Le Saga Haitienne à la loupe d'un candidat

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Jose Joachin Davilmar

Les Éditions Nemours Communications

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Publication : Les Editions Nemours Communications Mise en page Michel Nemours michel_nemours@hotmail.com Editions : Lire pour Changer Couverture : James Rouza Photos : Wilkens Jean-Baptiste/Lami Jean-Robert Tous droits réservés © 2015,2016 Jose Joachin Davilmar Attention : Il est interdit de reproduire, d’enregistrer ou de diffuser, en tout ou en partie, le présent ouvrage par quelque procédé que ce soit, électronique, mécanique, ou autre sans avoir obtenu au préalable l’autorisation écrite de l’éditeur ou de l’auteur. La version ‘’Audio’’ du livre est également disponible Imprimé à Montréal, Québec, Canada Dépôt Légal : Quatrième trimestre 2016 Bibliothèque Nationale du Québec Bibliothèque Nationale du Canada ISBN:978-2-9811203-9-7

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Jose Joachin Davilmar

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La Saga Haïtienne

SOMMAIRE 1. Reconnaissance..................................................................11 2.

Préface................................................................................17

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Avant-Propos.....................................................................19

4. 5. A. B. C. D. E. F. 6. A. B. C. D. E. 7. A. B. C. 8. A. B. C.

Prologue..............................................................................23 Chapitre I La Saga Haïtienne...................................29 Le mauvais chemin pris par Haïti (1804-1843)..................30 L’ère de la Régénération ou l’espoir assassiné (1843-1915)..35 Immixtion étrangère en Haïti (1915-1957)........................39 L’avalanche duvalérienne (1957-1986)..............................40 1986 : La saison de tous les dangers..................................52 Requiem pour médiocrité en Haïti ....................................56 Chapitre II Pourquoi le Borgne ?...........................63 L’influence de ma grand’mère............................................67 Barrès Sam, l’intriguant......................................................70 Hudson Apollon, un héros inconnu Pedro ou le passage d’un météore......................................76 Revalorisation de l’Haïtien.................................................77 Chapitre III Le Borgne au parlement haïtien........81 La carrière parlementaire....................................................83 La marche vers le parlement...............................................91 Un parlement mitigé............................................................96 Chapitre IV Ma participation aux législatives de 2015...........103 La décision........................................................................104 La Campagne électorale....................................................123 La journée du 9 aout 2015................................................137 7


La Saga Haïtienne D. 9. A. B. C. D. E.

Les résultats du scrutin......................................................137 Chapitre V Un miracle possible............................ .....143 La léthargie habituelle.......................................................144 Urgence d’adresser la détresse haïtienne..........................154 Enseignements et Perspectives..........................................161 Epilogue.............................................................................167 Postface..............................................................................169

1. Documents insérés...........................................................175 AL’analyse logique de Jose DAVILMAR............................175 B- La huitième section communale du Borgne.............................177 C- Parade de noms et prénoms dans la société borgnelaise..........179 D- Jovenel Moise, une grotesque continuité dans l’impasse E- L’aide humanitaire dominicaine Haïti : l’aide humanitaire dominicaine ................................187 3. Références et Bibliographie...............................................197 2. Galerie de Photos..............................................................200

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Il a dix-sept ans en 1986. Élève précoce, il a suffisamment de jugement pour comprendre l’angoisse que traverse le pays. Depuis lors, il se cherche à l’envers d’un miroir. Il veut se reconnaitre à travers une crise sans fin. Une crise qui accouche toujours certainement une autre crise plus criante et plus indignante. Jose Joachim Davilmar a vite compris que notre stagnation et notre recul dans tous les domaines sont dus surtout à cause de ces hommes de paille à mains de fer qui dirigent notre pays. Il nous faut un progressisme pragmatique pour donner l’envol à ce pays, promouvoir des valeurs, développer la solidarité, former à la citoyenneté, réorganiser notre vie commune, vivre en cohésion, prévenir les conflits, respecter les cultures, les religions, renforcer la volonté des individus à être des acteurs, apprendre à chacun à reconnaitre en l'autre la même liberté qu'en soi-même. Tev Toussaint, avocat, politologue

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1-Reconnaissance Il ne serait pas facile d’énumérer tous ceux qui ont pris une part active à la production de cette œuvre qui est le témoignage de mon parcours jusqu’ici comme fils, citoyen, étudiant, père, mari, entrepreneur, professeur, et enfin candidat aux législatives Haïtiennes de 2015 pour la circonscription du Borgne, Nord D’Haïti. Évidemment il m’est difficile d’inventorier tous ceux-là à qui je dois personnellement quelques dettes. Elles consistent en apports divers à ma vie, mon éducation, mes expériences personnelles, professionnelles ou familiales. Les écots, en nature ou financiers, facilitant ma participation aux législatives de 2015 sont nombreux et divers ; ils fusèrent de partout et même de personnes inattendues. C’est pourquoi ce livre doit être considéré comme le lieu et le moment historiques pour leur témoigner de ma reconnaissance publiquement. Encouragé par ma tendre épouse, Yvane, compagne de bonheur et de malheur, soldat des bons et des mauvais jours qui m’a toujours soutenu et réconforté dans mes défaillances et qui a cru au projet depuis le premier jet. Et, grâce au concours affectueux de mes trois adorables enfants ; Dhary, Didier et Donovan qui ont souffert pendant trois ans de navette entre Haïti et Floride. Je ne saurais passer sous silence l’apport inconditionnel de ma mère et de Mara, le benjamin, qui furent très sceptiques au départ, mais pourtant d’un appui sans borne une fois que je m’étais retrouvé sur le champ de bataille. Merci à toi, Man ! Une pensée spéciale et méritée à Jean-Claude, Georgette, Patrick et Fabie Rémy dont j’ai toujours bénéficié la générosité, le désintéressement et l’humanisme profond. 11


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À ceux qui, par pure envie, s’étaient opposés personnellement et ouvertement à moi, à mes idées et à mes démarches, je tire ma révérence ne gardant aucune amertume, comme les enfants. À Lionel Lange, un fils authentique et fier du Borgne. Il encourage et soutient toute activité pouvant aider le Borgne à sortir de sa léthargie ou à rehausser son image. J’adresse un fervent merci et un mot sincère à son ami, Niklas Pierre, qui a été d’un soutien sans bords à mon initiative de me porter candidat. Un mot de gratitude à Jean Robert Muller dit Jeanco qui, malgré des doutes exprimés ouvertement, a apporté tout le nécessaire possible à la réussite de mon projet. À Patrick Audate et sa femme qui m’avaient, sans hésiter, ouvert leurs portes à l’effet d’organiser une collecte de fonds au profit de ma campagne. Mes remerciements vont franchement à Villardouin Joseph (Golo), Roosevelt Dulcio, Hawais Pierre, Francky Alfred, Dr Charles Richard, Maude Louis dite Fifi qui, malgré une polémique arrogante et stérile, ne marchandèrent pas leur considérable et inestimable soutien à ma patriotique ambition de représenter le Borgne au parlement haïtien. À Thevenot, un ami, un frère, un conseiller qui est toujours présent pour moi. Je n’oublierai jamais qu’il est rentré sous une pluie battante le dimanche des élections à 2 heures du matin pour être à mes côtés pendant les dernières minutes de cette longue randonnée. Une attention particulière à Pouttley Pierre, qui malgré controverses et tergiversations fit preuve de bravoure en jouant le rôle de chef de ma campagne dans la diaspora. 12


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Je salue mes deux frères Hervé -Julien et Hyppolite- pour tous les services rendus avec enthousiasme et naturel durant cette belle aventure. À Gérard,Wilna, Ti Jean, Anne-Mérie, Papi, Rosemond, Cherisma, Rosemond, Edèse, Micheline, Chantal, Verona, Olbens, Lewis, Evens, Joel, Porquin, Dieunou, Guyto, Jeffrey, Ti Rasta et tous ceux qui ne m’ont jamais refusé leur bénévole disponibilité. Leur foi dans le projet a été sensible, expressive et inflexible durant toute la campagne. Comment passer sous silence l’apport tant apprécié de Verneil François de Robin qui en bon ‘’grand parent’’ dressa une forteresse infranchissable autour de moi durant cette période électorale où les nerfs étaient à fleur de peau. La nuit du 8 au 9 aout 2015, tu étais là. Merci ! Merci à Jean-Bernard Chéry, un ami qui ne ménagea rien pour m’aider à réussir dans toutes mes démarches. Merci à tous ceux qui, à leur insu, de loin ou de près ont rendu possible ma campagne au Borgne et surtout la publication de cette œuvre. Un merci mérité à Alex St Surin, PDG de Radio Mega qui, après ma douloureuse expérience des élections, m’offrit gracieusement son espace de radio comme tremplin pour rebondir. Un point d’appui qui me permettra, qui sait, de soulever le monde. À mon grand cousin Maurice Célestin dont le support moral est incommensurable. Merci Moy pour ta confiance et ton dévouement ! Sa touche se projette sur chaque mot et chaque page de ce livre. 13


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Wilkens Jean-Baptiste, Koulou, qui n’a jamais questionné un seul de mes projets; ses contributions sont inestimables. Charlemagne, Ti Capois, Pierre... Chapeau! Ma gratitude va aussi à des amis et collègues de média, de «Le Floridien » ; à mes fidèles auditeurs et lecteurs de partout qui m’encouragèrent à me tourner vers la production de ce papier. Une fois encore reconnaissance et hommage à vous parents, amis, alliés et collègues qui peuplez mes souvenirs et mes réminiscences, qui formez le décor, soit présent, soit passé de mon évolution. Trouvez, ici, l’hommage de ma gratitude infinie. Peu importe la mort pour ceux qui vivent par la pensée puisque la pensée ne meurt pas. À la mémoire de ma grand’mère Madame Alice Jean Pierre Ottinot, institutrice de carrière, de qui j’hérite mon goût pour les belles lettres et ma passion pour l’histoire et la recherche. À la mémoire de Handal Allonce, dit Frérot, disparu lors du tremblement de terre de 2010.Un cousin, un ami qui n’avait jamais négocié ses conseils et sa collaboration dans toutes mes entreprises. À la mémoire de Hudson Apollon, un marron des temps modernes, un héros abandonné sans fleurs ni couronnes, qui résista contre l’insolence et la barbarie américaines de 1915.Il a sa place aux côtés de Pierre Sully le petit soldat et de Charlemagne Péralte l’immortel À la mémoire d’Antoine Duvivier dit ‘’Gadginn’’ et Jean Désir, lynchés comme des bêtes sauvages par une populace avide de sang lors des émeutes lavalassiennes de 1994. 14


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À la mémoire de ceux qui ont péri lors des violents affrontements au Borgne depuis 1986 jusqu’aux évènements meurtriers consécutifs à la période électorale de 2015. À la mémoire de Pharès Duverné qui approuva sans hésiter dès le premier jour mon projet de me porter candidat à la députation pour la circonscription du Borgne. Tu es parti trop tôt ! À la mémoire de ceux dont le brillant passage au parlement est à mentionner : Edmond Paul : « la plus haute incarnation de la conscience nationale » d’après Anténor Firmin qui, lui, a su insuffler un sentiment d’estime de soi à l’homme haïtien, Raymond Cabèche, Seraphin Marti, Necker Lanoix, Marmontel Guillaume et tant d’autres partis sans fleurs ni couronnes.

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PRÉFACE La Saga haïtienne a amené au monde de l’écriture et de la lecture la narrative d’un écrivain qui substitue allégrement le poinçon à la plume. Tranchant et impitoyable, ce nouvel écrivain est né avec les yeux ouverts et perçants. Son regard rivé sur des objectifs précis ne l’empêche pas d'appréhender tout ce qui bouge dans la périphérie. Jose Davilmar est tour à tour le guerrier de la lumière et l’écrivain d’airain. Avec lui, c’est l’alternance entre le fils ingénu du Borgne et le candidat à la députation. C’est la curiosité de l’enfant à la recherche des cloches de la Santa-Maria et la réflexion de l’homme politique qui digère mal les maux de sa terre natale, lorsqu’il place sous la loupe les acteurs et les événements ayant marqué le vécu de ce coin de terre. Nul ne se connaît tant qu'il n'a pas souffert, disait l'autre ! Jose Davilmar ayant été victime des revers de la politique, nous livre sans détour son expérience et ses observations. Loin d’être un conformiste, l’auteur de : « La Saga haïtienne à la loupe d’un candidat » ne mâche pas ses mots ; il n'a pas froid aux yeux. Il a horreur du statuquo entretenu par un noyau dur formé d’immigrants contrebandiers, de brasseurs au pouvoir et de bandits en uniformes. C'est un nationaliste qui jette à la poubelle noirisme et mulâtrisme, car il demeure convaincu que seul l'haïtianisme pourra sauver Haïti. Ce fils du Grand Nord est hautement imbu du tort causé à la patrie commune par des historiens et hommes politiques haïtiens qui n'ont jamais pénétré les événements et les acteurs du passé. Cette œuvre se fait l’écho de la détermination d’un homme à réécrire l'histoire de ce pays. 17


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Actuellement analyste politique et commentateur de l’actualité sur les ondes des principales stations du sud de la Floride, Jose Davilmar ne milite pas seulement au sein de la presse parlée et télévisée, il intervient aussi dans les colonnes des principaux journaux haïtiens. « La Saga haïtienne à la loupe d’un candidat » étale à nu le spectre hideux des structures qui existent encore en Haïti. Structures contre lesquelles se heurtent tous ceux qui voudraient changer ce pays. Le témoignage de ce candidat malheureux aux élections de 2015, est assez édifiant. Il permet de comprendre à quel point ce pays semble avoir toujours été dirigé par des apatrides. Il aide également à découvrir l'incapacité des gens bien intentionnés à surmonter sans quelques égratignures les obstacles dressés devant eux par « la classe ». Vaincu au cours des dernières élections, aux résultats douteux, Jose Davilmar renait ici, entier, plus fort et plus déterminé. À ceux qui l’ont toujours vu de profil, l’auteur veut se montrer de face, debout et entier ! « La Saga haïtienne à la loupe d’un candidat » est sans conteste un ouvrage qui nous permet de comprendre les engrenages du pouvoir réel de 1804 à nos jours. Les leçons à tirer de : « La Saga haïtienne à la loupe d’un candidat » confirme le respect de la promesse des fleurs ! Jerry E Saindoux Diplomate de carrière, écrivain Auteur de : Nationalité, Citoyenneté, Apatridie West Palm Beach, Florida le 26 septembre 2016 18


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Avant-propos

Au lendemain du 7 Février 1986, la nation haïtienne, certes meurtrie semblait être prête à faire face à l’impérieuse nécessité d’entrer dans l’ère de la modernité. Agé de 17 ans au départ de JeanClaude Duvalier, j’ai vécu dans les moindres détails le renversement de ce régime dictatorial. J’appartiens à cette génération profondément marquée par les évènements résultant du départ de Jean Claude Duvalier. Porteuses d’espoir en apparence par moments, ces aventures pleinement vécues allaient façonner ma détermination à participer à la gestion de la « res publica » et ma conviction que je dois faire une différence. J’ai pu saisir ce qui était à ma portée et comprendre que la situation actuelle est le résultat d’un lent et cynique processus de non-développement et de l’immaturité des groupuscules politiques qui s’affrontent depuis l’orée de notre saga de peuple. Depuis 1986, les élites assistent impuissantes à l’histoire qui baragouine. Une histoire qui zozote à n’en plus finir. Sous Duvalier, ce fut l’arbitraire, la peur généralisée. Et après lui, le délire, l’anarchie, la démagogie. Chacun cherche à se construire une image revalorisante aux dépens de ses compatriotes. Cette dynamique néocoloniale s’appuie sur des liens féodaux étagés qui maintiennent les individus dans une situation sociale et économique foncièrement inhumaine. D’où la détérioration accélérée de l’environnement physique, social, moral et politique. L’incompétence s’est associée à la malhonnêteté pour accoucher d’un pays livide et agonisant. Incapacité de rebondir. Conséquences lourdes d’une attitude d’attentisme et d’espoir contenu, réprimé et refoulé. À cet effet, s’impose le déblocage psychologique d’une population inhibée qui a des désirs qu’elle ne peut pas exprimer. Des gens qui aspirent et tout simplement soupirent après. 19


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Actuellement, nous portons sur nos épaules le lourd fardeau d’une nation à élever, car de l’indépendance à nos jours, sa construction demeure encore à l’état de projet. Absence de compétences. Manque de clairvoyance. Légèreté. Insouciance. À date, Haiti expérimente encore des ballons d’essai. Les dernières élections nous encombrant d’un Michel Martelly comme Président remontèrent à l’année 2010. Et quatre ans plus tard, le peuple ne put encore exercer son droit de vote. Au contraire, la nation assista à des échauffourées sans merci entre l’exécutif et une 49ième législature inconséquente ; à un président qui passa plus de temps à se faire remarquer à l’étranger pendant que les institutions s’embourbent dans une totale déliquescence. Au demeurant, la corruption s’est glissée partout. Haiti devient le terrain de prédilection de la mafia moderne. Conséquemment la richesse ne s’acquiert que par les surprises de la fraude, de l’escroquerie ou de trafic illicite. La moralité n’a plus de garantie que dans les lois répressives. À l’évidence, le statuquo considère le progrès social comme une menace. Autrement dit, l’abondance, la durabilité et l’efficacité sont des ennemies. Des ennemies à combattre, à abattre. C’est dans un contexte de crise politique généralisée, d’irresponsabilité collective, de naufrage du bateau haïtien que le 13 mars 2015 , le secrétariat général de la présidence informe, par arrêté, que le peuple haïtien est convoqué en ses comices le dimanche 9 aout 2015 pour le premier tour des élections législatives, le dimanche 25 octobre 2015 pour le premier tour des présidentielles et le second tour des législatives et le cas échéant le 27 décembre 2015 pour le second tour de l’élection présidentielle. Il est indéniable que la disparité économique ne cesse d’augmenter. Face à l’imminence du danger de la déchéance haïtienne parvenue à une échéance telle que le rendez-vous avec le chaos est presqu’inévitable. Il se prescrit un brusque ressaisissement dans un 20


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sursaut collectif de sauvetage. Ce défi du changement profond et multidimensionnel doit inclure un redressement moral et une véritable révolution dans les mentalités. Tout ceci passe indubitablement par un chambardement général réalisable seulement et sûrement avec des hommes capables d’assumer le lourd fardeau de responsabilité crucifiant du pouvoir dans l’Haïti d’aujourd’hui. Il leur faut une conscience claire de la gravité de la situation d’un pays en détresse, un esprit prométhéen, mixant intelligence, créativité et imagination et une somme d’énergies herculéennes génératrices d’effort, de travail, de sacrifices, d’abnégation et de dépassement pour pouvoir secouer ce joug qui ne conforte que l’ordre cannibale. L’année 2015 ou année décisive offrit au peuple haïtien l’occasion de matérialiser parfaitement sa souveraineté. Le peuple, à travers des élections, alla déléguer la gestion quotidienne des institutions politiques à des représentants élus. Mais à l’évidence, les conditions ne furent pas réunies pour favoriser la tenue de scrutins à peine crédibles. Un exécutif qui voulut se renouveler à tout prix, une opposition qui ne jura que de se débarrasser d’un Sweet Micky tout feu, tout flamme. En fait, le blocus était prévisible puisque le flou éthique et l’absence du libre arbitre constituent les traits caractériels de la société haïtienne. En plus, il y a eu des précédents historiques qui recouvrirent à nouveau ce processus électoral de leur opaque manteau de coterie et dansèrent un parfait tango avec la fraude. Ce fut dans ce climat délétère, sauvage et explosif sur fond d’incivilité, d’incivisme et de culture de dénigrement que se tinrent ces joutes électorales auxquelles je participai comme candidat à la députation pour la circonscription du Borgne, Nord. Ma foi en la victoire du peuple haïtien pour son épanouissement total et en l’avenir d’une Haiti régénérée guida et encouragea mes efforts qui s’annoncèrent très tôt défaillants. 21


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C’est Lucien Febvre qui disait : «dans le bateau menacé, ne soyez point Panurge qui se salit de mâle peur, ni même le bon Pantagruel que se contente, tenant le grand mât embrassé, de lever les yeux au ciel et d’implorer. Retroussez vos manches comme frère Jean. Et aidez les matelots à la manœuvre ». Que ce livre serve d’inspiration à nous tous haïtiens, sur la base de son leitmotiv « passons à la manœuvre », pour bien construire notre présent et davantage réjouir notre avenir au profit de tous.

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Prologue Il était temps de rompre mon silence qui parut, somme toute, incompréhensible. 9 aout 2015, date fatidique de changement de cap de la barque nationale vers une destination alarmante : ce gouffre au bord duquel elle se trouve maintenant. D’entrée de jeu, j’aime autant préciser que mon objectif à travers ces lignes n’est pas de faire uniquement le récit de mon aventure électorale. Il s’agit plutôt de questionner la récurrence du mal-être haïtien. Après ma participation comme candidat à la députation aux législatives haïtiennes de 2015, j’avais jugé opportun d’enfoncer le bistouri dans les entrailles de ma terre natale et de façon spécifique dans celles du Borgne afin d’extirper le mal haïtien. J’avais déterminé de publier mes notes et réflexions à propos de mes implications, mes tourmentes et mes découvertes de patriote d’abord et de candidat ensuite. Ce scrutin dont les conséquences immédiates contribuèrent et contribuent encore à créer une situation perpétuelle de tension qui tient le pays sous la menace constante de la catastrophe. Je dois avouer que j’avais entrepris ce travail en pleine campagne électorale car j’avais voulu laisser une référence aux générations futures. Je n’écris pas pour faire parade d’une œuvre littéraire parfaite. C’est de préférence un sursaut, et mieux, une contrainte de ma conscience de citoyen entier, engagé, imperturbable qui me met face à deux devoirs : celui de parler, ne voulant pas, par mon silence, être complice de cette affreuse saga et celui de partager ma compréhension, ma lecture des événements politiques dont je suis tantôt témoin, tantôt acteur durant ces récentes années. Bref, mon cru constat. Comme l’a si bien dit Justin Dévot, «on doit la vérité à son pays et, quand on l’aime sincèrement. C’est un devoir de prendre l’initiative de la lui dire, quelque pénible qu’elle puisse être à entendre ». 1

Justin Dévot. Considérations sur l’état mental de la société haitienne, Paris, Pichon 1901

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Président de l’organisation Perspective Haïtienne dont l’objectif fut de travailler à l’intégration de la diaspora haïtienne, j’aurais mauvaise conscience à ne pas jeter un peu de lumière sur l’éclatement de cette prometteuse organisation, en vue de dissiper tout doute sur la pureté de mes intentions et en même temps évoquer les circonstances ayant causé cet échec. Echec ayant sensiblement contribué au développement de ma détermination à lutter, à bien choisir mes compagnons de combat et à l’affermissement de ma conviction en ma capacité de faire une différence en Haiti. Enfin, ce revers joua un rôle prépondérant dans ma décision de me porter candidat. Impossible de les dissocier. À travers cet ouvrage où le narratif et l’argumentatif forment une symbiose, j’essaierai au possible, dans une navette entre présent et passé, de défaire les maillons les plus entremêlés des chaînes de ma vie publique et d’essayer d’expliquer la permanence de certains vices dans notre vie de peuple. Un jeu de style qui permettra aux lecteurs, tout en s’informant sur des faits, de découvrir mon univers où la raison et l’action se côtoient à l’effet de suggérer de nouvelles tentatives pouvant susciter le réveil d’une nation à la recherche d’un leadership conséquent. L’omniprésence du brigandage et la récurrence des événements me permettent de relier hier et aujourd’hui pour mieux appréhender ce que Leslie Péan appelle: «cette déchéance morale dont les convulsions ont abouti au banditisme légal.» J’ajouterais institutionnalisé. Généralement et à chaque occasion, je récuse toujours le discours fataliste et résigné des éternels pessimistes qui croient que le sort de la circonscription du Borgne, par ricochet celui du pays, serait scellé. Pays foutu ? Pays de la guigne où l’on chasse le bon qui s’en vient et l’on affiche une indifférence à l’arrivée du mal si ce n’est 2

La semaine Dessalines: Le mauvais chemin pris par Haiti dans l’histoire. Texte publié le 13 cotobre 2015 par Leslie Péan

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qu’on l’accueille avec joie. En effet, ils ont peut-être raison car plus ça change, plus c’est la même chose. Et en dépit du renouvellement quasi périodique du personnel politique, les problèmes deviennent insolubles. Au niveau des familles nécessiteuses, c’est la perte de la foi dans le pays qui s’ensuit. Même le désir de changement s’accompagne de scepticisme sur sa possibilité de réalisation. Le constat est douloureux. La situation accablante. L’écart se creuse chaque jour entre la classe possédante et le prolétariat. A l’horizon, rien de réconfortant ne semble se profiler. C’est dans cette ambiance de découragement paralysant, de fatalisme sans espoir, de désespérance, de détresse et d’irresponsabilité collective que j’aspirai à représenter la commune du Borgne à la 50ième législature. Pour vouloir assumer ce lourd fardeau de député au nom du peuple, avec lui et à son service, il a fallu sans doute un amour du pays bien chevillé au corps et une claire conscience de la gravité de sa situation. Heureusement, je fais partie des filles et fils sur qui Haïti peut compter. Je tentai là où beaucoup hésitèrent. Ce fut l’inconnu. Un défi. Naturellement, ce serait ridicule de ma part de dire que cela ne comptait pas de gagner ces élections mais les voies et moyens utilisés à cette fin m’enseignèrent d’inestimables leçons. Rien qu’en me présentant, j’ai pu acquérir beaucoup d’expérience, d’habilité, de connaissance de moi-même et surtout du pays profond. À ce compte, gagner ou perdre, je vécus une aventure entièrement nouvelle, je rencontrai quantité de gens et j’en suis sorti avec une nouvelle conscience de l’état permanent de déréliction du pays, bref, je mûris. En plus : échouer, c’est bien dur mais ne pas essayer, n’estce pas encore plus dur ! Une période de campagne excitante qui m’a ouvert les yeux et l’esprit tant sur les choses que sur les gens de mon pays. Mais entre une nouvelle participation et abandonner définitivement, mon cœur balance encore. Le regard définitivement tourné vers l’avenir, je place cette 25


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démarche au cœur de la problématique du développement durable d’Haïti. Tant de questions restées sans réponse. Tant de problèmes mal abordés. Tant de lendemains qui déchantent. Face à la ténacité coriace et rusée des forces du statuquo, les partisans du changement structurel du système social haïtien se doivent de faire le plein. Je m’engageai à une relecture systématique de l’histoire d’Haiti. Je m’évertuai également, tout en tenant compte de nos perceptions et interprétations divergentes des enjeux et des luttes politiques, à ventiler ma démarche, à diversifier les auteurs consultés et à revoir des textes et des documents… Ainsi, je prétends, à travers ce travail, lever le rideau sur des scènes répétitives, les unes assez originales et fascinantes, et d’autres choquantes de la vie politique et sociale du pays avec la ville du Borgne et ses sept sections communales, comme toile de fond. Loin de tout élan émotionnel ou de tout échafaudage politique visant à légitimer tout acte assimilé à du pédantisme ou à de la distraction, mon œuvre se veut un vibrant plaidoyer pour comprendre et expliquer le présent et surtout construire l’avenir. Dans un premier temps, je me propose dans un cadre chronologique d’identifier la genèse de ce cancer qui ronge la classe politique haïtienne et qui bloque tout renouveau. Ce fléau qui s’étend sur plus de deux siècles. Tout en reproduisant mes réflexions et observations glanées dans mes recherches, je replace ma marche interrompue vers le parlement haïtien dans une perspective historique. Une bonne partie de cet ouvrage sera consacrée aux hommes et à la seule femme, Lise-Anne Prosper Hérard, qui ont jalonné et animé la vie parlementaire de la circonscription du Borgne depuis 1817. Dans la mesure du possible, j’essayerai de les ranimer, de souligner leur destin et de mettre en évidence leur carrière politique. Je tacherai, par devoir de mémoire, de mettre en relief certains noms, abandonnés sans fleurs ni couronnes, qui eurent à frapper de grands coups aux portes du par26


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lement haïtien sans réussir. Enfin, je raconterai mes hésitations, mes mésaventures et les perturbations de ma candidature, une expérience vécue pleinement. Nombre d’omissions et de silences sont volontaires, de même que j’adopte certaines hésitations et réticences à décrire et relever des discours et attitudes haineux dirigés envers ma propre personne car tout en exposant avec détails les évènements vécus personnellement, je garde un scepticisme prudent vis-à-vis des racontars d’amis et d’informateurs bénévoles qui pouvaient charrier dans leurs récits des intérêts particuliers et inavoués. Cependant, tout en admettant que certaines attentes et avidités légitimes ne seront peut-être pas totalement comblées par ces pages- puisque le lecteur est contemporain exact de certains récits-, j’espère au moins que ce livre témoignera aux générations de demain de la contribution de mes actuels compagnons de lutte dans cette saga d’une société haïtienne en quête d’une organisation administrative capable d’imposer, dans le respect, son développement économique et intellectuel.

