Extrait "Pasteurs, paysages"

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ACTES SUD Dépôt légal : juin 2016 ISBN : 978-2-330-06337-5 35 € TTC France www.actes-sud.fr

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Pasteurs, paysages ACTES SUD | MAISON DE LA TRANSHUMANCE

Associant le témoignage d’une cinquantaine d’hommes et de femmes, éleveurs et bergers des six départements de Provence-Alpes-Côte d’Azur, aux paysages qu’ils façonnent par leur relation à l’animal, les auteurs de cet ouvrage proposent une lecture de tout ce que leur activité génère. Dans cette région, riche de la grande variété des paysages méditerranéens où l’élevage pastoral a conservé sa place, cette activité entretient la biodiversité naturelle de près d’un million d’hectares, des plaines littorales aux montagnes des Alpes. Résultat d’un projet de vie dans un espace donné, le paysage, ici décrypté par l’image et le témoignage, devient lisible dans tout ce qu’il implique. Pour les pasteurs, éleveurs, manadiers, bayles, bergers, bergères ou gardians qui ont confié ce qui donne sens à leur vie, comme pour ses spectateurs, le paysage est alors “ressource où vivre peut indéfiniment puiser”. Empruntée au philosophe François Jullien, cette idée forte inspire chacune des pages de ce livre humaniste.

Pasteurs, paysages Pastoralisme en Provence-Alpes-Côte d’Azur Lionel Roux, photographies Jean-Claude Duclos et Patrick Fabre, textes

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Sommaire

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Des paysages à vivre

Espace méditerranéen André Gouiran, éleveur caprin, chaîne de la Nerthe Ce qu’extensif veut dire Daniel Valat, vacher, la Grande Corniche La multifonctionnalité du pastoralisme Jacques Mailhan, manadier, plaine de Camargue Les élevages camarguais et la zone dite “d’équilibre” Charlotte Yonnet, manadière, plaine de Camargue De l’élevage ovin aux manades Jean Solda (1918-2014), éleveur ovin, sur la route de la transhumance Les drailles Marjolaine Bidault, bergère, plaine de la Crau Un milieu steppique indissociable de l’élevage ovin Antoine Bonfillon, agriculteur et garde-canal, plaine de la Crau L’équilibre fragile du milieu craven Jean-Dominique Guyonneau, maître-berger, plaine de la Crau L’école des bergers du Merle Nathalie Savalois, bergère en formation, plaine de la Crau Un siège pour la Maison de la transhumance Alban Léonard et Myriam Arnaudy, éleveurs ovins, vallée de l’Arc La laine mérinos d’Arles et ses nouvelles valorisations Michel Granier, éleveur ovin, plaine de Brignoles L’alliance du pastoralisme et des productions végétales Gilles Mistral, éleveur ovin, massif des Maures La gestion pastorale des espaces sensibles aux risques d’incendie Rachel Gomez et Jean-Luc Combaz, bergers, massif des Maures L’opération de transhumance hivernale Alpes-Provence Laurent Ripert, éleveur ovin, massif des Maures Éleveur herbassier, ou berger sans terre William Franssen-Trockay, berger, massif de la Sainte-Baume La transhumance ovine hivernale Thierry Faure, éleveur caprin, chaîne de l’Étoile La race caprine du Rove Maurice Gabriel, éleveur ovin, massif des Alpilles Pastoralisme et biodiversité naturelle

22 23 26 27 30 31 34 35 38 39 42 43 46 47 50 51 54 55 58 59 62 63 66 67 70 71 74 75 78 79 82 83 86 87

