Couverture La Tentation de saint Antoine (détail). Lisbonne, Museu Nacional de Arte Antiga 4e de couverture Le Champ a des yeux, la forêt des oreilles (détail). Berlin, SMPK, Kupferstichkabinett Deux monstres (détail). Berlin, SMPK, Kupferstichkabinett Le Nid de chouettes (détail). Rotterdam, Museum Boijmans Van Beuningen
Cinq cents ans après la mort de l’artiste, ce nouveau catalogue – définitif dans l’état actuel de nos connaissances – rassemble tous les tableaux et dessins de Jérôme Bosch qui nous sont parvenus, étudiés par le Bosch Research and Conservation Project. Six années de recherche scientifique consacrée à sa vie et à son iconographie, mais aussi aux techniques, au pedigree et à l’histoire de la conservation de ses peintures ont abouti à une nouvelle définition de son génie et de sa maîtrise. Ce volume reprend les données les plus récentes sur ses tableaux et dessins, accompagnées de nouvelles photographies inédites. L’incroyable créativité de cet artiste de la fin du Moyen Âge, qui se reflète dans d’innombrables détails, est ainsi exposée pour la première fois en profondeur. L’ouvrage invite le lecteur et amateur d’art à redécouvrir Jérôme Bosch, inventeur de génie, dessinateur raffiné et peintre affranchi de toutes contraintes qui, vers l’an 1500, bouleversa les codes de la peinture européenne par ses œuvres d’un genre nouveau.
bosch research & conservation project
catalogue raisonné
JÉVÔME BOSCH
Peintre et dessinateur
Le Bosch Research and Conservation Project (brcp) a étudié et documenté l’œuvre de Jérôme Bosch (vers 1450-1516) de la façon la plus étendue et la plus approfondie. Le caractère novateur de ce projet réside dans l’approche interdisciplinaire et standardisée : un groupe de chercheurs aux compétences diversifiées a ainsi examiné toutes les œuvres identifiées de l’artiste, en adoptant différents points de vue et suivant des protocoles établis. Le résultat consiste en un nouveau catalogue raisonné des peintures et dessins de Jérôme Bosch en deux volumes complémentaires (le second – Hieronymus Bosch, Painter and Draughtsman: Technical Studies, Fonds Mercator, 2016 – étant consacré à l’étude technique des peintures), qu’accompagne également le site Internet boschproject.org. Le projet a été réalisé par Matthijs Ilsink (coordinateur, historien de l’art ; Radboud Universiteit Nijmegen), Jos Koldeweij (président, historien de l’art ; Radboud Universiteit Nijmegen), Ron Spronk (historien des techniques ; Queen’s University Kingston et Radboud Universiteit Nijmegen), Luuk Hoogstede (restaurateur des peintures, historien de l’art ; Stichting Restauratie Atelier Limburg), Robert G. Erdmann (infrastructure digitale ; Rijksmuseum Amsterdam, Universiteit van Amsterdam et Radboud Universiteit Nijmegen), Rik Klein Gotink (photographie), Hanneke Nap (collaboratrice scientifique, historienne de l’art) et Daan Veldhuizen (collaborateur scientifique, historien de l’art).
