Des enjeux ? « Comment quantifier le vide ? Comment qualifier l’indifférence ? » Une ambition ? « Que l’on y tombe par hasard »
TROUS ET RYTHMES DU TERRITOIRE en milieu suburbain comme source de projet pour l’agglomération grenobloise
Pourquoi ici ? « En effet, on touche presque le degré zéro du paysage comme du programme… »
Trous et rythmes du territoire en milieu suburbain comme sources de projets pour l’agglomération grenobloise Interfaces ENSAG/ PFE Septembre 2008 / Alexandra Arènes
Laboratoire des Métiers de l’Histoire et de l’Architecture Master Aedification, Grands Territoires, Villes Directeur d’études : Patrick Thépot Responsable du master : Françoise Very
Remerciements : Je remercie Françoise Very et Patrick Thépot pour leur suivi attentif et ouvert, ainsi que leur disponibilité ; Maxime Lefranc et Naim Ait-Sidhoum pour leurs re-relectures et leurs conseils pertinents ; Aysegul Cankat et Nelly Chapuis pour leur enseignement qui m’a fait porter un autre regard sur la ville et le territoire. Mais aussi Alia, Mélanie, et Séverine, pour le soutien et les encouragements mutuels.
PREAMBULE En débutant ce travail de mémoire, il me tenait à cœur de développer trois points essentiels, autant parce qu’il s’agissait du travail de fin d’études que parce que ce travail pouvait constituer le début d’autre chose… 1. mener une recherche aux limites entre le paysage, l’architecture et l’urbanisme ; traiter de questions qui, tout en convoquant une échelle territoriale, demandent à être traitées de façon plus locale et avec un regard architectural. 2. croiser théories et pratiques 3. travailler sur des phénomènes contemporains 1
La saturation urbaine du territoire Des théories qui convoquent des cultures paysagères et urbaines mais très peu architecturales 0
La surface de la biosphère trouve aujourd’hui son équivalent en surface anthropisée. On pourrait reprendre les termes de R. Koolhass « ville=monde », énoncé au dos de l’ouvrage 1 Mutations(3), comme slogan d’un environnement « hors les murs », multiple, et instantané ; une explosion urbaine… et par conséquent une urbanisation « dévoreuse » d’espace, construisant un monde arrivé à saturation où tout nouveau projet serait « de trop ». La compréhension de cette ville élargie aux proportions jamais atteintes jusqu’alors préoccupe les spécialistes. (« Edge city, télépolis, non lieux, global city (économique), mégalopolis, oecuménopolis (géographie), città diffusa (Secchi), generic city (Koolhass), ville émergente, entre-ville (Sieverts), hyperville (Corboz) métapolis,… ») La question n’est plus aujourd’hui seulement de comprendre un phénomène, mais de mesurer la portée des projets qui peuvent l’infléchir. Dans cette ville qui existe déjà, qui est en train de se faire, comment penser et considérer le projet comme une des transformations possibles parmi d’autres, alors que nous avons à l’esprit l’image de cette saturation ? La ville diffuse Une gestion de l’étalement pour contrôler la saturation de l’espace
Alors que certains préconisent, pour sauver les espaces naturels, la densification de pôles d’urbanisation ; d’autres, comme Bernardo Secchi, nous invite à penser le phénomène de ville diffuse comme mode d’organisation du territoire dans lequel densité et étalement ne sont pas contradictoires s’ils sont pensés ensemble. Cette pensée signifie que nous sortions de l’acception traditionnelle de la ville en-dedans (urbaine) et d’un paysage en-dehors (naturel). En effet, les ceintures urbaines évoluent : les murs de fortifications sont remplacés par des franges végétales plus poreuses dont les épaisseurs variables offrent la possibilité de développer quelque chose « entre ». Ces phénomènes d’indistinction ville campagne et les bénéfices de ce nouvel urbanisme sont connus (cf. plan de cohérence territorial pour la région du Salento (sud de l’Italie) élaboré par 2 Vigano et Secchi). Et, lorsque nous commençons à nous plonger dans la matière du territoire, nous nous apercevons en fait de la complexité de l’espace a priori lisse de cet étalement urbain. Ainsi, des différences entre les phénomènes urbains et non urbains existent encore : la distinction entre l’un et l’autre est de plus en plus difficile à établir, on les confond, on les croise, et c’est ce qui fait, me semble-t-il, la richesse de certains espaces de cette ville. La ville territoire Une autre façon d’aborder le phénomène d’étalement urbain
Cependant, la pensée de la ville diffuse se base sur la ville, la forme urbaine (même si cette nouvelle forme urbaine est différente de la forme urbaine classique), pour structurer le territoire. Lorsque nous inversons le rapport et que nous supposons qu’au contraire, la ville n’est qu’une des modalités du territoire parmi d’autres, nous voyons plus large et des espaces jusqu’alors ignorés (ce que j’appelle les « trous ») apparaissent sous nos yeux ayant opéré ce basculement. Ces espaces de « trous » sont toutes ces zones à mi-chemin entre le paysage et l’urbain que l’on ne peut pas classer en tant qu’exploitation agricole, ou parcs,… puisqu’ils ne correspondent à aucune 2
de nos catégories (dans les zones du PLU, ils n’existent pas, et il n’y a d’ailleurs aucun terme pour les nommer : ils sont aussi des trous linguistiques…). Le terme « trou » a cependant des antécédents dans la littérature et la pensée architecturale. En effet, dans l’ouvrage Fenêtre (éditions Verdier Philia), Gérard Wajcman définit, p.38 et 39, l’essence de l’architecture par le trou : «la vraie destination de l’architecture pourrait être d’y creuser et de situer les fenêtres, que les murs sont ce qui permet de soutenir et de cadrer l’ouverture des fenêtres - le tout au service du trou, en somme.» Le trou est ensuite utilisé comme dispositif de vision vers l’intérieur ou l’extérieur selon le contexte associé au mot. Dans un autre cas, nous retrouvons une description du trou comme lieu d’efficacité et de production dans le roman de Flaubert, Madame Bovary, lors d’une description du travail de canevas. Ces deux exemples d’utilisation du mot trou renversent le sens commun du mot : d’espace négatif, il devient positif tout en gardant ses caractéristiques «creuses». Nous pourrions développer, dans un autre travail de recherche, la manifestation et l’implication sur le territoire et le projet d’architecture de cette pensée par éléments négatifs.
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L’anthropisation est «le processus de modification des réalités biophysiques par l’action humaine» (Dictionnaire de la géographie par Lussault et Lévy). Elle se mesure et s’étudie d’un point de vue physique et biologique.Cette manière de considérer l’urbain nous permet de postuler que les trous du territoire urbain sont des processus de désadaptation et d’abandon de l’espace au sein du terrtitoire par les pratiques humaines. Cela écarte l’idée de considérer les trous comme des réserves de nature sauvage au sein du territoire. Les numéros entre parenthèses renvoient à la bibliographique en fin de partie recherche Stratégie élaborée pour le Salento par Bernardo Secchi et Vigano(16) : Le plan de cohérence territorial s’appuie sur les caractéristiques de la ville diffuse pour organiser le développement économique, environnemental et social de la région du Salento. Secchi considère qu’en fait la ville diffuse est une ville structurée par les réseaux (routes, chemins, rues, électriques, eaux,…) et son paysage (ici agricole). Ces deux entrées sont développées dans deux concepts généraux d’aménagement : un parc productif et la requalification de tous les réseaux irriguant le territoire, des plus « capillaires » aux « tubes » (grands axes routiers), avec le renforcement d’une multitude de nœuds d’établissements urbains développant chacun des activités complémentaires. Ces stratégies démontrent en fin de compte que des systèmes de concentration et de dispersion sont compatibles… En Italie, cela est possible car les institutions territoriales sont organisées de façon à promouvoir des actions locales plutôt que des plans globaux qui ont du mal à aboutir. Le principe est celui de subsidiarité (la responsabilité d’une action publique doit être allouée à la plus petite entité capable de résoudre le problème d’elle-même. Il s’agit de veiller à ne pas faire à un niveau plus élevé ce qui peut l’être avec autant d’efficacité à une échelle plus petite, ceci conduit à rechercher le niveau le plus pertinent d’action publique). 3
La ville et les trous : deux des modalités du territoire Si le monde est une sphère, alors il n’a ni début ni fin. Et si, comme nous l’avons vu précédemment, si l’on se réfère à la formule «monde = ville», alors le monde est un continuum urbain. Et s’il n’y a ni début ni fin dans ce continuum urbain, cela ne veut pas dire que le monde est saturé d’une seule et même modalité ou entité (la ville) mais qu’il peut y avoir des différenciations, des variations de densité, des cycles.3 Le fait d’avoir cette préoccupation pour l’ensemble du territoire terrestre (qui relève de l’écologie et de la responsabilité citoyenne), et la nécessité en tant que futur architecte de se poser physiquement quelque part, m’ont amenée à préférer les « trous » comme matière à penser et agir sur le territoire, plutôt que les morceaux urbains. Ils présentent, il me semble, un potentiel d’investigation en ce qui concerne l’organisation du territoire qui leur est spécifique, parce qu’ils se présentent comme un négatif de la ville.4 5
La réflexion sur les « trous » comme une des modalités du territoire nous conduit à une double problématique : 1. Est-ce que ces trous existent ? Comment se forment-ils (s’ils ont une forme…), quels sont leurs caractéristiques, comment les trouve-t-on ? 2. Est-ce que la pensée des trous peut être un mode de pensée valable pour développer de nouvelles méthodes de lecture et d’action sur le territoire ? Et si c’est le cas, comment la pensée des trous conduit-elle à penser différemment l’organisation du territoire ? Peut-on en faire des potentiels de développement à l’échelle territoriale ? L’intérêt du mémoire est de comprendre ce que cette spécificité de regard que j’ai choisi va m’apporter en termes d’idées nouvelles, d’argumentaires pour justifier de positions architecturales, de méthodes et d’outils, lorsque je la porte sur les différents aspects du territoire analysés (système conceptuel, social, physique). Ce choix de porter ce regard spécifique sur le territoire au travers des trous (morceaux de territoire «humanisés» mais non urbains) découle de deux idées. La première idée est que le territoire n’est pas seulement la ville mais s’étend à la sphère, et donc q’un projet architectural de territoire a le monde comme terrain d’investigation. la sélection de certains espaces comme terrain de projet physique et conceptuel sont des espaces qui me semblent rassembler à la fois des cultures paysagères, urbaines, et techniques. La deuxième idée est que ces « trous », par intuition, pourraient peut-être devenir, ou sont déjà, des espaces de ressources, et qu’ils présentent un intérêt de lecture du territoire différente, spécifique à leur statut. À la question «est-ce que ces trous existent », l’observation in situ nous donne certaines clés de lecture des formes engendrées, et de compréhension des dynamiques sociales, des conflits, … qui font parfois défaut aux théories. De plus en plus d’approches expérimentales se développent, prenant appui sur les conditions d’existence réelles du milieu, se confrontant in situ avec les phénomènes urbains et non-urbains. Alors que certains considèrent les trous comme des résidus, ces approches les considèrent comme de vrais espaces à enjeux. Par conséquent, ces lieux sont intéressants d’un point de vue politique (quel statut leur donner ?), économique (espaces encore libres), et architectural. 4
Emergent donc deux façons de travailler sur les écarts urbains ( phénomènes non ou anti urbains) qui sont issues du décalage entre la théorie et la pratique. L’hypothèse de travail est de s’appuyer sur la dichotomie entre l’arsenal théorique que l’on peut rassembler sur ces espaces que je nomme « trous » ; et les approches in situ en confrontant les deux attitudes, pour révéler leurs points communs et les différences, oppositions,… Il s’agit d’ouvrir ces espaces résiduels à un réseau de significations leur donnant un statut (utopies, non-lieux, hétérotopies, …) dont les analogies entre concepts et expériences in situ sont à faire émerger. Le premier objectif est donc d’expliquer comment on peut interpréter les concepts de ces pensées constituées pour en extraire des outils de projet ; le deuxième objectif est de faire un état des lieux sur les différentes pratiques de projet qui se servent (explicitement ou inconsciemment) de ces outils pour travailler, et de relever leurs caractéristiques et leurs moyens, sachant qu’il s’agira dans un même temps d’étudier des stratégies de projet relevant d’usages spontanés et celles relevant d’interventions planifiées. Ainsi deux méthodes peuvent être mises en place : D’une part regrouper, associer, et mettre en balance des pensées constituées se rattachant à la problématique de la compréhension d’un environnement élargi, et voir comment cela modifie notre approche in situ (corpus de texte difficile à constituer compte tenu du flou au niveau du champs lexical, mais de la diversité et de la multitude d’écrits sur le sujet !) D’autre part mettre en place des outils de compréhension du territoire in situ et voir comment cela peut modifier les théories.
3 Se
pourrait-il que ces « trous » soient des espaces établissant une gradation qui nous ferait passer d’un milieu urbain à un autre non urbain ? Des sortes d’espaces de basculement entre différentes entités territoriales.
4 Les
trous du territoire sont un desserrement du maillage urbain, une évanescence programmatique, un flou végétal. Mais ils peuvent aussi être ce par quoi la ville peut renouveler son foncier, ses activités et son paysage.
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Les définitions du mot trou (13): - Cavité, dépression naturelle ou artificielle, creusée dans le sol ou une autre surface. - Ouverture, perforation traversant un corps, une surface de part en part. - Élément faisant défaut dans un ensemble ; vide laissé dans une continuité. En physique : Place laissée vacante, dans un réseau cristallin, par le départ d’un électron, et considérée comme une charge positive. En astronomie : trou noir : stade final d’une étoile extrêmement massive, parvenue à un niveau d’effondrement gravitationnel tel qu’aucun rayonnement ne peut s’en échapper. Le trou noir est par définition non observable, mais on décèle son existence indirectement par ses effets de gravitation sur des corps situés dans son voisinage et par l’émission de rayonnements de très haute énergie découlant de cette interaction. Cette dernière définition est importante car elle va nous permettre de concevoir tout l’argumentaire.
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TERRITOIRE DE PROJET Le choix du territoire de projet est directement issu de l’enjeu expérimental de la recherche : ce sont des trous divers dans le territoire distendu de l’agglomération grenobloise où le potentiel d’étude me semble important. Site : Les abords de la rocade sud et de la voie ferrée, sur une distance d’à peu près 4 km, allant du collège à St Martin d’Hères jusqu’au lac de la Taillat sur la commune de Meylan, en passant par la partie nord de Gières (notamment la gare Universités) Situation : Entre un contexte urbain et la vallée du Grésivaudan touchée par les phénomènes de rurbanisation, sorte de couloir traversé par un nombre croissant de population, à fort potentiel économique de commerce et de loisir. Problématique du projet : Que peut-il se passer dans ces « trous » ? Quels sont les potentiels d’articulation de ces écarts dans le tissu ? Hypothèse : Ce sont des espaces de ressources naturelles qui peuvent être utilisées pour l’urbain, des espaces intermédiaires entre des vitesses et des échelles différentes, des modes de vie, des paysages. Actuellement pas exploités, il est possible qu’ils puissent l’être, notamment grâce à un travail sur les rythmes.
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METHODE ET PLAN DE TRAVAIL CHAPITRE 1 : RECHERCHE « cartographies mentales » Le déroulement de la recherche s’appuie sur l’hypothèse de dialectique approches locales/ théories générales pour avancer dans la réflexion et sortir de certaines impasses. Les textes et les expériences nous permettant de parler des trous sont ensuite classés et développés en trois parties pouvant se lire conjointement. (pas d’ordre hiérarchique) 1. Les systèmes territoriaux (Les « trous » du territoire comme stratégie de redéfinition des grands systèmes territoriaux.) I. Déterritorialisation, accessibilité, espaces génériques : état des lieux (les systèmes de pensées territoriaux contemporains) II. L’hypertélie (système empirique, observation du phénomène) III. L’hybride (de nouveaux systèmes de pensées) 2. Spatialités sociales (Conceptions sociales des trous du territoire) I. II. III.
Espaces négatifs Territoires spontanés Polyvocité
3. Les trous : hybridation spatiale et temporelle
Conclusion Bibliographie
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I. II. II.
Les hétérotopies Réalités hétérogènes et emplacements multiples Suburbain
CHAPITRE 2 : CONNAISSANCE DU TERRITOIRE « Atlas dynamiques locaux : échantilonage Comme de plus en plus de chercheurs le pratiquent (Stefano Boeri, local contemporain à Grenoble), le passage de la théorie au projet est plus à même de donner un résultat si la connaissance locale du territoire est maîtrisée. La méthode d’échantillonage des espaces à travers différentes représentations est ici utilisée (cartes satellites et montages/collages) 1. Méthodologie I. II. III.
Echantillonage Cartes satellites Récits d’immersion
2. Enjeux territoriaux I. II. III.
Spéculation et appropriation spontanée (foncier) Limites et intermobilité (infrastructurel) Résidualités et ressources (environnemental)
3. Perception I. Extractions satellites : articulation des espaces II. Vidéo/Photo : rythmes du site
CHAPITRE 3 : PROPOSITION DE PROJET 1. Changements de systèmes I. II. III.
Changement de système de mobilité : Interfaces Mutations foncières : Permutation de parcelles Parcelles actives : Ecosystème de jardins
2. Aménagements I. II. III.
Systèmes dynamiques du paysage Schéma directeur Dispositifs d’architecture
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CHAPITRE 1 : RECHERCHE « cartographies mentales » La cartographie organise l’analyse du territoire par couches qui se superposent. Le mémoire est ainsi constitué : les trois grandes thématiques peuvent être lues comme des couches aux échelles et aux modes de représentation différents qui se complètent et informent différemment le lecteur de ce qui constitue le territoire en sélectionnant certains éléments.
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1. LES SYSTEMES TERRITORIAUX Les « trous » du territoire comme stratégie de redéfinition des grands systèmes territoriaux
* D’après Jacques Ellul, la technique se développe de manière autonome et s’impose aux différentes activités des hommes, notamment aux décisions politiques car le politicien choisira la rationalité technique plutôt qu’un autre choix qui, n’étant pas validé par l’expertise, impliquerait son entière responsabilité. La tecnhique ou l’enjeu du siècle, 1954. 12
I.
Espaces techniques - état des lieux systèmes de pensées territoriaux contemporains
Comment se prennent les décisions d’étendre les villes ? De les faire se rejoindre ? D’aménager un territoire ? Même si en dernière instance, c’est la voix politique qui nous annonce cette décision, nous pourrions nous demander si celle-ci est uniquement prise par choix et raison motivée par la création de liens humains. En effet, derrière le pouvoir immatériel n’y a-il pas un autre pouvoir, bien plus effectif et matériel, qui serait celui de la technique ? En pratique, le territoire échappe en effet souvent à l’institutionnel, comme si celui-ci formait un nuage transparent au-dessus du territoire et de ses mutations trop rapides pour le pouvoir décisionnel ; en témoignent les constants réajustements législatifs opérés après coup *! Par ailleurs, lorsque nous nous intéressons à ce qui ne fait pas ville, mais aux autres parties du territoire (les trous), nous tombons facilement sur des typologies de développement technique : des autoroutes, des usines, des voies ferrées, des carrières, … Il semble donc que l’état et le statut de l’aménagement du territoire à un temps t soient le résultat des avancées techniques de l’époque. Le monde technique (notamment les infrastructures de transports, de télé communication ou de manufacturation, les usines,…) conditionne et permet l’écartement des morceaux urbains, ce qui finalement est nécessaire et bénéfique pour les villes (le risque d’une densification uniforme est la saturation donc l’impossibilité de vivre, de sortir d’un état pour aller vers un autre). Les emprises des autoroutes et des voies ferrées, les terrains de stockage, de réserves pour de grosses entreprises, les réserves foncières, réserves biologiques, les déprises agricoles, ou les friches industrielles, sont des espaces soit issus d’un procédé technique obsolescent, soit des espaces en attente d’un investissement technique, soit des espaces qui n’ont de raison d’être que parce qu’ils sont nécessaires au bon développement de l’objet technique. L’aménagement du territoire répond à des nécessités et est tributaire des avancées techniques.