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Espace préalpin 92 Stephen Atger, éleveur équin, vallée du Verdon 93 Le pastoralisme dans la filière équine 96 Jean Debayle, éleveur ovin, vallée de la Bléone 97 Des organisations professionnelles particulièrement actives 100 Marie Marmuse, bergère et ingénieur, vallée de la Bléone 101 La ferme expérimentale ovine de Carmejane 104 Pierre Delaye, éleveur ovin, vallée des Duyes 105 La persistance nécessaire du pastoralisme en moyenne montagne 108 Louis Maurin et Roger Minard, éleveur ovin et berger, pays de Forcalquier 109 Le métier de berger, aujourd’hui 112 Émilien Bonnet, éleveur ovin, monts de Vaucluse 113 Pastoralisme et vente directe 116 Julien Bonnet, éleveur ovin, monts de Vaucluse 117 Provence-Alpes-Côte d’Azur, l’une des principales régions ovines de France 120 Laurent Chabanon et Marc Furrasola, éleveurs caprins, plateau d’Albion 121 Des foires au rythme des saisons 124 Alain Benoit, éleveur ovin, plateau de Canjuers 125 Le camp de Canjuers, un territoire pastoral affecté par la prédation 128 Bruno Gabelier, éleveur caprin, plateau des Courmettes 129 Élevage pastoral et médiation culturelle 132 Jacques Courron, éleveur ovin, plateau de Caussols 133 Le vécu de la prédation 136 Bruno Monjon, éleveur ovin, plateau de Calern 137 Le parc naturel régional 140 André Michel, sa famille et leurs accompagnants, éleveurs ovins transhumants, plateau de Valensole 141 La transhumance à pied aujourd’hui 144 Didier Poujol, producteur de foin et conducteur, sur la route de la transhumance 145 L’évolution de la transhumance 148 Carole Legrand, éleveur ovin, massif du Luberon 149 Le Cerpam et le pâturage des crêtes du Luberon 152 Michel Afonso, éleveur caprin, piémont de Lure 153 Le banon, un fromage de caractère 156 Roland Suppo, éleveur ovin, montagne de Lure 157 Les bergeries en pierre sèche de la montagne de Lure

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Sylvie et Fabien Duperray, éleveurs caprins, Baronnies provençales Le pastoralisme caprin Espace alpin Jean-Dominique Varrone, éleveur bovin, monts d’Azur Les éleveurs et l’agritourisme Charles Pellissier, éleveur ovin, vallée du Champsaur La valorisation des produits issus de l’élevage pastoral Johan Cesmat, éleveur bovin, vallée du Champsaur L’élevage bovin laitier du bassin gapençais Dominique Baron, ingénieur au Cerpam, vallée de l’Ubaye L’héliportage et la modernisation des conditions de vie en alpage Henri Balbis, éleveur ovin, vallée de l’Ubaye Les bergers transhumants d’origine piémontaise, La Routo Annie Caroff, éleveur bovin, vallée de la Vésubie Traite et production de fromage en alpage Magali Allard et Sébastien Guy, éleveurs ovins, massif du Dévoluy La mérinisation des troupeaux alpins Claude, Quentin et Gérard Serres, éleveurs ovins, massif du Dévoluy Les avantages de la pluriactivité Pascal Bonneville (1949-2014), éleveur ovin, vallée de la Roya La complémentarité de l’homme et de l’animal François Humbert, éleveur bovin, vallée du Queyras S’organiser collectivement : une vieille habitude de montagnard Quentin Albert, vacher, vallée du Queyras Les fêtes pastorales Alexis Belmont, berger, vallée du Queyras La conduite des ovins en alpage Loïc Eyméoud, éleveur ovin, vallée du Queyras Le foin de montagne Raymond Hustache, éleveur ovin, plateau d’Emparis Le réseau Alpages sentinelles Éric Ferrier, éleveur bovin, plateau d’Emparis Alpes à moutons et Alpes à vaches Il faut les croire… Définitions des termes et des abréviations utilisés dans l’ouvrage Bibliographie

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Charlotte Yonnet | Manadière, plaine de Camargue

La Bélugue, Arles, 24 octobre 2015.

Il faut donner aux bêtes tout ce que l’on a

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La manade Yonnet est l’une des plus anciennes de Camargue. Cela fait plusieurs générations que l’on élève des chevaux et des taureaux, qui ont toujours vécu conjointement et se sont servis l’un de l’autre. Mon grand-père a tenu à rester dans un cheval très rustique, avec des critères très anciens et typiques du cheval Camargue. Une lignée de chevaux de petite taille, avec du caractère. Ce sont d’abord des chevaux de travail dans le bétail pour nous, mais aussi pour la vente car c’est un élevage. Ils sont sélectionnés par rapport à ce qu’ils font sous la selle. On a un cheval qui est reconnu pour avoir le pied sûr, parce que, même si le terrain est plat, ce sont des milieux difficiles, des marécages, des endroits où l’on peut rester planté. Il y a des trous de lapin, des grosses mattes de jonc… Quand on est lancé au galop dans des endroits comme cela, il faut que ce soit le cheval qui regarde où il met les pieds, car le cavalier est toujours dans son travail, attentif à d’autres choses. Ce

