Doutre Agathe _ Vers une figure, l'architecte de campagne.

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Vers une figure

L’architecte de campagne Trois architectes pionniers pour saisir l’héritage contemporain

DOUTRE Agathe École Nationale Supérieure d’Architecture de Clermont-Ferrand - 2021-2022 Domaine d’étude |EVAN| Entre Ville Architecture et Nature


Illustration couverture : Doutre Agathe Bourg Bougnat, Laschamps (63), 1967


Vers une figure

L’architecte de campagne Trois architectes pionniers pour saisir l’héritage contemporain

Mémoire de fin d'étude réalisé par DOUTRE Agathe Sous la direction de BONZANI Stéphane

École Nationale Supérieure d'Architecture de Clermont-Ferrand Domaine d'étude | EVAN | 2021-2022


“La vie d’un architecte, c’est d’être sur le chantier, c’est même d’être en rapport direct avec les ouvriers, c’est même d’être soi-même entrepreneur, c’est ça la vraie vie d’un architecte. Hélas on a encore divisé le métier en deux, entre la conception et la technique, et encore en deux entre l’exécution et la conception et on est arrivé à une chose fantastique : ceux qui conçoivent ne connaissent pas ceux qui exécutent. […] La mort de l’architecture, c’est le maître d’œuvre qui livre ses plans exécutés par des manœuvres, par des gens qui ne pensent plus ; c’est fini. Le chantier, c’est le moyen de faire penser tout le monde ensemble, c’est le moyen de faire participer tout le monde à la valeur du bâtiment.” F. Pouillon, Mon Ambition, 2011, p. 121-122


RÉSUMÉ Les territoires ruraux sont aujourd’hui en crise et le métier d’architecte demande à être réinventé pour reconnecter avec les savoirs pratiques et théoriques de la construction. A travers le prisme de ces deux problématiques naissent différentes figures d’architectes pluriels. Une réponse contemporaine à cet état de crise présente et à venir s’incarne dans la figure de l’architecte de campagne. Pour comprendre les tenants et aboutissants de cette figure, ce mémoire propose une étude de la pratique de trois architectes pionniers, à l’origine de ce profil : Georges-Henri Pingusson, Luigi Snozzi et Bernard Quirot. Ayant commencé leur pratique au sein des métropoles, ces architectes ont pourtant déplacé leur regard vers les milieux ruraux dans des territoires similaires : Le Vialle de Grillon, Monte Carasso et Pesmes. A leur début, l’architecture est encore pétrie de trois grandes dichotomies issues du mouvement moderne. Ce corpus d'architecte les analyse, révélant ainsi leur faire projet : A travers le territoire (partie 1) : entre urbanité et ruralité Par leur pratique (partie 2) : entre le faire et le penser Sous leur regard transcalaire (partie 3) : du plan guide à la de la poignée de porte. Ces trois angles permettent de faire émerger leur attitude fondatrice en milieu rural, dont on retrouve aujourd’hui l’héritage. Dans le sillage de ces trois agences naissent de nouvelles pratiques. Certains architectes sont qualifiées d'architectes «de campagne» comme le décrit Félix Mulle dans la revue Criticat et son article L’architecte, médecin de sa campagne1. Ces agences contemporaines sont une forme d’héritage conscient ou inconscient des agences citées en corpus. Il s’agit moins d’une rupture avec ces premiers architectes mais plutôt d’une continuité s’inscrivant dans l’évolution de l’architecture, de ceux qui la pensent et la construisent, à toutes les échelles.

1 I MULLE Felix, L’architecte, médecin de sa campagne, in Criticat 13, Point de vue, N° 13, printemps 2014, p. 2-15 Résumé

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REMERCIEMENTS Ces deux stages m’ont été extrêmement profitable. Au cours de chacun, j’ai tout autant appris du métier d’architecte que de la pratique de l’architecture : en conception, en technique, en théorie, sur le rôle de l’architecte etc... Tant de thématiques qui me permettent aujourd’hui d’apprécier mon apprentissage à l’école et d’avoir hâte de la pratique en agence. Aussi je tiens à remercier l’agence BQ+A de m’avoir formé avec eux pendant presque un an : Blache Chloé, Borrel Marion, Delteil Claire, Lenoble Alexandre, Meny Louis, Najean Thibaut, Quirot Bernard, Siegfried Nathalie, Vielle Julie. Et l’Atelier de Montrottier avec qui j’ai travaillé six mois : Babe Frédéric, Champaver Manon, Curiez Salomé, Massé Juliette, Parmentier Loïc, Vazeux Corentin. Je remercie également Antoine Begel et Stéphane Bonzani pour leur encadrement.


AVANT-PROPOS Comment se traduit aujourd’hui la pratique architecturale dans les territoires ruraux ? Ce questionnement naît naïvement au cours de la conférence inaugurale de l’ENSACF en septembre 2019, invitant Bernard Quirot afin qu’il fasse part de son expérience d’architecte au sein du village de Pesmes. Par la suite, je me suis intéressée au travaux de l’association Avenir Radieux fortement rattachée à l’agence BQ+A. Cette association œuvre à la rénovation des centres anciens et plus généralement à la qualité architecturale et environnementale en milieu rural. J’ai travaillé pendant un an dans deux agences immergées dans ces territoires ruraux. J’ai d’abord réalisé un stage de six mois à l’Atelier de Montrottier, puis un second également de six mois au sein de l’agence BQ+A, à Pesmes où je suis retournée trois mois au cours de l'été 2021. Les connaissances et les observations issues de ces deux expériences sont donc une matière inédite et un support pour tenter de faire dialoguer ces architectes avec leurs contemporains et leurs pères. Mon questionnement se tourne alors vers les origines de cette figure de l’architecte de campagne. Il s’agit pour moi de porter un regard historique sur le faire projet de ces architectes, de s’en inspirer pour travailler aujourd’hui dans ces territoires.

Avant-Propos

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Fig 2. Grand Paysage, Montrottier (69) Production personnelle


Fig 3. Rue des châteaux, Pesmes (70) Production personnelle



SOMMAIRE

Vers une figure, l’architecte de campagne

RÉSUMÉ

p.5

AVANT-PROPOS

p.7 p.13

INTRODUCTION

PARTIE 1 Le territoire Urbain / Rural

PARTIE 2 La pratique Faire / Penser

PARTIE 3 L’intervention multiscalaire Micro / Macro

Chapitre I Se reterritorialiser, de la métropole au village

Chapitre I De l'architecte constructeur au disagneur

Chapitre I De l’architecture au paysage

Chapitre II Une nécessité d’intervention

Chapitre II L'espace-mise en œuvre, la proximité du chantier

Chapitre III Une stratégie pragmatique d’implantation

Chapitre III L'espace-ressource, la matière comme matrice du territoire

Chapitre IV La relation entre maîtrise d’œuvre et maîtrise d’ouvrage

Chapitre IV Le maître d’œuvre enseignant

p.27

p.51

Chapitre II Ville-laboratoire et Village-laboratoire Chapitre III Du concours public à l'intervention ponctuelle

Chapitre V Le séminaire, un biais pour une recherche in situ p.81

CONCLUSION

p.103

OUVERTURE

p.109

ENTRETIENS Bernard Quirot, Contre l'abstraction constructive Emilien Robin, De la périurbanité aux centres-bourgs Loïc Parmentier, L'étude urbaine, un déclencheur de projet à grande échelle

p.113

BIBLIOGRAPHIE

p.129 Sommaire

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Fig 4. Chemin du Raty, Montrottier (69) Production personnelle


INTRODUCTION Le territoire Désertés dans les années 50 au moment de l’exode rural, les territoires ruraux semblent n’avoir cessé de décroître jusqu’à aujourd’hui. Dépréciés, ces territoires en déshérence voient leur population diminuer et leur centre se vider. Les commerces quittent les cœurs de bourgs et les services publics ferment, trop coûteux pour l’État. La plupart des villes petites et moyennes ont ainsi perdu peu à peu leurs habitants, laissant derrière eux nombre de logements vacants, parfois non entretenus jusqu’à devenir les ruines symptomatiques de ces villes et paysages délaissés. A l’heure de la transition écologique à laquelle nous devons faire face, le devenir du monde rural est une des problématiques contemporaines majeure des architectes et urbanistes. Il émerge ainsi non seulement en France, en Europe mais aussi aux États-Unis une multitude d’agences, collectifs, programmes portant attention à la recherche et à la production dans les milieux ruraux. On peut prendre pour exemple l’agence OMA (Office for Metropolitan Architecture) fondée en 1975 par Rem Koolhas, avec Elia et Zoe Zenghelis, et Madelon Vriesendorp. Leurs bureaux se répartissent aujourd’hui entre l’Europe, l’Amérique du Nord et l’Asie. Le travail de ce bureau d'architectes s'axe autour de la définition de «nouveaux types de relations théoriques et pratiques entre l’architecture et la situation culturelle contemporaine». Certains de leurs ouvrages ont été particulièrement remarqués pour comprendre l’évolution et la situation des territoires ruraux notamment le manifeste Countryside, a report1 ou les articles Côté campagne2 et Le meilleur des mondes : population, territoire, technologie3, tous deux parus dans Marne 4 en 2016. De même, le programme de conception-construction Rural Studio fondé en 1993 et implanté dans le comté de Hale en Alabama porte la mission de l’enseignement associée à la recherche pour «une vie rurale durable et saine». En France, le réseau ERPS (Espace Rural & Projet Spatial) né en 2009 à Saint-Étienne. Ce collectif issu de la rencontre entre praticiens, enseignants et chercheurs rassemble architectes, urbanistes et paysagistes qui portent cette volonté commune de renouveler collectivement les savoirs sur les espaces ruraux et leurs transformations. 1 I KHOOLAAS Rem, Countryside, a report, Taschen, 2020, 352p. 2 I KOOLHAAS Rem - AMO, «Côté campagne», marnes, documents d’architecture, Parenthèses, 2016, p. 97-115 3 I KOOLHAAS Rem - AMO, «Le meilleur des mondes : population, territoire, technologie», marnes, documents d’architecture, Parenthèses, 2016, p. 97-115 Introduction

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En France également, les missions photographiques produites par le collectif France(s) Territoire Liquide (FTL) sur le paysage français illustrent cet intérêt naissant pour les nouveaux paysages ruraux. Initié en 2010 et alimenté par 43 photographes, ce travail est enrichi en 2018 dans le recueil Paysages français : une aventure photographique, 1984-20174, un ouvrage édité à l’occasion de l’exposition à la Bnf compilant les travaux de plus d’une centaine de photographes sur le paysage français. Il donne les clés pour comprendre les évolutions de la France des années 1980 à nos jours, mais aussi et surtout celle de sa mise en image. Le recueil photographique provient de différentes commandes institutionnelles5. Il présente ainsi les visages d’une France multiple et de sa mutation. Ces territoires demandent à l’architecte de travailler dans une relation très forte avec le site (une position géographique, matérielle) mais aussi avec la situation (humaine et politique), deux données nécessaires à la compréhension de ce qui compose le territoire. Le Site fait référence à une réalité plus permanente, il est lié à une position géographique (être sur une montagne, au pied d’un éperon rocheux, dans une vallée). Ce terme convoque ce qui est immuable, de l’ordre de ce qui est physique du territoire : son relief, ses ressources, son climat. La Situation, elle, se reporte à une dimension temporelle, politique, culturelle associée à des sites. Le site est donc une composante de la situation. Le milieu rural fournit alors les conditions pour produire une architecture située, différente de celle des métropoles. Le processus de développement de la métropole a été celui d’une déterritorialisation d’un certain type de milieu et s’est reterritorialisé dans un autre, plus immatériel. Il s'incarne à travers un maillage, un réseau entre métropoles tissé de flux marchands, de flux d’informations, de flux de personnes. Les territoires ruraux répondent d'un développement plus territorialisé. L'un des bénéfices de l'exercice en milieu rural est celui d’en faire un terrain d’expérimentation afin de projeter d’autres moyens de penser la coexistence. Le rural ne serait alors pas une alternative à la ville mais plutôt une forme différente d’urbanité, comme un laboratoire d’expérience complémentaire de la ville pour penser des rapports à la communauté (d’habitants, d’ensembles bâtis, entre les édifices et les espaces publics), presque comme des terrains d’investigation à une échelle plus maîtrisée et maîtrisable que les métropoles et l’archipel qu’elles composent. Il s’agit donc de sortir de cette opposition entre rural et urbain. Le rural se comprend moins ici dans son opposition à l’urbain que comme une forme 4 I Paysages français : une aventure photographique, 1984-2017, Exposition. 2017-2018. Paris. Bibliothèque nationale de France 5 I La mission photographique de la DATAR, de celle de France(s) territoire liquide, du Conservatoire du littoral ou de l’Observatoire photographique du paysage, ainsi que des initiatives personnelles ou indépendantes.

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d’aménagement du territoire, une forme d’intervention, de transformation qui a à voir aussi avec la communauté (comme la métropole). En cela il y a plutôt un processus de continuité. Ils incarnent d’autres communautés, d’autres manières de tisser des liens que la métropole et ses citadins. Pour les architectes, travailler dans des milieux ruraux est loin d’être une fuite des métropoles. En réalité, il s’agit d’en comprendre la nature, de décrypter dans ces territoires ruraux des formes simplifiées, embryonnaires de communautés. Ce sont plutôt des terrains privilégiés pour observer et intervenir dans des milieux à une échelle plus maîtrisée et maîtrisable. Pour autant, le travail en métropole n'est pas exclu. Les projets en métropole permettent même d'enrichir les projets ruraux et inversement.

La pratique du métier d’architecte Les territoires ruraux deviennent alors le terreau fertile de nouvelles cultures de projet. Cette attention au territoire avec lequel il s'agit maintenant de composer a fait de ces milieux le territoire de prédilection de nombre d’architectes et urbanistes. Apparaissent alors de nouvelles pratiques, de nouvelles figures d’architectes dont l'une s'incarne à travers l'architecte de campagne. En 2014, Félix Mulle présente dans la revue Criticat l’attitude de projet de Simon Teyssou à travers son article L’architecte, médecin de sa campagne6. Il y expose son faire projet attaché à une certaine frugalité et une attention particulière à l’architecture ordinaire et aux détails. Simon Teyssou implante son agence en 2001 dans le Cantal, à une vingtaine de minutes d'Aurillac dans le bourg du Rouget(15) peuplé de quelques 1 000 habitants. Le local qu'il y loue ne devait être qu'une antenne de son agence basée à Clermont-Ferrand(63), la métropole la plus proche. Aux yeux de la profession, les grandes villes sont encore synonymes de starter pour les jeunes architectes. A l'inverse, la campagne est dépeuplée, et le besoin d'une intelligence territoriale ou architecturale se fait peu sentir. Pourtant, c'est bien dans ce petit village que les premiers projets de l'agence vont naître : des commandes publiques ou privées, des projets d'aménagements urbains ou d'aménagements intérieurs, des réhabilitations d'édifices religieux ou de construction de maisons individuelles. A travers l'article de F. Mulle, on lit également un certain don de soi, une dévotion à l’architecture et aux territoires dont il faut soigner les «maux». Félix Mulle décrit cette attitude comme un «engagement», un acte «héroïque». Cette présentation n’est pas sans rappeler le roman d’Honoré de Balzac Le médecin de campagne7 où le héros, le médecin Bénassis, réussit à faire d’un bourg chétif une petite ville florissante. 6 I MULLE Felix, L’architecte, médecin de sa campagne, in Criticat 13, Point de vue, N° 13, printemps 2014, p. 2-15 7 I H. De BALZAC, Le médecin de campagne, La comédie humaine, 1833, 473p. Introduction

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Bien qu'étant une démarche isolée de la part de Simon Teyssou, on retrouve cette attitude de projet chez d'autres architectes, contemporains ou non, qui travaillent dans les mêmes conditions. Ils s'inscrivent ainsi dans une démarche plus générale, que l'on peut retrouver en France mais aussi dans d'autres pays. A Olot, au pied des Pyrénées en Espagne, Rafael Aranda, Carme Pigem et Ramon Vilalta fondent le collectif d'architecte RCR. Ils vivent et travaillent dans ce village depuis 1987 et reçoivent en 2017, le prestigieux prix Pritzker. Leur production architecturale a aujourd'hui pris une envergure internationale. On trouve leur projet en Espagne bien-sûr mais également en France ou en Belgique. Pourtant, c'est modestement que le collectif s'installe en 1987 à Olot pour «Vivre et travailler au pays». Leur premiers projet sont en acier corten. C'est un matériau vivant, qui se patine avec le temps mais pour les architectes, son utilisation sert une cause plus large que sa simple symbolique plastique. Sa mise en œuvre dans leur projet de réhabilitation permet en effet de continuer de faire vivre une industrie et un savoir-faire artisanal local. En Suisse, Gion A. Caminada installe son agence à Vrin dans les Grisons en 1998. Niché à 1 400m d'altitude dans une vallée abrupte, le village agricole est reclus dans une vallée cernée par le relief montagneux. Le nombre d'habitants s'élève à 245, mais ce chiffre est menacé par la suppression des transports en commun qui ne ferait qu'ostraciser davantage la population. Avec l'aide de Peter Rieder, l'architecte natif du village s'attache à le préserver. Il participe ainsi au développement de l'artisanat et des services de Vrin réalisant notamment la salle polyvalente, la maison funéraire ainsi que plusieurs habitations allant jusqu'à dessiner l'arrêt de but. Il y propose une architecture principalement construite en bois, s'inspire des éléments traditionnels des bâtiments vernaculaires qui s'inscrivent dans la structure du village. Bien-sûr, ces architectes bénéficient d'un héritage, conscient ou inconscient, d'une culture architecturale plus ancienne. Près d'un demi siècle avant eux, l'architecte Italien Giancarlo Di Carlo est appelé en 1952 pour l'agrandissement de l'université d'Urbino. Finalement, il travaillera une cinquantaine d'années dans la petite ville de la région des Marches, la façonnant, strate par strate. Il redessine le plan de la ville, porte attention au dialogue entre l'ancien et le moderne et participe ainsi à la restauration du centre historique. Fort de cet héritage, certains architectes ont su pressentir l'intérêt croissant des milieux ruraux. Ce mémoire s’attache à expliciter une figure contemporaine de pratique de l'architecture : celle de l'architecte de campagne.

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Pour comprendre les tenants et aboutissants de cette figure d'architecte de campagne, ce mémoire propose une étude de la pratique de trois architectes pionniers, à l’origine de ce profil : Georges-Henri Pingusson, Luigi Snozzi et Bernard Quirot. Ayant débuté leur pratique au sein des métropoles, ces architectes ont pourtant déplacé leur regard vers les milieux ruraux dans des territoires avec certaines similarités : Le Vialle de Grillon, Monte Carasso et Pesmes. A leur début, l’architecture est encore pétrie de trois grandes dichotomies issues du mouvement moderne. Ce corpus analyse ainsi ces trois dichotomies révélatrices de leur faire projet : A travers le territoire : entre urbanité et ruralité Par leur pratique : entre le faire et le penser Sous leur regard transcalaire : du plan guide à la de la poignée de porte. Ces trois angles permettent de faire émerger leurs attitudes fondatrices en milieu rural dont on retrouve aujourd’hui l’héritage. Dans le sillage de ces trois agences fondatrices naissent de nouvelles pratiques, de nouvelles agences. Ces agences contemporaines sont une forme d’héritage conscient ou inconscient des agences citées en corpus. Il s’agit moins d’une rupture avec ces premiers architectes mais plutôt d’une continuité, s’inscrivant dans l’évolution de l’architecture, de ceux qui la pensent et la construisent, à toutes les échelles.

Introduction

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Unité Pédagogique N°5 de Nanterre LAVALOU Armelle, Pingusson à Grillon, 2009

Simon Teyssou

Le Vialle de Grillon

MULLE Félix, L’architecte médecin de campagne, 2014

Georges-Henri Pingusson (1894 - 1978)

ARCHITECTE MÉDECIN DE CAMPAGNE

BALZAC Honoré, Le médecin de campagne, 1833

Pesmes

Bernard Quirot

Monte Carasso

(1958)

Luigi Snozzi (1932 - 2020)

Séminaire de Monte Carasso

Séminaire Avenir Radieux MERLINI F. et SNOZZI L., L'architecture inefficiente, 2016

Fig 5. Constellation, l'architecte médecin de campagne. Production personnelle

QUIROT Bernard, Simplifions, 2019


CORPUS_Trois architectes pionniers d’un mouvement Pingusson / Snozzi / Quirot

G.-H. Pingusson, L. Snozzi et B. Quirot sont trois architectes ayant respectivement commencé leur activité d'architecte en 1931, 1958 et 1990. Chacun d'eux hérite d'un enseignement issu du mouvement moderne. La campagne et ses formes d’urbanité ne font pas encore l'intérêt de la profession qui est plutôt sollicitée pour repenser la ville. Le sujet se tourne notamment vers les enjeux de relogements d’après-guerre. Apparaissent alors les grands plans d’urbanisation idéaux et leurs ensembles de logements. C'est aussi l'avènement du béton armé dont les propriétés plastiques et structurelles fascinent. Pourtant, chacun d'eux a choisi d'orienter sa pratique vers les milieux ruraux. Pour G.-H. Pingusson, le projet au Vialle de Grillon commence en 1974. Il découvre le site suite à la réhabilitation de sa maison de vacance dans un village voisin. Egalement enseignant, l'architecte a l'ambition de faire des vieilles ruines à l'abandon, le sujet d'un enseignement de maîtrise d’œuvre in situ. Il souhaite porter un projet valeur d'exemple de réhabilitation révélant l'«occasion d'architecture» qui y réside en «réaction contre l’évolution actuelle de l’architecture qui tend à faire de tout édifice un objet commercialisé, tarifé, non personnalisé»8. L'architecte est alors âgé de 80 ans. Ce sera le dernier projet de sa vie. L. Snozzi s'est tourné vers le village de Monte Carasso suite à une commande du maire en place concernant la réalisation de l'école primaire. Selon le plan directeur du village réalisé par l'architecte D. Schnebli, l'école devait se trouver à proximité de l'autoroute. Etant le «plan le plus désastreux» que L. Snozzi ait vu de sa vie, il remet alors au maire un nouveau plan régulateur quinze jours plus tard. En 1979, le maire adopte le nouveau plan, et la symbiose entre le village, le maire et l'architecte naît ainsi. En parallèle, il monte également un séminaire d'architecture où les étudiants reçoivent l'enseignement de l'architecte et projettent sur le village des propositions d'aménagement les amenant à se positionner sur des questions d'urbanisme chères à L. Snozzi. Enfin, Bernard Quirot, installe son agence à Pesmes en 2008. Ayant grandit dans ce petit village de Haute-Saône, il y réalise en réalité son premier projet en 1988. Attaché au village, il est aujourd'hui impliqué dans la préservation et la rénovation du centre ancien. A l'aide de l'association Avenir Radieux qu'il fonde en 2014, il propose conseils aux particuliers et à la mairie, réalise plusieurs constructions et rénovations. En 2015, il monte le premier séminaire de Pesmes, «le second Monte Carasso, sans tenter de l’imiter»9. 8 I LAVALOU Armelle, Pingusson à Grillon, Édition du Linteau, septembre 2009, pages 153-154. 9 I Luigi Snozzi dans les Actes du Séminaire 1, Monte Carasso 15.07.2015 Introduction

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Photographie aérienne historique 1950-1965

Photographie aérienne 2021 Fig 6. Photographies aériennes 1950-2021, Grillon (84) Source : remonterletemps.ign.fr


Georges-Henri Pingusson Grillon (Vaucluse_84)

1864

1913

1914-1917

Né à Clermont-fd (Puy-de-Dôme)

Diplômé de l’École supérieure de mécanique et électricité

Mobilisé en tant que soldat de la 1ère G.-M.

