Extrait de "Calligraphie chinoise"

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Lucien X. Polastron

Chez le même éditeur Le Trésor des Lettrés Lucien X. Polastron L’Imprimerie en Chine Thomas F. Carter La Grande Muraille de Chine Michel Jan, R. et S. Michaud

L’art de l’écriture au pinceau

Huang Shan Wang Wushen, Wu Hung Marco Polo, Le Devisement du monde René Kappler éd. Athanasius Kircher, le théâtre du monde Jocelyn Godwin Le Papier Lucien X. Polastron Calligraphie Claude Médiavilla

Illustration de la couverture :  Ouyang Jiaojia, 醉 Zui, Ivresse (1997). Encre délavée sur papier, monté en rouleau mural, 68 × 99 cm. Galerie du Comptoir des écritures, Paris. Au dos :  Mi Fu, Sheng zhi tie (détail). Encre sur papier, feuille d’album, 27,4 × 32,4 cm. Colophon de Dong Qichang. Musée du Palais, Pékin.

Pour la pensée chinoise, l’écriture est le reflet parfait du cosmos. Le mot qui enracine cette idée est 文 wen, que l’on traduit en général par « culture ». Et de quoi wen est-il originellement le nom ? Des stries. Rides qui s’entrecroisent sur les flots, rayures du tigre, nervures des feuilles qui inspireront les huit trigrammes du Yijing, donc des lignes qui savent dire le monde. C’est ainsi que l’entend le Shuowen jiezi, d’où le constat que « ces wen sont à l’origine de l’écriture et de la peinture, mais aussi de la littérature et de la culture, en un mot de la civilisation ». Or le cosmos, contrairement aux visions de quelques égarés qui le tiennent pour un chaos, témoigne d’une organisation harmonieuse allant toujours en se renouvelant, un ordre parfait. D’où l’ordre immuable des traits. D’où aussi l’impression qu’un caractère réussi forme une galaxie miniature dont chaque élément attire et repousse chacun des autres éléments. Le jeu des formes est, ici, bien éloigné de toute préoccupation esthétique et il est clair que le calligraphe agissant se sent pénétré d’énergies venues de plus profond que lui : son corps est le vecteur qui transmet jusqu’à la pointe extrême du pinceau l’architecture de l’univers.

Calligraphie chinoise

Lucien X. Polastron, expert des arts du livre et de la calligraphie, est un profond connaisseur de l’Extrême-Orient qu’il parcourt depuis des décennies. Auteur de plusieurs ouvrages pratiques sur les calligraphies chinoise et japonaise (Fleurus, Larousse, Dessain & Tolra), et de deux essais au grand retentissement : Livres en feu, Histoire de la destruction sans fin des bibliothèques (Denoël, 2004 ; Folio Essais, 2009) et La Grande Numérisation. Y a-t-il une pensée après le papier ? (Denoël, 2006). Publié en 1999 aux éditions de l’Imprimerie nationale, son ouvrage Le Papier, 2000 ans d’histoire et de découvertes, fait autorité. Le Trésor des Lettrés (Imprimerie nationale Éditions, 2010), qui décrit les matériaux et le décor de l’art d’écrire, est la plus belle ouverture aux analyses du présent livre.

Lucien X. Polastron

Calligraphie

chinoise

L’art de l’écriture au pinceau 978-2-330-00066-0

75 e TTC


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Historique et mode d’emploi


Premières rencontres, premiers émois

N

otre face-à-face initial avec une calligraphie chinoise se produit, le plus souvent, soit par le biais d’un livre d’art, soit au hasard d’une promenade au musée. Sa reproduction bien imprimée ne lui rend pas justice et, dans la plupart des cas, en détruit carrément les effets dans la mesure où la notion d’échelle y est gommée, même si les dimensions de l’œuvre apparaissent dans la légende de la photo (quand elles sont mentionnées). Pour le débutant, sans qu’il le sache, l’intérêt de l’image est alors faible car une œuvre ne s’apprécie que par la vision du trait de pinceau en taille réelle ; la montrer dans son intégralité au format d’un timbre-poste où même en pleine page d’un

