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«L’intérêt supérieur de l’enfant» en questions Paris, 20 novembre 2010, DEI-France/AFJK

Décliner le principe de l’intérêt supérieur de l’enfant à l’aide d’obligations procédurales. Les propositions de DEI-France

par Sophie Graillat*

À l’occasion de la rédaction en 2008 de son rapport alternatif dans le cadre du processus d’audition de la France par le Comité des droits de l’enfant des Nations unies, DEI-France a été amenée à souligner une contradiction et des dérives inquiétantes concernant l’utilisation de la notion d’intérêt supérieur de l’enfant en France et à avancer quelques propositions pour une mise en œuvre cohérente de l’article 3.1 de la Convention relative aux droits de l’enfant (1). Un intérêt supérieur qui se retourne dans les faits contre les droits de l’enfant Rappelons les termes de l’article 3.1, autrement appelé «principe de l’intérêt supérieur de l’enfant» et considéré par les experts du Comité comme l’une des «clefs de la Convention», autrement dit l’un des principes fondamentaux qui traversent l’ensemble des autres droits reconnus à l’enfant par la Convention : Art 3.1 : Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu’elles soient le fait des institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l’intérêt supérieur de l’enfant doit être une considération primordiale. Les termes de la contradiction sont les suivants : D’un côté la référence à la notion d’intérêt de l’enfant, et même, reprenant l’expression de la Convention «d’intérêt supérieur» de l’enfant, est de plus en plus utilisée dans les textes de droit interne français : elle a notamment été au cœur des débats sur la réforme de la protection de l’enfance. Et surtout une avancée importante s’est fait jour dans la jurisprudence de la Cour de Cassation, avec un premier arrêt en date du 18 mai 2005, maintes fois confirmé depuis, qui reconnaît l’article 3.1 d’applicabilité directe devant les tribunaux français, lui conférant une force juridique évidente (2).

De l’autre côté, des professionnels comme Pierre Verdier font le constat que l’intérêt de l’enfant est essentiellement invoqué - et de plus en plus souvent - dans les lois ou les codes pour justifier le fait de priver un enfant de l’un de ses droits (3). Si la Convention elle-même n’échappe pas parfois à cette utilisation de l’intérêt supérieur pour dispenser du respect d’un droit (cf. articles 9.1 et 3, 37, c, 40, b, III) on remarquera cependant qu’elle cherche dans ces cas à résoudre un conflit entre plusieurs droits de l’enfant (par exemple le droit de ne pas être séparé de ses parents et le droit d’être protégé contre les maltraitances perpétrées par les parents eux-mêmes). De plus la Convention invoque surtout l’intérêt supérieur de l’enfant pour guider les adultes dans leurs responsabilités envers les enfants (art 18.1 par exemple). D’autres juristes dénoncent dans ce principe, en raison de l’absence de dé-

finition objective de l’intérêt supérieur de l’enfant, un concept «mou», une «formule magique», «une notion clé» … mais «la clé ouvre sur un terrain vague», «une notion insaisissable» (4). Le risque d’arbitraire est grand tant l’appréciation de l’intérêt de l’enfant est subjective. Claire Neirinck n’hésitait pas à affirmer il y a un an que «l’intérêt est devenu l’arbre qui cache la forêt des droits de l’enfant reconnus par la CIDE». Alors que certains avaient vu dans l’arrêt de la Cour de cassation du 18 mai 2005 la consécration de l’applicabilité directe de l’ensemble de la Convention, Claire Neirinck, expliquant le succès et l’utilisation inflationniste de l’intérêt car c’est une «notion molle imprécise et manipulable», affirme au contraire «qu’il est dès lors plus facile pour tout le monde de déclarer que l’article 3-1 est directement applicable que de prendre en compte les autres dispositions de la Convention (5).

*

Secrétaire générale de DEI-France.

(1)

On pourra se reporter à l’annexe 3 du rapport de DEI : «Droits de l’enfant en France : au pied du mur» pp. 139 à 142. (oct 2008); consulter sur www.dei-france.org

(2)

L’enthousiasme doit toutefois être mesuré sur l’intégration de la CIDE dans le droit interne par la jurisprudence française, notamment le choix qui est fait parmi les dispositions considérées comme étant invocables par les justiciables. Voy. à cet égard le dossier qui y a été consacré dans le JDJ n° 296, juin 2010, pp. 18 à 51 : «Colloque de l’association Louis Chatin - 20 novembre 2009 Vingt ans d’application de la Convention des Nations unies relative aux droits de l’enfant».

(3)

P. Verdier : «Pour en finir avec l’intérêt de l’enfant», JDJ n° 280 décembre 2008, p. 34-40.

(4)

L. KhaÏat : «La défense des droits de l’enfant; un combat inachevé» colloque de l’association Louis Chatin 20 novembre 2009 in JDJ n° 296 juin 2010, p. 23.

(5)

Actes du colloque Sciences Pô UNICEF-France du 18 novembre 2009 Table ronde n°3, p. 54; http://www. unicef.fr/contenu/actualite-humanitaire-unicef/colloque-unicef-sciences-po-2009-09-15.

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Le risque d’arbitraire est grand tant l’appréciation de l’intérêt de l’enfant est subjective

De telles dérives conduisant à une utilisation du principe de l’intérêt supérieur de l’enfant - pourtant reconnu comme une clef de la Convention - à l’encontre des droits reconnus aux enfants par cette même convention constituent une contradiction totalement insupportable pour les défenseurs des droits de l’enfant que nous sommes à DEI. Comme il n’est pas envisageable de balayer d’un revers de manche ce principe fondamental dont la Convention fait obligation à tous ceux qui prennent des décisions pour les enfants, DEIFrance a alerté le Comité des droits de l’enfant des Nations unies en sollicitant qu’une observation générale du Comité soit rédigée pour aider à une meilleure application de ce principe. DEI-France a également fait quelques propositions dans ce sens.

Renoncer à donner un contenu objectif à l’intérêt supérieur L’interprétation qui est faite de l’intérêt de l’enfant (y compris lorsqu’il est qualifié de supérieur) pose un grave problème. Aucune définition objective de l’intérêt supérieur n’est proposée dans la loi (la Convention s’en est bien gardée également), ouvrant ainsi grand les portes à la subjectivité, y compris celle du juge : mettez autour d’une table dix personnes qui connaissent un enfant et demandez-leur quel est l’intérêt de cet enfant et vous aurez dix réponses différentes, chacun l’interprétant à l’aune de sa compétence, de sa connaissance personnelle de la situation de l’enfant ou de ses relations avec lui. Comment peut-il en être autrement ? On ne saurait se plaindre de l’absence de définition «objective» de l’intérêt supérieur et fort heureusement la réforme de protection de l’enfance de mars 2007 a refusé de céder à cette tentation pourtant défendue par des pédopsychiatres qui souhaitaient en donner une interprétation basée exclusivement sur les besoins immédiats de l’enfant nécessaires à son développement physique et psychique. Il en est résulté une rédaction qui faisait coexister, sans vraiment les lier, intérêt supérieur, besoins fondamentaux et droits

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de l’enfant (6). Pour autant on ne peut se satisfaire des interprétations hautement subjectives utilisées aujourd’hui qui sont loin de conduire toujours au meilleur choix pour les enfants. Il ne faut certes pas donner de définition «objective» de l’intérêt supérieur de l’enfant, une sorte de «catalogue de réponses qui marchent à tous les coups», car aucune ne s’appliquera à toutes les situations rencontrées (7). Cette voie n’est pas raisonnable tant nous savons que la recherche de l’intérêt supérieur et de la meilleure décision, dans une situation donnée, pour un enfant donné, dans un contexte et un environnement donné, est unique et qu’aucun référentiel ne répondra jamais à cette question pour tous les enfants. Dans chaque cas, il faut «inventer» la meilleure solution.

À défaut de contenu de l’intérêt supérieur, traduire le principe de l’article 3 en un processus de cheminement de la décision Il pourrait être en effet utile - dans l’idée avancée par des experts des droits de l’enfant, que le principe directeur énoncé à l’article 3 représente une sorte d’instrument procédural lui même traversé par les autres principes directeurs et notamment l’article 12 (8) - de traduire l’application de l’article 3 et notamment la recherche de l’intérêt supérieur de l’enfant en obligations procédurales et questions préalables incontournables, c’est-à-dire en une sorte de questionnement éthique et de cheminement (6)

déontologique qui présideraient aux décisions; les réponses à apporter à ces questionnements étant, elles, éminemment différentes selon les situations. Nous avons acquis la conviction, à DEIFrance, qu’à défaut de contenu, c’est la forme que revêt le processus de décision qui garantira au mieux à l’enfant le respect de son intérêt supérieur. Par forme il faut entendre le cheminement de la décision, les questions qu’il y a lieu de se poser, les personnes qu’il y a lieu d’écouter ou de solliciter avant de décider, l’approche de la personne de l’enfant - dans sa globalité, dans tous ses espaces et temps de vie, dans sa vie présente d’enfant comme dans son devenir de futur adulte - la prise en compte de tous ses droits et la façon dont seront réglés les conflits éventuels entre ses droits, et au-delà de ses droits, la recherche du meilleur bien-être pour lui. DEI-France a donc avancé des propositions pour une déclinaison en obligations procédurales de l’article 3.1 qui garantiraient «au moindre mal» l’intérêt supérieur de l’enfant, en empruntant quelques pistes avancées par des experts des droits de l’enfant tels Jean Zermatten (9) ou Thomas Hammarberg (10). Ces obligations procédurales répondent à une succession de questionnements auxquels devraient se soumettre, selon nous, aussi bien les parents, les institutions privées et les pouvoirs publics qui prennent des décisions ayant un impact sur les enfants. Elles sont résumées dans le tableau ci-contre et argumentées comme suit. Nous les reprennons ensuite une à une.

Article L112-4 du Code de l’action sociale et des familles : «L’intérêt de l’enfant, la prise en compte de ses besoins fondamentaux, physiques, intellectuels, sociaux et affectifs ainsi que le respect de ses droits doivent guider toutes décisions le concernant».

(7)

Même si des chercheurs ont tenté d’avancer certains «critères» dans des situations bien particulières (comme la séparation des parents). (8) CIDE, art. 12 : «1. Les États parties garantissent à l’enfant qui est capable de discernement le droit d’exprimer librement son opinion sur toute question l’intéressant, les opinions de l’enfant étant dûment prises en considération eu égard à son âge et à son degré de maturité. 2. À cette fin, on donnera notamment à l’enfant la possibilité d'être entendu dans toute procédure judiciaire ou administrative l’intéressant, soit directement, soit par l’intermédiaire d’un représentant ou d’un organisme approprié, de façon compatible avec les règles de procédure de la législation nationale». (9) «The Best interests of the child»; Jean Zermatten (2010), http://www.dei-france.org/journees-etude/je2010/ doc_interet-superieur-de-l-enfant/zermatten-jean_art3-the-best-interests-of-child_46p_en.pdf; en français (2005) : «L’intérêt supérieur de l’enfant» http://www.dei-france.org/journees-etude/je2010/doc_interet-superieur-de-l-enfant/zermatten-jean_interet-superieur-enfant_2005_43p.pdf (10) Cf «Le principe de l’intérêt supérieur de l’enfant : ce qu’il signifie et ce qu’il implique pour les adultes» Conférence donnée à Varsovie le 30 mai 2008 Par Thomas Hammarberg, document reproduit p. XXX.

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Une succession de questionnements auxquels devraient se soumettre ceux qui prennent des décisions ayant un impact sur les enfants Questionnement 1. La décision dont la responsabilité m’incombe a-t-elle un impact sur un ou des enfants ? 2. Comment s’assurer que l’intérêt supérieur de l’enfant (ou du groupe d’enfants impacté) est bien une considération primordiale dans mon processus de décision ? 3. La décision est-elle au mieux des intérêts de l’enfant (c'est-à-dire ai-je tenu compte de la pluralité d’intérêts en jeu) et me suis entouré de toutes les compétences nécessaires pour appréhender ces intérêts pluriels? Comment les ai-je composés les uns avec les autres ?

Obligation Examiner en quoi la décision que l’on va prendre risque d’avoir des conséquences pour des enfants et évaluer lesquelles.

4. Ai-je respecté le fait que les parents de l’enfant sont détenteurs d’une «expertise» concernant leur enfant et sont les premiers garants de leurs droits (art. 5) ? 5. Ai-je dûment tenu compte de l’expertise de l’enfant sur sa situation, de son point de vue sur son meilleur intérêt (art. 12) ? 6. N’ai-je pas privilégié une vision subjective de l’intérêt de l’enfant au détriment de ses droits ? Ai-je tenu compte du fait que le premier intérêt de l’enfant, c’est que l’ensemble de ses droits soient respectés ? 7. Suis-je quitte si tous les droits de l’enfant sont respectés ?

Associer les parents à la recherche de l’intérêt supérieur de l’enfant. A minima, les écouter et prendre leur avis en considération.

8. Me suis-je posé la question du meilleur bien-être de l’enfant non seulement à court terme pour aujourd’hui ,mais aussi pour demain et jusqu’à sa vie d’adulte ? 1. La recherche de l’intérêt supérieur des enfants : un «réflexe» des parents, des éducateurs, des juges, des pouvoirs publics. La prise en compte de l’intérêt supérieur de l’enfant (ou des enfants) doit devenir un réflexe aussi bien dans les pratiques familiales, à l’école, dans les collectivités territoriales, villes, départements ou autres, ou encore dans les débats parlementaires. C’est bien l’esprit de l’article 3 (et de l’article 18 comme on le verra plus tard)

Examiner la situation dans un premier temps en fonction du seul intérêt de l’enfant (ou du groupe d’enfants), en faisant abstraction de toutes les autres contingences, avant de tenir, compte, dans un deuxième temps, d’éventuels conflits d’intérêts et d’adapter la solution finale en conséquence. S’appuyer obligatoirement sur des commissions pluridisciplinaires ou un travail interdisciplinaire avant de réaliser la meilleure synthèse des différents points de vue dans une décision finale, traduisant ainsi une intelligence collective au service de l’enfant.

Entendre l’enfant et s’interroger sur le bien-fondé des solutions qu’il propose ou des problèmes qu’il exprime et intégrer son point de vue au mieux dans le choix de la décision finale. En tout cas, lui expliquer, le cas échéant, pourquoi la solution qu’il propose n’a finalement pas été retenue. Se poser la question, pour chaque solution proposée, de savoir si tous les droits de l’enfant sont bien respectés, d’identifier d’éventuels conflits entre ses différents droits, et de privilégier les solutions qui respectent les droits de l’enfant dans leur ensemble.

Au-delà des droits, s’intéresser aussi au bien-être de l’enfant, en recherchant la satisfaction de ses besoins fondamentaux et le meilleur bien-être possible dans tous les domaines. À ce stade peuvent éventuellement être proposés des référentiels correspondant à des types de situation (séparation des parents, mineurs isolés, etc.). Prendre en compte le bien-être présent, mais aussi futur, de l’enfant et rechercher la meilleure solution, pour aujourd’hui mais aussi pour demain.

Cela conduit, lorsqu’on est sur le point de prendre une décision, à se demander avant tout si cette décision aura des conséquences pour un ou des enfants. Si cela peut sembler évident, on en est malheureusement encore très loin. Pour ne donner qu’un exemple, dans le domaine législatif, il n’est pas admissible que quelques années après le vote d’une

loi (par exemple la création de fichiers comme le fichier des empreintes génétiques ou celui des infractions sexuelles, ou encore la rétention de sûreté pour les criminels jugés encore dangereux une fois leur peine purgée) (11), on s’aperçoive des conséquences très préjudiciables - et contraires à la CIDE - de ces lois pour des enfants, car personne n‘avait pensé

(11) Voy. not. la loi n° 2008-174 25 février 2008 relative à la rétention de sûreté et à la déclaration d’irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental. Pour son application à l’égard des mineurs, voy. J. RaBaUX, «La loi sur la rétention de sûreté et «la période sombre de notre justice»»; JDJ n° 274, avril 2008, p. 45-46 : «Les parlementaires ont omis de soulever le moyen relatif à l’inconstitutionnalité des dispositions de la loi».

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Il semble exclu de pouvoir prendre une décision dans l’intérêt supérieur de l’enfant sans avoir entendu celui-ci

alors que la loi s’appliquerait à eux aussi (en tant qu’auteurs et non plus victimes de ces délits et crimes).

2. L’intérêt supérieur comme une considération primordiale Pour tordre le cou à ce qui serait «un principe magnifique… qui signerait la mort du droit» (12), il est important de rappeler que les rédacteurs de la Convention ont voulu que ce principe soit un droit parmi les autres, un droit qui traverse, qui «préside» à tous les autres droits, mais qui soit un levier et non un frein au respect des autres droits. Commençons par cette qualité de «considération primordiale» accordée par l’article 3 à l’intérêt supérieur de l’enfant (ou du groupe d’enfants) dans toute décision le (les) concernant. Si des militants des droits de l’enfant ont pu un temps considérer que l’intérêt de l’enfant était supérieur en ce sens qu’il devait primer sur tous les autres intérêts (celui des parents, de la société, etc.) il est peu probable que les rédacteurs de la Convention aient voulu cette interprétation que semble contredire la deuxième partie de l’article «est une considération primordiale» : non pas «la» considération primordiale, mais «une parmi d’autres». Toujours est-il que, s’il n’est pas la seule considération à prendre en compte, l’intérêt supérieur de l’enfant doit pourtant être placé très haut dans l’échelle des priorités, c’est l’esprit et le préambule de la Convention qui en décident ainsi. De plus, l’opposition qui est parfois faite entre intérêt de l’enfant et intérêt des parents ou de la société se révèle dans de nombreuses situations factice, notamment en matière de prévention de la délinquance des mineurs. Il pourrait donc être proposé que, face à une situation donnée, on l’examine dans un premier temps en fonction du seul intérêt de l’enfant (ou du groupe d’enfants), en faisant abstraction de toutes les autres contingences. Puis, une fois trouvés les décisions et les choix qui correspondraient au mieux à l’intérêt supérieur de l’enfant, d’examiner si cette solution pose des conflits d’intérêt et en tenir compte alors pour la recherche de

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la décision finale. Il s’agit là d’inverser une approche trop courante actuellement qui consiste pour les adultes - parents, éducateurs, pouvoirs publics etc. - à chercher une solution qui leur convienne à eux et qui satisfasse leurs intérêts avant de se poser (et encore, pas toujours) la question de l’intérêt de l’enfant.

