Extrait "Histoire visuelle de la typographie"

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Histoire visuelle de l’art typographique Paul McNeil

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Traduit de l’anglais par Amanda Prat-Giral

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Introduction 6 Guide des tableaux descriptifs des caractères

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1450–

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Glossaire 666 Bilbliographie 668 Index

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Remerciements 672 672

sommaire

Crédits photographiques

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introduction Blad Histoire visuelle typographie.indd 2

Voilà plus de cinq cents ans que les caractères mobiles et la typographie sont au cœur de nos technologies d’impression et d’édition, deux activités aussi fondamentales au développement de la civilisation que l’invention de la roue. Nous assistons cependant, en ce début de XXIe siècle, à un tournant sans précédent dans nos rapports aux techniques typographiques. Non seulement elles jouent un rôle prédominant dans la communication de masse, mais elles ont aussi migré au cœur de nos interactions sociales. Aujourd’hui, les caractères sont partout, des pages imprimées aux appareils électroniques que nous tenons entre nos mains, trame de nos échanges personnels quotidiens comme des paysages urbains du monde entier. Pourtant, leur présence est bien souvent négligée. Matthew Carter, l’un des créateurs de caractères les plus éminents de sa génération et sans doute le plus prolifique, déclarait dans un entretien mené pour le documentaire Helvetica1 : « Si, dans un avion ou un train, j’engage une conversation avec mon sympathique voisin et qu’il me demande ce que je fais dans la vie, ma réponse ne lui évoque généralement rien. » Comment l’expliquer ? Si Carter était styliste, architecte ou illustrateur, nul besoin de travailler dans les industries créatives pour avoir une idée correcte de ce qu’il fait et de ce que cela implique. Mais pour un dessinateur de caractères, cette ignorance n’est pas seulement inévitable, elle est tout à fait justifiée. Les caractères sont souvent négligés car, comme l’explique Gerard Unger, autre créateur de renom : « Nous voyons un texte, nous le regardons, nous commençons à le lire et le texte visible se dissout alors que compréhension et sens jaillissent. De temps en temps, nous nous remettons à regarder le texte, nous le voyons, et le contenu est de nouveau renvoyé à l’arrière-plan. Il semblerait que lire et regarder en même temps est impossible2. » Un lecteur, au moment où il lit, n’est jamais conscient de l’acte de lire, car s’il prend momentanément conscience de la présence manifeste du corps du texte, alors celui-ci cessera de remplir sa fonction première, soit la transmission du langage. Cette affirmation dépend bien entendu du contexte : les romans n’ont pas la même fonction que les titres des journaux, par exemple, de même que les tickets ne remplissent pas le même rôle que les affiches publicitaires. Cependant, le principe énoncé 1. Film documentaire réalisé par Gary Hustwit (États-Unis, 2007), sorti à l’occasion du 50e anniversaire de l’édition du caractère Helvetica. 2. Gerard Unger, Terwijl je leest, Amsterdam, De Buitenkant, 2006 ; éd. fr., Pendant la lecture, trad. d’André Verkaeren, Paris, Éditions B42, 2015, p. 143.

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plus haut reste peu ou prou vrai, quelle que soit la situation. À ses débuts, l’imprimerie était une industrie réservée à de rares élus ; ce n’est pas pour rien qu’on l’a surnommée l’« art occulte ». La distinction qui existe entre « lire » et « voir » des mots a quelque chose de l’angle mort : le message communiqué est lu, reconnu et retenu, tandis que son support, sa représentation visuelle, passe inaperçu. C’est cette capacité de rester caché au nez et à la barbe de tous tout en étant bien visible qui donne aux caractères leur pouvoir performatif, leur permettant d’influencer la communication de manière subliminale afin de créer une ambiance, de donner un ton, de faire naître une émotion ou de dévoiler peu à peu des informations, par la mise en valeur ou l’atténuation de certains éléments du texte. Le présent ouvrage se propose de sensibiliser ses lecteurs au formidable potentiel de ces signes que nous tenons pour acquis et de présenter, avec clarté et concision, les grandes phases de la création typographique dans leur contexte culturel et technique. Cet inventaire unique s’adresse aux graphistes, aux étudiants typographes et aux lecteurs désireux d’en savoir plus sur l’histoire de la communication et de la culture visuelle, en adoptant une approche globale de son sujet. Il dresse un panorama détaillé des principaux caractères édités depuis l’apparition de l’imprimerie, du milieu du XVe siècle à nos jours, s’attachant au premier chef aux représentations directes et fidèles des caractères traditionnels majeurs dans leur spécimen originel ou, le cas échéant, dans des compositions contemporaines. Au fil de l’histoire de l’imprimerie, les fonderies et les imprimeurs ont édité des spécimens et des catalogues de caractères à des fins promotionnelles. Avant l’arrivée de l’informatique, ces outils étaient largement utilisés pour le choix des fontes, la préparation de nouveaux dessins typographiques et la réalisation des études comparatives entre caractères. Artéfacts utilitaires conçus avec l’objectif explicite d’attirer l’attention sur l’aspect même des lettres, les spécimens résultent souvent d’une réflexion approfondie et font écho aux spécificités visuelles de leur époque. Ils sont cependant généralement négligés dans les ouvrages historiques sur le graphisme et n’avaient, à ce jour, jamais été rassemblés dans un unique volume. Le présent ouvrage répertorie les spécimens de plus de trois cent vingt alphabets, parmi lesquels certains considérés comme les meilleurs représentants du panthéon typographique.

Les caractères comme le Garamont ou le Baskerville font figure de « classiques », car ils n’ont eu de cesse de prouver leur lisibilité, leur polyvalence et leur discrétion, notamment comme caractères de texte courant. Leur efficacité en tant que caractères d’édition est le fruit d’un équilibre délicat entre l’unité de la série de signes qui les composent et la diversité de leurs formes. Des générations de lecteurs ont apprécié la limpidité de ces caractères familiers, et des générations d’imprimeurs et d’éditeurs y ont eu recours au fil du temps. Ils ont ainsi fait l’objet de nombreuses transformations d’ordre technique et stylistique et sont devenus des références en matière d’efficacité, de lisibilité et de beauté. L’objectif de ce volume est de proposer un instantané précis de chaque phase du développement de la typographie : il présente donc un certain nombre d’alphabets qui n’ont été que brièvement utilisés, victimes de l’évolution des tendances, des marchés ou des techniques. Beaucoup ont été conçus comme caractères de titrage plutôt que de texte, en premier lieu pour attirer l’attention, en second lieu pour communiquer un message. Ils ont beau être tape-à-l’œil, spécifiques à un contexte donné, datés ou même affreux, ils ont tout autant leur place dans cet inventaire que les fontes les plus « nobles ». Cette Histoire visuelle de l’art typographique inclut également un certain nombre de caractères expérimentaux et avant-gardistes qui, bien que jamais commercialisés, ont ouvert de nouvelles voies dans le domaine. Dans la création typographique, les évolutions ont toujours été très lentes. Le dessinateur de caractères Dave Farey, lorsqu’il déclarait : « Rien de ce que j’ai fait n’est original. Tout repose sur les vingt-six lettres de l’alphabet…3 », renvoyait à un constat toujours d’actualité, qui fait du dessin typographique un champ particulièrement conservateur. Il serait certes possible de construire une variété infinie de glyphes, mais les exigences propres au processus de lecture cantonnent nécessairement les typographes aux limites conventionnelles du canevas de l’alphabet. Si un signe graphique ne correspond pas à une unité linguistique, alors ce n’est tout simplement pas un caractère appartenant à un système d’écriture. La typographie doit donc toujours avoir un œil sur le rétroviseur et tenir compte des formes préexistantes, universellement acceptées et comprises. Par conséquent, l’histoire de 3. Simon Loxley, « Font Wars : A Story On Rivalry Between Type Foundries », Smashing Magazine, 14 mai 2012.

