JACNO Michel Wlassikoff
MARCEL JACNO graphiste et typographe
JACNO. Une signature renommée – celle de l’un des graphistes français les plus importants du XXe siècle – pourtant aujourd’hui méconnue. C’est lui qui redessina le célèbre casque ailé du paquet de Gauloises, puis, aux côtés de Jean Vilar, réinventa l’identité visuelle du Théâtre national populaire et eut l’idée d’associer au festival d’Avignon l’emblème des trois clés. Cet autodidacte modeste et rigoureux aura nourri une esthétique « populaire » durant près de soixante-dix années dédiées à sa double vocation : la typographie et le graphisme. Il aura été l’artisan de grandes aventures esthétiques dans de nombreux domaines : théâtral, éditorial, cinématographique, mais aussi commercial et industriel. Ses expérimentations sur le dessin de lettres sont d’une vivante actualité. Et s’il est devenu courant pour une marque de faire concevoir une typographie pour forger son identité visuelle, cette pratique, plus rare en son temps, fait de lui un précurseur. La rencontre des travaux de Jacno est incontournable dans le parcours des typographes et des graphistes ; praticiens ou amateurs, tous seront marqués par son allégresse créative très contemporaine.
Marcel Jacno graphiste et typographe
Michel Wlassikoff
IMPRIMERIE NATIONALE ÉDITIONS ATELIER-MUSÉE DE L’IMPRIMERIE
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Série d’annonces presse pour la promotion de films, diffusées dans des magazines spécialisés et dans la presse à grand tirage, impression typographique sur papier, divers formats, 1927-1930. Archives Éric Pascalis.
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ci-dessus : Maquette d’affiche pour l’Exposition internationale des arts et des techniques appliqués à la vie moderne à Paris, gouache et crayon, 32 x 50 cm, 1937. Archives Éric Pascalis. ci-contre : Photographie de la scénographie de la section « Papier, arts graphiques, imprimerie » pour l’Exposition universelle au palais de Chaillot à Paris, 1937. Musée des Arts décoratifs, Paris.
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L’A P R È S - G U E R R E
Le paquet de Gauloises Dès 1946, Jacno a pleinement repris ses activités de graphiste. Il se consacre tout d’abord à des annonces presse, pour Lip, Chanel et Bourgeois. Il réalise des brochures pour le groupe Shell. Il collabore surtout avec la SEITA, réalisant en 1947 le graphisme et le conditionnement du paquet de cigarettes Gauloises. La SEITA dispose du monopole de la fabrication et de la vente de tabac et d’allumettes en France. Les Gauloises et les Gitanes sont ses marques emblématiques, mais elle produit et commercialise également de nombreuses marques de petits cigares de consommation courante. Jacno, avantguerre, s’était essayé à la création de conditionnements à titre expérimental, propositions auxquelles la société n’avait pas donné suite. C’est seulement en 1946 que lui est commandée la conception de la présentation d’un nouveau petit cigare : l’Entr’acte. Dans les mois qui suivent, la SEITA le sollicite pour effectuer le « rajeunissement » du paquet de Gauloises bleues, ses cigarettes les plus populaires : il doit moderniser le paquet, mais sans que le consommateur imagine avoir en mains un produit différent que ses cigarettes habituelles. Jacno redessine l’illustration centrale, le casque ailé créé en 1925 par le peintre paysagiste Maurice Giot, auquel il procure un graphisme plus dynamique. Puis, il s’applique à réorganiser les mots dans la composition : le titre Gauloises, l’épithète Caporal, l’expression vingt cigarettes, le tout constituant un ensemble dont il définit la mise en pages avant d’entrer dans le détail des lettres. Le texte proprement dit est composé en Bodoni, un caractère classique, bien lisible et élégant. Pour le titre qu’il souhaite « modérément moderne », il crée chacune des lettres, car aucun caractère d’imprimerie ne satisfait à l’encombrement souhaité. Il dessine une antique d’une hauteur et d’une largeur correspondant à la mise en pages, avec des pleins, des déliés et un « éclairement » de l’intérieur, pour lui conférer une certaine distinction, « un dessin de lettres recherchant la reconnaissance du lecteur et la pérennité de l’objet61 ».
