École militaire de l'artillerie et du génie. Rôle de l'officier dans la nation armée. [Titre premier]. Versailles, [...]
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École militaire de l'artillerie et du génie. Rôle de l'officier dans la nation armée. [Titre premier]. Versailles, 1904-1905. 1904-1905. 1/ Les contenus accessibles sur le site Gallica sont pour la plupart des reproductions numériques d'oeuvres tombées dans le domaine public provenant des collections de la BnF. Leur réutilisation s'inscrit dans le cadre de la loi n°78-753 du 17 juillet 1978 : - La réutilisation non commerciale de ces contenus est libre et gratuite dans le respect de la législation en vigueur et notamment du maintien de la mention de source. - La réutilisation commerciale de ces contenus est payante et fait l'objet d'une licence. Est entendue par réutilisation commerciale la revente de contenus sous forme de produits élaborés ou de fourniture de service. CLIQUER ICI POUR ACCÉDER AUX TARIFS ET À LA LICENCE 2/ Les contenus de Gallica sont la propriété de la BnF au sens de l'article L.2112-1 du code général de la propriété des personnes publiques. 3/ Quelques contenus sont soumis à un régime de réutilisation particulier. Il s'agit : - des reproductions de documents protégés par un droit d'auteur appartenant à un tiers. Ces documents ne peuvent être réutilisés, sauf dans le cadre de la copie privée, sans l'autorisation préalable du titulaire des droits. - des reproductions de documents conservés dans les bibliothèques ou autres institutions partenaires. Ceux-ci sont signalés par la mention Source gallica.BnF.fr / Bibliothèque municipale de ... (ou autre partenaire). L'utilisateur est invité à s'informer auprès de ces bibliothèques de leurs conditions de réutilisation. 4/ Gallica constitue une base de données, dont la BnF est le producteur, protégée au sens des articles L341-1 et suivants du code de la propriété intellectuelle. 5/ Les présentes conditions d'utilisation des contenus de Gallica sont régies par la loi française. En cas de réutilisation prévue dans un autre pays, il appartient à chaque utilisateur de vérifier la conformité de son projet avec le droit de ce pays. 6/ L'utilisateur s'engage à respecter les présentes conditions d'utilisation ainsi que la législation en vigueur, notamment en matière de propriété intellectuelle. En cas de non respect de ces dispositions, il est notamment passible d'une amende prévue par la loi du 17 juillet 1978. 7/ Pour obtenir un document de Gallica en haute définition, contacter utilisationcommerciale@bnf.fr.
ECOLE MILITAIRE \JE
L'ARTILLERIE ET DU GÉNIE
a
ROLEDEL'OFFICIER NATION ARMÉE
-1 PRIX
:
3
francs
Versailles, 19°4.'19°5.
ECOLE MILITAIRE DE
L'ARTILLERIE ET DU GENIE
ROLE DE L'OFFICIER DAXSLA
NATION ARMÉE
Versailles, igo4-igo5.
Avant-propos Lorsqu'un décret du Président de la République leur confère le grade de sous-lieutenant, la plupart des jeunes officiers connaissent les droits et prérogatives que leur accorde la loi. Jusqu'à ces derniers temps, on était moins en droit d'affirmer qu'ils connaissaient aussi bien et dans toute leur étendue les devoirs que leur impose leur fonction. Autrefois,lorque les campagnes étaient fréquentes et rapprochées, des vocations guerrières poussaient à la carrière militaire les esprits aventureux. Toute une génération était encore portée au métier militaire sous l'impression profonde des désastres de 70. Des jeunes officiers d'aujourd'hui, les uns ont été séduits par les côtés extérieurs, agréables, brillants, de la vie de garnison d'autres, par l'influence ou les traditions de leur famille d'autres, enfin, par une imagination enthousiaste qui, le plus souvent à la suite de récits ou de lectures, leur a fait voir dans le métier militaire une succession ininterrompue de hauts faits et d'actions
;;
d'éclat. Il appartient à ceux qui ont reçu mission de préparer, deformer les jeunes officiers à l'accomplissement de leurs fonctions — et c'est là le but essentiel de ces conférences — de leur montrer toute l'importance, toute l'étendue, toute la gravité des devoirs qui leur incombent. Dans un article de la Revue des Deux Mondes (15 mars 1891), qui a eu un profond retentissement, le général Liautey, alors capitaine, s'adressant aux éducateurs de la jeunesse, écrivait « Aux officiers de demain, dites que s'ils ont placé
:
;
leur idéal dans une carrière de guerres et d'aventures, ce n'est pas chez nous qu'il faut le poursuivre ils ne l'y arrachez-leur cette illusion avant les trouveront plus déceptions tardives. Mais donnez-leur cette conception féconde du rôle moderne de l'officier devenu l'éducateur de la nation entière. » Et il montrait nettement l'obligation de préparer l'officier à ce rôle. « Le service obligatoire, strictement appliqué, en ( faisant passer toute la nation par les mains de l'officier, « a grandi dans la mesure la plus large son rôle d'édu« cateur. »
;
le remplit qu'imparfaitement parce que, s'il y « est apte, n'y est nullement préparé, et que l'idée de sa « mission sociale ne tient presque aucune place, ni dans « son éducation, ni dans l'exercice de sa profession. » «
Il ne
il
Pour réussir dans ce rôle, il faut que l'officier soit « animé de l'amour des humbles, pénétré des devoirs «nouveaux qui s'imposent à tous les dirigeants sociaux, « convaincu de son rôle d'éducateur, résolu sans rien « modifier à la lettre des fonctions qu'il exerce, à les « vivifierpar l'esprit de sa mission. » Et nous ajouterons que cet « amour des humbles ne doit pas résulter de la condescendance même réfléchie d'une supériorité sociale plus ou moins complètement justifiée, mais qu'il doit provenir d'un sentiment réel de fraternité et de solidarité, d'une âme et d'un cœur sincèrement et profondément généreux. Et celui qui ne sera pas animé, pénétré de ce noble « amour des humbles » ne saura pas remplir les devoirs que lui imposent les aspirations démocratiques du pays et la conception qu'il se fait de son armée. Ces aspirations démocratiques, cette conception de l'armée, l'officier tenu en dehors des luttes des partis n'a pas à les discuter elles constituent pour lui un fait devant lequel il ne peut que s'incliner.
»
;
Elles ont été très nettement indiquées dans le Rapport présenté par M. Berteaux, au nom de la Commission de l'armée, à la Chambre des Députés, sur le projet de loi tendant à la réduction à deux ans du temps du service
militaire.
;
Depuis la Révolution, le sujet, devenu citoyen, a il sait que la France « pris conscience de sa personnalité « n'est plus seulement le pays de quelques privilégiés, « maisson pays à lui, sa patrie. Il s'attache à ce sol où il « pourra vivre et travailler, libre de toute dépendance, « sous la protection de la société et des lois. Il se donne « de toute sa raison et de tout son cœur aux principes de et il lui « la Révolution, il veut les défendre lui-même « parait juste que le citoyen accepte la charge du service « personnel comme une limitation imposée à sa liberté « dans l'intelligente et féconde pensée du plus grand bien « pour le plus grand nombre. » «
;
Il n'est point contestable que la force et la liberté « des peuples sont en raison directe de la manière dont « ils comprennent et exercent la défense de leur sol. , « Ce devoir de défense peut être rempli de deux « façons différentes. Les citoyens délèguent le soin de « combattre à un certain nombre d'entre eux. L'armée, « ainsi constituée, devient par la force des choses, dis« tincte du pays. Elle est, dès le temps de paix, pourvue « de tous les organes qui sont indispensables à sa vie, « elle est toujours prête à l'action. C'est l'armée de métier. « La seconde manière consiste à réunir successsive«ment en temps de paix tous les citoyens valides, afin de « les préparer aux travaux éventuels de la guerre, à « laquelle tous devront en même temps participer. C'est « la nation armée. » « Certes, l'armée de métier a eu son heure de gloire, « mais elle ne répond plus aux nécessités de la guerre elle « moderne qui demande la quantité avec la qualité « n'est plus en harmonie avec l'idéal d'un peuple libre «
;
qui, réclamant tous ses droits, doit vouloir en même « temps remplir tous ses devoirs. « La nation armée peut seule répondre aux besoins « de la défense nationale comme aux aspirations de la « démocratie et au souci de sa sécurité. » Dans lescontingents que va nous donner le service de deux ans, qui « du licenciée l'illettré »vont « comprendre tous lesintermédiaires » astreints à un service égal pour tous, le soldat va être un élément différent de ceux qui l'ont précédé. « A ce soldat nouveau, il faut logiquement un officier nouveau. » C'est dans le but de le préparer que par ordre de M. le général André, Ministre de la Guerre, le programme d'un nouvel enseignement, sur le Rôle Social de l'Officier, fut rédigé et « soumis au mois de mars 1901 à la délibéraet <( revêtu tion des Conseils de l'Ecole Polytechnique en date du 22 avril de la hauteapprobation du Ministre » (G. Duruy, l'Officier éducateur, p. 99 et 100). «
»
but de conquérir par un enseignement approprié l'esprit de notre jeunesse militaire à cette double idée « 1°Que la fonction d'éducateur fait partie intégrante et essentielle de la profession d'officier « 2° Que le futur officier doit se préparer d'avance à cette fonction, comme à toutes les autres parties de son métier qu'un officier ne saurait sans honte ignorer. » Ce programme avait « pour
«
« «
« «
:
;
(Id.p.101.)
En 1901, des conférences analogues sur le Rôle Social de l'Officierétaientfaites Saint-Cyr. Elles étaient publiées par ordre du Ministre de la Guerre. Le 24 juin 1902, le Ministre citait, à la tribune du Sénatune partie du programme de ces conférences. 11 déclarait qu'il voulait, « en les lisant du hautde cette « tribune, donner une plasgrande autorité à ce petit «c livre. »
à
En 1902, le Colonel commandant l'Ecole militaire de l'artillerie et du génie demandait au Ministrede Guerre d'être autorisé à lui présenter un programme de « Conférences sur le Rôle de l'Officier dans la Nation Armée » établi sur la base générale de ceux suivis dans les Ecoles Polytechnique et de Saint-Cyr. Dans l'établissement du programme des conférences à faire à l'Ecole militaire de l'artillerie et du génie, à Versailles, il était indispensable de tenir compte des connaissances acquises avantl'entrée à l'Ecole et de celles données par l'ensemble des cours qui y sont professés. On était par suite conduit à traitertoutes les questions qui sont liées au Rôle de l'Officier dans la Nation Armée, qu'il est nécessaire de connaitre. pour comprendre ce rôle et le remplir, et qui ne sont pas exposées dans les cours de l'Ecole.
la
Le programme, approuvé par M. le Ministre de la Guerre à la date du 6 octobre 1902, comprend dix-huit
:
conférences groupées en cinq parties 1IV PARTIE. — Rôle de l'officier dans la Nation armée. 2c PARTIE. — Connaissances générales indispensables à posséder pour remplir le rôle défini dans la première partie. 3e PARTIE. — Moyens de remplir le rôle assigné à l'officier dans la Nation Armée. 4e PARTIE.— Rôle des officiers et de l'armée aux colonies. , 5E
-
Conclusion. Conseils aux jeunes officiers à leur arrivée au Régiment.
PARTIE. —
;
Mais programme et enseignement ne peuvent avoir celle-ci est de portée réelle que par leur application forcément confiée à la totalité des officiers du cadre de l'Ecole. Il a donc paru particulièrement avantageux de faire exposer chacunedes questions traitées dans les conférences par un officier professeur ou instructeur.
Cette collaboration de tous a permis de réaliser la pratique constante de l'enseignement donné. Elle résulte de l'exemple offert chaque jour par les officiers du cadre dans leurs procédés, dans leurs actes de commandement. On s'impose de toujours mettre ces actes enharmonie avec les principes enseignés. Tous ont pour corollaire la leçon de choses constante, permanente, aux cours, aux interrogations, comme aux exercices militaires à l'extérieur ou en salle. Cette répartition paraîtra peut-être un peu diminuer l'homogénité de l'enseignement en réalité, celle-ci est encore suffisamment obtenue, d'une part, par la précision du programme détaillé des matières à professer, d'autre part par l'action des officiers supérieurs chargés de la direction de l'instruction et de l'Ecole. L'expérience a très nettement montré que ce défaut possible d'unité et d'homogénéité était peu important; cet heureux résultat est surtout dû au dévouement et au zèle des officiers chargés de l'enseignement et de l'instruc-
;
tion militaire. Les conférences sur le Rôle de l'officier dans la Nation Armée n'ont aucun caractère officiel. Rien ne peut mieux lefaire ressortir que les paroles mêmes de M. le Ministre de la Guerre à la Chambre des Députés (Séance du 12 novembre 1903). ccJe
« « «
« « « « «
;
crois, en effet, qu'il ne suffit pas d'édicter un règlement une chose infiniment plus essentielle est de faire passer dans toutes les convictions, et par conséquent dans la pratique les principes, qu'on désire voir appliquer. C'est pour ce motif que j'ai encouragé de toutes mes forces les discussions, les conférences faites sur des sujets aussi intéressants que ceux dont nous parlons en ce moment (1). « Lorsque les esprits en seront arrivés à reconnaitre d'une façon ferme et sincère la nécessité d'établir les 1. Il s'agissait de l'exercice du droit de punir.
relations les plus bienveillantes, les plus amicales « même, dirai-je, entre officiers et soldats, le règlement » ne sera plus qu'une affaire de rédaction. » En attendant l'apparition de ce règlement nouveau, les Conférences sur le Rôle del'officier dans la Nation Armée(1) montrent que les Réglements actuels peuvent et doivent être compris, interprétés, appliqués de la façon la plus large et la plus généreuse. Et c'est ainsi que se réalisera ce vœu du général «
:
Liautey
soldat, c'est-à-dire le peuple tout entier, ne « rapporte du temps de son service que le souvenir d'une « autorité bienfaisante, juste et respectable. » « Que le
1. Si
ces conférences, destinées aux élèves-officiers de l'artillerie et du génie,
ont été imprimées, c'est principalement pour suppléer à l'insuffisance des moyens de reproduction dont dispose l'Ecole.
PROGRAMME RÉSUMÉ DES
CONFÉRENCES SURLE
ROLE DE L'OFFICIER DANS LA NATION ARMÉE
Ministre de la Guerre a approuvé à la date du 6 Octobre 1902 un programme de 18 conférences sur le rôle de l'officier dans la nation armée. Ce programme comprend 5 titres Le
:
TITRE
1er
Rôle de l'Officier dans la Nation Armée Pour étudier le rôle de l'officier dans la Nation armée, il importe de connaître d'abord l'organisation de l'armée, puis sa place dans nos institutions, de voir comment ces institutions fonctionnent, d'examiner les modifications que l'organisation de l'armée a subies depuis l'installation et la mise en pratique de ces institutions. On sera amené à montrer l'évolution successive des lois de recrutement de 1872 et de 1889, les conséquences qu'elles ont entraînées dans nos procédés d'instruction, dans la mission du corps d'officiers en tant que préparation àla guerre. Cette mission nouvelle fait entrevoir des devoirs nouveaux; avant de les définir, appliquer à cette question importante et si complexe l'investigation historique. Examiner les périodes qui nous ont précédés et voir
dans ces périodes, avant 1789, après 1789, quel a été le rôle de l'officier, quelles ont été ses relations avec le soldat, avec le pays. Montrer les enseignements à retenirde la période 1794-1795-1796 pour définir le rôle de l'officier dans la nation armée. Ce qui, dans le patrimoine légué par l'ancienne France militaire, doit être conservé: les sentiments d'honneur, de courage, de discipline, d'abnégation; ce qui doit être exclu l'esprit de caste ce qui doit le remplacer l'esprit de solidarité. Examiner l'arméeld'aujourd'huitellequ'ellefonctionne, sous l'empire de la loi de 1889. Critiques dont elle est
:
;
:
l'objet. Situation que créera la loi de deux ans, si elle est votée par le Parlement, montrer que l'officier doit êtreà la fois instructeur et éducateur. Définir ce rôle d'éducateur. Conséquences. Le développement comporte les sept conférences
:
ci-après
1«>
Legouvernement de la France.
j Ire PARTIE.
La Constitution. ( Organisation des pouvoirs publics. <
Administration de la France et des départements.
2e PARTIE.
| l
i'e
PARTIE.
<
1
2e 2c
PAIITIE. PARTIE,
CONFÉRENCE (1)
(
2eCONFÉRENCE
Etat de la France en 1871. Qu'a fait la Ré— publique depuis 1871 pour assurer le relèvement de notre puissancemilitaire? Evolutions successives des lois de recrutement de 1872 et de 1889.
Evolution parallèle dans nos procédés d'instruction et dans la mission du corps d'officiers en tant que préparation à la guerre
Par suite d'une modification aux programmes des cours de l'Ecole, approuvée par le Ministre de la guerre, à la date du 15 mars 1904, cette confé12e et 13' conférences se trouvent actuellement reportées dans rence etles8°, les cours:de l'Ecole. (1)
3eCONFÉRENCE L'armée royale. -r- L'armée de la lrG République. 4e CONFÉRENCE L'armée du 1er Empire. — L'armée L'armée du 2e Empire.
de
1815 jusqu'à 1852.
-
5e CONFÉRENCE
L'armée républicaine d'aujourd'hui. 6e
CONFÉRENCE
Situation nouvelle que va créer la loi sur le service de 2 ans. 7o CONFÉRENCE Rôle de l'officier comme instructeur et comme éducateur.
TITRE II Connaissances générales indispensables à posséder
pour remplir le rôle défini dans
la première partie
Pour remplir le rôle qui lui est assigné dans la Nation armée, l'officier doit avoir une connaissance générale suffisante des différents milieux dans lesquels il est appelé à vivre et à agir. Il a, en effet, des relations à entretenir avec l'élément civil, il a des concours divers à lui demander, à lui donner, il ne peut se dispenser de le connaître, d'être orienté sur ses aspirations, ses occupations, ses fonctions, ses tendances. Il a, en outre, à entrer en contact direct avec les hommes, il doit leur parler, les instruire, les éduquer, s'attacher à leur donner confiance ces hommes ont, à leur arrivée au corps, les professions, les situations, les
;
manières de vivre, de travailler les plus diverses. Pour être apte à remplirutilement vis à vis d'eux lesrôlesdont il est question ci-dessus, il tant que l'officier possède des notions suffisantes sur les milieux sociaux, sur les questions qui s'y agitent, sur les conditions même d'existence de ces milieux.
:
Etudier, en conséquence, d'une manière sommaire 1° Le milieugouvernemental et tout cequi s'y rattache dans les différentes garnisons; autorités civiles, autorités judiciaires, corps enseignant à tous les degrés. 2° Le milieu agricole, les milieux industriels et miniers, le milieu commercial. Dans cette étude, on sera amené en montrantles relations entre patrons et ouvriers et les conditions dans lesquelles se règlentlesconflitsquis'élèvent, à parler du droit degrève, des interventions de la troupeauxgrèves et en cas de troubles. L'officier devantfaireacted'instructeur d'éducateur, on examinera les méthodes employées aujourd'hui par ceux qui, en dehors del'armée, ont mission d'instruire. fait, en effet, de très grands progrès La pédagogie depuis quelques années; connaître ce qui se tait à nos côtés, surtout dans les écoles primaires, ne peut manquer de nous être très utile. On indiqueradoncaux élèves en quoi consiste la Pédagogie, quelles méthodes elle emploie; on déduira l'utilisation qui peut être faite de ces méthodes pour la mission qui incombe à l'officier.
et
a
:
donnera enfin aux élèves 1° Des notions sur le droit de la guerre et sur le devoir international de l'officier. 2° Des notions d'hygiène et de physiologie. Le développement comporte les sixconférences ciOn
:
après
8e CONFÉRENCE (1)
Etude du ¡¡¡iliell gouvernemental et de tout ce qui s'y rattachedans les différentes garnisons. L'»'PARTIE Organisation judiciairede la France. i Organisation financière et institutions fînan2EPAIITIK. cières. < ( Instruction publique. — Enseignemrnt. 9c
CONFÉRENCE
-
Etude des milieux agricoles, industriels et commerciaux. i'v PAHTIE. Milieu agricole. '2(' PARTIE. — Milieu industriel. 3E PARTIE. — Milieu commercial. '101'
CONFÉRENCE
dicats. ( graves "'eARTIFv
Syndicats. — Sociétés coopératives. — Associations ouvrières. — Interventions de la troupe auxgrèves et encasde troubles. — Grevés. — Rôle de
1armee
aux de t.roubilies. et en cas Assurances ouvrières. — Sociétés coopératives.
liu,.n
2e PARTIE.
CONFÉIIENCI: Pédagogie. 12e CONFÉRENCE (2)
Droit de la guerre et devoir international de l'officier. -13"
CONFÉRENCE (3)
ièneet
Hyg
( taire.—Les l'e Punir
3" PAHTIE.
4e PARTIE.
Nécessité de l'hygiène dans l'armée. Considérations sur la syphilis et l'alcoolisme. 1 Conditions d'aptitude physique au service miliexercices militaires.— Alimentation. Hygiène du casernement.- Desinfection. Accidents que peuvent entraîner les divers | exercices militaires. — Acclimatement et J précautions à prendre aux colonies. f Blessures de guerre, paquet individuel de pansement, premiers soins à donner aux blessés. i
(1) Voir la note de la page 14.
Voir la note de la page 14. (3) Voir la note de la page 14. (2)
ie
Physiolog
(Les 2e- 3c et 4c parties de la 13e conférence sont les 3 conférences d'gygiène comprises dans le programme général des cours, approuvé par le Ministre, le 21 mars 1901.)
TITRE III Moyen de remplir le rôle indiqué
à l'Officier
dans la Nation Armée
L'officier doit commander et enseigner. On passera en revue les moyens à mettre en œuvre pour faire acte d'instructeur et d'éducateur. 1°En ce qui concerne le commandement, l'examen portera sur les questions suivantes
;
; bilité.
:
;
Procédés de commandement subordination répression exercice du commandement, initiative, responsaEn ce qui concerne l'instruction, on indiquera les procédés d'instruction à employer et les conditions dans lesquelles devra se donner l'éducation morale. On traitera spécialement la question des réservistes et territoriaux on montrera comment se pose le problème d'instruction pour les réservistes et les territoriaux et comment il convient de le résoudre. Enfin on parlera des officiers de réserve. Le développement comporte les trois conférences ci2°
;
:
après
14e & 15e CONFÉRENCES
Commandement.- Subordination.- Répression. PARTIE.— Initiative. — Responsabilité. PARTIE.- Instruction et éducation.
1re PARTIE.2e
3e
1Ge
CONFÉRENCE
Réservistes et territoriaux.
TITRE IV 17e
CONFÉRENCE
Rôle de l'officier et de l'armée aux colonies.
TITRE V 18e CONFÉRENCE
Conseils aux jeunes officiers à leur arrivée au régiment.
TITRE
1ER
ETUDE DU
ROLE DE L'OFFICIER DANS LA
NATION ARMEE
ROLE DE L'OFFICIER DANS LA
NA.rZON AJRMÉE INTRODUCTION
La mission essentielle de l'armée, c'est là guerre. Le premier devoir des officiers, en temps de paix, est donc de se préparer eux-mêmes, et de préparer les hommes dont l'éducation militaire leur est confiée, remplir dignement cette mission noble entre toutes, puisqu'elle permet d'assurer la conservation du territoire national, la grandeur, la puissance et la prospérité du pays. Cette mission de l'officier est de tous les temps. Mais, l'armée n'est pas un organisme immuable, son organisation se modifie avec les institutions étales mœurs du pays, les progrès de la civilisation. L'armée d'aujourd'hui ne ressemble ni à l'armée royale, ni même à l'armée de1870. Les devoirs qui résultent, pour l'officier, de la mission qui lui est confiée, subissent une évolution parallèle. Or, la première condition pour bien faire son devoir est de bien le connaître, et c'est dans le butde vous l'enseigner que vous sont faites les Conférencessur le Rôle de l'officier dans la Nation armée. Pour étudier ce rôle, il importe de connaître l'organisation de l'armée, sa place dans nos institutions, le fonctionnement de ces institutions.
à
Pour bien comprendre la raison d'être de nos institutions militaires actuelles, il faut tout d'abord assister à l'évolution qu'elles ontsuivie depuis la guerre de 1870, et voir leur influence sur nos procédés d'instruction et la mission duCorps d'officiers. Ensuite, pour arriver à une conception nette de cette mission des devoirs qu'elle entraîne, il nous faudra remonter plus haut dans l'histoire; examiner, dans les périodes qui nous ont précédés, avant 1789, après 1789, quel a été le rôle de l'officier, quelles ont été ses relations avec le soldat, avec le pays montrer ce qui, dans le patrimoinelégué par l'ancienne France militaire, doit être conservé, les sentiments d'honneur, découragé, de discipline,d'abnégation ce qui doit être exclu « l'esprit de caste », ce qui doit le remplacer « l'esprit de solidarité». Montrer les enseignements à retenir de la période de 1794 à i79(), pour définir le rôle de l'officier dans la Nation armée. Examiner révolution de l'armée du 1er au "2'' Empire, puis, l'arméed'aujourd'hui, telle qu'elle fonctionne sous l'empire de la loi de 89, et les critiques dont cette loi est l'objet; enfin la situation que créera la loi de 2 ans si elle est votée par le Parlement. Il faudra enfin établir que l'officier doit être à la fois instructeur et éducateur, définir ce rôle d'éducateur et faire ressortir les conséquences heureuses qu'il peut avoir pour le bien et la grandeur de la France et de la Répuhliqne.
et
;
;
:
:
(1)
PREMIÈRE CONFÉRENCE
Evolution depuis 1870 des lois de recrutement et d'organisation de l'armée SOMMAIRE : I. — Etat de l'année en 1870. Son recrutement. Loi de 1855. Comparaison avec la Prusse. Loi de 1868.
II. — La guerre de 1870. Mobilisation. Services administratifs. Armement. Commandement. Les armées de la Défense Nationale. Enoonements tirés de cette guerre. IV. Loi de recrutement de 1872. Lois diverses. Reprochesfaits la loi de 1872. V. — Loi de recrutement de 1889. Reproches faits à la loi de 1889. VI. — Projet de loi de 1902.
lJI.-
-
à
Il y a un tiers de siècle, l'armée française a, dans la guerre franco-allemande, malgré sa vaillance, subi des
et
Cette conférence a été faite en 1903 par le capitaine du génie Barbet, et en1904 par lecapitainedu génieThabard. (,1)
défaites telles que l'histoire en a rarement enregistré d'aussi complètes. Elles ont coûté à la France, l'Alsace-Lorraine et une indemnité de guerre de 5 milliards. Elles ont créé l'Empire allemand et elles ont été le point de départ de son essor économique actuel. Depuis, la France, par un effort constant et des sacrifices admirables, s'est fait une armée nouvelle. L'expérience de la guerre de 1870-71 nous ayant montré les défauts de notre organisation militaire, une nouvelle conception de l'armée s'est imposée au pays et les lois de recrutement, qui se sont succédé depuis 1870, marquent autant d'étapes vers sa réalisation. L'objet de notre causerie d'aujourd'hui est de vous montrer l'état de l'armée eu 1870 et les causes de ses défaites, puis les tranformations successives depuis 1870 des lois de recrutement et d'organisation de l'armée. Nous étudierons ensuite comment ces transformations ont influé sur l'évolutionqui s'est produite en même temps dans nos méthodes d'instruction et d'éducation.
I.— Etat de l'armée Sol7
el1 1870.
recrutement
L'armée de 1870 était le produit de la loi de recrutement de 1855, qui ne différait d'ailleurs que fort peu de la loi de 1832. La loi récente de 1868, encore incomplètement appliquée, n'avait pas eu le temps de produire les effets qu'on en pouvait légitimement attendre. LOI DE 1855. — Les dispositions principales de la loi de 1855 étaient les suivantes Chaque année, une loi fixait le chiffre du contingent qui était loin de comprendre la classe entière. Ce contin-
:
gent était divisé en deux portions, dont la première, plus ou moins nombreuse, suivant les crédits budgétaires alloués, était incorporée pour 7 ans, tandis que l'autre, formant la réserve, demeurait provisoirement dans ses foyers. La répartition était faite par le tirage au sort. Par exemple, sur une classe de 200,000 hommes, le contingent en comprenait 80,000, dont 30,000 dans la première portion (ce sont là des chiffres approximatifs). Les hommes de la première portion étaient, après leurs sept années de service actif, dégagés de toute obligation militaire, même en temps de guerre. D'ailleurs, tous les appelés ne partaient pas. Depuis 1818, la loi de recrutement admettait le remplacement. Tout homme appelé pouvait acheter un autre homme et le faire agréer pour servir à sa place sous sa responsabilité en cas de désertion. La loi de 1855, allant même plus loin, avait substitué au remplacement l'exonération à prix d'argent. Tout appelé, versant à l'Etat une somme de 2,500 francs, était dispensé de tout service même en temps de guerre. L'Etat disposait de cette somme pour encourager les rengagements par des primes. Ces rengagements n'étant pas en nombre suffisant, (14,000 en 1859 alors que le nombre des exonérés était de 43,000) l'Etat se procurait lui-même les remplaçants et devint à son tour marchand d'hommes. Les caractères principaux de la loi sont donc les sui-
vants:
Longue durée du service et faiblesse du contingent. — Ces deux dispositions sont corrélatives. 1°
L'effectif de l'armée, en effet, étant déterminé par des conditions budgétaires, on doit incorporer moins d'hommes annuellement si on les garde plus longtemps sous les
drapeaux. 20
Pas de réserves, à
part les hommes de la
2e
portion du contingent de 7 classes de recrutement, qui ne turent astreints qu'à partir de 1861 à 6 mois de service en 3 périodes annuelles.
:
L'Exonération.
— Les deux premiers caractères faiblesse du contingent, manque de réserves, avaient pour effet de donner sur le pied de guerre 3°
un nombre trop faible de soldats instruits. L'armée était, sur le pied de guerre, ce qu'elle était sur le pied de paix. Le 3e caractère, l'exonération, mettait une inégalité choquante dans l'accomplissement du plus noble des devoirs et, en éloignant de l'armée les classes bourgeoises et lettrées, continuait, comme les lois précédentes, à faire perdre à l'élite de la nation le goût militaire, abaissait le niveau intellectuel de l'armée et tendait de plus en plus à en faire un corps à part, une armée de métier, sur laquelle la nation se reposait du soin de défendre ses intérêts et son honneur. Le mal ne faisait qu'empirer d'année en année, comme le constate le général Thoumas : « Au fur et à mesure de l'accroissement des richesses, « et de l'amour du bien-être, dit l'auteur, le nombre des « jeunes gens qui se dérobaient par le remplacement à « l'obligation du service militaire, augmentait de jour en « jour et l'esprit guerrier de la nation menaçait d'y som« brer, en même temps que s'effaçait de plus en plus à la patrie sans laquelle un peuple « l'idée de dévouement déchoir et à périr (1). « est destiné à Nous devons toutefois reconnaître avec le général Thoumas que cette conception de l'armée présentait certains avantages pour une nation conquérante.
»
une époque, dit-il, où les armées étrangères atteint les proportions colossales « n'avaient pas encore « que nous leur voyons partout aujourd'hui, elle permet« tait de faire une guerre offensive sans arrêter les roua« ges de l'existence normale de la nation, et elle se prêtait «
A
(1) Transformations de l'armée française. (Général Thoumas).
le mieux du monde aux expéditions lointaines comme «celle de Grimée. Mais elle était devenue insuffisante et même dange-
«
»
reuse.
COMPARAISON AVEC LA PRUSSE.
—
En effet, la Prusse appliquait depuis 1815 des principes de recrutement tout différents des nôtres
:
1°
Service obligatoire et personnel de tous les hommes
;
valides
durée deservice actif; 3° Passage des hommes, après leur libération, dans diverses catégories de réserves où leur instruction était entretenue et où ils restaient prêts à reprendre leur place dans le rang au moment d'une guerre pour constituer la 2° Courte
nation armée.
Il y a en effet deux conceptions de l'état mili(( taire d'un pays (Rapport sur le budget de la guerre en 1901). « La première, c'est une armée distincte du pays, « vivant sur elle-même, pourvue de tous les organes qui « sont indispensables à sa vie, et toujours prête à l'ac«
tion. » « C'est l'armée qui a fait en France la conquête de « l'Algérie, l'expédition de Crimée, la guerre d'Italie, qui « a fait en Angleterre la guerre du Transvaal. L'organi« sation de cette armée n'exclut pas, du reste, l'existence « de gardes mobiles, de gardes nationales, mais celles-ci « restent distinctes de l'armée et ont une mission diffé« rente de la sienne, la garde et la police du territoire. « L'armée ainsi organisée constitue un pays militaire « dans le pays, un organisme distinct qui a sa vie propre « et qui doit se suffire dès le temps de paix comme en « temps de guerre. « C'est l'armée de métier. « La seconde conception, c'est une armée qui se con«
« «
«
« «
fond avec la Nation, qui tire d'elle ses ressources et sa vie, qui, en dehors d'elle, n'a pas d'existence propre. « C'est une armée qui comprend toute la partie virile de la nation, organisée et instruite en temps de paix de manière qu'au moment du besoin, le pays se dresse tout entier de lui-même « C'est l'armée de 1793. « C'est la Nation armée. »
x).
LOI DE 1868.
— La victoire de la Prusse sur l'Autriche à Sadowa (1866), en faisant sentir à la France que son armée à effectif restreint pourrait bien ne pas être un instrument de défense suffisant, contribua à l'adoption de la loi de 1868. Cette loi supprimait l'exonération et rétablissait le
remplacement, progrès relatif. Elle ramenait le service actif à 5 ans, ce qui permettait d'augmenter l'effectif du contingent. La deuxième portion du contingent faisait, au cours de ces cinq années, deux ou trois périodes d'instruction d'une durée totale de six mois. Après ces cinq années, les uns et les autres séjournaient guetre ans dans la réserve. Tous les hommes propres au service ne faisaient pas partie du contingent, mais constituaient, avec les remplacés, la garde mobile qui devait être convoquée annuellement à quinze exercices d'une durée de un jour. Cette garde mobile, dont le service durait cinq ans, pouvait, en cas de guerre, être versée dans l'armée active. Ainsi, le remplacement ne dispensait plus du service en temps de guerre. A part quelques dispensés (instituteurs, ecclésiastiques, soutiens de famille, etc.), tous les citoyens doivent le service en temps de guerre. Le gouvernement déclara lui-même le service obligatoire « impraticable » en temps de paix, et « le Corps légisgarde mobile que sur cette promesse « latif n'accepta la
déconcertantedu rapporteur: «ces jeunes gensrendront « certainement de vrais services, mais ils ne courront « aucun danger » (1). En réalité, cette garde mobile ne fut pas effectivement organisée et exercée et le maréchal Lebœuf déclara à la Chambre, peu de temps avant la guerre, que la garde mobile, n'àyant pu parvenir à s'organiser, ne « figurait sur les contrôles que pour mémoire. » Il existaiten outre une garde nationale, sorte de milice sédentaire, que l'Empire avait maintenue dans certaines villes. Les Préfets veillaient à sa' composition et les classes ouvrières en étaient exclues. Cette garde, qui avait un uniforme, était un corps de parade sans aucune valeur militaire. Cependant l'Empereur disait, le 18 janvier 1869, dans, un discours « Les armées deterre et de mer, fortement consti« tuées sont sur le pied de paix; l'effectif maintenu sous « les drapeaux n'excède pas celui des régimes antérieurs ornais, notre armement perfectionné, nos arsenaux et « nos magasins remplis, nos réserves exercées, la garde. « nationale mobile en voie d'organisation, notre flotte « transformée, nos places fortes en bon état, donnent à notre puissance militaire un développement indispencc les « sable. Le but constant de mes efforts est atteint « ressources militaires de la France sont désormais à la « hauteur de ses destinées dans le monde. Cet optimisme, Messieurs, était d'autant plus coupable que le colonel Stoffel, attaché militaire à l'ambassade de France à Berlin avait poussé le cri d'alarme. Il disait dans un rapport « La confédération de l'Allemagne du Nord disposera « de un million de soldats instruits lorsque la France en « comptera à peine 300 à 400,000; mais les armées de la « Confédération renfermeront toute la partie virile d'une «
«
:
;
;
»
:
(1)
Rapport de la Commission de l'armée, 1904.
nation, pleine de foi, d'énergie, de patriotisme, tandis «que l'armée française est composée presque exclusiveplus pauvre « ment de la partie la plus ignorante et la «de la nation. » Dans un autre rapport, il faisait ressortir (( le senti«ment profond et salutaire que le principe du service «oblgatoire répand dans l'armée qui renferme toute la « partie virile, toutes les intelligences, toutes les forces Nation en « vives du pays, et qui se regarde comme la « armes.»
«
II. —La guerre de 1870 A
laguerre, la France avait 580,000 hommes instruits
sous les armes, l'Allemagne en mit 1,200,000. Sur le Rhin, la France avait 275,000 hommes, l'Allemagne 520,000. Dès les premiers revers, Frœscliwiller et Spickeren qui sont du ti août, l'insuffisance numérique de notre .année semontra si nettement que la loi du 10 août prescrivit que tous les citoyens non mariés ou veufs sans enfants, âgés de 25 à 35 ans, ne figurant pas sur les contrôles de la garde mobile, étaient appelés sous les drapeaux pour la durée de laguerre. Mais les événements se précipitèrent. « L'armée active fut écrasée par la supériorité du « nombre. Elle fut prise, dit M. Rambaud (1) presque entière, comme en deux coups de filet, à Sedan et .« toute « Metz. Puis, les pauvresmoblots appelés en toute hâte, «n'ayant ni instruction, ni armes perfectionnées (fusils à piston) ni confiance dans des « tabatière ou même à « officiers qu'ils ne connaissaient pas et qui n'étaient
à
(1) Histoire de la civilisation contemporaine en
France.
guère plus aguerris que lents soldats, se trouvèrent meme de la réserve prussienne, « vis-à-vis de l'armée « dans des conditions désastreuses d'intériorité. « Quant à la Garde Nationale, reconstituée,elleaussi, « à la hâte, elle ne put rendre que peude services, sauf « pour la défense de Paris et de quelques places fortes. » La faiblesse numérique de notre armée ne fut d'ailleurs pas sa seule cause d'infériorité. MOBILISATION. — La mobilisation fut très défectueuse. Alors qu'en Allemagnel'armée était, dès le temps de paix, constituée en Brigades, divisions et corps d'armée, ce qui rendait facile et rapide le passage du pied de paix au pied de guerre, en France, il n'existait rien d'analogue. — Il fallut donc toutimproviser au milieu d'un désordre, d'une confusion inexprimables. «
et
confusion régnaient dans l'organisa-
SERVICES ADMINISTRATIFS.
Le même
désordre, la même tion des services administratifs. « Que peuvent, dit le colonel Canonge (1), le boa « vouloir, le zèle le plusardent, lorsque vivres, muni« tions, tentes, couvertures, ustensiles de campement, « matériel d'ambulance, font défaut, ainsi que l'attestent « les nombreuses dépèches des généraux et des inten« dants qui résonnent commeautant de cris de déses« poir. » notre matéARMEMENT. — Pour rmnmument, rield'artillerieétaittrès notablement imierieaar AU CSHMWI Allemand comme justesse, comme portée etcomme rapiditédu tir, par contre, notre infanterie avait été dotée récemment du fusil Chassepot, bien supérieurau fusai Dreyse. Mais l'instruction du tir était trop peu dévelop. pce pour nouslf)eMnetb-e.de tirer deoeitJfcearme les .V4\l de plus, on n'avait pas tages qu'on pouvait en attendre
si
:
(2) Colonel Canonge
;
Histoine mtiltaire 'oontemperaine.
encore compris que l'adoption d'une arme de précision à tir rapide imposait des modifications à la tactique. On n'avait vu, dans cette supériorité, qu'une nouvelle facilité pour la défensive et cette opinion erronée, contraire au caractère national, était propagée officiellement dans les rangs de l'armée.
COMMANDEMENT.
— Et cependant, dit le
général Thomas, l'armée française avait « encore assez, « pour vaincre, de ce qui lui restait de ses vertus d'au« trefois de telle sorte que, malgré le nombre et l'habi« leté de ses adversaires, elle eut été victorieuse si elle x- avait été commandée. » Malheureusement, un trop grand nombre d'officiers des plus hauts grades manquèrent, non seulement de qualités professionnelles, mais de qualités morales et, en particulier, de cet esprit de solidarité que montrèrent en tant de circonstances, les chefs de l'armée ennemie.
;
DÉCADENCE ET CONFIANCE. —
A quoi
attribuer cettesorte de décadence inconsciente de notre organisation militaire, en même temps que cette confiance du gouvernement et du pays dansl'armée Sans doute, à la continuité des succès, de cette armée, succès auxquels la nation applaudissait d'autant plus volontiers, qu'ils lui coûtaient moins de sacrifices, puisqu'un petit nombre de citoyens seulement payaient l'impôt du sang. Pendant que les soldats se couvraient de gloire en Afrique, en Crimée, en Italie, en Chine, au Mexique, la Nation, confiante dans la force qu'ils semblaient représenter, s'endormait dans un sentiment de profonde et trompeuse sécurité. Personne ne voyait combien ces expéditions étaient différentes d'une sérieuse campagne européenne. Dès le début de la campagne, un officier prussien s'adressant à un officier français, son voisin d'ambulance, lui disait votre armée « Croyez-moi, vous aurez le dessous « n'est pas une armée européenne. »
?
:
;
Les armées de la défense nationale.
— Il
ne restait plus d'armée française tenant la campagne au moment où, le second Empire sombrant dans la défaite qu'il n'avait pas su empêcher, la troisième République, comme son aïeule, assumait la tâche glorieuse, mais bien, lourde, de chasser l'envahisseur et de reconstituer notre puissance militaire. Vous savez comment, sous l'impulsion généreuse et énergique de Gambetta et du Gouvernement de la Défense nationale, la Nation se ressaisissant, mit debout onze corps d'armée, 600.000 hommes, en moins de quatre mois. Mais ces hommes n'avaient reçu aucune instruction militaire préalable il était presque impossible d'organisercomplètement une telle armée, au moment même où il fallait l'utiliser, en présence d'un ennemi victorieux et devant la rapidité de la guerre moderne.Le temps manquait à cette armée nationale improvisée pour fournir tout son effort et pour mener à bien la défense du pays. Néanmoins, vous savez la résistance opiniâtre que fit Paris pendant qu'en province les armées improvisées luttaient sous le commandement des Chanzy, des Faidherbe, des Jauréguiberry, lesquels, pour l'honneur de la France, purent inscrire dans l'histoire les noms des victoires de Patay, de Pont-Noyelles, de Bapaume, pendant que,d'autre part, le colonel Denfert-Rochereau s'immortalisait dans sa défense de Belfort.
;
la tires de guerre Enseigneinents -
III.
Il y a à tirer des évènements de 1870-1871 un double
« « « <(
;
enseignement: une armée de métier ne peut venir à bout d'une guerre d'indépendance une armée nationale, ne s'improvise pas (1). »
Rapport fait au nom de la Commission de l'armée, par M, Berteaux, député,1904, , (1)
Ponr soutenir la lutte, la France avait levé ses « soldats, l'Allemagne s'était levée elle-même., avait puissance, non d'une armée qui manœuvre, « déployé « mais d'un peuple qui se déplace, comme si, après «;.• quinze siècles, recommençait à couler leflot des migra« tions germaniques (1).» Les événements s'étaient chargés,hélas!dedémontrer, dès les premières batailles, que la France ne pouvait plus tirer sa force militaire d'une armée active, identique en temps de paix et en temps de guerre, si disciplinée et si fortement encadrée qu'elle put être, mais qu'il lui fallaitpour sa défense un instrument deguerre constitué parl'appel sous lesdrapeaux de tous les Français. C'est,en effet, sous la pression impérieuse des circonstances que lala loi du 10 août 1870 avait appelé sous les drapeaux des citoyens qui, aux termes de la loi de recrutement, n'étaient pas astreints au service, même en temps de guerre. Un officier supérieur écrivait, en 1872, dans une brochure ayant pour titre L'Armée de l'avenir »: Il semble que les armées permanentes, conçues « d'après l'esprit de la loi de 1832, ont fait leur temps en « France. Ne pouvant donner qu'un effectif limité, elles ne « le danger dont nous menace la forte « sauraient conjurer militaire de nos voisins. Ce ne sont plus « organisation de 4,5, 600.000 hommes qu'il faut pouvoir « des armées leur opposer, mais bien la Nation tout entière. « donc d'une armée éminemment nationale, peu « C'est de paix, mais fortement constituée « nombreuse en temps cadres, qu'il faut doter le pays « par l'excellence de ses véritable force, armée qui, au jour « armée qui soit une « du danger, puisse ouvrir ses rangs et recevoir toute la « population virile du pays; armée dans les veines de laquelle coule le sang de tout un peuple. » « Aussi, le service obligatoire, déclaré impraticable en «
la
;
(1)L'ArméeetlaDémocratie.
1867, s'est, par suite de la guerre, imposé à l'opinion pu-
blique. Voici en quel langage s'exprime le rapporteur de la loi de 1872, le général de Chasseloup-Laubat : « Les grands désastres renferment de grands enseile « gnements. La sagesse consiste à les comprendre « courage, à en profiter. » « Loin de se laisser abattre par ses revers, une nation qui ne consent pas à déchoir, en étudie les causes, se « hardiment à l'œuvre, réforme tout ce qui « met pu « l'affaiblir et parvient à se relever quelquefois plus puis-
;
a
santé. » Par contre, M. Thiers, refusant d'abandonner les anciennes conceptions, ne pouvait admettre le principe de la Nation Armée; il fondait son attachement aux formules du passé sur l'échec final des Armées de Gambetta il ne se rendait pas compte que cette expérience, taite dans des circonstances aussi critiques, avec des hommes dépourvus de toute instruction militaire préalable, ne pouvait être concluante. Il voyait d'ailleurs dans l'armée, non seulement un moyen de défense contre les ennemis de l'extérieur, mais encore et surtout, un instrument de police intérieure. « Je ne veux pas, écrivait-il au comte de Saint-Vallier, « du service obligatoire qui mettrait toutes les têtes en « combustion, et mettrait un fusil à l'épaule de tous les « socialistes. Je veux une armée très limitée en nombre, « mais supérieure en qualité. » Au point de vue de la durée du service, il n'est pas moins absolu « Des régiments vaudront toujours en proportion de « leur durée de service. J'aime mieux cinq ans que (1) » « trois, j'en aime mieux six que cinq. La Nation armée ne lui inspire aucune confiance « En dehors de la loi de 1832, dit-il, pas de salut! » «
;
:
:
1. Assemblée Nationa le,
8juin1872.
Les nations armée sont des armées qui décampent au premier coup de canon. » N'ayant ainsi rien retenu des enseignements de l'Année Terrible, il persiste à ne voir la force du pays que dans son armée permanente et, pour l'avoir forte, voudrait revenir au service de sept ans. Mais l'Assemblée Nationale a la ferme volonté d'organiser la Nation armée et elle voit nettement l'impossibilité d'incorporer tous les citoyens pour un service d'aussi longue durée. Trois ans de service sont, d'après le général Trochu, un maximum pour toutes les armes. Mais cet avis ne prévalutpas contre les assertions de la plupart des.généraux ni contre l'opinion personnelle de M. Thiers, chef du pouvoir exécutif, qui vint jeter dans la balance la menace de sa démission. Aussi, la loi de 1872 adopta-t-elle le service de cinq ans, solution bâtarde, puisque, en raison de sa durée, il ne pouvait être appliqué, comme nous le verrons, qu'à une faible partie du contingent. «
p
IV. — Loi de
.----
recrutement de
1872
Cette loi est inspirée par les mêmes sentiments patriotiques que celle de 1790, qui débutait par l'énoncé de cette vérité, devenue pour nous un axiome
:
«
Le service militaire est un honneur et un devoir pour
« tous les
Français.
»
En conséquence, la loi consacre tout d'abord leprincipe de l'obligation du service personnel. En inscrivant cette obligation en tête de la loi, le but qu'on voulait atteindre était de faire cesser cette indifférence au salut public, qui s'explique sans doute par la
faculté qu'on avait eue jusqu'alors de se dispenser à prix d'argent de toute participation au service militaire. Ce but de la loi est d'ailleurs indiqué, avec une très grande hauteur de vue, par le rapporteur du projet de loi, en des termes qu'il semble utile de citer textuellement car ils expriment une pensée aujourd'hui plus vraie que jamais grande école du pays. Que les « L'armée, dit-il, est la « générations qui se succèdent y viennent donc puiser « des sentiments de patriotisme, de discipline et d'hon« neur, et la Nation recevra une éducation virile qui ne « sera pas sans influence sur ses destinées. Et, ainsi, « s'élèvera, à la.. fois, le niveau moral de l'armée elle« même, dans laquelle entreront les hommes que leur « situation place dans les classes aisées de la Société, et « le niveau moral de la société, recevant à son tour les « hommes que l'armée aura améliorés. » Nous devons retenir cette affirmation de la nécessité de l'éducation morale, proclamée au lendemain de la guerre par un général encore sous l'impression vive des événements. Voici quelles sont les principales dispositions de la loi Le contingent comprend la classe entière. Personne n'est exempté que pour infirmité grave le rendant impropre au service. Le remplacement est supprimé. La première portion du contingent passe cinq ans sous les drapeaux. Mais, cause de l'impossibité financière d'incorporer pour cinq ans tous les citoyens valides, la deuxième portion, déterminée par tirage au sort, n'y passe qu'un an. Les hommes non infirmes mais de trop petite taille ou peu robustes sont classés dans les services auxiliaires. La loi rompait donc avec les errements suivis jusqu'alors. On crut nécessaire d'apporter certains tempéraments au principe du service obligatoire et personnel.
:
:
à
Dans ce but, la loi accordait des dispenses de tout service en 1emp$de à certaines catégories de jeunes gens (il peu près les mêmes que celles qui, dans la loi actuelle, donnent droit à des dispenses partielles) : chefs de famille, soutiens de famille, jeunes gens qui s'engagent rester pendant un temps déterminé dans les carrières qu'il importe à l'Etat de leur voir suivre. Eu outre, la loi instituait l'engagement conditionnel ou volontariat, imité de l'Allemagne. Il permettait aux jeunes gens pourvus de certains diplômes, comme le baccalauréat, ou capables de satisfaire aux épreuves d'un examen déterminé par le ministre, de se libérer en un an, et, moyennant le versement à l'Etat d'une somme de 1,500 francs, des obligations imposées en temps de paix par la loi militaire ils pouvaient, à la fin de cette année de service, obtenirle grade de sous-officier, et ainsi, cette institution assurait en particulier le recrutement des officiers de réserve. Tous les hommes ducontingent, soldats de cinq ans, 'Soldats d'un an, conditionnels et dispensés devaient le service en cas de guerre de 20 à 40 ans. Ils constituèrent, outre l'arméeactive, une série de réserve de l'armée active, armée territoriale et réserves réserve de l'armée territoriale. Les hommes de la réserve de l'armée active étaient astreints à deux périodes de 28 jours ceux de l'armée territoriale à une période de 13 jours.
paix
à
;
:
;
La loi de 1872 nous donnait donc le nombre. Nous verrons plus loin les reproches qu'on put lui
adresser.
Lois diverses.
— Un grand nombresd'autres lois vinrent bientôt compléter l'œuvre derecrula tement. Il serait impossible, pour resterdans les limites de cette causerie, d'en fairemême une étude rapide. Il estcependant utilede voussignalerles"plus importantes:
de
loi
de
D'abord laloi d'organisation générale l'armée, du 24 juillet1873, dont le but essentiel est la répartiton
permanente de l'armée en corps d'armée, divisions,. brila division du territoire en dix-huit régions die gades, corps d'armée et 144 subdivisions de région. La loi des cadres du 13 mars 1875, qui définit, pour chaque arme et pour cliaque service, le nombre et la composition des éléments si variés qui constituent nos troupes, nos établissements et nos services. La loi du 6 novembre 1875 sur le recrutement en Algérie. La loi du 22 juillet 1878 sur le rengagement des sous-officiers, qui établit qu'en principe le tiers des sousofficiers pourront être rengagés. Cette loi rétablit les primes de rengagements qui, discréditées par l'expérience de la loi de 1855, avaient été supprimées par les lois de 68 et de 72. Or, en même temps, de treize le service d'un an et les périodes de vingt-huit jours imposaient aux sous-officiers un service plus pénible, aussi ne rengageaient-ils plus.
et
et
:
Citons encore La loi du 10 mars 1882 sur l'administration de
l'armée. Les lois relatives à l'organisation du service des chemins de fer qui, en temps de guerre, sont à la dispoà la réorganisition complète du Ministre de la Guerre sation du service d'état-major la loi générale sur les réquisitions militaires, etc., etc. Vous le voyez par cette énumération, pourtant très incomplète, l'œuvre accomplie est considérable et l'on peut dire qu'elle constitue une véritable rénovation de notre organisation militaire.
; ;
Reproches faits à la loi de 1872. —
Et pour-
tant, cette loi de 1872, qui passait pour révolutionnaire aux yeux des hommes encore imbus des principes des armées de métier, fut, dès les années qui suivirent son application, l'objet de critiques nombreuses. L'adoption du service de cinq ans pour la première portion du contingent, d'un an pour la deuxième portion,
-
eu même temps qu'elle portait atteinte au principe d'équité et d'égalité proclamé en tête dela loi, créait des différences trop grandes dans l'instruction d'hommes destinés à servir côte à côte dans les mêmes unités. La disposition, d'après laquelle les dispensés n'étaient astreints à aucun service, laissait sans instruction militaire une fraction très importante du contingent appelé - en temps de guerre. Enfin, on faisait au volontariat des reproches très justifiés. Outre que le versement de 1,500 francs lui donnait un faux air d'exonération, on lui reprochait de priver les corps d'un élément excellent pour le recrutement des sous-officiers. Le nombre des volontaires, fixé en principe à 3.000, atteignait 8.000 par classe. « Levolontariat d'un an, dit le général Thoumas, a » été trop souvent pour nos régiments le dissolvant de la « discipline on aura beau le nier, les volontaires d'un « an jouissent d'un privilège. » « En somme, la Nation armée est organisée, mais « elle l'est mal. Les ressources du pays ne sont pas utili« sées complètement et, pour celles dont on se sert, il n'y « a pas égalité d'instruction. Les réserves, c'est-à-dire les « éléments les plus nombreux et, par suite les plus nécesperdent, par ce défaut « saires à la défense nationale, « d'homogénéité,la force qu'il eût été si désirable de leur
;
procurer (1). Pour corriger ces inconvénients réels, une nouvelle loi de recrutement s'imposait. Mais ce n'est qu'en 1886 que l'étude en fut entreprise par le Parlement elle aboutit trois ans plus tard, à la loi du 15 juillet 1889, qui nous régit encore aujourd'hui. «
;
(1) Rapport de la Commission de l'armée, 1904.
V.
- Loi de recrutement de 1889
Cette loi; vous la connaissez, aussi, nous suffira-t-il d'en résumer les principes fondamentaux pour en faire' ressortir le caractère. C'est d'abord une nouvelle consécration de l'obligation du service personnel, inscrite en tête de la loi de 89 comme elle l'était en tête de la loi de 72. La durée du service en temps de paix est ramenée de 5 ans à 3 ans mais, par contre, cette durée s'applique au contingent entier, le volontariat est supprimé et les dispensés sont astreints à 1 an de service. A vrai dire, le ministre est autorisé à désigner chaque année, par voie de tirage au sort, les hommes qui pourraient être envoyés dans la disponibilité après un an de présence sous les drapeaux et qui formeraient ainsi une 2e portion du contingent. Mais, depuis 1889, le ministre a usé une seule fois de cette prérogative. Enfin, la loi prolonge jusqu'à 45 ans l'obligation du service en temps de guerre, ce qui a pour effet d'augmenter de cinq classes l'effectif total dont on pourrait disposer en cas de mobilisation. La loi du 15 juillet 1889, vous le voyez, a été une seconde étape vers l'application complète du service personnel et égal pour tous. Si elle ne consacre pas le principe de l'égalité absolue des obligations militaires pour tousles citoyens, au moins, atténue-t-elle les inégalités par trop choquantes établies par la loi de 72. Considérée au point de vue purement militaire, elle est de beaucoup supérieure à cette dernière, car elle accroît sensiblement l'effectif -des combattants mobilisables et réduit à néant celui des non-exercés qui, en cas de guerre, seraient plutôt une charge qu'un appoint.
;
Reproches faits à la loi de 89. — Cependant,
on fait à la loi de 89, quoique à un degré moindre, les reproches qu'on faisait à la loi de 1872 : '10 Elle laisse subsister l'inégalité du temps de service. Cette durée est de 3 ans pour un peu moins des 2/3 du contingent annuel d'un an seulement, 10 mois en réalité, pour un peu plus du 1/3 de ce contingent. 2° Il en résulte un manque d'homogénéité dans les
;
réserves. 3° Enfin, de même qu'on reprochait à la loi de 72 le volontariat, on reproche à la loi de 89 les dispenses de l'article 23. Dans le but de faciliter le recrutement des carrières libérales, la loi accorde des dispenses aux jeunes gens munis de certains diplômes. Cette disposition de la loi a créé, dans les classes aisées et cultivées de la nation, la course au diplôme pour la dispense. De plus, la liste des diplômes donnant droit à la dispense, courte au début, s'allonge constamment sans qu'on puisse lui prévoir une limite. Il y a là une sorte de contrefaçon du volontariat avec cette différence que la loi n'exige des dispensés aucune charge en échange des privilèges qu'on leur accorde. Outre que les carrières libérales s'en trouvent encombrées, l'obligation de 3 ans de service ne pèse plus en général aujourd'hui que sur les filsde cultivateurs, d'artisans et de petits commerçants. Certes, l'impossibilité d'incorporer classes de 220,000 hommes impose le principe des dispenses, mais, par l'abus qu'on en a fait, on a, en quelque sorte, violé le principe d'égalité qu'on avait invoqué à l'origine.
3
VI.
—
Projet de loi de 1902
Vous savez qu'une nouvelle loi est actuellement sou-
mise au Parlement, aux termes de laquelle la durée du service actif serait pour tous de deux ans, sans autres dispenses que celles justifiées par l'incapacité physique. Cette loi serait donc l'application intégrale du principe du servicepersonnel, obligatoire et égal pour tous. Elle échappe aux reproches faits à ses devancières, parce qu'elle ne laisserait subsister aucune inégalité et aurait le très grand avantaged'assurer l'HO¥OGÉ::-.IÉITÉ DES RÉSERVES.
Dans d'autres conférences, on vous montrera la situation que créera cette loi si elle est votée par le Parle-
ment.
DEUXIÈME CONFÉRENCE
Evolution des Méthodes
d'Instruction
à
des Règlements
de Manœuvres depuis 1870
Nécessité de l'Éducation Morale du Soldat
Évolution des méthodes d'instruction et des règlements de manœuvre depuis 1870 Nécessité de l'éducation morale
du Soldat
:
SOMMAIRE I. — Méthodes
d'Instruction
Influence des lois de recrutement, des progrès de l'instruction. Autres facteurs de l'évolution. Avant 1870. Après la guerre Règlements de 1875, 1884, 1887,1889,
:
1894.
Reproches faits à notre infanterie. L'artillerie. Règlement provisoire de 1902 (infanterie). Conclusion. II.
--\-
Nécessité de l'Education morale
Cette nécessité est affirmée depuis longtemps. Après la guerre.
Conclusion. Nous vous avonsmontré, dans la première partie de cette conférence, l'évolution des lois de recrutement au cours des 50 dernières années. Nous avons vu la Nationarmée se substituer à l'armée de métier le service long de courte durée pour tous se substituer au service à terme de quelques-uns.
;
l'inverse de ce qui se passait avant 1870, où les 30,000 appelés de chaque contingent restaient 7ans et souvent plus sous les drapeaux, demain, probablement le»<2004)00 hommes de chaque contingent n'yresteront que deux ans. A
i.
Méthodes d'instruction --
Influence des lois de recrutement.
— Des
changements si profonds devaient avoir leur répercussion sur nos méthodes d'instruction et d'éducation militaire et sur nos règlements de manoeuvre. Le service à court terme a conduit : a) A adopterdes méthodes d'instruction plus simples et plus rapides ; à réduire nos règlements de manœuvre, autrefois si volumineux, en laissant de côté ce qui n'a d'application qu'en temps de paix pour ne conserver que ce qui est nécessaire à la guerre. b) Il a conduit aussi à la spécialisation dans les armes techniques, l'Artillerie et le Génie. c) Enfin, il a créé la nécessité de faire l'éducation morale du soldat, alors qu'avec le service à tong terme, on comptait pour la réaliser, sur le concours du temps, le contact des vieux soldats et les campagnes de guerre, circonstances aujourd'hui disparues. Le service obligatoire pour tous a donne à cette éducation une importance nouvelle, parce que faire l'éducation de l'armée, c'est aujourd'hui faire l'éducation de la nation.
Influence des progrès de l'Instruction.
—
Mais, malgré la simplification des méthodes, l'instruction très rapide des jeunes soldats nécessitée par l'obligation de les rendre mobilisables au printemps, n'aurait certainement pas été effectuée dans de bonnes conditions si, dans le pays, des progrès constante et considérables n'avaient été obtenus, au point de vue de
l'instruction primaire,parl'institution de l'obligation de cette instruction. « La 3eRépublique dit M. Rambaud, dans son His« toire de la Civilisation contemporaine, a eu l'honneur de « reprendre les vastes projets ébauchés par la Convention instruction populaire et nationale. Elle a (\ envue d'une « eti la bonne fortune de les faire aboutir. » La loi du 28 Mars 1882 a rendu l'enseignement primaire obligatoire. Elle a eu les plus heureuses conséquences et, en ce qui concerne particulièrement l'instruction militaire, il est hors de doute qu'elle facilite singulièrement la tâche des instructeurs, non seulement en réduisant d'année en année le nombre des illettrés, tombé en 20 ans, de 15 0/0 à 4 0/0, mais encore, en augmentant progressivement et dans des proportions considérables le nombre des jeunes gens qui arrivent au régiment pourvus d'une instruction primaire plus complète.
Autres facteurs de l'évolution. —
Il ne faudrait point croire que les réformes apportées dans le recrutement de l'armée et les progrès de l'instruction aient été les seuls facteurs de l'évolution. Nos règlements ont subi aussi l'influence des progrès de l'armement,. de l'expérience des guerres modernes et des idées nouvelles qui en résultent sur la tactique des
différentes armes. Enfin, indépendamment des lois, de l'armement, de la tactique, nos méthodes d'enseignement profitent des progrès de la pédagogie, science de l'éducation, laquelle fera l'objet d'une conférence spéciale. Nous allons maintenant suivre pas à pas cette évolution de nos règlements de manœuvre et de nos méthodes
d'instruction.
Avant 1870.
— Lorsqu'on cherche à se rendre compte de la valeur de l'instruction militaire de notre armée au début de la campagne de 1870, on constate trop facilement que ce qui la caractérise c'est le manque de préparation à la guerre.
Comment était-ce donc possible avec le service de sept
ans?
C'est que l'instruction du temps de paix n'était pas pas dirigée en vue de la guerre. Nous avions, après la chute du premier Empire,, en 1815, perdu bien vite les traditions de la Grande Armée. En 1831, alors que Prusse avait adopté les méthodes de combat inaugurées par les armées de la Révolution et de l'Empire, notre nouveau règlement avait été copié sur celui de 1791. Il ne donnait que l'instruction nécessaire pour la parade, ne renfermait aucune prescription pour le combat, le mot « ennemi » était ignoré. Cependant, le volume avait 588 pages et la table des matièrés des mouvements à rangs serrés comportait 14 pages en petits caractères.
la
Règlements de manœuvres de l'Infanterie en usage en 1870. — Dans les règlements suivants,
et jusqu'à 1870, les mouvements à rangs serrés restèrent si nombreux et si minutieux dans leurs détails, qu'ils absorbaient complètement le temps consacré aux manœuvres. Le règlement de manœuvre de 1860, les observations sur l'instruction des tirailleurs, parue en 1868, et enfin le règlement du 16 mars 1869 (pour ne parler que de ceux de l'infanterie), donnaient bien, il est vrai, un certain nombre de prescriptions relatives au combat par exemple, les moyens de déployer, faire marcher, manœuvrer un batail des indications concernant de petites opérations de Ion la guerre, tellesque reconnaissances, attaque et défense d'un convoi, d'un village, d'un bois, d'une position garnie de tirailleurs, etc. Ces mêmes règlements prescrivaient même d'appuyer cesleçons sur des exemples, autant que possible en terrains variés. En fait, onne tenait pour ainsi dire aucun compte de ces prescriptions pour l'ins truction des hommes. L'instruction des tirailleurs était généralement traitée d'une manière fort sommaire, et l'on peut dire qu'en
;
:
dehors du camp de Châlons il n'était jamais fait de manœuvres en terrains variés. La nécessité de pratiques nouvelles ne se faisait pas vivement sentir, sous prétexte qu'on avait gagné des batailles sans cela un grand nombre d'officiers qui avaient fait la guerre, n'hésitaient pas à affirmer qu'en campagne, on ne faisait rien de ce qui se pratique en temps de paix. L'instruction, donnée tout entière sur la place d'exercices, était à dessein compliquée et menée avec lenteur dans la crainte d'arriver trop vite à la répétition et à la satiété. Une telle instruction nous donnait une armée superbe de tenue. Sur le champ de bataille, elle avait jusqu'ici forcé la victoire par un courage à toute épreuve. Mais les officiers et les soldats n'avaient fait preuve que de cette qualité. La pratique des exercices rigides "t compassés, dont la seule fin pouvait être d'obtenir une exécution machinale, ne pouvait développer ni l'initiative des chefs, ni les aptitudes manœuvrières de la troupe. Et cependant, malgré tout, nous nous serions peutêtre « débrouillés »une fois de plus en 1870, si nous n'avions eu cette malheureuse idée de « défensive à outrance » qui paralysa nos eflorts et notre caractère. A la suite des résultats mal interprétés de la guerre de 1866, de l'adoption du fusil Chassepot et d'expériences de polygone, on tira de la puissance du feu de l'infanterie des conclusions exagérées. Les « observations » (1) de 1867 firent ressortir l'avantage de la défense sur l'attaque et l'impossibilité de réussite parune attaque de front. La conséquence fut qu'au cours de la guerre, si nos. troupes opposèrent toujours une résistance opiniâtre, leurs chefs ne surent presque jamais passer à l'offensive,
;
sur l'Instruction sommaire pour les combats annexée au titre XIII de l'ordonnance du 3 mai 1882 sur le service des armées en cam(1) Observations
pagne.
ce qui, plus d'une fois, leur aurait assuré la victoire (par exemple, à Rezonville.)
Après la guerre.
-
La guerre de 1870 avait cruellement mis en lumière les conséquences funestes de même, elle avait prouvé pareilles traditions. Et, par jusqu'à l'évidence la nécessité de réformer les règlements de manœuvre et les méthodes d'instruction. Cette nécessité s'imposa dès que la loi de 1872 créa l'obligation de former des gradés plus rapidement, de donner en un an aux hommes de la deuxième portion une instruction suffisante, de préparer enfin, en une seule année, les engagés conditionnels au grade d'officier, ou, tout au moins, de sous-officier de réserve.
là
Les principes essentiels qui devaient présider à ces réformes sont les suivants
:
Diriger l'instruction en vue uniquement de la préparation à la guerre 2°Employer des procédés d'instruction expéditifs; 3° Pour stimuler chez les chefs le zèle que nécessitait cette instruction intensive, laisser à chacun une plus grande initiative, en particulier, adopter le principe de l'instruction par compagnie ou batterie, seule capable de créer l'émulation en excitant l'amour propre de chacun. En même temps, l'institution en 1873 des premières grandes manœuvres, bientôt suivies en 1874 et 1875 de manœuvres exécutées dans un grand nombre de corps d'armée, créa ces opérations pratiques de guerre où les unités de tout ordre reçoivent la meilleure des préparations. Notre situation après 1870 était analogue à celle de la Prusse après la campagne d'Iéna et le traité de Tilsitt. Cette puissance, après ses désastres, avait, 60 ans avant nous, adopté le principe de la nation armée. Il est intéressant de constater qu'une modification profonde des méthodes d'instruction militaire en avait été la conséquence. 1°
;
Ecoutons ce que dit le maréchalMarmont qui a vu l'armée prussienne en 1824 (1). « Le roi fit exécuter devant moi de grandesmanœu« vres par la garnison de Berlin. « Les mouvements furent faits avec une précision et ( une rapidité extrêmement remarquables. Ce qui rendit « à mes yeux ces manœuvres étonnantes, c'est que le soldats placés dans les rangs se composait de « tiers des « recrues,. En quatre mois, ils avaient été dressés, ins« truits et mis à l'école de bataillon. Les manœuvres « prussiennes, il est vrai, sont aujourd'hui les plus simautrefois, tout était fantasmagorie « ples de l'Europe « dans cette armée, tout était compliqué. 1806, on a abandonné ce sys« Après les revers de « tème de charlatanisme, des hommes éclairés,. ont « réduit l'ordonnance prussienne à ses moindres termes, supprimant tout ce qui est fait pour la parade et des« tiné seulement à parler aux yeux. » Marmont remarque que le service de trois ans, alors appliqué en Prusse, « exige de la part des officiers et des sous-officiers des soins et des travaux presque incroya«. « bles,. des efforts inouis et toujours renouvelés. »
;
«
RÈGLEMENT DE 1875.
(12
juin).
— C'est
en 1875 que parut le premier règlement destiné à faire face aux nouvelles obligations imposées par la loi de recrutement. La prééminence y est accordée aux exercices en vue du combat et les exercices en ordre serré y sont notable ment réduits, mais on n'a pas encore su s'affranchir du formalisme des mouvements a angle droit et ceux que l'on a conservés manquent de toute souplesse. Le règlement proclame l'importance prépondérante des feux comme mode d'action, et l'impossibilité, pour une troupe un peu importante, en raison de l'adoption des armes à tir rapide, de combattre et de manœuvrer, en (1). L'éducation de
l'Infanterie lrançaise. (II. de Flétres). P.
3.
ordre serré, dans la zone du feu efficace de l'ennemi..; comme conséquence, la nécessité de fractionner les troupes en première ligne et d'adopter le mode d'action en ordre dispersé. Le règlement cherche à développer l'initiative chez les chefs de tout grade « Les chefs des différentes frac« tions, y est-il dit, ont, dans les limites fixées, le choix « des positions les plus convenables pour abriter leur d'ensemble.» « troupe et pour coopérer aux mouvements Enfin le règlement de 1875 fixe, comme unité de combat, la compagnie. C'est une heureuse innovation dont la nécessité est démontrée dans le rapport au Ministre. « IL est évident, dit à ce sujet le rapporteur, que, « dans le combat en ordre dispersé, le bataillon en pre«mière ligne, pour lequel fractionnement est reconnu «indispensable, ne pourra plus être commandé directe«ment à la voix par son chef, comme doit l'être toute «troupe en contact avec l'ennemi. Dans la compagnie «seule, cette manière de commander sera encore possible «au capitaine. On est donc conduit à regarder la compa«gnie comme véritable unitéde combat. » Il semblait que ces deux dernières prescriptions du règlement (développement de l'initiative, compagnieunité de combat) dussent entraîner comme conséquence le principe de l'instruction militaire par compagnie. Il n'en fut rien cependant et il fallut plus de dix ans encore pour vaincre la résistance opposée à, ce sujet par un grand nombre d'officiers, encore imbus des méthodes d'instruction des armées de métier. Le règlement du 12 juin 1875 constituait, au point de vue de l'instruction militaire, un progrès considérable. Et pourtant, après quelques années d'application, des griefs nombreux furent articulés, contre certaines prescriptions de détail de ce règlement et surtout contre l'esprit qui l'avait inspiré on lui reprochait, en eflet 10 De ne s'appliquer qu'à la défensive, en prescrivant une recherche exagérée de l'utilisation du terrain pour
:
le
la
:
:
abriter les troupes, alors que l'étude plus approfondiedes dernières guerres montrait que les succès étaient dus surtout à l'offensive 2° D'accorder au feu une importance excessive, tou en ne donnant à la ligne de feu qu'une densitétrop
;
;
faible
D'admettre des dispositifs de combat présentant une trop grande profondeur 4° D'avoir, par la grande latitude donnée aux petites unités, fait perdre à l'infanterie, en quelques années, les habitudes d'ordre et de discipline. L'ordre dispersé était qualifié « d'éparpillé ». 3°
Règlement de 84,
;
-
Aussi parut-il juillet. nécessaire de remanier le règlement de 1875, et c'est ainsi que parut celui du 29 juillet 1884, dont le caractère est nettement offensif; les indications suivantes extraites de l'école du soldat, deuxième partie, en sont une preuve évidente : énergiquement commandée, « Une infanterie brave, « peut marcher sous le feu le plus violent, même contre « des tranchées bien défendues, et s'en emparer. » C'est là, vous le voyez, un principe en opposition absolue avec un de ceux qui avaient servi de base au règlement de 1875 et d'après lequel on considérait, au contraire, comme impossible la marche et le combat, à découvert, dans la zone efficace des feux de l'infanterie. Il y avait, semble-t-il, exagération dans un sens comme dans l'autre, et la vérité était entre les extrêmes. Et cependant, ce règlement de 1884 qui semblait réagir si radicalement contre les idées de défensive attribuées à son prédécesseur, ne tarda pas à paraitre insuffisant pour répondre aux nécessités de l'offensive dont le principe se répandait rapidement et devenait familier à tous. 29
Instruction pour le Combat (1888). —
C'est pour satisfaire à ce nouvel état d'esprit que parut, en
1887,
«
» dont suivants:
riristniclionpourlecombat
les princi-
pes essentiels sont les 1° Augmenter l'aptitude au combat offensif. 2° Augmenter la puissance des feux par la réduction des fronts de combat et l'augmentation de la densité dela chaine. :o Donner au dispositif de combat une allure vive et résolue, au moyen d'un échelonnement plus serré des soutiens et des réserves, et produire ainsi une poussée incessante vers la ligne de feu. 4° Constituer, dans toute formation offensive, une troupe de choc tlistillde de la troupe de préparation. 5° Enfin réglementer et organiser l'assaut. Les auteurs de cette instruction, comme ceux du règlement de 84, croyant que l'inhabileté manœuvrière de nos troupes résultait d'un manque de précision dans un texte qui laissait trop à l'interprétation, ont décrit, d'une façon rigoureuse tous les détails d'exécution des mouvements. Ils ont eu le grand tort de vouloir trop réglementer et, par conséquent, d'aller à l'encontre d'un des principes essentiels de nos règlements, en atténuant ou même en interdisant, dans certains cas, toute initia-
tive individuelle. Vous le voyez, messieurs, à cette époque, pourtant déjà bien éloignée de nos désastres, on en était encore jusqu'à un certain point, à la période des tâtonnements, des contradictions mêmes.
