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ALESSANDRO ANGELINI
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Piero della Francesca
Piero della Francesca
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6 George Seurat, Une Baignade à Asnières, détail. Londres, National Gallery. 7 Piero della Francesca, Le Baptême du Christ, détail. Londres, National Gallery.
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PARTIE 2 · PIERO, PEINTRE DE VILLE ET PEINTRE DE COUR
Le Baptême du Christ pour l’église San Giovanni in Val d’Afra C’est, à notre connaissance, avec Le Baptême du Christ aujourd’hui à la National Gallery à Londres que commence la production certaine de piero della Francesca1. Cette peinture qui se trouvait à l’origine à Borgo Sansepolcro, dans l’église San Giovanni in Val d’afra (par la suite désaffectée), dérive de Domenico Veneziano et, en particulier, de L’Adoration des mages berlinoise que celui-ci a peinte pour les Médicis vers 1442 (ill. 1). en 1419, angelo di Cisco di Fante inclut la réalisation d’un retable dans ses dispositions testamentaires et, en décembre 1433, antonio d’anghiari fournit à Benedetto di antonio Mattei, maître menuisier, le plan de la structure en bois très élaborée et pleinement gothique de ce polyptyque. il est alors clair pour tout le monde que ce sera antonio et son jeune assistant qui le peindront2. Mais ce travail aussi est sans cesse repoussé à cause des multiples engagements que prend antonio durant cette décennie, une situation qui l’a amené, nous l’avons vu, à quitter la ville en 1438. À son retour de Florence, c’est donc piero qui en reprend, seul, la réalisation3. Les relations amicales que son père entretient avec don Nicoluccio Graziani, qui occupe pendant plus de trente ans (de 1433 à 1464) le
poste d’administrateur de l’église, permettent aisément à piero de renouer le contact et de commencer à peindre le retable, dont la structure en bois est prête depuis des années. au bout du compte, don Nicoluccio est le véritable commanditaire du retable destiné au maître-autel de la petite église citadine, comme le signifie sans ambiguïté son blason familial associé à celui de l’œuvre, situés de part et d’autre de la prédelle. piero, on le sait, n’a peint que le panneau central ; un autre peindra plus tard les panneaux latéraux, nous y reviendrons. La récente tutelle de Florence sur Borgo Sansepolcro, après la cession de la ville par eugène iV en 1441, explique probablement l’importance prise par l’épisode évangélique : Jean-Baptiste, auquel était consacrée l’église San Giovanni in Val d’afra, est en effet le saint patron de Florence4. Sur ce panneau cintré en bois de peuplier (167 x 166 centimètres), piero représente la scène du baptême dans une campagne ouverte : au centre, les deux protagonistes de l’épisode sacré ; sur la gauche, trois anges assistent à la scène ; au deuxième plan, un catéchumène se dévêt pour recevoir l’eau du baptême ; au fond, des sadducéens et des pharisiens sont les témoins incrédules
1 Piero della Francesca, Le Baptême du Christ. Londres, National Gallery.
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PARTIE 3 · PIERO DELLA FRANCESCA À AREZZO
étroits avec des œuvres précédentes comme le Baptême et La Flagellation du Christ, aux puissants effets de peinture de lumière51. Mais procédons dans notre description selon l’ordre iconographique. Pour peindre la deuxième scène, La Rencontre de Salomon et de la reine de Saba (ill. 23), Piero a baissé l’échafaudage d’un niveau. L’épisode est tiré une fois encore de l’Ancien Testament (I Rois, X) et, sous la plume de Jacques de Voragine, il devient quasiment une fable : désireuse de rencontrer le roi Salomon et d’éprouver sa sagesse légendaire, la reine de Saba quitte son royaume ; durant son voyage, elle croise le pont qui traverse le fleuve Siloé et elle a la révélation que le bois de ce pont (qui provient du rameau de Seth) mettra fin au règne de Salomon. La reine se prosterne en signe d’adoration et se promet de transmettre au roi le message divin. Pour peindre cette scène, Piero, nous l’avons dit, est descendu d’un niveau, s’éloignant ainsi des décorations de style gothique de Bicci di Lorenzo. Il peut à présent encadrer la scène ou, mieux, l’istoria, selon le sens qu’Alberti donne à ce terme, de montants en pierre grise simulés, dentelés à l’antique. C’est donc un solide encadrement feint qui délimite la vaste « fenêtre ouverte52 » dans laquelle est représentée la scène biblique. Cet épisode aussi est divisé en
23-25 Piero della Francesca, La Rencontre de Salomon et de la reine de Saba, vue d’ensemble et détails. Arezzo, basilique San Francesco, chapelle Bacci.
