Extrait "Lettres de Van Gogh"

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LETTRES DE VINCENT VAN GOGH

VINCENT VAN GOGH

La correspondance conservée de Vincent Van Gogh (1853-1890) débute en 1872 et s’achève en 1890. Elle comprend 903 lettres dont cette anthologie propose une large sélection. De son vivant, Van Gogh n’était connu que par un cercle étroit d’artistes et de critiques d’avant-garde. Peu après sa mort, la popularité croissante de ses tableaux coïncida avec un intérêt grandissant pour ses lettres. Ceux qui eurent sous les yeux ces écrits exceptionnels prirent immédiatement conscience qu’ils ne livraient pas seulement une image détaillée de la vie de l’artiste et de l’exécution de ses œuvres, mais qu’ils affirmaient un regard pénétrant en même temps qu’un remarquable talent d’écrivain. Plus encore, ils apportaient un éclairage inestimable sur ses convictions et ses intentions artistiques. Pour tous les lecteurs désireux de se plonger dans la pensée d’un artiste hors du commun, qui fut et demeure aujourd’hui encore l’un des pionniers de l’art moderne, ce témoignage humain représente l’un des sommets de la littérature épistolaire.

LETTRES

265 lettres et 110 dessins originaux

L’ART DES MOTS

VINCENT VAN GOGH

Cette anthologie constitue la version abrégée de Vincent Van Gogh. Les Lettres, édition critique intégrale et illustrée, en six volumes, sous la direction de Leo Jansen, Hans Luijten et Nienke Bakker, publiée en 2009 par le Van Gogh Museum, Amsterdam, le Huygens ING (Académie royale néerlandaise des sciences), La Haye, et les éditions Actes Sud, Arles.

LETTRES sous la direction de Leo Jansen, Hans Luijten et Nienke Bakker

ACTES SUD ISBN 978-2-330-05370-3 DÉP. LÉG. : SEPT. 2015 52 e TTC France www.vangoghmuseum.com www.huygens.knaw.nl www.actes-sud.fr

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ACTES SUD

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Cet ouvrage constitue la version abrégée de Vincent Van Gogh. Les Lettres, édition critique intégrale et illustrée, en six volumes, sous la direction de Leo Jansen, Hans Luijten et Nienke Bakker, publiée en 2009 par le Van Gogh Museum, Amsterdam, le Huygens ING (Académie royale néerlandaise des sciences), La Haye, et les éditions Actes Sud, Arles, et également disponible sur le site www.vangoghletters.org. Il fait partie du projet “Lettres de Van Gogh” réalisé sous les auspices du Van Gogh Museum et du Huygens ING. Toutes les œuvres (lettres, peintures, dessins) du Van Gogh Museum reproduites dans cet ouvrage sont la propriété de la Vincent Van Gogh Foundation.

www.vangoghmuseum.com www.huygens.knaw.nl

Cet ouvrage bénéficie du soutien de la Dutch Foundation for Literature.

Traduction en français Lettres de Van Gogh, traduites du néerlandais et de l’anglais : Marnix Vincent et Marie-­Françoise Dispa Textes liminaires (p. 7 à 168) et annexes (p. 1039 à 1093) traduits du néerlandais : Catherine ­Tron-­Mulder Annotations et légendes : Cécile Krings et Marc Phéline Poèmes anglais : Hélène Hiessler

© Van Gogh Museum, Amsterdam, 2014 © Actes Sud, Arles, 2015, pour l’édition française www.actes-­sud.fr ISBN 978-2-330-05370-3

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LETTRES DE

VINCENT VAN GOGH L’ART DES MOTS 265 lettres et 110 dessins originaux (1872-1890) sous la direction de Leo Jansen, Hans Luijten et Nienke Bakker

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1. Autoportrait en peintre, 1887‑1888, huile sur toile, 65,1 x 50 cm, Van Gogh Museum, Amsterdam

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Sommaire

Infortunes et persévérance. Une vie d’artiste Leo Jansen, Hans Luijten et Nienke Bakker

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L’histoire des lettres

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Avis au lecteur

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Lettres de Vincent Van Gogh

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La Haye, 29 septembre 1872 -­17 mars 1873 Londres, 13 juin 1873 -­8 mai 1875 Paris, 6 juillet 1875 -­28 mars 1876 Ramsgate, Welwyn et Isleworth, 17 avril -­25 novembre 1876 Dordrecht, 7 février -­23 mars 1877 Amsterdam, 30 mai 1877 -­3 avril 1878 Borinage et Bruxelles, vers le 13 novembre 1878 -­2 avril 1881 Etten, 5 août -­vers le 23 décembre 1881 La Haye, 29 décembre 1881 -­10 septembre 1883 Drenthe, vers le 14 septembre -­1er décembre 1883 Nuenen, vers le 7 décembre 1883 -­vers le 14 novembre 1885 Anvers, 28 novembre 1885 -­vers le 11 février 1886 Paris, vers le 28 février 1886 -­fin octobre 1887 Arles, 21 février 1888 -­3 mai 1889 Saint-­Rémy-­de-­Provence, 9 mai 1889 -­13 mai 1890 Auvers-­sur-­Oise, 20 mai -­23 juillet 1890

Notes Abréviations Liste des croquis Index des noms Les directeurs d’ouvrage Crédits

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71 75 85 96 124 133 167 206 245 485 520 644 672 682 922 1016 1039 1055 1056 1069 1091 1093

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2. Autoportrait en peintre, 1886, huile sur toile, 46,5 x 38,5 cm, Van Gogh Museum, Amsterdam

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Infortunes et persévérance. Une vie d’artiste Leo Jansen, Hans Luijten et Nienke Bakker

“attristés mais toujours joyeux” 2e Épître aux Corinthiens, VI, 10

7 infortunes et persévérance

Dans ses lettres et ses œuvres, Vincent Van Gogh (1853‑1890) exprime des aspirations et des émotions universelles. Mû par une intense curiosité, il s’imprégna du monde qui l’entourait, avec pour seul moyen d’entrer en relation avec lui que d’en créer un autre fait de mots et d’images. Van Gogh souhaitait offrir du réconfort à son prochain par le biais d’“un art consolateur pour les cœurs navrés” [739]*, grâce à des couleurs intenses et à des lignes incomparables. Ses lettres révèlent de façon magistrale comment il s’est efforcé d’atteindre cet objectif et quelles étaient ses motivations profondes. L’enthousiasme de Van Gogh touchait au fanatisme ; il s’imposait des exigences exorbitantes et luttait avec acharnement pour s’y conformer. Il subordonnait entièrement sa vie personnelle à son art et il lui paraissait tout naturel de donner le meilleur de lui-­même à chaque instant. Cinq ans avant sa mort, il semble déjà avoir compris que cette attitude n’était pas dénuée de risques : “Comme j’ai une foi certaine dans l’art, il s’ensuit que je sais ce que je veux atteindre dans mon propre travail et que je chercherai à l’atteindre, dussé-­je moi-­même en périr.” [531] Douze métiers, treize misères : ainsi pourrait-­on décrire le parcours de Vincent Van Gogh jusqu’à ce qu’il décide, en 1880, de devenir artiste, prenant progressivement son destin en main. Rétrospectivement, son évolution artistique apparaît fulgurante : en l’espace d’à peine dix ans, il donna naissance à un vaste œuvre peint et dessiné qui le rendrait célèbre dans le monde entier. Pourtant, la reconnaissance de son talent se fit attendre. C’est seulement après son suicide en 1890 que son travail reçut l’attention qu’il méritait et que sa réputation d’artiste novateur fut établie. À cet égard, ses lettres jouèrent un rôle déterminant.

