La Petite Vie de Marie-Charlotte Tatie Brigitte et Marie-Charlotte GAROT
Editions AlanGar – Le Livre de Vie
Tatie Brigitte et M.C Garot
La petite vie de Marie-Charlotte
Éditions
AlanGar Le Livre de Vie
Cet ouvrage est aussi imprimé en version « noir et blanc ». Pour toute information, s'adresser à alain.garot0316@orange.fr ou consulter le site de l'association d'aide à l'édition
http://petitlivredevie.e-monsite.com/
© Tatie Brigitte – MC Garot 2013 Éditions AlanGar-Le Livre de Vie ISBN 979-10-91187-05-3 Dépôt légal : troisième trimestre 2013. Photos de couverture : © Marie-Charlotte Garot Le présent manuscrit est la propriété de l'auteur. Son contenu ne peut être reproduit, modifié ou intégré dans quelque autre document ou sur quelque autre support que ce soit sans autorisation écrite de l'auteur. Le Code de la propriété intellectuelle interdit les copies ou reproductions destinées à une édition collective. Toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite par quelque procédé que ce soit, sans le consentement écrit de l'auteur ou de ses ayant cause, est illicite et constitue une contrefaçon, aux termes des articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.
À Frédérick *
Ici avec Marie-Charlotte dans les bras
* Frédérick, hélas décédé tragiquement depuis plusieurs années.
Introduction de Marie-Charlotte (avec l'aide de son tuteur) Si j'ai tenu à commenter moi-même le texte de tatie, c'est parce que je suis mieux placée que quiconque pour le faire : Il s'agit de ma propre vie ! Ce commentaire, du reste, je vais le poursuivre à plusieurs endroits de ce livre. Au début d'abord, c'est-à-dire ici ; puis au milieu et à la fin... pour que vous puissiez mieux vous situer dans mon histoire, ainsi qu'à travers ce qui tourne autour. Vous vous dites probablement que toutes les vies d'enfants se ressemblent (du moins à leur premier stade) et qu'il n'y a donc pas lieu d'en faire un plat. Bien sûr, vous avez raison ! Sauf qu'ici, pour la mienne en tout cas... ma petite vie... c'est un peu différent. Déjà, je m'appelle Marie-Charlotte Claude. Deux prénoms comme vous le constatez... car je suis née « sous X », ce qui veut dire que je n'ai pas de vraie maman, celle-ci ayant mystérieusement disparu de ma vie sans me laisser la moindre chance de la retrouver un jour. Abandonnée parce qu'on ne voulait pas de moi, ou du moins... moi telle que j'étais, je suis pourtant une enfant sem-7-
blable aux autres (à quelques détails près) et avec une frimousse si adorable que, quand je me mets à sourire, je suis capable de faire craquer les cœurs les plus durs. Du reste ma tatie... elle, l'a bien compris, et aussi ses enfants Frédérick et Sophie, eux que vous découvrirez bientôt en parcourant mon histoire. Souvent, je m'interroge : Pourquoi donc ma première maman, celle qui m'a mise au monde à la maternité de Nogent, n'a-t-elle pas, ne serait-ce qu'une seule fois, essayé de m'aimer un peu, plutôt que de m'abandonner comme ça sans rien dire ? Je suis convaincue qu'alors elle aurait pu me garder. Maintenant, il n'y a plus rien à faire et je suis triste. Habituellement, toutes les naissances sont des fêtes. Or la mienne, elle, n'a été – pour mes géniteurs en tout cas – qu'un cauchemar. Je dérange, voyez-vous, parce que je suis différente des autres. Et comme, en plus, la plupart des gens disent de moi ou le pensent (ce qui revient au même)... que je suis gogole, c'est-à-dire stupide, ça n'arrange rien à ma situation. Les circonstances de ma naissance, personne ne les connaît. On sait seulement que je suis née le 10 janvier 1985 et que j'ai été confiée quelques jours plus tard au foyer de l'enfance de Sucy-en-Brie avant d'être conduite dans une famille en or : celle de ma tatie ! Et depuis, croyez-moi, je suis la plus heureuse des petites filles, car ici tout le monde m'aime... même si je sais que cela ne durera pas et que j'en ai un peu gros sur le cœur. Mais tant pis, il ne faut pas que je me plaigne : Il y a tellement d'autres nouveaux-nés, pareils à moi, qui n'auront jamais la chance d'avoir une tatie comme la mienne. -8-
Enfin, dois-je le dire - c'est important - : Lorsque je songe à ce qui aurait pu fort bien m'arriver si j'avais eu la malchance de naître à l'époque actuelle, je tremble de tout mon être et j'ai des frissons dans le dos. Car je sais, et avec une quasi certitude, que je n'aurais sans doute pas survécu après l'odieux dépistage que l'on propose désormais à toutes les femmes âgées de plus de quarante ans, et donc susceptibles de mettre au monde des enfants handicapés. Figurez-vous... je vis, moi ! Je sens bien que je vis comme n'importe quel être humain, avec un cœur pour aimer et des yeux pour regarder ceux qui m'aiment.
Oui c'est moi, Marie ! Ne voyez-vous pas comme je suis heureuse... Et aussi comme ce bonheur rayonne autour de moi ?
Les petits cahiers de tatie Brigitte (pages 13 à 76) Ils concernent la vie de Marie-Charlotte Claude de sa naissance à la date du 6 juillet 1985. Jour après jour, Brigitte L (ici tatie Brigitte) nourrice agrée, a noté méticuleusement et avec beaucoup d'amour les faits et gestes qu'elle a observés, ainsi que son ressenti face à une enfant que les services sociaux venaient tout juste de lui confier... Avec son aimable autorisation, textes et photos ont été repris ici dans leur intégralité et les autres éléments – images – partiellement.
Jeudi 10 janvier 1985 …4 h 55
Tout est blanc de neige et à l'aube un petit bébé pousse son premier cri. C'est une petite fille ! Elle se prénomme Marie-Charlotte. Elle pèse : 2 kg 860 Elle mesure : 46 cm Son périmètre crânien est de : 32 cm. - 13 -
Lundi 28 janvier 1985 Tu es arrivée dans ta famille d'accueil, Marie-Charlotte, à midi. Tu avais 18 jours et pesais 3 kg 060. Nous t'attendions avec beaucoup d'impatience ; cela faisait déjà une semaine que nous nous préparions à te recevoir et Frédérick et Sophie trouvaient le temps bien long. Surtout que nous avions été te rendre une petite visite à l'hôpital quelques jours auparavant. Moi, le jeudi (j'étais avec Noëlla, ta puéricultrice) lorsque je t'ai vue, tu m'as parue minuscule dans ce berceau. Je t'ai prise dans mes bras et tu as pleuré, c'était l'heure du biberon. Je suis repartie le cœur serré, je t'aurais bien emmenée ! Et puis, le samedi, le reste de la famille a fait ta connaissance. Ils étaient derrière une vitre (tonton, Frédérick et Sophie) car ils n'avaient pas le droit de rentrer dans ta chambre. Lorsque je t'ai amenée près d'eux, tu leur as fait une belle grimace, petite coquine ! La lueur du jour t'avait surprise.
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Et te voilà maintenant parmi nous pour quelques mois. À ton arrivée, Frédérick et Sophie ne savaient plus que dire, ils étaient si heureux de pouvoir enfin te toucher. Je t'ai déposée doucement dans le couffin et tu n'as même pas pleuré. Tu resteras dans la salle à manger. Ainsi, dans la journée, je t'aurai près de moi et je pourrai t'observer et mieux découvrir tes petites manies.
À 13 heures, tu as bu ton biberon les yeux fermés. Je t'ai recouchée et tu les as rouverts. Là, tu as découvert ton univers ; tu as regardé longuement les rayures du couffin. Tu ne t'es rendormie que longtemps après.
Au retour de l'école, Sophie n'a pas arrêté de t'admirer et m'a appelée : Tu t'étirais sans arrêt et pourtant, tu dormais profondément. Tu devais te sentir bien chez nous... Dans la soirée, tu as beaucoup pleuré, la nuit était là et tu - 15 -
étais perdue. Nous avons fait de gros câlins, mais toujours sans que tu me regardes. Tu as bu très peu à 21 h 45 : 50 g ! et je t'ai couchée dans notre chambre. Dans la nuit tu t'es réveillée souvent et tu pleurais. J'ai cru que tu avais faim ; mais non, tu refusais le biberon. Alors, je t'ai redescendue dans la salle à manger, il y faisait plus chaud, et tu t'es rendormie... Voilà, petite Marie-Charlotte, comment s'est déroulée ta 1ère journée chez nous.
Mardi 29 janvier 1985 Le lendemain de ton arrivée, tu ne t'es réveillée qu'à cinq heures et demie. Tu poussais de tout petits cris. Tu as bu 80g mais avec beaucoup de mal. Tu n'aimes pas le contact de la tétine dans la bouche et tu tirais au cœur. Mais dès que tu as pu bien placer ta langue, tu ne l'as pas lâchée, cette tétine ! Noëlla est venue à 9 h 30 pour te donner ton 1er bain et m'apprendre les massages à te faire. Tu n'as pas parue effrayée pendant le déshabillage et le savonnage. À ton entrée dans l'eau, tu as été un peu surprise, - 16 -
et après, tu t'es détendue. Regarde cette photo : tu as l'air de bien aimer le bain...
Et un peu de gym pour avoir des muscles !
Les massages et la gymnastique te déplaisent un peu et tu résistes. Ton premier bain t'a beaucoup fatiguée et tu as laissé passer un biberon. - 17 -
Les jours suivants se déroulent un peu de la même manière. Tu te réveilles vers 5 h 30. C'est bien agréable un bébé qui ne pleure pas la nuit ! Dans la journée, tu dors beaucoup, sur le dos et les bras bien écartés de chaque côté.
Tu as 23 jours...
J'ai l'impression que tu te réfugies dans le sommeil, et tu ne me regardes toujours pas dans les yeux. Je te parle beaucoup et tu sembles aimer cela. - 18 -
Tu passes tes nuits dans la salle à manger, toute seule, car tu préfères la chaleur. Je descends une ou deux fois te voir, mais tu dors paisiblement...
Vendredi 1er février 1985 Tu m'as enfin fixée des yeux. Tu as eu confiance en nous et tu as accepté l'amour que nous voulions te donner. À partir de ce jour, tu as regardé partout, chaque objet t'intéressait, et en particulier les poutres du plafond. Et puis, tu as beaucoup moins dormi. Ce jour-là, tu es passée à 4 biberons de 90g, comme une grande. Tu les finis presque tous, mais tu es très longue à boire. Après, nous faisons de gros câlins et tu souris, mais ce ne sont que des sourires aux anges pour le moment. - 19 -
En dormant aussi, tu souris beaucoup. Sans doute que la vie doit te sembler belle... Et un petit câlin à Frédérick avant d'aller dormir... Mais lui aussi a envie de dormir !
Tu as 25 jours !
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D'abord le biberon avec tatie Brigitte...
Tu as 29 jours !
Et puis la digestion avec tonton Bernard - 21 -
Dimanche 10 février 1985 Tu as 1 mois, petite Marie et, bien sûr, nous avons fait un gâteau avec 1 bougie...
Tu es ici avec Frédérick et Sophie
Mais le cadeau d'anniversaire, c'est toi qui nous l'as offert, ou plutôt, tu l'as offert à tonton. Il te tenait dans ses bras pendant que je chauffais le biberon et il te parlait. Et soudain, tu lui as souri : ton premier vrai sourire ! J'étais un peu jalouse et tu as eu l'air de comprendre car tu m'as souri aussi. Quel beau cadeau tu nous as fait là ! - 22 -
Bon anniversaire, Marie !
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Tu commences ton 2ème mois avec : un poids de : 3 kg 170. Tu mesures : 49 cm. Ton périmètre crânien est de 33,5 cm et tu prends 4 biberons entre 80 et 105 g.
Notre jolie petite Marie !
Comme tu pousses bien et sans problème, pendant les vacances nous sommes tous partis en Normandie. Tu as fait ton premier grand voyage en voiture. Tu as dormi sans arrêt et, à 30 km de l'arrivée, tu as commencé à pleurer doucement. Et cette fois-ci, tu as vidé le biberon ! - 24 -
Une fois le ventre plein, tu as fait connaissance avec ton nouveau décor. Tu étais sérieuse, mais tu n'avais pas peur car nous étions près de toi. Le changement d'air et d'ambiance ne t'ont pas fait changer tes petites habitudes. Par contre, tu ne souriais qu'à tonton et à moi. Il n'a pas fait très beau et tu n'as pas pu faire connaissance avec la mer. Au retour des vacances, lorsque je t'ai déposée dans le couffin que nous n'avions pas emmené, ton visage s'est transformé. Tu étais très heureuse de le retrouver et tu souriais aux rayures tout en remuant bras et jambes. Quelle joie que d'être de nouveau chez soi !