Règlement du 29 juillet 1884 modifié par décision du 3 janvier 1889. — La nouvelle rédac-
tion du règlement rendue nécessaire par l'adoption du fusil 86, et qui parut en 1889, évita d'apporter au règlement de 84 des modifications profondes dans la forme comme dans l'esprit, en raison de l'importance des réserves, cadres et soldats, instruits conformément à ces règlements. Mais il marque un progrès énorme par l'adoption de
l'instruction par compagnie, déjà adoptée dans la cavalerie (1876) et l'artillerie (1885). « Jusqu'à la réunion des compagnies pour l'école de « bataillon, dit ce règlement, le chef de bataillon laisse « aux capitaines la plus large initiative. « Le capitaine dirige l'instruction de sa compagnie, « il en est responsable. « Il fait, autant que possible, instruire chaque fracexerce une action per« tion constituée par son chef « sonnelle et constante sur toutes les parties de l'ensei« gnement. Il complète et perfectionne l'instruction « théorique et pratique des officiers. « L'instruction des sous-officiers, des caporaux et des « élèves-caporaux est entièrement faite par ses soins. « L'instruction et l'éducation militaires se donnant « réellement dans la compagnie. la mission du capitaine « à une importance des plus grande. Il s'y consacre tout
et
«
entier.
:
Et ailleurs « Ce n'est que quand le colonel le juge utile qu'il « réunit les élèves-caporaux en un peloton d'instruction « exercé à part, avec un cadre spécial. Dans ce cas il en « fait la demande au général de brigade. » Ces dispositions nouvelles, si elles développent les prérogatives des capitaines,augmentent en même temps, il est vrai, leurs charges, leurs devoirs. Mais aucun d'eux, certainement, n'a jamais songé à s'en plaindre, au contraire. Il est évident enfin que cette méthode d'instruction s'impose de plus en plus, parce qu'elle est la seule qui, en évitant les pertes de temps considérables qui résultent de la rigidité du mode d'instruction uniforme par régiment, ou même par bataillon, permettra de donner à l'instruction l'intensité nécessaire pour former, dans un service de courte durée, des hommes complètement instruits, bien connus etbien dans la main de leurs chefs, en un mot, des soldais aptes au -set"vjœ deguerre. «
Règlement du 29 juillet 1884 modifié par décision du 15 avril 1894. — Une nouvelle rédac-
tion du règlement parue en 1894 n'apporta aucune innovation dans les méthodes d'instruction. Au point de vue de la tactique de l'infanterie, elle donna une importance nouvelle aux éclaireurs en raison des difficultés de lareconnaissance des positions ennemies, accrues par l'adoption des poudres sans fumée.
Reproches faits à notre Infanterie.
— Les règlements successifs que nous venons d'examiner diffèrent beaucoup plus les uns des autres par les modifications apportées à la tactique de l'infanterie que par les méthodes à employer pour faire son instruc-
tion. Aussi, après 1884, même après 1894, on reprochait encore à nos.règlements de viser trop à la parade, à notre infanterie, de n'avoir pas fait de sérieux progrès en vue du combat. Nous lisons dans un article de la Nouvelle Revue
de1893(1).
Le Français est souple et agile, mais la troupe composée de Français paraît lourde à manier, nous avons l'ordre et le silence, pas encore la vitesse. *«
«
«
Tout observateur compétent et impartial est obligé infanterie est peu manœu« de convenir que notre pénibles, ses différentes « vrière. Ses mouvements sont « unités sont peu assouplies et nullement rompues à de manœuvre, nos « l'usage du terrain. Nos formations «évolutions, toutes de formalisme, manquent de soudes intervalles, des « plesse.Le maintien des distances, constante des « alignements forme la préoccupation l'attention de tous devraitse concen« troupes, alors que le moyen de l'atteindre. Tout y est « trer vers le but et la souplesse est la première condition « rigidité, alors que «
(1)
Nouvelle Revue, 1893. Tome VI. Pages 159 à 153.
;
du succès tout y est convention, alors que l'à-propos « est devenu la loi du combat. L'esprit de routine paralyse « tous les efforts et compromet le résultat. » Nous avons vu, dès 1872, affirmer la nécessité de supprimer dans l'instruction tout ce qui est inutile à la guerre, et, cependant, jusqu'à ces derniers temps, l'infanterie perdait encore une partie notable de son temps à faire sur la place d'armes des exercices de maniement d'armes et de conversions, inutiles ou impraticables à la en terrain varié, le soldat, ne pouvant plus guerre éxécuterce qu'il avait appris, était dépaysé les fractions se mettaient en désordre. «
;
L'Artillerie.
;
— Quant à l'artillerie, elle appliquait
dans la cour du quartier un règlement qui déterminait avec un luxe de précision et de détails les mouvements les plus simples, tel que « à bras en avant ». Au tir, elle s'empressait d'oublier ce formalisme dont le seul effet eut été de ralentir la manœuvre. Une telle réglementation de tous les mouvements surchargeait les règlements au point que le règlement de manœuvre del'artillerie allemande, qui forme une brochure de 250 pages seulement, renfermait la matière de cinq règlements français comptant en tout 1,200 pages. De plus, malgré la création des batteries d'artillerie de forteresse en 1883, on continuait, par suite de l'inertie, de l'habitude acquise, de faire aux sous-officiers des régiments de campagne l'instruction relative à des canons qu'ils ne seraient certainement pas appelés à servir au moment de la mobilisation. « On a renoncé à cette pratique (1),et l'allégement « en résultant pour nos sous-officiers de l'artillerie de « campagne est rendu manifeste par ce fait que l'ensemble « des connaissances qu'ils ont à acquérir, à enseigner, à « faire appliquer, tient dans un règlement de deux « volumes (du 8juin 1903) alors qu'il faut évaluer à une 1. Rapport de Id Commission de l'Armée. 1904, page 88.
bonne vingtaine, le nombre des théories de toutes « sortes que le sous-officier accompli devait posséder à «fond et savoir, pour la plupart, littéralement par <<cœur.» « Cette spécialisation dans les différentes branches « rend donc très facile l'instruction. » Le nouveau règlement porte, écrit à la première «
:
page
Il est interdit d'ajouter aucune prescription de détail, de quelque nature qu'elle soit, à celles qui sont contenues dans le règlement. » « Les détails que le règlement ne prévoit pas doivent être laissés à l'initiative de chacun. » «
« «
«
C'est donc de propos délibéré qu'on renonce à une réglementation exagérée et cela, au grand profit de l'initiative et de la simplicité de l'instruction.
Règlement provisoire du 8 octobre 1902.
-
Des progrès non moins grands ont été (Infanterie). faits dans l'infanterie, où a été mis en application le règlement provisoire de manœuvres du 8 octobre 1902. Pour vous faire connaître l'esprit dans lequel a été conçu ce règlement et les progrès notables qu'il réalise, nous nous bornerons à vous citer les passages les plus importants de l'avant-propos qui le précède. Dans l'accomplissement de sa tâche, y est-il dit, « « la commission qui a élaboré ce règlement s'est inspirée « de cette pensée que la préparation à la guerre doit faire « l'objet exclusif de l'instruction donnée aux troupes.
:
En conséquence elle s'est attachée o t0 A exclure, autant que possible, de l'enseigne« ment du temps de paix, des mouvements et formations ( inutilisables en campagne, et dont la pratique n'a plus « sa raison d'être avec la durée réduite du service mili« taire actuel 2° A fournir à l'infanterie les moyens de devenir « « plus souple et plus manœuvrière «
;
:
a). En dégageant ses mouvements du formalisme suranné qui les ralentit. b). En supprimant les formations peu maniables « telles que le bataillon en masse. c). En laissant aux chefs de sections et aux capi« taines l'initiative de prescrire, dans l'exécution des mouvements et évolutions, l'emploi des procédés qu'ils jugeront les plus simples, les plus rapides et les mieux appropriés à la situation particulière de la troupe qu'ils «
«
« «
« «
commandent. «d). En habituant les unités a suivre sans hésitation mouvements de leurs chefs qui en deviennent les « les guides, et à se conformer instantanément et en toutes «. circonstances à leurs intentions manifestées par un «. signe, une indication verbale. « geste, un 3° A donner à tous, officiers et soldats, une idée « des devoirs qui leur incombent au combat, de la « nette puissance du feu de l'infanterie et des moyens à em« ( ployer pour lui faire produire son maximum d'effet. » En outre, la commission a réussi à réduire très notablement le volume du nouveau règlement et, par suite, à en rendre l'étude plus facile, en en éliminant tous les développements inutiles ou étrangers à son objet. Ce règlement fait faire un progrès énorme dans le sens de la simplicité de l'instruction. Il supprime une partie du maniement d'arme, simplifie les mouvements de l'école de section, introduit le principe fécond du chef guide de sa troupe et fait disparaître tout formalisme de l'école de compagnie et de l'école de bataillon. Il dit(1) : « Le règlement laisse à dessein, dans les « évolutions, une certaine liberté de mouvements aux cette liberté a pour but d'obtenir « unités subordonnées ( plus de souplesse et de rapidité dans l'exécution et, en « même temps, de développer les qualités d'initiative et, « l'esprit de décision des cadres. Il est interdit de la res«
;
(1)Bases de l'Instruction.Page 8.
treindre par des prescriptions formelles érigeant les « diverses évolutions en types invariables. » Il ne faut point regretter les mouvements formalistes sous prétexte qu'ils servaient d'école de discipline. La souplesse des formations actuelles n'empêche nullement le chef de. rendre, quand il le veut, la manœuvre rigide et parfaite pour la discipline. D'ailleurs, la discipline de manœuvre résulte actuellement, et d'une façon autrement vivante, de l'attention constante, nécessaire à l'homme de troupe, de l'obligation où il se trouve de réaliser, en toutes circonstances, la volonté du cherf. Elle est très supérieure à l'automatisme purement machinal d'autrefois.
«
:
—Nous sommes donc aujourd'hui en présence de la situation suivante d'une part, des contingents plus instruits d'autre part, des règlements simplifiés et des méthodes d'instruction mieux appropriées à leur but. C'est à la faveur des progrès déjà réalisés en 1889, -qu'à cette époque,, le service de trois ans arriva à être considéré, par les hommes de métier, comme suffisant, à la fois, pourassurer une bonne instruction des hommes et une bonne formation des cadres. C'est, grâce aux progrès réalisés, depuis qu'il nous sera possible d'assurer en deux ans l'instruction de nos sous-officiers qui avait paru en 1872 un obstacle insurmontable l'adoption du service de courte durée.
Conclusion.
;
à
II.
-
Nécessité de l'éducation morale du soldat
a
Nous avons essayé de montrer ce qui été fait en France depuis 1871, d'une part, aupoint de vue de l'organisation de l'armée et de son recrutement, d'autre part, en ce qui concerne l'instruction militaire.
Mais cette instruction serait incomplète si elle
négli-
geait l'éducation morale du soldat.
La force morale.
— Nous n'avons pas fait des
soldats prêts à la guerre lorsque nous leur avons donné l'instruction professionnelle et obtenu d'eux l'obéissance aux règlements. dit le maréchal Bugeaud, n'a « La force morale, dela force physique (1). « toujours paru au-dessus « Le combat a sa partie morale et sa partie physique,. « la première me paraît plus essentielle que la seconde (2) ». L'histoire des campagnes prouve, en effet, que les. facteurs les plus importants du succès sont les facteurs moraux, la confiance dans les chefs et le sentiment du devoir; que la discipline matérielle est insuffisante au milieu des dangers et dessouffrances de la guerre et que, si la valeur morale a quelquefois suppléé au manqued'instruction militaire, le contraire ne s'est jamais vu. Il est donc du devoir de l'officier de s'attacher le cœur et la confiance du soldat, de lui faire comprendre la raison et la grandeur de son devoir militaire, de développer chez lui les qualités morales nécessaires à l'accomplissement même de ce devoir.
L'éducation morale est de tous les temps. —
C'est le but primordial de l'éducation morale, essentiel-
lement militaire, dont la nécessité, ainsi définie, doit forcément être aussi ancienne que la guerre ellemême. « Ce fut, dit Jomini (3), dans son précis sur l'Art de « la guerre, à l'assemblage des vertus civiques et de l'es« prit militaire, passé des institutions dans les mœurs, « que les Romains furent redevables de leur grandeur.. « Lorsqu'ils perdirent ces vertus et que, cessant de regar« der le service militaire comme un honneur autant que Œuvres complètes, p. 49. (2) Œuvres complètes, p. 42. (3) L'Art de la guerre, 1er volume, p. (1)
137.
comme un devoir, on l'abandonna à des mercenaire. « la perte de l'Empire devint inévitable.» Mais, si l'éducation morale estde tous les temps, cet assemblage des vertus civiquesetde l'esprit utilitaire, passé ,¡Jes histitnlions dans les mœurs, a pris une importance nouvelle depuis que la Nation armée s'est substituée à l'armée de métier. Cette partie de notre mission devient chaque jour plus importante, à mesure que les lois de recrutement réduisent la durée de temps passé sous les drapeaux, à mesure aussi que l'instruction plus répandue et plus élevée et la pratique des institutions démocratiques nous préparent des hommes plus instruits, plus observateurs, -et ayant un sentiment plus vifde leur dignité. Après la guerre. — Après la guerre, la nécessité de cette éducation morale estaffirmée à nouveau. On trouve, en effet, dans un ouvrage (l'Armée de l'avenir), paru en 1872, avant la loi de recrutement, les propositions suivantes (1) : « L'éducation morale doit entrer pour une large part « dans la législation nouvelle. Si toute lajeunesse valide •(( est appelée à l'honneur de défendre la Patrie, il faut « au moins que les années passées sous les drapeaux pro« fitent, non seulement au soldat, mais à l'homme et au Ce qu'il importe avant tout de lui inspirer, « citoyen. «c'est l'esprit de conduite, l'amour de l'ordre et du tra( vail ; il faut élever son âme, l'habituer à l'obéissance et il faut enfin cultiver en lui toutes « au respect des lois « les vertus qui font aussi bien le bon soldat que le bon ( citoyen. » 1872(La Et, dansun autre ouvrageparu également réforme de l'armée et le service obligatoire) : « Il faut qu'un officier ne croie plus avoir suttisam« ment rempli sa journée quand il a consacré deux ou trois heures par jour à l'instruction de ses hommes. Il Il -« faut que tout le corps d'officiers s'inspire et se pénétre «
;
en
(1)
L'Armée de l'Avenir, (X.) page
10.
« de cette haute pensée, qu'il constitue l'école militaire de « la nation, que c'est à lui qu'est dévolue cette haute « mission de moraliser et de discipliner la génération « actuelle. » Cette même idée a été exprimée par le général de Chasseloup-Laubat, dans un passage déjà cité de son rapport sur le projet de loi de 1872. En 1879, un officier supérieur traite ce sujet de l'éducation dans une brochure ayant pour titre « Conseils d'un officier supérieur Ú soit jeune cousin, engagé volontaire. » Les titres des chapitres constituent tout un enseignement et sont à retenir. Ils définissent les devoirs et la conduite à tenir 4 Déférence sans obséquio1° Envers ses supérieurs sité. Faire' un choix ne se lier 2° Envers ses camarades qu'avec les meilleurs. Eviter toute fami88 A l'égard de ses subordonnés liarité. Commander énergiquement mais sans bruit. Eviter l'occasion de punir. Mieux vaut prévenir une faute que d'avoir à la réprimer. Zèle et énergie. Exemples de dévoue4° A la guerre ment et de résignation aux souffrances. Tout sacrifier à l'accomplissement du devoir. 5° En politique N'être l'homme d'aucun parti. On se doit au pays et, par conséquent, au gouvernement que le pays s'est volontairement et librement choisi. En 1880, à propos d'un projet de « Livre du soldat » résumant, en termes simples, les connaissances indispensables au soldat, un autre officier demande qu'on y jqigne un fascicule sur l'éducation morale. « Il est bien, dit-il, de faire au soldat des théories sur « l'entretien des armes, le service intérieur, le service « des places, etc. Mais le temps qu'on consacrerait à son « éducation morale, à faire naître chez lui l'idée du « devoir, à éveiller l'esprit de sacrifice et de dévouement, On semble le penser encore « serait-il du temps perdu « aujourd'hui. Que de soldats et de gradés s'en vont, au
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bout de quatre ans, sans avoirjamais entendu prononcer « par leurs supérieurs les mots de Patrie, d'Héroïsme, de « Gloire. On a demandé pendant quatre ans, bien des « choses à leur mémoire, fort peu à leur intelligence, « rien à leur cœur. Que de forces perdues » N'est-ce pas là, messieurs, ce que nous pensons tous aujourd'hui Non seulement la nécessité de l'éducation morale s'est manifestée depuis longtemps, mais on avait même indiqué la forme sous laquelle elle doit être donnée. « Sans faire de théories spéciales sur les devoirs « moraux, disait un officier, en 1887, on obtiendrait d'ex« cellents résultats en profitant de toutes les circons« tances pour parler à l'esprit et au cœur du soldat. « L'officiel' seul, semble avoir l'autorité, la chaleur de «conviction nécessairespour traiter de semblables ques« tions.» En 1891, le général Lyautey, alors capitaine (1), publia une étude remarquable sur la question. Nous n'en citerons aujourd'hui que quelques lignes « Il semble, dit-il, que cette prise morale de la troupe •« est devenue une nécessité » « De la brièveté du temps de service et de l'espace« ment croissant des guerres, il résulte que, lors de « la prochaine lutte, tout soldat verra le feu pour la pre« mière fois, et quel feu!» Qu'on lui apprenne que sur les ruines des « « hiérarchies disparues, la nécessité sociale de la disci« pline, du respect et de l'abnégation ne cesse pas d'être « et que l'armée sera toujours la meilleure, sinon la seule s'apprendront ces vertus. Que ce nouveau cc école où « devoir soit appris, par la base, aux plus jeunes géné« rations d'officiers, dans les Ecoles militaires elles« mêmes. » Ce vœu est resté longtemps lettre morte, tant est puissante la force des vieilles habitudes. Mais aujourdhui, «
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moderne
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Revue des Deux-Mondes, 15 mars 1891. Pages 453 et 457.
cette partie essentielle de la mission de l'officier doit être enseignée dans les Ecoles Militaires.
L'Éducation morale dans les régiments. — Il ne faudrait pas croire, d'ailleurs, que cette importante question ait été passée sous silence dans les règle-
ments. On trouve, en effet, dans une circulaire du 31 mars, 1878, sur la marche de l'instruction, les prescriptions
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suivantes « En parlant aux soldats des obligations qu'impose « le service militaire, on saisit toutes les occasions de « faire ressortir à leurs yeux la dignité de la profession « des armes. On s'efforce, par tous les moyens, de leur » inspirer le respect de l'uniforme, l'amour du drapeau et « de la Patrie. On frappe leur imagination en leur citant « souvent les hauts faits auxquels ont pris part les offi« ciers et les soldats du corps, et en leur rappelant des « exemples de bravoure, de discipline et d'abnégation. » C'étaient là des prescriptions très sages, mais pour combien d'officiers restaient-elles inutiles et vaines? Tous les règlements actuels affirment la nécessité de l'éducation morale. Le Règlement sur le service des armées en campagne dit, au chapitre du combat (1)
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Le moral des armées non aguerries par de récentes campagnes peut être ébranlé dans les premiers combats. Il importe donc, pendant les périodes de paix, d'élever bien haut l'esprit et le cœur du soldat et de lui persuader que le salut de la Patrie dépendra de son aptitude à supporter virilement les fatigues et les privations de la guerre, comme de sa ténacité, de sa «
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bravoure et de son entrain au feu. » Enfin, le Règlement de manœuvre de l'infanterie du 8 octobre 1902 dit aussi (2) «
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Règlement sur le service des armées en campagne. P. 160. 2. Bases de l'instruction. P. 7. 1.
l'instructeur de ses hommes, il en est encore bien plus l'éducateur. C'est dans ce dernier rôlequ'ilaffirmerasasupérioritéet créera cetteconfiance «
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Si l'officier est
et cette subordination volontaire qui feront que le « suivez-moi » du chef ne sera jamais un vain mot et que, là où il se portera, il trouvera ses soldats derrière lui. a
Conclusion.
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Que conclure de cette étude Il semble en résulter nettement que chaque modification, chaque progrès apportés à notre organisation militaire, ont eu, comme conséquence, des modifications, des réformes parallèles, en ce qui concerne la mission des officiers, leur rôle d'instructeurs et d'éducateurs mili—
taires. La manière dont ils doivent remplir ce rôle, et, par conséquent, les méthodes qu'ils sont amenés à employer pour l'instruction et l'éducation de leurs hommes, dépendent à la fois de la durée du service militaire, des progrès de l'armement, du développement de l'instruction et de l'évolution des idées générales du pays.
Par conséquent, nous aurons sans cesse à modifier et à perfectionner nos méthodes d'instruction et d'éducation militaires. Actuellement, nous sommes à la veille d'une modification considérable de notre loi de recrutement. De nouveaux devoirs s'imposeront donc à nous. Ces devoirs, nous devons les connaître dans toute leur ampleur et nous préparer, dès maintenant, à les remplir. Avant de les définir complètement, il conviendra d'appliquer à cette question, importante et complexe, la méthode si féconde de l'investigation historique, de rechercher quel a été, dans les époques qui nous ont précédés, le rôle des officiers vis à vis du pays, vis à vis de de montrer comment ils l'ont rempli leurs hommes enfin, de déduire de ces recherches, de cet examen, les enseignements utiles. Ce n'est qu'après cette étude qu'on pourra utilement
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déterminer quels sont nos devoirs actuels et comment nous devons y satisfaire. Cequ'il nous faut immédiatement retenir, c'est que, si grande et si féconde qu'ait été jusqu'à présent l'œuvre accomplie par la troisième République, pour la reconstitution de notre puissance militaire, nous ne devons pas, nousne devrons jamais la considérer comme achevée. C'est en pareille matière, surtout, qu'on peut dire que, rester stationnaire, ce serait reculer. Nous ne devons donc pas, nous ne pouvons pas rester stationnaires et, c'est à nous, les officiers d'aujourd'hui, c'est à vous, nos jeunes camarades, officiersde demain, qui aurez à former les générations nouvelles, c'est nous tous, unis dans un amour commun pour le pays et pour l'armée, qu'il appartient de poursuivre, sans interruption, sans défaillance, l'oeuvre entreprise depuis plus' de trente ans. Ils'agit de maintenir la France au rang qu'elle avait occupé pendant de longues années avec tant de gloire, et que la République lui a enfin rendu.
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TROISIÈME CONFÉRENCE f
L'Armée royale et l'Armée de la 1re République
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SOMMAIRE
L'ARMÉE ROYALE Origines de l'armée française. L'armée royale avant 1789. Recrutement du soldat. Sa valeur militaire. Le soldat ne peut prétendre à l'épaulette. Les officiers. Comment était traité le soldat. Sentiments réciproques de l'officier et du soldat. Les officiers et les sous-officiers dans les dernières années de la monarchie. Ce qu'a été l'armée royale.
L'ARMÉE APRÈS 1789 L'émigration. Les volontaires. Les réquisitions permanentes. L'amalgame.
L'ARMÉE DE LA 1re RÉPUBLIQUE Ce qu'ont été les armées républicaines. Les armées de 1794. L'armée du Rhin en 1796.
Qualités morales des armées républicaines. Le rôle des Représentants en mission. (1) Conférence faite en 1903 et 1904
par le capitaine d'artillerie J. Parlier.
L'Arméc Royale Dans les deux précédentes conférences, on vous a montré les évolutions successives de nos lois de recrutement depuis 1870, ainsi que les modifications parallèles des procédés d'instruction: on vous a indiqué qu'à ces modifications correspond, pour l'officier, une mission nouvelle, et, par suite, des devoirs nouveaux. En raison même de leur importance, il importe, pour définir ces devoirs, de se rendre compte de ce qu'ils ont été, de quelle manière ils ont été compris aux différentes époques de notre histoire. Il nous faut donc rechercher quel a été, jusqu'à nos jours, le rôle de l'officier vis-à-vis de ses hommes, vis-àvis du pays. l'armée royale avant et Nous étudierons d'abord après 1789, l'armée de la première République, ensuite l'armée du premier Empire, les armées de 1815 à 1870 et, en dernier lieu, l'armée de 1870.
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ORIGINES DE L'ARMÉE FRANÇAISE. —
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Au moyen âge, la France est divisée en fiets, domaines plus ou moins vastes le seigneur, bien que vassal du roi,
est presque indépendant. Les fiefs sont à leur tour subdivisés, émiettés en domaines secondaires attribués à des vassaux. Chaque vassal doit à son seigneur l'ost, c'est-à-dire son assistance personnelle et celle de ses hommes d'armes en cas de guerre. La politique royale, jusqu'à Louis XIV, consiste à faire disparaître en l'absorbant la puissance des grands seigneurs pour y arriver, elle doit avant tout diminuer leur importance militaire. Pour cela, elle forme, sur les territoires de ces vassaux, des communes, des villes royales qui sont de véritables seigneuries féodales.
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Elles doivent au roi la milice communale. Ce sont ces milices qui constituent l'infanterie française à la bataille de Bouvines (1214) et qui déterminent cette victoire. Philippe le Bel, tout en conservant le service d'ost et les milices, permit à ses vassaux de s'exempter de l'ost moyennant finances. Avec les ressources ainsi obtenues, il solda des mercenaires liés exclusivement à son service. Ces mercenaires, la plupart étrangers, pressuraient le pays pendant la paix ce sont eux qui constituèrent les grandes compagnies dont Du Guesclin débarrassa le royaume sous Charles V. Charles VII organise les premières troupes permanentes. Il institue en 1445 la gendarmerie royale, composée de 15 compagnies de 100 lances. « La lance compte 6 hommes: l'hommed'armes ou le maître porteur de la lance, 3 archers, un coutilier (qui achève, en cherchant le défaut de la cuirasse, le soldat que l'homme d'armes a renversé de son cheval), et un page pour le service des hommes de (Driault et G la lance et pour la garde des chevaux. Monod. Précis d'histoire.) En 1468, il crée les francs archers fournis par les paroisses, à raison d'un homme par 50 feux. Ces francs archers qui contribuent sous Charles VII à la délivranc du royaume sont bientôt discrédités on les accuse de poltronnerie tout le monde connaît la ballade où François Villon les raille sans pitié. Aussi Louis XI revient-il au système des mercenaires étrangers, garde écossaise, lansquenets allemands et suisses. François 1er essaie de constituer une infanterie permanente, en créant 7 légions provinciales ; les autres troupes d'infanterie ne sont pas permanentes quand le roi en a besoin illes recrute par commission; un capitaine reçoit la charge de lever une compagnie d'aventuriers par racolage. (Driault et Monod). Ce racolage, qui sera le principal mode de recrutement jusqu'à la Révolution, ne suffit plus pendant les longues périodes de guerre.
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Trois grands marchés de soldats existent en Europe celui de Hongrie, renommé pour ses cavaliers, celui de Hollande, renommé pour son infanterie, celui d'Alle.magne. On arrive même, pendant la guerre de Trente Ans, à acheter des armées entières. C'est ainsi que Richelieu conquiert l'Alsace avec les bandes de Bernard de SaxeWeimar, lieutenant de Gustave-Adolphe, roi de Suède. L'unité française se fonde sous Louis XIV son secrétaire d'Etat à la guerre, Louvois, réforme beaucoup d'abus, mais il ne touche ni au recrutement ni à la constitution même de l'armée (1).
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L'ARMÉE ROYALE AVANT 1789.
— L'ar-
mée royale était loin de ressembler à l'armée telle que nous la voyons aujourd'hui. Elle était caractérisée par 1° Son mode de recrutement, le racolage. 2° L'impossibilité pour le soldat d'arriver au grade
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d'officier
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vénalité des charges l'officier noble achète sa compagnie ou son régiment il en est propriétaire et en assure le recrutement. 4° L'impossibilité presque absolue pour les roturiers d'avoir une compagnie. 5° La distance considérable qui sépare l'officier et le soldat, distance qui reflète naturellement la séparation très accentuée des classes sociales (noblesse et tiersétat). 3° La
Recrutement du soldat.— «Onlève les troupes par engagement avec capitulation (2), sans capitulation (3), « parforce quelquefois, et plus souvent par supercherie. « Quand on fait des recrues avec capitulation, il est «
l'Artillerie et du Génie à Versailles occupe l'emplacement des bureaux du ministre Louvois. 2. La capitulation était le contrat par lequel des troupes étrangères allaient servir dans un autre pays. 3; C'est l'engagement volontaire. (1) L'Ecole Militaire de
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injuste et inhumain de ne la pas tenir, parce que ces hommes étaient libres lorsqu'ils ont contracté l'engagement qui les lie; et il est contre toutes les lois, divines et humaines, de ne leur pas tenir ce qu'on leur a promis. On n'en fait cependant rien. Qu'en arrive-t-il? Ces gens
désertent.
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Ilse trouve cependant plusieurs soldats,au commencement d'une campagne, dont le temps de servir est fini les capitaines qui veulent être complets, les entraînent par force de là on tombe dans le cas que je viens de
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dire.
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« Les levées qui se font par supercherie sont tout aussi odieuses on met de l'argent dans la poche d'un homme
dit qu'il est soldat. Celles qui se font par force « le sont encore plus; c'est une désolation publique dont le « bourgeois et l'habitant ne se sauvent qu'à force d'argent « et dont le fond est toujours un moyen odieux. » (Mavé« chai de Saxe. Mes Rêveries.) Aussi, à côté du paysan dont on exploitait trop souvent la lourde naïveté, ce mode immoral de recrutement ne réunissait, pour la plus grande part,que des gens sans aveu, des vagabonds, quelquefois même des échappés de prison, des recrues de tout poil, en un mot, qui, si elles formaient le nombre, étaient loin d'être l'image même grossière de la Nation. « et on lui
Valeur militaire du soldat.
pourtant, ce soldat de fortune, gouailleur, incliné à l'ivrognerie, déserteur à l'occasion, acceptait la situation qui lui était faite et faisait preuve de qualités qu'une page agréable à lire va nous retracer « Et d'abord, il possède la première de toutes les qua« lités, la solidité. Il n'est pas seulement brave et capable « d'élan, de furia francese, plein d'entrain et de bonne « humeur, il est résistant. Rossbach, On juge le on a tort. Dans les dersur « « nières campagnes, toutes les fois qu'il n'a pas eu des — Et
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Soubise ou des Clermont à sa tête, il a fort bien fait.
prenant parl'amour-propre ou les sentiments, on «le mènerait au bout de la terre. Répétez-lui sur tous « les tons qu'il est le premier soldat du monde et vous « lui ferez tout endurer. (( Parlez-lui le langage de J'honneur, mettez-y même « un peu de pompe et de déclamation. Il n'est pas Franil aime la phrase ; il est sensible aux « çais pour rien « grands mots, au besoin il en fait. Tel ce grenadier que « le duc de Luynes aperçoit, comme il quittait la tran« chée sans se presser devant Philippsbourg, en 1735. <( Où vas-tu ? » —« Où peut aller un grenadier qui abanje vais mourir » le pauvre diable « donne son poste «avait un biscaïen dans le ventre. «Autre-mérite Ce soldat de métier a l'aptitude et il ne considère pas son temps «le goût du service « comme une condamnation qu'il faut purger, et le régi« ment comme une geôle. Il est là comme il serait chez « lui, s'il avait un chez lui, tranquillement installé dans « la monotonie d'une existence automatique et réglée. « Matériellement, sans être bien, il n'a pas trop à se « plaindre. Autrefois, quand il courait le monde, à la « recherche d'un embauchement, il ne soupait pas tous « les jours. A présent, il a les vivres, l'habit et le cou« cher. » (G. Duruy, cité par le Lt-Cl Ebencr, p. 12.) Cette citation un peu longue fait image. Elle peint des hommes qui, dans des circonslances souvent très dures, firent tout leurdevoir. Elle est assez explicite pour montrer ce qu'un bon officier pouvait obtenir de pareils « En le
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soldats. Le racolage, qui ne devait finir qu'avec la monarchie, n'amena guère dans les rangs de l'armée que les éléments les moins recommandables de la société. La citation suivante le montre; elle est empruntée au Ministre de la guerre, comte de Saint-Germain qui, comme Louvois, ne pouvant modifier cette situation, finit par en prendre son
parti:
l'état actuel des choses, les armées ne peuvent
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être composées que de la tourbe des nations, et de tout ce qui est inutile à la société »
(C
Le soldat ne peut prétendre à l'épaulette. — Le soldat ne pouvait prétendre à l'épaulette, comme le démontre l'extrait suivant du livre « Les Capitulations » du général Thoumas (page140, note 1). Au point de vue épisodique, le siège de Grave eut de remarquable la nomination d'un sergent au grade de lieutenant, chose qui ne s'était jamais vue et qui ne se vit plus souvent. Le sergent Lafleur, du régiment de Dampierre, envoyé en parti, avec 21 hommes, ramenait dans la place les prisonniers faits par lui, quand il fut attaqué par 200 Hollandais il se retrancha dans une masure, leur tua 34 hommes, mit les autres en fuite et rentra dans Grave avec ses prisonniers. « Sur la demande de M. de Chamilly, Louis XIV lui donna le grade de lieutenant et une gratification de 500 écus. » «
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Sous Louis XV, et disons-le simplement pour l'opposer à la multiplicité prodigieuse des grades et des gradés qui caractérisa la situation faite aux officiers vers la fin de la période monarchique, un acte semblable fut simplement récompensé d'un sourire du roi. Il n'en était toutefois pas de même dans l'artillerie où les lieutenants en troisième étaient pris parmi les sergents-majors. C'est ce qui explique que cette arme ait été peu atteinte par l'émigration. Dans la cavalerie, les adjudants porte-étendards pouvaient être nommés sous-lieutenants.
Les Officiers.
— Les lieutenants de l'armée royale sous Louis XIV se recrutent dans les écoles de cadets instituées par Louvois. Les enfants de condition et ceux dont les parents vivaient noblement étaient reçus et instruits dans ces écoles. Elles disparaissent en 1692. Lorsqu'elles sont rétablies en 1726, il faut, pour y entrer, taire preuve de noblesse ouêtre fils d'officier au service.
il
Pour avoir une compagnie ou un régiment n'est pas nécessaire d'avoir passé par les grades inférieurs. Le roi donne, moyennant finances, la propriété d'un régiment ou d'une compagnie. Le prix d'un brevet de colonel variait entre 15.000 et 20.000 livres (100.000 francs d'aujourd'hui.) Les emplois de major et de lieutenant-colonel sont laissés aux officiers supérieurs trop pauvres pour acheter une compagnie c'est sur eux que porte tout le poids de l'administration et de la discipline.
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Il s'est introduit, écrivait le comte de Saint-Ger« main, successivement et l'on peut dire malheureuse« ment, un usage de distinction entre la grande noblesse « (celle de la Cour) et celle des provinces, entre le riche « et le pauvre. La première classe obtient d'emblée les et la seconde classe, « premiers grades comme de droit « par le seul malheur de sa naissance ou de sa pauvreté, condamnée à croupir toute sa vie dans les grades « est la « subalternes. Cet usage est doublement pernicieux « première classe n'a pas besoin de travailler pour elle obtient tout de droit, et la seconde classe « réussir « ne travaille pas, parce que son travail lui serait inutile. « Par là, toute émulation est anéantie; or, sans émulation, « l'homme n'est rien et ne cherche qu'à végéter. » Un ministre réformateur, Louvois, avait voulu réduire ces abus. Il se buta aux privilèges militaires de la noblesse, à la décentralisationdu pouvoir royal. Les contemporains même sont frappés du danger de la vénalité des charges militaires. Saint-Simon écrit « La vénalité dans l'état militaire est une gangrène « qui ronge un état et doit le faire succomber. » «
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Les idées philosophiques obligent, vers 1780, à supprimer progressivement la vénalité des grades. «
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Mais alors on tombe, écrit le colonel Ebener, (page
13) dans un autre défaut, la multiplicité des emplois. Il y avait trop de grades et, dans chaque grade, trop de
un moment donné, il y eut onze maréchaux « de France, 196 lieutenants-généraux, 770 maréchaux de « camp, 182 brigadiers, 900 colonels, pour une armée d'à « peine 140,000 hommes. On comptait jusqu'à 3 officiers Il en résulta — le maré« subalternes pour 45 hommes plaint formellement— qu'une « chal de Belle-Isle s'en « foule d'officiers inoccupés n'avaient aucun contact avec guerre leur rôle social se « le soldat, ni en paix ni en « bornait à donner aux populations l'exemple du luxe et « du désœuvrement. » Dans les « Cahiers », le Tiers-Etat réclame nettement la réforme de l'ordonnance réservant les grades militaires « gradés. A
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à la seule noblesse « Les talents et le courage ne sont pas précisément « annexés à la noblesse un grand nombre de membres « du Tiers-Etat a servi et sert encore la patrie avec autant « de zèle, de courage et de succès que les gentilshommes ; « l'ordonnance dont on réclame la suppression ne peut « avoir d'autres effets que de priver la monarchie de serelle fait sentir trop vivement au troi« viteurs fidèles « sième ordre qu'il est au dernier rang ». (Cahiersdu Tiers de Vitry-le-François. Dubois-Crancé, par le général Jung).
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Les doléances de la noblesse ne sont pas moins vives
L'Ordre de la Noblesse croit devoir représenter à « Sa Majesté combien il est nuisible à son service, à celui « de la patrie, et affligeant pour une partie de ses sujets, « de voir borner d'une façon humiliante l'avancement la dénod'une officiers classe d'excellents sous connus « n'est pas « mination d'officiers de fortune. L'Ordre « moins affligé de voir la différence marquée que les « mêmes ordonnances établissent entre les gens de la « Cour ou présentés, et la Noblesse qui habite la province, « le grade de major en second, affecté d'une manière posi« tive à la portion des gens à crédit qui, sans avoir encore « mérité, obtiennent les régiments et réduisent en fait le » reste de la Noblesse à la perspective du grade de lieute«
nant-colonel, tout espoir au-delà devenant illusoire, ce « qui dégoûte un grand nombre d'officiers précieux par « leurs connaissances, prive les régiments de la classe la « plus intéressante de leurs chefs et répand un découra« gement général ». (Noblesse de La Bochelle. — Champion. — La France d'après les Cahiers de 1789,1, «
Comment était traité le soldat.
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pareille organisation, écrit M. le colonel Ebener, «devait fatalement engendrer les plus graves abus colo«nels ou capitaines cherchaient trop fréquemment àren«trerdans leur argent, — aux dépens de l'Etat au moyen «de fraudes dans les effectifs (c'est l'origine des passevo«lants ou hommes de paille), — aux dépens du soldat, «par des retranchements illicites, et plus repréhensibles «encore sur la solde, la nourriture, l'habillement. » La situation matérielle du soldat était des plus dures. Avant 1692, les soldats logeaient dans les villes, entassés dans des locaux souvent malsains, comme le montre ce fragment d'une lettre adressée à Louvois par «
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Vauban
En vérité, j'appréhende pour la monarchie, d'autant «plus qu'il n'y a que peu ou point de fondement à faire «sur de pareilles gens, vu même que, dans la plupart des »places, les soldats sont logés comme des porcs, à demi «nus, à demi mourants de faim, ce qui, au dire des «prêtres et des médecins qui en ont soin, est la principale «cause des maladies et de la mortalité qui règnent parmi «
«eux.
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Le soldat avait du reste
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horreur de l'hôpital
on
allouait huit sous par journée d'hôpital à chaque soldat malade, et, comme les compagnies géraient les hôpitaux par abonnement, « elles mettaient, dit Vauban, plus de « soin à s'enrichir qu'à traiter les malades. » Ces citations vous reportent à deux siècles de distance, et,si nous avons soulevé un coin du voile, c'est que nous avons voulu montrer les conditions matérielles
déplorables, toutes de profonde misère qui accablaient les humbles d'alors, qu'ils appartinssent au bas peuple ou aux échelons inférieurs de l'armée si l'on ajoute à cela les crises économiques que l'administration était impuissante à conjurer et les maux qui s'attachent à des guerres longues et rapprochées, on voit que nos générations militaires n'ont rien perdu aux idées toutes humanitaires de justice et de liberté que la Révolution devait imposer en France etfaire rayonner dans le monde. Ces idées, du reste, ne se sont pas formées brusqueil se trouva parmi les chefs d'alors des cœurs génément reux pour les exprimer. Nous citerons tout d'abord cette lettre d'un oncle à son neveu appelé à prendre un commandement dans l'armée
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Traitez vos soldats avec humanité ils sont des « hommes comme vous ; ayez horreur d'en faire des bêtes « de somme qu'on ne conduit qu'avec le bâton. Une puni« tion injuste ou trop sévère excite l'indignation. Ne vous de motsinjurieux pour reprendre « servez pas vos soldats; « il i) a d'autres moyens pour leur faire connaître ce qu'ils « doivent. Ne leur refusez jamais ce qui leur est légitime« ment dû; écoutez patiemment leur plaintes, quand elles « sont raisonnables, et rendez-leur une prompte justice « s'ils tombent dans des fautes, que la correction soit proc'en serait une bien « portionnée excusez les erreurs « tjrande de les punir comme des l'alites. Prenez garde réflé« surtout d'avilir par vos discours l'état du soldat « chissez que c'est vous avilir vous-même;d'ailleurs la « décence et la dignité doivent toujours accompagner les « propos d'un homme de qualité; quoiqu'il y ait de la dis« tanceentre l'officier et le soldat,elle n'est pas assezgrande « pour vous autoriser à le traiter en esclave, Il est vrai mais « que l'officier tient le bâton du commandement « cette prérogative est plus souvent l'effet du hasard, de « la faveur ou de la fortune que celui du mérite. Dussiez« vous ce grade à votre seule capacité, neperdez jamais «
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de vue que vous commandez des hommes libres comme « vous, que vous ne pouvez rien exécuter sans leur secours; « que, s'ils sont mécontents de vous, ils peuvent être les < instruments de votre perte et de celle de la victoire, et « qu'au contraire, si vous avez su vous le,* affectionner, il « n'en est pas un qui ne prodigue son sang et sa vie pour « le succès de vos projets. » (Ebener, p. 47). N'est-ce pas là un programme complet des relations de l'officier et du soldat comme nous devons les comprendre aujourd'hui, comme elles eussent dû être comprises à tous les temps, à tous les âges La même note d'amour et de dévouement réciproque se retrouve dans les admirables conseils du maréchal de Belle-Isle à son fils le comte de Gisors, qui trouvera plus tard une mort glorieuse à Créfeld. « Souvenez-vous que ce n'est pas pour vous que vous « avez été fait colonel, mais pour le bien du service et « l'avantage du régiment qui vous est confié que la « gloire de l'Etat soit donc votre grande préoccupation. « Si vous réussissez à prouver à votre régiment que « vous êtes animé par ces motifs, tous concourront à vos « voeu,-,o. Vous obtiendrez une gloire pure parce que « vous l'aurez méritée. » (Ebener, p. 48). Le maréchal de Saxe, le vainqueur de Fontenoy, en vue d'arrêter le fléau de la désertion qui sévissait si fort dans les armées, ne proposa-t-il pas une loi de service militaireobligatoire, véritable prodrôme de notre loi de recrutement actuelle, réalisée deux siècles plus tard? Des ministres tels que Louvois et Saint-Germain n'ontils pas constamment lutté à la fois contre les privilèges militaires et pour la suprématie et le contrôle du pouvoir central, seuls principes permettant de faire durer un régime que des abus nombreux devaient condamner à disparaître ((
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Sentiments réciproques de l'Officier et du
Soldat. —L'étude
des sentiments réciproques de l'offi-
cier et du soldat avant 1789 a été remarquablement faite par M. le commandant Boudier dans ses conférences à l'Ecole spéciale militaire de St-Cyr. « En dehors du temps de guerre, il n'existait, pour « ainsi dire, aucun lien entre l'officier et le soldat. » « En campagne seulement, le partage des mêmes « dangers, un amour commun de la gloire, une exaltation « identique des sentiments d'honneur, et la fidélité au (( drapeau, enfin un besoin de confiance réciproque opé« raient ce rapprochement. » « L'officier en payant bravement de sa personne « devant l'ennemi remplissait la partie la plus importante « de sa fonction qui est de donner l'exemple et il en était « récompensé par sa troupe. » On doit ajouter que, dans certains moments critiques de notre histoire militaire, la valeur de l'officier ne fut pas toujours égale à celle du soldat. Les écrits des plus grands généraux du temps fourmillent de récriminations contre les officiers et d'éloges pour les hommes. De Turenne à Villars, tous les commandants d'armée ont une même opinion les soldats font leur devoir, les officiers ne le font pas. Le maréchal de Villars écrit au ministre Ghamillart « Je ne connais plus la nation que dans le soldat; sa quant aux officiers, ils démoralisent « valeur est infinie « l'armée par leurs frayeurs et les bruits alarmants qu'ils « répandent. » « Le mauvais esprit de l'officier est au-delà de toute écrit le maréchal de Bèlle-Isle. « Je n'ose« expression « rai en mander les particularités qui font honte à la « Nation. »
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:
Finie la guerre, finies les relations on ne se connaissait plus. » « Quelques exercices très espacés, de rares mouvements de parade, prétexte trop fréquent encore à des dépenses énormes, telles étaient les occasions où officiers et soldats se retrouvaient en contact. D'une séance «
l'autre, la troupe avaitchangé de chefplusieurs fois.» « On conçoit bien quelle indifférence réciproque « pouvaient engendrer des relations aussi fugitives. Qu'on cela les idées de l'époque sur la démarcation « ajoute Ï des classes et l'on se rendra compte combien l'officier « était distant du soldat. » « La tradition venait de loin et dehaut. » « Mais il faut se méfier des traditions qui perpétuent « les abus au profitd'une classe. Elles la bercent et l'en« dorment, le réveil est parfois terrible. C'est ce qui la Révolution y entra comme « arriva dans l'armée royale « dans le château de la Belle-au-Bois-Dormant. » « h'h(différence de l'oflicier va d'abord amener chez peu à peu « le soldat la désaffection, puis la mésestime « on verra l"injustice,ledédain et des innovations de « brutalité inouies provoquer la haine et finalement la « à
à
;
;
»
révolte.
»
Ces abus eussent été peu de chose, si, suivant le « progrès des idées, l'officier était devenu le tuteur du sol« dat, s'il se fut rapproché de lui à mesure que des cra« quements se faisaient entendre dans la société vermou« lue de l'époque. Pourquoi douter qu'alors, comme « aujourd'hui, le soldat n'eût reudu à son chef en affec« tion ce que celui-ci lui eut donné en intérêt? » (1) Il est curieux de savoir ce qu'en dit un soldat de ce temps, le soldat Rossignol du Royal-Roussillon-infan«
terie
:
Dans ce temps la,les sergents-majors dirigeaient les compagnies, car bien des officiers n'y connaissaient seulement par trois individus, et plusieurs fois, j'ai vu des sots de ces officiers-là, aux exercices militaires, demander leur compagnie et leur place., et bien d'autres faits que l'on a appris par la suite et que le «
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peuple ignorait. » « On voit par là qu'à la veille de la Révolution, non
) C.oniérencesurleRôlesocial de l'officier par (EcolespécialemilitairedeSaint-Cyr.) (1
Je
commandantBouclier.
seulement les relations de l'officier et du soldat n'ont « fait aucun progrès, mais la mésestime pour le chef est (CommandantBoudier.) « évidente. Comment s'établissait, la discipline? Uniquement par la crainte et par l'emploi des châtiments corporels. En dehors des punitions prévues du fouet, des baguettes ou des verges, des courroies ou des baguettes de fusil, infligées pour des fautes disciplinaires, on voit à certainespériodes de véritables supplices, le cheval de bois, le piquet, l'estrapade (1). Certains chefs y ajoutaient les soufflets et les coups de bâton. Le Comte de Saint-Germain réglemente les coups de platdesabre(1174). Ils subsistent encore avec la peine des courroies et des baguettes, au moment de la Révolution. Les châtiments corporels sont abolispar une ordonnance du 14; juillet 1789 c'était le jour même de la Prise delaBastille. Aussi ne faut-il pas s'étonner que la désertion soit la plaie des armées royales. Pour l'éviter,on traite le soldat en prisonnier; il est surveillé le jour, enfermé la nuit. On place des sentinelles aux murs des quartiers on fait des patrouilles dans les rues, dans les cabarets, sur les remparts. On n'ose camper dans les marches à proximité des forêts. On faitalors garder toutes les issues et parfois l'on est obligé d'encadrer l'infanterie par des troupes de cavalerie légère (2). Longtemps la désertion est punie de mort en 1684, elle est punie des galères; la peine de mort, rétablie en 1716, n'est plus prononcée qu'en temps de guerre à «
»
;
;
;
partir de 1775. (1)VoirLéonMention.—L'Annéedel'ancienrégime.
(2)Ilenestd'ailleurs de mêmedansles autres armées de l'époque. «La moitié des garnisons est employée à garderl'autre », dit un généralfrançais en pariantdel'arméedel-'rédérie11 L'ArméeduGrandFrédéric.«L'Armée ln Nation,
»
du
5
mai
1901.
:
et
Les officiers et les sous-officiers dans les dernières années de la Monarchie. — Les grands
évènements politiques, comme les grands phénomènes naturels sont presque toujours précédés par des prodrômes qui se répartissent sur une assez longue période. Les abus oppressifs de l'ancien régime eurent comme contre partie le mouvement d'idées qui amena le TiersEtat à revendiquer ses droits. Les progrès scientifiques aidèrent prodigieusement à la diffusion des idées philosophiques, dont les promoteurs furent Voltaire, Rousseau. et les Encyclopédistes. Si ces idées ne s'infiltrèrent pas du premier coup dans les couches profondes de la Nation, elles conquirent les esprits cultivés que l'observation directe des faits confirma dans les principes nouveaux. Beaucoup de ces mêmes personnes furent les représentants du Tiers-Etat à l'Assemblée nationale. D'une part, l'oppression du peuple par l'arbitraire qui se manifestait à des degrés divers dans tous les rouages de l'administration royale et l'abus du privilège, et, d'autre part, la propagation des lumières, engendrèrent deux forces qui, agissant dans le même sens, n'en firent plus qu'une d'intensité plus forte. Leur action s'exerça lors de la convocation des EtatsGénéraux qui devait grouper leurs éléments épars,unifiant les efforts. La poussée que des craquements antérieurs avaient si souvent signalée, passa dès lors à l'état de crise aiguë. « Mais ce qu'il importe de vous rappeler, c'est que, « bien que l'explosion dépassât en violence tout ce qu'on « eût pu imaginer, elle ne fut ni subite, ni imprévue. « Ce fut la poussée irrésistible, terrible et grandiose de « tous les efforts antérieurs de l'humanité. »
(1)
Commandant Boudier.
Et bien, malgré les signes avertisseurs de la tempête prochaine, l'armée royale, en tant que grande institution, était restée figée dans les traditions du grand siècle. Les officiers n'ayant aucun lien avec le soldat, évitant tou, point de contact, « tout le poids du commandemont, du service et de l'instruction reposait entièrement sur les sous-officiers « qu'on appelait alors les bas officiers. » « Cette appellation dépeint à elle seule le peu de cas officiers de ces obscurs auxiliaires, IL que faisaient les « toujours à la peine, uniquement admis, en temps de (1) « guerre, à l'honneur de se faire tuer. » Car si,exceptionnellement, au XVIIe siècle, un roturier Fabert était devenu Maréchal de France, au XVIIIe siècle c'eût été impossible, « l'édit des quatre quartiers de noblesse s'y opposait ». Il faut d'ailleurs remarquer que ce n'est qu'à grand peine que Fabert avait pu obtenir une compagnie. Ensuite; chacun de ses grades avait été payé d'une action d'éclat. C'est par suite du peu de considération témoignée aux sous-officiers que Jourdan, Kléber et Joubert plus tard généraux glorieux de la République, quittèrent l'armée. Révolution, les bas officiers n'a« A la veille de la « vaient droit qu'au dédain de leurs officiers, quand il ne « s'y joignait pas en outre la douloureuse certitude d'être « détestés de leurs soldats. » (2) Or, parmi eux « se trouvaient Hoche, Marceau, Ney, Bernadotte. On s'explique que ceux-ci aient épousé avec tant d'enthousiasme des idées qui proclamaient la dignité humaine et qui leur ouvraient l'espoir de s'élever.» (3)
»
CE QU'A ÉTÉ L'ARMÉE ROYALE. — Cette armée, malgré son mode de recrutement regrettable, malgré so nmanque de relations entre l'officier et le soldat, (2.) Commandant Boudier. (2)
(3)
id. id.
a une période des plus glorieuses, sous Louis XIV avec Condé,Turenne,Vendôme, Luxembourg,Catinat.Villars., au début du règne de Louis XV avec le Maréchal de Saxe. Elle perd énormément de sa valeur militaire lors de la guerre de Sept Ans. Choiseul et le Comte de Saint-Germain, dont la brigade avait sauvé l'armée, lors de la panique de Rosbach, essayent, lorsqu'ils sont ministres, de transformer l'armée française. Choiseul substitue le racolage pour le compte du roi à celui qui était fait pour le compte des capitaines. Pour cela, il commence à racheter leurs charges. Saint-Germain, dans soixante-cinq Ordonnances, esil saye de réformer complètement l'armée française ramène dans chaque arme les corps à une composition uniforme et crée des divisions permanentes. C'est une fraction de l'armée qui résulte de ces réformes qui fait la guerre d'Amérique sous Rochambeau. « Ce qui soutient les soldats de l'armée royale, dit « M. Léon Mention, ce qui les élève au-dessus de leur « condition, ce qui rapproche et cimente toutes les qua« lités professionnelles, c'est l'esprit de corps éveillé, « aiguisé, par la communauté des épreuves, des misères « et des périls. « Cet esprit de corps s'est élargi, épuré, au fur et à « mesure que s'améliorait la condition du soldat. Aux « sans-patrie d'autrefois qui couraient les marchés « d'hommes, sans se fixer nulle part, a succédé le soldat « de profession qui vieillit au régiment dans le respect (( de la discipline et le culte du Drapeau. Et alors toutes « les qualités du caractère national se cristallisent en « quelque sorte dans une armée qui était à l'origine la « moins nationale de toutes. Que manque-t-il donc àcette « armée pour q-u'elle devienne l'armée de la Révolu« tion? « Et d'abord elle ne fait pas corps avec le pays même. « C'est l'armée du roi, c'est déjà l'armée de la Nation, ce
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n'est pas encore la nation armée. Ses cadres un peu l'heure du « grèles, trop étroits, trop fermés,vont s'ouvrir à du quatrième état. Les enrôle « péril sous les poussées « ments volontaires, les levéesen masse y feront entrer le « peuple lui-même. On le verra dans les rangs de cette « vieille armée s'ordonner, se plier à la discipline, acquéts: rir, à côté des vétérans de la monarchie, les qualités « nécessaires et les vertus professionnelles du soldat. « Il y apportera en retour, avec sa haine des privi« lèges, son nouvel évangile et son hymne de guerre, la l'Homme et la Marseillaise. « Déclaration des Droits de « Et, à cette armée, plus jeune et plus forte à la fois, « revivifiée, par l'afflux d'un sang plus riche, la France « de la Révolution donnera une âme, une foi, un but « assurer le triomphe de ses principes chez elle et chez « les autres. » (Léon Mention. —L'Armée de l'ancien «
régime. — Conclusion.)
L'Armée après 1789
Au point de vue militaire, l'Assemblée Nationale déclare tous les soldats habiles, suivant leurs mérites, à obtenir tous les emplois et grades militaires. La vénalité des charges est complètement abolie. Plus de privilèges pour la naissance ou la fortune. L'avancement est, pour la première fois, réglé par une loi. « Alors que le service militaire était pour les humbles une condition aussi dure que méprisée, on voit naître ce sentiment nouveau que cette lourde charge est un devoir de tout citoyen envers la Patrie. » L'éclosion de cette idée devait avoir une portée cc sociale inouie. » « C'est la Révolution qui a eu cette grande conception de la Nation armée, substituant ainsi au métier de soldat le principe du service militaire obligatoire et
universel. » « Certes, l'idée ne fut pas réalisée de suite, mais vous savez qu'elle a fait son chemin. (1) Dubois Crancé, dès 1789, disait à la Constituante
»
(1) Commandant Boudier déjà cité.
:
;
C'est maintenant un droit de tous les rançai des c'est un honneur d'être soldat quand patrie « servir la celui de défenseur de la constitution de son « ce titre est « pays. nation qui veut être libre, qui « Je dis que dans une voisins puissants, criblée de factions « est entourée de ulcérées, tout citoyen doit être soldat, et « sourdes et citoyen, sinon la France est arrivée au « tout soldat anéantissemeut. » « terme de son Tout commentaire atténuerait la portée des ces paroles. Il ne paraît pas inutile d'ajouter que cet écrivain militaire fut un des principaux promoteurs d'une mesure fort importante au point de vue de l'organisation des armées républicaines. C'est de l'amalgame que nous voulons parler, c'est-à-dire de la fusion des troupe royales et des bataillons de volontaires. Pour étudier cette fusion, il est nécessaire d'indiquer ce que fut l'émigration, les conséquences qu'elle eut sur la composition de l'armée royale, ce que furent les volon«
taires.
L'ÉMIGRATION.
— Parmi les Français qui se réfugièrent à l'étranger pendant la Révolution, les uns,
craintifs, s'enfuient surtout pour échapper aux menaces des premiers évènements et plus particulièrement des troubles du 14 juillet, les autres, vont à l'étranger, près des frontières, constituant avec leur petite armée (5,000 hommes environ au début, plus tard 20,000 hommes) une « France extérieure » image pâle et flétrie de la France de l'ancien régime qu'elle veut restaurer, les armes à la main, avec le secours des puissances étrangères. L'émigration commence le lendemain du jour où Louis XVI, arborant la cocarde tricolore, accepte la Révolution, c'est-à-dire le 18 juillet 1789. Le Comte d'Artois, frère du roi, se rend à Turin et se proclame chef de l'émigration. Ses deux fils partent pour les Pays-Bas, mais doivent le rejoindre plus tard. les gens de « C'est à l'armée qu'est la place de tous s
Le cousin du roi, le Prince de Condé, le duc de Bourbon, son fils, et le duc d'Enghien, son petit-fils vont se fixer Worms qui sera tout d'abord le centre militaire de l'émigration. Les princes du sang entraînent avec eux une notable partie de la noblesse de cour. Les émigrés ne comptaient guère s'exiler que pour un
à
temps assez court, croyant fermement à un prompt retour triomphal. Au moment où le roi devait fuir, les émigrations redoublent, ce qui ne pouvait qu'éventer son départ.
On peut dire que c'est par une légèreté coupable que les émigrés désertent le sol national pour se joindre aux forces étrangères les avertissements sur le véritable caractère de leur devoir ne leur manquent pas.
;
Le 14 octobre 1791 le roi adresse une proclamation aux émigrés, protestant de la sincérité de son adhésion à la Constitution et les exhortant à s'y rallier. Le premier décret de la Législative, contre les émigrés, du 9 novembre 1791, porte que les Français assem-
blés au delà des frontières sont suspects d'hostilités contre la patrie et qu'ils seront traités en conspirateurs s'ils ne se dispersent pas avant le 1er janvier 1792. Les avertissements privés sont tout aussi significatifs. Il n'appartient qu'à vous, mon général, écrivait à « Bouillé un gentilhomme de ses amis, au milieu de la « plus grande agitation qu'un homme puisse éprouver, « de se souvenir qu'il est français. » « Non, vous ne donnerez jamais vos lumières et votre « courage pour le démembrement ou l'asservissement de « la France. » « Vous vous connaissez en vraie gloire, mon général, « et vous savez bien que ce n'en est pas une véritable. » Victor de Broglie qui avait repris du service en sortant de la Constituante demeure à son poste « pour s'opposer à l'invasion. » «
bien », écrivait un jeune gentilhomme qui sortait des écoles. disait la Tour d'Auvergne, toute « Quand même, l'armée émigrerait, je resterais en France. » (1). En 1791, malgré l'engagement public qu'il avait pris de ne pas quitter Paris, le Comte de Provence, plus tard Louis XVIII, arrive à Coblentz où il prend le titre de Régent, tandis que son frère forme avec Condé une véritable armée « l'armée de Condé », à Coblentz, Worms et à Ettenheim.
à
Worms, s'enrôlèrent tout d'abord les gentilshommes de grande noblesse. Les cent premiers inscrits affectaient du mépris pour les autres, et ainsi de suite. L'armée de Condé comprend la maison militaire de Monsieur, celle du Comte d'Artois (mousquetaires, chevaulégers, grenadiers à cheval, gendarmerie) huit compagnies bretonnes (dont une du Tiers-Etat) trois régiments de l'armée royale, Berwick-Infanterie, Royal-Allemand, Hussards de Saxe. A
Le Comte d'Artois se rend à Pilnitz où se trouvent le roi de Prusse et l'Empereur pour leur soumettre des plans inspirés par une haine aussi furieuse qu'aveugle de la Révolution. Cette exaltation n'échappe pas à nos ennemis qui répartissent les émigrés en trois masses 8.000
:
émigrés prendront part aux opérations actives sous Brunswick, mais suivront l'armée du Généralissime prussien, 4,000 opèreront en Belgique et 5,000 en Brisgau. Ce qui caractérise cette armée de Condé, c'est bordination, le manque d'organisation matérielle.
l'insu-
L'émigration était insubordonnée, ses chefs ne déployaient ni supériorité, ni prestige. Le comte d'Artois, parti le premier, s'attribua le gouvernement de la « France extérieure ». Ce prince possédait tout le caractère qu'il «
(1) A.
Sorel. L'Europe et la Révolution II, 536.
faut pour perdre galamment une bataille et ruiner avec grâce une dynastie. Il était bien à tous égards l'homme le moins fait pour diriger une faction et reconquérir un royaume (1). » D'autre part, le chef militaire, le Prince de Condé, s'il avait les qualités guerrières d'un chef de parti, s'il portait avec convenance un nom écrasant aux armées, « était plus apte à commander régulièrement un corps « dans une campagne qu'à soulever une insurrection et « organiser une guerre de partisans. Valeureux, résolu, « il lui manquait l'élan entraînant et la verve aventureuse « que firent le prestige des Charette, des Bonchamps, des (( Larochejacquelin (2). » Joignez à cela la situation de plus en plus précaire faite aux émigrés sur les terres rhénanes, vous comprendrez la dissolution de leurs forces. Ils avaient ignoré où était la Nation celle-ci se réorganisait aussi et luttait — mais contre l'étranger — avec cette unité d'action, cet enthousiasme et ces vertus morales chez l'officier et le soldat qui furent la gloire des armées républicaines. « L'émigration, dit M. A. Sorel, c'est l'ancien régime « se survivant et se condamnant lui-même. Ce sont les « causes de la Révolution qui continuent de se développer « à côté de la Révolution, comme pour l'expliquer à ceux « qui, dégoûtés par ses excès et trompés par ses dévia« tions, ne la comprendraient pas ou en méconnaîtraient « la raison d'être et la puissance. » « Au milieu des uniformes étrangers, les émigrés ne « voyaient-ils pas la France toute entière se défendant sur « l'autre bord. » ( Madame de Staël.) L'émigration avait à peu près désorganisé les cadres de l'infanterie et de la cavalerie. 6,000 officiers sur 9,000 avait émigré dans l'infanterie. Seule, l'artillerie avait conservé une forte cohésion, bien qu'un tiers environ des officiers eût émigré.
;
(1) A. Sorel. (2) Idem.
L'Europe et la Révolution II.-536.
Malgré des désertions nombreuses, souvent provoquées, sauf les quelques régiments que nous avons déjà signalés, « l'armée n'émigre point. Elle repousse au cond'embauchage des anciens officiers « traire les tentatives résiste aux propagandes « passés au parti des princes, et « des agents de l'émigration. Bouillé, comme elle se refusera « Elle se refuse à Dumouriez. « plus tard à La Fayette et qui est le salut de la Nation, « Elle va au plus pressé il n'yen a qu'un « et ne balance pas sur les moyens car (A. Sorel.) « marcher à l'ennemi. »
à
:
LES VOLONTAIRES. — Nous nous proposons,
par ces quelques notes,de montrer l'historique rapide des enrôlements successifs qui, sous la menace de l'Europe coalisée, portèrent à plus de 600,000 le nombre des défenseurs volontaires de la France envahie sur toutes ses frontières. Ce mouvement national sans précédent dans l'histoire a donné lieu à des appréciations bien différentes. La confusion paraît provenir de ce que l'on n'a pas suffisamment recherché quelle est la part de gloire qui revient au patriotique élan de ces troupes improvisées, quelle est celle qui revient aux qualités techniques, à l'endurance froide et réfléchie que donne seule l'éducation du temps de paix ou l'expérience de la guerre. Le premier acte de la Constituante est de proscrire le recrutement par voie de conscription comme antinational. Les milices royales sont supprimées (1). Des troupes anciennes, l'armée de ligne dite armée royale fut seule conservée. Une milice bourgoise est constituée (1790) et En dehors devient uniforme que sous comte ne
Les Milices.
des troupes réglées, dont la compositiorn le de Saint-Germain, l'armée royale comprenait une sorte de réserve territoriaie, constituée par les milices. Elles sont créées en 1688, servent en 1771 au recrutement des troupes réglées. Supprimées par le comte de Saint-Germain, elles sont rétablies en 1778, sous le nom de (1)
Troupes provinciales. Leur équipement est à la charge des paroisses. Leur recrutement se fait par tirage au sort les exemptions sont tellement nombreuses que ce systême donne lieu aux plus vives réclamations dans les cahiers de 1789.
;
prend le nom deGarde Nationale, elle comprend 2,500,000 hommes-.
C'est .au mois d'août 1791 que commença le rôle « extérieur de la Garde Nationale et qu'apparurent les « premiers de ces bataillons de volontaires que l'histoire « a tour à tour qualifiés d'héroïques défenseurs de la « patrie et de fuyards indisciplinés. » (Général Thoumas.) Ce rôle extérieur résulte des mesures qui furent prises après la fuite de Varennes, alors que l'armée de ligne se rendait suspecte aux patriotes par ses nombreuses désertions. «
,
La Constituante fit appel aux gardes nationales par les décrets du 31 juillet et du 17 août 1791 qui devaient lui fournir un total d'environ 100,000 hommes, soit 169 bataillons de volontaires, s'engageant à servir pour un an. « Les gardes nationaux dans la proportion d'un ving« tième formeront volontairement ces bataillons. Les enga« gés toucheront quinze sous par jour de présence ils
;
peuvent, après chaque campagne, rentrer dans leurs « foyers (1), à condition d'avoir prévenu deux mois à « l'avance (2). » « Les compagnies nomment à la majorité leursofficiers « et sous-officiers. Les officiers supérieurs sont élus par «tout le bataillon. » (Capitaine J.)
«
(1) A
la date du
décembre. (2)L'autorisation de se retirer après la campagne est un reste de l'ancienne manière faire la guerre où les opérations étaient suspendues pendant la mauvaise saison, oules troupes prenaient leurs quartiers d'hiver.. Cette disposition de la loi eut des inconvénients Il fut impossible de retenirles volontaires lorsqu'à la fin des années 1792graves. et 1793 l'ennemi fut rejetédu territoire. « En 1793, notre armée, dit Gouvion Saint-Cyr, était composée pour les deux «tiers de bataillons de volontaires, ils étaient fatigués des travaux de la camépuisés par la disette et les bivouacs supportés pendant trois mois dans «pagne, saison rigoureuse, ils soupiraient après la France. «une «Tantqu'ilne fut question que des opérations tendant à chasser l'ennemi français, aucune privation n'avait été capable de les ébranler; « du territoire «mais, ce but rempli, le dégoût s'empara d'eux, les murmures éclatèrent haules projets de conquête qu'on attribuait «tement contrevolontaires Comité de Salut abandonnaient leurs drapeaux au «public. Les pour rentrer dans «l'intérieur, au sein de leur famille. L'exemple devint contagieux, la désertion «était effrayante. » Les volontaires ne partaient d'ailleurs pas sans esprit de retour. « Les volontaires que nous avons vus, lors de la marche sur Trêves, quitter leurs drapeaux pour aller dans leur famille, ne tardèrent pas à les rejoindre, «leurs sacs munis de souliers, de linges fournis aux uns par les parents aisés, «aux autres par les municipalités. » (Gouvion Saint-Cyr). 1er
de
t
.,
Les premières listes d'inscription furent rapidement couvertes, mais on n'était pas encore en état de guerre sur 169 bataillons décrétés, 60 seulement purent être
;
constitués. C'étaient les volontaires de 1791. « Les volontaires de 1791 comptaient dans leurs rangs iiii grand nombre de jeunes gens instruits, pleins d'enthousiasme, animés par un profond sentiment du devoir e par une force morale qu'ils communiquaient àleurs camarades. Il n'est pas un général et un officier qui ne loue leur ardeur et leur dévouement. » (Chuqnet, la première invasion prussienne.) « Ils avaient, écrit Gouvion Saint-Cyr, l'énergie, l'entrain, la confiance. » « Ils eurent, assure Gay de Vernon, plusde tenue qu'on ne le croit communément; ils accouraient aux frontières enorgueillis de leur nom, de leur nombre et de leur leur patriotisme était fervent et leur courage union appelait la guerre. » (Chur/Hel. Conférence faite Ú SaintCi/r sur lesmémoires militaires de la Révolution.) Victor Perrin, le futur duc de Bellune, un des leurs, (il s'était engagé en 1891, mois après son mariage), s'écrie
;
:
5
avec émotion « 0 sublime élan de 91, que ne puis-je te célébrer « dignement « 0 spectacle le plus magnifique que jamais aucune « nation n'ait offert au monde « 0 jours de patriotisme et de gloire, échauffez et « nous et nos générations de vos feux immortels! » Il n'est pas inutile de noter que la plupart des bataillons élurent pour chefs des hommes dont ils connaissaient les mérites, en exécution d'un article de la loi souvent oublié par les historiens de cette époque, et qui prescrivait de ne choisir les officiers et les sous-officiers de volontaires que parmi ceux qui avaient précédemment servi dans les milices bourgeoises ou dans les troupes de ligne.
!
!
Les bataillons nationaux de 91 avaient donc comme
officiers un très grand nombre d'anciens soldats. « Pour éviter les lenteurs de leur formation, autant «que par des motifs puisés dans l'esprit du temps, le gouvernement se dispensa de nommer les officiers il «s'en remit au choix des soldats, et, ce qui pourra sur«prendre bien du monde, c'est que la plupart des chefs les soldats ont toujours recherché les « furent trèsbons hommes qu'ils croyaient les plus capables de les com«mander et de maintenir une bonne discipline. Ceux qui «pourraient en douter n'ont qu'à consulter la liste de «tant de généraux en chef, de division ou de brigade «qu'on a vus à la tète de leurs armées pendant vingt «ans. Ils ne furent pas d'abord à la hauteur de leurs «fonctions, mais ils trouvèrent dans le patriotisme qui les «animait les moyens d'acquérir bientôt l'expérience et « l'instruction qui leur manquaient. » (Gouvion St-Cyr. Mémoires pour servir à l'histoire de l'armée du Rhin.
;
«
;
«
)
IntroductionLXXXV.
Dans ces bataillons de volontaires règne au début une vive effervescence, une certaine turbulence, mais de même que dans les troupes de ligne ombrageuses, méfiantes, assez indisciplinées, la fermentation ne tarde pas à se dissiper, l'ordre à se rétablir.
plupart de ces bataillons, dit La Fayette qui les près, sont excellents. » « a vus de « Ils sont, disait Dumouriez, l'espoir de notre résis« tance par leur bon esprit. » Ils s'intitulent avec orgueil les premiers soldats de la liberté. «Dès le 11 janvier 1792, le ministre de la guerre, de ce que l'armée de ligne était en déficit de « arguant fut com« 54.000 hommes, demandait que cette armée l'incorporation des volontaires. » « plétée par , (( L'assemblée refusa et invita seulement les citoyens « à s'engager dans l'armée de ligne moyennant prime. » «
La
Cette invitation ne fut pas
«
J.) »
suivie d'effet (Capi-
taine
En somme, au moment de la déclaration de guerre à l'Autriche (avril 1792), l'Assemblée peut adjoindre à l"aT'mée de ligne (restée incomplète), les 60 bataillons de volontaires (volontaires de 91) déjà formés, plus 45 nouveaux bataillons de volontaires dont elle vient de décréter la levée (volontaires de 92); soit un total de 105 bataillons de volontaires qu'on put mettre en ligne. Au début de la campagne de 1792, l'invasion progresse et la Constituante doit prendre de nouvelles me-
sures. Le 17 juillet 1792, lorsque Longwy et Verdun sont au, pouvoir l'ennemi, l'Assemblée déclare la patrie en danger aux termes d'un décret paru six jours auparavant, cette déclaration entraînait la conséquence suivante tous les citoyens en état de servir et ayant servi dans la garde nationale, sont mis en activité permanente et tenus de choisir parmi eux, au prorata des contingents demandés, ceux qui marcheraient d'abord au secours de la Patrie.
