L'Indochine Française. 1931

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Indochine française. Ouvrage illustré de 32 hors-texte avec [...] cartes

Source gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France


Théry, René (1890-1952). Indochine française. Ouvrage illustré de 32 hors-texte avec [...] cartes. 1931. 1/ Les contenus accessibles sur le site Gallica sont pour la plupart des reproductions numériques d'oeuvres tombées dans le domaine public provenant des collections de la BnF. Leur réutilisation s'inscrit dans le cadre de la loi n°78-753 du 17 juillet 1978 : - La réutilisation non commerciale de ces contenus est libre et gratuite dans le respect de la législation en vigueur et notamment du maintien de la mention de source. - La réutilisation commerciale de ces contenus est payante et fait l'objet d'une licence. Est entendue par réutilisation commerciale la revente de contenus sous forme de produits élaborés ou de fourniture de service. CLIQUER ICI POUR ACCÉDER AUX TARIFS ET À LA LICENCE 2/ Les contenus de Gallica sont la propriété de la BnF au sens de l'article L.2112-1 du code général de la propriété des personnes publiques. 3/ Quelques contenus sont soumis à un régime de réutilisation particulier. Il s'agit : - des reproductions de documents protégés par un droit d'auteur appartenant à un tiers. Ces documents ne peuvent être réutilisés, sauf dans le cadre de la copie privée, sans l'autorisation préalable du titulaire des droits. - des reproductions de documents conservés dans les bibliothèques ou autres institutions partenaires. Ceux-ci sont signalés par la mention Source gallica.BnF.fr / Bibliothèque municipale de ... (ou autre partenaire). L'utilisateur est invité à s'informer auprès de ces bibliothèques de leurs conditions de réutilisation. 4/ Gallica constitue une base de données, dont la BnF est le producteur, protégée au sens des articles L341-1 et suivants du code de la propriété intellectuelle. 5/ Les présentes conditions d'utilisation des contenus de Gallica sont régies par la loi française. En cas de réutilisation prévue dans un autre pays, il appartient à chaque utilisateur de vérifier la conformité de son projet avec le droit de ce pays. 6/ L'utilisateur s'engage à respecter les présentes conditions d'utilisation ainsi que la législation en vigueur, notamment en matière de propriété intellectuelle. En cas de non respect de ces dispositions, il est notamment passible d'une amende prévue par la loi du 17 juillet 1978. 7/ Pour obtenir un document de Gallica en haute définition, contacter utilisationcommerciale@bnf.fr.





COLLECTION " ARISTA "

RENÉ

THÉRY

Directeur de " l'Économiste Européen " Rapporteur général de l'Institut Colonial Français.

L'INDOCHINE

LES ÉDITIONS PITTORESQUES



L'INDOCHINE FRANÇAISE



COLLECTION ARISTA

RENÉ

THÉRY

DIRECTEUR DE « L'ÉCONOMISTE EUROPÉEN » RAPPORTEUR GÉNÉRAL DE L'INSTITUT COLONIAL FRANÇAIS

L'INDOCHINE

LES ÉDITIONS PITTORESQUES 101, RUE DU FAUBOURG-SAINT-DENIS— PARIS-Xe

1931


Tous droits de traduction, de reproduction, d'adaptation et de représentation réservés pour tous pays y compris la Russie (U. R. S. S.)

Copyright by Les Editions Pittoresques, à Paris, 1931


AVANT-PROPOS

La guerre a révélé aux « Français moyens » la valeur de nos possessions d'outre-mer. Jusqu'en 1914, l'opinion commune ne s'y était intéressée que de manière occasionnelle, à l'annonce d'exploits des vaillantes troupes chargées de pacifier les régions soumises à notre domination; mais on ne considérait, le plus souvent, l'oeuvre d'expansion poursuivie par la IIIe République que comme une manifestation politique, que beaucoup déclaraient « somptuaire et sans portée ». Or, durant la crise tragique de 1914 à 1918, notre Empire colonial a donné à la Métropole en danger un appui dont l'importance a surpris ceux-là mêmes qui pensaient être éclairés sur ses richesses et qui avaient une foi absolue en sa vitalité: 535.000 combattants indigènes et 310.000 travailleurs y furent recrutés pour participer à notre défense; nous en tirâmes, au cours des hostilités, 2 millions et demi de tonnes de marchandises diverses (denrées alimentaires et matières premières); les souscriptions des « provinces lointaines » à nos emprunts d'État entre 1915 et 1920 montèrent à 2 millions et demi de francs, etc. Ce concours si efficace a commencé à ouvrir les yeux du public sur le rôle que nos territoires extra-européens ont à jouer dans notre évolution future, et les événements postérieurs à l'armistice ont parachevé son éducation en lui montrant combien il est onéreux, et parfois dangereux, de rester trop lourdement tributaire de l'étranger pour l'approvisionnement des objets de première nécessité. Le succès initial d'entreprises fondées par d'audacieux pionniers laissa penser, ensuite, qu'il pouvait être profitable de placer des capitaux


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dans des affaires se consacrant à l'exploitation des ressources de la « France extérieure », et à cet égard l'attention se trouva un moment appelée sur les sociétés indochinoises, dont certaines virent le prix de leurs actions atteindre des niveaux fort élevés. Bien des illusions sont nées de ces réussites exceptionnellement brillantes, mais parfois éphémères ; des déceptions en ont aussi été la conséquence, et l'on s'est aperçu qu'il est imprudent de s'engager dans « n'importe quelle » maison coloniale, qu'il convient, au contraire, d'apprécier les conditions générales et particulières auxquelles chacune est inévitablement assujettie. Mais pour juger exactement des possibilités d'évolution d'une firme, existante ou à créer, il est essentiel d'avoir préalablement une connaissance suffisante de la situation d'ensemble de la contrée où elle est destinée à exercer son activité; cette connaissance de la position et des perspectives d'avenir de nos diverses possessions n'est pas moins nécessaire à quiconque veut s'orienter vers une carrière coloniale ou, simplement, est désireux de mesurer tous les éléments du patrimoine national. Or, si d'excellentes études ont été publiées sur la plupart des contrées où flotte notre drapeau, elles sont ordinairement ou spécialisées et peu accessibles aux « non-techniciens », ou volumineuses et d'une consultation malaisée, ou, à l'inverse, ne constituent que des monographies attrayantes, donnant des notions trop superficielles sur le mouvement économique. L'ouvrede de « juste milieu » fait pratiquement défaut, susceptible d'être lu commodément et apportant des renseignements assez détaillés pour permettre ensuite de conduire sûrement des enquêtes plus approfondies. C'est cette lacune que les Éditions Pittoresques m'ont demandé de combler en ce qui concerne l'Indochine. Le plan et le caractère du livre répondent au but qui m'a été assigné : j'ai cherché à présenter un exposé concis mais complet et objectif de ce qu'est notre colonie, de ce qu'elle fait aujourd'hui et de l'essor nouveau dont elle est susceptible. Afin de définir les cadres dans lesquels se meut son activité, il m'a paru utile de décrire son aspect géographique, la nature, le caractère, les moeurs et la répartition de ses habitants, de résumer les circonstances de notre occupation et de notre implantation, puis d'analyser la constitution politique et administrative dont nous l'avons dotée et d'indiquer


AVANT-PROPOS

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l'outillage et l'organisation matérielle que nous y avons établis. L'examen de ses productions agricoles, minières et industrielles et des courants commerciaux qui la sillonnent, y aboutissent et en partent, suivra ces premiers développements, et une esquisse sera brossée, pour finir, des actuels » qu'il importe de résoudre à bref délai. « problèmes Chaque chapitre s'appliquera à « faire le point », en marquant les efforts accomplis jusqu'ici, en notant impartialement les heureux résultats acquis et les imperfections qui subsistent, en disant aussi quels progrès sont encore à attendre et quelles réalisations doivent être envisagées pour les hâter. Je me suis volontairement abstenu d'accumuler les tableaux statistiques, déplacés dans un travail de vulgarisation; des chiffres seront néanmoins cités fréquemment, de façon à fixer avec précision les idées et étayer les conclusions sur des bases solides; mais ils seront toujours « arrondis », tendant seulement à souligner des « ordres de grandeur ». Voulant être rigoureusement concret et « vrai », je n'avancerai rien qui n'ait été confronté avec les sources officielles ou corroboré par des renseignements sérieux puisés auprès des principales entreprises indochinoises, auprès de personnalités ayant vécu longtemps en Extrême-Orient, auprès des périodiques français les mieux informés de l'économie coloniale et de ceux, si passionnants, qui paraissent à Saïgon et Hanoï. Au cours de mes investigations, j'ai rencontré partout l'accueil le plus amical : les dossiers m'ont été communiqués avec une exquise bonne grâce, et l'on ne m'a refusé aucune explication; à tous ceux qui ont ainsi facilité ma tâche j'adresse un remerciement sincère. Mon labeur sera récompensé si la lecture de ces pages un peu sévères ne semble pas trop aride et laisse la conviction que nous avons en Asie une possession admirable, qui nous procurera de grandes satisfactions si nous y pratiquons une politique avisée et énergique, et si un nombre croissant de nos compatriotes collabore désormais à son plein épanouissement. Paris, 1er décembre 1930. RENÉ THÉRY.


Les photographies publiées dans ce volume nous ont été, sauf exceptions signalées à leur place, gracieusement communiquées par l'Agence économique du Gouvernement de l'Indochine.


CHAPITRE PREMIER

CONSIDÉRATIONS GÉOGRAPHIQUES 1

Situation générale. — Formation géologique. — Relief. — Climat. — Hydrographie. — Côtes. — Ressources naturelles.

— Le continent asiatique, dont la silhouette massive tranche curieusement avec les contours si découpés de l'Europe, se termine au sud par une série de projections puissantes, qui s'avancent assez profondément dans l'Océan Indien. La plus orientale, constituant une région de transition entre l'Inde et la Chine, d'une part, entre les hautes terres de l'Asie centrale et l'Insulinde, d'autre part, a reçu le nom de Péninsule indochinoise. Elle couvre approximativement 2.100.000 kilomètres carrés, soit sensiblement quatre fois la superficie totale de notre patrie, et est occupée : au sud-ouest et à l'ouest, par le Siam; au nord-ouest, par des possessions britanniques; au sud-est, à l'est et au nord-est, par l'Indochine française. Notre colonie, qui mesure environ 700.000 kilomètres carrés (ou le tiers, seulement, de la presqu'île), compte 1.500 kilomètres dans sa plus SITUATION GÉNÉRALE.

1. Cf.. notamment CHASSIGNEUX, Géographie physique, dans l'Indochine de GEORGES MASPËRO (1939); GEORGES HARDY, Géographie de la France extérieure (1928); OCTAVE HOMBERG, La France des cinq parties du monde (1928); Ct DUSSAULT, Inventaire général de l'Indochine : structure et géographie physique (1927); P. DESFEUILLES, L'Indochine (1927); G. WEULERSSE, L'Indochine française, dans la Géographie universelle de QUILLET (1923); CH. RÉGISMANSET, Le Miracle français en Asie (1932); H. RUSSIER et H. BRENIER, L'Indochine française (1911); PAUL DOUMER, L'Indochine française (1905); DE LANESSAN, La Colonisation française en Indochine (1895); id., L'Indochinefrançaise (1888)


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grande longueur (nord-sud) et 600 kilomètres dans sa plus grande largeur (est-ouest, dans sa partie septentrionale). Elle est comprise à peu près entre le neuvième et le vingt-troisième degré de latitude nord (donc située entièrement en zone tropicale), et entre le quatre-vingt-dix-septième et le cent septième degré de longitude est du méridien de Paris. Ses limites sont : au nord-ouest et à l'ouest, le cours ou le rebord occidental d'un grand fleuve, appelé le Mékong; au sud-ouest, le Golfe du Siam, dernier prolongement de l'Océan Indien; au sud-est et à l'est, la Mer de Chine, formée elle-même par l'Océan Pacifique; au nord-est, le Golfe du Tonkin, qu'a creusé la Mer de Chine; au nord et au nord-ouest, une ligne conventionnelle qui la sépare de la Chine. Des régions très différenciées la composent : au sud-ouest et au sud, elle comprend la plaine du delta du Mékong; au nord-est se trouve la plaine du delta d'un autre grand cours d'eau, le Song-koï 1 ou Fleuve Rouge; toutes deux sont réunies à l'est par un étroit couloir littoral, dit bande côtière de l'Annam, que domine immédiatement à l'occident la chaîne montagneuse de la Cordillère Annamite; de l'axe central de cette chaîne part vers l'ouest un système de plateaux accidentés qui se poursuit jusqu'au Mékong et vers les massifs de la province chinoise du Yunnan; la portion septentrionale se divise en une contrée plate (cours moyen et inférieur du Fleuve Rouge), au delà de laquelle se dressent vers le nord-ouest les contreforts du Yunnan, et vers le nord leurs ramifications orientales, qui pénètrent en Chine. Cinq États sont groupés dans notre possession : au nord, le Tonkin, traversé en son milieu par le Fleuve Rouge; à l'est, l'Annam, bordant la Mer de Chine et parcouru de bout en bout par la Cordillère; au sud, la Cochinchine, qui s'étend sur le delta du Mékong; à l'ouest, le Cambodge, dans le bassin moyen et inférieur du même fleuve et la partie nord-ouest de son delta; au centre, le Laos, que baigne le cours supérieur de cette immense artère et qui est hérissé de soulèvements de terrain fort complexes. En outre, notre autorité s'exerce sur la circonscription de Kouang-tchéou-wan, que nous avons acquise à bail en territoire chinois, à l'est du Tonkin. 1. Nous avons pris pour règle de n'user que d'une seule majuscule dans les noms géographiques composés de langue indochinoise, suivant le principe adopté

dans l'ouvrage de M.

GEORGES MASPERO.


CONSIDÉRATIONS GÉOGRAPHIQUES

— En l'état actuel des connaissances scientifiques, il semble que les soubassements de la Péninsule indochinoise remontent à la période primaire, et que leur émersion s'acheva dès le début de l'ère secondaire. Lors des formidables convulsions tertiaires, les poussées du Tibet en direction de l'est et du midi, se heurtant aux socles plus anciens des monts chinois, du plateau primitif indochinois et du plateau hindou du Dekkan, auraient, par leur pression, provoqué de violents plissements de la masse préexistante, donnant naissance aux chaos tourmentés du Yunnan, du Haut Tonkin et du Laos. Puis, sous l'effet d'une sorte de détente, elles auraient engendré l'épanouissement de ce « substratum » vers le sud et le sud-est, déterminant une succession de chaînons disposés en arc de cercle, dont le plus éloigné serait devenu la Cordillère Annamite. Des phénomènes volcaniques auraient accompagné ces mouvements et se seraient accusés principalement dans le sud-ouest, le sud et, peut-être, FORMATION GÉOLOGIQUE.

le centre. On présume que les chaînons ainsi projetés n'auraient pas eu une allure homogène à leur extrémité; ils auraient, au contraire, marqué des solutions de continuité, des cassures submergées, finissant en une multitude d'îles et îlots. A l'époque quaternaire, les alluvions des deux fleuves venus du Yunnan (le Mékong, dans le sens nord-sud, et le Song-koï, dans le sens ouest-est) et ceux des torrents descendus de la Cordillère Annamite vers la Mer de Chine auraient comblé ces vides et réalisé la soudure de tout le territoire. Ces hypothèses sont confirmées par l'analyse de la contexture du sol et du sous-sol indochinois. On y observe essentiellement une série géologique archéenne et primaire, des grès et des calcaires secondaires, des roches ou terres volcaniques, et une série quaternaire, tandis que les formations spécifiquement tertiaires sont éparses sur les sommets. Les séries archéennes et secondaires apparaissent dans les montagnes et plateaux. Elles comprennent ordinairement à la base des granits et des


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schistes, et au-dessus des grés tendres, souvent colorés en vert ou en rouge par des sels de fer; il s'y trouve également des calcaires durs marmoréens (surtout, en Indochine française, dans la Baie d'Along, au nord-est du Tonkin, ainsi que dans le Haut Tonkin, le Laos central et la Cordillère Annamite); sur certains plateaux du Laos méridional et du Centre Annam, l'action érosive des eaux a transformé les roches superficielles en terres grises, mélanges d'éléments primaires, de sables, de grés, et d'humus; parfois s'ajoutent à cette collection des gisements carbonifères, notamment dans la vallée moyenne et inférieure du Fleuve Rouge et en plusieurs points du littoral de l'Annam. En règle générale, on n'observe la présence d'éléments tertiaires que sur certains points culminants, notamment du Laos et de la Cordillère. Des roches éruptives se rencontrent fréquemment dans le sud-ouest de la Péninsule (au Siam). Il en existe aussi, mais en moindre abondance, en Cochinchine méridionale. En outre, dans le Nord cochinchinois, le Cambodge et le Centre Annam. les terres rouges, ainsi qualifiées en raison de leur teinte très particulière, sont considérées comme un amalgame de poussières volcaniques et d'humus, lentement brassé par les pluies. Quant aux formations quaternaires, visibles dans toutes les plaines et deltas, elles sont d'origine non maritime, mais nettement continentale. Cette composition géologique de la presqu'île donne incontestablement du poids aux raisonnements rappelés ci-dessus en ce qui concerne l'évolution du pays à travers les âges. Sa remarquable variété offre un vif intérêt aussi bien quant aux possibilités agricoles de la région qu'au point de vue de ses ressources minérales, et notre colonie n'en est pas la partie la moins favorisée.

Les indications qui précèdent permettent déjà de se rendre approximativement compte du relief de notre possession de l'Indochine. N'ayant été affectée que de manière externe par les grands soulèvements tertiaires, elle ne comporte pas de sommets très élevés : ses points culminants dépassent rarement 2.500 mètres au-dessus du niveau de la mer, et l'altitude courante de ses montagnes n'excède généralement pas 13500 mètres, les plateaux se tenant entre 200 et 600 mètres. RELIEF. —


CONSIDÉRATIONS GÉOGRAPHIQUES

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Sa portion nord-ouest, comprenant le Haut Tonkin et le Laos, est, ainsi que nous avons dit, particulièrement mouvementée : on n'y aperçoit pas de chaînes ayant une direction définie, mais d'épais massifs orientés diversement, entre lesquels serpentent des vallons sinueux qui s'écoulent soit vers le Mékong, à l'ouest, soit vers le Fleuve Rouge, à l'est. Les protubérances, qui ne montent à 2.000 mètres qu'au voisinage du Yunnan, ont l'allure tantôt de pics de calcaire dur, taillés en falaises abruptes entourant des cirques pittoresques, tantôt de mamelons gréseux, arrondis et herbeux. Entre elles s'étendent des plateaux plus ou moins fortement ondulés, que couvrent de belles forêts. De ce noyau se détache au nord de la vallée du Fleuve Rouge, vers l'est, un système de mêmes caractéristiques, qui déborde dans la Chine méridionale. La Cordillère Annamite se raccorde également au Haut Laos, mais dans son angle sud-est. Son axe dessine une courbe que la côte de la Mer de Chine épouse fidèlement, et lance vers l'est et le sud-est des pointes que viennent battre les flots. Sa crête est coupée de quelques dépressions (dont les plus profondes sont, au nord, le Col de Mu-dia, à 250 mètres, et, au centre, le Col d'Aï-lo, à 310 mètres), et elle se poursuit en une alternance de hauts plateaux élargis (d'une altitude de 700 à 1.500 mètres) et de pics grandioses (arrivant jusqu'à 2.500 mètres), tels que le plateau de Cammon, les sommets de Pou-hac, de la Dent du Tigre, de Pouatouat, les plateaux de Boloven, du Dar-lac, du Lang-bian, etc. Tombant vertigineusement à l'est, elle s'abaisse vers l'ouest en gradins successifs qui ressemblent à de hautes plaines parsemées de renflements accentués, le tout aboutissant au Mékong, qui franchit les renflements par des défilés impressionnants encombrés de rapides et s'étale sur les gradins en des biefs considérables. A l'ouest du Mékong court, du nord au sud, la chaîne des Cardamones, issue aussi du massif de dispersion du nord-ouest de notre Indochine; ses points les plus hauts ne s'élèvent pas à plus de 1.400 mètres. Plus au sud, dominant le Golfe de Siam, se trouve la chaîne de l'Éléphant, de formation calcaire. Ces notes suffisent à montrer que, dans son ensemble, le relief de la colonie est franchement montagneux. Les plaines proprement dites n'y sont constituées que par les deltas


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et les basses vallées. Le delta du Fleuve Rouge, au nord-est, avec lequel se confondent les embouchures de fleuves côtiers en provenance de la frontière de Chine, d'une part, de la Cordillère Annamite, d'autre part, mesure 13.000 kilomètres carrés, et est occupé par le Bas Tonkin. Au sud-ouest, le delta du Mékong, auquel se mêlent les eaux de plusieurs rivières descendues du Centre Annam, couvre 44.000 kilomètres carrés et est occupé par la Cochinchine et le Bas Cambodge. A l'est, la bande côtière annamite ouvre au nord et au sud deux plaines littorales assez vastes, qui confinent respectivement au delta tonkinois et au delta cochinchinois. Très resserrée au centre — au point de disparaître presque entièrement —, elle réapparaît aux embouchures des torrents venus de la Cordillère, en « criques terrestres » séparées de leurs voisines par des escarpements. Au total, les surfaces situées au niveau de la mer ne représentent guère que le quart de la superficie globale de notre possession, en y comprenant les vallées moyennes et inférieures des cours d'eau. Tout le reste est à une altitude supérieure à 200 mètres, ordinairement de 500 à 600.

La colonie est située intégralement dans la zone tropicale, assez éloignée de l'équateur, et entourée par l'Océan Indien et l'Océan Pacifique. Cette position la soumet, en principe, au régime des deux saisons — l'une sèche et l'autre pluvieuse — commandées par l'alternance des vents connus sous le nom de moussons. Toutefois, par suite du relief accidenté que nous avons décrit, les courants atmosphériques ne sont pas absolument uniformes, et l'on perçoit des changements notables selon CLIMAT. —

les régions. Normalement, la mousson souffle du sud au nord en été, parce que la terre, plus rapidement échauffée que la mer, provoque une dépression et, par conséquent, un appel d'air; le phénomène inverse a lieu en hiver, l'océan se refroidissant plus lentement que le continent. Il en résulte que la saison chaude est pluvieuse et que la saison fraîche est sèche. Tel est exactement le cas en Cochinchine, au Cambodge, dans le Laos méridional et dans le Centre Annam : la mousson d'été, qui vient du sud-ouest sans que nul obstacle l'arrête, est chargée d'humidité, et la


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mousson d'hiver, née dans les montagnes du nord et ne survolant pas de mer avant de déferler sur le territoire, n'amène aucune précipitation d'eau. En Annam oriental, la présence de la Cordillère est une cause de perturbation : l'humidité de la mousson d'été se condense sur le versant occidental de la chaîne, et, après en avoir franchi la crête, ce vent devient sec; au contraire la mousson d'hiver, formée ici au nord-est, arrive après être passée au-dessus de la Mer de Chine, où elle se charge de vapeur, de sorte qu'il pleut à la fin de l'automne et au commencement de l'hiver. Le Tonkin échappe à l'action directe de la mousson du sud-ouest, qui en est détournée par ses barrières montagneuses méridionales; après avoir escaladé la Cordillère et s'y être asséchée, elle longe la côte d'Annam et reprend de l'humidité, puis s'engage dans le couloir du Fleuve Rouge en direction sud-est nord-ouest, apportant avec elle des pluies. A la fin de l'hiver, la mousson du nord-est, également humidifiée par son parcours sur le Golfe du Tonkin, envoie à son tour une dérivation dans la vallée du Fleuve Rouge, avec pour corollaire une nouvelle période pluvieuse; celle-ci se traduit par des chutes moins abondantes mais plus continues, assez analogues à notre «crachin» breton. Il y a donc dans cet État deux saisons humides, séparées par deux saisons sèches. De véritables cyclones, appelés « typhons » ou « trombes », troublent à maintes reprises la stabilité atmosphérique; ils sont surtout redoutables de juin à septembre au Tonkin, et de septembre à novembre sur la côte annamite. Les pluies — fonction du mouvement des vents — sont très régulières en Cochinchine, au Cambodge, dans le Laos méridional et dans le Centre Annam. Elles y tombent exclusivement en été, très fortes dans les districts méridionaux (on recueille en moyenne 2 m. 35 par an à Soc-trang, en Cochinchine), sensiblement moindres à mesure qu'on avance vers le nord (o m. 90 seulement à Savannaket, au Laos). Sur la côte d'Annam, il pleut beaucoup pendant les mois d'hiver (la hauteur pluviométrique moyenne annuelle est de 2 m. 40 à Hué), mais le régime est passablement inégal, et les précipitations se réduisent sensiblement certaines années. Au Tonkin, la pluie se manifeste à peu près comme en Europe occidentale, avec prédominance de juillet à septembre. La moyenne hygro-


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métrique est énorme à proximité de la mer (2 m. 45 à Haïphong), et nettement plus faible aux frontières du Yunnan (0 m. 85 à Son-la) ; mais il existe des phases de sécheresse cruelle, suivies d'années exceptionnellement humides. La température est presque constante dans le sud, le mois le plus frais de Saigon accusant une moyenne de 25° et le mois le plus chaud une moyenne de 29, soit un écart de 4°; dans le nord, les différences sont plus accusées, et déjà à Hanoï la moyenne du mois le plus froid tombe à 17°, celle du mois le plus chaud se fixant à 29; les transitions sont plus marquées encore dans les régions hautes, aussi bien sur la Cordillère et les plateaux élevés du Laos que dans le nord-ouest du Tonkin, avec des moyennes minima de 14° en hiver et des moyennes maxima de 27 à 28 en été. Cette absence de fraîcheur est évidemment débilitante dans les parties basses, et la chaleur humide de la saison pluvieuse y semble très pénible aux Européens; mais la possibilité de se « retremper » dans la fraîcheur relative des localités sises à des altitudes suffisantes et de se soustraire aux précipitations les plus abondantes en résidant de juin à septembre sur le versant oriental de la Cordillère permet de pallier aux principaux inconvénients du climat.

— Les massifs du nord-ouest, et avant eux les montagnes du Yunnan et de la Chine méridionale, constituent un centre de dispersion capitale d'où sortent deux cours d'eau immenses, le Song-koï ou Fleuve Rouge, orienté ainsi qu'il a été dit d'ouest en est, dans la partie septentrionale de l'Indochine, et le Mékong, coulant du nord au sud dans sa partie occidentale. Des chaînes fermant le Tonkin du côté de la Chine viennent les affluents de rive gauche du Fleuve Rouge, ainsi que diverses rivières dont la plus notable est le fleuve côtier Taï-binh; du rebord septentrional de la Cordillère Annamite et de la portion nord du Haut Laos parviennent ses affluents de rive droite. Les affluents de rive gauche du Mékong descendent des hauteurs du Yunnan méridional et du Laos central et mériHYDROGRAPHIE.


La montagne dans la région de Vinh-yen (Tonkin).

THÉRY.

Pl. I, p. 12.


Carte physique.

THÉRY.

Pl. II, p. 13.


CONSIDÉRATIONS GÉOGRAPHIQUES

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dional, et aussi des contreforts occidentaux de la Cordillère, d'où s'échappe également le fleuve côtier Donnai. Sur le versant oriental de la Cordillère existent de nombreux torrents qui se déversent dans la Mer de Chine après un cours bref, à pente très prononcée; ceux du nord, notamment le Song-ma, le Song-chu et le Song-ca, sont cependant plus longs, le dernier mesurant 600 kilomètres. Le Fleuve Rouge, qui tire son nom de la couleur des boues ferrugineuses qu'il charrie, prend sa source dans le Yunnan, à 2.000 mètres d'altitude, et a une longueur d'un peu plus de 1.000 kilomètres. Après un parcours excessivement tourmenté et torrentueux en des gorges sauvages, entrecoupées de quelques biefs simplement flottables, il entre dans le Haut Tonkin à Lao-kay et devient navigable. Il reçoit ensuite deux grands affluents, originaires comme lui du Yunnan, la Rivière Claire à gauche et la Rivière Noire à droite. Sa vallée s'élargit considérablement alors et son delta ne tarde pas à commencer; il se divise en deux bras principaux, réunis par une foule de canaux et se subdivisant eux-mêmes en plusieurs tronçons en aval. Le bras septentrional (qui passe à Hanoï, capitale du Tonkin, et à Haïphong, son grand port) est le plus important; à ses eaux se joignent celles du Taï-binh, qui reçoit lui-même le Song-thuong et le Song-luc-nam. Comme le Taï-binh, le Fleuve Rouge et ses affluents sont influencés non par la fonte des neiges (très rares dans l'est du Yunnan), mais par les pluies; ils grossissent spécialement de mai à novembre, et leurs crues, aggravées par la composition géologique des plateaux, trop souvent déboisés, ont parfois une violence désastreuse. Elles contribuent à intensifier « l'alluvionnement » des parties basses, tellement brutal qu'à l'embouchure le continent gagne en quelques points plus de 100 mètres par an sur la mer et que toutes les passes s'obstruent, obligeant à d'incessants dragages pour maintenir leur navigabilité. Beaucoup plus important encore est le Mékong. Il naît au nord-ouest du Yunnan, à 3.000 mètres d'altitude, parcourt 4.600 kilomètres avant de se jeter au sud de la Mer de Chine par un delta fort vaste, et draine avec ses innombrables affluents un territoire de près d'un million de kilomètres carrés, réparti entre la Chine, les possessions anglaises de la Péninsule indochinoise, le Siam, et plus de la moitié de notre Indochine. Alimenté à son origine par les neiges éternelles, il a pendant 1.200 kiloTHÉRY.

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mètres tous les caractères d'un impétueux torrent de montagne. Il mesure déjà de 300 à 400 mètres de largeur lorsqu'il entre dans notre colonie, mais reste longtemps encombré de rochers, coupé de rapides, et, se frayant une route pénible à travers les soulèvements désordonnés du Haut Laos, est étrangement sinueux. Son premier bief navigable est celui de Louangprabang. Plus au sud, le fleuve se scinde en une série d'autres sections accessibles à des pirogues et même à des embarcations plus puissantes, séparées les unes des autres par des chutes (bief de Vien-tian à Savannaket, long de 600 kilomètres, bief de Kemmarat, long de 150 kilomètres, chutes de Khône, etc.). Au delà des chutes de Khône, il est navigable jusqu'à la mer, le dernier seuil (celui de Préapatang) étant franchissable par des bateaux convenablement aménagés. Il devient un fleuve de plaine à Préapatang, et à Pnom-penh (capitale du Cambodge) se divise en plusieurs bras; le plus occidental — le Tonlésap — traverse un ancien golfe comblé par les apports alluvionnaires et se déverse tour à tour dans trois lacs, qu'il emplit aux époques des hautes eaux et qui refluent vers lui en saison sèche; le bras central et le bras oriental (dits Fleuve Antérieur et Fleuve Postérieur), unis par une foule de canaux, ou « arroyos », aboutissent à la mer et se confondent avec le delta du Donnai. Celui-ci, descendu de la Cordillère Annamite, où il naît à 1.200 mètres d'altitude, tombe dans la plaine cochinchinoise de cascade en cascade et reçoit divers affluents dont les plus intéressants sont le Song-bé et la Rivière de Saïgon (sur laquelle se trouve la capitale de la Cochinchine, qui en est aussi le premier port), venus du Nord cochinchinois. Le Mékong est dans son cours supérieur soumis à l'action de la fonte des neiges; mais par ses affluents et par son cours moyen il est directement tributaire du climat local. Il commence à grossir en mai, arrive en pleine crue de juin à septembre, puis baisse sensiblement. Durant les hautes eaux, il inonde amplement toutes les plaines du Cambodge et de la Cochinchine, y déposant un limon fertilisant. En hiver, il n'occupe plus qu'une faible partie de son lit. Ses crues, plus régulières que celles du Fleuve Rouge, sont moins dévastatrices. Mais ses variations de régime, plus accentuées, constituent une entrave sérieuse à la navigation, améliorée cependant d'année en année par des travaux de dragage et d'endiguement.


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Comme le Fleuve Rouge, il empiète sans arrêt sur la mer; les terres où sont actuellement placés le Cambodge et la Cochinchine ont été gagnées par lui sur l'Océan, qui ne cesse pas de reculer devant sa poussée. Il n'y a que peu de chose à dire des rivières du versant oriental de la Côte Annamite. Seul, au nord, le Song-ca (dont les eaux vont au delta tonkinois) peut supporter des navires. Les autres, simples torrents, ne sont à mentionner qu'à cause des petites plaines qu'ils ont constituées dans leur cours inférieur (et qu'ils permettent d'irriguer au moyen de certaines installations), pour les baies qu'ils ont creusées dans le littoral rocheux, et en raison des perspectives qu'ils offrent quant à la production éventuelle de force motrice.

— L'aspect des côtes de la colonie est en liaison étroite avec son relief et son hydrographie. Elles se développent sur environ 2.500 kilomètres et ont grossièrement la forme d'un S. Au sud-ouest, de la frontière du Siam au Cap de la Table, elles sont escarpées et accidentées, la chaîne cambodgienne de l'Éléphant arrivant jusqu'à la mer; de splendides baies s'y dessinent, dont les plus curieuses sont celles de Kampot et de Kompong-son; mais, mal protégées de la houle du large, elles ne comportent pas un bon port. Du Cap de la Table au Cap Saint-Jacques (îlot rocheux rattaché à la plaine par des apports alluvionnaires) s'étendent 300 kilomètres de plages basses et boueuses, créées par le delta cochinchinois : elles ferment à l'est le Golfe de Siam, envoient au sud l'avancée de la Pointe de Caman, et remontent vers le nord-est le long de la Mer de Chine; précédées à bonne distance de quelques îles abruptes (Hon-tre, Hon-ray, Poulo-dama, dans le Golfe de Siam, Poulo-obi et Poulo-condore, dans la Mer de Chine), elles ne disposent pas d'abris naturels autres que les bouches des rivières, elles-mêmes envasées et d'un accès difficile aux grands navires. Entre le cap Saint-Jacques et le Cap Padaran, la mer borde la bande côtière, assez large, de l'Annam méridional; le rivage demeure généralement rectiligne, avec, toutefois, quelques promontoires peu élevés. CÔTES.


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Mais, moins bas que celui de Cochinchine, il est dominé par des dunes sablonneuses. Ici encore les ports font pratiquement défaut. Plus au nord, du Cap Padaran au Cap Chou-may, la Cordillère surplombe littéralement la côte, suite de presqu'îles rocheuses du plus bel aspect (dont le Cap Varella est, sans doute, la plus pittoresque), entre lesquelles s'ouvrent d'excellentes rades (Cam-ranh, Qui-nhon, Tourane), bien abritées par de nombreux archipels. Dans ces échancrures, où finissent les torrents tombés de la montagne, des apports alluvionnaires ont constitué de jolies plages, encadrées par des dunes multicolores. Du Cap Chou-may au Cap Mui-ron, la bande littorale est de nouveau plus large; le rivage reprend l'allure de celui de l'Annam méridional, ne s'incurvant qu'à peine; battu par les courants du nord-est, exposé aux typhons, il est particulièrement inhospitalier. Le Cap Mui-ron apparaît comme une projection extrême vers le nord de la Cordillère. Au delà, jusqu'à la Baie d'Along, la côte, formée par le delta tonkinois, ressemble à celle de la Cochinchine. Basse et marécageuse, elle ne possède pour refuges que les nombreux bras des fleuves, malheureusement vaseux et nécessitant en permanence des dragages. Immédiatement après la dernière bouche septentrionale du delta, la montagne se rapproche. Et jusqu'à la Chine, on peut contempler une succession de golfes (dont le plus admirable est la Baie d'Along) et de pointes, d'îles et d'îlots merveilleusement sculptés, qui plongent verticalement dans la mer. La variété du paysage est infinie, au point d'être regardée comme une merveille de la nature; mais la navigation est rendue périlleuse par les récifs, les brumes et les tempêtes, et ne reste possible que grâce à l'abondance de havres extrêmement sûrs. On retiendra de ce résumé que si, pour le touriste, la côte indochinoise paraît exceptionnellement attrayante, tant à cause de sa diversité que par la magnificence de certains de ses sites, elle est économiquement assez déshéritée. « Les seules rades favorables, note très judicieusement M. Georges Hardy 1, celles de l'Annam, sont isolées par des montagnes et ne desservent qu'une « côte fermée »; les côtes deltaïques du Tonkin et de la Cochinchine, avec leurs bancs de boues trompeuses et mobiles, sont 1. Dans son précieux Manuel de la France extérieure (1928).


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dangereuses pour la navigation et ne laissent place qu'à des ports d'estuaires, comme Haïphong et Saigon, dont la situation est loin d'être excellente. » A l'appui de ces remarques, on doit souligner qu'en effet les deux uniques centres maritimes de la possession ayant acquis de l'importance sont ces deux « ports d'estuaires » que les vaisseaux de haute mer n'atteignent qu'en remontant lentement des rivières tortueuses qu'il faut entretenir à grands frais. Les progrès de la technique moderne en ont, il est vrai, amélioré sensiblement les accès, et il est permis d'espérer que d'autres perfectionnements contribueront à faciliter leurs communications avec l'extérieur. Mais le problème reste posé de la création en Indochine d'un port comparable à Singapore ou Hong-kong. Géographiquement, quelques baies — celle de Cam-ranh surtout — s'y prêteraient; le développement des voies ferrées et du réseau routier, instituant des communications satisfaisantes avec l'hinterland, lèverait vraisemblablement l'objection tirée de leur isolement.

— La flore de la colonie est celle de tous les pays tropicaux. D'importantes forêts la couvrent, dans lesquelles on retrouve toutes les espèces qui prospèrent sous les mêmes latitudes; mais elles ont été cruellement décimées par les indigènes dans les parties où la population est la plus dense, et là où elles subsistent (principalement au Laos et dans le Centre Annam) elles présentent un mélange inextricable des différentes sortes d'arbres, rendant fort malaisée leur exploitation méthodique. Sur les plateaux se développent à l'infini des prairies herbeuses, composées essentiellement de graminées peu propres à l'alimentation du bétail et d'un roseau spécial, appelé « tranh ». Ces prairies alternent parfois avec des massifs forestiers. En nombre de régions elles ont été mises en culture et ont été converties soit en terres à céréales, soit en plantations arbustives ou industrielles (caoutchouc, thé, café, cacao, canne à sucre, etc.), soit, mais moins fréquemment, en pâturages : Les deltas et les plaines irriguées sont les « royaumes du riz »; on y voit aussi des cultures vivrières et des plantations de textiles. RESSOURCES NATURELLES.


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On ne constate pas moins de diversité dans la faune. Les insectes pullulent, tantôt venimeux, comme les scorpions ou les moustiques, agents de transmission du paludisme, tantôt nuisibles, comme les fourmis, les cancrelats ou les termites, tantôt utiles comme les abeilles et les vers à soie. Les fleuves et lacs sont peuplés de quantité de poissons: toutes les races de nos rivières européennes s'y rassemblent, et l'on pêche sur les côtes maritimes tous les types qui existent dans la Méditerranée, l'Atlantique et la Manche. Par surcroît, il existe encore au Cambodge des crocodiles et des tortues. Tous les « habitants de la jungle » sont réunis dans les forêts centrales. Quant aux animaux domestiques, les principaux effectifs en sont constitués par les volailles, canards, pigeons, par les porcs, les buffles et les boeufs. Le cheval est moins répandu que dans beaucoup de pays, et les ovins s'accommodent assez mal du climat. En ce qui concerne, enfin, le règne minéral, la colonie possède des gisements très riches de charbon, d'étain, de phosphates, de ciment et de plusieurs métaux rares. On extrait un peu d'or et quelques pierres précieuses de ses alluvions. Sur certains points des côtes peuvent être exploitées d'excellentes salines (ce qui est une exception dans le monde oriental). Ce sont là autant d'éléments de prospérité économique sur lesquels nous aurons à revenir plus longuement.


CHAPITRE II

LES POPULATIONS 1 Les diverses races locales. — Moeurs, religions, littérature, arts et sciences indigènes. — Conséquences démographiques de notre occupation et de notre action sanitaire et éducative. — Les groupements actuels par régions et par villes.

La Péninsule indochinoise en général et le territoire de notre colonie en particulier semblent avoir été habités dès la préhistoire par des populations d'origines différentes. Les unes seraient venues du Dekkan ou de l'Insulinde, et auraient appartenu aux types « negrito » ou « malais », tandis que les autres, en provenance des plateaux tibétains ou de la Chine, se seraient apparentées à la race « monLES DIVERSES RACES LOCALES. —

gole ». Profondément mélangées par des métissages répétés, d'abord entre elles, puis avec les immigrants ultérieurs, ces souches primitives ont été au cours des âges refoulées, dispersées et décimées et ne subsistent plus qu'à titre d'échantillons dans lesquels les caractères purs sont difficiles à reconnaître. Elles se distinguent néanmoins des autres éléments, non par leurs traits physiques, mais par une véritable impuissance à s'adapter à une civilisation plus évoluée que la leur, et elles sont demeurées aujourd'hui encore proches de la barbarie, à telle enseigne que dans tous leurs 1. Cf. op. cit., ch. 1, et : JEAN BRUNHES, Géographie humaine, dans L'Indochine de GEORGES MASPERO; YVES HENRY et DE VISME, Documents de démographie et riziculture en Indochine (1929); PHILIPPE STERN, Le Bayon d'Angkor et l'évolution de l'art khmer (1927); H. PARMENTIER, L'Art khmer primitif (1927); JEAN BRUNHES, Géographie humaine (1925); MARCEL BERNANOSE, Les Arts décoratifs au Tonkin (1922).


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idiomes les indigènes plus développés les qualifient de l'appellation péjorative de « sauvages » (« moï 1 » en annamite, « kha » en laotien, etc.). On est parvenu à les discriminer cependant, et à constater qu'elles sont réparties en trois zones. Un noyau relativement important est constitué par les Moï du SudAnnam, de race negrito et malaise; ils vivent en petites tribus essaimées sur les plateaux de l'ouest de la Cordillère, et dont quelques-unes se sont installées au nord du delta cochinchinois et au voisinage des lacs ou de la plaine cambodgienne (où elles sont désignées sous les nom de Stieng ou Penang, également synonymes de « sauvages » en langue cambodgienne). Fixés dans le Laos méridional, les Kha sont de même extraction, mais semblent un peu moins arriérés. Dans les montagnes du Haut Tonkin et du Haut Laos sont groupés les Muong, Meo ou Lolo; leur type est nettement chinois sans que leur niveau intellectuel paraisse supérieur à celui des Kha. Au total, ces peuplades proprement autochtones ne comptent que quelques centaines de milliers d'individus; elles sont cantonnées dans les districts les plus reculés de la possession, où la densité est la plus faible, n'excédant pas deux ou trois unités par kilomètre carré. Vers le Ier siècle de l'ère chrétienne, des groupes hindous beaucoup plus civilisés pénétrèrent dans la Péninsule. Ils se scindèrent en deux branches, qui se dirigèrent respectivement vers le delta du Mékong et vers les régions comprises entre la Cordillère et la Mer de Chine. La branche du Mékong, repoussant les Moï sur les hauteurs et les exterminant en partie, fonda un vaste État, le Founam, auquel succéda au IVe siècle l'Empire Khmer, de même composition ethnique, qui occupa les limites présentes du Cambodge et brilla longtemps d'un vif éclat. Un État considérable, le Champa, fut également fondé par la branche orientale, qui rejeta les Moï de la bande côtière au delà de la Cordillère; il se trouva vite en butte aux attaques de nouveaux envahisseurs, et disparut au XVIe siècle. Des masses venues du Tibet et du sud de la Chine, elles aussi assez évoluées, s'implantèrent, en effet, de bonne heure dans le Haut Tonkin, obligeant les Muong, Meo et Lolo à se retirer au coeur des vallées les 1. Les noms indochinois ne prennent pas d'S au pluriel.


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plus isolées, après de meurtriers combats. Soumises initialement à la tutelle de princes chinois, elles s'en affranchirent progressivement et, par deux voies divergentes, s'efforcèrent de conquérir toute l'Indochine. Les Thaï, au sud-ouest, gardant des attaches dans le Haut Tonkin, prirent racine au Laos, confinant les Kha sur les sommets les moins accessibles, luttèrent avec des alternatives diverses contre l'Empire Khmer, qui leur résista finalement, puis s'établirent au A l'est et au sud-est, les Annamites défirent les Chinois dans le Moyen Tonkin et le delta du Fleuve Rouge et, entrant dans l'État Champa, s'en emparèrent entre les années 1500 et 1600. Ils s'avancèrent alors jusqu'au Mékong, sans réussir pourtant à imposer leur domination aux Khmer et, au XVIIIe siècle, réunirent sous une autorité commune le Tonkin, l'Annam et la Cochinchine. Plus récemment, se dessina dans le Bas Tonkin, l'Annam oriental et le Sud cochinchinois une infiltration de Chinois toute pacifique et n'ayant aucunement l'allure d'une invasion. Ces immigrants, sans cesse plus nombreux, furent favorablement accueillis, se livrant à des opérations commerciales et financières et introduisant des productions industrielles fort appréciées des Annamites; ils se répandirent même à l'intérieur, aussi bien au Cambodge et au Laos que dans le Nord cochinchinois, l'Annam Central et le Haut Tonkin. Solidement maintenus en des îlots fermés, ils se mêlèrent peu aux autres races, mais acquirent une place essentielle dans l'activité matérielle du territoire. Quelques Hindous sont également venus résider à Saigon et Cholon, les deux plus grandes villes de Cochinchine. Ces mouvements ont donné à la démographie de notre colonie un aspect hétérogène très curieux. Ainsi que nous l'avons noté au passage, les peuplades primitives ne forment qu'une infime minorité. Étroitement encerclés à l'ouest et au nord par les Thaï et à l'est par leurs cousins les Annamites, les Khmer ont su conserver leur indépendance; il leur a, toutefois, été impossible de s'épanouir hors du Cambodge, où ils se sont strictement localisés, se repliant sur eux-mêmes en une sorte de léthargie. Leur effectif global est d'environ 2 millions. Les Chan, qui leur ressemblent physiquement et moralement, ne sont plus que quelques centaines de milliers, com-

Siam.


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primés dans le Centre Annam et organisés à l'instar des Annamites, avec lesquels ils se croisent de plus en plus. De type mongol, les Thaï ne demeurent pas beaucoup plus nombreux; concentrés au Laos (en ce qui concerne l'Indochine française), eux aussi se fondent intimement avec les Annamites. Plus vigoureux et de tempérament plus entreprenant, ces derniers sont devenus la race prépondérante de tout l'espace allant du Mékong à la frontière chinoise et à la Mer de Chine. Ils représentent les quatre cinquièmes des indigènes de la possession, avec plus de 16 millions sur un total approximatif de 20 millions; extraordinairement agglomérés dans les deltas (où leur densité atteint jusqu'à 400 habitants par kilomètre carré), ainsi que sur la bande côtière de l'Annam, ils sont sensiblement plus étalés dans le Moyen Tonkin et, surtout, le Haut Tonkin, le Laos et le Centre Annam (où des densités inférieures à 10 habitants par kilomètre carré sont fréquentes), mais en occupent effectivement tous les districts. Les Chinois sont au nombre de près d'un demi-million en Indochine. Quant aux Hindous, on en recense quelques dizaines de milliers. Les uns et les autres restent presque uniquement dans les centres urbains.

MOEURS, RELIGIONS, LITTÉRATURE, ARTS ET SCIENCES INDIGÈNES 1.

— Les Moï, Kha, Muong, Meo et Lolo justifient pleinement leur qualification de « sauvages ». Leur organisation relève d'un collectivisme rudimentaire très semblable au communisme intégral, et s'appuie sur de petites tribus où un chef, souvent héréditaire ou recruté dans des familles privilégiées, exerce un pouvoir absolu. Plus doux et plus calmes que les nègres de l'Afrique centrale, ils s'en rapprochent par leur puérilité, leur paganisme (adorant les forces de la nature et les pratiques de magie que leurs sorciers entretiennent soigneusement), leur ignorance de la lecture et de l'écriture, leur absence d'aspirations artistiques. Les Moï sont de tous les plus arriérés. Très sommairement vêtus (les hommes d'une simple ceinture, ou « langousti », les femmes d'un 1. Cf. les chapitres de

G.

MM.

GEORGES MASPERO, HENRI MASPERO, LE GALLEN, CORDIER sur ces différentes questions dans L'Indochine de

et — Voir aussi op. cit., en tête de nos chapitres I et II.

COEDÈS, CADIÈRE GEORGES MASPERO.


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court jupon et d'une petite veste), ils logent dans des cases de bambou bâties sur des étais, sous le plancher desquelles est parqué le bétail, et qui ne comprennent ordinairement qu'une pièce abritant plusieurs familles; les cases sont groupées en de minuscules villages, qui n'en comptent parfois que deux ou trois. Le Moï se consacre principalement à la chasse (au sabre, au poignard ou à l'arbalète), sait domestiquer l'éléphant, élève quelques buffles, chevaux, porcs et volailles, et se livre à des cultures rudimentaires (de riz, courges et tabac), dans des clairières qu'il gagne sur les forêts par des incendies volontaires. Épuisant rapidement le sol d'où il tire sa nourriture et celle de son bétail, il se déplace fréquemment, menant une existence semi-nomade. Ses seules industries consistent à forger ses armes et ses instruments aratoires dans des barres de fer qu'il se procure auprès des Annamites (et qui lui servent subsidiairement de monnaie), à fabriquer de grossières poteries de glaise, à tresser avec les joncs des nattes, des paniers, des chapeaux et des cordes, et à tisser pour son usage personnel les fibres qu'il coupe sur place. Fort craintif, il fuit les étrangers et n'a avec ses voisins qu'un minimum de relations, troquant contre quelques objets de première nécessité certains produits de sa chasse et les éléphants qu'il capture. Plus solidement constitués, les groupements de Kha sont un peu moins primitifs; ils cultivent beaucoup mieux le riz (ce qui est leur occupation essentielle), toujours sur des espaces défrichés au feu, et n'hésitent pas à les porter aux marchés les plus proches. Ils sont presque complètement sédentaires. Les Muong, Meo et Lolo, également rassemblés en tribus cohérentes et stables, sont aussi des cultivateurs de riz. Mais, retirés sur leurs hauteurs, ils se contentent de le remettre aux intermédiaires chinois, qui leur fournissent en échange les marchandises dont ils ont besoin, et ils évitent plus que les Kha les contacts avec l'extérieur. Les trois races, très routinières, semblent peu aptes à subir l'action civilisatrice, qui ne peut se répandre que par le truchement de leurs « principicules », et jusqu'ici on n'en a pas obtenu une main-d'oeuvre capable d'exécuter méthodiquement même les besognes les plus élémentaires. Infiniment plus intéressants à tous égards apparaissent les Khmer. Leur aspect physique est analogue à celui des Hindous : de teint


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assez foncé, les cheveux drus d'un noir d'ébène, les yeux légèrement bridés, ils sont soit de taille élancée avec le nez aquilin, soit petits et trapus avec le nez un peu aplati. Ils ont gardé un système familial très spécial, reposant sur une espèce de Romains; la cellule y résulte de l'ensemble « gens » comparable à celle des des descendants d'un ancêtre, le mariage consistant non en un accord entre les deux futurs époux, mais en un contrat entre deux « lignées ». La polygamie est admise et couramment pratiquée, et la propriété est fréquemment indivise entre tous les membres d'une même souche. On retrouve dans le régime social des traces, d'ailleurs atténuées, des castes hindoues, et une organisation politique fort compliquée et relativement perfectionnée a été réalisée depuis longtemps, inspirée de principes oligarchiques; les plus hautes fonctions sont exercées par les éléments de la famille royale, soumis eux-mêmes à l'autorité absolue du souverain. Les classes du peuple sont généralement vêtues du « sampot », ceinture couvrant seulement les reins et les cuisses, auquel les femmes ajoutent une écharpe croisée sur la poitrine et laissant dos et bras nus. Leur costume de cérémonie, qui est l'habit courant des classes aisées, comporte pour les hommes une ample culotte et un veston droit, et pour les femmes une robe serrée à la taille et aux poignets. Peu de particularités sont à signaler quant aux maisons; celles des campagnes, à un étage, reposant directement sur le sol, sont faites de fûts de bambous, reliés par des parois de rotins, avec un toit de feuilles de palmier débordant largement et très incliné; dans les villes, on remarque beaucoup d'immeubles en briques, couverts de tuiles, précédés de vérandas, aux façades étroites agrémentées de pignons que surmontent de pittoresques chapiteaux, et disposés en profondeur avec une série de cours intérieures à ciel ouvert. Le mobilier se compose à peu près uniquement de nattes, de petites tables et de coffres de bois, le luxe s'exprimant par l'ornementation de ces objets et par quelques bibelots. Riz et poissons forment l'essentiel de l'alimentation, et la boisson usuelle est le thé. Les Khmer sont de bons agriculteurs, des pêcheurs émérites (dans les rivières, les lacs et sur la côte du Golfe de Siam), et, dans les parties élevées, d'adroits bûcherons. Médiocres artisans, sauf en ce qui touche


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certaines fabrications d'objets de luxe, et commerçants nonchalants, ils laissent volontiers aux Chinois le soin de transformer et écouler leurs productions. Au point de vue religieux, ils se rattachent au bouddhisme. Mais, alors que cette croyance dans sa doctrine classique est une philosophie plutôt qu'une théologie, les populations du Cambodge ont fait des bonzes bouddhistes de véritables prêtres, accomplissant une foule de rites dont beaucoup sont des hommages rendus aux manifestations naturelles, vestiges des antiques superstitions locales. Intellectuellement très raffinés, les Khmer parlent une langue d'origine hindoue, dérivée du sanscrit, et écrivent de gauche à droite comme les Européens. Ils possèdent une littérature abondante et d'une indiscutable poésie, où les genres épique, lyrique et narratif sont tous représentés. Fort épris de théâtre, ils comptent de nombreux auteurs dramatiques. Artistes dans l'âme, ils sont très musiciens et leurs danses, bien connues, ont une réputation mondiale. Si la peinture ne s'est guère développée chez eux, la sculpture et l'architecture y sont, dès le IXe ou le Xe siècle, parvenues à une sûre maîtrise et à une belle originalité inspirées de l'Inde; elles sont devenues à la fois plus réalistes (l'ornementation puisant la plupart de ses sujets dans des scènes familières très finement et exactement traitées), sans renoncer pourtant à divers symboles traditionnels (tels que le serpent, le lion, les oiseaux fabuleux), et semblent mieux pénétrées du sens du grandiose. Les célèbres ruines d'Angkor, aussi impressionnantes par leur immensité que par la justesse de leurs proportions et la perfection de leurs détails, prouvent irréfutablement le goût et les qualités esthétiques de la race. Celle-ci paraît beaucoup moins douée du côté des sciences. Apathique, timorée, ayant — par sa religion et son esprit doux et résigné — tendance à admirer le passé et craindre l'avenir, elle est peu curieuse de recherches et systématiquement hostile aux nouveautés, qu'elle ne comprend que lentement et auxquelles elle s'adapte avec difficulté. C'est, sans doute, à ce trait de caractère qu'il faut attribuer sa décadence relative, malgré la souplesse de son intelligence et une somme de dons précieux. Dans la mesure où ils ne se sont pas entièrement mélangés aux Annamites, les Chan offrent avec les Khmer des analogies qu'explique la communauté des origines. Ils n'en diffèrent pas beaucoup par le système


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familial, l'habitat, l'alimentation, le travail agricole (effectué cependant avec moins d'attention), la religion (avec cette singularité qu'il existe chez eux un petit nombre de tribus musulmanes, dont les pratiques ne s'éloignent guère, il est vrai, des rites bouddhistes des tribus voisines), la langue, la littérature (sensiblement moins riche, en raison, probablement, de leurs vicissitudes et de leur dispersion), les tendances artistiques (attestées par quelques reliques, malheureusement rares, et maintenant en décadence complète), l'absence d'aptitudes scientifiques, et la passivité. Soumis depuis des siècles aux autorités annamites, ils ne connaissent plus qu'un embryon d'organisation politique, limité à l'exercice du pouvoir local par leurs chefs de clans. Leur vêtement est moins sommaire que celui des Cambodgiens : les hommes portent une longue blouse, les femmes une tunique étroite et une jupe. Les Thaï, de race chinoise, se rapprochent beaucoup plus des Annamites. De teint clair, de haute taille, ils sont regardés comme un des plus beaux types orientaux. A l'inverse de celui des Khmer, leur statut familial repose, comme en Annam, en Chine et en Europe, sur le ménage. La polygamie ne leur est pas interdite, mais n'a lieu, en fait, qu'en cas de stérilité de la première épouse. Politiquement, ils sont groupés en de petites collectivités dirigées par des chefs locaux, indépendants les uns des autres au Laos, subordonnés aux autorités annamites dans le Haut Tonkin. Leurs conditions d'habitat et d'alimentation sont semblables à celles des autres populations, de provenance hindoue comme de provenance chinoise. A la couleur près, leur costume est identique à celui des Annamites; il comprend, pour les hommes et pour les femmes, un ample pantalon et une tunique, teints en bleu indigo (alors qu'ils sont teints au cunan chez les Annamites), avec un turban sur les cheveux. Les Thaï du Haut Tonkin — appelés Tho — sont d'assez bons agriculteurs; ceux du Laos laissent les soucis de la terre aux femmes ou à des salariés Kha, s'occupant de commerce et, plus encore, de navigation sur le Mékong et ses affluents capables de. supporter leurs pirogues. Leur religion relève du bouddhisme, comme celle de la majorité des peuples de la Péninsule. Mais au Tonkin les bonzes n'exercent aucun ministère, leur prestige s'expliquant par la croyance en leurs secrets


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et formules cabalistiques; sous l'influence chinoise, le seul culte régulièrement pratiqué est celui des ancêtres, et le vrai prêtre en est le chef de famille; au Laos, au contraire, le contact cambodgien s'est manifesté par l'attribution aux bonzes du rôle que nous avons observé chez les Khmer, avec un luxe accru de sorcellerie et de magie. Ils usent d'une langue et d'une écriture très voisines du chinois. Mais la proportion des illettrés est considérable chez eux, surtout au Laos; on n'y trouve qu'un minimum de publications, leurs qualités artistiques sont très médiocres (mises en relief simplement par des sculptures sur bois). Beaucoup moins évolués que les Cambodgiens et les Annamites, et même que les Chan, tout en restant très supérieurs aux « sauvages », ils semblent intermédiaires entre les races primitives et les indigènes civilisés, lorsque, du moins, ils ne se confondent pas avec les Annamites (ce qui est souvent le cas pour les Tho du Haut Tonkin). Ils sont, d'ailleurs, de rapport agréable, bons, gais et doux; mais ils manquent totalement d'énergie. C'est justement cette énergie qui caractérise le tempérament annamite. On retrouve chez ce peuple ce que nous avons dit de l'organisation familiale des Thaï, de leur vêtement, de leur langue et de leur écriture; ses conditions d'habitat et d'alimentation sont comparables à celles des Khmer, des Chan et des Thaï; sa religion ne diffère pas de celle des Tho du Haut Tonkin. Mais plusieurs particularités sont à souligner à d'autres points de vue. Physiquement, sa couleur, selon les métissages, va du blanc au brun foncé; sa taille moyenne ne dépasse pas 1 m. 60; l'oeil, grand et sombre, est très expressif. Il a les cheveux noirs et abondants, les dents étrangement laquées, la démarche souple et vive. Sa constitution politique a été assise sur la domination absolue du souverain de l'Annam, exercée, dans des circonscriptions nettement déterminées, soit par des dignitaires du royaume, soit, au Tonkin et en Cochinchine, par des fonctionnaires locaux un peu plus autonomes, soumis à une manière de protectorat. Des coutumes précises ont été instituées en matière juridique, tant pour ce que nous appelons le « droit privé », civil et commercial, que pour le « droit pénal », et on a établi un appareil judiciaire complet et excessivement compliqué.


