Extrait de "Voyage pittoresque et historique au Brésil"

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JACQUES LEENHARDT est directeur d’études à l’École des hautes

études en sciences sociales (Paris). Ses travaux portent sur l’art et la littérature, en particulier dans les Amériques latines. Critique d’art et organisateur d’expositions, il se consacre depuis des années aux questions du paysage. Il est l’auteur, entre autres, de : Lecture politique du roman (1973), Lire la lecture (1982), Les Amériques latines en France (1992), Dans les jardins de Roberto Burle Marx (1994), ­Villette-Amazone (1996), Wifredo Lam, essai monographique (2009), Iberê Camargo : Os Meandros da Memoria (2010).

Jean-Baptiste DEBRET VOYAGE PITTORESQUE ET HISTORIQUE AU BRÉSIL

Jean-Baptiste DEBRET VOYAGE PITTORESQUE ET HISTORIQUE AU BRÉSIL

Jean-Baptiste DEBRET VOYAGE PITTORESQUE ET HISTORIQUE AU BRÉSIL INTRODUCTION GÉNÉRALE PAR JACQUES LEENHARDT

Marqué par le néo-classicisme de l’épopée révolutionnaire, le peintre Jean-Baptiste Debret (1768-1848) avait dirigé à Paris l’atelier du grand David avant de s’exiler au Brésil à la chute de Napoléon, dans le cadre de la “Mission française”, un groupe d’artistes invités à créer une Académie des beaux-arts à Rio de Janeiro, capitale du nouveau royaume. Durant ce long séjour (1815-1831) et en dehors de son travail académique, Debret produisit plusieurs centaines de dessins et d’aquarelles sur la vie quotidienne au Brésil. À son retour en France, il publia ce Voyage pittoresque et historique au Brésil chez Firmin Didot (1835-1839). Oublié pendant un siècle, puis traduit en portugais en 1944, cet ouvrage exceptionnel est devenu pour le Brésil une source iconographique et littéraire fondatrice puisque contemporaine de la naissance de la Nation brésilienne.

JAQUETTE

Jean-Baptiste Debret Scène de carnaval Cabocle (Indien civilisé)

Peintre et mémorialiste, Debret ne fut pas un voyageur occasionnel séduit par l’exotisme de l’ancienne colonie portugaise. Il vécut à Rio de Janeiro quinze années, y travailla et participa à la vie locale. C’est en ethnologue qu’il témoigna de la vie quotidienne des colonisateurs, des Indiens, et plus particulièrement de celle des esclaves qui constituaient la principale population laborieuse. Et c’est en historien qu’il analysa la naissance d’une Nation, en accord avec la sensibilité politique qu’il avait acquise durant la Révolution de 1789. Sa plume et ses dessins étaient précis, explicatifs, parfois ironiques et souvent dénonciateurs. Cette première réédition en France, depuis 1839, est offerte dans son intégralité. Elle rend enfin accessible à tous un monument de l’esprit de découverte au XIXe siècle et une œuvre réellement patrimoniale. La qualité exceptionnelle de la reproduction des planches aquarellées rend justice à un artiste fin et scrupuleux, doublé d’un observateur politique qui avait su anticiper le développement du Brésil moderne. Un “classique” pour tous les Brésiliens, pour les ethnologues, pour les historiens, notamment de la colonisation et de l’esclavage, comme pour tous les amoureux du Brésil.

D 14 20 e br € 0 m 99 3ve e : 364 no nc -0 l : ra 30 ga F -3 lé TTC 8-2 ôt ix 97 ép Pr N : B IS Bat jaquette 15 septembre.indd 1

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VOYAGE PITTORESQUE ET HISTORIQUE AU BRÉSIL


VOYAGE PITTORESQUE ET HISTORIQUE AU BRÉSIL


INTRODUCTION

J’attachais un prix si élevé à l’avantage de pouvoir admirer la beauté du climat brésilien, et surtout à la gloire de propager la connaissance des beaux-arts chez

un peuple encore dans l’enfance, que je n’hésitai pas à m’associer aux artistes

distingués, mes compatriotes, qui, sacrifiant un instant leurs affections particulières, formèrent cette expédition pittoresque.