1948 Enseignant Chef d’atelier à l’École des Beaux-Arts de Paris

1964

1974

Construction du Ouverture Mémorial des martyrs de l’antenne de la déportation pédagogique de l’UP5 à Grillon

1925

1932

Diplômé de l’École Construction de des Beaux-Arts de Latitude 43 à St-Tropez Paris

1978

1980

Décès Inauguration des Paris, VIe arr. 18 logements HLM au Vialle de Grillon

Georges-Henri Pingusson est né à Clermont-fd en 1864. Architecte du XXe siècle, il commence son activité en tant que néorégionaliste puis s’oriente ensuite vers les modernes. Dans les bâtiments iconiques de sa production architecturale, on compte Latitude 43 à St-Tropez ainsi que le Mémorial des martyrs de la déportation à Paris, tous deux classés au titre des Monuments Historiques. A travers son projet sur le site du Vialle de Grillon, il est l'un des premiers modernes à proposer un dialogue aussi fort avec l’architecture du passé. Le projet est restitué après la mort de l'architecte, en 1980. Pingusson a tout de même le temps de dessiner le projet de 18 logements HLM et d'en faire un territoire d'enseignement à la maîtrise d’œuvre. Il y monte l'unité pédagogique UP 5, où chaque étudiant se voit attribuer une parcelle du village et un maître d'ouvrage. Cet enseignement a ainsi permis de donner des chantiers aux étudiants pour qu’ils aient un client et une réflexion et un suivi de chantier complet. Introduction

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Photographie aérienne historique 1970

Photographie aérienne 2021 Fig 7. Photographies aériennes 1970-2021, Monte Carasso_Suisse (65) Source : map.geo.admin.ch


Luigi Snozzi

Monte Carasso (Tessin)

1932

1957

Né à Mendrisio (Tessin)

Diplômé de l’École de Zurich

1973

1984

Enseignant à l’École d’architecture de Zurich

Enseignant à l’École d’architecture de Lausanne

1958 1ère agence à Locarno

1979

1975

1987

2e agence à Zurich

3e agence à Lausanne

2016

Première opération Parution du livre «L’architecture à Monte Carasso inefficiente», «Verdemonte» Édition Cosa Mentale

2020 Décès Minusio, Suisse

Luigi Snozzi fait ses études à l’École Polytechnique Fédérale de Zurich et en sort diplômé en 1957. Un an plus tard, il monte sa première agence à Locarno où il travaille avec Livio Vacchini, puis une seconde à Zurich et une troisième à Lausanne. En 1973, il est enseignant titulaire à l'école de Zurich, puis en 1984 à celle de Lausanne. En 1977, Luigi Snozzi projette une planification de développement pour le village, une commande qui n'aurait pas été possible sans une entente de concert entre le maire et l'architecte. Ce fut le premier geste d'une série d'initiatives menée à bien sur le village, de projets publics ou privés, le plus emblématique étant la restauration intégrale de l'ancien couvent en 1980. Enfin, Snozzi fait de Monte Carasso le lieu d'un séminaire d'architecture où les participants étudient des sujets d'intérêt pour le développement du village. Introduction

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Photographie aérienne historique 1950-1965

Photographie aérienne 2021 Fig 8. Photographies aériennes 1950-2021, Pesmes (70) Source : remonterletemps.ign.fr


Bernard Quirot

Pesmes (Haute-Saône_70)

1959

1986

Né à Dole (Jura)

Diplômé de l’École Paris Belleville

2014

2015

Création de l’association Avenir Radieux

Équerre d’Argent Maison de santé de Vézelay

1990 1ère agence à Paris

2015

1996

2008

2e agence à Besançon

3e agence à Pesmes

2019

Lancement du Parution du livre premier séminaire «Simplifions», d’architecture Édition Cosa pesmois Mentale

2020 Membre d’honneur du séminaire d’architecture de Monte Carasso

Diplômé de l’école Paris Belleville en 1986, Bernard Quirot a rapidement monté sa première agence, 4 ans plus tard à la capitale. Porté par un désir de travailler dans les territoires ruraux, il installe une seconde agence à Besançon, et enfin une troisième à Pesmes. Exercer dans ce village de 1 200 habitants est une façon de mettre en avant les bénéfices de l’action locale et collective. Bernard Quirot envisage le bourg comme un territoire d’expérimentation, en réaction à la production architecturale contemporaine souvent abstraite des maisons individuelles périurbaines et des architectures textiles. Les milieux ruraux sont une façon de proposer une architecture concrète, se mesurant au paysage tout en participant de façon militante à la revitalisation de ces territoires. En 2014, il crée l’association Avenir Radieux afin de lutter contre la désertification et la dégradation du centre historique de Pesmes et ses communes voisines. Introduction

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Pesmes

Monte Carasso Vialle de Grillon

Fig 9. Corpus. Position des agence sur le territoire francilien Production personnelle


G.-HENRI PINGUSSON (1894 - 1978)

LUIGI SNOZZI (1932 - 2020)

Introduction

BERNARD QUIROT (1958 - /)

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PARTIE 1 Le territoire Ruralité / Urbanité

CHAPITRE I. Se reterritorialiser, de la métropole au village CHAPITRE II. Une nécessité d’intervention CHAPITRE III. Une stratégie pragmatique d’implantation CHAPITRE IV. La relation entre maîtrise d’œuvre et maîtrise d’ouvrage


Illustration Partie I : Extrait du plan de Turgot, Paris, original 2,49 m × 3,18 m Réalisé par Louis Bretez à la demande de Michel-Étienne Turgot, 1739


CHAPITRE I. Se reterritorialiser : de la métropole au village

Au regard des grandes évolutions mondiales et des processus de mondialisation, la ruralité peut sembler un objet de recherche désuet. Pourtant, le monde rural et son devenir sont aujourd’hui replacés au cœur des débats. Bien que majoritaires en France, les territoires non urbains sont régulièrement qualifiés de «délaissés» ou «en déshérence». D’un point de vue strictement quantitatif, les espaces ruraux sont loin d’être marginaux. En 2017, ils couvrent 59% du territoire de la France métropolitaine et accueillent 18% de sa population. En 2020, l’INSEE revoit sa définition du rural comme «l’ensemble des communes peu denses ou très peu denses» leur donnant une place plus importante sur le sol français incluant alors 33% de sa population.10 Les espaces ruraux sont des espaces habités, anthropisés, profondément modifiés par les sociétés, sans être pour autant entièrement artificialisés. Ils se distinguent des espaces dits «naturels», qui sont eux peu anthropisés, et des espaces urbains, dont la majorité des sols ont été artificialisés. Les espaces ruraux sont difficiles à définir. Alors que la ville ou la campagne répondent d’évidences paysagères dans le langage courant, les notions d’espaces ruraux et d’espaces urbains ont en réalité souvent défini les espaces ruraux en creux, comme le négatif de la ville. L’antonyme du monde rural s’incarne à travers la figure des métropoles et de l’archipel qu’elles composent. La métropolisation désigne le processus de renforcement de la puissance des grandes métropoles, de concentration de leur population et d’activités. Ce développement fait souvent fi des villes de niveau hiérarchique inférieur au profit du renforcement de celles de niveau supérieur. La métropolisation modifie l’ancrage d'une ville que ce soit au niveau local, régional ou national. Le système économique sur lequel elle se base oriente le développement mondial vers une économie d’archipel où les échanges se font déconnectés de l'arrière-pays. En 1980, Gilles Deleuze et Félix Guattari posent dans Mille Plateaux11 le concept de déterritorialisation appliqué à la philosophie et à la psychanalyse. Dans l'introduction de l'ouvrage «Rhizome», le terme est appliqué au territoire. Il permet alors de mettre en avant le lien de territorialité qui se rompt peu à peu entre une société et un territoire. 10 I Article : Une nouvelle définition du rural pour mieux rendre compte des réalités des territoires et de leurs transformations, Source : Insee, Paru le : 29/04/2021 11 I DELEUZE Gilles et GUATTARI Felix, Mille Plateaux, Édition de Minuit, 1980, 645p. .

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Fig 10. RATP métro - Paris Carte du métro parisien

Fig 11. Table d'orientation - Chiddes (Nièvre) Table d'orientation depuis le Mont Charlet


Aujourd’hui la déterritorialisation s’incarne par le fonctionnement en réseau du territoire, un fonctionnement qui se comprend en nette opposition avec ce qui le définissait auparavant à savoir ses composantes physiques et locales. Elle pose le constat d’une perte d’identité territoriale due à la globalisation. Les phénomènes de mondialisation croissants ont renforcé la place et la superficie des métropoles sur le territoire francilien. Chacune d’entre elles fonctionnent en réseau avec les autres, générant un maillage sur le territoire composé de flux marchands, d’informations, de personnes : ce sont des lieux de transition, où l’on retrouve les gares, les aéroports. Le processus de développement de la métropole a ainsi été celui d’une déterritorialisation de leur milieu singulier, qui leur était propre. Elles se sont abstraite du site physique auquel elles appartenaient pour se reterritorialiser au sein d’un autre type de milieu, celui constellaire que composent les autres métropoles sur le territoire. Un des facteurs édifiant de la déterritorialisation des métropoles s’incarne notamment dans les modes de déplacement. Dans Une brève histoire de ligne12, l’anthropologue anglais Tim Ingold consacre son troisième chapitre : «Connecter, Traverser, Longer» à ce sujet et en propose un mode de représentation. A travers une analyse cinétique, il exprime un art de la composition des rapports, d’ensemble de phénomènes à travers le mouvement incarné par la ligne. Il distingue par deux types de lignes les façons de signifier nos relations à travers le déplacement sur le territoire : la ligne active, sinueuse et celle pressée, fragmentée. Elles permettent ainsi d'illustrer deux pratiques de l'espace : celle du trajet et celle du transport. Le trajet se concrétise à travers l'habitant qui arpente le territoire, une action que l'auteur nomme longer, une action alliant la perception avec le déplacement dans un maillage, en continuité. Le transport, lui, évoque un passage ponctuel, une connexion entre deux points, en réseau, en discontinuité. Enfin, il appuie son raisonnement selon le mode d'appréhension spatial de ces deux modes de déplacement : le trajet s'incarnant à travers le paysage et le transport se référant à la carte. (fig. 12 et 13) Dans le livre L'architecture inefficiente13 restituant un échange entre Fabio Merlini et Luigi Snozzi, cette question de notre rapport au déplacement et donc par extension à l'espace est soulevée. Luigi Snozzi s'interroge donc : «Peut-on imaginer aujourd'hui une métropole où il est encore possible de s'orienter ? J'en ai parlé avec Vittorio Gregotti et d'autres architectes, et tous m'ont dit que j''étais fou de me poser une telle question. Car, à l'inverse de la ville historique, la métropole ne permet plus de s'orienter, aussi bien par sa dimension que par sa structure intrinsèque». 12 I INGOLD Tim, Une brève histoire des lignes, Édition Zones Sensibles, 2011, 271p. 13 I MERLINI Fabio et SNOZZI Luigi, L'architecture inefficiente, Édition Cosa Mentale, Collection Essai, 2016, 96p. Ruralité / Urbanité

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Une copine me raconte que dans les banlieues pleines de tours et de béton, les jeunes adultes souffrent de trouble de la vue, du fait de ne jamais voir l’horizon. Pendant mon enfance, j’ai contemplé chaque soir le coucher du soleil, avec l’odeur des prés. Je me souviens très bien, toutes les fois où je suis allé m’asseoir face à la plaine et où j’ai regardé loin devant, ébloui, parfois triste, souvent seul. Mes yeux flânaient le long des contours désuets des nuages de septembre. J’ai parcouru ainsi de longues distances.

Fig 12. Horizon Extrait du microfilm de Daniel Martin-Borret, Image de Joseph Paris. Source : http://www.urbain-trop-urbain.fr/miroirs-de-la-ville-8-une-breve-histoire-des-lignes/


Dans A la découverte du paysage vernaculaire14 paru en 2003, le géographe américain J. Brinckerhoff donne à son tour une définition du paysage. Selon lui, avant d’être contemplé et apprécié dans ses dimensions romantiques, sublimes et pittoresques, le paysage est produit et habité par les Hommes. Il le distingue ensuite sous deux entités : le paysage «vernaculaire» et celui «politique». Le paysage vernaculaire est celui façonné par les habitants d'un territoire, celui politique est au contraire généré par le pouvoir. Ces deux définitions sont en partie issues d'une observation des routes, entre le territoire vernaculaire et celui politique. Les routes des paysages vernaculaires, ruraux, sont des tracés hérités de passages anciens, en lien avec le paysage et son évolution. Les routes d'un paysage politique se caractérisent par le fait qu'elles naissent de l’investissement d'un état, d'un gouvernement ou d'une institution qui les tracent, indépendamment de leur support : de la géographie, de la nature des sols, du paysage etc.. Elles ne sont que des points, reliant des corps de l'institution politique du territoire. Finalement, nos paysages sont la conjonction de ces deux entités qui s’entremêlent et se superposent en permanence. Pour pouvoir travailler avec, il s'agit de combiner et de savoir composer avec ces deux contextes de la réalité vernaculaire, politique, rurale et urbaine. Les villes petites et moyennes du monde rural se démarquent par leur capacité à s’affranchir de ce fonctionnement en réseau de la métropole. Leur ancrage territorial y est ainsi plus marqué. Elles convoquent de façon plus récurrente un rapport au local. Lorsque l’on parle d’architecture située pour ces petites villes, c’est situé dans un sens qui n’est pas le même que celui de la situation d’une métropole, sur une carte des grandes villes ou d’une carte des flux monétaires internationaux. Pour les architectes, ces territoires sont donc l’occasion de travailler dans une relation très forte avec le site (une position géographique, matérielle) mais aussi avec la situation (humaine et politique), deux données nécessaires à la compréhension de ce qui compose le territoire. C’est alors une façon de se reterritorialiser, de faire appartenir une architecture dans son territoire, dans son paysage et d’ancrer une architecture dans un site. Un édifice convoquant une vérité constructive, notamment par la matière permet de faire émerger les composantes du territoire. C’est aussi une façon de produire une attention pour ces milieux, de faire naître un désir et de créer un dialogue avec le site. En somme, l’architecture doit permettre de concrétiser un site, révéler ce que Christian Norberg Schulz appelle le genius loci, le génie du lieu.15 14 I BRINCKERHOFF JACKSON John, A la découverte du paysage vernaculaire, Édition Actes Sud, 2003, 277p. 15 I NORBERG-SCHULTZ Christian, Genius Loci, Paysage, Ambiance, Architecture, Édition Madraga, 1997, 216p. Ruralité / Urbanité

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Fig 13. Carte des communes lauréates à l’Appel à Manifestation d’Intérêt

Fig 14. Carte des villes moyennes bénéficiaires du plan action cœur de ville.

Fig 15. Carte des villes bénéficiaire du programme Petites Villes de Demain (PVD)


CHAPITRE II. Une nécessité d’intervention

Au début du XXe siècle, la pratique des architectes et urbanistes est majoritairement tournée vers la ville. En effet, le mouvement moderne naît à ce moment du passage progressif de la campagne vers la ville causé par la révolution industrielle. La priorité est alors à la nécessité de repenser la ville dans un contexte de changements techniques, sociaux et culturels. Le sujet se tourne notamment vers les enjeux de relogements d’après-guerre proposant divers prototypes d’habitats et plans d’urbanisation idéaux. Le milieu rural est alors peu fourni en intelligence territoriale et peu de praticiens sont présents dans ces territoires. Aujourd’hui, les milieux ruraux et ses modes de vie sont peu à peu gagnés d’intérêt et l’État met en place des subventions visant à la revitalisation de ses centres-bourgs. Appels à Manifestation d’Intérêt (AMI), Actions cœur de ville et études urbaines font ainsi l’objet de plusieurs recherches et posent les bases pour la mise en place de nombreux projets dans les villes petites et moyennes. Ces enjeux n’échappent pas au milieu de l’architecture et quelques agences portent leur regard vers ces situations de projet naissant de façon éparse en France. Au début de l’été 2014, le Gouvernement met en place un programme expérimental pour la revitalisation des centres-bourgs via des Appels à Manifestation d’Intérêt. Sur les 267 communes ayant candidaté, 54 sont retenues pour une durée de six ans.16 (fig. 5) En septembre 2018, le plan Action Cœur de ville17 est lancé sur tout le méritoire métropolitain et outremer à l’attention de 222 villes moyennes. L’État a ainsi levé cinq milliards d’euros sur cinq ans (2018-2022) afin de mener à bien ce projet de territoire (fig. 6). Le plan d’action s’organise autour de cinq axes : 1. Réhabilitation-restructuration de l’habitat en centre-ville 2. Développement économique et commercial équilibré 3. Accessibilité, mobilité et connexions 4. Mise en valeur de l’espace public et du patrimoine 5. Accès aux équipements et aux services publics

Pour les petites villes, le programme Petites Villes de Demain18 (PVD) est instauré le 1er octobre 2020 et rassemble plus de 1 600 communes. Trois milliards d’euros sont alloués pour appuyer les moyens des élus des villes et leurs intercommunalités de moins de 20 000 habitants tout au long de leur mandat, jusqu’en 2026. (fig. 7) 16 I Appel à Manifestation d’Intérêt (AMI) Source : http://www.centres-bourgs.logement.gouv.fr 17 I Actions cœur de ville Source : https://www.cohesion-territoires.gouv.fr 18 I Petites Villes de Demain (PVD) Source : https://agence-cohesion-territoires.gouv.fr .

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L’intérêt de la classe politique et la levée de fonds qu’elle permet engagent maintenant une possibilité de projet dont les architectes, paysagistes et urbanistes s’emparent. Nouvellement gagnés d’intérêt, on remarque dans les milieux ruraux une attitude particulière de la part de ceux qui pensent et aménagent le territoire. L’échelle de projet convoquée, plus maîtrisable que celle des métropoles, permet à ces professions de reconnecter avec une pratique plus traditionnelle de leur métier. Le projet est pensé ancré dans un site et son territoire, en relation avec la société qui le compose. Depuis quelques années, la ruralité est donc devenue un véritable sujet de recherche et de travail. La demande en intelligence territoriale grandissante et leur forte identité en font des lieux où se croisent différentes intrigues. La nécessité d’intervention y mêle non seulement un sentiment d’action militante du métier mais permet également aux projets de s’incarner dans des sites à forte valeur paysagère et esthétique. Ils convoquent un ailleurs, d'abord fuit puis oublié pendant un temps. Pourtant nous les connaissons tous mêmes si nous, urbains, les avons avec le temps, mystifiés sous le prisme de paysages romantiques, sublimes ou pittoresques. Le monde rural incarne les singularités d'une forte richesse patrimoniale notamment par son patrimoine bâti qui participe à la distinction d'un territoire à l'autre. Le pisé et les pierres jaunes des Monts du Lyonnais participent à son identité territoriale au même titre que les imposantes toitures des bâtiments de Haute-Saône et du Jura. Ces particularités constituent indéniablement une forme d'attraction notamment pour des familles désireuses de trouver une alternative à des situations périurbaines par exemple. Fort de ces investissements, il apparait qu'une partie de la population retrouve une qualité de vie dans ces milieux, une qualité dont la ville contemporaine s'est éloignée. La crise du Covid-19 l'a d’ailleurs bien mis en exergue. Les questions sanitaires et écologiques aujourd'hui prépondérantes présagent un regain d'intérêt pour ces territoires, à la condition de les rénover, de les reconstruire, de les réenchanter, et d'y intervenir avec soin. Pour certains, le soin que ces territoires réclament ne peut s'incarner qu'à travers un arpentage et une connaissance précise de ces milieux. Au-delà de la simple permanence architecturale, certains architectes font le choix d'y habiter et d'y travailler donc d'y implanter leur agence pour participer au à l'évolution du territoire. Il faut habiter pour pouvoir bâtir. Il faut comprendre ici que l'architecte ne peut prendre soin d’un milieu que si il développe à son égard des rapports qui ne sont pas seulement à l’occasion d’un projet mais qui proviennent plutôt de l'expérience sur le plus long terme. Leurs agences sont implantées dans un territoire de prédilection, choisi pour leur pratique. Bien-sûr, ces architectes sont amenés à construire ailleurs que dans le milieu proche de leur agence et travaillent parfois en lien avec la ville. Cependant, le choix de s’implanter dans un lieu qui n’est pas celui le plus attendu ou la métropole la plus dynamique est une démarche particulière, située. 38.


L’habitation au sens d’une fréquentation répétée d’un lieu comme gage d’une qualité architecturale est une conscience architecturale qui émerge de plus en plus fortement. Pour beaucoup d'agences, il n’y a plus nécessairement d'attentes à avoir envers d’une production internationale et déterritorialisée. Il faut pouvoir durer sur un territoire pour pouvoir le comprendre. C'est cette inscription sur le long terme qui est gage d’un soin. Par cette démarche, ceux qui façonnent le territoire apprennent à connaître le site et ses ressources avec lequel ils interagissent mais également la situation, politique, culturelle, la population. En s'installant au sein mêmes de ces milieux, il s'agit donc bien là de prendre connaissance du territoire dans toute son épaisseur, toute sa complexité pour y intervenir intelligemment, selon toutes les données de la matrice complexe qui le composent. A travers ces interventions, il réside également une forme d’engagement militant est assez fort. Pour le professeur de philosophie Jean-Philippe Pierron, l'engagement prend place entre les envies et les raisons d'agir19. Ici, les raisons et les envies d'agir coïncident. La dimension intéressée et stratégique répond à celle militante et éthique. Elles ne sont pas contradictoires l'une avec l’autre mais se complètent. En effet, la nécessité d'intervention que réclament les territoires ruraux est également le lieu d'une stratégie pragmatique d'implantation pour les architectes, urbanistes et paysagistes qui y voient des situations possibles d'exercice.

