le

les

gigan-

les

dommage

jusqu'à un certain point réparé par des sacs de

sable; et, pour protéger la brèche, on avait placé là une

mitrailleuse qui pouvait agir vers l'obstacle principal restait

les

Cependant

le glacis.

canons des coffres qui,

de leurs étroites embrasures de béton, pouvaient balayer sans merci

la

courte étendue des fossés. L'accès de cha-

cun des épaulements revolver de 37

par

le

feu d'un canon-

m/m, d'un canon de 55 m/m

mitrailleuses. Pas

La

était interdit

mitrailleuse

un chat n'aurait pu qui,

sur

la

et

de deux

passer.

brèche

même,

gênait

notre approche, fut d'abord réduite au silence par des

grenades à main. Puis

les

pionniers rampèrent jusqu'au

bord supérieur du mur escarpé, au-dessus du disposèrent

les

lance-flammes

et

coffre ouest

d'en haut,

secours d'un bras coudé, en introduisirent

dans

les

avec

le

tuyaux-

les

embrasures. Une flamme de 2 mètres, accom-

pagnée de fumée épaisse, chassa

la

garnison loin

d<

canons. Alors trente pionniers environ, profitant

(\c>

brèches


LES DERNIERS JOURS DU FORT DE

276

ouvertes dans

la

VAUX

maçonnerie, purent descendre dans

couronnement du

fossé et arriver de l'autre côté sur le

parapet principal où, couchés,

le

s'aménagèrent une

ils

sorte d'abri dans l'amoncellement des décombres. Cette les

Français ayant

qui lui

interdisaient la

troupe fut aussitôt coupée,

petite

remis en jeu retraite, dès

les mitrailleuses

que dans

fumée

le coffre la

se fut dissipée.

Dans l'énorme vacarme du feu de barrage allemand

tombant à 200 mètres derrière vaient se faire entendre à

mandait dut

le fort, les cris

20 mètres.

L'officier qui

en agitant sa casquette,

faire,

ne pou-

les

comsignes

du télégraphe Morse.

À

sept heures

du matin, on

celui de l'est, après

coffre,

brèche que

les

réussit à prendre le

que

second

garnison, par

la

une

obus avaient ouverte, eut été accablée de

grenades à main

trente

:

mitrailleuses, avec

hommes y

furent pris, et les

abondance de munitions, furent

uti-

lisées.

Mais

la

fumée

façon passagère;

n'avait neutralisé l'autre coffre que de fallait

il

donc

le

comment. On remplit de grenades terre, les

on

les laissa glisser le

embrasures,

et

on

long du

prendre, n'importe à

main des

mur

sacs à

jusque devant

les fit alors exploser.

Mais cela

ne put

se faire sans

car

Français avaient posé une nouvelle mitrailleuse

les

danger pour

les

braves pionniers,


LK RÉCIT

ALLEMAND

277

dans une porte non loin des embrasures

pouvaient

et

ainsi tirer d'en bas contre toute tête dépassant le

bord

supérieur du mur. Pourtant vers dix-sept heures,

les

explosions réussirent, et l'on put ainsi pénétrer enfin

dans

le

qu'on avait attaqué

coffre

nison, par

un

premier. La gar-

le

couloir profond passant sous le fond

fossé, s'était réfugiée

dans l'intérieur du

du

L'opéra-

fort.

tion avait été longue, car les explosifs ne pouvaient, à

cause du la

de barrage des Français, être montés sur

tir

pente que par petites quantités, au prix d'extrêmes

dangers.

Du

moins, pendant l'attente,

les fantassins

explosifs

pionniers et

les

qui ne travaillaient pas directement aux

creusèrent des

tranchées

glacis, et plus à l'ouest, à côté

ces positions avec

les

du

en

fort;

haut, ils

sur

le

occupèrent

mitrailleuses conquises, contre

une attaque possible venant du sud-ouest. Vers dix-neuf heures, on poussa plus avant vers

gorge du

fort,

parapet,

le

était

après avoir franchi, derrière

second fossé, qui sous

le

le

la

premier

bombardement

devenu une excavation large où gisaient d'énormes

débris de béton. Les coupoles blindées silures dans

premier parapet

— un

poste

le

d'observation a chacun

des deux épaulements, une grande coupole au milieu,

armée de deux canons, exhaussé

et blindé, à

et

un abri

de

mitrailleuse

l'épaulement de gauche

— étaient


LES DERNIERS JOURS DU FORT DE VAUX

278

inutilisables et dépouillées

béton

tous côtés la

de fer de l'armature se dressaient de

tiges

les

;

de leur épais revêtement de

comme

position d'infanterie placée plus haut sur

avait été

De même

piquants d'un hérisson.

les

complètement labourée par

les

le

cavalier

obus

alle-

mands. Alors

commandant

le

dans l'ouvrage

même,

des pionniers voulut pénétrer

et cela par le

même

couloir sou-

terrain qu'avait suivi la garnison du coffre enfumé. escalier descendait palier,

profondément, puis venait un court

un roide

puis

escalier

montant jusqu'à une

chêne qui empêchait

solide porte de

d'aller plus loin.

