LES DROITS DE L’ENFANT défendus par Janusz Korczak Sélection non exhaustive, par Bernard Lathuillère © AFJK, 2001.
Les droits de l’enfant réclamés et défendus par Janusz Korczak depuis le début du XXe siècle sont ici mis en rapport avec les droits de l’enfant reconnus par la Convention internationale des droits de l’enfant adoptée en 1989. Présentation inédite, réalisée à partir de la lecture de Janusz Korczak, et particulièrement de ses ouvrages : Jak kochac dziecko et Prawo dziecka do szacunku, publiés dans KORCZAK DZIELA t. VII, Pologne, Éd. Latona, publiés en français sous le titre Comment aimer un enfant, et Le droit de l’enfant au respect, Éd. Laffont, 1998. Une version résumée de cette liste, utilisée pour la réalisation de l’un des quatre kakémonos de l’exposition de l’Association Korczak est présentée sur le site de l’AFJK.
Abréviations utilisées JKD : Jak kochac dziecko, pour les traductions originales CAE : Comment aimer un enfant, pour les traductions des Éd. Laffont PDS : Prawo dziecka do szacunku, id. DER : Le droit de l’enfant au respect, id. CIDE : Convention Internationale de droits de l’enfant [Art. 12] : Article du texte de la Convention
Droits et devoirs « C’est sous nos yeux que la femme-esclave s’est métamorphosée en femme-être humain. Durant des siècles, elle a été forcée à jouer le rôle que l’homme lui imposait, en se donnant des genres, pour satisfaire son plaisir égoïste. Il refusait de voir le travail des femmes, de même qu’aujourd’hui, il se refuse à voir les contributions des enfants. L’enfant n’a pas encore pris la parole ; pour le moment, il ne fait qu’obéir. « Nous lui faisons porter le fardeau de ses devoirs d’homme de demain sans lui accorder ses droits de l’homme d’aujourd’hui. » CAE, édition de 1929. (Éd. R. Laffont, p. 59 et p. 91).
Les premiers droits de l’enfant « J’en appelle à la » magna charta libertadis », la Charte des droits de l’enfant. 1. Le droit de l’enfant à la mort. 2. Le droit de l’enfant à vivre sa vie d’aujourd’hui. 3. Le droit de l’enfant à être ce qu’il est. « Ces droits, il est important de bien comprendre leur sens afin de les reconnaître sans commettre trop d’erreurs. Des erreurs, il y en aura toujours, mais il ne faut pas trop s’en effrayer : l’enfant saura les corriger à condition que nous n’affaiblissions pas trop chez lui cette précieuse faculté qu’est son instinct d’autodéfense. » CAE, 1919. (Éd. R. Laffont, p. 58). La CIDE reconnaît le droit de l’enfant à la vie (article 6), à un nom, une nationalité, une famille (articles 7 à 11). Pour le droit à la mort, pensant aux enfants gravement handicapés à la naissance, Korczak précisait clairement, à la page suivante : « Dieu a donné, Dieu a repris » dit la sagesse populaire qui sait que toute graine ne deviendra pas un épi, comme tout oisillon ne deviendra pas un oiseau, ni tout arbrisseau, un arbre » (ibid., p. 59).
Le droit de donner son opinion [CIDE art. 12, 13, 14] « Je pense que le premier et le plus indiscutable des droits de l’enfant est celui qui lui permet d’exprimer librement ses idées et de prendre une part active au débat qui concerne l’appréciation de sa conduite et la punition. Lorsque le respect et la confiance que nous lui devons seront une réalité, lorsque lui-même deviendra confiant, bon nombre d’énigmes et d’erreurs disparaîtront d’elles-mêmes. » CAE, édition de 1929. (Éd. R. Laffont, p. 63).
Le droit de réclamer et d’exiger « L’enfant a le droit de vouloir, de réclamer, d’exiger. Il a le droit de progresser. Parvenu à maturité, il doit pouvoir exprimer son talent. Or, à quoi le restreint l’éducation ? À ne pas faire de bruit, ne pas traîner ses souliers, écouter et exécuter les ordres, ne pas critiquer et croire que tous n’ont en vue que son bien… » CAE, 1919. (Éd. R. Laffont, pp. 164-165).
