Rêves d'architecture - Mémoire HMONP - Adèle Perrache

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Adèle PERRACHE - Mémoire de HMONP encadré par Thibault Maupoint de Vandeul - 2021/2022

Ecole Nationale Supérieure d’Architecture de Saint Etienne

contrainte
RÊVES D’ARCHITECTURE ou Comment dépasser la
SOMMAIRE REMERCIEMENTS AVANT PROPOS INTRODUCTION PARCOURS - DU RÊVE A LA REALITE A la poursuite du rêve Retour à la réalité Pause Persister Apprivoiser la contrainte LA CONTRAINTE, UN ESPACE DE LIBERTES On est pas tous seuls ! De l’importance de maitriser son sujet pour défendre ses valeurs La contrainte comme défi CONCLUSION BIBLIOGRAPHIE TABLE DES ILLUSTRATIONS ANNEXES 7 9 11 13 15 19 21 23 27 31 33 41 47 53 54 55 57

MERCI

À Nicolas, Thierry, Julien et Olivier pour leur accueil au sein d’Eutopia, et la confiance qu’ils m’ont portée,

À Thibault Maupoint de Vandeul pour ses conseils avisés et sa pertinence quant à la rédaction de ce mémoire,

À Pierre Doucerain et Philippe Drevet, pour leur enseignement, leur disponibilité et leur bienveillance,

À mes parents, pour leur soutien sans faille à chacune des étapes de mon parcours,

À Félix, Chloé et à l’ensemble de mes proches, pour ce qu’ils m’apportent au quotidien.

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Fig.1 - Woodcut 6, par Bryan Nash Gill

AVANT-PROPOS

Parce que l’écriture de ce mémoire m’est avant tout personnelle, il me semblait important que son illustration le soit également. Les images choisies n’ont donc pas toutes vocation à illustrer un propos spécifique, mais elles sont surtout et avant tout le reflet de mon univers, la représentation de ce qui m’inspire et m’influence au quotidien.

Ce mémoire ayant été conçu comme un livre, pour que sa lecture soit la plus agréable possible, préférez le mode de lecture en double page, avec la page de garde affichée séparément.

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Fig.2 - Texture

“Pas facile de concilier rêve et réalité, entre les deux se déploie un très long pont nommé contrainte.”

L’écriture de ce mémoire part de ce constat. Mes débuts dans la réalité du monde de l’architecture n’ont pas toujours été simples.

Ensevelie par une montagne de contraintes auxquelles je ne m’attendais pas au sortir de l’école, j’ai rapidement été amenée à me questionner sur le métier d’architecte et la manière que j’aurais de l’aborder. C’est donc naturellement que la problématique développée au travers de ce mémoire s’est orientée autour de la notion de contrainte en architecture.

Parce que c’est encore aujourd’hui quelque chose avec lequel j’apprends parfois difficilement à travailler, et que ces contraintes m’amènent sans cesse à me remettre en question dans ma pratique professionnelle, je ressentais le besoin de me questionner davantage sur cette notion. Quelles sont les contraintes qui s’appliquent dans le domaine de l’architecture ? Pourquoi m’effraient-elles autant ? Portent-elles nécessairement, comme j’ai longtemps été amenée à le penser, préjudice au projet et à la qualité architecturale, ou peut-on, à l’inverse, en tirer parti ?

Le cadre de notre intervention, régi par toutes ces contraintes, semble immuable. Mais peut-on espérer le faire évoluer ? Comment construire en accord avec les valeurs que l’on porte dans ce système avec un cadre en apparence très rigide ?

Ces questions sont parmi celles que j’ai pu me poser tout au long de l’écriture de ce mémoire et qui m’animent encore aujourd’hui dans ma pratique de l’architecture.

Je tenterai d’y apporter un début de réponse en décrivant dans un premier temps mon parcours et les expériences qui m’ont amenées à ces questionnements. Puis dans un second temps, j’axerai ma réflexion sur les possibilités qui s’offrent à nous pour tenter de jouer avec les contraintes et d’y faire face.

Sans avoir la prétention de faire une liste exhaustive, j’essaierai surtout de changer ma façon de regarder la contrainte pour la voir désormais, non pas comme telle, mais comme un levier permettant de se challenger, et de tendre vers ce à quoi on aspire dans sa pratique de l’architecture. Je m’appuierai pour cela sur mon expérience de pratique en agence et ce qu’elle m’aura permis de comprendre et d’observer.

Ce mémoire se veut donc être en quelque sorte, une mise au point sur ma situation actuelle, et sur les solutions qui s’offrent à moi pour tendre vers la pratique architecturale que j’aurais choisie, et ce malgré la diversité de contraintes auxquelles je devrais nécessairement faire face.

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INTRODUCTION
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DU RÊVE A LA REALITE
PARCOURS
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Fig. 4 - « Cumulus Consonance Study 1 », par Scott Naismith

A LA POUSRUITE DU REVE

L’une des raisons pour laquelle je me suis tournée vers l’architecture, est très certainement une passion pour la création.

Déjà enfant, j’avais cette envie de dessiner, de bricoler, de façonner quelque chose de mes mains. Et aujourd’hui encore, j’aime imaginer, inventer, créer.

Chaque pratique artistique m’intéresse, et j’aime dans l’art, quelle que soit sa forme, le fait de pouvoir imaginer ce qui nous plaît, ce qui n’existe pas encore, ou ce qui nous fait rêver.

Alors, me direz-vous, pourquoi s’être orienté vers l’architecture plutôt que vers une autre forme d’art ?

Je crois que l’architecture est plutôt venue à moi au fil de mon parcours. J’ai dû faire des choix [parfois précipités] pour décider de mon avenir professionnel et de la direction que je voulais prendre. Ce sont ces choix, qui m’ont peu à peu conduit jusqu’à la place que j’occupe aujourd’hui. En voici un bref résumé :

Avant mon entrée en école d’architecture, j’ai d’abord passé une année en faculté d’Arts plastiques, et une année aux Beaux-Arts. J’étais animée par tout ce qui touchait au côté créatif.

Au cours de ces deux années, je découvrais la sculpture, la peinture, la gravure, la vidéo, la photographie… J’aimais le côté touche-à-tout de ces deux formations, qui m’ont permis, en plus de découvrir des univers que je ne connaissais pas, de me découvrir personnellement.

Aux beaux-arts, la formation se séparait en deux axes : Art et Design. La première année avait cet avantage de nous permettre de découvrir ces deux domaines, et de choisir celui vers lequel on voulait tendre pour la suite.