19 I PIERRON Jean-Philippe, L'engagement. Envies d'agir et les raisons d'agir, Édition Sens-dessous, 2006, pages 51 à 61. Ruralité / Urbanité

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CHAPITRE III. Une stratégie pragmatique d'implantation

Certains architectes s'inscrivent donc au cœur de cette nouvelle démarche militante vers le réenchantement des milieux ruraux. Cependant, non loin de l'image de ces architectes salvateurs se cachent également les difficultés que peut rencontrer une jeune agence afin de s'implanter en milieu urbain. Comme énoncé précédemment, ces territoires sont porteurs des enjeux clés pour penser le monde de demain. La demande d’intervention dans ces territoires a alors conduit la profession à s'y rendre pour y travailler. Cet intérêt est à nuancer avec une réalité du métier d'architecte à qui la commande échappe aujourd'hui, happée par les géants du BTP comme Vinci©, Bouygue©, Eiffage© et Spie-Batignolles© pour ne citer que les quatre leaders français. En effet, la ville n'est plus le lieu foisonnant de possibilité de projet pour de petites ou modestes agence comme il a pu l'être dans les années 50. L'accès à la commande se révèle être de plus en plus compliqué et concurrentiel. Pour ne prendre que l'exemple des concours publics en milieu urbain, parvenir ne seraitce qu'à être sélectionné requiert un grand nombre de conditions notamment des références généralement de moins de cinq ans (ou moins), dans des budgets et des dimensions similaires. Une grande majorité de la profession se concentre en région Île-deFrance (32,5%) loin devant sa dauphine la région Rhône-Alpes (10,4%)20. La métropole attire encore aujourd'hui la majorité des agences d'architecture dont la nette supériorité se trouve évidement à Paris. La concurrence y est donc plus importante et même accrue par la présence d'agences avec de forts effectifs qui se spécialisent pour certains types de projets ou de programmes. Les majors du BTP cités plus haut participent à casser ce marché déjà difficile d'accès. Le choix du maître d’œuvre se fait aussi sur la base de ses honoraires (une condition qui n'est pourtant en rien gage de qualité architecturale). Devant s'aligner sur les prix des géants de la production architecturale de masse, les petites et moyennes agences se voient dans l'obligation de répondre à des taux toujours plus bas, quitte à être déficitaire sur la réalisation globale du projet. Ces données sont révélatrices de la situation qu'est aujourd'hui devenue le métier d'architecte et de la grande difficulté d’exercer en ville en particulier pour les jeunes agences. Le milieu rural, lui, réclame une intelligence territoriale, qu’elle soit architecturale, urbaine ou paysagère. Il y réside donc une niche de projets. Pourtant peu d’architectes y sont présents. Ce sont des territoires riches en opportunités de projets et de possibilités d’interventions sur des projets à différentes échelles, tout en présentant moins de concurrence qu’en ville. 20 I Source : L'ordre des architectes, www.architectes.org, La profession en chiffre, 2018

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L'exercice des architectes en milieu rural ne les exempt pas du travail en ville. Le seul travail en milieu rural ne permet pas à lui seul de faire vivre une agence. Malgré les fonds nouvellement mis en place, l'économie n'y est pour autant pas florissante et les subventions ne suffisent pas, en particulier du côté de l'habitat et des logements sociaux. Les architectes sont d'ailleurs parfois obligés de faire appel à des organismes de l’État afin de compléter les subventions. On peut par exemple citer les EPF21, un organisme en partie chargé du portage foncier du bâti dégradé en France ou la DRAC22, un organisme régional chargé de la connaissance, la protection, la conservation et de la valorisation du patrimoine. Toutefois, le choix de l'exercice dans ces milieux comme territoire de prédilection permet d'assurer les bases de l'implantation d'une jeune agence. Pour Bernard Quirot, Luigi Snozzi et Georges-Henri Pingusson, le rural a effectivement été le lieu d'une «occasion d'architecture». Leurs interventions architecturales dans les villages de Pesmes, Monte Carasso et au Vialle de Grillon de ces trois architectes débutent entre 1974, 1979 et 2008. Pour chacun d'entre eux, les enjeux contemporains cités en introduction (crise écologique, ré-habiter les villes petites et moyennes, difficultés d'exercer en milieu urbain, dé-professionnalisation du métier l'architecte) n'ont pas la même importance dans la concrétisation de leur pratique. Néanmoins, on constate une récurrence de certaines thématiques dans leur démarche vers ces territoires avec lesquels interagissent. Les actions et interventions de ces architectes se traduisent sous plusieurs formes : plan directeurs, conseils et participation à la vie politique, enseignement et bien-sur à travers des constructions, privées ou publiques et la rénovation du patrimoine bâti, souvent ancien. Afin de parvenir à projeter un aménagement urbain et produire une architecture au sein des villages où ils interviennent, G.-H. Pingusson, L. Snozzi et B. Quirot ont chacun procédés de manières différentes.

21 I EPF : Établissements Publics Fonciers. Leur métier consiste à acquérir des terrains ou de bâtis dégradés qui serviront, ensuite, à la construction de logements, en particulier de logements sociaux. 22 I DRAC : Direction Régionale des Affaires Culturelles Ruralité / Urbanité

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PESMES Bernard Quirot

Pour Bernard Quirot, son intervention au sein du village de Pesmes a pu être réalisée par l'implantation de son agence et de l'association Avenir Radieux dans le cœur du centre ancien historique. Ces deux entités permettent l'intervention dans le village de la petite échelle à la construction d'un projet clé au sein du village. A titre d'exemple, ces interventions s'étendent du simple conseil à la restructuration du groupe scolaire. En étant présent au sein du village tant comme agence d'architecture que comme association de conseil, de service gratuit, l’intention est ici clairement de redonner aux habitants un désir d'architecture, de donner une volonté collective de rénover le centre ancien. Pour Bernard Quirot, il s'agit par cette démarche de rompre avec l'austérité qu'ont pu inspirer les architectes du mouvement moderne pour se rapprocher un peu plus de la communauté et d'essayer que l'on «pousse la porte du cabinet d'architecture comme on pousse la porte du boulanger».

Principales réalisations dirigées par l'agence BQ+A Privées

Publiques

1. Première agence BQ+A, Rénovation, 2008 2. Maison Rue du Donjon, Rénovation, 2009 3. Maison de la Grande Rue, Rénovation, 2012 4. Maison Rue des Tanneurs, Rénovation, 2013 5. Maison Rue des Tanneurs, Rénovation, 2014 6. Maison Rue des Fossés, Rénovation, 2015 7. Maison Rue des Châteaux, Rénovation, 2016 8. Maison Rue des Tanneurs, Rénovation, 2021 9. Seconde agence BQ+A, Rénovation, 2021

10. Base nautique, Construction, 1988 11. Groupe Scolaire, Restructuration dans l'ancien château du Xe siècle, 2012 12. Périscolaire, Construction, 2013 13. Maire, Restructuration dans l'ancien château du Xe siècle, 2013

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MONTE CARASSO Luigi Snozzi

Pour Luigi snozzi la pluralité de ses interventions a été rendue possible par l'entente et la confiance entretenue entre l'architecte et le Maire à la suite du premier dessin de Snozzi pour Monte Carasso : celui d'un grand plan directeur. Par la suite, il s'est investi pendant plus de quarante ans pour le développement du village en tant qu'architecte mais aussi à la commission d'urbanisme. C'est aussi de cette longue relation entre une mairie et une maîtrise d’œuvre et sa population qu'à pu naître un tel projet, celui d'une vie. Le cœur de son travail à Monte carasso réside donc dans la réalisation de ce grand plan directeur mais également dans la simplification des règles d'urbanisme passant de 150 à seulement 7 : 1. Les distances : Abolition de la distance minimum de la limite séparative. 2. La hauteur des construction : Autorisation de construire un étage supplémentaire 3. Les enceintes : Avoir une séparation franche entre espace public et espace privé. 4. La circulation : Laisser un maximum de place aux piétons en favorisant les voies de tailles réduites. 5. La structure du lieu : Retrouver et conserver la structure du lieu en donnant une limite à l'urbanisation diffuse et une unité au village. 6. La commission : Les projets proposés pour le village doivent être contrôlés par la commission d'urbanisme. 7. La règle orale : Un projet, doit s'adapter au lieu et si le lieu demande de ne répondre à aucune des autres règle, alors il faut l'écouter. Principales réalisations dirigées par L. Snozzi Privées

Publiques

1. Maison du Maire Flavio Guidotti, 1984 2. Banque Raiffeisen, 1984 3. Maison Rapetti, 1987 4. Maison Morisoli Natalino, 1988 5. Maison Morisoli Giorgio, 1989 6. Maison des frères Guidotti, 1991 7. Maison d'Andrea, 1994

8. Mairie de Monte C., 1980, restauration datant de 1912 9. École primaire dans l'ancien couvent, Réhabilitation, 1979-1993 10. Gymnase communal, Construction, 1983 11. Cimetière communal, Réaménagement,1984 12. Parc de jeux pour les enfants, Réaménagement, 1984

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LE VIALLE DE GRILLON Georges-Henri Pingusson

Pour Georges-Henri pingusson, c'est par le biais de l'enseignement que sa réflexion au Vialle de Grillon a pu progressivement mûrir quelques temps avant sa mort. Bien que la majorité de son travail n'ait été que dessiné ou réalisé post mortem, les observations, le relevé précis pierre par pierre et le dessin des interventions du plan global de réaménagement jusqu'au détails de mise en œuvre de menuiseries appui inspiré les architectes qui ont suivi. A Grillon, il travaille avec un cadastre, agrandi au 200e et à partir de photos aériennes qu'il a pris lui-même (les géomètres n’existant pas encore) Les parcelles sont repérées et numérotées, servant à identifier et vendre les projets de maisons particulières dans un premier temps mais aussi à proposer une sorte de plan guide des équipements publics devant permettre à Grillon de devenir une ville attractive : le château devait devenir une salle des fêtes, dessin d’une école maternelle (équipement qui devenait pressant dans le village qui s’agrandissait), une piscine, un hôtel avec une vue prenante sur le grand paysage etc... Enfin, les espaces publics sont eux aussi redessinés et notamment les abords du château transformés en gradins de façon à accueillir plusieurs manifestations et la rénovation des anciens réservoirs alimentant les espaces plantés de Grillon. A ce moment, les dix-huit logements HLM n’étaient pas encore envisagés mais le plan guide pressentait tout de même certaines parcelles prévues à une éventuelle opération de logement. Projets dirigés par G.-H. Pingusson Réalisés

Dessinés

1. Ensemble de 18 logements pou l'Office HLM du Vaucluse, Réhabilitation, 1980

2. L’Hôtel Chapuis de Tourville Restauré par Jacques Small en 1982. 3. La maison Milon Réhabilitée en 1988 par l'architecte H. Saint-Odile. 4. Dessin de l'annexe de l'Hotel, de l'espace public du belvédère et du mail. 5. Maison des trois arcs Dessin de son intégration dans l'espace public. 6. Ruines de la Porte Neuve Dessin d'une entrée pour le Vialle. 7. Projets d'habitation individuels Création de 13 logements dans les ruines du Vialle en 1996. 8. Le parking Dessin d'un espace public en gradin

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CHAPITRE IV. La relation entre maîtrise d’œuvre et maîtrise d’ouvrage

Aboutir à la réalisation de plans d’organisation et à leur construction ne peut se faire sans une entente de concert entre un architecte et sa mairie qui incarne la maîtrise d'ouvrage en charge du bon développement de sa ville et de la concrétisation de projets publics. C'est cependant une situation que l'on retrouve aujourd'hui assez peu, l'une des raisons étant le sixtennat pendant lequel une mairie est en place sur une commune. Il ne s'agit pas là de remettre en question ce temps de permanence, simplement de faire le constat des limites de ces six années dans le développement de projets architecturaux. En effet, nombre de projets publics sont avortés à la suite d'élections municipales. Conscientes de cette temporalité, les agences d'architecture ajustent le rythme de travail et leurs priorités, conscientes du possible avortement des travaux, parfois en phase finale ACT23 avec signature du DCE24, voire aux prémices du chantier (DET)25. Cette symbiose entre un maire et un architecte a pourtant vu son essor dans les années 20. On peut citer l'architecte et ingénieur néerlandais Willem Marinus Dudok qui a été pendant plus de 20 ans l’architecte en chef de la petite ville d'Hilversum. A l'époque, Hilversum est un petit village dortoir d’Amsterdam dont l'arrivée du chemin de fer en 1920 a offert aux habitants les aménités pour s'y installer. Par ailleurs, l'architecte y réalise à partir de 1916 l'hôtel de ville, la piscine municipale, le cimetière ainsi que plusieurs logements et écoles, offrant à la ville une véritable opportunité de développement. En Yougoslavie, le professeur et architecte Jože Plečnik dévoue à partir de 1921 son travail à la ville de Ljubljana dont il repense l'aménagement urbain et architectural. Il y réalise ainsi la bibliothèque universitaire, un marché couvert, des maisons de banques et d'assurances mais également un grand nombre d'aménagements urbains, de place, de quais et de ponts. L'opportunité d'architecture et la permanence architecturale que ces villes ont pu offrir à ces architectes de la modernité s'est faite en symbiose avec les administrations politiques en place. Aujourd'hui, ce travail sur le temps long dans un territoire de prédilection est un évènement assez rare. ² la profession n'en émette le souhait, les rapports aussi long d'architectes avec un site, une mairie et une population sont devenus extrêmement occasionnels. 23 I ACT : Assistance aux Contrats de Travaux. Phase d'analyse des offres des entrepreneurs selon des procédures bien définies et choix selon les budgets alloués. 24 I DCE : Dossier de Consultation des Entreprise. Il détaille l’ensemble des caractéristiques techniques et administratives et estime les budgets des différents lots. 25 I DET : Direction de l’Exécution des travaux. Phase assurant l’exécution conforme des différentes phases de la construction Ruralité / Urbanité

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Dans les territoires ruraux, la maîtrise d’ouvrage est incarnée par une personne qui prend connaissance du projet et y porte une attention particulière. Il y a une forme de simplicité dans les relations entre une mairie et un architecte qui se perd lorsque la maîtrise d’ouvrage est déléguée. Elle multiplie les acteurs du projet pour devenir des entremetteurs entre la maîtrise d’œuvre et la maîtrise d’ouvrage ce qui peut amener à complexifier les échanges. Cette délégation de la maitrise d’ouvrage à un Assistant à la Maitrise d’Ouvrage (AMO) est un procédé plutôt relatif à la ville. Or, les relations et la pensée simultanée entre un architecte et son maître d'ouvrage, le réel commanditaire du projet, sont primordiales au bon déroulement du projet. Même si l'architecte porte la responsabilité de la bonne mise en œuvre architecturale, le maître d'ouvrage est celui qui porte le gage de la qualité du projet. C'est idéalement ce qui devrait le guider dans le choix de son maître d’œuvre, au-delà du seul aspect financier et du pourcentage d'honoraire auquel répond l'architecte. Au cour de notre entretien, Bernard Quirot appuie ces propos : «Le responsable c’est le maître d’ouvrage qui se doit de choisir un bon architecte. Pour moi quelqu’un qui dirige une ville devrait être sachant : savoir comment la ville se crée comment elle grandit, qu’est ce qui la fait vivre etc…»26 Si la personne qui porte l'ouvrage ne le désire pas, la qualité architecturale en sera affectée. La recherche de cette synergie entre la maîtrise d’œuvre et d'ouvrage a d'ailleurs été l'une de ses motivations pour l'installation de son activité en milieu rural : «On est aussi partis de la ville parce que la maîtrise d’ouvrage ne nous permettait pas de faire notre métier. Le but était alors de travailler plus dans les territoires ruraux, pour de plus petites maîtrises d’ouvrage. Lorsque l’on peut rencontrer les maires comme par exemple à Pontailler-sur-Saône(21), on peut encore rencontrer une personne qui nous traite d’égal à égal, qui respecte le métier d’architecte et qui a pris connaissance de ce qu’il projette, de ce qu’il dessine, de ce qu’il bâtit.»27 Similairement, la restauration du village de Monte Carasso débute pour Luigi Snozzi sur la base de la commande d'un nouveau plan régulateur en 1979. Il aura la chance de pouvoir œuvrer pendant plus de 50 ans et jusqu'à la fin de sa vie au développement de la commune. Outre la création d'un centre, le projet urbain se singularise par le refus d'un plan de zonage et par une simplification à l’extrême des règles de construction que l'architecte fait passer de 150 à 728 entre le dernier plan d'urbanisme et celui proposé par L. Snozzi. Cette expérience a pu en grande partie être menée grâce au soutien inconditionnel du Maire en place : Flavio Guidotti, en étroite collaboration avec ses services communaux et la population. 26 I Extrait de l'entretien de QUIROT Bernard, Contre l'abstraction constructive, Annexe page 95 27 I Ibid 28 I Cf. page 45

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Comme déjà évoqué, le monde rural porte une certaine richesse de son patrimoine bâti. Cette richesse n'a pourtant pas toujours été remarquée. Créée en 1962 dans un contexte d’après guerre à l’époque des trente glorieuses, la loi Malraux devait protéger les centres anciens de la destruction massive à laquelle ils faisaient face. En effet, après la seconde Guerre Mondiale, l’État prône la construction de villes nouvelles et les centres historiques héritent d’une vision péjorative entraînant leur déconstruction. Pour sauver et préserver ces grands ensembles urbains, André Malraux engage des démarches pour la mise en place de Plans de Sauvegarde et de Mise en Valeur dans les centresbourgs afin de réglementer les interventions en centre ancien. Aujourd’hui, les villes petites et moyennes font face à la désindustrialisation qui a entraîné une fuite de leur population, de leurs services et une forte paupérisation. Les enjeux du monde rural ont changé et la justesse de cet outil qui cherche peut être alors trop à conserver le patrimoine et ne laisse pas assez de liberté de transformation (ce qui n’exclut pourtant pas la valorisation du patrimoine). Il semblerait intéressant d'aller au-delà des logiques de protection pour tendre vers des logiques de projet. Sans remettre ici en question l'intervention des ABF dont le rôle est évidement de participer à la protection de ce patrimoine, leurs influences ne seraient que plus pertinentes si ces derniers pouvaient être présents sur les territoires où ils interviennent. La démarche similaire à celle de l'architecte maître d’œuvre (puisque eux aussi sont avant tout architectes) permettrait là aussi une attention particulière, gage d'un soin dans la réparation de ces villages. Dans la revue pierre d'angle parue en 2008, Simon Teyssou décrit cette démarche La soustraction positive29. A travers cet article, il questionne les réels besoins contemporains de ces cœurs de bourgs dont la question ne devrait plus être de savoir comment les protéger mais plutôt de savoir comment les reconstruire au vu de leur forte dégradation. Il est important de rappeler que la protection devant initialement s'appliquer aux monuments historiques s'est élargie sur des quartiers entiers sans que soit réellement remis en question les principes de l'approche de la protection monumentale. C'est un sentiment partagé à l'agence BQ+A. Sans l'entente et les échanges récurrents entre l'ABF en charge de la préservation de Pesmes et l'agence, nombre des interventions dans le village n'auraient pas été en mesure de voir le jour. Il s'agit là de s'inscrire dans une perspective collective visant à transformer l'espace au mieux des intérêts des habitants contemporains plutôt que de conserver coûte que coûte un héritage sous cloche. Les deux corps de métiers se positionnent dans une optique de projet permettant de s'abstraire lorsqu'il nécessaire de l'optique de conservation parfois répressive. 29 I TEYSSOU Simon, La soustraction positive, Vers une mutation des centres-bourgs en déshérence, in revue Pierre d’Angle, Le magazine de l’ANABF, Dossier «construire dans l’existant», 2019. Ruralité / Urbanité

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PARTIE 2 La pratique Faire / Penser

CHAPITRE I. De l'architecte-constructeur au disagneur CHAPITRE II. L'espace-mise en œuvre, la proximité du chantier CHAPITRE III. L'espace-ressource, la matière comme matrice du territoire CHAPITRE IV. Le maître d’œuvre enseignant CHAPITRE V. Le séminaire, un biais pour une recherche in situ


Illustration Partie II : Photo de chantier, murs en pierre Grachaux (70), 2018, photo agence BQ+A


CHAPITRE I. De l'architecte-constructeur au disagneur

Pour analyser et réinventer la place et la fonction de l'architecte aujourd'hui, il s'agit d'abord de prendre connaissance de son évolution. Il s'agit ici de comprendre comment le métier d'architecte comme maître constructeur est progressivement devenu une profession qui se rapproche de plus en plus de celui d'un plasticien. Dans le livre co-écrit sous la direction de Louis Callebat : «“Architecte”, histoire d'un mot»30, on trouve pour la première fois le titre d'Architecte au Ve siècle av. J.-C. dans les «Histoires d’Hérodote»31, soit l'un des plus vieux livre qui nous soit parvenu depuis l'Antiquité. L'architecte y est présenté par Hérédote sous le nom d'«architecton» dont l’étymologie illustre l'origine de ce métier. Il est composé de : «archi» (αρχι-) qui signifie «chef de», et de «tecton» (-τεκτων) qui se réfère à «charpentier». Originellement, l'architecte est alors le coordinateur du chantier. Au IIIe siècle av. J.-C. dans «Le politique»32 de Platon, l’«architecton» se doit à nouveau d'être l'acteur autoritaire de l'organisation du chantier : «un quelconque architecte n’est pas lui même ouvrier, mais il dirige des ouvriers. ... Ce qu’il apporte... c’est une connaissance et non un travail manuel. ...il doit au contraire assigner à chacun des ouvriers la tâche qui lui convient jusqu’à ce que l’ouvrage commandé soit achevé.» Plus tard, en 1418 à Florence, lorsque Filippo Brunelleschi s’empare de la réalisation de la coupole de la cathédrale Santa Maria del Fiore, le processus de projet pour l'aboutissement du projet marque un tournant dans l'Histoire du métier d'architecte. La première pierre de la cathédrale est posée en 1296 sous le regard d’el capomaestro -le maître de l’œuvre- Arnolfo di Cambio qui meurt en 1310. Il emporte avec lui les secrets de conception de la coupole devant surmonter la croisée du transept et de la nef. Elle se dresse alors, inachevée, au centre de la ville la plus puissante d’Italie. Pour la réalisation de l’œuvre, il faudra faire preuve d’innovation. Brunelleschi se démarque de ses concurrents (notamment de Lorenzo Ghiberti) grâce à ses études lui ayant permis de s’initier à l’architecture, aux arts, mais aussi aux mathématiques et notamment aux notions de perspectives qu’il est le premier à utiliser dans le domaine de la construction. 30 I CALLEBAT Louis, “Architecte”, histoire d'un mot, Histoire de l'architecte, Édition Flammarion, 1988, 287p. 31 I HEREDOTE, Les Histoires [Ἱστορίαι] d'Hérédote, 445 av. J. -C. 32 I PLATON, Le Politique, av. J. -C 259. Faire / Penser

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Grâce à ses savoirs, il conçoit seul dans son atelier les plans pour la réalisation de l’ouvrage ce qui constitue à l’époque en une véritable révolution dans l’accompagnement du chantier. Dès cet instant, «le dessin peut se substituer à la maquette»33 grâce au leurre de la perspective permettant de faire croire à un espace en 3 dimensions sur une surface en 2 dimensions. Ses capacités à projeter mentalement l’espace permettent à Brunelleschi de penser le projet par le dessin, dans un bureau, loin des désagréments du chantier en extérieur pouvant ainsi même se détacher de la réalisation. Pour Bernard Marrey, «C’est une nouvelle méthode de travail. C’est aussi la naissance de l’architecte»34. Le maître d’œuvre devient un artiste concepteur qui pense son projet qu’il élabore sur du long terme, en perspective mais aussi en maquette mettant à jour son concetto35. L’architecte de la renaissance peut alors se détacher du chantier s’éloignant de l’architecte artisan du moyen âge. En France, le terme d’Architecteur commence à émerger vers la fin du XVe siècle et du XVIe siècle. Né de la traduction de l’Italien Architecttore, ce titre marque l’intellectualisation du métier. A ce moment de l’histoire l’architecteur est toujours le maître du chantier. Pour autant, cet instant marque la division de la connaissance des savoirs théoriques et pratiques de l’architecte, une division qui s’est poursuivie et qui affaiblit aujourd’hui la profession. En 2001, le sociologue Florent Champy publie Sociologie de l’architecture36 mettant en avant les conditions dans lesquelles les bâtiments en France sont pensés et construits. Il aborde notamment la division du travail provoquant une concurrence entre les métiers, de plus en plus nombreux : ingénieurs, urbanistes, multiplication des bureaux d'études, programmistes etc... La complexification de la production architecturale a favorisé l’apparition de ces nouvelles professions de la maîtrise d’œuvre, fragilisant la profession d’architecte. Florent Champy donne pour origine à cet état de crise deux évolutions clés de la division du métier. Dans un premier temps, par la scission entre le travail de l'architecte penseur et celui des artisans constructeurs, qui n'a fait que s’accroître puis dans un second temps, par la distance entre l'architecte et l'ingénieur. L'architecte s'est donc progressivement octroyé un statut différent de celui des constructeurs et d'une culture professionnelle et artistique se distinguant 33 I AÏM Roger, Filippo Brunelleschi, le dôme de Florence, paradigme du projet, Paris, Édition Hermann, 2010. 34 I MARREY Bernard, ARCHITECTE, du maître de l’œuvre au disagneur, Paris, Édition du Linteau, 2013 35 I Définition : Des concetti, pluriel du mot italien concetto, signifie conception, pensée, et, par extension, pensée brillante. (source : Larousse) 36 I CHAMPY Florent, Sociologie de l'architecture, Édition La Découverte, 2001, 128p

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de celle des ingénieurs. Les répercussions de cette position ne sont pas seulement sociologiques et culturelles mais se retrouvent aussi dans la composition et le contenu des enseignements. Les écoles d'architectures sont aujourd'hui moins des écoles de maîtrise d’œuvre et de construction que des passeurs de savoirs théoriques et historiques, ouvrant la porte à ses étudiants à des domaines plus larges que ceux se cantonnant simplement à la conception et à la construction architecturale. Selon Florent Champy, l’incapacité des architectes à préciser la nature de leur savoir et savoir-faire face à la concurrence des autres métier serait le facteur aggravant de cette perte de la maîtrise de l’œuvre et ferait peser sur la profession le spectre d'une «déprofessionnalisation». Malgré la loi n° 77-2 du 3 janvier 197737 devant valoriser l’intervention des architectes (notamment en leur attribuant l’exclusivité de la restitution du permis de construire), on estime à environ 60% la production architecturale construite sans recours aux architectes inscrits à l’Ordre. Dans ARCHITECTE, du maître de l’œuvre au disagneur, Bernard Marrey qualifie même la profession de «disagneur de façade» qui va « jusqu’à ne plus être réduit dans certains cas qu’à fournir le seul dessin du permis de construire »38 de projets prédéfinis. Le métier d’architecte a ainsi évolué d’une époque où étaient reliés le concepteur et l’exécutant qui étaient soit une même personne (le constructeur) soit deux corps de métier travaillant en forte collaboration à une période où les deux compétences du «penser» et du «faire» se sont dissociés. Cette maîtrise des savoirs théoriques et pratiques en faisait pourtant sa force, son identité.