Le droit de l’enfant au respect « Du respect pour son ignorance. […] Du respect pour sa laborieuse quête de savoir. […] Du respect pour ses échecs et pour ses larmes. […] Du respect pour la propriété et le budget de l’enfant. […] Du respect pour les mystères et les à-coups de ce dur travail qu’est la croissance. […]. Du respect pour les minutes du temps présent. […] Du respect pour ses yeux limpides, ses tempes lisses, ses efforts tous neufs, sa candeur. […] Du respect, sinon de l’humilité, pour la blanche, la candide, l’immaculée, la sainte enfance. » Le droit de l’enfant au respect, 1929. (Éd. Laffont, pp. 370-383).
Le droit de faire des erreurs et de mentir « Les enfants ont aussi le droit de faire des erreurs et des caprices, d’être ignorant, d’échouer et de s’engager sur de fausses pistes. Il faut même que nous acceptions leur manque de sincérité et leurs mensonges ».
Le droit des enfants délinquants à la bienveillance « N’as-tu pas honte d’être réellement en colère ? Regarde-le comme il est : petit, frêle, maladroit. Ne le regarde pas tel qu’il sera, mais tel qu’il est : privé de ses cris joyeux, de sourires éclatants. Il connaît, il pressent le poids de son handicap. Laisse-le oublier, laisse-le se reposer. Dans sa vie sinistre, qu’il garde ce puissant levier moral : le souvenir de l’être, unique parfois, qui lui aura été bienveillant, qui ne l’aura pas déçu. Qui l’aura connu, qui aura tout su de lui, et qui malgré cela sera resté bienveillant : son éducateur. » « Théorie et pratique », Janusz Korczak, 1925.
Le droit des délinquants à être aimés [CIDE art. 18, 23] « Si de petits manquements, des transgressions mineures se contentent d’une compréhension patiente et amicale, c’est d’amour dont ont besoin les jeunes délinquants. La révolte de ces enfants est juste. [Quand on est désespéré] Il faut repousser la vertu trop facile et faire alliance avec le délit solitaire du maudit. Quand, sinon maintenant, recevra-t-il la fleur d’un sourire ? Le droit de l’enfant au respect, J. Korczak, 1929. (Éd. Laffont/Unesco, p. 50).
L’enfant a besoin d’être pris au sérieux « L’enfant est en droit d’attendre que tu prennes au sérieux ses chagrins, même s’ils résultent de la perte d’un simple caillou ; que tu tiennes compte de ses désirs, même si c’est l’envie de sortir sans manteau alors qu’il gèle dehors ; que tu répondes à ses questions, même si elles sont apparemment absurdes. CAE, 1919. (Éd. R. Laffont, p. 184)
Le droit à l’échec « Un bas déchiré, un verre cassé signifient en même temps un genou écorché, un doigt blessé ; chaque bleu, chaque bosse s’accompagnent de douleur. Une tache d’encre dans le cahier, ce n’est qu’un petit accident malheureux, mais c’est aussi pour lui un nouvel échec, une peine. » Le droit de l’enfant au respect, J. Korczak, 1929. (Éd. Laffont/Unesco, p. 42).
Le droit de jouer [CIDE art. 31] « Le jeu, c’est moins le paradis enfantin que le seul domaine où nous leur laissons un peu de liberté, d’initiative. Dans le jeu, l’enfant peut apprécier la valeur de l’indépendance, même si elle n’est pas totale. Il sait que c’est son droit, alors que tous les autres plaisirs ne sont que des concessions, des faveurs passagères. » CAE, 1919. (Éd. R. Laffont, p. 106).
Le droit à la vie privée [CIDE art. 16] « Il y a si peu de chose qui nous appartienne vraiment ! « Nos habits par exemple : on dirait qu’ils sont à nous, mais ce sont nos parents qui les ont achetés. Et il faut toujours rendre compte de chaque livre et de chaque cahier : à la maison et à l’école. Tout un chacun a le droit de les regarder quand il veut et de nous faire des observations. » Quand je redeviendrai petit, J. Korczak, 1925. (Éd. R. Laffont, p. 136).
