Bienvenue en Exopéculie

Page 1

Bienvenue

en

Exopéculie

Alexandre BODIN & Jean-Baptiste DURAND Atelier Fiction(s) Architecturale(s) Encadrement : Mathieu LE BARZIC & Can ONANER PFE 2019-2020 ENSAB


Préambule De la contreculture américaine aux éco villages actuels en passant par les ZAD, l’idée d’un autre environnement bâti concurrence l’urbanisme traditionnel depuis déjà plus d’une cinquantaine d’année. Les organisations sociétales qu’on y retrouve sont basées sur l’autogestion et proposent un nouveau rapport à l’environnement. La crise environnementale actuelle risque de mettre à mal le modèle d’urbanisme dominant aujourd’hui dont la grande densité nécessite une forte mécanisation et des transports rapides, ils permettent de délocaliser les activités de production sans empêcher de répondre aux besoins des citadins. Cette forte mécanisation a amené la civilisation thermo industrielle à se détacher fortement de son environnement naturel et a changé le rapport au travail qui s’est tourné majoritairement vers le tertiaire, les tâches agricoles et de production étant plus rapides et moins chères grâce aux machines et la délocalisation des activités manutentionnées. Le risque environnemental et de déplétion des ressources naturelles, notamment les énergies fossiles, risquent de perturber cet équilibre et rendre nos villes actuelles instables et inaptes à répondre aux besoins essentiels de leurs habitants. Quel nouveau fonctionnement est possible pour affronter cette crise inédite et se détacher du statu quo - source du problème et inapte à y faire face ? Quel rôle pour l’architecte au sein de ce nouveau paradigme à inventer ?

2

Alexandre BODIN & Jean-Baptiste DURAND ENSAB - PFE 2020


Sommaire Préambule......................................................................................................2 Fiction.................................................................................................................... 4 Exopéculie......................................................................................................9 Le site de Quelmer..............................................................................................20 Stratégie d’implantation.....................................................................................26 Les limites de l’intervention................................................................................38 Bibliographie...................................................................................................40 Liste des figures..................................................................................................41

Alexandre BODIN & Jean-Baptiste DURAND ENSAB - PFE 2020

3


Fiction

Notre projet se situe dans un futur à moyen terme dans lequel la crise environnementale en cours a commencé à engendrer des perturbations conséquentes dans la sphère économique et politique. Les villes sont en train de devenir le cadre de vie pour une majorité de la population mondiale, elles offrent un bon confort de vie grâce notamment à la proximité et la mixité des activités qu’elles abritent. Les moyens de communication et les transports efficaces permettent à notre civilisation thermo industrielle d’optimiser les flux nécessaires à la vie des villes grâce à un fonctionnement en flux tendu reposant sur l’automatisation et la mécanisation d’un nombre croissant de tâches. Le confort auquel nous sommes désormais accoutumés peut se voir rapidement perturbé à cause des fortes interdépendances générées par ce fonctionnement dans lequel un seul maillon ralenti ou bloqué peut entrainer une réaction en chaine et paralyser d’autres acteurs économiques dans de multiples domaines. En dernier lieu ces perturbations peuvent se répercuter jusque sur des activités essentielles comme la production et le transport de nourriture, d’énergie, la gestion des déchets etc. Ce risque est particulièrement problématique à cause de la forte densité des villes, ces dernières ne disposent pas de suffisamment de terrain pour nourrir leurs habitants. [GRE 2020] En dernier recours, ce sont souvent les Etats qui prennent la main pour gérer des crises de cette ampleur et protéger les populations. Ils sont en effet les seuls à avoir les moyens d’action et l’autorité nécessaires pour assurer une gestion centralisée efficace. En cédant au dogme libéral du non-interventionnisme, les états ont privatisé des entreprises publiques et se retrouvent privés de leviers d’action et de ressources financières. La vision du rôle de l’état a toujours alimenté les débats économiques et politiques : Il y est question entre autres de l’organisation du travail et de la répartition de la richesse, mais ce débat ignore un problème plus fondamental et pragmatique : Les conventions humaines se heurtent à des réalités physiques,

4

Alexandre BODIN & Jean-Baptiste DURAND ENSAB - PFE 2020


notamment les ressources nécessaires, leur disponibilité et leur utilisation. [MEA 2017] *** L’ingénieur français Jean-Marc Jancovici - spécialisé dans la question de l’énergie - a mis en évidence le lien entre croissance économique et production d’énergie primaire. C’est la quantité d’énergie, indépendamment de son prix, qui est le véritable moteur de l’économie. [JAN 2018] Etant donné la forte proportion des énergies fossiles dans le mix énergétique mondial et français [RTE 2020], la croissance économique serait fortement perturbée dans un monde où ces énergies deviennent trop rares ou trop chères. En 1972, le Club de Rome - un groupe international d’experts scientifiques, économistes et industriels- publie Les limites à la croissance [MEA 2017], un rapport qui s’intéresse aux relations entre la population, les industries, la pollution et les ressources mondiales. Le modèle prédit un déclin des activités agricoles, industrielles et tertiaires forcé en raison de la raréfaction des ressources naturelles. Malgré ses prédictions pessimistes, le modèle s’avère relativement précis par rapport aux chiffres de 2012. Le point de bascule est désormais imminent et les solutions politiques se font toujours attendre.

Alexandre BODIN & Jean-Baptiste DURAND ENSAB - PFE 2020

5


Fig 1. Courbes du modèle World3 - Rapport Meadows

*** La croissance est associée au niveau de vie, et celui auquel nous sommes accoutumés aujourd’hui est largement dépendant d’une forte mécanisation et automatisation, impossibles sans énergie fossile. Cette croissance est estimée grâce au PIB, un indicateur économique reflétant la production de richesse sur un territoire donné. Ce dernier ignore les questions sociales, environnementales et énergétiques. La croissance est nécessaire au fonctionnement de l’économie actuelle mais nocive à l’environnement, donc indirectement nocive aux êtres humains. Ce paradoxe illustre l’incompatibilité entre les lois physiques du monde et les règles économiques et politiques actuellement en vigueur.