Le lieutenant des pionniers Ruberg décida de sauter cette porte en y plaçant tout ce qu'il

grenades à main et de mettre à profit s'ensuivrait pour

donner

la

la

fallait

l'assaut avec ses soldats.

fois

de

il

Pour fallait

troupe gagnât assez de temps pour pouvoir,

mèche une ter

faire

confusion qui

n'être pas elle-même anéantie par l'explosion,

que

Un

la

allumée, descendre l'escalier et remon-

de l'autre côté, ce qui exigeait au moins un cordon

brûlant vingt secondes. Le lieutenant Ruberg, à défaut

de pétards explosifs, grenades;

il

les

lia

donc ensemble une douzaine de

assujettissait contre

lorsqu'il entendit, derrière celle-ci, le

Français et

le petit

crépitement

la

lourde porte,

chuchotement des

significatif

d'un cordon


LE RÉCIT ALLEMAND Bickford. car, en

Il

une demi-minute au

du dedans, riorité

donc plus

n'avait

et les

fit

temps de

la réflexion,

plus, la porte allait sauter

Français auraient dans ce cas

morale de

Le lieutenant

le

279

l'assaut.

signe à ses

détonateur normal

Il

donc

fallait

hommes

la

supé-

devancer.

les

de se garer,

tira le

d'une des grenades à main, qui

fonctionne en cinq secondes, et se jeta au bas de l'escalier

pour n'être pas mis en

quand

se produisit

posée

par

les

l'autre, sous

pièces.

Il

était à

une formidable explosion

Français sautait en

même

son action. La pression de

dos plusieurs

avant dans

le

éclats. Ses

la

:

charge

temps que lança

l'air

lieutenant à quelques mètres plus loin, et le

mi-chemin

il

le

reçut dans

pionniers se jetèrent en

couloir, arrivèrent jusqu'à

un croisement,

mais furent alors reçus par deux mitrailleuses placées à angle droit environ à dix pas en arrière,

devint impossible de pousser plus loin. ter toute la nuit.

Il

Il

si

bien qu'il

fallut

y avait désormais deux

patien-

comman-

dants du fort de Vaux, un

commandant

terre, et, au-dessus de lui,

un commandant allemand.

français sous

Les Français ne pouvaient nulle part sortir

la tête

recevoir aussitôt des balles ou des grenades; et

mands,

provisoirement,

lei Alle-

ne pouvaient avancer,

horrible odeur émanait de toutes

les

tissures

au plafond des casemates, Les cadavres

<le>

lani

T

l

ne

ouverte* Français


LES DERNIERS JOURS DU FORT DE VAUX

280

morts dans

combats précédents

les

dessous; on ne pouvait ni

gisaient encore 2à-

tirer

les

ensevelir dans le roc épais et dur.

au dehors,

Au

cours de

ni les la

nuit

une douzaine de Français essayèrent de se frayer une issue.

Ils

niers

par

furent en partie tués, en partie les

déjà

postes

installés

faits

prison-

au sud-ouest du

fort.

Le 3

juin, à cinq heures,

un aviateur

français vola

au-dessus de l'ouvrage pour reconnaître exactement la situation.

Il

pour mieux si

vite

que

descendit très bas, peut-être à 100 mètres, voir,

mais

il

volait avec de tels zigzags et

la partie sensible, le

cœur de

être atteinte dans ces quelques secondes. et,

dix minutes plus tard,

22 centimètres

un

Il

échappa

:

effroyable feu d'obus de

qu'il fallut

de

la

gorge

au plus

vite se

s'abattit sur les tranchées

que nous occupions, en sorte

ne put

l'avion,

réfugier dans les casemates conquises.

Aujourd'hui, 4 juin, voici fort est partagé entre les

à l'intérieur

comme

des

le

quatrième jour que

deux partis

;

les

le

Français sont

prisonniers rebelles

qui

se

défendent contre leurs surveillants. C'est une situation qui jamais, dans la guerre de forteresse, ne s'était à ce

point prolongée.

La conduite de

la

garnison française est admirable ;

mais encore plus admirable

est l'héroïsme des

compa-


LE RECIT

ALLEMAND

2-1

gnies allemandes qui jours et nuits, sans un

moment

de

sommeil, sans une goutte d'eau, presque sans nourriture, résistent

au feu

le

pas prise jusqu'à ce que

plus terrible, et ne lâcheront

le

dernier coin des souterrains

de Vaux soit en notre possession.

(Kurt von Reden.)

DEUXIÈME PARTIE (Relardée dans sa transmission

par

et

amputée

la censure.)

Quartier général des troupes d'assaut, nord-est de Vaux, 7 juin.

Cinq jours

et cinq nuits le terrible

combat

a fait rage

sans interruption à l'intérieur du fort de Vaux, jusqu'au

moment où les leurs derniers

restes de l'intrépide garnison, prives de

moyens de

résistance, se sont rendus au

vainqueur. J'ai

3 juin;

déjà décrit tout au long les combats des 2 ils

continuèrent

les

et

jours suivant avec une


LES DERNIERS JOURS DU FORT DE VAUX

282

ténacité et

un acharnement sans exemple. La

était

que dans

telle,

un deuxième

dire,

le fort s'était

fort

que

les

situation

formé, pour ainsi

Français, au mépris de

leur vie, défendirent jusqu'au bout.