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la typographie a été marquée par une série d’adaptations successives de dessins anciens aux techniques les plus récentes, comme la transition de la composition mécanique vers l’environnement numérique. L’héritage de la typographie et du lettrage est ancré dans une tradition du revival, au titre de laquelle les caractères les plus pérennes font l’objet de multiples réinterprétations, conditionnées par les contraintes des nouvelles techniques, les objectifs et les compétences des dessinateurs et les fluctuations de la mode. Ces facteurs rendent inévitables des similitudes entre fontes, même involontaires, remettant en cause la notion d’originalité en typographie et favorisant l’imitation, le plagiat et le piratage, problématiques présentes depuis les débuts de la discipline. Le présent ouvrage suit une chronologie calquée sur la date d’édition des caractères montrés ou celle de leur première utilisation connue. Il est divisé en sept parties, selon les phases historiques et techniques majeures : 1450. Période marquée par l’invention de l’imprimerie au moyen de blocs mobiles et par l’apparition de la quasi-totalité des caractéristiques qui ont influencé la création typographique par la suite. 1650. Phase d’expansion européenne, qui voit le romain s’affranchir de ses racines humanistes pendant la période baroque et les Lumières, mouvement au fondement de l’ère moderne. 1800. Siècle au cours duquel la typographie est mise au service des besoins croissants du commerce lié à la révolution industrielle, ce qui se traduit par une explosion de nouvelles techniques, lettres et idées. 1900. Demi-siècle touché par des guerres mondiales qui entraînent l’émergence de mouvements artistiques d’avant-garde visant à remettre en question les conventions sociales, à l’origine d’une multiplication de formes novatrices. 1950. Après la Seconde Guerre mondiale, période de consolidation au cours de laquelle le graphisme devient une profession à part entière, axée sur les besoins de l’industrie et l’exigence d’objectivité de la communication visuelle. 1980. Vingt dernières années du XXe siècle, marquées par une transition vers le tout numérique, qui donne lieu à une reconfiguration des pratiques graphiques ainsi qu’à une expansion de leur application. 2000. Premières décennies du XXIe siècle, au cours desquelles la création numérique de caractères s’affine parallèlement aux progrès des technologies

informatiques de la communication et des fonctions sociales qui s’y rattachent. Le présent ouvrage n’est pas structuré en fonction des classifications traditionnelles des caractères, car elles se sont révélées fautives. La terminologie ésotérique qu’elles emploient découle de l’évolution historique et n’est donc ni cohérente ni consensuelle. Elles sèment la confusion en distinguant les caractères sur la base d’associations arbitraires, qu’elles soient historiques, géographiques ou autre, ou en fonction d’une panoplie de critères visuels fragmentaires. Les classifications donnent par ailleurs l’illusion de pouvoir cataloguer absolument tout dans le dessin des lettres, ce qui produit en réalité un effet d’entrave aux évolutions possibles. Si certains alphabets correspondent exactement à une classification donnée, d’autres présentent des caractéristiques diverses qui traversent les frontières ou vont jusqu’à les transcender, phénomène que l’on constate de plus en plus depuis l’avènement du numérique. Il apparaît donc que les différents systèmes de classification ne devraient être utilisés que comme des guides pratiques, dans un domaine où l’on peut envisager bien d’autres associations utiles. Cet ouvrage propose une terminologie plus stable, qui se veut davantage descriptive que normative, et recourt à quatre catégories visuelles relativement pérennes : à empattement, sans empattement, scripte et gothique. Un système flexible de mots clés, qui font écho soit aux associations historiques du caractère présenté, soit à ses principaux attributs visuels, vient compléter cette terminologie. Tous les caractères ou familles de caractères sont présentés de la même manière, sur une double page. Pour chacun, les images du spécimen originel ou d’une application du caractère en son temps, le cas échéant, accompagnent un bref récapitulatif de sa mise au point, de son aspect et de son utilisation, tout en le resituant dans son contexte historique. Des données clés sont également fournies sous forme de tableau, comme indiqué dans le guide ci-contre. Il convient de noter que cette publication porte sur les groupes linguistiques qui utilisent les caractères de l’alphabet latin, notamment en Europe et aux États-Unis. Il serait intéressant que des spécialistes de l’histoire des caractères non occidentaux entreprennent des travaux équivalents dans ce domaine, qui pourraient mettre au jour des données susceptibles de contredire nombre de nos idées reçues sur la typographie.

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En 1992, dans un court article sur le statut de la typographie dans le graphisme contemporain, Ellen Lupton et J. Abbott Miller expliquaient qu’un canon de formes de lettres aux proportions idéales a laissé place à un code génétique flexible, capable de se décliner en une infinité de nouvelles espèces4. L’objectif affiché de Lupton et Miller, dans The Natural History of Typography, est de répertorier ce qu’ils perçoivent comme une transition culturelle majeure dans les dernières décennies du XXe siècle, entre « une compréhension des lettres comme reflets stables de l’écriture manuscrite ou d’un passé classique idéal » et « une vision de la typographie comme manipulation infinie de liens abstraits ». S’appuyant sur la théorie de l’évolution, les auteurs retracent le développement culturel de la création typographique par une série de phases idéologiques qui aboutit, à la fin du XXe siècle, à une révolution technologique : des formes inédites émergent des ordinateurs, qui mettent pour la première fois les processus de production entre les mains des graphistes. En parallèle, des théories critiques innovantes renversent l’idée très répandue de la neutralité de la communication et des pratiques graphiques. La convergence de ces tendances fournit à la nouvelle génération de créateurs de caractères l’état d’esprit et les outils qui leur permettent d’explorer des territoires encore inconnus. Cependant, les travaux présentés dans ce volume laissent penser que le « code génétique flexible » mis au jour par Miller et Lupton n’a rien de nouveau. Ce qui ressort de tous les exemples figurant dans cette Histoire visuelle de l’art typographique, c’est la flexibilité, la contextualité et la redondance extraordinaires de la langue qui transparaissent dans les caractères, fruits de cinq siècles de tensions entre l’origine humaine, gestuelle des lettres et la nature systématique et analytique de leurs formes mécanisées. Leur ADN, c’est bien sûr l’alphabet, fondement sur lequel reposent toutes les structures typographiques latines. Pendant des milliers d’années, ce code spectaculaire n’a cessé d’évoluer dans son aspect au quotidien, comme support de lecture et dans notre environnement, muant au fil des transformations que subissent les médias, les techniques, les langues, les arts et les idéologies… tout en restant exactement le même.

Guide des tableaux descriptifs des caractères

Ty Nom d’origine du caractère Ca Catégorie du caractère (par exemple : à empattement, sans empattement, scripte, gothique) Mo Mots clés indiquant des associations historiques ou des caractéristiques visuelles dominantes Te Technique pour laquelle le caractère a été initialement créé Da Première date d’édition du caractère, ou première application connue Cr Personne à l’origine du caractère : fondeur, graveur, calligraphe, dessinateur ou directeur artistique Fo Fonderie ou imprimerie qui a la première édité le caractère Pa Pays de la fonderie d’édition d’origine

Caractéristiques Principaux attributs du caractère présenté dans le spécimen et le tableau, sur la base de son aspect exclusivement. Les traits distinctifs généraux sont le rapport entre la hauteur d’œil des bas de casse et la hauteur des ascendantes, les proportions relatives des pleins et des déliés, l’aspect des terminaisons des traits, et, s’il y a des empattements, leur jonction aux traits et leur forme. Sont également mentionnées les particularités propres à certains caractères, le cas échéant.

