NICOLAS EEKMAN
Emmanuel Bréon
Sommaire Contents 7 13
« Tout est parti de là » “It all started there”
29
La ligne pour idéal The perfect line
59
Gravure et ilustration Engraving and Illustration
99
Portraits Portraits
125
Autoportraits Self-Portraits
133
Le peintre The Painter
177
Fortune critique Critical Fortune
184 189 190 1 92 1 92 1 92 Le Navire, pointe-sèche, 22 × 17 cm, tirée de La Légende d’Ulenspiegel de Charles De Coster, Reims, Hébé, 1947. Collection particulière
« Pas d’art, s’il n’est pas à visage humain » “Without a human face, it isn’t art”
Chronologie / Chronology Bibliographie / Bibliography Index / Index Lieux de conservation des œuvres de Nicolas Eekamn / trad en anglais… Remerciements / Acknowledgements Crédits / Credits
Sommaire Contents 7 13
« Tout est parti de là » “It all started there”
29
La ligne pour idéal The perfect line
59
Gravure et ilustration Engraving and Illustration
99
Portraits Portraits
125
Autoportraits Self-Portraits
133
Le peintre The Painter
177
Fortune critique Critical Fortune
184 189 190 1 92 1 92 1 92 Le Navire, pointe-sèche, 22 × 17 cm, tirée de La Légende d’Ulenspiegel de Charles De Coster, Reims, Hébé, 1947. Collection particulière
« Pas d’art, s’il n’est pas à visage humain » “Without a human face, it isn’t art”
Chronologie / Chronology Bibliographie / Bibliography Index / Index Lieux de conservation des œuvres de Nicolas Eekamn / trad en anglais… Remerciements / Acknowledgements Crédits / Credits
« Pas d’art, à visage humain » s’il n’est pas
“Without
a
human face, it isn’t
Nicolas Eekman est un artiste passionnant à redécouvrir. Son œuvre est immense mais le xxe siècle ne lui a pas rendu justice. Les cabinets de dessins et d’estampes des musées, les grandes collections privées du monde entier conservent ses œuvres sur papier mais ne les montrent pas car elles sont fragiles et craignent la lumière. Sa peinture, qui compte un grand nombre d’admirateurs, est restée jusqu’à ce jour en main privée. Il nous faut donc par ce livre faire résonner tambours et trompettes et redonner à Nicolas Eekman sa visibilité et sa juste place.
art”
Nicolas Eekman is a fascinating artist to rediscover. In spite of his immense oeuvre, the twentieth century did not do him justice. His works are held in the drawing and print collections of museums and major private collectors all over the world; but because of their fragility and susceptibility to light, they are not shown. His painting, which has significant admirers, remains to this day in private hands. Thus, through this book we sound the trumpets and give Nicolas Eekman his rightful recognition and proper place. This artist, who spent time among the avant-garde and was friend to some of its members, including Piet Mondrian and Max Ernst, chose his own path, that of “eternal tradition,” according to poet Emmanuel Looten. Nicolas Eekman could well have taken on Jean Auguste Dominique Ingres’s maxim: “Don’t talk to me anymore about this absurd idea: ‘You need something new, you need to be of your time; everything changes, everything is change.’ Sophism is all it is! Does nature change, does the light, the air change, have
Cet artiste qui a fréquenté les avant-gardes et a été l’ami de nombre de ses membres, de Piet Mondrian à Max Ernst, avait choisi une autre voie, celle de « l’éternéante tradition », selon le poète Emmanuel Looten. Nicolas Eekman aurait pu faire sienne les rodomontades de Jean Auguste Dominique Ingres : « Qu’on ne me parle plus de cette maxime absurde : “il faut du nouveau, il faut suivre son siècle, tout change, tout est changé.” Sophisme que tout cela ! Est-ce que la nature change, est-ce que la lumière et l’air changent, est-ce que les passions du cœur humain ont changé depuis Homère ? “Il faut suivre son siècle” : mais si mon siècle a tort ? Parce que mon voisin fait le mal, je suis donc tenu de le faire aussi ? Parce que la vertu, aussi bien que la beauté, peut
Nicolas Eekman, vers 1930.
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« Pas d’art, à visage humain » s’il n’est pas
“Without
a
human face, it isn’t
Nicolas Eekman est un artiste passionnant à redécouvrir. Son œuvre est immense mais le xxe siècle ne lui a pas rendu justice. Les cabinets de dessins et d’estampes des musées, les grandes collections privées du monde entier conservent ses œuvres sur papier mais ne les montrent pas car elles sont fragiles et craignent la lumière. Sa peinture, qui compte un grand nombre d’admirateurs, est restée jusqu’à ce jour en main privée. Il nous faut donc par ce livre faire résonner tambours et trompettes et redonner à Nicolas Eekman sa visibilité et sa juste place.
art”
Nicolas Eekman is a fascinating artist to rediscover. In spite of his immense oeuvre, the twentieth century did not do him justice. His works are held in the drawing and print collections of museums and major private collectors all over the world; but because of their fragility and susceptibility to light, they are not shown. His painting, which has significant admirers, remains to this day in private hands. Thus, through this book we sound the trumpets and give Nicolas Eekman his rightful recognition and proper place. This artist, who spent time among the avant-garde and was friend to some of its members, including Piet Mondrian and Max Ernst, chose his own path, that of “eternal tradition,” according to poet Emmanuel Looten. Nicolas Eekman could well have taken on Jean Auguste Dominique Ingres’s maxim: “Don’t talk to me anymore about this absurd idea: ‘You need something new, you need to be of your time; everything changes, everything is change.’ Sophism is all it is! Does nature change, does the light, the air change, have
Cet artiste qui a fréquenté les avant-gardes et a été l’ami de nombre de ses membres, de Piet Mondrian à Max Ernst, avait choisi une autre voie, celle de « l’éternéante tradition », selon le poète Emmanuel Looten. Nicolas Eekman aurait pu faire sienne les rodomontades de Jean Auguste Dominique Ingres : « Qu’on ne me parle plus de cette maxime absurde : “il faut du nouveau, il faut suivre son siècle, tout change, tout est changé.” Sophisme que tout cela ! Est-ce que la nature change, est-ce que la lumière et l’air changent, est-ce que les passions du cœur humain ont changé depuis Homère ? “Il faut suivre son siècle” : mais si mon siècle a tort ? Parce que mon voisin fait le mal, je suis donc tenu de le faire aussi ? Parce que la vertu, aussi bien que la beauté, peut
Nicolas Eekman, vers 1930.
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Nicolas et son épouse Andrée Eekman, jardin de la maison de Boulogne-Billancourt, vers 1932. Andrée dans l’atelier de Boulogne-Billancourt, 62, rue du Château, vers 1932.
the passions of the human heart changed since Homer? ‘One must follow one’s time’; but what if my time is wrong? Because my neighbor does evil, am I bound to do it too? Because you can ignore virtue, as much as beauty, I have to ignore it in my turn, I must imitate you!” Nicolas Eekman refused to abstract himself, rejecting purity and avant-garde attitudes. According to him, abstraction led only to despair. After the Second World War, even if it meant going against the tide, and despite the difficulty of the process, he resolutely sided with reality. In their respective studios, he and Mondrian constantly revisited this question. To his compatriot who asserted “nature is perfect, but in art people don’t need perfect nature,” Nicolas Eekman responded, “without a human face, it isn’t art.”1 Their friendship remained strong, and the two artists showed their work together at Jeanne Bucher in 1929, a surprising and unprecedented duo.
