Le seuil : vers une disparition ?

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Le seuil : vers une disparition ? Apolline Beaufort Directeur de mémoire : Jean-Michel Fradkin

Mémoire de licence - 2013 / 2014 École Nationale Supérieure d’Architecture de Marseille





«On ne peut pas aller de l’un à l’autre en se laissant glisser, on ne passe pas de l’un à l’autre, ni dans un sens, ni dans un autre : il faut un mot de passe, il faut franchir le seuil, il faut montrer patte blanche, il faut communiquer, comme le prisonnier communique avec l’extérieur.» Georges Perec, Espèces d’espaces

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Préambule Une porte est la première image qui vient lorsque l’on me parle de seuil. C’est comme une trappe magique, qui nous amène vers l’inconnu, ou, bien au contraire, vers le connu, le chez-soi. Il peut même y avoir chez soi des portes qui mènent vers l’inconnu, des rêves dans lesquels on ouvre une porte et on découvre une autre partie de sa maison, toute neuve et dont on n’avait pas soupçonné l’existence. Une porte est quelque chose de précieux : elle n’a pas besoin de porter toutes les décorations possibles pour être importante. Elle nous amène chez nous, elle nous protège, elle nous relie au reste du monde. Ce n’est qu’en entrant à l’école d’architecture que j’ai appris à considérer le seuil en tant qu’espace, en tant que lieu pouvant être habité. On pose une chaise devant sa porte pour regarder le passage, on dessine des marelles sur «son» trottoir, on se protège de la pluie, on range ses chaussures sur les quelques marches qui débordent... On apprend alors qu’il peut exister de mauvais seuils, qui refusent d’être habités ou qui sont conçus pour ne pas l’être ; on apprend qu’il y a des logements où c’est comme s’il n’y avait pas de seuil du tout. Une fenêtre aussi, peut constituer ce seuil : c’est le coin dans lequel on se réfugie pour regarder de haut les gens passer, pour regarder les toits, pour être à la fois chez soi et dans le monde. Si la notion de seuil m’intéresse personnellement, c’est justement parce que c’est la partie de l’architecture qui m’a, je crois, le plus touchée en entrant à l’école de par sa relation étroite 7


avec l’expérience que j’avais eu auparavant de l’architecture, sans pour autant la voir et la comprendre. C’est donc son caractère universel que je retiens : tout le monde accorde, consciemment ou pas, de l’importance à cette transition un peu abstraite entre l’extérieur et le chez-soi. Un portail, un bout de carton, une allée d’arbres, un ascenseur, un paillasson, un escalier, une porte, un portique, une cloche, un rideau... Peu importe la forme qu’il prend, le seuil est toujours présent. Il faut aussi prendre en compte que cette notion est à la fois très évidente et très complexe. Évidente, parce qu’un enfant parvient à saisir qu’il a franchi une limite, qu’il est dans un espace connu, qu’il est en sécurité. Complexe, parce que le seuil présente, comme on l’a dit plus haut, une multitude de formes. Il est aussi complexe dans sa définition même : une limite, une ligne ou un espace, une zone... Ce caractère d’évidence complexe convient tout à fait à l’image un peu magique que l’on se fait d’une porte : ce mélange de connu et d’inconnu, ce mystère qui nous fait un peu peur, cette limite à franchir pour aller ailleurs...

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[1] Emmarchements, rue des Petites Maries, Marseille.

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Sommaire Introduction

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I - Limite, seuil, frontière

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A - Définitions B - La limite entre soi et le monde C - Questionnement artistique

II - Le seuil : un lieu habité ?

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A - Espace a-fonctionnel, espace inutile B - Hétérotopie ? C - Habiter le seuil : du lieu au non-lieu

III - La disparition ?

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A - Relations entre intérieur et extérieur B - Nouvelles formes du seuil

Conclusion

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Table des illustrations

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Notice bibliographique

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Introduction Parler du seuil, c’est parler d’une porte : si l’architecture commence quelque part, c’est bien par l’entrée dans la maison, par le franchissement du seuil. Mais une porte ne se suffit pas à elle-même. Il faut penser aussi à tout ce qui l’accompagne. Ce peut être la marche sur laquelle on a fait ses lacets, le paillasson sur lequel on a essuyé ses pieds, ou encore le crochet auquel on a suspendu son manteau. On s’aperçoit alors bien vite que le seuil, ce n’est plus seulement la porte, cette limite à franchir, qui sépare le chez-soi du dehors. Le seuil prend en compte tout le reste, toutes ces étapes que l’on a traversées et qui finalement, deviennent un rituel, une cérémonie particulière à chaque logement et à chaque habitant. Il n’est pas non plus envisageable de parler de seuil sans parler de limite. Les deux notions sont d’ailleurs souvent confondues, confusion légitime puisqu’un seuil révèle une limite, et qu’une limite ne peut se passer de seuil pour être franchie. La notion de frontière vient aussi se mêler à ce jeu de mots, amenant avec elle la question de l’espace, de l’étendue physique d’une limite... C’est justement en sa qualité d’espace que le seuil nous intéresse, en sa capacité à être ou non un lieu habité, parce que la distinction entre seuil, limite et frontière ne peut se faire qu’en parlant de qualité physique et de définition spatiale. Présentant des qualités architecturales, sociologiques ou paysagères, le seuil n’est jamais absent ; même dans les habitations les plus modestes on trouve le moyen de le marquer et de se l’approprier, 13


et ce, partout à travers le monde. On peut ainsi considérer le seuil comme un marqueur universel du chez-soi, un phénomène irréductible auquel on portera toujours une attention. Il semblerait pourtant que les seuils aient tendance à disparaître, et que les surfaces accordées à cet entre-deux entre l’intérieur et l’extérieur se fassent rares. Il semblerait que les limites deviennent de plus en fines, lorsque la place manque et que l’on est contraint par les enjeux posés par la densité et la rentabilité. Les limites se multiplient dans la ville, et les seuils se font de plus en plus étroits, de moins en moins marqués. L’attention accordée au dessin des seuils dans la conception architecturale devrait être négligée, faute d’argent, faute de place. Si l’on part du principe qu’un seuil est absolument nécessaire et universel, parce qu’il est une sorte de caractéristique humaine et physique, comment peut-on alors envisager sa disparition ? Ne serait-il pas plutôt question d’une métamorphose, d’une transformation plutôt que d’une perte de ritualisation liée au franchissement du seuil ? Nous tenterons en premier lieu de définir et de distinguer seuil, limite et frontière. Nous envisagerons ensuite le seuil comme un espace a-fonctionnel qui peut tout autant devenir un lieu habitable comme un non-lieu sans qualité sociale. Enfin, nous considèrerons sa possible disparition, en relation avec les nouvelles formes que le seuil est susceptible de prendre dans le logement contemporain. Le choix a été fait de ne s’intéresser qu’au seuil dans le logement ; dans l’imaginaire collectif, passer une porte, c’est entrer chez soi, ou chez quelqu’un. L’envie de départ était en effet de s’atteler à la relation qu’il existait entre la qualité d’un seuil et la qualité d’habiter.