Parce que j’avais la vague impression qu’il y avait assez peu de débouchés en section Art, j’ai décidé de me diriger plutôt vers la section Design. J’avais également l’impression que c’était un domaine qui me permettrait de mêler un côté artistique avec un côté plus “utile”. Le design s’est donc à ce moment là, dévoilé comme le bon compromis pour rester dans le domaine artistique, tout en ayant un côté un peu plus “appliqué”.

Parallèlement à cette volonté de me spécialiser dans le design, j’ai passé mon concours d’entrée à l’école d’architecture de Marseille, que j’ai réussi.

Comme le design m’intéressait beaucoup, mais que l’architecture m’attirait également, je me suis dit que j’arriverais sans doute aisément à concilier une première année à l’école d’architecture, avec une deuxième année en design aux beaux-arts. Grosse erreur… Pas du tout !

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Fig. 5 - Projet de design - Déclinaison de luminaires

Face à la charge de travail en école d’architecture, j’ai été contrainte de choisir entre les deux formations : “Il y a plus d’architectes qui sont designers que de designers qui sont architectes”, m’a t’ont dit. Alors j’ai choisi l’Architecture.

Me voilà donc entrée en première année à l’école d’architecture de Marseille.

Et comme tout bon étudiant architecte, les débuts n’ont pas été simples. La charge de travail conséquente m’a souvent amenée à me remettre en question, voire même à vouloir tout abandonner. Mais peu à peu, j’ai vu naître un sens à ce que je faisais. Plus le temps passait, plus je me faisais plaisir à imaginer des lieux. Et j’ai compris que ce qui m’animait dans l’architecture [comme dans l’art en général], c’était de pouvoir s’autoriser à rêver.

Le rêve est une notion à laquelle une grande place est accordée en école d’architecture, parce que les projets que chacun imagine dans le cadre des études, sont encore fictifs. Ils ne sont que très peu contraints par des programmes excessivement rigides, par les normes et les réglementations qui s’ajoutent peu à peu au projet ou bien encore par des budgets à fluxtendus.

Les projets d’école laissent encore le libre accès à l’imaginaire et les études font alors partie de ces moments où l’on peut [encore] s’autoriser à rêver. A ce moment-là, on peut dessiner un projet sans tenir complètement compte de toutes les contraintes qui viennent peu à peu s’y greffer. On peut s’autoriser à ajouter une pièce au projet alors qu’elle ne nous était pas demandée, juste parce qu’elle propose une vue différente des autres. On a encore le droit d’imaginer un espace simplement parce qu’on s’y verrait bien, et de le justifier aussi simplement. On a le droit encore, de laisser sa créativité et son imagination dominer le reste, au risque de déraper un peu du programme.

Je suis une rêveuse, sans doute un peu utopiste. Et j’ai cru que rien ne serait différent une fois dans le monde réel de l’architecture. Force est de constater que je m’étais trompée.

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Fig. 6 - « Songs of Melusina 4 », par Lia Melia, 2012

C’est en rentrant en agence d’architecture, que j’ai pris la pleine conscience de ce que représentait la réalité du métier d’architecte. Ce que je n’avais pas tout à fait saisi [ou que j’avais fait semblant de ne pas comprendre], c’est qu’en sortant de l’école, je n’allais plus dessiner des projets selon mes propres envies. J’allais désormais devoir répondre aux besoins de clients, respecter un programme, tout en tenant compte des contraintes liées à l’environnement du projet, à son contexte, à son budget...

Je pense que c’est ici qu’a lieu la limite entre Art et Architecture : sans commanditaire, il ne peut y avoir de création architecturale. J’avais imaginé l’architecte comme un “artiste de l’espace”, mais j’ai brutalement compris qu’à l’opposé d’un artiste, l’architecte n’est jamais celui qui fixe les règles du jeu. C’est certes, quelqu’un qui crée et qui imagine des espaces, mais pour exercer, il a besoin de clients. Il a besoin d’un maître d’ouvrage auquel il doit rendre des comptes.

“La difficulté de créer en dehors du processus de la commande interroge sur le statut d’artiste induit dans la mythologie d’un métier autour duquel subsistent bien des fantasmes. L’architecte serait-il davantage ingénieur ? Un homme ou une femme d’affaires avec une agence à faire tourner, des salaires à payer et donc des projets à entrer ? Le rêve en prend un coup.”

De la même manière, sans contraintes, il n’y a pas de projet d’architecture. L’architecture répond obligatoirement à une demande et s’insère forcément dans un contexte existant, dont il n’est pas possible de faire abstraction.

“Si le peintre et le musicien peuvent imaginer une œuvre «gratuite», sans autre rôle précis que d’émouvoir, l’architecte ne peut concevoir un édifice sans objet. Son œuvre répond toujours à une fonction et à un programme déterminé.”

Face à ce constat, j’ai eu la désagréable impression, en entrant en agence d’architecture, de m’être faite bernée. J’avais naïvement cru jusqu’ici, que le métier d’architecte ressemblait peu ou prou à celui d’artiste, sans m’imaginer une seule seconde à quel point il en était différent.

Ce passage de l’école d’architecture au métier d’architecte, a ainsi été pour moi [complètement] déroutant, car j’ai eu la sensation de perdre mes libertés, ensevelies par toutes les contraintes réglementaires, financières, politiques (...) appliquées au projet.

Il me semblait à ce moment-là, que les contraintes étaient telles, qu’elles induisaient nécessairement une baisse de la qualité des projets, et il était hors de question pour moi, de continuer l’architecture dans ce contexte.

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RETOUR A LA REALITE
1. Alice Delaleu dans «Un art l’architecture ? Que serait l’architecte sans maître d’ouvrage ?», dans Chroniques d’Architecture, Mai 2022 2. Jean-Louis Jolin, dans «L’architecture est-elle encore un art ?»
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Fig. 7 - Dune

PAUSE

Alors, j’ai arrêté l’architecture et je suis partie découvrir d’autres horizons.

Je suis partie en Australie, avec l’idée d’abandonner définitivement ce milieu qui, je le croyais, ne me correspondait pas.

Là-bas, j’ai travaillé dans d’autres domaines. Je me suis essayée au jardinage, au service, à la cuisine.

Ce fut une période extrêmement enrichissante pour moi parce qu’elle m’a permis de me rendre compte que j’étais en capacité de me faire plaisir avec autre chose que l’architecture.