être méconnue par vous, il faut que je la méconnaisse à mon tour, il faut que je vous imite ! » Nicolas Eekman refuse de s’abstraire, il rejette les épures et les postures avant-gardistes. Selon lui, les abstractions ne peuvent que mener au désespoir. Quitte à être à contre-courant, et la démarche est difficile après la Seconde Guerre mondiale, il est résolument du côté de la réalité. Avec Piet Mondrian, ils échangent sans fin sur cette question dans leurs ateliers respectifs. À son compatriote qui affirme « la nature est parfaite, mais l’homme n’a pas besoin, en art, de la nature parfaite », Nicolas Eekman répond « pas d’art, s’il n’est pas à visage humain1 ». Leur amitié est toujours restée intacte et les deux artistes exposent leurs œuvres ensemble chez Jeanne Bucher, en 1928, dans un duo surprenant et inédit.
Today, we can question Nicolas Eekman’s modernity. Was he less modern than his friends? If the artist had lived longer, he would have appreciated the words of Gérard Régnier, alias Jean Clair, in his preface to the catalogue Les Réalismes in 1981: “Certain twentieth-century historians have peddled the idea of an avant-garde, and in fact far more than the idea of an avant-garde, rather a whole ideology according to which the avant-garde not only has a history, but actually is that history, notwithstanding the logical fallacy that the avant-garde takes place in history when, and only when, it denies history itself. Isolating, over the constant background of artistic creation, the discrete and discontinuous units that we call innovations, and returning them to a continuous line, is a reconstruction of something that never took place.”
Aujourd’hui, on peut se poser la question de la modernité de Nicolas Eekman. Était-il moins moderne que ses amis ? Si l’artiste avait vécu un peu plus longtemps, il aurait apprécié les propos de Gérard Régnier, alias Jean Clair, dans sa préface du catalogue Les Réalismes en 1981 : « Certains historiens du xxe siècle nous ont vendu l’idée d’une avantgarde et, en fait, bien plus que l’idée d’une avant-garde, toute
These words can help us return Nicolas Eekman to the history of art. To a total and complete history of twentieth-century art, where he should be. We must recall that, from 1921 to 1933, Nicolas Eekman was a fellow traveler of this avant-garde,
1. Carte de vœux de l’année 1972, adressée à l’illustratrice anglaise Helen Moore.
une idéologie selon laquelle non seulement l’avant-garde a une histoire, mais l’avant-garde est l’histoire, nonobstant la contradiction logique qui fait que l’avant-garde n’a lieu dans l’histoire que là, et là seulement, où elle nie l’histoire ellemême. Pareille histoire n’est donc pas assurément l’Histoire… Isoler, sur le fond continu de la création artistique, les unités discrètes et discontinues que nous appelons des innovations pour les replacer a posteriori sur une ligne continue, c’est opérer une reconstruction qui n’a jamais eu lieu. »
exhibiting in the galleries that championed these artists, in Paris, Amsterdam, and Berlin: Jeanne Bucher in 1928, Alfred Flechtheim, the German agent for Daniel-Henry Kahnweiler, in 1929, at Galerie Bonaparte in 1931, with Katia Granoff in 1932, Billiet-Vorms in 1933, and Denise René in 1937. He was more than just let in; he was solicited and appreciated. He spent time with Jean Lurçat, Pierre Chareau, Marc Chagall, Jacques Lipchitz, Édouard Pignon, Moïse Kisling, Max Ernst and his companion Marie-Berthe Aurenche, whose portrait he painted. A member of the Association des Écrivains et Artistes Révolutionnaires since its beginning, he was a politically committed artist who did not hesitate to look for his subjects on the front pages of Monde, the journal of Henri Barbusse and his pacificist friends. Eekman’s style at that time was expressionistic, with some lessons learnt from the as that tradition appeared in the work of his friend and compatriot Frans Masereel. Everything about this first part of his Parisian life was intense, and his large drawings, illustrations, and portraits are remarkable. But to return to the debate initiated by Gérard Régnier on the erroneous idea of the avant-garde: “If we consider the production of an individual only within their
Voilà des propos qui peuvent aider à replacer Nicolas Eekman dans l’histoire de l’art. Une histoire totale et complète du xxe siècle dont il fut. Il faut rappeler d’ailleurs ici que, de 1921 à 1933, Nicolas Eekman est un compagnon de route de cette avant-garde et expose dans les galeries qui défendent ces artistes, à Paris, à Amsterdam ou à Berlin : chez Jeanne Bucher en 1928, chez Alfred Flechtheim, le correspondant allemand de Daniel-Henry Kahnweiler en 1929, à la galerie Bonaparte en 1931, chez
1. New Year’s card 1972, addressed to the English illustrator, Helen Moore.
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« Pas d ’a r t, s ’ il n ’ est pas à v isa g e h u m ain »
“ W it h o u t a h u m an face , it isn ’ a r t ”
Nicolas et son épouse Andrée Eekman, jardin de la maison de Boulogne-Billancourt, vers 1932. Andrée dans l’atelier de Boulogne-Billancourt, 62, rue du Château, vers 1932.
the passions of the human heart changed since Homer? ‘One must follow one’s time’; but what if my time is wrong? Because my neighbor does evil, am I bound to do it too? Because you can ignore virtue, as much as beauty, I have to ignore it in my turn, I must imitate you!” Nicolas Eekman refused to abstract himself, rejecting purity and avant-garde attitudes. According to him, abstraction led only to despair. After the Second World War, even if it meant going against the tide, and despite the difficulty of the process, he resolutely sided with reality. In their respective studios, he and Mondrian constantly revisited this question. To his compatriot who asserted “nature is perfect, but in art people don’t need perfect nature,” Nicolas Eekman responded, “without a human face, it isn’t art.”1 Their friendship remained strong, and the two artists showed their work together at Jeanne Bucher in 1929, a surprising and unprecedented duo.
être méconnue par vous, il faut que je la méconnaisse à mon tour, il faut que je vous imite ! » Nicolas Eekman refuse de s’abstraire, il rejette les épures et les postures avant-gardistes. Selon lui, les abstractions ne peuvent que mener au désespoir. Quitte à être à contre-courant, et la démarche est difficile après la Seconde Guerre mondiale, il est résolument du côté de la réalité. Avec Piet Mondrian, ils échangent sans fin sur cette question dans leurs ateliers respectifs. À son compatriote qui affirme « la nature est parfaite, mais l’homme n’a pas besoin, en art, de la nature parfaite », Nicolas Eekman répond « pas d’art, s’il n’est pas à visage humain1 ». Leur amitié est toujours restée intacte et les deux artistes exposent leurs œuvres ensemble chez Jeanne Bucher, en 1928, dans un duo surprenant et inédit.
Today, we can question Nicolas Eekman’s modernity. Was he less modern than his friends? If the artist had lived longer, he would have appreciated the words of Gérard Régnier, alias Jean Clair, in his preface to the catalogue Les Réalismes in 1981: “Certain twentieth-century historians have peddled the idea of an avant-garde, and in fact far more than the idea of an avant-garde, rather a whole ideology according to which the avant-garde not only has a history, but actually is that history, notwithstanding the logical fallacy that the avant-garde takes place in history when, and only when, it denies history itself. Isolating, over the constant background of artistic creation, the discrete and discontinuous units that we call innovations, and returning them to a continuous line, is a reconstruction of something that never took place.”
