Jean Nouvel / Claude Parent, Musées à venir
L’ouvrage Jean Nouvel / Claude Parent, Musées à venir est né de l’exposition présentée du 14 janvier au 28 février 2016 à la Galerie Azzedine Alaïa, plaçant en dialogue deux figures majeures de l’architecture contemporaine. Il inclut les documents de l’exposition, articulés autour de la présentation, et par Jean Nouvel, et par Claude Parent, de quatre projets de musées non réalisés, du Plateau Beaubourg (1971) pensé par les deux architectes au Nouveau Musée de Claude Parent (2014-2015). Ce livre, deuxième coédition du couturier avec Actes Sud, établit une plateforme unique pour comprendre le rôle du musée dans notre monde, et le rôle de l’architecture dans la conception du musée : le volume intègre ainsi la définition de ces deux visions de l’architecture muséale, des essais critiques de Philippe de Montebello (directeur émérite, Metropolitan Museum of Art, New York) et Hans Ulrich Obrist (codirecteur, Serpentine Galleries, Londres) et, pour chaque musée, une programmation fictionnelle d’un conservateur, une visite par un écrivain et une proposition d’œuvre par un artiste. Ces contributeurs du monde entier, comptant parmi les plus éminents dans leurs champs, donnent à chacun de ces musées non réalisés une existence dans un espace autre.
Jean Nouvel Claude Parent
ACTES SUD Dépôt légal : janvier 2016 | ISBN : 978-2-330-05686-5 | 32 e TTC France
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ACTES SUD | ASSOCIATION AZZEDINE ALAÏA
Sous la direction de Donatien Grau
Musées à venir
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SOMMAIRE
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Avant-propos Azzedine Alaïa Introduction : Dans la cité humaine Donatien Grau
Positions 17 Quelques convictions éparses à propos du musée... Jean Nouvel 23 Cette histoire de musée Claude Parent 32
Jean Nouvel
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I. Centre national d’art et de culture / plateau Beaubourg (Centre Pompidou) (1971) Projet de Nicolas Godin Séjourner dans la vision, Yannick Haenel Programmation de Bill Sherman
44 51 54 57 64 67 71 75 86 91 94 97 106 109 118
II. Musée du halo de la flèche (1989) Projet d’Adel Abdessemed L’ombre de la flèche, Olivier Py Programmation d’Hervé Barbaret III. Guggenheim de Guadalajara (2005) Projet de Marc Newson Un territoire de déstabilisation, Linda Lê Programmation de Jeffrey Spier IV. Musée de Lascaux 4 (2012) Projet de Miquel Barceló Notes sur Lascaux, Maël Renouard Programmation de Roger Malbert
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Claude Parent
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I. Centre national d’art et de culture / plateau Beaubourg (Centre Pompidou) (1971) Projet de Paul McCarthy Le tumulus urbain de Claude Parent, Maylis de Kerangal Programmation d’Aram Moshayedi
143 154 157 161
II. Musée d’art moderne oblique (1972) Projet de Kris Ruhs La visite du Musée oblique, Jean-Philippe Toussaint Programmation de Cécile Debray
163 172 175 182
III. Scénographie oblique (2013) Projet d’Alejandro Jodorowsky La démocratie des angles, Tristan Garcia Programmation de Xavier Rey
185 198 203 206
IV. Nouveau Musée (2014-2015) Projet d’Anish Kapoor Visite de Camille de Toledo Programmation de Thierry Grillet
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Conclusion Ever Parent Ever Nouvel Hans Ulrich Obrist Le musée et l’architecture Philippe de Montebello
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220 Légendes 224 Biographie des auteurs 227 Remerciements
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Avant-propos
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Azzedine Alaïa
Je suis très heureux de présenter “Musées à venir”, une exposition de projets non réalisés de Jean Nouvel et de Claude Parent. Je consacre des expositions aux personnes que j’aime et dont j’admire le travail. Je leur ouvre ma maison. Elles sont chez elles. C’est une joie de l’ouvrir à Jean Nouvel et à Claude Parent : j’aime leur personne et j’admire profondément leur travail. C’est aussi au public que je l’ouvre, lui permettant de découvrir ce qu’il n’a, souvent, jamais vu. Jean-Louis Froment, à qui je dois beaucoup pour ma connaissance de l’art et de l’architecture, m’a fait rencontrer Jean Nouvel, il y a trente ans. Il est très vite devenu un ami. Son invitation à travailler avec lui pour Les Noces de Figaro, à Los Angeles, reste pour moi un grand moment. Claude Parent est une rencontre plus récente : la complicité est aussi intense, aussi dense qu’avec d’autres amitiés plus anciennes. Son œil et son expertise m’ont fasciné : nous avons pu nous rencontrer aussi bien sur l’architecture que sur la mode, dans le dessin, et sur le regard que nous portons sur les femmes. Quand nous nous sommes rencontrés, avec Claude Parent et Jean Nouvel, nous avons immédiatement parlé des musées : de la lecture de l’Histoire et de la connaissance qu’ils nous offrent ; de ces conversations avec des œuvres, qui sont comme un repos face au travail qui ne s’arrête jamais. Les musées sont ma lecture. Ces musées non réalisés sont le livre des récits possibles ; ces musées que nous aurions pu lire, et qui auraient pu nous lire ; les images qui s’y rassemblent nous donnent à sentir le temps, directement. Je suis ravi de les découvrir moi-même, et de les donner à voir ; de donner un espace à cette liberté.