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Économiquement, les Annamites sont d'excellents agriculteurs, de bons éleveurs, des planteurs et bûcherons avertis, des marins habiles, et de remarquables artisans. Intelligents et laborieux, ils constituent une main-d'oeuvre de choix, apte aux travaux de manoeuvres et à l'exécution de tâches délicates, voire même à des fonctions de maîtrise. L'amour de la culture intellectuelle est très marqué parmi les classes supérieures, qui s'adonnent à des études aussi approfondies que les Chinois les plus érudits, et se consacrent comme eux durant de longues années à la poursuite de grades universitaires dont plusieurs leur confèrent des privilèges. Moins brillante que celle du Cambodge, leur littérature est cependant encore très vivante. Le théâtre y tient une place éminente, et il n'est pas rare que des pièces occupant trois ou quatre représentations consécutives soient jouées devant une assistance pressée et passionnée. Les controverses philosophiques et politiques les intéressent également beaucoup, et ils éditent régulièrement des journaux fort lus. Ils ne sont certainement pas aussi artistes que les Khmer. Leurs monuments architecturaux, entre lesquels les plus beaux sont les pagodes, n'ont ni l'envergure ni la richesse décorative des palais d'Angkor. Ornemanistes éclairés, ils sont experts en sculptures sur bois, en incrustations, en travail des métaux. Ils peignent également avec infiniment de goût. Leur production musicale semble, au contraire, médiocre. Plus positifs que tous les autres indigènes, ils sont plus ouverts à la compréhension scientifique, et l'on compte chez eux de bons astronomes. Ils saisissent aisément l'enseignement des techniques modernes, notamment de la physique, de la chimie, et, spécialement, de la médecine. Gais, moqueurs, d'esprit critique aigu, joueurs, souvent dissimulés et peu scrupuleux, ils apportent à leurs entreprises un esprit de suite indéniable. C'est, à coup sûr, une race vivace et progressive. Les Chinois installés en Indochine ne sont, à de rares exceptions près, pas des intellectuels. Commerçants, banquiers (et surtout usuriers), industriels, navigateurs, ils ont gardé leur mentalité et leur genre de vie, essentiellement familiale et fermée. Par l'habitat, le vêtement, l'alimentation, la langue, l'écriture et la religion, ils se rapprochent beaucoup des Annamites, auxquels ils ressemblent aussi physiquement. Mais certaines coutumes juridiques leur sont propres, ils demeu-


Le MĂŠkong et ses roches entre Louang-prabang et Vien-tiane.

THÉRY.

Pl. III, p. 38.


Les chutes d'An-kroch près de Dalat (Lang-bian).

Les dents du Trian près d'An-loc (Bien-hoa).

THÉRY.

Pl. IV, p. 29.


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rent plus à l'écart du mouvement artistique, et, jusqu'à ces dernières années, étaient indifférents à l'activité politique. Silencieux, dociles, insinuants, rendant à tous de multiples services, ils ont su se faire bien accueillir partout et s'entendent parfaitement avec les populations au milieu desquelles ils se trouvent. Quant aux Hindou?, ils sont restés fidèles à leurs traditions, à leur régime familial, leur langue, leur écriture, leur religion. Ils pratiquent presque uniquement le commerce et l'usure, ainsi que nous avons dit, et leur influence dans la colonie est insignifiante.

CONSÉQUENCES DÉMOGRAPHIQUES DE NOTRE OCCUPATION ET DE NOTRE A l'opposé de ce qui a eu lieu dans ACTION SANITAIRE ET ÉDUCATIVE.

— nos autres possessions (Afrique du Nord exclue), nous avons trouvé en Indochine des populations indigènes abondantes, variées, et dont deux groupes principaux étaient manifestement civilisés et sérieusement organisés. Le mérite de nos premiers administrateurs — qui furent des amiraux — a été d'apercevoir tout de suite la nécessité de collaborer avec ces races évoluées, de juxtaposer notre culture et nos méthodes aux leurs, en y préparant leur adaptation progressive sans heurter de front leurs principes et leurs traditions. Les gouverneurs généraux civils qui leur ont succédé, suivant sagement l'exemple du premier d'entre eux, Paul Bert, ont agi de même dans l'ensemble. Grâce aux règles ainsi mises en vigueur, notre occupation n'a nullement bouleversé l'état démographique du territoire. Elle a, cependant, eu d'importantes conséquences. Nous avons, d'abord, consolidé la position des Khmer qui, sans notre protection, n'auraient pas tardé à être écrasés par les Thaï siamois et les Annamites et auraient très vraisemblablement connu la déchéance des Chan. Ces derniers, ainsi que les Tho du Haut Tonkin, ont été libérés de l'oppression cruelle des fonctionnaires dépendant du souverain d'Annam, et nous avons mis les Thaï du Laos à l'abri d'empiétements qui tendaient à revêtir l'aspect d'une conquête pure et simple. THÉRY.

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A l'égard des « sauvages », notre action tutélaire n'a pas été moins efficace : ils continuaient à être molestés, souvent encore décimés, réduits à un quasi-esclavage, par les peuplades immigrées; nous avons veillé à

ce que leurs libertés et leur « droit à l'existence » soient respectés de tous. Par la vitalité économique que nous avons imprimée au pays et par les facilités de communications que nous y avons créées, nous avons amélioré le bien-être de l'unanimité des habitants et déterminé chez eux, avec des besoins nouveaux, une puissance de production accrue; nous avons, en même temps, engendré des courants de migrations intérieures, saisonnières ou permanentes, qui ont contribué à la mise en valeur de régions précédemment désertiques (dans le Centre Annam, le Laos et le Haut Tonkin), et ont quelque peu décongestionné (quoique faiblement jusqu'ici) les circonscriptions par trop denses des deltas du Fleuve Rouge et du Mékong. Nous avons aussi — prudemment, d'ailleurs — amorcé une émigration de la main-d'oeuvre pléthorique de certaines contrées vers nos possessions d'Océanie (et, tout récemment, de l'Afrique équatoriale). En sens contraire, l'Indochine, par nos efforts, est devenue plus attractive pour les Chinois et les Hindous, et quelques Japonais — négociants et chefs d'entreprises — s'y sont également introduits : ces éléments actifs supplémentaires ont aidé à son expansion. Le peuplement blanc en général et français en particulier n'a pas été considérable, l'éloignement et le climat y ayant fait obstacle : on ne recense guère que 35.000 Européens ou Américains, dont plus des neuf dixièmes sont nos compatriotes. Mais ils pourvoient aux postes de direction et de maîtrise, si bien que leur situation est prépondérante, en dépit de leur faiblesse numérique. Notre influence, au surplus, ne s'est pas limitée aux phénomènes qui viennent d'être décrits : elle s'est exercée aussi sur la mentalité et les moeurs indigènes. Sans doute, nous nous sommes appliqués à maintenir leurs coutumes et même leur organisation politique et sociale; mais nous en avons peu à peu éliminé divers abus (châtiments corporels, tyrannie des chefs de tribus), et, en subordonnant tous les fonctionnaires locaux à nos représentants, nous avons perfectionné sensiblement l'administration, la rendant plus équitable et plus efficace. Par ailleurs, nous avons engagé


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une action puissante et persévérante pour améliorer l'état sanitaire des autochtones et les faire profiter des avantages de notre civilisation sans les priver des bienfaits de la leur. Annamites, Khmer et, plus encore. Thaï, Chan et « sauvages » n'avaient pas la moindre notion d'hygiène et étaient durement frappés par la mortalité infantile, le paludisme, la tuberculose, la syphilis, et une foule de maladies épidémiques. Pour lutter contre ces fléaux, nous avons constitué un service de santé solide, comportant un Institut Pasteur admirablement outillé, des hôpitaux et sanatoria pour Européens et indigènes, des infirmeries indigènes, des maternités, des léproseries, des lazarets, etc. Des tournées régulières et fréquentes de vaccination et de prophylaxie ont été instituées. Nous avons exécuté d'énormes travaux d'assainissement (en reconstruisant, notamment, des quartiers entiers dans certaines villes, en installant des canalisations d'adduction d'eau, des égouts, des systèmes de ventilation et d'éclairage électrique, en édifiant des abattoirs modernes aux lieu et place des cloaques où était jadis tué et dépecé le bétail, etc.). Nous avons, par une propagande constante, amené les populations à se nourrir plus copieusement et de mets plus sains, et une surveillance de tous les instants a été mise en oeuvre pour qu'elles renoncent à des pratiques absurdes et recourent aux conseils des médecins. Ces mesures ont déjà porté leurs fruits, et depuis plusieurs décades on constate un accroissement du nombre des habitants, stationnaire et même en déclin dans les premières années de notre occupation ; il s'affirmera plus encore, si nous réussissons à supprimer la consommation nocive d'alcools frelatés et d'opium. Les résultats n'ont pas été moins bons au point de vue éducatif. En cette matière, nous avons voulu, d'une part, permettre aux enfants européens de conduire jusqu'à leur terme des études complètes dans la colonie; d'autre part, réagir contre l'ignorance des masses indigènes et leur inculquer des notions élémentaires d'instruction française, en même temps que leur donner une culture asiatique; en troisième lieu, encourager les aspirations des classes aisées à l'érudition et fortifier encore l'enseignement supérieur local, déjà remarquable. En vertu de ce programme, nous avons inauguré : une Université, comprenant l'École de Médecine et de Pharmacie, l'École de Droit et


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d'Administration, l'École vétérinaire, l'École supérieure de Pédagogie, l'École supérieure d'Agriculture et de Sylviculture, l'École de Travaux publics, l'École de Commerce et l'École des Sciences appliquées; un lycée d'enseignement français à Hanoï (un second devant être installé dans la ville d'altitude de Dalat, que nous sommes en train de construire sur le plateau de Lang-bian); un collège analogue à Saigon; plusieurs écoles primaires supérieures françaises; des écoles primaires élémentaires françaises dans toutes les localités de quelque importance; un enseignement supérieur franco-indigène; des collèges et cours complémentaires de même nature; quatre écoles normales d'instituteurs indigènes; des écoles pratiques d'industrie; une école de mécaniciens; un atelier de mécanique pour automobiles; quatre écoles d'art indigène; une école de professeurs de dessin; des cours commerciaux; plus de 3.000 écoles primaires élémentaires franco-indigènes. Les indigènes justifiant de certains diplômes ont accès, sous diverses conditions, à l'Université française; l'enseignement professionnel est en principe mixte. Dans les autres établissements, la distinction est très nette entre ceux réservés aux « blancs » et ceux destinés aux Asiatiques. Ces derniers, de plus en plus fréquentés (les écoles primaires élémentaires comptent actuellement au total plus de 200.000 élèves), ont pour objet à la fois d'apprendre la culture annamite (ou cambodgienne), de donner des rudiments de culture française, et d'initier les populations locales à nos méthodes agricoles, industrielles, commerciales, au maniement de nos outils, aux premiers éléments de nos sciences; ils forment ainsi parmi elles des cadres administratifs et techniques susceptibles de devenir à brève échéance d'excellents collaborateurs de nos fonctionnaires, de nos médecins et de nos chefs d'exploitation. Au-dessus de cette organisation, qui a également consacré les grandes écoles proprement annamites et cambodgiennes et quelques établissements purement chinois, nous avons créé trois organes du plus haut intérêt : l'École française d'Extrême-Orient, l'Institut de Recherches historiques, archéologiques et philosophiques, et l'Institut scientifique (avec laboratoires de génétique et sélection des semences, de botanique et de phyto-pathologie). Ces réalisations ont remporté un franc succès et déjà, grâce à la compétence et au dévouement des maîtres qui les animent, elles ont vigou-


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reusement relevé le niveau intellectuel moyen des indigènes. Par là, les qualités foncières des races trouvées lors de notre arrivée sont améliorées moralement comme elles le sont physiquement sous l'action de notre effort d'hygiène. Mais si la collaboration nécessaire en est rendue plus féconde, elle s'avère aussi plus délicate, parce que les autochtones, — principalement les Annamites, — prenant mieux conscience de leurs capacités, émettent des prétentions grandissantes à être traités sur un pied d'égalité absolue avec nos concitoyens. Nous verrons plus loin quels problèmes en découlent.

— La population de l'Indochine a toujours été très inégalement répartie entre les divers États qui la composent. On dénombre aujourd'hui environ 7.300.000 habitants au Tonkin pour une superficie de 105.000 kilomètres carrés (soit une densité à peu près 70 habitants par kilomètre carré), plus de 5 millions en Annam pour 150.000 kilomètres carrés (densité 36), 4 millions en Cochinchine pour 66.000 kilomètres carrés (densité légèrement supérieure à 60), 2.400.000 au Cambodge pour 175.000 kilomètres carrés (densité 14), 830.000 au Laos pour 214.000 kilomètres carrés (densité 4), et 219.000 habitants pour le territoire de Kouang-tchéou-wan, dont la superficie n'est que de 842 kilomètres carrés (densité 345). Au total, la population de la colonie est à peine inférieure à 20 millions d'individus pour une surface globale de 710.000 kilomètres carrés; sa densité moyenne est donc d'un peu plus de 27 habitants au kilomètre carré. Le climat, les commodités d'accès et, surtout, les possibilités de culture ont, naturellement, commandé cette répartition. Leur conjonction favorable explique que dans le delta tonkinois se pressent jusqu'à plus de 400 unités par kilomètre carré, que des agglomérations presque aussi fortes se rencontrent dans le delta cochinchinois, à Kouang-tchéou-wan, et dans quelques plaines d'Annam, tandis que d'immenses étendues sont pratiquement vides dans les montagnes du Laos et pour certains plateaux du centre de la possession. LES GROUPEMENTS ACTUELS PAR RÉGIONS ET PAR VILLES.


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Il est probable qu'au fur et à mesure de l'ouverture de voies de pénétration (routes et chemins de fer), de la mise en valeur de régions jusqu'alors abandonnées (soit par la constitution de plantations, soit par la fondation d'exploitations minières, soit encore par le développement de coupes forestières industrielles), des modifications considérables se produiront; il s'en constate depuis plusieurs années au profit des « terres rouges » du Nord cochinchinois, du Cambodge et du Centre Annam. La rapidité de l'évolution dépendra de la cadence que suivront et l'essor du territoire et l'aménagement de son outillage. Équilibrant mieux ses forces ethniques, elle ne pourra que lui être utile, si, bien entendu, toutes précautions interviennent pour la canaliser au mieux de l'intérêt général. Un autre phénomène a, du reste, été observé depuis notre occupation : une poussée ininterrompue s'est dessinée des campagnes vers les villes. Il existait de nombreux centres urbains avant notre colonisation; la plupart se sont prodigieusement développés dans le dernier quart de siècle, et les quelques cités que nous avons édifiées de toutes pièces (ports de Haïphong et de Tourane) ont grandi subitement, à la manière des villes du Far-West américain. Présentement, on peut citer parmi les plus grosses agglomérations du Tonkin : Hanoï, la capitale, l'une des deux résidences du gouvernement général, sur le Fleuve Rouge, qui a 140.000 habitants (dont 3.000 Européens); Haïphong, port situé à l'embouchure septentrionale du delta, que nous avons installé à l'emplacement d'une infime bourgade de pêcheurs et qui compte maintenant 74.000 âmes; Nam-dinh, au sud-ouest du delta (30.000 habitants), métropole intellectuelle indigène et centre économique actif; Lao-kay, sur le haut Fleuve Rouge, à la frontière du Yunnan; Lang-son, sur son affluent le You-kiang, au voisinage de la Chine méridionale. Les villes de l'Annam sont toutes échelonnées sur la côte, à l'exception de la capitale, Hué (60.000 habitants), qui en est distante de 12 kilomètres; la plus grande après Hué est le port de Tourane, créé par nous (25.000 habitants); puis vient au nord le port de Vinh (12.000 habitants); les petits ports du sud sont également à mentionner (Qui-nhon, Nhatrang et Phan-rang), ainsi que le centre sanitaire que nous établissons à Dalat, à 1.600 mètres d'altitude, où vivent déjà 4.000 personnes.


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En Cochinchine se trouve avec Saïgon-Cholon la concentration urbaine la plus considérable de toute l'Indochine; Saigon, sur les bords 'de la rivière qui porte son nom, est la capitale de la colonie et la seconde résidence du gouvernement général; le dernier recensement y accuse 65.000 habitants, dont 3.000 Européens; sise à quelques kilomètres seulement et reliée à elle par un chemin de fer, deux tramways, plusieurs canaux et quatre routes, Cholon a 200.000 habitants, dont 50.000 Chinois. Les autres villes de l'État sont presque toutes des ports fluviaux, notamment Mytho (30.000 âmes), Bien-hoa (20.000), Vinh-long et Chaudoc. Un seul port maritime est à signaler, à Hatien, petite localité peu développée.

La grande cité du Cambodge est sa capitale, Pnom-penh (60.000 habitants), à la bifurcation du Mékong et de son bras occidental, le Tonlé-sap; d'autres villes se succèdent dans ce pays sur le Mékong (Bassac, Kratié, Kompong-cham), sur la mer (port de Kompot), et dans la région des lacs (Battambang, au nord-ouest, sur la grande route de Bangkok, capitale du Siam; Pursat, au sud; Siem-réap et Angkor, au nord). Au Laos, la tendance à la poussée urbaine est beaucoup moins marquée. Toutes les villes sont sur le cours du Mékong; la plus importante, Louang-prabang, au nord, siège d'une petite principauté indigène, ne compte pas plus de 12.000 habitants; la seconde, Vien-tian, plus au sud, centre de notre administration, n'en a que 7.000; les autres, Takket, Savannaket, Kemmarat, sont de simples villages, tirant leur valeur de leur position sur le fleuve et de leur marché. Fort-Bayard, enfin, chef-lieu du territoire de Kouang-tchéou-wan, réunit une population urbaine de plus de 75.000 habitants, presque entièrement chinoise. Sans parler de cette dernière localité, l'Indochine possède donc cinq grandes villes (avec Saïgon-Cholon, Hanoï, Haïphong, Hué et Pnompenh) et une vingtaine de moyennes et petites. Toutes gagnent d'année en année des habitants; ce mouvement des campagnes vers les cités, maintenant commun à tous les peuples du monde, ne paraît pour l'instant présenter aucun inconvénient dans notre possession; il n'a pas déterminé de crise de la main-d'oeuvre rurale, qui se recrute en quantité suffisante, et il a stimulé l'activité d'ensemble, permettant la croissance d'entreprises industrielles et commerciales qui n'auraient pas pu s'étendre sans


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la possibilité de grouper un nombreux personnel. Au point de vue mental, il a hâté l'évolution de beaucoup d'indigènes, en les mettant plus directement en rapport avec nous; une partie de notre mission civilisatrice en a été facilitée, mais il en est résulté aussi des causes nouvelles de fermentation politique, dont nous avons à tenir grand compte.


CHAPITRE III

ÉTAPES SUCCESSIVES DE NOTRE COLONISATION 1

Premières interventions de la France. — Notre implantation en Cochinchine. — La pénétration vers le centre. — Établissement des protectorats. — Formation et extension de l'Union indochinoise. — Aspect actuel de notre domination

— L'Extrême-Orient exerça de bonne heure une vive attraction sur les peuples de l'Europe occidentale, et quand, au sortir de la période agitée du moyen âge, libre carrière put être donnée à des tentatives de vaste envergure, les armateurs et les marchands de la plupart des États riverains de la Mer du Nord, de la Manche, de l'Atlantique et de la Méditerranée organisèrent des expéditions se proposant de reconnaître les terres lointaines de l'Asie PREMIÈRES INTERVENTIONS DE LA FRANCE.

cit., chapitres I et II, et: J. SAINTOYANT, La Colonisation française sous l'ancien régime (1929); GEORGES GRANDJEAN, L'Époque jaune (1929); GEORGES HARDY, Histoire de la colonisation française (1928); ALBERT BOEUF, Histoire de la conquête de la Cochinchine (1927); TRAMOND et REUSSNER, Éléments d'Histoire maritime et coloniale contemporaine (1924); LAUNAY, Histoire de la mission de Cochinchine (1934); P. CULTRU, Histoire de la Cochinchine française (1910); H. CORDIER, La France et la Cochinchine (1906); M. DUBOIS et A. TERRIER, Un Siècle d'expansion coloniale (1902); CHAILLEY-BERT, Les Compagnies de colonisation sous l'ancien régime (1898); J. DUPUIS, Les Origines de la question du Tonkin (1896); M. DUBOIS, Systèmes coloniaux (1895); P. VIAL, Nos Premières Années au Tonkin (1889); F. JULLIEN, DOUdart de Lagrée (1885); H. GAUTIER, Les Français au Tonkin (1884); P. VIAL, Les Premières Années de la Cochinchine (1874); PALLU DE LA BARRIÈRE, Histoire de la Cochinchine française (1864). 1. Cf. op.


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mystérieuse, et d'en rapporter les trésors que la légende et la tradition historique la plus ancienne leur attribuaient. On sait que la recherche de la route maritime des Indes fut le moteur de presque tous les voyages des grands navigateurs des XVe et XVIe siècles, et que la plupart des découvertes géographiques de cette époque (celle de l'Amérique notamment) apparurent d'abord comme des incidents fortuits dans la marche vers le continent jaune. Nombre de Gouvernements encouragèrent et soutinrent matériellement ces explorations audacieuses. Retenue par des préoccupations de politique intérieure, la Royauté française ne s'y intéressa qu'assez tardivement, et ce n'est guère que sous François Ier que nos compatriotes « partirent à l'aventure ». L'initiative en revint au Dieppois Jean Ango, qui envoya en 1532 deux navires dans l'Océan Indien; ils touchèrent Sumatra, mais ne purent atteindre les Moluques et la Chine, terme de l'itinéraire qui leur avait été fixé. Dans les années suivantes, notre attention se tourna surtout vers l'Amérique du Nord, où nous prîmes pied au Canada avec des fortunes diverses. Sous Richelieu, plusieurs grandes compagnies privilégiées furent fondées, à l'exemple de celles antérieurement créées par les Hollandais, les Anglais, les Portugais et les Espagnols, et quelques-unes (d'ailleurs en minorité) consacrèrent leur activité aux Indes orientales. Aucune, alors, ne réussit, et leurs efforts n'eurent d'autre résultat que de nous introduire à Madagascar. Colbert, voulant assurer dans toutes les directions notre expansion commerciale et maritime, reprit sur des bases plus larges l'action esquissée par le cardinal, et résolut d'établir aux Indes une colonie comparable à celle que les Pays-Bas avaient constituée dans les îles de la Sonde. Après des essais infructueux, il parvint à reformer une Compagnie des Indes orientales. Malgré d'innombrables difficultés, dues à un état de guerre à peu près permanent, celle-ci noua des relations étroites avec les princes asiatiques, obtint des monopoles et monta des comptoirs qui prospérèrent. Chargée de trafiquer aussi avec la Chine, elle n'exécuta que mollement cette partie de sa mission, qu'assuma tout au commencement du XVIIIe siècle une autre société, dite Compagnie de la Chine.


ÉTAPES SUCCESSIVES DE NOTRE COLONISATION 39 En même temps, sur les conseils d'un aventurier grec, Constance Phaulcon, qui avait gagné la faveur du roi du Siam, Louis XIV adressa à ce souverain une ambassade extraordinaire; elle fut aimablement reçue, et une ambassade siamoise vint « rendre la politesse » à Versailles. On envisagea alors l'institution d'un protectorat français sur le Siam; mais la disparition subite de Constance Phaulcon ruina ce projet. L'idée subsista, néanmoins, de prendre pied dans les territoires compris entre l'Inde et la Chine, que l'on appela désormais Indochine. Les catastrophes de la fin du règne du « Roi-Soleil » arrêtèrent nos progrès colonisateurs. Un réveil suivit les spéculations de Law qui, si elles entraînèrent d'effroyables ruines, galvanisèrent cependant la Compagnie des Indes, élevée peu après à l'apogée de sa puissance. Mais les défaites répétées que nous subîmes en Europe sous Louis XV anéantirent l'oeuvre de nos vaillants représentants en Extrême-Orient, et le traité de Paris de 1763 sanctionna notre renonciation à toute visée politique dans ces contrées où nous avions assis notre domination, ne nous laissant que cinq villes démantelées et sans garnison. Les opérations commerciales, par bonheur, ne nous furent pas complètement interdites, et, à l'instigation de Choiseul, nous continuâmes à entretenir un trafic assez important avec les différents ports du Golfe de Bengale, y conservant ainsi quelque influence. Un agent de la Compagnie des Indes, Poivre, sut même se faire admettre à la cour d'Annam, et se disposait à créer à Faï-fo le premier comptoir européen dans ce pays, quand la dissolution de sa société, en 1769, l'obligea à abandonner la réalisation de son plan. Une mission apostolique évangélisant la Cochinchine, sous la direction de Mgr Pigneau de Béhaine, suggéra à un prince local, Nguhen-anh, de demander l'appui de la France contre la Chine et provoqua en 1787 la signature d'une alliance offensive et défensive entre lui et nous, qui nous valut la Baie de Tourane et l'Ile de Poulo-Condor. Les événements de la Révolution et les guerres du Premier Empire nous empêchèrent de tirer parti de cet avantage, et notre situation resta sensiblement ce qu'elle était avant 1787. Sous la Restauration et la Monarchie de Juillet, repliés sur nous-mêmes, puis absorbés par la conquête de l'Algérie, nous nous contentâmes en Extrême-Orient d'effectuer du négoce, qui se développa rapidement, et d'envoyer des missions catho-


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liques; divers incidents, au cours desquels certains de nos compatriotes furent gravement molestés, nous déterminèrent à préparer des interventions en Chine et en Annam, mais tout se limita à des démonstrations sans lendemain. Une politique plus active fut pratiquée par Napoléon III; des traités conclus avec le Siam et le Cambodge nous autorisèrent à nommer des consuls dans ces pays, et conférèrent des garanties à nos missions; l'hostilité manifestée par l'empereur d'Annam, Tu-duc, envers les Européens, nous amena en 1858 à occuper militairement Tourane, puis Saïgon, à la suite du débarquement de détachements d'une escadre commandée par l'amiral Rigault de Genouilly. Tandis que nous nous engagions ainsi dans la Péninsule, il nous fallut participer avec les Anglais, en 1860, à une expédition contre Pékin; conduite par le général Cousin-Montauban, elle nous procura la reconnaissance de quelques prérogatives assez vagues, mais nous prouva, surtout, qu'aucun établissement sérieux ne serait possible pour nous de ce côté. Notre Gouvernement décida, alors, de porter son effort vers la Cochinchine, où, pendant l'action sur Pékin (à laquelle la flotte de l'amiral Rigault de Genouilly avait été également employée), nos troupes avaient été bloquées dans Saïgon; ce fut la fin de cette longue phase de contacts intermittents qui vient d'être résumée, et notre colonisation proprement dite débuta en Extrême-Orient.

Au retour de Chine, les navires français libérèrent la garnison de Saïgon, et, pour assurer la sécurité de la position, nous occupâmes les trois provinces orientales de la plaine du Mékong. Un protectorat très libéral, impliquant le maintien en exercice de tous les fonctionnaires indigènes sous le simple contrôle d'officiers de marine, fut aussitôt proclamé par l'amiral Bonnard, aux ordres de qui les opérations étaient passées, et nous ne tardâmes pas à retirer nos effectifs. Leur départ, interprété comme un signe de faiblesse, fut suivi de nouvelles agressions annamites et d'une série d'attentats contre les Français; NOTRE IMPLANTATION EN COCHINCHINE. —


ÉTAPES SUCCESSIVES DE NOTRE COLONISATION 41 il fallut une fois de plus agir énergiquement, et le blocus de ses côtes,

accompagné d'un mouvement révolutionnaire au Tonkin, contraignit Tu-duc à solliciter enfin la paix. Par le traité de Hué, de 1863, il promit de nous verser une indemnité payable en dix ans et accepta notre pleine souveraineté sur la Basse Cochinchine de l'est. Instruits par une expérience récente, les commandants du corps qui avait procédé à la conquête élaborèrent un plan judicieux d'organisation administrative du pays, comportant la centralisation du pouvoir entre les mains d'un gouverneur assisté de chefs de circonscriptions dirigeant effectivement les administrateurs locaux indigènes; tout ce haut personnel devait être recruté parmi les officiers de marine ayant participé aux débarquements. On jugea nécessaire d'adjoindre à ces cadres des interprètes français et annamites soumis à un stage préliminaire spécial, et l'on eut recours, pour la défense extérieure de la colonie, à la levée de bataillons annamites, la police intérieure étant confiée à une milice locale. Le système entra immédiatement en vigueur. Il n'y avait plus qu'à préciser les relations de la possession avec la métropole, et ceci incombait au Gouvernement de Paris. Or, sous la pression d'une opinion publique mal éclairée — et, peut-être, d'insinuations d'origine anglaise — l'empereur inclinait à accepter les propositions du mandarin Phan-than-giang, offrant un tribut annuel permanent, des privilèges commerciaux et d'autres compensations théoriques, pourvu que la France se résignât à une protection assez élastique et ne gardât autorité que sur Saïgon et Mytho. Une ardente campagne d'hommes compétents, parmi lesquels figura le ministre de la Marine Chasseloup-Laubat, ouvrit les yeux sur les dangers de cette solution; mais les hésitations de Napoléon III retardèrent les décisions attendues. Durant ces tergiversations, des incursions des Annamites des provinces de l'ouest avaient troublé la tranquillité de la zone qui nous avait été livrée par le traité de 1863; l'amiral de la Grandière les occupa à leur tour, et nous prononçâmes leur annexion en 1867. L'ensemble de la Cochinchine fut dès lors soumis à notre domination; elle fut assimilée à nos autres colonies, et la plupart des dispositions politiques et douanières appliquées au Sénégal lui furent étendues, avec, pourtant, la conservation dans leurs postes respectifs d'un grand nombre de fonctionnaires et magistrats indigènes.


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implantation Pendant notre que — en Cochinchine se parachevait de la sorte, nos relations avec le Cambodge s'étaient singulièrement resserrées. Inquiet du voisinage dangereux et du Siam et de l'Annam, son roi, Norodom, se laissa aisément persuader par le capitaine de frégate Doudart de Lagrée qu'il n'échapperait à une ruine intégrale qu'en se rangeant sous notre tutelle; un traité reconnut en conséquence notre protectorat sur son État en 1863. Le Siam chercha, il est vrai, à y faire échec : mais l'attitude résolue de Doudart de Lagrée calma ses velléités belliqueuses, et il s'inclina en 1867, gardant néanmoins la circonscription d'Angkor pour prix de sa bonne volonté. Ce succès donna à penser que nos établissements du Bas-Mékong pourraient nous servir à pénétrer commercialement dans la Chine méridionale en remontant la vallée du grand fleuve. Une mission d'exploration reçut mandat en 1866 de déduire les conclusions pratiques de cette conception doctrinale; sous la direction de Doudart de Lagrée, secondé par le lieutenant de vaisseau Francis Garnier et par une pléiade de jeunes officiers éminents, elle atteignit en 1868 le Yunnan chinois, où son chef succomba. Francis Garnier poussa plus avant dans les massifs montagneux et ramena à Saïgon toute l'expédition, rapportant une moisson précieuse de renseignements qui démontraient que le Mékong ne constituait pas le moyen d'accès espéré, mais que le Fleuve Rouge était une artère de transit de premier ordre et que la colonisation du Tonkin aurait pour nous une valeur inestimable. La guerre de 1870-1871 relégua ce rapport dans les cartons ministériels. Mais la question rebondit en 1873, à la suite d'un litige survenu entre un commerçant français, Dupuis, et l'empereur d'Annam; Dupuis ayant vendu au Gouvernement chinois une cargaison d'armes à destination du Yunnan, et les autorités annamites en ayant prohibé le transport à travers le Tonkir, notre compatriote réclama une indemnité, qui lui fut refusée : le gouverneur de Cochinchine invita Francis Garnier à arbitrer le débat; celui-ci n'hésita pas à ouvrir le Fleuve Rouge à nos navires, à établir « proprio motu » des tarifs douaniers au Tonkin, et à LA PÉNÉTRATION

VERS LE CENTRE.


ÉTAPES SUCCESSIVES DE NOTRE COLONISATION 43 sommer les Annamites de désarmer Hanoï; puis, comme on résistait à ses injonctions, il s'empara de la citadelle de cette ville et occupa l'ensemble du delta du Song-koï. Sa mort, au cours d'un combat contre les « Pavillons noirs » du Yunnan que l'empereur d'Annam avait appelés à son aide, nous fit malheureusement perdre le bénéfice de sa courageuse initiative; le Gouvernement de la IIIe République n'osa point sanctionner l'acquisition réalisée et signa, en 1874, avec l'Annam le traité de Saïgon, aux termes duquel nous évacuâmes le Tonkin, ne laissant à Hanoï qu'un résident avec quelques soldats, l'empereur Tu-duc abandonnant toute prétention sur la Cochinchine, consentant à l'entrée des Européens dans ses ports et ses rivières, et s'obligeant à subordonner sa politique extérieure à notre agrément. Nous ressentîmes rapidement les effets de cette faute : pour tourner le traité qu'il avait signé, Tu-duc se plaça sous la suzeraineté de la Chine, dont l'empereur nous notifia qu'il tenait pour non avenu l'accord de Saïgon. On comprit alors la nécessité d'être plus ferme, et, sous l'impulsion de Freycinet, Gambetta, et principalement Jules Ferry, nous adoptâmes enfin une ligne de conduite énergique et précise. En 1881 nous établîmes officiellement notre protectorat sur l'Annam, sans nous soucier des protestations de la Chine, et le lieutenant de vaisseau Rivière fut envoyé au Tonkin pour y faire respecter les stipulations de 1874. Il s'empara de la citadelle annamite, mais — comme Francis Garnier dix ans auparavant — fut tué dans un engagement contre les « Pavillons noirs ». L'erreur de 1873 ne se renouvela pas cette fois : un véritable corps expéditionnaire fut dirigé sur le Tonkin, sous les ordres du général Bouet, et, après une lutte assez vive contre les armées chinoises, nous occupâmes tout le pays en 1884. Par un traité de Tien-tsin de la même année, la Chine reconnut notre protectorat sur l'Annam, et un autre arrangement conclu avec ce dernier État fixa les modalités de notre tutelle et admir notre protectorat sur le Tonkin. Ces dispositions ne mirent pas fin à l'action militaire, car une oeuvre matérielle de pacification dut être poursuivie contre les bandes de pillards qui infestaient le territoire, et il fallut procéder à une intervention navale pour forcer la Chine à tenir ses promesses. Le général de Négrier dirigea les opérations au Tonkin, et l'amiral Courbet fut chargé


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de celles contre la Chine; les unes et les autres se déroulaient très heureusement pour nous quand, dans une affaire secondaire, un échec de minime importance aggravé par la mise hors de combat du général de Négrier, à Lang-son, provoqua la chute du cabinet Jules Ferry, au milieu d'une invraisemblable agitation parlementaire. Son successeur réussit néanmoins à sauver tous les résultats obtenus, que confirma quelques mois plus tard la signature d'un second traité de Tien-tsin avec la Chine. Peu après, de nouvelles difficultés surgirent; un essai maladroit d'un commandant en chef de nos troupes d'occupation de substituer le système de l'annexion à celui du protectorat en Annam, bien que désavoué par la métropole, engendra une insurrection, compliquée d'une révolte au Cambodge (où un profond mécontentement était né du déplacement de certains fonctionnaires khmer) et d'un conflit avec le Siam qui prétendait s'opposer à une avance que nous projetions au Laos. Nous rétablîmes la situation, mais il apparut que des directives d'ensemble devaient être fournies à notre administration indochinoise; la pénétration étant terminée, il convenait d'entreprendre l'organisation définitive.

— En 1886, le Gouvernement divisa l'Indochine en deux groupes : celui de la colonie de Cochinchine et du protectorat du Cambodge (qui lui fut rattaché), placé sous l'autorité d'un gouverneur à Saïgon, assisté d'un résident supérieur à Pnom-penh, releva du ministère des Colonies, récemment créé; celui du protectorat de l'Annam-Tonkin, mis aux ordres d'un résident général assisté de deux résidents supérieurs (l'un à Hué, l'autre à Hanoï), fut contrôlé par le ministère des Affaires étrangères. Dès cette année, d'un commun accord entre les deux départements, le « résident général » fut chargé de coordonner notre action d'un bout à l'autre du territoire. Le remarquable administrateur à qui fut confiée cette oeuvre délicate, Paul Bert, s'en acquitta avec maîtrise, inspirant très vite confiance et sympathie aux notabilités indigènes, et arrivant ainsi à asseoir fortement notre domination. Mort trop tôt à la tâche, il fut remplacé par un « gouverneur général ». FORMATION ET EXTENSION DE L'UNION INDOCHINOISE.



Sur la cĂ´te de l'Annam : Au fond s'estompe le cap Varella. Au premier plan la route Mandarine, qui traverse l'Indochine du nord au sud.


ÉTAPES SUCCESSIVES DE NOTRE COLONISATION 45 Tirant, en effet, la leçon de l'histoire des dernières années, nous fondâmes, en 1887, l' « Union indochinoise », soumise exclusivement au ministère des Colonies et groupant sous un gouverneur général établi à Saïgon la colonie de Cochinchine, dirigée par un gouverneur, et les protectorats du Cambodge, de l'Annam et du Tonkin, administrés chacun par un résident supérieur. Une autonomie relative était maintenue aux États, mais l'unité politique et économique souhaitable se trouva désormais assurée dans de bonnes conditions. Le premier maître de l'Indochine ainsi constituée, de Lanessan, suivit habilement les exemples de Paul Bert et mit en pratique une collaboration franco-annamite dont les conséquences parurent d'abord très favorables. L'ère des incidents n'était pourtant pas close. Notre installation au Laos semblant le complément indispensable de l'occupation du Cambodge, de l'Annam et du Haut Tonkin, nous voulûmes y étendre l'emprise commencée en 1886. Un nouveau conflit en résulta avec le Siam, auquel une démonstration navale mit fin en 1893; le Siam, alors, reconnut le protectorat de l'Annam (donc de la France) sur le Laos, et nous établîmes un résident supérieur à Louang-prabang. D'autre part, les « pirates » continuaient à troubler la vallée du Fleuve Rouge, nous entraînant à des répressions coûteuses et entravant l'essor de la contrée. On rappela de Lanessan en 1894, mais ses successeurs immédiats ne calmèrent pas la fermentation. L'honneur d'aboutir à l'apaisement et d'entreprendre de façon décisive l'aménagement économique de la région revint à Paul Doumer, nommé gouverneur général en 1896, au moment même où un accord avec l'Angleterre précisait les limites de notre colonie et celles des possessions britanniques voisines, liquidant une aigre contestation. Paul Doumer renforça d'abord la cohésion des services en érigeant l'Union en un « gouvernement général », siégeant alternativement à Saïgon et à Hanoï, doté de moyens de travail convenables et d'attributions nettement définies au regard des gouvernements locaux. Il fit arrêter un budget général et procéda à une série de réformes fiscales par lesquelles fut assuré l'équilibre financier du gouvernement général et des divers Etats. Il élabora, enfin, un ample programme de création d'outillage et THÉRY.

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de mise en valeur, dont il aborda hardiment l'exécution et qui est demeuré la charte économique de la colonie. Au point de vue politique, il parvint à circonscrire, puis à réduire considérablement les incursions des pillards. Il contribua, par ses avis, à pousser notre Gouvernement à demander et obtenir, en 1898, à la suite de tractations avec la Chine, l'autorisation de prolonger notre chemin de fer d'Hanoï à Lao-kay jusqu'à Yunnanfou, capitale du Yunnan (qui est dans notre périmètre d'influence économique, et qu'il aurait, d'ailleurs, été préférable de pouvoir incorporer au Tonkin); il intervint aussi pour nous faire acquérir à bail, en 1899, la Baie de Kouang-tchéou-wan, qui fut constituée en territoire autonome, et placée sous l'autorité d'un administrateur dépendant lui-même du gouverneur général de l'Indochine. Les méthodes de Paul Doumer ont heureusement survécu à son gouvernorat. Certes, après lui, il a parfois été apporté moins de conviction à l'accomplissement de la besogne courante, et, surtout dans le domaine économique, on n'a pas toujours conduit les réalisations positives avec autant de zèle qu'il eût été souhaitable. Mais l'ordre a été maintenu dans l'ensemble de la possession, les rectifications de frontières nécessaires ont pu être faites avec le Siam, qui nous a rendu en 1907 la circonscription d'Angkor (et avec lequel des rectifications de frontières ont encore eu lieu en 1923), et, malgré le lourd handicap de la guerre 1914-1918, une évolution satisfaisante s'est poursuivie sans interruption. Plusieurs gouverneurs généraux — Albert Sarraut, entre autres — ont, au surplus, su être eux aussi des animateurs, et leur action personnelle a puissamment cimenté l'édifice dont nous venons de rappeler la construction progressive.

si On déclare parfois que, — nous en avons,fini, en Indochine, avec la période de la conquête — qui, somme toute, ne fut pas très laborieuse et aurait pu être menée à moindres frais et plus rondement si dès le Second Empire les conseils des amiraux ASPECT ACTUEL DE NOTRE DOMINATION.


ÉTAPES SUCCESSIVES DE NOTRE COLONISATION 47 et des officiers de marine des corps de débarquement avaient été écoutés, de la pénétration et de l'installation est également achevée, l'ère si — nous avons dorénavant à organiser la colonie. Cette affirmation est à nos yeux inexacte; nous allons, dans les prochains chapitres, montrer par un examen purement objectif qu'un travail considérable a déjà été effectué, aussi bien pour l'aménagement des services administratifs que pour l'équipement matériel du pays et l'exploitation rationnelle de ses ressources. Il s'agit simplement — comme dans toutes nos autres possessions et dans tous les États du monde, vieux et jeunes, grands et petits — de développer sans relâche notre création, en adaptant sa structure à des besoins sans cesse multipliés et qui se modifient d'année en année. Pareille tâche, charge normale d'une nation colonisatrice, est plus aisée que celle qui nous incomba jusqu'à l'orée du XXe siècle; l'Union est, en effet, sortie de l'enfance; son adolescence se présente sous les meilleurs auspices : il suffira de méthode, de persévérance et de bon sens pour la hausser au stade de prospérité dont elle est digne et auquel elle a droit. Sa forme actuelle, solide, permettra sûrement à notre action de produire un rendement maximum, pourvu que nous la conduisions sagement. Elle est maintenant une colonie dans toute l'acception du mot, liée à la mère patrie comme chaque portion de la France d'outre-mer, appuyée sur elle au même titre que nos territoires africains, concourant autant qu'eux à l'essor de l'ensemble. Elle diffère cependant de nos autres gouvernements généraux par plusieurs traits particuliers. Tout d'abord, elle a conservé un aspect fédératif qui ne se retrouve nulle part ailleurs au même degré dans notre empire; sous l'autorité très réelle du gouverneur général vivent côte à côte une colonie, quatre protectorats et un territoire spécial. Un juste compromis entre la centralisation outrancière et l'autonomie excessive des divers États a ainsi été assuré, donnant les avantages de la puissance d'un pays étendu et laissant à chaque contrée et chaque race la possibilité de concilier ses coutumes avec la civilisation occidentale, ménageant les transitions sans les ajourner indéfiniment, procurant beaucoup de souplesse à nos interventions sans qu'en résultent des flottements ou des contradictions préjudiciables.


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Puis — et les explications données dans le chapitre précédent sur la démographie locale justifient cette mesure — une place a été réservée dans l'administration à la collaboration indigène. Enfin — et nous aurons à y revenir — la position de la colonie à la pointe de l'extrême Asie motive une indépendance économique relative, qui nous oblige à ne pas lui appliquer systématiquement de Paris des décisions parfaitement opportunes dans nos autres « provinces lointaines ». Par tout cela, l'Union diffère bien de nos possessions du reste du monde, et c'est en tenant compte de ses caractères propres que nous la gérerons au mieux de ses intérêts et des nôtres.


CHAPITRE IV

CONSTITUTION POLITIQUE ET ADMINISTRATIVE 1

Gouvernement général, gouvernements locaux, circonscriptions. — Organes législatifs, exécutifs et judiciaires. — Pouvoirs respectifs de la métropole et de la colonie. — La participation des indigènes au gouvernement et à l'administration et la question des nationalités. GOUVERNEMENT

GÉNÉRAL,

GOUVERNEMENTS

LOCAUX,

CIRCONSCRIP-

— La constitution de la IIIe République n'ayant pas indiqué comment serait fixé le statut politique et administratif de notre domaine d'outre-mer, la matière est demeurée régie implicitement par la Constitution immédiatement antérieure, celle du 14 janvier 1852, et par les dispositions générales intervenues en application de ses prescriptions. La Constitution de 1852 avait spécifié, dans son article 27, qu'un « sénatus-consulte » établirait la charte des colonies. L'acte fondamental qu'elle annonçait ainsi fut publié le 3 mai 1854. Confirmant la distinction TIONS.

1. Cf. op. cit. et : G. FRANÇOIS et H. MARIOL, Législation coloniale (1929); A. DuCHÈNE, La Politique coloniale de la France (1928); G. BARTHÉLÉMY,Les Colonies françaises (1928); H. SOLUS, Traité de la condition des indigènes en droit privé (1928);

L.

L'Évolution du régime financier des colonies (1937); A. GIRAULT, Principes de colonisation et de législation coloniale (5e éd. 1927-1939); ANTONELLI, Manuel de législation coloniale (1925); RÉGISMANSET, FRANÇOIS, ROUGET, Ce que tout Français doit connaître des colonies françaises (1934); DISLÈRE, Traité de législation coloniale (1910); PAUL LEROY-BEAULIEU, De la colonisation chez les peuples modernes (5e éd. 1902). Voir aussi collections des Journaux officiels de France et d'Indo— chine et du Supplément colonial de l'Économiste européen. MÉRAT,


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admise par une loi de 1833, il classa nos possessions en deux catégories : la première, comprenant la Guadeloupe, la Martinique et la Réunion, fut soumise au système dit « des lois particulières », et le pouvoir législatif de la métropole fut seul habilité à décider de son organisation; la seconde, englobant tous nos autres territoires présents ou à venir, fut assujettie au système dit « des décrets », et le chef de l'État reçut délégation pour y agir sans avoir à demander un vote parlementaire. En conséquence de cette discrimination, l'armature politique et administrative de l'Indochine a été instituée par une succession de décrets, et ce n'est que très exceptionnellement, pour des motifs d'opportunité, que la Chambre et le Sénat ont été appelés à se prononcer sur certains problèmes la concernant. Comme nous l'avons vu dans le chapitre précédent, l'ensemble des territoires sur lesquels flotte notre pavillon dans la Péninsule indochinoise a été groupé en 1887 en une « Union » dirigée par un gouverneur général. Le premier décret réalisant cette création fut signé le 17 octobre de cette année. Le Ier novembre suivant, les attributions du gouverneur général furent plus nettement définies. Des décrets nombreux les étendirent ensuite et les mirent au point, le 21 avril 1891, le 3 juillet 1897, les 8 avril et 31 juillet 1898, le 20 octobre 1911 et le 4 novembre 1928, en même temps qu'ils précisèrent tous les détails d'organisation de la colonie. Depuis trente ans — nous l'avons déjà dit — l'Union est constituée en un gouvernement général, composé de la colonie de Cochinchine, des protectorats du Tonkin, de l'Annam, du Cambodge et du Laos, et du territoire acquis à bail de Kouang-tchéou-wan, chacune de ces entités étant elle-même divisée en circonscriptions. Le gouverneur général, « dépositaire des pouvoirs de la République», correspond seul avec le Gouvernement métropolitain, est autorisé à communiquer directement avec nos agents diplomatiques et consulaires d'Extrême-Orient, a qualité pour organiser tous les services de la possession, les contrôler, suspendre les fonctionnaires (même quand ils sont nommés par l'Administration centrale), assure sous sa responsabilité la sécurité intérieure et extérieure, promulgue les lois françaises applicables à l'Union, arrête les budgets, etc. Il est représenté spécialement à Paris par l'Agence économique du gouvernement général de l'Indochine, qui lui est directement subordonnée.


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Ce véritable « vice-roi » est assisté, à titre consultatif : 1° d'un Conseil de gouvernement (comprenant les gouverneurs ou résidents supérieurs de chaque État, le commandant supérieur des troupes, les chefs des grands services et un haut fonctionnaire indigène par État, que désigne le gouverneur général); 2° depuis un décret du 4 novembre 1928, d'un grand Conseil des intérêts économiques et financiers de l'Indochine, qui est la délégation des différentes assemblées élues locales (Conseil colonial de Cochinchine, Conseils locaux des intérêts français économiques et financiers du Tonkin, de l'Annam, du Cambodge, et — quand il sera

en fonctionnement — du Laos; Chambres consultatives indigènes du Tonkin, de l'Annam, du Cambodge; Chambre consultative mixte francoindigène du Laos; Chambres de commerce et d'agriculture de tous ces pays), et où viennent en outre des notabilités choisies par le gouverneur général. Il est, de plus, entouré de services très complets (aux besoins desquels pourvoit le budget général de la possession, arrêté par lui et approuvé par décret), notamment un cabinet, un secrétariat général, et une série de directions générales ou inspections générales (finances, douanes et régies, services économiques, postes et télégraphes, services sanitaires, instruction publique, services militaires, services maritimes, etc.). Ces directions ont non seulement à contrôler l'administration locale des États et autres circonscriptions, mais encore à exécuter personnellement dans l'ensemble de l'Indochine des tâches importantes, qui leur sont confiées comme par une sorte de « droit d'évocation » du gouverneur général. Deux Conseils de contentieux s'ajoutent à ces cadres, fixés l'un à Hanoï et l'autre à Saïgon. Sous les ordres et l'action permanente du gouvernement général, chacun des États de l'Union a gardé un aspect administratif particulier. La Cochinchine, colonie proprement dite, est dirigée par un gouverneur, chargé de toute l'administration locale dans les limites assignées par le gouverneur général, et assisté : 1° d'un Conseil privé consultatif (comprenant, sous sa présidence, les chefs des services locaux et quatre notables, deux français et deux indigènes, nommés par lui); 2° d'un Conseil colonial, ayant un rôle consultatif et devant obligatoirement « délibérer » le budget local (et comptant dix conseillers français élus au suffrage universel par le corps électoral indigène, dix conseillers indigènes élus également au suffrage universel par le corps électoral indi-


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gène, deux délégués de la Chambre de commerce de Saïgon, et deux délégués de la Chambre d'agriculture de Cochinchine); 3° de directions des services locaux. Le pays dispose d'un budget spécial, appelé budget local, arrêté par le gouverneur et approuvé par le gouverneur général. Seul de tous les États d'Indochine il envoie un député à la Chambre métropolitaine, nommé au suffrage universel par le corps électoral français. Au Tonkin et en Annam, on a conservé la forme du protectorat, encore que les cadres gouvernementaux indigènes aient été considérablement affaiblis en pratique. Le chef de chaque possession est un résident supérieur, assisté, à titre consultatif : 1° d'un Conseil de protectorat, de composition et d'attributions analogues à celles du Conseil privé de Cochinchine; 2° depuis le 4 novembre 1928, d'un Conseil local des intérêts français économiques et financiers, comprenant vingt membres élus au suffrage universel par le corps électoral français; 30 d'une Chambre consultative indigène (appelée aussi, en Annam, Chambre des représentants du peuple), nommée au suffrage universel par le corps électoral indigène. Il dispose de directeurs de services français semblables à ceux de la Cochinchine, et a, en outre, autorité sur divers cadres indigènes (à commencer en Annam par le souverain), dont les fonctions ont été réduites le plus souvent à un rôle d'apparat. Un budget local est également arrêté dans chacun de ces États par le résident supérieur et approuvé par le gouverneur général. Des dispositions à peu près identiques existent au Cambodge, avec toutefois la différence que l'administration indigène y a été maintenue plus largement dans sa forme, les ministres du souverain continuant à tenir conseil, mais sous la présidence du résident supérieur et le contrôle constant des chefs des services français. Au Laos, le résident supérieur n'a pas auprès de lui de Conseil de protectorat; il est assisté de deux commissaires, d'une Chambre consultative mixte franco-indigène, et l'on prévoit la création d'un Conseil local des intérêts français économiques et financiers. Un budget local y est arrêté chaque année par le gouverneur général, sur proposition du résident supérieur. Enfin, le territoire de Kouang-tchéou-wan, aux ordres d'un administrateur dépendant directement du gouverneur général, forme une


La Baie d'Along (Tonkin), une des plus belles du monde. Au premier plan, le village indigène de Hongay.

Paysage avec lac dans la région de Backan.

THÉRY.

Pl. VII, p. 53.



CONSTITUTION POLITIQUE ET ADMINISTRATIVE 53 espèce de province autonome; il a ses services propres auxquels pourvoit un budget annexe du budget général de l'Indochine.

Tous ces États comptent un certain nombre de circonscriptions administratives. La Cochinchine est divisée en 17 provinces, le Tonkin en 25, l'Annam en 13, le Cambodge en 12, le Laos en 10, et le territoire de Kouangtchéou-wan en trois districts. Ces subdivisions, qui peuvent être comparées, de loin, à nos arrondissements, ont à leur tête un fonctionnaire français « chef d'administration », relevant directement du gouverneur de la colonie ou du résident supérieur du protectorat (ou de l'administrateur de Kouang-tchéou-wan) et recevant les instructions des chefs de service de l'État. Un budget provincial, arrêté par le chef de circonscription et approuvé par le gouverneur, pourvoit aux dépenses des provinces de Cochinchine; les charges des provinces des protectorats sont, depuis quelques années, payées sur le budget local de l'État, mais il est question de rétablir ici également des budgets autonomes. On a, d'autre part, érigé en communes, dirigées par un maire-fonctionnaire, assisté ordinairement d'une commission municipale, les agglomérations de Saïgon, Cholon, Hanoï, Haïphong, Tourane et Pnom-penh, et l'extension de ce régime à tous les centres groupant un effectif suffisant d'Européens est en cours. Ces communes disposent d'un budget communal, arrêté par le maire et approuvé par le gouverneur ou le résident supérieur. Dans les autres villes, on a laissé subsister les municipalités indigènes, comportant un collège de notables désigné au suffrage censitaire. L'organisation dont un tableau succinct vient d'être brossé paraît, dès à présent, très complète et assez harmonieusement conçue, malgré des divergences qui sont, à la vérité, plus apparentes que réelles. Il convient d'ajouter que les hauts fonctionnaires qui en assurent la marche sont nommés par décrets du Gouvernement métropolitain, mais que le gouverneur général, qui est leur chef hiérarchique, adresse toutes propositions préalables les concernant et a des pouvoirs étendus pour les déplacer, et même les suspendre. Le reste du personnel est nommé par arrêtés du gouverneur général. A l'exclusion du gouverneur géneral qui peut être choisi librement, du gouverneur de la Cochinchine et des résidents supérieurs, pris dans le corps des administrateurs colo-


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niaux, tous les fonctionnaires appartiennent à un cadre particulier, spécifiquement indochinois, et accomplissent intégralement leur carrière dans le territoire de l'Union (ou au ministère des Colonies). Notre possession d'Extrême-Orient se distingue par là des autres parties de notre empire : la complexité des problèmes démographiques qui s'y posent a conduit à établir ce régime. En principe, tous les agents de l'administration sont français, les indigènes naturalisés étant admis à concourir aux divers emplois. Mais on a déjà confié bien des postes subalternes à des indigènes non naturalisés, et les résultats donnés par ces essais montrent qu'ils doivent être continués prudemment.