3. L’intérêt supérieur «pluriel» Si l’on retient la traduction anglosaxonne de la Convention, «l’intérêt supérieur de l’enfant» devient «les meilleurs intérêts de l’enfant» (the best interests) . «Au mieux des intérêts» de l’enfant, pourrait-on dire. Le pluriel de la formule anglo-saxonne est complémentaire du singulier de la traduction française : s’il y a pluralité d’intérêts pour l’enfant (13), il s’agit pourtant d’en faire une synthèse, une sorte de résultante au sens «géométrique» qui conduit à une décision unique. Or personne ne dispose seul des compétences pour apprécier au mieux les différents intérêts de l’enfant : il y a besoin d’un travail en partenariat pluridisciplinaire pour aboutir à une décision unique. Si au bout du compte cette décision unique doit être prise par une personne qui en assume la responsabilité, il est indispensable qu’elle envisage l’intérêt de l’enfant sous ses différents aspects et s’entoure des spécialistes dans les différents domaines. C’est l’idée de s’appuyer obligatoirement sur des commissions pluridisciplinaires (mises en place en protection de l’enfance ou encore pour les enfants handicapés) ou encore un travail interdisciplinaire où chacun donne son point de vue avant que le décideur ne réalise la meilleure synthèse de tous ces points de vue.

4. Les parents ont une expertise indispensable sur l’intérêt de leur enfant

«La responsabilité d’élever l’enfant et d’assurer son développement incombe au premier chef aux parents ou, le cas échéant, à ses représentants légaux. Ceux-ci doivent être guidés avant tout par l’intérêt supérieur de l’enfant». Dans la recherche de l’intérêt supérieur de l’enfant, les parents doivent être associés au premier chef. On retrouve là l’interdépendance de l’article 3 avec un autre principe considéré aussi comme un fondamental de la Convention: l’article 5 qui consacre la primauté des parents. C’est la tendance qui se dégage des lois de réforme du secteur social et médicosocial et de la protection de l’enfance qui veut que même le juge essaie de rallier les parents à sa décision, y compris en cas de placement. Cependant, la manière d’appliquer ce principe est essentiel : une culpabilisation, une responsabilisation à outrance, voire une pénalisation des parents en réponse aux actes posés par leurs enfants, comme on le voit de plus en plus dans les nouvelles politiques de «prévention de la délinquance» va à l’opposer du principe de partenariat bienveillant évoqué ci-dessus.

5. L’enfant a un point de vue sur son intérêt supérieur L’article 12 sur le droit de l’enfant à être entendu et à ce que son opinion soit dûment prise en considération s’applique bien évidemment dans la recherche de son intérêt supérieur. Il semble exclu de pouvoir prendre une décision dans l’intérêt supérieur de l’enfant sans avoir entendu celui-ci et s’être interrogé sur le bien-fondé des solutions qu’il propose ou des problèmes qu’il exprime.

On peut aussi rapprocher du principe de l’article 3.1 de la Convention les deux dernières phrases de l’article 18.1 : (12) Lucette KhaÏat, ibid. (note 4), p. 22. (13) Cette pluralité est confirmée par la constatation faite précédemment : à chaque adulte sa perception de l’intérêt de l’enfant : le médecin verra son intérêt du point de vue de sa santé, les parents et les pairs d’un point de vue plus affectif, les éducateurs du point de vue de son émancipation, etc.

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Il ne suffit pas d’aimer l’enfant ou de le proclamer pour lui être réellement utile et même le protéger

Est-ce la meilleure solution pour cet enfant, pour aujourd’hui, mais aussi pour demain ?

Intérêt supérieur, besoins fondamentaux et droits Il apparaissait plus haut que la loi du 5 mars 2007 réformant la protection de l’enfance n’a pas posé de liens entre ces trois aspects qui devraient donc être pris en considération de façon «parallèle». Cela risque de conduire à privilégier les uns au détriment des autres. Or les trois approches sont liées : les droits déclinés par la Convention résultent plus ou moins explicitement des besoins fondamentaux des enfants. Ils sont la traduction juridique d’une recherche du bien-être de l’enfant appréhendée selon les connaissances des besoins fondamentaux de l’enfant dans les années 1980. On pourrait donc dire comme ci-après.

6. Le premier intérêt de l’enfant serait que tous ses droits soient respectés Il y aurait donc lieu de se poser la question, pour chaque solution proposée, de savoir si tous les droits de l’enfant sont bien respectés et de privilégier les solutions qui respectent les droits de l’enfant dans leur ensemble

7. Mais cela ne suffit pas et il y a lieu d’aller plus loin que l’examen des droits Dans le cas où il y a conflit insoluble entre plusieurs droits, bien sûr, il y a lieu de revenir aux besoins fondamentaux. Mais aussi lorsque tous les droits sont respectés : en effet, le seul respect des droits ne suffit pas à garantir le bien-être des enfants, car leurs relations aux autres, et notamment à leurs parents, ne peuvent se réduire à une dimension juridique. La recherche de l’intérêt supérieur devrait donc, après un examen des droits, s’intéresser aussi au bien-être de l’enfant, en recherchant la satisfaction de ses besoins fondamentaux et en déterminant quelle est la meilleur solution de ce point de vue.

8. L’intérêt supérieur et bien-être présent et futur Il va de soi que lorsqu’on parle bien-être et besoins de l’enfant, qui est par définition un être en plein développement, il ne s’agit pas de trouver la solution apportant le meilleur bien-être immédiat, mais la dimension du bien-être futur doit être présente aussi. Il y a donc lieu de se poser la question, dans la recherche de l’intérêt supérieur de l’enfant :

Non pas une démarche miracle, mais une voie pour sortir de l’arbitraire Ainsi, s’il est impossible de traduire concrètement et objectivement la notion d’intérêt supérieur de l’enfant, l’article 3 de la Convention pourrait par contre se décliner en obligations procédurales. Si cette démarche peut sembler un peu «mécaniste», elle aurait déjà l’immense mérite de devenir une sorte de réflexe, comme le demandent l’article 3.1 et l’article 18.1 de la Convention, dans tous les espaces-temps de vie des enfants. Le respect de cette série de questionnements et des obligations qui en découlent ne permettront sans doute pas de trouver la solution miracle ni d’affirmer à coup sûr que la décision prise est effectivement la meilleure pour l’enfant (ou le groupe d’enfants), mais les adultes qui en assureront la responsabilité se seront entourés du maximum de garanties pour éviter la subjectivité et l’arbitraire. Ils pourront en toute honnêteté affirmer à l’enfant : «C’est pour ton bien que nous prenons cette décision», car ils se seront donné les moyens de l’affirmer. Il s’agit donc d’inscrire l’application de l’article 3 de la Convention dans l’esprit de Janusz Korczak qui avait compris très tôt qu’il ne suffit pas d’aimer l’enfant ou de le proclamer pour lui être réellement utile et même le protéger. Loin des déclarations de bonnes intentions ou des actions «humanitaires», il expliquait qu’il est «devenu un éducateur «constitutionnel» qui ne fait pas de mal aux enfants, non pas parce qu’il a de l’affection pour eux ou qu’il les aime, mais parce qu’il existe une instance qui les défend contre l’illégalité, l’arbitraire et le despotisme de l’éducateur» (14)

(14) J. KorczaK, Comment aimer un enfant, Laffont 2006, page 344.

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«L’intérêt supérieur de l’enfant» en questions Paris, 20 novembre 2010, DEI-France/AFJK

La genèse de l’intérêt supérieur de l’enfant dans la Convention relative aux droits de l’enfant par Nigel Cantwell*

Je partage plusieurs des préoccupations et des interrogations soulevées quant aux répercussions de l’inclusion du concept de l’intérêt supérieur de l’enfant dans la Convention relative aux droits de l’enfant (CIDE). Ceci dit, je suis beaucoup plus consterné par les tentatives délibérées de détourner la lettre et l’esprit de cette disposition que par le fait même qu’elle existe. Il vaut la peine, donc, d’expliquer pourquoi il en est question dans la CIDE, de relever les points forts des débats qui ont amené à la formulation actuelle de son article 3 en particulier, et de passer en revue certaines conséquences de cet état de fait.

1. Pourquoi l’intérêt supérieur figure-t-il dans la CIDE ? La réponse à cette question réside tout d’abord dans le fait que le concept de «l’intérêt supérieur» figurait déjà dans la Déclaration des droits de l’enfant (DDE) de 1959. Vu que la substance de cette Déclaration a été reprise pratiquement mot pour mot dans la première proposition du texte de la Convention soumise par la Pologne en 1978, il était pour ainsi dire inévitable qu’il figure sous une forme ou une autre dans le texte final. La DDE en fait mention dans le cadre de deux dispositions : «Principe 2 : L’enfant doit bénéficier d’une protection spéciale et se voir accorder des possibilités et des facilités par l’effet de la loi et par d’autres moyens, afin d’être en mesure de se développer d’une façon saine et normale sur le plan physique, intellectuel, moral, spirituel et social, dans des conditions de liberté et de dignité. Dans l’adoption de lois à cette fin, l’intérêt supérieur de l’enfant doit être la considération déterminante».

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«Principe 7 : L’intérêt supérieur de l’enfant doit être le guide de ceux qui ont la responsabilité de son éducation et de son orientation; cette responsabilité incombe en priorité à ses parents». Ce projet de texte a été «renvoyé à l’auteur» pour une révision complète avant son examen par le groupe de travail mis sur pied par la Commission des droits de l’homme pour élaborer la Convention. Pour des raisons que j’avoue ignorer, les références à l’intérêt supérieur ont été très largement développées dans la proposition polonaise ainsi révisée de 1979, celle, donc, qui inspire l’article 3.1 actuel de la CIDE : «Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu’elles soient le fait de leurs parents ou représentants légaux, des institutions sociales ou étatiques, et notamment des tribunaux ou des autorités administratives, l’intérêt supérieur est la considération primordiale». C’est ce texte qui a été adopté provisoirement en 1980 comme document de base pour le travail d’élaboration de la CIDE. Il convient de souligner qu’à ce stade : - les sujets des deux principes distincts de la DDE - d’un côté les autorités, de l’autre les parents - ont été regroupés dans un seul paragraphe; - la notion de «l’adoption de lois» visant la protection et l’épanouissement de l’enfant a, quant à elle, tout d’un coup disparu, pour être remplacée par une *

liste d’acteurs qui, paradoxalement, ne comprenaient justement pas ceux qui adoptent les lois; - l’intérêt supérieur reste «la» considération primordiale. Nous verrons que, ni le principe, ni l’effet potentiel, de cet élargissement soudain et conséquent des domaines où l’intérêt supérieur devait s’imposer ne seront débattus par le groupe de travail. Dès lors, la voie était effectivement libre pour une approche très globale de ce concept, avec ses conséquences souvent inattendues et contestées.

2. Les débats qui ont façonné le texte final L’essentiel des décisions sur la formulation de cette disposition a été pris déjà en 1981, donc avant que les ONG ne se coordonnent pour affiner leurs propositions et optimiser leur impact. À l’époque, les gouvernements n’étaient guère motivés par l’exercice et, dès lors, leurs délégués auprès du groupe de travail étaient en général assez peu préparés. Qui plus est, la plupart de ces délégués étaient loin d’être spécialistes en matière de droits de l’enfant. Signalons en passant que la France, comme bien d’autres pays, ne semble pas avoir participé activement à ces débats. Tout d’abord, certains délégués ont mis en cause l’opportunité d’attribuer, dans

Consultant international en matière de politiques de protection de l’enfant et, de 1983 à 1989, coordinateur et porte-parole du Groupe des ONG internationales lors de l’élaboration de la CDE.

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Presque tout le monde s’accordait sur le besoin de laisser vague la notion de l’intérêt supérieur

un traité, des obligations formelles aux parents et représentants légaux au même titre que de celles des tribunaux, par exemple. Il fallait donc que cette question de la responsabilité des parents soit renvoyée ailleurs dans la Convention (1). Les États-Unis étaient parmi ceux qui souhaitaient restreindre la portée de cette disposition aux seules «décisions officielles, qu’elles soient le fait des institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux ou des autorités administratives», et parler de l’intérêt supérieur comme «une» considération primordiale». Le groupe de travail a décidé de supprimer le terme «officielles», car redondant à son avis, mais d’utiliser dorénavant cette proposition américaine comme base. Il est intéressant de noter en passant que, dans son deuxième alinéa, la proposition des États-Unis avait introduit une des bases de l’article 12 sur le droit de l’enfant d’être entendu dans toute procédure judiciaire ou administrative le concernant. La proposition polonaise révisée de 1979 contient l’autre base de cet article : le droit de l’enfant «d’exprimer son opinion sur les questions concernant sa propre personne – notamment le mariage, le choix d’un métier, le traitement médical, l’éducation et les activités récréatives». La liaison implicite ainsi proposée entre l’intérêt supérieur et le droit de l’enfant d’être entendu a toute son importance pour l’interprétation des deux concepts, même s’ils figurent maintenant dans deux dispositions séparées dans lesquelles aucune allusion explicite n’est faite à une éventuelle relation entre les deux (2). À la suite de ces débats de 1981, il n’a plus été question de cette disposition avant la première relecture de l’ensemble du texte, début 1988. Et lors de cette première relecture, elle est restée telle quelle. Une évaluation technique du projet de texte a été effectuée par le Secrétariat de l’ONU en préparation de la dernière session du groupe de travail (fin 1988) qui était chargée de procéder à la deuxième lecture de l’ensemble du texte

et à l’approbation de la version finale. Cette évaluation prôna la réintroduction de la référence initiale à l’adoption de lois. C’est ainsi que la mention des «organes législatifs» a été proposée et acceptée sans débat. Cette évaluation technique posa aussi la question toujours en débat : faut-il que l’intérêt supérieur soit «une» ou «la» considération primordiale ? À cet égard, certains préconisaient une référence à «la», en évoquant par exemple l’article 5 (b) de la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes (1979) (3). Mais il a été signalé que dans ce cas, ainsi que dans d’autres instruments où figure «la» considération primordiale, les situations visées étaient bien plus limitées (p. ex. seulement l’adoption) que celles prévues dans l’article 3.1 de la CIDE. En outre, il a été souligné que d’autres intérêts (de la justice, de la société…) peuvent être au moins aussi importants dans certaines circonstances. Une proposition de la Finlande, selon laquelle il fallait retenir «la» mais seulement dans les décisions concernant le bien-être de l’enfant, a été rejetée, car limitant trop l’envergure de la protection. Vu l’ampleur des réserves exprimées, il y eut consensus sur «une». Presque tout le monde s’accordait sur le besoin de laisser vague la notion de l’intérêt supérieur, son interprétation pouvant varier selon le cadre et les circonstances. Seul le Venezuela exprimait clairement un doute à cet égard, en estimant qu’il s’agit d’un concept subjectif. Il regrettait l’absence de pré-

cision préalable sur le fait qu’il se réfère au développement global de l’enfant, c’est-à-dire, pour reprendre la DDE, sur le plan physique, intellectuel, moral, spirituel et social. Mais il n’a pas insisté sur ce point et a rejoint le consensus. C’est ainsi que l’article 3.1 de la CIDE est formulé en ces termes : «Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu’elles soient le fait des institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l’intérêt supérieur de l’enfant doit être une considération primordiale». À titre de comparaison, notons que la Charte africaine des droits et du bienêtre de l’enfant (pourtant adoptée après la CIDE, en 1990) aborde la question de l’intérêt supérieur d’une façon qui rappelle fortement la proposition révisée de la Pologne en 1979. L’article 4 de cette Charte stipule que : «Dans toute action concernant un enfant, entreprise par une quelconque personne ou autorité, l’intérêt supérieur de l’enfant sera la considération primordiale». Nous aurions encore plus de peine à définir les responsabilités, capacités et critères en la matière, me semble-t-il, s’il fallait se baser sur un tel énoncé…

Dans les autres dispositions de la CIDE Ailleurs dans la CIDE, il y a bien entendu des variations ad hoc dans la qualification de l’importance de l’intérêt supérieur. Il devient ainsi le facteur déterminant pour déroger à un droit dans trois cas :

(1)

La question est, par conséquent, traitée notamment sous l’article 18.1 : « Les États parties s’emploient de leur mieux à assurer la reconnaissance du principe selon lequel les deux parents ont une responsabilité commune pour ce qui est d’élever l’enfant et d’assurer son développement. La responsabilité d’élever l’enfant et d’assurer son développement incombe au premier chef aux parents ou, le cas échéant, à ses représentants légaux. Ceux-ci doivent être guidés avant tout par l’intérêt supérieur de l’enfant».

(2)

Les dispositions traitant de la prise en compte de l’opinion de l’enfant tiennent désormais dans l’article 12 de la CIDE : « 1. Les États parties garantissent à l’enfant qui est capable de discernement le droit d’exprimer librement son opinion sur toute question l’intéressant, les opinions de l’enfant étant dûment prises en considération eu égard à son âge et à son degré de maturité. 2. À cette fin, on donnera notamment à l’enfant la possibilité être entendu dans toute procédure judiciaire ou administrative l’intéressant, soit directement, soit par l’intermédiaire d’un représentant ou d’un organisme approprié, de façon compatible avec les règles de procédure de la législation nationale».