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Paquet de cigarettes Gauloises « Scaferlati Maryland » de la Société nationale d’exploitation industrielle des tabacs et allumettes (SEITA), impression à l’aniline, 8,8 x 20 cm, à partir de 1947. Archives Éric Pascalis.
l’a p r è s - g u e r r e
Il obtient que sa signature soit imprimée sur chaque paquet de cigarettes Gauloises. Il revendique également des droits d’auteur, mais en vain. L’intitulé du premier article qui lui est consacré après-guerre, « Marcel Jacno. Dix milliards de signatures62 », fait référence à sa reproduction à une multitude d’exemplaires puisque son nom figure sur l’emballage le plus répandu en France, également très diffusé à l’étranger : à l’époque, deux milliards de paquets de Gauloises sont commercialisés chaque année. La renommée qu’il acquiert ainsi dépasse de loin la simple reconnaissance d’un graphisme populaire réussi. Jean Dubuffet, avec qui il est lié, ne cesse alors d’ironiser sur sa célébrité internationale à travers ce qui s’apparente à un ready-made inversé. Plus tard, d’autres artistes s’intéressent à sa démarche. Ainsi, les sculpteurs Lalanne « s’amusèrent à organiser autour de [lui] un dîner d’artistes parmi lesquels la jolie Niki de Saint Phalle et deux Suisses exposant en France avec succès : le sculpteur Tinguely et le peintre Spoerri. Tous les convives, après le dîner, apposèrent sur un paquet de Gauloises leurs signatures qui, elles, étaient célèbres. Et François-Xavier Lalanne [lui] remit solennellement ce paquet ainsi anobli sous un globe qui avait probablement abrité une couronne de fleurs d’oranger du siècle dernier63 ». Marcel Jacno collabore de longues années durant avec la SEITA pour adapter son graphisme aux paquets de Disque bleu, de Gauloises blondes, etc., qui comportent tous sa signature. Ses créations englobent également une large gamme de conditionnements pour les cigares de la Régie : Entr’acte, Diplomates, Voltigeurs, Reinitas. Il est probable que la célébrité de sa signature et les droits d’auteur qu’il en espérait l’aient conduit à déposer une requête auprès du garde des Sceaux, en 1949, pour que l’état civil modifie son patronyme, Jachnovitch, au profit de son nom d’usage, Jacno. Un nom devenu une telle marque d’identité qu’il l’attribue au nouveau caractère édité la même année par la fonderie Deberny et Peignot.
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La rationalisation typographique des imprimés administratifs Dès 1940 Maximilien Vox avait apporté son soutien au maréchal Pétain et à la Révolution nationale. Nommé au Bureau de documentation du chef de l’État, il en avait accompagné les initiatives éditoriales en coéditant par exemple avec le ministère de l’Information les Nouveaux destins de l’intelligence française (1942) : ce luxueux ouvrage à la gloire de Pétain et sous l’égide de Charles Maurras présentait les personnalités marquantes de Vichy (Abel Bonnard, Pierre Drieu la Rochelle…). Dans un article de sa plume consacré au renouveau de la typographie, Vox y annonçait la création d’un Office de rationalisation typographique en charge de l’harmonisation des documents administratifs de l’État français. Poursuivant cette idée de rationalisation au sortir de la guerre, il convainc René Pleven, commissaire à l’Économie, aux Finances et aux Colonies dans le gouvernement provisoire du général de Gaulle, de la pertinence de l’initiative, et est nommé en 1945 à la tête d’une Commission de l’imprimé chargée de standardiser « la présentation typographique de l’énorme masse de papier imprimé qui est le mode de communication inévitable entre l’État et ses sujets, qui sont en même temps ses mandants64 ». Il fait alors appel à Jacno pour l’épauler dans cette tâche qui consiste à « pourchasser les mentions inutiles, les redites, les renvois superfétatoires, en supervisant, du simple point de vue de l’analyse logique, les textes émanant de plusieurs services, en élaborant une stricte hiérarchie des titres, et en donnant au petit nombre de caractères retenus une valeur rationnelle de vocabulaire. En 1948, la Radiodiffusion française fit à son tour appel à nos services pour standardiser les quelque vingt-cinq imprimés-types servant à la délicate besogne de la “relance”, ou rappels de redevances65 ».
