Paysagiste, médiateur entre ingénierie et sociologie L'épreuve de Sivens
Mémoire de troisième année, 2018 Amandine Bloch Tuteur : Alexis Pernet
Contact : blochamandine10@gmail.com
Je tiens à remercier tout particulièrement mon tuteur Alexis Pernet pour sa patience et ses conseils avisés. L'intérêt qu'il a manifesté pour l'exercice du mémoire m'a aidé à me lancer et à combattre la peur de la page blanche. Je remercie infiniment ma famille pour sa présence. Merci à mes parents, pour les relectures successives et les longues discussions que nous avons eues. Vous m'avez soutenue, et aidé à clarifier ma pensée en me faisant prendre le recul nécessaire. Merci Papi, pour ton regard attentif sur les récits d'arpentages. Merci à Soline, pour m'avoir entraînée dans l'aventure de la ZAD. Il me faut, bien entendu, remercier les personnes rencontrées à l'occasion de la rédaction du mémoire. Celles qui m'auront accordée des entretiens, et plus largement, celles dont les échanges m'aident à me remettre en question aujourd'hui.
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Paysagiste,
médiateur entre ingénierie et sociologie L'épreuve de Sivens
Amandine Bloch Tuteur : Alexis Pernet 5
Sommaire Introduction
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Première Partie : Une zone humide instrumentalisée I- Bonjour de la ZAD, témoignage " (...) J'ai tout juste 19 ans "
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"(...) un engouement pour la baston planait dans l'air "
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II- Le barrage de Sivens, l'aménagement controversé dès l'origine 1) 1978, l’émergence de l'idée de retenue d'eau
.p23
2) 1986 à 2001, études préparatoires à la conception du barrage
.p25
3) 10 ans plus tard, le projet refait son apparition
.p27
III- La zone humide du Testet, argument de la controverse 1) De 2001 à 2009, naissance de l'opposition
.p29
2) subventionner un barrage sur une zone humide par la compensation
.p31
3) Valider un projet illégal ?
.p35
IV- Occupation du site, de 2011 à 2014 1) Les début de la ZAD
.p39
2) Habiter la Zad du Testet : le système solidaire
.p43
3) Les limites du dialogue
.p44
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Deuxième Partie : un territoire aphasique I- De retour à Sivens "C'est là ?"
.p50
"De retour vers Toulouse (...)"
.p55
II- Qui sont les exploitants de la vallée du Tescou ? 1) Des laissés pour compte
.p56
2) Reconquérir les consommateurs
.p58
3) Des initiatives limitées par les politiques gouvernementales
.p60
III- Un nouveau projet prudent 1) Identifier les acteurs du bassin versant
.p63
2) S'éloigner du conflit de Sivens
.p67
3) Innover en changeant les modes d'action
.p71
IV- Le rôle du paysagiste dans la médiation 1) Faire passer des concepts grâce à la sensibilité
.p73
2) Nuancer les propos
.p76
3) Encourager la prospective
.p78
Carnet d'arpentage
.p82
Conclusion
.p99
Annexes
.p103
Bibliographie
.p111 7
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Introduction
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Contexte Actuellement en Master II à l’École Nationale Supérieure du Paysage de Versailles, j’aurai bientôt 23 ans. Durant un premier cursus en école d'ingénieur agricole, j'ai pris conscience que les paysages n'étaient pas seulement esthétiques : ils sont le reflet de la façon dont les gens vivent, de leurs points forts, de leurs failles. Si les usages des hommes ne sont plus adaptés à leurs milieux, des déséquilibres sont favorisés. L'environnement et les hommes sont alors sous pression et en pâtissent. Des conflits d'usages découlent parfois de ces tensions environnementales et anthropomorphiques. Ce fut le cas dans la vallée du Tescou. Au creux de la vallée du Tescou, entre deux coteaux de la forêt de Sivens, un projet de barrage soulève la polémique en 2014. Les opposants au projet jugent qu'une retenue d'eau sur le Tescou solutionnerait les problématiques liées à la sécheresse de façon coûteuse et temporaire. La controverse bascule sur un conflit. En octobre 2014, une manifestation vire à l’affrontement et cause la mort d’un homme. Le drame débouche sur un statu-quo entre les partis prenantes, et le projet est mis de côté pour un temps. Cependant cette option sème des laissés pour compte et des tensions. C'est dans ce contexte, cristallisé par le conflit, qu'un nouveau projet est initié en 2016. Témoin des affrontements en 2014, je fus impressionnée par un paysage à vif, marqué par les impacts des frictions entre hommes et environnement. Aujourd'hui, je réalise que le paysage de la vallée du Tescou continue de faire vibrer une corde sensible qui oriente ma pratique de paysagiste. L'empathie et l'affect, emmagasinés lors de cette expérience en 2014, ont sans doute une part de responsabilité dans ce qui m'a conduit à troquer, il y a 3 ans, mes bottes de future ingénieure agricole contre celles du paysagiste.
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Objectifs
Esquisser une description de l'approche paysagère en tant que pratique de médiation Ce mémoire tente d'engager une réflexion autour d'une pratique de la médiation par le paysage. Dans le cadre du nouveau projet initié à Sivens en 2016, cette médiation serait complémentaire du travail des ingénieurs et des sociologues afin de s'éloigner des tensions actives.
Prendre du recul J'ai rétrospectivement reconnu que ces tensions m'ont affectée, et m'affectent encore. Prendre du recul par rapport à cet affect est un premier pas indispensable pour engager la réflexion dans le cadre de ce mémoire. C'est une démarche de médiation par le paysage qui, de personnelle d'abord, devient professionnelle ensuite.
Encourager la réflexion autour d'une démarche paysagiste expérimentale Qu'est-ce qui pourrait conduire un paysagiste à s'inscrire dans ces conflits d'intérêts, rattachés à l'aménagement des territoires ? En s'appuyant sur un cas précis, le barrage de Sivens, ce mémoire tente d'alimenter avant-tout une réflexion personnelle quant aux moyens de dénouer, ou d'éviter un conflit sur un territoire. Son aboutissement questionne la fonction même du paysagiste de nos jours, et invite à expérimenter.
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Méthodologie
La description La première partie s'attache à prendre de la distance par rapport au conflit de 2014. En évoquant ses origines, elle apporte un éclairage sur l'apparition des tensions qui ont conduit aux affrontements. Cette première étape est essentielle, elle aide à comprendre les enjeux de la vallée du Tescou en 2018. Ces enjeux renseignent à la fois sur la sensibilité de ses protagonistes, mais aussi sur les problématiques techniques. Ces données contribuent à façonner la démarche du nouveau projet initié en 2016 à Sivens, ce que nous abordons en seconde partie.
L'analyse La seconde partie analyse l'actuelle démarche mise en oeuvre dans le projet de la vallée du Tescou, initié en 2016, et toujours en cours à ce jour. Cette analyse débouche sur l'intérêt qu'il y aurait à associer le regard du paysagiste à cette démarche. Comment le regard d'un paysagiste pourrait-il enrichir la démarche du nouveau projet mené à Sivens ?
Le témoignage Les réflexions engagées sur l'approche paysagère en tant que pratique de médiation reposent dans ce mémoire sur la vallée du Tescou. Le carnet d'arpentage tente, à travers l'oeil du paysagiste, d'illustrer un début d'état des lieux de la vallée du Tescou en 2018.
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Première partie Une zone humide instrumentalisée
" Sivens, on comprenait difficilement ce que c’était. Plusieurs appellations tournaient autour : Testet, Tescou, Rabastens... Des noms pour qualifier une révolte. Une manifestation de jeunes, une grosse "teuf pacifique" ce week end, sur une ancienne "zone humide", "qu’ils" ont détruite. " Souvenirs d’une expérience en Octobre 2014
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I- Bonjour de la ZAD, témoignage " (...) J'ai tout juste 19 ans " 2014. C’est loin déjà, et j’ai peur à l’idée de me replonger dans ces souvenirs qui m’ont marquée puis forgée. En Octobre 2014, j’ai tout juste 19 ans, et je sors d’un stage agricole d’une durée de 4 mois. Je pars me replonger dans les études de deuxième année dans l’école d’Ingénieurs Aronomes de Purpan, à Toulouse. Ces 4 mois ont été riches, épuisants, formateurs. J’ai pris 6 kilos. J’y menais le travail d’une agricultrice en exploitation bovine laitière et transformation, de 6h45 jusqu'à 21h, 7j/7. Sans compter les quelques petits extra, entre 21h, et 6h45 de la journée d'après : une vache vêle par une nuit d’orage, son bassin trop étroit ne lui permet pas de sortir le veau seule. Alors, à 23h, on attache les cordes aux pattes avant du petit, les premières à sortir : corde bleue pour la droite, rouge pour la gauche, ça évite de croiser les pattes du veau en le sortant, ce qui pourrait le tuer par asphyxie. Durant 4 mois donc, j’ai touché du doigt la pression psychologique et physique supportée par la famille d’exploitants dont j’ai partagé le quotidien. Plus encore, je plonge et m'enfonce dans tout un univers agricole, celui des exploitations aux SAU (Surface Agricole Utile) moyennes, situées dans les Ardennes profondes. Observatrice, impossible de rester de marbre lorsque mon comportement et celui de mes hôtes s’entrechoquent sans pouvoir s’associer : je suis submergée par nos différences et nos différents. Si, pendant les années qui auront suivi, il m'a été impossible de considérer avec une totale objectivité le déroulé des événements de ce long stage, je suis reconnaissante à cette expérience de m’avoir changée en profondeur. Vers la fin du quatrième mois, un de mes employeurs me fait l’honneur de m’emmener lors d’une de ses expéditions de chasse en battue. Sur les huit stagiaires déjà passés par l’exploitation, nous n’étions que deux à qui il l’avait proposé. C’est une anecdote à laquelle aujourd’hui encore je me raccroche. À 10h du matin, la gnôle de prune se verse plus ou moins contre ma volonté dans un petit café. Mon interlocuteur s’esclaffe, "Tu vas voir, ici, c’est pas comme les Pyrénées, ici, c’est bien pire ! Quand y’a des ronces, on ne rigole pas nous, y’a pas de sentiers ! Eh, petite souris, on verra si tu tiens la route." Un peu plus tard, gaillarde je trace ma route dans un taillis en apparence impénétrable : mais je suis petite, et j’ai le cuir endurci par des mois de traite et de défrichage de haies d’Aubépine. Très vite, la femme d’un chasseur, voisine de battue, dévie de sa course et suit 16
ma route en se plaçant derrière moi. À la recherche des sangliers, le chasseur qui doutait de mes capacités me hèle : "Hé ! Petite souris, c’est bien !!! Mais, va un peu moins vite, attend nous !!!". Quelques heures plus tard, je me fait charger par un sanglier... Nous avons ramené ce jour là quatre beaux spécimens de 60 à 90kg. Après le grand repas familial autour d’une tablée de 50 chasseurs heureux, je m'isole à l’extérieur du hangar. Assise sur un tronc, une petite souris remue à mes pieds, avant d’aller se cacher sous les feuilles. Le grand chasseur aux cheveux déjà grisonnants, qui avait joué le rôle d'un protecteur pour la matinée, s’approche. "On est bien, là, hein ? Hé, petite souris... T’es sûre que tu serais pas du coin ?". C’est le plus beau compliment qu’on m’ait fait. Cette petite aventure, comme bien d’autres ayant eu lieu, m'assure de la capacité que nous avons à pouvoir endosser plusieurs rôles. Changer de costume ne se fait pas toujours dans la douleur. Le gain le plus précieux de ce stage est d’avoir eu la sensation d’acquérir des codes qui me permettent de devenir le membre d’une autre famille. Je ferai, pour conclure cette présentation, un dernier constat : celui de ma difficulté à communication en restant objective. Dans le monde inconnu qu'était celui de l'agriculture, la surprise m'empêchait d'interpréter et d'interroger objectivement ce que je découvrais : avec une prise de distance quasi nulle, j'absorbais tout, sans faire de tri, puis j'y mêlais sentiments et jugements de valeurs. Avec le poids d’un épuisement physique constant, je ne pouvais rectifier ni nuancer mes interprétations, et je restais plongée dans une hébétude permanente. Etouffée par mon manque de recul, je me suis révélée incapable de communiquer, ce que pourtant, mes hôtes espéraient. Pour échapper à l'isolement que je ressentais, mais que je m'imposais, j'en suis venue petit à petit à réorienter ma perception du paysage alentours : pour la première fois, je l’ai regardé véritablement, et m'y suis raccrochée. C’est lui, aujourd’hui encore, qui m’aide à comprendre qui j'étais, et à qui j’avais à faire : des super-héros modernes. Secouée moralement et physiquement, c’est au sortir de cette expérience qu’a émergé en moi l'idée que le paysage se défini par ses habitants, qu’ils soient hommes ou bêtes. Forte d’un début de compréhension, et chargée d’un bagage émotionnel que je peinais à assimiler, c’est dans cet état d'esprit que j’ai débarqué à Sivens en Octobre 2014.
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"(...) un engouement pour la baston planait dans l'air" Sivens, on comprenait difficilement ce que c’était. Plusieurs appellations tournaient autour : Testet, Tescou, Rabastens... Des noms pour qualifier une révolte. Une manifestation de jeunes, une grosse "teuf pacifique" ce week-end là, sur une ancienne "zone humide", "qu’ils" ont détruite... Soline, une amie, versée dans la controverse, m’offre d’aller y faire un tour juste après mon stage. "Pour voir". Curieuse, aventureuse, j’avais passé 4 mois focalisée sur les problématiques d’une exploitation laitière et la difficulté d'implanter une agriculture diversifiée, dans un monde où on tend à isoler les exploitants. Allez, c’est parti, on va se révolter un peu contre tout ça et penser "écologie", "protection des biotopes", diaboliser les exploitations agricoles de la vallée du Tescou qui pompent trop d’eau pour leur production personnelle. Et puis, on va protéger les arbres. Sivens est une forêt au Sud de laquelle s’écoule la rivière du Tescou, affluant du Tarn. La vallée du Tescou est à cheval sur trois départements : le Tarn ,le Tarn-et-Garonne, et la Haute-Garonne. En amont de la vallée, au niveau du lieu dit du Testet, il y a une zone humide de 18ha, classée ZNIEFF (1) de type II : c’est la zone humide du Testet. Le projet de retenue d'eau de Sivens verra le jour à cet emplacement, afin de parer aux périodes d'assèchement annuelles du Tescou. Du débit de la rivière dépendent les productions de plusieurs exploitations agricoles. Le fameux barrage de Sivens soulève la polémique, car sa construction implique la destruction de la zone humide, et l’inondation de plusieurs hectares de prés humides à usage agricole tout au long de la vallée. Les motivations des détracteurs du barrage sont nombreuses et complexes. Afin d’empêcher sa construction, les militants ont matérialisé leur opposition en construisant sur site une ZAD, Zone A Défendre. Un campement autonome et éphémère a vu le jour, dans lequel se met à transiter une population diversifiée : associations de protection des écosystèmes, étudiants, anarchistes, agriculteurs, individus lambda aux valeurs opposées à celles portées par la construction d’un énième barrage de plus... Mais quelles étaient ces valeurs ? Pourquoi vouloir construire un barrage de plus, au lieu de modifier notre système actuel de gestion de l’eau ? La complexité des enjeux politiques me laissait presque indifférente. En revanche, l'angoisse me stimulait, face à la destruction d’une zone naturelle de plus. J'y répondais, motivée par l'idée de faire partie d'un groupe de lutte pour une cause et des valeurs communes. J'avais un objectif, au moins pour un week-end. De ma
1 ZNIEFF type II : Zone Naturelle d'Intérêt Faunistique et Floristique, celles de type II sont de grands ensembles naturels riches, ou peu modifiés, qui offrent des potentialités biologiques importantes.
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bande de potes à Plaisance du Touch, mon lieu de vie d’alors, nous étions plusieurs à vouloir y prendre part. Les potes qui se retrouvaient sur les berges du lac de Plaisance-du-Touch, la "Bande des Du'Lac", constituée de jeunes indignés, aux profils aussi riches que variés. Participer aux festivités du week-end impliquait une bonne dose de motivation, une tente, et des bras pour aider aux diverses tâches de la ZAD. Nous arrivons alors que le soir tombe, et la première impression que j'ai des installations est étriquée, déformée par la nuit qui donne à toute chose l’allure d’un "autre côté du miroir". Les sentiers s’y entremêlent, et l’immatérialité des limites entre les tipis éphémères et les cabanes de bois me laisse penser que ma place est dans chacune d’entre-elles, car la ZAD appartient à tous. Le regard erre sur un désert stérile, puis se perd dans les fissures d’un sol qui n’a plus d’eau, pour s’attarder enfin, sur un arbre isolé piqué à la verticale. Pylône de bois, tu m'angoisses et tu me fais mal. Tout autour, des chapiteaux multicolores sont dressés et accueillent des visiteurs au cours de débats et de conférences. Par une chaude journée en ce début d’Automne, nombreux sont ceux qui se laissent aller sur les rares tapis d’herbe encore verts. J'ai planté ma tente avec celle des autres, et commencé à participer aux colloques, aux distributions de tracts, aux concerts et aux ateliers vaisselle. De la zone humide en fond de vallée, il ne reste qu’une vaste étendue de terre sèche, que la moindre averse rend boueuse et impraticable. Les abords des coteaux ont commencé à être défrichés. Les arbres arrachés de leur socle, rehaussent la morbidité d’un site en train d’être "détruit". D’autres diraient qu’il change simplement de visage. Aujourd’hui, il y a plus de monde que d’habitude, et ce soir, c’est soir de fête. Mais derrière l’apparence joyeuse du grand rassemblement pacifique filtrent des tensions perceptibles. Les zadistes se relayent régulièrement, ils grimpent le long des coteaux, en haut des arbres, pour surveiller les avancées des forces de l’ordre qui encadrent la zone. Ils sont las, se démènent sans relâche depuis plusieurs mois pour ramener les outils nécessaires à leur implantation de zadistes. Après leurs expulsions successives, ils reconstruisent sans cesse les marques de leur opposition : maisons en bois, maisons cachées, maisons perchées, potagers partagés... Je peux entendre des avis tranchés véhéments alors que j'aimerais introduire le dialogue. Etre catégoriquement pour, ou contre un barrage, devient par souci de simplification pour les "touristes du week-end", "pour" ou "contre la zone humide". "T'es écolo ?" En allant à cette manifestation, j’ai conservé un profil bas. Après-tout, je ne savais rien et je ne pouvais que m’accrocher à ce que j’avais vécu durant le stage agricole pour garder un semblant
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d’impartialité. Ignare, je m’abstiens de demander des précisions sur les motivations de la ZAD. Du reste, je n'ai peut-être pas envie d'entamer ce qui deviendra une conversation à sens unique. Le séjour aux allures de vacances a pris, en revanche, une tournure cauchemardesque. Dans la nuit du 26 Octobre 2014, des vrombissements d’hélicoptères ont réveillé ceux qui dormaient. "Une attaque ! On nous attaque !". Avec Soline, nous avons pris à pied la route goudronnée qui longeait le fond de la vallée, passant à côté de la zone humide depuis la ZAD jusqu’au site de construction du barrage. L’allure était vive, un engouement pour la baston planait dans l’air, ravivé par la pression des dizaines d’autres manifestants de tous âges et de tous bords qui marchaient à nos côtés. Au bout de la route, il y avait les installations des ingénieurs et une barrière de gendarmes. A droite de la route, au Nord, grimpait abruptement un coteau sur lequel semble se dessiner une forêt dense, mais la nuit tout se confond. A gauche, étaient décaissés des hectares de la zone humide pour y construire le barrage. Là, dans des nuages de lacrymogènes, explosaient les bombes assourdissantes. On distinguait très mal les corps debout dans la fosse : ils levaient les bras en signe de protestation vers les policiers qui avaient ouvert le feu. C’était de la folie. Des musiciens jouaient un air de musique populaire, les "hurlements de Léo" je crois. Moi, j’étais partie en première ligne esquiver les tirs, distribuer de l’eau et du citron à ceux qui se prenaient les gaz en pleine figure. Soline s’inquiétait. Les affrontements ont duré toute la nuit. Le lendemain, une tâche de sang ornait le fond de la fosse, il y avait eu un blessé, je n’y croyais pas. Le sur-lendemain, à l’école d’ingénieur, je me dirigeais vers mes amis, comme moi de Plaisance du Touch, des Du’Lac. "Putain t’es là !!!!". Il y avait eu un mort. L’année à Purpan s’est écoulée lentement, j’étais bien à l’étroit dans des études qui ne me correspondaient plus, avec une sensation d’implosion et un sentiment d’incompréhension après tout ce que j’avais vécu. Aucun enseignant ne voulait parler de Sivens. Un copain Du’Lac y était quand même mort. "Mort pour rien", ça veut dire quoi ça ? Il est mort, c’est tout.
