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REPÈRES DANS LES MOUVEMENTS POUR SE CROISER
from Mix Urbains
Notre approche s’appuie sur le cadre urbain, le comportement des mobiles et les dispositifs de croisement. Elle se traduit par des illustrations qui combinent ces données. Les représentations des carrefours depuis le début du siècle dernier montrent clairement une analyse de décomposition des flux, de hiérarchisation induite des modes, voire la disparition de certains modes de déplacement selon les époques.21
Dans la logique inclusive de l’espace urbain de l’échange, il s’agit plutôt de garder la diversité et la possibilité des mouvements ensemble. Nous avons donc produit des visuels pour rendre compte des organisations et des mouvements simultanés sur les places. À partir de l'observation des photos et des séquences filmées, les trajectoires et les variations ont été analysées et traduites graphiquement, sans utilisation de logiciel. Les dessins sont réalisés à partir d'un zoom de 150m de diamètre pendant 3 mn.
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Chaque schéma des carrefours vise à donner des repères sur tous les mouvements et caractériser chacune des cultures de croisement.
À la fin de cette partie, 4 invités-complices réagissent à cette enquête depuis leurs disciplines et avec leurs sensibilités respectives.
La trace des mouvements s'inscrit dans l'espace. JL Design and Korb, CCTV Documentary idents, www. edition Kord.tv, in Felton, Nicholas, 2016, Photoviz, éd. Gestalten
Les premières représentations des mouvements simultanés et leurs traces, grâce à la notation Feuillet (1700) d'une Sarabande, danse à deux, Extrait de Lancelot Francine, "La belle dance", 1995, Vand Dieren éditeur.
Eric Alonzo Architecte historien
Que font les architectes dans les flux ?
L’irruption au début du XXe siècle des véhicules mécanisés – automobiles, deux-roues à moteur – bouleverse les rythmes et les géométries des flux urbains qui ne connaissaient jusqu’alors que la locomotion animale (piétons, cavaliers, animaux de somme, voitures hippomobiles, etc.). À première vue, on pourrait donc situer à cette époque la naissance des préoccupations urbanistiques dont témoigne cette enquête. Or, ce type de travaux s’inscrit pourtant dans une tradition bien antérieure à l’apparition de la circulation automobile.
Au XVllle siècle déjà, les projets de places sous Louis XV cherchent à dissoudre la congestion des voitures dans les grands carrefours urbains, par l’élargissement des points de croisement et le percement de nouvelles branches. Mais, si l’organisation des flux devient à cette époque un enjeu majeur, elle ne fait pas l’objet d’études spécifiques. Pour cela, il faut attendre l’ingénieur catalan Ildefonso Cerdá qui, dans ses schémas de 1863, objective par des flèches les différentes trajectoires qui traversent un carrefour à quatre branches : non seulement celles des voitures, mais aussi celles des cavaliers, des piétons « seuls » et des piétons « chargés ». Cette analyse le conduit à proposer de démêler les flux par un système d’îlots-refuges disposés au centre de vastes croisements à pans coupés. En 1906, l’architecte parisien Eugène Hénard approfondit ces analyses graphiques de la circulation urbaine dans les carrefours, en se concentrant plus exclusivement sur celle des voitures –encore très majoritairement hippomobiles – et aboutit à l’invention du système giratoire : ronde à sens unique destinée à éviter les accidents par la conversion des trajectoires sécantes en trajectoires tangentes.
Entre temps, l’architecte viennois Camillo Sitte, pourtant très hostile à l’hégémonie des approches technicistes de l’espace public, représente lui aussi, dans L’Art de bâtir les villes (1889), la trajectoire des voitures dans les carrefours, afin de légitimer ses propositions artistiques. Mais l’originalité de sa contribution réside probablement dans l’observation des places enneigées sur lesquelles s’imprime le flux des voitures. Cette matérialisation du mouvement permet alors de faire apparaître, entre les « chenaux de communication », l’existence de « points morts de la circulation » qui détermineraient l’implantation d’édicules monumentaux. C’est donc par un procédé empirique, fondé sur l’analyse de la forme des places-carrefours existantes – et de la géométrie des flux qu’elles génèrent –que Sitte dégage des « règles » destinées à s’appliquer à de futurs aménagements.
Replacé dans cette longue filiation disciplinaire, cet essai rend compte d’un espace urbain devenu bien plus complexe, régi par de nombreuses règles, normes et systèmes de régulation – notamment les feux de circulation. Mais la différence la plus fondamentale avec les travaux des « fondateurs » de l’urbanisme réside probablement dans la place accordée aux temporalités du mouvement ainsi que dans l’approche anthropologique sensible aux variations culturelles qui entrent en jeu dans les formes et les rythmes des flux, observés dans ces différentes villes du monde.
Fabrice Guillot Chorégraphe
La matière est du mouvement qui se densifie
« La matière est du mouvement qui se densifie », ce sont les théoriciens du Big Bang qui le disent en premier. C’est la chaine de montagne émergeant de la croûte terrestre par les poussées telluriques qui l’a montré dans notre paysage.
La forme de la matière urbaine avec ses flux se construit totalement différemment d’une ville à l’autre, d’un continent à l’autre. L’architecture révèle les modes de relations entre les habitants propres à chaque société. Les bâtiments, au-delà de leur fonctionnalité, sont la concrétisation d’une esthétique des matériaux naturels à disposition, de concepts du vivre ensemble.
