Extrait de "L'Oeil invisible"

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L’ŒIL INVISIBLE

William A. Ewing est directeur honoraire du musée de l’Elysée à Lausanne. Anthropologue de formation, il consacre ses travaux et publications à l’histoire de la photographie, lesquels font référence dans le monde de l’art contemporain. Commissaire d’importantes expositions internationales, il enseigne la photographie à l’université de Genève. Spécialiste de la photographie de mode – son livre Hoyningen-Huene, L’élégance des années 30 a obtenu le prix Nadar en 1987 –, il poursuit depuis une dizaine d’années des recherches approfondies sur les thèmes de la représentation du corps et du visage humains, s’intéressant notamment aux ruptures intervenues à l’aube du XXIe siècle dans les domaines du portrait, de l’identité et de l’expression esthétique. William A. Ewing est l’auteur du Siècle du corps – 100 photographies 1900-2000, La Martinière, 2000 et de reGénération, 50 photographes de demain, Thames & Hudson, 2005.

W. M. Hunt

L’Œil invisible est le premier ouvrage de référence consacré à l’extraordinaire collection de photographies de l’Américain William M. Hunt. C’est en 2005, aux Rencontres de la photographie d’Arles, que le public français découvre avec étonnement et fascination une sélection de cette collection unique au monde, entamée il y a plus de trente ans par cet ancien acteur new-yorkais passionné d’art et de photographie. “Avec la présente collection, vous, le spectateur, n’aurez aucun accès à cette vérité à travers les yeux, ce prétendu « miroir de l’âme ». Ici, (…) paradoxalement, c’est l’absence des yeux, du regard, qui attise votre imagination pour compléter ce qui manque. A vous de finir le portrait.” Cette quête singulière, W. M. Hunt la déploie au sein de tous les champs de la photographie et dans toute l’étendue de son histoire. On y retrouve les grands maîtres (Brandt, Cartier-Bresson, Nadar, Brassaï, Evans, Weegee, Mapplethorpe, Witkin), mais aussi quantité d’anonymes ou d’artistes peu connus ; les tirages de haute facture côtoient de modestes clichés ou documents rares ou insolites. Sorte de catalogue de l’antiportrait, L’Œil invisible installe au fil des choix et des commentaires du collectionneur une poétique particulière qui interroge et trouble les fondements de notre relation à la photographie. Au-delà de la beauté et de la singularité des photographies réunies par l’auteur, se révèle la sincérité étonnante d’une démarche guidée par une forme subtile d’humanisme et de pudeur. “Je prétends (…) que toute photographie est fondamentalement indéchiffrable. La nature apparemment figurative de cet art est trompeuse : nous n’y trouvons aucune vraie vérité. (…) Chaque photographie de ce volume est une métaphore. C’est comme l’idée que vous êtes chaque personnage de vos rêves (…). Il n’y a peut-être pas d’yeux dans cette collection, mais il y est beaucoup question de voir : de ce que c’est que voir, mais aussi de ce que c’est qu’être vu”, conclut Hunt, qui nous incite d’une manière rare et généreuse à renouveler notre façon de voir.

“Ce livre présente un choix (…) de photographies, fruit de nombreuses années de collecte, rassemblant des images – que je dirais magiques, saisissantes – de personnages aux yeux diversement occultés, voilés, cachés, obstrués, détournés ou fermés. Je n’ai jamais tout à fait éclairci les motifs qui m’ont amené en premier lieu à me faire collectionneur, puis à m’orienter vers des objets si singuliers, ni les raisons qui m’ont poussé à nourrir et relancer cette quête passionnée. (…)

W. M. Hunt

Mes commentaires au fil du livre veulent jalonner ce voyage insolite à la découverte de soi. Chemin faisant, vous constaterez que ces photographies sont aussi des images de vous.” W. M. Hunt (extrait de l’avant-propos)

Textes traduits de l’américain par Daniel De Bruycker

De William A. Ewing, aux éditions Actes Sud :

Faire faces, le nouveau portrait photographique (en collaboration avec Nathalie Herschdorfer), 2006 ISBN : 978-2-7427-6416-7

ACTES SUD Dépôt légal : septembre 2011 39 € TTC France www.actes-sud.fr

ISBN : 978-2-7427-9887-2

9 782742 798872

ACTES SUD

INTRODUCTION DE WILLIAM A. EWING

Photographie de couverture : Erwin Blumenfeld, Henri, 1937. Avec l’aimable autorisation de la succession de l’artiste.