En un sens, c’était probablement ce dont j’avais besoin pour me rassurer sur l’avenir.

Si je n’étais pas capable de me faire plaisir en tant qu’architecte, j’aurais malgré tout une porte de sortie vers laquelle me diriger.

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Fig. 8 - « Svayambh », par Anish KAPOOR, Nantes, 2007

Àmon retour d’Australie, c’est donc forte de ce constat que j’ai décidé de retenter l’expérience de l’architecture. Je m’étais rendue compte en essayant différents métiers, que chacun d’entre eux avait son lot de difficultés et de contraintes, et que ce n’était pas propre à l’architecture, mais plutôt au monde du travail en général.

Et puis, en dépit des désillusions que j’avais pu avoir quelques années auparavant, je m’étais rendue compte que j’avais foi en ce métier et en ce qu’il était capable d’apporter à la société. Je comprenais que l’architecture n’était sans doute pas un art comme les autres, mais que c’était malgré tout un art : l’art de l’humain ; celui de prendre soin des gens.

En prenant conscience de l’impact que l’architecte pouvait avoir sur les manières de vivre et d’habiter l’espace, je reprenais espoir et m’autorisais finalement à rêver de nouveau.

C’est dans ce contexte, pleine d’espoir et d’envie, que j’ai candidaté pour un poste d’architecte au sein d’une agence stéphanoise, Eutopia, dans laquelle je travaille encore actuellement.

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PERSISTER

EUTOPIA ARCHITECTURE

Eutopia Architecture”, a été fondée en 2009 par trois associés, et compte aujourd’hui une vingtaine de salariés.

L’agence a basé son fonctionnement sur une organisation selon trois pôles : développement, conception et travaux ; chacun des pôles étant dirigé par l’un des trois associés : respectivement Thierry Milhaud, Nicolas Peyrard et Julien Liogier.

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Les clients sont publics ou privés, et les projets sur lesquels nous travaillons au sein de l’agence sont relativement variés, allant du logement collectif, aux établissements d’enseignement ou de bureaux, en passant par les équipements publics, les bâtiments industriels ou encore les bâtiments liés aux transports. Une majorité des projets se situe dans la région Auvergne-Rhônes Alpes, mais il n’est cependant pas rare que certains soient implantés au-delà.

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Fig. 10 - Mémorial aux victimes d’Anders Breivik , par «Jonas Dahlberg»

APPRIVOISER LA CONTRAINTE

De retour en agence d’architecture, j’ai été forcée de constater que la masse de contraintes qui m’avait effrayée quelques années auparavant ne s’était pas volatilisée. Mais puisque j’étais retournée vers l’architecture en connaissance de cause, j’allais désormais devoir voir le verre à moitié plein, plutôt qu’à moitié vide et me poser alors cette question de savoir comment toutes ces contraintes pouvaient finalement jouer en faveur de la qualité architecturale, et comment elles pouvaient devenir un atout pour construire en accord avec mes convictions.

Avant de trouver les leviers pour tirer parti de cette contrainte en architecture, il m’apparaît nécessaire de définir cette notion telle que je la perçois.

Lorsque l’on recherche les diverses définitions du terme “contrainte”, voici les premières réponses que l’on obtient 3 :

- Pression morale ou physique exercée sur quelqu’un pour l’obliger à faire ou à ne pas faire quelque chose.

- Obligation à respecter.

- Retenue que l’on s’impose

La lecture de ces trois définitions m’a fait sourire car je n’ai pas eu besoin d’aller beaucoup plus loin pour comprendre pourquoi la contrainte quelle qu’elle soit, m’effraie.

Le terme “obligation” parle de lui-même. Il s’oppose diamétralement à la notion de choix et de libertés.

Lorsque l’on est soumis à une obligation, on est tenu de la respecter et on peut difficilement passer outre.

Etre contraint, c’est donc en quelque sorte être privé de ses libertés.

Mais alors, quelles sont les contraintes qui s’appliquent dans le domaine de l’architecture, et est-il possible de les contourner ?

De la conception, à la réalisation d’un projet d’architecture, un nombre incalculable de contraintes s’appliquent.

Elles sont de différentes natures et n’impactent pas toutes de la même manière, le déroulement d’un projet. En voici une liste, non exhaustive :

- La contrainte réglementaire :

Elle touche le projet dans toutes ses phases et balaye un champ excessivement large. Elle comprend les règlements d’urbanisme, les normes PMR ou de sécurité incendie, les réglementations liées aux risques (sismiques, miniers, inondations, etc.), les réglementations liées à l’environnement (...), mais elle intègre également les règles de sécurité à respecter en chantier, les protocoles sanitaires, les règles de construction et de conformité des matériaux et de leur application (DTU, avis techniques…).

Cette contrainte est donc incroyablement vaste et selon le contexte dans lequel il s’inscrit, un projet peut en être plus ou moins impacté.

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n. f.
3. Dictionnaire Oxford Language
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Fig. 11 - Continuous Monument par «Superstudio»

- La contrainte financière : Le budget qu’un client (qu’il soit privé ou public) est en capacité de débourser pour financer un projet est une des contraintes majeures dans la conception d’un projet.

- La contrainte humaine et/ou politique : Là aussi, cette contrainte peut-être extrêmement impactante pour un projet. Elle comprend d’abord les exigences du client, l’équipe avec laquelle l’architecte doit collaborer, les entreprises intervenant au cours du chantier, mais également les décisions politiques et ce qu’elles impliquent quant au bon déroulement du projet.

- La contrainte contextuelle : Tout projet d’architecture s’inscrit nécessairement dans un site, dans un territoire avec sa propre histoire. Il s’inscrit dans un paysage et dans une culture. Ce contexte doit être pris en compte dans la conception d’un bâtiment.

- La contrainte programmatique : L’architecte, pour répondre à la demande du client, doit intégrer un programme et un cahier des charges (qui peuvent être établis par un programmiste ou par le client lui-même), et respecter un planning donné. Selon le client auquel l’architecte doit rendre des comptes, cette contrainte peut être plus ou moins restrictive, ou plus ou moins contournée.

La liste que je propose ici n’a pas la prétention d’être exhaustive, mais elle a surtout comme objectif de délimiter le cadre dans lequel s’inscrit un projet d’architecture.

A la vue du nombre de contraintes auxquelles est soumis l’architecture, ce cadre peut sembler excessivement rigide, à tel point qu’il paraît difficile de le faire évoluer.

