Margiela, les années Hermès

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MARGIELA LES ANNEES HERMES



Margiela, les annÊes Hermès


Ă€ Jenny Meirens et Jean-Louis Dumas

Martin Margiela


MARGIELA LES ANNEES HERMES



Préface 7 9

Suzy Menkes Kaat Debo

Dédicace 17

Marie-Claude Gallien

Essais 23

Kaat Debo Vincent Wierink 181 Rebecca Arnold 229 Sarah Mower 107

Margiela, les années Hermès Les mots d’une garde-robe Luxury, luxe, luxus. Redéfinir la mode pour le nouveau millénaire Du premier rang des défilés

Interviews 65

Sandrine Dumas Dumas Jenny Meirens Olivier Zahm Véronique Nichanian Linda Loppa Nadège Vanhée-Cybulski Patrick Scallon Sophie Pay May Vervoordt Joanna Van Mulder Sibylle de Saint Phalle Kanako Koga Kate Betts Marina Faust Akiko Fukai Christian Blanckaert Stéphane Wargnier

83 Pierre - Alexis 95 96 140 144 148 161 168 174 195 196 201 203 208 212 223 243


HERMĂˆS, Automne-Hiver 2003-2004, manche kimono en cachemire double-face.


Préface

SUZY MENKES

À la fin des années 1980, il était pour le moins audacieux de présenter la déconstruction comme une forme d’art. La mode atteint alors des sommets d’opulence et d’extravagance — elle est osée, impertinente et cherche bruyamment à attirer l’attention. Seule une toute petite voix, celle du calme, tient un autre discours. L’excès fait place à des vêtements à l’aspect usé. Face à l’exagération, une élégance apaisée apparaît. Une orgie de richesses est remplacée par des vêtements délibérément déconstruits : pinces mises en évidence et cols effilochés, ainsi que chaussures au gros orteil séparé des autres. Martin Margiela modifie le cours de la mode — mais de manière subtile, subversive. Encore plus insaisissable et invisible que Rei Kawakubo chez Comme des Garçons, Margiela rejette le podium, les top-modèles et l’idée même d’utiliser son image pour incarner sa marque. Son atelier est peint en blanc du sol au plafond. Et son équipe porte des vestes blanches comme s’ils travaillaient dans un laboratoire de mode. Margiela obtient son diplôme en 1980 à l’Académie Royale d’Anvers, avant de faire ses débuts chez Jean Paul Gaultier entre 1984 et 1987. En 1988, il crée avec Jenny Meirens la Maison Martin Margiela, la maison du fil lâche et des étiquettes cousues avec quatre larges points de fil blanc. L’anticonformisme du styliste lui confère un statut dans le monde de la mode : des collections faisant découvrir des vêtements emballés dans des sachets en plastique de nettoyage à sec et qui sont présentées dans des terrains vagues aux abords de Paris ; des invitations griffonnées sur des enveloppes ; des perruques utilisées comme brins de fil ; des vêtements présentés en deux sections : les noirs d’un côté, les blancs de l’autre. Margiela a le don de rendre l’ordinaire extraordinaire. Et cette collaboration inattendue avec Hermès entre 1997 et 2003 en est la plus haute expression. Il s’agit d’un face-à-face entre le grand radical du monde de la mode et la noble maison française. Le blanc des blouses d’hôpital rencontre l’orange du crépuscule. Les pièces à superposer impeccablement coupées et inspirées du modèle de la vareuse à col en V confèrent une élégance intemporelle à la collaboration. Les boutons cousus à la main, les points formant un “H” pour Hermès, témoignent de l’extrême attention portée au détail. Dix-huit années de stockage n’ont pas entamé la qualité exceptionnelle des cuirs, des cachemires et des tissus les plus fins de ces pièces. L’exposition montée par Kaat Debo au MoMu constitue une mémoire de la mode. Conçue avant l’âge d’Internet, des smartphones et des images instantanées d’Instagram, l’interprétation exceptionnelle de l’élégance moderne par Margiela risquait d’être perdue. Cette exposition dévoile son classicisme naturel — avec une touche d’anticonformisme. Rédactrice internationale pour Vogue

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MAISON MARTIN MARGIELA, Printemps-Été 1989, veste ajustée à carrure étriquée et rembourrage d’épaule cigarette, de la toute première collection de la Maison Martin Margiela.

HERMÈS, Automne-Hiver 1998-1999, datant de la première collection de Martin Margiela pour Hermès. Doublure amovible en poil de chameau, portée en manteau ou en cape, veste vareuse en cachemire façon Shetland, pull sans coutures en cachemire et porteclés Clochette en box porté en sautoir.



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HERMÈS, Printemps-Été 1999, défilé dans le magasin Hermès, rue du FaubourgSaint-Honoré. Chemise vareuse en popeline de coton, T-shirt en jersey de soie, pantalon en laine et ceinture de cuir, chaussures sport Quick en box (Pierre Hardy).

MAISON MARTIN MARGIELA, Printemps-Été 2009, chemises oversize en coton à dos plaqué sur body à épaulettes, sandales XXXL. p. 20-21 Rebecca Mead, “The Crazy Professor”, The New Yorker, 30 mars 1998.




