En réunissant les écrits ouverts et sophistiqués de ces grands maîtres soufis, tels que Jalal ad-Din Rûmi, Hafez de Shiraz et Ibn el-Arabi, je désire montrer que l’islam est loin de la perception de crise et de violence qui prévaut aujourd’hui. Ces quatorze “maîtres” ont laissé pour les générations futures le message essentiel de la tolérance envers l’autre. Cet enseignement conserve toute sa pertinence. Tout vrai musulman doit croire aux prophètes Moïse et Jésus qui ont précédé Mohamed, le prophète de l’islam. Vivant en France depuis plus de quarante ans, et venant de l’autre rive de la Méditerranée, j’ai, à travers ma fonction d’artiste, posé des questions et stimulé une réponse de sorte que les deux parties du dialogue soient justement représentées ; fruit de mon expérience et de ma culture. Je vous offre l’essentiel de ma vie, de celui que j’ai été et de celui que je suis devenu. Rachid Koraïchi
Dépôt légal : mai 2016 39 € TTC France www.actes-sud.fr ISBN : 978-2-330-05547-9
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Rachid Koraïchi - Ferrante Ferranti
de la vie et de l’héritage de quatorze grands mystiques de l’islam. Il retrace l’évolution historique de ce vaste monde, des franges occidentales de l’Andalousie en passant par le Moyen-Orient jusqu’aux avant-postes du Levant.
MAÎTRES INVISIBLES
Les Maîtres Invisibles est un projet au long cours qui traite
Au cours de ces derniers mois, alors que les délais du livre étaient de plus en plus serrés et avant que toutes les contributions ne soient garanties, les trois artistes-auteurs semblaient être en orbite autour de la planète avec des emplois du temps aléatoires et imprévisibles et souvent dans des fuseaux horaires incompatibles. Londres étant devenue la base active du projet, ces nombreux pays sont : la France, le Japon, la Tunisie, Dubaï, le Pérou, l’Algérie, Cuba, le Sénégal, le Daghestan, Abu Dhabi et les Philippines. Ce projet n’aurait jamais été achevé à temps sans le calme, les compétences en gestion et les capacités linguistiques multiples de Stefani Abadian-Crone d’October Gallery, qui a tenu tout l’échéancier en communiquant avec chaque membre éloigné de l’équipe. De plus, sans l’attention et le design inspiré de Jonathan Greet, le résultat obtenu des livres en anglais et en français n’aurait jamais pu paraître aussi sobrement somptueux et magnifique à la fois. Pour conclure, je dois mentionner les nombreuses autres personnes qui ont été essentielles au succès global de ce projet – et de tant de façons différentes. En Angleterre, mes remerciements vont à October Gallery et à toute son équipe, en particulier Chili Hawes et Elisabeth Lalouschek ;
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en France, nous adressons notre gratitude à Actes Sud, notamment à Anne-Sylvie Bameule. Nos remerciements appuyés doivent aller à Tim Stanley et Salma Tuqan du Victoria and Albert Museum, qui ont donné l’impulsion initiale qui aboutira à l’exposition itinérante du prix Jameel et au personnel professionnel et très serviable de chacun des établissements qui ont accueilli cette exposition, dont : l’Institut du monde arabe, Paris, France ; Casa Árabe, Madrid, Espagne ; Cantor Arts Center de l’université de Stanford, San Francisco, Californie, États-Unis ; et le San Antonio Museum of Art, San Antonio, Texas, États-Unis, en particulier John Johnston pour son introduction initiale et son enthousiasme. Pour son aimable réponse, en nous prêtant main-forte avec les plans architecturaux, nos remerciements vont à Samir el Kordy et aussi à toute l’équipe de la Haus der Kunst pour leur assistance continue. Enfin, à tous les traducteurs et relecteurs dont : Dominique Mohn, Cassandre Schmid, Faiza Bouchama, Anne Beaussant, Divyam et Rosalind King dont le travail, presque invisible, est encore visible partout, nous ne pourrons jamais vous remercier assez. Gerard Houghton, Londres, printemps 2015.