sont des chevaux qui pâturent toute l’année en extérieur, entre les pays d’été et les pays d’hiver, des terres un peu plus hautes avec plus d’abris. Ils sont habitués aux grosses chaleurs, aux gros coups de mistral qui sont très désagréables pour les bêtes, à la mangeance, que ce soit les mouches, les moustiques ou les arabis. Ils sont souvent avec des taureaux ou des vaches. Les taureaux sont de combat, ils sont élevés pour la corrida, ce sont des bêtes difficiles à manipuler. Grâce aux chevaux, on arrive quand même à faire à peu près ce dont on a envie, ou pas, si les taureaux ne veulent pas coopérer ! Avec les deux, on arrive à faire des choses assez fortes et passionnantes dans le travail. Car à être aussi près d’un animal comme cela, il y a du danger, il y a de l’adrénaline. Le résultat du travail que l’on peut arriver à faire, c’est magnifique ! Je m’occupe de la manade que j’ai créée, mais aussi de celle de mon grandpère depuis un an. Cela représente 1 000 ha de terres, c’est une grande surface, mais il y a beaucoup d’enganes, de salicornes, de joncs, de tamaris. C’est d’abord une passion, mais aussi une qualité de vie exceptionnelle, même si on est là tous les jours, du lundi au dimanche. Il faut donner aux bêtes tout ce que l’on a. Ce n’est pas tous les jours facile, c’est semé de plein d’embûches, d’obstacles, mais les jours où l’on se régale, cela paye pour tout le reste et l’on ne se souvient que du bon ! Charlotte Yonnet, mas des Charlots, Arles, 21 décembre 2015

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De l’élevage ovin aux manades

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’il est un élevage qui compte dans l’économie du delta du Rhône, du Moyen Âge à la première moitié du xxe siècle, c’est d’abord celui du mouton. L’origine montagnarde des bergers, particulièrement qualifiés pour la conduite des troupeaux en transhumance, les distingue de leurs collègues gardians. Les plus habiles d’entre eux ont réussi à s’y enrichir car l’élevage ovin est demeuré longtemps lucratif en Pays d’Arles. En revanche, les revenus des élevages bovins et équins sont encore si faibles, au début du xxe siècle, que leur montant ne peut être estimé. Jusqu’à cette époque, ni la production de viande de taureau ou de cheval, ni leur usage pour le trait ou le dépiquage ne justifient leur élevage, économiquement parlant. Pour comprendre leur existence, il faut observer qu’au milieu du xve siècle plus de la moitié des bovins du Pays d’Arles appartiennent à des nobles, pour le loisir de posséder des animaux “sauvages”, de les poursuivre à cheval, d’en capturer les jeunes au printemps, de les marquer et sans doute aussi pour attirer et fidéliser, autour des jeux, la main-d’œuvre nombreuse qu’exige l’exploitation de leurs domaines. Ces jeux sont liés, à l’origine, aux opérations d’élevage, telles l’abrivado, tandis que les gardians déplacent leurs bêtes de pâtures d’hiver en pâtures d’été, la bandido, lorsqu’elles sont relâchées pour leur séjour hivernal, ou la ferrado, à laquelle les voisins sont invités pour éviter toute contestation de marquage. Quant aux courses de taureaux, sans doute nées dans la cour des mas, elles deviennent aussi l’enjeu de revendications de liberté, face aux interdictions qui les frappent, jusqu’à leur reconnaissance, puis leur codification, en 1975. La multiplication des manades de taureaux et de chevaux, à partir de cette époque, n’est pas dissociable de la montée en puissance de la société de loisir et du tourisme. Quant à la diminution sensible du cheptel ovin en Camargue, elle est principalement due au développement de la riziculture.

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Mas de la Bélugue, Arles, parc naturel régional de Camargue, Bouches-du-Rhône (alt. 0,30 m). Troupeau équin de la manade Yonnet, 24 octobre 2015, 16 heures.

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La cavalière conduit sa manade (ce que l’on mène) dans les enganes, soit dans l’un des paysages camarguais qui correspond le mieux aux animaux qu’elle élève. Il ne semble pas que d’autres herbivores que le cheval et le taureau de race Camargue sachent tirer parti de ce couvert végétal si particulier, composé d’espèces halophiles, de salicorne, de soude, d’obione et, au mieux, de quelques graminées. Des éleveurs camarguais disent même que c’est cette végétation qui perpétue les caractéristiques de ces races d’herbivores, tandis que des écologues les considèrent comme participant, à part

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entière, des écosystèmes de la Camargue. Mais là, c’est des juments qu’il s’agit. Même si le temps est venu de les séparer de leur mère, des poulains gambadent encore entre leurs jambes. Quelques rondeurs, au cinquième ou sixième mois de gestation, annoncent déjà les naissances du printemps suivant. Dans l’instant, c’est au mas qu’elles sont conduites où elles seront traitées avant d’être reconduites dans leur pâturage d’hiver. Au fond, les pluies d’automne ont révélé la présence d’un cours du Rhône disparu au début du xviiie siècle, le Bras de Fer.