Matthijs Ilsink, Jos Koldeweij, Ron Spronk, Luuk Hoogstede, Robert G. Erdmann, Rik Klein Gotink, Hanneke Nap, Daan Veldhuizen
9 782330 057794
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JÉVÔME BOSCH
Jérôme Bosch. Peintre et dessinateur catalogue raisonné
Dépôt légal : février 2016 isbn 978-2-330-05779-4 99,95 € TTC France www.actes-sud.fr
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chapitre ii
Valeur et appréciation
ill. 1 La Tentation de saint Antoine (Lisbonne) [cat. 4b]
Qu’est-ce qu’un Bosch ? L’art de qualité est rare, exclusif, coûteux et désirable. Entre les mains de son possesseur, l’œuvre d’art est quelque chose à savourer – comme expression de la dévotion et aide à sa manifestation, pour ce qu’elle représente, mais aussi en tant que telle. L’art est un moyen de se faire valoir et, quand on peut l’offrir, une manière astucieuse de s’attirer les faveurs de celui à qui il est destiné. L’art est aussi politique. Plus il est exclusif, plus il devient politique. Ainsi, Le Jardin des délices (cat. 21) est une œuvre d’art particulièrement exclusive. Les dimensions en sont imposantes, le thème audacieux, l’exécution assurée. C’est un tableau qui éclate d’ambition. Un tableau qu’on a envie de posséder, comme le prince Guillaume d’Orange s’en est rendu compte en 1568. Le 20 janvier de cette année-là, ses biens furent confisqués par Fernando Alvarez de Toledo, duc d’Albe, un général que le roi Philippe II avait nommé, peu de temps auparavant, gouverneur des Pays-Bas. À ce moment, Guillaume s’était déjà réfugié à Dillenburg (Land de Hesse, Allemagne). Parmi les biens provenant de l’hôtel de Nassau, le palais sur le Coudenberg, se trouvait « ung grand tableau de Jeronimus Bosch », dont on estime qu’il s’agissait du Jardin des délices. De Henri III de Nassau, le triptyque était passé à René de Chalon, avant que Guillaume d’Orange n’en prenne possession en 1544. Ce dernier a donc pu profiter de l’original pendant près d’un quart de siècle. Dès cette époque, cette qualité d’original de Bosch était appréciée à sa juste valeur. En 1566, Antoine Perrenot de Granvelle, cardinal et conseiller de Philippe II, en avait fait faire une copie sous forme de tapisserie. Copie si réussie que le duc d’Albe lui-même voulut l’emprunter pour faire réaliser une nouvelle tapisserie. Idée rejetée par Odet Viron, le gérant de Granvelle, qui fit savoir au duc d’Albe que « le principal est sur le prince d’Orange » et qu’une copie de l’original serait beaucoup plus réussie 1. Pour Granvelle, qui craignait manifestement de ne jamais revoir sa tapisserie, le « danger » n’était pas écarté pour autant : après avoir dérobé l’original chez Guillaume, Albe revint à la charge pour la tapisserie du cardinal. Il voulait tout. Les craintes de Granvelle se révélèrent toutefois infondées, car Albe, ayant reçu sa propre copie, lui restitua son exemplaire. Quoi qu’il en soit, il existait alors trois tapisseries d’après Le Jardin des délices, une copie tissée du Jardin étant mentionnée dès 1542 dans les collections du roi de France François Ier. Cela signifie que l’œuvre de Bosch, si peu conventionnelle qu’elle fût, était appréciée jusque dans les plus hautes sphères. Bien plus : les amateurs estimaient justifié de la faire copier en grand format sous forme de tapisserie, forme d’art extrêmement dispendieuse. Et la représentation n’était pas seule en cause : le nom de l’artiste contribuait aussi au succès de l’œuvre. Il est toujours spécifié qu’il s’agit d’une œuvre de Jérôme Bosch, alors que l’original du Jardin des délices – « le principal », comme l’appellent les documents d’archives – n’est pas signé. Cette appréciation existait déjà du vivant de Bosch, tant dans les élites municipales et régionales qu’au sommet des États bourguignons. C’est ce qui ressort des différentes commandes confiées à Bosch et des inventaires qui mentionnent ses tableaux. En 1504, le duc de Bourgogne Philippe le Beau lui commanda un tableau du Jugement dernier 2. Les comtes de Nassau acquirent Le Jardin des délices et, en 1517, donc l’année après la mort de Bosch, le triptyque ornait leur palais bruxellois. Hippolyte de Berthoz, un haut fonctionnaire de la cour de Bourgogne, possédait un triptyque sur la tentation de saint Antoine, que son fils Charles dut vendre à Philippe le Beau. Celui-ci en fit cadeau à son père, le puissant
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Le chercheur comparateur
ill. 3 Oreilles telles que les dessinaient les artistes italiens du quattrocento. Illustration extraite de Ivan Lermolieff (Giovanni Morelli), Kunstkritische Studien über italienische Malerei, Leipzig, 1890
