Adel Abdessemed, Adonis, 2013. Pierre noire sur papier, 184,1 x 129,7 cm
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Sommaire
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Avant-propos Azzedine Alaïa
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Une Aventure Donatien Grau
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La conversation des A. Adel Abdessemed, Adonis, Azzedine Alaïa, avec Arwad Esber, Ninar Esber et Donatien Grau
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Œuvres graphiques d’Adonis
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Les enfers du poème Emanuele Coccia
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Pratique de l’avant-garde Donatien Grau
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Tenir ensemble Andrea Zanzotto
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mieux, peut-être, était admirable. Il montra les objets, si proches du surréalisme, et pourtant autres. Leur magie attrapait le regard. L’exposition apparaissait. Il fallait rassembler ces images, ces copies, et les montrer, aussitôt la rencontre finie, à Azzedine Alaïa. Il admira, lui aussi, et il dit : “Je suis vraiment heureux que nous le fassions. Il faut marquer cela.” Nous ferions un catalogue en l’honneur d’Adonis, et de ces œuvres graphiques si puissantes et si suggestives. Il tenterait de les expliquer, et des esprits libres y participeraient. Adonis, Adel Abdessemed, Azzedine Alaïa, avec qui l’aventure avait débuté, et qui tous décidément dessinaient et en un sens aussi faisaient des collages, parleraient ensemble, à nouveau. Adonis y serait, auteur et dessinateur, tel qu’il apparaîtrait, avec ses mots écrits sur les dessins, par les images mystérieusement créées, dans l’exposition. Et ce serait un nouveau début pour de belles histoires. Oui, à Paris, en poésie, en art, dans la communauté, tout était encore possible.
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La conversation des A.
Adel Abdessemed, Adonis, Azzedine Alaïa, avec Arwad Esber, Ninar Esber, Donatien Grau
C’était un soir de septembre, dans la cuisine d’Azzedine Alaïa, à nouveau. Un dîner autour d’Adonis, avec ses filles, Arwad et Ninar Esber, Adel Abdessemed, Azzedine Alaïa donc et ses proches, Christoph von Weyhe et Caroline Fabre-Bazin. On entendait par intermittence les expressions de vie, d’intérêt, des chiens de la maison. On parlait de poésie, d’art et de vie – des collages du poète. Donatien Grau : Comment l’idée t’est-elle venue de créer des images ? Adonis : C’était par hasard. J’ai beaucoup d’amis peintres et je travaillais beaucoup avec eux. Il y avait donc comme une prédisposition. J’ai un petit studio où je travaille et écris. De temps en temps, je ne peux plus écrire ni lire. Alors, une fois, j’ai pensé : “Pourquoi ne pas donner la liberté à mes mains ?” Et j’ai essayé de faire des collages. D. Grau : Pourquoi les collages ? Adonis : Parce que les couleurs me posent une question. J’ai fait des collages durant deux, trois mois, que j’ai trouvés mauvais et que j’ai déchirés. L’année suivante, j’ai recommencé et fait quelques petites choses. Une fois, un ami français qui est malheureusement mort, Michel Camus, est venu me voir dans mon studio et a vu ce que j’avais fait. Il m’a demandé : “Qui a fait ça ?” J’ai répondu : “C’est un ami. – Un ami ? Est-ce que je peux le rencontrer ? – Oui, dans deux semaines, je vais parler avec lui…”
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Sans titre, 2014, 24 x 32 cm
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Sans titre, s. d. (2014), 15 x 21 cm
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Sans titre, s. d. (2014), 21 x 28 cm
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Sans titre, s. d. (2014), 21 x 28 cm
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Sans titre, s. d. (2014), 24 x 32 cm
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Sans titre, s. d. (2014), 32,5 x 47,5 cm
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Sans titre, s. d. (2014), 30 x 40,5 cm
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Sans titre, 2014, 50 x 57 cm
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Sans titre, 2014, 50 x 155 cm
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Sans titre, 2014, 50 x 155 cm
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Sans titre, 2014, 35,5 x 51 cm
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Sans titre, 2014, 50 x 64 cm
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Sans titre, 2014, 50 x 64 cm
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Sans titre, 2014, 50 x 64 cm
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Sans titre, 2013, 30,5 x 45,5 cm
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Sans titre, 2013, 33 x 40 cm
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Sans titre, 2013, 30,5 x 45,5 cm
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Sans titre, 2013, 24,5 x 31,5 cm
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Sans titre, 1998, 18,5 x 23,5 cm
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Sans titre, s. d., 22 x 22 cm
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Les enfers du poème
Emanuele Coccia