Quelles sont alors les caractéristiques de ces espaces engendrés par la technique ? Puisque nous nous intéressons aux trous, nous ne nous intéressons pas à ce qui est relié (les villes) mais à ce qui relie. Nous constatons dans ces espaces de liaison une prédominance de flux, de mutations, de territoires difficiles à s’approprier. Les trous restent donc uniquement dévolus au bon fonctionnement de la technique, ils sont instables, en déséquilibre, et pourtant c’est ce qui fait leur dynamique, leur énergie. C’est la technique qui permet à ces espaces d’avoir une valeur non urbaine mais paysagère et surtout une valeur foncière et économique, qui les fait entrer dans le domaine d’espace humain, en les faisant sortir de l’état naturel, sauvage, sans valeur ajoutée. Pourtant ils sont dévalorisés justement parce que ce ne sont que des espaces techniques. On peut indiquer ici entre parenthèses que les trous ne sont pas des espaces déserts mais humanisés et c’est pour cela que la sensation de trous dans le territoire est d’autant plus marquée : ils se développent dans ce contexte particulier bien qu’ils n’aient pas tout à fait les caractéristiques communes de celui-ci… Les espaces engendrés par la technique sont donc des espaces extrêmes : soit très utilisés, soit complètement inutilisés (les trous). 13
Pourquoi ces espaces ne sont-ils pas utilisés ? L’hypothèse serait que l’on se baserait sur l’idée du territoire comme terroir. Le terroir est un territoire de racines locales des sociétés attachées à la terre, à un lieu précis. Ces courants de pensée traditionnels recentrent le territoire uniquement sur la pensée du lieu (Genius loci). Cette théorie me semble cependant nier les réalités et les pensées de transformations ; les exemples d’inscription territoriale par le genius loci énoncent une pensée dans laquelle la forme fixe est le résultat de la recherche. Or les trous donnent l’impression d’espaces homogènes, répétitifs, sans intérêts ni qualités. Ils sont donc perçus de façon négative et leur existence est niée. Cependant, pour Koolhaas (notamment dans son essai sur la ville générique (3)), par exemple, ils sont positifs car ils permettent d’abandonner la notion d’identité du lieu qui enferme l’espace dans une image et qui sert aux politiques comme substitut au projet. De plus, l’identité ne permet plus d’expliquer les phénomènes de mutations que l’on constate malgré tout. Ainsi, les trous ne sont pas pensés comme des espaces en tant que tels car ils ne correspondent pas aux critères sociaux de lieux. Quelles sont les théories nous permettant de dépasser « le lieu » ? La déterritorialisation et le principe d’accessibilité me semblent mieux correspondre aux principes d’organisation du territoire et constituent aussi des modèles pour penser les mutations. Le concept de déterritorialisation (interprétation à partir de Deleuze (1)), amorce le détournement de l’usage de lieu comme aire au profit d’une reterritorialisation dans la figure du réseau. Le processus de territorialisation donne un sens aux relations entre les éléments, sens qui nous permet de les spatialiser. Il resitue ces relations d’éléments dans un autre système. Il signifie donc un changement, une assignation à un autre fonctionnement du monde. L’hypothèse qui pourrait expliquer la vacance de certains espaces est qu’ils nécessiteraient une déterritorialisation face à un fonctionnement dépassé, une territorialisation ineffective aujourd’hui, ou bien qui ne leur correspond pas (parce qu’elle fige un état qui ne peut être figé). Manifestement, on pourrait opposer la figure du réseau à celle de l’aire (à travers laquelle est pensée l’organisation de ces espaces aujourd’hui, alors que le reste du territoire se comprend comme un réseau de relations). Une piste de projet pour raccorder les trous au territoire, sans perdre leurs caractéristiques, serait de les considérer comme des espaces de déterritorialisation continue, qui permettraient des alternatives, des changements de système, puisque c’est dans ces espaces que nous aurions une plus grande liberté de mouvement par rapport aux éléments construits. Ce qui nous intéresse ici c’est que le changement de système peut être interprété de manière positive et permettre la regénérescence de certains territoires. Ainsi, la déterritorialisation interroge les configurations permanentes d’un territoire : la disparition des territoires à une échelle engendre la recomposition de territoires à d’autres échelles. ce phénomène peut être compris grâce à la théorie de Webber. Melvin M. Webber introduit l’idée que l’accessibilité plus que la proximité constitue la ville. Dans ce système, le délaissé apparaît comme l’espace local inutile. En effet, aujourd’hui, la ville se maintient grâce aux réseaux de communication qui se tissent entre les individus, qu’ils soient proches ou à des distances importantes. Son fonctionnement est donc basé sur un principe d’accessibilité aux réseaux (et non plus de proximité). « En fait, l’idée selon laquelle nous nous trouvons constamment en un lieu déterminé est attribuable à l’heureuse immobilité de la plupart des grands objets que l’on trouve à la surface de la terre. L’idée de « lieu » est une grossière 14
approximation pratique : il n’y a en elle rien de logiquement nécessaire et elle ne peut être conçue de manière précise. » (Webber, l’urbain sans lieu ni bornes) Si l’on accepte donc l’idée que se sentir dans un lieu déterminé est la conséquence d’une conception de l’aménagement statique mais que la réalité aurait pu être différente ; comment distinguer des espaces, les qualifier lorsque, comme c’est le cas dans les trous du territoire, même les gros objets ne sont immobiles qu’un temps, plus ou moins long ? Par conséquent, le principe d’accessibilité plus que de proximité signifie de penser le territoire selon la figure des réseaux plus que des places puisque les espaces du territoire sont instables. Ces deux concepts cherchant à penser l’organisation du territoire sont issus d’une conception du monde où la technique est parfaitement intégrée, et où l’on ne se pose plus la question de savoir si elle domine ou si elle est dominée par la société, mais où l’on cherche à comprendre les effets qu’elle génère. D’ailleurs, selon Lévy et Lussault on devrait « renoncer à la séparation entre techniques et usages » (5) p.894. (« elles (les techniques) doivent être recherchées dans ce qu’en fait, voudrait en faire, croit en faire et en fait effectivement le consommateur »). Nous ne pourrions donc plus penser le territoire sans l’implication technique, celle-ci influençant non seulement la physionomie des espaces mais aussi les théories. L’association technique/territoire nous permet de dépasser l’association lieu/territoire. Comment se manifeste l’association technique/territoire ? « L’espace est un ensemble de techniques.(…) C’est plutôt une invitation à aborder les questions d’espace avec l’ampleur d’un regard sociétal et non comme une simple accumulation d’objets indépendants. » Lévy et Lussault (5) p.895
II.
l’hypertélie manifestation empirique de la technique dans les trous
Les trous sont des espaces résiduels engendrés par la technique. La réflexion portée sur eux pourrait nous amener à re-concevoir une pensée de la technique comme outil d’aménagement du territoire et de théorie d’un paysage hybride héritée du 19e, avec les enjeux d’aujourd’hui. Quels sont les enjeux techniques et territoriaux d’aujourd’hui ? Le fait que le territoire puisse sans cesse changer de système est la conséquence, depuis le milieu du 19e, du progrès des outils techniques. Cependant, le progrès ne s’est pas fait, au cours du 20e et 21e, sans un resserrement du problème sur lui-même pour tenter de le résoudre. Cela signifie que la technique ne construit, ne se concentre, que sur son objet technique donc sur elle-même, et fait peu cas de l’environnement qui l’entoure. Cet effet de zoom très serré sur le problème technique a entraîné une mono-orientation du territoire car on ne regarde qu’une échelle du territoire, donc seulement un aspect de celui-ci. En effet, écarter les différentes échelles du territoire, c’est écarter les possibilités pour que différents usages se mettent en place. Trois monoorientations principales constituent le territoire : les infrastructures, les industries, et les commerces. 15
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Les enjeux d’aujourd’hui sont de penser, à travers les trous, une possibilité de développer autre chose qu’une mono-orientation. Quelle autre orientation en relation avec les trous peut être donnée au territoire ? Ce processus exagéré de spécialisation des aménagements techniques engendrant une mono orientation a fait l’objet d’une théorie élaborée par Gilbert Simondon dans les années 1960 (3). Cette théorie emprunte un terme biologique, l’hypertélie, pour expliquer les phénomènes observés sur le territoire car leurs caractéristiques sont similaires. L’hypertélie, formule biologique du milieu du XX° siècle, désigne : « l’excroissance exagérée de certains organes susceptibles de provoquer une gêne. Les défenses de mammouth sont un exemple d’hypertélie » (13). L’auteur poursuit : « Transposée à l’univers des objets techniques, cette notion peut rendre compte des effets d’excroissance fonctionnelle propres à certaines machines ». Les espaces adjacents aux autoroutes sont un bon exemple. L’hypertélie est négative lorsque cette excroissance technique fige le territoire et ne lui permet plus d’accepter le changement, donc la vie. Tout aménagement produit une excroissance, ou contient en lui-même cette excroissance, qui est alors latente. Celleci peut se développer sauvagement, comme c’est le cas dans certains aménagements techniques du territoire, l’excroissance est alors le résultat, le moyen de contrer ce qui s’est développé de façon incontrôlée et incontrôlable (exemple : la mise en place de feux de signalisation, de panneaux d’interdiction, de barrières, d’enclaves clôturées). Mais le phénomène peut être renversé positivement dans le cas où l’hypertélie devient une « tentative d’adaptation d’un système technique ou organisationnel à un environnement spécifique » (Gardère (3b)), par la multiplication d’interfaces entre l’objet et son environnement. Ces interfaces sont en fait le travail sur plusieurs échelles à la fois pour éviter l’hypertélie négative. Les jardins ouvriers aux abords des autoroutes sont un exemple d’usage spontané et raisonné de l’excroissance (23). Se détourner spontanément d’un chemin encombré ou qui ne convient pas car, par exemple, il ne peut être utilisé que par les voitures, est une attitude qui, en créant de nouveaux cheminements, de nouveaux espaces, est aussi un exemple d’hypertélie positive. On peut se demander si un projet pourrait se baser sur l’exploitation de cette excroissance. En effet, pour ce type de projets, le regard architectural peut être nécessaire. Alors que l’ingénieur va tenter de résoudre le problème technique, l’architecte pourrait se saisir du fonctionnement de l’objet technique aux différentes échelles qui composent le territoire. Car sur un même espace se retrouvent nécessairement plusieurs échelles d’utilisation et de perceptions (exemples : un pont est dévolu au passage des voitures, mais dessous ou à côté il devient un espace de pêche ; l’autoroute n’est qu’un flux continu de vitesse, mais à côté s’implantent des jardins ouvriers,… ou encore une industrie est un espace de travail, mais ses abords peuvent devenir des espaces de détente). Le concept d’hypertélie positive fait émerger le potentiel d’exploitation des trous en tant qu’espaces d’articulation des échelles et des usages, favorisant ainsi une mixité comme on peut l’avoir en milieu urbain. Ainsi, il me semble que partir des trous pour penser le territoire nous permet de nous affranchir des méthodes de lecture classiques et de penser à l’interrelation des phénomènes entre eux plus qu’à leur découpage systématique. En d’autres termes, la considération des trous peut amener à penser différemment l’objet technique et ainsi orienter l’aménagement du territoire vers des systèmes d’hybridation des échelles, des usages et des paysages. En ce sens, la pensée par les trous que je tente d’élaborer est proche du concept d’hybridation développé par Bruno Latour. 17
III.
l’hybride De nouveaux systèmes de pensées
Le concept d’hypertélie, il me semble, pourrait être rapproché du concept d’hybride. Tous deux développent des formes de pensées qui combinent en un même objet des substances diverses. En fin de compte, l’hypertélie découlerait d’un monde façonné en pratique par hybridation. Cette hypothèse de connexion entre les deux idées n’est pas issue de la théorie de Bruno Latour (2), sur laquelle je m’appuie pour développer cette idée. Il s’agit d’une avancée personnelle qui me semble importante car le fait de s’interroger sur les trous comme nouveaux territoires à enjeux nous fait basculer dans une pensée globale de la réalité, des pratiques, du monde. Dans son essai, Nous n’avons jamais été modernes (2), l’argument de Latour est qu’il y aurait deux niveaux de réalités distinctes issues de la pensée moderne à partir desquelles tous les éléments du monde seraient partagés. Sa théorie est cependant que, malgré un fort ancrage de cette pensée dans notre façon d’idéaliser et de vouloir fabriquer le monde, nous n’avons jamais pu être moderne, dans le sens ou nous n’avons jamais (ou en de rares exceptions) pu mettre totalement en pratique ce que nous avons développé en théorie. Ce que nous développons en théorie c’est que le monde est partagé à l’extrême entre deux pôles qui ne doivent pas se croiser mais se maintenir en équilibre au risque de perdre la rationalité qui doit sous-tendre nos pensées et nos actions. Ces deux pôles sont d’un côté la nature, et de l’autre la culture, d’un côté la science, de l’autre la politique. Cette séparation est étendue à tous les domaines de pensées : local-global, ville-campagne,… Si on suit la logique, la science ne devrait pas se mêler de politique et viceversa, or dans les faits ce n’est pas le cas. Par exemple, dans les premières pages du livre, Latour nous fait la lecture d’un journal : les articles mêlent « réactions chimiques et réactions politiques »: « Quelques paragraphes plus loin, ce sont les chefs d’Etat des grands pays industrialisés qui se mêlent de chimie, de réfrigérateurs, d’aérosols et de gaz inertes. Mais en bas de la colonne, voici que les météorologues ne sont plus d’accord avec les chimistes et parlent de fluctuations cycliques. Du coup, les industriels ne savent plus quoi faire » p.7. Ainsi, « Les tailles, les enjeux, les durées, les acteurs ne sont pas comparables et pourtant les voilà engagés dans la même histoire » p.8. Le monde se composerait donc d’hybrides, mais dans un souci de distinction des choses (rationalisation ?) la pensée moderne va rétablir a posteriori (une fois les faits accomplis) les deux pôles en purifiant chaque donnée, les classifiant, … B Latour nous explique que l’incohérence entre la pratique et les faits nous entraîne vers des impasses insurmontables. Bruno Latour nous propose alors de penser transversalement, perpendiculairement à la ligne qui relie en tenant à distance les deux pôles (de différentes façons d’ailleurs comme il l’explique, les philosophies du XX siècle sont toutes des façons différentes de créer et maintenir cette ligne). Ceci afin de penser hybride. Par ailleurs, accepter l’idée que le territoire serait aussi constitué de trous, sous-entend qu’il n’existe pas de distinction absolue entre les phénomènes mais qu’ils sont issus de croisements. En effet, les trous sont des entités territoriales hybrides qui ne se rattachent ni à une pensée de la ville, ni à une pensée de la nature, ou soit à une pensée locale, soit à une pensée globale, mais tantôt l’une tantôt l’autre ensemble. Ils remettent ainsi en cause l’application de la pensée moderne sur le territoire, et s’appuient beaucoup plus sur la réalité existante, sur la prise en compte du territoire tel qu’il est. 18
Quels systèmes de pensées pour aller au-delà de la contradiction moderne ? « Il n’existe de chemins continus pour mener du local au global, du circonstanciel à l’universel, du contingent au nécessaire qu’à la condition de payer le prix de branchement ». (2) p.159 Latour nous explique ici que la pensée moderne ne peut pas penser ces éléments en même temps car elle sépare ces phénomènes comme elle le fait entre la nature et la culture. Or, pour comprendre le monde d’aujourd’hui, il faut savoir qu’un phénomène global est engendré par une multitude d’actions locales générant un réseau. C’est ce réseau, plus ou moins étendu, qui a un aspect plus ou moins global. La succession de plusieurs branchements locaux donne au phénomène de l’ampleur, mais cela est différent du global car il ne s’agit pas d’une entité englobante (l’universel en réseau est différent de l’universel absolu). L’intérêt serait donc d’analyser les intermédiaires, ce qui se passe aux niveaux des branchements. Vouloir départager le local et le global serait un faux problème… Ainsi, c’est à travers l’analyse des trous que nous avons pu sortir des contradictions modernes qui ont construit un aménagement du territoire univoque dans ses parties. Comment se manifestent physiquement ces intermédiaires qui déterminent l’organisation du territoire ? « Les deux extrêmes, le local et le global, sont beaucoup moins intéressants que les agencements intermédiaires nommés ici réseaux ». p.166 Le territoire est donc constitué de branchements, d’intermédiaires, de réseaux. « C’est l’ordinaire qu’il faut comprendre, les petites causes et leurs grands effets » (2) p 171, cite Arendt 1963 « Les critiques (modernes) ont imaginé que nous étions en effet incapables de compromis, de bricolage, de métissage et de triage. À partir de fragiles réseaux hétérogènes que forment depuis toujours les collectifs, ils ont élaboré des totalités homogènes auxquelles on ne pouvait toucher sans les révolutionner totalement. » (2) p172. La pensée hybride se développe donc à partir de réseaux fonctionnant à différentes échelles mais se raccordant tous entre eux. Et la possibilité de raccords est, selon Latour, fonction de l’implication humaine. En effet, Latour place l’homme comme médiateur, sur la ligne verticale entre les pôles du modernisme. Car « L’humain est dans la délégation même, dans la passe, dans l’envoi, dans l’échange continu des formes. » (2) p189. De plus, « c’est en multipliant les choses qu’il (l’homme) s’est défini lui-même ». (2) p 188 L’homme produirait donc des hybrides qui lui serviraient à penser le monde. Comment l’homme devient-il le médiateur dans les trous du territoire ? On constate en effet que malgré la prédominance des infrastructures, l’être humain exploite les espaces adjacents, reconnectent les branchements intermédiaires, et ceci à l’aide de compromis, de bricolage,… Par conséquent, la prochaine partie de l’argumentaire est de comprendre comment les différents réseaux humains jouent leur rôle de médiateur de leur environnement, ou au contraire, comment cela semble difficile dans les trous.
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2. SPATIALITES SOCIALES Conceptions sociales des trous du territoire
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I.
ESPACES NEGATIFS
Non-lieux Les sociétés ont longtemps pensé le territoire comme une juxtaposition de lieux. Lorsqu’un espace ne correspond plus à ce qui fait un lieu, ce qui est le cas avec les trous, il devient un espace en creux, un négatif de l’espace de référence (l’espace en creux résultant d’un espace négatif, de ce qui n’a pas été pensé en tant que tel est donc un vide, un résidu urbain). Les manifestations sociales sur le territoire sont dès lors la négation de ce qu’elles ont pu être auparavant (non-lieu). Un non-lieu, du point de vue d’ethnologue de M.Augé, est l’espace des autres sans la présence des autres : «ce qui manque au non-lieu pour être lieu est l’autre et sa présence.»(8) Les nonlieux sont vides, changeants, fluctuants, une immatérialité où le groupe social ne peut se fixer, où l’appropriation de l’espace n’est pas possible. En faisant correspondre les non-lieux aux trous dans le territoire, nous nous trouvons dans l’impasse : l’homme n’est plus le médiateur de quoi que ce soit. Cependant, cette absence de présence des autres n’est pas pour certains une chose à laquelle il faudrait remédier, mais est plutôt une opportunité. Plus le lieu glisse vers un statut de lieu abstrait, avec peu de mémoire, plus il offre des possibilités de fiction alternative, d’être libre d’occupation par ses propres pratiques et sa propre mémoire. Le non-lieu ne serait donc pas seulement l’absence de l’autre mais la condition pour qu’émergent de nouveaux « autres », de 6 nouvelles identités urbaines, donc d’autant plus le lieu de l’autre, puisqu’il est inconnu… Cette réflexion fait écho à l’utopie. Utopies L’utopie est une des formes plus anciennes de non-lieu, la première à désigner un espace réel mais incontextualisable, un autre lieu. Mais à la différence des non-lieux de Marc Augé qui ne produisent plus rien pour l’imaginaire social, les utopies sont vecteurs d’imaginaire social, et donnent sens aux lieux réels. Et alors que dans les non-lieux contemporains nous pensons qu’il est impossible de construire une identité sociale, c’est dans les espaces utopiques que se crée la société idéale. Utopia est créée en 1516 par Thomas More (catalogue d’exposition du musée de Valence, 2000, Nouvelles de nulle part, utopies urbaines (7)). Il s’agit d’un récit littéraire mêlant fortement la politique à l’écriture, et énonçant une société parfaite qui conteste certains aspects de la société anglo-saxonne de l’époque. Ce qui est intéressant dans le texte d’exposition est qu’il interroge le statut spatial de l’utopie, ses différentes limites et la place du sujet. Le texte propose d’analyser les différentes formes de limites, frontières, ... à partir de l’espace utopique. La frontière du non-lieu, entre image et idée, est ambiguë : elle peut être très mobile, selon les désirs de fiction et d’expansion infinie philosophique et politique, mais elle se pose aussi comme une totalité clôturée, codée, infranchissable afin de garder un fonctionnement harmonieux... 6
L’ailleurs est l’espace géographique de l’altérité, selon Lussault. L’ailleurs est un dépaysement par rapport aux catégories représentationnelles de notre expérience ordinaire, mais il est aussi le lieu de l’inconnu, avec ce qu’il contient de danger ou de possibilité. A l’interface entre ces deux pôles se situe l’exploration, et en considérant l’ailleurs comme espace de l’altérité nous gagnons en connaisance : l’ailleurs n’est pas seulement un autre lieu, mais le lieu de l’autre. 21
Finalement, cette «malléabilité» de l’espace n’est possible que par une négation absolue des temps, et du temps. De fait, le non-lieu est un lieu neutre, grâce à l’absence de temps (nécessairement contraires, voire conflictuels), ce qui lui permet de garder son intégralité sauve, et ses limites ne peuvent jamais être atteintes puisque le temps implique un déplacement, une appréhension subjective, temporelle, de l’espace, qui n’est plus. En effet, le sujet dans l’utopie a un point de vue dominant (il voit partout), mais il est aussi dominé car il peut être vu de partout. Utopia est donc sans limites ; il n’y a pas d’extrémité au regard : utopia est l’horizon. «Utopia est la figure de la limite et de la distance, la flottaison des frontières entre le fossé séparant les termes opposés, ni ceci, ni cela.» (7) Utopia est donc un monde entre parenthèses. Même si cette idée d’espace est séduisante et effectivement probante pour parler des trous en termes de caractéristiques géographiques (limites, repères), elle peut être un leurre au niveau social. Malgré les promesses de façonnement d’un autre monde, l’utopie est aussi une image du territoire dans laquelle l’espace-temps est gelé, et diffère peu de la conception de Marc Augé sur les non-lieux. Or, la pensée des trous part d’une caractéristique réelle du territoire, dans ce qu’il est et ce qu’il a de plus banal. L’abstraire de ces données, c’est lui faire perdre son intérêt : c’est-à-dire comprendre les dynamiques sociales mi-urbaines mi-paysagères.
Lorsque nous nous confrontons aux pratiques réelles, bien que les trous échappent à la définition de lieux, ils n’en restent pas moins des espaces occupés. En fin de compte, l’imaginaire social rattache les trous à une image d’espace en creux, de vide. Mais c’est parce que les activités qui s’y déroulent sont cachées. Il y a bien une absence mais c’est une absence de réglementation, de plan unificateur, de plein global. À la place de ce plein global qui caractérise la ville, nous trouvons dans les trous des activités diffuses par touches avec des intensités variables selon le moment. Le glissement d’un lieu en non-lieu provient en fait d’un décalage temporel, conduisant malheureusement quelquefois à une pensée niant toute possibilité de vie dans les trous. D’une part parce que chaque acteur vit un temps différent qui vient se croiser sur un même site (un non-lieu est un lieu pour quelqu’un d’autre). D’autre part, et d’un point de vue plus général, un non-lieu serait un lieu qui change trop vite ou bien qui ne change pas du tout, un lieu qui ne suive pas les temps définis par l’usage social. C’est l’absence de temps, ou son entropisation, ou son accélération, ou lorsque tous les temps se réalisent en même temps, qui nous conduisent à parler de non-lieu. Il s’agirait donc de partir à la recherche des différentes temporalités qui composent les trous pour avoir une définition claire des espaces sociaux contemporains. En effet, au-delà, c’est la façon dont on conçoit le territoire qui change : on le pratique plus qu’on ne l’analyse car on n’a aucun moyen de savoir ce que sont ces trous sans y être aller. Explorer avant d’établir des théories qui sont obsolètes car des gens vivent effectivement dans les trous. Il s’agit d’établir des rencontres avec les pratiques donnant aux trous des qualités de territoire spontané rares en milieu urbain, et de comprendre les gradations entre des pratiques spontanées et des pratiques planifiées. C’est dans la manière de gérer les temporalités que se joue l’habitabilité, la vie, dans les trous du territoire.
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II.