(3)

« (…) faire reconnaître la responsabilité commune de l’homme et de la femme dans le soin d’élever leurs enfants et d’assurer leur développement, étant entendu que l’intérêt des enfants est la condition primordiale dans tous les cas».

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Il existe un risque d’application abusive des dérogations sur le seul critère, de surcroît indéfini, de l’intérêt supérieur

Art. 9 : «(…) que l’enfant ne soit pas séparé de ses parents contre leur gré, à moins (…) que cette séparation ne soit nécessaire dans l’intérêt supérieur de l’enfant (…)»; Art. 37.c. : «Tout enfant privé de liberté (…) sera séparé des adultes, à moins que l’on n’estime préférable de ne pas le faire dans l’intérêt supérieur de l’enfant (…)»; Art. 40.2.b.III. : «à ce que sa cause soit entendue sans retard par une autorité ou une instance judiciaire compétentes, indépendantes et impartiales, (…) en présence de son conseil juridique ou autre et, à moins que cela ne soit jugé contraire à l’intérêt supérieur de l’enfant en raison notamment de son âge ou de sa situation, en présence de ses parents ou représentants légaux». Il est vrai qu’il existe un risque d’application abusive de ces dérogations sur le seul critère, de surcroît indéfini, de l’intérêt supérieur. Toutefois, il est non moins vrai qu’il y a des situations où les autres droits de l’enfant – notamment la protection – pourraient être gravement compromis s’il fallait adhérer coûte que coûte aux obligations de base dans ces trois dispositions. En outre, rappelons que dans le domaine des droits de l’homme cette formule n’est pas une invention de la CIDE. Ainsi, le Pacte international des droits civils et politiques de 1966 stipule pour sa part que «tout jugement rendu en matière pénale ou civile sera public, sauf si l’intérêt de mineurs exige qu’il en soit autrement» (4). L’intérêt supérieur doit également être la considération déterminante en matière d’adoption : Art. 21 : «(…) l’intérêt supérieur de l’enfant est la considération primordiale en la matière (…)». Et, comme nous l’avons déjà évoqué, il doit être la préoccupation fondamentale chez les parents : Art. 18.1 : Les parents ou, le cas échéant, ses représentants légaux doivent être guidés avant tout par l’intérêt supérieur de l’enfant. Ces exceptions explicites à part, c’est donc l’intérêt supérieur de l’enfant comme «une considération primor-

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diale» parmi d’autres qui s’applique par défaut.

3. L’esprit du texte et les répercussions du consensus En analysant leurs contributions aux débats, il est difficile d’appréhender les intentions précises des rédacteurs gouvernementaux. Toutefois, il semble que leur souci principal ait été d’ajouter aux garanties contenues dans les droits et non pas d’en réduire la force ou l’applicabilité, et encore moins d’imposer une approche paternaliste de dernier ressort qui pourrait contrecarrer valablement le respect des droits dans le traité. L’obligation des États selon l’article 3.1 est celle d’assurer qu’il soit tenu compte systématiquement de «l’intérêt supérieur» de l’enfant, parmi d’autres, dans tout processus de prise de décision par les entités mentionnées dans cette disposition. Or, soyons clairs, il va de soi que toute décision de ce genre doit nécessairement respecter l’ensemble des droits : ceux des enfants, certes, mais aussi ceux des autres. À l’époque, on avait surtout à l’esprit la protection de l’intérêt de l’enfant dans des cas de divorce et de garde, où l’enfant risquait de faire les frais face aux exigences des parents, ou encore les décisions concernant le besoin de placer un enfant hors de sa famille. On parlait aussi des prises de décision lors de «conflits de droits», le besoin, voire le désir, de l’enfant de travailler par rapport à son droit à l’éducation, par exemple. Depuis 1989, d’autres situations se sont fait reconnaître où l’intérêt de l’enfant peut guider utilement ceux qui ont une responsabilité décisionnelle. Quelle réponse faut-il appliquer, par exemple, à tel enfant chef de famille, à sa fratrie, ou aux enfants migrants ou réfugiés non accompagnés ? Plusieurs options, toutes en conformité avec leurs droits, se dessinent en théorie, et c’est bien l’intérêt de chaque enfant qui devrait en guider

le choix. D’où l’heureuse initiative du Haut-commissariat pour les réfugiés qui a élaboré en 2008 son guide pour déterminer l’intérêt supérieur des enfants, pris individuellement, dont il a la responsabilité de par son mandat (5). À part ce genre d’exceptions, il n’est pourtant pas évident, à mon sens, que le concept ait l’importance que l’on voudrait lui prêter généralement, dès lors que les autres droits de l’enfant sont maintenant codifiés et formellement acceptés. Il avait sûrement une signification plus grande – mais pas du tout nécessairement plus heureuse – au temps où ces droits n’étaient qu’au stade de déclarations ou de requêtes. Avant, presque toute action pouvait être «justifiée» au nom de telle ou telle interprétation de cet «intérêt». Aujourd’hui, les droits établis servent à la fois de prescriptions et de garde-fous : l’utilité de la notion est donc ainsi limitée, en principe, aux seuls cas d’indécision bien-fondée face à deux ou plusieurs solutions qui seraient conformes aux instruments des droits de l’Homme.

Une inquiétude C’est une des raisons pour lesquelles je suis fort préoccupé par la décision du Comité des droits de l’enfant de désigner l’intérêt supérieur comme un des quatre principes généraux de la CIDE. Il a pris cette décision unilatérale lors d’une de ses premières séances – en 1991 – vouée spécifiquement à l’élaboration de son guide pour les États qui doivent rédiger leurs rapports à l’intention du Comité. À partir de ce modeste début, il semble être devenu quasi obligatoire de considérer les quatre droits concernés, dont l’intérêt supérieur, comme revêtant une importance singulière à chaque fois que l’on invoque la CIDE. Il y a déjà un danger manifeste lorsqu’on «élève» tel ou tel droit humain à une position spéciale : ce faisant on tend à créer une espèce de hiérarchie qui va à l’encontre même de la conception des droits humains. Ce danger est d’autant plus aigu lorsqu’il s’agit d’une dispo-

(4)

Art. 14.1 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (New York le 16 décembre 1966).

(5)

UNHCR, Principes directeurs du HCR relatifs à la détermination de l’intérêt supérieur de l’enfant (mai 2008).

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«L’intérêt supérieur» : une espèce de carte atout qui permettrait de bafouer d’autres droits «pour le bien de l’enfant»

sition dont la portée voulue n’aurait sûrement jamais dû être perçue d’une façon aussi générale. Cette initiative a peut-être malheureusement contribué au développement de certaines interprétations particulièrement mesquines de la disposition sur l’intérêt supérieur, et c’est ici que le vrai problème se pose. Selon ces interprétations, «l’intérêt supérieur» constitue désormais une espèce de carte atout, une sorte de super droit qui permettrait de bafouer d’autres droits «pour le bien de l’enfant» : comprenez par là, en général, carte blanche pour le déplacer. Sur cette base, on promeut, par exemple, l’évacuation d’enfants en situations de catastrophe sans se préoccuper des procédures établies pour protéger leurs droits, des adoptions pour donner de

«meilleures conditions matérielles de vie» à un enfant qui a pourtant une famille… et tant d’autres réactions consistant à «sortir les enfants à tout prix et peu importe les conséquences». Effectivement, ce genre d’approche n’a rien à voir avec les droits humains de l’enfant, et tout à voir avec le paternalisme charitable d’antan, de l’époque où la CIDE n’existait pas… Pour conclure, il semble évident que personne n’avait vraiment songé aux implications possibles de l’élargissement soudain, de par la CIDE, du champ couvert par le principe de l’intérêt supérieur, alors que, auparavant, il était assez bien ciblé. En plus, si la CIDE précise plus ou moins les responsabilités pour l’application du principe, elle ne donne aucune indication quant aux éléments

qui permettraient de déterminer adéquatement son application au cas par cas. Mais le besoin implicite d’un processus clair pour déterminer l’intérêt des enfants, des mineurs, est reconnu depuis longtemps – nous l’avons vu – dans les instruments des droits humains. Et justement, maintenant on s’active, à raison, surtout à identifier les éléments pour la détermination de «l’intérêt supérieur» – y compris la place à accorder aux opinions et désirs exprimés par l’enfant concerné – plutôt qu’à essayer de définir des solutions fixes et passe-partout qui seraient soi-disant conformes à cet «intérêt». C’est le sens de l’initiative de DEI-France et c’est sûrement ainsi que nous nous sortirons le mieux de ce dilemme.

Le DVD de la journée L’intérêt supérieur de l’enfant en questions : Leurre ou levier au service de ses droits ? La journée d’études de DEI-France et de l’AFJK en DVD

Pour poursuivre la réflexion sur cette difficile question de l’intérêt supérieur de l’enfant, un DVD retrace les débats de la journée du 20 novembre 2010 au Palais Bourbon et propose de nombreux documents de travail sur le sujet. Au sommaire : Déroulement de la journée Les contributions Les documents de référence Extraits du film «Mémoires sur scène» L’approche de Janusz Korczak Les propositions de DEI-France Le DVD est disponible auprès de DEIFrance, 41 rue de la République, 93200 Saint-Denis. Prix de 10 euros frais de port compris . commande à contact@dei-france.org

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Janusz Korczak… Reviens, ils sont devenus fous ! par Bernard Lathuillère*

Nous allons essayer d’élargir le champ et de prendre un peu de recul en regardant ce qu’il en est en dehors du domaine socio juridique, du côté de la relation éducative et pédagogique et de la place de l’enfant dans la société, en interrogeant celui qui fut l’un des premiers et plus célèbre défenseur des enfants, Janusz Korczak, resté à leurs côtés jusqu’au bout pour les protéger contre l’arbitraire et l’injustice dans son pays, la Pologne, au cœur du maelström d’une des périodes les plus sanglantes de l’histoire. Depuis la Seconde Guerre mondiale, tout porte à croire que le monde a lentement progressé vers plus d’humanité, de liberté et de justice. La reconnaissance des droits de l’homme, la création de

l’UNICEF, de l’OMS, les multiples sommets, commissions et traités internationaux, la Convention de l’ONU relative aux droits de l’enfant finalement adoptée en 1989, ont validé ou favorisé

Janusz Korczak (Henryk Goldszmit, 1878-1942) était en Pologne, avant la guerre, la personnalité scientifique la plus en vue et la plus respectée dans le domaine de l’enfance. Ami des enfants, médecin-pédiatre et écrivain, il est entré dans l’Histoire le jour de sa déportation au camp d’extermination de Treblinka, avec les enfants du ghetto de Varsovie qu’il n’avait pas voulu abandonner (cf. le film de A. Wajda, «Korczak», 1989). «Le fait que Korczak ait volontairement renoncé à sa vie pour ses convictions parle pour la grandeur de l’homme. Mais cela est sans importance comparé à la force de son message», disait Bruno Bettelheim. Depuis le début du siècle, Korczak œuvrait à une refonte complète de l’éducation et du statut de l’enfant, sur des bases constitutionnelles entièrement nouvelles, privilégiant la sauvegarde et le respect absolu de l’Enfance. Ses multiples écrits pour enfants et pour adultes («Comment aimer un enfant», «Le roi Mathias 1er»), l’exemple de ses deux orphelinats modèles organisés en républiques d’enfants («Dom Sierot» créée en 1912 et «Nasz Dom»; en 1919), ses émissions de radio, son journal national d’enfants («Maly Przeglad») ont fait la joie de générations entières de petits Polonais. En artiste tout autant qu’en scientifique et clinicien dévoué, il incarnait une véritable pédagogie du respect, une école de la démocratie et de la participation qui font aujourd’hui universellement référence. Sur le plan pédagogique, l’œuvre de Korczak s’inscrit dans la lignée de la «pédagogie active» et de «l’École nouvelle»,

Malheureusement… le monde continue de dévorer ses enfants Malgré l’évolution phénoménale des connaissances et les efforts intenses pourtant déployés, sans cesse, avec bonne foi et dévouement, les conditions

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aux côtés de Johann-Heinrich Pestalozzi, Maria Montessori, Ovide Decroly, Fernand Deligny, Alexsander Sutherland Neill, Anton Semenovitch Makarenko, Célestin Freinet. Janusz Korczak lui-même est de plus en plus étudié comme l’un des précurseurs de la pédagogie institutionnelle et de «l’autogestion pédagogique». Ce n’est pas le cas (par méconnaissance sans doute…), mais il pourrait tout aussi bien être aussi reconnu comme un «pédagogue autogestionnaire», aux côtés de Paul Robin, Sébastien Faure et Francisco Ferrer (1859-1908), anarchiste espagnol qui reste le seul pédagogue avec Korczak à avoir été assassiné pour ses idées, pour ce dernier, en les mettant en actes jusqu’au bout sans chercher à s’enfuir du ghetto de Varsovie. Dans le domaine des droits de l’enfant, il est aussi le précurseur reconnu de la mise en pratique des droits positifs de l’enfant (droits d’expression, de participation, d’association, etc.) officiellement établis le 20 novembre 1989 par les articles 12 à 17 de la Convention des Nations unies pour les droits de l’enfant, un texte et un acte politique majeur dont il exigeait l’élaboration depuis la fin du XIXe siècle. Soixante ans après sa mort, l’histoire et l’œuvre littéraire, pédagogique, philosophique et sociale du «Vieux docteur», encore méconnues en France, interpellent plus que jamais l’ensemble des pratiques et des regards des adultes sur les enfant. (Extrait de la présentation de Janusz Korczak. Pour en savoir plus sur son œuvre et les personnalités citées : http://korczak.fr)

de vie des enfants ne sont pas forcément devenues plus humaines dans le monde d’aujourd’hui. Que dire de la persistance de la faim, de la misère, du nombre de réfugiés, du développement exponentiel des trafics en tout genre, d’enfants, d’organes, de la pédophilie, *

de multiples progrès et avancées sur le plan de la protection de l’enfance. Mais avons-nous pour autant tiré toutes les leçons du passé ?

du nombre des enfants de la rue, des enfants esclaves, des enfants soldats ou accusés de sorcellerie ? À l’évidence, les guerres ne vont pas cesser, les victimes civiles seront toujours plus nombreuses et il n’est même pas certain qu’on puisse empêcher de nouveaux génocides.

Travailleur social, président de l’ Association française Janusz Korczak (AFJK); http://korczak.fr/

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La mauvaise foi et les mensonges ne sont pas du côté des enfants, mais des plus puissants

Si en Europe et dans les pays riches on croit pouvoir échapper désormais partiellement à ces fléaux, on ne peut pas dire pour autant que ça va bien pour les enfants. En France en particulier, la situation semble se dégrader d’année en année, au point de donner le sentiment qu’on marche carrément sur la tête ! On n’entend plus parler ici de l’enfance et de la jeunesse que de façon négative. Quand les enfants ne sont pas instrumentalisés dans les publicités, on ne nous montre que leurs plus mauvais côtés : la toute-puissance des voyous, les provocations et leurs agressions, qu’on nous repasse en boucle. On ne voit pas grandchose de ce que ces jeunes ont subi en termes de discrimination, humiliations, solitude et dénis de justice et de démocratie. Qui dans ce pays rend justice aux enfants (en tant que groupe social) ? Leur Défenseure vient à son tour d’être écartée, qui voit son institution anonymisée dans une nouvelle administration où bien malin sera l’enfant qui saura retrouver sa porte. C’est tout ce qui concerne l’enfance qui devient suspect. Les parents sont culpabilisés, les pauvres sont traités comme des irresponsables, la jeunesse est dénigrée, et de plus en plus précarisée. Dans de nombreux secteurs, on assiste au délaissement de tout travail d’accompagnement ou de prévention… au mépris des alertes et des propositions des professionnels de l’enfance et de l’éducation passablement découragés (1). Cette évolution a valu à la France, en 2004 et en juin 2009, de sévères remarques du Comité des droits de l’enfant de l’ONU (2). Notre pays est pointé du doigt pour son absence de politique nationale cohérente pour l’enfance, pour la façon dont il traite de nombreux enfants en situation de grande vulnérabilité, pour les violences exercées par l’État lui-même et les institutions sur les enfants. La situation à l’école devient de plus en plus aberrante, qui soumet les élèves à une pression toujours plus forte, qui décourage, exclut et rejette les plus faibles sans aucun diplôme et souvent de façon humiliante, au nombre effarant de 150 000 chaque année… Les jeunes

professeurs inexpérimentés n’ont plus d’assistance, eux qui n’avaient déjà pas beaucoup d’exercices pratiques et aucune formation à l’état d’enfance de leurs élèves. Chaque semaine apportant son lot de mauvaises nouvelles, après le scandale du rapport de l’INSERM (3) il y a quelques années, c’est maintenant le rapport Bockel (4) qui préconise à nouveau un «repérage précoce» des troubles du comportement chez l’enfant, indiquant que cette «vulnérabilité pourrait être repérée chez les petits entre 2 et 3 ans»…

Une saine colère Dans le contexte autrement difficile qui était le tien, tu n’hésitais pas à prendre publiquement la cause des enfants et à interpeller les consciences comme en témoigne avec force le style pamphlétaire de ton manifeste de 1929, «Le droit de l’enfant au respect» (5) dont bien des lignes pourraient encore être écrites aujourd’hui. Avant de se plaindre des enfants, disais-tu, il faudrait commencer par balayer devant notre porte. Comment osons-nous incriminer les enfants ? Les accuser ? «Que penser des innombrables querelles, fourberies, jalousies, médisances et chantages dont les adultes sont à l’origine ? Combien de paroles blessantes, d’actes déshonorants ? Combien de tragédies familiales passées sous silence dont les enfants sont les premières victimes ?» (6).

