Extrait de "Les Cabanes de nos grands-parents"

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mère l’art de coudre. Devenu adulte, il s’est de nouveau tourné vers ce couple aimant et a commencé une série d’images, LES CABANES DE NOS GRANDS-PARENTS, qui l’a mené à travers le monde, de la France à l’ile de Pâques en passant par l’Inde, le Brésil, la Jordanie, ou encore la Nouvelle-Zélande et l’Afrique du Sud. Au fil du temps, le projet s’est rapproché d’un théâtre itinérant, les cabanes ont pris la dimension d’un espace dévolu à la parole, à la lumière, à la mémoire et au partage. Durant cinq années, Nicolas Henry a réalisé quatre cents portraits, dans quarante pays. Quatre-vingt-deux sont réunis dans ce livre. Pour chacun, avec les objets familiers de la personne photographiée, un abri éphémère a été construit, reflet de son histoire, de son imaginaire : un poisson-hélicoptère lors d’une pêche à l’arc miraculeuse au Vanuatu ; un gratte-ciel refait avec des bouts de rien dans un campement ouvrier à Shanghai ; un lit à baldaquin où l’on s’endort les soirs de pleine lune dans les déserts de sel… En écho à la photo, chacun raconte et se raconte, nous dévoile un pan de son univers. ¶ Rois et reines d’un jour, ces grands-parents nous apprennent que la joie et la création sont les meilleures armes pour lutter contre la tragédie de la condition humaine. La joie sincère de ces images composées comme des scènes de théâtre, c’est celle du regard que l’on lance à ceux qu’on aime. Elle nous rappelle l’extraordinaire capacité de l’être humain à accueillir l’autre. ¶ NICOLAS HENRY

est né en 1978. Diplômé des Beaux-Arts de Paris (2004),

il travaille comme scénographe et éclairagiste. Il a accompagné le projet 6 milliards

d’autres de Yann Arthus-Bertrand en réalisant des prises de vues vidéo et en intervenant comme directeur artistique de l’exposition au Grand Palais. Le projet

Les Cabanes de nos grands-parents a fait l’objet de nombreuses expositions, en France et dans le monde.

LES CABANES DE NOS GRANDS-PARENTS NICOLAS HENRY

Enfant, Nicolas Henry construisait des cabanes avec un grand-père qui lui apprenait à manier le bois, une grand-

NICOLAS HENRY LES CABANES DE NOS GRANDS-PARENTS

42 € TTC FRANCE

ISBN : 978-2-330-00073-8

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LA CABANE COMME UN THÉÂTRE AUTOUR DU MONDE Lorsqu’on est enfant, la cabane est l’espace du jeu et de l’imagination. On transforme un drap en océan et quelques livres deviennent les îles habitées de Papous et de Robinson. Petit, mon grand-père m’a appris à manier le bois, ma grand-mère l’art de coudre. Plus tard, devenu adulte, presque naturellement, je me suis tourné vers eux pour vivre de nouveau ces instants où nous communiquions par le geste et j’ai pris mes premières photographies des “cabanes de mes grands-parents”. Ces images m’ont convaincu de partir à la rencontre de la parole de nos anciens. J’ai voulu retrouver avec des grands-parents du monde entier ces jeux d’autrefois, riches de transmission, de savoir-faire. Un sac de cordes et de pinces à linge, et les éclairages de mon studio pour seuls bagages, je suis parti sur les sentiers du monde. ¶ A chaque nouvelle rencontre, je montre les premières photographies de mes grandsparents, collées dans un cahier d’écriture, ou bien les photos prises dans le village, la ville ou le pays tout juste visité. Ces photos expriment ma démarche mieux que ne le ferait n’importe quel discours. A chaque fois, je constate que la cabane est un concept universel. En nous, un enfant qui sommeille a assemblé par le jeu les objets qui l’entourent, la création de son monde propre, porteur de son imaginaire. ¶ En arrivant dans un village, il me faut d’abord trouver un passeur – souvent un jeune de mon âge – qui saura convaincre ses propres grands-parents d’entrer avec moi dans l’aventure des cabanes. L’évocation des jeux de l’enfance est toujours une aide précieuse pour converser avec les autres de l’art de l’installation. Partant du fait que tout grand-parent est pour moi un bon candidat, le traducteur me présente d’abord à sa propre famille, à un voisin, à une personnalité de la communauté. Par la magie du bouche à oreille et de

