Tout sera oublié Mathias énard / Pierre Marquès 9 782330 018085
couv TOUT SERA OUBLIE.indd 1
actes sud bd
24 euros TTC France
01/03/13 11:46
La collection Actes Sud BD est dirigée par Thomas Gabison et Michel Parfenov
Mathias Enard
Pierre Marquès
des mêmes auteurs Mangée, mangée ! Un conte balkanique et terrifique (Actes Sud junior, 2009) Bréviaire des artificiers (Verticales, 2007)
de Mathias Enard aux éditions Actes Sud La perfection du tir (2003, prix des Cinq Continents de la francophonie ; Babel n° 903)
Remonter l’Orénoque (2005)
Zone (2008, prix Décembre, prix du Livre Inter ; Babel n° 1020),
Parle-leur de batailles, de rois et d’éléphants (2010, prix Goncourt des Lycéens, prix du Livre en Poitou-Charentes 2011)
Rue des Voleurs (2012)
aux éditions Inculte L’alcool et la nostalgie (2011 ; Babel n° 1111)
© Actes Sud, 2013 ISBN xxxxxxxxxxxx Direction artistique : Thomas Gabison www.actes-sud.fr
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La collection Actes Sud BD est dirigée par Thomas Gabison et Michel Parfenov
Mathias Enard
Pierre Marquès
des mêmes auteurs Mangée, mangée ! Un conte balkanique et terrifique (Actes Sud junior, 2009) Bréviaire des artificiers (Verticales, 2007)
de Mathias Enard aux éditions Actes Sud La perfection du tir (2003, prix des Cinq Continents de la francophonie ; Babel n° 903)
Remonter l’Orénoque (2005)
Zone (2008, prix Décembre, prix du Livre Inter ; Babel n° 1020),
Parle-leur de batailles, de rois et d’éléphants (2010, prix Goncourt des Lycéens, prix du Livre en Poitou-Charentes 2011)
Rue des Voleurs (2012)
aux éditions Inculte L’alcool et la nostalgie (2011 ; Babel n° 1111)
© Actes Sud, 2013 ISBN xxxxxxxxxxxx Direction artistique : Thomas Gabison www.actes-sud.fr
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“Tout sera oublié. Absolument tout.” Camille de Toledo, Le Hêtre et le bouleau
“Tout sera oublié. Absolument tout.” Camille de Toledo, Le Hêtre et le bouleau
Je ne savais pas que les corbeaux étaient une espèce si fréquente… Partout où l’on aille, à Sarajevo, à Lublin, à Belgrade, ils nous regardent. Nous observent.
8
Ce matin j’ai commencé une liste des objets que l’on peut tenir à la main, un stylo, un pinceau, des béquilles, une fourchette ou un couteau...
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Je ne savais pas que les corbeaux étaient une espèce si fréquente… Partout où l’on aille, à Sarajevo, à Lublin, à Belgrade, ils nous regardent. Nous observent.
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Ce matin j’ai commencé une liste des objets que l’on peut tenir à la main, un stylo, un pinceau, des béquilles, une fourchette ou un couteau...
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... un appareil photo, un sexe, un révolver, un fusil d’assaut, ou tout cela à la fois.
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Je crois que Marina me manque. Je crois que les Balkans me manquent. Les corbeaux aussi, peut-être. Qui sait. Cette histoire de monument me rend fou. Plus de six mois de travail sans une seule idée.
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... un appareil photo, un sexe, un révolver, un fusil d’assaut, ou tout cela à la fois.
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Je crois que Marina me manque. Je crois que les Balkans me manquent. Les corbeaux aussi, peut-être. Qui sait. Cette histoire de monument me rend fou. Plus de six mois de travail sans une seule idée.