;
de
:
:
Cette levée extraordinaire devait servir 1" A compléter les 200 et quelques bataillons décré-
tés. former 42 nouveaux bataillons. 3° A compléter l'armée de ligne. 2° A
Notons de suite que dans ces enrôlements la liberté n'est plus complète. Les gardes nationaux désignent ceux qui doivent
partir. Tous les volontaires de 1792 ne furent peut-être pas des volontaires Cependant Guadet, du haut de la tribune des Jacobins, put proclamer que 600,000 citoyens avaient été inscrits pour marcher à l'ennemi « C'était environ trois fois plus qu'il n'était demandé,
!
:
«
il fut facile aux non volontaires de ne pas
partir.
»
(Capitaine J.) L'immense majorité des enrôlés de 92 fut donc réellement formée par des volontaires ce point valait d'être éclairci. A l'intérieur, les premiers rassemblements de volontaires donnent parfois lieu à de sérieuses critiques. A la frontière, les volontaires de 91 se firent remarquer par leur enthousiasme, leur bravoure et leur dévouement; ce sont des troupes nationales qui prennent et gardent conscience de leur rôle. Les volontaires de 92 sont loin d'avoir les qualités de ceux de 91. Rassemblés, équipés, armés par les soins et suivant les resssources souvent insuffisantes des municipalités de communes et de districts, ils arrivent aux armées mal encadrés, mal commandés, sans instruction militaire et sans discipline. Aussi Carnot et Duquesnoy écrivaient-ils, au sujet des volontaires de 92, durant la pénible campagne de
;
1793 :
volontaires sont le fléau de leurs hôtes et désoIls ne font que boire et courir. le lent nos campagnes. « Ils vendent leurs souliers, leurs habits, leur fusil, leur « pain. Votre nouveau code pénal ne suffit pas, si tout « soldat qui vole une épingle n'est pas fusillé sur le n'en ferez rien ». (CapitaineJ.) « champ, vous Disons qu'un an plus tard les soldats de La Tour d'Auvergne ne toucheront même pas aux cerisiers de la « Les
Biscaye. Il ne faut pas oublier que trente de ces bataillons de volontaires sont sous les ordres de Dumouriez et de Kellermann à Valmy, que quarante de leurs bataillons sont à Jemmapes, à cette bataille où se révèle déjà la tactique si française des armées de la Révolution. « Les Autrichiens, maîtres de ce pays (la Belgique), « l'attendaient (Dumouriez), à Jemmapes sur des hauteurs « fortifiées par plusieurs étages de redoutes, et qu'ils
croyaient inexpugnables. On les en délogea. Ce ne fut duel d'artillerie, ce fut une « pas, comme à Valmy, un « attaque de vive force à la baïonnette, nouvelle épreuve jeunes soldats (6 Novembre) » (1). (1: de courage pour nos Plus tard, en 1793, volontaires et réquisitionnaires forment la presque totalité de ces armées républicaines qui, à coups d'offensives parfois fréquemment renouveplus parlées, vaincront à Hondschoote, à Wattignies, ticulièrement dans cette grande lutte qui délivra l'Alsace et qui dura du 18 novembre au 27 décembre 1793, au cours de laquelle les bataillons de Hoche se ruent quotidiennement à l'assaut des positions autrichiennes, avec la même animosité, la même vivacité. Pendant trois semaines, nos soldats sont battus, refoulés mais, comme s'exprimeWurmser « Cette canaille de Français s'enhardit, parce qu'elle « attaque tous les jours ». Enfin ils enlèvent Frœschwiller et débloquent Landau. « Les volontaires seront en 94 les héros de Sambre« et-Meuse et plus tard ceux des armées du Nord et du « Rhin qui « bouteront l'ennemi hors des frontières natu« relles de la France. » C'est que, dans leurs fortunes diverses, commandés par des chefs nationaux, dirigés par un gouvernement énergique, et parce qu'ils n'ont pas perdu leur foi républicaine, ils sont invincibles et l'Europe asservie s'effare en contemplant cette nation armée qui combat pour la liberté. Nous devons conserver ce souvenir que les volontaires furent le rempart qut permit à la France de se reprendre et de forcer la victoire. Ceci à l'honneur de la patrie naissante, dont l'enthousiasme tout national, ardent et soutenu, contint puis repoussa les troupes des plus anciennes monarchies européennes, de nos ennemis héréditaires. «
et
;
(1)
:
Hippolyte Carnot, Histoire de la Révolution française.
Mais nous devons aussi
retenir cette loi
:
qui,dans
l'avenir, peut avoir une importance capitale, et que l'étude des armées républicaines feraressortir « On n'improvise « pas une armée, et l'acte militaire veut desqualités spé«ciales et demande un apprentissage. » (Capitaine J.) Dès les périodes d'instruction première cet apprentissage réclame toutes les ressources du tempérament national, toute sa force, toute son énergie, toute sa volonté, toute son intelligence et tout son cœur.
LES RÉQUISITIONS PERMANENTES.Plus tard, en février 1793, lorsque la Convention déclare la guerre à l'Angleterre, à la Hollande, à l'Espagne et aux Etats italiens, il faut à tout prix renforcer la défense et comme nombre et comme consistance.
,
Parmi ces volontaires, et, pour ne citer que ceux en possession des plus hauts grades pendant les campagnes de 1796, 1800, et 1805, nous trouvons
:
Jourdan. — Ancien soldat1791, de la guerre d'Amérique, Jourdan était mer-
le balaillon de volontaires de la Hautecier colporteur. Il commanda, en Vienne ; comme général de division, c'est le héros de Hondschoote, comme chef d'armée, c'est le vainqueur de Wattignies. l\IItJiiU",éna. — Adjudant libéré en 1789, reprend du service en 1791 comme adjudant-major au 3" bataillon des volontaires du Var. Général de division en 1793, il chasse les Piemontais de la position de Saorge. Ses plus beaux titres de gloire sont la bataille de Rivoli et la célèbre campagne de 1799 couronnée par la victoire si remarquable de Zurich. t~efttMt'i~c. — Dans cette campagne de 1799, Masséna eut sous ses ordres comme divisionnaire, le général Lecourbe, autre volontaire de 92, le héros de la défense de Belfort en 1815. s'engage en 92 au 2' bataillon de volonLaiiucs. Apprenti teinturier, taires du Gers se distingue dans l'armée des Pyrénées-Orientales. En 1796, ii se signale à l'armée d'Italie à Millésimo, Dégo, Lodi et Cassano. Nommé général, il reçoit trois blessures à Arcole. On connaît le rôle important qu'il joua dans les grandes batailles de Marengo, Austerlitz, Iéna, Friedland, au siège de Saragosse, à Amstetten, et sa fin glorieuse Essling. GOllvioll-Sulut.-C'D.—Engagé volontaire en 92 aux chasseurs républicains. Général en 1794. Se distingne au siège de Kehl, à la retraite de Moreau par le Val-d'Enfer en 96, à la bataille de Novi en 99. En 1800, il contribue pour une large part à la victoire de Hohenlinden. En Espagne, il commande l'armée de Catalogue et prend Rosas. Vlcltor Pcrri», dit Victor, duc de Bellune, qui fut tambour dans l'armée royale et s'engage en 92, cinq mois après son mariage. Nommé adjudant général au siège de Toulon, il prend Ancône en 1797 et est nommé Maréchal après la battaille de Friedland. Suclret. — Célèbre par la défense de la ligne du Var en 1800, et par sa conduite en Espagne, où il prend Tarragone en 1811 et fait capituler Blake avec 18.000 Espagnols dans Valence en 1812. Joubert. S'enrôle en 91. Nommé Général de brigade sur le champ de — bataille de Loano(1795) seconde remarquablement Bonaparte, surtout à Rivoli, puis dans son expédition du Tyrol. Général en chef de l'armée d'Italie, il livre aux Russes la malheureuse bataille de Novi (1799) où il trouve la mort.
:-
à
Le nombre s'obtint en mettant en état de réquisition permanente, à la disposition du ministre de la guerre et des généraux, tous les célibataires ou veufs sans enfants de 18 à 40 ans, et en faisant un appel de 300,000 hommes, pour compléter les armées de la République (Articles 1 et 2 du décret dit 19 février 1793). L'article 3 du même décret stipule que la réquisition se fera à raison de la population des départements et d'après le tableau qui leur sera envoyé. L'article 8 est ainsi conçu « Aussitôt que les offi« ciers municipaux auront reçu l'état des hommes que « leur commune doit fournir, ils en donneront connais« sance aux citoyens qui seront convoqués à cet effet, « et il sera ouvert pendant les trois premiers jours qui
:
suivront cette première notification, un registre sur « lequel pourront se faire inscrire volontairement ceux « qui voudront se consacrer à la défense de la patrie. » Par suite des revers qui suiventt la défaite de Nervinden, ces mesures sont encore insuffisantes. La loi du 23 août 1793 établit la « réquisition perma« nente de tous les Français pour la défense de la patrie, « jusqu'au moment où les ennemis auront été chassés du « territoire de la République. » «
En
L'AMALGAME— vue d'obtenir la consistance, l'agrégation plus solide en même temps que plus homogène de nos troupes, la Convention accepte l'amalgante jusqu'alors toujours repoussé. (Loi du21février 93 surl'organisation de l'armée). L'article 1er disait « A dater de la publication de la présente loi, il n'y aura plus aucune distinction ni différence de régime entre les corps appelés régiments de ligne et les volontaires nationaux. L'article 2 L'infanterie est formée en demi-brigades composées chacune de un bataillon des ci-devant régiments de ligne et de deux bataillons de volontaires. L'uniforme sera le même.
:
:
Le bataillon est alors de 750 hommes ; la demi-brigade de 2437 hommes avec six pièces de quatre. L'amalgame et l'embrigadement ne se réalisent pas immédiatement; il ne faut pas oublier qu'on est en temps de guerre; certains corps restent formés comme avant la loi du 21 février., tandis que plusieurs généraux forment les leurs en demi-brigades. La loi du 7 janvier 1794 en termine avec cette situation. Elle rend l'embrigadement obligatoire et confie à des membres de la Convention l'exécution matérielle de cette opération (1). Le lendemain, l'embrigadement de la cavalerie est également voté elle est partagée en deux catégories cavalerie et cavalerie légère ayant même formation. Bien que l'amalgame ne soit réalisé qu'en 1794, (2) ce sont les deux premiers articles de la loi du 21 février 1793 qui l'établissent. Mais ces deux articles ont une portée bien différente. Dans son rapport à la Convention, Dubois-Crancé disait «Votre Comité (militaire) pense que le premier acte « de reconnaissance digne des représentants du peuple, « digne de nos braves troupes de ligne est de les consi« dérer toutes aujourd'hui comme volontaires nationaux « et de n'en faire qu'un seul et même faisceau contre les « ennemis de la patrie. « C'est ce que réalise l'article 1er de la loi, en donnant « aux troupes de ligne tous les avantages dont jouissaient
;
:
:
Article premier de la loi clu. 7janvier 1794. — Toute l'infanterie de la République, y compris les bataillons de chasseurs, sera organisée en demi-brigades de chacune trois bataillons et une compagnie de canonniers, conformément à la loi du 21 février et à celle du 12 août dernier. Art. 2. — Il sera présenté incessamment à la Convention nationale, par le Comité de Salut public, autant de membres de la Convention qu'il en faut dans chaque armée pour y faire l'embrigadement des troupes, régler les comptes d'administration des différents corps, s'assurer en détail de leurs besoins respectifs en armement et équipement, et établir un nouveau mode d'administration par demi-brigade, uniforme pour toutes les troupes de la République et d'après les principes qui seront incessamment présentés à la Convention Nationale par son Comité militaire. (2) L'instruction aux Conventionnels en mission sur les opérations mêmes de l'embrigadement, est de mars 1794. (1)
les volontaires. Mais il est bien moins important que « l'article 2 qui prescrit l'embrigadement, et c'est de cet embrigadement que résulte, en réalité, l'unité des «
armées républicaines. » L'amalgame était tout aussi utile à l'armée de ligne qu'aux volontaires. On s'était toujours trouvé dans l'impossibilité de compléter les troupes de ligne, et, en 1793, aucun régiment ne pouvait plus, par suite des avantages laits aux volontaires, recruter un seul homme (Moniteur, n°-îo), « Le recrutement ne peut s'opérer dans l'état où est « actuellement notre armée, le seul moyen de lever cette « insurmontable difficulté est de nationaliser l'armée et « de la soumettre au même régime ». (Dubois-Crance). Et dans les discours qu'il prononce pour déterminer l'amalgame, Oubois-Crancé ajoute « En activité, tout corps doit être au complet, sinon « la République soldera une foule d'états-majors inutiles. « L'armée est désorganisée ; tel régiment a son pre«mier bataillon à l'armée de Mirande, son deuxième à « l'armée de Custine, ses grenadiers à l'armée de Dumou« riez, et son dépôt à Metz ou à Strasbourg. « Aucune de ces parties n'est liée, ne peut se prêter « des secours mutuels; à peine les individus se connais«. sent-ils. « Notre infanterie est toute morcelée, incomplète, « divisée en fractions, dont les généraux ne peuvent tirer « parti qu'en les accolant à des bataillons de volon«
:
«taires.»
;
L'amalgame n'étaitpas moins utile en ce qui concerne lesvolontaires mais c'est à tort qu'onn'envisage ordinairement que ce côté de la question. « Nos volontaires eux-mêmes, dont les torts ne sont « dûs souvent qu'à leur inexpérience, ont besoin du « contact, des principes de tactique, d'ordre, de police et ce « d'administration quisont établis dans la ligne
;
»
mélange n'est donc qu'utile et n'a rien de dangereux (1). « Le plan que je propose, une fois adopté, vous avez « toutes les bases de la conscription. Tout français saura l'attend ; nos « les droits qu'on lui attribue et le sort qui volon« frères ne distingueront plus entre la ligne et les tout sera égal, pour obtenir de la gloire, de l'es« taires parfaits, « time et des récompenses. Vos cadres seront vos bataillonscomplets, vos divisions importantes. » (2).
;
(1) Dubois-Crancé. (Extrait du Moniteur). (2) Il est bon de noter qu'après l'amalgame,
formées de trois bataillons de volontaires:
certaines demi-brigades furent
L'ARMÉE DELA
PremièreRépublique C'est donc l'armée royale renforcée successivement par les volontaires et par les réquisitionnaires qui défend la France contre la coalition. Au printemps de 1792, l'armée régulière ne compte plus que 88.000 hommes à opposer aux Prussiens et aux Autrichiens coalisés. (1). Rappelons ce que nous avons dit au sujet de l'émigration. Elle a â peu près désorganisé les cadres de l'infanterie et de la cavalerie. Six mille officiers sur neuf mille ont émigré dans l'infanterie. Seule, l'artillerie est à peu près intacte. En 1793, 1.200.000 hommes sont sous les armes. C'est La différence des effectifs de 1792 etde 1793 montre l'immensité l'effort fourni par les volontaires et les
de
réquisitionnaires. Ce
qu'ont été les armées républicaines.—
Dans des Mémoires pour
servir à l'histoire
de l'armée du
janvier 1792, le ministre de la guerre faisait la déclaration suivante: (1). Le 19 «
Voici, disait-tl, dans
;
l'état actuel, le nombre des troupes que l'on
peut porter hors des frontières sans exposer la sûreté des places 88 bataillons et 48 escadrons étant nécessaires à la sûreté des places frontières et différents postes, il nous reste, pour entrer en campagne, 150 bataillons et 113 escadrons lesquels, en les comptant à 500 hommes par bataillon et 120 par escadron, nous donneront 75.000 hommes d'infanterie et 13.500 de cavalerte. Les corps portés au complet de guerre présenteront un total de 110000 fantassins et 20000 cavaliers. Le déficit est donc de 51.000 hommes, et vous concevez facilement la presqu'impossibilité du recrutementdepuis que la formation des volontaires nationaux a porté vers ce geure de service la classe précieuse d'hommes qui fournissaient le plus généralement aux recrues. J'ai remarqué dans tous les bataillons de volontaires nationaux un zèle si unanimement manifesté que, profondément occupé du moyen de recruter les troupes, j'ai pressenti ces soldats de la liberté sur mon désir de les voir concourir à renforcer les troupes de lignes et à accélérer l'instant qui doit assurer à l'armée sa force et sa gloire, » Citépar le capitaine Choppin.
Rhin, le maréchal Gouvion St-Cyr a remarquablement montré l'évolution des armées républicaines. En 1792, « les régiments de ligne ne manquaient pas « d'instruction, mais ils n'avaient que celle nécessaire à « la parade et dans les évolutions de « Les 200 bataillons de volontaires, sous le rapport « du complet, de la vigueur et de l'esprit patriotique ne « laissaient rien à désirer et pouvaient être cités pour « modèles. » (Avant-propos). « L'armée permanente était faible en nombre et « désorganisée par l'émigration qui la laissa presque « sans officiers et sans généraux, et le peu qui restèrent « n'avaient la confiance ni de la Nation, ni de l'armée, « parce qu'ils appartenaient à une caste privilégiée, « contre laquelle se faisait la révolution. On dut en créer « d'autres, mais les décrets qui les nommaient ne suffiil leur fallait du temps pour acquérir de « saient pas « l'expérience. Il en fallut déjà beaucoup pour instruire « et aguerrir les levées extraordinaires d'hommes qu'on la faiblesse de (( fut obligé d'appeler, afin de suppléer « l'armée permanente, et avec lesquelles la France devait « se défendre sur terre contre les meilleures armées « connues; et sur mer, dès la campagne suivante, contre « toutes les marines de l'Europe, c'est-à-dire, celles de la « Hollande, de l'Angleterre, et de l'Espagne; tandis « qu'une guerre civile, fomentée et entretenue par ses « ennemis, occupait une grande partie de ses forces. Ce « fut avec des troupes de nouvelle formation, non aguer« ries et sans instruction, qu'elle dut commencer cette « lutte sans exemple dans les temps modernes. « (Conclu« sion.) « Pendant les campagnes de 1792 et 1793, les soldats « s'instruisirent et s'aguerrirent, quoiqu'ilsfussent cou« duits par des généraux et des officiers dont la plupart aussi combien de « n'étaient guère plus expérimentés « revers n'a-t-on pas essuyés avant d'avoir obtenu ce Mais, si deux campagnes avaient suffi pour « résultat « taire de nos jeunes volontaires des soldats aguerris, il
paix.
:
à
!
:
fallait plus de temps pour former les chefs qui devaient commander « les de la République étaient très « En 1798, les troupes conduites, à la défense « propres, quand elles étaient bien des places, des rivières, des défilés, des postes et des « appelle enfin la petite « pays très accidentés, à ce qu'on les invasions, qui « guerre. Mais pour longtemps encore toujours la réunion des masses, amènent des « exigent ennemis « batailles et souvent des retraites en pays de « (opération la plus difficile et la plus dangereuse nouvelle formation) « la guerre avec des troupes de leur « enfin celles qu'on peut appeler la grande guerre, « étaient interdites. désiraient que combattre, elles ne « Les troupes ne bravoure, ni de dévouement, mais « manquaientni « seulement de l'instruction nécessaire pour exécuter ce « qu'on appelle les grandes manœuvres (1). A cette épo« que, nos soldats étaientindividuellement supérieurs aux « Allemands et un bataillon ou un escadron, un régiment de nos ennemis de « même en aurait toujours battu un une brigade eut encore conservé l'égalité « même force mais avec des corps-plus « sur toute espèce de terrain, « nombreux, de plus grandes fractions d'armée, les ennela « mis avaient un avantage incontestable en plaine par a célérité et la précision qu'ils pouvaient mettre dans « leurs manœuvres. étaient ( A la fin de l'hiver de 1793, les troupes suffisamment « passablement aguerries, disciplinées et «
»
de
:
«
instruites.»
Malgré les progrès que l'armée avait faits pendant la dernière campagne,onpouvaitencorehésiter à livrer des batailles à forces égales dans un pays de plaine et découvert, eu égard à ce que l'on avait allaire aux troupes les plus manœuvriêres de l'Europe: en revanIl
«
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Nous dirions aujourd'hui les grandes opérations, le mot de grandes mamouvresayantprisunsfnsparticulier. (1)
la supériorité de notre infanterieparaissait décidée
«
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dans un pays montueux ou coupé.
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et
intelligents, soldats étaient agiles vigoureux toujours animés d'un patriotisme très prononcé qui leur fit supporter avec constance des privations « Nos
«inouïes. »
Vers la fin de l'hiver, on commença à organiser les «troupes françaises en demî-brigades de 3 bataillons «dont 2 de volontaires et 1 d'infanterie de ligne on se « trouva bien de cet amalgame qui, en faisant disparaître «toute nuance dans l'esprit des troupes, procura de «plus l'avantage de concentrer le commandement. » Pendant la camqagne de 1794, les « officiers et un «bon nombre de généraux acquirent l'instruction néces«saire, ce qui rendit cette campagne brillante on se «trouvait en état de livrer de grands combats et même «des batailles en rase campagne. «
;
;
Malgré les rigueurs d'un hiver extraordinaire, qui «suffit pour paralyser les armées ennemies dans leurs cantonnements, sur les bords glacés du Rhin, les Fran«çais campés en face d'elles, de Strasbourg à Cologne, «les contiennent, tandis que l'armée du Nord pénètre en «Hollande et s'en empare; aucune des armées de la «coalition n'ose, dans une saison aussi rude, se présenter «pour la défendre. » .« Dans le courant d'une si longue guerre qui a «un quart de siècle, j'ai eu souvent occasion de voir nos «troupes souffrir de grandes privations, mais si elles «ont toujours été aussi pénibles, elles n'ont jamais eu la même durée; je n'en excepte même pas la guerre de «Russie devant Mayence, le froid fut plus grand, plus «long que celui qu'on éprouva jusqu'au passage de la «Bérézina. A cette époque la grande armée se trou«vait complètement désorganisée. Son aspect physique «
«
duré
«
ou moral était hideux, l'armée devant Mayence était rérestait se trouvait, sous tous les « duite mais ce qui y de continuer la guerre. « rapports, dans l'ordre et en état « Elle a souffert sans murmurer, avec une constance «héroïque, tous les genres de privations pendant huit « mois consécutifs. La discipline est restée intacte, sauf qui n'a été que de courte « le maraudage dont j'ai parlé, celui de Russie, c'est « durée, et ce qui la distinguait de s'éloignaient à une si petite distance « que les soldats « des camps qu'au premier coup de canon qui pouvait courir et « faire pressentir une affaire, on les voyait « reprendre leurs rangs ». «
Cependant, à cette, époque il ne pouvait être « question, pour stimuler leur zèle, d'aucune espèce de « récompense. Le patriotisme et l'honneur étaient les « seuls mobiles qui faisaient agir l'armée française. » (G.-S.-C.Rhin. II153). «
Les Armées de 1794.
A cette époque, les « armées françaises avaient atteint un degré de supériorité «
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qu'elle n'avaient jamais dépassé, et on pouvait tenter avec elles les opérations les plus difficiles, ce qu'elles ont prouvé dans les campagnes suivantes, mieux encore que dans celle de 1794 qui venait de se terminer par la conquête des provinces situées sur la rive gauche du Rhin. « Ainsi trois années de guerre ontsuffi pour élever nos armées au niveau des meilleures de l'Europe. Nos soldats ne laissaient rien à désirer pour l'instruction, la bravoure et la discipline la classe des sous-officiers, si importante dans toutes les armées, et plus particulièrement dans les nôtres, était excellente celle des officiers inférieurs ne lui cédait en rien. La majeure partie des officiers supérieurs était véritablement très distingués et donnait les plus belles espérances. Les généraux de brigade et de division comptaient dans
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leurs rangs un bon nombre de sujets capables de eoinmander des corps d'armée. « Le printempsde l'année 1195 annonçait une cuinpagneplus brillante quetoutes cellesqui l'avaientprécédée. La Prusse et l'Espagne avaient cessé de faire partie de la coalition, l'empire germanique paraissait disposé à suivreleurexemple paix semblait prochaine. Mais, à cette époque, l'Etat se trouvait sans finances, les ressources avec lesquelles on avait jusqu'alors assuré une partie des services, avaient été gaspillées, épuisées. Les troupes et les généraux étaient sans solde cependant on vit ce que peut inspirer le patriotisme des troupes non payées, sans magasins, sans vêtements, ne pas se débander, conserver leur discipline et vaincre. Dans aucune des armées, alors les plus fortement constituées, on n'aurait rien vu de semblable, et il faudrait des circonstances pareilles pour renouveler ces prodiges. » (G-S-C.Rhin,Conclusion).
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L'Armée du Rhin en 1796.
— Ces qualités extraordinaires des armées républicaines, le maréchal Gouvion Saint-Cyr nous les montre encore en 1790 et 1797 : En 1796, l'armée du Rhin « manquait des objets les «
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plus essentiels, mais les troupes étaient excellentes, disciplinécs et aguerries. A aucune époque ellesn'ont été meilleures, les officiers et les généraux avaient acquis l'instruction et toute l'expérience qu'on pouvait
désirer.
Et le futur maréchal disait à Moreau « que rien n'était impossible à une armée comme celle dont il avait le commandement, et l'assurait que, même en cas de revers, il pourrait être tranquille, qu'elle se retirerait de tous les embarras par son courage et son excellente discipline. » (G-S-C. Rhin, III, i-2).
Retour de l'armée de Rhin-et-Moselle sur la rive gauche du Rhin (1796). — Elle devait le mon-
trer dans la retraite célèbre qui la ramena sur la rive gauche du Rhin. A sa rentrée en France, nous dit Gouvion Saint-Cyr, « cette « armée avait le plus grand besoin de repos. Six « mois de bivouacs continuels avaient exténué les hommes « et les chevaux et ruiné le matériel. L'habillement ainsi un tiers des « que la chaussure étaient totalement détruits soldats marchaient pieds nus et l'on n'apercevait sur <( « eux d'autres vestiges d'uniforme que la buffleterie. « Sous les haillons de paysans dont ils étaient couverts, « leurs tètes et leurs corps eussent été exposés à toutes « les injures du temps. C'est dans cet état que je les ai « vus défiler à Huningue, et cependant leur aspect était « imposant; à aucune époque, je n'ai rien vu deplus « martial, leur démarche était fière, peut-être quelque « chose de farouche se faisait voir dans leurs regards). (G-b'<-C„Rhin•m,41). « Si les arméesfrançaises obtinrent pendant cette « période de six années d'aussi étonnants succès, elles les « durent à l'esprit patriotique (1) qui les animait et qui « leur a donné le courage de supporter tant deprivations. « A presque toutes les époques et sous tous lesgouverne« ments,les Français ont été ce qu'on appelle braves et « brillants dans les combats, mais jamais ils n'ont été si « courageux, et il >/ a une grandedifférencede la bravoure « au courage: « l'amour de la gloire est le stimulant de l'une, l'autre a pour soutien l'amour de la patrie et de Q « la liberté, sans laquelle il n'y a point de patrie. Cette « vérité ressortirait du parallèle entre nos armées de cette « époque, et celles mêmes qui ont existé pendant la « période brillante du Consulat et de l'Empire. Nous avons « vu les unes formées de paysans et d'artisans rassemblés « à la hâte, et avant de savoir se servir de leurs armes, « mises en face des vieilles armées de l'Europe, sans dis« cipline et l'on pourrait dire sans chefs, si par ce titre
;
Il régnait dans ces années un esprit dicté par le plus pur patriotisme, dire n'yavoir jamais connu a qui a aucune époque ne s'est démenti, et je puis «ni factieux, niambitieux. G.-S.-C. Rhin. (1)
«
»
on entend la capacité qui dirige. Ces troupes, ou plutôt « ces rassemblements improvisés par la plus urgente « nécessité, se trouvent bientôt dépourvues de vêtements, « de magasins et de solde, comme de toute espèce de « récompenses et de stimulant, autre que l'amour de la « patrie et le devoir de la servir. En peu d'années, elles « deviennent supérieures en tous points aux meilleures « armées de l'Europe qui sont forcées d'adopter leur tac« tique et d'imiter leur organisation. Elles souffrent toutes « les privations, bravent la rigueur des saisons dans « tous les climats, supportent les revers avecconstance et « sont victorieuses sur les champs de bataille, soitqu'elles « marchent en avant ou en retraite. La moindre parcelle « du sol de la France est garantie des insultes de l'en« nemi, et ce que des premiers malheurs avaient fait « perdre, est aussitôt reconquis. Finalement, la plus ter« rible des coalitions est vaincue, forcée d'accepter la « paix et de consentir à l'agrandissement de la France sur « les frontières du Rhin et des Alpes. « Voilà ce qu'ont fait les armées de cette époque, avec la « le courage et la persévérance qu'inspire l'amour de (G-S-C. Rhin-IV. Conclusion). « patrie.
«
»
Nous voyons donc, dans les armées de la première République, se former suceessivement les soldats, les officiers, les généraux. De 1794 à 1796, elles offrent le plus bel exemple de ce que doit être une armée républicaine. Elles sont l'expression historique la plus pure et la plus forte de la « Nation Armée ». A aucune époque, dans aucune nation, on n'en trouve de comparable. Le maréchal Soult le montre également dans ses
:
Mémoires
plus forts qu'avant leur réunion, les nouveaux corps présentaient plus de régularité dans leur ensemble etplus deconfiance en eux-mêmes. Les officiers donnaient l'exemple du dévouement, le sac au dos, privés de solde. Car ce fut plus tard seulement, et lorsque les assignats eurent perdu toute leur valeur, qu'ils reçurent « Trois fois
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;
en argent huit francs par mois ainsi que les généraux, «ils prenaient part aux distributions. comme les solet recevaient des magasins les effets d'habillement & dats « qui leur étaient indispensables. «
leur donnait un bon pour toucher un habit ou « une paire de bottes. Cependant aucun ne songeait à se « plaindre de cette détresse, ni à détourner ses regards sujet l'unique étude seule et la était du service qui « d'émulation. Dans tous les rangs, lemêmezèle, le même « « empressement à aller au-delà du devoir; si l'un se dis« tinguait, l'autre cherchait à le surpasser par son cou« rage, ses talents, ses actions, c'était le seul moyen de « parvenir; la médiocrité ne trouvait point à se faire re«
«
On
commander.
Dans les états-majors, c'étaient des travaux inces« sants embrassant toutes les branches du service et « encore ils ne suffisaient pas. Je puis le dire, c'est l'époque « de ma carrière où j'ai le plus travaillé et où les chefs « m'ont paru le plus exigeants. Aussi quoiqu'ils n'aient « pas tous mérité d'être pris pour modèles, beaucoup « d'officiers généraux qui plus tard ont pu les surpasser, (( sont sortis de leur école. Dans les rangs des soldats, la « même abnégation. Les conquérants de la Hollande tra« versaient par 17 degrés de froid les fleuves et les bras « de mer gelés, et ilsétaient presque nus, cependant ils ils « se trouvaient dans le pays le plus riche de l'Europe « avaientdevant les yeux toutes les séductions, mais la « discipline ne souffrait pas la plus légère atteinte. Jamais « les armées n'ont été plus obéissantes ni animées de plus « d'ardeur; c'est l'époque des guerres où il y a eu le plus « de vertu parmi les troupes.J'aisouventvu les soldats « refuser avant le combat les distributions qu'on allait Après la victoire, on nous les « leur faire, et s'écrier «
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donnera.
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L'évolution des armées dela Révolution n'échappe pas aux généraux étrangers qui les combattent.
Un émigré, Langeron (1), officier de l'anciennearmée royale, passé au service de la Russie et chargé par Catherine de suivre les opérations des alliés, écrivait après la campagne de 1793 : « Les désastres de cette campagne ont eu pour prin« cipales causes la prodigieuse activité des Français, leur « audace, leur ténacité et la lenteur et la circonspection « des Autrichiens.
»
attaque les Français, si on les surprend, ils se défendent mal; mais ils sont supérieurs dans l'offenSi l'on
sive
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C'est, poursuit Langeron, un spectacle étonnant au premierabord, que donnent ces généraux fans naissance et sans éducation, commandant à des paysans à peine armés. Cependant, ces généraux font des plans et ces soldats les exécutent. « Il est possible d'expliquer cette énigme par le génie naturel des Français et leur impulsion dans l'attaque, et plus que tout autre, par la formation de leur Comité dirigeant, composé d'officiers du corps de génie et de l'artillerie, joignant à une connaissance parfaite du théâtre de la guerre, celle de la collection des excellents mémoires faits par les généraux de Louis XIV etde Louis XV et par leurs états-majors. « Les généraux, en suivant les plans de ce comité, feront toujours une campagne savante, si la composition de leur armée ne leur permet pas d'en faire une brillante. Les Français choisissent leur terrain, cachent leurs masses derrière un rempart de canon, et opèrent avec vigueur sur un seul point avec toutes leurs trou«
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Le projet insensé et affiché de morceler la France » a passionné les esprits. « La guerre est devenue nationale Français; chaque Français, de quel parti qu'il « pour les «
il commandait une des colonnes do l'arméerusse à Austerlitz et fut faitprisonnier cettebataille. "1.
à
«
fût, dans le fond de son cœur, s'est armé contre les spo-
«liateurs.»
Les armées républicaines, fortes d'une multitude d'hommes naturellement braves, que la misère, la faim, la terreurde la guillotine rendent furieux, ne sont plus telles qu'elles étaient au commencement de la guerre; nombre,entalent, en ressources, en d'abord inférieures habitude de la guerre à leurs ennemis, elles leurs sont maintenant supérieures en tout, excepté en courage. Les Français ont pour eux a le génie supérieur et ardent qui «
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dirige,l'activité et ia ténacité qui exécutent, l'audace qui ose tout, la folie même, dont les écarts conduisent au succès, l'unité d'accord, le besoin de la guerre, la nécessité de vaincre. » supé« Le Comité dirigeant les opérations est aussi rieur aux généraux des alliés, que les Condé, les Turenne et les Luxembourg l'étaient aux Juan cl'Alltriche et au prince d'Orange » (1). « La discipline n'a jamais été aussi sévère dans aucune armée française leur espèce nouvelle de généraux vaut peut-être mieux que celle de l'ancienne armée.» (Rapport dll <jruerai Mack, en 1794) (2).
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Qualités morales des armées républicaines. — Il est intéressant et utile derechercherquels moyenset
surtout quels sentiments furent mis en jeu paur assurer le triomphe de notre indépendance et porter nos frontières aux limites naturelles de la région française: Rhin, Alpes, Pyrénées. Les armées de la Révolution sont avant tout remarquables de solidarité. Cette solidarité provient de l'unité d'origine des soldats et des chefs, et surtout de la communauté des sentil'enthousiasme pour les idées ments qui les animent nouvelles la haine des privilèges et des grands, la com-
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(I)A.Sorel.—JEuropeetlaRévolution,U1-1V7. c2) A.
Sorel. — Mrmn ouvrage, JII-5'i8.
passion pour les humbles, l'amour du pays et de son indépendance. Soldats et officiers sont convaincus qu'ils possèdent le secret de regénérer le monde, que le patriotisme français et la justice universelle se confondent et que par eux la Révolution en assure le règne. Ils sont, de fait, reçus en amis et en sauveurs par les populations allemandes. Les témoignages abondent. « Les Français, dit Gœthe, arrivèrent, mais ils sem« blaient n'apporter que l'amitié. Et ils l'apportaient, en « effet, car ils avaient tous l'âme exaltée. « Ils plantaient avec allégresse les joyeux arbres de « la liberté, promettaient à chacun son droit, à chacun « son gouvernement national. « Les jeunes gens, les vieillards se félicitaient, et les «danses joyeuses commencèrent autour des nouveaux «
étendards.»
Le grand poète allemand célèbre ainsi ce temps où « le premier des biens que l'homme puisse rêver — la « liberté — semblait proche et accessible. Toutes les lanvieillards, hommes faits, jeunes « gues étaient déliées «. gens exprimaient hautement des pensées et des senti« ments sublimes. » Madame de Staël s'exprime dans des termes analogues : officiers et les soldats se faisaient souvent cc Les « aimer dans les pays étrangers, lors même que leurs « armes y avaient fait du mal. « Non seulement ils bravaient la mort avec cette incroya« ble énergie qu'on retrouvera toujours dans leur sang « et dans leur cœur, mais ils supportaient les plus « affreuses privations avec une témérité sans exemple. Ils « souriaient au milieu des situations même les plus « cruelles, et se ranimaient encore dans les angoisses de « la souffrance, soit par un sentiment d'enthousiasme « pour leur patrie, soit par un bon mot qui faisait revivre « cette gaieté spirituelle à laquelle les dernières classes
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de la société ont toujours été sensibles en France. » (Madame de Staël). Ces simples citations font ressortir les qualités que les sentiments généreux exaltés par la Révolution avaient développés dans nos armées L'humanité et la justice envers les vaincus L'insouciance du danger et des besoins L'enthousiasme juvénile pour la Patrie régénérée par la liberté Ce sont làdéjà les traits permanents, définitifs de la — «
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psychologie du soldat républicain. Ils combattaient pour la liberté, pour « l'égalité, la raison, la tolérance, pour tous les prin« fraternité, la « cipes de la Révolution qui peuvent être ramenés à un la Justice. » (1). « seul ils « Officiers et soldats jugent la guerre nécessaire « la considèrent non comme une glorieuse aventure, aflaire de « mais comme un devoir urgent, comme une « salut public. « Ils sentent qu'avec l'indépendance de la Nation, la « liberté même de chaque citoyen est en cause. « Ils ont fait la Révolution pour détruire l'ancien combat« régime, ils haïssent les armées étrangères qui « tent pour le leur imposer de nouveau. Et c'est là ce qui « unifie leur idéal » (2). Rien n'est plus beau aux yeux de ces soldats que de se sacrifier jusqu'à la mort pour la patrie. « Notre sentiment intérieur et sérieux, dit Stendhal, être utile « était tout entier renfermé dans cette idée « à la Patrie. « Tout le reste, l'habit, la nourriture, l'avancement, « était à nos yeux un misérable detail éphémère. des cérémocc Nos seules réunions étaient des fêtes, « nies touchantes qui nourrissaient en nous l'amour de
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(1)
(2)
PÙié- L'école du citoyen. — p. 87.
A. Sorel
—
Conférences faites à l'école cle Saint-Cyr.
la Patrie. Dans la rue, nos veux se remplissaient de « larmes en rencontrant une inscription en l'honneur du «jeune tambour Barra (1).
«
sentiment était notre religion. » Davout écrit le 4 septembre 1792: On recevait des boulets par les cris de vive la « « Nation, vive la liberté et l'égalité » Marmont,sur la fin de sa carrière, évoquant le souvenir de sa jeunesse, s'exprime ainsi « J'en ressens encore la chaleur et la puissance comme « au premier jour. » (2). Tels sont les témoignages hautement éloquents des personnalités les plus compétentes, les mieux placées pour nous édifier sur la valeur et les vertus morales des troupes républicaines. Plus près de nous, le général Foy, écrit(i,,rvolume des guerres de la Péninsule) « La République et la guerre avaient façonné pour « Napoléon les généraux les plus capables, les officiers « les plus dévoués, les soldats les plus valeureux. » L'épopée révolutionnaire fut animée d'un tout autre esprit que l'épopée napoléonienne, elle lui est nettement supérieure au point de vue de lavaleur morale de l'armée, souvent elle lui estégaleen ce qui concerne la conduite des opérations militaires. Parlant des premières campagnes de la Révolution, Gouvion-Saint-Cyr écrit : Cette guerre est « celle à laquelle je m'honore le plus qu'en même temps qu'elle est une « d'avoir pris part, parce justes que la France ait eu à soutenir, elle (r des plus aussi celle air le peuple français a déployé le plus « est de persévérance. Le but de ses « d'énergie, de courage et difficile à atteindre car il s'agissait de dé« efforts était l'intégrité du territoire et l'indépendance natio« fendre lesannéesde l'Europe coalisée. Aussi, selon << nale contre f
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Haïran'était, pas tambour.
2.CitationsdeM.A.Sorel
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moi, ce fut dans cette guerre qu'il acquit le plus de gloire si elle s'acquiert en raison des difficultés vaincues et de la justice de la cause. « Depuis nous avons eu d'autres guerres. qui, par de prodigieux succès ou d'épouvantables désastres doivent frapper plus puissamment l'imagination et captiver l'attention du plus grand nombre. d'importance aux « Beaucoup de gens n'attachent
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événements mititaires qu'en proportion du nombre d'hommes qu'ils ont coûtés pour eux la bataille la plus sanglante sera la plus belle ils mettront la gloire d'être entré à Vienne et à Moscou fort au-dessus de celle d'avoir défendu l'indépendance de la France et résisté à l'Europe coalisée contre elle avec des armées levées à la hâte, commandées par des officiers et par des généraux improvisés. » (G. St Cyr.Mémoires-Rhin.Avant-
propos. XIX). Ces citations, et beaucoup d'autres que l'on aurait pu leur ajouter, montrent que les causes et l'esprit des guerres de la Révolution furent toujours empreints d'un. caractère de haute moralité, et que les armées républicaines furent endurantes, probes, désintéressées au plus haut point, patriotes et humanitaires. «
L'officier et le soldat.
— Dans les armées de !a Révolution, l'officier et le soldat, ont la même origine
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ils s'identifient avec la nation dont ils sont l'image fidèle. Suivant l'expression de Dubois-Crancé, ces citoyens devenus soldats restent citoyens quand même dans tous leurs actes extérieurs et ils affirment leurs sentiments à cet égard dans toutes les occasions, qu'il s'agisse de leur déférence envers les représentants du peuple, de leurs relations avec leurs concitoyens, de celles qu'ilsont avec les peuples auxquels ils viennent apporter la liberté. Nation? ». Leur cri de guerre est « Vive Ils restent soumis au pouvoir central, émanation directe de la volonté nationale. Si nos troupes et leurs chefs de tous grades obéissociale
la
saient au pouvoir central d'une obéissance spontanée et cordialement consentie, ils se montraient aussi remarquables de désintéressement, respectant les personnes et les propriétés. Officiers et soldats promèneront dans toute l'Europe leur pieds nus, leurs uniformes en lambeaux. « Les peuples, dit A. Sorel, voyaientavecétonnement « ces troupes déguenillées,hâves et amaigries, mais fières, «gaies, martiales et disciplinées, s'avançant dans la vic«toire avec la poussière et les haillons de la déroute. « Ces peuples s'inclinaient devant ce je ne sais quoi «d'inattendu et d'auguste qu'ils devinaient en elles, et «les soldats gagnaient le cœur de leurs hôtes dont ils «partagaient la misère. » Les étrangers et leurs alliés de France, écrit le « «général Foy (1), ont complaisamment répété les déprée: dations commises par un petit nombre de chefs mili«taires. Pendant les premières années de la République, «les généraux français ont fait la guerre dans l'austérité «et la modération qui convenaient à la noble cause pour «laquelle ils avaient pris les armes. La paie était alors de «huit francs par mois pour les plus hauts grades. On ne «mangeait à la tablé du quartier général d'autre pain que «le pain du soldat, d'autre viande que la viande de dis-
«tribution.
Nos officiers des régiments et surtout ceux de «l'infanterie, resplendissaient de pureté et de gloire. «Vaillants comme Dunois et Lahire, sobres et durs à la «fatigue, parce qu'ils étaient les fils du laboureur et de «l'artisan, ils marchaient à pied à la tête des compagnies «et couraient les premiers au combat et sur la brèche. » Nombre d'entre eux, nommés à l'élection refusent de l'avancement : St-Cyr, Ney, Kléber et combien d'autres. Les représentants du peuple leur imposent des grades de force, ils les acceptent dans l'intérêt de la Patrie. « Après la bataille de Bergen (1799) le général russe «
(1)
Général Foy — Guerres de la Péninsule.
«Hesse, fait prisonnier par un de
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nos grenadiers, offrait grosse somme à cet homme pour se libérer Je ne « une «me bats pas pour l'argent répondit le français, mais ptltr d'être fait officier « Après avoir « la gloire» et il refusa reprendrai la charrue. » « déposé l'épée, ajouta-t-il, je (Moniteur du 13 Vendémiaire, an VII). leur chef leur ancien « Les subordonnés voyaient dans et le professeur du métier. Ils respectaient son expérience et se confiaient dans ses lumières. La fraternité demeurait intacte entre hommes partis du même niveau et pourtant l'obéissance ne connaissait pas de restrictions envers ceux qui commandaient parce qu'ils étaient les plus dignes. )) (1). Ce sont, dit encore le général Foy, « la touchante alliance des chefs avec les soldats, la paternité des « capitaines, la simplicité de mœurs des lieutenants et « sous-lieutenants, la communauté affectueuse de souf« frances qui ont fait la force de nos armées de la « Révolution».
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-
Le Rôle des Représentants en mission. On n'aurait qu'une idée incomplète dece que furent
les armées de la Révolution si on passait sous silence le rôle des représentants en mission aux armées. La Convention, deson vrai nomAssemblée de révision, révise, centralise, et l'armée l'aide dans sa tâche, en se montrant dévouée aux représentants de la Nation comme
aux institutions nouvelles qu'ils établissent. Le pouvoir civil parle au nom de la Nation, il agit non seulement pouren maintenir l'intégrité, mais encore pour l'organiser,pour la créer, et, en quelque sorte, l'ayant créée, il entend la défendre contre le flot toujours montant de l'invasion étrangère. C'est une énorme machine que crée la Convention avec sa farouche énergie au dedans, le fédéralisme et le royalisme s'efforcent d'en briser les organes aux armées.
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(1)
Général Foy.
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tout homme qui surgissait se désignait aux insinuations « des émigrés, ainsi Dumouriez en 93, Pichegru en 94 et d'autres « 95. Frotté avait tenté d'entraîner Hoche d'Antraigues avait été « rôdaient autour de Moreau « chargé du même office auprès de Bonaparte (1). L'importance des difficultés que la Convention rencontre motive, en particulier, la création de commissaires agents de centralisation, luttant contre l'autonomie des départements, des districts et des communes, entretenant partout le respect du aux institutions, organisant des servicesqui souvent n'existaient pas,créant des ressources au milieu du trouble et ne réussissant que grâce à des efforts surhumains de pensée et d'action. « C'est ainsi, ditM. Aulard dans son Histoire politi« que de la Révolution française,ouvrage qu'on considère « aujourd'hui comme le plus sérieusement documenté, « c'est ainsi que les nécessités de la défense militaire « inspirèrent un expédientqui eut pour résultat de remé« dier provisoirement au vice anarchique de laconstitu« tion de 1791 décentralisatrice à l'excès, et où le pouvoir « central n'avait même pas un agent d'exécution et de « Surveillance auprès des départements. « Cetagentd'exécution onde surveillance, voilà les « circonstances qui le créent, c'est le représentant Cil « m ission. Il fera marcher les administrations locales « élues dans le sens de la politique générale du gouver« nement. Envoyé surtout pour faire lever les 300.000 hommes, <( « il restera dans le département encore après que cette « levée aura été achevée, et il y exercera ou s'efforcera « d'y exercer les fonctions d'un préfet, d'un intendant.» La Constituante déjà avait délégué des représentants dans douze départements frontières. « Ce serait se faire une idée fausse des représentants en mission et de leur rôle que de se les figurer même à l'époque où leurs pouvoirs furent les plus étendus comme «
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(1)ASorel—Bonaparte et Hoche.
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des proconsuls effrayés et effrayants, tyrannisés et tyrannisants, esclaves tremblants et cruels du Comité de Salut. Public (1). « Toutes les armées, depuis le début de la Convention jusqu'à la fin furent accompagnées de représentants en mission, qni ne se bornèrent pas à s'assurer que les généraux exécutaient les ordres et les plans du pouvoir central, à révoquer et à nommer provisoirement ces généraux. Il leur arriva parlois de les commander réellement, de marcher à leur tête à l'ennemi. Un deces représentants, Fabree (de l'Hérault) fut tué dans un combat livré aux Espagnols (30 frimaire an II) ». Delbrel fit gagner la bataille de Hondschoote en s'opposant à tout-mouvement de retraite. « Les missions de St-Just et de Carnot. à l'armée du Rhin et à l'armée du Nord, provoquèrent des succès décisifs. La mission de Prieur (de la Marne) en Bretagne contribua à l'échec de l'insurrection vendéenne. Celle de Jean-Bon-Saint-André, la plus longue, lut comme le centre de nos opérations maritimes contre les Anglais (1). Aux armées ces ministres du pouvoir central rétablissent la discipline grâce à leurs décisions énergiques et promptes. Leur confiance, leurs convictions inébranlables se communiquent aux généraux et aux soldats. Le « vouloir qui est le ressort moral à la guerre s'en trouve considérablement renforcé. Ils assurent le service des subsistances et pourvoient à tous les besoins des troupes. Les Ministres aussi secondaient les représentants et. contribuaient aux victoires. « C'est à l'un des moins habiles que Bonaparte, Moreau « Dugommier, Desaix, Augereau, Jourdan, Masséna, Hoche, « Marceau, Brune, Lefévre, Vaubois, Eblé, du Monceau,. « durent leur brevet de général. »
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(1)Aulard. (2)Idem.
Ministres et représentants dépendaient du Comité de Salut Public, et ce comité dictatorial, déployant l'énergie que réclame la situation, réussit à établir l'unité de principe et d'action queBrunswicksouhaitaitinutilement aux alliés. (1) 1 « Les soixante représentants en mission, hier incon« nus, et demain retombés dans l'oubli, ont soutenu, « comme le destin, les armées contre toutes les causes « qui les ruinent ordinairement. Comme ils parlaient de Louis XIV « haut, en souverains, à cette plèbe de fer « ne tut pas plus altier dans les camps. « Nous avions, « disaient-ils, le pouvoir de l'éloquence et les baïonnettes « au bout. » Avec eux, il n'y eut plus de différence dans « les saisons. L'hiver ne fut plus une barrière. Leur « conseil stratégique ne fut pas toujours le meilleur, l'ait trop rabaissé systé« quoique, à n'en pas douter, on « matiquement dans la plupart des cas. Mais ce qui est « impossible au militarisme (2), ils le firent. Merlin de « Thionville, Saint-Just, Baudot à la tête des colonnes, ne moral des armées, du « souffrirent pas qu'il y eût dans ils imprimèrent un « haut et du bas, du fort et du faible « mouvement toujours égal, ne permettant ni hésitation « dans le péril, ni abattement après les revers, ni lassitude « après la victoire. Dans un temps où la science de la « grande guerre était perdue, le salut se trouva dans cette « nécessité de vaincre que personnifiaient les représen« tants en mission. « Des armées qui ne connaissent ni la faim, ni le
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le
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Lorsqu'une grande nation telle que la nation française est conduite aux grandesactions par la terreur des supplices et l'euthousiasme. une même volonté, le même principe devraient présider à la démarche des puissances coalisées. — Mémoire du duo de Brunsicick sur les causes des revers (le la coalition— Citépar Suult, Mémoires. (2) Les représentants, dit Quinet, « ôtèrent à l'héroïsme l'occasion de « dégénérer, comme il arrive presque toujours au militarisme: deux choses que confondent d'ordinaire les contemporains et que la postérité seule distingue, quand elle n'est plus éblouie par l'épée. « L'héroïsme est de tous les moments, de toutes les situations, parce siège dans l'âme il ne connaît ni fatigues, ni découragement, ni « qu'il a son toujours le même, toujours prêt, toujours en éveil. « dégoût, « Le milital'isme, au contraire, a ses moments, ses heures, tantôt exalté, < tantôt abattu. C'e,t une profession, le métier des armes, non pas un état de là, il est soumis aux divers changements que tout métier entraîne •« l'âme; et de lasse, il s'use, il se dépite. Il n'est pas au-dessus des dècourage« avec lui, il se « ments qui suivent les désastres.» (1)
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sommeil, ni le chaud, ni le froid, ni la fatigue, ni la maladie, c'est là un miracle que le militarisme seul ne produit jamais et ce prodige se faisait chaque jour. Aussi n'a-t-on vu aucun désastre véritable dans ces elles pouvaient être battues, elles ne poutroupes vaient être désorganisées les revers doublaient leur audace. Plusnombreuses, plus elles étaient décimées. Jamais une seule ne se fondit par les marches ou par les hôpitaux, comme cela se fit plus tard. « Un grenadier est malheureux, écrivait Joubert, quand il est réduit au quart de la ration de pain » mais, tout malheureux qu'il était, ce grenadier se savait invincible. »
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Non seulement les armées étaient indestructibles,. mais elles se sentaient dans la main de la loi. Les terribles baïonnettes qui refoulaient l'Europe s'inclinaient devant le plus obscur, le plus désarmé des hommes, «
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«s'il représentait l'autorité civile; et indépendamment héroïsme, c'est cette religion du droit, au milieu cc de leur la force, qui donne aux armées de la « de l'ivresse, de « République un caractère unique de grandeur. » (Quinet). Voyons maintenant comment se transforme l'esprit
de cette armée vraiment nationale. Le Directoire qui a succédé à la Convention, poursuit l'expédition d'Egypte, l'anune politique de conquêtes nexion de la Suisse, du Piémont. en sont de frappants. exemples. Dans les troupes aussi se reflète cet esprit, pour des, raisons diverses. La proclamation bien connue de Bonaparte à l'armée. d'Italie en 1796, en est la preuve bien nette. Même les armées du Nord et du Rhin, les plus foncièrement républicaines, subiront, bien que plus tardivement et à un moindre degré, une transformation analogue. « Tant que les troupes n'avaient été chargées que d&
:
«défendre le territoire
et l'indépendance de la France, «elles n'avaient pas pensé à leur solde. La privation de «ce secours ne les avait point fait murmurer, mais, dans « les dernières campagnes, on les avait employées à une «guerre d'invasion, de conquêtes qui les éloignait de « leur patrie. Bonaparte avait donné l'exemple de leur «payer une solde en numéraire et de les traiter comme les autres généraux durent l'imiter. Lors« des soldats « qu'ensuite la victoire cessa de pourvoir à cette solde, il «fut impossible de la continuer. Cependant les troupes « y avaient été habituées. Elles en avaient un besoin urgent pour acheter des vivres que l'état d'épuisement «du pays rendait impossible de leur procurer complètees ment. Les soldats cantonnés, moins malheureux que «ceux qui étaient casernés, se contentaient de murmu«rer après la solde; ceux qui occupaient les places et qui «ne recevaient absolument rien des habitants, finirent «plus tard par l'exiger et la discipline en souffrit. »
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(G-S-CIihin,iv,141. Les mémoires du général de Ségur marquent magistralement cette transition. Il a vu la dernière incarnation de l'armée sincèrement républicaine, celle du Rhin en 1800: « On y pouvait distinguer encore, dit-il, quelques-uns «de ces Spartiates du Rhin, comme on les appelait alors, «volontaires des premières armées de la République, «martyrs de la liberté et de l'indépendance nationale à laquelle ils s'étaient sacrifiés avec un dévouement pur (1 «de toute ambition personnelle, de fortune, d'avance«ment et même de gloire. « On les avait cent fois vus, après avoir surmonté tous «les périls, refuser les grades les plus élevés, se les «rejeter l'un à l'autre et, fiers de leur rigide probité «républicaine, marcher nus, affamés, souffrant de toutes «les privations les plus cruelles au milieu des biens «qu'offre la victoire. « Guerre héroïque, toute citoyenne et bien loin alors « d'être un métier, où ces hommes d'élite, braves par
gloire et non par état, n'avaient songé, en se prodi« guant tout entiers pour assurer le salut public, qu'à citoyens dans leurs foyers. « rentrer pauvres et simples 1797, dans cette même armée « Mais, depuis 1796 et « du Rhin, lorsqu'à cette exaltation antique de tant de « vertus défensives du pays, l'esprit de conquête suc« céda, tout s'était modifié par la continuité de la guerre, renommées et la contagion des for« par la séduction des « tunes acquises. de ces hommes « Déjà même, en 1800, il restait peu « primitifs si exclusivement patriotes et si purs de tout « intérêt privé. « On les remarquait à la simplicité de leurs vête« ments et de leur manière d'être et de vivre, à l'indé(\ pendante et austère gravité de leur attitude, comme « aussi à un certain air de surprise hautaine, altière et « dédaigneuse à la vue d'un luxe naissant et de toutes ces « passions ambitieuses qui se substituaient au dévoue« ment si naïf et si désintéresssé des premiers élans répu« blicains. » Parlant d'un dîner de généraux auquel il assiste en 1800, Ségur raconte que Gouvion Saint-Cyr s'écria Desaix devient ambitieux » Il ne voulait parler, « Quoi dit-il, ni de la fortune que Desaix dédaigna toujours, ui -des grades, puisque, malgré ses refus, parvenu au premier rang, et se croyant destitué par le Directoire, il venait de s'offrir comme simple volontaire à Bonaparte. C'était donc seulement l'ambition de la gloire que Saint-Cyr s'était cru le droit de reprocher ce héros, son premier compagnon d'armes, taut il y avait eu jusque là d'abnégation dans le dévouement civique de ces Spartiates du Rhin pendant les premières années de la Répu«
!
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blique. « Le luxe de ce dîner, dit-il encore, auquel je venais « d'assister, et de la plupart des uniformes, contrastait « avec ces souvenirs austères. « Pourtant, dans l'ensemble même de cette armée, on « en retrouvait quelques traces dans sa discipline probe,
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sévére plus qu'ailleurs contre le pillage, dans les
manières simples et populaires, dans la camaraderie et « le ton d'égalité des militaires entr'eux et avec leur géné« ral en chef. » Ainsi donc, peu à peu, avec la guerre de conquête, l'esprit des armées de la Révolution se modifie; avec la résistance acharnée des peuples, avec la nécessité de la répression, les soldats deviennent moins humains. L'esprit de magnificence, d'ambition se réveille en eux. Certains chefs les poussent dans cette voie, surtout Bonaparte. Les troupes s'attachentplus manifestement à certains hommes qu'elles admirent. L'esprit de profession, de carrière s'insinue et pénètre l'esprit militaire remplace peu à peu l'esprit civique. Les armées de 1797 sontencore très républicaines, mais la conception qu'elles se font de la République a changé comme la conception qu'elles se font de la guerre elle a changé comme la République même Civique, défensive, libératrice, désintéressée en 92 conquérante, ambitieuse, dominatrice, fiscale en 97. Championnet et son expédition de Naples sont un réveil momentané de l'esprit de 1792, mais une aventure isolée, sans lendemain. Peu à peu, sous le Consulat surtout, les armées commencent à prendre conscience de leur importance, elles regardent à l'intérieur. L'armée du Rhin fait exception,c'est là que Bonaparte trouvera après le 18 brumaire la plus forte opposition née d'un républicanisme sincère. Nous n'avons pu, dans cette étude trop rapide des armées républicaines, songer à évoquer tous leurs souvenirs glorieux pour y réussir dignement, il faut le génie et la flamme de Quinet, de Michelet, d'Hugo, ou le talent littéraire de M. G. Duruy, qui leur a consacré les plus bellespages de son livre L'Officier éducateur. Nous nous sommes borné à placer sous vos yeux des citations etdes renseignements historiques dont quelques uns sont peut-être peu connus. «
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Ils ont une telle signification, qu'ils constituent à eux seuls un fort enseignement moral en montrant ce que doivent être les relations de l'officier avec le soldat dans l'armée d'une nation républicaine.
QUATRIÈME CONFÉRENCE
L'Armée du Premier Empire L'Armée sous la noyauté Constitutionnelle
L'Armée du Deuxième Empire
:
SOMMAIRE L'ARMÉE
IMPÉRIALE
Loi de recrutement de l'an VI.
Cause qui en déterminent l'adoption. L'esprit de l'armée jusqu'à l'Empire. L'esprit de l'armée impériale. Le soldat. La discipline. Les officiers. Relations entre l'officier et le soldat. Relations de l'officier avec le pays. L'armée et la Nation. L'invasion.
L'ARMÉE SOUS LES DEUX RESTAURATIONS L'ARMÉE SOUS LA MONARCHIE DE JUILLET L'ARMÉE DU SECOND EMPIRE Nature des guerres du second Empire. L'armée impériale. Son esprit. Le soldat.
Les officiers.
Guerre de 1870. Les sentiments de
la Nation après la
déclaration de guerre. L'officier, le sous-officier, le soldat. Relations de l'officier avec le soldat. Relations de l'officier avec le pays.
L'Armée du
1er
Empire
Nous avons vu dans la dernière conférence que le décret du 25 août 1793, celui des Réquisitions, avait permis à la Convention de reformer nos armées, qu'à la fin de 1793 l'invasion était repoussée, qu'en 1794, la France était victorieuse sur tous les points. Après les traités de Bâle (paix avec le Grand Duc de Toscane, 9 février avec la prusse, 5 avril avec l'Espagne 25 juillet 1795), après celui de Campo-Formio (17 octobre), l'Angleterre seule n'avait pas désarmé.
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Loi de recrutement de 1798 (an VI). — Le sys-
tème de la levée en masse ou plus exactement de la réquisition permanente, avait à deux reprises sauvé la France de l'invasion le péril passé, sur le rapport de Jourdan, Ministre de la Guerre, la loi du 10 Fructidor de l'an VI (5 septembre 1798) vient, sous le Directoire, substituer la conscription au régime violent des réquisitions. Aux termes de cette loi, tous les Français se devaient à la défense du pays pendant un certain temps de 20 à 25 ans, « ils étaient inscrits nominativement dans les divers « corps de l'armée et ne pouvaient se faire remplacer. Ils « ne devaient être appelés à l'activité qu'en vertu d'une « loi fixant le nombre des appelés par classe, les moins
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âgés dans chaque classe étant appelés les premiers. » (Delapérière). En temps de guerre, la durée du service militaire était illimitée. Il n'y avait pas d'exemption. Le remplacement apparaît dès l'an VII ; le tirage au sort entre les jeunes gens d'une même classe est établi par la loi de l'an XIII (1805). Successivement des restrictions sont apportées au remplacement il n'est « admis qu'en faveur de ceux qui « étaient jugés plus utiles à l'Etat en continuant leurs « travaux et leurs études enfin il entraînait une certaine «responsabilité et le versement d'une certaine somme « d'argent. (Delapérière). C'est cette loi de l'an VI, qui, sauf ces quelques modifications de détail, servira puissamment la fortune militaire de Napoléon. «
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Causes quiendéterminentl'adoption. -Il est important d'examiner par suite de quelles circonstances on est amené à établir cetteloi qui tend à organiser ce que nous avons, dans une précédente conférence, appelé
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l'Armée de métier. Le Directoire poursuit une politique de conquête par suite de son impuissance financière, il abandonne les il leur laisse le soin de pourvoir armées à elles mêmes à leurs propres besoins il leur demande même de subve- nir par des contributions aux exigences des services gouvernementaux. Comme plus tard les armées du 1er Empire, comme toutes celles dont les besoins matériels ne seront pas assurés en campagne, « les armées républicaines sont désagré« gées par l'indiscipline et la désertion. De là les défaites « de Schérer, de Moreau, de Macdonald, de Champion« net. » (1) Voici comment Thiers dépeint la situation de l'armée d'occupation de la Cisalpine, vers la fin de l'année 1798, de l'an VI.
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(1) V.
Jablouski — L'armée française à travers les âges.
Les soldats se comportaient comme en pays conquis. « Ils maltraitaient les hahitants, exigaient des logements dévas« qui, d'après les traités, ne leur étaient pas dus, « taient les lieux qu'ils habitaient, se permettaient souguerre, extor« vent des réquisitions comme en temps « quaient de l'argent des administrations locales, puisaient « dans les caisses des villes sans alléguer aucune espèce « de prétexte que leur bon plaisir. Les commandants de « place exerçaient surtout des exactions intolérables. Le Commandant de Mantoue s'était permis, par exemple, « d'affermer à son profit la pêche du lac. « Les généraux proportionnaient leurs exigences à « leur grade, et, indépendamment de tout ce qu'ils extor« quaient, ils faisaient avec les Compagnies des profits « scandaleux. Celle qui était chargée d'approvisionner Italie abandonnait aux Etats-Majors 40 « les armées « pour100 de bénéfices. « Par l'effet des désertions, il n'y avait pas dans les « rangs la moitié des hommes portés sur les états, de « manière que la République payait le double de ce«
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qu'elle aurait dû. « Malgré toutes ces malversations, les soldats étaient mal payés et la solde du plus grand nombre était arriérée de plusieurs mois. (1) « Ainsi la désertion avait diminué les armées de moitié, et si la Républiquepayait le double de ce qu'elle aurait dû, il y avait aussi un grave danger à ne pas entretenir les effectifs, à ne pas pourvoir au recrutement d'une façon régulière, au moment ou toute l'Europe se préparait à une nouvelle guerre. « Ce n'est qu'après le massacre des plénipotentiaires français à Rastadt par des hussards autrichiens, et la déclaration de guerre qui répondit à cette violation du droit des gens, que les deux conseils se décidèrent à rechercher un système de recrutement plus régulier (1)
Thiers — Cité par Jablouski.
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que l'expédient révolutionnaire de la levée en masse et de la réquisition. » (Jablonski)
L'esprit de l'armée jusqu'à l'Empire. — L'es-
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prit de l'armée jusqu'après la proclamation de l'Empire soldats et officiers restent est nettement républicain attachés aux principes de la Révolution. « L'armée, dit M. Vandal dans ses conférences à Saint« Cyr, restait alors beaucoup plus fidèle que la Nation «aux idées, aux principes révolutionnaires, aux formes «et aux mœurs républicaines. Les soldats, il est vrai, «avaient porté en Brumaire le coup décisif, mais n'allez «pas croire que les grenadiers qui jetèrent les Cinq «Cents hors de l'Orangerie de St-Cloud aient décerné « consciemment la dictature à Bonaparte. Ils ne crurent «pas briser et dissoudre la représentation nationale, «mais seulement l'épurer, la libérer d'une poignée de «factieux ils crurent accomplir une opération de police «parlementaire beaucoup plus qu'un renversement dela «Constitution, et cela, pour le plus grand bien de la «République. « Cette besogne faite, ils rentrèrent à Paris, leur «conscience de républicains à l'aise, en chantant les «airs les plus révolutionnaires, y compris le Ça ira. » (Vandal). Ils avaient été entrainésparlesparoles de Lucien Bonaparte, qui, tirant son épée, s'était écrié « Je jure de percer le sein de mon propre frère, si jamais il porte atteinte à la liberté. » « Le 24 novembre, le chef d'Etat-Major Suchet, écrit « Gouvion St-Cyr, nous fit porter une circulaire du minis«tre de la guerre du 11 novembre (21 brumaire) et l'or«dre de réunir autant que possible les troupes pour «leur faire prêter serment au gouvernement qui venait «d'être établi sur les ruines du Directoire. Certes, le moment était favorable, jamais armée n'avait autant «souffert de l'incurie et de l'abandon du gouvernement. « Cependant à la nouvelle du 18 brumaire, un mécon-
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tentement général se fit sentir de toutes parts les «corps de l'ancienne armée d'Italie étaient ceux qui «s'exprimaient avec le plus de violence contre leur «ancien général. rassembler pour leur par« On se garda bien de les «ler de serment à prêter. Tous les chefs de corps furent «unanimes sur le refus que la troupe prononcerait; ils «assuraient que si les corps n'étaient pas aussi affaiblis, «aussi ruinés au physique et au moral, ils se prononce«raient contre cette révolution. On dut se contenter de «leur silence. Championnet crut qu'il était obligé de «faire davantage, il fitune proclamation à son armée en «faveur de Bonaparte et de la journée du 18 Brumaire. «Cet acte fut très mal vu et ôta à Championnet la faveur «dont il avait joui jusqu'alors auprès,des troupes. Plus «tard, on vit le Consul payer cet acte dé dévouement ou «de complaisance par l'injustice la plus marquée (1). l'occasion de faire remarquer que la *****« J'ai déjà eu «révolution du 18 Brumaire n'avait pas eu l'assentiment «de l'armée d'Italie, elle n'eut pas davantage celui de «l'armée du Rhin.. comme toutes les - autres, avait « L'armée du Rhin, «franchement adopté le gouvernement républicain et «voyait dans l'élévation de Bonaparte, un premier pas «vers le gouvernement absolu. Il lui semblait qu'on vou« lait rétrograder et abandonner les principes auxquels jus« elle attribuait les grands succès qu'elle avait eus te qu'alors (2). « Les généraux crient qu'ils ne se sont pas battus contre les Bourbons pour lenrsubstituer la famille Bonaparte » avouait la femme du premier Consul a l'un de ses «
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confidents (3). « Bonaparte, raconte Mme de Staël, (4) se rendit à (1) Mémoires de Gouvion St-Cyr T. II r. 55 (2) Mémoires de Gouvion St-Cyr p. 102.
H. Carnot—Révolution frauçaise. (4) Lors de la proclamation du Concordat.
(3)
l'Eglise dans les anciennes voitures duroi, avec les mêmes cochers, les mêmes valets de pied marchant à côté de la portière, il sefitdire jusque dans le moindre détail toute l'étiquette de la cour, et, bien que premier consul d'une république, il s'appliqua tout cet appareil de la royauté. Rien, l'avoue, ne me fit éprouver unsentiment d'irritation pareil. Jem'étais enfermée dans ma maison pour ne pas voir cet odieux spectacle; mais j'y entendais les coups de canon qui célébraient la servitude du peuple français. Au retour de Notre-Dame, le Premier Consul se trouvant au milieu de ses généraux qu'il avait dû forcer à assister à la cérémonie leur dit « N'est-il pas vrai qu'aujourd'hui « tout paraissait rétabli dans l'ancien ordre? — Oui, « répondit noblement l'un d'entre eux, excepté deux mil« lions de Français qui sont morts pour la liberté et qu'on « ne peut faire revivre.
je
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»
Paul-Louis Courrier, alors officier d'artillerie, écrivait de Plaisance « Nous venons de faire un Empereur et pour ma part, je n'y ai pas nui. Voici l'histoire. Ce matin, d'Anthouard nous assemble et nous dit de quoi il s'agissait, mais bonnement, sans préambule ni péroraison. est le plus « Un Empereur, ou la République, lequel de votre goût? Comme on dit rôti ou bouilli, potage ou soupe, que voulez-vous « La harangue finie, nous voilà tous à nous regarder, assis en rond. « Messieurs, qu'opinez-vous ? « Pas le. mot, personne-n'ouvre la bouche. Cela dura un quart d'heure au plus, et devenait embarrrassant pour d'Anthouard, quand, Maire, un jeune homme, un Lieutenant que tu as pu voir, se lève et dit S'ilveut être Empereur, qu'il le soit; mais pour en dire mon avis, je ne le trouve pas bon du tout. « Expliquez-vous, dit le Colonel. Voulez-vous, ne voulez-vous pas? « Je ne le veux pas, répond Maire.
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« A la bonne heure. « Nouveau silence. On
recommence à s'observer les uns les autres, comme des gens qui se voient pour la première fois. Nous y serions encore, si je n'eusse pris la parole Messieurs, dis-je, il me semble, sauf correction, que ceci ne nous regarde pas. La Nation veut un Empereur, est-ce à nous d'en délibérer? si lumineux, si ad « Ce raisonnement parut si fort, rem, que veux-tu J'entraînai l'Assemblée. Jamais orateur n'eut un succès si complet. On se lève, on signe, on s'en va jouer au billard. « Maire me disait Cicéron; « Ma foi, Commandant, vous parlez comme mais pourquoi voulez-vous donc qu'il soit Empereur, je vous prie? « Pour en finir, et faire notre partie de billard. Fallait-il rester là tout le jour? Pourquoi vous,ne le voulezvous pas? «Je ne sais, me dit-il, mais je le croyais fait pour quelque chose de mieux. » « Voilà le propos duLieutenant que je netrouve point tant sot. En effet, que.signifie, dis moi, un homme comme lui, Bonaparte, soldat, chef d'armée, le Premier Capitaine du monde, vouloir qu'on l'appelle Majesté EtreBonaparte et se faire Sire Il aspire à descendre : mais non, il croit monter en s'égalant aux rois. Il aime mieux un titre qu'un nom. Pauvre homme, ses idées (sont au-dessous de safortune. Je m'en doutais quand je le vis donner, sa petite sœur à Borghèse et croire que Borghèse lui faisait trop d'honneur. La sensation est faible. « Voilà nos nouvelles, mande-moi celles du pays où tu es, et comment la farce s'est jouée chez vous. A peu près de même sans doute. » « C'est avec une affliction profonde, dit Larrey à son épouse, au retour de cette cérémonie (1), que j'ai vu cet
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(1)
Le sacre de Napoléon
1re.
illustre guerrier porter le sceptre des rois. Tout me prédit que cet instrument de la tyrannie causera incessamment sa perte et la ruine de la France, tandis que s'il eût su conserver son titre modeste de premier Consul de la République, il aurait été vénéré du monde entier et il serait resté l'idole du peuple français. » (1)
L'esprit de l'armée impériale.