“Je suis les liens que je tisse.” Théodore Monod

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la curiosité, notre invitation à ériger des cabanes fait tache d’huile ; de plus en plus de monde assiste à nos travaux, demande à y participer. Cet enthousiasme nous offre de pouvoir construire et photographier une nouvelle cabane chaque jour. ¶ En quelques années, mes installations sont devenues de plus en plus grandes, édifiées souvent à l’extérieur, dans des lieux symboliques, si bien que la simple séance photographique se métamorphose souvent en véritable représentation théâtrale. La cabane est constituée des objets qui ont accompagné la vie de l’aïeul et qui fondent son existence. Ces ustensiles, bibelots, outils sont architecturés, mis en scène, reliés selon les indications et les récits que les grands-parents confient au fur et à mesure du chantier. La cabane prend alors sa dimension d’espace dévolu à la parole, à la lumière, à la mémoire et au partage. ¶ Pour certaines réalisations, jusqu’à quarante personnes m’ont aidé, des spectateurs accourant parfois par centaines. Profitant de l’aubaine d’une scène ouverte et d’un public réuni, des membres de la communauté s’improvisent soudain orateurs. La cabane reste une, la parole se démultiplie. ¶ ¶ Trois éléments sont décisifs dans l’art d’organiser ce spectacle spontané. ¶ Le monde nous accueille à bras ouverts quand on l’aborde avec une histoire à raconter. En montrant les pages de mon carnet de sont de bonnes choses photographies, il m’est arrivé parfois de raconter des dizaines de fois toutes blanches qui vivent très loin et que personne ne déteste. par jour les histoires de mes grands-parents. J’abandonne toujours Personne ne dit “Je n’aime pas les étoiles”, parce qu’elles ont une vie plus longue que qui que ce soit. ¶ Parfois, les étoiles se à la curiosité des gens mon cahier. Il passe de main en main, alimente brisent en mille morceaux, mais aucune ne touche la Terre car la rumeur, subit la course effrénée des enfants, livre tacitement ses elles rebondissent sur l’air qui nous protège, au-dessus des nuages. Les hommes disent que les étoiles filantes font passer toutes explications sur le chantier étrange qui a investi le village. La langue orale leurs peines. Quand vous en voyez une, ce que vous souhaitez bonifie le conte. De fil en aiguille, mon maigre talent de bateleur se met va se réaliser. Mais si vous faites un vœu, ne le dites à personne. Quand l’étoile passe, votre vœu reste dans sa traînée et une autre au point. L’imagination faisant son travail, me voici logé et nourri, mais étoile se met à pousser là où vous l’avez laissée. C’est alors que votre vœu se réalise, et c’est ainsi que l’on fait pousser les étoiles. tenu d’assurer le spectacle. ¶ Pendant l’installation, un peu d’imagination

Les étoiles

JOSÉPHINE NYOUNAI DANS SON JARDIN AVEC LES FEUILLES DE SON ARBRE D’AFRIQUE, LES MESNULS, FRANCE.

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permet de transcender la modestie des outils. Dans les villes, l’art du déménagement et celui du récit des albums de famille font office de clefs pour ouvrir les portes à de nouvelles compositions. Dans les campagnes, une paire de ciseaux devient une machette, une garcette prend des allures de lianes et les écheveaux d’écorces remplacent les solides cordes de balançoire. Pour fabriquer de robustes arceaux, rien ne vaut de fendre un bambou dans le sens de la fibre. Une fois obtenue la souple arcature, il suffit de la tendre de larges feuilles maintenues avec des épines. Devant la lumière du soleil ou de nos projecteurs, ces écrans végétaux diffusent une clarté chlorophyllienne, selon le principe du vitrail… ¶ Je creuse la terre à mains nues, pour trouver de bonnes pierres. Elles serviront de cales pour stabiliser les pieux dans leur trou. Sur un sol trop dur, de lourds contrepoids suspendus au pied des structures s’associent remarquablement à des haubans noués au point le plus haut. L’union fait toujours la force et parfois, à défaut de trouver le soutien d’un tronc d’arbre, je me sers comme accroche d’une touffe d’herbe ligaturée. Le plus léger de la troupe assuré par une corde autour de la taille, pourra s’aventurer jusqu’aux branches souples pour déployer les tissus. ¶ Dans chacun de ces gestes revit un peu l’esprit des hommes purs et simples : le gabier gonflant les voiles et exerçant l’art du nœud, le paysan dans ses plantations jouant de ruses habiles pour contenir les divagations de ses animaux, les enfants dans leurs cabrioles. Finalement, nous imitons les quelques milliards de bâtisseurs émérites et anonymes qui font œuvre d’architecte sans le savoir et qui composent la moitié de notre humanité. Cette moitié-là n’a pas totalement coupé son lien avec la nature. ¶ La troisième clef, c’est l’émergence de la parole. Les centaines de pages de mon écriture mystérieuse formant l’autre partie de mes carnets, des séances d’auscultation respectueuses me font accéder derechef au statut de conteur. Les entretiens avec les grands-parents sont menés aux prémices de la construction afin d’accorder le message avec la création plastique et d’orienter chaque séquence du chantier. Si nous sommes bien en phase dans le temps de la construction et celui du récit, si nous n’avons pas subi d’écroulements intempestifs, la parole peut être lancée