Connexions Liste des caractères antérieurs ou ultérieurs qui ont pu influencer le dessin du caractère présenté ou s’en inspirer.

Disponibilité Indication de la source où on peut trouver le caractère sous forme numérique au moment de la rédaction du présent ouvrage.

Spécimen Intitulé du spécimen ou du modèle de caractère présenté, avec les détails de publication et les dimensions de la page, à 5 millimètres près. La source des images figure en page 672.

Paul McNeil 4. J. Abbott Miller, Ellen Lupton, Julia Reinhard Lupton et Ellen Paul Denker, Printed Letters : The Natural History of Typography, Jersey City (NJ), Jersey City Museum, 1992.

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Textura de Gutenberg

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Textura de Gutenberg gothique textura typographie 1455 Johannes Gutenberg Johannes Gutenberg Allemagne

Caractéristiques lettres épaisses et droites jonctions angulaires axe vertical a binoculaire, à boucle fermée d montant angulaire de type oncial h i m n terminaisons en pointe à hauteur de la ligne de pied ff ft ve lettres ligaturées

Connexions Textura de Hopyl Weiss-Gotisch Bastard FF Johannes G

1506 1936 1990 1991

Disponibilité Le FF Johannes G est un revival numérique disponible chez FontFont et ses revendeurs.

Spécimen Biblia [Bible à quarante-deux lignes], Johannes Gutenberg, Mayence, 1455 (391 × 274 mm).

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1455

Les innovations qu’on attribue dans le domaine de l’imprimerie à Johannes Gutenberg (vers 1398-1468), qui travaillait à Strasbourg au début des années 1440 puis à Mayence (Allemagne) à la fin de la décennie, sont d’une telle importance qu’elles ont fait passer son nom à la postérité. L’invention des caractères d’imprimerie mobiles, interchangeables et réutilisables, a marqué la première étape de l’entrée dans l’ère moderne. L’avènement de l’imprimerie en Europe permet en effet la progression de l’alphabétisation et la diffusion des connaissances à grande échelle, traçant une nouvelle voie pour les sociétés et les cultures occidentales. La Bible à quarante-deux lignes

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de Gutenberg, écrite en latin et publiée en 1455, est considérée comme le premier ouvrage majeur à avoir été imprimé à l’aide de types mobiles en Europe. Ces types ont été gravés, sans doute avec la collaboration de Peter Schöffer, de manière à reproduire l’écriture manuscrite utilisée en Allemagne au XVe siècle pour les missels et les manuscrits liturgiques. Connus sous le nom de textura ou littera textualis, ils constituent un alphabet formel, aux caractères épais et droits. Les lettres sont hautes et étroites, les verticales parallèles accentuées, les jonctions très angulaires. Seuls quelques traits, notamment parmi les capitales, présentent des courbes. Les

ascendantes et les descendantes sont robustes et les traits se terminent sur des renflements en losange. Afin d’imiter au plus près l’écriture manuscrite, l’alphabet utilisé dans cette Bible comprend près de trois cents glyphes différents, avec un grand nombre de variantes ainsi que des abréviations et des lettres ligaturées, soit des suites de deux lettres ou plus qui ont été reliées pour ne former qu’un caractère. La Bible à quarante-deux lignes a beau être le premier ouvrage majeur publié, il n’en est pas moins un chef-d’œuvre. Le travail de Gutenberg et de ses ouvriers révèle une expertise remarquable en matière de composition, d’impression et d’édition. Les encres,

élaborées avec soin, ont donné naissance à un texte net et précis sur le papier, de très bonne qualité, ou le vélin fin utilisé dans une petite partie des exemplaires. Les pages de cette Bible sont empreintes d’une majesté solennelle, même si pour nos yeux modernes, la densité et la verticalité de la textura peuvent dégager une impression d’austérité et de rigidité qui complique la lecture. Les éditions de Gutenberg doivent cependant être remises dans leur contexte. Elles équivalaient aux manuscrits qu’elles cherchaient à imiter, présentant les textes avec une harmonie et une robustesse à ce jour inégalées.

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Italique de Griffo/ Italique aldine Ty Ca Mo Te Da Cr Fo Pa

Italique de Griffo/Italique aldine à empattement cursive humanistique typographie 1501 Francesco Griffo Alde Manuce Italie

Caractéristiques A apex oblique G spur M évasé P rondeur ouverte Q longue queue W branches centrales jointes au sommet a monoculaire b h k l seule l’ascendante est dotée d’un empattement g incliné à gauche k rondeur fermée p q seule la descendante est dotée d’un empattement et fa fi fp fr if lettres ligaturées

Connexions Deuxième italique d’Arrighi Blado Italic Cancellaresca corsiva de Johnston Poetica

1527 1923 1931 1992

Disponibilité Le Bembo Italic est disponible chez Monotype et ses revendeurs.

Spécimen Pline le Jeune, C. Plinii secundi novocomensis epistolarum libri decem, Alde Manuce, Venise, 1508 (90 × 150 mm).

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1501

Francesco Griffo (1450-1518) ne doit pas sa place dans l’histoire de la typographie qu’à ses romains. Vers la fin du XVe siècle, alors que la plupart des livres sont volumineux et lourds, naît le besoin d’un format de publication plus petit, moins coûteux et portatif, adapté à une nouvelle classe de lettrés qui se déplacent dans toute l’Europe. Cherchant à répondre à cette demande, Alde Manuce (1449-1515) commande à Griffo une nouvelle fonte moins encombrante : l’italique. Manuce est non seulement un savant et un éditeur, mais aussi un homme d’affaires avisé, qui a à cœur tant la rentabilité que la qualité. Désireux de publier en masse des œuvres classiques et voyant d’un bon œil l’économie de place que permet l’écriture de chancellerie papale, il fait graver le premier caractère italique en 1500 et imprime ses premiers volumes bon marché et petit

format l’année suivante. La nouvelle série de publications de Manuce se distingue par plusieurs caractéristiques tout à fait particulières. Le texte est édité avec soin et de manière très simple, sans commentaire ni annotation. Il est imprimé sur un papier fin et léger, dans un format à l’étroitesse exceptionnelle (environ 90 × 150 millimètres), composé à l’aide des minuscules caractères italiques de Griffo. Ceux-ci apparaissent pour la première fois en 1501 dans une édition de Virgile, marquant un tournant dans l’histoire de la typographie. Depuis maintenant plusieurs siècles, l’italique est considéré comme un accessoire du romain et n’est appliqué qu’à certaines parties d’un texte, pour les mettre en avant ou les distinguer du reste : c’est une variante étroite, inclinée, différente de la version droite des lettres, mais qui respecte l’harmonie et la

régularité du gris typographique du texte courant. On oublie cependant que l’italique a été conçu comme une écriture entièrement autonome, à employer seule dans des volumes entiers au format réduit. En gravant la première lettre italique, Griffo accomplit un véritable exploit technique puisqu’il fait tenir une lettre penchée sur un type rectangulaire droit. Malgré sa petite taille et ses dimensions compactes, il parvient à conserver la plupart des caractéristiques de l’écriture manuscrite cursive, avec des lettres à l’inclinaison régulière et des terminaisons fluides. Les scribes de la Renaissance utilisaient des capitales romaines dans les textes de la chancellerie papale, une pratique dont Griffo s’inspirera pour dessiner son italique. Tout comme avec son romain, créé quelques années auparavant (p. 30-31), les majuscules sont moins hautes que les

ascendantes des bas de casse, de manière à ne pas gêner la lecture. Il faut attendre les années 1550 (p. 58-59) pour voir apparaître des capitales inclinées assorties aux bas de casse. Ce prototype d’italique n’est pas sans défaut. Fondé sur l’écriture manuscrite, il comprend une soixantaine de lettres ligaturées, ce qui complique le travail du compositeur et donne l’impression d’un texte que l’historien de la typographie Alfred F. Johnson qualifie de « précipité1 ». La dimension pratique des petits livres édités par l’imprimerie de Manuce leur assure toutefois une certaine popularité, qui se traduit par la diffusion du nouvel italique de Griffo dans toute l’Europe.