Tu as un mois et demi
Les vacances t'ont fait beaucoup de bien. Tu finis maintenant tous tes biberons de 105 g et tu pèses 3 kg 350. J'ai essayé de te donner un peu de jus d'orange à la cuillère. Quelle grimace tu m'as faite, et tu n'as rien avalé... tout est reparti dans la serviette. J'essaierai un peu plus tard. - 25 -
o-O-o Tu es vraiment un petit bébé calme. Tu ne pleures presque jamais. Le matin, une fois Frédérick et Sophie partis à l'école, je te donne ton bain. C'est un moment que tu aimes beaucoup. Tu adores que je te mouille les cheveux, l'eau ne t'effraie pas. Après l'essuyage, ce n'est pas la peine que je te fasse faire ta gymnastique, tu es si vive que tu la fais toute seule. Sur le ventre, tu essaies d'avancer en poussant avec tes pieds.
Tu reprends ta respiration et tu commences une autre série de mouvements...
« Coucou tatie, je t'ai vue! » (1 mois et 16 jours)
Le 2 mars, alors que tu étais dans ton couffin bien éveillée, tu as regardé ta petite girafe et, tout doucement, comme si tu - 26 -
ne voulais pas l'apeurer, tu lui as dit : « Ah ! » C'était la première fois que tu émettais un tel son.
« Je vous présente ma nouvelle amie, Dame Girafe ! »
Marie a maintenant 1 mois et 20 jours... Le 5 mars, tu regardais tes petits amis installés autour de ton couffin et, tout à coup, tu as cherché à sucer ton pouce (le droit) mais tes gestes étaient encore indécis et le coquin ne - 27 -
voulait pas rester dans ta bouche. Tu as essayé de nouveau et pouf, dans ton nez ! Ce petit manège a bien duré dix minutes et puis tu t'es endormie fatiguée.
Dimanche 10 mars 1985
Tu as deux mois, petite Marie !
Tu as bien changé en un mois. Tu t'intéresses à tout et tu deviens très curieuse. - 28 -
Marie curieuse...
et Marie... bavarde ! - 29 -
Et voilà, petite Marie... tu débutes ton 3ème mois ! Tu pèses 3 kg 530, tu mesures 51 cm, et ton périmètre crânien est de 35 cm.
Maintenant, tu as bien trouvé ton pouce – le droit – et de temps en temps tu le suces, soit avant le biberon (il te permet de patienter), soit lorsque tu es fatiguée. Tu es très bruyante en le tétant et tu t'acharnes sur lui, le pauvre !
Jeudi 14 mars 1985 Pour la première fois je t'ai posée sur le tapis, entourée de tes petits compagnons. Tout d'abord, tu es restée sur le dos sans oser bouger, puis timidement tu as tourné la tête du côté - 30 -
de tes jouets et ils ont dû te rassurer car, aussitôt après, tu nous as fait de grands sourires tout en gesticulant. Je ne t'y ai laissée que dix minutes. Pour un début, c'est suffisant !
« Tiens, vous aussi mes amis, vous êtes sur le tapis ! »
Marie a 2 mois et 4 jours.
« Après tout, je ne suis pas si mal par terre ! Qu'en dis-tu, dame Girafe ? » - 31 -
Et à partir de ce jour, après les biberons de 13h et 17h, tu restes un peu sur le tapis, à la grande joie de toute la famille. D'abord tonton qui, en rentrant du travail, doit jouer un peu avec toi... car tu l'appelles. Dès qu'il se met à genoux, tu le regardes, très sérieuse et sans rire, mais tes yeux te trahissent. Eh oui, petite Marie, tu ris avec tes yeux : Ils sont si expressifs ! Puis, en rentrant de l'école, Sophie joue avec toi et vous bavardez toutes les deux...
« Sophie me raconte sa journée et je l'écoute ! »
Marie a 2 mois et 12 jours. - 32 -
Mais ce que tu aimes aussi, c'est faire de gros câlins !
« Comme je suis bien dans les bras de Frédérick ! »
Marie a 2 mois et 17 jours.
Jeudi 28 mars 1985 Tu es maintenant un bébé éveillé et dans la journée tu ne dors plus beaucoup. Tu as choisi la nuit pour te reposer, et tu as bien raison ! Le matin, tu te réveilles vers 8 h 30 et tu attends sans pleurer que je te prenne. - 33 -
« Laisse-moi encore un peu dans l'eau, tatie ! »
Marie a 2 mois et 18 jours.
Après le bain que tu aimes toujours autant, tu bois ton biberon de 135 g lentement, car tu ne t'habitues toujours pas à la tétine et, après le rot, je te repose dans ton couffin. Là, tu parles à tes jouets, et au bout d'un long moment tu t'endors... jusqu'à 13 h ! Plus tard... biberon de 120 g, puis une petite pause sur le tapis. - 34 -
Lorsqu'il fait beau, nous allons chercher les enfants avec le landau, mais j'ai à peine atteint la barrière que tu dors déjà. Par contre, si je m'arrête, tu pleures.
« Après le bain je me sens bien détendue... »
Le soir, pendant que le biberon chauffe, tu papotes avec tonton puis, vers 10 h 30, tu fermes tes petits yeux.
« Bonne nuit, petite Marie ! me dit tonton. » - 35 -
Noëlla t'a donné un nouveau jouet et ce petit ours t'attire beaucoup (tu dois aimer la couleur rose). En jouant, tu as réussi à le faire tomber sur toi et tu le tètes.
Petit câlin avec nounours !
Marie a 2 mois et 20 jours. o-O-o Les vacances de Pâques sont déjà là et nous repartons une semaine en Normandie. Tu es maintenant habituée aux grands voyages et ne dis rien en voiture. Il n'a hélas pas fait bien beau et les promenades ont été assez rares. - 36 -
Samedi 6 avril 1985 Aujourd'hui, quelle découverte ! Tatie a un visage. Après le biberon de 5 h 30, nous papotions toutes les deux – car tu aimes beaucoup cela maintenant – et tout doucement tu as levé ta petite main et m'as caressé le visage. Tu me touchais la bouche, le nez... tu aimais ce contact. Ce fut une grande joie pour moi, car c'était ton premier geste d'affection.
Les cloches de Pâques t'ont apporté un gros lapin rose en peluche et c'est lui maintenant ton préféré. Sur ton tapis, tu lui parles et lui souris sans arrêt. « Quelle pipelette ! c'est bien une fille... » dit tonton.
Après la découverte de mon visage, tu as découvert ton poing et tu le regardes un peu intriguée. Pour le moment, c'est une « chose » et tu n'as pas encore bien compris que celle-ci fait partie de ton corps. - 37 -
Marie a 3 mois !
« Frédérick et Sophie regardent le petit oiseau qui va sortir, mais moi c'est la flamme de la bougie qui m'intrigue ! »
o-O-o - 38 -
Tu commences ton 4ème mois avec un poids de 3 kg 950 une taille de 54 cm un périmètre crânien de 35,5 cm et tu prends 4 biberons de 150 g.
Tu changes beaucoup, petite Marie. Tu n'es plus le petit poupon qui ne pense qu'à dormir. Su ton tapis tu as découvert un nouveau jeu : tu lances tes petites jambes de gauche à droite, ce qui fait que je ne te retrouve jamais à la même place.
Lundi 15 avril 1985 Maintenant que tu es grande (3 mois et 5 jours), dans la journée tu quittes le couffin et tu dors dans un lit en bois blanc installé dans notre chambre. La première fois, tu n'as même pas été effrayée ; tu as regardé avec intérêt les fleurs de la tapisserie et j'ai remonté le petit manège musical accroché à l'un des barreaux. La musique douce te plaisait et tu suivais des yeux les petits animaux qui tournaient. Et puis, j'avais posé à la tête du lit ton petit ami lapin rose et tu lui parlais... - 39 -
Mardi 16 avril 1985 Tu connais bien ton nouveau domaine et j'ai décidé de t'y faire dormir aussi la nuit. Tout s'est passé sans problème, tu es vraiment un bébé « sur mesure »! Tu t'endors aussitôt le dernier biberon avalé, les bras en croix, et tu ne bouges pas d'un pouce. Le matin, lorsque je monte te prendre, tu n'as pas changé de position.
« Chut ! Vous pouvez m'admirer, mais en silence, car je dors ! »
Marie a 3 mois et 6 jours. Les bains sont toujours des moments de plaisir intense pour toi. Dans l'eau, tu souris sans arrêt et ne me quittes pas des yeux. Dès que je te sors de la baignoire et que tu es bien au sec, tu te mets à papoter. Tu formes de grandes phrases avec des « re... agreu... » Je te parle et tu me réponds. Tu continues à parler pendant que je te nettoie le visage, cela ne te dérange pas. Et tu m'en racontes des choses ! - 40 -
Vendredi 19 avril 1985 Sur ton tapis, tu as regardé ton poing droit et tu as bougé tes petits doigts. Tu ne les quittais plus des yeux et n'osais même pas parler. Ce jour-là tu venais de découvrir une nouvelle amie qui jamais ne te décevra :
« Je vous présente une nouvelle amie : la main ! »
Tu gazouilles sans arrêt. Tu parles à tes jouets mais aussi aux objets qui t'entourent. Tu es vraiment heureuse de vivre, Marie, et tu sais si bien l'exprimer !
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Promenade en forêt
« Je suis ici avec Frédérick »
Marie a 3 mois et 14 jours.
Lundi 6 mai 1985 À 13 heures, Noëlla est venue pour essayer de te faire manger à la cuillère. Je t'avais préparé une purée de carotte pomme de terre. Tu as avalé la valeur de trois petites cuillères, puis bu 160 g de lait. Il faudra beaucoup de patience pour t'apprendre à manger car tu préfères te nourrir au biberon, et c'est bien normal. Les jours suivants, j'ai recommencé et tu as pris cela pour un jeu. Dès que tu voyais la cuillère, tu ouvrais la bouche et tu - 42 -
riais, mais tu ne voulais plus la refermer, alors la purée coulait de chaque côté de la bouche. Je t'ai donné une seconde cuillerée et tu m'as refait le même manège. Tu riais et avais plein de malice dans les yeux. Je n'ai pas trop insisté afin de ne pas t'agacer et tant pis... ou tant mieux si tu prends ce moment pour un jeu : Tu as bien le temps d'être sérieuse à table.
« Lâche tatie, je peux le tenir toute seule ! »
Je ne sais pas si c'est le fait de te donner la petite cuillère, mais depuis... tu veux tenir ton biberon à deux mains ! o-O-o - 43 -
Jeudi 9 mai 1985 Ce jour-là, sur ton tapis, tu as fait une chose étonnante, Marie. Nous jouions toutes les deux et je m'amusais à te faire la petite bête qui monte, et tout à coup tu as éclaté de rire, et de bon cœur ! J'ai voulu recommencer devant les enfants et tonton ; mais rien à faire : Tu ne fais quand même pas cela à la demande !
Aujourd'hui Marie a 3 mois et 28 jours
Parlote avec Frédérick - 44 -
« J'ai deux amies : Sophie et ma main. »
Ici s'achève le premier petit cahier de tatie Brigitte,
...et même que c'est noté : ( À suivre...)
Avant de poursuivre la lecture... …voici quelques citations célèbres : Le visage d'une mère est pour l'enfant son premier livre d'images. Christian Bobin - (Louise Amour - 2004)
Le mystère de l'incarnation se répète en chaque femme ; tout enfant qui naît est un Dieu qui se fait homme. Simone de Beauvoir (Le deuxième sexe)
Vos enfants ne sont pas vos enfants. Ils sont les fils et les filles de l'appel de la vie à elle-même. Khalil Gibran
Que l'on fasse un enfant blond ou brun, c'est déjà très joli, quand on en a fait un. Alfred de Musset - (Premières poésies, Namouna)
Un enfant, n'est-il pas toute l'humanité ? Honoré de Balzac - (Eugénie Grandet)
Béni soit celui qui a préservé du désespoir un cœur d'enfant ! Georges Bernanos - (Journal d'un curé de campagne)
Chaque enfant qui vient au monde nous apprend que Dieu n'a pas désespéré de l'homme. Tagore - (Souvenirs d'enfance).