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La composition de l’œuvre de Jérôme Bosch est basée dans une large mesure sur l’analyse visuelle des dessins et tableaux. Comme nous manquons totalement d’œuvres documentées dont l’attribution et la datation seraient incontestables, nous devons choisir un point de départ pour l’attribution des dessins et tableaux. Cela signifie que les comparaisons entre dessins et tableaux sont d’une importance capitale pour composer l’œuvre sur la base du point de départ choisi. Au cours des cent dernières années, les historiens de l’art se sont fondés sur le style pour déterminer ce qu’est et n’est pas un Bosch. Et, jusqu’à ce que des arguments autres que stylistiques émergent dans les questions d’attribution, l’analyse visuelle restera la méthode primordiale pour définir ce qu’est un Bosch. Il est donc fondamental de faciliter les comparaisons stylistiques. En premier lieu, l’expérience et la mémoire visuelle de l’historien de l’art qui a pu étudier les œuvres jouent un grand rôle. « Das einzige wahre Document […] bleibt am Ende für den Kunstkenner doch nur das Kunstwerk selbst », remarque Ivan Lermolieff (Giovanni Morelli, 1816-1891) dans un dialogue des Kunstkritische Studien über italienische Malerei 23. Si les comparaisons entre les tableaux, entre les dessins et entre les tableaux et les dessins respectivement sont indispensables pour se prononcer sur les questions d’attribution, il est fondamental de rendre ces comparaisons possibles et vérifiables. Les dessins de Morelli sur la manière dont différents artistes peignent les oreilles et les lobes constituent une tentative précoce d’élever l’histoire de l’art au rang de discipline scientifique. Et, bien que la méthode de Morelli soit encore loin de mériter le qualificatif de scientifique, la volonté d’obtenir des témoignages visuels aussi précis que possible reste valable 24. Si nous soutenons que le Saint Jérôme (cat. 1) et le Saint Christophe (cat. 7) sont de la même main, des macrophotographies des oreilles des deux saints peuvent illustrer ce point de façon éclairante 25. Pour peu que ces photos aient été prises dans les mêmes circonstances, que les relations entre elles soient claires et que les différences dans l’état de conservation et l’histoire des pièces étudiées soient prises en compte, l’« écriture » du peintre peut être mise en évidence et ouverte à la discussion avec une certaine force de persuasion. Les comparaisons de ce genre sont évidemment manipulables et subjectives en soi. C’est pourquoi il importe de ne pas étudier seulement le détail en question, mais aussi son contexte direct. Ou un tout autre détail dans le même tableau avec le même agrandissement. Ou une série d’oreilles dans d’autres tableaux 26. Plus les comparaisons possibles se multiplient, plus il y a de chances d’aboutir à un commentaire détaillé et mûrement pesé des objets étudiés et à sa réfutation. Dans un ouvrage imprimé, toutefois, les possibilités sont restreintes par nature, car les illustrations ne sont pas en nombre infini. Parce que le brcp reconnaît combien il est important de pouvoir comparer des objets en détail, il s’est efforcé, dans les années 2010-2015, d’étudier à fond la plupart des tableaux et dessins attribués à Bosch (notamment à l’aide d’un stéréomicroscope) et de les documenter photographiquement selon une méthode standardisée 27. La vaste documentation photographique rassemblée pendant le projet est disponible en ligne, dans une infrastructure digitale spécialement développée à cette fin 28. Grâce à des visionneuses interactives, la documentation et les analyses réalisées par le brcp, complétées par une documentation existante et réunie par d’autres, sont consultables librement en ligne. De ce fait, pour les historiens de l’art, les possibilités de comparaisons entre les œuvres de Bosch – éventuellement dans des modes différents – sont considérablement accrues. Avec des aides techniques comme le curtain viewer et le synchrone parallel viewer, il n’a jamais été aussi facile de comparer une image infrarouge avec la couche picturale appliquée par-dessus le dessin sous-jacent. En outre, la mesure dans laquelle ce qui a été observé peut être illustré et contrôlé par d’autres a énormément augmenté. Les utilisateurs peuvent tout simplement composer eux-mêmes leurs visionneuses 29. Du coup, cette branche en ligne du brcp, qui est à la fois le résultat de la recherche et du développement et un instrument pour des études futures, devient un élément essentiel du projet. Même si elle ne nous rapproche pas de la réponse à la question de savoir ce qu’est un Bosch, elle élargit notablement l’espace discursif disponible pour débattre de cette question.
