Extrait de "Théâtres en utopie"

Page 1


SOMMAIRE

11 .

15 .

UN PARFUM D’ENFANCE, Avant-propos de Marcel Freydefont

THÉÂTRES EN UTOPIE : UNE HISTOIRE PARALLÈLE D’ARCHITECTURE, par Yann Rocher

34 . Joseph Furttenbach, Schawspilsaal (Théâtre), 1650 36 . Gabriel Pierre Martin Dumont, Salle de spectacle en bosquet, vers 1770 38 . Étienne-Louis Boullée, Salle d’opéra au Carrousel, 1781 40 . Claude Nicolas Ledoux, Théâtre des Capucines, vers 1790 42 . Charles Percier, Pierre-François-Léonard Fontaine, Théâtre, temples et arènes pour célébrer les triomphes de la République et les fêtes nationales, 1794

22 � 43 .

LES SOURCES D’UNE AUTRE HISTOIRE

Dans les temps qui précèdent les révolutions scéniques du xixe et du xxe siècle, plusieurs moments peuvent former les précédents d’une autre histoire des théâtres : dès l’Antiquité, les modèles de Curion et Vitruve synthétisent les prouesses techniques romaines, dont la description nourrit ensuite les inventions de la Renaissance. L’Italie conserve au xviie siècle sa force inspiratrice en induisant des translations d’idées. Autour de la Révolution française enfin, les concepteurs perfectionnent le réglage de l’outil théâtral puis inventent de nouvelles formes monumentales consacrées aux festivités de la République. 22 . Caïus Scribonius Curion, Théâtres sur pivot, vers 51 avant J.-C. 24 . Vitruve, Theatrum (Théâtre), vers 25 avant J.-C. 26 . Leonardo da Vinci, Teatri per uldire messa (Théâtres pour écouter la messe), 1487-1490 28 . Giulio Camillo, Theatro (Théâtre), 1530-1544 30 . Sebastiano Serlio, Theatro & Scena (Théâtre et Scène), 1539 32 . Inigo Jones, Cockpit in Drury Lane (Cockpit à Drury Lane), vers 1616

TEU_INTERIEUR_BAT.indd 5

44 � 67 .

LES THÉÂTRES-MONUMENTS DU CONCERT DES NATIONS

Les nouvelles possibilités offertes par la fonte et le verre, ainsi que l’émulation des expositions internationales, inspirent les architectes du xixe siècle, qui imaginent des théâtres de plus en plus grands. Au même moment, le compositeur Richard Wagner développe l’idée d’œuvre d’art totale et d’un théâtre assurant la fusion des arts. 44 . 48 . 52 . 56 . 58 .

Hector Horeau, Théâtre portatif à trois dimensions, 1862 Gabriel Davioud, Projet d’Orphéon pour dix mille spectateurs, 1864-1867 Gottfried Semper, Richard Wagner, Provisorisches Theater im Glaspalast (Théâtre provisoire dans le Palais de verre), Munich, 1865-1867 Adolphe Sax, Salles de théâtre-Sax, 1867 Viktor Schröter, Проект оперного театра (Grand opéra impérial), 1887-1888 62 . James Steele MacKaye, William Le Baron Jenney, William B. Mundie, Spectatorium, 1893

29/07/2014 17:45


68 � 79 .

ISOLEMENTS COMPOSÉS AU TOURNANT DU SIÈCLE

Précédant les avant-gardes historiques, certaines contributions du tournant du siècle s’appuient sur une dimension programmatique particulièrement marquée, pouvant expliquer des formes d’autonomie ou d’isolement : les symphonies de Beethoven, ou les règles d’une cité industrielle. 68 . François Garas, Temple à la Pensée, dédié à Beethoven, 1897-1907 72 . Ernst Haiger, Symphoniehaus (Salle symphonique), 1906-1910 74 . Hendrik Petrus Berlage, Willem Hutschenruyter, Beethovenhuis (Salle Beethoven), 1907-1908 76 . Tony Garnier, Salle de spectacle et d’audition de la Cité industrielle, 1901-1917

80 � 127 .