Ce qui est fait contre un enfant est fait contre Dieu. Victor Hugo - (L'homme qui rit)
Rien ne peut compenser une seule larme d'un seul enfant. Fiodor Dostoïevski - (Les frères Karamazov.)
Commentaire de Marie-Charlotte (encore aidée de son tuteur) Je profite de la fin du premier cahier de tatie pour reprendre le fil de mes commentaires. Déjà, je peux vous dire que tout se passe bien ici pour moi. Comme vous avez dû le constater en parcourant ces premières pages, la famille de tatie prend si bien soin de moi que je suis comme un coq en pâte. Oh ! je n'insisterai pas trop làdessus... car tatie Brigitte dit qu'elle ne fait que son travail. Mais moi je ne suis pas d'accord avec elle. Je suis sûre qu'elle fait son travail largement au-delà de la norme : Il y a tellement d'amour dans ses yeux ! Est-ce à cause de cela du reste que, petit à petit, la notion de « famille » va prendre autant d'importance à mes yeux ? J'entends souvent dire qu'on se soucie, et de plus en plus, de nous autres, les trisomiques ; et je dis que c'est super ! Il y a le professeur Lejeune, lui qui a découvert l'origine de la trisomie et qui se mobilise sans compter pour nous guérir et nous protéger. Il a même créé une association spécialement pour nous. Et puis il y a les autres, comme l'Arche, (fondée par Jean - 47 -
Vanier il y a 50 ans déjà), avec ses nombreux foyers répandus à travers le monde, ou encore l'Emmanuel de Montjoie, association que j'aime tout particulièrement car elle a proposé son aide au foyer de l'enfance dont je dépends. Jean et Lucette Alingrin, les fondateurs, en plus d'avoir eux-mêmes adopté de nombreux enfants comme moi, font un travail remarquable en cherchant - et trouvant - pour nous des familles adoptives. Même si cela est merveilleux, je suis un peu septique car je me dis : « Quelle famille osera prendre le risque de m'adopter, moi ? » Ma tatie, elle, avant que je ne débarque dans sa vie, avait déjà accueilli d'autres enfants handicapés. Mais elle ne l'avait pas fait toute seule, elle travaille avec une équipe de l'Aide Sociale à l'Enfance, des gens dévoués et pleins d'amour... telle Noëlla, la puéricultrice qui vient souvent me rendre visite et donner des conseils à tatie. Hélas, ce qui complique davantage encore ma situation, c'est qu'on vient de me découvrir (en plus de mon handicap mental), une malformation du cœur ; ce qui fait que si je veux survivre, il faut impérativement que je sois opérée. C'est une opération à risque, et donc de quoi faire peur – encore plus – aux éventuels candidats à mon adoption. Mais après tout, je me dis : « On verra ! » Chaque chose en son temps, n'est-ce pas ? Pour l'instant, je vous laisse feuilleter la suite de ma petite histoire en vous demandant simplement d'essayer de vous mettre à la place d'une maman, de n'importe quelle maman. Vous verrez alors à quel point je ressemble, moi aussi et dans les moindres détails, à chacun de ces petits êtres auxquels vous-même avez peut-être un jour donné la vie avec joie. - 48 -
Car, que ce soit pour bouger, pour manger ou plus simplement pour dormir... Que ce soit pour dire un premier mot ou encore pour donner un sourire... ne sommes-nous pas tous des enfants de l'Amour ? De cet Amour que je sens si fort en moi et grâce auquel – j'en ai l'absolue certitude – celui ou celle qui, un jour et comme ma tatie, aura accepté de me donner ne serait-ce que quelques heures de son précieux temps, plus jamais ne m'oubliera.
10 mai 1985 : 4 mois ! (Second petit cahier de tatie)
« Merci tatie, le gâteau était bien bon ! » - 51 -
Et oui, petite Marie, déjà 4 mois ! Tu sembles bien étonnée...
Tu abordes ton 5ème mois, petite Marie, - 52 -
Arrive le mois de mai et, espérons-le, un peu de soleil. Tu aimes beaucoup la chaleur, et le soleil sur ton visage et ton petit corps ne t'incommode pas. Du reste, en quelques jours, ta peau est devenue moins transparente et un peu plus rose.
« On est bien dehors... au soleil ! »
Marie a maintenant... 4 mois et 7 jours. Tu adores toucher notre visage ; tu nous caresses et, bien sûr, nous fondons devant le petit ange que tu es. Ce que tu aimes par-dessus tout, c'est glisser tes petits doigts dans la barbe de tonton. Il arrive que tu lui tires quelques poils (comme sur la photo de la page suivante), et même que cela semble t'amuser. - 53 -
« Comme elle est douce la barbe de tonton ! »
Mardi 21 mai 1985 Tu restes de plus en plus longtemps sur ton tapis et aujourd'hui tu as voulu changer de position. C'est vrai, rester sur le dos devient lassant. Alors tu as essayé de te mettre sur le côté (le gauche). Tu nous a fait bien rire, car tu voulais absolument y arriver et tu faisais de gros efforts. Mais parfois tu retombais brutalement sur le dos. Alors, tu recommençais de plus belle. - 54 -
Ce n'est quand même pas facile de se mettre sur le côté !
Marie a 4 mois et 12 jours.
Vendredi 24 mai 1985 Une nouvelle trouvaille sur le tapis : Lorsque je te pose, tu regardes tes jouets sans les prendre et tu leur parles. Et puis, tu as attrapé par hasard un mouchoir orange et tu t'es rendu compte que tu pouvais jouer avec lui en le tenant des deux mains.
« Non, non, je ne me mouche pas, je joue. » - 55 -
Depuis, chaque jouet t'intéresse. Tu es encore un peu maladroite et nous t'aidons à les prendre, mais dans ce cas... tu les lâches. Et c'est vrai que c'est beaucoup mieux lorsque tu arrives à attraper un jouet toute seule ! 4 mois et 15 jours !
« Je suis grande, j'ai attrapé ma poupée toute seule ! »
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Samedi 25 mai 1985 Aujourd'hui, c'est la sainte Sophie !
« Bonne fête Sophie ! Moi aussi j'ai un petit cadeau pour toi. »
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Week-end à la campagne
« Qu'est-ce que c'est que ces grosses bêtes sur la table ? Des canards, me dit tatie, et apprivoisés ! »
« Et oui, j'ai le ventre bien plein, et je digère sur Frédérick ! » - 58 -
Jeudi 30 mai 1985 Tu manges de mieux en mieux à la cuillère et tu as compris le système ; c'est devenu du sérieux pour toi. À la vue de la cuillère, tu ouvres la bouche... tu la refermes aussitôt et tu mâches. Tu ne te débrouilles pas trop mal, mais il ne faut pas que cela dure trop longtemps. Tu prends quand même la valeur de 70 g de purée de légumes. Après, tu bois ton biberon de 180 g avec plaisir. Une chose amusante que tu me fais tout en buvant : Tu gazouilles ! Tu tètes et, tout d'un coup, tu t'arrêtes ; tu me parles tout en gardant la tétine dans la bouche et tu recommences à téter, jusqu'à ce que le biberon soit vide. Sans doute une manière de me dire que tu es heureuse ! 4 mois et 24 jours ! Tu te mets de mieux en mieux sur le côté et tu t'enhardis.
« Quel jouet puis-je bien attraper ? » - 59 -
Mardi 4 juin 1985 Tu as découvert que le tapis avait des dessins et, avec ton petit doigt, tu grattes comme pour les décrocher.
« Tes petits dessins sur mon tapis m'intriguent, grattons un peu pour voir ! »
Dimanche 9 juin 1985 Nous avons passé le week-end chez Nadège, le premier bébé que j'ai élevé. J'étais heureuse de vous avoir toutes les deux. Il n'a pas fait bien beau et vous avez dû jouer à l'intérieur. - 60 -
« Tatie, tiens-moi, j'ai peur ! » Marie est ici au premier plan avec Nadège.
« Et voici ma tatie ! » Sur cette photo, on n'entend pas les pleurs de Nadège qui aurait bien voulu aussi me faire un câlin. - 61 -
Lundi 10 juin 1985... 5 mois ! Le temps passe vite, petite Marie... Déjà cinq mois ! Que de progrès et d'amour tu as pu nous offrir !
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Sixième mois Tu débutes ton sixième mois, petite Marie, en faisant une chose étonnante. Le 14 juin, alors que tu jouais sur le tapis, tu t'es mise sur le côté et... pouf, sur le ventre ! Toi-même, tu as été étonnée et tu regardais partout sans bien comprendre. Mais redresser ta petite tête devait te fatiguer, car au bout d'un certain temps tu es restée le visage enfoui dans le tapis. Je t'ai remise sur le dos et tu as rejoué.
« Oh ! Je n'en peux plus... Quel effort ! » - 63 -
5 mois et 7 jours !
« Et 1, je me mets sur le côté ! »
« Et 2, je me retrouve sur le ventre ! »
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Et depuis, c'est devenu une chose tout à fait naturelle. À chaque fois que je te pose sur le tapis, tu te retournes aussitôt et tu fais le tour du tapis. Seulement, dès que tu en as assez d'être sur le ventre, tu piques une petite colère car tu ne sais pas repasser sur le dos. Nous te retournons, mais nous avons à peine tourné les talons que tu t'es déjà retrouvée sur le ventre. Tu es vraiment pleine de tonus, petite Marie, et tu nous fais bien rire. o-O-o
Tu passes maintenant une bonne partie de la journée sur ton tapis. Tu ne t'y ennuies jamais. Si tu restes sur le dos, c'est pour gazouiller avec tes jouets ou papoter avec ton amie la main. De temps en temps, Sophie te prend et vous jouez ensemble.
« Fais-moi un bisou dans la main, Sophie ! »
Mais lorsqu'elle te repose, tu ne pleures pas, tu te remets à gazouiller gentiment. - 65 -
Jeudi 20 juin 1985 Eh oui, c'était à prévoir : le tapis n'est plus assez grand pour toi ! Tu as envie maintenant de bouger et pour cela tu te mets sur le ventre, tandis qu'avec ta petite jambe droite tu pousses de toutes tes forces et tu fais un petit bond en avant. Ainsi je te retrouve... une fois sous le fauteuil, une fois près de la table de la salle à manger. Enfin... tu n'es plus jamais sur le tapis !
« Je pars explorer la maison... »
Marie a 5 mois et 10 jours.
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Tes repas sont une vraie fête pour toi maintenant. Le matin, tu attends sagement que je te prenne, même si durant le week-end c'est un peu plus tard. Tu n'es pas embêtante et tout va toujours très bien pour toi. Le midi, tu apprécies ta purée de légumes avec la petite cuillère...
C'est bon ce que tu me donnes, tatie !
Marie a 5 mois et 11 jours. Tu me parles entre deux cuillères et nous nous comprenons toutes les deux. Lorsque tu n'en veux plus, tu fermes ta bouche et fais le bruit de la moto, ce qui fait que j'en ai plein le visage. C'est un jeu que tous les bébés font et tu n'échappes pas à la règle, petite coquine ! - 67 -
Après la cuillère, tu bois 180g de lait avec grand plaisir, de même qu'à 16 heures et 21 heures. Tu as plus de force et tu vides le biberon en 20 minutes.
Vendredi 21 juin 1985 Le soir, avant de me coucher, j'ai été très étonnée de voir que tu avais changé de position pour dormir. Tu n'étais plus sur le dos les bras écartés, mais tu avais ta petite tête tournée sur le côté gauche ainsi que ton bras droit ; tu dormais presque de côté. Et tu as passé toute la nuit ainsi. C'est ta nouvelle position puisque dans la journée tu fais de même lorsque tu te reposes.
Samedi 22 juin 1985 Aujourd'hui j'ai compris que tu étais heureuse de me voir car, en plus de ton sourire lorsque je me penche sur toi, tu t'es mise à gigoter les bras et les jambes. C'est une expression qui fait toujours très plaisir. Les premiers jours, tu ne le faisais qu'avec moi. Ensuite, dès que quelqu'un s'approchait de ton lit ou du tapis, tu remuais dans tous les sens. - 68 -
Tu es un véritable petit vers de terre. Tu remues sans arrêt et tu n'es jamais fatiguée. Sur le tapis, pour me voir, tu te mets dans des positions incroyables. Même Sophie, qui est élastique, n'en fait pas autant. Et tu fais la même chose pour attraper un jouet.