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I - Limite, seuil, frontière La première définition que l’on peut donner du seuil est liée à la porte : «dalle ou pièce de bois qui forme la partie inférieure de l’ouverture d’une porte.»1 Comme nous l’avons dit plus haut, on ne peut prendre la porte toute seule, et c’est pourquoi le mot seuil englobe par la suite tout ce qui entoure la porte à proprement parler. Le seuil devient une zone, un espace, quand la limite évoque plus l’idée de ligne. Quoi qu’il en soit, seuil et limite amènent avec eux l’idée de démarcation et de transition entre deux espaces aux qualités bien différentes. A - Définitions Le seuil, révélateur de la limite Lorsque l’on crée un nouveau lieu, on doit commencer par en définir les limites. On doit choisir la ligne qui marquera là où l’on est à l’intérieur du lieu, et là où l’on est à l’extérieur. Marquer la limite est un acte fondateur. On parle par exemple de limite lorsque l’on évoque les fondations légendaires des villes antiques. La fondation légendaire de Rome fait appel au terme pomerium, qui est défini comme étant la limite sacrée séparant la ville de son territoire, l’urbs de l’ager. Définir la limite de la ville est la première chose que l’on fait, avant même d’avoir 1 - Centre National de Ressources Textuelles et Lexicales, dictionnaire en ligne.

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construit ; c’est un acte symbolique et marquant. C’est d’ailleurs au roi, le rex, étymologiquement le «tireur de traits», que revient le devoir de tracer les traits de charrues qui définissent l’enceinte sacrée. La limite est donc bien une ligne, qui s’interrompt par endroits, lorsqu’une porte permet le passage, surveillé par Janus, le dieu des portes. La relation avec le seuil n’est pourtant jamais très loin. Si le trait initial, marqué par le passage des charrues, constitue bel et bien une ligne, la définition du pomerium prend en compte la bande de terre qui est contigüe à l’enceinte de la ville, bande de terre sur laquelle «il n’était mystiquement fondé ni d’habiter ni de labourer.»2 On n’est déjà plus dans la définition d’une ligne, puisque le franchissement du pomerium devient une mise à zéro, une zone où l’on n’est ni dans l’ager, ni dans l’urbs, et qui finalement, contribue à montrer et à vivre la limite. Cela se rapproche tout à fait de la définition que propose Pierre Von Meiss du seuil : pour lui, «c’est le seuil qui révèle la nature de la limite. C’est la porte ou la fenêtre qui révèle le mur, sa présence et son épaisseur. Mais les seuils sont plus encore des indices annonciateurs de la nature des lieux auxquels ils donnent accès ou qu’ils tendent à représenter.»3 Ainsi, il convient de distinguer seuil et limite, même si la barrière qui les sépare est paradoxalement très fine. Le seuil dispose de la capacité à devenir lieu justement parce qu’il se trouve à la transition entre deux autres lieux, il se situe dans la limite même, il devient un espace qui peut être habité. Il a aussi vocation à définir les lieux qu’il sépare et lie tout à la fois. Pierre Von Meiss évoque justement le paradoxe que l’on trouve dans la fonction de seuil : il doit amener en même temps «séparation et liaison», «interruption et continuité». Une porte, exemple par 2 - Jean-Paul BRISSON, «POMERIUM», Encyclopædia Universalis en ligne. 3 - Pierre VON MEISS, De la forme au lieu + de la tectonique, 2012, p. 215.

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[2] Dans la porte du Kolumba Museum de Zumthor : saisir la limite, vivre l’épaisseur.

[3] Dogville, de Lars Von Trier : un monde sans seuils, où la limite n’est qu’une ligne dessinée au sol.

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[4] Porte d’une maison à Mogadishu, en Somalie, 1872.

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excellence, contrôle le passage en séparant vivement deux lieux comme en permettant une ouverture, une liaison au travers du mur ; et c’est particulièrement à cause de cette relation complexe que le seuil peut devenir lieu. Ainsi, le seuil devient une zone, un espace : ce n’est pas une ligne abstraite. La limite, elle n’est lisible que par la présence d’un seuil. Le seuil parle de transition entre deux espaces. Passer d’un lieu à un autre ne peut être un acte anodin. Il doit être accompagné, il doit être matérialisé par le franchissement d’un espace qui n’appartient ni au monde extérieur, ni au monde intérieur. Il est le «lieu où le monde se renverse».4 Il n’est ainsi pas étonnant que le passage d’un seuil soit un acte sacralisé, et ce, dans toutes les cultures.

Ritualisation En effet, la porte d’une maison ou le portail marquant l’entrée dans une propriété sont souvent les éléments les plus décorés du chez-soi. De même, dans la symbolique domestique, la porte de la maison prend une grande importance : en créant un passage dans le mur, on autorise ou non aux inconnus de pénétrer chez soi. La porte est ainsi d’une importance capitale étant donné qu’elle contrôle les passages, qu’elle sélectionne les personnes qui sont admises à entrer dans l’espace intime. Les décorations, les couleurs, les tissus, les plantes que l’on pose sur son seuil sont porteurs de la marque de l’appropriation et du contrôle que l’on exerce sur son seuil. Si le franchissement du seuil s’accompagne d’un ensemble de rites et de protections divines, c’est parce qu’il ne suffit pas de passer le seuil physique que constitue la porte : il 4 - Pierre BOURDIEU, Esquisse d’une théorie de la pratique, Droz, Paris, 1970, cité par Pierre Von Meiss dans De la forme au lieu. 5 - Jean-Paul Flamand, L’abécédaire de la Maison, 2004, p. 244. 21


faut «d’abord avoir été admis à le faire».5 Pierre Von Meiss énumère trois rôles que doivent jouer les seuils : un rôle «utilitaire» (permettre le passage dans un mur, laisser passer l’air et la lumière pour une fenêtre...), un rôle «protecteur» (matérialisation de la limite entre soi et les autres, la filtration en quelque sorte), et un rôle «d’accueil», sémantique. Ce dernier justifie ce phénomène de ritualisation ainsi que toute la symbolique associée à ce lieu à la transition entre deux mondes. Il dépend de beaucoup de facteurs selon les cultures, notamment des conventions sociales : on ne passera pas les mêmes étapes pour entrer dans une maison japonaise ou dans une maison française par exemple.

Quant à la frontière... Distinguer la frontière de la limite devient compliqué quand la première définition que l’on nous propose est «limite qui, naturellement, détermine l’étendue d’un territoire ou qui, par convention, sépare deux États».6 Si l’on se contente de cette définition, cela revient à dire qu’une frontière est une limite comme les autres, à l’exception qu’elle sépare deux États et qu’elle prend donc une dimension politique. Il faut pourtant prendre en considération qu’une frontière n’est jamais une ligne abstraite. Il n’existe pas de ligne dessinée sur le sol qui nous indique cette limite politique - ou alors dans certains cas, lorsque l’on a édifié un mur pour empêcher tout passage, toute migration entre deux États. La particularité de la frontière, par rapport à n’importe quelle autre limite, est qu’elle constitue en fait une zone où tout se mélange. Langues, cultures, typologies architecturales... La frontière est une zone de transition où tout se trouble, où l’on

6 - Centre National de Ressources Textuelles et Lexicales.

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[5] Wang Zhai, Chine.

[6] Tarim, YĂŠmen du Sud.

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[7] La matérialisation d’une ligne abstraite : frontière entre Agua Prieta, Mexique, et Douglas, Arizona en 2008.

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n’est finalement ni dans un pays ni dans l’autre : la frontière serait une sorte de seuil continu, un seuil étendu sur tout le contour d’un pays. Franchir une frontière revient donc à franchir un seuil : cela se fait en vivant une transition, en voyant le paysage changer avant de passer la ligne fictive de séparation, en entrant dans le pays voisin bien avant de s’y trouver physiquement.