Après avoir

fait

sauter la lourde porte ouvrant sur

le

du poste d'observation ouest à

la

couloir qui conduisait

caserne de

dans

la

gorge,

les

Allemands avancèrent pas à pas

le couloir. Il était très

sombre, large seulement de

90 centimètres, sur un mètre

et

demi de hauteur;

les ê

Français avaient dressé une barricade en sacs de terre sur deux mètres de profondeur, et installé derrière elle

une

mitrailleuse.

Il

fallut

encore faire sauter

la barri-

cade, pour tomber sur une autre quelques mètres plus loin. Ainsi les Français furent repousses' pas à pas sur

une longueur de 25 mètres. Près de la gorge,

la

cour de

la

caserne avait jadis

formé une plate-forme de béton, épaisse de 5 mètres environ au-dessus des couloirs et des magasins souterrains versé.

mais ce n'était plus Jqu'un vaste cratère boule-

;

Les obus lourds, dans ce cratère

sèrent encore

crevant

la

creu-

une sorte d'entonnoir, au fond duquel,

dernière voûte, une étroite ouverture pouvait

donner accès vers jusqu'alors

même,

l'intérieur

de l'ouvrage. Les Français,

complètement protégés par en haut

et

com-

plètement enfermés, furent en grand danger soudain


LE RÉCIT ALLEMAND enfumés par

d'être

ment dont

283

cette ouverture. Mais le

le fort était

bombarde-

écrasé rendait pour nous l'obser-

vation presque impossible. Les Français furent

les

pre-

miers à remarquer, de l'intérieur, que l'explosion avait défoncé complètement un plafond tant le bord de l'entonnoir,

le

;

ils

occupèrent à

l'ins-

garnirent de sacs de terre,

y installèrent une mitrailleuse;

ils

commandaient

ainsi

une partie de ce paysage accidenté quêtait devenu

le

dessus du fort. Par suite, les communications des Alle-

mands avec

cette partie supérieure, libres auparavant,

se trouvèrent

passablement limitées;

ne réussirent

ils

pas non plus à s'approcher suffisamment pour accabler

de grenades

Chez et

de

les

soif.

le

nouveau point d'appui.

Français, se multipliaient

les

Quelques-uns réussirent, par

signes de faim le

fossé de la

gorge qui restait en leur possession, à s'échapper vers le

bois de Montagne, devant

le fort

de Souville. Dans

cette direction se trouvait la première ligne d'infanterie française. Par là aussi, le

commandant du

fort,

n'eut plus de pigeons voyageurs, envoya des

quand

il

hommes

de liaison. Les communications téléphoniques souterraines étaient détruites par Les obus lourds.

La position de

la

garnison française ne cessa d'empi-

rer les 5 et 6 juin; le

nombre

des morts et surtout des

blessés s'accrut rapidement; enfin

il

oe resta plus pour


LES DERNIERS JOURS DU FORT DE VAUX

284

les blessés

même

blessés, depuis et,

depuis

dant

que 50

hommes non

d'eau. Les

deux jours, n'en avaient pas une goutte

le 5,

n'avaient presque rien mangé. Cepen-

Français

les

litres

continuaient à tirer du côté de

la

gorge, par les embrasures de la caserne et celles des fossés, sur tout

but qui se présentait. La garnison

mande du

de Vaux subit ainsi des pertes. Elle en

fort

alle-

subit d'autres, particulièrement sensibles, sous les feux

de flanquement continuels, que

à l'ouest, envoyait sur

Damloup

le fort.

La

situé tout près,

batterie haute de

procédait également, du sud, à

un bombar-

fort gênant.

Le 6 juin après midi, vint

point d'appui d'in-

muni d'un canon de campagne,

fanterie,

dement

le

extrêmement

la situation des

difficile.

Allemands de-

Les casemates qu'ils occu-

paient furent énergiquement et continûment arrosées,

d'abord de projectiles à gaz, quelque temps plus tard d'obus lourds. Les deux bombardements ne devaient être

que

les

avant-coureurs d'une

l'infanterie visant à la reprise

ouest.

de l'ouvrage par

Mais cette attaque fut brisée par

droyant du

seconde

tir

même

de barrage allemand, qui

elle se

de

le

sud-

l'effet

fou-

commença

à la

déclancha.

Aujourd'hui, au petit matin, s'est

contre-attaque

la

garnison française

rendue par l'organe de son commandant. Les

pri-


ALLEMAND

LE RECIT sonniers qui

image delà

commencent

d'arriver

285

sont

ici

vivante

la

désolation...

(Kurt von Reden

Ce texte, de rédaction convenable, appelle quelques brefs commentaires.