 Que voit-on dans cette page hermétique sinon des mystères virevoltants ? En vérité une existence s’y cache, qui fut débridée et contestataire. Entre cette œuvre et celle du même Zhu Yunming qui clôt ce volume, p. 236, le lecteur attentif aura trouvé à sa disposition les éléments

permettant d’apprécier. Zhu Yunming (1460-1526), Qin Fu, Rhapsodie pour le qin, copie d’un célèbre écrit du iiie siècle par Xi Kang, autre énergumène. Détail. Encre sur papier, monté en rouleau horizontal, 738,4 × 25,7 cm. Musée du Palais, Pékin.

in-quarto n’en donne qu’une première approche, une introduction, ou une référence parlante pour le seul connaisseur. C’est pourquoi, d’ailleurs, quelques-unes des illustrations du présent ouvrage mettent en avant des caractères en gros plan : non qu’ils soient agrandis, mais tels qu’ils furent tracés. Les murs du musée ou d’une exposition, en revanche, donnent à voir la réalité, simultanément dans son ensemble et dans tous ses détails. Une calligraphie peut exister en diverses grandeurs, suivant ce qu’ont été sa destination initiale, le goût de l’auteur ou l’ancienneté : éventails, pages d’album, missives montées en rouleaux horizontaux pouvant accueillir sceaux du signataire et des propriétaires successifs ainsi que leurs commentaires, appelés colophons, etc. L’aspect le plus courant est toutefois le rouleau vertical, où se trouve marouflé et encadré de brocart l’original, exécuté souvent sur une feuille de papier de 70 × 140 cm, deux fois moins large dans le cas des couplets ou diptyques ; mais la taille peut atteidre 4 × 3 m chez certains grands maîtres car ce format de papier fait main n’est pas inhabituel, même de nos jours. 13



ii.

Et la chair se fait verbe

L

es journaux ont beau répéter que le chinois est parlé par le tiers de l’humanité, ce n’est pas (encore) tout à fait vrai. En réalité, il existe un nombre important de dialectes utilisés par des gens qui ne se comprennent pas entre eux : le Wu des Shanghaiens est le patois de 8% des Chinois, le Min est un parler du Sud qui s’entend jusqu’à Bali, le Hakka, le cantonais (Yue) et le Gan recouvrent des territoires voisins mais présentent peu de points communs, tandis que le Xiang du Hunan est assez proche du Wu, etc. Au centre géographique de

 Empereur à sept ans, Kangxi s’adonna au pinceau dès son enfance et il mesura très tôt l’impact d’une telle capacité sur les consciences chinoises que la jeune dynastie mandchoue tenait sous son joug. En même temps qu’il adoucissait les mesures ségrégationnistes imposées par son père, fondateur des Qing, il fit donc réaliser ce portrait alors que seul un duvet apparaissait audessus de sa lèvre, et en robe grise informelle d’une radicale austérité. Devant lui sont posés un recueil d’albums de modèles dans sa reliure fermée, une longue pierre à encre de Duan et un récipient

à eau en bronze,avec sa cuillère assortie. Le pinceau est de type zhuabi et ses poils sont ligaturés à la base. Les dimensions de la touffe et la taille de la feuille de papier permettent de penser que c’est une inscription courte en gros caractères qui va être tracée. La grandeur et l’assurance imprègnent cette image emblématique. Portrait de l’empereur Kangxi en tenue informelle et tenant un pinceau, dynastie Qing, période Kangxi (1662-1722), par d’anonymes peintres de cour. Rouleau à suspendre, encre et pigments sur soie. Musée du Palais, Pékin.

cette Babel, c’est ce que l’on nomme le « mandarin » qui est venu s’installer comme « langue commune » ou 普通話 putonghua (dite aussi 國 語 guoyu ou « langue nationale », surtout à l’extérieur du continent). Il correspond au dialecte régional standardisé du siège du pouvoir depuis le xe siècle : Yanjing, devenu Beijing ou Pékin. Comme ses locuteurs étaient des personnages officiels, c’est un même mot qui fut choisi pour désigner les deux par les premiers visiteurs portugais ; l’origine en serait l’hindi mantri, « conseiller », dont ils firent mandarim3�. À partir de 1900 apparurent des tentatives d’uniformisation qui donnent aujourd’hui le Modern Standard Chinese, un appauvrissement drastique par rapport au passé mais, en compensation, l’une des six langues officielles de l’ONU. En 1956, d’autre part, la codification des sons du chinois cessa d’être l’apanage des sinologues étrangers qui avaient essayé tant bien que mal de les adapter chacun à sa propre langue, et l’on formula le système appelé pinyin. Celui-ci, loin de constituer une clef immédiate de la prononciation, représente une sorte d’aide-mémoire universel de cette dernière, qu’il est conseillé d’apprendre indépendamment, si possible au moyen d’enregistrements sonores*. 27


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v.