DES THÉÂTRES UTOPIQUES SOUS LA RÉPUBLIQUE DE WEIMAR

Au sortir de la Première Guerre mondiale, une génération d’architectes est décidée à refonder la société en proposant de nouveaux genres de villes et d’édifices, ou en s’appuyant sur l’industrie et le design. Les expressionnistes dessinent ainsi des théâtres inspirés des formes de la nature, tandis que les membres du Bauhaus accentuent les mécanismes de scène. 80 . Hermann Dernburg, Max Reinhardt, Theater der Zehntausend (Théâtre des dix mille), 1912 84 . Bruno Taut, Haus des Himmels (Maison du ciel), 1918-1920 88 . Hans Luckhardt, Konzertsaal (Salle de concert), 1919 92 . Hans Poelzig, Großes Festspielhaus (Grand théâtre), 1920-1922 96 . Hans Scharoun, Theater, Volkshaus und Kulthaus (Théâtre, maison du peuple et lieu de culte), 1920 100 . Wassili Luckhardt, Volkstheater (Théâtre du peuple), 1921 104 . László Moholy-Nagy (avec Alfréd Kemény et István Sebök), Kinetisches konstruktives System (Système constructif cinétique), 1922-1928 106 . Farkas Molnár, U-Theater (Théâtre en U), 1924 108 . István Sebök, Tanztheater (Théâtre-danse), 1926-1928 112 . Xanti Schawinsky, Konstruktiver Bühnenraum (Espace scénique constructif), 1926

TEU_INTERIEUR_BAT.indd 6

114 . Andor Weininger, Kugeltheater (Théâtre sphérique), 1926-1927 118 . Walter Gropius, Erwin Piscator, Totaltheater (Théâtre total), 1927 124 . Hans Poelzig, Schauburg (Théâtre ou Forteresse du spectacle), 1932

128 � 155 .

SCÈNES EN ANNEAUX DE L’EUROPE CENTRALE

À la chute de l’empire austro-hongrois, la formule d’une scène centrale ou annulaire se propage dans plusieurs pays de l’Europe centrale. L’examen des principaux projets inventés permet de mesurer les questions spécifiquement liées à cette configuration, tout en retraçant une généalogie. 128 . Adolf Loos, Theater der viertausend (Théâtre pour quatre mille personnes), 1898-1921 132 . Oskar Strnad, Schauspielhaus (Théâtre), 1917-1921 136 . Jacob Levy Moreno, Rudolf Hönigsfeld, Peter Gorian, Stegreiftheater (Théâtre impromptu), 1922-1924 140 . Friedrich Kiesler, Endless Theater (Théâtre sans fin), 1924-1926 144 . Josef Chochol, Jiří Frejka, Osvobozené divadlo (Théâtre libéré), 1926-1927 148 . Szymon Syrkus, Andrzej Pronaszko, Zygmunt Leski, Teatr symultaniczny (Théâtre simultané), 1928-1929 152 . Clemens Holzmeister, Carl Ebert, Idealtheater (Théâtre idéal), vers 1940

156 � 163 .

PLANIFICATIONS THÉÂTRALES AUX PAYS-BAS ET EN BELGIQUE

Séparés d’une quinzaine d’années, deux projets ont pour point commun d’être conçus au sein de propositions urbaines linéaires et ambitieuses, et d’une nature apprivoisée. Ils postulent chacun à une forme de théâtre total par des moyens tout à fait opposés. 156 . Hendrik Wijdeveld, Groote Volkstheater (Grand théâtre du peuple), 1919-1920 160 . Renaat Braem, Totaaltheater (Théâtre total), 1934

29/07/2014 17:45


164 � 177 .

LES THÉÂTRES MÉCANIQUES ET DE MASSE DE L’ITALIE FASCISTE

Les idéaux futuristes de vitesse et de machinisme traversent le théâtre, la scénographie, et la conception de nouvelles scènes aux formes et programmes radicaux. Quelque temps plus tard, le pouvoir fasciste organise la propagande et suggère l’édification de théâtres de masse, genre auquel s’essayeront de nombreux architectes. 164 . Enrico Prampolini, Teatro magnetico (Théâtre magnétique), 1925 166 . Luigi Vietti, Teatro armonico (Théâtre harmonique), 1927-1928 168 . Virgilio Marchi, Grande teatro (Grand théâtre), 1931 170 . Gaetano Ciocca, Teatro per le masse (Théâtre de masse), 1933-1935 174 . Luigi Vietti, Megateatro (Mégathéâtre), 1934-1935

178 � 207 .

