Ce manifeste entend redonner aux citoyens des clés de compréhension de notre économie, en identifiant les verrous au développement d’un système plus juste et durable. Éducation à l’économie, indicateurs de performance, rôle des actionnaires, démocratie et politique économiques, leadership et féminisme : autant de préceptes et d’apprentissages qu’Eva Sadoun analyse avec pédagogie et ouverture. En proposant de changer de regard, cet ouvrage esquisse le chemin nous permettant de faire naître “une économie à nous” prospère, inclusive, au service du vivant et au rendez-vous des grands défis du siècle. Autrice et entrepreneuse militante, Eva Sadoun a cofondé les entreprises sociales Lita.co et Rift et copréside le Mouvement Impact France. Elle met son activité au service d’une pensée et d’une conception écologiques, sociales et féministes de l’économie et de la finance, afin de renouveler par la pratique et la théorie notre vision de ces secteurs.
EVA SADOUN
“Aujourd’hui l’économie n’est plus notre maison à tous. Nous sommes sous l’emprise d’une idéologie qui impose un contrat économique qui ne sert plus les individus en général mais quelques intérêts en particulier. Il faut que nous habitions cet espace, que nous nous l’approprions, qu’il nous ressemble et serve au bien commun. Remettre de la justice dans l’économie, c’est surtout ça, une « économie à nous ».”
UNE ÉCONOMIE À NOUS
UNE ÉCONOMIE À NOUS
Eva Sadoun
UNE ÉCONOMIE À NOUS Changer de regard pour redéfinir les règles du jeu
ISBN 978-2-330-16030-2 DÉP. LÉG. : FÉV. 2022 12 e TTC France www.actes-sud.fr
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SOMMAIRE Introduction..................................................
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Pour une (nouvelle) éducation à l’économie...... L’enseignement de l’économie, victime collatérale du déterminisme social............ L’apprentissage d’un modèle dominant : l’économie n’est plus un outil mais une idéologie................................................. Le débat “croissance, décroissance” rejoue-t‑il ce jeu ?................................................... Réapprendre l’économie comme une histoire, pour ne plus reproduire les erreurs............ Changer de regard, c’est regarder l’histoire de la pensée économique en face...............
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Mieux mesurer la réussite avec de nouveaux indicateurs................................................. PIB : Plus un Indicateur de Bien-être........... Pour une vraie richesse des nations............... Le PIB est l’arbre qui cache la forêt (qui brûle).............................................
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Pour changer l’économie, s’attaquer à l’évaluation des entreprises....................... Une meilleure évaluation pour faire naître une compétitivité sociale et écologique...... Repenser l’actionnariat financier.................... Le capital a une classe et un genre : le destin des entreprises entre les mains de quelques-uns.......................................... Comment le marché s’immisce dans les stratégies d’entreprises.............................. Pour que les fonds activistes deviennent vraiment… des activistes......................... Une finance démocratique, levier de transition et d’engagement des citoyens ?.....
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Reprendre le pouvoir sur les décisions économiques............................................. 81 Pour un lobby d’intérêt général.................... 86 De la niche à la masse : un socle de mesures sociétales pour une nouvelle économie...... 95 L’espace européen, phénix d’une reconstruction sociétale de l’économie ?..... 102 Face à la non-neutralité de l’entreprise, revaloriser la démocratie économique....... 106 Incarner le changement.................................. Sortir de la domination............................... Il n’y a pas de louves à Wall Street................ Une économie à soi..................................... Redonner un care à la machine ?.................
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Conclusion. “Une économie à nous”............. 135 Notes............................................................. 139 Bibliographie................................................. 149 Remerciements.............................................. 151
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INTRODUCTION
En 1929, Virginia Woolf écrit Une chambre à soi, un livre dans lequel elle dénonce les conditions qui empêchent les femmes d’écrire. Elle soulève un point simple mais majeur, à savoir qu’une femme, pour être en mesure d’écrire, doit avoir de l’argent et une chambre à elle. De la même manière, il existe toujours aujourd’hui un ensem ble de structures sociales et matérielles qui em pêchent les femmes d’accéder aux hautes fonctions économiques. Et donc, de voir émerger une économie “à elles”. Il me semble même que ce raisonnement peut être étendu à un “nous” beaucoup plus vaste. Ce “nous” représente toutes celles et tous ceux à qui on refuse une place, qui pensent qu’un nouveau contrat social est possible et que l’économie dite “libre” devrait donner de l’espace à ceux qui n’ont jamais joui de son fonctionnement. Qu’est-ce que l’économie, au fond ? Étymologiquement, l’économie vient du grec oikos (la maison) et nomos (la gestion, l’administration).