15 février 2018, récits personnels. Souvenirs d’une expérience, en Octobre 2014.
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Localisation du bassin versant du Tescou, production personnelle
Bassin versant du Tescou
Tarn-et-Garonne Tarn
Montauban
Millaux Tarn
Albi
ne
ron
Ga
Tescounet Gaillac Tescou
Carmaux
Castre Toulouse
Haute-Garonne Mer MediterranĂŠe O
30 Km
Localisation du bassin versant du Tescou, dans le bassin du Tarn. Production personelle.
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II- Le barrage de Sivens, l'aménagement controversé dès l'origine 1) 1978, l'émergence de l'idée de retenue d'eau La vallée du Tescou, petit affluent du Tarn, s’étend sur trois départements : le Tarn, Tarn-et-Garonne, et la Haute-Garonne. Sa rivière, le Tescou, prend sa source au nord de Gaillac, près du hameau du Mas-bonnal, puis elle circule entre les coteaux où se dressent des pieds de vignes. Elle traverse ensuite les parcelles de cultures céréalières sur les plaines alluviales. On y observe du blé, du maïs, ou encore du tournesol, trois des principales espèces qui forment le système de rotations culturales. Le cours d'eau parcourt 48 Km depuis le hameau où la petite rivière du Tescou prend sa source, jusqu’à Montauban où elle se jette dans le Tarn. La gestion de l'eau du bassin versant du Tescou, avec ses 850 000 ha de SAU (1), concernent principalement les usages liés à l'agriculture. Les vignobles au Nord de Gaillac,classés en AOC (Appellation Origine Contrôlée), et l’industrie agro-alimentaire avec une production laitière majoritaire (2), y sont les secteurs d’activité qui prédominent. Les exploitations en bovins viande ou en maraîchage sont marginales dans ce bassin versant de 322km2. Pour pérenniser ces pratiques agricoles, l'idée de construire une retenue d'eau sur le Tescou est ancienne. Déjà en 1976, le Conseil Général du Tarn achète la forêt de Sivens, unique forêt départementale du Tarn à ce jour. Mais lorsqu'en 1978, un groupe indépendant d’agriculteurs tente de porter le projet pour la première fois, il n’aboutit pas. Il est oublié pendant 4 ans, avant d’être exhumé en 1983. Il est cette fois-ci appuyé et encadré par l’Agence de l’Eau Adour-Garonne, la Chambre d’Agriculture du Tarn, ainsi que la CACG (3). Pour lui constituer une base foncière, le Conseil Général du Tarn acquiert en 1989 la propriété de la Métairie Neuve : c'est un corps de ferme implanté dans le fond de vallée, sur la zone
1 cole
Surface Agricole Utile : instrument statistique, évalue la surface foncière utilisée pour la production agri-
2 Secrétariat Technique de Bassin, " SYNTHÈSE DE L’ACTUALISATION DE L’ÉTAT DES LIEUX DU SDAGE 2016 - 202 ", Commission territoriale Tarn-Aveyron, Albi, 2014 3
Compagnie d'Aménagement des Coteaux de Gascogne
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Comme la retenue du Thérondel, le barrae de Sivens devait être interdit d'accès au public Retenue d'eau du Thérondel, production personnelle
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humide du Testet.
2) 1986 à 2001, études préparatoires à la conception du barrage Les études préliminaires à la conception du barrage de Sivens se sont ensuite étalées sur quinze ans, de 1986 à 2001. Elles sont menées par la CACG, à la fois maître d’oeuvre et maître d’ouvrage mais le projet est mis de côté à nouveau. Ces études établissent que le barrage de Sivens arriverait en deuxième phase d'un grand projet de rétention d'eau qui couplerait les fonctions de la retenue de Sivens à une autre. La première retenue d'eau, phase numéro 1 du projet, existe déjà : la retenue du Thérondel (1). Le barrage du Thérondel est construit à l’aval de deux petits ruisseaux, le ruisseau de Thérondel et celui des amazones. Ce sont des affluents du Tescounet, lui-même affluent du Tescou. Un prélèvement par pompage de 50 l/s dans le Tescounet, ainsi que les eaux du ruissellement, remplissent la retenue du Thérondel en continu. On lui a réservé un débit de 40l/s (2) lors de sa conception. La volumétrie du barrage de Sivens est calculée en fonction de celle du Thérondel, pour desservir l'irrigation du bassin versant du Tescou. Selon l'objectif présenté aux autorités, l’effet couplé des deux retenues doit assurer un débit 150L/s. Ce débit doit permettre la dilution des polluants rejetés par la laiterie Sodiaal, située à l’entrée de Montauban. Un tiers des 1 500 000 m3 d’eau retenus à Sivens sera employé pour répondre à ces objectifs de salubrité des milieux aquatiques, et les deux tiers restant seront consommés par l’irrigation agricole (3). Pour effectuer ces calculs, la compagnie de la CACG (Compagnie d'Aménagement des Côteaux de
1 JOUSEAUME Claude (Président de la commission de planification), Comité de bassin, Comité de planification, " Avis de la commission planification en date du 17 novembre 2003 concernant le plan de gestion divisionnaire des étiages du Tescou ", Toulouse 2 FORRAY Nicolas, RATHOUIS Pierre, " Expertise du projet de barrage de Sivens ", Rapport du Conseil général de l’environnement et du développement durable [En ligne],n°- 009953-01, Octobre 2014, Consulté le 01 mars 2018, URL : http://www.ladocumentationfrancaise.fr/rapports-publics/144000641/#book_sommaire 3 https://fr.wikipedia.org/wiki/Barrage_de_Sivens#Recours_administratifs_et_judiciaires_contre_le_projet. Consulté le 07 mars 2018
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Montauban
Tarn
Tarn-et-Garonne
Retenue d'eau du ThĂŠrondel
Tescounet
Emplacement initial du barrage de Sivens
St-Nauphary Tescou
Tarn-et-Garonne Haute-Garonne
Bassin versant du Tescou, production personnelle
Lisle-sur-Tarn Tarn
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Gascogne, maître d'oeuvre) utilise comme référence le PGE
(1)
du Tescou, réalisé en 2001. Ce docu-
ment est établit en suivant les bases dictées par le SDAGE(2). Le SDAGE est un document qui découle d'une administration complexe, à laquelle doit se référer tout projet qui s'incère dans la gestion de l'eau en France. Cette administration régule cette gestion en partant d'une échelle régionale, pour aller vers le local, par exemple l'échelle de la vallée du Tescou. L'imbrication des échelles, organisée à la façon d'un jeu de poupées russes, éloigne les gestionnaire des conflits à échelle humaine. A Sivens, cet éloignement fut un des leviers qui ont permis de concrétiser un projet de barrage controversé localement (3).
3) 10 ans plus tard, le projet de Sivens refait son apparition C'est en 2011, soit 10 ans plus tard, que le projet du barrage de Sivens est enfin lancé. Les raisons qui ont poussé à réinitialiser un projet à l'abandon (4) me seront révélées par Sylvain Doublet. Elles sont rattachées à de fortes tensions qui opposent les exploitants agricoles et le gouvernement Sarkozy dans les années 2000. La profession agricole s'estime alors en manque d'écoute et manifeste son mécontentement. Pour faire face à ce sentiment d'abandon, le gouvernement dresse un plan de territoire qui répond à l'une des problématiques mise en avant par les agriculteurs : la gestion de l'eau. Ce plan de territoire consiste à implanter 27 retenues d'eau étendue sur le territoire français. Symbolique d'une écoute plus attentive par les politiques, le projet doit se concrétiser rapidement pour calmer les tensions. Cependant, à l'heure où le plan de territoire se dessine, aucune de ces retenues d'eau n'est programmées. En faisant l’inventaire de ce qui peut être réalisé rapidement, le barrage de Sivens, déjà esquissé, figure en tête de liste. Mais dès 2009, une opposition se met en place à travers le collectif du Testet. Ses membres estiment qu'un barrage n'est une solution ni indispensable, ni durable.
1 Plan de Gestion des Etiages : Les PGE s’appuient sur les volumes et débits maximums prélevables arrêtés par l’Etat, visent à faciliter la mise en œuvre des moyens permettant d’atteindre l’équilibre entre prélèvements et ressources en eau et étudient, pour les secteurs très déficitaires, la faisabilité d’évolution des systèmes de production agricole vers des systèmes plus économes en eau. 2
Se référer en Annexe 1
3
Se référer en Annexe 1
4 Entretien réalisé le 28 mars 2018 à 17h en compagnie de Sylvain Doublet et Frédéric Coulon, Solagro, 75 voie du TOEC, 31830 Toulouse
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D 32
Forêt de Sivens
D 132
Tescou
Prairies humides et bocages
Zone humide, état naturel
Etat des lieux avant les travaux de déforestation en 2011. Production personnelle.
D 32
Forêt de Sivens
D 132
Tescou
Emprise du projet
Emprise du projet : 48 hectares, 1,5 Km de long sur 230m de large
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Or, si le projet de barrage à Sivens est initié, il ouvrira la porte sur la mise en place du plan de territoire dans toute son ampleur : 27 retenues d’eau en tout. Éclairée par Sylvain Doublet, je prend conscience que l'opposition était motivée par des enjeux qui dépassaient l'échelle de la vallée du Tescou. Cependant, la Chambre d'Agriculture appuie le projet. Elle estime qu'il est "indispensable au développement, il est porteur de valeurs ajoutées, telles que le maraîchage et les semences" (1). Un frein important au barrage de Sivens persiste néanmoins, et pourrait permettre d'annuler sa construction : la zone humide du Testet.
III - La zone humide du Testet 1) De 2001 à 2009, naissance de l'opposition Le collectif pour la sauvegarde du Testet, porte-parole de l'opposition en 2009, prend appuie sur les arguments de la préservation des zones humides pour contrer le projet d'aménagement de Sivens. A long terme, les gains apportés par le barrage sont-ils à même de contrebalancer les pertes générées par la destruction de la zone humide du Testet ? Durant mes études à l'école d'ingénieurs de Purpan, j'avais appris qu'une zone humide est un écosystème complexe. Réserve d'une biodiversité variée, elle joue le rôle d'une " zone tampon " et favorise l’infiltration de l’eau dans le sol. Selon le système de classification des zones humides, la zone humide du Testet est une ZNIEFF de type II (2). Localisée en fond de vallée, elle est composée de 16 hectares de pâtures et de prés humides (3). La zone humide est bordée de deux coteaux couverts par la forêt de
1 Conseil général de l'Environnement et du Développement durable, " Expertise du projet de barrage de Sivens ", rapport n°OO9953_01 [PDF En ligne], mis en ligne en octobre 2014, consulté le 25 mars 2018 à 12h35, page 13. URL : https://reporterre.net/IMG/pdf/testet-rapport_experts_oct_2014.pdf 2
Grands ensembles naturels riches et peu modifiés, offrant des potentialités biologiques importantes
3 Collectif Sauvegarde zone humide du Testet, " La destruction de la zone humide du Testet : Une décision d’Etat français contraire à la convention de Ramsar", Collectif Testet [En ligne], février 2014, consulté le 22 mars 2018, p8, URL : https://tantquilyauradesbouilles.files.wordpress.com/2014/09/collectif-testet.pdf
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Sivens, une ZNIEFF de type I (1). Entre les herbes des prairies humides de la zone du Testet, 94 espèces protégées (2) parviennent à trouver un refuge. La flore de la zone humide leur est adaptée et filtre l'eau en limitant sa turbidité. Le système racinaire de cette flore variée, étendue sur l'ensemble de la zone humide, empêche l'érosion des berges. La zone humide du Testet draine les polluants, au lieu de les renvoyer en aval du Tescou. Les zones humides sont indispensables à l’équilibre des strates aquifères (3). leur écosystème entretient les capacités d'infiltration des sols, indispensables pour parer aux inondations. Si les capacités d’absorption des sols deviennent insuffisantes, par exemple via la destruction systèmatiques des zones humides, de brusques intempéries pourront causer de graves dommages en terme d’érosion et d’inondation. Avec la perspective du réchauffement climatique, les espaces où l'eau est absorbée efficacement sont d'autant plus nécessaires. Annuellement, la quantité d'eau précipité sera la même qu'aujourd'hui, mais répartie différemment : les précipitations, moins fréquentes, surviendront avec plus de force. Étrangement, les zones humides, espaces sensibles et vulnérables devant l’anthropisation, restent longtemps ignorées par le grand public. Les mesures environnementales qui visent à leur préservation apparaissent tardivement : la convention Ramsar (4), les lois Grenelle de 2009 et 2010 (5), ou encore la classification ZNIEFF de type I et II. Conformément à ces nouvelles mesures environnementales, lorsqu'en 2009 le Conseil Départementale du Tarn demande d'actualiser le rapport des données préalables à la construction du barrage de Sivens, on réalise en parallèle une étude de reconnaissance et
1
ZNIEFF II : Secteurs de grand intérêt biologique ou écologique.
2 Conseil Général du Tarn & CACG, " Espèces protégées ", Bassin du Tescou - Projet de retenue de Sivens, Compléments au dossier de demande de dérogation, août 2013, pp. 21-23 3 MEUNIEUX Jean-Jacques, " Zones humides, espaces à conserver espaces à reconquérir ", Espaces pour demain, n°47, pp.4-5 4 La Convention de Ramsar, officiellement Convention Relative aux zones humides d'importance internationale particulièrement comme habitats des oiseaux d'eau, aussi couramment appelée convention sur les zones humides, est un traité international adopté le 2 février 1971 pour la conservation et l'utilisation durable des zones humides, qui vise à enrayer leur dégradation ou disparition, aujourd'hui et demain, en reconnaissant leurs fonctions écologiques ainsi que leur valeur économique, culturelle, scientifique et récréative. 5 Les lois Grenelle I et II, ou loi n° 2009-967 du 3 août 2009 et loi n° 2010-788 du 12 juillet 2010, concernent la programmation relative à la mise en œuvre du Grenelle de l'environnement et formalisent les 268 engagements du Grenelle de l'environnement.
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de délimitation de la zone (1) humide du Testet. A la suite de cette étude, en 2010, la zone humide est officiellement reconnue en tant que ZNIEFF de type II. Malgré cette classification, la CACG remet un rapport qui conserve la conception initale du barrage de Sivens, et la procédure de validation du projet est entamée en 2011. Le collectif du Testet épluche alors les rapports remis par la CACG, afin de vérifier si les consignes environnementales sont respectées.
2) subventionner un barrage sur une zone humide par la compensation En parallèle, les acteurs du projet de barrage de Sivens tentent d'obtenir des subventions, car la construction du barrage de Sivens, est un projet de grande ampleur : son coût est estimé à 338,4 M€ HT (2). Les subventions recherchées ne sont accordées que pour des projets dont l'intérêt écologique est démontré, comme le stipule la législation inclue dans le SDAGE , au niveau de la disposition C46 (3)
. On y mentionne l'article L.211-1-1 du code de l'environnement, qui préconise une gestion durable
et équilibrée de la ressource en eau, en tenant compte des adaptations nécessaires aux changements climatiques (4). Obtenir des subventions, malgré la destruction d'une zone humide, implique de démontrer que le barrage est une solution écologique et respecte ces critères : il faut donc prouver qu'aucune solution alternative n'est envisageable, mais que le barrage minimise néanmoins les impacts écologiques. Les solutions alternatives au barrage de Sivens sont étudiées en 2009, alors que la CACG actualise les
1 Vu dans " Nos références", site de l'entreprise en ligne consulté le 25 mars 2018, URL : http://www. sagne.coop/2010,17 2 FORRAY Nicolas, RATHOUIS Pierre, " Expertise du projet de barrage de Sivens ", Rapport du Conseil général de l’environnement et du développement durable [En ligne],n°- 009953-01, octobre 2014, Consulté le 01 mars 2018, URL : http://www.ladocumentationfrancaise.fr/rapports-publics/144000641/#book_sommaire 3 La législation inclue dans le SDAGE (se référer en Annexe 1) , au niveau de la disposition C46 stipule que " Afin de contribuer à la cohérence des politiques publiques, et par référence à l’article L. 211-1-1 du code de l’environnement, aucun financement public n’est accordé pour des opérations qui entraîneraient, directement ou indirectement, une atteinte ou une destruction des zones humides, notamment le drainage. Seuls peuvent être aidés financièrement des projets déclarés d’utilité publique, privilégiant les solutions les plus respectueuses de l’environnement, dans la mesure où il a été démontré qu’une solution alternative plus favorable au maintien des zones humides est impossible à un coût raisonnable ". 4 Ministre de l'Environnement, " Article L211-1 ", in Code de l'environnement livre II [En ligne], mis en ligne le 26 février 2008, consulté le 25 mars 2018, URL : https://www.legifrance.gouv.fr
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données de l'ancien rapport. Etant donné l'importance des volumes d'eau à mobiliser (voir précédemment), les études peuvent démontrer que les solutions alternatives sont techniquement irréalisables, ou trop coûteuses. En revanche, le projet de barrage doit compenser la destruction de la zone humide du Testet à présent classée ZNIEFF de type II. Pour ce faire, la CACG tient compte d'une étude critique des méthodes de compensation de la destruction des zones humides (1). L'étude recommande de restaurer les surfaces de zones humides dégradées plutôt que de créer ex nihilo des écosystèmes d'une surface équivalente. Les surfaces compensatoires à restaurer sont égales à la surface détruite multipliée par un coefficient de compensation de 1,5. Suivant ces prérogatives le Conseil Général du Tarn annonce dans un communiqué de presse une restauration de 19.5 hectares en tout (2). En 2010, la CACG remet son rapport actualisé au Conseil Départemental du Tarn. Le barrage de Sivens apparaît alors comme l'unique solution qui répondrait au manque d'eau de la vallée du Tescou. De plus, il semble être un projet écologique et responsable car sa conception s'adapte pour compenser la perte de la zone humide du Testet. Le projet peut obtenir les subventions. Or, le collectif pour la sauvegarde du Testet révèle des anomalies dans le rapport. Dans ce nouveau rapport, les données du PGE auraient dues être actualisées. Les calculs de la volumétrie du barrage auraient dû tenir compte de la maîtrise des rejets de la laiterie Sodiaal en amont de Montauban, rejets qui déterminent une part importante du volume d'eau à mobiliser : 40% (3). Enfin, le nouveau rapport aurait dû tenir compte de la diminution de 38% de la surface agricole irriguée sur les communes du bassin du Tescou à l’amont de Montauban, entre 2000 et 2010 (4).