6

Alexandre BODIN & Jean-Baptiste DURAND ENSAB - PFE 2020


La croissance est mesurée en pourcentage, un taux fixe année après année cache en réalité un développement exponentiel, ce qui pousse à décupler les efforts de travail pour maintenir un niveau de vie constant. Ce paradoxe est connu sous le nom d’hypothèse de la reine rouge, en référence au personnage d’Alice aux pays des merveilles qui dit dans De l’autre côté du miroir : « Il faut courir toujours plus vite pour rester sur place ». [CAR 1871] Cette logique doit être questionnée, il faut se demander jusqu’à quel point elle reste globalement bénéfique. Il existe un seuil au-delà duquel le niveau de vie élevé n’est plus une contrepartie suffisante pour justifier les efforts à fournir par les travailleurs. Les machines nous rendent d’énormes services à l’heure actuelle, mais nécessitent beaucoup d’énergie pour tourner (majoritairement non renouvelables), et tout le travail qu’elles invisibilisent ne pourra pas être réalisé à bras d’hommes. Le nombre croissant de machines inutilisables par manque d’énergie à l’échelle mondiale marquera une rupture dans notre rapport au travail. : il ne sera plus possible de maintenir le niveau de vie que nous connaissons, dépendant de cette mécanisation. Il devient alors fondamental de se recentrer sur l’essentiel, l’indispensable, afin de focaliser les efforts humains sur ce qui compte vraiment. La décroissance n’est désormais plus une option, c’est une certitude. Elle ne doit pas être présentée comme une possibilité pour faire face à la crise environnementale et économique, la question doit désormais tourner autour de la manière de l’aborder. [JAN 2018] Cette réalité est difficile à admettre, et les énergies renouvelables sont souvent perçues comme la solution. Elles permettent en effet de répondre aux mêmes besoins sans avoir à changer l’organisation politique, économique et sociale. Les bâtiments sont considérés comme des machines qu’il suffit de raccorder à des éoliennes plutôt qu’au réseau du gaz de ville pour régler les problèmes. [TAN 2010]. « La transition énergétique pour que rien ne change ». Mais le problème est plus profond, il ne faut désormais plus se contenter de bâtiments écologiques, c’est la société tout entière qui doit le devenir. En effet, les énergies renouvelables ne disposent pas d’un rendement suffisant pour remplacer pleinement les énergies fossiles. [SER 2015] Elles ont en plus d’autres inconvénients comme le fait qu’elles ne sont pas suffisamment pilotables et non stockables. *** Alexandre BODIN & Jean-Baptiste DURAND ENSAB - PFE 2020

7


La mécanisation de la production a dénaturé le rapport au travail, et l’amenuisement des ressources fossiles marquera un bouleversement de nos modes de vies, un ralentissement des activités pourtant essentielles, une réduction du temps dédié aux loisirs etc. Regis Debray - philosophe et haut fonctionnaire français - prédit une post-modernité furieusement archaïque. [CAB 2020] Face à des conditions de vies plus difficiles - un contexte de récession économique mondiale, une perte de savoir-faire dans le domaine agricole à cause du travail qui s’est orienté vers le tertiaire, une forte délocalisation des activités industrielles vers les pays du tiers-monde etc. - il devient nécessaire de catalyser des réseaux d’entraide pour assurer la sécurité de chacun et stimuler la transmission de compétences pour apporter aux individus plus d’autonomie et d’émancipation. Comment préserver l’essentiel dans un monde sans machines ? Permettre à la population de garder confiance en l’avenir ? Créer un maximum d’autonomie dans les domaines essentiels sur un territoire aussi vaste que possible pour anticiper le manque d’action des états ? Comment assurer une transition en période de récession ? Quelles alternatives à un modèle-socioéconomique dont on a désormais la certitude qu’il ne pourra pas tenir ses promesses de stabilité et d’émancipation ? Voici toutes les pistes que nous avons choisi d’explorer en proposant une architecture pour un monde post carbone.

8

Alexandre BODIN & Jean-Baptiste DURAND ENSAB - PFE 2020


Exopéculie Face à toutes ces problématiques, un mouvement citoyen émerge : l’Exopéculie, de exo (en dehors) et peculium (la propriété). Il s’agit d’un modèle de société indépendant pour pourvoir à des besoins essentiels, alimentaires et énergétiques, avec également des objectifs sociaux et éducatifs. La recherche d’autonomie par ses membres passe par une organisation sociale favorisant l’implication de tous et reposant sur l’auto-gestion. Leur objectif est de reprendre en main leur cadre de vie, la question de la politique est donc fondamentale. Le manque d’implication des citoyens est en effet une des raisons qu’évoque Julia Cagé - lauréate du prix éthique Anticor 2019 - dans son livre Le prix de la démocratie pour expliquer comment le jeu démocratique - tant au niveau des institutions qu’au niveau des médias - a pu être capturé par des intérêts privés. [CAG 2020] C’est en s’impliquant dans les décisions collectives qu’il sera possible de s’émanciper d’un jeu politique qui s’est progressivement détourné de l’intérêt public. En prenant part à la vie sociale et politique du groupe les membres constitueront de toutes pièce le contrat social auquel ils souscriront. Ses membres sont des travailleurs fatigués et lassés du monde du travail, des militants écologistes, des parents dans une situation financière telle qu’ils ne sont plus sûrs de pourvoir aux besoins de leur enfants, des citoyens éclairés quant à la question de la transition énergétique impossible, des cadres lucides sur l’inutilité de leur travail et en quête de sens, des artisans et agriculteurs dont le travail acharné ne leur permet pas de vivre décemment, de nouveaux diplômés pour lesquels la promesse d’une carrière épanouissante après leurs longues études n’a pas été tenue etc. Le mouvement cherche à apporter la maitrise du cadre de vie à ses membres. L’objectif n’est pas l’autarcie totale, mais plutôt la recherche d’autosuffisance par la sobriété, l’entraide face à la récession, un recentrement sur l’essentiel pour ne pas déployer d’efforts, d’énergie ou de temps inutilement. Phillipe Bihouix - ingénieur centralien et essayiste français - dans son livre L’âge des low-tech synthétise cette idée : « Il n’y a pas de produit ou de service plus écologique, économe en ressources, recyclable que celui que l’on n’utilise pas. La première question ne doit pas être ‘’Comment remplir tel besoin ou telle envie de manière plus écologique ?’’ mais ‘’Pourrait-on vivre aussi bien, sous certaines conditions, sans ce besoin ?’’ ». [BIH 2010] Alexandre BODIN & Jean-Baptiste DURAND ENSAB - PFE 2020