LES CONCOURS DE L’ÈRE SOVIÉTIQUE

Une forte impulsion est donnée en urss par l’organisation de grands concours de théâtres dans quelques grandes villes. De vastes théâtres populaires doivent y être édifiés pour la “masse”, et “synthétiser” des fonctions complémentaires et variées. Les rares réalisations qui suivront cet élan ne refléteront malheureusement pas la profusion d’idées et de formes soulevée par ces concours. 178 . Alekseï Babitchev, Авто-агит-театр (Auto-théâtre d’agit-prop), 1922 180 . Vsevolod Meyerhold, El Lissitzky, Sergueï Tretiakov, Театр для пьесы “Хочу ребенка” (Théâtre pour la pièce “Je veux un enfant”), 1928-1929 Mikhaïl Barkhine, Sergueï Vakhtangov, Театр им. Вс. Мейерхольда (Théâtre Meyerhold), 1930-1933 186 . Renshichir Kawakita, Théâtre d’action musicale de masse, Kharkov, 1930-1931 190 . Aleksandr Grinberg, Mikhaïl Kourilko, Traugot Bardt, M. T. Smourov, Театр в Новосибирске (Théâtre à Novossibirsk), 1930-1931 192 . Moïseï Guinzbourg, Большой синтетический театр, Свердловск (Grand théâtre synthétique, Sverdlovsk), 1931 194 . Grigori Barkhine, Mikhaïl Barkhine, Большой синтетический театр, Свердловск (Grand théâtre synthétique, Sverdlovsk), 1931

TEU_INTERIEUR_BAT.indd 7

196 . Nikolaï Ladovski, Большой синтетический театр, Свердловск (Grand théâtre synthétique, Sverdlovsk), 1931 198 . Ilya Golosov, Большой синтетический театр, Свердловск (Grand théâtre synthétique, Sverdlovsk), 1931 202 . Gleb Glushenko, Daniil Friedman, Большой синтетический театр, Свердловск (Grand théâtre synthétique, Sverdlovsk), 1931 204 . Konstantine Melnikov, Театр им. МОСПС, Москва (Théâtre mosps, Moscou), 1931

208 � 235 .

EXTENSIONS SCÉNIQUES AUX USA

Deux figures se distinguent au tournant des années 20 et 30 à New York : Joseph Urban, architecte et décorateur de théâtre, et Norman Bel Geddes, décorateur de théâtre et designer. Leurs séries de théâtres, qui explorent de diverses manières d’étendre la scène, seront complétées par une contribution d’Hermann Herrey pendant la guerre. 208 . Joseph Urban, Metropolitan Opera House (Opéra métropolitain), 1926-1927 212 . Joseph Urban, Music Centre (Centre musical), 1928 218 . Norman Bel Geddes, Six theatre projects for the 1933 Chicago World Fair (Six projets de théâtre pour l’Exposition internationale de Chicago en 1933) 232 . Hermann Herrey (Zweigenthal), Community Theatre (Théâtre communautaire), 1939-1946

236 � 243 .

AUDITORIUMS GÉANTS EN ARGENTINE

Au creux de la guerre et de l’après-guerre, Buenos Aires est un riche terrain d’expérimentation sur l’architecture et l’acoustique des grands auditoriums, animé par des architectes tels que Amancio Williams et Eduardo Catalano. 236 . Amancio Williams, Sala para el espectaculo plastico y el sonido en el espacio (Salle pour le spectacle plastique et le son dans l’espace), 1942-1982 240 . Eduardo F. Catalano, Raúl Oscar Grego, René Nery, Francisco Degiorgi, Alberto González Gandolfi, Fernando E. Lanús, Teatro auditorium (Théâtre auditorium), 1947-1948

29/07/2014 17:45


244 � 263 .

MOBILITÉS DES THÉÂTRES DE LA FRANCE D’APRÈS-GUERRE

Dans les années 50 et 60 en France, des artistes et scénographes transforment le théâtre en un lieu de spectacle total où tout est en mouvement : corps, lumières, sons, publics... D’autres concepteurs axent leurs recherches sur des systèmes constructifs légers, permettant aux théâtres de nouvelles itinérances. 244 . Nicolas Schöffer, Théâtre spatiodynamique, 1956-1957 248 . Le Corbusier, Edgar Varèse, Iannis Xenakis, Le Poème électronique, 1956-1958 252 . Jacques Polieri, Enzo Venturelli, Pierre Vago, Théâtre du mouvement total, 1957-1962 258 . David Georges Emmerich, Cirque, 1958 260 . Pascal Häusermann, Claude Häusermann, Patrick Antoine, Théâtre mobile, 1969-1971

264 � 269 .