Le point, le trait, la règle

C

e chapitre a pour objet le décorticage du caractère et l’analyse détaillée de son traçage officiel. Sa lecture en tant que telle peut s’avérer ardue car elle révèle de nombreux secrets. Elle est toutefois grandement facilitée par une application au fur et à mesure : par exemple, un pinceau mouillé d’eau à la main avec du papier ordinaire, on peut suivre les explications techniques, de façon à ressentir les forces et la logique du trait en action. De tels exercices seront ensuite à refaire avec l’encre et le papier adéquats mais, déjà, la compréhension de ces jeux de muscles du pinceau aide à passer d’emblée au cœur de l’action.

Tout sinogramme se définit par la rubrique thématique dans laquelle on le range, représentée par le radical, ou clef, puis par le nombre de traits qui le composent. Ce nombre est compris entre 1 et 36 : le caractère 一 yi, qui signifie « un », se place en toute logique au début de la liste, et c’est « avoir le nez bouché », 齉 nang,  Une particularité de la calligraphie chinoise est sa relation étroite avec la nature, d’où elle tire à la fois son énergie, son essence et son harmonie. Devenu octogénaire, l’empereur Qianlong abdiqua pour ne pas dépasser la longévité sur le trône de son grand-père vénéré, Kangxi. C’est la sérénité de la fin de sa vie que veut sans doute exprimer

cette image où on le voit flanqué de rochers torturés et de chutes d’eau sonores, deux éléments essentiels de la contemplation lettrée, et s’apprêtant à inscrire les premiers caractères d’un poème. Hongli écrivant des caractères en automne (vers 1795), peintre de cour anonyme. Couleurs sur soie, monté en rouleau à suspendre. Musée du Palais, Pékin.

qui forme l’agrégat le plus complexe, pour ne pas dire le plus encombré. Comme les pieds bandés, la quantité des caractères chinois alimente le fantasme occidental : on peut effectivement en répertorier 40 000, mais, si l’on écarte les monstres, les redondants et les inusités, la quantité retombe à 3 000 pour la langue courante des gens éduqués, 6 000 chez le savant*. Le chiffre paraît-il encore trop impressionnant ? Il cesse de l’être quand on sait que tous, sans exception, sont formés de sept éléments graphiques fondamentaux. Même si leur dimension change en fonction de l’agencement et qu’ils présentent des variantes mineures suivant le caractère, leur contour demeure parfaitement identifiable même par le néophyte, qui pourra ainsi s’enhardir à les produire aisément. Ces éléments sont les suivants : – le point, 點 dian ; – le trait droit transversal, 橫 heng ; – le trait droit vertical, 竪 shu ; – le trait descendant vers la gauche, 撇 pie ; – le trait descendant vers la droite, 捺 na ; – le trait brisé, 折 zhe ; – le trait (ou point) montant, 挑 tiao. 55


Cent fleurs et quelques Cent noms, c’est à la fois beaucoup et très peu. Beaucoup, parce qu’à l’exception de deux ou trois – Wang Xizhi et Mi Fu ou Yan Zhenqing et Ouyang Xun, suivant que l’on a lu quelque livre d’histoire de l’art chinois ou un manuel d’apprentissage de la calligraphie –, le lecteur novice va se trouver confronté à une foule de patronymes inconnus que, à première vue, il peut craindre d’avoir quelque difficulté à distinguer et à mémoriser ; pourtant, il découvrira très rapidement que chacun de ces individus à été soit un « phénomène », à tous les sens du terme, soit à l’origine d’écoles stylistiques nées après sa disparition, parfois les deux. Cent noms, c’est aussi très peu si l’on considère que le bon maniement du pinceau a été quotidien, inévitable et partagé au sein de la société chinoise de tous les temps, à partir d’un certain niveau d’éducation – grosso modo celui du petit fonctionnaire et du grand commerçant – et plus encore au fur et à mesure que l’on s’élevait dans la hiérarchie. C’est dire que, la documentation ne faisant pas défaut, on pourrait aussi bien ne pas aligner cent noms intéressants, mais un million.

