Témoignage de Igor Newerly,
(écrivain polonais et ancien secrétaire de Korczak) Extrait de la postface d’Igor Newerly, « Sur un document emmuré » in le Journal du Ghetto, Éd. Laffont, 1998.
Comment était perçu Korczak ? […] «Certes, la société et le gouvernement ne lui ont pas ménagé les preuves de reconnaissance. Il a obtenu des décorations officielles, par exemple, le laurier d’or de l’Académie polonaise de littérature. Tout le monde le respecte, mais, en fait, il reste étranger à tout le monde. Effroyablement solitaire. En marge de tous les courants sociaux contemporains, en dehors de la vie des factions politiques. Personne ne peut dire « notre Korczak » ni l’adopter complètement. Des Polonais ne lui pardonnent pas ses origines juives, des Juifs sont choqués car il écrit en polonais, car sa culture est polonaise. Les écrivains lui accordent du talent, mais un talent contaminé par la pédagogie ; pour d’autres, il n’est qu’un admirateur excessif et bizarre de l’enfant. Les pédagogues ne sont pas sûrs de la valeur d’études comme Comment aimer un enfant ou Les moments pédagogiques. Tout cela n’est peut-être que littérature ? Il n’est pas étonnant qu’il se sente inutile, oui, inutile ; pas seulement Korczak, mais aussi Goldszmit. Certes, il est aimé par ses ouailles et par ses élèves, mais dans tout ce groupe, personne n’est à sa mesure, personne ne saurait recueillir l’héritage et le faire progresser.
La grande synthèse de l’enfant « Il lisait volontiers de bons mémoires, mais lui-même n’était pas à l’aise dans cette forme d’expression. Chaque fois qu’on lui proposait d’éditer ses souvenirs ou son journal, il se récusait, mi-sérieux, mi-plaisant, en parlant de gaspillage de temps et de papier, de son manque de motivation et d’ambition. « Je me souviens exactement quand et où il avoua : « La grande synthèse de l’enfant, voilà ce que j’ai rêvé dans une bibliothèque parisienne en lisant, rouge d’émotion, les œuvres merveilleuses des cliniciens classiques français… En quelle année était-ce ? 1907-1908 ? » (d’après d’autres documents, il serait allé à Paris en 1911-1912). C’était donc depuis plus de trente ans qu’il était illuminé par cette idée, qu’il vivait avec elle, qu’il était tendu et qu’il créait, et, maintenant, il ne désirait plus que l’écrire. « Il devait y penser et le vivre avec intensité, car après avoir quitté la chambre et dépassé le petit couloir sombre et encombré pour nous arrêter dans la cage de l’escalier, il a tourné la clef dans la serrure de la grille en fer de ce garde-meuble et il a dit à voix basse, comme s’il se parlait à lui-même : « Pas tant un essai de synthèse qu’un monument d’essais, de recherches… Quelque chose qui pourrait être utile à quelqu’un dans cinquante ans… »