— Pas plus que nos autres colonies l'Indochine ne possède d'organes législatifs. Des lois y sont cependant exécutoires, mais elles émanent de votes du Parlement métropolitain, suivis de la mise en oeuvre d'une procédure spéciale de promulgation. Cette procédure, commune à tout notre domaine d'outre-mer, implique pour les lois « de portée générale », non déclarées expressément applicables à nos possessions, un décret présidentiel les rendant exécutoires dans la possession intéressée, et un arrêté du gouverneur y promulguant la loi et le décret; elle se contente d'un arrêté de promulgation sans décret préalable en ce qui touche les lois spécialement faites pour une ou plusieurs colonies ou déclarées expressément applicables à elles. Le gouverneur général a exclusivement qualité pour procéder aux promulgations en Indochine : ses arrêtés sont insérés au Journal officiel de l'Union, et les lois deviennent exécutoires un jour franc après la réception à la mairie de la publication contenant le texte de la promulgation dans les villes érigées en municipalités, deux jours francs après cette réception au chef-lieu de la province partout ailleurs. Il est à remarquer qu'en principe la promulgation par le gouverneur général ne peut intervenir que sur l'ordre du législateur (quand il a déclaré une loi expressément applicable à l'Indochine ou à l'ensemble de notre ORGANES LÉGISLATIFS, EXÉCUTIFS ET JUDICIAIRES.


CONSTITUTION POLITIQUE ET ADMINISTRATIVE 55 empire), ou du chef de l'État métropolitain (dans les autres cas). Mais une circulaire ministérielle du 17 juillet 1920 a prescrit aux gouverneurs généraux et gouverneurs autonomes une fois pour toutes de promulguer toutes les lois et tous les décrets parus au Journal officiel de France « quel que soit le timbre du département qui les a préparés », dès lors qu'ils règlent des questions susceptibles de concerner la colonie; il en résulte au profit du gouverneur général une faculté d'appréciation d'une ampleur telle qu'il se trouve nanti de véritables attributions législatives secondaires. On sait d'autre part que nombre de matières sur lesquelles, dans la mère patrie et les territoires soumis au « régime de la loi », il est statué par voie législative sont réglées en Indochine par décrets, assujettis aux formalités de promulgation ci-dessus décrites; de ce chef, le pouvoir exécutif français a d'importantes fonctions législatives dans l'Union. Comme, par surcroît, l'Administration centrale laisse fréquemment au gouverneur général le soin de prendre à ses lieu et place des décisions par simples arrêtés, ceux-ci acquièrent aussi, parfois, le caractère d'actes législatifs. Enfin, certaines lois (sur l'état d'officier et la discipline des membres de la Légion d'honneur, par exemple), instituant un statut particulier pour diverses catégories de citoyens qui y demeurent soumis même s'ils se trouvent aux colonies, sont exécutoires en Indochine « ipso facto » et sans promulgation spéciale. Presque toute la législation française — y compris celle antérieure à notre installation dans la possession — est aujourd'hui exécutoire dans l'Union, à l'exception des dispositions d'ordre purement continental (principalement de celles propres aux finances de la métropole); le Code civil, sauf les textes relatifs à la nationalité et au mariage,remplacés par des clauses particulières édictées par décret, le Code de commerce, le Code pénal et le Code d'instruction criminelle, notamment, y sont en vigueur pour les citoyens français et les blancs. Au regard des Asiatiques non naturalisés, les coutumes antérieures ont été conservées, en vertu soit de la pratique courante, soit d'arrêtés explicites. Le pouvoir exécutif est exercé : en premier lieu, par le Gouvernement métropolitain, qui opère au moyen de décrets promulgués dans les conditions précédemment indiquées; en deuxième lieu, par le gouverneur général, qui statue en des arrêtés; en troisième lieu, par le gouver-


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neur de la Cochinchine, les résidents supérieurs des protectorats et l'administrateur du territoire de Kouang-tchéou-wan. Il n'existe pas de discrimination précise entre les sujets soumis aux décisions de l'Administration centrale et celles sur lesquelles le gouverneur général ou les chefs des États locaux peuvent se prononcer directement. La répartition des attributions est effectuée au hasard de textes occasionnels et des habitudes prises. C'est au fond le gouverneur général — sauf pour les questions à propos desquelles des décrets antérieurs ou des lois ont clairement défini l'autorité compétente — qui assure la ventilation, soit en demandant au Gouvernement métropolitain la ratification de ses arrêtés, soit en agissant sous sa seule responsabilité, soit encore en déléguant certains pouvoirs au gouverneur de Cochinchine, aux résidents supérieurs et à l'administrateur de Kouang-tchéou-wan, leur laissant le soin de prendre eux-mêmes des arrêtés, soumis ou non à son approbation. Les matières pour lesquelles l'avis des Conseils de gouvernement général, de gouvernement ou de protectorat est requis sont énumérées dans des textes épars, à défaut desquels la plus grande latitude est concédée au gouverneur général. De même, à l'exception des questions financières qui doivent nécessairement leur être soumises, les assemblées élues des différents États de l'Union peuvent ou non être consultées, et leurs résolutions n'ont jamais que la portée d'avis ou de voeux. Au point de vue budgétaire, il est actuellement spécifié que le budget général et les budgets annexes sont arrêtés par le gouverneur général et approuvés par décret rendu en Conseil des ministres, les budgets des Etats étant arrêtés par le gouverneur ou le résident supérieur et approuvés par le gouverneur général, les budgets provinciaux de Cochinchine étant arrêtés par le chef de province et approuvés par le gouverneur et les budgets municipaux arrêtés par le maire et approuvés par le gouverneur ou résident supérieur de l'État. Le budget général doit désormais être délibéré (quant au mode d'assiette et aux règles de perception, ainsi que quant aux emprunts à contracter et aux garanties à fournir) par le grand Conseil des intérêts économiques et financiers de l'Indochine, qui a aussi un droit d'initiative pour les dépenses — autres que celles de personnel — sous réserve d'accompagner toute proposition de charge nouvelle d'une proposition d'augmentation ou création de taxe ou d'éco-


CONSTITUTION POLITIQUE ET ADMINISTRATIVE 57 nomie équivalente. Les délibérations du grand Conseil ont à être ratifiées par le gouverneur général; en cas de désaccord, une seconde délibération a lieu : si le conflit persiste, il est arbitré par un Comité de conciliation, comprenant, sous la présidence effective du gouverneur général, trois membre du grand Conseil désignés par l'Assemblée et trois membres du Conseil de gouvernement choisis par le gouverneur général. Le budget cochinchinois doit être voté par le Conseil colonial; mais, comme il

n'est exécutoire qu'après l'approbation du gouverneur général, celui-ci garde à son endroit la décision suprême. On voit que le mécanisme de l'exercice du pouvoir exécutif, comme celui du pouvoir législatif, est fort complexe et passablement confus; il repose en fait sur le gouvernement général et ses services : mais de plus en plus une collaboration s'établit entre l'autorité administrative et les corps élus de la possession; il est permis d'en attendre de bons résultats, pourvu que des directives précises et fermes soient données à des assemblées encore novices, sans doute pavées de bonnes intentions, mais forcément inexpérimentées. Les règles concernant le pouvoir judiciaire sont plus simples. Il existe à Saïgon une « justice de paix ordinaire », ayant les mêmes attributions que les justices de paix françaises, et l'on a créé des « justices de paix à compétence étendue », ayant les attributions d'un tribunal de première instance, en plusieurs localités de Cochinchine, du Tonkin et du Laos, ainsi qu'à Fort-Bayard, chef-lieu de Kouang-tchéou-wan. Des tribunaux de première instance ont été installés dans douze villes de Cochinchine, à Pnom-penh, à Tourane, à Hanoï et à Haïphong. En dehors des circonscriptions des justices de paix à compétence étendue et des tribunaux de première instance, les chefs de provinces (ou de circonscriptions à Kouang-tchéou-wan) exercent les attributions des juges de paix à compétence étendue en des « tribunaux résidentiels ». Des tribunaux mixtes de commerce ont été établis à Saïgon, Hanoï, Haïphong et, depuis le début de 1930, Pnom-penh, les affaires commerciales relevant ailleurs des tribunaux ordinaires. Ces divers organes connaissent de tous litiges auxquels sont mêlés des citoyens français, des étrangers, ou des indigènes n'appartenant pas à un même État de l'Union. Ils appliquent la loi française aux citoyens français et aux étrangers non asiatiques, la coutume locale aux indigènes


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et aux étrangers asiatiques. Les justices de paix à compétence étendue et les tribunaux de première instance statuent, en outre, suivant la coutume, sur tous procès civils intéressant les indigènes de leur circonscription et sur toutes infractions contraventionnelles ou délictuelles commises dans leur ressort, quelle que soit la nationalité de leurs auteurs. En dehors de leurs circonscriptions, on a conservé les juridictions indigènes des divers États autres que la Cochinchine, compétentes à l'égard des seuls originaires du pays; des justices de paix indigènes ont été créées en Cochinchine pour les Annamites de cette colonie. Au deuxième degré existent deux Cours d'appel, une à Saïgon (qui joue, toutes chambres réunies, le rôle de Cour de cassation) et une à Hanoï, ainsi que deux Cours criminelles pour citoyens français et étrangers non asiatiques et six Cours criminelles pour indigènes et étrangers asiatiques. Enfin, une Commission criminelle composée de fonctionnaires, d'officiers et de magistrats, réunie à Hanoï, assure la répression des délits et crimes d'Annamites et assimilés intéressant la sûreté des protectorats de l'Annam et du Tonkin. La séparation des pouvoirs administratif et judiciaire est strictement respectée; le gouverneur général ne peut s'immiscer dans les affaires qui sont de la compétence des tribunaux, ne peut s'opposer à aucune procédure, obliger le ministère public à poursuivre ou abandonner des poursuites (sauf si l'ordre public de l'État est en jeu). Mais il ordonne en Conseil de gouvernement général l'exécution des arrêts en matière criminelle, veille à la libre et prompte distribution de la justice, et se fait adresser des comptes rendus périodiques sur la marche des juridictions. En matière administrative, les litiges sont soumis au Conseil de gouvernement général dont les jugements sont rendus exécutoires par le gouverneur général.

POUVOIRS RESPECTIFS DE LA MÉTROPOLE ET DE LA COLONIE.

— Aucune charte constitutive n'a marqué de délimitation entre les questions que les organes administratifs de la possession peuvent régler souverainement


CONSTITUTION POLITIQUE ET ADMINISTRATIVE 59 et celles pour lesquelles est nécessaire.

une décision du Gouvernement métropolitain

En droit, le Parlement français reste maître de statuer sur tous problèmes, et le chef de l'État est habilité à prendre en toutes matières des décrets dont le gouverneur général n'est pas autorisé à refuser la promulgation. De fait, nous l'avons vu, cette tutelle rigoureuse est fort peu pesante : à de très rares exceptions près, toutes les initiatives viennent du gouverneur général, aucune mesure n'intervient contre son gré, la plupart des solutions sont conformes à des propositions ou suggestions, et les plus larges délégations lui sont consenties. Certains esprits chagrins prétendent que l'Administration centrale a tort de laisser ainsi « la bride sur le cou » à ses représentants dans la plus lointaine de nos grandes possessions et voudraient que son action fût plus énergique et plus régulière. D'autres, à l'inverse, pensent qu'il conviendrait de ne pas abandonner à l'arbitraire de nos ministres ou de nos législateurs la liberté d'apprécier s'ils doivent ou non s'occuper de réglementer l'Union à des milliers de kilomètres de distance, et ajoutent que la subordination discrétionnaire de tous ses hauts fonctionnaires au pouvoir métropolitain est pour eux une cause dangereuse de paralysie. Nous estimons que la vérité se tient entre ces deux opinions contraires et que le régime actuel, empiriquement mis au point, est, pour l'instant, le meilleur qu'il soit possible de concevoir. On ne saurait admettre que l'Union s'organisât et se dirigeât à sa guise : la métropole a le droit, en compensation des sacrifices faits pour sa possession, de veiller à ce que son évolution se poursuive dans un sens favorable aux intérêts de la « plus grande France », de s'assurer qu'elle ne s'aventure pas dans des voies conduisant à une rupture d'équilibre de son économie générale; elle a, simultanément, le devoir de fournir à l'entité qu'elle a créée le concours de sa maturité et de sa puissance intellectuelle, morale et matérielle, ce qui exige son intervention incessante dans les affaires du territoire et son contrôle sur tout ce qui s'y passe. Mais ceci posé, il faut bien reconnaître que pour résoudre au mieux nombre de problèmes on est mal placé à Paris, informé trop tardivement et incomplètement, hors de

«

l'atmosphère ambiante

»,

insuffisamment


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averti des difficultés de l'exécution: il est donc indispensable qu'une autonomie assez large soit accordée aux fonctionnaires qui assument la gestion des services, avec, pour contre-partie, leur subordination à l'autorité centrale. Cette autonomie, pour être féconde, nécessite des contacts étroits de l'Administration avec tous les éléments actifs du pays; ils commencent à être établis maintenant, à la fois avec les citoyens français et avec les indigènes, grâce aux assemblées consultatives (et, sur quelques points, délibératives) que nous avons énumérées. Sans doute, tout n'est pas parfait dans le fonctionnement de ces rouages : on se plaint, à juste titre, de la légèreté avec laquelle le Parlement traite des questions coloniales lorsqu'il daigne s'en soucier, des contingences politiques qui influent sur quantité de ses décisions qui devraient n'être dictées que par des considérations techniques, du manque de méthode de ses travaux préparatoires en beaucoup de circonstances, de la lenteur d'un trop grand nombre de ses votes; on proteste aussi contre l'incohérence de quelques interventions ministérielles, dominées par le désir de plaire aux Chambres métropolitaines, alors qu'il importerait qu'elles fussent prises de sang-froid; on juge, enfin, parfois sévèrement diverses initiatives des corps élus de l'Union, qui témoignent de plus de sens démagogique que d'intelligence exacte du bien commun. Ce sont là des défaillances auxquelles on remédiera peu à peu, par l'éducation « coloniale » de l'opinion métropolitaine et par l'élévation du niveau social de la population indochinoise; des deux côtés, des progrès se sont déjà constatés : ils ne manqueront pas de se préciser par la suite. Et quand un pas de plus aura été franchi, de nouvelles améliorations au régime présent pourront être envisagées, consistant en une répartition moins arbitraire et mieux définie des matières soumises à la solution métropolitaine et de celles qui, sans exclure le contrôle du Gouvernement central, seront susceptibles d'être réglées localement, soit par l'Administration seule, soit par elle et les représentants des habitants. Les réformes réalisées par le décret du 4 novembre 1928 hâteront vraisemblablement l'arrivée de ce stade de collaboration plus intime : dès à présent, la participation des principaux éléments de la possession à sa vie publique est esquissée. Elle se présente sous un aspect très différent de celui que l'on rencontre dans nos autres « provinces extérieures »,


THÉRY

Pl. IX, p. 60.


Carte politique.

THÉRY.

Pl. X. p. 61.


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en raison de la formidable prépondérance numérique des indigènes et de l'état original et relativement avancé de leur civilisation.

LA PARTICIPATION DES INDIGÈNES AU GOUVERNEMENT ET A L'ADMINISTRATION ET LA QUESTION DES NATIONALITÉS. — Nous avons observé

plus haut qu'indépendamment du maintien de plusieurs cadres qui préexistaient (et dont le rôle est strictement limité), des emplois subalternes ont été réservés aux indigènes dans les services du gouvernement général et des gouvernements locaux. Nous avons aussi remarqué que, dans tous les États, des assemblées électives indigènes ont été créées (avant même qu'aient été instituées dans les protectorats des assemblées de citoyens français) et que l'élément autochtone est également représenté au sein du grand Conseil des intérêts économiques et financiers. Contrairement à ce que soutiennent les adversaires systématiques de

notre colonisation, une place sérieuse est donc actuellement accordée aux Asiatiques dans la gestion de la collectivité. D'assez vives revendications sont, cependant, formulées : on insiste pour que le contingent des emplois administratifs accessibles aux indigènes soit sensiblement élargi; on réclame de plus fréquentes sessions des assemblées électives, une extension de leurs attributions (par l'obligation à imposer au gouverneur général de les consulter sur un plus grand nombre de matières), une augmentation de leurs pouvoirs (à rendre plus souvent délibératifs au Heu de consultatifs), et un affranchissement de la tutelle où elles sont tenues vis-à-vis des représentants de la métropole (par la suppression du droit de renvoi en seconde délibération et du droit de passer outre à leurs votes). Poussées à l'extrême, ces aspirations visent à mettre les indigènes sur un pied d'égalité complète avec les citoyens français quant à l'exercice des fonctions administratives et à l'institution d'un véritable Parlement indochinois. Semblables solutions seraient très prématurées et périlleuses. Des garanties de compétence et de loyalisme sont indispensables en ce qui touche le recrutement des fonctionnaires, et ce n'est que par des paliers successifs qu'il sera possible d'élever les situations des indigènes au fur THÉRY.

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et à mesure de leur adaptation à notre mentalité, à nos méthodes, à notre culture, au fur et à mesure, aussi, des progrès de leur attachement à la France. Quant à l'idée du Parlement indochinois, elle ne saurait être concrétisée avant une éducation des sentiments politiques de la masse, avant qu'elle soit devenue apte à juger des divers problèmes non plus sous un angle exclusivement local et personnel, mais en saisissant les nécessités et de l'Union entière et, même, de la « France des cinq parties du monde ». Nous n'en sommes évidemment pas là encore; mais, s'ils sont convenablement guidés, les travaux des assemblées actuelles prépareront cette formation d'une conscience nouvelle, grâce à laquelle pourra être développée l'action des corps élus, sous le contrôle et la direction du gouvernement général. Une classe particulière d'autochtones joue dès maintenant un rôle plus important dans la vie publique de la colonie: ceux qui ont obtenu la naturalisation française sont, en effet, assimilés à nos concitoyens, sont admis comme eux aux emplois officiels, siègent dans les assemblées représentant les Français, sont soumis aux lois françaises et non plus aux coutumes traditionnelles. La naturalisation est concédée, après enquête minutieuse, aux indigènes qui la sollicitent en justifiant d'un minimum de culture française (par production des diplômes énoncés dans les actes régissant la matière) et qui ont rendu au pays, soit des services exceptionnels, soit des services remarquables dans l'ordre industriel ou agricole. Ses effets s'appliquent aux femmes et enfants des bénéficiaires. Ici encore des réclamations se sont produites : on a affirmé que le système en vigueur était beaucoup trop restrictif, et l'on a été jusqu'à suggérer la naturalisation d'office de tous les indigènes, sauf motif sérieux de refus. Cette thèse est, selon nous, à rejeter: l'expérience malheureuse tentée dans d'autres possessions et de récents incidents survenus en Indochine même prouvent que la qualité de citoyen français ne doit pas être conférée sans discernement à des populations insuffisamment évoluées. Annamites et Cambodgiens, certes, sont très fins et intelligents : ils demeurent trop séparés de notre civilisation pour être assimilés totalement à nos compatriotes; lorsque notre effort éducatif aura agi davantage, on pourra se montrer plus libéral; une précipitation immodérée irait à l'encontre de leurs intérêts et des nôtres.


CONSTITUTION POLITIQUE ET ADMINISTRATIVE 63 Déjà, d'ailleurs, des amendements ont utilement modifié la situation. Le plus récent, datant du 4 novembre 1928, a transformé le statut des métis nés en Indochine de parents légalement inconnus en leur permettant d'être déclarés citoyens français quand un de leurs auteurs est présumé de notre race; une action peut être intentée à cet effet devant la juridiction française par l'intéressé (s'il est majeur) ou par le ministère public ou une société de protection de l'enfance agréé par l'Administration (s'il

mineur); la présomption d'origine française du père ou de la mère légalement inconnu est possible par tous moyens (étant pris en considération notamment le nom du métis, le fait qu'il a reçu une éducation et une culture françaises, sa situation sociale, etc.); le cas échéant, un jugement prononce la qualité de citoyen français. Ces dispositions reflètent l'esprit dans lequel est aujourd'hui traité le problème des nationalités dans l'Union : l'évolution qu'elles dessinent se poursuivra certainement, à condition que nous sachions enrayer les ravages d'influences externes hostiles, et elle aura sa répercussion sur l'organisation générale de la colonie. est



CHAPITRE V

L'OUTILLAGE PUBLIC 1. La politique des communications intérieures. — Routes. — Chemins de fer. — Navigation fluviale et côtière. — Ports. — La politique de l'eau. — Urbanisme.

Électrification. — Télégraphe, téléphone, — d'ensemble.

T. S. F. — L'aviation. — Vue

— Les voies de communication intérieures étaient pratiquement inexistantes en Indochine lors de notre installation. Elles se bornaient à quelques pistes en fort mauvais état, difficilement praticables aux chariots à buffles ou à boeufs, et fréquentées, surtout au voisinage des villes, par des piétons, des traction humaine), des cavaliers et « pousse-pousse » (légères voitures à des palanquins portés à bras. Dans les deltas, une circulation assez intense de « sampans » (embarcations à voile et à rames) était observée sur les bras des fleuves ou des canaux d'irrigation (« arroyo »), et les rivières flottables étaient parcourues par des pirogues. Un trafic de cabotage par voiliers était organisé le long des côtes. Au centre du pays, les déplacements d'hommes et de marchandises, pénibles, lents et coûteux, se trouvaient réduits au minimum. LA POLITIQUE DES COMMUNICATIONS INTÉRIEURES.

1. Cf. op. cit. et : RENÉ MOREUX, Les Trafics et l'outillage des ports de l'Indochine (1938); POUYANNE,Les Travaux publics en Indochine (1926); ALBERT SARRAUT, La Mise en valeur des colonies françaises (1923). annuels des aussi les Voir rapports — Services des travaux publics, des mines et de l'agriculture de l'Indochine, et les collections du Bulletin économique de l'Indochine, du Bulletin de l'Agence économique du gouvernement général de l'Indochine, du Supplément colonial de l'Économiste européen ainsi que celle du très intéressant Éveil économique de l'Indochine.


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Pour répondre à d'impérieux besoins à la fois de sécurité et d'expansion économique, nous nous efforçâmes de remédier à cette situation lamentable et établîmes des programmes importants afin de créer un réseau routier, de construire des chemins de fer, d'améliorer la navigation fluviale et d'aménager des ports. Leur exécution ne fut pas aussi rapide qu'on aurait pu croire au début : des hésitations sur les ordres de priorité à adopter, de trop fréquentes modifications aux plans initiaux, des antagonismes de conceptions (la route étant tour à tour préférée,puis sacrifiée à la voie ferrée), l'insuffisance des moyens financiers, etc., provoquèrent de fâcheux retards et les buts fixés entre 1895 et 1905 restaient bien loin d'être atteints en 1914. Pendant la guerre, naturellement, l'ouverture de nouveaux chantiers devint impossible, et l'on dut même abandonner ceux précédemment en activité. On se remit courageusement à la besogne au lendemain de la cessation des hostilités en dépit de difficultés matérielles de toute nature et, peu à peu, des résultats tangibles furent obtenus à une cadence régulièrement accélérée.

kilo— L'Indochine est aujourd'hui dotée d'environ 30.000 mètres d'artères accessibles aux automobiles, comprenant plus de 13.000 kilomètres empierrés comme les meilleures chaussées européennes, 10.000 terrassés et aisément utilisables pendant la majeure partie de l'année, et 7.000 kilomètres de pistes qui peuvent être employées durant la saison sèche. Ce réseau est divisé en « routes coloniales », comparables aux routes nationales de la France continentale, et en routes locales « provinciales et communales », analogues à nos chemins de grande communication ou à nos chemins vicinaux. Un soin particulier a été apporté au tracé des routes coloniales, larges, solidement assises, pourvues d'ouvrages d'art parfois considérables; elles joignent entre elles, directement ou indirectement, les capitales de tous les États de l'Union, et les unissent aux ports maritimes et aux frontières étrangères : ce sont des voies de premier ordre tant au point de vue de la pénétration politique qu'en ce qui touche la mise en valeur du territoire. ROUTES.


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La construction des routes coloniales avait commencé peu après notre installation. Elle fut suspendue ensuite parce que, à l'exemple de ce qui se passait alors aux États-Unis et dans presque toutes les nations « neuves », on jugea, à partir de 1895, plus sage de leur substituer des lignes ferrées. Mais l'essor de l'automobilisme démontra ultérieurement l'erreur de cette conception trop théorique, et l'on s'appliqua dès 1912 — sous l'impulsion du gouverneur général Albert Sarraut — à rattraper le temps perdu. Au 31 juillet 1922, la longueur totale des chemins empierrés ne dépassait pas 6.000 kilomètres; elle a plus que doublé depuis, et ce fait prouve l'ampleur de l'oeuvre accomplie depuis le retour de la paix. Une tâche énorme demeure, néanmoins, à achever. En effet, si les régions deltaïques sont désormais parfaitement desservies, et si les relations sont assurées dans d'excellentes conditions entre le Bas Tonkin et l'Annam oriental, entre l'Annam oriental et la Cochinchine, entre la Cochinchine et le Cambodge (et, au delà, le Siam), de sérieuses lacunes subsistent dans le Nord Tonkin et le Haut Tonkin, dans l'Annam central et occidental et, surtout, dans le Laos. D'autre part, les passages de rivières s'effectuent encore, en nombre de points, au moyen de bacs, qui diminuent singulièrement la rapidité des déplacements et réduisent la capacité normale de trafic. Les travaux destinés à corriger ces imperfections sont activement menés, et dans les derniers mois plusieurs grands ponts ont été inaugurés (notamment entre Tourane et Nha-trang), tandis que la route centrale de Saïgon à Kratié et celle de Takkek (sur le Mékong) à Vinh ont largement progressé. D'autres passages de rivières seront prochainement terminés, des tronçons complémentaires vont être ouverts de manière à débloquer le Laos, et l'on s'apprête à aborder un ensemble de réalisations dont le coût, à échelonner sur cinq ou six exercices, est estimé à environ un demi-milliard. Il n'est pas douteux que la colonie tirera grand profit de cette extension de son système routier. Mais il est certain, aussi, qu'en raison de l'incessant développement de la circulation automobile les besoins à satisfaire augmenteront beaucoup à très brève échéance. Alors que la valeur totale annuelle des importations de véhicules à moteur n'excédait pas 2 millions de francs en 1918 et 7 millions en 1919,


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elle dépasse largement aujourd hui 70 millions par an. A la fin de 1926, l'Indochine comptait déjà près de 7.500 voitures de tourisme, plus de 1.500 camions et autocars, et 1.300 motocycles ou motocyclettes; ces effectifs approchent maintenant de 9.500 voitures de tourisme, 2.000 camions et autocars, 1.700 motocycles ou motocyclettes. Les transports en commun par automobiles (de voyageurs et marchandises) se sont, d'ailleurs, multipliés de façon extraordinaire: outre certaines organisations européennes qui exploitent des services réguliers subventionnés, il existe près d'un millier de petites entreprises indigènes, munies chacune de un, deux ou trois véhicules, qui instituent entre bien des centres des liaisons pratiques. Cette évolution est favorable à l'essor général des transactions sur tout le territoire; il importe donc de l'encourager, et c'est à quoi tendent heureusement les projets actuels. Chaque jour, au surplus, des demandes de nouveaux raccordements surgissent : la plupart, entièrement justifiées, auront à être prises en considération à brève échéance; il s'ensuivra, à la vérité, une dépense sérieuse, mais elle sera au plus haut degré productive.

— Le premier chemin de fer de la possession fut celui de Saïgon à Mytho (en Cochinchine), long de 70 kilomètres. Conçu en 1880 pour écouler les produits de la région alors la plus peuplée et la plus prospère de la colonie, il fut terminé rapidement et eut aussitôt à faire face à un assez gros mouvement. En 1890, dans un but stratégique, on commença la construction de la section de Hanoï à Na-cham, vers le nord du Tonkin, en direction de la frontière chinoise; elle fut prête dans un délai relativement court, mais sa clientèle commerciale resta longtemps fort modeste. Ces lignes n'avaient été créées que pour des motifs d'opportunité et ne constituaient que des expériences timides à objet limité. Avec une claire vision des nécessités politiques et économiques de l'Union, le gouverneur général Paul Doumer arrêta au printemps 1898 un programme méthodiquement coordonné, que sanctionna une loi du 25 décembre suivant; ce programme comportait essentiellement l'établissement au CHEMINS DE FER.


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Tonkin d'une grande transversale est-ouest, allant de Haïphong à Hanoï et à Lao-kay (frontière du Yunnan) pour se prolonger au delà jusqu'à Yunnanfou, et l'établissement d'une jonction nord-sud de Hanoï à

par Vinh, Dong-ha, Hué, Tourane et Nha-trang, plusieurs embranchements devant partir de ces voies maîtresses. La volonté agissante de Paul Doumer hâta la mise en train de ces projets et leur exécution fut conduite à belle allure jusqu'en 1905, par la Compagnie des chemins de fer de l'Indochine et du Yunnan pour l'artère de Haïphong à Lao-kay et au delà, en régie par l'Administration pour le « transindochinois » de Hanoï à Saïgon. Quelque lassitude se manifesta malheureusement par la suite et l'on piétina littéralement sur place, si bien qu'à la veille de la guerre seuls étaient en service du « plan Doumer » la ligne de Haïphong à Yunnanfou et trois tronçons du transindochinois, de Hanoï à Vinh, de Tourane à Hué et de Nha-trang à Saïgon, avec quelques petites antennes de droite et de gauche. Ces « fragments » n'étaient complétés que par les deux lignes déjà citées de Mytho et de Na-cham, par les ramifications suburbaines des tramways de Hanoï et de Saïgon, et par un « Decauville » contournant sur une dizaine de kilomètres les chutes de Khône sur le Mékong. Albert Sarraut s'était attaché, depuis 1912, à ranimer les courages chancelants; il avait fait ouvrir les chantiers de la section de Vinh à Tourane et d'un embranchement unissant le futur centre de Dalat à la voie de Saïgon à Nha-trang, et il avait avancé les études du tracé de Tourane à Nha-trang. Son effort fut paralysé par la guerre, qui enraya l'arrivée du matériel indispensable et priva la possession des techniciens et des moyens financiers qui lui étaient absolument nécessaires. On se remit à la besogne après la victoire. Mais à ce moment une hésitation se marqua, beaucoup de personnalités éminentes pensant que la locomotive serait dorénavant supplantée par l'automobile, et les pouvoirs publics s'orientant vers le développement du réseau routier au détriment de celui du réseau ferré, moins aisé et plus onéreux. Pour ne pas perdre définitivement le bénéfice du labeur antérieurement fourni, on décida cependant de poursuivre « à petit feu » les travaux commencés avant 1914, sans en entamer de nouveaux. Puis, à la lumière de l'expérience, on comprit que, loin de s'exclure, le rail et la route avaient chacun leur utilité propre; on s'aperçut que, sous Saïgon


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le rapport ferroviaire, notre colonie d'Extrême-Orient était véritablement fort mal partagée, et l'on résolut d'aller plus vaillamment de l'avant en construisant à la fois des voies ferrées et des chaussées « automobilables ». Cette politique judicieuse est maintenant en pleine application. Elle a déjà porté ses fruits par l'achèvement de la section de Vinh à Hué, connectant le réseau tonkinois à celui de l'Annam central, et le gouverneur général Pasquier vient de lui donner une vigueur accrue. Aujourd'hui, la contexture du système des chemins de fer de l'Indochine (abstraction faite du Decauville de Khône et de diverses voies industrielles montées par de grandes plantations) a l'aspect de deux groupes homogènes, séparés par une coupure de 530 kilomètres. Le premier couvre le Tonkin et l'Annam septentrional et central et comprend : 1° La ligne allant de Haïphong à Hanoï (102 kilomètres) et Lao-kay (369 kilomètres) et s'avançant en Chine jusqu'à Yunnanfou, sur 365 kilomètres. 2° Celle de Na-cham (frontière chinoise) à Hanoï, longue de 170 kilomètres, dont 6 communs avec la section de Haïphong à Hanoï. 3° L'artère de Hanoï à Tourane (800 kilomètres), par Vinh (326 kilomètres de Hanoï), Dong-ha (626 kilomètres) et Hué. 4° Des tramways urbains et suburbains à Hanoï, mesurant ensemble une trentaine de kilomètres. Le second groupe, situé en Annam méridional et en Cochinchine, se compose de : 1° La ligne de Nha-trang à Saïgon (409 kilomètres), avec les embranchements de Phan-tiet (12 kilomètres), Phan-rang (4 kilomètres) et de Krongpha et au delà vers Dran (46 kilomètres), en direction de Dalat, soit au total 461 kilomètres. 2° Une voie allant de Saïgon à Mytho (70 kilomètres). 3° Les tramways urbains et suburbains de Saïgon et Cholon, s'étendant sur 44 kilomètres (inclus 33 kilomètres du chemin de fer sur route de Hoc-mont). Si l'on excepte des tramways de Hanoï et Saïgon, comparables à ceux des villes de la métropole, et la voie de Khône, analogue à un petit chemin de fer industriel, on relève pour toutes ces lignes, y compris le chemin


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route de Hoc-mon, des caractéristiques identiques : elles sont à écartement métrique et à traction à vapeur, comme la plupart de nos réseaux coloniaux; bien conçues et bien établies, elles avaient été pourvues à l'origine de rails trop légers, mais on a entrepris depuis six ou sept ans de les armer avec des rails « standard » aptes à supporter de lourdes charges; leurs ouvrages d'art (particulièrement nombreux et remarquables sur la section de Lao-kay à Yunnanfou, l'une des plus audacieuses et des plus pittoresques du monde) ont été renforcés; le parc de matériel roulant a été récemment doté de machines puissantes, de voitures à boggies confortables (de première, deuxième, troisième et quatrième classes, certains trains ayant aussi des voitures-lits ou couchettes et des voitures-restaurants), et de wagons intelligemment adaptés aux conditions du trafic; les horaires ont été combinés de façon à concilier les exigences des usagers et l'obligation de réduire autant que possible les dépenses : ils se rapprochent de ceux des lignes secondaires d'intérêt général de la France continentale, avec une vitesse commerciale moyenne d'une trentaine de kilomètres à l'heure (et, exceptionnellement, pour les express, de 40 à 45 kilomètres, parfois même 50), et prévoyant de deux à quatre parcours journaliers dans chaque sens. Concédée à la Compagnie des chemins de fer de l'Indochine et du Yunnan, qui l'a construite avec une habileté faisant grand honneur à la science des ingénieurs français et l'exploite très méthodiquement, la ligne de Haïphong à Hanoï et Yunnanfou transporte un tonnage considérable de marchandises et donne aux voyageurs des facilités appréciées, notamment en mettant Hanoï et Haïphong à trois heures l'une de l'autre, reliées par quatre trains quotidiens tant à l'aller qu'au retour, et en instituant pendant la saison estivale vers Lao-kay un express hebdomadaire de nuit. D'utilité surtout stratégique, la voie de Hanoï à Na-cham, construite et exploitée en régie, ainsi que toutes les autres artères (hormis les tramways de Hanoï et Saïgon et le Decauville de Khône), voit son trafic commercial progresser lentement et est parcourue par deux trains mixtes journaliers de fer sur

dans chaque sens.

Jusqu'en 1927, les morceaux épars de la ligne de Hanoï à Tourane et la section de Nha-trang à Saïgon n'offraient qu'une importance économique minime, seul le tronçon de Hanoï à Vinh étant fréquenté à cause de la densité de la population de la région qu'il traverse. Cette situation


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s'est modifiée depuis qu'ont été supprimées en 1928 les solutions de continuité qui subsistaient entre les capitales du Tonkin et de l'Annam : d'une part, un courant déjà actif se dessine tout le long du trajet de Hanoï à Tourane; d'autre part, la direction générale des chemins de fer, dont l'initiative mérite de vifs éloges, a institué de Hanoï à Saïgon une liaison rapide et commode qui a remporté un franc succès : par express (avec voitures-lits ou couchettes et voitures-restaurants) de Hanoï à Tourane et de Nha-trang à Saïgon et vice versa, et par autocars luxueux de Tourane à Nha-trang et vice versa, on peut maintenant se rendre en soixante heures du centre administratifde l'Union à son premier port de commerce, en passant deux nuits en wagon et une dans un confortable hôtel (à Quang-ngai dans le sens d'Hanoï à Saïgon, et à Tourane dans le sens inverse). D'abord hebdomadaire, ce service a dû être doublé après une année, et l'on va sous peu porter sa fréquence à trois départs par semaine dans chaque direction, en attendant qu'il devienne quotidien, ce qui ne saurait tarder. La ligne de Saïgon à Mytho fait face de son côté à un très sérieux mouvement de marchandises et de voyageurs, et le chemin de fer sur route de Hoc-mon est de plus en plus employé. Il faut ajouter, enfin, que des correspondances automobiles sont assurées, par des entreprises européennes ou indigènes, subventionnées ou libres, en de multiples stations, élargissant heureusement le rayon d'action des différentes lignes. Malgré les améliorations indéniables qui y ont été apportées récemment, le système ferroviaire indochinois prête encore à diverses critiques. Les usagers voudraient, principalement sur la ligne de Haïphong à Hanoï et au Yunnan et sur celles de Hanoï à Tourane et de Nha-trang à Saïgon : que des express permanents (et non pas seulement périodiques) fussent mis en circulation; que leur matériel, déjà honorable, fût doté de certains perfectionnements nouveaux; que leur vitesse commerciale fût élevée au moins à 45 kilomètres à l'heure, et de préférence à 50 kilomètres, sur les sections de Haïphong à Hanoï, de Hanoï à Lao-kay, de Hanoï à Tourane et de Nha-trang à Saïgon; que divers remaniements d'horaires fussent opérés en vue de faciliter les correspondances aux embranchements; que les rapports entre le personnel et le public fussent assouplis, par d'opportunes simplifications des formalités administra-


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tives et par une publication plus fréquente des renseignements dont voyageurs et expéditeurs

ont besoin. Il sera sûrement satisfait à ces desiderata légitimes au fur et à mesure de la mise au point des organes d'exploitation et, surtout, de l'achèvement du programme, en cours d'exécution, de renforcement des rails, de l'extension des gares, et de l'augmentation des parcs de locomotives, voitures et wagons : chaque année voit, à cet égard, se réaliser d'appréciables progrès. Mais une imperfection plus grave, à laquelle on ne pourra pas remédier aussi vite, résulte des très fâcheuses lacunes du réseau. En premier lieu, on ressent vivement les inconvénients de l'absence de toute liaison ferroviaire entre les ports maritimes et le Laos, car les richesses minières et forestières de ce pays resteront en friche aussi longtemps que leur évacuation vers la côte ne s'effectuera pas régulièrement et économiquement. Il a été soutenu, il est vrai, qu'une bonne route et des services de camions automobiles suffiraient au trafic probable; mais, étant donnée la distance à franchir (près de 200 kilomètres), on aurait à faire rouler en permanence de 80 à 100 véhicules chargés chacun à raison de 2 tonnes et demie pour transporter quotidiennement 50 tonnes de produits dans chaque sens (en prenant deux journées pour accomplir le trajet), et aucune chaussée ne résisterait à un pareil charroi sans un entretien extrêmement dispendieux; par ailleurs, les frais de transit seraient beaucoup trop élevés pour toutes les marchandises de faible prix sous un volume important (bois et denrées alimentaires, par exemple), et les mouvements humains à prévoir (migrations saisonnières de main-d'oeuvre, déplacements de coolies) ne seront organisés normalement qu'à l'aide d'une voie ferrée; celle-ci, en outre, offrira des perspectives nouvelles d'essor en procurant des possibilités de mise en valeur supérieures à ce que fournirait tout autre moyen de communication; enfin, elle sera destinée à se rattacher au réseau du nord du Siam, et, par là, deviendra l'un des éléments d'un « transasiatique » méridional allant de l'Indochine aux Indes et plus tard en Occident. Une deuxième lacune, également très sérieuse, tient au maintien de la coupure entre le réseau Tonkin-Annam et le réseau Annam-Cochinchine. A ce propos, on a également combattu la construction, techniquement très complexe, de la section de Tourane à Nha-trang, longue de


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530 kilomètres, qui comblerait le vide : la route existante, a-t-on dit, y supplée avantageusement. L'enseignement des derniers mois permet de réfuter cette assertion : si le chemin de fer unissait Tourane à Nha-trang, le voyage d'Hanoï à Saïgon ne demanderait que quarante heures au Heu des soixante qu'il nécessite présentement, on ne passerait que deux nuits en route (et peut-être une, en partant le matin) au lieu de trois,

et l'on n'aurait pas l'ennui de subir deux transbordements et de payer les frais d'une nuit d'hôtel; politiquement et économiquement, la portée de la ligne ne se discute pas; économiquement, elle contribuerait à la venue d'effectifs tonkinois en Cochinchine et hâterait l'expansion de cette contrée si fertile. Il n'est pas moins gênant de ne point disposer d'une relation directe par fer entre Saïgon, Pnom-penh et le Siam central et méridional. On va assez pratiquement de la capitale de la Cochinchine à celle du Cambodge, grâce à la navigabilité du Mékong et à la création d'une route parcourue par des services automobiles: mais au delà, vers Battambang et Sisophon, puis Bangkok, la route, certes précieuse, ne constitue qu'un accès insuffisant.

Le développement des cultures du nord de la Cochinchine, de l'est du Cambodge et du Centre Annam, notamment la formation dans les terres grises et les terres rouges de plantations d'hévéas considérables, pose le problème de la liaison de cette zone avec Saïgon. Enfin, la constitution d'un grand centre sanitaire à Dalat et l'accroissement de l'activité des deltas tonkinois et cochinchinois justifient une série d'embranchements et raccordements divers. Le gouverneur général Pasquier, dès son arrivée dans la colonie à l'automne 1928, a confirmé les conclusions des études antérieures et décidé : 1° D'achever le plus rapidement possible le tronçon en cours d'exécution qui reliera Dalat à la ligne de Nha-trang à Saïgon (et dont plusieurs sections seront à crémaillère), les travaux devant être faits en régie. 2° De construire également en régie la ligne de Tourane à Nha-trang, qui complétera le transindochinois. 3° De construire dans les mêmes conditions l'artère de Tanap (près de Vinh, entre Hanoï et Tourane) à Takkek (au Laos, sur le Mékong), qui mesurera 187 kilomètres.


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concéder à une Société patronnée par la Banque de l'Indochine t la Compagnie générale des colonies, et dénommée Compagnie des Chemins de fer du Sud de l'Indochine, la construction et l'exploitation de ligne de Pnom-penh à Battambang, longue de 275 kilomètres, qui sera amorce de la voie future de Saïgon à Bangkok. 5° De concéder à la Compagnie des tramways de l'Indochine la construction et l'exploitation du prolongement de Hoc-mon à Thudaumot lu chemin de fer sur route de Saïgon à Hoc-mon, et à un groupe comrenant les principaux planteurs de la région, guidés par la Société financière française et coloniale, la construction et l'exploitation de son extension jusqu'à Loc-ninh, à 130 kilomètres de Saïgon. 6° De concéder au groupe chargé de l'établissement de la ligne de nom-penh à Battambang la construction et l'exploitation de la secion de Saïgon à Taï-ninh, (97 kilomètres), deuxième tronçon de Parère de Saïgon à Bangkok. Les procédures préalables ont été menées à bonne fin et les travaux ont à présent engagés sur tous ces tracés. On peut espérer, malgré les bstacles naturels à surmonter de Tanap à Takkek et de Tourane à Nharang, que l'ensemble du programme sera achevé vers 1935. A cette époque, le réseau indochinois, qui compte pour l'instant seulement 2.004 kilomètres (non comprise la ligne en territoire chinois de Lao-kay à Yunnanfou), sera augmenté de plus de 1.200 kilomètres de voies nouvelles et, sauf l'interruption de Taï-ninh à Pnom-penh sur la ligne du Cambodge, formera un tout cohérent. Jointe aux perfectionnenents des méthodes d'exploitation, l'amélioration qui en résultera dans l'équipement économique de la possession sera très substantielle. Elle ne marquera cependant pas le terme de l'effort indispensable en matière ferroviaire, et d'autres artères encore devront assez vite être envisagées. La jonction de Taï-ninh à Pnom-penh et le prolongement le Battambang à la frontière siamoise (275 kilomètres au total) seront les suites logiques et probablement inévitables de la construction des troncons Pnom-penh à Battambang et Saïgon à Taï-ninh. On aura certainement à greffer sur la voie de Loc-ninh plusieurs embranchements, vers le nord-est comme vers le nord-ouest, et à la pousser au nord au moins jusqu'à Kratié; de ce chef 300 kilomètres environ sont à prévoir. De Loc-ninh, plus tard, malgré de grosses difficultés géographi4° De

la


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ques et ethnographiques à vaincre, une ligne sera sûrement nécessaire à travers le Centre Annam pour doubler à l'intérieur le transindochinois côtier : elle mesurera approximativement 500 kilomètres, et l'embranchement de Dalat, prolongé, pourra l'atteindre au nord du Lang-bian. Au Tonkin (dans la zone nord du delta et pour raccorder directement Vinh à Haïphong dans la zone sud), dans la Cochinchine méridionale (au delà de Mytho), au Laos (pour desservir la région de Vien-tian), des compléments s'imposeront également. Au total, donc, après l'exécution des 1.200 kilomètres en cours de construction, on sera conduit à établir encore de 1.500 à 2.000 kilomètres de voies ferrées. Cela fait, d'ailleurs, le réseau indochinois ne s'étendra guère que sur 5.000 kilomètres pour un territoire vaste une fois et demie comme celui de la métropole: au fur et à mesure de son développement (qu'amélioreront les réalisations dont nous venons de parler), d'autres mailles devront être ajoutées aux premières. L'exploitation d'ensemble pourra alors être réorganisée; nous concevrions personnellement sa distribution en deux groupements correspondant, le premier, au Tonkin, au Laos, au Nord et au Centre Annam, le second au Sud Annam, à la Cochinchine et au Cambodge, tous deux étant mutuellement solidaires à l'instar des réseaux de la mère-Patrie et de l'Algérie.

— Les cours inférieurs du Fleuve Rouge et du Mékong ont — nous l'avons déjà noté — été toujours fréquentés par les embarcations indigènes. Depuis notre occupation, à ce trafic, demeuré intense quant au nombre des navires employés, mais dont la capacité de transport est relativement restreinte, se sont superposés des services réguliers assurés par des entreprises européennes subventionnées, avec du matériel à propulsion mécanique adapté à la navigation en rivière (bâtiments à aubes, de tirant d'eau limité, dont quelques-uns à hautes superstructures, mus par des machines à vapeur ou, pour les plus récents, à moteur). Au Tonkin, la Compagnie des transports maritimes et fluviaux de l'Indochine exploite une série de lignes pour passagers et marchandises sur le NAVIGATION FLUVIALE ET CÔTIÈRE.



Caravane au repos dans la région de Lao-kay.

Jeunes Moï représentants des races montagnardes de l'Indochine.

THÉRY.

Pl.

XII, p. 77.


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delta, au départ de Hanoï, Haïphong et Nam-dinh. La Société anonyme de chalandage et remorquage de l'Indochine assure également deux services suivis entre Haïphong et Nam-dinh et sur tout le pourtour de la Baie d'Along.

En Cochinchine, les Messageries fluviales de Cochinchine ont eu longtemps le monopole des liaisons fluviales entre Saïgon, Pnom-penh, Battambang et, par delà les chutes successives du Mékong (avec transbordements terrestres pour contourner plusieurs d'entre elles), Louangprabang, ainsi que sur tous les canaux et bras deltaïques navigables du bas pays. Sa concession a été récemment transférée à une filiale qu'elle a créée sous le nom de Compagnie saïgonnaise de navigation et transport. Des relations de cabotage sont, d'autre part, organisées sur la côte, tant par les voiliers qu'arment des équipages chinois ou annamites que par des vapeurs battant pavillon de l'Union. Une tentative de service en régie, à l'aide de navires construits dans la colonie ou achetés par ses soins, eut lieu pendant la guerre et dans les années immédiatement postérieures; elle donna aux populations de grandes commodités, mais il fallut y renoncer à cause de ses résultats déficitaires. Les bâtiments'furent alors vendus à des Sociétés privées, à qui l'on accorda des subventions; la plus puissante, la Société maritime indochinoise, a établi des jonctions périodiques entre Saïgon, Tourane et Haïphong, avec escales dans les ports intermédiaires. Un très bon paquebot annexe des Messageries maritimes, le Claude-Chappe, unit également la Cochinchine, l'Annam et le Tonkin à raison d'une vingtaine de voyages par an dans chaque direction, et les paquebots mixtes des Chargeurs réunis de la ligne mensuelle France-Tonkin acceptent des voyageurs et du fret à Saïgon pour Tourane et Haïphong et réciproquement. Ces divers services sont fort employés, aussi bien pour le transport des passagers que pour celui des marchandises. On leur adresse pourtant d'assez vives critiques, et il ne paraît pas douteux que des retouches sérieuses devront y être apportées le plus tôt possible. En ce qui concerne la navigation fluviale, les usagers protestent au Tonkin contre l'insuffisance du matériel : trop petites et trop peu nombreuses, les « chaloupes » n'arrivent pas à embarquer tout le public qui voudrait y monter, bien qu'elles prennent des surcharges qui ont parfois été causes d'accidents graves. En Cochinchine, les mêmes récriminations THÉRY.

6


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sont formulées; on se plaint, en outre, de ce que, à certaines périodes, la totalité du fret qui se présente ne peut pas être enlevée, on s'élève contre la rareté des départs, la lenteur de la marche des navires et l'irrégularité des horaires. Il est demandé, d'autre part, que des pirogues à moteurs soient lancées sur le moyen Mékong pour établir une liaison entre le Laos et le sud de l'Union. Pour le cabotage maritime, on reconnaît qu'avec le Claude-Chappe la liaison de Saïgon à Hanoï est maintenant satisfaisante; mais on souhaiterait une fréquence accrue des voyages (qui nécessiterait la mise en ligne d'une deuxième unité), on désirerait que les escales intermédiaires fussent touchées suivant des horaires plus stricts que ceux actuellement observés, et on demande que la Société maritime indochinoise augmente le tonnage, la vitesse et le confort de ses vapeurs. Les exploitants ne sont pas responsables entièrement de ces imperfections : le retard survenu dans le renouvellement des conventions a empêché les Sociétés fluviales de moderniser et renforcer en temps voulu leur matériel; la mauvaise navigabilité de certains cours d'eau (spécialement du Mékong) limite les dimensions des bateaux que l'on y peut employer; la médiocrité des aménagements des ports maritimes secondaires, enfin, rend leur accès malaisé et aléatoire, et le doublement du ClaudeChappe, ainsi que l'amélioration des bateaux de la marine indochinoise, ne sauraient être envisagés sans des majorations de subventions. On se préoccupe en ce moment même d'exécuter des dragages dans les deltas, de rectifier diverses parties du cours du Mékong, et de doter plusieurs ports côtiers d'installations complémentaires. Parallèlement, les entreprises de navigation fluviale du Tonkin et la Compagnie saïgonnaise de navigation et de transport s'apprêtent à rénover leur flotte. D'heureuses conséquences sont à attendre de cette action, surtout si une coordination méthodique est instituée entre les services de navigation, d'une part, ceux des chemins de fer et des automobiles publiques, d'autre part.

avait De actif de navigation eu tout temps mouvement un — lieu à destination ou en provenance de Saïgon : embarcations fluviales et vaisseaux de mer y affluaient régulièrement et c'est principalement par PORTS.


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territoire communiquait avec l'extérieur; quelque trafic s'effectuait aussi par Nam-dinh et Hanoï. Ce mouvement a considérablement augmenté depuis un demi-siècle, tant à l'entrée qu'à la sortie, par suite de la mise en valeur du pays, et nous avons été conduits à arrêter une série de dispositions pour le faciliter. Un port nouveau a été créé à Haïphong, à proximité de l'embouchure du bras septentrional du Fleuve Rouge, pour suppléer à l'insuffisance de Nam-dinh et remédier aux difficultés de remontée des grands navires jusqu'à Hanoï, et ses aménagements ont été incessamment perfectionnés, afin de rendre plus aisés l'arrivée et l'accostage des bâtiments, la manutention et le stockage des marchandises, puis leur acheminement dans les provinces de l'intérieur ou leur livraison de l'« hinterland ». Des travaux de même nature ont été exécutés à Saïgon. Poursuivi sans relâche, notre effort a consisté : d'une part, à faciliter la pénétration en rivière des vaisseaux venant du large et, inversement, le débouché dans l'Océan de ceux descendant de la rivière, par le balisage et l'éclairage des passes; en second lieu, à permettre la circulation permanente de la haute mer à Haïphong ou Saïgon et vice versa de navires de gros tonnages et de fort tirant d'eau par des dragages, des dérochements, des rectificationsde lit (obligeant à des endiguements),etc. ; puis, à construire des quais et des estacades, creuser des bassins, édifier des hangars, établir des chaussées empierrées, des voies ferrées, des appareils mécaniques de chargement et de déchargement, aménager des cales de radoub, des ateliers d'entretien et de réparations, etc. La constitution de cet outillage a été assurée d'abord sur l'initiative directe et par les soins du Gouvernement; mais son exploitation et son extension sont confiées depuis quelques années à des organes administratifs spéciaux — port autonome de Saïgon et port autonome de Haïphong —, à l'exception de l'amélioration des rivières et de leurs passes, qui continue à incomber au Service des travaux publics. De remarquables réalisations sont déjà à enregistrer. Le port de Haïphong est accessible à toute époque aux navires calant 7 mètres, peut recevoir, sauf aux mortes-eaux, ceux calant 8 mètres, dispose de magasins occupant plus de 120.000 mètres carrés (dont 35.000 couverts), et est en mesure d'opérer dans les meilleures conditions le transbordement des cargaisons des bateaux de mer sur les chalands de rivière, wagons et là que le


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camions et inversement. Le port de Saïgon peut être desservi régulièrement par des bâtiments de 20.000 à 25.000 tonnes de déplacement et 175 mètres de longueur, est pourvu de plusieurs milliers de mètres de quai en eau profonde, a de très vastes docks, une cale de radoub de 200 mètres, et 40 grands paquebots ou cargos peuvent y être abrités simultanément. Enfoncés dans les terres, Haïphong à 27 kilomètres de la mer et Saïgon à 81 kilomètres, ces havres se trouvent excellemment placés à la jonction de la navigation maritime et de la navigation fluviale, comme l'est Rouen en France. L'équipement dont nous les avons munis a puissamment contribué à leur vitalité et à leur prospérité, et, par incidence, à l'expansion de la possession entière. Nous avons également créé de toutes pièces (mais sur un plan encore modeste) le port de Tourane, en Annam (en rectifiant notamment le chenal de sa rivière et en y installant des appontements), et avons éclairé de façon moderne l'ensemble des côtes. Les autres ports n'ont été l'objet que d'installations sommaires. Il est indispensable de renforcer encore les aménagements de Haïphong et Saïgon, pour les mettre en état de satisfaire à un trafic sensiblement supérieur et d'accueillir des vaisseaux plus importants. Les programmes présentement à l'étude prévoient particulièrement de nouveaux dragages (en vue de porter à un minimum de 8 mètres la cote de la rivière de Haïphong aux basses eaux et de faciliter vers Saïgon l'évolution de paquebots de dimensions dépassant celles des courriers actuels d'Extrême-Orient); le creusement de bassins complémentaires bordés de quais; l'établissement de canaux de raccordement entre les zones maritimes et fluviales; diverses mesures tendant à augmenter la sécurité des parcours, notamment en améliorant l'éclairage de la Baie d'Along dont l'insuffisance a été démontrée par de récents sinistres (notamment celui du paquebot Cap-lay en 1928). D'autre part, il semble nécessaire de créer en plusieurs points du littoral des installations modernes. Tourane doit être sérieusement équipé) et l'on considère qu'il est urgent de substituer de véritables ports secondaires aux lieux d'accostage précaire de Qui-nhon et Bentuy (près Vinh), appelés à devenir les débouchés et les accès de contrées dont l'avenir économique est fort brillant. :


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On songe aussi à fonder un centre d'escale que pourraient toucher aisément et sans déroutement les navires de tous pays allant d'Europe en Chine et au Japon ou réciproquement. Aujourd'hui, parmi les grands liners » en exploitation sur ces trajets si fréquentés, seuls ceux des « Services contractuels des Messageries maritimes remontent la rivière de Saïgon, puis vont à Haïphong; les autres se refusent à « faire des crochets » qui les retarderaient de deux à trois jours et les obligeraient à une navigation délicate les exposant à des accidents ou incidents. La colonie profiterait au contraire de ces passages si des aménagements commodes étaient

en une place judicieusement choisie de la côte sud de l'Annam, devant laquelle défilent tous les paquebots étrangers. La Baie de Cam-ranh semble admirablement qualifiée à cet effet et des enquêtes sont en cours pour préciser le parti qu'il serait possible d'en

réalisés

tirer.

— Dès notre implantation en Indochine, le problème des irrigations, de l'asséchement des marécages, et de la protection contre les inondations des fleuves à régime torrentiel, s'est posé de manière aiguë. Les travaux entrepris à partir de 1886, et énergiquement poussés de 1900 à 1914, puis après 1920, ont permis jusqu'à présent de gagner à la culture : plus de 1.200.000 hectares en Cochinchine (par l'établissement de systèmes d'arrosage et la constitution d'un réseau étendu de drainage des terres deltaïques, tous ces canaux, dont la plupart servent en outre à la navigation, ayant exigé des dragages dont le cube dépasse celui du total des sables extraits du canal de Suez); 60.000 hectares au Tonkin (par les barrages et irrigations de Kat, Vinh-yen et du Song-cau); 80.000 hectares en Annam (par les barrages et irrigations de Thanh-hoa et du LA POLITIQUE DE L'EAU.

Phu-yen). De plus, la réfection des anciennes digues annamites dominant le Fleuve Rouge, la construction d'autres digues le long du même cours d'eau et le long du Mékong, ainsi que de leurs affluents, des approfondissements de seuils, des destructions d'obstacles rocheux, etc., ont considérablement atténué la violence dévastatrice des

crues.