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 Né en 1917 à Tianjin, Bao Jingxian a mené une carrière d’économiste et de fonctionnaire. Retraité en 1975, il a pu se consacrer entièrement à la production de caractères d’encre d’une force stupéfiante, les exposant régulièrement à la galerie Qingmige de Liulichang, où Bernardo Bertolucci le découvrit quand il cherchait un calligraphe pour son film Le Dernier Empereur (1987). Bao n’est pas un géant, il fait simplement partie de la foule des gens qui, au fil des siècles, ont tenu le pinceau de manière admirable. Bao Jingxian, Ren, Endurance. Encre sur papier, 40 × 40 cm, non daté.



 Wang Xianzhi 王獻之 (344-386), dynastie des Jin de l’Est. Zi Zijing.

 Le visiteur de la Cité interdite peut voir, non loin des grandes bâtisses faites pour impressionner, le petit Yangxindian, « Palais où l’on cultive son esprit » ; c’est ici qu’à partir de Kangxi, l’empereur passe l’essentiel de ses journées. À l’extrême gauche se blottit un cabinet aux dimensions intimes (moins de trente mètres carrés), qui est le repaire de Qianlong : la Pièce aux trois raretés. Il y étudie notamment cette somptueuse lettre, deuxième des « trois raretés », où le fils de Wang Xizhi inaugurait les enchaînements de caractères juteux sans lever le pinceau du papier, d’un trait continu. Transcription en caractères simplifiés : 中秋不复不得相还为 即甚省如何然胜人何庆等大军. Wang Xianzhi, Zhong qiu tie, Lettre de la mi-automne, copie sans doute due à Mi Fu (qui, peut-être, y mit du sien). Encre sur papier, 27 × 11,9 cm. Musée du Palais, Pékin.

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Septième et dernier fils de Wang Xizhi, il épousa une princesse nommée Xin An, connut l’habituelle carrière brillante des gens introduits (général, préfet, secrétaire d’État) et mourut à quarante-trois ans. Wang Xizhi lui inculqua les rudiments de son art. Un jour, quand il eut sept ou huit ans, son père tenta de lui arracher subrepticement le pinceau et, n’y étant pas parvenu, se serait exclamé : « Ah, cet enfant, un jour, sera célèbre ! » Plus tard, il continua à se perfectionner auprès du scribe que Wang Xizhi avait engagé comme seconde main ; il approfondit son art par l’étude du précurseur Zhang Zhi, après quoi il donna libre cours à son « cœur », qui le porta à se créer un style selon « les règles du ciel » : libre, gracieux, un peu efféminé, même, précisent certains commentateurs. On disait qu’il avait réinventé la cursive, créé un style nommé yousi cao, littéralement une cursive de soie, qui bouge comme on nage. En fait, par rapport à son père, qui isole encore les caractères, même en caoshu, Wang Xianzhi les enchaîne d’un seul trait systématiquement, pour la première fois. Mi Fu admire cela et déclare, à propos d’une œuvre intitulée Le Douzième Mois : « Le pinceau bouge apparemment sans but, tel un tisonnier dont on fouaille les cendres, il n’y a pas de début ni de fin. » Xianzhi était imbu de soi-même et de sa supériorité ; quand on lui fit l’honneur de lui demander l’inscription du nouveau palais impérial, il refusa avec humeur et fit allusion à Wei Dan : « Un régime qui ose faire monter un grand lettré dans une nacelle en osier paraît tellement dépourvu de force morale qu’il n’est plus très loin de s’effondrer. » Et si l’on disait que son écriture n’égalait pas celle de son père, il rétorquait : « C’est faux. Comment les gens pourraient-ils en décider ? » Par la suite on parlerait fréquemment de la complémentarité stylistique du père et du fils, d’où l’expression courante « les deux Wang ». Pourtant, il semble bien qu’une césure de taille se produit au sein de cette apparemment parfaite filiation : Wang Xizhi verse de vraies larmes, qu’il transforme en encre, tandis que Wang Xianzhi opère en pleine conscience de sa valeur de grand artiste. Sun Guoting, au viie siècle, le lui reproche déjà en narrant qu’un jour, Wang Xizhi fut à la capitale et traça une inscription sur un mur. Discrètement, son jeune fils l’effaça, la réécrivit, et fut fier de lui. Mais quand Wang Xizhi vit le mur le lendemain, il soupira : « Je devais avoir vraiment trop bu ! » Avec Wang Xianzhi, c’est donc une nouvelle ère qui commence. Cent fleurs et quelques