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André Michel, sa famille et leurs accompagnants | Éleveurs ovins transhumants, plateau de Valensole

Chaume à Montagnac-Montpezat, 26 juin 2012.

La route, on commence à la connaître !

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Nous, on est originaires de la montagne du Touyet, dans le Sud des Alpes, un petit pays désavantagé, en pente, avec des terres non mécanisables. On était une grosse famille de 8 enfants, dont la moitié qui a fait berger. Cela ne devenait plus vivable. En 1972, à l’âge de 27 ans, je suis descendu comme berger transhumant dans le Var, avec 2 frères et 1 sœur. On louait des herbes dans le secteur de Rians et de Ginasservis. Après, les troupeaux ont augmenté, et cela a un peu éclaté ; eux sont partis vers Pierrevert et Forcalquier. Mais l’été, tout le monde se retrouve là-haut. On remonte chez nous et on loue des alpages en complément. Moi, je suis toujours monté à pied. La route, on commence à la connaître ! Au début, c’était surtout pour économiser, et puis on n’est pas trop loin, on n’est pas obligés d’acheter trop d’herbe sur la route. Aujourd’hui, c’est surtout pour maintenir la tradition. Cela plaît à beaucoup de gens, il y a une belle bande qui voudrait venir, on arrête à 10 ou 12 personnes. Il y a les bêtes à surveiller, il y a l’intendance… Avant, on faisait toute l’étape des gorges

du Verdon de nuit. Mais je ne marche plus de nuit car aujourd’hui les gens ont peur en voiture. Ils voient une lumière, ils foncent ; après, ils s’arrêtent quand ils voient que ce sont des moutons, mais c’est trop tard. On part de Rians vers La Verdière, on reste une nuit, puis vers Quinson, une autre nuit, puis vers Moustiers, une nuit, puis vers La Palud, une autre nuit à Rougon, on couche à Castellane et le soir on est rendus. Il faut 5 jours, du dimanche soir au vendredi soir. C’est une des transhumances les plus courtes, car c’est une des premières montagnes des Alpes, il y a à peu près 115 km, cela se fait bien ! On n’est plus trop nombreux à faire la route. Dans le haut Var, on est encore quelquesuns. À Castellane, il en passe une quinzaine chaque année. C’est une passion. Si c’était une contrainte, on ne le ferait plus. Et puis, on écoute toujours volontiers les sonnailles sur la route ! André Michel, transhumance RiansLe Touyet (Alpes-de-Haute-Provence), chaume à la Grande Bastide, La Verdière, Var, 20 juin 2011

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La transhumance à pied aujourd’hui

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e Verdon est sans doute le territoire de Provence où drailles et carraires sont encore les plus présentes et où la transhumance à pied est la plus pratiquée, même si elle diminue là aussi d’année en année. On estime aujourd’hui à environ 20 000 le nombre de têtes qui, hivernant dans le Var, les Alpes-Maritimes ou le Sud des Alpes-de-Haute-Provence, continuent de cheminer à pied vers les alpages les plus proches de l’Ubaye, de la Tinée ou du Verdon. Ils empruntent alors les petites routes départementales et nationales de l’arrière-pays, les chemins, drailles et carraires, évitant les axes de grande circulation. Les voyages, d’une distance de 100 à 200 kilomètres, durent alors de 5 à 10 jours, avec un départ aux alentours du 15 juin. Les retours sont tardifs, depuis la mi-octobre jusqu’à la mi-décembre, afin d’économiser le plus possible une herbe rare et chère en Provence. La transhumance à pied est aujourd’hui codifiée, avec des véhicules équipés de gyrophares à l’avant et à l’arrière du troupeau. L’équipe de route, les bergers et leurs familles, accompagnants souvent devenus des amis au fil des kilomètres parcourus, sont équipés de gilets fluorescents. Les chèvres et boucs du Rove sont en nombre, affublés de leurs sonnailles de transhumance, les “redons”, afin de donner le rythme de marche au troupeau. Les rustiques chiens de la Crau sont chargés de rabattre les bêtes afin de faire doubler voitures, motos et camions se présentant à l’arrière du troupeau. Les ânes sont souvent présents, mais ne sont plus bâtés. Ce sont les véhicules qui sont chargés de l’intendance nécessaire : nourriture, filets mobiles et batteries pour parquer le troupeau de nuit, tentes et couvertures pour les bivouacs… Le choix de poursuivre la transhumance à pied correspond pour ces éleveurs à une volonté de limiter les coûts du transport, onéreux sur des distances moyennes, de monter progressivement les bêtes en alpage, afin qu’elles s’adaptent plus facilement, ainsi que de perpétuer la tradition. Il représente également une formidable expérience pour ceux qui ont la chance de pouvoir faire la route.