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devant le public le plus large. L’attention et les réactions d’un public complice nourrissent le jeu de l’acteur. Dans mes images de cabane, nul relent de ce vague à l’âme ou de cette fierté artificielle qui caractérise les photos de studio classique. La joie sincère de ces images composées dans les villages, c’est la joie du regard qu’on lance à ceux qu’on aime. ¶ Souvent la veillée succède à de pharaoniques rangements, elle s’éternise alors dans les grattements du papier, chacun creusant ses souvenirs pour ajouter sa contribution aux paroles de l’ancien, chacun voulant apposer sa strate au palimpseste de mes carnets. ¶ ¶ L’aventure des cabanes de nos grands-parents m’a conduit à traverser quarante pays, et à réaliser plus de quatre cents portraits. Le sens cartographique inné de mon ami Thomas compensait mes errances du matin, quand je me trouvais incapable de dire dans quelle partie du monde j’avais bien pu poser mes valises. Son sens de l’orientation et son goût pour le dressage des véhicules les plus récalcitrants nous ont tirés de bien des situations épiques, comme ces courses par temps de brouillard où les tôles de nos portières frôlaient la masse des camions Tata dévalant les versants du Népal ou de la cordillère des Andes. La taille des avions se réduisant au fur et à mesure de l’éloignement des métropoles, il faut courir pour être le premier à charger les coffres. Puis passer de longues soirées à échafauder la meilleure ruse pour que nos cent cinquante kilos de matériel lumière puissent rejoindre de nouveaux horizons. Projecteurs et batteries s’acheminent alors sur le dos des bêtes de somme, le pont des petits bateaux ou le toit des autobus… ¶ De longs mois, j’ai porté une attention constante aux humeurs du ciel, à l’incidence du vent sur la course des nuages, au mécanisme de leur regroupement et de leur fuite, aux effets de l’altitude et des reflets de la mer – ce réflecteur géant – sur les matières brutes. La position du soleil offre un repère indispensable pour le positionnement des décors et de la caméra. Grâce à la bienveillance de mon compagnon Thomas qui assurait la mise en place et la création de la lumière du studio, nous sommes arrivés à concilier les sources lumineuses artificielles et naturelles. Nous avons capturé des moments de grâce, éphémères et symboliques. Ainsi, les couleurs qui, à la fin du jour, éclaboussent le ciel

