Sansar, évolution d'un quartier soviétique à Ulaanbaatar - PFE Agathe Mabrut

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Le temps des Cosmos Penser l’évolution d’un quartier soviétique Sansar, Ulaanbaatar

Agathe Mabrut


Projet de Fin d’Etudes Septembre - Juin 2015 MABRUT Agathe MARTHE Christella Recueil de PFE (textes et mise en page) MABRUT Agathe L’ensemble des figures graphiques - images et photographies - ont été réalisées par Agathe Mabrut et Christella Marthe ou Agathe Mabrut (pp 14,16,18,96). Enseignants Olivier Boucheron, Marianita Palumbo


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Le Petit Prince traversa le désert et ne rencontra qu’une fleur. Une fleur à trois pétales, une fleur de rien du tout... - Bonjour, dit le Petit Prince. - Bonjour, dit la fleur. - Où sont les hommes ? demanda poliment le Petit Prince. La fleur, un jour, avait vu passer une caravane : - Les hommes ? Il en existe, je crois, six ou sept. Je les ai aperçus il y a des années. Mais on ne sait jamais où les trouver. Le vent les promène. Le Petit Prince, Antoine de Saint Exupéry



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PROLOGUE La Mongolie est de ces lieux où l’horizon porte loin et l’espace englobe tout. Le projet de fin d’Études est de ces temps où l’on se perd entièrement dans un horizon que l’on souhaiterait loin mais qui déjà, se profile. Et si le temps du PFE se perdait dans l’espace mongol, à la manière d’un vers de Tiouttchev1 ? Ce projet prend alors des airs de grande chevauchée. Cheval de Prejwalsky, L’empire des steppes2 et princes Khan entrent en résonnance dans mon esprit lorsque je candidate à l’Atelier International 2, une table-ronde franco-mongole questionnant les problématiques actuelles de la capitale du pays. Pression foncière, héritage soviétique, Ulaan Baatar, n’entreront dans la danse qu’une fois les yeux accoutumés aux lignes de canalisations courant à quelques mètres au-dessus du sol en contrebas des nouveaux totems de la modernité, gratte-ciels de verre représentants de la nouvelle Mongolie.

1 Référence au poète russe Fiodor Tiouttchev (1803-1873) et à un de ses vers : « le temps, ici, s’est perdu dans l’espace ». 2 Grousset R., L’empire des steppes, Payot, Paris, 1938.

L’Atelier International s’inscrit dans une collaboration entre la France et la Mongolie, afin de questionner le devenir urbain de la capitale et de ses villes-satellites. Il est conduit par les organismes de l’Atelier Parisien d’Urbanisme (APUR) et la Ville d’Ulaan Baatar. À ce cadre administratif est venu s’ajouter un deuxième niveau de collaboration, entre futurs praticiens des deux pays, en rassemblant des étudiants de l’Ecole Nationale Supérieure d’Architecture ParisLa-Villette (ENSAPLV), et ceux de la Mongolian University of Sciences and Technology (MUST).


L’avenir des quartiers hérités de l’époque soviétique était cette année à l’honneur. Avenir menacé par le développement urbain tentaculaire d’Ulaan Baatar que pourtant quatre planifications soviétiques entre 1950 et 1990 ont façonné. Comment penser l’héritage soviétique comme support d’évolution et non comme un frein au développement du pays ? Tel est l’objectif affiché laboratoire franco-mongol formé pour quelques jours par notre équipe : travailler à la compréhension des legs de l’ère soviétique et imaginer son intégration au nouveaux enjeux urbains. Deux regards neufs, géographique pour les étudiants français, idéel pour les étudiants mongols, proposent dans un premier temps de décrire un monde oublié, celui du microdistrict soviétique. Atlantide d’Ulaan Baatar, le microdistrict survit cependant, désintègre les codes et assimile de nouvelles règles, trouvant son originalité dans l’accumulation méticuleuse des époques et souriant silencieusement au conglomérat-processus de Lucien Kroll . Le choix des quartiers à étudier avait déjà été orchestré par les enseignants organisateurs. Quid de la subjectivité, d’une sensibilité du premier regard, des premières esquisses prometteuses ? Le terrain s’impose à nous. CAHCAP, Sansar. En mongol, il signifie Espace, ou Cosmos, faisant référence aux premières participations mongoles de l’aventure spatiale soviétique des années 1980. Situé dans le district de Bayanzurkh, il est l’un des derniers quartiers du centre soviétique planifié autour de la place Sukhbaatar, lorsque l’on part en direction de l’Est. Il appartient désormais à l’administration du 11ème khoroolol (khoroo signifiant le quartier, le suffixe –lol marque le caractère cumulatif d’une entité3) et se divise en deux sous-unités administratives, le 1er et le 3ème khoroo. Une route en tranchée marque la frontière entre ces deux parties administrativement autonomes, tout en les préservant d’un trafic routier particulièrement présent à ses abords : de larges avenues aux dimensions soviétiques ainsi qu’une circulation dense, isolent la colline et par la même occasion participent à la définition claire du quartier Sansar.

3 Boucheron O., Hommage L., Etats et devenir du ger khoroolol à Ulaanbaatar, 2010.


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En pleine mutation, Sansar contraste avec l’héritage soviétique commun et dont UB souhaite se défaire, par son adaptation particulière au monde contemporain. Et la ville l’a bien assimilé ; il est ainsi un des rares quartiers résidentiels soviétiques a être maintenu dans le nouveau Masterplan de la capitale dévoilant une nouvelle image de la ville à l’horizon 2030. La capitale souhaite rayonner internationalement, et s’urbanise à cette occasion en suivant les canons de prospérité des nouvelles mégapoles asiatiques. Une nouvelle skyline de verre et d’acier se dessine déjà dans le ciel bleu d’Ulaanbaatar, écrasant les quartiers soviétiques des années 1950 ainsi que les quartiers de ger (* yourte) qui s’agglutinent sur les pentes des plateaux à l’extérieur de la ville. Ulaan Baatar devient peu à peu un prétexte extra-européen pour considérer un milieu comme projet à part entière, et non comme le terrain-support d’une réflexion ex-situ. Le lieu engendre alors son propre projet, l’architecte observe, oriente et magnifie un processus d’évolution dont il était extérieur, apposant une nouvelle strate que le lieu se chargera à son tour de déformer une fois réalisée. L’approche quasi scientifique du terrain renforce cette idée de capacité du lieu à être projet. Le terrain est considéré alors comme le lieu où un scientifique exerce sa recherche et dont il étudiera les résultats en laboratoire4, pour notre part à notre retour en France. Il est alors exploité comme potentiel de questionnement et non pas comme la vérification d’hypothèses élaborées en amont.

4 Dictionnaires Larousse , définition du terme « terrain », 2016

Sansar devient idéal : sentimentalement, sociologiquement et politiquement neutre de prime abord, il permet d’observer attentivement un processus de fabrication de la ville à la manière d’un palimpseste. Fruit de trois périodes de constructions issues de la première planification soviétique de 1954, les logements soviétiques n’ont subi que très peu de transformations et sont restés


relativement homogènes tandis que les espaces extérieurs, importants, ont continué d’évoluer. Le quartier se transforme véritablement sous la pression immobilière de ces dernières années, avec l’apparition d’une nouvelle échelle de construction qui sature peu à peu l’espace libre disponible du quartier sans s’intégrer au paysage existant. C’est dans ce contexte que notre réflexion et notre projet de fin d’Études s’inscrit en apportant une réponse différente dans l’aménagement des espaces extérieurs du quartier. La réalisation d’interventions paysagères et construites prenant en compte la pression immobilière liée à la position du quartier ainsi que le paysage qui s’est construit depuis 1950 et que nous souhaitons conserver, devrait devenir des référents. L’évolution que nous amorçons à Sansar se déclinera selon trois niveaux d’actions : semer un paysage structurel dont le but est de définir les abords du quartiers, provoquer une nouvelle gestion locale des entre-deux barres afin de conserver et de réaffirmer le système de cour semi-nomade et insérer un nouveau bâti comme un élément de paysage faisant le lien entre les besoins de la ville en logements et les besoins du quartier en équipements. Trois niveaux d’interventions situés mais transposables dans d’autres lieux d’Ulaanbaatar ou ailleurs, testés sur deux sites-échantillons de nature différente : l’un en limite Nord du quartier de Sansar, l’autre dans un système d’entre-deux barres à l’intérieur du quartier. Le temps des Cosmos englobe aussi bien une nouvelle relation au paysage végétal (les Cosmos sont des fleurs annuelles de la famille des astéracées et dont la floraison de mai à octobre recouvre les parterres mongols de leurs couleurs mauves) qu’au quartier (Sansar signifie l’espace ou le cosmos en mongol) et à l’espace qu’il représente dans cette nouvelle ère de fabrication de la ville.


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PAYSAGE

ENTRE-DEUX

FOYER



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I / T=0

La confrontation des modèles



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1 / Sédentarité vs Nomadisme « Les logements bâtis en dur introduisent une rupture avec le cadre matériel dans lequel se déploient les modes de vie : extension de la surface au sol et de la hauteur de l’habitat, présence de fenêtres, augmentation du nombre de pièces, possibilité du choix d’orientation, des matériaux et du mode d’aménagement, ainsi qu’apparition d’angles, de parois droites et d’un plafond. Ces nouveaux citadins, vivant en appartement ou en maison, sont amenés à transposer leur modèle d’organisation domestique circulaire à un habitat angulaire et compartimenté, ce qui oblige à des adaptations et engendre aussi des inadéquations ou, à l’inverse, la formation de besoins nouveaux » (Beffa et Hamayon, 1983)

La première réaction face à deux notions à première vue antagonistes est de les confronter. Tandis que la sédentarité évoque l’espace fini, la stabilité, la propriété foncière, l’habitat fixe et l’agriculture ; le nomadisme invoque le mouvement, les mobilités saisonnières, un habitat flexible et une spatialité certes non flottante mais d’une échelle différente. La sémantique confère à la dichotomie. En réalité, le nomadisme ne peut s’opposer à la sédentarité, il engendre seulement une autre conception du monde, de l’espace et des hommes (Retaillé, 19985). L’ensemble de notre réflexion a pu développer, via l’analyse et le projet, une nouvelle relation entre ces deux modes de vie apparemment antinomique. Il est entendu que le déplacement est au centre de la définition spatiale du nomadisme de par l’absence d’un établissement fixe. Ce déplacement résulte de l’adaptation constante de l’homme face à des conditions extrêmes, générant la dispersion des ressources.

5 Retaillé D., «L’espace nomade» in Revue de Géographie de Lyon, pp. 71-81, 1998

Ainsi, les mouvements cycliques des peuples mongols reposaient sur les besoins vitaux d’une ressource vivante, l’animal. L’élevage nomade assurait la majorité des besoins des Mongols ; nourriture (lait et viande), feutre des ger et des vêtements, moyen de transports, ce jusqu’à leur source de chaleur (l’argol, des bouses aplaties et séchées). Ils dépendaient donc d’un troupeau qu’il fallait nourrir quotidiennement malgré les facteurs climatiques et non pas d’une mobilité tendue vers l’amélioration d’un cadre de vie.


Une Mongolie influencée par les empires. 1911

Révolution

Mongolie Extérieure

Dynastie Mandchoue Qing

1924

1991

République République de Mongolie Populaire Mongole

Influence soviétique

Influence internationale

La ville de feutre s’étend à chaque époque.


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Suite au détachement de l’hégémonie chinoise, la Mongolie établit son indépendance. Mais en proie à des divisions politiques, le tout jeune parti communiste mongol va chercher en l’URSS un allié et un système. Ce nouveau modèle récuse le nomadisme, bien trop mouvant pour construire et contrôler un peuple tendu vers un idéal commun, le socialisme. L’URSS développe l’industrie, fixe les populations autour des lieux de production, déploie l’agriculture et rassemble les cheptels dans une logique collectiviste. A la veille des premières planifications soviétiques, la capitale mongole est encore Urga, une ville de feutre et de maisons en bois organisée autour de monastères. En se soviétisant, elle devient Ulaanbaatar, un berceau de modernité qui renie une partie de ses traditions séculaires. Mais après la chute du régime soviétique, la dénomadisation se poursuit malgré tout même sans impulsion gouvernemantale. La collectivisation des terres et des cheptels durant la période soviétique a favorisé le surpâturage et la succession de plusieurs épisodes de dzuds (sècheresse) a tué un grand nombre de tête de bétail. Nombreux sont alors les mongols à rejoindre la banlieue de feutre d’Ulaanbaatar en quittant leurs activités pastorales qui ne permettent plus de subvenir à leurs besoins. Cet établissement rapide autour de la capitale est induit par le droit coutumier mongol en vigueur, offrant la possibilité de disposer d’un terrain pour installer sa ger, la yourte. Ce droit d’usage, d’une surface comprise entre 500 et 700m2 à UB, a été remplacé par une privatisation de la terre en 2012, assurant aux mongols un acte de propriété de leur terrain, mais permettant surtout l’exploitation intensive du sol et du sous-sol mongol, autrefois sacré, dans d’autres régions du pays. Cette ceinture se rigidifie peu à peu, consolidée par des arrivées incessantes, jusqu’à 50 000 nouveaux arrivants par an. Ils viennent profiter de l’attractivité de la capitale afin d’y trouver emploi et éducation. Mais ces ger rassemblés en quartier ne font pas partie de la Ville qui les considère encore comme un état temporaire, préalable à l’acquisition d’un appartement. Aucun raccordement aux réseaux, des transports publics inexistants, tout cela fait de cette ville de feutre un enjeu sanitaire primordial que la capitale n’imagine résoudre qu’en les détruisant.


Les quartiers de ger menacées par les nouveaux projets immobilers.