Aujourd’hui, on peut se poser la question de la modernité de Nicolas Eekman. Était-il moins moderne que ses amis ? Si l’artiste avait vécu un peu plus longtemps, il aurait apprécié les propos de Gérard Régnier, alias Jean Clair, dans sa préface du catalogue Les Réalismes en 1981 : « Certains historiens du xxe siècle nous ont vendu l’idée d’une avantgarde et, en fait, bien plus que l’idée d’une avant-garde, toute
These words can help us return Nicolas Eekman to the history of art. To a total and complete history of twentieth-century art, where he should be. We must recall that, from 1921 to 1933, Nicolas Eekman was a fellow traveler of this avant-garde,
1. Carte de vœux de l’année 1972, adressée à l’illustratrice anglaise Helen Moore.
une idéologie selon laquelle non seulement l’avant-garde a une histoire, mais l’avant-garde est l’histoire, nonobstant la contradiction logique qui fait que l’avant-garde n’a lieu dans l’histoire que là, et là seulement, où elle nie l’histoire ellemême. Pareille histoire n’est donc pas assurément l’Histoire… Isoler, sur le fond continu de la création artistique, les unités discrètes et discontinues que nous appelons des innovations pour les replacer a posteriori sur une ligne continue, c’est opérer une reconstruction qui n’a jamais eu lieu. »
exhibiting in the galleries that championed these artists, in Paris, Amsterdam, and Berlin: Jeanne Bucher in 1928, Alfred Flechtheim, the German agent for Daniel-Henry Kahnweiler, in 1929, at Galerie Bonaparte in 1931, with Katia Granoff in 1932, Billiet-Vorms in 1933, and Denise René in 1937. He was more than just let in; he was solicited and appreciated. He spent time with Jean Lurçat, Pierre Chareau, Marc Chagall, Jacques Lipchitz, Édouard Pignon, Moïse Kisling, Max Ernst and his companion Marie-Berthe Aurenche, whose portrait he painted. A member of the Association des Écrivains et Artistes Révolutionnaires since its beginning, he was a politically committed artist who did not hesitate to look for his subjects on the front pages of Monde, the journal of Henri Barbusse and his pacificist friends. Eekman’s style at that time was expressionistic, with some lessons learnt from the as that tradition appeared in the work of his friend and compatriot Frans Masereel. Everything about this first part of his Parisian life was intense, and his large drawings, illustrations, and portraits are remarkable. But to return to the debate initiated by Gérard Régnier on the erroneous idea of the avant-garde: “If we consider the production of an individual only within their
Voilà des propos qui peuvent aider à replacer Nicolas Eekman dans l’histoire de l’art. Une histoire totale et complète du xxe siècle dont il fut. Il faut rappeler d’ailleurs ici que, de 1921 à 1933, Nicolas Eekman est un compagnon de route de cette avant-garde et expose dans les galeries qui défendent ces artistes, à Paris, à Amsterdam ou à Berlin : chez Jeanne Bucher en 1928, chez Alfred Flechtheim, le correspondant allemand de Daniel-Henry Kahnweiler en 1929, à la galerie Bonaparte en 1931, chez
1. New Year’s card 1972, addressed to the English illustrator, Helen Moore.
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« Pas d ’a r t, s ’ il n ’ est pas à v isa g e h u m ain »
“ W it h o u t a h u m an face , it isn ’ a r t ”
Andrée Eekman et Albert Schweitzer, vers 1955.
Katia Granoff en 1932, chez Billiet-Vorms en 1933 et chez Denise René en 1937. Il y est plus qu’admis, on le sollicite et il est apprécié. Il fréquente Jean Lurçat, Pierre Chareau, Marc Chagall, Jacques Lipchitz, Édouard Pignon, Moïse Kisling, Max Ernst et sa compagne Marie-Berthe Aurenche dont il réalise le portrait. Adhérent de l’Association des écrivains et artistes révolutionnaires dès sa création, il est un artiste engagé et n’hésite pas à réaliser les unes dessinées de Monde, la revue d’Henri Barbusse et de ses amis pacifistes. Sa manière d’alors est celle d’un expressionisme teinté de leçons cubistes dont on peut trouver des parentés chez son ami et compatriote Frans Masereel. Toute la première partie de sa vie parisienne est intense et ses grands dessins, ses illustrations et ses portraits sont remarquables. Mais pour reprendre le débat initié par Gérard Régnier sur l’idée fausse d’avant-garde : « On se condamne, si l’on considère la production d’un individu à l’intérieur de cette période, à n’en voir qu’un seul des aspects. Ne vouloir connaître que de ses débuts, c’est s’interdire de connaître de sa maturité. Privilégier dans sa carrière les moments de crise et de rupture, c’est s’interdire de comprendre les moments d’équilibre. »
own time, we condemn ourselves to seeing only one aspect of it. To want to know only its beginnings is to prevent us knowing its maturity. To focus only on moments of crisis and rupture in a career is to preclude understanding of moments of balance.” Nicolas Eekman would find this moment of balance and truth in the fantastic realism he created during and after the Second World War: “I arrived at fantasy because all objects radiate an aura that you strive to capture.” While his Dutch friends, whom he met every Friday at the Dôme brasserie in Montparnasse, were part of the groups Cercle et Carré and Abstraction-Création, Nicolas Eekman followed his own path, moving between painting, engraving, and drawing. He chose subjects that were never without the human: Le Passeur (The boatman), L’Orgue de Barbarie (The barrel organ), Le Marin (The sailor), the Paysan mort (Dead peasant), and L’Œil blesse (The wounded eye), masterpieces that mark a career fueled by and filled with conviction.
Ce moment d’équilibre et de vérité, Nicolas Eekman va le trouver dans un réalisme fantastique qu’il développe pendant et après la Seconde Guerre mondiale : « Je suis arrivé vers le fantastique parce que tous les objets dégagent une aura qu’il faut tâcher d’atteindre. » Alors que ses amis hollandais qu’il fréquente tous les vendredis au Dôme, brasserie de Montparnasse, se regroupent chez Cercle et Carré ou Abstraction-Création, Nicolas Eekman trace son chemin, alternant peintures, gravures et dessins. Il choisit des sujets dont l’homme n’est jamais absent : Le Passeur, Joueur d’orgue de Barbarie, Le Marin, le Paysan mort ou L’Œil blessé, autant de chefs-d’œuvre jalonnant une carrière nourrie et pétrie de convictions.
Nicolas Eekman, lors de son exposition personnelle, galerie Bonaparte, Paris, 1929. Nicolas Eekman et l’écrivain Henri Bosco, vers 1950.
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« Pas d ’a r t, s ’ il n ’ est pas à v isa g e h u m ain »
“ W it h o u t a h u m an face , it isn ’ a r t ”
Andrée Eekman et Albert Schweitzer, vers 1955.
Katia Granoff en 1932, chez Billiet-Vorms en 1933 et chez Denise René en 1937. Il y est plus qu’admis, on le sollicite et il est apprécié. Il fréquente Jean Lurçat, Pierre Chareau, Marc Chagall, Jacques Lipchitz, Édouard Pignon, Moïse Kisling, Max Ernst et sa compagne Marie-Berthe Aurenche dont il réalise le portrait. Adhérent de l’Association des écrivains et artistes révolutionnaires dès sa création, il est un artiste engagé et n’hésite pas à réaliser les unes dessinées de Monde, la revue d’Henri Barbusse et de ses amis pacifistes. Sa manière d’alors est celle d’un expressionisme teinté de leçons cubistes dont on peut trouver des parentés chez son ami et compatriote Frans Masereel. Toute la première partie de sa vie parisienne est intense et ses grands dessins, ses illustrations et ses portraits sont remarquables. Mais pour reprendre le débat initié par Gérard Régnier sur l’idée fausse d’avant-garde : « On se condamne, si l’on considère la production d’un individu à l’intérieur de cette période, à n’en voir qu’un seul des aspects. Ne vouloir connaître que de ses débuts, c’est s’interdire de connaître de sa maturité. Privilégier dans sa carrière les moments de crise et de rupture, c’est s’interdire de comprendre les moments d’équilibre. »
own time, we condemn ourselves to seeing only one aspect of it. To want to know only its beginnings is to prevent us knowing its maturity. To focus only on moments of crisis and rupture in a career is to preclude understanding of moments of balance.” Nicolas Eekman would find this moment of balance and truth in the fantastic realism he created during and after the Second World War: “I arrived at fantasy because all objects radiate an aura that you strive to capture.” While his Dutch friends, whom he met every Friday at the Dôme brasserie in Montparnasse, were part of the groups Cercle et Carré and Abstraction-Création, Nicolas Eekman followed his own path, moving between painting, engraving, and drawing. He chose subjects that were never without the human: Le Passeur (The boatman), L’Orgue de Barbarie (The barrel organ), Le Marin (The sailor), the Paysan mort (Dead peasant), and L’Œil blesse (The wounded eye), masterpieces that mark a career fueled by and filled with conviction.