9


Principe de fonctionnement L’Exopéculie rassemble plusieurs groupements, organisés en coopératives indépendantes mais partageant des principes communs comme l’autogestion, la propriété sociale à l’échelle de chaque coopérative, l’auto construction et l’utilisation de matériaux de récupération entre autres. Chaque communauté / coopérative s’implante sur des sites délaissés - difficile d’accès pour des engins de chantier, inintéressants économiquement à cause de leur emplacement, inondables, sur sols pollués etc. Ces terrains sont rachetés à bon prix ou cédés par leur propriétaire lorsqu’il rejoint le mouvement (ce qui peut être le cas par exemple pour les agriculteurs dont le travail ne le permet pas de subvenir à leurs besoins). Grâce à des méthodes de construction adaptées et un fonctionnement basé sur l’économie de moyens, les sites jugés inintéressants aujourd’hui peuvent être investis par l’Exopéculie et constituer des lieux d’expérimentation fertiles pour des propositions de modèles alternatifs. Ces sites délaissés à proximité des villes ou en zone périurbaines offrent également une proximité avec les habitants. Cette proximité géographique doit être exploitée pour développer un lien social envers les habitants à proximité des sites d’implantation. Instaurer des démarches mutuellement bénéfiques permettrait d’assurer un lien social fort avec le voisinage, comme une occasion supplémentaire de catalyser les solidarités, pas seulement entre les membres des communautés mais avec des individus extérieurs. *** Le mouvement est inspiré par le fonctionnement des écovillages. Depuis quelques années, ils connaissent un intérêt croissant, ils sont de plus en plus nombreux et ceux qui existent déjà croulent sous les demandes pour accueillir de nouveaux résidents. [DEM 2019] Leur développement illustre ce que Christophe Bourseiller - spécialiste de l’extrême gauche, écrivain, acteur et professeur à l’Institut d’études politiques de Paris- appelle les microrévolutions. Il n’est plus question de chercher à convaincre au niveau de la vie politique, chacun s’engage personnellement au titre de ses idéaux : l’expression politique par le fait. Le mode de vie le plus plébiscité devient alors majoritaire. [LEF 2009] Avec plusieurs coopératives implantées sur des sites distants, l’Exopéculie

10

Alexandre BODIN & Jean-Baptiste DURAND ENSAB - PFE 2020


constitue un archipel capable d’insuffler de nouvelles dynamiques de gestion et de production sur un territoire étendu. En stimulant l’entraide au niveau local, les écovillages participent activement à la réconomie. Il s’agit d’une démarche qui remet l’économie au service de l’humain pour répondre à des besoins locaux de manière résiliente, plus juste, et plus respectueuse de l’environnement. [STE 2015] Certains écovillages existants vont même jusqu’à instaurer une monnaie citoyenne, dont l’usage est exclusif aux activités économiques répondant à un cahier des charges, qui insiste sur l’impact local, environnemental et sociétal de ces activités. *** L’Exopéculie utilise deux niveaux de construction. Les programmes communs, structurants de la vie en communauté, et des espaces d’habitations distincts afin de préserver une certaine intimité aux membres. Les espaces intimes sont laissés à la charge des habitants en auto construction qui auront ainsi la liberté de définir leur cadre de vie le plus intime selon leurs souhaits. D’après John Turner, architecte britannique : « Quand les habitants contrôlent les décisions majeures, et sont libres d’établir leur propre contribution à la conception, la construction ou la gestion de leur logement, tant le processus que l’environnement qui en résulte stimulent le bien-être individuel et social ». [SOC 2017] La nature des blocs collectifs varie selon les sites, mais pour chaque communauté on retrouve un hôtel communautaire, son fonctionnement est inspiré des bourses du travail. Il centralise les lieux de travail, de rassemblement, d’éducation, de fabrication, de réparation, de décision etc. Toutes ces activités prennent place dans des espaces aussi modulaires que possible afin d’économiser de l’espace et des matériaux de construction. Cet hôtel communautaire abrite aussi un (ou plusieurs) méthaniseur(s) pour produire de l’énergie et de l’engrais à partir de déchets organiques. Il joue un rôle central pour la communauté qui doit pouvoir se débrancher des réseaux de la ville. En plus de cet hôtel communautaire, on trouve aussi une serre commune, elle est le lien avec les cultures, essentielles au fonctionnement des communautés, son rôle est important pour la gestion de ces dernières. La serre commune abrite les Alexandre BODIN & Jean-Baptiste DURAND ENSAB - PFE 2020