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s’accordent-elles avec les joies que ressentent nos grands-parents au soir de leur vie. ¶ Dans le monde où nos grands-parents ont vu le jour, les générations naissaient, vivaient et mouraient sous le même toit ou la même toile de tente. Aujourd’hui, la transmission de la langue, des histoires et des traditions ainsi que la connaissance de la nature et de la biodiversité sont l’affaire des médias et des systèmes d’éducation. La logorrhée de la télé supplante la parole de la grand-mère. La désillusion d’une majeure partie des hommes des villes vient du fait qu’ils sont quotidiennement spectateurs d’une réussite qu’ils ne partageront jamais. Elle se nourrit du souvenir nostalgique d’un temps où l’homme ne vivait pas en solitaire au milieu de la foule. Le “savoir-vivre” local est remplacé par un modèle global. Les mondes ruraux produisent désormais des générations inadaptées à un mode de vie communautaire, incapables de demander sa survie à la nature. La figure tutélaire des anciens n’impose plus le respect. Autrefois synonymes de sagesse et d’autorité, les grands-parents incarnent aujourd’hui la solitude et la faiblesse. ¶ Durant ces aventures, nous avons ri et pleuré chaque jour. J’ai réalisé avec le temps que la joie et la création sont les meilleures mon arrière-petite-fille Victoria m’a armes pour lutter contre la tragédie de la condition humaine. Les rois et appelée au téléphone et m’a dit : “Grand-mamie, grand-mamie, tu sais, c’est un garçon !” Elle avait trois ans et venait d’avoir un reines d’un jour – mes grands-parents autour du monde – m’ont appris petit frère. Avec ton grand-père, on s’est tournés vers la fenêtre, la confiance dans l’extraordinaire capacité de l’être humain à accueillir face à la forêt, on s’est pris dans les bras et on s’est embrassés longuement. ¶ Le temps qui passe ne gomme pas nos émotions l’autre. Vivre dans cet élan permanent vers l’inconnu peut nous mais donne toujours plus d’intensité à notre amour. On a connu la permettre de changer notre regard sur le monde et nos semblables. faim, les bombardements et l’exode, alors on a décidé de cultiver un grand potager pour nos enfants. Tout ce que vous voyez ici, je Pour cela, il suffit de bâtir une cabane avec quelques mètres de corde l’ai fabriqué moi-même. Je couds, je brode, je tricote. ¶ Ce que et deux arceaux de bois et de décréter qu’elle a rang de palais. La parole j’ai du mal à comprendre aujourd’hui, c’est qu’on puisse acheter un cadeau dans un magasin. Le temps et la pensée que l’on a des aïeux qui retentit sous les taffetas, les raphias et les batiks s’élève consacrés à l’autre en lui fabriquant quelque chose, c’est ça la véritable attention pour moi. alors et l’histoire commence... NICOLAS HENRY

Un jour,

GENEVIÈVE GIRAUX, LA GRAND-MÈRE DE NICOLAS HENRY, DANS SON SALON FACE À LA FORÊT DE RAMBOUILLET, FRANCE.

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LA CABANE QUI TRAVERSE LES SECRETS

Bouddha

est au sommet de la hiérarchie. Quand tu es bon, c’est lui qui t’emmène sur les chemins du paradis. Il rayonne sur l’ensemble des esprits, auxquels notre temple rend hommage. L’attention que je leur porte exprime mon respect. Je sais comment leur faire plaisir et veiller à leur confort. J’aimerais vivre encore très longtemps pour continuer à aller au temple. Et selon l’enseignement de notre Bouddha, je rentrerais dans la paix en laissant s’effacer mes désirs. ¶ Mon mari et moi, on est chamans. Quand on entre en transe, des esprits s’expriment à travers nos bouches. Au début, ils parlaient une drôle de langue que personne ne comprenait, mais ensuite ils se sont mis à parler thaï. Maintenant, les gens viennent de loin pour converser avec eux et nous leur donnons des réponses à leurs questions. ¶ Les esprits, c’est comme les enfants : il faut leur donner de la nourriture, de la tendresse et parfois même des sous. Pour les remercier, je confectionne des guirlandes de tissu, j’allume des bougies, de l’encens et je leur donne des fruits en offrande.

M AL E Y K U N N AP H A N D A N S L E T E M P L E D E L A M A I S O N FAMILIALE, PONT DE LA RIVIÈRE KWAI, THAILANDE.

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LA CABANE QUI TRAVERSE LES SECRETS

Les robots,

les androïdes, les machines pensantes sont comme de nouvelles consciences. C’est un potentiel immense, et l’outil de ma création. La technologie et la biologie vont finir par se confondre. On assistera à la création d’êtres hybrides, mi-humains, mi-machines. Personnellement, je me sens déjà le fruit de cette transformation. Je suis mihomme, mi-robot, et cela annonce la venue du chaos ! ¶ Les premiers événements majeurs de la science chaotique ont été les biotechnologies et le clonage. Mais ce n’est qu’un début : après Newton et Einstein, la science chaotique sera la troisième révolution. Les deux premières ont rendu la terre malade. La troisième décidera de notre destin à tous. ¶ Le Japon est déjà peuplé de robots. Ils sont partout. Des jambes-robots, qui permettent aux handicapés de marcher, des poissons-robots qui obligent les poissons d’élevage à se déplacer, des drones pour faire la guerre, comme en Afghanistan… ¶ Ce qui m’inquiète, c’est que l’homme en vienne à créer un surhomme. L’intelligence artificielle dirigerait l’humanité, prendrait le contrôle. Tous en rang, sans plus de conscience humaine, sous l’emprise des machines. Rien que des câbles dans le cerveau, des connexions et le regard de Big Brother au-dessus de nos têtes. On plongerait dans le fascisme le plus absolu. Sera-t-il alors possible de revenir en arrière ? Peut-être, un jour, cherchera-t-on tout simplement à redevenir humains.