Animés d’un même zèle, et de l’enthousiasme des savants voyageurs qui ne

craignent plus aujourd’hui d’affronter les chances d’une longue et trop sou-

vent périlleuse navigation, nous quittâmes la France, notre commune patrie, pour aller étudier une nature nouvelle, et imprimer dans ce monde nouveau les

traces profondes et utiles, je l’espère, de la présence d’artistes français.

Le gouvernement portugais, à la sollicitation duquel notre colonie s’était for-

mée, ne nous demandait, dans le principe, qu’un petit nombre d’années pour

fonder et mettre en activité un institut des beaux-arts à Rio-Janeiro ; mais les

circonstances politiques, entravant notre établissement, prolongèrent notre

séjour bien au-delà de ce terme, et il ne fallut pas moins de dix années pour

entrer en possession du local qu’on nous destinait.

Ces dix années ne restèrent cependant pas infructueuses ; car les divers

ouvrages que nous exécutâmes pendant cet intervalle inspirèrent le goût des arts

aux jeunes Brésiliens, et garantirent ainsi le succès de notre entreprise : aussi

quelques années d’études dirigées par un enseignement régulier suffirent-elles à ces hommes favorisés de la nature, pour fournir des expositions annuelles

dont les produits étonnèrent par leur perfection. Enfin, dès la sixième année

de l’existence active de l’Académie impériale des beaux-arts de Rio-Janeiro, on

comptait déjà dans la classe de peinture plusieurs élèves employés comme professeurs dans diverses écoles du gouvernement. Il s’en trouvait même un atta-

ché au service particulier de la cour. Les deux plus habiles avaient déjà exécuté

des tableaux d’histoire dont les sujets nationaux se rattachaient aux établissements qu’ils devaient orner.

Ce fut donc aux rapides succès de mes élèves que je dus l’avantage d’obtenir

du conseil de régence un congé limité pour retourner dans ma patrie, et y jouir, au sein de ma famille, de la possibilité de mettre au jour le premier tome de mon Voyage pittoresque au Brésil, que j’offre aujourd’hui au public.

Par suite de l’habitude de l’observation, naturelle à un peintre d’histoire, je

fus porté à saisir spontanément les points caractéristiques des objets qui m’en-

vironnaient ; aussi mes croquis faits au Brésil retracent-ils spécialement les scènes nationales ou familières du peuple chez lequel je passai seize années.

Cette collection, rangée par ordre de dates, puise un nouvel intérêt dans

l’histoire de sa formation.

6 – CA STE SA UVAGE

INT RODUCT ION – 7


INTRODUCTION

J’attachais un prix si élevé à l’avantage de pouvoir admirer la beauté du climat brésilien, et surtout à la gloire de propager la connaissance des beaux-arts chez

un peuple encore dans l’enfance, que je n’hésitai pas à m’associer aux artistes

distingués, mes compatriotes, qui, sacrifiant un instant leurs affections particulières, formèrent cette expédition pittoresque.

Animés d’un même zèle, et de l’enthousiasme des savants voyageurs qui ne

craignent plus aujourd’hui d’affronter les chances d’une longue et trop sou-

vent périlleuse navigation, nous quittâmes la France, notre commune patrie, pour aller étudier une nature nouvelle, et imprimer dans ce monde nouveau les

traces profondes et utiles, je l’espère, de la présence d’artistes français.

Le gouvernement portugais, à la sollicitation duquel notre colonie s’était for-

mée, ne nous demandait, dans le principe, qu’un petit nombre d’années pour

fonder et mettre en activité un institut des beaux-arts à Rio-Janeiro ; mais les

circonstances politiques, entravant notre établissement, prolongèrent notre

séjour bien au-delà de ce terme, et il ne fallut pas moins de dix années pour

entrer en possession du local qu’on nous destinait.

Ces dix années ne restèrent cependant pas infructueuses ; car les divers

ouvrages que nous exécutâmes pendant cet intervalle inspirèrent le goût des arts

aux jeunes Brésiliens, et garantirent ainsi le succès de notre entreprise : aussi

quelques années d’études dirigées par un enseignement régulier suffirent-elles à ces hommes favorisés de la nature, pour fournir des expositions annuelles

dont les produits étonnèrent par leur perfection. Enfin, dès la sixième année

de l’existence active de l’Académie impériale des beaux-arts de Rio-Janeiro, on

comptait déjà dans la classe de peinture plusieurs élèves employés comme professeurs dans diverses écoles du gouvernement. Il s’en trouvait même un atta-

ché au service particulier de la cour. Les deux plus habiles avaient déjà exécuté

des tableaux d’histoire dont les sujets nationaux se rattachaient aux établissements qu’ils devaient orner.