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Carraire des Plaines, Moustiers-Sainte-Marie, parc naturel régional du Verdon, Alpes-de-Haute-Provence (alt. 650 m). Troupeau ovin de la famille Michel, 26 juin 2012, 19 heures.

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Est-il besoin de rappeler pourquoi le plateau de Valensole a la réputation d’être un grenier à blé pour la Provence ? Mais il n’est pas que cela. Outre les champs de lavande qui font la renommée de ses paysages, il comporte aussi des parcours, pâturés, avec les terres en jachère, par de grands troupeaux de mérinos d’Arles. Car la vieille relation qu’entretiennent ici la céréaliculture et l’élevage ovin n’a jamais cessé de faire ses preuves.

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Mais la fin juin approche. Le troupeau de la famille Michel, venu quant à lui de Rians, chemine ici parmi les emblavures, sur une très ancienne carraire de transhumance. Ses conducteurs, qui l’amènent dans les alpages des Préalpes dignoises, près de Castellane, savent qu’ils ne rencontreront pas d’axes de communication important. Aussi font-ils partie des derniers, dans la région, à transhumer à pied.

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Pascal Bonneville (1949-2014) | Éleveur ovin, vallée de la Roya

Vallon de la Minière, Saint-Dalmas-de-Tende, 10 septembre 2013.

Une vie en conformité avec nos idées

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Nous n’étions pas de souche. Moi, je suis d’origine marseillaise, Pascal est breton, ses parents avaient une maison ici. Nous nous sommes installés via une communauté, des réseaux militants de Marseille, dont certains membres sont devenus éleveurs. Nous sommes restés 38 ans sur la montagne des Merveilles, et cela continue car un jeune qui travaillait avec nous a repris. C’est une montagne qui a été marquée par le passage de nombreux bergers. La brebis brigasque, elle était là quand on est arrivés. Selon certains, c’étaient des bêtes dégénérées ; pourtant, elles sont magnifiques. Nous avions un troupeau de plus de 200 têtes en tout, entre les brebis et les chèvres. Sur la montagne, nous arrivions le 2 juillet, nous suivions les anciennes lois de pâturage, qui disaient que nous pouvions y rester jusqu’au 9 septembre. Les dernières années, cela nous arrivait de prolonger un peu. Après, il fait trop froid, la cabane est située à 2 000 m, il faut partir plus bas où le climat est meilleur. Nous faisions la traite à la main, matin et soir. Entre les chèvres et les brebis, cela faisait une centaine de bêtes. On transformait tout directement sur place, par une méthode traditionnelle très simple que j’ai apprise auprès des anciens. Il me fallait 1 heure pour fabriquer des tommes, vendues

sur place ou que l’on descendait vendre auprès des commerçants locaux et des particuliers. Pascal avait également développé une filière pour valoriser la laine brigasque, avec l’Appam, une association d’éleveurs des Alpes-Maritimes, autour de la production de tapis et de feutre. En juin et en septembre, nous étions sur la commune de Castérino. Le troupeau pâturait des bois et des alpages, qui étaient surtout loués par des gros troupeaux de vaches venant d’Italie. Nous passions après les vaches, selon d’anciens droits liés à la commune de Tende. L’hiver, les brebis sont ici, sur La Brigue, à 900 m. Elles passent la nuit dans une bergerie que nous avons construite. Elles sortent tous les jours, même lorsque l’on donne du foin en complément. Nous changions sans arrêt d’espace. Nous transhumions en une demi-journée, en mangeant là où cela était possible. Les brebis brigasques sont des marcheuses, elles aiment cela. Pascal avait un engagement fort dans le milieu pastoral et rural, il arrivait à rassembler les gens sur des convictions communes. Nous avons eu une vie en conformité avec nos idées, en choisissant les lieux où nous voulions vivre. Gisèle Bonneville, veuve de Pascal Bonneville, La Brigue, 17 août 2015