11


plantations fragiles, sert de pépinière etc. Il est également possible d’y implanter des fonctions supplémentaires comme par exemple un élevage d’insectes à but alimentaire. Elle est, ou non, accolée à l’hôtel communautaire. En plus de ces deux blocs systématiques, certains programmes annexes peuvent voir le jour selon les besoins de chaque site / coopérative. Tous sont construits et agrandis progressivement à mesure que la communauté se développe. Ces éléments collectifs ainsi que les cheminements qui les relient déterminent l’implantation sur le site, le reste de l’espace disponible et consacré aux logements ou aux cultures. Ces blocs communs marquent durablement le site, les terrassements et les soubassements ayant un impact fort, il est important qu’ils soient déterminés par les programmes communs. Dans les logements, par soucis d’économie de moyen, certains espaces techniques comme la cuisine, laverie ou encore les douches sont mutualisées, mais il existe quand même des espaces intimes. Les unités de logements accueillent entre 15 et 20 personnes, ce sont les nucléomes, ils remplacent en quelque sorte la famille élargie et constituent une unité sociale, un groupe soudé qui stimule l’entraide. Plusieurs nucléomes cohabitent sur une même parcelle, ils sont un intermédiaire entre l’individu et la communauté. Ils ont à leur charge la gestion d’une partie de la parcelle : des tâches sont confiées à un nucléome, puis ses membres se les répartissent librement entre eux, ce qui stimule l’autogestion même dans un cercle restreint tout en simplifiant la gestion à l’échelle de la communauté. Les zones dont la gestion est déléguée aux nucléomes sont relativement petites, elles permettent d’identifier des mésententes et des problèmes d’organisation sans pour autant pénaliser l’ensemble du groupe. Plusieurs nucléomes cohabitent sur un même site et sont autonomes sur une partie de leur organisation. Mais pour assurer la connaissance mutuelle des individus à l’échelle de la parcelle, les activités nécessaires au fonctionnement de la coopérative sont assurées par des équipes regroupant des membres de plusieurs nucléomes. Les logements sont des constructions modulaires et démontables pour apporter une souplesse de l’environnement bâti et ne pas interdire un retour en arrière. Ils peuvent facilement s’agrandir ou se démonter pour récupérer les matériaux si les bâtiments deviennent inutiles. Ils marquent le site moins durablement que les constructions des programmes collectifs.

12

Alexandre BODIN & Jean-Baptiste DURAND ENSAB - PFE 2020


Le caractère non-définitif des constructions est important pour apporter une adaptabilité facile et rapide de l’environnement bâti. Outre cette disposition technique, le cadre de la propriété sociale y contribue aussi. Les espaces, même ceux dont l’usage est intime appartiennent tous à la coopérative. Ce qui permet par exemple un échange de logements entre un couple attendant un enfant et une famille dont les enfants quittent le site. Cet échange permet d’éviter des travaux de déconstruction et reconstruction laborieux, couteux en énergie et en temps. L’aspect temporaire de la propriété est donc aussi intéressant, plutôt que de déployer des efforts pour les constructions, un roulement permet de satisfaire à tour de rôle les besoins de chaque membre au cours de sa vie. La propriété sociale et temporaire permet également de mettre un terme à une conception matérialiste et individualiste de la richesse qui constitue un classement injuste et contraire à l’égalité des chances dans lequel il existe toujours des derniers. Ce rapport à la propriété est celui décrit par Thomas Moore dans l’Utopie, mais aujourd’hui, certains économistes l’envisagent sérieusement, c’est le cas de Thomas Piketty- économiste français et directeur d’étude à l’Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales - qui l’évoque dans son livre Capital et idéologie. [PIK 2019] Le fonctionnement d’une communauté est résumé dans le diagramme sur la page suivante :

Alexandre BODIN & Jean-Baptiste DURAND ENSAB - PFE 2020

13


Fig 2. Fonctionnem


ment de l’Exopéculie


Protocole Notre projet repose beaucoup sur l’auto construction, quelle place alors pour l’architecte ? L’organisation sociale de la communauté est à la charge des membres qui la composent. Malgré tout cette organisation est atypique, elle pose des problèmes techniques et nécessite par conséquent un aménagement réfléchi. Dans ce scénario, les architectes ne sont pas exclus du jeu de la conception. Leurs compétences techniques restent évidemment intéressantes, mais leur culture et leur déontologie le sont d’autant plus. Ils sont à même de fournir des conseils, des avis, toutes les explications nécessaires à la bonne compréhension d’une solution technique et la bonne appréhension d’un site. Ils transmettent du savoir et des outils pour permettre l’auto construction efficace et rationnelle en explicitant les tenants et aboutissants de chaque initiative. Le rôle des architectes dans ce scénario est de contribuer à démocratiser le développement de ce mouvement. A même de cerner les enjeux politiques d’un projet, les architectes s’impliquent par conviction pour prendre part à une initiative citoyenne qui les a convaincus. A l’époque où la microrévolution devient la norme, il est important d’offrir à chacun l’opportunité de se lancer. Pour un mouvement tel que celui de l’Exopéculie, les architectes disposent d’un savoir indispensable, leur participation devient un levier majeur du développement de ce nouveau mode de vie où il est inadapté d’agir par mimétisme architectural dans ce cadre atypique. Les bâtis des parcelles sont divisés en deux catégories : les programmes collectifs : structurants et pérennes - construits par les membres et conçu en concertation avec des architectes - et les logements : laissés à la charge des habitants - construits et conçus par les membres. Le rôle de l’architecte est de mettre en place une organisation qui permette de tirer parti du site tout en rendant cette organisation possible. Il est donc question de définir les grandes lignes de l’implantation tout en expliquant les propositions aux membres des communauté. De cette manière, ces derniers seront aptes à changer les plans s’ils estiment que le besoin s’en fait ressentir. Il est en effet difficile d’anticiper tous les besoins d’une société dont le fonctionnement est par essence évolutif. Par conséquent le rôle des architectes est aussi de concevoir des lieux adaptés et adaptables aux besoins changeants des utilisateurs. Les éléments déterminés