Le carrefour est l’espace de la croisée des trajectoires, il est le lieu d’une relation qui cette fois reste en mouvement. On pourrait croire que la signalétique homogène sur tous les continents produira les mêmes effets sur les flux. En réalité les carrefours du monde entier sont les lieux de chorégraphies aussi diverses qu’il y a de modes d’interactions humaines.
Quelle proximité acceptons-nous entre les corps ? Quelle place laissons-nous à l’improvisation dans les croisements de nos trajectoires ? Comment s’organisent les règles tacites de priorité qui sont autant de révélateurs de la place laissée à l’autre ? Cet enquête esquisse des réponses.
Les carrefours du monde comme objets d’études sont aussi passionnants pour le chorégraphe que je suis que pour l’urbaniste du mouvement qu’est Stéphane Lemoine.
Mon expérience de la place de l’Étoile à Paris rejoint une sensation d’improvisation en danse, en essayant de ne pas aller vers la danse contact. La distance minimale entre les objets permet le mouvement, le contact accidentel arrête le flux.
Un carrefour régulé habituellement par des feux redevient parfois sauvage lors d’une coupure. Les feux oranges clignotants nous connectent à chaque usager du lieu traversé, nous devons comprendre le projet de l’autre, voire percevoir son caractère. Se développe un autre sens que l’on appelle en danse: « l’écoute ». J’ai conscience de la place de l’autre et de sa trajectoire, je me déplace à mon tour en intégrant sa présence et son comportement. Je suis dans l’obligation de comprendre l’autre pour poursuivre ma trajectoire, notre présence collective dessine une chorégraphie globale.
Ma perception même de l’espace est aiguisée, je passe de ma file somnambulique à une compréhension élargie du site, de ses dimensions et de sa structure. Je fais mes choix d’arrêts, de contournements, d’accélérations… Je ne suis plus un élément d’un flux géré, mais acteur avec tous ceux qui partagent le site.
La signalétique en berne change l’espace traversé, on passe d’un carrefour aux flux anonymes et automatisés à un lieu de relation qui nécessite d’aiguiser ses sens tout en laissant à chacun une part d’improvisation, de créativité. C’est cette interaction entre les usagers/habitants de l’espace partagé qui caractérise une place.
Grâce à cette relation, peut-être pouvonsnous à nouveau nous approprier ces espaces de croisement, imaginer leur devenir, les transformer.
Nos voyages entrelacés viennent alors transformer la matière.
ÊTRE ATTENTIF ET RÉACTIF À LA PERSONNE CROISÉE DANS UN INTERVALLE DE TEMPS DÉTERMINÉ EST UN PRÉALABLE À L’URBANITÉ DES HABITANTS, TOUT COMME LA CAPACITÉ DU SURFEUR À S'ADAPTER
À LA VAGUE AVEC LAQUELLE IL VA POUVOIR BOUGER.
Urbanisme
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+ visualisations sur le site Googlemaps©2020-2022
Remerciements
Corinne Tiry-Ono, Julia Tanski, Patrick Henry, Philippe Massé, Stéphane Juguet, Fabrice Guillot, Eric Alonzo, Marc Salomon, Bui Quang Tuan, Georges Amar, Laurent Burte, Étienne Leblanc, Ricardo Devesa, Marta Bugés et Gema Mila.
Mix Urbains
Explorations de 8 carrefours dans le monde : Mouvements et interactions
Publié par Actar Publishers, New York, Barcelone www.actar.com
Auteurs
Stéphane Lemoine (conception et texte) et Sophie Harache (dessin)
Édité par AP5, Agence d'architecture, de paysage et d'urbanisme © Paris, France https://www.ap5.fr
Conception graphique
AP5 / Actar
Avec les contributions de Stéphane Lemoine, Sophie Harache, Anisha Suri, Jeanne Vincent, Ameshi Shrivastava, Fabrice Guillot, Philippe Massé, Stéphane Juguet, et Eric Alonzo
Rédaction et corrections
Lili Nyssen
Impression et reliure
Arlequin SL
Crédits des images:
P4: Tokyo / croisement Shibuya, Japon par Marcel Schaufelberger / x-frame.ch.
P7: Lagos / Nigeria, Ojuelegba et route Alagbede-Igbobi et A1 intersection par OMONIYI AYEDUN OLUBUNMI / Alamy Stock Photo.
P52: Hanoi / Vietnam, place Dong Kinh Nghia Thuc, par Bui Quang Tuan, 2022.
P76: Old Delhi / Inde Hauz Qasi Chowk, par Ameeshi Shrivastava, 2022.
P90-91: Biarritz/ France, Plage Côte des Basques, par Stéphane Lemoine, 2020.
P94: London / England Oxford Circus, par Waterfold_Man, 2016.
Tous les droits sont réservés
© édition : Actar Publishers
© textes : Stéphane Lemoine
© dessins : AP5
Toutes les sources d'ouvrages et de photographies ont été référencées. À la connaissance des auteurs et de l'éditeur, les documents sont libres de droit.
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Indexage
ISBN français : 978-1-63840-059-2
Imprimé en Europe
Date de parution : Avril 2023
Disponible en anglais
ISBN anglais : 978-1-63840-058-5