TERRITOIRES SPONTANES
Ainsi, certains espaces taxés de non-lieux, notamment les espaces dit délaissés, les friches, abords d’infrastructures, … sont des endroits utilisés spontanément par des habitants à proximité comme espaces de jardins, espaces de parcs, espaces de rassemblement et d’appropriation. Trois études de cas montrent en effet que ces espaces peuvent devenir des lieux de vie grâce aux activités spontanées. Les conditions d’émergence de ces activités, comme on va le voir, ne sont pas le fruit d’un hasard, mais ont été soit organisées, soit se sont ancrées dans le territoire par habitude, et selon des contextes économiques et sociaux particuliers. Temps courts : activités spontanées et passagères La première analyse de cas est un projet autogéré organisé par aaa (collectif interventions urbaines : atelier d’architecture autogéré). Il s’agit de la création de jardins communautaires, au nord de Paris, dans le quartier de La Chapelle-Max Dormoy sur la friche de la Zac Pajol (8 mai 2005 à ECObox, Halle Pajol dans le 18ème arrondissement à Paris.) Les projets de ce type procèdent par actions locales et non coordonnées avec d’autres, sans plan unificateur. Cette conception est rendue possible parce qu’elle réagit tout de suite aux phénomènes qu’elle accompagne. L’action est possible parce qu’il n’est pas besoin de prendre en compte les temps longs d’une planification. Le projet, de sa conception à sa réalisation, est donc consubstantiel aux temporalités ; en d’autres termes ce sont les temps de projets qui conditionnent la matérialité et l’espace de celui-ci. Actions de l’atelier : > Construction de jardins collectifs > Participation active des habitants, notamment des enfants 7 Selon AAA, l’espace est un agencement à créer de la disponibilité. L’espace est vu comme une aire ou un réseau transactionnel, un «espace de négociations des échanges culturels». Cette intervention activiste part du principe que les usages produisent des micros décisions qui façonnent en le fragmentant le territoire. La méthode d’investigation est centrée sur l’expérience, collective ou individuelle, et l’implication in situ, donc avec peu de recul de l’acteur qui se confond souvent avec l’habitant et vice-versa. Certaines installations sont comme les usages qu’elles accompagnent, éphémères et cycliques. L’activité locale dans les trous du territoire naît de médiations multiples et individuelles. Le cas précédent soulignait le caractère volontaire et immédiat de la médiation. Mais d’autres pratiques se développent aussi à travers ce qui pourrait s’apparenter à une « histoire », l’histoire des trous.
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L’agacement est un «assemblage spatial de réalités sociétales qui exprime l’action d’un acteur». L’agencement se manifeste donc dans l’espace selon «une (des) échelle(s) et une (des) métrique(s) liées aux impératifs de l’action». Lussault et Lévy, Dictionnaire de la géographie.
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activation civique savoirs faire locaux recyclage éco-architecture autogestion urbaine micro-politiques plate-forme de production trans-locale pratiques du quotidien équipement urbain mobile catalyseur de rencontres usages alternatifs des contextes institutionnels dynamiques migrantes « rez-de-chaussée » des métropoles quotidien post-conflictuel reterritorialisation partagée l’eau comme enjeu citoyen compétences précaires autogestion du travail expertise civique sur la ville créativité diffuse
ATELIER D’ARCHITECTURE AUTOGÉRÉE
L’ATELIER D’ARCHITECTURE AUTOGÉRÉE (aaa) est une plate-forme collective de recherche et d’action autour des mutations urbaines et des pratiques culturelles, sociales et politiques émergentes de la ville contemporaine. Créé en 2001, aaa fonctionne à travers un réseau interet extra-disciplinaire ouvert à de multiples points de vue : architectes, artistes, étudiants, chercheurs, retraités, politiques, chômeurs, militants, habitants et tous usagers concernés. Nous proposons des « tactiques urbaines » pour accompagner les micro-processus locaux dans les milieux urbains où les décisions sont prises au nom d’intérêts économiques privés et de mécanismes politiques centralisés inadaptés aux mobilités territoriales actuelles : globales, informelles, multiculturelles…
Nous explorons la réappropriation des espaces urbains délaissés et la création de nouvelles formes d’urbanité par des aménagements réversibles, des pratiques du quotidien, par l’implication des habitants et des usagers en tant que porteurs de différents savoirs faire. Plus accessibles, ces espaces constituent un potentiel d’expérimentation urbaine et d’exploration à rebours de l’accroissement de la densité et du contrôle. Notre démarche consiste à critiquer pour libérer le désir d’agir mais aussi à rassembler des compétences partagées et des dynamiques collaboratives pour aller plus loin. En valorisant la position d’habitant et d’usager comme condition politique nous développons ensemble des outils d’appropriation symbolique des espaces de proximité et nous renforçons le pouvoir de décision et d’action des acteurs de terrain dans la ville. Ces outils incluent des réseaux trans-locaux, des processus catalyseurs, des architectures nomades, des espaces autogérés, des plates-formes de production culturelle…
L’« architecture autogérée » provoque des agencements de personnes, de désirs, de manières de faire… Ces mises en relation ne sont pas toujours consensuelles, le rôle de l’architecte étant aussi de construire à partir des confrontations et d’accompagner des productions subjectives. Une telle architecture ne correspond pas à une pratique libérale, ne passe pas par des contrats bâtiment après bâtiment ; elle s’inscrit dans des nouvelles formes d’association et de collaboration, basées sur des échanges et des réciprocités tant avec les habitants qu’avec les institutions intéressées, à quelqu’échelle qu’elles se situent. Notre architecture est à la fois politique et poétique car elle est d’abord une « mise en relation entre des mondes ».
TH E ATELIER D’ARCHITECTURE AUTOGÉRÉ E / STUDIO OF SELF-MANAGED ARCHITECTURE (aaa) is a collective platform, which conducts actions and research concerning urban mutations and cultural, social and political emerging practices in the contemporary city. The interdisciplinary network was founded in 2 0 0 1 in Paris by architects, artists, students, researchers, unemployed persons, activists and residents. We develop urban tactics to accompany microprocesses and enable rifts within the standardised urban contexts, which are regulated by private economic interests or centralised policies. These policies are incompatible with the global, informal and multicultural mobilities that characterise the present-day metropolis. We encourage the re-appropriation of derelict spaces and the creation of new forms of urbanity by local residents through reversible designs and lived everyday practices, which make use of their skills and knowledge. These spaces conserve a potential of accessibility and experimentation by resisting the increasing control of the urban context.
Dépliant réalisé par l’ «aaa» pour diffuser leur action (projet communautaire à Paris, la chapelle)
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www.urbantactics.org aaa@urbantactics.org
Our approach involves not only critical analysis but also the process of making and acting through shared competencies and collaborations. We valorise the position of the resident/user as political condition and develop tools cooperatively to re-territorialise their spaces of proximity and empower their decisions and actions within the city. These tools include among others trans-local networks, catalyst processes, nomad architectures, self-managed spaces and platforms for cultural production. A “self-managed architecture” provokes assemblages and networks of individuals, desires and different manners of making. It is a relational practice, which is not always consensual but at times conflictual, and it is the role of the architect to locate confrontations and accompany subjective productions. Such an architecture does not correspond to a liberal practice but asks for new forms of association and collaboration, based on exchange and reciprocity. Our architecture is simultaneously political and poetic as it aims above all to “create relationships between worlds”.
Temps longs : habitudes sédimentées L’auteur du texte Habiter les terrains vagues publié dans la revue le visiteur (17), nous explique comment l’apparition de déserts d’aujourd’hui a succédé aux terrains vagues à travers l’analyse sociale dans l’histoire de leur émergence, et en quoi ces deux conceptions des trous sont différentes. Il s’agit de comprendre que la dimension spontanée d’un agencement dans l’espace est provoquée par un contexte précis, et un état social particulier. Ceci exclut donc le fait que la spontanéité (aménagement sans planification) ne puisse pas être un objet d’étude puisque ce caractère spatial n’est ni synonyme de chaos, ni de hasard. Le vide ? Après la seconde guerre, les libertés d’usage octroyées par les terrains vagues deviennent des inconvénients, des vides qui ternissent l’image des villes. L’explication de l’apparition des vides tient au fait que les espaces se spécialisent de plus en plus mais que leur occupation est intermittente. Cette spécialisation entraîne de plus un amoindrissement des ressources du sol. Face à ces nouvelles contraintes d’utilisation des sols, les jardins ouvriers attestent pourtant de dispositifs mêlant ressources naturelles et débris du monde urbanisé. Ainsi, un statut pour les terrains vagues à différentes époques peut être défini en croisant les mutations des modes de vie et l’évolution de l’aménagement sur le territoire, et ce au travers de l’exemple du jardin comme dispositif de médiation entre les personnes et les milieux. 1e mutation : exode rural Fin XIX°, les populations rurales quittent les campagnes pour venir habiter en ville, où l’on trouve travail, protection, et hygiène. 1° usage : le terrain vague est le seul espace où développer des activités hybrides. Il est dévalorisé mais nécessaire. La configuration et la situation du terrain vague est une sorte de protection qui sert à faire baisser la pression entre deux activités aux antipodes (issues de la dissociation et de la mono-orientation moderne). Au début, ce fut l’urbanisation et la campagne, puis les usines et les jardins. Les trous permettaient de maintenir en équilibre la pression, en rendant la confrontation entre les activités moins dures (pour le dernier cas, la verticalité des usines rentre en conflit avec un mode d’habitat qui se développe au sol et utilise ses ressources). Il est important de signaler qu’à l’origine le statut social des utilisateurs des terrains vagues étaient des ouvriers - anciens paysans, dont la banlieue maraîchère et agricole était en déclin (début XX°). Les trous permettaient une marge de manœuvre pour les habitants qui se convertissaient à la ville. Mais il s’agissait aussi d’une marge de manœuvre pour la ville ou les industries, qui les utilisaient comme des espaces disponibles pour les déchets… Les terrains vagues permettent aussi à la ville ancienne de se maintenir, en permettant aux activités demandant des espaces plus malléables, d’exister, en périphérie. Les supprimer reviendrait donc aussi à déséquilibrer le reste… 2e mutation : normalisation des modes de vie Les liens qui associaient les terrains vagues au fonctionnement quotidien des logements (bois de chauffe, légumes, activités sportives, habitat souple combinant abri et ressource) se distendent 25
avec la modification des logements qui se construisent en dur (apparition des lotissements) et dans lesquels le confort normalisé est intégré, tributaire du salaire. Les trous perdent alors leur valeur économique et sociale. 2e usage : abandon progressif des espaces de subsistance extérieurs Avec la construction des grands ensembles, la verticalité coupe les logements des besoins nécessaires en « bas », les transitions et les relations qui associaient le dedans au-dehors ont disparu, ont été sectionnées. « Les va-et-vient entre le dehors et le dedans perdent leur nécessité, de même que l’occupation obligée des surfaces, comme annexe proche ou lointaine de l’abri. Une des significations possibles du vide serait donc que l’habitant n’est plus tenu de mobiliser une série d’espaces extérieurs pour habiter » p 64 (17) Comment rétablir des circuits vivants ? 3e mutation : extrapolation du phénomène d’abandon à l’échelle territoriale. Le terrain vague se compare à ce qu’a pu être la forêt au Moyen-âge dans le roman de JG Ballard, l’île de béton, Calmann-Lévy, 1974. Il s’agit d’un « délaissé inaccessible coincé dans un nœud autoroutier, qui renvoie l’image d’une périphérie inutile et inabordable. Mais dans lequel on peut organiser sa vie autour de quelques ressources (dans le roman : cinéma, casse, nature sauvage, liens sociaux avec deux ermites), un « dehors » de la ville où se replier et recomposer une autonomie des moyens de subsistance dans la résistance, explication peut-être de cette fascination contemporaine, notamment par le biais d’interventions artistiques, pour les terrains vagues. Ces mutations ne sont pas tout à fait successives dans le temps : l’une n’efface pas l’autre. Ainsi, on trouve en même temps ces différents cas aujourd’hui. Dans les trous du territoire, le vide a un statut ambigu : il est décrié mais jamais inutile. Toutes les parties du territoire s’exploitent d’une manière ou d’une autre. Cela confirme l’idée d’utiliser le terme « trous » plutôt que terrain vague ou vide ou délaissé car l’emploi du terme trou peut donner du sens à ces parties du territoire. Une pratique née de la 4ème mutation décrite auparavant se développe depuis quelques années : il s’agit de marches à travers les trous par des promeneurs plus ou moins spécialisés dans les activités « en marges ». Randonnées urbaines Il s’agit d’une pratique de plus en plus répandue de découverte/appropriation des 8 territoires périurbains qui fait « projet ». Il n’y a pas de travaux d’aménagements mais il est organisé des parcours, plus ou moins aléatoires avec un guide ou sans guide (parfois les organisateurs s’amusent à inverser les rôles). L’initiative doit dans la plupart des cas rester anonyme car cet anonymat participe à la découverte de l’espace, qui est de se faire une image mentale personnelle. Il s’agit quelquefois un peu de rituels initiatiques (dans une périphérie sauvage ?). Il s’agit aussi d’une stratégie non planifiée, et non dessinée, qui se met en place par des liens immatériels (réseau internet, bouche à oreille,…). Ces pratiques montrent à quel point ces territoires sont des espaces où tout est encore possible. On joue sur les pratiques, sur les statuts des personnes 26
Exemple de randonnée urbaine : «Boues de pistes», réalisée par le Mouvement des Chemineurs à Paris
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Le parcours désigne «un ensemble de relations d’un acteur à l’espace lors de partiques de déplacement, manifestant et renforçant ses compétences spatiales.» Lussault et Lévy. Le parcours est aussi pour les chercheurs du Cresson (F. Augoyard), une activité créatrice du citadin lors de ses déplacements quotidiens par les intéractions multisensorielles avec la ville. 27
et des lieux, qui font souvent échos à des pratiques artistiques. Renvoient-ils une image positive ou renforcent-ils la négativité de ces terrains ? Fait-on une randonnée ; parce qu’on doit assurer d’une certaine façon la sécurité des personnes dans des chemins non tracés, voire dangereux, d’où l’idée de les arpenter à plusieurs ? Ou bien s’agit-il d’une idée amusante et attractive d’image naturelle et conviviale, d’échanges, dans des espaces que l’on détourne à notre propre compte et pour nos propres envies de loisir par la marche ? D’une façon plus objective, l’intérêt de ce travail est qu’il propose de réelles initiatives, d‘actions réelles dans ces espaces figés de tout projet collectif. En ce sens on peut interpréter positivement la démarche et analyser comment le terme de randonnée bouleverse notre regard sur ces territoires. 1. le plaisir de la balade, à partager avec des amis ou des inconnus. Échanges et relations sociales (bien que les participants aient souvent la même idéologie ?) 2. le caractère naturel, à inventer à partir de ce que l’on voit, et pas de ce que l’on est habitué à voir. 3. le mouvement piéton, qui connecte les chemins dans des sites réputés infranchissables ; 4. L’initiative d’un groupe non professionnel dans l’aménagement, voire une action citoyenne et spontanée, le bousculement dans la hiérarchie des acteurs. Un des objectifs énoncés par les organisateurs est de « ralentir le temps, ramollir des espaces un peu trop durs, plisser le paysage ». De ces marches, certains arrivent à rentrer dans l’intimité des cultures, des lieux ou des gens, surtout lorsqu’ils ont affaire avec des cultures orales, qui transmettent leur savoir par la parole. L’ambition ici est donc d’établir un réseau d’appropriations, les déplacements de «trous» en «trous» servant de médiation entre le territoire et les cultures. Mais ces médiations ne manquent-elles pas en fin de compte leur but ? En effet, le principal effet négatif de ces marches à travers les trous du territoire, c’est qu’elles les isolent en ne traversant que ce qui est considéré comme digne d’intérêt : les vides, l’envers des villes (terme utilisé notamment par le collectif Bruits du Frigo (20)). Les trous deviennent alors des îles, coupées des autres éléments urbains. Finalement, la situation est inversée par rapport au « trajet traditionnel » par lequel on allait de ville en ville (de plein en plein) sans s’intéresser à ce qu’il y avait entre elles. Aujourd’hui nous irions de vide en vide, mais cela ne contribue pas à constituer une nouvelle pensée urbaine (« île ou ville, on est simplement passé d’une exception à une autre » (12) p.74), ni à proposer quoi que ce soit, et au contraire cela figerait l’état et les activités de ces trous. À trop les considérer comme tels, c’est-à-dire des trous abandonnés, on les institutionnalise, les patrimonise, on en fait des réserves. Foucault nous met aussi en garde contre l’exploration des marges en elles-mêmes et pour elles-mêmes qui ne nous « mettent guère en position de comprendre le lien structurel et fonctionnel qui unit ces marges aux pouvoirs dont le jeu détermine la ville contemporaine et, du coup, de trouver dans ces marges les bases d’une alternative, ce qui est pourtant leur but explicite. », cité dans le visiteur (12). C’est pourquoi il vaudrait mieux regarder « depuis les marges », en sortir pour mieux analyser les systèmes relationnels. Multiplier les points de vue sur les trous semble donc nécessaire. Et ce peut être le moyen par lequel il serait possible de proposer un aménagement qui ne relève pas uniquement d’initiatives spontanées, car celles-ci ne permettent pas de penser le territoire à long terme et subissent les mouvances du pouvoir ou de la technique comme nous l’avons vu précédemment. 28
III.
Polyvocité
Le territoire est un système de rapports de force Si on veut comprendre la formation et les moyens d’interventions possibles dans les trous du territoire, il est nécessaire de les envisager comme faisant partie d’un système urbain, avec ses rapports de forces entre les différents acteurs et habitants de la ville qui ont des aspirations différentes, car ils n’ont pas les mêmes besoins urbains, ne vivent pas dans les mêmes temporalités urbaines. (Le temps d’un mandat, que l’on planifie, n’est pas le même que celui d’un habitant qui aura tendance à souhaiter un changement dans l’immédiat). Chaque projet s’adresse donc à des temporalités différentes, mais il semble difficile de les faire toutes se superposer harmonieusement. C’est le cas par exemple dans les projets de Koolhaas. Ses projets s’évertuent à montrer les faillibilités techniques, les incontrôlabilités, les maladresses, déviances, délires, de la conception, dus à une organisation du projet qui opère par fragments, avec des responsabilités discontinues (des concepteurs et des clients). Il arrive ainsi que les potentiels programmatiques mis en avant par les architectes implosent sous l’effet des contradictions, des incompatibilités de ce même programme. Cette « méthode » ne se confond pas avec un manque de rigueur, mais s’inscrit au contraire dans le jeu d’acteurs et les différentes temporalités qui se superposent sur un site, n’en gardant pas une en excluant toutes les autres, mais tentant de les prendre toutes en compte. C’est pourquoi l’enjeu du projet est bien de travailler sur les discontinuités, finalement autant que l’on ait pu travailler sur la continuité urbaine. « Les villes ne sont pas des lieux mais des territoires, c’est-à-dire des champs de bataille, des moments plus que de l’espace. » (12) p.81. On peut ainsi dire que les fonctionnements/ou dysfonctionnements du territoire sont le résultat de l’interaction de trois forces : site/habitants/ institutions (responsables de l’aménagement) et déterminent les différents moments du territoire (accélération ou désaccélération des activités). Il s’agit de comprendre les mécanismes, les rotules, les acteurs du territoire. « Ce qui compte n’est pas le lieu mais son évolution » (12), et surtout la façon dont on le perçoit. Changements de regards : changements de réalités Dans l’article « l’art de la mémoire, le territoire et l’architecture », paru dans le visiteur n°4, 1999, (26) Sébastien Marot, entrevoit que « le siècle n’est plus à l’extension des villes, mais à l’approfondissement des territoires ». S. Marot poursuit : « Le monde est devenu trop étroit pour que l’on puisse seulement songer à ne pas explorer partout sa quatrième dimension. » p.169. La quatrième dimension est celle du temps, mais c’est aussi celle de la multiplicité de regards et d’approches que l’on peut faire se rencontrer sur un même territoire. Temporalités et regards se définissent d’ailleurs l’un par l’autre : « le temps n’est pas un cadre général mais le résultat provisoire de la liaison des êtres », selon Latour. Et la manière dont s’effectue cette liaison détermine le type de médiation que va établir l’homme avec son environnement : la temporalité est donc « un mode de rangement pour lier des éléments. (…) Si nous changeons le principe de classement, nous obtenons une autre temporalité à partir des mêmes évènements. » p101 et 102, Bruno Latour, Nous n’avons jamais été modernes. Le territoire est donc autant polyvoque que polytemporel. 29
Et le rythme des trous est aussi donné par une temporalité non-marchande, qui est celle des organismes, et qui nous est possible de connaître au travers du regard du biologiste, du jardinier, de l’hydrologue, … Le biologiste, le jardinier, l’hydrologue Nous sommes désemparés face à la nécessité de comprendre des morceaux du territoire qui ne correspondent pas à des villes. Mais peut-être que ces formes qui échappent à l’urbaniste font sens dans un autre domaine. En effet, pour l’hydrologue, le territoire peut-il être découpé en morceaux comme le conçoivent les urbanistes ? La polyvocité est le fait qu’il y ait plusieurs voix. Utiliser un processus polyvoque nous permettrait peut-être de sortir des impasses écologiques. À travers le point de vue de Gilles Clément (Manifeste du tiers-paysage, (18), à la fois biologiste et jardinier, le territoire n’est pas une juxtaposition de fragments mais une continuité biologique à prendre en compte. Le jardinier analyse les qualités et les modifications de chaque écosystème en présence sur un site. Son approche va au-delà du simple outil visuel, prépondérant dans la pratique architecturale. Ces espaces invisibles ce sont le temps et le vivant. Sa lecture de l’espace, qu’elle soit urbaine ou paysagère, a un critère majeur : l’équilibre. Et cette notion régit toute la biodiversité, qu’il s’agisse d’un fragment de végétal, d’un parc, d’une friche, d’un jardin, de la ville ou bien du monde. Le territoire est façonné à partir des relations de chaque milieu avec un autre… Les trous sont de véritables espaces écologiques vus sous cet angle, et ne se perçoivent pas par fragments mais par variations continues de biodiversité plus ou moins riche. C’est par un travail à petite échelle, une recherche précise et un investissement au-delà de nos carcans disciplinaires que G.Clément a pu fonder ses théories et les rendre accessibles à tout aménageur. Il est intéressant de voir que parti de ces constatations, et à l’encontre de bien des urbanistes, G. Clément soutienne l’émergence des trous, assimilés au tiers paysage, et d’un rang inférieur, d’espaces vides, les fasse passer au rang d’espaces diversifiés, nécessaires au bon fonctionnement et à l’équilibre biologique planétaire. La redécouverte des biotopes, de la biologie et de la technique, des ressources et des sols,… pourrait certainement amener d’autres façons de penser l’aménagement de nos territoires. Le tiers paysage désigne un paysage commun à différents territoires : des délaissés ruraux et urbains ; les espaces de transition ; les friches, les marais, les landes, les tourbières ; les bords de route, les talus de voie ferrée. Le manifeste du tiers paysage va vers une nouvelle écologie moins protectionniste. Et encourage des recherches sur l’écologie actuelle. Le morcellement des parcelles, l’habitat dispersé et les variations du relief constituent des polycultures. La ville-territoire, d’un point de vue écologique, est donc plus riche que des espaces verts clos dans lesquels les espèces entretiennent peu d’échange avec d’autres. La position de Gilles Clément par rapport à l’aménagement part du principe que c’est le territoire qui parle. Ses méthodes valorisent aussi un travail à plusieurs sur le territoire, et anticipent les procédures de participation dans les friches. (À ce sujet, voir la recherche de Séverine Chemin) Le bilan de cette deuxième partie peut se résumer ainsi : les trous subissent l’influence de formes liées aux phénomènes de généralisation (dispersion, fragmentation), mais réussissent 30
à développer des formes de vie ultra-locale, à travers le développement et le maintien de vies spontanées (sociales, historiques, écologiques).