Ce moment d’équilibre et de vérité, Nicolas Eekman va le trouver dans un réalisme fantastique qu’il développe pendant et après la Seconde Guerre mondiale : « Je suis arrivé vers le fantastique parce que tous les objets dégagent une aura qu’il faut tâcher d’atteindre. » Alors que ses amis hollandais qu’il fréquente tous les vendredis au Dôme, brasserie de Montparnasse, se regroupent chez Cercle et Carré ou Abstraction-Création, Nicolas Eekman trace son chemin, alternant peintures, gravures et dessins. Il choisit des sujets dont l’homme n’est jamais absent : Le Passeur, Joueur d’orgue de Barbarie, Le Marin, le Paysan mort ou L’Œil blessé, autant de chefs-d’œuvre jalonnant une carrière nourrie et pétrie de convictions.
Nicolas Eekman, lors de son exposition personnelle, galerie Bonaparte, Paris, 1929. Nicolas Eekman et l’écrivain Henri Bosco, vers 1950.
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« Pas d ’a r t, s ’ il n ’ est pas à v isa g e h u m ain »
“ W it h o u t a h u m an face , it isn ’ a r t ”
Gravure illustration et
Engraving and
Illustration
Pour Nicolas Eekman, la gravure qui suit le dessin est une activité à part entière. Peut-être la première, tant cette technique impliquant le multiple lui permet de se faire connaître à grande échelle. Elle lui ouvre bien des portes et le fait entrer dans les grandes collections hollandaises et belges, puis bientôt, après le premier conflit mondial, dans celles du monde entier.
For Nicolas Eekman, the art of engraving, which develops out of drawing, was an entirely independent activity. Perhaps most importantly, this technique lends itself to multiple reproductions and so made him known to a wide audience. Among the many doors it opened, it was his entrance first to the great Dutch and Belgian collections, and then, shortly after the First World War, to those all over the world.
Les Pays-Bas, pays neutre, va être son refuge pendant quatre années. À Nuenen, il travaille dans le souvenir de Vincent Van Gogh, redécouvert récemment et qui devient le nouveau phare pour bien des peintres néerlandais. Quittant Bruxelles, il n’est pas le seul expatrié, et des peintres belges par centaines franchissent la frontière pour recréer des cénacles à Dombourg, Amsterdam ou Laren. Gustave De Smet et Frits Van den Berghe quittent leur groupe de Laethem-Saint-Martin et Jozef Cantré part de Gand. Dans un pays d’accueil plutôt bienveillant, ils vont souvent se retrouver et fraterniser avec les artistes néerlandais comme Jan Toorop ou Richard Roland Holst.
The Netherlands, a neutral country, would be his refuge for four years. In Nuenen he worked in the shadow of the memory of Vincent van Gogh, who had recently been rediscovered and had become a beacon for many Dutch painters. He was not the only expatriate; at the time he left Brussels, hundreds of Belgian painters were crossing the border, establishing circles in Domburg, Amsterdam, and Laren. Gustave de Smet and Frits Van den Berghe left the Laethem-Saint-Martin group and Jozef Cantré left Ghent. In their benevolent host country, they often met and socialized with Dutch artists, such as Jan Toorop and Richard Roland Holst.
En 1915, dès sa première exposition à la galerie d’Audretsch à La Haye, Nicolas Eekman est remarqué par deux hommes influents. Le premier, Henk Bremmer, peintre, professeur
La Journée de Tourne-en-l’air, encre sur papier (détail), projet de livre, 32 × 24 cm, 1933. Collection particulière
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Gravure illustration et
Engraving and
Illustration
Pour Nicolas Eekman, la gravure qui suit le dessin est une activité à part entière. Peut-être la première, tant cette technique impliquant le multiple lui permet de se faire connaître à grande échelle. Elle lui ouvre bien des portes et le fait entrer dans les grandes collections hollandaises et belges, puis bientôt, après le premier conflit mondial, dans celles du monde entier.
For Nicolas Eekman, the art of engraving, which develops out of drawing, was an entirely independent activity. Perhaps most importantly, this technique lends itself to multiple reproductions and so made him known to a wide audience. Among the many doors it opened, it was his entrance first to the great Dutch and Belgian collections, and then, shortly after the First World War, to those all over the world.
Les Pays-Bas, pays neutre, va être son refuge pendant quatre années. À Nuenen, il travaille dans le souvenir de Vincent Van Gogh, redécouvert récemment et qui devient le nouveau phare pour bien des peintres néerlandais. Quittant Bruxelles, il n’est pas le seul expatrié, et des peintres belges par centaines franchissent la frontière pour recréer des cénacles à Dombourg, Amsterdam ou Laren. Gustave De Smet et Frits Van den Berghe quittent leur groupe de Laethem-Saint-Martin et Jozef Cantré part de Gand. Dans un pays d’accueil plutôt bienveillant, ils vont souvent se retrouver et fraterniser avec les artistes néerlandais comme Jan Toorop ou Richard Roland Holst.
The Netherlands, a neutral country, would be his refuge for four years. In Nuenen he worked in the shadow of the memory of Vincent van Gogh, who had recently been rediscovered and had become a beacon for many Dutch painters. He was not the only expatriate; at the time he left Brussels, hundreds of Belgian painters were crossing the border, establishing circles in Domburg, Amsterdam, and Laren. Gustave de Smet and Frits Van den Berghe left the Laethem-Saint-Martin group and Jozef Cantré left Ghent. In their benevolent host country, they often met and socialized with Dutch artists, such as Jan Toorop and Richard Roland Holst.
En 1915, dès sa première exposition à la galerie d’Audretsch à La Haye, Nicolas Eekman est remarqué par deux hommes influents. Le premier, Henk Bremmer, peintre, professeur
La Journée de Tourne-en-l’air, encre sur papier (détail), projet de livre, 32 × 24 cm, 1933. Collection particulière
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et critique d’art, guide son ancienne élève, Helene KröllerMüller, pour les premières acquisitions d’une collection personnelle qui va vite devenir prestigieuse. C’est ainsi que, sur ses conseils, la grande collectionneuse se porte acquéreur de plusieurs dessins et gravures de Nicolas Eekman. Le second, Just Havelaar, peintre et historien d’art, vient d’écrire un livre sur Van Gogh dont la première exposition, à Cologne en 1912, a fasciné Nicolas Eekman. Havelaar est proche de nombreux jeunes artistes auxquels il consacre des monographies, tels Jan Mankes ou Frans Masereel. Non seulement il les aide mais il les met souvent en relation avec des confrères. La rencontre de Nicolas Eekman avec Masereel, né comme lui en 1889, sera éclairante et déterminante.
La Haie en hiver, eau-forte, 7,7 × 16,4 cm, vers 1918. Collection particulière
In 1915, with his first exhibition at the Audretsch Gallery in The Hague, Nicolas Eekman drew the attention of two influential men. The first, Henk Bremmer, painter, professor, and art critic, guided his former student, Helene Kröller-Müller, in the initial acquisitions for a personal collection that would soon become renowned. Thus, on his advice, the great collector acquired several of Nicolas Eekman’s drawings and engravings. The second, Just Havelaar, painter and art historian, had just written a book on Van Gogh whose first exhibition in Cologne, in 1912, fascinated Nicolas Eekman. Havelaar was close to many young artists, devoting monographs to them, including Jan Mankes and Frans Masereel. He not only helped them, but put them in contact with his colleagues. The meeting between Nicolas Eekman and Masereel, who like him was born in 1889, would prove to be instructive and defining.
