Mémoire M2 Agathe Mabrut Le(s) centre(s) : une structure de l'urbanisation dispersée

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Agathe Mabrut

LE(S) CENTRE(S) UNE STRUCTURE DE L’URBANISATION DISPERSEE REFLEXIONS AUTOUR DU PAYS BASQUE

Mémoire de Fin d’Etudes- Janvier 2016 Ecole Nationale Supérieure d’Architecture Paris La Villette Séminaire Architecture, Projet Urbain et Société Wachter S. (Dir.), Amougou E., Delavault-Lecoq (co-dir.), Saïdi M.


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« Chaque position centrale est menacée tactiquement et stratégiquement. Tactiquement : on la tourne, on l’enveloppe, on mène l’assaut par la droite et la gauche. Stratégiquement : il n’y a jamais un seul centre, et tout centre peut avoir affaire à un déplacement général ou partiel de la centralité. » (LEFEVBRE, Du rural à l’urbain, Anthropos Troisième édition, 2001, p.13 ).


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TABLE Introduction

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I - Le territoire d’urbanisation dispersée

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I. 1- La constitution d’un troisième territoire, entre l’urbain et le rural. I. 2- Un territoire aux nombreuses définitions

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I. 3 - Les urbanisations dispersées - Chiara Baratucci

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I. 4 - Qu’est-ce- qu’une ville diffuse ? - Bénédicte Grosjean

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I. 5 - Le tiers-espace, Martin Vanier

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II – Une centralité dans l’urbain dispersé

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II. 1 – Qu’est ce qu’un centre ? II. 2 – Le centre dans un contexte spatial : le tissu urbain

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II. 3 – La centralité en réseau, une caractéristique de l’urbanisation dispersée

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II. 4 – L’émergence d’une identité territoriale par le centre

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II. 5 – Nouvelles formes et fonctions pour le réseau de centralités

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II. 6 – Synthèse intermédiaire : La polycentralité, nouvelles attentes pour un nouveau territoire

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III - L’espace public, fédérateur du centre

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III. 2 – Théorisation de l’Espace Public

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III. 3 – Le rôle de l’espace public dans une centralité

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III. 4 – Relations entre espace public et espace privé : normes et intentions communales

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V – Le Pays Basque et l’idée de la centralité

III. 1 – La construction d’une notion

V. 1 – Une région étendue mais non diffuse

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V. 2 – Un territoire d’urbanisation dispersée

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V. 3 – Un territoire fractionné, un entre-deux émergeant

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V. 4 – L’effet de centralité dans l’agglomération du BAB

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V. 5 – La centralité comme structure de l’espace intermédiaire

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V. 6 – La proximité : un effet de centralité

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Conclusion

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Bibliographie thématique

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Annexes


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INTRODUCTION

L’origine de ce travail part d’une volonté de sortir des territoires habituellement étudiés dans notre formation, de l’omniprésence de l’exemple parisien, pour découvrir d’autres tissus et nous éclairer sur la nature de l’urbain, présente et à venir. D’un lieu à l’autre, nous traversons de grands espaces où se mêlent comme une image d’Epinal, un parapet d’autoroute, des champs, des clochers d’église et de grandes enseignes publicitaires accolées à des hangars métalliques. Sous nos yeux, un territoire en mutation longtemps ignoré et rejeté s’organise. Territoire pérennisé par l’ampleur du phénomène, il est encore instable dans sa formation et devient donc un enjeu dans la compréhension de la mise en place de la structuration spatiale et sociale d’un milieu, car il se constitue actuellement par des formes et des modes de vie différents de ceux appréhendés jusqu’alors. Peu étudié jusqu’au XXI° siècle par l’idée commune d’une diffusion du caractère urbain à l’ensemble des territoires, « le globe tend à devenir une seule ville » (SERRES, 1993), certains sociologues et géographes tentent de repenser la centralité de ces territoires en terme de réseaux, car les nouveaux schémas spatiaux de cet urbain dispersé ne se matérialiseraient plus par des lieux mais par un système de relations entre des lieux1. La centralité se définit par une agglomération d’hommes et d’activités. Or le périurbain se constitue par une dispersion des hommes et des activités sur le territoire. Comment rapprocher ces deux idées contraires ? La compréhension de modèles anciens d’habitat dispersé non pour cause d’épanouissement personnel mais d’obligations professionnelles (agriculture, élevage) peut nous permettre de retrouver une certaine logique d’agglomération des activités dites de consommation. Cependant, l’utilisation de la voiture augmente les distances entre les centralités qui doivent, pour être viables, se positionner selon les besoins en services de ces territoires.

1 Bourdeau-Lepage, Huriot, Perreur, A la recherche de la centralité perdue, in Revue d’Economie régionales et urbaines n°3, Juillet 2009


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La règlementation, les réalisateurs (architectes, urbanistes) ou les décideurs (élus, mairies), les initiatives individuelles et publiques révèlent des enjeux sociaux, et ont une conséquence directe sur la forme des espaces urbanisés. La production d’un espace, ici centralisateur, ne peut se faire pleinement que lorsque l’utilisation le transforme en lieu habité ; le résident utilisateur postule alors au titre d’habitant, et l’espace au titre de centre. La représentation mentale individuelle et collective du lieu est ainsi tout autant fédératrice d’une centralité, qu’une position géographique, ou d’une hiérarchie sociale. Enfin s’ajoute à cette trame complexe d’échanges entre réseaux, mobilité, résidences et économie d’un territoire la question de l’espace public de ces centralités. A défaut d’un espace public démocratique comme l’entend Habermas, il est plus pertinent pour le moment de s’intéresser à la conception des espaces publics dans ce genre d’aménagements. Entendons espace public comme des espaces non appropriés ni appropriables sinon de façon temporaire (CLAVEL, 2002). Nous revenons à l’enjeu de la problématique sur la relation entre centralité et logement individuel : quelle place occupe l’espace public périurbain dans une interprétation commune d’utilisation privative des espaces intérieurs et extérieurs ? J’ai décidé de construire ma recherche sur des paradoxes, puisque ce territoire en est un. En associant l’espace public dans un territoire foncièrement constitué par des initiatives privés, et questionner un hypothétique centre dans une formation urbaine continue, aux limites floues et instables, me donne la possibilité de voir le périurbain par d’autres prismes que ceux de la mobilité et de l’économie, pour autant très important dans la constitution de ce territoire. Expliquer cette centralité renvoie d’ailleurs indubitablement à ces deux notions, puisque, nous le verrons au cours de ce mémoire, nous évoquerons l’accessibilité et l’attractivité de ce possible centre. L’important dans une centralité de territoire d’habitat dispersé semble être de comprendre quels éléments la mettent en tension, à quoi se réfère-t-elle et avec quels autres lieux d’intensité fonctionnet-elle ?


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Pour répondre à ces différentes questions, nous décomposerons notre étude en trois points principaux. Dans un premier chapitre, nous tenterons de comprendre ce qu’est réellement un territoire où l’urbanisation se fait par dispersion. Dans un deuxième chapitre, il sera question de la notion de centre. Une première approche théorique développera ce que l’on entend par « centre ». Il aboutira à la notion de centre urbain, ou centralité, et nous tenterons de déterminer les facteurs nécessaires à la constitution de celle-ci. Enfin, nous immergerons cette notion de centre dans le territoire intéressé, celui de l’urbanisation dispersée pour comprendre quels facteurs et autres enjeux diffèrent. Un troisième chapitre approfondira la notion d’espace public et sa place dans la formation d’une société et quel enjeu son questionnement fait émerger dans les territoires d’urbanisation dispersée. Le quatrième chapitre inscrira la recherche dans un territoire physique, le département des Pyrénées Atlantiques, et particulièrement le Pays Basque avec l’agglomération de BayonneAnglet-Biarritz. Le territoire basque est une étude de cas pertinente dans la réflexion sur la centralité par :

Le Pays Basque : entre agglomération et dispersion urbaine Masses bâties, Document personnel, 2015


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- la compréhension du territoire ; le Pays Basque se diffuse le long des grandes infrastructures côtières, contrainte à l’Ouest par l’Océan Atlantique. De plus le système des vallées pyrénéennes montre une autre organisation du territoire autour d’un axe NordSud. Enfin le centre des Pyrénées Atlantiques, très peu dynamique, est vite assimilé à la notion d’espace rural. - la diversité des noyaux urbains ; certains très urbains comme Bayonne ne fonctionne plus qu’à l’intérieur d’une seule et même agglomération, quand d’autres noyaux urbains conservent un caractère rural et indépendant, engendrant d’autres enjeux liés à la mobilité. - un degré de planification urbaine avancée ; l’Agence d’Urbanisme Adour Pyrénées (AUDAP) s’occupe de l’ensemble des territoires du Grand Pau et de l’agglomération Bayonnaise ainsi que de la côte basque et travaille en coopération avec le département qui souhaite en inscrire activement sa périurbanisation dans une volonté « post-grenelle » (AUDAP, 2014), entendant par la une volonté de proximité aux centralités.


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I – LE TERRITOIRE D’URBANISATION DISPERSEE I . 1 - La constitution d’un troisième territoire, entre l’urbain et le rural Le périurbain semble être le mauvais élève de l’urbanisme et de l’urbanisation. Pour certains insoutenables (BERQUE, 20042 ), pour d’autres « lieu de tous les possibles » (REMY, 2004), il n’en est pas moins l’expression d’une nouvelle forme urbaine, aux caractéristiques propres et aux enjeux contemporains puisque, entre le début du XIXème siècle et les années 50, la surface urbaine a été multiplié par 10. La culture urbanocentrique encore tant appréciée des praticiens de l’espace, tend à disparaître dès 1970 chez les chercheurs pour sortir de l’opposition rural-urbain et étudier ce territoire de transition dans son intégrité plutôt que dans une perpétuelle comparaison avec la ville dense. Nous ne voyons dans ces territoires d’urbanisation dispersée que le résultat d’un étalement urbain non maîtrisé, coûtant cher au contribuable et aux pouvoirs publics par les dépenses en matière d’infrastructures et de réseaux qu’il engendre. Conséquence de l’urbanisation de ces soixante dernières années, l’étalement urbain est le fait d’une transformation des modes de consommation, d’une augmentation de lotisseurs-promoteursconstructeurs qui va faire évoluer les valeurs foncières, et d’un appui financier fiscal de l’Etat3 qui a permis de faire émerger non pas une idéologie collective du mode d’habitat,mais plutôt un idéal personnel dans le mode de vie « pavillonnaire ». Cet dispersion de l’urbain fragmente des espaces non-bâties qui avaient à l’origine un rôle dans le territoire. Nous ne parlerons pas d’une fragmentation des espaces naturels4 car l’ensemble des sols et paysages du territoire français ont été transformé sous l’action de l’homme, et particulièrement à partir de la révolution industrielle. Cette anthropisation du territoire n’est pas contradictoire avec des espaces végétalisés mais ils ne peuvent être considérés comme nature ; la plus grande fragmentation du territoire s’effectue par le

Berque A., Ghorra-gobin 2 C., Bonnin Ph., La ville insoutenable, Colloque de Cerisy, « les trois sources de la ville campagne », 2004 Vanier M., 3 «questionner l’étalement urbain», in Urbanisme HS n°46, Novembre 2013 European Environnement 4 Agency, in l’Etalement urbain, processus incontrôlable ?, auteurs multiples, Presses Universitaires de Rennes, 2010


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mitage de terres agricoles, donc anthropisées, peu à peu mangé par l’urbanisation des sols. Les espaces résiduels que la fragmentation crée dans le territoire, doivent même s’ils ne sont pas « naturels » être réinterrogés.

Bidou-Zachariasen C., « Modèle Post-Fordiste et urbanisation », in La ville insoutenable, Becque A.., Bonnin Ph., Ghorra-Gobin C. (dir.), Belin, Paris, 2004

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Bairoch P., De Jericho à Mexico, villes et économie dans l’histoire, coll. Arcade, Paris, Gallimard, 1985

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La production industrielle de la fin du XIXème et le début du XXème siècle a permis à la ville d’entrer dans une époque de progrès et de modernité. Les modèles économiques et leur évolution peuvent avoir un lien avec l’urbanisation engendrée à cette époque5 . Début XIXème, les centres des villes denses sont saturées en partie à cause de l’exode rural réalisé à cette époque, une migration massive des populations venues des campagnes, se concentrant dans les grandes villes comme les plus modestes pour y trouver une autre condition de vie. Les villes, cœur industriel des Etats, sont synonymes d’innovation et de grand marché financier permettant la diffusion de monnaies et produits manufacturés qui commencent à se généraliser. Les usines se structurent autour des noyaux urbains (P. BAIROCH, 19856 ).


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Le lien entre industrialisation et urbanisation est alors très fort. En augmentant sa population, la qualité de vie des centres baisse (congestion, manque d’hygiène, spéculation immobilière, entassement de la population dans du bâti insalubre). La ville se tourne alors vers sa périphérie, où se trouve un foncier libre et encore bon marché. Les faubourgs en se développant, vont drainer une main d’œuvre importante qui se regroupe autour des usines. Ces usines s’orientent sur la fabrication d’éléments standardisés, de systèmes « reproductibles », favorisés par les théories économistes du taylorisme puis du fordisme. Ces lieux de production doivent se trouver à proximité des matières premières de même que les ouvriers sont logés à proximité des usines pour rentabiliser à son maximum le système de production. Cette ville fordiste a ensuite été reprise par le Mouvement Moderne et son célèbre zoning entre lieux pour habiter, travailler, circuler et se distraire. Mais jusqu’au XIXème siècle, la croissance surfacique de la ville est limitée par les capacités de déplacements, non motorisés, augmentant la concentration d’hommes et d’activités dans un périmètre restreint (ENAULT C., 20037 ). C’est une organisation connue depuis l’antiquité où se propageaient des petits villages autour de la villa romaine au fur et à mesure de l’expansion du domaine agricole afin d’obtenir un rendement efficace domiciletravail. Avec le développement des transports dans les années 1850, la périphérie se trouvera « rapprochée » par une meilleure desserte, augmentant cependant les relations de dépendance entre la ville et ses extérieurs. Les vastes zones de logement pour consommateurs-producteurs, des ouvriers travaillant pour acheter ce qu’ils produisent, vont se transformer avec l’évolution des politiques publiques. Après la Seconde Guerre Mondiale, les villes continuent leur croissance par l’adjonction de zones de grands ensembles, de lotissements pavillonnaires et de zones industrielles. Apparaissent aussi aux abords des villes, les premiers hypermarchés. Les politiques publiques du logement en France depuis les années 1950 ont orienté un système d’aide vers la construction, la réhabilitation, l’aide au paiement et l’accès à la propriété, permettant

Enault C., Bavoux J.J. 7 (dir.), Vitesse, accessibilité et étalement urbain ; analyse et application à l’aire urbaine dijonnaise, Université de Bourgogne, Géographie, 2003


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un accès au logement au plus grand nombre tout en soutenant le secteur du bâtiment, garant d’une bonne économie nationale8 . L’aide à la pierre, aide financière apportée à l’investissement d’un maître d’ouvrage qui construit ou réhabilite des logements) utilisé entre 1950 et 1970 se voit peu à peu remplacée suite à la réforme Barre (1974) par l’aide à la personne, aide financière apportées aux personnes pour alléger le coût des loyers ou des remboursements d’emprunts. C’est aussi la fin des Trente Glorieuses et de son Etat providence, qui fait basculer dans le post-fordisme le modèle économique. L’espace de production s’organise ainsi autour des grandes métropoles qui concentrent les lieux de production de richesse. C’est une période de retour des classes moyennes vers la ville, délaissée depuis les années 1960, qui s’organise en « service class », une classe sociale née à la fin du XIXème siècle autour de la croissance des institutions (éducation, santé, justice) et très liée à l’Etat car au centre du régime de production du savoir immatériel. Les années 1960-1970 sont donc synonymes d’explosion démographique pour les banlieues et nous commençons à réaliser les conséquences de cette urbanisation sur le paysage.

Couet L., « les aides publiques au logement en France », septembre 2007, in http://base.d-p-h.info, consulté le 30 mai 2015

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Laine S., « à la découverte du phénomène périurbain », in Metropolis, vol.5, n°41-42, pp.6-8, 1979

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ROUX, BAUER, la rurbanisation ou la ville éparpillée, Paris, Ed. du Seuil,1979, 192p.

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Le flou de cette nouvelle forme urbaine et dû à « l’éclatement du bâti en petits îlots », généré par la propagation de maisons individuelles sur le territoire, mais où subsistent encore la dominance des espaces non-urbanisés, à la différence de la banlieue, limitrophe à la ville et très dense (LAINE S., 19799 ). La fin des années 1970 coïncide avec le ralentissement de la croissance des communes urbaines et s’explique par l’accélération de celle des communes rurales ; cette inversion est visible à partir du recensement de 1968, montrant des communes rurales en augmentation alors qu’elles n’étaient qu’en solde migratoire négatif depuis la fin de la guerre. 1931 et ainsi le recensement qui a permis de montrer que la population urbaine était supérieure à la population rurale. Le recensement de 1975 fait entrer une nouvelle tendance urbaine dans le clivage ville-campagne (PRYOR, 1968 ; ROUX, BAUER, 197910 ), un entre-deux en constante augmentation, entre la stabilisation des communes rurales et le déclin des centres villes (ENAULT C., 2003). Les villes redeviendront attractives à partir de 1980, notamment grâce aux politiques urbaines de requalification des centres villes et la valorisation des espaces publics.


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I . 2 -Un territoire aux nombreuses définitions Dans ces territoires du périurbain, du suburbain, le clivage centrepériphérie est dépassé ; les enjeux d’attractions de la ville-centre sont bien trop loin pour entrer en concurrence avec ce nouveau régime de production de l’urbain. De nombreuses définitions expliquent le périurbain. Roger Brunet le définit comme « tout ce qui est autour de la ville, et en réalité fait partie de la ville par les activités et les modes de vie des habitants […] et comprend tout l’espace d’urbanisation nouvelle par lotissements et constructions individuelles même au prix du mitage, et selon les auteurs, les plus anciennes banlieues ». Mais que veut dire « faire partie de la ville » ? Est-ce le fait d’y travailler, d’y faire ses courses, d’y résider ? L’imaginaire citadin prend souvent le dessus pour expliquer certains comportements urbains. Nous sommes au temps de la ville éclatée où trois concepts résument les tendances urbaines actuelles ; l’urbanisation, la suburbanisation et la périurbanisation. L’évolution des modes de travail, l’augmentation de la population urbaine et le développement fulgurant des liens de communications matérielles et immatérielles, ont transformé les formes urbaines traditionnelles. Nous rappellerons que le territoire français n’est pas soumis à la suburbanisation (BERGER M., 200411 ). Du terme « suburb », banlieue en anglais, la suburbanisation désigne la croissance des banlieues intégrant d’anciens villages dans le corps urbain, un étalement urbain en tâche d’huile, de façon continue, où la ville se déverse sur la campagne, comme pour de nombreuses villes nord-américaines. En Europe, la rupture entre l’urbain et le rural est encore assez nette, et les ceintures vertes entre les noyaux urbains sont relativement définissables et ne sont pas seulement des interstices non-bâties. De nombreuses thèses ont été établies sur les territoires périurbains, antagonistes et sensiblement similaires dans la perception de ces espaces, ils n’ont pas moins chacun contribué à constituer une

11 Berger M., Les périurbains de Paris, CNRS Editions, Paris, 2004


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littérature florissante sur ce sujet, très actuel dans les activités des collectivités publiques et locales. . Certaines thèses dénoncent l’habitat périurbain car il dilapide tous les liens matériels et sociaux de la ville tout en étant très peu durable dans sa forme et sont de ce fait partisans d’une ville compacte (BERQUE A., GHORRAGOBIN C., BONNIN Ph., 200612 ). En faisant référence à une littérature fantasmant la vie proche de la nature, le rêve américain ainsi qu’un idéal commun de l’Arcadie, bien que décliné différemment selon les cultures des trois grands pôles de richesses de la planète, l’Amérique du Nord, l’Europe et le Japon, les auteurs développent plusieurs origines au phénomène d’urbanisation des campagnes. G. DURAND13 combine ainsi un triple bassin sémantique pour expliquer l’engouement pour une maison à la campagne. L’esthétique asiatique de la maison individuelle hors de la ville et dans le « paysage » aurait été découvert en Europe au XVIIIème siècle par les Lettres du Père Attirets à l’architecte William Chambers. Cette source chinoise serait mélangée au mythe de l’Arcadie américain, les Etats-Unis développant leur démocratie sur les valeurs du monde rural jusqu’à la mort de Thomas Jefferson.

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Berque A., Ghorragobin C., Bonnin Ph., La ville insoutenable, Colloque de Cerisy, « les trois sources de la ville campagne », 2004

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Durand G., op.cit.

ROUX, BAUER, la rurbanisation ou la ville éparpillée, Paris, Ed. du Seuil,1979, 192p.

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D’autres thèses ont vu avant le XXIème siècle les potentiels d’évolutivité de ces territoires émergents et ont tenté de les regarder non plus du point de vue de la ville centre mais en s’inscrivant à l’intérieur de ces territoires. Émergent de nouveaux concepts comme la ville-pays de Beauchard, la ville diffuse, résultat d’une recherche sur le Veneto par le laboratoire de recherche de l’Université de Venise sous la direction de Francesco Indovina, repris par la suite par Bernardo Secchi, la ville émergente et ces six grandes figures développés par Yves Chalas dans la publication éponyme, où la compréhension de cette nouvelle forme de ville se fait par le témoignage de personnes pratiquant ces espaces, d’un point de vue professionnel, économique et scientifique. Ces prises de position sur la périurbanisation font écho au rapport Mayoux de 1977 qui, suite à un développement anarchique du périurbain favorisé par les aides de l’État avec les prêts à l’accession à la propriété pour les particuliers, fait émerger le débat sur la nécessité de maîtriser cette expansion. Après ce rapport, le terme de périurbanisation comme « un développement


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des agglomérations très au-delà de leurs limites historiques, sous une forme peu dense et dans laquelle prédomine l’habitat individuel » remplacera celui de rurbanisation, jugée trop rurale et peu adaptée au phénomène de conquête des campagnes par l’urbain. Plusieurs formes d’urbanisation dispersée sont observables (Fig.1). Elles ont cependant en commun la différence de densité entre les centres constitués et ces extensions de communes, principalement le long des grands axes structurants. Certains se déconnectent même de la commune pour aller chercher une attractivité différente de celle du tissu urbain (proximité d’un échangeur routier pour faciliter les déplacements, éloignement du centre pour réduire les prix d’accession à la propriété, etc.).

Nous choisirons de développer trois conceptions de ces territoires d’habitat dispersé qui nous permettrons de mieux appréhender leurs enjeux et leurs spécificités avant d’étudier plus précisément la thématique de la centralité. Tout d’abord, nous évoquerons les travaux de géographie comparée de Chiara Baratucci sur les urbanisations dispersées de la période 1950-2000. Son étude précisera théoriquement la nature du territoire des études de cas. Nous parlerons ensuite de la thèse de l’architecte Bénédicte Grosjean sur la ville diffuse. Décrire la ville diffuse est avant tout un moyen de ne pas tomber dans les définitions faciles et utilisées massivement pour décrire l’habitat dispersé. Par une démonstration claire, l’auteur nous donne des clefs de lecture pour nommer correctement un territoire. Nous verrons enfin la construction spatiale et politique de ce nouveau territoire appelé tiers-espace par le géographe Martin Vanier, Ce dernier nous assurera une meilleure compréhension du territoire à l’échelle de la vie locale.


Enault C., Bavoux J.J. (dir.), Vitesse, accessibilité et étalement urbain ; analyse et application à l’aire urbaine dijonnaise, Université de Bourgogne, Géographie, 2003

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Fig. 1 - Morphologie des croissances périurbaines Source Enault C.