« Tonton, donne-moi mon petit éléphant que tu tiens ! »
Marie a 5 mois et 13 jours. - 69 -
« Ah ! Maintenant je voudrais bien l'attraper ! »
« Et voilà, en tirant le tapis, je l'aurai ! »
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J'aime faire des caresses !
« À nous deux, Frédérick ! »
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Oh ! Frédérick, comme je t'aime ! Une chose aussi que tu fais avec Frédérick (c'est sans doute lui qui te l'a appris !?) : tu l'embrasses « goulûment ». Pour lui faire un baiser, tu ouvres ta bouche comme pour le manger. Regarde la photo... comme tu as l'air de l'aimer !
« Oh ! Frédérick, comme je t'aime ! »
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Lundi 24 juin 1985 Cet après-midi, tu dormais tranquillement (du moins je le croyais) et je t'ai entendue pleurer... d'une belle colère. Je suis montée et je t'ai trouvée en travers du lit, la tête contre les barreaux. Où est donc le petit bébé qui ne bougeait pas d'un pouce en dormant ?
« Tatie, viens me chercher, j'ai trop remué et je suis mal ! »
Marie a 5 mois et 14 jours. Ce jour-là aussi, tu as prononcé des syllabes à tes jouets : « gaga ! » et « dada ! ». - 73 -
Mardi 25 juin 1985 Sur le tapis, te voilà maintenant indépendante. De la position ventre, tu t'es remise toute seule sur le dos. Bien sûr, avant d'en arriver là, que d'efforts tu as fournis ! Mais aujourd'hui tu as réussi... petite Marie. o-O-o Je reçois un coup de téléphone de Noëlla m'annonçant que tu avais maintenant un papa, une maman, deux frères et une sœur. Tu vas enfin avoir « ta famille ». Sur le coup, j'ai beaucoup pleuré car tu allais nous quitter, et puis le chagrin passé, j'ai été heureuse pour toi. Lorsque je t'ai dit que tu avais un papa et une maman, tu m'as regardée dans les yeux et, soudain, tu as dit : « Pa ! ». Tu avais compris.
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Mercredi 3 juillet 1985 Et voilà, petite Marie, Papa et Maman sont près de toi avec de l'amour plein leurs cœurs. J'arrête donc d'écrire ta petite vie et je leur passe le flambeau. À eux, maintenant, de t'observer et de te guider sur le chemin de la vie.
« Ici c'est Martine, ma maman... et mon papa Alain ! »
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Dernier petit mot de Tatie avant le départ de Marie. Toute la famille y a mis son Cœur et c'est signé : Tonton Bernard Tatie Brigitte Frédérick Sophie.
Et fin de la petite histoire écrite par tatie.
…
La suite racontée par Marie-Charlotte (toujours aidée de son tuteur) Et voilà, ma petite histoire s'achève. Enfin presque, puisque je n'ai fait encore que commencer à vivre. Fort heureusement, tout se termine bien : J'ai enfin une famille prête à m'adopter. Mais, je l'ai su plus tard, cela ne s'est pas aussi bien passé qu'on aurait pu le croire. Car ces parents-là, voyez-vous... ceux qui vont bientôt devenir miens, eh bien ils ont failli repartir sans moi. Déjà je tiens à le dire, rien ne les prédisposait à ce genre de folie. Nés dans des familles pauvres – avec douze enfants chez Martine (ma future maman) et un peu moins chez Alain (mon futur papa) – inutile de préciser qu'ils n'avaient pas retenu grand chose à leur catéchisme. De plus, fils de parents âgés, Alain avait eu le désavantage de se retrouver très tôt livré à lui-même, de sorte qu'une fois adolescent il avait frisé de peu la délinquance. Et aujourd'hui encore, il le reconnaît : « Si, à l'époque, ditil, les services sociaux avaient été aussi développés qu'ils le sont de nos jours, une simple mesure de protection aurait - 77 -
suffi à me faire placer dans un foyer. » Mais Dieu ne l'avait pas voulu ainsi et moi je pense qu'il a bien fait, car ces parents-là (mes futurs parents) ne m'ont pas adopté pour faire une « BA », c'est-à dire une bonne action (« catholiquement » parlant). Et ils ne l'ont pas fait non plus pour se faire plaisir, comme on le constate la plupart du temps dans la démarche de nombreux parents. Ils ont décidé de m'adopter quand, devenus croyants et par souci de cohérence avec leur foi chrétienne, ils ont choisi de vivre leur religion sans tricherie. Bien sûr, les plus pauvres d'entre nous étant, comme chacun sait, les préférés du bon Dieu... ils n'ont eu alors que l'embarras du choix. Plus simplement parlant, moi je dirais qu'ils ont eu envie d'aimer en acte et en vérité. Par contre, ce qu'ils ne savaient pas encore – ou du moins pas suffisamment – c'est que cet amour-là, le vrai, n'est pas sans risques. Et que certaines blessures, parfois longtemps insoupçonnées, profitent de l'occasion pour se réveiller et les rattraper... alors même qu'ils ne s'y attendent pas. Car c'est bien ce qui leur est arrivé. Mais d'abord, je laisse la parole à ma future maman qui va vous dire plus précisément comment les choses se sont passées. Un dimanche, alors que nous étions en famille, la sonnerie du téléphone retentit. Au bout du fil, une voix, celle de Jean Alingrin, me disant : Nous avons une petite fille porteuse d’une trisomie 21 avec cardiopathie qui attend une famille ; elle s’appelle Marie-Charlotte-Claude, mais vous pourrez - 78 -
changer son prénom ; vous réfléchissez puis vous nous donnez votre réponse dans une semaine. Je me souviens lui avoir répondu que la réponse était déjà « oui », et que son prénom, Marie-Charlotte nous convenait puisque nous avions déjà une fille qui s’appelait Marie-Jeanne. À partir de ce moment, notre petite famille attend impatiemment ce bébé. L'A.S.E. (Aide Sociale à l'Enfance) du Val de Marne dont dépend Marie-Charlotte nous envoie ensuite des dossiers avec des photos pour nous aider à faire connaissance avec elle ; mais déjà, cette petite fille, nous l’aimons ! Nous nous préparons à l’accueillir quand, le 2 juillet 1985, nous sommes attendus à l'A.S.E. de Créteil. Et c’est avec Marie-Jeanne et Romain seulement que nous irons, notre voiture (une 2CV) étant trop petite ; Tony, notre fils aîné, restant chez sa tata Madeleine. À l'ASE on nous donne de nouveau une photo de MarieCharlotte et, après un dernier entretien, une assistante sociale nous emmène à Sucy-en-Brie dans une famille d'accueil où, pendant cinq jours, nous aurons à faire progressivement connaissance avec Marie-Charlotte. Nous arrivons donc dans cette famille qui est charmante et très accueillante : Brigitte, Bernard et leurs deux enfants (Frédéric et Sophie). Je me souviens que lorsque nous sommes arrivés, mon instinct maternel me disait de prendre Marie-Charlotte dans mes bras, mais je n’avais pas le droit car il ne fallait pas « aller trop vite ».
Une préparation laborieuse Cela fait maintenant trois jours qu'ils sont là pour se pré- 79 -
parer à m'adopter ; et il leur en reste encore deux avant de repartir avec moi dans les Ardennes. Mais aujourd'hui, c'est un jour mémorable car tonton Bernard a pris sa journée et il est prévu que nous partions tous visiter Paris. Il fait un temps superbe ; Tatie m'a habillée légèrement, avec un petit chapeau rond sur la tête et je suis toute mignonne. Nous partons à deux voitures. Tonton et tatie sont devant, avec moi et Sophie. Mes futurs parents, eux, sont derrière avec Frédérick et mes deux futurs frère et sœur... mais ils restent le plus près possible de la voiture de tonton car ils ne veulent pas se laisser décrocher et risquer de se perdre. Traverser Paris n'est pas chose facile, surtout pour des campagnards purs et durs comme eux. Pensez donc, Martine n'est encore jamais allée à Paris ! Quant à Alain, il n'aime absolument pas cette ville gigantesque, où il n'est venu que deux ou trois fois, et encore… pour se perdre dans les transports en commun. Papa est donc crispé sur son volant et il n'arrête pas de bougonner contre tonton Bernard ; mais pas trop bien sûr, car Frédérick est aussi avec eux dans la voiture. Est-ce l'aide sociale à l'enfance qui a manigancé tout cela ? Ne serait-ce pas un test auquel on veut encore les soumettre, juste pour voir comment ils se comportent avec moi ? La ballade est longue, à la fois dans les rues... avec visite de Notre-Dame et des grands quartiers, et aussi sur la Seine, en bateau-mouche. Plusieurs fois, mon futur père me prend dans ses bras et je me rends compte qu'il n'est pas à l'aise. Il me fait certes de beaux sourires, mais ceux-ci ne sont pas naturels ; surtout quand nous sommes assis dans le bateau, avec des gens autour de nous. Il voudrait bien me rendre à - 80 -
tatie, mais il n'ose pas. Ce soir-là, après être passés comme d'habitude au foyer de l'enfance pour y prendre leurs repas, ils ont regagné leur chambre d'hôtel et, comme ils sont très fatigués, logiquement ils n'auraient pas dû avoir de problème pour s'endormir. Mais mon futur papa, lui, n'y arrive pas. Il se tourne et retourne sans cesse dans le lit et les heures défilent. De la chambre mansardée, il perçoit le bruit sourd des avions qui passent bas dans le ciel, et ça l'irrite plus encore. Pendant que ma maman, elle, dort comme une bienheureuse et qu'il l'entend respirer paisiblement à ses cotés, il n'en finit pas de se poser des questions. Des questions douloureuses qui réveillent en lui de vieux souvenirs et sur lesquelles il ne veut pas s'appesantir, tant il se sent vulnérable. Avec Martine n'ont-ils pas franchi tous les caps du dossier d'adoption : contacts avec l'association, visites médicales et psychiatriques, entretiens multiples dont ceux, parfois déconcertants, avec les travailleurs sociaux ? En dépit des nombreux obstacles mis en travers de leur route, ils ont tenu bon. N'y a-t-il pas eu aussi ce fameux jour où, à force de se voir rabâcher les sempiternels dangers liés à l'adoption d'un enfant handicapé, ils en étaient arrivés à envisager de renoncer, se préparant déjà à contacter l'assistante sociale pour le lui dire... quand le téléphone, tout à coup, a sonné. C'est elle-même qui les rappelait : « Après tout, leur dit-elle, avec la commission d'adoption nous avons bien réfléchi... et nous nous sommes dits que nous n'avions pas le droit de priver un de ces petits enfants d'une famille comme la vôtre... » - 81 -
Imaginez alors la réaction de mes futurs parents... eux qui, prêts à capituler, s'étaient soudain remis à y croire. Mais aujourd'hui ? Arrivés au terme de ce stage de préparation, de nouveau ils se retrouvaient au pied du mur. Ce n'est qu'en fin de nuit que la fatigue prit le dessus sur mon père et qu'il parvint à s'endormir. Hélas, son sommeil se transforma bien vite en cauchemar. Il se revit marchant en ville aux côtés de sa mère, tandis qu'un garçon, à peine plus âgé que lui, s'était planté devant elle et n'en finissait pas de lui rire au nez en esquissant la plus odieuse des grimaces. Tout cela parce que la pauvre femme avait eu un jour la malchance d'être victime d'une impitoyable paralysie faciale... paralysie qui avait déformé son visage en lui laissant à tout jamais la bouche de travers. Et c'était d'elle, bien sûr, que ce garnement se moquait. De colère, papa avait alors voulu l'étriper. Depuis ce temps, la peur s'était installée en lui, peur qu'il refusait obstinément de reconnaître mais qui, néanmoins, lui pourrissait la vie au point de le rendre malade de la pire des maladie qui soit : celle du « regard des autres ». Tandis que sa blessure continuait de faire ses ravages, il éprouva soudain un sentiment bizarre qui ressemblait fort à de la honte et qu'il refoula car, pensait-il, s'il est un mot – et un seul – qu'un enfant n'a pas le droit de prononcer à l'égard de la personne qu'il aime le plus au monde, c'est bien celuilà : le mot « honte » ! Décontenancé, il finit alors par se persuader que s'il venait à commettre l'erreur d'accueillir chez lui un être aussi handi- 82 -
capé que moi, il serait forcément condamné à vivre toute sa vie dans l'angoisse. Et de cela, il ne se sentait absolument pas capable. Au petit matin, lorsque maman se réveilla, il lui confia qu'il n'avait pas réussi à dormir à cause du regard de cet enfant, cruel et moqueur – l'enfant de son enfance ! –... regard qu'il avait obstinément dans la tête et qui le faisait souffrir. « Tu sais, lui dit-il en pleurant, je crois que je n'y arriverai jamais... » Et elle, qui avait un peu mieux dormi que lui, lui répondit alors le plus simplement du monde : « Ne t'en fais pas mon ange... (c'est toujours comme ça qu'elle l'appelait, et même encore aujourd'hui), on dira qu'on n'en est pas capables... Ils comprendront ! » Si elle avait été heureuse à l'idée de me ramener avec elle, sans doute devait-elle être bien triste maintenant de devoir y renoncer ; mais son « ange » avait eu l'air si malheureux ce matin-là ! Dès lors, ils ne firent plus qu'une chose. Ils se mirent à genoux, tournés simplement vers le bon Dieu, Lui à qui ils avaient pris l'habitude de se confier régulièrement en famille, Lui disant combien il y avait de tristesse dans leurs cœurs et aussi à quel point ils étaient désolés de devoir dire « non » tout à l'heure à la petite Marie (c'est-à-dire à moi). Puis ils quittèrent l'hôtel pour se rendre chez ma tatie.