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Pour importantes qu'elles soient, ces réalisations n'apparaissent cependant que comme un début. Elles se poursuivent sans désemparer en ce moment même, et un nouveau programme a été fixé, dont l'exécution amènera en une douzaine d'années une amélioration très sensible de la situation actuelle. En ce qui concerne l'hydraulique agricole, on s'attache à la prolongation du réseau des canaux cochinchinois, ce qui fertilisera 480.000 hectares environ; on édifie une série d'aménagements grâce auxquels seront irrigués 230.000 hectares au Tonkin, 220.000 en Annam et 100.000 approximativement au Cambodge et au Laos; on développe, en même temps, les drainages dans le delta tonkinois et dans la plaine cambodgienne, et l'on compte par là assécher plusieurs centaines de milliers d'hectares.. Quant à la protection contre les inondations, qui ont encore causé récemment des dégâts dans les vallées du Fleuve Rouge et du Mékong, elle sera intensifiée par le renforcement général et la surélévation des digues et la continuation des rectifications des lits des rivières. Tous ces travaux seront directement et rapidement productifs, comme l'ont été ceux déjà terminés; nous verrons, en étudiant l'évolution agricole de l'Union, quelles espérances on est en droit de fonder sur eux.

— Ainsi qu'on a pu l'observer dans un chapitre précédent, les agglomérations urbaines sont nombreuses et importantes en Indochine. La plupart préexistaient à notre occupation (sauf Haïphong, qui n'était qu'une infime bourgade de pêcheurs; Tourane, où l'on ne voyait que quelques cabanes, et Dalat, que nous créons de toutes pièces). Elles avaient, à notre arrivée, les caractères classiques des villes chinoises ou hindoues, avec leurs maisons bariolées, entassées les unes contre les autres, ouvrant sur des ruelles étroites et tortueuses, tantôt resserrées à l'intérieur d'une enceinte fortifiée, tantôt pressées autour de bâtiments officiels, pittoresques et animées à coup sûr, mais déplorablement sales, sans installations hygiéniques, sans édilité, souvent en proie aux odeurs pestilentielles des maréURBANISME.

cages avoisinants, dépourvues d'alimentation en eau, privées d'éclairage.


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Notre Administration s'est attachée dès l'origine à édifier des quartiers européens et à assainir les villes indigènes. La première tranche de ce programme a été exécutée assez méthodiquement: des plans d'ensemble ont été dressés par des géomètres, divisant la surface en lots symétriques par des voies rectilignes se coupant à angle droit, et si quelque fantaisie a été introduite par les particuliers dans la construction de leurs immeubles, les ensembles ont été bien réussis, à de rares exceptions près. On regrette, cependant, que, souvent, on n'ait pas vu suffisamment grand au début : avec leur largeur moyenne de 12 mètres, les rues de Haïphong se révèlent maintenant trop petites; certaines parties de Hanoï et surtout de Saïgon sont exagérément étriquées; les espaces libres n'ont pas été réservés avec l'ampleur désirable; il n'a point toujours été tenu compte de la nature du climat (chaud et à fortes précipitations fluviales), qui aurait justifié la disposition de portiques couverts semblables à ceux qui donnent un aspect si original à Hong-kong; les affectations de divers terrains aux usages industriels n'ont pas été précisées avec la rigueur voulue. On remédie peu à peu à ces imperfections, pour la plupart secondaires, et un service public d'urbanisme, récemment institué, travaille avec beaucoup d'intelligence à l'embellissement des cités, déjà très agréables dans leur majorité; il applique, notamment, des conceptions fort ingénieuses à l'aménagement de Dalat, essaimée dans un admirable parc, étalée sur une immense superficie, sillonnée d'artères circulaires, et dont la commodité ne le cédera en rien à l'esthétique. Il a, naturellement, été beaucoup plus difficile de remettre en état les agglomérations indigènes, parce qu'on était forcé de respecter les « droits acquis » et qu'il convenait de conserver des monuments séculaires, vestiges d'antiques civilisations, d'une valeur artistique et historique inestimable. On est parvenu néanmoins à les transformer heureusement en mettant à profit toutes les occasions pour leur « donner de l'air » (lors de la percée des amorces des routes, du comblement d'anciens arroyo, du creusement — à Cholon, spécialement — de nouveaux canaux, etc.). On les a, surtout, dotées des mêmes services généraux que les centres européens. Ces services généraux, innovation que nous doit la colonie, consistent en

l'adduction d'eau potable, l'asséchement des fonds marécageux,


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la construction d'égouts, l'établissement et l'entretien de la voirie, parfois (à Hanoï et Saïgon) l'installation de tramways, enfin la réalisation de l'éclairage public et de la distribution de la force motrice. Le problème de l'alimentation en eau a été résolu tantôt (à Pnom-penh) par pompage dans les fleuves, le liquide étant soumis à un traitement d'épuration avant d'être livré à la consommation, tantôt (à Saïgon, Cholon et Hanoï) par forage de puits jusqu'à des nappes souterraines assez profondes pour n'être pas contaminées, tantôt (à Haïphong et Dalat) par le captage de sources. Tout un système de réservoirs et de canalisations a été monté, et la livraison dans les maisons et aux bornes publiques est assurée. Mais, avec l'augmentation de la population et la vulgarisation des habitudes d'hygiène, les besoins croissent très rapidement, et l'équipement actuel ne tardera pas à devenir trop faible. On préconise, pour l'étendre, de recourir de préférence à l'utilisation des eaux de rivière épurées, dont on se montre très satisfait. L'assèchement des zones marécageuses a été opéré par drainages et remblaiements. Il est pratiquement terminé dans toutes les parties centrales des villes; à mesure de l'incorporation aux agglomérations des quartiers suburbains, il y aura lieu de le continuer; il entre, d'ailleurs, dans le développement de la « politique de l'eau » mentionné plus haut. En raison de la composition du sous-sol dans les deltas, la construction des égouts a été très malaisée, l'affleurement des couches aquifères empêchant de pousser les fouilles autant qu'il eût été nécessaire; reculant devant des dépenses très élevées, on s'est borné à poser des canalisations d'écoulement de faible diamètre: elles ne débitent pas toujours assez aux périodes de grosses pluies, et, surtout, ne permettent pas l'installation du « tout-à-l'égout »; celle-ci, instamment réclamée par les hygiénistes, est à l'étude dans plusieurs localités. Un gros effort a été accompli en matière de voirie : les rues pavées ou macadamisées, pourvues de trottoirs, ont remplacé les ruelles d'autrefois, et leur état est ordinairement très bon. Mais l'essor de la circulation automobile — particulièrement de celle des « poids lourds » — soulève des questions identiques à celles qu'ont à connaître les municipalités d'Europe et d'Amérique : des revêtements plus résistants auront à être substitués à ceux qui existent, et des sacrifices sont à prévoir de ce chef. A Hanoï et à Saïgon-Cholon ont été créés des tramways (depuis


Marché dans un village de la région de Gia-dinh (Cochinchine).

THÉRY.

Pl. XIII, p. 84.


Aux ruines d'Angkor : avenue et porte de la Victoire.

Les Bouddhas géants qui décorent les côtés de l'avenue.

THÉRY.

Pl. XIV, p. 85.


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longtemps électrifiés), extrêmement fréquentés notamment par les indigènes, et l'on a mis aussi en service des autobus urbains et des auto-

Le caractère de ces cités en a été profondément modifié, et ce n'est pas l'une de leurs moindres étrangetés que de voir rouler côte à côte les toujours en vogue, les automobiles privées ou « de « pousse-pousse », place » et les gros véhicules des transports en commun modernes. Enfin l'éclairage de toutes les agglomérations et la fourniture de force motrice sont répandus maintenant à profusion grâce à l'électrification

taxis.

du pays.

— On ne comptait pas une seule station génératrice d'électricité dans la possession en 1894; cette année-là fut inaugurée la centrale thermique de Haïphong, conçue et créée par un précurseur audacieux, M. Hermenier. Son succès brillant amena dans la décade suivante la constitution d'entreprises similaires à Saïgon-Cholon, Hanoï et Pnom-penh, tandis que fut sensiblement accrue la capacité de production de l'usine de ÉLECTRIFICATION.

Haïphong. Les populations

de l'Union comprirent bientôt les avantages multiples que pouvaient leur procurer de telles installations, tant sous le rapport du confort (l'éclairage électrique étant évidemment plus agréable que tout autre), que sous celui de l'hygiène (le courant étant susceptible de mouvoir des ventilateurs, de perfectionner la distribution de l'eau à domicile, etc.), et pour l'organisation d'ateliers modernes. A leur instigation, de petites stations furent édifiées, entre 1904 et 1914, dans un assez grand nombre d'agglomérations secondaires. Malgré les entraves que la guerre apporta à la généralisation de l'électrification, une oeuvre intéressante, due à des initiatives locales, fut poursuivie en Annam (à Hué et à Vinh) au cours des hostilités et au lendemain de l'armistice; d'autre part, l'Administration, en collaboration avec des particuliers, équipa au Laos la ville de Vien-tian. Après notre victoire, une impulsion nouvelle fut imprimée à ces aménagements: on fortifia considérablement l'outillage existant, en adaptant mieux le matériel à la situation locale et en augmentant son rendement,


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on édifia d'autres centrales (à Tourane, notamment, et dans une série de villes et bourgades du Tonkin), on relia entre eux certains réseaux établis précédemment, et l'on mit à l'étude d'un bout à l'autre du territoire un plan général d'électrification. Conduites très méthodiquement, dans l'esprit le plus positif et sans la moindre mégalomanie, ces réalisations ont été fécondes. L'organisation actuelle groupe une puissance globale de 75.000 chevaux-vapeur (dont environ 35.000 en Cochinchine, 25.000 au Tonkin, 10.000 au Cambodge, et 5.000 répartis entre l'Annam et le Laos), et les capitaux qui y ont été investis montent à plus de 250 millions de francs. En Cochinchine, presque tout le courant est produit par quatre Sociétés: Énergie électrique indochinoise, Eaux et électricité de l'Indochine, Société coloniale d'éclairage et d'énergie, et Union électrique d'Indochine. La première consacre exclusivement son activité à la fabrication de l'électricité; elle dispose à cet effet d'une puissante centrale thermique remarquablement conditionnée, sise entre Saïgon et Cholon, qui livre la force à la Compagnie des eaux et électricité, au grand poste de T. S. F. de Saïgon, aux tramways, etc. La Compagnie des eaux et électricité qui, de son côté, possède aussi quelques petites génératrices à vapeur ou à moteur Diesel (dont une à Dalat), a constitué dans l'agglomération Saïgon-Cholon un réseau serré de distribution, rayonnant dans la banlieue nord jusqu'à une quarantaine de kilomètres (et atteignant Bien-hoa et Thudaumot); elle assure l'éclairage et la ventilation, actionne les appareils de manutention des ports, alimente beaucoup d'usines et permet le fonctionnement de tous les services d'hygiène urbaine. La Société coloniale d'éclairage et d'énergie, de formation plus récente, a pour objet la desserte du sud-ouest du delta; elle a édifié une centrale à moteur Diesel à Can-tho et établi une ligne de transport de force de près de 150 kilomètres dans la Basse Cochinchine (vers Soc-trang et Bac-lien). Enfin, l'Union électrique d'Indochine produit et distribue dans la presque totalité des provinces restantes de la Cochinchine. Au Tonkin, la Société indochinoise d'électricité, qui a repris les installations de M. Hermenier, est pourvue de deux grandes centrales à charbon (à Hanoï et Haïphong) qui, aisément approvisionnées par les mines proches, donnent à la fois l'éclairage et la force nécessaire aux tramways de Hanoï, aux services urbains, aux ports et aux industries; ces centrales


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sont en cours d'extension. La même firme a créé à Nam-dinh une usine à gaz pauvre (facilement obtenu à partir des charbons maigres de la région), qui satisfait aux besoins de cette localité. Dans plusieurs autres

centres, l'Administration a fait construire et exploite de petites génératrices à gaz pauvre qui fournissent la lumière et le courant pour les ventilateurs et pour la distribution de l'eau.

L'équipement du Cambodge comporte une forte usine à moteurs Diesel à Pnom-penh, appartenant à la Compagnie des eaux et électricité d'Indochine, et diverses autres installations du même genre, mais moins puissantes, concédées à l'Union électrique d'Indochine. Il n'exista longtemps au Laos que la station de Vien-tian, dont nous avons signalé plus haut la création; plusieurs postes sont actuellement en voie d'achèvement. La Société indochinoise pour les eaux et électricité en Annam exploite des centrales (consommant du charbon ou du bois) à Hué, Tourane, Fai-foo, Qui-nhon, Nha-trang, Thanh-hoa; la Société indochinoise forestière et des allumettes en a monté une à Vinh, et quelques petites cités sont éclairées par des entreprises locales. A Kouan-tchéou-wan, la Société indochinoise d'électricité vient de mettre en marche une centrale à gaz pauvre à Fort-Bayard, qui alimente l'ensemble du territoire, et notamment les villes de Fort-Bayard et de Tché-kam. Il nous reste à mentionner, pour compléter ce tableau, que plusieurs grosses affaires industrielles (rizeries, distilleries, cimenteries et mines) produisent elles-mêmes l'énergie nécessaire à leurs besoins, en utilisant comme combustible des déchets de leur exploitation principale (balles de paddy, par exemple, ou qualités inférieures des charbons extraits des gisements). On remarquera par l'exposé qui précède qu'une organisation rationnelle et déjà assez évoluée a été mise au point en Indochine en matière d'électricité. Aujourd'hui, plus de 75 p. 100 des agglomérations de la Cochinchine, du Tonkin et de l'Annam comptant au moins 25 Européens reçoivent le courant, qui y assure l'éclairage, la ventilation et l'adduction des eaux, et toutes les industries de quelque ampleur sont parfaitement desservies. Il y a lieu d'insister sur l'habileté avec laquelle cet outillage a été


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L'INDOCHINE

constitué : partout où le charbon n'a pas pu être amené facilement (principalement au Cambodge, dans le Centre Annam et au Laos), il a été fait usage de moteurs à huile lourde, ou l'on a employé le bois des forêts environnantes; ailleurs (au Tonkin), le voisinage de mines d'anthracite a déterminé l'installation de génératrices à gaz pauvre. On note ainsi un souci d'économie et d'adaptation qui ne s'observe malheureusement pas à un égal degré dans toutes les entreprises coloniales. La même prudence a présidé au développement des moyens de production et de répartition, poursuivi en liaison étroite avec l'industrialisation progressive du pays: on n'a pas cédé à la tentation de construire du premier coup d'énormes réseaux qui n'eussent longtemps travaillé qu'au quart ou au cinquième de leur capacité et dont l'entretien eût été fort onéreux, mais des mesures pratiques ont été prises pour renforcer rapidement les installations du début chaque fois que des besoins nouveaux sont apparus; les programmes en exécution en ce moment en Cochinchine et au Tonkin montrent clairement qu'un synchronisme rigoureux est maintenu entre l'essor général de l'Union et son électrification; dès maintenant le pays s'achemine vers l'équipement électrique des campagnes (sur des bases analogues à celles de la métropole), grâce auquel deviendra plus rapide la mise en valeur de ses richesses agricoles et minéralogiques. Aucune application de la houille blanche n'est encore signalée en Indochine : l'aisance relative d'approvisionnement en combustibles divers et l'absence de chutes d'eau à proximité des grands centres de consommation expliquent cette anomalie. Sans doute, la contrée est richement dotée au point de vue hydraulique; mais, outre que l'aménagement des chutes coûterait cher (et poserait des problèmes techniques délicats en raison de la nature du sol où les barrages devraient être édifiés), l'obligation d'installer des lignes à haute tension traversant sur des longueurs considérables des régions très peu peuplées grèverait lourdement les exploitations. Cet obstacle s'atténuera lorsque la mise en valeur des zones centrales sera plus avancée et, surtout, quand des demandes de courant importantes s'y manifesteront, soit pour les plantations et usines annexes qui y naissent, soit, plus encore, pour les irrigations projetées en nombre d'endroits. A cette époque, moins lointaine, peut-être, qu'on n'imagine, des connexions pourront être envisagées, d'une part entre les centrales thermiques existantes, aujourd'hui isolées, d'autre part entre


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génératrices hydro-électriques futures, et un réseau comparable à celui des nations européennes s'instituera peu à peu. Les investigations sont déjà commencées dans ce but. Mais les réalisations qu'elles amèneront (avec, vraisemblablement, l'électrification de certaines sections de chemins de fer) sont l'oeuvre de demain: celles accomplies jusqu'ici, par une entente intime des pouvoirs publics et d'entreprises privées solides, sont assez belles pour qu'on attende leur expansion avec une entière confiance. elles et les

T. S. F. — Un service postal analogue à celui fonctionnant en France a été organisé dans tous les États de l'Union TÉLÉGRAPHE, TÉLÉPHONE,

et les plus minimes localités reçoivent aujourd'hui très régulièrement le courrier, par l'intermédiaire de près de 400 bureaux. L'amélioration du réseau routier et la création de lignes d'autobus ont permis dans les

dernières années d'accélérer considérablement l'acheminement des correspondances qui, en général, ne suscite aucune réclamation. De nouveaux progrès seront d'ailleurs réalisés en fonction du perfectionnement des moyens de communication et du resserrement des liaisons entre les divers modes de locomotion (chemin de fer, autos, bateaux fluviaux et maritimes, et, prochainement sans doute aussi, avions). En ce qui concerne la télégraphie, il a été construit plus de 20.000 kilomètres de lignes électriques; l'augmentation très rapide du trafic amène

préoccuper du doublement de plusieurs d'entre elles et du remplacement des appareils en usage par d'autres à plus grand débit. Des circuits téléphoniques ont été établis dans les principales villes et leurs banlieues : mais les jonctions interurbaines sont encore trop rares, et d'importants travaux s'imposeront à bref délai pour les multiplier. Parallèlement, l'effort entrepris en vue de vulgariser l'emploi de la télégraphie sans fil et de la téléphonie sans fil aura à être vigoureusement accentué. Il existe actuellement dans la colonie une station de première puissance (à Saïgon), en connexion avec le monde entier, et douze stations locales, en relation entre elles et avec le poste central de Saïgon. Cet ensemble est précieux, mais il faudra accroître le nombre des stations à se


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L'INDOCHINE

locales pour munir tout le pays du système le plus merveilleux de transmission de la pensée. En même temps, la mise au point définitive de la radiotéléphonie par ondes courtes nécessitera des travaux complémentaires dans plusieurs villes: grâce à elle, déjà, on peut, depuis le commencement de 1930, « parler » de Paris à Saïgon et de Saïgon à Paris, et cette facilité est extrêmement intéressante pour toutes les affaires. Télégraphie et téléphonie sans fil offrent, en outre, l'avantage de nous affranchir partiellement de l'obligation d'emprunter les câbles étrangers qui unissent seuls la possession à l'Europe, à l'Amérique et au reste de

l'univers.

Les progrès de la navigation aérienne ont incité les autorités civiles et militaires à étudier ses possibilités d'application en Indochine. Dans une première phase, cette adaptation a été dirigée presque exclusivement dans le dessein de soulager les troupes d'une partie de leur mission de sécurité, rendue pénible par l'étendue du territoire à surveiller et la faiblesse de leurs effectifs. Des escadrilles d'avions ont été constituées, dont le dévouement et l'activité aident largement au maintien de la tranquillité, à travers tout le pays. Pour parfaire leur entraînement et rester constamment en haleine, elles n'ont pas tardé à assumer des tâches autres que celles de « patrouillage » qui leur avaient été assignées: elles ont procédé à des reconnaissances photographiques méthodiques, comportant des « levés de cartes », ont collaboré à l'établissement du cadastre, puis ont pris en charge des liaisons régulières entre divers centres, accessibles à la poste et, sous certaines conditions, aux voyageurs civils. Pour leur procurer un rendement maximum, divers travaux d'infrastructure ont été effectués: on a aménagé de bons aérodromes à Saïgon, Hanoï et Pnom-penh et préparé plusieurs autres terrains d'atterrissage. Les résultats obtenus ont été assez concluants pour que l'on ait songe à développer amplement l'organisation initiale. De plus, le succès des beaux raids ayant uni la France à l'Indochine et vice versa a prouve L'AVIATION. —


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u'on pourrait créer une ligne commerciale par laquelle le courrier et es passagers pressés seraient transportés de la métropole à la possession u réciproquement en moins de huit jours (alors que la voie maritime e les conduit à destination qu'en quatre semaines). Dès 1928, un groupement patronné par les Établissements Bréguet a ormé la Société d'études d'aviation commerciale en Indochine; celle-ci a rêté le projet d'ouverture d'une exploitation d'aéroplanes se raccorant, à Rangoon (capitale de la Birmanie), à celle venant d'Europe et qui agnerait Canton ou Hong-kong par Pitsanulok (dans la presqu'île de alacca), Vien-tian, Vinh et Haïphong; sur cette artère maîtresse s'emrancherait une dérivation sud qui, de Pitsanulok, atteindrait Bangkok,

nom-penh et Saïgon, et l'on inaugurerait ensuite des lignes plus spéciquement locales, notamment une vers le Laos et une autre de Saïgon Hanoï. Afin de passer à l'exécution, le groupe a fondé la Société d'études et

en Indochine et en Extrême-Orient (Air-Asie); elle st en pourparlers avec les Gouvernements de la France et de l'Indohine pour fixer les conditions financières de son action, et a signé un ccord avec le Siam, tendant à la constitution d'une Société francoiamoise qui desservira les parcours survolant cet État. La Société d'études t d'entreprises aériennes prend dès maintenant (principalement au Camodge) de nombreuses photographies par avions; elle s'apprête, aussi, stimuler le tourisme aérien dans toute l'Union et se propose de créer e école de pilotage. D'autre part, la Compagnie aérienne française, dont l'activité s'exerce rtout en Cochinchine, a institué pendant la saison sèche un service 'hydravions de Saïgon à Pnom-penh et Angkor, et des suggestions sont tes pour qu'une organisation du même genre soit réalisée au Tonkin vue de la visite de la Baie d'Along. Sans nul doute, l'exécution de ces programmes rencontrera de mulples obstacles et les initiatives privées devront être soutenues par les ouvoirs publics, tant en ce qui concerne l'aménagement plus complet e l'infrastructure (par l'extension des aérodromes existants, l'équiement de nouveaux points d'atterrissage et d'envol, le raccordement « terrains avec la route et le rail, l'installation de phares, le renforcement es bureaux météorologiques, etc.), qu'en ce qui touche les subventions l'entreprises aériennes


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L'INDOCHINE

indispensables. Mais le profit à escompter de ces liaisons rapides réel que les appuis nécessaires ne sauraient être refusés.

est

si

Dans un rapport publié en 1926, M. Pouyanne, inspecteur des Travaux publics de l'Indochine, estimait que l'outillage ci-dessus décrit avait coûté, de 1900 à 1925, environ 315 millions de piastres de dépenses budgétaires. Pendant la même période, le revenu brut annuel de la possession serait passé, selon les évaluations de M. Leurence, chef du Service de la statistique à la Direction des Services économiques, de 600 à 1.300 millions de piastres. Comme, durant ce quart de siècle, la population du territoire n'avait progressé que de 20 p. 100, ces deux auteurs considéraient — avec raison, croyons-nous — que plus de 500 millions de piastres de l'augmentation de revenu constatée provenaient de « l'accroissement de productivité résultant des modifications profondes qu'a apportées l'Administration française à l'organisation de la colonie ». M. Leurence limitait par prudence à 300 millions de piastres la contribution directe ou indirecte de l'équipement économique dans cette expansion, et M. Pouyanne, s'appuyant sur ces chiffres, en déduisait que « la part revenant aux travaux publics dans l'augmentation de la production annuelle de la colonie est supérieure à la somme totale des dépenses qu'il a fallu faire pour l'obtenir ». Nous nous associons pleinement à cette conclusion réconfortante, Depuis 1925, d'ailleurs, elle s'est trouvée affirmée, car la valeur du revenu brut annuel de la possession s'est certainement accrue de plus de 250 millions de piastres encore, dont plus de 100 millions peuvent être attribués à des compléments d'outillage, et les sacrifices consentis pour réaliser ces compléments n'ont pas excédé 90 millions de piastres. Et si, au lieu de ne raisonner qu'à dater de 1900, on étend les observations à la durée totale de notre occupation du territoire, on note que l'aménagement indiqué dans ce chapitre a immobilisé au total (y compas les investissements des entreprises telles que la Compagnie des chemins de fer de l'Indochine et du Yunnan, des Sociétés d'électricité, etc.) environ 500 ou 600 millions de piastres (soit, au cours actuel du change, de 5 VUE D'ENSEMBLE. —


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milliards de francs): c'est indubitablement d'une somme au moins égale que, par le fait de cet équipement, la productivité annuelle de l'Union a été majorée. Les travaux exécutés ont donc été largement payants. Ils ont absolument modifié l'aspect du pays, l'ont haussé au rang de puissance monà 6

diale, et l'expérience ainsi dans cette voie fructueuse.

THERY.

faite montre qu'il convient de persévérer



CHAPITRE VI

L'ORGANISATION ÉCONOMIQUE

1

Monnaie. — Crédit. — Régime foncier. — Réglementation civile et commerciale. Réglementation du travail.

— publiques. — Vue d'ensemble.

minière. — Législation — Douanes. — Finances

— La plus grande confusion monétaire régnait dans les Etats indochinois lorsque nous y pénétrâmes. Les Annamites et les Cambodgiens se servaient dans leurs transactions de lingots d'or (exceptionnellement) et d'argent, multiples et sous-multiples de l'once annamite allant de 100 onces à un dixième d'once, et appelés tien; les paiements d'appoint étaient effectués à l'aide de pièces de zinc ou de cuivre, nommées sapqèues, 60 sapèques formant un tien et 10 tien formant une ligature ou quan. Les tien étaient généralement pesés, et parfois éprouvés pour la vérification de leur titre, et les sapèques étaient dénombrées. En outre, les Espagnols avaient introduit au XVIIIe siècle la piastre de commerce, en argent, et postérieurement beaucoup d'autres piastres blanches, d'un poids habituel de 27 grammes, furent importées du Mexique, de l'AngleMONNAIE.

Cf. ouvrages et documents précités, et : H. SIMONI, Le Rôle du capital dans la mise en valeur de l'Indochine (1929); GERVILLE-RÉACHE, Enquête sur la stabilisation de la piastre indochinoise (1928); RENÉ GUEYFFIER, Essai sur le régime de la terre en Indochine (1928); MAURICE GIL, Le Régimejuridique et économique de la propriété foncière en Indochine (1926); W. OUALID, Le Privilège de la Banque de l'Indochine (1933); colonel BERNARD, La Réforme du système monétaire indochinois (1920); MARCEL DÉTIEUX, La Question monétaire en Indochine (1907); CAMILLE PERREAU, Le Regime commercial des colonies françaises (1903). — Voir aussi la Chronique de l'Institut 1.

colonial français,

et la collection de la Revue d'Économie politique.


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L'INDOCHINE

terre et des États-Unis. Bien que plus sûres que les tien au point de vue du titre et revêtues d'empreintes leur conférant une valeur nominale, elles n'étaient que rarement acceptées sans la formalité préalable de la pesée, et le rapport de leurs pouvoirs libératoires respectifs, ainsi que le nombre de sapèques, tien et ligatures qu'elles permettaient d'obtenir, étaient essentiellement incertains. Nous tentâmes d'imposer l'emploi des monnaies métropolitaines; ce fut un échec complet, et le chaos subsista, alors que dès 1875 une circulation fiduciaire solide, gagée sur le métal argent, avait pu être créée par la Banque de l'Indochine. On se décida en 1885 à frapper en Cochinchine une piastre de commerce française: afin d'assurer son succès, on crut nécessaire de fixer son poids un peu au-dessus de celui de la piastre mexicaine (à 27 gr. 215 au lieu de 27 grammes); la loi de Gresham joua aussitôt, et les signes ainsi lancés dans le public disparurent, thésaurisés ou exportés. Un décret du 8 juillet 1895 porta remède à cet état de choses, en ramenant à 27 grammes le poids de la piastre française au titre de 0,900 de fin, et en lui donnant cours légal dans l'Union entière. Mais pour assainir définitivement la situation dans la possession et empêcher toute spéculation, on fut conduit, dix ans plus tard, à prohiber l'importation par les particuliers du métal argent et des piastres étrangères, à démonétiser les pièces blanches autres que les piastres françaises qui restaient encore dans le pays et, aussi, à interdire l'exportation par les particuliers et des piastres françaises et du métal argent. En conséquence de ces diverses mesures, la circulation monétaire indochinoise comprit désormais une monnaie légale ayant pouvoir libératoire illimité, constituée par des pièces d'argent d'une piastre (ou 100 cents) de 27 grammes de métal à 0,900 de fin et par des pièces d'argent d'une demi-piastre (ou 50 cents), de 13 gr. 5 de métal au même titre de 0,900. Les monnaies d'appoint consistèrent en des pièces d'argent d'un cinquième de piastre (ou 20 cents) et un dixième de piastre (on 10 cents), au titre de 0,835, acceptées jusqu'à concurrence de deux piastres, en pièces de cuivre d'un centième et d'un cinq centième de piastre, ayant cours aussi jusqu'à concurrence de deux piastres, et en pièces de zinc d'un six centième de piastre, ayant cours jusqu'à concurrence d'une piastre.


L'ORGANISATION ÉCONOMIQUE

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On qualifia ce régime de « monométallisme argent» : c'était, en réalité, un « monométallisme boiteux », car la monnaie ayant pouvoir libératoire illimité ne jouissait pas du privilège de la frappe libre (seul le Gouvernement ayant qualité pour émettre de nouvelles pièces), et parce qu'elle n'avait aucune possibilité de circulation internationale, en raison des prohibitions d'entrée et de sortie dont elle était l'objet aux frontières. Il en résulta que, pour régler leurs dettes à l'extérieur, les importateurs de la colonie durent obligatoirement recourir à des opérations de change, et que, pour solder leurs achats en Indochine, les étrangers s'y

procurant des marchandises furent également contraints de rechercher des traites. Manifestement trop rigide, ce système ne donna pas de mécomptes avant la guerre grâce à l'habileté de la Banque chargée de l'émission fiduciaire: elle sut, en effet, diminuer les besoins intérieurs d'espèces métalliques en instaurant une abondante circulation de billets, et parvint à approvisionner et régulariser le marché des devises dans des conditions satisfaisantes. Déjà avant 1914, cependant, on commença à ressentir les inconvénients des variations de la piastre vis-à-vis du franc et de l'or: un taux officiel de conversion de la monnaie locale en monnaie métropolitaine

déterminé par le gouvernement général en fonction du cours de l'argent métal à Londres, et ses fréquentes fluctuations engendraient une insécurité très préjudiciable aux affaires; de plus, la dépréciation croissante de la matière dont étaient faites les pièces de la possession avilissait la puissance d'achat de son unité monétaire et mettait un obstacle grandissant à ses importations d'Europe, pourtant nécessaires au développement de son outillage. était


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autorisée à augmenter considérablement sa circulation fiduciaire, et il fallut, le 27 mars 1920, déclarer le cours forcé de ses billets. La valeur du métal blanc ayant sensiblement fléchi plus tard, cette mesure, qui n'avait pas eu de répercussions fâcheuses, put être rapportée dès le Ier janvier 1922. Mais, sous l'effet des vicissitudes de la monnaie de la métropole, le taux de la piastre eut encore à subir des variations brutales : ramené à 6 francs un instant (courant 1922), il remonta jusqu'à 27 fr. 50 en juillet 1926, pour revenir à 12 fr. 50 en décembre de la même année. Depuis que l'unité nationale a été stabilisée, en fait d'abord, légalement en juin 1928, les seules causes de modification du prix de la piastre ont été, comme avant 1914, les fluctuations de l'argent métal; celles-ci ayant été très modestes de 1927 à la fin du premier trimestre 1929, ce prix ne s'écarta guère durant toute cette période du niveau de 12 fr. 50 à 13 francs; un glissement se constata ensuite, en raison de la faiblesse de la matière sur le marché international, et dans les premiers jours de 1930 le cours de la piastre tomba à 10 francs. La disqualification monétaire plus complète de l'argent en voie d'exécution aux Indes (où l'on passe du « gold exchange standard » au « gold bullion standard ») et les perspectives (encore bien vagues, d'ailleurs) d'une réforme en Chine laissaient apparaître à plus ou moins brève échéance un risque de dépréciation nouvelle du métal blanc et d'instabilité plus grande de sa valeur. D'autre part, les relations économiques de la colonie avec les pays à régime fondé sur l'or se développant sans cesse, les capitaux investis chez elle étaient devenus en majorité des « capitaux-or ». Toutes ces considérations militaient en faveur d'une transformation profonde du système existant, ayant pour effet d'établir un rapport fixe entre l'unité légale indochinoise et les seules monnaies désormais « mondiales », les monnaies reposant sur l'or. Depuis longtemps préoccupé du problème, qui avait été l'objet d'enquêtes complètes, le Gouvernement français décida, en présence de la situation, de rattacher définitivement la monnaie de l'Union au métal jaune. Il prescrivit le 14 janvier 1930 de maintenir immuablement a 10 francs par piastre le taux de conversion, les mesures d'approvisionnement en lingots et devises ayant été préalablement prises pour parer


L'ORGANISATION ÉCONOMIQUE aux éventualités possibles; puis, lisation légale fut promulgué.

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le 31 mai suivant, un décret de stabi-

Aux termes de ce décret, l'unité de l'Indochine est dorénavant constituée par 655 milligrammes d'or au titre de 900 millièmes, soit l'équivalent de 10 francs selon la définition de la loi du 24 juin 1928. La Banque de l'Indochine est tenue d'assurer aux porteurs et à vue la conversion en de donner provisoirement faculté toutefois, la (avec, billets de ne ses or des quantités échanges de n'effectuer lingots des que pour et ces que minima fixées d'accord entre elle et les ministres des Finances et des Colonies); elle doit aussi acheter tout l'or qui lui est offert sur la base d'une piastre par 655 milligrammes de métal au titre de 900 millièmes, sous la seule déduction des frais d'essai et des frais de monnayage (cal-

au tarif de la Monnaie de Paris). Les piastres d'argent continuent cependant à avoir pouvoir libératoire illimité, la Banque ayant l'obligation de les accepter et de les livrer au gouvernement général dont le compte sera débité de la somme correspondante. Un décret complémentaire du 12 août a précisé les conditions de fabrication des nouvelles piastres de métal blanc qui circuleront conformément aux stipulations du décret du 31 mai, et a chargé le gouverneur général de déterminer par arrêt la date à partir de laquelle les anciennes monnaies cesseront d'avoir cours légal. La réforme a eu pour effet de placer l'Union sous le régime de l'étalonor avec circulation intérieure d'argent et de billets tout comme en France nous nous trouvons présentement sous le régime de l'étalon-or avec circulation intérieure de billets. Tenant exactement compte des besoins du territoire ainsi que de la mentalité et des habitudes de ses habitants indigènes, elle contribuera à consolider l'économie de la possession. On doit regretter seulement qu'elle ait été tardive, car, si l'on y avait possible été techniquement procédé un an plus tôt eût qui ce —, — la stabilisation légale aurait été faite sur la base d'une piastre pour 12 francs : le pouvoir d'achat du pays et la puissance des capitaux y travaillant n'auraient pas subi la diminution d'un sixième qui les a affectés pendant l'exercice 1929, au grand dommage de nombreuses entreprises. culés


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rôle monétaire signalé le joué Nous passage au avons par — la Banque de l'Indochine. Fondée en 1875 et investie aussitôt dans nos possessions d'ExtrêmeOrient du privilège d'émission de billets convertibles en argent et gagés sur ce métal, elle réussit à gagner peu à peu la confiance d'une population foncièrement traditionaliste, et accomplit le véritable tour de force d'amener les indigènes à se servir, comme instruments d'échange, de coupures de papier à la place de pièces d'argent, de lingots métalliques, voire même de marchandises diverses. Pendant les premières années, seuls les Européens et l'Administration usèrent pratiquement de ses billets; les Asiatiques, absolument réfractaires à l'origine, ne commencèrent à y recourir que vers 1900: ils ne les acceptèrent d'abord qu'avec répugnance, s'empressant, dès qu'ils les avaient reçus, de les troquer contre des proportion de « espèces sonnantes et trébuchantes », et pour ce motif la l'encaisse métallique à la circulation fiduciaire se maintint presque constamment et fut parfois supérieure à 100 p. 100 dans la première décade du XXe siècle, de sorte que le billet ne fut alors qu'une monnaie représentative, un « certificat-argent ». Progressivement, pourtant, le prestige de l'Institut s'imposa, et ses vignettes furent accueillies avec moins de réserve: sa circulation enfla alors sans accroissement parallèle de l'encaisse, et l'on a vu plus haut que, durant une courte période, le cours forcé put être institué sans aucun inconvénient. Inférieure à 600.000 piastres (pour une encaisse de moins de 300.000 piastres) au 31 décembre 1875, encore relativement faible au 31 décembre 1900 avec 9 millions et demi de piastres (pour une encaisse sensiblement égale), la monnaie fiduciaire de l'Indochine montait, au 31 décembre 1913, à plus de 32 millions de piastres, pour une encaisse de 17millions; elle atteint en 1930 plus de 170 millions de piastres (soit 1.700 millions de francs) pour une encaisse de près de 400 millions de francs et un solde net créditeur en or ou devises-or au Trésor français et chez ses correspondants de 440 millions, soit ensemble 850 millions. L'augmentation des impôts et des transactions commerciales de la CRÉDIT.


Hué

THÉRY,

:

tombeau de l'empereur Dong-khanh.

Pl. XV, p. 100.


Porte du Conseil d'Empire à Hué.

Tombeaux de bonzes près de Tourane.

THÉRY.

Pl. XVI, p. 101.


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contribué partiellement à ce résultat. Mais le rapprochement aux diverses époques du total de la circulation, du chiffre du budget général et de la valeur globale du commerce extérieur prouve, néanmoins, que, toutes choses égales, un nombre de plus en plus important d'opérations est réglé au moyen de billets : en 1900, la proportion de la circulation par rapport au budget n'était que de 45 p. 100, et par rapport au commerce extérieur de 7 p. 100; elle s'élevait en 1913 respectivement à 90 p. 100 et 12 p. 100, et elle monte cette année (1930) à 150 p. 100 et 25 p. 100. En prenant pour base égale à 100 les statistiques de 1900, on voit que l'indice actuel de la circulation se fixe à 1.580, celui du budget général à 500, et celui du commerce extérieur à 480; la différence flagrante apparaissant ainsi entre le développement de la circulation fiduciaire, l'accroissement du budget général et l'expansion du commerce extérieur démontre péremptoirement que les coupures de la Banque de l'Indochine liquident aujourd'hui une foule de transactions soldées antérieurement par d'autres procédés de payement. Ce succès, dont la portée économique n'est pas niable, est entièrement l'oeuvre du grand établissement. Mais celui-ci n'a pas borné là ses fonctions: son appui au négoce, à l'industrie, aux affaires sous toutes les formes, s'est élargi de manière ininterrompue et particulièrement rapide. Nous avons fait allusion déjà à la maîtrise avec laquelle il a pourvu aux besoins de change de la possession dans les circonstances les plus difficiles : de 300 millions de francs en 1900, ses opérations de cet ordre sont passées à près de 1.500 millions en 1913, et sont voisines maintenant d'une dizaine de milliards, leur indice atteignant 3.330 (avec le chiffre de 1900 pour base égale à 100). De moins de 30 millions de francs en 1900 ses dépôts particuliers (à l'exclusion des comptes du Trésor) se sont élevés à 90 millions à la veille de la guerre et à plus de 700 millions de francs actuellement (indice 2.300). Son portefeuille commercial, de 21 millions de francs en 1900 et 200 millions en 1913, est présentement de 800 millions (indice 4.000). Ses avances, enfin, se sont accrues de 16 millions de francs en 1900 à 95 millions en 1913 et à 900 millions courant 1930 (indice f. 5.600). Un tel essor permet d'affirmer que la Banque de l'Indochine est arrivée à porter à un haut degré de perfection et de diffusion l'usage du crédit dans la colonie. Elle a ainsi rendu des services éminents à l'Union; possession a


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ils se sont, d'ailleurs, étendus à la France, car elle a aidé à nouer d'étroites associations entre les entreprises de la métropole et celles de la possession. Dispensatrice du crédit dans nos territoires d'Extrême-Orient, elle en demeure le pivot fondamental, comme elle y a introduit la circulation fiduciaire et continue à en garantir la solidité et la qualité parfaite. Il n'en est que plus déplorable que son statut, régi par une convention expirée depuis 1921 et prorogé d'année en année ou de semestre en semestre, soit actuellement précaire et exposé à un bouleversement complet. Nous souhaitons qu'un régime durable consacre promptement les résultats acquis et prépare leur épanouissement ultérieur. Aux côtés de cet Institut de premier plan, d'autres établissements financiers ont utilement concouru à la mise en valeur de la colonie. La Banque industrielle de Chine y consacra longtemps une activité intelligente et efficace. Elle s'engagea malheureusement après la guerre dans des spéculations imprudentes qui provoquèrent sa chute; reconstituée avec l'aide des principales maisons de Paris, elle a repris son travail dans d'excellentes conditions, par l'intermédiaire d'une Société de gérance fort bien menée, et seconde de nouveau sérieusement les entreprises privées de la possession. De fondation assez récente, la Société financière française et coloniale, créée et dirigée par M. Octave Homberg, s'est attachée à toute une gamme d'affaires judicieusement diversifiées (plantations de caoutchouc, exploitations agricoles, minières, industrielles, crédit foncier et agricole, etc.), et elle effectue avec une clientèle étendue toutes opérations de banque, tant dans la mère-patrie que dans l'Union, où elle a ouvert un beau réseau de succursales. Le groupe de Rivaud, qui fut l'un des pionniers de l'expansion économique de l'Indochine et n'a pas cessé d'y augmenter ses intérêts, occupe aussi une place considérable en matière de crédit, et la Banque de Saïgon mérite également une mention pour sa gestion avisée et progressive. Toutes ces maisons ont réussi à diffuser le crédit sous ses formes multiples. Elles ont éveillé chez les indigènes éclairés l'esprit d'épargne et de placement, et les investissements en valeurs mobilières ont pris dans la colonie une extension telle que des emprunts peuvent mainte-


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nant y être émis avec succès, et que la nécessité est apparue d'y créer deux « Bourses »; un projet vient d'être élaboré pour en ouvrir une à Saigon et une à Hanoï : cette réalisation marquera un nouveau pro-

le renforcement de l'armature économique du pays. Indépendamment du crédit général à l'industrie et au commerce, il a fallu s'inquiéter des besoins spéciaux de capitaux des propriétaires terriens et des exploitants ruraux. Longtemps ceux-ci ne trouvèrent de fonds qu'auprès des usuriers chinois qui, avec les mêmes méthodes que les « money lenders » des Indes, pressuraient impitoyablement leurs débiteurs et finissaient presque toujours par les acculer à la ruine; un retard fâcheux s'ensuivit dans le défrichement de vastes régions et dans l'accession des indigènes au mieux-être que notre tutelle devait légitimement leur procurer. Cette lacune regrettable a été comblée en ce qui concerne les prêts sur immeubles par la création, en 1923, du Crédit foncier de l'Indochine. Filiale de la Société financière française et coloniale, cet établissement s'est tout de suite installé sur de larges bases et a abordé activement les opérations de sa compétence, dont l'ampleur s'affirme d'année en année. Le montant de ses prêts hypothécaires atteint déjà un niveau fort respectable et se développe en fonction même des précisions apportées au régime foncier de l'Union grâce à l'immatriculation et la généralisation des plans cadastraux. Par une innovation hardie, il a monté un service de constructions auquel ont recours beaucoup de propriétaires européens et indigènes, et qui participe à l'embellissement et l'aménagement des villes. Il s'est tourné aussi vers les avances aux organes de crédit rural, facilitant leur expansion et fondant dans ce but un établissement spécial, le Crédit foncier agricole de l'Indochine, dont les débuts sont très grès dans

prometteurs.

Timidement envisagé dans la possession en 1912, lorsque furent autorisés en Cochinchine les premiers syndicats agricoles, inauguré de façon embryonnaire en 1918 par l'application de la réglementation cochinchinoise à toute l'Indochine et par l'attribution aux syndicats de la faculté de consentir à leurs membres des prêts moyennant un nantissement de leurs immeubles, ce crédit rural s'est vulgarisé dans les dernières années. On l'a regardé avec raison comme le meilleur remède aux exactions des usuriers chinois, et plusieurs réformes législatives ont hâté sa croissance;


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l'adoption en 1925 du système de l' « hypothèque différée », dont il sera parlé plus loin, lui a donné des possibilités nouvelles en renforçant les garanties dont il lui est loisible de s'entourer; la création, en 1926, du crédit populaire agricole, alimenté par des avances budgétaires et calqué sur les organisations coopératives de la métropole et de l'Algérie, a notablement augmenté sa puissance de rayonnement; enfin, la constitution, en 1927, de banques provinciales, sociétés civiles à capital variable, entre les indigènes agriculteurs et les collectivités dotées de la personnalité civile, et celle, en 1928, du Crédit foncier agricole de l'Indochine (dont il a été dit un mot ci-dessus) ont permis d'en accorder le bénéfice à des catégories multiples d'exploitants (de propriétés cadastrées ou non, communes ou individuelles), avec un maximum de souplesse. Aujourd'hui, le problème se pose de lui allouer les ressources nécessaires à son fonctionnement intensif; il sera en partie résolu par le groupe auquel se rattache le Crédit foncier de l'Indochine et par des subventions budgétaires, mais il conviendra que la Banque de l'Indochine, qui lui a déjà prodigué de sérieux avantages, augmente notablement ses dotations : cet effort est prévu à l'occasion du renouvellement de son privilège, et c'est un argument de plus pour que cesse l'incertitude qui plane sur la charte du grand établissement d'émission.

Les systèmes de propriété terrienne indigène étaient assez variés, allant d'un individualisme complet à la communauté intégrale et tous fondés sur d'anciennes coutumes solidement ancrées. Dans les zones les plus peuplées et les plus évoluées, l'appropriation personnelle ou familiale du sol était très poussée et les biens le « vacants et sans maîtres » constituaient de rares exceptions. Dans reste du territoire, au contraire, d'immenses superficies demeuraient parfois « res nullius », les habitants des villages se contentant d'occuper, sans règles bien précises, les parcelles nécessaires à l'entretien de leur bétail et à leur subsistance. Des mesures nombreuses, dans le détail desquelles il serait fastidieux d'entrer ici, ont été prises pour atténuer cette confusion. Les directives RÉGIME FONCIER. —


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dont elles se sont inspirées ont consisté: à assurer le respect des propriétés indigènes en leurs formes traditionnelles, en y apportant, chaque fois qu'il a été possible, les précisions les rendant aptes à passer sous la législation européenne en vue de profiter du mécanisme des hypothèques et de devenir aisément cessibles à titre onéreux; à permettre la fondation, par achat aux Asiatiques ou au gouvernement, de propriétés européennes individuelles juridiquement définies avec toutes les garanties nécessaires; à organiser le morcellement et la dévolution par voie de concession des anciennes terres vacantes, rattachées désormais au domaine privé de l'État. En ce qui touche la propriété privée, un décret de 1925, amendé en 1926, a établi en Cochinchine, au Laos et dans les concessions françaises de Hanoï, Haïphong et Tourane, une procédure d'immatriculation des immeubles sur des livres fonciers et d'inscription sur les mêmes livres des modifications successives des droits réels intéressant chaque immeuble. L'immatriculation, en principe facultative, est obligatoire en cas d'aliénation ou de concession de terres domaniales, et quand un immeuble placé jusqu'alors sous le droit coutumier est pour la première fois l'objet d'une transaction le plaçant sous l'égide du Code civil français; aussitôt réalisée, elle est définitive, et l'immeuble ne peut plus jamais y échapper. Les indigènes ont le droit de la requérir dans les mêmes conditions que les Européens. Elle implique la levée préalable du cadastre de la région et des formalités de bornage, aux fins de dresser exactement l'état descriptif de l'immeuble, et, pour l'obtenir, il convient de rapporter la preuve (sujette à opposition pendant un certain temps) du droit de propriété

générales

individuelle. A chaque immeuble

est affectée une feuille du livre foncier, sur laquelle sont consignées toutes les mentions constituant son « titre foncier »; une expédition en est remise au propriétaire en guise de « titre de propriété ». Quand un immeuble est morcelé, de nouvelles feuilles sont ajoutées au livre foncier, de manière à ce qu'il en corresponde une à chaque parcelle; en cas de réunion de deux ou plusieurs parcelles, les différentes feuilles existant antérieurement sont jumelées. Par l'effet de l'immatriculation, le titre de propriété est rendu inattaquable et forme le point de départ unique de tous les droits réels institués ou pouvant naître ultérieurement sur l'immeuble. Ainsi, notamment,


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deviennent possibles les hypothèques. Celles-ci fonctionnent en Indochine comme en France, avec, pourtant, deux particularités : il a été instauré une hypothèque différée, dont l'acte constitutif est déposé pour « prise de rang » à la conservation, mais dont l'inscription peut être retardée de 180 jours, et n'est pas effectuée si, à l'expiration du délai, la créance gagée de la sorte par un droit réel a été remboursée; d'autre part, on a admis le nantissement immobilier, grâce auquel le prêteur a la faculté de jouissance effective du bien hypothéqué, dont les produits tiennent lieu, en tout ou en partie, des intérêts de la dette et même sont susceptibles de servir à son amortissement. Ces dispositions ont donné entière satisfaction, et l'on se préoccupe de les étendre à toutes les régions de l'Union en fonction de l'avancement des travaux du cadastre et de l'éducation des indigènes. De graves flottements ont été constatés en matière d'attribution des concessions des biens du domaine privé. Nous ne signalerons que pour mémoire la controverse doctrinale élevée sur le point de savoir si le propriétaire de ce domaine est l'État français ou la colonie : en fait, les concessions sont accordées au profit des collectivités locales, mais sous le contrôle (et quelquefois la décision) du gouvernement général et audessus de lui des autorités métropolitaines. Nous ne nous arrêterons pas non plus aux incidents fâcheux, de caractère souvent politique, qui ont marqué plusieurs dévolutions et amené des remaniements plus ou moins profonds de la réglementation en vigueur. A l'heure actuelle, et depuis un décret du 4 novembre 1928, il doit être établi pour chaque pays de l'Union, par le chef de l'administrationlocale, après avis d'une commission instituée auprès de lui, un « programme de colonisation » des terrains ruraux dépendant du domaine privé. Ce programme, soumis à l'approbation du gouverneur général, fixera : 1° les espaces affectés aux boisements et reboisements; 2° ceux sur lesquels pourront être attribuées des concessions gratuites (d'un maximum de 10 hectares pour les propriétés indigènes individuelles, de 300 hectares pour les propriétés européennes, de 500 hectares pour les propriétés collectives des villages indigènes); 3° ceux sur lesquels ne pourront être attribuées que des concessions à titre onéreux, par la voie de l'adjudication. A l'exception de celles consenties collectivement aux villages (et ina-


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les concessions ne devront être accordées qu'à la condition stipulant divers charges conformer cahier des à de titulaire le un se pour travaux à exécuter, spécifiant les modalités d'emploi de la main-d'oeuvre, bénéficier et énonçant les délais de mise en valeur; seuls auront droit à en les citoyens, sujets ou protégés français et les sociétés de nationalité française ayant leur siège en territoire français ou de protectorat, comptant une majorité d'administrateurs français et possédant un capital souscrit en majorité par des citoyens, sujets ou protégés français. Les concessions, ont lieu par adjudication aux enchères publiques, sauf cas exceptionnels. Elles sont accordées par décret rendu sur rapport du ministre des Colonies et proposition du gouverneur général quand elles excèdent 4.000 hectares, par arrêté du gouverneur général quand elles portent sur une surface de 1.000 à 4.000 hectares, par arrêté du chef de l'Administration locale au-dessous de 1.000 hectares. Pour les aliénations ou locations de terrains urbains, la procédure est déterminée par des arrêtés du gouverneur général et par des arrêtés locaux. Ce système, très cohérent, a mis fin à une longue période d'incertitude, et son fonctionnement, dorénavant régulier, contribuera sûrement au développement de l'exploitation méthodique du sol de la possession. Au régime foncier se lie naturellement le régime forestier. Une réglementation minutieuse a été édictée à son sujet au Tonkin, au Cambodge, en Cochinchine et en Annam, mais il n'en existe pas encore au Laos, et cette lacune regrettable devra être comblée rapidement. Les caractéristiques de la législation indochinoise sont : pour les forêts du domaine privé (n'appartenant ni aux particuliers, ni aux communes), distinction entre les massifs réservés » et les « massifs protégés », ces « derniers seuls pouvant être exploités en vertu de permis de coupe; restriction du « droit d'usage » de ces forêts aux seuls « villages forestiers », nominativement énumérés; pour tous les bois, même ceux des communes et des particuliers, « police forestière » prohibant, sauf autorisations spéciales, la culture par «ray » (c'est-à-dire les débroussaillements par incendie), limitant les possibilités de défrichement, et exigeant la vérification par les services techniques des bois et sous-produits. Ces prescriptions ont efficacement combattu le déboisement de l'Indochine et commencent à permettre la reconstitution de ses richesses sylliénables),

vestres.


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— L'Union a été divisée en districts miniers à l'intérieur desquels certaines régions ont été, pour des motifs divers, interdites aux recherches particulières, d'autres réservées aux adjudications, et la plus grande partie laissée disponible pour l'acquisition de « droits miniers ». Des concessions peuvent être obtenues directement par adjudication sur les terrains de la deuxième catégorie ou sur des exploitations précédemment attribuées mais ayant été l'objet soit de renonciation du titulaire, soit de déchéance pour défaut de payement des redevances ou manquement au cahier des charges; elles sont soumises aux obligations énoncées dans l'acte d'adjudication. En dehors de cette hypothèse, assez exceptionnelle, la propriété minière se constitue en deux stades, le permis de recherche et la concession définitive et perpétuelle. Toute personne désirant se livrer en Indochine à la recherche ou à l'exploitation de mines doit se munir, préalablement au début de ses opérations, d'une autorisation l'habilitant à « acquérir des droits miniers ». Cette autorisation, limitée à l'État de l'Union pour lequel elle est délivrée, est accordée ou refusée par décision discrétionnaire du chef de l'administration locale. Le titulaire de l'autorisation est admis à déposer entre les mains du chef du district minier compétent une « déclaration de recherche » dont l'inscription sur un registre « ad hoc » établit l'antériorité et vaut permis de recherche, chaque permis comportant le droit exclusif de recherche dans un carré de 3 kilomètres de côté. Avant l'expiration d'un délai maximum de trois ans (durant lequel le permissionnaire dispose librement du produit de ses recherches), une demande de concession définitive peut être présentée; après enquête (au cours de laquelle est organisée une publicité destinée à provoquer les oppositions éventuelles des tiers)) la concession est accordée ou refusée par le gouverneur général en considération des qualités du demandeur, l' « inventeur » (premier déclarant de recherche) ayant priorité à condition d'être citoyen, sujet ou protegé français, ou société formée selon la loi française, ayant un conseil d'admiRÉGLEMENTATION MINIÈRE.



La pagode d'An-thaï (Binh-dinh), un des plus beaux spécimens de l'architecture annamite.

La pagode chinoise de Saigon. Architecture et culte sont d'essence nettement chinoise.

THÉRY.

PL XVIII, p. 109.


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pour les trois quarts de citoyens, sujets ou protégés français, le président, les administrateurs-délégués, les gérants et les directeurs devant également être citoyens, sujets ou pro-

nistration (ou de surveillance) composé

français. Une taxe superficiaire annuelle est à la charge des concessionnaires. Ils sont, en outre — comme les permissionnaires —, assujettis à une taxe à la production et au respect de tous les règlements miniers (relatifs à l'entretien des « signaux de recherche », aux mesures de sécurité, aux conditions d'emploi du personnel, etc.). Ces textes, simples et clairs, complétés par des dispositions spéciales touchant les extractions alluvionnaires et les carrières, sont parfaitement adaptés aux besoins locaux.

tégés

LÉGISLATION CIVILE ET COMMERCIALE. — Ainsi que nous l'avons déjà dit, les Codes métropolitains sont en vigueur en Indochine comme dans

colonies françaises, et la plupart des lois civiles et commerciales non codifiées ont été successivement étendues à la possession. Les mêmes garanties qu'en France continentale sont ainsi données aux non-Asiatiques exerçant leur activité dans l'Union, et ils ont les mêmes moyens de défendre leurs droits. De plus, nous avons vu qu'en vertu de l'organisation judiciaire les tribunaux français statuent selon les coutumes annamites ou cambodgiennes sur les contestations qui surgissent entre indigènes, ou entre étrangers asiatiques, ou entre indigènes et étrangers asiatiques : on retrouve là le souci de ménager l'évolution des races placées sous notre tutelle.

toutes les

Lors de notre installation en ExtrêmeOrient, l'esclavage subsistait dans plusieurs régions, notamment au Cambodge, et les populations étaient à peu près partout astreintes à des prestations de travail en nature, appelées « corvées », dont les plus pénibles étaient le portag et le curage des canaux d'irrigation. Ces vestiges de bar; RÉGLEMENTATION

THÉRY.