deux temps, dont l’un permet à Piero de célébrer le faste d’une cour de la Renaissance. Les deux événements successifs se déroulent, l’un à l’extérieur (La reine de Saba adore le pont construit avec le bois de l’arbre de la Croix), l’autre sous le portique d’un temple solennellement mis en scène (La Rencontre de Salomon et de la reine de Saba). Cette répartition entre un extérieur et un intérieur, séparés par les colonnes d’une architecture à l’antique, rapproche la fresque des expérimentations sur l’espace que nous avons vues dans la Flagellation à Urbino, peut-être peinte un an plus tôt. Les trois colonnes blanches d’ordre composite, situées l’une derrière l’autre selon une perspective rigoureuse, servent de pivot à la composition et d’unité de mesure idéale pour calibrer les proportions de chaque élément représenté. Dans la partie gauche de la fresque, la reine prie, solennellement agenouillée et assistée par ses dames d’honneur non moins émues par la révélation divine. Les couleurs des lourdes étoffes de leurs robes à traîne sont très vives. En construisant ces admirables figures élancées, Piero tente une synthèse formelle d’une puissance extraordinaire avec des volumes précisément définis qui tendent au géométrique (ill. 24 et 25). Et pourtant le réalisme le plus direct n’est pas oublié : dans le cortège, une naine simplette, inconsciente
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de ce qui se passe, continue de tenir à deux mains la longue traîne de la reine de Saba ; sur sa robe de velours, couleur émeraude, jouent quantité de reflets qui semblent anticiper certaines soies changeantes que Titien n’obtiendra qu’un siècle plus tard. Le détail des palefreniers, à l’extrême gauche (ill. 26), renvoie encore à une composition bien connue de Piero dans ses jeunes années : L’Adoration des mages peinte par Domenico Veneziano quelque dix ans plus tôt (ill. 27)53. On retrouve les deux chevaux de différentes couleurs, côte à côte, vus de face et de dos, et leurs palefreniers accoutrés comme dans la peinture destinée à Pierre de Médicis. Mais dans son infatigable quête tout albertienne d’une rationalité mathématique capable de sauver la figuration du chaos de la nature, Piero ne garde de ce modèle que l’aspect le plus mondain et le plus élégant, car seules l’intéressent la simplicité des volumes et la manière de ramener les éléments naturels à des corps géométriques. Le portique, lui aussi albertien, est entièrement revêtu de vastes panneaux de marbres colorés. Les figures qui y sont réunies sont savamment calibrées dans l’espace, plus majestueuses que jamais dans leurs vêtements d’étoffe précieuse et leurs amples gestes qui célèbrent un rituel de cour presque sacré. Chaque geste, chaque regard exprime un climat suspendu, en accord avec tant de décorum.
26 Piero della Francesca, La Rencontre de Salomon et de la reine de Saba, détail. Arezzo, basilique San Francesco, chapelle Bacci.