Ce fut donc aux rapides succès de mes élèves que je dus l’avantage d’obtenir

du conseil de régence un congé limité pour retourner dans ma patrie, et y jouir, au sein de ma famille, de la possibilité de mettre au jour le premier tome de mon Voyage pittoresque au Brésil, que j’offre aujourd’hui au public.

Par suite de l’habitude de l’observation, naturelle à un peintre d’histoire, je

fus porté à saisir spontanément les points caractéristiques des objets qui m’en-

vironnaient ; aussi mes croquis faits au Brésil retracent-ils spécialement les scènes nationales ou familières du peuple chez lequel je passai seize années.

Cette collection, rangée par ordre de dates, puise un nouvel intérêt dans

l’histoire de sa formation.

6 – CA STE SA UVAGE

INT RODUCT ION – 7


planche 1  FORÊT VIERGE, LES BORDS DU PARAHIBA


planche 1  FORÊT VIERGE, LES BORDS DU PARAHIBA


planche 8  VÉGÉTATION DES FORÊTS VIERGES

planche 9  VÉGÉTATION DES FORÊTS VIERGES


planche 8  VÉGÉTATION DES FORÊTS VIERGES

planche 9  VÉGÉTATION DES FORÊTS VIERGES


planche 30  CHARGE DE CAVALERIE GOUAYCOUROUS


planche 30  CHARGE DE CAVALERIE GOUAYCOUROUS


PlANCHe 73 Boutique de la rue du Val-Longo

Cette supercherie du cigano équivaut presque à celle

C’est dans la rue du Val-Longo, à Rio-Janeiro, que se

d’un marchand de chevaux, à Paris, qui, vendant un fort

trouve spécialement la boutique du marchand de Nègres,

beau cheval, mais aveugle, disait à l’acquéreur : Mon-

véritable entrepôt où se déposent les esclaves arrivant de

sieur, faites voir ce cheval, et je vous réponds du reste.

la côte d’Afrique. Parfois, ils appartiennent à divers pro-

La dépréciation momentanée du papier-monnaie

priétaires, et alors on les distingue à la couleur du mor-

avait plus que doublé, depuis 1829, le prix de l’achat d’un

ceau de toile ou de serge qui les enveloppe ; à la forme

Nègre ; mais l’habitant de Saint-Paul ou de Minas, toujours

d’une touffe de cheveux réservée sur leur tête, du reste

l’argent à la main, l’achetait au cours du change. Pour

entièrement rasée. Cette salle de vente, silencieuse le plus souvent, est toujours infectée des miasmes d’huile de ricin qui s’échap­ pent des pores ridés de ces squelettes ambulants, dont

­ apier-monnaie, le le citadin, au contraire, qui payait en p Nègre valait de 1 800 à 2 400 fr. ; la Négresse un peu moins cher, et le négrillon, molek, 640 à 800 fr. J’ai reproduit ici une scène de vente. On reconnaît, à

le regard curieux, timide, ou triste, vous rappelle l’in-

l’arrangement de la boutique, la simplicité du mobilier

térieur d’une ménagerie. Cette boutique, quelquefois

d’un cigano, brocanteur de Nègres, d’une médiocre fortune.

cependant convertie en salle de bal, par la permission du

Deux bancs de bois, un antique fauteuil, une morinha (pot

patron, retentit alors des hurlements cadencés d’une file

à eau), et la chicota (espèce de cravache en cuir de che-

de Nègres tournant sur eux-mêmes et frappant dans leurs

val) suspendue près de lui, font l’ameublement de son

mains pour marquer la mesure ; sorte de danse tout à fait

entrepôt. En ce moment, les Nègres qui y sont déposés

semblable à celle des sauvages du Brésil.

appartiennent à deux propriétaires différents. La diffé-

Les ciganos (bohémiens vendeurs de Nègres), véritables maquignons de chair humaine, ne le cèdent en rien à leurs confrères les marchands de chevaux ; aussi

rence de la couleur des draperies qui les couvrent sert à les distinguer ; l’une est jaune, et l’autre rouge foncé. Le Brésilien exercé reconnaîtrait à leur physio­

doit-on avoir la précaution de se faire escorter par un

nomie, dans la file de Nègres placée à gauche de la

chirurgien, pour choisir un Nègre dans ces magasins,

scène, les caractères distinctifs de chacun d’eux, et à

et lui faire subir les épreuves qui doivent suivre la visite

peu près comme je vais le décrire.

d’inspection.