1 BARNAUD Geneviève, COÏC Bastien, Services du Patrimoine Naturel, Museum d'Histoire Naturelle, " Mesures compensatoires et correctives liées à la destruction des zones humides : revue bibliographique et analyse critique", rapport final du Muséum d'Histoire Naturelle [PDF En ligne], mis en ligne le 24 septembre 2011, consulté le 25 mars 2018, pp. 33-35, URL : http://spn.mnhn.fr/spn_rapports/archivage_rapports/2012/SPN%20 2012%20-%201%20-%20RappFinalCompensationZHOnemaMnhnCoicBarnaud24-11-11.pdf 2 Services de l’Etat, " La retenue d’eau de Sivens : un projet environnemental exemplaire ", Préfecture du tarn, mis en ligne le 16 mai 2014, consulté le 22 mars 2018, URL : http://www.tarn.gouv.fr/la-retenue-d-eau-desivens-un-projet-a2511.html 3 NOUALHAT Laure, " Barnum autour d’un barrage ", REPORTAGE Tarn [En ligne], mis en ligne le 28 août 2014 à 18:06, consulté le 24 mars 2018, URL : http://www.liberation.fr/terre/2014/08/28/tarn-barnum-autourd-un-barrage_1088934 4 " Barrage de Sivens : un projet d’intérêt général ? ", Les amis de la Terre [En ligne], Rédigé le mercredi 19 février 2014 ,consulté le 01 mars 2018, URL :http://www.amisdelaterre.org/Barrage-de-Sivens-un-projet-dinteret-general.html
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Comme la CACG utilise les données du recensement agricole de 2000 (1) sans actualiser les besoins en irrigation, et sans renouveller les données du PGE, le collectif pour la sauvegarde du Testet constate que le volume d'eau attribué au barrage de Sivens est sur-dimensionné. Des solutions alternatives au projet pourraient être envisageables. Pour ma part, j'ajouterai que mes recherches m'ont conduit à remarquer un déficit dans les performances du barrage de Thérondel : de 2011 à 2012, il s'est avéré insuffisant à irriguer 54 hectares des exploitations qu’il avait à charge. Le pompage de l'eau du Tescounet, combiné au ruissellement naturel, n'aurait pas permis le remplissage complet de la retenue (2). Pouvons-nous en conclure que le barrage de Sivens tend à palier le déficit de la retenue du Thérondel ? Conjointement à ces constatations, le CSRPN (3) cite en 2012 : " des mesures compensatoires présentant un caractère hypothétique voire inadéquat, notamment celles relatives à la restauration des zones humides " (4). Cette instance gouvernementale révèle dans son rapport que les calculs de compensation de la destruction de la zone humide tiennent uniquement compte des hectares noyés directement par la retenue de Sivens, soit 12.7 hectares (5). C'est sans compter les 5,4 hectares supplémentaires qui perdront leur fonctionnalité écologique
(6)
par répercussions. Aussi, ce n'est pas une compensation
1 Conseil Général de l'Environnement et du Développement Durable, " Expertise du projet de barrage de Sivens ", Rapport du Conseil général de l’environnement et du développement durable [En ligne], n°- 009953-01, octobre 2014, consulté le 25 mars 2018, p 28. URL : https://reporterre.net/IMG/pdf/testet-rapport_experts_ oct_2014.pdf 2 FORRAY Nicolas, RATHOUIS Pierre, " Expertise du projet de barrage de Sivens ", in Conseil Général de l'Environnement et du Développement Durable, Rapport du Conseil général de l’environnement et du développement durable [En ligne], n°- 009953-01, octobre 2014, Consulté le 01 mars 2018, sommaire, URL : http://www. ladocumentationfrancaise.fr/rapports-publics/144000641/#book_sommaire 3 Le Conseil Scientifique Régional du Patrimoine Naturel travail de concert avec le Conseil Scientifique National, en ayant une vocation de conseil de proximité des collectivité territoriales 4 Avis CSRPN / 2012-12-07 / n°003, Commission plénière du Conseil scientifique régional du patrimoine naturel (CSRPN) du 7 décembre 2012. Délibération validée lors de la réunion du CSRPN du 8 février 2013. 2 pages en annexes. 5 Direction Régionale de l’Environnement de l’Aménagement et du Logement (DREAL), " Avis sur le Projet de création de la retenue d’eau de Sivens ", 9 juillet 2012, page 8 6 Direction Régionale de l’Environnement de l’Aménagement et du Logement (DREAL), " Avis sur le Projet de création de la retenue d’eau de Sivens ", 9 juillet 2012, page 8
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de 19,5 hectares pour la surface totale de 16hectares (1) qu'il faudrait, mais 24 hectares (1.5 X 16=24 hectares de compensation). De plus, les surfaces sélectionnées des zones humides à restaurées ne sont pas acquises en 2012, selon Stéphane Mathieu, Directeur de l’Eau et de l’Environnement au Conseil Général du Tarn. Lorsque le projet de barrage est sur le point d'être validé, la qualité de la restauration n'est pas assurée. Confirmant cette faiblesse, les zones à restaurer sont parfois coupées de leur continuité écologique. Or, on observe qu'une zone humide isolée a moins d'intérêt que les interactions qu'elle succite avec son environnement. Déplacer une zone humide, c’est tenter de conserver des données quantifiables de biodiversité, mais sans la continuité écologique pour les entretenir. Les zones humides s'inscrivent dans un système de relations écologiques et sont inter-dépendantes. Bernard Chevassus-au-Louis écrit : " La biodiversité, c’est comme un orchestre symphonique. Si on enlève un musicien, cela ne s’entend pas, si on en enlève un second, cela ne s’entend toujours pas. Mais au bout d’un moment, l’orchestre symphonique s’est transformé en quatuor, et alors, ce n’est plus la même musique que l’on écoute " (2). Le rapport remis par la CACG comporte des failles. En 2011, alors qu'il doit être validé par les instances gouvernementales, l'opposition s'en empare pour contrer le projet de barrage de Sivens.
1 Collectif Sauvegarde zone humide du Testet, " La destruction de la zone humide du Testet : Une décision d’Etat français contraire à la convention de Ramsar ", Collectif Testet [En ligne], février 2014, consulté le 22 mars 2018, p8, URL : https://tantquilyauradesbouilles.files.wordpress.com/2014/09/collectif-testet.pdf 2 PUBLICATION DU GROUPE D’EXPERTS ZONE HUMIDE, " Agir en zone humide ordinaire ", zone humide (infos), n°88-89, p22
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3) Valider un projet illégal ? La construction du barrage de Sivens ne peut se faire sans réunir les avis favorables des grandes instances qui gouvernent les projets de territoire (1). Et puisque le barrage de Sivens concerne la gestion de l'eau, il doit de plus répondre aux préconisations du SDAGE 2010-2016, révélées en Annexe 1. Lequel, en 2009, confirme déjà le projet. Dès 2012 les instances du CODERST, de la DDT, et de la DREAL rendent elles-aussi un avis favorable(2).
Le projet doit être déclaré d'utilité publique, et d'intérêt général. Pour ce faire, il doit être conforme aux arrêtés de protection des biotopes. La Commission d’Enquête Publique vérifie ces dispositions. Cette instance rassemble des procédures codifiées, préalables aux décisions, ou à la réalisation de grands projets d’aménagement du territoire, d’origine publique ou privée. La Commission d’Enquête Publique apparaît comme un outil de régulation de la démocratie, où tous ont droit à la parole. Alors, en restant conciliante avec les acteurs du barrage, mais en accordant son écoute aux arguments de l'opposition, la Commission d'Enquête Publique rend un avis favorable en 2012, mais sous réserve que l'avis du Conseil National de la Protection de la Nature
(3)
soit lui aussi favorable. Uniquement
consultatif, la prise de position du Conseil National de la Protection de la Nature devient décisive dans le cadre du projet de retenue à Sivens. Les porteurs du projet (Conseil Général du Tarn et CACG) instruisent donc le dossier au CNPN en 2013. Mais au vue des failles exposées par le CSRPN suite à son rapport sur les mesures compensatoires en 2012, le CNPN estime que le barrage de Sivens est un projet qui présente " des impacts sous-estimés, voire non évalués et donc des mesures d’évitement, de réduction ou de compensation insuffisantes, irréalisables, inadéquates ou très hypothétiques ". Il rend des avis défavorables deux fois de suite, alors que la CACG tente de rectifier son rapport. " Si le nouveau document qui nous a été présenté est mieux
1
Se référer en Annexe 2
2
Se référer en Annexe 2
3 C'est une institution rattachée au Ministère de l’Ecologie, du Développement Durable, de la Mer. Elle étudie et donne un avis consultatif sur les projets en ce qui concerne la préservation des espèces sauvages et des espaces naturels.
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2001 Première enquête d’utilité publique par la CACG maître d’oeuvre
Chronologie du projet de Barrage de Sivens, production personnelle.
2008 2009 études de faisabilité et signature du contrat de concession
2011 2012 Création officielle du collectif du Testet
Actualisation de l’enquête d’utilité publique. Première étape : le SDAGE 2010-2015 confirme le projet
Avril
-
Septembre
-
-
Octobre Novembre
-
Décembre
Janvier
2014-
-
Février
rejet des recours par le tribunal adinistratif de Toulouse Mouvement d’occupation prend de l’ampleur : création d’un véritable campement appelé «la bouillonnante»sur le site du chantier. Début supposé des travaux, retardé d’un an. Occupation de la Métairie Neuve par le collectif «tant qu’il y aura des bouilles».
La CNPN rend un deuxième avis défavorable.
Juin
2013- -
La CNPN rend un premier avis défavorable.
-
Août
-
Septembre
-
Octobre
Vendredi 13 Octobre : Grand rasemblement Samedi 14 Octobre : mort de Rémi Fraisse
Début du chantier de déboisement
Retour des occupants, en prévision de la reprise du chantier après l’été. Concentration de campements plus importante.
Autorisation de capture des espèces protégées et des travaux de déboisement par le préfet du Tarn. 2 recours déposés par le Collectif pour la sauvegarde de la zone humide du Testet. L’un sur l’arrêté préfectoral déclarant le projet «d’intérêt général», l’autre contre l’arrêté préfectoral autorisant le prélèvement des espèces.
Les préfèts du Tarn et Tarn-et-Garonne signent la déclaration du projet d’intérêt génèral, les déclarations d’utilité publique du barrage de Sivens en ignorant l’avis défavorable de la CNPN.
La ministre de l’écologie Delphine Balto signifie au préfet qu’elle ne l’autorise pas à signer les arrêtés autorisant la construction du barrage sans avis favorable de la CNPN La DDT (Direction Départementale des Territoires) émet un avis favorable, ainsi que la DREAL, et le CODERST (Conseil Départemental de l’Environnement et des Risques Sanitaires Chronologiques). Avis favorable de la comission d’enquête publique, sous réserve d’un avis favorable du CNPN. Avis défavorable du CSRPN
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structuré, apporte des corrections et des compléments au dossier précédent sur le fond aucun élément nouveau probant ne nous a été fourni ". L’avis de la Commission d’Enquête Publique se conforme à la décision du CNPN et devient défavorable au projet (1). Ni l'arrêté d'intérêt général, ni celui de droit au prélèvement des espèces, ne peuvent êre signés par les Préfets. Ces arrêtés sont malgré tout signés en octobre 2013. Ils induisent de facto le lancement des travaux. Le collectif du Testet dépose alors deux recours juridiques contre ces arrêtés la même année mais ils sont rejetés. Dans la périphérie de ces joutes administratives, un groupe de militants s'engage sur une voie non légale pour appuyer l'opposition en octobre 2013. En investissant le corps de ferme de la Métairie Neuve, proche du site du futur aménagement, ils espèrent empêcher les travaux de déboisement. L'occupation de la Métairie s'organise petit à petit autour du collectif " tant qu’il y aura des bouilles ", et dure près d'un an. Cette lutte physique, animée par le slogan " Tritons crêtés contre béton armé ", arrivent en unique renfort pour s'opposer à la construction d'un projet en théorie rejeté, en pratique imposé. Le Collectif pour la Sauvegarde du Testet, dissocié du groupe des occupants, poursuit les actes militants. Alors que les recours judiciaires sont rejetés en décembre 2013, un véritable campement s'installe sur la zone humide du Testet : le campement de la Bouillonnante.
1 Conclusion de la Commission d’Enquête relatives à la déclaration d’utilité publique des travaux et mesures compensatoires du projet de retenue de Sivens sur le territoire de la commune de Lisle-sur-Tarn, page 9.
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Cabane pour empĂŞcher le dĂŠboisement, Zone humide du Testet. Octobre 2014, production personnelle.
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V- Occupation du site, de 2011 à 2014 1) Les débuts de la ZAD La zone humide s'est à présent transformée en un lieu mouvant. Elle grouille de nombreuses allées-et-venues des opposants d'origines diverses. Ce campement de militants est une Zone A Défendre. La " ZAD " est un néologisme qui détourne à l'origine le terme de "Zone d’Aménagement Différé". Il s'agissait au départ de celle de Notre-Dame-Des-Landes. Le site de Notre-Dame-Des-Landes est classé en Zone d’Aménagement Différée en 1974 : l’État a droit de préemption sur ses parcelles. Le gouvernement y programme la construction de l'aéroport de Notre-Dames-des-Landes, mais des opposants jugent le projet inutile et coûteux. Pour empêcher la construction des nouvelles infrastructures, les parcelles devant être déboisées sont investies par les opposants, qui répondent à l'appellation de zadistes. Ils instaurent ainsi une nouvelle forme de lutte en France, illégale, mais nécéssaire selon les militants, c'est la ZAD : Zone A Défendre. Les ZAD, ou Zone A Défendre, se multiplient en France. Elles s'opposent aux nouveaux aménagements programmées sur des espaces ruraux. Là où les recours législatifs légaux semblent avoir échoué, elles prennent le relais. A Bure nottament, des militants s’opposent au projet d’enfouissement des déchets nucléaires (1) depuis 2017. Ce projet détruirait des parcelles forestières à proximité de ce village. Les zadistes métamorphosent leurs sites en campement(s) permanent(s), autonome(s) et gèlent l'avancée des chantiers. Ces habitants marginaux, objet d'expulsions, sont sous la surveillance des forces de l’ordre. Parmi ces campements illégaux, Notre-Dame des Landes reste l’exemple phare sur ces dix dernières années. La ZAD aura été expulsée puis reconstruite deux fois depuis 2014. Elle reste d'actualité en 2018, après l'abandon du projet d'aéroport. A ce propos, le Premier Ministre Edouard Philippe observe que : " Notre-Dame-des-Landes, aujourd’hui […] c’est l’aéroport de la division. Un tel projet d’aménagement, qui structure un territoire pour un siècle, ne peut se faire dans un contexte d’opposi-
1 DEVAMBEZ J., BAECHLER A., MAUGRISSON DE NEGRONI., PIRES J., " Bure, l’autre combat des zadistes ", FranceTVinfo [En ligne], 2018, mis en ligne le 03 mars 2018, consulté le 07 mars 2018. URL : https://www.francetvinfo. fr/monde/environnement/dechets-nucleaires-a-bure/bure-l-autre-combat-des-zadistes_2638588.html
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Organisation de la ZAD du Testet Production personnelle.
D 32
Forêt de Sivens
Tescou D 132
Guetteurs perchés dans les arbres, surveillance des allées et venues 24h/24
Infirmerie
Métairie neuve, lieu des réunions et rassemblements
Barrage de gendarmes
Stockage alimentaire
Futur barrage de Sivens
Buvette sous chapiteau Arbre isolé, symbole de la résistance Miradors des zadistes Installations des ingénieurs Campements zadistes Informations 40
tion exacerbé entre deux partie presque égales de la population " (1).. Alors que les zadistes sont parfois considérés comme des " fossoyeurs de l'ordre publique ", ou des " délinquants " (2) devant leurs actions illégales, pour rependre les termes de Cerveza Marzal, la citation d'Edouard Philippe ci-dessus rend compte de l'impact positif que les zadistes peuvent aussi exercer sur les valeurs démocratique. En outre, ils s'implantent à Notre-Dames-des-Landes dans le cadre d'une opposition à un système administratif qui ne tient pas compte de leurs arguments. Ce faisant, cette lutte illégale se pose en renfort de la démocratie. Dans le cas de Sivens, le projet de construction du barrage est théoriquement illégal, mais le début du chantier est imposé. Là encore, les zadistes se positionnent en rempart contre des décisions abusives. Pourrions-nous conclure que les zadistes sont des citoyens exemplaires ? A Sivens, les zadistes semblent aussi porteurs de valeurs écologiques, dont l'émergence se traduit par l'apparition de préoccupations environnementales universelles selon Gilles Clément (3). Comment réagir face à la " catastrophe environnementale " ? (4). En comparant les luttes du Larzac, ou de NotreDame-des-Landes, à celle de Sivens, on comprend que la préservation de la zone humide du Testet n'est pas le message principal véhiculé par les zadistes. Un espace naturel était dédié à l'agrandissement d'un camp militaire du Larzac en 1971. En luttant contre cet aménagement durant une décennie, les paysans du Larzac animent un site rural et inventent de nouveaux modes de vie. L'implantation des zadistes témoigne de ces modes de vie qui émergent au Larzac et ailleurs en France. A Sivens, le combat des zadiste semble orienter lui aussi vers un changement des pratiques agricoles, en luttant pour système durable, adapté aux ressources en eau (5). Au-delà de la préservation des espaces naturels, les zadistes appellent à refonder le système économique
1
Dans le journal de 20h, vue sur francetvinfo, à 2min28, l
2 2016
CERVEZA MARZAL Manuel, " Les nouveaux désobéissants, citoyens ou hors la loi? ", Le bord de l’eau,
3
CLEMENT Gilles, "L’alternative ambiante", Paris, Sens & Tonka, 2014, 55 p.
4
CLEMENT Gilles, "L’alternative ambiante", Paris, Sens & Tonka, 2014, 55 p.
5 Conseil général de l'Environnement et du Développement durable, " Expertise du projet de barrage de Sivens ", rapport [ PDF En ligne], n°OO9953_01, mis en ligne en Octobre 2014, consulté le 25 Mars 2018 à 12h35, page 13. URL : https://reporterre.net/IMG/pdf/testet-rapport_experts_oct_2014.pdf
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Ancien emplacement de la MĂŠtairie Neuve, production personnelle
42
actuel, pour qu'il puisse correspondre aux valeurs écologiques et solidaires émergentes. En habitant un site rural de façon empirique, ils prouvent que des solutions peuvent être mises en œuvre pour changer.
2) Habiter la ZAD du Testet : le système solidaire Sur Sivens, les zadistes construisent des tentes, des cabanes, des huttes, en s'aidant de matériaux de récupération : tissus, bois, tôle... En tablant sur l'économie des moyens, ils concoivent des habitations qui s'adaptent aux mouvements des forces de l'ordre, aux intempéries, aux conditions environnementales dans lesquelles ils s'implantent... Ils proposent un mode d'investigation des lieux qui puisse s'adapter aux changements. Cette adaptation puise sa force dans un système participatif et solidaire. Sur Notre-Dame-Des-Landes , les zadistes ont par exemple imaginé des modes de vie alternatifs directement basés sur l’agriculture de proximité. Ils mettent en place leurs propres institutions, faites de ramifications locales, comme celle de l’organisation de gestion des sols " Sème ta ZAD " décrite ci-dessous. " Sur la ZAD (De Notre-Dames-des-Landes) s’expérimente la mise en commun de dimensions de la vie relevant habituellement de l’État ou du domaine marchand : les terres sont habitées et exploitées en dehors du système de propriété privée; les lieux mettent souvent en commun une partie de leurs productions et équipements; plus largement un certain nombre d’outils, de routines, de coutumes, organisent, permettent et portent cette mise en commun " (1). A Sivens les zadistes défendent eux aussi une vision basée sur des circuits courts. Elle s'appuie sur les débouchés proposés à Albi, Toulouse, ou Montauban. Lorsque je suis allée sur site en 2014, les zadistes s'inspirent des circuits courts pour trouver leurs ressources alimentaires. Des tracts circulent en permanence pour relayer les informations, on organise des débats pour une prise de décision collective... A travers les AMAP, collectes, constructions innovantes, affiches, on tente de véhiculer l'image d'un dialogue citoyen et d'une population active. Cependant, une ZAD n'est pas toujours perçue de façon
1 LABAT Thibo, VIGNE Margaux, " Notre-Dame-des-Landes, expériences du commun ", Les carnets du paysage, n°24, 2018, Paris, à paraître
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positive par certains autochtones qui perçoivent en elle une invasion.