16

Alexandre BODIN & Jean-Baptiste DURAND ENSAB - PFE 2020


par l’architecte auront aussi vocation à être les plus durables, et marquer plus fortement le site. *** Dans ce genre de projet, l’aspect technique est secondaire, la vraie difficulté est d’instaurer la dynamique de vivre-ensemble. [DEM 2019] Pour libérer au maximum du temps de réflexion sur la partie technique nous proposons un tableau qui recense une multitude de solutions techniques pour répondre à tous les besoins qui se posent dans le cadre d’une architecture post carbone (sans réseaux ni machines, utilisant des matériaux de récupération et des solutions sans apport d’énergie pour le chauffage et la ventilation par exemple). En tant qu’architecte, nous contribuons à la hauteur de notre compétence, cette dernière couvre l’aspect technique du bâtiment. Pour ce qui est de l’établissement du contrat social et de l’organisation de la communauté le rôle de l’architecte ne confère pas plus d’autorité qu’aux usagers. Les constructions qui structurent le terrain sont dessinées par l’architecte, les solutions que nous proposons dans ce tableau sont plutôt destinées à l’auto construction pour les logements. Malgré tout certains dispositifs peuvent être rajoutés sur les blocs communs par les habitants si le besoin s’en fait ressentir et que ces dispositifs ne figuraient pas sur les plans initiaux de l’architecte. Toutes ces solutions permettent de déterminer les éléments techniques nécessaires au bon fonctionnement d’un bâtiment, sans pour autant donner d’informations précises sur les matériaux à employer puisqu’ils varient selon ce qui est trouvable à proximité du terrain. En effet, nous préconisons une architecture issue de récupération / réemploi et des ressources naturelles (pierre, bois, terre principalement) trouvables à proximité du site. Le matériel de construction devra nécessairement provenir du site ou sa proximité directe, c’est en quelque sorte une « architecture de cueillette » qui est préconisée. C’est une démarche qui permet de limiter la pollution liée à la construction tout en conférant une identité propre à chaque site. Pour la ventilation par exemple, il est possible d’utiliser des dispositifs qui fonctionnent avec le vent et d’autres qui fonctionnent grâce au soleil, le choix de l’un ou l’autre contribuera à l’esthétique des bâtiments du site. Alexandre BODIN & Jean-Baptiste DURAND ENSAB - PFE 2020

17


Ce tableau a pour but de rendre l’auto construction accessible au plus grand nombre, il n’impose pas directement de plans finis, mais des fragments d’architecture qui doivent permettre de s’adapter aux contraintes, besoins et usages de chaque construction. Il constitue une liste non exhaustive de solutions vernaculaires, low-tech ou issu de la contre-culture américaine des années 70 par exemple. En synthétisant des solutions variées pour plusieurs fonctions indispensables, permettant d’anticiper le plus de besoins possibles, il constitue autant un guide qu’une source d’inspiration. Pour ce qui concerne le chauffage par exemple, les solutions listées ici n’incluent pas de dispositifs nécessitant des combustibles, les solutions présentées ne nécessitent pas d’apports pour être opérationnel. Dans le même état d’esprit, la première ligne référence des mécanismes de levage manipulables à bras d’homme.

18

Alexandre BODIN & Jean-Baptiste DURAND ENSAB - PFE 2020


Fig 3. Fragments d’architecture, l’autoconstruction en Exopéculie


Le site de Quelmer Nous nous plaçons dans le cas où une vingtaine de personnes a monté la première coopérative de l’Exopéculie, ils ont pu récupérer un terrain agricole à bon prix en bord de mer dans la région de Saint-Malo et se tournent vers des architectes pour déterminer la meilleure stratégie d’implantation pour s’y installer. Il s’agit de parcelles agricoles donnant sur un cimetière à bateaux et un chantier naval à Quelmer, proche de l’embouchure sur la Rance, quelques centaines de mètres en amont de l’usine marémotrice.

Fig 4. Cimetière à bateaux

20

Alexandre BODIN & Jean-Baptiste DURAND ENSAB - PFE 2020


Fig 5. Sentier du littoral

Fig 6. Vue d’ensemble depuis le nord du site


Présentation site Le terrain se situe à quelques kilomètres au sud de Saint-Malo, mesure environ 2 Ha et présente un dénivelé avec une pente moyenne de 7%. Il est bordé au nord et à l’ouest par des voies publiques, au sud par le sentier du littoral puis la Rance, la limite est est une haie bocagère discrète. On y trouve des fibres végétales utilisables pour des constructions, des rochers, un cimetière à bateau dans lequel il serait possible de récupérer des matériaux de construction (mâts, voiles, câbles, cabestan ou système d’engrenage et poulie) ou tout simplement du bois pour se chauffer et cuisiner. La proximité de l’eau permet de pêcher et récupérer des coquillages comme ressources alimentaire, ou des algues pour alimenter le méthaniseur. Au bout de la pointe de terre au sud-ouest de notre site se trouve une maison de quartier, c’est un relai intéressant avec le voisinage pour faire connaitre notre communauté et organiser des évènements avec son aide.

Fig 7. Ressources disponibles sur site

22

Alexandre BODIN & Jean-Baptiste DURAND ENSAB - PFE 2020


En plus des ressources que l’on retrouve directement sur le site, il y a des usines à proximité dans lesquelles il est envisageable de récupérer des matériaux de construction supplémentaires à bon prix, en récupérant les invendus par exemple. On peut y trouver des bidons, des bâches, des tôles métalliques etc.