Le combat devant senté

comme

le

fort le 2 juin est repré-

détaché des combats livrés

sur le saillant d'Hardaumont, le bois ligne des retranchements, et, le

Damloup en

fait

et sur la batterie

éléments placés à l'ouest blés

sous

d'aborder

le

Fumin

même

et la

jour, à

de Damloup, quand

intégrante. C'est

partie

la veille

et à lest

il

des

la

retraite

du

fort et acca-

nombre qui permet

à

l'ennemi

les coffres.

Le nombre des canons

et mitrailleuses préposés

à la défense de ces coffres est doublé dans

la

\

vi-

sion allemande.

Le

fossé

nord n'étant plus battu devient pour

l'ennemi une sorte de place d'armes.


LES DERNIERS JOURS DU FORT DE VAUX

286

La du

paradoxale

situation

fort

dessus

et

d'un

commandant

commandant du

d'un

fort

dedans, l'un allemand, l'autre français, n'était pas

nouvelle.

Elle

mai au

versée, les 22, 23 et 24

mont dont occupaient

les la

troupes

présentée,

déjà

s'était

du

fort de

général

in-

DouauMangin

superstructure et une partie des

casemates. C'est le 4 juin, vers midi,

que

les

Allemands,

par-dessus le barrage de sacs de terre, purent lancer des flammes et des gaz asphyxiants.

La version allemande nous apprend un admirable détail de la résistance, ou plutôt complète le

rapport d'un observateur d'artillerie signalant

le

6 juin que la coupole blindée

éventrée.

enfermés s'écroule.

voûte qui

du

fort serait

Les assiégés ne sont pas seulement et

enfumés. Voici que sur eux

Une ouverture les

protège.

Ils

s'est

le

plafond

produite dans

la

s'en aperçoivent les pre-

miers, bouchent en partie la fissure avec des sacs

de terre, mais réussissent à installer une mitrailleuse qui bat une partie de la superstructure et


LE RECIT ALLEMAND

gêne considérablement Cette mitrailleuse est qu'elle ne et

si

progression ennemie.

la

heureusement manœuvrée

permet pas aux

de paralyser son

287

tir

assaillants

d'approcher

avec des grenades. Cet

incident peut être fixé au 5 ou 6 juin, car

le

rap-

port de l'aspirant Buffet, qui résume

du

fort

jusqu'à

du 4 au

la nuit

Ainsi, jusqu'au

5,

le

mentionne

moment,

dernier

et la vigueur des

ne

la vie

pas.

l'ingéniosité

défenseurs ne se ralentissent

pas. Il

n'y eut aucun projet de contre-offensive de

notre

part dans

l'après-midi du 6 juin. Notre

attaque du 6, à deux heures du matin, avait

échoué de bien peu. Celle de

la

ne put avoir lieu que dans

matinée du

soir

du 6 juin,

c'est,

la

brigade mixte 8.

Le

au contraire, une violente

attaque ennemie dans

la

région de Vaux qui

échoua sous nos feux. Enfin, est-il possible de comparer avec équité

à la défense soutenue six jours dans bles conditions

que

les

effroya-

l'on sait, l'incontestable

mais

combien plus explicable endurance des troupes


LES DERNIERS JOURS DU FORT DE VAUX

288

d'assaut

relevées,

serait-ce

que par l'eau du

tomba à

ravitaillées,

diverses reprises

ciel

abreuvées,

ne

car la pluie

et respirant

un

air

qui n'était pas contaminé et pestilentiel?

Le

véritable vainqueur

et le récit cite

du

fort doit être

nommé

allemand ne prend pas garde

qu'il le

hommes non

blessés,

quand

il

dit

:

«

Les

depuis deux jours, n'avaient plus une goutte d'eau.

»

Plus une goutte d'eau, dans les couloirs

empoisonnés par les

la

fumée des grenades

et

par

gaz asphyxiants.

Le Soif.

véritable

vainqueur du fort s'appelle

la


II

LE DERNIER EFFORT

Les monts sont hauts, ténébreux vallées profondes,

derrière l'année,

les les

et

immenses

torrents rapides.

trompettes sonnent,

,

Devant et

les et

toutes

semblent répondre à l'olifant. L' Empereur chevauche

avec colère, lui.

et les

Français, courroucés

Pas un qui ne pleure

et

et tristes,

ne se lamente, pas un

gui ne prie Dieu de protéger Roland jusqu'à ce arrivent ensemble sur

le

avec

champ de

qu'ils

bataille et qu'ils

frappent avec lui courageusement Mais à quoi bon? .

Tout

cela est inutile;

ils

sont trop en retard pour

arriver à temps.

Les trompettes de Charlemagne ne pourront pas réveiller Roland à Roncevaux.

Le

7 juin, le fort

ne répond plus aux appels 10


LES DERNIERS JOURS DU FORT DE VAUX

290

optiques.

Le communiqué allemand

mais ne

prise;

9 mars?

l'avait-il

pas annoncée déjà le

Le commandement ne

l'évidence.