Land for Free Die Stadt der Pioniere
Photographie extraite du site internet de Boris Sieverts pour un projet de découverte de la périphérie de Cologne en Allemangne http://www.neueraeume.de/start.htm 31
3. LES TROUS : HYBRIDATION SPATIALE ET TEMPORELLE
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La troisième partie explore les possibilités de développement de nouveaux aménagements territoriaux à partir des trous. Elle se caractérise ainsi comme la programmation du projet en croisant les théories et les pratiques des précédents développements. La connaissance des propriétés physiques des trous, de ses espaces, est cependant nécessaire pour établir cette programmation. Le premier point est de faire émerger cette connaissance physique des trous et les problèmes que cette spatialisation engendre. Pour cela, je m’appuie sur l’hétérotopie comme moyen de penser ces espaces « autres », car nous avons vu que nous ne pouvions penser les trous ni comme lieux, ni comme utopies, ni selon l’image des non-lieux.
I.
Hétérotopies
L’hétérotopie est un concept élaboré par Foucault (10) pour penser des phénomènes spatiaux et sociaux qui ne correspondent pas à l’idée traditionnelle de lieu mais qui existent sans que leur existence soit visible, ou reconnue. Ce concept d’espace me semble aider à penser la manière dont les trous s’organisent selon une spatialité spécifique du territoire, du fait de leur statut qui me semble a priori commun (voir définition du mot trou de l’introduction). Dans son essai, Foucault commence par définir l’hétérotopie par différenciation d’avec les autres topiques (lieux communs). Une utopie est un lieu sans lieu, des espaces irréels, comme nous l’avons vu précédemment. L’hétérotopie redonne un emplacement réel à l’utopie. La caractéristique de l’hétérotopie est donc d’être un lieu hors de tout lieu bien qu’il soit localisable. En effet, l’hétérotopie est un espace réel, mais qui n’est perceptible qu’au travers d’un espace virtuel. Cet espace virtuel peut être de différentes sortes (miroir, cinéma, jardin, géolocalisation via le net). Par exemple : « le miroir fonctionne comme une hétérotopie en ce sens qu’il rend cette place que j’occupe au moment où je me regarde dans la glace, à la fois absolument réelle, en liaison avec tout l’espace qui l’entoure, et absolument irréelle, puisqu’elle est obligée, pour être perçue, de passer par ce point virtuel qui est là-bas. » En d’autres termes, cet espace « autre » a le pouvoir de juxtaposer en un seul lieu réel plusieurs espaces, plusieurs emplacements qui sont en eux-mêmes incompatibles, impossibles à rassembler : « certains d’entre eux (les emplacements) ont la curieuse propriété d’être en rapport avec tous les autres emplacements, mais sur un mode tel qu’ils suspendent, neutralisent ou inversent l’ensemble des rapports qui se trouvent, par eux, désignés, reflétés ou réfléchis. Ces espaces, en quelque sorte, qui sont en liaison avec tous les autres, contredisent pourtant tous les autres emplacements. » La racine du mot, hétéro, a plusieurs sens selon le contexte qui lui est associé et que l’on détermine par l’adjonction d’un nom après le préfixe « hétéro ». Ce peut être la différenciation, ce qui est caractérisé par la dissociation, l’absence d’unité, ce qui s’écarte de ce qui est admis ; ou encore tout ce qui est différent au sein d’un même phénomène. Le sens de l’hétérotopie pourrait être compris, à partir de cette racine, comme le rassemblement d’entités différentes, hétérogènes, ou incompatibles, ou s’écartant d’une opinion commune, se rencontrant, ou se heurtant, dans un espace-temps commun.
Foucault précise ensuite le concept d’hétérotopie au travers des différentes caractéristiques 33
physiques et sociales d’un lieu commun, pour voir comment l’hétérotopie s’en détache, bouleverse le sens commun : - Géographiques Foucault nous explique qu’une hétérotopie est un lieu de nulle part, sans repères géographiques, et surtout un lieu où peuvent se passer des pratiques incontextualisables, voire tabous (socialement ou peut être aussi physiquement). - Sociales L’hétérotopie apparaît comme le lieu physique où l’on pratique des usages impraticables socialement mais que l’on doit tout de même effectuer dans la réalité (usages qui ont besoin d’exister mais dont l’existence ne doit pas empiéter sur les convenances sociales : exemple de la lune de miel) Mais elle a aussi un caractère positif lorsqu’elle offre la possibilité à certaines familles, ou personnes, de fabriquer une, ou leur propre, ville « autre ». - Spatiales Étant donné que dans l’hétérotopie espaces virtuels et espaces réels sont en relation, il est possible que plusieurs espaces (comme les espaces cinématographiques par exemple) puissent se superposer sur un même lieu réel. Le jardin est une hétérotopie car, dans sa parcelle, il regroupe différentes parties du monde ; cela est vrai dans les jardins ouvriers, qui cultivent souvent des plantes originaires du pays de leur jardinier immigré. - Temporelles C’est un espace dans lequel nous serions en rupture totale avec le temps traditionnel. (musée = temps très long ; évènementiel = éphémère ; cinéma = temps autre ; cimetière = temps éternel ; prison = temps suspendu) - Des limites L’hétérotopie est bien un espace qui implique un déplacement puisqu’un passage lui est associé, qui permet à la fois de l’isoler et de la rendre perméable, accessible. Les modalités de ce passage sont ambiguës puisqu’ils ne laissent passer que dans une certaine mesure. Transitions, systèmes d’ouverture, et système de circulation peuvent donc être des éléments essentiels pour construire l’hétérotopie. (exemple : les maisons closes) Mais la principale révolution spatiale qu’introduit l’hétérotopie, c’est qu’au travers d’un lieu, il est possible d’en apercevoir d’autres en miroir (un envers de la réalité) avec des temporalités et des espaces autres. Les trous semblent relever de ces espaces autres, d’espaces miroirs : un envers de la réalité que l’on perçoit depuis la ville et à travers elle ; de loin, à travers ses systèmes de transports, à travers le filtre de la vitesse. De plus, les trous rassemblent des emplacements incompatibles, des espaces disparates du territoire : jardins ouvriers (abris bricolés), autoroutes (surface lisse hyper normalisée et surveillée), décharges, terrains agricoles, friche végétale,… Cette idée nous permet de repenser le rapport ville/trou : les trous sont les hétérotopies des villesterritoire. Spatialiser les trous du territoire nécessite d’établir un basculement entre le passage (caractérisé par la vitesse) et l’espace au travers duquel on passe. En effet, nous ne percevons les trous qu’à travers des déplacements, puisque nous ne les habitons pas. L’emplacement du passage constitue donc un espace virtuel par lequel on perçoit l’espace réel « inversé » par un effet de retour : espace perçu dans la vitesse par laquelle on est obligé de passer pour voir ces trous. Nous les percevons aussi par le biais de documents photographiques, … sans jamais y entrer 34
réellement. En ce sens ils sont bien des espaces réels localisables, mais pour les localiser, j’ai besoin de m’appuyer sur des moyens virtuels tels qu’une image satellite, car ce ne sont pas des espaces référencés, admis institutionnellement et socialement, vers lesquels nous allons conventionnellement. Les trous se perçoivent donc à travers la ville et développent des réalités parallèles à celle-ci : reflétées, mouvantes, ou simplement banales. Ces réalités hétérogènes peuvent-elle nous aider à définir une forme spatiale dans les trous ?
Désert et Forêt : deux figures de trous du territoire à l’époque contemporaine. Désert et forêt sont des zones traditionnellement inoccupées, des éléments du territoire autant que les villes. Et comme les villes, ces deux figures ont connu des mutations : leur signification et leur contenu ont évolué. En effet, déserts et forêts se trouvent aujourd’hui humanisés malgré leur « vide urbain », on peut donc aussi les considérer comme des trous dans le territoire. Les déserts On a supposé que chaque recoin de la terre était connu, mais elle n’est pourtant pas partout habitée : elle l’a été, ou bien n’est que seulement traversée. À la surface terrestre, des déserts existent encore «nécessairement», au sein de l’urbain vaste et distendu. Des déserts urbains apparaissent non pas parce qu’il n’ont pas été trouvés, qu’ils sont cachés, mais parce que ces terrains ont été «oubliés». Oubli = trou de mémoire Les conditions d’apparition du désert s’inversent car notre rapport au monde est différent. Un trou est inhabitable parce qu’il a été oublié, et non pas parce qu’il est impossible pour des raisons physiques de l’habiter... L’accessibilité des déserts n’est plus une question technique mais environnementale... > La figure du désert : L’horizon caractérise la spatialité du désert : espace lisse, sans limites, des trajectoires. La forêt La description du visiteur des terrains vagues contemporains met ceux-ci en parallèle avec ce qu’a pu être socialement la figure de la forêt au Moyen-âge. Des espaces d’exclusion sociale, sauvages, mais où l’on peut se débrouiller pour assurer nos conditions de subsistance par des rencontres déstabilisantes, magiques, irréelles,... (à ce titre, les espaces vagues sont considérés tous et à travers les époques comme des moyens de subsistance en marge) > La figure de la forêt : L’absence d’horizon caractérise la spatialité de la forêt : espace tramé, aux limites fermées 35
Photographies personnelles réalisées au pavillon de Barcelone en 2005
Photographies personnelles réalisées au Foyer universitaire à Chicago en 2007
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Il me semble que l’hétérogénéité peut produire des formes spatiales aussi intéressantes qu’une pensée unitaire. J’ai pu visiter deux projets qui me l’ont confirmé : le pavillon de Barcelone de Mies van Der Rohe et le foyer universitaire à Chicago de l’OMA me semblent correspondre à des espaces hétérotopiques. Pavillon de Barcelone, Mies Van Der Rohe 1. l’espace Il y est opéré comme un basculement de l’emplacement des éléments par un infime (infra-)mouvement de la perception, du déplacement. Impression d’être dans des intervalles temporels à chacun des déplacements, et comme si j’étais moi-même en train de régler la distance, l’alignement ou le décalage des trames et des murs avec mes mouvements. Un intervalle où je pouvais recréer, ré-agencer, pour et par moi-même, le pavillon, ses espaces, ses reflets et ses tensions. Il semble que le bâtiment n’ait été fait pas personne, mais que c’est par notre présence qu’il existe, que ce sont nos yeux qui construisent le pavillon de l’intérieur, depuis un point de perspective qui bouge sans cesse et nous fait faire le tour du pavillon mille fois : l’origine est insaisissable… 2. le temps Impression d’être hors temps. La disposition des éléments donne une impression de bloquer le flux temporel. Pas l’impression d’être dans une succession homogène, ininterrompue et confuse, mais de se situer précisément en un instant particulier dont on saisirait tous les aspects avec clarté : lumière, matière, espacements. Lorsque je revisite le pavillon de mémoire, je me souviens d’instants précis, mais non du parcours que j’ai effectué, ni du temps qu’il faisait, ou du nombre de personnes présentes ; je revois des découpes franches, tant au niveau spatial que temporel. Foyer universitaire Chicago, OMA 1. espace Disjonction de certains éléments et en même temps fusion de certains autres, à échelle plus réduite, notamment des éléments de circulation (escaliers/pentes/assises). Certains autres paraissent absurdes (escaliers ne menant nulle part). Bousculement de l’espace, de l’emplacement des éléments, qui ne sont plus pensés côte à côte mais avec, ou sans. (se confondant ou s’ignorant) selon les fonctions auxquels ils sont assignés. Il y a des heurts, mais aussi des endroits de profondes harmonies. Les processus de conception sont marqués, visibles, dans la réalisation finale (conflits ou ententes,…). Ce sont des espaces sous pression. Ils ne sont pas « purs », neutres, ni rationnels ni géométriques. 2. temps Il semble que tout le monde ait participé à l’élaboration du projet, qu’il s’agirait d’un collectif dont la décision finale est maintenue fermement, à la limite de l’implosion sous l’effet des pressions internes. Il semblerait que le maintien de cette tension (maintenir dans le sens tenir bon mais aussi tenir élevé), constitue le travail de l’architecte. Il y a donc une multitude de pistes qui indiqueraient l’origine du bâtiment, comme si tous avaient participé en partant chacun d’un élément particulier, le même (quand il y a fusion), ou différent (ce qui crée un espace conflictuel quand deux éléments se rejoignent puisque pour des raisons évidentes de construction, il faut que tous les éléments soient raccordés). Or l’espace ne peut correspondre à la construction dans ce cas-là. A travers ces deux exemples, nous voyons la richesse architecturale de procéder par superpositions de réalités hétérogènes.
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II.
Réalités hétérogènes et emplacements multiples
Stratégie d’intervention dans les trous
Le premier postulat pour penser la spatialité des trous est de les considérer comme des vides (dans le sens de trou noir). Cette hypothèse offre une infinité de possibles, le développement de plusieurs espaces différents, voire incompatibles, peuvent exister sur un même territoire. Cela pourrait aussi induire un espace vierge. Or, cette option est la seule qui ne puisse pas exister. En effet, penser les trous, c’est toujours, comme nous l’avons vu, partir de la réalité, dans ce qu’elle a aussi de plus banal. Cette recherche sur la spatialité physique des trous nous permet de nous interroger sur la réalité : comment se manifeste-t-elle dans les trous ? Quelles sont ses composantes et comment pouvons-nous nous en saisir dans l’élaboration d’un programme dans les trous du territoire ? La réalité est un des possibles parmi d’autres Ce qui est frappant dans le paysage des trous, c’est la multitude de chemins possibles, l’ouverture des espaces, la distance entre des choses très peu symboliques mais issues d’un arrangement fortuit. Cela convoque notre imaginaire. Comment se manifeste la réalité dans les trous ? Pour Bergson, « La réalité n’est qu’un cas particulier du possible ». Cela suppose que des multitudes de sens sont exploitables sur les sites des trous et que nous ne devons pas nous cantonner à un seul aspect. Il s’agit aussi ici de relativiser une histoire traditionnelle dominante, cartésienne, rationnelle, stable et unitaire. Une histoire qui n’écrit pas ce qu’aurait pu être les possibles, mais qui explique a posteriori que la réalité n’aurait pas pu être autrement… La conscience de la relativité de la réalité que nous construisons implique de faire entrer hasard, aléas et indétermination dans nos structures de pensée, puisque in fine, l’emplacement des choses, la structure spatiale visible, est le résultat d’une conjoncture de possibles. Bergson nous dit ainsi que l’on pourrait substituer à cette écriture de l’histoire, l’« histoire du devenir, du flux, écoulement continu et gradations insensibles, où l’échelle humaine est désormais relative. » p.167, cité dans le visiteur (12). Comment faire entrer des réalités parallèles, ouvrir sur une multitude de sens possibles sur un même site ? Les punctums (« Intersticialités, frémissements et labilités. Corrélations entre les œuvres de Rem Koolhass, Jeff Koons, et Gilles Deleuze. » Christian Leclerc (20)) Dans certaines photographies de Jeff Koons, la composition de l’image laisse entrevoir la possibilité que la réalité eût été différente. L’artiste laisse entrer des incidents dans ces images, des indices suspects et étranges qui développent des microcosmes fictifs, une extériorité. Ces incidents sont à la limite du seuil de nos « micro-perceptions » comme a pu l’être « l’infra-mince » de M. Duchamp. Ces indices indiquent que la réalité aurait pu être agencée autrement. La construction de l’image ouvre des possibles par des petits détails, des punctums. Il s’agit d’un ailleurs qui n’existe pas, mais où il serait possible de montrer une autre réalité en rapport avec ce détail. « Ce second élément qui vient déranger le stadium, je l’appellerai donc punctum ; car punctum, c’est aussi : piqûre, petit trou, petite tâche, petite coupure – et aussi coup de dés. Le punctum 38
d’une photo, c’est ce hasard qui, en elle, me point (mais aussi me meurtrit, me poigne). » Roland Barthes, La chambre claire, Gallimard Seuil, 1980, p.49. Cette impossibilité de photographier une réalité qui serait fixe et unique marque l’impossibilité de l’instant fixe et décisif. Ce qui permet un dépaysement, la part imaginaire du projet que l’on attend dans ces trous, est donc la capacité du projet à élaborer des structures hétérogènes, et à permettre des perméabilités avec d’autres représentations du paysage à l’aide d’« indices ».
Photographie de Robert Smithson à Paissac extraite du Visiteur n°3, article de S. Marot
« Il s’agit de reconnaître en toute chose, en tout temps, la part extérieure, étrangère et frémissante, accidentelle et irrésolvable de la question, de la recherche ou de l’œuvre. » (20) p.177 à propos de la pensée de Deleuze. L’ambition d’ouvrir le réseau de sens/de possibles sur un territoire modifie la structure du programme. En effet, « l’œuvre n’est plus un objet autonome, mais un dispositif, c’est-à-dire un mécanisme transactionnel qui engage une relation spatio-temporelle interactive entre des substances (matière, matériaux, équipement technique ou technologique), des supports (espace ou interface physique (site), ou mentale (non-site)), et des acteurs (spectateurs/usagers/concepteurs/ créateurs) » (20) Les projets de l’OMA se présentent comme des dispositifs qui ouvrent des possibles à plusieurs points de vue. Leur programme, pour atteindre cet objectif s’articule autour de trois composantes, il me semble, majeures : (Analyse à partir du projet pour la Villette, Paris, OMA – Rem Koolhaas, Jacques Lucan. Electra Moniteur, 1990) La conception à partir d’objets trouvés Koolhaas s’intéresse à des situations non-architecturales, qui d’une certaine façon nous fascinent. En périphérie, dans un contexte marginalisé, nous trouvons un état brut du paysage. L’architecture ne l’a pas organisé or on y trouve des richesses plus séduisantes. La méthode d’« objetstrouvés» part de cet existant pour créer des situations indéterminées. On retrouve ce procédé dans le projet pour le parc de la Villette à Paris où sont créés des éléments à s’approprier librement. Koolhaas donne une théorie à l’élaboration spontanée de certains milieux, au hasard. En tant qu’architecte, il ne rentre pas dans nos compétences de connaître toutes les origines, tenants et aboutissants, des évènements qui ont fait émerger certaines pratiques. Koolhaas les prend donc en compte de manière contingente pour le projet, tentant d’élaborer des « espaces événements » : 39
des espaces où peuvent se dérouler des évènements dont le contenu n’a pas été planifié. Ces éléments, initiateurs d’évènements, sont distribués sur le site selon une certaine fréquence, en confettis (entre ceux qui existent et ceux fabriqués). Les objets trouvés s’apparentent aux principes de recyclage et de détournement de structures ou de matériaux abandonnés en les réinsérant dans un nouveau cycle de consommation et de construction. Une forme capable d’accueillir tous les programmes Chez l’OMA, les projets combinent des volumes programmatiques. Ces combinaisons jouent sur une instabilité programmatique : « On assiste à une sorte d’immersion dans une épaisseur fonctionnelle, de laquelle il ne surgira pas autant d’expressions qu’il existe de fonctions, mais d’abord une forme capable d’intégrer des composantes marquées d’instabilités ». p.41 (31) La question programmatique est traitée de façon à générer une « variété aléatoire, justifiée par la dissymétrie des programmes ». Labfac, agence d’urbanisme et d’architecture active dans les années 90, concevait des plans d’aménagements urbains aux emplacements multiples (l’implantation du bâti sur les parcelles n’est pas réductible à une seule possibilité ; la modification du territoire est pensée dans le temps comme un système naturel vivant). Les projets de Labfac et d’OMA permettent de penser la réversibilité d’une proposition à travers sa temporalité et sa capacité de modification interne selon les usages. Des perceptions variées Il s’agit de ne pas fermer un champ d’horizon mais d’ouvrir une profondeur de champs en multipliant les plans de vues verticalement ou horizontalement. La superposition de couches (bandes et figures de réseaux dans une ensemble diffus) génère des perceptions variées. La variété des perceptions est aussi générée par la multiplication des cheminements. Deux promenades opposées font varier la perception du paysage : l’une est « cachée » par des rangées d’arbres, tandis que l’autre est montrée aux regards des passants. La réalité physique des trous induit une valorisation d’une variété de sens à travers l’exploitation des éléments existants sur le site. Les trous se caractérisent en effet par un environnement ouvert, irréductible à une réalité stable et univoque (que l’on a pu confondre avec le vide). Les trous se caractérisent par ses objets disparates et hétérogènes (bruts, trouvés, bricolés, détournés,…), qui construisent ces différentes réalités et temporalités multiples. Cependant, cela ne définit toujours pas une forme mais plutôt un processus d’agencement des objets (diffus, à distance, multipliés). Auparavant la typologie urbaine conditionnait l’aménagement de parties de ville. Si celle-ci est inexistante dans les trous, comment penser l’ensemble de cet environnement, de ces parties du territoire ?
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Plans du projet pour le parc de la Villette non retenu, extraits du site internet de l’OMA : www.oma.eu/
Schémas d’implantation proposés par LABFAC pour la reconversion d’un site ferroviaire à Munich, extraits de l’Achitecture d’Aujourd’hui n°327
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III.