Alexandre BODIN & Jean-Baptiste DURAND ENSAB - PFE 2020

23


Fig 8. Ressources dispon


nibles à proximité du site


Stratégie d’implantation Possessions Les premiers besoins les plus immédiats auxquels il faut pourvoir sont l’accès à l’eau potable et la nourriture. Le terrain peut facilement être planté, en revanche pour l’eau il faut mettre en place un système de potabilisation. L’appropriation du site par les membres de la communauté vient en tout premier lieu de la culture du terrain, les constructions arrivent dans un second temps. La parcelle où la communauté s’implante permet facilement de loger jusqu’à une centaine de personnes, elle est suffisamment grande. Cependant elle ne permet pas de cultiver de nourriture pour tout le monde. Il est donc nécessaire de cultiver d’autres parcelles. Ces dernières sont récupérées les unes après les autres, à la faveur d’opportunités de rachat à bon prix à mesure que la communauté s’agrandit. Toutes ces parcelles ne sont donc pas connexes et donneront lieu à terme à des possessions « en archipel ». Les parcelles sont cependant choisies pour ne pas être trop éloignées de la parcelle centrale, il faudra en effet s’y rendre à vélo voire à pied. Ces parcelles comportent des constructions minimes, il y a très peu de stockage sur place. Ce sont de petites serres, des armatures pour guider les plantes grimpantes par exemple, ou des structures avec des toiles tendues qui permettent de récupérer de l’eau pour quelques animaux (chèvres, moutons, poules etc.). Certaines de ces parcelles peuvent être exploitées sur le modèle de la « cueillette à la ferme ». Les maraichers de la communauté entretiennent le potager, des clients viennent se servir directement dans le potager en ramassant eux-mêmes les légumes, et payent à la sortie. Cette démarche permet d’offrir des produits qualitatifs à bon prix puisque la récolte est réalisée directement par le client, c’est aussi l’occasion de partager des techniques et astuces de jardinage et de culture, des ventes et dons de semences paysannes pour les particuliers. Afin de d’étendre une certaine forme d’autosuffisance sur le plan alimentaire en dehors des communautés, leurs membres cultivent de petits potagers dans les jardins des habitations avoisinantes. Une partie de ces cultures est laissée aux propriétaires, la seconde est récupérée pour être consommée ou revendue, cette entrée d’argent servirait à financer l’achat de matériel ou de nouveaux terrains. Ces cultures permettent d’apporter de la biodiversité au

26

Alexandre BODIN & Jean-Baptiste DURAND ENSAB - PFE 2020


plus proche des habitations, dans des jardins qui sont en effet trop souvent de simples pelouses. A ce titre, les zones pavillonnaires constituent un cadre idéal pour développer cette démarche, ces zones offrent un bon compromis entre la surface non bâtie et la proximité des habitations (il est évidemment préférable que les voisins prêtant leur terrain ne soient pas trop dispersés pour limiter les déplacements des maraichers).

Alexandre BODIN & Jean-Baptiste DURAND ENSAB - PFE 2020

27


Fig 9. Parcelle


es exploitĂŠes


Chronologie des constructions La première étape de l’implantation sera la construction de l’hôtel communautaire, auquel est accolée la serre, elle commence lorsque suffisamment de matériaux ont été récupérés. Il scinde la parcelle en deux, la moitié nord est destinée principalement au logement, la partie sud est destinée aux espaces de culture. Sur cette dernière les constructions sont quasi inexistantes (cabanes de jardin, mini serres ou armatures rigides pour les plantations), elles marquent moins le sol pour ne pas donner l’impression que la communauté s’accapare le littoral. Deux cheminements perpendiculaires à l’hôtel communautaire traversent cet espace de culture, ils simplifient le transport des outils et récoltes, et se raccordent au sentier du littoral, l’accès est ouvert aux passants. L’hôtel communautaire comptera à terme plusieurs parties, mais il est construit en plusieurs phases. Il est plus simple de commencer par l’ouest, le dénivelé y est plus faible et la route plus proche. Il sert dans un premier temps de logement et est relié aux réseaux d’eau et d’électricité pour simplifier l’installation. (Fig.10) Une fois installés, les membres se lancent dans les travaux pour le réseau de phyto épuration pour acquérir l’autonomie en eau potable. La phytoépuration fonctionne avec trois bassins, ils sont alignés dans le sens du dénivelé pour assurer un écoulement sans pompe. Le dernier bassin où l’eau est potable est tout proche de l’hôtel communautaire, c’est là que l’eau est stockée puis redistribuée aux habitations. Dans un premier temps des structures simples avec des toiles tendues permettent de récupérer l’eau de pluie dans le premier bassin. L’établissement des bassins nécessite de retravailler le sol pour assurer le circuit de l’eau. Ces terrassements sont étendus autour des bassins, c’est sur ces derniers que s’implantent les logements construits par les habitants. Sur le site, les déblais et remblais sont assurés par des murets en gabions, mais autour des nucléomes, le sol est travaillé en terrasses. Elles permettent de rattraper le niveau du sol progressivement et évite d’avoir à utiliser des murets couteux en matériaux. Ces terrasses sont cultivées, le sol y est fortement remanié, il se prête donc bien à la permaculture par exemple, qui nécessite de retravailler le sol. Ce jardin-potager se prolonge à l’est de chaque nucléome, à l’abri des vents dominants dans cette région.