Il

lui

faudra

renonce à dégager

la

a annoncé sa

rendra qu'à

se

pour

la certitude

qu'il

garnison. Certes, l'ouvrage

écrasé n'est qu'un point du front et n'a plus de

valeur par lui-même. Mais

il

abrite peut-être

encore sous ses tenaces voûtes des Français. e

Le général

Nivelle,

commandant de

mée, adresse

le 7 cet

ordre du jour au groupe-

ment chargé des opérations dans Vaux

a

la

la II

ar-

région de

:

La

brigade mixte placée sous

colonel Savy, composée

du régiment

colonial

les

ordres

du 2 e régiment de zouaves

du Maroc, a reçu

et

la plus belle

mission que puisse envier une troupe française, d'aller

du

celle

au secours de compagnons d'armes qui font

vaillamment leur devoir dans des circonstances tragiques. «

les

Choisis dans l'héroïque

armée de Verdun parmi

plus dignes de la grandeur de cette mission,

le


.

LE DERNIER EFFORT

2 e zouaves

et le

291

régiment colonial du Maroc, soutenus

par une puissante

animés de

artillerie,

inébranlable d'aller jusqu'au

volonté

la

bout de leur tâche,

aborderont l'ennemi avec leur magnifique élan accou-

tumé

et

ajouteront de nouveaux lauriers à ceux qui

couvrent déjà leurs drapeaux

Le pays saura

«

leur prouver

reconnais-

sa

sance.

Bonne chance, camarades,

a

niers

préparatifs.

grenades,

des

vive la France.

R. Nivelle.

«

La journée du

et

7 juin est

consacrée aux der-

touchent des

Les bataillons

fusées,

»

des feux

de

bengale-

signaux ainsi qu'un second bidon de deux

La

distribution

Chaque

homme

vivres, car lité

il

des cartouches doit

est

litres.

complétée.

emporter quatre jours de

ne faut point compter sur

du ravitaillement. Enfin lecture

la possibi-

est

donnée

des ordres dans chaque compagnie, afin que nul n'ignore l'importance de

la

mission à accomplir

:


292

LES DERNIERS JOURS DU FORT DE

VAUX

des camarades attendent qu'on vienne

à

leur

secours.

La marche d'approche conditions

les

:

se fait

dans

les pires

pluie, terrain détrempé, nuit noire

guides s'égarent, ce qui retardera l'entrée

en ligne de

compagnies. L'attaque doit se

trois

déclancher à quatre heures dix. l'ennemi attaque lui-même à

Une heure grenade

la

avant,

et revient

à la charge une seconde fois à la tranchée de Belfort.

Il

est repoussé,

mais

il

a jeté quelque

confusion dans nos rangs.

Néanmoins, au

petit jour, les zouaves et l'in-

fanterie coloniale abordent l'ennemi

magnifique élan accoutumé

»

.

«

avec leur

Sans doute,

poir de secourir les défenseurs de

Vaux

l'esest-il

bien précaire. Tant de signes indiquent, en effet,

radiogramme allemand

qu'il est trop tard. Si le

qui a annoncé la capitulation est sujet à caution, les observatoires

ont remarqué des modifications

dans l'aspect des voûtes le pare-éclats

:

devant

les salles 7 et 8,

en sacs de terre ou en pierre est

presque complètement détruit.


LE DERNIER EFFORT

Sous une tempête de feu garder sa conquête

203

car l'ennemi entend

— nos fantassins progressent.

veulent aller jusqu'aux camarades.

Ils

Un

ses

iront.

obus pénètre dans un poste de commande-

ment. L'appareil reste a les

Ils

intact,

mais

le

deux mains coupées par un

moignons à son chef

téléphoniste

éclat.

et s'excuse

tend

Il

:

— Je ne peux plus téléphoner. Gomme

l'attaque

du 6

juin,

l'attaque de la

brigade mixte parvient à entourer

l'ennemi occupe

la

le

Mais

fort.

superstructure et ses mitrail-

leuses nous occasionnent de lourdes pertes.

renforts lui arrivent sans cesse.

Le

Des

bataillon de

droite ne peut que s'accrocher au terrain après

une lente progression. Au centre, se poursuit

jusqu'aux fossés du

moment que

les

la

fort.

progression C'est à ce

mitrailleuses allemandes nous

font le plus de mal. Les chefs de l'expédition

tombent

l'un après l'autre et,

mandant Mouy,

Gilbert et

officier

du Maroc

et

le

parmi eux,

le

com-

commandant Jérôme de

de cavalerie breveté qui, revenu affecté à

un état-major d'année,


LES DERNIERS JOURS DU FORT DE VAUX

294

demandé

avait

le

commandement d'un

bataillon

de zouaves.

Les deux bataillons sans cadres sont contraints de renoncer à cher dans

Une

les parallèles

du

de se retran-

fort et

du départ.

explosion, tout à coup, se produit dans

une épaisse fumée noire

le fort, et

mate

la reprise

sort de la case-

5.

Aucun

être

humain

n'est plus vivant

dans ce

réduit.

#

A

huit heures du matin, le bataillon du régi-

ment

colonial qui est en soutien ne sait encore

rien de précis sur l'opération engagée, sinon que les

deux bataillons d'assaut ne sont pas revenus.