Le premier, excédé par les démangeaisons et qui

Quelquefois aussi, parmi cette exposition de Nègres

cède au besoin de se gratter, déjà un peu vieux, serait

nouvellement débarqués, se trouvent mêlés des Nè­

sans énergie ; le second, encore sain, plus indifférent ; le

gres déjà civilisés, singeant le Nègre brut, et dont il est

troisième, d’un caractère triste ; le quatrième, patient ;

prudent de se défier, parce qu’ils dissimulent certaine-

le cinquième, apathique ; les deux derniers fort doux.

ment quelques imperfections physiques ou morales qui ont empêché de les vendre sans l’intermédiaire du courtier.

Les six du fond, presque de même nation, tous suscep­ tibles d’une facile civilisation. Les moleks (négrillons), toujours entassés au milieu,

Cet examen doit être d’autant plus scrupuleux que,

ne sont jamais les plus tristes. Un Mineiro en marchande

s’il échappe à la prévoyance de l’inspecteur quelques

un au cigano assis dans son fauteuil. Le costume de l’habi­

défauts physiques dans le Nègre vendu, à peine sorti de

tant des Mines n’a point varié, et se compose d’un grand

la boutique, l’acquéreur n’a plus le droit de l’échanger :

chapeau de feutre gris, bordé de velours noir, et soutenu

usage appuyé par plusieurs décisions émanées des tri-

par des ganses attachées à la forme ; la veste bleue, le

bunaux. J’en donnerai un exemple.

gilet blanc, la ceinture rouge, la culotte de velours de

Un beau Nègre, de haute structure, acheté dans une

coton bleu, et les bottes molles de cuir de daim, armées

de ces boutiques, avec toute la confiance qu’inspirait son

d’énormes éperons d’argent. La tenue négligée du mar-

superbe physique, gardait, pendant l’examen, une orange

chand correspond à la grossièreté de ses mœurs ; il a

à la main, avec un air de facilité que lui avait enseigné le

de plus, à en juger par le teint décoloré et l’enflure du

marchand. Ce stratagème réussit parfaitement, car le

ventre, le symptôme des obstructions qu’il a rapporté

Nègre, arrivé à la maison de son nouveau maître, toujours

de la côte d’Afrique, dont l’air est si malsain, que les

l’orange à la main, ne la quitta qu’en laissant apercevoir

troupes étrangères ne peuvent guère y stationner plus

un défaut dans l’articulation de l’un de ses bras ; et l’ac-

de trois ans sans éprouver le besoin d’y être remplacées

quéreur, quoique trompé, fut obligé de le garder.

par d’autres plus fraîches.

21 0 – INDUSTRIE DU COLON B RÉ S I LI E N

planche 73  BOUTIQUE DE LA RUE DU VAL-LONGO


PlANCHe 73 Boutique de la rue du Val-Longo

Cette supercherie du cigano équivaut presque à celle

C’est dans la rue du Val-Longo, à Rio-Janeiro, que se

d’un marchand de chevaux, à Paris, qui, vendant un fort

trouve spécialement la boutique du marchand de Nègres,

beau cheval, mais aveugle, disait à l’acquéreur : Mon-

véritable entrepôt où se déposent les esclaves arrivant de

sieur, faites voir ce cheval, et je vous réponds du reste.

la côte d’Afrique. Parfois, ils appartiennent à divers pro-

La dépréciation momentanée du papier-monnaie

priétaires, et alors on les distingue à la couleur du mor-

avait plus que doublé, depuis 1829, le prix de l’achat d’un

ceau de toile ou de serge qui les enveloppe ; à la forme

Nègre ; mais l’habitant de Saint-Paul ou de Minas, toujours

d’une touffe de cheveux réservée sur leur tête, du reste

l’argent à la main, l’achetait au cours du change. Pour

entièrement rasée. Cette salle de vente, silencieuse le plus souvent, est toujours infectée des miasmes d’huile de ricin qui s’échap­ pent des pores ridés de ces squelettes ambulants, dont