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Positions
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Quelques convictions éparses à propos du musée…
Jean Nouvel
L’idéologie dominante veut qu’une œuvre ou un objet exceptionnellement intéressant devienne visible par tous et soit protégé… qui dit visible par tous et protégé pense musée : c’est effectivement sa vocation légitime… Ainsi se créent des trésors exhibés, mais aussi des accumulations et des rencontres inimaginables dans d’immenses réserves, généralement en sous-sol… espèces de cavernes d’Ali Baba bien organisées… Ces collections représentent un monde caché qui n’appartient plus aux amateurs d’art… comme d’immenses bibliothèques essentiellement accessibles aux conservateurs… Se faire montrer une œuvre là-dedans et dans ces conditions est une sacrée épreuve… A priori, les œuvres d’art devraient être pour l’essentiel dans des milieux vivants… le musée aussi devrait être vivant… le musée devrait être la ville… Je suis plutôt pour une conception grecque du musée : un lieu dans lequel nous venons et revenons… où les choses et les idées tournent… où sont mises en évidence les pensées entre les murs et sur les murs… Pas uniquement un lieu de conservation mais aussi de conversation… évidemment je suis pour la conservation… elle demeure la fonction essentielle du musée. Nous devrions normalement aller dans un musée en sachant un peu ce que nous allons voir… or le musée devient un lieu de consommation… nous allons y voir cent ou cinq cents chefs-d’œuvre en même temps… il y a là quelque chose de pantagruélique qui fait
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défendre, analyser l’objet exposé, et le proposer au spectateur qui était le seul maître après Dieu. Et avec Bloc j’étais à bonne école car il ne plaisantait pas sur le rôle critique de la revue L’Architecture d’Aujourd’hui, qui régnait en maître sur le monde de l’architecture, dans tous les pays. Mais de 1950 à 2015 les choses ont tellement évolué – pression de l’image, imprécision du discours critique – que la mise en lumière évidente de ce qu’on expose n’est plus la fin en soi et que l’à-peu-près se manifeste tous les jours pour mieux répondre à la voracité de la mode et de ses soubresauts. D’où hélas, pour moi, la remise en question de la forme des outils de la communication du projet artistique en lui-même – je veux dire des musées en premier lieu et de leur façon d’agir vis-à-vis du public comme de leur traitement des visiteurs. Le musée d’aujourd’hui s’épuise, alors que celui de demain se met en place. Ce renouvellement semble s’opérer plus par effet de mode que par réflexion sur sa philosophie, son visage, qui est aujourd’hui assimilé à sa clientèle, et les services qu’il lui rend. Cet aspect est une construction : il ne répond pas aux attentes des visiteurs, ni véritablement à celles des dirigeants et des conservateurs, ni même des artistes qui y exposent. Il manque un renouvellement théorique de la muséographie et une philosophie neuve qui réponde mieux à ce qu’attendent les spectateurs : ils commencent à se lasser d’être traités comme une “clientèle” engloutie dans des foules incontrôlables. Le musée devient, accompagné de ses conservateurs savants, un lieu voué à la contemplation d’œuvres exceptionnelles, d’objets rares à vision souvent trop rapide afin de drainer le plus de monde possible vers des chefs-d’œuvre à réputation mondiale confirmée. Cette soumission totale au visuel s’allie à une présence absolue de la foule devant cette vitesse abusive de la rencontre entre population et œuvre d’art. Les musées ne peuvent plus répondre de façon pertinente à ce qu’on en attend, exige ou tout du moins
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demande : des réponses nouvelles, des propositions moins attachées au visuel, un regard plus concentré du spectateur, une attention plus soutenue du public sur ses propres déplacements. En fait, si le musée d’aujourd’hui s’épuise, si les conservateurs le savent bien mais n’osent pas le dire, c’est qu’ils attendent en silence que l’architecture jette de nouvelles réponses muséographiques en sauvetage des muséographes en attente. Répétons-le : c’est l’architecture qui est coupable d’inertie, de manque d’invention, d’absence d’innovation. Il convient dès lors d’élaborer un nouveau musée, échappant au visuel, manifestation conservatrice inepte, pour le placer dans un nouvel espace muséal actif. Alors, enfin, nous parviendrons à poser le spectateur comme élément principal du musée compris dans ses déplacements qui doivent être notre souci, bien plus que les stations au moment de la contemplation. Je suis donc obligé de commencer mon analyse critique par le plus représentatif dans l’exposition des ouvrages de l’art : le grand musée officiel, plus ou moins étatique, qui se gargarise de faire toujours plusieurs millions d’entrées et y voit un signe de succès, se faisant gloire des queues