Chaque famille peut prétendre à un terrain d’environ 700m2 pour s’installer La yourte ne représente plus la pratique nomade mais la tradition

Le Masterplan 2030 vise à faire disparaître les quartiers de ger au profit de quartiers d’immeubles résidentiels rattachés au réseaux existants

Les grands axes favorisent la construction de nouveaux bâtiments


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De ces deux urbanisations contraires, la Ville souhaite seulement conserver la plus globalisée, la ger n’étant pas un symbole de modernité, et démolit ainsi chaque année plusieurs quartiers de ger afin de construire de nouveaux quartiers modernes au confort occidentalisé sans considérer d’autres alternatives. Objectif du MasterPlan 2030, cette reconfiguration d’Ulaanbaatar tend à faire table rase d’un passé, nomade et soviétique, pour faire surgir une ville nouvelle à l’image des mégapoles asiatiques. UB et son imaginaire khan oscillent ainsi entre les quartiers de ger, informels pour la plupart car considérés par la commune comme dispositif temporaire, et les quartiers en dur, soviétiques ou sinisés ; ce patchwork urbain construit l’identité d’UB mais contredit les volontés d’homogénéisation de la capitale pour en exporter une image contemporaine. À Ulaanbaatar, les quartiers de ger sont une surprise. L’habitat mobile semble se figer au sein d’un espace clos et fini. L’enceinte dans laquelle la ger évolue, la khasaa, signifie tant la palissade que l’enclos, le contenu et le contenant (Hommage L., Boucheron O., 2010). Alors que traditionnellement, la ger évolue dans un espace aux limites floues, à l’attache territoriale mouvante voire multiple, elle se retrouve prisonnière d’un espace qui n’est plus flexible. En s’organisant, les enclos se côtoient, la mitoyenneté des khasaa rigidifie la structure urbaine qui découle de cette arrivée massive de population dans la capitale. La terre se durcit par le piétinement, et le foulage fait évoluer la terre en sol compact incapable d’infiltrer les eaux pluviales provoquant glissement de terrain et problèmes sanitaires.

6 Gagnol L., «Le territoire peut-il être nomade ? Espaces et pouvoirs», in Informations géographiques, 2011/1 Vol. 75, pp. 86-97

Néanmoins, pratiques nomades et sédentaires ne sont pas antagonistes dans la culture mongole. Elles se sont peu à peu imbriquées pour former un mode de vie singulier, où la ville solidifiée, représentante de la modernité, et la yourte, conservation d’une culture, se mêlent. Non seulement dans la capitale, mais aussi dans toutes les villes satellites que souhaitent renforcer le gouvernement mongol. Cette imbrication des pratiques montrent surtout que la flexibilité et la mobilité ne sont pas forcément les conditions nécessaires au nomadisme, mais qu’il est indissociable d’un rapport au territoire complexe, un recouvrement de plusieurs espaces complémentaires.6


Le modèle soviétique comme alternative à deux modes de vie.

ger

khasaa quartier de ger

appartement

quartier d’immeubles contemporains

appartement

entre-deux barrres quartier soviétique


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La spiritualité chthonienne mongole ne renvoie pas seulement à une contemplation et à une dévotion à la Terre-mère comme dans certaines cultures asiatiques ; au contraire le mongol la pratique. «Source des trésors», la terre féconde doit être respectée pour qu’elle puisse continuer à donner (nourriture aux enfants et aux animaux, ect.7). Par son pouvoir de déplacement, l’homme et sa ger relient les ressources dont il a besoin sans nuire à la terre qui le maintient en vie. Pour les mongols, vivre dans une ger ne représente pas seulement l’habitat flexible qu’est la yourte. Elle permet un rapport direct et respectueux avec la terre, par sa configuration sans fondations invasives. La yourte n’est pas qu’une entité intérieure, elle se conçoit au sein du campement et recherche une continuité domestique extérieure via la khasaa. Ce mode de vie ne se pense qu’avec un environnement extérieur contigu à l‘habitation, un terrain offrant d’autres possibilités au cadre domestique. Paradoxalement, l’appartement, qui pourtant représente bien plus le caractère sédentaire par l’accès aux services qu’il permet (proximité du centreville, chauffage en eau et électricité urbains, éducation, ressources, etc.) est déconnecté du rapport à la terre. Cette rupture ne cesse de croître dans les nouvelles constructions qui poussent sur le sol mongol. Inspirés des grandes métropoles asiatiques, les immeubles s’étirent vers le ciel, couvrant de leurs ombres stériles cette terre qui leur sert d’assise. L’immeuble devient le pigeonnier d’une nouvelle population mobile : les jeunes partent étudier à l’étranger, l’on amène les enfants jouer dans la khasaa des grands-parents à l’extérieur de la ville les fins de semaines. Et les étudiants mongols avec qui nous travaillont nous confient tous espérer posséder un appartement en ville et une ger en banlieue.

7 Référence à une citation de Banzarov in Cernaia vera il samaestro in Mongolv, 1891, Lot-Falck E., De l’histoire des religions, Numéro 2 Vol 149, pp 157196, A propos d’Atagün, la déesse mongole de la terre, 1956

Dans les quartiers soviétiques, c’est l’entre-deux barres qui incarne l’espace de relation à la terre. À l’instar de la kashaa, il permet l’externalisation des activités domestiques. L’entre-deux barres devient entre-deux mondes, l’espace public et l’enclos. Un espace de transition, structuré par des usages et un paysage particulier qui « insère l’espace du logement dans l’espace urbain ». Cet entre-deux s’utilise très différemment mais assure aussi une connexion entre intérieur et extérieur, dans leur sens littéral et imagé, entre usage public du sol et usage privé. Les habitants y lavent leur voiture,


Le seuil , une charge symbolique forte entre l’espace domestique et le monde extÊrieur


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profitent du temps ensoleillé sur les bancs installés devant chaque entrée d’immeuble, jardinent, etc. Certaines personnes récoltent des graines de pavot et de cosmos. Des attentions que nous avons aussi pu rencontrer dans les quartiers de ger. Une des caractéristiques de cet entre-deux, tout comme dans la khasaa, est le soin apporté à l’entrée dans ce nouvel espace. La porte contient une charge symbolique très importante dans la culture mongole. Le seuil est une frontière réelle entre deux mondes et deux relations différentes à l’environnement et marque la frontière entre l’espace domestique sous la protection des ancêtres et de l’esprit du feu, galyn ezen, et le monde extérieur voué aux esprits nuisibles, cötgör8. Dans l’entre-deux barres, plus le processus de fermeture à l’espace public est avancé, et plus son accès est travaillé. Des jardinières embellissent les barrières, une arcade en fer forgée symbolise l’entrée, etc. La structure soviétique que nous avons rencontrée nous a permis de repenser cette relation pratique entre le logement et son environnement extérieur direct, mais cette fois dans le baising, le bâtiment en dur, et non autour de la ger. L’entre-deux devient enclos, et forme un seuil entre l’espace urbain de la rue et de la ville, et l’espace intime du logement. Mais cet enclos n’est pas khasaa : aucune palissade ne soustrait l’entre-deux barres au regard de l’étranger, et l’intimité qu’il incarne n’est que le fruit d’une succession de seuils savamment maîtrisés et de codes sociaux partagés. L’habitat nomade s’emprisonne peu à peu dans une pratique sédentaire, tandis que l’appartement devient le refuge d’une population non plus nomade mais de plus en plus mobile. L’appartement et la ger semblent désormais complémentaires, tous deux pivots autour desquels le mouvement d’un nouveau mode de vie s’organise, à cheval sur deux cultures. 8 Lacaze G., dir. Aubin F., Hamayon R., « L’orientation dans les techniques du corps chez les mongols », Etudes mongoles et sibériennes, centrasiatiques et tibétaines 36-37, 163-165, 2006



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2 / Héritages mongol, soviétique et occidental « Au premier coup d’oeil, Oulan-Bator paraît formée par la juxtaposition de trois agglomérations distinctes. A la périphérie s’étend, sur plusieurs kilomètres, un immense campement de tentes de feutre recouvertes de peaux, [ger en mongol] et semblables à celles que les guerriers de Gengis-Khan plantaient dédaigneusement hors des murailles de Karakorum ou des villes conquises. Puis vient un enchevêtrement de maisons de pisé, où l’herbe pousse sur les toits. Ce sont les vestiges de la vieille cité. Enfin, au centre, on trouve de larges avenues rectilignes, bordées d’immeubles gouvernementaux et de maisons d’habitation à cinq ou six étages flambant neuves […], fruit des efforts concurrents accomplis au cours de la dernière décennie par les « pays frères». » Bernard Antar p.371, La Mongolie entre Moscou et Pékin In: Politique étrangère N°4-5 - 1963 - 28e année pp. 371-404.

Anciennement Urga, une ville-camp de feutres et de maisons de bois autour de monastères, la ville est devenue capitale de la république populaire mongole en prenant le nom de Ulaan Baatar, le héros rouge, en 1924,. Ce nom fait référence au héros national et dirigeant communiste Damdin Sükhbaatar, qui a lutté contre la théocratie bouddhique et mis au pouvoir le Parti communiste mongol. Sans être formellement rattachée à l’U.R.S.S., la Mongolie repose sur un système largement inspirée de la structure politiques sociale et urbaine soviétique.

9 Propos du dirigeant bolchévique Kalinine repris par Antar B., La Mongolie entre Moscou et Pétain, 1963

Cinq planifications soviétiques de 1954 à 1990 vont façonner le centre d’UB, transférant les habitants des ger dans des logements en dur. Cette perturbation du mode de vie traditionnel est accentuée par l’industrialisation du pays, la collectivisation des cheptels, et le rassemblement de la population mongole dans les villes. Soviétiques et chinois font un effort de construction considérable pour accélérer le processus de sédentarisation des nomades et « amener le petit cultivateur […] à accepter l’idéal ouvrier de Leningrad9».


US Hill

Urga, 1910

UB, 1957

БАЯН RICHE ЗAРХ SANTE ДYYРЫТ QUARTIER

SANSAR

UB, 2015


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Le quartier de Sansar, fait partie des premiers quartiers de grands ensembles créés par le premier MasterPlan de 1954. Le lieu est stratégique. Perché sur une colline, le quartier surplombe la plaine alluviale de la Tuul, le fleuve traversant UB, et de son affluent la Selbé, offrant au regard des paysages lointains de steppes et de hauts plateaux ; une qualité conduisant à l’occupation de ce site dès les premiers foyers de peuplement d’Urga. Au XIXème siècle, des résidents étrangers, russes, chinois et américains, s’installent sur cette colline de façon aléatoire. Longtemps appelé la colline des Américains, le quartier est récupéré durant la période soviétique afin d’y loger une élite russe, militaires et hauts fonctionnaires ; pour contrer la puissance chinoise sur les terres mongoles, les russes envoient au début des années 1960, 6000 cadres soviétiques habiter en Mongolie dans l’objectif d’occuper les places de direction et de supervision des usines et des entreprises. Le perchoir est sûr ; le socle granitique sur lequel repose la colline en fait un formidable élément géologique naturel parasismique apprécié par les soviétiques. La particularité de Sansar au regard des autres quartiers de grands ensembles soviétiques de cette époque, est qu’il a été pensé et conçu pour une classe moyenne supérieure russe. La qualité des infrastructures en témoigne, comme cette plateforme reliant les deux parties d’un quartier séparé par une route en tranchée. Les logements quand à eux, sont spacieux (environ 70m2 par appartement) et possédaient un confort bien supérieur à celui des autres quartiers contemporains, comme les quartiers de Bichil, Nekhmelin Shar ou de Bayangol, que nous avons traversé durant l’Atelier International-2. La majorité des appartements de Sansar comporte trois ou quatre pièces principales, une cuisine et une salle de bain. C’est un confort incomparable à d’autres logements visités où les appartements s’organisent autour d’une cuisine comme unique pièce d’eau et deux pièces à vivre. C’est une caractéristique importante dans le processus d’évolution du quartier : au départ habité par une population aux mœurs sédentaires et soviétiques, il a conservé son image de quartier aisé – encore aujourd’hui, Sansar est considéré comme une BZ District, un quartier riche et en bonne santé.


LA PLACE CENTRALE DU QUARTIER

LA TRAVERSEE DE LA SELBE LA PLACE SUKHBAATAR UNIVERSITE DE NOS COLLEGUES MONGOLS

LE MODELE SOVIETIQUE ASCENSION DE SANSAR

SANSAR TUNNEL

ENTRE LES BAR L’ACCES A L’EC

LE COX

EN

FLOWER HOTEL

PECTOPAH

SANSAR SUPERMARKET K A P A O K E

Сайн уу !

Сайн уу !

YRH A A

KAPAOKE


RRES, COLE

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SUR TOKYO STREET

LE BROUHAHA DE TOIRUU STREET AU NORD, LE QUARTIER DE YOURTES

LES NOUVEAUX BÂTIMENTS DE LA LIMITE ENTRE LES BARRES, NOUVELLE FLORAISON

L’ARRÊT DE BUS ET SA MARCHANDE DE PIGNON

LA LIMITE EN CHANTIER UN ABORD SANS TRANSITION

NTRE LES BARRES, DES GARAGES

BUS Vroum Tût

Tût

Tût Vroum


Un quartier pour deux unités administratives.

KHOROO 2

Les quartiers de yourtes UNIVERSITE

KHOROO 1

TOKYO STREET

BEIJING STREET

HOTEL GENGIS KHAN

HOPITAL

K PEACE AVENUE


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Quartier d’asile pour les étrangers durant la période soviétique où les arrivées étrangères sur le sol mongol étaient contrôlées, Sansar conserve une diversité religieuse par la présence de multiples lieux de culte rehaussant l’entremêlement des influences mongoles, asiatiques, soviétiques et occidentales. Beaucoup de missionnaires chrétiens se sont installés sur ces hauteurs afin d’évangéliser la population bouddhiste ; une des premières églises chrétienne d’UB s’est d’ailleurs construite dans les années 1990 au Nord de Sansar, dans le quartier de ger adjacent.

TOIRUU STREET

KHOROO 3 10 George P., « les formes de développement urbain en URSS », in Bulletin de l’Association des géographes français, n°322, pp. 36-42

Nous remarquons ainsi que les dispositifs urbains et architecturaux ont été modifiés par les passages successifs des systèmes économiques. L’économie traditionnelle basée sur l’élevage impliquait le déplacement cyclique d’une communauté formé par le lignage ou la famille élargie, l’ayil, pour suivre les troupeaux. L’économie socialiste vient profondément transformer ce mode de vie pour servir un idéal politique basé sur la collectivisation des ressources et la nationalisation du commerce et de l’industrie ; les villes sont planifiées, selon des proportions monumentales. Dans les ensembles d’habitation, des espaces verts et des équipements sont installés comme les crèches, les écoles et les buanderies. Les femmes travaillant appartiennent désormais à l’espace du dehors, l’espace des hommes, leur espace social dépassant le cadre du foyer. L’URSS nomme la plus petite entité urbaine qu’est l’ensemble d’habitation dans la planification, un microrayon élémentaire10. « Comportant une dizaine de bâtiments, disposés en openplanning, sur un espace de l’ordre de 20 Ha, comportant 2000 à 2500 logements, deux crèches, une école de onze ans pour un millier d’enfants, et dont la surface doit prendre en compte 4m2 par enfant, un marché d’Etat, une buanderie, un centre de réparation et de gestion des immeubles, une petite salle de réunions, et un poste d’appel téléphonique public. Le microrayon élémentaire est entouré par des voies de circulation générale, mais toute circulation intérieure se fait à pied » (George P., 1964). Un des plus fidèles exemples que nous ayons observé dans la capitale est le microdistrict CCCP de Bayangol. Le quartier de Sansar a sûrement été pensé comme un microdistrict mais ses différentes phases de constructions empêchent de le considérer comme une seule entité.