ACTES SUD

Photographie de quatrième de couverture : Bill Brandt, L’œil droit de Jean Dubuffet, 1960. © Bill Brandt Archive, Ltd.


Imogen Cunningham, Le rêve (Femme voilée), 1910/1975*

Un jour, il y a plus de trente ans, je suis entré dans l’ancienne salle des ventes Parke-Bernet de Sotheby’s, sur Madison Avenue à New York. Ignorant qu’il y avait aussi des journées d’exposition, j’achetai une photographie présentée sous le titre : Le rêve, d’Imogen Cunningham. Je découvris par la suite que sa succession la baptisait Femme voilée. Je préfère ce premier titre. L’image capte un moment idyllique où se mêlent le romantisme, l’innocence, la spiritualité et le mystère. Je reste attiré par la tranquillité de sphinx de cette fille, impénétrable telle une gardienne des secrets. C’est un très grand cliché, mais le plus déterminant pour moi est que cette acquisition a transformé ma vie. Devenir collectionneur fut pour moi une succession d’épiphanies. J’ai acheté cette première photographie de Cunningham pour quelque trois cents dollars, n’ayant qu’une idée très vague de la façon dont je me procurerais la somme et à qui je devrais la régler ; mais les salles des ventes vous aident volontiers à trouver le chemin de la caisse. Le temps de réunir la somme, et à l’inverse de la jeune femme de l’image, je perdis mon innocence. * Les légendes des photographies indiquent la date du négatif, suivie de celle du tirage (si elle diffère).

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Imogen Cunningham, Le rêve (Femme voilée), 1910/1975*

Un jour, il y a plus de trente ans, je suis entré dans l’ancienne salle des ventes Parke-Bernet de Sotheby’s, sur Madison Avenue à New York. Ignorant qu’il y avait aussi des journées d’exposition, j’achetai une photographie présentée sous le titre : Le rêve, d’Imogen Cunningham. Je découvris par la suite que sa succession la baptisait Femme voilée. Je préfère ce premier titre. L’image capte un moment idyllique où se mêlent le romantisme, l’innocence, la spiritualité et le mystère. Je reste attiré par la tranquillité de sphinx de cette fille, impénétrable telle une gardienne des secrets. C’est un très grand cliché, mais le plus déterminant pour moi est que cette acquisition a transformé ma vie. Devenir collectionneur fut pour moi une succession d’épiphanies. J’ai acheté cette première photographie de Cunningham pour quelque trois cents dollars, n’ayant qu’une idée très vague de la façon dont je me procurerais la somme et à qui je devrais la régler ; mais les salles des ventes vous aident volontiers à trouver le chemin de la caisse. Le temps de réunir la somme, et à l’inverse de la jeune femme de l’image, je perdis mon innocence. * Les légendes des photographies indiquent la date du négatif, suivie de celle du tirage (si elle diffère).

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Les expressions dans ces deux images sont adorables, pleines de lumières, complexes sans être nécessairement compliquées. Très évidentes à première vue, le regard plus soutenu y perçoit toutefois une grimace, suggérant une certaine distance. Au fond, nous ne percevons guère ce que ces visages pensent vraiment.

Page précédente : Matthew Rolston, Dennis Quaid, Los Angeles, 1990 Ci-dessus : Amy Arbus, Le rictus, 1994

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Page précédente : Erwin Olaf, Roy, 2001/2002 (extrait de “Portraits en paradis)

A gauche : Philippe Pache, Visage absent, 1994 A droite : Jacques Henri Lartigue, Solange, Neuilly, 1931/tirage tardif

Le Roy d’Olaf provient d’une suite sauvagement colorée et imaginative sous le titre de “Paradis”. Au sein de cet ensemble où l’éros et le chaos s’entrechoquent, Roy, sagace et un peu joueur, parvient à demeurer très mesuré, jusqu’en sa palette elle aussi agréablement atténuée. La dame de Pache et la Solange de Lartigue partagent une essence sublime. On est stupéfait par la force dramatique de ces deux expressions douces et muettes, d’une retenue presque menaçante, dérobant les pensées intimes et l’imagination des sujets.