* Les numéros indiqués ici entre crochets correspondent à la numérotation des lettres utilisée dans l’édition de 2009 et tout au long de ce volume. Voir l’“Avis au lecteur”, p. 67.

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Vincent Van Gogh : une personnalité complexe

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Van Gogh ne passait pas inaperçu. Jo Van Gogh-­Bonger, qui fit sa connaissance en 1890, le décrivait dans la préface à son édition des lettres, parue en 1914, comme “un homme solide, large d’épaules, au teint frais, avec une expression gaie et quelque chose de très déterminé dans son allure”. De petite taille, il avait les yeux verts, une barbe rousse et des taches de rousseur ; ses cheveux étaient roussâtres, comme ceux de son frère Theo, de quatre ans son cadet. Un tic nerveux agitait son visage et ses mains semblaient toujours en mouvement. Quelque peu farouche, il était difficile à vivre et effrayait souvent les gens par son air sauvage et la véhémence avec laquelle il s’exprimait. Son attitude et son aspect physique tenaient les gens à distance, ce qui ne lui facilitait pas les choses. Van Gogh était souvent convaincu d’avoir raison et le faisait savoir avec une insistance parfois agaçante. C’était un homme passionné, exalté ; sa tendance à agir comme un despote égocentrique inspirait de l’aversion à nombre de gens, qui voyaient en lui “un fou – un assassin – un vagabond” [408]. Vincent n’en était guère troublé : “[…] crois bien qu’il m’arrive de rire de bon cœur en pensant que les gens me soupçonnent (moi qui ne suis au fond qu’un ami de la nature, de l’étude, du travail – et surtout des êtres humains) de diverses méchancetés et absurdités qui ne me viennent même pas à l’esprit.” [252] Il n’évitait pas la confrontation et était dur avec lui-­même. Dans une lettre de mars 1887 à sa sœur Wil, Theo le décrit comme “son propre ennemi”. Van Gogh était fortement porté à l’introspection. Il n’hésitait jamais à analyser ses sautes d’humeur et à définir sa position morale par écrit, en premier lieu parce qu’il n’avait autour de lui personne à qui se confier vraiment. Il se jugeait dans un état de grande “tension nerveuse”. À l’âge de 29 ans, il brosse de lui-­même un portrait implacable : “Ne va pas te figurer que je me considère comme parfait – ou que j’imagine n’y être pour rien si beaucoup de gens m’attribuent un caractère désagréable. Il m’arrive souvent d’être terriblement mélancolique, désagréable, irritable – d’avoir une espèce de faim ou de soif de sympathie – de me montrer indifférent, caustique, si on me refuse cette sympathie, et parfois même de verser encore de l’huile sur le feu. Je n’aime pas être en compagnie ; il m’est souvent difficile et pénible de fréquenter les gens, de leur parler. Mais ­sais-­tu d’où tout cela, ou une bonne part en tout cas, provient ? Tout simplement de ma nervosité – je suis terriblement sensible, tant au physique qu’au moral, et cela remonte en fait à mes années de misère noire.” [244] Ces derniers mots font référence aux années qui ont directement précédé sa carrière artistique. Aussi impulsif fût-­il parfois, il agissait généralement de façon très réfléchie : “[…] les grandes choses ne surviennent pas uniquement par impulsion, elles sont

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une succession de petites choses mises ensemble.” [274] Par sa détermination et un travail acharné, Van Gogh réussissait à chaque fois tant à surmonter son abattement qu’à contenir ses sentiments de culpabilité à l’égard de Theo, son plus grand ami et confident, et le seul qui supportât son caractère compliqué. Vincent était très conscient que son frère investissait beaucoup en lui. Par moments, l’idée qu’il ne pourrait jamais dédommager Theo le plongeait dans le désespoir.

La relation avec Theo

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Lorsque, en 1880, déjà âgé de 27 ans, Vincent décide de devenir artiste, c’est en grande partie sur les encouragements de Theo. Pendant les années qui suivirent, le fait que celui-­ci ait convaincu son frère de faire ce choix exerça une grande influence sur leur relation. Theo estimait qu’il était de son devoir d’apporter à Vincent une aide non seulement morale mais aussi financière. Au cours des dix années que dura la carrière artistique de Vincent, Theo fut un mécène très obligeant, son soutien constituant un catalyseur inestimable. Au début, Vincent considéra sa contribution pécuniaire comme un prêt qu’il pourrait rembourser dès qu’il aurait trouvé des acheteurs pour ses œuvres. Voyant cet espoir s’envoler, il convint avec Theo que celui-­ci pourrait disposer à sa guise de ses tableaux et dessins. Pour Theo, la “fraternité” était bien plus importante que la rentabilisation de son investissement, même si, après un certain temps, il prit conscience de la qualité et de la valeur exceptionnelles de celui-­ci. On pourrait penser que la relation entre les deux frères était principalement à sens unique, comme si le calme et généreux Theo se tenait constamment à la disposition d’un aîné impulsif et têtu sans recevoir grand-­chose en retour. Pourtant, Theo s’appuyait lui aussi beaucoup sur Vincent, qu’il décrivit à Jo comme un “conseiller et frère au sens plein du terme” lui étant d’un grand soutien. La dépendance réciproque qui liait Vincent et Theo s’accrut au fil des ans, non sans de nombreux conflits. Vincent se montrait parfois ignoble et terriblement dur à l’égard de son frère, et voulait toujours avoir raison. Cette attitude provoqua plus d’une fois des tensions entre eux, et, à un certain moment, Theo fut convaincu qu’il valait mieux qu’ils ne se voient plus. Mais l’affection fraternelle s’avéra plus forte que ces vives querelles. Theo aidait Vincent à traverser les difficultés de l’existence et servait de tampon entre lui et le “monde hostile” [406]. Tout au long de sa vie, le généreux Theo se sentit responsable de son frère et lui resta fidèle, le prenant sous son aile et le ménageant à de nombreux égards.

Une famille aimante et protectrice

Le lien solide qui existait entre les deux frères s’enracinait dans leur enfance commune. Ils grandirent dans la famille d’un pasteur de village, dans la campagne brabançonne. Leurs parents, Theodorus Van Gogh (1822‑1885, ill. 3) et Anna Van

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toujours aux amis et aux connaissances qu’il y avait laissés ; durant les premiers mois, il demanda plusieurs fois à Theo des nouvelles de certains et engagea une correspondance avec Émile Bernard, qui resta à Paris jusqu’à la mi-­avril puis partit pour la Bretagne. Dans le même temps, Van Gogh réfléchissait souvent à des moyens d’écouler les œuvres d’artistes modernes (qu’il désignait par le nom collectif d’“impressionnistes”) ailleurs que sur le marché parisien. Il plaçait de grands espoirs dans une initiative de Theo, qui avait décidé d’envoyer des tableaux impressionnistes à la succursale haguenoise de Boussod, toujours dirigée par leur ancien supérieur et mentor Tersteeg. À cette époque, l’école de La Haye occupait aux Pays-­Bas presque tout le champ de la peinture moderne ; l’impressionnisme parisien y était à peine connu. Les frères Van Gogh échangèrent des lettres sur la meilleure stratégie à adopter pour mettre Tersteeg de leur côté. Finalement, Theo lui adressa, fin mars 1888, un certain nombre d’œuvres, dont une de Van Gogh. Seul un Monticelli trouva preneur, le reste fut renvoyé à Paris. Les Pays-­Bas n’étaient manifestement pas encore prêts à accueillir l’art pour lequel Vincent et Theo militaient passionnément.