Quel exemple prétend donner notre «respectable» société adulte ? Crimes, délits, corruption, détournement, perversion des institutions, à tous les niveaux de la société, le spectacle des avanies est sans fin. La mauvaise foi et les mensonges ne sont pas du côté des enfants, mais des plus puissants, des plus intouchables des adultes, dont l’indécence, la toutepuissance débridée et les comportements criminels ont conduit à des milliers de milliards de pertes, sans d’ailleurs ni coupables, ni sanctions, ni repentis… À ton époque Janusz, les problèmes étaient aussi tout à fait importants et aussi tout à fait nouveaux : la révolution industrielle, ses espoirs d’émancipation, un pays occupé depuis plus de cent ans qu’il fallait libérer, la révolution russe, une première guerre mondiale dont la fin n’a fait que préparer la suivante…, un pays entièrement à reconstruire… Sans oublier tes propres engagements, trois fois mobilisé comme médecin militaire, plus de six ans passés sur le front au total… Pourtant il y en a eu des progrès ! La grande synthèse de l’enfant dont tu rêvais est bien avancée maintenant. On n’ignore plus grand-chose du développement de l’enfant, de ses besoins et de ces capacités, la connaissance du bébé a extraordinairement progressé, des moyens importants ont été mobilisés pour l’éducation, le sport et les loisirs. Et ce n’est pas non plus les personnes de qualités, les talents, les philosophes, les analystes, les savants, qui manquent.

(1)

Cf. le «Cahier de doléances des États générEux pour l’enfance» : 112 textes réunis en huit chapitres dressant l’état des lieux de la situation réelle des enfants dans tous les domaines de leur vie, signés par 80 organisations, mai 2010, 218 p., accessible en ligne. À l’initiative d’une quinzaine d’associations et de collectifs – dont l’AFJK et DEI-France — réunis autour de l’équipe de la pétition «Pas de zéro de conduite pour les enfants de moins de trois ans», qui avait contesté avec succès un rapport de l’INSERM préconisant le dépistage du «trouble des conduites» chez l’enfant dès le plus jeune âge. Pour se le procurer : http://boutique.ldh-france. org/

(2)

Observations finales du Comité des droits de l’enfant: France, Comité des droits de l’enfant (de l’ONU), 51e session, 2 juin 2009, 25 p., réf. : CRC/C/FRA/CO/4. Disponible en ligne et sous Word avec l’ajout d’un sommaire sur le site de l’AFJK (http://korczak.fr/).

(3)

Trouble des conduites chez l’enfant et l’adolescent, Expertise collective, Éd. Inserm, sept. 2005, 428 p.; http:// www.inserm.fr/content/download/7154/55249/file/troubles+des+conduites.pdf

(4)

Rapport sur la prévention de la délinquance des jeunes, par J-M. Bockel, secrétaire d’État à la justice, nov. 2010; http://www.elysee.fr/president/root/bank_objects/Rapport-Bockel-_La_prevention_de_la_delinquancedes-jeunes.pdf. Pour une présentation critique du rapport, voy. . J.-L. rongé et S. Turkieltaub «Le «plan Bockel» pour la prévention de la délinquance des jeunes», JDJ n° 300, décembre 2010, p. 32-42.

(5)

J. KorczaK, «Le droit de l’enfant au respect», trad. L. Waleryszak, préfacé par Bernard Defrance et Frédéric Jésu, Éd. Fabert, 2009, 138 p., édité en Poche à 3,50 ! à l’initiative de l’AFJK en partenariat avec Dei-France et une vingtaine d’ONG.

(6)

Ibid., p. 33.

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L’enfant est l’acteur et le fin stratège de ses propres intérêts

Nous avons même des pédopsychiatres de talent comme toi, qui arrivent à s’exprimer de plus en plus souvent à la radio, comme tu le faisais toi ou comme le fit ensuite Françoise Dolto, en véritables médecins de l’éducation. Nous avons la chance d’avoir une société civile éduquée, nombreuse et cultivée, et une démocratie active, alors qu’est-ce qui manque ? Comment as-tu fait ? Et qu’avons-nous raté ?

Une réponse à la hauteur I. Considérer l’enfant comme une personne ! L’enfant est une personne à part entière, avec ses défauts et ses qualités et ses besoins propres. Il n’est pas un être en devenir, pour qui on considère que les choses sérieuses commenceront plus tard, comme s’il était «un futur adulte, un futur travailleur, un futur citoyen» (7). La hiérarchie des âges n’existe pas : «Nous attribuons à tort à nos pauvres années des degrés différents de maturité…» (8) ou encore : «Allez donc demander à un vieillard ce qu’il pense des hommes de quarante ans !» (9). Il a une histoire, une mémoire, une vie sociale. Les enfants ont leur propre culture, leurs savoirs et leurs compétences spécifiques. Quand leurs droits sont ignorés, ils doivent être considérés comme appartenant à une «classe sociale» opprimée, au même titre que l’étaient d’autres groupes sociaux comme les noirs ou les femmes. Et le premier besoin du «peuple des enfants» comme tu le nommais, c’est de pouvoir vivre sereinement le temps de l’enfance. Tu n’avais pas une vision idyllique ou romantique de l’enfant. Il n’est ni bon, ni mauvais. L’enfant est l’acteur et le fin stratège de ses propres intérêts. En fait, on doit s’attendre à ce que chacun, enfant ou adulte, soit tour à tour susceptible d’être manipulé, trompé, floué, berné, ou capable de manipuler, tromper, flouer, berner autrui.

II. Se méfier des bons sentiments Dans le contexte historique de l’indépendance recouvrée de ton pays et de sa reconstruction, c’est une approche très pragmatique qui est à l’origine de la conception démocratique de l’organisation de tes maisons d’enfants. En ouvrant tes orphelinats, tu écrivais lucidement : «Je ne pourrai pas changer l’enfant en autre chose que ce qu’il est déjà. Je peux éveiller ce qui somnole dans une âme, mais je ne peux pas la créer à nouveau» (10). Tu savais aussi qu’»il est impossible d’éviter certaines erreurs nées de l’habitude, des idées reçues, des traditions consacrées par l’usage comme cette façon de traiter les enfants en êtres inférieurs, inconscients…» (11). La reconnaissance des enfants comme sujets de droits imposait de se donner les moyens d’une véritable collaboration dans la communauté des adultes et des enfants qui ne pouvait plus être d’ordre hiérarchique ni autoritaire. Pour éduquer, tu t’es ingénié à créer non pas uniquement pour les enfants, mais avec eux un cadre de vie cogéré visant à répondre au mieux à leurs besoins et à leurs aspirations en tenant compte de ce qu’ils sont. En composant des règles discutées avec l’ensemble des enfants, tu autorisais les plus rebelles d’un côté, et les plus faibles d’entre eux, d’un autre côté, à se réconcilier avec eux-mêmes et avec la vie.

III. Aider les enfants à s’organiser et les accueillir dignement C’est ainsi que tu as expérimenté et mis en œuvre avec succès dans ce qui

est devenu la célèbre république des enfants de Korczak, de multiples dispositifs éducatifs et pédagogiques, individuels et collectifs, dont la finalité était d’organiser la vie de la communauté et la régulation de ses conflits sur une base théorique et pratique non plus institutionnelle, mais constitutionnelle, c’est-à-dire régulée par le droit (12). Il s’agissait, parmi d’autres (13), du «Parlement des enfants» dont les députés sont élus, qui est doté d’un budget et chargé de l’élaboration des lois, et du «Tribunal des Pairs», dont les juges sont aussi des enfants, qui veille à résoudre rapidement tous les conflits et dont les sanctions sont toujours symboliques. Il faut bien voir que ces «dispositifs» innovants (à l’époque) n’étaient pas de simples «outils pédagogiques», destinés à apprendre aux enfants le fonctionnement démocratique, à l’exemple du «Parlement des enfants» créé par l’Éducation nationale qui ne représente que les seuls élèves lauréats désignés par leur académie (14). Il s’agissait de véritables institutions politiques régissant tout le fonctionnement de la vie collective, dont les décisions transparentes et publiques s’imposaient à tous, adultes et enfants dans le cadre d’une démocratie interne bien vivante (15). Au meilleur niveau de la bien-traitance institutionnelle, ce type de fonctionnement permet, plutôt que de s’empresser de rechercher des fautifs devant des problèmes répétés, de se demander quelle faille, dysfonctionnement ou évolution naturelle et compréhensible est à son origine, et quelles modifications institutionnelles pourraient permettre d’y re-

(7)

Ibid., p. 35.

(8)

J. KorczaK , Le droit de l’enfant au respect in Comment aimer un enfant, trad. Z. Bobowicz, Éd. Robert Laffont, 2006, p. 374.

(9)

J. KorczaK, Comment aimer un enfant, Éd. Robert Laffont, 2006, p. 159.

(10) Ibid., p. 213. (11) Ibid., p. 180. (12) A. LaMihi, J. KorczaK, L’éducation constitutionnelle, Desclée de Brouwer, 1997, réédité au Maroc en 2009. (13) B. LathUillÈre, «Les dispositifs socio éducatifs korczakiens», document de travail, tableau de 40 items et 34 notes en ligne sur http://korczak.fr. Institués par Janusz Korczak, ils ont régi pendant plus de 30 ans la vie collective de ses deux établissements éducatifs : Dom Sierot (La Maison des Orphelins, créée en 1912) et Nasz Dom (Notre maison, créée en 1919), qui accueillaient chacun une centaine d’enfants de 7 à 14 ans. (14) B. LathUillÈre, «Le Parlement des enfants français : un projet inabouti», inédit, sur Korczak. (15) Cf. Yves Jeanne, «Janusz Korczak : éduquer, tisser l’enchantement et la raison», Revue Reliance 2/2005 (no 16), pp. 115-122, en ligne www.cairn.info.

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Agir un peu moins pour eux et un peu plus avec eux

médier. Dans les orphelinats de Korczak, c’était le rôle du «Conseil juridique», émanation du Parlement, cogéré par les enfants et l’équipe éducative. Une telle politique éducative avait clairement pour ambition de garantir une vie en collectivité sereine et formatrice pour de futurs citoyens doués d’esprit critique et capables de s’exprimer dans une société moderne et démocratique. Un siècle plus tard dans notre pays, on observe que ni notre école, ni nos services pour la jeunesse ne se sont encore équipés de moyens similaires, ne seraitce que pour défendre les valeurs de la démocratie, et réagir au désordre et à la violence envahissants.

Quelles leçons pour aujourd’hui ? Pour que cette pratique précoce de la démocratie respectueuse des droits de l’enfant fonctionne correctement et de façon pédagogique, il faut réfléchir à plusieurs «ingrédients». 1) Être un responsable éducatif oblige à être exemplaire sur le plan du respect des règles communes à tous, adultes et enfants, sans passe-droits. Janusz Korczak – comme bien d’autres dans d’autres domaines – a montré l’importance de réguler l’autorité des adultes par celle du droit. La «responsabilité parentale» devrait remplacer dans les textes comme dans les mentalités «l’autorité parentale». Il reste aujourd’hui nécessaire de rappeler à titre préventif que l’autorité dont se prévalent les adultes sur les enfants ne peut servir qu’à assumer leurs responsabilités vis-à-vis d’eux et que toute forme d’autoritarisme et de décisions arbitraires doit donc être bannie, que ce soit dans le cercle familial ou à l’école. C’est encore loin d’être le cas, malgré les incidences directes en termes de violence, et notamment de violences éducatives dites «ordinaires». 2) Ceci implique pour l’adulte de changer de posture pour modifier son regard sur les enfants et agir un peu moins pour eux et un peu plus avec eux. Capable de sens critique et d’autocritique, il développera une éthique personnelle

renforcée sur le plan de sa responsabilité éducative, en cessant de vouloir penser et agir à leur place ou par procuration et en faisant preuve au quotidien d’une meilleure écoute et disponibilité, avec humilité (je ne peux pas savoir ni penser à ta place). Korczak nous enseigne qu’il n’y a en effet pas de petits détails, pas plus qu’il n’existe pas de «petite» douleur. 3) Enfin, agir en adulte vis-à-vis des enfants et des adolescents, de façon responsable, exige aussi d’être capable de tout comprendre, tout supporter et même de tout excuser, ce qui ne veut pas dire ne pas sanctionner et/ou se protéger. Mais pour juger et sanctionner ou pardonner les actes posés par des enfants en difficulté ou délinquants, il ne faut pas les rejeter, il faut leur parler et il faut se donner la peine de les comprendre. Korczak a toujours été très clair et cohérent à ce sujet : «Les enfants délinquants, eux, ont besoin d’amour. Leur révolte pleine de colère est juste. Il faut en vouloir à la vertu facile, s’allier au vice solitaire et maudit. Quand recevra-t-il la fleur du sourire, si ce n’est maintenant ? […] Ne voyez-vous pas que les meilleurs des enfants éprouvent de la peine pour les pires d’entre eux ? En vérité, quelle est leur faute ?» (16).

«Les enfants sont un nombre, une volonté, une force et un droit. Le médecin peut arracher l’enfant à la mort. Le devoir de l’éducateur est de laisser vivre cet enfant et de lui garantir le droit à être ce qu’il est» (17). En conclusion, cher Janusz, si tu nous as enseigné en théorie et en pratique que toute démarche éducative responsable impose le respect des droits de l’enfant dans la vie quotidienne, il faut bien comprendre qu’il ne s’agit pas seulement d’une bonne intention, d’une invocation, mais que cela exige de se donner les moyens de réorganiser entièrement les divers cadres de vie de l’enfant, de façon telle qu’il puisse y exercer effectivement ses droits actifs d’expression et de participation. Voilà l’enjeu d’une véritable réforme à faire d’urgence, qui pourrait contribuer efficacement à apaiser les relations adultes/enfants et à faire baisser la violence à l’intérieur des établissements. La Convention des droits de l’enfant oblige chaque institution accueillant les enfants à s’y mettre. C’est une réalité qui est maintenant à notre portée et qui représente en soi un stimulant programme d’action, dans le respect me semble-t-il de l’intérêt supérieur de l’enfant.

C’est l’histoire d’une plaidoirie de Janusz Korczak rapportée par sa biographe, Betty Jean Lifton*, qui fit grand bruit à Varsovie en 1927. Korczak était intervenu en tant que médecin-expert auprès du Tribunal des enfants de Varsovie au cours du procès du lycéen Stanislaw Lampisz inculpé pour le meurtre de son proviseur. Résumé des faits : Ayant commis une faute, Lampisz, qui était interne, s’est vu signifier son renvoi par Lipka son proviseur. La punition démesurée et sans appel provoque honte et désespoir de l’étudiant. Lampisz décide de s’armer d’un fusil pour aller la nuit même se suicider sur un pont de Varsovie. Il rencontre par hasard Lipka qui traversait aussi ce pont. L’émotion et le baise-main de Lampisz se jetant à ses pieds en lui demandant pardon ne suscitent que le dégagement hautain du proviseur. Le jeune homme se menace alors lui-même avec son fusil, il s’ensuit une bousculade et un coup part, tuant le proviseur. Conclusion de Korczak qui plaida longuement : ce n’est pas un crime, Lipka est mort «comme un chimiste qui a fait exploser son labo, ou un chirurgien ayant attrapé un virus». Après une telle plaidoirie, le jugement surpris par sa sévérité : Lampisz fut néanmoins jugé coupable et condamné à cinq ans de prison dans une prison de haute sécurité. * B-J. LiFton, Janusz Korczak Le roi des enfants, (biographie), Éd. R. Laffont, 1989, épuisé, p. 148-149.

(16) J. KorczaK, Le droit de l’enfant au respect, Éd. Fabert, op. cit., p. 49. (17) Ibid., p. 51.

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Au milieu des vacances scolaires… Témoignage d’une directrice d’école

par Véronique Decker*

C’est toujours au milieu des vacances scolaires que les expulsions de Roms vont bon train. Cela permet de meubler des journaux télévisés trop vides et d’occuper le temps de cerveau disponible. À la rentrée, les chaises vides sont plus facilement oubliées. Alors ces enfants-là n’ont jamais de vacances. Le temps vide, entre l’école qui finit et l’école qui reprend est le temps de la peur. Il est 6 heures ou 7 heures du matin. Les policiers frappent aux portes des cabanes. Tout le monde doit sortir. Ils prennent les pièces d’identité et donnent à chacun ensuite des OQTF préremplis («obligation de quitter le territoire français»), et déjà signés par les autorités. Une fois tout le monde sur le trottoir d’en face, les ouvriers viennent avec les engins et ils écrasent les cabanes. Les affaires sont mises «sous séquestre» et quelques papiers distribués. Huissiers et policiers savent bien que personne ne viendra réclamer les couvertures, les sacs d’écoles, les vêtements et casseroles. Les enfants, qui avaient (parfois avec bien des difficultés, et beaucoup de retard par rapport à la date de la rentrée des classes) commencé l’école, s’arrêtent. Il faut retrouver un terrain. Poser une nouvelle caravane. Reconstruire des cabanes. L’urgence est d’avoir chaud. Parfois, un comité de soutien se constitue, se réunit. On trouve deux nuits d’hôtel avec le 115 ou l’aide d’une collectivité locale. Mais électoralement, le Rom ne paye pas. Et personne ne veut faire ici un sort plus doux qui attirerait d’autres Roms. Devant la violence de l’État, tout le monde propose de ne rien faire, de ne rien dire, et de ne rien voir. La vie reprend. Les enfants retournent à l’école. Une autre école. Il faut attendre des mois pour un autre collège. Avant ils avaient droit à la cantine. Ici, c’est interdit. Là-bas, ils pouvaient être en classe avec les autres. Maintenant, il y a une «classe spéciale». La loi change en fonction des communes, des académies, des régions. Plus rien à voir avec une République. La nouvelle école se démène : elle retrouve des sacs d’école et donne à nouveau des cahiers et des crayons. Jusqu’à la prochaine pelleteuse. Pendant ce temps perdu, les enfants n’ont rien appris. Et même les montées d’angoisse des expulsions les font désapprendre. La commune a accepté de laisser un terrain. Sous la pression d’un comité de soutien actif. Mais le terrain n’a ni toilettes, ni accès à l’eau. Les parents d’élèves de l’école râlent de voir aux côtés de leurs enfants des romanichels mal peignés et parfois malades. Heureusement, chaque fois qu’ils sont malades, l’hôpital les garde, car remettre à la rue un enfant bronchitique ou asthmatique, c’est dangereux. Du coup, ils ratent encore un peu d’école. Les vacances suivantes arrivent : les policiers reviennent. Ils donnent encore des OQTF, même à ceux qui en avaient déjà eu aux vacances précédentes. Les enfants ont encore peur. Maintenant, ils dorment tout habillés : trop peur de se retrouver en slip sur le trottoir d’en face.