[8] Pièce de monnaie romaine représentant Janus, 225-217 av. JC. Musée du Capitole, Rome.

Le sens du passage Étrangement, quand nous pensons au franchissement d’un seuil, nous nous figurons l’entrée d’une maison, et très rarement la sortie. La frontière déroge à cette règle, puisque passer d’un pays à un autre signifie bien qu’il n’y a pas de sens dans le passage. D’ailleurs, Janus, le dieu des portes, est représenté avec deux têtes ; il est autant le dieu des commencements que celui des fins. Bien que la limite ne comporte pas de sens de lecture, et qu’une porte fonctionne dans les deux sens, la fonction de contrôle et de protection associée à une porte justifie cette place que prend l’entrée dans notre imaginaire. L’importance qu’on lui accorde s’explique lorsque l’on considère la porte comme l’entrée dans le lieu de l’intimité, dans le chez-soi. On érige sa maison au rang de lieu d’exception, coupé du reste du monde ; on lui offre une place particulière. 25


B - La limite entre soi et le monde

L’entrée de la maison a donc une place de grande importance dans notre imaginaire et dans notre rapport au monde. La valeur qu’on lui accorde est liée à un principe psychologique ancré en nous. Gaston Bachelard, dans La poétique de l’espace évoque une «dialectique du dehors et du dedans»7 : nous serions conditionnés psychologiquement à avoir cette vision (évidente dès l’enfance, Bachelard parle de «netteté tranchante») entre le dedans fermé, le «chez-soi», et le dehors, aux limites non connues. Le seuil est donc une limite nécessaire parce qu’elle existe en nous, qu’elle gère notre capacité à comprendre comment le monde est fait. Cette dialectique est fondamentale, d’où l’importance et la nécessité du seuil et de sa matérialisation. C’est sans doute en cela que le seuil a une dimension universelle : matérialiser d’une manière ou d’une autre une limite entre soi et les autres n’est pas un acte uniquement marqué par des conventions sociales et culturelles. Cela tient d’un besoin presque physique pour se définir soi, pour prouver son existence dans le monde. Il nous est donc impossible de nous passer de la matérialisation de ce qui nous sépare des autres. Dans certains cas, le corps peut devenir la seule frontière avec les autres. Dans Journal d’un SDF, Marc Augé raconte comment les sans-abris ressentent le besoin de poser leurs chaussures à l’entrée du carton qu’ils utilisent pour dormir. Ce signe d’appropriation devient un ultime marqueur du chez-soi : même dans les situations de dénuement total - et peut-être même plus encore dans ces situations-là - marquer le seuil qui nous sépare du monde est un acte absolument nécessaire. 7 - Gaston BACHELARD, La poétique de l’espace, 1957, p.191.

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La prise en considération de ce besoin presque primaire est visible dans les projets et les écrits d’architectes comme Herman Hertzberger. Dans Leçons d’architecture, il insiste sur l’importance du dessin des seuils dans la conception architecturale. Pour les logements comme pour les écoles, la qualité d’un seuil est intimement liée à la qualité des relations sociales qui peuvent s’y créer. Protéger de la pluie, inviter à s’assoir pour discuter, contrôler les interactions avec les passants, poser des plantes... Le seuil doit présenter les fonctions spatiales pour devenir un lieu habité. Pour évoquer la double appartenance du seuil aux domaines publics et privés, Hertzberger emploie cette image : «L’enfant assis sur le seuil de sa maison est suffisamment loin de sa mère pour se sentir indépendant, pour éprouver l’excitation et l’aventure du grand inconnu. Mais en même temps, sur cette marche qui fait aussi bien partie de la rue que de la maison, il se sent en sécurité, il sait que sa mère est à proximité. L’enfant se sent à la fois chez lui et dans le monde extérieur.»8 Cet exemple traduit bien l’idée explorée plus haut : l’expérience du seuil est fondatrice dans la compréhension de notre rapport au monde et dans la définition du chez-soi. C’est donc aussi par rapport à lui que se décide notre manière d’habiter. 8 - Herman HERTZBERGER, Leçons d’architecture, 2010, p. 45.

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C - Questionnement artistique

Les relations entre ce que l’on nomme frontière, ce que l’on nomme limite et ce que l’on nomme seuil se retrouvent aussi dans le domaine de l’art ; certaines oeuvres nous donnent des repères qui rendent explicites ces notions, justement parce qu’elles en font leur sujet principal. Les oeuvres de Richard Long sont peut-être plus un travail sur l’interrogation que sur la définition de la limite : en traçant des lignes dans les territoires qu’il visite au cours de ses marches, l’artiste nous parle de l’idée d’une frontière, d’une ligne tout à fait abstraite, imaginaire, qui par son geste, devient réelle, matérielle, marquée. Que ce soit en marchant, en inscrivant son passage dans la terre ou en déplaçant quelques éléments (des cailloux, des pierres, des bouts de bois...), les vibrations ainsi apparues dans le paysage nous montrent que la limite ne tient finalement qu’à peu de choses, qu’elle n’est due qu’à une mise en tension fragile entre des éléments semblables. Dans son oeuvre Midday Muezzin Line, Richard Long questionne la frontière dans un sens qui [10] Richard LONG, Midday Muezin Line, Égypte, 2006.

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tient presque de l’éphémère : on ne parle plus d’une confrontation nette et franche entre deux mondes, mais d’un changement de forme qui demeure pourtant très mystérieusement défini. La frontière nous parle de la perméabilité d’une limite. Ce serait un peu comme une ligne qui se dissout d’un côté comme de l’autre, qui ne serait plus une ligne mais une zone au sein de laquelle deux lieux se mélangent. Nous avons parlé de la frontière entre deux pays, dont la limite nettement tracée n’est qu’une vision de l’esprit : elle est plus un lieu où les langues, les cultures, les formes architecturales se mélangent, qu’une ligne fixée. Là encore, le travail de Richard Long renvoie à cette idée de la frontière, qui est le contraire d’une ligne abstraite inscrite dans le paysage. Parler de la limite, ce peut être aussi parler de l’absence de limite. Dans les installations de James Turrell, le sujet n’est plus rien sauf l’espace et la lumière. Une surface que l’on voyait plane devient une pièce, on ne comprend pas d’où vient la lumière, les dimensions ne sont plus mesurables, les ombres ont disparu... James Turrell questionne nos capacités à percevoir et à comprendre l’espace dès lors que nous n’avons plus la lumière pour nous guider : nous sommes déstabilisés par l’absence des repères et limites qui construisent nos objets et nos espaces. Le caractère évident de ces frontières nécessaires pour comprendre les trois dimensions dans lesquelles nous évoluons est complètement aboli dans des installations comme Wide Out, où l’artiste nous fait vivre l’expérience de notre propre perception. Si l’on rattache cette expérience à notre monde réel, nous comprenons que l’espace n’est compréhensible que grâce à la présence de ces frontières, de ces distinctions entre les objets par leurs ombres, par leur matière, par l’existence d’un horizon... La musique peut aussi nous parler de seuil : il est en effet envisageable de considérer le silence comme un espace, comme un blanc entre deux états, comme une transition qui révèle la musique. La manière avec laquelle le compositeur John Cage représente sur ses partitions le silence se rapproche tout à fait de 30


[11] James TURRELL, Wide Out, 1998.

