L’illustré - Hors-série Hiver 2011

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Conjuguer voyage et apprentissage de

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l’image

De notre retraité spé cial en cours photo Ex-journaliste

Yves Lassueur Rédacteur pendant quarante-deux ans dans des publications romandes, il a pris sa préretraite cet été. Il s’est mis, depuis lors, à la photo, en amateur et par pur plaisir.

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Des agences proposent aujourd’hui aux amateurs des stages de formation à la photo de voyage. Un exjournaliste de «L’illustré» teste l’un de ces cours, raconte son expérience et publie dans ces pages les images qu’il a prises sur le terrain. En route dans le midi de la France pour l’Aubrac et ses superbes paysages.

Texte et photos Yves Lassueur

A

63 ans, cet été, j’ai pris ma retraite anticipée et volontaire après un peu plus de quatre décennies de journalisme dans différents quotidiens et magazines de Suisse romande. Pendant toutes ces années à crapahuter entre reportages, enquêtes, portraits et faits divers, j’ai travaillé avec d’innombrables photographes, mais je me rends compte aujourd’hui que, si j’ai toujours porté la plus grande attention à leur travail dans la perspective des images qu’ils allaient ramener, je ne me suis jamais intéressé à leur technique. La technique photo me

laissait à peu près aussi froid qu’une image surexposée de glaçon pendouillant d’un névé. Allez savoir pourquoi, le déclic s’est produit à l’aube de cette retraite: et si je m’y mettais, moi aussi? Et si je troquais la plume contre l’appareil photo, histoire de continuer à regarder passer la vie, même en pur amateur, maintenant qu’est tournée la page du journalisme et de l’écriture?

clac pour prendre mamie devant les Dents-du-Midi ou Fistounet au mariage de tante Lucette. J’ai acheté quelque 2. Départ aux chose d’un peu plus perforpremières mant – un reflex numérique1 heures du avec deux objectifs pour envijour. ron 800 francs – et après une 3. Les première initiation par un participant(e)s ami photographe, je suis allé en pleine sur l’internet. J’ai écrit «stage action. photo» sur Google et, parmi 4. Cours de d’autres sites, je suis tombé théorie à sur celui d’une agence franl’auberge. Du compact au reflex çaise dont je n’avais jamais D’accord, mais par où com- 5. Orientation entendu parler: Aguila – voyamencer? J’avais jusque-là un sur l’art de ges photo. petit compact Sony, bien bien cadrer «Le temps d’un week-end en sympa, avec lequel, comme une photo. France ou d’une échappée au tout le monde, je faisais clicbout du monde, dit le site de 1. Sur le terrain, les conseils de Cécile (à g.)

l’agence, un photographe vous emmène en voyage photo. Avec lui, vous découvrez des sites exceptionnels aux meilleurs moments pour la photographie. Il vous apprend à révéler les scènes et les lumières, il vous livre ses techniques de prises de vue de terrain.» Le programme? On y trouve aussi bien des stages de deux semaines en Patagonie, en Tanzanie, en Mongolie ou aux Etats-Unis que d’autres, plus courts, en Toscane, en Ecosse, en Islande. Et une flopée de stages de trois à cinq jours aux six coins de la France, de la Bretagne à l’île de Ré, des Hiver 2011-2012 | PLUS |

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Pyrénées à la Corse, au Languedoc, au Périgord, à Lyon ou à Paris. L’une de ces destinations me faisait un gringue du diable: l’Aubrac. «A 1200 mètres d’altitude, écrit Aguila, l’Aubrac couvre une partie des départements de la Lozère, de l’Aveyron et du Cantal. Il offre un paysage rare en France de vaste steppe semée d’énormes blocs de granit. La qualité de ses cieux et de sa lumière en font un territoire idéal pour la photographie de paysage.»

Usanges, au bout du monde

Nous voilà tous réunis autour de SainteCécile-duNumérique.

Exactement ce que je cherchais. Pas trop loin (enfin… à 500 km de la Suisse quand même). Pas trop long: le stage dure quatre jours. Et pas trop cher: 595 euros, soit 711 francs au cours du moment, prix qui inclut le cours proprement dit, les déplacements en minibus dans la campagne, le logement en pension complète, une assurance et l’envoi préalable d’une documentation

détaillée sur le matériel à prendre. Je me suis inscrit. Au soir du 24 août, je me retrouve ainsi à Usanges, un hameau de Lozère si perdu que mon GPS n’en connaît même pas l’existence. Premier rendez-vous au gîte Les chemins d’Aubrac, où nous séjournerons pendant le cours avec les autres participants. Nous sommes huit, dont six femmes. Pas de bol, je suis le plus âgé. Mais nous sommes quand même trois retraités, dont une ex-professeur belge. Les autres, tous Français, ont entre la vingtaine et la quarantaine. Il y a des enseignantes, une experte en sites intranet, un ex-employé d’une société informatique. Chacun a des intérêts divers pour la photo – l’une est passionnée de macro, l’autre d’architecture, une troisième de retouches et de montages –, mais nous sommes tous là pour la même raison: plus ou moins perdus dans le réglage de notre appareil dès que nous quittons la position