MARGIELA, LES ANNÉES HERMÈS KAAT DEBO

Par un bref communiqué de presse daté du 28 avril 1997, la maison Hermès annonçait la nomination de Martin Margiela en tant que nouveau directeur artistique du prêt-à-porter féminin. À cette époque, l’arrivée de Martin Margiela chez Hermès faisait suite à une longue série de nominations de créateurs étrangers au sein de prestigieuses maisons de mode européennes. Sans doute est-ce le créateur américain Tom Ford qui fut le précurseur d’un phénomène apparu au milieu des années 1990, visant à donner un nouveau souffle aux traditionnelles maisons de mode. Leur stratégie de marketing consistait à associer des têtes célèbres et top-modèles à la marque, et à vendre notamment des accessoires. Tom Ford, devenu directeur artistique chez Gucci en 1994, avait bien compris que dans les grandes métropoles une nouvelle génération fortunée était à l’affût de produits de luxe, histoire d’afficher au grand jour son nouveau statut et sa fortune. Le sac Jackie que lança Ford en 1999, une réédition du sac Jackie O des années 1960 chez Gucci, ouvrait la décennie des it bags. Gucci en vendit plus d’un million d’exemplaires. L’exploitation des initiales Gucci sur un flux continu d’accessoires allait

HERMÈS, Automne-Hiver 1998-1999, pull à col montant en cachemire porté avec des gants longs en nubuck, pantalon de cerf.

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Avant son arrivée, la tradition Hermès voulait que chaque vêtement ou accessoire soit “baptisé” d’un nom. Pour Martin, dont le français n’est pas la langue maternelle, mettre sa mode “en mots” est difficile, d’autant plus pour obéir à une tradition qui ne lui parle pas. La directrice du studio, Marie-Claude Gallien, sa plus proche collaboratrice chez Hermès, et moi-même à l’extérieur allons dès lors l’aider à instituer un vocabulaire, en accord avec sa vision. / Tout d’abord, les couleurs s’effacent, les tonalités s’imposent : craie, mastic, ficelle, taupe, albâtre, bronze, pierre, ardoise, jusqu’au noir brûlé… À ces tonalités voulues “neutres” vont répondre des thèmes récurrents, se déclinant au fil des saisons, hivernales ou estivales.

Les portés par deux se réfèrent à des ensembles où deux vêtements souvent identiques se superposent dans des matières très variées comme la flanelle de cachemire souple, le tricot de baby cachemire… jusqu’à la fourrure de chevreau retournée. Accroissant les options de gestuelle, ils instaurent une “géométrie variable” novatrice, élégante mais précieuse contre les caprices du climat. Au twin-set succède le triple-set : trois fines couches d’une maille cachemire/soie composent un pull sans manches, une tunique au V profond et un cardigan sans boutons et vont permettre – susciter même – un subtil jeu de “porté”. Ce porté par trois ne concernera d’ailleurs pas que la maille, si exquise fût-elle.

HERMÈS, Automne-Hiver 1999-2000, deux manteaux identiques en cachemire “portés par deux”, pull à col montant sans manches, gants en cachemire.


HERMÈS, Automne-Hiver 19992000, pull tunique sans manches en cachemire et soie et porte-clés Clochette en box porté en sautoir. Ce dernier est un agrandissement de la clochette du sac à main Kelly.


MAISON MARTIN MARGIELA, Printemps-Été 1996, voile, top et jupe en soie, imprimés en trompe-l’œil de photographies noir et blanc de vêtements vintage, semelles à talons fixés aux pieds par du Scotch transparent. MAISON MARTIN MARGIELA, Printemps-Été 1996, les coulisses du défilé de la collection trompe-l’œil. p. 172-173 MAISON MARTIN MARGIELA, Printemps-Été 1996, la collection trompel’œil, des imprimés de photographies d’une garde-robe vintage, exposée dans le showroom du passage Ruelle à Paris. Les cintres de pressing soulignent l’absence de coupe des vêtements.





Principalement dans ses inventions en matière de coupe et de matière qui privilégient le confort et l’intemporalité, et qui trouvent leur point de départ non plus dans l’œil de celui qui regarde le vêtement, mais dans le bien-être de celle qui le porte, quel que soit son âge. Comme Hermès, Martin Margiela cultive une approche épurée de l’objet créé ; il prête la plus grande attention aux matières, y compris nouvelles et recyclées ; il aime innover, tout en sachant ce que l’atelier exige de patience et de minutie. Par l’image, l’analyse et le témoignage, cet ouvrage rend hommage à la très riche “période” Hermès, et se propose d’éclairer les interactions entre l’un des designers phares de ce début de XXIe siècle et la célèbre maison parisienne au patrimoine ancestral.

ISBN 978-2-330-07593-4

9 782330 075934 Dép. lég. : avril 2017 45 € TTC France www.actes-sud.fr

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MARGIELA LES ANNÉES HERMÈS

Quand, en 1997, le styliste belge Martin Margiela est appelé par Jean-Louis Dumas pour assurer la direction artistique des collections de prêt-à-porter femme de la maison de luxe française Hermès, il est déjà un concepteur d’avant-garde influent. D’où vient la force de cette association qui, bien qu’achevée en 2003, provoqua dans l’univers de la mode un séisme dont les répliques se ressentent encore de nos jours ?

MARGIELA LES ANNEES HERMES 19/02/17 20:37


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