[12] John CAGE, partition de 4’33“ (In Proportional Notation), 1952/1953.

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la manière de représenter un bâtiment sur des plans d’architecture : il y a en effet une correspondance entre la durée du silence et la place que prend le dessin du silence sur la page dans la notation inventée par John Cage. On peut ainsi lire ce seuil entre les notes, cette zone de blanc n’est plus, comme sur les partitions traditionnelles, limitée à un symbole qui change selon la durée de silence. La mesure du temps devient de l’espace, le silence prend de la place sur les pages, et il en résulte des pages inscrites de silence. Au point même que le silence puisse constituer le seul élément d’une oeuvre, dans la fameuse pièce 4’33’’. Comme le silence en musique, le seuil aurait la prétention d’être incontournable à la compréhension de l’espace et de l’architecture. Un blanc, en somme, une pause, une mise à zéro.

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II - Le seuil : lieu habité ? Considérons donc maintenant le seuil comme un espace à part entière. Il n’occupe pourtant pas la même place dans le logement et son imaginaire que les autres pièces domestiques. Il s’agit alors de définir les qualités qui en font un espace aussi particulier. A - Espace a-fonctionnel, espace inutile Une des premières raisons pour lesquelles on ne peut «classer» cet espace au même rang que les autres, c’est que le seuil ne sert théoriquement à rien d’autre qu’au passage, à l’entrée ou à la sortie de la maison. Contrairement à la cuisine ou à la chambre, le seuil n’est pas destiné à être habité. Comme nous l’avons dit plus haut, le seuil serait ce blanc nécessaire à la compréhension de l’espace. Libre de toute fonction, il laisse en suspens la question de l’usage que l’on peut en faire ; il est neutre, il est le moment de «rien» entre deux lieux, il est une respiration. Dans Espèces d’espaces, Georges Perec évoque un «espace inutile». Il se questionne sur l’existence d’une pièce qui ne servirait volontairement à rien. «Un espace sans fonction. Non pas «sans fonction précise», mais précisément sans fonction ; non pas pluri-fonctionnel (cela tout le monde sait le faire), mais a-fonctionnel. Ça n’aurait évidemment pas été un espace uniquement destiné à «libérer» 35


les autres (...) mais un espace, je le répète, qui n’aurait servi à rien.»9 Certes, le seuil n’est pas absolument a-fonctionnel si l’on considère qu’il a pour fonction de permettre le passage ; en revanche il est a-fonctionnel dans le sens où il n’attend aucun usage. Non pas qu’il n’en permette pas, puisqu’un usage est toujours susceptible de s’installer dans cet espace de transition. C’est justement l’absence de fonction qui permet à n’importe quelle fonction de s’approprier le seuil. En ne servant à rien, le seuil détient cette qualité de blanc, d’espace inutile. Il nous est toujours possible de ne rien installer dans un sas d’entrée, et de simplement considérer cet espace comme neutre, comme le lieu de la remise à zéro avant de pénétrer à l’intérieur. Considérer qu’il existe un endroit chez soi où il ne se passe volontairement rien a quelque chose de très satisfaisant. On en revient encore au vide nécessaire pour définir les choses : le seuil ne libère pas les autres pièces, comme l’explique Perec, puisqu’il est indépendant, libre. S’il évite le débordement, c’est parce qu’il est la zone de silence de la maison. Il est cette remise à zéro indispensable pour saisir la limite entre chez nous et le dehors. C’est parce qu’il est inutile qu’il permet la définition de la limite et la compréhension de l’espace. Le seuil n’est pour autant pas forcément un espace défini en lui-même par des limites figées. Les habitants d’une même maison n’attribueront pas les mêmes limites à cet espace, car le seuil est finalement très personnel. En plus de n’attendre aucune fonction, le seuil n’attend aucune forme, aucune limite. Personnel et malléable, il occupe ainsi bien une place à part dans notre hiérarchie des pièces domestiques : ses limites physiques n’ont aucune influence sur ses limites imaginaires. 9 - Georges PEREC, Espèces d’espaces, 1974.

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B - Hétérotopie ?

L’inutile appelle forcément les divagations de l’imagination. Comme nous venons de le voir, le seuil n’est pas un espace comme les autres ; il est ainsi porteur d’images et de représentations différentes pour chacun d’entre nous. Michel Foucault, dans une conférence donnée à la radio en 1966 évoquait des «utopies localisées», des «contre-espaces», différents de tous les autres, qui possèderaient leur fonctionnement propre et qui seraient, en quelque sorte, coupés du reste du monde. «Or, parmi tous ces lieux qui se distinguent les uns des autres, il y en a qui sont absolument différents : des lieux qui s’opposent à tous les autres, qui sont destinés en quelque sorte à les effacer, à les neutraliser ou à les purifier.»10 10 - Michel FOUCAULT, Les Hétérotopies, 1966.

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Maisons closes, prisons, clubs de vacances, jardins... Ces lieux sont les endroits où se développent notre imaginaire. Le seuil pourrait ainsi être défini comme une hétérotopie : n’ayant pas le même statut que les autres pièces de la maison, il peut revendiquer ce titre de «contre-espace». Le seuil sort même parfois du cadre défini du chez-soi : il empiète sur l’espace de la rue, il n’appartient finalement ni au dedans ni au dehors. Il est ainsi résolument «autre». Le nom d’utopie localisée convient tout aussi bien pour caractériser le seuil. Le simple fait d’être la transition magique entre un lieu et un autre évoque déjà un ailleurs. Foucault parle de la capacité à permettre le rêve et l’évasion que détiennent pour les enfants les jardins, les greniers, le «grand lit des parents»... Le seuil répond à toutes les conditions pour devenir ce lieu porteur de rêves ; et c’est aussi en cela qu’il a la capacité d’être habité, d’être un véritable lieu à part entière. Foucault amène avec le principe d’hétérotopie l’idée de lieux utopiques donc, mais associée à des moments uchroniques, des «non-temps» en quelque sorte. La temporalité est une chose qui est fondamentalement associée au franchissement du seuil. En plus d’être un lieu en dehors des autres et qui aurait la capacité de nous faire aller ailleurs, le seuil est un lieu hors du temps. Lorsque l’on passe le seuil, on change de monde, on est tout à fait ailleurs à la fois dans le temps et dans l’espace le moment de ce franchissement. L’importance symbolique que l’on accorde au seuil se retrouve aussi dans ce principe d’hétérotopie ; entrer dans une hétérotopie est déjà un acte accompagné de rites, d’une véritable cérémonie. Lorsque l’hétérotopie en question est le lieu du passage, de la transition, il paraît évident que la ritualisation qui en accompagne l’entrée soit d’autant plus importante et développée. Ainsi le seuil exerce une influence considérable non seulement sur notre imaginaire mais aussi sur la symbolique qu’on lui associe. Mais que serait une maison, sans ces lieux d’évasions, 38


sans cette remise à zéro aussi importante pour se sentir chez soi que pour marquer ce passage dans un autre monde, une dimension intime ? C’est justement là que la qualité du seuil en tant qu’espace entre en résonance avec ses qualités sociales, architecturales, paysagères qui définissent notre manière d’habiter et notre rapport au monde.

