Extrait "Persona, étrangement humain"

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— 7 Préface Stéphane Martin

— Qui est là ?

Présences-limites et effets de personne Emmanuel Grimaud, Anne-Christine Taylor, Denis Vidal, Thierry Dufrêne

11

1

2

— IL Y A QUELQU’UN ? —

— 1.1 FAIRE DES EXPÉRIENCES DE PRÉSENCE — Au jeu de la présence-absence dans l’art

— IL Y A PERSONNE ! —

L’énigmatique chose dans les airs que l’on a perdue de vue

27

— 2.1 DÉTECTER DES PERSONNES QUI NE VONT PAS DE SOI — La philosophie et les ailes de l’ange

L’impolitesse des esprits

31

La boîte à outils d’un chasseur de fantômes belge.

“Comme si…” : des récits de présence

35

À la surface des choses

39

Thierry Dufrêne

Arnaud Esquerre

Emmanuel de Vienne Vinciane Despret

Antoine Hennion

— 1.2 PERCEVOIR DES PERSONNES — Comment l’anthropomorphisme nous a rendus humains. L’anthropomorphisation des animaux et des nourrissons et ses impacts dans l’évolution Aude Michelet, Charles Stépanoff

20 23

Surnatéum. Pièce d’inventaire inv.sah/ss-70121 Christian Chelman

45

107

Chasseurs, chevaux et fantômes en Mongolie

111

Écrans chamaniques amazoniens

115

Grégory Delaplace Vincent Hirtzel

42

103

— 2.2 ACTIVER/MESURER DES INTENSITÉS DE PRÉSENCE — Un corps de substitution en Chine Alain Arrault

118

121

Persona piscis : les poissons aiment-ils les robots ?

51

Lorsque l’inconnu s’abrite dans la matière

125

Pourquoi ne pas laisser les morts tranquilles ? Personnes contre-intuitives

55

Comment faire parler un instrument de musique

129

Spectra ex machina. Technique phonographique et “science des fantômes” autour de 1900

132

Les esprits scindés de la science dans les abîmes insondables de la “magie expérimentale” du professeur Staudenmaier

137

José Halloy

Pascal Boyer

— 1.3 PERSONNIFIER — Weird intelligence. Astrobiologie et attribution d’intelligence Stefan Helmreich

58 61 65

Route 6

71

Dans l’œil du virus

77

Ecce homo redux

81

Sophie Houdard Frédéric Keck Bruno Latour

— 1.4 LAISSER PROLIFÉRER LES PERSONNES — Des arbres et des pierres

85

Du dedans et du dehors. Fabriquer des personnes

89

L’univers animé de Gustav Fechner : anges, humains, plantes

95

David L. Haberman Philippe Descola Katrin Solhdju

Chihiro Minato

Julien Bonhomme

Philippe Baudouin

Andreas Mayer

Des astres. Animation et cosmologie Caterina Guenzi, Nicolas Weill-Parot

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Simon Schaffer

102

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3

— SOMMAIRE —

— VALLÉE DE L’ÉTRANGE — — 3.1 CONDUCTEURS DE PERSONNE — Personne est divisible

4

— PERSONNES SUR MESURE —

Les cheveux des autres

153

— 4.1 FAUT-IL S’ENTOURER DE CRÉATURES ARTIFICIELLES ? — Futurs robotiques : réflexions sur les technocultures des machines humanoïdes

Matières à personnes dans les cultes afro-américains

157

Sur le rôle des utopies en robotique

Soft self : les limites poreuses du moi

161

L’évangélisme transhumaniste

Marilyn Strathern Emma Tarlo

Emma Gobin Andy Clark

146 149

203

Lucy Suchman Joffrey Becker

Robert M. Geraci

209 212

167

— 4.2 JUSQU’OÙ S’ATTACHER ? — L’habitant du chaudron. Se lier aux morts dans le culte Palo Monte

Les morts sont-ils des objets comme les autres ?

173

L’attachement fait personne

219

De si beaux morts

181

Nøøt et le NøøScaphe-X

223

La forme creuse. Les love doll au Japon

185

— 3.2 DANS LA VALLÉE, ENTRE ATTRACTION ET RÉPULSION — Au risque de l’étrange Claude Imbert

Maurice Bloch Marcus Banks Agnès Giard

— 3.3 SORTIR DE LA VALLÉE ? — Un Bouddha dans votre smartphone John Tresch

Choisir ses dieux

Olivier Herrenschmidt

164

214 215

Caterina Pasqualino Zaven Paré Yann Minh

188

— 4.3 COEXISTER — L’enfance des créatures imaginaires

230

191

Ressemblances de famille et robotique humanoïde

235

195

Un dieu dans la machine ? Quand Ganesh rencontre Turing

237

Fabrice Clément

Denis Vidal, Philippe Gaussier

228

Emmanuel Grimaud

— 4.4 PERSONNES À L’HORIZON — Métamorphoses

245

Le secret des armures

249

Peut-on devenir oiseau ?

