Tout commence dans les années 1980. Michel Vinaver marche dans le désert de l’édition théâtrale, il y croise Christian Dupeyron qui fonde Papiers. Claire David le rejoint. Deux cents livres plus tard, tout ce petit monde rencontre Hubert Nyssen, Papiers devient alors Actes Sud-Papiers et l’aventure continue, entre les publications, les déménagements, les chants des cigales, les cafés de Flore, etc. etc. ! Tout est vrai, tout est faux : voici la véritable histoire de l’édition théâtrale et d’Actes Sud-Papiers. Marion Aubert est auteure dramatique et comédienne. Elle a fondé en 1997 avec Capucine Ducastelle la compagnie Tire pas la nappe. Toutes ses pièces ont été créées et la plupart sont publiées chez Actes Sud-Papiers. Mathieu Bertholet est l’auteur de nombreuses pièces dont Rien qu’un acteur, Farben, Shadow Houses et Case Study Houses chez Actes Sud-Papiers. Il prend la direction du théâtre Le Poche de Genève à l’ été 2015. Rémi De Vos a écrit une quinzaine de pièces. Il anime régulièrement des ateliers d’ écriture et de jeu théâtral. Tout son théâtre est édité chez Actes Sud-Papiers. Nathalie Fillion est auteure, metteure en scène, comédienne et pédagogue. Ses textes sont traduits et joués en plusieurs langues. Chez Actes Sud-Papiers en 2012, elle a publié À l’ouest. David Lescot est auteur, metteur en scène , comédien et musicien. Ses pièces sont publiées chez Actes Sud-Papiers, traduites et jouées en différentes langues. Il est actuellement auteur associé au Théâtre de la Ville, Paris. Eddy Pallaro est auteur et comédien. Il a fondé avec Bérangère Vantusso et Anne Dupagne la compagnie Trois-six-trente. Ses textes sont pour la plupart publiés aux éditions Crater, Lansman ou Actes Sud-Papiers.
LE BAL DES PAPIERS Marion Aubert, Mathieu Bertholet, Rémi De Vos, Nathalie Fillion, David Lescot, Eddy Pallaro
ACTES SUD – PAPIERS
Éditorial : Claire David
Ce texte a été écrit à l’occasion du trentième anniversaire d’Actes SudPapiers, par Marion Aubert, Mathieu Bertholet, Rémi De Vos, Nathalie Fillion, David Lescot et Eddy Pallaro, six auteurs membres de la Coopérative d’écriture. Ils ont imaginé la véritable histoire de l’édition théâtrale et d’Actes Sud-Papiers en neuf épisodes, en vue du bal littéraire – concept de la Coopérative – où textes et chansons (sur lesquelles les spectacteurs dansent) alternent. Chaque épisode se termine par le titre d’un morceau musical. Dans cette histoire, tout commence dans les années 1980, période durant laquelle on aperçoit Michel Vinaver errant dans le désert de l’édition théâtrale… “Le Bal des Papiers” a eu lieu le samedi 13 juin 2015 au Théâtre du Soleil. Fondé par Ariane Mnouchkine, le Théâtre du Soleil se situe dans l’ancienne cartoucherie de Vincennes, aux portes de Paris. Il fête en 2014 ses cinquante années d’existence et crée pour l’occasion Macbeth, ainsi que pour célébrer les quatre cent cinquante ans de la naissance de Shakespeare. “Le Bal des Papiers” a eu lieu dans le hall du théâtre sous le regard de Shakespeare, dont un portrait monumental orne le fond de la salle.
Illustration de couverture : © Olivier Gontiès © ACTES SUD, 2015
LE BAL DES PAPIERS Marion Aubert, Mathieu Bertholet, Rémi de Vos, Nathalie Fillion, David Lescot, Eddy Pallaro
ACTES SUD – PAPIERS
Éditorial : Claire David
Ce texte a été écrit à l’occasion du trentième anniversaire d’Actes SudPapiers, par Marion Aubert, Mathieu Bertholet, Rémi De Vos, Nathalie Fillion, David Lescot et Eddy Pallaro, six auteurs membres de la Coopérative d’écriture. Ils ont imaginé la véritable histoire de l’édition théâtrale et d’Actes Sud-Papiers en neuf épisodes, en vue du bal littéraire – concept de la Coopérative – où textes et chansons (sur lesquelles les spectacteurs dansent) alternent. Chaque épisode se termine par le titre d’un morceau musical. Dans cette histoire, tout commence dans les années 1980, période durant laquelle on aperçoit Michel Vinaver errant dans le désert de l’édition théâtrale… “Le Bal des Papiers” a eu lieu le samedi 13 juin 2015 au Théâtre du Soleil. Fondé par Ariane Mnouchkine, le Théâtre du Soleil se situe dans l’ancienne cartoucherie de Vincennes, aux portes de Paris. Il fête en 2014 ses cinquante années d’existence et crée pour l’occasion Macbeth, ainsi que pour célébrer les quatre cent cinquante ans de la naissance de Shakespeare. “Le Bal des Papiers” a eu lieu dans le hall du théâtre sous le regard de Shakespeare, dont un portrait monumental orne le fond de la salle.
Illustration de couverture : © Olivier Gontiès © ACTES SUD, 2015
LE BAL DES PAPIERS Marion Aubert, Mathieu Bertholet, Rémi de Vos, Nathalie Fillion, David Lescot, Eddy Pallaro
– ÉPISODE 1 – OÙ L’ON SUIT MICHEL VINAVER, DANS LE DÉSERT DE L’ÉDITION THÉÂTRALE, DANS LES ANNÉES 1980 Imagine le désert Imagine le sable, les pierres Imagine l’air irrespirable, brûlant Imagine la lumière éblouissante Imagine un sol aride et sec balayé par les vents Imagine la nuit dans ce désert Des températures glaciales Frigorifiantes Imagine le désert... C’est dur à imaginer le désert C’est l’absence Le silence C’est la mort Et puis de temps en temps Hop Une apparition
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– ÉPISODE 1 – OÙ L’ON SUIT MICHEL VINAVER, DANS LE DÉSERT DE L’ÉDITION THÉÂTRALE, DANS LES ANNÉES 1980 Imagine le désert Imagine le sable, les pierres Imagine l’air irrespirable, brûlant Imagine la lumière éblouissante Imagine un sol aride et sec balayé par les vents Imagine la nuit dans ce désert Des températures glaciales Frigorifiantes Imagine le désert... C’est dur à imaginer le désert C’est l’absence Le silence C’est la mort Et puis de temps en temps Hop Une apparition
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Imagine que ce désert c’est l’édition théâtrale il y a trente ans
livres et du théâtre
Ou presque
La plupart du temps, Robert, Christian, Lucien, Jean-Pierre arpentent les dunes en hurlant comme des déments avec des petits fascicules qu’ils relient de leurs propres mains
La situation n’est pas si catastrophique mais elle n’est pas très reluisante Imagine maintenant Michel Vinaver Il a écrit de nombreuses pièces, des essais, des romans, et il voit tout ce désert, cette sécheresse Une sécheresse sans promesse, sans ivresse Une sécheresse qui ne dit rien de bon. Imagine Michel Vinaver il y a trente ans Imagine-le en short, avec un chapeau, un bob, une casquette, une gourde, un sac à dos, ce que tu voudras, de l’indice 350 sur les jambes et sur les bras, un chameau, une tente Quechua, ce que tu voudras, mais imagine Michel Vinaver dans le désert de l’édition théâtrale en 1985 avec une batterie de spécialistes et d’experts Il a chaud Il a soif Il ausculte les pierres, le sable, les vents Il fait des prélèvements dans des petits sacs en plastique qu’il range soigneusement. Dans un second temps Il observe les espèces qui survivent dans ce désert Il note leurs cris, leurs comportements, ce qu’elles mangent et boivent, le nombre de leurs accouplements Les jours suivants, il cherche des humains dans le désert, au cas où il en existerait dans cet enfer Il en trouve quatre, Robert, Christian, Lucien, Jean-Pierre, au pied d’un minuscule point d’eau où paissent quelques moutons
Ils vivent dans des cabanes, des tentes, des caravanes, des huttes, des roulottes Michel écrit tout ça et poursuit son enquête En partant il leur adresse un “Tenez bon les gars !” Le jour d’après, il croit voir un mirage Une gigantesque tour de verre s’élance vers les étoiles, couverte d’antennes paraboliques C’est le royaume de Bernard, animateur de télévision, faiseur de dictées, émir des spectateurs, pacha des arts et des lettres Il reçoit Michel en grande pompe, curry d’agneau et tarte aux pommes, narguilé à la rhubarbe, thé à la menthe, et pendant qu’il lui montre son harem, il dit à Michel qui l’interroge : “Il y a une crise de la création dans le théâtre et rien d’intéressant à publier. Mes émissions doivent intéresser le vigneron du Beaujolais aussi bien que l’étudiant de la Sorbonne. La vocation d’une pièce est d’être jouée plutôt que d’être lue. Cela dit, si les auteurs de théâtre écrivaient des pièces superbes, elles seraient jouées, on les publierait, on en parlerait dans les médias. Or, il est impossible de citer un auteur de théâtre de trente ou quarante ans. Ne rêvons pas, il n’y a ni pièces, ni livres de théâtre intéressants en ce moment. Le problème de l’édition n’en est donc pas un. Actuellement, comme on dit, je ne sens aucun frémissement.” Michel ne répond rien. Il est là pour comprendre pas pour juger. Il note tout dans un carnet et remercie Bernard.
Il échange avec eux sur leur enthousiasme, leur goût des auteurs, des
Dans son périple, il croise des agents, des diffuseurs, des amateurs de théâtre, des élèves, des professeurs, des auteurs de théâtre aussi, si si, ça existe
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Imagine que ce désert c’est l’édition théâtrale il y a trente ans
livres et du théâtre
Ou presque
La plupart du temps, Robert, Christian, Lucien, Jean-Pierre arpentent les dunes en hurlant comme des déments avec des petits fascicules qu’ils relient de leurs propres mains
La situation n’est pas si catastrophique mais elle n’est pas très reluisante Imagine maintenant Michel Vinaver Il a écrit de nombreuses pièces, des essais, des romans, et il voit tout ce désert, cette sécheresse Une sécheresse sans promesse, sans ivresse Une sécheresse qui ne dit rien de bon. Imagine Michel Vinaver il y a trente ans Imagine-le en short, avec un chapeau, un bob, une casquette, une gourde, un sac à dos, ce que tu voudras, de l’indice 350 sur les jambes et sur les bras, un chameau, une tente Quechua, ce que tu voudras, mais imagine Michel Vinaver dans le désert de l’édition théâtrale en 1985 avec une batterie de spécialistes et d’experts Il a chaud Il a soif Il ausculte les pierres, le sable, les vents Il fait des prélèvements dans des petits sacs en plastique qu’il range soigneusement. Dans un second temps Il observe les espèces qui survivent dans ce désert Il note leurs cris, leurs comportements, ce qu’elles mangent et boivent, le nombre de leurs accouplements Les jours suivants, il cherche des humains dans le désert, au cas où il en existerait dans cet enfer Il en trouve quatre, Robert, Christian, Lucien, Jean-Pierre, au pied d’un minuscule point d’eau où paissent quelques moutons
Ils vivent dans des cabanes, des tentes, des caravanes, des huttes, des roulottes Michel écrit tout ça et poursuit son enquête En partant il leur adresse un “Tenez bon les gars !” Le jour d’après, il croit voir un mirage Une gigantesque tour de verre s’élance vers les étoiles, couverte d’antennes paraboliques C’est le royaume de Bernard, animateur de télévision, faiseur de dictées, émir des spectateurs, pacha des arts et des lettres Il reçoit Michel en grande pompe, curry d’agneau et tarte aux pommes, narguilé à la rhubarbe, thé à la menthe, et pendant qu’il lui montre son harem, il dit à Michel qui l’interroge : “Il y a une crise de la création dans le théâtre et rien d’intéressant à publier. Mes émissions doivent intéresser le vigneron du Beaujolais aussi bien que l’étudiant de la Sorbonne. La vocation d’une pièce est d’être jouée plutôt que d’être lue. Cela dit, si les auteurs de théâtre écrivaient des pièces superbes, elles seraient jouées, on les publierait, on en parlerait dans les médias. Or, il est impossible de citer un auteur de théâtre de trente ou quarante ans. Ne rêvons pas, il n’y a ni pièces, ni livres de théâtre intéressants en ce moment. Le problème de l’édition n’en est donc pas un. Actuellement, comme on dit, je ne sens aucun frémissement.” Michel ne répond rien. Il est là pour comprendre pas pour juger. Il note tout dans un carnet et remercie Bernard.
Il échange avec eux sur leur enthousiasme, leur goût des auteurs, des
Dans son périple, il croise des agents, des diffuseurs, des amateurs de théâtre, des élèves, des professeurs, des auteurs de théâtre aussi, si si, ça existe
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– ÉPISODE 2 –
Il croise beaucoup de monde finalement dans le désert Le désert est plus peuplé qu’on ne croit Il s’invite dans des oasis bien équipés, avec tout le confort, tout ce qu’il faut pour tenir des années Des éditeurs généralistes lui disent qu’ils aimeraient bien publier des pièces de théâtre, mais ils ne peuvent pas, pas encore, pas vraiment, enfin, ils ne sont pas encore prêts mais ils voudraient bien quand même parce que c’est vachement intéressant le théâtre, et si on ne s’y met pas, qui est-ce qui s’y mettra, mais si on s’y met vraiment, oh là là, enfin, il faut y réfléchir, une chose est sûre en tout cas, ça ne vend pas Un jour, quand il en a assez, le millième jour, quand il lui semble avoir fait le tour, Michel rentre à Paris, avec des milliers de notes. Il est tout maigre, tout sec, presque aveugle, il a la peau cramoisie et la bouche sèche Il a juste le temps d’embrasser sa famille et ses proches, il s’enferme chez lui On s’inquiète. On suppute. Va-t-il bien ? Est-il désespéré ? Traverseraitil une crise mystique ?
OÙ L’ON SE SOUVIENT QUE TOUT A UN DÉBUT NARRATRICE. J’ai sous les yeux un poème : “Tu polissais l’œuf et la poule. Tu cherchais exils et retours. Tu fleurissais l’arbre et la vie.” DUPEYRON. C’est de qui ? NARRATRICE. Arrabal. DUPEYRON. Arrabal. C’est moi qui l’ai publié. Je ne connais pas ce poème. Quel recueil ? Quel titre ? NARRATRICE. In memoriam Christian Dupeyron. DUPEYRON. Pardon ? NARRATRICE. In memoriam Christian Dupeyron. DUPEYRON. Je suis donc mort, c’est ça ? NARRATRICE. C’est ça. DUPEYRON. Je le sentais. Et vous me ressuscitez ce soir ?
Non, Michel travaille, il étudie, il synthétise, il réfléchit
NARRATRICE. C’est ça.
Et le 28 juillet 1985 au matin, sans avoir prévenu personne, il sort de chez lui avec un rapport entre les mains, il court vers Paris-Gare de Lyon prendre le train 8367 en direction d’Avignon, et au Palais des Papes, devant une assistance médusée, il énumère pendant deux heures les mille maux dont souffre l’édition théâtrale et les trente-sept remèdes pour l’en soulager ; puis il s’évanouit et son corps se met à flotter. Non, ça c’est pas vrai
DUPEYRON. La magie du théâtre, c’est ça ?
Le recul du sable sur nos pièces de papiers, nous le devons peut-être à ce rapport, à ce périple, à Michel, et cela vaut bien une petite célébration.
NARRATRICE. Trente ans.
NARRATRICE. C’est ça. DUPEYRON. En quel honneur ? NARRATRICE. Les trente ans de Papiers. DUPEYRON. Trente ans ? DUPEYRON. Incroyable. NARRATRICE. Vous ne vous y attendiez pas ?
“Celebration”, Kool and The Gang.
DUPEYRON. Je ne m’attendais à rien. Je n’attendais rien. J’avançais. Je fonçais. Je vivais. J’ai aimé semer, construire, entreprendre, lancer,
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– ÉPISODE 2 –
Il croise beaucoup de monde finalement dans le désert Le désert est plus peuplé qu’on ne croit Il s’invite dans des oasis bien équipés, avec tout le confort, tout ce qu’il faut pour tenir des années Des éditeurs généralistes lui disent qu’ils aimeraient bien publier des pièces de théâtre, mais ils ne peuvent pas, pas encore, pas vraiment, enfin, ils ne sont pas encore prêts mais ils voudraient bien quand même parce que c’est vachement intéressant le théâtre, et si on ne s’y met pas, qui est-ce qui s’y mettra, mais si on s’y met vraiment, oh là là, enfin, il faut y réfléchir, une chose est sûre en tout cas, ça ne vend pas Un jour, quand il en a assez, le millième jour, quand il lui semble avoir fait le tour, Michel rentre à Paris, avec des milliers de notes. Il est tout maigre, tout sec, presque aveugle, il a la peau cramoisie et la bouche sèche Il a juste le temps d’embrasser sa famille et ses proches, il s’enferme chez lui On s’inquiète. On suppute. Va-t-il bien ? Est-il désespéré ? Traverseraitil une crise mystique ?
OÙ L’ON SE SOUVIENT QUE TOUT A UN DÉBUT NARRATRICE. J’ai sous les yeux un poème : “Tu polissais l’œuf et la poule. Tu cherchais exils et retours. Tu fleurissais l’arbre et la vie.” DUPEYRON. C’est de qui ? NARRATRICE. Arrabal. DUPEYRON. Arrabal. C’est moi qui l’ai publié. Je ne connais pas ce poème. Quel recueil ? Quel titre ? NARRATRICE. In memoriam Christian Dupeyron. DUPEYRON. Pardon ? NARRATRICE. In memoriam Christian Dupeyron. DUPEYRON. Je suis donc mort, c’est ça ? NARRATRICE. C’est ça. DUPEYRON. Je le sentais. Et vous me ressuscitez ce soir ?
Non, Michel travaille, il étudie, il synthétise, il réfléchit
NARRATRICE. C’est ça.
Et le 28 juillet 1985 au matin, sans avoir prévenu personne, il sort de chez lui avec un rapport entre les mains, il court vers Paris-Gare de Lyon prendre le train 8367 en direction d’Avignon, et au Palais des Papes, devant une assistance médusée, il énumère pendant deux heures les mille maux dont souffre l’édition théâtrale et les trente-sept remèdes pour l’en soulager ; puis il s’évanouit et son corps se met à flotter. Non, ça c’est pas vrai
DUPEYRON. La magie du théâtre, c’est ça ?
Le recul du sable sur nos pièces de papiers, nous le devons peut-être à ce rapport, à ce périple, à Michel, et cela vaut bien une petite célébration.
NARRATRICE. Trente ans.
NARRATRICE. C’est ça. DUPEYRON. En quel honneur ? NARRATRICE. Les trente ans de Papiers. DUPEYRON. Trente ans ? DUPEYRON. Incroyable. NARRATRICE. Vous ne vous y attendiez pas ?
“Celebration”, Kool and The Gang.
DUPEYRON. Je ne m’attendais à rien. Je n’attendais rien. J’avançais. Je fonçais. Je vivais. J’ai aimé semer, construire, entreprendre, lancer,
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tenter. Après… disons que je ne suis pas le genre à regarder les graines pousser. Et vous allez dire quoi, de moi, ce soir ? NARRATRICE. Ce que vous voudrez. DUPEYRON. Je suis une énigme et je tiens à le rester. Ma vie ne regarde que moi.
NARRATRICE. C’est un beau titre Fondateur de Papiers. DUPEYRON. Oui. Comme Bâtisseur de sable…Trente ans, vous dites ? Papiers ? Trente ans… Attendez. C’est moi qui pose les questions maintenant. Attendez. Et Claire ? Toujours à la barre ? NARRATRICE. Toujours.
NARRATRICE. Nom, prénom ?
DUPEYRON. Je le savais, qu’elle tiendrait la marée. C’est tenace, les Bretonnes. J’ai quitté le navire un beau matin, comme ça, du jour au lendemain. Je lui ai confié la barre. J’avais confiance en elle. Elle était jeune, toute jeune quand je l’ai rencontrée, à peine cinq ans plus tôt. Je la revois sur son scooter, dans son blouson, déterminée. C’est elle qui a choisi sa maison, comme font les chats. Elle s’est glissée dans la boutique, ma tanière de Papiers, dans mon capharnaüm. Elle m’a adopté. Elle a observé, écouté, regardé, elle a vu, les livres entassés, partout, les manuscrits, les dossiers mal rangés, les factures qui trainaient. Elle a reniflé, senti, fouiné, flairé. Elle m’a dit – attendez. Vous aimez jouer ?”
DUPEYRON. Dupeyron Christian.
NARRATRICE. Ça dépend avec qui.
NARRATRICE. Date et lieu de naissance ?
DUPEYRON. Avec moi. Vous voulez bien faire Claire ? Pour l’occasion.
NARRATRICE. Comme vous vous voudrez. DUPEYRON. Attendez… Posez-moi des questions, des questions simples, que je profite de l’instant. J’y répondrai, ou pas. J’ai le droit de mentir aussi. Je suis joueur, vous savez. NARRATRICE. Je sais. Qui a dit : “L’homme est un abîme, on a le vertige quand on se penche dessus” ? DUPEYRON. Büchner. Woyzeck. Trop facile. Une autre.