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Le prix des pavillons qui bordent le terrain a baissé. Commercialement, le voisinage des Roms ne paye pas. Alors les propriétaires ont porté plainte et le propriétaire du terrain a fait les démarches. Maintenant c’est sûr, ils doivent partir. Les parents réfléchissent, et pensent sans aucun doute à l’intérêt supérieur de leurs enfants. Malgré des traitements inhumains, cette vie maltraitée, il leur semble que rester ici porte davantage d’espoir que retourner dans leur pays d’origine. On imagine alors ce que devait être leur vie là-bas. Chaque jour, nous acceptons que sous nos yeux, des enfants soient traqués, expulsés, et que l’accès à une scolarité réelle leur soit refusée sous le seul prétexte qu’ils sont roms. C’est parce qu’ils sont Roms que leurs parents n’ont pas le droit de travailler en Europe, alors que tout le reste de l’Europe peut aller où bon lui semble. Nul n’est dupe de la directive qui traite la Bulgarie et la Roumanie à part des autres pays. Mais aujourd’hui, parce que ce sont des enfants, je souhaite qu’ici l’intérêt supérieur de leur enfance soit entendu. Cet enfant-là s’appelle Stivan. Le tunnel où il habitait a été incendié. Alors ses parents sont partis en Belgique et il a raté la rentrée. Depuis, il est revenu, mais à nouveau, mardi 26 octobre, les policiers sont venus. Sa famille a reçu des OQTF. Il vit aujourd’hui sur un terrain toléré par la ville, mais expulsable néanmoins. Il n’y a aucun accès à l’eau courante, et pas de toilettes. Par contre, il y a des milliers de rats. Quand j’étais petite, ma maîtresse nous avait demandé de dessiner l’an 2000 et d’imaginer le XXIe siècle. Personne n’a alors pensé à dessiner Oliver Twist. Le progrès du monde s’est mis à reculer sous nos yeux éblouis et on n’a pas vu le virage. Cette petite fille-là s’appelle Zlatka. La photo a été prise avant l’incendie du tunnel. Elle aussi vient à l’école et préfère l’école aux vacances. J’aurai pu prendre cette photo dans n’importe quelle favela d’un pays du tiers monde. Mais c’est juste à côté de l’école où je travaille, à Bobigny, à moins de 10 kilomètres de Paris. Si je parle d’elle, si je parle de son histoire, c’est parce que sa parole, comme celle de ses parents est confisquée.

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Directrice de l’école Marie-Curie de Bobigny (Seine-Saint-Denis).

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L’intérêt supérieur de l’enfant en questions : nos suggestions (enfants placés et/ou sous la surveillance des services sociaux)

ATD Quart Monde, secrétariat famille

Les obligations procédurales préconisées sont particulièrement intéressantes pour un meilleur respect de l’intérêt de l’enfant. Il nous semble nécessaire, en préambule, de définir l’intérêt supérieur de l’enfant. Quelques points nous paraissent essentiels à souligner concernant tout enfant : Prendre une décision en vue de l’intérêt supérieur de l’enfant, c’est regarder l’enfant dans son développement physique, intellectuel, psychique et affectif et permettre les conditions favorisant le mieux possible son développement dans toutes ces dimensions qui forment un tout, chaque dimension se répercutant sur les autres. L’enfant ne peut jamais être considéré seulement comme individu, mais toujours comme une personne membre d’une famille et d’une communauté. Son intérêt doit s’analyser en relation avec eux. Exemple : une décision de placement prise pour améliorer les conditions matérielles et d’éveil de l’enfant peut avoir des conséquences néfastes sur son développement affectif et psychique. Des enfants ne peuvent supporter la séparation avec leur mère et/ou leur père : ils régressent ou deviennent violents et destructeurs. Les décisions ne devraient intervenir qu’après avoir pris toute la mesure du développement de l’enfant dans les trois dimensions – pas seulement sur des critères de risque. Les travailleurs sociaux reçoivent-ils la formation leur permettant cette réflexion ? Souvent, des décisions sont prises, «pour l’intérêt supérieur de l’enfant», sur ce qui est visible aux yeux des professionnels : état vestimentaire de l’enfant, état du logement familial – manque d’ouverture sociale pour l’enfant qui ne fréquente pas de halte-garderie ou de centre de loisirs – retard d’acquisition dans l’éveil ou les apprentissages scolaires… Les liens affectifs parents/enfant sont parfois peu visibles ou s’expriment de façon différente, peu compréhensible par des tiers.

Sur le plan psychologique et affectif Tous les parents devraient se voir proposer une aide à la «parentalité», dans un lieu sans jugement, en prévention primaire, secondaire et après le placement.

Les enfants séparés de leur famille devraient bénéficier d’un lieu d’écoute neutre (hors ASE). Le développement psychique et affectif des enfants confiés à l’ASE est malmené, notamment parce que les relations avec leur famille ne sont pas soutenues. Les droits de visite sont parfois rompus, espacés, sans intimité et sans liberté sous observation d’un tiers professionnel.

Exemple d’une mère ayant vécu une enfance très perturbée : pour sa fille, elle refuse l’AAH et tente de s’insérer dans la société (CDD renouvelé, cours d’anglais, etc.). Sa fille Alexandra est placée depuis sa petite enfance. Elle est confiée à sa mère le week-end à son domicile. En juin 2010 (Alexandra a 8 ans) les droits de visite avec hébergement le weekend sont suspendus par les services (Conseil général et justice) car, lors d’un moment de perte de contrôle, la maman a plaqué sa fille contre le mur pour se faire obéir et respecter. La crainte de voir réapparaître des violences ayant existé huit ans plus tôt a entraîné les services à choisir la solution de sécurité. Or, cette femme a stoppé un traitement qui la rendait «zombie» mais continue à rencontrer régulièrement une psychologue et un médecin. Les adultes qui connaissent bien cette maman et sont témoins de ses efforts constants (enseignant, médecin, amis d’ATD Quart Monde…) ne comprennent pas cette décision. En octobre 2010, elle retrouve ses droits de visite au domicile mais en présence d’une TISF. Malheureusement, le budget du Conseil général ne permet pas de mettre en place cette TISF… Les visites d’une heure se font en lieu neutre… JDJ n°303 - mars 2011

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Attention à toutes les clauses «sauf intérêt supérieur de l’enfant»

En cas de séparation, le maintien des liens de l’enfant – quel que soit son âge — avec ses parents et sa famille élargie est indispensable à la construction de son psychisme. Si ces liens ne peuvent exister concrètement, ils doivent être soutenus au niveau symbolique (paroles, photos…) «Permettre à un enfant de naître vivant, c’est avant tout lui permettre d’être adopté par ses propres parents, et réciproquement : c’est aussi lui permettre de se reconnaître comme enfant né de ces parents-là, qui peuvent avoir des valeurs limitées mais qui ont des valeurs que nous allons chercher ensemble, avec l’enfant.» (Dr Titran, pédopsychiatre). Le respect dû à l’enfant passe aussi par le respect dû à ses parents. Il ne doit pas entendre de jugements négatifs les concernant ni les voir dévalorisés dans leur fonction parentale et dans leur être. Il a besoin de comprendre les raisons de son placement : on peut les lui expliquer en respectant ses parents. En juin, pendant l’audience, Alexandra a entendu le juge et les professionnels de l’ASE parler sans cesse des fragilités psychiques de sa maman. Elle entend l’assistante maternelle se moquer de l’achat de fournitures scolaires par la maman (nombre impressionnant de crayons feutres). L’enfant le rapporte à sa mère. Priver les parents de certains droits parentaux les prive de la reconnaissance sociale dont l’enfant a besoin. La maman d’Alexandra ne peut rencontrer les enseignantes, faute d’autorisation par l’ASE. Le jour de la rentrée scolaire, elle souhaitait être présente pour encourager Alexandra. Elle n’a pas été autorisée à franchir la grille de l’école. Comment Alexandra a-t-elle perçu cela ? Nombreux sont les parents qui ne reçoivent pas les bulletins scolaires de leurs enfants.

Sur le plan matériel (prévention et soutien) Pour son développement physique, intellectuel et social, l’enfant doit vivre dans un logement décent, avoir accès à des lieux d’accueil petite enfance. À l’école, l’enfant ne doit pas souffrir de stigmatisation, tant en ce qui concerne son orientation que sa vie scolaire (relations adultes/enfant, entre enfants et parents/enseignants), ni d’humiliations dues à son habillement, au lieu où il habite, à la réputation de sa famille… Pour accéder effectivement à leurs droits fondamentaux prévus dans la Constitution française, les parents doivent être aidés (cf. on sait que certains placements d’enfants sont la conséquence de précarité économique).

Qui définit l’intérêt de l’enfant ? Le plus souvent, ce sont les professionnels et les experts. L’avis des parents et de l’enfant lui-même devrait être sollicité et entendu.

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Attention à toutes les clauses «sauf intérêt supérieur de l’enfant» qui sont le plus souvent appliquées en privant l’enfant et ses parents d’un droit. Certaines décisions aboutissent à éloigner définitivement l’enfant de sa famille, particulièrement lorsqu’il s’agit de familles arrivées récemment en France. Des enfants ne parlent plus la langue de leur origine et ne peuvent plus communiquer avec leurs grands-parents. Des parents croyants souffrent que les enfants ne reçoivent pas d’éducation religieuse. Les liens de fratrie sont souvent malmenés : - des enfants placés (pour «leur intérêt») dans des familles d’accueil différentes ne se voient plus que deux heures par mois, lors des visites à leur mère; - ces enfants n’ont plus de souvenirs communs et grandissent dans des histoires et des cultures différentes.


«L’intérêt supérieur de l’enfant» en questions Paris, 20 novembre 2010, DEI-France/AFJK

Le travail de rue, révélateur de l’intérêt des enfants

par Laurent Ott*

Intervention à l’occasion de la journée d’étude organisée par DEI-France en partenariat avec l’Association française Janusz Korczak le 20 novembre 2010 au Palais Bourbon

L’enfant est souvent appréhendé en relation avec les institutions qui l’accueillent. La question de l’intérêt de l’enfant, a fortiori de son intérêt supérieur, sont est ainsi souvent discutés discutée en étroite relation avec ces institutions. On abordera ainsi la question des droits de l’enfant à l’école, ou de sa participation à diverses institutions ou activités. Pour les défenseurs des enfants, il est pourtant intéressant de se poser la question du statut de l’enfant en dehors des institutions ou même de sa famille. Le travail avec les enfants en situation de rue constitue ainsi un lieu d’observation tout à fait nécessaire et décalé de ce que l’on peut percevoir de la situation des enfants dans les institutions. La notion d’enfant en situation de rue est à prendre au sens le plus large ; il s’agit non pas d’enfants des rues, peu nombreux (mais réels) en France, ni non plus forcément d’enfants dans la rue. Non, plus simplement, il s’agit d’enfants qui vont chercher dans les espaces publics des terrains de jeu, de rencontre, de loisirs, de sortie qu’ils ne trouvent ni chez eux, ni dans les institutions qui les entourent. C’est à partir de cette notion de «travail avec les enfants en situation de rue», que le CERA (1), association de recherche en travail social, mène une action de recherche sur les pratiques innovantes en direction de ces publics. Cette recherche bénéficie d’un cofinancement de l’ONED et rassemble une petite équipe de chercheurs en travail social (2). Travailler dans les espaces publics avec les enfants disponibles du quartier est ainsi une expérience fondatrice en pédagogie sociale. Elle permet de rencontrer de nombreux enfants et de permettre

de découvrir une autre dimension de la réalité des enfants en France, et particulièrement des enfants les plus pauvres. En effet, de plus en plus nombreux sont les enfants qui ne fréquentent que très ponctuellement la plupart des structures de loisirs, de culture, ou sportives de leurs quartiers. Ces enfants de milieu populaire sont de fait de plus en plus en plus exclus de la fréquentation de ces lieux. L’absence d’activité salariée régulière de leurs parents, leur précarité de logement, d’hébergement ou de papiers leur rend particulièrement difficile dans de nombreuses villes l’accès à ces structures. Ce n’est pas seulement pour des motifs économiques, mais aussi pour des barrières administratives, que ces enfants ne bénéficient quasiment plus d’autre accueil éducatif en dehors de l’école. Même à l’école, la tendance s’accentue selon laquelle les enfants dont les parents sont précaires, chômeurs ou sans emploi fréquentent de moins en moins les garderies, les cantines, les centres de loisirs. Ce mouvement prend de l’ampleur à «l’âge primaire» et devient massif à «l’âge collège». Il faut toutefois observer que ce sont souvent ces mêmes enfants qui n’ont pas eu non plus eu le droit à une place en crèche car «non prioritaires». Le travail éducatif en milieu ouvert, à partir de présence dans les espaces publics, notamment sous la forme d’ateliers de rue, permet aux mouvements ou structures qui le pratiquent, de rentrer en relation avec ces enfants.

Dès lors peut se mettre en placer un travail éducatif, complémentaire de celui de la famille, qui vise à renforcer la fonction éducative autour de ces enfants. L’intérêt de ces enfants peut justement être perçu, parce qu’il y a alors une rencontre qui se crée entre une équipe qui travaille en milieu ouvert et l’enfant et sa famille. Le travail en milieu ouvert se développe à partir de trois principes d’action, qui permettent de mieux définir et prendre compte cet intérêt de l’enfant.

1. La globalité L’enfant est accueil en milieu ouvert pour l’ensemble de ce qu’il est, de ce qu’il peut être. Il n’est pas accueilli en tant qu’élève en difficulté (comme dans une structure de soutien scolaire), pas plus comme étant en danger de décrochage, ou en risque de délinquance. Il n’est pas non plus reçu comme enfant en danger : il est accueilli pour lui-même et dans la proximité immédiate. Il s’agit là d’un point fondamental, car ceci entraîne que les enfants qui fréquentent les actions de rue n’y gagnent, directement ou indirectement, aucune étiquette, ni aucune appellation qui pourrait devenir stigmatisante. L’enfant est à la fois sujet, acteur, voire auteur même des activités qui s’y déroulent (une large place est faite à ses propositions et à l’aide à la réalisation des projets mêmes des enfants pour leur environnement. Ce point est également important pour l’acteur éducatif, car celui-ci peut por-

*

Formateur, chercheur en travail social, administrateur de DEI –France.

(1)

Centre d’Etude et de Recherches Appliquées.

(2)

CERA – EFPP, 22 rue Cassette, 75006 Paris. L’équipe de recherche est composée d’Elian Djaoui, Stéphane Rullac, Laurent Ott et Marc Fourdrignier.

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Souvent l’intérêt de l’enfant est opposé à celui du groupe. En pédagogie de rue, on lève cette opposition

ter un intérêt complet à l’enfant, saisi comme un tout à la fois cognitif, affectif, social et politique. De ce fait, l’intervenant éducatif dans ce contexte n’est pas limité par un poste ou une fonction qui réduit d’autant son champ d’intérêt.

2. L’universalité En travail de rue, on accueille tout le monde et ensemble. C’est-à-dire que ce sont tous les enfants qui le souhaitent qui peuvent venir. De très jeunes enfants sont souvent présents, amenés par des enfants plus grands ou des parents. Des adolescents sont souvent eux aussi présents avec d’autres demandes et d’autres responsabilités. Les groupes ainsi constitués sont naturellement très hétérogènes en âges et bien entendu également par les cultures et origines des participants. Ce sont des groupes très riches. Le principe d’universalité vient compléter le fait que la fréquentation de ces espaces est simple, et non dévalorisante. Cette universalité est garantie par la totale proximité de ces actions, qui se situent souvent en «pied d’immeuble» et qui ne nécessitent aucune autorisation, participation, inscription ou cotisation. La gratuité comme la libre adhésion des enfants (libres de revenir et de repartir) sont également fondamentales.