Exposer et vendre

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Mais Vincent ruminait un autre projet, qui devait servir le même objectif : fonder une société artistique procurant à ses membres un appui financier. Des artistes établis ou débutants mettraient leurs œuvres à la disposition de l’association et se partageraient le produit des ventes. De cette façon, les impressionnistes (dont Monet), forts de leur succès, soutiendraient leurs jeunes collègues. Si le projet ne mena à rien, Van Gogh continua de chercher d’autres manières de renforcer la collaboration entre artistes. Il fustigeait régulièrement le manque de solidarité mutuelle et les luttes d’écoles sans cesse ranimées entre les groupes de peintres parisiens. Dans le même ordre d’idée, il envisageait d’exposer et de vendre dans la proche ville de Marseille des œuvres de lui-­même et de ses amis, en collaboration avec Theo. Tandis qu’il imagine comment se faire un nom dans la cité phocéenne, c’est justement à Paris qu’il rencontre un modeste succès : trois de ses tableaux sont présentés au salon de la Société des artistes indépendants. Après les expositions qu’il avait organisées lui-­même et quelques œuvres confiées en dépôt à de petits marchands d’art, c’était la première fois que sa place au sein de l’avant-­garde était publiquement reconnue. Pour quelqu’un qui aspirait si ardemment à l’approbation d’autrui, les lettres qui traitent, en amont de l’exposition, de sa participation et du choix de ses œuvres reflètent une singulière indifférence. Les années suivantes seront ponctuées d’autres témoignages favorables de ce genre, auxquels Van Gogh réagira toujours de la même façon : dès qu’on fait son éloge ou qu’on émet un jugement positif à son égard, il se

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replie, comme s’il craignait de tomber dans un piège et de perdre son indépendance. La gloire, affirme-­t‑il en citant l’écrivain Alphonse Daudet, “c’est quelquechose comme en fumant de fourrer dans sa bouche le cigare par le bout allumé” [673].

Campagnes de peinture et de dessin

Pendant ce temps, Van Gogh déploie tous ses efforts pour travailler le plus possible. Tout en demeurant modeste sur ses qualités personnelles par rapport à celles d’autres artistes, il était arrivé de Paris avec une confiance accrue dans ses capacités, il se sentait “sur un terrain plus sûr” [602]. Il trouve magnifique la nature à Arles et dans les environs et s’extasie devant la lumière et les couleurs du Sud. Au printemps, lorsque, après le dégel, les arbres fruitiers se parent de fleurs et de couleurs, il enchaîne les tableaux en une véritable “campagne” à la Van Gogh (ill. 22 et 23). Il lui fallut pour cela de grandes quantités de peinture et de toile, qu’il se fit envoyer par Theo. Il poussa plus loin l’exploration de la campagne arlésienne, avec ses paysages de canaux et ses ponts basculants, ses fermes au milieu des champs et ses vues sur la plaine de la Crau.

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22. La Moisson, 1888, huile sur toile, 73,4 x 91,8 cm, Van Gogh Museum, Amsterdam

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L’histoire des lettres

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La correspondance conservée de Vincent Van Gogh, qui débute en 1872 et s’achève en 1890, comprend 903 lettres. Celles-ci offrent une image détaillée de sa vie, de l’exécution de ses œuvres, de sa conception de l’existence et de l’évolution de ses convictions sur l’art. De son vivant déjà, Van Gogh commençait à être connu par un petit cercle d’artistes et de critiques d’avant-­garde. La popularité croissante de ses tableaux peu après sa mort coïncida avec un intérêt grandissant pour ses lettres. Ceux qui eurent sous les yeux ces écrits exceptionnels prirent conscience qu’ils ne témoignaient pas seulement d’un remarquable talent d’écrivain et d’un regard aiguisé, mais qu’ils apportaient aussi un éclairage précieux pour bien comprendre les idées et les intentions artistiques de Van Gogh. De courts passages des lettres, dont certaines avaient été écrites en néerlandais et d’autres en français, furent inclus dès 1892 dans le catalogue de l’exposition Van Gogh organisée au Kunstzaal Panorama à Amsterdam par l’artiste Richard Roland Holst. En août 1893, de plus larges extraits parurent dans la revue d’avant-­garde Van Nu en Straks. En avril de la même année, Émile Bernard, un ami de Van Gogh, avait commencé à publier des fragments de lettres en français dans le Mercure de France, périodique de référence dans le domaine de l’art et de la littérature modernes ; avec quelques interruptions, l’initiative fut poursuivie jusqu’en août 1897. Cette série contribua largement à éveiller l’intérêt pour l’artiste Van Gogh et certainement aussi pour ses lettres en tant que témoignages éminemment personnels. Les extraits cités ci-­dessus furent traduits en allemand et publiés en 1904‑1905 dans la revue Kunst und Künstler par l’éditeur berlinois Bruno Cassirer, avant d’être rassemblés dans un livre qui bénéficia de nombreuses rééditions. Aux Pays-­ Bas, les lettres à Anthon Van Rappard parurent en 1905, tandis qu’en 1911, les lettres de Van Gogh à Émile Bernard firent l’objet d’une édition de luxe en France. Le grand public découvrit définitivement l’exceptionnel talent épistolaire de Van Gogh à la sortie de la volumineuse publication Brieven aan zijn broeder, éditée en 1914 par la veuve de Theo, Jo Van Gogh-­Bonger. Les trois volumes parurent presque simultanément en allemand et furent traduits, intégralement ou non, dans bien d’autres langues par la suite. Hormis quelques lettres familiales,