Les questions que je me suis posées tout au long de mon parcours, et qui se posent encore à moi aujourd’hui, sont donc les suivantes :

Comment faire réapparaître la notion de liberté et permettre l’évolution d’un cadre qui me paraît aujourd’hui hyper contraint ?

Autrement dit, comment construire en accord avec les valeurs que l’on porte, dans un système avec un cadre en apparence très rigide ?

La contrainte ne doit pas être subie, mais doit être prise comme un défi permettant de faire évoluer un projet vers la bonne direction.

Comment alors la contrainte, plutôt qu’être une excuse à un “mauvais” projet, peut à l’inverse, jouer en faveur de la qualité architecturale ?

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LA CONTRAINTE, UN ESPACE DE LIBERTES

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Fig. 13 - « Homeostase », par Joris Strjbos

L’ARCHITECTURE, UN TRAVAIL D’EQUIPE

Dans l’agence pour laquelle je travaille, j’ai d’abord débuté en tant qu’architecte “junior” durant deux années. Autrement dit, j’assistais les chefs de projet lors de la phase de conception. Cette période d’apprentissage m’a permis de me familiariser avec le métier d’architecte, d’en comprendre son rôle, son fonctionnement, d’appréhender les interactions que ce métier génère nécessairement avec les clients, les bureaux d’études ou les différents partenaires.

J’ai ainsi, grâce à ces deux années, réussi à appréhender un peu plus ce métier qui m’avait dérouté quelques années auparavant. Puis, petit à petit, je me suis vu confier davantage de responsabilités au sein de l’agence. De “dessinatrice”, je suis progressivement devenue “chargée de projet”, et j’ai ainsi, par ce changement de statut, découvert de nouvelles facettes du métier.

C’est par exemple, lorsque je me suis vue confier la gestion d’un projet, que j’ai réellement pris conscience que l’architecte avait la responsabilité d’endosser de multiples casquettes, dont notamment, celle de gestionnaire d’équipe (lorsqu’il est mandataire).

Ce n’est également qu’en l’expérimentant, que j’ai compris à quel point un projet d’architecture ne se construisait pas seul mais avec une multitude d’acteurs à chaque phase du projet.

De prime abord, j’ai souvent eu tendance à considérer le fait de travailler en équipe comme une contrainte.

En effet, travailler à plusieurs me donnait la sensation de perdre le contrôle du projet et de ne plus complètement maîtriser mon sujet. De la même manière, j’ai longtemps pensé que lorsque j’étais face à un problème, je devais le résoudre seule. Loin d’être une pensée égoïste, je crois que c’était surtout une manière de n’entraîner personne en difficulté avec moi.

Cependant, avec l’expérience, j’ai assez rapidement compris que travailler en équipe n’était pas nécessairement quelque chose de contraignant ni d’handicapant. Le travail d’équipe pouvait devenir un atout considérable pour résoudre plus efficacement des problèmes et assurer le bon développement d’un projet.

A l’inverse de ce que j’avais pu imaginer, le fait de travailler à plusieurs permet en effet bien souvent une meilleure maîtrise de son sujet. Il serait bien prétentieux de prétendre tout connaître et avoir réponse à toutes les problématiques qui nous sont posées au cours de la réalisation d’un projet. C’est pourquoi l’intervention de différents acteurs, apportant chacun de nouvelles compétences, est d’une grande richesse. C’est la réunion de ces diverses compétences et connaissances qui permet bien souvent de débloquer une situation, ou de faire avancer le projet vers la bonne direction.

Plusieurs fois, ce fait m’a été confirmé en phase de conception de projet. Par exemple, récemment, lorsque j’ai envoyé les plans PRO/DCE d’un projet aux bureaux d’études afin qu’ils puissent travailler de leur côté, j’ai été alerté par l’économiste sur la non-conformité d’un détail que j’avais réalisé sur la charpente. Je n’avais pas tenu compte du fait que plusieurs pièces étaient des locaux à très forte hygrométrie, et de ce fait, je n’avais pas respecté les prescriptions associées à ce type de locaux.

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Végétalisation : système extensif toundra en rouleaux précultivés entre 70 et 110mm)

Panneau isolant laine de roche

Pare-pluiePare-pluie

heneauheneau

Etanchéïté bicouche

Panneau isolant laine de roche

Coupe sur zone livraison

ECHELLE_ 1 100

Pare-vapeur

acier support d'étanchéïté Bacacier Alteo

Panneau acoustique laine de bois 60x120cm - Teinte naturelle

bicouche Panneau contrecollé

Capotage métallique

Habillage

Poutre

Bardage

Pare-vapeur

5.39m

PannesPannes PoutrePoutre

Zone cuisine Salle de restauration

Coupe détail toiture / auvent EPDM Fig. 14 - Détail technique avant regards extérieurs

ECHELLE_ 1 25

Coupe transversale sur salle + zone livraison

ECHELLE_ 1 100

Etanchéïté bicouche

ECHELLE_ 1 : 100 Coupe longitudinale

Panneau isolant rigide Support d'étanchéïté

BétonBéton

IsolantIsolant

Végétalisation : système extensif type toundra en rouleaux précultivés (ht : entre 70 et 110mm)

Panneau isolant laine de roche

Pare-vapeur 0.72 0.14 0.36 1.22

Bac acier support d'étanchéïté Type Bacacier Alteo

[Aucune inclinaison] 4.70 0.01 4.50 2.50 0.02 Ep:47 cm, 73.55 m² Finition Revêtement d'étanchéïté Toiture terrasse technique Finition Dalles 60x60 hydrofuge S 62.42 m² Faux plafond 2.20

Coupe transversale

ECHELLE_ 1 : 100

Habillage sous-face bois

ExtérieurExtérieur

Fig. 15 - Détails techniques après regards extérieurs

1 100

ECHELLE_

Végétalisation : système extensif type toundra en rouleaux précultivés (ht : entre 70 et 110mm)