1960s 1er MasterPlan Elite russe Briques


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Quatre phases de construction ont donné naissance au quartier que nous avons pu découvrir en Septembre 2014 et c’est tout d’abord l’entremêlement de ces strates successives, planifiées ou spontanées, qui a marqué nos esprits et orienté notre regard. Ces temps d’analyse sont cruciaux dans la compréhension du processus d’évolution du quartier, et nous ont permis de transcrire l’histoire du lieu en dispositifs spatiaux. Le premier ensemble d’habitations se construit dès 1957 dans la partie Sud pour se terminer au début des années 1960, à partir de deux types de bâtiments en brique communément appelés la barre et le plot. Architectes et urbanistes soviétiques jouent de la topographie existante pour agencer les bâtiments en étage jusqu’au point culminant de la colline où se trouvera le centre de l’ensemble résidentiel avec le marché d’État. La barre de 60 mètres de long, orientée Est-Ouest, comporte dix logements par niveaux sur 4 étages. Cette barre d’habitation devient un élément standardisé qu’il est possible de coupler selon le site. Dans la partie Sud, les barres sont associées par deux, légèrement décalées afin d’offrir aux logements d’angles – les plus grands de la barre, soit quatre pièces et une cuisine – un apport de lumière identique aux logements sur plan. Le reste de la barre est constitué de cinq logements de trois pièces avec cuisine, deux logements d’une pièce avec cuisine et d’un logement de deux pièces avec cuisine. La cuisine, pièce fermée à part entière dans le plan initial soviétique, est la pièce qui a le plus évolué au cours des années puisqu’elle a peu à peu été fractionnée pour accueillir la salle de bain, confort de l’époque devenu besoin contemporain. A l’exception des logements d’une ou deux pièces, tous les appartements sont traversant et s’allongent de quelques centimètres par des balcons. Le plot, suivant la logique d’étagement des barres, possède quatre façades principales d’une vingtaine de mètres sur 9 étages. Chaque façade correspond à deux logements, les quatre logements par niveau étant à cheval sur deux façades. D’un confort supérieur aux barres d’habitation, deux types d’extensions ont pourtant été observés : la fermeture des loggias et l’extension du logement sur les espaces communs surdimensionnés. Cette sous-partie du quartier est extrêmement structurée dans la définition des espaces, la qualité de la planification ayant agi comme un cadre rigide d’évolution.


1970s Communautaire PrĂŠfabriquĂŠ


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La pratique de la planification soviétique veut que l’on parte d’un schéma général, dont la disposition et la nature des bâtiments s’adaptent aux particularités du site, comme sa topographie. Cette transposition d’un modèle au lieu est frappante à Sansar. La topographie n’est pas la même entre sa partie Sud et sa partie Nord. Pourtant, la topographie semble soumise à cette organisation en peigne, alors même qu’elle s’aplanit au nord du quartier. La topographie guide aussi la deuxième phase de construction des années 1970, mais c’est en panneaux préfabriqués que les bâtiments s’élèvent. En s’aplanissant au Nord, la colline induit une nouvelle orientation Nord-Sud dans la répétition sérielle mais s’attache à conserver la logique du plan, c’est-à-dire positionner l’ensemble d’habitation perpendiculaire à l’axe principale de circulation. Barres et plots ont cependant en commun l’évolution de leur accès sur l’extérieur en façade. Initialement ouverts sur l’extérieur, ces balcons ou loggias ont peu à peu été clos par les habitants afin de pouvoir être utilisés en toute saison. Des matériaux de récupération pour un appentis aux ouvrages plus coûteux pour une véranda miniature, un inventaire de ces constructions ex materia aurait pu être l’objet d’une toute autre observation. La position de ces balcons ainsi que leur destination est un autre révélateur de la condition initiale du logement. Dans les ensembles d’habitation plus modestes de la capitale, et sous d’autres latitudes dans les exemples français des grands ensembles, le balcon est généralement associé à la cuisine et sert de remise ou de stockage. C’est un élément fonctionnel et non un élément d’apparat comme dans les immeubles de plus haut standing. Dans les barres de Sansar, le balcon n’est pas positionné dans la cuisine mais dans les pièces les plus grandes de chaque appartement tandis que les loggias sont filantes sur les appartements des plots ; la générosité de ces loggias semble assurer la conservation d’un accès sur l’extérieur à partir du logement. Nous pourrions imaginer que ces balcons ouverts ne correspondent absolument pas au mode de vie ni au climat mongol et que les nouvelles constructions se sont adaptées. Mais il n’en est rien lorsque nous observons les immeubles sortis récemment de terre. Les balcons fleurissent toujours le long des 12 étages, désormais obligatoires, exposés aux dures conditions climatiques.


1990s Verticalité Chute de l’URSS Propriété privée


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Nos regards extérieurs déplorent immédiatement cette aberration de construction. Et comme chaque jour de terrain, la présence d’un regard mongol à nos côtés désarme nos observations trop directes. C’est en réalité une situation confortable tant pour la population mongole que pour les promoteurs immobiliers. Les coûts réduits de construction d’un balcon ouvert permettent à la population d’UB d’obtenir des appartements moins chers, élément considérable puisque l’immobilier est particulièrement coûteux à UB11. Le balcon est ainsi fermé après acquisition par le propriétaire de différentes manières au regard de ses moyens. C’est cette dernière étape aléatoire qui pousse une partie de la population à vouloir règlementer et interdire cette évolution du bâtiment. Certains trouvent en effet que l’aspect extérieur des bâtiments et par extension de la ville, est détérioré et dévalorisé par ces constructions faite de bric-à-brac. Ces nids de brindilles récoltés, perchés sur les façades des immeubles, sont donc menacés par la volonté d’une nouvelle image de la ville, plus lisse et homogène, en accord avec les canons urbains modernes.

11 Propos recueillis auprès de Solongo D.

La troisième phase de construction marque les dernières années de l’influence soviétique sur la Mongolie et la verticalisation des ensembles d’habitations dans les expérimentations soviétiques. En limite Est du quartier, des tours d’une dizaine d’étages s’élèvent sur des plateformes en contrebas du point culminant de la colline et rejoignant l’altitude de l’autre quartier par un jeu d’escaliers et de pans inclinés. Ces tours, en préfabriqués carrelés, augmentent la capacité de logements par niveaux en réduisant leur surface, et en augmentant l’emprise au sol du bâtiment. Ces dernières constructions de l’ère soviétique montrent une accélération de la construction et une réduction de la qualité au profit de la quantité. Aujourd’hui, ces immeubles semblent délabrés, l’ascenseur devient l’espace commun de référence et les autres espaces de distribution sont fortement dégradés : la benne à ordure déborde de déchets, des odeurs d’urine et de matière en décomposition emplissent l’escalier. Pour s’isoler de ces zones d’abandon, des sas ont été aménagés à partir de l’ascenseur entre couloir d’un même étage, conduisant à des situations parfois excessives d’une succession de trois sas fermées à clefs pour les appartements de fond de couloir.


2000s Nouvelle ĂŠchelle Investissement BĂŠton


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12 Boucheron O., op.cit.

Le XXIème siècle amène avec lui une pluralité d’acteurs dans la conception de la ville ; le gouvernement n’est plus la seule source d’organisation de l’espace urbain. Il la partage avec d’autres structures, désormais privées, pour qui le foncier passe d’abord par le prisme de la rentabilité et doit générer un profit à court terme, au détriment du confort minimum. Des bâtiments poussent entre les interstices des quartiers soviétiques, influencés par d’autres référents. Ils conservent cependant l’aspect stéréotypé, au sens de forme constante, modèle, d’un élément répété de façon mécanique dans un endroit ou une situation inadaptée. Parallèlement, la population reprend un droit d’usage sur les espaces qu’elle utilise et les modifie d’après des besoins en évolution : la prolifération de la voiture et l’émancipation du marché économique transforment l’espace redevenu public. Tuts (contraction de turgen, rapide et tseg, kiosque12) et konteners viennent se glisser entre le trottoir et les immeubles. Ces extensions se développent massivement entre 1992 et 2000 à l’initiative des habitants et permettent un commerce parallèle par la location et la vente de ces microstructures. Peu à peu, la municipalité qui se restructure reprend la main en mantière d’occupation des sols en délivrant des autorisations et des permissions de construire. Cependant, la permission relative à la mise en place de konteners ou de tuts a été suspendue en 2010 ; la population, pourtant initiatrice du phénomène, s’est peu à peu opposée à ces extensions commerciales, qui fragiliseraient les bâtiments, et réduiraient la sécurité des bas d’immeubles en amenant une population extérieure au quartier (Café Internet, Jeux en réseaux et services multiples occupent le sous-sol de la majorité des bâtiments soviétiques). Il en va de même pour les konteners qui deviennent un frein aux investissements immobiliers des entrepreneurs et à la volonté de densification de la municipalité. Ces garages sauvages pourtant officialisés – recensés sur le cadastre de la ville, de la même manière que les yourtes dans les quartiers de ger – sont petit à petit démolis, sans aucune indemnisation pour les propriétaires puisque non légitimes. Cette nouvelle interdiction n’est cependant pas un événement majeur dans la gestion de l’occupation des sols de la commune puisque les constructions illégales sont rares dans la capitale, et si elles existent, elles répondent aux règlementations passées, aussi les autorités ferment les yeux.


ONAL PROD UCT

Multiplicité d’entre-deux.

NAL PROD

UCT


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Ces extensions, à l’instar des balcons, ne sont pas en soi une représentation de la richesse ou de la pauvreté d’un quartier ; en revanche l’absence d’homogénéisation et de cohérence forge une interprétation négative de l’ensemble13.

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13 Propos recueillis auprès d’ Amgalam X. lors d’une réunion de travail à Paris, Avril 2015

Le modèle soviétique ne conçoit pas le logement comme dissocié de l’activité sociale de ses habitants. Le bâtiment n’est pas vu comme un élément isolé, mais comme un élément autonome qui s’intègre à d’autres bâtiments dans une logique sérielle autour de services et d’équipements communs. L’espace public dans l’idéologie soviétique joue un rôle fédérateur très important. Il participe à cette vision communautaire de la société, détruisant le caractère public au profit d’un idéal commun. C’est la confrontation entre modèle théorique et adaptation pratique qui créée un processus d’évolution du système urbain que nous avons décidé d’étudier.


Typologie de l’entre-deux barres


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L’ESPACE COMPOSE : Planification municipale d’embellissement et gestion fonctionnelle de l’espace communal par le COX

L’ESPACE INVESTI : Accumulation d’interventions privées communes de petite échelle, intentionnellement et dont le but est de s’approprier l’espace.

L’ESPACE ASSEMBLE : Succession d’initiatives privées (konteners, extensions, commerces) sans idée de cohésion, qui transforme l’accessibilité de l’espace communal.



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3 / Regard autochtone vs Regard allochtone « Il faut aux mots, pour qu’il prennent leur vol, la langue qui a été leurs nids. Dans une autre, ils perdent leurs ailes.» Kessel, Les Cavaliers

Il est de ces endroits où tout amène à nous considérer comme étranger au lieu. Surprise d’une langue aux sonorités bien lointaines, déchiffrage d’un alphabet mémorisé à tâtons dans l’avion rappelle sans cesse que tout reste à découvrir. Transposer nos compétences de lecture du territoire à un cadre extra-européen où nos acquis sont bousculés, est un exercice difficile puisque notre esprit ploie sous le flot d’images erronées, composées à partir de références connues et d’idées reçues. Il faut dépouiller sa mémoire afin de retrouver un regard sinon vierge, du moins attentif à la (re)découverte d’un lieu, d’un dispositif, d’une façon de vivre. Sans cesse oscillant entre l’observation sensible et l’observation « sachante », nous comprenons que notre regard n’est neuf que dans la situation qui se présente à nous, soit le quartier de Sansar à Ulaanbaatar. Notre parcours personnel et universitaire a construit et nourrit notre réflexion, nous permettant d’appréhender d’une manière singulière les situations qui se proposent à nous. C’est cette singularité qui offre une confrontation non seulement entre regards de cultures différentes – avec les étudiants mongols – mais aussi de même origine, dans le binôme français que nous formions avec Christella Marthe, et avec le reste du groupe où chaque soir voyait se croiser nos récits respectifs.


L’Atelier International s’organisait en deux temps, tant dans la constitution de l’équipe que dans celle du séjour. La première phase comprenait un travail de terrain sur les quartiers soviétiques pendant une dizaine de jours, par des équipes constituées de deux étudiants mongols et deux étudiants français. La collaboration prenait fin lors d’une présentation des résultats devant la Mairie d’UB, l’Ambassade de France et le doyen de l’Université MUST. A cette occasion, l’équipe franco-mongole que nous étions a dû réfléchir à structurer l’ensemble de l’information récoltée sur le terrain et formuler les premiers enjeux. Chacun de nous a donc développé une façon particulière de se comprendre entre deux cultures, deux langues et deux formations universitaires différentes mais aussi de transmettre à un public étranger au contexte de l’Atelier et au quartier étudié. La confrontation de deux regards et de deux états d’esprit n’a eu de cesse de mettre à l’épreuve nos propres questionnements. Une anecdote permet d’illustrer ce va-et-vient intellectuel dans cette rencontre franco-mongole : un des quartiers visités, le khoroolol 11, était organisé autour d’une école. L’école possédait un parc qui faisait office de cour de récréation, mais aussi de parc public et de promenade urbaine. Chacun y venait pour y trouver quelque chose. Un raccourcis, un banc. Cette mutualisation de l’espace nous a surpris, puis fascinée, à telle point que l’on ne remarquait plus que ce dispositif urbain lors de nos premiers jours de terrain à Sansar. Mais cette originalité était vécue comme un élément banal dans l’organisation du quartier par nos collègues mongols, qui n’allaient jamais observer les allers et venues de sujets extérieurs à l’école dans les cours de récréation. Le regard autochtone apporté a permis de tempérer cette curiosité pour un dispositif urbain inconnu et nous a permis de comprendre que la découverte d’un élément insolite dans un cadre inconnu n’était pas forcément matière à projet : quelques jours de terrain plus tard, et nous passions telle une habitude par les cours de récréation pour traverser le quartier. Cheminement désormais acquis, il a su éveiller une sensibilité dans la porosité du quartier à travers une multitude de détails. La végétation, les ambiances sonores, les obstacles de la vie courante sont devenus autant d’impulsions. L’élément inconnu est toujours une impulsion, pas forcément un élément de projet.