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I . 3 - Les urbanisations dispersées : Chiara Baratucci Pour la géographe Chiara Baratucci14 , le périurbain est de l’urbain dispersé, dans le sens où il n’est plus constitué autour de l’urbain que par la dépendance à celui-ci pour diverses activités, notamment celle de l’employabilité. Elle part d’une idée déconstruite de ce que l’on peut lire habituellement ensemble comme les maisons individuelles, les hypermarchés, le réseau routier et compare ces urbanisations éparpillées dues en grande partie à un dispersement résidentiel. Elle note les prémisses de cet éparpillement au début des années 1950, où la ville européenne traditionnelle n’est pas encore remise en cause malgré les déplacements de certaines fonctions à l’extérieur de la ville et le développement des réseaux, routiers et ferrés. La croissance urbaine de l’entre-deux guerres puis de 19501960 n’a pas bouleversé ce schéma puisque la concentration s’est toujours réalisée autour de la ville centre. Nous assistons ensuite à la déconcentration de l’urbain sur les territoires agricoles, corrélés avec les événements cités de la perte de population dans les centres et l’attraction des communes rurales. Cette dispersion du bâti n’est pas nouvelle en 1950 mais elle va s’intensifier de manière significative en terme de quantité et de diversité des morphologies mises en tension par la distance qui les sépare plutôt que par leur proximité avec d’autres éléments. Cela traduit une première opposition avec la définition de l’urbanisation de J. GOTTMAN15 établie en 1960 comme « un processus économique et social, politiques et culturel qui conduit l’humanité vers de nouvelles formes de civilisation de plus en plus urbaines au sens de non-agricoles caractérisé par des formations d’une grande densité et par des implantations totalement séparées du travail de la terre ». L’urbanisation, jusqu’alors associée à la densité et la concentration jusqu’en 1960, inverse peu à peu sa tendance dans les pays industrialisés comme une « déconcentration croissante » (DEMATTEIS G.)

Fig. 2 Deux figures récurrentes de l’urbanisation dispersée : la zone d’activité et le tissu pavillonnaire. Palast, Europan 10, 2009

14 Baratucci C., Urbanisations dispersées 1950-2000 : Interprétation/Actions France et Italie, Presses Universitaires de Rennes, 317p., 2006 Gottman J., « Grandeur 15 et misère de l’urbanisation moderne », in Urbanisme, n°88, 1965


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Ces urbanisations déconcentrées (SALLEZ A., 199316 ) marquent principalement une faible densité à l’échelle d’un territoire rural encore en activité. La fragmentation des aires non-construites est considérée par beaucoup comme des non-lieux (AUGE M., 199217 ), ne valant pas l’intérêt d’un travail prospectif architectural ou urbain. Car d’autres composantes participent au phénomène d’urbanisation dispersée comme la dispersion des activités commerciales et industrielles. Le processus n’est pas nouveau mais Chiara Baratucci insiste sur son ampleur qui transforme les paysages. Ainsi, Fig. 3 L’urbanisation dispersée, relations ambigues entre les éléments bâtis. Baratucci C., 2006

« le type idéal d’urbanisation dispersée [est] la dispersion du bâti sur les territoires antérieurement agricoles, extérieurs à la ville ou aux noyaux urbains, dont les formes d’implantations hétérogènes sont caractérisées par une présence dominante de maisons individuelles, souvent avec jardin, entremêlés ou voisins de nombreux autres objets et fonctions hétérogènes » (BARATUCCI C., p.45-4618 ). Selon l’auteur, le type de construction n’est pas le véritable objet du désir pavillonnaire, mais un mode d’habiter indépendant, protégé, valorisant l’individu et la famille mononucléaire, sans aucune imposition ni contraintes dans l’appropriation de son espace. De ce constat, elle tente de comprendre comment renouveler les actions d’urbanisme dans ces territoires, où l’urbanisme est peu efficace dans le contrôle de ces urbanisations dispersées mais où le Plan Local d’Urbanisme joue un rôle important dans la gestion des transformations territoriales.

Sallez A., Les villes, 16 lieux d’Europe, DATAR, Ed. De l’Aube, Paris, 1993, pp. 51-52 Augé M., Les non-lieux, Seuil, Paris, 1992

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Urbanisations dispersées, op.cit.

En effet, le principe de subsidiarité développé en 1985 a laissé aux collectivités locales la gestion de l’urbanisme de leur commune à travers la délivrance du permis de construire, communes peu formées à la maîtrise de ce phénomène, puisque le développement du périurbain se situe surtout dans les villes inférieures à 10 000 habitants. Pour l’auteur, les urbanisations dispersées font partie de la ville territoriale européenne avec la maison individuelle comme un des éléments caractéristiques de cette ville en formation.


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Elle souligne la faible qualité architecturale de ces urbanisations individuelles, fait de la promotion immobilière, de l’autoconstruction et du goûts des habitants, plus visible que dans les logements collectifs. Elle affirme donc que l’habitant est un des agents principaux de la composante résidentielle des urbanisations dispersées et qu’il doit donc avoir une participation active dans l’élaboration de son territoire.

Fig. 4 Un morcellement du territoire, une diversité aérienne dissimulant la monofonctionnalité des espaces. Chauvier E., «Contre Télérama», 2006


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I . 4 - Qu’est-ce- qu’une ville diffuse ? : Bénédicte Grosjean A partir de l’analyse du territoire de la région du Brabant autour de Bruxelles, l’architecte Bénédicte Grosjean nous éclaire sur la définition de la ville diffuse, invention de Francesco Indovina en 1990 suite à une étude des territoires entre Padoue, Mestre et Treviso, repris ensuite par Bernardo Secchi pour expliquer la différence d’échelle dans cette nouvelle fabrication de la ville, entre les objets bâtis et leur diffusion dans le territoire. Elle part du raisonnement qu’il n’y a pas objectivement de glissement des territoires du rural vers de l’urbain mais que l’urbanisation « comme toute emprise physique, matérielle de l’homme sur le territoire et visant à l’exploiter autrement que par l’agriculture » (GROSJEAN, p.1819 ) se déploie dans un territoire de plus en plus grand et caractérisé par la diversité des types d’éléments construits, sans une certaine densité.

Fig. 5 Les changements récents d’un paysage, Vigoravea, Veneto, in Paysages: de la connaissance à l’action, Castiglioni B., Ferraro V., Editions Quae, 2007

CGrosjean B., (Garriec J.P., dir.) Urbanisation sans urbanisme, histoire de la ville diffuse, Editions Mardaga, Wavre, 2010

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« La ville diffuse est une urbanisation de faible intensité qui se caractérise par : - une masse consistante […] non seulement de population mais aussi, même partiellement, de services et d’activités productives. - une dispersion de cette masse dans un territoire suffisamment vaste pour ne pas présenter, dans l’ensemble, de phénomènes de haute densité et intensité. Ceci bien entendu, ne signifie pas qu’il ne puisse pas y avoir des « points » isolés de haute densité, mais seulement que la configuration spatiale ne donne pas lieu à des phénomènes significatifs de densité et intensité de type urbain. -un haut niveau de connexion entre les divers points du territoire. II s’agit par conséquent, d’un territoire qui présente de multiples connexions de type horizontal susceptibles de garantir la possibilité d’une très grande mobilité. » (p.34) -«En substance […] il me semble qu’on y retrouve un usage sectoriel et différencié de l’espace, typique de la ville.» (p.16)


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L’échelle de l’analyse est très importante dans ce travail, et nous aide beaucoup dans nos différentes confrontations avec le territoire étudié, notamment dans la création de sa cartographie. En effet selon l’auteur, la ville diffuse se caractérise et s’étudie selon plusieurs échelles, d’une échelle restreinte qui peut sous-entendre des similarités entre deux territoires, et le changement d’échelle peut renvoyer à de nombreuses différences fondamentales. Ainsi, elle assure que les communes périurbaines ne peuvent être qualifiées de ville diffuse à travers leurs échelles. La commune périurbaine équivaut à un stade de développement économique et social de la région, entraînant une dispersion de fonctions et formes urbaines, sans aucune planification locale ou globale tandis que la ville diffuse se construit par rapport à une « juste distance » entre les objets bâtis et se disperse à toutes les échelles. Une autre différence avec la commune périurbaine est que la ville diffuse n’agrandit pas un cadrage territorial pour y intégrer une voir plusieurs centralités. Elle écartèle volontairement les diverses fonctions principales d’un centre, créant une sorte de « polycentralité complémentaire » qui, associée à un réseau horizontal finement maillé, organisent le territoire de la ville diffuse sans vision planificatrice, issu d’initiatives isolées qui le fragmentent. L’extrême mobilité du territoire et sa diffusion sont une part très importante dans la constitution d’un territoire de ville diffuse, part toute aussi importante dans les territoires du périurbains. Bénédicte Grosjean analyse ainsi les relations entre les transports vicinaux, trains dont l’enjeu était de relier le plus grand nombre de pôle secondaires et tertiaires sans forcément passer par la grande ville, et l’industrialisation. L’industrialisation du territoire a amené d’autres organisations de travail autre que les travaux agricoles et ont augmenté le nombre de migrations quotidiennes d’ouvriers, favorisées par le vicinal. Elle rappelle que la mise en place du train vicinal fonctionne comme la ville diffuse : lue à une échelle territoriale mais construite à partir d’initiatives locales. A travers cette étude, elle montre aussi qu’un territoire diffus est tout aussi structuré qu’un tissu urbain et que la non-densité n’implique par le désordre ou l’indifférenciation entre les fonctions et les


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formes mais des logiques diverses d’échelles spatiales. Elle emploie aussi le terme d’urbanisation dispersées pour désigner les vagues successives d’urbanisme non concentré autour des grandes villes et bourgs mais au sein d’une multitude de villages. Elle montre cependant qu’il n’y a pas que cette forme d’urbanisation présente dans les territoires anciennement ruraux car lorsque nous avons affaire une densification par remplissage des vides de l’aire bâtie de la commune, nous ne pouvons parler de dispersion, malgré l’augmentation de la tâche urbaine. En revanche, les nombreux lotissements ou zones commerciales actuels en rupture et bordure de village peuvent eux, concourir à cette appellation. Selon l’auteur, le territoire actuel est caractérisé par une disparition des articulations entre les échelles. En s’appuyant sur l’urbanisation du Brabant à partir du XIXème siècle, elle montre que l’urbanisation des campagnes, la prédominance des maisons individuelles et l’absence de vision d’ensemble et de planification à grande échelle existaient déjà, particulièrement dans les pays à fort taux d’industrialisation comme les Flandres ou l’Angleterre. Mais il n’y a plus d’échelles intermédiaires entre les strates d’urbanisation, pour décliner par exemple les nuances de l’espace public : le seuil, le perron, le recul à la rue, le trottoir, l’élargissement des rues. Nous passons à un territoire à deux échelles, une locale (la maison, le jardin) et l’autre globale (les infrastructures routières, les centralités).

Fig. 6 La ville diffuse Locuratolo V., 2014


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I. 5 - Le tiers-espace : Martin Vanier Jean Rémy (1984), Jean Viard (1990), Edward Soja (1996) et Martin Vanier (2000) ont chacun leur tour utilisé le terme de « tiers-espace » pour désigner des territoires et des contextes différents certes, mais cependant analogues dans l’idée d’un entre-deux. Pour Rémy, le tiers-espace se situe entre deux polarités quand pour Viard il fait référence à une conception intermédiaire de la nature, entre une nature productive et domestique et une nature sauvage et inconnue. Soja s’appuie sur les travaux de Henri Lefebvre20 pour tendre à travers ce terme à une nouvelle définition de la campagne, disparu avec l’installation du citation et sa réinterprétation en image pittoresque. Pour Vanier, le tiers-espace est un espace mi-urbain, mi-rural regroupant la sémantique de ces quarante dernières années sur le phénomène mais qui contrairement aux espaces en croissance d’étalement urbain, conservera durablement ses caractéristiques d’organisation spatiale différentes de la ville ou de la campagne21 .

« Concept sans définitions normatives, le tiers-espace désigne des espaces de densité intermédiaires aux formes hétéroclites d’occupation des sols, aux paysages mixtes, aux polarisations discrètes (mais présentes) ou lointaines mais aux réseaux omniprésents » (VANIER, 200122 ).

Il voit dans ce tiers-espace qui comprend tant la Metapolis d’Ascher que les couronnes périurbaines définies par l’INSEE, non pas un concept théorique d’espace mais comme lieu de nouvelles réflexions politiques, un espace de futur projet. Le tiers-espace se voit comme une construction politique de l’articulation entre besoins, services et équipements de type urbain, dans un territoire instable dans sa formalisation, et flou dans ses limites extérieures.

Lefebvre H., Du rural 20 à l’urbain, troisième édition, Anthropos, Paris, 295p., 2001

21 Vanier M., « Qu’est ce que le tiers-espace ? Territorialités complexes et construction politique », in Revue de Géographie alpine, tome 88, n°1, pp. 105-113, 2000 21 Vanier M., « le périurbain à l’heure du crapaud buffle. Tiersespace de la nature », in Vivre les espaces périurbains, Berger M., Jaillet M.C. (dir.), 2007


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Définir cette troisième situation, instable et migrante est selon l’auteur l’élément clef pour la faire parvenir au titre de forme urbaine pérenne, structurée économiquement, politiquement et socialement, et ainsi l’intégrer dans les dispositifs de l’organisation et de l’aménagement territorial. Cette volonté avait déjà été énoncée avec la constitution de la Loi Pasqua sur l’orientation pour l’aménagement et le développement du territoire (LOADT, no 95-115 du 4 février 1995), révisée en 2015 pour y intégrer les notions de développement durable dans la planification urbaine, qui a pour projet la « mise en valeur et le développement équilibré de l’ensemble du territoire de la République » et de corriger les inégalités liées à la situation géographique. Vanier associe aussi la nature comme figure essentielle de la périurbanisation. Nature qui ne peut plus être considérée comme un réservoir foncier. Il tente de comprendre quelle forme de nature cohabite avec notre bâti et si celle-ci peut se mettre en réseau comme l’ensemble du territoire (corridors écologiques). En reprenant le cadre d’analyse des espaces ruraux de Philippe PERRIER CORNET (2002), il pose la question du type d’espace naturel en formation, variant entre la nature nourricière, espace dédié à la production agricole, la « pleine-nature » récréative, la nature domestique, illusion d’habiter la nature, et la confusion paysage/nature.

Fig. 7 Affiche de présentation des 1ères assises du Tiers Espace et du Périurbain, Villecresnes, Novembre 2013


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Nous avons vu à travers ce corpus de textes définissant un territoire d’urbanisation dispersée comment un territoire peut être traité et analysé de différentes manières selon les approches et les hypothèses de départ. Nous n’avons pas encore développé les questions d’étalement urbain et de mobilité ainsi que la présence massive de logement individuel dans cette nouvelle forme urbaine, manque que nous comblerons au semestre suivant. Nous pouvons cependant synthétiser ce territoire comme un territoire aux échelles comme aux sols fragmentés par un ensemble d’initiatives majoritairement individuelles qui se constitue en réseau, reliant entre eux des lieux de relative densité et intensité, à des lieux monofonctionnels d’habitat ou de production. Très peu planifié jusqu’à présent, il commence à être un support de réflexion pour les collectivités publiques et locales, notamment dans un souci d’impact environnemental et de raréfaction des terres disponibles sur le sol, ici français. Les territoires d’urbanisation dispersée se transforment donc continuellement. Beaucoup y résident mais pour en faire un territoire habitable il faut que les hommes produisent des qualités, dans le sens neutre de caractéristiques, sociétales. L’homme a ainsi besoin d’éléments de permanence qui le rattache à un lieu. La question d’un centre fédérateur d’une nouvelle citadineté émerge. Pour Lefebvre, la centralité est l’essence même de la ville par la simultanéité de ces fonctions ainsi que par sa symbolique. Mais qu’en est-il hors des villes ? Les territoires du périurbain ne peuvent-ils prétendre à une quelconque centralité ? Si la centralité telle qu’on l’imagine est le fondement d’une ville, alors quelle centralité nous permet d’imaginer un territoire d’urbanisation dispersée ?


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II – UNE CENTRALITE DANS L’URBAIN DISPERSE II . 1 – Qu’est ce qu’un centre ? Clef de lecture dans de nombreuses disciplines, il est avant tout une construction mentale permettant de traduire par une forme simple des formes spécifiques observables, dans un contexte spatial, pour le cas d’une centralité urbaine (BOURDEAU-LEPAGE, HURIOT, PERREUR, 200923 ). Idée universelle plutôt que pluridisciplinaire, sa haute valeur symbolique en fait un élément dominant par nature l’ordre humain. Le centre est tout d’abord dans une conception géométrique « la meilleure position relative par rapport aux autres points ». Cependant, cette définition dépend d’un objet ou d’un contexte de référence. Ainsi sans frontières, l’espace continu ne peut avoir de centre géométrique. Souvent associé au milieu d’un sujet, le centre ne peut seulement s’identifier par un critère de distance. Car d’autres caractéristiques lui confèrent cette universalité (HURIOT, PERREUR, 2009). Le centre doit faire émerger l’idée d’une concentration. Conception majeure de l’analyse spatiale de la centralité, le centre est un lieu d’agglomération où les éléments en interaction avec ce centre convergent. Il peut être différent du centre accessible mais il est souvent lié en réseau. Par les deux caractéristiques précédentes d’accessibilité et de concentration, le centre est un lieu d’interactions entre des éléments différents rendues possible par la qualité d’accessibilité. Par son extrême accessibilité, des éléments s’agglomèrent : cette logique cumulative est à l’origine de la formation et de la croissance des villes, centralité dans son intégralité pour Roncayolo (1999) car elle concentre les fonctions politiques, financières, économiques, administratives et culturelles en un même lieu. Enfin, par sa position absolue stratégique, le centre domine les autres « lieux » par son pouvoir interactif entre les éléments, lié à un processus cumulatif, rendu possible par l’accessibilité de sa position absolue.

23 Bourdeau-Lepage, Huriot, Perreur, « A la recherche de la centralité perdue », in Revue écologique et urbaine, Armand Colin, 210p., 2009


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Spatialement, le centre dominant structure son espace autour de sa position et se crée lui-même ses limites. En effet, en théorie économique, un centre est définit par deux forces contraires, attractives et répulsives. L’agglomération entraîne l’agglomération, comme les locomotives commerciales des grandes enseignes amenant d’autres enseignes, mais cette trop grande concentration matérielle et immatérielle (personnes se rendant au centre commercial en voiture et empruntant les mêmes infrastructures routières) entraîne des forces opposées de dispersion (congestion, augmentation du foncier, sécurité, etc.). La référence à un centre est aussi la manière la plus simple de situer dans l’espace. Du point de vue de notre espace perçu, le centre est un point de référence pour se repérer dans notre territoire personnel (ISARD W.), l’expression « se recentrer » en est un exemple. La fascination du centre unique est déjà mentionnée dans l’Atlantide de Platon qui voit dans le centre la cause première de tout phénomène. C’est donc à un centre imaginaire que l’on fait souvent référence, élaboré selon nos référents culturels et symboliques. Entendons un symbole comme « un objet spatial intégrant une dimension signifiante au-delà d’une simple fonction organisatrice » (MONNET, 2000).

Clavel M., Sociologie de l’urbain, Editions Economica, Paris, 123p., 2002

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La centralité urbaine représente souvent une mémoire collective du lieu (HALBRAWCHS) par rapport à des groupes sociaux qui se constituent des souvenirs dans un contexte spatial historique, politique de la ville, ou bien l’image d’un centre de prestige et de divertissement pour les grands centres urbains (CLAVEL M., 200224 ). La centralité symbolique d’une entité urbaine est très important dans le contexte d’une ville traditionnelle : elle représente la caractéristique dominatrice du centre sur les autres espaces urbains. Nous reconnaissons au centre un rang plus élevé dans l’ordre spatial. Mais Monnet affirme « qu’il est difficile voir vain, d’établir si un espace est symbolique parce qu’il a une valeur centrale, ou s’il est central parce qu’il a une valeur symbolique ». Cette attraction du centre relève une manière subjective d’appréhender le territoire.


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Comme dit précédemment, le centre construit lui-même son contexte de centralité, en même temps qu’il ne peut rien construire si l’on ne l’assimile pas à un contexte fini. Par exemple, le globe terrestre n’a pas de centre, tandis que le planisphère européen pose comme centre l’Europe. Le centre est nécessairement lié dans l’imaginaire social au pouvoir. Depuis la période classique (XVIIXVIII° siècle), la ville européenne est limitée dans son organisation autour d’un centre mesuré selon sa puissance, son commandement et son aire d’influence ainsi que son potentiel de rassemblement dans sa concentration et sa densité d’activités et de population. Le centre urbain reprend la définition physique et mécanique du centre comme point de convergence et de rayonnement des éléments, centre d’attraction mais aussi de gravitation (LASSAVE P., 199725 ).

Fig. 8 La théorie des lieux centraux, Systématiser un principe d’organisation spatiale à travers un système économique. Christaller W., 1933

25 Lassave P., « centralité, ségrégation, territorialité, urbanité, espace public », in Thématisation de la sociologie de l’urbain, 1997


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II . 2 – Le centre dans un contexte spatial : le tissu urbain A la fois symbolique et fonctionnel, le centre est selon H. Lefebvre l’essence même de la ville26 . Il faut tout d’abord dissocier les notions de centre et de centralité. Fortement liées, elles ne se confondent pas car la centralité existe au-delà du centre et recouvre ainsi dans le contexte spatial un champ plus large27 . De plus, la centralité renvoie à une dynamique que ne connaît pas le centre qui implique une position statique. Ces deux termes structurent l’espace de façon différente, par le lieu (CHRISTALLER, 1933) et par le réseau. Entre les notions de centre et de centralité, la centralité semble être une notion plus pertinente pour lire la ville. Par la différence d’intensité qu’elle incarne, elle organise l’urbain et hiérarchise les espaces de la ville. Elle introduit dans le contexte spatial l’idée de rythme, soit la répétition périodique d’une activité par un certain nombre de personnes. La centralité urbaine ne doit pas faire oublier que le centre, par son processus d’agglomération se doit d’être complexe, diversifié et paradoxalement un symbole de multitude, nécessaire à la naissance d’une société. Nous parlons ainsi d’une centralité multifonctionnelle, où des multiples types de centralités se concentrent en un même lieu, caractéristique majeure de la centralité urbaine des grandes villes. S’ajoute à cela la tension entre centre et périphérie, couple structurant de l’espace social et que nous tendons à dépasser dans les recherches actuelles car très souvent associé à une ségrégation sociale et spatiale du territoire urbain, étant négatif et périphérique tout ce qui n’est pas central (HURIOT, PERREUR). 26

Lefebvre H., op. cit.

Bertoncello B., Fettah S., Introduction au colloque « Centralités en mouvement », in Rives Méditerranéennes, 2006, p.5-8

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Bourdeau-Lepage, Huriot, Pereur, op.cit.

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La notion de centralité touche désormais d’autres échelles spatiales. Deux phénomènes sont caractéristiques de l’évolution des villes contemporaines : l’étalement et la multipolarisation28 . L’étalement s’il est lié à la notion de densité, est une baisse apparente de centralité sur le territoire : l’extension de l’agglomération des éléments a distendu le rapport entre les entités les plus éloignées et le centre créant ainsi autour d’autres éléments polarisants un


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nouveau processus de concentration, souvent monofonctionnels car ne disposant pas de la domination du centre réel (valeur symbolique). La notion de distance, alors écarté dans la définition d’un centre théorique, reprend pleinement sa place dans la compréhension d’une centralité urbaine. Cet étalement des éléments urbains entraîne une multipolarisation du territoire urbain, généralement constitué par une concentration d’activités économiques, mais qui ne peuvent prétendre seules à la définition de centralité. La centralité urbaine a beaucoup évolué au cours du XX°siècle (GASNIER A., 199129). Déjà dans la seconde moitié du XIXème siècle, l’enjeu principal est l’extension des villes. Mais à la différence d’aujourd’hui, l’agrandissement n’était pas dissocié des fonctions de la ville, et notamment de ses fonctions centrales politiques qui sont réaffirmées par les centralités spatiales (Gaudin, 200630 ). Proposer un « futur », c’est projeter une image globale de la ville reposant sur une intervention publique, et par extension, un affichage politique : équipements, logements sociaux, etc. Après la Seconde Guerre Mondiale, la reconstruction du pays favorise la réalisation des idées modernistes dans les grands bassins de vie, les populations aisées avec le développement de l’habitat pavillonnaire partent en périphérie dès 1950. Les réactions aux projets modernistes résultent de la reprise en compte des « cœurs de ville » et à la renaissance de la rue, notamment par les réflexions multiples sur l’espace public amorcées dès 1970. Urbanistes et pouvoirs publics, par le succès des opérations de revalorisation des centres des années 1980, axées sur les projets d’aménagements globaux de la ville, voient l’espace central des villes s’élargir. Il faut multiplier les noyaux attractifs, faisant évoluer l’espace urbain vers une grande contradiction : instaurer comme noyau des opérations privées exclusivement commerciales. Cette volonté de transformer le territoire par la production de polycentralités va avoir des conséquences négatives sur les centres urbains, de moins en moins riches car concentrant de moins en moins de personnes et d’activités donc réduisant les retombées fiscales, et augmentant les budgets d’infrastructures routières pour

Gasnier A., « centralité 29 urbaine et recomposition spatiale : le Mans », in Norois, n°151, pp. 269-278, JuilletSeptembre 1991

30 Gaudin J.P., « Centralités planifiées et actes politiques ? », in Rives Méditerranéennes, 2006, pp.9-20


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permettre à la périurbanisation d’accéder aux divers centres réalisés31. Le développement de cette multipolarité, tendance politique pensée initialement pour désengorger les grandes villes, entraîne l’augmentation rapide de la mobilité. Ainsi entre 1962 et 1999, la population de l’espace périurbain est multipliée par sept. Critiqués par les défenseurs actuels de la ville compacte et des densités urbaines fortes, elle n’a pas permis une augmentation des performances économiques des territoires urbains, l’éparpillement des activités empêchant d’accéder « à des effets de seuils et aux effets multiplicateurs qui y sont associés » (VANDERMOTTEN, 2005, p.4). .