37 I Texte réglementaire de l’Ordre des Architectes, Loi n° 77-2, 3 janvier 1977 sur l’architecture 38 I Ibid Note de bas de page 2 Faire / Penser

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Fig 16 Charpente du château de Sully sur Loire, Coupe VIOLLET-LE-DUC, Dictionnaire raisonné de l'architecture, 1854, tome 3


CHAPITRE II. L'espace-mise en œuvre, la proximité du chantier

La nécessité de renouer avec le "Savoir" et le "Faire" du métier d'architecte n'est pas un sentiment nouveau. En 1982, au cours d'un entretien avec Attilio Petruccioli retranscrit dans Mon Ambition39 par Bernard Marrey, Fernand Pouillon pose également ce constat : «Hélas on a encore divisé le métier en deux, entre la conception et la technique, et encore en deux entre l’exécution et la conception et on est arrivé à une chose fantastique : ceux qui conçoivent ne connaissent pas ceux qui exécutent.»40 F. Pouillon fait ici référence à la multiplication des acteurs pour mener à bien un projet (bureaux d'étude, d’ingénierie, etc..) qui ont participé à la séparation de la conception et de la technique. La seconde division qu'il déplore est celle entre les artisans et les maîtres d’œuvre, ceux qui conçoivent et ceux qui exécutent. Ce discours tenu dans les années 80 est aujourd'hui toujours vrai et s'est même accentué. Il poursuit : «La vie d’un architecte, c’est d’être sur le chantier, c’est même d’être en rapport direct avec les ouvriers, c’est même d’être soi-même entrepreneur, c’est ça la vraie vie d’un architecte. […] Le chantier, c’est le moyen de faire penser tout le monde ensemble, c’est le moyen de faire participer tout le monde à la valeur du bâtiment.»41 La mise en commun des savoirs entre le concepteur et l'artisan est pourtant profitable au projet architectural. D'une part, il est bien-sûr primordial pour l'architecte de parvenir à la bonne réalisation de l'ouvrage, jusque dans ses détails, ce qui implique indubitablement des échanges fréquents avec les artisans. D'autre part, les savoirs-faire dont les artisans sont porteurs jouent ici un rôle capital, c'est une richesse dont le projet peut et doit tirer profit, du gros œuvre à la menuiserie. Ils sont le résultat d'une longue transmission de gestes, de pratiques et d'expérience populaire, par et pour les Hommes. La mutation d'un système artisanal vers celui industriel au XIXe siècle précipite la raréfaction de ces savoirs au sein des métiers de l'artisanat. Cette époque marque par exemple le déclin massif du compagnonnage qui passe d'environ 200 000 membres au début du siècle à seulement quelques 2 000 compagnons du devoir en 1884. Pour les architectes, faire perdurer et employer ces formes artisanales de grande valeur permet à la production architecturale de trouver une intelligence du chantier et de la mise en œuvre. 39 I POUILLON Fernand, Mon ambition, Édition du Linteau, 2011, 155p 40 I POUILLON Fernand, Ibid 41 I POUILLON Fernand, Ibid Faire / Penser

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Aujourd'hui, le savoir-faire des compagnons du devoir est régulièrement convoqué dans la rénovation d'édifices de grande valeur comme les Monuments Historiques par exemple. Toutefois, le marché élitiste à travers lequel le compagnonnage a réussi à perdurer l'enferme dans un certain type de commande. L'architecte peut alors se positionner comme passeur pour régénérer un capital artisanal plus fort au sein de chantiers ordinaires. Les édifices anciens sont l'expression de gestes, d'empreintes, de marques d'outils, de traces constructives qui pourraient apparaître comme autant de défauts mais dans lequel résident en réalité les signes muets d'artisans dont les traces ont survécu anonymement. Ces traces sont le vecteur d'émotion et de sens qui mettent les Hommes face à eux même à des générations d'écart. C'est probablement de cette perte d'émotion et de sens que les architectes tentent de sortir en situant les artisans comme partie intégrante du projet. Finalement, ce qui finit par importer pour ces architectes au travers du chantier, c'est moins la performance du résultat que la réappropriation du geste archaïque de construire. Dans l'ouvrage réalisé sous la direction d'Alain Dupire Deux essais sur la construction. Conventions, dimensions et architecture42 co-écrit en 1981, les auteurs rappellent qu'il existait autrefois une langage commun entre architectes et artisans qu'ils nomment la technologie conventionnelle : «Quand on dit «les égouts sont retroussés», le charpentier sait que les chevrons aboutissent à mi-épaisseur du mur, le maçon sait qu’il doit terminer son mur par un entablement, le couvreur sait comment il doit poser le sous-doublis et le doublis de l’égout proprement dit». Dans la mesure où ces sujets techniques font partie d'une culture partagée, ils permettent aux architectes et artisans d'éviter une surenchère de précisions sur ces sujets techniques. L'artisan a connaissance de ce que l'architecte projette et l'architecte sait comment l'artisan va procéder. Il s'agit peut être ici pour l'architecte de redevenir un maître bâtisseur, qui accorde une importance au façonnage selon la nature des matériaux. Pour Adolf loos, «Un architecte est un maçon qui a appris le latin». Quant à Louis Kahn «Si tu demandes à une brique ce qu'elle veut être, elle te répondra : une voûte. Parfois tu demandes au béton d'aider la brique et la brique en est très heureuse». Enfin, pour Le Corbusier pour la maison Dom-Ino, ce que veut le béton c'est «franchir» d'où le système de structure-ossature du projet. L'architecte désincarné du chantier à fini par se détacher des corps de métier avec qui il travaille, et par extension, a perdu la capacité de dialoguer avec les matériaux. Or, la normalisation et la standardisation grandissantes des matériaux et de leurs modes constructifs font perdre aux deux corps de métier un savoir-faire autrefois induit. La production de l'habitat générique markété qui s’étend partout sur le territoire engage nécessairement une multiplication des chantiers alors eux aussi génériques, également victimes de la standardisation des matériaux. 42 I DUPIRE A., HAMBURGER B., PAUL J.-C., SAVIGNAT J.-M., THIEBAUT A., Deux essais sur la construction. Conventions, dimensions et architecture, Edition Mardaga, Bruxelles, 1981

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L'emploi presque systématique d'un complexe Placoplatre©, laine de verre, parpaing à la réalisation d'un mur implique des gestes, toujours les mêmes, qui prennent part à une perte des savoir-faire de l'artisanat et à l'appauvrissement de l'acte constructif. Il ne s'agit pas là d'opposer les potentiels de l'artisanat avec ceux de l'industrie. Ils peuvent être utilisés de concerts mais la richesse de chacun ne peut s'exprimer qu'à travers une technique et un soin propre à ces savoir-faire hérités. Le 12 octobre 2021, Bernard Quirot reprend cette même citation de F. Pouillon citée en introduction de chapitre à l'occasion de la conférence d'ouverture des journées de l'architecture. Elle fait écho à son questionnement dans Simplifions43 : «Est-il encore possible d'échapper à un futur qui ne nécessitera bientôt plus qu'un disagneur pour concevoir et un assembleur pour construire ?» Le contexte fragile du monde rural est l'occasion de se replacer dans les conditions initiales de l'acte de bâtir. Il s'agit là de revenir à une pratique plus ancestrale du métier, plus primitive aussi pour retrouver un plaisir du chantier en lien avec le geste et la trace de l'artisan sur la construction. Le sens profond de l'architecture apparait alors moins comme un art sophistiqué que comme une pratique de l’installation de l'Homme sur la Terre. Installer son agence en milieu rural est l'occasion de retrouver une maîtrise et une intelligence du chantier. L'artisanat travaille traditionnellement dans des géographies territoriales rapprochées, dans une logique plus économe et soutenable du territoire. Ces entreprises artisanales sont probablement plus proches dans leur échelle, leur implantation et leur champs de commande de la population en elle-même. En ce sens l'artisanat et ses entreprises répondent certainement d'une façon plus populaire d'occupation et de maillage du territoire. Le renouement entre l'architecture et l’artisanat est certainement le corollaire d'un renouement entre l'architecte et le peuple, là où la modernité a instauré une forme plus distanciée, prétendue supérieure et autoritaire. En effet, les sites de projets se trouvent souvent à proximité du site de l'agence. Aussi, le moment du chantier s'insère dans un réseau social, de connaissance avec lequel les architectes interagissent. Le choix des artisans se fait également sur la base de ce réseau de connaissances : on travaille souvent avec les mêmes entreprises car peu sont présentes sur le territoire. Par ailleurs, les relations entre architectes et artisans dépassent parfois la seule communauté du chantier, ce qui facilite les échanges. Finalement, ce qui finit par importer pour ces architectes au travers du chantier, c'est moins la performance du résultat que la réappropriation du geste archaïque de construire. 43 I QUIROT Bernard, Simplifions, Édition Cosa Mentale, Marseille, Collection Essais, 2019, 96p Faire / Penser

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Fig 17. Rénovation et extension d'un ancien corps de ferme Rosey (70), 2020, production agence BQ+A Faire / Penser

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CHAPITRE III. L'espace-ressource, la matière comme matrice du territoire

Reconnecter les savoirs pratiques et théoriques dans l'acte de bâtir demande évidement à l'architecte de poser un regard attentif à la matière et à sa mise en œuvre. Dans nos modes d'habiter contemporains, la matière répond de plus en plus de l'abstraction que de la vérité constructive. Dans Simplifions44 paru en 2019, Bernard Quirot s'en désole : «Nous sommes bien souvent incapables de répondre à la question : avec quel matériaux ce bâtiment est-il construit ? La matière nous rattache pourtant à la terre et c'est grâce à elle, à la manière dont elle est mise en œuvre que nous sommes quelque part.»45 Cette situation est en grande partie due à la standardisation et à l'uniformisation des matériaux. A cette recherche sur la matière s'ajoute une donnée qu'il est indispensable de considérer dans le monde contemporain : celle de la crise environnementale que nous traversons. Les matériaux de constructions massivement utilisés comme le béton et le parpaing sont de gros consommateurs d'énergie et participent à cette crise. Le secteur du BTP est considéré comme le second secteur le plus polluant en France, suivant de près celui des transports. Selon le ministère de la transition écologique, le BTP est responsable en France en 2018 de 27 % des émissions de CO2 et de 45 % de la consommation énergétique46. En 2019, les émissions de gaz a effet de serre s'élèvent à 10 milliards de tonnes, un record inédit dont s'inquiète l'ONU dans son rapport annuel. A ce rythme, la neutralité carbone promise d'ici 2050 dans les accords de Paris signés en 2016 ne sera pas atteinte par le secteur du bâtiment. Dans ce contexte, il appartient aux architectes et autres corps de métier du BTP de renouveler les manières de faire et de les penser de concert avec les matières pour faire. Par ailleurs, l'architecture est à même d’instaurer des connexions interterritoriales à différentes échelles dans sa matière et sa mise en forme. A l’échelle du local elle peut dévoiler le déjà là, ce qui préexiste sur un site ou dans une dimension paysagère plus large, convoquer l’au-delà. C'est une matière-ressource, un morceau du paysage. Ce morceau du territoire duquel elle est extraite convoque évidement sa source, sa provenance : le bois est prélevé dans une forêt, la pierre est extraite d'une carrière, un mur en pisé est érigé à partir d'un sol etc.. Fig 18. Rénovation d'une maison en ruine Rue des Tanneurs, Pesmes (70), 2021, photo personnelle 44 I QUIROT Bernard, Ibid, page 60 45 I QUIROT Bernard , Conférence pour les Journées de l'architecture 2021 - Grande conférence d'ouverture, 1h04min. 46 I Source : https://www.ecologie.gouv.fr Faire / Penser

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Pour convoquer cette expression du territoire local, l'architecte doit considérer la proximité entre l'espace-ressource, l'espace-expression et l'espacemise en œuvre. Une attention particulière doit être portée au lien entre la matière et la filière. Pour Paul Ricœur, «C'est dans le local que se nichent les valeurs les plus universelles». Dans le milieu rural, l'expression de cette matière-ressource est particulièrement convoquée. D'une part, les sites de productions et de transformations se trouvent souvent aux abords de ces territoires. Il se crée alors un lien, une sensibilité entre la matière et les communautés qui habitent, arpentent, travaillent dans ces espaces. Les matériaux font ainsi partie intégrante d'une culture commune. D'autre part le bâti du monde rural convoque une forme de vérité constructive dévoilant les matériaux et leur statique. Ils sont l'héritage d'un passé vernaculaire que les métropoles déterritorialisées ont parfois perdu au moment du Mouvement moderne, notamment de l'Art nouveau. En se séparant du monde concret de la matière et de la vérité constructive, l'architecture a cessé d'être un bien commun et une culture partagée. Dans le monde rural, le béton armé chéri par le Mouvement moderne n'y a pas eu raison du bois, de la pierre, du pisé et du mortier. Dans De la forme au lieu, Pierre Von Meiss examine ces matériaux récurrents de la construction, leurs connotations symboliques, culturelles et technologique. En toute objectivité, il nomme ainsi le béton armé de «roche des bâtisseurs du XXe siècle. […] (Une) pâte miraculeuse permettant des porte-à-faux formidables, au-delà des codes historiques de la statique et de la résistance des matériaux»47. C'est cependant avec un jugement à peine feint qu'André Ravéreau et Gilles Perraudin qualifie en cœur les architectes du mouvement Moderne de «plasticiens avant d'être architectes». Ils tirent ce constat d'une évidente préférence de ces architectes pour le modelage du béton armé aux questions d'architectoniques des forces du bois ou de la pierre qu'ils relèguent au deuxième plan. Cette importance des matériaux que le rural a gardé après son abandon séduit aujourd'hui. André Ravéreau appuie son propos au travers du pavillon de Barcelone de Ludwig Mies van der Rohe et de la maison sur la cascade de Franck Lloyd Wright : «Leurs œuvres sont des exemple d'architectures internationales, prétendues universelles qui prend des distances vis-à-vis de l'environnement social et climatique des différentes régions du monde au profit d'une architecture s'appuyant sur les principes de la modernité et les progrès de le technologie.»48 47 I VON MEISS Pierre, De la forme au lieu + de la tectonique, Une introduction à l'étude de l'architecture, Edition EPFL Press, Collection Essai, Troisième édition, 2014, 404p 48 I RAVEREAU André et PERRAUDIN Gilles, Conférence D'une génération de pionniers à leurs héritiers, vers une architecture située (1950-2015), Cité de l'Architecture, 2015, 1h39min.

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En héritage du Mouvement moderne, de l'évolution de l'industrialisation et nouvellement de systèmes normatifs omniprésents, la production architecturale contemporaine tend de plus en plus à s'incarner dans des architectures de peau. Dans l'Histoire de l'architecture, on attribue la première forme de construction à la cabane primitive, un modèle érigée par Marc Antoine Laugier au XVIIIe siècle. Les plus vieux livres d'architecture parvenus jusqu'à nos jours sont ceux de Vitruve. Dans l'introduction à son second livre De Architectura, il nomme ainsi l'origine de l'acte de construire : «Ce fut la découverte du feu qui amena les hommes à se réunir, à faire société entre eux, à vivre ensemble, à habiter dans un même lieu. […] aussi commencèrent-ils les uns à construire des huttes de feuillage, les autres à creuser des cavernes au pied des montagnes ; quelques-uns, à l’imitation de l’hirondelle qu’ils voyaient se construire des nids, façonnèrent avec de l’argile et de petites branches d’arbres des retraites qui purent leur servir d’abri.»49. On attribue alors à l'architecture deux origines : l'une structurelle et primitive que l'on peut apparenter à la cabane, l'autre textile, de la peau, que l'on peut apparenter à la tente des nomades. Aujourd'hui, c'est sans doute l'architecture textile qui domine la production architecturale. Nos bâtiments sont de plus en plus faits de revêtements. Ce phénomène est notamment dû à la nécessite normative de les isoler thermiquement par l'extérieur de matériaux légers. Cette couverture appliquée au bâtiment fait alors perdre à l'architecture l'expression de sa construction, d'un matériau empilé sur un autre qui fait le processus de fabrication. La façade ne fait alors plus office que de revêtement, de parement détaché de tout principe structurel.

49 I VITRUVE, De l’architecture, livre II, Introduction, traduction M. Ch.-L. Maufras, 1847, Lyon, page 139. Faire / Penser

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Fig 19. "La longue vue", Première maison du site, 2001, Maison individuelle, Grachaux (70) Photos Luc Boegly (à droite) et Agence BQ+A (à gauche)

Fig 20. "Le terrier", Seconde maison du site, 2012, Maison individuelle, Grachaux (70) Photos Luc Boegly (à droite) et Agence BQ+A (à gauche)

Fig 21. "Les bureaux", Troisième bâtiment du site, 2019, Bureaux, Grachaux (70) Photos Luc Boegly (à droite) et Agence BQ+A (à gauche)


TROIS MAISONS A GRACHAUX BQ+A

A travers son travail dans les territoire ruraux, l'agence BQ+A s'applique à ne choisir qu'un matériau se tient à cette tectonique exigeante qui fait que tout le bâtiment, de son plus petit détail jusqu'à sa totalité dépend d'un principe constructif. «L’architecture est avant tout l’art de la construction, de la tectonique et de la proportion qui concrétise un site. Chaque projet architectural est l’expression d’un système de construction sélectionné et du matériau choisi pour sa réalisation». En une vingtaine d'année, l'agence BQ+A a pu construire trois bâtiments sur un même site, celui de Grachaux en Haute-Saône. Cette évolution montre un parcours réflectif de l'agence, de 2001 à 2019 La première maison, hybride, est construite à partir d'une ossature métallique recouverte d'un bardage bois en mélèze. Cette première maison construite en 2001 convoque une architecture textile. Le bardage bois resserré et la surélévation sur pilotis de la maison s'insère aisément dans le paysage boisé du site. La peau du bardage recouvre et fait disparaître la structure même du projet qui s'abstrait du sol, flottant au-dessus de la topographie. En intérieur, son espace est fait d'un habillage sans rapport entre sa structure et son mode constructif. Ce bâtiment exprime donc une matière bois mais entretien un rapport distant avec sa construction. En 2012, une seconde maison est construite, elle en béton. A l'inverse de la première, le projet s'encastre dans le sol. Le mode constructif développé s'appuie sur un double mur béton qui enserre l'isolant pour le faire disparaître. Le béton est coulé par passe exprimant chaque strate nécessaire à sa mise en œuvre. La matérialité du béton se retourne depuis l’extérieur jusque dans l'intérieur du bâtiment, simplement réchauffée par le travail de la menuiserie. Enfin, la dernière construction est un projet en pierre calcaire, réalisé en 2019 après une rencontre avec Gilles Perraudin. L'utilisation de la pierre comme pierre porteuse montée en double mur enserrant l'isolant permet donne au bâtiment une apparente simplicité. Ce système constructif exprime une architecture évidente à travers un dessin et une réalisation plus archaïque que les précédents. «Ça a été une expérience formidable de voir les maçon travailler avec ces grosses pierres, j'avais l'impression qu'ils étaient eux aussi heureux de la simplicité de monter une pierre, sur une pierre». C'est l'acte le plus simple de bâtir.