DUPEYRON. C’était à Mégara, faubourg de Carthage, dans les jardins d’Amilkar… Je plaisante. À moitié. À moitié seulement. Je suis né à Tunis, face à la mer, Mare Nostrum. 1936. Elle m’est entrée dans le corps, la mer. Toujours aimé naviguer. Les voiles sont comme le papier, elles prennent le vent, font voyager.
NARRATRICE. Pourquoi pas ? DUPEYRON. Elle m’a dit : CLAIRE. Vous avez besoin de moi, Christian.
NARRATRICE. Couleur des pieds ?
DUPEYRON. C’était vrai. C’est vrai, Claire. Nous sommes complémentaires. Je lance une idée à la seconde, elle les attrape au vol, organise, classe, ordonne, range, trie, compte, recompte, priorise, rationalise, calcule, recalcule, ne laisse rien passer. Tenez.
DUPEYRON. Noirs. Bien joué.
CLAIRE. C’est quoi, ça ? Un retour ? Un dépôt ?
NARRATRICE. Couleur des cheveux ?
DUPEYRON. Je ne sais pas.
DUPEYRON. Chauve. Perdu.
CLAIRE. Et là ? Sur l’agenda, vous avez noté quoi ?
NARRATRICE. Profession ?
DUPEYRON. Rendez-vous avec les libraires. C’est quand ?
DUPEYRON. Éditeur libraire. Fondateur de Papiers.
CLAIRE. Maintenant. On fonce, on est déjà en retard.
NARRATRICE. Couleur des yeux ? DUPEYRON. Pas le temps de me regarder dans le miroir. Je passe.
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tenter. Après… disons que je ne suis pas le genre à regarder les graines pousser. Et vous allez dire quoi, de moi, ce soir ? NARRATRICE. Ce que vous voudrez. DUPEYRON. Je suis une énigme et je tiens à le rester. Ma vie ne regarde que moi.
NARRATRICE. C’est un beau titre Fondateur de Papiers. DUPEYRON. Oui. Comme Bâtisseur de sable…Trente ans, vous dites ? Papiers ? Trente ans… Attendez. C’est moi qui pose les questions maintenant. Attendez. Et Claire ? Toujours à la barre ? NARRATRICE. Toujours.
NARRATRICE. Nom, prénom ?
DUPEYRON. Je le savais, qu’elle tiendrait la marée. C’est tenace, les Bretonnes. J’ai quitté le navire un beau matin, comme ça, du jour au lendemain. Je lui ai confié la barre. J’avais confiance en elle. Elle était jeune, toute jeune quand je l’ai rencontrée, à peine cinq ans plus tôt. Je la revois sur son scooter, dans son blouson, déterminée. C’est elle qui a choisi sa maison, comme font les chats. Elle s’est glissée dans la boutique, ma tanière de Papiers, dans mon capharnaüm. Elle m’a adopté. Elle a observé, écouté, regardé, elle a vu, les livres entassés, partout, les manuscrits, les dossiers mal rangés, les factures qui trainaient. Elle a reniflé, senti, fouiné, flairé. Elle m’a dit – attendez. Vous aimez jouer ?”
DUPEYRON. Dupeyron Christian.
NARRATRICE. Ça dépend avec qui.
NARRATRICE. Date et lieu de naissance ?
DUPEYRON. Avec moi. Vous voulez bien faire Claire ? Pour l’occasion.
NARRATRICE. Comme vous vous voudrez. DUPEYRON. Attendez… Posez-moi des questions, des questions simples, que je profite de l’instant. J’y répondrai, ou pas. J’ai le droit de mentir aussi. Je suis joueur, vous savez. NARRATRICE. Je sais. Qui a dit : “L’homme est un abîme, on a le vertige quand on se penche dessus” ? DUPEYRON. Büchner. Woyzeck. Trop facile. Une autre.
DUPEYRON. C’était à Mégara, faubourg de Carthage, dans les jardins d’Amilkar… Je plaisante. À moitié. À moitié seulement. Je suis né à Tunis, face à la mer, Mare Nostrum. 1936. Elle m’est entrée dans le corps, la mer. Toujours aimé naviguer. Les voiles sont comme le papier, elles prennent le vent, font voyager.
NARRATRICE. Pourquoi pas ? DUPEYRON. Elle m’a dit : CLAIRE. Vous avez besoin de moi, Christian.
NARRATRICE. Couleur des pieds ?
DUPEYRON. C’était vrai. C’est vrai, Claire. Nous sommes complémentaires. Je lance une idée à la seconde, elle les attrape au vol, organise, classe, ordonne, range, trie, compte, recompte, priorise, rationalise, calcule, recalcule, ne laisse rien passer. Tenez.
DUPEYRON. Noirs. Bien joué.
CLAIRE. C’est quoi, ça ? Un retour ? Un dépôt ?
NARRATRICE. Couleur des cheveux ?
DUPEYRON. Je ne sais pas.
DUPEYRON. Chauve. Perdu.
CLAIRE. Et là ? Sur l’agenda, vous avez noté quoi ?
NARRATRICE. Profession ?
DUPEYRON. Rendez-vous avec les libraires. C’est quand ?
DUPEYRON. Éditeur libraire. Fondateur de Papiers.
CLAIRE. Maintenant. On fonce, on est déjà en retard.
NARRATRICE. Couleur des yeux ? DUPEYRON. Pas le temps de me regarder dans le miroir. Je passe.
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DUPEYRON. On fonce, Claire.
NARRATRICE. Certains sont partis.
CLAIRE. Vous avez besoin de moi ,Christian.
DUPEYRON. Et Christine ?
DUPEYRON. C’est clair, Claire… Pourquoi elle fait ça ? Pourquoi vous faites ça, Claire ?
NARRATRICE. Christine est toujours là.
CLAIRE. J’apprends mon métier. DUPEYRON. Elle apprend son métier. Les livres dans les théâtres. Personne ne l’avait fait. C’est con, mais fallait y penser. CLAIRE. C’est une idée géniale, Christian. Les livres dans les théâtres. DUPEYRON. On va le faire. CLAIRE. On le fait, Christian. DUPEYRON. Elle enfourche son scooter. Elle part livrer. Être partout là où il y a du théâtre. C’est ça, l’idée. Et Avignon. Papiers dans la cité des papes. Avignon. Mes talents de marin et d’éditeur-libraire réconciliés pour un instant, Maison Jean Vilar, dans la cour, je scrute le ciel, tel Lear, je sens venir l’orage. Je crie : “Bâche ! Bâche ! ” Et tout le monde sur le pont. CLAIRE. On les met où les livres ? DUPEYRON. Dans la roulotte. CLAIRE. La roulotte ? DUPEYRON. La roulotte des auteurs. CLAIRE. D’accord. On ne pourra pas tout faire à deux, Christian. Il faudra être partout. J’appelle mes potes. On emporte le scooter. Tant pis pour les pavés. DUPEYRON. On dégote un camion, un semi-remorque qui livrait des melons près d’Avignon. On le fait venir rue de Savoie, tout près de la rue Séguier, le camion est énorme, il débarque sur les quais, le long de la Seine, on bloque la circulation et hop, vite, vite, on met tout dedans, nos livres, le scooter, tout l’équipement, on charge tout à toute vitesse avec l’équipe. L’équipe… Comment va-t-elle, l’équipe ? Elle est toujours là, l’équipe ? Valérie, Patrick, François, Christine ?
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DUPEYRON. Je le savais… Quand je pense qu’on trouvait quand même le temps de lire. Je ne sais pas où, mais on le trouvait. Toujours. Le temps de lire, relire, survoler, rater, refuser, s’enthousiasmer, passer à côté, lire, lire, relire encore, s’émerveiller. J’ai du flair. Attendez. (Il penche la tête et plisse les yeux.) Vous savez ce que j’aime ? Plisser les yeux pour voir le nom des auteurs, imprimé sur la tranche. Vous voyez cette couleur, entre ivoire et sable, un beige jaune délicat, Vergé Conquéror. Quel nom pour un papier, Vergé Conquéror. Il faut bien ça pour porter tous ces mots, tous ces mondes. Tant de pièces, tant de mondes, mais chaque nom est unique. J’aime les débuts. De tout. Regardez. Les débuts de la collection. Penchez la tête. Plissez les yeux. Je vous laisse deviner qui parmi eux j’ai vraiment découvert. Catherine Anne. Fernando Arrabal. Loleh Bellon. François Billetdoux. Denise Chalem. Jean-Claude Carrière. Enzo Corman. Bernard Da Costa. Louise Doutreligne. Pierrette Dupoyet. Guy Foissy. Grumberg JeanClaude, qu’est-ce qu’il fait là ? à cette place ? Qu’est-ce que tu fais là, Jean-Claude ? Victor Haïm. Joël Jouanneau. Edouardo Manet. Yasmina Reza. Jean-Michel Ribes. Tilly. Éric Westphal. Attendez. Je ne comprends pas. C’est quoi cet ordre ? Qu’est-ce qu’il fait là, Jean-Claude ? Pourquoi il n’est pas au tout début ? CLAIRE. Ça s’appelle l’ordre alphabétique, Christian. DUPEYRON. D’accord, mais je ne m’y retrouve pas. CLAIRE. Ça va venir. L’ordre alphabétique, c’est un truc assez pratique. Couramment utilisé par les libraires et même par le dictionnaire. Allez savoir pourquoi. DUPEYRON. Ne vous foutez pas de moi, Claire. CLAIRE. Christian. Tout le monde n’est pas censé deviner qui vous avez rencontré le premier ou la dernière. Et puis… je vais vous choquer, Christian.
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DUPEYRON. On fonce, Claire.
NARRATRICE. Certains sont partis.
CLAIRE. Vous avez besoin de moi ,Christian.
DUPEYRON. Et Christine ?
DUPEYRON. C’est clair, Claire… Pourquoi elle fait ça ? Pourquoi vous faites ça, Claire ?
NARRATRICE. Christine est toujours là.
CLAIRE. J’apprends mon métier. DUPEYRON. Elle apprend son métier. Les livres dans les théâtres. Personne ne l’avait fait. C’est con, mais fallait y penser. CLAIRE. C’est une idée géniale, Christian. Les livres dans les théâtres. DUPEYRON. On va le faire. CLAIRE. On le fait, Christian. DUPEYRON. Elle enfourche son scooter. Elle part livrer. Être partout là où il y a du théâtre. C’est ça, l’idée. Et Avignon. Papiers dans la cité des papes. Avignon. Mes talents de marin et d’éditeur-libraire réconciliés pour un instant, Maison Jean Vilar, dans la cour, je scrute le ciel, tel Lear, je sens venir l’orage. Je crie : “Bâche ! Bâche ! ” Et tout le monde sur le pont. CLAIRE. On les met où les livres ? DUPEYRON. Dans la roulotte. CLAIRE. La roulotte ? DUPEYRON. La roulotte des auteurs. CLAIRE. D’accord. On ne pourra pas tout faire à deux, Christian. Il faudra être partout. J’appelle mes potes. On emporte le scooter. Tant pis pour les pavés. DUPEYRON. On dégote un camion, un semi-remorque qui livrait des melons près d’Avignon. On le fait venir rue de Savoie, tout près de la rue Séguier, le camion est énorme, il débarque sur les quais, le long de la Seine, on bloque la circulation et hop, vite, vite, on met tout dedans, nos livres, le scooter, tout l’équipement, on charge tout à toute vitesse avec l’équipe. L’équipe… Comment va-t-elle, l’équipe ? Elle est toujours là, l’équipe ? Valérie, Patrick, François, Christine ?
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DUPEYRON. Je le savais… Quand je pense qu’on trouvait quand même le temps de lire. Je ne sais pas où, mais on le trouvait. Toujours. Le temps de lire, relire, survoler, rater, refuser, s’enthousiasmer, passer à côté, lire, lire, relire encore, s’émerveiller. J’ai du flair. Attendez. (Il penche la tête et plisse les yeux.) Vous savez ce que j’aime ? Plisser les yeux pour voir le nom des auteurs, imprimé sur la tranche. Vous voyez cette couleur, entre ivoire et sable, un beige jaune délicat, Vergé Conquéror. Quel nom pour un papier, Vergé Conquéror. Il faut bien ça pour porter tous ces mots, tous ces mondes. Tant de pièces, tant de mondes, mais chaque nom est unique. J’aime les débuts. De tout. Regardez. Les débuts de la collection. Penchez la tête. Plissez les yeux. Je vous laisse deviner qui parmi eux j’ai vraiment découvert. Catherine Anne. Fernando Arrabal. Loleh Bellon. François Billetdoux. Denise Chalem. Jean-Claude Carrière. Enzo Corman. Bernard Da Costa. Louise Doutreligne. Pierrette Dupoyet. Guy Foissy. Grumberg JeanClaude, qu’est-ce qu’il fait là ? à cette place ? Qu’est-ce que tu fais là, Jean-Claude ? Victor Haïm. Joël Jouanneau. Edouardo Manet. Yasmina Reza. Jean-Michel Ribes. Tilly. Éric Westphal. Attendez. Je ne comprends pas. C’est quoi cet ordre ? Qu’est-ce qu’il fait là, Jean-Claude ? Pourquoi il n’est pas au tout début ? CLAIRE. Ça s’appelle l’ordre alphabétique, Christian. DUPEYRON. D’accord, mais je ne m’y retrouve pas. CLAIRE. Ça va venir. L’ordre alphabétique, c’est un truc assez pratique. Couramment utilisé par les libraires et même par le dictionnaire. Allez savoir pourquoi. DUPEYRON. Ne vous foutez pas de moi, Claire. CLAIRE. Christian. Tout le monde n’est pas censé deviner qui vous avez rencontré le premier ou la dernière. Et puis… je vais vous choquer, Christian.
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DUPEYRON. Choquez-moi, Claire.
CLAIRE. Ne détournez pas la conversation.
CLAIRE. On ne va pas pouvoir continuer à publier autant de livres par an.
DUPEYRON. Vous avez une raison ?
DUPEYRON. Pourquoi pas ? CLAIRE. Parce qu’on ne pourra pas tenir. Cent livres en deux ans. Personne ne fait ça. DUPEYRON. Si. Moi.
CLAIRE. Non. Si. Non. Si. Gallimard a abandonné Arlequin, parce que... DUPEYRON. Parce que quoi ? CLAIRE. Parce que. Je ne sais pas. Parce que c’est triste mais c’est comme ça.
CLAIRE. C’est intenable. DUPEYRON. Pour qui ? Pourquoi ? CLAIRE. C’est énorme. On ne suit pas. Pensez à la distribution, la diffusion, la promotion. Et qui va acheter tout ça ? Sans parler du stockage. Le plancher va céder. Regardez ! Une pile s’est effondrée sur la femme de ménage. Trois semaines d’arrêt de travail. La poussière s’accumule et je vous préviens, ce n’est pas moi qui vais balayer. DUPEYRON. Vous avez peut-être raison. CLAIRE. Même les souris n’osent plus rentrer. DUPEYRON. Vous avez raison. CLAIRE. Et puis aucun éditeur ne fait ça.
“C’est comme ça”, Les Rita Mitsouko.
– ÉPISODE 3 – OÙ HUBERT NYSSEN RENCONTRE MICHEL VINAVER AVEC UNE IDÉE EN TÊTE HUBERT NYSSEN. Bonjour, Michel. MICHEL VINAVER. Bonjour, Hubert. HUBERT NYSSEN. Content de vous voir.
DUPEYRON. Ça, ce n’est pas une raison. Ils font n’importe quoi. Gallimard a arrêté Arlequin. Abandonné. Démissionné. Il faut bien qu’on soit là.
MICHEL VINAVER. Moi aussi.
CLAIRE. Ne détournez pas la conversation.
MICHEL VINAVER. Non.
DUPEYRON. Pourquoi ? Dites-moi pourquoi.
HUBERT NYSSEN. Alors, toujours chez Gillette ?
CLAIRE. Pourquoi quoi ?
MICHEL VINAVER. Non. J’en suis parti. Il y a cinq ans.
DUPEYRON. Pourquoi Gallimard a abandonné le théâtre ?
HUBERT NYSSEN. Gillette vous rasait ?
CLAIRE. Ne détournez pas la conversation.
MICHEL VINAVER. On ne me l’a jamais faite, celle-là.
DUPEYRON. Vous voyez : pas de bonne raison.
HUBERT NYSSEN. Votre théâtre a un côté comique, je me trompe ?
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HUBERT NYSSEN. Pas de perruque aujourd’hui ?
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DUPEYRON. Choquez-moi, Claire.
CLAIRE. Ne détournez pas la conversation.
CLAIRE. On ne va pas pouvoir continuer à publier autant de livres par an.
DUPEYRON. Vous avez une raison ?
DUPEYRON. Pourquoi pas ? CLAIRE. Parce qu’on ne pourra pas tenir. Cent livres en deux ans. Personne ne fait ça. DUPEYRON. Si. Moi.
CLAIRE. Non. Si. Non. Si. Gallimard a abandonné Arlequin, parce que... DUPEYRON. Parce que quoi ? CLAIRE. Parce que. Je ne sais pas. Parce que c’est triste mais c’est comme ça.
CLAIRE. C’est intenable. DUPEYRON. Pour qui ? Pourquoi ? CLAIRE. C’est énorme. On ne suit pas. Pensez à la distribution, la diffusion, la promotion. Et qui va acheter tout ça ? Sans parler du stockage. Le plancher va céder. Regardez ! Une pile s’est effondrée sur la femme de ménage. Trois semaines d’arrêt de travail. La poussière s’accumule et je vous préviens, ce n’est pas moi qui vais balayer. DUPEYRON. Vous avez peut-être raison. CLAIRE. Même les souris n’osent plus rentrer. DUPEYRON. Vous avez raison. CLAIRE. Et puis aucun éditeur ne fait ça.
“C’est comme ça”, Les Rita Mitsouko.
– ÉPISODE 3 – OÙ HUBERT NYSSEN RENCONTRE MICHEL VINAVER AVEC UNE IDÉE EN TÊTE HUBERT NYSSEN. Bonjour, Michel. MICHEL VINAVER. Bonjour, Hubert. HUBERT NYSSEN. Content de vous voir.
DUPEYRON. Ça, ce n’est pas une raison. Ils font n’importe quoi. Gallimard a arrêté Arlequin. Abandonné. Démissionné. Il faut bien qu’on soit là.
MICHEL VINAVER. Moi aussi.
CLAIRE. Ne détournez pas la conversation.
MICHEL VINAVER. Non.
DUPEYRON. Pourquoi ? Dites-moi pourquoi.
HUBERT NYSSEN. Alors, toujours chez Gillette ?
CLAIRE. Pourquoi quoi ?
MICHEL VINAVER. Non. J’en suis parti. Il y a cinq ans.
DUPEYRON. Pourquoi Gallimard a abandonné le théâtre ?
HUBERT NYSSEN. Gillette vous rasait ?
CLAIRE. Ne détournez pas la conversation.
MICHEL VINAVER. On ne me l’a jamais faite, celle-là.
DUPEYRON. Vous voyez : pas de bonne raison.
HUBERT NYSSEN. Votre théâtre a un côté comique, je me trompe ?
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HUBERT NYSSEN. Pas de perruque aujourd’hui ?
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MICHEL VINAVER. Quand même pas troupier.
HUBERT NYSSEN. Vous pensez que cela a joué dans votre écriture ?
HUBERT NYSSEN. Vous avez aussi un côté laconique, pince-sansrire.
MICHEL VINAVER. Peut-être les lames, inconsciemment. Plus une chose est plate, au départ, plus elle m’intéresse.
MICHEL VINAVER. Ironique. Très à distance.
HUBERT NYSSEN. Vous écrivez en ce moment ?
HUBERT NYSSEN. C’est ça. Pas tragique.
MICHEL VINAVER. Oui. Et vous ?
MICHEL VINAVER. Je pense qu’on ne peut pas comprendre le monde, notre relation au monde, par le tragique. Ionesco l’avait compris : “Le comique étant l’intuition de l’absurde, il me semble plus désespérant que le tragique. Il n’offre pas d’issue.”
HUBERT NYSSEN. Oui. C’est assez banal en ce qui nous concerne, non ?
HUBERT NYSSEN. Je suis heureux de vous rencontrer. MICHEL VINAVER. Je crois que l’humain est lié à l’altérité. Pour moi, l’humain, cela commence avec une personne qui parle à une autre personne.
MICHEL VINAVER. Sans doute. La banalité dans le désordre, c’est mon point de départ, toujours, il ne peut y en avoir d’autre. Il n’y a que les petites choses qui retiennent mon attention. HUBERT NYSSEN. Moi, je suis romancier. J’ai besoin d’histoires.
HUBERT NYSSEN. Bien dit.
MICHEL VINAVER. Pour le théâtre, c’est secondaire. C’est la parole qui compte. Le théâtre où il se passe quelque chose est celui où la parole agit.
MICHEL VINAVER. Non, je l’ai écrit. Entre autres choses…
HUBERT NYSSEN. Toujours fâché avec la ponctuation ?
HUBERT NYSSEN. Vous n’êtes pas du genre à qui l’on tape sur l’épaule.
MICHEL VINAVER. Lorsque nous parlons, nous ne ponctuons pas, nous accentuons.