Fig. 9 Eparpillement des hommes et des activités, dispersion dans le paysage. Source : Zwischenstadt, une lecture de l’entre-ville Sieverts T., Ed. Parenthèses, Marseille, 2004

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Gasnier A., op.cit.


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III. 3 – La centralité en réseau, une caractéristique de l’urbanisation dispersée L’émergence de centralités multiples et souvent monofonctionnelles semble être une caractéristique importante dans la constitution des territoires d’urbanisation dispersée. Par un agrandissement des distances entre les éléments puisque le moyen de se déplacer diffère de la grande ville, à savoir l’utilisation fréquente mais obligatoire de la voiture pour chaque mobilité, il y a parfois une certaine difficulté à trouver une convergence entre des entités multiples. Nous avons du mal à concevoir mentalement un centre puisque par nature, le territoire est dispersé, donc ne fonctionnant pas comme un objet fini, représenté par la ville dense et structurée. Le problème d’une représentation mentale de la centralité est une composante majeure dans l’absence de tels lieux. C’est alors qu’apparaît la possible institution de centralités ne fonctionnant plus comme un lieu central convergent, mais comme plusieurs lieux fonctionnant en réseau. En reprenant les qualités du centre comme notion transdisciplinaire, nous pouvons associer le centre de la ville dense comme le noyau d’un atome, et les centralités de l’habitat dispersé comme les électrons qui gravitent autour du noyau mais se maintiennent aussi entre eux, créant à eux deux une unité d’objets différents. « Chaque position centrale est menacée tactiquement et stratégiquement. Tactiquement : on la tourne, on l’enveloppe, on mène l’assaut par la droite et la gauche. Stratégiquement : il n’y a jamais un seul centre, et tout centre peut avoir affaire à un déplacement général ou partiel de la centralité. » (LEFEVBRE, p.1332 ). Le terme de centralité renvoie aussi à l’imaginaire du lien social. En effet, l’habitat dispersé génère plus de pratiques sociales dans le domaine du privé que de pratiques sociales dans l’espace dit public. La centralité villageoise répondait à d’autres formes urbaines, d’autres formes de mobilité.

32 Lefebvre H., p.13, Du rural à l’urbain, troisième édition, Anthropos, 295p., 2001


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Chaque village fonctionnait comme un quartier de grande ville, avec un pouvoir étatique et souvent religieux, une satisfaction des besoins quotidiens (commerces de proximité) et une constitution du lien social par toutes les activités ludiques organisées dans le village. La centralité du village répondait au rassemblement des trois temps fort de l’activité humaine, le temps libre (loisirs), le temps obligé (travail) et le temps contraint (déplacements, administration, obligations sociales) .Ces trois temps encore présents simultanément dans la ville centre se sont dispersés dans le territoire. La centralité de village s’est donc désagrégée par absence de tensions entre plusieurs éléments.

Fig. 10 La figure du viillage : trois temps réunis autour d’un même espace : la rue. Source : Carte postale Aisne

Cependant, deux phénomènes frappants peuvent concourir à une redéfinition de la centralité. La périurbanisation a augmenté la population de nombreux noyaux urbains, les faisant passer au rang de villes pour certains selon la définition de l’INSEE, augmentant donc la densité habitante des lieux. De plus, l’offre commerciale si elle ne s’est pas densifiée s’est diversifiée au point de n’avoir besoin de la ville centre que pour certaines activités spécialisées. Cette lecture du territoire renvoie à la lecture d’un territoire selon ses échelles appropriées (GROSJEAN, 2010).

Fig. 11 Des viillages devenus «résidentiels» dynamisés par de nouveaux lotissements, Source : L’Est Républicain

33 Lefebvre H., pp.183-195,

« Propositions pour un nouvel urbanisme », in op.cit.

Selon les pratiques spatiales et résidentielles, un pôle considéré comme secondaire à l’échelle départementale peut s’avérer central pour une commune rurale excentrée. La prise en compte de l’ensemble des espaces urbanisés d’un point de vue économique permettrait la résolution de la congestion des centres urbains selon la DATAR (2000). Ces centralités émergentes fonctionnent en réseaux, mises en tension par la maille des mobilités qui permet de connecter les éléments entre eux et de démultiplier les centralités selon les besoins du territoire (adapter la distance entre deux pôles pour limiter l’effet des deux places adjacentes, une place animée, une place délaissée).


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II . 4 – L’émergence d’une identité territoriale par le centre Ce qu’il faut comprendre dans le fait de produire des centralités périurbaines car hors de la ville dense et traditionnelle, c’est qu’elle participe à la construction d’une identité territoriale par l’organisation d’un ordre spatial d’un territoire déstructuré. L’augmentation de la population attise le désir des communes d’accéder au rang de petite ville, tout en préservant les aspects attractifs comme la faible densité ou le paysage agricole. Ces communes s’orientent donc vers des entités territoriales équilibrées entre la diversité de population, l’emploi et l’activité mais elles restent cependant encore en position périphérique des régions urbaines. L’organisation spatiale des zones d’urbanisation dispersée a longtemps été canalisé par le Plan d’Occupation des Sols, institué en 1970 et servant de modèle encore aujourd’hui sur trois thèmes : l’habitat, l’agriculture et l’activité économique. Plusieurs générations de POS se sont succédées (CASTEL J.C., 199734 ). Les plans d’urbanisme directeurs (PUD) ont appréhendé le territoire par le zoning, un modèle d’urbanisme à appliquer sur le territoire selon la forme et la fonction de la zone. Les POS de détail, dit « qualificatifs » focalisaient leur attention sur les singularités du territoire, le patrimoine, l’esthétisation au moyen de prescriptions particulières, un goutte à goutte urbanistique. Très important au cours des années 1990, le POS devient un réel enjeu politique qu’il faut réviser pour mieux cerner les attentes urbaines. Il faut attendre la fin du XX° siècle pour remettre en cause l’aménagement par le POS, qui doit rester un outil de gestion temporelle du territoire et non d’aménagement (PUMAIN D. 199835 ; FRANKHAUSER P., 199736 ). Le patrimoine paysager de ces territoires est aussi très présent dans la création d’une identité. Il participe à l’attractivité de ce

34 Castel J.-C., « quel plan d’occupation des sols pour la ville émergente ? », in op.cit Pumain D., Mattei M.F., 35 Données urbaines II, Anthropos, Economica, 1998

36 Frankhauser P., « l’approche fractale : un nouvel outil de réflexion dans l’analyse spatiale des agglomérations urbaines », in Population, n°4, p.1005-


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monde périurbain car il est un enjeu foncier, économique et environnemental pour les communes. Le géographe Xavier Arnaud de Sartre et l’économiste Virginie Larribau-Terneyre des Laboratoires de recherche dans leur discipline respective à l’Université de Pau et des Pays de l’Adour ont imaginé comment évaluer économiquement un bien paysager, cette valeur marchande servant à fixer ensuite le prix du foncier, la réalisation ou le suspens de projets impactant le territoire et ainsi mesurer la viabilité économique du projet par rapport à la perte d’un paysage naturel. Prenons l’exemple de l’élargissement d’une route nationale dans un territoire d’urbanisation dispersée afin de faciliter l’accessibilité de plusieurs communes au bassin d’emploi. La construction de cette infrastructure a tout d’abord un coût relatif aux matériaux employés et à leur mise en œuvre. Le chantier a peut-être perturbé pendant quelques semaines cette route empruntée par une centaine de personnes qui ont mis chaque jour quinze minutes de plus pour aller travailler sans forcément décaler leur départ, engendrant un baisse de rendement pour leur entreprise. Cependant l’élargissement de cette route permettra de décongestionner la voie, réduire les temps de transport donc permettre une meilleure mobilité entre le pôle central, générateur de richesses et les communes avoisinantes, vivier de consommateurs potentiels. Du côté environnemental, cette route nationale traverse une zone humide. Selon la fréquence de ces zones sur le territoire, celle concernée a plus ou moins de valeur marchande. Ajoutons-y une espèce végétale rare, la Drosera, qui ne peut évoluer que dans des milieux humides et de tourbière. Selon sa répartition et la quantité sur le territoire, la valeur du milieu augmente s’il n’y a que cette zone pour observer cette plante.

33 Lefebvre H., pp.183-195,

« Propositions pour un nouvel urbanisme », in op.cit.

Enfin, l’élargissement de la route va toucher un hameau jusque là préservé des nuisances routières et dont les maisons vont être dévalués relatif à leur cadre de vie, donc induisant une certaine indemnisation des propriétaires par la collectivité.


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En regroupant l’ensemble de ces valeurs, d’une part pour le chantier (investissement-rendement potentiel), d’autre part l’impact paysager (rareté du milieu, espèces endémiques, augmentation des nuisances en milieu habité), et en les soustrayant, nous obtenons une valeur positive ou négative qui déduira de la viabilité du projet en rapport avec le milieu paysager impacté. Il est donc nécessaire de penser la centralité des territoires d’urbanisation d’un point de vue paysager, élément beaucoup moins important dans les grands centres urbains où c’est le paysage bâti qui constitue majoritairement l’environnement. Il faut peut-être sortir du cadre d’un centre cumulatif dans ce genre de territoire où la tendance est plus à la juxtaposition d’espace qu’à l’imbrication des milieux habités. Cette centralité peut ne pas être orientée sur la dimension de la densité, mais sur une possible intensité à des moments donnés. Ainsi à Saint Herblain, la municipalité a orienté l’ensemble de son aménagement urbain sur la thématique du « centre vert ». 150 hectares d’espaces publics organisés en jardin et promenade dans toute la commune assurent le rôle de centralité car ils fédèrent le tissu autour d’un projet commun (LEPETUN C., CARUDEL P., 199737 ).

Fig. 12 La métropole Nantaise, 2008 Face à la pression foncière, Saint Herblain, commune limitrophe de Nantes, ne cesse de s’urbaniser par la création de zones d’activités commerciales ou industrielles. Nantes Data Journalisme, 2011

37 Lepetun C., Carudel P., « un centre vert pour Saint-Herblain », in La ville émergente, Chalas Y.,


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II . 5 – Nouvelles formes et fonctions de centralités en réseau La production d’une centralité dans l’habitat dispersé est avant tout la définition d’une identité communale, voir territoriale qui souvent se caractérise par une similitude des opérations ; mobilier, alignement des plantations, architecture offrant l’illusion d’un centre unifié et symbolique. Les habitants ont besoin d’éléments de permanence urbaine pour se reconnaître dans un lieu, qui intègrent les deux dimensions de la ville précédemment évoquées, la constitution physique et la sémantique qui lui est rattachée (LAUDATI P.).Cette stratégie de distinction trouve son origine dans la volonté de créer une cohésion interne au sein de la commune, la faisant passer du stade de commune d’habitat à commune cité38 . Fig. 13 Retour en arrière des politiques de renouvellement urbain : redonner sa place à l’espace public Projet de renouvellement urbain de la ville de Segré, Sativa Paysages, 2015

38 Dans la ville, l’affiche.

En premier lieu, la collectivité appose l’idée commune de la centralité au noyau urbain préexistant avant l’urbanisation excessive du territoire ; en valorisant son patrimoine, la commune légitime ses lieux et son passé en s’inscrivant dans une histoire du territoire qui lui semble propre par la mise en valeur du témoignage rural par exemple. La reprise d’un ancien bourg comme centre affectif se caractérise généralement par un ravalement de façades afin d’obtenir une certaine homogénéité attendue des riverains, ainsi qu’une piétonnisation de la voie principale, très importante dans ces centralités patrimoniales puisque la place du piéton définit le centre, dénigrant les centres urbains commerciaux qui font place belle aux voitures : c’est le « cœur de ville ». Mais il faut faire attention aux contreparties, généralement présentes dans les communes générant peu de richesses foncières. Des investisseurs privés peuvent s’impliquer dans un quelconque projet social de réaménagement des villes en l’échange de terrains constructibles à bas coût. Ainsi, le groupe Inter Ikea a financé de grands projets environnementaux autour de la Plaine d’Ansot, réserve écologique, en contrepartie de la destruction d’une des plus grandes zones humides du territoire basque lors de la construction du centre commercial Ikea.


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Une deuxième forme de centralité dans les zones d’habitat dispersé est le centre matérialisé au carrefour de deux noyaux urbains faibles. Cette centralité se met en place le long d’un axe aménagé en vue d’accueillir des pratiques citadines par l’installation de nombreux commerces. La fonction circulatoire structure la centralité et permet à ce paysage routier d’être qualifié de « centre de vie ». Une troisième organisation se trouve être la production d’un centre par la qualification générale des espaces publics. Le traitement commun des espaces, rappelant fortement l’uniformisation des façades dans le cœur de ville, permet d’obtenir un maillage liant et réorganisant le tissu fragmenté de ces espaces urbanisés. De plus, elle met en scène une production du collectif en récupérant l’imaginaire urbain de l’espace public pour le transposer dans un autre contexte. Cependant, l’urbanisation dispersée s’organise aussi à une autre échelle, celle de l’intercommunalité, voir du département. En effet, les équipements de certaines communes sont bien souvent destinés aux autres noyaux urbains environnants, comme les salles de spectacles ou les cinémas. L’intercommunalité permet la vision d’un enchaînement de lieux non isolés car connectés en vue d’une optimisation et d’une organisation commune du territoire. Le territoire urbain contemporain dépasse le cadre du noyau et par extension celle d’un centre unique. Les pratiques spatiales engendrées par ce mode de vie sont définies par une extrême mobilité pour mieux articuler les différentes temporalités de la vie contemporaine. Le centre se décline au pluriel mais sans arrière-pensée d’équivalence ; chaque centre possède une attraction-gravitation qui lui est propre. En revenant sur les définitions du centre, nous pouvons dire de prime abord qu’ils ne peuvent être considérés comme centre car ils ne répondent pas à la logique d’accumulation d’hommes et d’activités que nous recherchons dans la constitution d’un centre urbain. Le centre suburbain, au sens d’un territoire résultant d’une explosion de programmes urbains hors des limites de la ville

Fig. 14 Relance économique d’un centre ville délaissée au profit d’une zone commerciale périphérique, Montvilliers, Paris-Normandie, 13/10/2011


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perturbant les économies traditionnelles de la campagne (MAROT S., 199739 ), existe par sa capacité à se positionner en réseau. Claude Ducert, président du SICOVAL propose trois centralités connectées répondant chacune à un besoin spécifique des populations excentrées40. La centralité de village fait référence à l’identité patrimoniale du lieu ; il lui confère une existence et gravite autour de lui de nombreux commerces de proximité, activités municipales et paroissiales. La Caisse d’Épargne a implanté jusque dans les années 1990 un nombre très important d’agences dans ces centres-bourgs, pariant sur le contexte de revalorisation des centres comme centre de vie. Ce « maillage de paroisse » permettait à chaque agence « de faire partie de cette imagerie d’Epinal, avec le logo de l’écureuil à côté de la mairie et de la caserne des pompiers »41.

39 Marot S., « le statut de la

nature », reprenant une définition issue de la conférence Suburba et Paysages, 1996-1997, in La ville émergente, Chalas Y., Dubois-Taisne C. (dir.),

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L’augmentation des mobilités matérielles avec les infrastructures routières et immatérielle avec le développement d’Internet ont remis en cause ce maillage ; l’enseigne ne devait plus être présente partout mais devait assurer sa présence sur des points nodaux. Les agences ont donc opté pour une nouvelle distribution dès 2000 en vue de se rapprocher d’un très grand nombre de clients potentiels et se sont tournés vers les centralités de secteurs, pôle secondaire entre le centre de proximité et la centralité urbaine. Un seul hypermarché autour de quelques enseignes « en boîte » ne peut concourir à l’idée de centre de vie. Sa fréquentation ne doit pas être destinée à un seul usage, la vente, pour produire de la société. Ces centralités nous intéressent particulièrement car ils sont le paysage quotidien de toute croissance d’un noyau rural. Nous étudierons ainsi dans les études de cas un noyau urbain où se concurrencent centralité de village et centralité de secteur pour comprendre quels enjeux l’un et l’autre mettent en tension dans les territoires d’habitat dispersé.

La ville émergente, op.cit.

41 Bourgeois J.-C.,

« implantation de succursales de banques et notion de centre de vie », in La ville émergente, op.cit.

Enfin, polarisant la plus grande partie des richesses, activités de consommation de masse ou spécialisés, se trouvent la centralité d’agglomération. Exemple typique de la théorie économiste du centre constitué de deux forces attractives et répulsives mettant


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en tension le centre, la centralité d’agglomération trouve sa place dans la polycentralité territoriale en reliant les univers de la ville traditionnelle et de la ville contemporaine, émergente, pays ou territoire selon les auteurs et les thèses vus dans le chapitre 1. Le cinéma est un très bon exemple pour définir l’attractivité et la concurrence de ces nouveaux lieux de vie. Après guerre, le cinéma est synonyme d’activité prestigieuse dans les communes, qui tirent de ces investissement une renommée intercommunale. La concurrence de la télévision a transformé le cinéma non plus comme un média mais comme un spectacle ; la forme architecturale, son implantation et les exigences des «spectateurs» s’en trouvent changés. Désormais, la salle de cinéma doit répondre à des idées de confort de vision très strictes, quitte à ce que les salles soient moins bien réparties sur le territoire. Nous retrouvons la logique d’un théâtre ou d’une salle de concert. Le cinéma n’est plus ni par les promoteurs ni par le public pensé comme une activité de centre-ville. Les premières salles multiplexes en 1980 sont construites en fonction de trois thèmes, la consommation, l’accessibilité et l’offre. Le cinéma n’est plus coincé entre deux immeubles, ni une boîte vide au milieu d’un parking comme à la fin du XXème siècle mais devient multifonctionnel voir locomotive commerciale pour d’autres enseignes. S’ajoutent quelques restaurants, des salles de séminaires, un bowling. L’offre, parfois jusqu’à 2O ou 30 salles en assure l’attractivité au-delà de l’urbanisation dispersée puisque les promoteurs ne cherchent plus à s’implanter dans les villes centres où les coûts fonciers sont bien plus importants. S’organisent ainsi autour de ce centre d’agglomération un rassemblement de plusieurs groupes, provenant d’habitat, de mode de vie et de temporalités différentes. Fig. 15 Une surface à adapter à l’offre maximisée des nouveaux multiplexes : Bercy, 12 800m2, 4392 fauteuils, 18 salles, © AFP /PIERRE-FRANCK COLOMBIER


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II . 6 – La polycentralité, nouvelles attentes dans un nouveau territoire Au stade actuel de cette recherche sur la production d’une centralité dans les territoires d’habitat dispersé, le polycentrisme de ces derniers oriente particulièrement la manière d’appréhender le centre dans une zone continue, sans limites franches. Cette polycentralité questionne les relations, mobiles et immobiles, qu’elles peuvent entretenir entre elles. La concurrence de l’attraction d’une zone empêche t’il d’organiser un véritable maillage de centralités dans ces territoires ? Ou bien elle met en tension donc lie par une force répulsive deux entités qui ne contiennent pas les mêmes qualités ? Car il faut avant tout assimiler qu’un centre de territoire d’habitat dispersé n’a pas vocation à être un centre unique. Les modes et les temps de vie des populations associées à ces zones « périurbaines » ne fonctionnent plus dans un monde centripète et centrifuge. L’extrême mobilité de ces populations tend donc vers un centre en réseau. Le centre a pour vocation de structurer le territoire qui ne l’est pas ou plus par les vagues successives d’urbanisation et de rapporter au territoire une identité, une représentation mentale de l’endroit où l’on vit, très importante dans la constitution d’un territoire personnel, à la fois très large pour les populations périurbaines car obligée à de nombreux déplacements pour leurs activités, et à la fois très restreinte dans la capacité à ne se trouver chez soi qu’à l’intérieur de sa propriété. L’économie, pan entier de la construction d’un centre par l’apport d’une activité et d’un dynamisme ne semble pas aussi important dans le cadre de ces microcentralités, élément que nous tenterons d’étudier à travers nos études de cas. Toutes les centralités n’orientent pas leur potentiel attractif sur les mêmes éléments. Ainsi nous tenterons de comprendre quel zone de la commune, quel élément initial prédispose la centralité à s’orienter vers telle


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ou telle activité ; un centre-bourg conservera peut-être toute une économie de proximité car le supermarché le plus proche se situe dans un autre noyau urbain, tandis qu’un autre se transformera en centre vert en reprenant l’exemple de Saint Herblain car la municipalité voit Nantes comme le centre dynamique, économique et attractif du territoire. L’important dans une centralité de territoire d’habitat dispersé semble être de comprendre quels éléments la met en tension, à quoi se réfère t-elle et avec quelles autres centralités fonctionnent-elle ? Nous conserverons en mémoire pendant la phase de terrain qu’une centralité ne peut se nommer comme telle seulement lorsqu’elle « produit de la société ». Ainsi un hypermarché entouré d’un parking de 400 places ne peut prétendre au titre de centralité urbaine. Mais si l’on y associe les débuts en rollers des enfants du quartiers le dimanche - car bien souvent encore dans les communes périurbaines, la temporalité est un élément clef dans la conception d’une centralité : l’habitat dispersé n’est pas actif à toute heure du jour et de la nuit comme un environnement urbain, voire hyper urbain – on associe à un centre d’intérêt consumériste des détournements de fonctions, des pratiques de loisirs gratuits, un certain type de rencontre sociale : par ce mélange, l’hypermarché à parking peut devenir une centralité périurbaine. Les espaces sont, même s’ils n’en sont pas la seule source, à l’origine d’attitudes, de comportements spécifiques au lieu, et constituent ainsi une sorte de mémoire collective, le rattachant à un contexte spatial assimilé par tous les utilisateurs. Ce type d’espace fédérateur fait souvent référence dans les mentalités et les politiques urbaines à l’espace public. Espace majeur dans la constitution d’une société, il est l’un des théâtres accueillant nos interactions sociales. Il constitue l’essence même d’une centralité dans le contexte urbain, lieu de tous les possibles théoriques, car il appartient à l’ensemble de la communauté.

Fig. 16 Penser autrement la place de stationnement Parking Day, 2014


Fig. 17 Une utilisation culturelle des espaces de statiionnement autour des aĂŠroports, Le Bourget. Apaire, Bellem, Boudda, Husson, PFE Ecole des ponts ParisTech, 2013

Fig. 18 Aire de stationnement Ă aire de jeux ? Collectif Rebar, Parking Day, 2005

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III - L’ESPACE PUBLIC, FEDERATION DU CENTRE III . 1 – La construction d’une notion L’espace public est omniprésent dans les politiques actuelles et une notion en vogue synonyme de succès dans les opérations urbaines. Il est au XIème siècle considéré comme commun, du latin comunis, et définit un réseau d’échange, de partage et de communication de symboles religieux et féodal. Depuis le Moyen Age, l’Etat a donc eu la volonté de réguler l’espace commun, lieu du public dans l’espace urbain. La pars publica -ce qui concerne tout le monde- du domaine public relève de la souveraineté (Dubq G.) : tout ce qui n’est pas de l’ordre du privé - domestique - relève de la publicité et donc du souverain. Un processus d’auto-contrainte et d’autocontrôle de l’individu se met en place dans un espace d’extrême promiscuité où la diversité des activités de « rue » construit de nouveaux codes à associer à cet espace déjà intermédiaire entre le domestique et le souverain, laïc ou clerc. Au Moyen Age, cet espace « libre » est un espace de contact (Paquot, 200942) où le mot voierie désigne in extenso rue, ruelle, passage, voie le long des remparts et décharge publique (Leguay J.P.) L’espace public reste de nature physique jusqu’au XVIème siècle ou il devient symbolique avec la séparation du sacré, et la reconnaissance du statut de l’individu face à la monarchie et le clergé. Erasme dans Decivilitate morum puerilium (1530) introduit chez les intellectuels le terme de civilité qui devient nécessaire pour comprendre les interactions entre individus. L’Autre devient une entité à prendre en compte dans ses mouvements et la constitution d’un personnage fictif « de société ». C’est surtout avec l’abolition des privilèges d’après la révolution française que l’espace prétendument public commence à se constituer comme territoire du lien civique (Sieyes, 1789). Dans un territoire périurbain, la voierie représente l’essentiel de l’espace public. La ville dense est aussi à l’origine un ensemble de

Paquot T., L’espace 42 public, collection Repères, La Découverte, Paris, 125p., 2009


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voies même dans les sites urbains les plus anciens à l’exception de quelques circulations par le toit connues comme à Catal Huyuk en actuelle Turquie ou bien dans la vallée de L’Indus. Dans notre imaginaire, le système viaire délimite les parties privées. En Occident nous partons bien souvent de la rue -public- pour terminer dans l’ilôt -privé. Déjà Aristote considérait comme nécessaire de diviser le territoire en partie commune et privée. L’organisation urbaine grecque se définit tout d’abord par la délimitation d’un lot qui définit une rue fonctionnelle. « L’élément primaire de base est la demeure des citoyens, même si l’agglomération est attirée par un sanctuaire ou un lieu de culte (Martin, 195643). A la différence des romains, le réseau terrestre grec était beaucoup moins développé, au profit des voies maritimes. Nous assistions alors à des synoécismes, regroupement de villages et de bourgs formant un habitat dispersé sans constituer réellement une ville compacte. D’ailleurs, le synoécisme avait surtout une portée politique et militaire, et ne trouvait pas forcément de traduction physique ou urbaine. Cette configuration peut-il se transposer à nouveau dans nos territoires dispersés ? Le pavillon devient bien plus sacré que la place de village, et la rue n’a souvent qu’un but fonctionnel d’échange, flux et marchandises.