DU TRAVAIL. —

8


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barie ont pu être abolis, au prix d'un effort persévérant et d'une répression sévère des abus constatés. Mais d'autres problèmes, tout différents, ne tardèrent pas à se poser, issus des contacts entre Européens et autochtones, des besoins croissants de personnel des entreprises nouvelles, et de l'industrialisation de nombreuses exploitations groupant ensemble des effectifs de plus en plus denses. Pendant une première période, leur solution fut laissée à la sagacité des administrateurs locaux. La nécessité apparut, ensuite, de dispositions générales. Elles intervinrent d'abord pour punir la mauvaise foi des indigènes dans l'exécution de leurs contrats, puis pour ériger en délit la tentative ou le fait de débauchage de travailleurs régulièrement en service. Plus tard encore, surtout après la guerre, on jugea indispensable de faire bénéficier les salariés asiatiques de diverses mesures de protection. Une Inspection du Travail fut créée à cet effet en 1918 en Cochinchine, et des prescriptions fixèrent impérativement certaines modalités des contrats (quant au système de payement des rémunérations, au logement, à l'observation des règles d'hygiène et de repos, etc.); ces prescriptions, étendues progressivement à tous les États, furent considérablement renforcées dans les cahiers des charges imposés aux adjudicataires de concessions, et un arrêté du 25 octobre 1927, approuvé par décret du 18 février 1928, organisa une Inspection générale du Travail pour toute l'Union, rendit obligatoire la conclusion de contrats types, et institua un pécule, alimenté par des versements des employeurs et des employés. Cet arrêté réforma, en outre, le mode de recrutement des travailleurs. Ceux-ci, jusque-là, étaient embauchés librement, le plus souvent par l'intermédiaire d'officines privées, véritables agences de racolage. Un contrôle officiel fut établi sur leurs tractations et des mesures de police prohibèrent certaines migrations intérieures. Le système a été perfectionné encore par des arrêtés de 1929, assurant aux engagements une publicité qui en facilite la surveillance. Enfin, en 1930, des « commissions mixtes de conciliation » ont été créées pour arbitrer les différends individuels entre employeurs et salariés. Dans un but humanitaire qu'on ne saurait blâmer, on songe maintenant à introduire dans la colonie la législation sociale en vigueur dans la métropole, principalement celle concernant les accidents dû travail. Mais la question est très délicate, tant en raison de la mentalité particulière des


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indigènes qu'à cause de l'inégal développement intellectuel et moral des différentes races, et il ne semble pas qu'elle puisse être résolue brusquement et par voie de réglementation générale, sous peine d'entraîner un renchérissement dangereux des frais d'exploitation (et, partant, du coût de la vie), en même temps qu'une raréfaction fâcheuse de la main-d'oeuvre disponible. Présentement — nous y reviendrons dans les chapitres suivants —, la population indochinoise est, au total, assez abondante pour suffire à tous les besoins de mise en valeur du territoire. Cependant, comme elle n'est point uniformément répartie, des déplacements intérieurs, saisonniers ou définitifs, sont nécessaires en vue de répondre aux demandes des exploitations qui se montent dans les zones les moins habitées. Des dispositions de plus en plus précises régissent ces mouvements : elles sont judicieusement étudiées et ne suscitent que peu de critiques de la part des intéressés. A côté de ces courants migratoires intérieurs, une tendance s'est dessinée à faire appel aux Indochinois pour l'expansion économique de certaines de nos possessions dépourvuesde main-d'oeuvre (Établissementsd'Océanie, Nouvelles-Hébrides, Nouvelle-Calédonie, et, depuis le début de 1929, Afrique équatoriale française pour la construction du chemin de fer de Brazzaville à Pointe-Noire). L'Union est actuellement capable d'accorder ce concours et, justement consciente de ses devoirs de solidarité envers toutes les parties de la « plus grande France », elle s'y applique libéralement; mais son gouvernement général exige que les Annamites ainsi invités à s'expatrier ne « partent pas à l'aventure », et il ne les laisse sortir qu'en vertu de contrats collectifs leur garantissant un minimum de bienêtre, leur permettant de revenir dans leurs foyers à l'expiration de leur engagement, stipulant les conditions de leur transport, etc. La spécification de ces clauses de sauvegarde a été laborieuse, et a engendré parfois des frictions avec d'autres gouvernements coloniaux; elle est pratiquement salariés

réalisée

aujourd'hui.

— Depuis le début de notre occupation jusqu'à la loi du janvier 1892, l'Indochine, de même que toutes nos autres colonies

DOUANES. 11


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à cette époque, fut soumise au régime de l'autonomie douanière; des tarifs spéciaux pour l'entrée chez elle des marchandises étrangères étaient institués par décrets rendus en Conseil d'État, tandis que la plupart de ses produits pénétraient en franchise sur le territoire métropolitain et que les produits métropolitains étaient également admis en franchise dans la possession. La loi du il janvier 1892 modifia ce système en établissant un groupe de colonies dites assimilées,dans lequel fut classée l'Union; une franchise totale fut, en principe, instaurée dans les rapports mutuels de l'Indochine et de la mère patrie (sauf pour les sucres et produits sucrés indochinois, soumis au plein tarif), et tous les droits appliqués aux marchandises étrangères par la France continentale furent automatiquement étendus à la possession, sous réserve de dérogations exceptionnelles, accordées après une longue procédure par décrets en Conseil d'État. Ce mécanisme, à l'usage, se révéla imparfait : il manquait de souplesse et la mise en vigueur des droits métropolitains aux frontières de notre territoire asiatique eut de nombreux inconvénients, en troublant des courants de trafic essentiels avec les marchés du Japon, de la Chine, des Indes et de l'Insulinde. D'heureux amendements y ont été apportés par la loi du 13 août 1928 Celle-ci a maintenu la notion de l'assimilation, mais avec d'appréciables correctifs. Elle a stipulé que la franchise est complète et réciproque pour les exportations de marchandises françaises, algériennes et de nos autres colonies assimilées en Indochine et de marchandises indochinoises en France, en Algérie et dans nos autres colonies assimilées (y compris, maintenant, les sucres et produits sucrés); elle a conservé théoriquement la règle de l'extension aux importations étrangères dans la possession du tarif métropolitain français, mais des possibilités considérables de dérogations (à prononcer par décret simple dans les trois mois de réception de la demande par le ministre des Colonies) ont été prévues, et elle a permis la conclusion, par le Gouvernement métropolitain, de traités de commerce intéressant spécialement telle ou telle de nos « provinces d'outre-mer ». Un mouvement très net s'est remarqué dans l'Union, dès la promulgation de cette loi, en faveur de l'obtention de multiples dérogations: l'Administration a jugé désirable de simplifier la nomenclature adoptée par la mère patrie, prétextant que sa complexité et son ampleur empê-


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personnel indigène des douanes de l'utiliser avec discernement; les industriels et les commerçants installés dans la colonie ont insisté pour que certaines protections particulières leur soient données et, surtout, pour que des réductions soient consenties sur les droits français au profit d'une foule d'articles qu'ils voudraient se procurer à meilleur compte dans les pays voisins. Ces revendications ont vivement ému les milieux métropolitains, qui craignent, non sans raison, que la préférence dont ils bénéficient dans l'Union s'en trouve gravement affectée; un effort de conciliation de ces intérêts est en cours, et l'on peut espérer que des solutions transactionnelles satisfaisantes finiront cheraient le

prévaloir. Il y a lieu de noter, par ailleurs, que les modifications des droits métro-

par

pour l'entrée des marchandises étrangères en France continentale ne laissent pas indifférents les exportateurs de l'Union : si, en effet, des abattements excessifs sont concédés à des produits concurrençant ceux de la colonie, des débouchés précieux risquent de leur être fermés. La loi de 1928 ne contient aucune disposition qui permette d'échapper à ce péril. Mais dans la pratique toutes les retouches tarifaires étudiées par le ministère du Commerce sont aujourd'hui communiquées pour examen et avis au ministère des Colonies, et les besoins vitaux des possessions sont ainsi efficacement défendus. politains

— Nous avons vu plus haut qu'après des tâtonnements compréhensibles l'organisation des finances publiques de l'Indochine a été assise sur des bases solides et précises. Le budget général est alimenté par les recettes des services mis à la charge de l'Union (principalement des postes et télégraphes), par le produit des régies, par les droits de douane et taxes diverses à l'entrée et à « sortie des marchandises, par les droits d'enregistrement, du domaine et du timbre, et éventuellement (le cas ne se produit pas pour le moment) par des subventions de la métropole (dont le montant est indiqué dans notre loi de finances) et par des contributions des gouvernements locaux (déterminées par le gouverneur général en conseil de gouvernement géFINANCES PUBLIQUES.


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néral et arrêtées définitivement dans l'acte portant approbation de ces budgets). Le budget général doit subvenir aux dépenses du gouvernement général et des services qui en dépendent directement, pourvoir au payement des intérêts et à l'amortissement de la dette, assurer le fonctionnement des inspections, des parquets généraux et des cours d'appel, solder les travaux publics d'intérêt général qui ne sont pas entrepris sur les budgets annexes des fonds d'emprunt, faire face aux frais d'administration et d'exploitation des douanes et régies, ainsi que des autres contributions indirectes et des postes et télégraphes, et éventuellement (mais très régulièrement en fait) verser des contributions à la métropole et des subventions aux gouvernements locaux (dont les montants sont fixés selon la procédure ci-dessus résumée pour les contributions et subventions inverses). On sait qu'il est arrêté par le gouverneur général (qui en est l'ordonnateur) et approuvé par décret. Chacun des budgets locaux des États est alimenté principalement par des impôts directs, subsidiairement par les produits affermés et ceux du domaine (adjudications et concessions comprises), et éventuellement par les subventions du budget général. Le budget local doit satisfaire aux dépenses politiques et administratives du gouvernement qu'il concerne, aux charges de ses services financier propres, aux travaux d'intérêt économique n'offrant pas un caractère de nature à les imputer au budget général, aux oeuvres sociales, et éventuellement aux contributions au budget général. Nous avons expliqué dans notre chapitre IV les conditions de son établissement, qui ne sont pas les mêmes en Cochinchine que dans les autres pays. Le chef de l'administration locale en est l'ordonnateur. Les budgets provinciaux de Cochinchine et les budgets communaux sont alimentés par des recettes locales et couvrent les dépenses intéressant spécialement la circonscription à laquelle ils se réfèrent. Le fonctionnaire placé à la tête de la circonscription en assure l'exécution sous la surveillance de l'autorité supérieure. Cinq budgets annexes sont rattachés au budget général : le premier remplace pour le territoire de Kouang-tchéou-wan le budget local des Etats, les ressources propres de cette petite entité étant trop faibles pour payer toutes ses charges et l'importance proportionnelle de la subvention du budget général dans ses revenus justifiant la mesure d'exception dont


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l'objet; le second s'applique aux chemins de fer exploités par la colonie; le troisième concerne la gestion des fonds d'un emprunt de 90 millions de francs émis en 1912 par l'Union; le quatrième est relatif à la gestion des fonds d'un emprunt intérieur de 6.180.000 piastres émis en 1923; le cinquième et dernier a trait à la gestion de l'arsenal de Saïgon, dont la concession a été accordée à l'Indochine par décret il est

du 6 septembre 1923.

Enfin, les ports autonomes de Saïgon et de Haïphong ont chacun leur budget particulier, élaboré et géré par leurs organes administratifs sous le contrôle du gouvernement général. Le système que nous venons de décrire fonctionne normalement et fournit aux services de la possession des ressources croissantes. Le développement de l'activité économique a, en effet, une répercussion immédiate sur le rendement des régies, douanes et exploitations diverses; la mise en valeur progressive du territoire rend d'année en année plus fructueuses les aliénations du domaine; enfin, l'expansion de la matière imposable,

de pair avec l'augmentation de la richesse de l'Union, a l'influence la plus heureuse sur le produit des impôts, tant directs qu'inqui marche

directs. Ces impôts, fixés par décrets rendus sur la proposition du gouvernement général, sont très variés et l'on y retrouve à peu près toute la gamme des taxes existant dans la métropole. Les taux en restent cependant inférieurs à ceux de la France continentale, et la prédominance des recettes douanières, forcément instables, et des impôts directs à assiette presque immuable a longtemps ralenti l'accroissement des recettes, qui n'a pas suivi absolument la courbe des dépenses, enflées par l'exécution

grands travaux publics. Il en est résulté un instant une situation critique : l'institution en 1927 d'une contribution « ad valorem » de 2 p. 100 sur toutes les marchandises (autres que le riz, et, depuis 1928, le maïs), produites ou importées dans la colonie, et le rajustement de la plupart des impôts directs ont apaisé un instant les craintes, si bien qu'en 1929 le budget général a aisément réussi à faire face à 92 millions de piastres de dépenses, les budgets locaux se totalisant par plus de 7° millions, les budgets provinciaux et communaux par plus de 20 millions, et les budgets annexes par une dizaine de millions de piastres, soit ensemble presque 200 millions de piastres ou environ 2 milliards

des


116

L'INDOCHINE

de francs), contre à peine 70 millions de piastres (ou moins de 200 millions de francs) en 1910. Des réformes paraissent cependant nécessaires et sont actuellement à l'étude, car, depuis quelques mois, le ralentissement des affaires donne de nouveau des inquiétudes sur la solidité de l'équilibre, en provoquant un fléchissement des recettes, tandis que les dépenses n'ont pas cessé d'augmenter (celles du budget général devant en 1930 dépasser 100 millions de piastres) : on envisage le remplacement de la taxe « ad valorem » par des contributions de perception plus aisée, une modification de la fiscalité des automobiles et des droits sur l'entrée des essences, etc. La bonne santé des finances publiques de l'Indochine a contribué à lui donner un crédit de premier ordre, grâce auquel il lui a été possible d'émettre dans des conditions avantageuses des emprunts destinés à payer des travaux d'intérêt général. L'un de ces emprunts a pu être placé à l'intérieur même de l'Union: l'essor de l'épargne de la colonie facilitera les opérations de ce genre quand le malaise relatif, qu'elle subit actuellement sera dissipé, surtout si l'on donne suite au projet dont nous avons parlé de création de bourses des valeurs mobilières à Saïgon et à Hanoï.

Une organisation économique très complète et moderne a ainsi été peu à peu mise au point dans notre beau territoire d'Extrême-Orient. Conçue en fonction des nécessités locales, elle s'est adaptée simultanément aux habitudes indigènes et aux besoins européens, a tenu compte du milieu auquel elle était destinée, sans avoir peur d'y introduire les réformes et les innovations dont l'expérience occidentale avait démontré l'utilité, et les résultats acquis ont, dans l'ensemble, donné pleine satisfaction. Ils s'affirmeront davantage encore, à condition que les récentes créations d'assemblées représentatives des intérêts économiques et financiers que nous avons signalées aboutissent à une collaboration de plus en plus intime de toutes les bonnes volontés et de toutes les compétences. Déjà l'aménagement matériel et administratif du pays lui a assuré une indiscutable vitalité : les chapitres qui suivent en traceront un tableau succinct. VUE D'ENSEMBLE. —


CHAPITRE VII

PRODUCTIONS AGRICOLES 1 — Céréales diverses. — Cultures vivrières, maraîchères et fruitières. — tures tropicales. — Cultures industrielles. — Sériciculture. — Forêts. — vage. — Pêche et chasse. — Vue d'ensemble.

Riz.

CulÉle-

riz est la production agricole essentielle de l'Indochine. Pratiquée dans toutes les provinces, sa culture absorbe la majeure partie de la population rurale, couvre une superficie approximative de 6 millions d'hectares, et donne annuellement en moyenne 70 millions de quintaux métriques de paddy (riz brut, non décortiqué). Sur ce total, Riz.

— Le

millions de

quintaux, à peu près, satisfont aux besoins de la consommation indigène, qui y trouve son aliment principal, 4 millions fournissent les semences de la campagne suivante, 1 million va à la distillerie ou à des usages industriels divers (fabrication de colle, notamment), et il demeure disponible pour l'exportation un solde d'environ 20 millions de quintaux, correspondant sensiblement à 15 millions de quintaux de riz comestible décortiqué (riz « cargo » et riz « blanc »), en y comprenant les brisures et issues; cette exportation représente aujourd'hui une valeur moyenne de 2 milliards et demi de francs par an, soit les deux tiers du montant global des ventes de la possession au dehors. 45

Cf. ouvrages,

publications officielles et collections précités, spécialement : HENRY et DE VISME, Documents de démographie et riziculture en Indochine (1929); LUCIEN HUBERT, Ce qu'il faut connaître de nos ressources coloniales (1927). — Voir aussi l'Annuaire économique de l'Indochine et les Rapports du commerce et de 1.

YVES

la navigation.


118

L'INDOCHINE

Les régions de prédilection du riz sont le delta du Fleuve Rouge au Tonkin, le bassin inférieur du Mékong et de ses affluents au Cambodge, toute la plaine cochinchinoise, et les petits deltas de la côte d'Annam. Mais à l'intérieur du pays la moindre vallée a ses rizières, et certaines variétés de la précieuse céréale se rencontrent aussi dans les zones montagneuses, jusqu'à une altitude courante de 1.000 mètres, et même parfois (aux confins du Yunnan) jusqu'à 2.000 mètres. Cette culture est assurée presque exclusivement par les autochtones, dans de petits domaines très morcelés au Tonkin, en Annam et au Laos (où elle garde un caractère nettement familial et n'emploie qu'un minimum de main-d'oeuvre étrangère), dans des exploitations plus vastes au Cambodge et en Cochinchine (faisant appel à de nombreux salariés, parmi lesquels les femmes et les enfants figurent en proportion considérable). Elle nécessite des soins assidus et minutieux, qui lui sont prodigués avec beaucoup de conscience et une réelle ardeur au travail. Dans une phase initiale, on prépare la terre par des labours enfouissant le chaume et les résidus de paille de la récolte précédente, et on l'engraisse, en y parquant du bétail, en y épandant des fumiers de village, et parfois — mais trop rarement — en y ajoutant des fertilisants minéraux ou organiques. On procède ensuite aux semailles (directement à la volée, ou en sillons ou « poquets » ) dans les contrées accidentées, aux plantations dans les zones soumises à l'irrigation ou à l'inondation; pour ces dernières, le riz, préalablement germé, est aggloméré d'abord en pépinières, et n'est placé définitivement, par un « repiquage » analogue à celui de nos betteraviers du nord de la France, qu'au bout de quarante-cinq à soixante jours; ce repiquage s'opère par touffes de 5 à 10 plants, espacées de 20 à 30 centimètres; il est renouvelé une seconde fois lorsque l'élan de la végétation doit être modéré pour empêcher la plante de se développer avec trop d'exubérance en tige et en feuilles : l'eau recouvre déjà te rizières au moment où on l'effectue. Pendant la période de submersion) il faut veiller constamment aux pompages là où le liquide bienfaisant n'arrive pas par simple gravité, édifier partout de petites digues, diriger le flux à la main, l'évacuant s'il est en excès, aménageant une série de minuscules barrages pour le retenir et redresser son niveau s'il manque, etc. Plus tard, on accomplit les dernières façons. La récolte, enfin, se fait la faucille, les tiges étant coupées à 50 ou 60 centimètres au-dessous de à


PRODUCTIONS AGRICOLES

119

panicule » et rassemblées en petites bottes que l'on bat. Le produit n'est décortiqué sur place que dans la mesure où il sert à la consommation locale; la presque totalité en est cédée à des négociants, à moins qu'on ne l'emmagasine quelque temps dans l'attente de cours plus rémunérateurs, ce qui est très exceptionnel. C'est là un rude labeur, qui oblige le « nhaqué » (paysan indigène) à passer le plus clair de son existence accroupi ou courbé, pataugeant dans l'eau ou la boue et brûlé par un soleil torride; et si l'admirateur de pittoresque s'extasie en contemplant la multitude bigarrée d'êtres humains abrités sous leurs grands chapeaux qui émaille les champs du matin la

«

l'observateur impartial doit s'incliner devant ces terriens qui peinent âprement et sans se plaindre, et dont l'effort ininterrompu est véritablement créateur de richesses. On distingue deux catégories fondamentales de rizières, dites respectivement rizières basses, ou « ruong-saû », et rizières hautes, ou « ruong-gô ». Les premières, fécondées par les crues, se subdivisent en rizières basses ordinaires, habituellement inondées d'août à novembre et recouvertes alors d'une couche d'eau pouvant atteindre de 50 à 60 centimètres, et en rizières de riz flottant, sur lesquelles la nappe aqueuse se maintient bien plus longtemps, et qui ne sont exploitées que depuis une date récente, grâce à l'introduction d'une qualité particulière (appelée précisément « riz flottant ») dont la tige s'allonge en fonction de l'accroissement de l'immersion. Les rizières basses ordinaires s'étendent dans tous les deltas et dans la plupart des vallées inférieures des grandes rivières; les rizières de riz flottant se trouvent surtout dans le Bas Cambodge et dans plusieurs plaines de la Cochinchine occidentale. Inondées seulement aux époques de fortes crues ou arrosées soit par irrigations artificielles, soit uniquement par les pluies, les rizières hautes sont répandues principalement dans l'est de la Cochinchine et dans les districts plus élevés des différents États de l'Union. Quelques-unes, situées à grande altitude et ne recevant que les précipitations atmosphériques ou le ruissellement des pentes, sont dénommées rizières de monau soir,

tagnes.

La production de beaucoup la plus importante est fournie par les rizières basses. Celles récoltes l'une

par an,

du Tonkin et du Nord Annam donnent deux en mai ou juin, l'autre, plus abondante, en octobre


120

L'INDOCHINE

ou novembre, la durée de l'évolution entre les semailles en pépinières et la moisson étant d'environ six mois. Dans le Sud Annam, en Cochinchine, au Cambodge et dans la zone inondable du Laos (sur les bords du Mékong) le climat ne permet qu'une récolte annuelle, d'ailleurs assez massive: elle a lieu en janvier ou février pour les variétés de « demisaison », à évolution de cinq mois et demi à six mois (qui réussissent spécialement dans l'Ouest cochinchinois); pour les variétés « de saison », dont l'évolution demande de sept à huit mois (et qui sont plus fréquentes), comme pour les « riz flottants », la maturité n'est atteinte qu'en mars où avril. Dans les rizières hautes, on cultive généralement des variétés « hâtives », qui mûrissent en quatre ou cinq mois et sont rentrées en novembre ou décembre. Au Cambodge, des rizières de cette sorte, irriguées artificiellement, reçoivent une variété dite « de culture sèche » à évolution très lente, que l'on moissonne en avril ou mai (mais cette culture est relativement peu développée). On voit donc que le riz se récolte en Indochine d'octobre à juin, les plus grosses productions étant celles de février et avril, puis celles d'octobre et novembre. De très nombreuses — trop nombreuses, nous le constaterons dans un instant — qualités sont obtenues, et l'on ne compte pas moins de 2.000 espèces cataloguées, se caractérisant par la provenance, la forme du grain, son aspect physique, sa teneur en amidon, etc. Ces espèces se ramènent à deux séries : la série utilissima (comprenant tous les riz à grain dur, de cassure cornée et un peu translucide, non glutineux à la cuisson et renfermant beaucoup d'amidon) est la plus courante et constitue les riz alimentaires; la série glutinosa (à grain de cassure opaque, d'un blanc crayeux, contenant peu d'amidon non soluble mais une quantité appréciable d'amidon soluble) est connue aussi sous le nom de « riz gluants » et sert à la pâtisserie, à la confection de mets sucrés, à la préparation de colles et à la fabrication de l'alcool par distillation. La récolte faite, le « nhaqué » la bat à la main ou par « dépiquage » sous les pieds des boeufs ou des buffles, et, après avoir conservé sa provision, la livre à des commerçants, pour la plupart chinois. Ceux-ci entretiennent avec les cultivateurs des rapports incessants, leur consentant (à des taux presque toujours usuraires) des avances en


PRODUCTIONS AGRICOLES

121

campagne, et établissant avec eux des « comptes courants » règlent qu'au moment de la réception du riz; ils rassemblent souvent mélangent) tous les paddys, et les transportent aux décorti-

cours de qui ne se (et

queries. Nous reviendrons sur ces installations en étudiant l'industrie de la colonie. Il nous faut cependant indiquer dès à présent que leur rôle consiste à extraire le grain, le blanchir, le trier par catégories, et le mettre à

soit des négociants locaux pour la vente aux populations urbaines, soit des exportateurs. Elles se partagent en rizeries asiatiques (presque toutes chinoises) et en rizeries européennes. Les premières, concentrées à Cholon, ont joui longtemps d'un monopole absolu; elles travaillent encore très activement, mais avec des méthodes primitives et sans procéder aux sélections désirables: aussi leur prépondérance diminue-t-elle rapidement. Les secondes, en plein essor, ont été montées par de puissantes firmes et sont pourvues des perfectionnements les plus modernes; il s'en trouve également à Cholon, et il en a été créé dans plusieurs autres localités de Cochinchine, au Cambodge, en Annam et au Tonkin. Quant au commerce d'exportation, centralisé presque entièrement à Saïgon, il est exercé à la fois par des Chinois et par des maisons françaises. Nous avons dit quelles énormes transactions il engendre; les expéditions sont dirigées surtout vers la Chine et les entrepôts de Hongkong, et, pour un tonnage bien moindre, sur la France, le Japon, les Indes néerlandaises, les entrepôts de Singapore et les Philippines; elles consistent principalement en riz cargo et en riz blanc (avec leurs brisures et issues, improprement qualifiées « farines »), le paddy n'entrant que pour trois dixièmes dans leur poids total. L'exposé qui précède suffit à montrer la position dominante que le riz occupe dans l'économie de notre possession. Contrairement à une opinion trop commune, l'Administration française a largement contribué à l'extension et à l'amélioration de sa culla disposition

ture. Son action générale d'organisation et

de mise en valeur du pays, d'abord, a eu d'heureux effets dans ce domaine particulier. Les facilités nouvelles accordées aux ruraux par les précisions apportées au régime foncier ont permis à une foule de familles indigènes d'acquérir des terres et de


122

L'INDOCHINE

se consacrer définitivement aux travaux du sol. Les progrès de l'état sanitaire dus à notre politique d'hygiène et la vulgarisation de l'enseignement ont augmenté la main-d'oeuvre en quantité et en qualité. La création d'un système moderne de transports a accru considérablement les facultés d'écoulement du produit, tant à l'intérieur qu'à l'extérieur. Grâce à l'électrification du territoire, il a été possible d'installer des rizeries parfaitement outillées et usant de la technique la plus scientifique. Les opérations commerciales ont été rendues infiniment plus aisées et grandement stimulées par l'introduction d'une monnaie sûre et par l'institution d'établissements bancaires puissants. Enfin, par la constitution des organes de crédit foncier et, surtout, agricole dont nous avons parlé dans le chapitre précédent, une lutte opiniâtre a été entreprise contre l'usure qui accablait les « nhaqué », et leur capacité de production s'en est vue fortifiée, en même temps que leur a été procuré un réel « mieux-être ». Ces résultats ne pourront que progresser avec la continuation de notre oeuvre d'aménagement d'ensemble et de civilisation. Par ailleurs, des mesures intéressantes ont été prises en vue de multiplier les rizières et de perfectionner les conditions de leur exploitation. En premier lieu, les travaux d'hydraulique agricole que nous avons déjà signalés ont eu et ont encore des conséquences capitales. Il n'est pas de nation colonisatrice qui à cet égard ait fait en Extrême-Orient plus que la France en Indochine, et les programmes en cours d'exécution étendent d'au moins 30.000 hectares par an l'aire rizicole de la possession. D'autre part, les exploitants ont reçu des conseils et des appuis sérieux de nos services officiels (services généraux agricoles, entre autres), et des chambres d'agriculture, et d'utiles dispositions pratiques sont intervenues pour que leur labeur devienne plus efficace. Afin de relever la valeur marchande des riz indochinois, jugés inférieurs à ceux d'autres origines, un laboratoire de génétique et de sélection des semences fut fondé en 1913 à Saïgon, et l'on installa des stations expérimentales en divers centres (la plus connue étant celle de Cantho). Ces organes, qui agissent en liaison avec l'Institut de recherches agronomiques, ouvert en 1924 et secondé par des laboratoires excellents, ont étudié les moyens capables de réduire les variétés cultivées en ne retenant que


PRODUCTIONS AGRICOLES

123

types vraiment adaptés au terrain et au climat, et ont cherché à sélectionner les semences, soit par création de « lignées pures », soit par détermination d' « espèces moyennes » répondant à un ensemble de conditions minima. Ils ont commencé à céder aux cultivateurs des graines de choix (à raison d'un millier de quintaux par an, suffisant au repiquage de 1.200 les

hectares). Pour encourager les producteurs, on a, de 1923 à 1929, organisé des « concours de paddys », avec attribution de primes beaux lots de chaque province (ces en espèces aux exposants des plus manifestations viennent d'être remplacées par un concours limité aux possesseurs de stocks minima de 40 tonnes). On a diffusé dans les campagnes des appareils de triage grâce auxquels les paysans peuvent garder de leur récolte, en vue des plantations nouvelles, les grains les plus lourds et présentant des caractères bien spécifiés de longueur et d'épaisseur. On s'est attaché, enfin, à dégager les façons culturales les plus convenables et à discerner les engrais les plus actifs, et l'on a vulgarisé l'utilisation des phosphates naturels. Il faut noter également que de très beaux progrès ont été accomplis dans le traitement des paddys sous l'influence des maisons françaises. Par un équipement remarquable, elles arrivent maintenant à préparer des produits de qualité nettement supérieure. Certaines, en outre (et avant toutes la Société française des distilleries de l'Indochine dans son usine de Hanoï), ont monté des trieurs qui laissent aux cultivateurs voisins la faculté soit de se procurer chez elles des semences de premier ordre, soit d'y faire trier leur récolte personnelle. Cette initiative a amené le gouvernement général à installer un outillage analogue à la station de à 1.400

Cantho.

Pour utile qu'elle soit, l'oeuvre réalisée jusqu'ici est cependant encore loin de son terme. Bien des imperfections, en effet, restent à corriger dans la riziculture indochinoise. La plus grave est la médiocrité de ses rendements, qui se fixent aux

de 12 quintaux à l'hectare, et n'atteignent 20 quintaux que dans les rizières à deux récoltes des deltas du Tonkin et du Nord Annam. Ces chiffres sont les plus mauvais du monde avec ceux du Siam et de la Birmanie. Il ne saurait, à la vérité, être question de les porter aux 50 quintaux obtenus en Italie, ni aux 58 quintaux auxquels arrive l'Espagne, car en Europe les terres sont soumises à un assolement régulier dont environs


124

L'INDOCHINE

toutes les « soles » payent, et sont l'objet d'une culture intensive, ce qui ne peut pas être le cas dans notre colonie. Mais la comparaison est légitime avec les autres contrées d'Extrême-Orient placées dans une situation équivalente : or, les rendements moyens annuels touchent 17 quintaux aux Indes anglaises, 20 quintaux à Java, et plus de 30 quintaux (parfois même 40) au Japon. On explique notre handicap par la précarité de certaines irrigations, la qualité médiocre de la plupart des semences, et l'absence d'engrais appropriés à la nature du sol. Les réseaux d'irrigation sont actuellement établis et entretenus aux frais exclusifs de l'État, et sont gérés en une forme administrative à laquelle les usagers n'ont aucune part. Il en résulte que les décisions destinées à assurer la distribution optima de l'eau n'interviennent pas toujours en temps voulu, et que les dispositifs de détail que comporte inévitablement tout système d'irrigation font trop fréquemment défaut. Malgré les efforts que nous avons relatés, la sélection des semences est encore dans l'enfance, puisqu'elle ne satisfait qu'à 0,25 p. 1.000 des plantations totales. Les techniciens les plus avertis pensent que les lignées pures conduiront à des mécomptes, parce qu'elles s'altéreront très rapidement dans les climats équatoriaux chargés d'humidité (où les fleurs, trop longtemps ouvertes, seront fécondées par des pollens étrangers que transporteront le vent ou les insectes) et parce que, de constitution rigide, elles s'accoutumeront mal au milieu local. Ils croient que seule sera pratique la « sélection massale », créant des variétés moyennes par la multiplication annuellement répétée de types non identiques mais similaires, ayant un ensemble de caractéristiques convenant à leur affectation future; cette sélection est tout juste commencée. Quant aux engrais, en dehors du recours aux phosphates minéraux, il paraît nécessaire d'accentuer la teneur en azote des plaines alluvionnaires par des tourteaux ou du sulfate d'ammoniaque, les déjections de bétail, fumures de village et décompositions de chaumes et pailles étant indubitablement insuffisantes, et il serait bon aussi d'ajouter au sol de la potasse et de la chaux. Mais les doses et modes d'emploi ne sont pas dits d'engrais précisés, qu'il s'agisse d'épandages échelonnés encore ou complets. Par suite des différences excessives qui se manifestent dans les paddys


Les jardins de la pagode de Vat-mai Ă Louang-prabang.

THÉRY,

Pl. XIX, p. 124.


Carte économique.

THERY.

PL XX, p. 125


PRODUCTIONS AGRICOLES

125

que leur remettent en vrac et pêle-mêle les courtiers chinois, les usines de traitement travaillent une matière trop peu homogène, en dépit de

compliqués et onéreux; réglés pour des grains de dimensions constantes, leurs décortiqueurs, blanchisseurs et polisseurs donnent une forte proportion de déchets et de brisures. Quelques firmes européennes les éliminent par un affinage spécial et classent leurs fabrications en lots sévèrement spécifiés. Mais les exploitations asiatiques, d'ailleurs moins bien dotées en matériel, n'observent pas toutes ces précautions et sortent. des riz mélangés, manquant de « fixité commerciale », et souvent en état défectueux. La conséquence est que la marchandise indochinoise est décotée », que même ses choix supérieurs (qui valent les meilleurs) ne « peuvent se vendre que sous des noms d'emprunt, qu'il ne s'est pas ouvert à Saïgon le marché international justifié par l'importance de l'exportation, et que de vives attaques dirigées contre la denrée de notre colonie par ses concurrents néerlandais, siamois et birmans risquent de lui fermer des débouchés, notamment à Hong-kong. Des remèdes sont heureusement possibles à cette situation, et l'on commence à appliquer un plan rationnel de redressement, élaboré par M. Yves Henry, inspecteur général de l'agriculture, de l'élevage et des forêts en Indochine. Ce plan implique une collaboration intime et permanente des producteurs, des consommateurs locaux, des exportateurs, des usiniers et de l'administration. En ce qui concerne l'irrigation, il prévoit, d'abord, qu'une étude agronomique accompagnera l'établissement de tous les avant-projets et projets de travaux d'hydraulique agricole; ensuite, que chaque réseau de canaux sera géré par un conseil autonome, comprenant les ingénieurs chargés de son exploitation technique, les délégués des usagers (groupés en syndicat), un représentant de la Banque de Crédit agricole dans la circonscription de laquelle il sera placé, et, le présidant, le chef de la province; un réseau formera ainsi une cellule, disposant d'un budget spécial (alimenté par une redevance sur l'eau ou une taxe superficiaire) et pouvant recevoir par l'intermédiaire de son syndicat des avances du Crédit agricole. Pour mettre au point les problèmes de la sélection des semences et de la discrimination des fumures, le projet a préconisé la création, depuis peu réalisée, d'un Office dit riz Indochinois, possédant sa person-

triages

THÉRY.

9


126

L'INDOCHINE

nalité civile et son indépendance administrative et financière, et dirigé par un conseil composé des chefs des services d'agriculture, de riziculteurs français et indigènes, de délégués de l'industrie, du commerce et de la banque, et de l'inspecteur général de l'agriculture, représentant le gouvernement général. Cet office aura à ses côtés une station centrale (pourvue de laboratoires) et des stations régionales. En communion avec les organes déjà existants et par ses moyens propres, il procédera à toutes investigations et expérimentations opportunes, et diffusera ses conclusions soit par action directe auprès des cultivateurs, isolés ou, de préférence, réunis en syndicats, soit par des conseils aux négociants et aux usiniers, soit en provoquant, le cas échéant, des interventions des autorités officielles. Son rôle, au surplus, ne se limitera pas à la technique pure; il jettera les bases d'une politique générale méthodique du riz, tendant non seulement à perfectionner les irrigations, semences, façons culturales et engrais, mais encore: à favoriser l'allocation par les acheteurs de primes aux producteurs des meilleures qualités; à amener les intermédiaires à ne pas détruire par des manipulations ou des mélanges en cours de transport les résultats acquis par la culture; à inciter les usiniers à s'orienter vers la fabrication de « standards »; à stimuler le mouvement décentralisateur qui se marque déjà par la multiplication de petites rizeries provinciales (diminuant les causes de détérioration du paddy en réduisant ses déplacements); à prendre langue avec les industries susceptibles de livrer des engrais et avec la clientèle étrangère, actuelle ou éventuelle; à veiller à l'aménagementle plus adéquat du crédit, des tarifs douaniers, etc. Le Conseil des intérêts économiques et financiers institué près du gouverneur général a décidé que des ressources seront fournies à l'Office par une majoration du droit de statistique aux entrées et aux sorties. L'action de ce nouvel organe et la prochaine entrée en vigueur d'autres mesures aideront sûrement à développer la prospérité de la riziculture indochinoise et, par contre-coup, la puissance économique de la colonie.

aussi La plupart des céréales d'Europe poussent — dans le nord de l'Indochine, notamment le blé, l'orge, le sarrasin, le

CÉRÉALES DIVERSES.


PRODUCTIONS AGRICOLES

127

et et le maïs, et l'on trouve en Annam et en Cochinchine quelques de manioc. Cependant, les quatre premières catégories et la sixième ne rencontrent pas des conditions climatiques très favorables, et sur production, modeste, ne laisse pour le manioc qu'un faible excédent exportable (2 millions de francs par an), compensé par une importation resque égale de farines du même végétal; elle équilibre les besoins locaux champs

minimes) pour l'orge, le sarrasin et le millet, et est nettement érieure à la demande de la possession pour le blé, dont la consommaon augmente parallèlement à l'accroissement de la population européenne t dont il est acheté au dehors (en farines de froment) pour une cinquanine de millions de francs par exercice. Le maïs, au contraire, vient admirablement, surtout au Tonkin, où 'on fait souvent deux moissons dans l'année. Les indigènes l'ont toujours ltivé, mais, sous notre influence, ils ont considérablement élargi les uperficies qui lui sont consacrées. Jusque vers 1905, les récoltes n'en ermettaient aucune exportation et, dès 1913, on put expédier .300.000 quintaux hors des frontières; depuis la guerre, une régression es sorties a été constatée en raison de l'augmentation de la consommation térieure, et parce que la France, qui est le principal débouché des aïs indochinois, en achète moins, usant plus volontiers d'autres céréales provenance de l'Afrique; les expéditions annuelles sont pourtant encore e l'ordre de 600.000 quintaux, et procurent une recette moyenne de lus de 40 millions de francs, portée à 90 millions en 1928 grâce à une coite exceptionnelle. Comme pour le riz, les variétés sont extrêmement nombreuses, attelant parfois de grandes dimensions sur les hauts plateaux, plus réduites eneralement dans les plaines. Les grains deviennent rarement volumieux, mais leur densité est remarquable, et l'on s'accorde à louer leur

d'ailleurs

ualité.

L'Administration

a efficacement contribué à l'essor de cette culture, abord par l'organisation d'ensemble que nous avons rappelée ci-dessus, uite par des interventions directes des ingénieurs de ses services icoles et de ses stations expérimentales. Celles-ci ont consisté surtout des conseils aux indigènes sur la discrimination des terrains à planter maïs, en leur éducation quant aux façons culturales et à l'emploi des tuments aratoires (charrues et herses) et des engrais, en des recherches


128

L'INDOCHINE

sur la sélection des semences, en des distributions de graines, et en la mise en oeuvre d'une lutte systématique contre les maladies cryptogamiques et les ravages des insectes. Ainsi que le prouvent les chiffres que nous avons cités, notre action a eu de bons résultats; il ne semble toutefois pas que la production indochinoise de maïs soit destinée à progresser encore beaucoup à l'avenir, car ses débouchés restent limités. Au niveau auquel elle est parvenue, elle constitue, néanmoins, un excellent élément de prospérité.

— Traditionnellement, les races les plus évoluées du Tonkin, de l'Annam, de la Cochinchine et du Cambodge ont pratiqué à proximité de leurs agglomérations des cultures dites vivrières, pour satisfaire à leurs besoins personnels; elles portent presque exclusivement sur les patates, les haricots, l'arrowroot, l'igname, etc. Conduites longtemps selon les méthodes les plus arriérées, elles sont maintenant en complète évolution, sous l'effet, à la fois, des indications techniques prodiguées par nos agents, de facilités nouvelles d'irrigation et d'arrosage dues à l'électrification de nombreux centres, d'une sélection plus logique des espèces, et des bénéfices croissants qu'en tirent les exploitants qui, grâce à l'enrichissement de la possession et à l'amélioration générale des conditions d'existence qui en découle, ne se bornent plus à produire en vue de leur consommation familiale et livrent des quantités intéressantes aux marchés des villes voisines. Sans doute, cette transformation n'a pas, quant à présent, de répercussion sur le commerce d'exportation, et l'Union reste encore déficitaire pour les légumes frais, secs, confits ou conservés (à raison de 35 millions de francs par an en moyenne) et les pommes de terre (à raison de 2 a 3 millions de francs par an), seuls les haricots secs étant un article de vente à l'extérieur (pour 3 millions de francs annuellement). Mais on peut espérer que la situation se redressera assez promptement, d'autant que, à mesure de la fixation au sol des populations semi-nomades, nos résidents provoquent la création de cultures vivrières aux abords des nouveaux CULTURES VIVRIÈRES, MARAÎCHÈRES ET FRUITIÈRES.


PRODUCTIONS AGRICOLES

129

dans des espaces expressément réservés à cet effet, et que les entreprises titulaires de vastes concessions rurales en organisent également au profit de leurs salariés. Une tendance très nette se dessine, au surplus, qui confère peu à peu à la production de la patate un caractère complémentaire de celle du riz, la première remplaçant la seconde dans certaines terres lorsque l'état atmosphérique lui paraît plus propice (aux époques de sécheresse accentuée, par exemple). A l'instar de la plupart des pays d'Extrême-Orient, l'Indochine ne connaissait guère les légumes verts de saison lors de notre installation. Les Européens les ont introduits chez elle par goût et par nécessité hygiénique, et des cultures maraîchères sont faites maintenant dans les banlieues des villes. L'administration s'attache avec succès à les encourager. Elle est allée villages

même jusqu'à

en réaliser dans quelques-unes de ses stations expérimentales, dans le double but de pourvoir tout de suite à l'alimentation des colons et de déterminer les normes optima à observer. Réfractaires au début, les indigènes ont « emboîté le pas » à leur tour. A la vérité, cette activité, d'origine récente, n'aura jamais qu'une portée locale et, par conséquent, relativement restreinte; elle est cependant à noter, parce qu'elle aidera à améliorer la vie courante des blancs. S'inspirant d'un souci analogue, nos services agricoles cherchent aussi a acclimater la culture des arbres fruitiers des zones tempérées dont la possession était pratiquement privée. Les premières tentatives datant seulement de 1924, on n'en est qu'à la phase des essais et des tâtonnements. Il y a pourtant lieu de souligner que la fructification des pêchers et pruniers hybrides importés d'Europe et du Japon a répondu aux espérances, que les variétés enracinées ont pu être multipliées par la greffe, et que les perspectives sont favorables. Ici encore on ne saurait s'attendre à ce que des richesses supplémentaires soient mises à la disposition des exportateurs : mais l'extension des vergers apportera une diversité plus agréable à l'alimentation du territoire, et permettra de ne plus acheter à haut prix des fruits médiocres, qui Pèsent annuellement pour 10 à 12 millions de francs sur la balance commerciale.


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L'INDOCHINE

— L'Indochine est un très gros producteur de poivre, cultivé par les indigènes en Cochinchine, au Cambodge et quelque peu aussi dans le sud de l'Annam. Exploité depuis des centaines d'années, il devint un objet d'exportation à partir du XVIIIe siècle. Ses plantations se sont énormément développées depuis notre occupation, et les rendements en ont été accrus et régularisés en même temps que la qualité en a été sensiblement améliorée, grâce à des sélections successives, à une défense plus énergique contre les maladies, à des traitements perfectionnés; tous ces progrès sont dus aux leçons de nos techniciens. Les expéditions de poivre vers l'extérieur s'élèvent actuellement à plus de 40.000 quintaux par an, dont la valeur (réduite maintenant en raison de la chute des cours) a atteint plus de 70 millions de francs en 1928; les quatre cinquièmes en sont dirigés sur la France. Parmi les autres cultures « coloniales », il faut citer encore celle du cannelier, pratiquée aussi par les indigènes dans les États méridionaux, principalement dans la région Moi. Elle n'a pas pris une ampleur comparable à celle du poivrier, et la vente de sa récolte est presque exclusivement aux mains des Chinois. Des études sont entreprises en vue de stimuler l'exploitation de cette richesse. En 1927, une Station expérimentale de quinquina a été créée en Annam pour y introduire méthodiquement diverses variétés de ce végétal si précieux à la santé humaine. L'institution de cette culture est une oeuvre de trop longue haleine et comporte des risques excessifs pour pouvoir, sauf de rares exceptions, être réalisée par des particuliers : c'est pourquoi l'administration a décidé de la poursuivre elle-même, dans le dessein d'obtenir un abaissement sérieux du prix des écorces. Pour le premier exercice, 9 hectares furent mis en culture, dont 1 de pépinière et 3 de repiquage. La réussite des semis ayant été remarquable, de nombreuses analyses de terres ont été effectuées afin de déterminer celles qui seraient aptes à donner la production cherchée; quatre lots, suffisamment espaces de suite été réservés à la empêcher l'hybridation des plants, ont pour ces travaux: ils mesurent ensemble 7.500 hectares. Grands consommateurs de thé, les habitants du Tonkin et de l'Annam CULTURES TROPICALES.


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ont depuis les époques les plus reculées cueilli, au fur et à mesure de leurs besoins, les feuilles des arbustes poussant naturellement. Mais, faute de soins culturaux appropriés et en raison de procédés déplorables de séchage et de traitement, à cause, également, de fâcheux mélanges lors des expéditions, leur produit est demeuré de qualité fort inférieure, les

rendements ont toujours été lamentablement insuffisants, et l'Union se voit encore dans l'obligation d'importer annuellement (en majeure partie de Chine) 15.000 quintaux de la denrée, entraînant un décaissement de près de 40 millions de francs. Cette situation est appelée à changer à bref délai, grâce à notre colonisation. En effet, postérieurement à la guerre, des groupes français puissants ont résolu d'établir des plantations de théiers selon les méthodes en vigueur à Java. Ils ont prospecté certaines zones du Tonkin et les terres rouges du Centre-Annam (principalement dans les provinces de Kontum, du Darlac et de Quang-nam), et à l'heure actuelle trois sociétés (Société des thés de l'Indochine, Compagnie agricole des thés et cafés du Kontum, Société agricole du Kontum) ont déjà investi dans cette entreprise un capital de plus de 15 millions de francs et mis effectivement en valeur plus de 1.000 hectares. Commencées en 1924, les plantations n'entreront véritablement en rapport qu'à dater de l'année prochaine; elles se présentent dès maintenant sous l'aspect le plus satisfaisant, récompense du soin avec lequel ont été choisies les espèces (d'après les expériences des Indes néerlandaises) et avec lequel ont été menées toutes les opérations, en collaboration avec des spécialistes anglais et hollandais. On aura une idée de la complexité de la tâche abordée quand on saura que ces opérations consistent en défrichements, tracé de pistes et constructionde routes, édification d'habitations pour le personnel, création de pépinières, labours, plantations, etc. Parallèlement à l'organisation agricole, ces firmes montent des installations industrielles destinées à assurer une préparation parfaite des feuilles. Elles jettent également les bases d'un service commercial solide, qui aura pour mission de faire apprécier et adopter leurs « marques » par la clientèle américaine et européenne en s'inspirant des moyens si judicieusement employés par les producteurs de Ceylan. Cet effort prometteur est observé avec beaucoup d'attention par d'autres colons, qui se sont fait attribuer dans les mêmes régions de très vastes concessions encore laissées en sommeil, et qui se lanceront délibéré-


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L'INDOCHINE

ment dans la culture du thé si les tentatives en cours sont couronnées de succès. Simultanément, nos fonctionnaires travaillent à améliorer la production indigène et à réprimer les fraudes dont elle est affectée. Des espoirs sont donc entrevus dans ce domaine, d'autant que tout autorise à pronostiquer l'issue heureuse des essais que nous relatons ici. La colonie tirera profit de ces réalisations, à la fois parce qu'elle sera affranchie du tribut payé à la Chine pour les importations actuelles, et parce qu'elle prendra rang parmi les États exportateurs. Une difficulté, toutefois, pourrait entraver l'expansion rapide des exploitations en voie de formation : les contrées qui leur sont les plus propices sont aussi entre les moins peuplées de l'Indochine, et la maind'oeuvre, assez abondante, que requiert la culture scientifique du thé y fait défaut. Heureusement il est possible de recourir à des cadres néerlandais, et le recrutement volontaire des coolies dans les provinces à densité élevée deviendra aisé lorsque des services réguliers de transport leur permettront de retourner commodément dans leurs foyers à intervalles périodiques. Nous apercevons ici pour la première fois, dans notre revue des possibilités agricoles de la possession, ce problème de la main-d'oeuvre : nous aurons à en reparler, mais nous devons sans attendre davantage dire que sa solution ne se heurte à aucun obstacle insurmontable. L'histoire du café offre, en Indochine, beaucoup d'analogies avec celle du thé. Très amateurs de cette boisson, les autochtones ont toujours exploité le caféier, mais fort mal. Ils arrivent assurément à suffire aux besoins de leur consommation (ce qui n'est pas le cas pour le thé), et depuis quelques armées, grâce aux conseils de nos ingénieurs agronomes (qui ont provoqué la sélection des plants, l'amélioration des façons culturales, la protection contre les maladies), disposent d'un léger excédent pour l'exportation. Des résultats infiniment plus importants semblent, pourtant, susceptibles d'être obtenus par l'application de méthodes encore plus rationnelles. Déjà des plantations étendues ont été constituées au Tonkin et en Annam par des colons français, et les groupes qui se consacrent au développement du théier se sont également orientés vers celui du caféier en exécutant à son sujet des travaux préparatoires comparables. Le labeur de nos compatriotes se traduit aujourd'hui par la mise en culture de plus


Hanoï

THÉRY.

:

la rue de la Soie.

Pl. XXI, p. 132.


Hanoï

Cl. Sociétéfrançaise des Distilleries de l'Indochine.

:

vue générale des usines de la Société française des Distilleries de l'Indochine.


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hectares; le quart, à peine, en est en production, et des attaques cryptogamiques désormais conjurées ont, au début, causé d'assez graves dégâts aux jeunes pousses, mais les exportations montent maintenant à 5.000 quintaux par an, valant environ 5 millions de francs, et d'ici trois ou quatre exercices ces chiffres seront largement dépassés. De même que pour le thé, les pionniers européens du café indochinois auront de multiples imitateurs quand des bénéfices consacreront leur courageuse initiative. Les problèmes de main-d'oeuvre indiqués précédemment se poseront à leur tour à eux : ils pourront être résolus identiquement. Là aussi de bonnes perspectives s'ouvriront donc à notre possession, du moins lorsque le marché de la denrée sera sorti de la crise qui l'affecte actuellement dans le monde entier. Plusieurs concessionnaires du Sud-Annam et de quelques provinces de Cochinchine et du Cambodge se préoccupent d'acclimater le cacaoyer. Les études préliminaires conduites jusqu'à présent laissent penser qu'une activité féconde pourra également s'exercer dans cette direction : les réalisations ne sont cependant point assez avancées pour asseoir des prévisions réellement fondées. Le climat de notre colonie asiatique n'est pas particulièrement favorable aux arbres fruitiers exotiques qui prospèrent dans d'autres pays tropicaux. On trouve cependant, dans le Sud-Annam, en Cochinchine et au Cambodge, des manguiers, des pamplemousses, des bananiers, des aréquiers (sortes de palmiers-dattiers), et même des orangers. Ces cultures sont généralement pratiquées par les indigènes à titre subsidiaire dans les jardins entourant leurs habitations, et (sauf pour les manguiers, les bananiers et les aréquiers) ne sont pas l'objet de véritables plantations. De nombreuses maladies les ont, d'ailleurs, décimées à maintes reprises. Grâce à l'intervention de nos stations expérimentales, quelques progrès ont été accomplis récemment à cet égard, et l'on constate un développement relatif de la production (notamment des bananes, consommées sur place ou converties en farine et exportées sous cette forme). Il ne faut pas compter qu'elle vienne jamais sur les marchés européens, trop éloignés : il y a néanmoins là une source de richesse à ne pas négliger, car des débouchés se présenteraient à elle, dans les États de l'Union, d'abord, puis dans la plupart des grands centres d'Extrême-Orient. de 15.000


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L'INDOCHINE

La situation est sensiblement pareille en ce qui concerne les oléagineux. Des plantations assez intéressantes de cocotiers se rencontrent en Cochinchine et dans plusieurs districts du Cambodge, et il s'en crée depuis peu en Annam méridional. On en tire des noix de coco, de l'huile de coco et surtout du coprah, dont il est exporté annuellement une centaine de milliers de quintaux, valantenviron 20 millions de francs. Leur culture, pratiquée ordinairement par les Asiatiques, est malheureusement malhabile, et les procédés d'extraction employés par les petits négociants chinois qui achètent les fruits sont très rudimentaires, ne donnant que 540 kilogrammes d'huile par hectare, alors que les méthodes industrielles rendent plus de 660 kilogrammes. Un effort est amorcé pour étendre cette exploitation: des primes et des exonérations d'impôts sont accordées aux planteurs, et une usine française a été mise en marche en Annam, qui travaille à la perfection. Le ricin couvre des espaces étendus au Tonkin et en Annam, et sa récolte fournit des graines et de l'huile laissant un solde supérieur de 3 millions de francs par an aux besoins locaux. Au Tonkin encore on trouve des arachides et du sésame, dont les exportations globales (en graines et huiles) atteignent 2 millions et demi de francs par exercice, mais leur importance n'a aucun rapport avec celle des mêmes produits en Afrique; elle semble devoir s'accroître assez sensiblement, sans qu'on puisse songer à la pousser autant que dans nos territoires du Continent noir. Nous ajouterons enfin, pour en terminer avec ce groupe, que l'on s'applique à introduire dans l'Union l'eloeis, qui a admirablement réussi à Java, et qui sera susceptible de donner en Cochinchine une excellente huile de palme. Parmi les autres ressources exotiques du sol indochinois, il y a lieu de mentionner diverses plantes à parfum, dont l'exportation, principalement en essences fabriquées sur place, s'élève à 4 ou 5 millions de francs pat an et se développera probablement dans un avenir assez proche. Le premier rang en est occupé par la badiane (ou anis étoile), fruit d'un arbuste importé de Chine et cultivé dans le Haut Tonkin. Les Annamites la distillent dans des alambics assez primitifs mais fort ingénieusement conçus et de bon rendement, après l'avoir préalablement séchée au soleil. Une usine a été construite par les Établissements Antoine


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pour raffiner l'essence indigène, et une autre affaire européenne s'est constituée pour effectuer la culture, le traitement et le commerce de ce produit. Depuis quelques années, la préparation d'essences de verveine-citronnelle et de lemon-grass, extraites par distillation des tiges et feuilles de différentes graminées, s'est fortement accrue, sous l'impulsion, notamment, de la Société des cultures tropicales (qui a monté une installation pouvant livrer annuellement 30.000 litres) et de deux autres firmes françaises, les maisons Fiart et M. Murat. On commence aussi, en Cochinchine, en Annam et au Cambodge, à préparer par distillation l'essence de vétiver, à partir d'un chiendent dont les autochtones se servent pour parfumer leur linge et pour confectionner des brosses, des corbeilles, des parasols, des stores et des nattes odoriférants ». On entreprend la fabrication de l'essence de cajeput « (connue en pharmacie sous le nom de goménol) à l'aide des feuilles d'un arbuste qui abonde en Annam. On produit, enfin, une essence de bruyère par traitement des feuilles de végétaux du Tonkin et de l'Annam qui, malgré leur appellation, n'ont rien de commun avec nos bruyères d'Europe. Chiris

— L'indigo est cultivé sur de petites surfaces disséminées en Annam. Des études sont engagées pour en intensifier et perfectionner l'exploitation par des méthodes scientifiques. Mais tout se limite pour l'instant à des tâtonnements dont il est impossible de prévoir la conclusion. Au contraire, depuis l'occupation française, les plantations de canne à sucre ont pris de l'essor, particulièrement au Tonkin et en Annam. Les indigènes connaissaient de longue date ce végétal, mais le cultivaient maladroitement et ne s'en servaient guère que pour le consommer directement à l'état frais. Des avis répétés, appuyés de démonstrations objectives et de distributions de semences sélectionnées, ont augmenté leurs rendements et, améliorant la qualité des récoltes, ont permis de les employer à la fabrication des sucres et des rhums. Puis, des entreprises européennes ont constitué de toutes pièces des domaines et organisé des sucreries, raffineries et distilleries comparables aux plus belles de nos CULTURES INDUSTRIELLES.