30

Alexandre BODIN & Jean-Baptiste DURAND ENSAB - PFE 2020


Fig 10. Plan masse, première implantation


Ce terrassement conditionne l’emplacement possible des constructions et permet à l’architecte de définir les zones bâties et non bâties. De cette manière il est possible de définir avec certitude les zones de circulation. Le bassin est au nord de la zone terrassée de manière à laisser la zone la plus ensoleillée disponible pour les logements. Dans un second temps, cette zone terrassée est couverte par de grandes toitures, nécessaires pour récupérer l’eau de pluie. Cependant, ces toitures ne sont pas seulement une réponse technique, elles deviennent structurantes de l’espace en matérialisant le microcosme du nucléome. De plus elles facilitent grandement le travail d’auto construction, les murs en terre souffrent d’un grand nombre de pathologies liées aux infiltrations d’eau, c’est un matériau qui sera largement utilisé car il est disponible en grande quantité et ne nécessite pas d’outils ou d’engins complexes. Ces couvertures vont donc également dans le sens de la simplification de l’auto construction. Le contreventement de ces toitures est assuré par un noyau bâti, il est construit en même temps que les toitures, c’est donc le premier bloc bâti que comporte un nucléome. Il intègre tous les équipements nécessaires pour la vie quotidienne : une grande salle à manger équipée pour cuisiner, des toilettes sèches, des douches, une laverie. Les toitures servent à récupérer l’eau de pluie, une partie de cette eau de pluie est récupérée directement dans le nucléome, sans passer par le réseau de phyto épuration, cette eau n’est donc pas potable, elle sert pour les douches et la laverie. Cette eau est stockée à l’étage, sur une mezzanine, en-dessous on retrouve les blocs nécessitant de l’eau, dans lesquels elle s’écoule sans pompe. Des panneaux solaires installés sur les toitures permettent de chauffer cette eau. L’implantation des nucléomes dégage un espace au nord de l’hôtel communautaire, ce dernier permet d’organiser des rassemblements en extérieur, des marchés, des fest-noz par exemple. (Fig. 11)

32

Alexandre BODIN & Jean-Baptiste DURAND ENSAB - PFE 2020


Fig 11. Plan masse, première ligne bâtie, deuxième ligne terrassée


Au nord du site, un bâtiment de stockage est bâti, il sert à marquer l’entrée du site et libère un espace qui pourra servir de parking pour les quelques voitures des membres ou les visiteurs. Il servira pour le stockage des matériaux de construction, abritera un petit atelier bois, il permettra de réaliser des travaux bruyants en dehors de l’hôtel communautaire par exemple. Il servira également de garage à vélos et pour ranger des outils de jardinage et des remorques utiles aux maraichers allant cultiver en dehors de la parcelle principale. Il est utile très tôt dans le développement du site, il permet lui aussi de récupérer des eaux de pluie pour alimenter les bassins de phytoépuration et est donc construit en même temps que la première ligne de bassins, les constructions des nucléomes pourront commencer en ayant déjà un espace de stockage. Lorsque la communauté est bien implantée et que plusieurs nucléomes sont construits, certains programmes complémentaires permettent de renforcer encore l’autosuffisance et le confort de vie sur site. Une cabane de pêche inspirée du fonctionnement des cabanes à carrelets est implantée au milieu des bateaux du cimetière. Cette cabane comporte un ponton depuis lequel il est possible de pêcher à la ligne. Elle sert aussi à stocker du matériel de pêche des embarcations. (Fig. 12)

34

Alexandre BODIN & Jean-Baptiste DURAND ENSAB - PFE 2020


Fig 12. Plan masse, programmes annexes bâtis


Fig 13 Coupe paysagèr

Fig 14 Coupe paysagè


re avant l’intervention

ère après intervention


Les limites de l’intervention L’approche de la conception architecturale pour ce projet implique des dispositions singulières et atypiques induites par le fonctionnement spécifique des communautés pour lesquelles le projet est pensé. Le fait de requestionner le mode de vie traditionnel pousse à changer de perspective pour aborder le rapport au sol dès le processus de création. Le fonctionnement repose sur des programmes communs qui doivent articuler le fonctionnement de la parcelle en laissant une marge de manœuvre pour que les usagers prennent part à l’architecture de la parcelle. Spacialiser tous ces programmes ne doit pas se faire au détriment de l’adaptabilité pour les usagers ni nuire à la cohérence architecturale à l’échelle du site. L’architecte doit alors prendre du recul sur sa pratique pour identifier les impacts et dispositions qu’il doit s’autoriser ou non dans le cadre de cette démarche. Etant donnée l’évolutivité du projet, il est nécessaire d’autoriser une réversibilité des programmes, tant au niveau des usages qu’au niveau des matériaux. Malgré tout, l’essence de l’implantation ne doit pas être bouleversée au gré des rectifications des usagers. Il faut à la fois assumer que les plans ne sont pas immuables et empêcher des initiatives qui nuiraient à l’appréhension de l’environnement bâti. *** Ces « degrés de mainmise » que l’architecte s’autorise se reflètent dans la durabilité des dispositifs qu’il recommande. Dans le travail de l’architecte on peut distinguer trois niveaux d’intervention. La première, à la fois en ordre chronologique, en importance et en durabilité, est le traitement des sols. C’est la trace la plus permanente qui sera laissée sur le site, qui restera même si les bâtiments sont démontés ou détruits. Le remaniement des sols constitue un zonage pour les constructions. Les zones terrassées pourront être plus facilement construites. Entre ces espaces se dessineront naturellement les cheminements. L’absence de terrassement induit l’absence de constructions majeures. Le deuxième niveau d’intervention de l’architecte est celui des structures pour l’hôtel communautaire et des nucléomes. La nature des procédés constructifs permet de monter et démonter la structure de ces blocs