Panneau isolant laine de roche

Pare-pluiePare-pluie

Panneau

34 Ep:47 Toiture 1.38 2.32 TNTN Finition : Dalles 60x60 S 209.25 m² Faux plafond Ep:47 cm, 73.55 m² Finition Revêtement d'étanchéïté Toiture terrasse technique 3.52 4.33 Ep:47 cm, 73.55 m² Finition : Revêtement d'étanchéïté Toiture terrasse technique 3.57 Pare-pluiePare-pluie OSB / lame d'air / OSB Bardage bois à faux claire-voie Poutre lamellé collé 20x72ht Salle de restauration ExtérieurExtérieur Habillage sous-face bois hevronshevrons ouvertineouvertine MurbétonMurbéton Isolant + placo
Pare-vapeur 0.72 0.14 0.36 1.22
5.39m 0.40 0.30 0.37 0.25 0.19
Bac acier support d'étanchéïté Type Bacacier Alteo 0.30
acoustique laine de bois 60x120cm - Teinte naturelle
Zone stérile
oupe
Planches de rive
longitudinale ECHELLE_ 1 : 100 oupe sur zone livraison
ECHELLE_ 1 25 oupe détail toiture / auvent EPDM
Panneaux acoustiques laine de bois : type Silvatone de chez St GobainGobain
Plénum technique
Dalles faux-plafond 60x6060x60
Bac acier support d'étanchéïté 0.14 0.72 1.10 1.00 2.20m sous poutre 2.50m sous FP Végétation / couche de culture ouche filtrante ouche drainante
ouvertineouvertine 0.40
Zone stérile - gravillons
SéparatifSéparatif
OSB / Lame d'air / OSB Bardage bois à faux claire-voie
hevronshevrons Planches de rive MurbétonMurbéton Isolant + placo BacacierBacacier Type Bacacier Alteo Panneau isolant laine de roche Panneau acoustique laine de bois 60x120cm - Teinte naturelle Pare-vapeur Végétalisation : système extensif type toundra en rouleaux précultivés (ht : entre 70 et 110mm) 0.40 0.30 ouvertineouvertine Bande stérile Pare-pluiePare-pluie 0.34 0.15 0.30 0.37 0.25 0.36 0.30 0.12 0.19 Phase Dossier Indice Echelle Date Maître d'ouvrage Adresse opération 04.77.46.15.22 Eutopia architecture 10 rue Patinaud www.eutopia.fr omme indiqué 14871487
Poutre lamellé collé 20x72ht Salle de restauration
PRO-05b / Coupes - Zone d'intervention 2 2 rue Marcel Paul, 42230 Roche-la-Molière Département de la Loire PROPRO BB 09/08/2022 ECHELLE_ 1 100 oupe transversale 0 1 5 1/100 m. ECHELLE_ 1 25 oupe détail jonction toitures EPDM ECHELLE_ 1 : 25 oupe détail toiture rives Ep:47 cm, 73.55 m² Toiture terrasse TNTN TNTN 0.32 4.33 Ep:47 cm, 73.55 m² Finition Revêtement d'étanchéïté Toiture terrasse technique 22.36 2.50 4.62 0.10 15.68 3.57 Etanchéïté
Salle de restauration ExtérieurExtérieur
ChevronsChevrons
Reconstruction de la demi-pension collège Grüner
bois à faux claire-voie
lamellé collé 20x72ht
sous-face bois
MurbétonMurbéton Isolant + placo
Panneau acoustique laine de bois 60x120cm - Teinte naturelle

Bien que ce ne soit pas totalement le rôle de l’économiste de vérifier ce point là, sa remarque a malgré tout permis de régler le problème rapidement et de continuer à avancer de manière efficace, sans attendre le retour du bureau de contrôle qui devait intervenir un peu plus tardivement. Travailler en équipe nous a donc permis d’anticiper le problème qui allait se poser à nous, de gagner ainsi en temps et en efficacité, et de ne pas rester bloqué devant une contrainte.

De la même manière qu’il est important de dialoguer avec nos partenaires, il me semble également essentiel, lorsque l’on travaille dans une agence composée de plusieurs personnes, de pouvoir communiquer et de tirer parti des compétences de chacun.

Actuellement, nous sommes, au sein de l’agence pour laquelle je travaille, une vingtaine de personnes à collaborer, et nous sommes répartis selon trois pôles de compétences : commercial, conception, et travaux.

Bien que cette répartition puisse présenter des avantages non négligeables, elle demande cependant pour fonctionner, que la communication entre les trois pôles soit permanente.

Le projet d’architecture ne s’arrêtant pas en phase de conception, et ne démarrant pas non plus en phase de chantier, il est primordial, pour maîtriser la direction vers laquelle nous voulons faire tendre le projet, d’échanger aussi souvent que possible avec ses coéquipiers. Pour partager des informations, pour remettre en cause certains points ou ne serait-ce que pour avoir un retour d’expérience, la communication est toujours une force au sein d’une équipe.

J’en ai récemment eu la preuve lorsque, sur un projet, j’ai eu quelques difficultés à réaliser un détail de charpente. Il était question de poser un complexe végétalisé sur une toiture avec charpente bois en légère pente. N’ayant l’habitude ni de la charpente bois, ni du complexe végétalisé sur pente douce, j’ai donc dans un premier temps fait quelques recherches sur la manière dont pouvaient se mettre en place ces éléments et j’ai dessiné ce qui me semblait être la solution la plus adaptée. Cependant, en exposant ce détail à mes collègues afin d’avoir leur point de vue, ils m’ont alerté sur l’importance de ne pas oublier de mettre une lame d’air entre l’isolant et l’étanchéité, afin de ne pas se retrouver ensuite, avec des problèmes d’humidité.

De la même manière, la toiture étant en pente, j’avais dessiné la rive de toit sans relevé d’étanchéité mais avec un simple profil de rive aluminium. Cependant, en discutant de ce point avec ma collègue chargée de suivre le projet en phase chantier, celle-ci m’a fait remarquer que nous étions sur une toiture à faible pente, et que nous devions donc la traiter comme une toiture plate, avec un relevé d’étanchéité. Par la discussion et les échanges, mais également grâce aux diverses expériences de chacun, ce détail a donc évolué plus de deux fois. La communication a donc permis d’une part de proposer un détail cohérent aux entreprises et d’autre part, de ne pas laisser ma collègue chargée du suivi de chantier dans une situation dont elle n’aurait pas forcément eu la parfaite maîtrise en phase travaux.

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Fig. 17 - Croquis de la charpente «yourte» après avis du menuisier Fig. 16 - Croquis de la charpente «yourte» avant avis du menuisier

J’ai en effet eu l’illustration de cette situation un peu embarrassante, il y a quelques temps sur un chantier dont j’ai le suivi.

Sur ce chantier, celui de la réhabilitation de la médiathèque départementale de Montbrison, il était question de fabriquer sur mesure une salle de réunion arrondie, de type “yourte”.