Faire / Penser

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DE L'ENDUIT BLANC AU BÉTON DE SITE Georges-Henri Pingusson

Le mémorial des Martyrs de la déportation de Georges-Henri Pingusson a demandé presque dix ans pour être réalisé. Le projet exprime une en forte relation avec la philosophie de l'espace, si chère à l'architecte : le parcours commence par un petit escalier qui descend dans un creux dont on ne peut plus s'évader. Il n’y a alors que deux choses à faire : regarder les nuages, le ciel qui sont la voie libératrice, ou s'enfoncer dans les entrailles du sol dans un long couloir. Les matériaux du projets devaient exprimer le caractère tragique et intemporel de l'Holocauste. L'architecte choisi donc de développer des murs en béton cyclopéens, sans joint, construits à partir de toutes les pierres des carrières de France. Une fois le béton coulé, l’ensemble est travaillé au marteau piqueur pour lui donner une texture rugueuse. L'aspect final exprime ainsi une pierre artificielle aussi compacte et inaltérable que la pierre naturelle. «La matière est frustre et puissante. Elle anime les parois en contrastant avec les éléments en fer forgé», Pingusson. Le béton blanc augmenté de ses agrégats de pierre concassées et agglomérées avec du ciment blanc est un symbole de réconciliation et d'égalité de tous devant la mort, une matière pour se souvenir. A Grillon, la matière est également lourde de sens pour Pingusson. L'architecte moderne y fait à nouveau le choix d'un béton cyclopéen, armé dont les agrégats sont ceux issu des ruines du site. Les murs anciens sont étayés et le neuf peut ainsi composer avec l’ancien. Le travail de l'architecte se concrétise au travers des pierres locales des ruines. Il les conserve et singe l’hypothétique constitution de ce qu’elles auraient pu devenir. Pour Pingusson, on ne doit rien reconstruire ni rien détruire. D'après Jean-Paul Mauduit, l'un des ancien étudiant ayant suivi et participé à la réalisation du chantier des HLM de Grillon, pour Pingusson «ce n’est pas beau parce que ce sont de vieille pierres ou parce que l’ouvrage est ancien. C’est beau parce que ce sont de belle pierres et de beaux ouvrages, c’est de l’espace»50. Il travaille plutôt en considérant une certaine beauté avec laquelle il faut composer. L'utilisation du béton de site de la part de l'architecte est significative d'une attention portée aux bâtiments et leur inscription dans un contexte, dans un site et sa matière singulière. A travers ces sites lourds de sens, de passé historique ou patrimonial, on peut voir une évolution réflective de l'architecte et de sa relation à la matière, depuis l’enduit blanc au béton de site. Fig 22. Mode constructif, Pingusson à Grillon Réalisation du béton de site à partir des gravats des remparts, Grillon (84) 50 I MAUDUIT Jean-Paul, Conférence Georges-Henri Pingusson et le village de Grillon, CAUE de l'Aude, Mois de l'architecture, 2018, 1h 21min. Faire / Penser

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CHAPITRE IV. Le maître d'œuvre enseignant

En France, l'enseignement de l'architecture a été à de nombreuses reprises substantiellement transformé. Il s'est adapté aux savoirs qui n'ont cessé d'évoluer afin de proposer une architecture étroitement liée à l'Histoire des sociétés et à leurs attentes. L'architecture se définit comme l'art de bâtir des édifices et d'en concevoir les espaces. Historiquement, elle se pense de concert avec les professions de mise en œuvre. Cependant, l'enseignement de l'architecture en France s'en est désolidarisé en distinguant l'architecture du génie civil. Après avoir été l'une des discipline royale de l'Académie créé par Louis XIV en 1648, l'architecture devient l'une des quatre disciplines de l’École des Beaux-Arts qui est officiellement instituée en 1819. Elle est donc enseignée aux côtés de la sculpture, la peinture et la gravure. Mai 68 marque un tournant dans l'enseignement architectural. La révolte étudiante plane sur les École des Beaux-arts de Paris et ses trois annexes provinciales à Bordeaux, Marseille et Lille. Les mouvements étudiants contestataires ont ainsi amené le ministre de la culture André Malraux à rattacher les enseignements des Beaux-Arts à l'Université. La réforme de l’École des Beauxarts donnera alors naissance aux Unités Pédagogiques d'Architecture (UPA) qui se répartissent plus largement sur le territoire provincial. Elles sont alors rattachées au ministère de l'équipement et du logement. Bien que la capitale ait concentré à l'époque (et encore de nos jours) un nombre bien supérieur d'écoles d'architecture, l'enseignement se diffuse peu à peu sur le territoire francilien. En 1985, les UPA prennent le nom d’École d'architecture qui deviendront en 2005 les actuelles Ecoles Nationales Supérieures d'Architecture (ENSA). Ces dernières sont alors rattachées au ministère de la culture. La pluridisciplinarité qu'exige aujourd'hui le métier d'architecte et l'héritage laissé par l'évolution de son enseignement ouvrent les études d'architectures à des champs disciplinaires très variés. Elles ne sont plus seulement des institutions formant des architectes mais plutôt des lieux proposant une façon d’appréhender et de requestionner dans un ensemble plus large les changements de la société actuelle, donnant des entrées vers d'autres domaines de travail. Le sociologue et professeur à l'ENSAP Bordeaux Olivier Chadoin témoigne par exemple de la place qu'ont progressivement pris les sciences sociales et humaines entre les murs des ENSA depuis la fin des années 6051. 51 I CHADOIN Olivier, La sociologie de l'architecture et les architectes, Édition Parenthèses, 2021, 216p. Faire / Penser

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Du côté du projet, les jeunes architectes sont formés à la conception avec un certain degré d'abstraction qui leur permet d'aboutir à une synthèse qui s'incarne dans le projet. Cependant, le projet d'architecture implique des matériaux concrets. En ce sens, l'école participe bien à l'enseignement de l'architecture mais ne forme pas à devenir architecte, maître d’œuvre. Pour Pierre von Meiss, «l'étudiant peine, car il est devenu assez habile avec le dessin à la main ou à l'ordinateur, mais il manque d'expérience avec les matériaux et en ce sens l'académie [aujourd'hui l'école] n'est pas toujours le meilleur milieu de motivation et d'apprentissage.»52 Faire face aux défis de notre époque dont font partie les milieux ruraux ne peut se faire sans interroger et renouveler les synergies entre recherche pédagogie et pratique de maîtrise d'œuvre. D'un point de vue pédagogique qu'est-ce que l'enjeu du monde rural soulève comme méthode et quelle est la place de l'apprentissage de ses outils ? Au sein du corps enseignant et des praticiens, ce constat est partagé par certains les amenant à réinventer l'enseignement. En 2010, l'enseignante et chercheuse Florence Serrano fonde un atelier de master hors les murs de l'ENSA de Marseille : L'Atelier des horizons possibles. Cet atelier s'immerge dans les territoires ruraux et les petites villes du département du Var(83). Il propose de déployer une démarche à la foi de recherche et d'action. En mettant le projet à l'épreuve de la diversité des identités du territoire, l'atelier devient un lieu d'engagement, de la part des enseignants mais aussi des étudiants. L'immersion concrète dans un site est une façon de prendre conscience de la responsabilité des architectes face aux territoires où ils interviennent, en l’occurrence dans le cadre de cet enseignement, des territoires ruraux. A travers cette démarche Florence Serrano propose une définition de l'architecte de ces territoire qui doit être «motivé et engagé à faire émerger des questionnements sur les modes d'habiter, qui s’investit dans des projets collectifs, de société, redonnant au territoires ruraux leur rôle de territoire d'avenir.»53 Du côté des praticiens, on retrouve également cet engagement auprès de la nécessite de faire renouer les étudiants avec des situations expérimentales. On peut prendre pour exemple Patrick Bouchain qui propose de faire du chantier une opportunité d'enseignement. Le chantier devient ainsi le lieu de l'observation de toutes les pratiques allant de la commande avec un client (qu'il soit public ou privé) jusqu'à l'artisan et son savoir faire. Aussi, tous les corps de métier intervenant sur le chantier (architectes, politiques, ouvriers, techniciens, entreprises) se doivent de proposer une rencontre avec l'étudiant pour présenter son métier et ses savoirs. 52 I VON MEISS Pierre, op. cit, page 58. 53 I SERRANO Florence, Extrait du colloque [ré]habitons les villes petites et moyennes, à l'ENSACF, 2021, 1h46min.

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L'expérimentation architecturale s'appuie ainsi sur une commande concrète et non pas de façon désincarnée ou théorique. De cette façon, les étudiants reçoivent un enseignement pratique. Pingusson, Snozzi et Quirot ont eux aussi eu ce rôle d'enseignant : G.-H.Pingusson à l'école des Beaux-Arts dès 1948, L. Snozzi à en 1973 à Zurich puis en 1984 à l'EPFL de Lausanne et B. Quirot à l’École de Paris-Belleville. Cependant, chacun d'entre eux a préféré privilégier un enseignement situé. Comme dit précédemment il apparait pour ces architectes que l'architecture est gage de qualité par l'arpentage quotidien de la situation et du contexte dans lesquels elle s'insère. Il s'agit ici de se questionner à la source de ce qui produit cette architecture à savoir son apprentissage. D'une certaine façon, leur enseignement pose une critique des Ecoles d'architectures qui se trouvent toutes en métropole, les plus petites étant celles de Nancy, Clermont-Ferrand et Saint-Étienne54. La Bourgogne-Franche-Comté, où est implantée l'agence BQ+A, est même la seule région à ne disposer d'aucune ENSA. L'université ne devrait alors pas être un acteur désincarné de l'aménagement territorial mais devrait être une ressource, produire une matière grise pour penser le territoire dans lequel elle s'inscrit. Il s'agit alors peut-être ici de reprendre conscience d’un faire / penser qui s’est perdu dans les écoles d’architecture et d’une nécessite de «reconnecter avec le chantier et la matière» comme le dit Pingusson. «J'estime que la finalité de l'enseignement de l'architecture n'est pas tant de former de bons architectes que de former des intellectuels à l'esprit critique, doté d'une conscience morale.»55

54 I Source : Insee, Liste des aires urbaines de plus de 50 000 habitants, 2016_Nancy 21, Clermont-Fd 19, Saint-Étienne 11. 55 I QUIROT Bernard, ibidem note de bas de page n°43 Faire / Penser

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Fig 23. Vialle de Grillon, Vue de la cour du bassin, 1977 Dessin Georges-Henri Pingusson Scan, Archives

Fig 24. Vialle de Grillon, Salle des fêtes dans les ruines du château, 1977 Dessin Georges-Henri Pingusson Scan, Archives


CHAPITRE V. Le séminaire, un biais pour une recherche in situ

L'enseignement au sein des écoles d'architecture pose la question du savoir qu'elles transmettent et ici plus particulièrement celui de la construction. Comment parvenir à enseigner le métier de maître constructeur au sein de quatre murs loin du chantier ? Georges-Henri Pingusson identifie lui aussi cette lacune dans l'enseignement de maîtrise d’œuvre au sein des Unités Pédagogiques d'Architecture. Il en fera d'ailleurs part au ministre de la culture de l'époque Maurice Druon. Au cours d'une rencontre en 1973, G.-H. Pingusson lui réclame «un autocar, un appareil photo et des chantiers à donner aux étudiants pour qu’ils puissent réellement apprendre l’architecture» lui faisant remarquer que l'«on n’enseigne pas l’architecture, on devient architecte»56 et qu'à ce titre, il était nécessaire d'inclure l'enseignement du chantier au sein du cursus scolaire. «Ne croyez pas que l'on forme des architectes dans les écoles, il faut leur mettre les pieds dans la boue, qu'ils aillent là où se construisent les bâtiments, les faire sortir de l'école, leur faire toucher du doigt comment cela se passe sur les chantiers»57 La demande fut refusée et lui vaudra sa place de chef d'atelier. Il continuera tout de même à enseigner bénévolement jusqu'à l'âge de 82 ans. L'Unité Pédagogique d'Architecture de Nanterre (UP5) verra le jour en 1974, Pingusson y voyant là une occasion d'architecture et de diffusion d'un enseignement de maîtrise d’œuvre. Chaque étudiant en architecture ayant accepté de suivre cet enseignement sur site pendant un an acceptait de suivre Pingusson dans la réalisation d'un projet. Chaque parcelle du Vialle préalablement numérotée était répartie entre les étudiants, certaines faisant même l'objet d'une commande réelle pour un maître d'ouvrage. Aux prémices du projet, les acquéreurs se limitaient au cercle proche d’amis, d’artistes, d’artisans d’art, de sculpteurs, de connaissance de l’architecte. Le projet a par la suite évolué avec l’aide de l’adjoint du maire de l’époque qui par son carnet d’adresse a pu convoquer le préfet et le président de l’office départementale HLM du Vaucluse. C'est cette démarche qui a par la suite permis d'arriver à la réalisation du projet de 18 logements HLM au centre du Vialle. Bien que les projets soient attribués aux étudiants, Pingusson restait le maître de la conception. Dans le cadre du projet de logement HLM par exemple, on reconnait son style avec une organisation autour d’un bassin et avec d'un plan en coursives (fig. 23) ou encore dans le projet d’espace public contre les ruines du château et du donjon (fig. 24). 56 I LAVALOU Armelle, Pingusson à Grillon, Édition du Linteau, septembre 2009, 180p . 57 I Ibid Faire / Penser

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A Pesmes, l’action éminemment locale dans le village où habitent et exercent les architectes est une façon de voir le projet d’architecture comme instrument de connaissance et d'action sur un territoire. L’association Avenir Radieux né en 2014 à la suite d’une première commande de la part de la commune auprès de l’agence de revoir la ZPPAUP58 de Pesmes. Cette commande a engagé une réflexion sur l'avenir du village et la protection de son patrimoine. Parallèlement le cabinet a également milité pour la construction d'un groupe périscolaire et de son école au travers de réhabilitations dans le centre du village. Cette intervention a permis de faire la démonstration qu'avec un bâtiment il était possible de changer l'atmosphère du centre de cette commune. L'association Avenir Radieux se construit avec ce but de donner des conseils aux particuliers, à la commune et surtout d'organiser un séminaire annuel d’architecture. Elle est en grande partie financée par la DRAC59 de Bourgogne-Franche-Comté, la commune et la cotisation des adhérents. L'action auprès des particuliers offre des services de conseils gratuits afin de redonner à la population un désir d'architecture et de créer des liens plus étroits entre l'architecte du village et la communauté qu'il habite. Il est plus naturel pour les habitants de pousser la porte de l'association que celle du cabinet d'architecture... bien que ce soit la même. Le but profond de cette démarche étant toujours de restaurer le centre historique du village en grande partie à l'abandon et dégradé. Les interventions vont du simple conseil au choix du RAL pour la serrurerie d'une terrasse aux démarches administratives nécessaire à la rénovation d'une façade, jusqu'à quelque fois la réalisation de projets de plus grande envergure60. Le séminaire prend une place importante dans l'association. Il porte un rôle de transmission vis-à-vis des écoles, des étudiants mais également des architectes qui enseignent, font des conférences ou assistent aux corrections finales lors de la restitution des travaux effectués au cours des deux semaines d'exercice. Les participants sont immergés dans le village où le projet d'architecture se confronte à la matérialité très spécifique du centre-bourg faite de pierre, de bois et de tuiles. Les sujets d'architecture proposés aux étudiants et les problématiques qu'ils soulèvent sont mûrement réfléchis en amont par l'agence et les encadrants proches du séminaire : Barnard Quirot (architecte), Stefano Moor (architecte et ancien collaborateur de L. Snozzi) et Émilien Robin (architecte et enseignant). L'ensemble des participants peut ainsi apporter aux étudiants les connaissances héritées d'une longue connaissance des lieux pour en venir à la réflexion de projet. Les sujets de projets et les parcelles sont d'ailleurs choisi en relation avec les constatations de l'agence au sein du village. Ce sont des situations concrètes, de bâtiments en ruine ou non dans le centre ancien. 58 I ZPPAUP : Zone de Protection du Patrimoine Architectural, Urbain et Paysager 59 I DRAC : Direction Régionale des Affaires Culturelles 60 I Nous y reviendrons partie 3 dans le chapitre III. Du concours public à l'intervention ponctuelle

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Chaque projet fait au préalable l'objet d'un relevé précis permettant aux étudiants de travailler à partir d'une épure. Par ce biais, le séminaire reproduit le cadre d'une réelle commande, de réelles problématiques en centre-bourg. Il ne s'agit plus là des chimères de projets désincarnés des écoles d'architecture : l'enseignant est un maître d’œuvre, l'architecte du village en pleine connaissance des enjeux et des limites des sujets proposés. Dans ce contexte, le rôle du séminaire d'architecture n'est alors pas seulement celui de l'enseignement. Bien-sûr, pour les étudiants le séminaire est un véritable lieu d'apprentissage et de découverte in situ mais ils profitent également au contexte dans lequel se déroule cette permanence. La première édition du séminaire de Pesmes a lieu en 2015. Elle s'inscrit à la suite de celui de Carasso de Luigi Snozzi «le second Monte Carasso, sans tenter de l’imiter» selon ses propres mots. Les deux séminaires sont très proches : permanence de 15 jours, des réflexions sur le site, plusieurs conférences et une correction finale. Fort de cet héritage, il se tient en 2018 la première session du séminaire KHORA organisé par les architectes marseillais de l'atelier EGR, Régis Roudil, Ivry Serres et l'atelier TMV. Ce séminaire se déroule lui aussi sur deux semaines où les étudiants travaillent sur le développement urbain des petites villes périphériques de Marseille : en 2018 à Pennes-Mirabeau, en 2019 à Septemes-lesVallons, en 2020 à Penne-sur-Huveaune et prochainement à Aullach. Inspirés par leurs pratiques collectives, ils essayent de tisser ensemble une nouvelle manière d'intervenir sur le territoire à travers ces séminaires. Cet engagement commun a d'ailleurs fait en 2019 l'objet d'une candidature pour le pavillon français de la biennale de Venise de 2020. Leur proposition ne sera pas celle retenue. Deux extraits de la dite candidature paraîtront tout de même dans l'exposition post-covid du Pavillon de l'Arsenal d'avril 2021 : Et demain, on fait quoi ? Bernard Quirot pour Avenir Radieux, Giacomo Guidotti pour Monte Carasso, Frédéric Einaudi pour KHORA ont donc co-écrit les articles A la recherche de centre et La Ville - encore la Ville61.

«Au séminaire de Pesmes, Mon salut et mon encouragement pour ce que vous êtes en train de faire. Je vous souhaite de réussir à faire de Pesmes, le second Monte Carasso, sans tenter de l’imiter. Avec tous mes vœux.» Fig 25. Luigi Snozzi, Monte Carasso 15.07.2015 61 I Extraits de la candidature présentée par les séminaires d’architecture d’Avenir Radieux, KHORA et Monte Carasso pour la biénale de Venise 2020. Faire / Penser

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Fig 26. Haut : Présentation des projets Bas : Débats, invités S. Teyssou, S. Moor, C. Vergely, J.-P. Calori, L. Tournier, B. Quirot Photos Avenir Radieux, 6e séminaire de Pesmes, 2020


Fig 27. Haut : Galeries du couvent, discutions avec les invités Bas : Restitution, invités M. Botta, M. R. Aires Mateus, S. Moor Photos personnelles, 18e séminaire de Monte Carasso, 2021

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PARTIE 3 L’intervention transcalaire Micro / Macro

CHAPITRE I. De l'architecture au paysage CHAPITRE II. Ville-laboratoire et village-laboratoire CHAPITRE III. Du concours public à l'intervention ponctuelle


Illustration Partie III : Hommage à L. Snozzi, 18e séminaire de Mte C. Photo personnelle, Place du village, Monte Carasso, 2021


CHAPITRE I.

De l’architecture au paysage

Le milieu rural fournit ainsi les conditions pour produire une architecture inscrite dans un site, différente de celle désincarnée et reproductible sous toutes les latitudes que l'on retrouve en métropole. Comme nous l'avons vu il appartient à ceux qui pensent et aménagent le territoire de travailler avec toutes les variables de la matrice qu'il compose : ses ressources, sa population, ses besoins, pour y intervenir au mieux, avec soin. Dans ces territoires, le devoir réflectif des architectes pour fonder leur culture de projet les amènent donc à se questionner sur ce qu'André Ravéreau appelle «l'architecture située»62. Au travers de son parcours professionnel, on peut d’ailleurs également noter la récurrence de certains thèmes identifiés au sein du corpus d'architectes (Pingusson, Snozzi, Quirot). On retrouve l'enseignement, la permanence et création d'un atelier in situ63, la réaction architecturale face au modèle moderne ou encore une remise en question de la matière notamment du béton comme matériau plastique, liquide qu'il oppose à une matière et sa mise en œuvre locale, etc... Autant de sujets qui ont conduit A. Ravéreau à produire un architecture s'ajustant et réinterprétant celle vernaculaire des lieux où il est intervenu bien qu'ils soient tous très différents comme la Grèce, le M'Zab ou la Normandie. Fort de ces principes, l'intervention en milieu rural demande donc à l'architecture de se placer au plus près d'une intelligence constructive, de l'appréhension du terrain, d'un site et de ses matières, de ses habitants, de ses ressources et de son climat. Dans cette mesure, le faire projet ne revient pas à décliner un style ou user d'une écriture architecturale prédéfinie. Il s'agit plutôt de prendre la mesure de tout ce qui préexiste et d'en déduire un dispositif de mise en forme. Pour cela, les architectes peuvent alors s’appuyer sur plusieurs disciplines permettant une réflexion globale du territoire : intelligence de la construction, réflexion sur la matière, sur les usages, les espaces, le rapport entre l'état naturel et l'état construit. Autant de ressources qu'ils ne faut cesser de solliciter pour se tourner vers ces territoires et les questionner. En s'appuyant sur celles-ci, les architectes trouvent des chemins pour mieux explorer l'architecture. 62 I RAVÉREAU André, Pour une architecture située , in Poïesis 4 - Tradition & Modernité, 1996, 214 p. 63 I André Ravéreau monte une «école d'architecture locale» au début des années 70 au M’Zab (région berbère au Nord du desert Saharien). L’Atelier du désert, destiné à perpétuer et protéger le patrimoine des villages du M'Zab, a ainsi permis à de jeunes architectes de se confronter à une gestion du territoire plus respectueuse à la fois du contexte naturel mais aussi des cultures locales. Micro / Macro

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Il s'agit également de décliner le regard sur les territoires, leur ressources et leurs caractéristiques de nature éntologique. L'architecte s'attache à regarder les choses en elle-même ; qu'elles soient architecturales, paysagères, urbaines, géographiques, culturelles ou sociales, ce qui le conduit nécessairement à développer une pensée transcalaire. Il est par exemple judicieux pour l'architecte de s'emparer des outils des paysagistes et urbanistes afin de travailler avec le territoire, de le ménager et de participer à sa métamorphose continue, de la prolonger avec les outils de ces professions qui permettent une intervention consciente du milieu dans toute son épaisseur. En se saisissant des outils de ces professions intervenant à des échelles plus larges que le seul champs de l'architecture et du bâtiment, le geste architectural devient en capacité d'agir de façon transcalaire dans ces territoires qui réclament une richesse d'intervention, d'aménagement mais dont la fragilité et la symbiose entre les composantes du territoire demande une attention particulière. La distinction entre architecte, paysagiste et urbaniste semble alors inopérante pour penser la complexité des territoires. L’architecte de campagne s’empare ainsi de ces compétences pour exercer. Pour reprendre les termes de Christian Norberg-Schultz, il s’agit à travers cette attitude de «concrétiser un site» pour permettre de révéler le genius loci, le «génie du lieu»64. Dans De la forme au lieu65, Pierre von Meiss distingue le site du lieu. Le «site» est ainsi défini par le terrain d'intervention, sa nature, sa topographie et ses alentours géographiques. Le «lieu» est un emplacement qui donne du sens parce qu'il sert de repère et/ou de support d'identification personnelle ou collective. Le site se concrétise ainsi dans une situation à travers l'héritage d'un passé issu de la nature ou de l'anthropologie. Dans l'essai Le territoire comme palimpseste66, André Corboz appuie le caractère vivant du territoire dont les habitants «ne cessent de raturer et de récrire le vieux grimoire des sols». Selon lui, pour saisir l'essence même d'un territoire, il s'agit de le considérer dans son épaisseur historique. «D'une part, il (le territoire) se modifie spontanément : l'avancée ou le recul des forêts et des glaciers, l'extension ou l'assèchement des marécages, le comblement des lacs et la formation des deltas, l'érosion des plages et des falaises, l'apparition de cordons littoraux et de lagunes, les affaissements de vallées, les glissements de terrain, le surgissement ou le refroidissement de volcans, les tremblements de terre, tout témoigne d'une instabilité de la morphologie terrestre. 64 I NORBERG-SCHULTZ Christian, Genius Loci, Paysage, Ambiance, Architecture, Édition Madraga, 1997, 216p. 65 I VON MEISS Pierre, De la forme au lieu + de la tectonique, Une introduction à l'étude de l'architecture, Édition EPFL Press, Collection Essai, Troisième édition, 2014, 404p. 66 I CORBOZ André, Le territoire comme palimpseste, Paru dans Diogène121 en 1983, pages 14-35.

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De l'autre, il subit les interventions humaines : irrigation, construction de routes, de ponts, de digues, érection de barrages hydroélectriques, creusement de canaux, percement de tunnels, terrassements, défrichement, reboisement, amélioration des terres, et les actes mêmes les plus quotidiens de l'agriculture, font du territoire un espace sans cesse remodelé.» Les territoires peuvent être une ressource et une façon d'amorcer le projet, d'en trouver les chemins de conception. Les projets sont alors issus de forces qui sont là dans les territoires, parfois visibles, parfois invisibles comme tropisme pour aider à faire du projet. Ils peuvent être sociétaux, naturels, construits, culturels, géographiques et conditionnent la mise en forme de l'architecture.