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colonies proprement sucrières (Antilles et Réunion), de Cuba et de Haïti. Ces initiatives se sont heurtées à de grosses difficultés, tenant au défaut d'éducation de la main-d'oeuvre, à sa répugnance pour différentes manipulations, à la non-adaptation de certaines variétés, à des accidents climatiques, à des maladies. Les résultats financiers de plusieurs affaires en ont été affectés; grâce à la fermeté des capitalistes qui les soutenaient, la plupart des obstacles ont pu être surmontés. Certes, l'Indochine reste loin de pourvoir à ses besoins (et doit acheter au dehors près de 200.000 quintaux par an, valant de 80 à 100 millions de francs); mais elle exporte de son côté de 50.000 à 100.000 quintaux de sucre par an (principalement de sucre brun), valant de 7 à 12 millions de francs, et une dizaine de milliers d'hectolitres de rhum, valant de 10 à 12 millions de francs. Il est permis de supposer que ce n'est là qu'un début, des débouchés sérieux s'offrant à ces denrées sur tous les marchés asiatiques. Les espèces textiles sont multiples dans la possession, mais pour beaucoup d'entre elles (chanvre, lin, ramie, aloès), l'exploitation est demeurée fort primitive, bornée — ou presque — à la satisfaction des besoins familiaux. Aussi l'Union est-elle déficitaire en fils de chanvre, lin et ramie, dont l'importation lui coûte une quinzaine de millions de francs chaque année. Des études sont en cours pour atténuer cette infériorité: rien de positif n'en est encore sorti. Planté un peu partout autour des habitations et des cultures, le kapokier alimente un commerce plus actif, se chiffrant annuellement aux exportations par 5.000 quintaux (à peu près entièrement égrenés) valant approximativement 6 millions de francs, la majeure partie de la production étant utilisée dans le pays. Il est procédé à l'essai de plantations industrielles dans quelques concessions de la Cochinchine et du Cambodge. On rencontre également dans le Sud-Annam des agaves analogues au sisal, dont la feuille donne une fibre apte à la confection de ficelles pour les moissonneuses-lieuses, et laisse un jus pouvant, après distillation, produire un alcool capable de servir de carburant pour les moteurs. Une Société s'est formée récemment en vue d'en tenter la culture métho-

dique. Pratiquée dans le Tonkin et le Nord-Annam, l'exploitation du jute est restée longtemps aussi peu poussée que celle du chanvre et de la


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ramie, et, comme elle, essentiellement familiale. Elle prend actuellement

l'extension sous la pression de besoins naissants; cette matière est, en effet, indispensable à la fabrication des sacs nécessaires au commerce du riz, et les importations indochinoises de tissus de jute s'élèvent à une quarantaine de millions de francs par an. Jusqu'ici, la production locale avait pour seul débouché la préparation des chaînes des métiers à tisser les nattes en jonc, parce que les récoltants, se refusant à effectuer le rouissage », se contentaient de décortiquer les tiges, les gratter au cou« teau, les sécher au soleil, et en extraire les fibres à la main. Des colons français du Nord-Annam ont réussi, par un système de métayage, à faire rouir le jute et à en obtenir d'assez grosses quantités, qu'achètent des ateliers européens de filature et de tissage récemment créés, et un effort se poursuit en vue de développer cette activité. Des obscurités subsistent malheureusement sur son avenir, parce que le recrutement de la main-d'oeuvre qu'elle exige est laborieux, et que nombre de terrains lui convenant peuvent être utilisés de façon plus rémunératrice. Le coton se trouvait à l'état naturel dans le Cambodge et dans plusieurs provinces de la Cochinchine, de l'Annam et même du Tonkin : on a cherché à organiser méthodiquement sa mise en valeur. Celle-ci serait d'un intérêt économique considérable, d'abord parce que l'Indochine est large consommatrice de tissus et fils de coton (leurs importations annuelles montant net à environ 250 millions de francs), ensuite parce qu'une industrie textile importante s'y est établie depuis la guerre, en troisième lieu parce que des débouchés presque illimités s'ouvrent à cette matière (brute ou égrenée) dans tout l'Extrême-Orient (l'éloignement de l'Europe rendant, à l'inverse, douteuse la possibilité d'exportations massives vers les puissances occidentales), enfin parce que certaines variétés semblent pouvoir précéder dans beaucoup de terres la culture du riz et en accroître ainsi le rapport bénéficiaire. Sous l'impulsion de plusieurs de nos compatriotes et avec le concours effectif des services officiels et de l'Association cotonnière coloniale, des résultats encourageants ont été obtenus; on a institué — principalement au Cambodge, mais aussi en Cochinchine et en Annam bien plantations des — aménagées (exploitées soit directement par les entreprises européennes, soit en métayage), édifié des centres d'égrenage perfectionnés, et déjà une portion de l'approvisionnement de l'industrie textile de la colonie se de


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fait à l'intérieur du territoire, tandis qu'un léger courant d'exportations s'est dessiné à destination de Hong-kong et du Japon. Il reste cependant beaucoup à faire dans cet ordre d'idées, car les achats extérieurs de coton et laine continuent à être trois fois plus considérables que les expéditions dont nous venons de parler, et coûtent net, selon les années, de 12 à 30 millions de francs; la détermination des qualités répondant le mieux au sol et au climat est sérieusement conduite, et l'on s'attache à résoudre les problèmes que posent la réunion et la mise au courant de la main-d'oeuvre, et à discriminer les formules les plus adéquates à adopter pour la constitution des entreprises; à ce dernier point de vue, on paraît s'orienter vers le métayage de préférence à l'industrialisation de la culture du cotonnier, mais la période préliminaire n'est pas close, et il serait prématuré de témoigner de trop d'optimisme quant à la rapidité des réalisations à escompter. Fumeurs impénitents, les habitants de tous les États de l'Union ont toujours cultivé le tabac sur une assez vaste échelle. Pendant des années, ils le traitèrent par des procédés simplistes pour leur consommation familiale; mais à notre contact ils en ont fait une ressource complémentaire, devenue l'objet d'échanges importants par l'intermédiaire de la Régie que nous avons établie. Celle-ci n'achète pas seulement la production à des prix favorisant son extension : elle se tient en relations permanentes avec les planteurs, surveillant et guidant leurs travaux et contribuant à l'accroissement des rendements et à l'amélioration des qualités, dont certaines, vraiment excellentes, font maintenant prime. Le pays demeure toutefois fortement déficitaire, ses importations de cigarettes, tabac en paquets, cigares et tabacs en vrac atteignant au total plus de 30.000 quintaux par an, d'une valeur de 60 à 70 millions de francs (dont 80 p. 100 en provenance de la métropole et des autres possessions françaises, particulièrement de l'Algérie). On constate même une tendance à substituer le tabac algérien aux tabacs indigènes dans les milieux européens et parmi les classes annamites aisées : elle ne sera entravée que dans la mesure où les progrès signalés ci-dessus s'affirmeront. Notre revue des cultures industrielles indochinoises se serait arrêtée là il y a un quart de siècle. Elle doit aujourd'hui comporter encore un paragraphe, relatif au caoutchouc de plantation qui, haussé en 1927 et 1929 au deuxième rang des exportations de la possession, a été entiè-


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introduit par la colonisation française, avec une persévérance digne des plus vifs éloges. Il existait des caoutchoutiers sauvages dans les forêts, dont les produits de cueillette récoltés par les autochtones donnaient naissance à un trafic modeste; mais la préparation du « latex » en feuilles ou en crêpes était défectueuse et très inégale, et aucun essor ne semblait réservé à cette exploitation, lorsque, en 1897, furent placés « en observation » quelques pieds d' « hevea brasiliensis ». Leur réussite fut absolue, et de savantes études ne tardèrent pas à prouver que les terres rouges du nord de la Cochinchine, du sud-est du Cambodge et du sud-ouest de l'Annam, ainsi que certaines terres grises des mêmes régions, se prêteraient admirablement à leur développement. On reconnut également que la durée de la saison sèche (de trois mois en moyenne) préserverait les arbres des cruelles maladies cryptogamiques qui les attaquent dans les contrées à pluies ininterrompues, et l'on vérifia que la main-d'oeuvre nécessaire pourrait être fournie aisément par les populations de l'Union, aussi bien en effectifs que sous le rapport de l'habileté technique. Ces considérations incitèrent des colons à se lancer hardiment dans la constitution de plantations à dater de 1900. Le geste était audacieux, car de lourdes immobilisations de capitaux étaient à prévoir, non seulement pour l'obtention des concessions, mais aussi pour leur aménagement (débroussaillement, labours, installations de pépinières, repiquages, construction de voies de communication, de logements et de bâtiments industriels, contrats individuels à passer avec les techniciens à appeler des Indes néerlandaises ou de la Malaisie, contrats collectifs de travail à conclure avec les coolies à recruter au Tonkin, services sanitaires à monter intégralement avec, pour complément, des cultures vivrières, etc.), M parce qu'un délai minimum de sept années devait s'écouler entre les premières dépenses et le début des ventes. De telles difficultés n'arrêtèrent pas ces vaillants précurseurs, et dès 1907 on commença à expédier (surtout en France) quelques centaines de quintaux de caoutchouc de plantation, ce chiffre étant porté à plusieurs milliers de quintaux à rement

de 1910. La guerre enraya le mouvement si fermement dessiné, et au lendemain de l'armistice crise pénible (due à la faiblesse des cours de la matière

partir

sur

les

une marchés mondiaux) fit craindre qu'il ne fût irrémédiablement


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compromis. Des secours (sous forme de crédits exceptionnels libéralement accordés par le gouverneur général Maurice Long) vinrent opportunément en aide aux petits planteurs, les grandes affaires « tenant le coup » sans défaillance, et l'on franchit ce cap redoutable. La reprise brutale des prix du latex, résultant de l'augmentation prodigieuse de la consommation et accentuée, ensuite, par la politique de restriction de la production instaurée en Malaisie sous le nom d' « application du plan Stevenson », amena ultérieurement une ère de prospérité inouïe, qui galvanisa les énergies. A partir de 1926, toutefois, les conditions de vente devinrent beaucoup moins avantageuses, sous l'effet de l'accroissement des récoltes des îles de la Sonde (qui ne mirent jamais en vigueur le plan Stevenson), de l'extension de la régénération des vieux caoutchoucs, de découvertes permettant d'économiser la matière dans beaucoup de fabrications, et de perfectionnements prolongeant la durée de service d'une foule d'objets (notamment des pneumatiques), et à la fin de 1928 le plan Stevenson (reconnu inefficace) fut dénoncé. Cette mesure précipita la baisse de la matière, et un véritable effondrement s'est constaté récemment, la crise américaine et le marasme mondial des affaires ayant diminué les demandes au moment où les offres arrivaient à leur maximum : un ralentissement en est issu dans l'expansion des hévéas indochinois, aggravé par la suspension momentanée des concessions (que motivèrent les incidents dont il a été dit un mot dans un chapitre précédent). Les conséquences de cette stagnation ne sont point encore perceptibles, parce que les créations intensives de plantations antérieures à la fin 1925 augmenteront automatiquement les récoltes jusque vers 1932. Il est d'ailleurs probable que le temps d'hésitation observé par la suite ne sera que passager : la consommation reprendra quelque jour sa marche ascendante et comme quantité d'exploitations néerlandaises (et, dans une moindre mesure, malaises) vieillissent, les cours se raffermiront; le problème des concessions ayant enfin été résolu dans l'Union, un réveil d'activité se manifestera alors. Des négociations internationales sont d'ailleurs engagées de nouveau pour régulariser le marché des produits. Mais en attendant, un malaise sévit parmi les entreprises, et beaucoup éprouvent des difficultés à trouver les capitaux frais nécessaires a


Cl. Société Énergie électrique indochinoise.

La Centrale électrique (à vapeur) de Saïgon-Cholon.

THÉRY.

Pl. XXIII, p. 140.


Vue générale de la ville et des docks d'Haïphong, le premier port du Tonkin, relié à Hanoï par une voie ferrée.


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l'entretien des installations déjà réalisées et à l'exécution des plans d'extension précédemment arrêtés: un appui gouvernemental est donc utile pour leur permettre de «tenir » jusqu'à ce que les circonstances redeviennent plus favorables. A l'heure actuelle, les

plantations couvrent environ 60.000 hectares dans l'Union et comptent près de 15 millions d'arbres, dont un peu plus du tiers seulement est en rapport; elles ont permis une exportation de latex qui a valu en nombre rond 200 millions de francs en 1927 (pour 100.000 quintaux), est tombée en 1928 à 45 millions par suite d'un arrêt momentané des envois devant la chute du prix de la marchandise, est remonté à 120 millions en 1929, les expéditions ayant repris malgré la continuation de la baisse, mais paraît devoir diminuer à nouveau eu 1930, en liaison avec le nouvel avilissement des cours noté ci-dessus. On estime que dans quelques exercices ces chiffres seront triplés et qu'avant quinze ans l'Indochine pourra satisfaire à peu près complètement aux besoins de la consommation métropolitaine, qui sont annuellement de l'ordre de grandeur de 400.000 à 450.000 quintaux. Certains détails mettront en relief la manière dont la possession a été dotée de cette précieuse source de richesse. De façon générale, les grandes plantations y ont été constituées par des groupes puissants de la mèrepatrie (groupe de Rivaud, groupe de la Société financière française et coloniale, etc.). S'étant adressées à des spécialistes de Java et Sumatra et des États malais, ces firmes ont d'abord suivi exactement les méthodes qui s'étaient révélées efficaces dans les « royaumes du caoutchouc », tant en ce qui concerne les variétés qu'en ce qui touche les systèmes de plantation, les règles culturales, les procédés de saignée, etc. Puis, au fur et à mesure de leur expérimentation propre, elles ont fixé des normes mieux en harmonie avec l'ambiance où elles se trouvaient et réalisé des progrès sensibles grâce à des améliorations personnelles. Elles continuent, d'ailleurs, à se renseigner sur ce qui se passe chez leurs voisins et profitent de toutes leurs leçons. Ainsi, tandis que dans la phase initiale les plantations étaient uniformément faites à espacement serré (5 mètres en tous sens, soit 400 pieds a l'hectare, ou 4 mètres sur des lignes espacées de 8 mètres, soit 300 pieds a l'hectare), on choisit maintenant les écartements selon les particularités du terrain, allant jusqu'à 6, 7, 8 et même 10 mètres en carré ou en quinà

THERY.

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conce, et atteignant parfois 18 mètres avec des cultures intercalaires (de caféiers, théiers, ou canne à sucre). On saignait, à l'origine, les arbres, dès leur cinquième année: on attend aujourd'hui qu'ils aient six ans, et quelquefois sept ou huit. Aux saignées journalières permanentes on a substitué les saignées alternées, soit de courte durée (un jour sur deux, ou sur trois, ou sur quatre), soit de longue durée (un mois sur deux, ou sur trois, ou sur quatre), soit conjuguées (de courte durée, une année, et de longue durée, l'année suivante). La technique de la saignée, à laquelle les indigènes ont été très rapidement accoutumés, a été précisée, de même que celle du traitement du latex. Les moyens mécaniques sont de plus en plus usités pour la préparation des terres. Enfin, on est entré résolument dans la voie du remplacement des plants directs par des greffages de ' « pieds-mères » qui, au prix de frais d'établissement plus élevés, procurent un rendement souvent double et une sélection incomparablement plus parfaite. Tout ce labeur a eu pour effet de porter nos plantations à un niveau franchement supérieur à la moyenne. La concentration et la rationalisation ont exercé là une influence bienfaisante : nous possédons les domaines les plus étendus du monde sans solution de continuité (l'un d'eux mesurant 10.000 hectares au milieu desquels on peut rouler une heure et demie en automobile), nos rendements habituels de 400 kilogrammes à l'hectare sont très honorables et beaucoup, de 600 kilogrammes (et même de 1.000 kilogrammes pour quelques plantations greffées), sont tout à fait brillants. Les dirigeants de cette branche agricole la mènent, du reste, avec une pénétration exacte des contingences économiques et s'ingénient à diminuer systématiquement le prix de revient unitaire : c'est ainsi qu'ils n'hésitent pas à reprendre en sous-main les plantations dont le rendement paraît insuffisant même quand elles sont encore en pleine santé, renforcent constamment le matériel qui donne plus d'efficacité au travail humain, etc. Il y a là un exemple typique de ce que donne la volonté française méthodiquement exercée, et il faut souhaiter que les circonstances générales ne fassent pas échec au développement de l'oeuvre commencée. Sans doute, en fonction de l'essor de cette culture, le recrutement de la main-d'oeuvre, aisé dans le passé, s'avérera-t-il plus délicat; depuis


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des retards préjudiciables ont été constatés dans l'arrivée des aux plantations: ils ont été dus à des difficultés administratives, et nous ne croyons pas que la situation puisse devenir trop pénible si les précautions nécessaires ne sont pas négligées. un an coolies

— La culture du mûrier et l'élevage du ver à soie sont pratiqués en Indochine comme dans tout l'Extrême-Orient, sans y atteindre l'importance qu'ils ont en Chine et au Japon. Certes, les exportations de soie grège sont appréciables, encore que très inégales d'une campagne à l'autre, variant entre 5 et 10 millions de francs par an, et il existe une industrie locale assez active, bien achalandée, qui expédie normalement au dehors pour environ 8 millions de francs de tissus de soie et 4 millions de francs de broderies à la main chaque année; mais les importations de tissus de soie étrangers s'élèvent ordinairement à plus de 140 millions de francs par exercice. Il serait puéril d'imaginer que la possession sera jamais en mesure de satisfaire par ses propres moyens à ses besoins de tissus; ses demandes, infiniment variées, font en effet appel à des fabrications qui ne se rencontrent que dans les pays les plus évolués industriellement. Cependant, on pourrait redresser quelque peu la situation présente et, surtout, il serait désirable que la production de la matière première, si recherchée par les transformateurs d'Europe, d'Amérique et du Japon, fût notablement augmentée. L'administration tente dans ce but un effort intéressant. D'une part, elle agit auprès des propriétaires de mûriers (assez nombreux au Tonkin et plus encore en Annam) pour qu'ils les soignent plus judicieusement et) spécialement, usent de la taille en vertu de méthodes qu'elle leur inculque. En second lieu, elle combat (non sans peine) une tendance trop fréquente à séparer l'exploitation des arbres de l'élevage des vers, les éleveurs achetant les feuilles aux cultivateurs, qui ne réalisent dès lors que des bénéfices infimes. Elle subventionne, en outre (en espèces et en leur fournissant du matériel et des travailleurs), des sociétés dirigeant des « ateliers de grainage », sélectionnant les pontes et les distribuant SÉRICICULTURE.


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gratuitement par milliers. Elle a créé, enfin, des ateliers de dévidage, de filature et de tissage, qui forment des ouvrières et leur apprennent le dévidage des cocons et leur étirage, ainsi que les premières notions de filature et de tissage. Ces interventions paraissent efficaces. La distribution gratuite de pontes saines, en particulier, a grandement diminué le pourcentage des maladies que subissaient les éducations indigènes et a amélioré la qualité des cocons et leur rendement en soie. De plus, les procédés de sélection employés ont été imités avec succès par divers élevages privés, et l'on constate aussi un progrès dans les soins donnés aux cocons dans les magnaneries. Plusieurs saisons de sécheresse ont malheureusement rendu moins apparents les résultats réels, et la crise traversée depuis 1927 par la soierie mondiale a provoqué dans l'Union un certain découragement; il sera vraisemblablement surmonté quand les marchés extérieurs se ressaisiront, et un développement régulier de la sériciculture indochinoise pourra alors être escompté, sans qu'on ose lui prédire une extension très rapide, d'autres besognes absorbant la plus grande partie de la population locale.

autrefois de de l'Union être Le territoire dû couvert a — belles forêts sur la presque totalité de sa superficie. Mais celles-ci ont été dévastées dans les zones les plus accessibles, soit pour gagner de nouvelles terres à la culture, soit en raison d'une utilisation abusive. Les indigènes, en effet, ont — nous l'avons déjà dit — allumé traditionnellement des incendies volontaires pour opérer des défrichements; ils ont, aussi, détruit des quantités de parcelles pour y exploiter pendant quelque temps des plantations ensuite abandonnées au profit d'autres espaces aménagés selon les mêmes principes; le pacage libre a aggravé la situation, beaucoup de jeunes plants étant dévorés par les troupeaux, et un autre obstacle à la reconstitution sylvestre a été l'extraordinaire pouvoir d'envahissement d'une graminée appelée « tranh »; enfin, la construction des centres urbains a créé des besoins dont la satisfaction a mis à contribution, de façon trop souvent imprévoyante, les forets les plus voisines ou les plus aisément exploitables. FORÊTS.


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Grâce à la réglementation que nous avons analysée précédemment et au labeur du «Service de conservation » créé en 1902, les ravages du mal ont été arrêtés, et un reboisement a été entrepris, justifié à la fois par l'importance économique évidente taire qu'elles exercent sur le climat et

des forêts et par l'influence salule régime des cours d'eau. Longtemps entravée par des résistances locales et par la pénurie des moyens financiers, cette oeuvre est maintenant en bonne voie. D'après les investigations poursuivies jusqu'à ce jour, il resterait environ 31 millions d'hectares boisés, les massifs les plus riches se trouvant dans les districts montagneux du Tonkin, de l'Annam et surtout du Laos. On rencontre des bois d'oeuvre et des bois d'ébénisterie de qualité, parmi lesquels le lim-xan, le cam-xe, le teck, l'ébène, etc. Aux altitudes moindres, dans tous les États la forêt secondaire a remplacé généralement la forêt primitive: elle renferme principalement des bois tendres, comme le muong, le tram, le bodé, et plus encore des essences donnant des sous-produits intéressants, notamment le bambou (aux applications multiples), certains chênes, marronniers et palétuviers (d'où sont extraites des matières tannantes), des conifères et résineux (fournissant des gommes, des laques de prix, du benjoin), des palmiers (dont on tire des rotins), du santal blanc, des joncs et roseaux (approvisionnant les industries de l'ameublement), etc. L'exploitation de la forêt secondaire est faite assez intensivement sous le contrôle des autorités officielles, qui veillent à l'application des règlements que nous avons résumés plus haut. Elle est presque entièrement assurée par les indigènes, dont les méthodes, quoique améliorées à notre contact, sont encore arriérées. Les difficultés de transport ont, au contraire, retardé la mise en valeur de la haute forêt primitive, en paralysant le recrutement de la main-d'oeuvre et l'évacuation des produits; plusieurs entreprises européennes s'y sont néanmoins attachées, particulièrement la Compagne de l'Est-Asiatique français, qui a ouvert des chantiers dans le Laos et achemine les bois de teck qu'elle en tire par flottage sur le Mékong et les canaux deltaïques jusqu'à Saïgon, où elle a installé des scieries mécaniques admirablement outillées. Au fur et à mesure de la création de routes, de services fluviaux et de chemins de fer, cette activité, déjà réelle, prendra un essor croissant. Présentement, les forêts indochinoises procurent à la colonie tous les


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bois qu'elle consomme pour la construction, la menuiserie, l'ébénisterie et le chauffage, et alimente une série d'industries prospères dont nous parlerons plus loin (fabrication du papier, des meubles et nattes, des produits tinctoriaux, etc.). On estime à plus de 800.000 mètres cubes leur production annuelle de bois d'oeuvre et d'ébénisterie, à 1.650.000 stères celle de bois de feu, et à 400.000 quintaux celle de charbon de bois. En outre, les exportations d'huile de laque sont de l'ordre de grandeur de 40 millions de francs par an, celles de bois divers montent à 20 millions de francs par an, celles de stick-laque à 12 millions, celles de charbon de bois à 5 millions, celles de rotins à plus de 1.700.000 francs, celles de gomme-laque atteignant le million, celles de benjoin en approchant, etc. De nombreux progrès sont vraisemblables dans les ventes des produits secondaires: il semble, notamment, qu'on puisse étendre la préparation des matières tannantes, spécialement des noix de galle (employées par l'industrie chimique européenne en vue de la fabrication des tannins purs), et les études de l'administration sont engagées dans ce sens. Quant à l'exportation des bois proprement dits, surtout des bois rares, elle augmentera sûrement en fonction du perfectionnement de l'outillage économique général.

grande L'Indochine regardée saurait être une comme ne — région d'élevage de bétail. Les plus récents recensements ne lui attribuent guère que 1.500.000 boeufs, 1.800.000 buffles, 4 à 5 millions de porcs, 80.000 chevaux, 50.000 ovins et 1.500 éléphants domestiques, ce qui représente des proportions très faibles par rapport à la population et à la superficie (par exemple, 1 bovidé pour 10 habitants et 48 hectares, contre 1 pour 5 habitants et 3 hectares en France, et 2 pour 1 habitant et 10 hectares à Madagascar). Les districts les plus peuplés sont comparativement les plus pauvres en cheptel; les deux deltas du Mékong et du Fleuve Rouge ne possèdent pas le tiers de l'effectif de la possession entière, et la Cochinchine et le Tonkin sont importateurs de viande sur pied, tandis que l'Annam et surtout le Cambodge et le Laos disposent d'un excédent suffisant à leurs

ÉLEVAGE.


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besoins et à ceux de leurs voisins et permettant de répondre à des demandes de l'étranger aussi bien en animaux vivants qu'en animaux abattus, en

et en pelleteries (préparées par de petites entreprises locales). Cette situation s'explique par les conditions climatiques et par l'étendue donnée dans les provinces les plus évoluées à des cultures exclusives de l'entretien des pâturages et occupant la totalité de la main-d'oeuvre. Il semble néanmoins qu'elle pourrait être modifiée avantageusement dans le Haut et le Moyen Tonkin, et qu'un développement appréciable des troupeaux serait possible dans les autres États (Cochinchine exceptée). Les enquêtes faites jusqu'ici laissent penser que, si l'élevage du porc, réservé aux usages locaux et déjà suffisamment actif, n'est pas susceptible d'une expansion sensible, et si celui du mouton (supportant mal le climat) ne doit pas être encouragé, l'élevage des bovidés, à l'inverse, pourrait devenir beaucoup plus important qu'il n'est actuellement, partout ailleurs qu'en Cochinchine ou dans le Bas Tonkin. L'entretien des éléphants domestiques (dont l'emploi dans les transports diminue de plus en plus, et qui ne produisent pas un ivoire aussi beau que celui des éléphants africains) est en régression. Quant au cheval, les races pures originaires du Cambodge, du Tonkin et du Sud-Annam ont énormément périclité; des croisements entre les éléments subsistants et les races landaises, africaines et australiennes ayant donné de bons résultats (surtout dans la proportion de trois quarts de sang annamite contre un quart de sang importé), on estime qu'une production grandissante pourra être peu à peu obtenue. Indépendamment de l'élevage des mammifères, l'Union — comme tous les pays d'Extrême-Orient — pratique sur une vaste échelle celui des volailles, auquel se livrent à peu près toutes les familles rurales, et qui donne lieu à la fois à un gros commerce intérieur et à un trafic extérieur sérieux, principalement d'oeufs, conservés ou séchés, et de leurs sous-produits, traités dans de nombreuses usines locales. A l'heure actuelle, le territoire satisfait pleinement à sa consommation et exporte annuellement de 25 à 40 millions de francs d'animaux vivants, de 25 à 30 millions de francs d'oeufs et leurs dérivés, 19 millions de peaux brutes, et 7 millions et demi de peaux tannées et mégissées. Ces chiffres pourraient être amplement accrus. L'administration envisage, pour stimuler cette branche d'activité, peaux


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un programme d'envergure. Relativement aux bovidés, ses services s'attachent à fortifier et coordonner la lutte contre les épizooties qui ont occasionné de terribles dégâts en Annam, réglementer le commerce de la boucherie (source de gaspillages fâcheux), combattre les vols qui découragent les éleveurs et détruire méthodiquement les fauves, procurer aux indigènes des débouchés réguliers, distribuer des secours en cas de pertes accidentelles, améliorer la sélection des races (notamment par des concours), favoriser l'exportation. Pour le cheval, un haras de perfectionnement fut créé dès 1891 à Hanoï; on institua en 1892 un « Conseil des Haras » et l'on autorisa la formation de jumenteries privées subventionnées par les pouvoirs publics; des reproducteurs furent introduits à partir de 1905, on établit en 1912 un « Stud-Book » et l'on organisa des hippodromes et des courses; depuis la guerre, on a ouvert, en 1919, des « marchés de transactions » où sont réunis les jeunes poulains achetés par la remonte de l'armée, on a étendu ensuite les primes accordées aux éleveurs, etc. Pour les volailles, enfin, on s'applique à inculquer aux autochtones les meilleures méthodes de nourriture et de sélection. Cette action est de longue haleine : elle a commencé à porter ses fruits, et nous augurons favorablement de sa continuation.

— Les populations côtières du Tonkin, de l'Annam, de la Cochinchine et du Cambodge et les riverains des lacs de l'intérieur sont, de même que tous les Asiatiques, particulièrement aptes à l'industrie de la pêche. Celle-ci fait face à une consommation nationale intense et laisse pour l'exportation un excédent notable, principalement sous forme de poissons séchés, fumés, salés et conservés. Le montant annuel des expéditions au dehors est en moyenne de l'ordre de 140 millions de francs pour les poissons (avec, en 1929, une chute brutale à 63 millions, due à de moindres achats de la Chine), 15 millions pour les crevettes sèches, 10 millions pour les écailles de tortue, 1 million et demi pour les pâtes de crevettes, etc. Les procédés appliqués sont ordinairement bien adaptés aux nécesPÊCHE ET CHASSE.


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On peut, pourtant, les améliorer par des systèmes de pêche plus perfectionnés, par des traitements moins primitifs des produits, par une réglementation plus logique tendant à assurer la conservation et la reproduction des espèces, et, pour certaines variétés, par un véritable élevage. Des directives sont données à cet effet avec le concours de sommités scientifiques de la métropole, au premier rang desquelles doit être cité le professeur Gruyel du Muséum : elles ne manqueront pas de rendre plus fructueuse encore l'exploitation des richesses maritimes et lacustres de la possession. Le gibier est varié et abondant dans la plupart des régions de l'Indochine autres que les deltas surpeuplés. On rencontre au Lang-bian, dans la Cordillère annamite, au Cambodge, au Laos et dans le Haut Tonkin toutes les espèces d'animaux, depuis la caille jusqu'à l'éléphant et aux grands fauves. Tous les genres de chasse sont pratiqués, aussi bien par les indigènes, même les plus arriérés (qui usent parfois d'armes blanches), que par les Européens; ceux-ci se bornent souvent à de simples promenades le fusil à la main, se mettent à l'affût, organisent des battues, ou constituent de lointaines expéditions avec des guides et un important matériel de campement, allant à pied, en caravanes, ou en charrettes à buffles, ou même à dos d'éléphant. Dans certains districts reculés, des abris ont été installés au milieu des forêts, qui servent de points de ralsités.

liement.

Économiquement, la chasse fournit aux autochtones un complément d'alimentation et des ressources (sous forme de peaux et dépouilles). Elle est pour les colons et les touristes une précieuse distraction, leur permettant de tirer dans les conditions les plus pittoresques chevreuils, sangliers, buffles sauvages, panthères, tigres, etc. L'administration s'efforce de l'encourager par des règlements appropriés, destinés à assurer la conservation des races (notamment au moyen de la formation de réserves), et cherche à développer le commerce auquel elle donne naissance (en favorisant la tenue de « foires de fauves » et en surveillant les ventes d'éléphants).


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— L'inventaire qui s'achève ici est incontestablement encourageant. Étalée du nord au sud sur une grande longueur, présentant des différences marquées d'altitude, de régime hygrométrique, de climat, ayant des terres de qualité excellente et très diversifiée, l'Union est susceptible de fournir une gamme fort complète de productions intéressantes, répondant à ses besoins intérieurs, alimentaires et industriels, et permettant des exportations massives et rémunératrices. Parmi ces productions, les unes sont assurées en majeure partie par les indigènes : tel est le cas du riz, des autres céréales, des cultures vivrières, maraîchères et fruitières, de certaines cultures tropicales (poivre, cannelle, fruits exotiques, oléagineux, plantes à parfums), de quelques cultures industrielles (indigo, plusieurs textiles, tabac), de la sériciculture, des coupes des forêts secondaires, de l'élevage et de la pêche. Des entreprises européennes dirigent, au contraire, les plantations de thé, café, cacao, canne à sucre, caoutchouc, et mettent en valeur les forêts primaires. Le métayage est utilisé pour le jute et le coton. Cette division, à la vérité, n'a rien d'absolu: des colons français cultivent directement le riz, les fruits exotiques, les oléagineux, le jute et le coton, font de l'élevage, exploitent les richesses sylvestres, et des Annamites et Cambodgiens récoltent aussi du thé, du café, du caoutchouc; mais la répartition que nous indiquons correspond à la majorité des cas. Elle tient, au surplus, judicieusement compte des nécessités de chaque production: les plantations requièrent une organisation matérielle, technique et administrative et des moyens financiers que ne peuvent habituellement pas rassembler les populations autochtones, tandis que, pour les autres cultures, le régime du faire-valoir en petite et moyenne propriété, avec l'aide familiale ou locale, se révèle généralement préférable. Dans l'ensemble, la main-d'oeuvre (tout entière indigène) est parfaitement apte aux travaux qu'elle doit exécuter, a de remarquables facultés d'assimilation aux principes nouveaux qu'il y a lieu de lui enseigner, et, lorsqu'elle est bien encadrée ou opère pour son compte, effectue un labeur sérieux. Jusqu'à présent, elle a été recrutée assez aisément et VUE D'ENSEMBLE.


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aucune « crise de pénurie » grave n'a été constatée, sinon dans quelques régions centrales d'accès exceptionnellement malaisé et, pendant un an, dans les plantations de caoutchouc des terres rouges : l'augmentation des demandes qu'engendrera le développement des exploitations modifiera peut-être cet équilibre, d'autant plus que l'essor des mines et des usines détournera de l'agriculture une proportion de plus en plus élevée des

habitants; la densité moyenne du territoire est cependant assez forte et les races qui y vivent sont suffisamment progressives pour qu'aucun péril ne soit à redouter de ce côté: il faudra seulement veiller à rendre plus commode le transport des « coolies » de leurs foyers aux lieux de travail et vice versa, et plus logique leur embauchage (pour prévenir des concurrences fâcheuses), à améliorer leur sort (quant au logement, à l'alimentation et à l'hygiène) pendant la durée de leur engagement, à vulgariser, enfin, la motoculture (à laquelle les affaires européennes recourent de plus en plus et que les Asiatiques commencent à essayer). Le gouvernement général s'est délibérément orienté dans cette voie, et nous avons confiance dans le succès de son action. Mais pour le moment, la situation est généralement normale, et des résultats utiles ont été obtenus. Ils sont le fait d'une collaboration intime et permanente des trois facteurs essentiels de la colonisation : par leur administration et leur aménagement, et par l'intervention incessante des services spécialisés (qui ont toujours été à hauteur de leur tâche), les pouvoirs publics ont largement contribué à l'épanouissement de la production agricole indochinoise dans toutes les directions opportunes et à l'amélioration de sa qualité; les colons français, de leur côté, par un apport ininterrompu de capitaux, par une série d'initiatives courageuses et rationnelles, par une vaillance et, souvent, une abnégation dignes des traditions de leur patrie, ont hâté la mise en valeur d'immenses surfaces en friche, créé des éléments précieux de prospérité; quant aux indigènes, ils ont joué aussi un rôle important dans l'évolution inaugurée avec notre installation, en suivant nos conseils, dont ils ont vite saisi la portée, en besognant avec une ardeur admirable, en perfectionnant leurs méthodes à notre exemple. Et de cette communion sont nées les réalisations dont nous avons brossé le tableau synthétique. Aujourd'hui, la colonie, sans nul doute, s'est haussée au rang d'une


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grande puissance agricole. Déjà solide, sa position s'affirmera davantage encore demain, lorsqu'il aura été remédié aux imperfections qui subsistent — et que nous avons impartialement soulignées — et quand les extensions en cours ou projetées auront été menées à bien. On est fondé à croire qu'avant quelques lustres, tout en restant un des plus gros fournisseurs du monde en riz et en poissons (et en en devenant un « fournisseur de qualité »), elle occupera sur les marchés d'exportation une place honorable pour le caoutchouc, ainsi que pour le thé, le café et divers oléagineux. On peut espérer, simultanément, qu'elle gardera ou acquerra un quasi-monopole en ce qui concerne divers produits exotiques, et qu'après s'être suffi à soi-même elle disposera pour une série d'autres richesses d'excédents qui s'écouleront aisément dans les pays voisins. Afin que ces perspectives se vérifient, il convient de persévérer résolument dans le sens où nous avançons depuis la guerre : il faut resserrer les rapports établis entre l'administration, les firmes françaises et les indigènes, poursuivre la mission civilisatrice que nous assumons, renforcer l'outillage et l'armature économiques du pays. Il sera bon, aussi, que les entreprises privées, européennes et asiatiques, se rapprochent plus fermement que par le passé en des associations ou syndicats, pour la défense de leurs intérêts communs et restitution d'une solidarité plus intime: l'expérience des premiers groupements ainsi formés montre, en effet, leur efficacité. Sans doute aucun, il surgit de temps à autre des à-coups dans la marche en avant : depuis deux ans, nombre d'entreprises agricoles de la colonie ont été éprouvées par la diminution des demandes de la Chine, corollaire des bouleversements dont ce pays est victime, et, à partir du second semestre 1929, presque toutes ont été touchées par la crise économique mondiale qui affecte le cours des matières premières ; l'agitation politique manifestée ces mois derniers a déterminé aussi quelques appréhensions. Ce sont là, à nos yeux, des incidents passagers : l'oeuvre est fortement engrenée, et nous avons lieu d'être fiers dès maintenant des premières moissons, préludes d'autres, plus belles encore !


CHAPITRE VIII

PRODUCTIONS DU SOUS-SOL 1 Charbon. —

Zinc. — Etain. — Phosphates. — Productions diverses. — Vue d'ensemble.

— Bien que sa prospection géologique soit encore très lacunaire, sauf en Indochine et au Japon, il paraît démontré que la zone orientale du continent « jaune » renferme de grosses réserves de charbon. Entre tous les bassins qui y sont actuellement reconnus ou présumés, ceux de notre possession occupent une situation privilégiée, par leur position géographique, leurs facultés d'accès et d'évacuation et les extraordinaires facilités d'extraction qu'ils présentent. L'Union, en effet, a bénéficié d'un concours de circonstances éminemment favorables. D'une part, seule des États d'Extrême-Orient, notre colonie est pourvue en abondance d'anthracites de haute qualité; elle jouit à cet égard d'un privilège comparable à celui du pays de Galles, et sa production est, de ce chef, assurée d'un écoulement presque régulier, qui augmentera en fonction du développement en Asie des installations sanitaires et hygiéniques (chauffage central, notamment) et des industries pour lesquelles l'emploi de charbon à forte teneur d'éléments volatils est contre-indiqué. En second lieu, les principaux gisements sont disposés en veines extrêmement épaisses affleurant à la surface et, même, s'élevant en véritables collines noires au-dessus de la plaine, comme » « CHARBON.

I. Cf. ouvrages généraux et documents officiels précités (notamment rapports du Service des Mines). Réglementation minière en aussi A. La Voir LAPAULETTE, DE — Indochine (1930).


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ces « montagnes de ciment » que l'on débite en tranches dans le Boulonnais : dans bien des cas l'on y peut travailler à ciel ouvert, et l'on a dit à juste titre qu'en fait, sinon en droit, le pays compte presque autant de conséquent, possible « carrières de houille » que de mines; il est, par de les exploiter dans des conditions d'économie qui ne se rencontrent pas ailleurs. Puis, encore, ces centres se trouvent généralement à proximité de la mer ou du cours inférieur de fleuves parfaitement navigables, à une altitude légèrement supérieure, sans que nul obstacle les sépare de la côte ou des vallées, de sorte que l'acheminement de leurs produits vers les lieux d'embarquement se fait à maintes reprises par des wagonnets roulant naturellement sur des plans doucement inclinés, la traction mécanique n'étant utilisée que pour la remontée du matériel vide. Par surcroît, on a découvert aussi des charbons gras, indispensables à diverses fabrications, et si ceux-ci n'offrent pas d'intérêt pour l'exportation, ils sont fort recherchés par la consommation locale. Un tel ensemble d'éléments propices n'aurait pourtant pas suffi à déterminer l'essor merveilleux de l'industrie houillère indochinoise, si l'activité de nos compatriotes n'avait su avec habileté « en tirer la quintessence ». Ici encore, les succès obtenus ont été la résultante d'une collaboration intelligente des pouvoirs publics et des initiatives privées. Outre le zèle qu'ils ont joué dans l'équipement général du territoire, les premiers ont édicté le régime minier cohérent dont nous avons commenté précédemment les traits essentiels, et donné par là aux exploitants une sécurité précieuse. D'autre part, les études géologiques et les enquêtes de leur « Service des mines » ont inventorié le sous-sol avec une approximation qui a utilement orienté les entreprises particulières. Celles-ci, de leur côté, ont apporté à leurs réalisations pratiques des méthodes administratives, techniques et commerciales éprouvées, des moyens financiers puissants, une « suite dans les idées » qui ne s'est jamais démentie, une volonté inébranlable, appuyée sur une audace réfléchie. On comprend, dès lors, que la production totale du combustible minéral de la colonie, négligeable jusqu'à la fin du XIXe siècle, et qui n'avait pas atteint 300.000 tonnes par an en moyenne durant la période quinquennale 1901-1905, ait augmenté sans arrêt depuis, montant à près de 400.000 tonnes par an de 1910 à 1914, dépassant 500.000 tonnes de 1911 à 1915, et arrivant à 670.000 tonnes de 1916 à 1920.


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de 1921, les progrès se sont accélérés, et le poids global extrait approche actuellement de 2 millions de tonnes. Il a été en 1929 de 1.984.000 tonnes (chiffre record jusqu'ici), dont 1.914.000 d'anthracites et charbons maigres, 39.000 tonnes de charbons gras et mi-gras, et 31.000 tonnes de lignite, une fabrication de 130.000 tonnes d'agglomérés ayant, en outre, été assurée par des usines récemment créées. La valeur totale de cette production a été estimée à environ de francs. 190 millions A peu près le tiers des anthracites et charbons maigres est employé sur place (dont les quatre cinquièmes au Tonkin et le reste en Cochinchine), les deux autres tiers, soit 1.250.000 tonnes en 1929, valant 105 millions de francs, étant exportés vers la Chine, le Japon et les autres États d'Extrême-Orient. La production des charbons gras et mi-gras est entièrement absorbée par la consommation locale, dont les besoins exigent, par surcroît, une importation de plus de 50.000 tonnes (valant en moyenne 8 millions de francs), en provenance du Japon et des Indes néerlandaises. Le lignite trouve tous ses débouchés dans l'Union, qui n'a d'ailleurs pas à en acheter au dehors. Quant aux agglomérés, ils laissent pour les expéditions à l'extérieur un solde de 50.000 tonnes, valant environ 9 millions de francs. Ces statistiques seront considérablement majorées dans les exercices suivants; telles qu'elles se dégagent des derniers documents officiels publiés, elles montrent l'importance acquise par l'industrie houillère dans notre possession et l'influence qu'elle exerce sur sa balance commerA partir

ciale.

Il faut signaler encore que, dans les derniers mois, des charbons tonkinois ont pu être livrés à Rouen à des prix plus avantageux que

produits anglais : ce détail souligne les possibilités d'expansion réservées à l'Union dans ce domaine. les

principaux gisements d'anthracite sont concentrés au Tonkin, dans le bassin qui s'étend au nord du delta du Fleuve Rouge, de Dongtrien à Ke-bao, et dont le centre se trouve à Hongay. Un bassin secondaire est exploité à Nong-son, en Annam. La production des charbons gras vient entièrement du Tonkin, où elle est répartie entre les bassins de Phan-mé et de Phu-nho-quan. C'est aussi au Tonkin seulement que se rencontrent les exploitations de lignite, disséminées dans plusieurs Les


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petits bassins. Les agglomérés, eux, sont préparés, dans le même État, par trois entreprises montées à côté des mines. Dans toutes les concessions en activité il a été procédé, par les soins de sociétés françaises, à des installations qui ne dépareraient pas les mines les mieux outillées d'Europe et d'Amérique: la disposition des galeries, des puits, du matériel de fond et de surface, a été réalisée selon les enseignements des expériences les plus modernes avec le souci de réduire au minimum le travail manuel et de parvenir au meilleur rendement; on a, notamment, édifié des centrales électriques, multiplié les compresseurs, pelles mécaniques, élévateurs, ponts roulants, transbordeurs, posé des centaines de kilomètres de voies ferrées (à écartement métrique ou de o m. 60), constitué des parcs de wagons et locomotives, construit des quais où les navires accostent directement, etc. Chaque jour, d'ailleurs, marque un progrès dans cet équipement, et l'on note — à l'instar de ce qui a lieu dans nos départements du Nord. et du Pas-de-Calais — une intéressante tendance à l'intégration, qui se traduit par la distribution du courant électrique dans les districts environnants, par le traitement (encore timide, à la vérité) des sous-produits, par des participations dans certaines industries, par le développement (signalé ci-dessus) de la fabrication des agglomérés. Parmi les entreprises qui se consacrent à cette oeuvre, la plus ancienne et la plus considérable est la Société des charbonnages du Tonkin; la rapidité de sa croissance et sa prospérité lui ont, à juste titre, valu une notoriété mondiale, retenant l'attention des capitalistes des grandes places financières, et elle apparaît aujourd'hui non seulement comme un type représentatif d'affaire coloniale solide, mais comme une force débordant du cadre du pays où elle opère. Son éclat, toutefois, ne doit pas faire oublier la réussite déjà acquise et. les perspectives d'autres firmes similaires, telle la Société des anthracites du Tonkin, qui s'inspirent de directives analogues et semblenté gaiement appelées à un bel avenir. Ainsi, le charbon est devenu pour l'Indochine une richesse de premier plan. Sa contribution à la vitalité de l'Union n'en est, pourtant, qu'à ses débuts. L'évolution des conditions sociales des races jaunes, avec les aspirations à plus de bien-être et de confort matériel qu'elle engendrera, l'expansion


Hué

THÉRY.

:

la rue principale.

Pl. XXV p. 156.


Vue générale de la ville et du port de Faï-fo, au sud de Tourane.


PRODUCTIONS DU SOUS-SOL

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incessante des usines japonaises, l'industrialisation qui finira par se manifester peu à peu en Chine et qui se dessine au Siam, l'essor parallèle des diverses branches de l'économie de notre possession, tout cela élargira prochainement les débouchés intérieurs et extérieurs offerts aux anthra-

tonkinois et annamites. De même, la consommation nationale de charbons gras continuera à s'étendre, et aucune borne, non plus, ne peut être assignée aux besoins d'agglomérés tant au dedans des frontières de notre « métropole asiatique » que dans les États hmitrophes. Or, les seuls gisements présentement en rapport sont susceptibles, au prix simplement d'un complément d'outillage et de personnel, de grossir sensiblement leurs livraisons annuelles d'anthracite. Pour les charbons gras, l'accroissement possible est moins certain, mais de nouveaux bassins semblent devoir bientôt être mis en valeur. Quant aux agglomérés, on est en mesure d'en intensifier la préparation au fur et à mesure du gonflement des commandes. Il apparaît donc que la production charbonnière indochinoise suivra facilement l'allure des demandes intérieures et extérieures, et l'on est en droit de penser que le chiffre de 2 millions et demi à 3 millions de tonnes sera assez vite atteint. Les sociétés intéressées à la question sont décidées à aboutir à ce résultat : leur passé permet de leur faire confiance; mais pour que leur labeur acquière sa pleine efficacité, il convient qu'il soit secondé par un nouveau renforcement de l'outillage public (spécialement par la construction d'un réseau complémentaire de routes et voies ferrées, par l'agrandissement des ports existants et la création de quelques autres) et que des dispositions soient arrêtées en temps opportun pour prévenir tout à-coup dans l'embauchage de la main-d'oeuvre. Celui-ci présente certaines difficultés, bien que la plupart des mines se trouvent à proximité de régions à population très dense, parce que les Annamites répugnent traditionnellement au travail en sous-sol: on a, jusqu'ici, réussi à grouper les effectifs suffisants, mais le recours à des moyens mécaniques encore plus perfectionnés et à des équipes chinoises est à envisager très sérieusement. cites

THÉRY.


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L'INDOCHINE

ZINC. — On constata vers 1905, dans la région tonkinoise comprise entre Tuyeng-quan, Chodian et Lang-hit, la présence d'une calamine à teneur moyenne de 40 p. 100 de zinc, et, en quantité moindre, d'une

blende à 45 p. 100. Le cours de ce métal étant, alors, très rémunérateur, l'extraction paraissant aisée et la mise en service du chemin de fer de Haïphong à Hanoï, Lao-kay et Yunnanfou devant donner de grandes commodités pour l'expédition de la production envisagée, plusieurs entreprises se fondèrent dans l'intention de tirer parti des richesses ainsi découvertes. Dès la période quinquennale 1906-1910, il fut sorti en moyenne annuelle plus de 11.500 tonnes de minerai; ce total augmenta dans les exercices suivants, et, malgré le ralentissement provoqué par la déclaration de guerre, dépassa 31.000 tonnes par an de 1911 à 1915. Il fut poussé en 1916 à 48.000 tonnes, mais fléchit beaucoup ensuite (en raison de la baisse des prix du métal sur le marché mondial et de la cherté excessive des frets entre l'Indochine et les centres consommateurs), au point que la moyenne annuelle de 1916 à 1920 ne fut plus que de 29.000 tonnes, et que dans le dernier de ces exercices on ne produisit que 7.200 tonnes. Les mines de zinc de la colonie semblèrent alors irrémédiablement compromises. Heureusement, des groupes européens disposant de grosses ressources comprirent qu'un tel marasme ne pouvait qu'être passager: se substituant aux premières firmes, et s'assurant de nouvelles concessions, ils formèrent la Compagnie minière et métallurgique d'Indochine.

Celle-ci, modernisant et rationalisant les installations, appliqua des méthodes réduisant sensiblement les frais de revient, particulièrement en traitant sur place le minerai et le transformant en « mattes » débarrassées de la « gangue », coûteuse à transporter et sans valeur commerciale. Ses efforts ne tardèrent pas à être récompensés, d'autant que le zinc se raffermit, et un réveil de prospérité se manifesta, qui procura bientôt à l'affaire une situation enviable. Entre 1925 et 1927, l'extraction annuelle, réglée en fonction des de-


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de la clientèle que s'était attachée la société, oscilla autour de 60.000 tonnes de minerai, contenant environ 25.000 tonnes de produit pur, valant une quarantaine de millions de francs. Cette extraction était entièrement exportée en mattes (à concurrence de 50 p. 100 sur la Belgique, 25 p. 100 sur la France et 25 p. 100 sur le Japon), à l'exception de 2.000 tonnes livrées à une usine construite à Quang-yen, qui les convertissait en métal à 98,6 p. 100, vendu au Japon (d'où une quantité égale était d'ailleurs importée par les États du sud de la possession). Depuis 1928, une baisse profonde des cours de la matière est intervenue, sous l'influence d'une restriction de la demande : un sérieux ralentissement de l'entreprise en est résulté, et l'extraction naturelle n'est plus que de 45.000 tonnes de minerai, correspondant à 18.000 tonnes de produits purs, ne valant plus qu'une quinzaine de millions de francs ; les exportations de mattes ont fléchi dans des proportions un peu plus fortes encore, mais l'usine de Quang-yen a développé sa fabrication, l'élevant à 3.500 tonnes. La production de l'Union correspond à peu près à 3 p. 100 de la production mondiale de minerai de zinc à l'exclusion de celle des États-Unis. Quoique jusqu'ici on n'ait pas reconnu d'autres gisements que ceux du Tonkin central, elle pourra s'accroître sérieusement encore si les circonstances s'y prêtent, car les réserves du bassin prospecté sont énormes et son exploitation sera aisément intensifiée. Tout dépendra, en l'occurrence, de l'extension des débouchés et de l'allure du marché international. mandes

— Il a été trouvé dans la province de Cao-bang, au Tonkin, et, plus récemment, dans celle de Takkek, au Moyen Laos, une cassiterite à teneur approximative de 60 p. 100 d'étain. Limitée d'abord au gisement du Tonkin, son exploitation fut organisée sur des bases solides (avec installation d'une usine très bien conçue pour traiter une partie du minerai), mais subit d'assez cruelles vicissitudes, dues aux fluctuations désordonnées du cours du métal, et resta longtemps réduite à quelques centaines de tonnes par an. La mise en valeur de la zone de Takkek fut retardée par l'absence de toute voie de ÉTAIN.

communication

permettant d'écouler sa production.


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Cet état de choses a évolué favorablement. D'une part, la consommation de l'étain suit une courbe ascendante. D'autre part, les dépenses d'extraction et de traitement ont été comprimées grâce à des perfectionnements techniques. En troisième lieu, un commencement de « débloquage » du Laos a été opéré par l'établissement de pistes que les camions automobiles peuvent utiliser une partie de l'année. Sous l'effet de ces influences, l'extraction est devenue plus importante au Tonkin et, surtout, a été entreprise à Takkek. Aujourd'hui, la production globale de la colonie monte à plus de 1.300 tonnes de minerai par exercice, dont 800 tonnes sont exportées à l'état brut et le surplus, transformé par l'usine de Cao-bang, fournit 300 tonnes de métal, également vendues à l'extérieur. Dès maintenant l'Indochine se place en bon rang parmi les pays possédant de l'étain, devancée seulement par la Malaisie, la Bolivie et les Indes néerlandaises (qui donnent ensemble 35.000 tonnes), et sur le même plan que le Siam, la Chine, l'Australie et les Indes anglaises. Sa position s'améliorera vraisemblablement, car les gisements du Laos sont incontestablement très riches, et plusieurs sociétés s'occupent de se grouper en vue de les exploiter. L'ouverture d'une route et la construction du chemin de fer de Tanap à Takkek stimuleront ces initiatives auxquelles de très belles perspectives paraissent réservées. Sans doute, les difficultés inhérentes à toute création humaine ne manqueront-elles pas, et une réelle prudence s'imposera-t-elle tant que le marché du métal restera « erratique » comme il l'est maintenant; la qualité des gisements reconnus permet néanmoins de regarder l'avenir avec quelque optimisme, pourvu que soit franchie sans encombre la passe pénible de l'heure présente : durant les deux derniers exercices, le prix du métal a baissé de plus de 60 p. 100, ramenant la valeur de l'extraction de la possession de vingt millions de francs en 1927 à moins de 10; cette situation ne saurait s'éterniser, mais il s'agira de « tenir » jusqu'au redressement.

naturels phosphates l'Indochine de Les ressources en — Pendant Nord. du de Afrique rien comparables à celles notre sont en ne

PHOSPHATES.


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années on les tint pour inintéressantes, parce qu'il n'était pas possible d'expédier le produit en Europe (le transport étant prohibitif pour sa des

marchande relativement minime) et parce qu'on ne lui trouvait pas de débouché en Extrême-Orient. Les études des services agricoles de la colonie ayant démontré l'utilité de l'emploi de cet engrais pour amender les terrains consacrés à la culture du riz, et leur travail de vulgarisation ayant, comme nous l'avons dit, reçu bon accueil des indigènes, une demande locale a pris naissance et des exploitations bien conditionnées se sont constituées au Tonkin et en Annam, dont le développement se poursuit régulièrement. En 1919, l'extraction totale (localisée au Tonkin) n'avait été que de 4.000 tonnes. Elle passa à 13.000 tonnes en 1920 (dont 1.000 en provenance de l'Annam), mais tomba en 1921 à 7.000 tonnes (dont 2.000 dues à l'Annam), la clientèle s'étant montrée très hésitante à la suite du malaise mondial qui sévit cette année-là; elle se ressaisit ultérieurement et atteint maintenant environ 20.000 tonnes, dont les deux tiers sont fournis par le Tonkin et un tiers par l'Annam. Tous les besoins du territoire sont actuellement satisfaits par cette production, mais il ne reste aucun excédent disponible pour l'exportation. Celle-ci pourra acquérir une certaine ampleur à destination de la Chine, quand ce pays aura recouvré une stabilité lui permettant de progresser, et à destination du Japon. Par ailleurs, l'augmentation de la consommation locale n'est pas douteuse, car les premiers résultats du recours aux engrais phosphatés ont été convaincants. On peut donc prévoir un large essor de la demande, et les techniciens estiment que les gisements existants seront capables d'y faire face aisément. valeur

PRODUCTIONS

L'industrie des minerais de zinc et d'étain laisse comme sous-produits un peu de plomb, d'argent et de tungstène. Mais les quantités obtenues sont infimes, et leur valeur globale est tout juste de l'ordre de grandeur du million de francs. On peut mentionner aussi une production de wolfram d'une centaine de tonnes par an en-

viron.

DIVERSES. —


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Une société s'est constituée pour exploiter le graphite à Lao-kay. Elle a traversé des heures pénibles et la baisse du cours de la matière l'a amenée à réduire son activité. Elle n'extrait guère, en ce moment, que 400 tonnes par an, traitées dans une usine accolée à la mine. Une réorganisation de cette entreprisevient d'avoirheu, dont on attend d'heureuses conséquences lorsque aura pris fin le marasme aigu qui sévit sur ce marché. Des pierres précieuses (saphirs notamment) sont recueillies à Pallin, au Cambodge, et exportées au Siam : c'est une production secondaire et en régression. Quelques kilogrammes d'or sont trouvés dans les alluvions de certaines rivières : longtemps demeurée insignifiante, leur recherche paraît en voie de léger développement. Il existe d'assez nombreuses carrières de pierre, de sables et d'argiles (satisfaisant aux demandes locales) et de remarquables couches de ciment ont été mises en valeur à proximité de Haïphong par la Société des ciments portland artificiels de l'Indochine, qui traite le produit brut dans une puissante usine sortant annuellement 150.000 tonnes, dont plus de 100.000 sont absorbées par l'Union, le surplus étant exporté vers Hong-kong, la Chine et le Japon, et qui est susceptible d'un développement sérieux. Nous signalerons, pour terminer, qu'une firme française commence à tirer parti des ressources salines de la mer qui baigne les côtes de la colonie.

indochiminière aujourd'hui, Dès l'industrie — noise est assise sur des bases sérieuses, joue un rôle économique important, et participe dans des proportions appréciables au commerce extérieur. La valeur globale annuelle de sa production dépasse 230 millions de francs, dont les trois quarts vont sur les marchés étrangers, et les effectifs de la main-d'oeuvre employée dans ses différentes branches atteignent 45.000 unités (contre seulement un peu plus de 20.000 en 1923). Ces résultats, cependant substantiels, ne sont certainement qu'un très petit début. Nous avons souligné, au passage, les possibilités d'augmentation de rendement des gisements déjà en rapport de houille, de zinc, d'étain, de phosphates et de ciment; nous avons indiqué que l'exploiVUE D'ENSEMBLE.