KO NAKAJIMA BRANCHÉ SUR LES MACHINES DE SA CRÉATION, TOITS DE TOKYO, JAPON.

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LA CABANE AUX PORTES CLOSES

Nous, les “abos”,

ne sommes officiellement devenus des êtres humains qu’en 1967. Avant, nous étions à l’égal des animaux. Cook, qui a découvert l’Australie, s’est considéré comme le premier homme à habiter notre terre. Les Blancs nous ont apporté la peur. Ils ont convaincu nos anciens de ne plus pratiquer d’initiations, ce qui a brisé le cycle de la transmission. On ne pourra pas léguer notre savoir à nos enfants. ¶ Ils nous ont interdit de parler notre langue. Ils ont effacé six mille ans d’histoire. Aujourd’hui, nous sommes toujours victimes de racisme. Notre environnement est en train de disparaître. De mourir. Nos lacs sont asséchés car l’eau part pour les grandes villes plus au nord. Cette eau que les gens achètent met nos vies en péril et ce ne sont pas nos larmes qui vont la remplacer. Aujourd’hui, nos lagunes sont sept fois plus salées qu’avant. Le sel tue tout. Rien ne peut survivre ici. Les campements traditionnels que connaissaient mes enfants ont été submergés par la mer. Dans notre culture, la terre et l’eau sont comme des êtres vivants. Comme un corps. Le totem représente notre responsabilité envers elles. Leur disparition entraînera la nôtre. ¶ Je porte mon petit-fils sous les cercles qui symbolisent les va-et-vient de l’existence, en espérant que nous en ferons encore partie demain.

GEORGE TREVORROW, GRAND-PÈRE DE KEVINA ET CHEF TRADITIONNEL DES TRIBUS ABORIGÈNES DE LA RÉGION DU COORONG, AUSTRALIE.

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mère l’art de coudre. Devenu adulte, il s’est de nouveau tourné vers ce couple aimant et a commencé une série d’images, LES CABANES DE NOS GRANDS-PARENTS, qui l’a mené à travers le monde, de la France à l’ile de Pâques en passant par l’Inde, le Brésil, la Jordanie, ou encore la Nouvelle-Zélande et l’Afrique du Sud. Au fil du temps, le projet s’est rapproché d’un théâtre itinérant, les cabanes ont pris la dimension d’un espace dévolu à la parole, à la lumière, à la mémoire et au partage. Durant cinq années, Nicolas Henry a réalisé quatre cents portraits, dans quarante pays. Quatre-vingt-deux sont réunis dans ce livre. Pour chacun, avec les objets familiers de la personne photographiée, un abri éphémère a été construit, reflet de son histoire, de son imaginaire : un poisson-hélicoptère lors d’une pêche à l’arc miraculeuse au Vanuatu ; un gratte-ciel refait avec des bouts de rien dans un campement ouvrier à Shanghai ; un lit à baldaquin où l’on s’endort les soirs de pleine lune dans les déserts de sel… En écho à la photo, chacun raconte et se raconte, nous dévoile un pan de son univers. ¶ Rois et reines d’un jour, ces grands-parents nous apprennent que la joie et la création sont les meilleures armes pour lutter contre la tragédie de la condition humaine. La joie sincère de ces images composées comme des scènes de théâtre, c’est celle du regard que l’on lance à ceux qu’on aime. Elle nous rappelle l’extraordinaire capacité de l’être humain à accueillir l’autre. ¶ NICOLAS HENRY

est né en 1978. Diplômé des Beaux-Arts de Paris (2004),

il travaille comme scénographe et éclairagiste. Il a accompagné le projet 6 milliards

d’autres de Yann Arthus-Bertrand en réalisant des prises de vues vidéo et en intervenant comme directeur artistique de l’exposition au Grand Palais. Le projet

Les Cabanes de nos grands-parents a fait l’objet de nombreuses expositions, en France et dans le monde.

LES CABANES DE NOS GRANDS-PARENTS NICOLAS HENRY

Enfant, Nicolas Henry construisait des cabanes avec un grand-père qui lui apprenait à manier le bois, une grand-

NICOLAS HENRY LES CABANES DE NOS GRANDS-PARENTS

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ISBN : 978-2-330-00073-8

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