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Chapitre I La Saga Haïtienne Après ma participation á ces élections totalement contestées, dont les résultats authentiques resteront lettres mortes, j’étais plongé dans de sérieuses réflexions qui me conduisirent à faire des recherches pouvant m’amener éventuellement à mieux cerner la saga haïtienne. Effectivement, mon vécu pendant ces trois dernières années au tréfonds de l’alma mater dépasse l’entendement et change radicalement mon approche et ma compréhension de la réalité haïtienne combien difficile à cerner. Tentant de mieux percer Haïti, je m’étais évertué, avec foi, à arpenter les arcanes de notre histoire aux fins de pénétrer son mal-être et son non-développement, tout en dégageant des conclusions pouvant me permettre d’en offrir un meilleur raisonnement. L’essentiel bien souvent échappe aux plus avisés car la situation révoltante du pays est bien plus complexe. Pour preuve, Anténor Firmin, Hannibal Price, Jean Price Mars, Edmond Paul, Leslie Manigat, sans être exhaustif, y ont patiné, trébuché et se sont cassés le vomer. Haïti constitue un défi à toute analyse rationnelle du fait même que chaque nouvelle génération essuie le tableau tout en gardant intact, précieusement, l’héritage colonial négatif accumulé depuis plusieurs siècles. Sur ce, je vais me permettre un va-etvient incessant entre autrefois et maintenant dans ma prétention d’extraire les racines du mauvais chemin emprunté par Haïti depuis le 1er janvier 1804. Parlant de la genèse du non-développement haïtien, il importe de relayer le diplomate originaire de Jacmel, Hannibal Price,3 qui écrit : « Le mal est venu avec la première dic3

Auteur de: De la réhabilitaion de la race noire par la république d’Haiti, publié en 1900. Il meurt à NY en 1893

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tature établie en Haïti à la suite et par l’effet de notre querelle de couleur de 1843 ». En ce sens, la complexité de l’évolution politique économique et sociale doit être étudiée méthodiquement aux fins de mieux saisir et comprendre les souches du brigandage haïtien. En effet, du 1er Janvier 1804 à nos jours, Haïti a connu un gouverneur à vie, deux empereurs, un roi, pas moins de trente-huit présidents permanents et un nombre impressionnant de gouvernements intérimaires. En réalité, il s’agit d’un système de gouvernement reposant sur l’omnipotence d’un seul homme, d’un maitre absolu. Au constat du problème endémique de gouvernance politique, Maximilien Robespierre nous met sur une bonne piste lorsqu’il dit : « Le véritable moyen d’anéantir les abus qui causent les malheurs publics, est d’aller aux sources principales d’où ils découlent. Or la première source des malheurs d’un peuple, ce sont les vices de son gouvernement… »i Le réveil des consciences sur la déchéance haïtienne commande, exige même d’aller au point de départ pour débusquer notre péché originel. Ainsi, une approche historique de l’effondrement de l’Etat haïtien qui se confond avec ses chefs en une entité presqu’indistincte, permet de camper l’histoire de la vie politique haïtienne en cinq grands moments : A.

Le mauvais chemin pris par Haïti (1804-1843)

L’indépendance haïtienne en 1804 n’entraina aucun projet de décolonisation véritable. Les colons expulsés et le système esclavagiste mis à mal, les nouveaux dirigeants conçurent la nouvelle nation sur les décombres du système colonial français dans le cadre d’une société féodale. Haïti devint la « première république noire » au monde avec une instabilité chronique caractérisée par une alternance entre tyrannie et anarchie.4 4

Haiti en mithes et réalités de yves Saint Gérard/ Édition Le Félin

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Selon M. Bitter, le général Dessalines, en qui Leclerc avait trouvé le « boucher des noirs, » des noirs insoumis, le premier chef d’Etat en 1804, serait une étrange figure, « un tyran possédé par la passion de l’indépendance, empereur brutal, bourreau de travail et jouisseur effréné, traits qui se retrouvent souvent en Haiti...si les personnages sont cocasses, dignes d’une comédie de boulevard, l’histoire haïtienne, elle, est un drame .Attentats, misère, souffrances, assassinats alternent, se suivent, monotones et lugubres, se mêlent en de dérisoires luttes mérovingiennes et révolutions de palais.» Comme la constitution de 1801. élaborée sans la participation d’un seul noir, celle de 1805 consacrait le retour du pouvoir absolu à vie. Dans les articles 19 à 37, la priorité est donnée à la concentration de tous les pouvoirs exécutif et législatif entre les mains de l’Empereur. Comme pour l’ancien gouverneur général à vie : Tout par l’Empereur, tout pour l’Empereur. L’ordre dessalinien imposa la déraison et la corruption au point où l’Empereur répétait souvent lui-même : « plumé poul la, pa kité li rélé5 ». Cette corruption exaspérait au point que l’Empereur, lui-même, reconnut l’urgence de mettre un terme aux gabegies et que les abus cesseraient au 1er janvier 1807. Malheureusement, l’Empereur, glorieux guerrier, périt le 17 octobre 1806, seulement vingt-deux mois après l’épopée du 18 novembre 1803, victime d’une conspiration ourdie depuis plus d’un an contre lui par ses propres frères d’armes. À travers cet évènement, on n’assista pas à la disparition d’un homme mais plutôt à la naissance d’une nation. En confirme l’extrait de cette lettre de Pétion adressée à Christophe : « Le peuple, en abattant le tyran à la journée à jamais mémorable du 17 octobre, n’a pas fait la guerre pour tuer un homme, mais bien pour détruire la tyrannie et pour changer la forme d’un gouvernement qui ne pouvait lui convenir en rien, et établir sa souveraineté.»iii 5

«Plumez la poule mais évitez qu’elle ne crie»

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Il importe de rapporter que chaque 17 octobre jusqu’en 1842, le pouvoir en place commémora la fin de la dictature et de la tyrannie par une messe solennelle. C’est Louis Pierrot, né en Afrique, un Bossale reconnaissant, une fois au pouvoir qui réhabilita la mémoire de Dessalines en faisant célébrer dans toutes les paroisses du pays un service funèbre saluant la mémoire du père fondateur. À préciser qu’au moment de la vérification des titres de propriété, Dessalines, face aux noirs et aux mulâtres accapareurs, a eu le courage et la grandeur d’âme de réclamer une part pour les nègres Bossales dont leurs pères sont en Afrique. Dessalines avait été l’homme extraordinaire de la lutte mais après la victoire, il n’eut ni le génie de l’organisation, ni le discernement des besoins et des nécessités du peuple à l’émancipation duquel il avait si largement contribué. Mise à part la poursuite d’une vengeance implacable vis-àvis des Français, l’empire paternaliste de Dessalines n’a apporté aucune garantie de liberté et de sécurité pour le citoyen et reposait sur la fidélité et la bienveillance des généraux vis-à-vis de l’Empereur. « Son pouvoir est l’œuvre de nos mains et le prix de notre courage », écrivit Pétion à Christophe. Après l’expérience de la toute-puissance dessalinienne, il faut reconnaitre dans la création du parlement, le 30 décembre 1806, une volonté non voilée de ne pas concentrer tous les pouvoirs entre les mains d’un seul homme. Ou du moins en théorie. Pour mieux diagnostiquer cette traversée du désert dans la république de la permanence du provisoire, il faut revenir sur le modèle politique qui avait servi de cadre de référence à nos pères fondateurs : celui mili32


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taro-administratif colonial reposant sur le pouvoir absolu d’un homme au-dessus des lois et au sommet des institutions. En effet, jusqu’au 4 avril 1843, Dessalines, Christophe, Pétion et Boyer, tous signataires de l’acte de l’indépendance, reconduisirent tout bonnement le contrat social louverturien d’un pouvoir créole contre les bossales comme mode d’organisation de la société. Ils conservèrent la structure et la mentalité militaires qu’avait imposées la lutte pour l’indépendance. Depuis Louverture, l’exécutif n’a qu’un seul projet : arriver au pouvoir pour durer. Sans ambages, le choix pour le despotisme, le totalitarisme est clair. Même la présidence, une institution républicaine n’en est pas épargnée. Lors de la révision de la constitution de 1806, la date de naissance du président figure parmi l’une des dates à célébrer étant donné ‘’les hautes vertus’’ du premier citoyen. Il importe de saisir le poids des traditions sinon on risque de partir du mauvais pied. A cet effet, il faut apostropher que les quatre premiers dirigeants, quatre signataires de l’acte de l’indépendance, ont tous été des chefs à vie : Un Empereur (Dessalines), un Roi (Christophe), deux Présidents à vie (Pétion et Boyer). Le dernier du carré, Jean Pierre Boyer, régna sur le pays pendant vingt-cinq (25) ans en bon héritier de la politique d’Alexandre Pétion, celui que l’on considère, à tort, comme étant le père du républicanisme. En assumant que : « Voler l’Etat n’est pas voler », Pétion créa un précédent qui constitue à bien des égards la base de nos déboires politiques. Le carcan, le corset étroit qui nous empêche de nous défaire de la corruption, cette gangrène qui ravage notre tissu social. L’obscurantisme de Boyer constitue une pesanteur insupportable pour la jeune nation. La politique ambitieuse du roi Henri 1er en matière d’éducation avec la création de la Chambre Royale d’instruction publique est abandonnée par l’administration de Boyer. Pire, la célèbre Université de Santo Domingo a été fermée. Effectivement, à la réunification avec l’Ouest, les écoles créées par le Monarque furent transformées en casernes. Une ode à l’absurdité. 33


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Il serait pertinent de souligner également que le long conflit fratricide initié par Christophe contre Pétion et Gérin depuis le 24 décembre 1806 contribua à ruiner davantage le pays qui avait peine à se relever des dislocations de la guerre de l’Indépendance. Envahie en plus par la pensée coloriste (noirisme/mulatrisme), Haïti sombra dans l’instabilité, la violence politique et l’anarchie qu’avait prophétisées Jean-Jacques Charéron. Le pays souffre d’une ‘’malformation congénitale’’ qui réside dans la longévité du pouvoir politique des dirigeants qui pratiquent l’exclusivisme, sans aucun souci de la vie humaine et des conséquences néfastes des mesures répressives qui continuent à hanter la mémoire collective. Parallèlement, il serait juste de mentionner qu’Haïti a pris naissance en 1804 dans l’hostilité à peine voilée des puissances étrangères. Ces dernières appliquent un isolement diplomatique et économique sur l’insolente et subversive colonie. Le pays a dû batailler, mener des luttes acharnées pour se tailler une place dans le monde « civilisé ». Le prix payé par Haïti pour acquérir son indépendance est astronomique. Les liens diplomatiques avec le Vatican ne seront établis qu’en 1860 alors que la jeune république est officiellement catholique. De leur côté, les Etats-Unis ont attendu 1862, en pleine guerre de sécession, pour reconnaitre la nation haïtienne. Quant à la France, elle refuse d’accepter l’indépendance d’une Haïti qui a été forcée de verser une compensation que le gouvernement du Roi Charles X fixa en 1825 à 150 millions de francs or. Un coup dur porté à une économie naissante déjà à genoux. Haïti honora tout de même sa dette qu’elle finit de rembourser jusqu’en 1938. À date, le segment le plus représentatif du peuple haïtien, ceux-là dont leurs pères sont encore en Afrique, pourtant tenus pour des parias, aspire à un changement profond et réel. Dr Price Mars a 34


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constaté que la brusque mutation de l’État des colonisés à celui d’hommes libres n’a pas eu la vertu de changer pour autant ni les conditions, ni la mentalité du plus grand nombre. N’y a-t-il pas lieu d’emprunter le mot de l’autre pour dire comme l’Afrique, Haiti est mal parti ? B. L’ère de la Régénérescence ou l’espoir assassiné (1843-1915) Entre 1804 et 1915 (111 ans), le pays connut 39 présidents dont la majorité voulurent garder le pouvoir au-delà de leurs mandats. On peut donc comprendre que cette époque qu’on appelle «Temps des baïonnettes » fut jalonnée d’insurrections, de violence politique et de luttes entre factions armées. À ce sujet, Roger Gaillard sans langue de bois précise: «On devenait Président d’Haïti, par des intrigues de couloir ou le sabre. D’élections libres et populaires, il ne fut jamais question.»v De 1843 à 1847 Philipe Guerrier, Louis Pierrot, le bonhomme Quoichi et Jean-Baptiste Riché, vieillards illettrés et / ou ivrognes se succédèrent alors que le pays s’engouffra dans une impasse politicienne. Le 1er Mars 1847, Faustin Soulouque, un illettré, fit son entrée en lice. Ce dernier se différencia par la restauration de l’Empire. En bon héritier de Jacques 1er, le despote Faustin 1er impitoyablement sema la terreur, surtout chez les mulâtres, pour garder le pouvoir pendant douze ans. « Savoir monter à cheval ». Telle fut la réponse de Mesmin Lavaud à la question : Que faut-il pour être un chef d’état haïtien ? Pour justifier cette déliquescence, il y en a qui clament que la proclamation de 1804 a été réalisée par des va-nu-pieds qui n’avaient rien à voir avec l’instruction. Dans la société haïtienne, les valeurs fondamentales jouent au yo-yo avec une tendance nettement dominante à la baisse. Conséquemment, La bêtise ne connait pas de limites et constitue indubitablement un poids insupportable dans l’Haiti agonisant d’aujourd’hui. 6

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Journaliste, député à la 16ème législature. Il meurt à Port-au-Prince le 5 octobre 1898

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La saga continue avec Fabre N. Geffrard qui précéda Sylvain Salnave, lui, fusillé sur les ruines du palais national pour être remplacé par Nissage Saget investi le 19 Mars 1870. Michel Domingue fit modifier la constitution de 1867 au profit de son neveu Septimus Rameau en établissant le poste de vice-président. Boisrond Canal cynique, madré, grand manœuvrier politique et fin calculateur domina la scène politique haïtienne pendant plus de trois décennies. Sous le gouvernement de Lysius F. Salomon (1879-1888) l’expérience du pluralisme en Haiti a été un échec. Plus tard, Florvil Hyppolite qui mourut d’une crise cardiaque le 24 mars 1896, mena le pays comme ses prédécesseurs avec une main de fer. De Thirésias S. Sam, 1896, jusqu’à Vilbrun Guillaume Sam,95 passant par Michel Oreste7, Davilmar Théodore, une pléiade de présidences de courte durée à l’exception de Nord Alexis six ans et Antoine Simon trois ans, le dépeçage effréné du pays s’accrut à travers une politique ténébreuse, sournoise et surtout inhibant. À souligner qu’entre temps, la partie de l’Est se déclara indépendante de la République d’Haïti dans la nuit du 27 au 28 février 1844 et se dénommait désormais République Dominicaine. Mais le 10 mai 1845, le président Pierrot déclara : « Je ne renoncerai jamais à l’indivisibilité du territoire.»vi Face à la menace d’une invasion éventuelle de leur patrie nouvellement fondée, les Dominicains s’armèrent de tous côtés et jurèrent « de se placer sous la bannière de n’importe quelle nation plutôt que de redevenir haïtiens. » En effet, Dessalines, plus militaire que diplomate, commit des atrocités lourdes, lors de la campagne de l’Est de mars 1805, qui pèsent encore sur les relations des deux pays. Faustin Soulouque fut le dernier chef d’Etat haïtien, après Rivière Hérard et Riché à tenter en vain la reconquête de l’Est. 7

Premier civil à parvenir au pouvoir après des élections libres et sans violence. Mais le gouvernement de l’ancien sénateur ne durera que huit (8) mois et vingt-trois (23) jours (4 mai 1913-27 janvier 1914)

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Depuis lors Haïtiens et Dominicains se partagent l’ile en deux Etats souverainement indépendants. À souligner que la population afficha une totale indifférence à ces projets. L’armée haïtienne, mal entretenue et négligée, se désintégra en fractions régionales au service d’intérêts particuliers et de luttes intestines entre frères d’armes dans la seule et unique idée de la conquête du pouvoir. Le despotisme dans sa forme la plus abjecte et l’anarchopopulisme devinrent les normes durant la période des baïonnettes. Les groupes de paysans armés du Nord ou « Cacos » constituèrent pendant un demi-siècle le moteur de l’histoire au service de la déroute de l’intelligence. La population ferma la chambre des députés sous le leadership du président Sylvain Salnave. Le Nord, puis le Sud du pays fit sécession en 1868. La couleur de la peau des principaux acteurs qui menaient cette macabre danse est venue apporter un assaisonnement terriblement pimenté à cette bouillabaisse de prétentions, de mensonges et d'ambitions. Ce fut, sous ces régimes d’éteignoir, la consécration de la débâcle de l’intellect dans cette guerre au cours de laquelle les forces émancipatrices d’Anténor Firmin sont vaincues par celles réactionnaires du général analphabète fonctionnel, Nord Alexis. Il faut souligner à l’encre rouge la nomination en 1889 de Joseph Anténor Firmin8 au poste de Ministre des finances et des relations extérieures sous le gouvernement de Florvil Hyppolite. Firmin se distingua par ses compétences, ses pratiques et sons sens du bien commun en réorganisant les administrations publiques. Il réussit même ce tour de force de doter le pays d’une trésorerie saine. Jamais les finances de l’État n’avaient été plus prospères. Son passage au 8

Anténor Auguste Joseph Firmin (1850-1811) membre du parti libéral, avocat enseignant, journaliste, signataire aux Gonaives de la Constitution du 9 Octobre 1889.Auteur de : « De l’égalité des races humaines »,1885 ; « Haiti et la France » 1891 ; « L’Effort dans le Mal » 1911 ; « Les adversaires des chemins de fer »1895 et plusieurs lettres ouvertes

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ministère des Finances laissa le souvenir d’une intelligence politique, faite de civisme exceptionnel et de probité administrative, un ensemble de pratiques qui ont fait naître le firminisme.vii Par ailleurs, la déresponsabilisation collective continue à métastaser toutes les couches de la société haïtienne. Impossible à ce pays de prendre son envol, de l’altitude. Toujours, c’est la répétition en cascade des mêmes erreurs. Le nanisme mental dont souffre l’Haïtien, plombe le pays en encourageant les vilaines postures, les comportements inciviques et abominables que nous reproduisons plus de deux- cent ans après la déclaration de notre existence comme nation. C’est une histoire de trahison, d’escroquerie, de corruption et d’encanaillement. Haïti est déchirée encore une fois par une disjonction profonde fondée sur l’origine sociale et les préjugés de couleur. L’historien Vertus Saint-Louis expliqua la mort de Dessalines en ces termes: « Il n’est pas question de faire passer Dessalines pour une victime innocente. Il est pris au piège de la lutte de classe et de race qui se livre dans la nouvelle société. » A bien des égards, il faut chercher à cerner pourquoi on comptait des noirs dans le complot pour assassiner Dessalines tout comme on a vu des mulâtres défendre l’Empereur au péril de leur vie. Et à Leslie Péan d’ajouter que ce poison coloriste lent, injecté dans les veines d’Haiti, a des effets multiples et récurrents. Au demeurant, ces repérages singuliers mais caractéristiques du milieu haïtien ont accouché de ce monde colonial compartimenté où chacun s’enferme dans cette pensée circulaire qui exclut l’autre. Faute d’y obvier à temps et efficacement, les élites haïtiennes, aujourd’hui dépassées par les évènements, assistent indifférentes et impuissantes à l’enfouissement du pays dans l’instabilité et la violence politique. Toute tentative de sortir Haïti de l’opacité passera 38


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par une rédemption nationale adressant de façon transparente les questions les plus fondamentales à l’effet d’arriver à une prise de conscience collective. L’épisode suivant constitue l’épilogue de plus d’un siècle dit des baïonnettes, de turbulences, de luttes intestines dans le seul dessein de jouir des privilèges du pouvoir alors que tous nos efforts auraient dû être consacrés à l’éducation du peuple, au développement du pays et à l’instauration d’un état de droit fondé sur la justice et le respect des libertés citoyennes. Bref, Nous avions tout simplement maintenu un non-sens économique, social et politique. Somme toute les réalisations, étaient restées en deçà des espérances accumulées depuis l’ouverture de la période que l’on croyait être l’ère de la Régénération. C.

Immixtion étrangère en Haïti (1915-1957)

Au-delà de l’incompétence, de la malhonnêteté et des mauvaises coutumes de la plupart des politiciens haïtiens, les effets pervers de la doctrine de Monroe placèrent le pays sous protectorat américain en juillet 1915. Le lynchage du chef d’état en fonction Vilbrun Guillaume Sam, le massacre par les sbires de Charles Oscar Etienne9 de 167 prisonniers politiques à la prison civile et la violation de deux ambassades étrangères servirent de prétexte à une immixtion américaine préparée, concoctée de longues dates par les stratèges politiques et militaires de Washington. Voici les détails de Berthomieux Danache à propos du « déchouquage » de V. G. Sam : « Dépecé en morceaux, ce cadavre fut promené à travers toutes les rues de Port-au-Prince, et la foule, une foule ivre d’alcool et de sang, lui fit cortège, tandis qu’une 9

Charles Oscar Etienne: chef de la police de Port-au-Prince à l’époque

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jambe et un bras étaient montrés en trophée dans l’Avenue Républicaine, l’autre jambe et l’autre bras étaient trainés à l’autre bout de la ville, dans les hauteurs de Turgeau et du Bois-Verna, de telle sorte que pas un de nos quartiers ne put se plaindre de n’avoir pas eu sa part du spectacle.»viii Le 28 Juillet 1915, Haïti assista hagarde à sa salissure par les bottes des yankees. La fierté nationale ternie ! Ce sentiment de honte n’a pas fait l’unanimité dans un milieu haïtien balancé entre acceptation tacite du fait accompli et indignation ou colère rentrée. Une certaine ambiguïté paralyse les consciences. Avant de mourir en exil à St-Thomas en 1911, à l’âge de 60 ans, Anténor Firmin termine son dernier livre par ce passage aux accents prophétiques : «Homme je puis disparaitre sans voir poindre à l’horizon national l’aurore d’un jour meilleur. Cependant même après ma mort, il faudra de deux choses l’une : ou Haïti passe sous une domination étrangère, ou elle adopte résolument les principes au nom desquels j’ai toujours lutté et combattu. Car, au vingtième siècle et dans l’hémisphère occidental aucun peuple ne peut vivre indéfiniment sous la tyrannie, dans l’injustice, l’ignorance et la misère.1x » Point n’est besoin d’avoir été clairvoyant ou bon diplomate pour augurer cette hécatombe qui s’inscrivit dans le cadre de l’accomplissement des desseins de Washington par rapport à une Haiti instable, située dans une position stratégique qui attisait l’ambition. Anténor Firmin n’était pas le seul, ni le premier, à dévoiler ce pressentiment. Plusieurs hommes politiques et écrivains haïtiens avaient annoncé ce jour de déshonneur. Le 24 Février 1896, du haut de la tribune du parlement haïtien, le député de Jérémie, Omer Cavé10 , au cours d’une intervention alertait la patrie en ces termes : 10

Député aux 21ème, 22ème et 23ème législatures

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« En courant à la ruine comme nous y courons, dans cinq ou six ans l’heure fatale aura sonné. Ce jour-là, le peuple haïtien sera traité comme sont traités les fils de familles débauchées : on leur donne un conseil judiciaire et ce conseil judiciaire, ce sera les commissaires étrangers qui s’empareront de nos douanes et viendront se payer les valeurs que vous leurs devez. » Parallèlement, en 1904 Théodore Roosevelt dans son message annuel au peuple américain annonce son intention: « L’injustice chronique ou l’impuissance qui résultent d’un relâchement des règles d’une société civilisée peuvent exiger, en fin de compte, en Amérique ou ailleurs, l’intervention d’une nation civilisée… » On dirait une doctrine faite sur mesure pour Haïti. Et plus tard, en 1908, ce même président américain s’en était clairement expliqué dans une lettre au Britannique Harry Johnson qui, de retour d’un voyage en Haïti, lui pressait d’intervenir pour remettre les choses en place dans ce coin troublé de la Caraïbe. Roosevelt reconnait qu’il aurait pu le faire déjà si le peuple américain était prêt à cautionner sa politique. La diplomatie allemande, à l’époque, en position de force en Haïti, méfiait quatre ans plus tôt une éventuelle invasion américaine comme le prouve cette assertion de Maton et Turnier : «Déjà en 1910, le ministre allemand en Haïti confiait au consul général anglais, le capitaine Alexander Murray, que la mainmise américaine sur les douanes haïtiennes était préjudiciable aux intérêts allemands.»x À l’intérieur du pays, la communauté syro-libanaise et bon nombre de locaux pensaient que l’annexion du pays aux Etats-Unis était la seule solution pour permettre à Haiti de mettre fin aux interminables guerres civiles qui marquèrent tout son 19ème siècle. Alain Clérié11 était tellement exaspéré par la déréliction ambiante 11

Avocat, né à Jérémie. Il n’assista pas à la l’invasion américaine en 1915 ; Il mourut le 6 mars 1906.

