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PRÉSENTATIONS
oël, tu as accepté la proposition des éditions Actes Sud d’une participation à la collection “Domaine du possible”. Tu as souhaité qu’elle prenne la forme d’entretiens plutôt que celle d’un récit à la première personne. Tu m’as confié que ce serait “le livre de ta vie”. À qui souhaites-tu t’adresser ?
Effectivement, c’est le livre de ma vie car l’unique, il n’y en aura pas un deuxième. J’imaginais attendre la retraite pour écrire ce qui aurait été en quelque sorte mes mémoires. Suite à une intervention sur mon action politique à Arles en 2020 dans le cadre du festival “Agir pour le vivant”, Françoise Nyssen et Jean-Paul Capitani m’ont convaincu qu’il y avait urgence à s’exprimer sur certaines questions. Mon entourage proche m’y a encouragé et me soutient. Écrire seul, cela ne me correspondait pas. Il y a la pudeur. L’idée d’être dans un échange, un partage, convient mieux à qui je suis.
Par ces entretiens, je voudrais interpeller le public le plus large possible, des personnes issues du monde intellectuel, politique, écologiste, bien sûr, mais pas seulement. Je souhaite m’adresser particulièrement aux gens simples dont la politique, du moins nationale, s’est détournée. Cela a pour conséquence le très grand nombre d’abstentions ou de votes protestataires et cela me préoccupe beaucoup.
Le “populaire” : j’aime beaucoup ce mot-là qui est aujourd’hui très galvaudé, voire péjoratif. Je suis en politique et j’observe ce fossé entre la population et le monde politique. Ce livre est une façon de m’adresser directement à la population, à tous ses individus, notamment les plus jeunes, pour leur donner l’envie de l’engagement. Je suis un politique à la carrière très improbable, très imprévue et pourtant : c’est arrivé. Je crois que j’ai su saisir ma chance à certains moments et aussi que certaines paroles, certaines personnes ont été déterminantes dans mon parcours.
J’ai lu il y a plusieurs dizaines d’années un livre de Pierre Sansot, Les Gens de peu1 . Il parle de ces gens avec de petits moyens qui pratiquent le camping, qui suivent le Tour de France. Je viens de là. Je n’ai jamais cessé de les côtoyer. Quand j’étais maire, j’avais le souci d’aller vers eux et ils savaient qu’ils pouvaient compter sur moi et venir me parler quand ils le voulaient. Il m’importe beaucoup de m’adresser à eux comme de les représenter en politique. Ce sont ces gens, qu’on appellerait maintenant les “oubliés”, qui font donc pour beaucoup l’abstention d’aujourd’hui. Ils ne se sentent plus concernés par la parole publique, ils ne la reçoivent plus. Je souhaite qu’ils se réapproprient la question politique. Par exemple, l’écologie, telle qu’elle est incarnée aujourd’hui dans les partis, est déconnectée du monde rural, alors qu’il y a dans les campagnes de nombreuses personnes écologistes dans leurs pratiques et qui s’ignorent comme telles.
Pour moi, il est important de travailler pour convaincre mes collègues parlementaires tout comme les gens du peuple. La réconciliation est une notion extrêmement forte à mes yeux.
Ce partage d’expérience, qu’en espères-tu pour toi-même ?
Pour la première fois de ma vie, j’ai la possibilité de regarder mon histoire, de ses débuts jusqu’à maintenant. Aujourd’hui, on peut dire que c’est l’automne ou du moins l’été indien de mon existence. J’éprouve le besoin de revisiter mon histoire, d’examiner ce que j’ai fait de ma vie. On me dit, au vu de ce que j’ai accompli, qu’il y a une forme de courage. Je ne ressens pas cela. Je me sens mû par mes convictions, j’ai travaillé dur, mais par rapport à l’ampleur de ce qu’il y avait à faire, de ce qu’il y a encore à faire, je me sens tout petit, limité à des petits pas. J’avais l’ambition de jouer un rôle pour que les choses changent, d’agir. Je m’y suis employé, mais cela reste loin de ce que j’aurais pu et dû faire. On me rappelle qu’une loi porte mon nom. Ce n’est pas rien et, bien sûr, j’en ressens une fierté légitime, mais cela demeure “des petites choses”.
Je reste empreint de doutes. J’aspire à avancer vers plus de sagesse, de tranquillité d’esprit, à me réconcilier avec les moments délicats et aussi avec mes contradictions. J’ai eu nécessité à négocier parfois entre mes idéaux et la réalité.
On te décrit souvent comme “un écolo pas comme les autres”. Pourquoi ?
En effet, c’est souvent ainsi qu’on me définit. Je n’ai pourtant pas envie de me singulariser et ce n’est pas vraiment confortable de se sentir à part.
J’ai souvent eu affaire à beaucoup de condescendance dans les milieux politiques, hormis dans le groupe écologiste, qui a tout de suite compris ce que je lui apportais de par ma provenance rurale.
J’étais le seul dans ce groupe à avoir exercé un mandat de maire. Toute mon expérience de terrain a permis que je sois finalement reconnu. Je ne suis pas comme un poisson dans l’eau dans le monde politique. Ce que j’ai pu gagner, en partie grâce au travail qu’on a fait ensemble sur la prise de parole que le documentaire Au risque d’être soi a filmé, c’est une part de confiance et c’était essentiel.
L’enjeu a toujours été de me faire entendre et respecter, mais sans entrer dans le moule. Certains sont encore surpris par mon apparence : un sénateur avec une boucle d’oreille, avec des bagues. Il se trouve que j’étais comme cela en arrivant et que je ne voulais certainement pas changer, me formater, me lisser. J’ai fait la concession de porter la cravate car elle est obligatoire au Sénat et il y a eu d’ailleurs un épisode où je l’ai arrachée en séance, on en reparlera sans doute.
Le monde politique, tel qu’il fonctionne à l’échelle nationale, avec le personnel politique au sens d’“élus politiques”, ne me convient pas, je me sens encore très décalé. Il ne me permet pas de m’exprimer pleinement, de vivre la plénitude dans l’exercice de ma fonction telle que je la ressentais lorsque j’étais maire.
Plusieurs de mes collègues parlementaires me disent souvent en souriant : “Tu es un écolo pas comme les autres, toi au moins tu parles concret et vrai.” Dans les milieux populaires, les personnes les plus intimidées, les gens les plus simples, sont à l’aise pour m’interpeller et j’en suis fier.
Dans la vision collective, les écolos sont plutôt urbains, intellos et pratiquant une forme d’entre-soi. Ce n’est pas quelque chose qui peut s’appliquer à moi et c’est pourquoi je suis perçu comme très accessible. Susciter la confiance est essentiel et je ne peux le faire qu’en restant moi-même.
Comment te décrirais-tu toi-même ?
C’est une question particulièrement difficile. D’abord je dirais : humain, tout simplement humain. Je suis quelqu’un de bienveillant. Je suis quelqu’un qui aime la vie, qui aime les gens, quelqu’un de désintéressé par les aspects de pouvoir. Je ne suis pas un homme de pouvoir. Je suis un homme politique qui doute, ce qui est assez inhabituel. C’est un trait marquant, je ne m’en défais pas, même si je conserve toujours des certitudes sur les lignes à tenir.
J’aime la poésie. Bien que je n’aie jamais écrit de poésie jusqu’à présent, j’ai une âme de poète.
Enfin, je me définis aussi, évidemment, par mon fort attachement à la nature, à la nature vivante, qui m’a profondément imprégné dès ma plus tendre enfance et que j’ai cultivé.