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La première incarnation, de l'armée impériale, c'est la Grande Armée des côtes de l'Océan. Ce qui la caractérise c'est la constitution des corps d'armée comprenant des troupes de toutes armes qui n'avait été qu'ébauchée à l'armée du Rhin en 1800. C'est aussi déjà l'incorporation de contin-
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gents étrangers. Elle comprend un nombre considérable d'anciens soldats, près de la moitié de l'effectif a fait les campagnes de la Révolution, un quart a fait la campagne de 1800 et le dernier quart est composé de recrues dont la moitié sert depuis 1801; les trois quarts des sous-officiers ont déjà servi dans l'armée royale, l'autre quart provient des volontaires de 91 et 92. Presque tous les officiersont fait les campagnes de la Révolution. La Grande Armée conserve la tradition des armées républicaines, le culte de l'honneur, de l'estime glorieuse accordée à la vertu, au courage, aux talents. Mais, Premier Consul ou Empereur, Napoléon transforme cette haute vertu en un besoin de distinctions, en un « concours de hauts faits ». (Vandal) Il semble qu'il connaisse le mot de Montesquieu « La nature de l'honneur est de demander des préférences et des distinctions. » Tout en le ménageant, il combat l'esprit républicain des soldats; pour cela, il maintient ses troupes dans les camps, isolées des populations; il lui substitue un esprit guerrier, en exaltant leur amour-propre, leur orgueil, Note écrite à ce moment de la main de Larrey et conservée dans ses papiers. (Vie de Dominique Larrey, par le docteur Paul Triaire). (1)
leur confiance dans leurs qualités militaires incomparables, la certitude qu'ils sont supérieurs aux soldats de toutes les autres armées. Il dit, par exemple, dans la proclamation après Ulm « Cette armée russe que l'or de l'Angleterre a transallons lui faire « portée des extrémités de l'univers, nous « éprouver le même sort. spécialement l'honneur « Ace combat est attaché plus décider pour « de l'infanterie française. C'est là que va se fois cette question qui l'a déjà été une fois en cc la seconde française estla pre« Suisse et en Hollande, si l'infanterie « mière ou la seconde de l'Europe. » Dès la campagne de 1805, après le triomphe étonnant d'Ulm, le sentiment qui s'éveille chez les soldats, c'est celui du dévouement le plus complet à l'Empereur. Plus fidèles que certains de leurs chefs, ils lui seront profondément dévoués, et jusqu'au bout. L'instruction de cette Grande Armée des Côtes de l'Océan était poussée aussi loin que possible. « Je ne crois pas qu'il y eut dans aucun temps, ni chez (c aucun peuple, une aussi excellente école militaire que « le camp formé à Boulogne à cette époque; le général « qui la commandait, les généraux sous ses ordres, et les « troupes qui le composaient étaient choisis parmi l'élite « de l'armée française, et, le plus grand général qui ait « jamais paru, Napoléon Bonaparte, venait fréquemment « inspecter lui-même ces vieilles bandes et les jeunes guer« riers qui se formaient sur ces excellents modèles. « Pendant le jour, il (le maréchal Soult) inspectait « les troupes ou visitait les travaux immenses des camps « et des ports sur la côte de Boulogne, il passait une travailler sur « grande partie des nuits dans son cabinet à « l'administration, la tenue et la discipline de cette armée; « trois fois par semaine, pendant l'été, il faisait manceu« vrer les troupes plus de 12 heures de suite, et l'on peut « dire, sans être accusé de prévention, que le camp de
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Boulogne en 1803,1804 et 1805, a formé plus de bons officiers qu'aucune Ecole militaire n'en formera ja-
mais.»(1). Toutes les institutions de Napoléon concourent à ce développement de l'esprit exclusivement guerrier laformation de la Garde, l'institution de la Légion d'honneur, celle des hauts grades accessibles à tous, la création d'une «
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noblesse nouvelle. , En même temps, il flatte le goût de ses soldats pour l'égalïté, en rendant la distinction de chevalier de son ordre identique pour le chef et pour le soldat, le mettant au rang du savant et du général. « Le Consul, écrit Gouvion Saint-Cyr, hérite de ces « armées aguerries, disciplinées et instruites; s'il touche « à leur organisation, il ne peut que l'affaiblir, et c'est ce « que l'on a vu par la formation de la cavalerie en corps « d'armée, et la création d'une garde nombreuse qui a le « double inconvénient d'énerver les corps d'où on la tire, « et d'être par les faveurs dont elle jouit, un objet de « jalousie. Il conserve précieusement le zèle qui les « anime, seulement il le détourne et tout est mis en (c œuvre pour l'attirer à lui. C'est dans ce but que le sort « desmilitaires est amélioré de toutes les manières, que R des encouragements de tout genre sont préparés, que (( des marques de distinction sont créées. Les plus bril» lantes comme les plus solides récompenses n'attendent « pas les réclamations, elles vont au-dèvant, la bravoure « est stimulée à l'excès dans tous les rangs; mais ce n'était « plus ce courage persévérant qui fait supporter toutes les « privations. On n'excitait que le dévoûment à la personne « de l'empereur, mais le dévoûment n'est jamaisaussi «général; il est toujours à craindre qu'il ne se restreigne « bientôt à un petit nombre d'individus accablés des dons « du chef. » (2)
Le soldat.
— Le soldat
ayant déjà fait de nom-
Mémoires du général de St-Chamond. (2) Gouvion St-Cvr—Mémoires— Conclusion.
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breuses campagnes, dont l'instruction était dirigée avec tant de soins, était incomparable. C'est lui qui servira de noyau aux armées de l'Empire. Lorsque les campagnes ne se succèdent pas sans discontinuité, les renforts quiviennent combler les vides sont rapidement mis à la hautetir des anciens soldats. Il en est ainsi après les campagnes de 1805 et de 1806. Mais lorsque les batailles deviennent infiniment plus sanglantes, lorsque les pertes plus nombreuses sont comblées par des recrues, la qualité des armées impériales diminue. Ilen est ainsi pour les troupes envoyées en Espagne en 1809, pour celles de 1813, formées avec les débris de la Grande Armée de Russie, avec des conscrits ou avec des alliés douteux et qui sont battues à Leipzig. La qualité est également diminuée lorsque les appels par anticipation donnent des conscrits trop jeunes et qui ne peuvent résister aux fatiguestrop fortes des campagnes. « Je les aisvus (les soldats des armées impériales), à « ces différentes époques, je les ai observés avec soin, et « je puis assurer les avoir trouvés aussi braves, aussi « dociles à la voix de l'honneur que soumis aux ordres de « leur gouvernement. « Cependant, on ne peut disconvenir, si l'on compare (( les armées françaises de 1812 ou 1813 à celles qni exis« taient avant l'avènement- de Napoléon à la puissance « suprême, que l'avantage ne soit, en entier, du côté de « ces dernières. « En effet, lorsqu'il voulut se faire Empereur, il fut « obligé, pour se les attacher, et détourner sur sa per« sonne l'amour de la Patrie auquel elles devaient leurs « succès, de corrompre leur esprit, et de substituer un dans laquelle elles « luxe effréné à la noble simplicité « s'étaient tenues jusqu'alors. « Il y fit naître un besoin auparavant inconnu, celui «
des richesses. »(1) C'était d'ailleurs surtout au point de vue de l'instruc(1)
Gouvion St-Cyr — Mémoires — p. 179.
tion, de l'expérience militaire, que
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les nouvelles recrues étaient inférieures aux anciens soldats comme courage, elles présentent toutes les qualités de la race française. « Sire, disait Ney à l'Empereur, donnez-moi de ces « jeunes et vaillants (( Je les mènerai où vous voudrez. « Nos vieilles moustaches en savent autant que nous « elles jugent les difficultés et le terrain., mais ces ils (( braves, enfants ne sont effrayés par aucun obstacle « ne regardent ni à droite, ni à gauche, mais toujours « en avant. C'est de la gloire qu'ils veulent. »
conscrits.
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qui caractérise le soldat de l'armée impériale, c'est le sentiment de sa valeur individuelle, l'exaltation de son esprit de corps, de son amour-propre, c'est le puissant éclat d'une gloire célébrée par les proclamations du grand homme qui la personnifie à ses yeux, c'est également une endurance physique presque incroyable. On sait qu'à la bataille d'Eylau les héros de la journée furent d'Hautpoul et Lepic. « La veille même de la bataille d'Eylau, ce brave « officier (Lepic), ayant été pris d'un accès de goutte « au genou, pria Larrey de venir le voir. Celui-ci le « trouva cloué au lit, incapable d'accomplir un seul mouvement et désespéré de. ne pouvoir prendre part à « « la bataille du lendemain. Il supplie le chirurgien de « la Garde de le mettre à tout prix et par n'importe « quel moyen, en état de monter à cheval. La consul« tation avaitlieu au milieu de la nuit; et le lendemain « matin, Lepic était à cheval, suivant les opérations de « l'armée; il conduisait le surlendemain la célèbre « charge. » légion écossaise, méde« Le colonel Lawless, de la « cin érudit, avait été professeur de physiologie à l'uni« versité de Dublin. Le goût des armes, l'aversion qu'il « avait de l'Angleterre, l'avait entraîné dans les armées Larrey lui coupa la jambe au-dessous « de Napoléon « du genou, Lawless, qui en sa qualité de médecin connaisCe
,
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sait le danger du séjour dans les hôpitaux, remonta. l'opération, se rendit d'un seul « à cheval aussi tôt après lui leva son premier appareil, et, « trait à Mayence, où on France, où il arriva en bon état sans « de cette ville en pansement. « avoir fait renouveler son le colonel « A la tête de son régiment, le 2c lanciers, « Sourd serrait de près les Anglais qui évacuaient les porter « Quatre-Bras, après la bataille de Ligny, pour se « au Mont-Saint-Jean. dirigée sous une « Dans cette poursuite enflammée, vit « pluie battante par l'Empereur en personne, il se entouréen traversant Genappe, par des « tout d'un coup clin « cavaliers anglais et séparé de ses lanciers. En un de sabre. « d'œil il eut le bras droit haché de six coups l'amputa « Dégagé vivement, il fut conduit à Larrey qui Sourd, « sur-le-champ. Pendant que celui-ci l'opérait, « insensible à toute douleur dictait une lettre à l'Empe« reur qui venait de le nommer général « La plus grande « faveur que vous puissiez me faire est de me laisser « colonel de mon régiment de lanciers que j'espère « conduire à la victoire. Je refuse le grade de général. « Que le Grand Napoléon me pardonne, le grade de « colonel est tout pour moi. « A peine le pansement était-il terminé que Sourd « signa sa lettre de la main gauche, fit amener son « cheval, se mit en selle et partit au galop rejoindre son « régiment. » (1). «
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La discipline.
de armées des discipline La — Napoléon, est toute particulière. Elle a en vue le combat et rien que le combat. Dans les marches rapides, comme cellesqui précèdent Ulm ou qui suivent Iéna, ilest impossible à une administration militaire encore imparfaite d'assurer la subsistance de telles masses de troupes. « La cavalerie légère, dit le généralCurély, ne recevait presque jamais de pain. » « J'ai fait huit campagnes sous l'Empire et toujours (1) Vie de Dominique
Larrey, par le docteur Triairs.
aux avant-postes, dit le général de Brack ; je n'ai pas « aperçu pendant tout ce temps un seul Commissaire des «guerres, je n'ai pas touchéune seule ration des maga« sins de l'armée. « C'est que l'Empereur avait jugé qu'il était impos« sible que cela fût, que, vouloir soumettre à la régula« rité des distributions une troupe irrégulière dans tous « ses mouvements, était folie, surtout à une époque si « largement victorieuse, où nos armées faisaient la guerre « à pas de géants et où la cavalerie légère posait à peine « ses bivouacs, qu'il fallait qu'elle les quittât. » (1). Aussi l'armée doit-elle vivre en permanence sur le pays, et le fléau des armées impériales sera la maraude. Il en est déjà ainsi dans la campagne de 1805. Etapes par étapes, nous suivons, dans Ségur, cette marche sur Ulm, concentrique, précipitée, haletante, que n'arrêtaient ni le sol détrempé, ni les pluies incessantes. , Pourtant dans admirable d'entrain armée notre et « « d'endurance, des tares déjà apparaissent. Par suite de «défectuosités permanentes dans le service de l'inten« dance et des convois, les soldats doivent vivre sur le « pays ils s'écartent des rangs et se dispersent en marau<(
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«deurs.
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Entre Gunsbourg et Pfaffenhofen, la marche prend «l'aspect d'une déroute en avant les chemins entière«ment défoncés, étaient semés de nos chariots alsaciens «embourbés, de leurs conducteurs désespérés et de che«vaux abattus expirant de faim et de fatigue. à gauche, nos soldats couraient à la « A droite «débandade, au travers des champs, les uns cherchant «des vivres, les autres chassant avec leurs cartouches, «dans ces plaines giboyeuses. A leurs coups de feu «redoublés, au sifflement de leurs balles, on se serait « cru aux avant-postes et l'on y courait le même danger. le soldat, « Il n'y avait rien à faire à cette licence «
et
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(1) De
Brack — Avant-postes de cavalerie légère.
sans distributions, ne vivait que de maraude dont if «nourrissait son officier. « L'Empereur passait sans paraître faire attention à de mouvements si « ces désordres, suites inévitables « divers et si rapides pour atteindre le plus glorieux des « résultats. « Au reste, ces grandes armées, telles que les colosd'où bien des « ses, ne. sont bonnes à voir que de loin aussi ce « détails défectueux sontinaperçus comme l'admiration, « monde lui-même, dont l'ensemble impose admi« mais où.tant de détails semblent sacrifiés à cet « rable ensemble. (1). «
En 1809, pendant la campagne de Wagram que improvisée « Napoléon est obligéde faire avec une armée « et composée en partie d'éléments trop jeunes, le nombre «- des traînards, des isolés, des maraudeurs grossit encore. « Ils flottent en cohue sur le flanc des colonnes, ravagent « champs, vignes, villages, provinces. Ce sera bien pis l'Empereur a mis plus de « en1812. Cette fois pourtant, il y a employé une « dix-huit mois à préparer la guerre l'effort de son « somme d'attention surhumaine et tout « génie organisateur. Il croit avoir accumulé assez de « convois, de bagages, de matériel roulant pour assurer « le ravitaillement continu de l'armée. Cependant comme « il ne dispose pas des moyens de communication rapide « inventés par la science moderne, il se trouve avoir porté « un défi aux possibilités humaines. Dèsl'entrée en cam« pagne, l'appareil gigantesque dont il est l'auteur, se passé, « fausse et se disloque, et à peine le Niémen est-il le pain « que les convois, les vivres restenten arrière; pillards s'échappent « manque. D'immenses nuées de « aussitôt des rangs, s'abattent sur le pays et le rongent. « C'est une poussière humaine qui se lève autour de « la Grande-Armée, qui l'enveloppe, qui pénètre dans parfois paralyse ses mou« tous ses ressorts, qui gène et «
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Ci)
Ségur — Mémoires.
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aussi a-t-on pu soutenir que, sans même « l'arrivée précoce du froid, sans ce terrible allié des « Russes qui l'appelèrent le Général Hiver, la campagne « eut abouti à un désastre, parce que la plus grande par« tie de l'armée se serait dissoute, dispersée, anéantie
« vements
«
» (Vandal).
d'elle-même.
Les officiers. — Au moment de la formation de la
GrandeArmée, presque tous les officiers proviennent des armées républicaines et ont fait campagne. Comme pour le soldat, Napoléon combat l'esprit républicain il tient à l'écart ceux qui ont combattu ses proets sous le Consulat; Il compromet les uns dans des conspirations souvent provoquées et rattachées aux conspirations royalistes par la police de Fouché il en envoie d'autres à Saint-Domingue. Il cherche à s'attacher les officiers par l'avancement, l'institution de la Légion d'honneur, des hauts grades et de la noblesse impériale. Il les tient par la gloire et par l'argent, sous forme de dotations ou de gratifications. Ces dotations étaient des plus considérables : « Il finira par allouer à Berthier jusqu'à 350.000 francs de revenu annuel, plus d'un million à Masséna, 910.000 francs à Davout, 628.000 francs à Ney et traîtera pareillement les autres. » (Vandal). Qu'on était loin des récompensesciviques de la Première République « l'honneur de se présenter à la barre de « l'Assemblée, l'attestation qu'on avait bien mérité de « la Patrie. » Qu'on était loin du moment où la Commission de Santé écrivait à Larrey que « Son estime et sa confiance, la reconnaissance de « tes collaborateurs que tu prends soin d'instruire, le « bien qui doit en résulter pour nos braves frères d'ar« mes malades, surtout le témoignage de ta conscience, te « feront une récompense digne de ton cœur. » Dès Brumaire, Napoléon introduit dans l'armée une
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nouvelle couche d'officiers formée des fils de familles nobles rentrés sur le territoire depuis Brumaire. Toutefois, il ne les considère pas toujours comme supérieurs aux vieux serviteurs. Lorsqu'un colonel lui présente un jeune protégé pour officier, on l'entend bien des fois répondre n'avons « Comme Monsieur est jeune, est-ce que nous Souvenirs). « pas de vieilles moustaches » (Gourgaud. Saint-Chamans, « Je lui présentai, dit le général de « quelques jeunes gens pour en faire des sous-lieuteCe n'est pas de ceux-là que je veux, mais, dit-il, « nants « avec quelque vivacité, c'est trop jeune, donnez-moi de « nos bons terroristes. » « Je ne comprenais pas et j'ouvrais de grands yeux « ont, ajouta-t-il, de nos braves de 93. »
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Relations entre l'officier et le soldat. -,-- C'est
la transformation de la guerre en guerre de conquêtes, la recherche de la richesse et du luxe, l'imitation des jeunes officiers nobles qui ne tarde pas à séparer l'officier du soldat. Napoléon est bien différent. Voyons le passer une revue « Suivant son usage, il se promène devant les rangs. « Il sait quelles sont les guerres que chaque régiment a « faites avec lui. Il s'arrête aux plus vieux soldats: à « l'un c'est la bataille des Pyramides, à l'autre, celles de qu'il « Marengo, d'Austerlitz, d'Iéna ou de Friedland « rappelle d'un mot accompagné d'une caresse familière, « et le vétéran qui se croit reconnu de son empereur, « se grandit tout glorieux au milieu de ses compagnons Napoléon continue, « moins anciens qui l'admirent. « il ne néglige pas les jeunes; il semble que pour eux leurs moindres besoins lui sont con« tout l'intéresse illes interroge leurs capitaines ont-ils soin d'eux? « nus « Leur solde est-elle payée ? Ne leur manque-t-ilaucun « effet? Il veut voir leurs sacs. « Enfin, il s'arrête au centre du régiment. Là, il
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s'informe des places vacantes et demande à haute voix « quels en sont les plus dignes. Il appelle à lui ceux Combien d'années de service? « désignés et les questionne Quelles actions « Quelles campagnes? Quelles blessures Puis, il les nomme officiers et les fait recevoir « d'éclat « sur le champ, en sa présence, indiquant la manière: « particularités qui charment le soldat. Ils se disent que « ce grand Empereur, qui juge des nations en maître, « s'occupe d'eux dans le moindre détail, qu'ils sont sa « plus ancienne, sa véritable famille C'est ainsi qu'il fait « aimer la guerre, la gloire et lui. » (1) Napoléon réagit contre la tendance de l'officier à s'éloigner du soldat «
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«C'est une très mauvaise chose, dit-il,
il faut
main-
tenir les liens entre l'officier et le soldat. » « L'armée, dit Fézensac, est divisée en deux classes, troupe et un intervalle immense les « les officiers et la « sépare. Un adjudant, le premier sous-officier du régi« ment, fait partie de la troupe comme le dernier des « tambours; un sous-lieutenant fait partie des officiers « comme le doyen des maréchaux de France. « Si cette différence est sensible en garnison, elle « l'était bien plus encore au camp. Plusieurs sous-lieutenants qui désiraient m'avoir « « pour camarade, n'auraient pas pu me faire la moindre « politesse avant que je fusse devenu leur égal. J'ai vu « des sous officiers amis, anciens camarades, compagnons « de plaisir: l'un était nommé sous-lieutenant, toute rela« tion cessait entr'eux. » Napoléon montre la plus grande sollicitude pour le soldat et surtout pour les blessés. « Après la bataille d'Austerlitz, Napoléon avait « recommandé le silence à ceux qui l'accompagnaient « afin d'entendre les cris des blessés. Il allait droit à « eux, descendait de cheval et leur donnait de sa main «
(1)
Ségur — Mémoires.
un verre d'eau-de-vie de sa cantine qui le suivait tou« jours. plaindre et faisaient « A sa vue, ils cessaient de se lui disaient « La « des efforts pour se redresser. Ils souffre depuis huit « victoire est-elle bien assurée? Je devoir.» « heures, je suis abandonné, mais j'ai fait mon être content de D'autres « Aujourd'hui vous devez adressait une « vos soldats. » A chaque blessé, l'empereur garde pour les « parole d'encouragement et laissait une « faire transporter dans les ambulances. » (1). Même avec les soldats réfractaires, il est plein d'humanité, il écrit à Davout plusieurs « Ces jeunes gens sont en prison depuis averti « mois comme mauvais sujets, sans qu'on en ait « l'Empereur. « Il est possible que ces jeunes gsns soient de maule « vais sujets;mais cette manière de voir est horrible « caractère du soldat français demande plus de respect. » «
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Relations de l'officier avec le pays. — L'offi-
cier est toujours en campagne, sauf pendant une courte période, de 1810 à 1811 il n'a plus, en réalité, de relations avec le pays, bien que l'Empereur, pour se constituer une cour, pour rallier à lui les familles nobles, pour augmenter la richesse de ses officiers supérieurs ou généraux les pousse à se marier, établissant « la conscription « des héritières auprofit des parvenus )) (2). Au fond, ils ne pensent qu'à la guerre, jusqu'au moment où ils en auront de trop, surtout, et le fait est bien connu, après avoir atteint les plus hauts grades. Lassalle, le grand cavalier, se rend d'Espagne en Autriche où il doit prendre le commandement d'une division. Il manifeste d'abord sa crainte que « l'on commen« çât sans lui. » « J'arriverai à Paris à cinq heures du matin, je me
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Docteur Paul Triaire.
(1)
Larrey
(2)
Pingaud — Revue des Deux-Mondes.
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Notes
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« commanderai une paire de bottes, je ferai un enfant à
ma femme etje partirai. » Lorsqu'ils sont en contact avec le pays, ils apportent les habitudes acquises dans les pays étrangers. Ils tendent conserver les avantages que leur procurait leur situation prédominante, et qui étaient plus souvent obtenus par le droit du plus fort que par la légalité. On trouve dans la correspondance de Napoléon plusieurs lettres fort vives provoquées par des incidents entre des officiers et la population vivile. Au sujet d'un incident relatif au logement à Gênes d'uncolonel du Génie, il écrit « Mon intention est que cette ville soit traitée, à cet « égard, comme les autres villes deFraace. « Des vexations aussi étranges auraient pu à peine « être tolérées lorsque Gênes était étrangère et avait une défendre. » (1). « armée pour De même, au sujet de troubles au théâtre de Matz « Je vous ai écrit il y a plusieursjours, sur les élèves « de l'Ecole de Metz. « Ecrivez au Maire qu'au théâtre et dans les lieux « publics, ces élèves sont justiciables de la police de la qu'il les fasse « ville comme tous les autres citoyens faites connaître que c'est mon ordre. « mettre en prison « Le premier devoir de ces jeunes gens est le respect « à l'autorité civile. « Qu'ils ne se croient pas autorisés à commettre les « impertinences et à imiter l'insolente pétulance que se qu'ils sa« permettaient autrefois les jeunes officiers « chent que les citoyens sont leurs pères et qu'ils ne sont « que les enfants de la famille. » (2). Il écrit au général Junot qui commande à Parme « J'ai lu votre lettre. Je n'ai pu voir qu'avec la plus « grande peine votre conduite dans cette circonstance. « Comment avez-vous pu oublier l'immense supério«
à
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la
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Correspondance — 19 Août 1806. (2) Correspondance — 14 mai 1808.
(1)
rité que vous donne la confiance connue que j'ai en arrêts un administrateur, un « vous, pour mettre aux « préfet qui a aussi ma confiance de tact pour ne « Je pensais que vous aviez assez « point abuser ainsi de votre autorité. Cela me blesse et Vous avez traité un « fait tort à mon discernement. caporal de votre « préfet comme vous auriez pu faire un oubli de vous« garnison. Il y a là un défaut de tact et un « même qui me paraît inconcevable. Ce que vous avez dire si « fait est sans exemple. Je n'ai qu'un mot à vous je « cela s'arrange à la satisfaction du préfet et du pays, sinon, je ne vous emploierai de ma vie dans « l'oublierai « aucune affaire civile. plus « Vous avez eu tort, tort que je trouve d'autant pour « injuste que le préfet a envoyé des pétitions « demander un duché pour vous, démarche que j'ai trou« vée très inconvenante. » «
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L'Armée et la Nation.
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— Il ne faudrait pas
croire que les succès des armées impériales fissent naître un profond enthousiasme dans la nation française. Les levées continuelles qui enlevaient aux familles leurs enfants, celles qui étaient faites par anticipation, le rappel des gens qui avaient servi, la violation de certaines formes légales indisposaient le pays. La France souhaitait la paix, le nombre des insoumis et des réfractaires ne cessait de s'accroître. Ils étaient soutenus par les populations. On rendait bien les communes responsables, on les occupait par des garnissaires, rien n'y faisait. Dès le Consulat, les préfets et les procureurs généraux signalaient les fraudes et les concussions en ce qui concerne le recrutement et les réformes. Napoléon dut renoncer à sévir. Il n'est donc pas extraordinaire que le cri de « A bas la conscription » se soit fait entendre lorsque les Bourbons rentrèrent en France, à la suite de l'étranger, en
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1814.
L'invasion.
France fut envahie (décembre1813), « le génie militaire de Napoléon et la valeur de ce qui lui restait de soldats ne suffirent point à repousser l'invasion; « il eût fallu pour cela l'élan de la « nation tout entière, et ce n'était pas son régime qui pouvait susciter cet élan. » Il ne se faisait pas tout à fait illusion à lui-même sur ce point, si l'on s'en rapporte au récit suivant emprunté au général Foy « Dans la campagne de France, aux premiers mois de « 1814, Napoléon parlait à Troyes (en Champagne), à un « de ses généraux de l'état des choses. — « Les ennemis, « disait celui-ci, sont trop nombreux. Nous ne pouvons « pas en venir à bout avec nos soldats, qui tombent chail faut que la France « que jour et qu'on ne remplace pas «se lève. » « Eh! comment voulez-vous que la France selève, « interrompit avec vivacité Napoléon, il n'y a pas de « clergé, il n'y a pas de noblesse, et j'ai tué la liberté. »1)« Ainsi Napoléon ne sut pas faire à temps les sacrifaute. « fices nécessaires, ce fut là une grande « Il ne sut pas, ou ne voulut pas tirer tout le parti « qu'il pouvait des populations. , demandaient foule à com« A Paris, les ouvriers en « battre, mais l'Empereur craignit d'armer de nouveau la « Révolution (2), et les bourgeois seuls, au nombre de « douze à treize mille, reçurent des fusils. — Lorsque la
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(1)Foy. 1-169.
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Nous avons dit que Napoléon n'avait pas voulu armer la révolution. Il dit dans les entretiens de Sainte Hélène « Je pouvais sauver ma couronne, en lâchant la bride aux rancunes du peuple contre les hommes de la Restauration.» Et cependant l'opposition à son gouvernement disparaît devant les malheurs de la Patrie Carnot lui écrit «Sire, aussi longtemps que le succès a couronné vos entreprises, je me suis abstenu d'offrir à Votre Majesté les services que je n'ai pas cru lui être agréables: aujourd'hui que la mauvaise fortune met votre constance une épreuve, je grande ne balance plus à vous faire l'offre des faibles moyens restent c'est qui me peu sans doute que l'offre d'un bras sexagénaire, mais j'ai, pensé que l'exemple d'un soldat dont lessentiments patriotiques sont conus pouvait rallier à vos aigles beaucoup de gens incertains sur le parti qu'ils doivent prendre et qui peuvent se persuader que ce serait servir leur pays que de l'abandonner. Il estencore temps, Sire, de conquérir une paix glorieuse et de faire que l'amour d'un grand peuple vous soit rendu. » Napoléon lui confiia la défense d'Anvers. « Cet ancien membre du Comité du Salut Public, où il avait été le (2)
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Il était d'autant plus regrettable qu'on n'armât pas davantage les citoyens que presque tous étaient d'anciens soldats de la République ou des premiers temps de l'Empire et auraient pu former non des masses inexpérimentées, mais de véritables troupes. Ce que de pareils militaires auraient pu accomplir, on le vit la Fère-Champenoise (25 mars 1814) (1). «
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Le général Pacthod avait été chargé d'escorter un convoi de munitions envoyé à l'Empereur. Il avait sous
ses ordres 3.000 gardes nationaux (d'après Ségur 4.000 gardes nationaux et 2.000 hommes), quand il se trouva en présence de l'armée ennemie; à laquelle les maréchaux Marmont et Mortier venaient déjà d'échapper en subissant des pertes cruelles. « Cernée ainsi au milieu de cette plaine, la malheureuse division s'arrêta. « Elle se forma en carrés s'appuyant l'un sur l'autre, « les canons aux angles et se hérissant de baïonnettes. « C'étaient 2.000 soldats et 4.000 gardes nationaux. Ils ils voyaient l'invasion « croyaient l'Empereur perdu ils savaient qu'après eux il n'y avait plus « triompher (l'obstacle entr'eux et la capitale « Dans cette position désespérée, leur général les « harangua « On ne capitule pas, leur dit-il, en rase campagne « La loi militaire le défend, et surtout l'honneur
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collègue de Robespierre, de Saint-Just, de Billaud-Varennes et deCollot d'Herbois, tout en ne s'occupant que « d'organiser la victoire comme on disait alors, avait fait partie plus tard du Directoire proscrit comme réactionnaireau 18 Fructidor, ministre de la guerre au débutdu Consulat, mais bientôt remplacé fut nommé gouverneur par Berthier. resté à l'écart pendant l'Empire, Carnot d'Anvers, place à la possession de laquelle, après Hambourg et Dantzig, Napoléon attachait la plus grande importance. » commandant l'armée française en » Il se concerta avec le général Maison, Belgique, pour faire sortir de la place une division de la jeune garde, comptant de 5 à 6 mille hommes, qui n'ajoutait rien à la force dé la garnison et qui rendit dans les opérations extérieures les plus grands services. Carnot se comporta à Anvers comme devait le taire l'homme dont la brillante valeur, aussi bien que le talent militaire, avait décidé la victoire de Wattignies; il supporta avec héroïsme le bombardement, dont il sut préserver la flotte et les riches magasins de la place, avec constance et fermeté le blocus, et il ne se rendit qu'à l'ordre du roi Louis XVIII (Les Capitulations, Général Thoumas. P. 108-123.)
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(1)
Pèyre
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Napoléon et son temps.
»
D'ailleurs, quand la Patrie périt, qui pourrait lui « survivre « Jurons donc de mourir pour elle » « Aussitôt l'épée haute, lui-même prononce à haute « voix ce serment, et, tous, exaltés de son héroïsme, « répètent, avec acclamations ett en agitant leurs armes, « ce cri d'un dévouement à jamais sublime Et d'abord, inaccessibles aux « Ils tinrent parole « charges furieuses de toute l'élite de la cavalerie alliée, « leur feu roulant les entoura de morts et de mourants « dont ils jonchèrent ces plaines fatales. « Les charges alors recommencèrent, le feu de « Pacthod redoubla, et, la cavalerie restant impuissante, « l'Empereur Alexandre fit avancer son infanterie. Mais, (s. contre ces murailles vivantes, ce nouvel assaut ayant « échoué encore, et l'artillerie seule pouvant les démolir, « on l'appela. Bientôt 80 bouches à feu les battirent en Et cependant, nos malheureux carrés, troués, « brêche « brisés en morceaux, persistaient, lorsqu'enfin, dans « leurs flancs entr'ouverts, la cavalerie ennemie, suivant « sa mitraille, se précipita. « Le 1er carré qui succomba fut celui de Pacthod, ceux d'Amey, de Jamin, de Bonté « les autres ensuite « et du général Delort. Le dernier fut celui du général et pourtant, les rangs rompus, les carrés « Thévenet « déformés, on ne se rendit point : on se défendit d'homme « à homme! 3.500 gardes nationaux se firent tuer sur « place! 1.500 soldats, et les six généraux, la plupart « blessés ou foulés aux pieds des chevaux, restèrent priQuelques centaines seulement, les plus rap« sonniers « prochés des marais Saint-Gond, s'échappèrent » (1). Cet héroïsme des gardes nationales de l'Aisne n'est pas un fait isolé les gardes nationales de Paris, malgré leur faible nombre, s'illustrent à la défense de la barrière du Trône et à celle de Clichy. Le sentiment national s'éveille «
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(1)
Mémoires de Ségur, Tome 7.
La guérilla commence à s'organiser en France comme en Espagne. Les coalisés doivent bientôt faire accompagner leurs convois par des escortes considérables et protéger leurs courriers par des troupes de cent cava«
liers. Les traînards, les soldats isolés étaient tués en grand nombre. Les femmes elles-mêmes prenaient part à ces «
vengeances. « Pendant longtemps, les habitants du départements de l'Aisne en voulurent plus boire de l'eau de leurs puits, tant ils savaient qu'on y avait jeté de cadavres. » (Houssaye 1815).
Assurément les victoires de l'empire furent bril« lantes, nombreuses, jamais peut-être on n'en vit d'un « tel éclat; mais pouren obtenirde pareilles,on dut épuiser « les ressources de la France et des états sous son in« fluence; je préfère de beaucoup le système plus modéré « qui fut assez généralement suivi pendant les six precar on doit voir « mières campagnes de la révolution « dans l'art de la guerre un moyen conservateur des états, « plutôt qu'un instamment de conquêtes immodérées. C'est « pourquoi, je le répète, je donne la préférence au sys« tème qui a conservé le territoire intact,en l'agrandissant « de tout ce qui pouvait le renforcer dans des proportions « convenables, qui nous a valu des conquêtes, non seu« lement susceptibles d'être conservées, mais qui ren« daient la défense de la France plus facile en constituant « mieux ses frontières. » (G. Saint-Cyr. — Rhin. Conclu«
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sion).
L'Armée sous les deux Restaurations et les Cent-Jours
La Première Restauration. —
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Le Gouvernement provisoire qui s'installa dans Paris le 31 Mars 1814, débuta vis-à-vis de l'armée par la mesure la plus déplorable qu'illui fût possible de prendre il alla chercher dans la prison où Napoléon Ier l'avait enfermé arbitrairement, mais sous le coup d'une indignation facile à comprendre, Dupont, l'homme de Baylen, pour lui confier le ministère de la Guerre (1). « Louis XVIII fit la faute plus grande encore de le «
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conserver pour ministre. « C'était proclamer la proscription de tous ceux qu'avait élevés l'Empereur, et la réaction violente contre toutes les mesures prises par lui. « Dès le lendemain, les portes de l'Etat-major genéral furent ouvertes toutes grandes, et un flot d'émigrés et de Vendéens s'y précipita, introduit par le bon plaisir du roi et la complaisance de son ministre. « Des hommes qui n'avaient fait la guerre que dans les armées de Condé ou de la Rochejacquelin et d'autres qui avaient conquis leurs grades dans les armées étrangères en combattant la France, furent assimilés aux généraux qui avaient guidé les troupes françaises sur tous les champs de bataille. » (Géneral Thoumas). « Beaucoup d'officiers supérieurs, que l'Empereur avait éliminés pour diverses bonnes raisons, étaient subitement rentrés en grâce. On voyait aussi desimples officiers, oisifs depuis vingt ans, créés d'un seul coup (1)
Le général Dupont, si tristement célèbre par sa honteuse capitulatiou
de Baylen, en Espagne
(1808).
officiers généraux et employés dans les services pour ce « motif seul qu'ils avaient émigré » (1). fut alors que commença ce grand scandale mili(1 Ce «taire qui a perdu en France la noble profession des «armes; on vit tous les hommes qui, depuis 24 ans, « dont 22 de guerre, s'étaient réduits à la plus honteuse«nullité dans les boudoirs ou les salons de Paris, ou «avaient sollicité vivement du service dans les admi-. «nistrations, dans les droits réunis ou dans les anticham«bres de l'Empereur, on vit ces mêmes hommes envahir «.les grands emplois militaires avec autant d'assurance « et de facilité que s'ils avaient passé ces 22 années«dans les camps et sur les champs de batailles la fai«blesse des ministres du roi était telle, qu'ils accordaient « les décorations et les grades militaires à ceux qui pou«vaient se vanter de n'avoir rien fait depuis 25 ans et «c'est la première fois qu'on a vu des hommes deman«dant des épaulettes et la croix de Saint-Louis, apporter «pour états de service *des certificats qui prouvaient «qu'ils n'avaient jamais quitté le coin de leur feu » (2). Et l'auteur des mémoires dont est extraite cette citation était premier aide de camp du ministre Dupont en 1814, colonel deschasseurs du roi en 1814, et colonel du régiment de dragons de la garde royale en 1815. Carnot proteste avec énergie contre ce spectacle. «
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odieux
disait-il, paraître aujourd'hui à la «Cour avec distinction, gardez-vous bien de dire que «vous êtes un de ces vingt-cinq millions de citoyens «qui ont défendu leur patrie avec quelque courage «contre l'invasion des ennemis; car on vous,répondra «que ces vingt-cinq millions de prétendus citoyens «sont vingt-cinq millions de révoltés, que ces préten« dus ennemis furent toujours des amis; dites que vous «
Si vous voulez,
(1)
Colonel Biot, aide de camp du général Pajol (Souvenirs
(2)
Mémoires militaires du général de Saint-Chamans.
etmilitaires).
anecdotiques
«avez eu le bonheur d'être chouan ou
Vendéen outrans« fuge ou Cosaque ou Anglais, ou enfin, qu'étant resté «enFrance, vous n'avez sollicité des places des gouver« nements éphémères qui ont précédé la Restauration « qu'afin de les mieux trahir et de les faire plus tôt suc« comber, alors votre fidélité sera portée aux nues et vous ( recevrez de tendres félicitations, des décorations et des -« réponses affectueuses de toute la famille royale. » « L'on voyait aussi, en regard des vieilles mousta«ches de l'Empire, les divers corps de la Maison du Roi « ces derniers se composaient de jeunes gensresplendis« sants d'or et de chamarrures, braves, sans aucun doute, « mais dépourvus d'instruction militaire. La seule excuse « de la création de ces corps prévilégiés était qu'il avait « bien fallu satisfaire momentanément à toutes ces « exigences et à ces ambitions démesurées » (1). La première Restauration crée « près de 400 officiers généraux et plusieurs milliers d'officiers supérieurs émigrés ou prétendus ou subalternes, » pris parmi
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les
émigrés. Or l'armée de la royauté restaurée devait être réduite « dans la mesure de notre territoire et de notre population amoindris » (De Vaulabelle). Les ordonnances du 12 mai fixent « le pied de paix de l'armée à 200.716 officiers, sous-officiers et soldats, les six régiments formés par l'ex-vieille garde impériale non compris ». Il fut donc nécessaire de renvoyer des officiers et des soldats. « Près de 14.000 jeunes et braves officiers se trouvèrent sans emploi par suite de cette réduction et renvoyés dans leurs foyers avec une demi-solde» (de Vaulabelle). Plus de 200,000 hommes sont renvoyés sans ressources -dans leurs foyers. Au contraire, le Gouvernement fait le meilleur (1)
Colonel Biot, aide de camp du général Pajol (Souvenirs aenedotiques
etmilitaires).
accueil à toutes les offres de service des maréchaux et des généraux. Lors de la réception officielle de tous les corps politiques, administratifs ou judiciaires, qui étaient allés à la rencontre de Louis XVIII à Compiègne, les maréchaux se présentèrent les premiers, Berthier porta la parole en leur nom, il invoqua l'histoire, parla de l'antiquité des Bourbons, des huitsiècles de règne qui les rendaient la plus vieille et la plus glorieuse dynastie du mondé, fit intervenir dans une de ses phrases Henri IV nourrissant Paris assiégé et termina par ces mots, réminiscence évidentede ses harangues à Napoléon: « Vos armées, Sire,dent les « maréchaux sont aujourd'hui l'organe, se trouvent heu« reuses d'être appelées par leur dévouement et leur « fidélité à seconder vos glorieux efforts. » Louis XVIII sut dissimuler sous l'affabilité de ses manières l'embarras oùle plaçait cette entrevue. Il se fit successivement présenter les anciens lieutenants de Napoléon, et à mesure que chacun d'eux le saluait, il adressait quelques mots flatteurs au maréchal qu'on venait de lui nommer. La présentation terminée, il essaya de se lever, mais les douleurs de la goutte lui rendant un appui nécessaire, plusieurs officiers de sa maison s'avancèrent pour lui offrir leurs mains fermées au lieu d'accepter ce secours, il saisit vivement le bras des deux maréchaux les plus près de lui et leur dit : « C'est sur vous, Messieurs les Maréchaux, que je veux entourez-moi; vous « toujours m'appuyer; approchez et France « avez toujours été de bons Français,j'espère que la si jamais, ce que Dieu « n'aura plus besoin de votre épée tirer,tout goutteux « ne veuille, on nous forçait à la Vaulabelle). « que je suis, je marcherais avec vous. » (de de l'Empire solli« Il n'est pas un seul des généraux plus haut « citant une faveur qui n'eût obtenu souvent un « grade, toujours un nouveau titre et une nouvelle déco-
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«
ration. «
Aussi, le plus grand nombre des généraux en1815,
ne désirait nullement le retour de l'Empereur ». Les « généraux, a dit Napoléon, se montrèrent incertains et « de mauvaise grâce, si même ils ne se montrèrent hos« tiles. « Ils ne firent que céder à l'impulsion de leurs soldats. » (1) Dans les premiers jours de mars 1815, un bruit sourd se répandit dans les diverses garnisons, annonçant le f retour de Napoléon. « Cette nouvelle ne parut pas étonnante, écrit le calo« nel Biot, cette rentrée de l'Empereur était regardée « comme forcée, après toutes les turpitudes commises par « les nouveaux venus et le manque de tact conciliateur « de Louis XVIII. Le retour de l'île d'Elbe se présentait « à nous comme la réalisation d'une espérance. » (2) Napoléon avait en effet, débarqué 'au golfe Juan le 1er mars nous savons qu'il arrivait à Paris le 20 mars jour où, suivant la légende, le marronnier des Tuileries, se revêt de fleurs. Le Moniteur du 21 mars annonçait le changement de régime en ces termes « Le roi et les princes sont partis « cette nuit l'Empereur est arrivé ce soir. » «
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Les Cent-Jours.
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— « Le véritable caractère politique des Gent-Jours a été méconnu cet événement fut la
réaction énergique du sentiment national contre les tendances de la royauté bourbonnienne vers les choses et les hommes de l'ancien régime, et contre le récent triomphe de l'étranger tous les actes qui suivirent le retour de l'Ile d'Elbe portent cette double empreinte chaque fait, chaque parole, pour ainsi dire, font sentir que le mouvement est à la fois révolutionnaire et guerrier. Si ce double caractère jetait l'effroi dans une classe dont nous allons bientôt parler, il explique en revanche, l'enthousiasme qui exaltait la partie la plus nombreuse de la population.
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(1) (2)
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Las Cazes — Mémorial de Sainte-Hélène. Souvenirs anecdotiques militaires.
et
aucune époque de notre histoire, sans même excepter 1792, la France, considérée dans ses classes actives, ne déploya, en effet, plus de patriotisme. Enfants, jeunes soldats, hommes laits, tout ce qui avait du cœur et de l'énergie se tint debout l'élan fut spontané. Le gouvernement ne le provoquait pas loin de là., ils'efforçait de le modérer et de le contenir. L'Empereur acceptait les volontaires qui couraient se ranger sous l'inexorabledisciplinedes régiments de l'armée; mais redoutait tout autre secours. Telle était sa répugnance pour une intervention populaire, que, malgré ses promesses aux fédérés parisiens, ces bravesouvriers ne purent obtenir d'être armés. On les organisa, mais sans leur donner de fusils on laissait quelques armes dans chaque corps de garde affecté à cette classe de volontaires ces armes passaient de main en main, et ne demeuraient, en définitive, en la possesA
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il
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sion de
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personne
Cet éloignement pour un recours aux masses, déjà tatal en 1814, était encore plus regrettable en 1815.Des interets et des opinions qui n'existaient pas à la première de ces deux époques divisaient alors le pays et plaçaient le gouvernement impérial dans la position où se trouvait le pouvoir conventionnel en 1702: le péril était le même ; cétaitégalement l'indépendance nationale qui
était en danger.
Napoléon aurait donc du se servir, sinon des mêmes armes, du moins des mêmes forces. Ces forces s'offraient lui; il parut d'abord les accueillir puis, quand vint le moment suprême, il les repoussa. Un grand nombre de citoyens dont les noms se mêlaient au souvenir des luttes de 1792 et de 1793 s'étaient levés, lors du débarquement de l'Ile d'Elbe, et après le 20 mars, pour aider encore une fois au triomphe de l'intérêtrévolutionnaire contre les prétentions des poursuivants d'ancien régime et contreles menaces de l'étran-
à
ger.
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D'un autre côté, les nombreux volontaires incorporés dans les bataillons de garde nationale mobile, et les fédérés, faisaient entendre, dans leurs marches, ou dans les revues, les chants les plus fameux des premiers jours de la Révolution. Ces hommes qu'on avait oubliés, ces chants que l'on n'entendait plus depuis quinze ans, jetèrent la classe officielle et les classes bourgeoises dans une véritable époutremblantes, éperdues, il leur sembla que le vante spectre dela Révolution et celui de la guerre se dressaient devant elles et, personnifiant ce double fantôme dans Napoléon, l'idole du peuple et des soldats, elles virent dans le maintien de ce souverain sur le trône l'unique péril qu'elles dussent conjurer, et, dans sa personne, un ennemi plus redoutableque les Prussiens et les Russes. La résolution fut prise de saisir la première occasion pour le renverser. C'est ce qui explique que la perte de la seule bataille de Waterloo ait entraîné la chute de l'Empereur et provoqué immédiatement la formation d'unnouveau gouvernement provisoire. Ce fut d'ailleurs ce sentiment patriotique (1) et, comme nous l'avons dit, à la fois révolutionnaire et guerrier, qui permit à l'Empereur, trouvant au 20 Mars la France désarmée et démantelée, de mettre sur pied en 50 jours un effectif de 300,000 hommes en état de tenir la campagne avec 100 batteries attelées, formés en 7 corps d'armée et en 5 corps d'observation. C'est grâce à cet esprit que bien que formées à la hâte, et composées, pour moitié, de conscrits ou de volontaires enrégimentés depuis quelques semaines, les
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Il faut le dire à cette tribune, les dix-neuf vingtièmes de ceux qui « tirèrent l'épée pendant les Cent-Jours pour, la défense de la Patrie n'avaient ils marchèrent comme leurs pères « participé en rien à la réussite du 20 mars « avaient marché vingt-trois ans auparavant, aux cris de l'Europe coalisée contre « la France. Vouliez-vousque, pour la première fois, nous nous fussions arrêtés Combien étaient-ils? « devant les ennemis et que nous eussions demandé « Nous avons couru à Waterloo comme les Grecs aux Thermopyles, tous sans espoir. Ce fut l'accomplisnement d'un « sans crainte et presque tous pourquoi ce souvenir, tout douloureux qu'il « magnanime sacrifice, et voilà «puisse être nous est restéprécieux à l'égal de nos plus-glorieux souvenirs. », (1) «
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(GénéralFoy.Discoursparlementaires).
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troupes qui livrèrent ce combat suprême se montrèrent les égales des plus vaillantes légions de la République et de l'Empire elles comptaient59,000combattants àLigny; à Waterloo 65,000; les Alliés perdirent près de 60,000 hommes. < Jamais armée française, on le voit, ne porta des coups plus terribles. Fantassins, cavaliers, artilleurs de la ligne et de la garde, tous les soldats furent admirables; eux seuls, jusqu'à la dernière heure, ne commirent aucune faute. » « Si le 1er jour de la campagne un lieutenant général (Bourmont) et plusieurs officiers supérieurs avaient passé à l'ennemi, par un contraste qui caractérise le moment et les hommes, pas un seul des 115.000 sous-officiers et soldats qui franchirent la frontière n'a déserté. Dans le4e corps (15.000 h.) il n'y eut pas une seule faute de désobéissance durant toute la campagne » (1). « Le duc deWellington m'a assuré lui-même au congrès de Vérone, dit le général Jomini, qu'il n'avait jamais rien vu de plus admirable à la guerre que les charges réitérées des cuirassiers français sur ses troupes de toutes les armes. » « La cavalerie française nous entourait comme si c'eut été la nôtre. » (Lettre delord Wellington à lord Beresford.) Et cependant, même aprèsWaterloo, rien n'était désespéré. Au premier conseil des Ministres, après sa rentrée à Paris, « l'Empereur invita M. deBassano àdonner lecture « du bulletin de la bataille du 18; puis il dit « nos mal« heurs sont grands je suis venu pour les réparer, pour « imprimer à la Nation, à l'armée, un grand et noble « mouvement. « Si la Nation se lève, l'ennemi sera écrasé; si au lieu « de levées, de mesures extraordinaires, on dispute, touf L'ennemi va entrer en France. J'ai besoin, « est perdu « pour sauver la Patrie, d'être revêtu d'un grand pouvoir, « d'une dictature temporaire. Dans l'intérêt de la patrie,
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(1)
Vaulabelle — Histoire des deux Restaurations,
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je pourrais me saisir de ce pouvoir; mais il serait utile « et-plus national qu'il me fût donné par les chambres. » « Ces paroles écoutées dans le plus profond silence, res« tèrent sans réponse. La plupart des Ministres baissaient interpella Carnot. « les yeux. L'Empereur « En ce moment, Carnot inspiré par le sentiment « patriotique qui l'animait lors de la grande lutte de la « France révolutionnaire contre la l10 coalition, ouvrit « immédiatement l'avis de déclarer la patrie en danger, « d'appeler aux armes tous les fédérés, tous les gardes « nationaux de l'Empire, de mettre Paris en état de siège « et de se défendre à outrance. 11 ajoutait qu'à la der« nière extrémité il faudrait se retirer de l'autre côté de « la Loire, s'y retrancher, et y tenir l'ennemi en arrêt, « jusqu'au moment où l'on aurait réuni et organisé à l'aide « de l'armée dela Vendée et des différents corps d'obser« vation de l'est et du midi, des forces assez nombreuses « pour reprendre l'offensive, et purger le sol national de « la présence des alliés (1). » Ce plan ne fut même pas exposé aux députés. Les menéesde Fouché etde La Fayette entraînent les chambres à demander à Napoléon son abdication et à nommer un nouveau gouvernement provisoire. «
La
2e
l'abdication de Napoléon,
Restauration. Lorsque le gouvernement
qu'il eut provisoire eut obtenu refusé l'otlre de l'Empereur de reprendre l'offensive contre Blücher arrivant devant Paris avec 55.000 hommes à peine, il voulut traiter avec l'ennemi; Wellington répondit à son émissaire « le prince Blücher et moi ne pouvons consentir à un armistice qu'autant que nous garderons nospositions, que l'armée française sortira de Paris pour se retirer derrière la Loire et que la garde nationale restera seule chargée de la garde de la capitale, jusqu'à ce que le roi en ordonne autrement. » (1) Le maréchal Davout et quelques autres, dont legéné-
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(1)Vaulabelle, Cl)Vaulabelle.
ral Vandamme « traitèrent de l'évacuation de Paris avec Wellington, en prenant soin de faire insérer « Blücher « dans le texte de la capitulation qu'ils ne seraient inquiétés « ni dans leurs personnes, ni dans leurs propriétés » (1). Les Alliés exigèrent le licenciement de l'armée française retirée sur les bords de la Loire. « Le traité d'alliance conclu à Vienne le 25 mars, a été dirigé contre Bonaparte, ses adhérents et surtout contre l'armée française, dont l'ambition désordonnée et la soif insatiable de conquêtes ont plusieurs fois troublé l'Europe. Déterminés par le besoin de la paix universelle, l'Empereur de Russie et ses alliés font une condition impérative du licenciement de cette armée, autant dans l'intérêt de Sa Majesté très-chrétienne que pour le repos de tous les peuples. » (Note du comte de Nessclrode écrite au gouvernement royal au nom de toutes les puissances). Le 24 Juillet, le roi Louis XVIII publiait l'ordonnance
et
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suivante : « Voulant, par la punition d'un attentat sans exemple, mais en graduant la peine et en limitant le nombre des coupables, concilier l'intérêt de nos peuples, la dignité de notre couronne et la tranquillité de l'Europe avec ce que nous devons à la justice et à l'entière sécurité de tous les autres citoyens sans distinction; Avons déclaré et déclarons, ordonné et ordonnons ce qui suit : Art. Icr — Les généraux et officiers qui ont trahi le roi avant le 23 Mars, ou qui ont attaqué la France et le gouvernement à main armée, et ceux qui, par violence, se sont emparés du pouvoir, seront arrêtés et traduits devant les conseils de guerre compétents, dans leurs divisions respectives, savoir Ney, Labédoyère, Lallemant aîné, Lallemant jeune, Drouet d'Erlon, Lefebvre-Desnouettes, Arneil, Braver,
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(1)
Colonel Biot
—
Souvenirs anecdotiques et militaires.
Gilly, Mouton-Duvernet, Grouchy, Clausel, Laborde, Debellu, Bertrand, Drouot, Cambronne, Lavallette, Rovigo Les individus dont les noms suivent. Art. 2. savoir Soult, Alix, Excelmans, Bassano, Marbot, Félix Lepelletier, Boulay (de la Meurthe), Méhée, Freyssinot, Thibaudeau, Carnot,Vandamme,Lamarque (général), Lobau, Harel, Piré, Barrère, Arnault, Pommereul,Regnault(de Saint-Jean-d'Angely), Arrighi (de Padoue), Dejeon fils, Carrau, Réal, Bouvier-Dumolard, Merlin (de Douai), Durbach, Diret, Defermon,Bory de Saint-Vincent, Félix Desportes, Garnier (de Saintes), Hullin, Mellmet, Cluys, Courtin, Forbin Janson fils aîné, Lelorgne-Dideville, sortiront dans trois jours dela ville de Paris, se retireront dans l'intérieur de la France, dans les lieux que notre Ministre de la police générale indiquera et où ils resteront sous sa surveillance en attendant que les chambres statuent sur ceux d'entr'eux qui devront ou sortir du royaume, ou être livrés à la poursuite des tribunaux. « Art. 3. — Les individus qui seront condamnés à sortir du royaume auront la faculté de vendre leurs biens et propriétés, dans le délai d'un an d'en disposer et d'en transporter le produit hors de France, et d'en recevoir pendant ce temps, le revenu dans les pays étrangers en tournissant néanmoins la preuve de leur obéissance àIl présente ordonnance. Art. 4. —: Les listes de tous les individus auxquels les articles 1 et 2 pourraient être applicables sont et demeurent closes par les désignations nominales contenues dans ces articles, et ne pourront jamais être étendues à d'autres pour quelque cause et sous quelque prétexte que ce puisse être, autrement que dans les formes et suivant les lois constitutionnelles auxquelles il n'est expressement dérogé que pour ce cas seulement. » Signé Louis.
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et
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Cette ordonnance fut le début d'une furieuse réaction. Vous savez tous que le Maréchal Ney, les Généraux
Mouton-Duvernet, Chartran, le colonel Labédoyère furent fusillés, que d'autres furent condamnés, puisgraciés, d'autres exilés « mais raconter toutes les fureurs de 1815 et 1816, dire toutps les sentences odieuses ou absurdes rendues après Waerioo par les conseils de guerre, les cours d'assises, les cours prévôtales et les tribunaux correctionnels, serait une tâche impossible à remplir On serait effrayé de la lâche cruauté des sentences et du nombre des victimes, si l'on pouvait relever toutes les condamnations prononcées à cette époque sanglante, condamnations motivées presque toujours, non sur une offense quelconque au gouvernement existant, mais sur des faits accomplis sous un autre gouvernement, pendant les CentJours, et mis solennellement en oubli par trois amnisties successives, mensonges indignes qui livrèrent au bourreau nombre de braves gens confiants dans la parole royale, et que la fuite, du moins, aurait pu sauver. Ces sentences et ces exécutions, les destitutions, les visites domiciliaires, les exils et les emprisonnements dont nous avons tracé le tableau, et qui tenaient courbés sous une silencieuse épouvante les habitants de chaque cité -- toutes ces persécutions, ces ruines et ce sang répandu, constituent la réaction royaliste qui suivit la seconde invasion et à laquelle les contemporains donnèrent le nom de régime de 1815 ou de terreur blanche (1). » Nous nous bornerons à rappeler sommairement le procès du maréchal Ney, à vous indiquer celui du général Travot, à vous citer la comparution devant le conseil de guerre du général Drouot, le fameux artilleur de la garde de l'Empire, et celle de Cambronne, le héros de Waterloo.
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Le procès du maréchal Ney.
-
La présence du maréchal Ney en Auvergne fut signalée par la vue
d'un riche sabre turc qui ne pouvait appartenir qu'au maréchal ou à Murat. (1)DeVaulabelle.
Vous vous rappelez certainement qu'il fut traduit devant un conseil de guerre, et que « Le maréchal Moncey, désigné comme président, répondit par un refus écrit à la notification de sa nomination le lendemain, un des Ministres vint, au nom du roi, lui signifier l'ordre d'accepter le vieux maréchal écrivit alors à Louis XVIII la lettre suivante désobéir à « Sire, placé dans la cruelle alternative Votre Majesté ou de manquer à ma conscience, je dois m'expliquer à Votre Majesté. Je n'entre pas dans la question de savoir si le maréchal Ney est innocent ou coupable ; votre justice et l'équité de ses juges en répondront à la postérité, qui juge dans la même balance les rois et les
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sujets.
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de
dirigent vos conseils ne voulaient que le bien de votre majesté, ils lui diraient que l'échafaud ne fit jamais des amis. « Croient-ils donc que la mort soit si redoutable pour ceux qui la bravèrent si souvent « Sont-ce les Alliés qui exigent que la France immole ses citoyens les plus illustres? « Mais, Sire, n'y-a-t-il aucun dangerpourvotre personne et votre dynastie à leur accorder ce sacrifice? « Et, après avoir désarmé la France à ce point que dans les deux tiers de votre royaume, il ne reste pas un fusil de chasse, pas un seul homme sous les drapeaux, pas un canon attelé, les Alliés veulent-ils donc vons rendre odieux à vos sujets en faisant tomber les têtes de ceux dont ils ne peuvent prononcer les noms sans rappeler leur humiliation. «Qui moi, j'irais prononcer sur le sort du maréchal Ney! mais, Sire, permettez-moi de demander à Votre Majesté où étaient les accusateurs, tandis que Ney parcourait tant de champs de bataille? « Ah! si la Russie et les Alliés ne peuvent pardonner au Prince de la Moscowa, la France peut-elle donc oublier le héros de la Bérézina ! « C'est à la Bérézina, Sire, que Ney sauva les débris de « Ah
Sire., si ceux qui
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J'y
l'armée. avais des parents; des amis, des soldats enfin qui sont les amis de leurs chefs, et j'enverrais à la mort celui à qui tant de Français doivent la vie, tant de familles, leurs fils, leurs époux, leurs pères m'est pas permis de sauver mon « Non! Sire, et s'il ne pays, ni ma propre existence, je sauveraidu moins l'hon-
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neur.
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«S'il me reste un regret, c'est d'avoirtrop vécu puisque je survis à la gloire de ma Patrie quel est, je ne dis pas le maréchal, mais l'homme d'honneur qui ne sera pas forcé de regretter de n'avoir pas trouvé la mort dans les
champs deWaterloo ? qu'il avait « Ah, Sire, si le malheureux Neyeut faitlà, ce fait tant de fois ailleurs (1), peut-être ne serait-il pas traîné devant une Commssion militaire, peut-être ceux quidemandentaujourd'hui sa mort, imploreraientsa protection. d'un vieux soldat qui tou« Excusez, Sire, la franchise jours éloigné des intrigues n'a jamais connu que son métier et la Patrie. Il a cru que la même voix qui a blâmé les guerres d'Espagne et de Russie, pouvait aussi parler le langage de la vérité au meilleur des rois. Je ne me dissimule pas qu'auprès de tout autre monarque, ma démarche serait dangereuse etqu'elle peut m'attirer la haîne des courtisans. peux m'écrier, « Mais, si en descendant dans latombe avec un de vos illustres aïeux, tout est perdu, hormis l'honneur, alors je mourrai content. » Cette lettre, éternelle condamnation des juges du Prince de la Moscowa blessa profondément le Ministère et la Cour, plus les souvenirs qu'elle rappelait, étaient palpitants, et plus justes les considérations invoquées, plus aussi l'irritation et la colère furent vives. Les membres de la famille royale, les Ministres et les courtisans exigèrent un châtiment. » (de Vaulabelle)
je
(1)
C'est-à-dire s'il eût déterminé la victoire.
Le Maréchal Moncey fut condamné à être destitué et à subir une peine de trois mois d'emprisonnement. « La destitution de la plus haute dignité militaire de
nos armées, dignité qui ne s'éteint qu'avec la vie, et un emprisonnement de trois mois, prononcé contrairement à tout droit, à toute loi, non par un tribunal quel qu'il fût, mais par ordonnance, voilà le châtiment qui punit le Maréchal Moncey d'une lettre qui suffirait, à elle seule, pour immortaliser sa pure et noble mémoire. » (de Vaulabelle). Le maréchal Ney fut traduit devant le conseil de guerre présidé par le maréchal Jourdan.
Masséna, un des membres du Conseil ne voulait pas juger Ney, mais, averti par l'exemple de Moncey, il avait attendu la réunion du tribunal pour formuler son refus. Il invoqua comme motif de récusation, ses vifs démêlés avec l'accusé aux armées de Portugal et d'Espagne ses collègues ne trouvèrent pas l'excuse suffisante, sa récusation fut repoussée. Conformément à la demande de l'avocat du maréchal, le Conseil se déclara incompétent à la majorité de cinq voix contre deux. Ce fut par la Cour des pairs que le maréchal fut jugé et condamné à mort. On ne peut lire sans la plus profonde émotion le récit de son exécution « A huit heures, on vint l'avertir, il répondit qu'il était prêt. Nous avons dit qu'il portait le deuil de son beau-père il avait pour vêtement une redingote de gros drap bleu, une culotte et des bas de soie noire, pour coiffure un chapeau rond. Il descendit entre uue double haie de soldats qui se prolongeait jusqu'à l'entrée du jardin où l'attendaient le curé de Saint-Sulpice et une voiture de place. Au moment de monter, il dit au prêtre en lui cédant le pas: « Montez le premier, Monsieur le curé, j'arriverai encore avant vous là-haut » Le fiacre se mit en marche, traversa le jardin du «
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Luxembourg, entra dans la grande avenue de l'Observatoire et s'arrêta à moitié distance environ, entre cet édifice et la grille du jardin. Un officier de gendarmerie, ouvrant alors la portière, annonça au maréchal qu'il était près du lieu d'exécution. Ney mit pied à terre, non sans manifester quelque étonnement, il croyait devoir être conduit à la plaine de Grenelle. Mais le gouverneur redoutant des rassemblements trop nombreux et quelque échauffourée populaire, avait pris le parti de l'exécuter, pour ainsi dire en fraude. Depuis le matin, une foule considérable était en effet réunie à la plaine de Grenelle l'avenue de l'Observatoire, au contraire, même à cette heure de la matinée, ne laissait voir que quelques passants. Après avoir fait ses adieux au prêtre et lui avoir remis, pour la maréchale, la boîte en or dont il faisait habituellement usage, et pour les pauvres de sa paroisse quelques pièces d'or qu'il avait sur lui, le maréchal alla se placer lui-même devant le peloton d'exécution. l'offiCe peloton était composé de soldats vétérans cier qui le commandait fit offrir au prince de la Moscowa de lui bander les yeux. « Ignorez-vous, répondit le maréchal, que depuis vingt-cinq ans j'ai l'habitude de regarder en face les boulets et les balles » puis il ajouta lejuge« Je proteste devant Dieu et la Patrie contre ment qui me condamne, j'en appelle aux hommes, à la postérité, à Dieu, Vive la France. » L'officier écoutait immobile. Le général commandant la place de Paris, et qui, depuis le matin, cinq heures, se trouvait chargé de la garde du condamné et des détails d'exécution, le comte de Rochechouart, s'adressant au chef de peloton, lui dit à haute voix faites votre devoir Le maréchal ôta aussitôt son chapeau de la main gauche, et, posant la main droite sur sa poitrine, il s'écria
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d'une voix forte: (c Soldats, droit au cœur! » mais l'officierne bouge pas. Le comte de la Force, frère d'un desjuges du maréchal, assistait à l'exécution comme colonel d'état-major de la garde nationale; il s'avance vivement vers le commandant du peloton, et le trouve éperdu. Placé sous le regard de la grande victime que le devoir lui ordonne d'immoler,l'officier semble frappé de vertige. M. de la Force prend immédiatement sa place il donne le signal; le peloton fait feu Ney tombe frappé de six balles à la poitrine, de trois à la tète et au cou et d'une balle dans le bras. Cependant, la maréchale était accourue aux Tuileries, elle s'était adressée, pour parvenir jusqu'à Louis XVIII, au duc deDuras,premier gentilhomme de service; elle dut attendre assez longtemps; le roi, disait M. de Duras, ne recevait encore personne. La nouvelle de l'exécution ne tarda pas à arriver au château le premier gentilhomme annonça alors à la veuve « que l'audience 11e pouvait lui être accordée, parce qu'elle était maintenant sans objet. »
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«unautre chefmilitaire, éminent, Le procès du généralgénéral Travot. mars 1816, - En caractère élevé, cœur généreux et loyal, le lieutenant général Travot, était traduit à Rennes devant un conseil de guerre dont la composition présentait une circonstance odieuse.» La pacification de la Vendée « était en partie son ouvrage (1), etil avait du vaincre, pour arriver ce résultat, l'opposition de quelques chefs qui trouvaient dans la prolongation de la lutte un aliment à leur humeur sanguinaire ou à leur cupidité. Un des ces opposants, adversaire acharné des insurgés royalistes, et dont on citait des actes empreints d'une véritable férocité, était l'officier général Canuel, que le général en chef montagnard Rossignol avait élevé, en
à
(1) Adjudant général de Hoche, c'était à lui que
s'était rendu Charette.
quelques mois, du grade de capitaine a celui de général de division. La Vendée était restée son unique champ de bataille le Directoire ne lui avait donné que des commandements de places ou de territoire intérieur; Napoléon refusa constamment de l'employer. Le général Canuel, lors de la chûte de l'Empire, avait donc adopté la cause des Bourbons avec toute l'ardeur d'un mécontent et l'exaltation bruyante d'un ambitieux sur qui pèse un passé qu'il veut faire oublier. Craignant d'être inquiété après le retour de l'ile d'Elbe, il s'était réfugié en Vendée, dans les rangs de ces insurgés qui avaient eu si longtemps en lui un persécuteur implacable et que Travot poursuivait alors sans relâche. les On sait le résultat de l'échauffourée de 1815 royalistes furent obligés de mettre bas les armes. Dix mois plus tard, Travot et le général Canuel, se trouvaient de nouveau en présence mais, cette fois, dans l'enceinte d'un tribunal militaire, le premier comme accusé, le second avec le titre de juge et de président. Ce choix d'un ennemi et d'un vaincu, pour arbitre de la liberté et de la vie de son vainqueur, appartenait au comte de Vioménil, gouverneur militaire de Bordeaux, lors du procès et de l'exécution des frères Faucher de la
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Réole. Cet ancien émigré venait d'échanger le commandement de la Gironde contre celui de l'Ille-et-Vilaine, et s'était fait suivre, dans sa nouvelle résidence, par la plupart des officiers qui avaient joué un si déplorable rôle dans le meurtre des deux jumeaux, entr'autres, par MM. de Laporterie, de Labouterie et de Lucot-d'Hauterive. Secondé par les mêmes instruments, il crut pouvoir se livrer aux mêmes excès. Par son ordre, Travot, dès le premier jour de son arrestation, fut mis au secret le plus rigoureux, et privé de toute communication, même écrite, avec sa famille et ses amis. Ceux-ci recoururent sur-le-champ aux lumières d'un jurisconsulte, qui s'empressa de demander une copie de
l'écrou du prisonnier, d'abord au geôlier, ensuite au procureurduroi. L'un et l'autre refusèrent de délivrer cette pièce, le défenseur réclama auprès de M. de Vioménil, qui, pour toute réponse, lui fit transmettre l'ordre de quitter Rennes dans les 24 heures et de se rendre en exil à Bordeaux.
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Ce fut le 18 mars que le conseil de guerre chargé de le juger s'assembla sa composition était celle-ci Le lieutenant général Canuel, président
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Les lieutenants généraux comte Rivaud de la Raffinière et comte V. Mahony, le colonel comte de Bellon, le chef d'escadron chevalier Destombes, les capitaines de Vigeon et de la Grasserie, juges le chef d'escadron chevalierde Jouffrey, rapporteur. Dès l'ouverture de l'audience, et avant la lecture des pièces de l'instruction, les défenseurs demandèrent la récusation. du général Canuel. Ce général, après avoir déclaré qu'il n'avait aucun motif pour se récuser, consentit pourtant, à laisser plaider la question la récusation fut rejetée par les juges, ses collègues et par lui-même. Un autre déclinatoire proposé par les avocats n'eut pas meilleur succès. Le reste de la séance fut rempli par la lecture des pièces. Le lendemain 19, le débat s'ouvrit. Travot était accusé de révolte contre l'autorité légitime. Or, non seulement son nom ne figurait pas sur les listes de proscription du 24 juillet, mais, ce général était resté complètement étranger aux faits que cette ordonnance, ainsi que la proclamation de Cambrai puis, la loi du 12 janvier, considéraient comme coupables, et qu'elles
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un
avaient solennellement amnistiés. Louis XVIII, en effet, se trouvait Gand depuis deux mois, et le duc d'Angoulême lui-même avait quitté depuis un mois le territoire, lors du rôle actif de Travot dans l'effort des Cent-Jours. La marche de ce général en mai et en juin 1815, contre les rassemblements fomentés et armés par les Anglais en Vendée, voilà quelle était sa
à
révolte: MM.delaRochejaquelin, Suzannet, d'Autichamp et le général Canuel lui-même, voilà l'autorité légitime qu'il avait eu à combattre. Vainement ses avocats firent ressortir cette position tout exceptionnelle le Conseil, le soir du 20 mars, déclara Travot coupable à la majorité de six voix contre une; cinq voix contre deux le condamnèrent à la peine de mort. » (1). Travot fut tellement ému de cette condamnation inique que sa raison s'égara. Sa peine fut commuée en vingt ans de détention malgré son état de santé, il fut enfermé au fort de Ham, d'où il sortit deux ans après.
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Le général Drouot. — « Porté sur la première liste
de l'ordonnance du 24 juillet, ce général (Drouot) était revenu à Paris lors du licenciement de l'armée, et, se présentant chez le ministre de la police et chez le gouverneur de la division pour prendre leurs ordres, il s'était volontairementconstitué prisonnier. » « Pourquoi n'avez-vous pas également suivi Bonaparte après sa seconde abdication » A cette question posée devant le conseil de guerre, il avait répondu « Je vais vous parler à cœur ouvert. Lorsque Napoléon a abdiqué en avril 1814, les hostilités avaient cessé sur tout le territoire français ma patrie n'avait plus besoin de moi j'ai sacrifié mes devoirs envers elle à mes affections. Lorsqu'il a abdiqué pour la seconde fois en juin 1815, ma première pensée a été de l'accompagner mais le gouvernement provisoire m'avait confié le commandement en chet de la Garde la patrie était en danger, je suis resté au poste qu'elle m'avait assigné, parce que j'espérais lui rendre quelques services. » témoin entendu « Le maréchal Macdonald fut le seul à l'audience. » Il termina sa déposition en disant : « La vérité me fait un devoir de le déclarer hauteC'est à l'exemple donné par la garde, sous l'inment fluence du général Drouot, qu'est due la résignation de
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(1) De Vaulabelle.
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à subir le licenciement général que j'ai été chargé
l'armée
d'opérer. » Le général Drouot possédait au plus haut degré toutes les vertus qui honorent l'homme privé et illustrent le soldat sa vie entière avait été consacrée au service du nul ne poussait plus loin que lui l'austérité des pays mœurs, le dévouement absolu au devoir et à la loyauté. Mais, par cela même que les amis de la cause nationale pouvaient peut-être lui reprocher d'être resté enfermé trop étroitement dans ses devoirs militaires lors de la honteuse capitulation de Saint-Cloud, et d'avoir alors manqué à l'inspiration politique en désespérant trop facilement du salut de la patrie, Drouot n'était pas sans droit à la gratitude de cette royauté à qui la retraite de nos soldats derrière la Loire, puis leur soumission, avaient donné, sans lutte, Paris et la France. Eh bien, telle était la justice de cette époque étrange que, peu d'instants après avoir entendu la déclaration du maréchal Macdonald, quatre membres du Conseil sur sept déclarèrent le général coupable encore une voix, et Drouot était condamné à la peine de mort. Trois de ses juges, heureusement, opinèrent pour l'absolution cette minorité de faveur, aux termes des lois militaires, fit prononcer l'acquittement.