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qu’il écrivit le 21 février 1911 au Président américain William H. Taft : «Je termine ces lignes, où saigne mon âme meurtrie par les détresses de mes compatriotes, en sollicitant de votre bienveillance, dans le cas où vous vous seriez laissé pénétrer par la pureté et la sincérité de mon intention et de mes sentiments, qu’elle daigne me faire l’honneur de m’inspirer quant aux moyens de provoquer l’influence ou le contrôle effectif sur Haïti du gouvernement des ÉtatsUnis.»xi Depuis l’épopée de 1804, nous ne cessons de nous entredéchirer avec un tel acharnement que l’étranger finit par s’immiscer dans nos affaires internes pour nous imposer sa loi et ses caprices en juillet 1915. Cette occupation, la rançon de nos erreurs et de nos ignominies, a été aussi rendue possible par la malveillance de politiciens adultérés et par la malfaisance d’une bourgeoise antinationale, corrompue et égoïste. L’alibi majeur des collabos (les Haïtiens qui supportent l’occupation américaine) était l’incapacité de l’Haïtien à se diriger. « Pour une opinion urbaine travaillée par une campagne de journaux pro-intervention, l’Occupation vient mettre fin à une série permanente d’anarchie, d’absence de gouvernance, de troubles politiques et sociaux ponctués de violences criminelles…Peu de gens se rendent compte que l’option de stabilité dégénère en entreprise intellectuelle d’expropriation de l’Haïtien lui-même, d’expropriation de la liberté d’être d’un peuple dépossédé de sa souveraineté morale car placé désormais dans un cadre légal et normatif prétendant le changer de lui-même. »Xii L’étalage de la corruption de l’Etat a apporté de l’eau au moulin de ceux qui revendiquaient ouvertement une annexion d’Haiti aux Etats-Unis. Selon l’amiral Caperton, l’occupation américaine a été accueillie avec enthousiasme par l’ensemble de la classe dominante noire et mulâtre.

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Au cours de notre existence de peuple, bon nombre d’entre nos dirigeants ont manifesté cette volonté interventionniste. Pour un pays qui a acquis son indépendance au prix du sang et à la lumière de l’idéal de l’autodétermination des peuples, de tels agissements laissent le commun des mortels perplexe et dérouté. Témoin le 2 juillet 1843, le général de division Philipe Guerrier, futur président ayant fait la guerre de l’indépendance, adressa une lettre à Monsieur Guizot, ministre français de la Guerre à Paris : « Plutôt de nous voir sous la domination des petits mulâtres qui veulent envahir tous les vieux vétérans de la révolution et s’affubler d’épaulettes qu’ils n’ont point gagnées sur champ d’honneur ni par un long service, nous préférons remettre le pays aux Français, ses maitres légitimes. » Le regroupement épidermique, à lui seul, ne saurait expliquer une telle attitude de la part de l’un des artisans de 1804. Cet acte sans précédent de Guerrier fit des disciples en 1865. En fait, Sylvain Salnave, à la tête du conseil révolutionnaire du Cap, appela la protection américaine contre Geffrard, lui, soutenu par les Anglais en échange d’avantages commerciaux. Par la suite, les Etats-Unis ont été, en maintes occasions, sollicités d’accorder leur protection à des clans divers pour contrecarrer l’action des autres gouvernements européens (France et Angleterre notamment) dans le cadre des conflits de pouvoir en Haiti. Les marchandages se faisaient autour de l’enjeu du Mole St-Nicolas, comme base navale éventuelle (Salnave en 1867, Salomon en 1883). Plusieurs autres incidents, notamment celui de l’amiral Gherardi envoyé en 1891 par le gouvernement américain pour négocier la cession du Mole St Nicolas, traversent l’histoire d’Haiti.xiii Pire, en aout 1911, il était encore plus désarçonnant de voir Jean-Jacques Dessalines Michel Cincinnatus Leconte, se réclamant descendant de Dessalines dont il porta le nom, accepter l’offre d’armes et de munitions du Président dominicain Eladio Victoria y Victoria, proposition refusée antérieurement par Anténor Firmin. Ironie de l’histoire, l’ignominieux déplacement de Cincinnatus le hissa à la première magistrature du pays. 43


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La présence de l’occupant a attisé le penchant à la trahison des Haïtiens de toutes les conditions sociales. «À Cuba pendant longtemps, dit le général américain Waller, je n’ai pas pu recruter un espion. Aux Philippines, la seule fois qu’un homme s’est offert, c’était un agent des rebelles, mais à peine avions-nous débarqué à Portau-Prince que des citoyens s’engageaient dans notre service d’espionnage. Volontairement. Comment ne pas les mépriser!»xiv Haïti était déjà l’un des pays les plus déshérités du monde. Sous dépendance américaine, elle vit de dons et de prêts détournés sans vergogne par ses principaux dirigeants. Le niveau de vie de la population haïtienne, loin de s’améliorer, ne fit qu’empirer à cette époque. Des facteurs divers expliquèrent l’accroissement de la misère du paysan haïtien :la guerre des Cacos, les retombées de la première guerre mondiale qui, après 1918, entrainèrent une diminution considérable des importations européennes, la révision vers la hausse des droits de douane sur les produits importés, les expropriations des paysans qui se firent sur une grande échelle au profit d’imposantes firmes d’exploitations agricoles telles la Hasco, la Plantation Dauphin. Conséquemment, le paysan haïtien, privé de son lopin de terre, livré à lui-même, se trouvait acculé à travailler pour les firmes américaines payant des salaires de famine variant entre « vingt et trente centimes de dollar pour les hommes et dix centimes pour les femmes et les enfants.12 » Beaucoup avaient recherché une solution à leurs déboires dans l’émigration vers les champs de canne de la République Dominicaine et de Cuba. Et la lutte d’influence entre les puissances tutrices rendit encore plus complexe et plus précaire la situation des masses haïtiennes qui ne se résignèrent pas. Cette lutte séculaire, depuis notre indépendance en 1804 entre les cultures française et anglo-saxonne 12

Georges Sylvain, Dix années,opt.cit.,tome II ,PAGE 91

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pour influencer l’éducation en Haiti, prit de l’ampleur durant les deux décennies d’occupation américaine. Et cent ans après le débarquement des Marines américains, soit en 2016, les Etats-Unis ont la haute main dans cette croisée de fers pour l’hégémonie culturelle. Cette invasion ne se passa pas sans heurts. A signaler d’abord le patriotisme et l’héroïsme de Raymond Vilaire Cabèche, médecin, gonaïvien de naissance mais représentant de Pilate qui conclut, le 6 Octobre 1915, lors d’une séance au parlement qu’il ne posera pas sa signature au bas d’un procès-verbal qui, d’après lui, n’est que : « la vente de tout un peuple par 70 des siens sur 81.Cest pourquoi je dépose ma position de député de la 28ème législature en m’écriant une dernière fois: Je proteste au nom du peuple, de ses droits, de sa souveraineté ,de son indépendance ,contre le projet de Convention Dartiguenave-Wilson ». D’après ce même parlementaire : « la propriété, nous l’aurons peut-être ; les chaines, nous l’aurons certainement. » Suite à une telle prouesse, la presse rapporta qu’on riait dans la salle où se tenait la séance. Mais, en toute justice, il importe d’applaudir des deux mains l’acte de Neker Lanoix13 de suivre son collègue Cabèche en jetant sa cocarde de député sur le sol et de démissionner pour protester contre cette servitude nihiliste. Ensuite, en réaction au marasme économique, à la misère et aux nouvelles charges fiscales, le mécontentement et la contestation éclatèrent un peu partout dans le pays. Le 2 décembre 1928 les paysans du Sud organisèrent une manifestation au cri de « A bas la misère ! À bas les impôts » mais réprimée dans le sang puisque les Marines ouvrirent le feu et tuèrent une dizaine de personnes à Machaterre. Les étudiants prirent le relais le 31 octobre 1929 en lançant une grève pour protester contre une mesure du docteur Freeman qui avait décidé de réduire le nombre des bourses. Cette 13

Député de Port-de-Paix à la 28ème législature et Sénateur à la 29ème

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La Saga Haïtienne

grève s’étendit rapidement à l’école normale de droit et se transforma en un vaste mouvement de protestation qui gagna même les employés de la douane. Mais, peut-on parler de résistance réelle au regard de l’histoire militaire ? De préférence, des tentatives avortées, des velléités de soulèvement qui ratèrent d’être un mouvement de masse à possible dimension nationale parce que tout simplement sans référent idéologique. La rébellion armée des paysans Cacos sous le leadership de Charlemagne Peralte et de Benoit Batraville, rapidement vaincue, a été conduite par des hommes indignés, devenus héros par une extrême conjonction de circonstances dont la trahison des clercs. En lieu et place de la lutte armée, une résistance culturelle avec l’Union Patriotique prit le relais pour aboutir à la désoccupation du territoire. En effet, Georges Sylvain, Perceval Thoby, Elie Gérin, Félix Viard Joseph Jolibois Fils Clément Magloire, Eugène Victor, Etienne Mathon ou les « Cacos de la Plume » déclenchèrent un lever de bouclier contre l’occupant américain à travers des journaux tels La Patrie, le Courrier Haïtien, le Matin ou Haïti Intégrale. Ainsi, le courant nationaliste s’amplifia et ne ménagea point ses efforts pour dénoncer les excès des officiels de l’occupation. Même l’amiral Knapp reconnut la puissance de la lutte politique et idéologique de ces nationalistes en affirmant dans un rapport : « Bien que l’opposition soit formée d’hommes d’opinions diverses, elle est unie pour rejeter l’intervention américaine.» xv Finalement, les américains évacuèrent le pays, laissant son destin aux mains de dirigeants haïtiens, ses propres fils. Les présidents Sténio Vincent (1930-1941), Elie Lescot (1941-1946), Dumarais Estimé (1946-1950) et Paul Eugène Magloire (19501957) gérèrent la période post occupation. La détresse du peuple d’Haïti se poursuivit même après qu’on eut hissé le drapeau national 46


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au mât des Casernes Dessalines le 21 aout 1934. Action qui marqua la fin d’une indigeste invasion. Il faut quand même mentionner ses retombées économiques: un héritage apparemment prospère, un essor euphorique qui comme prévu fut suivi d’une crise sévère (boom and bust). Les vieux démons du « couleurisme14» ou la rationalisation sur la base de l’épiderme réapparurent en force sous le gouvernement d’Elie Lescot. À la question de l’authenticité haïtienne des noirs, Roger Dorsainville apporta la précision suivante : « Des noirs par priorité. Et que l’Haïtien c’était nous, les autres ne l’étant qu’à demi, ou au quart, ou à moins encore. A la vérité, cette revendication impertinente s’appuyait sur l’Histoire.xvi» En plus, le 19 juin 1946, du haut du podium du Grand Corps, à Max Hudicourt15 qui insinua qu’entre eux, il n’y avait pas d’antagonisme, son collègue sénateur Emile Saint Lot16 répliqua : « Moi, j’ai l’amour de la vérité; c’est certainement une chose qui m’est pénible, mais j’ai toujours senti qu’entre vous et moi ,il y a ,il y en a toujours eu, et qu’il y en aura toujours ;ceci ne dépend pas de nous, ce n’est pas notre conscience individuelle qui entre en jeu, ce sont les forces historiques que nous avons derrière nous .Ce sont les classes sociales dont nous sommes ici les représentants respectifs qui s’affronteront toujours en nous.» Peu de temps après le départ des américains, la nation haïtienne vécut une éclaircie, mais pas le bout du tunnel. Vitement, les jouisseurs revinrent à la charge sans aucune anticipation économique. A cet égard, on peut affirmer que le pouvoir politique et les élites n’ont jamais proposé au pays une véritable stratégie de décollage. Bref, des hommes de paille qui dirigent le pays d’une main de fer. La quête de pouvoir prime tout. 14 Querelle de couleurs (noirisme vs mulatrisme) 15 Elu sénateur du Sud le 18 juin 1946 16

Elu Sénateur de l’Ouest le 19 juin 1946

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Hypocrites, les responsables du pays sont toujours en mode « double jeu » : un nationalisme affiché, modéré et une collaboration rampante soucieuse de les protéger des mauvais coups de leurs adversaires politiques sans se préoccuper du bien-être commun. Ainsi d’un gouvernement á l’autre, les dirigeants de la classe politique traditionnelle haïtienne ne changèrent en rien les conditions de vie inhumaine des masses populaires et ne firent que transmettre jusque-là le legs colonial, alimentant la saga haïtienne. D.

L’avalanche duvalérienne (1957-1986)

Et, en 1957 survint l’avalanche duvalérienne qui symbolisa à bien des égards le comble de la stupidité de l’arbitraire et du fascisme. François Duvalier, ce personnage énigmatique et réservé, cachait sa vraie personnalité à multiples facettes où prédominait la paranoïa. Il affichait volontiers un air mystique dans son habillement portant en général des vêtements noirs, se coiffant d’un chapeau également noir, les yeux dissimulés derrière des verres épais à large monture. Il s’exprimait d’une voix monocorde, faible et nasillarde dans le ridicule but qu’il ait été identifié à «Ogou Feray 17». À noter en passant que le bleu et le rouge sont les couleurs d’Ogou alors que ce même Duvalier avait changé les couleurs nationales en noir et rouge. Quelle incohérence ! Cet homme mystérieux avait une sacrée croyance en son destin qui devait l’amener à mater l’arrogance des élites, à venger son humble origine, à dominer sur toutes les classes sociales, et à surmonter ses frustrations vis-à-vis de ceux qui l’avaient traité de haut au début de sa carrière médicale et de son entrée sur la scène politique. Mégalomane, François Duvalier, d’après Balland, en voulant dominer son peuple inventa le pouvoir subliminal à l’effet de gou17

Un lwa du vaudou haïtien, qui se présente sous plusieurs aspects. D’après la légende, pendant la révolution de 1804,les esclaves étaient tous possédés par Ogou ,JJ Dessalines inclus

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verner par l’hypnose. En mariant sa fille à un mulâtre, il s’enorgueillit d’avoir réalisé le vieux rêve de Dessalines qui n’avait pas pu convoler sa fille en justes noces au mulâtre Alexandre Pétion. Fantasme. Délire de la couleur de la peau. Au lieu de rendre caduque la pensée maléfique et insensée du racisme qui était présente dans la colonie de Saint-Domingue et qui continue avec Haïti après 1804, F. Duvalier et sa clique l’avaient dépouillée de sa quintessence au profit de la prolifération d’idées farfelues, occultes et ésotériques. « Le duvaliérisme est une forme idéologique incohérente qui amalgame tristement le réel et l’imaginaire haïtiens pour vider les concepts de toute leur signification classique. D’un discours à l’autre, d’une phrase à l’autre, sa pensée regorge de glissements sémantiques qui la rendent décousue moyenâgeuse et desséchante. Ses fondements faits de mysticisme, de magie, de préjugés et de tabous ont permis à François Duvalier d’imposer le règne du pouvoir occulte. La forme idéologique duvaliériste tire son existence de l’idéologie féodale locale dans ses aspects les plus rétrogrades : parti pris des Noirs et retour offensif des superstitions-au nom d’un prétendu retour aux sources-menèrent à la prolifération des illusions au nom d’une pseudo-unité harmonieuse haïtienne. Le racisme anti mulâtre fut la pièce maitresse de la philosophie duvaliériste, en fait banale excroissance idéologique fasciste qu’il faut bien déchiffrer.xvii» Duvalier, dans son approche désordonnée et machiavélique de la démocratie réduisit les processus électoraux à des simulacres. En fait, en Avril 1963, François Duvalier, se proclama président à vie au moyen d’élections législatives anticipées pour se faire plébisciter. Après le referendum du 14 juin 1964, il ne broncha pas : « Il n’y aura plus d’élection sur la terre d’Haïti pour désigner un nouveau chef d’État…Je serai seigneur et maitre…j’ai toujours parlé avec l’énergie farouche qui me caractérise, avec toute la sauvagerie qui est mienne xviii ». Aucun respect pour le pouvoir législatif réduit à une 49


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peau de chagrin. Dans son hallucination, avant sa mort en 1971, il passa les rênes du pouvoir à Jean-Claude, son fils âgé seulement de 19 ans qui, lui, en digne héritier, dirigea sur les traces de son père jusqu’au 7 février 1986. Ce qui accéléra notre descente aux enfers. Les élections à tous les niveaux se résumèrent à des choix appropriés entre des duvaliéristes, candidats officiels, face à des figurants. Aveuglés par le mirage de leurs privilèges, les défenseurs du régime des Duvalier multiplièrent les embûches et les crimes, ciblèrent et éliminèrent les nouvelles têtes pressenties pour leur succéder, en plus refusèrent de reconnaître leur propre incapacité. Pendant près de trente (30) ans : les atavismes du monisme, de l’absolu, de la querelle de couleur et de l’impunité furent renforcés, toutes les aspirations vers le mieux-être pour le peuple haïtien ridiculisées, le décollage économique du pays plombé encore une fois par un régime despotique et rétrograde. Sous le règne des Duvalier, ceux qui n’avaient pas été fauchés par la machine répressive étaient forcés de prendre le chemin de l’exil. Entre 1971 et 1977, durant cette période relativement courte sous Duvalier, le pays reçut un montant de 470 millions de dollars (dont 300 millions en prêts) qui n’améliorèrent nullement les conditions des masses populaires. Les recettes furent aussi détournées par les dirigeants qui collectèrent 95 millions de dollars en 1975 et n’en budgétisèrent que 45, environ 47% du montant global selon le rapport du 28 septembre 1976 de la Banque Mondiale. Ainsi les dignitaires duvaliéristes firent des caisses de l’Etat leur véritable vache à lait. A cette même époque, le chômage toucha 60% de la population en âge de travailler et le taux d’analphabétisme fut de plus de 80%. Tous les indices économiques de l’époque prouvèrent la faillite de la dynastie duvaliériste, grand pourvoyeur de fléaux comme la famine qui tua 20 000 personnes en 1975-1976 selon la FAO. Bref, le plus grand déclin de l’agriculture eut lieu sous la dictature des Duvalier 50


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où la portion de l’agriculture dans le Produit Intérieur Brut (PIB) passa de 50% 18 en 1957 à 28%19 en 1986. Ces chiffres présentant un inquiétant état des lieux ne sauraient étonner, car élu président, François Duvalier s’était proposé selon ses propres déclarations «d’administrer la misère financière et la pénurie économique.» De l’explosion sociale antiesclavagiste de 1803 au régime des Duvalier, les systèmes économique, social et politique haïtiens ne bénéficièrent d’aucune réelle transformation. A partir de 1957, ce méga-pouvoir d’un genre nouveau, absolu, atypique et fortement personnalisé institué par Duvalier et pour Duvalier restructura à jamais l’échiquier politique haïtien. Ce régime bouleversa totalement les donnes en ouvrant l’avoir à des « gens de rien » et le savoir á des analphabètes. D’où la dévalorisation de l’avoir et la banalisation du savoir. L’état mental lamentable de ma génération et son incapacité à saisir les origines de la décadence héritée du duvaliérisme s’expliquent aisément car des ouvrages tels : Anténor Firmin de Jean Price-Mars paru en 1964, L’échec du firminisme de Marc Péan paru en 1987, et La déroute de l’intelligence de Roger Gaillard paru en 1992, ne furent même pas disponibles sur les étagères des bibliothèques. La priorité était donnée de préférence à un pouvoir occulte englué dans un esprit fantasmagorique. L’expérience de l’avalanche duvaliériste rendit les pauvres plus pauvres et les minorités privilégiées plus riches dans un pays où une petite élite-3% de la population- juchée sur les hauteurs de Portau-Prince, se partage 85% des principales ressources économiques du pays. Arriéré, tyrannique, mafieux et népotique, le régime duvaliérien tomba de son propre poids le 7 Février 1986. Dans l’intervalle, le vieux démon de la mauvaise gouvernance continua à hanter 18

World Bank, Haiti: Agriculture and Rural Development, Diagnostic and Proposals for Agriculture and

Rural Development Policies and Strategies, Washington, 2005, The World Bank, p. 14. 19 FAO, « Haiti Country Brief », Rome, FAO, 2010.

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le pays. Depuis, Haiti frappe de grands coups aux portes de la démocratie. Spéculation. Espérance. Perspectives. Et la saga continue. E.

1986 : La saison de tous les dangers

Au 7 février 1986, Haïti se réveilla hébétée de la torpeur duvalérienne après vingt-neuf ans de descente aux enfers. Il s’en était sorti un peuple exsangue, essoufflé, abattu et démoralisé. Néanmoins, les masses populaires marginalisées fraichement réveillées de leur catalepsie voulurent imposer le changement. La classe ouvrière, déguenillée et affamée, et le prolétariat ne perçurent plus d’être traités en parias. Dans ce combat contre l’exploitation et l’oppression, ce fut un véritable pari de penser à perpétuer la politique de la ruse, du mensonge, de l’intimidation, de l’insouciance et du terrorisme d’état déguisé dans le seul et unique but de garder le pouvoir politique définitivement. Ainsi, devrait s’ouvrir avec le départ de Jean-Claude Duvalier l’ère dite « démocratique », forme de gouvernement dans lequel la souveraineté émane du peuple. Mais ce fut sans compter sur l’homme haïtien qui se retrouva encore inapte à emboiter le pas. Comme pour donner raison à Georges Bernanos qui synchronisa :« Ce sont les démocrates qui font les démocraties, c’est le citoyen qui fait la république ». Effectivement, cette démocratie tant réclamée buta à chaque fois sur la maladie infantile des hommes politiques haïtiens : diriger seul. En fait, le hoquet provoqué par le coup d’état de Roger Lafontant dans la nuit du 6 au 7 janvier 1991 faillit entraver le processus d’entrée dans la démocratie après la tenue d’élections dites « libres, honnêtes et démocratiques ».Ce ne fut que partie remise puisque le 29 septembre 1991, les militaires, les thuriféraires, les tenants de l’absurde et de l’arbitraire, au service de l’ordre cannibale, revinrent à la charge en renversant le gouvernement dit « démocra52


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tiquement » élu du prêtre Jean-Bertrand Aristide après seulement sept mois de règne. Ainsi, pendant trois ans, soit jusqu’au 15 octobre 1994, on assista avec tristesse comment les détenteurs et associés du pouvoir, en jacket ou en uniforme, en jouant à qui perd gagne, laissèrent se détériorer la situation. Après les militaires, les «marassas» du mouvement «lavalas» se remplacèrent. Comme dit le vieil adage, les coquins ne s’entendent jamais jusqu’au bout. La division eut vite raison de Préval et Aristide, les deux faces de la médaille de l’égalitarisme par le bas. Il n’est plus à démontrer que Jean-Bertrand Aristide et René Préval mirent en place une dictature ubuesque qui paracheva l’œuvre de destruction totale du pays initiée par le régime des Duvalier. Avec une éthique flexible et sans état d’âme, ils se sont bouchés le nez pour avancer dans le mauvais chemin de l’engrenage de l’occupation. En deux occasions, 1994 et 2004, l’étranger a été invité à intervenir sur la terre de Dessalines et de Pétion à l’invitation d’Aristide lui-même. À rappeler qu’Aristide, élu, s’était engagé «seulement à passer de la misère à la pauvreté.» Irresponsable, incompétent, hypocrite et sans conviction, J.B. Aristide trahit tour à tour la prêtrise, Charlemagne Peralte qui fut son modèle et les Haïtiens qu’il dit tant aimer. Le pouvoir Lavalas exerce le Duvaliérisme sans Duvalier. En purs produits du duvaliérisme, les lavalassiens ont pratiqué le même arbitraire économique, politique et social. J B Aristide et François Duvalier que l’on tente souvent d’opposer par manque d’informations ou par subjectivisme participèrent l’un et l’autre à la même dynamique de ce despotisme arriéré et rétrograde qu’il faut extirper de notre mentalité. D’ailleurs ces deux pouvoirs, s’adressant à la même clientèle, utilisèrent essentiellement les mêmes fantasmes des masses populaires. Bref, Papa Doc et Titid incarnent deux images mentales qui maintinrent les masses populaires et les classes moyennes dans un état de dénuement total en Haïti. 53


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En fin de compte, tout ce tintamarre, créé par le mouvement lavalas de 1994 à 2011, n’a pas su renouer le peuple haïtien avec la grande tradition des temps forts, encore moins l’aider à sortir de cette longue nuit dictatoriale peuplée de ‘’cauchemars traumatisants. ‘’ Au contraire, en voulant s’accrocher au pouvoir en 2010 par l’imposition de Jude Célestin, René Préval a présenté la « Soulouquerie rose » sur les fonts baptismaux. Pendant ces cinq dernières années (20112016), Michel Martelly, le 57ième de la liste des chefs d’Etat haïtiens, en bon héritier de ses prédécesseurs a confirmé que son autoproclamation de « bandi légal » n’était pas surdimensionnée. Dans une interview accordée en 2003 à Céline Raffali de ‘’Le Monde Diplomatique’’, Lyonel Trouillot20 s’en est révolté en ces termes : «Le problème de Martelly, c’est qu’il propose une politique de charité. Il est incapable de concevoir un projet de refondation du pays. Son équipe est constituée d’enfants de la dictature (Duvalier) élevés dans le mépris du peuple.xix» Il importe de rappeler qu’entre temps, le tremblement de terre du 12 janvier 2010 a envenimé l’image déjà épouvantable d’un pays naufragé, d’un état failli. Cette catastrophe naturelle majeure, sept sur l’échelle de Richter, l’équivalent de plusieurs bombes atomiques qui auraient explosé sous terre, exposa à la face du monde une Haïti agonisante, un état effondré et un peuple à bout de souffle. Plus de 3.5 millions d’individus en situation d’urgence médicale et sanitaire, 1.5 millions de sans-abri, des villes entièrement détruites, des dégâts matériels chiffrés à 7.8 milliards de dollars soit 120% du Produit Intérieur Brut de 2009. Le décor défaillant laissé par ce cataclysme fit penser à l’apocalypse. Des tentes sales, déchirées et collées les unes aux autres. Les promesses des donateurs de la communauté internationale se révêlent, six ans plus tard, une vaste plaisanterie De la Commission Intérimaire pour la Reconstruction d’Haïti (CIRH) formée au lendemain du séisme au Fonds de Reconstruction d’Haïti 20

Journaliste, poète, écrivain. Il a été fait Chevalier des arts et des Lettres en 2010

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(FRH) qui a pris la relève en décembre 2011, la reconstruction est « un bourbier d’indécision et de retard » selon l’ONG britannique Oxfamxx. Haïti n’est pas au bout de ses peines. En effet, le choléra y fut introduit en octobre 2010, par le contingent de Népalais de la Minustha basé à Mirebalais. Cette épidémie qui touche les plus pauvres, après six ans, a fait à peu près 10.000 morts et a rendu malades plus de 800.000 personnes. Le vibrion du Choléra21 trouva des conditions favorables pour faire des ravages et ses recrudescences sont redoutables. « Entre 2010 et 2012, il y a eu plus de cas en Haïti que dans l’Afrique tout entière », souligne l’épidémiologiste Renaud Piarrouxxxi. Étonnamment, ces funestes évènements n’enlèvent même pas le sourire à l’Haïtien. Peuple bon enfant, en vérité… Pas l’ombre de l’angoisse. Point d’émoi. D’ailleurs, la population a trouvé un nom assez affectif au terrible séisme pour oublier ses macabres effets: ‘’Goudougoudou’’. Ce qui remet en question Nelson Mandela qui dit : « De l’expérience d’un désastre humain inouï qui a duré trop longtemps, doit naitre une société dont toute l’humanité sera fière. » Les conséquences du séisme ou du choléra laissent l’Haïtien indifférent et aphasique, puisque peu de temps après ces terribles tragédies, il piaffe, danse et festoie comme si tout allait bien. Le docteur Jean Price-Mars, lui, ne dit pas le contraire en avançant que « l’Haïtien est un peuple qui chante, qui danse et se résigne. » La stase idéologique et les stupides ambitions d’individus incompétents créèrent les conditions favorables à un chaos. Chacun à sa manière, tous les chefs d’État de l’ère post duvaliérienne, sabor21

Les Nations unies reconnaissent leur implication dans la terrible épidémie de choléra qui frappe

Haïti seulement 6 ans après (aout 2016)

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dèrent les espérances des masses populaires et refusèrent toute alternative sérieuse. C’est tout bonnement le replâtrage duvaliériste sur fond d’ouverture démocratique. Mais quelle démocratie ! L’ambition démesurée des militaires comme Namphy, Avril ou Cedras, l’irresponsabilité et la mégalomanie d’Aristide, sa pédanterie surtout, l’incompétence de Préval et la bouffonnerie de Martelly nous ont conduit à l’actuelle condition sociale explosive. Trois décennies après le départ de Jean-Claude Duvalier, la situation haïtienne n’a fait qu’empirer. Six ans après le séisme, la population continue de subir les conséquences d’une reconstruction désordonnée. C’est un constat d’échec puisque les dirigeants n’ont pas pu apporter à la grande masse paysanne, tenue dans une détresse chronique, l’espoir tant caressé de voir poindre à l’horizon cette volonté manifeste de respecter ses droits fondamentaux tels l’accès à l’éducation, à la santé, à la nourriture, enfin aux besoins de base. F.

