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GÉRARD
Gérard Degeorge, architecte, écrivain et photographe, pro-
DEGEORGE
La Grande Mosquée des Omeyyades
fesseur à l’École d’architecture de Paris, est un grand connaisseur du Moyen- Orient, auteur, notamment, d’un livre de référence sur Damas (2005). Il a publié, à l’Imprimerie nationale, Palmyre (2001), avec Paul Veyne, et, avec Jean-Claude David, Palais et demeures d’Orient (2009).
Chez le même éditeur : - Sols Saint-Marc de Venise André Bruyère - Taj Mahal Amina Okada/Jean-Louis Nou - Palais et demeures d’Orient Jean-Claude David/Gérard Degeorge - Byzance Tania Velmans dir. - Palmyre Gérard Degeorge/Paul Veyne - Liban Salah Stétié/Caroline Rose - L’Orient grec Henri et Anne Stierlin - Le Voyage nocturne de Mahomet Jamel Eddine Bencheikh
69 € TTC France ISBN : 978-2-7427-9032-6
GÉRARD DEGEORGE
La Grande
Mosquée des
Omeyyades DAMAS
Édifiée par le sixième calife omeyyade, le conquérant alWalid (705-715), pour la plus grande gloire de l’islam, de la dynastie et de sa personne, sur l’emplacement d’un ancien temple païen d’Hadad-Jupiter, devenu église depuis Théodose, la grande mosquée de Damas fut d’emblée considérée comme l’une des merveilles du monde, surpassant en beauté et en majesté toutes les créations du calife et de son père, ‘Abd alMalik, à Jérusalem (Dôme du Rocher, mosquée al-Aqsa) ou à Médine. Géographes, historiens, voyageurs – al-Idrisi, Benjamin de Tudèle, Ibn Battuta, Ibn Khaldun – rivalisèrent de superlatifs pour en louer le caractère unique ; jusqu’à cet ambassadeur de Byzance qui, selon la chronique, tomba évanoui en découvrant l’intérieur de la salle de prières ! Cette universelle admiration tient d’abord à l’ampleur de ses dimensions et à l’audace de sa conception architecturale, tranchant avec celle des mosquées précédentes pour mieux rivaliser avec les plus fameuses églises de la Syrie. L’immense salle de prière, désormais séparée de la cour par une façade monumentale, adopte le plan basilical d’inspiration antique et se développe de part et d’autre d’un « transept » médian, déployant ses colonnes de marbre à chapiteaux corinthiens, reliées par des arcs outrepassés, selon la tradition de Byzance. La coupole à tambour octogonal, les trois minarets, la cour pavée de marbre blanc, entourée de piliers et de colonnes alternées, les portes ouvragées, la Maison de l’argent (Bayt al-Mal), de structure octogonale, elle aussi, et construite selon la technique byzantine : tout porte la marque d’un grandiose dessein. Mais la merveille des merveilles ce sont les mosaïques. En grande partie détruites par l’incendie de 1893, elles ornaient originairement les murs de la salle de prière et des vestibules, les murs de fond des portiques ainsi que tous les piliers. Un grand panneau, redécouvert en 1927 sur le mur du portique ouest et restauré depuis, est, à lui seul, un chef-d’œuvre artistique absolu. La richesse chromatique, incluant une gamme de quarante tons – douze verts, neuf bleus, cinq violets, plusieurs tons d’or et d’argent –, est accentuée par les incrustations de nacre illustrant la lumière symbolique des lampes, omniprésentes dans le décor. L’univers entier est représenté en ce lieu qui s’affirme le centre du monde : la luxuriance d’une nature souvent qualifiée de « paradisiaque » ; la théâtralité des architectures de villes et de palais qui rappellent les plus glorieuses créations de Rome et de Byzance, à Pompéi, à Boscoreale, à Sainte-Marie-Majeure, à Saint-Georges de Salonique, au Grand Palais des empereurs de Constantinople. Livre de splendeurs, d’érudition aussi. L’auteur relate en détail, citant chacune des sources, la lente redécouverte par l’Occident d’un lieu dont il était exclu et dont il refusa longtemps, jusqu’au milieu du siècle dernier, d’attribuer la création à l’islam, prétendant que la mosquée n’était rien d’autre que l’ancienne basilique chrétienne. Ainsi le livre participet-il de l’incessant mouvement de reconstruction et de restauration qui, au fil des siècles et de leurs catastrophes, séismes et incendies, rétablit dans sa gloire l’unique, la sans pareille mosquée des Omeyyades.