253

Rêver du poisson-taureau en Islande

257

Anne-Christine Taylor Victor Stoichita

Vanessa Manceron

Stéphane Rennesson

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— IL Y A QUELQU'UN ? —

1.2

PERCEVOIR DES PERSONNES

Support d’esprit

Altaï, Russie Fin du xixe-début du xxe siècle Bois, peau, ruban en toile 22 × 24, 5 × 5,7 cm Musée du quai Branly, Paris Inv. 71.1966.46.129

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PERCEVOIR DES PERSONNES

“NOUS FAISONS DE L’ANTHROPOMORPHISME, NOUS AVONS LE DROIT DE FAIRE DE L’ANTHROPOMORPHISME, NOUS AVONS LE DEVOIR DE FAIRE DE L’ANTHROPOMORPHISME, SINON NOUS NE SERIONS PAS CAPABLES D’APPRÉCIER AUCUN ÉLÉMENT AUTOUR DE NOUS.” Jean Painlevé, Jean Painlevé au fil de ses films, documentaire de Denis Derrien, 1988.

Figurine anthropo-zoomorphe tupilek Culture inuit Groenland Bois, ivoire, papier 9 × 5,8 × 12,6 cm Musée du quai Branly, Paris Expédition française Groenland Inv. 71.1934.175.2214

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J

amais la question des “présences-limites” ne se pose avec autant d’acuité que lorsque les entités perçues posent un problème d’acceptation ou de cohabitation, qu’elles peinent à s’intégrer à notre environnement ou l’inverse. L’espace commun n’a jamais cessé de se repeupler et de se dépeupler, d’être une zone de passage, de trafic, et de se partager entre d’un côté les entités dont nous avons besoin, avec lesquelles il faut pactiser, qu’il faut savoir apprivoiser, et celles que l’on peut ignorer, vis-à-vis desquelles l’indifférence est de mise, l’ignorance étant la meilleure manière parfois de coexister. Les robots anthropomorphes illustrent à merveille ce problème de coexistence : adulés d’un côté, promesses d’une société inédite peuplée de nouveaux “amis”, de prothèses cognitives ou de partenaires affectifs, ils peuvent susciter, surtout lorsqu’ils prennent une forme anthropomorphe, un sentiment de malaise, voire une franche robophobie. Mais c’est le cas aussi avec des animaux ou même d’autres êtres humains avec lesquels nous éprouvons une difficulté à voisiner, la coexistence passant par une réévaluation radicale de nos “zones de confort” mutuelles. La Vallée de l’étrange permet de problématiser ce paradoxe. Elle invite à comparer toutes les créatures dont nous nous entourons selon leur potentiel d’attraction et de répulsion. Et face à l’invasion des machines, elle invite à se poser la question : “De quoi voulons-nous nous entourer ?”

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3—

VALLÉE DE L’ÉTRANGE —

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— VALLÉE DE L’ÉTRANGE —

Crâne reliquaire

Royaume de Kongo République démocratique du Congo XVIIIe-XIXe siècle (?) Crâne humain, miroir, pigments, matières organiques 16,5 × 14 × 22,5 cm Musée du quai Branly, Paris Legs Mme Rondet-Saint Inv. 73.1963.0.922

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Masque anthropo-zoomorphe Culture dan Côte d’Ivoire Non daté Bois, clou, coton, poils de singe, crachats de noix de kola, laiton, dents animales, raphia 26 × 15,5 × 9 cm Musée du quai Branly, Paris Inv. 73.1962.1.59

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DANS LA VALLÉE, ENTRE ATTRACTION ET RÉPULSION

“IL Y A DES MORTS QUI NE MEURENT PAS.” Lucien Lévy-Buhl, L’Âme primitive, 1927.

Masque

région de Goroka, Papouasie-Nouvelle-Guinée Non daté Toile de jute, terre, dents, fibres végétales 29 × 28 × 27 cm Musée du quai Branly, Paris Inv. 72.2012.0.14

Tête trophée momifiée

Nazca, Pérou Entre 200 et 600 apr. J.-C. Momification naturelle 10 × 17 × 28 cm Musée du quai Branly, Paris Don Marcel Évrard Inv. 71.1969.63.1

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— PERSONNES SUR MESURE —

Jipae

Culture asmat Asmat, Papouasie Début du xxe siècle Fibres végétales, pigments 172 × 90 × 27 cm Musée du quai Branly, Paris Don Todd Barlin Inv. 72.1995.6.6.1