Où s’inscrire? Quelle agence choisir? Portées par le succès grandissant du numérique, les offres de voyages photo se multiplient jusqu’à la profusion. Avant d’en choisir une, prenez un minimum de précautions en vérifiant notamment sa crédibilité, la raison sociale de l’organisateur et le respect des règles en matière de couverture assurance. Voici quelques agences qui proposent des voyages photo proches de la Suisse (France, Italie ou autres pays européens) et beaucoup plus lointains (Afrique, Amérique, Asie): Aguila - voyages photo (objet du présent reportage) 270, rue Thomas-Edison, 34400 Lunel (Hérault), France. Tél. 0033 4 67 13 22 32. www.aguila-voyages.com Stages de 400 à 5000 euros.

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Itinérances photo 12, rue des 5 Diamants, Paris. Tél. 0033 9 51 73 29 46. www.itinerancesphoto.org De 800 à 2500 euros. Objectif Nature 36, rue de Lyon, Paris. Tél. 0033 1 53 44 74 30. www.objectif-nature.com De 1500 à 5400 euros.

Automatique, nous réclamons impétueusement les recettes qui vont faire de nous les futurs Cartier-Bresson de l’ère postmoderne… Pour cela, il y a notre accompagnatrice photo. A 36 ans, cofondatrice de l’agence, Cécile est une fille du Midi au rire clair comme l’eau d’une source. Une passionnée de photo, journaliste à ses heures, qui accompagne surtout les groupes d’amateurs en Patagonie, en Mongolie, dans le Languedoc. Et en Aubrac, où elle ne ménage ni son temps ni son énergie pour faire partager à ses ouailles du moment les connaissances et astuces techniques qui lui ont déjà permis de publier plusieurs livres de photos de voyages. Pendant une partie de la journée, c’est cours théorique dans la grande salle de l’auberge. Nous voilà tous réunis autour de SainteCécile-du-Numérique pour tenter de dompter une fois pour toutes le réglage de ce satané couple « vitesse-ouverture». Côté participants, le langage n’est pas toujours celui du spécialiste. «Moi, dit l’un d’entre nous, je mets toujours le truc où ça clignote. C’est juste?» Ben… Cécile s’efforce de comprendre où le diaphragme a mal à la patte et explique, commente, compare. Sans entrer dans des détails trop techniques, disons qu’elle est adepte de la «priorité vitesse» et de la «mesure spot de la lumière». Avec son aide, chacun s’aventure dans le dédale des menus de son appareil, traficote boutons et molettes, se lève de table pour faire un essai, clic-clac, sur le patron

Yves Lassueur

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En cinq jours, pendant ce cours, j’ai pris plus de 1000 photos. Ces deux-là illustrent la qualité de la lumière d’un soir (en haut) et celle d’un lever de soleil sur une steppe d’Aubrac. Hiver 2011-2012 | PLUS |

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5 h 45: toc, toc, debout!

Trois photos prises dans trois conditions différentes en appliquant les méthodes enseignées pendant le stage. Par mauvais temps (en haut), en gros plan (au centre) et en paysage très contrasté.

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Voilà pour les cours de théorie, qui s’égrènent joyeusement au fil des jours. Mais le moment de vérité, c’est celui de la pratique. Et il cogne tôt. Toc, toc! Chaque matin, Cécile frappe à nos portes à 5 h 45, pour que nous profitions des lumières du soleil levant. Et, en fin de journée, nous retournons sur le terrain quand le soleil décline pour capturer les ombres allongées du crépuscule et ne rentrer que vers 21 heures. Et moi qui comptais sur une retraite paisible! A 6 h 15 du matin, nous voilà donc en train de siroter un café dans la salle de l’auberge endormie, avant de prendre place dans le minibus que Cécile pilote pour nous emmener sur les routes désertes de l’Aubrac vers les lieux les plus