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Le général Cambronne. — Le 20 du même mois,
le général Cambronne parut, à son tour, devant un tribu-
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nal militaire Laissé pour mort sur le champ de bataille de Waterloo, ramassé le lendemain par des soldats anglais, et conduit comme prisonnier dans un des ports d'Angleterre, ce général avait adressé, d'Alburton, le 20 juillet, à Louis XVIII la lettre suivante « Sire, major du 1er régiment de chasseurs à pied de la Garde, le traité de Fontainebleau m'imposa le devoir de suivre Napoléon. L'Empereur n'étant plus, j'ai l'honneur de prier Votre Majesté de recevoir ma soumission et mon serment de fidélité.
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Si ma vie, que je crois sans reproche, me donne des droits à la confiance de votre Majesté, je lui demande mon régiment en cas contraire, mes blessures me don«
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nant droit à ma retraite, je la solliciterai, en regrettant d'être privé de servir ma Patrie. » Les Anglais ne rendirent le général à la liberté, ainsi que le comte de Lobau et les autres prisonniers de guerre,qu'après la conclusion du traité de paix du 20 novembre. Débarqué à Calais le 13 décembre, Cambronne se mit à la disposition du commandant de cette place, et se rendit ensuite à Paris, où il se constitua volontairement prisonnier. Le Conseil de guerre chargé de le juger était préside par le maréchal de camp Foissac-Latour. Ce dernier interrogea le général sur les circonstances de son départ pour l'ile d'Elbe « Lorsque nous étions à Fontainebleau, répondit Cambronne, on reçut l'ordre de former un régiment pour aller avec Napoléon. J'étais dans mon lit malade de blesje réfléchis et sures reçues à la bataille de Craonne j'écrivis au général Drouotquej'étais le plus ancien major, et que je regarderais comme la plus grande injustice de ne pas me choisir quand on m'avait toujours choisi pour aller au feu. Un membre du Conseil « Ainsi c'est volontairement, vous l'avouez, que vous êtes allé à l'île d'Elbe ? R. « Avons-nous des devoirs dans notre état? » Le président demande ensuite à l'accuse si le général Drouot n'avait pas le commandement effectifdes troupes après le débarquement au golfe Juan cela. » « Je ne me suis jamais mêlé de D. Vous vous êtes au moins mêlé de savoir si vous aviez un chef ou non ? R. J'allais à l'ordre une fois que j'avais dit « quoi de nouveau? et qu'on m'avait repondu : Rien, je m'en allais. Je n'aime pas à faire la cour.
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»
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sile général Drouot avait ou non le commandement de l'armée? R. Non, c'était Napoléon. D. Cependant Drouot ne faisait pas que de vous transmettre des ordres il vous en donnait directement? R. Il était lieutenant général, et moi simple maréchal de camp, je devais lui obéir. D. A qui faisiez-vous vos rapports ? R. Quand je savais quelque chose, je le disais au major général. D. Quel était-il ? R. Bertrand. D.Avez-vous conservé vos lettres de corresponD. Je vous demande
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dance R. Je n'ai jamais conservé une seule lettre. D. Lorsque vous êtes arrivé à Paris, Bonaparte a dû vous donner des témoignages de satisfaction R. Cinq différents il m'a nommé pair, lieutenant
: comte.
?
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général, Le président interrompant combien de temps après votre arrivée? R. Je ne puis vous le dire car je n'y ai pas fait attention. D. En supposant que vous n'y mettiez pas d'importance, vous devez vous rappeler cette époque vous avez reçu des brevets R. Je vous donne ma parole d'honneur que je ne me le rappelle pas. Je vous ai dit que je ne gardais jamais de papiers. D. Combien de temps après votre arrivée avez-vous été nommé pair? R. Très longtemps après mais je n'ai pas même assisté à la première séance. D. Vous avez refusé le grade de lieutenant général
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',
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R. Oui.
Pour quels motifs? R. Je vais vous le dire. Je me crois capable de commander une division mais dans une affaire malheureuse D.
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j'aurais pu me trouver embarrassé, et je ne voulais pas m'exposer à faire verser le sang français par ma faute. D'ailleurs, me serais trouvé avec d'anciens généraux de brigade qui auraient pu se croire humiliés d'être commandés par un moins expérimenté qu'eux. » Traduit devant la justice, militaire avant le général Drouot, Cambronne eût certainement entendu prononcer sa condamnation; mais, la sentence du 6 avril dicta la
je
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sienne
il fut absous à la majorité de cinq voix contre
deux.
acquittement souleva la plus violente colère parmi le parti royaliste. «Ils disent nous sommes de l'Ile d'Elbe, nous sommes obéir! » « sujets du roi de l'île d'Elbe, nous avons dû lui s'écriait à cette occasion le Journal des Débats dans son numéro du 2 Mai « mais, si quelque chose pou« vait aggraver le crime d'une pareille invasion (le débar« quement du golfe Juan), ce serait de l'avoir tentée à Quoi, ce souverain d'une « la suite d'un pareil homme « nouvelle espèce vient furtivement attaquer la France « avec 600 hommes! Une pareille expédition porte-t-elle « le caractère d'une guerre à laquelle un homme d'hongrossier et stupide « neur puisse prendre part? Et, si un « soldat (Cambronne), incapable de raisonner, et accouaveuglément suivre tumé obéissance passive, à peut une « instruit « un pareil chef, en est-il de même d'un officier être tout à « (Drouot) qui, par son éducation, ne peut « fait étranger aux principes du droit public? assurée de les « Il y avait une manière légitime et c'était de les confier à la « défendre et de les protéger « clémence du roi» (1). Ce double
:
;
!
:
Les deux Terreurs.
-
On a souvent excuser la Terreur Blanche en l'opposant à la
Il y
prétendu Terreur.
a, entre les deux époques, une différence essen-
tielle. (1). De Vaulabelle. —
Histoire des deux R&stciiLv&tloi'is.
Lorsque la Révolution, attaquée par une partie de l'Europe, déchirée par l'insurrection royaliste, réduite à moins de 40 départements, créait les tribunaux révolutionnaires, elle luttait pour l'indépendance française, etse trouvait en plein combat. La Révolution se défendait. « Quand la Restauration livrait les proscrits du 24 juillet à ses conseils de guerre et à sa cour des pairs, un million de soldats étrangers, ses alliés, couvraient notre territoire et la protégeaient; elle n'avait aucune lutte à soutenir, aucune attaque à repousser. La Restauration se vengeait. » (2). «
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Licenciement de l'Armée de la Loire.
-
L'armée retirée sur la Loire fut donc licenciée. « Sous « l'ancienne monarchie, les maux nés de la guerre étaient « souvent moins fatals aux populations que les désordres « produits par le licenciement des bandes congédiées « après la lutte. « Composées en grande partie de mercenaires que « nulle affection n'attachait au sol, nul intérêt au pays, et oc pour lesquels l'existence des camps était l'indépendance « et la liberté, ces bandes devenues oisives, continuaient « leur vie de pillage et devenaient le fléau des campa« gnes et des cités. « Par un contraste qui est l'honneur du nouvel état « social créé par la Révolution, on put voir, en 1815, une « armée de 200,000 soldats dissoute et licenciée sans que « le moindre tumulte, le moindre désordre, vinssent « signaler le brusque changement apporté dans laposi« tion de cetle masse d'hommes jeunes et énergiques. «. Enfants du sol, fils de propriétaires, de cultivateurs, « d'artisans ou d'ouvriers, les soldats de cette patriotique « armée reprirent le chemin du foyer paternel, emportant « avec eux le regret amer de notre gloire éteinte, de notre (2) De
Vaulabelle.
«
grandeur perdue, et un profond ressentiment du triomphe de l'étranger. « Cette colère, qui grondait au fond de tous les cœurs, devait suivre la génération militaire et la jeunesse de1815 à travers les années qui allaient venir la 2e Restauration en ressentit plus d'une fois les secousses, et, quinze ans plus tard, les journées de juillet 1830 en étaient l'éclatante explosion. »
«
Les lois de recrutement de la Restauration. — L'art. 12 de la Charte ne renfermait d'abord
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que ces mots, accomplissement d'une promesse faite par tous les princes de la famille royale à leur entrée sur le Un député territoire « La conscription est abolie. « fit observer qu'il était cependant nécessaire de remplir « les cadres de l'armée, le nouveau régime ne pouvait se « trouver réduit aux enrôlements volontaires. Sur sa « proposition, on ajoutait que le recrutement de l'armée « serait déterminé par une loi. » Jusqu'à cette loi de 1818, le recrutement ne fut assuré que par des engagements volontaires; ils suffirent à peine au recrutement des régiments de la garde royale.
:
»
Loi de recrutement de 1818.
— Comme nous
venons de le dire l'insuffisance de ces enrôlements ne tarda pas à se montrer une fois de plus; aussi après quelques années d'essai, lorsqu'on voulut reconstituer sérieusement les forces militaires de la France, il fallut bien recourir à un moyen régulier et certain pour se procurer des soldats; ce moyen fut la loi de 1818 qui, proposée par le Maréchal Gouvion-St-Cyr, organisa le recrutement suivant un régime qui a été conservé depuis lors. Par cette loi, on fixa à 40.000 hommes, et, une fois pour toutes, le chiffre du contingent annuel à incorporer sous les drapeaux; on régla le mode de recensement des jeunes gens, celui de la répartition du contingent entre les départements enfin on établit le tirage au sort
;
pour la désignation de ceux que chaque canton devait fournir. La durée du service sous les drapeaux fut limitée à six années puis, dans le but d'avoir une réserve qui pût renforcer l'armée de paix, on imposa aux sous-officiers et soldats rentrés dans leurs foyers, après avoir achevé ce temps de service, l'obligation de faire encore, en temps deguerre, un service territorial de six années, sous le en temps de paix, ces vétérans n'énom de «vétérans taient astreints à aucun service en temps de guerre, ils ne pouvaient être requis de marcher hors de la division militaire qu'en vertu d'une loi. La loi de 1818 soumettait donc à l'obligation du service militaire tous les jeunes gens que le sort désignait mais, en même temps, pour faire partie du contingent pour ne pas rendre cette obligation trop dure pour la population, elle admit des exemptions et des dispenses de service les exemptions étaient fondées sur des infirmités, sur le défaut de taille ou sur des situations spéciales qui semblaient indiquer que les individus auxquels elles s'appliquaient ne pouvaient être arrachés à leur famille les dispenses sans y laisserun vide trop considérable s'appliquaient spécialement aux hommes qu'il importait à la société de voir continuer leurs études, afin d'entrer dans des carriéres où ils pouvaient rendre des services au pays. Seulement, tandis que les exemptions ne devaient pas entraîner des pertes pour le contingent et que les jeunes gens qui en profitaient étaient remplacés par d'autres dans l'ordre des numéros subséquents du tirage, les dispenses, au contraire, venaient en déduction du contingent. Enfin, les dispenses n'avaient pas -le caractère absolu et définitif des exemptions elles étaient, le plus souvent, conditionnelles et subordonnées à la continuation des fonctions ou de la carrière en vue de laquelle les études étaient commencées. Enfin, la. loi autorisait le remplacement, ainsi que les , substitutions de numéros entre les jeunes gens du même tirage.
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»;
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Il faut remarquer que le mode de recrutement organisé par la loi de 1818 avait un tout autre caractère que les modes antérieurs et surtout que celui de la loi de l'an VI, qui ordonnait la conscription. En effet, tandis que la conscription soumettait tous les jeunes gens d'une classe à l'obligation de servir, et n'admettait le tirage au sort que pour déterminer l'ordre dans lequel ils devaient être appelés sous les drapeaux, le recrutement au contraire, qui ne s'appliquait qu'au contingent fixé loi et réparti entre les départements, déclarait défipar nitivement libérés tous les jeunes gens queleurs numéros n'avaient pas désignés pour faire partie de l'armée ils ne pouvaient plus être astreints, par la suite, à servir sous les drapeaux. principe de Cela explique comment, dès le début, la loi de 1818 est facilement entré dans nos mœurs, et n'a jamais soulevé les réclamations qu'avait fait naître la cons-
la
;
le
cription.
Loi de 1824. — L'organisation des légions départe-
;
mentales que la loi de 1818 avait laissé subsister, n'avait pas produit les avantages qu'on en avait espérés l'obligation de prendre, pour chaque légion, les hommes dans le département même où elle s'était formée, avait amené de graves inconvénients, par suite de différences inévitables dans la valeur intrinsèque des diverses légions, et en raison du peu de cohésion que peut avoir une armée composée de corps absolument étrangers les uns aux autres, où se perpétuaient les anciennes divisions, les anciennes antipathies de province à province. En conséquence, dès 1820, les 94 légions départementales furent converties en 80 régiments d'infanterie dont le recrutement s'opéra indifféremment dans toutes les parties de la France. Depuis lors, il a été d'usage de répartir les jeunes soldats des divers départements entre les différents régiments de manière à éviter que le même corps reçût,
pendant la période totale du service, deux fois des jeunes gens d'un même département. Enfin les vétérans laissés dans leurs foyers après leurs six ans de service sous les drapeaux, ne paraissaient pas donner les bons résultats qu'on en avait attendus on pensa qu'il serait préférable 1° D'élever le chiffre du contingent de 40 à 60 mille hommes, dont une partie pourrait ne pas être appelée sous les drapeaux, tout en restant à la disposition du gou-
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:
;
vernement
2°De fixer la durée du service à huit ans au lieu de six, en n'imposant plus aucun service comme vétérans, aux hommes renvoyés dans leurs foyers. C'est ce que fit la loi de 1824. Ce qui précède montre que l'on abandonnait ainsi définitivement le système de réserves organisé par la loi de 1818, pour adopter le système qui consiste à avoir des contingents renfermant un nombre d'hommes plus considérable que celui qu'il est possible d'incorporer, afin d'en laisser ou d'en renvoyer une certaine quantité dans leurs foyers, avec la faculté de les appeler sous les drapeaux, s'il est besoin. Ce système fut le seul appliqué jusqu'en 1868. Il faut encore remarquer que, d'après les lois de 1818 et 1824, le contingent était déterminé une fois pour toutes, sans que les Chambres eussent à le fixer chaque le gouvernement en disposait à son gré, et les année Chambres n'intervenaient plus que pour les allocations de crédits nécessaires à l'entretien de l'armée. Cette faculté fut maintenue jusqu'en 1830. A cette époque, on posa le principe parlementaire, que la force du contingent à appeler chaque année pour le recrutement des troupes de terre et de mer serait déterminée par les Chambres dans chaque session c'était l'application du principe en vertu duquel les délégués de la Nation sont seuls compétents pour fixer la quotité réelle de l'impôt du sang, comme ils fixent celle de l'impôt proprement dit.
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;
Remarquons enfin que les Chambres intervenaient encore dans le recrutement en fixant dans la loi du budget le chiffre des crédits affectés à la solde de l'armée, chiffre qui limitait implicitement le nombre d'hommes a entretenir effectivement sous les drapeaux (1).
LES OFFICIERS. — « Tous les officiers de l'ancienne armée, par le fait du licenciement, se trou-
vaient privés, sinon de leur grade, du moins de leur emploi. Un autre personnel, d'ailleurs,était tout prêt à prendre leur place dans les nouveaux régiments : non seulement. le ministre avait à sa disposition ces nombreux mousquetaires, ehevau-légers et gendarmes de la maison du roi, licenciés par l'ordonnance du Lei septembre sur la création d'une garde royale non seulement il avait à pourvoir ces chefs vendéens, bretons. provençaux et normands, ces anciens émigrés. soldats de l'armée de Condé ou de l'armée des Princes, auxquels le général Dupont avait si libéralement distribué en 1814 des brevets de tout grade,jusqu'à des mais l'absence brevets de généraux de division de toute disposition législative réglant l'état des officiers et les conditions de leur avancement lui permettait d'improviser les cadres de toute une armée. « Le Ministre était Clarke, le duc de Feltre, l'ancien ministre de Napoléon. Son royalisme de fraîche date s'exaltait encore au souvenir de quelques démarches faites, après le 20 mars, pour rentrer en grâce auprès de Napoléon qui l'avait repoussé. Si ce ministre l'avait osé, République pas un seul des officiers ayant servi sous et sous l'Empire ne serait entré dans l'armée nouvelle; il ne dépendit pas de lui, du moins, que les rangs n'en fussent impitoyablement fermés à tous les braves gens engagés dans le patriotique effort des Cent Jours. décision, datées « Une premièreordonnance,puis une l'une et l'autre du 12 octobre I'Sli), avaient chargé d'exa-
;
;
la
0) D'après Dchipcrrièt-d <COlt/'S de législation et laires).
<1GL(J,iYiifii-stvcvtioTi
mili-
miner la conduite des officiers de tout grade ayant servi sous l'Usurpateur, une commission composée du maréchal Victor, président, des lieutenants-généraux comtes Lauriston et Bordesoulle, du maréchal de camp prince de Broglie, du sous-inspecteur aux revues Duperreux, du commissaire ordonnateur Chefdebien et du chevalier de Querelles, secrétaire. Le chevalier de Querelles, ancien chef dans les bandes royalistes de l'Ouest, et le prince de Broglie, ancien émigré, n'avaient jamais servi dans les lé comte Bordesoulle était rangs de l'armée nationale l'un des généraux qui avaient décidé la défection du le maréchal 6e corps dans la nuit du 4 au 5 avril 1814 Victor avait rejoint Louis XVIII à Gand. Quatre membres sur sept se trouvaient donc forcément hostiles aux officiers des Cent-Jours une telle composition aurait sans doute présenté, à tout autre qu'au duc de Feltre, des garanties de rigueur suffisantes; lui-même avait choisi les commissaires au bout d'un mois pourtant, il parut craindre qu'ils manquassent de sévérité car, le 6 novembre, il transmit à la commission les instructions que nous allons analyser. qu'en instituant la commission, « Après avoir déclaré le roi avait eu pour but, « d'abord d'écarter du tableau « d'activité les hommes dangereux, capables de cor« rompre encore l'esprit des troupes, ensuite d'établir « une distinction nécessaire entre les officiers qui s'étaient « associés avec empressement à l'attentat de l'usurpateur « et ceux qui avaient seulement cédé à un exemple le ministre ajoutait « que le travail de la « funeste, « commission devait se réduire à constater la conduite « de chaque officier et à désigner, d'après cet examen, « la classe dans laquelle il fallait le ranger. » Ces classes « étaient graduées d'après la culpabilité des faits; les «premières comprenaient les officiers « à qui l'indul« gence du roi laissait encore l'espérance de rentrer un devaient en être exclus « jour dans l'armée »; ceux qui composaient les dernières.
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Cette classification était ainsi établie lre classe. — Officiers généraux, officiers de tous grades et de toutes armes, administrateurs et employés, militaires ayant abandonné le service vingt jours après l'arrivée de Bonaparte le service, ont quitter 2e classe. Ceux qui, sans — refusé de prêter serment à l'usurpateur ou d'adhérer à l'acte additionnel 3e classe. — Ceux qui, ayant prêté serment ou signé l'acte additionnel, ont expié cette faute par une démission volontaire 4c classe. — Ceux qui, d'abord entraînés dans la rébellion, ont abandonné la cause de l'usurpateur avant le retour du roi Les officiers ayant accepté du service, 5e classe. mais destitués comme suspects au gouvernement de Bonaparte 6e classe. - Ceux restés au service, mais contre lesquels il existe des dénonciations qui honorent leur attachement à la cause du roi 7e classe. — Ceux qui, étant en non-activité à l'époque du 20 mars, n'ont fait ensuite aucune demande de service 8e classe. — Les officiers de tous grades et les administrateurs militaires ayant conservé la destination qu'ils avaient avant le départ du roi, et n'en n'ayant point sollicité de nouvelle serviceséden9e classe. — Les officiers ayant fait un taire dans les places de l'intérieur 10e classe. — Ceux qui ont sollicité de l'usurpateur des grades et des récompenses ou la confirmation des de roi leur plu avait qu'il au grades des et récompenses accorder adminis11e classe. — Les officiers de tous grades, fait partie des. ayant militaires, employés trateurs ou armées actives de l'usurpateur et qui en ont suivi les mouvemeEts jusqu'à la rentrée du roi «
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;
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-
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12e Classe.
parte; 13eClasse.
-
Ceux qui ont signé des adresses à Bona-
ont commandé -corps quipartisans ; Ceux
des bataillons
de de fédérés ou des de tous grades, les adminis-14e Classe. — Les officiers trateurs et employés militaires placés dans les positions suivantes : 1° Ceux qui se sont déclarés pour Bonaparte 20 jours avant le départ du roi 2° les officiers généraux et supérieurs qui ont arboré de leur propre mouvement l'étendardde l'usurpation et publié des proclamations séditieuses 3° ceux qui ont réprimé les mouvements des fidèles serviteurs du roi 4° les commandants de places et forts qui, sommés au nom du roi d'en rouvrir les portes l'ont refusé et se sont exposés à tous les dangers d'un siège 5° ceux qui ont marché contre les troupes royales rassemblées dans l'intérieur 6° les officiers de tous grades, lesadministrateurs et employés militaires convaincus d'avoirinsulté l'effigie du roi ou des princes 7° enfin, les officiers à demi-solde qui ont volontairement quitté leurs foyers pour se joindre à l'usurpateur et qui l'ont accompagné à Paris. c Tous les officiers inscrits snr les contrôles de l'armée au 20 mars 1815 se trouvaient compris dans l'une ou l'autre de ces vingt et une catégories (-1) ; la classification de chacun d'eux dans ce tableau pouvait guider le gouvernement dans son indulgence ou dans ses exclusions, mais exclure ou suspendre ces officiers ne suffisait pas; ii fallait constituer immédiatement le personnel destiné à composer les cadres des régiments alors en formation et choisir, parmi cette foule de Vendéens, d'émigrés, de royalistes du midi et de volontaires Gawd, qui réclamaient le droit exclusif de remplir tous les emplois dans la nouvelle armée, depuis l'emploi de sous-lieutenant jusqu'à
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de
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La seule classe qui n'y figure pas est celledes offieiers ayant accompagné à l'île d'mbe nue décision spéciale les avait dénlals vuyés des ennNapoteon trôles de farinée et déchus de tous droits à une pension de retraite ou à un (1)
J railement
quelconque.
celui de lieutenant-général. Le 23 octobre, le duc de Feltre avait confié cette dernière tâche à une seconde commission composée du comte de BenrncHlyille, membre du gouvernement provisoire en 1814, président du prince de la Trémouille et de M.d'Andigné,ancienschefsVendéens du duc deCaylus, ancien émigré; du maréchal de camp Deconchy, (président dn conseil de révision qui avait rejeté le pourvoi de Labédoyère) du général Paultre de Lamothe, royaliste de fraîche date, attaché au nouveau régime de toute la haine versée dans son âme par quelques mots sanglants, reproches mérités, que Napoléon lui avait publiquement adressés sur le champ de bataille de Dresde. Ce fut d'après les tableaux dressés par ces deux commissions d'examen que le ministre de la guerre arrêta les nouvelles nominations. (1) » Nous avons déjà montré, dans l'armée du l1'1' empire, les officiers se constituant en une sorte de société spéciale, se croyant des qualités et des droits particuliers. Cet esprit constitue l'esprit de caste. 11 se développe à J'excès dans l'armée de la Restauration. cette époque, comme sous Louis XIV. Il est, avant tout, un reflet des droits que croit posséder une classe particulière, privilégiée la noblesse. Dès la première Hestauratioll, une ordonnance du roi du 80 juillet 1814 « remettait en vigueur l'édit de janvier « '1751, édit qui exigeait, pour l'admission dansles écoles, « des preuves de noblesse remontant à 100 ails. h Comme il n'existait pas encore de loi qui réglâtl'avancement dans l'armée, les écoles militaires restaient le seul moyen légal d'obtenir le grade d'officier, et l'ordontrouvait alors annuler l'article de la Charte qui nance déclarait tous les Français également admissibles à tous les emplois.
;
;
et
A
:
»
se
La loi d'avancement de 1818. — Ce fut le MaréchalGouvionSt-Cyr qui réorganisa l'armée de la Hestauration, (1) De
Vaulabelle (Histoire des Deux Restaurations).
Nous l'avions.déjà montré assurant le recrutement de l'armée par la loi de 1818. Un titre de cette loi, relatif à l'avancement, assure la constitution du corps d'officiers. Il précise les conditions de l'avancement pour être officier il fallait avoir été sous-officier pendant deux ans ou sortir d'une école militaire; le tiers des sous-lieute.nances était réservé aux sous-officiers les deux tiers des promotions jusqu'au grade de lieutenant-colonel inclus étaient réservés à l'ancienneté on ne pouvait être promuau grade supérieur qu'après quatre ans de grade, sauf pour action d'éclat. Ces dispositions et celles relatives au recrutement furent Violemment combattues dans les deux
:
:
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Chambres. comme anti« constitutionnelle et antimonàrchique. » Ils voulaient que « l'armée <( fût au roi» et que la couronne conservât le « droit exclusif de nommer à tous les grades et à tous « les emplois. Ils disaient qu'on consacraitpour l'armée, principe « ancien patrimoine des classes nobles, ils ne s'expliquaient pas « révolutionnaire de l'égalité « comment leurs fils pourraient être traités sur le même « pied que les fils de leurs fermiers, enfin comment « ces fils de fermiers ou autres pourraient devenir un « jour les supérieurs des hommes les plus nobles du « royaume. » (1) La loi fut combattue à la Chambre des Pairs avec les mêmes arguments et la même passion qu'à la Chambre des Députés : « Que devient le rôle de la royauté avec vos « articles sur l'avancement? s'écriaitM. deFitz-James. « La main royale n'est plus qu'une machine à signa« tures» (2). En introduisant dans l'armée un élément nouveau par la nomination de sous-offlciers au grade de sous-lieutenant, en rappelant des officiers en demi-solde à l'activité, Les ultraroyalistes considéraient la loi
;
(1) Jablonski. (2) Jablonski.
L'Armée Française à travers les âges.
Ici.
«
le
le Maréchal Gouvion-St-Cyr diminuait l'esprit de caste qui caractérise l'armée de la Restauration. Cet esprit de caste, nous allons le montrer sous une forme particulièrement vivante dans la citation suivante extraite des Mémoires du Général de Saint-Chamans « Les passions politiques s'échauffaient tous les jours « produisaient des querelles et des dissensions qui ( éclataient dans toutes les classes de la société nos corps «de jeunes officiers s'en ressentirent et je fus fort surpris, «peu après notre retour à Melun, d'apprendreque deux « partis se formaient permi les lieutenants et sous-lieute«nant's de mon régiment. « L'un se disait le parti des gentilshommes, et il va «sans dire qu'il se composait de nos jeunes gens de «bonne maison et de grande fortuue; l'autre se disait « le parti du tiers-état, et il était formé, pour la plupart, «des sous-officiers de régiment promus au grade de sous-lieutenant depuis la création de la garde, et de «quelques sous-lieutenants qui nous avaient été envoyés « des régiments de ligne. « Chaque parti s'était arrangé pour faire table avec «gens de leur opinion; ainsi, il y avait parmi les Lieù« tenants et sous-Lieutenants du régiment (car les Capi« taines n'avaient pas donné dans ce travers) la table des « gentilshommes et la table des vilains. « Jusqu'alors, tout cela n'avaitdonné lieu qu'à des «plaisanteries, quelquefois un peu aigres, mais n'avait « pas amené de discussions dans le corps d'officiers; « aussitôt que je fus instruit decetabus, ce qui ne fut « pas long, j'y coupai court en ordonnant aux Lieuténants «et sous-Lieutenants de faire table commune par deux « escadrons (ainsi que le prévoit le règlement), sans que, « sous aucun prétexte, aucun d'eux pût faire ordinaire « une table autre que celle de ses camarades d'esca-
:
et
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«
à
«dron.
tinrent « pas pour battus, et je remarquai bientôt après, qu'à « l'église et dans d'autres réunions du corps d'officiers, «
Mais pour cela nos jeunes politiques ne se
les gros bonnets parmi les Lieutenants et les sous-Lieu« tenants se réunissaient ensemble et se plaçaient à la l'église où nous nous « droite, notamment dans le chœur « rendions fort exactement les dimanches et fêtes, et, par« les renseignements que je me procurai, j'appris que. « nous avions dans le régiment, comme aux Chambres l'ancienne table des « uncôté droit et un côté gauche « gentilshommes s'intitulait le côté droit, et, par consé« quent, celle des vilains voulait être le côté gauche. « Il fallut encore user d'autorité et exiger que, dans « toutes nos réunions militaires, nos officiers fussent « placés par rang d'escadron. Enfin, je mis toute l'opiniâ« treté et la surveillance nécessaires pour éteindre dans « le corps d'officiers ces ferments de discorde, et j'y «
de
:
réussis complètement ». (1) Et s'il en était ainsi dans un régiment commandé par un ancien officier de l'armée impériale, quelle devait être la situation dansles régiments commandés par d'anciens«
?
émigrés
L'Armée et la Nation.
— Les sympathies du
peuple vont aux anciens officiers et aux anciens soldats de l'armée impériale. Ce sont leurs récits de campagnes qui établissent et entretiennent dans le pays la légende napoléonienne.
(1)
Mémoires du général de Saint-Chamans,
L'ARMÉE SOUS LA
DE
MONARCHIE
JUILLET
La période qui s'étend de 1830 à 1848, est, au point de vue des guerres, une période d'accalmie. « Les premières années du Gouvernement de Juillet, « furent pour l'armée une réaction contre le régime qui •« venait de tomber. « La plupart des généraux mis à la retraite avant l'âge « furent rappelés, et, par contre, les généraux trop com« promis par leurs relations avec la cour de Charles X «furent mis à l'écart, en même temps qu'un assez grand nombre d'officiers, qui, plus tard, le regrettèrent presque « tous, donnèrent leur démission. » (Général Thoumas) Parmi ces généraux qui furent rappelés, pour ne citer -que les plus célèbres, nommons les généraux Morand, 'Schramm, Baraguey d'illiers, de Brack, Clausel. « Ce fut un des généraux mis de côté par la Restaure ration, Gérard, illustré par les campagnes de 1814 et « 1815, qui, nommé maréchal de France par la nouvelle « royauté, occupa le premier le Ministère de la guerre. « Il eut pour successeurs les maréchaux Mortier et •«Maison, les généraux Bertrand (ancien aide de camp de « l'Empereur), Schneider, Cubières, Molines Saint-Yon, «Trézel, mais le vrai Ministre de la guerre du gouverne« ment de Juillet fut le Maréchal Soult. » (Général Thoii« mas).
«
« o(
Loi de 1832. — « La loi de 1832 réduisit à sept ans la durée effective du service, en maintenant d'ailleurs le système de recrutement tel que l'avait fixé la loi de 1818 ;
elle définit clairement les cas d'exemption et de dispen« ses et posa nettement le principe de la séparation du « contingent en deux portions mises toutes les deux à la « disposition du gouvernement, la deuxième portion ne « devant être appelée qu'en cas de nécessités militaires « urgentes. On pensa, de cette façon, avoir une sorte de « réserve suffisante pour toutes les éventualités. « A cette époque, d'ailleurs, où l'on ne pouvait « opérer rapidement des mouvements des troupes, ni, dès « lors, réunir promptement de grandes armées, on ne « doutait pas qu'on ne dût toujours avoir devant soi un « certain temps pour exercer les hommes de la deuxième « portion du contingent et, par suite, l'on crut pouvoir « sans inconvénients les laisser dans leurs foyers jusqu'au « jour du besoin. « Tel est le système qui a prévalu jusque dans ces « dernières années. C'est une réserve d'hommes laissés « dans leurs foyers, réserve quelquefois plus considérable « que la partie du contingent entretenue sous les dra« peaux. « A partir de 1832, la loi annuelle du contingent en « fixa habituellement le chiffre d'abord à 80.000 hommes, « plus tard à 100.000. Enfin, et ceci était essentiel dans « son organisme, la loi de 1832 maintint la faculté du cc
«
remplacement.
Or, à mesure que l'aisance se répandait en France et que de nouvelles carrières s'ouvraient devant eux, les jeunes gens semblaient moins ambitionner celle des le mode armes le nombre des remplaçants augmentait employé pour se les procurer soulevait l'opinion publique qui flétrissait du nom de marchands d'hommes les intermédiaires chargés de les fournir, intermédiaires qui, en faisant appel à toutes les passions de ces hommes, finissaient par bénéficier de la presque totalité des prix des remplacements. « Il y avait là, en outre, pour l'armée, des syptômes de désorganisation qui devaient préoccuper le pays. La discipline avait à souffrir de la présence, dans les «
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corps de troupes, d'hommes qui, en arrivant, dépen« saient endébauches des sommes relativement considéles classes aisées, en s'éloignant de l'armée, « rables « laissaient tomber son niveau intellectuel, et bientôt elle '« n'aurait plus compris dans ses rangs que des malheu« reux et des mercenaires. « Les Chambres s'occupèrent, à plusieurs reprises, « de porter remède à cet état de choses; en 1841, en 1843, « diverses propositions furent faites. « Elles n'aboutirent pas, et ce ne fut qu'en 1855 « qu'une loi, dite de ladotation de l'armée, intervint pour « abolir le remplacement » (1). En dthors de l'armée active, la garde nationale, recrutée uniquement dans les classes bourgeoises, devient le soutien de la monarchie. Cette milice aura seulement à réprimer des émeutes, notamment celles du 6 juin 1832 et du 16 avril 1834. Cette milice était, du reste, (( aussipropre à défendre « les institutions qu'à les combattre» vous savez que condamnant l'obstination du cabinet Guizot, elle fit défection au Roi en refusant de combattre les insurgés de «
;
;
1848. Comme l'armée de la Restauration, l'armée de LouisPhilippe est une armée de métier. En dehors de cette loi de recrutement, la loi d'avancement de 1832, la loi de 1834 sur l'état des officiers encore en vigueur actuellement, complètent l'organisation militaire établie par la monarchie de Juillet, mais il ne faut pas oublier que « c'est à la Révolution que nous
devons l'organisation simple et puissante qui existe « aujourd'hui dans l'armée ». les gouver« C'est elle qui a eu les idées novatrices « nements qui se sont succédé depuis le 1er Empire ont « fait les créations ou les améliorations utiles en les « adaptant sur les principes proclamés par la Consti«
er
;
tuante » (2).
Delaperrière, (Cours de législation et d'administration). Cl)Jablonski. (1)
En dehors d'une intervention militaire en Belgique, c'est-à-dire du siège d'Anvers par le Maréchal Gérard (1832), l'œuvre militaire du règne fut la conquête de l'Algérie. On sait les nombreuses hésitations, le manque de plan bien arrêté qui présidèrent à cette conquête. On peut presque dire que, « grâce à ses soldats, la France a conquis l'Algérie malgré elle» (1). Les guerres d'Algérie firent savoir à la France qu'elle avait un grand général le maréchal Bugeaud. Mais cet homme illustre ne fut pas le produit de ces il n'avait été formé à l'école de la Grande Armée, guerres que toutefois il n'avait connue que par le petit côté, par les guerres d'Espagne et dans la courte campagne de 1815, en Maurienne. Mais les guerres d'Algérie eurent une influence fâcheuse sur l'ins'ruction militaire de l'armée « On prétend que l'Algérie est une bonne école de la « guerre. Je soutiens le contraire, dit le Maréchal de Cas« tellane. Les officiers qui y ont fait la guerre s'imaginent « que les combats contre les Arabes ressemblent aux « batailles du Continent. « En Afrique, il n'y a ni discipline, ni instruction, ils « négligent les précautions de sûreté les plus élémen« taires, et ils seraient fort étonnés sur le continent de « recevoir des boulets et de la mitraille au lieu de les « envoyer ».
:
:
:
(4) Général
Thoumas.
L'Armée du second Empire
Nature des guerres du
2e
Empire.
(1)
— Les
nombreuses guerres du second Empire, entreprises ostensiblement pour assurer le principe des nationalités, sont pour la France, en quelque sorte, des guerres de luxe, quand elles ne sont pas des guerres dynastiques. La guerre de Crimée est faite dans l'intérêt de la Turquie et de l'Angleterre. La guerre d'Italie au profit du Piémont. L'expédition du Mexique, commencée au profit de quelques financiers, se poursuit dans l'intérêt d'un prince étranger. Toutes ont eu pour résultat de fausser plutôt que de développer la notion de l'esprit militaire. La Nation jouissait, en effet, à cette époque, d'un bien-être matériel qu'elle savait apprécier. Elle se désintéressait personnellement d'aventures dans lesquelles elle croyait n'avoir rien à perdre et rien à gagner, et lorsqu'elle voyait revenir nos soldats couverts des lauriers de la victoire, elle acclamait non seulement. en eux ceux qui avaient augmenté le patrimoine de gloire de la France, mais encore, la manifestation d'une force qui semblait dire « Jouissez,vous êtes bien gardés. » L'enthousiasme était du reste d'autant plus naturel que cette gloire et cette, sécurité paraissaient acquises sans grands sacrifices. L'armée, peu nombreuse, était entretenue à peu de frais, et l'impôt du sang n'était en définitive payé que par. ceux qu'une vocation particulière ou des nécessités personnelles conduisaient sous les drapeaux. Pendant près de vingt ans, cette quiétude ne fut. pas troublée malgré le développement de la puissance
:
(1)
D'après Du Garraud, l'Espritmilitaire en France.
militaire et les succès prodigieux de nos voisins d'OutreRhin. Or si, par sa composition et par son esprit, notre armée était à cette époque propre à constituer un admirable corps expéditionnaire, elle ne possédait pas le nombre et n'avait pas les qualités qui sont indispensables pour lutter victorieusement contre une invasion. Elle allait se trouver submergée et s'engloutir, entraînant avec elle la Patrie dans un irréparable désastre. Ainsi donc, au moment où éclate de 1870, la situation- est la suivante Nouspossédons une petite armée vaillante, mais
:
isolée de la Nation. Celle-ci n'a pas été préparée dès le temps de la paix, ni à fusionner avec l'armée lorsque la force de l'invasion réclamera le concours de toutes les énergies, ni à la remplacer lorsqu'elle aura été anéantie, perdue pour la
France. En apparence, avaient
La guerre de 1870. de 1870 commence comme
la guerre commencé les guerres
précédentes. Elle n'est inspirée ni par l'esprit guerrier, qui pousse à la conquête, ni par l'esprit civique, qui surgit pour assurer la défense du sol « La guerre est motivée par l'intervention de la « France dans les affaires intérieures d'un pays voisin ».(1) Pour la Nation, il semble que tout doive se borner, comme naguère, à une excursion militaire sur le territoire de l'ennemi, dont nossoldats reviendront plus pauvres de sang et plus riches de gloire. Et cependant, dès le début, l'esprit public se passionne et s'affole. Les démonstrations d'enthousiasme cachent la hâte d'en finir et le besoin de se rassurer. Et c'est seulement lorsque les pires prévisions ont été dépassées, lorsqu'après Sedan, le gouvernement impérial
:
(1)DuGarraud.
s'est effondré, que le sentiment national se réveille et qu'il devient possible de faire appel à toutes les forces viriles du pays. « C'est lorsque l'invasion s'étendait, au nord jusqu'à « l'Andelle et à l'Eure et couvrait au sud, jusqu'à la Loire, « que Gambetta surgit, sinon pour le salut, du moins, « pour l'immortel honneur de la France. » « Le jeune Ministre a 32 ans. Élu député à Paris et à Marseille, c'était hier un avocat, déjà célèbre par son opposition contre l'Empire. Rien ne présageait encore pourtant son grand destin. Fils d'un Génois, d'un petit épicier établi à Cahors, il s'était fait, instruit lui-même, mettant au service d'une mémoire, chaque jour plus ornée, un ardent goût dé lecture. Il avait une éloquence passionnée, une voix mâle et chaude qui prenait. Ilétait dé taille moyenne, la figure pleine, encadrée d'une barbe noire, le front vaste, le nez aquilin, avec ses longs cheveux rejetés en arrière, et, ce dont on ne s'apercevait même pas, tant l'œil de verre vivait, borgne, d'un accident de jeunesse. Le 7 octobre, il part en ballon, essuie le feu des avant-postes, tombe à Montdidier, gagne Amiens, le Mans, en jetant sur sa route de vibrantes exhortations. Le10, est Tours. Dès la gare, son premier mot à la foule est «'Toute l'armée de la Loire sur Paris ». Et soudain, tout change. La province, auxmembres épars, presque morts, tressaille.Elle a une âme. Du 10 octobre, jusqu'aux tristes jours de janvier, où il succombe, non pas de sa propre fatigue, mais sous la lassitude des autres, il parcourt le pays, le galvanise. Il prêche, il organise partout la guerre sacrée. Ce borgne est un voyant, il accomplit un travail cyclopéen. L'un après l'autre, onze corps d'armée sortent du sol, à son appel.
il à
:
En moins de quatre mois, il met debout 600.000 hommes (5.000 par jour). Il les équipe, il les arme d'innombrables fusils, d'une artillerie neuve, meurtrière. Et cette énorme machine, ce vaste appareil improvisé, infatigablement, il l'entretient, le répare, lui insuffle des renouveaux de force. Il gouverne, imprime au pays divisé, regimbant, un élan unique. Alors que la France, à ce tournant de son histoire, hésite et se cherche, il a le génie, le sentiment profond de la race. Il communie avec les plus pures gloires du passé l'antique âme gauloise. Tout le secret de son énergie, de sa grandeur est là « Confiance inébranlable dans la Patrie ». Ces lignes sont signées Paul et Victor Margueritte, les fils du général de cavalerie qui, chargé de conduire la glorieuse charge du Calvaire d'Illy, trouva la mort au début de l'action. Ainsi, le dévouement des populations françaises a pu donner aux soubresauts de l'agonie une durée et une vigueur qui nous ont assuré le respect de l'ennemi et qui ont permis a la Nation armée d'avoir foi dans l'avenir. Mais, si elle condamne le système de l'armée de métier, indépendante du pays, cette campagne nous montre aussi la nécessité, pour la Nation, d'être instruite, dès le temps de paix, en vue de sa propre défense.
:
L'ARMÉE IMPÉRIALE, SON ESPRIT.
-
Voyons maintenant de près l'armée impériale. Ce n'est pas une armée nationale, c'est, avons-nous dit, une armée de métier ; elle comprend un grand nombre de soldats de profession, qui sont presque des merce-
naires. Sur les 75.000 appelés de la classe 1869, il remplacés, c'est-à-dire, plus de la moitié.
Le soldat.
y
a 42.000
— La légende et l'intérêt personnel on
souvent poétisé la figure du vieux soldat de la fin du second Empire. On a voulu y voir le modèle des recrues, le héros modeste qui leur montrait la voie de l'honneur et du sacrifice. Il n'en était cependant rien. « Je quitte Mézières, nous dit le Lieutenant Patry, «depuis Lieutenant-Colonel, avec ma compagnie, qui «compte à peine 70 fusils, mais dont l'effectif va s'augccenter successivement par l'arrivée des réserves «jusqu'à 110. hommes, — c'est à peu près l'effectif « normal de guerre. — Dans le nombre figure une faible «minorité de vieux soldats ayant fait les campagnes de «Crimée ou d'Italie, dix ou douze au plus. « Or, je me suis aperçu qu'au fur et à mesure que cc l'organisation des unités de tout genre se complétait, « ce nombre diminuait. « C'est ainsi que la plupart s'étaient offerts immédiatetement quand il avait été demandé des ordonnances ccpour Généraux, Intendants, services divers, des plan« tons, des conducteurs de voitures, des employés au «petit dépôt du régiment installé à Metz. « Je comptais sur leur appoint moral pour donner, « dans le rang, au moment du danger, le bon exemple « aux jeunes camarades qui en étaient à leur première campagne, — c'est encore une illusion à mettre dans le «sac des vieilles lunes». Les vieux soldats laissent donc fort à désirer comme valeur morale. Ils n'ont ni le désintéressement, ni le patriotisme de leurs camarades du contingent ils entretiennent dans l'armée des habitudes d'ivrognerie etde débauche. La plupart s'empressent de disparaître dès qu'ils le peuvent, recherchant tous les emplois où ils jouiront d'une sécurité relative. « Ils sont peu disposés à risquer leur vie, l'avenir de bien-être que leur faisait entrevoir le capital amassé au moyen de leurs rengagements et de leurs primes ». (Général Thoumas). Ils sont bien loin des soldats d'une armée vraiment
«
;
nationale, qui combattent pour défendre l'intégrité du territoire et l'indépendance de la Patrie avec abnégation et dévouement. Malgré la cause de faiblesse résultant du grand nombre de remplaçants imbus d'un pareil esprit, l'armée du deuxième Empire est pleine de courage et d'héroïsme, et cela dans toutes les armes. L'histoire des guerres de Crimée, d'Italie, de Chine etde 1870 en donne de nombreux exemples. Nous nous bornerons en rappeler quelques-uns tirés de cette dernière guerre. « A Reichshoffen, le général Lartigue, sur le point « d'être enveloppé, appelle à son aide la brigade Michel, « composée du 6e lanciers et des 8e et 9e cuirassiers. « En vain, le général Duhesme, les larmes aux yeux, se feront inutile« assure que « ses pauvres cuirassiers « ment hacher. « Lartigue n'a plus d'autre ressource. « Allez, dit-il, à l'un des colonels, allez et faites « comme à Waterloo ». « La brigade se range en bataille, se précipite à bride «abattue sur les pentes au cri de « Vive la France » et « roule vers Morsbronn. « Mais des fossés, des arbres, des souches et les talus « élevés des chemins l'arrêtent à tout moment. « Bientôt, de ces beaux cavaliers bardés de fer, les « uns sont jetés, à terrepar les chevaux qui trébuchent, « les autres tombent sous les balles des compagnies prusle reste s'en« siennes qui les attendent de pied ferme « gouffre dans Morsbronn où les Allemands tirent sur eux « par les fenêtres des maisons, à bout portant et de si près, « que la flamme des coups de fusil leur brûle la tunique. « Ils sortent du village, ils se rallient, et pêle-mêle c( cherchent à rejoindre l'armée par un détour. Soudain, « non loin d'Hegenay, un régiment de hussards prussiens «dispos et intact, les charge de toutes parts ; ils essayent brisés de fatigue, accablés sous le nom« de se faire jour
à
»
!
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»
« bre, ils succombent
la brigade Michel n'existe plus (1). Vous savez que « vers la fin de la journée, la division, de cuirassiers de Bonnemains fournit une autre charge désespérée vers l'aile gauche. Elle fut décimée avant d'atteindre les lignes ennemies )) (2). « Pendant qu'avait lieu cette sanglante diversion, « Lartigue réunissaitce qui lui restait du 3c turcos et du -ç( 1er chasseurs contre les brigades confuses deBose. Le « choc de ces chasseurs et de ces tirailleurs algériens fut si « vigoureux qu'ils reprirent la fermed'Albrechthausen(3). C'est également vers la fin de la journée qu'intervinrent les batteries de la réserve elles « furent mises en « ligne bien tard ou bien tôt « Bien tard, parce qu'à portée de pistolet des tirail« leurs, elles étaient condamnées à l'impuissance « Bientôt, parce qu'écrasées avant la fin de la bataille, « elles firent défaut pour couvrir retraite. « De ces huit batteries, deux vinrent s'établir auda« cieusement au débouché du village d'Elsasshausen où « entraient les Prussiens qui seprécipitèrent sur elles; à « peine purent-elles tirer deux ou trois coups à mitraille « par pièce, que trois, canons était pris et le colonel de « Vassart, commandant la réserve, tué, en voulant les « défendre. « Les six autres batteries tombèrent en face à « petite portée des tirailleurs elles furent criblées de « balles et d'obus. On remit à grand peine les pièces sur « leurs avant-trains sept d'entre elles furent encore pri« ses, les batteries à cheval de la gauche purent cepen«dant arrêter quelque temps les Prussiens par leur tir à «mitraillé. Pour être moins retentissant et moins populaire «que celui des cuirassiers, le dévouement de cette artil«lerie ne fut pas moins méritoire (4).
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la
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»
-
Chucruet. — La guerre de 1870-71. Général Niox. La guerre de 1870. (3)Chuquet. Lapruerrèdé1870-71. (4) Général Thoumas. — Transformations de l'armée française. (1) (2)
-
-
Lorsque le maréchal de Mac-Mahon n'eut plus « d'autre issue que celle de l'Ouest par Reichshoffen, il « fit enfin sonner la retraite. Son chef d'état-major Col« son était tué et Raoult mortellement blessé. « Ducrot protégea la déroute avec le 3c zouaves, le « 45" régiment et les batteries de sa division. « Mais beaucoup de braves, notamment les chasseurs « à pied du 8e et du 13e bataillon, tinrent jusqu'au dernier « instant dans les bois et le verger de Freschwiller. « Une compagnie du génie défendit longtemps une « barricade qu'elle avait élevée sur la route de Wœrth et « sut encore, après la prise du village, se frayer un che« min, baïonnette baissée. « Des turcos se firent massacrer devant le château de Durckheim, sur un tertre qui, tout couvert de leurs uni« « formes bleus, avait à distance, l'aspect d'un champ de lin. « On vit un petit pioupiou, calme et froid, s'arrêter « un moment, griffonner quelques mots sur une page de « son calepin, jeter ce billet dans la boîte aux lettres en « face de la mairie, et le chassepotau poing, marcher seul « l'ennemi. » (Chuquet). « A Rezonville, le 16 août, « vers 5 heures du soir, « la division de Cissey (4e corps), qui arrivait sur le champ « de bataille après une marche forcée », marche droit à « la brigade (allemande) Wedell (du 40e corps), la fou« droie y, l'aborde à la baïonnette, « lui tue ou lui blesse «en une heure la moitié de ses hommes, lui fait plus de « 300 prisonniers, lui enlève le drapeau du 16e régiment «^d'infanterie. « Pour arrêter Cissey, Voigts-Rhetz recourt à deux les « régiments de cavalerie, dragons et cuirassiers « cuirassiers cèdent au feu des mitrailleuses et des chasles dragons rompent sur plusieurs points, et « sepots « foulent sous les pieds de leurs chevaux le 13e de ligne xc qui se groupe autour de son aigle, mais, dissipés par la « fusillade du 73e, ils perdent les deux tiers de leur monde « et presque tous leurs chefs. » (Chuquet).
à
;
:
La discipline. — Les officiers recherchent l'obéis-
sance au moyen de punitions disciplinaires, souvent disproportionnées, et obtiennent ainsi une apparence de discipline. Mais on ne tient nul compte du facteur moral. « Nous « avons, — disait justement le général Trochu — la dis« cipline de garnison et pas du tout la discipline de « guerre.» « La discipline laissait beaucoup à désirer dans notre armée » — disait le général Fay — « suffisante en cas de premiers succès, elle devait être impuissante à conjurer les effets de dislocation après des revers, elle n'était que factice et superficielle. ))(1) Des soldats de 1870 jetteront leurs shakos, briseront même leurs armes, ne rendront plus les marques extérieures de respect des régiments entiers jetteront leurs cartouches et leurs sacs en demandant des voitures pour les porter. Dès le 19 juillet 1870, un ordre général du 5e corps porte ce qui suit «Les hommes qui briseraient leurs armes en resteront privés et seront tous placés aux avant-postes. » « L'indiscipline croît après les premiers' revers. » (3)
;
:
-Le
Les Sous-Officiers.
corps des sous-officiers, qui était excellent sous Louis-Philippe, « a baissé de valeur depuis 1854. (Général Thoumas). La loi de1855 a été néfaste à leur bon recrutement. En 1870, ils sont usés et incapables de résister aux fatigues de la guerre. (Général Trochu). La loi de 1868, qui abolit les primesderengagement, a précipité la chute du corps des sous-officiers. Le maréchalNiel cherche à les retenir par la perspective d'emplois civils, mais il meurt, et son idée n'est pas
»
sérieusement-appliquée.
(I) Journal d'un officier de l'armée du Rhin.
(2)
DeNarcy (SouvenÙ's d'un officier de turcos).
Les Officiers. truit.
— Le corps d'officiers
est peu ins-
L'armée, dit le général Ambert, se dispensait de « toute sorte de travaux intellectuels, parce que l'instruc«. tion n'était comptée pour rien dans la distribution de « l'avancement. » tout Les officiers mêlés la vie voyaient à commune « « le monde chercher à s'enrichir et beaucoup y réussir tel point « le prix de toutes choses avait augmenté à un « que leur solde était devenue absolument insuffisante, « d'autant plus que grand nombre d'entre eux avaient été « endettés par la guerre de Crimée guerre pendant « laquelle la presque totalité de leurs appointements « avait été dépensée à se mal nourrir. « Ils devinrent donc forcément ambitieux ; la lecture cc de l'annuaire et le calcul de leurs chances d'avancemilitaire « ment formèrent la base de leur instruction « et, tandis qu'à l'époque de notre entrée au service, on « aurait honni quiconque eût parlé de ces choses-là aux « tables d'officiers, elles y étaient devenues le sujet prin«cipal des conversations. « L'étude était en défaveur, le café en honneur « les officiers qui seraient restés chez eux pour travailler « auraient été suspects, comme vivant en dehors de leurs « camarades. « Pour avancer, il fallait, avant tout, avoir un beau « physique, une bonne santé et une tenue correcte: avec « cela, dans l'infanterie, comprendre le service de l'officier « comme celui du caporal, et tenir correctement la main « sur la couture du pantalon, les yeux fixés à quinze pas dans la « devant soi, en écoutant parler le Colonel « cavalerie, réciter- par cœur le littéral de la théorie, « et faire du passage dans la cour du quartier avec un « cheval bien dressé; dans l'artillerie, affecter le plus profond mépris pour les connaissances techniques « « enfin, dans toutes les armes, être recommandé. » « (Général Thoumas). «
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:
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Ainsi donc, à la vie régimentaire peu active, s'adjoignent pour les officiers des loisirs nombreux. En raisonmême deleur éloignement delà société civile, de l'absence d'occupations intellectuelles suivies, la meilleure part de leur existence s'écoule au café. Il ne vient pas à l'esprit de l'officier de consacrer une partie de ses nombreux loisirs à l'éducation morale du soldat. Il vit loin du soldat, comme il vit loin de la société civile avec laquelle il affecte même de n'avoir aucune
relation.
L'Armée et la Nation. —
Le fait que le service militaire est imposé seulement aux plus pauvres, le rôle
joué par l'armée au moment du coup d'Etat, contribuent à l'isoler davantage du pays. Les régiments sont soumis à d'incessants changements de garnison. A courir ainsi les grandes routes, les liens mêmes de la famille, du pays natal se détendent. L'armée devient une petite nation dans la grande, adulée, exaltée au retour des guerres glorieuses, mais peu appréciée en temps de paix. La grande majorité du pays la considère comme une réunion de mercenaires payés ou de soldats chargés de se faire tuer aux lieu et place d'a'utrui. L'armée de 1870 est donc, à beaucoup d'égards, l'opposé de ce que doit être l'armée d'aujourd'hui il faut le plus souvent la considérer comme un écueil à éviter et non comme un exemple à imiter.
;
CINQUIÈME CONFÉRENCE (1)
Première Partie
La Nation armée Double Mission de l'Officier SOMMAIRE L'Esprit militaire. Manières dont il se forme. Esprit qui doit animer l'armée d'aujourd'hui. Rappel de la définition de la Nation armée. Conclusions de l'étude historique faite précédemment et justifiant cette conception moderne de l'armée. Nécessité de la préparation de la Nation armée dès le temps de paix — Exemple fourni par la Prusse. Constitution de la Nation armée — son rôle. Le soldat de la Nation armée. Différences entre le soldat de métier et le soldat de la Nation armée. Ce qu'était l'officier de l'ancienne armée. Ce que doit être l'officier de l'armée actuelle. Enseignements à retenir de la période 1794-95-96 pour définir le rôle de l'officier dans la Nation armée. Nécessité de la confiance. Double mission de l'officier. Dépendance obligée des procédés d'instruction et de l'esprit du pays. L'Armée de 1872, l'Armée d'aujourd'hui, l'Armée de demain.
;
;
(I) Cette Conférence a été faite en 1903 et 190'1 par le Capitaine Dessirier, professeur de appliquées.
Sciences
La Nation armée.
--
Double Mission de
rOfficier
Dans les précédentes conférences, on vous a montré l'arméeJ)/lJl\ différentes époques de notre histoire. Vous, avez vu évaluer ses lois derecrutement, ses mœurs, son esprit, parallèlement aux institutions politiques. Vous avez constaté que les relations de l'officier avec le soldat et avec le pays -n'avaient pas toujours revêtu le même caractère de cordialité et de confiance, sous les divers régimes qui se sont succédé en France depuis deux siècles, et qu'elles dépendaient étroitement du mode de constitution de l'armée. Nous allons maintenant tirer les conclusions de cette étude pour déterminer tout d'abord l'orientation qu'il y a lieu de donner aujourd'hui à. l'esprit militaire, pour définir ensuite le rôle de l'officier dans l'armée actuelle.
Esprit militaire. —
Trois armées ont été animées d'un esprit militaire nettement distinct, et doivent, par conséquent, retenir notre attention. Dans l'Armée républicaine, ICelle de Fleurus, les officiers et les soldats sont fermement attachés aux principes de la Révolution. On vous les a montrés en parfaite communauté de sentiments, enthousiastes des idées nouvelles, ayant au cœur l'amour violent de la Patrie et de son indépendance. Dans l'Armée de Napoléon Ier, celle d'Austerlitz, l'esprit guerrier subsiste, l'esprit républicain disparaît le dévouement à l'Empereur qui, en toutes occasions, exalte l'amour-propre de ses officiers et de ses soldats, leur orgueil, leur confiance dans leurs qualités militaires incomparables, et qui les comble d'honneurs, de titres, de récompenses, remplace le dévouement à la Patrie et aux idées généreuses que la Révolution avait fait éclore « Chaque soldat avait une étincelle de l'esprit de son chef; il croyait à son étoile, comme Napoléon ». (1)'
; :
(1)
Quinet (Edgar), poète, philosophe et historien français (1803-1875).
du secondEmpire,
L'Armée
celle de Magenfa n'a plus l'esprit d'une armée nationale qui combat pour l'intégrité du territoire et l'indépendance de la Patrie, elle n'a plus l'esprit d'une armée animée d'une confiance aveugle dans son général qui la tient par la gloire, l'honneur et l'argent. L'esprit de l'armée du second Empire c'est bien encore cependant l'esprit guerrier, mais l'esprit guerrier habilement entretenu par la victoire dans des guerres de luxe. Ces trois armées nous fournissent donc chacune un exemple des trois manières dont, d'après Quinet, se forme l'esprit militaire empreinte d'un principe de gouvernement, impulsion d'un grand général, souvenir perpétuellement entretenu de victoire. « Quand une armée — écrivait Quinet en 1872 au « moment de la réorganisation de l'armée française — a (creçu son esprit d'un grand général, chaque soldat porte «en lui une étincelle de ce foyer. L'esprit du grand Fré«déric avait donné son sceau à l'armée prussienne, et ce «sceau s'est effacé à l'approche de la Révolutionfrançaise* « L'institution de Frédéric vivait encore dans ses formes, «l'âme avait disparu. De même pour Napoléon. Dans ses «dernières armées s'était effacé le sceau qu'il leur avait imprimé; elles n'avaient plus foi dans l'infaillibilité et «dans l'étoile de leur chef. L'astre pâlissait pour soldat cccomme pour le général. « Entre les différentes manières de retremper une «armée, la puissance d'un grand général est moins «durable que celle de la victoire celle-ci l'est moins que «l'esprit de la nation. Car le général peut devenir infé«rieur à lui-même, la victoire peut s'effacer par la «défaite. Il n'y a que la-nation qui survive c'est en elle «"que l'armée peut perpétuellement se retremper et « retrouver sa vertu. «Rien de grand, dit ailleurs Quinet, ne se fera si l'âme de la nation ne respire dans les plis du drapeau » L'esprit qui doit animer l'Armée d'aujourd'hui est donc celui de la Nation.
:
la
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Modeler l'Armée sur la Nation, dit encore Quinet, c'est le génie moderne là est la vie et l'avenir. Modeler la Nation sur l'Armée et l'Armée sur le type prétorien, c'est l'ancien césarisme. Là est la chute et la mort ». «
Rappel de la définition de la Nation armée. conceptions de l'état militaire d'un pays, Armée de métier ou Nation armée, la seconde peut seule donner véritablement à l'armée l'esprit de la Nation. Vous savez que cette conception de la Nation armée est celle par laquelle l'Armée se confond avec la Nation, tire d'elle toutes ses ressources et n'a pas, en dehors de la Nation, une existence propre et distincte. L'Armée ainsi composée reçoit, en temps de guerre, mais, la totalité des citoyens en état de porter les armes dès le temps de paix, elle les organise, elle les instruit, de façon qu'au moment du besoin, le pays se dresse tout entier devant l'envahisseur. — Des deux
:
Conclusion de l'étude historique faite précédemment et justifiant la conception moderne de l'armée. Nécessité de la préparation de la Nation armée dès le temps de paix. — L'étude historique faite précédemment nous montre que la Nation armée, organisée et instruite dès le temps de paix, permet seule d'assurer victorieusement la défense
nationale. Nous allons rappeler brièvement les faits qui conduisent à cette conclusion. L'Armée républicaine de 1793 était la Nation armée. Mais si, au moyen des volontaires etdesréquisitionnaires, on put faire face au danger du dehors et protéger le territoire national, vous savez qu'on n'y réussit tout d'abord que grâce aux lenteurs de la guerre à cette époque. Il fallut un certain temps pour instruire, même à l'école des combats, les hommes de la levée en masse, et l'on vous a montré que l'Armée ne fut véritablement solide qu'en 1794.
Telle est la leçon essentielle que vous devez retenir de la période révolutionnaire. une l'Empire fût armée de et Consulat L'armée du de métier. Lieutenant-Colonel Frocard (1), « Napoléon, dit le «possédait la plus merveilleuse armée de professionnels «qu'on eût jamais vue, celle que lui avait donnée préci«sèment la loi sur la conscription de l'anVI, en mainted'anciens soldats, formés « nant au service une majorité «pendant les guerres de la Révolution et restés en «partie comme remplaçants. En trois ans, de 1805 à «1807, cette merveilleuse armée s'était presque épuisée. «La guerre d'Espagne l'acheva. capable de mener même fut pas En elle mot, ne un « « bout la politique de conquêtes, malgré Austerlitz, «malgré Iéna, malgré Friedland. constituent, surtout « Les vieux soldats de Napoléon « partir de 1807, un cadre excellent et tel qu'on n'en «peut trouver de semblable que parmi les hommes qui «ont fait la guerre. Mais ce sontles levées, c'est-à-dire «la Nation, qui alimentent les corps français de son
à
à
«armée.
de lui, dans face d'ailleurs Napoléon trouvait en « «l'Autriche, sa vieille ennemie d'Italie, un peuple armé, «dont chaque citoyen était déclaré soldat en naissant, en «vertu d'un édit antérieur de vingt ans à la Révolution «française. Et ce système, dit Marmont dans ses Mémoires, «donne des résultats « qui tiennent du prodige », et sert « former des armées « qui sortent de terre comme par
à
«enchantement ».
Cependant, lorsque la France fut envahie, le génie militaire de Napoléon et la valeur de ce qui lui restait de soldats ne suffirent point à repousser l'invasion. Le gouvernement impérial était placé dans la position le où se trouvait le pouvoir constitutionnel en 1792 (1) Revue
du Cercle militaire, Décembre 1902, Janvier 1903.
péril était le même; c'était également l'indépendance nationale qui était en danger. Il était donc tout naturel que Napoléon se servît des mêmes forces, qui d'ailleurs étaient venues s'offrir à lui. Vous savez pourquoi il les repoussa. En 1814 et 1815, la Nation armée entièrement instruite et à la bonne école par les guerres précédentes, aurait pu peut-être, si Napoléon eût consenti à lui faire appel, et malgré son épuisement, rejeter l'envahisseur hors des frontières naturelles de notre pays. L'expériencede la malheureuse guerre de 1870, nous a montré également qu'une armée de métier, si disciplinée et si fortement encadrée qu'elle pût être, ne peut venir à bout d'uneguerre d'indépendance. Aussi, après la chute de l'empire, le gouvernement de la Défense nationale dut-il recourir à la Nation armée pour repousser l'invasion qui venait de submerger notre armée de métier. En quatre mois, vous a-t-on dit, 600,000 hommes répondirent à l'appel de Gambetta. Mais ces hommes n'avaient recu aucune instruction militaire préalable; l'organisation d'une telle armée, au moment même où on voulait l'utiliser devant un ennemi nombreux et victorieux, et avec la rapidité de la guerre moderne, offrait des difficultés insurmontables. Le temps manqua à cette armée nationale improvisée pour donner toute sa mesure et pour mener à bien la défense nationale dont elle avait assumé la charge. Une armée nationale ne s'improvise pas. Cependant, grâce à l'impulsion puissante du grand tribun, le dévouement des populations françaises a pu, comme on vous l'a dit, donner aux soubresauts de l'agonie une durée et une vigueur qui nous ont assuré le respect de l'ennemi, et ont permis à la Nationarmée d'avoir foi dans l'avenir.
Exemple fourni par la Prusse.
- la
C'est d'ailleurs le principe de la Nation armée, mais de Nation
armée exercée dès le temps de paix, qui a été le salut de la Prusse, après le désastre d'léna. Voici, à ce sujet, comment s'exprime M. Rolland, rapporteur de. la loi de deux ans, au Sénat Chasseloup-Laubat, dans son rapcc M. le marquis de « port sur le recrutement de l'armée, disait, le 12 mars «'1872, à l'Assemblée nationale : Les grands désastres «renferment de grands enseignements la sagesse con«siste à les comprendre, le courage à en profiter. « La Prusse a eu cette sagesse et ce courage après ses «désastres de 1806 à 1807. « Napoléon, non content d'avoir battu et détruit son « armée à Iéna, lui imposa, après le traité de Tilsitt, dans «le but de ruiner définitivement sa puissance militaire, «la stipulation du 8 septembre 1808,qui limitait étroite«ment à 42.000 hommes le chiffre de ses soldats. « Les hommes d'Etat prussiens et notamment les «Ministres Hardenberg, Steinet Scharnhorst, liés par les «rigueurs de cette clause, n'hésitèrent pas à abandonner «leurs anciennes institutions militaires, quelque glorieux «qu'eût été leur passé. qu'ils « Ils eurent alors, en dépit des résistances «durent vaincre chez Frédéric-Guillaume III et la coterie «qui entourait ce roi faible et irrésolu, l'idée heureuse, «pour ne pas dire géniale, d'appliquer, plus de soixante «ans avant les autres peuples, le principe fécond du «service obligatoire à court terme, combiné avec la «création de réserves échelonnées. d'uneffectifres« De la sorte, sous les apparences «treint, ils substituèrent habilement, à l'armée perma«nente chargée de défendre la Nation, laNation tout «entière armée et capable de se défendre elle-même. rendu impérieusement « Pour arriver à ce résultat, «nécessaire par la rapidité avec laquelle se déroulaient «les événements, les jeunes soldats prussiens se succé«daient vite sous les drapeaux où ils ne passaient guère
:
;
«que six mois. «
Aussi, après notre déroute de 1812, lorsque la
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Prusse se souleva contre Napoléon et prit une part active aux luttes de 1813 à 1815, vit-on l'armée de 42,000 hommes se transformer sans effort en une armée de 150,000 hommes suffisamment dressés, bien pourvus, et dont l'action très régulière et fort énergique devint, malheureusement pour nous, décisive dans ce grand drame militaire qui prit fin à Waterloo. « La mesure qui devait achever l'abaissement de cette puissance fut donc l'origine de sa fortune inespérée ».
Constitution de la Nation
:
Armée son rôle, — Vous savez que la Nation armée fut adoptée en France après nos désastres de 1870. Elle comprend, à la mobilisation, non seulement des cadres et des hommes de l'active, mais aussi et surtout des réservistes et des territoriaux, c'est-à-dire en somme toute la partie virile du pays. Dès le temps de paix, ces hommes sont exercés au rôle qu'ils auront à remplir en temps de guerre, et viennent, a époque fixes, rafraîchir leur mémoire au contact de
camarades plus jeunes. Il est certain qu'une Nation dont l'ensemble des citoyens constitue une telle armée n'est pas normalement disposée à entreprendre la guerre, à soutenir une politique de conquêtes. La France républicaine d'aujourd'hui veut être forte et respectée, et, sans abandonner ses espérances légitimes, désire vivre en paix avec ses voisins. Et c'est précisément parce qu'elle veut la paix qu'elle a adopté la Nation armée que les nécessités de la défense nationale avaient fait concevoir à son ainée, la France républicaine de 1792.
Le soldat de la Nation armée.
— Ces
réser-
vistes, ces territoriaux appartiennent à toute les classes de la société. Ils occupent dans la vie civile les situations les plus diverses. Ce sont de petits artisans, des ouvriers, des paysans pourvus parfois d'une nombreuse famille, qu'ils font
vivre péniblement du produit de leur travail journalier. Les périodes d'exercices auxquelles ils sont assujettis comme réservistes et comme territoriaux, sont déjà pour eux de durs sacrifices, car, pendant ce temps, leurs enfants manquent quelquefois de pain. N'a-t-on pas vu récemment un réserviste,un brave homme, veuf mais père de deux enfants, les amener au quartier sous le prétexte.qu'il n'avait pas de famille à qui les confier, pas de pain à leur donner? Ce sont des industriels, des commerçants auxquels sont confiés des intérêts souvent considérables et qui possèdent eux-mêmes des fonds importants dans les entreprises qu'ils dirigent. Ils en sont la cheville ouvrière. Tous ces hommes, réservistes et territoriaux, soldats demain dans la Nation armée pour la défense de son territoire, ont accompli les charges militaires du temps de paix. A la mobilisaiion, ils sont appelés à sacrifier à la défense de la Patrie, leur situation, leur avenir, leur fortune, les intérêts de ceux qui leurs sont chers. Ils doivent abandonner, famille, métier, intérêts de toutes sortes. Cest pour eux un grand devoir, le premier des devoirs civiques. C'est aussi un grand sacrifice. Marchant à la frontière pour défendre les intérêts généraux de la collectivité, ils songeront forcément aux intérêts particuliers qu'ils auront laissés derrière eux. Ce sacrifice que leur demande la Patrie menacée, ils n'en sont pas moins tous prêts à le faire, mais ils veulent alors pouvoir compter sur le corps d'officiers. Pour bien conduire ses hommes en temps de guerre, il ne suffira donc pas à l'officier d'avoir développé ses propres qualités techniques, il faudra encore qu'il ait sur eux une grande autorité morale. Pour cela, il est indispensable qu'il leur inspire confiance, et cette confiance est plus difficile à obtenir avec le soldat éclairé de la Nation armée qu'avec le soldat d'autrefois.
Différences entre le soldat de métier et le
soldat de la Nation armée.
-
Le soldat d'autrefois, en effet,— volontaire, conscrit désigné par le sort ou remplaçant, maintenu de longues années sous les drapeaux, — considérait la vie militaire comme un métier.