Suburbain
La substance La substance se définit comme ce qui est irréductible, ce qui ne peut être enlevé. Elle diffère cependant de la notion d’essence car la substance a des propriétés physiques, il s’agit d’une matière. Selon Lussault, la substance est « la composante non spatiale d’une configuration spatiale » (5). Avec l’échelle et la métrique, la substance est une des trois composantes de la configuration spatiale élémentaire. Elle permet donc de penser une spatialité sans la forme. Elle suppose que l’espace ne se laisse pas facilement découper, ni que l’on peut extraire des objets indépendamment de leur contexte pour les étudier : « Toute réalité comprend dans son contenu (et pas seulement dans sa forme), un ensemble de qualités spatiales » (5) p. 881 Peut-on transposer la notion de substance au territoire afin de comprendre la spatialité des trous ? Le territoire pourrait en effet se comprendre comme une substance urbaine recouvrant ce que l’on séparait auparavant (ville, nature, infrastructure). Si l’on considère que le territoire n’a donc pas de formes mais des variations de contenus, on ne pense plus l’aménagement du territoire selon le découpage en morceaux dialectiques plein/vide, mais selon une gradation différentielle d’intensité et de densité, qui se détermine par les temporalités (d’usage) qui couvrent le territoire et qui sont plus ou moins actives (une concentration des activités marque par exemple une concentration urbaine). Les trous seraient donc une densité faible de la substance urbaine. Car les temporalités urbaines varient jusqu’aux extrêmes, allant d’un système très productif jusqu’à la dégradation de ce système (l’entropie). Ces temporalités urbaines se manifestent par des séries d’évènements qui vont bouleverser les territoires, de façon rapide ou très lente (entropie). Par ailleurs, afin de penser l’espace dans toutes ses dimensions, il faut ajouter l’échelle et la métrique à la substance. La traduction en espace géographique pourrait être la maille. Les trous se manifesteraient par un desserrement de la maille. Le desserrement urbain est par exemple le résultat du déploiement du réseau. Le territoire est recouvert par cette maille qui n’est pas uniforme selon les endroits. Dès lors, comment cette spatialité des trous influence-t-elle notre façon d’élaborer un projet ? La manière de considérer les trous, comme des vides, changent. En effet, la question n’est plus de savoir s’il faut ou non les remplir, mais de savoir dans quelle mesure on va les modifier : les faire évoluer, les adapter à d’autres temporalités. Et l’on pourrait même aller plus loin et appliquer cette façon de penser à l’ensemble du territoire : « Qui nous dit que les vides urbains les plus intéressants, les plus décisifs, sont bien ceux qu’on voit (les friches) ? Et la difficulté, plutôt que de pointer l’évidence du vide, n’est-elle pas de chercher les virtualités qui, aussi bien, se trouvent au cœur plein de chaque lieu, puis de les aménager, de les habiter, (…) de créer les conditions qui permettront de s’y mouvoir à l’aise ? » (12) p.78. À partir de cette idée, le projet de territoire consisterait à fabriquer ces espaces à côté, adjacents ; cette marge de manœuvre qui peut être développée entre les fragments urbains denses et stables, et qui permettent des articulations, des transferts d’états, un renouvellement urbain en somme : des trous en fin de compte. Ceci peut être rapproché du travail architectural de OMA sur les discontinuités. Ce qui est entre les fragments, c’est-à-dire les espacements, prend de la valeur puisque c’est ce qui 42
Boris Sieverts, organisateur de randonnées à Cologne (22), nous décrit le déroulement d’une randonnée : B.S construit un système de repères pour ses randonnées en faisant un choix sur la succession des espaces. Cette succession se compose comme un poème : il s’agit de mettre au jour des relations, qu’on les comprenne comme une unité ou comme la somme de différentes parties, le choix est laissé à la sensibilité de chacun et reste bien souvent ambivalent. Selon B.S toujours, la succession doit donner aux espaces l’impression qu’ils sont des « apparitions ». (pour qu’il y ait effectivement une découverte pour les promeneurs, il faut qu’il y ait en amont, un regard plus aguerri qui puisse donner des pistes de « perception », sans imposer une quelconque interprétation) Souvent, un autre passage aurait pu être choisi par B.S, qui aurait entraîné une nouvelle suite : « Potentiellement, n’importe quel lieu peut être impliqué dans cette suite » p.51 . « Bien que mon chemin, le plus court et le plus viable possible, soit toujours le même, des milliers d’autres s’esquissent à ma droite et à ma gauche, j’ai l’impression qu’il doit y avoir sur ce terrain un nombre presque infini de pistes que je ne connaîtrais jamais,… » Pour chaque ensemble d’espaces, nous pourrions donc esquisser des dizaines d’autres chemins possibles. Sa démarche peut donc être caractérisée par les évènements suivants : Il s’agit d’établir un « marquage » des sites, des éléments, du projet sur le site lui-même. Le choix d’une « suite » est in situ. La démarche tient d’une part du hasard, et d’autre part à des nécessités fonctionnelles (viabilité du chemin). La capacité d’évolution est large suivant les transformations du site qui vont modifier les parcours. L’exclusion d’une volonté d’unifier l’ensemble, sauf si celle-ci se fait individuellement, ce qui crée au final une absence d’unification d’une pensée partagée du territoire. L’impression de rester dans une esquisse de projet qui ne prendra jamais corps physiquement, structurellement, qui ne modifiera jamais la structure des sites.
Photographies extraites du site internet de Pierre Lafon, architecte à Rennes http://pagesperso-orange.fr/pierlafon.archi/ Expérience de Marche, février 1998, sur les remblais et déblais de la contournante de Nantes. 43
devra structurer l’espace. C’est pourquoi « la résidualité devient fondement » (20) p174, d’où le travail sur les vides qu’opère Koolhaas qu’il définit comme des vides composites (différents). Les projets opèrent donc dans les espacements, et effectuent des glissements transactionnels à l’aide d’éléments architecturaux de transition mis en évidence : dalles, garde-corps absents, multiplication des accès et des circulations complexes, indirectes et décalées (portes et escaliers dérobés, cheminement en lacet, entrées indépendantes,…). Ce qui compte dans le territoire sont donc les endroits de plis, c’est-à-dire les trous, et non les poches qui sont là pour être remplies. Les plis sont des articulations spatiales et temporelles, plus ou moins amples, larges. Des endroits qui permettent d’établir des sortes de ponts vers d’autres possibilités urbaines, et qui sont donc tout sauf des lieux que l’on isole pour les faire marcher de l’intérieur. Vers une ville du dessous Substance vient du latin substantia, de substare, qui signifie « être dessous ». le terme partage donc les mêmes racines que le mot suburbain, suburbia, qui signifie la ville du dessous. Le terme de suburbanisme pourrait être utilisé pour désigner la pratique de projet dans les trous. - Le territoire est une substance non homogène (changements de valeurs) - Les trous constituent une couche peu dense de cette substance - Cette couche n’est visible que lorsqu’on s’immerge dans la profondeur du territoire - Elle en constitue donc une sous-couche primaire et autonome - Il est nécessaire de maintenir cette sous-couche pour éviter une saturation spatiale - Pour cela l’idée est de garder ou d’aménager des écarts, sans pour autant les rendre inaccessibles - L’activité principale que nous pouvons avoir dans l’écart est le passage - L’espace des trous est donc un espace caractérisé par des dispositifs de passage, de distance, de maintien entre, de vitesse. - L’envergure du trou dans le territoire est fonction de l’ampleur des passages, leur ramification, ... Le projet de l’architecte paysagiste Descombes pour le parc de Lancy, en France, (26) me semble correspondre à cette dernière idée. Descombes développe des dispositifs autonomes grâce à la parfaite compréhension des éléments du paysage suburbain auxquels ils font référence, dans toute leur ambiguïté. Le pont tunnel est conçu comme un double aérien du ruisseau qui transforme la nature en infrastructure. Ces dispositifs permettent aussi d’expérimenter l’aventure du passage : se frayer un passage dans les plis étroits du paysage, entre et sous les infrastructures. Les éléments du projet sont les seuls instruments de mesure du territoire marqué par les infrastructures de transports en établissant une échelle intermédiaire manquante. Par ailleurs, le site peut être perçu comme un jardin ou un parc non pas par la délimitation, ni la requalification d’une surface, mais par la mise en place d’objets selon la logique d’implantations des parcelles existantes (aire de jeu avec bac à sable, pergola, préau et jeu de boules). Les aménagements ne se perçoivent pas au sens traditionnel de parc, mais nous permettent de nous repérer activement 44
dans le paysage surburbain. C’est comme s’ils dessinaient une carte virtuelle in situ : en effet, l’implantation des objets reprend les lignes topographiques, le découpage parcellaire, l’écoulement de l’eau,… L’architecte cherche à redonner une épaisseur au site en effeuillant une à une les composantes afin de ménager un espace dans lequel le corps comme la pensée puissent à nouveau circuler.
CONCLUSION
Photographies du projet du Parc de Lancy réalisé par Georges Descombes, extraites du Visiteur n°3 45
CONCLUSION Après avoir formulé l’hypothèse, en introduction, que les trous permettraient de penser la ville-territoire comme une continuité territoriale avec des gradations différentielles nature/urbain et non plus par morceaux, il s’agissait de démontrer dans une première partie comment les trous permettent d’établir ou non cette pensée du territoire par gradations. Nous pouvons répondre qu’à plusieurs titres les trous redéfinissent notre rapport au territoire : - par l’implication de la technique dans le territoire : l’hypertélie en tant qu’elle est la multiplication des interfaces entre l’objet et son environnement est un premier niveau de gradation - par hybridation des éléments dans le réseau par les intermédiaires : l’homme étant un de ces intermédiaires. À partir de cette dernière constatation, il s’agissait de déterminer comment cette gradation est perçue et vécue, ou non, dans l’imaginaire social lorsqu’il s’agit de définir et d’investir les trous. Analyser les trous nous permet donc de découvrir de nouvelles réalités sociales : - De grandes parties de territoire ne sont plus médiatisées que par une petite part de ses habitants : les réseaux sont sous-jacents et fragiles. - Cependant, l’exploration par une multiplicité de points de vue complexifie et densifie les possibilités de médiations. Dans la dernière partie, nous nous sommes intéressés aux propriétés physiques des trous, afin de faire ressortir des outils de perception et/ou de conception. L’espace des trous se caractérise par une superposition de réalités hétérogènes (absence d’origine, temporalités multiples, variétés de parcours). Emergent trois idées pour saisir ces réalités : se maintenir toujours en mouvement, (ré)interpréter les objets, créer de l’écart. Finalement, l’analyse des trous du territoire est une analyse des différences qui composent un territoire : le regard architectural consiste à évaluer ces différences. Les potentiels de ce regard différencié auquel nous avons abouti sont des expériences de projet que l’on pourrait mener afin de confronter cette idée de différenciation avec des situations réelles dans un contexte similaire à la théorie (les trous du territoire comme territoire de projet).
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BIBLIOGRAPHIE Paysage/systèmes (1) G. DELEUZE ET P. GUATTARI (1980), Capitalisme et schizophrénie Mille plateaux, Paris, Ed de Minuit (2) B. LATOUR (1997), Nous n’avons jamais été modernes, essai d’anthropologie symétrique, Paris, Ed La découverte/poche (3) R. KOOLHAAS, S.BOERI, S. KWINTER, N. TAZI, HU. OBRIST (200) Mutations, ouvrage publié à l’occasion de la manifestation MUTATIONS, événement culturel sur la ville contemporaine, arc en rêve centre d’architecture et ACTAR.
(3 b) JP. GARDERE (14 & 15 juin 2007), Communication de proximité : vers une conception technique réflexive, VIe Colloque International « TIC & Territoire : Quels développements ? » Université Jean Moulin, Lyon III (4) G. SIMONDON (1969), Du mode d’existence des objets techniques, Paris, Aubier. (5) J. LEVY et M. LUSSAULT (sous la direction de) (2003), Dictionnaire de la géographie, et de l’espace des sociétés, Ed. Belin. (6) M. LUSSAULT (2003), L’homme spatial, la construction sociale de l’espace humain, Ed.du seuil. (7) Nouvelles de nulle part : utopies urbaines 1789-2000, catalogue de l’exposition Valence 2000 Exposition. Valence, Musée de Valence. 2001. Editeur : Paris : Réunion des Musées Nationaux; 2001 (8) M. AUGE (1992), Non-lieux : introduction à une anthropologie de la surmodernité. Paris : Ed. du Seuil. (9) C. YOUNES et M. MANGEMANTIN (sous la direction de) (1997), Lieux contemporains, Ed. Descartes et cie. Articles en particulier : B.Goetz (philosophe) « Dislocation : critique du lieu » p.93 F.Lautier (sociologue) « Espace de l’organisation et place du sujet » p.77 D. Marcillon (architecte) « essai de synthèse disjonctive » p.237 T.Paquot (philosophe) « Ailleurs, entre ici et là » p.249 P.Berenstein-Jacques, A.Guez, A.tufano, « Trialogue lieu/mi-lieu/non-lieu », p.125 (10) M. FOUCAULT (1967), Des espaces autres, Hétérotopies. Michel Foucault, Dits et écrits 1984, Des espaces autres (conférence au Cercle d’études 47
architecturales, 14 mars 1967), in Architecture, Mouvement, Continuité, n°5, octobre 1984, pp. 46-49. (11) M.B ARMENGAUD, « Des pieds à la tête », in la revue le visiteur, n°8, 2002 (12) L. BABOULET, « Entre chien et loup », in la revue le visiteur le visiteur n°8 2002. (13) Dictionnaire de la langue française le maxidico (14) Site Internet encyclopédie gratuite : wikipedia.org (15) S. BOERI, « l’espace de la grande échelle », in Cahiers thématiques n°6, Ed. jmp, Dec 2006.
Urbanisme/pratiques (16) B. SECCHI et P. VIGANO (2001), Territori della nuova modernità. Piano territoriale di coordinamento della provincia di Lecce (Assessorato alla Gestione territoriale), Electa Napoli. (17) F. BEGUIN, « Vagues, vides, verts » in Le visiteur n°3 1997, p 56 à 69. (18) G. CLEMENT (2004), Manifeste du Tiers-Paysage, Ed Sujet/objet (19) N. MICHELIN « Comment éviter de passer de la barre à l’îlot, ou les logiques interprétatives contre la résidentialisation » (20) Yvan DETRAZ, collectif Bruits du frigo, Bordeaux. Investir les franges de la ville pour mieux la connaître. (21) Atelier Wunderschon Peplum, transfert radial découverte d’un rivage intérieur, exploration de la banlieue sud de Paris entre Malakoff et Arcueil (22) B. SIEVERTS organisateur de randonnées urbaines à Cologne, in le visiteur n°8 (23) « Quels paysages pour les jardins familiaux », CAUE Rhône-Alpes, Mars 1997 (24) « local.contemporain », Grenoble, le bec en l’air éditions. (1er numéro : Oct 2004)
Architecture/projets (25) C. LECLERC « Intersticialités, frémissements et labilités, corrélations entre les œuvres de R.Koolhaas, J.Koons, et G.Deleuze », Cahiers thématiques n°7. Contemporanéité et 48
temporalités Dec. 2007, p. 166 (26) S. MAROT « l’art de la mémoire, le territoire et l’architecture », in Le visiteur n°3, 1997. (27) D. ZERBIB, « l’instant d’un espace », in L’architecture d’aujourd’hui n°367, nov-dec 2006. (28) L’architecture d’aujourd’hui n° 327, 2000, spécial LABFAC (29) Parc de Lancy, Georges Descombes. (30) SHKAPICH Kim (1989), John Hejduk : mask of medusa, works 1947-1983, New-York : Rizzoli (31) J. LUCAN (1990), « OMA – Rem Koolhaas »,. Electra moniteur.
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CHAPITRE 2 : CONNAISSANCE DU TERRITOIRE « Atlas dynamiques locaux : échantillonage »
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La représentation par vues satellites est utilisée comme moyen le plus opératoire pour travailler sur les trous du territoire. En effet, il s’agit d’un mode de vision non discriminante qui nous permet de voir toutes les parties du territoire, car dans la plupart des représentations cartographiques (PLU, …) les espaces qui nous intéressent sont inexistants, non représentés. Les vues satellites permettent de reconstituer une réalité que l’on met en exergue et qui va conditionner le projet d’articulation des espaces.
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1. METHODES
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I.
ECHANTILLONAGE
L’échantillonage consiste à prélever des éléments (matériels ou conceptuels) significatifs du territoire afin de les analyser. La méthode est basée sur une compréhension de la dimension locale des territoires, qui nous permet de développer une interprétation des phénomènes à grande échelle. Cette méthode sous-tend l’idée que les phénomènes globaux sont obligés de passer, pour se matérialiser, dans des espaces locaux. Cette idée a été développée dans la première partie du mémoire recherche. L’échelle intermédiaire tient ici le rôle de médiateur. Exemples d’application : L’agence d’architecture de Stefano Boeri, Multiplicity, multiplie les photos, vidéos, textes, et cartographies dans ses études de cas pour cerner l’ampleur des phénomènes et cerner surtout les comportements sociaux dans l’espace (ce qu’une analyse générale ne peut pas faire). L’échantillonage ne permet pas seulement de constituer des bases de données. Il permet en effet d’observer les changements physiques en temps réel, ce qu’une recherche historique ne peut faire. Or, le champ de recherche étant les territoires contemporains, cette méthode me semble adéquate. De plus, le fait d’être en prise avec les mutations, nous permet de mieux comprendre comment un projet peut infléchir un site et des pratiques. Local contemporain publie, à Grenoble, les résultats de leur recherche sur les espaces quotidiens. Leur démarche, extrêmement riche, mêlant différents outils de représentation, m’a aidée à développer l’idée de constituer un début d’atlas dynamique des trous dans le territoire. Sources : « Super-lieux : à propos d’une métaphore de la globalisation », Stefano Boeri, conférence video. Sur le site internet de multiplicity on trouve aussi différentes recherches : « lowlandscape », « observations nomades », « guerrilla gardening ». Les études de cas sont disponibles dans l’ouvrage Mutations coécrit avec Koolhaas. Revues local.contemporain.
II. cartes satellites Les « trous » sont des espaces qui ne sont pas référencés dans les cartes. Et parmi la complexité des différentes réalités et des échelles se juxtaposant sur le territoire, ces espaces vacants, désoccupés, me sont apparus comme le moyen par lequel la ville pouvait reprendre son souffle, et du coup le moyen par lequel nous pourrions lire la ville et la comprendre. Seules les vues satellites ne font aucune distinction entre un site d’intérêt et un autre qui en serait dépourvu, photographiant les aléas des transformations… C’est par ce premier outil que j’ai pu « entrer » dans le territoire. En effet, l’intérêt des vues satellites google est que chacun peut définir son cadre et son échelle de vision, ceux-ci pouvant de plus bouger sans cesse. Nous pouvons donc extraire des lectures multiples, c’est par ce biais que j’ai développé la lecture du territoire à partir de ses trous. Mais d’autres sont possibles. Par exemple, nous pouvons établir des grilles de lecture en fonction des ressources présentes sur le territoire pour un habitant nomade (wikibivouac.). Cette vision est très spécifique, mais nous ne sommes pas obligés de prendre en compte toutes les données : nous pouvons piocher dans ce qui nous intéresse.
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II récits d’immersion Afin de percevoir le territoire de l’intérieur, le parcours : premier outil de connaissance. Marcher, observer, rencontrer, explorer, contourner, faire demi-tour (souvent), s’arrêter, comprendre de l’intérieur ce que l’on voit. Les récits d’immersion, photos,... constituent des relevés de terrain riches et exploités par de nombreux explorateurs, artistes, urbanistes, architectes,... « Ce qui se veut grand est petit, mais la somme des petits riens n’en finit jamais, maille autoreproductible à l’infini. » p.25 « Il faut renoncer à chercher les frontières de l’intérieur, de peur de provoquer l’extension de la trame, à chaque pas que l’on veut faire pour l’épuiser : comme un tapis roulant à rebours, qui ramènerait toujours la ville sous les pas de ceux qui veulent en sortir. » Exemple d’un récit d’une exploration de la périphérie de Paris. Chronique d’un marcheur… « Des pieds à la tête », atelier vagabond, M.B. Armengaud Visiteur 08 2002 > La ville semble incontrôlable ; nous sommes impuissants pour la penser, et même pour en sortir, à part en la contournant. Le fait de se tenir aux abords et d’analyser la périphérie des villes est un moyen pour comprendre l’ensemble, selon différents points de vue : - Contourner la ville : stratégie pour ne pas se faire dépasser par le sujet que l’on analyse. Tenir les limites comme on tient un siège. - Se détacher du contexte et de la sociabilité urbaine. Dans ces espaces, le fond est dense, mais les évènements géographiques et humains sont très faibles : « Revenir d’espaces absents après y avoir longtemps séjourné a un effet clarificateur, car c’est d’abord en venant d’espaces absents qu’on est capable d’identifier les conditions de la culture. » Boris Sieverts Exemple du récit du voyage de Smithson à Paissac - Sentiment d’irréalité. Impression de photographier des photographies (lumière, staticité des objets, monumentalité) qui aboutit à une déréalisation du territoire : une génération qui perçoit la réalité à partir de ce qu’elle voit en images. - Pessimisme, presque fatalité, face à ces sites qu’il qualifie de ruines à l’envers : les bâtiments s’y élèveraient en ruine avant d’être construits. Abolition du futur et inversion de la mémoire. Tout, dans les travaux des artistes rendent compte d’un autre état du monde, d’un espace-temps bouleversé par quelque chose de mystérieux… - Vides ordinaires, abîmes atypiques, phrase sans sujet, Entre les trous et le reste il y aurait comme un niveau de réalité distinct « dont les rapports seraient à déchiffrer, ou à inventer. » Pourtant il entreprend, s’engage dans la retranscription, l’interprétation et la compréhension de ces sites car Smithson est « convaincu que le futur est perdu quelque part dans les dépotoirs du passé non historique. » Il y aurait là un enjeu, et un terrain de jeu, pour l’avenir de la ville.
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Questions de représentation des sites : Les non-sites de l’artiste R.Smithson Alors que la majorité des artistes des années 70 expérimentaient avec succès des œuvres qui prennent place à l’extérieur, dans le site, et que l’on déclarait artistes in situ, land artistes, earth artistes,… Les non-sites de l’artiste contemporain américain Robert Smithson me questionnaient par l’ambiguïté qu’ils introduisaient. Les non-sites sont des représentations des sites avec la matière propre du site, ou par une méthode de reconstitution in situ des éléments du site. Cela contribue à nous faire perdre pied entre la réalité du site et son image, l’information et la perception : son détail matériel et sa totalité (cartographie) qui est moins abstaite (plus d’informations et d’objectivité) que quelques bouts prélevés de celui-ci qui constituent pourtant la réalité sensible du site. Le même (forme et format, sujet) comme équivalence et distorsion. Dans les deux cas, leur deux figures de représentations (qui fait changer leur statut de site et de non-site sans pourtant définir lequel est l’un lequel est l’autre) site et non-site sont des fragments, découpés et écartés, puis inversés. Mais l’inversion n’est pas le pur inverse de l’autre car les rapports d’équivalence sont vite déjoués. Ainsi, le projet de Smithson prend place dans des lieux de représentation in situ des territoires et de leurs transformations, et le projet est lui-même une représentation in situ du territoire sur lequel il travaille. Exemple : la représentation du désert (bac à sable à Paissac) Le non-site est-il l’essence du site qu’il se propose de compléter ?