photogéniques, où le lever du jour inspirera un gémissement quasi orgasmique à nos Nikon et Canon. Hélas, les trois premiers jours, on a beau être au mois d’août, c’est plutôt le froid, la grisaille et la bruine qui balaient cette «autre planète» qu’est l’Aubrac, selon la définition des Guides bleus. Peu importe: même sous un ciel couvert, on peut tester les connaissances acquises, et tant pis si le résultat est un peu décevant. Pour le reste, on est en France. Donc, ça papote et ça boulotte… Bon Dieu, mais comment font ces gens pour tenir un tel crachoir à 6 heures du matin, alors que moi, dodelinant du chef, je me retiens pour ne pas tomber d’un coup sur la cafetière? Et comment fontils, une fois revenus d’expédition, pour prendre un monumental petit-déjeuner buffet, suivi d’un dîner avec entrée, plat principal, fromage, dessert, suivi à son tour d’un souper avec entrée, plat principal, fromage, dessert? Heureusement, l’après-midi du troisième jour, quand il a tellement plu qu’on ne pouvait même pas sortir les appareils photo, le minibus a fait route vers un petit bourg du coin. Je pensais qu’on allait visiter une abbaye. Non. On se rendait dans un restaurant réputé pour sa confiserie. Chacun – à part le petit Suisse qui s’est contenté d’une gentiane pour digérer le repas précédent – s’est offert une monumentale pâtisserie pour le quatre-heures. «Douce France!» chantait Trenet. Douce France et superbe Aubrac que le ciel a fini par nimber d’une lumière magi-

Le secret d’une retraite réussie est peut-être là: progresser dans un nouveau domaine.

que. C’était au dernier soir et au dernier matin. Lavé par les intempéries des jours précédents, l’air s’est fait limpide, puis chargé de nappes de brume qui se déchiraient de colline en colline pour laisser apparaître, de-ci de-là, des troupeaux, des bosquets, d’anciennes fromageries, un horizon hésitant. C’était le moment ou jamais de mettre à profit les préceptes de Cécile – et personne ne s’en est privé. C’est à ces photos-là que je juge la qualité du cours. Et j’ai la faiblesse de les trouver plutôt réussies. Depuis mon retour d’Aubrac, j’essaie d’en faire autant. La photo est devenue une passion. J’ignore combien de temps ça durera, mais je me

dis que le secret d’une retraite réussie est peut-être là: ne pas stagner, ne pas reculer, mais tenter de progresser dans un nouveau domaine. Ça peut être la cuisine, la philosophie, la pétanque. Moi, c’est la photo. De celles que je prends maintenant, il y en a quelquesunes qui m’enchantent. Il y en a pas mal d’autres qui me déçoivent. «Normal, m’a dit un ami qui est aussi un professionnel. La photo, c’est un métier!» Eh oui, un métier… Tant mieux! A 63 ans, il doit bien me rester un peu plus de quatre décennies pour le maîtriser. 1 Nikon D5000, avec un objectif 18-55 mm et un télé 55-200 mm.

Cinq acquis du cours Parmi d’autres, quelques règles de base que le stage d’Aguila m’a enseignées et que je continue à travailler: • Se souvenir, en cadrant son image et en choisissant son couple vitesse/ ouverture, que l’arrière-plan a autant d’importance que le sujet principal. • Le choix du diaphragme, donc de l’ouverture, ne conditionne pas seulement la quantité de lumière entrant dans l’appareil, mais la profondeur de champ. • En mode de mesure «spot», choisir de préférence les hautes lumières.

Et connaître le type de sujet qui réclame une exception. • Dans la composition d’une photo, s’imprégner de la «règle des tiers». En découpant virtuellement l’image en trois parties horizontales et trois parties verticales lors du cadrage, on en régit les lignes de force. • Garder à l’esprit qu’avec leurs ombres allongées, les lumières du lever et du coucher du soleil sont les plus intéressantes. Et que la brume peut être une solide alliée.

quel matériel choisir? Les trois appareils que nous vous recommandons pour pratiquer sérieusement votre nouvel hobby. • Nikon D5100 avec un objectif 18-55 mm et un téléobjectif de 55-300 mm. • Canon 600 D ou 60 D avec un objectif 18-55 mm ou un objectif 18-200 mm. Il faut compter entre 1000 et 1500 fr. d’investissement pour un boîtier avec un objectif zoom.

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de l’auberge qui sort de sa cuisine où mijote un aligot de derrière les fagots. Et puis Cécile explique la «règle de trois», qui vaut en photo comme en peinture; comment gérer la profondeur de champ avec un téléobjectif; et le cadrage; et l’importance de l’arrière-plan; et le réglage des ISO. Cécile s’appuie sur des photos tirées de livres qui sont autant de références pour expliquer comment elles ont été prises et pourquoi elles sont réussies. Elle nous a aussi demandé d’apporter chacun cinq à dix photos de notre cru, qu’elle passe en revue, avec deux demi-rectangles noirs, pour en montrer les forces, les faiblesses, et ce qu’elles auraient pu gagner en étant mieux cadrées.

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