Dès 1917, les œuvres de Nicolas Eekman sont achetées, ce qui est très rare pour de jeunes artistes non consacrés, par les musées d’Amsterdam, d’Arnhem et de Dordrecht. Maîtrisant parfaitement la technique du bois gravé et de l’eau-forte, Eekman est découvert et aussitôt classé parmi les meilleurs dans ce domaine. En 1918, les musées de La Haye et d’Eindhoven confirment l’engouement pour son
From 1917, Nicolas Eekman’s works were purchased by museums in Amsterdam, Arnhem, and Dordrecht, unusual for a very young, unknown artist. Perfectly mastering woodcut and etching techniques, Eekman was discovered and immediately classed among the best in the field. In 1918, the museums of The Hague and Eindhoven acknowledged the enthusiasm
Grand jardin, eau-forte, 24,4 × 29,3 cm, 1916. Collection particulière Jardin derrière le presbytère, eau-forte, 14,3 × 19 cm, vers 1916. Collection particulière
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G r av u r e et ill u st r ation
E n g r av in g an d ill u st r ation
et critique d’art, guide son ancienne élève, Helene KröllerMüller, pour les premières acquisitions d’une collection personnelle qui va vite devenir prestigieuse. C’est ainsi que, sur ses conseils, la grande collectionneuse se porte acquéreur de plusieurs dessins et gravures de Nicolas Eekman. Le second, Just Havelaar, peintre et historien d’art, vient d’écrire un livre sur Van Gogh dont la première exposition, à Cologne en 1912, a fasciné Nicolas Eekman. Havelaar est proche de nombreux jeunes artistes auxquels il consacre des monographies, tels Jan Mankes ou Frans Masereel. Non seulement il les aide mais il les met souvent en relation avec des confrères. La rencontre de Nicolas Eekman avec Masereel, né comme lui en 1889, sera éclairante et déterminante.
La Haie en hiver, eau-forte, 7,7 × 16,4 cm, vers 1918. Collection particulière
In 1915, with his first exhibition at the Audretsch Gallery in The Hague, Nicolas Eekman drew the attention of two influential men. The first, Henk Bremmer, painter, professor, and art critic, guided his former student, Helene Kröller-Müller, in the initial acquisitions for a personal collection that would soon become renowned. Thus, on his advice, the great collector acquired several of Nicolas Eekman’s drawings and engravings. The second, Just Havelaar, painter and art historian, had just written a book on Van Gogh whose first exhibition in Cologne, in 1912, fascinated Nicolas Eekman. Havelaar was close to many young artists, devoting monographs to them, including Jan Mankes and Frans Masereel. He not only helped them, but put them in contact with his colleagues. The meeting between Nicolas Eekman and Masereel, who like him was born in 1889, would prove to be instructive and defining.
Dès 1917, les œuvres de Nicolas Eekman sont achetées, ce qui est très rare pour de jeunes artistes non consacrés, par les musées d’Amsterdam, d’Arnhem et de Dordrecht. Maîtrisant parfaitement la technique du bois gravé et de l’eau-forte, Eekman est découvert et aussitôt classé parmi les meilleurs dans ce domaine. En 1918, les musées de La Haye et d’Eindhoven confirment l’engouement pour son
From 1917, Nicolas Eekman’s works were purchased by museums in Amsterdam, Arnhem, and Dordrecht, unusual for a very young, unknown artist. Perfectly mastering woodcut and etching techniques, Eekman was discovered and immediately classed among the best in the field. In 1918, the museums of The Hague and Eindhoven acknowledged the enthusiasm
Grand jardin, eau-forte, 24,4 × 29,3 cm, 1916. Collection particulière Jardin derrière le presbytère, eau-forte, 14,3 × 19 cm, vers 1916. Collection particulière
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E n g r av in g an d ill u st r ation
Le
Peintre Painter The
Depuis sa plus tendre enfance, Nicolas Eekman a une obsession, celle de devenir un grand peintre. Ceux qui l’ont approché l’ont trouvé étonnant et fougueux, prompt à l’enthousiasme ou au découragement, « une curieuse figure à l’insatiable idéalisme et à l’esprit tourmenté qui l’anime1 ». L’indépendant, comme il aime à se penser, doute en permanence mais a cependant foi en son destin : « Ne pas monter bien haut, peut-être, mais tout seul ! », selon la formule de Cyrano. À dix-sept ans, il recherche déjà l’assentiment de ceux qui l’admirent. À Jacques de Lalaing, peintre et sculpteur dont le nom a été donné à une rue de Bruxelles, il adresse un dessin à la plume, comme une bouteille à la mer. Ce dernier lui répond : « Mon cher ami, je vous remercie beaucoup de votre intéressant envoi qui m’a fait très grand plaisir. Je trouve ce dessin impressionnant et d’un grand effet très simplement obtenu. C’est vraiment bien et je vous en félicite. Votre dévoué Jacques de Lalaing. Bruxelles, le 2 juin 19062 ». On imagine bien
From early childhood, Nicolas Eekman was obsessed with becoming a great painter. Those who became close to him found him fiery and mercurial, as quick to enthusiasm as to despondency, “a curious figure with an insatiable idealism and a tormented sprit that drove him.”1 Yet although he liked to think of himself as independent, he nevertheless had constant doubts of his faith in his destiny: “Not to climb high perhaps, but all alone!” according to the formula of Cyrano. At seventeen, he was already looking for the approval of those he admired. He sent a pen and ink drawing to painter and sculpture Jacques de Lalaing, whose name adorns a street in Brussels, throwing his message out into the sea like a bottle. The older artist replied: “My dear friend, I thank you very much for your interesting missive, which gave me great
1. Saint-Aignan in La Revue moderne, 1925. 2. Le comte Jacques de Lalaing, peintre et sculpteur belge, a été l’élève de Jean-
1. Saint-Aignan in La Revue moderne, 1925.
Le Marin, huile sur panneau, 41 × 33 cm, 1929. Collection particulière
François Portaels (ancêtre de l’auteur de ce livre) et directeur de l’Académie royale des beaux-arts de Bruxelles de 1904 à 1913. Il est l’auteur de la statue équestre de Léopold Ier à Ostende et d’un grand mât d’éclairage pour l’Exposition universelle de Gand en 1913.
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Le
Peintre Painter The
Depuis sa plus tendre enfance, Nicolas Eekman a une obsession, celle de devenir un grand peintre. Ceux qui l’ont approché l’ont trouvé étonnant et fougueux, prompt à l’enthousiasme ou au découragement, « une curieuse figure à l’insatiable idéalisme et à l’esprit tourmenté qui l’anime1 ». L’indépendant, comme il aime à se penser, doute en permanence mais a cependant foi en son destin : « Ne pas monter bien haut, peut-être, mais tout seul ! », selon la formule de Cyrano. À dix-sept ans, il recherche déjà l’assentiment de ceux qui l’admirent. À Jacques de Lalaing, peintre et sculpteur dont le nom a été donné à une rue de Bruxelles, il adresse un dessin à la plume, comme une bouteille à la mer. Ce dernier lui répond : « Mon cher ami, je vous remercie beaucoup de votre intéressant envoi qui m’a fait très grand plaisir. Je trouve ce dessin impressionnant et d’un grand effet très simplement obtenu. C’est vraiment bien et je vous en félicite. Votre dévoué Jacques de Lalaing. Bruxelles, le 2 juin 19062 ». On imagine bien
From early childhood, Nicolas Eekman was obsessed with becoming a great painter. Those who became close to him found him fiery and mercurial, as quick to enthusiasm as to despondency, “a curious figure with an insatiable idealism and a tormented sprit that drove him.”1 Yet although he liked to think of himself as independent, he nevertheless had constant doubts of his faith in his destiny: “Not to climb high perhaps, but all alone!” according to the formula of Cyrano. At seventeen, he was already looking for the approval of those he admired. He sent a pen and ink drawing to painter and sculpture Jacques de Lalaing, whose name adorns a street in Brussels, throwing his message out into the sea like a bottle. The older artist replied: “My dear friend, I thank you very much for your interesting missive, which gave me great
1. Saint-Aignan in La Revue moderne, 1925. 2. Le comte Jacques de Lalaing, peintre et sculpteur belge, a été l’élève de Jean-
1. Saint-Aignan in La Revue moderne, 1925.
Le Marin, huile sur panneau, 41 × 33 cm, 1929. Collection particulière
François Portaels (ancêtre de l’auteur de ce livre) et directeur de l’Académie royale des beaux-arts de Bruxelles de 1904 à 1913. Il est l’auteur de la statue équestre de Léopold Ier à Ostende et d’un grand mât d’éclairage pour l’Exposition universelle de Gand en 1913.