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Jo n’y inclut que les lettres de Vincent à Theo (et à elle-­même, après son mariage avec ce dernier en 1889). Durant ces années, elle avait personnellement apporté une contribution cruciale à la reconnaissance de l’œuvre de Van Gogh : étant chargée d’administrer une importante partie de l’œuvre qu’il avait laissée, elle s’était consacrée dès le début à l’exposition et à la vente de ses dessins et tableaux. (L’ensemble des Van Gogh issus de la “collection familiale” revenaient officiellement à Vincent Willem, mais c’est Jo qui les avait gérés en qualité de tutrice légale de son fils mineur.) Elle considéra d’abord les lettres comme un moyen de mieux connaître Van Gogh en tant que personne ; aussi la préface qu’elle rédigea pour l’édition de 1914 est-­elle de nature biographique. Avec cette édition, Jo Van Gogh-­Bonger posa les bases des études sur la vie et l’œuvre de Van Gogh. L’honnêteté impose de préciser qu’elle édita les lettres selon des critères assez personnels : en particulier pour les premières années de la correspondance, elle supprima certaines répétitions et écarta les sujets susceptibles de heurter la sensibilité des membres de la famille encore en vie. Elle commit aussi quelques erreurs dans le classement des lettres et réunit parfois des feuilles qui n’allaient pas ensemble. En 1952‑1954 parut Verzamelde brieven, une édition en quatre volumes, revue et largement augmentée, de Vincent Willem Van Gogh, le fils de Jo et Theo, devenu le gardien de la collection familiale. Entre l’édition de sa mère et la sienne, des missives encore inconnues avaient fait leur apparition dans des revues et des éditions indépendantes, comme des lettres de Van Gogh à sa sœur Wil, des lettres de Theo à Vincent et des lettres de et à Paul Gauguin. Verzamelde brieven réunissait donc toute la correspondance connue à l’époque. Cette édition a formé durant plus d’un demi-­siècle le point de départ de nombreuses publications dans le monde entier ; c’est également à cette source que la recherche sur Van Gogh, en développement rapide, a puisé pendant le dernier quart du xxe siècle. Entre-­temps, la réputation de Van Gogh avait atteint des sommets ; tant ses œuvres que sa vie et sa correspondance suscitaient l’intérêt d’un large public. Le roman Lust for Life d’Irving Stone (1934) y contribua fortement – sa traduction française parut chez Seghers sous le titre La Vie passionnée de Vincent Van Gogh en 1955 –, tandis que le film qu’en tira Vincente Minelli en 1956 a modelé l’image de la vie et des souffrances de Van Gogh pendant des dizaines d’années. Les expositions organisées en Europe, aux États-­Unis et au Japon attiraient une multitude d’admirateurs. Dans le sillage de la notoriété toujours croissante de Van Gogh, ses lettres furent reconnues comme un texte littéraire à part entière. Depuis quelques décennies, l’homme qui ouvrit de nouvelles voies dans le dessin et la peinture est aussi considéré comme un écrivain de talent. Aux yeux de

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beaucoup, ce témoignage humain, qui n’avait pourtant pas été écrit pour être publié, représente l’un des sommets de la littérature mondiale. En 1990, une nouvelle édition considérablement augmentée fut publiée, mais uniquement en néerlandais. En 2009 vit le jour l’édition scientifique Les Lettres. Édition critique complète illustrée, fruit d’un projet de recherche mené durant quinze ans par une équipe d’éditeurs et de spécialistes du Van Gogh Museum, en collaboration avec Huygens Instituut voor Nederlandse Geschiedenis KNAW (qui s’appelait alors Constantijn Huygens Instituut voor Teksteditie en Intellectuele Geschiedenis) de l’Académie néerlandaise royale des sciences. Première édition annotée, elle parut à la fois sur internet (www.vangoghletters.org) et sous forme imprimée (en néerlandais, en français et en anglais). Elle fournit non seulement une nouvelle transcription de toutes les lettres sur la base des manuscrits originaux, mais aussi un appareil critique complet (quoique allégé dans la version papier) et la reproduction de toutes les œuvres d’art de Van Gogh et d’autres artistes qui sont mentionnées dans les lettres. Elle visait avant tout à l’exactitude et à l’exhaustivité. L’édition complète de 2009 constitue la base de la présente anthologie ; les mêmes éditeurs se sont chargés de la sélection des lettres et de la rédaction de la préface. Depuis la large diffusion de cette extraordinaire correspondance, la réputation de Van Gogh est assurée à égale mesure par ses tableaux, son parcours biographique et ses lettres. Aucun article, livre, catalogue, exposition ou film accordant à Van Gogh un rôle d’importance – et a fortiori le rôle principal –, aucun auteur, commissaire ou réalisateur ne peut se permettre d’ignorer ses lettres. Aussi est-­il important de tenir compte, à chaque nouvelle édition, des derniers éclairages sur le sujet, pour tous les lecteurs désireux de se plonger dans la pensée hors du commun d’un artiste qui fut et demeure encore aujourd’hui l’un des pionniers de l’art moderne.

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en partie crayeuse et couverte de buis, avec d’un côté un bois de grands chênes. La campagne, ici, est merveilleusement belle, tout autre chose que la Hollande ou la Belgique. On voit partout des parcs superbes plantés de grands arbres et de buissons. On peut s’y promener. À la Pentecôte, j’ai fait également une belle excursion avec ces Allemands, mais ces messieurs dépensent énormément d’argent, et à l’avenir je ne sortirai plus avec eux. J’ai appris avec plaisir par Pa qu’oncle H. va assez bien. Veux-­tu les saluer cordialement de ma part, lui et Tante, et leur donner de mes nouvelles. Dis aussi bien le bonjour à M. Schmidt et à Eduard, et écris-­moi vite. Adieu, porte-­toi bien. Vincent. Mon adresse est : Care of Messrs Goupil & Co. 17 Southampton Street Strand London.

londres

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Londres, dimanche 20 juillet 1873 À Theo Van Gogh (11, n) Londres, 20 juillet 1873 Mon cher Theo, Merci pour ta lettre, qui m’a fait grand plaisir. Je suis heureux que tu ailles bien et que tu continues à te plaire chez Monsieur Schmidt. M. Obach était heureux de faire ta connaissance. J’espère que par la suite nous ferons beaucoup d’affaires avec vous. Ce tableau de Linder est très beau. En ce qui concerne la photogravure, je sais bien à peu près comment cela se fait, mais je ne l’ai pas vu faire, et ça ne m’est pas suffisamment clair pour que je l’explique. Au début, l’art anglais ne m’a guère attiré, il faut s’y faire. Mais il y a ici d’excellents peintres, entre autres Millais, qui a peint “Le Huguenot”, Ophélie, etc., dont tu connais sans doute les gravures. C’est très beau. Puis Boughton, de qui tu connais “Puritains allant à l’église”, qui se trouve dans notre Galerie photographique. De lui, j’ai vu de très belles

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77 juillet 1873

choses. Ensuite, parmi les vieux peintres, Constable, un paysagiste qui vivait il y a une trentaine d’années. C’est magnifique, ça rappelle un peu Diaz et Daubigny. Et il y a Reynolds et Gainsborough, qui ont surtout peint de très beaux portraits de femmes. Et Turner, d’après qui tu as bien dû voir des gravures. Quelques bons peintres français habitent ici, entre autres Tissot, d’après lequel il y a plusieurs reproductions dans notre Galerie photographique, Otto Weber et Heilbuth. Le dernier fait actuellement des tableaux d’une remarquable beauté à la manière de Linder. À l’occasion, écris-­moi s’il y a des photographies d’après Wauters, en dehors de Hugo Van der Goes et Marie de Bourgogne ; et si tu connais des photographies de tableaux de Lagye et de Braekeleer. Je ne parle pas du vieux de Braekeleer mais, je crois, d’un fils qui avait, à la dernière exposition de Bruxelles, trois superbes tableaux, intitulés Anvers, L’école et L’atlas. Je me plais bien ici, je me promène beaucoup, l’endroit où j’habite est un quartier tranquille, agréable et aéré, je suis vraiment bien tombé. Pourtant, il m’arrive de penser avec mélancolie aux dimanches enchanteurs à Scheveningen, et cetera, mais je ne me laisse pas abattre pour autant. Tu auras certainement appris qu’Anna est à la maison et ne va pas bien. Ses vacances ont mal commencé, mais nous osons espérer qu’elle va déjà mieux. Merci pour ce que tu m’as écrit à propos de tableaux. Si jamais tu voyais des choses de Lagye, de Braekeleer, Wauters, Maris, Tissot, George Saal, Jundt, Ziem, Mauve, tu dois absolument me l’écrire, ce sont des peintres que j’aime beaucoup et dont tu verras probablement bien quelque chose un jour ou l’autre. Ci-­joint une copie du poème sur ce peintre que tu sais, “qui entrait au Cygne, l’auberge où il logeait”, tu t’en souviendras certainement. C’est vraiment le Brabant et je l’aime énormément. Lies l’a recopié pour moi le dernier soir que j’ai passé à la maison. Comme j’aimerais t’avoir un jour ici ! Quelles agréables journées nous avons passées ensemble à La Haye ! Je pense encore si souvent à cette promenade sur la route de Rijswijck où nous avons bu du lait au moulin, après la pluie. Lorsque nous vous retournerons les tableaux que nous avons de vous, je t’enverrai un portrait de ce moulin, par Weissenbruch. Tu te souviens peut-­être, son surnom est “le joyeux Wijs” : “C’est magnifique, dirrrais-­je.” Cette route de Rijswijck évoque pour moi des souvenirs qui sont peut être les plus enchanteurs que j’aie. Un jour, quand nous nous verrons, nous en reparlerons peut-­être encore.