MICHEL VINAVER. Vous, si ?
HUBERT NYSSEN. Nous ne faisons pas de fautes d’orthographe non plus.
HUBERT NYSSEN. Non. MICHEL VINAVER. J’étais pdg chez Gillette. On ne m’a pas tapé sur l’épaule depuis des lustres. HUBERT NYSSEN. Je suis moi-même patron d’une pme. Nous pouvons nous entendre. MICHEL VINAVER. Que vous avez créée, c’est différent. Et vous êtes aussi poète. HUBERT NYSSEN. L’un n’empêche pas l’autre.
MICHEL VINAVER. Non, seulement de syntaxe. Et parfois, c’est très bien. La langue est vivante. Nous ne faisons pas dans la langue morte. HUBERT NYSSEN. Je suis un homme de mots, Michel. MICHEL VINAVER. Oui, je sais. HUBERT NYSSEN. Je suis aussi un lecteur vorace. MICHEL VINAVER. C’est bien. Moi aussi.
MICHEL VINAVER. Non. J’écrivais Dissident, il va s’en dire… en faisant tourner Gillette France.
HUBERT NYSSEN. Et lire, c’est d’abord donner, ou plutôt restituer au texte sa dimension musicale. On a beau le saisir par les yeux, un texte reste lettre morte si on ne l’entend pas.
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MICHEL VINAVER. Quand même pas troupier.
HUBERT NYSSEN. Vous pensez que cela a joué dans votre écriture ?
HUBERT NYSSEN. Vous avez aussi un côté laconique, pince-sansrire.
MICHEL VINAVER. Peut-être les lames, inconsciemment. Plus une chose est plate, au départ, plus elle m’intéresse.
MICHEL VINAVER. Ironique. Très à distance.
HUBERT NYSSEN. Vous écrivez en ce moment ?
HUBERT NYSSEN. C’est ça. Pas tragique.
MICHEL VINAVER. Oui. Et vous ?
MICHEL VINAVER. Je pense qu’on ne peut pas comprendre le monde, notre relation au monde, par le tragique. Ionesco l’avait compris : “Le comique étant l’intuition de l’absurde, il me semble plus désespérant que le tragique. Il n’offre pas d’issue.”
HUBERT NYSSEN. Oui. C’est assez banal en ce qui nous concerne, non ?
HUBERT NYSSEN. Je suis heureux de vous rencontrer. MICHEL VINAVER. Je crois que l’humain est lié à l’altérité. Pour moi, l’humain, cela commence avec une personne qui parle à une autre personne.
MICHEL VINAVER. Sans doute. La banalité dans le désordre, c’est mon point de départ, toujours, il ne peut y en avoir d’autre. Il n’y a que les petites choses qui retiennent mon attention. HUBERT NYSSEN. Moi, je suis romancier. J’ai besoin d’histoires.
HUBERT NYSSEN. Bien dit.
MICHEL VINAVER. Pour le théâtre, c’est secondaire. C’est la parole qui compte. Le théâtre où il se passe quelque chose est celui où la parole agit.
MICHEL VINAVER. Non, je l’ai écrit. Entre autres choses…
HUBERT NYSSEN. Toujours fâché avec la ponctuation ?
HUBERT NYSSEN. Vous n’êtes pas du genre à qui l’on tape sur l’épaule.
MICHEL VINAVER. Lorsque nous parlons, nous ne ponctuons pas, nous accentuons.
MICHEL VINAVER. Vous, si ?
HUBERT NYSSEN. Nous ne faisons pas de fautes d’orthographe non plus.
HUBERT NYSSEN. Non. MICHEL VINAVER. J’étais pdg chez Gillette. On ne m’a pas tapé sur l’épaule depuis des lustres. HUBERT NYSSEN. Je suis moi-même patron d’une pme. Nous pouvons nous entendre. MICHEL VINAVER. Que vous avez créée, c’est différent. Et vous êtes aussi poète. HUBERT NYSSEN. L’un n’empêche pas l’autre.
MICHEL VINAVER. Non, seulement de syntaxe. Et parfois, c’est très bien. La langue est vivante. Nous ne faisons pas dans la langue morte. HUBERT NYSSEN. Je suis un homme de mots, Michel. MICHEL VINAVER. Oui, je sais. HUBERT NYSSEN. Je suis aussi un lecteur vorace. MICHEL VINAVER. C’est bien. Moi aussi.
MICHEL VINAVER. Non. J’écrivais Dissident, il va s’en dire… en faisant tourner Gillette France.
HUBERT NYSSEN. Et lire, c’est d’abord donner, ou plutôt restituer au texte sa dimension musicale. On a beau le saisir par les yeux, un texte reste lettre morte si on ne l’entend pas.
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MICHEL VINAVER. C’est de la musique, oui. Le théâtre, c’est des sons. HUBERT NYSSEN. Vous aimez écrire ? MICHEL VINAVER. J’aime bien, oui. HUBERT NYSSEN. Pas tragique. MICHEL VINAVER. Non. Le théâtre ne résout rien. HUBERT NYSSEN. Pourtant, dans votre rapport, Les Mille Maux dont souffre l’édition théâtrale et les trente-sept remèdes pour l’en soulager, la situation que vous décrivez est plutôt tragique. MICHEL VINAVER. Oui, mais là, ce n’est pas une pièce de théâtre, c’est un rapport. Une simple constatation facile à vérifier.
fait. Pourtant, la naissance d’une pièce, c’est comme une petite explosion atomique. Et comprendre un texte de théâtre, c’est principalement voir comment il fonctionne dramaturgiquement. Comment voulez-vous comprendre le théâtre d’aujourd’hui si les textes ne sont pas publiés ? Et s’ils demeurent introuvables quand par miracle ils le sont ? HUBERT NYSSEN. Je pourrais commencer par publier votre rapport. MICHEL VINAVER. Je n’aurais peut-être pas complètement perdu mon temps. HUBERT NYSSEN. Il y a des écrivains qui ne parlent que de leur difficulté, de leur douleur. Si j’écris, c’est parce que j’ai envie d’écrire.
HUBERT NYSSEN. Pas d’aides publiques pour les auteurs…
MICHEL VINAVER. Beckett va jusqu’à parler d’amusement pour l’écriture.
MICHEL VINAVER. Non. Ils peuvent crever.
HUBERT NYSSEN. Si Beckett le dit...
HUBERT NYSSEN. Les maisons d’édition ne publient que des romans… Là, je me suis senti visé.
MICHEL VINAVER. Les autres la bouclent.
MICHEL VINAVER. Vous pouvez.
MICHEL VINAVER. Vous auriez aimé éditer Beckett ?
HUBERT NYSSEN. Les éditions théâtrales sont minuscules et ont des problèmes de diffusion…
HUBERT NYSSEN. Françoise n’était pas née quand la question s’est posée. Je n’étais pas encore éditeur. Je courais au plus pressé.
MICHEL VINAVER. Je n’invente rien.
MICHEL VINAVER. D’accord, mais en faisant abstraction du temps ?
HUBERT NYSSEN. L’excuse revendiquée de la difficulté, réelle ou supposée, de lire du théâtre…
HUBERT NYSSEN. Bien sûr, oui. Mais je doute que Beckett eût accepté.
MICHEL VINAVER. Je m’emploie à démontrer l’évidence du contraire.
MICHEL VINAVER. Pourquoi ?
HUBERT NYSSEN. Vous pensez être d’un abord facile, Michel ? MICHEL VINAVER. Un peu d’exigence. HUBERT NYSSEN. Votre rapport m’a fait réfléchir, vous savez. J’aimerais être l’un des trente-sept remèdes à vos mille maux.
HUBERT NYSSEN. Évidemment.
HUBERT NYSSEN. Il s’est caché dans un village du Vaucluse en 42. Recherché par la Gestapo. Il a failli devenir fou dans le Vaucluse : “Non, je n’ai jamais été dans le Vaucluse ! J’ai passé toute ma chaudepisse d’existence ici ! Ici ! Dans la merdecluse !” Godot. MICHEL VINAVER. Mais Arles n’est pas dans le Vaucluse !
MICHEL VINAVER. Les maisons d’édition ne suivent pas, c’est un
HUBERT NYSSEN. Ce n’est pas très loin. Beckett était un homme du
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MICHEL VINAVER. C’est de la musique, oui. Le théâtre, c’est des sons. HUBERT NYSSEN. Vous aimez écrire ? MICHEL VINAVER. J’aime bien, oui. HUBERT NYSSEN. Pas tragique. MICHEL VINAVER. Non. Le théâtre ne résout rien. HUBERT NYSSEN. Pourtant, dans votre rapport, Les Mille Maux dont souffre l’édition théâtrale et les trente-sept remèdes pour l’en soulager, la situation que vous décrivez est plutôt tragique. MICHEL VINAVER. Oui, mais là, ce n’est pas une pièce de théâtre, c’est un rapport. Une simple constatation facile à vérifier.
fait. Pourtant, la naissance d’une pièce, c’est comme une petite explosion atomique. Et comprendre un texte de théâtre, c’est principalement voir comment il fonctionne dramaturgiquement. Comment voulez-vous comprendre le théâtre d’aujourd’hui si les textes ne sont pas publiés ? Et s’ils demeurent introuvables quand par miracle ils le sont ? HUBERT NYSSEN. Je pourrais commencer par publier votre rapport. MICHEL VINAVER. Je n’aurais peut-être pas complètement perdu mon temps. HUBERT NYSSEN. Il y a des écrivains qui ne parlent que de leur difficulté, de leur douleur. Si j’écris, c’est parce que j’ai envie d’écrire.
HUBERT NYSSEN. Pas d’aides publiques pour les auteurs…
MICHEL VINAVER. Beckett va jusqu’à parler d’amusement pour l’écriture.
MICHEL VINAVER. Non. Ils peuvent crever.
HUBERT NYSSEN. Si Beckett le dit...
HUBERT NYSSEN. Les maisons d’édition ne publient que des romans… Là, je me suis senti visé.
MICHEL VINAVER. Les autres la bouclent.
MICHEL VINAVER. Vous pouvez.
MICHEL VINAVER. Vous auriez aimé éditer Beckett ?
HUBERT NYSSEN. Les éditions théâtrales sont minuscules et ont des problèmes de diffusion…
HUBERT NYSSEN. Françoise n’était pas née quand la question s’est posée. Je n’étais pas encore éditeur. Je courais au plus pressé.
MICHEL VINAVER. Je n’invente rien.
MICHEL VINAVER. D’accord, mais en faisant abstraction du temps ?
HUBERT NYSSEN. L’excuse revendiquée de la difficulté, réelle ou supposée, de lire du théâtre…
HUBERT NYSSEN. Bien sûr, oui. Mais je doute que Beckett eût accepté.
MICHEL VINAVER. Je m’emploie à démontrer l’évidence du contraire.
MICHEL VINAVER. Pourquoi ?
HUBERT NYSSEN. Vous pensez être d’un abord facile, Michel ? MICHEL VINAVER. Un peu d’exigence. HUBERT NYSSEN. Votre rapport m’a fait réfléchir, vous savez. J’aimerais être l’un des trente-sept remèdes à vos mille maux.
HUBERT NYSSEN. Évidemment.
HUBERT NYSSEN. Il s’est caché dans un village du Vaucluse en 42. Recherché par la Gestapo. Il a failli devenir fou dans le Vaucluse : “Non, je n’ai jamais été dans le Vaucluse ! J’ai passé toute ma chaudepisse d’existence ici ! Ici ! Dans la merdecluse !” Godot. MICHEL VINAVER. Mais Arles n’est pas dans le Vaucluse !
MICHEL VINAVER. Les maisons d’édition ne suivent pas, c’est un
HUBERT NYSSEN. Ce n’est pas très loin. Beckett était un homme du
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Nord, je ne crois pas qu’il aurait aimé être édité dans le Sud. Un trop mauvais souvenir… MICHEL VINAVER. Vous plaisantez, là ? HUBERT NYSSEN. Oui. J’aurais fini par le persuader autour d’une bouteille de whisky à la tourbe irlandaise. MICHEL VINAVER. Vous aussi avez été dans la Résistance. Vous viviez dans la clandestinité. HUBERT NYSSEN. Je n’aime pas en parler, Michel. MICHEL VINAVER. Beckett non plus n’en parlait pas. Il y a des hommes comme ça… HUBERT NYSSEN. Vous êtes un auteur engagé ? MICHEL VINAVER. Non, mais je suis bien obligé de constater que mon théâtre est politique. Vous croyez à l’art comme résistance à la barbarie, Hubert ? HUBERT NYSSEN. Bien sûr. Totalement. Les livres sont faits pour ça, non ? Je n’ai jamais aimé les cerveaux bruns. Ni les chemises noires.
romans. L’avait donc racheté Papiers à Dupeyron qui ne pouvait rester en place et qui commençait déjà à s’intéresser à d’autres trucs : le journalisme, le jeu, les Caraïbes, les femmes à barbe, la dernière nouveauté du moment… Ça lui était passé comme ça lui était venu, sa passion des auteurs et son envie d’éditer à tour de bras. Un jour, il avait dit à Claire : “Lundi, je serai plus là, tu t’occuperas de tout.” Et c’était fini, il était passé à autre chose. Papiers racheté, c’était reparti pour un tour. Nyssen, c’était aussi un aventurier dans son genre, avec sa maison d’édition loin du Quartier latin. Il avait lui aussi ce côté “je fais rien comme les autres” et puis c’était ok, Actes Sud-Papiers resterait à Paname, pas loin de l’Odéon, avec les autres respectables et tant pis pour le soleil. (Le Soleil, Ariane Mnouchkine l’avait pris quelques années plus tôt, mais c’est une autre histoire !) Claire resterait dans les frimas pour dénicher les auteurs, se rendrait à Arles de temps en temps pour donner des nouvelles. – Ça devait être une expédition, avant ? – Avant quoi ? – Avant les tgv.
“La Camisa Negra”, Juanes.
– Ouais, maintenant c’est moins loin. – Et y avait pas d’ordinateurs non plus. Pas Internet, rien. – ÉPISODE 4 –
OÙ L’ON VOIT COMMENT PAPIERS DEVIENT ACTES SUD-PAPIERS ET SE DÉVELOPPE AU FIL DES ANNÉES Alors Michel Vinaver a fait le boulot et Hubert Nyssen a assuré. Il l’a édité, son brûlot, son état des lieux théâtral, son cri lancé aux éditeurs. Il aimait bien le théâtre, Hubert Nyssen. Il en avait tâté plus jeune, s’était occupé d’un centre culturel là-haut, en Belgique, assez loin d’Arles… Il avait écrit des pièces en plus de ses poèmes, de ses essais, sans parler des
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– Pas de portables non plus. – C’est pour ça, Nyssen, Arles…, c’était pas gagné. – Maintenant ça va. – Oh oui, maintenant ça va. Faut voir ce que c’est devenu. Il y a les arènes et les éditions, maintenant, à Arles. – Et donc Actes Sud-Papiers… Paris alors ? – C’est ça. – Pourquoi ?
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Nord, je ne crois pas qu’il aurait aimé être édité dans le Sud. Un trop mauvais souvenir… MICHEL VINAVER. Vous plaisantez, là ? HUBERT NYSSEN. Oui. J’aurais fini par le persuader autour d’une bouteille de whisky à la tourbe irlandaise. MICHEL VINAVER. Vous aussi avez été dans la Résistance. Vous viviez dans la clandestinité. HUBERT NYSSEN. Je n’aime pas en parler, Michel. MICHEL VINAVER. Beckett non plus n’en parlait pas. Il y a des hommes comme ça… HUBERT NYSSEN. Vous êtes un auteur engagé ? MICHEL VINAVER. Non, mais je suis bien obligé de constater que mon théâtre est politique. Vous croyez à l’art comme résistance à la barbarie, Hubert ? HUBERT NYSSEN. Bien sûr. Totalement. Les livres sont faits pour ça, non ? Je n’ai jamais aimé les cerveaux bruns. Ni les chemises noires.
romans. L’avait donc racheté Papiers à Dupeyron qui ne pouvait rester en place et qui commençait déjà à s’intéresser à d’autres trucs : le journalisme, le jeu, les Caraïbes, les femmes à barbe, la dernière nouveauté du moment… Ça lui était passé comme ça lui était venu, sa passion des auteurs et son envie d’éditer à tour de bras. Un jour, il avait dit à Claire : “Lundi, je serai plus là, tu t’occuperas de tout.” Et c’était fini, il était passé à autre chose. Papiers racheté, c’était reparti pour un tour. Nyssen, c’était aussi un aventurier dans son genre, avec sa maison d’édition loin du Quartier latin. Il avait lui aussi ce côté “je fais rien comme les autres” et puis c’était ok, Actes Sud-Papiers resterait à Paname, pas loin de l’Odéon, avec les autres respectables et tant pis pour le soleil. (Le Soleil, Ariane Mnouchkine l’avait pris quelques années plus tôt, mais c’est une autre histoire !) Claire resterait dans les frimas pour dénicher les auteurs, se rendrait à Arles de temps en temps pour donner des nouvelles. – Ça devait être une expédition, avant ? – Avant quoi ? – Avant les tgv.
“La Camisa Negra”, Juanes.
– Ouais, maintenant c’est moins loin. – Et y avait pas d’ordinateurs non plus. Pas Internet, rien. – ÉPISODE 4 –
OÙ L’ON VOIT COMMENT PAPIERS DEVIENT ACTES SUD-PAPIERS ET SE DÉVELOPPE AU FIL DES ANNÉES Alors Michel Vinaver a fait le boulot et Hubert Nyssen a assuré. Il l’a édité, son brûlot, son état des lieux théâtral, son cri lancé aux éditeurs. Il aimait bien le théâtre, Hubert Nyssen. Il en avait tâté plus jeune, s’était occupé d’un centre culturel là-haut, en Belgique, assez loin d’Arles… Il avait écrit des pièces en plus de ses poèmes, de ses essais, sans parler des
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– Pas de portables non plus. – C’est pour ça, Nyssen, Arles…, c’était pas gagné. – Maintenant ça va. – Oh oui, maintenant ça va. Faut voir ce que c’est devenu. Il y a les arènes et les éditions, maintenant, à Arles. – Et donc Actes Sud-Papiers… Paris alors ? – C’est ça. – Pourquoi ?
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– Je sais pas… Les auteurs de théâtre sont plus nombreux là qu’en Arles, je suppose. – T’as pas demandé ? – Non. – Ben t’aurais peut-être dû ? – Ça m’est pas venu. Désolé. – Tu crois que les auteurs sont tous à Paris ? – Non, pas tous, mais enfin une bonne partie, j’imagine. – T’habites où, toi ? – Paris. – Paris. – Nantes. – Montpellier. – Genève. – Charenton-du-Cher. Un village dans le Berry. – Bon ben tu vois, ta théorie des auteurs concentrés à Paris ne tient pas la route. – C’est pas une théorie, c’est juste pour… – Gratter du papier ? – C’est ça. En fait, je fais tout à l’ordinateur. – C’est le danger quand on est un auteur de commande. – Oui ben écoute… – Tocard.
nerveux, les mutiques, les expansifs, les agités, les dépressifs, ceux qui ont de l’humour et ceux qui rient uniquement quand ils se brûlent. Ceux avec qui “ce n’est pas encore ça” mais dont on pense qu’un jour ça le sera, ceux qui le sont pendant un temps mais qui subitement cessent de l’être. Ceux en qui l’on croit même contre l’avis de tous. Ceux dont on ne saisit pas bien l’univers, mais qu’on publie quand même. Sans compter ceux que l’on a publiés en se demandant encore pourquoi des années plus tard. Claire eut fort à faire, elle fit fort comme elle put, comptant sur son intuition pour dénicher ceux qui finiraient peut-être par compter. Des milliers de tapuscrits… Lire, lire, relire et lire aussi entre les lignes. Et faire tourner la baraque. Surtout trouver la bonne équipe avec qui travailler, les indispensables, les Christine et les Thomas, les Charlotte, les Lucille, les Audrey, les Leslie… Les Talya et les Boris… Avec les années, s’il y a bien quelque chose qui vient, c’est l’expérience. On va plus vite, on contourne les difficultés, on occupe le terrain, on part au bon moment, on évite les pertes de temps inutiles. (Il y a des pertes de temps utiles, mais dans l’édition, il ne faut pas en abuser.) Claire trouva des auteurs qui n’attendaient qu’elle. Des années à affiner le jugement, à affûter son regard, à apprendre des échecs. On appelle ça “prendre de la bouteille”, “c’est le métier qui rentre”, “cent fois sur le métier…”, sans oublier le fameux “c’est en forgeant qu’on devient forgeron”. Claire devint donc éditrice, c’est-à-dire d’abord principalement trois choses : trouver, publier et faire connaître. Car publier sans faire connaître ne sert à rien. Trouver sans publier n’a pas d’intérêt. Trouver un auteur et le faire connaître sans le publier n’a aucun sens dans le monde de l’édition. Trente-cinq livres environ par an. Au début, seulement des pièces. Aujourd’hui, des beaux livres, remplis de photos, de dessins, de scénographies... Diversifier, toucher d’autres publics que la petite secte des lecteurs de pièces… – C’est bon alors ? Tout va bien, quoi ?
Les auteurs. Ce n’est pas le tout d’éditer des auteurs, il faut d’abord les trouver. Ceux qui sortent de nulle part, qui envoient par la poste, les
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– Comment ça ? – C’est une affaire qui roule ?