Célibataire par destination, sans intérêts et souvent sans relations en dehors du régiment, où son existence s'écoulait au milieu de camarades voués comme lui à une vie nomade, la vie de garnison avec.ses exercices, ses appels, ses revues, sa discipline rigoureuse, lui était bientôt insupportable. Il réclamait la guerre avec la vie plus large des camps, avec le besoin des coups propre aux esprits peu cultivés, avec l'espoir du butin. Sans instruction, brutal mais loyal, il ne savait qu'obéir et se battre. Aux blessures, à la mort il ne songeait guère la bravoure du troupier français est de toutes les époques; qu'il combatte pour une idée, qu'il lutte pour la gloire, il s'est toujours montré insouciant du danger. Eloigné pendant de longues années de la vie civile, il devenait un soldat d'autant meilleur qu'il avait plus oublié sa famille, son atelier, son village moins il était citoyen, plus il était militaire. Et quand, libéré, il rentrait dans la vie commune, c'était encore un être à part, ayant des idées de caste qui aujourd'hui ne seraient pas partagées autour de lui. « Le soldat d'autrefois, — dit M. Rolland, rapporteur « de la loi de deux ans au Sénat, — depuis la création « d'une armée nationale rendant le service obligatoire tous, a fait place à un soldat nouveau, indifférem« pour bour« ment prélevé sur toutes les classes de la société « geois, ouvriers, paysans, concourent tous aujourd'hui « à la défense de la Patrie. « Loin d'être un homme d'armes, il exerce son acti« vité, sa vie durant, dans les arts dela paix, dans le « commerce, dans l'industrie, dans une profession quel« conque; il cultive son champ, veille à ses intérêts, ceux « des siens, car il est généralement père de famille; et « rien ne sera changé à sa façon de vivre pendant les « vingt-cinq années où il devra payer l'impôt du sang, si
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à
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ce n'est à l'occasion des quelques mois qu'il sera tenu de passer au régiment pour y recevoir l'instruction militaire indispensable à tout bon serviteur de son pays. Ajoutons que-ce régiment tient garnison dans la région
« natale du conscrit ». A aucun moment il n'est utile que. le soldat de la Nation armée ne perde le souvenir de ses intérêts et de ses affections plus il saura élargir ces sentiments, plus il
:
deviendra bon soldat, capable de défendre son pays, parce que c'est défendre du même coup sa propre famille. Jamaisil ne doit cesser d'être un citoyen. Ace soldat nouveau, il faut un officier nouveau.
qu'était l'officier de l'anciennearmée. Ce que doit être l'officier de l'Armée actuelle. — Ce
Sous l'ancien régime, vous le savez, le corps d'officiers était recruté presque exclusivement dans la Noblesse. Mais, si l'esprit de caste dominait le corps d'officiers de l'ancien régime, les sentiments d'honneur, de courage, de discipline, d'abnégation y étaient, comme on vous l'a montré, développés au suprême degré. A ce moment, l'armée toute entière formait une caste à deux degrés. Tout naturellement, l'officier se considérait comme le maître absolu de ses soldats. En exceptant la période qui s'étend de la Révolution aux premières années du premier Empire, on peut dire, que jusqu'en 1870, si le corps d'officiers est resté moins fermé, il n'en est pas moins encore dominé par l'esprit de caste. L'officier considérait alors l'armée comme « unecitadelle fermée au sein de la Nation (1)et méprisait profondément tout ce qui ne portait pas l'uniforme. Il avait le culte de l'obéissance passive qui lui faisait abandonnercomplètement ses facultés d'agir et de penser entre les mains de ses supérieurs, etregarder l'homme comme un numéro matricule que le dressage dela place d'armes devait
»
(1)
Discours prononcé le 3 décembre 1899 à l'Assemblée des Sociétés régi-,
mentaires parungénéral aujourd'hui décédé.
mater et transformer enautomate inconscient, obéissant au doigt et à l'œil. S'adressant à des hommes sans éducation et de nature fruste, il employait souvent un langage grossier qu'il croyait plus à leur portée. Son mode d'action sur eux était basé uniquement sur la répression. Malgré cela, « la conduite au feu, la bravoure, la tradition, donnait aux officiers un prestige considérable sur des hommes sentant peu et, par conséquent,souffrant peu d'une façon d'être à laquelle ils avaient été habitués de longue date. » (1) Du patrimoine légué par l'ancienne France militaire, l'officier d'aujourd'hui conservera les sentiments d'honneur, de courage, de discipline, d'abnégation. Comme ses aînés, il sera un entraîneur d'hommes, mais il ne devra pas perdre de vue que la composition actuelle de l'armée n'est plus celle d'autrefois, que tous les citoyens en àge de porter les armes en font partie, quelle que soit leur situation sociale. Il ne devra pas oublier que les soldats ne sont pas uniquement à l'armée pour « procurer le succès et préparer la gloire des officiers », mais pour collaborer avec eux au devoir militaire national. « L'officier necommande plusaujourd'hui à un mer« cenaire ignorant, mais à un citoyen français, son égal « de par la loi. L'officier n'a envers le soldat d'autre « supériorité, tout impersonnelle, que celle que lui con« fère son grade. Le commandement militaire n'est plus « un privilège aristocratique; c'est une fonction natio«. nale. » (2)
Enseignements à retenir de la période 179495-96 pour définir le rôle de l'officier dans la Nation armée. — Si l'on veut se rendre compte de la
condition réciproque que.l'officier et le soldat doivent occuper dans l'armée actuelle, il n'y a qu'à se reporter aux armées de la première République. Elles nous donnent, Lieutenant Demongeot. Citoyen et Soldat. (2) H. Béranger. La Conscience Nationale. (1)
comme on vous l'a montré, un exemple accompli de Nation armée. Mais il est indispensable de préciser le moment à partir duquel, « dégagées des violences et de certaines erreurs de la Révolution, elles sont devenues le modèle le plus pur de toutes les vertus militaires et civiques. » (1) C'est dans les années 1894-95-96 que nous devons les admirer sans réserves. Avant 1794, en effet, l'armée républicaine, quoique formée de volontaires animés du plus pur patriotisme; n'était ni bien instruite, ni suffisamment disciplinée. Après 1796, l'esprit de l'armée change. A la politique de défense nationale succède la politique de conquête l'armée nationale tend à devenir une armée de métier. L'officier d'aujourd'hui doit donc prendre pour modèles ceux de la première République, qui surent mettre leur dévouement et leur patriotisme à la hauteur de toutes les circonstances. Il doit s'efforcer surtout d'imiter leur modestie et leur désintéressement, et d'acquérir toutes les qualités qui ont fait leur force et leur ont attiré la confiance et l'affection de leurs soldats. Pour cela, il lui faut, tout d'abord, repousser l'esprit de caste et ne pas se croire d'une essence supérieure au citoyen qu'il aura à commander. Il faut que tous, officiers et soldats soient solidaires pour la grandeur de la Patrie.
;
D'accord sur la grandeur du but poursuivi, cons«cients de la nécessité des moyens à employer, réciproquement respectueux de leurs personnes, tous les «citoyens français qui composent l'armée nationale pui«seront dans l'amour de la Patrie, joint à l'esprit de soli«darité humaine, les éléments d'entente qui ne doivent «pas cesser d'exister entre hommes réunis dans un «idéal commun. « L'esprit de caste doit donc céder le pas à l'esprit de «
«
«solidarité ». (2)
(1) Lieutenant-Colonel Ebener, Conférences faites à Saint-Cyr t Rôle social de l'Officier. Lavauzelle, éditeur.
[ i.
(2)
Lieutenant Demonget.
en 1901 sur
Nécessité de la confiance.
— Il faut ensuite
que tous les officiers s'efforcent de gagner la confiance du citoyen qui devient, en temps de guerre, le soldat de la Nation armée. S'ils y parviennent, ils obtiendront, en effet, ce résultat de voir les réservistes, les territoriaux, revenir à la mobilisation sans arrière-pensée sur la valeur morale et sur les sentiments de leurs chefs, convaincus qu'ils sont tous à la hauteur de leur mission, décidés à leur obéir sans réserve, puisque, de leur soumission; dépend le succès, disposés enfin à tout sacrifier au salut de la
Patrie. D'une façon plus générale, le corps d'officiérs doit inspirer confiance à la Nation entière. N'oublions pas, en onet, que le pays qui, dès le temps de paix, consent déjà de lourds sacrifices pour l'entretien d'une armée permanente, puisqu'il donne son argent et prête ses enfants, remet, à la mobilisation, entre les mains des officiers « tous les citoyens valides, tous les bras, toutes les exis« tences infiniment précieuses que rien ne saurait remd'exiger d'eux, quel que soit et placer ». Il est donc en droit leur grade, toutes les qualités propres à lui inspirer confiance. « Il entend que l'officier ne gâche aucun de « ces trésors humains, qu'il ait l'intelligence et la science (c pour ne les employer utilement, le dévouement pour ne « les dépenser qu'au profit du devoir, l'humanité pour « les ménager et en prendre soin. « Et, quand nous portons en nous-mêmes ces garan« ties réelles, il nous faut encore mettre tous nos soins à « éviter les causes d'erreur et de malentendu, car la con« fiance et l'affection du peuple sont pour nous des élé« ments de force. Il nous faut surveiller nosparoles, nos « actes, notre vie privée, éveiller autour de nous la con« fiance et le respect. « L'officier est, de la part des gens du peuple sur« tout, l'objet d'une observation attentive et exigeante « faut qu'il le sache, qu'il en tienne compte et qu'il -"c évite tout ce qui peut produire sur la foule une im-
il
;
;
pression défavorable. Ceux qui le regardent sont des « réservistes la confiance et l'estime qu'il sait leur inspi« rer sont des facteurs importants de la solidité des « troupes que nous avons à improviser à la mobilisait tion (1). » La nécessité de la confiance du soldat en ses chefs n'est d'ailleurs pas particulière à la Nation armée. Tous les chefs militaires l'ont reconnue depuis longtemps. Nous lisons, par exemple, dans les souvenirs du général de Brack (Avant-postes de cavalerie légère): « Le soldat — qui a confiance en son chef — ne « regarde plus l'ennemi, ni le danger, mais ce chef, et il «se dit C'estpossiblequ'il fasse chaud : mais il nousramè«nera bien, lui ! Ilne bougepas, notre affaire est bonne « Il sourit, nous allons leur couper les reins ! Et si le «chef répond à cette pensée, qu'il a pressentie longtemps «d'avance, par ces mots prononcés froidement PelJtons, « demi-tour à gauche — Au pas, la retraite s'exécute avec « le plus grand ensemble, Ne bougeons pas, enfants ! Ils «ne bougent pas. Ils sont à nous, chargeons ! L'ennemi «est perdu. (( L'obéissance n'est pas suffisante, dit le général «Thoumas, dans ses Causeries militaires. Il faut encore «la confiance, nécessaire à toutes les armées, plus néces« saire encore dans l'armée française que dans toutes les ,« autres, le soldat français étant, au dire des observa«vateurs compétents, le plus capable des grandes «actions, mais sous la condition expresse de se sentir « bien commandé. » L'histoire montre que la confiance du soldat en ses chefs dans l'armée de métier comme dans la Nation armée a de tout temps engendré le succès. « On a vu la Grande Armée qui, en fait, avait été « engloutie et avait disparu dès 1812, être, sans transi« tion, remplacée par une armée de jeunes hommes à la « hâte assemblés et, malgré cela, cette dernière se com«
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!
:
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(1)
Capitaine Gavet.
—
l'Art de commander.
porta de telle sorte qu'elle donne à l'Europe et aux « vieilles troupes de la coalition, le spectacle d'une « force et d'une puissance uniquement empruntées à « l'influence morale. « C'est que ces soldats improvisés vivent dans une « atmosphère de prestige et de confiance non encore « évanouis. C'est qu'ils ont à côté d'eux quelques survi« vants des grandes guerres, et au-dessus d'eux le chef en Napoléon. « lequel tout le monde a foi « Et si, dans l'histoire, 1805 et 1806 apparaissent « comme la plus géniale manifestation de l'art de la « guerre, 1813 et 1814 offrent en surcroît, la plus singu« lière affirmation de la puissance morale. « J'ai 50.000 hommes et moi, disait Napoléon au cours code cette prodigieuse campagne de 1814, cela fait «
:
«
.150.000 hommes
Et lorsqu'il s'éloigne de Schwartzenberg pour cou« rir à Blücher, on le voit surtout préoccupé de ne pas « révéler son absence. « Ordre fut donné Macdonald et à « Oudinot de faire croire, par tous les moyens possibles, En cas d'at« que Napoléon était encore sur la ligne. (1) Vive l'Empereur « taque, les soldats devaient crier Le jour viendra bientôt, sans nul doute, où les armées rivales, dans leur ardente et âpre concurrence matérielle,deven,ues sensiblement égales parle nombre,par l'armement,par l'instruction,ne se différencierontplus que par leur valeur morale, par leur plus ou moins grande aptitude à affronter la mort. Or, cela n'est plus une question d'instruction, mais de cœur, mais de volonté, mais de patriotisme (2). «
à
:
(1) Henri Houssaye (1814). (1)
Revue de Cavalerie, août 1902.
-
!
Double Mission de l'Officier Pour acquérir cette confiance du soldat dont nous venons de montrer la nécessité, l'officier a une double mission à remplir. D'abord s'instruire lui-même de manière à tenir le mieux possible le rôle qui lui est dévolu en temps de guerre. Il doit donc fournir un effort permanent pour parfaire son instruction personnelle technique. « Le soldat, témoin des efforts incessants de ses chefs, amené à constater leur valeur professionnelle et leurs connaissances techniques, prendra confiance en eux » (1). Il doit ensuite instruire ses hommes, en employant des procédés d'instruction et d'éducation qui soient appropriés à l'esprit des citoyens, dont la réunion forme la Nation armée, et aient pour effet d'accroître la confiance du soldat en ses chefs.
Dépendance obligée des procédés d'instruction et de l'esprit du pays. — Les conséquences du
principe de la Nation armée sont vraies, quel que soit le peuple qui adopte ce mode de formation de l'armée. Il y a donc intérêt, en Allemagne par exemple, comme en France, à ce que les réservistes aient pleine confiance dans les hommes qui doivent les conduire au combat,mais les procédés d'instruction ne sont pas forcément les mêmes. Ils changent avec l'état d'âme, l'esprit du réserviste, c'est-à-dire l'esprit du pays tout entier, et cet état d'âme résulte des mœurs du pays, de ses habitudes, du développement de son instruction, de ses institutions et de l'ensemble des lois qui en sont la conséquence. Ils suivent une loi d'évolution semblable à l'esprit
--
(1)
Commandant Manceau. — Notre Armée, Fasqueile, éditeur.
et au régime politique du pays et varient d'un peuple à l'autre. En Allemagne,le pouvoir est encore tout entier entre. les mains de l'aristocratie. Toutes les fonctions de l'Etat sont très fermées, en particulier et surtout le corps d'officiers. « Nul n'étant admis à la haute dignité d'officier sans « en avoir été reconnu digne par ses pairs, tous sont du même monde et appartiennent à la même classe de la « société, c'est-à-dire presque exclusivement à la noLes roturiers, les gens sans éducation trouvent te blesse. « difficilement un corps qui veuille d'eux et consente à « les accepter. C'est à peine si un bourgeois arrive à se « faire nommer lieutenant dans l'artillerie, le génie ou « les hussards, c'est-à-dire dans ce que l'Allemagne con« sidère comme les armes inférieures. Le fameux général « de cavalerie Ziethem, qui s'était engagé comme simple « soldat, constitue la seule notable exception que l'on ait « l'habitude de citer comme confirmation de la règle. En « principe, l'officier allemand est prisdans les classes les fois nommé, il te plus élevées et les mieux élevées. Une « appartient à la noblesse d'épée (Schweitadel). A ce « titre, il est Courfâhig, c'est-à-dire qu'il a ses entrées à « la Cour, privilège dont ne jouit pas le directeur de la « Monnaie, par exemple, ni le directeur de la Banque, ni « tel autre gros personnage dans la hiérarchie civile. Un « simple chef de bataillon a le pas sur les membres du Par« lement un commandant de corps d'armée marche avant « les ministres en exercice et les présidents des Cham« bres (Reichstag ou Bundesrath ou Landtag) » (1). Le corps d'officiers forme donc une caste bien distincte de la nation. En raison de son origine et de son éducation, l'officier est séparé par un véritable abîme de la manière de sentir et de penser du. simple soldat. Il demeure complètement étranger à l'évolution sociale actuelle.
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(1)
CommandantManceau. — Notre armée.
Quant au peuple allemand, obéissant d'instinct et se pliant facilement à la discipline, il accepte encore sans trop murmurer cet état de choses. Cependant le goût de la liberté grandit chez lui, et les progrès de cette évolution se mesurent à chaque renouvellement du Reichstag. Il ne faut donc pas nous étonner que les procédés d'instruction et d'éducation ne soient pas les mêmes qu'en France, que les peines corporelles, par exemple, y soient encore en usage en fait, sinon en droit, alors qu'elles sont abolies depuis longtemps chez nous. L'esprit national, les mœurs, les usages, le caractère des deux nations sont complètement distincts. Si l'on se donne pour but d'inspirer la confiance nécessaire, les moyens à employer pour y arriver ne peuvent être les mêmes. Nous allons étudier quelles sont les conditions particulières à la France qui peuvent influer sur nos procédés d'instruction et d'éducation. En France, la démocratie est toute puissante. La République à laquelle elle est si fermementattachée a donné la liberté sous toutes ses formes et, grâce à la législation scolaire, a augmenté son développement intellectuel. Elle fait chaque joúr son éducation elle ne cesse d'évoluer et de prendre une conscience très nette de ses droits et de ses devoirs. Le régime parlementaire surtout a contribué à modifier son caractère. Elle s'habitue à penser et à discuter ses intérêts, à juger les hommes et les choses. Quelle que soit l'opinion politique du citoyen, il bénéficie de nos institutions, il use de la liberté. Par son éducation même, il est tout naturellement amené à porter un jugement sur tout ce qui se passe, soit un jugement personnel, soit un jugement emprunté à certaines individualités ou aux collectivités au milieu desquelles il vit. Appelé ou rappelé sous les drapeaux, l'homme qui vient chez nous avec le désir de bien faire, de serviravec dévouement, avec la conscience très nette du grand devoir qu'il va remplir, reste néanmoins ce qu'il est il con-
;
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serve son individualité, ses habitudes, ses idées et ses tendances. Elles sont d'autant plus accusées que l'âge auquel il servira sera plus élevé. Le réserviste, le territorial, plus que l'homme du contingent, seront ainsi conduits normalement et instinctivement à peser tout ce qui se passera autour d'eux, et, dans leur for intérieur, à apprécier, à juger même. Nous devons tenir compte de cet ensemble de faits. Ainsi l'enseignement militaire doit être approprié à l'esprit, à l'état d'âme des hommes qui le reçoivent. Il suit une loi d'évolution semblable aux mœurs, au développement intellectuel, aux institutions et à la législation du pays, de manière à s'y adapter le mieux possible. L'armée doit donc évoluer sans cesse, afin de mettre ses procédés d'instruction et d'éducation en harmonie avec les exigences du moment. Nous allons examiner les progrès de cette évolution depuis 1870 et voir si les procédés d'enseignement militaire ont toujours été parfaitement adaptés à nos institutions politiques.
L'armée de 1872.
— La loi de 1872, quoique inspirée par les mêmes sentiments patriotiques que celle de 1790, n'était, comme on l'a montré, qu'une solution incom-
plète, car elle constituait une charge trop lourde pour les uns, un privilège injuste pour les autres; elle n'était pas adaptée à l'esprit général des institutions du pays. La cause en est que la majorité du Parlement n'était pas encore orientée dans le sens des idées démocratiques. La République existait en fait, mais le gouvernement était entre les mains des partisans des divers régimes monarchiques, qui s'étaient succédé en France depuis la Révolution. Aucun changement ne fut donc apporté à cette époque à nos méthodes d'instruction et d'éducation. Mais, en 1884, le renouvellement triennal du Sénat ayant donné, dans cette Assemblée, la majorité aux représentants de l'idée républicaine, qui la possédaient déjà à
la Chambres des députés, l'Assembléenationale vota la loi, dite du 14 août 1884, affirmant l'intangibilité de la
République (1). Le principe de la République ne pouvant plus être discuté, les représentants du peuple s'appliquèrent à l'étude des réformes ayant pour but une répartition plus juste des charges qui pèsent sur les classes déshéritées de la société. La loi dé 1889 sortit de leurs délibérations.
L'Armée d'aujourd'hui. —
Les principes fondamentaux de la loi de 1889, sous le régime de laquelle nous vivons encore aujourd'hui, vous sont connus; obli-
gation personnelle du service d'activité, inégalités imposées par des nécessités budgétaires, concession de dispenses. Cette loi marque une tendance à l'égalité des charges militaires mais, si le service est obligatoire pour tous les citoyens, à l'exception toutefois des hommes classés dans les services auxiliaires, astreints seulement en temps de paix à des revues d'appel, il n'est pas égal pour tous, puisque certains citoyens, appartenant pour la plupart aux classes privilégiées, ne font qu'un an de service au lieu de trois. La logique n'en devait pas moins exiger une évolution semblable dans nos règlements, nos procédés d'instruction et aussi dans nos méthodes d'éducation. On vous a précédemment montré l'évolution des règlements. Nos procédés d'enseignement militaire (instruction et éducation) ont-ils également évolué dans le sens voulu du fait de l'application de la loi de 1889 ? Pour répondre à cette question, il faut étudier la situation actuelle, c'est-à-dire l'Armée républicaine d'au-
;
jourd'hui.
L'Armée de demain.
— Deplus,une loi nou-
velle réduit à deux ans la durée du service. Cette fois,
(1) La forme vision de revision.républicaine du gouvernement ne peut faire l'objet d'une pro-
le service sera obligatoire et égal pour tous. Ungrand nombre d'hommes classés dans les services auxiliaires seront appelés sous les drapeaux. Il faudra nous attacher d'éducaà modifier encore nos procédés d'instruction tion afin de les adapter à la nouvelle loi. Donc, après avoir examiné la situation actuelle, et après avoir étudié ce qu'elle deviendra après l'adoption certaine et imminente de la loi de deux ans, il sera de toute nécessité de fixer enfin les devoirs de l'officier comme instructeur et comme éducateur dans notre armée qui, à la mobilisation, sera formée de tous les citoyens en âge de porter les armes, de toute la partie virile de la Nation qui voit, qui réfléchit et qui juge, c'est-à-dire, de fixer les devoirs de l'officier dans la Nation armée.
et
Deuxième Partie L'Armée républicaine d'aujourd'hui (Loi de 1889)
:
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SOMMAIRE
L'officier, le sous-officier, le soldat, le réserviste, le territorial. Analyse de l'instruction donnée dans l'armée. Préparation antérieure à cette instruction. Progrès réalisés depuis quelques années dans les méthodes d'ins-
truction. Vie matérielle du sous-officier et du soldat. Améliorations apportées à la vie matérielle du soldat. Résumé des critiques qui sont adressées à l'armée et qui accusent le peu d'efficacité de l'action moralisatrice des officiers sur les contingents qui passent sous les drapeaux. Cause des résultats constatés à ce point de vue et à celui du mouvement de désaffection de l'homme et du réserviste pour la vie de caserne On a trop longtemps négligé l'éducation du soldat. Les officiers qui ont compris leur rôle d'éducateur sont en minorité. Préjugé qui, jusqu'à jour, a, en général, empêché l'ofce ficier de comprendre son rôle d'éducateur.
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L'Armée républicaine d'aujourd'hui
L'OFFICIER, LE SOUS-OFFICIER, LE SOLDAT, LE RÉSERVISTE, LE TERRITORIAL l
L'Officier. — Notre corps d'officiers
se recrute actuellement dans les écoles militaires et dans les corps de troupe.. Les jeunes gens reçus à l'Ecole Polytechnique ou à l'Ecole de Saint-Cyr en sortent avec le grade de souslieutenant après deux ans d'études. Les sous-officiers reçus àl'Ecole de Versailles, à l'Ecole de Saint-Maixent, à l'Ecole de Saumur ou à l'Ecole de Vincennes en sortent avec le même grade après une année d'études. Enfin par un décret récent du Président de la République, le dixième des emplois vacants de sous-lieutenants peut être donné à des adjudants ayant au moins 10 ans de
service.
La loi de 1832 (1) reprenant les dispositions de la loi de 1818, attribuait le tiers des emplois de sous-lieutenants aux sous-officiers elle a voulu consacrer le droit à l'épaulette pour l'homme de troupe qui s'en rendrait digne, droit que la Déclaration des Droits de l'homme a proclamé naturel et inviolable. La tendance actuelle est
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d'augmenter cette proportion. D'après le nouveau projet de loi sur l'avancement, déposé récemment par le gouvernement sur le bureau de la Chambre, le nombre des officiers sortant du rang, devra être dans chaque arme au moins égal à la moitié du nombre total des officiers de l'arme. L'augmentation du nombredes sous-officiers admis à l'épaulette facilitera dans l'avenir la nomination aux (1)
Loi sur l'avancement des officiers, 14 avril 1832.
grades supérieurs des officiers sortant du rang et ainsi se trouvera, mieux qu'aujourd'hui et en temps de paix, vérifiée la formule traditionnelle qui doit caractériser toute armée vraiment démocratique « Chaque soldat a dans sa giberne son bâton de maréchal ».
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Le corps d'officiers et la Nation.
— Autrefois, comme on vous l'a dit, toute la jeunesse instruite se portait de préférence vers les fonctions publiques, la diplomatie, la magistrature, les carrières libérales en raison de la fréquence des expéditions,l'épaulette n'était briguée, le plus souvent, que par les esprits aventureux, disposés au mouvement et à l'agitation plutôt qu'à l'étude et à la
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réflexion. Mais depuis que la Nation armée a remplacé l'armée de métier, la valeur intellectuelle et morale de notre corps d'officiers s'est sensiblement accrue. L'adoption du système de la Nation armée par les principales puissances continentales de l'Europe a, en effet, notablement modifié le caractère de la guerre. Ellen'est plus une simple querelle de deux chefs d'Etat, elle est la lutte pour la vie de deux peuples. Ce changement a eu pour conséquence sinon de la supprimer,du moins de rendre beaucoup plus rare. Elle est toujours imminente, on y pense sans cesse, on s'y prépare sans relâche, elle n'éclate jamais. La science militaire ne résulte donc plus de l'expérience acquise sur les champs de bataille, elle ne provient plus que de l'étude. L'officier devra dorénavant arriver à la guerre complètement préparé à la tâche qui lui est assignée et qui consistera à résoudre des problèmes réellement
la
difficiles. « La tactique, d'après un mot de l'Empereur, change «tous les dix ans; elle est plutôt en perpétuelle évolution; «et, tous ceux quiont charge d'âme aucombat, ont à se «former l'esprit et le caractère pour être à hauteur de «leur noble mission quand le « jour de gloire » sera
«arrivé.
« Tous arriveront à comprendre le parti à prendre, à
force de réfléchir et d'étudier, comme l'ont fait les offi« ciers improvisés qui ont vaincu l'Europe. Ils y réusl'étude approfondie de « siront par le travail continu, par 1 « la période de notre histoire militaire, qui a vu éclore « la plus grande somme d'efforts et d'idées que des armées « aient jamais fournie. » (1) De là, le développement très apparent des études dans l'armée et la possibilité pour elle d'attirer des esprits désireux d'occupations intellectuelles que la crainte du seul service matériel, de la routine monotone en eût, peut-être, autrefois écartés. Les conditions de recrutement des officiers ont été de ce fait,profondément modifiées. En outre les écoles de sous officiers, les bourses accordées dans les écoles spéciales (acheminement désirable vers la gratuité complète) en ont permis l'accès aux. jeunes gens dont les familles ont les situations les plus modestes. En tant qu'origine, le corps d'officiers s'est donc démocratisé par le fait même de son recrutement dans la masse profonde de la nation. Toutes les classes, tous les éléments sociaux, toutes les familles mêmes sont aujourd'hui représentées dans le corps d'officiers. D'autre part, la fixité relative des garnisons oblige, dans une certaine mesure les officiers à des relations plus suivies avec la population. Le mariage, qui était autrefois un état d'exception pour l'officier, est devenu plus fréquent et a eu pour première conséquence d'établir des liens entre les officiers et l'élément civil. Les stages périodiques accomplis dans l'armée parles officiers de réserve appartenant aux classes intelligentes et distinguées de la société contribuent également à orienter vers ce résultat extrêmement désirable. A mesure que ces liens deviendront plus étroits, officiers et civils apprendront à s'apprécier réciproquement «
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Général Jourdy
«
L'instruction de l'armée française de 1815 à1902
»
et alors disparaîtra la morgue que l'officier a affectée longtemps envers le civil, reste de l'époque où ce civil, « pékin » pour nos aînés, était considéré par eux comme une quantité négligeable. De même s'évanouira le dédain que le civil témoignait à l'officier dont il ignorait les sérieuses qualités professionnelles et dont il ne voyait que l'apparence extérieure et les défauts. Mais il est nécessaire que ce contact ne soit pas localisé dans un milieu particulier où l'officier se trouve attiré, entraîné, et où il pourrait être amené à rechercher ses relations. Il est indispensable, en effet, que le corps d'officiers inspire à tous une confiance absolue, qu'il jouisse de l'unanime respect de la Nation il ne doit exister entre elle et lui aucun malentendu. Nous ne saurions affirmer que l'accord soit actuellement parfait. La cause en est que nos mœurs, notre esprit, les lois et réglements qui nous régissent, l'éducation de nos cadres ne sont pas encore aussi adaptés qu'ils devraient l'être, aux institutions et à l'état social de la France. « Or, de cette adaptation seule, et de cette adaptation, « non pas partielle, mais complète dépend la solution qui est d'assurer « d'un problème vital pour notre pays « la coexistence et la bonne harmonie d'une armée per« manente nombreuse, forte, disciplinée, et d'une démo« cratie pacifique ». (1) Beaucoup d'officiers trop confinés dans leurs attributions professionnelles, sontrestés trop longtemps indifférents devant l'évolution qui, depuis 1870, entraîne la Nation, et l'armée, qui n'en est que le reflet, dans la voie du progrès social. En oubliant que les considérations presque exclusivement militaires, qui ont présidé à la constitution de l'armée après nos désastres, sont maintenant modifiées par les préocupations économiques et sociales, que ces dernières tendent de plus en plus à
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(1)
George Duruy:
«
L'Officier éducateur ».
prendre le pas sur les autres, que les luttes engagées par les nations sur le terrain commercial et économique sont des facteurs nouveaux que ne doivent pas perdre de vue ceux qui préparent la défensedu pays, ces officiers vont grandeur en sens inverse du but qu'ils poursuivent de leur pays. «Cette indifférence qu'on, nous reproche, dit le lieu« nant-colonel Ebener, ne provient cependant que d'une «sorte de timidité professionnelle des militaires et qui «est tout à leur l'honneur, car elle est le résultat d'une « application, trop étroite à force d'être consciencieuse, de «cette règle de conduite, d'ailleurs très juste en soi «l'armée doit fermer l'oreille à tous les bruits du .(( dehors. » « Cela veut pourtant dire simplement que l'armée ne «doit pas se mêler aux luttes stériles et énervantes de la «politique, et qu'elle doit rester, au-dessus des partis, «l'expression la plus pure de la Patrie. « Mais ce n'est pas à dire pour cela que l'oflicier «doive se désintéresser de ce qui se dit autour de lui, «au sujet des perfectionnements dont la machine mili« taire est toujourssusceptible. L'histoire prouve au con«. traire que les meilleures institutions, pour atteindre « leur complet épanouissement, ont besoin d'être discu«tées. Et pour tout dire, il faut nous habituer à cette «idée qui répugne encore à beaucoup trop de militaires, «que dans une République, l'armée ne peut avoir la «prétention d'être au-dessus de tout contrôle, sauf le «sien propre. « L'opinion contraire serait l'indice d'un esprit de cccaste dont nous avons reconnu le danger, d'une préten«tion à l'infaillibilité qui s'opposerait à tout progrès et à (ç toute évolution vers notre idéal. La femme de César ne doitpas être soupçonnée», dit un vieil adage. Cela veut dire surtout qu'elle ne doit pas donner prise à la critique et non qu'on ne doit pas se permettre de suspecter sa conduite. Le corps d'officiers du second Empire, pourtant si
: la
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brave, si loyal, si désintéressé, ne le comprenait pas ainsi. Se prévalant de ses glorieuses traditions, il repoussait tous les blâmes, comme autant de chicanes malveillantes, même s'ils venaient de son propre milieu. C'est pourquoi, confiant dans la routine qui s'était brillamment confirmée en plusieurs campagnes, il alla, en se bandant lui-même les yeux, au devant de l'écroulement de Sedan. « Chacun de nous, dit M. Rolland, rapporteur de la « loi de deux ans au Sénat, a le droit et le devoir d'entou« rer notre arméed'une surveillance affectueuse et « jalouse, et si nous avons tous à cœur de louer et de « développer ses grandes qualités, nous n'avons pas « moins à tâche, dans l'intérêt du pays, de signaler sans les combattre sans « faiblesse ses. défectuosités et de « parti pris. « Notre corps d'officiers ne doit voir dans l'ardeur de « certaines polémiques ne dépassant pas les bornes per« mises, ni malveillance, ni offense, car l'esprit d'examen « exercé même avec passion, et souvent sans mesure, par « la presse, n'en porte pas moins ses fruits. Le fétichisme « et l'indifférence, voilà quels seraient les pires ennemis « de l'armée, car ils supprimeraient ainsi l'incessant « contrôle exercé par des hommes de bonne foi, dégagés « de tous intérêts personnels, et qui n'ont d'autre ambi« tion que d'être les serviteurs dévoués de la chose « publique.» N'essayons pas de nous soustraire à ce contrôle. La presse qui possède actuellement une liberté complète s'occupe souvent de ce qui se passe dans l'armée. Cela s'explique facilement ce qui se passe chez nous intéresse au plus haut point tout le monde, et c'est bien naturel. Elle donne des informations, des renseignements. Elle formule des critiques. Gardons-nous de nous plaindre de celles qui nous concernent personnellement. Si elles sont justes retenonsles, faisons-en notre profit. Si elles sont exagérées ou même calomnieuses, ne nous y arrêtons pas.
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Croyez-le bien, le public ne s'y trompe pas. Un peuple qui s'habitue à la liberté, apprend à discerner la vérité dans tout ce qu'il lit. Cela constitue son éducation libérale. Mais, pour qu'il en résulte pour nous une action bienfaisante, si nous voulons avoir une opinion exacte des faits et des événements, formuler nos jugements et nos appréciations en toute connaissance de cause, il nous faut nous abstenir de chercher nos directives dans un seul jour-
nal. Chaque feuille est dirigée dans un esprit particulier; elle est toujours inféodée à un parti et présente les faits comme il faut les présenter pour la politique qu'elle soutient. Il faut lire les même faits expliqués, commentés, par des journaux d'opinions différentes pour juger à quel point les contradictions les plus grandes peuvent naître dans l'esprit qui veut rester indépendant. , Vous lirez sûrement des journanx ne vous en tenez pas à un seul lisez-en plusieurs de nuances différentes, faites-vous sur chaque chose, sur chaque événement, une opinion personnelle, apprenez à réfléchir et vos lectures seront alors fructueuses et tendront à augmenter de plus en plus votre valeur. Vous n'hésiterez pas non plus, dans vos diverses garnisons, à entrer, en contact avec l'élément civil. Non seulement vous tirerez un grand profit au point de vue de votre instruction générale des relations que vous vous serez ainsi créées dans toutes les classes de la société, mais encore en vous montrant tels que vous êtes, sérieux, réfléchis, bons et simples, vous contribuerez à détruire la prévention que beaucoup de civils, toujours trop d'ailleurs, nourrissent contre nous vous leur prouverez que les officiers ont un jugement droit, de l'intelligence, du caractère qu'ils sont dévoués à leurs fonctions, désintéressés qu'ils sont pénétrés des sentiments mêmes du pays qu'ils vivent de sa vie et s'adaptent à son organisation politique et sociale, qu'ils sont imbus des idées de liberté, de progrès, de fraternité, de tolérance et de solidarité dont s'ins-
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piraient leurs ainés, les glorieux officiers de la 1re République. Quand l'officier se sera montré sous ce jour à l'élément civil, ce dernier aura confiance en lui et cette confiance engendrera le succès, si la mobilisation vient à sonner. Officiers et civils s'ignorent trop il faut qu'ils fassent connaissance, qu'ils fassent taire, les premiers une certaine, morgue traditionnelle vis à vis du « pékin », les seconds, leurs sentiments de méfiance exagérée à l'égard de l'officier. L'accord ne peut manquer d'en résulter. peut parvenir au soldat Le — grade de caporal ou brigadier après six mois de service six mois après, il peut être nommé sergent ou maréchal-
Le sous-officier.
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des-logis.
part quelques exceptions, provenant notamment des jeunes gens qui se destinent à la carrière militaire, le niveau intellectuel et moral des sous-officiers n'est pas actuellement ce qu'il serait désirable qu'il fût cela tient à ce que les sous-officiers sont tout naturellement et obligatoirement choisis dans la partie la moins instruite de la Nation, dans celle qui, en vertu de la loi de 1889, est astreinte à rester trois ans sous les drapeaux, tandis que les jeunes gens intelligents, bien élevés et instruits, réussissent, grâce à des diplômes plus ou moins chèrement acquis, souvent trop facilement, à ne faire qu'une seule année de service. Ainsi la loi de recrutement de 1889 nous donne des sous-officiers médiocres. Nous aggravons encore la situation en les instruisant mal. Au peloton d'instruction, en effet, nous cherchons avant tout à faire de nos candidats sous-officiers des instructeurs, et quand ils sont nommés sous-officiers, le plus généralement au bout de deux ans de service, nous les employons à l'instruction des recrues au même titre que nos rengagés. Nous consacrons donc un temps précieux à essayer de développer, sans grand succès d'ailleurs, des qualités qui ne sont nullement indispensables aux sous-officiers réservistes, au lieu de l'emA
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ployer plus justement à les perfectionner dans leurs fonctions du temps de guerre. Les fonctions d'instructeur doivent être exclusivement réservées aux rengagés dont le complet réglementaire existe dans tous les corps de troupe, grâce à la bonne volonté de nos législateurs, qui se sont efforcés d'augmenter de plus en plus les avantages matériels et moraux à eux concédés, soit quand ils sont au régiment, soit quand ils sont rendus à la vie civile.
l'heure actuelle, une très grande fait contingent (un peu plus du tiers)
Le soldat.
A
portion du ne qu'un an de service. Elle comprend les soutiens de famille et les jeunes gens munis de certains diplômes : ce sont les dispensés. Le reste fait trois ans. Ces deux catégories ont été créées dans le but d'assurer le recrutement des carrières libérales, mais on a, en réalité, établi un privilège pour les favorisés de la fortune, sansrien exiger d'eux en retour. L'effet le plus clair de cette législation qui aboutit, en dernière analyse, à ne plus faire peser l'obligation de trois ans de service que sur les fils des cultivateurs, des ouvriers, des petits commerçants ou entrepreneurs, a été de pousser vers les hautes études un nombre considérable de jeunes gens aisés, dans le but unique d'éviter deux ans de service' militaire. Le service militaire est la plus haute obligation du citoyen envers la Patrie; cette obligation doit être remplie par tous dans les mêmes conditions, en temps de guerre comme en temps de paix. Tous doivent payer également l'impôt du sang. Or, l'homme qui ne fait qu'un an n'est jamais exposé à verser son sang dans les expéditions lointaines. Il n'est allé ni en Indo-Chine, ni à Madagascar. Est-il vrai d'ailleurs, qu'actuellement, avec la loi de 1889, le soldat appelé pour trois ans fasse trois années de service effectives? Vous savez qu'un grand nombre d'hommes, leurs
classes terminées, quittent les rangs pour entrer dans les services accessoires, de telle sorte que ces hommes, qui devraient passer trente-et-un mois sous les drapeaux à apprendre le métier de soldat, servent à peine dix mois. Ce sont lesemployés. Ils deviennent ordonnances, bottiers, plantons, ouvriers aux arsenaux, etc., et alors, soustraits souvent à l'action de leurs chefs directs, exercés seulement parintermittences, ils perdentgénéralement, pendantleurs deux dernières années de service, plus qu'ils ne gagnent. Ces employés sont la plaie de l'armée. Et s'il n'est pas possible de l'en guérir radicalement, car il y a des emplois indispensables, du moins importe-t-il de réduire le nombre de ces non-valeurs au strict minimum. Il est de notre devoir de signaler un élément de démoralisation qui, introduit dans l'armée en même temps que Le volontariat, s'y est maintenu après la suppression de cette institution. Les volontaires qui avaient obtenu certains avantages, et dans une certaine mesure à prix d'argent, étaient plus fortunés que la plupart des soldats ceux qui ne l'étaient pas voulaient souvent le paraître. Tandis que la masse des hommes vivait à l'ordinaire, la plupart des volontaires vivaient à la cantine et se faisaient servir, moyennant finance, par des camarades de condition plus humble. les parents De mauvaises habitudes se sont prises il a en butte à des demandes d'argent se sont saignés semblé que les besoins matériels du soldat n'étaient pas assurés et qu'il était impossible de faire son service militairelorsqu'on était complètement dépourvu d'argent. L'accroissement du nombre des dispensés qui s'est produit après l'adoption de la loi de recrutement de 1889 a encore exagéré ces regrettables pratiques. Il appartient de la façon la plus absolue à tous les officiers de réagir contre ces errements fâcheux, d'amener tous les hommes à vivre à l'ordinaire pour être en droit de l'exiger, les chefs doivent apporter les soins les plus grands à la surveillance de cet ordinaire, aussi bien sous le rapport de la gestion qu'au point-de vue de la propreté;
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enfin il nous faut proscrire tout service rendu à prix d'argent et faire toutes les investigations, prendre toutes les mesures nécessaires pour éviter qu'ils se produisent.
Le réserviste.
Rentré dans ses foyers, après un ou trois ans de service, le soldat n'est plus tenu qu'a trois ou deux périodes militaires de 28 jours comme réserviste et une de 13 jours comme territorial. A la mobilisation, les réservistes seront mélangés aux hommes de l'active pour compléter les unités de temps de paix ou en constituer d'autres prévues à l'avance de sorte qu'à part nos troupes de couverture, qui ont une mission spéciale et temporaire, notre machine militaire n'est pas tenue disponible, sous pression, prête à agir au premier signal, mais, une fois en mouvement, elle présente une masse forte par le nombre, sinon par l'homogénéité (1), du moins au début des opérations car, nos réservistes étant tenus en haleine par les périodes de 28 jours auxquelles ils sont astreints, on peut espérer que l'amalgame se fera bien vite, quand ils auront rééndossé l'uniforme et seront rentrés dans le rang. —
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Le territorial.
d'un certain nombre d'années passées dans la réserve de l'armée active, le citoyen passe dans l'armée territoriale dans laquelle il est tenu d'accomplir une seule période de 13 jours. Les hommes de la territoriale appartenant aux classes les plus anciennes forment des unités constituées, commandées par des officiers appartenant eux-mêmes à l'armée territoriale, et qui ne seront appelées à combattre, en général, qu'à la dernière nécessité. Les classes les plus jeunes complètent les unités formées par les hommes de l'active et de la réserve.
(1)
— Au bout
Soldats de l'active, de la réserve, jeunes et anciennes classe, réservistes
ans.
exercés1ou3
Analyse de l'Instruction donnée dans l'Armée
: il
Les qualités qu'un soldat doit présenter sont de diverses natures physiques, techniques, morales. Physiques, car doit être robuste, agile et d'une santé parfaite, pour que ses forces soient au niveau de son courage. Techniques, car il doit savoir, suivant le cas, manier son arme, son cheval ou son attelage, construire un ouvrage, jeter un pont, manœuvrer un canon, pour tenir utilement la place qui lui sera assignée le jour où la Patrie sera en danger. Morales, car il doit être entièrement penétré des sentiments d'abnégation, de dévouement, de confiance dans ses chefs, d'obéissance, de bravoure, de patriotisme, afin qu'à l'heure de la mêlée, lorsque la mitraille renversera tout autour de lui, le sentiment du devoir l'emporte chez lui sur l'instinct de vivre. Le but de l'instruction militaire est de faire naître ou de développer ces qualités. l'éducation physique, l'enseiElle comprend donc gnement technique, l'éducation morale.
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L'éducation physique. —
Cette éducation physique rencontrera d'inévitables obstacles et restera évidemment superficielle, si les hommes sur lesquels elle s'exerce n'ont pas été dès l'enfance, soumis à ses exigences,par suite de leur genre de vie, par les soins des éducateurs de la jeunesse et de citoyens bien avisés. C'est pour cela que, sous l'action de l'initiative individuelle, nous avons vu, depuis quelques années, naître et prospérer des sociétés de gymnastique sur tous les points du territoire. Il s'est même créé des sociétés d'instruction hippique à l'usage de ceux qui se préparent à devenir cavaliers.
L'enseignement technique.
Quant à l'enseignement technique, il est admis qu'on ne peut le donner en dehors du régiment (1). On a fait, il n'y a pas longtemps, l'expérience des bataillons scolaires, et il semble qu'on n'ait pas l'intention de la renouveler. Réclamés par l'opinion publique, organisés par des hommes d'Etat éminents, ils n'ont pas réussi. Direpourquoi,serait sortir du cadre de ces conférences. C'est à leur sujet, observerons-nous seulement, que J. J. Weiss, un publiciste éminent, fit cette remarque curieuse que les jeunes Français jouent aux soldats, alors que dans les écoles allemandes de Cadets, destinées cependant à former exclusivementde futurs officiers, on ne trouve pas un seul fusil, même de bois. Il importe cependant de faire une exception en faveur du tir, pratique toute spéciale où les progrès obtenus sont toujours valables. L'exemple que nous ont fourni les héros boërs est encore présent à votre mémoire les succès qu'ils obtinrent si fréquemment dansleur lutte désespérée contre l'envahisseur anglais, doivent être attribués en grande partie à la pratique qu'ils avaient du tir. Aussi le Ministre de la Guerre a-t-il accordé récemment aux conscrits, anciens élèves diplômés des sociétés de gymnastique et de tir, des avantages considérables (2) qui seront pour elles de précieux encouragements. —
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L'éducation morale.
par l'instruction physique on façonne le corps du jeune soldat, c'est par — Si,
l'éducation morale que l'on raffermit son âme. « L'éducation morale doit améliorer son cœur et son « âme, agrandir son intelligence, de sorte qu'il connaisse « et comprenne bien tous ses devoirs, qu'il s'y attache et « les remplisse » (3). Telle est l'opinion du général André, Ministre de la guerre. — Discussion de la loi de recrutement au Sénat (Art. 94), séance du 26 février 1903. (1)
Circulaire du 7 avril 1903. — Ces jeunes gens peuvent être nommés caporaux ou brigadiers au bout de 4 mois de service, et, par suite, sous-officiers au départ de la classe, c'est à dire au bout de dix mois de présence au corps. (3) Général Morand « L'armée selon la charte. » (2)
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C'est l'éducation morale qui constitue aujourd'hui la partie la plus importante de l'instruction militaire.
L'adoption du service obligatoire a, en effet, changé radicalement le mode d'éducation du soldat. Ne passant sous les drapeaux que le minimum de temps, il doit être animé d'une grande force morale sous peine d'être inutilisable à la guerre; L'attention des chefs, dit le Règlement sur les exer« cices de la cavalerie du 12 mai 1891, ne doit pas se « borner à l'instruction professionnelle. Tout supérieur « a le devoir de s'occuper de l'éducation morale de ses « subordonnés, comme de leur éducation physique et de « leur instruction militaire. Il doit, non seulementfaire « appel à leur mémoire, à leur intelligence, mais encore « s'adresser à leur cœur, pour y faire naître et y déve« lopper, par tous les moyens, les sentiments de probité, « de franchise, de droiture, de bravoure, de confiance « dans leurs chefs, de dévouement et de patriotisme. Ces « vertus du soldat contribuent au maintien de la disci« pline plus sûrement que les rigueurs des réglements et « sont, à la guerre, la meilleure garantie de succès. » Comme l'instruction physique, l'éducation morale doit être entreprise dès l'enfance. C'est l'instituteur allemand, dit-on souvent, qui a vaincu les Français. Nul ne peut, en tous cas, méconnaître le rôle puissant dece modeste fonctionnaire dans l'œuvre de réorganisation poursuivie par nos voisins d'outre-Rhin après Iéna, ni la part incontestable qu'il a prise aux victoires de l'Allemagne en façonnant l'esprit de la jeunesse et en lui inculquant l'amour de la Patrie et le sentiment du devoir. C'est donc à l'instituteur qu'il appartient de déposer les premiers germes de l'éducation morale dans l'esprit et dans le cœur des enfants. « Que les instituteurs apprennent aux enfants le leur inculquent cette idée que « respect de l'autorité et « l'immortelle Déclaration des Droits de l'homme a sa «
contre-partie nécessaire dans l'accomplissement des « devoirs envers la Patrie, ils auront rempli leur rôle » (1). A nous, officiers, d'entretenir et de développer au régiment les sentiments inculqués à noshommes par les maitres de la jeunesse. Notre tâche étant ainsi définie, reste à voir comment nous nous en acquittons aujourd'hui. «
il
La première année d'instruction. — Etudions
pour cela les conditions dans lesquelles, pendant la période de paix que nous traversons, se déroule l'année d'instruction. Elle commence le 15 novembre. A cette date, arrive la « classe » qui trouve à la caserne les deux classes précédentes, mais privées de la plupart des éléments appartenant aux plus élevés dans l'échelle sociale, aux meilleurs au point de vue de l'instruction et de l'intelligence. Les plus instruits de ceux qui restent sont pourvus d'un grade de caporal ou sous-officier. Quant aux autres, parmi lesquels nous pourrions trouver sans doute quelques moniteurs de choix ajoutant leur action à celle des gradés pour les aider dans leur tâche et pour coopérer au « débourrage des « bleus ». il ne faut pas espérer s'en servir pour l'instruction des recrues, tout en perfectionnant la leur; ils sont à peu près tous employés. Dans la plupart des garnisons de France, la saison d'ailleurs ne permet pas de mener lestement une instruction, même limitée à ce qui a la guerre pour objet; car le mauvais temps arrête les manœuvres et cause de nombreuses indisponibilités dans les rangs des jeunes soldats. Malgré ces conditions désavantageuses, on procède au débourrage du. jeune soldat; on pousse aussi activement que possible son instruction physique que l'on fait marcher de front avec son instruction technique, celle-ci
»
(1)
Lieutenant colonel
:
Ebener
«
Conférences faites à St-Cyr 1901 ».
s'assimilant d'autant mieux, que la première a été poussée plus loin. Le ler avril, le jeune soldat est théoriquement mobilisable, il peut tenir sa place dans l'unité de guerre à laquelle il appartient, mais il n'a pas encore vu cette unité en action. Pendant cinq mois, on a, de son mieux, fortifié etassoupli le corps, ouvert les idées, instruit chacun de ce qu'il doit faire à la guerre; il est temps de montrer à tous, que les sous-officiers, les officiers ne sont pas seulement des instructeurs, qu'ils ont leur emploi dans l'unité et que si les soldats sont à la guerre les aides indispensables de leurs chefs, ils ne peuvent riensans eux. On commence alors les exercices de service en campagne et les manœuvres de l'unité de guerre. C'est pendant cette deuxième période que l'on perfectionne dans leurs fonctions spéciales certains gradés, certains hommes de l'unité, éclaireurs, pointeurs, jalonsuivant l'arme. C'est alors que neurs, observateurs, l'on achève l'instruction des candidats brigadiers ou sous-
etc.
officiers. Cette période se termine par les manœuvres de guerre tirs de guerre, passages de rivières, écoles à feu, grandes manœuvres. Avec ces dernières, finit le cycle de la première année d'instruction. Pendant cette période, on voit revenir, à de rares intervalles, les anciens soldats un très petit nombre prend part aux grandes manœuvres pour la plupart des hommes l'instruction est terminée après dix mois de présence au corps.
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Amélioration des méthodes d'instruction. l'instruction donnée pendant la première période de l'année. Il paraît évident qu'en un temps aussi court, elle doit être exactement limitée à ce que l'homme a besoin de connaître pour faire la guerre. Ce principe si juste a cependant été méconnu longtemps et ce n'est que depuis quelques années que l'on — Revenons à
s'est attaché à modifier en ce sens les méthodes d'instruction. Ces méthodes dataient de l'époque où le soldat, sorti des plus basses classes de la société, entrait au régiment pour y passer plusieurs années. On ne se pressait pas alors, on cherchait au contraire à faire durer l'enseignement technique pour ne pas arriver trop tôt aux révisions énervantes. Sans rien sacrifier de la qualité, il faut maintenant aller vite, car nos hommes restent moins longtemps sous les drapeaux; deplus, le niveau moyen de nos contingents, au point de vue de l'intelligence et de l'instruction générale, s'est sensiblement élevé. Pour ces deux motifs, nous devons abandonner les méthodes d'un autre âge et adopter des procédés d'instruction intensifs en nous inspirant des progrès notables accomplis par la pédagogie dans ces dernières années, et dont on vous entretiendra dans une des prochaines conférences. A ce point de vue, nous avons fait de sérieux efforts. Nos règlements ont subi d'importantes simplifications, et il est interdit d'ajouter aucune prescription de détail à celles qui y sont contenues. Dans l'artillerie, par exemple, on ne donne plus comme autrefois autant de développements à la nomenclature dumatériel qui n'avaient pour but que de charger inutilement la mémoire des recrues d'une foule de mots fastidieux et de termes techniques sans utilité. On s'en tient maintenant à l'indication des noms qui sont nécessaires pour expliquer la manœuvre. Autrefois, nos simples canonniers devaient savoir non seulement les détails les plus inutiles et les données numériques les plus fastidieuses concernant le matériel, mais encore ils devaient pouvoir donner, sur les organes et sur le tir du canon, des explications qui exigeaient des connaissances scientifiques parfois transcendantes. Nos servants n'étaient-ils pas tenus de connaitre le fonctionnement de la fusée de l'obus, comme si leur
ignorance pouvait empêcher les fusées de fonctionner quand même! On avait la rage de réglementer et de décrire dans leurs moindres détails les mouvements les plus simples que chaque homme doit faire au courant de chaque manœuvre. Les positions de ses mains, de ses pieds, par rapport au matériel, étaient fixées à un centimètre près. On se plaisait, vous a-t-on dit, à répéter le mouvement « à bras en avant. ». Ajoutons qu'on lui donnait même une importance beaucoup plus grande que ne le voulait le règlement, et que son exécution impeccable était considérée comme le critérium d'une instruction bien dirigée. On a enfin compris que ce n'est pas au régiment que l'homme apprend à mettre les pieds l'un devant l'autre. Au régiment, on lui apprend à bien marcher. Est-il donc bien utile, pour cela, de décomposer le pas comme on l'a fait si longtemps Le soldat, maintenant, ne connaît plus que deux positions de l'arme: sur l'épaule ou au pied. On avait pendant longtemps préconisé l'utilité du maniement d'arme pour discipliner le soldat. Les assouplissements, la marche au pas, les quelques mouvements de maniement d'arme qui restent sont bien suffisants pour permettre au chef de remettre au besoin sa troupe en main. On peut d'ailleurs envisager, dans un avenir rapproché, la suppression du mousqueton pour les servants de l'artillerie. Enfin on a proscrit la plupart des récitations littérales de la théorie qu'on a exigées si longtemps et que, par dessus le marché, il fallait donner avec une intonation spéciale : le ton de théorie. Nos gradés doivent connaître l'esprit des règlements et non la lettre que, sisouvent autrefois, ils donnaient sans la comprendre. « Vous connaissez la joute épique de ces deux braves àplusieurs chevrons qui cherchaient à « se coller sur la théorie et dont l'un se croyait le plus fort parce qu'il avait appris par cœur la table des matières, mais l'autre, ren-
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»
chérissant encore, gagna la palme en récitant jusqu'au catalogue de l'éditeur, imprimé sur la couverture » (1). Vie matérielle du Sous-Officier et du Soldat
AMÉLIORATIONS RÉGENTES.— En même temps que, dans ces dernières années, on modifiait les procédés d'instruction pour les mettre mieux en rapport avec les nécessités actuelles, on s'efforçait également d'améliorer la vie matérielle du soldat, dont le niveau social moyen s'est élevé depuis l'adoption du service universel.
Sans doute, il reste encore beaucoup à faire, mais, d'une façon générale, la situation est déjà sensiblement améliorée. On a commencé par le sous-officier rengagé. L'Etat n'a pas encore tenu à son égard ce qu'il avait promis. On devait lui donner, par exemple, une chambre avec ameublement spécial, mais les ressources du casernement ne permettent pas, dans bien des cas, de lui affecter une chambre à part, et il dispose rarement d'un mobilier plus confortable que celui des autres sous-officiers. Malgré la bonne volonté des chefs de corps, il ne semble pas que l'on puisse compter sur des améliorations sensibles à ce sujet, car on se heurte à des difficultés matérielles qu'il n'est pas possible de vaincre. En revanche, dans beaucoup de quartiers, on a installé des mess pour tous les sous-officiers et ils ont la plupart du temps à leur usage des bibliothèques et des salles de lecture. Puis le tour de la troupe est venu. D'abord, au point de vue des soins de propreté personnelle, le soldat est bien mieux partagé qu'autrefois. Tous les quartiers possèdent actuellement leurs lava(1)
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Commandant Manceau
«
Notre Armée ».
bos et, périodiquement, l'homme peut prendre à l'infirmerie des bains de pieds et des douches. Comme celui d'aujourd'hui, le service"intérieur d'il y a vingt ans, prescrivait au troupier de se laver chaque jour le visage et les mains, mais il ajoutait qu'il lui était interdit « de se servir des draps ou couvertures pour s'essuyer ». Cette défense aurait été inutile, si on lui avait donné une serviette. De bains, il n'en était pas question dans ce règlement, sauf en été, à la rivière. Il était dit. pourtant un mot des bains de pieds hebdomadaires. à la pompe Jadis, les soldats mangeaient au même plat, y trempant à tour de rôle leur cuiller en bois; par la suite, ils eurent chacun leur gamelle qu'ils dégustaient assis sur le pied de leur lit, car il leur était défendu de la poser sur les tables de la chambrée, afin de ne pas les salir. La préparation des aliments n'avait d'ailleurs rien de compliqué soupe au bœuf, le matin le soir, soupe au bœuf. Maintenant, chaque unité a généralement son réfectoire. On a donné au repas ce caractère plus relevé qu'il acquiert par le seul fait d'être pris à une table disposée proprement et garnie des ustensiles nécessaires. La soupe est servie dans des soupières, la viande dans des plats. Chacun a son assiette, son couvert, son verre, et quelquefois même une serviette Les repas sont plus variés. Chaque caserne a son four à rôtir, de sorte que le rôti aux pommes réservé autrefois, pour les jours de Sainte-Barbe ou de fête du régiment, a maintenant sa place sur tous les menus lç vin y fait de nombreuses apparitions, apportant avec lui la bonne
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humeur et l'entrain.
1
Enfin, il faut le reconnaître, les officiers rivalisent de: zèle actuellement pour améliorer le bien-être de leurs hommes. Vous ne craindrez pas vous-mêmes « d'aller trop « loin dans cette voie. Les modiques ressources que l'Etat disposition ne vous permettront jamais d'en«. met à votre « freindre cette maxime essentielle, que la graisse est l'en« nemie du militaire, maxime basée elle-même sur cette
«
«
vérité historique, que les meilleures armées de l'Europe ont toujours été des armées maigres ». (1)
INSTRUCTION DES RÉSERVISTES ET DES TERRITORIAUX
Pour compléter cette analyse de l'instruction donnée dans l'armée et des améliorations réalisées récemment à ce point de vue et à celui du bien-être des hommes, il faudrait vous entretenir de l'instruction donnée aux réservistes et aux territoriaux pendant les périodes d'appel et vous exposer les critiques qu'il y a lieu de faire à ce sujet. Le programme des conférences comporte une conférence sur les réservistes et les territoriaux qui comprendra cette étude.
L'ÉDUCATION MORALE DANS L'ARMÉE
D'AUJOURD'HUI
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Nous venons de vous montrer l'armée républicaine dans son organisation actuelle. Nous vous avons signalé les améliorations qui ont été apportées au bien-être des hommes dans ces dernières années et les modifications qu'ont subies récemment les méthodes d'instructionetqui ont avant tout, en vue la préparation à la guerre. Il nous reste à voir quelle part nous faisons dans l'enseignement militaire à l'éducation morale. Les hommes que l'armée rend à la société valent-ils (1)
Lieutenant-Colonel Ebenea: « Conférences faites à Saint-Cyr en 1901
»
au moins, au point de vue moral, ceux qu'elle nous a confiés? Avons-nous su maintenir ou développer dans le cœur de nos soldats les sentiments de probité, de franchise, de droiture, de dévouement, de patriotisme Avons-nous su inspirer à ces jeunes gens cette confiance absolue sans laquelle, dans l'état actuel de nos mœurs et de nos idées, on peut dire qu'il n'y a plus de succès possible? C'est à l'opinion publique que nous posons ces questions, ou plutôt à ses représentants les plus autorisés. C'est elle qui nous dira si nous nous sommes bien acquittés de cette partie de notre tâche l'éducation morale du soldat.
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Résumé des critiques dont l'armée est l'objet, au point de vue du peu d'efficacité de son action moralisatrice sur les contingents. — Parmi les écrivains qui ont l'armée pour thème favori, nous en trouvons tout d'abord qui s'attaquent à l'armée pour l'amoindrir. Ils répandent sur le corps d'officiers les calomnies les plus infâmes, ou bien tournent l'officier en ridicule et s'efforcent « d'entretenir dans le pays l'odieuse « légende de l'officier traîneur de sabre, grossier, dé« pravé et inapte à toute conceptionde l'ordre intellec« tuel et moral, légende aussi soigneusement que crimi« néllement entretenue par la plume et le crayon et « odieusement personnifiée dans le type populaire du « Colonel Ramollot » (1). Pour ceux-là, la littérature de caserne n'est qu'une source de profits il n'y a donc rien à retenir, dans cette étude, de leurs critiques systématiques. Une autre catégorie d'écrivains plus ou moins bien renseignés, mais sincères, traitent sérieusement des questions qui nous concernent, étudient en détail l'existence que nous faisons à nos hommes, signalent les points défec-
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:
(1) Capitaine Lyautey, (aujourd'hui général)
Revue des Deux-Mondes (15 Mars
».
1891)
«
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Rôle social de l'officier.»
tueux de nos lois et de nos règlements, indiquent des progrès réaliser. Ils ont quelquefois le tortde généraliser leurs exemples et d'exagérer leurs critiques, de présenter un cas particulier comme la règle et de conclure dès lors avec exagération. Mais, parmi leurs écrits, il y en a de remarquables et qui renferment souvent les prémisses de beaucoup de bien pour nous, si nous savons profiter de leurs
à
observations. Leurs exagérations mêmes, renferment un fond de vérité que l'officier doit discerner, qu'il a le devoir de connaître et dont il doit faire sonprofit. Des études très-sincères ont été faites concernant notre action moralisatrice sur les contingents qui passent sous les drapeaux, et des critiques ont été formulées. Le séjour obligé de l'armée dans les villes, les heures trop longues de liberté que nous laissons à nos troupiers, sont représentés comme favorisantl'alcoolisme et la dissolution des mœurs on dit aussi que le spectacle de la vie citadine excite le jeune paysan à déserter les campagnes, et qu'il prend au régiment des habitudes d'oisiveté funestes. Voici l'avis de l'auteur de l'article, déjà plusieurs fois cité, sur le rôle social de l'officier paru dans le numéro de la Revue des Deux-Mondes, du 15 mars 1891 « Trop de « jeunes gens rapportent dans leur famille un sens moral « diminué, le dédain de la vie simple et laborieuse et, dans « l'ordre physique, des habitudes d'intempérance et un « sang vicié qu'ils transmettent. » Ecoutez maintenant M. de Freycinet. Il écrit dans « la Guerre en Province » : « Entré au régiment ignorant et honnête, le soldat « en sort trop souvent ignorant et corrompu. Heureux « encore quand il n'emporte pas avec lui des goûts de « paresse,qui le mettront pendant longtemps dans l'im« possibilité de gagner honorablement sa vie. « L'oisiveté qu'on fait aux militaires, pendant leur « séjour sous les drapeaux, les corrompt et les avilit, si
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les campagnes se dépeuplent, c'est que les paysans perdentsous l'uniforme, les habitudes laborieusesde leurclasse »'" dit le commandant E. Manceau, dans son livre Notre Armée, et, parlant du soldat paysan qu'on laisse dans le désœuvrement une grande partie de la journée et surtout après cinq heures du soir, il met en parallèle la vie qu'il mène au régiment et celle qui lui est réservée à sa libération « On l'habitue ainsi, dit-il, à une vie singulièrement «douce et qui contraste avec l'existence rude qu'il «menait chez lui. Il se lève à heure fixe mange à heure «fixe, se couche à heure fixe. Sans être abondante, sa nour«ritureesttrès suffisante; e!le estsaineetons'ingénie en «relever l'agrément en la variant le plus possible. On est «d'ailleurs « aux petits soins » pour lui. On filtre à grand «frais l'eau qu'il boit, on lui fait porter de la flanelle, on «le soustrait aux intempéries. Vient-il à être mouillé, «vite on le change de vêtements, en ayant bien soinqu'il «ne se déshabille pas dans un courant d'air et qu'il ne «risque, ni de s'enrhumer, ni de se refroidir. Se sent-il «indisposé, on l'envoie à l'infirmerie qui lui est toujours «ouverte et où un médecin l'examine. « Regardez maintenant le père de. ce soldat. C'est un «paysan aussi décharné et hâlé que son fils est frais et « joufflu. Ah ! c'est qu'il a àpeiner dur. Il lui faut se «lever de bon matin, travailler par la forte chaleur, bra«ver le froid, s'exposer à la pluie. Qu'il s'agisse de labou«rer ou de semer, de moissonner, de faucherou de «vendanger, il doit se régler sur le temps et ne pas «s'arrêter que la tâche ne soit finie. Il n'y a ni dimanche «ni fête qui tiennent, lorsqu'il reste des foins, à rentrer «ou de la paille à engerber. Qu'on soit transi de froid, «trempé jusqu'aux os, ou inondé de sueur, on n'a pas le «droit de s'écouter on fait sa besogne jusqu'à ce qu'on «tombe. Le docteur est loin on perdrait bien des heures «en l'allant consulter; paysan n'y va jamais que lors«qu'il est trop tard, sachant que la visite coûte cher et «les médicamentsaussi. « «
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troupier qui compare vie de chez lui à .« celle de la caserne, trouve à celle-ci une douceur qui « le grise et l'énerve. Après en avoir goûté, il prend trop cq souvent en aversion le travail deschamps, si pénible et .« si incertain, dont une heure de grêle ou une nuit de gelée « enlève tout le profit. Il aspire à goûter, aprèssa libéra« ration, le train-train régulier dont il jouissait à la caser« ne. S'il ne reste pas soldat, c'est que les rigueurs de la « discipline l'effarouchent et aussi un certain sentiment « d'instabilité, d'insécurité, mais il cherche à «entrer en « condition », à devenir domestique, cocher ou quelque a- chose d'analogue, c'est-à-dire trouver une place ou il « ait des occupations régulières, calmes, rémunératri« ces, avec des avantages assurés, unenourriture conve« nable et une dépense de forces modérée.» Mais ce n'est pas tout. Après une journée très-bien remplie pendant laquelle l'autorité hiérarchique s'est fait sentir sans interruption, tandis que l'officier rentre chez lui avec le désir bien légitime de se reposer, de se consacrer à ses travaux personnels, lesoldat se trouve complètement abandonné à lui-même. A partir de cinq heures, il est libre de ses actes. Mais il ne sait quefaire. Sortir ? En quelques soirées il connaît la ville. Et puis pour sortir il doit quitter sa tenue de maneuvre, astiquer ses vêtements d'extérieur s'il reste, s'ennuie s'il sort,le danger est plus grand encore: «Tout jour, dit M. Lamy dans un i< article de la Revue des Deux-Mondes (15 mars 1895), <ç sous l'œil de leurs chefs, les soldats vivent préservés « par l'exemple, les conseils, et l'activité saine de leur « vie. Mais le soir vient, avec lui la liberté; après le repas « de cinq heures et jusqu'au coucher, les portes des « casernes et des quartiers sont ouvertes. Le conscrit « d'ordinaire ne songerait pas à sortir, il ne désire que se « reposer, libre de lire, d'écrire aux siens, de causer, de « jouer avec des camarades, car la vie commune prolonge «
Le petit
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«
«
il
le
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l'enfance. « Encore faut-il pour satisfaire ses désirs, si simples soient-il, quelqueslivres, quelquesjeux,quelquestables,
«un lieu éclairéla nuit et chaud en hiver. Où est-il dans la
ait
place, sa chambre, est caserne? Le seul où le conscrit «mal éclairé, sansfeu ilest impossibled'ylire, lesconver«sations même y meurent dans l'ombre et le froid qui «en chassent les hommes. Où iront-ils Hors du bâti«ment noir vers la lumière et la chaleur que leur propre «demeure ne leur donne pas. Les voilà dans la ville et où «dans la ville Les débits de vin et les cafés recueillent «ceux que la caserne n'a pas su retenir. Ils y entrent «attirés non par la soif, mais par le besoin de se trouver « couvert, de s'asseoir. Mais il leur faut payer cette «hospitalité, ils boivent donc tout d'abord avec regret à « cause de la dépense, puis avec plaisir. Le lendemain, «ramenant avec la nuit le même vide dans la caserne, «chasse de nouveau les hommes vers ce plaisir qui «devient habitude. Puis le vin délie les langues, échauffe «le sang, ils se laissent conduire dans d'autres maisons «chaudes et closes, les seules où, par une ironie étrange, «ils retrouvent les sentiments du chez soi et comme une «impression de foyer. Bientôt ils y retournent d'eux«mêmes, ils y apprennent la science de la débauche, en «attendant que quelques-uns d'entre eux deviennent «possédés par elle ». «
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Mais, direz-vous, l'ancienne armée à ce point de vue valait encore moins que la nouvelle. Mais « si l'ivro« gnerie et la débauche étaient plus inévitables », elles étaient aussi « moins funestes dans une armée de vieux «soldats, en majeure partie voués au célibat et dont l'in« fluence corruptrice ne dépassait guère les limites de la «garnison » ; en tous cas, « elle a aujourd'hui moins «d'excuses, parce que le soldat passe un temps court «soùs les drapeaux, et plus de dangers parce que la desmariage, son devoir «. tinée de ce soldat temporaireest «social la famille, que les dépravations apprises, durant «le service, le retiennent dans le célibat et font de lui le propagateur d'une mauvaise science jusqu'au fond des « villages, ou l'exposent, s'il fonde une famille, à trans-
le
«
mettre à ses enfants une vie corrompue dans sa sour«ce».(1 Ces critiques sont heureusement exagérées, car,vraiment, si le mal était aussi grand que ces censeurs veulent bien le dire, l'action de l'officier pourrait bien être sans
)
«
effet. Voici ce que dit, au sujet de l'exode vers les centres urbains, le Lieutenant-Colonel Frocard, dans un de ses articles sur « l'officier de la Nation armée », parus dans la Revue du Cerclemilitaire (numéros de Décembre 190"l' etjanvier 1903). « En général, lorsqu'on interroge les hommes de trouils sont « pe, lors de leur libération, à un moment «en confiance avec leurs officiers, ils manifestent le«désir de reprendre leurs anciennes occupations d'où « semblerait résulter que ce n'est que plus tard, et «parce que la profession agricole leur donne des mé«comptes, qu'ils s'expatrient et se dirigent vers la ville. «Ils suivent l'exemple de leurs parents, de leurs amis, «qui ont quitté les champs avant eux, et avec lesquels «ils sont restés en relation, grâce aux nombreuses communications qui se sont multipliées sans arrêt «depuis la création des voies ferrées. » Quant à la dissolution des mœurs et aux maladies spéciales qui en sont la conséquence, elles sont évidemment favorisées par la réunion dans les villes de nombreux jeunes gens qui, pour la plupart n'ont jamais quitté leur famille et qui se trouvent exposés aux tentations nombreuses de la vie urbaine et le plus souvent aux entraînements de camarades plus expérimentés. Mais si nous interrogeons les statistiques médicales
où
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«
militaires, nous constatons non seulement une progression considérable des tares héréditaires chez des jeunes gens de vingt ans dont la naissance est antérieure à l'institution du service universel, mais encore que le maximum, des maladies graves dues à la débauche est en novembre,. (1)
» E.
Les «ennemis de l'armée
Lamy
—
Revue des Deux-Mondes, 1896..
d'où il résulte, en tenant compte de la durée d'incubation de ces maladies, que de nombreuses recrues les ont contractées antérieurement à leur arrivée au régiment. Quoiqu'il en soit, nous sommes ici à la recherche d'un idéal le mieux est donc de nous placer en face de ce redoutable et douloureux problème, et d'admettre que la responsabilité de la dépravation, de la gangrène morale, incombe souvent à la vie de caserne, telle qu'elle existe encore aujourd'hui.
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Voici une autre accusation, dont la gravité ne doit pas nous échapper « Quelle que soit son origine sociale, « le soldat ne garde pas du service militaire, une heu« reuse empreinte, ni surtout une empreinte éducatrice. « Il est arrivé à l'armée mal préparé à la comprendra, il « y séjourne sans l'aimer, il la quitte trop souvent dis« posé à la haïr (I). L'armée d'aujourd'hui, est formée, en temps de paix, grâce au service obligatoire, de toute la jeunesse d vingt ans. On ne peut demander à ces tout jeunes gens de quitter leur famille, leur village, leurs études, de gaieté de cœur, et beaucoup, au régiment, souvent même par tradition, n'auront toujours dans la tête qu'une idée aussi fortement ancrée le premier jour que le dernier le départ de la classe ou, pour employer leur langage la classe » « la classe Leurs parents, leurs maîtres d'école se sont efforcés de leur faire comprendre que le service militaire n'est pas une charge, un impôt, mais le premier, le plus grand des devoirs du citoyen, que la patrie menacée a droit de leur part à un sacrifice absolu, sacrifice de la liberté, de la volonté, de la vie et qu'en temps de paix, il faut apprendre ce qu'on aura besoin de savoir pour faire la guerre. Ils arrivent au régiment, à quelques rares exceptions près, initiés complètement à la grandeur de ce sacrifice. Mais, en rentrant dans leurs foyers, gardent-ils tou-
!!
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(1)
H. Bérenger:
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«
La Conscience Nationale.
»
jours du service militaire une empreinte éducatrice, en conservent-ils seulement un bon souvenir Nous n'oserions l'affirmer. Avec le soldat de la Nation armée, plus jeune qu'autrefois, partant plus malléable, plus intelligent, plus instruit, plus sensible aux égards et surtout au manque d'égards, plus conscient de son individualité, y a t-il donc lieu de concevoir une discipline autre que celle qui a pour principe « une obéissance entière et une soumission de tous les instants »? Nous ne le pensons pas. Mais nous estimons que la discipline, aujourd'hui plus que jamais, doit-être consentie par un acquiescement de la raison et basée non sur la crainte, mais sur la confiance et le sentiment du devoir réciproques (1). « Les temps « sont passés où la discipline subsistait uniquement par « l'ordre du chef, elle subsiste surtout par la compréhen« sion du subordonné. Elle ne peut se concilier avec l'or« dre démocratique que si elle s'impose par le sentiment « d'équité de l'un et la volonté réfléchie d'obéir de l'au« tre » (2). En devenant militaire, le citoyen est appelé à faire abandon de sa volonté entre les mains de ses chefs il s'y résignera d'autant mieux qu'il aura en eux une confiance plus absolue, une foi plus complète en leur savoir, la conviction plus intime qu'il a eneux de véritables amis et non des maîtres tyranniques. Il servira mal si les ordres qu'il reçoit, si le régime auquel il est soumis, choquent son bon sens ou froissent le sentiment qu'il a de sa dignité. Il acceptera vaillamment les dures épreuves du régiment, s'il est toujours utilement employé à des besognes qui ont pour but d'accroître son instruction militaire et de le préparer à son rôle en cas de mobilisation, s'il se rend compte que ses chefs font tout pour améliorer sa valeur et ne tolèrent rien de ce qui peut l'amoindrir.