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ramsgate, welwyn et isleworth

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rouge dans la brume matinale, de là, je me suis dirigé vers Whitechapel, ce quartier pauvre de Londres, puis vers Chancery Lane et Westminster, et puis à Clapham, afin de rendre visite à Mme Loyer, qui avait fêté son anniversaire le jour précédent. Dans le cœur de cette veuve, les psaumes de David et les chapitres d’Isaïe ne sont pas morts mais en sommeil. Son nom est écrit dans le livre de la vie. Je suis également allé chez M. Obach, pour revoir Mme et les enfants. Puis je suis reparti pour Lewisham, où je suis arrivé chez les Gladwell à 3 heures 30. Il y avait exactement 3 mois que j’y avais été, le samedi où leur petite fille avait été enterrée, j’avais passé près de 3 heures avec eux, et les pensées se bousculaient dans nos esprits à tous, trop nombreuses pour être exprimées. C’est également de là que j’ai écrit à Harry, à Paris. J’espère que tu le reverras un de ces jours. Il se pourrait bien que toi aussi tu ailles tôt ou tard à Paris. Le soir, à 10 heures 30, j’étais de retour ici, j’ai fait une partie du trajet en underground railway. Heureusement que j’avais reçu un peu d’argent pour M. Jones. Je travaille sur le Ps. 42:1. Mon âme a soif de Dieu, du Dieu vivant. À Petersham, j’ai dit aux membres de la congrégation qu’ils allaient entendre du mauvais anglais, mais que, lorsque je parlais, je pensais à l’homme dans la parabole qui disait “Aie patience envers moi et je te paierai tout”, que Dieu me vienne en aide ! Chez M. Obach, j’ai vu le tableau, ou plutôt l’esquisse, de Boughton : le voyage du pèlerin. Si jamais tu peux te procurer le Pilgrim’s progress de Bunyan, cela mérite d’être lu. Personnellement, je l’aime de toute mon âme. La nuit est venue, je suis encore occupé à travailler pour les Gladwell à Lewisham, quelques copies etc. ; il faut battre le fer tant qu’il est chaud et le cœur de l’homme tant qu’il est brûlant au-­dedans de nous. Demain, je retourne à Londres pour M. Jones. Au-­dessous des poèmes The journey of life et The three little chairs, il faudrait écrire : Pour le mettre à exécution lorsque les temps seraient accomplis, de réunir toutes choses en Christ, celles qui sont dans les cieux et celles qui sont sur la terre. Qu’il en soit ainsi. Une poignée de main en pensée, mes amitiés à M. et Mme Tersteeg et à tout le monde chez Roos et Haanebeek et Van Stockum et Mauve. Adieu. Crois-­moi Ton frère tant affectionné Vincent [Croquis 99A]

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99A. Églises à Petersham et Turnham Green

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172A-C. Nuages d’orage au-­dessus d’un champ ; Bêcheur ; Figure de femme

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172D. Bêcheur

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[Croquis 172E] Enfin, comme dit Mauve, “l’usine est en pleine activité”. Si tu veux et peux, pense au papier Ingres de la couleur du lin non blanchi, si possible la qualité la plus solide. En tout cas, écris-­moi bientôt si tu peux, et reçois une poignée de main en pensée. t. à t. Vincent [Croquis 172F-L]

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Mais il me vient à l’esprit que les peintres ici ont une manière de raisonner comme suit. Ils disent : Tu dois faire ceci et ça – si on ne le fait pas ou pas directement ou pas avec précision, ou si on objecte, on s’attire un : “Donc, tu prétends en savoir plus que moi ?” De ce fait, on se retrouve immédiatement en conflit, parfois dans les 5 minutes, et dans une telle situation que ni l’un ni l’autre ne peut ni avancer ni reculer. Situation dont l’aboutissement le moins détestable est qu’une des deux parties ait la présence d’esprit de se taire et de se carapater d’une manière ou d’une autre par la première issue venue. Pour un peu, on dirait : Sapristi, les peintres sont aussi une famille. C’est-­à-­dire une association fatale de personnes aux intérêts contradictoires, dont chaque membre est en désaccord avec le reste et dont deux ou plus ne partagent les mêmes sentiments que lorsqu’il s’agit d’unir leurs forces pour s’opposer conjointement à un autre membre. De cette définition du mot famille, mon cher frère, j’espère toutefois qu’elle n’est pas toujours d’application, surtout en ce qui concerne les peintres ou notre propre famille. Je souhaite de tout mon cœur que la paix se maintienne dans notre propre famille et reste avec une poignée de main,

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t. à t. Vincent [La partie supérieure de la feuille suivante manque ; le texte qui suit est biffé.] ne pas avoir peur [xxxxxxxxxxxxxxxxxxxxx] leur rendre la vie difficile s’ils préfèrent ne pas me voir. Même quand ils m’ont demandé récemment si je ne comptais pas venir un jour, j’ai refusé, afin qu’ils comprennent bien que je ne veux les déranger en rien. Seulement je souhaite aussi que, pour leur part, ils ne se mêlent pas de mes affaires. Alors que je tiens aux bonnes dispositions de ceux de la maison, Princenhage compte beaucoup moins pour moi. Si tu veux et peux avoir la bonté de ne pas parler de choses et d’autres, tant mieux, mais si on en parle et que cela ne soit pas évitable – tant pis, mais qu’est-­ce que ça me fait ? À présent, comme je l’ai dit, je ne désire rien tant que de préserver la paix, rien n’est plus nécessaire pour mon travail que cette paix. C’est pourquoi je te suis reconnaissant de tout ce que tu peux faire pour rassurer les gens de chez nous et t’arranger pour qu’ils gardent leur calme. J’espère que tu passeras là-­bas des jours agréables et que tu respireras beaucoup d’air brabançon. Je pense encore si souvent au Heike et je travaille de

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252A. Saule têtard

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nouveau ces jours-­ci à une étude de là-­bas, des cabanes aux toits moussus sous les hêtres. [Passage manquant au verso de la feuille] doit prendre. C’est plus ou moins l’effet d’un saule têtard, mais, dans l’aquarelle elle-­même, il n’y a d’autre noir que rompu. [Croquis 252A] Dans ce croquis, les endroits où le noir est le plus foncé correspondent aux couleurs les plus fortes de l’aquarelle – vert foncé, marron, gris.