invraisemblables qu’il engendre autour de son bâtiment. J’affirme que ces signes de rassemblement sont loin de traduire une qualité mais bien au contraire manifestent que l’objectif culturel n’est pas atteint ; le chiffre “astronomique” traduit au contraire une disposition dangereuse, un dérapage sinistre qui prive de toute élévation les malheureux visiteurs abêtis par le parcours lui-même, réclamant d’eux d’être des athlètes plutôt que d’être curieux des arts. 1. Premier point, donc, de mon analyse : le grand musée à très forte densité de population est un outil dangereux qu’il faut exclure, en réduisant le contentement béat que provoquent les chiffres. Donc pas de grand musée, pas de records d’entrées, ces deux projections étant abusives et anticulturelles. Il n’y a pas lieu de se
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reproductions elles-mêmes. Un nouveau fac-similé, qui complétait le précédent, fut réalisé au milieu des années 2000, sur des panneaux démontables qui voyagèrent à travers le monde ; ce “Lascaux 3” attira des centaines de milliers de visiteurs à Chicago et à Houston. À l’automne 2012, un concours d’architectes fut organisé pour choisir le maître d’œuvre d’un grand “Lascaux 4” dont le nom officiel serait “Centre international de l’art pariétal”. * Dans le projet de Jean Nouvel (non retenu), Lascaux 4 se glissait sous une faille horizontale creusée au pied de la colline. On n’aurait vu au loin qu’un rai de lumière chaude, couleur de feu et de taureau rouge, et des mouvements d’ombres. À l’intérieur, les dispositifs envisagés auraient fait une part restreinte au didactisme généralisé qui caractérise l’offre culturelle contemporaine. Ils auraient cherché à créer une expérience. Notre inépuisable technologie des images aurait été mise au service d’une fantasmagorie mystérieuse. Jean Nouvel parla, dans sa présentation, d’une “poétique née du télescopage des images multimillénaires avec les images d’aujourd’hui immatérielles”. * Le destin des images est de conquérir les parois et de s’affranchir de cette conquête. Le créateur projette, le spectateur intériorise. Les images intérieures se cherchent une paroi ; les images extérieures aspirent à être davantage esprit, en se libérant de la leur. Plongées dans le noir, secrètes et d’un accès difficile, les cavernes peintes sont exposition et non-exposition, musée et non-musée. Elles sont une allégorie concrète de l’intimité comme lieu immatériel des images et de l’expérience esthétique. Elles brouillaient déjà les frontières entre intériorité et extériorité que – de l’autre côté du temps – notre technologie déconstruit à grands pas. * Les peintures de la grotte Chauvet ont été réalisées il y a environ trente mille ans. Cinq ou six mille ans plus tard, un enfant y marcha. On a retrouvé les empreintes de ses pas et les dépôts
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charbonneux qu’il a laissés en mouchant sa torche sur les murs ; on a aussi retrouvé les traces d’un chien, qui l’accompagnait peutêtre (il en manque une preuve définitive, mais les cheminements correspondent). Nous ne pouvons pas savoir quelle a été l’expé rience de cet enfant. Nous ignorons s’il a vu dans ces fresques des énigmes ou des évidences, s’il a eu peur ou s’il a été émerveillé, s’il a raconté son histoire ou s’il l’a gardée pour lui ; mais nous ne pouvons pas nous empêcher d’imaginer qu’il a vécu le rêve de tout spectateur.
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Jean Nouvel / Claude Parent, Musées à venir
L’ouvrage Jean Nouvel / Claude Parent, Musées à venir est né de l’exposition présentée du 14 janvier au 28 février 2016 à la Galerie Azzedine Alaïa, plaçant en dialogue deux figures majeures de l’architecture contemporaine. Il inclut les documents de l’exposition, articulés autour de la présentation, et par Jean Nouvel, et par Claude Parent, de quatre projets de musées non réalisés, du Plateau Beaubourg (1971) pensé par les deux architectes au Nouveau Musée de Claude Parent (2014-2015). Ce livre, deuxième coédition du couturier avec Actes Sud, établit une plateforme unique pour comprendre le rôle du musée dans notre monde, et le rôle de l’architecture dans la conception du musée : le volume intègre ainsi la définition de ces deux visions de l’architecture muséale, des essais critiques de Philippe de Montebello (directeur émérite, Metropolitan Museum of Art, New York) et Hans Ulrich Obrist (codirecteur, Serpentine Galleries, Londres) et, pour chaque musée, une programmation fictionnelle d’un conservateur, une visite par un écrivain et une proposition d’œuvre par un artiste. Ces contributeurs du monde entier, comptant parmi les plus éminents dans leurs champs, donnent à chacun de ces musées non réalisés une existence dans un espace autre.
Jean Nouvel Claude Parent
ACTES SUD Dépôt légal : janvier 2016 | ISBN : 978-2-330-05686-5 | 32 e TTC France
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