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Une halte providentielle Si l'aventure de mes parents s'était arrêtée là, sans doute eus-je été placée ailleurs. Mais il faut croire que Dieu, Lui, ne l'entendait pas ainsi. En route, ils firent une halte dans un bistrot, juste pour prendre le petit déjeuner. Ce dernier leur resta en travers de la gorge. Qu'avaient-ils donc fait pour se retrouver dans une telle situation ? La vérité était pourtant bien simple, plus simple en tout cas qu'ils ne l'imaginaient : Alain était encore fragile et il ne le savait pas. Il pensait, lui, qu'après sa conversion (le 3 mai 1977), tout se passerait comme sur des roulettes. Mais, en dépit des apparences, il était resté le même. Avec sa sensibilité à fleur de peau, le moindre regard de travers posé sur lui ou, pire encore, sur quelqu'un de sa famille, gardait toujours le même pouvoir de gâcher sa journée. Et ce cauchemar de la nuit en était bien la preuve : il n'était pas guéri ! Raison de plus, alors, pour ne pas revenir en arrière. Près du bistrot d'où ils sortaient, ils aperçurent une église dans laquelle ils pénétrèrent pour se réconforter un peu. Et c'est à ce moment-là, au moment même où ils arrivaient dans l'allée centrale, qu'un miracle s'est produit. Enfin, quand je dis « miracle », bien sûr il faut tout de même avoir un peu la foi pour y croire. Pour eux, en tout cas, aucun doute. Ils entendirent distinctement ceci : « Continuez, vous êtes sur la bonne voie ! » - 84 -
Et c'était eux, forcément, que ces mots voulaient toucher, pour leur dire ce à quoi ils ne croyaient déjà plus. Ils n'avaient rien demandé et voilà que ça leur tombait dessus comme une grâce. Une grâce qui voulait dire : « Surtout, n'ayez pas peur ! Ne renoncez pas à votre projet d'adoption. Vous ne vous êtes pas trompés : c'est bien moi qui vous ai inspirés ! Moi votre Dieu ! » Papa regarda Maman avec stupéfaction, puis tous deux s'assirent sur le premier banc venu. Une grande paix s'installa en eux et ils restèrent de longs moments sans rien dire. C'est plus tard qu'ils comprirent. Un prêtre était entrain de célébrer l'Eucharistie... Et ce moment-là (pendant lequel la phrase leur avait été donnée) n'était pas n'importe lequel. Il n'y en avait qu'un, et qu'un seul où Dieu pût ainsi leur parler aussi distinctement, c'était celui de l'homélie... Quand ils ressortirent du saint lieu, ils étaient abasourdis et incapables de prononcer le moindre mot. Seule la petite phrase leur restait gravée à la mémoire et ils n'en finissaient pas de se la redire : « Continuez, vous êtes sur la bonne voie !» Cela ressemblait à quelque chose qu'Alain avait déjà vécu plusieurs années auparavant – le 3 mai 1977 à 15 h 15 – lorsqu'il avait accepté Dieu dans sa vie. Ce jour, cette heure... l'avaient marqué à tout jamais. Mais je laisse de nouveau la parole à maman. Désormais, il n’y a plus aucun doute, nous sommes sur la bonne voie, et nous continuons notre route avec MarieCharlotte. Remplis d’une grande paix intérieure, et joyeux, - 85 -
nous arrivons pour retrouver celle qui, déjà, fait partie de notre famille... ce petit être que Dieu nous confie : MarieCharlotte ! Lorsque nous franchissons le seuil de la porte, Brigitte et Bernard voient sur notre visage qu’il s’est passé quelque chose, car nous sommes différents. Nous vivons ensuite notre dernière journée avec cette famille. Les parents de Brigitte sont aussi présents. Puis nous passons une agréable journée et, dans l’aprèsmidi, il nous faut songer à partir... rentrer dans nos Ardennes avec notre bébé. Les « au-revoir » sont déchirants. Tout le monde pleure. Marie-Charlotte est tellement attachante ! Nous avons l’impression de la leur arracher. Avoir partagé six mois de sa petite vie, ce n’est pas rien… Mais il faut partir. Nous nous reverrons bien sûr... Et vous la reverrez aussi... ...Et nous sommes partis ! Habituellement, les services de l'Aide Sociale à l'Enfance recommandent à leurs familles d'accueil de ne pas s'attacher aux enfants qu'on leur confie. Mais, dans la pratique, c'est une autre histoire. Car avoir chez soi un de ces petits bouts de choux comme moi pendant plusieurs mois, à moins d'être sans cœur, n'est pas sans laisser des séquelles et je comprends fort bien pourquoi, au moment de partir, tatie et toute sa famille ont craqué. Je les ai vus, c'était bouleversant. En même temps, quel réconfort pour moi de me savoir autant aimée ! Et comme le chagrin est aussi contagieux que la joie, il faut que je vous dise que mes nouveaux parents, eux aussi, - 86 -
ont été bouleversés ; surtout papa... lui si sensible : il avait bien de la peine à cacher ses larmes. Comme toujours, moi j'étais bienheureuse. Je ne comprenais pas très bien ce qui m'arrivait. Et ce n'est que trois bonnes heures plus tard, lorsque je me suis retrouvée dans ma nouvelle maison, que j'ai commencé à réaliser le changement. N'est ce pas maman ? C’est donc le sept juillet à sept heures du soir (ou de l’après-midi) que Marie-Charlotte pénètre dans notre demeure ; sept, chiffre de la perfection. Nous reprenons le cours de notre vie, mais nous sommes maintenant une famille de six personnes. MarieCharlotte s’est très bien adaptée et nous avons l’impression qu’elle est avec nous depuis son premier jour. Elle a six mois et une semaine. Tony revient de chez sa tata le lendemain ; il ne connaît pas encore sa petite sœur, bien que l’ayant déjà vue sur les photos ; nous appréhendons un peu sa réaction car lors des démarches pour l’adoption, nous avions parlé avec chacun de nos enfants en leur demandant ce qu’ils pensaient du fait d’avoir un petit frère ou une petite sœur handicapé(e). Et Tony nous avait répondu : « Pour commencer, je préfèrerais un bébé normal.» Et voilà... Tony arrive. Tony est là… Il se précipite dans la chambre de Marie-Charlotte, se penche au-dessus du petit lit et, du haut de ses treize ans, avec une voix pleine d’amour, lui dit : « Dis donc, tu es encore plus belle que sur les photos !» - 87 -
C’est le début d’une grande histoire d’amour entre eux puisque, jusqu’à sa rencontre avec son épouse, Tony sera le « bien-aimé » de Marie-Charlotte. Une nouvelle vie commence. Une nouvelle vie commence car Marie-Charlotte, malgré tous ses problèmes de santé, nous apporte beaucoup de joie et de bonheur ; c’est un soleil qui va éclairer et réchauffer notre vie ; et comme aimait à le dire sa marraine, c’est Jésus parmi nous ! Marie-Charlotte, bien sûr, demande beaucoup de soins et d’attention car, en plus de sa trisomie 21, elle est porteuse d’une cardiopathie... Je connaissais déjà mon frère Romain et ma sœur MarieJeanne puisque ceux-ci avaient été avec mes parents pendant leur semaine à Sucy. Et même s'ils avaient été le plus souvent occupés à jouer avec Frédérick et Sophie, je savais bien qu'avec moi le courant était passé. Aujourd'hui – et cela fait tout de même plus de vingt-cinq ans que ces faits ont eu lieu – je me permets de vous dire que mon papa n'a jamais eu à souffrir à cause de moi : ni du regard des autres, ni de quoi que ce soit. Bien au contraire...
Je suis dans ma nouvelle famille !
Et avec mon plus beau sourire pour la circonstance !
Dès le lendemain, ma « presque-maman » (l'adoption étant toujours en cours) m'a emmenée avec elle aux courses et c'est à cette occasion que j'ai reçu mon tout premier cadeau. Mais je ne vous en dirai pas plus pour l'instant, car c'est mon père qui vous racontera cela, et davantage encore, à la fin de cet ouvrage. - 89 -
DĂŠjĂ en action... avec mes petits amis !
Avec maman en 1985 - 90 -
Et avec papa !
Sur mon Voltaire... en 1987 - 91 -
Que vous dire de plus, sinon qu'ensuite j'ai eu un tas de visites et de consultations, notamment à cause de mon cœur. Et que j'ai aussi rencontré des gens formidables qui, bien que – pour la plupart d'entre eux – non croyants, se sont tous occupés de moi avec respect et délicatesse. Aujourd'hui, je n'ai pas encore trente ans. Je suis heureuse et cela se voit. Et comme personne ne m'a jamais rejetée, mis à part ma première maman, je vais toujours aussi spontanément vers les autres. Je « décoince », comme dit mon père... ceux qui osent s'approcher de moi. Et croyez-moi, ça marche à tous les coups ! Quand je vais en consultation au Centre Hospitalier Universitaire, je puis vous dire que d'une année sur l'autre ils se souviennent tous de moi. J'ai à peine franchi l'entrée du service que, déjà, je les entends crier : « Marie-Charlotte, quelle surprise ! » Et aussitôt, bien sûr, je me précipite dans leurs bras. Même le professeur qui me suit... c'est quelqu'un de super. Au début, il avait l'air sévère et réservé. Forcément, avec sa responsabilité... Mais, la dernière fois, c'est lui qui est venu vers moi et qui m'a embrassée. Je n'en revenais pas. Et maman en parle dans son petit journal... Mercredi 3 juin 2011 Aujourd’hui, c’est contrôle de Pace Maker à l’hôpital d’Amiens. Marie-Charlotte est stressée comme à l’habitude car elle a toujours peur du « verdict » du Professeur Hermida. - 92 -
Mais, dès son entrée dans le service de cardiologie A, aujourd’hui encore et plus qu’à l’habitude l’accueil est hyper chaleureux. Marie-Charlotte est accueillie comme une « star » ; son inquiétude s’est évanouie en un clin d’œil ; tout le personnel en blouse blanche, sourire aux lèvres et dans les yeux, est là : infirmières, secrétaires, médecins... pas de distinction, tout le monde vient lui dire bonjour, puiser un peu de sa bonne humeur, de sa joie, de sa gentillesse ; les unes prennent de ses nouvelles ; une autre lui demande si le bébé est né – en fait c'est celui de sa sœur Marie-Jeanne – (cela montre qu’elles sont attentives à tout ce que Marie-Charlotte peut leur dire lorsqu’elle vient en consultation). Le temps d’attente, pour elle, se fera dans le bureau des secrétaires : une première ! Pendant ce temps, dans la salle d’attente, je ferai la connaissance d’un couple, parents d’une fille trisomique de 35 ans. Ayant entendu les secrétaires poser des questions à Marie-Charlotte sur sa perte de poids, la dame voulait savoir comment elle avait fait pour maigrir. Puis nous avons parlé de nos filles... L’ECG se passe sans problème, le contrôle de pacemaker idem puisque Marie-Charlotte est détendue... Jeudi 4 Juin 2011 Aujourd’hui, c’est l'échographie cardiaque avec Amel (Dr Mathiron). Nous irons en consultation à l’hôpital en famille car papa en profitera pour prendre un rendez-vous pour son holter tensionnel. Marie-Charlotte est assez stressée ; toujours la même - 93 -
peur du verdict ! Le début de l’écho est un peu laborieux, mais Amel est tellement douce et gentille qu’elle arrive vite à détendre Marie-Charlotte ; l’examen se passe bien, même si, selon l’expression du visage d’Amel, quelques questions fusent : « Y’a un problème Amel ?» Non ma puce, tout va bien ! « Il bat mon cœur, Amel ?» Heureusement qu’il bat ma chérie, sinon tu ne serais pas là. « J’espère que j’suis pas enceinte... » Ben, il ne manquerait plus que ça, c’est maman qui ne serait pas contente... Voilà, je te laisse tranquille, tout va bien MarieCharlotte. Tu sais, ce matin au Nord (c’est l’hôpital d’Amiens Nord), ils étaient tous jaloux quand je leur ai dit que cet après-midi j’allais voir Marie-Charlotte. Allez, on se revoit dans un an ma puce ! Nous passons au secrétariat pour prendre le rendezvous de la prochaine fois. Le même accueil que la veille est réservé à Marie-Charlotte, les mêmes sourires et d’autres questions. Une infirmière qui passe dans le couloir l'aperçoit, s’arrête et prend un peu de temps pour venir l’étreindre et l’embrasser. Merci à toutes ces personnes !