43 Martin R., L’urbanisme dans la Grèce Antique, p.190, Picard Paris,

44 Pons A., 1996, p.102

L’organisation romaine dérivée de la structure grecque, prise en grande partie aux Etrusques pour le rituel de constitution de la ville, le fameux Cardo-Decumano, définit en premier les axes puis ajoute des parallèles à ces deux axes sacrés qui forment l’orientation de la ville. L’élément premier de l’organisation romaine se trouve au centre de la cité, le forum, formé au carrefour du Cardo et du Decumano. Les parties communes et privées s’imbriquent ; les maisons ont plusieurs seuils selon la publicité du propriétaire (sénateur, riche marchand laisse leur cour accessible pour en faire admirer la richesse) et les dieux Lares domestiques protègent la rue adjacente. Mais nous ne devons pas oublier l’aspect institutionnel, sociologique et symbolique de la ville. La ville grecque du IV° et V° siècle av.J.C. S’articule entre l’asty, espace urbanisé et la polis, terme associant les citoyens et les bâtiments permettant l’expression de cette association en cité44 .


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La Renaissance introduit le principe de composition comme l’instauration de places, de perspectives, et des premières règles d’urbanisme sous Henry IV avec le Grand Voyer de France, Sully, représentation d’un pouvoir monarchique jusque sur la forme urbaine. La volonté d’embellir les villes du XVII et XVIIIème siècle va peu à peu laisser la place à une période industrielle ou la morphologie d’une ville est associée à ses réseaux, ses flux et son hygiène. Les espaces publics deviennent des espaces de circulation de plus en plus rapide et bientôt la nécessité d’espaces dédiés aux mobilités piétonnes apparaît. Le trottoir retrouve sa place dans le tissu urbain (abandonné depuis la disparition des cités romaines), permettant pour le chanoine Drillon des interactions sociales entre passants et commerçants (1802, Utilité du trottoir de Paris). L’urbanisme Haussmanien malgré une ségrégation des classes populaires à l’extérieur du centre a permis de doter les espaces libres de mobilier urbain favorisant la flânerie et qui bien encore représente les qualités d’une ville : fontaines, arbres et grandes promenades pour le passant. « Une rue si belle soit-elle, ne manifeste pas d’existence par la seule vertu de son architecture. Organisme inerte, elle a besoin d’être habitée et parcourue pour acquérir une âme. Dès lors, reflet d’humanité, elle adopte dans la collectivité urbaine, l’attitude que lui communiquent ses habitants et ses passants. » (SITTE, p.5245). Avec la révolution industrielle, les plans d’embellissement des villes apparaissent, vision à long terme d’un quartier au départ géré de manière immédiate. En s’inscrivant dans une temporalité, les praticiens spécialisent cet espace commun ; aux ingénieurs la voierie, aux architectes les bâtiments et aux jardiniers les espaces verts, fragmentation qui va se poursuivre avec les idées hygiénistes et de séparation des flux des avant-gardes mordernistes avec Eugène Hénard et son étude sur les transformations de Paris. Les espaces publics comme lieux physiques sont dans la période moderniste approchés de façon économique, et fonctionnaliste dans les politiques urbaines et regroupés sous le terme « d’espaces libres » par les chercheurs, regroupant toutes les formes urbaines appartenant à la sphère publique.

45 Sitte C., L’art de bâtir les villles, Ed. du Seuil, Paris, 1996 (première édition Vienne,1889)


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Ce sol public est à nouveau un objet de relégation : la valeur d’échange prime sur la valeur d’usage de l’espace (GASNIER, 2000, p.65) et l’espace public comme centralité ne s’associe qu’au pouvoir et aux centres décisionnels (LEFEVBRE, 1968, Le droit à la ville) quand il n’est pas seulement transformé en parking ou vide sanitaire entre deux îlots construits.Ne retrouve t’on pas ce sentiments dans les regroupements commerciaux des villes moyennes ? Le confort domestique qu’apporte au XXème siècle les avancées industrielles et techniques dévalorise la rue et renoue avec les lieux de sociabilités intérieures associés au bien-être (KOROSECSERFATI, 1991, p.50). L’on se focalise sur « l’habiter » (HEIDEGGER, BACHELARD) à quelques exceptions près où l’espace urbain est appréhendé comme lieu d’exploration et de dérives avec les Situationnistes. Cette psychogéographie renvoie à une subjectivité de l’urbain repris par la poésie avec des poètes comme Pierre Sansot (Poétique de la ville, 1973) ou Chombart de Lauwe. Les pouvoirs publics d’après-guerre se tournent vers la voiture et augmentent la capacité de circulation ; la norme routière entre dans la ville. Avec l’accroissement des mobilités de chaque individu, les lieux du public se modifient. L’emploi se développe en dehors des centres de la ville, ainsi que l’offre commerciale, toujours dans un but de meilleure accessibilité du produit. Déjà au Etats-Unis les classes moyennes vivent en périphérie où se condensent offre commerciale, ludique voire administrative, laissant les villes centres traversées par des autoroutes et où se concentre une population majoritairement pauvre. Face à la contestation de cet empire routier que l’on crée et aux cités d’habitat collectif en périphérie des années 1960, les urbanistes développent les plateaux piétonniers qui ont pour enjeu non seulement de reconstituer un lien social perdu par la fragmentation des circulations mais aussi de reconquérir les centres villes abandonnés par l’attraction de la périphérie « fonctionnaliste » de l’époque moderniste. De nouveaux dysfonctionnements et conflits apparaissent ; les modes de vie transformés par l’utilisation de la voiture individuelle ne semblent plus fonctionner dans cette


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fausse reconstitution d’une centralité passée. Pourtant les espaces publics sont un enjeu de centralité perdue fin 1970 et de nombreux chercheurs et praticiens croient en un espace « appropriable par tous », fondement de l’écologie urbaine. Deux thèses majeures orientent les études sur l’espace public à cette période. D’une part l’on dénonce la remise en valeur des espaces publics car elle entraîne trop souvent une ségrégation sociale générée par une appropriation spatiale de ces espaces valorisés par des groupes socialement dominants (début de la gentrification) au détriment de certains quartiers en périphérie qui ne cessent de se détériorer. D’autre part, certains chercheurs en géographie urbaine s’interroge sur le contrôle social exercé dans les pratiques des espaces requalifiés (GASNIER, 2000) ; dès 1972, L. de Segonzac et A. Oudin montrent que les commerces de luxe s’approprieront très vite ces espaces et rejetteront tout individu nuisant à l’image de la marque. La standardisation du traitement de l’espace public par un mobilier urbain homogène Art Déco dessiné par Jean-Claude Decaux dans les années 1960 ne coïncident plus avec les volontés des praticiens et sociologues en 1980 de ne plus considérer l’espace public comme un lieu privilégié de la ville. C’est à cette époque que le terme d’espace public se généralise dans tous les domaines liés à l’aménagement des villes et est saisi par les pouvoirs publics comme orientation des opérations urbaines de grande ampleur. Il apparaît officiellement en 1977 dans les textes officiels du Fond d’Aménagement Urbain (FAU). Avec la création du Plan Urbain en 1984 par le Ministère de la Recherche et de l’Equipement, chercheurs, professionnels et pouvoirs publics tentent de faire le lien entre usagers et agents, et de défendre la place du citadin dans l’action publique et dans la gestion de la ville (JOSEPH, 1992-1993). Le sociologue Isaac Joseph définira ainsi en 1995 l’espace public comme « un espace commun, coproduit de l’interaction entre étrangers mutuels qui entretiennent entre eux des relations froides et des liens faibles »46.

46 Fleury A. citant I.Joseph, p.43, Les espaces publics dans les politiques métropolitaines. Réflexions au croisement de trois expériences : de Paris aux centraux de Berlin et d’Istanbul, Université Panthéon Sorbonne – Paris 1, Géographie, 683p., 2007


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Les grands projets des années 1980 mettent ainsi les espaces publics au cœur des aménagements comme par exemple au Docklands à Londres, ou Bercy pour Paris. L’espace public comme structure de projet « consiste dans la mise en scène d’un élément existant ou être imaginé de toutes pièces : il organise l’ensemble du bâti dans un geste monumental où les conventions architecturales, éléments de décors, le traitement végétal et du minéral, la présence de commerces et de vitrines en rez-de-chaussée, l’installation de terrasses de cafés, enfin l’articulation des percées et passages, successifs, confèrent à ces ensembles de fortes qualités scéniques. » (Plan Urbain, p.72). Au moment où la ville se rend compte des dérives des espaces libres modernistes dans les grands ensembles issue d’une composition urbaine souvent théâtralisée, les enjeux d’un espace sociabilisant se redéfinissent. Cette effervescence de l’espace public se dissémine peu à peu dans toutes les villes moyennes françaises à la fin des années 1990. La recherche de la polyvalence des espaces libres « partagés et accessibles à tous » (GASNIER, 2000, p.70), ainsi qu’une mixité sociale et fonctionnelle est encore relativement inconnu dans le processus de création d’espace public nord-américain où nous rencontrons surtout des espaces qualifiés de « collectifs communautaires » (GASNIER, 2000, p.70). Ces espaces communautaires ne peuvent prétendre à une forme d’espace public car ils ne sont pas dans le domaine du public. Un jardin partagé ne peut pas être un espace public puisque d’autres règles que celles du gouvernement contraignent l’individu.

47 Merlin et Choay, Dictionnaire de l’urbanisme et de l’aménagement, p.320-322, 1988

Pour Merlin et Choay, nous pouvons considérer l’espace public comme la partie du domaine public non bâti, affecté à des usages publics. L’espace public est donc formé par une propriété et par une affectation d’usage »47. Mais cette définition ne prend pas en compte le changement de rapport à l’espace public et privé qu’opère l’augmentation des opérations d’urbanisme privées principalement les opérations de divertissement et de consommation de masse (centres commerciaux, multiplexes). En même que la ville se privatise (CLAVAL, 1999), elle publicise une offre spatiale privée, détournant les règles communes de l’espace dit public.


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Ces immenses territoires privés ouverts au public se retranchent derrière un règlement protecteur permettant à l’espace publicisé de ne pas être entièrement accessible à tous. La construction de multiples « artefacts de lieux » (CHIVALLON, 1998) au sein de la ville reconsidère la définition précédente de Merlin et Choay sur la forme et l’affectation de l’espace public. Ces espaces collectifs privés mettent en place un décor d’espace public, utilisent l’imaginaire commun pour recréer une bulle spatiale où les gens peuvent se rencontrer sans réel but, alors qu’implicitement toute l’offre spatiale est tournée vers la distribution et la consommation de masse. De plus, le zoning fonctionnel mis en place dans ces opérations privées empêche toute émergence de conflit. L’espace public devient peut-être une dimension de l’espace commun (LUSSAULT). Qu’en est-il donc de la nature même de l’espace public, au sens juridique du terme ? Une des définitions scientifiques générales de l’espace public au début du XXième siècle est « un espace ouvert, accessible à tous, support à des pratiques et des usages souvent différenciés, parfois non prévus mais représentant l’institution du commun. » (GASNIER, p.64) Ce qui n’entre pas dans cette définition est la source de conflit comme principe de base des espaces publics car l’opposition permet de développer des formes sociales et spatiales d’appropriation dans un endroit juridiquement, politiquement et socialement commun, donc n’ayant aucune domination spatiale d’un groupe sur un autre. L’étalement urbain de ces dernières années remet en cause l’essence même de l’espace public. Sous l’influence de la ville occidentale dense, nous voyions les lieux du public comme ces lieux de vide qui assuraient une continuité entre les tissus (GOURDON, 2001). L’espace public devient un idéal d’épanouissement, au point que même les acteurs privés se le sont également appropriés (FLEURY, 2007). Les mobilités individuelles très présentes dans les territoires d’habitat dispersé n’entraînent plus d’interface de rencontre donc déconnecte les tissus entre eux. L’espace public de nos esprits n’existe pas en territoire dispersé. Mais l’espace public doit être capable de s’adapter à toute situation urbaine puisque la situation

46 Fleury A. citant I.Joseph, p.43, Les espaces publics dans les politiques métropolitaines. Réflexions au croisement de trois expériences : de Paris aux centraux de Berlin et d’Istanbul, Université Panthéon Sorbonne – Paris 1, Géographie, 683p., 2007


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elle-même engendre ces espaces du public pour constituer une société. Les gated communities ne peuvent prétendre à la création d’espace public. Les espaces publics structurent l’espace urbain et mettent en relation chacune de ces entités : mixité, déplacement, activités. La mixité permet un rôle politique est social de l’individu pour Leménorel, assure une certaine sociabilité de proximité pour Thierry Paquot, ou froide selon Isaac Joseph, sans oublier le rôle des pouvoirs publics qui doivent en assurer la gestion etgarantir ses fonctions. Dans les diverses définitions du Plan Urbain, une séparation des espaces publics entre ville dense et ville dispersée se constitue. En effet, quand l’espace public des villes centres doit se révéler « génératrices de tension entre les éléments du bâti […] symbole et signe de la culture urbaine » (Plan Urbain, p.111), une toute autre définition apparaît pour les enclaves résidentielles qui peut s’extrapoler à tout tissu périurbain voir certaines zones de villes centres délaissées. Ainsi « l’espace public et les espaces communs constituent des attributs statutaires du logement. Signe de distinction plutôt que support de pratiques sociales, la demande à leur égard porte sur la continuité des apparences, l’entretien régulier et le maintien à l’identique comme marque d’appartenance sociale et d’identité statutaire. » (Plan Urbain, 1988). Il rajoute que « l’espace extérieur immédiat est utilisé de façon purement fonctionnelle : desserte, stationnement ou aménagé pour certaines pratiques codifiées (tennis, piscine, terrain de sport) » (Plan Urbain, 1988, p.65). Ce panel de définitions marque une vision très différente du sol public selon les aspects du tissu urbain. Or, chaque individu rassemblé en société doit avoir un lieu où s’exprimer. L’analogie précédemment cité entre l’expression du peuple et l’espace public remonte au XIXème siècle avec la diffusion de la pratique de la manifestation comme expression politique d’un régime démocratique dans les rues et sur les places publiques (TARTAKOWSKY, 1998). 47 Merlin et Choay, Dictionnaire de l’urbanisme et de l’aménagement, p.320-322, 1988


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En synthétisant l’ensemble des caractéristiques de l’espace public et en s’appuyant sur l’ouvrage de Thierry Paquot, nous pouvons affirmer que l’espace public :

- un lieu ouvert et valorisé comme bien commun.

- soumis au droit juridique (entraîne une certaine régularité)

- présuppose une égalité entre chacun

- accessible à tous et n’appartenant à personne

- induit une identité commune.

Fig. 19 Espace public, espaces publics Les rencontres de l’espace urbain, 2004-2005, Lille Metropole


Fig. 20 Le centre commercial, une nouvelle centralité ? Dieppe, le Belvédère Fig. 21 La rue, un enjeu d’espace public pour les territoires d’urbanisation dispersée ? Source : Imgres

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III . 2 – Théorisation de l’Espace Public Terme généralisé à partir du XVIIIème siècle en France, l’espace public renvoie immédiatement à deux dimensions. La première est physique ; l’espace public représente un lieu physique, localisé, gratuit et accessible à tous (Paquot, 2009 ). La seconde est virtuelle ; de nature politique, l’espace n’est plus considéré comme géographique, mais comme représentant « l’unité de l’ensemble » (Beauchard, 201048 ), une construction sociétale où se pratique la démocratie. Dans L’espace public, Archéologie de la publicité comme dimension constitutive de la société bourgeoise, Jurgen Habermas définit l’espace public comme une sphère intermédiaire entre vie privée (les lieux de l’intime) et Etat monarchique où tout individu pouvait exprimer son opinion privée en public. Au XVII et XVIII° siècle, période de son étude, cette sphère publique revêtait trois formes. Les journaux, les salons aristocratiques qui émergent dès 1600 avec le salon de Catherine de Rambouillet puis se développe avec les célèbres salons de Delambert et de Madame du Tencin (1710-1733), ainsi que les cafés, lieu de sociabilité extrême jusque dans les années 1950, disparu par une transformation des modes de vie mais qui reviennent sous d’autres formes plus spécialisées comme les cafés philosophiques ou littéraires, reprenant la structure en « îlots libres » (PAQUOT, 2009) du salon. Ces espaces pouvaient revendiquer leur nature publique par la capacité à faire valoir une opinion politique dans le sens de polis, cité. La dimension démocratique de l’espace public est d’une importance capitale encore aujourd’hui où la démocratie comme modèle de gouvernement se généralise puisque c’est toujours le domaine du public, et particulièrement le système viaire, qui se trouve être le siège de nombreuses revendications des populations dirigées ; La rue Istiklal à Istanbul, ou très récemment, l’axe République –Nation pour la marche pour la Liberté d’expression du 11 janvier 2015.

Fig. 22 L’espace public comme expression de la démocratie : Istiklal, Istanbul 3013. Source : © reuters, Zu’pomme

48 Beauchard J., Moncomble F., L’architecture du vide ; Espace public et lien civil, Presses Universitaires de Rennes, 2010


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La critique de l’espace public d’Habermas s’appuie souvent sur l’absence d’opposition que représente et doit représenter l’espace public. En effet, l’espace public n’est pas seulement un lieu d’expression mais « est un champ d’expérience de la société qui comprend tout ce qui est important pour ses membres » (NEGT, 2007, p.5649) . L’espace considéré comme public regroupe toutes les institutions et activités qui permettent de faire société. Le sens d’opposition et de conflit renvoie aussi à l’idée d’une multiplicité nécessaire pour constituer un corps sociétal (ARISTOTE, La Politique), une diversité qui ne pouvait avoir lieu dans l’espace public d’Habermas, où la sphère publique était contenue dans un espace privé, tel le Salon d’Olympe de Gouge, donc répondant à des règles tacites privées et attentes particulières pour chacune des personnes présentes dans ces salons comme la participation au débat, l’écoute active, et le consentement de l’instant (le rassemblement d’idées). Mais la sphère réellement publique doit être sans promesses, une sphère dont il ne résulte rien puisque non active (FERRARESE). L’espace public dans sa dimension politique est un « milieu humain dans lequel les inconnus se rencontrent » (SENNELT, R., 1979, p.42), rappelant l’en-commun d’Hannah Arendt. Cette dernière voit dans l’espace public politique une continuité de la tradition antique ; cette sphère est nécessaire pour apparaître en public, elle est le lieu de l’action qui, par une intrusion de multiples entreprises privées disparaît peu à peu et empêche d’avoir une vision d’un ensemble d’individus politiquement organisé comme le modèle antique mais plutôt une foule d’individus aux intérêts propres. Cette tournure de la dimension publique des espaces nous intéresse particulièrement puisque cinquante ans après, ce constat est réitéré dans toutes les formes d’organisation urbaine (et donc politique au sens de cité) dispersée.

Negt O., L’espace public oppositionnel, Ed. Payot, Paris, 240p., 2007

49

Hall E., La dimension 50 cachée, Ed. du Seuil, Paris 1971, réed. 2014, 256p.

L’espace public, par sa définition propre, amène invariablement à se questionner sur l’Autre, l’inconnu que je rencontrerai dans un lieu connu de nous deux mais dont la seule interaction des deux corps transformerait l’espace par nos réactions privées conditionnées chacun par un cadre de vie particulier (HALL, 196650 ). Richard Sennelt voit dans la civilité la valeur principale de la société et in


58

extenso l’essence même de la constitution d’un espace public. « La civilité est l’activité qui protège le moi des autres moi, et lui permet donc de jouir de la compagnie d’autrui. Le masque est l’essence même de la civilité. Le masque permet la pure sociabilité, indépendamment des sentiments subjectifs de puissance, de gêne, etc., de ceux qui les portent. La civilité préserve l’autre du poids du moi. » (SENNELT, 1979, p.202) Cette notion est très importante lorsque l’on questionne l’espace public dans une situation géographique précise, en l’occurrence les centralités des petites villes périurbaines. La douce indifférence de la grande ville ne se retrouve pas forcément dans les centralités plus réduites comme dans une ville de 5000 habitants où la plupart des gens se connaissent au moins de vue. L’espace public donc doit construire un lien civil avant le lien social tant attendu dans les nombreuses opérations plus ou moins récentes d’aménagement de l’espace public. « L’espace public n’appartient à personne et donc suscite une représentation commune à tous. Celle-ci peut être négative : le vide urbain sert d’espace de rejet » (BEAUCHARD, p.14) Cependant, malgré sa qualité d’absence de propriété, l’espace public ne doit pas être considéré comme un non-lieu, qui alors revêt une autre forme de civilité souvent appropriés par un groupe (marginaux), où se spécialise dans le « délaissé ». Ces non-lieux comme les nomment Augé dans son ouvrage éponyme peuvent être l’ensemble des espaces résiduels laissés par la fragmentation de l’urbanisation dispersée.

Fig. 23 La proxémie : distance et lien social Hall E., La dimension cachée, op.cit.


59

III . 3 – Le rôle de l’espace public dans une centralité Comment réussir à faire le lien entre un potentiel public des espaces non-bâtis dans les territoires d’habitat dispersé et la cristallisation d’une centralité socialisatrice ? Une des caractéristiques majeures de la centralité semble être le rassemblement, un droit à la société urbaine51. Il faut tout d’abord sortir de la confusion entre espace public, espace social ou espace de débat des années 1980 et constaté par M. Roncayolo, car trop repris par les sciences politiques, sociales et urbaines. Nous parlerons ici de l’espace public comme espace physique et matériel pensé à la manière des écologistes urbains comme un espace plein formant différents territoires sociaux et qui induisent une mobilité par le passage d’un territoire à un autre. Le terme public renverra à une qualité de l’espace, une certaine hospitalité (BORDREUIL, 200252 ) ou une accessibilité (JOSEPH I.). Pour l’ensemble des usagers de l’espace public, nous emploierons le terme de citadin, même dans des contextes ruraux des études de cas qui, par la nature de la population, entrent aussi dans la catégorie urbaine. « Citadin » permet de ne pas trop associer aux utilisateurs du lieu une valeur d’appropriation, inadéquate dans la structure même de l’espace public.

Lefevbre H., Le droit à la ville, op.cit.