UNE UTOPIE HÉROÏQUE À BAGDAD

Héros américain de l’architecture moderne, Frank Lloyd Wright, dans les toutes dernières années de son existence, trace l’un de ses plus imposants projets : un opéra sur une île en périphérie de Bagdad, inspiré du merveilleux de Babylone, du jardin d’Éden et des Mille et Une Nuits. 264 . Frank Lloyd Wright, Opera house, Baghdad Cultural Centre (Opéra, Centre culturel à Bagdad), 1957

270 � 291 .

THÉÂTRES MÉGASTRUCTURES ET COMBINATOIRES

D’autres projets dans les années soixante sont pensés comme d’immenses formes aériennes : ouvrage d’art, forme organique, système gonflable ou empilement structurel. Conçus également comme des outils adaptables et flexibles, ils invitent à une nouvelle réflexion sur la technique dans sa relation à la pratique théâtrale. 270 . Friedrich Kiesler, Universal Theatre (Théâtre universel), 1959-1961 274 . Willi Ramstein, Herbert Ohl, Wandertheater (Théâtre ambulant), 1961 276 . Cedric Price, Joan Littlewood, Fun Palace, 1961-1963 278 . Maurizio Sacripanti, Teatro totale (Théâtre total), 1964-1965

TEU_INTERIEUR_BAT.indd 8

282 . Fritz Bornemann, Karlheinz Stockhausen, Fritz Winckel, Kugelauditorium (Auditorium sphérique), 1968-1970 288 . Archigram, Features : Monte Carlo, 1969-1973

292 � 305 .

UTOPIES ET DYSTOPIES ITALIENNES

Les projets de théâtres italiens de la génération de 68 sont très explicitement nourris de questions politiques : un théâtre est-il seulement encore possible ? Quelle architecture pourrait accueillir une pièce sur le thème de l’utopie ? À la fin de cette période, Aldo Rossi parvient à construire une petite scène flottante à Venise, isolée du monde par l’eau. 292 . Archizoom Associati, Teatri impossibili (Théâtres impossibles), 1968 296 . Ettore Sottsass, Il pianeta come festival (La planète comme fête), 1972 298 . Gae Aulenti, Luca Ronconi, Cinque contenitori per lo spettacolo Utopia (Cinq conteneurs pour la pièce Utopia), 1974-1975 302 . Aldo Rossi, Teatro del Mondo, Théâtre du monde, 1979

306 � 321 .

D’AUTRES ENVELOPPES EN MODE LYRIQUE

Située dans les années 80, cette dernière période est représentée par de grands projets monumentaux conçus en Europe et liés à la musique. Leurs enveloppes et structures invitent à des parcours spectaculaires tout en s'autonomisant de leur environnement. 306 . Arsène Joukovsky, Théâtre lyrique adaptable, 1971-1983 308 . Humbert Camerlo, Philippe Druillet, Rolf Liebermann, Peter Rice, Wagner Space Opera, 1973-1983 312 . Peter Cook, Bloch City, 1983 316 . Doris Piroth, Philharmonie für Hamburg (Philharmonie pour Hambourg), 1986 318 . Jean Nouvel & Associés, Philippe Starck, Théâtre national de Tokyo, 1985

323 . PORTRAITS DES PROTAGONISTES 334 . CRÉDITS PHOTOGRAPHIQUES

29/07/2014 17:45


les sources d’une autre histoire

les prototypes de l’antiquité

Léonard de Vinci, Teatri per uldire messa (Théâtres pour écouter la messe), 1487-1490

des dessins prÊchant l’acoustique

26

Au sein de ses fantastiques carnets, Léonard de Vinci développera tout au long de son existence des esquisses architecturales, méditant aussi bien sur une ville à deux niveaux suite à l’épidémie de peste que sur l’énigme du texte de Pline à propos des théâtres de Curion. Dans l’un d’entre eux qu’il noircit à Milan vers la fin du xve siècle, quelques dessins sont assimilables à des théâtres1. En marge de croquis d’églises, il imagine ainsi des Théâtres pour écouter la messe, consistant par exemple à répartir les auditeurs en quatre hémicycles à l’antique autour d’un autel central encadré par les retombées de la coupole. Cette idée d’entourement est portée à son comble dans un lieu pour le prêche ressemblant à son célèbre relevé de Mausolée