Donc

ils

ont dû progresser, et

ils

ont besoin de

munitions pour parer aux contre-attaques imminente».

Une corvée de 80 hommes

est

détachée

sous les ordres d'un ^ieutenant et de l'aspirant

Jacques Bégouen.

Ils

emportent des grenades,

des fusées et des feux de bengale pour jalonner


,

LE DERNIER EFFORT

On peut

nos lignes.

295

les suivre sur le terrain

aux notes de l'aspirant Bégouen dont

je

un passage.

Celui-là aussi sera plus tard

niqueur de

la

deux

drapeaux

comme

lui à cet

Maroc qui

dont

frères

un chro-

il

a sous

un appartient

héroïque régiment colonial du

Dixmude au mois de

s'est illustré à

décembre 1914 s'est

citerai

guerre. Fils du comte Bégouen,

dont on connaît l'érudition historique, les

grâce

et qui

,

dans

la bataille

de Verdun

acquis de nouveaux titres de gloire.

Carnet de notes de l'aspirant Bégouen.

(8 juin.)

. . .

Nous

voilà donc partis

par fractions mélangées

pour accomplir une mission des plus oit l'on

a besoin de la connaissance réciproque des

hommes, de en vous.

périlleuses, celle

.

l'aide

de bons gradés gui aient confiance

.

Le guide marche lentement en sont chargés,

il

tête.

Les

hommes

faut que tous suivent. Nous traver-

sons un bois de

taillis,

où un profond boyau

se


.

LES DERNIERS JOURS DU FORT DE VAUX

296

cache, endroit qui ne peut être pris sous l'artillerie

ennemie.

mi-mollets

.

La

liquide nous arrive à

contre-pente est finie, nous voilà arrivés de la saucisse boche.

C'est à cet endroit

de barrage

que commence

la

zone des

tirs

de battage mathématiques qui ne s'ar-

et

que sur les premières lignes françaises

La

route traversée, nous montons la pente raide

qui conduit à la sont abîmés... cisse tir

feu de

Tout va bien.

nouveau face à

rête

La boue

le

crête.

Déjà

les

arbustes

Le labourage commence. Mais

ne nous a pas encore vus

et

arbres

et les

la sau-

nous supportons

le

ordinaire de battage; cinquante ou soixante obus

à peine tombent à droite

Avant de franchir

et

à gauche du

la crête,

La première équipe en avant

petit

nous faisons

boyau.

la pause.

continue peu à peu son

chemin.

Le guide me demande vous conduire?

»

ligne.

»

lonel.

»

// ne connaît

a

tout à coup

«

Mais moi,

On m'a

je dois

pas

le

dit

:

a

Où faut-

en première

m' arrêter chez

chemin pour

le

co-

aller

en

première ligne. Nous avançons quand même. Nous


.

LE DERNIER EFFORT voilà sur

plateau de carnage, où

,e

devenus des

les

dans toutes

sont

toutes

mort sont

la

.

Je recommande à mes les

boyaux

lambeaux de

cadavres groupés par

les positions.

bonds dans

les

quelques rares troncs

pistes, la forêt,

échevilés, où le sol est fait de sortes,

297

hommes

trous d'obus,

et

me

de

suivre par

nous commençons

la

marche pendant 200 mènes.

A

moment,

ce

droite, le

encore

le

au

aller

Mais je dois

Je ne sais pas et,

guide nous arrête

boyau pour «

:

le

colonel.

aller en

»

du

colonel.

»

colonel

le

en moins de temps qu'il n'en faut pour

détale dans la direction

J'insiste

première ligne.

chemin, je vais chez

à

Voici,

«

:

Que

le

dire,

»

il

faire? Les

hommes

sont fiévreux, ne veulent pas marcher sans

guide.

Nous fonçons

du car

.

.

Le boyau ne peut

colonel. il

est

tous dans la direction

comblé de cadavres.

des biffins, des coloniaux.

de cadavres,

les

.

.

se voir Il

y

dans

pas sont marqués,

que par endroits

a de tout celle et

:

du génie,

boue mélangée

dans une

tout cela

odeur acre de sang, de chair corrompue. se tendent,

du poste

vous commencez à devenir

.

le

.

I

OS nerfs

surhomme


.

.

LES DERNIERS JOURS DU FORT DE VAUX

298

que vous serez quand

Nous guide

voilà à

poudre vous aura brûlé...

un poste de

relais de coureurs.

Notre

Je m'apprête à l'engueuler vivement et

est là.

demander des

à lui

la

quand un rempla-

explications,

çant arrive pour nous conduire, cette fois, en pre-

mière ligne. Il sait

pour reprendre

hommes Sur vite

chemin, celui-là. Demi-tour

chemin vers

sont très fatigués. instances

les

on

le

le

le

fort de Vaux. Les

Une pause

est faite.

du guide qui prétend que plus

mieux ça vaudra, nous repartons. Nous

ira

revoilà sur le bon chemin.