C - Habiter le seuil : du lieu au non-lieu

Installer une chaise devant sa porte est une façon d’occuper la zone d’entre-deux ; on se trouve à cheval entre deux mondes. Habiter le seuil signifie, au-delà du simple fait de l’aménager et de l’occuper, protéger son chez-soi et interagir avec le monde. Le seuil est le lieu où se tissent les liens sociaux. C’est là aussi que l’on filtre les visiteurs, qu’on laisse entrer ou non les autres dans son intérieur.

[14] Jacques TATI, Mon oncle, 1958.

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Herman Hertzberger défend l’idée que le seuil est un espace qui doit être travaillé avec beaucoup d’attention. Pour lui, «concrétiser le seuil comme un espace de transition signifie avant tout créer un cadre où accueillir et prendre congé des visiteurs, le seuil représentant dès lors la traduction architecturale de l’hospitalité. En outre, le seuil est, en tant qu’aménagement construit, aussi important pour les contacts sociaux que des murs épais le sont pour l’intimité.»11 Les systèmes de portes coupées qu’il propose à De Drie Hoven, un foyer pour personnes âgées à 11 - Herman HERTZBERGER, Leçons d’architecture, 2010, p. 50.

[15] Herman HERTZBERGER, De Drie Hoven, 1964-1974.

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Amsterdam, permet un véritable contrôle des interactions avec l’extérieur, de manière à permettre ou non un contact avec les passants. Une porte à la fois ouverte et fermée, un banc accolé à la porte, un auvent pour protéger de la pluie sont quelques éléments simples qui jouent pourtant énormément sur la qualité d’un seuil et sur son potentiel d’appropriation. De même, dans ses projets d’immeubles de logements comme dans ses projets d’écoles, Hertzberger accorde toujours une importance considérable à ces espaces de transition. Les cages d’escaliers se doivent selon lui d’être grandes et lumineuses, les entrées des écoles doivent être les lieux de la rencontre, de l’attente, des réunions... L’architecture possède ce devoir et ce pouvoir de décider de la qualité d’un lieu, et cela commence par le seuil. Ce n’est pas parce que cet espace peut être assimilé à un blanc qu’il ne peut revendiquer le droit d’être un lieu, un espace habité. Se trouvant à l’endroit de la transition, le seuil doit présenter les conditions nécessaires à la bonne entente et à la bonne communication entre deux mondes. Valérie Lebois, sociologue, évoque dans sa thèse Enjeux des espaces intermédiaires les différentes formes que prennent les relations sociales dans les cours et les halls de logements collectifs. En particulier dans le cadre de la ville dense, les espaces intermédiaires sont vus comme des «respirations». Ce qu’il faut voir, c’est qu’aujourd’hui les bailleurs veulent à tout prix éviter de créer des recoins inquiétants, délaissés qui pourraient amener des conflits. Ce qui fait peur, c’est l’indétermination, le caractère «flottant» de ces espaces communs ; cela renvoie à ce que nous avons plus haut, et à l’aspect a-fonctionnel du seuil. Le seuil ne détient ni limite fixe, ni fonction fixe : les usages qui s’y développent ne sont ainsi pas pleinement contrôlables. Pourtant, dans son étude sur des cours d’immeubles de logements à Paris, Valérie Lebois montre l’intérêt que portent les habitants à la présence de ces espaces intermédiaires. Pouvoir croiser ses voisins ou laisser ses enfants jouer sans inquiétude sont des quali41


tés nécessaires qui participent à un «savoir-vivre ensemble». La question de la gestion de ces espaces sans définition précise est bien souvent ce qui effraie les maîtres d’ouvrage ; il arrive parfois que les cours et jardins soient rendus inaccessibles après la livraison, que des systèmes de sécurité soient installés après coup. Dans ce cas, lorsque les lieux sont laissés à l’abandon, dans leur aspect sinistre, et ne remplissent plus leur fonction de «support de rencontres», ces espaces deviennent des non-lieux. Au sens où l’entend Marc Augé, la notion de non-lieu correspond tout à fait à ces espaces soit délaissés parce que non plastiquement travaillés (cages d’escaliers lugubres, halls minuscules...) soit parce que leur appropriation a été interdite par crainte de voir «trainer» des groupes ou des clochards... Sont ainsi créés des no man’s lands, comme l’explique Pierre Von Meiss. Passer sans autre transition que l’ascenseur du garage souterrain à la porte de son appartement entraîne une perte de repères et «un abandon du sens des responsabilités pour ce qui se passe devant sa propre porte.»12 Pour Valérie Lebois, ne serait-ce qu’une attention apportée sur la luminosité des espaces de transition, pour éviter la lumière artificielle, change complètement la manière avec laquelle on se sent chez soi, et avec laquelle on vit le voisinage. Les seuils sont ainsi porteurs de sociabilité, et la négligence de leur place dans les éléments de programme des projets peuvent avoir de graves conséquences sur la manière dont on vit son logement. Revendiquer le droit à des seuils de qualité dans les logements aujourd’hui semble malheureusement être de l’ordre du combat. Il s’agit de chercher de nouvelles façons de retrouver des espaces intermédiaires dignes de ce nom, qui permettent d’entretenir cette relation si importante entre le chez-soi et le reste du monde. 12 - Pierre VON MEISS, De la forme au lieu + de la tectonique, 2012, p. 218-219.

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[16] Une manière de valoriser les espaces intermédiaires . Alison et Peter SMITHSON, Golden Lane, 1953 : des espaces communs lumineux et vivants, véritables rues habitées.

Si par le passé les vestibules étaient très travaillés, les halls d’entrée étaient majestueux, il semblerait aujourd’hui que l’on veuille dans les logements collectifs tout privatiser, clore, sécuriser. Les seuils seraient ainsi en proie à un processus de disparition ; cela semble paradoxal, puisque architectes et sociologues revendiquent le besoin d’y accorder de l’intérêt. Ne s’agirait-il plutôt pas d’un changement de forme, d’une métamorphose plus que d’une disparition ?

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III - La disparition ? Les seuils seraient donc des lieux blancs, possiblement habitables, mais en tout cas nécessaires pour marquer nos limites. Pourtant, lorsque l’on regarde l’architecture produite ces dernières décennies, on a tendance à dire que les seuils disparaissent ; ou du moins que l’attention qu’on leur porte devient de moins en moins importante. Ce que nous essaierons de montrer, c’est qu’il existe certes une disparition, mais qu’elle ne nie en aucun cas l’existence d’un seuil. Il n’est peut-être pas question de disparition, mais de transformation. Les seuils proposés par l’architecture contemporaine offriraient simplement une nouvelle manière de vivre la limite entre le monde, et un lieu coupé du monde.