3) les limites du dialogue Le 13 octobre 2014, en arrivant sur site, je me demande comment faire pour véhiculer une image positive de la ZAD. Comment montrer que son système participatif et collectif se veut représentatif des valeurs actuelles de préservation des ressources, et l'ouverture au dialogue ? Comment relayer au près du public ses motivations pacifiques ? La lutte contre une violence étatique, contre des décisions en théorie démocratiques, mais en pratique réalisées sans concertation ? Je constate de visu que la chose est pratiquement impossible, car les violences engendrent d’autres violences. Sous mes yeux, le journaliste de France 3, planté devant ses quatre pneus crevés, tirait des conclusions similaires. Je tente de comprendre, de leur chercher des excuses. Les zadistes à Sivens sont sous pression permanente, et hantés par le risque de perdre un combat. Ils sont habités par une sensation d'isolement. Ils sont sujets aux expulsions car le système juridique leur est opposé. Aucune mesure n'est prise pour encadrer la rencontre entre les mouvements de la ZAD et des forces de l'ordre afin d'éviter les blessés parmi les zadistes, que ce soit lors des expulsions ou au quotidien. Ne sont-ils pas citoyens, eux-aussi ? Les médias véhiculent une image de la ZAD qui encourage un manque de reconnaissance. A Sivens, les zadistes sont présentés comme des déserteurs du système démocratique actuel, une impression renforcée par leur position contradictoire à celle du système judiciaire. En réaction à ces agressions psychologiques, les zadistes tiennent à distance ceux qu'ils perçoivent comme partisans de leur isolement. Ils avaient là un bouc émissaire : le journaliste de France 3. Les zadistes qui crèvent les pneus, estiment agir en tout bien tout honneur. " Ils l'ont cherché ", m'indique un bonhomme à la barbe fournie. Mais ces actes extrémistes nuisent à l'image de la ZAD. Ils traduisent des pulsions qui entrent en contradiction avec les valeurs pacifiques, ou la volonté d'initier un dialogue. Tout comme la façon dont est forcée l'infrastructure du barrage de Sivens, ces actes entretiennent l'absence de dialogue. Riche de cette vérité, je trace ma route à travers la ZAD, et croise des visages rieurs vieillis par les intempéries. Je me demandais ce que les journalistes allait laisser transparaître dans leurs articles. 44
Je pensais avec apréhension à ce que le public allait assimiler. Avec le conflit qui durait, les tentatives pour convaincre l’un ou l’autre des partis me semblaient perdre en pertinence. De plus en plus incohérentes, elles alimentaient un inextricable amoncellement de données polémiques. A la fin du mois d’Août 2014, peu avant que je ne découvre la ZAD, le mouvement de lutte sur la zone humide redouble d’ampleur avec la reprise du chantier de déboisement. Des campements plus importants apparaissent, dont celui de Woodstock qui rassemble alors 300 personnes. Mais les travaux de déboisement sont encadrés par les forces de l’ordre et se poursuivent. Les zadistes sont expulsés. A cet instant, la violence semble à son comble. Pour contrebalancer et condamner ces actes de violence, les zadistes organisent un grand rassemblement pacifique le week-end du 13 au 15 octobre 2014. Opposants comme partisants au projet de barrage y sont les bienvenus. De gros amplis sont branchés pour aménager des scènes de concerts, et transportent des notes de jazz ou de reggae jusque dans le village de Barrat. C'est au cours de ces quelques jours que j'ai pu explorer la ZAD. J’y ai rencontré des organisateurs chevronnés, amateurs de randonnées éducatives. Les quelques partisans du barrage se faisaient discrets. J'y ai aussi croisé des encagoulés nerveux, qui se précipitaient sur des bouteilles de récupération pour les remplir d’huiles incendiaires. Ceux-là avaient décidé de faire fis de l'esprit festif qui planait dans l’air. Se persuader que ça allait péter n’était-il pas le meilleur moyen pour que cela arrive ? Il y avait trop de personnalités et trop de tensions qui se confondaient. La ZAD était posée là, pleine de toutes ces considérations. Elle recueillait sans faire le tri ceux et celles qui prenaient le virage de la D32 après avoir dépassé le village de Barrat. Les tensions se sont cristallisées durant la nuit du 14 au 15 octobre. Lors des affrontements, un jeune homme est mort. La nouvelle suscite l'émoi national. Une opinion publique bruyante se forge et se révèle majoritairement défavorable au projet de barrage. A la fin de 2014, les débats débouchent sur un statu-quo. En 2017, on décrète la remise en état de la zone humide. Cependant, l'idée de construire un barrage n'est pas exclue, car en 2018, les agriculteurs de la vallée du Tescou sont soumis aux mêmes problématiques. L'objectif de la ZAD n'est que partiellement rempli, et en parallèle, une image culpabilisante pèse sur les exploitants de la vallée du Tescou. 45
Buygny Saint-Maclou et DoullensCréation de zones d'exploitations intensives, avec la ferme des 1 000 vaches, et la ferme des 250 000 poules Gonessecréation d'un imense centre commercial
Mont-Saint AignanImplantation d'un supermarché Auchan
BureCentre d'enfouissement de déchets radioactifs
Montessoncentre d'urbanisation des terres
StrasbourgProjet d'autoroute
LyonCréation du stade olympique
Notre-Dame-des-LandesProjet d'aéroport
Vallée de la SuisseExtension d'une ligne TGV France:Italie
HendayeExtension d'une ligne TGV grandv vitesse Toulousecentre commercial Val Tolosa
NiceCentre commercial Eco vallée
SivensConstruction d'un barrage
Localisation des ZAD en France, de 1990 à 2018. Chantier en cours ou suspendu. Production personnelle.
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"S'il n’y avait pas eu un mort, le projet se serait fait"(1).
1 Entretien réalisé le 28 mars 2018 à 17h en compagnie de Sylvain Doublet et Frédéric Coulon, Solagro, 75 voie du TOEC, 31830 Toulouse
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Campement de Woodstock, Zone humide du Testet. Octobre 2014, production personnelle.
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Deuxième Partie
L'aphasie d'un territoire
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I- De retour à Sivens "C’est là ?" Au 23 février 2018, nous sommes retournées sur site avec ma mère. Depuis les événements de 2014, je n’y avais pas remis les pieds. En passant par Salvagnac, le long des routes sinueuses bordées de platanes qui faisaient les yeux doux au panorama des vignobles, nous nous sommes arrêtées le temps de chercher des cartes IGN, introuvables. Après un début de discussion prometteur avec un client du bar derrière lequel les très accueillantes toilettes nous tendaient leur cuvette, il m’est apparu que la "zone" de Sivens restait aujourd’hui encore un sujet délicat. "Depuis qu’il y a eu... Vous savez, en 2014... Ils ont tous salopé. La forêt ? Oh, elle est bien mal en point, ils ont même cassé la table d’orientation !" Qui sont ces " Ils " ? La " zone ", c’est quoi ? J’entends, comme si j’écoutais pour la première fois, une petite histoire que je connais en vérité par cœur. Je constate que Sivens, c’est un livre retourné sur une table commune. Certaines de ses pages sont cornées, comme pour marquer l’emplacement d’un paragraphe encadré par le crayon d’un étudiant. L’ouvrage " Sivens " n’a pas encore été ré-édité par une réforme : on l’a posé là, en se demandant s’il pouvait encore être lu. Sans verser dans le mélodramatique, il me semble utile de préciser mon appréhension de ce trajet dans le Tarn-et-Garonne : il me renvoyait vers 4 jours de mon passé, qui paraissaient isolés de tout : m’étais-je trompée ? Avais-je tout extrapolé, inventé, dramatisé ? Une intuition me soufflait le contraire, et c’est elle que je tenait bien au chaud dans mon sac-à-dos ce jour là. C’est tout de même ce qu’on pourrait qualifier d’une "belle" région. Il y a de ces caractéristiques propres à un paysage reconnaissable depuis une carte postale : haies bocagères, allées plantées, vignobles, AOC... Le long de la D132, après un virage qui nous dépose en aval de la vallée du Tescou, des panneaux " accès interdit ", " zone en restauration ", présentent un paysage lunaire dont l’impression d’abandon est amplifiée par le froid. Voilà, c’est là. Le Tescou ruisselle avec une nonchalance feinte entre des talus de boue instables : on les devine pouvant se laisser aisément tenter par un aller-simple en direction de Montauban. En cette saison hivernale, voir les arbres des coteaux arrachés de leur socle m'impressionne. Un peu plus haut, on a découpé une belle part de ce gâteau calcaire. Triste vallée, où de jeunes chênes sessiles, des peupliers et des aulnes se distinguent dignement devant d’anciennes pâtures qui s’enfrichent lentement. Pas une maison, si ce n’est un corps de ferme dont je n’ai pas souvenir. Mais j’hésite : est-ce bien là ? Car très vite, la 50
zone saturée d’eau laisse place à de simples champs bordés de têtards. La route goudronnée, sur laquelle nous continuons à pied, traverse une parcelle en sylviculture de pins. D’après mes calculs, je fais le chemin inverse de celui d’il y a 4 ans, partant du lieu conflictuel de la possible construction du barrage, pour aller vers la ZAD. Je me dirigerais donc vers le lieu où j’avais planté ma tente avec celle des autres : ce doit être par là ? La lassitude marche à mes côté, bientôt elle me prendra le bras et me chuchotera de retourner à la voiture, maintenant loin derrière. La marche est "inintéressante", dans un paysage " morose", et ma mère se tait, avançant silencieusement à mes côtés. " C’est là ? C’est là ? ". Soupirs intérieurs, mon attitude réfractaire à la technologie m’empêche de savoir si je suis au bon endroit : pas de GPS et pas de carte non plus. J’angoisse, et dis tout haut " Nan, mais c’est bien, on se promène, on s’imprègne, mais ça ne doit pas être là, je me suis gourée quelque part ". Je tente encore de comprendre cette attitude désinvolte et ce qu’elle révélait de mes sentiments. Car l’angoisse du " déclic " était bien présente. Celle qui me dirait " oui c’était là. Oui, tu vas travailler en partie sur ce lieu durant les mois qui vont suivre. Non, il n’y a plus rien, tu vois, tout est fini. Pas de cabanes, pas de déchets, pas d’odeur de merguez, pas de copains... Mais ne soit pas déçue, regarde : il y à d’autres choses que tu n’avais pas vu avant ". Mais de quoi je vais parler ? Avec " ça ", on fait quoi ? Je m’impatiente contre ce paysage qui ne me donne pas de réponse à mes questions, qui ne me parle pas, qui fait le mort. Mais je le devine égal à lui-même, indifférent aux humeurs d’une inconnue de passage, qui n’a jamais véritablement compris l’ancrage de la vallée dans un ensemble bien plus vaste. Mes dimensions à moi se limitaient à celles de la zone où l’on balançait des bombes lacrymogènes sur un air d’accordéon. J’enrage : elle est où la musique ? La route remonte un peu, un embranchement sur la D32, vers Barat et la maison forestière. Après le pont qui enjambe le ruisseau du Tescou (mais est-ce bien lui ?), un ensemble de corps de ferme suggère un imaginaire agricole malgré l’absence de mouvement ou d’indications. Bon, eh bien voilà, il va falloir faire demi-tour. Je me retourne. Puis je dis : " Attends ". Il est là le déclic. A l’embranchement de la route, où j’étais placée très exactement il y a 4 ans. Une baraque à frite nous servait des verres en entonnant un " C’est par là, 20min de marche ". Les voitures étaient garées à la sauvage sur les côtés. Pendant le chemin du retour, se plaquent sur un paysage à nouveau ami, les souvenirs translucides, à peine colorés, que je croyais n’exister désormais que dans ma mémoire. Je reconnais tout : le vieux puits, certains arbres remarquables... 51
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Bon, et maintenant ? Le premier rite initiatique semble être passé. Mais il faut vérifier les intuitions, les souvenirs. Ma mère a l’idée de sonner chez un habitant isolé, à mi-chemin de notre point de départ qui serait donc l’ancien emplacement du barrage. J'étais contre. Qu’est-ce qu’ils allaient pouvoir dire ? La voilà, la déception qui suit l’acceptation. Mais maintenant, il y a la place pour qu’une nouvelle histoire puisse commencer. D’ailleurs, voilà un agriculteur dont la roue du Trafic s’est embourbée sur le bas-côté. Profitant de l’aubaine, et tablant sur un contact facilité, nous offrons notre aide. Là encore, je refuse de parler, j’ai toujours l’estomac noué. J’ai peur du raz de marée de conneries aux airs fluets, dont la date de péremption est dépassée depuis 2014, et qui pourrait endommager l’ouïe de mes interlocuteurs. Alors, j’ouvre les oreilles, et ma mère parle. Elle connait peu de chose sur Sivens, assez pour savoir que c’est un sujet sensible. Elle m’impressionne. Pas une fois, les mots "Barrage", "Sivens", "ZAD", ou "Conflit" ne sont prononcés. Et l’agriculteur, de 65 ans, parle. Il laisse tourner le contact de son Trafic, mais ne remonte pas, il parle. Pas question, non plus, de s’exprimer en terme de "pro-barrage" ou "anti-barrage". Elle prend des pincettes, son interlocuteur reste libre de rectifier ses dires, et surtout, ne se sent pas jugé. "Donc, vous diriez que vous avez plutôt collaboré au projet ?". Collaborer. C’est beau, je n’y aurais pas pensé. A employer le conditionnel présent non plus d’ailleurs. On n’a pas parlé de Rémi. On aura parlé de l’attente, dans laquelle sont plongés les habitants d’un site figé qui questionne sa commune, mais aussi le département, et plus encore toute une administration nationale. On a parlé des paysages et de ceux qui l’habitent. Et moi, je suis retombée sous le charme.
Ci-contre, photographie personelle de la Zone humide du Testet. Retour sur site en février 2018.
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"De retour vers Toulouse" De retour vers Toulouse, après la première visite sur le site de la vallée du Tescou, les images des paysages traversés défilaient dans ma tête. Jusqu’où s’étend la vallée du Tescou ? Comment aborder la question de son bassin versant, et quelles sont en 2018 les problématiques de la gestion de l'eau ? De retour vers Toulouse donc, mes réflexions portaient sur la difficulté de définir le paysage que je venais d’arpenter. Un paysage étranger, et " flou ", avec des limites que je ne comprenais plus, car les miennes correspondaient à la ZAD dont il n'y avait plus trace. Paysage décevant car morose, mais qui fut intriguant par la suite. Ce paysage, que je m’étais permise de juger " en manque d’extra-ordinaire ", m’avait donc surprise. Or il n’est rien de plus honnête que la sensation de surprise : elle dévoile, sans aucun autre filtre que celui d’un intellect pris de cours, le fruit de perceptions incomprises. Se saisir de ces impressions fugaces et les cultiver, c’est entretenir son étonnement. C’est déceler l’extra-ordinaire, là où il n’y paraît pas. La surprise m’a rassurée, prouvant la présence de l’extra-ordinaire dans un paysage qui ne sait pas mentir. La rencontre avec l'agriculteur me faisait songer que le paysage de Sivens est un de ces paysages de " Mr et Mme tout le monde ", un visage de tous les jours. C’est un paysage de notre quotidien, dont le devenir ne saurait être la préoccupation d’une élite. En tant que future paysagiste, ce sont les mécanismes qui mettent en mouvement ces paysages du quotidien que je tente d'entrevoir dans la voiture qui fait route vers Toulouse. Sujet d’actualité, les paysages du quotidien nous ramènent vers des problématiques toujours actives, telles que celles portées par le conflit ayant eu lieu à Sivens en 2014. La population semble reconsidérer nos modes de consommation des espaces. Anthropisation, oui, mais comment ? Et suivant quelles valeurs ? Avant que la zone humide du Testet ne soit identifiée comme telle, cet espace ordinaire n'avait pas besoin du prétexte de la zone humide pour susciter une controverse : la question de l'intérêt du projet de barrage sur le long terme lui suffisait. Et maintenant que les tensions retombent, les problématiques sont toujours d’actualité, le paysage de la ZAD s’efface de nos esprit mais la maison contient des cendres chaudes qui pourraient être rallumées. Ces conflits traumatisants se matérialisent de diverses façon partout en France : ZAD de Bure, manifestations... Leur démultiplication pourrait nous convaincre de l’importance qu’il y aurait à faire de ces paysages du quotidien notre actualité, avant que la maison ne brûle.
Ci-contre, photographie personelle de la Zone humide du Testet. Retour sur site en février 2018.
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II- Qui sont les exploitants de la vallée du Tescou ? 1) Des laissés pour compte Lors de mon premier retour sur site le 23 février 2018, le trafic de Mr XX (1) était embourbé sur le bas côté. Si un jour vous croisez un Embourbé, désembourbez-le. Cette action enclenche un traducteur international, et il devient possible d'échanger. Mr XX, ancien Embourbé de son état donc, a 65ans, il est exploitant en bovin viande dans la vallée du Tescou. Sa rencontre me confirme que la question de Sivens reste sensible à ce jour. Parler de la vallée du Tescou, et ce, sur le site même de la vallée du Tescou, exigeait une approche en douceur, tel que : " Est-ce que vous savez à qui il faudrait s'adresser si on veut avoir des renseignements sur cet espace? " " Est-ce que vous pouvez nous en dire plus sur où on est? ". Alors, Mr XX nous conte une anecdote liée à l'évolution des pratiques sur les des terres de la vallée. L'un de ses collègues y exploite des parcelles en pâtures avant 2014, mais sans en être propriétaire. Lorsque le projet du barrage de Sivens voit le jour, le Conseil Général d'Albi lui fait une offre qui n'est pas refusée, celle d'échanger son contrat de fermage contre d'autres pâtures en amont de Barrat. Selon Mr XX, les acteurs du projet veulent " aller vite ", et ne prennent pas le temps d'officialiser les transactions. Avec l'abandon du barrage de Sivens, l'échange est annulé. L'exploitant est mis sur la touche, dans l'attente " de quelque chose ", sans recours législatif possible. La remise en état de la zone humide n'est pas actée avant 2016 et les anciennes pâtures s'enfrichent. Les laissées pour compte ne sont pas des cas d’exception, selon Mr.XX. Les exploitants de la vallée du Tescou qui font face aux questions liées à la gestion de l'eau, en font partie. "-Est-ce que ceux qui ont conçu le projet avaient travaillé avec des gens du coin ? " Demande-t-on. -Non ", répond Mr XX.