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Le cadre extra-européen permet de comprendre ce processus intellectuel car le fourmillement de découvertes empêche l’observateur de se focaliser sur une seule situation. La méthode, acquise, peut ensuite être transposée dans un lieu connu. S’enrichir d’un regard différent sur la pratique de l’architecture est un autre défi qu’offre la confrontation et la collaboration de deux sujets singuliers. Dans la même discipline qu’est l’architecture, plusieurs courants de formation se mélangent. La Mongolian University of Sciences and Technology forme des praticiens maîtrisant technique et solutions architecturales, tandis que l’Ecole Nationale Supérieure de Paris La-Villette oriente ses formations vers les sciences humaines. Nous observons le territoire par des prismes différents, regard analytique contre regard prospectif, mais aucunement divergents. Les difficultés de compréhension, les situations de quiproquos et autres péripéties ubuesques sont la partie obligatoire d’un travail en équipe, particulièrement lorsque les langues et les cultures divergent. Être extérieur à un contexte rend aussi chacun de nos cinq sens plus sensible. L’éveil est à son paroxysme et le moindre détail prend une importance toute autre. Sur notre terrain, nous avons été particulièrement sensible aux bruits du quartier, aux sons qui s’en dégageaient. Nous avons ainsi mêlé ambiances sonores et pratiques sociales de bas d’immeuble pour construire les frontières sensibles entre ce que nous considérions comme le quartier Sansar, et le reste de la ville. Le quartier évoqué dans notre analyse comprend ainsi deux quartiers administratifs, chacune évoluant de façon indépendante mais qui pour nous est un seul système. Le trafic routier des rues longeant Sansar encombre tant les routes que l’environnement sonore. Cette cacophonie urbaine s’infiltre jusque dans les intérieurs des ensembles d’habitation de la partie Nord qui ne sont pas du tout positionnés pour atténuer le bruit de la ville. C’est pourquoi l’entre-deux barres fonctionne lui-même en système. Entre les barres, la végétation retrouve son ampleur, le décor sonore change, bouleaux et mélèzes atténuent les bruits extérieurs au quartier pour ne laisser place qu’aux gammes de sons plus domestiques ; l’on perçoit des bribes de conversation à l’entrée du


Une frontière décousue, où terrains à lotir et stationnement sauvage se partagent l’espace.


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bâtiment, le cri des enfants dévalant les toboggans, le tintement de quelques outils près d’un kontener. Cette cartographie sonore renseigne sur ce paysage en mutation : les espaces extérieurs dans la partie Nord du quartier sont nettement moins définis que dans la partie Sud. Le bruit des voitures pénètre très en avant dans le quartier, et ne permet pas de se continuer la sphère domestique au bas des barres. Cette différence de lecture et de compréhension du paysage n’a encore une fois, pas supporté le carcan de la confrontation et a basculé au fil des jours sur un entremêlement de lectures qui ont complexifié l’observation et l’analyse du quartier étudié.



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II / T+1

S’inscrire dans un processus



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1 / Sansar stratigraphié « Le processus aboutit à une autre forme d’ouvrage : le conglomérat. Celui-ci rassemble des sujets qui se lient par empathie. Leur vie évolue avec naturel : le processus transforme donc sans cesse les lieux et les hommes ! » Kroll

L’idée de communauté affleure dans chacun des concepts du socialisme ; l’essence même du socialisme est d’ailleurs d’inventer de « nouveaux condensateurs sociaux » favorisés par une politique particulière de l’habitat – une réduction du confort individuel à son strict minimum en vue d’une meilleure utilisation et collectivisation des services communautaires. Le modèle soviétique pense ainsi l’habitation comme une des bulles de la sphère communautaire. Le rassemblement de plusieurs bâtiments autour d’équipements partagés renforce cette dimension collective, évitant ainsi l’isolement domestique et la naissance d’une pensée individualiste.

14 Tassin E., « Espace commun ou espace public ? », in Hermès, La revue, 1992

Les espaces extérieurs participaient de cette vision collective de la société et assuraient une bonne articulation entre logement, services et travail. Lorsque nous évoquons cet espace liant, très vite nous nous heurtons au statut à donner à cet espace. Dans un contexte aussi particulier, nous ne pouvons parler d’espace public, puisque cet espace rendu homogène dans son utilisation est le théâtre d’une domination politique et sociétale. L’espace public n’est plus lieu de communication car il est assimilé à un espace commun. L’espace commun construit une société qui « fait de la singularité des pensées un corps social homogène, un tout organique entraînant la destruction de l’espace public14» par la fusion des parties membres en un tout identitaire.


Aménagement soviétique de l’espace résidentiel...

... assurant un contrôle social visuel permanent.


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ESPACE COMMUN ET SOVIETISME Pourquoi tenter d’annihiler toute aspiration publique à l’espace ? Car l’espace public est au sein d’une communauté, le risque d’un éclatement, « un éparpillement des individus qui ne sont plus intégrés mais seulement agrégés15» . Le caractère commun d’un élément rassemble ceux qui le partagent. Ce groupe en fusion (Sartre) n’a plus à communiquer sur cette attache mutuelle puisqu’elle fait désormais partie d’eux-mêmes. Plus d’échanges possibles, plus de remise en cause possible puisqu’aucune distance ne peut être prise : une fois dans le tout, il n’y a plus de parties, donc plus d’éléments singuliers pouvant entrer en résonnance. L’idéologie socialiste soviétique est avant tout communautaire et se veut découlant d’un développement naturel du koinon. Mais il ne faut pas perdre de vue que cet espace satisfaisant les besoins de la communauté institue aussi un espace proprement politique, dans le sens de polis, qui renvoie à une institution humaine organisée, mais aussi à la présence d’un État souverain assurant la conduite de cette société. L’espace extérieur est ainsi vu dans la pensée soviétique comme la possibilité d’un contrôle social entre habitants du même quartier – par la maîtrise de la communauté – et sous le regard protecteur de l’État – par la maîtrise de l’espace politique. Ce contrôle communautaire est d’autant plus aisé que le quartier soviétique correspond généralement à une distinction spatiale des catégories sociales et des corporations, rassemblant ainsi des gens qui se reconnaissent et se jugent donc entre elles. Cette surveillance des individus se retrouve dans l’obligation des habitants de planter chaque printemps dans les entre-deux barres des essences végétales distribuées par l’État mais non adaptées au climat mongol16, puis d’entretenir communautairement ces espaces, autre moyen pour influencer la population à partager la passion d’un « Un commun » (Sartre).

15 Tassin E., op.cit. 16 Propos de Uelun ALTANGEREL, ArchitectePaysagiste et professeur à la MUST

Le quartier de Sansar à l’époque soviétique regroupait une population de même horizon, fonctionnaires et militaires russes, qui formait une communauté, c’est-à-dire un ensemble de personnes unies par des intérêts communs, des habitudes et des modes de vies partagés.


Des initiatives privées enrichissent le quartier d’autres utilisations sans considérer parfois son homogénéité.


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Le rapport à l’Autre, extérieur et différent, se fait moins ressentir et le souhait, sinon de s’en protéger au moins de s’en dissimuler est bien moindre. Le quartier est ouvert sur un espace commun qui abrite d’autres activités domestiques moins intimes (discussion, jeux d’enfants, bricolage), l’espace public est rejeté à l’extérieur. En 1991, à la chute de l’Union Soviétique, la Mongolie se libère des influences socialistes et réintègre avec la démocratie et la libéralisation des marchés, l’idée de propriété privée. Les mongols deviennent propriétaires de leur logement et la caractéristique des espaces extérieurs comme gestion commune se perd, les habitants se concentrant sur leur logement nouvellement acquis. Le logement est embelli. Encore aujourd’hui, l’immeuble d’habitation ne semble pas avoir une réglementation très stricte dans la modification des appartements, et chaque propriétaire pense son logement indépendamment des autres ; très souvent à Sansar, nous avons observé des chantiers de pose d’une isolation par l’extérieur exclusivement sur la façade d’un appartement. Le crépis extérieur change, les fenêtres sont remplacées et le logement se trouve en relief sur la façade de l’immeuble sans susciter aucune réprobation. RETOUR OU RECUL DE l’ESPACE PUBLIC ? Cette libéralisation du marché foncier et immobilier va transformer les quartiers soviétiques par de multiples initiatives majoritairement privées. Des extensions apparaissent afin d’agrandir un logement ; une vie commerciale vient se greffer au bas des immeubles, initialement autorisée dans le seul cadre du marché d’État approvisionné par le gouvernement. Les rez-de-chaussée des bâtiments changent de configuration selon leur nature: les barres en brique des années 50 et 60 sont plus aisément modifiables que celles en panneaux de béton préfabriqués. A l’exception de quelques extensions, les bâtiments de Sansar se transforment peu contraiment à d’autres quartiers soviétiques visités (Nekhmelin Shar, Bayangol). C’est la bordure du quartier qui a concentré ces nouveaux dispositifs architecturaux et urbains modifiant la vie quotidienne : rangées de tuts, agrandissement des RDC pignons sur rue, viennent redéfinir l’entrée du quartier.


Fragmentation en cours du quartier par l’augmentation de la voiture individuelle et la construction de nouveaux immeubles hors d’échelle.


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A l’intérieur cependant, des rangées de konteners s’infiltrent dans chaque espace non-construit pour ranger le nouveau produit de consommation de masse, la voiture individuelle. Ce jeu de Tetris géant fragmente et ferme peu à peu les anciens espaces communs du quartier. Mais l’espace au bas des immeubles reste la propriété de l’État ; en redevenant public, il est soumis à de nouvelles pressions, non plus sociales mais désormais foncières. En effet, la construction de nouveaux immeubles dans les interstices à partir des années 2000 modifie les quartiers. Sortant à l’extrême de la production sérielle et de la géométrie paysagère qu’incitait l’adaptation d’une programmation de la ville sur plan, les nouveaux immeubles investissent les dents creuses et grignotent la surface disponible d’espace libre. Nous remarquons très nettement dans l’analyse du plan de Sansar la réduction des cours d’école et l’empiètement sur les terrains de l’hôpital au Sud. Cet éparpillement des constructions sans plan d’urbanisme cohérent rappelle le mitage des zones périurbaines qui, sous l’effet de fortes pressions foncières et d’un manque de cadre légal dans l’occupation des sols, perdent leurs qualités premières.

17 Larousse Encyclopédie

Ces immeubles cassent l’échelle soviétique du quartier, rythmé par des constructions de quatre étages particulièrement adaptées au site et à sa topographie, dans l’orientation par rapport aux vents et l’ouverture sur les paysages lointains. Cette relation à l’horizon est un élément important dans la culture mongole que ne respectent plus les constructions de douze étages. La particularité de ces immeubles tient dans leur absence de rapport à leur environnement. Par leur hauteur, ils viennent ombrager massivement les espaces extérieurs des anciens quartiers et provoquer un effet Venturi. Défaut de taille dans un climat continental rude et froid où le soleil, unique source de chaleur durant de nombreux mois, est essentiel dans la survie de l’écosystème mongol (écosystème entendu en son sens biologique, c’est-à-dire formé par un environnement (biotope) et par l’ensemble des espèces (biocénose) qui y vivent, représentant une unité fonctionnelle caractérisée par un flux de l’énergie et un recyclage de la matière permanent entre ses différent composants inertes et vivants17). De plus, leur emprise au sol, très élevée, est en adéquation avec la volonté de la commune d’augmenter les surfaces de planchers des logements afin de reloger les habitants des quartiers de ger en les séduisant par de grands volumes.


R +15 R +18

Sansar 2030 ? R +8 R +18

R +12

R +12 R +12

Les rez-de-chaussée se surélèvent d’environ deux mètres pour ne laisser entrevoir que les aérations des parkings semi-souterrains, rendant impossible toute accroche d’un dispositif spatial lié à l’habitat. Alors que la ville n’arrive pas à assurer un niveau d’équipement satisfaisant à l’ensemble de la population, ces bâtiments sont pensés comme des entités résidentielles isolées au sein d’un ensemble urbain qu’ils n’améliorent pas, voire dégradent de plus en plus ; cette folie immobilière ne semble pas prête de s’arrêter puisque la commune interdit les permis de construire en deçà de douze étages dans le centre d’UB. Cette urbanisation pêche par son mimétisme aveugle envers les mégapoles asiatiques. Cependant, la ville conserve certains droits à l’égard de ces nouvelles constructions. Le sol mongol appartient dans son ensemble à l’État et ne peut devenir en théorie un produit. Bien commun ne pouvant appartenir à une personne singulière, les actes de ventes fonciers sont en réalité des baux emphytéotiques,


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contrats de longue durée entre l’État et les investisseurs, ces derniers bénéficiant d’un droit de jouissance des lieux et d’entreprendre n’importe quel travaux ne diminuant pas la valeur de fonds. Ce bail peut être reconduit à la fin du contrat ou alors le bien revient au bailleur, l’État. De ce fait, des règles strictes sont énoncées dans le règlement de planification urbaine concernant la fermeture des parcelles. Toute parcelle louée ne peut être entièrement close au passage. Un cas par cas est réalisé pour chaque parcelle à la demande d’une autorisation de construire afin de juger de la bonne fermeture de l’espace privé. Cette bonne intention surprend lorsque nous apprenons qu’un promoteur immobilier ne propose dans son autorisation de construire qu’une implantation de principe, qu’il peut faire évoluer lors du chantier. Que des compagnies d’investissement participent à l’élaboration des plans de quartiers, ceux-là même qui dans un deuxième temps réaliseront les constructions prévues. UB est victime de son attractivité, convoitée par les investisseurs privés, qui voient dans la grande disponibilité d’espace des quartiers soviétiques et dans la destruction des quartiers de ger, une possibilité immobilière que la Ville favorise afin de palier l’augmentation de la population Un paradoxe s’installe pourtant depuis le début du XXI° siècle. La ville se désinvestit de la maintenance des espaces extérieurs qu’elle préfèrent laisser aux investisseurs privés, ainsi que de la gestion et du renouvellement des équipements publics (qui datent principalement de l’époque soviétique et qui furent conçus pour une ville de 60.000 habitants qui en accueille aujourd’hui plus d’un million). En effet, le modèle soviétique assurait et exigeait un niveau d’équipements publics très élevé. Par exemple, un enfant devait être à moins de 500 mètres d’une école de onze ans (nomenclature soviétique désignant notre école primaire), et la cour de récréation devait être conçue par rapport au nombre d’enfants accueillis, comptant 4m2 par élève. Actuellement, la ville ne pouvant faire face à l’augmentation du nombre d’enfants scolarisés, les écoles primaires accueillent plusieurs séries de classes d’élèves chaque jour pour compenser le manque de lieux d’enseignement. Les enseignants assurent ainsi jusqu’à trois fois le même cours dans la journée.