Un non-site
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VERS LYON
Limites géographiques : les massifs montagneux
CORENC
MEYLA LA TRONCHE
GRENOBLE
ST MARTIN D'HERES
G
POISAT EYBENS ECHIROLLES
BRESSON N
56
VALLEE DU GRESIVAUDAN CROLLES
MONTBONNOT
AN DOMENE
MURIANETTE
GIERES
2. ENJEUX TERRITORIAUX Les grandes dynamiques territoriales de l’agglomération Grenobloise L’agglomération de Grenoble est envisagée comme territoire d’exploration des trous du territoire et donne ainsi une suite concrète à la dernière partie de la recherche (comment intervenir dans les trous?) Le repérage du territoire de projet s’est établi à la fois grâce aux cartographies satellites et par une « descente » in situ dans le même temps. Trois enjeux principaux sont à prendre en compte sur le territoire de l’agglomération grenobloise.
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I. spéculation et appropriation spontanée (enjeu social) Gérer l’équilibre entre les espaces disponibles et les espaces techniques Système foncier
pôles énergétiques et économiques 58
Trous et espaces techniques : mono-orientation
Station d'épuration
Zone commerciale Carrefour
Comme nous l’avons vu dans la première parite de la recherche, les trous du territoire souffrent d’une mono-orientation fonctionnelle : les trous sont souvent des espaces de stockage et absorbent la congestion. Or, le territoire grenoblois est un territoire restreint (par des contraintes géographiques). Ne peut-on pas alors envisager une exploitation foncière plus intéressante en préservant ces «vides»? En effet, il y a un potentiel de réinvestissement qui émerge d’activités locales spontanées (et souvent d’occupation dite sauvage du lieu) qui permet de considérer les trous aussi comme des espaces de ressources, d’espaces productifs (une programmation de résistance qu’il va falloir légitimer : jardins, promenades, clairières, réserves naturelles…).Comment les réinsérer dans un cycle urbain ? Comment clarifier leur position par rapport à la ville tout en laissant de la disponibilité?
Garage TAG Zone commerciale des Glairons Magasin IKEA Entreposage matériaux gros oeuvre Recyclage
Réservoir d'eau
Zone industrielle Usine GEG Zone commerciale Grand'Place Entreprise HP Alpexpo
Entreprise Caterpilar Zone commerciale Comboire
nucléaire
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12 900 II. limites et inter mobilités (ENJEU Récupérer les emprises voie ferrée grâce infrastructurel) à l’opportunité train tram Système de mobilité
A 48
A 480
d
u es
ad
c ro
- la moitié d - les lignes S
10 600
Halte 60
CROLLES
17 000
Changement du système réticulaire : la mise en place du train-tram
A 41
La croissance du réseau augmente, dans le cas de Grenoble, le développement capillaire, donc la multiplication de liaisons, d’intermédiaires ; une pensée territoriale qui invite les collectivités à penser l’hybridation des usages et des sytèmes techniques. L’apparition du train-tram prévue par la métro et l’ADTC en 2010 peut changer le statut des trous et les intégrer à la pensée territoriale : d’espaces de stockage de marchandises, ils deviennent des espaces de transit et d’arrêt des personnes. Un train-tram est une rame conçue pour pouvoir utiliser aussi bien un réseau de tramway dans la ville, que le réseau ferré classique entre les villes. Ajouter les quelques mètres de rails qui manquent entre les deux réseaux permet au traintram de passer de l’un à l’autre sans que le passager ait à descendre ni à attendre. L’agglomération grenobloise prévoit la mise en place de plusieurs stations à moins de 10 minutes d’intervalle les unes des autres de la gare de Grenoble jusqu’après Crolles dans la vallée du Grésivaudan. Plusieurs études de faisabilité ont montré qu’il test e possible de faire circuler un train-tram sur les rails actuels du réseau de n i o chemin de fer sans altérer la circulation de la sncf. La situation du site apparaît p estratégique d pour établir une nouvelle station et permettrait de dynamiser un pan s re entier du territoire. u e
n
m 30
xh
au
Aux interfaces entre deux types de structures urbaines et de modes de vie (immeuble collectifs de ville et pavillonnaires), les trous pourraient devenir des places d’inter-modalité (liaison entre les grands réseaux à vitesse importante, les GR, les transports en commun et les autres chemins piétons) Réseau semitag Achalendage aux heures de pointe Parkings relais
des périurbains résident à mois de 5 km d'une gare SNCF sont utilisées à moins de 70 % de leur capacité
Chartreuse
Vercors
Belledone
e train tram prévues. attente :15 à 20 mn Désertification urbaine 61
III. résidualités et ressources (ENJEU environnemental) Exploiter les trous comme espaces de renouvellement et de ressources urbaines Systèmes biologiques
ancienne gravière transformée en lac inaccessible
Site appréhendé : diversité des typologies de trous
déprises agricoles
abords de voirie
Cartographie des délaissés de l’agglomération grenobloise Comparaison avec l’agglomération bordelaise 62
Carte thermique
Evolution des limites des villes
Créer de la disponibilté Parallèlement se développent des espaces adjacents, issus des phénomènes d’hypertélie. Ces espaces sont les trous vacants du milieu suburbain grenoblois. Ils constituent cependant des réserves biologiques. Ils sont des espaces ouverts aux multiples usages : jardins spontanés, places, chemins naturels, habitations. Etant donnée la situation de Grenoble, l’intérêt serait de garder cette disponibilté tout en proposant une expoitation de ces trous en relation avec les dynamiques territoriales.
Possibilité d’exploitation des trous En milieu paysager, nous pourrions utiliser ces espaces vacants aux interfaces ville/ villages comme espace de ressources et de basculement d’échelles. Ils offrent aussi la possibilité de raccordement entre les chemins de randonnées et les cheminements urbains, l’exploitation de clairières, carrières, jardins, ... La diversité de typologies de trous présents sur cette partie du territoire a motivé le choix de ce site comme site d’expérimentation car il offre la possibilité de développer différents projets, une variété d’espaces à analyser, pour démontrer le maximun de potentiels des trous.
Exemple d’autres typologies de trous, les trous urbains : les cours intérieures en centre-ville. 63
N 0
150 m
300 m
Vue satellite du territoire de projet dont les diffĂŠrentes couches apparaissent en transparence 64
3. PERCEPTION
L’objectif de ce travail de perception des trous et de leur structure spatiale avant de rentrer dans la programmation est de clarifier la lecture que l’on peut avoir du site, étant donné qu’il ne s’agit ni d’un contexte urbain ni paysager, et que la complexité de l’enchevêtrement des éléments engendre un agglomérat de formes non hiérarchisées. Le territoire est considéré comme une substance plus ou moins dense, intense et stable. Cette idée dépasse une lecture rapide par fragments séparés les uns des autres. Les trous apparaissent plutôt comme des espaces à géométrie variable et aux limites fluctuantes du fait des mutations rapides des sols (les trous se rétractent ou s’élargissent en fonction des dynamiques urbaines). Le fait d’imaginer une flexibilité et des échanges (visuels ou physiques entre les différentes entités) change le statut de la voie ferrée et de la rocade qui ne sont plus appréhendées comme des barrières, mais des constituantes élémentaires du milieu qu’elles ont façonnées.
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I.
EXTRACTIONS satellites : articulation des espaces
Cette première représentation, par vues satellites, permet de dissocier les différentes composantes de cette substance par extraction de couches (qui étaient superposées précédemment). Cela nous permet de nous rendre compte de la situation des choses et d’analyser les structures et tissus. il apparaît une grande diversité dans les paysages et les possibilités d’usages des sols : de contraintes et de faiblesses foncières, il s’agit d’extraire des structures spatiales intéressantes qui peuvent nous aider à élaborer une orientation de développement.
Une dissociation par couches historiques nous permet aussi, avant de nous plonger dans l’analyse des structures spatiales, de comprendre comment s’est formé le territoire étudié.
1925 Végétation dense aux abords de l'Isère qui inonde souvent les terres agricoles mais qui les irrigue aussi grâce à un réseau de ruissaux proliférants
voie ferrée route historique menant à Rome
Rapidité des temps de formation des sites 66
Continuités spatiales Les continuités spatiales sont de deux ordres : - biologiques, entre différentes espèces, ce qui permet une diversification des écosystèmes et leur reproduction (grâce à la continuité entre les jardins, friches végétales, berges, pelouse) - physiques : chemins végétaux Le site se dessine longitudinalement, l’ancienne et la nouvelle voie ferrée donnent une direction sud-est nord-ouest à la traversée des espaces et à la migration des espèces végétales. Cette orientation doit être conservée dans le schéma directeur. Certaines perturbations contraignent le développement linéaire:: culs de sac et déviations peuvent soit être perçus comme des interdits ou selon les espaces, comme des lieux protégés et exceptionnels (cf certaines impasses parisiennes converties en rues végétales, ou les impasses de la ville traditionnelle arabe qui permettent d’établir des gradations spatiales dans
N
le rapport public/privé)
67
Dispersion/diffusion Les espaces végétaux privés (jardins) ou inaccessibles au public (pour des raisons de sécurité) créent un paysage de «dentelle» végétale. Cette occupation des sols marque l’éclatement de la structure, le desserrement du maillage, et la dispersion des éléments urbains dans une parcellisation individuelle du territoire, mais aussi la possibilité d’occuper les trous du territoire à échelle humaine. Cette structure introduit la nécessité, dans l’élaboration du schéma directeur, de procéder par touches, avec des aménagements diffus plutôt qu’une centralisation, et de multiplier les interactions, les branchements entre les
N
parcelles.
68
Espaces surfaciques Causés par la spécialisation des espaces qui créent des enclaves (le plus souvent agricoles mais aussi routières : noeud de la rocade), ces grands aplats souvent uniformes semblent désolidarisés de l’ensemble. Ces plaques ne sont pourtant pas homogènes de l’intérieur : leur biodiversité et leurs situations spatiales particulières peuvent être exploitées dans le schéma
N
directeur.
69
N
70
Articulations La superposition des différentes structures spatiales du site révèle les espaces d’articulations. Ces espaces particuliers établissent des liaisons entre les différentes composantes. Ils ont la caractéristique d’être des espaces vides, des écarts dans le tissu. Cette propriété me semble intéressante pour développer des projets car ils ont les propriétés décrites dans la dernière partie du mémoire recherche, à savoir la disponibilité, l’hétérogénéité, ... Les cadres définissent donc les espaces pressentis pour des aménagements.
71
72
II. vidéo/photos : rythmes du site Il s’agit maintenant d’explorer les potentiels spatiaux des trous du territoire de l’intérieur. Les images ci-dessous sont des prises de vue qui sont utilisées pour la fabrication de la vidéo du site. Le montage nous permet de comprendre trois caractéristiques principales du territoire de projet : - sa longitudinalité liée aux flux ; le parcours est une longue progression entre monotonie et rythmicité. Les séquences de cheminements et de passages multiplient les changements de vitesses. - le flou dans les éléments de séparation, de limites, qui n’existent pas vraiment. Les séquences panoramiques sont combinées les unes avec les autres par recouvrement ou coupure de façon à suggérer la proportion et l’échelle de l’écart entre les sites. - la perception de plusieurs vitesses à la fois qui se perdent au loin, ou dans la végétation, ou dans la ville, et par laquelle les sites deviennent des occasions de croisements et de redistribution des fluxs. Le scénario se déroule sur un rythme binaire à l’intérieur duquel s’enclenchent aussi d’autres rythmes sans pour autant qu’une hiérarchie s’établisse. C’est pourquoi la bande sonore accompagnant les images est le poème symphonique pour cent métronomes. (Gyorgy Ligeti, 13 Septembre 1963, Hilversum, Pays-Bas). En effet, le climat sonore de cette partition est complexe : nous avons un « enchevêtrement des niveaux hiérarchiques, une mixité de sons et surtout de rythmes, une perception simultanée du formel et de l’informel, des disjonctions et conjonctions sonores », ainsi qu’une difficulté d’appréhension de la « distinctibilité et de la cohésion d’ensemble ».
73
CHAPITRE 3 : PROPOSITIONS DE PROJET Les propositions de projet se présentent comme des évolutions possibles du territoire en rapport avec les changements de systèmes prévus, et comme des dispositifs architecturaux tirant profit des « trous »: dispositifs de passage dispositifs d’articulation disositifs d’espaces à investir publiquement Comment investir les espaces continus entre les flux ?
Comment investir les espaces surfaciques, une épaisseur végétale ?
Comment investir les espaces diffus des trous ?
74
1. CHANGEMENT DE SYSTEME La première partie explore la répercussion des grands systèmes dynamiques du territoire sur le site (mobilité, gestion des sols, ressources). A partir de l’analyse de ces composantes économiques et sociales, associée à l’analyse des structures spatiales précédentes (vues satellites), des propositions d’aménagements se dessinent.
75
N
bus
3
m 4k
76
2
tram train
isère
0
1
200 m
400 m
Passerelles
Passages en dessous
Enclos, limites empêchan les traversées Trajectoire
Chemins
Accés
3. interface rocade
2. interface voie ferrée
1. interface fleuve
77
Terrain de sport
Collège
Terrain de sport
jardins ouvriers
Forêt
IKEA
Cheminements quotidiens
POLES ATTRACTIFS ET ELEMENTS REMARQUABLES
Organisation des cheminements piétons
Cheminements de commerce
Cheminements de loisirs
Passages difficiles
Entraves à la mobilité
bâtiments agricoles
anciennes usines rurales
Ballade à travers champs
Lac
Pôles attractifs et éléments remarquables
entreprise de recyclage
réservoir d'eau potable
Collège
Terrain de sport
ancien site de gravière
CHANGEMENTS DE SYSTEME DE MOBILITE
Le système de mobilité est actuellement un mélange entre légitimité et illégitimité : un mélange entre cheminements spontanés et routes tracées. Des gradations entre accessibilité et non accessibilité : passages et faux passages, passages qui mènent nulle part, passages qui mènent ailleurs. La constitution de points d’activité se fait par les chemins transversaux aux deux linéaires structurants (rocade et voie ferrée), et ceci au détriment du parcellaire (qui n’a plus de valeur structurante).
Relevés
I.
Tram
Places ferrovières
Vers GR
Tour électrique, fournit la halte en énergie
Halte train tram
jardins
Décomposition du système de mobilité par couches : multiplier les connexions entre les échelles
78
La première proposition est de s’appuyer sur les structures linéaires pour développer le réseau, notamment de proposer des aménagements en prévision de l’installation du train-tram qui va nécessiter la reconversion de certains passages, la création de connexions piétonnes manquantes (notamment au niveau de l’interface 2 : voir photomontage), et de haltes, quais,... Le second objectif est d’amoindrir le moins possible les choix dans les passages, mais de contribuer à les développer en imaginant un réseau diffus de systèmes de passages, nous permettant de circuler librement dans un réseau capillaire. Un projet de passage pourrait donc être à inventer.
Propositions
INTERFACES
Les autorités organisatrices des transports : - pérogatives de l’Etat (voiries d’agglomération) - Conseil Général de la Région Rhône-Alpes (dessertes ferroviaires, régionales, et locales, TER ) - Conseil général de l’Isère (routes départementales, autoroutes, VFD) - communes : stationnement - Metro (voirie urbaine d’agglomération, modes doux, règles de stationnement) - Syndicat mixte des transports en commun SMTC.
Les acteurs
Sécurisation du passage (interface voie ferrée) à l’aide de panneaux de matériaux composites récupérés chez des industriels (chutes ou bouts recyclés)
79
Ha
ble
m nse
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jardins ouvriers
N
vil centre
le
PRESSIONS
le
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entreprise de recyclage
1
m 4k
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anciennes usines rurales
200 m
400 m
Appropriation spontanée des terrains innocup
in zones
bâtiments agric
ancien site de
81
Transformation lente : délaissés
Changements lents : terrains agricoles
Transformation rapide : variété de végétation
Changements rapides : jardins
RYTHMES BIOLOGIQUES
Zones gelées
Zones en projet
Sites en travaux
Zones de projets récents construits
RYTHMES FONCIERS
MUTATIONS FONCIERES
+
+
-
-
Potentiel de réversibilité des espaces : brêches
Fréquentation des sites
RYTHMES DES USAGES
Les différentes pressions foncières qui exercent sur le site des zones d’influence s’expliquent par la juxtaposition sur un même espace de différentes temporalités qui s’ignorent les unes des autres. Cela augmente la fragmentation du territoire, les actions étant menées individuellement. Cette monopolisation d’un site par une seule temporalité ne favorise pas l’appropriation mixte de l’espace et contribue à créer des zones hyper protégées (clôturées) et des zones de brèches d’appropriation spontanée qui sont elles aussi réservées à un certain usage pour certaines personnes (enclaves de jardins ouvriers).
Relevés
II.
82
Les différents statuts des sols au cours des saisons
INTENTIONS DE PROGRAMMATION
Face aux pressions foncières et aux différentes temporalités d’usages se superposant sur le site, l’idée est d’établir un faisceau de relations entre les programmes engendrant des interventions à distance mais s’influençant les unes des autres : interchangeabilité grâce aux permutations de parcelles, et complémentarité grâce au développement de programmes spécifiques dans chaque site reperé. L’idée est de ne pas lier les interventions en recherchant des continuités mais de faire dialoguer les différents éléments du programme en les maintenant à distance, chacun ayant sa partie du territoire à couvrir. Le système de permutations des parcelles (voir programmation page suivante) laisse des possibilités de changements, de mutations d’activités, sur un territoire pour le moment instable. Ces deux propositions contribuent à développer des solutions d’aménagement mixtes, voire hybrides, et qui pourraient accepter une certaine réversibilité...
7ère année
PERMUTATION DE PARCELLES
1
1
2
2
2ème année
3
3
8ème année
4
4
3ème année
5
5
6
6
9ème année
PERMUTATION DES PARCELLES : EXEMPLES D'ORGANISATION
7
7
4ème année
8
8
10ème année
9
9
5ème année
10
10
11
11
11ème année
12
12
6ème année
Permutation des parcelles : exemples d’organisation pour rentabiliser les terrains tout en engendrant une mixité des activités
Temps en années
100 75 50 25 0
Pourcentage d'exploitation
GROUPE DE TERRAINS 2
Temps en années
100 75 50 25 0
Pourcentage d'exploitation
GROUPE DE TERRAINS 1
1ère année
83
habitations
rendement agricole
mixité forte
mixité moyenne
84
1. halte-gare
2
3
7
5
habitants/villes
touristes/ habitants/ ste de loisir
habitants
agriculteurs/ habitants/ touristes
Commerçants/ troupes
associations/ habitants/troupes/
habitants
Agriculteurs/ Entreprises/ Villes - habitants
habitants/touristes/ commerçants
USAGE
3
1
9
5 4
3
8
5
associations
9
8
7
6
5
associations/ Gières Ste de loisir Meylan/Gières/ agglomération Grenobloise villes
agriculteurs
associations/ St Martin d'Hères
habitants
4
2 3
GESTION sociéte de transports de l'agglomération de Grenoble/St Martin Agriculteurs/ Entreprises/ Intercommunalité
2
3
7
1
6
3
5
1
9
5 4
3
8
5
9
8
7
6
5
4
3
2
1
6
2
7
3
5
villes
St Martin d'Hères/ entreprises ste de loisir/ Meylan/Gières agglomération grenobloise
agriculteurs
St martin d'Hères/ associations
associations/ Saint Martin d'Hères
habitants
société de transports l'agglomération de Grenoble/métro Agriculteurs/ Entreprises/ Intercommunalité
FONCTIONNEMENT
3
Schéma de l’implication des acteurs et des temporalités d’usages, de gestion, et de fonctionnalité des équipements.
9. mur anti-bruit
8. aménagement sur le lac
7. palissade
6. serres ateliers
5. espaces libres
4. écran de projection
3. jardin
2. permutation de parcelles
1
9
3
5
6
PROGRAMMATION 4 8
annuel
biannuel
Saisonnier
Trimetrielle
mensuel
hebdomadaire
Quotidien
5
halte gare
TEMPORALITES M
J
J
biannuel
Quotidien
2. Usage
A
Saisonnier
mensuel
mur anti-bruit
Quotidien
Trimestrielle
Quotidien
palissade
biannuel
Saisonnier
Saisonnier
serres ateliers
annuel
mensuel
hebdomadaire
biannuel
Quotidien
aménagement sur le lac
O
hebdomadaire
3. Gestion
S
espaces libres
hebdomadaire
A
écrans
M
hebdomadaire
F
jardin
J
D
annuel
Saisonnier
annuel
Saisonnier
mensuel
Saisonnier
Saisonnier
biannuel
annuel
1. Fonctionnement
N
Jachère : état d’une terre labourable qu’on laisse temporairement reposer en ne lui faisant pas porter de récolte. Les terrains subissent une pression foncière, mais beaucoup d’entre eux sont inconstructibles. D’où la nécessité de trouver des solutions intermédiaires partagées et durables, de laisser la possibilité aux terrains de se régénérer, et de permettre une mixité dans le temps avec des parcelles actives. L’inscription dans le tissu existant desserré, et son raccordement s’effectuent par une similarité des vides. L’agriculture (exploitation et jardinage) peut ainsi devenir un schéma de développement urbain.
Propositions
PERMUTATION DE PARCELLES
permutation de parcelles
85
Jardins des gravières
5
sable, gravier, écosystème lacustre, algues trous, mouvement de sols, régime aquatique, aspirations, fluctuations, bacs à flottaison. Baignade interdite > récupération de la surface par la mise en place de cultures dans l'eau, dans des bacs flottants. Certains de ces bacs pourront être vidés et accessibles
N
2
1
7
3
4
Proposition de 3 Jardins productifs
PARCELLES ACTIVES
6
2
3 1
2
m 4k
86 3
4
Jardins ferrovières
vég é t a t i o n s pionnères, sèches, roseaux, alimentation électrique par énergie solaire captée dans les tours, joints creux, herbes i n t e r s t i c i e l l e s Composition d'un paysage énergie
1
0
200 m
Jardins des serres
épaisseur végétale, expériences d'acclimatation, hybrides de cultures, variations climatiques d'un espace à l'autre, lumières, filtres et peaux, multiplication des interfaces possibles dans des séries de serres jalonnant le parc o u r s
2
3
400 m
Propositions d'a Les numéros co aux phases d'in
Jardins ouvriers ou à proposer Limites à consti
Délimitation des
Aire de travail
87
m
4k
4k m
7 km
PARCELLES ACTIVES
Les terrains aux abords des infrastructures ne sont pas des espaces abandonnés au sens improductif. Certains ont été très productifs (exploitation de gravier), certains le sont à échelle locale (les jardins ouvriers) et certains ont les potentiels pour le devenir (terrain entre 2 bâtiments commerciaux qui va prendre de la valeur foncière, et bouts de terrains à proximité de la voie ferrée et extrêmement dégagés). Ce qui contribue à rendre productif le territoire est conservé et consolidé (trois typologies de jardins peuvent ainsi être imaginées dans les trous du territoire ayant les plus fortes caractéristiques paysagères ; c’est d’ailleurs sur ces sites que vont se développer les propositions de projet dans la suite).
relevés
III.