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Si je parle de “meilleurs dessins”, c’est relatif. Parmi les études de têtes – hommes orphelins, etc. que j’ai encore ici – il y en a quelques-­ unes que je n’améliorerai pas immédiatement parce que la nature y est bel et bien, et quelque chose dont je ne suis évidemment pas encore satisfait mais dont je n’ose pas dire pour autant que je le ferai bien mieux demain ou après-­demain. Cependant, par “meilleurs dessins” j’entends autre chose, à savoir que je les concevrai différemment et essaierai d’y mettre plus de clair-­obscur, ce qu’on ne trouve guère ou pas dans mes études de cet hiver. Et cela, j’ose en tout cas te le promettre maintenant. Demain, la maison sera pleine de visiteurs : la mère et la sœur cadette de la femme, un garçon du quartier, et ces personnes poseront avec les membres de ma famille pour le dessin dont voici un premier croquis. Rappard travaille également beaucoup avec des modèles et à mon avis, il n’existe pas de meilleure méthode. Surtout si l’on reste fidèle à un modèle, on découvre de plus en plus de facettes en lui. Cette lettre complète donc celle d’hier en ce sens qu’elle te permet de voir que j’ai conçu aujourd’hui le projet d’une nouvelle aquarelle dans le genre de celle que je t’ai envoyée, et que j’aurai demain les modèles nécessaires à son exécution. J’espère la pousser plus loin que la précédente. Y parviendrai-­je ??? Je ne le sais pas à l’avance. Je m’y mets, bien qu’il me manque encore des choses. Mais j’ai une chose que je n’avais pas auparavant : une plus belle lumière. Et cela m’est plus précieux que je ne sais combien de couleurs. Si tu peux y ajouter la couleur, ajoute-­la, mais tu m’as déjà tant donné et je suis si peu satisfait à bien des égards du résultat atteint jusqu’à présent que je n’ose presque pas le demander. Enfin, je garde l’espoir que, tout comme en algèbre le produit de deux négatifs devient positif, le résultat de mes échecs puisse devenir une réussite. Adieu et mes meilleurs vœux pour ta malade, ou plutôt ta convalescente. t. à t. Vincent [Croquis 323C]

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323C. Distribution dans une soupe populaire

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sur les prix que j’ai payés jusqu’à présent ; en effet, nous nous sommes arrangés parce que l’imprimeur lui-­même n’était pas encore au fait et qu’il y avait des épreuves ratées, etc. Cependant, Smulders va me proposer des prix qui seront assez intéressants mais qu’il lui fallait calculer à son aise. Il s’agit des prix de différents formats de pierres pris à la douzaine, ainsi que des prix pour l’impression d’une et de deux douzaines de dessins. Sans oublier le prix du papier. La dernière fois que je l’ai vu, il était terriblement occupé et m’a dit : reviens m’en parler vers la fin de mars, nous contrôlerons tout cela ensemble au magasin. Donc, pour le moment, je ne sais presque encore rien quant aux prix. Que l’encre s’étende lors de l’impression ne dépend pas directement de l’épaisseur des lignes ; en tout cas, j’ai vu des lignes extrêmement épaisses reproduites de façon très nette. Pour ce qui est de ton ami, qui dessine avec une plume fine – c’est son affaire – mais moi, je trouve que c’est se fourvoyer – parce que je crains qu’il essaie d’obtenir ainsi un résultat étranger à la nature même du procédé. Si l’on veut travailler avec une fine pointe et sauvegarder quand même la vigueur – je ne connais qu’un moyen : l’eau-­forte. Si l’on veut travailler avec une plume à l’encre autographique, il ne faut pas à mon avis se servir d’une plume plus fine qu’une plume ordinaire. Les plumes très fines, tout comme les personnes très élégantes, sont parfois étonnamment inutilisables et à mon sens, il leur manque souvent la souplesse ou l’élasticité que la plupart des plumes ordinaires possèdent déjà dans une certaine mesure. L’année passée, j’ai bien acheté une demi-­douzaine de porte-­plumes spéciaux, très chers, et toutes sortes de plumes – c’était, sans exception, de la camelote. Mais à première vue, cela semblait très pratique. Enfin, moi non plus, je ne sais pas – il est possible qu’il y ait du bon là-­dedans et qu’on parvienne à un bon résultat en travaillant à l’encre autographique avec des plumes fines. Soit. Je serai ravi si le résultat obtenu est bon, mais j’aurais tendance à croire qu’on retire plus de satisfaction du trait plus généreux, plus brutal, d’une plume d’oie ordinaire par exemple. Autre chose. Connais-­tu la pierre noire ? L’année passée, mon frère m’en a donné quelques grands morceaux, au moins de cette taille-­ci. [Croquis 325C] Je l’ai utilisée, mais n’y ai guère prêté attention, puis je n’y ai plus pensé. Or, ces jours-­ci, j’en ai retrouvé un morceau et j’ai été frappé par la beauté de la couleur, un beau noir.

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325C-D. Morceau de pierre noire ; Tête féminine de profil, et deux ébauches

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à la campagne. Toutefois, imprimer mes tableaux dans la tête des gens me demandera encore bien des efforts. Entre-­temps, je n’ai nullement l’intention de me laisser décourager. J’ai repensé à ce que j’avais lu à propos de Delacroix – 17 de ses tableaux avaient été refusés, “dix-­sept de refusés” racontait-­il carrément lui-­même à ses amis. Je me suis dit aujourd’hui que ces pionniers étaient tout de même des gaillards extrêmement courageux. Mais aujourd’hui aussi, il faut poursuivre la lutte, et pour ma part je veux me battre également de toutes mes forces, aussi importantes ou infimes soient-­elles. Et donc, Theo, j’espère que nous continuerons l’un et l’autre ce que nous avons de nouveau entrepris. En attendant des compo­sitions plus importantes, ou plutôt pendant que je trime sur elles, je t’envoie les études telles qu’elles sortent en ligne droite des chaumières. Évidemment, on dira que ce n’est pas achevé ou que c’est laid, etc. etc., mais – à mon avis – montre-­les quand même. Pour ma part, je crois fermement qu’il y a certaines personnes qui, échouées dans la ville et prisonnières d’elle, gardent des impressions ineffaçables de la campagne et continuent leur vie durant à éprouver la nostalgie des champs et des paysans. Il arrive que de tels amateurs soient touchés par la sincérité et ce qui heurte les autres ne les incommode pas. Moi-­même, je sais qu’autrefois je flânais pendant des heures en ville, longeant les vitrines pour voir une image, n’importe quoi, offrant un reflet de la campagne. Nous commençons maintenant à montrer mes œuvres ; je crois fermement que peu à peu nous leur trouverons quelques amateurs. Nous sommes pressés par les circonstances et petit à petit nous pourrons également montrer des choses meilleures. En ce moment, ce qui me préoccupe fortement, c’est de régler ma note de couleurs et de plus, il me faut de la toile, des couleurs et des pinceaux. Comme tu as dû, par suite du décès de Pa, faire pour la famille des choses sortant de l’ordinaire, j’ai eu l’idée suivante. Supposons que tu ne te sentes pas à même de me donner ce que je recevais comme extra les années précédentes au printemps et en été et dont je ne peux d’ailleurs pas me passer. Dans ce cas, ne trouverais-­tu pas équitable que lors du règlement des affaires je me réserve une somme de par ex. 200 fr. sur ma part, que pour le reste je laisse volontiers aux jeunes. Et que je pourrai leur laisser dans son intégralité s’il t’est possible de m’aider.