3. L’autonomie Ce troisième principe, dont le travail en milieu ouvert est porteur, d’appréhender l’intérêt supérieur de l’enfant d’un point de vue essentiel. Les actions en milieu ouvert valorisent l’autonomie dont font preuve les enfants et les encourage à la développer. En travail en milieu ouvert, en atelier de rue, on apprend à utiliser des outils adéquats, à prendre des initiatives, à connaître et développer la connaissance de son environnement, et à développer ses capacités d’expression. Il s’agit d’autonomie individuelle dès le plus jeune âge. L’association Intermèdes (3) , par exemple, met en place et propose aux très jeunes enfants des tapis d’éveil dans les espaces publics. Mais elle permet

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aussi aux enfants de prendre des initiatives et des responsabilités dans leur environnement direct : cuisiner dans les espaces publics, monter un atelier de réparation de vélo, construire des bacs à plantes aromatiques, faire une exposition, préparer un spectacle ou une fête (où seront invités les parents) etc. Cette autonomie est également groupale. Souvent l’intérêt de l’enfant est opposé à celui du groupe. En pédagogie de rue, on lève cette opposition. Au contraire d’inhiber l’enfant, voire de lui faire violence, le groupe est ce qui l’autorise justement à venir et à trouver une place. Bien entendu il s’agit d’un groupe structuré et organisé avec une présence adulte et une véritable organisation des relations en interne. Dans une telle configuration, le groupe est ce qui donne justement à l’enfant un véritable pouvoir d’agir, auquel, seul, il ne pouvait prétendre. Le groupe aussi évolue dans son autonomie, dans ses compétences, dans ses projets. Ce principe d’autonomie est en lien avec l’éducation au risque. De trop nombreux enfants sont exclus aujourd’hui de toute éducation au risque. L’environnement dans les institutions est très souvent évitant ou sécuritaire. L’éducation au risque est le plus souvent renvoyée à la famille, mais plus sûrement à l’expérimentation dangereuse dans les espaces publics. Cet évitement du risque est justifié par une peur de tout danger. Or il s’agit d’un contresens. Le risque c’est tout le contraire du danger. Le risque est mesuré, connu, analysé; on s’y prépare. Le danger, au contraire, c’est justement ce qu’on n’avait pas voulu voir, ni traiter, ni préparer. L’éducation au risque est la meilleure prévention contre tout danger, comme le fait de savoir nager évite de se noyer. L’éducation au risque, par l’autonomie est ainsi une éducation véritable. Elle intéresse en ce sens les enfants qui y voient une réelle relation avec leurs conditions de vie. Le but d’une telle éducation est bien entendu de rendre l’enfant plus fort. C’est d’ailleurs le sens même de la

forme de politique de prévention la plus adaptée pour les enfants : la prévention primaire (renforcement des facteurs de protection).

4. D’autres caractéristiques D’autres caractéristiques pourraient être développées, concernant le travail en milieu ouvert, qui sont en lien avec celles qui ont été présentées : l’inconditionnalité de l’accueil, la proximité éducative qui est développée dans un tel contexte. De même, il pourrait être fait état des différentes expériences et variantes de ce type de travail (4). L’apport de ces pratiques sur la détermination et la prise en compte de l’intérêt de l’enfant met en lumière des besoins et des carences importantes, y compris pour les enfants d’un pays développé comme la France et que l’on peut résumer ainsi : il y a un énorme intérêt pour les enfants d’aujourd’hui de pouvoir bénéficier d’espaces éducatifs réellement à leur portée, durables et propres à leur donner la possibilité d’expérimenter une éducation globale et orientée sur la conquête de leur autonomie. De tels principes devraient également conduire la pédagogie de l’école. Une tendance forte en ce sens avait marqué les années 1970 en France. Malheureusement depuis le début des années 1980, le chemin emprunté a été contraire.

(3)

Association Intermèdes Robinson, Longjumeau (91) : http://assoc.intermedes.free.fr

(4)

On peut renvoyer ici à la lecture de l’ouvrage «Le Travail éducatif en milieu ouvert», Ott, Eres, 2007

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«L’intérêt supérieur de l’enfant» en questions Paris, 20 novembre 2010, DEI-France/AFJK

Construire un projet en protection de l’enfance dans l’intérêt supérieur d’un enfant

par Serge Bouznah*

Comment, en protection de l’enfance, décliner cette notion d’intérêt supérieur de l’enfant lorsqu’il s’agit de proposer un projet de soutien répondant aux difficultés repérées ? Une première proposition : la définition de l’intérêt d’un enfant ne s’impose pas naturellement. Elle est toujours le fruit d’une construction dans une situation spécifique. Dans notre démarche, cette construction s’appuie sur une procédure volontariste associant l’ensemble des acteurs en protection de l’enfance. Le dispositif technique que nous avons mis en place en 2002 dans le département de Seine-Saint-Denis part d’une hypothèse de travail relativement simple: l’intérêt supérieur d’un enfant passe par l’implication active de ses parents dans les mesures de soutien envisagées à son sujet. Comment alors réunir les conditions d’un véritable échange où chacun des protagonistes impliqués apporte sa pierre à l’édifice ? Telle était la question à laquelle nous souhaitions techniquement répondre. Il est important d’emblée de signaler que la pratique sur laquelle j’ai basé ma réflexion en protection de l’enfance vient croiser celle développée en médecine somatique depuis une douzaine d’année. Evidemment, on peut se poser la question de ce qui peut rapprocher la situation d’un patient atteint d’une pathologie chronique, pris en charge dans un hôpital et une famille confrontée à des difficultés d’éducation de leur enfant et rencontrant à cette occasion les professionnels de la protection de l’enfance. Les deux mondes, celui de la médecine et celui de la protection de l’enfance, a priori très éloignés l’un de l’autre, se rapprochent pourtant par plusieurs points. En premier, celui d’être le théâtre d’une rencontre entre des usagers profanes (1), très souvent en situation de vulnérabilité, et des professionnels experts aux compétences de plus en plus techniques. D’emblée la rencontre entre les différents acteurs s’inscrit sous le signe du déséquilibre structurel de leurs positions respectives. De fait, la communication entre les deux acteurs est biaisée et il y a une réelle difficulté pour le professionnel à faire émerger et à prendre en compte le point de vue de l’usager dans son projet professionnel. Ces deux mondes ont également en

commun d’évoluer constamment vers plus de spécialisation. Ce fait est patent en médecine, il est également vrai dans le domaine de la protection de l’enfance où la spécialisation des rôles va de pair avec un cloisonnement croissant des professionnels, qu’ils soient éducateurs, assistants sociaux, enseignants, médecins. Chaque professionnel ne devient dépositaire que d’un fragment de plus en plus étroit de la problématique de l’usager, ce qui rend difficile une approche globale des situations. De fait, dans la pratique, nous constatons au quotidien qu’une distance se creuse entre ces professionnels «experts» et les réalités concrètes et quotidiennes des usagers. Cette distance est particulièrement mise en évidence avec les migrants, qui heurtent parfois par leurs manières d’agir et de penser, éloignés des modèles occidentaux. Deux questions centrales se posaient donc: - comment faire comprendre aux usagers les logiques d’intervention des professionnels et leur permettre de devenir d’éventuels acteurs de leur propre prise en charge ?

- comment permettre l’émergence d’une parole profane dans un monde d’experts, condition de base pour faire émerger le point de vue des usagers et mobiliser d’éventuelles potentialités locales, familiales ou communautaires ? Les dispositifs techniques, que nous avons mis en place pour tenter de répondre à ces questions, sont directement issus d’une expérience professionnelle depuis plus de vingt ans dans le domaine de la médiation interculturelle. Cette expérience nous a tout d’abord enseigné un fait capital : l’analyse des difficultés rencontrées par les migrants, dans leur confrontation avec des mondes professionnels aussi complexes que ceux de la médecine et de la protection de l’enfance, apporte un éclairage extrêmement précieux pour comprendre les difficultés rencontrées par l’ensemble des usagers, migrants ou pas. Elle nous permet aujourd’hui de proposer des dispositifs de médiation ouverts à l’ensemble des usagers. Dans les deux dispositifs, nous partons d’un postulat, pierre angulaire de l’intervention: l’usager détient une partie de l’explicitation de la problématique

*

Médecin de Santé Publique ; Responsable de circonscription PMI à Seine St Denis.

(1)

Le terme profane est utilisé dans le sens de celui qui n’a a priori aucune connaissance dans une science par opposition à l’expert.

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Créer les conditions d’un partenariat avec les familles en associant responsabilité parentale et protection de l’enfant

qu’il pose et donc une partie des réponses pour y faire face. Tout le dispositif de médiation est construit afin de les aider à formuler et à analyser leur situation pour ensuite rechercher, collectivement, les moyens les plus appropriés pour faire face à leurs difficultés. Les deux dispositifs de médiation en protection de l’enfance et en médecine hospitalière ont comme particularité d’introduire aux côtés du médiateur interculturel présent, lorsque cela est nécessaire, un nouveau professionnel responsable de l’animation du dispositif.

Pourquoi cette particularité? Dès le départ, nous avons considéré la médiation comme un processus devant initier un questionnement dans un double mouvement, du professionnel vers l’usager (et sa famille), et de l’usager vers le ou les professionnels. Ainsi, la mise en échec d’un projet professionnel devrait conduire logiquement le processus de médiation à questionner non seulement l’usager sur l’origine des difficultés rencontrées, mais aussi l’équipe professionnelle sur la pertinence de son projet. Or, très vite, nous avons été confrontés aux limites de l’intervention du médiateur interculturel quand il intervenait seul. Si le médiateur pouvait s’appuyer sur son expertise culturelle pour restituer, aux professionnels qui le sollicitent, les manières de penser le malheur ou la maladie dans son groupe d’appartenance, il est par contre beaucoup plus limité, dans l’autre sens, pour transmettre aux usagers les logiques d’intervention des professionnels dans des systèmes professionnels aussi complexes que la médecine ou la protection de l’enfance. Ainsi, le médiateur, du fait de son isolement, des limites évoquées de compétence, mais aussi des questions souvent posées sur sa légitimité, disposait d’une ligne de manœuvre très étroite pour discuter de la pertinence du projet professionnel. Le risque existe alors d’une instrumentalisation de la médiation par l’équipe professionnelle qui fixera comme seule mission acceptable pour le médiateur, celle de lever les obstacles qui, toujours du côté de l’usager, nuisent à son compliance (2). Ces obstacles peuvent être rapportés à la

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langue ou, d’autres fois, à la concurrence des interprétations culturelles affichées par l’usager ou par ses proches. Si, dans l’acte de médiation, le projet professionnel n’est à aucun moment questionné, le risque est réel d’attribuer à la différence culturelle de l’usager migrant toute la responsabilité de l’échec du projet professionnel, exonérant de fait celle de l’institution. Nous touchions là les limites structurelles de l’intervention du médiateur dans des domaines aussi complexes que ceux de la médecine ou de la protection de l’enfance. Il fallait imaginer d’autres manières de faire : À partir de ces trois constats (relation déséquilibrée entre usagers et professionnels, nécessité dans la médiation d’un double questionnement et limites de l’intervention du médiateur intervenant seul), nous avons modifié les conditions habituelles de l’échange dans le dispositif de médiation, afin de permettre l’émergence de l’ensemble des points de vue autour d’une situation donnée.

L’instance de concertation parents-professionnels Elle associe : - la famille : le père et la mère de l’enfant naturellement, mais également d’autres acteurs familiaux impliqués ou susceptibles de l’être : grands-parents, oncle, tante… L’enfant lui-même directement concerné peut avec l’accord de ses parents participer à l’instance. - le ou les professionnels impliqués dans le repérage des difficultés de l’enfant et ceux impliqués dans l’élaboration d’un projet de soutien. - l’animateur de l’instance de concertation. C’est un professionnel de l’institution départementale qui a comme triple particularité d’être reconnu comme un acteur légitime par ses collègues, de connaître intimement le domaine concerné et d’être capable d’animer ces dispositifs de médiation. Une de ses missions sera d’agir sur le déséquilibre de la relation professionnel-usager afin de permettre l’émergence de la parole de ce dernier.

Tout entretien débute par une clarification des logiques d’intervention des professionnels de la protection de l’enfance. Les animateurs de l’instance questionnent leurs collègues sur la logique qui anime leurs interventions. C’est une phase importante qui permet aux professionnels de décrire leurs motifs d’inquiétudes ainsi que leurs hypothèses sur l’origine des problèmes. Ces professionnels, qui appartiennent souvent à des services différents, voire à des institutions différentes, s’expriment ensemble devant la famille. Cette pratique rompt avec les logiques de cloisonnement très souvent dénoncées (3). Les différents points de vue sont présentés dans leur diversité, souvent dans leur convergence, mais aussi parfois dans leurs désaccords éventuels. Un véritable débat régulé par l’animateur de l’instance s’engage. En donnant aux familles, en des termes accessibles, les informations qui les concernent, nous leur offrons la possibilité de s’emparer du projet professionnel, de le questionner, d’en devenir ainsi d’éventuels protagonistes. Dans un second temps, l’animateur fait émerger le point de vue des familles sur leurs propres difficultés, ainsi que le sens que prend l’événement dans leur parcours de vie. Il doit, pour cela, réunir les conditions permettant aux familles de s’installer dans une relation de confiance, condition nécessaire à l’émergence d’un projet consenti. Pour y parvenir, il peut éventuellement s’appuyer sur le médiateur interculturel, lorsqu’il s’agit de familles migrantes. Une fois l’ensemble des points de vue exprimés, ceux des professionnels ainsi que ceux de la famille, l’animateur de l’instance propose des pistes de travail qui impliqueront non seulement l’institution pour les soutiens qu’elle peut apporter, mais également la famille dans les ressources qu’elle doit mobiliser pour participer à la protection des enfants. Un des objectifs de l’instance est bien de créer les conditions d’un partenariat avec les familles en associant au mieux responsabilité parentale et protection de l’enfant.

(2)

Terme médical qui signifie l’observance des patients et renvoie à la fois à un élément matériel (se conformer aux prescriptions) et à un élément psychologique (adhérer au traitement).

(3)

Rapport d’activité du Défenseur des enfants, 2004.

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«L’intérêt supérieur de l’enfant» en questions Paris, 20 novembre 2010, DEI-France/AFJK

Éloge de la familiarité par René Badache*

On ne naît pas parent, on le devient. Mais comment se former à être parent ? Faut-il prendre des cours pour réussir l’éducation de ses enfants ? Certains n’hésitent pas à répondre par l’affirmative. Des sites web, des émissions de télé-réalité, des formations, des écoles de parents foisonnent. Certains proposent du coaching pour aider les parents à s’en sortir quand ils «craquent». C’est un créneau porteur. Un peu comme s’il fallait préconiser des injonctions éducatives, voire thérapeutiques aux adultes souffrant de la carence parentale. Il a fallu créer ce néologisme de «parentalité» pour exprimer une tendance issue d’une nouvelle idéologie : il faudrait éduquer les parents pour régler les problèmes créés par les enfants.

Pourtant, plus qu’à des parents démissionnaires ou incompétents qu’il faudrait éduquer ou rééduquer, on a surtout affaire à des parents débordés. Juste un chiffre, 40% des mères des cités défavorisées élèvent seules leurs enfants et assurent tout : les tâches domestiques, le travail à l’extérieur de la maison, l’autorité du père manquant, dans des conditions sociales et résidentielles difficiles et précaires. Élever ses enfants est une fonction délicate dans toutes les sociétés et quelle que soit la situation sociale. Mais quand s’ajoutent autant d’obstacles, sans parler des ruptures identitaires, la tâche est insurmontable. On ne peut alors combler par des cours ces déficits de savoir-faire. Il faut au contraire, devant ces désorganisations familiales, mettre en place des groupes de paroles basés, non pas sur un formatage instrumentalisé par des experts, mais sur un échange d’expériences dans lequel les enfants ont aussi leur «maux» à dire. Quels sont les questions créés par les démarches de «parentalité» ? J’en vois au moins deux : on pense qu’il faut «traiter» de façon prophylactique les populations «à problème», on croit pour ce faire qu’il faut les isoler les unes des autres. Concernant la première question, il existe des méthodes tentant de proposer

un autre type de démarche. Par exemple, depuis 1999, les «réseaux d’écoute, d’appui et d’accompagnement des parents» (REAPP) ont pour finalité de les soutenir dans leur rôle éducatif. Ils s’appuient sur la mise en relation des parents entre eux et avec les intervenants sociaux. Cet échange doit se faire dans la confiance mutuelle, chacun parlant de ses réussites et de ses échecs et puisant dans les témoignages des élément enrichissant leur connaissance des alternatives pour tenter de les résoudre. Reste la deuxième question : est-il souhaitable de proposer des dispositifs en groupes homogènes (les parents entre eux ou seulement en face de professionnels) ? Il n’y a pas si longtemps, dans les années 1970 et 1980, j’ai fait partie de ceux qui avaient tendance à mettre en place des actions uniquement en direction des jeunes, considérant qu’il était nécessaire qu’ils se conscientisent, car victimes de l’éducation répressive de leurs parents. Ces actions «pour» les jeunes (cf. les spectacles forum du type Théâtre de l’Opprimé) servaient, sans jamais prendre en compte le point de vue des

*

adultes à chercher «la» solution pour qu’ils puissent «renverser l’oppression» de leurs géniteurs. Devant les évolutions sociétales, on est arrivé à se dire que cette façon de voir les choses était erronée, qu’il y avait surtout une crise de l’autorité et qu’il fallait s’occuper des parents. Mais certains continuent aussi parallèlement (et dans cette logique très euclidienne, les parallèles ne se rencontrent jamais), à «traiter» les jeunes, tentant de les «formater». Ainsi s’est développée une tendance lourde du théâtre-forum devenant «théâtre éducatif», livrant des messages. Depuis quelques années, nous proposons des dispositifs d’assemblée théâtrale qui tentent de sortir de ces impasses. Des jeunes adolescents, regroupés en ateliers, témoignent et, par l’intermédiaire des mises en situation, révèlent un milieu familial conflictuel, avec un déficit de parole et une violence excessive, accentués par le contexte socio résidentiel. L’originalité de ces actions étant qu’à un autre moment, des ateliers réunissent des parents, qui eux aussi se racontent par le

Sociologue et responsable de la compagnie de théâtre forum «Actif». Cet article est également paru dans le numéro 17 (janvier 2011)de Résonnances, revue des intervenants de l’action culturelle, «Éducation populaire et politique».