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Mr.XX souhaite préserver l'anonymat
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En effet, si le projet de barrage de Sivens est principalement destiné à l'usage des agriculteurs, il fut pourtant réalisé sans leur concertation. Dans la vallée du Tescou, il semble qu'un nouveau projet se dessine en 2018 pour tenter de répondre aux enjeux mis de côté depuis 2014. Qualifier le fonctionnement de l'agriculture dans la vallée du Tescou permettrait de ne plus faire les erreurs d'autan. Les porteurs du projet doivent actualiser les données du recensement agricole, qui ont évolué depuis 2014. Nous devons définir l'identité des futurs utilisateurs bénéficiaires ou impactés par le projet pour qe celui-ci leur correspondre. Pour qui allons-nous travailler ? Quelles sont les raisons qui ont poussé une forte proportion d'agriculteurs de la vallée du Tescou à se positionner en faveur du projet de barrage sur Sivens ? Tout comme le collègue de Mr XX, une majorité d'agriculteurs de la vallé du Tescou diversifient peu leurs pratiques, et conservent un ou deux types de productions majoritaires. La dimension des parcelles favorise ces types d'exploitations. Selon Patrick Urbano (1), dans la vallée du Tescou, le parcellaire date de l'ancienne politique de remembrement qui s'est exercée à partir de 1960. Elle fut organisée par l’État en conséquence de l'ouverture des frontières pour la création de l'Europe (2). Avec l'arrivée d'une concurrence internationale, le remembrement aide à créer une autorité qui régit le système de mise en action et de production du territoire en France. Les petites parcelles agricoles dispersées sont réattribuées pour simplifier la circulation des engins agricoles imposants qui arrivent sur le marché : tracteurs, moissonneuses batteuses... Le système de production du collègue de Mr XX est hérité de cette période. Les agriculteurs simplifient leurs pratiques pour produire de plus grandes quantités d'une même production. Elles sont ensuite collectées à travers un système de coopératives. Apparues pour la première fois en 1947, elles font circuler les productions sur le marché international. Les exploitant y gagnent en rapidité d'exécution, car les coopératives les représentent auprès des clients. Mais aujourd'hui, les outils de cette production de masse ne correspondent plus au valeurs de la société. Car de " consommatrice " elle devient, " écologiquement responsable ". Les législations de 2014 traduisent de cette métamorphose : elles limitent l'utilisation d'engrais, ou interdisent l'utilisation de
1 URBANO Patrick, géographe , directeur de l’environnement du département du Tarn 13 mars 2018, appel téléphonique de 11h30 à 11h45 2
AUDREY MARION [auteur-réalisateurs], " Adieu paysans " [DVD], programme 33, 2014, 63 minutes
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pesticides tel que le Round-Up (1). Dans la vallée du Tescou, comme ailleurs en France, conformément aux législations en vigueur les exploitants doivent respecter des quotas. Imposées par les coopératives et les instances gouvernementales qui collectent leur productions, ils sont calibrés pour répondre aux exigences de la production internationale : les seuils de propreté du grain après récolte, les tonnages... Ces objectifs de concurrence encouragent les modes de production décriés par une partie des consommateurs. Il arrive que des exploitants de la vallée du Tescou ferment boutique, face aux conditions de travail pénibles couplées aux exigences accrues, qui rendent impossible l'exercice de leurs fonctions. Représentatif de cette métamorphose, 3% des petites exploitations en France disparaissent faute de repreneurs et sont intégrées aux plus grandes entre 2010 et 2013. Pour s'adapter à ces changements de société, les exploitants s'aident des outils apparus il y a un demi-siècle. Ces outils véhiculent une image qui dévalorise, voir même diabolise leurs pratiques auprès des consommateurs : elles sont pointées comme responsables de pollutions environnementales, de catastrophes sanitaires... Pour s'extirper de cette image culpabilisante, et s'échapper d'un système économique étouffant, certains s'orientent vers un changement des pratiques pour lesquelles ils créent de nouvelles filières. Or, le principe de mise en relation par les coopérative isole les agriculteurs des consommateurs qu'ils doivent alors reconquérir.
2) Reconquérir les consommateurs Les enjeux climatiques et écologiques de notre siècle provoquent l'émergence d'une " conscience collective face à la catastrophe environnementale " (2). A Sivens, cette conscience collective se matérialise à travers la ZAD du Testet. La société est aujourd'hui demandeuse de pratiques plus respectueuses de l'environnement (3). Certains exploitants y répondent et changent leurs pratiques. J'ai pu observer cette transformation au cours de mon stage de première année à l'école d'ingénieurs agricole de Purpan. Les
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AUDREY MARION [auteur-réalisateurs], " Adieu paysans " [DVD], programme 33, 2014, 63 minutes
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CLEMENT Gilles, "L'alternative ambiante", Paris, Sens & Tonka, 2014, 55 p.
3 Fin 2016, les exploitations qui sont labélisées biologiques représentent 7,3% de la SAU française : leur tau a augmenté de 17% en une année. URL : http://www.agencebio.org/la-bio-en-france
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exploitants chez qui je travaillais, les Husson, commencent par s'adapter aux fluctuations du marché à travers la diversification de leurs productions. Ainsi, tous leurs revenus ne reposent plus sur un seul type de pratique culturale. Seulement, les coopératives qui collectent les productions ne peuvent pas accueillir cette diversification : les silos destiné à la collecte du grain dans une vallée ne sont prévus que pour deux ou trois types de semences. La laiterie Sodiaal, qui rachète la production des Husson, n'est préparée qu'a une activité de collecte de production de lait non transformée. Les exploitants doivent alors construire des filières qui valorisent une production unitaire de quantité limité, dont le coût augmente par rapport aux prix annoncés par la grande distribution. C'est en en se rapprochant des consommateurs que les Husson ont trouvé un débouché pour leurs diversification. Ils ont compris l'émergence de nouvelles attentes, et de nouvelles valeurs environnementales et sociales. Ces attentes ne correspondant pas aux critères de la grande distribution, ils ont alors imaginé comment eux, en tant que producteurs alimentaires, pouvaient faire pour les combler en se rendant indispensables. Les Husson représentent leurs productions à travers des valeurs concrètes et vendeuses : mieux manger, connaître la provenance alimentaire, que la qualité soit certifiée, être responsable de la production... Ils inventent des produits qui n'existent pas : beurres artisanaux, yaourts crémeux, faisselles de province... En faisant circuler ces productions sur le marché, ils véhiculent ces valeurs qui les ont orienté vers le changement de pratiques. Ils deviennent des informateurs qui renforcent le lien entre producteurs et consommateurs. Ils rompent leur isolement et contribuent changements des modèles de consommation. La boucle est bouclée : des attentes émergent chez de nouveaux consommateurs, et appellent d'autres exploitants à diversifier leurs pratiques. Suivant ce schéma, les exploitations qui sont labellisées biologiques représente 7,3% de la SAU française à la fin de 2016 : leur pourcentage a augmenté de 17% en une année (1). Ces changements impliquent une connaissance des pratiques agricoles qui peuvent conduire vers la transition. Pour les encourager, des initiatives locales sont mises en place et informent quant aux outils de changement des pratiques, car avec l'arrivée de la production de masse certains acquis se sont perdus, et doivent être réappris. Un colloque, auquel j’ai assisté en août 2014, en venait à expli-
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URL : http://www.agencebio.org/la-bio-en-france
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quer par exemple le principe des cultures associées : en semant des graines de vesce dans un champs d’épeautre, on peut obtenir un méteil de qualité pour les bovins. Les chaumes pleines de l’épeautre servent de tuteur aux fabacées, qui développent un bon rendement photosynthétique. Le gouvernement tente lui aussi d'encourager ces initiatives. Ainsi, la loi d'avenir agricole doit être votée par L'assemblée Nationale en 2014. Cette loi impose des normes et des restrictions supplémentaires en matière d'intrants. Elle durcit les sanctions, pour tenter d'imposer le virage agro-écologique(1).
3) Des initiatives limitées par les politiques gouvernementales Lorsque de juin à octobre 2014, je rentre les vaches en salle de traite au fond des Ardennes, une question tourne sans cesse : à quand le remplacement des quotas laitiers par la loi d'avenir agricole? Tous les habitants du village de Barricourt et de sa périphérie comptent des exploitants parmi leur membres proches, et l'arrivée de la loi d'avenir agricole menace leur équilibre précaire. Celle-ci débarque de concert avec les intempéries, dont l'été trop sec qui expédie les moissonneuses batteuses aux champs pour assurer un planning de récolte perturbé. La réforme semble dire : marche ou crève. En durcissant les normes, la loi d'avenir agricole accentue la pression qui charge les épaules des exploitants. Le documentaire "Petits paysans" traduit la pression permanente ressentie par un agriculteur face aux restrictions qui mettent ses performances à l'épreuve (2). Le cumul de ces pressions exercées par les normes gouvernementales et des lois rattachées au commerce international est exacerbée par la nouvelle réforme en 2014. On lui reproche de vouloir orienter vers une transition agro-écologique, mais sans retirer les freins qui empêchent cette transition. Ainsi la présidente de la FNSEA (Fédération Nationale des Syndicats d’Exploitants Agricoles), demande " une cohérence de texte (de loi) qui permette d’accélérer les procédures " (3).
1 L'agroécologie propose avant tout des systèmes de production agricole basés sur les processus et fonctions écosystémiques alors que l'agriculture industrielle issue de la révolution agricole ou de la Révolution verte pense la production à partir des intrants 2
CHARUEL Hubert, " Petit paysans ", Drame, 2017, 1heure 30minutes
3 DEBROSSES Philippe, VIARD Jean, Lambert Christiane, Jeanroy Alain, " Les défis du monde agricole en 2014 ", 25 février 2014, écoutée sur France inter, 37 minutes
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En effet, en France les leviers administratifs découragent les expérimentations qui pourraient répondre à la loi d'avenir agricole. Par exemple, il faut 4 mois pour autoriser la construction d'un centre de méthanisation (1), contre seulement 6 semaines en Allemagne. Des incohérences du texte de loi sont mises en avant assurant les manifestations agricoles de 2014. Les normes de productions se durcissent, ce qui élève les coûts de productions françaises en abaissant la marge de l'exploitant quand les marges des coopératives restent inchangées. En revanche, la loi d'avenir agricole continue d'autoriser l'importation internationale de produits ne respectant pas les normes qu'elle impose. Selon les agriculteurs, il devient " difficile de produire français " (2). Faudrait-il que tout le monde " devienne bio en France ", pour répondre aux enjeux ? Christiane Lambert, présidente de la FNSEA entendue sur l'émission radio de France inter à ce propos (3) indique que " c’est d’avantage la diversité des modèles qu’il faut privilégier plutôt qu’un seul modèle ". Cependant, s'orienter vers les filières courtes pour écluser une production nouvellement diversifiée, comme ce fut les cas pour les Hussons, reste une solution dont la en œuvre est complexe. D'une part, le gouvernement, les consommateurs, et les agriculteurs, continuent de manquer d'informations en ce qui concerne le modes de productions alternatifs : pois-chiche, seigle, sorgho, engrais vert, associations culturales, agroforesterie... D'autre part, dans la vallée du Tescou, ou ailleurs en France, peu d'exploitants possèdent leurs propres silos à grains, ou bien les fonds nécessaires à diversifier leur production, comme le souligne Frédéric Coulon ingénieur à Solagro (4). Le projet du barrage de Sivens s'inscrit dans un projet global de 27 retenues d'eau mentionné précédemment, est initié pour tempérer les manifestations des exploitants. Il insinue que les problématiques agricoles ne sont pas reléguées derrière celles liées à l'environnement et restent en ligne de
1 La méthanisation est un procédé très utilisé dans l’agriculture, mais également dans le traitement des biodéchets, celui des boues d’épuration urbaines et de certains effluents industriels. La méthanisation est parfois appelée digestion anaérobie. Elle rend possible une double valorisation de la matière organique et de l’énergie par rapport aux autres filières, tout en offrant une diminution de la quantité de déchets organiques à traiter et une diminution des émissions de gaz à effet de serre par substitution à l’usage d’énergies fossiles ou d’engrais chimiques. URL : http/wiki.org 2 Le MONDE, " Les agriculteurs mobilisés pour dénoncer les " contraintes " sur la profession", Le monde [En ligne], 2014, mis en ligne le 24 Juin 2014, consulté le 22 mars 2018. URL : http://www.lemonde. fr/societe/article/2014/06/24/les-agriculteurs-manifestent-a-rungis-contre-un-exces-de-normes-et-decontraintes_4443945_3224.html 3 DEBROSSES Philippe, VIARD Jean, Lambert Christiane, Jeanroy Alain, " Les défis du monde agricole en 2014 ", 25 février 2014, écoutée sur France inter, 37 minutes 4
Entretien à Solagro
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mire de la politique gouvernementale. Cela étant, cette politique entretien des paradoxes. Parmi eux on relève que par le barrage de Sivens, ce sont les pratiques agricoles actuelles de la vallée du Tescou qui sont encouragées, plutôt que l'adaptation du système de culture aux capacités de distribution de l'eau actuelles (1). Tandis que l’Assemblé adopte le texte de la loi d’avenir agricole, votée le 13 Octobre 2014, les affrontements ont lui sur la ZAD. Les actes de violences perpétrés à l’encontre des opposants ou à l’encontre des partisans au projet de barrage ne font qu’accentuer le sentiment d’impasse inextricable. A l'issu de ces affrontements, et après trois années de statu-quo, l’État ouvre de nouveau la porte sur un nouveau projet d'aménagement. Cependant ce nouveau projet s'inscrit dans un contexte sous tension. Afin de sortir de l'impasse conflictuelle, le projet d'aménagement devra répondre aux attentes de tous les habitants de la vallée du Tescou sans faire de distinctions, mais aussi aux exigences internationales, plus strictes suite à l'impact international du décès de Rémi Fraisse.
1 JACQUEMOUD Florence, " Dossier L’association Vie Eau Tescou reçue par le préfet du Tarn ", La france Agricole [En ligne], rédigé le 15 juillet 2015, consulté le 21 mars 2018, URL : http://www.lafranceagricole.fr/actualites/retenue-d-eau-de-sivens-secheresse-l-association-vie-eau-tescou-recue-par-le-prefet-dutarn-1,0,15392918.html
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III- Un nouveau projet prudent 1) Identifier les acteurs du bassin versant Après la mort de Rémi Fraisse en 2014, la Ministre de l’écologie Ségolène Royal fait à nouveaux évaluer les rapports d’expertise du barrage de Sivens par deux ingénieurs des Ponts Eaux et Forêts. Ils sont chargés de s’assurer que le projet de barrage de Sivens initial permet de " concilier la sécurisation d’une activité agricole raisonnée et la préservation de la ressource aquatique et des milieux naturels " (1). Le nouveau rapport, rendu public dès 2014, met en relief la sur-dimension du projet et ses impacts sur la zone humide du Testet : le projet satisfait pas ces objectifs. Cinq scénarios de sortie de crise sont alors étudiés. Ils tiennent compte de l’état d’avancement du projet, à savoir, qu’il a été déclaré d’utilité publique car l'arrêté d'intérêt général est finalement signé, qu’il bénéficie d’une autorisation de la loi sur l’eau, et enfin que les travaux ont été commencés avant d'être suspendus le 4 novembre 2014. La mission chargée de ces scénarios reçoit par Ségolène Royal le mandat de poursuivre le dialogue avec l’ensemble des acteurs concernés. Ils doivent élaborer collectivement une solution tout en réfléchissant à un projet de territoire. Un premier groupe de travail se réunit le 13 novembre à la Préfecture du Tarn pour établir une méthode, ainsi qu’un calendrier de travail. À l’issue de la réunion, les ingénieurs de la mission déclarent qu’au-delà des cinq scénarios d’autres solutions peuvent encore être examinées : des alternatives écartées par la CACG, ou de nouvelles solutions, suggérées dans le rapport ou en séance (2). L'idée du projet de départ est définitivement exclue, décembre 2015. L’État engage des discussions pour une retenue d’eau moins ambitieuse, et l'abandon du projet du barrage de Sivens se conclut par une compensation de 3,4 millions d’euros de l’État au département : 2,1 millions pour les dépenses en pure perte et 1,3 million pour réhabiliter
1 FORRAY Nicolas, RATHOUIS Pierre, " Expertise du projet de barrage de Sivens ", Rapport du Conseil général de l’environnement et du développement durable [En ligne],n°- 009953-01, Octobre 2014, Consulté le 01/03/2018 à 22h16, URL : http://www.ladocumentationfrancaise.fr/rapports-publics/144000641/#book_sommaire 2
Barrage de Sivens, URL : wikipédia.org
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la zone humide (1). En juillet 2016, en échos aux recours juridiques engagés par le collectif du Testet en 2014, le tribunal administratif de Toulouse annule les trois arrêtés fondateurs du projet de barrage, dont la déclaration d’utilité publique n'ayant pas été signée dans les règles. Une nouvelle procédure à l'élaboration d'un projet de territoire sur le bassin versant du Tescou est entamée en janvier 2016. Le projet sera, cette fois-ci, basé sur une démarche de co-construction. Cette démarche fait appel à la participation des acteurs pour ramener une cohésion après la crise de Sivens. Prudente, elle doit désamorcer des tensions toujours présentes, et répondre au enjeux mis de côté depuis 2014. On confie au groupe ADEPRINA-API l’élaboration de la démarche. ADEPRINA-API est une association rattachée à AgroParistech, spécialisée dans les domaines de la concertation. Le groupe, constitués d'ingénieurs, propose une " démarche stratégique orientée vers la compréhension et la prise en charge du problème par les acteurs concernés." (2) En premier lieu, ADEPRINA cherche à identifier les acteurs qui porteront le nouveau projet d'aménagement. Essentielle, cette étape définit leur rôle dans la démarche de co-construction, et initie leur implication. L'identification s'organise autour d'un audit patrimonial rédigé grâce à des entretiens, en février 2016. Cet audit joue un rôle qui nuance les présentations entre les acteurs. Il ne précise pas où ont été réalisés les entretiens ni avec qui, mais on devine que les audités sont des acteurs ciblés par ADEPRINA, qui ont été impactés ou préoccupés par la crise de Sivens. Au cours des entretiens, les enjeux liés a l’agriculture, l’eau, le rural, l’urbain, le patrimoine, sont questionnés. La crise de Sivens tient une place à part dans leur remise en question. La démarche d'ADEPRINA propose d’identifier les qualités et les contraintes de ces aspects, ainsi que leur localisation dans le bassin versant du Tescou. Partisans du barrage, comme farouches opposants, y sont entendus, agriculteurs comme habitant lambda de la vallée du Tescou. La collecte d'informations témoigne d'un intérêt égal à chaque type de personnalité pour dresser un portrait représentatif du bassin versant du Tescou.