51

Bordreuil S., « espace public, urbanité et mouvements » in Espaces Publics et cultures urbaines, José M. (dir.)– séminaire CFIP 2000-2002, CERTU

52

Nous pouvons constater dans un premier temps que l’enjeu premier des espaces publics des territoires d’urbanisation dispersée porte sur la valorisation d’un bâti, patrimonial, résidentiel ou commercial et non sur la capacité du lieu à « faire société ». En valorisant les espaces non bâties, le construit augmente sa valeur marchande. Il y a donc bien un souci de l’extérieur, mais à des fins de spéculations foncières et immobilières. Une pelouse tondue sur les à-côtés d’une rue pavillonnaire laisse entrevoir la richesse d’une commune par son implication à conserver ses « espaces verts ». Imaginons un instant une possibilité de jachère fleurie autour des parkings des zones commerciales afin de favoriser une nouvelle biodiversité, en particulier nocturne du fait de l’absence de


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nuisances dans ces lieux entre 20h et 10h du matin aura comme écho un délaissement des aires environnantes de la zone par les commerçants, véhiculant une image peu positive du lieu. Ces actions paysagères autour des zones commerciales intéressent particulièrement les paysagistes. Questionnant ce paysage interstitiel comme une ressource de la ville contemporaine, Clémentine Lescanne de l’Ecole Nationale Supérieure d’Architecture de Bordeaux a réalisé son projet de Fin d’Etudes sur la zone commerciale Lescar-Soleil et de Lons (IndusPal). Partie du potentiel de transformation de tout paysage, postulat que de nombreux collectifs revendiquent comme le collectif de paysagistes Dézonage, Stalker ou Clermont au loin, elle rend dynamique ces espaces en attente d’urbanisation ou contraints par une excessivité de règles urbanistiques (construction en retrait de 10 mètres par rapport à la rue pour les bâtiments de la zone) par toute une série de concepts en adéquation avec la proximité de ces lieux avec des zones naturelles. Ainsi dans ses propositions résultent une interstice boisée, introduisant une ressource ligneuse, des espaces enherbés comme ressource fourragère pour le bétail des zones agricoles à proximité, des interstices agricoles ou maraîchères puisque la problématique de consommation des sols touchent aussi les zones périurbaines et pavillonnaires, en instaurant de nouvelles règlementations sur le dimensionnement des parcelles, la disparition du POS. Ces intentions de projet renvoient à une dimension particulière de ces espaces flous autour des zones commerciales.

Fig. 24 Penser les zones commerciales de Lescar et Induspal comme le berceau de nouvelles activités. Le paysage interstitiel, une ressource pour questionner les formes de la ville contemporaine ? De la mise en discours au projet de paysage dans deux zones de l’agglomération paloise. Lescanne C., TPFE ENSAPB, 2014


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Fig. 25 Déplacer la perception pour cartographier autrement le territoire. Le planisphère de Rome. «Laboratoire d’art urbain, le collectif Stalker met en œuvre des promenades, des dérives, des « actions architecturales « aux frontières de la ville ou aux marges de communautés, qui opèrent une nouvelle lecture du territoire, tout à la fois critique et politique». Careri F., in archilab.org, 2016

En effet, la zone à but commercial est concédée à des investisseurs privés, qui, une fois leur projet construit, rétrocèdent à la commune les espaces non bâtis. Ils reviennent donc dans le domaine public mais sont trop souvent associés à une charge supplémentaire pour les services d’entretien qui doivent en assurer la maintenance. Cela explique l’absence de toute végétation hormis le béton végétal que représente dans ces espaces les pelouses tondues à ras une fois par mois. Lier ces espaces libres à des possibilités de revenus pourrait permettre un regain d’intérêt de ces espaces non seulement à la commune, mais aussi aux citadins pratiquant ces lieux au moins de façon hebdomadaire. Ce diplôme de paysagisme ne porte que sur des interstices perméables (végétales) mais en élargissant le raisonnement, les hectares de sols imperméabilisés comme les parkings peuvent s’ouvrir à d’autres pratiques.


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III . 4 – espace public / espace privé : normes et intentions communales Nous tenterons de répondre à la manière de Samuel Bordreuil non pas à la question « qu’est ce que l’espace public ? » mais « A quoi tient que tel ou tel espace soit public et non privé ?53 ». La propriété ne suffit plus dans ces territoires d’habitat dispersée car elle n’est pas clairement défini par le tissu urbain comme dans la ville traditionnelle. Sous la III° République par exemple, le domaine public comprenait dans sa définition aussi bien les lieux « ouverts » (mairie, école, hôpitaux) que fermés au public (terrain militaire, emprise ferroviaire, etc.). Dans le contexte actuel, nous sommes en droit de nous questionner sur la capacité des espaces privés et par la volonté de certains acteurs, à se publiciser. Autant dans la ville dense que dans l’urbain dispersé, promoteurs et pouvoirs publics s’imbriquent pour tisser un maillage urbain. Un exemple très fort de la ville dense est la terrasse du café, extension privée tolérée contre rémunération sur le sol public, entraînant une utilité financière du trottoir pour les municipalités, mais aussi pour l’attractivité immobilière : il n’est pas rare de trouver dans une annonce de bien immobilier « situé dans une rue animée et marchande, commerces de proximité ». L’espace public se sédimente par « un grand nombre d’interventions privées qui contribue au façonnage, aux usages et à l’évolution de cet espace » communément appelé public (FLEURY, 200754 ). La tendance actuelle très présente dans les territoires d’habitat dispersé est de penser que l’espace public est un résidu du privé (VEXLARD G., p.16255 ): cela empêche toute forme d’actions citadines ou municipales dans ces lieux considérés comme négatifs. Or considérer l’inverse permettrait de penser réellement les abords de ces lieux du quotidien comme vecteur de projet. Dans les collectivités, l’expression d’espace public a un sens très variable mais il est toujours orienté sur une réflexion opérationnelle plus qu’une réflexion sur la notion d’espace public.

Bordreuil S., « espace 53 public, urbanité et mouvements » in Espaces Publics et cultures urbaines, José M. (dir.)– séminaire CFIP 2000-2002, CERTU Fleury A., les espaces 54 publics dans les politiques métropolitaines. Réflexions au croisement de trois expériences : de Paris aux quartiers centraux de Berlin et d’Istanbul, Université Panthéon-Sorbonne, Paris 1-Géographie, 686p., 2007

55 Vexlard G., « Le parcours d’un paysagiste à travers l’espace public » in Espaces Publics et cultures urbaines, José M. (dir.)– séminaire CFIP 2000-2002, CERTU


63

Cette vision très normative du lieu comme se devant être un lieu de vivre-ensemble, autant dans les grands centres urbains que dans les centre-bourgs est dû à la gestion de ce volet dans les municipalités par des administratifs qui se forment en côtoyant des techniciens sur le terrain donc ne dépassant pas le cadre aménager. Les délégations des espaces publics existent aujourd’hui dans tous les conseils municipaux à l’exception de certaines villes qui ont pourtant construit leur popularité sur l’aménagement de l’espace public comme Lyon, Rennes, Bordeaux, Strasbourg ou encore Nantes. Ces villes ont intégré la dimension publique des espaces à toutes les dimensions que peuvent prendre l’aménagement de la ville (GOUYETTE, p.7856 ). L’espace public est généralement associé à quatre conceptions :la propreté, la transversalité, le déplacement et l’embellissement. Parfois, le volet Événements-Animation s’intègre à la délégation Espaces Publics, comme c’est le cas à Aix-en-Provence. Mais sa mise en œuvre « procède encore majoritairement d’additions : on empile déplacements, propreté, occupations et autorisations du domaine public, stationnement, mobilier urbain, publicité, espaces verts, selon les villes » (GOUYETTE, p.89) et sans coordination. C’est donc un atout majeur dans le dynamisme et l’attractivité d’une commune mais qui n’est malheureusement dans ces villes d’habitat dispersé qu’une succession d’opérations sans coordination. Appréhender la centralité par l’espace public est donc très important pour comprendre la nature du rapport à la propriété du sol dans le contexte périurbain. Fortement configuré par des initiatives privées, bâties (maisons individuelles, entrepôts, commerces en boîte) ou non-bâties (terres agricoles, pâturage, réserve foncière, parking), l’émergence de la volonté d’une identité communale pour ce type de territoire a fait ressortir la question de l’espace public. 56 Gouyette B., « espaces publics : le point de vue des élus locaux », pp. 78-98, in Lieux et lien : des lieux qui créent des liens, Espinasse C., De Mouël E. (dir.), L’Harmattan, Colloque de Cerisy, 330p., 2012

Dans un contexte constant d’aménagement de ce sol public, quelques réflexions théoriques sortent de cet énorme engouement actuel pour l’espace public. L’espace public de la ville dense et clair est bien délimité par le bâti. Il suit la même structuration que celle qui le crée. En revanche, les territoires d’urbanisation dispersée montre une incohérence


64

spatiale quand au statut de publicité du sol. L’absence de bâti ne représente pas une caractéristique de l’espace public, il doit donc être identifiable par d’autres moyens. Pour l’instant, l’aménagement semble être la première réponse à cette question de statut. Mais un autre pan entier de l’espace juridiquement public est constitué, comme dans la ville dense, par le réseau routier. Or, nous n’imaginons aucun lien civil se former à partir de ces infrastructures routières, axes de communication ou vaste surface de stationnement. Pourtant, de nouvelles pratiques émergent, rendant compte d’une évolution nette des habitudes des résidents jugées encore récemment comme trop individualistes et sans souci de rassemblement, élément phare de la centralité et de l’espace public. Des relations se tissent entre la centralité, un point stratégique, l’espace public, maillage permettant de connecter les centralités en réseaux, et l’urbanisation dispersée, pour créer ensemble une nouvelle définition du centre « excentré ».


65


66

IV–LE PAYS BASQUE ET L’IDEE DE LA CENTRALITE IV . 1 - Une région étendue mais non diffuse Le Pays Basque correspond à l’imaginaire que l’on se constitue des territoires d’urbanisations dispersées. A l’Ouest, le littoral basque est un continuum urbain qui commence dans le département des Landes (40) au Nord et jusqu’à Saint Sébastien, au Pays Basque espagnol. Le littoral pourrait concourir au titre de ville diffuse si le processus d’accumulation des activités (au sens d’occupation de l’espace) au sein du territoire ne s’étaient pas faite dans un contexte de croissance autonome des communes comme c’est le

Fig. 26 La Côte basque, une conurbation transfrontalière, Mabrut A., 2016

cas ici, mais comme la planification globale d’une « juste distance » entre les objets/activités. Le pays basque s’oriente désormais vers un idéal planificateur de diffusion de la ville, tel les grands projets d’EuroCité (conurbation transfrontalière Bayonne-Saint Sébastion) et la juxtaposition d’agglomérations de plus en plus importantes le long de la côte atlantique mais il ne faut pas oublier que c’est ici un processus urbain accumulatif non planifié à toutes les échelles qui a structuré le territoire. La distinction que nous pouvons encore faire entre la ville comme entité – même déclinée à différentes échelles (Bayonne, BAB, Agglo, Eurocité) - et le territoire comme marqueur spatial d’une identité, ne font pas du Pays Basque une ville diffuse (DELORME L., 200157 ), à la différence des territoires du Veneto (INDOVINA, 199358), ou par certains aspects au territoire du Brabant (GROSJEAN B. 201059 ). En effet, à l’inverse de nombreuses régions, l’extension de l’urbain, souvent marqueur de dérèglement identitaire, a permis l’intégration de l’ensemble du Pays Basque au sein d’un même territoire.

Delorme L., La ville 57 émergente en Pays Basque, Eléments de réflexion pour aborder la conurbation littorale,12p., 2001

La diffusion de la zone urbaine du littoral vers l’intérieur des terres a réduit le clivage entre la côte, urbaine et balnéaire, et la zone pyrénéenne enclavée du Pays basque, rurale et économiquement faible.

Indovina F., La città 58 diffusa (a cura di), «Quaderno Daest» n. 1, IUAV, Venezia, 1990 59

Grosjean B., op.cit.


2.5 KM

PASAN

A63

IRUN

HONDARRABIA

HENDAYE

SAINT JEAN DE LUZ

OCEAN ATLANTIQUE GUETARY

ARCANGUES

AHOTZE

ARBONNE

ITXASSOU

HASPARREN

A64

SAINT JEAN PIED DE PORT

CAMBO-LES-BAINS

FRANCE

ESPELETTE

USTARITZ

MOUGUERRE

BRISCOUS

PAU

URT

L’Adour

BORDEAUX

AXE AUTOROUTIER

AXE ROUTIER

CONURBATION EUROCITE

ST PIERRE IRUBE

AINOA

ESPAGNE

SARE

SAINT PEE/NIVELLE

BIDART

BIARRITZ

ANGLET

BAYONNE

BOUCAU

VILLE

67

VITTORIA-GATTEZ

BILBAO

SAN SEBASTIAN

0

N

LA CÔTE BASQUE : UNE CONURBATION TRANSFRONTALIERE

La Nive


68

« Chaque entité spatialement distincte participe d’une système imbriquée » (DELORME, 2001, p.53) ; cette homogénéisation du territoire basque, tant dans les processus urbains, politiques et sociaux mises en places, se fait parce que chaque ville ou entité urbaine initialement définie et limité entretient des relations qui tiennent autant de la complémentarité que de la concurrence. L’espace urbain s’accroît mais leur cadre institutionnel ne change pas. Si l’on considère l’institution territoriale comme un ensemble d’éléments culturels, de conceptions partagées qui influencent les individus et leurs comportements par des contraintes informelles (NORTH, 1990), nous retrouvons dans les communes du Pays Basque, non pas une mise en place d’une gouvernance territoriale commune mais une reproduction du schéma urbain initial à l’échelle supérieure. Les communes s’agrandissent en formant des Communautés de communes, des Agglomérations de communes et continuent d’intégrer une logique autonome autour d’un espace urbain agrandi et défini. Nous pourrons citer en exemple l’organisation de l’agglomération littoral Bayonne-Anglet-Biarritz (BAB), organisée autour d’un axe structurant de même nom. De plus, l’effet hétérogène de la ville diffuse tient souvent à une fréquente juxtaposition de lieux « fermés », c’est-à-dire ne communiquant pas avec le milieu qui l’entoure. Les grosses fractures spatiales qu’engendre une addition de lieux/activités empêchent la continuité et font du territoire une mosaïque60 . L’effet dispersé du Pays Basque tient plus à une succession de lieux sans hiérarchie entre eux, donc ayant souvent la possibilité de s’imbriquer, mais additionnés au fur et à mesure par absence de structuration de l’espace. Le désordre local de chaque entité urbaine s’accumule et se constitue des types d’espaces qui ne communiquent plus.

60« Nuovi spazi senza nome », in Casabella, n°597-98, pp.7477, 1993


69

IV . 2 - Un territoire d’urbanisation dispersée Nous retrouvons plutôt dans cette dorsale urbaine basque transfrontalière et dans le reste du Pays, les grandes caractéristiques de l’urbain dispersé (BARATUCCI, 200661 ). Malgré un entremêlement fort d’activités différentes mises en tension par une maille routière serrée et axialisée par l’autoroute A63, cette zone urbaine n’est pas réellement dense. Sur une moyenne de 1550 habitants/km262 , la région oscille entre des zones quasi inoccupées (110 hab/km263) et des foyers de peuplement très dense au niveau de la côte comme Bayonne et Biarritz. La densité diminue au fur et à mesure que nous nous éloignons de la côte. Le développement urbain du Pays Basque n’a suivi que très peu le schéma classique de la ville-centre aspirant le territoire. Les communes, représentant des polarités initiales, se sont agrandies indépendamment d’autres tissus urbains constitués, non de façon concentrique mais orientée géographiquement le long de la côte atlantique afin de profiter de son potentiel économique. Ainsi en 2001, 70% de la population du Pays Basque vivait dans l’espace urbain.

61

Baratucci C., op.cit.

62 Agglomération Côte Basque-

Adour, Plan Local Habitat 20102015- Dossier de présentation, 2009 Agglomération bascolandaise (MED), AUDAP, 2010

63 64

Delorme, L., op.cit. p.57

Deux types de populations résident dans cette conurbation64 , terme émergeant dès les années 90 et dépassant l’échelle de la simple agglomération. Face au développement urbain du Pays Basque et à son attractivité, les enracinés (DELORME, 2001, p.6) pratiquent exclusivement la ville centre, soit Bayonne. Elle constitue pour eux la seule ville basque, par son identité et sa centralité fonctionnelle. Les autres villes sont vécues comme négatives, des excroissances de bourgs qui ont dénaturé la côte. Leur carte mentale, bien que réduite et limitée autour de la ville centre, ne comporte aucune zone d’ombre de ce micro-territoire, contribuant à la bonne intégration de cette population modeste ou aisée (FELONNEAU, 1997).


70

Un autre genre de population modifie le rapport au territoire de la côte basque : les héliotropes. Ils appartiennent majoritairement à une classe moyenne supérieure ou aisée, et sont extérieurs à la région. Leurs mobilités précédentes ont conditionné déménagements et mutations vers un lieu dont ils admirent le cadre de vie. Ici, l’identité basque passe après la douceur du climat et la proximité immédiate au territoire « naturel ». Propriétaires, ils habitent bien souvent à l’extérieur de l’agglomération Bayonne-Anglet-Biarritz, vers SaintJean-de-Luz ou dans le Sud des Landes et ne mentionnent le BAB qu’à travers le centre commercial BAB2 et leur emploi. Ils ont choisi de s’installer dans le Pays Basque pour profiter des nombreuses activités accessibles depuis leur logement ; plages, VTT, randonnées, ski, séjours touristiques en Espagne, ils ne fréquentent quasiment jamais le tissu urbain durant le week-end.

Fig. 27 La zone intermédiaire, un territoire d’urbanisation dispersée, Mabrut A., 2016

ZAC, lotissements, zones industrielles et commerciales, complexes balnéaires et bretelles d’autoroutes ont peu à peu rempli la zone côtière en excluant au fur et à mesure les parcelles agricoles du nouveau fonctionnement. Les espaces non construits sont vus selon leur localisation comme un potentiel foncier à investir ou comme un espace sans valeur à abandonner, devenant ces fameux non-lieux de la littérature urbanistique (AUGE, 200165 ). Cette vision du territoire se concentre au départ sur une simple fructification du potentiel économique du sol ce qui n’a pas permis de vision globale du Pays Basque, appuyé par la configuration initiale d’un Pays aux multiples territoires. En effet, le Pays Basque n’est pas un territoire homogène, malgré les revendications identitaire d’une région commune et réunie. Trois zones géographiques composent le Pays Basque français : le Labourd (la côte), la Basse Navarre et la Soule. Autant du côté espagnol. Cette croissance empêche de concentrer les activités puisque chacun tente de trouver la meilleure configuration territoriale pour implanter son projet de grande ampleur et consommateur de foncier devenant rare sur l’agglomération côtière. Inconsciemment, un zonage se réalise et empêche d’autres activités de s’installer dans les interstices. Autour, un décor résidentiel se retrouve attirée par la capacité d’emploi que représentent ces nouvelles zones. 65« Augé M., op.cit.


2.5 KM

PASAN

A63

IRUN

HONDARRABIA

HENDAYE

SAINT JEAN DE LUZ

OCEAN ATLANTIQUE GUETARY

ARCANGUES

AHOTZE

ARBONNE

HASPARREN

SAINT JEAN PIED DE PORT

CAMBO-LES-BAINS

FRANCE

ESPELETTE

USTARITZ

URT

PAU A64

BRISCOUS MOUGUERRE

ITXASSOU

ST PIERRE IRUBE

AINOA

ESPAGNE

SARE

SAINT PEE/NIVELLE

BIDART

BIARRITZ

ANGLET

L’Adour

BORDEAUX

VECTEUR DE DISPERSION

AXE ROUTIER

COMMUNES EN DEVELOPPEMENT

BAYONNE

BOUCAU

VILLE

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VITTORIA-GATTEZ

BILBAO

SAN SEBASTIAN

0

N

LA ZONE INTERMEDIAIRE : UN TERRITOIRE D’URBANISATION DISPERSEE

La Nive 2 93 D R


72

Car un autre élément important de l’urbanisation dispersée est la relation de dépendance qui s’installe entre ces zones à travers l’employabilité du territoire, doublant ainsi la mise en tension dû au réseau de communication. L’employabilité du Pays Basque attire une population et structure donc la région par des pratiques sociales qui transforment l’aménagement du territoire. Parcours résidentiels, trajets pendulaires domicile-travail, et croisement de populations aux loisirs différents vont structurer les villes par le flux qu’ils engendrent. La conséquence de ces phénomènes sociaux est un enchevêtrement des rapports au territoire et de ses centralités d’origine qui se voient multipliées et éclatées à l’échelle d’un espace géographique et temporel beaucoup plus étendu (DELORME, 2001).

UNE DIVERSITÉ DE PRATIQUES SPORTIVES

Capbreton

Pouillon St Martinde-Seignanx

Anglet Biarritz

Hendaye

St-Jeande-Luz

Fig. 28 taux de croissance annuel moyen de la population AUDAP., 2015

Montfort en Chalosse

Dax St Vincent de Tyrosse

Amou

Peyrehorade

Fig. 29 Comprendre le territoire basque par d’autres interactions sociales : les pratiques sportives AUDAP., 2015

Bayonne Salies-deBéarn

Bidache Ustaritz

La BastideHasparren Clairence

Orthez Arthez-deBéarn

Sauveterrede-Béarn

Espelette Navarrenx

St-Palais Iholdy

Basketball Football

MauléonLicharre

St-Etiennede-Baigorry

OloronSte-Marie

St-JeanPied-de-Port TardetsSorholus

Golf Handball

Lasseube

Aramits Arudy

Pelote basque Rugby Sports de contact Tennis Plusieurs pratiques sportives

Laruns

Autre sport Pays Basque Source : IGN-BD TOPO ; Ministère des Sports, 2011

0

LES PRATIQUES SPORTIVES LES PLUS POPULAIRES DU PAYS BASQUE �our déterminer les pra�ques spor�ves les plus populaires, le recense-

25 km

Agence d’urbanisme Atlantique & Pyrénées, 2015

Fig. 30 L’urbanisation dispersée : une origine urbaine et constituante d’un territoire. Mabrut A., 2016


NOUVEAUX LOTISSEMENTS ET ZONE COMMERCIALE EN LIMITE DE COMMUNE

TERRES AGRICOLES ESPACE BOISE PROTEGE LIMITE CONSTRUCTIVE

RESERVE FONCIERE DU VILLAGE EN VUE DE SA CROISSANCE

73

RAPPROCHEMENT AVEC UN AUTRE NOYAU URBAIN


74

IV . 3 - Un territoire fractionné, un entre-deux émergeant Entre une côte particulièrement urbanisée, à l’Ouest, et un intérieur très rural au Sud, se trouve une zone intermédiaire en pleine mutation territoriale, sociale et économique, qui relie peu à peu deux univers différents. La croissance de ces dix dernières années se concentre surtout dans les espaces de cette zone intermédiaire ; la population a augmenté de 22% entre 1999 et 2010 particulièrement dans les communes longeant les grands axes routiers comme l’A63, l’A64 et la route de Cambo-les-Bains, contre 7% au cœur de l’agglomération. Les petites villes entre 5 000 et 10 000 habitants sont les plus touchées par ce solde positif. Il nous faut rappeler ici que ce développement n’est pas la seule conséquence d’une attractivité du territoire mais bien d’une volonté générale de considérer cette zone comme une entité à part entière et non comme vu jusqu’au début des années 1990 comme le potentiel foncier de la zone côtière et le potentiel agricole de la zone intérieure. En 1992, face à la fracture toujours plus grande entre le littoral et l‘intérieur, se développe une stratégie de réciprocité et de maillage du Pays basque pour connecter ces deux entités. Se crée une « zone intermédiaire », officialisée par le programme Pays Basque 2010. Ce projet de d’aménagement et de développement du Pays Basque (1994-1997) prend en compte l’ensemble du territoire ainsi que les relations avec les régions voisines béarnaises (Pau à l’Est), landaises (Nord) et espagnoles (Sud). La zone intermédiaire devient le lieu des primo-arrivants, les ménages avec enfants quittent l’agglomération Bayonne-AngletBiarritz pour aller s’installer à Saint-Martin-le-Seignanx, Bidache ou Cambo-les-Bains. Le lotissement des anciennes terres agricoles s’accentue autour des centres bourgs par mitage ou promotion immobilière vantant les bienfaits d’une campagne à « deux pas des aménités de la ville » (ImmoGroup). Cette zone est majoritairement peuplée par des gens originaires du Pays Basque devenus mobiles par obligation du fait de


75

l’augmentation des prix de l’immobilier au sein du BAB mais qui ont une pratique restreinte du territoire. L. Delorme les nomme « les desserrés ». Pour eux, la ville s’inscrit dans le BAB et toutes leurs attentes sont satisfaites par ce qu’il contient. L’espace environnant ne leur est que très peu familier, non parce que l’accession d’une maison individuelle engendre des travaux de week-end, la nidification de l’habitat se retrouve tout aussi bien en tissu urbain dense qu’en zone rurale, mais parce qu’ils n’ont pas choisi cet endroit pour sa géographie mais pour son identité. Nous oublions bien souvent le caractère identitaire et l’attachement au lieu lorsque nous évoquons les zones pavillonnaires. Bien souvent, se sont des personnes natives de l’endroit qui veulent continuer à habiter dans le même périmètre mental que celui de leur enfance. Particulièrement dans ces zones anciennement rurales où les familles restaient attachées à une ville ou à un village, les primo-accédants issus de cette mémoire collective du lieu préfère retrouver les mêmes comportements quotidiens (lieux, habitudes, relations sociales) dans un logement qui correspond à leurs attentes car situé, inscrit dans une géométrie de parcours planifié et planifiable. Ainsi, les desserrés n’habitent pas le Pays Basque pour sa proximité à l’Océan, aux Pyrénées, et à l’Espagne, mais parce qu’il est le Pays Basque.