88
La proposition de projet est de redynamiser la production à partir des trois sites mentionnés précédemment. C’est de cette idée de faire émerger un territoire ressource qu’est née la proposition d’allier un des systèmes entrant dans la mobilité, un mur anti-bruit, avec un des systèmes de production, les jardins ouvriers (projet 1: le mur ressource). Les deux formes existent actuellement et sont toutes deux des éléments de continuité parmi la fragmentation des formes urbaines. La déclinaison de l’idée de jardins en différentes typologies de cultures va constituer le vecteur de dynamisation principal du territoire. Son utilisation comme principe d’aménagement offre des possibilités de fragmentation et de variabilité. D’autre part, le « parc » ne nécessite pas d’entretien. Le système de permutation des parcelles associé à la mise en culture des sites (notamment les jardins ouvriers) permettent une gestion active par ceux qui exploitent les terrains.
Propositions
ECOSYSTEMES DE JARDINS
Les deux principaux problèmes du lac de la Taillat sont le risque de trous d’air au fond de l’eau et le manque d’oxygénation de l’eau. Les trous d’air sont la conséquence de l’exploitation du sol (les extractions des gravières sur des gisements sédimentaires mènent souvent à la création de plans d’eau nouveaux en laissant la nappe phréatique sortir à l’air libre).. Le fond du lac est crevassé, et la nappe phréatique fragilisée remonte à la surface provoquant des courants d’eau qui aspire en tourbillons descendants les eaux du lac (phénomène de drainance verticale. De plus, le manque d’oxygénation de l’eau rend l’eau stagnante car elle est difficilement renouvelable (le lac est une cuvette refermé sur lui-même).
Exemple de valorisation des trous du territoire par le sytsème de jardins : Jardins des gravières : mise en place de caissons flottants d’oxygénation de l’eau.
Les jardins permettent de resserrer la maille, d’établir des connexions à une échelle intermédiaire entre les bouts de la toile, notamment au niveau des échangeurs routiers et du franchissement des flux.
89
L’oxygénation de l’eau est indispensable à l’épuration des milieux aquatiques, elle provient de la dissolution de l’oxygène atmosphérique. Elle est donc favorisée quand l’eau est fortement brassée. Ces deux aspects interdisent la baignade, bien que les usages contournent ces deux prérogatives. Il faut donc brasser l’eau pour l’oxygéner. À Paris, on trouve des rampes d’oxygénation dans la seine où les poissons viennent se réfugier. De même, on trouve sur la Tamise des « bateaux bulles » équipés de pompes et de diffuseurs qui insufflent de petites bulles d’oxygène dans l’eau. Ce système pourrait être repris sous des caissons flottants. L’énergie nécessaire à la pompe pourrait provenir d’un apport solaire grâce à des panneaux fixés sur les caissons. Institution et gestion Le financement d’un projet de travaux de protection des ressources en eau comme c’est le cas pour le lac de la Taillat peut être accordé par les Agences de l’eau en France qui offrent des conseils techniques aux villes et leur procurent des aides financières. « Les objectifs communs aux SDAGE (Schémas Directeurs d’Aménagement et de Gestion des Eaux) des six bassins versants français (bassin RhôneMéditerrannée –Corse pour notre cas) sont : une meilleure maîtrise des conséquences des crues, grâce à une meilleure connaissance des zones inondables, la poursuite de la lutte contre les pollutions, l’amélioration de la qualité des eaux de surface, la satisfaction durable de tous les usages de l’eau, la garantie de l’alimentation en eau potable, la préservation des milieux aquatiques, la sauvegarde des nappes aquifères et la protection des zones humides. » Dossier complet sur le site du CNRS
Les passerelles, le dessous des ponts : fabrication du paysage et d’espace public
un abri protégé
un belvédère
La cartographie page suivante établit un inventaire des composantes naturelles et humaines dynamiques (le vivant) qui composent le territoire de projet. La série de photographies ci-après fait l’inventaire des objets construits. Certaines de leurs caractéristiques ou de leur forme vont être récupérées dans les propositions d’aménagements qui vont suivre.
SYSTEMES DYNAMIQUES DU PAYSAGE : OBSERVATION DES DISPOSITIFS PRESENTS SUR LE SITE
2. AMENAGEMENTS
I.
90
91
Les serres
92
Les jardins accolés aux murs anti-bruit : la fabrication de ressources
protection sonore
inertie (chaleur)
récupération de l’eau de pluie dans des bidons
93
Rassemblement des chemins diffus au moment du passage longitudinal en hauteur
7.
6.
5.
Particules végétales, dispersion, flou végétal
Tour accessible ou non, belvédère, technique, tour éolienne, climatique
4.
INS
Jardin : labyrinthe végétal
3.
Permutation des parcelles possibles : recomposition des fragments, création d'un lien foncier entre eux, quoique disontinu dans l'espace, mais organisé dans le temps (sorte de mise en jachère)
JARD
2.
Fluctuations des bords, des espaces de plage Florêt et clairière
phénomène de dainance, mouvement des nappes phréatiques
lisiè
re
Détachement des axes urbains
94
95
Serres-ateliers
marché
Jardins dans la pente profitant de l'inclinaison du talus d'autoroute
liaison : chemin protégé le long de la voie ferrée
N
halte gare
Mur ressource
Jardins ouvriers
0
200 m
400 m
SCHEMA DIRECTEUR Le schéma directeur découle de l’analyse des dynamiques du site : les sites de projet pressentis sont issus du repérage des sites offrant un maximum de potentiels d’expérimentations de projets dans les trous grâce à leur diversité et à la possibilité de se saisir des dynamiques existantes pour développer les projets. Ainsi, les différents projets tirent profit des différents dispositifs observés dans toutes les cartes et les couches d’analyse précédentes.
II.
Filet de protection : limite de baignade
plage directement accessible depuis la passerelle
écran de projection saisonnier
procédés d'oxygénation de l'eau par bulles d'air
L E M UR RESSOURCE Dispositif de protection accoustique le long de la rocade, support de développement de jardins communautaires
Le mur est un dispositif tout en longueur et double face. Ce design permet de construire un environnement où la grande échelle et l’échelle locale, les temps de passage rapide et les temps d’occupation lente sont possibles sur un même territoire et dépendent même l’un de l’autre pour fonctionner (échanges). C’est dans ce sens que l’on peut parler de réversibilité. Le mur présente aussi un enjeu environnemental, puisque sa forme lui permet de récupérer l’eau de pluie afin de rendre les terrains qu’il protège viables. Enfin, l’observation du «bricolage spatial empirique» des jardins ouvriers existants constitue une «forme innovante de mâtrise foncière» dont le projet s’inspire.
96
Photographie du site : une bande de terrains qui s’élargit plus loin, difficilement accessible, et délimitée strictement par deux flux qui «assèchent» les potentiels d’occupation.
97
/ ENVIRONNEMENT ET CHAMPS D’ACTION Hypothèse acoustique sur la propagation du son ABSORPTION ET VALEUR AJOUTEE La protection accoustique est nécessaire au niveau de la zone plate et dégagée où le son n’est arrêté par aucun élément naturel ou construit. C’est aussi dans cette zone qu’il y a le plus de terrains délaissés. Le mur constitue une occasion de récupération de la valeur de ces terrains et de requalification territoriale en proposant de nouveaux usages
N
2. talus de protection
plan d’implantation du mur : le long de la rocade
1. La route est au même niveau que le reste des terrains
98
1. zone dégagée et plate
2. Sur de petites portions des talus sont aménagés, mais ils interdisent complètement toute possibilité de rapports transversaux
autoroute > 70 km/h
FORME DU MUR : REFLET DES DYNAMIQUES TERRITORIALES 1. MICRO/MACRO Lignes à intensité et vitesses variables qui révèlent les micro et macro mouvements dans le paysage. Le mur peut prendre en compte ces deux échelles de mouvement.
piste cyclable < 30 km/h
chemin de fer > 50 km/h
chemins
2. RYTHMES LATERAUX Les moments de franchissements transversaux des lignes (dessus, dessous) sont des instants d’intensité d’occupation, de resserrement. Le mur peut rendre compte de ces passages en resserrant l’intensité du rythme, qui va se développer perpendiculairement à la longueur des lignes.
passerelle tunnel tunnel passerelle passerelle
2. écoulement de l'eau dans les jardins
3. INFILTRATION la forme du mur permet une infiltration de l’eau dans celui ci et son écoulement transversal. Le mur, bien qu’absorbant les sons gênants, est poreux (à la lumière, à la végétation, à l’eau) et construit l’environnement d’un côté et de l’autre à la fois.
1. visibilité depuis la route
4. SYSTEME Le mur ressource est une réinterprétation du mur existant avec ses jardins accolés.
99
/ ZOOM SUR UN PARTIE : DEVELOPPEMENT DU PRINCIPE DE REVERSIBILITE 1. Côté autoroute
1. MISE EN PLACE DU MUR Définition du cadre de travail : la portion de territoire entre la rocade et la voie de chemin de fer. Projection de la courbure du mur
Tracé de l’autoroute : 800 m de long
Décomposition de la ligne en segments de 100 m de long : variation type des modules composant le mur qui va être répétée 8 fois
Production de ressources 0
100
200
N
Au Chili, des murs capteurs de brouillard sont installés en altitude pour alimenter en eau la population. Il s’agit d’un filet en polypropylène tendu entre deux poteaux : des gouttes d’eau se forment sur les mailles traversées par le brouillard, tombent dans des gouttières et alimentent ensuite les réservoirs. Dans notre cas, le mur anti-bruit peut devenir récupérateur d’eau de pluie. En effet, cette eau est intéressante pour arroser des jardins : elle est gratuite, renouvellable, et n’est ni calcaire, ni chlorée, ni trop froide.
100
101
2. Côté jardins communautaires 2. MISE EN PLACE DES JARDINS Récupération de l’espace contenu entre la voie ferrée et le mur. L’intérêt est de produire des ressources là où il n’y en avait pas 1 ère division des parcelles perpendiculairement à l’axe de la voie ferrée, création des chemins. Espacement de 200 m Mise en place des canaux d’irrigation à l’intérieur des jardins 2 ème division des parcelles parallèlement au mur. Surface des jardins : + ou - 200 m2
N
0
100
200
L’élément principal de séparation entre les jardins sont des cloisons végétales dépolluant l’air. Cela permet d’avoir des jardins en meilleure santé et une série de filtres visuels. Impact environnemental Un mur végétal dépolluant a été installé au Centre d’échanges de Lyon Perrache. Un mélange issu de matériaux de provenance locale remplit une structure composée de cellules grillagées, en acier galvanisé. Les particules polluantes et les gaz à effet de serre sont aspirés et fixés par la terre humide. Les polluants sont dégradés par des microorganismes (principalement des bactéries) et les résidus absorbés par les plantes. Ce dispositif pourrait être utilisé pour la constitution de certaines séparations de jardins. Les cultures en seraient plus saines.
102
103
/ IDEE GENERALE DU MUR Du mur anti-bruit au mur ressource Le mur anti-bruit existant pourrait être prolongé de façon à rendre les terrains protégés habitables. En les associant, comme il existe spontanément sur le site aujourd’hui, à des jardins déclinés selon les sites traversés, il serait possible de recréer des ressources qui sont inexistantes actuellement (sol aride, absence d’irrigation, peu d’accessibilité,…). En rendant actif cet élément inactif, il devient possible d’exploiter les brèches entre les flux tendus. Implantation Selon la caractéristique de l’espace traversé, l’aspect du mur-jardin va pouvoir varier. Le mur peut s’effeuiller de façon à accueillir les jardins entre les éléments durs en maçonnerie et d’autres éléments plus variables en végétaux et palissades bois. On peut intervenir sur l’opacité des éléments de séparation, leur matière et leur couleur, leur sonorité, et leurs degrés d’ouverture et de fermeture (notamment au niveau de la halte). Selon l’épaisseur de la brèche, la géométrie et le nombre de jardins va varier. Cependant, La superficie d’une parcelle cultivée restera en moyenne de 200m2 comme la plupart des jardins à louer en France, moyennant un loyer de 40€/an, cette superficie permet une subsistance à l’année pour une famille de 5 personnes. Des jardins pourront êtres toutefois divisés ou agrandis en fonction des besoins et des demandes. À partir de cette base, il serait possible de créer à peu près 200 parcelles de jardins. La constitution de ces parcelles va ainsi pouvoir redonner un maillage plus serré aux « trous » et permettre des passages. Forme Le mur partionné précédemment est ensuite pensé dans ses trois dimensions. Quatres contraintes vont lui donner sa forme : - récupérer l’eau de pluie - imaginer l’intégration de cabanes de jardin - obtenir un effet de variation d’un papier plissé (pour la perception de l’autoroute) - combiner cela à une porosité visuelle possible lorsqu’on le voit de face Système
un entonnoir, pour récupérer l'eau
104
un demi-entonnoir, pour une réversibilité d'usages
des inclinaisons variables, pour une variation visuelle
Des éléments répétés pour la continuité du mur
Plusieurs prototypes de mur ont été testés en maquette de papier plissé ou assemblé (de type origami). Ces différentes possibilités découlent du même système (le demi entonnnoir répété), ce sont les systèmes d’assemblage qui varient. Chaque prototype à développer pourrait être proposé pour la construction d’autres murs anti-bruit dans des espaces hypertéliques similaires. 105
/ CONSTITUTION DU MUR
Eléments et assemblages : plaques et lamelles métalliques
Variation du mur : transition d’un système à l’autre (plaques et/ou lamelles) Afin de concilier les différentes exigences, la constitution du mur est un assemblage de plaques et de lamelles métalliques qui peuvent être associées de différentes manières selon l’usage. La répétition des lamelles crée par exemple un intérieur dans lequel peuvent se loger des abris ou rangements de jardins. Les plaques peuvent être disposées de manière continue dans le paysage, l’ajout de lamelles latérales permet la protection contre le bruit et la récolte de l’eau de pluie, ces lamelles peuvent être translucides (en polycarbonate), ou grillagées (plantes grimpantes). Ainsi, lorsque l’on se déplace le long du mur, celui-ci varie : son aspect se transforme progressivement selon les espaces traversés grâce à la combinaison des deux systèmes ou la transition de l’un à l’autre. Des formes issues du bricolage : adaptation à l’environnement Le mur se compose de plusieurs éléments déformés et répétés. Ainsi, lorsqu’un élément est abîmé, il est possible de le changer. La variété visuelle produite peut rappeller les formes de bricolage inhérentes aux jardins : on tord la tôle pour s’en faire un abri, on récolte l’eau dans des entonnoirs, tout en se protégeant efficacement contre les nuisances sonores.
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La répétition des plaques sur une longue distance et un déplacement à vive allure donne un effet plissé et variable au mur
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L’écart type entre les plaques varie selon une fréquence répétée afin de laisser jusqu’à 1 m de distance entre deux, en prévision d’établissement de passages si la rocade est reconvertie en boulevard urbain dans le futur
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Transition progressive entre le système de plaques et celui de lamelles lorsque le mur traverse les jardins ouvriers
Lames de polycarbonate entre les plaques lorsque le mur traverse des zones habitées : la végétation, l’eau (récoltée dans les formes en entonnoir), et les activités de l’autre côté, apparaissent en transparence. Ce système permet de filtrer la lumière. 109
/ LE MUR : UNE INTERFACE Exploitation des ressources Transversalement, la découpe des parcelles s’établit par un canal d’irrigation. La largeur de la parcelle correspond à la surface de terrain qu’il est possible d’irriguer avec le volume d’eau du canal. Cette technique de découpage se retrouve à grande échelle au Caire : les canaux d’irrigation définissent le découpage parcellaire agricole afin d’optimiser la consommation d’eau. L’eau de pluie peut aussi être stockée dans les jardins, selon le système déjà mis en place par les jardiniers. Un raccord au réseau d’eau n’est donc pas nécessaire à court terme. L’intervention s’arrête évidemment à la mise en place d’une gestion globale (administrative, et physique au niveau des éléments d’implantation, des éléments de séparation et des chemins car l’objectif est que tout le monde puisse déambuler au travers : droit de passage), l’intérêt de cet aménagement du territoire étant que chacun y participe. Le projet n’a pas l’ambition de donner des directives (comme cela est le cas selon les communes) pour la construction des cabanes, puisque le recyclage et le bricolage sont considérés comme des qualités pour l’exploitation d’un territoire.
Intégration de cabanes de jardins dans l’épaisseur lorsque le mur traverse les parcelles grâce au système des lamelles qui se soulèvent
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En soulevant les lamelles, un abri de jardin peut être créé, au frais, surtout si cette paroi est végétalisée. Ces espaces peuvent aussi être utilisés comme espace de rangement. La chaleur du mur et sa protection profitent au compost Certaines lames sont des panneaux solaires. L’énergie récoltée est distribuée aux jardins
Parapet de sécurité incliné en béton : une occasion de fixer les lamelles sur le socle Canal d’irrigation : alimentation des jardins en eau de pluie récupérée par le mur.
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/ ENVIRONNEMENT SONORE
Du mur anti-bruit vers une écoute sonore particulière La traduction du mur anti-bruit en effets acoustiques pourrait amoindrir l’idée de mur séparateur dans un environnement perçu négativement (nuisances). Plusieurs effets pourront donc être recherchés : - profondeur : alternance et superposition de plans sonores > à l’intérieur des parcelles jardinées, palissades de séparation avec différents matériaux. - orientation : frontalité, latéralité, dilatation (le son part vers le haut), retrécissement - enveloppement : sensation d’être environné par une matière sonore qui crée un ensemble autonome prédominant sur les autres éléments (exemple : le bruit de l’eau qui s’écoule dans les canaux des jardins ou entre les plis du mur) - estompage : disparition d’une atmosphère sonore sans que l’auditeur s’en aperçoive - Suspension : effet de composition caractérisé par le sentiment d’incomplétude de la séquence entendue (son comme suspendu et en attente d’une suite, inachevé) - fondu enchaîné : transition progressive, croisement entre décroissance de l’un et croissance de l’autre > Lexique des effets : « La portée ferroviaire, ambiances sonores des gares européennes » JeanLuc Bardyn, Recherche Cresson, Avril 1999.
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Côté autoroute : jeu sur l’orientation du son renvoyé en fonction de l’inclinaison des lames (frontal, latéral, ...)
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L A HA LTE G ARE Dispositif de passage d’une rive à l’autre de la rocade et de quai à quai, et station d’arrêt de la ligne train-tram de l’agglomération grenobloise.
Dispositif étroit qui explore les potentialités de développement d’espaces dans un passage, dans l’écart entre deux plans verticaux au-dessus du sol. Cette étroitesse oblige à concevoir l’espace en déclinant les couches horizontales, puisque le sol est inconstructible.
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Photographie du site : un paysage ferroviaire, un environnement en chantier
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// STRATEGIE D’IMPLANTATION Isère
ligne B
Liaison possible entre la voie ferrée et le tram C à cet endroit : opportunité pour le train-tram et noeud stratégique pour une halte
gare de Gières, à une distance de plus de 3 km
ligne C
N
L’implantation de la halte a été choisie à l’endroit d’un passage existant en mauvais état : cela permet de reconvertir la liaison entre le collège et les habitations et la création d’une place adjacente au collège (cf schéma directeur)
sport GR écoles
habitations
tram
La passerelle existante relie actuellement des activités complémentaires et est beaucoup utilisée. Ces liaisons nous confortent dans l’idée de développer une halte à cet endroit de passage.
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La mise en place du train-tram permettrait une irrigation de nouvelles activités des espaces traversés sur toute la longueur de son passage. Cette requalification semble passer, comme nous l’avons vu précédemment, par des développements en auto-gestion au coût très faible. L’hypothèse de projet se base sur la nécessité de développer des points d’arrêt sur les portions statégiques de la ligne. La proposition qui suit découle de cette statégie : il s’agit de fabriquer un espace d’attente et de relais de flux.
UNE HALTE FERROVIAIRE L’objectif de ce petit équipement est de proposer une idée de gare à l’échelle du train tram, démontrant qu’il est possible d’occuper des espaces au-dessus des flux. Dans ses aménagements, la halte invite l’usager à privilégier la combinaison de différents moyens de transports «propres» pour ses trajets de proximité (rollers, vélos, train, tramway, bus) ; et ainsi soulager la surcharge des routes suburbaines.