PRODUCTIONS DU SOUS-SOL

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tation d'autres bassins renfermant les mêmes richesses est commencée, et nous avons dit quelles chances se présentent quant à l'élargissement des débouchés internes et externes des produits extraits. En outre, les géo-

estiment que des matières, courantes ou précieuses, qui ne se rencontrent pas encore dans l'Union, pourront être découvertes plus tard, principalement au Laos; on se prépare à exploiter des minerais de fer prospectés dans le delta tonkinois; on a reconnu la présence de ce métal en Annam et dans certaines îles du Sud cochinchinois, et, malgré l'échec des investigations poursuivies jusqu'ici, on n'a pas renoncé à l'idée que des champs de pétrole y seront repérés quelque jour. Or, « le succès appelant le succès », tandis que les affaires anciennes se consolident progressivement, des imitateurs sans cesse multipliés affluent maintenant. Le total des « autorisations personnelles minières » accordées dans l'ensemble de l'Indochine a presque triplé depuis 1924; celui des délivrances de « permis de recherches » a été de 432 en 1923, de 500 en 1924, de 878 en 1925, de 2.087 en 1926, de 1.809 en 1927 (le fléchissement observé cette année étant la conséquence d'une majoration des taxes exigées) et de 4.258 en 1928. Quant aux concessions définitives, elles sont montées de 14 en 1923 et 17 en 1924, à 320 en 1928 : comme elles dérivent ordinairement des permis de recherches attribués trois ans plus tôt, il est à présumer que leur nombre croîtra rapidement encore. Les conditions économiques, momentanément défavorables, freineront peut-être leur progression; elle reprendra lorsque la crise mondiale se sera atténuée, et le mouvement d'expansion se tournera alors vers les zones aujourd'hui presque « vierges » : en effet, les délivrances de permis et les concessions consécutives portent de plus en plus sur le Laos et le Centre-Annam, celles concernant le Tonkin étant, au contraire, à peu près stationnaires. Certes, toutes les demandes d'autorisations minières et toutes les déclarations de recherches suivies d'attributions de permis n'aboutissent pas à la création d'exploitations, car beaucoup sont faites à la légère, souvent dans l'intention spéculative de céder avec bénéfice les droits hypothétiques acquis, et sans que leurs auteurs aient derrière eux les capitaux et les concours techniques nécessaires à la fondation d'affaires de longue haleine. Même parmi les concessions définitivement dévolues, une bonne partie sera abandonnée, parce que toutes n'auront pas été logues


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L'INDOCHINE

l'objet d'études préalables suffisamment approfondies et que les titulaires de plusieurs d'entre elles éprouveront des mécomptes — industriels, commerciaux ou financiers — irrémédiables. Mais beaucoup tiendront leurs promesses. Une expansion plus large encore que celle que nous avons décrite peut donc être entrevue. Pour qu'elle réponde à nos espérances, diverses conditions devront être remplies. Il faudra, en premier lieu, que les entreprises particulières qui s'emploieront à cette activité se procurent des fonds et s'assurent des débouchés. La puissance de beaucoup de celles qui sont déjà en activité, et leurs attaches avec des groupes de premier ordre de la métropole, donnent des apaisements en ce qui concerne leurs facultés de résistance aux vicissitudes présentes et leurs possibilités d'essor ultérieur; quant aux sociétés nouvelles, l'épargne nationale ne leur marchandera pas son appui en période normale lorsqu'elles offriront des garanties sérieuses, et il leur suffira d'adopter les pratiques de leurs devancières pour écouler sans difficulté leur production. Mais — et nous allons répéter des conclusions formulées à chaque étape de ce livre — l'effort des particuliers ne « rendra » complètement que si l'administration le seconde énergiquement par l'amélioration de l'outillage public de la possession et par une solution satisfaisante du problème de la répartition de la main-d'oeuvre entre les différentes branches de son activité. Si, comme il y a tout lieu d'y compter, elle accomplit son devoir en ces matières, l'industrie extractive indochinoise se haussera sans conteste au premier rang de toute l'Asie et, même, figurera en place honorable parmi celles des principaux États producteurs du globe.


CHAPITRE IX

INDUSTRIES 1 Industries alimentaires. —

Industries transformatrices de produits forestiers et des végétaux non alimentaires. — Industrie textile. — Métallurgie et construction mécanique. — Industries diverses. — Vue d'ensemble.

— Ainsi qu'il advient sans exception dans toutes les économies primaires à caractère agricole, l'industrialisation a débuté en Indochine par la constitution d'entreprises transformatrices des produits du sol, destinées à répondre à des nécessités alimentaires. Il en existait, à la vérité, bien avant l'implantation de la colonisation française; mais, faute d'une armature générale suffisante et en l'absence de toute organisation commerciale permettant des relations amples et suivies avec des marchés quelque peu éloignés, par suite, également, de l'incompétence des indigènes, elles avaient gardé un caractère strictement local, travaillant uniquement des matières premières récoltées dans un périmètre fort restreint, et n'étendant pas leur clientèle au delà du voisinage le plus immédiat. Seules, certaines maisons chinoises traitant le paddy à Cholon avaient acquis une puissance relative de rayonnement et entretenaient des rapports avec les grands entrepôts de l'Extrême-Orient; leur activité, au demeurant, était restée médiocre, et elles ne jouaient qu'un rôle effacé dans un territoire en sommeil. Nous avons exercé dans ce domaine une influence galvanisatrice : INDUSTRIES ALIMENTAIRES.

Cf. les ouvrages généraux, périodiques et rapports officiels précités. La documentation de ce chapitre a été puisée principalement auprès des grandes entre1.

prises indochinoises.


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l'apport de la civilisation occidentale a créé chez les races asiatiques des besoins jusqu'alors ignorés, qui ont provoqué des demandes nouvelles et stimulé des initiatives en vue d'y satisfaire; les facilités de communications et l'institution de réglementations et d'instruments adaptés aux conditions modernes du commerce ont permis des échanges intérieurs et extérieurs précédemment impossibles; un mouvement croissant d'affaires en est issu, qui a décidé nombre d'Annamites et quelques Cambodgiens à se tourner vers le travail manufacturier, qui a amené d'importants éléments chinois à monter dans la possession de véritables usines, qui a poussé, enfin, beaucoup de nos compatriotes à fonder de grandes industries. C'est, naturellement, à la préparation du riz — ressource fondamentale du pays — que se sont consacrées les premières exploitations « transformatrices », et c'est encore elle qui représente de loin la branche industrielle la plus considérable. Nous en avons parlé brièvement dans notre chapitre relatif aux productions agricoles : des détails complémentaires trouveront logiquement place ici. On distingue deux « industries du riz » : la chinoise, exercée en majeure partie par des immigrés de race jaune, mais à laquelle coopèrent aussi des indigènes de la colonie, et l'européenne, pratiquée par des firmes que dirigent des colons français ou des groupes métropolitains. L'envergure des rizeries chinoises est devenue énorme, et leurs sorties moyennes mensuelles dépassent 100.000 tonnes. Nous avons eu déjà l'occasion de noter que leurs procédés de traitement sont, malheureusement, défectueux: le matériel dont elles se servent est rudimentaire, et la mauvaise qualité de leurs livraisons a gravement nui à la réputation du riz indochinois. Depuis quelques années, toutefois, une évolution se dessine, dont on attend des conséquences favorables: la concurrence très âpre des riz étrangers et la fermeture de certains marchés à leurs marchandises ont déterminé, en effet, les rizeries chinoises de Cholon à commencer un effort de modernisation et d'amélioration technique; elles s'y sont engagées d'autant plus résolument que la hausse du coût de la main-d'oeuvre a posé devant elles le « problème du rendement » dont elles ne se souciaient que très médiocrement jadis, et que, même à l'intérieur de l'Union, il leur a fallu défendre leur position, menacée par l'ex-


INDUSTRIES

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tension des rizeries européennes. Les bénéfices réalisés durant la période

cours élevés du riz leur ont, d'ailleurs, fourni les moyens financiers indispensables aux réfections et rajeunissements qui s'imposaient, et ceux-ci ont été rendus plus aisés par le développement de l'électrification du territoire, qui leur a procuré à bon prix une force motrice particulièrement commode. Déjà plusieurs établissements ont adopté entièrement des méthodes perfectionnées, et d'autres se mettent maintenant à imiter leur des

exemple. En ce qui concerne les rizeries européennes, on ne peut qu'applaudir aux résultats obtenus. Les Distilleries de l'Indochine ont monté trois usines

et une près de Cholon qui, sous tous les rapports, apparaissent comme des modèles du genre. Au Tonkin également ont été créées par les Rizeries indochinoises plusieurs fabriques parfaitement agencées. A Cholon existent des installations remarquables appartenant aux Rizeries d'Extrême-Orient et à la Société des riz de l'Indochine Denis frères. Un colon français, M. Grassier, a édifié un établissement en tout point digne de ceux que nous venons de signaler, à Phu-loc, près de Baclieu (en Cochinchine). Enfin, de petites rizeries, moins puissantes mais excellemment équipées, se multiplient un peu partout dans le delta du Mékong, au Cambodge et au Tonkin, à proximité des centres de récolte. La production moyenne mensuelle des maisons européennes est aujourd'hui supérieure à 40.000 tonnes; elle est assurée très économiquement et, en ce qui touche la qualité, soutient la comparaison avec les plus célèbres marques étrangères. Cependant, les confusions commerciales englobant dans un discrédit commun tous les riz indochinois quels qu'ils soient, elle a été empêchée jusqu'ici de prendre nommément rang sur les grands marchés consommateurs. Les progrès en cours dans la culture relèveront encore — pour les raisons que nous avons indiquées — la valeur intrinsèque des fabrications des firmes ci-dessus mentionnées: il leur faudra alors, par une propagande persévérante et une organisation de vente habile, s'affranchir de l' « anonymat », et faire en sorte que partout leurs spécifications d'origine soient recherchées au Tonkin

clientèle. Parmi les autres industries alimentaires, on doit citer en premier lieu les distilleries. Les plus considérables préparent de l'alcool par distillation du riz, et dans ce groupe comme dans celui des rizeries les usines de la


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des Distilleries de l'Indochine occupent une situation prépondérante. Il s'est aussi constitué, en fonction de l'accroissement des surfaces plantées en canne à sucre, des rhumeries, des sucreries et quelques raffineries, pourvues d'un outillage très perfectionné. On rencontre, d'autre part, un certain nombre de minoteries, plusieurs fabriques de pâtes alimentaires et semoules, de biscuiteries, etc.; cette branche d'activité, pourtant, n'est pas arrivée à un stade de développement très avancé. Un essor plus sensible est constaté actuellement dans l'industrie des conserves de légumes et, surtout, de fruits : longtemps d'ordre local, pour ne pas dire exclusivement familial, elle comporte à présent des établissements conçus « à l'européenne », dont l'expansion s'affirme vigoureusement. Il a été de même construit des huileries mécaniques, qui, par leurs procédés techniques et la qualité de leurs produits, tranchent singulièrement sur les anciens moulins indigènes. Des progrès notables se manifestent également dans la préparation des conserves et salaisons de poissons, toujours assurée principalement par les populations autochtones, mais à laquelle se consacrent en outre, maintenant, de véritables usines. Nous ajouterons, enfin, qu'on a créé plusieurs brasseries et des fabriques de glace très actives, et que dans les grandes villes on a édifié des abattoirs modernes, où le traitement des déchets d'animaux est méthodiquement conduit et dont le développement commence à donner naissance à une industrie de conserves de viande.

INDUSTRIES TRANSFORMATRICES DES PRODUITS FORESTIERS ET DES VÉGÉ-

scieries des observé plus haut Nous que avons — à vapeur et électriques, admirablement outillées et à rendement intense, ont été installées à Saïgon par l'Est asiatique français, et que la Forestière indochinoise des allumettes a monté en Annam de fort belles usines où sont débités des bois de toutes espèces et fabriquées des allumettes, et qui, comme sous-produit, fournissent du courant électrique. TAUX ALIMENTAIRES.


INDUSTRIES

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Indépendamment de ces établissements industriels, comparables à ceux d'Europe et d'Amérique, on compte une quantité de petites exploitations indigènes traitant les produits des coupes (de préférence les bois d'oeuvre). La plupart ne disposent que d'un outillage primitif, mais, grâce au développement de l'électrification, certaines recourent peu à peu aux appareils mécaniques. La préparation du charbon de bois occupe également de nombreuses entreprises asiatiques. L'utilisation d'autres produits forestiers (laque notamment), enfin, a donné naissance à des exploitations actives. En liaison directe avec les scieries, dont ils sont les clients naturels, prospèrent de multiples ateliers de menuiserie, ébénisterie, fabrication de meubles; la majorité d'entre eux est restée du type familial ou artisanal, mais quelques-uns se sont déjà industrialisés. Une évolution semblable se dessine dans la production des objets en rotin (sièges, nattes, stores), des chapeaux, etc. Nous avons, dans notre chapitre vu, souligné la création de distilleries européennes d'essences parfumées, qui ont pris une remarquable extension à côté des petites exploitations indigènes. Des fabriques de teintures végétales ont, de plus, été montées depuis peu. Bien que, jusqu'à présent, l'industrie transformatrice du caoutchouc n'ait pas été introduite à proprement parler dans la colonie, les grandes plantations ont réalisé des installations fort bien conçues en vue de parfaire la matière première, ensuite exportée à l'état « marchand », notamment sous forme de « crêpes ». Quelques manufactures de tabac ont été installées sous l'influence de la Régie, et certaines sortent des produits appréciés. Pour terminer cette revue sommaire, nous devons dire encore que l'utilisation du bambou dans la construction et l'ameublement alimente une série d'affaires, et qu'une grosse entreprise de fabrication de pâte à papier et de papier (à partir, surtout, de cette matière et de quelques autres expèces végétales) a été fondée, capable, dans ses deux usines, de livrer quotidiennement 280 tonnes de pâte et 150 tonnes de papier.


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— Le traitement de la soie, traditionnel en Indochine, a été longtemps l'apanage exclusif des indigènes, qui s'y consacraient dans de minuscules exploitations, dotées uniquement d'instruments à main; grâce à une habileté extraordinaire, celles-ci arrivaient à une production de haute qualité, mais peu économique et peu abondante. Nous avons vu que, pour encourager la sériciculture, l'Administration a subventionné des ateliers mécaniques de filature et de tissage. Son action s'est doublée de la constitution de trois firmes dont l'équipement et la puissance sont un motif d'admiration pour tous ceux qui ont pu les visiter. La Société franco-annamite de textile et d'exportation possède des filatures à Kien-an et Nam-dinh (au Tonkin) et un tissage, à Nam-dinh également; la maison Delignon a une filature et un tissage à Phu-phang (Annam); la Société Soies de France et d'Indochine dispose d'une filature à Pnom-penh (Cambodge). Ces usines, très vastes et à grande capacité de production, pourvues du meilleur matériel du monde, travaillent avec une activité réelle et ont largement progressé. Elles se sont annexé des teintureries aussi bien agencées que celles de notre région lyonnaise, et leurs fils et tissus, spécialement leurs « crêpes de Chine », ont conquis les marchés d'Extrême-Orient, où ils font prime. Depuis 1928, cependant, la limitation des demandes a eu une répercussion sur leurs affaires : elles paraissent de taille à pouvoir attendre sans crainte des jours meilleurs. La branche cotonnière a connu également un essor intéressant. A Haïphong et à Nam-dinh se sont montées les usines de la Cotonnière du Tonkin (filature et tissage), dont les centrales développent une force motrice totale de 3.300 C. V.; elles constituent de véritables modèles, capables de rivaliser avec les plus récentes installations de la France métropolitaine et de l'Angleterre. La Cotonnière de Saïgon, plus jeune, a aussi accompli un magnifique effort en édifiant à Saïgon une filature et un tissage de première importance; mais ses résultats financiers, affectés par divers mécomptes, ont été décevants et elle vient d'arrêter ses fabrications. INDUSTRIE TEXTILE.


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l'ombre de ces établissements se trouvent quelques petits producteurs asiatiques; ils comptent peu. Le coton, d'ailleurs, n'a jamais beaucoup retenu l'attention des travailleurs indigènes. Ceux-ci se sont tournés plus volontiers vers la transformation des autres textiles (ramie et jute principalement), qu'ils effectuent pour satisfaire aux besoins familiaux et locaux. Nous avons remarqué, antérieurement, combien cette production laisse généralement à désirer. Mais nous avons constaté aussi que, sans qu'elles se soient industrialisées au sens économique du mot — à de rares exceptions près — la filature du jute et la fabrication des sacs de jute commencent à être opérées dans des ateliers mieux conditionnés, soumis à un régime qui dérive du métayage. A

— En étudiant la mise en valeur du sous-sol indochinois, nous avons signalé que les mines d'étain et de zinc ont été conduites à établir des usines débarrassant le minerai de sa gangue et en tirant des mattes, d'une valeur accrue sous un poids diminué. Nous avons indiqué également que de petits hauts fourneaux ont été édifiés en vue de produire le métal pur; ils n'ont, toutefois, guère prospéré pour l'instant, par manque de débouchés directs MÉTALLURGIE ET CONSTRUCTION MÉCANIQUE.

à

proximité.

sidérurgie ne s'est pas développée dans la possession, malgré les facilités que lui procurerait la présence d'un charbon excellent, en raison de l'absence de minerai de fer : nous avons vu que ce lourd handicap pourrait cesser d'ici peu. Au contraire, et surtout pendant et depuis la guerre, plusieurs entreprises de construction mécanique sont nées, dont les fortunes, d'ailleurs, ont été très inégales. Pour satisfaire aux nécessités de la défense du territoire, passablement abandonné à lui-même au cours des hostilités, et afin de maintenir en service les lignes commerciales indispensables, l'administration a participé à la création de chantiers navals, destinés d'abord aux réparations, puis à qui ont été commandés des bâtiments neufs de petit et moyen tonnage. Des ateliers d'entretien de matériel La


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L'INDOCHINE

de chemin de fer ont été constitués et prennent de l'ampleur au fur et à mesure de l'augmentation du trafic. Plusieurs entreprises assurent la remise en état de l'outillage des filatures. Enfin l'essor de la circulation automobile a provoqué l'installation de nombreux garages, dont certains sont devenus de petites usines très bien aménagées. Plusieurs firmes exécutant les travaux publics se sont munies d'un matériel mécanique moderne à l'instar de leurs confrères de la métropole, et leur maîtrise est attestée par les ouvrages d'art édifiés aussi bien sur les routes et les voies ferrées que dans les ports et le long des fleuves, ainsi que par ceux ayant pour but d'étendre les irrigations, de lutter contre les inondations, etc. Entre toutes, la Société des dragages et travaux publics de l'Indochine se classe au premier plan; elle est un des éléments agissants de l'amélioration de l'outillage public de la colonie.

— Les principales mines de charbon, qui se sont intégrées comme nous l'avons déjà expliqué, ont monté de belles usines de sous-produits, particulièrement d'agglomérés. L'exploitation des carrières de ciment a déterminé la constitution de la Société des ciments artificiels Portland de l'Indochine, dont les installations sont les plus considérables de tout l'Extrême-Orient dans la partie, et sur l'activité de laquelle nous avons suffisamment insisté dans notre chapitre vin. Sous l'effet du développement des constructions immobilières, les aujourd'hui existe progressé, il largement du bâtiment industries et ont » « plusieurs tuileries, briqueteries, fabriques de conduites et de buses en ciment dirigées par des Européens, une verrerie fort importante, etc. Les mines de phosphates ont ouvert des ateliers de parachèvement la fabriintroduire cependant jusqu'à aller mécanique, broyage sans par cation des superphosphates, dont l'écoulement serait problématique dans la région. Nous mentionnerons encore que la Société des salines de l'Indochine, fondée dernièrement, est en train de réaliser des installations extrêmement intéressantes pour raffiner le produit brut et lui donner une qualité supérieure à celle de tout le sel consommé jusqu'ici en Asie. INDUSTRIES DIVERSES.


Pnom-penh : hôtel de la Résidence.

THÉRY.

Pl. XXVII, pl. 172.


La rivière de Saïgon et l'embouchure de l'arrovo chinois.

Vue générale de Cholon. la grande ville voisine de Saïgon.

THÉRY.

Pl. XXVIII, p.

172


INDUSTRIES

173

A côté de ce groupe, directement dépendant de l'exploitation du sous-

une tentative courageuse d'implantation de la grosse industrie chimique dans l'Union avait été faite par la Société de chimie d'ExtrêmeOrient : une usine de toute beauté avait été créée pour fabriquer la soude, et on la croyait appelée à un superbe avenir. Des circonstances fâcheuses (dont la plus grave a été la disparition des demandes de la Chine, consécutive aux guerres civiles qui déchirent cet État) l'ont obligée à suspendre sa marche, et il ne subsiste plus dans la branche chimique que les fabriques tinctoriales dont nous avons parlé à propos des industries traitant les produits forestiers et leurs dérivés et à propos de l'industrie sol,

textile.

— On se rendra compte, par le schéma tracé ci-dessus, que l'économie indochinoise a nettement franchi le stade primaire « agricole » et atteint une complexité relative, garantie de solidité présente et source de croissance future. L'importance de sa consommation intérieure justifie les créations ainsi faites et leur assure, en général, un minimum d'activité acceptable. Elle ne suffirait cependant pas à les vivifier ainsi qu'il est désirable. Par bonheur, la position de notre possession au carrefour des courants fondamentaux du trafic international est susceptible de la mettre en mesure de tenir, en Asie, l'emploi rémunérateur de fournisseur de produits manufacturés sur des marchés excessivement vastes, dont le pouvoir d'achat est certain. La concurrence, sans doute, s'y manifestera, à la fois des États-Unis et du Japon; pour bien des articles, néanmoins, les firmes de notre possession seront avantageusement placées dans la lutte, si elles sont épaulées par l'organisation générale du territoire et par une politique douanière VUE D'ENSEMBLE.

appropriée.

l'heure actuelle, il est vrai, le désarroi chinois et la crise économique mondiale entravent leur expansion: ce n'est probablement qu'une cause de retard dans l'essor à prévoir. A

THÉRY.



CHAPITRE X

COMMERCE ET TRANSPORTS

1

Organisation du commerce intérieur asiatique. — Le commerce européen et ses méthodes. — Les courants d'échange. — Mouvement des transports automobiles, fluviaux, ferroviaires et maritimes. — Le tourisme.

— De très sérieux obstacles paralysèrent longtemps le trafic commercial dans les territoires qui constituent actuellement notre Indochine. L'absence de tout moyen de communication commode en fut certainement le principal. Mais il s'y ajouta aussi le fait que les populations indigènes, vivant presque exclusivement des fruits de leur labeur agricole, de leur pêche et de leur chasse, et travaillant dans des conditions de rendement fort médiocres, ne disposaient que d'un très faible excédent susceptible d'être vendu: n'encaissant que d'infimes recettes extérieures, elles avaient un pouvoir ORGANISATION DU COMMERCE INTÉRIEUR ASIATIQUE.

d'achat extrêmement réduit. d'une relation de cause à effet

Parallèlement — et en vertu, peut-être, — les autochtones même les plus évolués ne témoignaient que de peu d'aptitudes pour le négoce, et l'insuffisance des instruments monétaires ainsi que l'imprécision des coutumes régissant les transactions ne les incitaient pas aux « affaires ». Des échanges avaient cependant lieu. Ils se présentaient chez les Moï, Thaï, Muong, Lolo et autres « sauvages » sous l'aspect du troc pur Cf. ouvrages généraux, périodiques et documents officiels précités (notamment les rapports annuels du Service des douanes). Voir aussi, pour le tourisme, — ROLAND DORGELÈS, Sur la route mandarine (1935); LYAUTEY, Lettres du Tonkin et de Madagascar, 1884-1899 (1920). 1.


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L'INDOCHINE

et simple, et prenaient chez les Cambodgiens et les Annamites la forme la plus élémentaire du trafic de détail: les femmes des cultivateurs portaient au marché le plus voisin (dans des paniers posés sur leur tête ou fixés à des bâtons reposant sur leurs épaules) les quelques denrées et objets produits par la famille en surplus des besoins de sa consommation personnelle, et elles dépensaient l'argent recueilli dans les boutiques où les artisans locaux offraient les étoffes, les vêtements, les ustensiles de ménage qu'ils confectionnaient au fond de leurs échoppes. A proximité des côtes, et surtout dans les deltas tonkinois et cochinchinois, certaines quantités de riz étaient livrées à des entrepôts qui les expédiaient à l'étranger par la voie de mer et recevaient en échange différents articles écoulés soit aux foires des environs, soit dans des magasins ressemblant vaguement à nos épiceries ou drogueries de campagne, dont on ne trouvait guère de spécimens que dans les ports. Cet embryon d'échanges internationaux fut de bonne heure monopolisé par les Chinois; ils surent lui imprimer un essor relatif, et, pour étendre à la fois leurs possibilités d'exportation et leurs possibilités d'importation, organisèrent progressivement des « tournées » dans les régions centrales. Des liaisons régulières avec les « ruraux » en résultèrent, avec pour conséquence la création de deux professions nouvelles, celle des colporteurs et celle des courtiers, exercées l'une et l'autre par des sujets de l'Empire voisin. Les colporteurs cédaient leur « pacotille » de village en village, et les courtiers s'appliquaient à drainer toutes les marchandises disponibles sur les marchés, pour les acheminer vers les lieux d'embarquement; les deux fonctions se confondirent assez rapidement, et l'« intermédiaire chinois » devint un rouage essentiel des échanges a distance à travers tout le territoire. Son intelligence, sa souplesse et sa probité le rendirent sympathique; substituant les opérations « à crédit à celles « au comptant », puis joignant bientôt à ses occupations celles de bailleur de fonds et de « teneur de comptes courants », il ne tarda pas à passer pour un élément indispensable de la vie économique du pays. Notre installation en Indochine n'eut pas d'action immédiate sur ce régime, qui subsista encore de longues années sans modifications appréciables. Mais une évolution se dessina peu à peu, dont les causes paraissent avoir été l'établissement de routes et chemins de fer et l'augmentation de la productivité des indigènes par les perfectionnements apportes »


COMMERCE ET TRANSPORTS

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leur technique agricole sous notre influence et avec notre concours. Circulant plus aisément que par le passé et, surtout, ayant désormais des facilités beaucoup plus grandes pour expédier leurs récoltes ou recevoir des objets variés, les Cambodgiens, assez timidement, et les Annamites, plus résolument, élargirent leurs horizons et ne craignirent point de fréquenter des places plus éloignées de leurs foyers. Ils y furent d'autant mieux déterminés que, grâce à l'accroissement du rendement de leur travail, leur excédent de richesses « vendables » se trouva considérablement augmenté et que, en contre-partie, leurs demandes se mul tiplièrent de toute façon. Le rôle des Chinois n'en fut pas diminué d'abord. Bien au contraire, comme des exploitations intensifiées nécessitaient des « fonds de rouleà

ment », leurs prêts en comptes courants s'enflèrent énormément, et leur emprise sur le négoce intérieur se fortifia encore. On peut dire que, durant une période, ils devinrent les maîtres souverains de tous les marchés de la possession. L'introduction d'une monnaie de valeur sûre contribua au développement de leur activité, et leurs affaires d'exportation et d'importation progressèrent avec l'essor de l'Union et l'amélioration de ses relations maritimes avec l'ensemble de l'Asie. Cette suprématie est aujourd'hui battue en brèche. Les Chinois faisant payer trop cher leurs bons offices et assimilant « crédit » à « usure », nous ne pûmes enregistrer sans émoi l'accentuation de leur pénétration, et nous dûmes chercher à restreindre leur utilité, en inculquant à nos sujets l'habitude de commercer eux-mêmes et d'user de notre monnaie,

mettant à leur disposition des organismes bancaires répondant à leurs besoins. D'autre part, les entreprises européennes installées dans les grands ports et assurant des transformations industrielles ou trafiquant avec l'Occident, qui, à l'origine, avaient communiqué avec les autochtones uniquement par le « truchement » des Chinois, ont établi maintenant quelques contacts directs avec leurs fournisseurs et clients locaux. Peu à peu, de la sorte, le commerce proprement annamite et cambodgien tend à sortir de ses limites primitives, plusieurs maisons importantes ont été montées par des Indochinois pour acheter et vendre sur une vaste échelle dans le pays, et, parfois même, pour participer aux opérations avec l'étranger, et des affaires européennes de plus en plus nombreuses s'intéressent directement aux échanges intérieurs. Dans le trafic extrêmeet en


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L'INDOCHINE

oriental aussi les Chinois rencontrent désormais une concurrence de la part de firmes françaises, en rapports incessants avec Hong-kong, Shanghaï et le Japon. Leur importance demeure néanmoins très grande et — pourvu que soient freinés leurs abus d'usure — il n'est pas à souhaiter qu'elle fléchisse davantage, car ils semblent vraiment mieux qualifiés que les indigènes pour donner à la « branche commerciale » un maximum de prospérité. Chez les « sauvages », notre action n'a, quant à présent, pas amené de changement notable de régime : le troc reste à peu près l'unique système d'échange; il s'est seulement développé assez fortement.

— L'organisation commerciale réalisée en Indochine par les Français — et, à leur suite, quelques étrangers de race blanche et un petit nombre de Japonais — ne ressemble aucunement à celle qui s'est formée dans la plupart de nos possessions, spécialement en Afrique occidentale et en Afrique équatoriale. Dans le continent noir, les courants de trafic antérieurs à notre occupation étaient pratiquement inexistants: en conséquence, les maisons européennes désirant se livrer à l'importation et à l'exportation durent prendre des dispositions pour atteindre par leurs seuls moyens les indigènes de l'intérieur, qui, si elles n'étaient pas allées jusqu'à eux, ne leur auraient rien acheté et rien vendu; de cette nécessité naquit le système des « comptoirs » installés fort avant « dans la brousse ». La situation était toute différente dans l'Union, où le contact avec les consommateurs et producteurs locaux se trouvait assez solidement assuré par les Chinois : on ne se soucia donc pas, au début, de monter des « succursales » dans le centre du pays, et les firmes créées à Saïgon, puis à Haïphong, Hanoï et Tourane, se bornèrent à nouer des relations suivies avec les courtiers jaunes, d'une part, avec les grandes places occidentales, d'autre part. Conduites intelligemment, ces entreprises prospérèrent dans l'ensemble, fermement liées à des « correspondants » de la France continentale, et bien servies par les intermédiaires très compétents et zélés qu'elles surent s'attacher dans la colonie. LE COMMERCE EUROPÉEN ET

SES MÉTHODES.


COMMERCE ET TRANSPORTS

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Nombre d'entre elles ont été progressivement amenées à étendre leurs ramifications sur les principales places étrangères d'Extrême-Orient, où elles ont ouvert des bureaux ou se sont entendues avec des confrères. Certaines, sans renoncer entièrement à la collaboration des courtiers chinois, ont commencé à traiter des opérations directes avec les producteurs et consommateurs indigènes, dans leurs sièges principaux, d'abord, puis en installant en divers centres soigneusement déterminés des agents à leur solde et, quelquefois, des magasins. Toutes, aussi, travaillent maintenant avec les maisons de négoce annamites et cambodgiennes dont nous avons signalé l'apparition. Il faut mentionner encore que les grandes industries de la possession se sont constitué des services commerciaux personnels, en liaison, pour leur approvisionnement en matières premières et l'écoulement de leurs produits fabriqués, avec les populations locales et avec l'extérieur. Les méthodes dont usent ces firmes européennes sont celles des affaires des pays d'Occident : elles s'appuient largement sur les établissements de crédit — ne se livrant pas pour leur part aux combinaisons bancaires qu'affectionnent les commerçants chinois — et, à de rares exceptions près, témoignent d'un sens avisé des réalités en même temps que de prudence. Elles se sont concertées, depuis plusieurs années, pour se faire connaître par des manifestations de propagande; les foires annuelles de Saïgon et de Hanoï, instituées sous les auspices et avec l'aide des autorités officielles, sont entre les plus réussies et les plus efficaces, et les participations régulières aux expositions coloniales qui se multiplient en France et dans d'autres nations contribuent utilement au rayonnement des maisons françaises d'Indochine. Des excès spéculatifs, sans doute, ont été commis à diverses reprises, encouragés par les vicissitudes du change et les fluctuations brutales des cours de certaines denrées, principalement du riz; il semble, d'autre part, qu'après 1925 le nombre des maisons européennes s'est accru trop rapidement : de ce chef, une concurrence excessive a pris naissance, qui est devenue cruelle lorsque la baisse des prix a entraîné une contraction des affaires, et plusieurs entreprises se trouvent maintenant en difficulté, pour s'être trop faiblement armées à l'origine, n'avoir pas assez limité leurs frais généraux, ou avoir constitué de trop gros stocks.


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L'INDOCHINE

Un équilibre relativement satisfaisant est, malgré tout, réalisé par la triple organisation qui vient d'être décrite — indigène, chinoise et européenne — et il est bien pourvu par elle aux besoins d'échanges du territoire. Cet équilibre, cependant, semble appelé à se modifier, car il est probable que la position respective des trois catégories de négociants ne restera point immuable : l'évolution dessinée déjà par les progrès des Annamites et des Français se poursuivra, et elle s'accentuera si, grâce à notre action civilisatrice, il est possible d'enrayer les pratiques regrettables du « crédit à la consommation » dans lesquelles les Chinois sont spécialisés.

momentanéeséclatent de temps à autre, tenant à des causes fortuites, le plus souvent dues à de mauvaises conditions climatiques et parfois (comme c'est le cas actuellement) imputables à un malaise mondial ou au marasme des marchés voisins : elles ne marquent que des haltes dans le développement rapide du commerce intérieur. Aucune statistique précise ne permet de le chiffrer, mais les renseignements relatifs au mouvement des différents services de transports dégagent une idée approximative de son importance actuelle. Le poids total des marchandises véhiculées par les chemins de fer est de l'ordre de grandeur de 1.200.000 tonnes par an et celui des marchandises embarquées sur les caboteurs est d'une ampleur équivalente. On évalue, d'autre part, à plusieurs centaines de milliers de tonnes le trafic par camions automobiles et embarcations des lignes régulières subventionnées de navigation fluviale, et celui qu'assurent dans les bras et canaux des deltas et sur les diverses rivières flottables les « sampans », pirogues indigènes et chaloupes de toutenature, est estimé à un minimum de 10 millions de tonnes par exercice. Dans l'ensemble, donc, les échanges à l'intérieur de l'Union donneraient annuellement lieu à un « déplacement pondéreux » d'environ 14 ou 15 millions de tonnes chaque année. Comme le poids global du commerce extérieur spécial (importations provisoires et réexportations non comprises) est approximativement de 3 millions et demi de tonnes par an, dont au moins 500.000 tonnes ne LES COURANTS D'ÉCHANGE. — Des crises


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provoquent aucun mouvement dans le territoire (parce que fabriquées aux lieux d'embarquement ou consommées dans les ports de débarquement), on est fondé à conclure que la circulation annuelle des marchandises produites et employées dans la colonie sans participer au négoce avec l'étranger porte sensiblement sur 10 millions de tonnes. Le chiffre d'affaires annuel qui résulte de leurs échanges monte (en valeur d'achat par les consommateurs) à 15 ou 20 milliards de francs par an. Les courants de trafic sont naturellement très diversifiés. Les régions centrales expédient vers les agglomérations deltaïques principalement des produits forestiers, du bétail, des céréales autres que le riz, quelques textiles, certaines plantes et denrées exotiques, des oléagineux, etc., leurs minerais ou « mattes » de métal étant presque entièrement destinés à l'exportation. Elles reçoivent des deltas leur complément d'approvisionnement en riz, de l'alcool, des poissons séchés ou conservés, du charbon et toute la gamme des articles manufacturés produits à Saïgon, Hanoï ou Haïphong (indépendamment de nombreux outils importés). Par la voie du cabotage, la Cochinchine reçoit du Tonkin et de l'Annam des animaux vivants, des produits alimentaires, des dépouilles d'animaux, des matériaux de construction, etc., et leur expédie des poissons et conserves de poissons. Le Tonkin et la Cochinchine envoient des riz et paddys en Annam. Les deux États du nord reçoivent de celui du sud plusieurs produits exotiques. L'Annam vend à ses voisins des produits forestiers, etc. On voit, par ces indications succinctes, que le commerce intérieur du pays est devenu dès maintenant très actif; ses progrès mesurent l'essor de l'économie indochinoise et l'amélioration du des « standard of life » populations placées sous notre tutelle. Plus facile à mesurer est l'expansion du commerce extérieur. A l'heure actuelle, la valeur des importations nettes (entrées en admission temporaire non comprises) est à peu près de 2.600 millions de francs par an, pour un tonnage total d'un peu plus de 500.000 tonnes, la valeur des exportations nettes (réexportations non comprises) atteignant entre 2.900.000 francs et 3 milliards de francs, pour un tonnage global supérieur à 3 millions de tonnes. Les fluctuations considérables du taux des monnaies (piastre et franc) et du cours des principales marchandises obligent à certaines précautions quand on veut, par des comparaisons


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L'INDOCHINE

rétrospectives, mettre en relief le développement de ce trafic : on l'appréciera, cependant, de façon suffisante en sachant que son tonnage global, supérieur en 1921 de 85 p. 100 à celui de 1911, a progressé encore, dans les sept dernières années, de plus de 15 p. 100, en remarquant que la possession, qui jusqu'à 1910 avait acheté à l'étranger plus qu'elle ne lui avait vendu, accuse régulièrement depuis une balance nettement créditrice, et en notant que la valeur réelle du montant global du commerce spécial est passée, en nombres ronds, de 280 millions de francs-or (de la loi du 7 germinal an XI), en moyenne annuelle pendant la période quinquennale 1901-1905 à une moyenne de 375 millions durant les cinq années ayant précédé la guerre et à 500 millions en 1921, pour s'élever maintenant à 1.100 millions de francs-or. Cette expansion, à la vérité, n'est pas régulière, et d'un exercice à l'autre on constate des variations assez accusées, que commandent les vicissitudes de la récolte du riz. D'autre part, le désarroi qui règne en Chine ne va pas sans entraver les relations de l'Union avec ce grand État, qui est l'un de ses principaux clients et, aussi, un de ses fournisseurs importants. Il n'en demeure pas moins que, de notre installation à 1914, l'essor du commerce extérieur indochinois fut remarquable, et qu'après le ralentissement inévitable survenu pendant les hostilités, sa marche en avant reprit brillamment jusqu'en 1921, beaucoup plus lentement entre 1922 et 1925 (à cause d'une série de campagnes rizicoles moins bonnes), puis, de nouveau, très nettement de 1926 à 1928; elle subit aujourd'hui un temps d'arrêt, affectée par la crise générale, mais cette stagnation n'est évidemment que passagère. La part de la France et des colonies françaises dans le total des importations de notre métropole asiatique est aujourd'hui un peu inférieure à 50 p. 100; elle ne s'était fixée qu'à 45 p. 100 en moyenne pour la période quinquennale immédiatement antérieure à 1914, et était tombée à 35 p. 100 pour la période quinquennale ayant suivi le rétablissement de la paix; mais elle ne s'est plus améliorée depuis 1924, et tend même à fléchir légèrement. Après la mère-patrie et son empire d'outre-mer, le plus gros fournisseur de l'Union est l'entrepôt anglais de Hong-kong, dont les expéditions représentent 20 p. 100 de la valeur totale de ses achats, suivi de la Chine, en recul sérieux (9 p. 100 seulement maintenant), puis des Indes néerlandaises, en belle avance (7 p. 100), de l'entrepôt de Sin-


COMMERCE ET TRANSPORTS

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gapore (6 p. 100), des Indes anglaises, des États-Unis, du Japon, de l'Angleterre, de la Suède, du Siam, etc. Cette ventilation des provenances

importations indochinoises est, d'ailleurs, sujette à caution, parce qu'une grande quantité des marchandises arrivées de Hong-kong et de Singapore sont originaires d'autres nations (Chine, Japon, ÉtatsUnis, Indes anglaises, Siam et, aussi, diverses puissances eurodes

péennes). Aux exportations la part de la France et de ses colonies est de 25 p. 100; sensiblement équivalente avant-guerre, elle était tombée à 18 p. 100 en moyenne de 1919 à 1923; mais après être revenue dès 1925 à son niveau antérieur à 1914, elle a cessé d'augmenter, tout comme sa part

proportionnelle dans les importations. Le meilleur client de l'Union avait toujours été la Chine, qui, en 1926 encore, absorbait près de 30 p. 100 de ses exportations; les demandes de ce pays ont énormément fléchi depuis, tandis que les ventes à Hong-kong ont vivement progressé, et c'est cet entrepôt qui se place maintenant au premier rang, avec un pourcentage de 32 p. 100, la Chine — distancée par la France et ses colonies — n'arrivant plus qu'en troisième ligne, avec 15 p. 100, suivie de l'entrepôt de Singapore (10 p. 100), du Japon (10 p. 100), puis, loin derrière, des Indes néerlandaises (2,5 p. 100), de l'Angleterre, de la Belgique, de l'Amérique, du Siam, etc. Comme pour les importations, ces statistiques de répartition sont faussées par le caractère particulier du trafic à destination de Hong-kong et Singapore, ces deux centres réexpédiant dans le monde entier (y compris la France) les marchandises qu'ils reçoivent de Saïgon et de Haïphong (et notamment le riz). Les principaux articles d'importation sont les tissus de coton, dont les achats extérieurs représentent 8 p. 100 de la valeur totale des entrées de la possession; venaient ensuite en 1927 les machines et mécaniques, les pétroles et essences, les tissus de soie, les ouvrages divers en métaux, les sucres, les fers et aciers, les automobiles, les ouvrages en caoutchouc, l'or en masses ou lingots, les armes, les cigarettes, les farines de froment, etc. En 1928, le classement été interverti entre les machines et mécaniques a et les pétroles et essences, les ouvrages en caoutchouc se sont placés immédiatement après les sucres, suivis des automobiles, de l'or et des cigarettes. En 1929, les tissus sont restés en tête, suivis des pétroles et essences, des ouvrages divers en métaux, des machines et mécaniques,


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des tissus de soie, des fers et aciers, des ouvrages en caoutchouc, des sucres, des cigarettes, de farines de froments, etc. C'est le riz qui, de beaucoup, constitue l'élément fondamental des sorties, la valeur de ses expéditions atteignant les deux tiers de la valeur totale des ventes indochinoises; en 1927, le caoutchouc se classait ensuite, à distance respectueuse, avec une proportion de 6,5 p. 100, suivi des poissons secs, salés ou fumés, de la houille, du poivre, puis encore des animaux vivants, du maïs en grain, du minerai de zinc, de l'huile de laque, des oeufs de volailles, des bois de construction, etc. En 1928, les poissons secs se sont avancés au second rang (sans améliorer leur pourcentage), la houille s'est classée troisième, le maïs quatrième, le poivre cinquième et le caoutchouc seulement sixième (moins de 2 p. 100 de la valeur des ventes), en raison de la chute des cours de ce produit, venant ensuite l'huile de laque, les peaux brutes, etc. En 1929, la position prépondérante du riz s'est maintenue; le caoutchouc revenant à la deuxième place (avec plus de 6 p. 100 de la valeur des ventes totales), suivi de la houille, du maïs, du poivre, des poissons secs ou fumés (en vive régression comme il a été dit), de l'huile de laque, des oeufs de volailles, des animaux vivants, du coprah, des peaux brutes, des bois de construction, etc. Indépendamment de son commerce extérieur propre, ou commerce spécial, l'Indochine fait face à un commerce de transit assez actif, dont le mouvement global correspond à peu près, en valeur, au quart du total de ses importations définitives et de ses exportations d'origine. Les échanges en provenance ou à destination de la province chinoise du Yunnan (qui ne communique guère avec le reste du monde qu'à travers le Tonkin) forment plus de la moitié de ce mouvement, dont le solde est constitué par des opérations d'entrepôt, d'admission temporaire et de transbordement. La crise chinoise n'a pas arrêté ce trafic, mais a complètement enrayé son essor et même, depuis deux ans, l'a ralenti assez sensiblement. A l'heure actuelle, en outre, l'agitation qui règne aux confins de l'Indochine et du Yunnan lui porte aussi préjudice. Il n'est pas douteux que l'examen des chiffres qui précèdent laissera le sentiment que l'activité du négoce indochinois est aujourd'hui fort intéressante. Quelques points faibles apparaissent cependant dans son équilibre.


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En ce qui concerne le commerce intérieur, on a encore à se plaindre des pratiques usuraires des trafiquants chinois et de l'usage excessif du crédit à la consommation » qui finit trop souvent par acculer les indigènes « à des situations fort pénibles : le développement des méthodes françaises et la création d'organes consentant aux populations locales des avances raisonnables à des conditions normales ont commencé à atténuer le mal, qui se dissipera définitivement à la longue. Dans le commerce extérieur, la prépondérance écrasante du riz aux exportations est une source d'irrégularités dangereuses; il ne saurait évidemment être question de chercher à limiter le tonnage des expéditions de cette denrée et nous avons, au contraire, dans notre chapitre vu, approuvé avec satisfaction les efforts entrepris pour en accroître la récolte et en améliorer la qualité (et, par conséquent, la valeur): mais il est souhaitable que d'autres productions prennent dorénavant une place proportionnelle plus grande que celle occupée actuellement; l'essor des plantations de caoutchouc, de thé et de café, celui de l'industrie minière, et l'évolution de l'économie de la possession vers une complexité croissante, autorisent de sérieux espoirs à cet égard, quand auront été surmontées les difficultés actuelles. Une faiblesse, également, résulte de l'insuffisante participation de la France et de ses colonies au trafic extérieur de l'Union. Certes, la position excentrique de l'Indochine interdit à la métropole d'entretenir avec elle des relations aussi exclusives que celles qu'elle a établies avec son domaine de l'Afrique du Nord, et oblige l'Union à travailler intensivement avec tous les marchés d'Extrême-Orient. Il ne semble pourtant pas que la mère-patrie ait tiré le parti optimum de la situation: par un défaut d'organisation des ventes et une médiocre adaptation de ses fabrications aux besoins locaux, son industrie manufacturière ne lutte pas comme il conviendrait dans notre province asiatique contre la concurrence étrangère (surtout japonaise et américaine); en sens inverse, il est déplorable que l'approvisionnement en riz du territoire continental ne soit pas assuré presque intégralement en droiture par la Cochinchine et le Tonkin, et que nous achetions à Hong-kong ou à Rangoon de grosses quantités de cette céréale, dont une bonne portion, d'ailleurs, a été cultivée dans nos deltas du Mékong ou du Fleuve Rouge, mais s'est « valorisée » en faisant étape en terre étrangère. Il est permis de penser que des


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progrès seront enregistrés à ce double point de vue, car les firmes nationales s'appliquent depuis quelques mois à pénétrer plus activement sur le marché indochinois, et parce que les perfectionnements agricoles en cours de réalisation faciliteront l'accès direct en France des produits de la colonie. Les bouleversements dont la Chine est le théâtre et la crise générale ouverte depuis la fin de 1929 sont un dernier sujet de préoccupation, parce qu'ils entravent des courants d'échange importants, tant pour le commerce spécial que pour le commerce de transit; il ne dépend malheureusement pas de nous qu'ils cessent. Mais on peut considérer qu'ils ne s'éterniseront pas et que les relations d'antan finiront par être restaurées.

MOUVEMENT DES TRANSPORTS AUTOMOBILES, FLUVIAUX, FERROVIAIRES

déjà, pour déterminer le volume des échanges intérieurs, donné quelques indications sur le mouvement des transports dans l'Union. Outre les quelque 400.000 ou 500.000 tonnes de marchandises qu'ils chargent chaque année, les services publics automobiles et les lignes régulières subventionnées de navigation fluviale font face à un mouvement de voyageurs qui se chiffre par plusieurs millions. Les indigènes sont de plus en plus friands de ces moyens de communication modernes, auxquels ils se sont parfaitement adaptés, et il est sûr que leur succès ira en s'affirmant en fonction de l'extension du réseau routier, de l'institution de nouvelles lignes, de la rénovation du matériel, et de l'établissement de liaisons mieux coordonnées entre les « autobus », les « chaloupes à vapeur ou à moteur » et les chemins de fer. Beaucoup de passagers — d'ailleurs impossibles à recenser — empruntent les « sampans » dont nous avons souligné plus haut le rôle en ce qui concerne l'acheminement dans les deltas. Les voies ferrées transportent — nous l'avons dit — environ 1.200.000 tonnes de marchandises par an 190 p. 100 de ce trafic s'effectue en petite vitesse, le tonnage des bagages ne montant qu'à 7 p. 100 et celui de la grande vitesse n'atteignant pas 3 p. 100. Les marchandises conET MARITIMES. — Nous avons


COMMERCE ET TRANSPORTS

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chemin de fer accomplissent un parcours moyen de 120 kilomètres pour la petite vitesse, de 65 kilomètres pour les bagages et de 185 kilomètres pour la grande vitesse. La ligne la plus fréquentée est celle de Haïphong à Hanoï, Lao-kay et Yunnanfou; elle transporte environ 400.000 tonnes par an; la ligne de Saïgon à Nha-trang vient en second rang, avec près de 300.000 tonnes, suivie de près par celle de Hanoï à Vinh (250.000 tonnes); celle-ci voit actuellement son activité progresser rapidement, du fait de l'achèvement de la jonction Tonkin-Annam, et il est probable qu'elle ne tardera pas à améliorer nettement sa position comparative. Le mouvement des voyageurs utilisant le chemin de fer est, d'ores et déjà, substantiel, avec plus de 11 millions d'unités par an, dont 10 millions trois quarts d'indigènes circulant en quatrième classe. Il est à remarquer que les Annamites prennent le train avec une extraordinaire facilité, même pour des parcours très réduits : la longueur moyenne des voyages ne dépasse pas, en effet, 45 kilomètres, les trajets en première, deuxième et troisième classe mesurant 80 kilomètres, et ceux en quatrième classe n'excédant pas 40 kilomètres. C'est encore la ligne de Haïphong à Yunnanfou qui arrive en tête pour ce trafic, avec près de 5 millions de voyageurs par an, l'artère de Hanoï à Vinh se plaçant immédiatement après avec plus de 2 millions trois quarts, venant ensuite celle de Hanoï à Na-cham (1 million un quart), puis celles de Saïgon à Nha-trang et de Saïgon à Mytho (chacune plus d'un million). L'achèvement du Hanoï-Tourane et le développement des relations mixtes (par fer et autocar) de Hanoï à Saïgon accroîtront sous peu l'importance de la circulation sur les deux sections existantes du transindochinois. Comme dans tous les pays du monde, la concurrence des transports automobiles commence à être ressentie par les voies ferrées de la possession. Elle ne paraît pas devoir être meurtrière, si une entente logique permet de créer à chaque gare des services satisfaisants de corresponfiées au

dance.

Nous avons insisté à diverses reprises sur le rôle joué par le cabotage maritime dans la vie économique de l'Union : 70 p. 100 en poids des chargements s'effectuent au Tonkin, 15 p. 100 en Annam, 11 p. 100 en Cochinchine et 4 Cambodge, tandis 50 100 seulement (toujours

p. 100 au que p. en poids) des débarquements ont lieu au Tonkin, 30 p. 100 en Cochinchine, 16 p. 100 en Annam et 4 p. 100 au Cambodge. En valeur, les chargements


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L'INDOCHINE

du Tonkin représentent 40 p. 100 du total, ceux de la Cochinchine 30 p. 100, ceux de l'Annam 20 p. 100 et ceux du Cambodge 10 p. 100, tandis que les débarquements montent à 30 p. 100 en Cochinchine, un peu plus de 30 p. 100 au Tonkin, 20 p. 100 en Annam et 15 p. 100 au Cambodge. On voit ainsi que le Tonkin est exportateur vis-à-vis des autres États de la possession, pendant que la Cochinchine est importa-

trice, et que le trafic de ce dernier pays comporte une proportion plus forte d'objets de prix. L'effectif des voyageurs recourant aux navires côtiers est assez élevé; il ne progresse, toutefois, que lentement, les indigènes redoutant généralement les traversées maritimes. Il est certain que l'achèvement de la ligne de chemin de fer de Tourane à Nha-trang réduira considérablement le nombre des passagers du cabotage maritime; il ne lui enlèvera probablement pas de fret, parce que, contribuant à l'essor des échanges intérieurs en tout sens, il créera des besoins supplémentaires de circulation qui suffiront à alimenter les deux modes de communication. Les liaisons avec l'étranger, de plus en plus actives, sont assurées annuellement par environ 2.700 navires, jaugeant approximativement 4 millions et demi de tonneaux net, débarquant dans la colonie près de 700.000 tonnes et y chargeant plus de 2.800.000 tonnes de marchandises; 50 p. 100 de ce trafic passe par Saïgon, 25 p. 100 par Haïphong, le reste se partageant entre les divers ports secondaires. Le pavillon français vient en tête du mouvement, avec une proportion de plus de 35 p. 100, dans le tonnage de jauge global; il est suivi par les pavillons japonais (20 p. 100), anglais, norvégien (9 p. 100), chinois, hollandais, etc.; 99,7 p. 100 du tonnage de ces navires est composé de vapeurs ou bateaux à moteur, mais les jonques à voiles chinoises, indigènes et siamoises entrent pour 50 p. 100 dans le nombre total des unités fréquentant les ports de l'Union. 40 p. 100 du tonnage des navires entrant en Indochine arrive de Hong-kong, 20 p. 100 de France, le reste venant de Chine, de Singapore, du Japon, etc.; 22 p. 100 du tonnage des navires partant d'Indochine se dirige sur Hong-kong, 20 p. 100 sur la France, les autres allant sur le Japon, sur Singapore, etc. Des relations très régulières sont instituées entre la colonie et la métropole. La Société des services contractuels des Messageries maritimes assure


Le boulevard Norodom, à Saïgon.

THÉRY

Pl. XXIX, p. 188.


Magasins, docks et ateliers de SaĂŻgon.


COMMERCE ET TRANSPORTS

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dans chaque sens une liaison toutes les deux semaines par ses paquebots de la ligne Marseille-Japon, qui escalent à Saïgon; la durée du voyage du grand port méditerranéen à la capitale de la Cochinchine est de 25 à 26 jours; il s'effectue dans des conditions parfaites de confort et même de luxe, grâce à l'excellente tenue des navires et aux heureuses dispositions de leurs aménagements; un gros effort a, d'ailleurs, été accompli pour mettre le service à hauteur des besoins de la clientèle la plus exigeante : cinq paquebots modernes déplaçant 20.000 tonnes sont déjà en exploitation, et trois nouveaux, plus perfectionnés encore, sont en construction. Une autre ligne des Services contractuels unit, par paquebots mixtes de 15.000 tonnes, Marseille à Saïgon, Tourane et Haïphong, en 31 jours, à raison d'un départ toutes les quatre semaines. De leur côté, les Chargeurs réunis desservent avec un matériel analogue la ligne Ports français de l'Atlantique-Marseille-Ports de l'Indochine, effectuant un voyage mensuel dans chaque sens et mettant également un mois de Marseille à Haïphong. Finalement, les passagers disposent d'une cinquantaine de départs par an de la possession vers la métropole et d'une cinquantaine aussi de la métropole vers la possession. Ils peuvent, en outre, utiliser les paquebots de la ligne d'Extrême^-Orient de la Peninsular and Oriental Company (service toutes les deux semaines) ou de la ligne japonaise de la Nippon Yusen (même fréquence), en montant à Singapore sur un des vapeurs allant de cette ville en Indocttine. De 10.000 à 15.000 personnes sont transportées au total chaque année dans chaque sens par l'ensemble de ces vaisseaux, 95 p. 100 recourant aux lignes françaises. Pour le fret, indépendamment des chargements importants que prennent les navires à passagers battant pavillon français, la Compagnie des Messageries maritimes envoie mensuellement dans la colonie un cargo de 12.000 tonnes et toutes les trois semaines un cargo semblable sur Saïgon et l'Extrême-Orient, tandis que les Chargeurs réunis effectuent neuf ou dix voyages par an avec des vapeurs de même nature de Dunkerque à Haïphong et retour (ce service venant d'être intensifié pour transporter à Rouen des charbons du Tonkin). Outre les lignes de cabotage énumérées au chapitre V, de bonnes liaisons sont également assurées vers les îles de la Sonde par des vapeurs néerlandais « mixtes » de 6.000 à 7.000 tonnes et, tous les vingthuit jours, par un vapeur de la Société maritime indochinoise; la même THÉRY.