Quand l’Etat n’est pas là, les Soucis dansent. CREATION

1990

PRISE DE FONCTION REELLE

2000

C.O.X Cууц Oмчлогчдийн Xoльoo

Regroupement de propriétaires d’appartements

bâtiment

terrain de jeux aire plantée

route

Gestion Electricité Ménage Chauffage Ordures Sécurité

ORGANISATION

Directeur Organisateur

Manager

ELECTION

CHARGES 1000 - 10 000 MNT / mois selon situation du foyer

Propriétaires


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D’un autre côté, ce désinvestissement est contrebalancé par un regain d’intérêt de la population pour leur vie de quartier. Le quartier se réorganise et une nouvelle gestion tente de s’établir entre les habitants et les services publics à travers l’institution du COX [SOR], une association de copropriétaires.

UNE INSTITUTION PAYSAGERE ? Associations similaires à nos syndics de copropriété français, les COX sont créés en 1995 pour soulager la ville de la maintenance de ses quartiers. Cette association de copropriétaires aux intérêts communs gère théoriquement un bâtiment, un espace vert, une voie d’accès et une aire de jeux, reprenant la structure soviétique de l’ensemble d’habitation. Pour fonctionner, l’ensemble des propriétaires paye une charge calculée selon la superficie de leur logement, entre 1000 et 10 000 Tugriks. Cette réserve financière assure la maintenance superficielle du bâtiment, la gestion de l’électricité, des déchets, de la sécurité, « tout ce qui concerne le bâtiment18». Les COX ont une certaine influence et une responsabilité sur la transformation des immeubles soviétiques. Ils peuvent réaliser de grosses modifications, particulièrement si le COX est riche, mais ils n’ont pas le droit de construire, car le terrain est la propriété du khoroo, donc de la ville et le COX n’en est que le gestionnaire. Ainsi, l’initiative de placer des containers dans l’entre-deux barres ne peut être impulsée par le COX. En réalité, les bâtiments, donc les COX, ne fonctionnent pas indépendamment mais se regroupent autour d’intérêts communs. Or Sansar est un parfait exemple de ce phénomène émergent.

18 Propos recueillis auprès du gestionnaire du COX 13, khoroo 1

Ce nouvel espace créé modifie son administration : un seul COX peut gérer entre trois et quatre bâtiments et leurs espaces respectifs. Le local poubelle est un exemple d’intérêts communs pouvant pousser des bâtiments à se regrouper. Dans la partie Sud, les habitants des barres viennent déposer leurs déchets ménagers dans le local poubelle en rez-de-chaussée des plots ; un plot fonctionne donc avec une barre d’habitation et un seul COX en a la gestion. L’ensemble du quartier est ainsi géré par 20 COX, séparés entre les deux khoroo. La route en tranchée reste une limite administrative et physique pour les associations d’habitants,


Une mutualisation de la gestion du quartier Ă travers les COX.


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puisque les liens de coopération entre COX d’un khoroo différent ne s’établissent pas. L’administration interne ressemble aux associations françaises. La présidence est assurée par un des propriétaires du groupe d’immeubles assisté par un trésorier et un manager. Le manager assure une permanence du COX dans un local attribué dans un des RDC des bâtiments, afin de répondre aux requêtes d’autres propriétaires et d’assurer la maintenance quotidienne faisant intervenir des acteurs extérieurs, comme les gardiens des entrées communes, les besoins d’un jardinier pour une journée, des travaux de réfection, etc19. Nous avons rencontré au cours de notre terrain, trois responsables de COX de systèmes différents ; un COX de la première phase de construction en brique composé d’espaces très structurés, un COX de la partie Nord en cours de fermeture et un COX de barres exposées aux axes de circulation, en limite de quartier au Nord. Contrairement à ce que pourrait faire penser la mutualisation des COX ainsi que la structure systématique des bas de barres, chaque entre-deux nous emporte dans un univers différent, par la végétation, par les usages, mais aussi par l’implication plus ou moins visible des habitants. Ce petit écosystème où l’habitant redevient acteur dans l’évolution de son lieu de vie transforme l’espace, parfois jusqu’à le fermer pour mieux se l’approprier et se protéger de la menace extérieure que représentent les nouveaux bâtiments. Le système d’entre-deux barres comme lieu de sociabilité et de rencontres se perd face à ce changement d’échelle dans la construction et les habitants le privatise par divers obstacles physiques et sociologiques pour contrer le sentiment de promiscuité et de vis-à-vis qui s’installe entre bâtiments de faible hauteur et immeubles de grande hauteur donnant sur l’entre-deux barres voisin sans y appartenir.

19 Propos recueillis auprès du manager du COX partie Sud, 28 septembre 2014


Superposition de deux trames de circulations, officielles et induites par l’usage.


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Dans la partie Nord, les rues goudronnées semblent de prime abord des impasses et l’absence de relief favorise le stationnement sauvage. Nous perdons ainsi très vite le peu de repères que nous pouvions avoir. Indécis quand à la prochaine direction à prendre, nous attendons qu’une personne arrive et s’engouffre entre deux containers, séparés d’un ou deux mètres tout au plus. En s’approchant, nous découvrons un escalier qui nous conduit à une autre partie en contrebas ! Cette anecdote résume l’imbrication de plusieurs niveaux de porosité du quartier. Vient se poser en filigrane sur les tracés officiels, un réseau de sentiers inconnus pour les personnes extérieures au quartier, venant consolider, adapter ou prolonger les cheminements officiels. Nous remarquons alors les interventions successives qui sont venues transformer le paysage de Sansar particulièrement autour de la promenade : un ajout de dalles posées sans jointement stabilise un sentier de terre, la suppression d’une section de muret ou d’une barrière permet de créer une ouverture et de ne pas avoir à l’enjamber. L’enjambement est d’ailleurs un mouvement proscrit dans la culture mongole, on lui préfère le contournement (Lacaze G., 2006). La végétation ne revêt pas seulement un caractère esthétique. Par leur culture et leur histoire nomade, les mongols conservent cette attache très forte à la terre. Mais alors que dans de nombreuses cultures asiatiques le rapport qu’entretient l’homme au paysage est contemplatif, c’est ici par une pratique du paysage que se fait la relation. Certaines essences végétales ou forme paysagère influent donc sur les cheminements dans le quartier. Les herbes hautes, graminées vivaces, sont un obstacle dans la progression du parcours piéton et automobile. La terre, par ailleurs, ne rebute personne : très sèche et compacte, elle a perdu son élasticité et sa capacité à absorber l’eau. Les quelques jours de neige que nous avons subi n’ont même pas transformé cette dernière en boue durant les heures les plus chaudes de la journée. Se sont donc les espaces extérieurs qui ont particulièrement évolué depuis une quinzaine d’années. En se diversifiant, et ce à des échelles différentes, ces espaces sont devenus la qualité primaire du site, dû à la surface disponible, à ses multiples transformations par les usages et son potentiel topographique.


L’ESPACE COMMUNAL : lieu, intérieur ou extérieur, appartenant juridiquement à la Commune d’Ulaanbaatar, et géré comme bien commun par les habitants du quartier en la qualité de droit d’usage.

COX

GESTION DU SOL ET DU BATIMENT

PARTICULIERS

BIEN COMMUNAL

GESTION ET UTILISATION PAR LES HABITANTS

PROPRIETE DES LOGEMENTS

BIEN COMMUNAL JURIDIQUE

ULAANBAATAR

PROPRIETE FONCIERE DU SOL


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Ce sol, tant comme structure orographique que support d’utilisations, amène à réfléchir au statut auquel il peut prétendre, afin de penser intelligemment son évolution. Comme évoqué précédemment, le territoire mongol est un bien public qu’aucune entité privée ne peut acquérir. L’ensemble du sol physique du quartier est la propriété de la commune. Mais comme nous l’avons argumenté au cours des précédents chapitres, la gestion de ce sol revient aux habitants qu’ils considèrent comme un bien commun. Nous avons ainsi défini les espaces non-privés du quartier comme des espaces communaux. Et ce à plus d’un titre : juridique puisqu’ils appartiennent à la Ville d’UB, mais aussi pratique, car les habitants s’approprient son utilisation. Sorte d’usoir19b français, ces espaces compris entre la chaussée et le bâtiment appartiennent toujours au domaine public communal, soumis à un droit de passage collectif – ces entre-deux barres ne peuvent être clos car ils assurent une porosité de l’espace urbain – mais bénéficient d’un droit d’usage privé. Les dispositifs spatiaux, c’est-à-dire la manière dont s’articulent les espaces de transition entre le logement et l’espace public, jouent un grand rôle dans l’éclosion des initiatives habitantes20. L’investissement affectif des habitants dans les pieds d’immeubles leur permet de bien vivre leur quartier. De plus, l’enrichissement des espaces extérieurs se fait sans l’intervention des services publics qui voient leur budget d’entretien diminuer.

19b espace communal à usage privé entre la façade et la rue hérités des usages agricoles traditionnels de certaines régions françaises 20 CERUR, Ministère de l’Equipement, « Espace de transition et initiatives habitantes », Fev. 1989

La pression foncière perturbe le fragile équilibre de la ville et le quartier Sansar en est un parfait exemple. En saturant le sol de nouvelles constructions ex nihilo, la Ville fait disparaître la succession d’échelles entre le commun et le domestique qu’avait créé l’idéal soviétique dans sa transposition urbaine. L’enjeu de ces dernières années est la confrontation de deux visions. L’une dépositaire de l’héritage soviétique considère l’entre-deux barres comme un espace quasi domestique. L’autre apportée par les primo-arrivants considère l’entre-deux barres comme public. Cette confrontation a pour conséquence de dégrader l’entre-deux barres. Face à cette menace, les habitants se replient et tendent à fermer leurs entredeux barres, transformant l’accessibilité et la publicité des quartiers soviétiques. Ce repli identitaire autour du foyer est d’autant plus visible que les habitants commencent à se réapproprier l’espace libre extérieur.



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2 / Et l’architecte ? « De l’architecture action comme processus vivant… » Lucien Kroll, art actuel, n°108, 2011

L’architecture ne doit pas nécessairement être associée à l’idée de solutions. Solutions réclamées par un problème. Problème qu’il faut résoudre, mal-être qu’il faut éliminer, confort qu’il faut généraliser. La puissance de l’architecte ne dépend pas de sa capacité à trouver des solutions ; bien d’autres disciplines, de l’ingénieur à l’usager, savent répondre à un problème. L’architecte dépasse le problème spatial pour embrasser une idée plus grande. Au problème, il problématise et inscrit son action dans un processus. L’architecte s’inscrit alors dans un enchaînement de faits qui font évoluer le lieu. Ainsi au problème des embouteillages récurrents et des stationnements en nombre insuffisant dans le centre d’UB, l’architecte ne peut se satisfaire d’une solution reposant uniquement sur une adaptation des axes de circulation ou sur une augmentation du nombre de parkings. Son action doit s’inscrire dans un processus plus vaste, reposant sur la prise en compte d’une réflexion globale : quel dispositif spatial oblige l’habitant à utiliser sa voiture ? Le site à problèmes fascine bien plus les architectes et les spécialistes du territoire que la paisible zone résidentielle d’une ville moyenne. Le problème séduit et fascine par l’engagement qu’il réclame. Ce biais cantonne malheureusement l’architecte à des situations de crises.


L’architecture se voit donc comme l’accompagnement de l’évolution naturelle des éléments. Ostéopathe du territoire, l’architecte positionne correctement le squelette urbain par des interventions sans violence afin que le corps lui-même réagisse et trouve une position qui lui est propre. L’acupuncture urbaine, conceptisée par Marco Casagrande, est selon nous bien plus liée à une régulation des flux énergétiques de la ville, par une intervention micro-urbaine. L’idée d’acupuncture urbaine contient celle d’équilibrage. Mais tous les lieux n’ont pas besoin d’être rééquilibrés. Parfois, il faut juste être attentif à comprendre et conserver l’orientation naturelle du lieu. Un diplôme de fin d’année est aussi la consécration d’un apprentissage, métissé par les nombreux courants et figures charismatiques qui nous ont traversés et modelés. Au fur et à mesure de nos balbutiements architecturaux, certains prendront le parti de la forme, quand d’autres ne jugeront que par le programme. Nous avons préféré élever le lieu comme impulsion même du projet, afin d’inscrire l’exercice architectural attendu pour ce PFE dans une connaissance approfondie d’un milieu et de son évolution. Ulaanbaatar, et bien plus Sansar, devient dès lors le sujet d’un diplôme, et non le support d’un sujet. Le terrain, comme lieu où un scientifique exerce sa recherche dont il étudiera les résultats en laboratoire, devient la matière à modeler du projet, sa genèse. Le laboratoire, pour notre part le studio d’architecture Transpositions, incarne l’analyse et un nouveau pétrissage de cette même matière. Le quartier de Sansar est particulièrement intéressant dans cette idée de processus. Ce quartier n’est pas ce que l’on peut considérer comme un quartier « à problèmes ». Considéré comme un quartier riche et en bonne santé (BZD District) par la commune d’Ulaanbaatar, ce quartier est l’un des plus vieux quartiers en dur de la capitale construit dès les premières planifications urbaines soviétiques. Les personnes résidant à Sansar font partie d’une catégorie socioprofessionnelle moyenne. A l’origine pensé pour une élite russe, cet ensemble d’habitations conserve le confort minimal de tout bâtiment bien pensé, qu’importe la période où les évolutions des modes de vie. Une fracture sociale est tout de même en train de s’opérer avec certaines des nouvelles constructions de haut standing qui s’implantent en lisière du quartier.