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LE TERRITOIRE COMME SUPPORT BQ+A

Ce projet est réalisé en 2006 par l'agence BQ+A à dix kilomètres au Sud de Besançon dans la commune de Chenecey-Buillon dans le Doubs(25). Il consiste en la construction d'une maison d'habitation d'environ 135m2 pour des clients privés. Le projet est construit loin du centre du village, sur un colline qui surplombe la vallée de la Loue et offre une vue dégagée sur le paysage et le centre du village. Le terrain est bordé par des murgers, petits murets caractéristiques de ce paysage sur lesquels ont poussé des taillis et des arbres à haute-tige. En référence à ce paysage, la maison est conçue sous la forme d’un soubassement en maçonnerie sur lequel repose un volume en bois. Le soubassement est formé de cadres en maçonnerie remplis par des pierres sèches issues des murgers, (fig. 28) alors que l’étage en ossature bois est bardée de mélèze qui prendra petit à petit une teinte grise, presque identique à la pierre. Le projet et sa relation au site ont été pensés avec attention. Les arbres du sites ont été préservés et les pierres des murgers déjà présentes sur le site réutilisées. Dans ce projet, le choix des matériaux, leur mise en œuvre et leur disponibilité fournissent le support à la conception du projet. La situation dans la pente, en promontoire sur la vallée de la Loue répartit les espaces domestiques et qui s'organisent selon les vues, tantôt vers le paysage proche, tantôt vers le paysage lointain. De cette façon, le projet appartient au paysage autant que le paysage est mis en scène pour les habitants à travers les menuiseries du projet.

Fig 28. Maison individuelle Chenecey-Buillon (25), photo agence BQ+A Micro / Macro

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CHAPITRE II.

Ville-laboratoire et Village-laboratoire

Le monde rural a souvent été pensé en opposition de la ville, comme si les deux entités Urbanité et Ruralité devaient nécessairement se comprendre comme antonymes. Par conséquent, l'une ne se reconnaîtrait qu'à travers le négatif de l'autre. Pourtant, les problématiques inhérentes à la ville font souvent écho à celles des milieux ruraux. L'aménagement et le soin portés au territoire pourraient donc se concevoir de concert entre les milieux urbains et ruraux, chacun pouvant être un terrain d’expérimentation pour l'autre afin de projeter d’autres moyens de d'aménager le territoire, de l'habiter et de le construire. Le rural se comprendrait donc moins comme une alternative de la ville que comme une forme différente d’urbanité. Il s'agit plutôt de l'appréhender comme un laboratoire d'expérience complémentaire de la ville pour repenser les rapports entre habitants, les ensembles bâtis et les édifices et espaces publics. Les territoires ruraux seraient alors de possibles lieux investigations à une échelle plus maîtrisée et maîtrisable que les métropoles et l’archipel qu’elles composent. Pour les architectes, travailler dans des milieux ruraux est loin d’être une fuite des métropoles. En réalité, comprendre la nature et décrypter dans ces territoires ruraux des formes simplifiées, embryonnaires de communautés permettent par extension de penser la ville dans sa nature profonde. Le rural se comprend moins ici dans son opposition à l’urbain que comme un processus de continuité. L'un des problèmes majeur de la ville contemporaine est sa capacité à s'étendre, artificialisant de plus en plus ses sols dont le coefficient d'occupation (COS) décroit jusqu'à arriver à des taux très faibles dans les zones en périphérie de la ville. Cet étalement urbain est permis et accompagné par une dépendance à la voiture qui elle aussi consomme et imperméabilise les sols. Ces enjeux clés au centre des débats du développement des métropoles est également un thème récurent dans l'évolution des centres-bourgs. C'est d'ailleurs vers ces sujets de recherche, entre la croissance des ensembles bâtis ville/village et la place de chacun dans l'espace public que se tournent le sixième séminaire d'Avenir Radieux à Pesmes en 2020 et le dix-huitième de Monte Carasso en 2021. Fondamentalement, il réside dans l'intervention de ces architectes une volonté de repenser la ville et par extension, nos modes d'habiter et de cohabiter. Pour L. Snozzi, Chaque projet doit tenter de répondre aussi bien aux temps longs de la ville, qu'à l'extension incontrôlée de l'étalement urbain.67 67 I SNOZZI Luigi, Vive la résistance !, dans L'architecture inéfficiente, p. 86-93, 2006 Micro / Macro

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Au sujet de son rapport à la ville, pour Bernard Quirot, «À un moment, tu te dis que faire des bâtiments c’est bien mais que ce qu’il faut penser avant tout c’est la ville au sens très large. Tu peux avoir un beau bâtiment mais si tu ne soignes pas la ville, c’est raté. C'était l’objectif d’Avenir Radieux : s’occuper de la ville dans son ensemble même à une échelle très modeste. On est né là, on vit là, on installe notre agence là, on sensibilise les élus et petit à petit pour influencer tout ça… Enfin ça c’est ce que l’on aurait aimé. C’est le lot de beaucoup d’architectes comme Yves Lion par exemple qui a fait beaucoup de bâtiments mais qui fait maintenant de l’urbanisme parce que je pense que naturellement on finit par avoir envie de gérer la ville plutôt qu’un bâtiment.»68 En cela, on trouver une forme d'engagement commun vers la ville de la part de Snozzi et Quirot. Pour rappel, leur candidature commune pour le pavillon français de la biennale de Venise 2020 les a conduit à co-écrire deux textes intitulés A la recherche de centre et La Ville - encore la Ville. Ces deux articles montrent bien la part de leurs efforts communs pour repenser la ville et finalement le fonctionnement de la société dans laquelle nous vivons qui selon eux tend à disparaître : «Un changement de paradigme est de plus en plus inéluctable. Nous le savons tous, même si tous nous ne voulons pas le voir, l’organisation actuelle de nos territoires approche de sa fin, ne serait-ce que pour d’évidentes questions de ressources. Il va nous falloir apprendre à nouveau à nous organiser collectivement, à vivre ensemble, dans une autonomie faite de complémentarité et de proximité, que ce soit pour se loger, se nourrir ou pour travailler. Nous allons devoir retrouver le sens originel de la ville comme communauté et nous allons devoir apprendre à recréer des centralités qui nous rassemblent. La dimension concrète de l’action locale sera plus que jamais nécessaire face à la désintégration progressive du global. C’est ce à quoi s’attellent dès à présent nos séminaires de projets et c’est cette voie que nous voulons ouvrir à Venise comme une réponse concrète à la crise environnementale qui ne cesse de s’amplifier.»69 Comme nous l'avons déjà vu, repenser un village et son développement ne peut se faire qu'à la condition d'une relation de confiance entre un maire et l'architecte. A Monte Carasso, Luigi Snozzi a ainsi pu se confronter à ces enjeux. En addition du plan directeur qu'il dessine, il instaure pour le village des règles d'urbanisme régies selon trois éléments fondateurs : Tout d'abord, il s'agit de concrétiser la volonté de créer un centre au village. Ce centre se compose autour la place du village au pied du clocher, de l’école, de la mairie, du cimetière, de la banque et des éléments institutionnels qui représentent la collectivité. Il s'agit ici de créer le vide dans lequel la collectivité se reconnecte. 68 I Extrait de l'entretien de QUIROT Bernard, Contre l'abstraction constructive, Annexe page 95 69 I Extraits de la candidature d'Avenir Radieux, KHORA et Monte Carasso pour la biénale de Venise 2020, A la recherche de centre, 2019

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Pour que le vide soit lu et reconnu, il faut bien-sur qu'il y ait un plein. Luigi Snozzi propose alors un concept très simple : densifier le contexte afin de penser le plein en opposition au vide. Pour anticiper et lutter contre les phénomens de ville diffuse, il réfléchit à des dispositifs pour augmenter cette masse critique autour d’un lieu. Pour mener à bien cette densification, il n’impose pas de règle de couleur ou de typologie bâtie comme nous pouvons le faire en France dans les PLU par exemple. Le projet de densification du contexte de Monte Carasso proposé par Snozzi propose très peu de loi. On peut en citer quelque unes : - L abolition de la distance aux limites parcellaires : une loi empruntée au passé paysan du village. - L'augmentation du nombre d’étages : la construction jusqu’à trois étages est permise (et non plus deux comme c’est habituellement le cas dans les villages et les quartiers pavillonnaires en Suisse). - Le droit d’exploitation du sol sur une parcelle est doublé. Enfin, il travaille à la définition de limites au village de façon à le faire appartenir comme unité à un tout, pour que les habitants s’y sentent chez eux. Définir ces limites permet également de participer à la densification du village autour d’un centre et au développement de la vie communautaire qui par définition, le cantonne à un interrieur borné par des limites figuratives : de constructions (ensemble de logement de Verdemonte à l'Est) ou de limites naturelles (la Sementina, un affluent de la rivière du Tessin au Nord). Le centre

Se rencontrer

Le contexte

Densifier

La limite

Donner une fin

La place

Ancien couvent

La ville diffuse

Architecture paysanne

Enceinte

Bâtiments publics périphériques

Fig 28. Trois principes fondateurs pour Monte Carasso Tableau résumé des interventions prioritaires définies par L. Snozzi Production personnelle

C'est donc selon ces trois principes : création d'un centre, d'un contexte dense et de limites qui créaient l’intérieur et l’extérieur de la ville que Luigi Snozzi pose les base du développement de Monte Carasso. Ces éléments fondateurs régissent et simplifient l'intervention architecturale. Toutefois, chaque proposition de projet au sein de la commune doit au préalable être révisée par la commission d'urbanisme à laquelle L. Snozzi prend bien-sûr part.

Micro / Macro

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Fig 29. Plan masse d'origine Maison individuelle, Monte Carasso (Tessin)

. Plan masse du projet Maison individuelle, Monte Carasso (Tessin)

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RÉAMÉNAGEMENT PARCELLAIRE Monte Carasso

Cette maison construite en 2004 se situe à l’Est de Monte Carasso, en contre-bas de l’une des rues amenant au centre du village. On peut voir ci-contre la parcelle en gris et la vieille étable qu’il a fallu démolir suite à la mise en péril du bâtiment (fig. 29). La forme biaise de la parcelle résiduelle de moins de 120m2 a rapidement été remise en question par l’architecte en charge du projet : Giacomo Guidotti. En effet, cette forme à six faces héritée du passé agricole du village n’y permettait pas la construction intelligente d’un bâtiment. La demande a alors été faite de céder quelques 22,5m2 de la parcelle au voisin contre 22,5 autres qui permettraient à la parcelle de trouver une orthogonalité à laquelle répondaient déjà ses voisines alors orientées par rapport à la nouvelle rue (fig. 30). La démarche est alors double. Tout d'abord, elle permet de proposer une parcelle permettant au bâtiment d'exister selon des logiques de répartition des espaces et l'optimisation domestique du plan. De plus, elle permet au bâtiment de s’aligner et de s’intégrer au sein du quartier résidentiel dans lequel il se trouve. La commission d’urbanisme a par la suite augmenté la proposition du projet en dessinant la possible implantation d’une série d’autres futurs bâtiments mitoyens. Ce dessin permet de projeter la future densification que pourrait impulser ce premier bâtiment. (fig. 30) Cette situation de projet montre ainsi la mise en application des règles de L. Snozzi énoncées plus tôt. Par exemple, la future densification de la parcelle n'est possible que par l'autorisation de la première maison et des futures de s'adosser aux limites parcellaires. Le projet a par ailleurs mis l'accent sur les questions de la définition des limites foncières au sein du village. En effet, le foncier influe fortement sur la forme de la ville qui se construit dessus. On voit bien sur le plan de masse que les autres maisons construites avant la définition des nouvelles règles de la commission d'urbanisme ne suivent pas une logique spatiale mais simplement une logique économique. La nécessité de densifier demande donc de requestionner ces limites dans la construction de l’espace public, du vide qu'il génère et des relation entre les maisons.

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CHAPITRE III.

Du concours public à l'intervention ponctuelle

Installer son agence en milieu rural et choisir d'agir sur le territoire dans lequel elle s'implante amène à travailler sur des projets de proximité. Pour autant, l'exercice dans les territoires ruraux n’exclut pas celui en milieu urbain. En effet, les projets ruraux sont souvent modestes et ne suffisent pas à faire vivre une agence. Cette diversité de projet demande à l'architecte de savoir jongler entre les différentes échelles de projets : de l'intervention ponctuelle, rurale, privée convoquant une faible échelle de projet au concours public, urbain, réclamant un regard à une échelle plus large. On peut alors se demander si le soin que les projets ruraux réclament et la réflexion qui dépasse souvent la seule parcelle de projet influent sur la manière d’appréhender le projet urbain. La résolution de petits projets en résonance avec d'autres de plus grande envergure est une situation fréquente au sein de l'agence BQ+A. On peut extraire une situation donnée. En Aout 2021, les sujets d'intervention de l'agence sont très variés. Pour citer quelques exemples, les projets à traiter vont du concours pour la construction de l'extension d'un musée à Charleville-Mézières (47), à la phase esquisse pour la réhabilitation du château Laffite-Rotschild à Pauilllac (33), à la rénovation d’une maison individuelle à Montmirey-le-Château (70) jusqu’à la réalisation d’un dossier de conseil pour la mise en œuvre d'un mur en limite parcellaire pour un habitant du village de Pesmes (70). Ce moment met en avant la nécessité de ces agences à se diversifier, d'étendre leurs aptitudes à s’intéresser à toutes les composantes d’un territoire et leur capacité à résoudre des projets de façon transcalaire. Aussi, les principes portés au sein des interventions en milieu rural se retrouvent dans certains projets urbains. On peut prendre pour exemple deux concours réalisés en 2020 et 2021 : celui de Charleville-Mézières cité plus haut et celui de Combloux (74) pour la réalisation d'un ensemble périscolaire et d'accueil petite enfance. Ces deux projets de construction d'édifices à destination de services publics n'ont pas été appréhendés par la seule question architecturale mais également par leur intégration dans leur site respectif : au sein du grand paysage montagneux à Combloux et dans son ensemble urbain à CharlevilleMézières. Le site proposé pour le projet de Combloux s'inscrit dans un paysage montagnard offrant des vues lointaines depuis le site. Ces vues sont d'ailleurs la "matières premières" de la proposition architecturale. La pliure du plan répond Micro / Macro

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à l’orientation vers le Mont Blanc tout en marquant l’entrée du bâtiment et l’articulation des deux entités du programme. La géométrie du site converge donc naturellement vers l’entrée, là où les divers cheminements piétons se rejoignent. (fig. 33). Sur le site de Charleville-Mézières, le projet crée un lieu structurant, vecteur d’événements. Il apparaissait évident que l'un des enjeux principaux de ce site consistait à créer un espace public à la mesure des nouveaux équipements. La présence monumentale de l’église Saint Rémi justifiait la création d'un espace public important, à l’échelle de ce monument imposant. La construction de la salle polyvalente (fig. 31) en face du bâtiment principal suffisait à dessiner le nouvel espace public. La proposition de l'agence va alors à l'encontre de celle de l'AMO du concours qui avait lui suggéré l'extension du musée là où l'agence y a préféré un espace public, en prolongement de la rue. Dans le respect du génie du lieu, les nouveaux édifices reprennent le gabarit des existants de même que leurs matériaux, la pierre et la brique. D'une certaine façon, ces projets font écho à ceux de Pesmes. L'intervention sur l'espace public, la recherche de plein et de vide, d'aménagements urbains et d'aménités sont des sujets en perpétuelle réflexion au sein de l'agence pour la rénovation et les interventions dans le village. Bien que ces projets soient des projets d'architecture, de bâtiments ils convoquent toujours une notion de parcours dans l'ensemble paysager, urbain ou bâti où le projet s'insère.

Fig 31. Concours pour la construction du musée de la marionnette, Charleville-Mézières (47) Perspective réalisée pour l'agence BQ+A

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Ce soucis du détail se retrouve également dans l'intervention de Pingusson au Vialle de Grillon. Dans une lettre adressée à Philippe Alluin, l'un de ses anciens étudiants ayant suivi l'UP5 et mené le chantier des logements HLM, il porte nombre de précisions sur l'éclairage urbain et domestique à l'attention du Vialle mais aussi des futurs logements (fig. 32). D'après Armelle Lavalou dans le livre déjà cité Pingusson à Grillon, «il reprend les principes qu'il avait développé pour Briey quand il était chargé de son aménagement». Paris, 10 juin 1978 Philippe Alluin

«Vous recevrez le dessin du projet d'éclairage des faces est et nord du Vialle ? Nous avons avantage à donner un éclairage sur les deux grandes façades et remparts continus, quitte à réduire sensiblement la puissance moyenne de l'éclairement. L'éclairage violent que l'on faisait jadis est à rejeter car plus on éclaire de bas en haut, plus on souligne l'inversion par rapport à l'éclairage naturel, plus on aplatit l'architecture. Il faut plutôt un éclairage doux, comme luminescent et sur trois façades de façon à exprimer le volume et pas seulement un plan. Ce principe d'un éclairage régulièrement réparti et faible est à appliquer pour le reste du Vialle. Même faible, l'obscurité ambiante fait ressortir les parties éclairées. Je vous indique les emplacements à titre provisoire car en cette matière, il faut faire un essai sur place avec des projecteurs à bout de fil que l'on déplace. On essaie et l'on choisit la position qui permet par exemple d'éclairer deux façades au lieu d'une seule, mais de marquer aussi leur différence d'orientation». Lettre écrite à Philippe Alluin, le 10 juin 1978, Paris, retranscrite dans Pingusson à Grillon

Fig 32. Eclairage urbain, Vialle de Grillon Détail dessiné par Georges-Henri Pingusson Micro / Macro

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Fig 33. Documents pour un concours de construction d'accueil petite enfance Combloux (74) Production personnelle pour l'agence BQ+A


Dans le village de Pesmes, l'agence BQ+A et l'association Avenir Radieux cherchent à redonner un désir d'architecture aux habitants en les accompagnant et en proposant des résolutions détaillées pour divers projets privés, aussi modestes soient-ils. C'est aussi dans l'attention portée à de petits éléments de la ville que le projet trouve une poésie à échelle 1. La façon dont se termine un sol bordé par de petits pavés en grès pour finir la chaussée au pied des murets et des murs des habitations est aussi importante que la définition sur un grand plan guide des axes majeurs de circulation. De même, il s'agit d'essayer de monter aux habitants comment la rénovation en façade d'un enduit à la chaux et la préservation des menuiseries bois participent à l'unité et la qualité architecturale du village. Encore, il s'agit de trouver un système architectural qui permet à l’intérieur d'une vieille bâtisse de capter l'ensoleillement naturel et de faire naître une qualité d'espace. L'intervention est simple, mais demande une attention, un soin et éventuellement les conseils d'un architecte. Ce travail transcalaire sur un même temps dans une même agence montre bien ses capacités à savoir mobiliser des outils transversaux. La grande diversité de travail au sein de ces agences en milieu rural leur demande d'être en mesure de savoir manier les outils de la grande à la petite échelle, quel que soit le projet. Finalement, le travail d'architecte de campagne demande une certaine pluridisciplinarité : d'une connaissance fine du territoire et de la théorie de l'architecture mais surtout certaine une aisance avec des outils et techniques de mise en œuvre. A travers l'analyse de ces trois agences, on remarque une certaine constance des outils utilisés comme le travail à la main. Bien-sûr, cette situation est avant tout due à l’absence du DAO dont on a vu les premiers programmes dans les années 70. Cependant, c'est bien par cet outil de la main qu'ils ont chacun développé les méthodes nécessaires pour répondre rapidement à des sujets transcalaire et de natures très variées. L'aisance du dessin et du travail manuel comme seul outil permet de faire passer rapidement ses idées, indépendamment de l'échelle. Aujourd'hui, le travail et la maîtrise de plusieurs échelles en simultané pourrait bien devenir le lot de plus en plus d'agences. Dessiner un projet détaché de son contexte, sans soucis de la provenance des matériaux ou de son impact sur l'environnement bâti ou paysager dans lequel il est construit semble désuet. Ce sont même les conditions pour produire une architecture située, reterritorialisée, de requestionner notre manière d'être au monde, de faire et de penser.

Micro / Macro

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Fig 34. Rénovation de façade Maison du centre ancien, Pesmes (70) Production Avenir Radieux


Fig 35. Détail du pied de façade Maison du centre ancien, Pesmes (70) Production Avenir Radieux

Micro / Macro

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CONCLUSION Malgré les balbutiements de quelques interventions architecturales et l'intérêt naissant de la population pour les territoires ruraux, ils n'en sont pour autant pas devenu des lieux de vie foisonnant contrairement aux métropoles dont l’opulence perdure. Les métropoles ont été et restent le centre névralgique du système d'optimisation fonctionnel et économique autour duquel la société se construit et croît. Le manque de services et la désuétude de la majorité des édifices restent les principaux freins à l'attractivité des petites villes et des centres-bourgs. A l'inverse, les métropoles dynamiques continuent d'attirer la population et l'activité notamment permise par des emplois plus importants, plus rapides à trouver et moins éreintants. Néanmoins, le mythe de la ville prolifère semble bien s'effriter peu à peu. Les crises sociales, sanitaires et économiques ainsi que le fourmillement perpétuel de la métropole et sa population anonyme ont finalement attisé les premières braises d'un retour à la ruralité. Le feu est encore pourtant loin de s'embraser. Sans faire de ce discours celui d'un collapsologue, il appartient tout particulièrement aux jeunes générations de questionner leurs modes de vie et ceux dans lesquels elles veulent évoluer, elles, et les générations prochaines. Le futur incertain qui se profile impose de trouver rapidement et collectivement des solutions à la crise climatique, de questionner notre place et la part de nos efforts pour le monde de demain. Dans ce contexte dichotomique, comment intervenir dans nos territoires ? Quelle place occupe l'architecte et quel rôle a-t-il à jouer au cœur des crises contemporaines ? Je crois personnellement en la recherche d'un retour mesuré à un mode de vie plus local. Il ne s'agit pas de devenir nostalgique d'un archaïsme primitif ou d'une époque passée ni même de faire l'apologie de la décroissance en diabolisant les métropoles. Simplement, les réflexions que soulève le monde rural permettent de remettre en question nos formes d'habiter, de cohabiter, de tisser des liens mais aussi de construire notre environnement, de renouer avec le site et les forces avec lesquels l'Homme vit et grandit. Il permet de repenser nos manières d'être au monde et nous reterritorialiser.

Conclusion

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L'étude du corpus d'architectes G.-H. Pingusson, Luigi Snozzi et Bernard Quirot permet de soulever une série de thèmes récurrents chez ces acteurs de la modernité. A ce moment de l'apogée du projet urbain, ils ont pourtant pressenti les possibles d'un ailleurs et se sont tournés vers un sujet à l'époque plus que marginal : le monde rural. Les sujets communs à leur trois démarches sont autant d'inspirations possibles pour penser l'aménagement et l'intervention dans ces territoires. L'analyse du travail de ces architectes pionniers permet de trouver des pistes d'exploration pour réparer et réhabiliter les territoires ruraux. Il subsiste dans ces pistes un héritage dont les prochaines générations d'architectes peuvent s'emparer pour poursuivre ces méthodes de travail et en introduire de nouvelles pour intervenir en milieu rural. Ces trois angles permettent de faire émerger leur attitude fondatrice en milieu rural, dont on retrouve aujourd'hui l’héritage. Se tourner vers le passé permet de poser un premier regard inspirant ou critique sur ces démarches antérieures comme base de travail. La beauté d'un bâtiment situé profondément ancré dans un site par sa typologie, le rapport qu'il entretient avec le contexte bâti, vernaculaire, où la matière exprimée sans pastiche convoque indéniablement une poésie avec laquelle la profession semble avide de se reconnecter. Il s'agit là de voir dans les territoires ruraux l'opportunité de retrouver le plaisir dans l'acte le plus simple du geste archaïque de bâtir. D'autre part, le rural est vendeur ! Combien d'étudiants à la recherche de stage ou de mairie en quête d'un architecte «local» se sont-ils laissés berner par l'adresse postale d'une agence à Mercurey (71) ou Chamalières (63) alors que les locaux se trouvent à Paris ou à Lyon ? L'image bucolique du projet se dressant fièrement au pied d'un éperon rocheux convoque un imaginaire autrement plus séduisant que celui mainte-fois vu de l’opération de logement dans une des rares dents creuses qui subsiste dans la métropole la plus proche. L'intervention architecturale appliquée et soignée dans un site à forte valeur paysagère permet un certain attachement a contrario d'un bâtiment urbain souvent anonyme. Un bâtiment bien construit, qui concrétise un site et son paysage mêle un sentiment d’action militante de la part de l'architecte qui participe à l'intelligence territoriale et architecturale que ces milieux réclament. Il permet également aux projets de s’incarner dans des sites qui inspirent à tous un imaginaire sous le prisme des paysages romantiques, sublimes ou pittoresques. C'est peut-être tout autant ces paysages que la nécessité d'intervention qui amène finalement les architectes à y produire des bâtiments valeur d'exemple, de l'insertion paysagère à la résolution de détails, du dessin à la réalisation.