Une fille « très unique » C'est vrai ce que dit maman. Et du reste, pour que maman dise ça, il faut vraiment que ce soit vrai ! (Croyez-moi !) Il y a quelques années, je me suis bien marrée... car j'ai étonné un professeur. J'étais dans un hôpital dont je ne me souviens plus du nom – car il y en a eu plusieurs – et, au cours - 94 -
d'une conversation, j'ai voulu lui montrer que je savais le nom de mon handicap. Mais j'ai écorché légèrement ce nom et j'ai dit que j'étais très unique au lieu de trisomique. C'est alors qu'il m'a répondu : « Tu as tout à fait raison, Marie-Charlotte : tu es bien une fille très unique. Et du reste tu n'es pas la seule... » Disant cela, le professeur s'était tourné vers les internes qu'il avait auprès de lui. Et moi je n'ai pas trop bien compris pourquoi ils se sont mis à sourire... Mais qu'importe ! Depuis que je suis née, je vis dans un océan d'amour. D'abord, il y a eu ma tatie et toute sa famille... ainsi que les personnes de l'Aide Sociale à l'Enfance. Puis mes parents (les vrais), mes frères et ma sœur ; et ensuite les gens des hôpitaux par lesquels je suis passée. Plus tard, il y aura encore trois ou quatre institutions (École, IME, IMP) et aujourd'hui, pour couronner le tout : la communauté de l'Arche, ma seconde famille ! Et si, maintenant, vous vous demandez pourquoi la vie est aussi belle pour moi, j'espère au moins que vous saurez d'où ça vient. Mon père, lui, l'a compris tout de suite : « La meilleure des thérapies, dit-il, c'est l'Amour. Car quand on est aimé, tout s'illumine en nous... et on devient aimable à notre tour. » Dans le foyer-hospice où il a été autrefois directeur, des pareils à moi il a eu l'occasion d'en voir. Et, à chaque fois, ce qui l'a frappé c'est la différence qu'il y avait entre eux et moi. Autant j'étais ouverte aux autres, autant ils les voyait fermés. - 95 -
L'un d'entre eux se promenait même dans les couloirs en embrassant les murs, tellement il avait besoin d'affection... et cela pendant que sa pauvre maman – qui vivait avec lui dans l'institution – semblait n'avoir qu'un seul désir : qu'on ne le voie pas ! Non, moi je n'ai jamais eu peur, car je n'ai jamais manqué d'amour. Et, de ce fait, je ne rate aucune occasion de dire « je t'aime » à qui je veux, quand je le veux et où je le veux. Je suis incapable de voir le moindre mal chez les autres.
Et la joie se voit aussi sur le joli visage de ma maman.
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Mais si vous le voulez bien, venons-en à présent à l'autre surprise.
Mon baptême
Mon père et ma mère, ce jour là, dans l'église des Hauts-Buttés
Nous sommes le 22 septembre 1985, 25ème dimanche du temps ordinaire. Outre papa, maman... mes proches parents... mon parrain Habib et ma marraine Jeannou (tous deux chrétiens convaincus) la famille de tatie au grand complet est aussi présente à mes côtés dans la belle église des Hauts-Buttés, là même où je me prépare à entrer dans l'immense famille du père des Cieux. - 97 -
C'est le curé de cette paroisse où nous allons à la messe chaque dimanche qui a proposé à mes parents de célébrer mon baptême pendant l'eucharistie ; et ceux-ci, bien sûr, ont accepté avec joie. Ils ne se sont occupés de rien, pas plus des lectures que du reste, et c'est donc avec la plus grande attention qu'ils ont écouté le prêtre faire la lecture de l'évangile, qui était ce jour-là... de Jésus Christ selon saint Marc (Mc 9, 30-37) … Jésus traversait la Galilée avec ses disciples, et il ne voulait pas qu'on le sache. Car il les instruisait en disant : « Le Fils de l'homme est livré aux mains des hommes ; ils le tueront et, trois jours après sa mort, il ressuscitera. » Mais les disciples ne comprenaient pas ces paroles et ils avaient peur de l'interroger. Ils arrivèrent à Capharnaüm, et, une fois à la maison, Jésus leur demandait : « De quoi discutiez-vous en chemin ?» Ils se taisaient, car, sur la route, ils avaient discuté entre eux pour savoir qui était le plus grand. S'étant assis, Jésus appela les Douze et leur dit : « Si quelqu'un veut être le premier, qu'il soit le dernier de tous et le serviteur de tous. » Prenant alors un enfant, il le plaça au milieu d'eux, l'embrassa, et leur dit : « Celui qui accueille en mon nom un enfant comme celui-ci, c'est moi qu'il accueille. Et celui qui m'accueille ne m'accueille pas moi, mais Celui qui m'a envoyé. » Le moins que l'on puisse dire, c'est qu'ils ont été surpris ! Ils savaient, et pour eux cela ne faisait pas l'ombre d'un doute, que cette Parole était donnée précisément pour ce jour-là et pas pour un autre... Et qu'elle venait de Jésus lui-même ! - 98 -
« Celui qui accueille en mon nom un enfant comme celui-ci, c'est moi qu'il accueille. Et celui qui m'accueille ne m'accueille pas moi, mais Celui qui m'a envoyé. » Quand ils firent le rapprochement de ce passage d'évangile avec le mot Emmanuel (nom de l'association par laquelle ils étaient passés pour l'adoption), mot signifiant aussi « Dieu avec nous », ils eurent comme une confirmation : Cette parole avait bien été donnée pour eux parce qu'ils m'avaient accueillie. N'étais-je pas, moi aussi, l'un de ces enfants bien aimés du père ? Mais il y avait sans doute une autre raison, et beaucoup plus importante cette fois, au fait que Dieu ait pu leur faire ce petit clin d'œil : Papa et maman m'ont adoptée... en Son Nom à Lui ! et pas d'abord pour se faire plaisir à eux-mêmes. Cette parole de mon baptême conforta bien sûr en eux, au-delà de toute attente, celle qu'ils avaient déjà reçue au moment crucial de leur décision : « Vous êtes sur la bonne voie ! » Ce fut incontestablement la grâce de leur vie ! Et je comprends mieux à présent pourquoi papa a dit un jour que s'il n'avait pas eu la foi, jamais il ne m'aurait adoptée. La foi, c'est probablement voir des choses que d'autres ne voient pas. o-O-o
Voici maintenant l'extrait que je vous ai promis. Il éclaire encore un peu le mystère de ma petite vie... - 99 -
Extrait du livre de mon père1 Nous nous interrogions depuis plusieurs années. Nous avions déjà eu l'occasion d'écouter le témoignage bouleversant de Jean et Lucette Alingrin, fondateurs de l'œuvre Emmanuel SOS Adoptions et, depuis ce temps-là, il y avait en nous comme un tiraillement entre le « pour » et le « contre ». C'est vrai qu'après le décès prématuré de nos trois premiers enfants, puis les naissances de nos trois autres, toutes difficiles et nécessitant à chaque fois pour Martine un cerclage du col de l'utérus, la gynécologue s'était montrée formelle : une nouvelle grossesse n'était pas envisageable. Mais comme nous avions encore de la place dans nos vies, restait l'adoption. Nous réécoutâmes donc la cassette de l'appel à familles fait par ce couple qui, – bien que plus âgé que nous – avait déjà adopté lui-même plusieurs enfants. S'agissant d'enfants handicapés, nous n'avions pas le droit de nous lancer à la légère. Il fallait être en capacité de le faire et que, déjà, nos enfants fussent d'accord. La déception ressentie en arrivant dans cette maison d'accueil d'enfants soi-disant « orphelins2 » et qui, en fait, n'était qu'un établissement comme les autres, voire peutêtre même moins bon que les autres, nous incita-t-elle à franchir le cap ? Peut-être. Mais ce qui pesa le plus dans notre décision, c'est que nous étions sûrs, à condition de garder en nous l'esprit de Celui qui nous avait révélé plus tôt son existence, que la force nécessaire nous serait don1. 2.
Ce livre retrace l'histoire d'un quart de siècle de la vie professionnelle de mon père. Mon père avait récemment accepté de quitter son poste de fonctionnaire pour se mettre au service de sœur C. alors directrice de l'orphelinat Jean Bosco.
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née en temps voulu. Quelques amis proches nous soutinrent dans notre démarche ; d'autres, aussi proches, nous fuirent. Comme si, en accueillant un de ces gosses dans notre famille, nous étions devenus fous. Trisomique, pensez donc ! Et je passe ici sur les détails de la formidable aventure que nous avons alors vécue, la seule vraie bonne action de nos vies. Cela a été – ou sera – raconté par ailleurs. Je ne reviendrai que sur deux souvenirs. Le premier a lieu alors que nous sommes en stage de préparation à l'adoption, dans un foyer de l'enfance de Sucy-en-Brie. Chaque jour, nous devons nous rendre dans la famille d'accueil où la petite Marie-Charlotte Claude est placée en attendant de venir nous rejoindre pour toujours. Rien ne se faisant à la légère, nous sommes soumis à une sorte d'essai durant lequel non seulement nous testons nous-mêmes nos propres capacités mais, aussi, nous nous faisons tester par des professionnels. La nuit, nous dormons dans un petit hôtel, proche de la famille d'accueil et du foyer de l'enfance auquel Marie est rattachée et où nous sommes autorisés à venir prendre nos repas du soir. Et comme il n'y a plus aucun personnel à l'heure à laquelle nous arrivons, on nous a confié la clé de l'entrée. Là, non seulement nous prenons nous-mêmes nos plateaux dans le four micro-onde, mais nous nous déplaçons librement dans un vaste local où tout est ouvert en grand. Absolument tout. La cuisine, la réserve, et même les bureaux, nous avons accès à tout ! Et cela nous fait un choc. Choc de confiance dont l'impact est encore plus fort en nous quand nous osons - 101 -
comparer cet établissement laïc avec la maison des sœurs où je suis employé, là-même où la providence est censée régner. Choc surtout avec le souvenir d'une sœur Michèle en aube brune, de son gros trousseau de clés qui pandrouille à sa ceinture et des portes qu'elle verrouille en toutes circonstances, comme si elle avait peur qu'on la vole. Second souvenir : notre retour à la maison avec Marie. Nous avions certes un peu d'appréhension vis à vis du voisinage. Nous habitions dans une petite maison HLM située à flanc de coteau, pas très loin du pensionnat. Naturellement, la première réaction vint du voisin qui, en nous apercevant, fit semblant de ne pas voir Marie et nous demanda juste ce qu'était devenu notre chien. Nous ne dirons pas que cela ne nous a pas touchés un peu, mais ce qui nous a fait sans doute plus mal, ce fut le long silence de la communauté des sœurs – mes collègues pourtant – qui ne se décidèrent à venir nous rendre visite que longtemps après... Comme Martine n'était pas du genre à se laisser dépiter par les regards de mépris ou d'indifférence qu'elle croisait, elle allait régulièrement aux courses, avec Marie dans la poussette. Un jour, elle entra dans un magasin de vêtements où elle s'était déjà rendue plusieurs fois auparavant. Là elle prit Marie dans ses bras et, de fil en aiguille, la vendeuse finit par connaître toute l'histoire de l'adoption. Quelle ne fut pas la stupeur de Martine de voir que la dame était touchée au point d'en pleurer ! Même qu'elle la vit se rendre tout droit dans son rayon « bébé », et revenir - 102 -
aussitôt avec la plus jolie de ses petites robes. Une robe belle et blanche comme une robe de mariée. « C'est mon cadeau pour Marie-Charlotte ! » dit-elle. Puis elle ajouta : « C'est beau ce que vous avez fait là ! » Cette dame ne mettait jamais les pieds à l'église. (Quand l'Esprit n'y est plus – Alain Garot – Editions Alangar – le Livre de Vie - 2012)
Et après ? Après, il y eut la formidable aventure des Hauts-Buttés.