Félonneau M.L., 65 Lannegrand-Willems L., Becker M., « Spatialisation identitaire chez les adolescents et les jeunes adultes : le cas du Pays Basque français. », Les Cahiers Internationaux de Psychologie Sociale 4/2008 (Numéro 80) , p. 59-71 Loyer B., « Le Pays 66 Basque. Articulation entre territoire et identité », in Grande Europe, n°28, publ. Dans la documentation.francaise.fr le 12/01/2001

A l’heure de l’extrême mobilité géographique des populations, certaines disciplines comme la psychosociologie se posent la question des affiliations territoriales. L’homme s’affranchit-il de l’espace comme il est si souvent suggéré par les médias, où se replie t’il sur son identité ?66 Le terme d’identité est une « notion englobant les éléments partagés par un sujet avec les membres d’un groupe d’appartenance et permettant de l’identifier de l’extérieur » (LOYER, 200166 ). L’identité basque est bien un groupe identitaire et l’intégrer, c’est montrer aux personnes extérieures que le lieu d’où je viens fait partie intégrante de mon identité. En général, l’identité au lieu est d’autant plus structurée qu’elle concerne des espaces proches mettant en relation les notions d’identité et de proximité. En revanche, les personnes au Pays Basque sont d’abord attachées à la Région (comprenant les parties françaises et espagnoles du territoire basque), puis à leur ville et enfin à leur quartier.


76

Cette hiérarchie est très importante car elle conforte l’idée que le lieu dans lequel se trouve la maison individuelle est plus important que la maison elle-même. Or, de nombreuses études montrent que dans les zones d’urbanisations dispersées, l’attachement se concentre autour du foyer représentatif de la famille et de la sphère privée, érigeant le caractère individuel de l’habitat avec jardin comme le symbole de la vie familiale.

Fig. 31 Biarritz-Anglet-Bayonne ; une agglomération d’utilisations du territoire. Mabrut A., 2016

Ici, la maison s’inscrit dans une dimension plus grande. Pour les gens originaires du Pays Basque et qui s’y installent, la maison construite ou achetée n’est que le symbole de la famille nucléaire. Les week-ends sont généralement dédiés aux repas familiaux dans les villes ou villages d’origine, dans la maison des parents et grands-parents qui représente réellement le noyau familial. Schutz (1962-1966) rappelle que le lieu où nous vivons ne signifie rien en tant que concept géographique. Tout ce que nous considérerons autour de ce lieu sera une représentation mentale ou imaginaire. Pourtant, le lieu où nous vivons est significatif dans le processus identitaire, et particulièrement dans la région du Pays Basque. En effet, le lieu dans lequel vivent les desserrés leur permet d’appartenir encore à l’identité basque. Cette identité basque, très en vogue au début du XX° siècle via les définitions de l’idéologue du nationalisme basque Sabino Arana, est une identité plurielle. Elle se constitue tant par l’origine, par la pratique de la langue basque, que de l’espace géographique. Euskaldi, le nom basque de cette région, traduit à la fois le fait d’être basque, de parler basque, et de vivre au Pays Basque67 . La zone intermédiaire se peuple ainsi d’une population qui va générer de nouvelles façons d’appréhender la proximité et la centralité. L’augmentation de la population multiplie les effets de centralité et provoque deux réactions territoriales. D’une part une augmentation des zones commerciales très étendues et seulement joignables par les transports routiers et facilement accessible de la zone intermédiaire ; d’autre part la conservation des dynamiques de centralités de proximité dans les petites villes repeuplées de cet entre-deux du Pays Basque.

67 Rojo Hernandez S., « Le Pays Basque ; une région en quête d’identité », in Amnis, 2002


0

BIARRITZ

1 KM

6

D2

N

D

B

IRATY

0B D

UB A AEROPORT

10

D8

ANGLET

PINEDE DE CHIBERTA

BIARRITZ-ANGLET-BAYONNE : UNE AGGLOMERATION D’UTILISATIONS DU TERRITOIRE

BAB2

A63

ST PIERRE D’IRUBE

GD BASQUE

BAYONNE

PYRENEES ATLANTIQUES

IKEA

A63

MOUGUERRE

LANDES

PRATIQUE COMMERCIALE (grandes enseignes, supermarchés) DYNAMIQUE MARCHANDE (fret, industrie portuaire) CONNECTEUR ROUTIER

PRATIQUE RECREATIVE DE NATURE ATTRACTION DU PATRIMOINE («coeur de ville», centre historique)

77 2

A6 4

D932


78

IV . 4 - L’effet de centralité dans l’agglomération du BAB Dans le contexte du Pays Basque, L. Delorme définit la centralité comme la « convergence massive de déplacements d’un maximum de personnes sur un même point du territoire résultant de deux facteurs : la facilité d’accès et la position nodale du lieu, soit un point de passage obligatoire » (DELORME, p.10, 2001). Elle inscrit ainsi l’effet de centralité du point de vue de la mobilité, et montre l’importance du rapport au territoire dans ces lieux de forte intensité et densité temporaires. Nous ne retrouvons pas de communes centres leader d’une région comme nous pourrions le constater autour des métropoles nationales, mais la constitution d’un réseau de contextes urbains intégré dans un même territoire identitaire et géographique. Comme nous l’avons précédemment introduit, les polarités se multiplient et la centralité théorique éclate en trois pôles bien distincts : pouvoir et administration, commerces, emploi. Mais la « ville » reste la conurbation côtière, et particulièrement Bayonne, qui pour la plupart des basques, est le seul centre fonctionnel valable. Le terme de ville est ainsi identifié au BAB, qui représente trois communes aux spécificités particulières. Biarritz, station balnéaire du XIX°siècle met en avant son aspect branché autour d’évènements culturels. Bayonne représente la ville basque à la gastronomie renommée et aux ambiances médiévales des remparts : les évènements se tournent vers le terroir (Fête de Bayonne, Fête du Jambon). Quand à Anglet, c’est une histoire particulière qui fait le lieu entre deux centres déjà constitués. Dans les années 1950, Anglet est un gros bourg agricole entre Bayonne et Biarritz. Réserve foncière des deux communes, elle se retrouve au premier plan lorsqu’il faut penser la localisation des premiers hypermarchés en 1970. Le développement urbain suivant l’élément géographique fort, le littoral, Biarritz et Bayonne s’étendent sur le foncier d’Anglet, en récupérant peu à peu les parcelles agricoles abandonnées par l’augmentation des activités


79

tertiaires. Anglet devient très vite une ville « banlieue de deux autres à l’identité plus forte 68».

Fig. 32 Anglet : la nouvelle attraction immobilière de l’agglomération Wikipédia, 2015

Puis la commune se structure, non pas autour d’une centralité forte, mais par la fédération de quartiers de lotissement autour d’un élément commun, le centre commercial BAB2 maintenant au centre de l’agglomération. Un développement linéaire s’ensuit le long de la RN10, et qui constituait déjà pour le Maire en 2006 la centralité fonctionnelle d’Anglet. « Lieu de vie » et non pas « centreville » qui renvoie à un terme trop historique, la commune a intégré une partie de l’Université de Pau et des Pays de l’Adour avec ses logements étudiants, un nouveau centre commercial « Cœur de ville » et un ensemble de projets d’immeubles de standing soutenus par de grands groupes immobiliers pour former une façade urbaine à cette nationale en passe de devenir un véritable boulevard urbain à la française. Cependant, l’extension rapide de l’agglomération a entraîné une difficulté de circulation pour les personnes extérieures, renvoyant au système de centralité économique d’attraction-répulsion : les activités n’étant plus accessibles, elles se délocalisent en périphérie. A la mobilité, nous couplerons cette idée avec l’activité commerciale qui est un des effets de centralité les plus visibles et les plus importants pour la population.

« Anglet, la quête d’un centre 68 », in Libération, 27/03/2006

69 Voisin J.P. Le commerce, faut-il laisser faire ?, in jpvoisin. over-blog.com

La configuration de la côte et son développement urbain permet une interface maritime (côte Ouest) et terrestre (frange Est en relation avec la zone intermédiaire) pour chaque commune. Malgré la structuration en agglomération, une absence de cohérence s’installe entre des communes qui favorisent la concurrence au détriment de la complémentarité. En effet, chaque commune, et en amont chaque élu local, soutient un projet commercial qu’il voit comme une opportunité pour son territoire. Or l’indépendance des projets commerciaux et la logique une commune/un projet marque une surenchère entre territoires, « chacun défendant légitimement le projet qui lui paraît bon pour ses concitoyens », remarque le président de l’agglomération Côte Basque-Adour69.


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L’Agence d’Urbanisme Adour Pyrénées a réalisé une étude sur les « potentiels de réinvestissement » des zones commerciales, retrouvant ici le travail de Clémentine Lescanne sur les paysages interstitiels70 . Cette étude permet de rappeler l’importance de la mise en relation entre l’implantation d’entreprises et l’offre foncière et immobilière. Cette caractéristique majeure a influencé les grandes enseignes à sortir des villes centres afin d’obtenir un plancher commercial ou de services plus grand et à moindre coût. C’est aussi ce qu’il se passe dans les territoires d’urbanisation dispersée au cadre de vie à forte valeur ajoutée comme l’agglomération paloise, qui repousse sans logique d’aménagement, les activités commerciales et industrielles en limite communale, principalement le long de grandes infrastructures routières, permettant ainsi l’optimisation de cette route et la publicité voulue par les enseignes. Ce processus d’urbanisation opère cependant de grandes fractures dans le territoire, limitant sa porosité et augmentant son zonage entre pôle de production/activité, et pôle habitat. Dans le SCoT 2012, de nombreuses dérogations ont été accordé aux porteurs de projets (les investisseurs privés), autorisant la construction de centres commerciaux d’une superficie supérieure à 1000m2 de surface de vente mais sans vision globale du territoire. Ainsi, sont en cours plusieurs projets validés par la Commission Départementale d’Aménagement Commercial (CDAC) avant même qu’un document d’urbanisme commercial soit établi71. Le cœur de ville à Anglet, le centre commercial Ikea Ametzondo à Bayonne, le village d’Iraty à Biarritz, trois communes structurée en agglomération et possédant déjà un centre commercial Carrefour, le BAB2 à Anglet. En périphérie de Biarritz et Bayonne lors de sa construction en 1970, le BAB2 se retrouve aujourd’hui en plein centre de l’agglomération, sur une commune extrêmement dynamique. D’autres projets de même ampleur sont en route à Ondres, commune landaise frontalière des Pyrénées Atlantiques avec les Allées Shopping, justifié par la fracture que représente l’Adour, frontière naturelle que les consommateurs franchissent difficilement. Pour prendre un exemple, l’offre commerciale de la côte Basque est supérieure à l’agglomération de Strasbourg, trois fois plus peuplée72.

70 Lescanne C., « Le paysage interstitiel:une ressource pour considérer les formes de la ville contemporaine, le cas palois », projet de fin d’Etudes – Ecole nationale supérieur d’architecture et de paysage de Bordeaux, Juillet 2014 71 Voisin J.P., Commerces : la prudence du SCOT in jpvoisin. over-blog.com 72 Mailharin P., « Projet Ikea, les commerçants de Bayonne réagissent », in Le journal du Pays Basque, 06/04/2011


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Il est aussi intéressant d’observer les noms de ces futures zones commerciales, et l’espérance qu’elles engendrent dans les discours des élus locaux. A la manière de l’équipement griffé d’un architecte de renom, la présence d’une marque célèbre juxtaposée à une offre de restauration semble pour eux une solution efficace à la construction du « lieu de vie ». De la future zone Ikea Ametzondo, l’ancien Maire de Bayonne et président de l’Agglomération BAB Jean Grenet y voit une influence positive « sur le dynamisme économique de l’agglomération, ainsi que sur son statut de métropole régionale. L’image du territoire sera valorisée par le caractère novateur de cet ensemble commercial avec des retombées positives pour (la région), y compris le centre-ville de Bayonne73». Pour mieux comprendre la conception de ces zones commerciales à haute ambition d’intensité urbaine, nous allons prendre l’actuelle construction du centre commercial Ikea Ametzondo, aux portes de Bayonne et de l’agglomération.

73 Grenet J. Dossier de presse Inter Ikea Centre Group, in iicg.fr, décembre 2013

74 Vanoverberke S., Dossier de presse Inter Ikea Centre Group, in iicg.fr, décembre 75 Définition CAPP cité par l’AUDAP, in « Renouvellement urbain en zone d’activités

C’est tout d’abord l’engouement des collectivités locales pour ce projet d’Inter Ikea Centre Group qui lui a permis de voir le jour. Nouvelle vitrine de la région, cette zone commerciale contribue à agrandir l’aire de chalandise de l’agglomération, à un rayon d’une heure autour de l’aire urbaine. Cette heure symbolique reprend la stratégie Ikea : un magasin accessible en mois d’une heure pour tout le monde74. En effet, les magasins Ikea ont besoin d’un cadre et d’envergure de projet pour s’implanter, à l’instar d’autres locomotives commerciales très présentes dans ces complexes commerciaux. Pour Ametzondo, 250M€ ont été investis pour une surface totale de vente de 57 000m2. Pour la CAPP, une zone d’activité économique est « un secteur géographique ayant une vocation économique manifeste (en terme d’usage comme en terme de sol) et exclusive (absence d’autres types d’occupation comme l’habitat) sur trois hectares minimum75». Il est déjà dans la définition un paradoxe entre l’idée volontaire de réaffirmer des pôles de centralité dans le territoire et de dissocier les pôles marchands et de production des autres types d’utilisation du sol.


82

Huit millions de visiteurs seront attendus chaque année dans «une ambiance family friendly et de conscience environnementale76» . Les bases sont posées autour de cette phrase anodine du dossier de presse. La consommation sera familiale et durable, souhait très cher aux magasins Ikea, qui continuera d’impacter les ambiances du forum commercial attenant et comprenant un hypermarché Carrefour, 12 moyennes surfaces commerciales et 80 boutiques. Le magasin Ikea renvoie à un symbole, une forme de consommation basée sur l’échange et l’interaction qui fait dans ce cas effet de centralité. « Aller à Ikea » c’est avoir le sentiment d’appartenir à un groupe d’individus, c’est un moyen d’identifier son achat comme un trait de sa personnalité. La constitution de l’identité se fait dans l’interaction avec les autres dans un espace donné (KRUPART, 1983, NEISSER, 1988). Les mises en scènes de l’exposition renvoie à un idéal familial du lieu, scénarisé par un mobilier adéquat : cuisines, séjours, chambres se succèdent et les consommateurs se prennent au jeu de devenir la personne idéalisée du magasin. L’on s’accoude aux bars, l’on s’assoit près de la célèbre bibliothèque débordante de livres pour attendre les retardataires, l’on admire les tableaux comme si nous étions invités chez quelqu’un et que ce dernier nous faisait le tour du propriétaire. La deuxième partie du magasin offre la possibilité de devenir idéal par l’achat. Mais autour de cette scénarisation gravite une autre stratégie, celle de la confrontation directe avec l’individu. Tout au long du parcours, le consommateur voit d’autres sujets se mettre en scène comme lui. Autour, l’accueil pour enfants et le pôle restauration participe à l’observation des individus. Sans se rendre compte réellement, nous sommes sensibles aux gestes des gens alentours puisqu’ils sont dans notre sphère d’appropriation spatiale. Dans tout autre magasin, les cheminements ne sont pas analysés directement mais ici le « sens de visite » oblige le consommateur à analyser le parcours d’un autre, à l’envers, puisqu’il s’oppose à la co-construction d’une foule tendant vers un objectif commun. Le conflit qu’il engendre dans cet espace voulu commun, n’est pas sans rappeler certaines utilisations marginales de l’espace public et le regard de l’autre qui en découle.

Fig. 33 Stand Ikea, Identité Marketing ? ikea Ametzondo

76 Dossier de presse Inter Ikea Centre Group, in iicg.fr, décembre 2013


«

Klépierre est une société d’investissement immobilier cotée (SIIC) spécialisée dans l’immobilier commercial. Elle développe également une activité de prestations de services pour compte de tiers. Les revenus locatifs par type d’actifs se répartissent comme suit : Centres commerciaux (93,5 %) : 261 centres commerciaux, situés dans 13 pays d’Europe continentale, détenus à fin 2012. En outre, le groupe développe une activité de gestion locative et gère, par le biais de ses filiales, 333 centres commerciaux ; Immeubles de bureaux (2 %) : détention d’immeubles haut de gamme situés essentiellement à Paris et en région parisienne ; Commerces (4,5 %) : actifs situés en France, via sa filiale cotée, Klémurs. À fin 2012, la valeur du patrimoine du groupe, d’une surface totale de 7 349 766 m2, s’élève à 16,4 milliards d’euros répartis entre centres commerciaux (94,4 %), bureaux (2 %) et commerces (3,6 %).

«

(Wikipédia, 01/01/2016)

77 De Monicault F., Martin JO., EDF sort du CAC 40 et cède sa place à Klépierre, in Le Figaro, paru le 08/12/2015

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L’importance du magasin Ikea comme symbole d’un mode de vie nous permet de poser la question de la centralité. Evidemment, nous excluons tout effet de centralité non concomitant à la centralité commerciale. Encore faut-il être sûr qu’un groupe de distribution ne puisse représenter le pouvoir. Lorsque nous apprenons que le groupe EDF-GDF vient d’être remplacé par le groupe Klépierre77 (spécialisé dans la construction de complexes commerciaux) au CAC40, il est possible d’en douter. Nous ne pouvons parler non plus d’une centralité multifonctionnelle, car comme nous l’avions expliqué dans le chapitre sur la centralité urbaine, le centre se doit d’être complexe et diversifié, symbole d’une multitude, caractéristique nécessaire à la naissance d’une société. Puisque toutes les personnes viennent à Ametzondo dans un seul but de consommer, nous ne pouvons parler de centralité urbaine.

Fig. 34 Le projet InterIkea : Une nouvelle vitrine pour l’A63 Dossier de presse InterIkea


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Pourtant, Inter Ikea Centre Group concourt à cet effet de centralité urbaine ; le dossier de presse indique un magasin à « quelques minutes seulement du centre-ville de Bayonne », sans définir le mode de transport, premier élément de raccordement des lieux entre ces zones d’urbanisations dispersées. En réalité, il faut 45 minutes pour rejoindre à pied le pôle Ametzondo en partant du centre-ville. Trente minutes seront nécessaires en transport en commun mais aucune intégration directe dans le pôle n’a encore été envisagée. La piste cyclable est intégré théoriquement au projet soutenu par la SMAZA, la Société d’Economie Mixte d’Ametzondo, mais se sera aux services de voierie de s’occuper de sa mise en place et maintenance. Il nous reste la voiture, où dans ce cas 10 minutes suffisent en dehors des périodes denses de circulation78 . Un partenariat et une complémentarité avec le tissu voisin avaient été exigés aux prémisses du projet, lors de l’achat des terrains par le groupe Ikea en 2007. Au fur et à mesure des années, il s’est avéré que cette complémentarité était en réalité une stratégie d’enseignes, en privilégiant des marques internationales pour asseoir l’aire de chalandise et laisser au centre-ville le monopole du petit commerce. Ce que dénonce l’Union des commerçants et artisans bayonnais, qui représente 2000 emplois et voit la zone Ametzondo comme un arrêt de mort du centre de Bayonne. Cette absence de diversité dans les possibilités de consommation est un frein à l’émergence d’un lieu à fort effet de centralité. De plus, l’Homme se retrouve sans repères, dans le mimétisme des choix stratégiques des enseignes, la volonté de similarité des lieux pour ne pas bouleverser le consommateur, le célèbre concept du magasin. Cet espace doit renvoyer à un lieu familier marqué par une dimension affective (MAFFESOLI, 1998) mais il n’est en réalité sans aucune source d’identité puisque tout le monde s’y associe. Le champ lexical des zones commerciales reprend très fortement des lieux symboliques à haute intensité sociale : le village commercial (Allées Shopping à Ondres (40)), le forum commercial (IKEA Bayonne (64)), le centre commercial de proximité (BAB2). La zone commerciale Ikea Ametzondo se définit sous la forme du forum.

78 Données personnelles de terrain, Octobre 2015


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L’utilisation du terme « forum » n’est pas innocent dans une représentation de l’aire commerciale comme centralité. Il renvoie à la place romaine, centre de la vie politique, culturelle et religieuse des cités romaines. Ce pôle ne souhaite pas faire dominer la dimension marchande, mais bien la signification collective qu’elle va engendrer79, devenant un territoire commun de rencontre où la résidence n’est pas une condition pour se sentir chez soi. La campagne publicitaire pour l’ouverture d’Ikea le 26 Août dernier illustre ce dépassement de la valeur marchande. Très au point dans l’intégration des Ikéa dans un univers familier, les publicités renvoient presque toujours à l’univers collectif. Les panneaux 4x3 jouaient ici sur la dimension identitaire du Pays Basque pour promouvoir l’ouverture imminente. Aucune marque visible de la marque à l’exception d’ « Ikea Bayonne Ametzondo » en bas de l’affiche, le cadre blanc mettant en valeur des phrases d’accroche appartenant au jargon rugbyman comme « Vous allez bientôt tout transformer », « Ici, pas de demi-ouverture », etc., le tout souligné par « Coup d’envoi le 26 Août ». Mais la volonté de s’inscrire dans une identité régionale, particulièrement présente dans le Pays Basque, n’oriente pas l’architecture du lieu. Premier magasin Ikea à être totalement intégré dans un pôle commercial régional, il faut dépasser le cadre architectural basque pour donner à rêver. Ces 12,6 hectares dédiés à la vente seront « mises en valeur par une architecture moderne et fonctionnelle au service de l’achat plaisir pour toute la famille ». C’est un parallélépipède en tôle bleu et jaune qui l’architecture contemporaine. Lorsque les élus locaux parlent de vitrine, ils n’ont qu’à observer l’implantation de la zone pour trouver cette métaphore.

Es Samri J., « Crise de 79 la centralité », in Airs de Paris, forum de discussion (Centre Pompidou), post. 21/06/2007

En effet, la zone Ametzondo se trouve à l’une des quatre portes de l’agglomération, Bayonne Mousserolles, le long de l’autoroute A63 (direction San Sebastian) et l’A64 (direction Pau). L’A63 peut être de plus en plus considérée comme la rocade de l’agglomération du BAB, une voie métropolitaine qu’il faut valoriser pour la transformer en desserte connectée du territoire.


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Dans le programme Pays Basque 2020, l’A63 se meut en projet cardinal et appui d’aménagement dans la mise en place d’activités à haut niveau de visibilité sociale : site universitaire, activités de haute technologie, centralités de marchés régulant les échanges économiques. Alors que l’agglomération s’est orientée vers le littoral durant tout le XXème siècle, voilà que le développement urbain renverse la tendance réintégrant l’agglomération au territoire entier du Pays Basque. Il ne faut plus penser l’implantation des activités en périphérie du tissu urbain, mais à l’intérieur d’un tissu territorial et identitaire. Ces nouveaux pôles d’intensité comme les définirait la boussole interne Tratu80 du programme Pays Basque 2020 deviennent des pôles de la métropole en réseau comprenant le BAB, Saint-Jeande-Luz, Hendaye-Irun et jusqu’à San Sebastian. Il est intéressant de remarquer que ce n’est qu’à ce moment des recherches que nous sommes entrés en contact avec la notion d’habitat. Comme si ce territoire s’organisait pour améliorer le confort d’habitants ne gravitant pas dans son rayon d’action. Plateforme déconnectée de l’espace urbain, le principe d’organisation s’apparente à un système en « hubs and spoke81» , fondé sur des axes de transports rapides et des plateformes situées à proximité de gares multimodales ou d’échangeurs périurbains comme c’est le cas ici. L’effet tunnel que l’on observe généralement dans cette organisation se retrouve dans le rapport à l’espace public. Nous passons de la sphère privée du logement à l’espace privé de consommation grâce à la voiture, détachement de la sphère privée, sans aucun contact avec l’espace public, espace de confrontation. La dispersion du tissu urbain augmente son zonage, et la création de « lieux de ville » non reliés à la ville même ni à l’habitat est déjà intégrée pour les populations de l’urbanisation dispersée. Le forum Ikea Ametzondo se situe sur trois communes, Bayonne, Saint Pierre d’Irube et Mouguerre. Ces deux dernières communes comportent deux zones de lotissements à proximité géographique de la zone, mais sans aucune mise en relation. Pourtant, par son implantation, le centre commercial a un effet indirect sur le patrimoine particulier immobilier puisqu’il le place en zones

80 Acadie, Dessine moi le pays basque de demain, rapport du programme Pays Basque 2020, octobre 2010 81 Litté. en anglais : Moyeux et rayons.