Fig. 36 Halle de marché, Mandailles Saint-Julien, Cantal(15), 2019. Architectes : Simon Teyssou Photo Benoît Alazard

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La nécessité d'intervention que réclame le monde rural fait naître une occasion d'architecture à même de satisfaire le désir d'une qualité architecturale et de sa mise en scène. A ce désir d'architecture s'ajoute une stratégie pragmatique d'implantation due a la difficulté croissante de l'exercice en milieu urbain. Le marché de l’emploi pour les jeunes architectes se fait de plus en plus féroce. Une fois le diplôme en poche, le manège des CDD successifs, de l'autoentrepreneuriat et d'une rémunération avoisinant le SMIC commence. La situation du métier d'architecte est indéniablement précaire comme le rappelle F. Champy dans son livre déjà cité Sociologie de l'architecture70 : «Malgré le prestige de la profession, les rémunérations moyennes de ses membres sont les plus faibles de l'ensemble des professions libérales». Par ailleurs, la commande et la maîtrise de projets semblent de plus en plus échapper à la profession. Pour rappel, on estime à environ 60% la production architecturale construite sans recours aux architectes inscrits à l’Ordre malgré la loi en vigueur du 3 janvier 197771 devant valoriser l'intervention des architectes. Si le métier d'architecte ne parvient pas à se réinventer profondément et rapidement, la profession pourrait bien être amenée à disparaitre ou simplement réduite au rôle de «disagneur de façade»72 pour reprendre les mots de Bernard Marrey. Pour F. Champy, «L'attachement de la majorité des professionnels à une identité d'artiste n'en rend pas moins nécessaire la maîtrise de compétences techniques.»73 C'est peut-être là que réside la plus grande erreur de la profession. Lorsque l'architecte a cessé d'être l'acteur omniscient du projet en pleine maîtrise des savoirs pratiques et théoriques de la construction, il a également cessé d'être le maître de son œuvre. Pour devenir acteur de la construction, l'architecte se doit d'entretenir une forte relation avec le chantier tout autant qu'avec ses artisans. Il s'agit peut être ici pour l'architecte de redevenir un maître bâtisseur, qui accorde une importance au façonnage selon la nature des matériaux. Comme le dit F. Pouillon, «La vie d’un architecte, c’est d’être sur le chantier, c’est même d’être en rapport direct avec les ouvriers, c’est même d’être soi-même entrepreneur, c’est ça la vraie vie d’un architecte»74. Lorsque le métier a pris de la distance avec le chantier, il a fini par se détacher des autres corps de métier avec qui il travaille, et par extension, a perdu la capacité de dialoguer avec les matériaux. 70 I CHAMPY Florent, Sociologie de l'architecture, Édition La Découverte, 2001, 128p D

71 I Extrait du texte réglementaire de l’Ordre des Architectes, Loi n° 77-2, 3 janvier 1977 sur l’architecture 72 I MARREY Bernard, ARCHITECTE, du maître de l’œuvre au disagneur, Paris, Édition du Linteau, 2013 73 I CHAMPY Florent, Ibidem note de bas de page n°70 74 I POUILLON Fernand, Ibidem note de bas de page n°39

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La distance et la distinction entre les corps de métiers qui dessinent et ceux qui battissent ne peut que participer à l’appauvrissement de la production architecturale contemporaine. Le métier d'architecte doit se réinventer. Redevenir en capacité de manier les savoirs techniques de la construction est d'ailleurs devenu urgent. La multiplication des acteurs de la construction du bâtiment accroît cette situation de perte de la maitrise de l’œuvre. L'architecte monofonctionnel en seule charge du concours, du dessin de projets ou du suivi de chantiers ne serait plus opérant. Il s'agit aujourd'hui plutôt de prendre en mains et faire siennes les compétences inhérentes à la pratique de la maîtrise d’œuvre : de l'approche patrimoniale, des savoirs constructifs, du dessin technique, du travail à grande échelle jusqu'à la résolution intelligente d'un détail. Quelques nouvelles figures héritées semblent se dessiner. En ouverture, la présentation de deux jeunes agences créées en 2017 et 2018 permettent de mettre en lumière deux exemples de réponse au deux crises citées en introduction : celle des territoires ruraux, délaissés et celle du métier d'architecte, qui demande à être réinventé. Nous verrons donc le profil de la jeune agence PolletPinet architecte. Marion Pollet et Pierre Pinet sont deux praticiens récemment diplômes de l'école Paris-Belleville. En 2017, ils choisissent d'implanter leur agence à Larnagol, dans le Lot. Le coeur de leur travail dans ce village très en ruine réside dans le réinvestissement du bourg en révélant les potentialités qu'offrent ces paysages bâtis prêt à renaître. Ils participent à vaincre l’idée préconçue qu’une maison de village serait dénuée des qualités d’une maison en lotissement. L'étude du profil de l'architecte-ouvrier Timur Ersen permet me mettre en lumière de nouvelles pratiques du métier. Son parcours repose la question de la formation de l'architecte et de sa relation à la matière ainsi qu'à sa mise en œuvre. En effet, l'un et l'autre lui permettent de penser son architecture et de réinterpréter les savoirs-faire autour d'un matériau de prédilection : la terre. T. Ersen a d'abord été ouvrier pisé puis architecte. Son parcours orignal lui permet de réinterpréter le métier et l'adapter à des enjeux contemporains. Il est amusant de rappeler que pour Adolf Loos, «Un architecte est un maçon qui a appris le latin». Peut-être que selon Timur Ersen, le latin de l'architecte d'aujourd'hui lui a justement fait perdre un autre langage, celui avec les matériaux, et a ensuite oublié d'être maçon.

Conclusion

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OUVERTURE Poussées par l'héritage architectural conscient ou inconscient d'architectes de campagne, de nouvelles pratiques voient le jour. Il existe aujourd’hui un fort intérêt pour surmonter les dichotomies présentées tout au long de ce travail : entre urbanité et ruralité, du faire et du penser, du détail au grand plan directeur. Dans le sillage de ces architectes ayant pressentis ce besoin de réinvention du métier et l'appel des milieux ruraux de nouvelles figures d’architectes pluriels apparaissent. Elles fabriquent ainsi un nouveau corpus de praticiens, cette fois contemporains, repensant la pratique et l'influence qu'elle peut avoir au sein des enjeux de demain. En 2017, Marion Pollet et Pierre Pinet fondent l'agence Polletpinet architectes. L'agence est implantée dans le Lot, à Larnagol(46), un village regroupant à peine 200 habitants. Deux ans plus tard, Delphine Roque les rejoint. Les deux agences travaillent alors de concert et réfléchissent ensemble à des dispositifs pour redynamiser le bâti des centres anciens. Dans le huitième magazine Regain, ils co-écrivent l'article La matière des villages dans lequel ils présentent leur démarche architecturale : soutien des habitants, revalorisation du patrimoine bâti, réhabilitation pour redonner une vie au centre-bourg dans lequel ils se sont implantés, mise en place d’une matériauthèque au sein du village qui présente l’intérêt des matériaux et leur mise en œuvre locale... Leur démarche n’est pas sans rappeler celle de l’association Avenir Radieux, une inspiration qu'il revendiquent d’ailleurs volontiers : «Déjà, au sein de certains villages, cette volonté se traduit par des actions concrètes et efficaces. Nous pensons au travail de l’association Avenir Radieux qui met gratuitement à disposition des habitants ou nouveaux arrivants un architecte. Son objectif est clair, revivifier le bourg de Pesmes, en Bourgogne. Chaque village devrait avoir droit à ce genre de service ! »75

75 I ROQUE Delphine et POLLET PINET architectes, La matière des villages dans Regain #8 Printemps 2020, p84. Ouverture

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En 2014, l'architecte franco-turc Timur Ersen parvient à l'aboutissement de son premier projet en tant qu'architecte-ouvrier. Diplômé d'architecture à l'ENSA Lyon, Ersen a d'abord été ouvrier pour des missions de gros œuvre en Suisse où il apprend notamment à mettre en œuvre la terre sous forme de murs porteurs. Son passage en tant qu'ouvrier du pisé chez Lehm Ton Erde Schweiz GMBH (Martin Rauch) à Bâle lui a permis de parfaire ses savoirs autour de la mise en œuvre de la terre. Son travail poussé autour de la mise en oeuvre autour d'un matériau précis le conduit à devenir en capacité de l'intégrer dans son architecture de façon intelligente. La réalisation de prototypes de murs porteurs en pisé. (fig. 37) En 2018, il monte son entreprise en tant qu'architecte libéral au Crest(26). Pour le citer, c'est bien «la pratique de la matière sur chantier qui permet de mieux la comprendre ainsi que les métiers et les acteurs de la construction. Ils nourrissent ma conception de l’architecture»76. On retrouve dans sa démarche et la concrétisation de sa pratique le profil de l'architecte comme constructeur et entrepreneur qu'avait déjà proposé Fernand Pouillon. On peut aussi y voir un rapport commun à la matière. La déclaration de F. Pouillon dans Les pierres sauvages77 fait ici nettement écho au travail d'architecte-ouvrier de T. Ersen. «Je défends plus qu'un matériau, je défends ma foi dans la matière. Il n'est pas de beauté sans foi». A travers sa pratique et ses projet, Ersen est également à la recherche d'une attitude valeur d'exemple. On peut prendre pour exemple son projet de transformation d'une maison mitoyenne de trois étages dans la Drôme. La mise en œuvre du pisé préfabriqué, les réflexions entre les échanges thermiques et l'utilisation de matériaux biosourcés participant à l'isolation sont autant de démonstration des potentiels qu'offrent ses connaissances pointues de façonnage de la terre. Conscient de l'importance de sa démarche et de la nécessité de la diffuser, l'architecte propose de suivre et participer aux chantiers qu'il mène. Peut-être espère t'il que les architectes s'inspirent de sa démarche et se rapprochent un peu plus d'un titre d'Architecte-Maître constructeur.

Fig 37 . Façade de l'entrepôt Ricola, Bâle, Suisse, 2004. Architectes : Herzog&De Meuron, Entreprise pisé: LehmTonErde Schweiz GMBH (Martin Rauch) Photo Daniel Lüthi 76 I Source : https://www.timurersen.com/cv 77 I POUILLON Fernand, Les pierres sauvages, Édition du Seuil, 1964, 275p.

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Pho 1. Rue des châteaux, devant l’ancienne agence BQ+A (vendue) et la nouvelle (en chantier) Photo agence BQ+A

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ENTRETIENS Parole d’architecte, entretien avec Bernard Quirot Architecte, Agence BQ+A à Pesmes. Entretien de 50min réalisé le 22/01/21. Dans les locaux de l’agence BQ+A

B.Q. E.R.

B.B.

L.P. A.S.

S.T.

P.P.

CONTRE L’ABSTRACTION CONSTRUCTIVE B.Q.

«J’ai commencé à Paris parce que j’y ai fait mes études mais mon travail était déjà centré ici. J’ai gagné ce grand projet de lycée à Besançon qui était à l’époque un projet de paysage mais qui a aujourd’hui été rattrapé par la ville. J’ai toujours voulu travailler ici. L’occasion s’est réellement présentée lorsque j’ai croisé Olivier Vichard avec qui j’ai voulu monter une nouvelle agence. On a gagné un concours ou deux et on a monté cette agence à Besançon. Pour moi, Besançon d’une certaine manière, c’était la campagne ou du moins ce n’est pas antinomique de ce que m’inspire la campagne. C’est-à-dire que moi ce que j’aime là-bas c’est la ville qui révèle une géographie forte, la boucle du Doubs, la forteresse de Vauban, dans une matérialité spécifique qui a une force à laquelle il faut se confronter. Pour donner un contre-exemple c’est quelque chose que l’on ne retrouve pas à Dijon. Donc lorsque l’on parle de campagne ce n’est pas le bon terme : moi ce que je recherche avant tout c’est ce génie du lieu.»

Entretiens

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Vous avez d’abord eu une agence à Paris ensuite à Besançon et maintenant à Pesmes, qu’est-ce qui a nourri cette réflexion, engagé cette démarche ? Pour moi c’est très clair : même en ayant été installé à Paris et en ayant fait des concours à Paris, j’ai toujours eu le désir de travailler dans les territoires ruraux. J’ai l’impression que l’on peut y faire une architecture beaucoup plus concrète qui se mesure au paysage dans des sites qui m’intéressent plus qu’une opération de logements à Marne-la-Vallée. On est né dans ces territoires et forcément on les aime, on y est sensible et on a plutôt envie d’agir ici. C’est aussi une raison purement architecturale. J’aime faire des bâtiments en confrontation avec les paysages, avec des constructions vernaculaires ; ce que l’on ne trouve que dans les territoires ruraux. Ce trajet Paris-Besançon-Pesmes c’est complexe, ça correspond aussi à un désir de faire des choses plutôt modestes même si en l’occurrence ces projets modestes sont aujourd’hui choisis sur honoraires et au final on ne peut pas les faire... Pour moi ça a toujours répondu à ce désir de travailler ici dans ces territoires mais ce n’est jamais exclusif ! Si on me propose de faire une bibliothèque à Strasbourg ou à Paris je serais très content de la faire aussi. Je sens simplement que je suis plus en prise avec des thématiques qui m’intéressent ici et j’ai l’impression d’avoir un rôle peut être plus militant que si je participais à la Grande fête des architectes à Paris. Je trouve que la figure de l’architecte est vraiment détruite et sans doute qu’en étant engagé dans ces territoires on essaye de retrouver un peu de dignité dans notre profession. Pluralité de façon d’exercer en milieu rural : chez Loïc c’est pas du tout la même façon de pratiquer ou de penser le projet par exemple. Quand je suis venue ici la première fois, j’étais plus intéressée par Avenir Radieux et vous m’aviez répondu qu’« il ne faut pas oublier que ce qui doit vous animer c’est un désir de l’architecture avant tout ». Oui je pense que c’est pareil pour Simon. Ce qui nous intéresse c’est avant tout l’Architecture et je pense que si on est là c’est que l’on sait qu’à travers ces thématiques on arrive à faire une architecture particulière qui est concentrée sur le noyau dur de l’architecture et de l’architecte comme maître de l’œuvre mais on trouve des terrains favorables, un peu plus libre. Quand tu conçois la halle de Mandaille, tu entres dans un système de commande, de choix, de liberté qui à mon avis, est plus aisé qu’en ville. Une halle c’est vraiment un beau programme mais avant d’arriver à faire une halle à Paris dans une rue tu peux toujours courir. Donc ce sont des thèmes et des conditions qui nous permettent de faire de l’architecture mais c’est effectivement à ne pas confondre et à ne pas tomber dans le piège dans lequel tombe beaucoup de jeunes architectes qui se disent « ah c’est super on va aller en milieu rural c’est génial, je suis né là et on va faire de l’architecture plus facilement plus sympa ». Moi une de mes motivations, et je m’en cache pas, c’est que je pensais qu’en venant ici j’aurais plus de facilité à accéder à la commande qu’en restant à Paris : il y avait moins d’architectes voire pas du tout en milieu rural contrairement à Paris où il y a une concurrence dingue. Ce n’était pas ma motivation mais ça faisait partie d’une analyse de la situation. 116.


Halle de Mandaille Simon défend d’ailleurs l’idée qu’il est architecte avant tout et que ruralité ne doit pas nécessairement dire hyper frugalité ni hyper localité surtout lorsque cela fait défaut à l’Architecture. Bien sûr ! Si on doit faire quelque chose d’exceptionnel on le fait ! C’est complètement débile de dire que parce qu’on travaille en milieu rural on a pas le droit de faire venir un panneau des US ou d’Espagne pour ses bureaux alors que cela profite à l’architecture. Non le risque de cette définition de l’architecte c’est lorsque l’on nous cantonne à ça. Ce n’est pas que l’on n’aime pas la ville, moi c’est d’ailleurs ce qui m’affecte le plus avec le Coronavirus c’est de ne plus pouvoir se rendre en ville ou de faire des voyages. Non c’est plutôt un désir qui nous anime de vivre dans ces paysages dans un univers très très concret. Je pense qu’on part tous de cette idée-là. Comme le dit Bernard Marrey dans son livre «Architecte, du maître de l’œuvre au disagneur», l’architecte est de plus en plus un disagneur de façade, qu’on appelle pour faire des logements et n’en dessiner que les façades pour qu’après Vinci© s’occupe de tout. C’est plutôt de cela qu’on est militant c’est-à-dire qu’on pense qu’en étant à la campagne on espère rétablir la figure de l’architecte et faire comprendre son intérêt. Vos motivations sont un désir de pratique d’une architecture intégrée dans des paysages « naturels » ou du moins avec moins d’artifices. Je pense que quand on travaille en ville on est forcé à une certaine abstraction constructive qui ne m’intéresse pas et même que je reproche à l’architecture actuelle. Fondamentalement, mon intérêt pour les territoires ruraux vient de là. J’ai été très sensible au livre de Christian Norberg-Schulz sur le Genius Loci, qui dit que l’architecture peut concrétiser, révéler un site. C’est pour ça que le concours Lafite Rotschild est si passionnant ! Un projet comme ça doit être une espèce de révélateur du génie du lieu. C’est pour moi tout l’intérêt de l’architecture. Et les architectes que j’aime et dont je m’inspire sont ceux qui travaillent dans ce sens-là et pas dans l’abstraction d’un voile béton, d’un bout de polystyrène et d’un bardage et voilà mon bâtiment. Lorsque l’on tape architecte de campagne sur Internet, on tombe tout de suite sur des article de d’a, Amc, Le moniteur parlant de vous ou Simon comme si vous incarniez une première génération d’architectes suivie d’une seconde génération qui s’en inspire. Vous, il y aurait plutôt un déplacement de la pratique vers le milieu rural mais cette seconde génération s’appuie plutôt sur les milieux ruraux pour aller vers la ville. Oui c’est vrai qu’il y a des architectes qui partent de la campagne pour conquérir Paris, c’est une manière de se faire connaître. Tu vois bien que même nous quand on va loin, à St-Hilaire ou Montségur par exemple, ça reste les mêmes préoccupations : on sent des projets qui sont en prise avec ces forces du paysage autrement on ne les ferait pas. Pour comparer avec le projet de Lafite, un concours de logement à Bordeaux ça ne m’intéresse pas par exemple. Entretiens

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Est-ce que vous aviez certaines convictions ? Lesquelles ? Qu’est-ce qui diffère de ce que vous aviez imaginé ? La plus grosse déception est dans la relation avec les élus et leur désintérêt pour nos engagements et l’association. Je n’ai aucun doute là-dessus. Il faut bien distinguer l’association du métier d’architecte. Etre architecte à Pesmes ne dépend pas des relations avec la mairie. En revanche l’association a été créée pour le village et c’est vrai que dans ce cas-là, le détachement des élus empêche toute démarche. La déception c’est que même en étant installé à Besançon on a jamais rien fait à Besançon… Parce qu’on est confronté à une certaine maîtrise d’ouvrage aussi. C’est ce que dit très bien Fernand Pouillon à savoir que le responsable de la qualité architecturale ce n’est pas l’architecte : c’est le maître d’ouvrage. C’est à lui de choisir un bon architecte. Par exemple, bien sûr que Michel Ange était génial mais le vrai responsable de la qualité des bâtiments de Michel Ange c’est les Médicis qui l’ont choisi. Lorsque l’agence était à Besançon, on ne travaillait pas dans la ville alors qu’on l’adorait. Quant on a réussi à y faire un projet, la maitrise d’ouvrage nous a imposé beaucoup de choses notamment le choix des matériaux. C’est normal qu’un client ait des exigence mais il doit laisser l’architecte suivre la logique du projet. Or, le seul bâtiment important de Besançon que l’on ait réalisé avec la ville, c’est un groupe scolaire et ils ne nous ont pas laissé cette maîtrise de l’ouvrage. On est donc parti parce que la maîtrise d’ouvrage de la ville ne nous permettait pas de faire notre métier. Le but était alors de travailler plus dans les territoires ruraux, pour de plus petites maîtrises d’ouvrage. Lorsque l’on peut rencontrer les maires comme par exemple à Pontailler-sur-Saône, on peut encore rencontrer une personne qui nous traite d’égal à égal, qui respecte le métier d’architecte et qui a pris connaissance de ce qu’il projette, de ce qu’il dessine, de ce qu’il bâtit. Pour vous qu’est ce qui crée ce rapport d’égal à égal ? C’est surement la modestie des gens. Ce n’est bien sûr pas une généralité mais c’est vrai que dans les petites communes il y a un rapport relationnel qui ne se fait pas en métropole. Pour faire l’architecture que l’on aime, et je pense que pour Simon c’est aussi le cas, il faut que l’on soit avec des gens qui nous font confiance. Et ce qui est venu pervertir encore plus cela c’est le monde technocratique. Or la ville l’est complètement. Le premier lycée que j’ai fait par exemple, lorsque je rencontrais le président de la région en phase APD APS, il venait ensuite sur le chantier : les gens étaient plus impliqués. Aujourd’hui on ne rencontre plus un maire qui fait ce travail de suivi. Aujourd’hui on les rencontre de temps en temps et le reste du temps on rencontre ses services techniques qui sont pour moi des technocrates qui ne voient que les délais, le fric et qui ne sont pas du tout ouverts aux problématiques d’architecture donc c’est très difficile. Encore une fois il ne faut pas généraliser mais c’est pour caricaturer cette structure technocratique de la maîtrise d’ouvrage qui a beaucoup évolué ces dernières années. 118.