La première

corvée, con-

duite directement par son guide, est loin. Elle a passe le

de

plateau la

et

Mort.

feu sur eux

.

descend maintenant

En

déclanchent leurs

et

l'air.

La danse

commencent à

Le

tirs

le

de barrage, une

commence.

..

partout ça

.

avant.

ront plus.

pente du Ravin

Les Boches en ce moment ouvrent

.

pluie de fer. de tous calibres

saute en

la

est

effroyable. Les

s'espacer, si je m'arrête

ils

hommes

ne reparti-

.

soleil

éclaire

comme jamais de

tout

ce

paysage.

..

Occasion

faire une photo magnifique

:

au


.

LE DERNIER EFFORT fond, à gauche,

de

la

quant

fort de Vaux ; à droite,

le

Woè'vre ; à gauche, le

299

les

plan,

le

plaines

quelques troncs

mar-

210 fusants

bois de la Caillette, noir de

Au premier

les

champ de carnage où

les

trous

d'obus se touchent, se mangent, pleins de morts. Et partout des trombes de terre

de matériaux sautant

et

sous l'impulsion des obus»,. C'était unique

à prendre, puisque

Mais mon appareil

La mission ravitaillées

est

dans

c'était

était

en faisant

mon

et si facile

devoir.

.

au fort de Tavannes.

remplie et les trous

les

premières lignes

d'obus

vient au fort de Tavannes.

:

l'aspirant re-

Cependant

il

faut

retourner à l'avant, en plein jour; Bégouen y retourne.

Quelques jours plus tard, relevé, rivée au

cantonnement

Nous sommes boue, pâles

et

décrit l'ar-

:

premiers arrivés

:

fantômes de

fragiles, on accourt vers nous.

On

main, on

est

heureux de nous revoir,

nous, malgré toutes

les

souffrances, la fatigue,

)ious serre la et

les

il


.

.

LES DERNIERS JOURS DU FORT DE VAUX

300

nous ne donnerions rien pour changer notre place .. Pleins de joie orgueilleuse, nous serrons la •tous ces soldats

propres

Nous buvons avec bouillant. Puis

et

main de

frais qui nous entourent.

délices quelques quarts de café

on nous conduit chez nous. Avant de

nous quitter pour reparaître propres , je serre à tous ceux qui

Au

U*i

ont suivi; je

main

me souviendrai d'eux.

plus fort des assauts contre le retranche-

ment dont mire

m

la

la

il

a la garde, le capitaine Delvert ad-

pose d'un grenadier lançant ses grenades.

du 142 qui a pu e

soldat

sortir

Vaux, racontant l'attaque par

les

du

fort

flammes,

de les

gaz, les pétards explosifs et la porte qui s'écroule, et les

hommes

qui sautent, et les Boches qui se

précipitent, et le lieutenant Bazy qui leur harre le

couloir,

ne

peut

se

C'était superbe! L'aspirant

sa corvée

tenir

de

:

Bégouen, conduisant

sous la trombe de fer,

appareil photographique.

constater

regrette son

Éternelle race

amou-

reuse de beauté, chez qui rien ne peut abolir le

goût de voir et de sentir

la vie.

.


III

LA MOISSON FUTURE

Vaux

est

perdu, momentanément, mais Vaux

sera repris et la bataille de

à jour.

La

bataille de

Verdun

se

gagne jour

Verdun, jour après jour,

prend son sens. Le fantassin qui ne connait que ses

camarades

de

immense armée

tranchée

fait

partie

d'une

répartie sur tous les fronts

:

sa

sueur et son sang se mêleront dans l'histoire au

sang

et à la

tains.

Un

coin de sol disputé qui est considéré

comme un réalité,

se

sueur de ses frères inconnus et loin-

but unique dans l'espace n'est,

en

qu'un point du vaste front mouvant ©ù

heurtent

les

deux forces du monde.

Cinq jours après

la prise

général en chef porte

troupes de Verdun

à

du

fort, le 12 juin, le

la

connaissance des

les victoires russes

en Buko-


LES D

302

dans

vine et en Galicie

le plan muri par

cet

ordre du jour

:

les conseils de la coalition est

maintenant en pleine exécution.

Soldats de Verdun, c'est a votre héroïque résistance qu'on le doit. C'est elle qui a été la condition indispensable, c'est sur elle que reposent nos victoires prochaines

;

car c'est elle qui a créé sur

l'ensemble du théâtre de la guerre européenne une situation dont sortira demain le triomphe définitif

de notre cause.

Maintenant l'ennemi contenu subira notre et notre

manœuvre.

Le 10 mars, l'ennemi fort

de

de Vaux.

la

loi

Il

n'est plus qu'à 2

contrescarpe.

300 mètres, d'efforts

il

gravit les pentes nord

ou 300 mètres

Pour franchir ces

emploiera

trois

du

2

ou

mois. Trois mois

surhumains, d'attaques incessantes, de

dépense inimaginable de munitions, d'invraisemblables pertes

de jeunes hommes, fleur de

nation. Trois mois,

but dans

la

guerre.

comme

s'il

la

n'avait pas d'autre


FUTURE

LA MOISSON

pendant ces

Et,

trois

mois,

303

la coalition

achève

d'élaborer, préparer et exécuter son plan.