1. Alfred F. Johnson, Type Designs. Their History and Development (1934), Londres, Grafton and Co., 1959.

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Romain du Roi

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Romain du roi à empattement réale, caractère de transition taille-douce 1695 Louis Simonneau et Philippe Grandjean Imprimerie royale France

Caractéristiques capitales dessinées sur une grille réticulaire carrée de 8 ∶ 8 axe vertical traits fins avec contraste marqué empattements filiformes et à congés

Connexions LaPolice BP Romain BP Royal Romain SangBleu

2006 2007 2008 2008

Disponibilité Non disponible

Spécimen Description et perfection des arts et métiers, des arts de construire les caractères, Académie royale des sciences, Paris, 1704 (310 × 475 mm).

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1695

À la fin du XVIIe siècle, qui se caractérise par le rejet des normes traditionnelles, c’est toute la société européenne qui connaît une métamorphose amorcée par les récentes théories scientifiques et philosophiques. En 1692, une véritable nouveauté culturelle voit le jour en France dans le secteur de l’imprimerie et de la typographie, lorsque l’Académie royale des sciences commande un alphabet construit selon des principes logiques : le Romain du roi. Cette initiative est à l’origine d’une toute nouvelle orientation dans le dessin de caractères, qui marquera profondément l’avenir de la typographie. Le dessin du nouvel alphabet est supervisé par la commission Bignon, un groupe nommé par Colbert et qui comprend deux savants et deux hommes d’Église, dont l’un est aussi ingénieur. Chargés de présenter « toutes les machines en usage dans la pratique des arts » afin de constituer une somme des savoirs sur les méthodes contemporaines de fabrication, ils choisissent de commencer par « l’art qui conservera tous les autres » : l’imprimerie. Se libérant de l’influence de l’écriture manuscrite qui orientait jusque-là le tracé des lettres, les caractères du Romain du roi sont construits de manière systématique, et chaque élément du signe est considéré au sein de l’ensemble dans lequel il s’inscrit. Louis Simonneau sera chargé de graver les lettres en taille-douce, sur la base de deux grilles quadrillées (8 ∶ 8 pour les capitales, 8 ∶ 15 pour les bas de casse), tandis que les types seront taillés par Philippe Grandjean (p. 74-75). En termes typographiques, le prototype de la commission est loin d’être satisfaisant. Ses proportions et son tracé lui donnent un air emprunté et froid. Cette approche analytique aura cependant un effet libérateur sur la typographie en Europe, à une époque où les améliorations en matière de méthodes d’imprimerie, de papiers et d’encres élargissent l’horizon des possibles. Le Romain du roi introduit des idées novatrices qui, sous une forme moins rigide, vont devenir les caractéristiques du dessin typographique moderne : une légère inclinaison de l’axe, un trait plus modulé, et des empattements filiformes et à congés. La conception de ce caractère marque avant tout une rupture : alors que les formes des lettres étaient auparavant issues de la calligraphie, on commence désormais à les percevoir comme les produits d’une technique et les éléments d’une singularisation visuelle. Les influences du Romain du roi se feront clairement sentir au cours du siècle suivant, où il inspirera Fournier (p. 82-85), Fleischman (p. 78-79) et Baskerville (p. 80-81), et débouchera par la suite sur les caractères modernes dessinés par Didot (p. 90-91) et Bodoni (p. 96-97).

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Bembo

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Bembo à empattement romain ancien typographie 1929 Stanley Morison Monotype Royaume-Uni

Caractéristiques A apex plat, traverse haut placée G sans spur J queue descend sous la ligne de pied, léger crochet K branche concave M évasé Q queue sous la lettre R jambe droite incurvée et très large T fermetures de traverse W croisement des branches centrales a binoculaire f crosse ouverte g binoculaire r oreille recourbée

Connexions Romain de Griffo Poliphilus Lutetia DTL Haarlemmer

1495 1920 1925 1995

Disponibilité Le Bembo est disponible chez Monotype et ses revendeurs.

Spécimen Spécimen du Bembo, Monotype Corporation, Salfords, vers 1940 (210 × 270 mm).

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1929

Dans les années 1920, la Monotype Corporation, sous la direction de Stanley Morison, se donne pour ambitieuse mission de ressusciter un grand nombre de caractères historiques pour la composition mécanique. Le Monotype Bembo, dernier caractère à être ainsi recréé, est l’un des revivals les plus élégants et l’un des préférés de Morison. Édité en 1929, il connaît un immense succès comme caractère d’édition durant tout le XXe siècle. Le Monotype Bembo est dessiné à partir de l’alphabet gravé en 1495 par Francesco Griffo pour le De Aetna, un court journal de voyage écrit par Pietro Bembo et publié par l’imprimeur et éditeur vénitien Alde Manuce (p. 30-31). Griffo est l’un des premiers graveurs de poinçons à rompre avec la tradition qui consistait à reproduire l’écriture manuscrite de l’époque humaniste. Avec grand talent, il tire parti des techniques de production de caractères pour graver et fondre des types d’une précision encore inédite. Le Monotype Bembo est le fruit d’une réflexion minutieuse destinée à retrouver la sophistication des formes de Griffo malgré les restrictions de production liées à la composition mécanique. D’une part, il conserve cet aspect calligraphique, visible notamment dans les courbes lisses de ses bas de casse et la construction des empattements, nettement découpés ; d’autre part, un de ses traits distinctifs, qui reprend une innovation de Griffo, est la taille des capitales, moins hautes que les ascendantes des bas de casse. Dans la pratique, ces proportions équilibrées donnent aux corps de texte une couleur claire mais uniforme, qui fait du Bembo un caractère éminemment lisible. Le modèle romain d’origine ne comportait pas d’italiques, Morison en commande donc au calligraphe britannique Alfred Fairbank, qui s’appuiera sur l’écriture de chancellerie manuscrite de Ludovico Vicentino degli Arrighi (p. 40-41). Le résultat sera cependant refusé par Monotype, qui considère qu’il n’est pas suffisamment compatible avec le romain. C’est donc un alphabet plus adapté, inspiré de l’écriture de Giovanni Antonio Tagliente, un contemporain d’Arrighi, qui servira de modèle au Bembo Italic.

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Bifur

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Bifur sans empattement géométrique, linéale, modulaire typographie 1929 A. M. Cassandre Deberny & Peignot France

Caractéristiques unicaméral, capitales exclusivement pas de contreformes composantes géométriques et modulaires version linéaire à deux tons version modulaire à deux couleurs et deux parties

Connexions Prisma Fregio Mecano Peignot Baby Teeth

1931 vers 1933 1937 1968

Disponibilité Le P22 Bifur est un revival numérique qui comprend des bas de casse, disponible chez P22 Type Foundry et ses revendeurs.

© MOURON. CASSANDRE

Spécimen Spécimen du Bifur, Deberny & Peignot, Paris, vers 1929 (175 × 265 mm).