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– Je sais pas… Les auteurs de théâtre sont plus nombreux là qu’en Arles, je suppose. – T’as pas demandé ? – Non. – Ben t’aurais peut-être dû ? – Ça m’est pas venu. Désolé. – Tu crois que les auteurs sont tous à Paris ? – Non, pas tous, mais enfin une bonne partie, j’imagine. – T’habites où, toi ? – Paris. – Paris. – Nantes. – Montpellier. – Genève. – Charenton-du-Cher. Un village dans le Berry. – Bon ben tu vois, ta théorie des auteurs concentrés à Paris ne tient pas la route. – C’est pas une théorie, c’est juste pour… – Gratter du papier ? – C’est ça. En fait, je fais tout à l’ordinateur. – C’est le danger quand on est un auteur de commande. – Oui ben écoute… – Tocard.
nerveux, les mutiques, les expansifs, les agités, les dépressifs, ceux qui ont de l’humour et ceux qui rient uniquement quand ils se brûlent. Ceux avec qui “ce n’est pas encore ça” mais dont on pense qu’un jour ça le sera, ceux qui le sont pendant un temps mais qui subitement cessent de l’être. Ceux en qui l’on croit même contre l’avis de tous. Ceux dont on ne saisit pas bien l’univers, mais qu’on publie quand même. Sans compter ceux que l’on a publiés en se demandant encore pourquoi des années plus tard. Claire eut fort à faire, elle fit fort comme elle put, comptant sur son intuition pour dénicher ceux qui finiraient peut-être par compter. Des milliers de tapuscrits… Lire, lire, relire et lire aussi entre les lignes. Et faire tourner la baraque. Surtout trouver la bonne équipe avec qui travailler, les indispensables, les Christine et les Thomas, les Charlotte, les Lucille, les Audrey, les Leslie… Les Talya et les Boris… Avec les années, s’il y a bien quelque chose qui vient, c’est l’expérience. On va plus vite, on contourne les difficultés, on occupe le terrain, on part au bon moment, on évite les pertes de temps inutiles. (Il y a des pertes de temps utiles, mais dans l’édition, il ne faut pas en abuser.) Claire trouva des auteurs qui n’attendaient qu’elle. Des années à affiner le jugement, à affûter son regard, à apprendre des échecs. On appelle ça “prendre de la bouteille”, “c’est le métier qui rentre”, “cent fois sur le métier…”, sans oublier le fameux “c’est en forgeant qu’on devient forgeron”. Claire devint donc éditrice, c’est-à-dire d’abord principalement trois choses : trouver, publier et faire connaître. Car publier sans faire connaître ne sert à rien. Trouver sans publier n’a pas d’intérêt. Trouver un auteur et le faire connaître sans le publier n’a aucun sens dans le monde de l’édition. Trente-cinq livres environ par an. Au début, seulement des pièces. Aujourd’hui, des beaux livres, remplis de photos, de dessins, de scénographies... Diversifier, toucher d’autres publics que la petite secte des lecteurs de pièces… – C’est bon alors ? Tout va bien, quoi ?
Les auteurs. Ce n’est pas le tout d’éditer des auteurs, il faut d’abord les trouver. Ceux qui sortent de nulle part, qui envoient par la poste, les
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– Comment ça ? – C’est une affaire qui roule ?
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– Ben, j’écris pas sur le naufrage du Titanic. On peut pas dire que ça s’est mal passé, cette histoire…
– Non mais tu vois Christine “faire des misères” à Claire ? Pourquoi d’abord ?
– C’est difficile d’écrire quand tout va bien ?
– Ou le contraire ?
– Assez, oui.
– Claire faisant des misères à Christine ?
– Tu as déjà eu des commandes où il fallait que tout aille bien ?
– Par exemple.
– Non, généralement avec moi, tout le monde meurt. – T’aimes bien parler de toi ?
– Elles ne donnent pas cette impression. Elles ne cherchent pas à “se faire des misères”, apparemment.
– Pas spécialement, mais puisque tu me demandes.
– T’as pas demandé.
– Ah non, moi je ne te demande rien, je lis ce que tu as écrit, c’est tout.
– Ben t’es marrant, toi. La boîte a continué à vivre, elle s’est développée, ça a marché. Qu’est-ce que j’y peux ? Il y a même eu un auteur de théâtre qui a fini par avoir un Goncourt.
– Oui enfin bon, ça me vient comme ça… – T’aimes bien écrire des dialogues ? – Oui, ça me vient plus facilement. – T’es content d’être publié chez Actes Sud-Papiers ? – Oui. Pas toi ? Réponds bien parce qu’il y a du monde, là… – Oui, évidemment.
– Déniché par Claire ? – Ben je suppose. Elle a publié ses pièces. – Laurent Gaudé. – T’as pas demandé ?
– Bien répondu.
– Non, j’ai pas demandé. Mais Claire le publiait avant qu’il n’écrive des romans, alors bon…
– C’est difficile d’écrire quand ça va bien, c’est vrai.
– Elle déniche aussi des romanciers, Claire ?
– Qu’est-ce que tu veux dire ?
– Le truc, c’est que des auteurs de théâtre peuvent se mettre à écrire des romans. Et là, c’est ce qui s’est passé.
– C’est un peu lisse, quoi. – Oui ben, je vais pas inventer des conflits là où il n’y en pas. Il y en a eu sans doute, mais je les connais pas.
– Ça s’est pas mal passé, quoi.
– Il n’y a pas des histoires cachées ?
– Bon.
– On m’a rien dit.
– Mais qu’est-ce que vous voulez que je vous dise ?
– Genre Christine mettant des bâtons dans les roues de Claire ?
– Ce serait quand même mieux avec des problèmes.
– De son scooter, tu veux dire ? – Non, qu’elle lui ferait “des misères”.
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– Ouais.
– Non mais ça, c’est bien français, ça ! Ça marche alors on fait la fine bouche.
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– Ben, j’écris pas sur le naufrage du Titanic. On peut pas dire que ça s’est mal passé, cette histoire…
– Non mais tu vois Christine “faire des misères” à Claire ? Pourquoi d’abord ?
– C’est difficile d’écrire quand tout va bien ?
– Ou le contraire ?
– Assez, oui.
– Claire faisant des misères à Christine ?
– Tu as déjà eu des commandes où il fallait que tout aille bien ?
– Par exemple.
– Non, généralement avec moi, tout le monde meurt. – T’aimes bien parler de toi ?
– Elles ne donnent pas cette impression. Elles ne cherchent pas à “se faire des misères”, apparemment.
– Pas spécialement, mais puisque tu me demandes.
– T’as pas demandé.
– Ah non, moi je ne te demande rien, je lis ce que tu as écrit, c’est tout.
– Ben t’es marrant, toi. La boîte a continué à vivre, elle s’est développée, ça a marché. Qu’est-ce que j’y peux ? Il y a même eu un auteur de théâtre qui a fini par avoir un Goncourt.
– Oui enfin bon, ça me vient comme ça… – T’aimes bien écrire des dialogues ? – Oui, ça me vient plus facilement. – T’es content d’être publié chez Actes Sud-Papiers ? – Oui. Pas toi ? Réponds bien parce qu’il y a du monde, là… – Oui, évidemment.
– Déniché par Claire ? – Ben je suppose. Elle a publié ses pièces. – Laurent Gaudé. – T’as pas demandé ?
– Bien répondu.
– Non, j’ai pas demandé. Mais Claire le publiait avant qu’il n’écrive des romans, alors bon…
– C’est difficile d’écrire quand ça va bien, c’est vrai.
– Elle déniche aussi des romanciers, Claire ?
– Qu’est-ce que tu veux dire ?
– Le truc, c’est que des auteurs de théâtre peuvent se mettre à écrire des romans. Et là, c’est ce qui s’est passé.
– C’est un peu lisse, quoi. – Oui ben, je vais pas inventer des conflits là où il n’y en pas. Il y en a eu sans doute, mais je les connais pas.
– Ça s’est pas mal passé, quoi.
– Il n’y a pas des histoires cachées ?
– Bon.
– On m’a rien dit.
– Mais qu’est-ce que vous voulez que je vous dise ?
– Genre Christine mettant des bâtons dans les roues de Claire ?
– Ce serait quand même mieux avec des problèmes.
– De son scooter, tu veux dire ? – Non, qu’elle lui ferait “des misères”.
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– Ouais.
– Non mais ça, c’est bien français, ça ! Ça marche alors on fait la fine bouche.
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– T’as pas un truc bien pourri à annoncer ? Genre le comptable qui part avec la caisse ? L’auteur cinglé qui s’en prend à une stagiaire ? Une relation adultère commencée devant la machine à café ? – Y en a pas. Y a pas de machine à café. – Du riffifi rue Séguier… – Attendez, je ne suis pas non plus dans le secret des dieux. T’as entendu parler de quelque chose, toi ? – Ils déménagent beaucoup dans les bureaux. Ils sont assez petits, ça pourrait provoquer des tensions. – Il y a un bureau où elles sont trois. Toute la journée. – Oui bon… – Un début d’agressivité. Des inimitiés. Des jalousies… – Tu sais quoi ? J’en ai pas entendu parler. – T’as pas demandé ? – S’il y avait des problèmes d’agressivité liés à l’exiguïté des bureaux ? Non. – Claire pourrait avoir une chouchoute ?
– Quoi ? – Il s’est passé quoi ? – Ah non, c’est pas moi qui vais le dire ! – Puisque c’est moi qui l’écris, tu peux le dire. – C’est pas faux. Je le dis alors ? – Non, je l’écris pas... D’ailleurs, c’est des conneries, je n’ai aucune histoire salace à raconter. – Sans aller jusqu’au salace ou au conflit meurtrier… Un problème, un jour ? – Ok. Un jour, la traduction de Prométhée enchaîné d’Olivier Py arrive rue Séguier. Quelques palettes de livres, quand même. Sur la couverture n’était inscrit que le mot “enchaîné” ! On lisait Olivier PY / Enchainé… Prométhée avait disparu ! Et pour trouver un début d’explication… On n’arrive même pas à comprendre comment c’est possible un truc pareil, on se perd dans les méandres de la fabrication et tout vire à l’irrationnel. Alors là, ce fut une véritable catastrophe ! Un drame épouvantable. La boîte a vacillé. Il a fallu tout faire refaire. – Oui bon, ben c’est déjà ça.
– Une chouchoute ?!? Non mais attends, on est où, là ?
– Qu’on n’ait pas l’impression que tout se passe toujours bien rue Séguier.
– C’est toi qui écris chouchoute !
– Pas mieux.
– Ah oui, c’est vrai.
– On s’en contentera.
– Il y a bien cette histoire, là…
– Ce jour-là, Claire a porté sa croix.
– Quelle histoire ?
– On a compris.
– Cette histoire avec…
– Sa lourde croix.
– Avec qui ? – Oh oui ! Le… Oh là là !
“Heavy Cross”, Gossip.
– Oui, ça, c’est énorme !
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– T’as pas un truc bien pourri à annoncer ? Genre le comptable qui part avec la caisse ? L’auteur cinglé qui s’en prend à une stagiaire ? Une relation adultère commencée devant la machine à café ? – Y en a pas. Y a pas de machine à café. – Du riffifi rue Séguier… – Attendez, je ne suis pas non plus dans le secret des dieux. T’as entendu parler de quelque chose, toi ? – Ils déménagent beaucoup dans les bureaux. Ils sont assez petits, ça pourrait provoquer des tensions. – Il y a un bureau où elles sont trois. Toute la journée. – Oui bon… – Un début d’agressivité. Des inimitiés. Des jalousies… – Tu sais quoi ? J’en ai pas entendu parler. – T’as pas demandé ? – S’il y avait des problèmes d’agressivité liés à l’exiguïté des bureaux ? Non. – Claire pourrait avoir une chouchoute ?
– Quoi ? – Il s’est passé quoi ? – Ah non, c’est pas moi qui vais le dire ! – Puisque c’est moi qui l’écris, tu peux le dire. – C’est pas faux. Je le dis alors ? – Non, je l’écris pas... D’ailleurs, c’est des conneries, je n’ai aucune histoire salace à raconter. – Sans aller jusqu’au salace ou au conflit meurtrier… Un problème, un jour ? – Ok. Un jour, la traduction de Prométhée enchaîné d’Olivier Py arrive rue Séguier. Quelques palettes de livres, quand même. Sur la couverture n’était inscrit que le mot “enchaîné” ! On lisait Olivier PY / Enchainé… Prométhée avait disparu ! Et pour trouver un début d’explication… On n’arrive même pas à comprendre comment c’est possible un truc pareil, on se perd dans les méandres de la fabrication et tout vire à l’irrationnel. Alors là, ce fut une véritable catastrophe ! Un drame épouvantable. La boîte a vacillé. Il a fallu tout faire refaire. – Oui bon, ben c’est déjà ça.
– Une chouchoute ?!? Non mais attends, on est où, là ?
– Qu’on n’ait pas l’impression que tout se passe toujours bien rue Séguier.
– C’est toi qui écris chouchoute !
– Pas mieux.
– Ah oui, c’est vrai.
– On s’en contentera.
– Il y a bien cette histoire, là…
– Ce jour-là, Claire a porté sa croix.
– Quelle histoire ?
– On a compris.
– Cette histoire avec…
– Sa lourde croix.
– Avec qui ? – Oh oui ! Le… Oh là là !
“Heavy Cross”, Gossip.
– Oui, ça, c’est énorme !
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portes de service. – ÉPISODE 5 – QUAND ACTES SUD GRANDIT ASSEZ POUR QU’ON RENOMME UN QUARTIER
Il faut faire une place pour Claire ! Elle descend de Paris ! Tiens, mets-toi là, Claire, sur un coin de la table de cuisine !
Petit, quand ça commence.
Plus un endroit où aller pour être tranquille, dans tous les coins des livres qui te tendent leurs pages, brûlants d’être lus, te faisant les yeux doux avec leur beau regard garamond…
Sur une table de campagne, sous un platane au Paradou.
On se fraye un chemin entre des piles d’ouvrages.
Sans doute.
On se perd.
Et une bouteille d’huile d’olive et des cigales pour faire couleur locale.
On allume des lampes torches.
Et la table sous le platane suffisait aux manuscrits, aux conversations engagées enragées enlacées d’Hubert et Christine. Le soleil, le rosé faisait le reste.
Des lecteurs se sont perdus… Cinq en 1987.
On avait cherché ombrage, à Arles, dans la fraicheur d’une courbe du Rhône. On s’installait dans une librairie, reprise par alliance : déjà les fusions-acquisitions. Et les appartements au-dessus, pour loger toute la famille Capitani-Nyssen. Au début, tu crois que c’était aussi des étagères Billy, comme chez nous ? Peut-être que c’était déjà Jean-Paul qui construisait les bibliothèques ? On s’installe. On s’étale. On prend ses aises. On édite des livres, on vend des livres. Jean-Paul construit des étagères. Françoise lit des manuscrits. Hubert s’allie avec Papiers. Le Rhône coule. On pourrait prendre ses habitudes. S’installer. Les tables sont couvertes de livres, les présentoirs en bois de Jean-Paul sont partis dans les librairies de toute la France. Les livres s’amassent. On vend on vend on vend.
Les secours sont venus trois fois en 1988 ! Il faut agrandir ! Un peu à gauche, un peu à droite, encore à gauche, on pousse les murs, on s’élargit, on s’agrandit. Tout le monde s’y met. On invente on ramifie on affine on achète on s’étend. Pas une frénésie de commerce ou un expansionnisme capitaliste, on n’engraisse pas Actes Sud comme on aurait gavé un canard à l’approche des fêtes ou farci une oie pour Noël, non, ce désir de grandir, de s’étendre, de s’étaler, de s’élargir… C’est un désir de savoir, de connaître, de devenir… Encyclopédie ! De mettre le monde dans une maison. De dévorer avec appétit toutes les formes du mot, de l’image. Un appétit de Papiers ivoire. Papierophage ! Collectionivore ! Éditophage ! Comme la maison absorbait des éditeurs, on abattait des murs, on poussait des cloisons.
Mais Hubert, Jean-Paul, Françoise achètent acquisitionnent fusionnent diversifient. Les livres sortent du magasin, accompagnés du petit bruit de la clochette sur la porte. Et les collections entrent par toutes les
Ça grandissait à la fois dans les étagères et dans les bureaux parce que derrière chaque livre, derrière chaque collection, derrière chaque éditeur, c’est encore des bureaux et des chaises de bureau et des pots à
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portes de service. – ÉPISODE 5 – QUAND ACTES SUD GRANDIT ASSEZ POUR QU’ON RENOMME UN QUARTIER
Il faut faire une place pour Claire ! Elle descend de Paris ! Tiens, mets-toi là, Claire, sur un coin de la table de cuisine !
Petit, quand ça commence.
Plus un endroit où aller pour être tranquille, dans tous les coins des livres qui te tendent leurs pages, brûlants d’être lus, te faisant les yeux doux avec leur beau regard garamond…
Sur une table de campagne, sous un platane au Paradou.
On se fraye un chemin entre des piles d’ouvrages.
Sans doute.
On se perd.
Et une bouteille d’huile d’olive et des cigales pour faire couleur locale.
On allume des lampes torches.
Et la table sous le platane suffisait aux manuscrits, aux conversations engagées enragées enlacées d’Hubert et Christine. Le soleil, le rosé faisait le reste.
Des lecteurs se sont perdus… Cinq en 1987.
On avait cherché ombrage, à Arles, dans la fraicheur d’une courbe du Rhône. On s’installait dans une librairie, reprise par alliance : déjà les fusions-acquisitions. Et les appartements au-dessus, pour loger toute la famille Capitani-Nyssen. Au début, tu crois que c’était aussi des étagères Billy, comme chez nous ? Peut-être que c’était déjà Jean-Paul qui construisait les bibliothèques ? On s’installe. On s’étale. On prend ses aises. On édite des livres, on vend des livres. Jean-Paul construit des étagères. Françoise lit des manuscrits. Hubert s’allie avec Papiers. Le Rhône coule. On pourrait prendre ses habitudes. S’installer. Les tables sont couvertes de livres, les présentoirs en bois de Jean-Paul sont partis dans les librairies de toute la France. Les livres s’amassent. On vend on vend on vend.
Les secours sont venus trois fois en 1988 ! Il faut agrandir ! Un peu à gauche, un peu à droite, encore à gauche, on pousse les murs, on s’élargit, on s’agrandit. Tout le monde s’y met. On invente on ramifie on affine on achète on s’étend. Pas une frénésie de commerce ou un expansionnisme capitaliste, on n’engraisse pas Actes Sud comme on aurait gavé un canard à l’approche des fêtes ou farci une oie pour Noël, non, ce désir de grandir, de s’étendre, de s’étaler, de s’élargir… C’est un désir de savoir, de connaître, de devenir… Encyclopédie ! De mettre le monde dans une maison. De dévorer avec appétit toutes les formes du mot, de l’image. Un appétit de Papiers ivoire. Papierophage ! Collectionivore ! Éditophage ! Comme la maison absorbait des éditeurs, on abattait des murs, on poussait des cloisons.
Mais Hubert, Jean-Paul, Françoise achètent acquisitionnent fusionnent diversifient. Les livres sortent du magasin, accompagnés du petit bruit de la clochette sur la porte. Et les collections entrent par toutes les
Ça grandissait à la fois dans les étagères et dans les bureaux parce que derrière chaque livre, derrière chaque collection, derrière chaque éditeur, c’est encore des bureaux et des chaises de bureau et des pots à
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stylos et des gommes et du blanco et des copieurs et des écrans et des agrafes et des trombones, des dames et des demoiselles et des stagiaires et des livreurs, une Christine et un Bertrand et une Audrey et une Laurence et une Estelle et tant et tant d’autres dames derrière des bureaux qu’il faut des cafetières et des meubles pour mettre des plantes dessus et des dessous de pots de fleurs en crochet et des calendriers de chatons et des photos d’enfants et des mugs et des théières et des filtres à thé et des étagères pour ranger les théières et les mugs et les filtres à thé…
On colle des post-it partout avec des flèches, des directions, des distances, des messages d’encouragement !
Et puis, comme les pièces ne suffisent plus il faut racheter la maison d’à côté, l’autre maison de l’autre côté et l’autre encore, et puis le restaurant et le cinéma, la chapelle, la place, la rue, une barge sur le Rhône, une arcade, une arène, l’ancienne gare, une bretelle d’autoroute…
Tous les employés constituent leur propre réserve de café, la machine est trop loin, le chemin trop dangereux sinueux changeant…
L’appétit est sans fin, la maison tend vers le ciel, elle monte monte monte, c’est Babel ! La famille Capitani-Nyssen, qu’on avait logée dans les appartements du dessus, est poussée vers le toit, dans les étages… Les secrétaires balancent les enfants sur leurs genoux, les nounous croisent les correcteurs, les livreurs se tapent les nounous, les correcteurs se speedent au blanco, ça dépasse, ça déborde, les livres remontent déjà les escaliers, y en a partout, les toilettes du premier sont condamnées : archives Actes Sud, première année. On abandonne les balcons aux manuscrits refusés. Les portes des armoires plient sous les maquettes. Les archives privées sont stockées dans les congélos. Jean-Paul et Françoise cèdent sous la pression, ils déménagent.