13


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L'INDOCHINE

compagnie unit, tous les vingt-huit jours aussi, Saïgon à Swatow et Hong-kong avec retour vi à Haïphong et Tourane, effectue un départ mensuel de Saïgon vers Bangkok (avec prolongement facultatif sur Singapore), et exploite une ligne de Haïphong à Hong-kong à raison de 36 voyages par an. Enfin — mais à intervalles espacés et ordinairement de trois à quatre mois et assez irréguliers — un vapeur appartenant à un armement calédon en joignait Saïgon aux NouvellesHébrides, à la Nouvelle-Calédonie et, parfois à nos Établissements d'Océanie; les Messageries maritimes viennent de l'acheter pour assurer dorénavant ce service. Toute l'organisation des transports intérieurs et extérieurs de l'Union est, par conséquent, déjà assez évoluée et marque un énorme progrès non seulement sur la situation trouvée à notre arrivée dans le pays, mais même sur le régime établi à la veille de la guerre. Il semble, cependant, que les nécessités du trafic tendent à croître plus vite que les moyens mis à sa disposition; l'oeuvre déjà entreprise pour répondre doit donc être poursuivie résolument et activement. En ce qui concerne les communications terrestres, nous avons, dans nos chapitres antérieurs, observé qu'il importe à la fois d'étendre largement le système routier, de développer le réseau ferré, de faciliter la navigation fluviale, et d'instituer entre ces trois modes de transport des correspondances étroites (en attendant qu'il y ait heu d'en créer aussi entre eux et les lignes d'aviation commerciale). Pour les communications extérieures, il sera désirable de renforcer et moderniser le matériel des lignes régulières établies entre l'Union et les différents États asiatiques, et il faudra créer une liaison permanente et assez fréquente entre elle et nos territoires du Pacifique austral. Vers l'Europe, les intéressés se plaisent à rendre hommage à l'exploitation des Services contractuels des Chargeurs réunis. Ils souhaiteraient, toutefois, que la vitesse moyenne des grands courriers d'Extrême-Orient (qui ne dépasse pas 13 noeuds et demi à l'heure) pût être accrue et se plaignent de l'insuffisance du tonnage commercial qui est réservé à leurs chargements aux époques des grosses expéditions. Des considérations économiques ont jusqu'à présent empêché de donner satisfaction à ces desiderata : une accélération de la marche des paquebots entraînerait une élévation des tarifs de passage que la clientèle n'accepterait pas aisément


COMMERCE ET TRANSPORTS

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(c'est, d'ailleurs, pour ce motif que les Compagnies étrangères concurrentes s'en tiennent aussi à l'allure de 13 noeuds et demi); d'autre part, l'envoi de cargos supplémentaires pour hâter les enlèvements de marchandises

départ de la colonie est entravé par la faiblesse du fret d'aller. Il sera remédié à ces deux imperfections en fonction de l'essor futur de l'Union et, aussi, du développement des relations de la France continentale avec la Chine et le Japon. Telles qu'elles se présentent actuellement, d'ailleurs, les liaisons établies sont plus qu'honorables; elles seraient notablement améliorées si l'on créait le port d'escale de Cam-ranh dont nous avons parlé plus haut, et où tous les paquebots de tous les pays pourraient toucher sans déroutement. au

LE TOURISME. — L'utilité morale, politique et économique de l'expansion du mouvement touristique dans un territoire n'est plus contestée

aujourd'hui, et l'on s'accorde à considérer qu'un pays tire grand profit du développement du nombre des voyageurs qui viennent le visiter. Un tel courant, sans doute, ne saurait se concevoir arbitrairement n'importe où » : des zones déshéritées n'appellent aucunement le curieux « à s'y rendre pour sa seule distraction; mais d'autres lieux, au contraire, sont particulièrement favorisés sous ce rapport, et l'Indochine est du nombre. Par ses variétés de climat et de relief, par sa lumière et sa végétation, elle offre des spectacles vraiment magnifiques. Le pittoresque grouillement de ses populations et leurs coutumes si originales sont un attrait inédit. Quant aux richesses archéologiques et artistiques, elles y sont

empoignantes que celles de l'Egypte pour leur ampleur ou de la Renaissance pour leur ornementation, qu'il s'agisse des splendides vestiges de l'Empire khmer que l'on trouve à Angkor-vat et Angkor-tom, ou des constructions annamites de Hué, ou d'une foule d'autres reliques d'un passé glorieux. La colonie a, de plus, la chance d'être placée à proximité de deux des plus importantes routes de tourisme international, celle dite anglaise », « qui de Londres, par l'Egypte et l'Inde, se dirige vers la Chine et le Japon, et celle dite « américaine », qui des États-Unis vient par le Japon et la

aussi


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L'INDOCHINE

Chine vers les Indes et l'Europe. Elle est voisine aussi des itinéraires de plus en plus fréquentés qui mènent aux Philippines, à Java et au Siam. Bref, c'est par dizaines de milliers que les « excursionnistes » passent devant ses côtes. Jusqu'à présent, cependant, les arrêts de ces touristes dans notre possession ont été extrêmement rares; on n'en comptait que quelques unités avant-guerre, et leur effectif ne dépasse pas encore un millier par an maintenant. Les causes de ce dédain étaient autrefois facilement explicables : les navires desservant les ports de l'Union ne répondaient pas aux besoins d'une clientèle de luxe, les communications à l'intérieur du pays étaient extrêmement précaires, et, en dehors de deux ou trois villes médiocrement pourvues, les ressources hôtelières étaient à peu près inexistantes. Un gros effort accompli depuis 1920 a amélioré très sensiblement la situation. Nous avons signalé dans le paragraphe précédent que les Messageries maritimes ont dès maintenant mis en service sur leur ligne d'ExtrêmeOrient un matériel excellent et nous avons indiqué que les relations avec l'Insulinde ont été rendues plus commodes. Le perfectionnement des chemins de fer, et, plus encore, des autobus et autocars, et le développement du réseau routier permettent désormais de circuler très aisément en tous sens, et des liaisons touristiques par hydravions ont même été instituées vers les centres les plus intéressants. Enfin, des hôtels ont été édifiés en maints endroits, assurant un gîte parfaitement confortable et une nourriture saine et abondante. L'administration a largement participé à cette organisation. Indépendamment des subventions accordées aux services de transports, elle a personnellement construit et exploite directement un hôtel de 38 chambres au Lang-bian, un autre de 23 chambres sur la « montagne d'Émeraude » (à 1.000 mètres d'altitude au Cambodge), et plusieurs établissements plus modestes à Kompong-thom (Cambodge), Tuy-hoa, Dong-hoï, Quangngaï, Nha-trang, Qui-nhon (Annam), d'autres installations analogues étant projetées, à Chapa et près des lacs Babé (Tonkin), à Thakkek et Xieng-khouang (Laos), etc. Un contrat a, d'autre part, été signé en 1924 entre le gouvernement général et la Société des grands hôtels indochinois, chargeant cette entreprise d'exploiter sept hôtels neufs construits


COMMERCE ET TRANSPORTS

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par la colonie (à Pnom-penh 58 chambres, Siem-réap 70 chambres, Angkor 4° chambres, Hué 4° chambres, Phan-tiet 12 chambres, Dalat

chambres, et Djiring 8 chambres). De leur côté, des groupements privés ont modernisé les aménagements des anciens hôtels de Saïgon, Hanoï, Tourane, les mettant à hauteur des besoins de la clientèle européenne, en ont ouvert de nouveaux, en installent à Dalat, etc. Il faut mentionner encore que l'on a fondé un Comité central de Tourisme jouant auprès du gouverneur général un rôle consultatif et donnant ses avis sur les créations d'hôtels, la protection des sites, la fixation des réserves de chasse, la détermination des « circuits » de voyages, etc., et que son action a été complétée par celle d'un Office central de Tourisme (chargé d'organiser la propagande) et de Comtés régionaux. En outre, la Compagnie française de Tourisme et l'Agence économique de l'Indochine à Paris ont, d'accord avec les Messageries maritimes, établi des voyages collectifs de 3 à 6 personnes, comportant, pour un prix forfaitaire, une tournée de six à sept semaines de Saïgon à Angkor, dans la région de Nape (au Laos), au Lang-bian, à Hué et Hanoï, à la Baie d'Along, avec retour à Saïgon. Cette coordination se poursuit méthodiquement, sous l'impulsion de l'éminent président des Messageries maritimes, M. Georges Philippar; il est certain qu'elle portera sous peu de beaux fruits. Déjà plus de 15 millions de piastres ont été consacrés au tourisme indochinois, et l'on estime que dès 1930 les dépenses des visiteurs seront de l'ordre de grandeur de près de 750 piastres par voyageur, soit 1 million de piastres si 1.250 touristes viennent dans le pays. Cette recette progressera rapidement dans les années prochaines, et l'économie de l'Union y trouvera son compte. Mais il sera bon, pour arriver au plus tôt aux meilleurs résultats, de réaliser dans notre province asiatique une oeuvre inspirée de celle si magistralement mise au point en Afrique du Nord par la Compagnie générale transatlantique, établissant une entente intime entre les transports terrestres et maritimes et les hôtels, dirigeant les déplacements et les excursions (voire les chasses tropicales »), assurant une progagande « intense, procurant aux usagers le maximum d'agréments. 80



CHAPITRE XI

LES PROBLÈMES ACTUELS

1

Problèmes politiques. — Problèmes économiques. — Problèmes financiers. Vue d'ensemble.

— Les indications fournies pas à pas dans ce livre ont montré que, si notre autorité s'est assez rapidement bien assise en Indochine et si nous avons réussi à y organiser un système gouvernemental et administratif permettant d'agir efficacement sur les destinées du pays, le régime présent ne saurait être regardé comme immuable. Il aura, au contraire, à évoluer en fonction même des résultats de notre oeuvre d'éducation des populations indigènes et d'adaptation de leur mentalité à la civilisation moderne; il devra, d'autre part, tenir compte des répercussions possibles d'événements extérieurs de divers ordres qu'il n'est pas en notre pouvoir de prévenir ou d'orienter, mais dont il nous faudra enrayer ou canaliser l'influence dans l'Union par des mesures appropriées. Quatre séries de problèmes politiques se posent de ce chef à nous dans notre colonie asiatique: les deux premières, de nature interne, concernent l'indigénat et la répartition des attributions législatives et exécu tives entre les autorités de la métropole et celles de la possession; les PROBLÈMES POLITIQUES.

1. Cf. les ouvrages généraux précités, les discours des gouverneurs généraux, des gouverneurs de Cochinchine et résidents supérieurs devant les Assemblées locales, et : HENRI DANGUY, Le Nouveau Visage de la Cochinchine (1929); RENÉ THÉRY,

Rapports des changes avariés et des règlements extérieurs (1912). — Voir aussi les collections des divers quotidiens et périodiques indochinois.


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L'INDOCHINE

deux dernières ont trait à la menace bolcheviste qui pèse sur tout l'ExtrêmeOrient et aux convoitises internationales dont la domination du Pacifique est l'objet. Nous avons déjà fait allusion avec quelques détails au problème de l'indigénat. Il est né de la prétention des classes supérieures annamites et cambodgiennes à participer plus directement à la vie publique du territoire, à n'être plus soumises à une tutelle qu'elles jugent humiliante, et, pour tout dire, à être placées sur un pied d'égalité complète avec les citoyens français. Ces aspirations se concrétisent en des revendications précises : les indigènes demandent à être admis à tous les emplois officiels, quels qu'ils soient, à siéger dans des assemblées politiques ayant des attributions bien définies et largement étendues, et à avoir en toute chose les mêmes droits que les colons de la mère-patrie. En face de ces tendances, d'excellents esprits pensent qu'il n'est pas d'autre attitude à prendre que la « manière forte » et la « résistance à outrance » : le maintien intégral du statu quo est à leurs yeux une nécessité, parce que toute concession sera interprétée comme une preuve de faiblesse, que les Extrême-Orientaux demeurent foncièrement hostiles à notre civilisation, et que si on leur confère une part importante dans la gestion de la collectivité ils ne manqueront pas d'user de leur puissance nouvelle pour léser nos intérêts et aller au séparatisme. L'opinion exactement inverse est aussi vigoureusement défendue: on fait valoir en sa faveur que l'obligation d'une nation colonisatrice est d'élever le niveau moral, intellectuel et social des populations dont elle a assumé la direction, et que le but de ses efforts est justement de les habiliter à se guider elles-mêmes dès qu'elles en deviennent capables. Annamites et Cambodgiens, dont l'intelligence et la souplesse ne sont point contestables, ont appris en un contact de plus d'un demi-siècle avec nous comment doivent être gérées leurs collectivités: il n'y a donc plus de raison de les traiter en « mineurs » au même titre que les « sauvages ». Comme toujours, la vérité est entre ces deux pôles. Beaucoup d'indigènes comprennent maintenant l'utilité de nos institutions et apprécient l'amélioration que nos méthodes apportent à leur condition. Mais l'assimilation de civilisations totalement différentes n'est pas achevée, des antagonismes subsistent, exacerbés par de récentes explosions de


LES PROBLÈMES ACTUELS

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xénophobie en Chine et aux Indes, entretenus soigneusement par la propagande bolcheviste, et de nombreuses étapes restent à franchir avant que la masse de la population puisse en connaissance de cause exercer pleinement les fonctions de « citoyen français indochinois ». Il convient, dès lors, de poursuivre inlassablement le travail éducatif déjà entrepris, de répandre une instruction répondant aux besoins locaux, de faciliter l'acquisition des titres et diplômes, si hauts soient-ils, sans autre limitation que celle assignée par l'intelligence et l'adaptation des candidats, et d'accorder à leurs titulaires l'accession à toutes les administrations et tous les emplois, sauf ceux qui mettent en jeu les droits de souveraineté de la France : pour exécuter ce programme, d'ailleurs, il sera essentiel de ne point dispenser sans discernement la culture spécifiquement française, et il y aura heu de contrôler strictement les envois et la conduite dans la métropole des jeunes Annamites et Cambodgiens désireux d'y accomplir leurs études supérieures. Parallèlement, une collaboration doit être cherchée entre le Français et le « regnicole » pour la conduite des intérêts supérieurs de la « Confédération indochinoise ». Mais celle-ci ne peut pas encore revêtir un caractère uniforme, parce que toutes les parties de l'Union ne sont point arrivées au même stade de développement : la sagesse commande donc d'établir cette collaboration d'abord dans des organismes locaux, puis régionaux, dont la compétence et les attributions varieront selon les caractères et les capacités des habitants, et de préparer graduellement son extension par la formation d'assemblées consultatives générales. Quant à l'égalisation pure et simple des droits des indigènes et des Français, elle ne sera acceptable qu'à l'heure encore lointaine où ce

aura été entièrement parcouru. Il sera bon, en attendant, de témoigner de libéralisme dans les naturalisations, pourvu qu'elles restent individuelles et entourées de garanties sérieuses de loyalisme de leurs bénéficiaires et n'atteignent que des personnalités ayant reellement « digéré » notre culture. Dans tout cela, les principes dominants de notre politique sont maintenant dégagés clairement et la réussite dépendra simplement du tact avec lequel ils seront pratiquement appliqués. M. le gouverneur général Pasquier, qui connaît à fond le pays, est de taille à mener la tâche à bonne fin si on lui en laisse le loisir: pour que se nouent les relations de concycle


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L'INDOCHINE

fiance mutuelle par lesquelles on arrivera au résultat souhaité, il faut qu'un maximum de stabilité soit assuré à notre haut personnel admi-

nistratif. La question de la répartition des attributions législatives et exécutives entre la métropole et la possession se rattache assez étroitement à celle qui vient d'être traitée. En effet, l'arrière-pensée des partisans de l'autonomie de l'Indochine en la matière est que l'Union devrait former un État parlementaire ayant son individualité propre, se gouvernant personnellement, et n'entretenant avec la France continentale que des rapports comparables à ceux qui existent entre les Dominions les plus affranchis et le pouvoir central de la Grande-Bretagne. Or, il est évident qu'une telle conception est prématurée aussi longtemps que sera jugée impossible la formation d'une assemblée délibérative qui aurait l'aspect d'une « Chambre des députés de la colonie ». Les observations présentées ci-dessus suffisent donc à ajourner la solution ainsi préconisée. Mais, allant plus avant dans l'examen de cette thèse, nous déclarons que, même si les esprits étaient mûrs pour l'introduction dans le territoire d'un véritable système parlementaire, la création du « Dominion indochinois » nous semblerait dangereuse : les structures constitutionnelles du type de celle du Canada ou de l'Australie ne sont compatibles avec le maintien du « lien d'Empire » que parce qu'elles s'appliquent à des régions où la grande majorité de la population est de même race que celle de la mère-patrie; la communauté de tradition historique et de sentiment permet la continuation d'un état de subordination de la colonie à la métropole. Si cette communauté manquait, les quelques prérogatives que conserve encore la couronne apparaîtraient vite insupportables, et la séparation se produirait définitivement entre les différents tronçons de l'Empire. Ériger l'Indochine en Dominion équivaudrait par conséquent à préparer la proclamation prochaine de son indépendance absolue: celle-ci ne serait pas avantageuse pour elle, car l'Union tire sa prospérité et ses facultés d'essor du soutien de la vieille France; elle porterait aussi un rude coup à l'équilibre de notre économie d'ensemble. Mais si cette hypothèse nous paraît ainsi devoir être exclue, nous croyons sincèrement qu'il sera utile de fixer un statut administratif spé-


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cifiant quelles matières doivent être réglées par le pouvoir législatif

métropolitain, quelles autres sont du ressort du pouvoir exécutif centrai et quelles relèvent de l'administration de l'Union, avec ou sans ratification du Gouvernement de Paris, avec ou non délibération ou consultation des assemblées locales. Cette charte, d'ailleurs, sera soumise à des revisions périodiques, les matières confiées à l'appréciation des corps constitués de la colonie étant appelées à se multiplier au fur et à mesure des « progrès civiques » de sa population. Ceci aussi sera affaire de longue haleine, exigeant une patience de tous les instants du gouverneur général et de ses collaborateurs. La diffusion des idées bolchevistes dans l'Asie septentrionale et orientale et les perturbations qui s'en sont suivies en Chine, puis, plus récemment, les agitations survenues aux Indes ont causé d'assez vives inquiétudes dans notre possession. On s'est demandé si la contagion ne la gagnerait pas à son tour et de sombres prophéties ont été formulées sur l'avenir de nos installations. En fait, des désordres se sont manifestés dans l'Union depuis quelques mois : ils paraissent avoir eu pour cause l'exploitation de mécontentements sous la precsion de « meneurs » gagnés à la cause des soviets ou fortifiés dans leur haine de la France au cours d'études mal comprises en Europe. Ces désordres, heureusement, sont demeurés épisodiques : il serait cependant imprudent d'en déduire que le péril n'existe pas. Sans doute, les idées communistes qui ont triomphé à Moscou ont peu de chances d'être saisies à Hanoï ou Cholon, et il est improbable qu'un mouvement doctrinal s'y dessine jamais, comme celui qui porta au pouvoir Lénine et ses amis. Mais si les fins ultimes du bolchevisme peuvent de longtemps être inaccessibles aux Annamites et aux Cambodgiens, ses moyens d'action immédiate, au contraire, sont susceptibles de séduire des groupes d'« aigris » : on en a vu un exemple en Chine, où les nationalistes les plus xénophobes n'ont pas hésité à s'unir aux « révolutionnaires rouges » pour bouleverser avec leur concours un « ordre de choses » qui ne leur convenait pas, et l'on en aperçoit un autre dans les troubles des Indes. Pareille alliance serait possible en Indochine, si toute latitude de manoeuvrer à leur guise était donnée aux adversaires de notre politique d'adaptation progressive des civilisations locale et occi-


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dentale, aux partisans de l' « émancipation » instantanée des indigènes, de la formation d'un « Parlement jaune » aux attributions illimitées; après la destruction de l'organisation actuelle, assurément, la discorde éclaterait entre les associés de la première heure : l'irréparable, malheureusement, aurait été commis. Par bonheur, tous les recoupements prouvent que la fermentation constatée depuis quelques années est plus bruyante que profonde, et n'émane que de clans peu nombreux dont l'influence est négligeable sur la majorité de la population; il suffira dès lors, pour rester à l'abri de toute surprise, de combattre leur influence, de garder le contrôle « moral » de la masse, de lui inspirer une confiance croissante dans nos représentants, de la convaincre de plus en plus que nous contribuons à l'amélioration de son sort, et, en même temps, de surveiller et enrayer énergiquement les agissements des factieux. Une administration cohérente, à la fois libérale et ferme, soucieuse du progrès moral et matériel du territoire et décidée à réprimer la moindre tentative de trouble sera notre meilleure sauvegarde. Les événements actuels sont une incitation à cette vigilance : si, par faiblesse ou incompréhension, nous nous laissions déborder, nous ne tarderions pas à être engagés dans des aventures périlleuses. Quand les problèmes politiques internes seront résolus dans l'esprit que nous avons indiqué et lorsque la pression bolcheviste se trouvera écartée définitivement par les moyens qui viennent d'être énoncés, il nous sera aisé de prévenir les complications internationales que risque d'entraîner quelque jour la rivalité pour la domination du Pacifique. Trois pays sont aux prises dans cette lutte : les États-Unis, pour des raisons d'expansion commerciale et industrielle extérieure et de défense nationale contre l'immigration asiatique, veulent occuper des « points stratégiques » sur les rivages occidentaux du Grand Océan; les Japonais, éclatant économiquement et démographiquement dans leurs îles surexploitées et surpeuplées, et entravés dans leurs débouchés vers le Nouveau Monde, ne sont pas moins ardents à souhaiter que leur souveraineté s'étende à de vastes territoires qui pourraient servir d'exutoire à leur activité débordante et consolider leur puissance ascendante; la GrandeBretagne, enfin, jalouse de sa suprématie maritime, désireuse d'élargir les « marches » qui couvrent sa colonie des Indes, implantée dans le


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Pacifique sud, regrette d'avoir manqué l'occasion de compléter son empire par l'acquisition de la portion la plus riche et la mieux située stratégiquement de la dernière des péninsules asiatiques. Témoins de ce débat, ne sommes-nous pas exposés à. en être les victimes ? La colonie est singulièrement loin de nous et nos forces navales sont trop faibles pour qu'il soit possible d'espérer que nous résisterions sur place à une agression d'envergure: le prochain conflit mondial ne nous arrachera-t-il pas notre création laborieuse? Il est permis de supposer que le développement des sentiments de solidarité internationale qui s'affirme lentement, à travers mille difficultés, fera obstacle à de tels déchirements. D'autre part, la multiplicité même des compétiteurs éventuels sera pour nous une cause de salut, chacun des trois États nommés préférant nous voir à la tête de l'Indochine plutôt que de tolérer la substitution d'un concurrent plus direct. Des devoirs particuliers nous incombent, pourtant, en raison de cette situation. D'une part, il est indispensable que la paix intérieure ne cesse pas d'être maintenue dans l'Union; il est utile, en second lieu, que notre gestion de l'Indochine soit impeccable et rencontre une « opinion mondiale favorable »; il importe, enfin, que par des conventions judicieuses nous entretenions des relations amicales avec tous les États dont les ressortissants travailleront à un titre quelconque avec notre possession. La première de ces conditions sera remplie par la mise en oeuvre de la politique interne que nous avons préconisée, et à la réalisation de laquelle nos autorités se sont attachées: ceci, déjà, augmentera notre prestige et notre crédit moral international; l'un et l'autre se trouveront consolidés si nous assurons la mise en valeur optima du territoire, et si nous accentuons son rayonnement économique en en faisant le pivot de toutes nos « provinces » du Pacifique; quant aux relations « de bonne réciprocité » à instituer avec l'étranger, elles résulteront d'un ensemble d'accords douaniers et « d'établissement ». Et par là le problème international se lie aux problèmes économiques et financiers. Si, d'ailleurs, nous manquions à notre mission, d'autres compétitions surgiraient peut-être de la part de certains membres de la Société des Nations : cette considération est un argument de plus en faveur d'une action résolue.


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— Nous nous sommes appliqué, dans chacun de nos chapitres consacrés à la production et aux échanges de notre colonie, à souligner objectivement les résultats obtenus sous notre impulsion, les possibilités d'essor futur, et, aussi, les imperfections qui subsistent dans notre aménagement. Nous avons également noté, au passage, les dispositions propres à hâter de nouveaux développements. Incontestablement, les progrès accomplis jusqu'à présent sont magnifiques, et nous sommes en droit de nous en glorifier : mais le succès même oblige à persévérer dans l'effort, et nous perdrions vite le fruit de notre peine si nous nous contentions désormais de vivre sur nos positions sans tenter de pousser plus haut le niveau de l'économie du pays. Pour la rendre plus prospère, nous avons, sans arrêt, à renforcer considérablement l'outillage public, à mettre complètement au point le régime foncier et celui de la main-d'oeuvre, à régler, enfin, les grosses questions douanières en suspens. Les programmes de grands travaux en cours d'exécution amélioreront certainement la situation actuelle. Mais — nous l'avons remarqué — ils constituent un minimum et ne sauraient être considérés que comme une première tranche, à laquelle devront succéder beaucoup d'autres à brève échéance. Si, en effet, on se bornait aux réalisations entreprises, on répondrait à peine aux besoins dès maintenant reconnus, et on ne satisferait pas à ceux que le développement de l'activité générale engendrera dans les années prochaines. C'est au perfectionnement incessant des moyens de communication qu'il importe de s'employer avant tout. Les routes et voies ferrées doivent être largement étendues dans presque toutes les directions, aussi bien pour « débloquer » les régions centrales encore mal desservies que pour mettre en relations pratiques les zones nouvelles à exploiter avec les centres de population pléthorique. Nous estimons qu'il serait utile, dans la décade à venir, d'augmenter d'au moins 50 p. 100 et probablement 75 p. 100 la longueur des routes empierrées, de remplacer par des ponts définitifs tous les passages de rivières en bacs qui continuent à couper certaines d'entre elles, de multiplier les pistes provisoires « autoPROBLÈMES ÉCONOMIQUES.


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mobilables » partout où l'artère en macadam ne paraîtra pas tout de suite indispensable, de doubler le réseau ferré tel qu'il se présentera après achèvement des constructions commencées en 1929, et d'accroître sensiblement le débit des sections existantes par la consolidation de l'infra-

structure, des rails et du matériel roulant, par l'installation de garages et croisements supplémentaires, par l'agrandissement de la plupart des stations. Il ne sera pas moins urgent de donner une vive impulsion à la navigation fluviale à vapeur ou à moteur en rectifiant le lit des principaux cours d'eau, en corrigeant leur régime dans la mesure du possible, et en poursuivant la mise au point des gabarits des canaux deltaïques. La modernisation des ports de Saïgon, Haïphong et Tourane, la correction des imperfections de leurs accès (notamment sous le rapport de l'éclairage) et la création d'un port d'escale (à Cam-ranh probablement) sont également urgentes. En liaison avec l'aménagement des ports, on aura à améliorer encore les relations maritimes avec l'extérieur : vers l'Europe, la Chine et le Japon, l'action des Messageries maritimes se poursuit de façon satisfaisante, et il sera utile de renforcer les lignes, à destination de l'Insulinde, des Philippines, et, surtout, de nos possessions de Nouvelle-Calédonie et d'Océanie. La « politique de l'eau » n'est pas davantage à négliger: nous pensons que, pour les irrigations et drainages, la cadence adoptée depuis 1926 est suffisamment accélérée et a simplement à être maintenue sans défaillance; en matière de protection contre les inondations, au contraire, l'effort fourni a été trop timide, et il sera indispensable de le pousser

délibérément. En ce qui touche l'électrification du territoire, beaucoup reste à faire: mais les développements souhaitables s'effectuent en harmonie avec l'évolution de sa vie matérielle, et les dispositions paraissent prises pour que de ce côté l'équipement progresse sans à-coup, à une allure absolument normale. Telle qu'elle est ainsi définie, l'oeuvre d'extension de l'outillage indochinois à accomplir apparaît considérable. Il faudra, pour la mener à bien, que les pouvoirs publics et les initiatives privées collaborent intimement, et que la plus judicieuse largeur de vues préside à la répartition des tâches, dont certaines auront à être exécutées en régie, et dont d'autres seront plus avantageusement confiées à des concessionnaires. plus


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On a vu plus haut que le régime foncier de la possession a longtemps souffert d'une instabilité fâcheuse, et que des flottements regrettables se sont produits dans la dévolution des terres du domaine de la colonie. Les réglementations maintenant en vigueur ont remédié au mal et l'on peut espérer que dorénavant aucun incident ne surgira plus. Des réformes importantes, toutefois, sont encore à réaliser. La généralisation du système de l'immatriculation et de l'organisation des hypothèques qui en est le corollaire est hautement souhaitable, et il est nécessaire que le cadastre soit au plus tôt dressé dans l'ensemble du pays.

L'administration se consacre activement à cette besogne, facilitée aujourd'hui par les procédés de relevés photographiques par avions. Nous ne saurions trop insister pour que ce travail soit conduit avec un maximum de diligence. Il a été affirmé durant une longue période que le problème de la maind'oeuvre n'existait pas en Indochine. Une expérience récente prouve que ce postulat est trop absolu, et nous avons eu l'occasion de souligner que diverses entreprises de plantations et de mines ont été gênées par les obstacles rencontrés dans le rassemblement de leur personnel. Ces obstacles ne sont pas insurmontables. Il résulte, en effet, d'enquêtes officieuses et officielles que, si bien des zones de l'intérieur (Centre Annam et surtout Laos) sont dépourvues de travailleurs, il existe au Tonkin et dans quelques parties de l'Annam oriental de gros excédents qui n'arrivent pas à trouver sur place des occupations rémunératrices: ils paraissent capables de satisfaire à tous les besoins de l'Union et même d'envoyer des contingents dans certaines autres possessions françaises (principalement en Nouvelle-Calédonie, dans les Nouvelles-Hébrides et en Océanie). Leur recrutement, toutefois, doit être réglementé soigneusement, à la fois pour qu'une publicité convenable soit assurée aux offres et aux demandes, pour que toutes garanties soient données aux salariés quant à la condition matérielle qui leur sera faite, et pour que l' « embauche » n'ait jamais un caractère coercitif. Plusieurs circulaires inspirées de ces principes ont été édictées dans les derniers mois par M. le gouverneur général Pasquier, et leurs premiers résultats sont encourageants. Quelque hésitation subsiste néanmoins quant à la détermination des « garanties » à donner aux ouvriers indigènes,



Rizières inondées ou à sec dans la région de Kien-an (Tonkin).

La baignade des buffles dans le Donnai (Bien-hoa)

THÉRY.

Pl. XXXII, p. 205.


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et quant aux mesures destinées à atténuer les difficultés spéciales que les mines éprouvent à trouver des travailleurs « de fond ». Sur les garanties à donner aux indigènes, des tendances très opposées se sont exprimées. Les partisans du « laisser faire » observent que toute obligation de salaire minimum, toute spécification de nourriture et logement, et, surtout, toute législation « sociale » (visant les accidents du travail, les assurances, etc.), grèveront dangereusement les exploitations, amèneront les « coolies » à réduire systématiquement leur rendement, à simuler des indispositions ou des blessures, à formuler des revendications intolérables, et, finalement, paralyseront l'essor économique de la colonie. Les « sociologues » prétendent, à l'inverse, que la répression d'abus évidents permettra seule de rétablir le recrutement nécessaire, et ajoutent que notre devoir civilisateur commande l'application aux populations jaunes du statut tutélaire auquel toutes les nations d'Europe et d'Amérique ont peu à peu adhéré. Une fois de plus la vérité se tient entre les deux thèses extrêmes : un certain nombre de précautions sont dès maintenant légitimes pour éviter que les contrats de durée n'aboutissent à un esclavage déguisé, pour veiller à ce que le labeur de chacun soit payé à son juste prix, à ce que les salariés ne dilapident pas puérilement leur paye « au jour le jour », pour obtenir qu'ils soient placés dans un milieu physique et moral favorisant leur élévation; mais il serait à nos yeux prématuré — absurde, même — de vouloir sans transition appliquer à l'Indochine un « Code du travail » calqué sur celui de la métropole: les temps ne sont point révolus encore pour cela, et des étapes successives devront être lentement parcourues, tenant compte de toutes les contingences locales, avant que le « régime européen » puisse être institué dans l'Union. En ce qui concerne l'alimentation en main-d'oeuvre des exploitations du sous-sol, la répugnance traditionnelle des Annamites à descendre « dans les profondeurs souterraines » oblige à envisager, d'une part, l'industrialisation maxima des moyens d'extraction, d'autre part l'immigration de certaines races chinoises. La première série de transformations est en cours. La politique d'immigration chinoise soulève des questions délicates de sécurité nationale et de paix sociale : il y aura lieu, très vraisemblablement, d'en étudier toutes les modalités, avec le ferme dessein d'aboutir à une solution. THERY.

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Le problème de la main-d'oeuvre sera, d'ailleurs, d'autant plus aisé à régler que, par une « rationalisation » appropriée, les grandes entreprises réduiront le recours au « travail humain » en lui substituant amplement le « travail mécanique », et que le développement des services d'autobus, chemins de fer et bateaux multipliera les « migrations temporaires » nécessitées par l'évolution économique. Si l'on s'oriente dans la voie que nous indiquons, toutes les branches de la production et des échanges de l'Union disposeront du personnel indispensable à leur prospérité, et il demeurera un surplus d'effectifs grâce auquel l'Indochine pourra concourir efficacement à la mise en valeur de nos autres établissements d'Extrême-Orient. L'adaptation du régime douanier de la possession à ses besoins actuels est le dernier des grands problèmes économiques qui se posent en ce moment de façon aiguë. Grâce aux assouplissements apportés au système antérieurement en vigueur par la loi métropolitaine de 1928, la colonie pourra, dans le cadre de la « France totale », établir des tarifs répondant à des nécessités vitales. Il y aura lieu d'assurer par une protection judicieuse des possibilités de croissance aux industries déjà nées, tout en conciliant leurs intérêts avec ceux des industries de la mère-patrie, et il faudra, par des conventions particulières, augmenter dans les deux directions les courants commerciaux avec les marchés des Indes, de l'Insulinde, de la Birmanie, des entrepôts anglais de Singapore et Hong-kong, de la Chine et du Japon. Il y aura lieu également, par des droits méthodiquement calculés, de faciliter les relations de l'Océanie, des Nouvelles-Hébrides et de la Nouvelle-Calédonie avec Saïgon et Haïphong, qui devraient devenir pour ces possessions de véritables centres de transit mondial. La tâche, en cette matière, sera complexe, toute de détails et de concessions réciproques; la situation incertaine de la Chine la compliquera et empêchera d'arriver tout de suite à des conclusions définitives: ce n'est pas un motif pour en différer la réalisation. Ici aussi on n'atteindra au but que pas à pas, mais des dispositions heureuses peuvent intervenir rapidement, et nous devons sans tergiverser aborder leur préparation.


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— Il n'est pas, dans le monde moderne, de bonne gestion politique et d'organisation économique progressive sans un régime financier solide et bien équilibré. Nous avons noté les réalisations déjà acquises dans ce domaine. Mais nous avons remarqué aussi que nous avions trop longtemps hésité en matière monétaire, que, de plus, le non-renouvellement de la charte de l'Institut d'émission entravait la diffusion de certaines formes de crédit, et, aussi, que des retouches étaient souhaitables au mécanisme budgétaire. L'unanimité s'était faite dès le début de 1928, quant à la nécessité impérieuse de créer en Indochine un rapport légal de valeur entre la monnaie intérieure et la seule monnaie désormais vraiment internationale, l'or. Au sujet des modalités et de la date d'application de la réforme, les avis restèrent malheureusement partagés pendant près de deux ans. Sous l'impulsion de M. Piétri, ministre des Colonies, le Gouvernement s'est rangé à la thèse des économistes : on a vu plus haut que, sans le moindre incident, la piastre a été stabilisée de facto au taux de de dix francs à dater de janvier 1930 et stabilisée légalement sur la même base en avril suivant, avec institution du cours légal de l'or. Le problème monétaire s'est ainsi trouvé résolu heureusement, avec simplement un retard qui a inutilement prolongé une insécurité fâcheuse. La Banque de l'Indochine a eu naturellement à participer activement à la réforme et elle continue à en assurer la bonne issue. Aussi est-il déplorable que son existence d'Institut d'émission reste précaire à cause de l'ajournement répété du renouvellement de son privilège. Plusieurs conventions ont été élaborées depuis huit ans en vue de ce renouvellement. Pour des considérations de politique pure, elles ont été successivement annulées, les nombreux ministères qui ont défilé au pouvoir en France ayant tour à tour incliné à conserver avec des amendements le régime en vigueur, ou à fonder un organe entièrement nouveau, sérieusement étatisé, ou encore à envisager une solution intermédiaire, impliquant l'attribution du privilège à un établissement particulier que contrôleraient en commun la Banque actuelle et l'État. PROBLÈMES FINANCIERS.


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La première formule a nettement nos préférences. Elle a été reprise récemment et un projet de loi est déposé pour la mettre en application. Il est hautement désirable qu'il soit rapidement voté, car il faut en finir avec la prorogation indéfinie du provisoire qui dure depuis 1921 : ici encore une décision rapide s'impose. Tant qu'elle ne sera pas prise, le développement du crédit agricole — dont nous avons montré la nécessité — ne pourra pas être poussé avec l'énergie opportune; or, malgré les progrès réalisés par les institutions qui le pratiquent, l'appui qu'il donne aux cultivateurs européens et surtout indigènes reste beaucoup trop limité et laisse une place exagérée aux agissements des usuriers chinois. La maîtrise de la Banque de l'Indochine lui a permis, malgré l'instabilité de sa situation, de continuer avec l'activité voulue à accorder aux entreprises financières, industrielles et commerciales de la possession, le soutien dont elles avaient besoin. Elle marchera plus délibérément encore de l'avant quand elle sera fixée sur son sort de banque d'émission, et elle pourra, alors, concourir plus efficacement au rapprochement des économies de l'Indochine et de nos territoires du Pacifique sud, en étendant l'aide qu'elle apporte déjà aux affaires travaillant dans toutes ces parties de notre empire. Pour exécuter les grands travaux publics dont nous avons marqué la nécessité, des ressources financières considérables devront être réunies. Une partie des dépenses pourra être payée sur les recettes budgétaires normales du gouvernement général et des divers États : mais si l'on veut, comme il est indispensable, « aller vite », il faudra également recourir à des emprunts dont le service pèsera naturellement sur les finances de l'Union. Celles-ci, bien équilibrées depuis quelques exercices, ne disposent pas d'une élasticité suffisante pour faire face aux charges à prévoir de la sorte, et l'on craint même que, sous l'effet de la crise économique présente, l'ère du déficit se rouvre si des précautions ne sont pas prises; les recettes du gouvernement général, trop exclusivement assises sur le produit des douanes (à l'entrée et à la sortie), sont soumises aux aléas dangereux des fluctuations du mouvement commercial extérieur; celles des États, fournies presque uniquement par des impôts directs dont le rapport n'augmente pas proportionnellement à l'accroissement


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des revenus privés, ont

une tendance regrettable à la « cristallisation ». Une refonte générale de la fiscalité doit par conséquent avoir lieu, afin de solidariser davantage sa productivité avec l'essor de la prospérité du pays, sans, bien entendu, écraser la formation des épargnes par des prélèvements excessifs. La réforme est à l'étude: nous exprimons le voeu qu'elle aboutisse à bref délai. Certes, en son état actuel, l'Indochine est apte à assumer au prix d'un faible effort le service d'un emprunt d'envergure (de quelque 3 milliards de francs); mais elle aura à s'endetter davantage avant qu'il soit longtemps si elle veut continuer sa progression, et c'est pourquoi son statu quo budgétaire serait fâcheux. En vue de ces emprunts à contracter, au surplus, on aura à déterminer les modalités optima permettant de drainer les capitaux et de la métropole et de la possession: le projet de création de bourses à Saïgon et Hanoï, facilitant la circulation locale des valeurs mobilières, contribuera à augmenter les chances de succès d'appels au crédit à l'intérieur même du territoire. La création de ces organes, du reste, ne sera pas utile seulement aux investissements dans les fonds publics de l'Union: elle favorisera aussi les placements dans les entreprises privées. Celles-ci ont obtenu jusqu'à l'an passé toutes les sommes dont elles avaient besoin sur le marché de la France continentale, et l'on peut espérer que le courant qui a porté nos épargnants à s'intéresser aux affaires indochinoises reprendra lorsque sera dissipé le marasme qui sévit en ce moment partout. Mais il est bon de n'avoir pas qu'une « corde à son arc », et nous sommes convaincu que l'économie de la possession sera largement fortifiée si elle trouve dans son propre sein un complément appréciable d'appuis financiers.


CONCLUSION

Lorsqu'au milieu du XIXe siècle nos troupes de marine prirent pied dans la Péninsule indochinoise, elles occupèrent une contrée repliée sur elle-même, souvent troublée par de véritables guerres intestines, dépourvue de tout moyen de tirer parti de ses immenses ressources, en état de léthargie. Nous lui avons apporté la sécurité, nous l'avons dotée d'une organisation administrative solide, nous y avons établi un outillage moderne, nous avons assuré le développement rapide de sa production et de ses échanges, nous l'avons, en un mot, élevée en quelques lustres au niveau d'une économie vivante. Les résultats obtenus dans tous les domaines ont été objectivement et impartialement exposés d'un bout à l'autre de ce volume. Ils nous paraissent assez beaux pour n'avoir pas à être commentés davantage, et peuvent sans conteste être inscrits au livre d'or de l'histoire de la colonisation française: en Extrême-Orient comme dans le monde entier, le génie souple et fin de notre race a su s'adapter aux situations locales et réaliser une construction harmonieuse, bien conforme à l'idéal national; nous avons été à hauteur de la tâche assumée, et nous avons rempli comme il convenait notre devoir de puissance tutélaire en procurant aux populations soumises à notre domination un surcroît de bien-être moral et matériel. Justice doit être rendue aux bons artisans de cette oeuvre. Les amiraux et leurs collaborateurs immédiats, d'abord, en posèrent les bases avec une admirable maîtrise, fixant du premier coup des directives précises dont l'expérience a démontré les qualités, traçant des cadres qui ont résisté à l'épreuve du temps et forment encore l'armature constitutionnelle de la possession.


CONCLUSION

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A leur suite, une pléiade de fonctionnaires civils éminents et de « grands gouverneurs » a poursuivi la besogne, remettant constamment l'ouvrage sur le métier, le complétant et le perfectionnantde jour en jour, sans jamais le tenir pour définitivement achevé. Et dans cette action persévérante, l'administration a eu la bonne fortune de pouvoir compter sur l'aide d'initiatives privées européennes, entreprenantes, a eu, aussi, la sagesse de provoquer leur collaboration, d'aller de l'avant avec elles, en une liaison intime et confiante. Longtemps sur la réserve, les indigènes ont compris peu à peu l'efficacité de notre effort et s'y sont associés en s'embauchant volontairement dans nos exploitations, en écoutant de mieux en mieux nos avis, en fondant eux-mêmes — les plus éclairés d'entre eux tout au moins — des affaires importantes conçues selon les principes de celles montées par nos compatriotes. Cet apport de labeur et d'intelligence aurait pourtant été vain si des capitaux considérables ne l'avaient pas soutenu. Le montant des fonds publics et privés que nous y avons affectés est naturellement très difficile à chiffrer : nous avons vu que la création de l'outillage (routes, voies ferrées, irrigations, drainages, protection contre les inondations, canaux, ports, installations électriques, bâtiments administratifs, scolaires et sanitaires) a dû coûter de 5 à 6 milliards de francs (en valeur actuelle); on estime, d'autre part, à plus de 2 milliards et demi les placements privés effectivement faits dans les entreprises bancaires (400 millions), de navigation et services automobiles (200 millions, abstraction faite des immobilisations destinées aux lignes maritimes ne concernant pas l'Indochine), de plantations, cultures et exploitations forestières (600 millions, dont 350 pour les seules plantations de caoutchouc), de mines (350 millions), d'industries diverses et de commerce (900 millions). Au total, donc, plus d'une dizaine de milliards de francs auraient été employés déjà par la mère-patrie à la mise en valeur de sa province asiatique, la cadence des investissements nouveaux s'étant d'ailleurs accélérée dans les dernières années (puisqu'en 1928 ils ont atteint 600 millions de francs). De ce travail et de ces sacrifices nous avons déjà largement bénéficié. Notre prestige moral et notre rayonnement international en ont été accrus, tant en raison des témoignages d'admiration que nous ont prodigués certains observateurs étrangers (comme lord Northcliffe), que par l'éclatante manifestation de loyalisme que nous ont donnée pendant la guerre


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les contingents annamites et cambodgiens accourus sur les champs de bataille de la France continentale. Notre puissance, aussi, s'en est trouvée sérieusement fortifiée, parce qu'un supplément notable de matières premières et denrées alimentaires a été assuré à la consommation métropolitaine, affranchie pour autant du tribut qu'elle était obligée de payer à d'autres pays, parce que nos industries ont conquis des débouchés utiles sur les marchés de la colonie, et parce que beaucoup des affaires indochinoises auxquelles l'épargne nationale s'est intéressée ont prospérée. Il convient évidemment que nous persévérions résolument dans la voie où nous sommes engagés. Nous avons à résoudre posément et fermement les « problèmes actuels » intérieurs et extérieurs, qui se présentent dans les termes énoncés en notre dernier chapitre; il nous faut intensifier l'expansion économique du territoire en développant davantage son équipement, en améliorant encore son organisation générale, en stimulant dans toutes les directions opportunes le zèle de ses habitants, jaunes et blancs; il importe, enfin, que nous fassions de notre belle possession asiatique le pivot de notre épanouissement dans le Pacifique, pour qu'elle devienne notre antenne avancée dans l'Extrême-Orient et justifie pleinement l'appellation de « métropole seconde » dont elle est déjà quelquefois qualifiée. L'exécution de ce programme n'ira certes pas sans des difficultés que nous avons eu soin de noter pas à pas. Aucune ne semble devoir constituer un obstacle infranchissable: mais pour toucher sûrement au but, il y aura lieu de maintenir inébranlable, et même de resserrer l'alliance des divers éléments dont la conjonction a été jusqu'ici si fructueuse : pouvoirs publics de la mère-patrie et de sa province lointaine, firmes particulières et individualités françaises et franco-indochinoises, activités indigènes, tous ont à coopérer étroitement. Il s'agira, dans cette réunion des compétences et des bonnes volontés, de réserver à chacune les attributions qu'elle est le plus apte à exercer au mieux. Les leçons du passé ne devront pas être oubliées à cet égard, et il sera essentiel d'éviter certains tiraillements, des empiétements d'autorité ou des abandons, des hésitations ou des emballements irréfléchis, qui, à plusieurs reprises, furent la cause de mécomptes passagers, de

piétinements et d'erreurs. Nous insisterons surtout pour que l'administration ne s'écarte pas de


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son rôle de guide, de coordinateur et de contrôleur, ne s'inspire pas de tendances étatistes antiéconomiques, et ne procède directement qu'aux réalisations excédant les possibilités des initiatives privées. Elle aura aussi à veiller à ce qu'en toute circonstance sa politique soit toujours stable et mesurée, et comporte des « plans de campagne » échelonnés sur une période suffisamment longue, minutieusement étudiés techniquement et financièrement, judicieusement équilibrés, ni trop « étriqués », ni mégalomanes. A nos compatriotes de la métropole et de la colonie, nous rappellerons que l'Indochine est pleine de promesses, et qu'elle leur offrira un vaste champ d'opérations rémunératrices, à la condition qu'ils ne s'y lancent pas à l'aventure, qu'ils y constituent des affaires assez résistantes pour franchir vaillamment l'étape de l'implantation et surmonter les crises inévitables, qu'ils s'abstiennent d'avancer en ordre dispersé mais, au contraire, créent dès le début des exploitations concentrées et « rationalisées », pourvu, enfin, qu'ils partent avec un esprit industriel et commercial, et non avec des arrière-pensées purement spéculatives. Il y a peu d'années, toute introduction à la Bourse de Paris des actions ou parts de fondateur d'une société indochinoise quelle qu'elle fût donnait naissance à un agiotage effréné, qui poussait leurs cours sans le moindre souci de leur valeur réelle et de leurs perspectives de rendement; de tels excès sont préjudiciables, et nous formons le voeu que dorénavant un public mieux informé apprenne à discriminer « le bon grain de l'ivraie ». Il appartiendra aux groupes dirigeants de l'économie de l'Union d'éduquer dans ce sens les épargnants : ils y réussiront en publiant des renseignements détaillés sur la marche de leurs entreprises et en empêchant la cotation prématurée de leurs titres. Quant aux indigènes, nous leur demanderons de juger sainement de ce que, depuis 1860, nous avons fait dans le pays et de mesurer équitablement les effets sur les races locales de notre intervention: lorsque toutes les élites auront saisi la signification de notre colonisation — que beaucoup, heureusement, ont déjà comprise — les « frottements » qui se constatent par intermittences (et sont arrivés récemment à un degré d'acuité regrettable) disparaîtront définitivement. Nous ne croyons pas être trop optimiste en pensant que ces mises au point nécessaires seront aisées. Leur réalisation assurera à l'Indochine


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d'autres progrès vers les destinées les plus brillantes, aussitôt que — comme il est indubitable — le ralentissement économique aujourd'hui observé aura de nouveau fait place à une activité de bon aloi. Certaine alors de ne manquer jamais de chefs habiles et d'animateurs infatigables, sachant qu'elle recevra de la Patrie restaurée tous les capitaux dont elle aura besoin, gratifiée par la nature de précieuses richesses, elle deviendra une puissance économique de premier plan, une pièce maîtresse de la « plus grande France ».


BIBLIOGRAPHIE

Les lecteurs désireux d'approfondir certaines questions pourront consulter utilement les ouvrages suivants : E. ANTONELLI. — Manuel de législation coloniale (1925). G. BARTHÉLÉMY. — Les Colonies françaises (1938). Colonel BERNARD. —; La Réforme du système monétaire Indochinois (1920). MARCEL BERNANOSE. — Les Arts décoratifs au Tonkin (1925). ALBERT BOEUF. — Histoire de la conquête de la Cochinchine (1927). JEAN BRUNHES. — Géographie humaine (1925). (1898)» CHAILLEY-BERT. — Les Compagnies de colonisation sous l'ancien régime H. CORDIER. — La France et la Cochinchine (1906). P. CULTRU. — Histoire de la Cochinchine française (1910). HENRY DANGUY. — Le Nouveau Visage de la Cochinchine (1929). P. DESFEUILLES. — L'Indochine (1927). MARCEL DÉTIEUX. — La Question monétaire en Indochine (1907). P. DISLÈRE. — Traité de législation coloniale (1910). ROLAND DORGELÈS. — Sur la route mandarine (1925). PAUL DOUMER. — L'Indochine française (1905). M. DUBOIS. — Systèmes coloniaux (1895). M. DUBOIS et A. TERRIER. — Un Siècle d'expansion coloniale (1902). A. DUCHÈNE. — La Politique coloniale de la France (1928). J. DUPUIS. — Les Origines de la question du Tonkin (1896). Ct DUSSAULT. — Inventaire général de l'Indochine (1928). G. FRANÇOIS et H. MARIOL. — Législation coloniale (1929). H. GAUTIER. — Les Français au Tonkin (1884). GERVILLE-RÉACHE. — Enquête sur la stabilisation de la piastre indochinoise (1928). MAURICE GIL. — Le Régime juridique et économique de la propriété foncière en Indochine (1925). ARTHUR GIRAULT. — Principes de colonisation et de législation coloniale (5e éd., 1927-1929). RENÉ GUEYFFIER. — Essai sur le régime de la terre en Indochine (1928). de la coloHistoire GEORGE HARDY. (1928). Géographie extérieure de la France — — nisation française (1928). riziculture en Indode démographie YVES HENRY et DE VISME. de Documents et — chine (1929).


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L'INDOCHINE

— La France des cinq parties du monde (1928). LUCIEN HUBERT. — Ce qu'il faut connaître de nos ressources coloniales (1927). F. JULLIEN. — Doudart de Lagrée (1883). DE LANESSAN. — L'Indochine française (1888). — La Colonisation française en Indochine (1895). A. DE LAPAULETTE, — Le Régime minier en Indochine (1920). LAUNAY. — Histoire de la Mission en Indochine (1924). PAUL LEROY-BEAULIEU.— De la colonisation chez les peuples modernes (5e éd. 1902). LYAUTEY. — Lettres du Tonkin et de Madagascar, 1884-1899 (1920). GEORGES MASPÉRO. — L'Indochine (t. I, 1929 ; t. II, 1930). L. MÉRAT. — L'Évolution du régime financier des colonies (1927). RENÉ MOREUX. — Les Trafics et l'outillage des ports de l'Indochine (1929). W. OUALID. — Le Privilège de la Banque de l'Indochine (1925). PALLU DE LA BARRIÈRE. — Histoire de la Cochinchine française (1864). H. PARMENTIER. — L'Art khmer primitif (1927). C. PERREAU. — Le Régime commercial des colonies françaises (1902). POUYANNE. — Les Travaux publics en Indochine (1926). QUILLET. — Géographie universelle (1923). RÉGISMANSET. — Le Miracle français en Asie (1922). RÉGISMANSET, FRANÇOIS, ROUGET. — Ce que tout Français doit connaître des colonies françaises (1924). H. RUSSIER et H. BRENIER. — L'Indochine française (1905). J. SAINTOYANT. — La Colonisation française sous l'ancien régime (1929). ALBERT SARRAUT. —La Mise en valeur des colonies françaises (1923). H. SIMONI. — Le Rôle du capital dans la mise en valeur de l'Indochine (1929). H. SOLUS. — Traité de la condition des indigènes en droit privé (1928). PHILIPPE STERN. — Le Bayon d'Angkor et l'évolution de l'art khmer (1927). RENÉ THÉRY. — Rapports des changes avariés et des règlements extérieurs (1912). TRAMOND et REUSSNER. — Éléments d'histoire maritime et coloniale contemporaine (1924). P. VIAL. — Les Premières années de la Cochinchine (1874). — Nos premières années au Tonkin (1889). On consultera aussi avec profit les publications officielles de l'Indochine (Annuaires statistiques, Bulletin économique de l'Indochine,Bulletin de l'Agence économique du gouvernement général, Rapports des principaux services), — Voir également les collections de divers périodiques (Chronique de l'Institut colonial français, Économiste européen et son Supplément colonial, Éveil économique de l'Indochine). — Cf. enfin les documents parlementaires, notamment les rapports annuels sur le budget du OCTAVE HOMBERG.


TABLE DES CARTES ET PLANCHES HORS TEXTE

Pages.

PLANCHE

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I. — La montagne dans la région de Vinh-yen (Tonkin). La vallée de Chomoï dans la province de Backan. — II. — Carte physique de l'Indochine — III. — Le Mékong et ses roches entre Louang-prabang et Vien-tiane. — Les rives du Nam-cau dans le Haut Laos — IV. — Les chutes d'An-kroch près de Dalat (Langbian) — Les dents du Trian près d'An-loc (Bien-hoa). . — V. — Le fleuve Rouge à hauteur de Hoa-binh. — VI. — Sur la côte de l'Annam : cap Varella et route Mandarine — VII. — La Baie d'Along (Tonkin) — Paysage avec lac dans la région de Backan — VIII. — Le col de Deo-ngang (Porte de l'Annam) — IX. — Femme annamite et son enfant — X. — Carte politique de l'Indochine — XI. — Marché dans un village de la province de Hadong — XII. — Caravane au repos dans la région de Lao-kay. — Jeunes Moï — XIII. — Marché dans la région de Gia-dinh — La rivière de Thu-duc (Cochinchine) — XIV. — Aux ruines d'Angkor : avenue de la Victoire. . — Bouddhas géants — XV. — Hué : tombeau de l'empereur Dong-khanh . . — Hué : tombeau de l'empereur Gia-long. — XVI. — Porte du Conseil d'Empire à Hué — Tombeaux de bonzes près de Tourane. — XVII. — Pagode et grotte de Huyen-khong-dhong —

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13 12 13

28 28 29 29 44

45 53 52

53 60 61

76 77 77 84 84 85 85

100 100 101 101 108


218

L'INDOCHINE

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PLANCHE XVIII. — Pagode d'An-thaï (Binh-dinh).

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Pagode chinoise de Saigon. XIX. — Jardins de la pagode de Vat-mai L'habitation des bonzes d'une pagode à Kratié. XX. — Carte économique de l'Indochine. XXI. — Hanoï : la rue de la Soie. . Hanoï : la rue Jules-Ferry. XXII. — Hanoï : Usines des Distilleries d'Indochine. . . XXIII. — La centrale électrique de Saïgon-Cholon. La centrale de Pnom-penh. XXIV. — La ville et les docks d'Haïphong XXV. — Hué : la rue principale Hué : le canal de Cam-phu XXVI. — La ville et le port de Faï-fo. XXVII. — Pnom-penh : hôtel de la Résidence. Pnom-penh : entrée du Palais XXVIII. — La rivière de Saïgon et l'arroyo chinois. Vue générale de Cholon XXIX. — Le boulevard Norodom, à Saïgon La rue Malabar, à Saïgon XXX. — Magasins, docks et ateliers de Saïgon XXXI. — Sur le bas Donnai

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Pages.

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109 109 124 124 125 132 132 133 140 140 141 156 156 157 172 173 173 173 188 188 189

204


TABLE DES MATIÈRES

AVANT-PROPOS

CHAPITRE Ier.

IL

1

— Considérations géographiques. Situation générale. — Formation géologique. — Relief. — Climat. — Hydrographie. — Côtes. — Ressources

naturelles................... populations.

— Les Les diverses races locales. — Moeurs, religions, littérature, arts et sciences indigènes. — Conséquences démographiques de notre occupation et de notre action sanitaire et éducative.— Les groupements actuels par régions et par villes III. — Etapes successives de notre colonisation. Premières interventions de la France. — Notre implantation en Cochinchine. — La pénétration vers le centre. — Établissementdes protectorats. — Formation et extension de l'Union indochinoise. — Aspect actuel de notre domination. IV. — Constitution politique et administrative. Gouvernement général, gouvernements locaux, circonscriptions. — Organes législatifs, exécutifs et judiciaires. — Pouvoirs respectifs de la métropole et de la colonie. — La participation des indigènes au gouvernement et à l'administration et la question des nationalités. V. — L'outillage public. La politique des communications intérieures.— Routes. — Chemins de fer. — Navigation fluviale et côtière. — Ports. — La politique de l'eau. — Urbanisme. — Électrification. — Télégraphes, téléphone, T. S. F. — L'aviation. — Vue d'ensemble. VI. — L'organisation économique. Monnaie. — Crédit. — Régime foncier. — Législation minière. — Législation civile et commerciale. —

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5

19

37

49

65


220

L'INDOCHINE

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Réglementation du travail. — Douanes. — Finances publiques. — Vue d'ensemble CHAPITRE VII. — Productions agricoles. Riz. — Céréales diverses. — Cultures vivrières, maraîchères et fruitières. — Cultures tropicales. — Cultures industrielles. — Sériciculture. — Forêts. — Élevage.—Pêche et chasse. — Vue d'ensemble . . . soas-sol. VIII. Productions du — — Charbon. — Zinc. — Etain. — Phosphates. — Productions diverses.— Vue d'ensemble . IX. — Industries. — Industries alimentaires. — Industries transformatrices des produits forestiers et des végétaux non alimentaires. — Industrie textile. — Métallurgie et construction mécanique. — Industries diverses. — Vue d'ensemble X. — Commerce et transports. — Organisation du commerce extérieur asiatique. — Le commerce européen et ses méthodes. — Les courants d'échange. — Mouvement des transports automobiles, fluviaux, ferroviaires et maritimes. XI. — Les problèmes actuels. — Problèmes politiques. — Problèmes économiques. —

......

...

6877-30. —

Tours, imp.

ARRAULT

et Cie.

96

117 153

165

175







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