1 L’Obs, " Sivens: abandon définitif du projet du grand barrage ", Le Nouvel Observateur [En ligne], mis en ligne le 27 Décembre 2015, consulté le 05 Avril 2018, URL : https://www.nouvelobs.com/politique/20151227. AFP1329/sivens-abandon-definitif-du-projet-du-grand-barrage.html 2 AgroParisTech, " Démarche préalable au projet de territoire du bassin versant du Tescou ", Audit patrimonial [PDF], Juillet 2016
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En les abordant sur l'ensemble du bassin versant, ADEPRINA délocalise les enjeux et permet de prendre du recul par rapport au conflit d'usage de la vallée du Tescou. Cependant, les personnes auditées se révèlent souvent incapables de décrire les enjeux qui les préoccupent sur l’ensemble du bassin versant. Du point de vue des acteurs, le bassin versant du Tescou est fragmenté selon des portions réduites, qui le rendent difficilement descriptible. Les acteurs de la démarche invoquent un périmètre restreint pour le décrire : " je peux vous parler de la vallée du Mas-Bonnal à Salvagnac, mais je ne peux pas vous parler du territoire du bassin versant ". Ou encore, elles font appel aux pôles urbains : " le bassin versant du Tescou a une position stratégique reconnue dans le triangle Albi-Montauban-Toulouse ". A l'échelle du bassin versant, il semble donc difficile de définir avec précisions les identités des acteurs pour arriver à un " constat partagé ", en reprenant les termes de l'audit. Mais, lorsqu'on évoque des périmètres plus réduits, le discours des personnes audités se tourne à nouveau vers le conflit de Sivens. Le conflit d'usage à Sivens semble avoir complexifié la compréhension du rôle des acteurs à l'échelle locale. Cette complexité est reprise par le titre de la première partie de l'audit patrimonial : " L’identification de la situation, des acteurs et des problèmes : un territoire discret qui surgit dans toute sa complexité avec la crise de Sivens ". En effet, l'apparition de la ZAD et des mouvements d'opposition révèlent en 2014 une grande variété de personnalités qui utilisent la vallée du Tescou. La disparition de la ZAD masque cette diversité, mais le conflit laisse derrière lui une confusion quant à l'identité des habitants de la vallée. Lorsque le dossier synthèse de l’audit patrimonial est rendu public en juillet 2016 (1), on tente encore de comprendre cette diversité méconnue. Alors que l'identité des acteurs dans le bassin versant du Tescou reste à actualiser, la deuxième partie de l'audit patrimonial, " Diagnostic de l'action engagée " (2), tentera de rassembler ces identités esquissées, parfois en opposition, autour d'un même objectif : une gestion d'ensemble du bassin versant du Tescou. Selon la deuxième partie de l'audit, les destins de ces identités sont liés, car elles font partie
1 ADEPRINA, AgroParisTech, " Conditions et moyens d’une meilleure gestion de la qualité du territoire du bassin versant du Tescou : quelle stratégie pour la ressource en eau ? ", in audit patrimonial, Tarn et Tarn-et-Garonne, Juillet 2016 2 ADEPRINA, AgroParisTech, "diagnostic engagé, une remise en cause du mode d'action classique qui amène chaque acteur à la reconnaissance d'un destin lié dans ce territoire", in " Démarche préalable au projet de territoire du bassin versant du Tescou ", Audit patrimonial [PDF], Juillet 2016, p16
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d'un même territoire, le bassin versant. Le concept du territoire doit stimuler les acteurs dans une démarche participative et collective, autour d'un " dessein commun ", pour reprendre les termes de l'audit. Croire et agir pour ce " dessein commun ", c'est aussi apprendre à tempérer son opinion en vue d'accepter les compromis à venir. Notion ayant trait à ce concept des " destins liés ", un territoire se dessine par notre pratique des l'espaces. Claude Raffestin, en 1986, écrira qu’un territoire est un espace transformé par le travail humain (1). Conformément à cette définition, d'après le groupe ADEPRINA, c'est avec la crise de Sivens, que la notion de territoire émerge : " La vallée du Tescou : on n’en parlait jamais avant Sivens. Ce n’est pas un territoire très identifié. On en parle comme d’un territoire parce que les événements ont eu lieu. " Cependant, après la crise de Sivens les acteurs du bassin versant du Tescou ne s'identifient plus entre eux, ni ne comprennent ce dont ont besoin leurs voisins, comme le révèle la première partie de l'audit patrimonial. La compréhension du concept du territoire reste compromise dans la deuxième partie. "[La vallée du Tescou] en tant que tel, ce n’est pas un territoire". Les acteurs assimilent difficilement la notion du " dessein commun ". Peut-être pourrions-nous actualiser l'état des lieux des identités des acteurs, avant d'aborder la notion de territoire avec des acteurs étrangers au concept. Pour concevoir de nouvelles façon d’aborder les identités des acteurs et leur implantation dans un territoire, nous devons comprendre ce qu’elles sont. " La production, pratique et théorique, de moyens d’expressions nouveaux suppose l’élucidation, pratique et théorique, des structures et des perspectives du groupe social qui produit la commande " (2)
. Peut-être faudrait-il alors développer de nouvelles méthodes d'identification des acteurs. Basées
sur une première approche indépendante des entretiens, elles proposeraient une première esquisse, préalable à la consultation des acteurs. Cette esquisse pourrait se baser sur la description des entités plus réduites mentionnées par les acteurs dans l'audit : le paysage d'une vallée, l'agencement des pôles urbains. En comprenant, puis en s'emparant de ces évocations façonnées par le conflit, nous pouvons
1 RAFFESTIN Claude, " Ecogénèse territoriale et territorialité ", in Auriac F. et Brunet R. (eds.), Espaces et enjeux, Paris, Fayard, 1986, p. 173-185 2 TABOURET R.J, " Quand et pourquoi parler d’espace à propos de l’aménagement des lieux et d’édifice ", in BRESSON.F et al., De l’espace corporel à l’espace écologique, Presses universitaires de France, Paris, 1974, pp.258-260
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à notre tour apprendre à les orienter pour clarifier les identités.
Réduire les limites de l'espace qu'on tente de décrire, c'est permettre à l'ensemble des participants de la démarche de co-construction de s'accrocher à des réalités, les leurs, pour dialoguer. Il peuvent se les approprier en tant que références. Par la suite, elles serviront de base pour définir le territoire sur lequel s'exercent les pratiques des acteurs à échelle hmaine. Il nous sera alors possible de clarifier les enjeux de demain, et leurs délimitations spatiales . Cette étape de classification des enjeux arrive à présent en 2018, et prolonge la démarche de co-construction engagée par l'audit patrimonial en 2016.
2) S'éloigner du conflit de Sivens La classification des enjeux est cadrée par une charte, issue de la synthèse de l'audit patrimonial. La charte est rédigée et publiée par ADEPRINA en décembre 2017. Elle stipule que l'association ADEPRINA doit à présent définir " les lignes principales d’une stratégie d’action partagée ". Soit, déterminer les enjeux, avec à l'appui les résultats de l’audit. Les enjeux déterminés par ADEPRINA doivent être affinés à la suite de rencontres avec les acteurs. Ces rencontres, organisées sous la forme de séminaires, assurent la neutralité des décisions officialisées par ADEPRINA. Les acteurs ayant participé à la démarche d’audit sont sollicités en priorité, mais un groupe de citoyens volontaires vivant sur le bassin versant du Tescou sera associé à la démarche après tirage au sort. Les exercices de concertation réuniront en tout entre 60 et 80 acteurs d'origines diverses, et cette étape permettra de statuer sur l'esquisse du projet d’aménagement. A travers cette démarche prudente, ADEPRINA regagne peu à peu la confiance des acteurs et comble le manque d'écoute reproché en 2014 selon Mr XX. Cependant, la démarche de co-construction, annoncée début 2017, devait se poursuivre durant 6 mois, pour aboutir sur la présentation du nouveau projet d’aménagement en automne 2017 (1).
1 BOFFET Laurence, " Barrage de Sivens : reprise des discussions sur le nouveau projet ", France3Occitanie [PDF En ligne], mis en ligne le 11 mars 2017, consulté le 05 avril 2018, URL : https://france3-regions.francetvinfo. fr/occitanie/tarn/albi/barrage-sivens-nouveau-projet-officiellement-lance-1212281.html
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Je tente de comprendre les raisons de son retard en partant à la rencontre des acteurs, début 2018. Lors d'un premier entretien en février 2018, Mr XX
(1)
, m'avoue ne pas disposer de renseignement
quant à la programmation du nouveau projet d'aménagement. Il reste démuni, sans informations sur le déroulement des concertations. Par la suite, à la fin de mars 2018, Mme Puibasset, élue à la mairie de Lisle-sur-Tarn, admet au cours d’un entretien téléphonique que les groupes de concertation qui affinent la classification des enjeux " viennent à peine de commencer " (2). Car la communication entre les acteurs du bassin versant du Tescou est tendue. Je m’oriente vers Patrick Urbano, géographe de profession, Directeur de l’Environnement du Département du Tarn, impliqué dans les démarches de concertations. Lui aussi, m'assure que la clarification des enjeux n’en est qu’à ses tous débuts. Les discussions autour des enjeux du bassin versant du Tescou sont freinées par la situation délicate d'une sortie de crise : le spectre de la violence plane encore au dessus des débats. Ainsi, le système de classification des acteurs par ADEPRINA est représentatif de ces tensions, qui ne sont pas écartées : au cours des séminaires, les acteurs sont divisés par " type ", par " familles " du dossier, et par " thématiques " (3) . Selon le géographe Directeur de l’Environnement, le conflit d'usage est toujours d’actualité dans la vallée du Tescou, et les violences qui découlent de la période de 2014 se ressentent encore en 2018. Méfiants, les acteurs ne se connaissent ou reconnaissent plus. Dans l'audit patrimonial, on peut y lire que, du jour au lendemain, des voisins ont cessé de s'adresser la parole. " Pour ou contre le barrage ? ". Frein supplémentaire à la communication entre les acteurs de la démarche, une image dévalorisante pour les habitants de la vallée du Tescou est entretenue par le souvenir du conflit. Cette image, véhiculée par les médias durant 2014, présente la vallée du Tescou comme une campagne décharnée, entièrement vouée à la grande culture céréalière. C'est une représentation symbolique d’un système agraire généralisé, basé sur l’exploitation intensive des ressources. Elle suggère un manque d'intérêt des habitants en ce qui concerne la préservation des ressources. Elle écarte
1
Exploitant qui tient à rester anonyme, vallée du Tescou, 23 février 2018 de 13h30 à 14h15
2 Mme Puibasset, responsable du développement durable et rural à la mairie de Lisle-sur-Tarn, entretien téléphonique le 12 mars 2018 de 17h20 à 17h39. Se référer en troisième partie. 3 BOFFET Laurence, "Barrage de Sivens : reprise des discussions sur le nouveau projet", France3Occitanie [En ligne], mis en ligne le 11 mars 2017, consulté le 05 avril 2018, URL : https://france3-regions.francetvinfo.fr/ occitanie/tarn/albi/barrage-sivens-nouveau-projet-officiellement-lance-1212281.html
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aussi de l’imaginaire collectif la diversité des relations que les hommes tissent avec leur socle. " Au sein de la vallée, ça (le conflit) a mis une mauvaise ambiance, avec un énorme ressentiment contre les gens de l'extérieur. Souvent avec des gens de l'extérieur on se disputait car, pour nous, il y avait une telle désinformation…" (1). Ce portrait simpliste est décalé de la réalité, mais il est pourtant devenu une image de référence qui fausse la reconnaissance des habitants. Elle biaise la lecture des impacts de leurs pratiques sur le bassin versant du Tescou. " La majorité des gens qui ne connaissaient pas la vallée reconnaît aujourd'hui qu'on l'a mal décrite. Des travées d’arroseurs, ce n’est pas possible dans le Tescou"(2). Perturbés par cette représentation, les habitants ne savent plus s'ils ont en face d'eux, quelqu'un qui s'appuie sur une image culpabilisante ou à l'inverse, s'il s'agit d'un protagoniste à même de nuancer les propos tenus. Alors, par crainte d'une violence qui peut revenir à tout instant, le dialogue reste compromis. C'est son absence qui retarde le lancement du nouveau projet d'aménagement à Sivens. La méthode de concertation organisée entre les acteurs ne suffit pas, actuellement, pour s'éloigner du conflit. On tente à nouveau de s'accrocher à des réalités concrètes afin d'écarter les préjugés et faire avancer le débat. La description du paysage de la vallée du Tescou est une réalité concrète qui renvoie vers des paysages " très diversifiés au niveau agricole. Historiquement, (le territoire) est une zone d'élevage qui disparaît pour la grande culture. Il y a une différence entre l'amont et l'aval, il y a une évolution dans ce sens-là " (3) . Selon Patrick Urbano les acteurs peuvent se raccrocher à la description de ces paysages, pour écarter la représentation homogène véhiculée par les médias.
1 ADEPRINA, AgroParisTech, " Conditions et moyens d’une meilleure gestion de la qualité du territoire du bassin versant du Tescou : quelle stratégie pour la ressource en eau ? ", audit patrimonial, Tarn et Tarn-et-Garonne, juillet 2016, page 15 2 ADEPRINA, AgroParisTech, " Conditions et moyens d’une meilleure gestion de la qualité du territoire du bassin versant du Tescou : quelle stratégie pour la ressource en eau ? ", audit patrimonial, Tarn et Tarn-et-Garonne, juillet 2016, page 17 3 ADEPRINA, AgroParisTech, " Conditions et moyens d’une meilleure gestion de la qualité du territoire du bassin versant du Tescou : quelle stratégie pour la ressource en eau ? ", audit patrimonial, Tarn et Tarn-et-Garonne, juillet 2016, page 13
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Dans la vallée, nous observons des types d’implantations humaines variées, telles que des vignobles, des prairies en pâtures. Aussi, en mars 2018, alors que j'arpente la vallée du Tescou depuis Mas-Bonnal jusqu'au hameau de Loubet par le GR de pays de Lisle à Sivens, j'y observe des cultures céréalières, mais de quelques hectares tout au plus. Du côté de Journès, les grandes routes départementales s’opposent aux routes plus petites et sinueuses. Sur les unes circulent les citernes qui transportent le vin, et sur les autres, les tracteurs reliques des années 1990 bouchent la circulation après un virage. Ces caractéristiques paysagères de la vallée du Tescou sont radicalement opposées à celles véhiculées par les médias. La description des paysages amène de la nuance à une approche trop catégorique et peut arriver en complément des méthodes de concertation engagées par ADEPRINA. Le tout serait donc de " réactualiser cette vision paysagère " pour reprendre les termes de Patrick Urbano. A ce jour, c'est grâce à la conception du nouveau projet d'aménagement que les acteurs tentent d'actualiser cette vision paysagère. Les enjeux du nouveau projet s'orientent vers la mise en valeurs des caractéristiques paysagères de la vallée du Tescou, en accentuant celles qui renvoient une image typiquement bocagère. Représentatifs de cette orientation, les travaux de réhabilitation de la zone humide débutent le 21 août 2017, alors que s'engagent les concertations entre les acteurs. L’objectif de l’opération est de restituer au site son état initial, avant travaux, notamment en remettant en place les volumes de terre déplacés. Cependant, si ces orientations redéfinissent l'image bocagère, elle ne tiennent pas compte de la diversité des paysages de la vallée du Tescou. Ainsi, lors d’un entretien, Patrick Urbano (1) évoque la vallée du Tescou en mentionnant les prairies nombreuses, les haies, l’omniprésence des arbres... Il décrit le passage d’une organisation bocagère à l’organisation céréalière en par l’extension des parcelles aux abords de Montauban, où l’urbanisation a un mitage important. Or, ces aspects de la vallée détiennent une place minime dans son discours. Les descriptions de la vallée qui renvoient une image rattachée au conflit semblent à ce jour taboues. Cependant nous ne pouvons pas résoudre le conflit identitaire, en affirmer l'identité des acteurs auprès des uns et des autres, si les caractéristiques de la vallée du Tescou ne sont pas reconnues dans leur ensemble.
1 URBANO Patrick, géographe , Directeur de l’Environnement du Département du Tarn 13 mars 2018, appel téléphonique de 11h30 à 11h45
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Malgré tout, les orientations du nouveau projet d'aménagement évoquées ci-dessus, ont l'intérêt de réconcilier les opposants de l'ancien projet de barrage, avec l'idée d'un nouvel aménagement. De plus, elles doivent permettre aux anciens partisans, aujourd'hui culpabilisés par les médias, d'être fiers de prendre part au nouveau projet. C'est une façon d'amener deux parties divisées de la population vers les concertations, mais sans réconciliation. Néanmoins, avant de concevoir le projet d'aménagement, actualiser la vision paysagère de la vallée du Tescou pourrait aider à clarifier les identités des acteurs, et les relations qu'ils entretiennent. Etape conduisant vers la médiation, c'est un nouvel état des lieux qu'il faudrait réaliser. Son défi : rendre compte de l'existant, et le valoriser malgré le handicap de la crise de Sivens. Il devrait pour cela faire appel à des outils de description et de représentation des paysages.
3) Innover en changeant les modes d'actions Les outils adaptés aux démarches descriptives sont introduits par ADEPRINA dès l'audit patrimonial. ADEPRINA mène l'un des rares projet d'aménagement en France, où l'on explique sa conception pour faire participer des acteurs étrangers aux concepts d'aménagement du territoire sur un projet d'une telle ampleur. Selon Patrick Urbano, il n'existe à ce jour, qu'un ou deux projet d'aménagement de cette envergure, inscris dans le cadre d'une démarche participative en France. Ce sont des démarches qui expérimentent encore aujourd'hui, de nouvelles méthodes entraînant vers la médiation. Devant l'émergence du nouveau projet d'aménagement à Sivens, les acteurs encore sujet au conflit de la vallée du Tescou, semblaient donc prédisposés à s'engager dans une expérimentation qui ferait appel à la participation. Pour la première fois depuis 2014, les acteurs du conflit font face collectivement à des descriptions écrites de leur vallée qui les incitent à l'argumentation. Si de prime abord les outils de l'écrit et de l'oral restent insuffisants pour atteindre une réconciliation, la méthode développée par ADEPRINA l'encourage ensuite, en y associant des concepts : " territoire ", " destins liés ". Assimilés avec difficulté, ces concepts devaient stimuler la participation des acteurs ainsi que leur volonté de dialoguer. En avril 2018, il semble que le dessin du nouveau projet d'aménagement tende lui aussi vers la réconciliation. Cependant, l'absence de dialogue persiste. Les violences peuvent revenir. L'esquisse du nouveau projet d'aménagement retarde aujourd'hui le retour de ces violences.
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La préservation de la zone humide du Testet ou la valorisation du patrimoine bocager de la vallée du Tescou sont les seules orientations qu’il m’ait été permis de déceler après les entretiens avec Mme Puibasset ou Patrick Urbano. Quant à l’option d’une retenue d’eau, ou de ses solutions alternatives, elles restent officiellement d’actualité, selon Mr XX. Cette esquisse du projet tempère les protestations qui attisent la controverse en y répondant partiellement. Car on fait d'une part le choix de préserver l'espace naturel de la zone du Testet, et d'autre part il s'agit de répondre aux problématiques de la gestion en eau du bassin versant du Tescou. Une rencontre avec un habitant de la zone du Testet, en date de Mars 2018, mentionne la construction, à nouveau, d'une retenue d'eau sur les propriétés foncières du département du Tarn : "- Je sais pas ce qu'ils font là, en bas... Ils s'amusent. " m'indique l'un des seuls habitants sur la zone du Testet en parlant de la rénovation de la zone humide. " Ça fait pas longtemps que je suis ici moi, j'ai pas suivi le conflit (...) Il paraît qu'il vont construire un autre barrage, plus haut, là-bas, dans la vallée. " Le dessin du nouveau projet permet de ré-éditer l'ancien projet de barrage, en y apportant des compromis, dont la préservation de la zone humide du Testet. Or, ce nouveau projet d'aménagement ne reconstruit pas le dialogue, qui précède toute transition. Les acteurs de la vallée du Tescou n'ont toujours pas les clés en mains pour faire évoluer d'eux même leur territoire. Après l'aménagement du nouveau projet, ce territoire se figera à nouveau. La douleur et le traumatisme encore forts issu du conflit de 2014, ainsi que la crainte qu'il revienne, empêcheront les acteurs de mettre en mouvement le changement. Peut-être que le nouveau projet d'aménagement est un prétexte qui cache le véritable projet : celui d'une démarche participative qui soigne les douleurs et les traumatismes latents. L'expérimentation doit continuer. Pour répondre à ces enjeux, les pistes d'une approche complémentaire sont déjà esquissées par la méthode d'ADEPRINA, Cette approche se base sur l'observation et la retranscription des paysages de la vallée du Tescou. L'observation et la description paysagère font appel à des outils absents de la démarche d'ADEPRINA et maniés par le paysagiste. Un paysagiste aurait donc un rôle de médiation à jouer dans une démarche de co-construction, en employant ses propres outils pour faire passer des concepts.
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III- Le rôle du paysagiste dans la médiation 1) Faire passer des concepts grâce à la sensibilité En premier lieu, l'observation des paysages semblerait permettre d'actualiser les identités et le rôle des acteurs du bassin versant. " (Le) paysage, désigne une partie de territoire telle que perçue par les populations, dont le caractère résulte de l’action de facteurs naturels et/ou humains et de leur interrelations " (1). Les caractéristiques des paysages découlent de l’implantation des modes de vie humains : haies bocagères, pâtures, routes, coteaux... Elles peuvent être regroupées par catégories d’usages : bocages, vallées, côteaux, plaines alluviales...Les modes de vie s’adaptent aux conditions géo-morphologiques de la vallée. Aussi, les cultures céréalières sont absentes des espaces vallonnés de la vallée du Tescou : ses reliefs supportent mieux la gestion bocagère, près du Mas-Bonnal. En revanche, les plateaux sont principalement dédiés aux grandes cultures vers Montauban. L'ensemble de ces caractéristiques délimitent alors une partie de territoire où s’exercent des modes de vie similaires, ou qui interagissent. " Mais, tu crois qu'ils accepteront de faire un autre état des lieux ? " me demande ma mère lorsque nous envisageons cette nouvelle approche. L'audit patrimonial révèle que les acteurs de la démarche de co-construction s'identifient avec difficulté après la crise de Sivens en 2014. Cette crise incite à se tenir éloigné d'une recherche identitaire qui risquerait de raviver des tensions. D'un côté, le paysagiste doit stimuler les acteurs pour persévérer dans la recherche identitaire. De l'autre, il doit initier une démarche qui brise le silence. Afin de rompre les tabous, le paysagiste effectue une reconnaissance sur terrain (2).