ORGANISATION DU SOL PRATICABLE PAR INTENSITE DE MOUVEMENT
Développement de bandes programmatiques parallèles aux flux sous la passerelle. entraxe de 3 m
module de 6 m largeur voie : 18 m
largeur rocade : 28 m
Quai : 15 m
N
Butte végétale
Mur ressource
Billeterie
Jardin en longueur : fraîcheur + oxygénation
espace d'attente abrité
Quai 2
Train tram direction Grenoble
Train tram direction Vallée
Quai 1
espace d'attente abrité
Billeterie
promenade et piste cyclable
Vente
Local café/sandwicherie
Espace de terrasse café/ sandwicherie terrasse couverte sous la poutre
Place des Collèges
longueur de la poutre : 108 m
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// STRATEGIE SPATIALE Deux bandes de circulation parallèles et variables articulent le passage entre les différents niveaux.
tram
Schéma 1 - orientations
Terrasse
hall
Quai A
Voie ferrée
0
espace voyageur : distributeurs, tables espace voyageur : distributeurs, tables
vide sur escalier permettant de distribuer lavide lumière vers le bas sur escalier permettant de distribuer la lumière vers le bas
Terrasse espace de circulation croisée
espace de circulation croisée
mise à disposition de casiers
mise à disposition de casiers
Quai B
Casiers
Schéma 2 - emplacements
Quai A stockage vélo sous la rampe
stockage vélo sous la rampe
6m
12m
18 m
Tranche B : translucide
Voie ferrée
Tranche A : opaque
Tranche B : translucide
Tranche A : opaque
PLAN NIVEAU
PLAN NIVEAU Tranche B : opaque Tranche A : translucide Tranche B : opaque
Tranche A : translucide
PLAN TOITURE
PLAN TOITURE
TRANCHE A
TRANCHE A
TRANCHE B
TRANCHE B
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« C’est un extraordinaire faisceau de relations qu’un train, puisque c’est quelque chose à travers quoi l’on passe, c’est quelque chose également par quoi l’on peut passer d’un point à un autre et puis c’est quelque chose également qui passe. On pourrait décrire, par le faisceau des relations qui permettent de les définir, ces emplacements de halte provisoire que sont les cafés, les cinémas, les plages. » Michel Foucault, Hétérotopies Ainsi, la halte est quelque chose à travers quoi l’on passe (bâtiment), quelque chose à travers quoi l’on peut passer d’un point à un autre et ce transversalement (passerelle), horizontalement (descente sur les quais), et longitudinalement (quais). Il s’agit aussi d’une halte provisoire puisqu’un kiosque et un café sont intégrés à la passerelle. Le projet de halte combine donc les différentes modalités d’emplacements d’arrêts provisoires, et essaye de les articuler dans un continuum spatial, afin de proposer différentes sensations/ expérimentations de passages aux usagers, et cela au sein d’une même structure. Dans ce dessein, les circulations, les points d’arrêt, sont variés et bien articulés entre eux, s’enroulent, créent des nœuds, se déroulent, se densifient,… L’orientation et le découpage de l’espace en deux bandes sont générés par les deux trajectoires principales de passages longitudinaux (schéma 1) matérialisées par les rampes et les escaliers. Les croisements de circulation engendrent des noeuds de rencontre où il est statégique d’intégrer de la signalétique (hall d’accueil), et des espaces plus calmes (salle d’attente, de détente) (schéma 2). Les activités ne sont pas concentrées en un point mais se développent tout le long. Pour répondre à cet espace, la répartition des casiers, des éléments de signalétique, la lumière, sont constitués de plaques translucides ou opaques qui se retournent et s’inclinent dans toutes les dimensions de l’espace (voir photomontage de l’intérieur de la passerelle).
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// STRATEGIE CONSTRUCTIVE
Représentation des 3 niveaux praticables, plus le sol : superposition des couches horizontales translucides ; impression de circuler en supension au-dessus des flux.
La passerelle est un élément autonome par raport à son environnement même si elle s’approprie le langage structurel et formel des constructions alentours (manufacture industrielle). Cidessous du polycarbonate récupéré pour la signalétique et la pub, interchangeable au besoin, et peu coûteux
Structure : deux poutres IPN
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Afin de permettre une souplesse d’articulation entre le haut et le bas, la structure porteuse est une poutre à treillis dont l’enveloppe est constituée de tubes aux dimensions variables. Certains descendent jusqu’au sol : ils sont en réalités des poteaux porteurs. Cela laisse libre l’agencement vertical, avec des porosités, des transparences, des éléments en suspension. Ainsi est créée une profondeur verticale. On peut considérer l’organisation du bâtiment comme une « promenade architecturale » qui se superposerait à d’autres, dans lesquelles il serait substitué à l’expérience plastique et esthétique des formes, l’expérience de la perception des matières selon les vitesses et les sens de déplacements. La halte est ainsi la concentration des éléments de déplacements (ou mobilité : actions au cours de déplacements), et des évènements qui se déroulent le long des sites. Elle les recombine en architecture, dans un emplacement restreint et donc qui se démultiplie par couches dans la hauteur (transparence phénoménologique)
Enveloppe : tubes de métal
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LE S S ERRE S-ATELIERS Dispositif qui combine végétal et activité économique dans un intérieur/ extérieur déroutant pour la perception.
Le projet des serres consiste à développer une économie en rapport avec les activités des trous du territoire. A travers la pratique du jardin et du bricolage réinterprétés, on peut imaginer un usage commercial et artisanal de cette parcelle à vocation industrielle. Cela permet de réinsérer les trous dans le cycle urbain.
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Des serres : une typologie existante sur le territoire de projet, une structure simple que l’on peut récupérer et réinterpréter pour l’adapter à une nouvelle programmation
Photographie du site : un espace très ouvert mais cerné par les infrastructures
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/// STRATEGIE D’IMPLANTATION
Z.I les Glairons
IKEA
De l’intérieur, le site paraît enclavé (photo), or il est facilement accessible par tout moyen de locomotion et se situe à proximité d’une zone commerciale importante.
N
Les serres ateliers sont un dispositif en nappe recouvrant, selon le degré d’extension souhaitée, la totalité du site. Le système que développe les serres est celui du « all-over ». Le site est considéré comme un fragment du territoire. Les dimensions de la nappe varient donc en fonction des caractéristiques géométriques du site. En peinture, cette technique contribue à remplir indifféremment la surface selon un mode de composition non hiérarchisée. Le dispositif pourrait se prolonger hors-champs. Pour mettre en pratique ce système sans le rendre imperméable à son contexte, l’intérieur est traité comme un prolongement de l’extérieur. La limite visuelle est donc difficile à établir lorsque nous sommes à l’intérieur ou à l’extérieur, ce sont plutôt les données climatiques qui nous font pressentir les différenciations d’espaces.
130
SchĂŠmas dâ&#x20AC;&#x2122;implantation et plan de toiture
131
/// STRATEGIE SPATIALE
160
LaPeyre
m
80 m
Parking
jardins
IKEA
logements
Parking
Plan masse
N
La surface maximum constructible est de 12800 m2. Sous la structure régulière, il est possible de combiner des ateliers aux surfaces variables selon les acquéreurs, de la culture sous serre destinée à la vente, et des places de parkings pour les chargements de matériaux.
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Déclinaison des surfaces possibles et des formes d’ateliers pour une mixité
81 m2 54 m2
des bureaux ou des ateliers
une travée
des serres ouvertes
27 m2
6,75 m2
un module aménageable 13,5 m2
une travée 6,75 m2
67,5 m2 81 m2
13,5 m2
1
2
54 m2
3
4 des bureaux ou des ateliers des serres ouvertes
27 m2
1. regroupement et extension des locaux longitudinalement (typologie correspondant plus aux ateliers) un module aménageable
67,5 m2
circulation circulation
circulation
circulation
2. regroupement et extension13,5des locaux transversalement (typologie correspondant plus aux serres) 13,5 m2 m2 3. regroupement et extension des locaux dans les deux sens. 4. liberté d’agencement des surfaces
Propositions d’aménagement d’un atelier sur 67,5 m2 Modulation intérieure La compostion intérieure s’établit sur la base d’un système simple de rotations de portes-cloisons de 1m50 de large. Les rythmes produits par la fermeture, l’ouverture, l’ouverture à demi, de biais,... de ces éléments, garantissent une variation infinie des espaces aux usages bien différents malgré une mise en oeuvre facile et répétitive.
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Typologies de rotations possibles à alterner ou à aligner selon le désir de créer un volume fermé ou éclaté.
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1,5 m
3m
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/// USAGES ET AMBIANCES
N
S
ouverture des façades, dans le cas d'exposition par exemple : prédominance de lumière et chaleur au sud
patio intérieur : espace ouvert de pause ateliers/espace couvert de travail/serre de culture
façades fermées
ouverture toiture et façade nord : inversement du rapport lumineux
ouverture toiture et façade sud : contraste très fort entre les deux orientations
Comportement thermique et lumineux à l’intérieur d’un tube
En imaginant la succession de ces effets
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Programmation mixte : production/commerce/loisir Le dispositif de serre atelier combine végétal et activité économique : - un espace de culture et de vente des plantes. La parcelle étant destinée dans le PLU à un usage commercial, il s’agit de concilier cet aspect avec la possibilité d’en développer d’autres, et de favoriser une mixité. - un espace d’acclimatation, d’expérience végétale, pour les études en jardinage par exemple, espace aussi intéressant puisque cela pourrait être mené dans l’espace extérieur, assez vaste. - Des ateliers d’artisans, d’artistes, ou de bureaux d’études, d’agences d’architecture ou d’urbanisme, de paysage. Profiter de la proximité des grands axes pour le transport de matériel tout en conservant des activités tertiaires. Des visites pourraient être organisées, autant pour découvrir le travail des jardiniers que pour prendre connaissance du travail des artisans, et des projets de construction et de restructuration de sites. La situation entre deux importantes enseignes de consommation profite à cette parcelle, notamment au niveau de l’utilisation des parkings à proximité, jamais pleins, et qui donc pourraient aussi servir pour l’accueil des personnes dans la perspective d’une vente des plantes cultivées sous les serres.
Quelle condition climatique pour quel usage ? La répartition des serres et des ateliers n’étant pas cloisonnée et ordonnée strictement le long d’une ligne, ce sont les variations lumineuses et thermiques qui vont réguler l’usage des espaces. Ces variations peuvent être contrôlées au sein de la structure par plusieurs systèmes d’occultations (matériaux opaques en toiture, volets, persiennes, rideaux) allant du plus fixe au plus ajustable ; et de ventilation naturelle. L’objectif est de réguler les espaces les uns par les autres à la manière d’un écosystème : les serres apportent de la chaleur aux ateliers au nord l’hiver, et l’été le système d’occultation des ateliers est repris pour les serres de façon à ce qu’aucun rayon de soleil ne rentre afin d’éviter la surchauffe. Ces systèmes d’ouverture et de fermeture permettent une souplesse d’aménagement et de répartition des espaces. Ainsi, c’est avec une rigueur dans la maîtrise de l’environnement que nous pouvons avoir cette part de hasard et d’indétermination dans la gestion des espaces (laissée libre aux occupants).
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/// MATERIALITE
Coupe sur un tube store screnn sur l’extérieur pour éviter les surchauffes toile perforée circulations périmètre extérieur (polycarbonate ondulé)
sur
la
en
longueur
des
macrolon
rideau intérieur
ventilation sous la toiture
couverture ouvrable en macrolon pour les serres : ventilation
140
Serre horticole www.cmf-groupe.com structure et équipement
structure métallique recouverte ou non selon les activités à abriter
couverture fixe ent tôle ondulée patio
dalle de béton sur laquelle s’ancre la structure métallique 141
L E LA C DE L A TAILLAT Prolongement des amĂŠnagements entre la rocade et la voie ferrĂŠe vers des dispositifs paysagers de loisir.
Photographie du site
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//// STRATEGIE D’IMPLANTATION
5
4
1
3
2
1. zone de baignade délimitée par un filet 2. Passerelle au dessus de l’Isère et ponton sur le lac 3. 1ère clairière naturelle : occasion d’organiser des projections cinéma de plein air 4. mur double face. Côté clairière : surface lisse et blanche, support de projection. Côté forêt : surface accidentée, mur d’escalade. 5. 2ème clairière naturelle : occasion de développer N
un parcours de santé entre la passerelle et le mur d’escalade
Les aménagements proposés sur le site de l’ancienne carrière reconvertie en plan d’eau sont conçus comme des potentiels de continuation de reconversion des trous au-delà de leur environnement infrastructurel. Il s’agit donc plutôt de pistes de projet. Ils se présentent toujours cependant comme des dispositifs permettant d’exploiter les écarts.
143
1. porte-à-faux belvédère sur la campagne 2. promenade existante 3. création d’une tranchée à l’écoulement contrôlé pour renouveller l’eau du lac 4. promenade existante 5. la passerelle se transforme en ponton sur la même ligne 6. zone de baignade protégée par un filet
1
2
3 4
5
6
Profil du paysage transformé
Plan de la passerelle 90 m
30 m
200 m
Elévation de la passerelle 144
/// STRATEGIE PAYSAGERE La passerelle se présente comme une grue qui penche entre deux rives, entre la précarité et la stabilisation. Elle fait écho à l’histoire géologique de la rivière : l’instabilité des fonds due aux extractions de sable, d’alluvions ; et toujours la même nécessité de régénération, de processus de reconstitution. Le passage est donc en déséquilibre entre les digues, à la manière de la grue d’extraction du sable, en un mouvement long et maîtrisé.
145
Le mur de projection
La passerelle
146
147
148
CONCLUSION : STRATEGIE D’IMPLANTATION D’ARCHITECTURE DANS LES TROUS
L’objectif principal du travail de projet dans les trous était de reconvertir les éléments du site en dispositifs de viabilisation. C’est dans l’élaboration des projets que s’est constituée peu à peu une méthode de travail. ACUPUNCTURE Il ne me semblait pas nécessaire d’établir des continuités physiques par des projets établissant des liens, d’une part parce que il n’est pas nécessaire d’intervenir partout (l’acupuncture est la science d’intervenir sur des endroits bien précis), et d’autre part parce que nous nous trouvons dans une situation qui n’est ni urbaine ni paysagère, mais dans un environnement hétérogène. Le choix des sites est donc avant tout issu d’un repèrage dont l’enjeu était la possibilité de développer des champs d’expérimentations complémentaires sur chacun d’eux. L’expérimentation à travers le projet consiste à élaborer une méthode de viabilisation (dans ces sites réputés hostiles à la vie), et de tester sa capacité d’adaptation selon les situations. Il s’agit donc d’un repérage à un moment donné dans l’évolution des territoires, basé sur l’analyse la plus complète possible des transformations en cours. (observer en temps réel les mutations et penser le projet comme une des transformations possibles des sites) Une autre relation au milieu était donc à élaborer. DETOURNEMENT ET REVERSIBILITE Les trous sont des espaces de flottement, d’indétermination, d’instabilité, tant au niveau perceptif que par leur statut physique et social. Dès lors, le principal enjeu était de construire le rapport du projet au territoire, d’être en prise avec une réalité émergente mais fuyante. Par ailleurs, dans ces sites prolifèrent des objets techniques, et aussi des systèmes pour pouvoir mieux les habiter ou les exploiter, en tirer des ressources. Ces dispositifs accolés aux objets techniques me semblent toujours extraordinaires, même s’ils véhiculent une image banale de notre environnement. Tirant profit de l’observation de ces systèmes simples, mais positifs, l’élaboration des projets se base sur la réinterprétation ou le détournement du dispositif et de l’usage initial pour l’adapter à de nouvelles activités ou y intégrer de nouveaux usages dont l’émergence est liée aux mutations territoriales (notamment le train-tram). Ces méthodes de projet permettent de repenser le rapport de la technique à l’écologie et aux usages. Grâce aux procédés de bricolage, de détournement et de réinterprétation des objets techniques hypertéliques, le but est d’amener la technique à penser sa propre réversibilité d’usage. Il s’agit d’aller vers une nouvelle conception des infrastructures intégrée à l’architecture et aux écosystèmes urbains. Cette nécessité de faire se rencontrer deux espaces très différents conduit à élaborer des stratégies spatiales d’interfaces.
149
1 5
3 7 1 5
3 7
Interface coplanaire Interface coplanaire
7 7 5 5
Interfaces horizontales et verticales
5
Interfaces horizontales et verticales
5
7 7
2 2 4 Interfaces intérieur/extérieur 4 Interfaces intérieur/extérieur 6 6
Production de ressources Interfaces haut/bas
5
Interfaces haut/bas
5
3 moyen de déplacements 4 vente
5 habitations 6 nature, agriculture
6 8
150
Consommation des ressources
Rythmes lents
6 8
1 jardins communautaires 2 cultures et ateliers
Interfaces 1er plan/arrière-plan
Rythmes rapides
7 flux de circulations Interfaces 1er plan/arrière-plan 8 loisir
INTERFACES Le principe d’interface est la mise en contact de deux espaces par juxtaposition horizontale ou «de face». Quand il y a interpénétration des espaces, il s’agit d’une cospatialité. Je préfère ici le terme d’interface car les sites sont pour la plupart étroits, il s’agit de projets fabriquant de l’écart ; l’écart étant le résultat positif d’une stratégie de distanciation réussie. Les quatre projets présentés tentent d’établir des interfaces entre des activités «faibles» et des activités «intenses» et de les traduire en architecture. Les interfaces sont d’une part spatiales (voir schémas ci-contre), et d’autre part économiques et sociales : le mur et les serres gèrent le rapport entre un dispositif de subsistance et un dispositif de consommation (production de ressources/consommation des ressources) ; les quatre projets gèrent le rapport entre des pratiques quotidiennes et des pratiques extra-quotidiennes (rythmes lents/rythmes rapides). Pour poursuivre, nous pourrions nous demander comment ce travail sur les interfaces pourraient être mené dans d’autres trous du territoire, car il me semble y avoir un réel enjeu architectural sur les projets d’infrastructure et industriels.
151
À LA SUITE DE LA PRESENTATION… Le travail interroge la composition des territoires urbains qui ne sont pas que du bâti. Il aborde les territoires complexes, mais ne risque-t-il pas d’effacer la ville, de faire des îles d’habitat ? Les trous font partie de la ville, ils ont un certain nombre de qualités qui font que sans eux la ville n’existe pas, un potentiel écologique et foncier à penser avec la ville. Le concept de trous est une couche conceptuelle du territoire à mettre en relation avec les autres, celle des réseaux et des aires par exemple. Elle nous permet de penser la relation de la ville bâtie avec ses espaces encore disponibles, et quelle attitude envisagée. Les projets explorent donc les possibilités de raccordement entre les fragments urbains. Le projet n’est-il pas isolé du contexte urbain ? Quelle nouvelle pensée de la ville véhicule-t-il ? Le projet n’a pas la prétention de construire un nouveau morceau urbain. La problématique du projet est « comment garder des espaces en ville encore disponibles en attendant la ville, en les donnant quand même à habiter par des espaces réversibles. ». Parce que la ville se transforme, donc on fait un choix à un moment donné de son évolution. Il a donc été privilégié une étude du parcellaire plutôt que du bâti, car le bâti évolue très rapidement, ce qui reste sont les tracés. Un projet de raccordement a paru plus soutenable ici à long terme qu’un projet de densification. « Pour la ville, la question de l’habitat, la question du logement devrait être au cœur ». 1. La question de l’habitabilité d’un site ne touche pas que la question du logement. 2. Dans « mutations » de Koolhaas, ce qui compte n’est pas uniquement le problème de saturation du monde (où il faut construire de plus en plus de logements) mais la façon dont on va réussir à établir des différences dans l’habitabilité. La question est de savoir comment on peut établir une continuité entre les espaces anthropisés, en ménageant de la différence, puisque c’est comme cela que nous pouvons garder un sens, une qualité pour chaque espace habité. 3. On aurait cependant pu proposer du logement, mais cela n’est pas judicieux étant donné l’état actuel du territoire de projet. En effet, différentes typologies de logements existent aux alentours et les terrains ne sont pas utilisés comme ils pourraient l’être. Pourquoi ne pas densifier les aires d’habitat avant de les étendre dans les espaces encore disponibles, nécessaires d’un point de vue biologique et relatifs au bon fonctionnement des réseaux de transports (puisque cette idée est particulièrement forte dans l’idée d’aménagement des campagnes, quelle différence avec notre contexte actuel)? 3. Le parti pris est donc pour le moment de privilégier une attitude qui peut garder des espaces disponibles sans pour autant les laisser invivables comme ils le sont aujourd’hui, d’où la proposition de créer certaines conditions spatiales pour les rendre habitables. Pour que le plein puisse exister, ne faut-il pas aménager des écarts ? par exemple, le train-tram va constituer des pôles d’urbanisation. Or, pour que se développent ces habitations de logements, il faut qu’on puisse y accéder, aménager des passages, des articulations entre les échelles et les vitesses et rythmes de vies …. Il faut penser quelquefois à l’envers l’aménagement du territoire. N’est-il pas stérile de vouloir distinguer et conceptualiser le positif/négatif, trouver un mot, etc. ? Il ne s’agit pas seulement d’un problème lexical, comme nous l’avons vu précédemment. Dans certains lieux il y a une absence d’intentions directrices, qui peuvent déstabiliser dans la conception 152
du projet, parce que nous avons l’impression que nous ne pouvons y répondre avec les outils de l’architecte, à moins d’appliquer nos schémas de pensée comme leitmotiv, le risque étant d’uniformiser le territoire. Or ces espaces interrogent les limites, les relations de proximité, la façon dont on peut être en marge, des questions qui semblent pourtant relatives à l’architecture… D’autres questions bousculent la pratique : ce qui n’est pas ordinaire, une marginalité qui nous semble devoir exister, jusqu’où intervenir ? À partir de ces questions, les propositions de projet sont des filaments du parcellaire, des limites et des passages à la fois. Ils explorent la spatialité du passage, comment il peut prendre une épaisseur et devenir espace, ou comment l’on peut glisser d’un espace à l’autre, d’un temps à un autre. Ils construisent des espaces en marge d’une densification parcellaire bâtie, en imaginant comment un chemin peut prendre une épaisseur, comment le cheminement peut être à la base du projet. Comment prend-t-on possession du terrain, il semble que les propositions soient abstraites. Peut-être parce que les moyens de représentation se présentent plus comme des diagrammes, et que les cartes satellites multiplient des couches d’informations qui ne se référent pas à une seule vision du territoire, qui serait celle de l’architecte. Peut-être aussi parce que l’objectif du travail de projet comme expérimentation du travail de recherche et non l’inverse est d’explorer les moyens de représentation en relation avec la pensée. Peut-être aussi parce que ce qui est le plus important dans un travail sur le parcellaire et les passages n’est pas une analyse fine du contexte bâti, mais une analyse fine d’un moyen de gestion des sols, des possibilités de configurations de nouveaux passages, des différentes vitesses par lesquelles nous passons à travers le paysage.
POUR POURSUIVRE... LIN (anciennement Labfac) : http://www.lin-a.com/start-francais.html PAM Le grand pari de l’agglomération parisienne « La métropole du 21e siècle ne s’invente plus, comme celles qui la précédaient, à partir d’un futur ouvert, potentiellement illimité en espace et en énergie. Elle s’invente par un retour sur elle-même et par une reconfiguration de ses possibilités abouties et non-abouties. » « L’idée esquissée ici d’une métropole « autre » dont Paris pourrait devenir un laboratoire ne s’inscrit cependant pas dans une logique « alternative » : d’un autre urbanisme, d’une autre architecture, d’autres paysages ou d’autres réseaux. Au lieu de penser des nouvelles singularités, la métropole douce creuse celles qui se sont épuisées, y relève des potentiels cachés, renforce des identités non-abouties et stimule de nouvelles convergences. » « Quant au contenu de notre approche il ne s’agit pas de rejeter les anciennes dichotomies comme ‘centre-périphérie’, mais de les dépasser. La métropole douce se conçoit plutôt à partir des notions d’intensité et d’identité. Cette dernière est comprise comme la condensation de qualités et opportunités spatiales, telles que l’urbain, la nature, les lieux d’échange. Elle est au croisement des singularités et des convergences. »
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