1. Il y a des objets dont l’essence est de brouiller les contours de toute chose. Plus qu’un bout de matière enfermée dans son périmètre, ils sont une force en acte qui attire toutes les choses dans une même enceinte et oblige les éléments et les formes ambiantes à se lier selon de nouvelles alliances. Ils ne se laissent pas réduire à une silhouette : de même que le pouvoir d’un aimant s’étend jusqu’aux limites de son champ d’attraction et embrasse donc tous les métaux qu’il peut, de même ces objets paradoxaux ne se définissent pas par une forme spécifique mais par la métamorphose qu’ils imposent aux choses entraînées dans leur sphère d’influence. Les encres et les collages d’Adonis sont des objets de cette nature. Ce ne sont pas les tentatives d’un poète sublime qui s’exercerait dans un art étranger au sien. Ces œuvres sont autant de cornues dans lesquelles l’art poétique lui-même est soumis à un processus de transformation radicale. Dans l’enceinte rectangulaire de ces feuilles, la poésie, pratiquée au-delà de ses moyens, “en dehors des mots, en dehors de la langue1”, perd son visage habituel, devient l’incandescence d’une tension qu’on ne peut pas voir à l’œil nu. Chacun de ces collages, chacune de ces encres est un aimant spirituel qui oblige matière et signification, mot et image, symbole linguistique et ornement visuel à définir un champ magnétique d’influence réciproque. Les lignes, les taches, les mots cessent d’être ce qu’ils sont, déposent leurs natures comme des masques
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En haut à gauche : Piet Mondrian, Broadway Boogie-Woogie, 1940, 127 x 127 cm En haut à droite : Kurt Schwitters et Theo van Doesburg, Dada matinée, Lithographie, 1922 Ci-contre : Theo van Doesburg, titre de la revue De Stijl, 1917
stylisés, transformés en ornement, mais pris et traités comme image, indifféremment de leur aspect visuel. Le logo alphabétique est l’exemple d’une écriture qui devient pure image, qui cesse de signifier quelque chose : dans tout logo, les lettres et les mots se transforment en blasons, quelque chose d’intermédiaire entre le symbole idéographique et la pure image mimétique. En ce sens, l’effort de transformer un mot en une image n’est pas un souci lié à la présence de la calligraphie. C’est un élément omniprésent dans notre culture, dans tous ses états. Si, comme Oleg Grabar4 l’a suggéré, on peut rapprocher le calligramme de Topkapı d’un célèbre tableau de Piet Mondrian ou des tableaux de Frank Stella, ce fut entre autres le groupe De Stijl qui transforma les affiches textuelles en tableaux cubistes, et le titre de la revue en une composition d’art abstrait, où les mots sont décomposés et où les
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lettres s’enchaînent sur la surface en suivant des règles purement géométriques. Dans un certain sens, la tradition de l’avant-garde et le graphisme contemporain semblent avoir rejoint le mythe qui voudrait que la forme originaire de l’écriture soit celle de l’idéographie. Ce fantasme, qui a hanté la culture européenne depuis les Hieroglyphica d’Horapollon5 jusqu’à la Visual Autobiography d’Otto Neurath6, pousse à penser l’unité entre mot et image comme transcendantale, immémoriale, originaire. Pour le dire avec l’un des pères de l’Arts and Crafts anglais, Walter Crane, “writing after all, is but a simpler form of drawing 7”, “l’écriture n’est qu’une forme simplifiée de dessin”. Graver des lettres sur une surface signifie toujours dessiner, faire de l’art, car l’accord entre image et mot semblerait, dans cette tradition, être une harmonie préétablie. Mais il y a aussi d’autres manières de concevoir et de pratiquer la fusion entre langue et image. Dans la tradition typographique plus classique, le caractère visuel des lettres est comme refoulé. “Un caractère, écrivait Jan Tschichold, est d’autant plus lisible que ses formes fondamentales s’éloignent moins de celles utilisées déjà depuis de nombreuses générations8.” C’est comme si toute lettre devait refouler le fait d’être forme plus que signification. Le but de toute lettre typographique serait, d’emblée, de devenir invisible en tant que forme. Comme si la lettre n’était qu’une image qui ne sait pas être telle. Comme si, pour rester lettre signifiante à la manière du langage, toute lettre devait se libérer de ses attributs visibles, devenir imperceptible, oublier ses origines sensibles et iconiques. Il est peut-être d’importance secondaire que la relation passe par un oubli ou par un souvenir : figure et écriture sembleraient toujours être reliées par une relation ancienne, une forme d’identité ou de consanguinité que l’on peut oublier ou qu’il faut se rappeler. On aurait tort, donc, de voir dans l’œuvre d’Adonis une simple reprise savante des anciennes pratiques calligraphiques islamiques : les enjeux de son œuvre sont plus profonds que le souci de faire survivre une tradition immémoriale.
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Tenir ensemble
Andrea Zanzotto
La poésie d’Adonis est déjà en soi un dessin riche de trames, c’est quelque chose d’unique et de rare, et cela représente la possibilité de dépasser les différences et les divisions culturelles. La peinture va vers la poésie et la poésie vers la peinture, c’est un croisement intéressant d’où peuvent germer de nouvelles formes et de nouvelles figures. Nous pouvons dire que c’est un passage naturel, qui peut exister à tout moment, si s’ouvre l’habitude mentale singulière à la poésie et contemporainement à la peinture ; si on y gagne, l’inconscient s’enrichit. Adonis par la profondeur de son message mérite dans le panorama mondial un poste de privilège : il comprend tout en lui et est capable de créer un portrait multiple et de respecter chaque identité. Même cette expérience picturale, qui adhère en un certain sens à l’objet lumineux de sa poésie, démontre son courage et son ouverture. Le collage peut donner l’idée d’une effraction mais sur ce nœud se jouent bien des questions fondamentales de la contemporanéité parce que plus qu’une effraction, réside là la force de tenir ensemble des choses qui n’ont pas un rapport réel et qui en revanche peuvent communiquer et produire du sens. La question est donc
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