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«L’intérêt supérieur de l’enfant» en questions Paris, 20 novembre 2010, DEI-France/AFJK

Décliner le principe de l’intérêt supérieur de l’enfant à l’aide d’obligations procédurales. Les propositions de DEI-France

par Sophie Graillat*

À l’occasion de la rédaction en 2008 de son rapport alternatif dans le cadre du processus d’audition de la France par le Comité des droits de l’enfant des Nations unies, DEI-France a été amenée à souligner une contradiction et des dérives inquiétantes concernant l’utilisation de la notion d’intérêt supérieur de l’enfant en France et à avancer quelques propositions pour une mise en œuvre cohérente de l’article 3.1 de la Convention relative aux droits de l’enfant (1). Un intérêt supérieur qui se retourne dans les faits contre les droits de l’enfant Rappelons les termes de l’article 3.1, autrement appelé «principe de l’intérêt supérieur de l’enfant» et considéré par les experts du Comité comme l’une des «clefs de la Convention», autrement dit l’un des principes fondamentaux qui traversent l’ensemble des autres droits reconnus à l’enfant par la Convention : Art 3.1 : Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu’elles soient le fait des institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l’intérêt supérieur de l’enfant doit être une considération primordiale. Les termes de la contradiction sont les suivants : D’un côté la référence à la notion d’intérêt de l’enfant, et même, reprenant l’expression de la Convention «d’intérêt supérieur» de l’enfant, est de plus en plus utilisée dans les textes de droit interne français : elle a notamment été au cœur des débats sur la réforme de la protection de l’enfance. Et surtout une avancée importante s’est fait jour dans la jurisprudence de la Cour de Cassation, avec un premier arrêt en date du 18 mai 2005, maintes fois confirmé depuis, qui reconnaît l’article 3.1 d’applicabilité directe devant les tribunaux français, lui conférant une force juridique évidente (2).

De l’autre côté, des professionnels comme Pierre Verdier font le constat que l’intérêt de l’enfant est essentiellement invoqué - et de plus en plus souvent - dans les lois ou les codes pour justifier le fait de priver un enfant de l’un de ses droits (3). Si la Convention elle-même n’échappe pas parfois à cette utilisation de l’intérêt supérieur pour dispenser du respect d’un droit (cf. articles 9.1 et 3, 37, c, 40, b, III) on remarquera cependant qu’elle cherche dans ces cas à résoudre un conflit entre plusieurs droits de l’enfant (par exemple le droit de ne pas être séparé de ses parents et le droit d’être protégé contre les maltraitances perpétrées par les parents eux-mêmes). De plus la Convention invoque surtout l’intérêt supérieur de l’enfant pour guider les adultes dans leurs responsabilités envers les enfants (art 18.1 par exemple). D’autres juristes dénoncent dans ce principe, en raison de l’absence de dé-

finition objective de l’intérêt supérieur de l’enfant, un concept «mou», une «formule magique», «une notion clé» … mais «la clé ouvre sur un terrain vague», «une notion insaisissable» (4). Le risque d’arbitraire est grand tant l’appréciation de l’intérêt de l’enfant est subjective. Claire Neirinck n’hésitait pas à affirmer il y a un an que «l’intérêt est devenu l’arbre qui cache la forêt des droits de l’enfant reconnus par la CIDE». Alors que certains avaient vu dans l’arrêt de la Cour de cassation du 18 mai 2005 la consécration de l’applicabilité directe de l’ensemble de la Convention, Claire Neirinck, expliquant le succès et l’utilisation inflationniste de l’intérêt car c’est une «notion molle imprécise et manipulable», affirme au contraire «qu’il est dès lors plus facile pour tout le monde de déclarer que l’article 3-1 est directement applicable que de prendre en compte les autres dispositions de la Convention (5).

*

Secrétaire générale de DEI-France.

(1)

On pourra se reporter à l’annexe 3 du rapport de DEI : «Droits de l’enfant en France : au pied du mur» pp. 139 à 142. (oct 2008); consulter sur www.dei-france.org

(2)

L’enthousiasme doit toutefois être mesuré sur l’intégration de la CIDE dans le droit interne par la jurisprudence française, notamment le choix qui est fait parmi les dispositions considérées comme étant invocables par les justiciables. Voy. à cet égard le dossier qui y a été consacré dans le JDJ n° 296, juin 2010, pp. 18 à 51 : «Colloque de l’association Louis Chatin - 20 novembre 2009 Vingt ans d’application de la Convention des Nations unies relative aux droits de l’enfant».

(3)

P. Verdier : «Pour en finir avec l’intérêt de l’enfant», JDJ n° 280 décembre 2008, p. 34-40.

(4)

L. KhaÏat : «La défense des droits de l’enfant; un combat inachevé» colloque de l’association Louis Chatin 20 novembre 2009 in JDJ n° 296 juin 2010, p. 23.

(5)

Actes du colloque Sciences Pô UNICEF-France du 18 novembre 2009 Table ronde n°3, p. 54; http://www. unicef.fr/contenu/actualite-humanitaire-unicef/colloque-unicef-sciences-po-2009-09-15.

JDJ n°303 - mars 2011

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