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Qu’est-ce qu’un monument? C’est un bâtiment en soi inutile. Un musée sans musée. Un genre de croix. Une mosquée sans fidèles, une église sans Dieu. Un symbole. Une présence de ce qui n’est plus. Un corbeau. J’ai demandé à réfléchir, j’avais envie d’accepter, sans doute pour l’argent. Pour l’inconnu, le défi, comme on dit. J’ai parcouru la France pour regarder des monuments aux morts, il y en a tellement qu’on ne les voit plus. 12
On ne lit pas non plus les noms sur leurs pierres, on ne sait plus grandchose des guerres auxquels ils sont consacrés, tout est noyé dans le mot Patrie, dans les jours fériés qui leur correspondent, ce sont de grands vases à fleurs bleu blanc rouge qui fanent tranquillement dans l’automne ou le printemps. 13
Qu’est-ce qu’un monument? C’est un bâtiment en soi inutile. Un musée sans musée. Un genre de croix. Une mosquée sans fidèles, une église sans Dieu. Un symbole. Une présence de ce qui n’est plus. Un corbeau. J’ai demandé à réfléchir, j’avais envie d’accepter, sans doute pour l’argent. Pour l’inconnu, le défi, comme on dit. J’ai parcouru la France pour regarder des monuments aux morts, il y en a tellement qu’on ne les voit plus. 12
On ne lit pas non plus les noms sur leurs pierres, on ne sait plus grandchose des guerres auxquels ils sont consacrés, tout est noyé dans le mot Patrie, dans les jours fériés qui leur correspondent, ce sont de grands vases à fleurs bleu blanc rouge qui fanent tranquillement dans l’automne ou le printemps. 13
L’été 1991 les Serbes, les Bosniaques, les Croates commencent à se foutre sur la gueule et vingt ans plus tard on me demande d’imaginer un Monument qui ne soit ni Serbe ni Bosniaque ni Croate pour cette guerre oubliée plus que terminée.
14
« Seul un artiste international comme vous peut dessiner quelque chose d’intéressant, on m’a dit. Quelque chose qui ne soit pas partisan, on m’a dit. Qui prenne en compte les souffrances de tous les camps, on m’a dit. » Drôle d’idée qu’un monument à la souffrance, j’ai pensé.
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L’été 1991 les Serbes, les Bosniaques, les Croates commencent à se foutre sur la gueule et vingt ans plus tard on me demande d’imaginer un Monument qui ne soit ni Serbe ni Bosniaque ni Croate pour cette guerre oubliée plus que terminée.
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« Seul un artiste international comme vous peut dessiner quelque chose d’intéressant, on m’a dit. Quelque chose qui ne soit pas partisan, on m’a dit. Qui prenne en compte les souffrances de tous les camps, on m’a dit. » Drôle d’idée qu’un monument à la souffrance, j’ai pensé.
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Je suis allé voir, peut-être parce que je pressentais les corbeaux, ou Marina, ou l’effet que les traces de la guerre pouvaient avoir sur moi. Jamais je n’avais mis les pieds dans les Balkans. Jamais je n’avais construit le moindre monument ou mémorial. J’étais sûrement le plus incompétent pour cette affaire. Ils n’ont rien voulu savoir. 16
Je ne connaissais personne à Sarajevo, j’ai lu quelques livres sur la Bosnie ; j’avais des contacts, ce que l’on appelle des contacts et qui sont des noms d’inconnus et des numéros de téléphone inutiles.
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Je suis allé voir, peut-être parce que je pressentais les corbeaux, ou Marina, ou l’effet que les traces de la guerre pouvaient avoir sur moi. Jamais je n’avais mis les pieds dans les Balkans. Jamais je n’avais construit le moindre monument ou mémorial. J’étais sûrement le plus incompétent pour cette affaire. Ils n’ont rien voulu savoir. 16
Je ne connaissais personne à Sarajevo, j’ai lu quelques livres sur la Bosnie ; j’avais des contacts, ce que l’on appelle des contacts et qui sont des noms d’inconnus et des numéros de téléphone inutiles.
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L’aéroport de Sarajevo est minuscule; je cherchais des yeux le tunnel qui passe sous la piste et dont je savais qu’il avait été le seul lien de la ville avec l’extérieur pendant le siège. Voilà, tu es devenu un touriste de la guerre et de la destruction, je me suis dit. Avec vingt ans de retard.
18
Que fait-on dans une ville inconnue? Traîner à la terrasse des cafés, déambuler sans but. Une ville étrangère…
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L’aéroport de Sarajevo est minuscule; je cherchais des yeux le tunnel qui passe sous la piste et dont je savais qu’il avait été le seul lien de la ville avec l’extérieur pendant le siège. Voilà, tu es devenu un touriste de la guerre et de la destruction, je me suis dit. Avec vingt ans de retard.
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Que fait-on dans une ville inconnue? Traîner à la terrasse des cafés, déambuler sans but. Une ville étrangère…
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Dessiner des mosquées, regarder les vieux jouer aux échecs sans vraiment suivre la partie en se demandant s’ils jouaient aussi aux échecs, avant.
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Dessiner des mosquées, regarder les vieux jouer aux échecs sans vraiment suivre la partie en se demandant s’ils jouaient aussi aux échecs, avant.
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Tout sera oublié Mathias énard / Pierre Marquès 9 782330 018085
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