-> Lieu pour le prêche Manuscrit Ashburnham II, folio 95

TEU_INTERIEUR_BAT.indd 26

étrusque : l’assistance est cette fois à équidistance d’une chaire au sommet d’une colonne, à la surface d’une cavea sphérique distribuée dans la masse comme un amphithéâtre romain2. Nul doute que ces recherches sur la performance du lieu d’écoute sont fondées sur un solide savoir acoustique, comme en attestent ses écrits : Vinci y expose l’effet de la concavité sur le son, le phénomène d’écho dans “une citerne ou un espace creux3”, ou encore la propagation de la voix selon les réflexions spéculaires. En somme, ces digressions sont très contrastées : l’artiste incorpore au lieu de culte les formes de l’idéal antique en les menant vers des configurations insolites, proches de futures tentatives de scène centrale et morphologie renouvelée du théâtre.

1. Jean Paul Richter (dir.), The Literary Works of Leonardo da Vinci, vol. 2, Sampson Low, Marston, Searle & Rivingston, Londres, 1883, p. 55-57. 2. Voir Luigi Firpo, Leonardo architetto e urbanista, Union Tipografico-Editrice Torinese, Turin, 1963, p. 55 et suiv. ; Alberto Carlo Carpiceci, L’architettura di Leonardo. Indagine

e ipotesi su tutta l’opera di Leonardo architetto, Bonechi, Florence, 1978, p. 44-54 ; Michael Forsyth, Architecture et musique, Mardaga, Liège, 1987, p. 36-39. 3. Edward MacCurdy, The notebooks of Leonardo da Vinci, George Braziller, New York, 1955, p. 262-272 (p. 262).

29/07/2014 17:45


TEU_INTERIEUR_BAT.indd 27

29/07/2014 17:45


des théÂtres utopiques sous la république de weimar

Xanti Schawinsky, Konstruktiver Bühnenraum (Espace scénique constructif), 1926

le paradoXe d’une machinerie en équilibre

112

Venu de Suisse pour étudier en Allemagne, Xanti Schawinsky a été le disciple à vingt ans de Kandinsky, Klee, Moholy-Nagy et Gropius au Bauhaus, avant de s’investir dans de multiples activités du département scénique, en créant notamment Circus1. Ses compositions picturales et scénographies mécanistes sont émaillées d’un projet de Théâtre ambulant en 1925, et d’un Espace scénique constructif en 1926.

– motifs récurrents chez l’artiste - et un plateau comme un plongeoir. Un aquarium et d’immenses scènes rotatives retenues par des fils complètent cette panoplie. Le régisseur actionne le tout grâce à un poste de commande visible au centre, tandis que les spectateurs s’asseyent “sur diverses « îles » à l’intérieur de la sphère, accessibles par des ponts, couloirs et escaliers3”.

Cette dernière, formulée en un unique dessin inscrit dans un cercle2, remplit l’espace de suspensions apparemment légères et transparentes. Au bas, une scène centrale est reliée par un tapis roulant à une tour d’ascenseur, elle-même jointe à une passerelle s’achevant par un amplificateur et un feu tricolore

L’espace du théâtre, sans limite, est paradoxal et digne d’un tour d’équilibriste : la machinerie, qui n’est généralement qu’un moyen d’obtenir l’illusion de légèreté, est assumée par la représentation abstraite et immatérielle de Schawinsky, comme un spectacle qui défie joyeusement la gravité terrestre.

-> Espace scénique constructif

TEU_INTERIEUR_BAT.indd 112

1. Voir Dirk Scheper, “Schawinsky und das Theater”, in Peter Hahn (dir.), Xanti Schawinsky. Malerei, Bühne, Grafikdesign, Fotografie, Bauhaus-Archiv, Berlin, 1986. 2. Le projet est évoqué dans : Xanti Schawinsky, “From the Bauhaus to Black Mountain”, in The Drama Review, vol. 15, n° 3, été 1971, p. 30-44, et repris dans Michaud, op. cit., p. 164-168 ; parmi ses influences théâtrales, Schawinsky cite un poème de 1905, où un théâtre fait tourner les spectateurs dans quatre directions : Christian

Morgenstern, “Theater”, in Werke und Briefe. Band III. Humoristische Lyrik, Urachhaus, Stuttgart, 1990, p. 115-116. 3. Cette répartition est expliquée ultérieurement par l’artiste dans Schawinsky, op. cit., p. 42. Ces conceptions mériteraient d’être comparées à des tentatives proches à la même époque, notamment : Mechanische Bühne de Joost Schmidt, City in space de Friedrich Kiesler, Funzione 3U d’Ivo Pannaggi, toutes de 1925.