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Le quartier n’est pas enclavé puisqu’il est traversé en son cœur par un grand axe urbain piétonnier et routier reliant le District de Bayanzuurkh (arrondissement de la capitale), un des plus grands et peuplés des 9 districts d’Ulaanbaatar, au centre de la capitale. Six lignes de bus raccordent en différents endroits le quartier au reste de la ville, très proche par ailleurs du centre névralgique de la capitale, la place Sukhbaatar n’étant qu’à une dizaine de minutes de marche. Enfin, rien dans l’organisation des espaces extérieurs ne laissent entrevoir un quelconque abandon, aucune détérioration, donnant parfois même une première impression de coquetterie dans certains entre-deux barres, un mobilier urbain neuf, des jeux pour enfants utilisés, etc. Alors comment imaginer la place d’un architecte dans ce contexte ? Quel intérêt trouve-t-on à faire venir un spécialiste de la solution lorsqu’il n’y a aucun problème apparent posé ?

20b Morin E., Introduction à la pensée complexe, Seuil, Paris, rééd. 2005.

L’architecte est encore vu comme une contrainte coûteuse et élitiste et non comme l’opportunité d’améliorer sur mesure un projet par un professionnel qualifié. En pensant l’architecte dans un processus d’évolution naturelle des milieux, ici habités - mais l’architecte paysagiste prend aussi en compte l’évolution de milieux dit naturels, forêt, littoral, marais, landes, montagne, etc. - l’architecte prend une place importante dans l’analyse de cette évolution et de son accompagnement. Toute personne observe et analyse des phénomènes vécus à partir d’une construction critique et culturelle faite d’expériences singulières : en cela, chaque personne est capable de répondre à un problème/stimulus. L’architecte ajoute à son expérience singulière du monde, une formation du regard, lui donnant des clefs de lecture afin d’analyser un phénomène mais aussi de le problématiser et tenter de le relier à d’autres échelles. L’architecture ne devrait jamais être une réponse directe. Sa capacité d’analyse tient dans la mise en relation de plusieurs échelles de faits et d’acteurs, permettant de problématiser différents niveaux de réflexions spatiales et urbaines et qui seront imbriqués dans le projet. La réponse complexe qu’offre l’architecte n’est pas synonyme de réponse compliquée, difficile à réaliser ; une réponse complexe peut être simple lorsque la construction intellectuelle dont elle découle est logique et solide20b.


Lors de notre phase de terrain, nous avons été confrontés à deux types de données : celles récoltées via l’analyse spatiale primaire du terrain, soit la première réflexion issue directement de notre observation et celles récoltées par les enquêtes orales réalisées auprès des habitants par une interaction directe ou différée, des entretiens et des témoignages récoltés. Ces différentes informations ont amplifié les jeux d’échelles que l’architecte se doit de manier entre plusieurs niveaux d’informations, d’implications et d’intérêts, mais aussi plusieurs niveaux de communication. Les enquêtes orales aboutissaient très souvent à la recherche d’une réponse directe ; les personnes interrogées nous racontaient leur quartier à travers les éléments négatifs qu’il faudrait selon eux traiter pour améliorer leur quartier, mais nous n’avons pas eu de témoignages renchérissant sur le mal-être d’habiter ou de fréquenter le quartier. Diriger un entretien dans une langue inconnue où toutes les questions se traduisent jusqu’à quatre fois, du français à l’anglais puis de l’anglais au mongol, est particulièrement délicat et ce type d’information nous a été plus utile pour comprendre les ambiances et émotions associées au quartier plutôt que dans la mise en évidence des enjeux du quartiers. Ainsi, l’analyse spatiale primaire du terrain a été était l’occasion de faire émerger quelques grandes questions susceptibles de construire une réelle problématique à notre retour en France, démarche qui ne correspondait pas à la pratique du terrain de nos collègues mongols. L’accompagnement d’une évolution ne repose pas seulement sur l’analyse. L’architecte à la fin de ses études a été formé à concevoir un projet et c’est à travers cette qualité qu’il peut accompagner un processus en légitimant et orientant son évolution. L’architecte ne se contente pas de positionner une construction imaginée hors de tout contexte. Il doit être réceptif aux dispositifs lentement construits par les acteurs du territoire (habitants, municipalité, etc.) afin de les orienter vers une meilleure interaction avec leur environnement. Au besoin il lui faudra accepter qu’une partie de son travail demeure imperceptible.


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Nous avions, bien plus que les étudiants mongols, une situation privilégiée dans notre pratique du terrain : celle d’être extérieures au milieu à observer. Cette narration externe que propose l’architecte permet d’assurer une position objective, même s’il peut intervenir de manière subjective lors d’une prise de position. L’observation et l’analyse ont ainsi le recul nécessaire à l’imbrication de plusieurs échelles de projet. S’intéresser à un contexte extra-européen, inconnu et sans affinités – le choix des sites avaient été arrêtés en amont par les professeurs français et mongols – nous a donc laissé expérimenter cette capacité d’être extérieur au sujet. C’est encore une fois le quartier même comme projet qui a peu à peu transformé notre regard et notre lecture, frôlant parfois la sensibilité sans tomber dans la subjectivité, le travail en binôme permettant de considérer deux fois chaque situation. La volonté des habitants n’est pas la seule source d’évolution d’un milieu. Se mélangent aspiration des commerçants, demandes des utilisateurs, et à des échelles plus grandes, volonté de la Ville, pression des investisseurs. L’architecte, en tant que médiateur, doit savoir prendre en compte ces différents intervenants. Les acteurs de l’évolution de Sansar ont une charge affective différente selon leur rapport au quartier (habitants, service urbanisme d’UB, etc.). En revanche, ils sont tous considérés comme représentants d’une pratique et d’une aspiration du lieu que l’architecte se doit de prendre en compte. Pour Sansar, il est évident que l’évolution actuelle du quartier ne convient guère aux habitants. Les dents creuses se transforment en immeubles d’une quinzaine d’étages, dégradant les alentours par leur emprise au sol et l’ombre portée sur les entre-deux barres. Face à cette densification intensive, les habitants du quartier ne retrouvent plus leurs repères ni la qualité de vie souhaitée. De façon similaire à d’autres quartiers de la ville mais exacerbée par sa proximité avec le centre, le quartier se transforme avec cette nouvelle phase d’urbanisation qui se déconnecte de plus en plus du milieu existant. De l’autre côté de la rue, un quartier de ger au Nord sera bientôt remplacé par un nouveau quartier de buildings, à deux pas de l’Université.


Une position enviée dans le développement de la capitale.

GANDAN

SUKHBAATAR

Hyper-centre et centre-ville d’Ulaanbaatar

SANSAR


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C’est une situation particulière qu’il faut appréhender, et c’est dans ce contexte de densification que notre diplôme s’inscrit. Le quartier Sansar continuera par sa position géographique à être le théâtre d’une folie immobilière. Ne pas intégrer la pression foncière actuelle, c’est repousser les constructions à l’extérieur de ce cercle déjà construit, participant à l’étalement de la ville et à la destruction rapide des quartiers de ger. La conservation ad vitam aeternam des quartiers de ger n’est pas une fin en soi. Mais le potentiel de réversibilité qu’ils permettent est essentiel dans la façon de réinventer l’habitat mongol. Les détruire maintenant serait donc court-circuiter le processus en cours de réflexion citoyenne. A l’inverse, l’évolution des quartiers soviétiques est ancrée dans les esprits, tant ceux des habitants que dans celle de la municipalité ; ils sont donc le terrain adéquat pour imaginer une réponse différente dans la densification du sol tout en conservant les qualités officielles et légitimes du site, cadre légal que ne possèdent encore pas les quartiers de ger, rendant l’alternative plus délicate à mettre en place. L’architecte est donc actif dans le processus d’évolution par sa capacité à faire du projet ainsi que son regard extérieur englobant différents horizons et permettant d’inscrire cette nouvelle phase d’urbanisation sur-mesure, dans un contexte spatial stable et cohérent et dans une démarche temporelle. Il devient chef d’orchestre de ce mouvement, la portée sur laquelle s’accrochent et se décrochent notes et silences. Un autre atout dans la démarche de processus de ce diplôme de fin d’études est le travail en équipe. L’équipe s’est transformée entre la période de terrain et la période d’analyse puis de projet, mais le processus s’est nourri de réflexions multiples qui ont permis de lui donner une épaisseur informative, problématique et projective par la confrontation de deux personnes. Malgré les clichés que véhiculent les starchitectures de l’époque, l’architecture n’est en rien individuelle ni associée à un nom. Car l’architecture n’est pas un art, elle ne représente pas l’énergie d’une seule personne mais la canalisation et l’imbrication d’une multitude d’énergies dispersées.


De la donnée brute à la construction d’un projet.


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Construire un projet à plusieurs mains, c’est avancer toujours plus dans l’idée de processus. Chaque information est traité trois fois : dans un premier temps par deux esprits singuliers et indépendants, puis par l’entité qu’ils créent en s’associant. Ce brassage intellectuel permet de mûrir une réflexion en complexifiant la rencontre entre les idées. Le terme de co-construction, très prisée dans les milieux collaboratifs, s’adapte à cet exercice. Le projet ne devient plus seulement une idée à mettre en forme, mais une multitude d’idéestesselles qu’il faut assembler de manière minutieuse pour constituer un projet mosaïqué.



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III / T+2

Impulsion d’une nouvelle evolution



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1 / La conservation d’un processus “La médiation de l’objet par le sujet prend toujours la forme du projet.” Le Nouvel Esprit scientifque, Gaston Bachelard

Sansar est le résultat d’une planification soviétique sur le modèle de la production sérielle : un même langage architectural, une même articulation entre espaces extérieurs, logements et équipements, le quartier est pensé dans son ensemble pour s’inscrire dans une géométrie paysagère lisible. La structure actuelle des espaces extérieurs découle pourtant d’une logique différente de la logique soviétique associant chaque bâtiment à un espace vert et une aire de jeux. Les entre-deux barres ont peu à peu cessé de fonctionner en éléments autonomes pour commencer à interagir entre eux et se spécialiser.


En réalité, le stationnement répond à une absence de fonction des lieux,

et comme d’autres interventions, montre le rapport pratique au paysage.


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Nous avons remarqué que le stationnement considéré comme sauvage lors de nos premières observations répondaient à une cohérence interne au quartier, et plus spécifiquement interne à un regroupement de bâtiments. La fonction partagée par un ensemble d’utilisateurs semble être une protection à l’envahissement, par les constructions et les garages. L’espace est en réalité considéré comme une aire de stationnement lorsqu’aucune fonction assez précise ne définit cet espace. Ainsi, une aire de jeux utilisée par les enfants, bien qu’accessible aux véhicules, n’est jamais envahie. Initialement prévues dans chacun des entre-deux barres pour assurer un contrôle des enfants depuis les appartements, une sélection naturelle s’est faite et les aires les moins attractives sont abandonnées. De même, un espace réinvesti par les habitants – fleurs, jardinières – ne peut pas être aussi un endroit où les enfants vont jouer pour ne pas opposer deux occupations très diverses. L’adaptation constante à la meilleure utilisation de l’espace n’a eu de cesse de nous surprendre : sur la place centrale du marché, un des parterres n’a désormais plus de barrières ni de fleurs afin de prolonger le terrain autour du panier de basket. Le stationnement devient un marqueur de l’utilisation d’un espace, et il devient alors extrêmement intéressant de l’étudier pour comprendre le statut que donne les utilisateurs du quartier à certains lieux. Nous nous sommes inscrits dans l’évolution du quartier en exploitant ce processus. En redéfinissant de façon utile les espaces du quartier par une approche volontairement paysagère, nous avons rétabli une possible utilisation de l’entre-deux barres. QUAND L’ENTRE-DEUX BARRES SE PARTAGE L’analyse du quartier nous a aussi permis d’accroître le fonctionnement mutualisé de certains entre-deux barres à d’autres groupes de bâtiments qui n’étaient pas encore mutualisés. La structure même des logements traversant permet de se détacher de la pensée hiérarchique qu’une barre d’habitation n’est en relation qu’avec l’avant de la barre. Tous les logements étant traversants, l’arrière-cour est visible de tous. L’entre-deux barres ne repose plus sur la mise en commun de l’avant d’une barre et de l’arrière d’une


LA COUR SEMI-NOMADE Une intervention par la mutualisation des pratiques de l’espace communal en associant les possibilités de différents lieux.

Entrée Jeux d’enfants Pergola Parking Jardin


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autre, mais sur un espace communal dédié à ces deux barres qui fonctionnent maintenant en système. Ainsi l’aire de jeux peut ne pas se retrouver à proximité de l’entrée d’une barre mais de l’autre côté, la configuration des logements assurant un contrôle visuel permanent. Chaque bâtiment voit donc sa sphère d’utilisation s’agrandir, les sphères à proximité se chevauchent créant un nouveau système que les usagers peuvent adapter à d’autres référents que celui de la barre. Selon les saisons, l’exposition, la topographie, les utilisateurs dépassent le cadre préconçu de l’entre-deux barres pour investir et s’approprier d’autres endroits du quartier qui, par la nouvelle fonction définie, sera protégée des menaces extérieures. Le logement reste le pivot de cette articulation de la sphère domestique, de la même manière que la yourte dans le parcours cyclique du nomade, il n’empêche plus le mouvement, ni la détermination du territoire alloué au bâtiment. Nous considérons ainsi cette cour comme semi-nomade ; le bâtiment demeure le pivot autour duquel s’organise le déplacement nécessaire à la vie domestique. Ce semi-nomadisme ne s’étend pas dans une temporalité plus importante que celle de la journée, ni dans un schéma économique. Il ne faut pas le dissocier du terme de cour, qui concentre l’idée de domesticité de la pratique, et que l’on considère comme semi-nomade dans le rapport de l’utilisateur au territoire de cette cour. Cette mise en mouvement de l’espace communal de Sansar a un enjeu conséquent : réintégrer les nouvelles constructions exclues, dans le système d’entre-deux barres. En effet, la densification de la ville sature les espaces non-bâtis établis sous les planifications soviétiques en les rendant inutilisables par l’ombre portée qu’ils projettent sur les espaces extérieurs. La structure verticale de ces immeubles favorise l’effet Venturi et les bourrasques de vent balayant régulièrement UB s’engouffrent dans le quartier autrefois protégé par la succession de barres de logement. L’espace communal autour de ces bâtiments déjà isolés de ce dernier par un RDC dévolu au stationnement semi-souterrain devient stérile et les rares obligations d’équipements comme l’aire de jeux s’amenuisent pour combler les vides urbains créés par la structure.