Requiem pour médiocrité en Haïti

De Toussaint à aujourd’hui, le pouvoir totalitaire constitue la toile de fond d’une gouvernance marquée par la corruption institutionnalisée, le népotisme et l’arriération. Les nouveaux dirigeants succombent vite aux charmes de leurs prédécesseurs, laissent la servitude remplacer l’esclavage et replâtrent toujours les schèmes du système colonial au profit des minorités autochtones répondant globalement au qualificatif d’élites. Deux cent douze ans après l’épopée de 1804, le pays est livré à vau-l’eau parce que les dirigeants n’ont jamais eu le courage de prendre des risques de travailler à l’émancipation des masses haïtiennes. À part quelques exceptions près, ces chefs d’Etat, consumés par la tunique de Nessus, affichent un état mental accablant et délabré où la sottise, devenue prétentieuse, est solidement ancrée. Dans sa recherche de la vérité politique du jour, Claude Moïse est persuadé que derrière les situations présentes, 56


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d’autres situations similaires avaient, en d’autres temps, inspiré des politiques et fait bouger des individus. En ce sens, au cours d’une fête organisée au Cap en l’honneur de l’Empereur Jacques 1er, au vu d’un saut réalisé en dansant par l’effréné viveur Dessalines, Henri Christophe déclara assez haut pour être entendu par tous ceux qui étaient présents: «Voyez sa Majesté ! N’est-il pas honteux que nous ayons à notre tête un tel sauteur?xxii». À ce compte, Sténio Vincent s’identifierait en digne héritier de l’empereur de par son comportement de libertin qui a prôné la fameuse formule des quatre B: «Bouillon, Boisson, Bamboche et Bâton ». Des pratiques reproduites et exploitées à dessein par ses successeurs et qui s’éternisent dans les manières d’agir de notre masse populaire achetable et corvéable à merci. Chair à canon avantageusement utilisée par nos politiciens. Dire que pour inaugurer l’ère post-Duvalérienne, le Général Président, Henry Namphy, en bon disciple de Bacchus et de Sténio Vincent avait convié le peuple Haïtien à une « bamboche démocratique » sans fin dont les conséquences néfastes se font pleinement ressentir de nos jours. Dire encore que récemment, on pouvait s’indigner autant à propos du comportement trivial de Michel Joseph Martelly, le 38ème président permanent qui ne rata jamais l’occasion de distraire le grand public avec ses grivoiseries et ses « gouyad22 ». Véritable amuseur public qui indispose même ses proches collaborateurs de par ses manières trop ordinaires. À rappeler que Daniel Supplice, dans son discours d’investiture comme son Ministre des Haïtiens Vivant à l’Étranger, l’avait traité, non sans raison, «d’infréquentable». Ces faits attestent des constantes, des ressemblances frappantes et des récurrences qui définissent la majorité des dirigeants haïtiens de tout temps et qui ont conduit le pays dans cette spirale infernale de non-développement chronique. 22

Tours de rein

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Sans une autre façon de concevoir et d’agir, aucune régénération n’est possible. Le mal haïtien est colossal, comme le disait Jean Dominique :« la porte est infiniment étroite pour que nous nous en sortions. » Victimes d’un morcellement sur mesure, les haïtiens ont compartimenté la société à l’extrême et y ont construit une autocolonie réussie et uniquement gérée selon les quatre volontés de l’homme au pouvoir. En dépit des conquêtes constitutionnelles telle la reconnaissance officielle du créole et du vodou, gardiens intraitables de notre identité ; rien n’a remué. Tout au moins dans le bon sens. Au contraire, les mêmes fourberies persistent et se reproduisent. Nous concourons, malgré tout, inlassablement, à l’enfouissement abyssal de notre mémoire. Ce qui expliquerait notre incapacité mentale à anticiper ; d’où notre stagnation. Le poids de la tradition ancestrale, l’héritage de la destruction positive et l’esclavage durant trois-cent ans, à eux seuls, provoqueraient-ils chez nous des réflexes aussi arbitraires, insulaires et irresponsables ? Egoïsme. Corruption. Bovarysme. Perfidie. Malice. Ségrégation. Des tares ou failles qui au lieu d’être combattues par nos dirigeants sont exploitées en vue d’imposer à chaque fois des gouvernements antinationaux agissant non au mieux des intérêts du pays. Une société où la vérité bannie, le savoir méprisé, ne culminera que des dangers au lieu de rebondir. D’où le découragement paralysant à propos de la désespérance haïtienne. Voilà pourquoi, l’émigration qui charrie avec elle son chapelet d’abus et d’humiliations constitue l’unique porte de sortie de cet enfer. La survie est garantie seulement à l’extérieur. En 1908, déjà, Louis-Joseph Janvier déclara : « Haiti, singulier petit pays, même les cochons, s’ils le pouvaient, le quitteraient. » Ces propos, douloureux à entendre et à digérer, confirment avec éloquence et réalisme que notre coin de terre n’a pas tourné autour du soleil. 58


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En réalité, la première grande vague de l’émigration haïtienne date de l’occupation américaine. L’exode des paysans haïtiens souligne Paul Moralxxiii , prend des proportions considérables à partir de 1915 ; elle a désorganisé pendant près d’une génération la vie paysanne, dans la presqu’ile du Sud notamment. En 1924, le nombre d’Haïtiens se rendant annuellement en République dominicaine en quête de travail pouvait être estimé à 10.000. Autour des années 1950-1960, une vague massive de socioprofessionnels en quête d’opportunités et pour des raisons politiques fuyaient la terre natale: médecins, avocats, enseignants s’en allaient par bandes répétées vers les cieux plus cléments de l’Afrique et du Québec. Aujourd’hui, Haïti ne fait qu’exporter de façon massive ses cerveaux. Les Amériques du Sud et Centrale deviennent l’Eldorado ou la terre-transit vers les États-Unis. Des agglomérations urbaines comme New-York, Miami, Boston, Chicago rivalisent presque avec Port-au-Prince ou le Cap-Haïtien en terme démographique. À présent, Le Panama, le Costa-Rica et la Colombie ont sollicité l’aide de l’ONU pour faire face aux milliers de migrants haïtiens. Malgré les risques de cette longue traversée vers les ÉtatsUnis, notamment des forêts truffées de bêtes sauvages, la désespérance aidant, l’émigration haïtienne prend une ampleur incommensurable. En effet, aujourd’hui on ne peut parler d’une diaspora haïtienne mais plutôt de « diasporas » étant donné sa diversité, sa dispersion et ses impacts sur la vie nationale. Ainsi nous nous devons de nous dégager du « faire semblant » et du carcan : « sé dé jou nap viv » pour aborder l’avenir avec sérénité. Oui ! J’avais voulu passer à l’action à travers ma candidature pour empêcher au statuquo de tuer toute velléité réelle de rupture avec les farouches gardiens de l’absurde et de l’archaïsme. À présent, il ne suffit pas de parler de la patrie, de sa gloire passée 23

« Notre passage ici-bas est de courte durée ».

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et de son présent malheureux. C’est l’heure des bilans. Prendre des dispositions pour améliorer son sort est une exigence. Un ‘’must’’. Comme l’aurait dit St-Thomas d’Aquin : « Conscience oblige ». Pour réformer la culture morale et intellectuelle du peuple, il faut moins de paroles mais plus d’acte. Les gens sont inhibés, le déblocage psychologique de la collectivité se prescrit, s’impose même. Le potentiel latent doit enfin se manifester pour le bien de ladite collectivité qui, de tout temps, ‘’aspire’’ mais ne se contente que de soupirer, après. Cette déchéance morale est le fruit d’un mauvais départ dont les agitations ont parachevé l’œuvre d’écrouler l’État. Au demeurant : une nation débile. Une société grabataire. Un état insignifiant. Un peuple suicidaire. Faut-il rappeler que chaque perfidie politique entraine une perfidie sociale ? En bute à ces mauvaises habitudes et à cette culture nihiliste, le pays a besoin de s’ouvrir comme une huître pour rétablir des aspirations nouvelles, nobles et élevées dans l’unique et ultime but de combler un profond vide existentiel, source de notre arriération, de notre attitude d’attentisme et de notre atypique relation avec la vérité, le beau et le rationnel. Un Haïtien est supposément jugé, évalué aujourd’hui à l’aune de la somme d’efforts, aboutis ou pas, qu’il a accomplis pour donner un peu de gloire et de fierté à l’alma mater, Haïti. L’insuccès ne diminue pas le prix de la tentative qui doit servir d’exemple aux générations de demain dans cette course de relai. Depuis la fulgurante épopée de 1804, Haïti expérimente encore des ballons d’essai. L’élection au second degré de Jocelerme Privert, ce 14 février 2016 comme 58ème chef d’état est une confirmation de notre récurrent balbutiement. Un vrai tour de prestidigitation pour tirer le lapin du chapeau ! L’acharnement déployé par la majorité de nos dirigeants aux fins de s’accrocher au pouvoir n’a produit que luttes fratricides, occupations étrangères, misères, calamités, délabrement de l’espace physique, économie débous60


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solée, bref, une détresse haïtienne que les coutumiers dirigeants ne sauraient adresser, tandis que la population s’impatiente de voir arriver cet espoir tant refoulé à travers son histoire. L’ingérence des pays étrangers dans les affaires internes du pays se précisait durant le 19ième siècle et s’était confirmée en 1915. Et Aristide a porté le coup fatal à notre souveraineté en 1994. Jamais l’étranger n’a été aussi présent dans la vie haïtienne qu’aujourd’hui. D’où la nécessité urgente et définitive d’un requiem pour le despotisme et la médiocrité dans le pays : deux ‘’péchés mignons’’ à la limite, mais pourtant mortels pour notre « démocratie » sur mesure. Et si seulement Dessalines et ses généraux, artisans de la geste historique de 1804, avaient suivi les recommandations de Theodat Trichet et de Guy Joseph Bonnet qui leur proposèrent de suivre le modèle républicain présidentiel jeffersonien ! Il est judicieux de rapporter ces propos de Bonnet à l’Assemblée nationale de 1806 : «C’est par la séparation des pouvoirs, citoyens, que les Américains sont devenus nombreux et florissants dans une progression tellement rapide que les annales d’aucun peuple n’offrent un pareil exemple. La séparation des pouvoirs a jeté sur l’Angleterre un éclat que n’ont pu obtenir les défauts de son gouvernement.24» La situation haïtienne est inquiétante. Elle nécessite une refonte politique et économique en profondeur. L’urgence est partout et en tout en Haïti. Le pays est à une phase où les normes et les valeurs morales s’effritent au contact de mauvais modèles, où la pensée intellectuelle se raréfie. Le despotisme s’érige en règle. Fort de cet massacrant constat, je m’étais donc imposé de me tourner vers notre passé, d’analyser les écrits des devanciers pour mieux comprendre le présent et de dégager avec clarté des perspectives qui s’offrent à nous pour construire l’avenir. 24

Lu par Guy Bonnet à l’assemblée nationale de 1806

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Pour cela, il est impérieux de tourner le dos au passé avec tout ce qu’il charrie de rétrograde et de nécrotique. Comme disait à peu près Friedrich Nietzsche, le serpent qui ne peut changer de peau meurt. Il y va de même des esprits que l’on empêche de changer d’opinion : Ils cessent d’être esprits. Face à cette situation révoltante, le peuple haïtien affiche un immobilisme, une inertie qui prend le contre-pied de Maximilien Robespierre qui, dans son discours du 26 mai 1793 au club des Jacobins, déclara : « Je vous disais que le peuple doit se reposer sur sa force ; mais quand le peuple est opprimé, quand il ne reste plus que lui-même, celui-là serait un lâche qui ne lui dirait pas de se lever. C’est quand toutes les lois sont violées, c’est quand le despotisme est à son comble, c’est quand on foule aux pieds la bonne foi et la pudeur, que le peuple doit s’insurger.xxiv»

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Chapitre II Pourquoi le Borgne ? « J’ai grandi au Cap-Haitien. Ma mère, originaire du Borgne nous permit, mon petit frère Maraldy et moi, de nous y rendre souvent au cours des années 80 pour les grandes vacances d’été. Ces époques laissent, dans mon esprit, des traces indélébiles et une myriade de souvenirs. Mus par notre insouciance et nos élans de jeunesse, nous débutions nos interminables et inlassables journées avec la même routine : á Fond Lagrange,le matin,pour une séance d’entrainement de football (Tilafin, Cœur-de-Lion ou Solide…) suivie de plongeons dans la mer adjacente au terrain de jeu ;et pour nous rincer le corps à l’effet nous débarrasser de l’excès sel accumulé, nous traversions toute la ville pour nous rendre á la rivière de Petite Guinée (Ti ginen). Ces randonnées étaient toujours teintées d’un « pété kouri »25 pour éviter des pluies de pierre venant d’un fou bien connu de tous qu’on taquinait ou bien de quelqu’un á qui nous donnions des sobriquets á connotation comique mais bien souvent méchante ; la journée se termina toujours sous la véranda de Boss Théla JADOTTE où le groupe J.A.C.26 créa l’animation, à sa façon, jusqu'à fort tard dans la nuit. Comment passer sous silence les randonnées régulières du mardi, á l’aube, avec Man Villard, jour de marché du Petit-Bourg du Borgne, où boudin-sang, boucoussou, tifilo, canne-á-sucre et fritures se consommaient á profusion. Je voyais venir avec peine le mois d’octobre qui annonça la rentrée des classes et la fin des joyeuses vacances, tout simplement mon retour au Cap-Haitien où les rigueurs des vies citadine et scolaire m’attendaient. Après toutes ces années, je garde précieusement dans ma mémoire et dans un petit coin de mon cœur les noms, surnoms et 25 26

Sauve qui peut JAC=Jadotte/Allonce & Co

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sobriquets borgnelais qui ont toujours suscité mon intérêt par leur originalité et surtout leurs diversités.»27 Au demeurant, je suis le produit de quatre communes du département du Nord : Borgne, Cap-Haïtien, Limbé et Port- Margot. Ma mère, Jacqueline Jean-Pierre, borgnelaise, rencontra mon père, Joachin Davilmar dit Dadou au Cap-Haïtien, lui, natif de Port Margot. De cette union, naquirent au Limbé, à l’hôpital « Anro levé », trois enfants (je suis le cadet) qui grandirent au Cap-Haitien. Alors, dans ce va et vient triangulaire, entre le Borgne et Port Margot pour les vacances et Cap-Haïtien pour les études, mon cœur a toujours balancé pour ce petit coin baptisé à juste titre : Venise d’Haïti. Aux fins de rétablir la vérité historique, je voudrais préciser que le prêtre Henry Beugé, belge de nationalité, est l’authentique auteur de la fameuse appellation, Venise d’Haïti, attribuée à la ville du Borgne. Contrairement aux mal informés qui voudraient faire croire que les Duvalier, père et fils, en seraient les concepteurs. Horrible usurpation, en vérité ! Cette petite ville tranquille, exotique où, gamin, je fus initié aux jeux de cache-cache et de cerf-volant, demeure mystérieuse et difficile à décrire tant sa nature est distincte et éclectique. Elle imbibe mes moindres souvenirs d’adolescence. Les eaux glacées de la Savatte, les superbes plages de Fond-Lagrange. Celles de Sablegra. La caverne du Borgne. Des rues simples et bien tracées. Les longues randonnées pour des rencontres de football durant lesquelles l’on grimpait et dévalait des mornes abrupts à n’en plus finir. La majeure partie de la commune se retrouve incrustée dans les montagnes. Entourée d’eaux douce et salée, en fait une presqu’ile, 27

Extrait d’un texte de l’auteur de ces lignes publié en mars 2010 : Parade de noms & prénoms dans

la société borgnelaise. (lisez le tout en annexe)

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cette localité offre un spectacle idyllique en son confluent qui s’apparente à un nœud rehaussant la beauté d’une parure spontanée et enchanteresse. On dirait une féérie. Le Borgne, avec ses sept sections communales, ses cinquante-neuf habitations et ses quarante-six localités, séduit et capte ses visiteurs au premier contact tant par son ossature géographique que par l’hospitalité de ses habitants, des fois, trop fiers. En plus, c’est la circonscription de la rue des Médisants ; de la rue Gingembre trop-fort ; du pont Barque, le seul jeté sur la mer dans toute l’ile ; de Trou d’Enfer, du bassin Waka, du Mont Aigu, de Seau Manman et de tant de lieux enchanteurs qui laissent chaque touriste pantois. Mais l’abandon et le mauvais traitement infligés à ces sites ont toujours préoccupé ma pensée au point de déclencher en moi cet ardent désir de servir cette commune au plus haut niveau à l’effet de la transformer, de changer son visage et de me porter au secours de ses habitants vivant dans le ‘’sous-humain’’. Ironiquement, cette belle contrée, aux rues bien tracées, au paysage complexe, à l’instar de beaucoup de villes côtières haïtiennes, donne dos et à la mer et à la rivière. Le fleuve, communément appelé l’Estuaire, draine l’eau de la rivière jusqu’à la mer entre une vaste plantation de canne-à-sucre, plusieurs maisons dont les façades donnent sur la rue des Pitons, elle, baignée par la mer à son extrémité orientale et par la rivière à l’ouest. Les cours d’eau, calmes en surface, serpentent au pied des montagnes en murmurant. Pourtant dans les profondeurs, les courants roulent impétueusement et s’entrechoquent dans leur course éperdue vers la mer où chaque goutte d’eau se réjouit de se ‘’saler’’ en se dissolvant dans l’immensité de l’océan.

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Dans le recensement des ressources et potentialités du Borgne, soixante-sept (67)28 points d’eau ont été inventoriés dont six (6) rivières, quarante-deux (42) sources, quatre étangs et quinze (15) lagons. Cette zone comme le reste du pays chante et danse sa misère paradoxalement dans un environnement riche. Un vrai paradis sur terre. Malheureusement la misère effarante dans laquelle patauge la population de cette zone est occultée par ce décor exotique et calme. La grande population vivote grâce à de petits services ou d’activités dérisoires qui masquent le profond malaise physique et moral des plus pauvres. Mais on est vraiment loin de l’horreur des bidonvilles de Port-au-Prince ou du Cap-Haitien. Le Borgne est ficelé aujourd’hui et on ne fait qu’attendre avec beaucoup d’appréhension le déroulement de ce cynique bal. Une nation désorientée, une circonscription chamboulée et déchirée en permanence par un schisme profond fondé sur des conflits de personnalités et de zones, une terre malade qui ne nourrit plus ses fils et ses filles. La régénération et la prise en charge du Borgne par lui-même nécessitent la participation de ses ressortissants, éparpillés partout, disposant du savoir, de la bonne volonté et des capacités intellectuelle et physique à l’effet de fournir leur apport sensible et inconditionnel. En réalité, tout ceci fait de moi la résultante d'un milieu et d'une époque travaillés par des forces contradictoires m’identifiant à un produit constamment en quête d’équilibre et d’action. Que de fois ai-je servi le Borgne ! Adolescent, je participai bénévolement à la restauration de la route de Chicano, à la renumérotation des maisons, à la redésignation des rues, à l’organi28

Source :Institut Haitien de Statistiques-2005/Inventaire des Ressources et des Potentialités des Communes.

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sation des cours d’été pour les plus jeunes ; sans compter des cotisations financières à toute activité porteuse d’espoir pour la population nécessiteuse. Le slogan « Borgne, je reviens ! » est le fruit de mes mûres réflexions sur la formule à adopter pour encourager les Borgnelais vivant à l’extérieur à tourner le regard sur ce coin qu’ils prétendent aimer. Mon idée de la création d’une foire médicale annuelle a été une réalité soutenue depuis juillet 2012. Mes modestes et régulières contributions aux activités du 4 novembre pour fêter la Saint Charles Borromée dans le sud de la Floride de même que ma présence pendant deux ans comme secrétaire du Club StCharles, témoignent de l’intérêt que je porte à mon patelin. Toujours est-il que je me présentai comme candidat à la députation dans l’idée que le Borgne à l’instar de tout le pays a besoin d’hommes et de femmes « neufs » pour se refaire une santé intellectuelle et morale. A la question de savoir si j’avais bien évalué les risques auxquels je m’étais exposé dans une circonscription réputée violente et intolérante, je n’ai fait que citer Saint-Charles Borromée en guise de réponse : « Pour éclairer, la chandelle doit se consumer. » A.

L’influence de ma grand-mère

Mon intérêt pour la politique prit naissance dès mon plus jeune âge dans cette cité connue pour ses belles plages comme Chouchou Bay. J’ai subi l’influence profonde et positive de Madame Alice Jean-Pierre Ottinot, la mère de ma mère, qui prit plaisir à nous réciter à l’occasion de textes très longs et évocateurs sur les bords. «La Conscience » de Victor Hugo particulièrement m’ensorcela et me marqua profondément. Cette grande personnalité, je veux parler de ma grand-mère, m’initia très tôt aux espaces de discussions politiques. En effet, ma grand-mère, une dame de grande culture au lan29

Le Saint patron de la ville du Borgne depuis le 4 novembre 1753

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gage facile, une ancienne de l’Ecole Elie Dubois, prit le temps d’accueillir ses amis du cercle duvaliériste et autres dans l’intimité de sa modeste résidence de la rue du Nouvelliste, Borgne. En ces lieux, j’ai vu défiler bon nombre d’hommes politiques de toutes catégories. Je fus témoin de tant de conversations dont je pus déchiffrer le sens et les portées seulement des années après. J’avais toujours dit à ma grand’mère que je participerais au changement de ce pays. Les fruits ont, en effet, tenu la promesse des fleurs car je suis devenu depuis quelque temps un acteur politique de premier rang en Haïti et dans la diaspora. Ma grand-mère, Tante Alice, Veuve pour certains, Man Pedro pour d’autres m’enseigna non seulement les leçons de la vie et les bonnes valeurs mais me prévint souvent, toutes les fois que l’occasion se présentait, des contradictions violentes dans la culture politique haïtienne depuis notre existence de peuple. J’ai été toujours subjugué par son implication dans les élections de 1957 portant François Duvalier au pouvoir. Elle clama toujours et à chaque fois son attachement à la « révolution » duvaliériste qui fut pour elle une nécessité. Un passage obligé. Man Pedro serait confortable et fière à répéter après Leslie François Manigat : « En 1957, j’ai voté pour François Duvalier. C’était évident. Le message de Duvalier correspondait à quelque chose de réel et de profond pour le pays.xxv» Voici qu'en 1994, un grand évènement politique alla changer drastiquement le cours de l’existence de ma grand’mère. En cette année-là, le 15 octobre, le Président Jean-Bertrand Aristide retourna au pays, après trois ans d’exil en accordant aux responsables américains le droit d’occuper militairement Haïti. Effectivement le 19 septembre, vingt mille militaires américains débarquèrent au pays comme le souhaitait J.B. Aristide dont le cynique slogan « makout pa ladan 30 » se matérialisa par sa volonté de châtier ceux qui furent duvaliéristes ou macoutes. Cette épuration prônée par le populiste 30

Le duvalieriste/macoute doit rester en dehors de tout

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prêtre-président conduisit le pays à l’impasse de la pseudo-lutte anti macoute qu’il substitua à tout programme politique cohérent, capable d’offrir une alternative économique et sociale viable aux masses populaires qui le soutinrent. À l’époque, les hordes lavalassiennes engagèrent une guerre tout azimut aux macoutes de Duvalier et aux membres du parti politique FRAPH.31 Celui-ci fut un prolongement du duvaliérisme. Tout fut permis aux ‘’Lavalassiens’’ au nom d’un mouvement supposé salvateur. Ainsi on tua, on tortura, on déchouqua dans l’impunité la plus totale. Tout ce qui bougea et qui ne fut pas un tenant du populisme d’Aristide mérita le Pè Lebrun.32 Les bévues et les assassinats gratuits, les crimes crapuleux ne manquèrent. Le Borgne ne fut pas épargné par le rouleau compresseur « lavalas » qui installa dans le pays une peur dont les convulsions avaient conduit à un exode interne massif. Ainsi, le Borgne vit partir pour ne plus y retourner d’authentiques fils et filles essuyant les foudres des adeptes du démagogue et pédant Aristide. Au moment où les troupes lavalassiennes déferlèrent vers le centre-ville, ma grand’mère, et bon nombre de ses alliés politiques partirent pour Port-au-Prince où un exil à l’intérieur du pays leur fut imposé. Loin de son coin natal, exposée à l’inclémence des hommes et à la cruauté de la vie, elle survécut dix rigoureuses et longues années dans la capitale haïtienne. En effet, elle rendit son âme à Dieu le 12 mars 2005 chez elle, à Delmas, rongée par la maladie qu’elle supporta avec courage et inflexible confiance en Dieu. Ses restes furent déposés à Pax Villa, Port-auPrince, le 19 mars de la même année. Est-elle morte ? Maurice Maeterlinck ne pouvait mieux répondre :« …au plus insignifiant de nos actes "nos morts " se lèvent, non pas, dans leurs tombeaux où ils ne bougent plus, mais au fond de nous-mêmes, où ils vivent toujours». 31 Front pour Avancement et le Progrès d’Haiti 32