A - Relations entre intérieur et extérieur

La confusion vient sans doute encore de la différence entre seuil et limite. La volonté qu’ont eu les Modernes d’abolir toute distinction entre nature et maison, entre intérieur et extérieur, ne se traduit pas par une disparition du travail du seuil, mais par une dématérialisation de la limite qui les sépare. Nous avons choisi d’évoquer en premier lieu Mies van der Rohe, parce qu’il a envisagé plusieurs façons de jouer avec les seuils dans le thème de la prolongation entre intérieur et extérieur. On peut en effet au moins citer dans son travail deux 45


manières très différentes d’abolir les limites : dans la Maison de campagne en briques par exemple, c’est grâce à la manière de positionner les murs, de les articuler comme une véritable composition picturale qu’une continuité visuelle entre intérieur et extérieur est possible. Il y a une disparition des seuils jusque dans leur dessin, puisqu’aucune porte n’est représentée sur les plans, les poussant encore un peu plus dans l’abstraction. «[...] j’ai abandonné le principe habituel des volumes clos, à une série de pièces distinctes j’ai substitué une suite d’espaces ouverts. La paroi perd ici son caractère de clôture et ne sert plus qu’à l’articulation organique de la maison.»13 Dans la Maison Farnsworth, il se passe quelque chose de tout à fait différent. Ici, il n’est plus question de continuité visuelle mais d’appartenance de la maison tout entière au paysage. Les limites qui sont abolies sont celles que l’on trouve entre le chez soi et la nature, et le passage des saisons... Ce qu’il faut voir c’est que si les limites visuelles sont, dans ces deux exemples, abolies, les seuils eux, sont toujours présents. Dans la Maison Farsnworth, le seuil existe par le soulèvement de la maison 1,20 mètre au dessus du sol naturel. Les escaliers et la succession de terrasses qui forment de manière très aérienne l’entrée de la maison appartiennent autant à la nature qu’à la maison, et sont cet entre-deux où intérieur et extérieur se mêlent. Si la terrasse détient la fonction de seuil, elle participe aussi à la prolongation visuelle de l’intérieur dans la nature ; elle remplit ce rôle paradoxal que décrit Pierre Von Meiss, ce besoin double de séparer et de lier, d’interrompre et de continuer.14 Dans la Maison de briques, longer le mur avant d’entrer - ou dirons-nous plutôt, de glisser - dans la maison constitue une 13 - « A propos de la Maison de campagne en briques », manuscrit de conférence, 1924 14 - Pierre VON MEISS, De la forme au lieu + de la tectonique, 2012, p. 215. 46


[17] Plan de la Maison de campagne en briques, 1924.

[18] Maison Farnsworth, 1951.

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[19] Une jeune femme assise sur l’engawa d’une maison, 1765, période d’Edo.

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étape de transition qui marque un seuil. Cet espace n’est peutêtre pas physiquement délimité, mais il existe par la présence d’un mur puis d’un toit, par ce glissement permis par l’articulation des murs. On retrouve le même genre de travail du seuil chez Frank Lloyd Wright. La description d’une de ses maison, réalisée par Georges Perec dans Espèces d’espaces, souligne bien la différence qu’il convient d’établir entre seuil et limite : «Il est évidemment difficile d’imaginer une maison qui n’aurait pas de porte. J’en ai vu une un jour, il y a plusieurs années, à Lansing, Michigan, U.S.A. Elle avait été construite par Frank Lloyd Wright. [...] Mais, en fait, il était déjà trop tard pour savoir si l’on était dehors ou dedans : au bout du sentier, les dalles étaient jointives et l’on se trouvait dans ce que l’on nomme habituellement une entrée qui ouvrait directement sur une assez gigantesque pièce.» 15 Dans ce cas, le seuil ne disparait pas. C’est la manière avec laquelle il est travaillé qui permet une transition lisse et continue entre intérieur et extérieur, et qui donne ainsi une impression d’absence de limite entre la nature et la maison. Ce n’est donc pas une négation du seuil, mais un travail pour amener à sa dématérialisation, voire à sa prolongation. Ainsi, comme le souligne Perec, une porte peut disparaître. Sur ce point, il semble important de noter que la spatialité japonaise traditionnelle offre des relations très fluides entre intérieur et extérieur. Il n’est de fait pas étonnant que les Modernes aient été grandement inspirés par les maisons japonaises et leur travail de l’espace. Dans ces maisons le seuil est déjà un élément fondateur puisqu’il est constitué d’une succession de cinq étapes 15 - Georges PEREC, Espèces d’espaces, 1974, p.52-53. 49


à franchir, ce qui contrôle le degré d’intimité entre le visiteur et l’habitant.16 Une autre matérialisation d’un entre-deux qui parle plus directement du rapport entre intérieur et extérieur est l’engawa. C’est une bande de sol qui continue le plancher au-delà des ouvertures. Il est l’exemple par excellence de cet espace intermédiaire, puisque l’on y est à la fois soulevé du sol, déjà dans la maison, protégé de la pluie, et en lien physique avec l’extérieur, le jardin ou la cour. La question de la prolongation inclut la nécessité de pouvoir se situer dans un entre-deux absolu, où l’on n’est ni exactement à l’intérieur, ni à l’extérieur. Permettre plus de continuité et finalement moins de séparation comme c’est le cas dans les exemples précédents, produit des lieux non définis par des limites figées, mais habitables ; ils sont des extensions du chez-soi dans le monde. Ainsi, l’abolition des limites visuelles ne rimerait pas avec perte de qualité dans les seuils, mais au contraire avec la possibilité d’habiter encore plus ce lieu si particulier qui se situe à cheval entre deux univers. Notons que la distinction entre le seuil comme séquence d’accès à la maison et le seuil comme lieu se trouvant à la frontière entre l’intérieur et l’extérieur (et donc plus à l’entrée de la maison proprement dite) est susceptible de se troubler : à partir du moment où l’on parle de limite visuelle, il convient de considérer tous les seuils de la maison, et non plus seulement celui que constitue l’entrée. 16 - Philippe BONNIN, Dispositifs et rituels du seuil, 2000.

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[20] Wise House, San Pedro, 1957, Richard NEUTRA.

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B - Nouvelles formes du seuil

La question aujourd’hui porte sur la densité. Les exemples vus précédemment se rapportaient à des villas, à des maisons isolées. Il s’agit maintenant de penser au logement dans la ville, et par conséquent au logement collectif. Aujourd’hui, la ville impose de trouver de nouvelles manières de faire des seuils. En effet, les seuils sont bien souvent le problème de la ville. Comme nous l’avons vu plus haut, les principales difficultés viennent du fait que l’on doit rentabiliser, que l’on doit faire plus de logements avec moins de surface, que l’on doit chasser les recoins vides et «inutiles». Comment peut-on aujourd’hui recréer des seuils dans des villes où la place manque ? La qualité de l’habitat est liée, nous l’avons vu, à la conscience que l’on a d’être chez soi et d’être dans le monde. Il apparaît donc impossible de sacrifier ces lieux nécessaires au marquage de nos limites, à moins de produire des non-lieux juxtaposés à des logements monotones. Shigeru Ban : la maison-seuil Nous choisissons de commencer avec une maison dans la ville dense. Le projet de la Curtain Wall House (Maison MurRideau) que Shigeru Ban a réalisé en 1995 à Tokyo est une proposition surprenante dans son rapport avec l’extérieur. La maison se veut être une ré-interprétation des maisons traditionnelles. Si l’entrée dans la maison est cachée de la rue, l’espace de vie peut quant à lui être totalement ouvert à la vue et à l’air de l’extérieur. La limite peut être tout à fait abolie comme franchement marquée grâce de grands rideaux hauts de deux étages, qui viennent refermer le chez-soi comme dans un «cocon». Cela ré-interroge le rôle protecteur du seuil : à partir de quand sommes-nous chez nous ? Comment contrôlons-nous les rapports que notre intimité entretient avec la rue ? Le seuil est ici étendu à la maison tout entière : elle 52


[21] Curtain Wall House, Tokyo, 1995, Shigeru BAN.

constitue en elle-même un entre-deux habité. Les rideaux sont une maigre limite qui viennent pourtant séparer facilement, lorsqu’on en ressent le besoin, deux mondes différents : celui de l’intimité, et celui de la rue. Le problème de la densité ne se pose même plus : la relation que l’espace domestique entretient avec la ville n’est plus détachée, elle est fusionnelle. D’autres projets réalisés par Shigeru Ban font appel à ce thème de la maison-seuil : on retrouve le même type de dispositif avec la Glass Shutter House (Tokyo, Japon, 2003). Cette maison 53


[22] Glass Shutter House, Tokyo, 2003, Shigeru BAN.