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péri-commerciales, donc exposé aux bruits et pollutions. Les réactions véhémentes des riverains sur la zone Ametzondo ne touchaient pas l’intégration d’un lieu commercial à l’habitat, ou à un équipement ; ils s’inquiétaient quand à la sécurité de l’école et du collège situés à proximité concernant l’augmentation du trafic82, et dénonçaient la puissance des investisseurs privés pour orienter leur localisation (rappelant les dérogations accordées pour différentes zones commerciales non prévues dans le SCOT Basque-Adour). Les communes de Saint Pierre d’Irube et de Mouguerre savent que la zone Ikea Ametzondo va permettre une augmentation de leur population. L’accessibilité à la consommation et la proximité routière avec la bretelle d’autoroute est une place de choix pour

83 AUDAP, PLH Côte BasqueAdour, 2010-2015, 2009

les personnes souhaitant s’installer autour de l’agglomération. Le foncier encore bas, malgré une hausse du prix du m2 pourrait permettre à des ménages moyens de construire du logement individuel. Mais sur l’agglomération, c’est du logement collectif qui est construit à 74%83. Les groupes immobiliers se succèdent pour produire une forme d’habitat collectif standardisé et ne tarderont pas à investir sur ces communes lorsque la voie métropolitaine de l’A63 sera mise en place.

Fig. 35 Les quatre lettres jaunes sont posées, in SudOuest, Juillet 2015

Comment nommer alors cette intensité émanant de ces nouveaux lieux de confrontations ?

82 Forum de discussion en ligne de la commune de Mouguerre, mouguerrecadredevie.fr, 2009


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IV . 5 - La centralité comme structure de l’espace intermédiaire Comme nous l’avons décrit plus en amont, la zone intermédiaire est un territoire en mutation. En se raccordant avec la zone du littoral, la consommation foncière a explosé autour des centres bourgs constitués, avec l’arrivée d’une population pendulaire, cherchant résidence et emploi dans le Pays Basque. La diffusion de l’urbanisme principalement résidentiel va de pair avec l’accessibilité routière. La transformation en 2x2 voies de la RD932, route majeure de la zone intermédiaire, a entraîné une urbanisation conséquente de la vallée de la Nive jusqu’à Saint Jean Pied de Port à la frontière espagnole ; le diffuseur autoroutier à l’intérieur des terres a modifié aussi les environs de Bidache. Les communes de la zone intermédiaire appartiennent au bassin de vie dont l’agglomération BAB est le centre. Le bassin de vie basque est matérialisé par le document d’urbanisme du SCOT BayonneSud Landes. « Plus petit territoire sur lequel les habitants ont accès à la fois aux équipements et à l’emploi » (INSEE), il est une échelle pertinente pour questionner les effets de centralité à l’intérieur d’un pays. En 2010, 95 500 Ha regroupaient six intercommunalités, soit 212 000 personnes, pour 120 000 logements et 90 000 emplois, la plupart au cœur de l’agglomération du BAB. Le SCOT englobe et aborde ainsi les mobilités quotidiennes de la population (pour ce bassin de vie, environ 3,5 déplacements/jour/habitant84), rappelant la mise en tension entre mobilité et intensité pour former une centralité dans l’urbain dispersé. Le SCoT Bayonne-Sud Landes souhaite renforcer les centralités de relais et de proximité, car malgré les niveaux d’autorisations, certaines dérives ont transformé le territoire et le flux de mobilités concentré désormais à l’Ouest. Elle veut donc « développer », « restructurer », « améliorer » les pôles existants. Un maillage dense de centralités secondaires est déjà présent sur le territoire, souvent autour d’une offre alimentaire.

84

Données AUDAP, 2010


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Ces zones de chalandises sont entourées de quartiers d’habitation récents, résultat de la création de nombreux lotissements, mais qui ne sont pas du tout intégrés au pôle. Le pôle commercial, d’origine récente et sans constitution d’une représentation pour l’ensemble de la commune n’est pas pensé comme pouvant être relié au projet local. L’identité et la vision du territoire basque sont des éléments très importants dans l’existence politique du Pays Basque. C’est une zone riche et bien équipée qui n’a pas la nécessité de penser un territoire cohérent pour exister. De nombreuse politiques locales considèrent encore le Pays Basque comme une monade : chaque morceau du Pays Basque contient en lui tout le Pays Basque. Pourtant, sans aménagement et organisation commune, cette région risque de ne plus être un territoire « d’un seul tenant et sans enclave» à la manière d’un SCoT mais une succession de localités aux enjeux indépendants. Pour contrer ce phénomène d’indépendance des communes dispersées, le programme Pays Basque 2020 a mis l’accent sur les interdépendances et complémentarités de chaque entité du territoire. Deux « boussoles » sont mises en place, la Tratu et la Lauburu, sortes de stratégie de gouvernance, pour orienter les objectifs de l’ensemble du Pays Basque. La boussole externe Lauburu mêle interterritorialités, stratégies d’alliances et autonomie relative du Pays Basque, soit considérer la région dans un contexte plus grand (Eurocité, département des Pyrénées Atlantiques, Pays Basque franco-espagnol). Les points cardinaux de la boussole interne Tratu s’articule autour des notions de centralité, connectivité, ruralité et biens communs. Ces orientations donnent lieu à des pactes de même nom et à des intentions projecturales qui reprennent les idées majeures de la boussole. Le pacte de Centralité est la partie la plus complexe du programme. Synonyme d’une bonne santé urbaine et d’une attractivité, chaque collectivité locale veut sa centralité et chaque élu y met sa propre définition.


90

La centralité devient peu à peu une notion-poubelle, où il est plus facile d’employer un terme commun tout en déviant la définition selon les volontés de chacun. Ce pacte est la solution aux objectifs du programme de « rendre durable cette culture de la dispersion et de l’habitat individuel, le pacte incarne la stratégie de l’intensité, et passe par une politique volontariste en matière de mobilité qui multipliera les occasions d’implanter des lieux de vies et d’échanges85». Dans le terme de centralité, s’insèrent d’autres notions comme intensité, et mobilité. Ce pacte assure aussi une réflexion collective extra-communale du nouveau développement urbain à partir des centralités existantes (centres-bourgs) ou à venir et des nœuds de mobilité. Certains élus locaux des communes rurales pensent encore à une organisation du territoire autour de la ville/bourg afin d’éviter les déplacements pendulaires contraints, majoritaires dans la zone intermédiaire. Une trame discrète de centres urbains d’appui existe, à l’intérieur desquels se maintiennent des fonctions économiques, serviciels et identitaires. L’intérêt de penser le territoire commun n’est pas de tendre vers un principe d’intensité uniforme. Le programme définit trois types de centralités :

- les pôles de la métropole en réseau avec l’ambition d’augmenter la capacité résidentielle, le développement économique et les offres d’enseignement supérieur. - les polarités intermédiaires des petites villes du Pays Basque, appartenant à la zone intermédiaire, vues comme des « quartiers » de la métropole en réseau, à la fois autonomes et interdépendants. - la grappe de micro-centralités rurales, en étoile autour des bourgs de la zone intermédiaire et où se concentre la recherche sur les modes de vie innovants comme les éco-hameaux. Ce troisième type de centralité renvoie au deuxième pacte de la Tratu, le Pacte de ruralité.

85 Acadie, p.14, art.cit.


En réponse à la loi Voynet sur la mise en relation soutenable des espaces ruraux et des pôles urbains et au pacte rural pour l’égalité des territoires, ce pacte concentre sa réflexion sur l’arrivée massive d’une nouvelle population en milieu rural parallèlement au vieillissement de la population, ainsi qu’à la banalisation des formes d’habitat, la maison individuelle des constructeurs87. Face à ce constat, le Programme Pays Basque 2020 souhaite lutter contre la patrimonialisation du monde rural et son assignation écologique du point de vue des citadins et ainsi éviter le développement autarcique des campagnes. De cette réflexion sortent les notions de « pavillonnaire réinventé », de « jardin habité » et de « campagne hybride ». Concrètement, ces grandes théories urbaines s’appuient sur une nouvelle idée qui gravite entre la ruralité et la centralité ; c’est la notion de proximité.

«

«Evidemment le Pays Basque n’est pas une agglomération, il

91

faut

retenir

le

mot

Communauté. Et le cadre légal permet des ajustements qui se prêtent tout à fait aux différentes

singularités.

Si

1 _ Pavillonnaire actuel

l’on veut bien s’en donner la

«

peine»

«Acadie épingle Anglet», 86 in Mediabask, le 15/01/2015, faisant référence au non majoritaire de la commune d’Anglet à la création de l’EPCI Communauté Pays Basque

2 _ Principe de densification et diversification des zones pavillonaires

87 Legué P., « La maison individuelle, un idéal de vie ? », in Informations sociales, 2006, 130, pp.28-36 Fig. 36 D’autres urbanisations, le pavillonnaire réinventé, in Acadie, rapport de synthèse Pays Basque 2020: Dessine moi le Pays Basque de demain, Vanier M., 2010

3 _ Une adaptation au tissu : La Bastide Clairence


92

IV . 6 - La proximité : un effet de centralité Du latin proximus « très près », ce terme prend la définition de « parenté » à partir du XIVème siècle parlant du caractère de ce qui est proche dans la parenté. Il faut attendre le XVIème siècle pour revenir à la racine latine ; la proximité situe « une chose qui est à peu de distance d’une autre » (LE ROBERT, 198088), devenant un synonyme de contiguïté, voisinage. La proximité caractérise donc la ville, qui se veut une densité physique d’une population par rapport à une surface, et une densité morale avec le désir d’un partage de règles et de valeurs communes proches (DURKHEIM, 1893). D’un point de vue urbain, la proximité n’est pas un état mais un rapport entre acteurs et lieux (BELLET ET AL., 1998), qui se construit de façon dynamique (PECQUEUR, ZIMMERMAM, 2004). En résumé, la proximité est subjective (SHULTZ, 2013 ). Il est aussi un enjeu récent de la grande distribution pour pérenniser la relation avec le consommateur qui modifie ses habitudes de consommation. Depuis les années 2000, les stratégies individuelles se réajustent autour des centralités existantes et les dessertes collectives dans un but principalement économique. Le maillage territorial des distributeurs s’adapte et de nouvelles formes de vente apparaissent : drive, magasins dits de proximité (100-1000m2), moyennes surfaces. En 2012, 23 012 épiceries et magasins de proximité sont répertoriés en France, avec une augmentation de 3,6%/an. Ces magasins à taille humaine sont particulièrement présents dans les centres urbains et dans les zones rurales. Ils permettent « une personnalisation de la relation avec le magasin » (SHULTZ, p.34) et assurent un lien plus familial avec les consommateurs, mettant en avant des produits du terroir, des stands à la coupe (fromagerie, charcuterie), allant jusqu’à dissocier le magasin de proximité avec le groupe, faisant de la marque une franchise comme les Magasins U. Chaque groupe de distribution développe leur format de proximité et se diffuse selon leurs spécialisations.

88 Shultz M., dir., Filser M., Les représentations de la proximité d’un magasin par les distributeurs et les consommateurs. Une contribution à la stratégie de l’enseigne, CNRS Marketing, Université de Bourgogne, Décembre 2013


93

Carrefour est très présent dans les zones reculées et de montagne ave sa formule Carrefour Contact ou Carrefour Montagne, Casino restant le groupe le plus représentatif dans les formats de proximité avec 7000 magasins contre 3000 pour Carrefour. D’autres groupes comme Intermarché et Leclerc restent plus présent dans ces zones d’urbanisations dispersées en grande surface, à l’entrée des petites villes.

Fig. 37 L’architecture vernaculaire comme symbole de la proximité, Carrefour Montagne, Valloire, in justeacote.com

89 Rapport de présentation, partie 1 – PLU en vigueur de la commune d’Ustaritz

La stratégie du magasin de proximité renvoie tout d’abord à sa fonction utilitaire d’approvisionnement. C’est le « magasin solution », prétendant presque à un magasin spécialisé car il ne touche que l’ensemble des produits du quotidien, forme de magasin devenue rare. Mais dans ce contexte d’urbain mixte (MOS), il possède une fonction non-utilitaire de « socialisation du consommateur ». Les personnes fréquentant ce magasin se reconnaissent car la faible aire de chalandise du magasin touche un groupe de consommateurs restreints, et s’identifient comme appartenant au même groupe par leur proximité résidentielle. L’espace commercial n’appartient plus à la catégorie des non-lieux (AUGE, 2006) car l’espace de rencontre que crée le magasin devient une source d’identité résidentielle. Le magasin de proximité ne se pense pas seul : autour gravitent de nombreux services importants dans la constitution d’une centralité car participant à la diversité des utilisateurs. Poste, point relais pour retirer ses colis, tabac-presse, instituts de beauté, salons de coiffures, vente de producteurs locaux, permettent d’associer plusieurs « temps » et « types » de consommateurs, qui, par leur pratique de l’espace définira le caractère social du lieu. Pour mieux expliquer la centralité intermédiaire, nous prendrons l’exemple d’Ustaritz, une des villes du collier de communes reliées par la D932 de 6500 habitants (INSEE). Considérée comme une centralité portuaire, elle fait le lien entre la ville et le pays et balance entre deux polarités plus grandes, celle de la zone urbaine côtière au Nord, et la ville de Cambo-les-Bains au Sud. Ancienne capitale de la province basque du Labourd, elle apparaît comme une commune anciennement rurale en pleine mutation89. L’intégration à l’aire d’influence de l’agglomération du BAB conditionne son peuplement, le type d’habitat qui s’y développe et les flux de déplacements quotidiens.


94

Ustaritz appartient à la Communauté de communes d’Errobi, crée en 2006 (11 communes, 28 061Ha) ainsi qu’au SCoT de l’Agglomération Bayonne-Sud Landes. Dans le périmètre du SCoT, Ustaritz de trouve dans l’espace périurbain et constitue un pôle de proximité. Une nouvelle fois, il nous paraissait judicieux de s’attarder sur le fonctionnement de cette commune qui reprend d’un point de vue administratif l’ensemble de nos réflexions sur l’effet de centralité. C’est aussi une structure communale particulièrement intéressante puisqu’elle reprend le principe de la grappe de micro-centralités du pacte de centralité de la boussole interne Tratu, d’une étoile de hameaux consolidée autour d’un centre-bourg. Sa position centrale lui assure d’être un nœud obligatoire dans le flux hameauextérieur. Toutes les routes desservant les hameaux convergent vers ce centre qui va ensuite irriguer un flux de taille supérieure, vers des centralités d’un autre type. Cette position permet ainsi avant l’émergence d’un quelconque effet de centralité, une centralisation des flux et des personnes convergeant vers un point stratégique. C’est le rapport aux autres hameaux qui vaudra au bourg de se définir en tant que centre, et non pas sa localisation géographique. Ustaritz est un modèle de campagne hybride. Un réseau de quartiers forme trois ensembles urbains le long de la Nive, l’effet de centralité convergeant à l’intersection de ces dits « quartiers » . Trois quartiers fédèrent le centre-bourg : le bourg Suzon, quartier le plus ancien de la commune, le quartier Saint-Michel où se retrouve un développement commercial anarchique le long de la RD 932, le quartier pavillonnaire Hiribéhère, relié au bourg par la place centrale. Le quartier Herauritz au Nord s’est structuré par de petits lotissements autour d’un noyau bâti consolidé et d’une place composée où se tient le fronton. Le quartier Arrauntz est le quartier qui se situe au plus près de l’agglomération bayonnaise. Sur les traces d’un noyau urbain distinct d’Ustaritz à l’orgine, son développement urbain a explosé ces dernières années, formant une nappe pavillonnaire sur 4km, en bordure des axes de communication.

Fig. 38 Ustaritz : Une grappe de microcentralités adaptée à la structure dispersée, Mabrut A., 2016


USTARITZ :

95 2

UNE GRAPPE DE MICRO-CENTRALITES ADAPTEE À LA STRUCTURE DISPERSEE E NN YO BA

N

Z.A. DE PLANUYA

0

ARRAUNTZ

500 M

ECOLE PRIMAIRE CREST

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32

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ALZABALZAKO ERREKA

PLACE DU BOURG

KAPITO HAURI BOURG SUZON

SUPER U

ST

ETXEHASIA

BOIS COMMUNAL

JE

AN

«HAMEAUX» URBANISATION PAR JUXTAPOSITION DES PARCELLES PARCELLES AGRICOLES INONDABLES EFFET DE CENTRALITE CONFIRME (marchande, commerciale, patrimoniale, environnementale) PROJET D’EFFET DE CENTRALITE

PD

DE

PO

RT


96

Enfin, trois quartiers en devenir servent de réserve foncière de la ville (dont certaines dormantes depuis 1970, conformément au projet « Petite Ville », alternant bâti traditionnel (anciennes exploitations agricoles) et maisons individuelles contemporaines le long de la RD.350. Un quartier neuf au Sud-Ouest a vu le jour, Etxehasia. Dominé par la construction de maisons individuelles, Ustaritz a instauré des zones AU comme celle-ci pour répondre aux objectifs de densité et de mixité de l’habitat, inscrits dans la révision du PLU. La zone Haitze, en bordure du giratoire de Kapito Hauri, accueille aujourd’hui une entreprise de stockage de matériaux BTP. C’est un site majeur dans l’armature commerciale de la communauté de communes d’Errobi car elle représente pour les municipalités, et particulièrement celle d’Ustaritz, ce que nous pourrions considérer comme une entrée de ville. Elle désigne dans le jargon des politiques urbaines l’urbanisation qui se développe de part et d’autre des principales voies d’accès à la ville, conséquence des politiques d’aménagement du territoire et de l’évolution de nos modes de vie ces cinquante dernières années. Ces deux mouvements ont générés l’implantation à la périphérie des villes, le long des voies à grande circulation, d’installations consommatrices d’espace comme celles de la grande distribution, nécessitant souvent de vastes aires de stationnement dédié90 . A l’étroit dans les centres villes, elles offraient une moindre accessibilité par la voiture et se sont retrouvées la nouvelle image d’Epinal de la ville périurbaine. Le stockage de matériaux n’est donc pas valorisant pour les communes, qui souhaitent se démarquer de l’influence bayonnaise. L’idée de l’aménagement entre maintenant en jeu pour faire des zones commerciales un potentiel de centralité. Selon l’AID Observatoire, l’offre commerciale des centralités de proximité est de qualité, faisant ici référence inconsciemment à l’identité patrimoniale des centres-bourgs voulue dans les représentations mentales de la centralité. Le problème se pose dans les zones commerciales, détrônant régulièrement pour n’importe quel achat la centralité de proximité, elles ne répondent pas aux exigences d’aménagement que souhaiteraient le département et les riverains pour les qualifier de centralité. Cette absence de procédure d’aménagement global, tout voiture, pollution publicitaire, commence à être une question

Fig. 39 L’entrée d’Ustaritz, lieu de nouveaux enjeux politiques de la ville. Entrepôt DuhaldeBTP, duhaldebtp.com

Aucame, Les entrées 90 de ville ; une grille de lecture, coll. les Carnets de l’Aucame, octobre 2013


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épineuse pour l’agglomération, celle-ci comme beaucoup d’autres en France, car elles « desservent visuellement les entrées de villes». Les règles d’urbanisme et le mode d’aménagement des opérateurs ont contribué fortement à l’étalement urbain. Car rappelons ici que l’étalement urbain ne correspond pas seulement à l’augmentation des lotissements et maisons individuelles sur des parcelles anciennement agricoles, autour de noyaux urbains préexistants. Il prend en compte l’augmentation du réseau routier, des aires d’imperméabilisation des grandes zones commerciales et industrielles, et la ville compacte participe à ce processus d’imperméabilisation puisqu’il faut stocker les futurs besoins des populations des villes-centres à l’extérieur car il n’y a plus de place à l’intérieur. Un achat sur un site internet quelconque ramène à un transport par camion de la marchandise d’un lieu de stockage, un entrepôt entouré de grandes aires bitumés pour les besoins du fret routier, des zones identiques à celles que nous fréquentons, mais dont la consommation n’est pas directe. Afin de sédentariser les achats quotidiens des habitants d’Errobi, la commune d’Ustaritz a vendu au groupe de grande distribution E.Leclerc 11 135m2 sur la zone du Kapito Hauri afin d’y construire un centre commercial intermédiaire de 5 500m2, avec supermarché et galerie commerciale. Pourtant, Ustaritz possède déjà deux pôles commerciaux ; une grande partie des commerces est regroupée le long de la R.D.932 au niveau de l’échangeur, et forme un petit centre commercial autour de la moyenne surface alimentaire Super U. Mais la municipalité considère « l’armature commerciale (comme) relativement faible et fortement déséquilibrée sur le territoire communal » (PLU-RP, p.18). L’effet vitrine du Super U sur la route départementale ne correspond pas ou plus selon les élus locaux aux besoins que doit satisfaire une zone commerciale dans la communauté de communes. Cette nouvelle implantation pose la question de la visibilité dans l’effet de centralité. Ce positionnement permet de jouer sur l’effet vitrine de la route départementale, tout en restant ancré au centre d’Ustaritz » (PLU-RP, p.19). Cette volonté de promouvoir la dynamique commerciale au sein d’un territoire renvoie directement à la


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construction d’une centralité : bien souvent, l’échange commercial s’apparente dans les esprits à un espace de rencontre et peut prétendre à un lieu socialement important pour la commune. Il y a effectivement une part de vérité dans ce raccourci, mais les politiques périurbaines oublient bien souvent que la fonction ne suffit pas lorsqu’elle ne s’accompagne pas d’un quelconque aménagement de l’espace alentour, c’est-à-dire l’espace commun pour ce genre d’infrastructures où les besoins fonciers dépassent le cadre de l’implantation du bâtiment. L’artificialisation du sol à des fins de stationnement – « No parking, No business » – parfois supérieure à la surface de vente, ainsi que l’économie recherchée dans le projet (bâtiments RDC) empêchent de concevoir la zone comme un lieu de possible interaction sociale. Pourtant, des paradoxes s’installent ; alors que les centres commerciaux gigantesques des métropoles poussent à l’anonymat tout en favorisant la flânerie urbaine, les moyennes surfaces commerciales de ces zones d’urbanisation dispersée sont de véritables lieux de sociabilité de proximité. L’aire réduite d’influence du magasin assure sinon la connaissance, du moins la reconnaissance d’autres individus et participe ainsi à construire la proximité du lieu. Souvent le long de grands axes routiers, ils sont cependant desservis par un deuxième niveau d’infrastructures routières le reliant directement à la commune où le magasin est implanté. Ainsi la zone du Super U d’Ustaritz se trouve sur la RD932 mais elle est aussi accessible par une des rues principales de la commune, la Rue du Lavoir, amenant au centre du village. A l’inverse, la future zone E.Leclerc à l’entrée de la Communauté de communes, ne sera accessible qu’en voiture, déconnectée complètement du tissu urbain le plus proche. Nous n’approfondirons pas cette future zone commerciale puisque son accessibilité restreinte ne nous permet pas de la considérer comme une centralité. En revanche, la petite zone commerciale Super U se développe comme une centralité intermédiaire. Tout d’abord, le magasin ne se pense pas seul ; s’est aggloméré de nombreux autres services qui gravitent autour de la moyenne surface et le long de la RD932.

Fig. 40 La dimension commerçante du lieu : ou la création d’un effet de centralité par l’intégration au tissu. Mabrut A., 2016


LA DIMENSION COMMERCANTE DU LIEU

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OU LA CREATION D’UN EFFET DE CENTRALITE PAR L’INTEGRATION AU TISSU TERRES AGRICOLES DU BORD DE NIVE

RUE DU BOURG La rue principale conserve petits commerces, cafés et services administratifs

FRONTON Indissociable de la vie sociale basque, le fronton devient un enjeu urbain par son potentiel de transformation selon les évènements qu’il accueille.

RUE DU LAVOIR Reliant deux lieux à effet de centralité, elle montre l’importance de la communication des lieux de dynamique sociale par le réseau viaire.

RESTAURANT BANQUE ASSURANCE SUPERMARCHE U SALON DE BEAUTE STATION SERVICE La proximité de cette zone de services marchands avec le tissu résidentiel et son intégration dans le tissu viaire en fait un lieu.