Le supplice du collier ou du pneu enflammé

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Je me présentai à ces élections parce que j’aime passionnément et mon pays et la commune du Borgne au nom de laquelle j’avais voulu parlementer. J’y ai vécu les meilleurs moments de ma vie notamment ceux de mon enfance et une bonne partie de mon adolescence. Mieux que cela, j’avais tenu à vénérer un parent, une héroïne, Alice Jean-Pierre Ottinot, ma grand’mère qui évoqua souvent le dernier vers du long texte titré « Conscience » de Victor Hugo : « L’œil était dans la tombe et regardait Caen.» À l’effet de rappeler à quiconque d’être toujours et d’abord en harmonie avec soi-même, sa conscience. À ce stade, il convient tout de même d’évoquer les aspects singuliers et mythiques qui traversent la vie dans cette cité. Le spectre de nombreux fils et filles partis pour l’éternité hante ce coin de terre mystérieux. Et parmi tous les personnages illustres du Borgne dont les ombres peuplent le séjour des morts, il n’en est point que je puisse souhaiter rencontrer que Barres Sam33, Hudson Appolon34 et Pierre-Charles Jean-Pierre dit Pedro.35 B. Barres Sam, l’intriguant La mystérieuse disparition de Barrès Sam depuis novembre 1963 fraye encore l’imaginaire collectif borgnelais au point qu’Ernest Bennett,36 lui aussi, ayant connu ses avatars politiques, rapporta cette mythique aventure dans la première partie de son livre: « Du rire aux larmes ». Parmi les textes choisis, figure : « Les Trois hommes fortsxxvi » . Voici : « Un samedi matin, tandis que je causais avec ma mère, en son magasin du Borgne, nous fumes interrompus par une 33

Barres Sam :maire de la ville du Borgne en 1963

34 L’exil dans la politique haïtienne » par Anthony G. Pierre 35

Pedro, chanteur de l’orchestre Septentrional, terrassé très jeune par la mort lors d’un accident de la route le 12 Février 1978 36 Ernest Bennett, originaire du Borgne, père de Michèle qui fut l’épouse de Jean-Claude Duvalier. I mourut en Floride le 12 aout 2008

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des Cote-de-fer, section du Borgne. Le visage tourmenté comme celui de nos premiers parents, elle dit : Mme Bennett, je vous avais dit hier : « Soyez compté » pour les quatre milles gourdes que je vous dois, car je venais de recevoir quinze milles gourdes de mon fils qui travaille depuis quinze ans à Nassau, mais, à présent, je vous dis plutôt « Requiem Aeternam » pour le nommé Cérès (Barres Sam) et deux autres malfaiteurs Cimitus et Silidor qui ont fait main basse sur cette somme destinée, disent-ils, à acheter sur place des complices pour un embarquement. Mme Bennett, poursuit la dame, il y a un bon Dieu et cet argent leur sortira par les trous de nez. Avant Huit jours ils fonderont tous les trois comme de la mantègue dans une marmite de feu. Cémise que je suis, fille de Dalira et de Ticho ! Hai ! Batt chien tan’n mèt li ! Sur l’heure, je ne prêtai pas trop d’attention aux imprécations de cette Pythie noire. Apres tout, nos paysans ne sont-ils pas des illuminés et ne ‘’suis-pas considérés’’ moi-même comme un loup-garou dans la région pour avoir prédit le mauvais sort à un chenapan qui dans un accident a réellement été frappé ?La malédiction proférée par Cemise diffère complètement de la mienne et ne saurait en aucun cas relever de la coïncidence ni du hasard car dans son tissu, des faits, si bien imbriqués, comment ne pas reconnaitre l’action d’une force mystérieuse ?Après tout, qu’elles s’appellent Ahriman en Perse, Siva en Inde, Typhon en Egypte ou Djinn en Arabie, que les divinités infernales empruntent aux malins ses cornes, son pied fourchu ou sa fourche, les histoires vraies comme celle des Trois hommes forts ou de la paysanne qui, dans ses contorsions de Zanges , avait prédit l’explosion du Palais national où disparut le président Leconte ne nous inclinent-elles pas à un certain manichéisme dont il nous est pas aisé de nous départir ? Cerès (Barrès Sam) s’embarque à Saint-Louis du Nord dans un canot équipé d’un moteur hors-bord avec un groupe de six personnes dont 71


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un officier de la GDH (abréviation de l’époque). Deux heures plus tard, la chaloupe s’engage dans l’embouchure de l’Estère. Une lame de fond la soulève et la précipite sur le rivage, versant NORDOUEST. Cerès gagne le pont avant, saute sur la plage et, appelle au secours en appuyant sur la gâchette de son revolver. A quel moment précis a-t-il disparu ? Il ne s’est pas noyé, car il n’était pas tombé dans l’eau, aucune trace de sang n’avait coloré la mer. D’ailleurs, il était un excellent nageur. A-t-il été enlevé ? Difficile tout de même d’enlever à dix heures du matin, en présence d’un officier e police et de neuf autres personnes, une autorité lourde au moment précis où elle vient d’appeler au secours les marins et leur famille massés à une centaine de mètres de la berge. Non loin de la scène mouillait aussi un voilier en partance pour Nassau et rempli de marins et de passagers. Et après les recherches demeurées vaines, sur terre et dans l’eau, la police fouilla de fond en comble le voilier. Les prêtres et les religieuses de la congrégation Sainte-Croix qui assistaient de leur balcon à la scène du sauvetage, interrogés, ont déclarés n’avoir rien vu qui puisse prêter à suspicion. Précisons pour l’histoire, que la ceinture de balles ainsi que le revolver de Cères (Barrès) ont été retrouvés plus tard sur une tombe dans un cimetière abandonné, à quelque cinq-cents mètres des lieux. Bref ! Mystère sur toute la ligne. L’émoi que suscita la disparition de Cérès n’avait pas l’air d’inquiéter dame Cémise qui fumait tranquillement sa pipe sur son habitation, aux Côtes-de-Fer…Ainsi les autres compères affolés, prirent-ils la décision, l’un de partir pour Nassau dans le voilier qui attendait dans la baie ,l’autre de regagner Port-de-Paix, sa ville natale. Cémitus prit sur ses’’ deux vitiellos37’’ la route de Port-dePaix en ayant soin d’éviter les Cote-de-Fer où habite Cémise… Arriva-t-il jamais à destination ? Il semble que non puisque ses parents du Nord-Ouest ont signalé sa disparition et porté le deuil. 37

À pieds

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Après dix jours, le voilier touche enfin le port de Bahamas. Et c’est alors que les passagers annoncèrent par radio l’effarante nouvelle que la nuit même de leur départ, ce vendredi fatal à Barres et à Cémitus, Silidor lui aussi a été comme volatilisé. » Cet enfouissement, après plus de cinquante ans, continue à faire l’objet de vives conversations dans certains salons des originaires du Borgne. Le flou persiste encore jusqu’à nos jours. Aucune enquête n’a été diligentée officiellement afin d’élucider la disparition de Barres Sam, maire de la ville à l’époque et de deux de ses sbires. Tous trois jouant le rôle de dénonciateurs se rapportant au ministère de l’intérieur. À remarquer que curieusement les trois compères malfaiteurs ont été des portés disparus, ce, dans des situations différentes. Bon nombre d’hypothèses, les unes plus abracadabrantes que les autres, ont été émises. La plus persistante reste la vengeance de la dame Cémise, victime de spoliations. Il faut également souligner que Les familles BAZILE et SAM, toujours en conflit ouvert, ne ménagèrent aucun moyen de se terrasser l’une l’autre. Domitil Bazile, un septuagénaire respecté de la ville, fut sciemment passé à tabac par le jeune et virevoltant Barres Sam, ne respectant personne. En ce sens, je partage avec vous ce billet d’Ernest Bennett adressé à François Duvalier, président d’alors, à propos de ce terrible et énigmatique accident : « Mon cher président, L’enquête que votre excellence vient d’ordonner sur la disparition de trois espions relevant du département de l’Intérieur témoigne d’un souci louable de protéger vos collaborateurs. Néanmoins, dans le cas de ces messieurs qui faisaient à votre gouvernement plus de mal que de bien, une pareille enquête équivaudrait à une approbation des actes regrettables posés par ces chenapans. Les circonstances mêmes de leur disparition ne révè73


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lent-t-elles pas des desseins impénétrables de la Providence ? Aucun homme ne possède encore le pouvoir de briser les vies de trois mauvais larrons dans des circonstances si dissemblables et sans laisser la moindre trace. Bénissez au contraire la Providence de vous avoir débarrassé de ces mécréants dont les vices dissimulés par des apparences de fidélité au régime, exaspéraient jusqu’à l’angoisse toute une population qui vous a toujours aimé comme un père. Veuillez donc renoncer, Excellence, à cette enquête qui tourmenterait davantage ces âmes endormies aujourd’hui dans l’indifférence générale et jamais prise de scrupules mêmes tardifs et considérez que le rappel de tant d’horreurs que l’enquête exhumerait ne serait jamais sans douleur pour une population qui en avait marre de ses fripouilles…. Sincèrement vôtre… » C.

Hudson Appolon, un héros inconnu

Dans son ouvrage titré : « L’exil dans la politique haïtienne», Anthony Georges-Pierre rapporta : « En 1920, un incident assez curieux s’était produit dans la commune du Borgne. Hudson Appolon, arpenteur de formation surprit, le lieutenant Mac-Knapp, un officier américain, commandant du sous-district du Borgne, en train de chatouiller sa femme dans l’intention de la violer dans sa propre maison. Menacé par l’officier, Hudson tira son revolver et abattit d’une balle à la tête, l’intrus qui avait osé attenter à la pudeur de son épouse. Immédiatement, il se jeta dans les bois pour échapper aux marines et aux agents de la gendarmerie lancés à ses trousses. Pendant quatorze ans, il tint le marquis, déjouant continuellement toute tentative de l’arrêter ou d l’abattre. Ce ne fut qu’au départ de des Américains, en 1934, qu’Hudson Apollon reçut 38

Anthony Georges-Pierre a été porté sur les fonts baptismaux par Hudson Apollon

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l’ordre du président Sténio Vincent de rentrer dans son foyer. Ce cas d’exil intérieur imposé par l’occupant étranger participait de cette douleur vive qui, à l’époque, imprégnait l’esprit des Haïtiens.xxvii » Il importe de rapporter qu’Hudson, fils du général Ney Apollon, en bon arpenteur, imbu des moindres raccourcis, se refugia, le soir même de l’incident, à l’Evêché du Cap-Haïtien, avec la bénédiction et la charité du Monseigneur Kersuzan. Ce dernier rendit service au neveu d’un bon ami, le père Lecorre, curé du Borgne à l’époque. Et le lendemain, le prélat fit embarquer le très recherché sur un voilier en partance pour les iles Turques. Cet évènement, d’apparence banale, prouve une fois de plus que l’occupation américaine n’a pas eu lieu sans télescopage, ni casses. Hudson, patriote, téméraire en plus, sut, avec la complicité de la population borgnelaise, dévier tout plan visant sa capture par les autorités américaines ou haïtiennes. Cet homme constitua à lui seul un défi au projet de l’étranger américain d’asservir tout un peuple. Cinq mille dollars, somme promise à quiconque l’aurait rapporté vif ou mort. Le Borgne passa à deux doigts d’être brûlé par des officiers américains ne ménageant rien pour venger l’exécution d’un des leurs. Considérez ces lignes comme le cri d’outre-tombe d’Hudson APPOLON dit Ton Sonn qui, par son acte héroïque, avait voulu marteler dans la tête de chaque Haïtien ces mots d’Anténor FIRMIN : « Honte à tous ceux qui, oubliant leur devoir envers la patrie, en appelle à l’étranger ». Propos qui tiennent encore la dragée haute et qui devraient inviter l’ex-Président Aristide à la réflexion. À ce compte, il serait intéressant et à propos d’appliquer cette citation de Victor Hugo en hommage à ce preux, fils du Borgne et beaucoup d’autres partis sans tambour ni clairon à la manière de Pierre SULLY, le petit soldat oublié: «La vie, le malheur, l’isole75


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ment, l’abandon, la pauvreté, sont des champs de bataille qui ont leurs héros ; héros obscurs plus grands parfois que les héros illustres.»39 D.

Pedro ou le passage d’un météore

Le dimanche 12 février 1978, l’Orchestre Septentrional, de retour d’une soirée musicale, eut un accident sur la route Nationale # 1. Pedro et Papou, respectivement chanteur et guitariste de la bande à Ulrick Pierre-Louis, y perdirent la vie. L’autopsie du cadavre de Pedro révéla qu’une hémorragie consécutive à une blessure béante à la cuisse gauche l’emporta. Au Borgne, ce fut la consternation car Pedro , ce jeune et inoubliable talent de 25 ans, un fils gâté de la cité, une fierté, un espoir, scintillant à peine dans la constellation musicale haïtienne, s’éteignit sans avoir compris peut-être l’ampleur du deuil qu’il laissa derrière lui. Aimé de tous, charmeur et surtout plein d’avenir, l’artiste Pedro, en homme pragmatique ou en bon oracle avait toujours prédit son départ prématuré pour l’éternité. Sa précocité et son grand cœur lui valurent tant de révérences et d’admiration. La population borgnelaise n’a jamais digéré l’envol hâtif de celui qui commença à faire la gloire de toute une région. Qui chanta allègrement ‘’L’aveugle’’, chanson qui exsude encore le parfum de son éclosion. Jamais un évènement n’a réuni autant de curieux et d’affligés que les funérailles de Pedro tenues au Borgne deux jours après le fatal accident. L’inhumation a eu lieu au cimetière de la PetiteGuinée du Borgne et Charles Dulcio prononça l’oraison funèbre. Malgré tout, Pedro est bel et bien vivant d’après la croyance populaire parce que sa mort a été provoquée par simple jalousie. 39 40

Citation tirée des Misérables Il est l’oncle de l’auteur de ses lignes, donc le fils de Alice Jean-Pierre. Il mourut en 1978

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Les fabricants de présages et les vendeurs de prédictions décodent la signification mystique de tous ces faits. Au Borgne, rien n’est jamais tout à fait simple. Il y en a qui jurèrent de tous les dieux avoir vu Pedro chez le sympathique Léonce Prosper, son éventuel envouteur ; d’autres crurent qu’il aurait été exhumé par sa mère, ma grand-mère, et envoyé à New-York où il continuerait à mener normalement sa vie. Barrès Sam, lui, escorté de deux blancs sous l’eau à l’embouchure tandis qu’Hudson Appolon aurait disposé du pouvoir de se déambuler invisible sous le nez des autorités haïtiennes et américaines qui le recherchaient activement. E.

Revalorisation de l’Haïtien

De tout ce qui précède, il en résulte que nous sommes perdus dans la nuit des temps, rétrogrades et obnubilés par la superstition. Oubliant que tirés du sol nous retournerons tous en poussière. Cette manière d’appréhender collectivement les faits paralyse notre marche vers le progrès en accélérant notre descente aux enfers. Tout en évitant d’assumer péremptoirement, comme Henri Christophe, «il faut extirper de notre sol le fléau du vodou.41 », il s’agit honnêtement de reconnaitre et d’admettre qu’il y a certains aspects de notre culture ou du vodou qui maintiennent de façon permanente la dynamique d’arriération et ‘’ d’ensauvagement’’. Selon la vision positiviste d’Auguste Comte, la religion est en quelque sorte considérée comme un obstacle au progrès. Clark Parent42 a chanté que le vodou est une « culture que le peuple haïtien doit dépasser s’il veut emprunter la route du développement ». Cependant il faut aviser que notre démarche est loin d’étudier de façon exhaustive la problématique de la religion en Haïti étant donné sa complexité avérée dans cette bataille que se livrent trois systèmes religieux : Catholicisme, Protestantisme et Vodou. 41

Dans une lettre adressée à Pétion le 10 février 1815/Dictionnaire Bibliographique /Daniel Supplice p. 435 Musicien , chanteur.Il fonda le groupe « Les Freres Parent ».Elu pour six ans Sénateur de l’Ouest le 16 déc. 1990 42

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Cependant, adresser sans quiproquo ces tabous coriaces profondément ancrés, enfouis dans nos us et coutumes est une exigence. La religion en général, le vodou en particulier (la principale force d’appui de la société haïtienne) a été largement négligée dans les études du développement du pays, dans ses implications dans nos éternelles péripéties. Cette mise à l’écart est cependant assez surprenante si l’on considère que l’aide actuelle au soi-disant développement du pays trouve son origine dans les entreprises missionnaires et autres initiatives d’inspiration religieuse de l’ère coloniale. Aujourd’hui, les organisations confessionnelles présentes en Haïti demeurent des acteurs incontournables du système de l’assistance étrangère. En opposition au culte du vodou considéré à tort comme le signe, par excellence, de l’état de sauvagerie d’Haïti et, pour substituer au catholicisme qui attestait de l’hégémonie française à affaiblir, les américains depuis 1915 ont institué une protestantisation accélérée. Aujourd’hui Les protestants sont en charge de 5287 écoles allant du primaire au supérieur et 25% 43 des universités sont protestantes. Donc tout ceci atteste du rôle capital et prépondérant de la religion dans la vie quotidienne des individus et des communautés du pays. À ce sujet, l’exemple du Japon est frappant. Ce pays, détruit en 1945, a emboité le pas à la modernité et a connu de façon accélérée son ascension grâce à son capital humain tout en se gardant de transiger sur ses traditions ancestrales ou sur son Shinto44. Ses pratiquants seraient aujourd’hui plus de 100 millions. Les Japonais étaient intimidés par l’avance culturelle chinoise et voulaient produire quelque chose pouvant rivaliser avec elle alors que l’Haïtien demeure indifférent, pas même angoissé à l’avance manifeste de ses voisins. Point d’angoisse ! Donc Il faut reconnaitre l’urgente nécessité de déplacer l’Haïtien de sa zone de confort pour enclencher pleinement, efficacement et fièrement le processus d’haïtianisation. Un changement draconien de cap qui doit passer indubitablement par la valorisation de l’homme haïtien. 44

Source :L’Occupation américaine et les religions en Haiti/Laennec Hurbon p. 300

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L’Haïtien, à force d’humiliations, de stigmatisations et de dénigrements, vit sa vie comme une malédiction. Autodétestation. Autoflagellation. Sous-estime de soi. Rejet de soi. En effet, l’Haïtien rejette tout : son langage, (le créole), la couleur de sa peau et ses pratiques religieuses taxées de diaboliques par rapport et au profit des référents culturels du colon. En méprisant tout ce qu’il représente, le peuple haïtien ne saurait s’épanouir aux fins de s’ouvrir au monde dans l’ultime dessein de construire un avenir partagé. Le vodou très tôt dans le vingtième siècle a subi une double attaque: côté catholique, ce qui culminera dans une campagne dite antisuperstitieuse, « réjété », en 1941 avec l’appui de l’État (Elie Lescot) ; coté protestant qui ne cesse de se présenter comme une délivrance pour les convertis, car ils veulent en finir avec les exigences des divinités du vodou. Donc il serait absurde de ne pas tenir compte de cette dimension de la vie du peuple haïtien ; véritable cause de son traumatisme psychologique et de son aliénation pathologique. François Duvalier n’a-t-il pas tiré cette conclusion dans son livre, La Marche à la Présidence : « Le problème haïtien nous paraît avant tout un problème culturel. Et sa solution ne peut résider que dans une réforme intégrale de la mentalité haïtienne?xxviii» Ma décision de représenter le Borgne au parlement haïtien résulte d’abord de mon inclinaison affective et naturelle, même encouragée par ma grand-mère, pour ce joyau mais aussi et surtout cette circonscription dispose de tous les aspects et détails indispensables à une approche rationnelle du phénomène complexe et presqu’impénétrable d’Haïti. D’ailleurs, pour comprendre la réalité haïtienne, la piste de l’anthropologie de terrain s’impose car 44

Le shinto, littéralement « la voie des dieux » ou « la voie du divin » ou shintoïsme est un ensemble

de croyances datant de l'histoire ancienne du Japon, parfois reconnu comme religion. Elle mélange des éléments polythéistes et animistes. Il s'agit de la religion la plus ancienne du Japon et particulièrement liée à sa mythologie 45

Ibid. p. 303

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l’héritage ancestral, lourd de plus de trois cent ans d’esclavage et de déshumanisation, nous plombe à chaque tentative de sursaut et nous pousse toujours à choisir le pire dans l’espoir d’en tirer le meilleur. Pour qu’Haïti sorte de l’auberge, une course à fond doit être engagée par tous, conscients et libres, car la résolution de cette équation à multiples inconnues que représente Haïti ne peut plus attendre et passe systématiquement par la valorisation de l’homo haïtianus. L’enfant juif qui vient au monde dans un cadre préparatoire indiquant qu’il appartient à un « peuple élu » est sociologiquement et psychologiquement mieux armé que l’enfant haïtien dont l’identité est un fardeau. Maurice Sixto46, pour mieux conter nos déboires, a créé Sainte Anise, ce personnage célèbre qui a vécu en plein vingtième siècle les horreurs et les affres de l’esclavage moderne à travers la domesticité. « Restavek », une pratique encore actuelle qui aliène et déshumanise l’enfant haïtien. On en a seulement ri. «Castigare ridendo mores » ou la pédagogie du rire n’a pas de résonnance dans le pays du « Bouché nen-w pou bwè dlo santi » . La construction de la nouvelle société haïtienne passe par la revalorisation de l’homme haïtien à travers un système éducatif approprié qui consisterait « à rectifier le tir du colonialisme, à panser les plaies de l’esclavage et à réparer les dégâts psycho-sociaux de ce système criminel. Bref, à déconstruire ce passé deshumanisant pour construire la nouvelle Haïti.»xxix Pour cela, on doit miser sur le cerveau de l’Haïtien, mais reprogrammé.

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Considéré comme l’un des plus grands humoristes haitiens» Il mourut le 12 mai 1984 Corriger les mœurs en riant (une citation latine) 48 Bouchez-vous le nez pour avaler l’inacceptable. 47

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Chapitre III Le Borgne et le parlement haïtien Après les Etats-Unis en 1787, la France en 1791, Haïti a été le troisième pays à s’octroyer une constitution moderne en 1805. La toute première constitution d’Haïti, celle impériale, publiée le 20 Mai 1805, entérina une décision qui a été prise le 2 septembre 1804, et qui fit de Jean-Jacques Dessalines, jusqu’alors Gouverneur général d’Haïti, l’Empereur d’Haïti sous le nom de Jacques 1er. Contenant 53 articles fondamentaux et 28 articles de disposition générale, cette constitution cessa d’exister à la mort de Dessalines, le 17 octobre 1806. Il convient de souligner que cette constitution impériale de 1805 attribua à Dessalines la totalité des pouvoirs législatif et exécutif et lui reconnut des privilèges, étendus d’ailleurs à sa famille et à sa descendance. (Art. 19 à 37)49 . Mais il avait fallu attendre jusqu’au 31 décembre 1806, peu de temps après la mort du fondateur, Jean-Jacques Dessalines, pour voir naitre dans un climat fiévreux le Parlement Haïtien. Les premiers sénateurs, civils et militaires, étaient au nombre de vingt-quatre dont Alexandre Pétion, Magloire Ambroise, Etienne Magny, Joseph Bossuet, Guillaume Manigat, Guy Bonnet, et autres. A l’époque, c’était le Grand Corps : un organe de la révolution sociale, une tribune de promotion de la liberté et de l’indépendance nationale. Après 212 ans d’existence d’une république qui a consommé vingt-deux constitutions, on ne peut pas dissocier l’histoire de son parlement, principalement celle du sénat de ses régimes politiques. Pour Duvalier : « Le Sénat est le 49

Article 22 : L’État accordera un traitement fixe à sa majesté l’Impératrice dont jouira même après le décès de l’Empereur, à titre de princesse douairière,

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haut lieu de la conspiration politique contre le président de la république.xxx » Aussi mentionnons-nous que la notion de législature concerne seulement la chambre des représentants (des députés) dont la première remonte à 1817 alors que le Sénat a toujours été permanent et a commencé à fonctionner en 1806. De 1918 à 1930, un Conseil d’État a rempli pendant 12 ans la fonction législative et étant donné qu’une législature devrait, d’après la Constitution du 19 juin 1918, durer 2 ans, 6 législatures se sont donc déroulées durant cette période. La prochaine législature, celle de 1931, devrait être la 36e, mais en 1931, le rapport de force était relativement favorable aux nationalistes qui combattaient l’occupation américaine. Ces nationalistes qui allaient occuper le Parlement en 1931 ont décidé d’effacer cette forfaiture juridique dans les consciences citoyennes en votant la résolution du 31 mai 1931 stipulant que la législature en cours était la 30e et non la 36e. Si ce n’était cette résolution, la présente législature serait la 56ème législature et non la 50ème . Ces six législatures sont définitivement effacées et dans la conscience collective et dans les analyses du Droit Constitutionnel mais les actes posés tels le traité de Versailles et La Dessalinienne demeurent encore intacts dans nos répertoires juridiques.xxxi La durée du mandat du député a varié avec les régimes constitutionnels. Depuis 1932, elle est fixée à quatre ans pour les députés et plus tard selon le modèle parlementaire duvalérien à assemblée unique, les membres sont élus pour six ans. Et depuis 1986, les membres de la chambre des députés sont élus chaque quatre ans alors que les sénateurs sont mandatés pour six ans. Du Borgne, ma prétentieuse démarche de porter une loupe sur la saga haïtienne s’étendra sur tout le parlement haïtien. Entre 82


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autres, malgré sa séniorité dans l’hémisphère, l’institution parlementaire d’Haïti peine encore à jouer pleinement sa partition dans une société vivant une situation de léthargie chronique due en grande partie à une activité législative pauvre, insoucieuse et inadaptée. A.

La carrière parlementaire

En face de l’océan Atlantique, tantôt avec Anse-à-Foleur,50 plus tard avec Port-Margot51 et aujourd’hui faisant cavalier seul, la circonscription électorale du Borgne a toujours ajouté, à chaque occasion, quelques pages de plus dans la rédaction du grand livre de l’histoire du pays. Citons Gingembre Trop-FORT,52 Padre Jean53, Mackandal,54 Damas Pierre-Louis,xxxiii55Marc Lamour56 et tant d’oubliés qui tentent par des moyens, certains pas toujours conventionnels, à partir de leur patelin, d’apporter une pierre, aussi petite qu’elle soit dans la construction du grand édifice national. Dans ce chapitre, une attention distincte et méritée sera accordée à ceux-là qui ont bénéficié de la confiance de la population borgnelaise pour la représenter dans le cadre institutionnel de l’Assemblée Nationale. Cette enceinte a servi de caisse de résonnance des tares, des préjugés et des multiples problèmes qui ont toujours traversé la société haïtienne. A nos jours, pendant plus de deux siècles, plus de trois mille hommes et femmes ont animé la vie parlementaire haïtienne. Parmi eux figurent une quarantaine qui, au 50 Anse-à-Foleur : Commune située au Nord’ouest du Borgne.4 heures de marche et 2 heures en bateau pour la traversée 51 Port-Margot: Une commune située entre Limbé et le Borgne 52 Gingembre Trop fort, un Congo, fut exécuté pour avoir refusé de se soumettre à l’autorité de Dessalines qui dénonça Toussaint à Leclerc. 53 Padre ou Pedro Jean s’était libéré en tuant son maitre espagnol. L’un des premiers chefs à organiser la révolte du côté de Port-de-Paix et du Borgne ou un lycée porte son nom. Il fut tué en 1679. 54 Mackandal devient esclave sur une propriété de Le Normand de Mézy au Limbé. A noter qu’on utilise aussi ce terme pour désigner les sorciers (ères). 55 Avocat, Journaliste .Originaire du Borgne. Membre du Conseil d’Etat représentant le département du Nord (Juin 1922-mars 1924)-(24 Octobre 1924-13 juillet 1926) et (3 septembre 1929-16 avril 1930).Fondateur du journal tri hebdomadaire « L’Opinion ».Il meurt à P-au-P LE 22 JUIN 1944. 56 Nommé le 16 mars 1990, reconfirmé le 23 avril 1990 membre du Conseil d’Etat représentant le secteur paysan.