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va peut-être même plus loin que la première, car sa séquence d’entrée est mise en scène, et non plus cachée. L’escalier part directement de la rue pour s’enfoncer dans les différentes strates qui composent l’espace intime. Et quand ce n’est pas dans la ville, la Picture Window House (Shizoka, Japon, 2002) s’empare du paysage en entier. Ces maisons sont des expériences peut-être un peu particulières, mais elles constituent néanmoins de véritables démonstrations de comment habiter le seuil et habiter la ville. Elles interrogent aussi avec poésie la place du seuil dans le logement, puisqu’elles le prennent comme un dispositif solide pour déployer des lieux de vie. OMA - Rem Koolhaas : les logements à patio Processus tout à fait inverse à l’ouverture que proposait Shigeru Ban, l’agence OMA prône, dans la ville dense japonaise, l’intériorité. De plus, il est parfois envisageable de préférer à la présence d’un hall et de circulations partagées des logements refermés sur eux-mêmes, et complètement autonomes. C’est une manière de proposer plus de logements (de maisons dirons-nous même) dans moins d’espace, et c’est ainsi une réponse à la densité. Le projet Nexus World Housing, à Fukuoka au Japon en 1991, est constitué de deux blocs comportants vingt-quatre maisons individuelles. OMA propose ici une séquence d’entrée séparée pour chaque logement, qui dispose de son escalier personnel depuis le parking. Il n’y a donc pas de couloir à emprunter, tout est séparé, tout est autonome et individuel. Les maisons s’organisent sur trois étages, autour de patios : il n’est plus question de relation visuelle avec l’extérieur mais d’individualité et d’intériorité. Le lieu d’habitation est agréable parce que refermé sur lui-même, parce qu’il est justement coupé du monde. La séquence d’entrée est fondatrice dans ce processus d’intériorisation puisque l’on 55


peut monter du rez-de-chaussée jusqu’au patio au troisième étage pour entrer chez-soi : le fait que chaque escalier soit privatif participe pleinement à la conscience que l’on a de son seuil, ainsi qu’au contrôle qu’on y exerce. Cela permet aussi de décomposer les étapes d’accès au logement, et de créer ainsi un regain d’intérêt pour le fait physique d’entrer chez-soi. Au-delà même de la séquence d’entrée, le patio constitue aussi un espace intermédiaire, une autre forme de seuil. Il prend place dans les différents étages de la maison, instaurant une relation entre intérieur et extérieur particulière. Il amène le ciel et la ville au coeur de l’espace domestique, et, étant habitable, il interroge lui aussi la façon d’habiter le monde, et d’habiter le seuil. West 8 : Le droit à la porte sur rue Véritable tradition dans le Nord de l’Europe, et notamment aux Pays-Bas, la porte du logement ouvrant directement sur la rue est encore une autre façon de vivre le seuil. L’agence d’urbanisme hollandaise West 8 a développé un projet d’aménagement de quartier à Amsterdam, de 1993 à 1996, où toutes les habitations ont un accès direct depuis la rue. Le quartier, Borneo-Sporenburg, est pourtant très dense : chaque logement est réparti sur trois étages. Si le principe appliqué est le même pour les 2500 logements (chacun dispose d’un patio, d’un toit accessible et d’une entrée sur la rue), on observe néanmoins une diversité architecturale due au fait que différents architectes ont travaillé à la conception des logements. Avoir une porte qui donne directement sur la rue constitue aujourd’hui une sorte de luxe. C’est pourtant la première image que l’on a lorsque l’on pense à l’entrée d’une maison. Selon West 8, cela permet un esprit d’individualité qui est d’une grande valeur lorsque l’on veut s’approprier son «chez-soi». Avoir un accès direct sur la rue signifie aussi contrô56


[23] Plan du troisième niveau, Nexus World Housing, Tokyo, 1991, OMA.

[24] Nexus World Housing, Tokyo, 1991, OMA.

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[25] Borneo-Sporenburg, Amsterdam, 1993-1996, West 8.

[26]

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ler soi-même son seuil : ce qu’il se passe devant la porte devient important, ce n’est plus un couloir sombre ou une coursive partagée, c’est le début ou la fin de son logement. Cela permet en quelque sorte de retrouver une ritualisation du seuil, cela lui redonne son importance symbolique. Dans ce même projet sont proposés des garages dans les habitations, qui participent pleinement à la séquence d’entrée. Il s’agissait en effet de prendre en compte la place des voitures dans un quartier accueillant autant d’habitants ; mais l’agence a remarqué que ces garages n’étaient pas seulement utilisés pour entreposer les voitures et que bien souvent ils devenaient une prolongation du logement, ils devenaient «l’espace en plus». Faire du bricolage, du sport, de la peinture... On retrouve ce lieu a-fonctionnel, ce blanc appropriable qui enchante le fait d’habiter. C’est aussi intéressant dans le sens où le seuil peut s’étendre à sa guise dans la rue : une telle typologie permet d’élever la rue au rang de prolongation du logement. Ce n’est plus une succession de grandes portes donnant sur plusieurs logements, mais un lieu partagé qui devient vivant. «[...]bring the extramural life of home»17, suggéraient Alison et Peter Smithson... 17 - Alison & Peter SMITHSON, The Charged Void : Architecture, 2005, p.86.

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Conclusion Peut-être n’est-il pas possible de nier le fait que nous assistons aujourd’hui à une disparition des seuils. Il est évident que les seuils prennent de nouvelles formes, ils évoluent avec les manières d’habiter, avec les envies et les rêves de chacun. Ils suivent des modes : nous voulons toujours plus de transparence, nous voulons des maisons lumineuses, avec un grand paysage à l’état brut, sans rien autour. Nous rêvons d’appartements gigantesques dans des gratte-ciels, avec des vitres donnant sur le vide. Ou, au contraire, il devient possible de passer une nuit dans une capsule minuscule, avec juste assez de place pour s’allonger. Les seuils de la ville sont en mutation eux aussi. Les voitures s’invitent au sein même des maisons, on passe d’une région de la ville à une autre sans s’en rendre compte en empruntant des souterrains, on passe même d’une ville à une autre sans saisir la différence. Le processus de disparition des seuils s’accompagne de la virtualisation du monde. Les notions de temps, de limite, d’épaisseur, ne veulent finalement plus dire grand chose. Nous communiquons tellement vite que nous sommes partout, et donc plus vraiment nulle part. Nous avons de plus en plus de mal à saisir les limites de notre monde, les seuils s’effaçant peu à peu, comme si, de toute façon, nous refusions de les voir. Nous pouvons nous projeter au-delà même de notre planète. Les représentations utopiques des années soixante et soixante-dix ont amplement développé cette image d’un monde sans seuils. Sans transitions ni limites, l’architecture meurt. 61


[27] Supersurface, un monde sans architecture, sans seuils.