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L’économie, c’est donc la gestion intérieure d’une maison, d’une famille. Ce qui était à la base un moyen d’organisation du foyer est devenu le système qui a tout organisé. On cherche depuis des siècles à utiliser l’économie comme un moyen pour atteindre le triple objectif d’organiser nos rapports sociaux, de nous permettre de répondre à nos besoins matériels et, parfois, de nous émanciper. On lui demande de répondre aux désirs de chacun, qui divergent pourtant tous. Elle a pu être explorée comme le moyen d’apporter de la justice, de la puissance, de la paix et de la domination. Elle peut être considérée comme un simple outil, un système ou parfois même une idéologie. Elle peut créer du confort pour ceux qui la contrôlent et de la défiance naturelle chez ceux qui en sont exclus. Aujourd’hui l’économie n’est plus notre maison. Nous sommes sous la tutelle d’une idéologie qui impose un contrat économique qui ne sert plus les individus. Il faut que nous habitions cet espace, que nous nous l’appropriions, qu’il nous ressemble et serve au bien commun. Remettre de la justice dans l’économie, c’est surtout ça, une “économie à nous”. Aujourd’hui, quand on s’intéresse à l’économie, il est difficile de s’imaginer cet espace comme une maison dans laquelle nous pourrions toutes et tous habiter. On a plutôt l’impression de
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s’occuper de la maison de quelques-uns. Que ce soit par la manière dont les salariés travaillent sans recevoir justement leur dû, ou dont cette maison se construit sur un terrain dont elle s’autoproclame propriétaire et détruit la parcelle de terre qui restait, ou encore dans la manière dont ceux qui essaient de proposer des modèles économiques solidaires sont héroïsés dans la sphère publique mais se voient relégués sur le palier par les décideurs. L’omniprésence d’un discours économique unique, martelé comme une vérité absolue et indépassable, doit être déconstruite si on veut espérer que l’économie soit notre alliée face aux grands défis qui nous attendent. Parce qu’aujourd’hui, il nous faut décortiquer cette idéologie qui ne sert plus nos intérêts collectifs, montrer qu’un autre contrat économique est possible, reprendre les manettes, recentrer l’économie sur ses objectifs originels et incarner différemment ces lieux de pouvoir.
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POUR UNE (NOUVELLE) ÉDUCATION À L’ÉCONOMIE Si le terme économie ne s’ était pas trouvé dévoyé par d’autoproclamés “économistes”, jamais celui d’ écologie n’aurait eu à s’ inventer. Alain Deneault, L’Économie de la nature, “Feuil leton théorique 1”, Lux éditeur, Montréal, 2019.
L’ enseignement de l’ économie , victime coll atérale
du déterminisme social
Quand on évoque l’économie aujourd’hui, no tamment auprès des jeunes générations, on assiste souvent aux mêmes réactions, aux mêmes levées de boucliers. La science économique est perçue comme extrêmement “complexe”, elle paraît “lointaine”, “réservée aux experts”. Pourtant, l’économie est cruciale dans nos vies quotidiennes. En tant que citoyens d’abord, car les élections se jouent très souvent sur des programmes
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économiques et sociaux et que la plupart des grandes dynamiques de notre monde s’expliquent par des phénomènes économiques. En tant qu’acteurs du quotidien aussi, car travailler dans une entreprise, faire sa comptabilité, payer ses impôts, consommer, avoir une carte bancaire, voter ou simplement réagir à de nombreux faits politiques discutés en famille, entre amis ou sur les réseaux sociaux, c’est déjà participer à l’économie. Cette discipline s’est d’ailleurs présentée à moi comme un levier pour mieux comprendre le monde. Ayant eu mon bac en 2008, en pleine crise financière, il m’est apparu évident que, sans compréhension des dynamiques à l’œuvre, je ne pourrais agir pour inverser la courbe des inégalités. Mais rares sont ceux qui ont accès à ce type d’enseignement. Cette exclusion d’une partie de la population de l’apprentissage de l’économie est une source importante du déterminisme social créant les inégalités qui structurent nos sociétés aujourd’hui. En France, par exemple, il faut six générations, soit 180 années, pour permettre à un descendant d’une famille pauvre d’atteindre le revenu moyen du pays1. Dès les années 1960-1970, Pierre Bourdieu nous alertait ainsi sur la reproduction sociale des élites et sur le caractère héréditaire de la transmission du capital, économique certes mais surtout culturel et social. L’éducation est un pilier de cette “violence symbolique”, qui crée une illusion