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À
une certaine période de ma vie, je ne sais plus quand exactement, je suis tombé éperdument amoureux des créations textiles, des matières tissées et de tout genre de tissus. Cette passion fut nourrie par la lecture de grands théoriciens tels que l’Italien Paolo Fabbri et le Sud-Africain Sarat Maharaj. Ils citent souvent le lien sémantique entre “texte” et “textile” et leur racine latine commune texere (“tisser”). Roland Barthes décrit d’ailleurs le texte comme un “tissage d’étoffes1”, un tissu d’idées se déployant à travers l’espace et le temps.
Paradjanov, le “lisant” comme une véritable tapisserie de la manufacture des Gobelins. J’ai aussi dirigé un autre projet : la création par un groupe d’artistes auquel appartenaient, entre autres, les peintres Marlene Dumas, sud-africaine, et Luc Tuymans, belge. Il s’agissait de tapisseries en laine destinées à être installées à la cour de justice de ’s-Hertogenbosch, aux Pays-Bas. J’ai écrit au sujet des tentures de la designer néerlandaise Petra Blaise, pour dire que leurs plis provoquaient des sons et que ces plis semblaient être ceux de l’âme. L’âme du bâtiment, bien entendu.
Je pense que tous les textiles existant dans le monde illustrent parfaitement l’idée que j’ai du musée idéal. Ce musée du futur serait comme un tapis : il aurait de multiples motifs et plusieurs points d’accès. Chaque chose y serait encadrée par toutes les autres. Un tapis persan, comme nous le rappelle Italo Calvino, vole deux fois : tout d’abord en tant que plan d’élévation d’un bâtiment imaginaire et aussi en tant que somptueuse pièce tissée. Le fait de parler de l’art du tissage et de ses nombreuses variations, utilisations et interprétations possibles me rappelle aussi l’artiste conceptuel américain Dan Graham, qui dit un jour : “Je prends plaisir à créer une proximité en superposant très légèrement deux choses déjà très rapprochées 2.” Il n’y a pas de doute à avoir quant à la composition des éléments symétriques et asymétriques des tapis qui provoquent en nous des réactions émotionnelles si intenses. Il se passe quelque chose de singulier en leur présence. Lorsqu’on les contemple, on peut parler de “passion”.
Plus tard, je fus intrigué par l’histoire suivante : l’architecture européenne radicale et moderne des années 1920 et 1930 avait repris des éléments se référant à l’esthétique architecturale du Proche- et du Moyen-Orient. Cela fut clairement démontré par la Weissenhofsiedlung, un lotissement construit dans le cadre d’une exposition internationale d’architecture à Stuttgart en 1927. On pouvait y retrouver un grand nombre d’influences “arabisantes” : les toitures plates aux vastes terrasses, en passant bien sûr par les textiles. Ces réalisations se retrouvèrent cependant sous le feu de la critique du régime nazi et les designers devinrent plus discrets. On aurait presque pu prédire les attaques racistes contre l’“altérité” de la Weissenhofsiedlung. Ces offenses se manifestèrent surtout sous forme de collages représentant des caricatures d’hommes et de femmes accoutrés de vêtements orientaux vendant des tapis orientaux, accompagnés d’animaux de trait tels que des chameaux – à quoi d’autre pouvait-on s’attendre ? Le tout représenté dans les rues de Stuttgart, en plein cœur du Sud de l’Allemagne.
Au sein de mon propre cercle d’amis, il devenait gênant d’écrire et de parler indéfiniment de tissage et de tissu, même si pour moi ne pas pouvoir exprimer cette passion aurait été plus douloureux encore. Dans les années 1960, je suis donc parti à la recherche de tissus brésiliens à Rio de Janeiro, là où l’artiste contemporain brésilien le plus influent, feu Hélio Oiticica, s’inspirait de déguisements de carnaval portés par les esclaves pour concevoir ses Parangolés hauts en couleur. Ensuite, j’ai poursuivi ma quête de tissus indiens à Ahmedabad, la ville qui inspira Robert Rauschenberg, voyageur et expérimentateur insatiable, où il y conçut Jammers, cette série d’œuvres douces et légèrement ondulantes. À plusieurs reprises, je me suis plongé dans le film La Légende de la forteresse de Souram de Sergeï
Détail d’un étendard de Cheikh Ahmad al-Alawi (voir p. 182). Photo : © Jonathan Greet.