Tu y es presque ! Bureau de la direction à 45 mètres ! Accueil, c’est par ici ! Ou par là. Itinéraire bis !
Oui, parce que chez Actes Sud, on est des bâtisseurs ! Tous les mois c’est une cloison qu’on abat, un nouveau mur qu’on érige, un escalier qu’on déplace, une issue qu’on condamne, une voie qu’on ouvre… On a perdu le bureau juridique ! Les gens déménagent en permanence. À peine le temps de prendre ses habitudes, de connaître ses voisins, qu’on réorganise, qu’on déplace, qu’on ajoute un bureau, une nouvelle collection… Tiens, des disques ! Le Méjan devient un labyrinthe. Et pas un truc de débutant ! Un labyrinthe en 3D, sur cinq, six, sept étages ! On a retrouvé le bureau juridique. Ils sont un peu secs…
Les livres sont partout. Les assistantes prennent leurs aises, sous les lits, dans la cuisine, au salon, il y en a partout, y a plus de blanco !, des téléphonistes, encore des stagiaires, une nounou, bonjour mademoiselle, réunion commerciale au hammam !
Un immense labyrinthe. Peuplé de livres et d’employés, de hammam et de cd, de restaurants et de ciné.
Les escaliers s’enchevêtrent, on monte d’un demi-étage pour aller plus bas, quatre portes, deux couloirs, une porte, bonjour la compta, il faut retourner sur ses pas, fausse piste fausse route demi-tour, pardon madame, monsieur ! Oh, monsieur !
On se perd, on ralentit. On prend le temps. Les couloirs empêchent les courses, les urgences. Dehors, le Rhône descend impassible du glacier à la Méditerranée ; dedans, on est forcé de prendre le temps. Quand on s’est perdu, en attendant les secours, on prend le temps de lire.
Ne surtout rien oublier en partant de son bureau pour aller en réunion, ce serait une matinée de travail perdu !
C’est ça, le projet secret du labyrinthe du Méjan : forcer tous les collaborateurs à lire !
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On dit qu’il y aurait même un minotaure, entre les bureaux du Nom de l’arbre et du Souffle de l’esprit.
stylos et des gommes et du blanco et des copieurs et des écrans et des agrafes et des trombones, des dames et des demoiselles et des stagiaires et des livreurs, une Christine et un Bertrand et une Audrey et une Laurence et une Estelle et tant et tant d’autres dames derrière des bureaux qu’il faut des cafetières et des meubles pour mettre des plantes dessus et des dessous de pots de fleurs en crochet et des calendriers de chatons et des photos d’enfants et des mugs et des théières et des filtres à thé et des étagères pour ranger les théières et les mugs et les filtres à thé…
On colle des post-it partout avec des flèches, des directions, des distances, des messages d’encouragement !
Et puis, comme les pièces ne suffisent plus il faut racheter la maison d’à côté, l’autre maison de l’autre côté et l’autre encore, et puis le restaurant et le cinéma, la chapelle, la place, la rue, une barge sur le Rhône, une arcade, une arène, l’ancienne gare, une bretelle d’autoroute…
Tous les employés constituent leur propre réserve de café, la machine est trop loin, le chemin trop dangereux sinueux changeant…
L’appétit est sans fin, la maison tend vers le ciel, elle monte monte monte, c’est Babel ! La famille Capitani-Nyssen, qu’on avait logée dans les appartements du dessus, est poussée vers le toit, dans les étages… Les secrétaires balancent les enfants sur leurs genoux, les nounous croisent les correcteurs, les livreurs se tapent les nounous, les correcteurs se speedent au blanco, ça dépasse, ça déborde, les livres remontent déjà les escaliers, y en a partout, les toilettes du premier sont condamnées : archives Actes Sud, première année. On abandonne les balcons aux manuscrits refusés. Les portes des armoires plient sous les maquettes. Les archives privées sont stockées dans les congélos. Jean-Paul et Françoise cèdent sous la pression, ils déménagent.
Tu y es presque ! Bureau de la direction à 45 mètres ! Accueil, c’est par ici ! Ou par là. Itinéraire bis !
Oui, parce que chez Actes Sud, on est des bâtisseurs ! Tous les mois c’est une cloison qu’on abat, un nouveau mur qu’on érige, un escalier qu’on déplace, une issue qu’on condamne, une voie qu’on ouvre… On a perdu le bureau juridique ! Les gens déménagent en permanence. À peine le temps de prendre ses habitudes, de connaître ses voisins, qu’on réorganise, qu’on déplace, qu’on ajoute un bureau, une nouvelle collection… Tiens, des disques ! Le Méjan devient un labyrinthe. Et pas un truc de débutant ! Un labyrinthe en 3D, sur cinq, six, sept étages ! On a retrouvé le bureau juridique. Ils sont un peu secs…
Les livres sont partout. Les assistantes prennent leurs aises, sous les lits, dans la cuisine, au salon, il y en a partout, y a plus de blanco !, des téléphonistes, encore des stagiaires, une nounou, bonjour mademoiselle, réunion commerciale au hammam !
Un immense labyrinthe. Peuplé de livres et d’employés, de hammam et de cd, de restaurants et de ciné.
Les escaliers s’enchevêtrent, on monte d’un demi-étage pour aller plus bas, quatre portes, deux couloirs, une porte, bonjour la compta, il faut retourner sur ses pas, fausse piste fausse route demi-tour, pardon madame, monsieur ! Oh, monsieur !
On se perd, on ralentit. On prend le temps. Les couloirs empêchent les courses, les urgences. Dehors, le Rhône descend impassible du glacier à la Méditerranée ; dedans, on est forcé de prendre le temps. Quand on s’est perdu, en attendant les secours, on prend le temps de lire.
Ne surtout rien oublier en partant de son bureau pour aller en réunion, ce serait une matinée de travail perdu !
C’est ça, le projet secret du labyrinthe du Méjan : forcer tous les collaborateurs à lire !
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On dit qu’il y aurait même un minotaure, entre les bureaux du Nom de l’arbre et du Souffle de l’esprit.
Une maison à l’image de la pensée : des impasses et des embranchements et des circonvolutions et des rhizomes. Des paris et des hasards. Une maison où il faut penser chaque chemin. Où les rencontres sont fortuites entre un album de photos et un livre de cuisine, la pensée du théâtre de Bartabas et les lumières d’un New York nocturne, des allumettes suédoises et l’agriculture biodynamique…
esquisse, on dessine, en essayant de n’oublier aucun recoin, aucun bureau, aucune table de camping, on cartographie le Méjan. On appelle les archives nationales : un géographe est engagé. Un botaniste. Un étymologiste. Un entomologiste. On a repéré quelques espèces rares de papillons dans le bureau de la communication. La carte se précise. Des sources sont repérées…
On pousse aux passages entre les étagères. On jette des ponts entre les genres. On donne un toit aux auteurs qui ne se laissent pas ranger dans un tiroir.
La carte a tellement grandi qu’elle recouvre le territoire.
On déborde tous les tiroirs ! On a même laissé une place pour le théâtre pas loin derrière la table des Goncourt. On a laissé Claire au chaud près des photocopieuses. Et les petits Papiers pourraient presque sentir du haut de leurs étagères pas trop chargées l’odeur légère du champagne du Café de Flore… Et puis, elles ont de quoi converser, les pièces de théâtre : à gauche, la poésie ; à droite, la littérature érotique… On ne pourrait rêver plus beau voisinage ! Ils jettent des ponts, les auteurs de théâtre. Ils sont bons camarades. Ils touchent à tout. Ils s’échappent de leur rayon. Tiens, y en a même un qui traîne chez les Goncourt ! Et toi, Rémi ! Sors d’entre les Actes Noirs ! On est forcé d’instaurer les courses d’orientation chez Actes Sud. Tout nouvel arrivant fait un cours de trois jours : se repérer à l’odeur, trouver le Nord sans boussole, faire un feu sans brûler de livres… Certains employés recourent au fil d’Ariane. Les pelotes s’empilent et s’emmêlent autour du cagibi des stagiaires. Des vieilles Arlésiennes tricotent des slips pour matadors dans la cage d’escalier de devant.
On se géolocalise, on doodle pour s’appeler et se repérer, on talkie-walkie, on pigeon-voyageur. On fait des listes, on devient liste, être la liste de tous les possibles des livres, déborder tous les livres, toutes les bibliothèques, devenir la bibliothèque de Babylone, tous les livres écrits et à écrire, toutes les formes de papier couvert de noir cyan magenta jaune. Repartir à la recherche du centre ancien, de l’origine, du premier livre publié. Et on n’arrête pas de grandir, le quartier ne suffit plus, il faut renommer la ville, la Provence ne suffit plus, la Terre ne suffit plus ! Il faut une nouvelle planète ! La planète Claire ! “Planet Claire”, B-52’s.
– ÉPISODE 6 – DANS LEQUEL ON VOIT UN TEXTE SE TRANSFORMER EN LIVRE, OU DE L’USAGE DU JARGON DANS L’ÉDITION THÉÂTRALE
Des plans de fuite sont collés dans tous les virages. Actes Sud a tellement grandi qu’il faut une carte pour se retrouver dans la maison. Actes Sud revient à ses origines : la cartographie. On mesure, on arpente, on
Ça prend du temps, un livre. Avant de venir jusqu’à vous. Avant de trôner dans une bibliothèque. Ça prend des vies. Avant d’être écorné, oublié, dévoré, annoté, avant d’être en vitrine, bien présenté en tête de gondole, avant de finir au pilon, avant de redevenir papier, de retourner
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Une maison à l’image de la pensée : des impasses et des embranchements et des circonvolutions et des rhizomes. Des paris et des hasards. Une maison où il faut penser chaque chemin. Où les rencontres sont fortuites entre un album de photos et un livre de cuisine, la pensée du théâtre de Bartabas et les lumières d’un New York nocturne, des allumettes suédoises et l’agriculture biodynamique…
esquisse, on dessine, en essayant de n’oublier aucun recoin, aucun bureau, aucune table de camping, on cartographie le Méjan. On appelle les archives nationales : un géographe est engagé. Un botaniste. Un étymologiste. Un entomologiste. On a repéré quelques espèces rares de papillons dans le bureau de la communication. La carte se précise. Des sources sont repérées…
On pousse aux passages entre les étagères. On jette des ponts entre les genres. On donne un toit aux auteurs qui ne se laissent pas ranger dans un tiroir.
La carte a tellement grandi qu’elle recouvre le territoire.
On déborde tous les tiroirs ! On a même laissé une place pour le théâtre pas loin derrière la table des Goncourt. On a laissé Claire au chaud près des photocopieuses. Et les petits Papiers pourraient presque sentir du haut de leurs étagères pas trop chargées l’odeur légère du champagne du Café de Flore… Et puis, elles ont de quoi converser, les pièces de théâtre : à gauche, la poésie ; à droite, la littérature érotique… On ne pourrait rêver plus beau voisinage ! Ils jettent des ponts, les auteurs de théâtre. Ils sont bons camarades. Ils touchent à tout. Ils s’échappent de leur rayon. Tiens, y en a même un qui traîne chez les Goncourt ! Et toi, Rémi ! Sors d’entre les Actes Noirs ! On est forcé d’instaurer les courses d’orientation chez Actes Sud. Tout nouvel arrivant fait un cours de trois jours : se repérer à l’odeur, trouver le Nord sans boussole, faire un feu sans brûler de livres… Certains employés recourent au fil d’Ariane. Les pelotes s’empilent et s’emmêlent autour du cagibi des stagiaires. Des vieilles Arlésiennes tricotent des slips pour matadors dans la cage d’escalier de devant.
On se géolocalise, on doodle pour s’appeler et se repérer, on talkie-walkie, on pigeon-voyageur. On fait des listes, on devient liste, être la liste de tous les possibles des livres, déborder tous les livres, toutes les bibliothèques, devenir la bibliothèque de Babylone, tous les livres écrits et à écrire, toutes les formes de papier couvert de noir cyan magenta jaune. Repartir à la recherche du centre ancien, de l’origine, du premier livre publié. Et on n’arrête pas de grandir, le quartier ne suffit plus, il faut renommer la ville, la Provence ne suffit plus, la Terre ne suffit plus ! Il faut une nouvelle planète ! La planète Claire ! “Planet Claire”, B-52’s.
– ÉPISODE 6 – DANS LEQUEL ON VOIT UN TEXTE SE TRANSFORMER EN LIVRE, OU DE L’USAGE DU JARGON DANS L’ÉDITION THÉÂTRALE
Des plans de fuite sont collés dans tous les virages. Actes Sud a tellement grandi qu’il faut une carte pour se retrouver dans la maison. Actes Sud revient à ses origines : la cartographie. On mesure, on arpente, on
Ça prend du temps, un livre. Avant de venir jusqu’à vous. Avant de trôner dans une bibliothèque. Ça prend des vies. Avant d’être écorné, oublié, dévoré, annoté, avant d’être en vitrine, bien présenté en tête de gondole, avant de finir au pilon, avant de redevenir papier, de retourner
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Toi, auteur, tu ne t’en doutes pas, mais ton texte pénètre alors dans un monde clos, avec ses propres lois, son jargon, ses correctrices, ses imprimeurs, ses metteurs en page, ses photograveurs, ses représentants dans toute la France, ses directeurs commerciaux, ses consultants, ses développeurs, ses chargés de com, ses responsables diff, ses chefs de ventes, ses responsables grands comptes, ses chargés des originaux, ses sp, tu sais ce que c’est, le sp ? C’est Christine, tu vois, Christine qui fait les dp puis les cp mais ça vient en dernier, les dp puis les cp, le sp, c’est planningué d’après la date d’office, tu me suis ?
Lorsque ton texte arrive chez Claire David, une fois lu, estimé, choisi, c’est pas fini, ma fille, il devient tapuscrit, perte d’identité complète, on te le prépare comme la mariée je te dis, c’est un peu radical, un choc, mais nécessaire à la transformation, la métamorphose, car c’est bien de ça qu’il s’agit, ton truc va devenir un livre, et ça, ça ne se fait pas sans peine, ma fille, on n’a rien sans rien, ne crois pas qu’on devient papillon d’un coup de baguette magique, d’abord, il va être informatisé, puis réduit, gabarisé, passé sous un nom de fichier, voilà, on te le fiche, ça, c’est Leslie qui fait, la plupart du temps avec Charlotte, et Claire parfois aussi s’y met, toutes, elles se mettent toutes dessus pour le pré-presse, elles te le mettent en pavé, puis en chemin de fer, te voilà justifié, toi, t’étais du 12 times new roman, eh bien oublie, tu vas devenir du 11,5 texte normal bodoni, toujours un interlignage en corps 13, et c’est pas fini, ma fille, après, elles te déterminent des chapitres, un sommaire, une table des matières, puis te le pomponnent, t’ornent d’annexes, d’index, de notes de bas de page, de renfoncements, d’espaces insécables, fines, ultrafines, de crochets, de guillemets anglais – elles te préparent une belle page, la dédicace, c’est mieux sur une belle page tu le sens –, toi, éditrice, que toute une vie, parfois, se niche dans une dédicace, un amour, un chagrin, un enfant, alors, tu lui fais une belle page, puis tu formates, on te met un filet puis te l’enlève, t’affuble de petits fonds, de grands fonds, de blancs de pied, de blancs de tête, la mep, c’est la mep, ma fille, on te foliote, Claire te choisit une collection, tu peux être Heyoka, ou Papiers, simple Gazette, puis t’es envoyé dans le sud de la France, là, tu reçois une bonne correction, tout, tout, tout, la correctrice te vérifie tout, ma fille, ton œil de lettre, tes puces, ton corps, ton style, ta graisse, ton bolo bolo – bolo bolo ?–, te calibre tes lettrines, débusque tes fautes de conjugaison, si t’oublies un mot, ça s’appelle un bourdon, juste un point, une abeille, parfois, un texte s’introduit dans un autre texte, ça s’appelle une grossièreté, si c’est juste une phrase, c’est une impolitesse, parfois, il n’y a plus rien, le texte est mangé, ça s’appelle un gros problème, d’autres fois, le texte peut être tout comprimé, à l’étroit, les lettres les unes sur les autres, compressées, il ne faut pas laisser faire ça, tu chasses, ça s’appelle la chasse, ma fille, puis, tu repasses entre les mains de Leslie, ou Charlotte si t’es un beau livre : Je lui mets des frontispices ? Est-ce qu’on met des
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à la poussière, broyé, mâché dans une benne, digéré, avant d’être serré entre deux autres livres qu’on aime, négligé, avant d’avoir des yeux qui lui passent dessus, des traces de doigts, des petites notes au crayon, posé, là, en déco, au milieu du salon, gribouillé par une toute petite fille, on prend soin des livres, tu ne sais pas qu’il faut prendre soin des livres ?! Sais-tu, ma fille, qu’il y a eu, dans ce livre, des veuves ? Des orphelines ? Des hirondelles et des bourdons ? Des corps 11,5 ? Des coquilles ? Des doublons ? Si tu savais, ma fille, combien de vies se sont penchées sur ce livre pour qu’il arrive tout chaud, là, beau, palpitant, ça prend du temps mais en même temps, il faut faire vite, parce qu’il y a une date d’office, les livres sortent des jours précis, un office, c’est toujours le mercredi, tout notre rétroplanning se base sur cette date, les libraires, ils n’ont pas le droit de vendre le livre avant la date d’office, tu comprends, c’est interdit, pas le droit d’y toucher, non, ils l’ont, ils le regardent mais ils ne le vendent pas, c’est comme un mariage, ou une première tu vois, et ça, tout le monde l’a en tête, le mercredi – comme les sorties cinéma. Ça vient de loin, un livre, ma fille, ça vient des doigts qui courent sur le clavier, effleurent, hésitent, suppriment, pure cruauté de l’auteur qui d’un seul coup ampute, termine l’histoire, tranche, brutal comme ça puis l’envoie au 18, rue Séguier pour ne plus l’avoir chez lui qui le hante, le poursuit, ça n’a pas de sens de vivre comme ça, collé à ses touches dans une chambre, une rue, un bar, un tout petit studio sous les toits, ça vient de la vie, un livre, ma fille. Actes Sud-Papiers, 18, rue Séguier, 75006 PARIS
Toi, auteur, tu ne t’en doutes pas, mais ton texte pénètre alors dans un monde clos, avec ses propres lois, son jargon, ses correctrices, ses imprimeurs, ses metteurs en page, ses photograveurs, ses représentants dans toute la France, ses directeurs commerciaux, ses consultants, ses développeurs, ses chargés de com, ses responsables diff, ses chefs de ventes, ses responsables grands comptes, ses chargés des originaux, ses sp, tu sais ce que c’est, le sp ? C’est Christine, tu vois, Christine qui fait les dp puis les cp mais ça vient en dernier, les dp puis les cp, le sp, c’est planningué d’après la date d’office, tu me suis ?
Lorsque ton texte arrive chez Claire David, une fois lu, estimé, choisi, c’est pas fini, ma fille, il devient tapuscrit, perte d’identité complète, on te le prépare comme la mariée je te dis, c’est un peu radical, un choc, mais nécessaire à la transformation, la métamorphose, car c’est bien de ça qu’il s’agit, ton truc va devenir un livre, et ça, ça ne se fait pas sans peine, ma fille, on n’a rien sans rien, ne crois pas qu’on devient papillon d’un coup de baguette magique, d’abord, il va être informatisé, puis réduit, gabarisé, passé sous un nom de fichier, voilà, on te le fiche, ça, c’est Leslie qui fait, la plupart du temps avec Charlotte, et Claire parfois aussi s’y met, toutes, elles se mettent toutes dessus pour le pré-presse, elles te le mettent en pavé, puis en chemin de fer, te voilà justifié, toi, t’étais du 12 times new roman, eh bien oublie, tu vas devenir du 11,5 texte normal bodoni, toujours un interlignage en corps 13, et c’est pas fini, ma fille, après, elles te déterminent des chapitres, un sommaire, une table des matières, puis te le pomponnent, t’ornent d’annexes, d’index, de notes de bas de page, de renfoncements, d’espaces insécables, fines, ultrafines, de crochets, de guillemets anglais – elles te préparent une belle page, la dédicace, c’est mieux sur une belle page tu le sens –, toi, éditrice, que toute une vie, parfois, se niche dans une dédicace, un amour, un chagrin, un enfant, alors, tu lui fais une belle page, puis tu formates, on te met un filet puis te l’enlève, t’affuble de petits fonds, de grands fonds, de blancs de pied, de blancs de tête, la mep, c’est la mep, ma fille, on te foliote, Claire te choisit une collection, tu peux être Heyoka, ou Papiers, simple Gazette, puis t’es envoyé dans le sud de la France, là, tu reçois une bonne correction, tout, tout, tout, la correctrice te vérifie tout, ma fille, ton œil de lettre, tes puces, ton corps, ton style, ta graisse, ton bolo bolo – bolo bolo ?–, te calibre tes lettrines, débusque tes fautes de conjugaison, si t’oublies un mot, ça s’appelle un bourdon, juste un point, une abeille, parfois, un texte s’introduit dans un autre texte, ça s’appelle une grossièreté, si c’est juste une phrase, c’est une impolitesse, parfois, il n’y a plus rien, le texte est mangé, ça s’appelle un gros problème, d’autres fois, le texte peut être tout comprimé, à l’étroit, les lettres les unes sur les autres, compressées, il ne faut pas laisser faire ça, tu chasses, ça s’appelle la chasse, ma fille, puis, tu repasses entre les mains de Leslie, ou Charlotte si t’es un beau livre : Je lui mets des frontispices ? Est-ce qu’on met des
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à la poussière, broyé, mâché dans une benne, digéré, avant d’être serré entre deux autres livres qu’on aime, négligé, avant d’avoir des yeux qui lui passent dessus, des traces de doigts, des petites notes au crayon, posé, là, en déco, au milieu du salon, gribouillé par une toute petite fille, on prend soin des livres, tu ne sais pas qu’il faut prendre soin des livres ?! Sais-tu, ma fille, qu’il y a eu, dans ce livre, des veuves ? Des orphelines ? Des hirondelles et des bourdons ? Des corps 11,5 ? Des coquilles ? Des doublons ? Si tu savais, ma fille, combien de vies se sont penchées sur ce livre pour qu’il arrive tout chaud, là, beau, palpitant, ça prend du temps mais en même temps, il faut faire vite, parce qu’il y a une date d’office, les livres sortent des jours précis, un office, c’est toujours le mercredi, tout notre rétroplanning se base sur cette date, les libraires, ils n’ont pas le droit de vendre le livre avant la date d’office, tu comprends, c’est interdit, pas le droit d’y toucher, non, ils l’ont, ils le regardent mais ils ne le vendent pas, c’est comme un mariage, ou une première tu vois, et ça, tout le monde l’a en tête, le mercredi – comme les sorties cinéma. Ça vient de loin, un livre, ma fille, ça vient des doigts qui courent sur le clavier, effleurent, hésitent, suppriment, pure cruauté de l’auteur qui d’un seul coup ampute, termine l’histoire, tranche, brutal comme ça puis l’envoie au 18, rue Séguier pour ne plus l’avoir chez lui qui le hante, le poursuit, ça n’a pas de sens de vivre comme ça, collé à ses touches dans une chambre, une rue, un bar, un tout petit studio sous les toits, ça vient de la vie, un livre, ma fille. Actes Sud-Papiers, 18, rue Séguier, 75006 PARIS
– Ah oui, je pensais que c’était lui, il a une tête de Goncourt, je trouve.