1 Extrait Convention européenne du paysage dite Convention de Florence entrée en vigueur en France le 1er juillet 2006 et publiée au journal officiel le 22 décembre 2006. 2
Se référer au Carnet d'arpentage pp.82-96
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Sur site, le paysagiste observe ce qui est passé sous silence, pour le mettre en relief. Cette reconnaissance paysagère passe par des arpentages. Le paysagiste explore les cartes, rencontre les acteurs qui seront impactés par le futur projet d'aménagement, effectue des entretiens. Il observe les paysages interprète les pratiques humaines qui s'y exercent. Il dresse un premier portrait des identité humaines du bassin versant. L'ensemble des impacts de ces identités sur les paysages dessine le territoire de la vallée du Tescou. Ces observations théoriques sont traduites pour que les amateurs non éclairés puissent se les approprier, et au besoin, pouvoir les rectifier. Cependant, les outils qui retranscrivent aujourd'hui les pratiques des hommes sur leurs espaces sont inadaptés à cet objectif. Le nouveau projet d'autoroute du pays Autan-Caucagne par exemple, évoqué par Patrick Urbano, fait appel aux SCOT (1), et PLU (2). Ce sont des documents que le public ne peut pas s’approprier à moins d’y avoir été initié. Selon Patrick Urbano, ces représentations ne stimulent pas les participants dans une démarche de co-construction, car " SCOT, PLU, Tout ça les gens ne comprennent pas ". Contrairement à ces documents, afin de stimuler la participation, le paysagiste emploie des outils de description des paysages qui font appel à la sensibilité, par exemple, la carte des paysage3. Les objectifs de ces outils sont d'intriguer, susciter des retours : faire parler. Un paysagiste ayant interprété les causes et les répercussions du conflit à Sivens peut choisir de valoriser les aspects liées à l'imaginaire de la culture céréalière, jusqu'à présent évoqués uniquement de façon dévalorisante. L'écrit est un des média du paysagiste, comme le croquis. Grâce à un dessin, un paysagiste accentue certains traits du paysage : un horizon limité par des haies bocagères, de grands espaces où il nous est possible d'avoir une vue dégagée. Simplifier les représentations oriente le regard sur des aspects qui n'auraient pas été perçus par tous. On pourra alors débattre de façon plus générale que face à des
1 Le Schéma de cohérence territoriale (SCOT ou SCoT) est un document d’urbanisme français qui détermine, à l’échelle de plusieurs communes ou groupements de communes, un projet de territoire visant à mettre en cohérence l’ensemble des politiques sectorielles notamment en matière d’habitat, de mobilité, d’aménagement commercial, d’environnement et de paysage. 2 En France, le plan local d’urbanisme (PLU), ou le plan local d’urbanisme intercommunal (PLUI), est le principal document de planification de l’urbanisme au niveau communal (PLU) ou intercommunal (PLUI). 3
Se référer en Annexe 3
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photographies, que chacun voudra à tout prix localiser précisément (1). Outil supplémentaire, le bloc diagramme est une représentation intermédiaire entre la carte et le dessin. Il offre l’avantage de montrer les relations entre les différentes parties d’un territoire. En outre, le bloc-diagramme regroupe les traits caractéristiques d’un type de paysage, ce qui facilite la discussion autour d’enjeux territoriaux. Les paysagistes, en créant des cartes des paysages, des blocs diagrammes, ou des textes d'arpentages, s'accrochent à une réalité qui fait parler les acteurs dans la démarche de participation. Et en observant les paysages, les acteurs s'observent aussi les uns et les autres. Alors, lorsque paysagiste et acteurs de la démarche dessinent un portrait de l'ensemble des paysages de la vallée du Tescou, une prise de conscience émerge : les pratiques des acteurs interagissent constamment avec leur environnement. En explorant une photographie prise depuis le ciel, nous pouvons décrire une première fois à l'écrit ces interactions2. En révélant ce texte le paysagiste rend assimilable à une majorité de lecteur des faits scientifiques imperceptibles en décrivant, par les paysages, la façon dont les mouvements des hommes interagissent avec la nature.
Le paysagiste oppose l'infiniment grand et l'infiniment petit, par exemple les qualités géomorphologiques d'un sol. Il décrit une mise en système des paysages de la vallée du Tescou. Le système paysager aborde le concept de " territoire " car il le rend visible. Composé d'entités paysagères réduites (côteaux, vallées, rivières, plaines, périphéries urbanisées...), les limites du territoire sont remises en question par les acteurs. Les nouveaux participants à la conception du projet s'approprient alors les données recueillies, les actualisent. Ils définissent ainsi eux-mêmes les enjeux du projet d'aménagement, au cours des concertations qui suivent cette première approche. La définition de ces enjeux par rapport à une échelle humaine découlent à la fois d'aspect pratiques et nécessaires, mais aussi des affects individuels. " Je souhaite préserver cette parcelle de l’inondation parce qu'elle est dans ma famille depuis cinquante ans" ou encore "Je souhaite préserver cette parcelle de l'inondation parce qu'elle permet à mon troupeau d'accéder à l'eau plus facilement ".
1 " Faire du paysage un outil de médiation ? ", Paysage outil de médiation [En ligne], n°8, 2009, Partie 2 page 1, mis en ligne en 2009, consulté le 05 avril 2018, URL : http://www.vignevin.com/fileadmin/users/ifv/ recherches/Developpement_durable/paysages/n8_paysage-outil-de-mediation_2009-12_300dpi_Partie2.pdf 2
Se référer au Carnet d'arpentage, BLOCH Amandine, " Vue du ciel ", pp.84-85
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Là, le paysagiste joue un rôle de médiateur, et nuance les propos dans le cadre d'un conflit d'usages.
2) Nuancer les propos Des indices, dans le paysage de la vallée du Tescou, témoignent d'un affect malmené par la crise de Sivens. Dans les exemples qui suivent, la sensibilité des acteurs refreine leur description des paysages et des enjeux : ils éludent volontairement des aspects paysagers de la vallée du Tescou. La table d’orientation de la maison forestière de Sivens n’a pas été réparée depuis 2014, pourtant "la forêt de Sivens est quand même importante, avec la maison forestière, énormément de gens y vont". La zone humide n’est remise en état qu’en 2017, et ces travaux continuent en 2018 : Il y a toujours des panneaux "chantier interdit au public". Enfin, accoudé contre le bar d’un hôtel à Salvagnac, un café noir entre les mains, un habitant me dira "Sivens ?.... Oh, non, n’allez pas par là. Il n’y a plus rien vous savez ! Dans le temps, oui, mais là.... Allez plutôt du côté de Puycelsi". Puycelsi est à une demi-heure de voiture de la zone humide du Testet. Or, " Le paysage, c’est le reflet de l’âme d’un territoire […] Le paysage exprime l’attention qui est porté à un lieu, un territoire[...] C’est essentiel pour l’estime de soi des habitants " (1). Nous pouvons essayer d'encourager cette estime, par une vision paysagère qui mette en valeur l'existant délaissé. Cette mise en valeur, qui rendrait fiers les acteurs responsables des paysages, peut s'organiser grâce à la démarche de co-construction. En réalisant collectivement l'état des lieux des paysages de la vallée du Tescou, une équipe de paysagiste orienterait la sensibilité des protagonistes influencés par le conflit de Sivens. Cette sensibilité doit être progressivement détournée des préoccupations individuelles, pour être tournée vers des enjeux collectifs. Pour reprendre l'exemple des parcelles cité précédemment, une équipe de paysagistes peut décrire un autre point d'accès à l'eau grâce aux paysages, en tablant sur la sensibilité du détenteur des parcelles pour lui faire préférer les nouvelles parcelles. Détourner la sensibilité se fait par les outils du paysagiste, précédemment décrits, qui façonnent des références visuelles et aident à introduire les acteurs de la démarche de co-construction dans les
1 THIBAULT Christian, " L’approche paysagère pour mieux se projeter ", les cahiers de l’IAU îdf, n°159, 2011, p4.
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concertations. Ces concertations apprennent à rétablir le dialogue à la suite du conflit, et elles testent la justesse des identités territoriales esquissées indépendamment des acteurs dans la première étape. Dans le cas de Sivens, de mêmes identités se sont superposées sur un site sans le partager, ce qui a conduit à un conflit. Aujourd'hui étouffé, il se ressent encore à travers la méfiance qu'il a instillée entre les hommes. Là, l’approche paysagère aide à désarmer un manque de confiance en montrant que tous les points de vues sont entendus, compris, et illustrés. Elle peut rassurer, car elle fournit un cadre aux débats entre les acteurs : l'approche paysagère leur permet de s’approprier les représentations sensibles, et maîtrisées, pour réussir à dialoguer en fonction de leurs impressions ce qui nuance les tensions. Lorsque les tensions parviennent à être nuancées, il est possible de mettre progressivement de côté le conflit d'usage. A la suite de quoi, des solutions alternatives issues des compromis qui émergent, peuvent être imaginées. Par exemple, des usages qui se superposent ne sont peut-être pas à la bonne place. ADEPRINA arrive à cette conclusion, et délocalise le site de construction de l'éventuelle retenue d'eau. Mais ces délocalisations d'usages suscitent elles aussi la méfiance des participants, qui visualisent mal le nouvel agencement d'un espace auquel ils sont habitués. Ils faut alors motiver le s raisons du changement. Afin de rassurer quand au changement, l'approche du paysagiste aide à conceptualiser la façon dont les usages sont agencés : il décrit la transition entre les usages. Comprendre cette transition, c'est être prêt à en imaginer de nouvelle. L'extrait du carnet d'arpentage "GR de pays de Lisle à Sivens", consultable dans le carnet d'arpentage, décrit la façon dont sont reliées la gestion bocagère et la gestion céréalière dans la vallée du Tescou, depuis la zone humide du Testet jusqu'au Hammeau de Loubet par le Gr de pays de Lisle à Sivens. Cette approche, par les paysages, montre des usages mis en relation : marche, agriculture, habitat de zone humide. C'est dans ce système de paysage successifs que viennent s'implanter les nouveaux projets d'aménagements. Dans une situation conflictuelle où l'on s'oppose au changement, il faut démontrer que les relations entre les usages ne sont pas définitives et qu'elles gagneraient à être modifiées. Ce faisant, la compréhension du système paysager arme les acteurs d'un potentiel d'imagination. Ils peuvent se projeter dans la nouvelle mise en relation de leurs usages par le projet d'aménagement. 77
Ils peuvent donc aider à organiser cette mise en relation. Ainsi, en organisant l'intégration du nouveau projet dans leur paysage, ils participent à la démarche de conception du nouveau projet d'aménagement. De chercheur, le paysagiste devient médiateur. Il engage enfin, une démarche de prospective qui prouve qu'un changement sans conflit est possible.
3) Encourager la prospective Une prospective engageante aide à motiver le dessin du nouveau projet d'aménagement. L'objectif d'une prospective esquissée collectivement, est d'encourager les relations entre les acteurs : les interactions entre les usages instaurent des usages intermédiaires, porteurs de valeurs ajoutées pour leur territoire. Prenons l’exemple du GR de pays de Lisle à Sivens, qui serpente entre les ruines d’anciens moulins. Admettons que les enjeux soient d’aménager le sentier pour répondre à une affluence touristique et permettre l’exploration du patrimoine bocager, dans le cadre d’une démarche de co-construction. Aujourd’hui, le GR longe le Tescou sans passer par Salvagnac, village situé à 20 minutes de marche de la rivière. Les acteurs ont relevé que le centre de Salvagnac, tout de briques grises, est situé sur une butte. Ses rues droites, au dessin carré offrent parfois un panorama sur les vignobles alentours. Le village de Salvagnac possède un certain nombre de qualités, architecturales, économiques. Salvagnac est finalement classé par les acteurs comme un point d'attrait intéressant justifiant de détourner le sentier. De plus, ses habitants demandent à ce que son économie puisse être stimulée. Au cours des concertations, un apiculteur de la vallée du Tescou souhaitant se reconvertir dans le maraîchage, et un restaurateur souhaitant s’implanter sur Salvagnac, se sont rencontrés. Ensemble, ils ont imaginé un moyen de diversifier leurs activités, grâce à la nouvelle affluence générée par le passage du GR sur Salvagnac : l'ouverture d'un restaurant qui valorisera la production du maraîcher. Les acteurs sont ici motivés par le nouveau projet d'aménagement par l'émergence de filières. Elles justifient le projet d'aménagement, car il semble réalisé pour "un dessein commun". L’apparition des filières entre les acteurs aide à soutenir un projet d’aménagement en distillant ses bienfaits à long terme. Dans le cadre du nouveau projet d'aménagement de Sivens, l'émergence de ces filières intermédiaires est d'autant plus indispensable que la conception du projet semble s'articuler autour de la valorisation des caractéristiques bocagères de la vallée du Tescou. Il nous faut donc inventer ou renforcer les pratiques qui
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pérennisent ces aspects paysagers, afin d'éviter un " paysagisme esthétisant " (1). Dans le cas de la vallée du Tescou, cette forme de paysagisme serait insuffisante pour répondre aux enjeux à elle seule. La prospective aidant à diversifier les usages, on comprend la nécessité de l'émergence du dialogue entre les acteurs de Sivens, pour que le nouveau projet d'aménagement du territoire puisse aboutir. Cependant, le cas du conflit complexifie la prospective et additionne les enjeux d'avant la crise de 2014, ceux révélés par la crise en 2014, ainsi que ceux d'après la crise. Aujourd'hui, les enjeux mis en avant par les acteurs du nouveau projet d'aménagement sont la gestion de l'eau, et la préservation d'un espace naturel. Alors qu'il s'agit de mettre en relation ces objectif pour concevoir le dessin du nouveau projet, se souvenir du paysage de la ZAD du Testet met en relief un paradoxe : elle luttait pour mettre en mouvement un changement des pratiques, donc une mise en mouvement, plutôt que de demander à figer la zone humide dans son état d'avant 2014. L'implantation de la ZAD proposait des pistes de réflexion pour répondre à cet enjeux : la mise en relation des zadistes à travers un système d'actions participatif. Faire écho aux considérations de la ZAD du Testet, c'est encourager la création des filières entre les acteurs de la vallée du Tescou. Aujourd'hui, ces filières n'ont pas la solution aux problèmes existants, mais elles sont riches du potentiel pour en inventer demain. De la même façon, encourager la prospective, c'est mettre en mouvement un territoire sur le long terme, c'est donner des clés de communication entre les acteurs. Nous pouvons par exemple, citer l'exercice de prospective Afterres engagée par SOLAGRO, une équipe composées d'ingénieurs et de paysagistes. Le projet Afterres engage une réflexion afin d'inventer un monde plus économe dans sa consommation des ressources. Comme pour reprendre cet exemple, un projet d'aménagement spatial ne se traduirait alors pas nécessairement par la création d'infrastructures, mais encouragerait l'émergence de nouvelles filières, pour mettre en mouvement un territoire à long terme.
1 Extrait " Le paysage : un outil pour l’aménagement des territoires en Midi-Pyrénées ", avis du CERS 27/09/1994.
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Cette approche, lorsqu'il s'agit de modifier l'aménagement d'un territoire, démontre un changement de mentalité. Dans le cadre conflictuel de Sivens, afin de donner plus de poids à cette théorie, il faut qu'elle puisse se concrétiser. Pour un paysagiste, concrétiser cette théorie, c'est l'appliquer et la rendre visible grâce aux paysages de la vallée du Tescou. C'est donc concevoir un projet d'aménagement exemplaire des valeurs portées par la ZAD du Testet, et représentatif de la démarche de co-construction. Ce serait, par exemple, faire de l'actuelle zone humide, ancienne ZAD du Testet, le laboratoire d'expérimentations qui visent à changer les pratiques des hommes.
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Ci-contre, photographie personnelle de la rivière du Tescou, Journès. Retour sur site en février 2018.
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"Vus du ciel" A la source du Tescou, je pensais y observer des carrés et des rectangles. Je n’y vois que l’enchevêtrement d’éléments au dessin fin, courbes, ou longitudinaux.
Carnet D'arpentage 83
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"Vus du ciel" A la source du Tescou, je pensais y observer des
sol lessivé, qui retrouve sa vitalité. Un champ
carrés et des rectangles. Je n’y vois que l’enche-
doré évoque de l’orge, du blé, ou tout autre
vêtrement d’éléments au dessin fin, courbes, ou type de poacée avant le temps de la récolte. longitudinaux. Plus on s’avancera vers Montau- Ceux-là s’étendent souvent d’un bord à l’autre ban, plus l’acte d’union entre le Tescou et ses d’une masse forestière dense. Ces cultures abords deviend une formalité réglée, à l’admi-
couvrent les fonds de vallée, où la richesse des
nistration presque tranchante, nécessaire. Des sols alluvionnaires leur est propice. Sous leurs géométries rectangulaires s'emboîtent. Seule
système racinaires fassiculés, l’horizon pédo-
la circulation des affluents du Tescou, entre les
logique chargé d’humus est eutrophisé. Les
interstices de ces boîtes, est indécise. Tantôt chênes pédonculés s’enracineront dès lors que paresseuse, elle peut aussi bien être empres-
l’on prendra de la hauteur, en grimpant sur un
sée de rejoindre sa rivière. Un trait bleu, sur socle devenu calcaire et oligotrophe. Les pluies les cartes IGN, témoigne de la présence silen-
ruisselleront sur ce sol peu profond, jusqu’aux
cieuse des affluents du Tescou. Pourtant, les
plateaux plus en aval. La rétention en eau dé-
méandres de ces ruisseaux si discrets, en un pend des qualités des horizons pédologiques mouvement presque négligeant, nous perdent,
des sols. Cette eau peut stagner doucement
nous jettent d’Est en Ouest, alors que nous sui-
sur une structure tassée et imperméable, dont
vons leur rythme d’écoulement, lent, puis fré-
les pores auront été resserrés par des étés trop
nétique. Manège du regard, ils nous dévoilent
secs. A l’inverse, elle peut aussi bien s'infiltrer
le silence ou l’animation des vallons, ces voisins aisément dans la structure grumeleuse d’une immobiles qu’ils relient entre eux. Là, l’homme texture argileuse. y a parfois construit, comme en souvenirs de la vallée écartée à la vue, des retenues d’eau pour mieux tenter de la soigner. Vus du ciel, les reliefs de la vallée du Tescou
Extrait de carnet d’arpentage. Observation d’une vue aérienne préparatoire au retour sur site. Mars 2018. Amandine Bloch
semblent assez peu marqués, leurs empreintes restent difficiles à décrire. A moins que je me réfère aux teintes prises par les champs, les bois, les prairies. Les camaïeux de bleu, de vert et de bruns, témoignent de la géologie des sols, ainsi que des usages qui s’y exercent. Une terre ocre qui tend vers le brun plus sombre est un
Ci-contre, photographie personnelle de la vallée du Tescou. Retour sur site en février 2018.
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A la recherche de la source du Tescou, entre les bois de chênes, sur un plateau légèrement en hauteur, où règnent des vignobles que nous avons eu à traverser.... Elle est presque invisible, la source. Une réunion de quelques gouttes d’eau tout au plus, qui filtrent à travers un tapis de pervenches. Nous la suivons, attendant qu’elle exprime un peu plus de puissance.