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Aïeul à Nuenen, huile sur toile, 55 × 46 cm, 1916. Nuenen, Museum Vincentre Mer par temps calme, huile sur toile, 25 × 35 cm, 1904. Collection particulière Chevaux de trait à Hilversum, aquarelle sur papier, 18 × 26 cm, 1910. Collection particulière
pleasure. I’m impressed by the drawing and the great effect so simply obtained. It is very good, and I congratulate you on it. Yours faithfully, Jacques de Lalaing. Brussels, June 2, 1906.”2 One can well imagine the effect of this letter on the character of a young man audacious enough—he was not even a student at the time—to address one of Belgian art’s recognized masters in this way. It seemed that nothing could stop his zeal. Doesn’t it take a certain aplomb to give a lecture, twelve months later, titled “Van Gogh, that outsider.” To praise such a figure at the time was to thumb one’s nose at academic artists. Eekman, however, remained measured, and his works painted between 1904 and 1910, Marine (Sailor) and Chevaux de trait à Hilversum (Draught horses in Hilversum), owe much to the masters of Dutch painting from the seventeenth to the nineteenth centuries. He studied them endlessly in museums, dissecting Van Goyen and borrowing compositions from Anton Mauve.
l’effet de cette missive sur la personnalité d’un jeune homme assez culotté – il n’est même pas encore étudiant à cette date – pour s’adresser ainsi à l’un des maîtres reconnus de l’art belge. Il semble que rien n’arrête sa fougue. Ne faut-il pas de l’aplomb pour donner une conférence, un an plus tard, intitulée « Van Gogh, cet inconnu » ? Vanter un tel artiste à l’époque, c’était faire un pied de nez aux artistes académiques. Eekman reste cependant mesuré et ses œuvres peintes entre 1904 et 1910, Mer par temps calme ou Chevaux de trait à Hilversum, doivent beaucoup aux maîtres de la peinture hollandaise du xviie au xixe siècle. Il les a étudiés inlassablement dans les musées, décortiquant Van Goyen ou empruntant les compositions d’Anton Mauve.
In 1911, so as to have a real profession acceptable to his father, Nicolas Eekman began studying architecture at the Royal Academy of Fine Arts in Brussels. He would graduate from the course and would never regret it. But already in his second year a longing for painting took hold of him, as confirmed in a letter from the director of the Royal Academy, Herman Richir, to the artist’s father: “Mr. Eekman, I was very interested to see the watercolors and sketches that your son was keen to submit for my evaluation, and I’m happy to be able to tell you that they demonstrate a very serious disposition for painting. I am generally cautious in the extreme in my judgements in this regard, for fear of being thought of poorly, but in this case, without being able to affirm that your son has the qualities necessary to become a great painter, I recognize
En 1911, pour posséder un vrai métier acceptable aux yeux son père, Nicolas Eekman entame des études d’architecture à l’Académie royale des beaux-arts de Bruxelles. Il va aller au bout de ce cursus et ne le regrettera jamais. Mais dès la deuxième année, une envie de peinture le taraude comme le confirme une lettre du directeur de l’Académie royale Herman Richir au père de l’artiste : « Monsieur Eekman, J’ai vu avec beaucoup d’intérêt les aquarelles et croquis que votre fils avait tenu à soumettre à mon appréciation et je suis heureux de pouvoir vous dire qu’ils témoignent de dispositions très sérieuses pour la peinture. Je suis généralement extrêmement prudent dans mes jugements sous ce rapport, dans la crainte de faire des déclassés, mais ici, sans pouvoir affirmer que votre fils a les qualités nécessaires pour devenir un grand peintre, je reconnais qu’il y a de réelles promesses, de la vie, de l’observation
2. Count Jacques de Lalaing, Belgian painter and sculptor, was a student of Jean-
François Portaels (an ancestor of this book’s author) and director of the Royal Academy of Fine Arts in Brussels from 1904 to 1913. He created the equestrian statue of Leopold I in Ostend and a large lighting column for the World’s Fair held in Ghent in 1913.
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T h e painte r
Aïeul à Nuenen, huile sur toile, 55 × 46 cm, 1916. Nuenen, Museum Vincentre Mer par temps calme, huile sur toile, 25 × 35 cm, 1904. Collection particulière Chevaux de trait à Hilversum, aquarelle sur papier, 18 × 26 cm, 1910. Collection particulière
pleasure. I’m impressed by the drawing and the great effect so simply obtained. It is very good, and I congratulate you on it. Yours faithfully, Jacques de Lalaing. Brussels, June 2, 1906.”2 One can well imagine the effect of this letter on the character of a young man audacious enough—he was not even a student at the time—to address one of Belgian art’s recognized masters in this way. It seemed that nothing could stop his zeal. Doesn’t it take a certain aplomb to give a lecture, twelve months later, titled “Van Gogh, that outsider.” To praise such a figure at the time was to thumb one’s nose at academic artists. Eekman, however, remained measured, and his works painted between 1904 and 1910, Marine (Sailor) and Chevaux de trait à Hilversum (Draught horses in Hilversum), owe much to the masters of Dutch painting from the seventeenth to the nineteenth centuries. He studied them endlessly in museums, dissecting Van Goyen and borrowing compositions from Anton Mauve.
l’effet de cette missive sur la personnalité d’un jeune homme assez culotté – il n’est même pas encore étudiant à cette date – pour s’adresser ainsi à l’un des maîtres reconnus de l’art belge. Il semble que rien n’arrête sa fougue. Ne faut-il pas de l’aplomb pour donner une conférence, un an plus tard, intitulée « Van Gogh, cet inconnu » ? Vanter un tel artiste à l’époque, c’était faire un pied de nez aux artistes académiques. Eekman reste cependant mesuré et ses œuvres peintes entre 1904 et 1910, Mer par temps calme ou Chevaux de trait à Hilversum, doivent beaucoup aux maîtres de la peinture hollandaise du xviie au xixe siècle. Il les a étudiés inlassablement dans les musées, décortiquant Van Goyen ou empruntant les compositions d’Anton Mauve.
In 1911, so as to have a real profession acceptable to his father, Nicolas Eekman began studying architecture at the Royal Academy of Fine Arts in Brussels. He would graduate from the course and would never regret it. But already in his second year a longing for painting took hold of him, as confirmed in a letter from the director of the Royal Academy, Herman Richir, to the artist’s father: “Mr. Eekman, I was very interested to see the watercolors and sketches that your son was keen to submit for my evaluation, and I’m happy to be able to tell you that they demonstrate a very serious disposition for painting. I am generally cautious in the extreme in my judgements in this regard, for fear of being thought of poorly, but in this case, without being able to affirm that your son has the qualities necessary to become a great painter, I recognize
En 1911, pour posséder un vrai métier acceptable aux yeux son père, Nicolas Eekman entame des études d’architecture à l’Académie royale des beaux-arts de Bruxelles. Il va aller au bout de ce cursus et ne le regrettera jamais. Mais dès la deuxième année, une envie de peinture le taraude comme le confirme une lettre du directeur de l’Académie royale Herman Richir au père de l’artiste : « Monsieur Eekman, J’ai vu avec beaucoup d’intérêt les aquarelles et croquis que votre fils avait tenu à soumettre à mon appréciation et je suis heureux de pouvoir vous dire qu’ils témoignent de dispositions très sérieuses pour la peinture. Je suis généralement extrêmement prudent dans mes jugements sous ce rapport, dans la crainte de faire des déclassés, mais ici, sans pouvoir affirmer que votre fils a les qualités nécessaires pour devenir un grand peintre, je reconnais qu’il y a de réelles promesses, de la vie, de l’observation
2. Count Jacques de Lalaing, Belgian painter and sculptor, was a student of Jean-
François Portaels (an ancestor of this book’s author) and director of the Royal Academy of Fine Arts in Brussels from 1904 to 1913. He created the equestrian statue of Leopold I in Ostend and a large lighting column for the World’s Fair held in Ghent in 1913.