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nom du Borgne, ont « défendu » les hauts intérêts nationaux et animé tant bien que mal la vie législative haïtienne. Il serait nécessaire, voire même évocateur, de faire ressortir l’apport de chacun de ces représentants dans l’élaboration, disons mieux, suivant leur nature, dans l’élaboration de nos lois, textes et codes ; malheureusement, les comptes rendus des séances fournissent très peu d’éléments sur l’identité des parlementaires votant. Quand bien même, il y aurait lieu de vérifier leurs interventions, leurs votes personnels restent pourtant enfouis dans l’anonymat le plus total. En final, c’est toujours l’assemblée qui tranche sans révéler, sans faire état du vote individuel. Les rares livres disponibles sur la question, utilisés comme références pour ma démarche, se retrouvent souvent en collision avec des dates, des durées de mandats, des noms et même des législatures. Il faut admettre que le pays ne disposait pas à certaines époques d’instruments modernes d’établissement d’identités. Fort de tout cela, le Tableau ci-dessous présente des failles flagrantes dues à nos archives déficientes et surtout à notre tendance à l’oralité. Donc, pardonnez les fissures qui s’apparentent à des omissions. L’analyse du Tableau ci-dessous justifie plusieurs observations. Tout d’abord, l’irrégularité du déroulement chronologique de l’activité parlementaire trop souvent tiraillée par des conjonctures complexes qui bousculent les calendriers préétablis. Ensuite la circonscription du Borgne, comme on peut le remarquer, n’a pas toujours été présente dès le début au parlement alors qu’elle a connu une assiduité tout au cours du vingtième siècle jusqu’à aujourd’hui. A noter que la configuration du parlement n’a pas fidèlement reflété la division du territoire qui garda pendant longtemps son caractère militaire. Entre autres, toutes les législatures ne sont pas parvenues à leur terme, car, à bien considérer la survie des chambres dépendait 84


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largement de la stabilité politique du pays. Bon nombre d’émissaires de la circonscription du Borgne au Parlement sont plongés dans un total anonymat historique. La galerie des représentants de cette commune est une mosaïque de personnalités publiques d’horizons divers dont l’histoire est exposée à être révélée dans la présente. Aucune trace d’un délégué agissant au nom du Borgne à la chambre des représentants lors de la première législature de 1817. Mais au sein des troisièmes et quatrième législatures, Regule J.B. et Hector Fils y siégèrent en son nom. De la quatrième à la neuvième, ce fut la traversée du désert car aucune voix autorisée n’y figurait pour la commune du Borgne, à part Hector Louis qui fit un passage très anodin comme sénateur du Borgne à la septième législature. Il avait fallu attendre jusqu’au 19 avril 1859 sous Faustin 1er, pour assister à un retour de cette circonscription au parlement avec Jacques Sylvestre, élu sénateur du Borgne, alors que Michel-Pierre Innocent dit Joseph Michel Innocent Coco, de Port-Margot assura le siège de député probablement jusqu’à la quatorzième ; par la suite, ce dernier fut élu sénateur du Borgne à la seizième législature du 22 octobre 1879. Apollon Ney, signataire de la constitution du 9 octobre 1889, fut élu député du Borgne à la quinzième et depuis, sans interruption, le Borgne élit toujours ses représentants au parlement haïtien. À noter que le fils de ce Ney, savoir, Joseph Florvil Ney occupa successivement les postes de député puis de sénateur pour la commune d’Anse-à-Foleur. Seuls trois députés du Borgne réapparaitront au parlement comme Sénateurs. Joseph Michel Innocent dit Coco, un notaire de Port-Margot, fut sollicité par les électeurs comme représentant à quatre législatives et il reviendra le 22 octobre 1879 comme sénateur du Borgne ; puis, Dessources Joseph Alexis, un militaire, élu député 85


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en janvier 1879 et réélu le 13 juin 1888, cette fois au Grand Corps. Ensuite Elie Lescot siégea comme député du Borgne le 10 janvier 1911 et fut nommé plus tard, par arrêté en date du 18 janvier 1941, sénateur de l’ouest. Et cette assemblée, soit la trente-troisième élit en date du 2 mai 1941 cet ancien député du Borgne président de la république d’Haiti pour un mandat de cinq ans. Il prêta serment le 15 mai 1941. La carrière parlementaire d’Océan Jadotte, un distingué notaire natif du Borgne, brille par la diversité de sa représentation. En fait, le 9 avril 1896, il fut sollicité dans un premier temps pour représenter sa région. Il revint au parlement en mai 1899 comme messager de la commune de Saint-Louis du Nord durant deux législatures et il mourut dans sa ville natale peu de temps après avoir parlementé au nom de la commune de Terre Neuve. Elu député du Borgne en juillet 1902, Théogène Jean-Louis, commerçant, détient le record de longévité avec cinq mandats dont quatre de suite (17 nov. 1930-14 jan. 1941). Aucune dynastie parlementaire n’a pu être établie au Borgne. Tout de même, le cas des Célestin est à signaler. Après Dérisma ou Dévisma fils à la seizième législature, Cazeau siégea comme député le 19 avril 1917 alors que son fils Florian, spéculateur de profession, hérita de son maillet parlementaire en intégrant la chambre des représentants à la trente-troisième législature (1941-1945). Dans ce même ordre d’idée, soulignons les tentatives malheureuses du fils de l’ancien député Théogène Jean-Louis, Théodule qui loupa comme candidat aux législatives de 1946. Aux assemblées du 2 juillet 1946 et du 2 avril 1950, en dépit de grands prétendants comme Kerlo Sam et Domitil Basile ; un enseignant de Port-Margot, Dumas Michel, division au sein de la 86


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grande famille borgnelaise aidant, parlementa au nom de l‘arrondissement de Borgne / Port-Margot. Sully Basile, le successeur de ce dernier, sera remplacé en janvier 1957 par Antoine Piquion, un natif du Cap, ami personnel du président Paul Eugène Magloire, qui jouit également de la bonne amitié de beaucoup de familles borgnelaises. Précisons que la seule accointance du président lui aurait valu de devenir parlementaire et de représenter la commune de son choix. Aux législatives surchauffées de 1957, le discret avocat de Port-Margot Josué Jean-Baptiste ouvrit pour le Borgne l’ère duvaliérienne au Parlement en dépit de la présence d’illustres candidats de la trempe d’Ernest Bennett ou de Sully Basile qui voulut succéder à lui-même. Sur la galerie des représentants qui ont jalonné l’histoire parlementaire du Borgne figure Lyse-Anne Prosper-Herard, pharmacienne et avocate de profession, née en 1928. La seule femme jusqu’à présent à siéger comme député pour le Borgne. La présence des femmes n’a pas toujours été fructueuse à la chambre des députés. Pour preuve, le pouvoir de la cinquantième, forte de 98 parlementaires, a été validé le 11 janvier 2016 sans une présence féminine. Si le Sénat a attendu l’année 1988 pour recevoir la première femme élue sénateur, en la personne de Mirlande Hyppolite Manigat, représentante de l’ouest, les députés, eux en revanche, ont accueilli en leur sein, pour la première fois, à la trente-huitième, en octobre 1957 Madame Paul Blanc, député de Hinche. Cette présence insignifiante mais régulière de la gente féminine au palais législatif a été le fruit d’une longue bataille tant au point de vue social que juridico-politique. Car les constitutions et les lois du pays ne reconnaissaient les droits politiques aux femmes qu’en 1957. Cette 87


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constitution décrétait enfin en son article 9 : « Tous les Haïtiens âgés de vingt et un an accomplis, de l’un ou l’autre sexes, exercent leurs droits politiques et civils, s’ils réunissent les conditions déterminées par la constitution et par la loi ». Subséquemment, dix ans après, le 10 Avril 1967, cinq femmes, parmi elles, Prosper-Hérard Lyse-Anne pour le Borgne, ont été envoyées siéger à la quarantième législature. Cette dernière participa activement à cette lutte pour obtenir et le droit de vote et l’accessibilité aux fonctions électives aux femmes haïtiennes. Rappelons que Mme Prosper-Hérard devint présidente de l’organisation féministe dénommée : « Faisceau Féminin d’Haïti » en juillet 1958 et en septembre de la même année, elle fut nommée chef du Service Femme et Enfant au ministère du Travail. Membre fondatrice de la Société Haïtiano-éthiopienne créée en 1966, et du Parti National Progressiste en 1985.A côté de tout cela, il est à signaler que cette battante n’abandonna jamais ses activités privées de pharmacienne propriétaire de la Pharmacie Notre-Dame de Fatima à Turgeau, Port-au-Prince. Son officine lui permit de vivre loin de la corruption et de mourir dignement dans la privation même à la Croix-des-Bouquets le 17 juin 1998. Paix à son âme ! Avelt Pierre-Louis et Allan Emmanuel bénéficièrent de la confiance du Borgne pour les quarante-deuxième et quarantetroisième législatures. Cette assemblée a écrit les dernières pages de l’avalanche duvalérienne qui prit fin le 7 février 1986. Et le 7 février 1988, Toussaint Desrosiers, un fin intellectuel, originaire de Port-Margot, fit une brève incursion au parlement comme député de Borgne et de Port-Margot deux ans après le départ de Jean-Claude Duvalier. C’est Adelson Raphael Michel qui garda le siège du Borgne au parlement à l’intronisation de Jean-Bertrand ARISTIDE le 7 février 1991. Ensuite Gabriel Ducatel, Pierre88


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Richard Jadotte et Jude Charles Faustin se sont succédés au palais législatif jusqu’à l’arrivée récente de Gérard Saint-Jean dont le pouvoir a été validé récemment, suite à une croisée de fer impitoyable avec Jude C. Faustin, le député sortant qui avait voulu succéder à lui-même aux législatives de 2016 et votre serviteur. L’histoire parlementaire haïtienne se confond avec l’histoire politique du pays. Cette lumière jetée sur le tracé du Borgne, avec ses soubresauts, au sein du parlement haïtien met à nu les avatars politiques d’une société figée dans le temps et ceci ne diffère en rien de la réalité nationale. Dans la pratique, en essayant d’évaluer les deux cents ans d’existence de l’une des plus vieilles institutions parlementaires du monde moderne, II n’est pas sans rapport de relayer Claude Joseph : «allant du monocamérisme (1806-1816) en passant par le bicamérisme (1816-1918) puis un conseil d’Etat (1918-1930) pour retourner au bicamérisme (1930-1957) qui sera ensuite détourné par la chambre unique duvaliérienne (1957-1986) pour enfin aboutir au rétablissement constitutionnel du bicamérisme (1987- à nos jours) – le parlement haïtien , devrait logiquement acquérir un capital institutionnel de telle sorte que les actions parlementaires, balisées par les principes normatifs, seraient prévisibles dans des situations quelconques. Cependant, aussi paradoxal que cela puisse paraître, force est de constater que ce sont les méandres des contingences politiques qui ont souvent façonné les actions et décisions parlementaires traduisant un déni du droit donnant, du coup, place à l’improvisation, l’amateurisme et des coups bas »xxxiv. Parlant de carrière parlementaire, il ne sera pas vain d’évoquer qu’à la Constituante de 1889, un célèbre débat s’était engagé entre Anténor Firmin et Léger Cauvin. Les deux dont les noms sont demeurés gravés dans la mémoire collective jusqu’au vingtième siècle. Firmin plaida en faveur de la nécessité d’avoir des ministres parlementaires : 89


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« Les aptitudes intellectuelles qui distinguent un bon député sont justement celles qui font un bon Ministre ; il a pour mission de prévoir et de proposer tout ce qui peut être utile au Pays ; seulement il n’applique pas les mesures qu’il propose ; c’est le ministre qui doit les appliquer.» Cauvin s’est prononcé contre cet argument : « C’est peutêtre votre droit d’être appelé au pouvoir pour faire l’application de votre programme, mais que ce soit à vos risques et périls ; soyez Ministres, mais cessez d’être Députés.»xxxv En final, l’assemblée vota en faveur de la position de Cauvin qui consacra le principe de la séparation des deux principaux pouvoirs : exécutif et législatif. Une disposition précieuse à toute démocratie qu’attesta l’article 55 de la constitution de 1889 : « les fonctions de sénateurs sont incompatibles avec toutes autres fonctions publiques rétribuées par l’État». S’inspirant sans doute de la position de Cauvin, en mars 2016 François Annick Joseph, mandant des Artibonitiens comme Sénateur, abandonna son siège au Grand Corps pour un poste de ministre de l’intérieur et des Collectivités Territoriales au sein du gouvernement Privert/Jean-Charles. Aucun moment faste ou glorieux n’a été identifié pour le compte du Borgne pendant les cinquante législatures que le parlement haïtien a connues. Tout de même, quelques silhouettes marquantes méritent d’être mises en lumière : Elie Lescot est entré au parlement délégué du Borgne pour atterrir au palais national comme président de la république ; Dumas Michel a été secrétaire de l’assemblée nationale constituante qui accoucha de la constitution du 22 novembre 1946 ; Raymond Obas fut déchu par la Chambre Législative le 3 février 1964 comme député du Borgne pour avoir entrepris : «des démarches équivoques qui confinent à la trahison à 90


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l’égard de la révolution.»57 Jude Charles Faustin fut élu premier secrétaire de la chambre législative le 10 janvier 2012. Ce dernier travailla à séparer les communes du Borgne et de Port-Margot qui disposent maintenant chacune d’un siège au parlement. B.

La marche vers le parlement

« D’élections libres et populaires, il ne fut jamais question.» Telle a été la conclusion de Roger Gaillard épiloguant sur la période des baïonnettes. Au moins neuf fois le peuple haïtien a été convoqué en ses comices au cours de ces trente dernières années avec très peu de cas de réussite sans qu’il ne soit nécessaire de reprendre les joutes électorales qui coutent beaucoup d’argent aux contribuables. « Dans un milieu où la ruse et l’audace jouent un grand rôle, le résultat d’un scrutin ne peut s’obtenir sans agitations ni sans frais».xxxvi C’est la routine, depuis des dizaines d’années, dans le pays de la permanence du provisoire. La marche vers le parlement n’est pas un exercice de tout repos à cause de la forte personnalisation de la politique haïtienne : le président porte le label du chef du moment. Au lieu de s’assurer d’un appui régional, un citoyen qui veut devenir parlementaire ou renouveler son mandat a tendance et grand intérêt à se rapprocher du pouvoir en place. La constitution de 1806 accorde au Senat la quasitotalité des pouvoirs législatif et exécutif ; ce qui va à l’encontre de la tradition et des pratiques politiques des hommes au pouvoir. En règle générale, l’exécutif tient à exercer un contrôle rigoureux, vassaliser le parlement dans le dessein d’assoir son pouvoir absolu. Exclusiviste. Les rapports entre les pouvoirs exécutif et législatif se circonscrivent depuis toujours à des négociations permanentes qui ont 57

Le moniteur No. 14, 13 février 1964

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pour objectif de donner à manger et à boire aux députés et sénateurs afin qu’ils votent au Parlement selon les dictées de l’exécutif au mépris des grandes questions d’intérêt national. Hormis de notables exceptions, l’arithmétique de la servitude politique se résume en un partage de postes au sein de l’administration publique. Ainsi, manœuvres, subterfuges, tractations et conciliabules d’arrière-cour ont toujours empoisonné la vie politique haïtienne à l’annonce de toutes élections partielles ou générales. De ce fait, la composition des Chambres est essentielle pour l’exécutif qui cherche en ce sens inlassablement à manœuvrer et surveiller les scrutins. À l’époque où le chef de l’État était élu par le Grand Corps, le Président, sans scrupule, passe des instructions, viole les droits constitutionnels des citoyens à l’effet de garder la haute main sur les appareils électoraux pour son maintien au timon des affaires ou en faveur de son successeur. À l’occasion, il s’est toujours créé un commerce conjoncturel entre les candidats et les Chambres Législatives. Véritables vendeurs de temples. Ce qui explique la prédisposition naturelle des Parlementaires à choisir un des leurs pour occuper le poste de Président de la République. Dans l’histoire de ce pays, seize présidents avaient été des Parlementaires, Sénateurs ou Députés. Après le Député Dumarsais Estimé en 1946, le Sénateur des Nippes Jocelerme Privert a renoué avec cette tradition après 70 ans en passant du Grand corps au palais national comme Président de la République au moyen d’élections au second degré tenues le 14 Février 2016 Loin de circonscrire cette démarche dans le temps, elle vise pourtant, à ce stade, François Duvalier et J. B. Aristide, deux figures emblématiques de l’histoire récente du pays, deux manœuvriers qui se ressemblent comme deux gouttes d’eau. Ils ont, chacun à sa manière, caporalisé et placé sans respect aucun sous son joug le pouvoir législatif. Sous ces dits régimes, le renouvellement du personnel 92


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parlementaire se fait à partir d’élections arrangées sous coupe réglée. Il est important pour eux que les soi-disant électeurs envoient au parlement des partisans zélés du gouvernement fermant ainsi toute brèche à la parole discordante ou à la contestation. C’est tout simplement la « mono-voix.» François Duvalier avait tout simplement transformé le parlement en une institution fantoche rationalisant et légitimant toutes ses absurdités. Le bicamérisme a même été dévié par la chambre unique duvalérienne. Aux élections de 1957, sur 58 parlementaires élus, seuls 2 députés n’étaient pas duvaliéristes. En été 1995 Aristide, lui, a organisé des élections législatives et des présidentielles en décembre de la même année suivant le modèle duvalérien. En réalité, ces législatives n’ont été qu’une vaste mascarade en faveur des seuls candidats proches du mouvement lavalas qui avait découragé tous les autres candidats par la persécution. Sans scrupule, les candidats de lavalas ont fait le plein des sièges du Parlement comme au temps des Duvalier. Ceci atteste de la récurrence des réflexes archaïques et absolutistes du dirigeant haïtien. Il est bon de rappeler d’abord que l’exécutif a toujours utilisé les techniques d’éviction face à l’opposition parlementaire. Le 30 août 1822 Jean-Pierre Boyer nettoya la deuxième législature des représentants récalcitrants à sa politique générale ; en conséquence les députés Béranger, Saint Laurent et Saint Martin58 , hostiles à la politique de l’extension du commerce international en Haïti furent emprisonnés, exclus du Parlement et remplacés par leurs concurrents. Longtemps après, soit le 13 août 1991, le prêtre-président J.B. Aristide n’avait pas hésité à utiliser la peur du « Pè Lebrun 59» pour neutraliser la catapulte des députés de l’opposition qui 58 Béranger : Député des Gonaïves, St-Martin du Cap et St-Laurent des Cayes 59 Supplice du collier ou du pneu enflammé

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souhaitaient le départ de René Préval de la Primature. Ce jour-là, le député de Port-de-Paix, 44ème législature, sous la bannière du PDCH, 60 Josué Lafrance agressé physiquement par des chimères lavalas aux portes du parlement, n’a eu la vie sauve que grâce à l’intervention, in extremis, de la police. Chez nous, en Haïti, les valeurs personnelles et une bonne campagne électorale bien menée n’ouvrent pas nécessairement les portes de la réussite électorale . Encore moins le charisme, la faculté de con-vaincre, de s’imposer par rapport à ceux des compétiteurs ne garantissent aucun citoyen l’opportunité d’animer la vie politique haïtienne. A la fin du 19ème siècle, Anténor Firmin, compétent comme lui seul est défait par Nord Alexis un militaire frustre et ignorant. Dire que la société haïtienne va récidiver en 2006 en préférant à la tête du pays René Préval, incompétent, et cynique en lieu et place de Leslie F. Manigat, lettré et préparé comme pas un. Le cas renversant Michel Martelly - Mirlande Hyppolite Manigat en 2010 est également à signaler à l’encre forte. Un exemple typique de la réalité politique haïtienne. Pour les sénatoriales de 2016, Youri Latortue, chef du parti AAA, a fait choix du folâtre député de Marchand-Dessalines, en fonction, Gracia Delva au détriment de Willy Jean-Baptiste expérimenté et nettement mieux préparé pour représenter le département de l’Artibonite. C’est l’application systématique du mépris et de la répudiation de l’intelligence. Au royaume de la servitude politique, vous êtes mesuré à l’aune de la courbette et de l’idiotie. « Quand on court après l’esprit, on attrape la sottise; » a averti Baron de Montesquieu. 61

60 Le Parti Démocrate-Chrétien Haïtien dirigé par le pasteur Sylvio Claude. 61 Le parti Ayiti An Aktion

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D’ailleurs les 22 constitutions haïtiennes n’exigent que l’égalité citoyenne comme condition d’éligibilité au Parlement ou au Palais National. Le niveau d’éducation scolaire ou universitaire, la préparation, l’expérience ou le bagage culturel ne représentent absolument rien et ne sauraient par conséquent inciter à élire un citoyen dans notre pays où l’égalitarisme par le bas fait toujours écran aux éclaireurs. D’ailleurs le Président Michel Martelly, inculte de son état, n’a jamais caché son aversion pour la formation intellectuelle qu’il critique, ouvertement, qu’il ridiculise même. Somme toute, n’a-t-il pas raison, puisque son « sans-plome 62» lui a valu le prestigieux titre de premier citoyen de la République. Amuseur public. Bonhomme Quoichi à sa façon. Le Borgne a connu aussi ses déboires dans le juste combat d’être valablement représenté. C’est pourquoi il faut éviter que les poubelles de l’histoire gardent certains noms qui n’ont pas pu franchir le portillon du parlement : Charles Dulcio, un homme connu pour son élégance de langage et sa grande culture qui, malgré plusieurs tentatives, n’a pas pu représenter la vaillante population du Borgne. Ernest Bennett, un entrepreneur, un intellectuel de belle eau, expérimenta à plusieurs reprises et échoua. Edrige Vixamar, un ancien maire de Port-Margot tenta en vain en 2010. L’auteur de ces lignes, Jose Davilmar, a failli aux dernières législatives de 2015. Et tant d’autres du Borgne, de Port-Magot et à travers le pays qui essayèrent de bonne foi d’ouvrir les portes du Parlement, mais loupèrent par manque d’accointance politique ou pour n’avoir pas su utiliser à bon escient durant la campagne électorale leur capacité intellectuelle ou mieux un langage truffé de mensonges, de délations, de promesses mirobolantes et farfelues pouvant électriser la foule, sensible à de tels discours. Pour illustrer ce que nous venons dire, nous ferons référence à Frédérick Marcelin qui a su décrire 62 Sans diplôme

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avec justesse et clarté la lutte électorale qui mit face-à-face Sylvain Salnave et l’illustre Demesvar Delorme : « Sylvain Salnave a pu soulever les déclassés de La Fossette et du Carénage en s’exprimant en créole à la différence d’un Demesvar Delorme qui s’adressait à la bourgeoisie, aux cultivés et aux lettrés dans la langue de Voltaire.»xxxvii Ici, certaines attitudes et des discours dont l’authenticité incontestable n’a pas pu être vérifiée sont tus. Bref, c’est l’occasion aussi à travers cet ouvrage de tisser une couronne et une renommée bien méritées à ceux-là oubliés par pure coterie, ou ceux-là dénigrés et bannis pour leurs appartenances politique, sociale, régionale ou raciale. C.