29/07/2014 17:47


TEU_INTERIEUR_BAT.indd 113

29/07/2014 17:47


scÈnes en anneauX de l’europe centrale

Friedrich Kiesler, Endless Theater (Théâtre sans fin), 1924-1926

140

le comble de l’Œuf Avant de présenter les dessins du Théâtre sans fin à New York en 1926, Friedrich Kiesler était passé par plusieurs étapes : invité à Berlin à scénographier r.u.r. de Karel Čapek et The Emperor Jones d’Eugene O’Neill, il avait d’abord expérimenté une “coulisse électromécanique” où un diaphragme dévoilait des projections, et une “scène-espace” en entonnoir dont les éléments de décor tournaient. Qualifiée de “pléonasme” par Alfred Kerr dans la presse1, il reprit ensuite la dénomination de cette dernière pour en préciser concept et forme, lors de l’Internationale Ausstellung neuer Theatertechnik en 1924. Il fit ainsi bâtir la scène du Railway Theater – deux étages circulaires équipés d’une rampe en spirale et d’un élévateur, constituant le principal ressort d’une “symphonie théâtrale « optophonique »2”, mais aussi le fragment à “échelle grandeur” d’un futur projet utopique.

-> Plan supérieur du Théâtre sans fin

TEU_INTERIEUR_BAT.indd 140

Un an plus tard en effet, alors qu’il séjourne à Paris, Kiesler dresse deux plans et une coupe du Théâtre sans fin, difficiles à interpréter, sur lesquels se distingue toutefois le motif central de la “scène-espace”. Autour, un tracé puriste figure une double coquille ellipsoïdale aplatie, matérialisée selon l’auteur par de l’acier et du verre soudé opaque3, même si rien ne permet de déduire comment un tel volume pourrait être suspendu, posé ou encastré. Cette impression d’abstraction constructive sera d’ailleurs confirmée par la grande maquette en plâtre exposée à New York.

29/07/2014 17:54


TEU_INTERIEUR_BAT.indd 141

29/07/2014 17:54


scÈnes en anneauX de l’europe centrale

L’intérieur est un même hymne à la liberté, puisque Kiesler s’inspire du haubanage des ponts pour répartir l’action dramatique dans l’espace. Les plans révèlent ainsi à quel point les acteurs peuvent jouer en toute partie du volume au-dessous et autour d’un grand tube suspendu, grâce à la superposition de deux ensembles de scènes en spirale, et une multitude de plates-formes, rampes et élévateurs. L’artiste, qui à l’époque tient à ce que le spectateur puisse aussi se mouvoir dans l’espace4, divise les dix mille places en cercle sur quatre niveaux, la majorité étant concentrée sur le bas rempli par la “scène-espace” et deux anneaux s’entrecroisant à l’oblique. Ce système complexe est à la fois proche d’une forme d’œil et des travaux cinétiques de Marcel Duchamp que Kiesler

1. Ibid., p. 84. 2. Kiesler (dir.), op. cit., p. 2. 3. Frederick Kiesler, “Project for a « SpaceTheatre » Seating 100,000 People”, in Architectural Record, mai 1930, p. 495. Sur le projet voir aussi : Thomas H. Creighton, “Kiesler’s Pursuit of an Idea” (entretien), in Progressive Architecture, juillet 1961, p. 104-124 (p. 110-112) ; Arnold Aronson, The History and Theory of Environmental Scenography, umi Research Press,

TEU_INTERIEUR_BAT.indd 142

cotoie alors5, et une métaphore horlogère et céleste encore plus poussée que “la toupie” de Weininger. Mais les moyens d’assurer les portées, mécanismes et croisements resteraient à spécifier, en cohérence avec le mouvement des spirales, cette fascinante “renaissance perpétuelle en de nouveaux plans qui ne seraient jamais déconnectés des précédents6”. Si aucun autre projet de Kiesler ne portera aussi loin l’idée d’occuper un volume par des mécanismes, l’artiste demeurera constamment en recherche d’espaces continus, comme en témoignera son emblématique Endless House. Car, comme le dira Jean Arp à son propos, “tel Christophe Colomb, il avait la tête pleine d’œufs qu’il couvait jour et nuit7”.