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Jean-Christian Bourcart, Trafic, Sans titre n° 28, New York, 2000 Page suivante : Alexandra Boulat, Shahima, 2004 (extrait de la suite “Modest : femmes au Moyen-Orient”) 208

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Carrie Levy, Sans titre, 2004 (extrait de “Scènes domestiques”) 270

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Carrie Levy, Sans titre, 2004 (extrait de “Scènes domestiques”) 270

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L’ŒIL INVISIBLE

William A. Ewing est directeur honoraire du musée de l’Elysée à Lausanne. Anthropologue de formation, il consacre ses travaux et publications à l’histoire de la photographie, lesquels font référence dans le monde de l’art contemporain. Commissaire d’importantes expositions internationales, il enseigne la photographie à l’université de Genève. Spécialiste de la photographie de mode – son livre Hoyningen-Huene, L’élégance des années 30 a obtenu le prix Nadar en 1987 –, il poursuit depuis une dizaine d’années des recherches approfondies sur les thèmes de la représentation du corps et du visage humains, s’intéressant notamment aux ruptures intervenues à l’aube du XXIe siècle dans les domaines du portrait, de l’identité et de l’expression esthétique. William A. Ewing est l’auteur du Siècle du corps – 100 photographies 1900-2000, La Martinière, 2000 et de reGénération, 50 photographes de demain, Thames & Hudson, 2005.

W. M. Hunt

L’Œil invisible est le premier ouvrage de référence consacré à l’extraordinaire collection de photographies de l’Américain William M. Hunt. C’est en 2005, aux Rencontres de la photographie d’Arles, que le public français découvre avec étonnement et fascination une sélection de cette collection unique au monde, entamée il y a plus de trente ans par cet ancien acteur new-yorkais passionné d’art et de photographie. “Avec la présente collection, vous, le spectateur, n’aurez aucun accès à cette vérité à travers les yeux, ce prétendu « miroir de l’âme ». Ici, (…) paradoxalement, c’est l’absence des yeux, du regard, qui attise votre imagination pour compléter ce qui manque. A vous de finir le portrait.” Cette quête singulière, W. M. Hunt la déploie au sein de tous les champs de la photographie et dans toute l’étendue de son histoire. On y retrouve les grands maîtres (Brandt, Cartier-Bresson, Nadar, Brassaï, Evans, Weegee, Mapplethorpe, Witkin), mais aussi quantité d’anonymes ou d’artistes peu connus ; les tirages de haute facture côtoient de modestes clichés ou documents rares ou insolites. Sorte de catalogue de l’antiportrait, L’Œil invisible installe au fil des choix et des commentaires du collectionneur une poétique particulière qui interroge et trouble les fondements de notre relation à la photographie. Au-delà de la beauté et de la singularité des photographies réunies par l’auteur, se révèle la sincérité étonnante d’une démarche guidée par une forme subtile d’humanisme et de pudeur. “Je prétends (…) que toute photographie est fondamentalement indéchiffrable. La nature apparemment figurative de cet art est trompeuse : nous n’y trouvons aucune vraie vérité. (…) Chaque photographie de ce volume est une métaphore. C’est comme l’idée que vous êtes chaque personnage de vos rêves (…). Il n’y a peut-être pas d’yeux dans cette collection, mais il y est beaucoup question de voir : de ce que c’est que voir, mais aussi de ce que c’est qu’être vu”, conclut Hunt, qui nous incite d’une manière rare et généreuse à renouveler notre façon de voir.

“Ce livre présente un choix (…) de photographies, fruit de nombreuses années de collecte, rassemblant des images – que je dirais magiques, saisissantes – de personnages aux yeux diversement occultés, voilés, cachés, obstrués, détournés ou fermés. Je n’ai jamais tout à fait éclairci les motifs qui m’ont amené en premier lieu à me faire collectionneur, puis à m’orienter vers des objets si singuliers, ni les raisons qui m’ont poussé à nourrir et relancer cette quête passionnée. (…)

W. M. Hunt

Mes commentaires au fil du livre veulent jalonner ce voyage insolite à la découverte de soi. Chemin faisant, vous constaterez que ces photographies sont aussi des images de vous.” W. M. Hunt (extrait de l’avant-propos)

Textes traduits de l’américain par Daniel De Bruycker

De William A. Ewing, aux éditions Actes Sud :

Faire faces, le nouveau portrait photographique (en collaboration avec Nathalie Herschdorfer), 2006 ISBN : 978-2-7427-6416-7

ACTES SUD Dépôt légal : septembre 2011 39 € TTC France www.actes-sud.fr

ISBN : 978-2-7427-9887-2

9 782742 798872

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Photographie de couverture : Erwin Blumenfeld, Henri, 1937. Avec l’aimable autorisation de la succession de l’artiste.

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Photographie de quatrième de couverture : Bill Brandt, L’œil droit de Jean Dubuffet, 1960. © Bill Brandt Archive, Ltd.


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