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1929

d’abord, Charles Peignot achète à la fonderie allemande Bauer les droits du caractère d’avant-garde Futura, créé par Paul Renner (p. 230-231). Ensuite, il édite le premier caractère de Cassandre, le Bifur. Celui-ci échappe aux classifications traditionnelles, mais incarne à la perfection l’esprit de son temps. L’une des éditions de son spécimen décrit ainsi ses objectifs : « Ni Cassandre ni nous n’avons voulu faire une “jolie chose”. Nous avons voulu construire un type publicitaire : supprimer de chaque lettre ce qui est inutile1. » Comme dans d’autres alphabets modulaires de cette époque, les formes des lettres du Bifur sont faites de composantes géométriques simples. Il sera édité en deux

formats : un caractère unique à deux tons et un système modulaire à deux parties et deux couleurs, dans lequel les éléments individuels des lettres peuvent être disposés de manière à créer des superpositions accrocheuses, à l’image du spécimen présenté ci-dessous. Sans doute conçue par Cassandre en personne, cette brochure a une valeur exceptionnelle. Le Bifur illustre les idées modernistes qu’on retrouve dans les caractères géométriques dessinés à la même époque par Josef Albers (p. 212-213) et Herbert Bayer (p. 222223), mais de manière bien plus ludique et percutante. Là où d’autres créations évoquent les machines et les systèmes, le Bifur s’inspire de l’espace urbain moderne et de

l’élégance tapageuse de l’Art déco. Ses assemblages de formes circulaires, carrées et triangulaires génèrent des lettres radicalement abstraites qui sont, comme le dira plus tard Adrian Frutiger, « comme une image ». Réfléchissant à l’effet produit par le Bifur, Charles Peignot déclare : « Il n’existait à l’époque aucun caractère vraiment nouveau. Le Bifur […] fut un scandale […] Nous savions bien […] qu’il n’avait aucune chance de succès commercial. Mais c’était une époque riche […], on pouvait se manifester et prendre les risques de la création. » 1. « Pourquoi nous vous offrons Bifur », dans Divertissements typographiques, tome II, Deberny et Peignot, 1929.

© MOURON. CASSANDRE

A. M. Cassandre (1901-1968) est l’un des graphistes les plus influents du XXe siècle. Ses affiches publicitaires ont la réputation d’intégrer harmonieusement caractères et images. En 1925, il reçoit le grand prix de l’Exposition internationale des arts décoratifs et industriels modernes à Paris pour la création d’une affiche publicitaire, « Au Bûcheron ». Charles Peignot, directeur de la fonderie Deberny & Peignot, est tellement impressionné par le lettrage de l’affiche qu’il embauche Cassandre comme dessinateur, inaugurant une relation qui va durer plusieurs années. 1929 marque un tournant pour Deberny & Peignot, et ce pour deux raisons. Tout

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Mistral

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Mistral scripte informel, avec ligatures typographie 1953 Roger Excoffon fonderie Olive France

Caractéristiques scripte informelle, penchée, avec ligatures imite la fluidité et la texture d’un feutre bas de casse qui s’attachent entre eux au-dessus ou en dessous de la ligne de pied longues ascendantes et descendantes, aux angles d’inclinaison variés

Connexions Reporter Choc Forte Blog Script

1938 1955 1962 2015

Disponibilité Le Mistral est disponible chez Monotype et ses revendeurs.

Spécimen Spécimen du Mistral, fonderie Olive, Marseille, vers 1951 (216 × 279 mm).

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1953

Roger Excoffon (1910-1983) crée la scripte Mistral pour la fonderie Olive, qui l’édite en 1953. Ce nouvel alphabet est la solution innovante à un problème typographique centenaire : comment un caractère typographique aussi fluide et spontané que des lettres tracées à la main mais destiné à être enfermé dans une rigide enveloppe métallique ? Le projet débute comme une expérience typographique ingénieuse. En quête de scriptes bien conçues qui pourraient servir de modèle au Mistral, Excoffon examine et étudie l’écriture manuscrite d’un grand nombre de penseurs. Ne lui trouvant pas de lien avec l’intellect desdits penseurs, il décide finalement de s’inspirer de sa propre écriture. Le Mistral est une scripte, avec ligatures, à la virtuosité et à la vitalité exceptionnelles. Alors que son Banco (p. 328-329) semble être peint à grands coups de pinceau, le Mistral évoque la fluidité et la texture d’un feutre ou d’un stylo. Les bas de casse sont pensés pour se lier avec naturel les uns aux autres. Pour mieux leur insuffler la vitalité de l’écriture à la main, Excoffon veut des lettres qui semblent bouger spontanément plutôt qu’être connectées platement au niveau de la ligne de pied. Techniquement, cependant, un tel effet ne peut pas être obtenu en imitant directement l’écriture manuelle, parce qu’il en résulterait des rangées de caractères situés un peu n’importe où et dont les attaques et les sorties ne se rattacheraient pas les unes aux autres de manière cohérente. Afin de résoudre ce problème, Excoffon fait varier les positions des lettres dans les limites de leur corps, les plaçant au-dessus ou en dessous de la ligne de pied, mais conserve toutefois l’emplacement et l’angle des traits assurant la connexion entre elles. L’inclinaison légèrement modulée des longues ascendantes et descendantes contribue à cet effet de spontanéité tout en imprimant aux lettres un mouvement en avant. Excoffon prévoit également quelques ligatures qui permettent de varier le rythme visuel des lignes de texte, mais les versions numériques ne les ont pas conservées. Le Mistral rencontre un succès certain et consolide la réputation d’Excoffon, qui se lancera ensuite dans le dessin du Choc (p. 340-341). Tous ses alphabets ont quelque chose d’étonnamment contemporain et contribuent pour beaucoup à la réputation du graphisme français des années 1950. Quelques années plus tard, on retrouve ses caractères dans toute l’Europe, dans des contextes extrêmement variés allant de la publicité aux lettrages peints des vitrines et aux logos d’entreprise.

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Univers

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Univers sans empattement linéale, grotesque, antique, bâton typographie 1957 Adrian Frutiger Deberny & Peignot France

Caractéristiques C c S s e g coupe des traits horizontale G sans spur K k branche et jambe qui touchent le montant à la jonction Q queue plate sur la ligne de pied R jambe verticale incurvée a binoculaire, montant droit f r t coupe des traits verticale i j point carré t attaque du montant en biseau y queue droite

Connexions Helvetica Forma Unica Imago

1957 1968 1980 1982

Disponibilité L’Univers est disponible chez Linotype et ses revendeurs.

Spécimen Spécimen de l’Univers, Deberny & Peignot, Paris, 1957 (225 × 290 mm).