Ann Arbor, 1981, p. 57 et suiv. ; Held, op. cit., p. 24 et suiv. ; 4. Frederick Kiesler, “Débâcle du théâtre. Les Lois du cube scénique”, in Chantal Béret (dir.), Frederick Kiesler, Artiste-Architecte, Centre Pompidou, 1996, p. 35-37 (p. 36) ; voir aussi p. 215-216. 5. Dieter Daniels, “Points d’interférence entre Frederick Kiesler et Marcel Duchamp”, in Béret, ibid., p. 119-130.

6. L’examen des documents révèle de nombreuses contradictions dans le fonctionnement du théâtre. La citation provient de : Frederick Kiesler, “Art and Architecture: Notes on the Spiral Theme in Recent Architecture”, in Partisan Review, hiver 1946, p. 98-103, traduit dans Béret (dir), op. cit., p. 188-190. 7. Jean Arp, “L’Œuf de Kiesler et la Salle des Superstitions”, in Cahiers d’art, 1947, p. 181-187.

29/07/2014 17:54


scÈnes en anneauX de l’europe centrale

-^ Plan du Théâtre sans fin <- Coupe sur le Théâtre sans fin

TEU_INTERIEUR_BAT.indd 143

29/07/2014 17:54


utopies et dystopies italiennes

Ettore Sottsass, Il pianeta come festival (La planète comme fête), 1972

296

la fÊte par procuration

L’utopie de la “Planète comme fête”, qu’Ettore Sottsass confie sur un mode intimiste à deux revues1 en 1972, témoigne d’un certain écart du designer : il s’y décrit comme le “fils d’une époque anxieuse du futur”, qui n’aurait plus la possibilité d’inventer une architecture comme modèle de société, et se résoudrait donc à imaginer des programmes dessinés par d’autres. Ses propos sont effectivement accompagnés des dessins de son collaborateur Tiger Tateishi, Sottsass expliquant par ailleurs avoir conçu ces projets comme s’ils “avaient été suggérés par téléphone2”. Ils dépeignent un monde où le travail serait aboli grâce à une production entièrement gérée par des machines. Les produits de consommation, distribués en tous points de la planète par un réseau pneumatique souterrain, auraient littéralement “pulvérisé les villes” et transformé les humains en des artistes-artisans-nomades. Travaillant selon leur -> Radeaux pour écouter de la musique de chambre, Stade pour grands concerts publics à l’ombre de la Vallée des Cendres, Maisons nomades diffusant valse, tango, rock et cha-cha-cha, Stade pour l’observation précise de l’eau et du ciel.

TEU_INTERIEUR_BAT.indd 296

bon vouloir, ces derniers pourraient “savoir toujours tout”, mais “sans les filtres d’aucun pouvoir centralisé statique ou permanent3”. Parmi la série d’équipements délirants saupoudrés à différentes latitudes figurent plusieurs dispositifs pour admirer le spectacle de la nature, comme ce Stade pour l’observation précise de l’eau et du ciel. D’autres assurent un équivalent introverti, par des Maisons nomades diffusant valse, tango, rock et cha-cha-cha, un Stade pour grands concerts publics à l’ombre de la Vallée des Cendres, ou encore des Radeaux pour écouter de la musique de chambre. Quelques années plus tard, à la question de savoir s’il s’agissait là d’une “sorte d’utopie négative”, Sottsass répondra que cette architecture pour des oisifs “était un rire et un sourire, l’expression d’un malaise4”.

1. Ettore Sottsass junior, “Il pianeta come festival”, in Casabella, n° 365, mai 1972, p. 41-47. Une deuxième partie est présentée dans la revue In de mai-juin 1972. 2. Milco Carboni, Ettore Sottsass Jr. ’60-’70,

Hyx, 2006, p. 196. 3. Ibid. 4. Thierry Grillet, Marie-Laure Jousset (dir.), Ettore Sottsass, Centre Pompidou, 1994, p. 39.

06/08/2014 10:32


TEU_INTERIEUR_BAT.indd 297

06/08/2014 10:32



Turn static files into dynamic content formats.

Create a flipbook
Issuu converts static files into: digital portfolios, online yearbooks, online catalogs, digital photo albums and more. Sign up and create your flipbook.