En phase conception, j’avais imaginé la structure de cet élément avec des poteaux bois, relativement peu espacés les uns des autres pour avoir une forme arrondie, et des poutres bois, se rejoignant toutes en un seul point central. Les éléments de remplissage entre chaque poteau étaient prévus en polycarbonate.

Cependant, en phase chantier, lorsque le menuisier a commencé la fabrication de cette “yourte”, nous nous sommes aperçus qu’il allait être très difficile de faire en sorte que l’ensemble des poutres se rejoignent en un seul point central.

En effet, la taille des poutres aurait nécessité une immense minutie pour faire en sorte que chacune d’entre elles s’imbrique précisément avec les autres. Cette étape aurait également énormément fragilisé le bois et il aurait été difficile de permettre la bonne tenue de la structure. Me voyant un peu démunie face à ce constat que je n’avais imaginé en phase de conception, l’entreprise de menuiserie a immédiatement été force de proposition, en me suggérant une solution alternative. Les menuisiers m’ont ainsi proposé de réaliser au centre de la pièce, un cerclage en bois servant de clé de voûte, sur lequel viendrait reposer l’ensemble des poutres.

C’est donc cette solution qui a été retenue et réalisée.

Par un manque de connaissances en phase de conception, mais également par un manque de communication au sein de l’équipe, nous avons donc fourni à l’entreprise un détail qui n’était pas (ou très difficilement) réalisable en l’état.

Fort heureusement, grâce à la gentillesse et au savoir-faire des menuisiers, la situation a pu se décanter assez facilement.

Cette petite expérience m’a cependant montré d’une part, que la communication et les échanges sur cette question auraient pu permettre de s’apercevoir et de résoudre le problème en amont, et d’autre part, qu’il est important de savoir écouter les entreprises et se nourrir de leur savoir-faire pour avancer au mieux.

Face à une contrainte imprévue ou une situation bloquée, le travail en équipe (que ce soit avec ses collègues, avec les partenaires, les entreprises, ou la maîtrise d’ouvrage) s’avère donc être bien souvent une force permettant de décanter des situations et de résoudre des problèmes.

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Fig. 18 - Photographie de la charpente «yourte»

Cependant, à l’issue de quelques années d’expérience en agence d’architecture, il me semble pouvoir affirmer que selon les interlocuteurs que nous aurons face à nous, les échanges seront automatiquement différents et de fait, modifieront le déroulement du projet, et risqueront par conséquent d’influer sur sa qualité.

Certaines personnes partagent nos convictions, d’autres non. Certaines personnes sont ouvertes à la discussion et sont en mesure de faire évoluer leur pensée, d’autres non. Certaines personnes encore, sont forces de proposition et permettent de faire avancer le projet dans une bonne direction, d’autres non.

En d’autres termes, le facteur humain a un impact prépondérant sur l’évolution d’un projet.

C’est pourquoi, je pense que l’un des éléments primordiaux en architecture, est de savoir s’entourer de personnes compétentes, de confiance et qui partagent un minimum nos convictions, sur lesquelles s’appuyer à chacune des phases du projet.

Plutôt que de faire les choses seuls, travaillons donc ensemble pour faire face aux contraintes et être en capacité de défendre nos valeurs.

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Fig. 19 - « Villa K », par STUDIO KO, à Tagadert au Maroc, 2009

DE L’IMPORTANCE DE MAITRISER SON SUJET POUR DEFENDRE SES CONVICTIONS

Précédemment, j’ai insisté sur ce qui me semblait être l’un des points clés au bon déroulement d’un projet : l’importance de s’entourer des bonnes personnes pour faire évoluer le projet dans la direction qui sera en accord avec nos valeurs. Cependant, nous n’avons pas toujours la maîtrise intégrale de l’équipe avec laquelle nous allons devoir travailler. Si nous pouvons à priori choisir les bureaux d’étude avec lesquels nous allons faire équipe, nous n’avons pas nécessairement la maîtrise des entreprises sélectionnées à l’issue de la consultation. Nous avons également rarement le choix de nos interlocuteurs au sein de la maîtrise d’ouvrage, au sein des bureaux de contrôle, etc. En somme, nous ne pouvons pas toujours avoir la main sur l’ensemble des acteurs participant à la conception et à la réalisation d’un projet. Bien que nous puissions essayer de dialoguer au mieux pour trouver des solutions aux problèmes qui nous sont posés, le facteur humain est un facteur bien trop aléatoire pour pouvoir être le seul point clé permettant de mener à bien un projet.

Puisqu’on ne contrôle pas l’humain, je pense qu’il est donc primordial de développer les connaissances nécessaires pour être en mesure de résoudre certains problèmes par soi-même.

Je n’entends bien entendu pas par là, que tout doit être résolu seul et sans concerter personne. Cela n’aurait pas de sens et irait complètement à l’inverse de ce qui a été dit précédemment.

Cependant, afin d’être en mesure de porter nos valeurs jusqu’au bout d’un projet, de les défendre et de contourner au mieux les difficultés et contraintes que l’on rencontrera nécessairement, je pense qu’il est primordial d’avoir une maîtrise la plus parfaite possible de son sujet.

Ce point m’est apparu comme une évidence lorsque j’ai suivi mon premier chantier.

Je le disais précédemment, l’agence dans laquelle je travaille est divisée en plusieurs pôles, et nous sommes donc soit affiliés au pôle conception, soit au pôle travaux, mais rares sont ceux qui oscillent entre les deux. Pour ma part, je fais partie du pôle conception, et je n’avais donc jusqu’à présent pas eu l’opportunité de suivre un chantier au sein de l’agence.

Cette opportunité s’est cependant offerte à moi lorsque j’ai intégré la formation HMONP.

L’objectif à l’issue de cette formation étant d’être habilité à exercer, il me semblait essentiel de pouvoir à minima, suivre l’évolution d’un projet en phase chantier.

Ma demande a été acceptée par mes supérieurs, et j’ai donc depuis quelques mois la responsabilité du suivi de chantier d’un projet auquel j’ai participé en phase conception.

Ce chantier est celui que j’ai évoqué précédemment : celui de la réhabilitation de la médiathèque départementale de Montbrison.