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490A. Monnaies-足du-足pape dans un vase

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691B. La Maison jaune (“La Rue”)

691C. Nuit étoilée sur le Rhône

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Arles, mercredi 3 octobre 1888 À Paul Gauguin (695, f) Mon cher Gauguin,

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ce matin j’ai reçu votre excellente lettre que j’ai derechef envoyé à mon frère ; votre conception de l’impressioniste en général, dont votre portrait est un symbole, est saisissante. Je suis on ne peut plus intrigué de voir cela – mais il me semblera j’en suis sûr d’avance que cette œuvre soit trop importante pour que j’en veuille en echange. Mais si vous voulez la garder pour nous, mon frère la vous prendra, ce que je lui ai immédiatement demandé, si vous voulez à la premiere occasion et esperons que cela sera sous bien peu. Car nous chercherons encore une fois à presser la possibilité de votre venue. Je dois vous dire que meme pendant le travail je ne cesse à songer à cette entreprise de fonder un atelier ayant vous-­meme et moi pour habitants fixes mais dont nous desirerons tous les deux faire un abri et un asile pour les copains au moments où ils se trouveront acculés dans leur lutte. Lorsque vous etes parti de Paris mon frère et moi y avons encore passé ensemble un temps qui me demeurera toujours inoubliable. Les discussions avaient pris une envergure plus large – avec Guillaumin, avec Pissarro pere et fils, avec Seurat que je ne connaissais pas (j’ai visité son atelier juste quelques heures avant mon départ). Dans ces discussions il s’est souvent agi de ce qui nous tient si fort au cœur à mon frere comme à moi, des mesures à prendre pour sauvegarder l’existence materielle des peintres et de sauvegarder les moyens de production (couleurs, toiles) et de sauvegarder à eux directement leur part dans le prix que ne prennent leurs tableaux actuellement que longtemps après avoir cessé d’etre la propriété des artistes. Lorsque vous serez ici nous repasserons en revue toutes ces discussions-­là. Quoi qu’il en soit, lorsque j’ai quitté Paris, bien bien navré, assez malade et presqu’alcoolique à force de me monter le cou alors que mes forces m’abandonnaient – alors je me suis renfermé en moi-­même et sans encore oser espérer. à présent dans le vague d’un horizon cependant, voilà qu’elle me vient, l’espérance, cette espérance à éclipse qui dans ma vie solitaire m’a parfois consolée.

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arles

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Roulin a été excellent pour nous et j’ose croire que cela restera un ami solide dont j’aurai encore assez souvent besoin car il connait bien le pays. Nous avons diné ensemble aujourd’hui. Si jamais tu veux rendre l’interne Rey très heureux voici ce qui lui ferait bien plaisir : il a entendu parler d’un tableau de Rembrandt, la lecon d’anatomie. Je lui ai dit que nous lui en procurerions la gravure pour son cabinet de travail. Aussitot que je me sentirai un peu en force j’espère faire son portrait. Dimanche dernier j’ai rencontré un autre médecin qui au moins theoriquement est au courant de ce qu’est Delacroix, Puvis de Chavannes et qui est très curieux pour connaitre l’impressionisme. J’ose espérer de faire plus amplement connaissance. Je crois que cette gravure de la lecon d’anatomie est du fonds de François Buffa & fils et que le prix net doit etre de 12 à 15 francs. il faudrait la faire encadrer ici pour éviter frais de transport. Je t’assure que quelques jours à l’hopital étaient tres intéressants et on apprend peutêtre à vivre des malades. J’espère que je n’ai eu qu’une simple toquade d’artiste et puis beaucoup de fievre à la suite d’une perte de sang tres considérable, une artère ayant été coupée. mais l’apetit m’est revenu immediatement, la digestion va bien et le sang se refait de jour en jour et ainsi de jour en jour la serenité me revient pour la tête. Je te prie donc d’oublier de parti pris deliberé ton triste voyage et ma maladie. La peinture est le métier que tu sais et bigre nous n’avons peutêtre pas tort de chercher à garder notre cœur humain. Tu vois que je fais ce que tu m’as demandé, que je t’ecris ce que je sens et ce que je pense. De ton côté poursuis avec calme cette rencontre avec les Bonger, j’espère que cela se maintiendra comme amitie solide et que peutetre c’est même plus. Si je reste ici c’est parceque pour le moment je ne saurais peutêtre pas me transplanter. Au bout de quelque temps nous pouvons revoir le pour et le contre de la situation et refaire les calculs. Je te serre bien la main. t. à t. Vincent

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Arles, jeudi 17 janvier 1889 À Theo Van Gogh (736, f) Mon cher Theo

Donné à Roulin pour payer à la femme de ménage son mois de Décembre 20 francs. re ainsi que 1 quinzaine Janvier 10  " Payé à l’hopital   "  aux infirmiers qui m’avaient pansé En revenant ici payé une table, un réchaud à gaz & c. qui m’avait eté prêté et que j’ai pris alors à compte. Payé pour faire blanchir toute la literie, le linge ensanglanté & c. Divers achats comme une douzaine de brosses, un chapeau & c. & c. mettons

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merci de ta bonne lettre ainsi que du billet de 50 francs qu’elle contenait. Répondre à toutes tes questions, le peux tu toi-­même, dans ce moment je ne m’en sens pas capable. Je veux bien réflexion faite chercher une solution mais il faut que je relise encore ta lettre & c. Mais avant de discuter ce que je dépenserais ou ne depenserais pas pendant toute une anée, cela nous mettrait peut-­être sur une voie de revoir un peu rien que le mois actuel, courant. Dans tous les cas cela a été lamentable tout à fait et certes je me compterais heureux si enfin tu eusses un peu l’attention sérieuse pour ce qui en est et en a été si longtemps. Mais que veux tu, c’est malheureusement compliqué de plusieurs façons, mes tableaux sont sans valeur, ils me coutent il est vrai des dépenses extraordinaires, même en sang et cervelle peutêtre parfois. Je n’insiste pas et que veux tu que je t’en dise. Revenons toujours au mois actuel et ne parlons que de l’argent. – Le 23 decembre il y avait encore en caisse un Louis et 3 sous. Ce même jour j’ai reçu de toi le billet de 100 francs. Voici les dépenses