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1957

La famille Univers est conçue par le grand nom de la typographie suisse, Adrien Frutiger (1928-2015), entre 1954 et 1957. Bien qu’on tende à le considérer comme suisse, l’Univers est créé alors que Frutiger travaille en France, pour la fonderie Deberny & Peignot, qui lui commande un nouveau caractère adapté aux évolutions techniques que connaît alors l’imprimerie avec l’avènement de la photocomposition. À l’instar de l’Helvetica, édité la même année, l’Univers s’inspire des linéales archétypales comme l’Akzidenz-Grotesk (p. 152153). Toutefois, il a quelque chose de plus sobre et de plus sévère que l’Helvetica. Frutiger supprime toutes les excentricités de la grotesque traditionnelle et crée ainsi un caractère net, qui passe inaperçu et dont la polyvalence n’est plus à prouver. Avec l’Univers, il lance une tendance : celle des linéales à grande hauteur d’œil. La géométrie rigide de la plupart des linéales du XXe siècle fait place à des arcs subtils, légèrement carrés, qui produisent un caractère très équilibré et lisible pour un texte comme sur une affiche. Les épaisseurs des traits horizontaux et verticaux ne varient qu’imperceptiblement et, comme avec l’Helvetica, les terminaisons sont systématiquement soit horizontales, soit verticales, donnant à chaque lettre un certain aplomb. L’Univers est le premier caractère conçu comme un système dès la phase de conception. Pour dessiner une série de styles connectés qui seraient à la fois divers et harmonieux, Frutiger unifie chaque élément de la famille en lui appliquant un cadre modulaire strict. Il invente un code à deux chiffres afin de distinguer chaque version et d’éviter le flou des dénominations traditionnelles comme « maigre », « gras », « étroit », « large », etc. Le premier chiffre de chaque déclinaison correspond à l’épaisseur du trait, et le deuxième à la chasse, avec les romains désignés par les nombres pairs et les italiques par les impairs. Frutiger continuera d’améliorer le système Univers de manière cyclique, en collaboration avec des techniciens, pour lui adjoindre de nouvelles graisses et élargir la famille aux alphabets non latins comme le grec, le cyrillique et l’arabe. Avec vingt et une variations à l’origine, la famille Univers en comporte aujourd’hui quarante-quatre. Son créateur lui-même ne considère pas l’Univers comme une création exceptionnelle, affirmant dans un entretien mené en 1979 qu’il n’a pas un grand intérêt à l’heure actuelle parce qu’il représente un moment particulier de l’histoire, les années 1960. L’Univers n’en est pas moins un monument de l’histoire de la typographie. Intégrant formes rationnelles et élégance intemporelle, il est resté l’un des caractères les plus populaires.

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Citizen

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1986

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Citizen sans empattement géométrique numérique 1986 Zuzana Licko Emigre États-Unis

Caractéristiques construction géométrique segments droits polygonaux utilisés pour figurer de manière approximative les courbes et les angles queues, jambes et oreilles obliques sur plusieurs bas de casse

Connexions Chicago Lo-Res Triplex Base

1984 1985 1989 1995

Disponibilité Le Citizen est disponible chez Emigre et ses revendeurs.

Spécimen Emigre, n° 15, Do You Read Me?, Emigre, Berkeley, 1990 (286 × 425 mm).

Dans les années 1980, à l’arrivée des imprimantes laser pour les ordinateurs personnels, les logiciels tels que PostScript, le langage de description de page d’Adobe, en sont à leurs balbutiements. Les protocoles requis pour rastériser les données graphiques (c’est-à-dire convertir ce qui est affiché à l’écran en une impression papier) n’ayant pas encore été normalisés, les créateurs doivent multiplier les expérimentations pour espérer obtenir des résultats graphiquement satisfaisants. Les premiers Macintosh proposent une option très utile de lissage de courbes pour les besoins des imprimantes laser, qui consiste à augmenter la résolution des images matricielles lors du passage de l’écran au papier. Cette solution permet d’atténuer le crénelage des pixels en les transformant en courbes lors de la conversion des images bitmaps de soixante-douze points par pouce issues de l’ordinateur en une haute résolution de trois cents points par pouce, destinée aux imprimantes. Comme nombre de jeunes créateurs de caractères de cette période, Zuzana Licko (1961-), de la fonderie typographique Emigre, est fascinée par les fonctions et les applications que permettent ces nouvelles techniques. S’appuyant sur ses expériences antérieures avec les fontes bitmaps (p. 456457), elle s’inspire pour son caractère Citizen de la fonction de lissage de courbes pour l’impression d’Apple. Elle utilise des segments polygonaux droits pour se rapprocher de cette esthétique, se calquant ainsi sur l’aspect d’impression laser grossière, de moindre qualité. Licko explique avoir repris les proportions de son caractère précédent, l’Universal 8, et s’être servie de la précision des éléments géométriques de l’ordinateur1. Les caractères bitmaps crénelés et carrés, initialement considérés comme des formes étranges, brutes, presque illisibles, sont devenus au XXIe siècle des éléments familiers de notre paysage visuel. Les pixels sont si présents dans les nouvelles technologies qu’ils incarnent l’avènement de la société de l’information, voire l’informatique en général. S’il est l’un des alphabets matriciels les plus agréables et originaux de cette première génération, la raison d’être du Citizen était avant tout d’apporter une réponse visuelle à une contrainte technique qui n’existe plus, et il n’est donc plus pertinent. On ne le voit d’ailleurs plus que rarement. Quelques années après sa sortie, Licko le remanie, convertissant les lignes angulaires en courbes PostScript lisses afin de créer la famille Triplex Sans pour Emigre. Conçu comme un caractère géométrique susceptible de remplacer agréablement des linéales telles que l’Helvetica, le Triplex sera l’une des créations les plus réussies de Licko. 1. Rudy VanderLans et Zuzana Licko, Emigre, The Book : Graphic Design into the Digital Realm, New York, Byron Preiss Visual Publications, Inc., 1993, p. 34.

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Comic Sans

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Comic Sans scripte fantaisie, sans ligature numérique 1994 Vincent Connare Microsoft États-Unis

Caractéristiques monolinéaire, terminaisons arrondies traits irréguliers, asymétriques angles des montants hétérogènes I montant doté de traits terminaux pour le distinguer du l bas de casse et du chiffre 1 Y forme de bas de casse avec un montant oblique a monoculaire, montant incurvé t montant droit, terminaison droite sans rondeur

Connexions Tekton Chalkboard Lexia Readable FF Duper

1989 2003 2004 2009

Disponibilité Le Comic Sans est facilement disponible.

Spécimen Livre de l’exposition « Comic Sans for Cancer », The Proud Archivist, Londres, 2014 (160 × 207 mm).

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1994

« Le Comic Sans a sale caractère. » Peu d’autres alphabets auront été davantage vilipendés par les professionnels du graphisme que cette scripte pourtant avenante. De fait, paradoxalement, peu d’autres alphabets connaissent une telle popularité en dehors du monde du graphisme. En 1994, Vincent Connare (1960-) travaille avec une équipe de Microsoft à la mise au point d’un logiciel pour les ordinateurs personnels. Il a déjà créé plusieurs fontes ludiques à l’intention des enfants lorsqu’il découvre une version bêta du logiciel, lui aussi destiné aux enfants et dans laquelle le raide et sévère Times New Roman compose les bulles de dialogue. Il décide alors de proposer un caractère plus enjoué, inspiré du style de lettrage des bandes dessinées, notamment celles mettant en scène Batman et les Watchmen. Un chef de produit avisé reconnaîtra par la suite le potentiel de l’alphabet ainsi créé, qui deviendra l’une des fontes de base du système d’exploitation de Microsoft à partir de Windows 95. Le Comic Sans connaît un véritable triomphe à l’ère de l’ordinateur personnel. Il est utilisé aujourd’hui par des personnes de tout âge, de toute nationalité et de tout milieu, dans n’importe quel contexte de communication. En raison notamment de cette popularité quasi universelle, de nombreux professionnels du graphisme ont jugé bon de tourner en ridicule le caractère, et ses utilisateurs, préférant lui nier tout mérite intrinsèque et le condamner simplement parce qu’il est exploité dans des contextes jugés non professionnels, sans culture graphique et pour des travaux de peu de prestige. Pour autant, c’est sa rusticité même qui en fait un alphabet si populaire. Il imite volontairement l’hésitation d’un tracé au feutre ou au style bille, et ses traits arrondis et asymétriques lui confèrent une allure sympathique, modeste et intègre. L’impression d’authenticité est renforcée par l’absence de ligatures des lettres, placées sur une ligne de pied irrégulière, avec une hauteur d’œil importante et des irrégularités brutes perceptibles notamment dans l’inclinaison hétérogène des montants. Lorsqu’on lui demande d’expliquer le succès planétaire de son caractère, Vincent Connare répond avec concision : « Le Comic Sans n’est pas compliqué, il n’est pas sophistiqué, ce n’est pas le caractère classique qu’on voit sans cesse dans les journaux. Il est amusant, voilà tout, et c’est la raison pour laquelle il est si apprécié1. » 1. Entretien : https://www.fonts.com/content/learning/ fyti/typefaces/story-of-comic-sans (consulté en juin 2019).