Le droit à l’information et à l’éducation [CIDE art. 13, 17, 28] « L’enfant est comme un étranger dans une ville inconnue […] « Au lieu de lui servir d’informateurs polis, nous l’accablons de nos apostrophes, de nos invectives, de nos punitions. Il serait bien pauvre le savoir de l’enfant s’il n’allait le puiser auprès d’un camarade ou ne nous le dérobait en écoutant aux portes et en surprenant nos conversations. » Le droit de l’enfant au respect, J. Korczak, 1929. (Éd. Laffont/Unesco, p. 41).
Le droit de l’enfant à avoir un budget « Il participe aux soucis matériels de la famille, ressent ses difficultés […] Il lui est pénible de se sentir à la charge des siens. Le fait que les vols constituent le délit le plus fréquent chez les mineurs, n’est-ce pas un avertissement qui devrait nous inciter à une plus grande vigilance ? Les punitions n’y pourront rien ; c’est la conséquence fâcheuse de notre manque d’intérêt pour le problème du budget de l’enfant. » Le droit de l’enfant au respect, J. Korczak, 1929. (Éd. Laffont/Unesco, p. 42).
Le droit à l’équité [CIDE art. 27] « Dressons le bilan : quelle est la part du revenu global qui devrait revenir à l’enfant légalement et non pas en tant qu’aumône ? Vérifions honnêtement nos comptes pour voir ce que nous mettons à la disposition du peuple enfantin, de cette partie de la nation, qui pour n’avoir pas encore grandi, se trouve réduit à la condition de serfs. À combien se monte notre patrimoine ? Comment a-t-il été divisé ? Ne les avons-nous pas déshérités, nous, les tuteurs malhonnêtes ? Ne les avons-nous pas expropriés ? » Le droit de l’enfant au respect, J. Korczak, 1929. (Éd. Laffont/Unesco, p. 40).
Le droit à la Justice [CIDE art. 19, 20, 32 à 37, 40] « L’enfant a le droit d’exiger que ses problèmes soient considérés avec impartialité et avec sérieux. Jusqu’à présent, tout dépend de la bonne ou mauvaise volonté de l’éducateur, de son humeur du jour. Il est temps de mettre fin à ce despotisme. « L’enfant a le droit d’avoir un Tribunal des enfants où il peut juger et être jugé par ses pairs. Je sais qu’un Tribunal des enfants est indispensable, que dans cinquante ans pas une seule école, pas une seule institution n’en seront dépourvues ». CAE, 1919. (Éd. R. Laffont, p. 300). La CIDE n’a rien apporté pour l’arbitrage des conflits et la protection des enfants entre eux. Les propositions de Korczak sur l’éducation à la citoyenneté et sur le fonctionnement autogéré de son Tribunal des enfants répondent toutefois très précisément, dans la forme et dans l’esprit, à la nouvelle volonté exprimée par les États-parties sur les objectifs de toute éducation (article 29) et sur les droits de l’enfant suspecté ou accusé (article 40, limité au pénal).
Le droit à une véritable reconnaissance [CIDE art. 12,15] « Prudents, politiciens et juristes avancent leurs propositions, mais c’est à chaque fois une erreur nouvelle. S’intéresse-t-on à l’enfant ? Débats et décisions se succèdent sans que jamais l’intéressé ne soit consulté. Aurait-il seulement quelque chose à dire ? « Nous ne donnons pas aux enfants les moyens de s’organiser. Irrespectueux, défiants, mal disposés à leur égard, c’est bien mal que nous en prenons soin. Pour savoir comment nous y prendre, il nous faudrait nous adresser à des experts, et les experts ici ce sont les enfants. » Le droit de l’enfant au respect, J. Korczak, 1929. (Éd. Laffont/Unesco, pp. 25 et 38). La CIDE donne désormais à l’enfant la possibilité d’être entendu dans les procédures judiciaires ou administratives l’intéressant (article 12). Elle reconnaît aussi aux enfants la liberté d’association et de réunion (article 15). Janusz Korczak, lui, demandait qu’on aille jusqu’au bout de cette démarche, en leur donnant réellement les moyens de s’organiser, de se faire entendre et de participer à la vie sociale. Il donna luimême l’exemple de sa République d’enfant organisée avec un succès notoire pendant trente ans dans ses deux grands établissements éducatifs, et de son journal national d’enfants « La Petite revue », de 1926 à 1939. Étude pour un projet inachevé, Bernard lathuillère, 12/2001