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Tout cela me revint à l’esprit à l’automne 2010, lors de l’installation à la Haus der Kunst à Munich de l’exposition “Le futur de la tradition – La tradition du futur”, où furent présentés les 99 étendards des Maîtres Invisibles de Rachid Koraïchi. La raison pour laquelle ce moment de l’histoire de Stuttgart ressurgit de ma mémoire est que la Haus der Kunst, dont la construction fut achevée en 1937, avait été conçue par Hitler. Il en avait confié la réalisation à Paul Ludwig Troost, son architecte de confiance : son but était d’en faire une “galerie pour la célébration des arts allemands” et d’y paraphraser la toute fraîche propagande nazie : “en glorifiant la culture hygiénique de la race aryenne”. Soixante-treize ans plus tard, dans les mêmes salles néoclassiques, les étendards
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Roland Barthes, “De l’œuvre au texte”, dans Revue d’esthétique, 3e trimestre, 1971. Communication personnelle avec l’auteur dans un entretien tenu en 1984.
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C
onnu dans le monde anglo-saxon comme Rûmî, “le Romain” voit le jour à Balkh, l’actuel Afghanistan. Sa famille a été forcée de fuir vers l’ouest pour échapper aux incursions mongoles de l’époque et s’installa à Konya, en Turquie. Rûmî y demeure la plupart du temps et c’est à ce même endroit qu’il écrira ses poèmes et sa prose qui lui valent d’être l’écrivain de langue persane le plus reconnu dans le monde. Sa passion pour la musique, la danse et la poésie lyrique est au cœur de son écriture et de ses enseignements.
Ce sont les ingrédients essentiels du chemin qui mène à l’extase et au Divin. Après sa mort, ses principaux disciples fondent l’ordre soufi des Mevlevi dont les derviches tourneurs sont le symbole le plus visible. La poésie de Rûmî est connue dans le monde entier, y compris en Occident, où ses ghazal, ses vers lyriques, restent extrêmement populaires. “Dans ta lumière j’apprends à aimer, dans ta beauté j’apprends la poésie. Tu danses à travers ma poitrine là où personne ne peut te voir, parfois tu y es si présent que cette vision devient un art*.” L’installation Le Chemin des Roses est dédiée à la vie et à l’œuvre de Rûmî. Elle symbolise et décrit le chemin interne qui reprend les thèmes et les processus essentiels et semblables aux propres méthodes de création itinérantes de l’artiste lui-même. Les éléments qui composent Le Chemin des Roses ont été créés au fil des années dans de nombreux pays, dont la Turquie, le Maroc et la Tunisie. La première installation du Le Chemin des Roses est exposée à Ankara, en Turquie, en 1999 et comprend 28 porcelaines décorées comme des vasques d’ablution, ornées de textes de Rûmî et de symboles en lien avec ses enseignements. Puis, suit la deuxième édition, Le Chemin des Roses II enrichie de pièces textiles teintes à l’indigo et brodées d’or, de 28 grandes sculptures en métal et de 98 petites sculptures en acier. L’œuvre dans son ensemble a été exposée à la Biennale de Venise en 2001. L’installation fut exposée partout dans de petites et de grandes sélections, aux États-Unis et ailleurs. L’exposition la plus récente et la plus complète a eu lieu dans un espace architectural créé tout spécialement à son effet et doté d’un éclairage fait sur mesure à l’Emirates Palace d’Abu Dhabi (Émirats arabes unis) dans le cadre du Festival d’Abu Dhabi, en 2011.
* Traduit de Rumi: The Book of Love: Poems of Ecstasy and Longing, Barks, Coleman, Harper Collins, 2003.
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Rachid Koraïchi - Ferrante Ferranti
de la vie et de l’héritage de quatorze grands mystiques de l’islam. Il retrace l’évolution historique de ce vaste monde, des franges occidentales de l’Andalousie en passant par le Moyen-Orient jusqu’aux avant-postes du Levant.
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