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Mascarade, huile sur toile marouflée sur panneau, 65 × 81 cm, 1969. Collection particulière Les Rideaux, huile sur toile, 1970. Collection particulière Till l’espiègle ou le rêveur, encre sur toile, 48 × 68 cm, 1972. Collection particulière Espiègleries ou Till et son monde, encre sur toile marouflée sur panneau, 60 × 73 cm, 1972. Cassel, musée de Flandres
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Mascarade, huile sur toile marouflée sur panneau, 65 × 81 cm, 1969. Collection particulière Les Rideaux, huile sur toile, 1970. Collection particulière Till l’espiègle ou le rêveur, encre sur toile, 48 × 68 cm, 1972. Collection particulière Espiègleries ou Till et son monde, encre sur toile marouflée sur panneau, 60 × 73 cm, 1972. Cassel, musée de Flandres
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Pour obtenir encore plus de blancheur, il y ajoute parfois un peu de blanc de zinc. Une seule couche peut suffire mais Nicolas Eekman aimait à rappeler que Van Eyck pouvait en passer plus d’une dizaine avec des ponçages intermédiaires. Afin d’imperméabiliser la couche blanche initiale, il passe, de manière très légère, une couche de couleur donnant à sa préparation minutieuse une teinte d’ivoire séduisante. Sur ce glacis, le dessin de la composition est entrepris de manière abstraite, puis Eekman fait apparaître ses figures, en détail et par zones du tableau entrepris. Il faut aller vite, comme il l’a confié à son élève Bob Bouillon, neveu de Jo Bouillon, le mari de Joséphine Baker : « La mise en train d’un tableau est très violente parce qu’une fois qu’on a commencé, il faut continuer : les couleurs sèchent et on ne peut pas rattraper sinon la fraîcheur disparaît. Je peux remettre de la couleur dessus mais de ce fait je rends la pâte beaucoup plus opaque, surtout que je travaille – j’efface – avec le doigt pour qu’il n’y ait presque plus de couleur. Si j’attends trois ou quatre jours pour continuer, je risque d’abîmer le tableau. Il faut que je puisse le faire d’une traite. Avec le dessin comme support, je peux le faire quand je le veux, zone par zone7. » Comme pour rajouter à la difficulté, Nicolas Eekman peint son œuvre avec un encadrement déjà choisi pour accorder les tons.
Le grenier aux marionnettes, huile sur panneau, 61 × 50 cm, 1969. Collection particulière
was cardboard, wood, Masonite, or plywood. The support chosen was sanded then coated with a layer of hot skin glue, then a mixture of the same glue mixed sifted with Meudon white. To obtain even more whiteness, sometimes a little zinc white was added. A single layer was enough; Nicolas Eekman liked to point out that Van Eyck could pass some ten layers with intermediate sandings. In order to waterproof the initial white layer, Eekman added a very light layer of color, giving this meticulous preparation a seductive ivory tint. Over this glaze, he would draw the composition in an abstract way, then he would make his figures appear, in detail, and by the zones of the painting. It was necessary to go quickly, as he told his pupil Bob Bouillon, nephew of Jo Bouillon, Josephine Baker’s husband: “Setting up a painting is intense, because once you’ve started, you must continue: the colors dry and you can’t compensate otherwise the freshness is lost. I can add color to it, but I will make a paste that is much more opaque, especially since I work—erase—with my finger so that there is almost no color left. If I wait three or four days to go on, I risk destroying the painting. I have to be able to do everything in one go. With the drawing, like the support, I can do it however I like, zone by zone.”7 As if to add to the level of difficulty, Nicolas Eekman painted his works with the frames already selected to match the tones.
À partir de cette technique assimilée et devenue irréprochable à force de travail, Nicolas Eekman, comme nous l’avons suggéré dans l’introduction, va atteindre un moment d’équilibre et de vérité qu’il recherchait depuis longtemps. Avec la même truculence que Jérôme Bosch et Pieter Brueghel, avec un goût pour le surnaturel et le rêve observé chez Gustave Doré ou chez James Ensor, son presque contemporain, il va se livrer résolument à une veine fantastique qu’il ne quittera plus car « les objets dégagent une aura qu’il faut tâcher d’atteindre ». Paul Fierens, le très grand historien d’art belge, qui a écrit Le Fantastique dans l’art flamand, trouve chez Eekman un continuateur original et génial. Pour Eekman, le voyage se fera en solitaire, contre vents et marées. Le fantastique est sa voie et tant pis pour la mode, quitte à râler de temps en temps dans sa correspondance privée ou ses conférences publiques. Pour Albert Jacquemotte : « Au fil des jours, souterrainement, se refaisait en lui un long et mystérieux voyage, tandis que se forgeait un merveilleux métier. Un voyage à rebours vers les humanités enfouies. »
From his fully mastered technique, perfected through years of work, Nicolas Eekman, as explained in the introduction, will reach a moment of balance and veracity that he waited for so long. With the same vividness as Hieronymus Bosch and Pieter Bruegel the Elder, with a taste for supernatural and dreams seen in Gustave Doré and James Ensor, he is almost contemporary, resolutely indulging in a fantastic streak that he maintained because “the objects give off an aura that one must try to reach”. Paul Fierens, the major Belgian art historian, author of Le Fantastique dans l’art flamand, found in Eekman an original and brilliant successor. Eekman made his journey alone, against all odds. The fantastic was his way, fashion be damned, even if it meant grumbling, from time to time, in his private correspondence or his public conferences. For Albert Jacquemotte “As the days went by, within himself, a long and mysterious journey was being undertaken, while a formidable profession was being forged. A journey backwards towards buried humanities.”
7. Bob Bouillon et Jean-Louis Monod ont recueilli à plusieurs reprises les « recettes »
7. Bob Bouillon and Jean-Louis Monod often gathered Nicolas Eekman’s “formulas”
de Nicolas Eekman (notes manuscrites du fonds d’archives).
(handwritten notes in the archive).
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Pour obtenir encore plus de blancheur, il y ajoute parfois un peu de blanc de zinc. Une seule couche peut suffire mais Nicolas Eekman aimait à rappeler que Van Eyck pouvait en passer plus d’une dizaine avec des ponçages intermédiaires. Afin d’imperméabiliser la couche blanche initiale, il passe, de manière très légère, une couche de couleur donnant à sa préparation minutieuse une teinte d’ivoire séduisante. Sur ce glacis, le dessin de la composition est entrepris de manière abstraite, puis Eekman fait apparaître ses figures, en détail et par zones du tableau entrepris. Il faut aller vite, comme il l’a confié à son élève Bob Bouillon, neveu de Jo Bouillon, le mari de Joséphine Baker : « La mise en train d’un tableau est très violente parce qu’une fois qu’on a commencé, il faut continuer : les couleurs sèchent et on ne peut pas rattraper sinon la fraîcheur disparaît. Je peux remettre de la couleur dessus mais de ce fait je rends la pâte beaucoup plus opaque, surtout que je travaille – j’efface – avec le doigt pour qu’il n’y ait presque plus de couleur. Si j’attends trois ou quatre jours pour continuer, je risque d’abîmer le tableau. Il faut que je puisse le faire d’une traite. Avec le dessin comme support, je peux le faire quand je le veux, zone par zone7. » Comme pour rajouter à la difficulté, Nicolas Eekman peint son œuvre avec un encadrement déjà choisi pour accorder les tons.