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ill. 4a-d Oreilles : Saint Christophe [cat. 7] et Saint Jérôme en prière [cat. 1]
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ill. 5a-p Oreilles a b c d
cat. 21c cat. 29 cat. 29 cat. 1
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cat. 7 cat. 7 cat. 12a cat. 4d
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cat. 4b cat. 4b cat. 4b cat. 4c
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qu’est-ce qu’un bosch ?
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ill. 12a-b Le Jardin des délices [cat. 21a] et Vierge à l’Enfant [ill. 10], lumière visible (photo de 1989)
La nature d’un Bosch : forme et contenu
Une des caractéristiques de l’œuvre peint de Jérôme Bosch est d’inciter à la méditation et à l’approfondissement. Le peintre fait tout pour captiver le spectateur, prolonger sa contemplation et le pousser à la réflexion. Il faut qu’un lien se crée entre lui et le sujet de l’œuvre. Sujet que le peintre personnalise, tant par la technique utilisée que par la formule visuelle pratiquée. La finesse des couches picturales, appliquées avec une certaine rapidité, et les détails peints en pleine pâte par-dessus le dessin sous-jacent donnent à ses tableaux quelque chose de spontané et de direct. La main du peintre est reconnaissable et le spectateur peut se sentir impliqué dans le processus créateur 37. Ce processus créateur est fondamental : chez Bosch, la recherche de la forme finale ne s’interrompt pas après l’ébauche et les premiers coups de pinceau. Tant dans le dessin sous-jacent que dans la couche picturale, les modifications sont nombreuses, toutes étant destinées à augmenter la force d’expression de l’œuvre. Surtout à l’époque où Bosch était en activité, cette pratique a dû paraître surprenante et révolutionnaire. Dans la peinture des anciens Pays-Bas et plus généralement des primitifs flamands du xv e siècle, la tendance principale était de produire des tableaux parfaits, lisses comme des miroirs – perfection qui avait (paradoxalement) pour effet d’accroître la distance avec ce qui était représenté. Le tableau ouvrait sur un autre monde, une autre réalité, qui se jouait dans le passé ou dans l’avenir. Dans ses tableaux inimitables, plus vrais que nature, Jan van Eyck a misé sur une réalité inexistante. Jérôme Bosch procède tout autrement. Dans ses tableaux et ses dessins, il tente d’entrer en contact effectif avec le spectateur. Le rendu des paysages, des personnages et des objets est à la fois directement reconnaissable et systématiquement aliénant ; à chaque fois, les scènes semblent familières, mais ne le sont pas. Le spectateur est entraîné dans le récit. Il doit s’y reconnaître et s’y investir. Dans Le Champ a des yeux, la forêt des oreilles (cat. 37), le spectateur est encouragé d’emblée à une contemplation attentive et réfléchie. Souvent, pour obtenir ce résultat, Bosch fait appel à sa technique, de sorte que le spectateur se laisse convaincre de redoubler d’attention. Devant l’œil larmoyant et injecté de sang de l’oiseau messager dans le Triptyque de saint Antoine, habilement peint dans le frais, nous percevons le froid cinglant
ill. 13a-e Panneaux du Déluge [cat. 18a] Le Jugement dernier (Vienne) [cat. 17a] Triptyque de Job [cat. 23c]
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Le Jardin des délices [cat. 21a] Saint Jean-Baptiste [cat. 5]
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ill. 14a-d Triptyque des ermites [cat. 2b], Vierge à l’Enfant [ill. 10], lumière visible (photo de 1989), Triptyque de sainte Wilgeforte [cat. 8b], Le Chariot de foin [cat. 20c]
ill. 15 L’Enfant Jésus [cat. 12b]
ill. 16a-f
Saint Jérôme en prière [cat. 1] Saint Christophe [cat. 7] Saint Jean à Patmos [cat. 6a]
Triptyque de Job [cat. 23c] L’Adoration des mages (Madrid) [cat. 9a] Le Jugement dernier (Vienne) [cat. 17d]
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ill. 3-4 L’Homme-arbre [cat. 35] et Le Jardin des délices [cat. 21c]
la réflectographie infrarouge, qui permet d’observer sous la couche picturale le dessin de mise en place de la composition, ainsi qu’à la radiographie, qui fait ressortir les surpeints. C’est ce flux de créativité qui rend l’art de Bosch extraordinaire, mais aussi difficile à classer et à faire rentrer dans des cases.