Notre nouvelle maison (Photo Philippe Guérin)
Mon père, qui avait accepté la proposition de l'évêque de prendre la responsabilité du foyer-hospice Saint-Antoine et de ses annexes (pèlerinage, magasin et ferme), eut alors la difficile tâche de succéder à sœur Céleste, une sainte femme dont la réputation n'était plus à faire. - 103 -
Je sais que papa mit tout son cœur dans cette belle aventure. Et même qu'il y aurait mis davantage encore s'il l'avait pu... Nous avions déménagé pour nous installer aux BasButtés, à sept ou huit cents mètres du foyer-hospice. Me voici, l'été suivant, derrière notre nouvelle maison
Je dis quelque chose à maman, mais quoi ?
Et là avec, déjà... des lunettes !
Sur la photo ci-dessus, je suis dans les bras de ma maman. Mon papa a une veste bleu-marine. Tony a des béquilles, suite - 104 -
à son opération de la hanche, et Marie-Jeanne est à gauche devant la maman de M. Roger. Ce dernier est un vietnamien aveugle, alors accueilli à l'hospice, dont les deux parents sont venus de San Francisco spécialement pour le rencontrer. Mon frère Jean-Baptiste, le petit dernier, était entre temps venu au monde alors que j'avais presque cinq ans.
Je suis ici à gauche, près de mon frère Romain (qui tient Jean-Baptiste dans ses bras) et Marie-Jeanne.
Quelques mois plus tôt, je suis ici avec mon amie Corinne et ma sœur Marie-Jeanne.
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Devant notre maison des Hauts-ButtĂŠs (Photo prise par Tony en septembre 1988)
Avec Tony (ou Romain) en 1988 (devant notre maison des Hauts-ButtĂŠs)
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Et là dans les bras de mon frère Romain... (Jean-Baptiste, lui, a pris ma place dans ceux de maman.)
Et me voici encore ici avec mon petit frère Jean-Baptiste
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Août 1992 - Quelle joie et quelle fierté d'être sur la moto de mon grand frère ! (Ici, Romain)
Décembre 1992 – Je suis bien sage aux côtés de M. Roger
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Maternelle. En haut, année 1990 : dans les bras de ma maîtresse ! En bas : Année 1991 (je suis à gauche... en vert zébré)
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Mars 1993 - Anniversaire de Romain (dans notre maison des Hauts-Buttés)
Youpi ! Mon frère Romain a dix-huit ans ! Alors qu'il n'est pas sur cette photo, moi par contre j'y suis avec Marie-Jeanne (ma grande sœur) et Jean-Baptiste, qui est entre elle et moi. Tony est assis dans le fauteuil Voltaire.
Et puis, bien sûr, j'ai grandi...
C'est moi en 2012 (Pas mal, n'est-ce pas ?)
Ah ! Il s'en est passé du temps... D'abord, nous avons vendu notre maison des Hauts-Buttés pour nous réinstaller à Monthermé, là où mon père pensait pouvoir bénéficier d'une vie familiale plus tranquille. Mais la fondation dans laquelle il travaillait l'a contraint à partir presque aussitôt (en juillet 1999) pour la Picardie afin d'y exercer un poste de cadre administratif. De ce fait, j'ai dû attendre plusieurs mois avant de rejoindre un autre établissement pour handicapés. Dans l'I.M.P. Notre Dame du Thil (à Beauvais) où je suis arrivée quelques mois plus tard, je me suis tout de suite sentie - 111 -
bien et j'espérais que cela durerait. Hélas, à ma majorité : rebelote ! Nouveau changement d'établissement et là... bonjour les places ! Chacun sait – et c'est partout pareil – que les handicapés ne sont pas gâtés dans le domaine de l'accueil en établissement. J'aurais pu, bien sûr, être admise plus rapidement dans un internat ; mais partout c'était la même restriction concernant les retours en famille : un week-end par mois, et un seul ! Or, à l'époque (et même encore aujourd'hui), je ne voulais pas entendre parler d'internat, sauf si on m'avait permis de rentrer chez moi toutes les semaines ; ce qui, apparemment, était impossible à cause d'un certain « manque à gagner » au niveau des prix de journée. Par bonheur, l'Arche de Jean Vanier a ouvert son nouveau foyer à Beauvais et j'ai eu la chance d'y être admise en tant que demi-pensionnaire. Depuis, j'y suis chez moi. Ou presque.
Un an pour ma petite nièce Léa ! Et c'est moi qui apporte le gâteau...
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Octobre 2003 : Je suis au mariage de mon frère Romain. Classe n'est-ce pas ?
Et en avril 2006, la jeune tatie fĂŞte les 8 mois de Sarah-Marie.
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Et une tatie heureuse avec son petit Martin !
J'ai sept frères et sœurs (dont trois déjà au Ciel), ainsi que neuf neveux et nièces, et comme vous avez pu le constater, ils font tout mon bonheur. Alors pourquoi, me direz-vous, certains établissements obligent-ils la plupart de leurs internes à ne rentrer chez eux qu'une fois par mois, tandis qu'absolument rien ne s'oppose à ce que, côté famille, cela puisse se faire chaque week-end ? Les gens « normaux », eux, ont des parcours faits pour eux. Ils se marient, quittent un jour leurs parents pour fonder une famille, et cela est bien normal. Mais nous autres ? C'est pour cela que j'apprécie l'Arche : d'un côté elle donne une famille à ceux qui n'en ont pas, et c'est l'internat ; de l'autre elle prête main-forte aux parents qui ne souhaitent pas se séparer trop vite de leurs proches, et ça c'est notre foyer des Lucioles ! - 114 -
À l'Arche je fais du cirque !
Juillet 2011 avec « le Tour du Monde de Théo »
Séance maquillage
Et voilà ce que ça donne !
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Avec mon copain le clown
Avec « le monde de Théo » (et aussi les autres)... Devinez où je suis !
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Et je fais aussi du théâtre
En juillet 2012 à Avignon
Et avec quelle assistance !
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Près de mes amis : David (à ma droite) et Simon
Et il y a aussi... les voyages ! Toujours avec l'Arche, je suis partie cette année en voyage à Rome. Et figurez-vous que j'ai pris l'avion. Quelle chance, n'est-ce pas ? Même mes parents ne sont jamais allés à Rome... Même eux, n'ont jamais pris l'avion... Qui donc est handicapé, dites-moi ? Eux ou moi ? o-O-o - 118 -
Voici du reste mes parents... et toute ma famille !
Ballade en forĂŞt en 2012
Ma famille toute entière
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Quelqu'un qui compte beaucoup pour moi : Jeannou, ma marraine de Sedan !
2011, chez Jeannou
2012, chez ma marraine avec Roger et Madeleine
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Et, avec Jeannou, on pèlerine... ...tous les ans désormais : à la fête des Marie !
Le 15 août 2011 à Beauraing (Belgique)
Et en 2013, avec marraine et maman (ici de dos)
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Les Lucioles Ă la maison !
Devant notre maison Ă Grandvilliers
Tout le monde est autour de la table - 122 -
Dernière minute ! Ma rencontre avec le chanteur Grégoire : C'était à l'occasion des cinquante ans de l'Arche. J'avais eu le privilège d’interviewer le célèbre chanteur Grégoire le 23 juillet 2014...
...puis de participer à l'animation d'un grand rassemblement :
Me voici à Paris, sur le podium de la Place de la République, dans les bras de Grégoire... - 123 -
Une photo qui est dans la chambre des mes parents
Je suis ici avec papa et mon petit louveteau de frère
Et voici ma grand mère Jeanne, elle de qui un vilain garnement s'est un jour moquée au point de compromettre (presque) mon adoption.
Je ne l'ai pas connue, mais il paraît que c'était une sainte femme. - 124 -
Et enfin quelqu'un que j'aime aussi... et mĂŞme super bien !
Mon parrain Habib !
J'ai encore des choses à vous dire (De M.C toujours aidée de son tuteur) Oui, j'ai encore des choses à vous dire. À lire ce qui précède, vous avez pu penser que je suis une fille « modèle ». Et alors, moi je vous dis que vous vous trompez. Car si vous me regardez bien et d'un peu plus près, vous constaterez vite que je suis loin de ressembler à ce genre de fille. Demandez donc à mon père, lui qui est ici mon tuteur ; il vous dira lui-même que j'ai de nombreux défauts. Que je suis gourmande, déjà... Et ça, croyez-moi, y'a pas photo ! N'attendez donc pas que je vous sacrifie la chose que j'aime le plus, par exemple mon dessert, ou encore mon kébab du dimanche-soir : je suis intraitable ! Poussée dans mes retranchements, peut-être ferais-je un geste à votre égard, mais ce ne sera que pour vous donner une minuscule miette de mon régal. J'ai aussi tendance à être bavarde et il pourra même vous en coûter beaucoup si vous acceptez de me laisser la parole, notamment dans certaines situations où je sais que l'on me regarde. Car alors, c'est vrai... je ne m'arrête plus ! Et comme - 127 -
je suis plutôt du genre têtu, on pourrait me couper en quatre que je ne céderais pas plus. Étant réglée comme du papier à musique, si vous déplacez un objet de l'endroit où il est habituellement, vous me verrez aussitôt le remettre à sa juste place. Renouvelez l'opération autant de fois qu'il vous plaira, et je serai toujours là pour vous contrarier. Quand je pense à certains parents qui, eux, défendent « bec et ongles » leur progéniture, même quand celle-ci ne le mérite pas... moi je me marre ! Avec les miens, en tout cas, ça ne s'est jamais passé comme ça, et je préfère. Je sais trop bien que je ne suis pas une sainte ! Il est vrai que j'ai un point fort par rapport aux gens dits normaux : à presque trente ans, j'ai gardé mon âme d'enfant. Rien que pour cela, je pourrais être reconnue bienheureuse, et donc haut-placée dans la hiérarchie céleste. Car ce n'est pas peu de chose, en effet, que de répondre aux critères attendus de nous par notre père des Cieux... lequel, comme vous le savez, invite gentiment ses créatures à devenir (ou redevenir) semblables à des petits enfants. Avec le chromosome 21 que j'ai en trop, je sais que j'ai au moins cette chance-là... que vous, vous n'avez pas : Je suis incapable de faire la plupart de vos péchés graves... vous savez, ceux qui touchent au pouvoir, au savoir ou à l'orgueil : les capitaux ! Ou, du moins, les principaux de ces péchés... ceux à cause desquels on n'ira peut être pas tous au paradis. Mais je n'en fais pas un plat. Je sais que je n'ai aucun mérite puisque je suis née comme ça. J'ai eu tellement de chance dans ma vie ! Et tout a même si bien tourné pour moi que j'ai tenu à remercier du fond du cœur - 128 -
Celui, ceux et celles qui ont contribué à me faire devenir ce que je suis. En premier lieu, merci donc à mon incroyable créateur, de qui je détiens aujourd'hui le don le plus précieux : la Vie ! Merci à ma première maman, elle qui a accepté – même si elle ne l'a pas fait exprès – de me laisser croître en elle jusqu'au premier terme de ma fragile existence. Merci à Jean et Lucette Alingrin, qui m'ont aidée à avoir de vrais parents. Merci pour leur belle association ! Merci aux personnels des services sociaux qui se sont occupés de moi avec beaucoup d'humanité, et notamment à Noëlla, ma gentille puéricultrice. Merci à Tatie Brigitte et à Tonton Bernard, ainsi qu'à Sophie et Frédérick (leurs enfants), de m'avoir accueillie chez eux et montré par leurs actes ce qu'est l'amour, et le vrai ! J'éprouve aujourd'hui une immense peine en pensant à toutes les épreuves qu'ils ont subies ces dernières années, non seulement avec la perte de leur cher fils Frédérick dans d'épouvantables circonstances, mais aussi en étant confrontés eux-mêmes à de bien cruelles maladies. Merci à Habib, mon parrain et à Jeannou, ma marraine... eux qui ont accepté un jour de m'accompagner sur mon chemin d'éternité. Merci à mes parents chéris qui m'ont donné la chance d'entrer dans leur vie alors qu'il eût été si facile pour eux de faire semblant de ne pas entendre l'appel. Et un merci tout spécial à mon père-tuteur-coatch-éditeur qui m'a donné son cœur et son esprit afin que je puisse laisser libre-cours à ma transfusion d'amour... ainsi qu'à ma mère qui a été jusqu'à ce jour mon - 129 -
infirmière polyvalente permanente. Merci à mes chers frères et sœurs... Tony, Romain, MarieJeanne et Jean-Baptiste, de s'être poussés un peu pour me laisser une petite place auprès d'eux. Merci à tous mes amis enseignants, éducateurs, médecins, professeurs, et à toutes les âmes de bonne volonté qui m'ont aidée à mieux vivre et à grandir. Merci aux chauffeurs et chauffeuses des transports adaptés de l'Oise qui m'ont si gentiment pilotée pendant ces dernières années. Merci aux membres de Foi et Lumière pour leur amitié si précieuse. Merci enfin aux frères et sœurs de l'Arche... et à ceux des autres maisons dans lesquelles je suis passée. Oui, merci... merci infiniment, vous, mes doux amis de la terre. Je vous aime !