 L’étude approfondie des outils de l’écriture chinoise qu’est Le Trésor des Lettrés a montré l’intime relation qui unit le contenu des textes chinois, leur aspect graphique et la matière même des objets qui servent à les engendrer : encre, pierre, pinceau et papier constituent le support de l’écriture en même temps que le support de la rêverie. Rien d’étonnant donc à ce que même l’humble feutre glissé sous la feuille de papier vierge garde un souvenir de l’encre qui vient de s’y poser, formant à son tour un discret hommage à l’art des taches et des traits.

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Lucien X. Polastron

Chez le même éditeur Le Trésor des Lettrés Lucien X. Polastron L’Imprimerie en Chine Thomas F. Carter La Grande Muraille de Chine Michel Jan, R. et S. Michaud

L’art de l’écriture au pinceau

Huang Shan Wang Wushen, Wu Hung Marco Polo, Le Devisement du monde René Kappler éd. Athanasius Kircher, le théâtre du monde Jocelyn Godwin Le Papier Lucien X. Polastron Calligraphie Claude Médiavilla

Illustration de la couverture :  Ouyang Jiaojia, 醉 Zui, Ivresse (1997). Encre délavée sur papier, monté en rouleau mural, 68 × 99 cm. Galerie du Comptoir des écritures, Paris. Au dos :  Mi Fu, Sheng zhi tie (détail). Encre sur papier, feuille d’album, 27,4 × 32,4 cm. Colophon de Dong Qichang. Musée du Palais, Pékin.

Pour la pensée chinoise, l’écriture est le reflet parfait du cosmos. Le mot qui enracine cette idée est 文 wen, que l’on traduit en général par « culture ». Et de quoi wen est-il originellement le nom ? Des stries. Rides qui s’entrecroisent sur les flots, rayures du tigre, nervures des feuilles qui inspireront les huit trigrammes du Yijing, donc des lignes qui savent dire le monde. C’est ainsi que l’entend le Shuowen jiezi, d’où le constat que « ces wen sont à l’origine de l’écriture et de la peinture, mais aussi de la littérature et de la culture, en un mot de la civilisation ». Or le cosmos, contrairement aux visions de quelques égarés qui le tiennent pour un chaos, témoigne d’une organisation harmonieuse allant toujours en se renouvelant, un ordre parfait. D’où l’ordre immuable des traits. D’où aussi l’impression qu’un caractère réussi forme une galaxie miniature dont chaque élément attire et repousse chacun des autres éléments. Le jeu des formes est, ici, bien éloigné de toute préoccupation esthétique et il est clair que le calligraphe agissant se sent pénétré d’énergies venues de plus profond que lui : son corps est le vecteur qui transmet jusqu’à la pointe extrême du pinceau l’architecture de l’univers.

Calligraphie chinoise

Lucien X. Polastron, expert des arts du livre et de la calligraphie, est un profond connaisseur de l’Extrême-Orient qu’il parcourt depuis des décennies. Auteur de plusieurs ouvrages pratiques sur les calligraphies chinoise et japonaise (Fleurus, Larousse, Dessain & Tolra), et de deux essais au grand retentissement : Livres en feu, Histoire de la destruction sans fin des bibliothèques (Denoël, 2004 ; Folio Essais, 2009) et La Grande Numérisation. Y a-t-il une pensée après le papier ? (Denoël, 2006). Publié en 1999 aux éditions de l’Imprimerie nationale, son ouvrage Le Papier, 2000 ans d’histoire et de découvertes, fait autorité. Le Trésor des Lettrés (Imprimerie nationale Éditions, 2010), qui décrit les matériaux et le décor de l’art d’écrire, est la plus belle ouverture aux analyses du présent livre.

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Calligraphie

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L’art de l’écriture au pinceau 978-2-330-00066-0

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