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La complémentarité de l’homme et de l’animal

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a mise en confiance de l’animal, autant que la connaissance de son comportement, quelles que soient les circonstances, sont évidemment les principes de base de toute domestication. Compte tenu des conséquences qu’entraîne cette stratégie, dont les formes sont aussi nombreuses qu’il y a eu d’éleveurs depuis 10 millénaires, l’animal domestiqué – et particulièrement celui qui de tout temps fut le plus fréquemment élevé, la brebis – apparaît alors comme une création humaine. C’est dans la grande diversité des pratiques d’élevage, des investissements affectifs et techniques qui les ont accompagnées et des races qui en ont résulté sur le temps long de l’histoire, qu’apparaît l’extraordinaire biodiversité culturelle du pastoralisme méditerranéen. S’il est pourtant si difficile de l’évaluer, c’est parce que, comme la domestication elle-même, cette biodiversité se renouvelle et s’entretient sans cesse. Car, inhérente à l’élevage extensif, la recherche constante du bien-être animal ne peut être dissociée de celle du bien-être humain. Comme l’illustre le parcours de vie de Gisèle et Pascal Bonneville, c’est bien une relation donnant, donnant qui lie ici l’homme à l’animal. Au-delà de l’herbe et d’un débouché pour ses productions, les conditions d’existence de l’élevage extensif supposent aussi la construction permanente de cette relation de confiance qui rend les humains complémentaires des animaux qu’ils élèvent. L’infinité des critères de sélection dont témoignent les races évoquées dans cet ouvrage relève en effet de préoccupations qui ne sont pas toutes, et loin de là, guidées par l’objectif de produire davantage. La recherche de la rusticité dont les spécialistes reconnaissent la difficulté d’évaluer les significations et les formes, mais aussi la beauté qu’évoquent ici plusieurs témoins à propos de la brigasque, de la mourérous ou de la chèvre du Rove, ou le caractère, pour ne citer que ces quelques critères, sont autant d’objectifs invisibles qui participent pourtant des paysages pastoraux.

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Vallon de la Minière, Saint-Dalmas-de-Tende, parc national du Mercantour, Alpes-Maritimes (alt. 1 950 m). Troupeau ovin de Pascal et Gisèle Bonneville, 10 septembre 2013, 12 heures.

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Si ces brebis brigasques pâturent dans la zone forestière, avant que l’herbe n’ait cédé la place aux pierriers et aux falaises de la haute montagne, c’est que la fin de l’estivage est proche et qu’elles ont gagné leurs derniers quartiers d’été. Une légère échancrure, à droite, signale le pas de ColleRousse, l’une des plus anciennes voies de communication intra-alpine, très certainement fréquentée par les Celto-Ligures et, de longue date, assurément, par les transhumants piémontais et français. Il faut dire aussi

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que cet espace n’est français que depuis 1947. Pas très loin de là se trouve La Brigue, berceau de la race brigasque, élevée autrefois pour la laine et aujourd’hui pour le lait. À l’estive, les brebis sont traites à la main, matin et soir, et la tomme est fabriquée sur place, dans la cabane de la proche vallée des Merveilles. Comme des arbres morts en témoignent, la zone est avalancheuse et, là encore, le berger est sollicité, dans le cadre des mesures agroenvironnementales, pour les débiter et les évacuer.

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Associant le témoignage d’une cinquantaine d’hommes et de femmes, éleveurs et bergers des six départements de Provence-Alpes-Côte d’Azur, aux paysages qu’ils façonnent par leur relation à l’animal, les auteurs de cet ouvrage proposent une lecture de tout ce que leur activité génère. Dans cette région, riche de la grande variété des paysages méditerranéens où l’élevage pastoral a conservé sa place, cette activité entretient la biodiversité naturelle de près d’un million d’hectares, des plaines littorales aux montagnes des Alpes. Résultat d’un projet de vie dans un espace donné, le paysage, ici décrypté par l’image et le témoignage, devient lisible dans tout ce qu’il implique. Pour les pasteurs, éleveurs, manadiers, bayles, bergers, bergères ou gardians qui ont confié ce qui donne sens à leur vie, comme pour ses spectateurs, le paysage est alors “ressource où vivre peut indéfiniment puiser”. Empruntée au philosophe François Jullien, cette idée forte inspire chacune des pages de ce livre humaniste.

Pasteurs, paysages Pastoralisme en Provence-Alpes-Côte d’Azur Lionel Roux, photographies Jean-Claude Duclos et Patrick Fabre, textes

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