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L’art typographique remplit une mission universelle souvent ignorée : donner discrètement ou avec éclat une forme tangible aux textes qui nous entourent et à ceux que nous produisons. Arial, Bodoni, Garamond, Times, Gotham, ou encore Univers… font partie de notre quotidien de scripteurs et de lecteurs, et de notre patrimoine écrit sans que nous en sachions l’histoire, l’usage, et encore moins ce qui les rend uniques et souvent indémodables. Cet ouvrage propose une plongée inédite dans l’histoire et la morphologie de plus de 320 caractères emblématiques, depuis les premiers incunables jusqu’à aujourd’hui.

Italique de Griffo/ Italique aldine Ty Ca Mo Te Da Cr Fo Pa

Italique de Griffo/Italique aldine à empattement cursive humaniste typographie 1501 Francesco Griffo Alde Manuce Italie

1501

Caractéristiques A apex oblique G gorge prolongée d’un spur M montants inclinés P rondeur ouverte Q longue queue W branches centrales jointes au sommet a monoculaire b h k l seule l’ascendante est dotée d’un empattement g incliné à gauche k rondeur fermée p q seule la descendante est dotée d’un empattement et fa fi fp fr if lettres ligaturées

Connexions Deuxième italique d’Arrighi Blado Italic Cancellaresca corsiva de Johnston Poetica

Francesco Griffo (1450-1518) ne doit pas sa place dans l’histoire de la typographie qu’à ses romains. Vers la fin du XVe siècle, alors que la plupart des livres sont volumineux et lourds, naît le besoin d’un format de publication plus petit, moins coûteux et portatif, adapté à une nouvelle classe de lettrés qui se déplacent dans toute l’Europe. Cherchant à répondre à cette demande, Alde Manuce (1449-1515) commande à Griffo une nouvelle fonte moins encombrante : l’italique. Manuce est non seulement un savant et un éditeur, mais aussi un homme d’affaires avisé, qui a à cœur tant la rentabilité que la qualité. Désireux de publier en masse des œuvres classiques et voyant d’un bon œil l’économie de place que permet l’écriture de chancellerie papale, il fait graver le premier caractère italique en 1500 et imprime ses premiers volumes bon marché et petit

1527 1923 1931 1992

Disponibilité Le Blado Italic est disponible chez Monotype et ses revendeurs.

Spécimen Pline le Jeune, C. Plinii secundi novocomensis epistolarum libri decem, Alde Manuce, Venise, 1508 (90 × 150 mm).

format l’année suivante. La nouvelle série de publications de Manuce se distingue par plusieurs caractéristiques tout à fait particulières. Le texte est édité avec soin et de manière très simple, sans commentaire ni annotation. Il est imprimé sur un papier fin et léger, dans un format à l’étroitesse exceptionnelle (environ 90 × 150 millimètres), composé à l’aide des minuscules caractères italiques de Griffo. Ceux-ci apparaissent pour la première fois en 1501 dans une édition de Virgile, marquant un tournant dans l’histoire de la typographie. Depuis maintenant plusieurs siècles, l’italique est considéré comme un accessoire du romain et n’est appliqué qu’à certaines parties d’un texte, pour les mettre en avant ou les distinguer du reste : c’est une variante étroite, inclinée, différente de la version droite des lettres, mais qui respecte l’harmonie et la

régularité du gris typographique du texte courant. On oublie cependant que l’italique a été conçu comme une écriture entièrement autonome, à employer seule dans des volumes entiers au format réduit. En gravant la première lettre italique, Griffo accomplit un véritable exploit technique puisqu’il fait tenir une lettre penchée sur un type rectangulaire droit. Malgré sa petite taille et ses dimensions compactes, il parvient à conserver la plupart des caractéristiques de l’écriture manuscrite cursive, avec des lettres à l’inclinaison régulière et des terminaisons fluides. Les scribes de la Renaissance utilisaient des capitales romaines dans les textes de la chancellerie papale, une pratique dont Griffo s’inspirera pour dessiner son italique. Tout comme avec son romain, créé quelques années auparavant (p. 30-31), les majuscules sont moins hautes que les

Bembo

1929

ascendantes des bas de casse, de manière à ne pas gêner la lecture. Il faut attendre les années 1550 (p. 52-53) pour voir apparaître des capitales inclinées assorties aux bas de casse. Ce prototype d’italique n’est pas sans défaut. Fondé sur l’écriture manuscrite, il comprend une soixantaine de lettres ligaturées, ce qui complique le travail du compositeur et donne l’impression d’un texte que l’historien de la typographie Alfred F. Johnson qualifie de « précipité1 ». La dimension pratique des petits livres édités par l’imprimerie de Manuce leur assure toutefois une certaine popularité, qui se traduit par la diffusion du nouvel italique de Griffo dans toute l’Europe.

Ty Ca Mo Te Da Cr Fo Pa

Bembo à empattement romain ancien typographie 1929 Stanley Morison Monotype Royaume-Uni

Caractéristiques A apex plat, traverse haut placée G sans spur J queue en dépassement sous la ligne de pied, léger crochet K branche concave M montants inclinés Q queue sous la lettre R jambe droite incurvée et très large T fermetures de traverse W croisement des branches centrales a binoculaire f crosse ouverte g binoculaire r oreille recourbée

1. Alfred F. Johnson, Type Designs. Their History and Development (1934), Londres, Grafton and Co., 1959, p. 125 sq.

Connexions Romain de Griffo Poliphilus Lutetia DTL Haarlemmer

1495 1920 1925 1995

Disponibilité Le Bembo est disponible chez Monotype et ses revendeurs.

Dans les années 1920, la Monotype Corporation, sous la direction de Stanley Morison (1889-1967), se donne pour ambitieuse mission de ressusciter un grand nombre de caractères historiques pour la composition mécanique. Le Monotype Bembo, dernier caractère à être ainsi recréé, est l’un des revivals les plus élégants et l’un des préférés de Morison. Édité en 1929, il connaît un immense succès comme caractère d’édition durant tout le XXe siècle. Le Monotype Bembo est dessiné à partir de l’alphabet gravé en 1495 par Francesco Griffo pour le De Aetna, un court journal de voyage écrit par Pietro Bembo et publié par l’imprimeur et éditeur vénitien Alde Manuce (p. 30-31). Griffo est l’un des premiers graveurs de poinçons à rompre avec la tradition qui consistait à reproduire l’écriture manuscrite de l’époque humaniste. Avec grand talent, il tire parti des techniques de production de caractères pour graver et fondre des types d’une précision encore inédite. Le Monotype Bembo est le fruit d’une réflexion minutieuse destinée à retrouver la sophistication des formes de Griffo malgré les restrictions de production liées à la composition mécanique. D’une part, il conserve cet aspect calligraphique, visible notamment dans les courbes lisses de ses bas de casse et la construction des empattements, nettement découpés ; d’autre part, un de ses traits distinctifs, qui reprend une innovation de Griffo, est la taille des capitales, moins hautes que les ascendantes des bas de casse. Dans la pratique, ces proportions équilibrées donnent aux corps de texte une couleur claire mais uniforme, qui fait du Bembo un caractère éminemment lisible. Le modèle romain d’origine ne comportait pas d’italiques, Morison en commande donc au calligraphe britannique Alfred Fairbank, qui s’appuiera sur l’écriture de chancellerie manuscrite de Ludovico Vicentino degli Arrighi (p. 40-41). Le résultat sera cependant refusé par Monotype, qui considère qu’il n’est pas suffisamment compatible avec le romain. C’est donc un alphabet plus adapté, inspiré de l’écriture de Giovanni Antonio Tagliente, un contemporain d’Arrighi, qui servira de modèle au Bembo Italic.