Illustration de la couverture : Détail de la mosaïque du portique ouest © G.Degeorge
Au dos : Cour intérieure de la mosquée avec le Bayt al-Mal © G.Degeorge
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La sans
pareille Le samedi 14 octobre 1893, vers onze heures du matin, un brandon échappé du narghilé d’un ouvrier travaillant à la réfection du toit mit le feu à la Grande Mosquée des Omeyyades. L’incendie se propagea rapidement et, en quelques heures, plus d’une centaine de boutiques et plus d’une vingtaine de belles demeures étaient réduites à l’état de ruines fumantes. Damas n’avait pas connu une telle catastrophe depuis la destruction du quartier chrétien lors des événements de 18601. Les dégâts étaient considérables. Les tapis, les boiseries, quantité d’objets d’art et de manuscrits précieux, ainsi que les toitures étaient en cendres et trente des quarante colonnes antiques qui les soutenaient gisaient en pièces sur le sol. Seule la colonnade sud-ouest était à peu près intacte. « Les colonnes et l’arcade de l’extrémité ouest de la nef sud sont encore debout, plus ou moins branlantes, mais toutes les autres ont été complètement enlevées », écrivit l’architecte écossais Archibald Campbell Dickie peu après l’événement2. L’édicule à coupole censé abriter le chef de saint Jean-Baptiste n’était plus qu’une masse informe de débris calcinés et le minbar du haut duquel l’émir ‘Abd al-Kader avait adressé la khutba aux fidèles était entièrement consumé3. Les marbres qui lambrissaient les parois ainsi que les quelques précieux fragments de mosaïques qui avaient survécu aux catastrophes antérieures4 étaient carbonisés. Seuls les gros murs de l’enceinte échappèrent au désastre, mais la coupole centrale, sur ses quatre piliers, était lézardée jusqu’au faîte5. Les suq qui bordaient le mur sud et en particulier le bazar des orfèvres furent emportés par la conflagration. Les dommages furent évalués à soixante-dix mille livres turques pour la mosquée elle-même et à trente mille pour le voisinage6. Vu l’importance de l’édifice, situé de surcroît sur la route du pèlerinage à La Mecque, les autorités ottomanes, dont la responsabilité se trouvait engagée envers l’ensemble du monde musulman, interdirent immédiatement toute mention de la catastrophe dans les organes de presse et un télégramme en partance pour l’Angleterre fut bloqué à Beyrouth. Il fallut attendre un mois et demi pour qu’un article de la revue britannique The Graphic la révélât à l’Europe dans son numéro du 2 décembre 1893. Il était illustré de deux photographies l’une montrant l’intérieur avant l’incendie avec, sur la gauche, le tombeau de saint Jean-Baptiste, l’autre, prise au lendemain du sinistre, montrant la façade de la salle de prière et le minaret de Jésus7. Peu après, le samedi 28 avril 1894, Pierre Loti, visitant l’antique capitale des Omeyyades, dressa ainsi l’état des lieux : « Au centre de la ville, gisent les ruines toutes fraîches de la grande mosquée, qui fut jadis l’église Saint-Jean-de-Damas, […], célèbre par ses colonnes de marbre et ses mosaïques d’or, puis qui devint l’un des sanctuaires les plus saints de l’Islam, le troisième en vénération après ceux de la Mecque et de Jérusalem.