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Pour Superstudio, seul reste le réseau qui fait vivre les hommes, répandu dans une Superstructure qui s’étale de manière homogène absolument partout. La seule limite qui subsiste, c’est celle de notre corps, c’est l’enveloppe corporelle qui nous définit par rapport au reste. Sans limites lisibles, sans distinctions entre les espaces, l’architecture n’existe plus. Certes, il n’est pas question d’inciter de nouveau à cloisonner, à «refermer la boîte» ; il n’est pas question non plus d’oublier que la ville se densifie, qu’il faut être plus rentable, plus économe, moins mangeur d’espace. Il s’agit plutôt de se rappeler que les seuils sont des lieux malléables de notre imagination, et qu’ils peuvent prendre des formes diverses. Le champ d’exploration est large, mais les seuils sont une constante universelle. Définissant notre rapport au monde, ils nous sont nécessaires à la fois parce qu’ils construisent nos espaces physiques, et parce qu’ils nourrissent nos imaginaires. Sans seuils, l’architecture ne veut plus rien dire.

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Table des illustrations [1] BEAUFORT Apolline, 2013, Emmarchements de la rue des Petites Maries, Marseille. [2] SCHOEER-HEIERMANN Chris, 2010, In through the out door, Kolumba Museum, Köln (Peter Zumthor). En ligne in <http://www.flickr.com/>, consulté le 21 mai 2014. [3] VON TRIER Lars, 2003, image extraite du film Dogville. [4] Inconnu, 1872, Mogadiscio – Museo della Garesa, carte postale. En ligne in <https://mogadishuimages.wordpress.com/2009/06/>, consulté le 19 mai 2014. [5] LENCLOS Jean-Philippe, 2001, Chine, Province de Han Hui, Wang Zhai. In Portes du Monde, Dominique et Jean-Philippe LENCLOS, 2001, éd. du Moniteur, p.155. [6] LENCLOS Jean-Philippe, 2001, Yémen du Sud, Tarim. In Portes du Monde, Dominique et Jean-Philippe LENCLOS, 2001, éd. du Moniteur, p.136. [7] SARGENT Courtney, 2008, A border wall a few miles from Agua Prieta, Mexico, and Douglas, Ariz.. En ligne in Many illegal immigrants entered on work, student, tourist visas and stayed, <http://cronkitenewsonline.com/2010/09/large-shareof-illegal-immigrants-entered-on-visas-not-across-border/>, consulté le 19 mai 2014. [8] Monnaie (demi statère) de la série “du serment”: tête de Janus bifront et scène de serment, pièce de monnaie, 225-217 av. JC, or, Musée du Capitole, Rome. En ligne in <http://fr.museicapitolini.org/>, consulté le 9 mai 2014.

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[9] HAAS Werner, sans titre. In Leçons d’architecture, Herman Hertzberger, 2010, éd. Infolio (première édition en 1991), p.45. [10] LONG Richard, 2006, Midday Muezin Line, Egypt. In Heaven and earth, Richard Long, 2009, éd. Claire Wallis - Tate Publishing, p.5. [11] TURRELL James, 1998, Wide Out, photographie d’installation. En ligne in <http://jamesturrell.com/>, consulté le 15 avril 2014. [12] CAGE John, 1952/1953, «4’33“ (In Proportional Notation)», encre sur papier, 27.9 x 21.6 cm. The Museum of Modern Art, New York. © 2013 John Cage Trust (all images courtesy MoMA). En ligne in <http://hyperallergic.com/>, consulté le 14 avril 2014. [13] GERONIMI Clyde, JACKSON Wilfred & LUSKE Hamilton, Walt Disney Pictures, 1951, image extraite du film Alice in Wonderland. [14] TATI Jacques, 1958, image extraite du film Mon Oncle. [15] HERTZBERGER Herman, 1964-1974, De Drie Hoven, Foyer pour personnes âgées, Amsterdam. In Leçons d’architecture, Herman Hertzberger, 2010, éd. Infolio (première édition en 1991), p.50. [16] SMITHSON Peter, 1953, Golden Lane, photomontage of street deck with a supposed Marilyn Monroe and Joe DiMaggio in foreground. In The Charged Void : Architecture, Alison and Peter Smithson, 2001, éd. The Monacelli Press. p. 8687. [17] MIES VAN DER ROHE Ludwig, 1924, Projet pour une maison de campagne en briques, plan. En ligne in <http://arpc167.epfl.ch/alice/WP_2012_SP/meystre/ archives/3774>, consulté le 19 avril 2014. [18] BLASER Werner, 1997, photographie de la Farnsworth House (Ludwig Mies van der Rohe, 1951). In Mies van der Rohe, Werner Blaser, 1997, éd. Birkhäuser, p. 50. 66


[19] École de Suzuki Harunobu, A Young Woman Seated upon the Engawa of a House, 1765 (époque d’Edo), impression sur bois, encre et couleur sur papier, 28,6 x 21,3 cm, Metropolitan Museum of Art, New York. En ligne in <http:// www.metmuseum.org/>, consulté le 23 avril 2014. [20] SHULMAN Julius, 1957, Wise House, San Pedro (Richard Neutra). En ligne in <http://culturevisuelle.org>, consulté le 18 octobre 2013. [21] BAN Shigeru, 1995, Curtain Wall House, Tokyo, Japon, photographie de la façade est. In Shigeru Ban, Matilda McQuaid (dir.), 2006, éd. Phaidon, p.193. [22] BAN Shigeru, 2003, Glass Shutter House, Tokyo, Japon, photographie. En ligne in <http://www.shigerubanarchitects.com/>, consulté le 22 mai 2014. [23] KOOHLAAS Rem, MAU Bruce (O.M.A.), 1991, Nexus World Housing, Fukuoka, Japon, plan du troisième niveau. In S,M,L,XL, 1997, éd. The Monacelli Press, p.119. [24] KAWANO Hiroyuki (O.M.A.), 1991, Nexus World Housing, Fukuoka, Japon, photographie. En ligne in <http://www.oma.eu/projects/1991/nexus-worldhousing/>, consulté le 19 avril 2014. [25] SHRIVER A., 2007, Borneo Sporenburg, Amsterdam (West 8). En ligne in <http://www.flickr.com> , consulté le 19 mai 2014. [26] JANDREY Santiaine, 2011, Borneo Sporenburg, Amsterdam (West 8). En ligne in <http://www.flickr.com> , consulté le 19 mai 2014. [27] SUPERSTUDIO, 1971, Supersurface. En ligne in <http://laboratoireurbanismeinsurrectionnel.blogspot.fr/2012/12/architecture-radicale-ecologie. html>, consulté le 9 avril 2014.

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Le seuil : vers une disparition ? Espace plus que ligne abstraite, le seuil est cet entredeux possiblement habitable entre deux mondes. Aussi indispensable à notre compréhension de l’espace que le silence l’est à la musique, il est universel. Pourtant, il semblerait que les seuils aient tendance à disparaître, que les limites deviennent de plus en plus fines, lorsque la place manque et que de nouveaux enjeux apparaissent dans la conception architecturale. En s’appuyant sur les notions de limite, de frontière et de lieu, ce mémoire interroge la place et la forme du seuil dans le logement contemporain. Mots-clefs : seuil, limite, frontière, lieu, non-lieu, espace intermédiaire, hétérotopie, inutile. 49 403 caractères - mai 2014 - ENSAM


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