Penser l’aire de jeux à nouveau en rapport avec le milieu. 1960-1990

1990-2015

2015 - ?


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Les jeux évoluent aussi. Durant la période soviétique, le jeu se divisait en plusieurs éléments : espaliers, paniers de basket, toboggan et bac à sable sont les principaux agrès que nous avons pu relever sur le terrain. L’aire de jeux soviétique était un monde à part entière habitée d’ours en béton qui accompagnaient de leur présence l’imaginaire des enfants. Après 1990, les premières structures complexes, en bois et bien souvent composées seulement d’une plateforme en hauteur apparaissent dans les entre-deux barres. De plus en plus complexes et internationalisées, les structures de jeux du XXIème accompagnant les nouveaux immeubles et remplaçant les anciens toboggans en métal sont en plastique chinois, auquel s’ajoutent des éléments de fitness destinés aux adultes, standardisés de Rio de Janeiro à la Côte Basque. En déployant le processus de mutualisation des espaces communaux observés sur le terrain, phases soviétiques et contemporaines de construction se mêlent afin d’évoluer ensemble et non parallèlement. La position des aires de jeux a été le point de départ. La stratégie soviétique, conservée jusqu’à aujourd’hui, consiste à établir les jeux à l’intérieur d’un périmètre visible pour le parent à l’intérieur de la barre. La place centrale de Sansar, inclusion d’espace public à l’intérieur de l’espace communal, est d’ailleurs la seule aire de jeux où nous avons pu voir les parents surveiller leur progéniture depuis un banc. Il fallait donc réfléchir à l’aide de cônes de vision pour chacun des bâtiments et montrer la position adéquate de chaque fonction. Les pergolas se divisent en plusieurs points de la cour nomade afin de profiter au maximum de l’exposition. Mais nous avons aussi voulu légitimer d’autres activités observées. L’espace communal est le lieu de toutes les réparations. Bricolage dans un kontener reconverti en atelier, mécanique sur le sol goudronné, jardinage dans les parterres. Autant d’activités domestiques sorties qui enrichissent l’espace communal. Nous avons greffé de petits ateliers aux bâtiments existants pour favoriser ce type d’initiatives. Toujours considérés comme dispositif


Des ateliers tuteurs pour favoriser l’extériorisation des pratiques domestiques dans l’espace communal.

En inter-saisons,

comme en été.


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paysager, ces ateliers dissimulent certaines entrées d’immeubles sans les fermer, font obstacle aux voitures trop invasives, et communiquent avec l’extérieur. Une structure portante en bois isolée de paille légèrement surélevée est protégée par un bardage de planches de mélèzes non équarries dont se parent chaque équipement communal du quartier pour créer une identité visuelle commune. L’atelier communal possède deux temps d’utilisation : une utilisation ouverte entre juin et septembre, et une organisation close avec sas pour les intersaisons, considérant le plus fort de l’hiver comme le temps d’activités liés au logement en lui-même. CREER UN PAYSAGE FRONTIERE La partie Nord du quartier repose au sommet de la colline où une 2x2 voies au trafic incessant la sépare du quartier de ger. Frontière entre deux mondes, cette situation de discontinuité spatiale est fréquente dans de nombreux autres lieux de la ville, où deux systèmes urbains se juxtaposent sans s’affronter ni se lier. L’extrême Nord de Sansar contraste particulièrement avec le reste du quartier dans son absence de dénivelé, et ne bénéficie donc pas de l’aménagement topographique des autres séries de bâtiments. La proximité avec le reste de la ville et sa facilité d’accès aux voitures empêche les personnes résidant dans les barres de s’approprier l’espace communal : les parterres ne sont pas entretenus, aucun banc ne complète l’entrée dans l’immeuble. L’absence d’espace de transition entre l’intimité du quartier et la publicité de la ville a fait disparaître jusqu’à ce dernier seuil. C’est aussi la zone du quartier où il reste beaucoup de foncier disponible pour les investisseurs. Lors de notre terrain, un bâtiment était en train de sortir de terre tandis qu’un autre, déjà cadastré, n’attendait que le départ du chantier. La pression foncière est ici à son paroxysme. Paradoxalement, cette proximité immédiate avec la ville est un atout de taille dans l’évolution de cette partie Nord. De l’autre côté de la Toiruu Street, s’étale un quartier de ger, faisant de ce bout de quartier un lien entre deux mondes urbains différents. A l’ankylose actuelle de la capitale par un trafic routier devenu ingérable, le parking à étage peut s’avérer une réponse bien trop directe à la


Un nouveau plan de déplacement à partir des quartiers frontières comme Sansar.

B

B

B

B

B

QUARTIER DE YOURTE

B


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problématique posée, qui elle appelle des solutions de fond. Cette frontière entre deux systèmes peut donc devenir un échantillon test d’un nouveau plan de déplacement à l’échelle de la ville. Le centre, consolidé suivant la logique de composition monumentale des plans soviétiques, peut ramifier et rendre plus performant le réseau de transports en communs afin de limiter au maximum l’utilisation de la voiture individuelle. A l’inverse, le quartier de yourtes découle d’une urbanisation par agglomération successive et le tracé des rues non stabilisés ne possède pas le même rôle, le but n’étant pas de joindre le plus rapidement deux lieux distants mais de desservir un maximum de khashaa : très peu accessibles aux transports en communs, la voiture reste pour le moment une obligation. En s’appuyant sur la configuration centrifuge des artères soviétiques, larges et à plusieurs voies, la circulation serait fluidifiée en définissant un réseau de TCSP, transports en commun en site propre, sur une voie dédiée. Les quartiers en dur limitrophes avec les quartiers de ger deviennent ainsi des points de connexion et assurent la transition entre deux mobilités différentes, en voiture dans les yourtes, en commun dans la ville consolidée.

22 Gasc M., Boucheron O. (dir.), Nekhmelin Shar, Projet de Fin d’Etudes, Juillet 2015, ENSAPLV

La partie Nord de Sansar possédait déjà une voie réservée descendant jusqu’à Peace Avenue, l’axe structurel d’UB, et qui permettait aux habitants d’accéder au quartier en voiture. En modifiant le carrefour de Toiruu Street et le tracé des routes existantes, une nouvelle circulation s’établit dans la voie réservée. A l’entrée du quartier, sur l’emplacement d’une ancienne station essence, une aire de stationnement est aménagée. La station de bus conserve sa place initiale, la rue principale pour accéder au quartier de ger au Nord se trouvant en face. Le terre-plein existant séparant la voie réservée de la rue principale, se considère maintenant comme une promenade paysagère qui relie le Park+Relay (P+R) à la station de bus : une passerelle en bois enjambe Toiruu Street pour protéger les piétons et relier les deux sens de direction de la ligne de bus. La promenade se poursuit ensuite jusqu’à Peace Avenue au Sud, où se positionnera dans un futur déjà bien proche la station de métropolitain. Â l’Ouest, elle rejoint les berges aménagées de la Selbé qui permettent de relier le centre par un réseau de promenades réalisées ou en cours de projet22.


Pennisetum

Eriophorum

Aster

Cosmos

Soucis Pavot

Amygdalus Edonculata Carex Anthémis des champs

Retrouver une transition entre l’environnement urbain public et l’espace communal du quartier par l’aménagement d’un noveau paysage de marge.

Stipa borysthenic Absinthe sauvage Armoise blanche

Vivaces et annuelles


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Par un ensemble de dispositifs paysagers mêlant relief et végétation, la promenade retrouve sa place d’espace de transition entre le système urbain et celui du quartier. Ce seuil conserve cependant son statut public et ne peut être considéré comme un espace communal puisqu’il appartient entièrement à l’échelle urbaine. Pour ne pas clore visuellement le quartier consolidé et le quartier de yourtes, nous avons préféré réfléchir à une succession de seuils : la promenade se couvre d’essences végétales buissonnières, qui, formant une butte sur laquelle peut reposer une assise continue le long du terre-plein, protège les circulations piétonnes du flux automobile. Une fois entrés au sein du quartier de Sansar, d’autres dispositifs spatiaux émergent et se jouent d’une topographie existante ; les lignes de garages en brique deviennent courbes de niveau pour modeler l’espace communal. Recouverts de terre, une protection thermique supplémentaire pour les conditions hivernales, les containers offrent d’autres pratiques et orientations, tout en dissimulant l’entre-deux barres et canalisant le flux des voitures. Guider sans fermer, orienter sans contraindre. Les reliefs artificiels et naturels créent un nouveau paysage et ne forment plus qu’une seule entité par la couverture végétale apposée. Deux végétations s’opposent sur les talus, selon l’orientation plus ou moins favorable. Les talus donnant au Sud s’adonnent aux couleurs et aux graminées champêtres tels que pavot, souci, aster et cosmos dans les parties basses des talus et une essence rase comme le Pennisedum stabilise les parties hautes du talus donnant sur l’ouverture des garages. À l’ombre, Carex et Anthémis des champs assurent le maintien du talus tout en offrant leurs couleurs fauves au regard du passant. Ces talus deviennent des jardins suspendus où bancs et kiosques attendent les habitants du quartier mais aussi ceux du quartier de yourtes qui intègrent Sansar dans leur carte mentale de proximité. En structurant cette frange, le quartier retrouve une dimension domestique mais aussi fonctionnelle : le soleil accroche ses derniers rayons sur les hauteurs des talus bien plus longtemps qu’au bas des barres.



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ETE - Matin

HIVER - Midi

ETE - Soir

Les jardins suspendus de Sansar.


Chacun son point de vue dans l’avenir de Sansar.

INVESTISSEURS

QUARTIERS DE GER HABITANTS

COMMERCANTS

SANSAR

NOUVEAUX ARRIVANTS

ATELIER INTERNATIONAL 2

LA CAPITALE USAGERS DU QUARTIER


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MAIS POURQUOI CONSTRUIRE ? En effet, pourquoi penser l’insertion d’un nouveau bâti lorsque l’analyse de terrain montre que l’espace non-construit est le potentiel d’évolution et de régénération du quartier ? L’espace disponible est tant une force qu’une faiblesse. Et les puissances sont contraires et déséquilibrées lorsqu’il s’agit de penser l’évolution de Sansar. Nous en revenons indubitablement au rôle de l’architecte. Quelle position adopter face à la densification massive des aires urbaines ? En considérant le point de vue interne au quartier, toute construction nouvelle représente un impact négatif : augmentation de la population avec les problèmes qui en découlent comme le manque d’équipements, les problèmes de stationnement, une population que l’on ne contrôle pas, etc. Le regard interne est bien souvent nostalgique d’un temps révolu systématiquement idéalisé. Par ailleurs le point de vue externe incite à densifier. En s’exportant dans un des bureaux du service urbanisme de la ville d’UB, le quartier a tout autant de potentiel mais il est vu comme un investissement, comme la possibilité de densifier le centre d’UB dans les quartiers les mieux desservis, d’améliorer la qualité visuelle de l’offre immobilière et d’augmenter la surface de plancher en vue de logements plus salubres pour la population des quartiers de ger. L’ensemble de ces volontés est légitime et il serait incompréhensible de ne pas les entendre en qualité d’architecte. Mais ce regard externe au lieu n’envisage ce dernier qu’en terme de capacité de projet, et se tourne vers un avenir rendu seulement possible par l’innovation : si la place vient à manquer dans le quartier par la suite, les cours d’écoles seront établis sur le toit des immeubles ! Comme nous avons pu l’évoquer en amont, les réponses directes ne manquent pas lorsqu’il s’agit d’architecture. Il nous faut alors trouver une harmonie entre deux regards qui semblent divergents. L’architecture devient le métier à tisser qui mêle des fils de multiples origines afin de former une toile solide qui sera par la suite transformée.


Une intervention dans deux ĂŠchantillons du quartier, situĂŠs mais transposable


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2 / Echelles d’intervention multiples “L’énergie humaine se nourrit de changement (...) L’énergie de l’existence se trouve contenue dans la propre incertitude de son déroulement. Comme il est impossible de prédire ce qu’il va advenir, chaque instant se crée et se recrée et abolit ainsi toute fatalité.” Eloge de l’énergie vagabonde, Sylvain Tesson

La conception du bâti et du paysage est déstabilisée dans cette phase de l’évolution du quartier. Sansar, jusqu’à la fin du XXème siècle, s’est consolidé par le bâti pour lequel la topographie de la colline a été aménagée. Les pratiques émergentes du XXIème siècle ont fait basculer Sansar dans une autre évolution à partir des espaces générés entre les bâtiments. En considérant chaque entité du site, végétal, minéral ou humaine comme des éléments de paysage, nous avons pu penser la venue d’une nouvelle population en respectant l’espace communal. L’intégration dans le site d’un nouveau bâti renforcera les seuils entre intime et espace public, puisque les RDC seront la continuité intérieure de l’espace communal et permettront d’augmenter le niveau d’équipements à l’échelle du quartier, mais aussi dans le cas de la limite Nord, au quartier de ger. Repenser le bâti en harmonie avec son environnement proche et lointain dans un contexte en dur est bien moins représenté par les médias que l’évolution des quartiers de ger. L’idée de projet de fin d’études n’était pas forcément de coller à une réalité objective du quartier, mais plutôt de donner forme à cette idée de bâti dans des situations très différentes et où nos interventions permettraient de rebondir sur d’autres configurations. Deux échantillons de quartier ont été choisis pour montrer cette phase d’évolution du paysage. Ces zones d’intervention ne sont pas à considérer comme exclusives, mais comme deux situations rencontrées fréquemment non seulement à Sansar mais aussi dans d’autres quartiers soviétiques visités.