– Je suis au téléphone, tu vois bien que je suis au téléphone !
– Je n’ai pas encore vu Jack Lang.
– Il a reçu la médaille des arts et des lettres.
– Et Donnedieu de Vabres, t’en penses quoi ?
– Il fut un temps où l’on mettait les canailles en croix, maintenant on met des croix sur les canailles.
– Je connais très bien son directeur de cabinet. – Oh salut, toi ! Qu’est-ce que tu fais là ? Ne me dis pas que tu t’acharnes encore à publier ton roman ?!?
– C’est de toi ?
– C’est qui le gros chauve à côté de Claire David ?
– Il y avait moins de monde à ma crémaillère.
– C’est mon mari.
– Et en biceps ?
– C’est agréable de venir à un cocktail avec toi. – Quoi ? Mais attends je parle au téléphone là ! – Tiens, t’es blonde maintenant ?
– Non.
– Toi, tu soulèves combien en biceps ? – 55 kilos. – Comme moi.
– J’ai toujours été blonde.
– Ouais…
– Ah ben c’est pas toi alors… – C’est trafiqué le prix Goncourt. Une année, c’est l’un, une année, c’est l’autre.
– Alors ce roman, ça avance ? – Lentement. Je vise le Goncourt 2025. Ou 26.
– En tout cas, c’est toujours le même traiteur.
– Tiens, Christophe Pellet.
– Quand je pense au chemin que tu as parcouru…
– Ah oui.
– Oui hein.
– Il ne vit pas à Berlin ?
– À toutes les difficultés que tu as rencontrées…
– Le prix Büchner, c’est autre chose.
– Oui.
– Tu étais à Avignon cette année ?
– Et que tu n’as encore rien fait d’intéressant.
– J’y suis passé quelques jours.
– Et tu soulèves combien ?
– Tu as vu des trucs bien ? Et les intermittents, c’en est où au fait ?
–150 kilos. – Tu débutes ?
– Non mais j’y vais pas pour voir des spectacles, les spectacles je peux les voir à Paris. J’y vais pour le boulot. Les intermittents ? Je sais pas.
– La culture, c’est ça : convaincre les convaincus, puis s’autocélébrer.
– Et bfa il fait quoi maintenant ?
– Tu pourrais me parler au moins !
– Au cocktail de la sacd, c’est le prix Goncourt tous les ans !
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lettrines ? Est-ce qu’on met des cap sur le titre ? Qu’est-ce qu’on met sur la quat’ de couv ? Je fais un broché relié ? Un collé cousu ? Un format à l’italienne ou un format portrait ? Qui va au calage ? Et celui-là ? Je le marque à chaud ? La casse, c’est bon. Ok, la casse, c’est ok. Quoi ? Qui l’embosse ? Je le détoure ? Je le fais avec serif ou sans serif ? Z’auriez pas vu mes cromalins ? Qui a les infos de défonce ? Est-ce qu’on fait un tranchefile ? Un filet ? J’enlève le filet ?! On en fait quoi de ce filet ?!! Putain de filet !!! J’utilise du cmjn ou du rvb ?!!! claire !!!! Je te le fais en quadrichromie ?!!!! En quoi je te le fais ???!!!! hurle Charlotte – les beaux livres c’est la pression – entre-temps, on te décide le prix, format, tirage, tu peux être tiré à mille exemplaires ou dix mille, ça dépend, donc nous, on utilise un logiciel qui s’appelle meltem, tous les logiciels ont un nom de vent : mistral, bise, zéphyr, puis on te fait la demande de contrat au service des droits, contrats de cession, préachats, conventions, tout ça est lié en général au ppht, prix public hors taxe c’est clair ?? on te marque au fer d’un code barre, d’un isbn issn, d’un Gencod, puis, on t’envoie au sp, le sp, c’est Christine, Christine fait les dp, puis les cp, tu sais tout ça, l’auteur signe, entre-temps, t’as rencontré des commerciaux, des libraires, tu leur as fait un pitch, un argumentaire, parfois, tu peux faire des produits dérivés, des stylos, un bandeau, tu vois, ce soir, on a fait un carnet, tout le monde part avec son carnet, et puis, un jour, ça y est, c’est le jour J, mercredi, t’es tout prêt, ça y est, t’es un livre, t’es beau, ma fille, c’est fait, prêt à être livré en pâture au monde, aux journalistes, aux gribouillis, on te dit une seule chose, ma fille : get lucky !
– D’accord.
“Get Lucky”, Daft Punk.
– Il est français. Il écrit des polars scandinaves. Il est schizo.
– Sinon, du côté des cocktails. – Et tu l’as lu son dernier ? – J’ai adoré. Attends pardon je vibre. – Moi je trouve ça pas mal franchement, mais je trouve qu’il se répète. – Excuse j’ai un message. Qu’est-ce que tu dis ? – Je trouve qu’il se répète un peu dans le dernier. – Je réponds vite fait, pardon. Tu disais ? – Il se répète un peu. – Moi j’ai adoré. – J’ai pris le métro, j’avais l’impression que tout le monde allait à la fête. Tout le monde lisait ! – Tu crois qu’il y a du gluten là-dedans ? – Je sais pas. Fais gaffe. Prends des crudités, c’est plus safe. – Oh non, pas lui ! – C’est qui ? – Un auteur de polars scandinaves. – C’est super. – On a acheté une maison dans le Perche.
– ÉPISODE 7 – OÙ ACTES SUD FÊTE SON PREMIER GONCOURT DANS LES JARDINS DE LA RUE SÉGUIER
– C’est bien le Perche ? C’est où le Perche ? – Tu vois Nogent-le-Rotrou ? – Pas du tout. – C’est lui, là-bas, Laurent Gaudé ?
– Si on se perd, on se retrouve là.
– Non, ça c’est…
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lettrines ? Est-ce qu’on met des cap sur le titre ? Qu’est-ce qu’on met sur la quat’ de couv ? Je fais un broché relié ? Un collé cousu ? Un format à l’italienne ou un format portrait ? Qui va au calage ? Et celui-là ? Je le marque à chaud ? La casse, c’est bon. Ok, la casse, c’est ok. Quoi ? Qui l’embosse ? Je le détoure ? Je le fais avec serif ou sans serif ? Z’auriez pas vu mes cromalins ? Qui a les infos de défonce ? Est-ce qu’on fait un tranchefile ? Un filet ? J’enlève le filet ?! On en fait quoi de ce filet ?!! Putain de filet !!! J’utilise du cmjn ou du rvb ?!!! claire !!!! Je te le fais en quadrichromie ?!!!! En quoi je te le fais ???!!!! hurle Charlotte – les beaux livres c’est la pression – entre-temps, on te décide le prix, format, tirage, tu peux être tiré à mille exemplaires ou dix mille, ça dépend, donc nous, on utilise un logiciel qui s’appelle meltem, tous les logiciels ont un nom de vent : mistral, bise, zéphyr, puis on te fait la demande de contrat au service des droits, contrats de cession, préachats, conventions, tout ça est lié en général au ppht, prix public hors taxe c’est clair ?? on te marque au fer d’un code barre, d’un isbn issn, d’un Gencod, puis, on t’envoie au sp, le sp, c’est Christine, Christine fait les dp, puis les cp, tu sais tout ça, l’auteur signe, entre-temps, t’as rencontré des commerciaux, des libraires, tu leur as fait un pitch, un argumentaire, parfois, tu peux faire des produits dérivés, des stylos, un bandeau, tu vois, ce soir, on a fait un carnet, tout le monde part avec son carnet, et puis, un jour, ça y est, c’est le jour J, mercredi, t’es tout prêt, ça y est, t’es un livre, t’es beau, ma fille, c’est fait, prêt à être livré en pâture au monde, aux journalistes, aux gribouillis, on te dit une seule chose, ma fille : get lucky !
– D’accord.
“Get Lucky”, Daft Punk.
– Il est français. Il écrit des polars scandinaves. Il est schizo.
– Sinon, du côté des cocktails. – Et tu l’as lu son dernier ? – J’ai adoré. Attends pardon je vibre. – Moi je trouve ça pas mal franchement, mais je trouve qu’il se répète. – Excuse j’ai un message. Qu’est-ce que tu dis ? – Je trouve qu’il se répète un peu dans le dernier. – Je réponds vite fait, pardon. Tu disais ? – Il se répète un peu. – Moi j’ai adoré. – J’ai pris le métro, j’avais l’impression que tout le monde allait à la fête. Tout le monde lisait ! – Tu crois qu’il y a du gluten là-dedans ? – Je sais pas. Fais gaffe. Prends des crudités, c’est plus safe. – Oh non, pas lui ! – C’est qui ? – Un auteur de polars scandinaves. – C’est super. – On a acheté une maison dans le Perche.
– ÉPISODE 7 – OÙ ACTES SUD FÊTE SON PREMIER GONCOURT DANS LES JARDINS DE LA RUE SÉGUIER
– C’est bien le Perche ? C’est où le Perche ? – Tu vois Nogent-le-Rotrou ? – Pas du tout. – C’est lui, là-bas, Laurent Gaudé ?
– Si on se perd, on se retrouve là.
– Non, ça c’est…
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– Ah oui, je pensais que c’était lui, il a une tête de Goncourt, je trouve.
– Je suis au téléphone, tu vois bien que je suis au téléphone !
– Je n’ai pas encore vu Jack Lang.
– Il a reçu la médaille des arts et des lettres.
– Et Donnedieu de Vabres, t’en penses quoi ?
– Il fut un temps où l’on mettait les canailles en croix, maintenant on met des croix sur les canailles.
– Je connais très bien son directeur de cabinet. – Oh salut, toi ! Qu’est-ce que tu fais là ? Ne me dis pas que tu t’acharnes encore à publier ton roman ?!?
– C’est de toi ?
– C’est qui le gros chauve à côté de Claire David ?
– Il y avait moins de monde à ma crémaillère.
– C’est mon mari.
– Et en biceps ?
– C’est agréable de venir à un cocktail avec toi. – Quoi ? Mais attends je parle au téléphone là ! – Tiens, t’es blonde maintenant ?
– Non.
– Toi, tu soulèves combien en biceps ? – 55 kilos. – Comme moi.
– J’ai toujours été blonde.
– Ouais…
– Ah ben c’est pas toi alors… – C’est trafiqué le prix Goncourt. Une année, c’est l’un, une année, c’est l’autre.
– Alors ce roman, ça avance ? – Lentement. Je vise le Goncourt 2025. Ou 26.
– En tout cas, c’est toujours le même traiteur.
– Tiens, Christophe Pellet.
– Quand je pense au chemin que tu as parcouru…
– Ah oui.
– Oui hein.
– Il ne vit pas à Berlin ?
– À toutes les difficultés que tu as rencontrées…
– Le prix Büchner, c’est autre chose.
– Oui.
– Tu étais à Avignon cette année ?
– Et que tu n’as encore rien fait d’intéressant.
– J’y suis passé quelques jours.
– Et tu soulèves combien ?
– Tu as vu des trucs bien ? Et les intermittents, c’en est où au fait ?
–150 kilos. – Tu débutes ?
– Non mais j’y vais pas pour voir des spectacles, les spectacles je peux les voir à Paris. J’y vais pour le boulot. Les intermittents ? Je sais pas.
– La culture, c’est ça : convaincre les convaincus, puis s’autocélébrer.
– Et bfa il fait quoi maintenant ?
– Tu pourrais me parler au moins !
– Au cocktail de la sacd, c’est le prix Goncourt tous les ans !
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– Claire David est radieuse.
– J’ai failli avoir le Goncourt à plusieurs reprises.
– C’est son éditrice pour le théâtre.
– Non ?
– Ah, il écrit aussi pour le théâtre ?
– Si. Ils n’osent pas.
– Oui.
– Je suis venu avec mon boucher, il adore la littérature.
– Avec le Goncourt, il va arrêter.
– Je l’ai connu, il n’avait encore rien fait. On a traversé la galère ensemble, on a connu la misère…
– Ils auraient besoin de quelqu’un pour entretenir le gazon. – J’ai pas envie de me coucher tard. Je lui glisse trois ou quatre mots et j’y vais. Il y en a qui travaillent demain.
– C’est beau. – On s’est fâchés quand ça a commencé à marcher pour lui.
– Tu as lu Mes prix littéraires de Thomas Bernhard ?
– En 1932, Céline a raté le Goncourt.
– Non.
– Je suis très célinien pour le coup.
– Il vomit sur chaque prix reçu. Formidable.
– Houellebecq devra baisser d’un cran pour l’obtenir.
– Oui, mais il faut quand même en recevoir.
– Eh bien moi, je ne me prêterai jamais à ce jeu-là !
– À Paris, on ne voit pas les étoiles parce qu’il y a trop de lumière.
– Non, sans glace.
– Il vient de passer chez Fayard.
– Non, arrête, t’es sérieuse, t’as couché avec un Goncourt ?
– Ah bon ? Il n’est plus chez Flammarion ?
– Un Goncourt, un Goncourt… Un petit Goncourt…
– Non. Il vient de passer chez Fayard. Mais c’est le même groupe.
– Je ne peux pas le voir celui-là. Et comble de malchance, il est partout.
– Mais non, pas Flammarion. Fayard, c’est Hachette.
– Imagine, tu es bouddhiste, tu travailles à l’extinction de ton ego… et tu reçois le Goncourt !
– Hachette, c’est Lagardère. C’est Lagardère tout ça. Il rachète tout, Lagardère. Il va racheter Actes Sud, Lagardère. – The music is very low. Nobody dances. – Nobody is supposed to dance. It’s a writers party. – Tu le connais ?
– C’est sympa un buffet dans le jardin. Tu peux cracher derrière un buisson si t’es tombé sur un petit four que t’aimes pas. – Il y a un énorme travail de communication à faire avec le grand prix de littérature dramatique. Il n’y a personne au cocktail !
– Non. Je ne le connais plus.
– Attends, moi ce que je propose, c’est de créer le prix du meilleur cocktail de prix littéraire.
– Vos jambes me plaisent beaucoup. Elles me plairaient encore plus sur mes épaules.
– Tiens, Jack Lang est arrivé. Sans Jack Lang, ce n’est pas tout à fait la fête.
– Pas de glace, que de la vodka.
– J’ai envoyé des chèques à certains membres du jury. Ces goujats ne
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– Claire David est radieuse.
– J’ai failli avoir le Goncourt à plusieurs reprises.
– C’est son éditrice pour le théâtre.
– Non ?
– Ah, il écrit aussi pour le théâtre ?
– Si. Ils n’osent pas.
– Oui.
– Je suis venu avec mon boucher, il adore la littérature.
– Avec le Goncourt, il va arrêter.
– Je l’ai connu, il n’avait encore rien fait. On a traversé la galère ensemble, on a connu la misère…
– Ils auraient besoin de quelqu’un pour entretenir le gazon. – J’ai pas envie de me coucher tard. Je lui glisse trois ou quatre mots et j’y vais. Il y en a qui travaillent demain.
– C’est beau. – On s’est fâchés quand ça a commencé à marcher pour lui.
– Tu as lu Mes prix littéraires de Thomas Bernhard ?
– En 1932, Céline a raté le Goncourt.
– Non.
– Je suis très célinien pour le coup.
– Il vomit sur chaque prix reçu. Formidable.
– Houellebecq devra baisser d’un cran pour l’obtenir.
– Oui, mais il faut quand même en recevoir.
– Eh bien moi, je ne me prêterai jamais à ce jeu-là !
– À Paris, on ne voit pas les étoiles parce qu’il y a trop de lumière.
– Non, sans glace.
– Il vient de passer chez Fayard.
– Non, arrête, t’es sérieuse, t’as couché avec un Goncourt ?
– Ah bon ? Il n’est plus chez Flammarion ?
– Un Goncourt, un Goncourt… Un petit Goncourt…
– Non. Il vient de passer chez Fayard. Mais c’est le même groupe.
– Je ne peux pas le voir celui-là. Et comble de malchance, il est partout.
– Mais non, pas Flammarion. Fayard, c’est Hachette.
– Imagine, tu es bouddhiste, tu travailles à l’extinction de ton ego… et tu reçois le Goncourt !
– Hachette, c’est Lagardère. C’est Lagardère tout ça. Il rachète tout, Lagardère. Il va racheter Actes Sud, Lagardère. – The music is very low. Nobody dances. – Nobody is supposed to dance. It’s a writers party. – Tu le connais ?
– C’est sympa un buffet dans le jardin. Tu peux cracher derrière un buisson si t’es tombé sur un petit four que t’aimes pas. – Il y a un énorme travail de communication à faire avec le grand prix de littérature dramatique. Il n’y a personne au cocktail !
– Non. Je ne le connais plus.
– Attends, moi ce que je propose, c’est de créer le prix du meilleur cocktail de prix littéraire.
– Vos jambes me plaisent beaucoup. Elles me plairaient encore plus sur mes épaules.
– Tiens, Jack Lang est arrivé. Sans Jack Lang, ce n’est pas tout à fait la fête.
– Pas de glace, que de la vodka.
– J’ai envoyé des chèques à certains membres du jury. Ces goujats ne
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m’ont même pas répondu !
– Tu crois qu’à vingt ans, elles connaissent tous les éditeurs…
– Elle a tellement enfoncé ses talons dans le gazon qu’elle est presque aussi petite que lui.
– C’est ici la fête pour le prix Nobel ?
– Il faut se moquer des prix tant qu’on n’en a pas reçu, c’est une question de dignité.
– Je vais rentrer, je crois. – Pourquoi ?
– Maman je m’embête.
– Personne ne me reconnaît, personne ne me parle…
– J’en ai pas pour longtemps, mon chéri.
– Si, ils te reconnaissent, mais c’est vrai, ils ne veulent pas te parler.
– Je veux dessiner !
– Tant qu’à faire, je préfèrerais avoir le césar de la meilleure actrice.
– Tu me laisses deux secondes, je dois voir des gens, moi !
– Un jour, mon talent sera reconnu.
– Alors je veux un livre !
– Je n’ai aucun doute là-dessus.
– Ça suffit maintenant ! Où est-ce que tu veux que je trouve un livre ici ?
– Oui, mais toi, tu es ma mère.
– J’ai obligé ma famille à créer un prix littéraire que je reçois tous les ans. Je ne m’en lasse pas. – Tu fais la fine bouche pour le choix du Goncourt, mais pas avec les petits fours, hein ? – Claire David m’a refusé ma dernière pièce. Je suis écœuré. Claire David aurait pu faire partie du jury qui a raté Céline en 1932. – Je n’aurais jamais imaginé rencontrer une femme à la remise d’un prix littéraire. C’est merveilleux.
– Tu n’es pas obligé de passer des coups de fil quand tu viens à une soirée avec moi. – Je ne passe pas de coups de fil, on m’a appelé. Ouais pardon, qu’est-ce que tu disais ? – C’est quand on est mort que l’on sait vraiment ce que l’on vaut. – Je vais écrire un livre très méchant sur les cocktails des prix littéraires. Au moins, je saurai pourquoi je n’ai pas de récompense. – Jack Lang s’en va !