Composition du catalogue de dessins
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Pour les dessins comme pour les tableaux de Bosch, il y a une recherche et une absence de points d’ancrage. Les certitudes sont pratiquement inexistantes, et les quelques points de repère qui ont servi à l’attribution des tableaux ne sont guère utilisables pour les dessins. À la différence de Lucas van Leyden et de Jan Gossart, par exemple, Bosch ne signait pas – pour autant que nous le sachions – ses dessins20. Les exemples d’emploi des dessins que nous avons conservés dans un tableau du maître sont extrêmement rares. Comme nous l’avons dit, Bosch continuait de réfléchir et d’inventer en travaillant sur le panneau, jusqu’au stade de la couleur. Le monstre déjà cité sur un des Panneaux du déluge illustre bien cette façon de faire. L’examen de la réflectographie infrarouge (rir) montre que la bête a été ajoutée après la mise en place de la composition dans le dessin sous-jacent sur panneau. Dans une première phase, les jambes du personnage battu étaient plus grandes et se prolongeaient à l’endroit où se trouve maintenant la créature. En cours de traitement pictural, Bosch s’est écarté du dessin sous-jacent, a réduit la taille de la figure humaine et a ajouté la bête. L’opération a sans doute été effectuée sur la base d’un dessin, peut-être celui de Berlin21. Un deuxième exemple de ressemblance entre un dessin et un tableau nous est donné par les mêmes Panneaux du déluge, cette fois en association avec la représentation
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d’un Paysage infernal (cat. 44). En bas à droite sur le panneau, juste au-dessus de la zone la plus gravement endommagée, on peut voir à l’infrarouge un visage dans un tonneau sur des pattes. Un motif tout à fait similaire figure en bas à droite sur le spectaculaire dessin d’une scène infernale conservé dans une collection privée. Dans le tableau, le motif a été surpeint à un stade ultérieur, de sorte qu’il est devenu invisible. Voilà autant de pièces d’un puzzle qui devraient un jour trouver à s’assembler. Les dessins en rapport avec les Panneaux du déluge ne sont pas les mieux placés pour ce faire, avant tout parce que l’attribution des panneaux en question n’est pas incontestée. Ils ne peuvent pas non plus être considérés purement et simplement comme une étude préparatoire pour les tableaux, car le lien avec ceux-ci est trop ténu. Ainsi, même si nous avions une certitude à propos de la paternité des panneaux – Bosch et/ou son atelier –, nous ne serions pas nécessairement éclairés sur l’attribution et la fonction des deux dessins. Un point de départ évident pour la reconstitution de l’œuvre dessiné de Bosch est L’Homme-arbre (cat. 35) de Vienne. Cette feuille présente des liens solides avec Le Jardin des délices, un tableau qui n’est certes pas signé, mais dont la paternité est incontestée. En outre, le dessin est grand, il regorge d’éléments qui peuvent être comparés avec d’autres tableaux et dessins, et il est d’une qualité exceptionnelle. L’attribution des dessins Le Nid de chouettes (cat. 36) et Le Champ a des yeux, la forêt des oreilles (cat. 37) est tout aussi incontestée que celle de L’Homme-arbre. Sur le plan stylistique, de nombreuses analogies peuvent être relevées entre ces trois feuilles, qui peuvent dès lors servir de fondement et de matériel de référence pour la reconstitution du corpus de dessins. Le Champ a des yeux, la forêt des oreilles a rempli une fonction un peu différente de celle de L’Homme-arbre et du Nid de chouettes (qui, à l’observation, sont tous deux clairement des œuvres achevées), puisqu’il a été utilisé dans l’atelier,