On se bat au

7 juin.

devant

Et

dessus et dedans, du 2

le fort,

le 4, la

première offensive russe au

sud du Pripet se déclanche. Elle contraint sans retard l'Autriche à abandonner sa propre offensive contre le Trentin.

On

se bat

devant Verdun depuis

on continue de

L'offensive italienne sur le

en juin

s'y battre le

le

et

21 février;

en

juillet.

Trentin se déclanche

25 juin, en attendant celle des premiers jours

d'août sur l'Isonzo. L'offensive franco-anglaise sur

la

Somme se

déclanche

le

er

1

juillet, et l'offen-

sive russe centrale le 3 juillet.

Soldats de Verdun, tance qu'on

c'est

à votre héroïque résis-

le doit. ..

#

Dans Gueire

et

Paix,

#

le

prince Bagration, pen-

apprend de mauvaises nouvelles,

dant

la bataille,

mais

sa tranquillité

étonne et rassure

les aides

de


.

304

LES DERNIERS JOURS DU FORT DE VAUX

camp

qui les apportent.

Il

a dans l'avenir de la

Un

Russie une confiance inaltérable.

mentané ne

échec mo-

saurait ébranler en lui la certitude

du triomphe

final.

Rien qu'à

ceux qui

le voir,

l'ap-

prochaient avec des figurés décomposées sentaient

calme leur revenir.

le

.

Ainsi s'explique la rassurante parole entendue à

Verdun au mois de mars, quand

première

fois, subissait la

— Vous pouvez

tempête

le fort,

une

:

être tranquille.

Car l'avenir s'organise.

Le

fort a joué

son rôle devant

la

citadelle

inviolée de Verdun. Et pendant qu'il contenait

l'ennemi, l'orage s'amoncelait ailleurs qui réduira

un jour en morceaux

la

puissance alle-

mande.

Pauvre fort de Vaux, réduit de poussière

et

de

cendre, merveille de résistance, toi qui battais

comme un fixés sur toi

cœur,

le

monde

entier eut les

yeux

pendant quelques jours. Le monde


.

LA MOISSON FUTURE

IOS

entier ne se trompait pas en ^attribuant cette

importance que ton courage vais des plans

élargissait.

que tu ne connaissais pas

aujourd'hui ta part dans toutes

les

Tu

ser-

et tu as

opérations qui

se déroulent et se dérouleront.

Les

pays

arrosés par la

montrent, quand

la

lave a passé,

incomparable. Sur ton

une moisson de une source vive çais.

lave

sol

des volcans

une

fertilité

convulsé va croître

victoires, et de ta défense jaillira et inépuisable

d'héroïsme fran-

.

Mars-août 1916.

FIN

in



ENVIRONS DU FORT DE VAUX Échelle au



Coffre double

Observatoire

i

-

observatoire

Escarpe Contrescarpe- -

Casemate

de

6/

Casemate de\Boùrges Coffre

simple

PLAN DU FORT DE VAUX



TABLE

LIVRE PREMIER

LE FORT I.

II.

— —

Paget.

Le Ce

fort

qu'il a

7

vu avant

le

21 février 1916

LIVRE

10

II

LA BATAILLE

— Le des corbeaux — Le chemin — Le maître de l'heure IV. — Les premiers combats de Vaux V. — Autour du mort VI. — Méditation sur VII. — Les témoignages de l'ennemi VIII. — Du 30 mars au 31 mai vol

I.

V3

II.

III.

7k 90

lavoir

la

LIVRE

1

10

116 15*

III

L'ÉTREINTE I.

II.

III.

— — —

La

pierre et

l'homme

161

L'étreinte se resserre à l'ouest

169

L'étreinte se resserre à lest

if


LES DERNIERS JOURS DU FORT DE VAUX

308

LIVRE IV

LA SEMAINE TRAFIQUE Page». I.

II.

III.

IV.

V.

— — — — —

La Le La

214 226 246 257 261

bataille sur le fort fort appelle

sortie

Quelqu'un est rentré Les dernières paroles

LIVRE V

LE DÉNOUEMENT II.

— —

III.

I.

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Le récit allemand Le dernier effort La moisson future

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L S

I

DM

mars -7 juin

(9

Le

fort.

La

1916)

bataille.

L'étreinte.

c-pium*

BORDEAUX ATIC 3 h- 5°

l.N-lô

La •main*

S

CAXTU

trafique.

Le dénouement.

EN CAMPAGNE

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marcel dupont f3*MUm

Impressions d'un Officier de légère Comment

j'ai

— La

rejoint le front.

Le fantassin boiteux.

— —

La prrtn

$ir.so «re

L'aflaire de Juu gonoa. reconnaissance de Courgivault. Nsil traUne vitite à Ke m* Messe basse et salut solennel. Première rccoonaïaS<xur Gabrielle. gique dan» les tranchas Nuit de Noil. sance aérienne.

charge.

— —

AVEC UNE BATTERIE DE bx

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