Un parlement mitigé

Souvent, dans leur gloutonnerie et leur manque de civisme, de patriotisme, les parlementaires haïtiens offrent un spectacle de gens sans aveu et sans conviction. Ainsi le parlement, englué dans la servitude de l’exécutif travaille à son propre affaiblissement et des fois jusqu’à sa disparition. Cette institution se démarquant trop souvent de sa noble et démocratique mission a largement contribué à la triste saga que vit le pays depuis sa naissance. En février 1832, Herard Dumesle, député des Cayes à la 4ème législature, crédité du premier grand discours politique de l’opposition, a combattu à la Chambre l’autoritarisme de Boyer. Ce même Dumesle se conduisit en despote une fois au pouvoir. Ce puissant ministre de la guerre de Rivière Hérard affiche un arbitraire qui contraste étrangement avec l’opiniâtreté de sa lutte d’hier pour la liberté et la justice. En 1846, à l’initiative du Président Soulouque lui-même, la 96


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Haute Cour de Justice jugea le sénateur Joseph Courtois et le condamna à un mois d’emprisonnement, à une amende de 25 gourdes et à publier 200 exemplaires de l’arrêt pour avoir diffamé contre un groupe de citoyens. À ses collègues Sénateurs qui le conduisaient en prison, J. Courtois lâcha sans retenue: « Canailles, je vous suis, mais avouez que vous vous êtes déjugés et que vous êtes indignes d’être Sénateurs de la République.»xxxvii Pour la vérité et pour l’Histoire, les Sénateurs ayant exécuté cette basse œuvre furent Alphonse Larochelle, Joseph Georges et Jules Bance. Au cours de la période dite de Régénérescence, les libéraux disposant de la majorité dans l'une et l'autre Chambre de la 13ème législature (1870-1873), harcelèrent les cabinets ministériels par des interpellations incessantes et substituèrent au mode habituel d'instabilité gouvernementale par les armes, la crise ministérielle par les votes de non-confiance infligés aux représentants du Pouvoir Exécutif. Ces parlementaires offrirent le spectacle d’une opposition intransigeante et acerbe à Nissage Saget, connu pour sa modération, son dévouement pour la cause nationale et son passé de défenseur impitoyable des lois et de la Constitution contre les gouvernements de Geffrard et de Salnave. De surcroît, en refusant d'assumer les responsabilités du pouvoir en lieu et place des Ministres renversés, ils faussèrent le mécanisme des institutions parlementaires. L’occupant américain utilisa le pouvoir de l’argent pour contraindre les parlementaires à voter la Convention en 1915, pour acheter la reddition des Cacos et pour obliger Vincent à se courber en 1931. Avant même la ratification du traité consacrant le protectorat américain, Georges Sylvain relaya le 13 octobre un quotidien new-yorkais; « Les Chambres haïtiennes, comme le gouvernement Dartiguenave se soumettront vraisemblablement aux vues des ÉtatsUnis. Si le traité doit subir un échec, ce ne pourra être que du côté du Sénat fédéral.» 97


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Les parlementaires-constituants, à la solde de Duvalier, ont élaboré et voté la Constitution de 1964, une reproduction servile du préambule de la Constitution royale de 1811 d’Henri Christophe. L’article 197, composé de 12 points fut une litanie dithyrambique vantant le délirant François Duvalier pour s’être constitué: «le Leader incontestable de la Révolution, l’Apôtre de l’Unité Nationale, le Digne héritier des Fondateurs de la Nation Haïtienne, le Rénovateur de la Patrie, le Chef de la Communauté Nationale sans limitation de durée. » Ainsi des Parlementaires concoctèrent de toutes pièces le couronnement institutionnel de l’infâme dictature de Duvalier présentée sur les fonts baptismaux le 22 juin 1964 avec la prestation de serment et des réjouissances populaires. Pire, à la date fétiche du 22 septembre 1967, Duvalier gracia Jean Julmé et Rameau Estimé, deux députés condamnés le 27 juin 1967 par l’Assemblée nationale transformée en haute cour de justice sur l’intervention du ministre de l’Intérieur, Morille Figaro. Cette même assemblée les réhabilita le 16 mai 1968xxxix . Récemment, ce 20 mars 2016, l’énoncé de politique générale de Fritz Jean, Premier Ministre désigné par J. Privert a été rejeté sans considération aucune par la 50ème législature qui exerça avec puissance une action paralysante contre l’Exécutif. Et ces mêmes parlementaires ont tous dit oui pour Enex Jean-Charles apparemment plus enclin à se courber aux tractations et marchandages conditionnant son entrée à la Primature. C’est le complot, contre la qualité et l’éthique, qui poursuit allègrement son chemin. En somme, le parlement n’a pas toujours joué son rôle de contrôle et de frein à l’exécutif comme escompté. La 50ième Législature est face à son destin : inscrire ses actions dans un cadre plus normatif pour pouvoir les doter d’une certaine prévisibilité au regard du droit ou suivre le sort des législatures n’ayant pas pu 98


boucler leur terme à cause des commotions politiques qu’elles ont elles-mêmes certaines fois provoquées. Entre temps, le 5 août 2016, le Borgne, huit mois après la validation des pouvoirs de la dernière Législature, voit son représentant désigné au parlement après délibération du BCEN63. La commune est, comme le reste du pays, face à son destin. Des législatures vont, d’autres viennent et la saga haïtienne continue à se dérouler, amplifiée sous nos yeux, sur fond de prostitution de l’intelligence et de l’éducation. L’avenir dira long sur les choix d’aujourd’hui. Des choix qui banalisent un pays en quête d’engagement, de sérieux et de rationalisation de la part de ses dirigeants. Ainsi, pour clore ce chapitre, il est à prévoir de façon patente un nouveau passage à vide à la 50ième législature et une réplique annoncée de ce qui se faisait avant dans la commune du Borgne puisque les communes valent ce que valent leurs représentants.

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Bureau du Contentieux Electoral National

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Elu député du Borgne pour le 27 ème législateur et nommé sénateur en 1941 puis deviendra

président quelques mois plus tard. 65

Theogène Jean Louis, seul député du Borgne à siéger dans 3 législatures (30ème, 31ème 32ème

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Lise-Anne H.Prosper , députée à la 40iéme,fait partie des premières femmes à intégrer le par-

lement haïtien.

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Chapitre IV Ma participation aux législatives de 2015

Pour annoncer ma candidature aux législatives de 2015, j’avais adressé la lettre ci-dessous à mes amis et compatriotes. Haïti, mars 2015 Cher compatriote, Par la présente, moi, Jose J. Davilmar, sollicite votre support dans le patriotique projet de me porter candidat aux prochaines lé-gislatives pour la circonscription du Borgne, Haïti. Pleinement conscient des difficultés inhérentes à cette mission, j’en appelle humblement et sincèrement à votre aide tant financière que stratégique dans l’objectif d’être élu député de la 50ième législature lors des joutes qui se tiendront le 9 août 2015. Je tacherai de promouvoir un plan de reconstruction du pays en établissant une série d’objectifs à travers une législature proactive et efficiente qui attaquera de front les problématiques telles que la pauvreté, le sous-emploi, l’éducation, la décentralisation, la justice sociale et autres qui traceront les chantiers de l’espoir pour mes concitoyens. Tout en comptant déjà sur votre soutien anticipé, je vous invite à me rejoindre dans cette lourde responsabilité qui ne vise qu’un lendemain meilleur pour mes mandants. 103


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Patriotiquement votre, Jose J. DAVILMAR Candidat à la députation Circonscription du Borgne.67 Je ne crois pas avoir trop demandé dans cette correspondance à un moment où le pays, humilié et désaxé, vivant des heures sombres, recherche de nouveaux et dignes dirigeants. Car il faut à tout prix mettre de côté les profiteurs, les fossoyeurs de rêves et les apatrides. Un amour franc du pays. Une conviction inébranlable. Conditions nécessaires pour s’hypothéquer dans une telle entreprise dans une Haïti où la bêtise et l’arbitraire ne connaissent pas de limites. Honorablement, bien humblement la patrie peut me compter parmi ses authentiques fils prêts à se pencher honnêtement sur sa souffrance. J’avais choisi de remettre en question sans complaisance un système absurde qu’exploitent populistes, démagogues et dictateurs sans le moindre souci de changer les conditions de vie révoltantes de la population. Je persiste à croire que chaque compatriote conscient se doit de se mettre en position de saisir pour de bon les taureaux par les cornes. En ce sens, mon choix de participer aux législatives de 2015 rencontrera cette perspective et m’aura ouvert la voix conduisant vers une ère de recherche, d’équilibre personnel et d’une nouvelle compréhension du mal haïtien. A.

La décision

Les raisons poussant une personne à décider de se présenter aux élections sont multiples. Magnanimes ou avaricieuses. Ou 67

La lettre demandant soutien moral et support financier à mes compatriotes de la diaspora et

d’Haïti

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encore les deux à la fois. Le désir de devenir un dirigeant au service des autres, de résoudre des problèmes, de participer aux décisions qui affectent le grand nombre, d’apprendre comment le pays est gouverné. Bref, la volonté de changer la donne socio-économique d’un pays en grande nécessité. Dire que bon nombre de candidats sont hantés soit par la soif du pouvoir ou par la suprématie de l’argent, soit par l’instinct de la survie. Quid de mes propres motifs ? En effet mon leitmotiv de me soumettre à l’épreuve d’une campagne politique pénible, puis par la suite de me trouver exposé à l’œil critique et dénigrant de l’opinion ne saurait être saisi aisément. A cette question, je répondis avoir toujours été fasciné et mu par l’idée d’appartenir au cercle des vaillants patriotes se retrouvant en position de faire bouger les choses dans le bon sens au bénéfice d’un pays qui va mal. Le lourd fardeau de la direction du pays assumée par des irresponsables. Le devoir de mieux faire. La nécessité d’une exploitation optimale et maximale de l’esprit du renouveau. L’émergence et l’affirmation d’un leadership politique national responsable, éclairé et compétent. Un tel leadership est indispensable pour freiner notre burlesque politique traditionnel, pour affirmer enfin notre maturité de citoyens, créer une ambiance d’unité nationale sincère. Introduire, adapter et s’inculquer une nouvelle mentalité collective. Frapper le coup de gong annonçant le changement tant rêvé. Les mêmes causes produisant, dans les mêmes conditions, les mêmes effets, la nation ne saurait confier la charge de sa cons105


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truction aux mêmes mains et entités qui ont conduit la barque nationale au bord de ce gouffre où elle se trouve aujourd’hui. En ce sens, sans détour, Albert Einstein écrit : « On ne résout pas un problème avec les modes de pensée qui l’ont engendré ». Le faux, en effet, engendre toujours le faux. C’est comme avoir zéro au quotient. Les enjeux et les défis de la construction exigent de nous un degré de dépassement et d’engagement inédit. No more politics as usual!68 Ce qui fournira à la nation haïtienne des raisons de vivre, de rêver et surtout d’espérer. En bon fils d’Haiti, épris de la politique du beau, et de la vérité je ne puis que rêver et inviter à rêver à travers toutes mes initiatives. Daniel Supplice, dans une lettre ouverte adressée à un ami, suggère ceci : « Il nous faut des dessinateurs de rêves, des architectes de destin et des ingénieurs constructeurs d’avenir.»xl Depuis le début de son existence, le pays ne dispose pas de plans stratégiques de développement situés dans un cycle temporel long. Les documents jusqu’ici élaborés sont des catalogues de projets dont la projection ne va pas au-delà de trois ans. Or le développement d’un pays est un long processus qui est toujours conçu et exécuté sur de longues périodes engageant plusieurs générations. C’est la politique de l’évaluation et du suivi des activités, des réalisations. Ce n’est donc pas par hasard qu’au cours de ces trente dernières années l’État haïtien se soit effondré en plusieurs occasions. Donc la nécessité de mettre en place une politique publique efficace et efficiente n’est plus à justifier. Haïti est en panne de souveraineté. Il importe de croire que les partenaires de la communauté internationale retiendront que la Nation haïtienne est à un carrefour décisif et que des actions célères 68

La politique doit se faire autrement!

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s’imposent. Son peuple vit une insécurité généralisée dont la grave menace de famine. Des pirates dilapident les trésors publics. Le désordre s’établit en maitre. Institutionnalisé. La corruption chronique ravage les institutions. La situation générale est telle que toute la tendance serait plutôt ascendante vers une meilleure prise en charge des grandes questions et des graves problématiques de ce pays. Je m’étais donc dit que le momentum était favorable à ma marche vers le Parlement haïtien. Tout cela produisit en moi une véritable chiquenaude, un effet déclencheur qui me porta à m’armer de courage pour assumer mes responsabilités et mes devoirs patriotiques. La fonction parlementaire exige une capacité de s’élever à la hauteur des enjeux nationaux souvent au-delà des particularités de région. Elle est un puissant instrument au service des élus destinés à secouer le système et à agiter les idées. C’est une fois dans l’arène politique que je me suis rendu compte de ma naïveté et de mon ignorance de la vraie réalité haïtienne. Ce serait un honneur pour moi d’être élu au parlement et de rejoindre à cette occasion le cercle restreint des parlementaires qui se sont distingués tout au long de notre saga de peuple dans la bataille pour une Haiti plus juste et plus prospère. Je suis de la génération qui vit la démonstration du courage et de la détermination d’un Alexandre Lerouge dont la candidature à la députation fut un défi incontrôlable au totalitarisme du tout puissant régime des Duvalier. Je dois admettre que ma compréhension de cet évènement des années 80, malgré son ampleur et sa portée, a été d’une tout autre interprétation, quelques années plus tard. Je n’ai pas été le seul à être pris dans les filets de ce grand manœuvrier politique que fut le député Lerouge au service du régime agonisant de Jean-Claude Duvalier. A remarquer que ce fin, 107


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subtil agitateur politique a été rapidement démasqué. Toute la population a vite fait de voir en lui un vendu, un payé pour jouer au double jeu. Quoiqu’il en soit, il a semé en moi théoriquement les graines des valeurs et des idéaux d’indépendance d’esprit, de conviction et d’ambition de servir au plus haut niveau de l’État. Enfant, lors des vacances d’été, je participai occasionnellement aux côtés de Lisanne Prosper-Hérard, député de la circonscription Borgne/Port-Margot, à des distributions massives de jouets et de produits de première nécessité. Je me questionnai à l’époque sur le vrai rôle d’un parlementaire. D’après ce qui se dit d’elle, elle serait peut-être la seule personne capable de changer le visage de son malchanceux patelin. Malheureusement, la prudence jointe à son intelligence pratique l’a empêché de braver la jalousie et le totalitarisme du Dr François Duvalier qui aurait assurément assimilé son dévouement à une campagne ouverte à la présidence, voire même une conspiration, une atteinte à la sureté de l’Etat. Elle se gardait d’essuyer le même sort réservé à son prédécesseur, Raymond Obas, jugé trop zélé dans ses démarches au bénéfice de sa ville natale. En février 1988, j’écoutais pour la première fois sur la Télévision Nationale d’Haiti un discours prononcé par un président d’Assemblée Nationale, en la personne de feu le Sénateur Louis Noizin. A l’occasion, il invita ses pairs parlementaires à aller se laver à la fontaine de Jouvence pour retrouver cette jeunesse éternelle dont le pays avait tant besoin à l’époque pour démarrer pour de bon. Ma décision de me porter candidat s’appuya tant sur mes observations antérieures résultant du comportement de plusieurs personnages ou hommes politiques d’antan ou présents qu’au constat que la société haïtienne languit confortablement dans une 108


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inconscience politico-historique produisant une carence chronique d’excellents opérateurs du levier de changement. L’obstacle majeur au progrès en Haïti. Et une fois ma décision prise, je ne m’en suis pas écarté du début à la fin. Voici donc comment et dans quel esprit j’abordai ma première campagne électorale. A cet égard, Il m’échait d’ajouter que certains prétextes à ma décision furent également dictés par la conjoncture consécutive à mon passage auprès de Laurent S. Lamothe69, Premier Ministre à l’époque. A cause de cette association sans précédent dans ma carrière, j’ai été l'objet et je le suis encore, de toute sorte de stigmatisations que j'ai assumées parce que je n'ai renié et ne renierai jamais les valeurs sur lesquelles étaient fondées mes convictions et mon jugement d’intégrer cette équipe. L’affaire PERSPECTIVE HAITIENNE En effet, l’organisation Perspective Haïtienne, créée le 17 octobre 2012, ayant pour président le rédacteur de ces lignes, s’était donnée pour objectifs de combattre tout gouvernement incapable d’adresser les vraies urgences haïtiennes et de travailler parallèlement à l’intégration des fils et des filles d’Haïti, vivant à l’extérieur, dans les affaires internes du pays. Suite aux succès impressionnants remportés à l’organisation de deux fora politiques, Laurent Lamothe, Premier ministre, à l’époque, nous fit croire, moi et Herns Mésamours, lors d’une rencontre sollicitée, qu’il fut en quête d’acteurs engagés, compétents et déterminés à vaincre les embuches de l’impasse politicienne haïtienne, capables d’écrire de nouvelles pages glorieuses dans le grand livre d’histoire de ce pays. Lamothe m’avait convaincu que mon équipe disposait de patriotes, de techniciens chevronnés potentiellement en mesure de 69

En Janvier 2014, Lamothe sollicita mes services au niveau du MHAVE en Haïti

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mobiliser la diaspora à la cause haïtienne et surtout de fouetter, réveiller leurs consciences sur l’état de déchéance de la nation. Son élocution peu fluide ne m’empêcha pas de succomber surtout à sa discrétion et à son timbre de voix calme. Il a pu réduire au ‘’moins’’ mon empathie connue de tous pour la’’ vadrouille rose’’. Après des négociations, conclues sans marchandage, j’acceptai volontiers de me rendre en Haïti à l’effet d’exécuter un plan visant l’intégration effective de la diaspora animée de nobles intentions de stopper la descente aux enfers du pays. Je sollicitai uniquement du Premier ministre qui acquiesça, d’un sourire narquois, de m’épargner tout contact avec Michel Martelly dans le cadre de mon travail en Haïti. Et ce fut fait : durant mon court passage au Ministère des Haïtiens Vivant à l’Etranger, l’occasion ne s’était présenté pour que je rencontrasse le virevoltant Président. A rappeler que j’avais fermement pensé qu’il y avait une nette différence entre lui et son Président. La réalité, malheureusement, m’a fait comprendre qu’ils ne sont, tous deux, que l’avers et l’envers d’une même médaille : celle du népotisme, du clientélisme et du faire semblant. En revanche, les autres membres de l’organisation Perspective Haïtienne, à l’exception de Pouttley Antoine PIERRE qui resta dans l’expectative, partirent en guerre contre moi et Herns Mésamours. Ils eurent raison car Herns et moi fumes dupes de croire que Laurent Lamothe fut franc dans ses promesses fallacieuses. Ma décision exsuda un parfum d’infantilisme politique pour plus d’un car mes radicales positions antérieures, à bien considérer, ne m’auraient jamais valu un accueil favorable à aucun succès au sein du gouvernement de Martelly/Lamothe. Coincé, piégé à toutes les entournures d’une feuille de route bien définie au préalable, j’évoluai en dépit de tout au Ministère des Haïtiens vivant à l’Etranger, un milieu hostile et programmé à l’effet de dresser des barricades sur mon chemin. Il y a lieu de signaler des silences méprisants et ombrageux, 110


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des refus formels de rencontre ou de collaboration qui entravèrent l’exécution de mon ambitieuse mission. Et je réalisai que l’intention malicieuse des ouailles’’ Tèt kalé’’ fut d’assauter et d’éclater la poche de résistance de leurs opposants œuvrant dans la diaspora. Ils craignaient peut-être à tort que Perspective Haïtienne ne devînt une menace constante pour la mise à exécution de leur obscur et inavouable projet de dictature. Je fus peut-être le seul à ne l’avoir pas compris avant mon départ pour Haïti puisque Herns de son côté évolua très bien à la Primature et vida la coupe de cette tapageuse escapade confortablement jusqu’à la lie, même après le départ de L. Lamothe en décembre 2014. Cette aventure périlleuse sur les bords et dommageable pour mon relief me coûta, entre autres, de nombreuses heures de sommeil et de travail non compensées et non rémunérées. Herns de son côté conserve son poste à la Primature, et moi, du mien, je me retirai à l’anglaise prétextant ma participation aux législatives de 2015 comme candidat à la députation pour la circonscription du Borgne fraichement séparée de Port-Margot comme arrondissement. La rupture s'effectua dans des conditions hypocrites, peu élégantes, voire peu orthodoxes que je me garde d’énoncer ici. Malheureusement ‘’Perspective Haïtienne’’ succomba. Elle n’a pas survécu en dépit de nombreuses tentatives de certains membres de la ressusciter sous d’autres appellations. Ce fut en vain car le coup était fatal. A noter que je choisis également de taire certains noms, aspects et détails de ce chapitre de ma vie publique considérant que nous sommes encore dans l’écume de cette mésaventure. J’en suis sorti ‘’déplumé’’, les ailes cassées même de cette expérience qui me permit de confirmer notre mentalité moutonnière 111


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et peu critique de nous-mêmes. Ce qui alourdit notre vision anticipatrice à chaque fois. Malgré tout, je me portai candidat dans l’espoir de me débarrasser de ce caillou retrouvé dans mes bottes à cause de cette décision de servir mon pays sous le gouvernement «rose » que j’avais combattu avec rigueur. On ne peut pas corriger un méfait par un méfait (Two wrongs don’t make it right). L’annonce-test de ma candidature qui gagna comme une trainée de poudre tous les espaces politiques m’a mis un pied à l’étrier. Conscient que l’échec ne souffrira aucune excuse, j’ai pris rapidement des dispositions devant rendre ma prétention effective et victorieuse. Donc le travail préparatoire pour une campagne réussie débuta.

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B.

L’agenda parlementaire

J’adressai deux semaines avant la date fatidique du 7 février 2016 la lettre ouverte ci-dessous à Andris Riché, Sénateur de la Grand-Anse. « Date : 20 Janvier 2016 De : Jose Joachin Davilmar A : Andris Riché Sénateur de la République d’Haïti RE : Votre intervention du 20 janvier 2016 sur Radio Caraïbes. Mr Riché, Votre immixtion sur Radio Caraïbes à l’émission INTERSECTION du 20 Janvier 2016 a été plus que lamentable. La seule note positive à retenir est un Jean-Monard Metellus poli et patient comme d’habitude. Je résolus, malgré moi, pratiquement la mort dans l’âme, de m’adresser publiquement à vous, un personnage âgé et un Sénateur de la République qui en toutes circonstances devrait avoir un comportement « honorable ». 70

En effet, depuis votre arrivée au grand Corps, vous vous amusez à passer pieds joints sur des sujets de grande importance mais votre intonation cocasse et parfois votre séniorité vous épargnent des impolitesses que vous méritiez bien. Qui ne se souvient pas de votre déplorable gestion de l’affaire Arnel Alexis Joseph qui attendait un « KK hareng 71» avant d’accepter de laisser son poste acquis frauduleusement ? Qui n’a pas en mémoire votre façon dépravée d’admettre que Laurent Lamothe, alors premier ministre, finançait la finition de votre église à Jérémie ? Bref, ne pouvant être exhaustif, La république se souviendra encore pendant 70

Une émission animée par Jean-Monard Metellus sur Radio Caraïbes entre 12h30 et 2h30 chaque jour. 71 Une pitance

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longtemps de vos frasques toujours teintées de laxisme et de médiocrité dans le meilleur des cas du burlesque et du grotesque pour amuser. Devant cette impasse politicienne dont vous êtes l’un des principaux artisans, vous avez bafoué le vote de vos constituants. J’ai longtemps cru que vous alliez descendre du train de la vadrouille rose mais rapidement, je me souvins combien votre destin était lié à la survie de ce régime odieux. Mr Riché, souffrez que je rappelle à votre attention qu’en cautionnant ce gouvernement népotique et obscurantiste dont les agissements et les conséquences nocifs se font sentir à tous les niveaux de la vie nationale, vous avez aidé une bande de néophytes sans vergogne á empirer le délabrement de l’espace physique haïtien qualifié de désastre écologique, à encourager l’émigration haïtienne dans toute l’Amérique, à anéantir la production nationale déjà confrontée à un accroissement démographique, à la dilapidation systématique des caisses de l’état, à soutirer illégalement de l’argent de la diaspora pour un programme d’éducation gratuite bidon et sans contrôle. Les faits sont là pour conforter Christophe Wargny qui n’a pas hésité à titrer, à raison, un ouvrage bien documenté : « Haïti n’existe pas. » Juste une évocation, Mr Riché, de la détresse que vit le peuple haïtien qui comptait sur vous au parlement pour contrer toutes les forfaitures. Loin de là, vous n’avez pas su assumer le lourd fardeau de la responsabilité crucifiante du pouvoir dans l’Haïti d’aujourd’hui alors que vous vous autoproclamez homme d’État. Quelle prétention ! Etes-vous prêt, Mr Riché, à aider Sweet Micky à bénéficier de ses propres erreurs ? A un moment où le pays a besoin de renouer avec la grande tradition des hommes et des temps forts, vous vous 114


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enlisez dans le stéréotype, la banalité, le « tikoulout72 » et le « pito ou lèd nou la73 » . En vous écoutant, vous confirmez que le pays a besoin d’hommes neufs, compétents, armés de courage, de patriotisme, de caractère et du sens du bien public. La nation vous saurait gré de lui faire grâce de vos affluences diffuses, insensées, stupides, creuses et légères qui ne servent qu’à conforter le peuple haïtien dans son attentisme et son inhibition alors que l’heure est à l’engagement. Vos intrusions, Sénateur Riché, dérangent la solitude de certains patriotes qui réfléchissent sur le cas du pays et qui ont davantage et beaucoup mieux à dire que vous. Vous ne faites pas honneur, Mr Riché, au troisième âge auquel vous appartenez ni aux générations futures. Votre attitude certifie qu’une Haïti régénérée où il fait bon vivre ne pointera pas à l’horizon demain. Vous n’appliquez même pas la discipline tactique d’un homme de parti car souventes fois, votre position s’oppose diamétralement à celle de l’OPL, le vôtre. En témoigne la rectification apportée par votre collègue Sénateur et compagnon de parti, Anick Joseph. Le bateau haïtien fait naufrage. Haïti est l’épouvantail. Elle est la risée du monde parce que notre histoire regorge de serviteurs nihilistes comme vous. Tout en vous ayant à l’œil, je vous recommanderais, Mr Riché, d’adopter un comportement plus digne et plus en conformité de votre âge, plus responsable par rapport à votre rang pour le bien d’une nation qui en a marre, qui en a assez des imposteurs et des voyous. Mr Riché, si la prochaine fois, vous n’avez absolument rien à dire, taisez-vous. Votre âge vous le recommande. À bientôt, Jose J. Davilmar » 72 73

Dilettante Il suffit d’exister, peu importent les conditions

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Cette correspondance traduit le dilettantisme, la limitation et la panne de vision anticipatrice qui caractérisent les hommes et les femmes placés à la tête du pays. Corrompus jusqu’aux os, incohérents et irresponsables, ils pérennisent les tares politiques et maintiennent volontiers le déficit institutionnel. Ce qui explique nos bicentenaires péripéties. Sans l’établissement de l’ordre républicain, l’instauration de la démocratie et le déclenchement d’un processus de développement économique ne seront que de vœux pieux. L’institutionnalisation de la démocratie, la réforme de l’État, la modernisation de l’économie, le développement économique et social, la protection de l’environnement et la promotion du développement durable passent nécessairement par la réforme de l’armature juridique nationale. La réforme législative est un impératif de l’État de droit et une nécessité pour la consolidation de la démocratie en Haïti. Cette déréliction permanente et les sempiternelles crises sociopolitiques ont exposé comment l’instabilité généralisée est tributaire de la situation de non-droit à laquelle fait face le pays. Cette période récente a été marquée par une vie législative piètre, affairiste et très peu productive ; à l’actif de la 49ème législature, quinze lois votées et seulement cinq instruments internationaux ratifiés. Parmi les lois : * Loi sanctionnant le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme, votée le 9 septembre 2013 par la Chambre des Députés et le 11 novembre 2013 par le Sénat ; * Lois sur les échanges électroniques et sur la signature électronique ; * Loi d’application sur l’expédition des affaires courantes par un gouvernement démissionnaire, déposée le 20 mars 2012, votée le 3 mai 2012, transmise à l’exécutif ; * Loi portant formation de l‘akademi kreyol ayisyen an, 116


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déposée au Sénat le 10 décembre 2012, votée le même jour, publiée dans le moniteur ; * Loi portant prévention et répression de la corruption déposée au Sénat le 31 octobre 2012, votée le 10 mai 2013, publiée dans le Moniteur le 12 mars 2014 ; L’activité législative est un thermomètre permettant de mesurer le niveau de développement d’un pays. Pas de loi, pas de progrès ! L’aménagement législatif à réaliser s’avère nécessaire à la modernisation de l’État. Les axes stratégiques de la réforme législative, selon ma vision, comportent quatre dimensions : réguler, contrôler, rénover et anticiper. Tout ceci passe par l’adéquation, la reforme et la modernisation de l’ensemble régulateur formé par les lois, les règlements, les Codes régissant tous les aspects du développement en général. Doter la nation de nouveaux textes législatifs à vocation démocratique et devant assurer la réforme de l’état et la décentralisation. Mon agenda parlementaire était bien ficelé dans un document préparé avec la collaboration de toute une équipe bien imbue de mes visées, de mes aspirations politiques. Nos travaux et nos réflexions ont fait naitre un excellent projet à succès titré : Projet Renaissance-Borgne/Haïti. J’ai la satisfaction et le privilège d’avoir fait œuvre qui vaille et de laisser aux générations montantes un document tout à fait indiqué à participer dans l’établissement de l’État de droit dans un pays livré à la misère et à l’exclusion. Les grandes lignes de ce document peuvent être lues cidessous : * * * *