Postface du papa de Marie-Charlotte (qui est aussi son tuteur) Ton histoire, Marie-Charlotte, est loin de son terme (tout au moins je l'espère) et j'imagine que tu as encore beaucoup de choses à vivre et donc, aussi, énormément de joie à donner, à nous et à tous ceux qui t'entourent. N'empêche, pourtant, qu'un jour il te faudra partir. Même si je n'ose pas trop y penser, je sais que ce jour viendra et qu'alors, tout ce que tu auras vécu de beau et de bien parmi nous, s'en ira avec toi pour ne laisser loin derrière qu'une sorte de nuée, de sillage encore lumineux de ta présence. Et même si – je l'avoue – ton départ sera alors pour moi une épreuve difficile, je sais qu'il n'arrivera que pour ton bien. Car si tu ne mourais pas, Marie, (en supposant que la mort puisse ne pas exister), non seulement tu serais condamnée à vivre éternellement avec ton handicap, mais pire encore, l'œuvre que Dieu a prévu de faire pour - et avec - toi resterait hélas totalement inachevée. Or, nous, tes parents, c'est bien en vue de cette Vie-là – l'éternelle ! – que nous t'avons accueillie. Vie qui non seulement ne s'achève pas après le peu d'années que l'on passe sur cette terre (passage obligé vers l'Au-delà), mais durant laquelle il n'y a - 131 -
d'important – de vraiment important – que l'Amour. N'est-il pas dit, en effet, que nous serons tous jugés 3 sur l'Amour ? Et là, oui je le reconnais : j'ai peur. J'ai peur pour moi, bien sûr, car je suis loin d'être prêt ; mais pas pour toi ma chère Marie, parce que je suis convaincu que Dieu t'accueillera à la façon dont tu nous as toi-même toujours accueillis : Coeurgrand-ouvert ! Chez toi, vois-tu, tout est simple. Nul besoin de discours, ni de fard. Quand tu aimes, tu n'y vas pas par quatre chemins et tu le dis clairement : « Je t'aime ! » Même si l'autre, face à toi, digère mal ces mots, tu gardes ton sourire et tu attends. Et comme tu as raison ! Car, une fois sur deux et peut-être même plus souvent, tu enregistres un véritable « retour gagnant ». Tu ne le sais pas, mais notre monde, ce monde qui passe de plus en plus de temps dans les jeux de hasard et dont le cœur s'atrophie chaque jour un peu plus, a besoin de gens simples et vrais comme toi. Il a besoin qu'on le bouscule et même parfois plus : qu'on le décoince ! Comme ce fut du reste mon cas lorsque j'avais mal au-regard-des-autres. Tes « je t'aime », tu commençais tout juste à savoir t'exprimer qu'il étaient déjà là en toi, comme le rappel incessant de ta marque de fabrique... pur label « Dieu d'amour ». Dès que tu sentais que quelqu'un n'allait pas bien, aussitôt tu avais le joli réflexe de lui dire tes mots d'amour. Et c'est ainsi que tu n'as jamais cessé de déverser tes « je t'aime » à tous vents, au point que nous, tes parents, habitués à regarder sans voir, avons mis un temps fou avant de comprendre que tu avais reçu, en naissant, la plus belle des missions que Dieu 3. « Au soir de notre vie, nous serons jugés sur l'amour. » (saint Jean de la Croix)
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puisse donner à sa créature : celle de dire au monde, à temps et à contre-temps, qu'il est aimé et que sans cet Amour-là, qui vient forcément de Lui, il n'est rien. Oui Marie, Dieu s'est servi de toi, il continue de le faire encore... et rien d'étonnant puisque : « Ce qu'il y a de faible dans le monde, voilà ce que Dieu a choisi pour confondre ce qui est fort ».4 Hélas, aveuglé par son orgueil, le fort – qui doit être confondu – acceptera-t-il d'ouvrir un jour les yeux sur toi ? Et te reconnaîtra-t-il ? À ce propos, un souvenir me revient. Nous étions venus avec toi rendre visite à ta grand-mère Gisèle qui avait été hospitalisée d'urgence et nous ne savions pas, hélas, qu'elle allait bientôt nous quitter. Nous avions vu – et toi aussi sans doute – à travers ses grands yeux tristes, combien il y avait d'angoisse en elle face à la mort qu'elle pressentait peut-être. Or qui, mieux que toi, a pu alors lui dire, aussi spontanément, ce qu'il ressentait ? Nous autres, comme toujours dans ce genre de situation, nous demeurons sans voix. Mais pour toi, Marie, aimer est un réflexe quasi naturel. Tu lui as dit : « Je t'aime, Mamie ! » et, ce faisant, tu lui as caressé délicatement le visage. Si bien que, l'espace d'un instant, nous avons vu les yeux de la pauvre mamie s'emplir de larmes, tandis que sa main serrait encore plus fort la tienne, comme pour te dire merci. Habituellement, ce sont des choses qu'on ne se dit pas. Non pas parce que ce serait mal de les dire, mais parce que cela ne se fait pas. Nous attendons toujours que l'être aimé ne soit plus là pour lui dévoiler ce qu'on a sur le cœur. Hélas ! Et plus récemment encore, au chevet de ma sœur aînée 4. (1 Co 1, 27-28)
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– proche elle aussi de son grand passage –, tu t'es de nouveau manifestée avec la même simplicité déconcertante... le même « je t'aime » venu tout droit du cœur. Mais j'aimerais maintenant que l'on parle d'une chose qui, mine de rien et sous couvert d'humanisme, est grandement préjudiciable à la survie des personnes atteintes de la même malédiction que toi, Marie : Ton utilité ! Pour nous, tes parents, il n'y a aucun problème : tu es heureuse avec nous et cela nous suffit. Mais pour les autres, plus nombreux qu'on ne le pense, ceux qui ont parfois une calculette à la place du cœur, le moins que l'on puisse dire c'est que tu ne sers pas à grand chose. Selon eux, tu n'es qu'une bouche inutile à nourrir ; et si on te tolère, c'est uniquement parce qu'il n'est plus possible de te faire dépister. Sinon... Laisserais-je dire de telles monstruosités ? Comme si la guerre (et surtout celle du fric) ne coûtait pas plus cher que ta modeste allocation d'adulte handicapée ! Tu me connais, Marie ; tu sais trop bien que je ne sais pas me taire et que c'est même à cause de cela que j'ai eu souvent des problèmes avec ma hiérarchie. Mais tant pis ! À nos théoriciens du non-droit-à-la-vie, je retourne la question : Et vous, seigneurs bien portants, vous qui êtes aujourd'hui si sages, si riches et si joliment fichus... Vous qui avez un passé si glorieux et qui êtes promis sans doute à un aussi brillant avenir, à quel noble et sain « usage » avez-vous donc la prétention de mieux servir ? Car si je laisse de côté votre court passage sur terre, goutte d'eau comparée à l'océan de l'éternité, savez-vous que pas une seule de vos conquêtes ne vous survivra... et qu'il - 134 -
suffirait même d'une toute petite malchance – genre caillot dans le sang – pour que votre gloriole, soudain, bascule ? Avez-vous compris que, vous aussi, vous figurez sur la liste des gens potentiellement susceptibles de rejoindre tôt ou tard la destinée de ceux que vous appelez gaga ? La belle affaire, alors, que toutes ces beautés factices dont l'éclat vous aura ébloui 5... Mais j'arrête ici, Marie. Parce que cela me fait trop mal : J'aurais tant voulu qu'on cesse de tout décider à ta place – y compris de ton droit d'exister – toi ma fille très unique et tellement heureuse d'être là aujourd'hui. Mais que diraient donc encore nos fameux théoriciens, en te voyant ainsi faire tes petits carrés multicolores (ton passetemps favori avec la musique et la collecte des bouchons6) ? Et si, en plus, ils savaient que tu collectionnes même les feuilles une fois remplies, et que tu en as tout un tas...
Eh oui, ils sont pour les gens du ciel, les petits carrés... 5. En référence à Cinna – Œuvre de Pierre Corneille. 6. Pour une association qui vient en aide aux handicapés.
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Peu importe, Marie... Continue ! Fais-en beaucoup ! Inondenous de tes petits carrés ! Moi je me plais à imaginer qu'un jour ils tapisseront les murs du paradis. Merci pour ce que tu es. Surtout, ne change pas : tu portes en toi un trésor. Et sache, encore une fois, que moi aussi : je t'aime ! Ton papa
Table des matières Dédicace à Frédérick.....................................................5 Introduction de Marie-Charlotte....................................7 Les petits cahiers de tatie Brigitte...............................11 Naissance le 10 janvier 1985....................................13 Citations célèbres.....................................................46 Commentaire de Marie-Charlotte................................47 Le 10 mai 1985........................................................51 La suite racontée par Marie-Charlotte.........................77 Je suis dans ma nouvelle famille..............................89 Mon baptême...........................................................97 Extrait du livre de mon père...................................100 L'aventure des Hauts-Buttés...................................103 Et puis j'ai grandi…................................................111 À l'Arche je fais du cirque......................................115 Et je fais aussi du théâtre…....................................117 Et des voyages........................................................118 Mes parents, ma famille.........................................119 Jeannou, ma marraine............................................120 Photo dans la chambre de mes parents...................123 Habib, mon parrain................................................124 J'ai encore des choses à dire ..................................127 Postface du papa de Marie-Charlotte........................131 Table des matières.....................................................137 - 137 -
L'Association
« AlanGar – Le Livre de Vie » L'association loi 1901 « AlanGar – Le Livre de Vie » propose de réaliser bénévolement des "Petits Livres de Vie" à des personnes qui n'ont pas les moyens financiers et/ou les compétences nécessaires pour réaliser elles-mêmes ce que l'on appelle de l'édition en ligne ou à compte d'auteur (personnes âgées, handicapées, notamment) et qui ont quelque chose à exprimer : des souvenirs, des souffrances, voire même un témoignage particulier de foi ou d'espérance. En raison de ses faibles moyens humains et financiers, elle limite ses publications à cinq par année. Les petits Livres de Vie sont présentés sur le site de l'association
http://petitlivredevie.e-monsite.com/
Ouvrages déjà édités : Biographies – récits autobiographiques L'Immature (Alain Garot) La vie de Jeanne par son culot (Linot) Vie de Monseigneur Garot – réédition (Abbé J. Gillet) Mémoires en vers (Léon Maingaint)
Témoignage Un jour, une heure, le bonheur (Linot)
Poésie Hymne à la Vie - Tome 1, 2 et 3 (Jean-Marie Ferté)
Jeux d'esprit Jeux d'esprit et charades versifiés (Paul Garot-Saudmont)
Méditations Petite chronique du bémol (Alain Garot) Retour vers le Père (Alain Garot) Pensées (Romain Garot)
Étude biblique Ne crains pas ! (Sœur Marie-Xavérine)
Liens : Association Emmanuel – SOS Adoption http://www.emmanuel-sos-adoption.com/
L'Arche à Beauvais (Oise) http://www.arche-france.com/L-Arche--arche_beauvais
Le tour du monde de Théo http://www.letourdumondedetheo.fr/
Association d'aide à l'édition AlanGar – Le Livre de Vie
60210 Grandvilliers
Impression réalisée par Lulu.com version janvier 2015