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Source du Tescou, 11 mars 2018. 13h51.
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Source du Tescou, 11 mars 2018. 13h51.
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"Depuis la butte de Journès jusqu’au creux de la vallée du Tescou" Entré les coteaux forestiers, la vallée est par-
La rivière discrète creuse ses vallons, ou des
semée de haies bocagères. Elles agencent les
bosquets de feuillus remplacent par intermi-
lignes d’horizons en un enchaînement qui laisse tence les vignobles aperçu en haut de Journès. penser à une nature consciente et sauvage. Les
Plus en amont du Tescou, ceux de St Jérome et
responsables de cet aspect champêtre, témoi-
de Palis seront les derniers représentant des
gnages verticaux et feuillus, sont pourtant bien
production de la boisson pourpre. Comme un
enracinés par la main de l’homme. Il soigne reliquat précieux, un PR met en valeur cette asleurs feuillages, taillant, recoupant dans leur
sociation. Il nous ramène vers des vignes, qui
cime, laissant filtrer entre les brindilles des in-
cernées par un rassemblement de cultures cé-
dices précurseurs du virage pris par le Tescou
réalières, en vis à vis du Tescou, annoncent la fermeture prochaine de ce milieu ouvert.
Extrait de carnet d’arpentage. Mars 2018.
Ci-contre, le Tescou s'engonce dans sa vallée. Camouflé par les haies d'aulnes et de peuplier, ou bien à la vue de tous, exposé aux intempéries, et aux mottes de terre qui rouleront jusqu'à lui.
Ci-contre, à Journés. 18 mars 2018. 12h40.
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"Depuis le bois de Gradille" Depuis la rivière du Tescou jusqu’au point culminant des vallons, on compte environ une centaine de mètres de dénivelés. Le bois de Gradille y domine la vallée. Il semble spongieux, saturé d’eau, nos semelles en sont pleines. Quelques ruisseaux désengorgent le creux des vallons du bois, où stagnent des mares de rétention temporaires creusées par la main de l’homme. Depuis le haut de la butte du bois de Gradille, nous explorons une carrière de craie pour tenter d’avoir une vue panoramique. Extrait de carnet d’arpentage. Mars 2018. .
Ci-contre, limites de la carrière, butte du bois de Gradille, 18 mars 2018. 10h30.
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"Le GR de Pays, de Lisle à Sivens" "Cinq heures de voiture, 17h30 et le soir tombe. rivière que je quitte. Bordé par une aulnaie Pour la troisième fois en un mois, je revois ce
dense, le lit du Tescou suit maintenant un cours
qu’il reste de la zone humide du Testet par une
modifié par l’action de l’homme. On demande
saison hivernale, avant de poursuivre mon che-
maintenant à la rivière de se soumettre à une
min. La pluie commence à imbiber mes vête-
organisation cadrée par les angles. Longilignes,
ments et assombrit un ciel bientôt indigo. Je me ses rives appuient le tracé des parcelles de maïs penche néanmoins par dessus le pont bétonné qui repoussent l’emprise des coteaux forestiers de la D32 qui enjambe le Tescou. Il gronde un jusque dans les hauteurs. La ligne d’horizon peu cette fois, ravi que la zone humide ait ces-
s’éloigne encore, je dépasse trois pommiers
sé d’étouffer ses vagissements. En m’éloignant contre une grille et je respire." pour suivre le GR, c’est une véritable petite Extrait de carnet d’arpentage. Mars 2018. .
Ci-contre, le GR de Pays, de Lisle à Sivens. 18 mars 2018. 17h45. Pont qui enjambe le Tescou.
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"Entretien numéro 2 : Mme Puibasset" Mme Puibasset est au volant de sa voiture. Le téléphone grésille dans son oreille lorsqu’elle passe dans la zone où il n’y a que peu de réseau. Le projet de territoire semble en cours d’élaboration. Elle me redirige vers Patrick Urbano, géographe directeur de l’environnement du département du Tarn. Lui semble personnellement impliqué dans la gestion territoriale. Lorsque j’insinue de pouvoir suivre les démarches de construction autour du projet, Mme Puibasset m’indique "qu’ils sont là pour le travail", que "l’ambiance n’est pas au partage ou à l’explication", "déjà que comme vous savez, c’était assez tendu...". En effet. Il me semble que tous marchent sur des braises".
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Conclusion Adapter la démarche de conception des projets d'aménagement A Sivens, un projet de barrage s'immisce entre des objectifs de préservation des ressources, et des intérêts politiques : le site dans lequel il s'inscrit constitue un point de friction, où le dialogue se conduit avec difficulté. Les enjeux liés à la gestion de l'eau sont dilués au sein d'une polémique qui révèle un conflit d'usage : problématiques sociales et considérations éthiques se confrontent. Par la suite, ce conflit aura de lourdes conséquences. Cet exemple de confrontation sur Sivens pose question sur la délicatesse, ou l'absence de délicatesse, avec laquelle s'est inscrit le projet d'aménagement sur le site en 2014. La multiplication des conflits d'usages en France pourrait remettre en question les modèles qui conduisent à décliner les projets d'aménagement du territoire sans concertation. Avec l'accroissement de la consommation de nos espaces, nos lieux de vie et leurs usages se frôlent, se chevauchent parfois. Les territoires sur lesquels nous circulons perdent en lisibilité. De plus, avec le réchauffement climatique, une pensée collective émerge pour affronter les problématiques de gestions des ressources. Mais cette philosophie d'ampleur, une fois appliquée localement, se heurte à l'infinité de nuances qui caractérise les individus à petite échelle. De nouvelles identités apparaissent, issues des confrontations entre les attentes locales et les valeurs nationales. Un projet d'aménagement doit aujourd'hui tenir compte de ces mutations, et adapter sa démarche de conception en conséquence.
Le rôle du paysagiste en tant que médiateur Ainsi, en s'insérant dans le nœud de la vallée du Tescou, la démarche participative menée par ADEPRINA, actuellement en cours et ce depuis 2016, questionne ces mutations dans la vallée du Tescou. Sur Sivens, de nouvelles catégorisations des territoires sont apparues, elles conduisent aujourd'hui à un enfermement qui est lourd à porter. On doit chercher avant tout la nuance pour reconstruire le 99
dialogue. Les porteurs de la démarche agissent donc avec prudence, tentant de construire des ponts entre les différents acteurs afin d'aider à clarifier l'identité de la vallée du Tescou. Pour ma part, c'est en arpentant la vallée du Tescou et par l'observation de ses paysages que j'ai pu m'extirper de l'aphasie provoquée en 2014. En observant les paysages qui arborent les marques de notre contexte économique, social, environnemental, nous pouvons comprendre et par la même retranscrire la qualité de vie de nos milieux, comme leurs déséquilibres. C'est en orientant mon affect sur cette analyse qu'il m'a été permis de nuancer les propos tenus dans ce mémoire. J'ai été attirée par le fort pouvoir visuel que recèlent les paysages, ceux-ci ont déclenchés une prise de conscience : relativisons l'expérience passée pour nous reporter sur l'état actuel de la vallée du Tescou. Se servir des paysages pourrait aider à construire le dialogue. Touchant à l'affectif, les paysages peuvent être un outil de sensibilisation. Ils permettent d'expliciter des enjeux techniques et d'y associer la sensibilité des individus pour faire progresser la prospective sur un projet d'aménagement. Ce mémoire introduit une médiation par le paysage, et encourage à expérimenter.
Ouverture sur le Projet de Fin d’Étude Alors, comment mettre en œuvre cette médiation paysagère dans la vallée du Tescou en 2018 ? Aujourd'hui, Il s'agirait de dépolariser notre regard de la zone humide du Testet. Prenons conscience qu'un sanctuaire ne va pas sans son écrin : si aujourd'hui, la zone humide du Testet a défrayé la chronique, c'est tout le fonctionnement d'une vallée qui doit être reconnu, et protégé. La gestion des ressources de la vallée du Tescou serait alors à actualiser, et peut-être à réinventer collectivement. A Sivens, cette actualisation est lente, tant ses paramètres sont nombreux. Des équipes pluridisciplinaires devront l'encadrer durant des années. Pour soutenir la motivation entre les acteurs, des projets d’aménagements symboliques de la concertation pourraient se mettre en place. A Sivens ou autour, quel serait le projet d'aménagement susceptible de soutenir les relations entre les acteurs grâce aux paysages ? L'objectif de mon Projet de Fin d’Étude sera de commencer à répondre à cette question. 100
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Annexes
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Outils de gestion : SDAGE PDM
Quartier hydrographique Adour-Garonne
Régions hydrographiques, Bassin versants et URH. Production personnelle.
Outils de gestion : SAGE
Région hyddrographique Garonne
Régions hydrographiques, Bassin versants et URH. Production personnelle.
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Annexe 1- La gestion de l’eau en France : a- Le quartier hydrographique En confrontant mes recherches avec les avis des experts, j'en suis arrivée à la conclusion que sur-dimensionner le projet peut permettre de faire rapidement lever des leviers administratifs éminemment complexes. Car en France, la gestion de l'eau d'une rivière doit se faire à l'échelle de son bassin versant. Elle fait appel à de nombreux acteurs, et fait intervenir des outils divers. Le bassin versant d'une rivière étant systématiquement le sous-bassin versant d’une autre, nous sommes dirigés vers la grande échelle, et nous faisons maintenant face à un regroupement de ces bassins versants. Ils sont réunis selon les lignes de partage des eaux ou en respectent le découpage administratif. L'organisation de ces bassin versant à grande échelle a pour objectif de faciliter la gestion de la ressource en eau française, en la répartissant de façon équitable. En revanche, pour ma part je constate que cette gestion à grande échelle rend compliquée la compréhension d'un projet d'aménagement de retenue d'eau. Le PGE du Tescou découle par exemple des préconisations du PDM (Programme de mesure) qui est inclus dans le SDAGE (Schéma Directeur d’Aménagement des Eaux) de 2000-2005. Ce document, renouvelé tout les 5 ans, est rédigé à l’échelle du quartier hydrographique Adour-Garonne. La France métropolitaine est divisée en 7 grands quartiers hydrographiques. Chacun d’eux réunit les ressources hydrographiques de tout les principaux cours d’eau de leur circonscription administrative. Adour-Garonne par exemple rassemble les bassins versants des grands fleuves du Sud-Ouest français. Ces quartier, ou grands bassins, sont gouvernés par : le Comité de bassin, l’Agence de l’eau, ainsi que des services d’État. Le PDM traduit les dispositions du SDAGE sur le plan opérationnel. Il liste les actions à réaliser au niveau des territoires pour atteindre ses objectifs. Ces documents-ci sont élaborés par le comité de bassin et l’agence de l’eau, aux-quels concourent les autres instances administratives.
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Outils de gestion : SAGE Contrat de Milieu
UHR du Tarn-Aval
Régions hydrographiques, Bassin versants et URH. Production personnelle.
Enjeux : L’altération marquée de la qualité de l'eau (pesticides, nitrates...) Le déficit en eau, relatif aux périodes d'étiages fragilisation de la ressource en eau potable, avec une protection insuffisante des captages AEP (Alimentation en Eau Potable) en eau superficielle par rapport aux possibles contaminations bactériennes. L'impact des installations hydroélectrique sur la qualité biologique des cours d’eau La menace de déséquilibre sur les écosystèmes d'intérêt remarquables.
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b- Les Unités Hydrographiques de Référence Les quartiers hydrographiques sont ensuite divisés en éléments plus fins : les régions hydrographiques. Une région hydrographique représente le bassin versant d’un des grands fleuves du quartier hydrographique. Le Tescou se situera dans la région hydrographique de la Garonne. Elle-même sera découpée en sous-bassins administratifs selon une prérogative de 2008. Nous nous situons dans le sous-bassin administratif du Tarn-Aveyron. Les sous-bassins administratifs de Adour-Garonne respectent ensuite un zonage en suivant les UHR (Unités Hydrographiques de Référence). Cette mesure avait été mise en place par le SDAGE 1996-2001 et reprise depuis. Ces UHR représentent les sous-bassins versants des grands fleuves ou bien les tronçons homogènes des cours d’eau. De dimensions moyennes, ils permettent une meilleure visibilité des enjeux à une échelle humaine. Le SAGE (Schéma d’Aménagement de Gestion des Eaux) est alors un des outils qui décline les directives du SDAGE à l'échelle de ces UHR. L'élaboration du SAGE est encadrée par la CLE (Comission Locale de l’Eau). Quant au bassin versant du Tescou, il sera compris dans l’UHR du Tarn-Aval. En 2014 son état des lieux révèle que ses masses d’eau superficielles affleurantes sont majoritairement sujettes aux risques d’altération de leur fonctionnement écologique. Entre autres, des pressions hydro-morphologiques, et des pressions en rejets sont significatives par rapport à la pression en nitrate (soit 56% des masses d’eau affleurantes). Localisées principalement au nord et à l’Ouest du bassin Tarn-Aveyron, on constate que l’agriculture est principalement responsable de ces rejets. Car le secteur en aval du Tarn correspond à une zone de fort développement de l’élevage, tandis qu’à l’Ouest, les grandes cultures et les cultures spécialisées sont prépondérantes. Aussi, la pression liée aux rejets industriels est devenue significative sur les cours d’eau de la Vébre, du Gijou, sur le Soulzon, le Mialet, le Dadou, le Sor, le Nandou, le Petit Lembous qui sont des affluents de l’Aveyron, et le Tescou. 5 % des masses d’eau superficielles des rivières présenteront une pression industrielle en macropolluants élevée, tandis que la pression liée aux rejets de matières inhibitrices et de métaux toxiques (MI-METOX) sera plutôt localisée sur le Tarn en amont et aval de Montauban1. Ce sont des données chiffrées, qui indique que le Tescou est une rivière à l'équilibre fragile, la moindre perturbation peut mettre en péril cet équilibre.
1 Secrétariat Technique de Bassin, " SYNTHÈSE DE L’ACTUALISATION DE L’ÉTAT DES LIEUX DU SDAGE 2016 202 ", Commission territoriale Tarn-Aveyron, Albi, 2014
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L’état des lieux énoncé précédemment introduit les enjeux de la gestion de l’eau du bassin versant du Tescou. Ces enjeux seraient liés à l’agriculture très présente. Les états des lieux de chaque UHR sont rassemblés en une synthèse que les instances du quartier hydrographique s'approprient et interprètent pour élaborer le SDAGE d'ensemble. Dans le cas présent, celui de 2016-2021. Pour l’UHR TarnAval, après lecture des données le SDAGE détermine que les principaux enjeux sont : - L’altération marquée de la qualité de l’eau (pesticides, nitrates...). - Le déficit en eau, relatif aux périodes d’étiages. - La fragilisation de la ressource en eau potable, avec une protection insuffisante des captages AEP (Alimentation en Eau Potable) en eau superficielle par rapport aux possibles contaminations bactériennes. - L’impact des installations hydroélectrique sur la qualité biologique des cours d’eau. - La menace de déséquilibre sur les écosystèmes d’intérêt remarquables.
Annexe 2- Les instances gouvernementales - La DDT (Direction Départementale des Territoires), placée sous l’autorité du préfet du département, dépend hiérarchiquement des services du premier ministre. Elle doit promouvoir le développement durable, prévenir des risques naturels, mettre en œuvre les politiques d’aménagement du territoire, délivrer les permis de construire, et accorder les demandes de travaux.
- Le CODERST (Conseil Départemental de l’Environnement et des Risques Sanitaires Chronologiques) effectue un suivi à l’échelle départementale. Son avis est, en pratique, suivi par le Préfet. - La DREAL (Direction Régionale de l’Environnement, de l’Aménagement et du Logement) développe et coordonne les politiques de l’État en matière de "développement et d’aménagement durable, de transition écologique, de lutte contre le changement climatique : elle met en place les principes d’application du développement durable. 108
Annexe 3- La carte des paysages La carte des paysages est réalisée à la main par une équipe de paysagistes, avec le concours des acteurs du territoire. Représentation spatiale sensible, elle possède les mêmes fonctions que les croquis ou les blocs diagramme, mais pour une échelle plus vaste.
Figure n°1, carte des paysages d'Eparnay, réalisée dans le cadre des études à l'Ecole Nationale Supérieure du Paysage en 2016. Photographie d'une concertation entre les acteurs, avec plans, croquis et schémas comme support. Chartreuse, exercice réalisée dans le cadre des études à l'Ecole Nationale Supérieure du Paysage en 2017.
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Bibliographie
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Scientifique Ouvrages - BARNAUD Geneviève, COÏC Bastien, Services du Patrimoine Naturel, Museum d’Histoire Naturelle, " Mesures compensatoires et correctives liées à la destruction des zones humides : revue bibliographique et analyse critique ", rapport final du Muséum d’Histoire Naturelle [PDF En ligne], mis en ligne le 24 septembre 2011, consulté le 25 mars 2018, pp. 33 à 35, URL : http://spn.mnhn.fr/spn_rapports/archivage_rapports/2012/SPN%202012%20 -%201%20-%20RappFinalCompensationZHOnemaMnhnCoicBarnaud24-11-11.pdf - CERVEZA MARZAL Manuel, " Les nouveaux désobéissants, citoyens ou hors la loi ? ", Paris, Le bord de l’eau, 2016, 96 pages - IMBERT.M, " Espace et vie sociale : un champs interractionnel ", in BRESSON.F et al., De l’espace corporel à l’espace écologique, Paris , Presses universitaires de France, 1974, p 267 - TABOURET R.J, " Quand et pourquoi parler d’espace à propos de l’aménagement des lieux et d’édifice ", in BRESSON.F et al., De l’espace corporel à l’espace écologique, Paris, Presses universitaires de France, 1974, pp. 258-260 - RAFFESTIN Claude, " Ecogénèse territoriale et territorialité ", in Auriac F. et Brunet R. (eds.), Espaces et enjeux, Paris, Fayard, 1986, pp. 173-185
Dossiers techniques - ADEPRINA, AgroParisTech, " Conditions et moyens d’une meilleure gestion de la qualité du territoire du bassin versant du Tescou : quelle stratégie pour la ressource en eau ? ", audit patrimonial, Tarn et Tarn-et-Garonne, juillet 2016 - ANONYMES, " Faire du paysage un outil de médiation ? ", Paysage outil de médiation [En ligne], n°8, 2009, Partie 2 page 1, mis en ligne en 2009, consulté le 05 avril 2018, URL : http://www.vignevin.com/fileadmin/users/ifv/ recherches/Developpement_durable/paysages/n8_paysage-outil-de-mediation_2009-12_300dpi_Partie2.pdf - Avis CSRPN / 2012-12-07 / n°003, Commission plénière du Conseil scientifique régional du patrimoine naturel (CSRPN) du 7 décembre 2012. Délibération validée lors de la réunion du CSRPN du 8 février 2013. 2 pages en annexes.
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Filmographie - COSTE Nathanaël, " En quête de sens ", association kamea meha, 2015, 113 minutes
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Paysagiste, médiateur entre ingénierie et sociologie L'épreuve de Sivens
A Sivens, dans la vallée du Tescou, le paysage semble marqué par des événements douloureux.
Au creux de la vallée, un projet de barrage soulève la polémique en 2014. Les opposants au projet jugent qu'une retenue d'eau sur le Tescou solutionnerait les problématiques liées à la sécheresse de façon coûteuse et temporaire. La controverse bascule sur un conflit. En octobre 2014, une manifestation vire à l’affrontement et cause la mort d’un homme. Le drame débouche sur un statu-quo entre les parties, et le projet est mis de côté pour un temps. Cependant cette alternative sème des laissés pour compte et des tensions. C'est dans ce contexte, cristallisé par le conflit, qu'un nouveau projet est initié en 2016. Le paysagiste peut-il aider à soigner des paysages blessés par des conflits d'usages ?
Mémoire de troisième année, 2018 Amandine Bloch Tuteur : Alexis Pernet