?
:
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La discipline », suivant l'expressiond'un des orateurs les plus puissants du Parlement actuel, « est la coordination volontaire de l'effort individuel à un « grand effort collectif» (M.Jaurès, Discussion de la loi de 2 ans à la Chambre des députés. (2) Pierre Baudin — Préface de « Iéna ou Sedan » de Beyerlein. (1)
«
Il remportera du régiment une impression déplorable s'il voit que tous ne travaillent pas également à l'œuvre commune, si les officiers n'ont pas su lui inspirer confiance ou ont affecté à son égard une indifférence coupable et une prétention déplacée à une supériorité sociale.
Cause des résultats peu efficaces constatés par les critiques précédentes. — La véritable et
pour ainsi dire, l'unique cause des résultats constatés, tant au point de vue du peu d'efficacité de notre action moralisatrice sur les contingents qui passent sous les drapeaux, qu'à celui du mouvement de désaffection indéniable de l'homme et du réserviste pour la vie de caserne, c'est que jusqu'à maintenant, on s'est énormément occupé de l'instruction, mais fort peu de l'éducation du soldat, ce citoyen de demain, qu'on ne s'est pas suffisamment préoccupé de l'origine sociale des hommes appelés, qu'on n'a pas cru devoir tenir compte de leurs idées, de leurs habitudes, de leurs aspirations, dans toutce qu'elles peuvent avoir de compatible avec la vie militaire.
Raisons qui ont fait négliger l'éducation morale. — Le nombre des officiers qui ont compris leur rôle est l'infime minorité.
Cela tient à ce que cet enseignement moral devant se faire avant tout sous forme d'instruction individuelle oblige l'officier à se rapprocher du soldat, à chercher à le bien connaître au point de vue moral, à enquêter sur sa vie, ses idées, ses habitudes, ses aspirations, à s'en faire aimer pour gagner sa confiance. Or « beaucoup d'officiers «croiraient en se montrant tels qu'ils sont, bons et siml'exercice « ples, compromettre le prestige nécessaire «du commandement. Cette supériorité, ils espèrent la « sauvegarder en tenant l'homme à distance, en se ren«fermant dans une sorte de morgue indifférente. Ce «préjugé est le fruit d'un esprit de caste ou plus sou«vent d'un snobisme incompatible avec les principes
à
républicains dont ces officiers, enfants du peuple pour « l'immense majorité, sont au fond pénétrés ». (1) Si l'état de choses que nous avons constaté allait en s'accentuant, il pourrait avoir des conséquences très graves pour le pays. Heureusement l'élan est donné de tous côtés, on voit les officiers se mettre bravement à cette œuvre d'éducation morale. Aussi nous faut-il appeler votre attention sur les devoirs nouveaux qui incombent à l'officier, afin que vous compreniez bien l'Armée Nationale dont vous aller devenir des chefs. Dans la prochaine conférence après avoir étudié la situation nouvelle que va créer l'adoption imminente de la loi de 2 ans, nous préciserons la méthode d'éducation morale, dont vous comprenez déjà l'impérieuse nécessité. «
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(1) Lieutenant-ColonelEbener —Conférences
taites à Saint-Cyr en
1901.
SIXIÈME CONFÉRENCE
SOMMAIRE
Situation Nouvelle
deux de le service créer ans va que Egalité absolue du service pour tous les citoyens. Plus de dispensés. Amélioration des réserves homogénéité plus grande et diminution du nombre des non valeurs par l'incorporation des demi-bons. Avantages sociaux. Sous-officiers fournis par le service de deux ans. Ils seront dorénavant choisis dans la jeunesse intellectuelle privilégiée jusqu'à ce jour. Chaque contingent fournira ses sous-officiers et ses officiers de réserve.
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L'Officier Instructeur et Éducateur
Amélioration des méthodes d'instruction. Donner à cette instruction un caractère pratique et dirigé surtout en vue de la guerre. Rôle de l'officier dans la Nation Armée. — Rôle social.
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Méthode d'éducation morale l'officier doit s'attacher à se faire aimer du soldat et à lui inspirer confiance. Il doit prêcher d'exemple. L'éducation morale est de tous les instants. Difficultés à prévoir.
Création, après la soupe du soir, d'une vie possible et même agréable à l'intérieur des casernes. Fournir aux hommes des locaux où ils puissent non seulement se récréer, causer, mais aussi lire, écrire, travailler, Foyers du Soldat.
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Préparation de l'officier à son rôle d'éducateur. Nécessité pour celui-ci de se pénétrer des sentiments mêmes du pays et de vivre de sa vie. Conséquences de l'adaptation de l'esprit militaire aux aspirations démocratiques de la Société contemporaine. L'autorité morale du chef grandie aux yeux du soldat; adhésion plus sincère du soldat audevoir d'obéissance. Discipline librement consentie. La persuasion substituée à la répression. Servir fidèlement le Gouvernement de la République, c'est pour un officier faire simplement son devoir. L'Armée ne doit pas faire de politique, mais elle doit être en harmonie avec le pays au sein duquel elle existe.
Situation nouvelle que va créer la loi de deux ans
Dans la dernière conférence, nous avons parlé de l'armée républicaine, telle qu'elle fonctionne sous l'empire de la loi de 1889.
Nous avons examiné les critiques qui lui ont été adressées et qui émanent de personnalités réputées pour la distinction de leur esprit, adonnées à l'observation sociale et offrant des garanties d'impartialitésuffisantes. Enfin nous avons établi que la cause véritable et pour ainsi dire, unique du peu d'efficacité de notre action mora lisatrice sur les contingents qui passent sous les drapeaux, et même du mouvement de désaffection indéniable de l'homme et du réserviste pour la vie de caserne, est que, jusqu'à maintenant, on s'est fort peu occupé de l'éducation du soldat. Avant de préciser la mission nouvelle qui incombe à l'officier, il importe d'étudier la situation que va créer l'adoption imminente de la loi de deux ans.
Egalité absolue du service pour tous les citoyens, — Nous avons fait ressortir les défauts qui
caractérisent la loi de recrutement de 1889. L'opinion publique s'est enfin émue des nombreuses contradictions, des inégalités choquantes que nous avons signalées. Elle veut l'égalité absolue du service pour tous les citoyens. Elle demande une solution, qui tout en assurant mieux qu'aujourd'hui la solidité de l'armée et la sécurité des frontières, réalise une réduction des charges qui pèsent si lourdement sur les travailleurs et qui entravent d'une façon si regrettable le développement agricole, industriel et économique du pays.
à
Une loi nouvelle réduit deux ans la durée du service militaire. Dégagée, cette fois, de toutes les exceptions, de toutes les inégalités, de toutes les incohérences accumulées dans celle qui nous régit aujourd'hui, elle donnera la solution de ce problème, qui intéresse à un si haut degré l'avenir de notre pays. Tous les hommes validés, sans aucune exception, feront deux années de service. Il n'y aura plus aucune dispense. Les soutiens indispensables de famille eux-mêmes, ne trouveront pas grâce devant la loi, mais leurs familles toucheront une indemnité pécuniaire. La loi sera impérative, car, si on laissait la porte ouverte
aux exceptions, même les plus justifiées, elle livrerait bientôt passage à tous les abus. La suppression des dispenses aura pour effet d'élever la valeur des examens et le niveau d'entrée dans les grandes écoles et d'attirer alors du côté du commerce et de l'industrie des jeunes gens qui, en trop grand nombre, se portent maintenant vers les carrières libérales, simplement dans le but de ne faire qu'une année de service. Il n'y a aucun inconvénient pour leur carrière à maintenir une année de plus sous les drapeaux les jeunes gens que leurs aptitudes, ou surtout une vocation sérieuse, pousseront vers le droit, la médecine, les arts ou la litté-
rature. L'armée, de son côté, y trouvera son compte.
Amélioration des réserves. —
D'abord, comme nous le verrons, nous recruterons plus aisément nos officiers de réserve et nos sous-officiers. En outre, avec le service de deux ans, l'instruction pourra être mieux et plus aisément donnée. En effet, actuellementlaclasse qui arrive sousles drapeaux est composée, pour un tiers d'hommes qui doivent faire un an, et pour deux tiers d'hommes qui doivent faire trois ans. On est donc obligé dans une année de parcourir le cycle entier de l'instruction militaire. Au contraire, avec des classes qui passeront tout entières deux années sous les drapeaux, on pourra graduer l'instruction en faisant parcourir aux hommes le cycle indispensabledans la première année et en les perfectionnant dans la deuxième. Le service de deux ans repose donc sur le principe de l'instruction intensive continuéeintégralemsnt sans lacune pendant deux ans complets. L'instruction sera dès lors plus solide, et nous obtiendrons en outre un avantage inappréciable, celui de l'hornogénéité des réserves, puisque tous les réservistes auront reçu une instruction semblable pendant un temps égal vingt-trois mois.
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Mais il faut alors que le temps de présence sous' les drapeaux soit uniquement consacré à faire de l'homme de troupe un réserviste instruit, et qu'on allège l'armée de la charge écrasante que constituent pour elle les non-valeurs. Si l'état de choses actuel devait se prolonger avec le service de deux ans, il y aurait, dans la réserve, deux fois plus de non-valeurs qu'avec le service de trois ans, puisque les employés seraient renouvelés intégralement chaque année. Chacun de ces hommes, en effet, au lieu de demeurer en fonction deux ans, n'y resterait qu'un an. Le nombre des réservistes, qui auraient reçu une instruction militaire imparfaite en raison des fonctions accessoires qu'ils auraient remplies pendant leur passage au régiment, .serait donc doublé. A cet égard, une réforme s'impose; elle pourra se résoudre grâce aux hommes des services auxiliaires actuellement dispensés de tout service et dont un certain nombre, les demi-bons, seront, d'après le nouveau projet de loi, appelés effectuer un service non armé. Par demi-bon, il faut entendre un homme que des tares physiques rendent impropre au métier des armes proprement dit (pointe de hernie, mauvais yeux, varices, jambes difformes, doigts de pieds chevauchant les uns sur les autres, etc.), sans que sa santé générale soit inférieure à celle des autres recrues. Il ne saurait être question, vous le pensez bien, d'incorporer des malades ou des hommes pouvant devenir une cause de contagion. Tout le monde comprend, au contraire, la nécessité de montrer une très grande sévérité dans le choix des hommes au
à
moment du recrutement. Ces demi-bons auront, dans chaque corps et en dehors du quartier, la même tenue que les hommes du service armé, et porteront, suivant le cas, le sabre ou l'épée baïonnette. Rien ne distinguera donc les hommes des services auxiliaires de ceux du service armé. Quant aux caractères physiologiques d'après lesquels ils seront choisis, ils seront définis chaque année pardes circulaires ministérielles.
Les services auxiliaires seront uniquement remplis parles demi-bons. L'emploi des hommes du service auxiliaire permettra, nous l'espérons du moins, d'appliquer les principes suivants qui libéreront les hommes du contingent aptes au service armé, d'à peu près tout ce qui n'est pas un service préparant au service de guerre
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Arriver à faire fonctionner les établissements militaires avec leurs propres ressources et n'emprunter en principe aux corps de troupe, sinon plus, tout au moins très peu de main-d'œuvre. 2° Organiser dans l'intérieur des corps de troupe les services généraux du corps et un certain nombre de services particuliers des unités, sans recourir aux hommes du contingent aptes au service armé. A cet égard, il faut distinguer entre la nature des emplois qui assurent ces services. Certains d'entr'eux sont nécessaires en campagne (par exemple ceux de tailleurs, bottiers) ; ces spécialités doivent être confiées à des hommes capables de supporter les fatigues de la guerre les corps devront en former en temps de paix le nombre nécessaire pour compléter les vides que peuvent présenter les classes de la réserve. Mais il est par contre de nombreux emplois qui sont de véritables emplois du temps de paix, en ce sens qu'ils n'existent pas auprès des troupes en campagne, et qui, cependant, sont nécessaires sur le territoire après que les unités de guerre ont quitté les casernes. Ce sont ces emplois qu'on arrivera à confier en grande partieaux hommes des services auxiliaires. 1°
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Avantages sociaux.
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Dans son organisation' l'armée doit être presque au même titre une force militaire et une force sociale. « Aujourd'hui, en effet, le service militaire doittenir compte de la lutte pour l'existence sociale et politique faisait autrefois abstraction. Dans les organisadont
il
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tions anciennes, le service militaire était un état spé«cial qui se développait en dehors de la vie économique, «et n'avaitavec elle presque aucun point de contact. Main«tenant, il en va tout autrement. Le service militaire est «partie de l'existence sociale. Pour organiser l'armée, il «ne faut rien détruire de la nation, au contraire. Les «deux états, autrefois toujours distincts et fréquemment «opposés, se pénètrent de nos jours de façon complète. «Toutes les manifestations de la vie civile et sociale ont «leur répercussion sur la vie militaire, et il faut que celle«ci participe utilement à cette existence. » (1) Sous ce rapport, les avantages qu'offrira la loi de deux ans ne seront pas seulement d'ordre militaire, mais encore d'ordre social. En mettant les classes à même de se mieux connaître, en les astreignant aux mêmes obligations civiques, on travaille pour la paix sociale. Le moins qu'on puisse espérer, c'est l'atténuation de bien des préventions réciproques. Les représentants des classes intelligentes et riches n'exciteront plus autant que par le passé la jalousie des classes moins favorisées. Ils leur donneront le bon exemple et celles-ci apprendront alors à les estimer et à les aimer. De leur contact avec ces compagnons d'armes moins privilégiés, ils reviendront àleur tour dans leurs foyers, plus éclairés, plus justes, et par suite meilleurs, car, même chez les plus humbles, ils trouveront des trésors insoupçonnés de générosité, de patience, de dévouement. «
Dans le discours prononcé à la distribution des prix du concours général, en 1903, leMinistre de l'Instruction publique, M-. Chaumié, montrait combien les jeunes élèvés auxquels il s'adressait, auront à gagner à voir de près, dans l'intimité du régiment, « ces jeunes hommes, enfants du peuple, ouvriers, paysans du même âge, du (1) A.
Gervais, député de la Seine. Journal Le Matin du
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août 1904.
même sol, de la même race. maisdont votre vie, jusqu'ici, avait été et devait continuer à se dérouler séparée. « Désormais, à vos esprits, dit-il, va s'offrir le plus attachant sujet d'études. Vous n'aviez lu jusqu'ici que dans des livres; avant d'en reprendre d'autres, vous allez pouvoir lire dans des hommes. A l'heure fortunée où la jeunesse « A quel moment « éclôt, où, tout imprégnées des leçons de vos maîtres, « vibrantes encore, vos âmes, qu'aucune désillusion n'a « froissées, s'ouvrent à toutes les générosités, à tous les <£ dévouements. « Quelle admirable mission vous allez pouvoir vous Que de préjugés vous allez pouvoir combattre, « donner « de malentendus et de suscipions réciproques dissiper, « que de jalousies et de défiances vous allez pouvoir effa« cer ! « Rassurez, encouragez, apprivoisez peu à peu leur « timidité fire, tâchez de devenir les confidents de leur « isolement, les conseillers de leurs craintes ou de leurs « hésitations, donnez l'exemple de la discipline obéie « sans murmure, des fatigues subies sans plainte, bientôt « vous sentirez monter vers vous la chaleur de leur sym« pathie. Ils vous diront leur vie, leurs familles, leurs « travaux, leurs tristesses, leurs espoirs, et vous, écoliers « hier encore, jeunes hommes à peine, étudiants de « demain, vous goûterez la joie très-vive et très-haute, « la douceur d'être déjà pour d'autres une force et un « appui. « Et voilà qu'ainsi déjà vous serez devenus des maî« très et vous aurez le sentiment très noble de commencer « à payer votre dette envers la société, en faisant part à « des déshérités de ce qu'une heureuse fortune vous aura « permis d'acquérir. « Ne vous hâtez pas d'ailleurs d'en tirer vanité. Vous « acquerrez en retour autant que vous donnerez. Qui « enseigne apprend. Tout maître qui le veut bien trouve « dans son élève une leçon pour lui-même » Et M. Chaumié terminait ainsi':
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!
Ces frères, qui semblaient destinés à vivre loin de « vous,vous les aurez connus, vous vous en serez fait «connaître. Vousles jugerez à l'avenir et ils vous juge« ront eux-mêmes avec plus de justice. « Si vous le voulez, vous sortirez de là grandis et « meileurs avec, devant les yeux, un horizon élargi. N'est« ce pas alors d'un esprit plus mûri, plus complet, mieux « armé, que vous aborderez les études supérieures, prêlibérales Si, pourrappeler à votre « lude des carrières « mémoire les connaissances autrefois acquises, d'ailleurs « bien vite évoquées de nouveau, il vous faut alors un « effort particulier, que sera-ce que cette fatigue passa« gère à côté des bienfaits recueillis « Si donc le Parlement consacre un jour cette réfor« me, pénétrez-vous, mes amis, du grand devoir social acceptez d'un cœur joyeux la « qui vous sera imposé « tâche qui vous incombera, donnez-vous à elle tout «
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entiers. « Ce n'est pas vous seuls, d'ailleurs, que vous servirez ainsi. A mesure que des générations nouvelles se seront, de la sorte, connues et mêlées, à la place des préventions et des défiances disparues s'élèvera, de jour en jour plus forte, l'œuvre d'apaisement, de concorde, d'union, qui doit être à tous notre rêve et notre idéal, et dont vous aurez été les bons ouvriers. »
Sous-officiers fournis par le service de deux ans. —Les sous-officiers doivent être pour les soldats
des guides plus instruits, plus intelligents, plus adroits, plus expérimentés et doués d'une grande fermeté de
caractère. Lorsqu'il s'agit de les choisir, il faut se baser nonseulement sur leur valeur professionnelle, mais surtout sur leur valeur morale. Nous pensons qu'on doit, avant tout, rechercher chez les candidats les qualités du chef autorité, commandement, énergie, conscience, et les instruire surtout en vue de leur service entemps de guerre.
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Donc, ne leur demandons pas d'être avant tout des instructeurs, car c'est surtout le rôle des rengagés, de ces rengagés qui, il est vrai, font pour la plupart aujourd'hui fonction d'instructeur, mais qui, trop souvent encore, malgré les gros sacrifices que s'est imposé pour eux le pays, occupent des postes sédentaires. A la mobilisation, un certain nombre de ces rengagés, devenus des instructeurs de premier ordre, resteraient dans les dépôts où ils auraient à préparer d'une façon intensive les troupes destinées à combler les vides des armées en
là
campagne. Si nos sous-officiers ne sont parfois que des collaborateurs médiocres, c'est que nous les instruisons mal, cela tient aussi et surtout à ce que les plus intelligents, les mieux doués de chaque contingent, ne font qu'un an
de service; cet inconvénient va disparaître en même temps que les dispenses. Nous aurons désormais, plus de sujets qu'il n'en faudra, car les dispenses actuelles nous ont enlevé notre meilleure pépinière de sous-officiers en accordant des privilèges à ceux qui, au contraire, devaient le plus de sacrifice à la Patrie. Noblesse oblige
!
Les dispenses abolies, nos sous-officiers du contingent pourront, être choisis parmi les plus intelligents, les plus instruits et les mieux doués au point de vue moral; on pourra avantagement les nommer après un an de service. Chaque contingent fournira donc ainsi ses sous-officiers mais il faudra les instruire et faire leur éducation et ce sera, ne l'oubliez pas, une partie extrêmement importante de notre tâche. La direction des pelotons d'instruction devra s'inspirer des principes nouveaux que nous exposerons, pour former des sous-officiers aptes à nous seconder utilement comme éducateurs. Après leur libération les sous-officiers du contingent fourniront des cadres de réserve excellents. C'est parmi
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eux que nous pourrons trouver aussi, par des mesures spéciales appliquées à certains sous-officiers ducontingent, pendant leur deuxième année de service, de bons officiers de réserve. Le recrutement des officiers de complément, si difficile actuellement pour l'infanterie, sera donc mieux assuré, car le maintien sous les drapeaux pendant deux ans des jeunes gens actuellement dispensés, en vertu d'un diplôme acquis où à acquérir, sera l'un des moyens de remédier aux impossibilités auxquelles on se heurte en ce 4 qui concerne ce recrutement. Ces jeunes gens apporteront à notre corps de sousofficiers un surcroît de valeur intellectuelle résultant de leur culture élevée. Ils apprendront, pendant deux ans de service, tout ce qu'il faut savoir pour devenir officiers de réserve n'étant plus incités, par le fait même des dispositions de la loi, à se détacher des choses militaires, ils s'y intéresseront en vue de leurs fonctions de guerre, et le pays tout entier n'aura qu'à s'en féliciter. Le service de deux ans n'admettra donc aucune dispense et aura pour effet, grâce à l'emploi des demi-bons dans les services spéciaux, de soustraire l'homme du service armé à tout emploi qui l'écarte dela préparation à la guerre. Le service de deux ans sera un progrès marqué il accroîtra notre force militaire et nous pouvons l'envisager avec Nous avons le devoir de nous préparer à appliquer cette loi nouvelle et de modifier nos procédés d'instruction et d'éducation assez à temps pour que tout le bien qui doit en résulter soit immédiatement réalisable.
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confiance.
L'Officier instructeur et éducateur
Amélioration des méthodes d'instruction. — La réduction du service militaire à deux ans nous oblige à employer ce temps le mieux possible pour préparer nos hommes à leurs fonctions de guerre. On devra donc con-
tinuer l'évolution commencée au point de vue des procédés d'instruction, c'est-à-dire donner à l'instruction un caractère de plus en plus pratique et dirigé surtout en vue de la guerre. Puisque la guerre est le but de l'instruction militaire, il faudra se placer, aussitôt qu'on pourra et le plus souvent possible, dans les circonstances de guerre. Les manœuvres de l'unité complète de guerre, hors du quartier, en plein air, orientent tous les esprits vers la
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les jeunes gens voient ainsi de bonne heure le service réel auquel on veut les préparer ils éprouvent la
guerre
sollicitude attentive des chefs, toujours exigeants d'ailleurs, mais qui leur donnent l'exemple de l'endurance, de l'énergie et du zèle, ils les voient à l'œuvre sur le terrain, à leur véritable place et ils peuvent les apprécier plus justement que dans la cour du quartier ou au champ de manœuvre. Ils subissent également l'ascendant que l'expérience déjà acquise a donné aux anciens. On pourra d'ailleurs greffer de nombreuses instructions de détail sur ces opérations faites en dehors des quartiers mauœuvre d'artilllerie, conduite des voitures, instruction des cadres. On partira le plus souvent possible de grand matin et on ne reviendra que pour le pansage du soir. On bivouaquera, on mangera la soupe sur le terrain et, à tour de rôle, les hommes apprendront à la préparer. De sorte que n'ayant plus le souci, au quartier, de dresser des cuisiniers pour les manœuvres et la guerre, on pourra alors
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les choisir parmi les hommes des services auxiliaires, et, en même temps, en réduire le nombre. L'instruction en pleine campagne, grâce aux frottements et aux contacts qu'elle amène, rapprochera l'officier de sa troupe et montrera à tous les bienfaits de la solida-
rité. Elle aura, en outre, pour résultat de diminuer notablement le nombre des punitions. On sait, en effet, combien sont peu fréquentes les punitions en route, en comparaison de celles qui résultent de la vie de garnison. Enfin, elle offrira un autre avantage appréciable «c'est surtout par l'instruction extérieure, dit en effet «le Lieutenant-Colonel Frocard (1), que l'on triomphera «de la vieille rancune invétérée du Français à l'égard de «la vie de caserne. On dit tout les jours que l'esprit mili«taire, que le goût militaire se perdent. On écrivait au «X\7IIIe siècle que le Français avait peu de goût pour le «métier des armes en 1821, le général Lamarque écri«vait que personne ne voulait plus être soldat. Ces plain«tes sont donc de toutes les époques. « A la veille de la Révolution, l'armée ne se recru«tait qu'avec la plus grande difficulté cependant il est «constaté que la guerre de l'indépendance américaine «avait amené des volontaires en plus grand nombre, et «des volontaires d'une espèce -supérieure et, d'autre «part, la façon brillante dont se sont conduits nos soldats, «pendant les guerres du premier et du second Empire ou «les campagnes d'Algérie, qui ont si fortement écrémé «les contingents, montre péremptoirement que c'est donc «bien réellement la vie dé caserne qui pèse à l'homme de
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«troupe.
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Nous ferons la même remarque en ce qui concerne les campagnes coloniales de ces trentedernières années Tunisie, Tonkin, Dahomey, Madagascar, Soudan. Chaque fois que, pour ces expéditions, on dut demander le concours de l'armée métropolitaine, des volontaires en Revue du Cercle Militaire, Décembre 1902 — Janvier 1903. « L'Officier de la Nation armée». (1)
grand nombre répondirent à l'appel et se comportèrent vaillamment. En même temps que nous chercherons à manœuvrer en plein air dans des conditions aussi voisines que possible de celles de la guerre, nous tâcherons d'améliorer encore nos méthodes d'instruction, en nous inspirant des progrès réalisés dans ces dernières années par la pédagogie, qui perfectionne sans relâche ses pratiques. Il faut en particulier nous décider à faire appel à l'enseignement par les yeux, à recourir aux images profiter de la création des réfectoires pour les transformer en musées, en galeries de peinture ou tout au moins de chromos, lesquels représenteront les uniformes des armées de terre et de mer, en France ou à l'étranger, les .insignes distinctifs des grades, les attributs caractéristiques des fonctions, les brassards, les différentes décorations, et des scènes de la vie militaire. Que de temps perdu dans les instructions, intérieures en explications et commentaires inutiles pour donner cet enseignement, alors qu'il serait si simple de montrer ces images et d'expliquer ce qu'elles représentent. Pourquoi aussi ne chercherions-nous pas à instruire ces jeunes gens en les amusant et en recourant à des jeux pour leur inculquer les notions les plus délicates, celles auxquelles leur esprit est le plus rebelle Vous le voyez, des progrès importants «sont encore à réaliser dans nos méthodes d'instruction. C'est à la recherche des améliorations possibles que vous devrez réfléchir, quand vous aurez reçu vos brevets desous-lieutenants. Mais les études que vous ferez à ce sujet ne devront pas vous faire perdre de vue que le rôle de l'officier ne consiste pas seulement dans l'instruction, mais encore dans l'éducation morale des contingents.
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Rôle de l'officier dans la Nation armée et Rôle Social. — Pour trouver à la mobilisation des
armées bien préparées à entrer en campagne, problème
qui est le but et la raison d'être de l'armée permanenta actuelle, il faut donner à l'homme une solide instruction technique et, par conséquent, améliorer sans cesse les méthodes d'instruction, de façon qu'il apprenne le plus vite et le mieux possible tout ce qu'il doit savoir pour fairela guerre. Mais l'homme doit aussi être animé d'une grande force morale pour supporter courageusement les privations et affronter bravement les dangers qui l'attendent.' Quelle que soit son origine sociale, il faut donc qu'il emporte, en rentrant dans ses foyers, une haute idée du corps d'officiers il faut qu'après son séjour dans l'armée, il arrive à l'aimer et qu'il la quitte complètement pénétré des 'devoirs qui seront les siens le jour où la Patrie menacée aura besoin de lui. Pour obtenir ce résultat nous devons nous efforcer de gagner la confiance de nos hommes en nous montrant en toute occasion à la hauteur de notre tâche, et en employant des procédés d'instruction militaire parfaitement appropriés, non seulement aux besoins réels de l'art militaire, mais encore à l'esprit démocratique qui anime notre pays. En particulier, nous devons, dans cette instruction militaire, faire une part plus grande que jamais l'éducation morale qui consistera à développer dans le cœur de nos soldats les sentiments de probité, de franchise, de droiture, de solidarité, de bravoure, de dévouement, de
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patriotisme. Tel est complètement défini le rôle que la Nation attend de l'officier d'aujourd'hui. Il est indispensable au bon fonctionnement de la Nation armée et au succès que notre organisation militaire nous permet d'espérer, si un jour nos frontières se trouvent menacées et si nous sommes appelés à les défendre. Ce rôle de l'officier dans la Nation armée sera bien plus impératif encore quand la loi de deux ans recevra son application. Cette loi va nous donner, en effet, une ArméeNationale,
dans la véritable acception du mot, exclusivement composée d'hommes tous également assujettis, pendant un temps rigoureusement égal pour tous, aux mêmes devoirs, aux mêmes exigences, aux mêmes sacrifices. L'armée toute entière sera exactement l'image de la Nation; et chaque contingent nous arrivera avec son esprit, ses aspirations démocratiques et sa soif de progrès social. Les éléments de ces contingents, en général les plus intelligents et les plus instruits, que la loi de 1889 dispensait de deux années de service, n'accorderont à leurs chefs leur confiance, en échange du sacrifice considérable qui leur est imposé, que s'ils peuvent apprécier d'une façon incontestable le savoir et le dévouement de ces chefs, et si le régime auquel ils sont soumis ne choque pas leur bon sens, ou ne froisse pas le sentiment qu'ils ont de la dignité humaine. Certains esprits éclairés veulent faire del'arméecomme un prolongement de l'école ils demandent à l'otficier actuel un rôle plus étendu que celui que nous venons de définir, celui qui est réservé à tous les privilégiés de l'intelligence, de l'éducation et de la fortune, un « rôle social ». Ils font remarquer, en effet, que le corps d'officiers est mieux placé que n'importe qui pour remplir ce rôle, puisque toute la jeunesse de vingt ans vient à la caserne. « Grandir tout ce qui passe par nos mains, dit le « général Lyautey, (1) rendre meilleurs à la société les « éléments médiocres qu'elle nous confie, être, en un mot, « les éducateurs de tout ce qui est sain et viril dans la « Nation, tel est le rôle qui nous échoit désormais ». « Habitués, dit d'autre part le Lieutenant-Colonel « Ebener, à rester enfermés dans leur tour d'ivoire, sans « jamais monter au sommet pour jeter un regard sur ce « qui se passe au dehors, ils (les officiers) ne se sont pas « aperçus qu'à côté de leur rôle de préparation à la guerre, « ils avaient à remplir une mission sociale d'une impor-
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(1) Article de la
Revue des Deux Mondes, déjà cité.
tance capitale et qu'il leur appartenait de contribuer à « l'éducation de la démocratie. « S'il (l'officier) n'existait pas, dit l'auteur d'une bro« chure sur « le Travail intellectuel de l'officier », il le «faudrait créer bien plus pour satisfaire à une nécessité «sociale qu'à un besoin professionnel. » « L'obligation de faire passer tous les Français à la «caserne pendant un certain temps,dit encore le Lieute« nant Demongeot (1),est une nécessité de défense natio«nale, mais elle constitue une perte sociale considérable «
«pour le pays.
Le jeune homme séparé brusquement des siens, de «ses intérêts, de son milieu, et soumis, pendant de longs «mois, à l'entraînement particulier de la caserne, subit «de ce fait un amoindrissement de sa faculté de travail. « Matériellement, il désapprend son métier; moralement il s'en désaffectionne. « Il faut que le jeune soldat ne subisse pas du fait de «sa vie militaire un arrêt complet de sa vie d'homme «qu'il rentre dans ses foyers agrandi et non diminué et « que les connaissances utiles qu'il aura acquises, jointes «aux qualités civiques et morales qui auront été déve«loppées en lui, compensent largement le temps et l'éner«
«
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et
«gie perdues.
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Ce rôle social de l'officier, il ne fautpas le dissimuler, est particulièrement difficile la grande majorité des officiers n'y est nullement préparée, car, pour le remplir efficacement, les officiers devraient posséder toutes les
qualités morales que l'Etat demande aux éducateurs de la jeunesse. Parmi ces qualités, nous faisons le départ entre celles qu'il est indispensable que l'officier possède, et celles qu'il est désirable qu'il acquière. Les premières, absolument nécessaires, lui serviront à remplir son rôle dans la Nation armée; les autres lui (1)Citoyen et soldat.
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permettront, dans la mesure de ses connaissances, d'aider au développement moral du pays. Pour pouvoir, un jour, remplir complètement ce rôle, il faudra qu'il s'efforce d'étendre de plus en plus sa cultureintellectuelle et morale et qu'il augmente encore ainsi la confiance qu'il aura su inspirer. Le rôle de l'officier dans la Nation armée tel que nous l'avons défini est une nécessité-d'aujourd'hui. Tout les officiers sans exception doivent le remplir, sous peine de se priver, au moment du danger, d'un grand élément de force et de succès. Le rôle social de l'officier constituera le progrès de demain. Nous nous occuperons spécialement dans ces conférences du rôle de l'officier dans la Nation armée. Nous n'hésiterons pas cependant à parler incidem• ment du rôlesocial, parce qu'il est nécessaire quevous connaissiez lesgraves problèmes d'instruction et d'éducation qui peuvent se présenterdemain, et parce que certains officiers dont le nombre, nous l'espérons, augmentera de plus en plus, sont peut-être aptes à le remplir dès
maintenant. Faisons remarquer d'ailleurs que le fait même de développer chez des hommes toutes les qualités morales permet à l'officier de remplir, par surcroît, son rôlesocial. «.Car un soldat discipliné, honnête, dévoué en temps de paix comme en temps de guerre, ne peut être plus tard qu'un bon citoyen. » (1) Mais avant de vous donner les moyens de vous acquitter de cette haute mission, et afin de ne laisser aucun doute dans votre esprit, nous tenons à déclarer que l'instruction professionnelle du soldat demeure la tâche primordiale et le but immédiat de tout officier, qui ne saurait, en aucun cas, s'y soustraire. A côté de l'instructeur cependant, l'éducateur devra 9 saisir toutes les occasions qui constamment se montrer, 1
Commandant Boudier.
«
Conférences faites à Saint-Cyr en 1902.
lui seront offertes pour enseigner à ses hommes leurs devoirs moraux et, sans rien sacrifierde leur instruction militaire, profiter des heures de loisir nombreuses qui leur sont laissées pour faire, dans la mesure de ses connaissances qu'il s'efforcera d'étendre de plus en plus, leur éducation sociale et civique. pratique l'art d'ac« Il n'est bonne ménagère qui ne commoder les restes, et le devoir de tout industriel sérieux est de tirer le parti le plus avantageux possible des déchets de son usine ». (1) C'est un emploi intelligent et bienfaisant des déchets du service militaire que de mettre à profit, pour faire des citoyens, toutes les heures d'oisiveté dont nos troupiers jouissent et qui ne sont pas employées à faire des soldats.
Méthode d'éducation morale. — L'armée est,
avant tout, en temps de paix, une école. Tous les citoyens valides y passent à leur tour pour y faire leur apprentissage du métier militaire et y accomplir ainsi une de leurs obligations les plus importantes envers le pays. Ils arrivent à la caserne animés de bonne volonté. Ils n'ont nullement l'intention de s'insurger contre les nouveaux devoirs que l'officier a mission de leur enseigner et de leur faire pratiquer. Ils y travaillent de toute leur âme, chaque fois qu'on s'adresse à leur cœur, qu'on fait appel aux sentiments les plus élevés. « Qu'on applique pour eux sans pitié la première lettre des règlements et le dernier mot de la discipline, c'est la débâcle. » (2) Il est donc très important de ne pas leur montrer ou leurlaisser montrer, dès le début, ladisciplinecommeune menace, alors qu'elle est un devoir. Ne s'avisait-on pas autrefois de commencer réducation des recrues par la lecture des extraits du code pénal
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Commandant E. Manceau Préface à 2 Pierre Baudin 1
Notre armée. Sedan » de BeyerJein. « Iéna ou
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imprimés sur leur livret etdans lesquels il n'est guère question que d'un châtiment la mort. Comment s'étonner, après cela, que ces jeunes gens soient atteints de nostalgie et considèrent la caserne comme une prison. Il est de toutenécessité, avec le soldat d'aujourd'hui, de modifier « non pas les principes mêmes sur lesquels repose la discipline dans l'armée, mais l'idée que nous. nous faisons de leur application. » La discipline doit être obtenue par la persuasion et non parla répression. « Vous entendrez souvent, dit le lieutenant-colonel militaires, vanter la discipline « Ebener, dans les milieux (( des Allemands et proclamer avec assurance qu'elle est « plus forte que chez nous. D'abord, cela 41'est pas exact, chez nos « ce n'est pas la discipline qui est plus forte « voisins, mais la répression, et si la répression est forte « c'est que le sentiment du devoir est faible. Savez-vous « combien il se présente en moyenne par an de déserteurs «dans nos places frontières Quatre cents. « Et puis, s'il est un sujet où l'on doive se défier de « ce fâcheux esprit d'imitation qui nous a déjà fait faire « tant de sottises, c'est la discipline; le caractère propre « chaque peuple doit seul inspirer les principes d'après « lesquels elle sera exercée. Assimilersous ce rapport le « soldat français, fin, intelligent, nerveux, à l'épais BavaPoméranien est tout aussi absurde que « rois ou au lourd « de vouloir lui appliquer les méthodes d'instruction dont « le Général Dragomirow a besoin pour se faire compren« dre du moujick ou du cosaque russe. cc En France, nous avons un levier moral très puis(( sant, inconnu de la plupart des armées étrangères, le « sentiment de l'amour-propre; il est d'un maniement « délicat, sachons nous en servir. A nos soldats, il ne faut « pas parler uniquement de répression. Nous avons sous qualités et « les drapeaux la Nation entière avec toutes les « aussi toutes les susceptibilités de tempérament de la « race en matière de discipline, nous en. sommes restés « aux errements de l'ancien régime. N'est-il pas triste de
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à
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penser qu'à l'époque où nous vivons, nous réprimons « des fautes légères par l'emprisonnement collectif, alors «que, pour les criminels de droit commun, on s'efforce «de réaliser la détention isolée à seule fin d'éviter la «contagion par la promiscuité? « Quand donc se rappellera-t-on que discipline vient «de discere, apprendre, de même que disciple? Ce terme «de discipline suppose donc des maîtres, des élèves, des «chefs et des subordonnés, les premiers cherchant avant «tout à inculquer aux seconds une doctrine, et à Id leur«faire aimer, à en faire dos adeptes, en un mot, accep«tant volontairement la discipline-idée, qu'il ne faut pas «confondre avec la discipline-martinet et la propageant «autour d'eux. Répression et discipline sont deux choses«absolument distinctes. « Combien peu d'officiers, dans notre armée du ser«vice universel, ont cette notion « Ce ne sont pas là des idées subversives, personne «n'est plus pénétré que nous de la nécessité d'une forte «discipline dans l'armée, personne n'est plus que nous «disposé à frapper durement les mauvais sujets. On peut «être un chef aux sentiments paternels sans faire pour «cela ce qu'on appelle de la paternité. On peut être celui «que le soldat dévoué appelle un bongarçon, sans mériter «les épithètes de bon enfant ou de brave homme qui im« plique une idée de faiblesse ou de complicité. longtemps pratiqué le soldat, quicon« Quiconque a «que l'a sincèrement aimé et en a été aimé davantage «nous comprendra. « Nos anciennes ordonnances, basées pendant 230 ans, «de Coligny à Choiseul, sur la répression n'ont donné aux «officiers qu'une autorité précaire. Malgré la rigueur de «la discipline, nos armées ont été, pendant toute cette «période, fort indisciplinées. arsenal n'était pas bon, même « Si donc un pareil recrutement de ces époques, à plus forte. « avec le mode de ccnvient-il pas aux soldats du service univer« raison ne «
!
-
«
sel.
»
L'officier d'aujourd'hui est d'ailleurs moins dur, moins disposé à punir que l'officier d'autrefois. Car, à son insu même, il a bénéficié de l'évolution des idées, de l'adoucissement progressif des mœurs militaires, résultat du service universel. Il a imposé à ses cadres inférieurs une patience trop longtemps inconnue. Il a fini par reconnaître qu'on peut très bien former le soldat sans l'injurier et même qu'on le prend mieux par la douceur que par la brutalité. Il s'est aperçu enfin que les ménagements qui ne sont pas discutés pour le dressage des chevaux sont -applicables à l'homme. Si cependant vous trouvez parfois une sorte de contradiction entre ces théories si généreuses de l'action que doit avoir le chef et certains de ses actes, n'oubliez pas que souvent il garde inconsciemment l'empreinte du temps où ces idées étaient encore ignorées. C'est surtout aux jeunes officier, qui ont tendance à exagérer la sévérité, qu'il convient de réfléchir à ces enseignements, de les méditer et souvent de se maîtriser. Ils doivent se pénétrer de cette idée que si, par la répression, ils peuvent en temps de paix obtenir l'obéissance de leur troupe., jamais, par ce moyen, ils ne formeront « le lien moral qui fait qu'un chef est toujours cru, toujours écouté, toujours suivi par ses soldats devenus ses collaborateurs volontaires. (Lieutenant-Colonel Ebener). Tous vos efforts tendront donc à établir ce lien moral entre vos hommes et vous, et vous réussirez facilement, si vous vous rendez bien compte de la mission élevée qui :sera la vôtre demain. L'armée, en effet, en prenant à la Nation tous ses enfants, se substitue par cela même à la famille, protectrice naturelle et directrice morale dela jeunesse. A l'incorporation l'officier reçoit donc charge d'âmes -et il est tenu de prendre la direction morale de ses hommes. Mais cette direction, il ne peut l'exercer que s'il sait .acquérir leur confiance et leur dévouement.
»
Aussi doit-il se rapprocher du soldat etlui parler. Il lui causera de son pays, de sa famille, de son métier, de tout ce qui peut l'intéresser. Il s'occupera beaucoup de lui, profitera de toutes les circonstances pour vivre de sa vie, et ne laissera échappert' aucune occasion de lui témoigner un affectueux intérêt. « Attentif aux défaillances, aux afflictions, il sera en même temps le chef qui dirige et l'ami qui console; il s'enquerra des besoins de chacun et cherchera à étouffer le sentiment de défiance naturel » que nourritpour l'officier une grande partie des classes déshéritées de la nation, « dont le seul résultat est d'entretenir un esprit d'hostilité opposé à tout rapprochement (1) ».
Exemple. — Vous voyez, à la manœuvre, un de vos hommes qui paraît mettre à tout ce qui lui est commandé une mauvaise volonté évidente son instructeur lui a fait .plusieurs observations dont il n'a pas paru se soucier. D'ailleurs à la chambrée, comme à la manœuvre, partout, il fait l'esprit fort et y sèmerait bientôt l'indiscipline, si vous n'y preniez pas garde. En le punissant, vous n'arriveriez qu'à exalter davantage sa manière d'être. Appelezle plutôt près de vous et causez-lui, prenez-lepar l'amour propre, par les sentiments, aubesoin par la vanité, attachez-vous à le convaincre; renouvelez souvent, s'il lefaut, cette paternelleleçon; soyez bien surs que l'homme vous sera acquis le jour où il aura compris que vous lui êtes supérieur à tous les égards, et qu'il vous aura vu donner l'exemple sans cesse ni trêve et payer de votre personne partout et toujours.
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Autre exemple. — Pendant les repos, vous remarquez un de vos hommes qui, au lieu de causer ses camarades, de jouer avec eux, se tient à l'écart, les bras ballants morne, visiblement en proie à la nostalgie. Allez le tirer de sa torpeur, parlez-lui familièrement des choses qui l'intéressent st sur lesquelles il peut répondre. A la re-
à
1.
:
Lieutenant Demongeot
«
Citoyen et Soldat ».
prise de la manœuvre, vous serez surpris de son attention
et de sa bonne volonté.
L'officier qui agit ainsi arrive rapidement à bien .connaître ses hommes, et, à l'occasion, il peut prendre n'importe quelle décision les concernant en parfaite connaissance de cause. Il pourra apprécier, modérer, régler l'action des gradés subalternes, investis en France d'une autorité plus .grande que partout ailleurs, et si souvent sujets à caution, alors que fréquemment il est trop disposé à accepter leur verdict sans contrôle. Que de révoltes, de rancunes, ,..,de fautes graves engageant parfois la vie entière résultent d'une punition infligée injustement ou à la légère, à défaut presque toujours d'une connaissance suffisante de l'individu qu'elle frappe. Beaucoup de jeunes officiers se flattent de connaître à fond les trente-cinq ou quarante chevaux dont ils ont la direction, les moindres particularités de leur nature, de leur tempérament, de leur origine, de leur caractère. Vous vous efforcerez de faire pour vos hommes, avec plus de raison encore, ce que ceux-là font pour leurs che-
vaux.
Soyez bien persuadés que l'officier, qui aime le troupier et qui le lui prouve, gagne sa confiance et en est aimé. C'est un point capital, surtout pour le temps de
guerre que nous devons toujours avoir en vue.
Exemples historiques. — Écoutez
ce qu'écrivait en 1831 au général Drouot un canonnier de la Garde Impériale qui avait servi sous ses ordres en 1809 : « La principale chose, suivant moi, c'est de se faire aimer du .soldat, parce que si le colonel n'est pas aimé, on ne se soucie pas beaucoup de se faire tuer par les ordres de quelqu'un qu'on déteste. A Wagram, où ça chauffait si fort et où notre régiment a tant fait, est-ce que vous croyez que, si vous n'aviez pas été aimé comme vous l'étiez, les canonniers de la Garde auraient si bien manœuvré? moi, mon général, je n'ai jamais trouvé aucun colonel qui
sût parler comme vous à un soldat ; vous étiez sevère, j'en conviens, mais juste; jamais un mot plus hant l'un que l'autre, jamais de jurement, jamais decolère, enfin vous parliez à un soldat comme s'il eut été votre égal. Il y a des officiers quiparlentauxsoldatscomme s'ilsétaient les égaux des soldats, mais ça ne vaut rien du toutselon moi (1).» La dernière phrase de cette lettre, est à méditer. C'est une erreur, en effet, de penser qu'il faut parler au soldat la langue dont il se sert. Il sait bien que d'ordinaire vous ne parlez pas ainsi et que vous faites effort pour abaisser votre langage. Personne ne sait gré à celui qui se rapetisse. Les officiers de ce temps-là savaient fort bien, et autrement que par ouï-dire, qu'on ne mène pas les hommes à Ja mort sans se les être attachés par des liens plus solides que la crainte des punitions. vaincrai, disait Desaix, tant que je serai aimé de « Je mes soldats». « Les Allemands, a écrit Marmont, ont eu souvent des succès avec des chefs médiocres. Les Français valent dix fois leur nombre avec des chefs qu'ils estiment et qu'ils aiment. Ils sont au-dessous de tout avec un général qui ne leur inspire ni estime, ni confiance ». A toutes les époques de notre histoire militaire où les officiers ont négligé, par insouciance on par préjugé, de chercher le cœur du soldat, la patrie a souffert et le succès s'est trouvé compromis. C'est pourquoi Gambetta, avec une connaissance très juste du caractère français, engageait les généraux à parler à leurs troupes à l'occasion des revues qu'ils passaient adressant souvent à elles, disait-il, en leur « C'est en vous faisant entendre des paroles qui vont à leur cœur que vous conquerrez graduellement sur vos troupes cet
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à
celui dontona (1)LegénéralDnmot qui cettelettreestadressée,futesttraduit avec tant parlé dans l'une des conférences précédentes. qlli. en 1Kl5, d'autres devant un Conseilde guerre et acquitté à la minoritédefaveur.
ascendant grâce auquel vous pourrez plus tard leur faire braver la mort et les privations » (1).
L'éducation morale est de tous les instants. — Ainsi, l'officier doit se faire aimer de ses sol-
dats, s'efforcer de connaître leurs idée?, leurs tendances, leur état d'âme, s'en pénétrer pour gagner leur confiance il s'attachera alors à former leur caractère, à éclairer leur conscience, à développer dans leur cœur les sentiments deprobité, de franchise, de droiture, de solidarité, de bravoure, de dévouement, de patriotisme, en un mot à faire leur éducation morale. Mais cette éducation morale ne peut se faire à heure fixe elle ne doit pas être réglée par un tableau de travail. Il ne viendrait à l'idée d'aucun père de famille de prévenir ses enfants qu'il leur fera tel jour, à telle heure, une conférence spéciale pour leur expliquer que le mensonge est une chose vile et basse, et le vol un acte déshonorant. « L'éducation des caractéres est de tous les instants; chaque acte de la vie journalière peut être l'objet d'une causerie, d'un exemple, d'un redressement (2). Une faute contre la discipline, un vol, un cas d'ivresse, un.acte de probité, de courage, de dévouement, d'indélicatesse, seront pour l'officier des occasions excellentes pour orienter l'esprit et toucher le cœur de ses soldats. Il tirera du fait considéré un enseignement moral d'abord, civique et social ensuite, et ne manquera pas de généraliser la leçon, chaque fois qu'il le pourra, en l'étendant aux analogies de la vie.
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»
Exemples. — I. — Un soldat s'est esquivé de l'épluchage des pommes de terre. Il a manqué à un service commandé. C'est une faute contre l'obéissance. Mais ses camarades ont dû travailler pour lui il a donc commis une faute plus grave encore contre la mutualité. L'offi-
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Circulaire citét- par le capitaine H. Choppin, dans le Spectateur Militaire de mai 1890. (2) Lieutenant Demongeot : « Citoyen et soldat. » (1)
cier relève cette double faute devant les hommes de sa compagnie et flétrit devant eux l'ouvrier qui laisse faire son travail par un autre, le citoyen qui ne se dérange pas pour éteindre l'incendie chez le voisin, etc. II. — Il y a dans les chambres revue d'armes. L'officier de section constate quetout est propre et bien installé. Seul un jeune engagé volontaire, arrivé depuis peu à la batterie, présente une arme mal nettoyée et un paquetage en désordre. L'officier doit faire observer à ses hommes que, sans attendre des ordres de leurs gradés directs, ils auraient dû s'unir pour venir en aide et débrouiller un jeunecamarade inexpérimenté et aussi embarrassé quils l'étaient eux-mêmes en arrivant au régiment. Il leur fera comprendre que, si se préparer à une revue est bien,faire acte de solidarité est mieux « Chacun se doit à tous, tous à chacun ».
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III. Un homme de la batterie, au péril de sa vie, a retiré de la rivière un jeune enfant qui s'y noyait. Le capitaine réunit la batterie, raconte l'acte de dévouement de cet homme, le félicite chaleureusement en lui serrant la main et le donne comme exemple à tous.Puis il donne ostensiblement au chef l'ordre d'ajouter un quart de vin au repas du soir, pour que les hommes puissent fêter, quart en main, le camarade qui vient d'honorer la batterie. Fofncier IV. — On rend compte à de semaine que le soldat X. vientd'être ramené au quartier, ivre-mort. Il est couché sur son lit, l'écume aux lèvres, gardé par un camarade. L'officier de semaine se rend dans la chambre, donne l'ordre de rassembler la compagnie et, sans mot dire, fait défiler un à un, devant ce hideux tableau d'abjection humaine, ses hommes profondément impressionnés. Cette leçon sans phrases — à quelque chose malheur est bon — sera une heureuse préface à une causerie sur les terribles effets de l'alcoolisme au point de vue social.
L'éducation morale par l'exemple. — A cha-
cun de ses contacts avec la troupe, l'officier trouvera donc, s'il le veut, l'occasion d'agir, soit individuellement, soit collectivement, sur l'esprit de ses hommes. Mais son action dépendra surtout de l'ascendant moral qu'il aura su prendre sur eux. C'est par son propre caractère, son attitude, son maintien, son savoir, sa bonté, et, en même temps, sa grande fermeté, qu'il établira son autorité sur ses subordonnés. Les beaux discours, en effet, ne servent guère, si l'officier, le premier, n'y conforme pas ses actes. Aussi la méthode la meilleure en fait d'éducation comme en fait d'instruction, est-elle de donner l'exemple. Il est donc nécessaire que l'officier soit, â tous les degrés de la hiérarchie, un exemple constant qu'il enseigne toutes les vertus indispensables au bon soldat, en les pratiquant constamment devant lui qu'il soit surtout exigeant pour lui-même, et cela très ostensiblement, l'homme ne songera pas alors à le trouver exigeant pour lui. Dans ces conditions, tous les hommes rentrant dans la vie civile, remporteront une haute idée du corps d'officiers, et, comme conséquence, ils reviendront le jourde la mobilisation sans arrière-pensée sur la valeur morale et les sentiments de leurs chefs.
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Difficultés à prévoir.
— Le lieutenant-colonel Ebener, dans les conférences faites à Saint-Cyr, en 1901, met en garde les Saint-Cyriens contre les déceptions pos-
sibles.
Dans l'accomplissement de votre tâche journalière,. vous trouverez des joies intenses, de celles qui viennent du cœur et que seuls les conducteurs d'hommes peuvent c'est le goûter, mais desdéboires aussi vous attendent sort réservé à tous les apôtres. Vous aurez à lutter contre l'esprit de routine de vos cadres, non encore élevés dans ces idées, contre le scepticisme, voire même contre les railleries de certains de vos carparades, contre l'indifférence, aussi hélas de beaucoup de vos chefs ». Nous ajouterons «
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Vous aurez aussi à lutter contre vous-mêmes, car, il faut bien l'avouer, la tâche qui vous est ainsi tracée n'est pas aisée, d'autant plus que votre inexpérience dudébut ne vous permettra pas d'arriver de suite au résultat désiré. Mais doit-on renoncer à une entreprise difficile, sous prétexte qu'on en voit les difficultés. Si le devoir était facile, si le résultat immédiat venait récompenser l'effort, il deviendrait un jeu ; où serait son mérite
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La vie au quartier après 5 heures du soir.
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Dans la conférence précédente, nous avons signalé le reproche fait la vie de caserne d'avoir une influence démoralisatrice sur les contingents qui passent sous les drapeaux. L'officier éducateur remplirait donc incomplètement sa tâche, s'il ne tentait d'arracher ses hommes aux dangers des « heures mauvaises ». M Lamy, dans l'article de RevuedesdeuxMondes, dont nous avons déjà donné un extrait, après avoir signalé le mal donne le remède (1) distrac« Si les soldats trouvaient dans la caserne « tions avouables qu'ils sont obligés de chercher dehors, « n'iraient-ils pas les prendre où elles sont plus proches, Et si cet attrait ne retenait pas ceux « moins coûteuses « qui, de proposdélibéré, vont à la débauche, ne préserve« rait-il pas ceux qui s'y laissent glisser sur la pente des occasions (l « L'expérience valait d'être tentée. Quelques chefs de « corps, secondés ou sollicités par le zèle de quelques « officiers, ont, dans leurs casernes ou leurs quartiers, su « rendre libres quelques locaux, les ont aménagés, éclai« rés, chauffés, meublés de livres, de jeux, parfois d'un « billard, les ont ouverts à leurs soldats. « Ils ont fait plus, ils s'y sont rendus eux-mêmes « dans' la familiarité d'une réunion volontaire où les « chefs venaient aux petits, seulement hôtes dans le chez
à
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les
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(1)
Revue des deux Mondes du 15 mars 1894.
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soi donné par eux à leurs soldats y apportant au lieu « de punitions et d'ordres, la sollicitude pour le repos et « pour la joie de tous. « Les résultats ont été extraordinaires. « Les sorties sont devenues plus rares, les hommes « restent satisfaits de se reposer et de sedistrairesans se « déplacer, sans endo-ser l'équipement qui les gêne ensurtout, ils sont fiers de l'intérêt qu'ils ins« core plus « pirent, et les officiers sont payés de leurs peines par la ce regard « récompense que le soldat accorde à ses chefs, « de confiance et de remerciementauprès duquel, disait reste n'est rien ». « le maréchal Bosquet, tout « Il est temps qu'on fasse partout pour la moralité du que l'ini« soldat, comme on afait pour sa nourrltur, trop ancienne « tiative ingénieuse des chefs réforme un « erreur. Il ne faut plus que le soldat soit chassé de la « maison par l'ennui, par le froid, par le vide, et jeté sur « le pavé glissant des villes aux heures dangereuses. « Sans doute, il ne sera pas facile de rendre la maison « hospitalière. Nos constructions militaires porteront « témoignage contre nous dans l'avenir. Nos descendants « ne voudront pas comprendre que dans ces immenses « demeures où tout est prévu pour le travail, l'alimeuta« tion, le sommeil, la maladie des hommes, rien n'aitété « conservé pour leur délassement et leur vie sociale. « Mais, en attendant les constructions de l'avenir, où cet ( oubli sera réparé, même dans les bâtiments actuels,on « réussira à aménager un abri pour les loisirs du soldat, place d'une grande institution. « à marquer au moins éléments de succès existent, il ne s'agit que de les (<. Les « grouper. De même qu'aujourd'hui onemploie à la « puissance militaire des ressources créées par la société « civile, il n'y a qu'à employer au plaisir des soldats « des ressources toutes faites. Quelles distractions vont« ils demander, même aux concerts et aux spectacles, « qu'ils ne puissent, se donner eux-mêmes « Dans leurs rangs, on compte des musiciens, des « chanteurs, des débitants de monologues, des faiseurs «
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voilà la matière vide vers et des faiseurs de tours « vante de l'intérêt, de la curiosité et du plaisir pour «bien des heures. « Et pourquoi ne dresserait-on pas, de temps àautre, « un de ces théâtres militaires que nos troupes ont tant (( de fois improvisés dans la boue des sièges, dans la rapi« dite des campagnes et qui maintiennent dans notre « courage, comme une force, le bon rire ! « Quand on aura ainsi pourvu sur place à l'honnête « distraction des soldats, on aura le droit de restreindre « la longueur et la fréquence des sorties. « On sera large pour toute permission motivée, « moins facile à l'étendre sans raison aux heures tardives, « peu favorable à l'exode sans but qui tous les soirs vide « les casernes. La faculté qu'on donne aux hommes de « courir chaque soir la ville est une tradition de l'an« cienne armée. Des soldats enfermés pour de longues « années, un grand nombre pour toute leur vie, dans la échapper quelques « caserne, avaient besoin de s'en « heures, pour qu'elle ne leur devint pas intolérable. « L'esprit de ces vieilles troupes et la rivalité qui existait « entre le militaire et le civil les rendaient peu accessibles « aux influences contraires à la discipline. Ce repos n'é« tait pas seulement créé pour les soldats, il était aussi « crée pour les chefs. Quand le commandementavait assez qu'il eût « exercé et fatigué la troupe, il ne pensait pas hors « plus rien à donner, ni à obtenir. En la poussant « des casernes, il songeait moins à la rendre libre qu'à Ni les hom« se libérer d'elle durant quelques heures. aujourd'hui les mêmes. « mes ni les devoirs ne sont les hommes en ont-ils « Ne parlons pas de droits « plus à cette sortie quotidienne que les jeunes gens de Saint-Cyr ou à Polytechnique et « leur âge enfermés à On la refuse à ceux-ci, même aux « soldats comme eux la raison qu'elle nuirait à « heures de récréation, pour d'aujourd'hui restent si peu « leurs études. Les soldats qu'il y a moins à tempérer pour « de temps au service il y a à employer ce (( eux la monotonie de la captivité «
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«temps de la manière la plus utile pour
leur formation. «Or, sans examiner si, par un autre ordre de travail, on «ne pourrait pas consacrer à l'étudequelques heures au« jourd'hui vides, il ya des inconvénients évidents à ce «que ces heures s'écoulent dehors. Outre ceux dont «nous avons parlé, les retards dans les rentrées, les «rentrées en état d'ivresse accroissent dans une propor«tion sensible les punitions; il y a des fautes pour ainsi «dire artificielles, nées de tentations auxquelles de mau«vaises mesures exposent le soldat. Mais surtout le con«tact quotidien de ces soldats, non formés encore, avec «le genre de population qu'ils rencontrent dans les lieux «où ils fréquentent, est un danger pour l'esprit militaire. «C'est dans la promiscuité des cabarets et des maisons «mal famées qu'on lui souffle la haine de ses chefs, le «mépris de la discipline, laque la propagande anarchiste «le guette. Si bien que chaque soir détruit une partie de «l'œuvre élevée chaque jour par l'effort de ses chefs. » On ne saurait mieux dire ni plus justement. Depuis que ces lignes ont paru, un très grand nombre d'officiers et de citoyens se sont intéressés à cette question des « heures mauvaises » du soldat. Le Gouvernement de la République n'a pas voulu rester indifférent à cette œuvre de moralisation, et, dès le 19 avril 1902, le Ministre de la Guerre appelait, dans deux circulaires, l'attention des commandants de corps d'armée sur l'utilité qu'il y aurait à généraliser dans les casernes, d'une part, l'organisation de conférences agricoles, d'autre part, l'installation de salles de récréation et de lecture pour les soldats (1). Dans cet ordre d'idées, une nouvelle circulaire en date du 25 mars 1903 a invité les chefs de corps à favoriser toutes les initiatives tendant au but moralisateur poursuivi, que ces initiatives se traduisent par des conférences, des jeux, des représentations théâtrales ou des fêtes de bienvenue. (1) Bo, 1902, P R
1
608. — Bo, 1902,
I
PS
513.
Un nouvel encouragement a été donné parle Gouvernement à la pratique d'enseignements non militaires et de divertissements dans les casernes, par une circulaire du 3 novembre 1903 (insérée au Journal Officiel du 20 août 1904). Enfin, parune récente circulaire du13août1904 (insérée à la même date au Journal Officiel), Ministre a invité les Commandants de corps d'armée à lui adresser le compte-rendu des résultats déjà obtenus dans l'organisation de salles de récréation, de lecture et de correspondance pour les soldats, dans les casernes, et s'il y a lieu, de lui faire des propositions au sujet de celles qui resteraient encore à créer. Le Ministre fait ressortir à ce sujet combien il serait désirable, qu'au moment de l'arrivée des jeunes soldats, ces installations pussent « donner tous « les résultats que l'Armée et la Nation-sont en droit d'at« tendre d'une œuvre de solidarité et de camaraderie « éminemment éducatrice et morale ».
le
Foyer du soldat.
plusieurs garnisons, des associations civiles et religieuses avaient d'ailleurs, depuis quelque temps déjà, offert aux soldats, sous le nom de Cercles, ce que l'Etat n'avait pu leur donner un local et des distractions variées. associa— Quoique ces tions aient protesté de la pureté de leurs intentions et affirmé qu'elles s'interdisaient toute arrière pensée politique ou religieuse, le chef de l'armée ne pouvait cependant admettre cet accaparement du soldat par des associations anonymes, dont les actes échappaient à son contrôle et il a interdit la fréquentation de certains de ces cercles, de ceux en particulier qui avaient un caractère — Dans
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confessionnel. Cependant, tout récemment, à Vincennes, puis à Versailles et ailleurs, certaines associations civiles ont fondé Sius le nom de « Foyer du Soldat et avec l'approbation ministérielle, des lieux de réunion pour les soldats de ces garnisons où ceux-ci trouvent, pendant leurs loisirs, « les ressources d'une bibliothèque, des salles de jeux, de lec-
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ture, de musique, de causeries intimes, de conférences, de tout ce qui peut, en cultivant leur esprit, en développant leur jugement et formant leurconscience, remplacer pour eux le foyer domestique » (1). Mais il est entendu que l'on ne doit faire, dans ces « Foyers du soldat », sous notre contrôle, que ce que nous faisons ou ferons bientôt chez nous. Il faut que dans ces milieux de sympathie et de bien être, nos soldats se sentent tout à fait chez eux, s'y organisent eux-mêmes sans surveillance indiscrète, sans qu'aucun prosélytisme porte atteinte à leurs sentiments intimes. La création de ces lieux de réunion pour les soldats hors du quartier, complète heureusement ceux qui sont déjà installés ou qui seront installés dans les casernes. Car les «Foyers du soldat » disposant de resources supérieures à celles que nous ne pourrons jamais avoir, permettront de varier davantage les distractions offertes à nos hommes et ceux-ci s'y sentiront peut-être plus à l'aise qu'au quartier. Ces cercles leur rappelleront « le café » d'ou nous voulons le-i éloigner et qui les attirera toujours malgré nous. Nous ne pouvons espérer leur faire perdre le chemin de ce café, celui du cabaret plus dangereux encore qu'en leur offrant l'équivalent, dans un endroit agréable où le redoutable alcool, cause première de tant de maux est remplacé par des boissons hygiéniques et peu coûteuses, et où l'on peut leur offrir la faculté de jouer leur consommation aux cartes, jeu qui ne peut être toléré dans l'intérieur du quartier. L'illusion sera complète, aussi n'est-il pas douteux que les cafés ne soientbientôtdésertés au profit des « Foyers du Soldat». Ce jour-là, un grand pas sera fait dans l'œuvre d'éducation moralisatrice recommandée par le chef de l'armée, dans toutes ses instructions. Nous étudierons avec un peu plus de détail, dans une conférence ultérieure comment il est possible de créer, (1)
Extrait de l'article 1" des statuts du Foyer du Soldat de Versailles.
dans l'intérieur même des casernes, conformément aux indications données par les circulaires ministérielles citées plus haut, cette atmosphère de bien être matériel et moral, en nous inspirant des résultats excellents déjà obtenus dans différents corps de troupe, et que le ministre de la guerre a déjà constatés dans lescirculaires du 25 mars et du 3 novembre 1903. Nous vous dirons également comment au moyen de causeries, auxquelles collaboreront, non seulement, les officiers, mais encore les sous officiers et les hommes de troupe, nous pouvons exercer utilement sur le soldat une sorte de « préceptorat intellectuel et moral », lui procurer, l'instruction militaire en dehors des heures consacrées à proprement dite, une détente salutaire et parfaire en même temps son éducation morale. Par une deuxième circulaire portant la date du 13 août 1904 (insérée au Journal officiel du 21 août), le Ministre donne un programme d'ensemble de ce que peuvent être ces causeries ou conférences régimenlaires. Nous reviendrons ultérieurement sur cette question avec plus de détails. Mais, dès maintenant, il importe d'attirer votre attention sur ce point, car cette dernière circulaire fixe spécialement la part que vous êtes appelés à prendre au développement de ce programme, les jeunes officiers sortis récemment des Ecoles militaires devant particulièrement être les auxiliaires actifs et précieux de leurs chefs, pour cette œuvre éminemment éducatrice et moralisatrice, et étant susceptibles d'être mis largement à contribution pour l'organisation de ces conférences. La deuxième série de conférences qui seront développées devant vous, suivant le programme approuvé par le Ministre de la guerre,,aura précisément pour but de vous familiariser avec un grand nombre des questions qui peuvent être traites devant la troupe. Elles vous permettront par suite de mieux remplir, dans la mesure de vos connaissances acquises, le rôle qui vous sera dévolu comme officiers dans la Nation Armée.
Préparation de l'officier à son rôle d'éducateur. — Pour faire, en toute connaissance de cause
l'éducation du soldat, il faut que le corps d'officiers se pénètre des sentiments même du pays, vive de sa vie et s'adapte le mieux possible à son organisation politique et sociale. Or, pendant de longues années, on s'est contenté d'apprendre aux futurs officiers toutes les parties de leur métier qui se rapportent aux sciences, de leur donner toutes les connaissances techniques, théoriques et pratiques qui constituent l'ensemble de l'art militaire; nous nous apercevons aujourd'hui qu'une chose capitale avait été laissée de côté, c'est la connaissance de l'outil fondamental, c'est à dire celle de l'homme. Et cependant il est indispensable que les jeunes gens destinés à devenir des officiers, se préparent à raisonner judicieusement sur les facteurs qui sont susceptibles de faire naître dans l'homme les vertus indispensables au succès de la guerre. Sans parler des notions de physiologie et de psychologie qui pourraient être utiles à ceux qui doivent être instructeurs et éducateurs, n'est-il pas certain aujourd'hui que nos officiers devront plus que jamais posséder des notions philosophiques suffisantes pour comprendre l'évolution de l'humanité, et bien se rendre compte du rôle qu'attend d'eux la nation qui leur confie la mission, élevée entre toutes, d'instruire et de commander ses enfants. Les chefs doivent être imbus des idées de liberté, de progrès, de fraternité, de tolérance et de solidarité dont s'inspiraient leurs aînés, les glorieux officiers de la 11C République. Il est nécessaire, en outre, que les officiers étendent davantage le champ de leurs connaissances. Pour agir, en effet, sur leurs hommes qui arrivent au régiment avec des idées souvent étroites, avec des préjugés, fruit de leur existence antérieure, les chefs doivent connaître ces idées et ces préjugés. Le paysan, l'ouvrier, l'étudiant se prennent différemment leur intelligence est inégale et inégalement cultivée. D'où nécessité pour
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tes officiers d'étudier les milieux où leurs hommes ont vécu, de connaître l'existence qu'ils ont menée avant de venir au régiment, d'avoir des idées précises sur leurs occupations, sur les difficultés de vivre auxquelles ils se heurtaient, auxquelles se heurtent encore ceux des leurs qu'ils ont laissés au pays et avec lesquels ils sont en rapport par les lettres qu'ils échangent; d'olt l'obligation pour les officiers de se livrer, à côté de leurs études militaires spéciales à celle de ce que Condorcet appelait «la science sociale ».
CONSÉQUENCES de l'adaptation de l'Esprit militaire aux aspirations démocratiques de la société contemporaine
Nous avons défini le rôle de l'officier comme instructeur et comme éducateur. Nous avons montré que, pour préparer l'armée à son rôle en cas de mobilisation, pour avoir la certitude, au jour du danger, de pouvoir employer au maximum de rendement toutes les forces vives du pays, il faut, en temps de paix, donner la fois aux hommes une instruction militaire et une éducation morale. Il faut faire naître et développer dans le cœur du soldat les sentiments de probité, de franchise, de droiture, de bravoure, de dévouement, de patriotisme, de confiance dans ses chefs. Il faut lui donner l'esprit de solidarité, l'esprit de discipline, l'esprit d'abnégation, « toutes ces vertus qui font partie intégrante du devoir social, base de notre démocratie française. » (Général Z.) Il nous reste à dire quelles seront les conséqnences de cette adaptation de l'esprit militaire aux aspirations démocratiques de la société contemporaine, a Aux yeux du soldat, l'autorité morale du chef se
à
trouve considérablement grandie. Mieux instruit de ses « obligations, en comprenant la raison d'être, sûr d'ail« leurs de trouver, dans ses supérieurs, des guides bien« veillants, le subordonné donnera au devoir d'obéissance « une adhésion plus sincère et, par suite, moins sujette u- aux défaillances. « Consentie plus librement, la discipline, tout en resla per« tant intacte, se rapprochera alors de son idéal « suasion substituée à la répression, qui restera réservée « aux incorrigibles et sera d'autant plus sévère qu'elle « aurait pu être plus facilement évitée, car, on ne saurait « trop le répéter, il ne s'agit nullement, pour nous offi« ciers, d'abdiquer aucune de nos légitimes espérances, « ni surtout d'organiser la faillite du principe d'autorité. « L'obéissance continuera à rester conforme aux règles « immuables inscrites au frontispice des règlements, mais « ce sera une obéissance complète, ardente, dévouée, la « seule capable de rendre une armée forte, la seule sus« ceptible de maintenir sous le feu — et quel feu ! — des « hommes sur lesquels la crainte des punitions n'aurait ce plus aucune action. Au jour du combat, la gratitude que « nous aurons semée pendant la paix dans le cœur de nos « soldats, réservistes de demain, engendrera ces vertus la fidélité, la persévérance, l'amour « qui font la victoire « violent de la Patrie, le dévouement jusqu'à la mort aux « chefs, aux camarades et au drapeau »(1) Par l'éducation morale, les officiers rendront donc la discipline plus forte etla répression moins souvent nécessaire. Mais c'est par l'exemple, nous ne saurions trop le répéter, qu'ils agiront efficacement sur leurs subordonnés. C'est ainsi qu'ils obtiendront d'eux l'obéissance aux règles militaires, en se soumettant eux-mêmes à toutes les lois et, en particulier, à la première de toutes les lois, la loi constitutionnelle. Le corps d'officiers doit donc se méfier de « ceux qui, « sous prétexte de glorifier l'armée à tout propos et surtout «
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:
!
(1)
Lieutenant-ColonelEbener— Conférencesfaites à Saint-Cyr en 1901.
hors de propos, tendent à introduire dans ses rangs « un ferment de haine, à créer petit à petit, chez les offi«ciers une mentalité spéciale dans le but d'obscurcir « leur jugement et de les empêcher de discerner leur «devoir ». « Notre devoir est simple, et nous n'avons besoin de «personne pour nous l'enseigner il peut se résumer «en trois mots pas de politique. « Tout officier qui, par ses paroles ou par son attitude, «laisserait supposer qu'il admet ou excuse une règle dif«fférente, manquerait gravement à ses obligations profes«sionnelles. « Se mettant lui-même en dehors de la légalité, il «n'aurait pas qualité pour empêcher le soldat d'avoir, «lui aussi, ses opinions politiques et de les manifester à «l'occasion » (1). Servir fidèlement le Gouvernement légal de la France, qui est celui de la Républiqne, c'est, pour un officier, faire simplement son devoir. Vous n'ignorez pas que c'est par un décret du Président de la République que vous serez, en quittant cette école, nommés officiers. C'est donc de la République que vous tiendrez ce grade et, en même temps, tous les droits et prérogatives qui y sont attachés. Excédera-t-elle son droit si, en échange, elle vous demande de prendre aussi la charge des devoirs qui en résultent, et, en premier lieu, celui de donner l'exemple du respect pour les Institutions qui lui servent de base? Tous, issus des rangs de l'armée, d'où le régime d'égalité vous permet d'atteindre le rang d'officier, vous devez tout aux principes fondamentaux du régime républicain vousaurez donc à cœur de respecter la République et de le montrer en toute circonstance. En agissant ainsi vous n'aurez pas à craindre d'être taxés de faire de la politique. Ce n'est pas faire de la poli«
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:
;
-- déjà cité.