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Fig. 20 - Photographie de la reprise en sous-oeuvre Médiathèque départementale de Montbrison

Dès les premières réunions de chantier, j’ai pris conscience que le rôle de l’architecte ne s’arrêtait pas en phase de conception et qu’il était primordial pour avoir la maîtrise complète d’un projet, d’avoir un œil sur le suivi du chantier.

Jusqu’alors, j’avais tendance à laisser complètement la main à mes collègues du pôle travaux, sans avoir imaginé à quel point un projet pouvait encore évoluer lors du chantier.

C’est parce que j’ai eu l’opportunité d’accéder au suivi d’un chantier que j’ai réalisé l’importance de communiquer entre les différents pôles de l’agence, pour prendre ensemble les décisions relatives à la direction que l’on envisage de donner au projet.

J’ai en effet rapidement pu m’apercevoir de ce fait, lorsque dès les premières semaines de travaux, plusieurs points du projet ont été remis en question par le lot maçonnerie/gros œuvre et ont nécessité une prise de décision impactant le projet.

Nous avions convenu en phase de conception, de faire deux reprises en sous-oeuvre dans la zone d’exposition de la médiathèque, afin d’ouvrir au maximum, et d’avoir une lisibilité des espaces la plus claire possible, dès l’entrée dans le bâtiment.

Cependant, nous avons constaté sur site avec l’entreprise, que les reprises en sous-oeuvre dessinées n’étaient pas réalisables en l’état car les murs à démolir portaient une dalle, qui n’avait pas été repérée en conception, car encloisonnées dans un faux-plafond bois.

Le bureau d’étude structure a donc dû reprendre ses calculs, suite à quoi, j’ai dû choisir entre réduire drastiquement la dimension des deux reprises en sous-oeuvre, ou n’en faire qu’une seule.

J’ai choisi de n’en faire qu’une seule, de la dimension initialement prévue et de repenser différemment la circulation et l’espace d’exposition modifié par cet aléa.

Participer au suivi de ce chantier m’a donc permis ici, d’être décisionnaire de l’évolution du projet et d’en avoir donc la maîtrise malgré les aléas qui se sont imposés, ce qui n’aurait peut-être pas été le cas si la gestion du chantier avait été confiée à mes collègues du pôle travaux.

Sans complètement remettre en question ce système de division selon trois pôles, je fais écho à ce que j’ai déjà évoqué précédemment, en notant à nouveau l’importance de d’établir un dialogue clair et permanent entre les pôles pour être informés et décisionnaires de l’évolution du projet.

Cette remarque est valable dans les deux sens. Nous devons partager avec le pôle travaux les décisions que l’on prend en amont pour avoir leur avis et leur retour d’expérience, mais ils doivent également nous tenir informés et nous concerter sur les choix qui continuent d’être faits en phase de chantier.

Cette communication me semble être le seul moyen efficace d’avoir la maîtrise la plus parfaite de l’évolution du projet.

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Fig. 21 - « La Muralla Roja », par Ricardo Boffil, à Alicante en Espagne, 1973

De la même manière, lors du suivi de ce chantier, j’ai également été surprise de voir à quel point les entreprises, à chacune de leurs interventions, attendaient mon avis pour savoir comment avancer. En y réfléchissant, cela n’a finalement rien de très surprenant. Les entreprises ne veulent pas prendre seules, des décisions que l’architecte ou le maître d’ouvrage pourraient aussitôt remettre en question. Cependant, j’ai, sur ce point, eu la sensation de ne pas être complètement compétente pour leur répondre et c’est ce qui m’a fait réaliser l’importance de se forger un bagage de connaissances solide. Les entreprises sont bien souvent de bons conseils et il faut savoir les écouter pour prendre les bonnes décisions. Pour autant, pour être en mesure de répondre du mieux possible aux contraintes, pour utiliser la bonne technique et ne pas être mis en défaut, il est important de chercher à développer ses propres compétences et connaissances. Ce n’est qu’avec ces connaissances et avec de l’expérience que l’on se préservera de faire des erreurs, et que l’on pourra éviter de “se faire avoir” par des entreprises, cherchant parfois à vendre des prestations non prévues initialement.

Je ne jette pas la pierre aux entreprises. Le système en place est celui du “moins-disant”. Les entreprises retenues à l’issue des consultations sont bien souvent celles avec les prix les plus bas. De fait, les entreprises cassent leur prix pour obtenir les marchés. Mais parce qu’il faut bien être rentable, elles essayent de regagner leur marge sur le chantier, en proposant des travaux complémentaires non indiqués sur les CCTP ou elles essayent de remettre en question les parties les plus complexes du projet pour y gagner, souvent au détriment de l’architecture.

Ce système ne vaut bien entendu pas que pour les entreprises. Les architectes subissent le même sort. Ce qui compte avant toute chose dans un projet aujourd’hui, c’est la rentabilité. Pour être sélectionné, l’architecte doit vendre du rêve à un prix dérisoire. Nul doute sur le fait que ce système n’est pas viable en l’état. Les architectes se retrouvent donc bien souvent à devoir faire des concessions pour pouvoir espérer vivre de leur métier, et délaissent alors le processus de recherche pour gagner du temps.

Je pense que la création est le fondement de notre métier et le processus de création induit fondamentalement de faire des essais, des tests. Je trouve donc bien dommage que ce soit souvent la partie qui soit évincée, au profit de la rentabilité.

Mais revenons à notre sujet, puisque là n’était pas tout à fait la question. Pour défendre les valeurs d’un projet face à une entreprise, mais également face à un client ou à nos partenaires, il est primordial de se constituer un bagage de connaissances solides afin d’être en mesure d’argumenter. Au risque de me répéter, ce bagage de connaissances ne se construit pas seul. La communication, le partage de savoirs et les échanges font partie des leviers essentiels à son développement.

Un mauvais choix pouvant largement influer sur la qualité d’un projet, prenons donc le temps de communiquer et d’acquérir les connaissances nous permettant de faire le bon.

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Fig. 22 - Collage, par Marcos Martinez

LA CONTRAINTE COMME DEFI

L’ humain, les personnes avec qui l’on travaille et les connaissances acquises sont des facteurs influant largement sur la conception d’un projet et permettant, lorsqu’ils sont maîtrisés, de jouer du mieux possible avec les contraintes qui s’imposent à nous.

Cependant, depuis le début de cet argumentaire, je suis partie avec la vision de ces contraintes comme quelque chose de négatif qui nuisait systématiquement à la qualité architecturale.

Pour autant, si toutes ces contraintes existent (je cible ici plutôt les normes et réglementations), c’est qu’elles ont été considérées comme d’utilité publique.