fr 30.-­ 21 10 20 12,50 10

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saint-­rémy-­de-­provence

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y a-­t‑il de quoi s’en étonner qu’il ait fléchi sous un poids trop lourd et a-­t‑on raison lorsque de là on voudrait déduire qu’artistiquement parlant il aie manqué son œuvre. J’ose croire que non. il y avait du calcul bien logique chez lui et une originalité de peintre qu’il demeure regrettable qu’on n’aie pas pu soutenir de façon à en rendre l’éclosion plus complète. Je t’envoie ci inclus un croquis de cigales d’ici. Leur chant dans les grandes chaleurs a pour moi le même charme que le grillon dans le foyer du paysan chez nous. Mon brave – n’oublions pas que les petites émotions sont les grands capitaines de nos vies et qu’à celles là nous y obéissons sans le savoir. Si reprendre courage sur des fautes commises et à commettre, ce qui est ma guérison, m’est encore dur, n’oublions pas dès lors que soit nos spleens et mélancolies soit nos sentiments de bonhomie et de bon sens ne sont pas nos guides uniques et surtout pas nos gardes définitifs et que si tu te trouves toi aussi devant de dures responsabilités à risquer sinon à prendre, ma foi ne nous occupons pas trop l’un de l’autre alors que fortuitement les circonstances de vivre dans des états de chôses si éloignés de nos conceptions de jeunesse de la vie d’artiste nous rendraient frères quand même comme étant à maint égard compagnons de sort. Les choses se tiennent tellement qu’ici on trouve des cafards dans le manger parfois comme si on était vraiment à Paris, par contre il se pourrait qu’à Paris tu aies parfois une vraie pensée des champs. C’est certes pas grand chôse mais enfin c’est rassurant. Prends donc ta paternité comme la prendrait un bonhomme de nos vieilles bruyères, lesquelles à travers tout bruit, tumulte, brouillard, angoisse des villes, nous demeurent, quelque timide que soit notre tendresse, ineffablement chères. C’est à dire prends la ta paternité dans ta qualité d’exilé et d’étranger et de pauvre, désormais se basant avec l’instinct du pauvre sur la probabilité d’existence vraie de patrie, d’existence vraie au moins du souvenir, alors même que tous les jours nous oubliions. Tel tôt ou tard nous trouvons notre sort. Mais certes pour toi comme pour moi il serait un peu hypocrite d’oublier notre bonne humeur, notre laisser aller confiant de pauvres diables tels que nous allions dans ce Paris, si étrange à présent, tout à fait – et de trop appesantir sur nos soucis. Vrai j’en suis si content de ce que si ici parfois il y a des cafards dans le manger, chez toi il y a femme et enfant. D’ailleurs c’est rassurant que par exemple Voltaire nous aie laissé libres de croire pas absolument tout de ce que nous nous imaginons. Ainsi tout en partageant les soucis de ta femme sur ta santé je ne vais pas jusqu’à croire ce que momentanément je m’imaginais que des inquiétudes pour moi étaient cause de ton silence à mon égard relativement

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790A. Trois cigales

assez long, quoique cela s’explique si bien lorsqu’on y songe combien une grossesse doit nécessairement préoccuper. Mais c’est très bien et c’est le chemin où tout le monde marche dans l’existence. à bientôt et bonne poignée de main à toi et à Jo.

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t. à. t. Vincent. en hâte mais voulais ne pas tarder à envoyer la lettre pour l’ami Gauguin, tu dois avoir l’adresse. [Croquis 790A]

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896A-C. Jeune fille sur un fond de blés ; Couple se promenant entre des rangées de peupliers ; Champs de blé

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Ce sera comme ce sera, tu ne t’es pas épargné du mal pour eux, tu leur as servi avec une fidelité exemplaire tout le temps. Je cherche moi à faire aussi bien que je peux mais ne te cache pas que je n’ose guere y compter d’avoir toujours la santé nécessaire. Et si mon mal revenait tu m’excuserais, j’aime encore beaucoup l’art et la vie mais quant à jamais avoir une femme à moi je n’y crois pas très fort. Je crains plutôt que vers mettons la quarantaine – mais ne mettons rien – je déclare ignorer, mais absolument absolument, quelle tournure cela puisse encore prendre. Mais je t’écris de suite que pour le petit je crois qu’il ne faut pas t’inquieter outre mesure ; si c’est qu’il fait ses dents, eh bien pour lui faciliter la besogne peutêtre pourrait on le distraire davantage ici où il y a des enfants, des bêtes, des fleurs et du bon air. Je vous serre bien la main à toi et à Jo en pensée et embrasse le petit. t. à v. Vincent

Il viendra probablement te voir un Anglais, australien, nommé Walpole Brooke, demeurant 16 Rue de la grande chaumière – je lui ai dit que tu lui indiquerais une heure où il pourrait venir voir mes toiles qui sont chez toi. Il te montrera probablement de ses études, qui sont encore assez ternes mais il observe pourtant la nature. Il a été ici à Auvers durant des mois et nous sortions quelquefois ensemble. il a été elévé au Japon, on ne le dirait pas en voyant sa peinture – mais cela pourrait venir.

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merci de l’envoi de couleurs, du billet de 50 fr. et de l’article sur les Indépendants.

Auvers-­sur-­Oise, vers le jeudi 10 juillet 1890 À Theo Van Gogh et Jo Van Gogh-­Bonger (898, f) Chers frère & sœur, la lettre de Jo a été pour moi réellement comme un évangile, une délivrance d’angoisse que m’avaient causée les heures un peu difficiles & laborieuses pour nous tous que j’ai partagées avec vous. – C’est pas peu de

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902A. Le Jardin de Daubigny

902B. Champs de blĂŠ

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902C. Chaumières et figures

902D. Champs de blé

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LETTRES DE VINCENT VAN GOGH

VINCENT VAN GOGH

La correspondance conservée de Vincent Van Gogh (1853-1890) débute en 1872 et s’achève en 1890. Elle comprend 903 lettres dont cette anthologie propose une large sélection. De son vivant, Van Gogh n’était connu que par un cercle étroit d’artistes et de critiques d’avant-garde. Peu après sa mort, la popularité croissante de ses tableaux coïncida avec un intérêt grandissant pour ses lettres. Ceux qui eurent sous les yeux ces écrits exceptionnels prirent immédiatement conscience qu’ils ne livraient pas seulement une image détaillée de la vie de l’artiste et de l’exécution de ses œuvres, mais qu’ils affirmaient un regard pénétrant en même temps qu’un remarquable talent d’écrivain. Plus encore, ils apportaient un éclairage inestimable sur ses convictions et ses intentions artistiques. Pour tous les lecteurs désireux de se plonger dans la pensée d’un artiste hors du commun, qui fut et demeure aujourd’hui encore l’un des pionniers de l’art moderne, ce témoignage humain représente l’un des sommets de la littérature épistolaire.

LETTRES

265 lettres et 110 dessins originaux

L’ART DES MOTS

VINCENT VAN GOGH

Cette anthologie constitue la version abrégée de Vincent Van Gogh. Les Lettres, édition critique intégrale et illustrée, en six volumes, sous la direction de Leo Jansen, Hans Luijten et Nienke Bakker, publiée en 2009 par le Van Gogh Museum, Amsterdam, le Huygens ING (Académie royale néerlandaise des sciences), La Haye, et les éditions Actes Sud, Arles.

LETTRES sous la direction de Leo Jansen, Hans Luijten et Nienke Bakker

ACTES SUD ISBN 978-2-330-05370-3 DÉP. LÉG. : SEPT. 2015 52 e TTC France www.vangoghmuseum.com www.huygens.knaw.nl www.actes-sud.fr

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ACTES SUD

ACTES SUD

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