PARKING MARCHE EGLISE ECHANGEUR RD932

Une liaison directe avec un axe de circulation plus important assure une aire d’influence supérieure à celle de la commune.

N

ENCLAVE AGRICOLE

86


100

Une station service, un coiffeur, un tabac presse, un salon de beauté se trouve de chaque côté de l’entrée du Super U, à la manière d’une coursive commerciale. De l’autre côté de la rue, un point livraison AMAP, un restaurant, une agence d’assurance, une banque Crédit Mutuel et un magasin d’informatique occupent de petits pavillons, versions agrandies de maisons individuelles. L’attention architecturale portée aux bâtiments commerciaux, le magasin U étant lui-même surmonté d’une toiture brique en shed, apporte une ambiance différente à la zone commerciale. Son positionnement stratégique se joue sur plusieurs échelles. A l’échelle du centre-bourg et de la centralité historique de la commune, la zone commerciale est désaxée vers l’Ouest et ne représente pas un carrefour d’axes structurants. Mais lorsque nous considérons la commune dans son ensemble, la zone se retrouve au centre du sol communal, sur l’axe desservant l’ensemble des hameaux. Cela renvoie au jeu des échelles que constitue la ville diffuse et nous rappelle que la perception du lieu est avant tout une représentation mentale en fonction des éléments pris en compte et de sa propre histoire. Cette zone possède aussi un arrêt de bus, ce qui la connecte à d’autres lieux à travers les transports en commun, continuité d’interactions au sein de la commune. L’ensemble de la zone commerciale et bordée de maisons individuelles visibles qui participent à l’intégration visuelle du lieu.

Fig. 41 Contre attaque des surfaces commerciales face à l’émergence de nouvelles utilisations du territoire, Super U, Ustaritz,Mabrut A., 2015


101

Malgré la recherche d’une certaine qualité et une certaine intégration de la zone, tout en lui insufflant une position centrale et visible, aucun aménagement de l’espace public n’a été conçu. Miroir de la politique d’une collectivité, l’aménagement de l’espace public est souvent partitionné. Dans les centres-bourgs, il devient la vitrine de l’action municipale et est suraménagé de mobilier urbain rendant inutilisable cet espace ; jardinières, potelets, poubelles, éclairage public sont autant d’obstacles qui empêchent de lire clairement l’espace praticable, élément essentiel dans la constitution d’un espace commun. La maîtrise foncière publique expose les communes au choix d’aménagements de promoteurs privés dont la logique économique repose sur la rentabilité d’une opération91. (Dé)laissés à l’aménageur sans exigences d’aménagements, ces espaces se retrouvent souvent abandonnés et mis à la marge du tissu urbain en « espaces verts », simplement tondus pour parfaire la visibilité de l’enseigne. « L’espace vert devient très vite un lieu dégradé à cause d’un défaut de conception, d’un manque de moyens au départ, et d’un manque de moyens pour l’entretenir » (DUBOST., 200192).

AUDAP, Comment 91 encourager une vie de quartier ou de village, Cahier thématique, 2010

92 Dubost F., « La nature en ville », in Aménagement paysager et approches durables, dir. Constans M., actes colloque 24-26 octobre 2001, Pau

Ici, c’est l’absence de planification au départ de l’opération qui n’engendre pas d’espace public. En effet, le magasin U tourne le dos aux autres services et empêche ainsi de mutualiser son aire de stationnement et de créer une place sinon publique, communale. Qu’entend-on par espace communal ? C’est un espace dont la gestion revient à la commune (après avoir été rétrocédé par les promoteurs privés) en vue d’une utilisation par les personnes résidentes ou utilisatrice du lieu. Le parking jouie d’une fonction communale au regard de la ville. Apprentissage du vélo, ou du roller, lieu de rendez-vous pour les covoiturages, parking municipal pour les personnes rendant visite aux habitants des maisons environnantes, il n’est pas seulement dédié au magasin, et ce car il est entouré par la ville, donc facilement utilisable pour d’autres activités, minimes soient-elles. Cela accentue l’importante différence d’une centralité au sein d’une urbanisation dispersée par rapport à une centralité urbaine : son inscription dans une temporalité précise.


102

En effet, au cours de la journée, cette zone n’est que peu fréquentée, la majorité des habitants de la Co.Com. d’Errobi travaillant sur l’agglomération du BAB. Elle commence à s’animer vers 17heures, à partir du moment où les gens rentrent chez eux, et se termine vers 20h, heure de fermeture du magasin U. Le restaurant ouvre plus tard mais ne possède pas de terrasse donc ne participe plus à une certaine intensité de la zone. En réponse à cette centralité temporaire, un deuxième effet de centralité se ressent au niveau de la centralité historique du centrebourg irriguant toute un axe de la commune et où s’implantent de nouvelles activités. Ce ne sont évidemment pas les mêmes qualités que l’on recherche dans une centralité de type commercial, visible depuis un axe routier majeur, facilement accessible par tous moyens de transports et organisé principalement autour de la consommation, et dans une centralité de type historique. Au centre du bourg, cette centralité s’organise autour de l’ancien centre religieux de la commune. Construite dans la seconde moitié du XIXème siècle de style néogothique sur un terrain plus proche du centre d’Ustaritz, elle est très vite encerclée autour de son parvis, de châteaux de même style, construits par des basques revenus des Amériques après avoir fait fortune. Les deux châteaux qui subsistent sont devenus la Mairie et le Centre culturel basque de la commune. Cet aménagement tardif n’empêche pas l’ensemble Eglise-MairieFronton, au centre de l’identité villageoise basque, de se constituer. Autour du centre culturel et de la commune et de l’Eglise se trouve la maternelle et l’école primaire accolé au Bilgune un complexe culturel de danse et théâtre basque, le centre de langue basque, la médiathèque et la place de marché hebdomadaire, aire de stationnement le reste du temps. Un square central articule tous ces éléments qui forment un ensemble connecté avec la Rue du Bourg, axe historique de l’ancien village et où se trouve la Mairie ainsi que le tissu dense. Par la description du lieu, nous comprenons que cette centralité assure les fonctions administratives et culturelles d’Ustaritz.

Fig. 42 La dimension culturelle du lieu Mabrut A., 2016


LA DIMENSION CULTURELLE DU LIEU

OU LEGITIMER UN CENTRE DE TYPE HISTORIQUE PAR UNE IDENTITE

TERRES AGRICOLES DU BORD DE NIVE

MAIRIE

S’adaptant à l’urbanisation en étoile, les fonctions administratives sont réparties entre le bourg et les hameaux.

RUE DU BOURG

La proximité de l’axe ancien asseoit la légitimité du lieu comme «centre-ville basque».

IKAS

Centre de ressources documentaires en euskara.

PARC DU CHÂTEAU LOTA

INSTITUT CULTUREL BASQUE

Le centre de la place consacre la culture basque

EGLISE ST VINCENT MEDIATHEQUE PARKING_MARCHE ECOLE PUBLIQUE

Structure de l’éducation nationale, l’école publique s’inscrit dans un régionalisme fort (offre bilingue)

FRONTON IKASTOLA

Ecole de statut associatif où l’enseignement se fait majoritairement en basque

SALLE DES FÊTES

N

ENCLAVE AGRICOLE

103

88


104

La mairie, lieu d’autorité, va de pair avec l’Eglise Saint Vincent, centre religieux et décisionnaire dans les villages basques jusqu’au début du XXème siècle, et encore très présent dans les habitudes. Les équipements culturels complètent la fonction du fronton, lieu de rassemblement et centre socialisant, il est encore un lieu utilisé très fréquemment par toutes les générations d’une commune, et est réquisitionné pour certains évènements car il ménage un espace non-construit au cœur des centres historiques, densément bâtis. Cette centralité de bourg est puissante, car elle fait appel à une « politique de la mémoire », politique urbaine qui vise le centre, géographique et historique comme le sommet de la hiérarchie spatiale, parfois fabriquant même une mémoire sociale, très utilisé dans le Pays Basque pour promouvoir son appartenance basque. Elle est puissante car elle dépasse la commune, et s’inscrit dans un territoire identitaire, le Pays Basque. L’importance du regard touristique dans les centres de villages se retrouve dans l’organisation de fêtes en l’honneur des pratiques d’avant. Au Pays Basque, ces fêtes confortent la vie rurale, l’architecture basque, le centre historique restant inconditionnellement le garant de la culture et couleur locale (Garat, 200593).

Fig. 43 Une voie pour tous rue du Bourg, nouvelles pratiques de l’espace public historique ? Mabrut A., 2015

L’on retient ça d’une centralité : son influence doit dépasser son environnement immédiat et être un repère dans le territoire. Repère géographique, culturel, et administratif, la centralité du bourg touche des échelles différentes de la centralité de type commercial du Super U. Elle symbolise la commune d’Ustaritz dans le territoire basque et participe à l’organisation générale de la commune, lieu de tension qui relie les différents hameaux par les fonctions qu’elle représente. La centralité du Super U s’intègre quand à elle dans les axes structurants du SCoT et de l’agglomération du BAB, lieu visible des déplacements pendulaires Nord-Sud le long de la Nive.

Garat I., « La fête et le 93 festival, éléments de promotion des espaces et représentation d’une société idéale », in Annales de géographie 2005/3 (n° 643), p. 265-284.


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Enfin, une troisième centralité est en train d’émerger à Ustaritz, favorisé par le développement de la ligne de tram-train de la Nive. Le SCoT, très impliqué dans ce projet, y voit une alternative aux modes de transports individuels et un point de départ au développement de nouveaux quartiers dans les différentes communes-stations. A Ustaritz, la gare se trouve de l’autre côté de la Nive, isolé de la trame urbaine. Plusieurs trains passent dans la journée, de 6h30 à 21h, en direction de Saint-Jean Pied de Port (Sud) ou Bayonne (Nord). Cette offre de transport est calculée tout d’abord pour fonctionner comme ramassage scolaire entre les communes de Bayonne et de Saint-Jean-Pied de Port vers les différents équipements scolaire du bassin de la Nive, soit Cambo-les-Bains et Bayonne. Elle met en avant la relation entre centralité et mobilité, puisque la possible mobilité même qui fera effet de centralité dans ce nouveau quartier.

Fig. 44 Le fronton, potentiel urbain de mutualisation de l’espace construit et non-construit Mabrut A., 2015

Des RDC commerciaux et animés profitent de la proximité du parking et d’un lieu de rassemblement.

Ustaritz est un exemple de la polycentralité naissante, encore peu valorisée par les différentes politiques locales, qui propose des effets rythmés de centralité adaptés aux modes de vie de cet espace intermédiaire.

Les immeubles du centre ancien peuvent concevoir cet espace comme une cour communale.

Les attaches au sol permettent d’accueillir les étals des marchés hebdomadaires, réintégrant l’idée du local.

La facilité de stationnement favorise le réinvestissement des centres anciens. Les gradins et le fronton, toile de fond de la place donne une possibilité sportive et culturelle au lieu.


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CONCLUSION

Les définitions de l’urbanisation dispersée sont variées et nombreuses sont les études qui tentent de synthétiser l’ensemble de la question scientifique sur ces territoires en devenir. On parvient cependant à la lecture de la production, à dégager deux types de définition. Une première considère l’urbanisation dispersée comme la croissance de l’urbain par phénomène de déconcentration des populations et des activités, cause et conséquence de l’étalement urbain, et quantifiable par rapport à un certain niveau de densité. Le territoire est observé à partir des qualités d’une ville. Une seconde, en revanche, par du postulat d’une troisième forme urbaine, sans aucune comparaison possible, et où les études doivent créer un certain nombre de curseurs afin d’étudier ces différents territoires entre eux, et non en opposition à une autre forme. Cette approche sort des paramètres globaux comme la population, les transports, l’influence du foncier, les aménités naturelles pour se concentrer sur les acteurs de cette urbanisation. L’enjeu de définir deux orientations pour questionner un même territoire est que ce processus n’est compris dans son intégralité qu’en reliant ces deux définitions et approches, donc qu’il est pluriel tant dans ses caractéristiques physiques que dans ses représentations mentales et scientifiques. Au-delà d’une possible définition, nous nous apercevons que le territoire d’urbanisation dispersée est en perpétuelle transformation. Il se forme peu à peu dans les nouvelles réflexions des politiques locales et globales, dans l’implication des habitants, dans les nouvelles pratiques mises à jour par les différentes études, un lien civil que nous croyions jusque là impossible à tisser dans un milieu d’isolats non connectés.


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Nous avons cependant remarqué que l’espace public, même s’il se conçoit de manière différente que celui connu habituellement en milieu urbain dense, relie, tout comme en ville, les différents lieux qui structurent le territoire. Il structure cependant du non-bâti, et diffère dans son utilisation spatiale et temporelle. En effet, l’espace public d’un territoire d’urbanisation dispersé joue avec des temporalités très éloignées de l’animation continuelle dans un tissu urbain, voir hyperurbain. Les marques spatiales et sociales de l’espace public ne sont pas encore cristallisées mais elles commencent à émerger à travers de nombreuses initiatives de collectivités locales. Ces cristallisations sont particulièrement visibles dans les points de concentration d’une certaine intensité, préférant ce terme à la densité, puisque nous avons montré dans les chapitres précédents que l’idée du centre n’est pas en milieu dispersé l’accumulation de personnes et d’activités en un endroit, mais sa capacité à détourner l’utilisation monofonctionnelle du lieu par un certain nombre d’individus. À travers un territoire, le Pays Basque, nous avons tenté de contextualiser les apports théoriques de notre première partie. Ces études de cas avaient pour enjeu de comprendre comment et avec quels éléments, les centralités s’articulent entre elles. Par exemple, en associant la mobilité aux normes administratives et réglementaires de l’INSEE, on obtient d’autres systèmes de relations que la continuité du bâti, rappelant aussi les dépendances économiques de ces territoires à ces centralités. De plus l’analyse du logement permet de faire le lien entre la réalité des transformations de l’espace et les visions administratives et fonctionnelles et ainsi d’assembler d’autres regards, différents de ceux utilisés pour analyser un centre urbain, répondant bien plus aux logiques d’accumulation-concentration-domination du centre théorisé par Huriot et Perreur. Les cas d’Ustaritz et d’Ikea-Bayonne montre la diversité des effets de centralités qu’un lieu peut engendrer selon les perceptions et les attentes de l’utilisateur, mais aussi de l’élu, du programmiste ou de l’architecte. C’est un exercice difficile de considérer un territoire inconnu tant dans la pratique que dans la représentation sociale de


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celui-ci, et non pas collective, l’aspect social associant un groupe d’appartenance (MOSCOVICI, 1976). A travers cette étude de cas, la principale caractéristique d’une centralité est qu’elle est subjective et qu’elle se construit autour de l’expérience propre de celui qui la pratique. Jamais une personne habitant une métropole ne pourra considérer ces lieux d’intensité comme des centralités ; le lieu sera analysé avec d’autres clefs de lecture qui décoderont la réalité sous forme de représentations et produiront une construction mentale du réel. Ainsi, penser la centralité, c’est penser tant sa construction physique qu’imaginaire. Penser la centralité, c’est aussi réfléchir à l’espace influencé par cette intensité. Un des éléments que cette étude de cas a confirmé et qu’il faut bien distinguer centralité et effet de centralité, ne renvoyant pas aux mêmes lieux et imaginaires. Cette étude sur des lieux en relation privilégiée avec l’ensemble du territoire, tant dans la fonction organisatrice (mobilité, visibilité) que dans sa fonction symbolique, nous ont permis de rappeler que ces questions urbaines renvoyaient à la notion d’échelle et plus particulièrement à l’imbrication de plusieurs échelle. Le fort potentiel d’un lieu ne lui assure pas un caractère central dans la représentation territoriale ; ainsi l’Ikéa de Bayonne n’est pas actuellement une centralité car il ne s’intègre pas au tissu et la rupture d’échelle est trop importante. Il est donc très difficile de réfléchir de façon « architecturale » ou urbaine, à la production d’une centralité. L’interrelation avec son environnement proche et lointain serait une première approche projectuelle de la constitution d’une centralité d’urbanisation dispersée. Pour les exemples cités tout au long de cette étude des centralités du Pays Basque, nous nous intéressions à la position des éléments bâtis et non bâtis entre eux et leur connexion avec le reste du territoire. Une boîte commerciale, un fronton, un parking peut être le support d’un effet de centralité à partir du moment où il est considéré comme tel par ses utilisateurs. Et ce n’est qu’à partir de cette acceptation de la mouvance géographique et temporelle des effets de centralité dans l’urbain dispersé, que nous pouvons aborder la réflexion d’une centralité.


Fig. 45 La centralité : une notion adaptable au territoire-sujet, et adapté pour parler des effets d’intensité humaine de toute échelle. (haut) Micro-centralités, systèmes immanents de la ville légère – LIN / FINN GEIPEL + GIULIA ANDI, Atelier International du Grand Paris (bas) Le périurbain d’ici et d’ailleurs, Séminaire sur le pavillonnaire, IAU, Janvier 2016

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ANNEXE

GROSJEAN Bénédicte, Urbanisation sans urbanisme, une histoire de la « ville diffuse », Editions Mardaga, Wavre, 2010, 350p. Problématique de la thèse publiée : La Belgique, un territoire diffus ? (Exemple de la région du Brabant) Définitions Caractères étudiés de la ville diffuse : mobilité importante, réseau de transport dense et finement maillé, dispersion du marché de travail et importante vague d’urbanisation sous forme d’habitations individuelles qui se répartissent dans les villafes de campagnes. Maintenant, traiter de la forme de ce bâti. « La ville diffuse est une urbanisation de faible intensité qui se caractérise par : -une masse consistante […] non seulement de pop mais aussi, mm partiellement, de services et d’activités productives -une dispersion de cette masse dans un territoire suffisamment vaste pour ne pas présenter, dans l’ensemble, de phénomènes de haute densité et intensité. Ceci bien entendu, ne signifie pas qu’il ne puisse pas y avoir des « points » isolés de haute densité, mais seulement que la configuration spatiale ne donne pas lieu à des phénomènes significatifs de densité et intensité de type urbain -un haut niveau de connexion entre les divers points du territoire. I s’agit par conséquent, d’un territoire qui présente de multiples connexions de type horizontal susceptibles de garantir la possibilité d’une très grande mobilité. » (p.34) - En substance […] il me semble qu’on y retrouve un usage sectoriel et différencié de l’espace, typique de la ville. »(p.16) Selon GrosJean, travail de Indovina sur la ville diffuse (Laboratoire avec Bernardo Secchi travaillant sur le territoire du Veneto) ont interrogés le caractère VILLE mais ont jugé le caractère DIFFUSE comme évident. >Elle s’interroge sur la condition du terme diffus dans la constitution d’un territoire dispersée en vérifiant la présence de FONCTIONS


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urbaines et en questionnant les FORMES urbaines produites ainsi que leur manière de les qualifier. (Mais flou des notions utilisées actuellement pour décrire ce genre de territoire.) Usage de l’échelle dans la construction de la recherche .Attention aux échelles car dans un échantillon restreint (qq km²) identiques mais se différencient à grande échelle. Pr l’auteur, commune périurbaine pas ville diffuse car pas d’étendue géographique. + équivaut à un stade de développement économique et social de la région, amenant les infrastructures de mobilité et non l’inverse (ex : USA) - Diffusion mobilité exponentielle et communications - Absence de vision planificatrice, globale, fragmentation des décisions, territoire issus d’initiatives isolées - Absence d’organisation par rapport à une centralité. Pas multipolarité (pas d’aggrandissement du cadrage pr englober pls centres mais « écartèlement des fonctions principales » (corboz). - Sorte de « polycentralité complémentaire » - Isotropie des réseaux, relations « horizontales » multidirectionnalité des flux - (modèle de l’éponge dans les réseaux pour Secchi prima lezione urbanistica) - Faible densité. ATTENTION le périurbain n’est pas caractérisé par la densité mais par une différence de densité (p.r. à un territoire urbain donné) - Pour la ville diffuse, recherche de la « juste distance » entre les choses par forcément idée d’espace. Dispersion à toute échelle Difficultés géographiques dans la constitution d’un territoire diffus Analyse du territoire du Brabant avec une grande précision, jusqu’au type de maisons produites sur quelle parcelle. Même précision qu’un regard pour analyser la ville. Relation étudiée entre le système d’urbanisation des villages, le système hydrographique. (Réseau des rivières très faiblement étudié et représenté sur les cartes actuelles, elle démontre que les villages sont situés toujours autour de ramification de rivières (alors que sans le contexte hydrographiques, semble homogène sur le territoire). >Confrontation de données


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Analyse des relations réseaux –industrialisation dans le Brabant Enjeu de relier les pôles secondaires et autres localités sans forcément passer par la grande ville (ou se faisaient les connexions entre chemins nationaux et vicinaux. Transporteur de voyageurs mais aussi collecteur de marchandises donc garant de sa diffusion. Principe de ces trains vicinaux et de coller au plus près du terrain pour éviter toutes les constructions collatérales pur le fonctionnement de la machine. Pas de « réseau vicinal » car succession d’additions de tronçons, avec objectifs locaux de liaison entre les villages : conséquences sur la forme du village (utilisation des espaces résiduels du village, pas de passage en centre, donc développement de centralité à la station d’arrêt du vicinal) Le Vicinal bon exemple fonctionne comme la ville diffuse : échelle territoriale de la ligne mais construites à partir d’initiatives locales. →Caractère du réseau vicinal belge : - Relier le plus grand nombre de - Possibilité de déplacement pour les pop + soutien du dvt économique des localités (intégration avec réseau de transport marchandises des petites usines) - Pas de planification en amont du réseau mais résultat de nécessités locales et négociations intercommunales. Mais construction par l’Etat (SNCV) donc pas de relation intermédiaire - Montre que le territoire rural est aussi structuré que l’urbain et que la non-densité n’implique pas le chaos ou indifférenciation mais logiques diverses d’échelle spatiale - Grande étendue de ce territoire d’urbanisation dispersée ne peut pas faire abstraction d’échelles plus réduites, obligatoire à la compréhension. Mobilité quotidienne : propriété essentielle de la « ville diffuse » Se pose sur deux études (Mahaim et Demain) qui analysent les migrations ouvrières et abonnements ouvriers autour des vicinaux. + Production de la maison ouvrière >L’urbanisme des campagnes manque de sources pour être étudié alors qu’il constitue les territoires aujourd’hui en mutation, et posent question de « la ville diffuse ». Rq : toute cartographie répond à une représentation graphique et


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un travail de « généralisation », opération de simplification de la carte pour l’adapter à l’échelle et à au but. Pour une précision parfaite, CADASTRE Analyse de la maison « ni urbaine ni rurale » et sa diffusion dans le territoire. deux types d’écarts : écart de desserte (60cm piéton, 2 m voiture) ou écart de réserve foncière pour une possible utilisation ultérieures. Se sont des maisons articulées car elles organisent déjà les espace non construits du futur (ressources) : il crée en lui-même de futures opportunités foncières, adaptables à différentes époques (alors que tissu du pavillonnaire actuel très différent car recherche de centrer la maison sur la parcelle, le terrain n’est donc que le résidu (pas d’organisation du terrain autour) avec dimension entre 2 et 7 mètres donc pas de construction possible ni d’articulation avec les autres. Conclusions > Revient sur l’idée que la dispersion de l’urbanisation serait la cause de l’individualisation des modes de déplacements mais la structure vicinaux ont permis de favoriser pour le territoire du Brabant une densification du dispersé (continuité économiques de localités isolées) plutôt que la dispersion d’une densité. >Parle d’urbanisation dispersée car vague d’urbanisme non concentrée autour des grandes villes et bourgs mais au sein d’une multitude de villages. Mais pas d’urbanisation dispersée à l’échelle de la commune car remplissages des vides et densification de l’aire déjà bâtie (différent des lotissements actuels en rupture avec le village). Différente échelle de diffusion dans le Brabant. Or la ville diffuse est diffuse à toutes les échelles, du bâti au territoire. >Territoire actuel caractérisé par « la disparition des articulations entre les échelles ». Ce qui fait la nouveauté de ces territoires n’est pas tant l’urbanisation des campagnes, la prédominance des maisons individuelles, l’absence de vision d’ensemble et de planification à grande échelle (car déjà existant il y a un siècle) mais absence d’échelle intermédiaires, ne permettant plus de décliner les nuances de l’espace public : le seuil, le perron, le recul à rue, le trottoir, l’élargissement, le parvis ». >Territoire actuel à deux échelles, local (maison jardin) et global (autoroute)


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Agathe Mabrut Mémoire de Fin d’Etudes Ecole Nationale Supérieure d’Architecture Paris La Vil ette 2016


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