Aussi, je ne suis pas certaine que la contrainte doive nécessairement et systématiquement être contournée.

Il arrive qu’elle soit quelque chose de bloquant, et l’on cherchera dans ce cas à l’éviter. Cependant, elle est souvent nécessaire et peut largement rendre service au projet si l’on modifie légèrement sa manière de la regarder.

Tout est question de point de vue.

La contrainte peut être vue comme telle, ou elle peut être vue comme un défi à relever.

Pour illustrer mon propos, je prendrais l’exemple de la contrainte environnementale.

Nous sommes aujourd’hui dans un moment charnière de l’histoire où les changements climatiques nous imposent de repenser notre façon de construire.

Cette contrainte qui s’impose à nous doit-elle être contournée et vue comme quelque chose de négatif ? Evidemment que non. Dans cette situation, la contrainte donne du sens au projet et rend la conception d’autant plus passionnante.

Nous avons aujourd’hui le devoir de construire mieux pour le bien de l’humanité. C’est un sacré défi à relever, qui a de quoi être stimulant !

La contrainte environnementale est un exemple, mais elle est loin d’être la seule à être stimulante et nous poussant à être inventif.

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Fig. 23 - Vue du projet de l’EFS à la Roche sur Foron

J’en ai eu la preuve récemment, lors de la conception d’un projet qui m’a été confié : celui de la construction d’un départ collecte pour l’EFS. L’étude portait sur la construction d’un bâtiment mixte, mêlant une partie bureaux, et une partie logistique/locaux de stockage. Un programme somme toute assez classique.

Le projet se situe à la Roche-sur-Foron, au pied des Alpes, sur un terrain jusqu’à présent inexploité.

Sur ce projet, les premiers mots du maître d’ouvrage ont été clairs : “Bon, les membres du personnel qui vont travailler sur ce site n’ont absolument pas envie de venir dans cette ville, il faut donc que ce projet leur fasse changer d’avis !”

Pour l’un de mes premiers projets à charge, pas de quoi me mettre la pression… Mais le défi était beau à relever. Je crois que l’un des fondements de l’architecture, c’est d’essayer de tout mettre en œuvre pour prendre soin des gens. Ce projet était donc une belle façon d’en faire l’expérience.

Le projet a donc débuté avec énormément d’échanges avec les futurs usagers du site, afin de comprendre réellement leurs besoins, ce qu’ils attendaient de notre part et la raison pour laquelle ils ne voulaient pas de ce projet.

Actuellement, les membres du personnel de l’EFS sont, sur ce secteur, divisés en trois sites, tous situés à équidistance de la Roche-sur-Foron. Pour des questions de gestion et de logistique, il a été décidé de regrouper les trois sites en un seul.

C’est donc pour cette raison, et parce que les futurs usagers vont pour la plupart devoir revoir leur temps de trajet quotidien à la hausse, que le projet a été mal reçu.

Il faut selon moi que les gens se sentent concernés pour accepter une décision et rentrer dans le jeu.

C’est pourquoi sur ce projet, pour faire en sorte que les usagers accueillent du mieux possible ce nouveau site, et qu’ils s’y sentent bien une fois sur place, nous avons donc pris du temps pour écouter les gens et répondre au mieux à leurs demandes. Ainsi, nous avons réussi à intégrer l’ensemble des éléments demandés par les usagers.

Mais parce que nous avons senti qu’il faudrait un peu plus que simplement respecter le programme pour que le projet soit accepté, nous avons, avec le représentant de la maîtrise d’ouvrage, essayé d’être innovant (au regard des projets existants menés par l’EFS) en s’imposant une contrainte supplémentaire : celle de construire ce bâtiment de la manière la plus éco-responsable possible.

La conception de ce projet est encore en cours, et nous n’avons donc pas encore tranché sur tous les points qui seront intégrés, mais cependant, le projet devrait être réalisé en utilisant le plus possible des matériaux locaux et biosourcés et en étant le moins impactant possible pour son environnement.

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Fig. 24 - Natural Act, par Merve Ozaslan

L’étude minutieuse des besoins des usagers couplée aux aller-retours fréquents avec la maîtrise d’ouvrage ainsi qu’à une volonté d’être exemplaire ont donc été les points essentiels au bon déroulement de ce projet.

La forte opposition à ce projet de la part des usagers, qui aurait pu apparaître comme un point bloquant, a à l’inverse été ici pour moi un éléments complètement stimulant. J’ai pris ce fait comme un très beau défi à relever et je pense que l’ensemble de l’équipe, y compris le représentant de la maîtrise d’ouvrage, a eu à cœur d’être inventif et de se dépasser pour mener à bien ce projet.

Autrement dit, les contraintes qui paraissaient initialement être un point de blocage, sont finalement devenues les forces permettant de mener à bien le projet, et de le faire évoluer dans la bonne direction.

De la même manière, ce projet m’a démontré qu’il fallait savoir prendre des risques pour arriver à ses fins. Nous n’étions pas forcés ici de se rajouter une contrainte supplémentaire. Cependant, c’est parce que nous avons essayé d’être inventifs et d’expérimenter de nouvelles choses, au regard de ce dont les usagers avaient l’habitude, que nous avons pu créer de la surprise et faire accepter le projet.

Je pense que cela fait partie du devoir de l’architecte de ne pas toujours s’en tenir au programme et d’être force de proposition. Il faut expérimenter, explorer, être inventif et parfois indiscipliné pour surprendre. N’ayons donc pas peur de prendre des risques. C’est bien souvent ce qui nous permettra de donner du sens à ce que l’on fait, de relever les défis qui nous seront proposés et de dépasser la contrainte.

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Fig. 25 - Cliff Hanger par « Jelly fish times »

CONCLUSION

Dans l’art, la contrainte est un instrument pour aller plus loin. La création naît souvent de là.”

Je ne saurais mieux dire.

Cette contrainte qui m’a tant effrayé serait-elle à l’initiative de tout processus créatif ? Serait-elle la raison pour laquelle je fais ce métier ?

C’est parce qu’elle pose question en permanence et qu’elle nous pousse dans nos retranchements qu’elle est passionnante.

C’est parce qu’elle nous incite à nous dépasser, à aller au-delà et à prendre des risques, qu’elle est nécessaire.

C’est enfin parce qu’il y a mille façons d’y faire face et de jouer avec, que la contrainte se doit d’exister.

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