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Le théâtre constitue un espace pour arriver à cette cela, un espace de transition et de transaction

medium du théâtre. On s’aperçoit également à travers leurs témoignages, qu’ils sont en conflit ouvert avec leurs enfants à qui ils parlent peu de leur existence et surtout de leurs difficultés. Lorsque ces deux groupes se rencontrent, lors des séances de théâtre-forum communes, en présence parfois de professionnels, chacun ayant préparé de son côté des «maquettes théâtrales» et en débattant dans l’affirmation de leurs points de vue antagonistes, ils arrivent à rechercher les moyens pour que ces conflits débouchent sur une possible compréhension réciproque.

Une action, des témoignages spontanés Évoquons l’une de ces actions, dans un quartier de Nanterre. Il a émergé lors des deux ateliers (celui des jeunes et celui des parents), sans l’avoir programmé ,puisque notre méthode est basée sur des témoignages spontanés, deux «maquettes théâtrales» traitant l’une du mariage forcé, l’autre de la menace de sanction punitive utilisée par beaucoup de parents d’origine immigrée : «si tu continues comme ça on t’envoie au bled». Dans les deux cas, le point de vue des parents sur «l’intérêt supérieur» de l’enfant (c’est pour le bien de l’enfant qu’on l’oblige à se marier avec quelqu’un de la même culture et de la même religion, c’est aussi pour son bien qu’on le sanctionne lorsqu’il déroge aux règles) va pouvoir, lors du forum commun, se confronter à celui de l’enfant inséré dans une socioculturel marquée par la modernité, estimant ces pratiques injustes, et enfin à celui des professionnels reprécisant la notion de «droit des enfants». Le débat a aussi permis à tout le monde de comprendre que la menace du bled et du mariage forcé ne permettait pas au jeune d’intégrer la valorisation de ses racines comme fondement de son identité multiple. Cette confrontation des points de vue, aidée par la distanciation et les prises de rôles permet donc la construction

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commune de la connaissance, bien plus que n’importe quel cours faisant la leçon aux parents. Le théâtre constitue un espace pour arriver à cette cela, un espace de transition et de transaction, ainsi qu’un langage commun dans la confrontation des groupes protagonistes et de leurs arguments. Mais le théâtre n’est pas l’essentiel ! On pourrait employer un autre outil du même type, à condition qu’on se situe dans une démarche «d’Éducation populaire», qui ne s’entend pas comme la transmission de connaissances ou le «traitement» par des experts savants en surplomb d’un peuple ignorant, mais comme une rencontre entre groupes qui échangent et coconstruisent leurs connaissances pour tenter un «mieux vivre ensemble». Comment appeler ces dispositifs ? Pour en finir avec «la parentalité», je propose un autre concept : «la familiarité». Une action de familiarité concernera un processus de transformation qui sera : - institutionnel (on traite des changements nécessaires dans la famille en tant qu’institution); JDJ n°303 - mars 2011

- dans la confrontation de groupes protagonistes (parents et enfants ou parents et adolescents) avec des professionnels ou des élus; - dans un langage compréhensif de tous et qui permet à tous d’exprimer les points de vue et de les entendre (on pourrait dire «familier»); - dans la confiance réciproque, entre jeunes adultes et experts professionnels, et/ou politiques et/ou scientifiques; - dans une démarche solidaire de coconstruction de la connaissance. La relation jeunes/adultes ainsi redynamisée, permettant d’établir une dialectique complexe issue de la tension entre intérêt supérieur de l’enfant et expression et droits des enfants, est un terrain d’expérimentation qui devrait s’étendre à tous les domaines de la vie collective, à condition de sortir de cette conception allopathique, en surplomb, qui traite les groupes de populations de façon clivée comme des organes indépendants les uns des autres.


«L’intérêt supérieur de l’enfant» en questions Paris, 20 novembre 2010, DEI-France/AFJK

Il faut nommer l’intérêt supérieur de l’enfant : La Convention de La Haye du 25 octobre 1980 sur les aspects civils de l’enlèvement international d’enfants : un exemple d’intérêt supérieur de l’enfant

par Alain Cornec*

«Nommer un objet, c’est savoir s’en servir» Paul Valéry Les termes «l’intérêt supérieur de l’enfant» trouvent une illustration concrète dans un instrument juridique international qui ne les contient pas : la Convention de La Haye XXVIII du 25 octobre 1980 sur les aspects civils de l’enlèvement international d’enfants (1). Il est regrettable que cet intérêt supérieur réel soit aujourd’hui remis en question par la cour européenne des droits de l’Homme.

1. Une expression agaçante… mais qui fait partie du droit positif. 1.1. …agaçante pour le juriste Parler d’ «intérêt de l’enfant» est peu satisfaisant pour le juriste. Mme le Professeur Rubellin Devichi écrivait naguère : «donner au juge le droit de se déterminer en fonction de l’intérêt de l’enfant, c’est lui donner le droit de ne pas appliquer le droit». Pour Bill Hilton, le tout premier spécialiste américain de la Convention de La Haye : «l’intérêt de l’enfant, c’est un morceau de caoutchouc; le juge tire dessus pour lui donner la forme qu’il souhaite».

concerning children, whether undertaken by public or private social welfare institutions, courts of law, administrative authorities or legislative bodies, the best interests of the child shall be a primary consideration» (5). D’où le texte français. Pourtant «best interests of the child» n’a jamais voulu dire «intérêt supérieur de l’enfant» mais «intérêt de l’enfant». Certains mots peuvent être creux, et c’est ici le cas de «best». Quand un mari anglais présente sa femme, il dit «my better half» (la *

Avocat, cabinet Villard Cornec & Associés Paris, docteur en droit.

(1)

http://hcch.e-vision.nl/index_fr.php?act=conventions.text&cid=24

(2)

La première utilisation de cette expression dans une Convention de La Haye est dans l’exposé des motifs de celle de 1993 sur l’adoption : «Convaincus de la nécessité de prévoir des mesures pour garantir que les adoptions internationales aient lieu dans l’intérêt supérieur de l’enfant et le respect de ses droits fondamentaux, ainsi que pour prévenir l’enlèvement, la vente ou la traite d’enfants (…).»

(3)

Jean Zermatten, L’intérêt supérieur de l’enfant, Institut international de l’enfant (Sion, 2005), p. 14 : ««Intérêt» et «supérieur» mis ensemble veulent simplement signifier que ce qui doit être visé est le «bien-être» de l’enfant, tel que défini à plusieurs reprises dans la Convention, notamment dans le préambule 17 et au chiffre 2 de l’article 3. On peut d’ailleurs lire les chiffres 2 et 3 de l’article 3 comme fournissant l’explication du best interest puisque: «Ch.2: Les États doivent prendre toutes les mesures législatives et administratives propres à assurer protection et soins nécessaires au bien-être de l’enfant, dans le respect de la famille; Ch.3: Les Etats doivent veiller au bon fonctionnement des services et institutions qui reçoivent ou prennent en charge des enfants»». L’article peut être consulté sur : http://www.dei-france.org/lettres_divers/2009/interet_superieur_enfant.pdf

(4)

Convention internationale relative aux droits de l’enfant (en anglais, Convention on the Rights of the Child).

(5)

Notons toutefois que selon l’article 54 de la CIDE «L’original de la présente Convention, dont les textes anglais, arabe, chinois, espagnol, français et russe font également foi, sera déposé auprès du Secrétaire général de l’Organisation des Nations unies».

1.2. …agaçante pour le traducteur Alors l’intérêt «supérieur» (2) ? Cette traduction approximative de l’anglais «best interests» agace le traducteur (3). L’article 3.1 de la CIDE (4) dit dans sa version anglaise : «In all actions

meilleure moitié de moi-même), là où le français dit «ma moitié». Ce qui ne rend pas nécessairement supérieure la femme du premier. Simplement l’anglais (l’homme ou la langue) pratique une forme de flatterie sociale. De même, le témoin du marié est le «best man» ce qui nous semble curieux. Le français voit une obligation de «moyens» là où l’anglais parle de «best efforts». Exemple pratique de l’emploi des termes en contexte anglais, qui montre

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«Best interests of the child» n’a jamais voulu dire «intérêt supérieur de l’enfant»

la synonymie des termes «interests» et «best interests» et finalement le contresens de traduire «best interests» par «intérêt supérieur». L’American Academy of Matrimonial Lawyers (AAML), qui regroupe des centaines d’avocats spécialisés en droit de la famille (aux lois légèrement différentes dans ce domaine dans chacun des 50 États), édite le «Divorce manual : a client handbook». Voici ce que dit l’édition de novembre 2010 (p. 31 et 32) : «The lawyer-client relationship (…) C - What you cannot expect from your lawyer: (…)» (La relation avocat-client (...). Ce que vous ne pouvez pas attendre de votre avocat:) «4 -Your lawyer may be reluctant to act against the best interests of your children» (Votre avocat peut être réticent à agir contre l’intérêt de vos enfants). «A lawyer’s first duty is to look out for the client’s best interests» (Le premier devoir d’un avocat est de préserver les intérêts de son client [pas «supérieurs»]). «Yet divorce lawyers are also concerned about the welfare of the children» (Pourtant les avocats de divorce prennent aussi en compte le bien-être des enfants). and some ethical guidelines encourage lawyers to keep the children’s interests in mind [pas «best»]» (et certains guides de conduite éthique encouragent les avocats à prendre en compte l’intérêt des enfants). Ce texte pratique emploie indifféremment «interests», «best interests» et «welfare». Et il emploie à deux lignes d’écart «best interests of the client», «best interests of the children». Il rappelle même que le «premier devoir de l’avocat» est envers son client. Personne ne voit de principe supérieur là-dedans ! Ni d’intérêt supérieur de l’enfant. L’hyperbole creuse (6) existe aussi en français. Quand un superlatif est inopérant, l’ajouter n’apporte rien de tangible. Exemple concret : un confrère avocat me communique des pièces. C’est normal (art. 132 CPC).

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Il m’y joint une lettre d’envoi m’en souhaitant «bonne réception». Ça n’ajoute rien de concret à l’exécution de son devoir procédural, mais c’est aimable (7). Certains m’en souhaitent «excellente réception», ce qui est par contre absurde : ou je reçois les pièces (donc implicitement «bien») ou je ne les reçois pas du tout. Je ne peux pas les recevoir «médiocrement» ni «à moitié». Et si d’aventure des confrères italiens me souhaitent que la réception des pièces soit «excellentissime» cela n’apporte toujours rien de plus. L’intérêt «supérieur» de l’enfant paraît bien être du même ordre rhétorique.

1.3. …agaçante pour le grammairien On s’excuse par avance d’un rappel technique un peu pédant. On distingue classiquement les formes suivantes des adjectifs : - le positif, forme de base non marquée : haut; - le comparatif qui établit une hiérarchie entre deux éléments: le comparatif de supériorité (plus haut), le comparatif d’égalité (aussi haut) et le comparatif d’infériorité (moins haut); - le superlatif qui exprime le plus haut degré d’une qualité (en supériorité ou en infériorité). Selon qu’il fait ou non référence à une classe d’éléments, on distingue : superlatif relatif, le plus haut (supériorité), le moins haut (infériorité), superlatif absolu, très haut (supériorité), très peu haut (infériorité). «Supérieur» est donc le superlatif (8) de «haut», déguisé en adjectif positif. Mais il n’est pas clair qu’il soit relatif ou absolu. Où se place donc l’intérêt supérieur de l’enfant ? Est-ce un superlatif absolu ? L’intérêt de l’enfant est très important,

(6) (7) (8) (9)

nous en sommes tous d’accord. Mais est-ce d’une importance de pure forme comme pour les pièces «excellemment» communiquées ? Ou un superlatif relatif ? Supérieur à quoi ? À qui ? À quoi ? Un premier élément de réponse relève du jugement de Salomon : face aux règlements de l’État, l’enfant est supérieur. C’est en substance la jurisprudence du Conseil d’État. À qui ? Aux parents ? La question semble rester entière.

1.4. …mais le Code civil nous lie Puisque le droit positif adopte l’expression d’ «intérêt supérieur de l’enfant» (qu’on ne trouve pourtant nulle part dans le Code civil), l’article 1157 du Code civil nous ligote: «Lorsqu’une clause est susceptible de deux sens, on doit plutôt l’entendre dans celui avec lequel elle peut avoir quelque effet, que dans le sens avec lequel elle n’en pourrait produire aucun». Puisqu’il semble y avoir deux sortes d’ «intérêt de l’enfant» (l’ordinaire et le supérieur), il faut donc faire produire du sens à tout prix à cette différence, et l’arrêt du 18 mai 2005 (9) amène apparemment à invoquer la formule de façon incantatoire, sous peine de cassation disciplinaire. Même sans certitude de trouver «l’intérêt supérieur de l’enfant» il est donc rassurant de trouver au moins une illustration concrète d’un «intérêt supérieur de l’enfant» :

Procédé rhétorique consistant à exagérer pour mieux frapper l’esprit. On ne verra pas dans le fait que la communication de pièce doit être «spontanée» une meilleure qualité psychologique, mais un impératif simple procédural chronologique… On ne peut pas envisager «plus supérieur» etc. D 2005 p1909 n Egea et multiples autres commentaires. Les arrêts de la Cour de cassation du 18 mai 2005 ont été reproduits dans le JDJ n° 247, septembre 2005, p. 56.

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La défense du «déplaçant» consiste à présenter l’autre parent (qui demande le retour) comme odieux pour les enfants

2. La Convention de La Haye du 25 octobre 1980, exemple d’un intérêt «simple» et d’un intérêt «supérieur» de l’enfant (10). 2.1. Présentation rapide de la Convention de La Haye La Convention de La Haye du 25 octobre 1980 (éventuellement ci-après «CH») est entrée en vigueur en France en 1983 et aujourd’hui dans plus de 80 pays. Elle est remplacée dans le cadre européen par le Règlement dit «Bruxelles II bis» (11). Elle vise à rétablir la situation antérieure au déplacement illicite, interdisant toute décision judiciaire sur la «garde» par un autre juge que celui du lieu de résidence habituelle. Seul ce dernier peut statuer en fonction de l’intérêt du mineur. Par une solution quasi automatique de retour au statu quo ante, de «réintégrande» (12), la Convention cherche à éviter à court terme la tentation du «kidnapping», qui permettait au parent «enleveur» de tirer de sa propre faute un avantage juridique ultérieur. Elle ne préjuge ni du droit applicable, ni de la compétence judiciaire, qui relèvent de la loi interne de chaque État, c’est-àdire en fait la loi de l’État de résidence habituelle du mineur. C’est donc un pas important pour éviter que l’un ou l’autre des parents ait la tentation de commettre une voie de fait : il ne sert à rien d’enlever l’enfant si celui-ci doit être renvoyé devant son «juge naturel», celui de sa résidence habituelle. À côté du principe (un enfant déplacé sans l’accord de ses parents ou du juge doit être renvoyé à son point de départ), de rares exceptions. Les premières ne nécessitent guère de développement : - demande trop tardive du retour; - refus de l’adolescent;

- l’acquiescement au déplacement (13). Mais surtout, le retour peut être refusé s’il existe un risque grave ou une situation intolérable pouvant résulter du retour, d’après l’article 13 b de la Convention de La Haye : «Nonobstant les dispositions de l’article précédent, l’autorité judiciaire ou administrative de l’État requis n’est pas tenue d’ordonner le retour de l’enfant, lorsque la personne, l’institution ou l’organisme qui s’oppose à son retour établit:(…) b) qu’il existe un risque grave que le retour de l’enfant ne l’expose à un danger physique ou psychique, ou de toute autre manière ne le place dans une situation intolérable». Celui qui a emmené l’enfant peut donc chercher à faire échec à la Convention, dont l’application signifierait le retour de l’enfant dans son pays de résidence habituelle. Le parent «fugitif» craint que la garde ne soit alors décidée dans un pays quitté dans de mauvaises conditions. Il craint l’absence d’objectivité des juges, et qu’ils soient a priori favorables à l’autre parent, le plus souvent national du pays. Il redoute la sanction de son départ. Dans les années qui suivent l’entrée en vigueur de la Convention de La Haye dans un pays, les tribunaux ont souvent cherché à ne pas appliquer la Convention, pour éviter un retour qui ne leur paraissait pas de l’intérêt immédiat de l’enfant, apprécié dans le cadre habituel interne du divorce classique, plutôt que dans le cadre restrictif de la Convention de La Haye (infra 3.2). Ainsi la Cour de cassation approuvait-elle encore en 1999 une cour d’appel d’avoir refusé le retour de

deux enfants enlevés d’Allemagne par leur mère française, pour des motifs éloignés de l’art 13b de la Convention de La Haye (14) : «Mais attendu que la cour d’appel, qui a justement retenu, par motifs propres et adoptés, que le risque de danger grave ou de création d’une situation intolérable, mentionnés par l’article 13, alinéa 1er, b, de la Convention de La Haye du 25 octobre 1980 pour justifier le non-retour des enfants déplacés pouvaient résulter d’un nouveau changement dans les conditions de vie des enfants, a souverainement décidé que la séparation de sa mère d’un enfant de trois ans, ainsi que la rupture de la fratrie, comportaient un danger psychologique immédiat, et que le retour brutal des enfants en Allemagne les placerait, compte tenu de leur jeune âge, dans une situation intolérable». Autrement dit, si l’on enlève un enfant, son simple retour est un risque grave en cas de retour au point de départ. Comme la Cour de cassation renvoie à l’appréciation souveraine du juge du fait sur ce point, tout est possible. Cette décision (15) a amené le contre-enlèvement des enfants par le père allemand, puis, après une réaction politique, une concertation entre les deux pays, une volonté commune d’appliquer réellement la CH et le net raffermissement des décisions qui appliquent désormais beaucoup plus souvent le texte et l’esprit de la Convention de La Haye. Dans le cadre de l’article 13 (b) CH, la défense du «déplaçant» consiste à présenter l’autre parent (qui demande le retour) comme odieux pour les enfants. Au parent demandeur, qui parle de «kidnapping» (ce qu’il ne

(10) Alain Cornec, «Actualité du jugement de Salomon Comment ne pas trancher les enfants victimes d’un déplacement international», Gaz. Pal., 6 décembre 1997. (11) Règlement (CE) n° 2203/2001du 27 novembre 2003 relatif à la compétence, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière matrimoniale et en matière de responsabilité parentale abrogeant le règlement (CE) n° 1347/2000. (12) Art. 1264 CPC : celui qui se fait justice lui-même en occupant le bien, immeuble d’autrui, par voie de fait doit remettre les choses en place avant de pouvoir faire juger l’affaire au fond. (13) Mais cassation d’un arrêt qui avait déduit l’accord pour le non-retour de pourparlers en cours de procédure, Horlander, Cass. civ. 16/7/1992 CP 92.676 (Cf notre article «Les enlèvements internationaux d’enfants», GP 1992, D 868, not. p. 870). (14) Cour de cassation N° 98-17902, 22 juin 1999. (15) Cass., civ. 1, 22 juin 1999, n° 98-17902.