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LIMITE NORD La limite Nord est entièrement constituée de terrains libres, à bâtir, en cours d’acquisition ou déjà en chantier. Des activités plus ou moins officielles s’y sont développées en attendant l’arrivée du chantier. Nous nous sommes ainsi placées dans une logique de réutilisation de ces terrains déjà cadastrés, jusqu’à leurs fondations pour certains, afin de réorienter le processus en cours et ne pas faire table rase des évènements actuels. Le but est de s’assurer qu’un nouveau bâti ne viendra pas dévaloriser les espaces extérieurs et conservera le système de propriété, d’usages et de gestion du bas d’immeuble et de l’espace communal. Afin d’inscrire ce cadre dans le temps, nous avons tout d’abord travaillé sur un document de type règlementaire, appui administratif aidant à la légitimité d’un contre-projet – car ce projet peut être vu comme une contre-proposition à une action urbaine déjà en cours. Les bâtiments ne doivent pas dépasser six étages. Cette première règle n’a pas pour but d’homogénéiser les gabarits, mais bien de préserver l’espace communal afin de ne pas rendre stérile le bas d’immeuble par une ombre portée trop conséquente. Diminuer la hauteur permet d’amoindrir l’emprise au sol sans définir de règles d’occupation autre que celle de consacrer l’ensemble des RDC à des équipements destinés au quartier ou à la ville (n’oublions pas que l’espace communal repose sur une double propriété). Dans l’échantillon de la limite, nous avons ainsi choisi de développer dans un des trois bâtiments la station de bus. Hors d’eau, hors d’air, elle assure une utilisation hivernale du réseau de bus. La station de bus existante concentrait un ensemble de marchands de rues, qui disposaient leurs étals le long des larges trottoirs, à côté de la station et les futurs passagers vaquaient là à quelques emplettes de dernière minute. Ce dynamisme commercial autour des transports, ainsi que de l’autre côté de la Toiruu Street, a été conservé et des locaux sont aménagés dans les RDC. Une crèche a été installée dans un autre RDC à proximité d’une aire de jeux existante utilisée et un jardin d’hiver dans un autre, là où la proximité de la route ne permettaient pas d’assurer une excellente utilisation végétale de l’espace communal, celui-ci est rattaché au bâtiment même pour une meilleure conservation.



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D’autres équipements auraient pu remplacer ceux imaginés mais nous avons fonctionné par scénarii réalistes plutôt que par une accumulation d’équipements, certes nécessaires, mais qui auraient tout autant saturé le sol que les nouvelles constructions. Ici, nous pourrions considérer une grand-mère amenant son petit-fils à la crèche qui part rejoindre ses copines du quartier de yourtes dans le jardin d’hiver pour une partie de cartes avant de prendre le bus qui la mènera au marché de Narran Tuul.



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L’ENTRE-DEUX Un autre enjeu dans l’insertion d’un nouveau bâti à Sansar est la mise en place d’une conservation du modèle soviétique initial de l’entre-deux barres ainsi que son potentiel de transformation. En imaginant une densification extrême, nous nous sommes implantées à l’intérieur d’un système de cour nomade en cours de structuration le long de la route en tranchée pour développer cette intervention. Le bâti agit ici comme un seuil en bordure de l’entredeux barres, pour le dissocier de l’axe principal et éviter ainsi une fermeture. Dans ce système, deux bâtiments sont élevés, et les diverses activités qu’accueille le RDC jouent avec la topographie en plateforme soviétique. Ces espaces communaux intérieurs sont influencés par la proximité d’établissements scolaires de plusieurs générations. D’une part, de l’autre côté de la rue se trouve l’école élémentaire du khoroo, dont un des accès donne directement dans l’entre-deux barres et où un sentier induit longe la façade de l’hôtel pour rejoindre la promenade publique. Le nouveau bâtiment conserve cet axe, et le conforte en établissant un centre de loisirs ouvert sur l’extérieur. Une topographie ludique est créée en utilisant les cinquante premiers centimètres excavés pour la construction du bâtiment. Ces quelques centimètres, fertiles, peuvent se régénérer végétalement d’euxmêmes. L’aire de jeux n’est plus une succession d’éléments isolés mais un espace d’imagination pouvant servir aux petits (terrain de basket) comme aux grands (spectacles de quartier). La réversibilité du paysage tient au fait d’imaginer un espace assez défini afin qu’il puisse être rapidement utilisé pour ne pas laisser les voitures l’occuper, sans le restreindre à une seule activité. Un cheminement est stabilisé, induit par les flux piétons, et joue sur un calepinage de briques provenant des garages déconstruits. Plus le calepinage est lâche, plus le tracé est public ; un calepinage serré marque la sphère domestique. D’autre part, communiquant avec l’axe public le long des tranchées, ce système est à mi-chemin entre deux facultés de l’Université, l’une au centre, l’autre à la frontière Nord-Est du quartier.


Penser le système de l’entre-deux barres à travers son potentiel paysager.


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L’université devient maintenant une étape de plus dans l’éducation de beaucoup de jeunes adultes mongols, mais les logements possibles ne permettent pas tous de travailler chez soi : la yourte réunit par exemple l’ensemble de la famille au sein d’un même espace et les appartements abritent souvent plusieurs générations aux rythmes différents. Les garages qui avaient peu à peu fragmentés l’espace communal, sont récupérés pour leurs potentiels paysagers en offrant un nouveau niveau de sol communal susceptible d’accueillir de nouveaux usages. Le toit, recouvert de terre pour assurer une inertie thermique aux garages en contrebas, change de forme paysagère et de statut ; en hauteur, donc protégé des allées et venues de personnes extérieures au système, le toit devient potager, lieu de détente et de partage. En contrebas, le kontener et la pratique qui en découle comme l’entretien de la voiture sont conservés. Ils sont alors associés à un atelier greffé au bas d’une barre soviétique. L’environnement calme que suppose l’implantation de la bibliothèque coïncide avec le déplacement des jeux d’enfants dans un autre entre-deux barres.



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A L’INTERIEUR DU FOYER Afin d’englober l’ensemble du processus, il faut penser le quartier dans son échelle urbaine, mais aussi à une échelle domestique, celle du logement, sphère la plus intime de cette imbrication complexe. C’est aussi envisager une autre technique constructive que celles observées en Mongolie, plus respectueuse et adaptée à la culture mongole. Aujourd’hui, les immeubles de béton de mauvaise qualité poussant sur le sol mongol semblant défier toute alternative. L’habitat traditionnel mongol rencontré quotidiennement dans la capitale montre pourtant qu’une autre réflexion sur la ville est possible, bien différente de l’influence des mégapoles asiatiques. Penser une nouvelle forme urbaine en exploitant des ressources locales et des techniques moins invasives a été notre parti pris dans la conception de ces bâtiments. Deux techniques ont été retenues car elles répondaient à diverses attentes et contraintes. La terre, est un matériau à portée de main qui, en Mongolie, est aussi à portée de technique. Ce sol aride est composé d’argile qui permet une bonne cohésion lorsque la terre est compactée. Elle possède par ailleurs une inertie thermique particulièrement adaptée au climat mongol, froid et ensoleillé sans précipitations constantes. Déjà utilisé par les mongols dans l’ancienne Urga, la technique du pisé, terre banchée et compactée est ici légèrement modifiée : afin d’adapter cette techniques aux méthodes plus industrielles du chantier multiple, la terre est extraite dans les villes satellites à proximité d’UB, en plus de celle obtenue sur le chantier, et moulée sur place pour obtenir des trumeaux autoportants prêt à être empilé sur le chantier. Les façades Sud et Ouest, les plus exposées, seront donc montées en pisé pour bénéficier du phasage thermique de la terre, capacité à absorber et restituer en un temps différé la chaleur emmagasinée. Construire sur plusieurs étages en terre crue est possible lorsque les bases sont simples et la structure bien compactée. Pour cela, un lit de briques cuites aplanit et nivelle chaque étage construit en terre, suivant la manière de Martin Rauch. Ils permettent d’intégrer le nez du plancher bois sans affecter l’intégrité du mur pisé, assurant une meilleure solidité du mur. Les murs de refends sont aussi en terre pour utiliser au maximum l’énergie domestique des gaines d’eau chaude sanitaire qui circulent dans le trumeau.



LE FOYER : Penser le sens ger (*tout ce qui enveloppe et protège, yourte) dans le baising (*élément en dur, sédentarité)

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Le mélange de plusieurs modes de vie.

COHABITATION INTERGENERATIONNELLE Certaine tradition persistent Le fils cadet hérite du bien immobilier, il doit cependant s’occuper de ses parents

COHABITATION GENERATIONNELLE OU

OU

De nouvelles pratiques émergent Engendrées par l’attractivité universitaire de Ulan Bator


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Ces murs chauffants permettent de jouer sur la sensation de chaleur et non la chaleur elle-même, la température ambiante de l’air pouvant être réduite lorsque les murs de la pièce dégagent de la chaleur23. Au Nord et à l’Est, une ossature en bois avec isolation de paille assure une meilleure protection thermique face aux vents et aux pluies et consolide la structure globale du bâtiment. C’est aussi une façon de montrer que la multiplication des matériaux peut s’envisager selon les orientations et qu’il permet de ne pas abuser d’une ressource. Chaque logement s’articule autour d’un ample espace de circulation commune éclairée naturellement. A l’intérieur, chaque logement est livré « prêt à finir » selon le mode de vie que les habitants voudront choisir. Contrairement à la yourte, les cloisons d’un appartement fragmentent la vie familiale. Par cette liberté spatiale retrouvée, chacun est libre d’aménager et d’adapter son logement à son mode de vie et son type de cohabitation. En effet, les traditions sont encore très présentes en Mongolie et il est de coutume que le fils cadet hérite du bien immobilier tout en continuant à s’occuper de ses parents en cohabitant entre plusieurs générations. Parallèlement, l’attrait de la capitale augmente en vertu de son offre d’études et l’ensemble d’une famille peut déménager à UB pour assurer l’avenir des enfants dans une bonne école. Mais le gouvernement tente d’inverser les migrations en stabilisant des villes-satellites sur le territoire mongol aux mêmes attraits qu’UB, tendant à une structure polycéphale du territoire. Un bon enseignement primaire et secondaire pourra y être développé et UB conservera son attraction pour les universités, sans qu’il soit nécessaire d’envisager le déplacement de toute la famille. La cohabitation dans les logements sera donc générationnelle et ne répondra pas aux mêmes attentes que celle d’une famille.

23 Olliva J.P., Architecture bioclimatique, Ed. Terres Vivantes, 2006

Des cloisons démontables peuvent ainsi fractionner l’espace familial regroupant un grand séjour et une cuisine et selon les besoins d’une autre chambre ou d’une cuisine fermée. Cette possibilité de modifier le logement permet aussi une meilleure adaptation thermique en deux temporalités. Le logement peut être séparé entre pièces froides (hall, chambres, salle de bain) et pièces chaudes (séjour, cuisine) afin de concentrer le chauffage en un point donné.


REEMPLOI TERRE VEGETALE SANSAR EXTRACTION VILLE SATELLITE

EXTRACTION SANSAR

Mur chauffant intérieur

CONSTRUCTION

Ossature bois-paille NORD-EST

PREPARATION DES TRUMEAUX VILLE SATELLITE/SANSAR

La construction en pisé, la possibilité d’une nouvelle relation à la terre dans les étages et une alternative locale au constructions béton mal-isolées des promoteurs.

STRUCTURE BIOCLIMATIQUE

Mur pisé SUD-OUEST


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L’ouverture des cloisons permet de profiter d’un volume confortable et d’homogénéiser la température. Une autre caractéristique bioclimatique a été apportée à ces bâtiments, celle du double-fenestrage. L’épaisseur des murs, 60 cm pour la partie en pisé, 45 cm pour le mur en ossature justifie cette utilisation qui permet d’intégrer le mur dans le logement. Le doublefenestrage au Nord, en plus d’une meilleure isolation thermique, peut servir de stockage aux denrées alimentaires. A Sud, il créé un effet de serre qui chauffe la pièce durant les mois d’hiver, et son assise est aménagé en banquette pour habiter le mur. Le mur est très important dans l’organisation du mobilier dans les foyers mongols : bien souvent, il accueille l’ensemble des meubles de la maison afin de laisser le centre libre pour la circulation, de la même manière que l’on aménage une yourte. Par endroits, cette épaisseur est renforcée jusqu’à 90cm. Offrant une profondeur supplémentaire au logement qui en bénéficie, il apporte aussi un filtre solaire aux façades Sud du logement de l’étage inférieur. La fenêtre, à chaque étage, établit la relation entre l’intérieur du bâtiment et son environnement. De l’extérieur, les fenêtres, toutes différentes, rythment la façade et apporte un nouveau contraste avec l’uniformité des barres. De l’intérieur, la fenêtre se déleste de son caractère normé et devient support d’usage, retour à d’anciennes habitudes (le garde-manger à l’extérieur de la yourte) ou promesses de nouvelles utilisations.

Une adaptation au climat à travers deux occupations possibles de l’habitation.



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CONCLUSION Le processus reste une suite continue de faits n’ayant aucune fin. Vouloir étudier ce processus réclame de l’isoler de son déroulé chronologique et de neutraliser sa progression à un instant donné ; le temps des Cosmos, relatif à la phase d’intervention de ce projet de fin d’Etudes, s’appuie donc sur un état fictif de l’évolution du quartier à partir d’une mise en pause du processus en Septembre 2014, période de notre présence sur les lieux. Les chantiers en cours sur notre terrain se sont poursuivis et le quartier présenté en Juillet 2015 n’était déjà plus qu’un état passé du quartier. Google Maps avait même réinitialisé ses photos satellitaires de la capitale, montrant des immeubles achevés dont nous n’avions observé que les fondations. Le projet présenté ne peut donc être perçu comme un produit fini. L’aménagement proposé s’inscrit dans une évolution du quartier Sansar et n’est qu’une représentation architecturale du processus général mis en valeur par l’analyse du terrain. Il s’agit certes d’une proposition architecturale spatialement définie, mais résultant d’une méthode quant à elle transposable. Le projet dans sa mise en forme finale ne peut être isolé du terrain dans lequel il a pris forme, car il est l’émanation même du terrain. En revanche, la construction intellectuelle et le cadre théorique d’analyse mis en place pour appréhender la régénération d’un milieu par sa propre énergie, ici humaine et végétale, peuvent amener à une possible transposition de cette méthode d’observation sur un autre terrain. Ainsi, ce projet de fin d’Etudes accompagne l’évolution d’un quartier résidentiel soviétique à Ulaanbaatar en 2015 – cadre situé – à partir de données brutes récoltées sur le terrain, puis analysées et mises en relation afin d’en faire émerger des informations susceptibles d’orienter le projet.



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« Arriver ne veut rien dire..., seul compte le chemin [...] et le mien s’arrête ici.» Les Cavaliers, Kessel



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