sophie Calle
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DÉP. LÉG. : juin 2013 | ISBN 978-2-330-02367-6 | 17,80 E TTC France
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ACTES SUD
Des histoires vraies
Des histoires vraies
ACTES SUD
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Le portrait J’avais neuf ans. En fouillant dans le courrier de ma mère, j’ai trouvé une lettre qui lui était adressée et qui commençait ainsi : “Chérie, j’espère que tu songes sérieusement à mettre notre Sophie en pension…” La lettre était signée du nom d’un ami de ma mère. J’en ai conclu que c’était lui mon vrai père. Lorsqu’il nous rendait visite, je m’asseyais sur ses genoux et, mes yeux dans les siens, j’attendais des aveux. Devant son indifférence et son mutisme, il m’arrivait de douter. Alors je relisais la lettre volée. Je l’avais cachée derrière le tableau de la salle à manger, une peinture de l’école flamande, datant de la fin du xve siècle, intitulée Luce de Montfort, représentant une jeune femme en buste, légèrement de profil à gauche, le regard de face, le visage pris dans une coiffe blanche et empesée, vêtue d’un pourpoint rose.
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La chaussure rouge Nous avions onze ans, Amélie et moi, et tous les jeudis après-midi, entre quatorze et dixsept heures, systématiquement, nous chapardions dans les grands magasins. Une année s’écoula ainsi. Un jour, sa mère, soupçonneuse, inventa qu’elle avait reçu la visite d’un policier qui nous avait repérées, mais qu’en raison de notre jeune âge il nous offrait une seconde chance : dorénavant il nous suivait de près et, si nous cessions nos larcins, il pardonnerait. Nous avons passé les semaines suivantes à courir les rues et tenter de deviner quel était, de tous les hommes alentour, le policier attaché à nos pas, puis à jouer à le semer, quand nous pensions l’avoir localisé. Nous n’avions plus le temps de voler. Notre dernière prise avait été une paire de chaussures rouges trop grandes pour nous. Amélie garda le pied droit, moi le gauche.
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Le nez J’avais quatorze ans et mes grands-parents souhaitaient corriger chez moi certaines imperfections. On allait me refaire le nez, cacher la cicatrice de ma jambe gauche avec un morceau de peau prélevé sur la fesse et accessoirement me recoller les oreilles. J’hésitais, on me rassura : jusqu’au dernier moment j’aurais le choix. Un rendez-vous fut pris avec le docteur F., célèbre chirurgien esthétique. C’est lui qui mit fin à mes incertitudes. Deux jours avant l’opération il se suicida.
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Rêve de jeune fille A quinze ans j’avais peur des hommes. Un jour, au restaurant, je choisis un dessert pour son nom : “Rêve de jeune fille”. Je demandai au serveur de quoi il s’agissait. Il répondit qu’il me réservait la surprise. Quelques minutes plus tard, l’homme posa devant moi une assiette qui contenait une banane épluchée et deux boules de glace à la vanille. Puis, dans le silence général, il me souhaita bon appétit, sourire aux lèvres. J’ai retenu mes larmes et fermé les yeux ainsi que je le fis des années plus tard, lorsque, pour la première fois, un homme se mit nu devant moi.
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