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La Convention n’a pas pour objectif de permettre à long terme de choisir le meilleur parent à qui confier l’enfant

ferait pas en droit interne), on répond que vivre avec lui constituerait un «risque grave», «intolérable» pour ses enfants. On réintroduit ainsi - et même l’on majore - les comportements agressifs du divorce pour faute «à l’ancienne», avec un recul majeur : la faute invoquée n’est plus celle de l’autre époux, comme dans le divorce, mais un manquement commis contre l’enfant. Le défendeur au retour présente l’enfant comme victime de faits «graves» ou «intolérables» dont il accuse le parent demandeur. Toute partie à un tel procès doit être consciente de la dynamique délétère qui peut en résulter. Celui qui rentre dans un tel jeu tient-il vraiment compte de l’intérêt de l’enfant ?

2.2 La Convention de La Haye et les intérêts de l’enfant La Convention de La Haye ne se penche expressément sur l’intérêt de l’enfant que dans le préambule (16). C’est de l’intérêt général abstrait «de l’enfant» qu’il s’agit. La Convention ne porte pas sur l’intérêt de tel enfant de vivre ici ou là, avec son père ou sa mère, mais sur l’intérêt général des enfants de ne pas être déplacés par voie de fait, placé avant le choix concret du meilleur parent «gardien». Pourtant la notion est présente en permanence. Le rapport explicatif de la Convention de La Haye établi par Mme le professeur Elisa Pérez Viera (17) parle déjà d’intérêt supérieur de l’enfant tout en soulignant au n° 23 que «la partie dispositive ne contient aucune allusion explicite à l’intérêt de l’enfant en tant que critère correcteur de l’objectif conventionnel». La Convention n’aborde l’intérêt de l’enfant qu’en creux dans l’article 13b (18). Pour motiver le non-retour, le seul intérêt qui peut être pris en compte par le tribunal est négatif : c’est le «(…) risque grave que le retour de l’enfant ne l’expose à un danger physique ou psychique, ou de toute autre manière ne le place dans une situation intolérable». «Grave»

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et «intolérable» sont des termes particulièrement lourds, dont on voit bien le caractère exceptionnel. La Convention n’a pas pour objectif de permettre à long terme de choisir le meilleur parent à qui confier l’enfant, de maintenir les liens de l’enfant avec ses deux parents, ses deux pays, ses deux cultures. Elle forge le sabre de Salomon, qui peut trancher s’il le faut. Le danger physique, la force majeure, constituent des soupapes de sécurité : on ne renvoie pas un enfant à Los Angeles pendant les tremblements de terre, ni à Sarajevo pendant la guerre, mais il a été jugé de nombreuses fois que la situation en Israël n’est pas un motif de non-retour. Mais au-delà de tels événements extérieurs de risque «objectif», jusqu’où va l’intolérable «subjectif» ? En clair, Papa (en France, le demandeur le plus fréquent au retour est un père étranger) est-il dangereux ? Tous les coups sont permis pensent certains, sans prendre en compte le besoin de l’enfant de conserver des liens avec l’autre parent. C’est l’attitude de «la fausse mère» du procès du roi Salomon. Classiquement, violences conjugales et boisson sont alléguées pour motiver le refus de renvoyer l’enfant (19). Mais on voit aussi appa-

raître des accusations de violences physiques ou sexuelles sur les enfants. Les accusations, vraies ou fausses, doivent être très lourdes, pour satisfaire le critère de «risque grave», seul suffisant pour faire obstacle au retour selon l’article 13 (b) CH. Des témoignages «héroïques» sont alors établis par les proches, qui n’auraient jamais été produits dans un divorce interne français actuel. Certains pays considèrent que ces problèmes «subjectifs» relèvent, sauf les cas les plus extrêmes, de la décision du juge du lieu de résidence habituelle. D’autres tribunaux se satisfont de la seule allégation d’un risque grave pour estimer ne pas pouvoir «prendre le risque» d’y soumettre les enfants. Même si tous les pourvois l’invoquent, aucune décision récente de la Cour de cassation ne refuse le retour en considération de «l’intérêt supérieur de l’enfant». Quand elle le mentionne expressément (seulement à deux occasions dans les décisions ci-dessous) la Cour de cassation évoque abstraitement cette notion lorsqu’elle accorde le retour, sans lui donner un contenu concret (20).

(16) «Les États signataires de la présente Convention, Profondément convaincus que l’intérêt de l’enfant est d’une importance primordiale pour toute question relative à sa garde, Désirant protéger l’enfant, sur le plan international, contre les effets nuisibles d’un déplacement ou d’un non-retour illicites et établir des procédures en vue de garantir le retour immédiat de l’enfant dans l’État de sa résidence habituelle, ainsi que d’assurer la protection du droit de visite, (…)». (17) Rapport explicatif, n°20 et s.; http://hcch.e-vision.nl/upload/expl28.pdf (18) Cité supra. (19) Arguments inefficaces. (20) Cass., civ. 1, 20 octobre 2010 n° 08-21161; Cass. civ. 1, 8 juillet 2010 n° 09-66406 (Ni les «efforts de réadaptation» qui seront nécessaires lors du retour ni le «choix de la résidence» joints à «l’intérêt supérieur de l’enfant» (3-1 CDE) invoqués par le demandeur au pourvoi ne recueillent un quelconque soutien judiciaire); Cass., civ. 1, 17 juin 2009 n° 07-16427; Cass., civ. 1, 25 février 2009 n° : 08-18126 («que, prenant en considération l’intérêt supérieur des enfants dont l’absence de maturité ne permettait pas l’audition, la cour d’appel a, par une appréciation souveraine des faits et des circonstances, estimé que le retour immédiat des enfants en Afrique du Sud devait être ordonné»); Cass., civ. 1, 10 juillet 2007 n° 07-10190; Cass., civ. 1, 13 juillet 2005 n° 05-10519 05-10521; Cass., civ. 1, 14 juin 2005 n° 04-16942 («Attendu que, sans avoir à répondre à un simple argument, la cour d’appel a souverainement relevé, après l’évocation des conditions de vie de l’enfant auprès de sa mère, qu’aucune attestation ne mettait en évidence une attitude dangereuse du père à l’égard de sa fille, que la preuve était établie qu’il n’était ni alcoolique, ni drogué, que l’état psychologique de l’enfant était satisfaisant, et que son père lui offrait, aux États-Unis, des conditions de vie favorables, avec l’assistance d’une personne diplômée d’une école d’infirmière; qu’il résulte de ces énonciations que l’intérêt supérieur de l’enfant a été pris en considération par la cour d’appel, qui en a déduit, sans encourir les griefs du moyen, qu’il convenait d’ordonner le retour immédiat de l’enfant, en application de la Convention de La Haye»). Sur l’arrêt du 14 juin 2005, reproduit dans JDJ n° 247, septembre 2005 : comm. Jean-Luc Rongé.

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La Cour européenne des droits de l’Homme, refuse le retour d’un enfant en Israël, au nom de son intérêt supérieur

Elle rappelle en général que cet aspect relève de l’appréciation souveraine des premiers juges. Puisqu'aucun arrêt de la cour de cassation rejetant un pourvoi de refus de retour, motivé par l’article 3.1 de la CIDE, n’existe depuis 2005, le praticien reste perplexe devant une notion vide de sens concret (21). On est donc surpris de la décision récente (22), apparemment à contre-courant, de la Grande Chambre de la Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH), qui refuse le retour d’un enfant en Israël, au nom de son intérêt supérieur, mais après une longue procédure en Suisse dans le cadre de la Convention de La Haye, puis surtout trois ans devant la CEDH et une première décision en sens contraire. Les faits étaient spécialement lourds puisque le père, demandeur au retour n’avait en Israël qu’un droit de visite supervisé. Selon le résumé officiel de la décision : «L’ordre de retour prononcé par le Tribunal fédéral reposait sur une base légale suffisante et avait pour but légitime de protéger les droits et libertés de l’enfant et de son père. Au vu des changements survenus dans la situation de l’enfant et de la mère et exprimés dans l’ordonnance de mesures provisionnelles du tribunal d’arrondissement de Lausanne du 29 juin 2009, la cour estime qu’il n’est pas dans l’intérêt supérieur de l’enfant de retourner en Israël. En effet, un retour constituerait un danger pour lui et ne pourrait se faire qu’avec sa mère pour ne pas risquer un traumatisme important. Cette dernière subirait quant à elle une ingérence disproportionnée dans son droit au respect de sa vie familiale si elle était contrainte à repartir en Israël (ch. 89 - 151)». Conclusion: violation de l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’Homme sur le respect de la vie familiale. Cet arrêt de la Grande Chambre infirme la décision de la première chambre, qui était arrivée à une conclusion différente (23). La Cour souligne: «141. La cour n’a pas pour tâche de se substituer aux autorités compétentes dans l’examen de la

question de savoir si l’enfant serait confronté à un risque grave de danger psychique, au sens de l’article 13 de la Convention de La Haye, en cas de retour en Israël. En revanche, elle est compétente pour rechercher si les tribunaux internes, dans l’application et l’interprétation des dispositions de cette Convention, ont respecté les garanties de l’article 8 de la Convention, en tenant notamment compte de l’intérêt supérieur de l’enfant». Les commentateurs de cette décision regrettent ce retour à un «intérêt de l’enfant» «à l’ancienne» qualifié de «supérieur». Peut-être faut-il y voir la conséquence de cinq ans depuis le départ, dont presque trois devant la CEDH (24) , et qu’Israël, par une sévérité particulière, peut aboutir à une peine de prison très lourde pour le parent «enleveur» (25). En tout cas, les «intérêts supérieurs» sont hiérarchisés et identifiés, même si on peine à comprendre en quoi l’intérêt de l’enfant primerait ici (26). Au contraire, il semble que cette décision ne fasse plus de l’intérêt de l’enfant qu’un intérêt supérieur parmi d’autres. C’est d’ailleurs la position prise par la Cour de cassation (27) dans la très fameuse affaire Washington, même si en l’espèce elle a ordonné le retour de

l’enfant aux États-Unis. La Chambre des Lords décide de même depuis l’affaire Re D (28). Elle a considéré que «l’on ne voyait pas comment le retour immédiat de l’enfant en Roumanie pourrait être de l’intérêt supérieur de celui-ci» (29). Position désormais formalisée : «En vertu de l’Human Rights Act 1998, il est désormais illicite pour les tribunaux anglais, d’agir de façon incompatible avec les droits accordés par la CEDH. Ceci s’applique à un litige de la Convention de La Haye comme à n’importe quel autre» (30). La Finlande a le même point de vue. Enfin la loi fédérale suisse sur l’enlèvement international d’enfants, adoptée le 21 décembre 2007, au vu des Conventions de La Haye sur la protection des enfants et des adultes (31), clarifie certaines notions de la CH. En particulier, dans son article 5, elle précise les critères d’intolérabilité de l’article 13 b CH notamment lorsque «a) le placement auprès du parent requérant n’est manifestement pas de l’intérêt de l’enfant(…)». On est bien loin du «risque grave» et de la «situation intolérable». On assiste donc à un retour à la case départ: «l’intérêt supérieur» de la CIDE est en train de tuer l’intérêt supérieur

(21) L’arrêt de la Cour rejetant le pourvoi introduit contre un refus de retour s’appuie exclusivement sur l’art. 13,b de la Convention de La Haye pour valider l’arrêt de la cour d’appel retenant le risque grave tenant à l’adhésion à une secte du père de l’enfant (Cass. civ. 1, 12 décembre 2006, n° 05-22119, JDJ n° 262, février 2007, p. 61). (22) Arrêt Neulinger & Shuruk c. Suisse N° 41615/07, 6 juillet 2010. (23) Arrêt Neulinger & Shuruk c. Suisse, première section, 8 janvier 2009. (24) Saisie le le 26 septembre 2007. (25) Selon la loi 5737/1977 (Code pénal), articles 369 et suivants, la sanction en cas d’enlèvement peut être de 10 ou 20 ans, même en matière familiale. La CEDH a considéré que les assurances données par les autorités israéliennes sur l’absence de suite pénale en cas de retour en Israël étaient insuffisamment rassurantes (trop de conditions). (26) N ° 40 page 8 n° 110 p 32 et référence à la loi pénale israélienne 5737/1977 «Se pose dès lors la question de savoir qui prendrait en charge l’enfant dans l’hypothèse où sa mère serait poursuivie puis incarcérée» (ibidem p 48). (27) Cass., 14 juin 2005, op. cit en note 20. (28) Abduction : Rights of Custody) [2006] UKHL 51; [2007] 1 AC 619 para 51. (29) Le texte français de l’arrêt Neulinger parle «d’intérêt supérieur», le texte de la décision anglaise citée mentionne seulement une fois «the interests». (30) Cité in Re M (Children) (Abduction: Rights of Custody)[2007] UKHL 55 [2008] 1 AC 1288; Incadat HC/E/ UKe 937. La baronne Hale, qui prononça la sentence au nom de l’opinion majoritaire de la Chambre des Lords, refusa de suivre les allégations concernant l’article 20 CH et la CEDH. Elle estima que renvoyer les enfants contre leur gré emporterait une plus grande violation de leurs droits que le rejet de la demande de retour ne présenterait pour le père. Le calcul comparatif de la proportionnalité de l’ingérence dans les droits du père d’un côté et de la mère et les enfants de l’autre conduisait au même résultat. (31) Convention de La Haye du 13 janvier 2000 sur la protection internationale des adultes.

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Comme le sabre de Salomon, la Convention de La Haye ne tranche bien le litige que si elle ne tranche pas l’enfant

de l’enfant à ne pas être déplacé, de la Convention de La Haye de 1980, en permettant de justifier le refus de retour. Les annotateurs «non européens» (notamment deux praticiens notoires du domaine, Jeremy Morley (32) et David Hodson (33)) soulignent combien est regrettable cette différence entre l’Europe et le reste des 50 pays où s’applique la CH et qui ne sont pas soumis à la CEDH. Si l’Europe applique un «intérêt supérieur de l’enfant» apprécié à l’aune du pays où est faite la demande de retour, c’en est bientôt fini de la Convention de La Haye. L’intérêt de l’enfant peut-il être à deux vitesses? Les pays anglosaxons donnent un grand poids à la réciprocité internationale. On peut donc craindre que des demandes de retour présentées hors UE par des parents européens ne se voient beaucoup plus facilement rejeter, en particulier aux États-Unis.

3. Conclusion Comme le sabre de Salomon, la Convention de La Haye ne tranche bien le litige que si elle ne tranche pas l’enfant : dans son intérêt, elle doit rester potentielle. Comme ce sabre, la Convention de La Haye est ambiguë : pour atteindre l’unité, elle menace de diviser. Elle écarte l’intérêt immédiat «habituel» de l’enfant dans son intérêt supérieur à long terme. La peur du gendarme est le premier pas. Mais si le «déplaceur» ne cède pas amiablement, le sabre peut devenir réel. Et le juge du pays de refuge hésite devant une immense responsabilité. Où couper ? Que couper ? La réponse est claire : il faut trancher l’angoisse. Celle de l’enfant, des parents, du juge. Et c’est une norme supérieure qui le fait, la Convention internationale, au nom d’un intérêt supérieur nommé : ici le droit de l’enfant de ne pas être victime d’une voie de fait cautionnée par le tribunal du pays de «refuge». La Convention de La Haye du 25 octobre 1980 a bien posé comme principe de base l’intérêt de l’enfant

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(en français) ou des enfants (texte anglais). Puis elle passe à l’application sans employer ces mots, sauf une fois (préambule). L’intérêt «ordinaire», banal de l’enfant est sûrement d’être élevé dans le meilleur contexte possible, et surtout de ne pas être renvoyé dans l’enfer «intolérable» de l’article 13 (b). Mais l’intérêt supérieur de l’enfant, celui qui sous-tend la Convention, c’est le droit de ne pas être déplacé par voie de fait, de conserver ses liens avec ses deux parents. La Convention de La Haye de 1980 s’appuie donc bien sur un intérêt supérieur (implicite mais réel), supérieur à l’intérêt de l’enfant dans son sens ha-

bituel (34). Il est donc tout à fait regrettable que la CEDH revienne en arrière vers un «intérêt de l’enfant» qui, pour être qualifié de «supérieur», n’est que trop banalement «à l’ancienne». Et si l’on veut en droit interne que les mots aient un sens, s’il faut une hiérarchie des normes, on ne peut se contenter d’invoquer un «intérêt supérieur» abstrait et vide de sens. Il faut au moins nommer l’intérêt supérieur dont on parle.

(32) Qui pratique à New York Auteur de International Family Law practice. (33) Qualifié en Angleterre et en Australie, auteur de A practical Guide to International Family Law. (34) Cf. article 1157 du Code civil.

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