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PERSONNES À L’HORIZON

MÉTAMORPHOSES — ANNE-CHRISTINE TAYLOR —

“D

e tous les animaux, dit Ronsard dans son Élégie à Robert de La Haye (1560), le plus lourd animal c’est l’homme” : le plus lourd parce qu’il est le seul à rêver d’être oiseau, poisson ou cerf tout en ayant conscience de l’impossibilité de franchir, même par-delà la mort, les limites de la forme de vie avec laquelle on vient au monde. À la même époque, les Tupi du Brésil, eux, s’évertuaient, par l’ascèse, la danse et le cannibalisme, à déjouer cette pesanteur pour accéder dans cette vie à d’autres manières d’être – ceux des dieux-jaguars – en dénouant le lien entre le corps et la conscience d’être humain, pratique de “légèreté” que les jésuites chargés de leur évangélisation leur feront du reste chèrement payer. L’aspiration à changer de corps hante l’imaginaire de toutes les cultures, et sans doute depuis très longtemps si l’on songe aux figurations d’hybrides décelées dans les gravures et les sculptures paléolithiques. Elle s’appuie à la fois sur la faculté de se représenter les états mentaux d’autrui1 permettant de se projeter par empathie dans un corps différent du sien et sur l’observation des métamorphoses naturelles offrant un support à l’imaginaire des procès de transformation corporelle. La conception de la métamorphose prend toutefois des formes différentes selon la nature des groupes considérés, autrement dit selon la nature qu’ils se donnent : c’est le régime d’existence des non-humains et les modes de relations entre les êtres du monde qui dessine l’horizon des mutations craintes ou recherchées, et les pratiques mises en œuvre pour les éviter ou les réaliser. Chez les aborigènes d’Australie, par exemple, pas de métamorphose autre que celle des ancêtres totémiques qui déposèrent jadis une partie d’eux-mêmes en certains lieux devenus depuis des traits saillants du paysage. Par contraste, les groupes d’orientation animiste des Amériques et du Nord de l’Eurasie vivent dans des mondes polarisés par le souci de la métamorphose. La pratique rituelle y est centrée sur les procédures d’un “devenir Autre”, fondées sur un arsenal de techniques de modification de la proprioception et de la

perception (danse, musique, jeûne, psychotropes, douleur…) et de modes de présentification des non-humains par des performances de masques, des manifestations sonores ou des expériences visionnaires. L’axe de la transformation est celui des formes corporelles : la conscience, elle, reste constante dans sa forme générale, conformément à l’idée que l’humain dans ces contextes culturels se définit non comme une espèce mais comme une position déictique, accessible par conséquent à toutes sortes d’existants. La métamorphose est généralement recherchée ; il s’agit d’accéder à des états de corporalité différents qui offrent l’expérience d’autres formes d’immersion dans le monde et ouvrent ainsi à d’autres formes de connaissance. Ailleurs, dans des collectifs où les éléments du monde s’organisent en fonction de vastes réseaux de correspondances, comme c’est le cas dans les Andes, en Mésoamérique, dans de nombreuses régions d’Afrique ou d’Asie et dans l’Europe antique et médiévale, la métamorphose prend souvent la forme d’une subite recomposition des éléments constitutifs d’un être, empruntant la voie des chaînes analogiques dans lesquelles il est inséré : selon une tradition andine, un cavalier peut ainsi se transformer en puce de sa monture pour échapper à des agresseurs, en changeant d’échelle tout en restant le “cavalier” de son cheval. Lorsque le réseau de correspondances liant les éléments du monde est associé à une hiérarchisation des êtres, la métamorphose corporelle est généralement l’apanage des non-humains supérieurs. Plus ces entités se rapprochent du sommet de l’échelle des êtres, plus leur capacité métamorphique augmente : ainsi, les transformations de Zeus n’ont ni limite ni direction, autres que celles dictées par son désir. À l’inverse, plus on descend dans la hiérarchie des êtres, plus les possibilités de glisser dans les corps d’autres espèces se restreignent. Et quand la métamorphose affecte les humains, elle vire souvent au tragique tout en devenant irréversible : c’est la Daphné d’Ovide s’abîmant dans la muette matérialité d’un plant de laurier, le tourment imaginé par Dante de la transformation en serpent dans le huitième cercle de l’enfer ou, plus proche de nous, le drame de Gregor Samsa, changé par Kafka en cloporte monstrueux. En revanche, la métamorphose des consciences est souvent valorisée, qu’il s’agisse de l’âme chrétienne ou d’une autre instance considérée comme le noyau de l’identité d’un être : l’âme peut et même doit se modifier, soit pour se conformer à ce qu’elle devrait être aux yeux de son créateur et point d’origine, soit sous l’effet

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— PERSONNES SUR MESURE —

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