Cela additionné à la multiplication des acteurs à la réalisation d’un bâtiment rend la tâche encore plus difficile. Pour faire un bon bâtiment il faut un maître d’ouvrage fort, volontaire, décidé et qui fait confiance, qui a une sorte d’idéal. L’éclatement de la maîtrise d’ouvrage fait que tu n’es plus jamais en rapport avec celui qui décide. De même, l’éclatement de la maîtrise d’œuvre fait qu’effectivement tu es tellement divisé entre les bureaux d’études, les scénographes, le paysagiste etc.. et finalement l’architecte a beaucoup de mal à arriver où il veut. Pour moi il y a eu une acculturation à la fois des architectes et à la fois des maîtres d’ouvrage mais ce que dit Pouillon est vrai : Le responsable c’est le maître d’ouvrage qui se doit de choisir un bon architecte. Pour moi quelqu’un qui dirige une ville devrait être sachant : savoir comment la ville se crée comment elle grandit, qu’est ce qui la fait vivre etc… Quand j’ai commencé c’était beaucoup plus simple, ça s’est beaucoup complexifié. Et puis avec toutes les normes notamment environnementales (Effinergie, HQE) ont complexifié encore plus la chose alors qu’elles auraient dû les simplifier. Avant j’avais l’impression de faire des bâtiments pour des gens qui les voulaient. Aujourd’hui la situation est plus dure, je prends moins de plaisir à exercer aujourd’hui qu’avant, sauf quand on retrouve des occasions comme Lafite etc. Avenirs Radieux : du bâtiment à la ville Avant une chose qui était communément admise c’était qu’un bâtiment public c’était un bâtiment payé par la collectivité et donc qui appartenait à tout le monde et personne ne pouvait s’ériger du pouvoir dessus. Si le bâtiment vient d’un maire précédent par exemple, même si il ne lui plaît pas il a été payé par la société tu dois l’assumer... Aujourd’hui il y a des maires qui détruisent le bâtiment c’est-àdire qu’ils n’ont même plus le sens civique élémentaire de se dire qu’ils ont hérité d’un bâtiment qui n’appartient ni à l’architecte ni au précédent maire mais qui appartient à la collectivité des hommes. Donc, à un moment donné de ta vie, tu te dis que faire des bâtiments c’est bien mais que ce qu’il faut penser avant tout c’est la ville au sens très large. Et finalement, c’est cet ensemble qui crée des environnements de qualité. Tu peux avoir un beau bâtiment au milieu mais si tu ne soignes pas la ville, c’est raté. D’où l’objectif d’Avenir Radieux de s’occuper de la ville dans son ensemble même à échelle très modeste. On est né là, on vit là, on installe notre agence là, on sensibilise les élus et petit à petit on va influer sur tout ça… Enfin ça c’est ce que l’on aurait aimé. Mais ça c’est le lot de beaucoup d’architectes comme Yves Lion qui a fait beaucoup de bâtiments mais qui fait maintenant de l’urbanisme parce que je pense que naturellement à un moment on a envie de gérer la ville plutôt qu’un bâtiment.

Entretiens

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Pho 2. La Cloutière, réhabilitation dirigée par Alexandre Lenoble, Associé de l’agence BQ+A Photo personnelle

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ENTRETIENS Parole d’architecte, entretien avec Émilien Robin Architecte, Enseignant à l’ENSA Paris-Belleville. Entretien de 1h20 réalisé le 22/07/20. Rencontre à l’occasion du 6e séminaire Avenir Radieux

B.Q. E.R.

B.B.

L.P. A.S.

S.T.

P.P.

DE LA pÉriurbanité AUX CENTRES BOURGS E.R.

Il y a une dizaine d’années (et c’était déjà le cas quand on était étudiants) on commençait à se rendre compte que la question n’était pas vraiment la ruralité mais plutôt la périurbanisation. On commençait à souligner une urbanisation diffuse et massive de partout qui partait des métropoles. C’était un sujet sur lequel nous -Boidot&Robin- avons beaucoup travaillé en tant qu’étudiants avec des enseignants géographes et urbanistes. Pour eux, c’était « le sujet de la fin du 20e du début du 21e siècle » puisque l’on ne construit plus de villes constituées. En revanche, tout ce qui est autour de ces villes constituées, représentait un énorme sujet sur lequel les architectes devaient composer. Nous avons donc beaucoup travaillé dans des lotissements, dans des extensions de villages, sur des PLU prospectifs. Le but était justement d’essayer de limiter l’étalement, de voir comment on pouvait retrouver de la densité dans des formes de villes diffuses individuelles, qu'on retrouvent à la fois autour des grandes métropoles, des moyennes villes ou même autour d’un village. On a eu cette approche assez longtemps sur cette architecture non savante qui forme une sorte de chose à la fois détestable que les architectes et les urbanistes ne veulent pas voir.

Entretiens

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Qu’est-ce qui vous a poussé à vous tourner vers les territoires périurbains ? En termes d’évolution, il y a 10 ans on faisait des projets accompagnés d’ateliers participatifs en se disant que dans ces territoires semi-périurbains il y avait peut-être une façon d’intervenir pour nous ; architectes, urbanistes et paysagistes. L’approche n’était pas d’essayer de regarder ça avec en tête le dogme de Venturi mais plutôt comme Learning From Las Vegas. L’idée c’était de dire qu’avant d’assimiler ces territoires à quelque chose de mauvais (ou que l’on ne veut pas voir), il faut déjà aller les voir, les étudier puis essayer de les comprendre pour savoir comment ils fonctionnent. On beaucoup fait ça en banlieue Parisienne, en Normandie ou en Mayenne. Ce sont des territoires quand même très différents de ceux de Pesmes [L’entretien se déroule au cours du séminaire Avenir Radieux à Pesmes] et encore plus des territoires du Massif Central, là où Teyssou ou le collectif Virage exercent. Ces territoires où ils travaillent sont des territoires beaucoup plus ruraux ou isolés, ne serait-ce que par leur géographie, l’Histoire etc..

« Moi je ne pense pas que ce soit un problème de ruralité. Moi je pense que la ruralité ça n’existe plus. » Qu’est-ce qui vous a poussé à décaler le sujet vers celui des centres-bourgs ? On s’est aperçu que les architectes se préoccupaient plutôt de petites choses que l’on voit dans le paysage. Or, il y a en réalité nombre de bâtiments vacants dans les centres anciens. C’est l’idée de se dire que si cette ville diffuse pose un certain nombre de problèmes, elle apporte en même temps un certain nombre de qualité. Au quotidien, la population actuelle cherche ce type de confort : leur voiture, leur garage, leur terrain etc.. Encore une fois, il y a 15 ans je me disais que la problématique centrale c’était l’extension de cette ville. Cependant, je ne peux pas changer ce qu’elle est donc pour moi la façon de lui répondre c’est de revenir à des formes urbaines plus denses. Ce problème de densité, il ne se voit pas dans les métropoles. Il se voit dans les villes moyennes, dans les toutes petites villes, dans les bourgs et dans les villages. Après, que l’on appelle ces territoires «ruraux», peut-être, mais du coup c’est plutôt la question de dire : on a plein de patrimoine vacant, qui a des qualités de construction etc.. Quand on construit 2 ou 3 bâtiments aujourd’hui, on voit bien qu’il y a une telle différence avec les bâtiments anciens qui sont bien construits, solides etc contre ce que l’on fait aujourd’hui avec des matériaux un peu cheap un peu légers souvent préfabriqués etc. Qu’est-ce qui vous a conduit à venir participer aux réflexions du séminaire Avenir Radieux sur ces questions de valorisation des centres anciens ? La première fois que je suis venu ici il y a 4 ans, je faisais un peu un bilan de la première période en me disant je ne veux plus faire ça. Je ne veux plus être dans le lotissement je sais que l’on ne peut rien faire. Je n’y crois plus depuis que j’ai fait cet article dans Criticat : Buid in my BackYard (BimBY). Cet article sur la critique des BimBY se base sur l’idée que l’on pourrait faire des documents d’urbanisme et des modèles de production immobilière qui permettent de faire de la division parcellaire etc... En Australie, ce modèle avait été essayé 20 ans en arrière et ça n’avait pas fonctionné puisque lorsque la densité fonctionne, elle augmente la valeur foncière. 122.


Donc, tout d’un coup quand les terrains valent chers, on démolit une petite maison pas chère et on en reconstruit 2 ou 3, un immeuble… Enfin l’histoire de la ville quoi. Inversement, si la valeur foncière est faible, on ne densifie pas. Donc cet article visait à critiquer cette façon de faire là. Ce moment là a plus ou moins coïncidé avec : - Le fait qu’à l’agence on commençait à se poser des questions. Est-ce qu’il ne faudrait pas mieux travailler sur des bâtiments existants, les rénover, les transformer ? - Au même moment, je suis venu pour la première fois à Pesmes donner une conférence, rencontrer Bernard et mieux connaitre son travail qui correspondait intellectuellement aux questions que l’on était en train de se poser. - Et aussi avec le catalogue nouvelle richesse : le catalogue de l’exposition de Venise de 2016. Avec Obras, Frédéric Bonnet et tout le collectif des jeunes architectes AJAP, on a fait une exposition et un gros catalogue soulignant que l’on regarde toujours les territoires à travers les métropoles et donc à travers leurs projets urbains. Ce catalogue propose un regard sur toutes les initiatives intéressantes, en dehors de ces territoires qui sont les seuls à être documentés. C’est là où il y a les journalistes (80% des journalistes à Paris, 50% des architectes à Paris) et peu voire aucun architecte se sont en métropole. Donc on voit bien que l’Histoire de l’Architecture se fait par la ville. Pour nous, il y avait un truc un peu autobiographique. On était pas mal à venir de milieux ruraux et à avoir fait nos études dans des milieux urbains et donc à nous poser la question de savoir si on se laissait transformer par la ville ou si on en subissait son acculturation. Moi la ruralité en tant que telle ne m’intéresse pas. Les questions que je me pose plutôt aujourd’hui sont : que sont devenues les métropoles avec leur centre ancien constitué ? Leurs banlieues des années 50/60 ? Tous les territoires servants (logistiques, industriels) qui sont en déprise, souvent ceux sur lesquels on a construit des ZAC, ce qui sont des produits de la promotion immobilière où on ne nous laisse pas faire notre travail d’architecte.

Entretiens

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Pho 3. 13 et 15 Rue Gran’Rue, Montrottier Entrée de village Photo personnelle

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ENTRETIENS Parole d’architecte, entretien avec Loïc Parmentier Architecte, Atelier de Montrottier et membre du Collectif Virage, Enseignant à l’ENSA Clermont-Fd. Entretien de 45 min réalisé le 19/05/20 par téléphone puis retravaillé

B.Q. E.R.

B.B.

L.P. A.S.

S.T.

P.P.

L’étude urbaine, un déclencheur de projet à grande échelle L.P.

« Diplômé en 2010, Loïc intègre dans la foulée l'agence d'architecture et d'urbanisme Obras architectes (Marc Bigarnet, Frédéric Bonnet) dans ses locaux Lyonnais. Les thèmes d'études sont extrêmement riches et variés et le niveau d'exigence de cette agence permet à Loïc de s'instruire en permanence. Théories et pratiques architecturales font parties du quotidien de l'agence, la dimension de recherche et d'enseignement est omniprésente »

Source : ADM, atelierdemontrottier.archi

Entretiens

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Le nom d’architecte de campagne parait-il refléter ta pratique de l’architecture ? Architecte de campagne c’est réducteur mais c’est en même temps une manière de réussir à en parler et de montrer que ça existe. J’ai le sentiment que l’on n’a encore pas assez en tête le besoin qu’il existe dans LES territoireS en général malgré un vrai besoin. Et je pense que de baser sa pratique en disant « je veux être architecte de campagne », ce n’est pas un site ! Ce qui compte ce n’est pas de vouloir être architecte de campagne, c’est de vouloir agir dans un territoire en particulier. J’ai l’impression que l’on essaye de plaquer une expression sur une attitude de pratique et c’est assez réducteur dans le sens où il y a autant de pratiques différentes à la campagne qu’en métropole. Tous les praticiens qui exercent en milieu rural n’exercent pas de la même manière. Ce qui me semble important dans le fait d’être architecte installé en milieu rural, c’est une sorte d’implication pour UN territoire et pour DES territoires. Le but de ma démarche architecturale n’est pas de devenir une figure de l’architecte de campagne. Je souhaite juste répondre à un besoin particulier dans un territoire qui manque cruellement de réponse. D’une certaine manière ce que je ressens c’est que le territoire dans lequel je pratique recèle énormément de besoins : des besoins liés à notre architecture en général (urbanisme, architecture, paysage, aménagement, espaces publics). L’attitude de praticien que l’on peut avoir ici à Montrottier s’adapte à CE territoire, à ses mœurs et à ses manières d’être, qui ne qui sont pas tout à fait les mêmes que celles du Cantal ou du Lot pour Mathieu (Atelier de Saint-Céré). Vous avez eu l’occasion de travailler en milieu rural et urbain. Qu’est-ce que le travail à Montrottier permet aujourd’hui d’apporter à votre pratique ? Le monde rural est pour moi l’occasion de voir rapidement les répercussions de mon travail parce qu’en territoire rural, les choses sont un peu «directes», de proximité, évidentes. Dans les relations avec les maîtres d’ouvrage il y a des choses qui se font beaucoup plus vite avec moins d’inertie qu’en métropole par exemple. D’une certaine manière, on essaye de donner au territoire local ce qu’on peut et en même temps, on s’intéresse à l’ensemble des territoires. On essaye de produire des études urbaines dans l’ensemble des territoires, plus loin ou plus proches (Martinique, Guyane, Touraine, Normandie). C’est vrai que d’avoir réussi à faire une étude urbaine dans les Monts du Lyonnais, pour moi c’est formidable parce que il y a 5 ans quand je suis arrivé, je n’avais jamais entendu parler d’urbanisme en milieu rural sauf à parler d’un PLU (pour les élus c’est souvent ça l’urbanisme). Réussir à amener comme ça des petites choses, le fait aussi d’avoir fait quelques réalisations pour du privé, fait passer un certain nombre de messages. J’aime cette idée que l’architecte a un rôle, une responsabilité vis-à-vis d’un territoire, quel-qu’il soit.

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Comment l’outil de l’étude urbaine est-il apparu au sein du collectif Virage ? Personnellement la question urbaine m’intéresse fortement. J’ai fait mes études dans le domaine d’étude EVAN, puis j’ai travaillé avec Frédéric Bonnet et Marc Bigarnet (Obras) qui défendent cet entrelacement des échelles et cette polyvalence de l’intervention, ce qui pour moi incarne ma manière de voir la discipline. Quand j’ai commencé à travailler dans le collectif, j’ai introduit les études urbaines. Bien sûr, il y a une accointance de Simon avec cette idée de polyvalence. Il est aussi très intéressé par cette question de l’urbanisme. Avant le collectif, il n’avait pas fait énormément d’études (Budelière, Creuse)1. Les portes se sont vraiment ouvertes avec l’étude d’Olliergue(63), puis j’ai poussé pour qu’on continue d’exister dans l’urbanisme des études de bourg en milieu rural. On a tous une appétence pour les études urbaines mais effectivement à Montrottier, on a une part importante de l’agence orientée sur l’urbanisme. Ce qui m’intéresse, c’est que l’on continue à être polyvalents.

«Architecte de campagne c’est réducteur mais c’est en même temps une manière de réussir à en parler et de montrer que ça existe.» Quelle est la part des études urbaines dans l’agence en termes de temps, de revenus ? Les études urbaines représentent-elles une part de travail plus importante que les projets privés ? On est à peu près à 50/50 entre l’urba et l’archi mais là-dedans il faut aussi mettre l’espace public. En ce moment on est à peu près 30.35% d’études urbaines et autant pour les espaces publics et l’archi. Après, il y a effectivement des missions plus rentables que d’autres. Globalement les études de bourg sont très laborieuses, chronophages et ne sont pas très rentables. On passe beaucoup de temps et d’énergie à s’adapter au milieu, à la maitrise d’ouvrage, sur le terrain ce qui ne rend pas ce travail extrêmement efficace. J’ai d’ores et déjà pu participer à deux études dans l’agence : Meys et Montbrison. A Meys, le maire est assez enclin à pousser l’etude urbaine et à lancer tout de suite les projets. Les études urbaines sont-elles un moyen d’accéder à la commande ? De prendre contact avec des maires ou des élus ? En effet, les études urbaines sont peut-être chronophages et pas extrêmement rentables mais il arrive parfois qu’elles débouchent sur de la commande de maitrise d’œuvre, en tout cas elles créent un rapport à la commande possible.

1 I TEYSSOU Simon, La soustraction positive, Vers une mutation des centres-bourgs en déshérence, in revue Pierre d’Angle, Le magazine de l’ANABF, dossier « construire dans l’existant», 2019/06. Entretiens

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Il y a une certaine logique dans cette volonté de faire poursuivre les chantiers par la même agence qui réalise l’étude urbaine, en pleine connaissance du plan guide et des phasages de projet. Est-ce que le fait que les chantiers ne sortent pas tout de suite après l’étude urbaine vient d’un manque de subventions de l’État ou est-ce seulement par la volonté du maître d’ouvrage ? Ça ne fait pas de sens pour tous les élus de faire une continuité par la même personne pour faire à la fois de l’urbanisme, de l’espace public et de l’architecture. Ça étonne plutôt les maîtres d’ouvrage. Ils ont la plupart du temps l’idée que celui qui a fait l’étude ne fera pas l’architecture ou l’espace public. Cette polyvalence des échelles dans la pratique n’est pas acquise dans la tête des élus. Il y a aussi une notion de concurrence où les élus ne souhaitent pas faire travailler plusieurs fois à la suite la même agence même s’ils en sont contents. Il peut aussi y avoir divergence d’opinion sur des stratégies qui ne sont pas toujours exactement les leurs. Les subventions de la part de l’État sont-elles indispensables à la réalisation des études urbaines ? Effectivement les subventions ont un impact clairement sur la quantité des commandes mais pas que ça ! Évidemment l’action cœur de ville Montbrison est subventionnée par l’État, c’est ce qui fait qu’elle est réalisable. Mais après par exemple, à Olliergue ou la Chaise Dieu en Haute-Loire, toutes ces études réalisées avec LFA2 sont toutes des études permises parce qu’elles sont subventionnées soit par le département, soit par l’agglomération, par LFA ou le PNR3 dans le Livradois. Ces organismes prennent en charge le montage et poussent pour le développement de ce type d’études. Ils accompagnent pour vérifier le cahier des charges et subventionnent parfois. Ils sont eux aussi des acteurs qui œuvrent pour que les études urbaines existent. Autrement, un maire d’une commune des Monts du Lyonnais ne va jamais pousser pour une étude de cette envergure puisqu’il n’en connaît pas son intérêt. A Meys, l’élément déclencheur vient d’une volonté du maire de réaliser un écoquartier dans une vision d’ensemble de son bourg, ce qui est assez nouveau. Nous avions le projet de logement de l’écoquartier pour l’OPAC4. Ce qui nous a permis de développer une vision d’ensemble pour voir comment le projet allait s’intégrer dans le bourg. C’est ce qui a plu au maire. Avec l’appui du CAUE5, il a découvert le principe de l’étude urbaine et nous a fait confiance : à nous et au CAUE. Cette situation vient donc d’un concours de circonstance mais aussi de l’appui du CAUE.

2 I LFA (Loire Forez Agglo) 3 I PNR (Parc Naturel Régional) 4 I OPAC (Office Public d’Aménagement et de Construction) 5 I CAUE (Conseil d’Architecture, d’Urbanisme et de l’Environnement)

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Si ces situations ne viennent pas d’un concours de circonstances, comment vient la diffusion de l’information de ces études urbaines ? A la base, les maires ne sont pas forcément au courant mais les services de l’État poussent dans cette direction. Ils informent les élus et leur en explique l’intérêt. Ce lobbying est extrêmement important et nécessaire. Sinon c’est un peu du bouche à oreille auquel les architectes participent. Moi j’ai expliqué l’intérêt des études de bourg en faisant un projet d’architecture de petits logements dans un village. C’est petit à petit en défendant des idées qu’elles infusent. L’étude urbaine peut amener la commande mais aussi l’inverse. Le projet architectural introduit un intérêt vers une études urbaines. L’un donne l’opportunité de discuter de l’autre et réciproquement.

Entretiens

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BIBLIOGRAPHIE [CORPUS_L’architecte de campagne] H. De BALZAC, Le médecin de campagne, La comédie humaine, 1833, 473p. LAVALOU Armelle, Pingusson à Grillon, Édition du Linteau, septembre 2009, 180p. MULLE Felix, « L’architecte, médecin de sa campagne », in Criticat 13, Point de vue, N° 13, printemps 2014, p. 2-15. MERLINI Fabio et SNOZZI Luigi, « L’architecture inefficiente », Édition Cosa Mentale, Collection Essai, 2016, 96p. QUIROT Bernard, Simplifions, Éditions Cosa Mentale, Collection Essai, 2019, 95p. POLLETPINET architectes et Delphine Roque, «La matière des villages», Regain 8, Rubrique Architecte, 2020. TEXIER Simon, Georges-Henri Pingusson, Édition du Patrimoine, Collection Carnets d'architecte, 2011, 192p. TEXIER Simon, Georges-Henri Pingusson, Latitudes 43, Un monastère laïque, Nouvelles Édition Place, 2001, 62p. [Ouvrages] CHARMES Éric, La revanche des villages, Essai sur la France périurbaine, Éditions du seuil et la république des idées, janvier 2019, 105p. JANIN Rémi, La ville agricole, Édition Openfield, 2017, 76p. KOOLHAAS Rem, Countryside, a report, Taschen, 2020, 352p. MARREY Bernard, ARCHITECTE du maître de l’œuvre au disagneur, Édition du linteau, 2013, 171p. NORBERG-SCHULTZ Christian, Genius Loci, Paysage, Ambiance, Architecture, Édition Madraga, 1997, 216p. PALLASMAA Juhani, Le regard des sens, Édition du Linteau, 2010, 110p. POUILLON Fernand, Mon ambition, Édition du Linteau, 2011, 155p. POUILLON Fernand, Les pierres sauvages, Édition du Seuil, 1964, 240p. PUTZ Dominique, Les figures architectoniques. La construction logique de la forme, Éditions Cosa Mentale, 2020, 256p. RAZEMON Olivier, Comment la France a tué ses villes, Rue de l’échiquier, 2017, 216p. VITRUVE, De l’architecture, livre II, Introduction, traduction M. Ch.-L. Maufras, 1847, 254p. VON MEISS Pierre, De la forme au lieu + de la tectonique, Une introduction à l'étude de l'architecture, Édition EPFL Press, Collection Essai, Troisième édition, 2014, 404p.

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BIBLIOGRAPHIE [Articles] CORBOZ André, Le territoire comme palimpseste, paru dans Diogène, 1983, p. 14-35. DANA Karine, dossier « Architectes de campagne», in d’a, N° 232 Déc-jan 2015, p. 61-89. KOOLHAAS Rem, Côté campagne, in Marne - Volume 4, Éditions parenthèse, 2011, p 87 à 116. KOOLHAAS Rem, Le meilleur des monde : population, territoires, technologie , in Marne - Volume 4, Editions parenthèse, 2011, p 87 à 116. MACHABERT Dominique, « Architecte de campagne, médecin du territoire », in Archiscopie 15, Thème Ruralité, Cité de l’architecture, juillet 2018. STREMSDOERFER Alexis, « Matières Oniriques », in Philotope, MaT[i]erre[s], N° 12, déc. 2016, p. 159-165. TEYSSOU Simon, La soustraction positive, Vers une mutation des centres-bourgs en déshérence, in revue Pierre d’Angle, Le magazine de l’ANABF, dossier « construire dans l’existant», 2019/06. [Conférences] BOUCHET Boris, dans la conférence « Cycle Matière : Nouvelles matières », 2016 BOIDOT Julien et ROBIN Émilien, dans la conférence : Pour un vernaculaire contemporain du périurbain, à l’ENSAB, le 03 mai 2017. RAVEREAU André et PERRAUDIN Gilles, Conférence D'une génération de pionniers à leurs héritiers, vers une architecture située (1950-2015), Cité de l'Architecture, 2015, 1h39min. STREMSDOERFER Alexis, dans la conférence «Ruralité : Interdépendances, Récits et Devenirs», 25 janvier 2020. [Filmographie] XAVIER-DROUET François, Le temps des forêts, film documentaire, 2018, 103min. VIALLET Jean-Robert, L’Homme a mangé la Terre, ARTE - film documentaire, 2019, 98min.

Bibliographie

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