27 Domenico Veneziano, L’Adoration des mages, détail. Berlin, Staatliche Museen, Gemäldegalerie.
Inclinant légèrement sa tête couverte d’un voile transparent, la reine de Saba salue le roi Salomon dont l’austère visage barbu, le couvre-chef à l’orientale, le manteau de velours brodé, couleur ivoire et aux larges plis cyclindriques qui brillent dans la lumière, expriment toute la majesté. Les dignitaires qui l’accompagnent forment un demi-cercle derrière lui : leurs riches habits, leurs gestes et leurs regards éloquents sont conformes à l’étiquette impeccable d’une cour princière de la Renaissance (ill. 28). Le dignitaire de profil, en robe de velours rouge et à la corpulence massive, est un type humain cher à Piero : sa physionomie exprime à la fois l’autorité et le calme, la paix de l’esprit et la force de la volonté54. Dans la figure de l’homme jeune coiffé du mazzocchio florentin, situé au premier plan et qui regarde vers l’intérieur de la scène, Piero expérimente de nouveau la solution du profil dérobé qui lui permet de montrer que l’ovale de la tête peut tourner dans toutes les directions (ill. 29)55. Derrière la reine, les dames d’honneur, qui apparaissaient déjà dans la scène du pont, se déploient en éventail. Parce qu’il s’agit des mêmes suivantes, Piero a dessiné le visage de deux d’entre elles à partir du carton, inversé, qu’il a utilisé pour l’épisode du pont, et ce, non par économie de moyens mais pour montrer que ce sont bien les mêmes dames d’honneur que précédemment.
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PARTIE 4 · DANS LA ROME DES PAPES HUMANISTES
qu’artistique, en donnant à sa fresque la dignité et le relief de la grande peinture sacrée53. Comme s’il avait été prévu dès le début que l’autel serait privé d’un tabernacle architectonique afin que la Vierge elle-même, avec son corps gravide, soit ce tabernacle idéal, dans lequel est conservé le Corps du Christ, Marie est représentée par piero sous une tente d’étoffe, dont les pans sont repoussés sur les côtés par deux anges afin de dévoiler toute sa vénérable sacralité54. L’espace cylindrique que construit le pavillon d’une manière très calculée inclut la Vierge située exactement au centre, entre les deux anges que piero a tirés du même dessin en inversant le carton, afin de souligner la signification de ritualité de leur acte dédoublé. Le geste ferme et décidé des anges, qui ne diffèrent que par les couleurs de leurs vêtements et de leurs ailes – vert émeraude et rouge lie de vin –, semble s’opposer à l’attitude pleine de retenue et de timidité de Marie qui, dans la simplicité d’un geste de ses mains admirablement dessinées, désigne son ventre gravide et fait allusion à son état55. Loin de la reine du Ciel, Marie est ici explicitement une femme du peuple, vêtue d’une modeste robe bleue qui s’entrouvre à la hauteur du ventre sur une chemise blanche56. Nonobstant sa dimension populaire, la Vierge
a l’expression de délicat détachement, si habituelle dans la production de piero, qui donne à son jeune visage un air d’attente paisible et aristocratique, admirablement renforcé par les yeux baissés dans le léger raccourci des paupières. Les rehauts de blanc sur le voile qui couvre la chevelure nouée ont malheureusement disparu ; mais il reste l’ovale très doux, presque parfait sur le plan géométrique, de la tête haute, qui paraît anticiper celui qui apparaîtra dans le Retable Montefeltro à Urbino. Comme pour signifier que l’infinie humilité de Marie a droit à tous les honneurs terrestres, piero a accordé une attention particulière à la caractérisation du somptueux pavillon, revêtu d’un damas orné de grandes fleurs de chardon à l’extérieur et doublé d’hermine à l’intérieur. C’est probablement aussi en 1458 que piero termine la fresque représentant la Résurrection du Christ (225 x 200 centimètres), peinte dans la « première salle » du palais de la résidence des conservateurs à Borgo Sansepolcro, lieu par excellence des institutions publiques (ill. 21)57. après les premières années de la domination florentine, au cours desquelles la jouissance d’un espace public de représentation a été supprimée, Florence autorise de nouveau, en 1456, l’utilisation des salles du palais de la résidence ; les magistratures citadines entreprennent alors des travaux
20 Piero della Francesca, Madonna del Parto ou Vierge de l’Enfantement. Monterchi, église Santa Maria di Momentana.
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26-27 Piero della Francesca, Annonciation, vue d’ensemble et détail, Polyptyque de Saint-Antoine. Pérouse, Galleria nazionale dell’Umbria.
PARTIE 5 · LE VIRAGE DE 1460
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PARTIE 6 · PLEINE AFFIRMATION À URBINO
5-6 Piero della Francesca, Retable Montefeltro, vue d’ensemble et détail. Milan, Pinacoteca di Brera.
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