Spécimen Spécimen du Bembo, Monotype Corporation, Salfords, vers 1940 (210 × 270 mm).

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Bifur

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Bifur sans empattement géométrique, modulaire typographie 1929 A. M. Cassandre Deberny & Peignot France

1929

Caractéristiques unicaméral, capitales exclusivement pas de contreformes composantes géométriques et modulaires version linéaire à deux tons version modulaire à deux couleurs et deux parties

Connexions Prisma Fregio Mecano Peignot Baby Teeth

A. M. Cassandre (1901-1968) est l’un des graphistes les plus influents du XXe siècle. Ses affiches publicitaires ont la réputation d’intégrer harmonieusement caractères et images. En 1925, il reçoit le grand prix de l’Exposition internationale des arts décoratifs et industriels modernes à Paris pour la création d’une affiche publicitaire, « Au Bûcheron ». Charles Peignot, directeur de la fonderie Deberny & Peignot, est tellement impressionné par le lettrage de l’affiche qu’il embauche Cassandre comme dessinateur, inaugurant une relation qui va durer plusieurs années. 1929 marque un tournant pour Deberny & Peignot, et ce pour deux raisons. Tout

1931 vers 1933 1937 1968

Disponibilité Le P22 Bifur est un revival numérique qui comprend des bas de casse, disponible chez P22 Type Foundry et ses revendeurs.

Spécimen Spécimen du Bifur, Deberny & Peignot, Paris, vers 1929 (175 × 265 mm).

d’abord, Charles Peignot achète à la fonderie allemande Bauer les droits du caractère d’avant-garde Futura, créé par Paul Renner (p. 230-231). Ensuite, il édite le premier caractère de Cassandre, le Bifur. Celui-ci échappe aux classifications traditionnelles, mais incarne à la perfection l’esprit de son temps. L’une des éditions de son spécimen décrit ainsi ses objectifs : « Ni Cassandre ni nous n’avons voulu faire une “jolie chose”. Nous avons voulu construire un type publicitaire : supprimer de chaque lettre ce qui est inutile1. » Comme dans d’autres alphabets modulaires de cette époque, les formes des lettres du Bifur sont faites de composantes géométriques simples. Il sera édité en deux

formats : un caractère unique à deux tons et un système modulaire à deux parties et deux couleurs, dans lequel les éléments individuels des lettres peuvent être disposés de manière à créer des superpositions accrocheuses, à l’image du spécimen présenté ci-dessous. Sans doute conçue par Cassandre en personne, cette brochure a une valeur exceptionnelle. Le Bifur illustre les idées modernistes qu’on retrouve dans les caractères géométriques dessinés à la même époque par Josef Albers (p. 212-213) et Herbert Bayer (p. 222223), mais de manière bien plus ludique et percutante. Là où d’autres créations évoquent les machines et les systèmes, le Bifur s’inspire de l’espace urbain moderne et de

l’élégance tapageuse de l’Art déco. Ses assemblages de formes circulaires, carrées et triangulaires génèrent des lettres radicalement abstraites qui sont, comme le dira plus tard Adrian Frutiger, « comme une image ». Réfléchissant à l’effet produit par le Bifur, Charles Peignot déclare : « Il n’existait à l’époque aucun caractère vraiment nouveau. Le Bifur […] fut un scandale […]. Nous savions bien […] qu’il n’avait aucune chance de succès commercial. Mais c’était une époque riche […], on pouvait se manifester et prendre les risques de la création. » 1. « Pourquoi nous vous offrons Bifur », dans Divertissements typographiques, tome II, Deberny et Peignot, 1929.

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Univers

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1957

Univers sans empattement grotesque, linéale typographie 1957 Adrian Frutiger Deberny & Peignot France

Caractéristiques C c S s e g coupe des traits horizontale G sans spur K k branche et jambe attenant au montant à la jonction Q queue plate sur la ligne de pied R jambe verticale incurvée a binoculaire, montant droit f r t coupe des traits verticale i j point carré t attaque du montant en biseau y queue droite

Connexions Helvetica Forma Unica Imago

1957 1968 1980 1982

Disponibilité L’Univers est disponible chez Linotype et ses revendeurs.

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© MOURON. CASSANDRE

© MOURON. CASSANDRE

Spécimen Spécimen de l’Univers, Deberny & Peignot, Paris, 1957 (225 × 290 mm).

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La famille Univers est conçue par le grand nom de la typographie suisse, Adrien Frutiger (1928-2015), entre 1954 et 1957. Bien qu’on tende à le considérer comme suisse, l’Univers est créé alors que Frutiger travaille en France, pour la fonderie Deberny & Peignot, qui lui commande un nouveau caractère adapté aux évolutions techniques que connaît alors l’imprimerie avec l’avènement de la photocomposition. À l’instar de l’Helvetica (p. 346-347), édité la même année, l’Univers s’inspire des linéales archétypales comme l’Akzidenz-Grotesk (p. 152-153). Toutefois, il a quelque chose de plus sobre et de plus sévère que l’Helvetica. Frutiger supprime toutes les excentricités de la grotesque traditionnelle et crée ainsi un caractère net, qui passe inaperçu et dont la polyvalence n’est plus à prouver. Avec l’Univers, il lance une tendance : celle des linéales à grande hauteur d’œil. La géométrie rigide de la plupart des linéales du XXe siècle fait place à des arcs subtils, légèrement carrés, qui produisent un caractère très équilibré et lisible pour un texte comme sur une affiche. Les épaisseurs des traits horizontaux et verticaux ne varient qu’imperceptiblement et, comme avec l’Helvetica, les terminaisons sont systématiquement soit horizontales, soit verticales, donnant à chaque lettre un certain aplomb. L’Univers est le premier caractère conçu comme un système dès la phase de conception. Pour dessiner une série de styles connectés qui seraient à la fois divers et harmonieux, Frutiger unifie chaque élément de la famille en lui appliquant un cadre modulaire strict. Il invente un code à deux chiffres afin de distinguer chaque version et d’éviter le flou des dénominations traditionnelles comme « maigre », « gras », « étroit », « large », etc. Le premier chiffre de chaque déclinaison correspond à l’épaisseur du trait, et le second à la chasse, avec les romains désignés par les nombres pairs et les italiques par les impairs. Frutiger continuera d’améliorer le système Univers de manière cyclique, en collaboration avec des techniciens, pour lui adjoindre de nouvelles graisses et élargir la famille aux alphabets non latins comme le grec, le cyrillique et l’arabe. Dessinée à l’origine en vingt et une variations, la famille Univers en comporte aujourd’hui quarante-quatre. Son créateur lui-même ne considère pas l’Univers comme une création exceptionnelle, affirmant dans un entretien mené en 1979 qu’il n’a pas un grand intérêt à l’heure actuelle parce qu’il représente un moment particulier de l’histoire, les années 1960. L’Univers n’en est pas moins un monument de l’histoire de la typographie. Intégrant formes rationnelles et élégance intemporelle, il est resté l’un des caractères les plus populaires.

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79 € TTC France 978-2-330-12372-7

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