(1) Lieutenant-Colonel Ebener
tiqueque d'aimer nos institutions républicaines, les principes d'égalité sur lesquels elles reposent, et de se conduire en bon républicain. C'est le contraire qui serait faire de la politique. Vous feriez de la politique, si vous vous mettiez dans le cas de taire douter de votre respect et de votre dévouement envers la République, si vous exprimiez ouvertement des opinions hostiles, si vous preniez part à certains actes d'opposition aux lois, aux institutions républicaines et au gouvernement que la représentation nationale, c'est-à dire le peuple, a librement choisi. Un officier serait d'ailleurs impuissant à bien remplir son rôle dans la Nation armée, s'il adoptait cette ligne de conduite. Nous avons établi, en effet, que la confiance du soldat en ses chefs est la garantie du succès à la guerre. Or cette confiance, nos hommes ne nous l'accorderont que s'il sont bien convaincus que nous sommes en parfaite communion d'idées avec eux. C'est pourquoi il est indispensable qu'un officier, qui n'a pas pour la République le profond attachement de l'immense majorité de la nation, ne montre jamais du moins, ni par ses paroles, ni par ses actes, que ses sentiments sont en opposition ave ceux de la presqu'unanimité du pays. Nous avions àjustifier et définir le rôle de l'officier dans la Nation année. Nous avons montré que ce rôle comportait, de la part de l'officier, des devoirs vis-à-vis de lui-même, des devoirs vis-à-vis de ses hommes, des devoirs vis-à-vis de l'élément civil. Attachez-vous à les comprendre et à les remplir. Assurément, ce n'est pas en quelques mois que les résultats apparaîtront manifestes et indéniables. Des années seront nécessaires, mais chaque effort marquera un progrès, et permettra d'enregistrer des résultats heureux pour le pays. L'application des principes que nous avons exposés dissipera tout malentendu entre civils et militaires,
toute prévention des uns contre les autres. L'Armée et la Nation ne seront plus divisées. Elles ne seront plus orientées l'une vers le passé, l'autre vers l'avenir, ne nourriront plus l'une contre l'autre des sentiments de malveillance et de défiance réciproques. Mais elles s'estimeront, s'honoreront, s'aimeront, se serviront l'une l'autre et rendront la France invincible dans la fraternelle communion d'un même idéal.
ANNEXE AUX CONFÉRENCES DU TITRE 1er(1)
Le Général Hoche Chaque année, le 24 juin, la France et la ville de Versailles célèbrent l'anniversaire de la naissance d'un de leurs plus glorieux enfants, du général Hoche. C'est une fête patriotique, nationale et d'un caractère nettement républicain. Depuis plus de quarante ans, la mémoire de Hoche est honorée chaque année par les plus marquants des républicains sincères, de ceux qui estiment que « la mission de l'Etat est de réaliser la justice », que sa forme normale est « la forme républicaine fondée sur le principe de la souveraineté nationale qui exclut la fois la contrainte autoritaire du despotisme, et l'arbitraire de
à
l'anarchie » (2). Hoche, disait Gambetta, est une des plus nobles, «une des plus radieuses, une des plus attirantes figures «de la Révolution, et l'on ne sauraittrop, dans le parti «républicain, (3) revenir sans cesse à ce grand modèle, «non pas pour y chercher une imitation que necom«portent ni notre temps, ni nos mœurs, ni le milieu am«
Conférence faite en 1903 et en 1904 par le chef d'escadron d'artillerie Vati (2) Rey. Eléments de philosophie scientifique et morale. (3) Cesparoles servent d'épigrapheà l'article consacré au général Hoche dans «Pour l'Armée Républicaine », éditée chez une brochure anonyme intitulée Ed. Cornélv. Elles ont été prononcées par Gambetta à Versailles, en 1872, c'està-dire quelques années avant le vote de la constitution de la République. Depuis cette éqoque, le parti républicain « se confond avec la nation consciente de ses devoirs et de ses droits ». (1)
:
biant qui nous entoure, mais pour y choisir, avec intel« ligence, ce qui doit être et rester un enseignement « permanent et profitable pour nos sociétés modernes. » C'était au pointde vue civique que se plaçait Gambetta; l'étude de la vie de Hoche nous donnera, au point de vue militaire, des leçons et des enseignements que nul d'entre nous n'a plus le droit de méconnaître. «
:
La vie du général Hoche peut se diviser en quatre périodes assez nettement distinctes sa vie militaire jusqu'au commandement de l'armée de la Moselle; la pacification de la Vendée l'expédition d'Irlande le commandement de l'armée de Sambre-et-Meuse. Chacune de ces périodes mériterait une étude des plus détaillées.
;
;
Vie militaire de Hoche jusqu'à son commandement del'armée de la Moselle. — Hoche naquit
à Versailles, le 24 juin 1768; il était le fils d'un palefrenier de la vénerie du roi. Ayant perdu sa mère à sa naissance, il fut élevé par une tante qui était fruitière (probablement au faubourg de Montreuil). Vous connaissez représente tous l'anecdote, peut-être légendaire, qui prenant dans leurs jeux, le commandement de ses petits camarades d'école (1). A quatorze ans, il entra dans les écuries du roi deux ans après, croyant aller aux Indes, il est recruté par des racoleurs, et s'engage comme fusilier aux gardes françaises, le 19 octobre 1784. De très-bonne heure au courant du métier militaire, il ne tarde pas à se faire remarquer par des qualités personnelles d'instructeur. On raconte que, lorsque l'on changea les manœuvres réglementaires, ce fut à lui qu'on remit le soin d'en instruire ceux de ses camarades qui devaient, à leur tour, les enseigner. « Soldat très soumis aux ordres de ses chefs, il paraît « avoir été, en même temps, sensible à l'amitié de ses « égaux et de ses subordonnés.
le
;
(1)
Elle est racontée d'une façon tout à fait charmante par Hégésippe Moreau.
:
régiment, il fit toujours sa société des plus «braves, disant, à ce sujet, que les plus braves étaient «aussi les meilleurs. Mais, en même temps, ces braves ne «pouvaient pas quelquefois être les plus turbulents? «C'est ce dont il dût se convaincre à plusieurs reprises. « Une rixe entre bourgeois et militaires avalit une «fois amené la mort d'un de ses amis, Hoche ne se donna «aucun repos qu'il n'eût tiré une vengeance éclatante de «ceux qui avaient tué son camarade, dans une guin«guette des environs de Paris. « Il trouva facilement dans sa compagnie, plusieurs hommes qui se laissèrent entraîner, soit qu'ils eussent «pris part ou non à la rixe dont nous parlons. Il se ren«dit, à leur tête, dans la maison oùle meurtre avait été «commis, et,mettant tout à sac, il brisa et renversa ce «que lui et ses camarades rencontrèrent devant eux. Un rapport d'une extrême sévérité le fit passer en jugement. «Trois mois de cachot furent le prix de cet acte de vio«lence; et l'on raconte qu'après l'expiration de sa faute, «en rentrant à la caserne, pâle, défiguré, sans bas et avec «des vêtements déchirés, il fut, de la part de ses cama«rades, l'objet d'un mouvement de colère prêt à se tra« duire par de nouveaux actes d'insubordination. « Conte« nez-vous, mes amis, leur dit-il, car ce serait unmal «de plus !» « Au
ils
«
»
,
point encore atteint sa vingtième année. «Son retour à l'ordre et à la modération dans le moment «même où il portait les stigmates d'un long emprison«nement s'en trouve d'autant plus remarquable et on ne «peut se refuser à y voir un des signes incontestables de «ce grand caractère. «
Il n'avait
Ses biographes ajoutent que l'officier, auteur de «son emprisonnement, se trouva plus tard sous ses «ordres et que Hoche le combla de bontés (1). «
(I) Duchatellier —
sacorrespondance.
«
Documents inédits sur la Révolution — Hoche, sa vie,
Si nous nous sommes arrêtés sur ce détail de la vie
de Hoche, c'est qu'il montre qu'on ne doit réprimer qu'avec une juste mesure une faute que peuvent excuser la jeunesse et la vivacité de celui qui l'a commise.
Hoche était d'un caractère généreux etvif. En 1788, il souffrait, depuis quelque temps, de voir, dans la compagnie à laquelle il appartenait, un caporal nommé Serre, qui, à l'aide de son adresse comme spadassin, opprimait ses camarades et les vexait à toute occasion. Hoche se chargea de venger la querelle de tous, et rendez-vous fut pris sous les moulins de Montmartre, pour le 28 décembre, jour où deux pieds de neige couvraient la terre. A peine les fers furent-ils croisés, que le caporal fut atteint d'un coup de sabre qui le mit à l'hôpital pour six semaines. Mais Hoche avait reçu une large balafre au front, et la cicatrice qu'il en a portée toute sa vie prêta, dans la suite, à sa figure martiale un grand air de bravoure et d'intrépidité (1). «
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L'instruction purement militaire n'était certainement pas la seule que le jeune soldat ait eu le désir d'acquérir. On raconte, à ce sujet, que, quand il vint, vers 1786, occuper la caserne de Babylone, avec une partie de son régiment, on le rencontrait dans un café du pont SaintMichel offrant aux habitués du lieu des broderies auxcite de lui un autre duel qui eut une fin toute différente. La chose « se passait en 1792, au moment où les fédérés de Marseiile se trouvaient à « Paris. On avait demandé uflô représentation extraordinaire du Charles IX, de « Chénier. Quelques troubles survinrent au parterre du théâtre de la rue de « Richelieu (comme on l'appelait en ce moment), et on fut obligé de faire entrer trouvait commander. Au nombre des plus turbulents « la garde que Hoche «était Le Gendre, doué d'une force herculéenne et qui renversait tout devant « lui Hoche s'élança sur le perturbateur,l'arrêta et le fit détenir au poste, sans Le Gendre, qui allait devenir bientôt un des représentants à la Con« savoir «vention,quese trouvait être en ce moment Membre du district. Réclamé dès le et sa » lendemain par les citoyens de sa section, Le Gendre fut mis en liberté « première démarche, en sortant du corps-de-garde, fut de provoquer Hoche en « duel. Comme on le pense bien, la partie fut acceptée; et, rendu sur le tetrain, « Hoche ayant pour témoins deux gardes-françaises de ses amis, Le Gendre se (1) On
se
;
;
:
trouvait assisté de Danton et d'un autre témoin. — Qu'allez-vous faire? s'écria « Danton — « Celui de vous deux qui égorgera l'autre, croira-t-il qu'il a raison? « il n'aura commis qu'un crime. Je m'en déclare le vengeur. Tous les deux « vous avez tort. Et toi, Hoche, frémis de souiller ton épée du sang de ton «frère. Un jour tu la tireras contre les ennemis de la patrie. » A ces mots prononcés avec accent, les deux adversaires s'embrassèrent et « se quittèrent amis, après avoir passé quelques heurts ensemble. «
quelles il avait travaillé pendant ses heures de loisir. Dans la saison favorable, on l'avait aussi vu chez des jardiniers de la banlieue occupé à tirer de l'eau pour les arrosages. Ces travaux lui fournirent quelques petites ressources qui furent employées acheter des livres. Il est promu caporal le 16 mai 1789; lesgardes-françaises sont licenciés le 31 août, et deviennent, le 1er septembre, les compagnies de la garde nationale soldée de Paris; il y entre comme sergent de grenadiers; lorsque ces compagnies sont formées de nouveau en régiments de ligne, il passe comme adjudant au 104e régiment d'infanterie (1er janvier 1792). Remarqué par Servan, Ministre de la guerre, dans une grande revue passée au Champ-de-Mars, (1) il est nommé, le 18 mai, lieutenant au 58e régiment d'infanterie en garnison à Sarreguemines, et dont le dépôt était à, Thionville. On a souvent répété que cette nomination n'avait été accordée qu'à l'air martial et distingué du jeune adjudant; on avait dit,, de même, qu'une Dame de la Cour, en le voyant défiler, à Versailles, à la tête de quelques fusiliers, s'était écriée qu'il y avait, dans ce beau jeune homme, l'étoffe d'un général. Ce sont là des récits arrangés pour la légende la vérité, beaucoup plus simple et plus naturelle, est que le Ministre Servan, en le nommant, en 1792, lieutenant après huit ans de présence au corps, ne faisait que rendre une justice tardive à des services qu'il avait pu apprécier, lorsqu'il était colonel du régiment où servait le jeune Hoche (2). Hoche est à l'arrière-garde lors de la retraite de Grandpré; à Valmy il est dans l'armée de Dumouriez. Il se fait remarquer au siège de Thionville et est nommé capitaine le 1er septembre 1792. Il se distingue ensuite aux sièges de Namur et de Maëstricht.
à
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(1)
Rousselin dit que ce fut aux Champs-Elysées un jour de manœuvres.
(2) D'après Du Châtellier.
Il passe sous les ordres du général Le Veneur qui le charge d'abord de l'approvisionnement de l'armée, puis de l'évacuation du matériel d'artillerie quand il est obligé de lever le siège. Ce général le prend ensuite pour aide de camp (13 mars1793). fut son maître dans l'art militaire; Hoche
Il
eut toujours pour lui une reconnaissance infinie. Il se distingue à l'arrière-garde, à Nerwinden, à Pallemberg. Après une mission au Comité de Salut Public, pour lui rendre compte de la situation militaire après la défection de Dumouriez, il est nommé chef de bataillon, le 15 mai 1793.
L'arrestation du général Le Veneur, qu'il nommait son père, lui arracha des paroles imprudentes. Il fut également arrêté (8 août), traduit devant le tribunal révolutionnaire de Douai et acquitté (20 août), à la suite de témoignages hautement élogieux de ses camarades. Sous les ordres de Souham, qui l'appelle son bras droit, il prend la plus grande part à la défense de Dunkerque; il commande une sortie le jour de la bataille d'Hondschoote il est, à la levée du siège, nommé adjudantgénéral chef de brigade par les représentants (10 septembre) (1). Trois jours plus tard, le Ministre Bouchotte, plus généreux, le nomme général de brigade (13 septembre). Il justifie le choix du Ministre. Il est à la prise de Furnes met le siège devant Nieuport Il sommait cette ville de se rendre « aux armes victorieuses de la République française devant qui tout doit céder » quand il est nommé, le 22 septembre, chef d'état-major de l'armée des
;
:
Ardennes.
:
(1) Il est l'objet d'une dénonciation adressée aux représentants. On lui reprochait son origine et son dévouement aux aristocrates de l'ancienne Cour. Il repondit à ses accusateurs « Mon père, il est vrai, n'ayant point de fortune, fut forcé d'accepter une place de palefrenier, aprèsavoir usé sa jeunesse au service de son pays, et il se trouve si riche aujourd'hui que je jouis du doux plaisir de le nourrir dans sa vieillesse des appointements que je reçois pour mes services. Mon père, qu'un lâche ose insulter à tJH ans, est grenadier dans la section de Paris sur laquelle il réside. Pauvre et honnête homme, il est encore capable de terrasser l'efféminé qui prétend l'outrager. »
Le 22 octobre, le Comité de Salut Public, décide qu'il prendra comme général de division le commandement de l'armée de la Moselle. Il écrit à un de ses généraux (Vincent)
:
Je te défends de correspondre avec Kalkreuth (maréchal prussien)autrement qu'à coups de canon et de baïonnettes. La lettre que tu m'as envoyée hier, a pour objet, de connaître le chef de cette armée. me ferai connaître à lui sur le terrain. «
Je
Déjà sa haute taille, sa bonne mine, sa belle ligure avaient prévenu ses soldats en sa faveur; un officier écrit dans un journal VArgus de la Moselle,imprimé à l'armée « Courage, confiance, défenseurs de la patrie, nous allons sortir de notre engourdissement. Notre nouveau général m'a paru jeune comme la Révolution, robuste comme le peuple; il n'a pas la vue myope comme celui qu'il vient de remplacer; son regard est fier et étendu comme celui d'un aigle; espérons, mes amis, il nous conduira comme des Français doivent l'être. » Hoche vit l'article, il en demanda l'auteur. — C'était Je jeune Grigny, adjoint à son état-major. Qu'on me l'amène et, courant à lui et lui ouvrant les bras en l'embrassant « Viens, mon ami, toi qui as lu dans un cœur brûlant par la liberté et la gloire, tu m'as deviné. Faismoi connaître ceux qui sont animés des mêmes sentiments que nous; ceux qui ne dissertent pas, mais qui se battent. Il faut que tout contribue à sauver la Républi«
:
:
que.
Et, sans perdre de temps, Hoche se prépare à aller attaquer les Prussiens dans leur camp de Kaiserslautern, à les chasser de leurs retranchements, à franchir à leur suite les montagnes des Vosges, à tomber dans le flanc des Autrichiens tenus en échec par l'armée du Rhin, à les culbuter leur tour et à débloquer Landau. Pendant trois jours (28, 29, 30 septembre), Hoche attaque les redoutes prussiennes, il ne peut les enlever, il est obligé de reculer. «
à
Un revers n'est pas un crime quand on a tout fait pour mériter la victoire, » lui écrit Carnot au nom du Comité de Salut Public. « Mais il ne se rebute pas. Moins ambitieux dans ses projets et dans les résultats qu'il en attend, il traverse les Vosges, près de Bitche, marche sur les redoutes de Reischoffen, de Freschwiller, les prend, culbute l'ennemi des hauteurs de Wœrth, le rompt à Sulz fait sa jonction «
et
avec Pichegru. Investi du commandemènt général parles représentants Lacoste et Baudot, il dirige Desaix et la droite de l'armée sur Lauterbourg, et, avec la gauche et l'armée de la Moselle, il monte à l'assaut du Geisberg, en débusque Autrichiens et Prussiens, les renverse sur la Lauter, sur la Queich et enfin, le 18 décembre, apparaît sous les murs de Landau. Landau est délivré. « Dès lors l'ennemi ne tient nulle part. Les Autrichiens repassent le Rhin. Hoche suit les Prussiens, entre à leur suite à Spire, a Worms et ne les quitte que quand il a vu le dernier d'entr'eux se dérober derrière les remparts de Mayence (1) ».
à un de ses amis, dé-
:
Voici comment Hoche, écrivant peint cette campagne «
Au citoyen Privat. «
27 Nivose, an III, (16 janv. 1794)
Encore que je n'écrive jamais pour mon particulier, je dois céder à ton amitié. J'ai reçu ton adresse à nos braves b., elle leur a fait plaisir ainsi qu'à moi. Tu me demandes des détails, mon ami. Pour te donner ceux de l'armée, il faudrait que je t'écrive un volume, et, tu le sais, je ne puir disposer de mon temps comme je le désirerais. Peut-être as-tu connaissance des faits par les journaux et les récits. Encore que des intrigants aient voulu m'enlever le fruit de mes travaux, je n'en servirai pas moins la République. «
(1)
Claude Desprez. Les armées de Sambre-et-Meuse.
Le 2 nivose, (22 décembre), après avoir mis le plus grandordre dans l'armée et pourvu à la sùreté de la Meurthe. la Moselle et la Sarre par des travaux considérables (personne dans la confidence), je me transporte, àla tête de trois divisions de l'armée de la Moselle, en Alsace où nos affaires allaient assez mal et, le lendemain de mon arrivée, sans perdre de temps, j'attaque les ennemis per«
;
chés sur des hauteurs considérables et retranchés jusqu'aux dents; redoutes et lignes sontenlevées, 16 pièces prises, 500 prisonniers faits. Je poursuis au pas de charge les ennemis jusqu'à Wœrth, derrière lequel ils se rallient. « Décidé à finir la journée comme elle avait été commencée, après avoirlaissé respirer les troupes un moment, je fais attaquer de nouveau. Les ennemis ayant reçu du renfort et occupant des positions avantageuses, font bonne contenance. L'avant-garde passe un ravin, et là commence le plus terrible, le plus opiniâtre combat. Enfin rien ne résiste à la valeur française; les ennemis fuient de nouveau et nous sommes maîtres de leurs canons, sacs, caissons et fusils. «.Cette journée fit évacuer le poste important deSembach qu'aucunes forces militaires n'eussent peut-être pu emporter. Nous poursuivons les ennemis, mais enfin faut-il manger! Les se sauvent à toutes jambes à Sulz et là se rallient en force, ils nous attendent sur un superbe plateau et mettent entre eux et nous un marais. «J'arrive en présence le 3, à midi. Recommençons, recommençons, feu de 3/4 d'heure, à 1/2 portée, les baïonnettes se croisent. Il fallait céder au nombre et déjà notre droite s'ébranlait, lorsque le dieu de la victoire me démasquant deux bataillons auxquels le matin j'avais ordonné de me suivre, et qui, au bruitducanon, sortaient d'un bois, tout échauffés, me commande la manœuvre qu me restait à faire. « L'ennemi avançait en bon ordre; nos républicains tenaient encore; mes deux bataillons, prenant Wurmser et ses esclaves en flanc, en font une telle déconfiture que
b.
;
il
soldats et généraux se sauvent encore et vont se rallier sur les hauteurs de Wissembourg. «. Je te l'avouerai, moncher ami, n'étant pas en force, et voyant venir lentement à mon secours, je n'étais pas encouragé. Enfin arrivent les représentants du peuple Lacoste et Baudot, qui me forcent à prendre le commandement des deux armées, ce dont je me souciais peu; mais la voix de la Patrie triompha. J'acceptai le 5 à midi. « Il n'y avait pas de temps à perdre. L'ennemi devait nous attaquer, le 6 à 10 heures, en grande force; déjà il faisait ses dispositions, et le soir il nous canonna fortement. « Pendant le jour et la nuit j'expédiai les ordres, afin de rassembler, pour le lendemain 6, au moins 35.000 hommes des deux armées dans la plaine en avant des lignes de Wissembourg et de faire marcher trois autres divisions de l'armée de la Moselle sur Kaiseslautern, Koussel et dans les gorges de Ham et d'Anveiller, et deux de celle du Rhin sur Lauterbourg. « Je ne sais, mon cher Privât, à quelle heure on partit, mais chacun arriva à l'heure et au lieu marqués (effet des ordres révolutionnaires donnés). L'ennemi nous faisant face commença à nous canonner je dois te dire qu'il fut un peu déconcerté de se voir attaqué alors qu'il croyait nous surprendre. L'armée enordre avançait toujours, et toujours l'ennemi reculait et manœuvrait; nous le repoussâmes jusqu'au camp dit de Geisberg, hauteur considérable, sur laquelle il plaça 7 batteries, qui nous vomissaient, 10 fois par minute, la mort et tous ses attirails. C'est en quoi ils firent une faute, car ils furent resservis sur le champ, étant placés comme au centre des 2/3. de cercle, forme que je fis prendre à l'armée. « Au bas de Geisberg, sont une infinité de ravins, haies et fossés. Exposés au plus grand feu, il fallait passer. Let charge amis, vengeons la République! ils nous avaient éprouvés; ils n'attendirent pas, mais se retirèrent
:
!
en désordre, laissant en notre puissance canons et équipages. «Le lendemain, Lauterbourg fut emporté; nous y prîmes 16 pièces de canon et surtout des magasins immenses d'armes et de fourrages. Depuis ce jour, il ne se passa que quelques petites affaires. Landau est libre, et avant de Worms-. » nous sommes
en
remporter la victoire qu'on «lui en dispute l'honneur. C'est le général en chef de «l'armée du Rhin, c'est Pichegru, qui cherche à lui en «enlever le mérite. De Landau, il écrit au ministre de la «guerre «Citoyen Ministre, je m'empresse de t'annoncer débloqué; j'y suis depuis une heure. » Et, « que Landau est «comme s'il confiait à un subordonné, à un chefd'état«major, le soin de rédiger le rapport de ce grand fait «d'armes, il ajoute « Le général Hoche te donnera des. «
A peine a-t-il achevé de
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«détails.
:
»
:
Dès qu'il fut informé de cette outrecuidance de Pi«chegru, Hoche réclama « Tu connaîtras que tu as été «
«trompé, mande-t-il au ministre, que Pichegru n'a point
«commandé à
Wœrth, où il n'est resté qu'une demi«heure; qu'il n'était pas à Haguenau, lorsque lestrou«pes républicaines y sont rentrées, puisque, le même « jour, il m'écrivait d'Oberbronn, à sept lieues de là, et «qu'enfin il n'a pas été le 6 à la bataille de Wissembourg, «puisque, le 7, il était encore à Haguenau, à huitlieues en «arrière. »
:
Et au Comité de Salut Public « Je supplie le Co«mité de se faire représenter mes registres d'ordre et de «correspondance et ceux du citoyen Pichegru, afin que «celui qui commandait à Freschwiller soit connu, ainsi «que le même qui commandait à Wœrth, à la bataille de «Sulz, à la bataille de Wissembourg et la reprise des «lignes, qui a ordonné la prise de Lauterbourg, celle de Germersheim, Spire et Worms, la marche sur Lan«
à
«
«dau.
»
Les représentants du peuple en mission intervinrent
dans la querelle. Lacoste et Baudot, qui n'avaient pas quitté Hoche, qui, chaque jour, à chaque moment, l'avaient vu délibérer, décider et agir, ne pouvaient rester ils élevèrent la voix, et enfin la vérité s'établit. muets Mais Saint-Just et Lebas favorisaient Pichegru ils n'avaient pasvu sans contrariété leurs collègues lui préférer Hoche pour le commandement des deux armées. Ils s'en souvinrent, et, de retour à Paris, ils enlevèrent Hoche à son armée pour le déporter à l'armée d'Italie, et, après l'avoir ainsi isolé et privé de tout appui, le faire arrêter (1) et amener dans les prisons de Paris, tandis que Pichegru était appelé au commandement dela plus belle armée de la République,de l'armée du Nord, avec laquelle il allait conquérir la Hollande. » (2). La haine de Saint-Just s'explique, paraît-il, par le refus de Hoche de lui communiquer son plan de campagne, sous prétexte qu'en pareil cas il y avait eu des indiscrétions désastreuses (3). Cela dénote une grande prévoyance de Hoche, puisque Pichegru devait trahir au profit des émigrés. Il avait d'ailleurs dù se plaindre aux représentants du peuple de l'inertie de Pichegru et de ses généraux (lettre du 26 décembre 1793) venant le renforcer sans canons et sans munitions.
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La pacification de la Vendée.— Le
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thermidor amène Saint-Just à la Conciergerie et délivre Hoche. Il est alors nommé, le 21août 1794, commandant en chef de l'armée des côtes de Cherbourg. Il y arrive le 5 septembre. A cette époque, la guerre de Vendée est terminée, la chouannerie est commencée. « La guerre que nous faisons ici, écrit-il au général Duhesme, ne ressemble en rien à celle que tu viens de faire. Il est possible que, de six mois, tu ne voies pas un 9
(1)Une lettre de Mermet, son officier d'ordonnance, donne tous les détails desonarrestation. (2). CI.Desprez, — Les armées de Sambre-et-Meuse. (3) Rousgeiin,Aulard.
ennemi et il est possible qu'à la première sortie que tu feras tes ordonnances soient fusillés à tes côtés, sans que tu saches d'où part le coup. d'assassins, de prê« Un ramas de contrebandiers, tres, d'émigrés, d'échappés des galères, de quelques fanatiques et beaucoup d'hommes qui se sont soustraits à la première réquisition, voilà l'armée que nous avons à combattre et je ne te dissimulerai pas, général, que l'apprentissage de cette guerre est aussi difficile que l'apprentissage de celle que tu viens de faire. « Tantôt sur un point, tantôt sur un autre, disséminés par pelotons de 6, 12, 30 ou rassemblés au nombre de 200, voilà la tactique desChouans. Certains de trouver partout des vivres et des amis, ils ne portent rien que leurs armes dont ils se servent très bien. Ils ont partout des agents dans les administrations, dans les clubs. Tu ne mettras pas la tête à la fenêtre que leurs chefs n'en soient instruits par leurs nombreux émissaires. « Peut-être touchons-nous au moment de finir cette guerre malheureuse peut-être allons-nous la recommencer avec plus de fureur. Dans ce cas, nous devons assurer la sécurité des grandes routes, protéger les enlèvements des grains qui se font dans les campagnes pour nourrir lés habitants des villes, garder celles-ci, et ensuite faire: des détachements, ou de grosses patrouilles, dans les métairies et les bourgs du pays faire fouiller les écuries, étables, greniers et autres endroits où peuvent se réunir ces brigands qui se tapissent partout. »
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Hoche est nommé successivement au commandement de l'armée des côtes de Cherbourg, puis à celle des côtes de Brest. Grâce à des mesures énergiques contre les chefs, et à une clémence bien raisonnée envers les malheureux égarés, il put, en peu de temps, pacifier le pays. Le traité de la Jaunaye sembla terminer la guerre (15 février 1795), et le 19 février, Hoche annonça à ses.
soldats la soumission de Charette et de Cormatin par une proclamation qui débutait par ces mots
:
Lazare Hoche, général en chef, annonce à l'armée, avec un plaisir bien vif, que l'empire de la raison vient enfin de rendre à la Patrie tous ses entants, et que le jour où les Français ne doivent faire qu'une famille est arrivé. » «
Bientôt, les chefs royalistes, sans soitei des traités reprirent la lutte. Mais la bonté de Hoche n'était pas de la faiblesse. Indigné, il prit les mesures les plus rigoureuses pour écraser l'insurrection nouvelle. Dèsles premiers jours de juin 1795, il lança une proclamation à l'armée et aux habitants des campagnes pour leur dénoncer la trahison des principaux chefs chouans. « Je déclare, disait-il, aux habitants des campagnes, de quelque religion qu'ils soient, que l'armée que j'ai l'honneur de commander protégera de tout son pouvoir la sûreté des personnes et des propriétés, la liberté des cultes et la tranquillité des ministres lorsqu'ils observeront la loi, et qu'au lieu d'exciter à la sédition, ils prêcheront la paix et l'union des hommes. » « Je ne suis point venu ici, ajoute-t-il dans une autre proclamation, pour anéantir la population, mais pour faire respecter les lois. Qu'ils posent leurs armes (les contre-révolutionnaires), que, rendus à leurs occupations ordinaires, ils rentrent paisiblement chez eux qu'ils cessent, parleurs rassemblements, de troubler la République; qu'ils en suivent les lois, qu'ils ne voient plus en nous que des frères, des amis, des Français enfin. »
:
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Cependant le comte d'Artois et les royalistes méditaient un débarquement sur les côtes de Bretagne une flotte anglaise leur prêta son concours. Hoche accourt dans la baie de Quiberon où Puysaye, Sombreuil et autres gentilhommes émigrés ont débarqué
leurs troupes. Illesy bloque et leur infligé une sanglante détaite le 16 avril 1795. Le 21, il prend le fort Penthièvre et force Sombreuil à mettre bas les armes avec la plupart de ses soldats. Le 31 août, il fut nommé général en chef de l'armée de l'Ouest et il poursuivit la dispersion des rebelles et la pacification de la Vendee. Il dénonça en novembre, dans une proclamation des plus remarquables, aux habitants insurgés,.la trahison de leurs chefs et il leur promit sa protection. « Après avoir juré à la face du Dieu que vous adorez qu'ils ne porteront plus les armes contre la République, vos lâches chefs, oubliant tout à coup et la foi des serments et ce qu'ils devaient à la Patrie éplorée, ontrepris le cours de leurs forfaits et ont signalé leur trahison par l'assassinat de cent trente six personnes. » « Pensez-vous qu'avides de sang nous allions venger des assassinats?. « Pensez-vous qu'en conduisant les républicains contre ceux d'entre vous qui sont armés, j'allais commander le meurtre et le pillage? « Non, Jes vrais républicains ne commettent-pas de cruautés. Ces mêmes soldats, qui vous font fuir, voudraient vous donner le baiser de paix. « Il viennent vous arracher à la tyrannie et non vous
égorger.
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Rebâtissez vos chaumières, priez Dieu, et labourez vous trouverez en nous des protecteurs aussi vos champs zélés que les brigands trouveront d'ennemis acharnés à les combattre. )) «
Les chouans, en effet, n'eurent désormais ni paix, ni trêve. Hoche les poursuivit sans relâche au moyen des colonnes mobiles. En février et en mars 1796, les deux principaux chefs Stofflet et Charette sont pris. Leur exécution marqua la fin de la guerre civile. Le 20 Juillet, le Directoire fit présent au pacificateur
de la Vendée de 2 chevaux harnachés et d'une paire depistolets de combat.
L'expédition d'Irlande. — Hoche avait, dès 1793,.
proposé un plan d'invasion destiné à faire payer à l'Angleterre son attitude hostile envers la République Française. Aussi fut-il plein d'ardeur pour préparer l'expédition d'Irlande, décidée par le Directoire. Celui-ci avait l'assurance du concours des patriotes Irlandais dont les plus célèbres sont Fitz-Gërald et Wolftone.
le
commandement Le 22 septembre 1796, Hoche reçut en chef des 12e, 13°, 14e et 22e divisions militaires et se.rendit à Rennes le 16 octobre. Le jour même, «il se trouvait à Rennes. Il était aUJ. théâtre. On jouait Charles IX. Le spectacle fini, il rentrait,. lorsqu'en passant, rue Fougères, un ouvrier de l'arsenal, posté près de la borne touchant à la maison Cuillié, tira sur lui un coup de pistolet. La charge se composait de deux balles tournées et d'un morceau de piston ellepassa près de ses oreilles et vint s'aplatir contre la
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muraille. Arrêté, l'ouvrier déclara avoir été gagné par un nomméCharles qui lui avait promis 1200 fr. de récompense, s'il réussissait. Arrêtéégalement à proximité du lieu de l'accident chez une femme nommée Potin, ce Charles prétendit exercer la profession de marchand de chevaux, n'être que de passage à Rennes et n'avoir jamais vu l'assassin. Or cette Potin était fort connue pour ses relations. avec les chouans et les prêtres insoumis. Bien plus, on trouva chez elle des pistolets des munitions de guerre et 3 fusils à vent. » (1) Dans une lettre du 17 octobre 1796 adressée au général Le Veneur, Hoche raconte que l'assassin « avoua que depuis trois ou quatre jours, un homme l'engageait l'as-
à
(1) Général Jung, Bonaparte et son temps.
sassiner ; que la misère l'avait déterminé à se charger de cette terrible mission, et que, dans l'après-midi du même jour, l'homme en question lui avait remis un pistolet chargé de deux balles et de quelques chevrotines avec un écu de six livres et la promesse de cinquante louis s'il réussissait. Cet homme e-t un chef de chouans qui se sait nommer Charles Martial Reissioux, et dont le vrai nom est Alexandre Rossignol. Vous voyez d'où part le coup. » « Huit jours après, le poison réussit mieux, Hoche avait réuni dans un banquet, destiné à consolider l'œuvre de pacification, l'élite de la société on en profita pour l'empoisonner. Il échappa ditficilement pendant trois jours, il se vit, à vingt-huit ans, en face de la mort horrible et sans gloire. S'il se rétablit, grâce à sa vigoureuse constitution, elle n'en reçut pas moins une irrémédiable atteinte. » (1)
f
::
Hoche organisa à Brest l'armée d'Irlande dont il fut nommé officiellement le général en chet le 1er novembre. Il choisit pour chef d'état-major son habile collaborateur Chérin et, pour second, le général Grouchy. Malgré les entraves apportées par la marine à l'expédition, Hoche réussit à réunir une flotte de 48 voiles sous le commandement de l'amiralMorard de Galle, avec Bruix pour major général. Le 15 Décembre 1796, (25 frimaire an V) la flotte sortit de la rade de Brest. Hoche et Morard de Galle montaient la frégale la Fraternité. Le point de débarquement était la baie de Bantry. Dès le lendemain, la Fraternité, prise par un coup de vent, se trouve séparée du reste de la division elle est poursuivie par un navire anglais ; le reste de la flotte, un instant dispersé par l'ouragan, arrive en face de la baie de Bantry. Privé de son chef, par suite de la mauvaise volonté et du défaut d'entente des amiraux le corps expédition-
;
(I)Esoande,HocheenTi'lancte.
naire ne débarque pas, malgré l'insistance de Chérin, chef d'état-major de l'armée. Quand Hoche arrive enfin, le 30 décembre, sur les côtes d'Irlande, il ne peut que constater le départ de la flotte. Désespéré, il revient à Brest ;• après une navigation mouvementée, la Fraternité, ayant échappé à la croisière anglaise, arriva désemparée, à l'ile de Ré, le 11 Janvier 1997.
Ainsi se termina sans. résultat une expédition dont le succès semblait assuré.
L'armée de Sambre-et-Meuse.—
Hoche voulait recommencer l'expédition, mais il est nommé, le 24 janvier 1797, Général en chef de l'armée de Sambre-etMeuse il allait sur un nouveau théâtre, trouver des éléments à son activité. Ses opérations étaient combinées avec celles de Moreau de Bonaparte en Italie pour accabler l'Ausur le Rhin
;
et
triche.
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Hoche n'était pas pour cette armée de Sambre-etMeuse un homme nouveau les vieux soldats de l'armée de la Moselle le connaissaient. C'était à leur tête qu'il avait combattu à Kaiserslautern, rejeté Wurmser de l'Alsace, enlevé les lignes de Wissembourg et débloqué Landau. « Tous ne respiraient qu'enthousiasme ! « Avec de pareils hommes, il n'était pas difficile de recomposer une armée. D'ailleurs, Hoche était aussi habile administrateur que grand général. Il semblait que sa tâche fût de réorganiser. Dans les Vosges, en Vendée, il n'avait vaincu qu'après avoir refait des bataillons à Brest, avait créé une marine. avec des débris, « Son premier soin, en arrivant sur le Rhin, fut de visiter les cantonnements, d'interroger les chefs, de s'informer des besoins. « Investi par le Directoire d'une autorité presque absolue, il rétablit au bord du Rhin l'ancienne administration, les baillis, les chapitres, et, en quelques mois, les troupes «
il
;
furent habillées, nourries, remontées aux frais des pays conquis, sans qu'ils parussent en souffrir. Hoche put même abandonner à Moreau le million que Bonaparte envoyait d'Italie aux armées du Rhin, pour les mettre en état de le seconder. « Au mois de mars 1797, l'armée de Sambre-et-Meuse, vive, alerte, pleine d'espoir, n'attendait plus que le signal elle ne tarda pas à le pour s'élancer au-delà du Rhin recevoir (1). « L'armée de Sambre-et-Meuse, forte de 70.000 hommes, était partagée en trois corps, chacun de deux divisions d'infanterie. « Lefebvre commandait la droite, Grenier le centre et Championnet la gauche. « Hoche avait séparé les différentes armes de la cavalerie. «Les hussards, sous les ordres de Ney, furent attachés aux divisions du centre les chasseurs, sous Richepanse, appuyèrent à droite et les dragons de Klein renforcèrent l'aile gauche. « La grosse cavalerie, commandée par d'Hautpoul, et une division d'infanterie sous les ordres du général Waltrin, formaient la réserve (1). » Le 17 mars, Championnet franchit le Rhin à Dusseldorf le 18, Hoche à Neuwied. Les hauteurs commandant le débouché de Neuwied « étaient couvertes de canons et de retranchements ». Toutes les redoutes sont d'abord enlevées aux ailes, puis au centre, après trois assauts. Cette « bataille de Neuwied avait coûté aux Autrichiens 5.000 hommes, huit drapeaux et trente pièces de canon ». La poursuite commence aussitôt « A chaque instant, Ney se jetait sur l'arrière-garde et lui enlevait des hommes et des bagages ».
:
;
;
:
(1)
Cf Desprez :
«
Les armées de Sambre-et-Meuse ».
Le même jour, Championnet fait sa jonction avec Hoche. Le 19, la poursuite continue. Dans la nuit du 19 au 20, l'ennemi décampe. Hoche lance Lefebvre à marches forcées sur Francfort. Le 21, Ney fixe l'arrière-garde tandis que Championnet la tourne. vont être cer« Les Autrichiens s'aperçoivent qu'ils nés, ils traversent rapidement Giessen une partie de la division d'Elnitz, coupée, entourée, est obligée de se rendre avec beaucoup de bagages et quelques pièces de canon » (1). Le Général autrichien est obligé de revenir au secours de son arrière-garde. « Le 22 au matin, Richepanse passe la rivière (la Nidda), charge la cavalerie autrichienne qui la défend, la rejette en désordre sur Francfort, entre dans la ville avec elle, lorsqu'un courrier, accompagné du commandant de place, présente une dépêche à Lefebvre. C'est la nouvelle des préliminaires de Léoben. « Lefebvre, qui se voit enlever la victoire, ne peut s'empêcher de lancer au courrier une apostrophe de soldat pour s'être tant pressé d'arriver si mal à propos. retard mettait les Autrichiens dans le « Un jour de plus grand péril. Maître de Francfort, Lefebvre leur coupait la retraite sur Aschafiembourg, tandis que Grenier les pressait de front et que Championnet, s'élevant sur leur droite, les empêchait de fuir vers Hanau. Acculés au Mein, ils y allaient vraisemblablement éprouver un grand désastre. « Sur le champ, les généraux en chef convirent d'un armistice Les Français campèrent sur les bords de la Nidda » (1).
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Le Directoire reprend alors le projet de l'expédition (1) CI.
Desprez.
d'Irlande Hoche est envoyé en mission secrète à La Haye, où il obtient le concours, contre l'Angleterre, de la République Batave et de sa flotte il rentre à Cologne, et, sur l'ordre du Ministre de la Marine, il dirige sur Brest des troupes destinées à être embarquées. Contrairement à la Constitution, et par suite d'une erreur d'un Commissaire des guerres, une fraction de ces troupes, les chasseurs de Richepanse,arrive à la FertéAlais dans le rayon de 15 lieues (10, 11 et 12 messidor). Quelques .jours avant, le 1er messidor, Hoche avait été nommé Ministre de la Guerre. Dès qu'il a connaissance de sa nomination, il envoie sa démission au Directoire en
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:
ces termes
Mon âge ne me permettant pas d'occuper l'éminente place à laquelle votre bonté et votre confiance vien«
nent de m'appeler, permettez que je vous en témoigne ma reconnaissanceet mes regrets. Il est douloureux pour un ami de la Patrie de ne pouvoir coopérer aux grands travaux dont vous êtes chargés ». La coïncidence de ces deux faits souleva les protestations des royalistes qui accusèrent Hoche d'avoir eu des intentions,de coup d'Etat. Les lettres du Ministre de la Marine (1), celles du général Hoche à ce ministre, du 19 messidor, et au Directoire, du 2 thermidor (2), montrent qu'il n'en avait nullement l'intention (3). «
Le Directoire, toujours divisé, décide d'abord que
les troupes continueraient leur marche, puis qu'elles rentreraient dans leurs cantonnements. Il donne successivement de nouveaux ordres. Le 21 thermidor, enfin, après des marches et des
Escande. — Hoche en Irlande (p. 246). (2) Escande. — Hoche en Irlande (p. 259). (3) On trouve au Moniteur une lettre de Hoche où il dit que sa conduite est exempte de reproches, qu'il n'a agi que par les ordres du gouvernement, et où il provoqua sa mise en jugement, pour que la Frauce connaisse enfin ses vériables ennemis. (1)
contremarches inutiles et inexpliquées, Hoche regagne son quartier général. Les calomnies royalistes l'accusent de concussion il est défendu par Jourdan. Il y répond en publiant, avec Chérin, un Bulletin des opérations de l'armée de Sambre-
;
et-Meuse.
-
Rentré à son quartier général de Giessen, il y fait célébrer solonnellement l'anniversaire du 10 août. Son discours, fort remarquable, se terminait par ces
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mots
Votre présence et la fermeté du gouvernement suffiront au maintien de la Constitution que je jure avec vous de maintenir dans toute sa pureté ». Le 2 septembre 1797, Hoche recevait provisoirement le commandement des armées réunies du Rhin et de la Moselle il fixait son quartier général à Wetzlar, près de Coblentz. Il y meurt, le 19 septembre, à l'âge de 29 ans. «
;
Pour annoncer sa mort à l'armée d'Allemagne, le fidèle Chérin, chef de l'état-major de l'armée, ne put trouver que ces paroles « La République vient de perdre un de ses plus braves soutiens, l'armée un père, un ami qui, jusqu'à ses derniers moments, n'a cessé de s'occuper de ses besoins. Le général Hoche n'est plus » (1).
:
Il nous reste à dire pourquoi les républicains ont le droit et le devoir d'honorer la mémoire de Hoche. Parmi les soldats de la Révolution, trois grandes figures militaires disparaissent avant le Consulat et sont,,, par suite, absolument républicaines ce sont celles de Hoche, de Kléber et de Marceau. Vous savez tous que Marceau meurt général de brigade au combatd'Altenkirchen (1796), que Kléber périt assassiné en Egypte.
;
(1)
Capitaine d'Ornano. — Correspondance militaire de Hoche.
personnalités militaries, la plus glorieuse est celle de Hoche. Il put donner toute la mesure de sa valeur et de ses talents militaires. Enfant du peuple, il resta toujours fidèle aux principes de la Révolution qui lui avaient permis d'arriver au commandement en chef des armées de la Moselle ou de Sambre-et-Meuse, Il fut toujours soumisrespectueusement aux lois il fut toujours profondément républicain. Lors de la pacification de la Vendée, lorsqu'il traite De ces trois grandes
;
:
avec les chefs Chouans
L'Angleterre eut un Monck, lui dit textuellement Frotté. La France en offrira un, je l'espère, plus illustre encore, et alors je serai fort aise de servir sous vos «
!
ordres
»
Pour toute réponse, Hoche écrit au Comité de Salut Public (1er avril1795) : « Mon opinion est qu'on fasse la guerre si les Chouans ne veulent pas se rendre demain même » (1). Lorsque plus tard, il « prépare le plan d'une expédi« tion en Irlande, le Comte d'Artois et Louis de Frotté « tentent encore de nouvelles démarches auprès de lui : « Combien il me serait doux, lui écrivait d'Artois, de partager avec un brave Français la gloire d'ouvrir au Roi les portes de son royaume » (2). Hoche met le Directoire au courant de ces démarches et dénonce le nouveau plan des royalistes il lui en montre tout le danger.
:
Au moment où il allait quitter l'armée de la Moselle, il disait dans une proclamation à son armée : « Le service de la République, notre mère commune, continuez à bien mériter d'elle le « m'appelle ailleurs « nom du nouveau chef que vous avez (3), a déjà frappé « votre oreille avec lui, vous nepouvez qu'anéantir les « tyrans coalisés çontre notre sainte liberté ».
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(1) (2)
;
;
--.
Pour l'Arméerépublicaine, broohure anonyme. CEr] r,'lI'nnhr àr-m™,,, ,,----",J..;;,'-'LlJ.lC;;U.l.j Pour l'Armée républicaine
(3)Jourdan.
:
A la même époque, il écrivait au Club de Thionville
La volonté nationale, de laquelle le Comité de Salut Public de la Convention nationale est l'organe fidèle, m'appelle à défendre la Patrie ailleurs que dansces lieux. C'est à regret que je m'éloigne d'une armée que j'aime, et de citoyens qui m'ont accordé leur estime mais les hautes destinées de-la République doivent être remplies, et trop heureux celui qui a le bonheur d'y concourir Je laisse dans vos murs, citoyens, ce qu'après mon pays j'ai de plus cher au monde (1). Je ne la verrai qu'après avoir combattu les vils satellites du despotisme. Vous avez entendu mon serment de vivre républicain je le renouvelle en vos mains et vous promets de ne rentrer dans mes foyers qu'après avoir vu les fiers enfants de la République française triompher de nouveau ». «
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;
!
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:
Il écrivait plus tard au Ministre de la Guerre « J'ai reçu, citoyen Ministre, votre lettre du 2 courant, par laquelle vous m'invitez à faire des recherches pour connaître des hussards accusés d'avoir tenu des propos inciviques à Liège. L'armée de Sambre-et-Meuse que j'ai l'honneur de commander, est entièrement composée de républicains, incapables de tenir le langage des royalistes dont elle est disposée à faire justice, dès qu'ils oseront se montrer ouvertement. Elle partage ces sentiments avec toutes les armées de la République. Que les amis et les ennemis de la République sachent bien qu'elle n'a jamais été plus disciplinée, plus disposée surtout à combattre vils factieux qui oseraient attenter à la pureté de nos lois. » Et, dans une lettre qu'il adressait au général Chérin, il écrivait « Quel que fût le monarque, et par cela seul qu'il « serait le monarque, il lutterait contre le principe, « contre l'essence de la Révolution, qui est l'abolition
les
:
(1)
C'est de sa femme, née à Thionville, qu'il veut parler.
;
il serait forcé, malgré lui, de recréer une « noblesse, et la résurrection de cette noblesse devienne drait la cause de sa ruine, en irritant le Tiers-État « qui ne serait plus tout, c'est-à-dire tout le monde. La « monarchie tomberait par le seul fait de cette lentative. « Nouvelle révolution. Il nous faut ungouvernement qui « consacre, dans le fait comme dans le droit, ce principe « de l'égalité. Ce gouvernement ne peut-être que le gou-
« des classes
vernement républicain.» Le plus beau résumé de cette vie trop courte est celui que nous pouvons lire sur le piédestal de sa statue, à Ver«
:
sailles
Lazare HOCHE Soldat à 16 ans Général en chef à 25 ans. Mort à 29 ans L'un des fondateurs de notre liberté,
Il vainquitl'étranger et parfois son pays. Elevé au-dessus de toutes les factions,
Par son génie et son humanité, Héros citoyen, Son nom estpur autant qu'immortel. Wissembourg,Quiberon, le passage du J?.hin,
Neuwied, Altenkirchen, La route de Vienne et la côte d'lrlande, Diront à la postérité la plus reculée Ses vertus guerrières et ses grands travaux.
Mort trop tôt pour la France, S'il eût vécu, sa gloire, toujours croissante, N'eût jamais rien coûté à la liberté de son pays.
Les Enseignements
de la Vie de Hoche
Modèle du soldat et de l'officier républicain — a dit le Ministre de guerre, le 26 juin 1904 -- il nous a légué de tels exemples, que nous n'avons qu'à choisir parmi eux pour constituer ce qui s'enseigne dans nos écoles militaires, ces cours qui préparent les officiers à remplir le véritable rôle qui leur incombe' dans la Nation armée, affirmant cette solidarité dont nous sommes les partisans dévoués, cette solidarité entre l'armée républicaine et le pays républicain (1) ». Pour montrer ces enseignements de la vie de Hoche, il faut se reporter soit à sa correspondance, soit à l'histoire détaillée de sa vie par Rousselin, publiée par ordre du Directoire, et écrite sous l'impression vive et profonde des évènements et des témoignages contemporains. «
la
Nous nous bornerons à rechercher, d'une part, quelle fut la qualité primordiale qui permit à Hoche de devenir l'un des généraux les plus remarquables' de l'époque révolutionnaire, d'autre part,, comment il comprit les relations de l'officier avec le soldat, avec le pays.
Quelles furent donc les qualités primordiales qui ont permis au caporal des gardes-françaises vif et parfois turbulent, de devenir l'officier impétueux de Dunkerque, le général de l'armée de la Moselle bouillant de tout le feu de la jeunesse, le négociateur habile de la Vendée, le chef calme et pondéré de l'armée de Sambre-et-Meuse Ce furent surtout l'esprit d'observation et la réflexion.'
?
Paroles prononcées par M. le général André, Ministre de la Guerre, au Banquet commémoratif de là naissance de Hoche. (1)
«
La
nature de son esprit est l'observation. Or, tout
devenait éducation pour l'homme attentif qui ne laissait échapper aucun résultat de la rapide expérience qu'il acquérait tous les jours,beaucoup mieux dans le spectacle des événements que dans la lecture des livres. (1) « A l'instruction rapide que Hoche s'était donnée, il joignait l'exercice d'une continuelle réflexion » (1).
:
Il avait pris pour règle de conduite la devise de Jean de Witt, le grand Pensionnaire de Hollande « Ago quod ago », ce que l'on peut traduire « Fais bien ce que tu fais ». « Dans les affaires ordinaires, il médite longuement avant de prendre une détermination quand il l'a prise, rien ne peut la changer. Dans les affaires urgentes, il voit dui^ coup d'œil ce qu'il faut faire sur le champ entre sa résolution et l'exécution, il n'y a point d'intervalle. « La réflexion doit préparer, disait-il, la foudre exé-
:
;
cuter »
;
CI).
En arrivant à l'armée de la Moselle, « le premier besoin qu'il éprouve, est celui de la confiance ses troupes; un général lui paraît invincible quand il a ce levier puissant, et l'obéissance qu'il obtient, par cette voie douce, est bien plus sûre que celle qui cède la force; car l'utilité de ses commandements étant déjà reconnue, l'exécution en devient plus facile; mais le moyen d'inspirer la confiance, est, selon lui, de paraître intelligent et capable aux yeux du soldat; et, le moyen de le paraître, c'est de le devenir effectivement par un travail opi-
de
à
(1).
niâtre » S'adressant aux officiers généraux, ses camarades.'illeur témoigne toute sa confiance enleurdisant que «la tâche qu'il « s'était imposée volontairement était grande mais qu'il « lui serait impossible de labien remplir, s'il n'était aidé
;
(1) Rousselin. - Vie de Lazare Hoche, général des Armées de la République Française.
leurs conseils, de leurs talents et de leur expérience. fi J'en ferai toujours mon objet principal, ajoutait-il, et « vous voudrez bien, je vous prie, me faire connaître vos « vues et être assuré que tout ce qui sera, pour le bien « de la République, présenté par vous, sera mis àexé« cution. Veillez à ce que les lois soient suivies scrupu« leusement. (( Accueillez avec bonté les plaintes du soldat. Cette « classe respectable est la plus pure de l'armée. Faites-y « droit, et, dans tous les cas, punissez sévèrement les « coupables, de quelque grade qu'ils soient. » « de
Lorsqu'un an après il fut nommé au commandement de l'armée des Côtes de Brest, il écrivait « Après l'honneur de servir la République, celui de commander l'armée des côtes de Brest est, sans doute, le plus grand auquel je pouvais aspirer. Obtenir votre cnfiance par ma conduite et mériter votre estime seront toujours des devoirs chers à mon cœur. « En acceptant nos grades, citoyens, nous avons contracté de grandes obligations envers la patrie. Vous sentez bien, comme moi, que, pour la bien servir, il ne suffit pas de détruire ou de désabuser, et de ramener à l'obéissance mais il faut encore discides lois ses enfants rebelles pliner les troupes qui la servent, les faire chérir des habitants effrayés des campagnes, par la pratique des vertus républicaines et les faire respecter par l'autorité des prin-
:
;
cipes.
J'ai donc lieu d'espérer que, l'exemple des chefs influant sur l'esprit des soldats, l'on n'entendra jamais parler qu'un individu de cette armée s'est porté au plus léger excès envers un de ses concitoyens. » «
Et des nuages passagers ne pouvaient obscurcir la confiance qu'il témoignait à ses subordonnés. « Ne croyez pas, mon ami — disait-il au général Chérin, après un dissentiment momentané que rien au monde puisse « altérer la confiance que je vous porte. N'est-elle pasfon« dée sur notre estime réciproque? »
-
Hoche n'attachait pas une importance moins grande à la discipline. « La discipline est la force des armées; point de dis« cipline, c'est le moyen d'être toujours battu. » Aussi le voit-on successivement rètablir la discipline .à l'armée de la Moselle, aux armées des Côtes de Cherbourg, des Côtes de Brest, à celle de Sambre-et-Meuse. « La discipline militaire, dont on entend ici parler, « n'est point celle du despotisme. La puissance l'une -(( a sa source dans un sentiment raisonné, la puissance l'une est l'accom-« de l'autre est dans la terreur aveugle « plissement d'un devoir, l'autre est l'obéissance de la l'une.est la volonté de la loi, l'autre est la 'C( servitude; « volonté d'un tyran; celle-là a la démarche noble, fière, l'autre est timide, rampante, imbécile. •« énergique « Différents dans leurs principes, ces deux mobiles ne le « sont pas moins dans leurs effets. Dans notre propre « histoire, nos triomphes sur la coalition conjurée, et les les •« palmes de la victoire restées aux Français, voilà « tableaux immortels de ce que peut la vigueur de la « discipline militaire chez les peulples libres. »
;
de
;
; ;
Hoche commandait à des Français il élait sur de ne les trouver jamais sourds à la voix de l'honueur ce qu'il exigeait d'ailleurs de chacun, il savait l'exécuter le premier. Simple par goût, il vivait au milieu de ses troupes en camarade; toujours prêt à partager, sous la tente, le 4it de paille de ses grenadiers ou leur pain de munition, il les eût fait rougir de paraître plus difficiles que leur général. Il portait comme en triomphe dans son camp l'exemple de toutes les vertus privées et si cet exemple importunait encore quelques officiers colifichets (suivant son expression) elles lui faisaient, dans la masse des soldats, autant d'amis dévoués que de témoins. Scrupuleux vengeur de la discipline, il n'en exagérait pas ridiculement l'importance et s'il en punissait avec soin lesinfractions dangereuses, son indulgence savait démêler à propos ce qui était susceptible d'excuse. «
;
;
Sa rigidité, ainsi compensée par la certitude de sa justice, était encore adoucie.par l'aménité des formes. S'il adressait un reproche, ce n'était jamais une offense. Ordonnait-il la répression d'un délit un hommage dû à la discipline était le déguisement heureux de la punition nécessaire. « Je n'aimepas qu'on avilisse les troupes que
?
je commande, répondait-il sévèrement aumême officier, « je veux qu'elles soienthonorées, parce que j'espère les (( rendre honorables ». Indifférent aux dénonciations fréquentes qui ne tombaient que sur lui, il les repoussait avec chaleur quand on se permettait de les diriger injustement contre les troupes, parce qu'il était toujours plus prompt à réprimer les excès, qu'on ne pouvait l'être à s'en plaindre. « Je n'approuve aucuns desordres, écrivait« il un jour pour toute réponse, à un représentant qui « lui transmettait les récriminations d'une administra« tion de district; mais quels que soient leurs torts, je « voudrais bien que les défenseurs de la patrie ne trou« vassent pas autant d'accusateurs parmi ceux pour lesfont égorger tous les jours. Ainsi, média« quels ils se teur prudent, il rapprochait, par le besoin d'une estime réciproque, les soldats et les citoyens il obligeait ceuxci à respecter la République dans ses défenseurs, tandis qu'il accoutumait-les autres, par une discipline rigoureuse, à mériter le respect et l'affection. Le retour de l'ordre, si longtemps méconnu dans cette armée, lui rendait sa considération le soldat commençait à reconnaître un frère dans le citoyen.qui ne le traîtait plus en brigand et si le souvenir d'anciennes précautions fermait encore le cœur de l'habitant au douxbesoin de la fraternité, du moins le soldat trouvait-il déjà, dans les égards de son hôte, l'heureux succès de ses propres ménagements. «
:
;
»
;
Il ne cessait de dire à ses généraux que la discipline, le maintien de l'ordre et l'instruction des troupes devaient être l'objet de la plus sérieuse attention des chefs. « Dans (( les quartiers d'hiver, disait-il au général d'Hautpoul, «vous devez veiller à l'instruction des troupes, à leur
,
tenue et à la discipline, à la bonté et à la salubrité des « cantonnements ». Dans un ordre du 7 floréal an V, traçant à grands traits ce que les généraux commandant les divisions de l'armée pouvaient avoir à faire, il leur disait « qu'en s'occuper « entrant dans les cantonnements, ils devaient des effets « de suite des subsistances, de la réparation « d'habillement, de l'équipement, de l'armement des homfrais (( mes et du harnachement des chevaux. —Ces légers soumis; « seront supportés par les habitants des pays la « mais on doit y procéder avec l'ordre, l'économie et et décence qui doivent nous caractériser. donnerde « Les officiers généraux, qui viennent de du « si éclatantes preuves des talents qu'ils possèdent et détails sont « courage qui les anime, sentiront que les conduire « dignes d'eux et que, s'il a bien du mérite à pourvoir à « une troupe à l'ennemi, il y en a davantage à «
«
ses besoins.
»
S'adressantau commandant d'une des colonnes mobiles, opérant en Vendée, il lui disait « Rappelle-toi sans cesse, citoyen, pendant le cours de ton honorable mission, que ta conduite doit être celle d'un patriote éclairé, d'un homme vertueux, d'un officier républicain et français. Tu restes responsable de celle des hommes qui te sont confiés. Habitue-les à la fatigue, au feu, à la victoire, et surtout à respecter l'innocent habitant des campagnes, opprimé par des hordes de cannibales. Habitue les républicains que tu commandes à respecter les propriétés et à être sobres; que jamais on ne puisse te reprocher un acte arbitraire, une vexation. Je ne te parlerai point de bravoure. Cette vertu et l'amour de ton pays doivent seuls t'animer. Évite les pourparlers avec les ennemis. Tu ne dois que les combattre. S'ils veulent parler d'accommodement, envoie-les au général commandant la division. Cependant, sois toujours bon, humain et prêt à recevoir l'homme égaré, qui, abjurant son erreur, viendrait se jeter dans tes bras. Inspire aux habitants
:
égarés la confiance nécessaire pour vivre en bonne intel-
ligence avec les troupes.Faisaimer la République et respecter ses armes. » Et, s'il recommandait à l'officier de faire respecter les habitants d'un pays soulevé, il lui demandait également d'aimer le soldat « L'esprit du soldat, disait-t-il, est généralement bon. « Il aime à bien servir mais il veut être commandé et encouragé. Loin de nous ces hommes qui le regardent « i« ou qui le traitent comme un vil mercenaire. La classe < des simples fusiliers est la plus pure et la plus esti« estimable de l'armée. Ne devons-nous pas l'aimer, la « considérer et proportionner nos attentions à ses besoins « Qui ne sait qu'il est tel grenadier doué d'un plus grand « sens que son général. »
:
;
?
Pour se faire aimer des soldats, disait-il encore, il < n'y a pas d'autres moyens à employer que pour se faire « aimer de ses amis si TU VEUX ÊTRE AIMÉ, AIME » « Rigoureux observateur de ses devoirs, inexorable réformateur des abus, il avait trouvé plus d'une occasion de déployer toute la sévérité des lois il avait été bien loin d'user de la latitude de punir qu'elles lui donnaient, il aimait mieux obtenir l'obéissance que l'exiger. Le patriotisme et l'honneur bien entendus, ces ressorts si puissants sur le cœur du soldat français étaient toujoure ceux qu'il aimait à faire agir. « Veillons, républileur disait-il dans ses ordres; qu'une insouciance «. cains « criminelle ne puisse jamais nous livrer aux despotes coa« lisés contre notre sainte liberté., Chefs, officiers, sol« dats, ne travaillons-nous pas à la même cause, et faut-il « parler punitions à des républicains » «
:
!
;
!
?
que d'autres n'ont pu faire lentement par des ordres, par des punitions sévères, Hoche va le faire en quelques moments par des mobiles bien différents par la haine des tyrans, par l'amour de la patrie, par l'enthousiasme. » « Ce
:
Hoche sait que les armées, non plus que les familles et les républiques, ne se gouvernent point par la mollesse et le relâchement; il est habituellement sévèrepour se préparer le moyen d'être doux sans danger. Il recommande au simple soldat de se fortifier dans ses exercices, d'être curieux de sa propreté personnelle et de celle de ces armes il exhorte le caporal, non seulement à pratiquer les vertus du simple soldat, mais même à. les surpasser, et à faire, en quelque sorte, par son bon exemple, que les sept hommes qu'il a sous son ordre,. prennent à cœur de lui ressembler. Il donne les mêmes conseils aux capitaines envers sa compagnie, au chef de brigade envers sa brigade; il les encourage tous par l'espoir de l'avancement, mais bien plus encore par des éloges qu'il donne en public au mérite de chacun il loue même des qualités que n'ont pas encore ceux dans lesquels il semble les apercevoir, mais il est sûr de les leur faire acquérir, en paraissant croire qu'ils les ont. Telle est la chaîne d'émulation dont il unit son armée,. qu'en élevant ou descendant ses regards, chacun se sent animé par un motif réciproque de l'envie de se distinguer, en faisant concourir ses actions au bien général et le poids des lois se trouve allégé pour ceux qui trouvent dans l'obéissance, plutôt la satisfaction d'un sentiment que l'exécution d'un commandement. «
;
:
;
Toute faute légère dans un particulier paraissait à Hoche très grave dans un chef. Il pensait que l'exemple duchef le plus puissant frein du soldat. « Qui «osera,disait-il,êtredébauché quand je serai tempé«« rant rant Quel Quelest, est,au au contraire, le caporal qui n'aura pas pas. « le droit de se plonger dans la débauche, sijemelaisse « laisse endormir dans la mollesse, dans la volupté » Un auteur (1) qui a connu plusieurs des hommes ayant approché Hoche de très prés, résumait ainsi, — 1872, procédés de commandement en ses «
est
??
?
-
(1)
:
Du Châtellier, correspondant de l'Institut. Cité page 310.
L'échange de sa pensée et de celle de ses amis s'é« tait toujours fait avec cette cordiale simplicité qui lui « était naturelle. Il en était résulté une confiance. « si absolue de la part de ses officiers, que- tous <x étaient arrivés à ne pas plus douter du succès que de « la sagesse de ses résolutions. De la part du soldat, cette « confiance était encore plus absolue, si c'était possible, et « quoique cela ait pu tenir, en partie, à ce qu'il avait été « longtemps l'un des leurs, cela tenait surtout à ce qu'il « ne l'oublia jamais et que, dans telle circonstance que « ce fût, il resta vivement préoccupé du bien-être de ses « troupes. Lenr demandant tous les sacrifices que les « circonstances exigeaient, il avisait, de son côté, à « tous les besoins qu'elles pouvaient avoir et ne repous« sait aucune occasion de leurdonnerl'exemple.», «
TABLE DES MATIÈRES
AVANT-PROPOS.
6
Programme résumé des conférences sur le rôle de l'officier dans la Nation armée
;
Armée13
TITRE PREMIER Rôle de l'officier dans la Nation TITRE II Connaissances générales indispensables à posséder pour remplir le rôle défini dans la première
partie. Armée.
15
TITRE III Moyens de remplir le rôle indiqué à l'officier dans la Nation
18
TITRE IV Rôle de l'officier et de l'Armée aux TITRE V Conseils aux jeunes officiers à leur arrivée au régiment
19
Colonies19
Titre Preipier INTRODUCTION
23
PREMIÈRE CONFÉRENCE
1855
Evolution depuis 1870 des lois de recrutement et d'organisation de l'armée Etat de l'armée en 1870. — Son recrutement Loi de
Longue durée du service et faiblesse du contingent.
26 27
réserves.
1868.
Absence de L'exonération Comparaison avec la
27 28 29 30
La guerre de
32
Prusse.: /1870., Mobilisation.-. administratifs. Loide
Armement. confiance. Nationale. 1872. diverses. 1872. 1889. 1889. 1902. Services
Commandement Décadence et Les armées de la Défense Enseignements tirés de cette guerre Loi de recrutement de Lois Reproches faits à la loi de Loi de recrutement de Reproches faits à la loi de Projet de loi de
2e
33 33 33
34 34 35 35 38
40 41
43 44 44
CONFÉRENCE
Evolution des méthodes d'instruction et des règlements de manœuvres depuis 1870. (Nécessité dé l'éducation morale du soldat)
I.— Méthodes d'Instruction
1870. 1870.
Influence des lois de recrutement et des progrès de
l'instruction
,
Autres facteurs ge.l'évolution.. Avant Règlements de manœuvres de l'infanterie en usage en
la guerre
Après
48 49 49 50 52
Règlements de
--
1889 infanterie.
'1875. ; '1884
1887 et 1894 Reproches faits à notre
L'artillerie.
Conclusion. Règlement provisoire de 1902
(infanterie).
morale. temps. guerre.
53 55 55 58 58 59 60 62
II. — Nécessité de l'éducation morale
La force
usion.
L'éducation morale est de tous les Après la L'éducation morale dans les ConcJ
régiments.
3e
63 63 64 67 68
CONFÉRENCE
L'Armée royale et l'armée de la première République
1789. soJdat. soldat. L'ArméeRoyale
francaise.
Origines de l'armée L'armée royale avant Recrutement du Valeur militaire du Le soldat ne.peut prétendre à Les Comment était traité le Sentiments réciproques de l'officier et du soldat. Les officiers et les sous-officiers dans les dernières années de la Ce qu'a été l'armée DArmée après L'émigration
e.
officiers. soldat.
l'épaulette.
monarchie.:
royale. 1789.
T2
74 74 75 77 77 80 82
86 87 90 91
volontaires. permanentes.
Les Les réquisitions L'amalgame L'Armée de la première République Ce qu'ont été les armées Les armées de L'armée du Rhin en Le retour de l'armée de Rhin-et-Moselle sur la rive
1794. 1796. républicaines.
(1796).
soldat. mission.
gauche du Rhin Qualités morales des armées républicaines.
et
L'officier le Le rôle des représentants en
95 102 103 107 111
112 112 117 121 123
4eCONFÉRENCE L'Armée du premier Empire. — L'armée sous la Royauté constitutionnelle. — L'Armée du deuxième Empire.
VI. impériale. soldat. discipline. officiers. soldat. L'Arméeimpériale
Loi de recrutement de l'an
Causes qui en déterminent L'esprit de l'armée jusqu'à L'esprit de l'armée
l'adoption.
l'Empire.
Le La Les
pays. nation. L'invasion. Relations eutre l'officier et le Relations de l'officier avec le L'armée et la
133 134 136 140 142 145 148 149 151 153
154
L'Armée sous les deux Restaurations et les Cent-Jours La première
Restauration.
158
Cent-Jours. Ney. Travot. Drouot.
Les La deuxième Restauration Le procès du maréchal Le procès du général Le général Le général Les deux Terreurs Licenciement de l'armée de la Les lois de recrutement de la Loi de recrutement de Loi de Les officiers La loi d'avancement de L'Armée et la L'Armée sous la Monarchie de Loi de L'Armée du second Nature des guerres du second
Cambronne. Loire. Restauration.
1818. 1824. 1818. Nation. Juillet. 1832.
162 166 169 174 177 178 181 182 183 183 185 187 191 194 195 195
Empire .199 Empire.
1870. ; esprit. soldat. G-uerre de
discipline.
L'armée impériale Le
son
La Les sous-officiers Les officiers L'Armée et la
Nation.
199 200
202 202 207 207 208 209
,e CONFÉRENCE PREMIÈRE PARTIE
La Nation Armée.
- Double Mission
de l'Officier
L'esprit militaire. — Des trois manières dont il se forme. — Celui qui doit animer l'armée
d'aujourd'hui212
Armée.
Rappel de la définition de la Nation Conclusions de l'étude historique faite précédemment et justifiant la conception moderne de l'armée. Nécessité de la préparation de la
214
Nation Armée dès le temps de Exemple fourni par la Constitution de la Nation Armée Son Le soldat de la Nation Armée Différences entre le soldat de métier et le soldat de la Nation Ce qu'était l'officierde l'ancienne armée. — Ce que doit être l'officier de l'armée Enseignements à retenir de la période 1794-95-96, pour définir le rôle de l'officier dans la Nation Armée Nécessité de la Double mission de Dépendance obligée des procédés d'instruction et de l'esprit du L'armée de L'armée L'armée de
214 216 218 218
paix. Prusse.
:
rôle.
Armée. actuelle.
220 221
confiance. l'officier.
222 224
pays 227 1872. d'aujourd'hui. demain. 227
230 231 231
DEUXIÈME PARTIE
L'Armée Républicaine d'aujourd'hui (LOI DE 1889)
L'officier. Nation. sous-officier. L'officier, le sous-officier, le soldat, le Réserviste, le Territorial
Soldat. Réserviste.
Le corps d'officiers et la Le Le Le
234 235 241
242 244
Le
Territorial.
Analyse de l'instruction donnée dans Varmée. L'éducation L'enseignement L'éducation La première année Amélioration des méthodes Vie matérielle du sous-officieretdu soldat. Améliorations Instruction des Réservistes et des Territoriaux. L'éducation morale dans l'armée d'aujourd'hui. Résumé des critiques qui sont adressées à l'armée et qui accusent le peu d'efficacité de l'action moralisatrice des officiers sur les contingents qui passent sous les Cause des résultats peu efficaces constatés par les critiques Raisons qui ont fait négliger l'éducation morale.
244
physique. : technique. d'instruction. d'instruction249
sociale. récentes.
drapeaux.
précédentes. 6e
245 246 246 248
252 254 254,
255
263 263
CONFÉRENCE
Situation Nouvelle que va créer le service de deux ans
,
L'officier instructeur et éducateur Situation nouvelle que va créer la loi de deux
s,
Œn
, , du
, ,
service pour tous les citoyens.. Egalité absolue Améliorations des réserves, homogénéité plus grande et diminution du nombre des non-valeurs par l'incorporation des demi-bons. Avantagessociaux. Sous-officiers fournis par le service de deux ans L'officier instructeur et éducateur Amélioration des méthodes
,
,
d'instruction.
265
266 267
268
270, 273
276.
morale.,.
Rôle de l'officier dans la Nation Armée et Rôle social Méthode d'éducation Exemples historiques L'éducation morale est de tous les instants. L'éducation morale par l'exemple.
, , , soldat., ,d'éducateur. ,
278 283 288 290 291 292 293 297 300
ite
301
,
prévoir.
Difficultés à La vie au quartier après cinq heures du soir.. Foyer du Préparation de l'officier à son rôle Conséquences de l'adaptation de l'esprit militaire -aux aspirations démocratiques de la société contem-
porai
ANNEXE
Le Général Hoche
,
, ,
Moselle. , Vendée.,.' d'Irlande., ,
Le général Hoche, Vie militaire de Hoche jusqu'à son commandement de l'armée de la La pacification dela L'expédition L'armée de Sambre-et-Meuse. -Les enseignements de la vie de Hoche.
,
, ,
307
308 318 321
324 332
IMPRIMERIE MODERNE
Maréchaux, Le Cadre
& Cie
ME-ULATi-T{AT{D-1{lC0UTiT (S.-er-O.)