38

Alexandre BODIN & Jean-Baptiste DURAND ENSAB - PFE 2020


rapidement. Cette simplicité repose sur des éléments et des assemblages simples, elle permet de rendre sa construction et sa modification accessible au plus grand nombre, les membres ne sont en effets pas tous des professionnels de la construction. Elle permet également de démonter et récupérer rapidement les éléments de construction utilisés. De cette manière, le projet ne produit quasiment pas de déchets liés à la construction. Ces dernières sont des structures sous lesquelles ou dans lesquelles il n’est pas précisé de plans. Certaines dispositions techniques comme les points d’eau et les éléments de contreventement en conditionnent l’usage mais l’architecte n’impose pas d’aménagement précis. Malgré tout il est de son devoir de s’assurer que les structures qu’il propose permettent de répondre aux besoins des usagers. Le troisième niveau d’intervention de l’architecte ne concerne même plus directement le dessin des bâtiments, il s’agit des vignettes recensant les fragments d’architecture pour accompagner l’auto construction. Dans ce dernier niveau l’architecte ne prend plus la responsabilité d’imposer le moindre détail. Les constructions dont il est question ici sont entièrement à la charge des usagers, ce sont les plus changeantes. A mesure que les nucléomes accueillent de nouveaux membres ces blocs sont agrandis, démontés, rénovés etc. Ces constructions sont relativement légères et marquent donc très peu le sol. Elles peuvent être mobiles et changeantes à l’échelle d’une journée ou d’une semaine. Dans l’hôtel communautaire, les cloisons peuvent être ou non mobiles, le niveau de modularité dépendra de l’usage qu’en font les usagers, charge à eux de l’estimer et de suivre ou non les vignettes qui présentent des méthodes pour avoir des cloisons et des planchers modulaires. Il sera possible d’utiliser plusieurs trames pour une grande assemblée ou de les séparer pour disposer d’espaces clos pour des activités différentes. *** En définitive l’implication de l’architecte diminue à mesure que le projet avance. A contrario, celle des usagers croit et devient le moteur principal de la vie en communauté.

Alexandre BODIN & Jean-Baptiste DURAND ENSAB - PFE 2020

39


Bibliographie

40

[BIH 2010] [LEF 2009] [CAB 2020] [CAG 2020] [CAR 1871] [DEM 2019] [GRE 2020] [JAN 2018] [MEA 2017] [PIK 2019] [RTE 2020]

BIHOUIX, Phillipe. « L’âge des low-tech ». [2010] Editions Seuil. Paris. 330p LEFEBVRE, Michel, « Le temps des révolutions minuscules », in Le Monde. 14 octobre 2009 CABANA Anna, « Le philosophe Régis Debray sur la crise du coronavirus : "Ce n’est pas à l’expert d’avoir le dernier mot" », in Le journal du Dimanche. 2 mai 2020 CAGE Julia, « Le prix de la démocratie » (2020). Gallimard, Paris 640 p. CARROLL Lewis, « De l’autre côté du miroir. » (1871) Londres, MacMillan and Co. DEMOS KRATOS, « Ecovillages : en quête d’autonomie (Documentaire) ». (2019) in youtube. Disponible sur <https:// www.youtube.com/watch?v=Wy_jvp5wn8I> Les Greniers d’Abondance. « Vers la résilience alimentaire. Faire face aux menaces globales à l’échelle des territoires ». (2020) Première édition, 175 pages. JANCOVICI Jean-Marc, « L’énergie, de quoi s’agit-il exactement ? » (2018). Disponible sur < https://jancovici.com/transition- energetique/l-energie-et-nous/lenergie-de-quoi-sagit-il- exactement/> MEADOWS Dennis. « Les limites à la croissance » (2017). Edition Rue de l’échiquier. Paris 488 p PIKETTY Thomas, « Capital et idéologie ». (2019). Editions Seuil Paris. 1248 p. RTE - Réseau de transport de d’électricité, « Bilan électrique 2019 ». (2020). Disponible sur https://www.rte-france.com/ sites/default/files/bilan-electrique-2019_1.pdf 173 p.

[SER 2015] [SOC 2017]

SERVIGNE Pablo et al, « Comment tout peut s’effondrer ? » (2015). Edition seuil Paris. 304p SOCIALISME LIBRERTAIRE. « La maison anarchiste » (2017). Disponible sur <http://www.socialisme-libertaire.fr/2017/10/ la-maison-anarchiste.html> Alexandre BODIN & Jean-Baptiste DURAND ENSAB - PFE 2020


[STE 2015] [TAN 2010]

STEVES Raphaël et al. « Petit traité de résilience locale » (2015). Edition Charles Leopold Mayer. Paris 116 p TANURO Daniel, « L’impossible capitalisme vert. » (2010) Les empêcheurs de penser en rond. Paris. 300p

Liste des figures

Fig 1 : Courbes du modèle World3 - Rapport Meadows. Fig 2 : Fonctionnement de l’Exopéculie Fig 3 : Fragments d’architecture, l’autoconstruction en Exopéculie Fig 4 : Cimetière à bateaux Fig 5 : Sentier du lirttoral Fig 6 : Vue d’ensemble depuis le nord du site Fig 7 : Ressources disponibles sur site Fig 8 : Ressources disponibles à proximité du site Fig 9 : Parcelles exploitées Fig 10 : Plan masse, première implantation Fig 11 : Plan masse, première ligne bâtie, deuxième ligne terrassée Fig 12 : Plan masse, programmes annexes bâtis Fig 13 : Coupe paysagère avant l’intervention Fig 14 : Coupe paysagère après l’intervention

Alexandre BODIN & Jean-Baptiste DURAND ENSAB - PFE 2020

41


Turn static files into dynamic content formats.

Create a flipbook
Issuu converts static files into: digital portfolios, online yearbooks, online catalogs, digital photo albums and more. Sign up and create your flipbook.