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1 : Dessins de diverses lettres du caractère Elzévir musclé, gouache et encre de Chine, sur papier, divers formats, vers 1950. Archives Éric Pascalis. 2 : Composition à partir de deux épreuves photographiques sur papier photosensible (bromure) datée de juillet 1949, reproduite dans l’article de Marcel Jacno, « Remarques sur l’esprit d’invention », Caractère Noël, « Remarques sur l’imprimé publicitaire », décembre 1951, 52 cm x 6 cm. Archives Éric Pascalis. 3 : Marcel Jacno par Serge Jacques dessinant le titre de Caractère, le magazine de l’imprimé, 1949. Archives Éric Pascalis.
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4 : Couverture de Caractère, 1re année, n° 2, juillet 1949, impression typographique en bichromie, 24 x 31 cm. Archives Éric Pascalis. double page suivante : Dessin de l’alphabet expérimental Initiales Diamant, encre de Chine et crayon sur papier millimétré ou carroyé, divers formats, vers 1950. Archives Éric Pascalis.
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1 : Maquettes pour le marquage des véhicules du TNP, gouache et crayon, 21 x 27 cm, vers 1953. Maison Jean-Vilar. 2 : Maquette pour des représentations de Don Juan de Molière au château de Beaumesnil, gouache et crayon de couleur, 38,5 x 60 cm, 1954. Archives Éric Pascalis. 3-6 : Maquettes pour les scénographies du « TNP en banlieue », gouache et encre de Chine, crayon de couleur et mine de plomb, divers formats, 1952. Maison Jean-Vilar.
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4 : Maquette pour l’affiche Mère Courage de Bertolt Brecht, gouache, 28 x 39 cm, 1952. Maison Jean-Vilar.
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ci-dessus : Affiche pour La Nuit de l’iguane de Tennessee Williams au Théâtre des Bouffes du Nord, impression offset, 100 x 150 cm, 1977. Archives Éric Pascalis. ci-contre : Affiche pour La Tragédie de Carmen au Théâtre des Bouffes du Nord, impression offset, 40 x 60 cm, 1981. Archives Éric Pascalis.
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JACNO Michel Wlassikoff
MARCEL JACNO graphiste et typographe
JACNO. Une signature renommée – celle de l’un des graphistes français les plus importants du XXe siècle – pourtant aujourd’hui méconnue. C’est lui qui redessina le célèbre casque ailé du paquet de Gauloises, puis, aux côtés de Jean Vilar, réinventa l’identité visuelle du Théâtre national populaire et eut l’idée d’associer au festival d’Avignon l’emblème des trois clés. Cet autodidacte modeste et rigoureux aura nourri une esthétique « populaire » durant près de soixante-dix années dédiées à sa double vocation : la typographie et le graphisme. Il aura été l’artisan de grandes aventures esthétiques dans de nombreux domaines : théâtral, éditorial, cinématographique, mais aussi commercial et industriel. Ses expérimentations sur le dessin de lettres sont d’une vivante actualité. Et s’il est devenu courant pour une marque de faire concevoir une typographie pour forger son identité visuelle, cette pratique, plus rare en son temps, fait de lui un précurseur. La rencontre des travaux de Jacno est incontournable dans le parcours des typographes et des graphistes ; praticiens ou amateurs, tous seront marqués par son allégresse créative très contemporaine.
Marcel Jacno graphiste et typographe
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