– Mais vous ne m’avez pas rencontrée.
– Mais qu’est-ce qui s’est passé ?
– Je croyais pourtant…
– C’est raté alors ?!?
– Non, non…
– Moi un jour je l’aurai, le Goncourt.
– Excusez-moi. Vous parlez français ?
– Change de nom alors. Ferrari, ça fait pas très littéraire.
– Non, désolé.
– Les petits fours, c’est très Anne-Sophie Pic.
– Regarde, je me suis fait faire des cartes de visite…
– Et en plus, ils sont tout mous. Je m’en suis mis partout.
– Mais t’es pas éditeur !
– Heureusement sur ta chemise, ça se voit pas. Elle est parfaite pour les cocktails debout, ta chemise.
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m’ont même pas répondu !
– Tu crois qu’à vingt ans, elles connaissent tous les éditeurs…
– Elle a tellement enfoncé ses talons dans le gazon qu’elle est presque aussi petite que lui.
– C’est ici la fête pour le prix Nobel ?
– Il faut se moquer des prix tant qu’on n’en a pas reçu, c’est une question de dignité.
– Je vais rentrer, je crois. – Pourquoi ?
– Maman je m’embête.
– Personne ne me reconnaît, personne ne me parle…
– J’en ai pas pour longtemps, mon chéri.
– Si, ils te reconnaissent, mais c’est vrai, ils ne veulent pas te parler.
– Je veux dessiner !
– Tant qu’à faire, je préfèrerais avoir le césar de la meilleure actrice.
– Tu me laisses deux secondes, je dois voir des gens, moi !
– Un jour, mon talent sera reconnu.
– Alors je veux un livre !
– Je n’ai aucun doute là-dessus.
– Ça suffit maintenant ! Où est-ce que tu veux que je trouve un livre ici ?
– Oui, mais toi, tu es ma mère.
– J’ai obligé ma famille à créer un prix littéraire que je reçois tous les ans. Je ne m’en lasse pas. – Tu fais la fine bouche pour le choix du Goncourt, mais pas avec les petits fours, hein ? – Claire David m’a refusé ma dernière pièce. Je suis écœuré. Claire David aurait pu faire partie du jury qui a raté Céline en 1932. – Je n’aurais jamais imaginé rencontrer une femme à la remise d’un prix littéraire. C’est merveilleux.
– Tu n’es pas obligé de passer des coups de fil quand tu viens à une soirée avec moi. – Je ne passe pas de coups de fil, on m’a appelé. Ouais pardon, qu’est-ce que tu disais ? – C’est quand on est mort que l’on sait vraiment ce que l’on vaut. – Je vais écrire un livre très méchant sur les cocktails des prix littéraires. Au moins, je saurai pourquoi je n’ai pas de récompense. – Jack Lang s’en va !
– Mais vous ne m’avez pas rencontrée.
– Mais qu’est-ce qui s’est passé ?
– Je croyais pourtant…
– C’est raté alors ?!?
– Non, non…
– Moi un jour je l’aurai, le Goncourt.
– Excusez-moi. Vous parlez français ?
– Change de nom alors. Ferrari, ça fait pas très littéraire.
– Non, désolé.
– Les petits fours, c’est très Anne-Sophie Pic.
– Regarde, je me suis fait faire des cartes de visite…
– Et en plus, ils sont tout mous. Je m’en suis mis partout.
– Mais t’es pas éditeur !
– Heureusement sur ta chemise, ça se voit pas. Elle est parfaite pour les cocktails debout, ta chemise.
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– Je suis traduit en tchèque, en roumain, en slovène, en lituanien.
– Si ce n’est dans un cul.
– Et quelqu’un vous a lu en français ?
– Avez-vous vu mon déhanché.
– Con, con pendant les fêtes perdu où aller toilettes ? Sais quoi faire aux toilettes gestes simples vider bière dans le tristesse trou fond du…
– Piège du cul.
– Prenez donc du champagne.
– Et mon épaule, vous la voyez. – Pris, pris, pris au piège.
– Tiens beau cul. – Allons n’avez-vous pas vu ce soleil.
– Allez, l’année prochaine au Salon du livre de Jérusalem !
– Connasse.
– Je suis une curiosité. Je n’ai jamais reçu de récompense et je vis quand même de l’écriture.
– Comme il fait clair.
– T’es sûr que tu le connais pas ?
– Mais beau cul.
– Sûr, sûr, comment veux-tu être sûr de nos jours.
– Il me plaît celui-ci avec ses airs de misanthrope, je vais me le faire. – Pourquoi toujours penser au cul.
– En fait je crois que je n’ai jamais lu de Goncourt. Enfin si, peut-être que j’en ai lu sans le faire exprès. Je ne me suis pas rendu compte.
– Savez-vous comment je l’ai lu.
– C’est violent les buffets.
– Condamné à penser au cul.
– Moi j’ai pas la gnaque, je me fais bouffer moi dans les buffets.
– Dans mon bain ! J’adore ça, je le lis, et je laisse couler l’eau entre mes oh mais je vous gêne.
– Tiens lui là, je sais pas qui c’est, je le vois à chaque fois dans tous les buffets où je vais.
– Pute. – Vous avez l’air de ne pas savoir quoi faire de votre…
– J’ai lu un truc sur des gens qui se nourrissaient uniquement en récupérant des cartons d’invitation pour les buffets.
– Quoi ma carcasse.
– Je savais pas qu’il savait écrire.
– Vous m’avez l’air chatouilleux.
– Ben arrête, il a déjà été joué plein de fois. Il a écrit plein de pièces !
– Fuir.
– Je veux dire vraiment écrire.
– Oubliez qui vous êtes.
– Il est venu avec son chien ?
– Ta gueule putain.
– Non, il est venu avec son nouveau. C’est le nouveau qui a un chien.
– C’est un art d’être légère.
– Un nouveau chien ?
– Où fuir ?
– Non, une nouvelle laisse.
– Et mon nombril vous l’avez vu ?
– Tu crois qu’il va en faire une pièce ?
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– Je suis traduit en tchèque, en roumain, en slovène, en lituanien.
– Si ce n’est dans un cul.
– Et quelqu’un vous a lu en français ?
– Avez-vous vu mon déhanché.
– Con, con pendant les fêtes perdu où aller toilettes ? Sais quoi faire aux toilettes gestes simples vider bière dans le tristesse trou fond du…
– Piège du cul.
– Prenez donc du champagne.
– Et mon épaule, vous la voyez. – Pris, pris, pris au piège.
– Tiens beau cul. – Allons n’avez-vous pas vu ce soleil.
– Allez, l’année prochaine au Salon du livre de Jérusalem !
– Connasse.
– Je suis une curiosité. Je n’ai jamais reçu de récompense et je vis quand même de l’écriture.
– Comme il fait clair.
– T’es sûr que tu le connais pas ?
– Mais beau cul.
– Sûr, sûr, comment veux-tu être sûr de nos jours.
– Il me plaît celui-ci avec ses airs de misanthrope, je vais me le faire. – Pourquoi toujours penser au cul.
– En fait je crois que je n’ai jamais lu de Goncourt. Enfin si, peut-être que j’en ai lu sans le faire exprès. Je ne me suis pas rendu compte.
– Savez-vous comment je l’ai lu.
– C’est violent les buffets.
– Condamné à penser au cul.
– Moi j’ai pas la gnaque, je me fais bouffer moi dans les buffets.
– Dans mon bain ! J’adore ça, je le lis, et je laisse couler l’eau entre mes oh mais je vous gêne.
– Tiens lui là, je sais pas qui c’est, je le vois à chaque fois dans tous les buffets où je vais.
– Pute. – Vous avez l’air de ne pas savoir quoi faire de votre…
– J’ai lu un truc sur des gens qui se nourrissaient uniquement en récupérant des cartons d’invitation pour les buffets.
– Quoi ma carcasse.
– Je savais pas qu’il savait écrire.
– Vous m’avez l’air chatouilleux.
– Ben arrête, il a déjà été joué plein de fois. Il a écrit plein de pièces !
– Fuir.
– Je veux dire vraiment écrire.
– Oubliez qui vous êtes.
– Il est venu avec son chien ?
– Ta gueule putain.
– Non, il est venu avec son nouveau. C’est le nouveau qui a un chien.
– C’est un art d’être légère.
– Un nouveau chien ?
– Où fuir ?
– Non, une nouvelle laisse.
– Et mon nombril vous l’avez vu ?
– Tu crois qu’il va en faire une pièce ?
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– S’il est pas con, il en fera un film. – Excusez-moi, je cherche Christine Gassin, elle m’a dit que... – Oui mais c’est pas le moment, là. – Regarde. C’est Marc là-bas. Elle est mignonne sa fille. – C’est pas sa fille, c’est sa copine. – Actes Sud, leur coup de génie, c’est de continuer à se faire passer pour une petite maison. – On se fout pas de nous. Le vin est à la hauteur des petits fours.
– Mettons que tu te fais un euro par livre, multiplié par... combien on a dit ? – Ah bah un gros Goncourt, là carrément, tu multiplies par, euh, je sais pas, au moins euh... – On avait vingt-deux ans quand on s’est connus. C’était à Paris iii. On ne s’est plus jamais quittés. Je suis son meilleur ami. C’est pas moi qui le dis, c’est lui. – T’as pas un chewing-gum ? Fromage plus pinard, c’est redoutable.
– Et les serveurs aussi.
– Dites-moi Françoise, votre maison, là, au Méjan, y aurait pas une chambre de libre cet été, entre le 15 juillet et le 30 août, des fois ?
– Je m’en ferais bien un. Le petit trapu, là.
– Je suis au téléphone !
– Il était au Femina… Je le connais déjà.
– Eh ben raccroche ! T’as le droit de raccrocher ! Raccroche ! Hung up !
– Combien de fric il va se faire avec ça, ça rapporte combien de fric, un Goncourt ?
“Hung up !”, Madonna.
– Ah bah ça dépend si c’est un gros Goncourt ou un petit Goncourt. – Bon ben mettons que c’est un moyen Goncourt. – Un moyen Goncourt, euh...
– ÉPISODE 8 – OÙ JEAN-YVES FROMENTIER RÉDIGE LA LETTRE QUI ACCOMPAGNERA SA PREMIÈRE PIÈCE, SUS AUX MATONS
– Aux toilettes ? Je te suis. – Tu n’es pas obligé de décrocher quand on t’appelle. – Attends excuse-moi. Oui mais bon là j’ai décroché alors voilà ! – Vas-y, c’est magnifique, vraiment, ça faisait longtemps que je n’avais pas vu une chose aussi magnifique. Ça te réconcilie avec le théâtre, avec la vie, avec l’humanité, c’est magnifique, vraiment, et les six heures, tu ne les sens pas du tout, tu oublies le temps, mais dépêche-toi, ils ne jouent que deux fois, j’ai peur que ça soit déjà complet. – J’aurais pas appelé ça comme ça.
À Actes Sud-Papiers 18, rue Séguier 75006 Paris Jouy-en-Josas, le dimanche 13 mars 2013 Chère madame ou cher monsieur,
– Et t’aurais appelé ça comment ?
C’est avec une humilité non feinte que je vous envoie ce manuscrit.
– Là ça fait mauvais film italien.
Je vous laisse découvrir cette pièce de théâtre sortie tout droit de mon
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– S’il est pas con, il en fera un film. – Excusez-moi, je cherche Christine Gassin, elle m’a dit que... – Oui mais c’est pas le moment, là. – Regarde. C’est Marc là-bas. Elle est mignonne sa fille. – C’est pas sa fille, c’est sa copine. – Actes Sud, leur coup de génie, c’est de continuer à se faire passer pour une petite maison. – On se fout pas de nous. Le vin est à la hauteur des petits fours.
– Mettons que tu te fais un euro par livre, multiplié par... combien on a dit ? – Ah bah un gros Goncourt, là carrément, tu multiplies par, euh, je sais pas, au moins euh... – On avait vingt-deux ans quand on s’est connus. C’était à Paris iii. On ne s’est plus jamais quittés. Je suis son meilleur ami. C’est pas moi qui le dis, c’est lui. – T’as pas un chewing-gum ? Fromage plus pinard, c’est redoutable.
– Et les serveurs aussi.
– Dites-moi Françoise, votre maison, là, au Méjan, y aurait pas une chambre de libre cet été, entre le 15 juillet et le 30 août, des fois ?
– Je m’en ferais bien un. Le petit trapu, là.
– Je suis au téléphone !
– Il était au Femina… Je le connais déjà.
– Eh ben raccroche ! T’as le droit de raccrocher ! Raccroche ! Hung up !
– Combien de fric il va se faire avec ça, ça rapporte combien de fric, un Goncourt ?
“Hung up !”, Madonna.
– Ah bah ça dépend si c’est un gros Goncourt ou un petit Goncourt. – Bon ben mettons que c’est un moyen Goncourt. – Un moyen Goncourt, euh...
– ÉPISODE 8 – OÙ JEAN-YVES FROMENTIER RÉDIGE LA LETTRE QUI ACCOMPAGNERA SA PREMIÈRE PIÈCE, SUS AUX MATONS
– Aux toilettes ? Je te suis. – Tu n’es pas obligé de décrocher quand on t’appelle. – Attends excuse-moi. Oui mais bon là j’ai décroché alors voilà ! – Vas-y, c’est magnifique, vraiment, ça faisait longtemps que je n’avais pas vu une chose aussi magnifique. Ça te réconcilie avec le théâtre, avec la vie, avec l’humanité, c’est magnifique, vraiment, et les six heures, tu ne les sens pas du tout, tu oublies le temps, mais dépêche-toi, ils ne jouent que deux fois, j’ai peur que ça soit déjà complet. – J’aurais pas appelé ça comme ça.
À Actes Sud-Papiers 18, rue Séguier 75006 Paris Jouy-en-Josas, le dimanche 13 mars 2013 Chère madame ou cher monsieur,
– Et t’aurais appelé ça comment ?
C’est avec une humilité non feinte que je vous envoie ce manuscrit.
– Là ça fait mauvais film italien.
Je vous laisse découvrir cette pièce de théâtre sortie tout droit de mon
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cerveau. Ce premier essai de ma part du genre théâtral est nécessairement maladroit et sûrement inabouti. J’espère simplement que vous pourrez y reconnaître ma sincérité et ma bonne foi, et que cette grande tragédie entourée d’un tout petit mystère saura vraiment vous émouvoir. Je vous soumets ce texte un peu comme on lance une bouteille d’eau à la mer, n’osant guère moins espérer de retour que me voir délivré d’un fardeau. Je ne peux malheureusement pas vous envoyer l’intégralité de la pièce. Je n’ai plus assez d’encre ni de cartouche. Mais tout cela est encore très frais dans ma tête. Si vous m’appelez un de ces jours je vous raconterai la suite si ça vous intéresse. N’appelez pas de 13 heures à 16 heures car je fais la sieste.
Je suis à la recherche d’un éditeur mécène. Si vous n’avez rien dans vos caisses ça ne m’intéresse pas. Par contre, si dans vos relations, quelqu’un veut bien monter ma pièce pour lutter contre la montée de l’extrême droite et les délires paranoïaques des matons, faites-moi signe, je l’inviterai bien sûr chez moi pour boire un thé et signer un contrat. La pièce que je vous offre a au moins un mérite, elle est courte. J’ose espérer que vous lui en associerez d’autres aussi belles, car il ne faudrait pas qu’une suite de pièces pleines de faiblesses la rabaisse. Si toutefois vous préférez que j’écrive ma pièce en vers, dites-le-moi. Je passe de la prose à la rime sans qu’on s’en aperçoive : Car je suis un fin psychologue
L’action de cette pièce se déroule dans un centre pénitentiaire. J’ai voulu que cette histoire fût la plus sombre possible, plongeant dans l’univers ténébreux d’un camp de détention ; même si je sais que la réalité dépassât la fiction.
Passionné par l’écrit autant que le dialogue
Personnellement je suis toujours malade. Je suis soigné pour des hallucinations et une grave dépression depuis trente ans. Il y a peu de temps j’ai rêvé qu’une femme obèse prenait le pouvoir et mettait tout le monde au régime. Mais j’ai un bon traitement et je me sens bien.
Vous avez des yeux et une bouche
La plupart du temps je vis chez mes parents. Ma femme m’a quitté pour un autre que moi et je n’ai pas réussi à obtenir la garde de mes enfants qui de toute façon n’en voulaient pas. J’aime à penser que les femmes ne sont pas toutes les mêmes et que j’aurai la chance de trouver un jour ma jumelle. Peut-être que ma pièce m’aidera car je sais que les femmes sont sensibles au talent et aux lettres.
Faites vivre l’écrit par des moyens humains
Au niveau de mon travail en tant que tel, ça ne va pas très bien. Si vous avez des contacts dans les banques et les assurances et que vous connaissez quelqu’un, surtout, prévenez-moi. J’ai une bonne connaissance du milieu pour l’avoir fréquenté et j’ai acquis beaucoup de compétences que j’aimerais mettre au service de grandes entreprises nationales. Bien sûr je n’ai pas d’argent. Je donne mon allocation à ma femme et mes enfants, qui ne me rendent rien.
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J’aime écouter et parler en retour Auprès d’aucun tourment je ne peux rester sourd Écoutez donc ma pièce sous votre douche Que donnent à haute voix mes répliques enfin Donnez du corps au texte ainsi qu’aux personnages Que vive ma pièce de douze pages Elle me berce le jour et la nuit Écoutez-moi ce pitch de génie Il était une fois dans un camp de détention Trois prisonniers amoureux d’un maton Lequel obtiendra l’amour et sera assassiné ? Pour le savoir faudra-t-il y passer la journée ? La réponse arrive au bout du premier acte
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cerveau. Ce premier essai de ma part du genre théâtral est nécessairement maladroit et sûrement inabouti. J’espère simplement que vous pourrez y reconnaître ma sincérité et ma bonne foi, et que cette grande tragédie entourée d’un tout petit mystère saura vraiment vous émouvoir. Je vous soumets ce texte un peu comme on lance une bouteille d’eau à la mer, n’osant guère moins espérer de retour que me voir délivré d’un fardeau. Je ne peux malheureusement pas vous envoyer l’intégralité de la pièce. Je n’ai plus assez d’encre ni de cartouche. Mais tout cela est encore très frais dans ma tête. Si vous m’appelez un de ces jours je vous raconterai la suite si ça vous intéresse. N’appelez pas de 13 heures à 16 heures car je fais la sieste.
Je suis à la recherche d’un éditeur mécène. Si vous n’avez rien dans vos caisses ça ne m’intéresse pas. Par contre, si dans vos relations, quelqu’un veut bien monter ma pièce pour lutter contre la montée de l’extrême droite et les délires paranoïaques des matons, faites-moi signe, je l’inviterai bien sûr chez moi pour boire un thé et signer un contrat. La pièce que je vous offre a au moins un mérite, elle est courte. J’ose espérer que vous lui en associerez d’autres aussi belles, car il ne faudrait pas qu’une suite de pièces pleines de faiblesses la rabaisse. Si toutefois vous préférez que j’écrive ma pièce en vers, dites-le-moi. Je passe de la prose à la rime sans qu’on s’en aperçoive : Car je suis un fin psychologue
L’action de cette pièce se déroule dans un centre pénitentiaire. J’ai voulu que cette histoire fût la plus sombre possible, plongeant dans l’univers ténébreux d’un camp de détention ; même si je sais que la réalité dépassât la fiction.
Passionné par l’écrit autant que le dialogue
Personnellement je suis toujours malade. Je suis soigné pour des hallucinations et une grave dépression depuis trente ans. Il y a peu de temps j’ai rêvé qu’une femme obèse prenait le pouvoir et mettait tout le monde au régime. Mais j’ai un bon traitement et je me sens bien.
Vous avez des yeux et une bouche
La plupart du temps je vis chez mes parents. Ma femme m’a quitté pour un autre que moi et je n’ai pas réussi à obtenir la garde de mes enfants qui de toute façon n’en voulaient pas. J’aime à penser que les femmes ne sont pas toutes les mêmes et que j’aurai la chance de trouver un jour ma jumelle. Peut-être que ma pièce m’aidera car je sais que les femmes sont sensibles au talent et aux lettres.
Faites vivre l’écrit par des moyens humains
Au niveau de mon travail en tant que tel, ça ne va pas très bien. Si vous avez des contacts dans les banques et les assurances et que vous connaissez quelqu’un, surtout, prévenez-moi. J’ai une bonne connaissance du milieu pour l’avoir fréquenté et j’ai acquis beaucoup de compétences que j’aimerais mettre au service de grandes entreprises nationales. Bien sûr je n’ai pas d’argent. Je donne mon allocation à ma femme et mes enfants, qui ne me rendent rien.