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d’égalité des chances alors que beaucoup se joue sur l’hérédité de ces connaissances techniques et humaines. La place de l’économie dans l’éducation est ainsi un exemple frappant de cette reproduction des inégalités, car tout fonctionne de façon à ce que ce capital soit toujours concentré dans les mains de quelques-uns. Les inégalités se reproduisent aussi de cette manière : se sentir légitime face à l’apprentissage de l’économie est déjà un marqueur teinté par l’héritage d’un certain capital culturel et social. Au-delà de cette transmission, il y a aussi à l’œuvre une valorisation des élites dans le milieu économique qui peut être responsable, souvent, de la dissonance entre les visions à grande échelle et la réalité de terrain. Les personnes occupant les postes de pouvoir sont fréquemment issues de parcours d’élites où l’économie est enseignée comme un modèle philosophique, sociétal ou mathématique, quand la plus grande partie de l’économie a une réalité concrète. C’est pourtant cette vision issue des modèles qui sera portée par les décideurs. Cet apprentissage classiste de l’économie porterait‑il une part de responsabilité quant à la déconnexion entre les grandes décisions économiques et la prospérité de l’économie réelle ? Plus j’ai évolué dans cet écosystème financier et économique très technique, plus j’ai réalisé que l’économie se déploie autour d’une fausse complexité, faite pour donner le sentiment que seule une minorité d’initiés peut la comprendre et se
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l’approprier. On le voit très bien lorsque l’on s’intéresse à un secteur comme la finance : l’utilisation d’un jargon extrêmement technique et l’enrobage mathématique donnent l’impression que les flux financiers et l’investissement sont un langage extraterrestre, alors qu’ils sont accessibles à tous lorsque l’on prend suffisamment de temps pour faire parvenir ces informations. Il est également crucial d’aborder ces sujets le plus tôt possible à l’école, pour que tout un chacun puisse, dès son plus jeune âge, devenir familier de tous ces termes, de ces mécanismes, s’approprier son fonctionnement et développer un esprit critique face aux discours dominants. Et il est crucial que ceux qui articulent de grandes politiques économiques fassent également l’expérience de l’économie du quotidien et de sa réalité sociale et opérationnelle. Réarmer les citoyens de ce savoir nous permettra d’envisager la construction collective urgente d’une nouvelle trajectoire climatique et sociale pour l’économie. L’apprentissage d’ un modèle
dominant : l’ économie n ’ est plus un outil mais une idéologie
Il existe, dans nos écoles, une vision idéologique de l’histoire économique qui a abouti à une lecture unique d’un modèle, aujourd’hui dominant.
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Ce manifeste entend redonner aux citoyens des clés de compréhension de notre économie, en identifiant les verrous au développement d’un système plus juste et durable. Éducation à l’économie, indicateurs de performance, rôle des actionnaires, démocratie et politique économiques, leadership et féminisme : autant de préceptes et d’apprentissages qu’Eva Sadoun analyse avec pédagogie et ouverture. En proposant de changer de regard, cet ouvrage esquisse le chemin nous permettant de faire naître “une économie à nous” prospère, inclusive, au service du vivant et au rendez-vous des grands défis du siècle. Autrice et entrepreneuse militante, Eva Sadoun a cofondé les entreprises sociales Lita.co et Rift et copréside le Mouvement Impact France. Elle met son activité au service d’une pensée et d’une conception écologiques, sociales et féministes de l’économie et de la finance, afin de renouveler par la pratique et la théorie notre vision de ces secteurs.
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“Aujourd’hui l’économie n’est plus notre maison à tous. Nous sommes sous l’emprise d’une idéologie qui impose un contrat économique qui ne sert plus les individus en général mais quelques intérêts en particulier. Il faut que nous habitions cet espace, que nous nous l’approprions, qu’il nous ressemble et serve au bien commun. Remettre de la justice dans l’économie, c’est surtout ça, une « économie à nous ».”
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