­ apier-monnaie, le le citadin, au contraire, qui payait en p Nègre valait de 1 800 à 2 400 fr. ; la Négresse un peu moins cher, et le négrillon, molek, 640 à 800 fr. J’ai reproduit ici une scène de vente. On reconnaît, à

le regard curieux, timide, ou triste, vous rappelle l’in-

l’arrangement de la boutique, la simplicité du mobilier

térieur d’une ménagerie. Cette boutique, quelquefois

d’un cigano, brocanteur de Nègres, d’une médiocre fortune.

cependant convertie en salle de bal, par la permission du

Deux bancs de bois, un antique fauteuil, une morinha (pot

patron, retentit alors des hurlements cadencés d’une file

à eau), et la chicota (espèce de cravache en cuir de che-

de Nègres tournant sur eux-mêmes et frappant dans leurs

val) suspendue près de lui, font l’ameublement de son

mains pour marquer la mesure ; sorte de danse tout à fait

entrepôt. En ce moment, les Nègres qui y sont déposés

semblable à celle des sauvages du Brésil.

appartiennent à deux propriétaires différents. La diffé-

Les ciganos (bohémiens vendeurs de Nègres), véritables maquignons de chair humaine, ne le cèdent en rien à leurs confrères les marchands de chevaux ; aussi

rence de la couleur des draperies qui les couvrent sert à les distinguer ; l’une est jaune, et l’autre rouge foncé. Le Brésilien exercé reconnaîtrait à leur physio­

doit-on avoir la précaution de se faire escorter par un

nomie, dans la file de Nègres placée à gauche de la

chirurgien, pour choisir un Nègre dans ces magasins,

scène, les caractères distinctifs de chacun d’eux, et à

et lui faire subir les épreuves qui doivent suivre la visite

peu près comme je vais le décrire.

d’inspection.

Le premier, excédé par les démangeaisons et qui

Quelquefois aussi, parmi cette exposition de Nègres

cède au besoin de se gratter, déjà un peu vieux, serait

nouvellement débarqués, se trouvent mêlés des Nè­

sans énergie ; le second, encore sain, plus indifférent ; le

gres déjà civilisés, singeant le Nègre brut, et dont il est

troisième, d’un caractère triste ; le quatrième, patient ;

prudent de se défier, parce qu’ils dissimulent certaine-

le cinquième, apathique ; les deux derniers fort doux.

ment quelques imperfections physiques ou morales qui ont empêché de les vendre sans l’intermédiaire du courtier.

Les six du fond, presque de même nation, tous suscep­ tibles d’une facile civilisation. Les moleks (négrillons), toujours entassés au milieu,

Cet examen doit être d’autant plus scrupuleux que,

ne sont jamais les plus tristes. Un Mineiro en marchande

s’il échappe à la prévoyance de l’inspecteur quelques

un au cigano assis dans son fauteuil. Le costume de l’habi­

défauts physiques dans le Nègre vendu, à peine sorti de

tant des Mines n’a point varié, et se compose d’un grand

la boutique, l’acquéreur n’a plus le droit de l’échanger :

chapeau de feutre gris, bordé de velours noir, et soutenu

usage appuyé par plusieurs décisions émanées des tri-

par des ganses attachées à la forme ; la veste bleue, le

bunaux. J’en donnerai un exemple.

gilet blanc, la ceinture rouge, la culotte de velours de

Un beau Nègre, de haute structure, acheté dans une

coton bleu, et les bottes molles de cuir de daim, armées

de ces boutiques, avec toute la confiance qu’inspirait son

d’énormes éperons d’argent. La tenue négligée du mar-

superbe physique, gardait, pendant l’examen, une orange

chand correspond à la grossièreté de ses mœurs ; il a

à la main, avec un air de facilité que lui avait enseigné le

de plus, à en juger par le teint décoloré et l’enflure du

marchand. Ce stratagème réussit parfaitement, car le

ventre, le symptôme des obstructions qu’il a rapporté

Nègre, arrivé à la maison de son nouveau maître, toujours

de la côte d’Afrique, dont l’air est si malsain, que les

l’orange à la main, ne la quitta qu’en laissant apercevoir

troupes étrangères ne peuvent guère y stationner plus

un défaut dans l’articulation de l’un de ses bras ; et l’ac-

de trois ans sans éprouver le besoin d’y être remplacées

quéreur, quoique trompé, fut obligé de le garder.

par d’autres plus fraîches.