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J’aime écouter et parler en retour Auprès d’aucun tourment je ne peux rester sourd Écoutez donc ma pièce sous votre douche Que donnent à haute voix mes répliques enfin Donnez du corps au texte ainsi qu’aux personnages Que vive ma pièce de douze pages Elle me berce le jour et la nuit Écoutez-moi ce pitch de génie Il était une fois dans un camp de détention Trois prisonniers amoureux d’un maton Lequel obtiendra l’amour et sera assassiné ? Pour le savoir faudra-t-il y passer la journée ? La réponse arrive au bout du premier acte
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– ÉPISODE 9 –
La jalousie primaire entre les deux perdants est la source d’un pacte Le sang va se répandre et les larmes couler Le maton va devoir faire preuve d’autorité Qui l’emportera, l’amour ou la brutalité ? Nul ne peut le prévoir au début de la pièce Il faut pour le savoir un soupçon de hardiesse Ne pas s’effaroucher et pénétrer doucement Cet âpre univers aux profonds sentiments Je recommande pour la distribution que les trois prisonniers soient joués par Romain Duris, Christophe Willem et Louis Garrel ; le maton du camp sans doute par Daniel Auteuil, et sa femme par Roselyne Bachelot. Si vous faites une audition, n’hésitez pas à convoquer Guy Bedos et Jean-Pierre Marielle. Quant à Charles Pasqua, ça serait bien qu’il joue son propre rôle, à moins que Jean Rochefort ne soit disponible, ou Fabrice Luchini à la rigueur. Je vous remercie pour votre bienveillante attention et me tiens pour toujours à votre disposition. Votre très dévoué, Jean-Yves PS : Si vous passez par Jouy-en-Josas, arrêtez-vous au 34, avenue JeanJaurès. Nous nous ferons un plaisir de vous accueillir. Mon père a toujours la main verte et son jardin est extraordinaire. C’est là que je puise mon inspiration. Nous y ferons une balade au milieu des pissenlits et d’essences rares. Comme vous travaillez dans une maison d’édition dont le siège est implanté à Arles, vous ne serez pas dépaysé, ce petit oasis de verdure, on dirait le Sud. “Le Sud”, Nino Ferrer.
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OÙ L’ON S’APERÇOIT QU’À TRENTE ANS ON NE PEUT PLUS SE COMPORTER COMME UN ADO. QUOIQUE... Et puis un matin tu te réveilles et t’as trente ans. C’est comme ça, trente ans : ça arrive d’un coup. Pendant dix ans, t’as vingt ans, même à vingtneuf ans, t’as encore vingt ans, et puis d’un seul coup ça y est, t’as trente ans, ce qui veut dire qu’en fait t’as déjà quarante ans, parce que la seule chose à laquelle tu penses à partir du moment où t’as trente ans, c’est que tu vas avoir quarante ans. Cela dit, trente ans, c’est le bon âge pour se retourner sur son existence. Trente ans, c’est la jeunesse qui commence à s’arrêter de continuer, et en même temps c’est l’âge adulte qui ne va bientôt pas tarder à se mettre à durer jusqu’à la fin. L’enfance c’est fini, l’adolescence, la bohême, les virées dans le Sud, les bouquins chargés en contrebande rue de Savoie dans un semi-remorque partant livrer des melons du côté d’Avignon, c’est fini tout ça, le système D comme Dupeyron-David, les années 1980, Michel Vinaver prêchant dans le désert éditorial de l’édition théâtrale, c’est déjà loin. Quand on y pense, qu’est-ce que c’était dur, qu’est-ce qu’on était pauvres, qu’est-ce que c’était bien. – Tu aimes t’en souvenir de tes années de jeunesse ? – J’adore. J’adore. – Tu aimerais les revivre, tes années de jeunesse ? – Pour rien au monde. Pour rien au monde. C’est ça la jeunesse, un truc horrible à vivre et délicieux à se remémorer. Trente ans, dis donc. Quand ça te tombe dessus, tu mesures le chemin, et tu revois les êtres, ceux qui ont compté, ceux qui ont cru en toi, ceux en qui tu as cru, ceux qui ont crû grâce à toi, ceux qui ont décrû, ceux qui font partie des meubles, ceux qui ont tiré la couverture, les grands anciens, les petits nouveaux, l’éventail en queue de paon qui va de
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– ÉPISODE 9 –
La jalousie primaire entre les deux perdants est la source d’un pacte Le sang va se répandre et les larmes couler Le maton va devoir faire preuve d’autorité Qui l’emportera, l’amour ou la brutalité ? Nul ne peut le prévoir au début de la pièce Il faut pour le savoir un soupçon de hardiesse Ne pas s’effaroucher et pénétrer doucement Cet âpre univers aux profonds sentiments Je recommande pour la distribution que les trois prisonniers soient joués par Romain Duris, Christophe Willem et Louis Garrel ; le maton du camp sans doute par Daniel Auteuil, et sa femme par Roselyne Bachelot. Si vous faites une audition, n’hésitez pas à convoquer Guy Bedos et Jean-Pierre Marielle. Quant à Charles Pasqua, ça serait bien qu’il joue son propre rôle, à moins que Jean Rochefort ne soit disponible, ou Fabrice Luchini à la rigueur. Je vous remercie pour votre bienveillante attention et me tiens pour toujours à votre disposition. Votre très dévoué, Jean-Yves PS : Si vous passez par Jouy-en-Josas, arrêtez-vous au 34, avenue JeanJaurès. Nous nous ferons un plaisir de vous accueillir. Mon père a toujours la main verte et son jardin est extraordinaire. C’est là que je puise mon inspiration. Nous y ferons une balade au milieu des pissenlits et d’essences rares. Comme vous travaillez dans une maison d’édition dont le siège est implanté à Arles, vous ne serez pas dépaysé, ce petit oasis de verdure, on dirait le Sud. “Le Sud”, Nino Ferrer.
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OÙ L’ON S’APERÇOIT QU’À TRENTE ANS ON NE PEUT PLUS SE COMPORTER COMME UN ADO. QUOIQUE... Et puis un matin tu te réveilles et t’as trente ans. C’est comme ça, trente ans : ça arrive d’un coup. Pendant dix ans, t’as vingt ans, même à vingtneuf ans, t’as encore vingt ans, et puis d’un seul coup ça y est, t’as trente ans, ce qui veut dire qu’en fait t’as déjà quarante ans, parce que la seule chose à laquelle tu penses à partir du moment où t’as trente ans, c’est que tu vas avoir quarante ans. Cela dit, trente ans, c’est le bon âge pour se retourner sur son existence. Trente ans, c’est la jeunesse qui commence à s’arrêter de continuer, et en même temps c’est l’âge adulte qui ne va bientôt pas tarder à se mettre à durer jusqu’à la fin. L’enfance c’est fini, l’adolescence, la bohême, les virées dans le Sud, les bouquins chargés en contrebande rue de Savoie dans un semi-remorque partant livrer des melons du côté d’Avignon, c’est fini tout ça, le système D comme Dupeyron-David, les années 1980, Michel Vinaver prêchant dans le désert éditorial de l’édition théâtrale, c’est déjà loin. Quand on y pense, qu’est-ce que c’était dur, qu’est-ce qu’on était pauvres, qu’est-ce que c’était bien. – Tu aimes t’en souvenir de tes années de jeunesse ? – J’adore. J’adore. – Tu aimerais les revivre, tes années de jeunesse ? – Pour rien au monde. Pour rien au monde. C’est ça la jeunesse, un truc horrible à vivre et délicieux à se remémorer. Trente ans, dis donc. Quand ça te tombe dessus, tu mesures le chemin, et tu revois les êtres, ceux qui ont compté, ceux qui ont cru en toi, ceux en qui tu as cru, ceux qui ont crû grâce à toi, ceux qui ont décrû, ceux qui font partie des meubles, ceux qui ont tiré la couverture, les grands anciens, les petits nouveaux, l’éventail en queue de paon qui va de
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Grumberg à Carbunariu, les impressionnants, les imprimés, les primés, les déprimés, les obstacles infranchissables, les sauvetages providentiels, les triomphes imprévus, les naufrages inexpliqués, les erreurs humaines, les Prométhée enchaîné adaptés par Olivier Py qui sortent de l’imprimerie et qui partent au pilon, record d’anti-longévité pour un livre de théâtre, mais après tout, le théâtre est un art éphémère. Le Théâtre. Éditer du théâtre. Faire du théâtre sur du papier. Faire lire du théâtre. Affirmer que le théâtre se lit. Qu’il peut y avoir du théâtre dans un livre. Qu’un livre de théâtre, c’est du théâtre. Qu’une pièce de théâtre, c’est du théâtre mais c’est aussi un livre. Voilà ce que tu as fait de ta vie. Voilà à quoi tu l’as consacrée, ta vie de trente ans.
– Même à Vincennes ? – Mais oui, même à Vincennes. Vincennes, c’est la Russie. La Cartoucherie, c’est la Russie. Regarde autour de toi, c’est tchékhovien tout ça, c’est russe ; le théâtre au milieu des bois : c’est russe ; toute ta vie qui redéfile en une soirée de printemps : c’est russe ; les gens un peu ivres qui se demandent comment ils vont rentrer de la datcha où les a invités Françoise Nyssenovna : c’est russe ; les âmes mortes qui hantent le lieu et qui écoutent les vivants en se marrant, c’est russe ; Ariane Mnouchkine, c’est quoi comme nom à ton avis ? C’est russe. –Trente piges dis donc, trente berges, trente balais. Tu les fais pas. – Tu dis ça pour me faire plaisir.
– Donc tu penses que le théâtre, c’est de la littérature ? – Bien sûr. – Donc tu penses que le théâtre, ça doit être lu ? – Bien sûr. – Donc tu penses que le théâtre, ça peut être lu comme n’importe quel autre livre ? – Bien sûr. Bien sûr. Bien sûr.
– Bien sûr, mais je le pense aussi. Tu veux que je te dise ? T’as pas changé, t’as toujours ce teint ivoire, t’as toujours ta peau légèrement satinée, sur laquelle on aime faire glisser le dos de sa main. Et puis ton caractère. Ah ça, tu ne manques pas de caractère. T’as toujours le même caractère. Garamond n°11. – Toujours aussi spirituel. – Qu’est-ce que tu vas faire maintenant que tu es adulte ? – La même chose. – Des livres ?
Alors tu invites tous tes amis et tous tes ennemis à une soirée de printemps à la Cartoucherie de Vincennes, tous ceux qui ont peuplé tes trente premières années, et tu te retrouves immédiatement plongé dans une ambiance ultra-tchékhovienne. C’est automatique, ça te donne tout de suite envie de parler comme les personnages de Tchekhov dans les traductions d’André Markowicz. – Ça fait comment ? – Ben par exemple, tu dis pas : “il pleut”, tu dis : “la pluie elle tombe, Constantin Gavrilovitch”, et tout de suite tu y es, ça crée un monde russe autour de toi, c’est magique, c’est alchimique.
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– Des livres de théâtre. – Mais y a plus de textes ! C’est fini le texte, il paraît qu’il ne faut plus en écrire. – Je sais, j’ai entendu ça. – Il faut laisser les acteurs improviser le texte en répétition, et après on note ce qu’ils ont dit, et dans un deuxième temps ils apprennent par cœur le texte qu’ils ont inventé eux-mêmes en improvisation. Ça s’appelle l’écriture de plateau. C’est un truc inventé par le ministère de la Culture. L’écriture de plateau. Ou l’écriture collective, je ne sais plus. – Je suis au courant. Il y avait ça déjà dans les années 70. 1570...
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Grumberg à Carbunariu, les impressionnants, les imprimés, les primés, les déprimés, les obstacles infranchissables, les sauvetages providentiels, les triomphes imprévus, les naufrages inexpliqués, les erreurs humaines, les Prométhée enchaîné adaptés par Olivier Py qui sortent de l’imprimerie et qui partent au pilon, record d’anti-longévité pour un livre de théâtre, mais après tout, le théâtre est un art éphémère. Le Théâtre. Éditer du théâtre. Faire du théâtre sur du papier. Faire lire du théâtre. Affirmer que le théâtre se lit. Qu’il peut y avoir du théâtre dans un livre. Qu’un livre de théâtre, c’est du théâtre. Qu’une pièce de théâtre, c’est du théâtre mais c’est aussi un livre. Voilà ce que tu as fait de ta vie. Voilà à quoi tu l’as consacrée, ta vie de trente ans.
– Même à Vincennes ? – Mais oui, même à Vincennes. Vincennes, c’est la Russie. La Cartoucherie, c’est la Russie. Regarde autour de toi, c’est tchékhovien tout ça, c’est russe ; le théâtre au milieu des bois : c’est russe ; toute ta vie qui redéfile en une soirée de printemps : c’est russe ; les gens un peu ivres qui se demandent comment ils vont rentrer de la datcha où les a invités Françoise Nyssenovna : c’est russe ; les âmes mortes qui hantent le lieu et qui écoutent les vivants en se marrant, c’est russe ; Ariane Mnouchkine, c’est quoi comme nom à ton avis ? C’est russe. –Trente piges dis donc, trente berges, trente balais. Tu les fais pas. – Tu dis ça pour me faire plaisir.
– Donc tu penses que le théâtre, c’est de la littérature ? – Bien sûr. – Donc tu penses que le théâtre, ça doit être lu ? – Bien sûr. – Donc tu penses que le théâtre, ça peut être lu comme n’importe quel autre livre ? – Bien sûr. Bien sûr. Bien sûr.
– Bien sûr, mais je le pense aussi. Tu veux que je te dise ? T’as pas changé, t’as toujours ce teint ivoire, t’as toujours ta peau légèrement satinée, sur laquelle on aime faire glisser le dos de sa main. Et puis ton caractère. Ah ça, tu ne manques pas de caractère. T’as toujours le même caractère. Garamond n°11. – Toujours aussi spirituel. – Qu’est-ce que tu vas faire maintenant que tu es adulte ? – La même chose. – Des livres ?
Alors tu invites tous tes amis et tous tes ennemis à une soirée de printemps à la Cartoucherie de Vincennes, tous ceux qui ont peuplé tes trente premières années, et tu te retrouves immédiatement plongé dans une ambiance ultra-tchékhovienne. C’est automatique, ça te donne tout de suite envie de parler comme les personnages de Tchekhov dans les traductions d’André Markowicz. – Ça fait comment ? – Ben par exemple, tu dis pas : “il pleut”, tu dis : “la pluie elle tombe, Constantin Gavrilovitch”, et tout de suite tu y es, ça crée un monde russe autour de toi, c’est magique, c’est alchimique.
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– Des livres de théâtre. – Mais y a plus de textes ! C’est fini le texte, il paraît qu’il ne faut plus en écrire. – Je sais, j’ai entendu ça. – Il faut laisser les acteurs improviser le texte en répétition, et après on note ce qu’ils ont dit, et dans un deuxième temps ils apprennent par cœur le texte qu’ils ont inventé eux-mêmes en improvisation. Ça s’appelle l’écriture de plateau. C’est un truc inventé par le ministère de la Culture. L’écriture de plateau. Ou l’écriture collective, je ne sais plus. – Je suis au courant. Il y avait ça déjà dans les années 70. 1570...
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– Ça te fait pas peur, toi qui dédies ta vie depuis trente ans à publier des textes de théâtre ? – Mais non ça ne me fait pas peur. Je suis habituée.
TABLE
– À quoi ? – À ce que les choses disparaissent. à ce que le texte disparaisse. À ce que le théâtre disparaisse. À ce que l’art disparaisse. À ce que la culture disparaisse. J’aime bien quand ça disparaît. Parce que c’est là que ça réapparaît. Quand ça meurt, ça manque, alors ça renaît. Rien ne meurt jamais en fait. Rien ne disparaît jamais. Tu sais pas ça ? Moi je le sais. J’ai appris ça en trente ans. Tout est là. C’est pour ça que je note tout, moi. Dans mes papiers. J’aime ça, moi, les papiers. Dès qu’une chose disparaît, je sors mes papiers, et elle réapparaît. C’est valable pour les textes, comme pour le théâtre, comme pour tout. T’as d’autres questions ? – Non, je crois que tout est dit. Je crois qu’on a tous bien compris à quoi servait le papier. Alors on se tait, on t’apporte trente bougies pour que tu les souffles, on se dit que trente ans, c’est assez long pour avoir un beau passé, et assez jeune pour avoir un bel avenir. Et on laisse parler les petits papiers.
Épisode 1. Où l’on suit Michel Vinaver dans le désert de l’édition théâtrale, dans les années 1980................................................................ 5 Épisode 2. Où l’on se souvient que tout a un début............................ 9 Épisode 3. Où Hubert Nyssen rencontre Michel Vinaver avec une idée en tête.................................................................................................. 15 Épisode 4. Où l’on voit comment Papiers devient Actes Sud-Papiers et se développe au fil des années................................................................ 20 Épisode 5. Quand Actes Sud grandit assez pour qu’on renomme un quartier ................................................................................................. 28 Épisode 6. Dans lequel on voit un texte se transformer en livre, ou de l’usage du jargon dans l’édition théâtrale............................................ 33 Épisode 7. Où Actes Sud fête son premier Goncourt dans les jardins de la rue Séguier....................................................................................... 36 Épisode 8. Où Jean-Yves Fromentier rédige la lettre qui accompagne sa première pièce Sus aux matons ......................................................... 47
“Les P’tits Papiers”, Régine.
Épisode 9. Où l’on s’aperçoit qu’à trente ans on ne peut plus se comporter comme un ado. Quoique................................................................... 51
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– Ça te fait pas peur, toi qui dédies ta vie depuis trente ans à publier des textes de théâtre ? – Mais non ça ne me fait pas peur. Je suis habituée.
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– À quoi ? – À ce que les choses disparaissent. à ce que le texte disparaisse. À ce que le théâtre disparaisse. À ce que l’art disparaisse. À ce que la culture disparaisse. J’aime bien quand ça disparaît. Parce que c’est là que ça réapparaît. Quand ça meurt, ça manque, alors ça renaît. Rien ne meurt jamais en fait. Rien ne disparaît jamais. Tu sais pas ça ? Moi je le sais. J’ai appris ça en trente ans. Tout est là. C’est pour ça que je note tout, moi. Dans mes papiers. J’aime ça, moi, les papiers. Dès qu’une chose disparaît, je sors mes papiers, et elle réapparaît. C’est valable pour les textes, comme pour le théâtre, comme pour tout. T’as d’autres questions ? – Non, je crois que tout est dit. Je crois qu’on a tous bien compris à quoi servait le papier. Alors on se tait, on t’apporte trente bougies pour que tu les souffles, on se dit que trente ans, c’est assez long pour avoir un beau passé, et assez jeune pour avoir un bel avenir. Et on laisse parler les petits papiers.
Épisode 1. Où l’on suit Michel Vinaver dans le désert de l’édition théâtrale, dans les années 1980................................................................ 5 Épisode 2. Où l’on se souvient que tout a un début............................ 9 Épisode 3. Où Hubert Nyssen rencontre Michel Vinaver avec une idée en tête.................................................................................................. 15 Épisode 4. Où l’on voit comment Papiers devient Actes Sud-Papiers et se développe au fil des années................................................................ 20 Épisode 5. Quand Actes Sud grandit assez pour qu’on renomme un quartier ................................................................................................. 28 Épisode 6. Dans lequel on voit un texte se transformer en livre, ou de l’usage du jargon dans l’édition théâtrale............................................ 33 Épisode 7. Où Actes Sud fête son premier Goncourt dans les jardins de la rue Séguier....................................................................................... 36 Épisode 8. Où Jean-Yves Fromentier rédige la lettre qui accompagne sa première pièce Sus aux matons ......................................................... 47
“Les P’tits Papiers”, Régine.
Épisode 9. Où l’on s’aperçoit qu’à trente ans on ne peut plus se comporter comme un ado. Quoique................................................................... 51
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Tout commence dans les années 1980. Michel Vinaver marche dans le désert de l’édition théâtrale, il y croise Christian Dupeyron qui fonde Papiers. Claire David le rejoint. Deux cents livres plus tard, tout ce petit monde rencontre Hubert Nyssen, Papiers devient alors Actes Sud-Papiers et l’aventure continue, entre les publications, les déménagements, les chants des cigales, les cafés de Flore, etc. etc. ! Tout est vrai, tout est faux : voici la véritable histoire de l’édition théâtrale et d’Actes Sud-Papiers. Marion Aubert est auteure dramatique et comédienne. Elle a fondé en 1997 avec Capucine Ducastelle la compagnie Tire pas la nappe. Toutes ses pièces ont été créées et la plupart sont publiées chez Actes Sud-Papiers. Mathieu Bertholet est l’auteur de nombreuses pièces dont Rien qu’un acteur, Farben, Shadow Houses et Case Study Houses chez Actes Sud-Papiers. Il prend la direction du théâtre Le Poche de Genève à l’ été 2015. Rémi De Vos a écrit une quinzaine de pièces. Il anime régulièrement des ateliers d’ écriture et de jeu théâtral. Tout son théâtre est édité chez Actes Sud-Papiers. Nathalie Fillion est auteure, metteure en scène, comédienne et pédagogue. Ses textes sont traduits et joués en plusieurs langues. Chez Actes Sud-Papiers en 2012, elle a publié À l’ouest. David Lescot est auteur, metteur en scène , comédien et musicien. Ses pièces sont publiées chez Actes Sud-Papiers, traduites et jouées en différentes langues. Il est actuellement auteur associé au Théâtre de la Ville, Paris. Eddy Pallaro est auteur et comédien. Il a fondé avec Bérangère Vantusso et Anne Dupagne la compagnie Trois-six-trente. Ses textes sont pour la plupart publiés aux éditions Crater, Lansman ou Actes Sud-Papiers.
LE BAL DES PAPIERS Marion Aubert, Mathieu Bertholet, Rémi De Vos, Nathalie Fillion, David Lescot, Eddy Pallaro