Page de droite
Façade nord du « transept ». La coupole avec son profil en arc persan fut reconstruite après l’incendie de 1893. Les mosaïques furent en partie restaurées au XXe siècle. 6
La sans pareille
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De la prière
à la mosquée Le mot arabe masjid, nom de lieu du verbe sajada, « se prosterner », désigne un lieu où l’on se prosterne. C’est lui qui, après diverses variantes qui n’ont pas été conservées, comme moscheta, musquette, meschite, a finalement donné, par l’intermédiaire de l’espagnol mezquita, le mot français actuel mosquée. En son principe, il ne désigne pas un édifice religieux spécifiquement musulman. Aux temps antéislamiques, il apparaît déjà dans des inscriptions nabatéennes avec le sens de « lieu de culte ». Dans le Coran, il désigne surtout le sanctuaire de La Mecque, al-masjid al-haram. Sous la plume des auteurs musulmans, il peut désigner tout lieu de culte, de n’importe quelle religion, où l’on se prosterne devant une divinité. D’où la parole bien connue du Prophète, hadith, selon laquelle, à la différence des juifs et des chrétiens qui avaient besoin de synagogues ou d’églises, la terre entière était pour lui un masjid : « La terre entière m’a été assignée comme oratoire et, pour moi, son sol est pur ; aussi, en quelque endroit qu’il soit à l’heure de la prière, le fidèle de mon peuple doit prier1. » Le Prophète lui-même semble avoir poussé ce précepte à l’extrême puisqu’un hadith précise qu’« en voyage [il] priait sur sa monture tournant son visage dans la direction de la route2 ». Lorsqu’ il arriva à Médine, une tradition assure qu’il fit la prière à l’endroit même où s’était arrêté son chameau et qu’ensuite il y édifia un masjid3. Le terrain fut aplani après avoir été débarrassé des ruines, des tombeaux et des palmiers qui l’encombraient, et un mur de briques crues, monté sur un soubassement en pierre, vint délimiter un grand espace rectangulaire de cinquante-six mètres sur cinquante-trois muni de trois portes. Pour protéger des ardeurs du soleil, un enclos fut édifié le long du mur nord, orienté vers Jérusalem, qui fut la première qibla de l’islam. Il était constitué d’un toit de feuillages et de terre battue porté par deux rangées de troncs de palmiers plantés dans le sol. Le long du mur sud, un portique donnait refuge aux ahl al-suffa, les « gens de la Banquette », ces compagnons pauvres, émigrés à Médine, qui vivaient de la charité de leurs coreligionnaires et partageaient leur temps entre la prière et la récitation du Coran. Sur le côté est, deux huttes, hujra, dont l’entrée donnait sur la cour, étaient réservées aux deux épouses du Prophète, Sawda’ et ‘A’isha. D’autres leur seront ajoutées au gré des mariages ultérieurs. Une description, due à un témoin qui les vit juste avant leur démolition ordonnée par le calife alWalid, nous a été conservée par le traditionniste Ibn Sa‘d : « Il y avait quatre maisons de briques crues, divisées en appartements par des branches de palmier et cinq maisons en branches de palmier colmatées avec de la terre, sans séparations intérieures. Les ouvertures étaient fermées par des tentures de crin noir. Chaque tenture mesurait trois coudées sur trois. On pouvait atteindre le toit avec la main4. »
Page de droite
Le mihrab est parfois représenté en plan, sans niche concave, sur un panneau de carreaux de céramique. L’invitation à la prière figure dans les deux cartouches supérieurs : « Hâtez-vous de prier avant qu’il ne soit trop tard et de vous repentir avant la mort. » La lampe suspendue dans la niche fait écho à Cor. 18
Les origines et la genèse
XXIV, 35 : « Dieu est la lumière des cieux et de la terre. Cette lumière ressemble à un flambeau, un flambeau placé dans un cristal, cristal semblable à une étoile brillante. » Dans la niche on voit l’empreinte des sandales du Prophète. Cour de la mosquée Darwish Pasha, 1571, Damas.
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Ci-contre
Le portique nord de la cour et son reflet sur le pavage vus du sud-ouest. Le mur de fond du portique et la base des piliers ont reçu un revêtement de marbre durant les années 1990 (Comparer avec la photo de la page 67 prise antérieurement). Chaque matin – comme le disait déjà al-Muqaddasi –, avant l’ouverture des portes à 10 heures, la cour est lavée à grande eau.
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La Grande Mosquée
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