21 0 – INDUSTRIE DU COLON B RÉ S I LI E N

planche 73  BOUTIQUE DE LA RUE DU VAL-LONGO


Plan de la ville de saint-sĂŠbastien de Rio de janeiro


Plan de la ville de saint-sĂŠbastien de Rio de janeiro


planches 101 et 102  VUE GÉNÉRALE DE LA VILLE DE RIO DE JANEIRO, PRISE DU COUVENT DE SAN BENTO |

VUE DE LA MÊME VILLE, PRISE DE L’ÉGLISE DE NOTRE-DAME DE LA GLOIRE


planches 101 et 102  VUE GÉNÉRALE DE LA VILLE DE RIO DE JANEIRO, PRISE DU COUVENT DE SAN BENTO |

VUE DE LA MÊME VILLE, PRISE DE L’ÉGLISE DE NOTRE-DAME DE LA GLOIRE


JACQUES LEENHARDT est directeur d’études à l’École des hautes

études en sciences sociales (Paris). Ses travaux portent sur l’art et la littérature, en particulier dans les Amériques latines. Critique d’art et organisateur d’expositions, il se consacre depuis des années aux questions du paysage. Il est l’auteur, entre autres, de : Lecture politique du roman (1973), Lire la lecture (1982), Les Amériques latines en France (1992), Dans les jardins de Roberto Burle Marx (1994), ­Villette-Amazone (1996), Wifredo Lam, essai monographique (2009), Iberê Camargo : Os Meandros da Memoria (2010).

Jean-Baptiste DEBRET VOYAGE PITTORESQUE ET HISTORIQUE AU BRÉSIL

Jean-Baptiste DEBRET VOYAGE PITTORESQUE ET HISTORIQUE AU BRÉSIL

Jean-Baptiste DEBRET VOYAGE PITTORESQUE ET HISTORIQUE AU BRÉSIL INTRODUCTION GÉNÉRALE PAR JACQUES LEENHARDT

Marqué par le néo-classicisme de l’épopée révolutionnaire, le peintre Jean-Baptiste Debret (1768-1848) avait dirigé à Paris l’atelier du grand David avant de s’exiler au Brésil à la chute de Napoléon, dans le cadre de la “Mission française”, un groupe d’artistes invités à créer une Académie des beaux-arts à Rio de Janeiro, capitale du nouveau royaume. Durant ce long séjour (1815-1831) et en dehors de son travail académique, Debret produisit plusieurs centaines de dessins et d’aquarelles sur la vie quotidienne au Brésil. À son retour en France, il publia ce Voyage pittoresque et historique au Brésil chez Firmin Didot (1835-1839). Oublié pendant un siècle, puis traduit en portugais en 1944, cet ouvrage exceptionnel est devenu pour le Brésil une source iconographique et littéraire fondatrice puisque contemporaine de la naissance de la Nation brésilienne.

JAQUETTE

Jean-Baptiste Debret Scène de carnaval Cabocle (Indien civilisé)

Peintre et mémorialiste, Debret ne fut pas un voyageur occasionnel séduit par l’exotisme de l’ancienne colonie portugaise. Il vécut à Rio de Janeiro quinze années, y travailla et participa à la vie locale. C’est en ethnologue qu’il témoigna de la vie quotidienne des colonisateurs, des Indiens, et plus particulièrement de celle des esclaves qui constituaient la principale population laborieuse. Et c’est en historien qu’il analysa la naissance d’une Nation, en accord avec la sensibilité politique qu’il avait acquise durant la Révolution de 1789. Sa plume et ses dessins étaient précis, explicatifs, parfois ironiques et souvent dénonciateurs. Cette première réédition en France, depuis 1839, est offerte dans son intégralité. Elle rend enfin accessible à tous un monument de l’esprit de découverte au XIXe siècle et une œuvre réellement patrimoniale. La qualité exceptionnelle de la reproduction des planches aquarellées rend justice à un artiste fin et scrupuleux, doublé d’un observateur politique qui avait su anticiper le développement du Brésil moderne. Un “classique” pour tous les Brésiliens, pour les ethnologues, pour les historiens, notamment de la colonisation et de l’esclavage, comme pour tous les amoureux du Brésil.

D 14 20 e br € 0 m 99 3ve e : 364 no nc -0 l : ra 30 ga F -3 lé TTC 8-2 ôt ix 97 ép Pr N : B IS Bat jaquette 15 septembre.indd 1

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