Le grenier aux marionnettes, huile sur panneau, 61 × 50 cm, 1969. Collection particulière
was cardboard, wood, Masonite, or plywood. The support chosen was sanded then coated with a layer of hot skin glue, then a mixture of the same glue mixed sifted with Meudon white. To obtain even more whiteness, sometimes a little zinc white was added. A single layer was enough; Nicolas Eekman liked to point out that Van Eyck could pass some ten layers with intermediate sandings. In order to waterproof the initial white layer, Eekman added a very light layer of color, giving this meticulous preparation a seductive ivory tint. Over this glaze, he would draw the composition in an abstract way, then he would make his figures appear, in detail, and by the zones of the painting. It was necessary to go quickly, as he told his pupil Bob Bouillon, nephew of Jo Bouillon, Josephine Baker’s husband: “Setting up a painting is intense, because once you’ve started, you must continue: the colors dry and you can’t compensate otherwise the freshness is lost. I can add color to it, but I will make a paste that is much more opaque, especially since I work—erase—with my finger so that there is almost no color left. If I wait three or four days to go on, I risk destroying the painting. I have to be able to do everything in one go. With the drawing, like the support, I can do it however I like, zone by zone.”7 As if to add to the level of difficulty, Nicolas Eekman painted his works with the frames already selected to match the tones.
À partir de cette technique assimilée et devenue irréprochable à force de travail, Nicolas Eekman, comme nous l’avons suggéré dans l’introduction, va atteindre un moment d’équilibre et de vérité qu’il recherchait depuis longtemps. Avec la même truculence que Jérôme Bosch et Pieter Brueghel, avec un goût pour le surnaturel et le rêve observé chez Gustave Doré ou chez James Ensor, son presque contemporain, il va se livrer résolument à une veine fantastique qu’il ne quittera plus car « les objets dégagent une aura qu’il faut tâcher d’atteindre ». Paul Fierens, le très grand historien d’art belge, qui a écrit Le Fantastique dans l’art flamand, trouve chez Eekman un continuateur original et génial. Pour Eekman, le voyage se fera en solitaire, contre vents et marées. Le fantastique est sa voie et tant pis pour la mode, quitte à râler de temps en temps dans sa correspondance privée ou ses conférences publiques. Pour Albert Jacquemotte : « Au fil des jours, souterrainement, se refaisait en lui un long et mystérieux voyage, tandis que se forgeait un merveilleux métier. Un voyage à rebours vers les humanités enfouies. »
From his fully mastered technique, perfected through years of work, Nicolas Eekman, as explained in the introduction, will reach a moment of balance and veracity that he waited for so long. With the same vividness as Hieronymus Bosch and Pieter Bruegel the Elder, with a taste for supernatural and dreams seen in Gustave Doré and James Ensor, he is almost contemporary, resolutely indulging in a fantastic streak that he maintained because “the objects give off an aura that one must try to reach”. Paul Fierens, the major Belgian art historian, author of Le Fantastique dans l’art flamand, found in Eekman an original and brilliant successor. Eekman made his journey alone, against all odds. The fantastic was his way, fashion be damned, even if it meant grumbling, from time to time, in his private correspondence or his public conferences. For Albert Jacquemotte “As the days went by, within himself, a long and mysterious journey was being undertaken, while a formidable profession was being forged. A journey backwards towards buried humanities.”
7. Bob Bouillon et Jean-Louis Monod ont recueilli à plusieurs reprises les « recettes »
7. Bob Bouillon and Jean-Louis Monod often gathered Nicolas Eekman’s “formulas”
de Nicolas Eekman (notes manuscrites du fonds d’archives).
(handwritten notes in the archive).
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Lieux de conservation des œuvres de Nicolas Eekman / en anglais la traduction c’est… Allemagne Hanovre, Sprengel Museum
Israël Mishkan Museum of Art
Belgique Bruxelles, BOZAR
Pays-Bas Amsterdam, Stedelijk Museum Amsterdam, Rijksmuseum Arnhem, Museum Arnhem Deurne, Museum De Wieger Dordrecht, Dordrechts Museum La Haye, Gemeentemuseum La Haye, Kunstmuseum Laren, Singer Laren Leyde, Museum De Lakenhal Otterlo, Kröller-Müller Museum Rotterdam, Museum Boijmans Van Beuningen
États-Unis Chicago, The Art Institute Pittsburgh, Carnegie Institute France Boulogne-Billancourt, musée des Années trente Cassel, musée de Flandre Collioure, musée d’Art moderne Gravelines, musée du Dessin et de l’Estampe originale Menton, musée des Beaux-Arts Paris, Bibliothèque nationale de France, département des Estampes et de la Photographie Paris, Fondation Custodia Paris, Jeu de Paume Paris, musée d’Art moderne de la Ville de Paris Paris, musée du Louvre, département Chalcographie Paris, Musée national d’art moderneCentre Georges Pompidou
Royaume-Uni Glasgow, Hunterian Museum Oxford, St Anne’s College Suisse Bâle, Kunstmuseum Russie Moscou, Musée national d’art moderne occidental
Remerciements / Acknowledgements
L’éditeur et l’auteur tiennent à remercier en premier lieu : Luce Eekman, qui a ouvert les archives de son père et a soutenu et suivi ce projet avec attention et générosité. Pour leurs informations et recherches de documents, l’association Le Sillon Nicolas Eekman : Luce Eekman, Frank Biass, Colette Chaignon, Roland Ganansia, Bertrand Groene, Danielle Hubscher et Alain Mayet. Les musées et institutions : Cassel, musée de Flandre, Sandrine Dussart Vezilier ; Gravelines, musée du Dessin et de l’Estampe originale, Virginie Caudron ; Paris, Fondation Custodia, Mariska de Jonge. Les maisons de vente : De Vuyst, Lokeren, Hervé Lescornez ; Horta, Bruxelles, Cathy Clarisse ; Schuler Auktionen, Zurich ; Auktionshaus Zofingen. Ainsi que : Francis Lamond, Rex MacCarthy, Peter Van Overbruggen, et toutes celles et ceux qui ont souhaité garder l’anonymat.
Crédits / Credits
Photogravure/Lithographs Graphium, Saint-Ouen Achevé d’imprimer en juillet 2021 sur les presses de Graphius, Gand Printed and bound in July 2021 by Graphius, Ghent
Archives Le Sillon Nicolas Eekman, Paris, 4, 28, 31, 32, 33, 34, 37, 38, 39, 41, 42, 43, 44, 46, 47, 48, 50, 51, 53, 57, 59-89, 92-97, 102-119, 121-123, 126-128, 130-131, 138, 156 Archives Le Sillon Nicolas Eekman, Paris/DR, 6-27, 36, 45, 49, 54, 55, 56, 98, 99, 100, 120h, 176 Charles Coulouriotis, 166, 167, 173b Dordrechts Museum, Dordrecht/DR, 40 DR, 90, 91, 101, 120b, 129, 134-135, 142b, 143, 144-145, 148-153, 154b, 157-165, 168h, 169, 173h, 175, 183 Fondation Custodia, Collection Frits Lugt, Paris/DR, 52 Fontanarosa, 132 Philippe Fuzeau, 139, 142h, 146, 147, 154h, 155, 168b, 170-172 Joël Jaffre, 140-141 Kröller-Müller Museum, Otterlo/DR, 30, 136-137 Musée des Années trente, Boulogne-Billancourt/Philippe Fuzeau, 57h Museum De Wieger, Deurne/Ton Hartjens, 34 Vincentre, Nuenen/DR, 124 © Adagp, Paris, 2021, pour toutes les œuvres de Nicolas Eekman