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Couverture La Tentation de saint Antoine (détail). Lisbonne, Museu Nacional de Arte Antiga 4e de couverture Le Champ a des yeux, la forêt des oreilles (détail). Berlin, SMPK, Kupferstichkabinett Deux monstres (détail). Berlin, SMPK, Kupferstichkabinett Le Nid de chouettes (détail). Rotterdam, Museum Boijmans Van Beuningen
Cinq cents ans après la mort de l’artiste, ce nouveau catalogue – définitif dans l’état actuel de nos connaissances – rassemble tous les tableaux et dessins de Jérôme Bosch qui nous sont parvenus, étudiés par le Bosch Research and Conservation Project. Six années de recherche scientifique consacrée à sa vie et à son iconographie, mais aussi aux techniques, au pedigree et à l’histoire de la conservation de ses peintures ont abouti à une nouvelle définition de son génie et de sa maîtrise. Ce volume reprend les données les plus récentes sur ses tableaux et dessins, accompagnées de nouvelles photographies inédites. L’incroyable créativité de cet artiste de la fin du Moyen Âge, qui se reflète dans d’innombrables détails, est ainsi exposée pour la première fois en profondeur. L’ouvrage invite le lecteur et amateur d’art à redécouvrir Jérôme Bosch, inventeur de génie, dessinateur raffiné et peintre affranchi de toutes contraintes qui, vers l’an 1500, bouleversa les codes de la peinture européenne par ses œuvres d’un genre nouveau.
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Le Bosch Research and Conservation Project (brcp) a étudié et documenté l’œuvre de Jérôme Bosch (vers 1450-1516) de la façon la plus étendue et la plus approfondie. Le caractère novateur de ce projet réside dans l’approche interdisciplinaire et standardisée : un groupe de chercheurs aux compétences diversifiées a ainsi examiné toutes les œuvres identifiées de l’artiste, en adoptant différents points de vue et suivant des protocoles établis. Le résultat consiste en un nouveau catalogue raisonné des peintures et dessins de Jérôme Bosch en deux volumes complémentaires (le second – Hieronymus Bosch, Painter and Draughtsman: Technical Studies, Fonds Mercator, 2016 – étant consacré à l’étude technique des peintures), qu’accompagne également le site Internet boschproject.org. Le projet a été réalisé par Matthijs Ilsink (coordinateur, historien de l’art ; Radboud Universiteit Nijmegen), Jos Koldeweij (président, historien de l’art ; Radboud Universiteit Nijmegen), Ron Spronk (historien des techniques ; Queen’s University Kingston et Radboud Universiteit Nijmegen), Luuk Hoogstede (restaurateur des peintures, historien de l’art ; Stichting Restauratie Atelier Limburg), Robert G. Erdmann (infrastructure digitale ; Rijksmuseum Amsterdam, Universiteit van Amsterdam et Radboud Universiteit Nijmegen), Rik Klein Gotink (photographie), Hanneke Nap (collaboratrice scientifique, historienne de l’art) et Daan Veldhuizen (collaborateur scientifique, historien de l’art).
Matthijs Ilsink, Jos Koldeweij, Ron Spronk, Luuk Hoogstede, Robert G. Erdmann, Rik Klein Gotink, Hanneke Nap, Daan Veldhuizen
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JÉVÔME BOSCH
Jérôme Bosch. Peintre et dessinateur catalogue raisonné
Dépôt légal : février 2016 isbn 978-2-330-05779-4 99,95 € TTC France www.actes-sud.fr
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