L’institutionnalisation de la Démocratie La modernisation de l’économie La protection de l’environnement La promotion du développement durable 117


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* La refonte des codes et leur mise à jour ; b Code de l’éducation b Code de l’eau b Code rural b Code de la protection citoyenne b Code de la santé b Code du tourisme b Code de l’énergie b Code de la pèche * La décentralisation et la déconcentration * Fonder une diplomatie culturelle à l’égard des Haïtiens de la diaspora * Reconnaitre la multiple citoyenneté * Promouvoir l’unité des diasporas Telles qu’énoncées, ces grandes lignes d’une politique législative proactive se révèlent significatives d’une volonté d’affronter, de manière cohérente et rationnelle, les graves carences qui handicapent de plus en plus le développement intégral du pays. Mon engagement, à travers ce programme législatif serait de réduire, en priorité, l’illettrisme, la pauvreté et la faim grâce à des efforts importants consentis. À ce compte, au-delà de la circonscription du Borgne et du département du Nord, il est indéniable que l’indispensable changement démocratique fait corps avec la refondation de la nation à partir d’innovations, de nouvelles lois qui visent à attaquer et à briser éventuellement le statu quo. Sous le bras, un agenda parlementaire articulé autour de thèmes et d’actions prioritaires dans divers domaines tels : le social, l’économique, et l’état de droit, je n’ai pas pourtant nié qu’il faut une volonté politique susceptible d’ouvrir enfin les dossiers qui commandent notre avenir dans le cadre d’une stratégie de croissance. 118


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S‘agissant de dossiers, ouvrir une parenthèse sur l’activité de la pêche permettra de découvrir un secteur très important et très représentatif de l’économie haïtienne. Mais malheureusement négligé. Selon les dernières statistiques, les Haïtiens consomment 17,000 tonnes de poissons par an. Ils n’en produisent que 5,000, les 12,000 tonnes restantes sont importées. Parallèlement, Haïti parvient à exporter annuellement sur le marché international près de 800 tonnes des produits de sa pêche (principalement des langoustes, chair de lambi et pieuvres) pour une valeur de 10 millions dont 4 millions sont répartis entre 5,000 familles de pêcheurs. L'activité de pêche maritime en Haïti, fait vivre directement plus de 54,000 familles réparties dans près de 400 villages de pêcheurs sur plus de 1,500 km de côtes et indirectement 12,000 marchandes et 7,000 «madan sara » qui travaillent dans ce secteur. La modernisation de la pêche, jusqu’ici artisanale, dans un cadre légal et réglementaire figure sur ma courte liste de priorités parlementaires. Faisant état de la production nationale, la pêche comme secteur économique porteur d’espoir, surtout pour une zone côtière, comme le Borgne, peut largement aider dans cette bataille livrée au nom de l’autosuffisance alimentaire en Haïti. Élaborer une loi à faire voter par le parlement portant création, organisation et fonctionnement du « Centre National de la Pêche » avec les prescriptions suivantes : * Mise en place d’une base de données : registre des pêcheurs et embarcations ; * Promouvoir, professionnaliser et améliorer l’activité de la pêche * Encourager l’ouverture des écoles à vocation de former des cadres dans ce domaine d’intérêt stratégique ; * Consolider les acquis dans ledit secteur de la pêche en ren forçant les conditions requises pour une aquaculture mo119


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derne, capable de générer des revenus durables ; * Améliorer les systèmes de conservation, de transformation et de la commercialisation de ces produits en installant des centres communautaires de traitement ; * Réglementer la limitation des captures par type d’espèces afin de garantir la pérennité et l’intégrité des pêcheries même artisanales ; * Création d’un service d’inspection sanitaire et de certifications ; * Aménagement des centres de stockage, de traitement et de commercialisation des fruits de mer ; * Installation de boutiques de pêche communautaires. * Encourager et développer la pêche en haute mer-pêche industrielle; Il est légitime de fermer cette parenthèse sur la pêche en faisant écho au Baron de Vatey74 qui écrivait, deux siècles plus tôt que: « une nation devait être à même de produire sa nourriture quotidienne car importer de l’étranger les produits alimentaires de base qu’elle consomme équivaut à ne pas avoir d’indépendance réelle. Il y a lieu à présent de questionner l’univers réfractaire à l’ordre et à la discipline dans lequel évolue l’Haïtien. Difficile d’articuler cette réforme en profondeur dans l’Etat et de rendre ces actions opérationnelles sans une rupture avec l’archaïsme sous toutes ses formes : technique, sociale et mentale. L’Homo Haïtianus confond la malice à l’intelligence et il répète avec conviction: «Konstitition sé papié, bayonèt sé fè75 » ou «Gran nèg se leta76» contrairement au principe sacré de toute démocratie : « La loi est une pour tous ». Des adages qui font corps avec une société haïtienne ankylosée; la conséquence d’une structure mentale déficiente. 74 Il était en charge de la production agricole dans le Royaume du Nord et préconisait l’autosuffisance alimentaire. 75 La constitution c’est du papier contrairement à la baïonnette qui est du fer. 76 Un homme qui possède de l’argent se confond avec l’Etat.

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Chaque impasse politique se termine par un consensus au mépris total des dispositions légales en vigueur car la politique a toujours été plus forte ou plus opérationnelle que le Droit. Ainsi, le GénéralPrésident Prosper Avril, ignorant que toutes les victoires acquises grâce à la force seront de courte durée, a compensé en ces termes les graves violations de la Constitution de 1987: « Je rétablissais la constitution haïtienne dans ses droits, en écartant temporairement quelques rares articles, pour la simple et bonne raison qu’ils étaient incompatibles avec la forme de mon Gouvernement.»xli En droite ligne avec Dessalines qui avait choisi de sauver son pays sans s’inquiéter du jugement de la postérité, P. Avril avait opté tout simplement d’appliquer la partie de la Constitution de 1987 qui convenait à lui et à sa clique, ne se foutant pas mal du reste. Reste s’il y en avait ! Contrairement à Maximilien Robespierre qui, le 13 mai 1791, du haut de la tribune parlementaire à Paris, s’écria : « Périssent les colonies, s’il doit vous en coûter votre bonheur, votre gloire, votre liberté. Je le répète : périssent les colonies plutôt qu’un principe.xlii » L’état critique de non droit où le pays s’est enlisé trouve facilement son explication dans ces rappels. L’éthique et la déontologie ont rarement guidé les démarches de nos dirigeants. La période actuelle donne cours à l’invitation à un changement en profondeur et de longue durée : un changement de mentalité. Une révolution orientée dans notre mode de pensée, dans nos valeurs, notre culture, nos croyances, notre vision du monde. En passant, il ne serait pas vain de rappeler que la persistance de la polygamie dans les couches de la société, discrète et voilée en milieux urbains, avouée et généralisée dans les communautés rurales, est l’un des legs les plus notoires de l’Afrique noire. Toujours est-il qu’aujourd’hui la crise de la conscience haïtienne est à sa phase ultime. 121


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Les rouages constitutionnels dont parlent les actes officiels restent incompris par le peuple, dans sa grande majorité, peu préoccupé par le débat politique : « les masses sont davantage attachées aux mœurs de leur environnement social immédiat :la famille, le lakou, le village » constituant son horizon palpable, ses réseaux de proximité ». Ces masses fonctionnent dans une totale autonomie par rapport à l’Etat qui affiche une incompétence à donner des réponses à leurs problèmes. A bien considérer, lesdites masses sont totalement indexées, oubliées et reléguées en arrière-plan, en un mot, acculées à vivre une inexistence banale et insuffisante, infrahumaine loin du modernisme. À ce stade, la promotion de l’homme haïtien par l’éducation doit être une priorité vu que la démocratie ne se conçoit pas sans un certain niveau d’éducation. Un puissant outil indispensable à effectuer les changements nécessaires permettant d’attaquer de front la mentalité sclérosée de l’Haïtien. Selon la dernière enquête de l’IHSI, la fréquentation scolaire est ainsi chiffrée : « 31.5% de la population de 6 ans et plus ne sont jamais allés à l’école. Les individus jamais scolarisés comptent pour 42.6% des 6 ans et plus en milieu rural contre respectivement 11.0% et 17.6% dans l’Aire Métropolitaine et les autres villes. On trouve des proportions plus ou moins fortes de personnes n’ayant jamais fréquenté l’école chez les femmes (35.5%), chez les personnes âgées de 40 ans et plus (entre 50% et 78%), chez les individus appartenant aux ménages des trois premiers quintiles (entre 36% et 45%). 54.1% de la population de 15 ans et plus déclarent savoir lire et écrire, toutes langues confondues. Mais le taux d’alphabétisme des femmes (48.6%) est nettement en deçà de celui des hommes (60.1%) 77» . C’est dans cette optique qu’il faut rapporter les résultats des examens officiels de 2016 qui affichent 28,85% de réussite globale après que des jeunes aient suivi un cycle de 16 à 20 ans et même davantage. 77 Institut Haïtien de Statistiques et d’Informatique/Enquête sur les conditions de vie en Haïti.

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Haïti consacre trois fois moins (1.5% du PIB) que les autres pays de l’Amérique latine à l’éducation (4.5%) du PIB. Avec seulement 89 bibliothèques dont 33 publiques, on ne saurait inciter la population à la lecture quand l’accès aux livres est rarissime. Dire que béatement, à la manière d’un vieux dadais, Michel Martelly, alors Président de la république, s’enorgueillit, en public, de n’avoir jamais lu un livre de toute sa vie. Parlant de lecture, le bachelier haïtien quête chaque soir une ampoule allumée chez un voisin nanti à l’effet de préparer ses examens. Pas d’électricité, le pays s’en fiche. Et puis, à la prochaine Coupe du Monde, on en aura. En vérité, chez nous, c’est « vogue la galère... » Ce préoccupant bilan de l’éducation haïtienne n’est que le reflet de la condition désastreuse du pays en général. Il n’est point étonnant que cette société ne tienne que des discours creux et qu’elle soit si pauvre en idées fécondes et surtout créatrices de fortes et ambitieuses aspirations à une Haïti régénérée. Donc le mot de Trank Khoi trouve son application ici : « il n’y a pas de réforme de l’éducation sans réforme de la société. L’éducation à elle seule ne peut changer la société. » Justin Dévot a été clair et précis : « Quand le citoyen n’est pas instruit, les plus belles formules légales, incomprises et forcément inappliquées, restent lettre-morte ». C’est comme un joyau d’une valeur inestimable qu’on a mis entre les mains d’un enfant. Un agenda parlementaire valable, en fait et d’abord, ne peut viser que la réhabilitation et la promotion de l’homme haïtien en travaillant assidument et sans relâche à faire reculer les frontières de l’ignorance, de la médiocrité, de l’analphabétisme et de l’archaïsme. C.

La campagne L’histoire a retenu, enregistré de précieux témoignages sur la 123


manière dont était conduite une campagne électorale, particulièrement en ce qui concerne l’élection des Députés. L’argent, bien entendu joue un rôle proéminent pour convaincre les électeurs ; le quatuor « dollar, bouillon, tafia, tambour » comme moyens de propagande et de séduction, quoique caricaturale, remplit un rôle quasi permanent dans l’histoire de nos élections. Antoine Michel rapporte avec force détails l’ambiance des élections législatives de 1873 : « À la vérité, la bataille était ardente. Les partisans de chaque candidat usaient de manœuvres pour convaincre leurs concurrents. On achetait les votes au prix de 0,25 centimes à 4 piastres. Il y eut bombance pour les électeurs. Ils trouvaient tout à profusion : tafia, bière, rhum, porter et même du jambon.»xliii Entre le verbe et l’action, entre le fantasme et la réalité, il existe un abîme de différence, trop large des fois à combler. Aussi, abordai-je ma campagne avec une envie, une volonté et un désir inébranlables de gagner. Ce qui était naturel, légitime. Je décidai de consacrer tous mes efforts, de tout mettre dans le paquet afin de sortir victorieux de cette bataille sans merci où tous les moyens sont bons : calomnies, coup-bas, reniements, délations, attaques frontales verbales et même physiques. Autant de péripéties et de dangers qui accompagnent nos traditionnelles élections qui n’ont pas changé d’un pouce de 1804 à nos jours. Ainsi, les élections législatives de 2015 se déroulèrent dans un semblable environnement ci-dessus décrit, sauvage et délétère, responsable du fait que la population haïtienne inconsciente, immature, naïve et bon enfant est en train de payer aujourd’hui le prix fort d’être dirigée par des gens qui ont la « tête en bas » comme se plaignait à dire l’illustre Edmond Paul. Il avait réellement raison de croire que tout va chez nous à contre sens, dans le sens dessusdessous, dessous-dessus. Il n’existe pas de formule magique permettant de remporter 124


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une élection, car chaque élection est unique. L’humeur de l’électorat, la situation économique de la zone ciblée, le calibre du candidat et de ses opposants, l’accointance politique. Autant de facteurs jouant un rôle significatif et prépondérant. Bien Imbu de l’importance des ressources humaines dans une telle entreprise, je tentai très tôt de monter une cellule au sein de laquelle de jeunes leaders se consacraient à des taches diverses et spécifiques dans le but de courtiser l’électorat. Cet essai fut complexe puisque je voulus disposer d’un comité assez large et divers disposant de tentacules aussi bien dans la diaspora qu’au Borgne, Haiti. Je créai une équipe de rêve constituée de conseillers, de consultants, et de professionnels de terrain qui étaient appelés à m’aider à atteindre mon objectif. Les premiers pas furent difficiles et suscitèrent certainement des doutes assez sérieux. Je passai des nuits à travailler assidument à la préparation des dossiers devant produire un agenda parlementaire répondant à ma vision et une feuille de route bien étoffée pour mon équipe de campagne. Les renseignements démographiques, les récentes compétitions électorales, le type d’élections, l’étude statistique par groupes sociaux de la population composant la circonscription et le département (Electorat du Borgne=22,979 soit 4% du Nord). J’écoutai les conseils de beaucoup d’amis, de parents, d’anciens candidats et d’autres accointances. Cependant Je dois admettre que mon projet de prétendre au poste de député pour le Borgne ne fit pas l’unanimité. Quoique mêmes mes adversaires politiques s’accordent à reconnaitre que si le coup n’était pas tout- à-fait bon mais le fond en lui-même était très beau. Tous, et même ceux-là qui étaient en dehors de la scène, conviennent que la démarche était technique, innovatrice et bien élaborée. 125


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Tout de même, je lançai cette belle aventure sous le slogan : «OBOY SE NOU TOU’T78», renforcé par la trilogie: Vision, Engagement et Inclusion. Dans un premier temps, je voulus me présenter indépendant à ces joutes. Mais la brutale réalité du terrain dicte sa loi. Effectivement, en son article 93-alineas b, le décret électoral de 2015 stipule ceci : « Le candidat ou la candidate indépendant(e) présente une liste d’électeurs, avec leur numéro de Carte d’identification nationale (CIN) et signature représentant deux pour cent (2%) de l’électorat du poste à briguer à la date de l’ouverture du dépôt de candidature 79». Ce qui était pour moi très difficile et même impossible. Pour pallier à cette difficulté, je me réfugiai dans les rangs de la plate-forme politique RENMEN AYITI80 avec Me Jean Henry Céant comme candidat à la présidence sous la recommandation de mon cher cousin, Maurice Célestin-Noel, son grand ami et partisan. En mettant sur pied ma stratégie, je dus tenir compte que je me présentai à ces joutes au cours d’une année d’élection présidentielle car les électeurs se déplaceront en plus grand nombre pour aller remplir leur devoir citoyen. De plus, si le président jouit d’une bonne popularité, il sera plus avantageux pour un candidat aux législatives d’appartenir au même parti que lui. Cet apport éventuel qui pourrait se révéler précieux ou fatal ne fut pas négligé. Car, il faut le dire, très respecté, Jean Henry Céant était un redoutable candidat à la présidence. En laissant la Floride pour me rendre en Haïti, Borgne, je crus avoir pensé à tout ce qui était nécessaire pour gagner une élection: un plan de campagne, des gadgets allant de bracelets jusqu’aux maillots flanqués de mon effigie et de mes slogans, des pancartes, des flyers, des cartes de visite, enfin tout mais la grande réalité est: « Ki moun ou gen nan KEP 81?» C’est la question qui me revint à 78 79 80 81

« Nous sommes le Borgne. » Article 93-b du Décret Electoral publié dans un numéro spécial du moniteur du 2 mars 2015 Aimer Haiti : Une plate-forme politique composée de plusieurs entités et partis politiques. “Avez-vous des accointances au sein du CEP ?”

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chaque fois que je rencontrai un ami, une ancienne connaissance ou un éventuel allié, disposé à m’aider. Armes lourdes, fortes sommes d’argent, bandits de grand chemin, accointances au Conseil Electoral Provisoire. Correspondance avec le palais national. Il suffit de disposer de cet arsenal pour s’assurer d’un siège au parlement. Sans oublier que tout pouvoir vient des « GINEN82 ». Théocratie. Je fus fasciné de l’aplomb avec lequel un occulte, un zélé de mon équipe, me déclara qu’il disposait de la faculté de « mare lapli 83» . Ces gens ne voulaient rien entendre et, si vous refusiez de vous laisser conter, ils fourbiraient leurs armes pour partir en guerre contre votre campagne. D’où la tolérance des croyances qui n’étaient pas forcément miennes. Dans tous les couloirs de la société, administratifs ou politiques, pullulent des hommes et des femmes de rien, de peu de conséquence, qui rusent, dissimulent et mentent avec un sang-froid imperturbable, déconcertant. Pas de générosité. Que vous en ayez conscience ou non, la malhonnêteté est le mode opératoire à tous les niveaux. Franchement, comment comprendre qu’une une personne saine d’esprit pourrait croire que la concurrence ouverte et, partant, la guerre ouverte, pourrait donner naissance à une Haïti équilibrée, pacifique, durable et productive. Après constat sur le terrain, l’arriération, l’ensauvagement et l’encanaillement dans lesquels patauge le peuple haïtien ne peuvent être combattus que par l’engagement inclusif de tous les citoyens derrière une vision clairement définie. Le credo de ma campagne allait au-delà de ma modeste personne pour sensibiliser l’électorat haïtien en commençant par celui du Borgne sur sa noble mission de bien choisir ses dirigeants. Fort de cela, j’évoquai toujours Georges Orwell84 qui écrit : « Un peuple qui élit des corrompus, des renégats, 82 Les dieux tutélaires de la nation d’après la croyance populaire 83 Contrôler la pluie pour qu’elle ne tombe pas. 84 Georges Orwel, né Eric Arthur Blair, fut un romancier et journaliste anglais.(25 juin 1903-21 janvier 1950)

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des imposteurs, des voleurs et des traitres n’est pas victime ! Il est complice ». On dit que l’histoire se répète. Ainsi, en scrutant le passé de la commune du Borgne ou du pays en général, le vécu haïtien peut être cerné aisément. Point n’est besoin d’être Nostradamus ou cynique pour prédire un avenir très peu clément pour les Borgnelais85 qui, à l’instar de toute la population haïtienne, ne cessent de faire des choix aveugles conduisant vers des voies sans issue qui l’amèneraient à une impasse et à l’échec certain, même différé. Nous sommes la risée du monde parce que nous persistons à reproduire nos attitudes carnavalesques, nos âneries et notre insularité. En plus nous continuons à placer des gens « sans tête » à la tête du pays. Avec raison, Kerns Délince a placé ces mots en parlant de l’électeur haïtien :« Lorsqu’il est libre de s’exprimer par le bulletin de vote, le citoyen haïtien se montre peu avisé ou joue de malchance.»xliv Cette circonscription vit une situation unique au point que, la pénétrer, si vous n’êtes pas un initié à la subtilité du milieu, reviendrait à trouver la quadrature du cercle. Deux candidats se livrèrent une bataille sans merci et sanglante même, avant la lettre, bien des années avant les élections de 2015. Ils ne cachèrent jamais leur inimitié et leur penchant pour la violence. De fait, il y a eu mort d’hommes, maisons incendiées, pillages malheureusement constatés sans suite ni mesures appropriées. Aucun cas n’a été entendu par devant la justice. Les tribunaux étaient tout simplement restés muets, forcés de garder le silence face à l’agression des coupables semant sans désemparer la terreur et agissant en toute impunité. Même le député en fonction n’était pas épargné. Il a failli laisser sa peau en maintes occasions. Face à cet état de fait violent qui s’abreuve depuis la nuit des temps à la source de la dichotomie « Nèg lavil et Nèg en deyō»86 et qui mérite une attention soutenue, il convient de réclamer 85 Habitants de la circonscription du Borgne 86 Gens de ville et Gens de campagne

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de l’État une action célère et sévère contre ces fauteurs de troubles. À côté des dispositions à prendre par les autorités en termes de répressions, les leaders conséquents et éclairés se doivent de penser à la prévention et à l’éducation approfondie de la population. Et entre ces deux pôles d’action, la réduction des disparités socioéconomiques se retrouveraient bel et bien sensible et fortement agissante au sein de cette population démunie vivant dans une atmosphère dangereusement polarisée. Seuls moyens de sortir la population belligérante de ce bourbier dans lequel elle est enfoncée jusqu’au cou. C’est pourquoi, en bon rassembleur et démocrate conséquent, j’avais exploité en toute justesse et de manière appropriée mon slogan de campagne qui avait fait echo : « Oboy sé nou tou’t.»87 La vie politique ne se déroule pas comme un fleuve tranquille dans la ville du Borgne à l’ère où l’on court après l’esprit. Depuis 1986, dans leurs limitations et leur mégalomanie, les responsables politiques de la zone ont nourri les divisions sociales, ont renforcé les mauvaises habitudes politiques et n’ont pas su enterrer la vielle hache de guerre. Le Borgne se meurt pris en ‘’sandwich’’ entre l’ignorance et la paranoïa. J’ai toujours su, en vérité, qu’un leadership ne saurait délivrer sans un certain niveau d’instruction bien chevillé à une conscience claire de la réalité. Tant pis pour ceux qui pensent que les têtes creuses et les tonneaux vides peuvent conduire un pays au succès. Tant pis pour ceux qui s’imaginent que la triture intellectuelle n’est pas indispensable à la bonne gouvernance, à la bonne marche de l’administration d’un État… Me prenant pour une autorité constituée, les gens m'exposaient ‘’sans aucune crainte, sans aucune appréhension’’ leurs griefs, leurs misères, leurs désolations, et me prièrent de prendre en grande considération leur situation lamentable. Ils croyaient, en étant candi7

Nous sommes le Borgne

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dat, mon mot auprès des autorités établies pourrait libérer un fils en prison, accorder une faveur ou un poste dans l’administration publique ou ouvrir la porte de la Police Nationale pour un jeune parent. Il m’était même demandé souvent d’aider à assouvir dans l’immédiat une faim tenaillante, à payer une prescription de médicaments. Mais, en dernière analyse, il fallait toujours leur tendre la main : leur tenue piteuse et leur mine famélique contrastaient péniblement avec leur sourire et « leur misère joyeuse ». Tout cela paraissait invraisemblable, au prime abord. Mais quoi de plus explicable, lorsqu'on sait que sur cent campagnards, 25 lisent à peine ? Ils sont incapables de prendre connaissance de ce qui se passe. Il leur faut donc un bon laps de temps pour être renseignés sur les affaires qui les intéressent et savoir de bouche à bouche, suivant la tradition orale, l'ordre des choses réellement établi. « Quand les dieux veulent vous détruire, selon le vieil adage, ils s’en prennent à votre cerveau.» Jupiter rend fous ceux-là qu’il veut perdre. Une telle inculture est destructive de tout effort d'amélioration nationale. Les individus qui ne connaissent point les secrets de l'alphabet sont veules et à la limite presqu’inconscients. Ils sont toujours prêts à devenir la chose de ceux qui les engluent par le mensonge et par la ruse. Ils ne sont susceptibles de rien entreprendre ni même envisager, pour leur maintien ou leur relèvement personnel et social. Inconscients de l’évident naufrage sociétal, Ils préfèrent la résilience et le « collabo » en lieu et place de la résistance et de la lutte. Jean-Pierre Boyer interdisait l’école à quiconque car selon lui: « l’instruction est la révolution. » En effet, l’instruction donne une idée consciente de soi-même et de sa réalité. Sans équivoque, le pays a besoin d’un peu d’intelligence à défaut de génie. Le refus du savoir et l’arrogance constituent les deux pivots de la société haïtienne. Nous sommes « une société qui entretient un rapport pour le 130


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moins schizophrénique avec l’écrit et la pensée formelle. » d’après Samuel Pierrexlv. D’où la stagnation de tout un peuple dans un immobilisme qui entrave toute opération coursière de changement réel. D’ailleurs les épisodes de notre vie de peuple se succèdent et se ressemblent comme deux gouttes d’eau. À la vérité, comme toujours, la grande majorité de ceux qui briguaient les postes électifs de 2015 ne désiraient que des élections dirigées, bien entendu, dans le sens de leurs intérêts. Nous étions dix prétendants à nous bousculer au portillon du parlement pour représenter la circonscription du Borgne, anciennement appelée Embarcadère. À l’horizon, parmi les aspirants à la victoire, se détachèrent malheureusement les silhouettes de Jude Charles Faustin88 et de Gérard St-Jean89 . En fait, on assista à un spectacle de politicaillerie pure sur fond de polémique creuse, sans vision et violente. Ce fut la manifestation classique du syndrome de Stockholm90 . Ils étaient en réalité les deux faces de la médaille de cette situation anarchique dont les convulsions ont abouti à ce brigandage récurrent dans la commune. Summum de la décrépitude, le comble de l’ignorance, l’apologie de la bêtise, sans une autre façon de penser, de voter, d’où, aucune régénération possible dans ce joli coin de terre. Encore une fois, durant ces élections de 2015, tout fut mis en œuvre aux fins d’acheter les consciences avec de l’argent, du tafia91, des bandes rara et de la victuaille. D’ailleurs Les candidats, loin de porter un message et une vision, satisfirent tout simplement une sorte de frénésie politique. Ils usèrent des subterfuges pour miroiter des promesses fallacieuses, mirobolantes auprès des masses pratiquement « zombifiées ». Tous les coups furent permis suivant la «stratégie politicienne » haïtienne. 88 89 90 91

Le député sortant, candidat à sa propre succession. En préparant ce livre, le BCEN a tranché en sa faveur. Il va siéger pour le compte du Borgne Cette relation étrange qui se tisse parfois entre un (ou des) preneur(s) d'otage(s) et les victimes. Eau-de-vie/Alcool

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« L’esclavage provoque la surdité de l’âme. » d’après Victor Hugo. Qu’en est-il de cette misère endémique qui ronge les masses défavorisées ? Elle abrutit, elle aliène, elle ankylose et elle rend le citoyen incapable de se projeter dans l’avenir. « Le peuple doit pouvoir manger avant d’aller aux élections.xlvi » Un fait est indéniable : ceux qui ont faim et soif sont limités dans ce qu’ils peuvent penser. Et, Vertus St Louis a judicieusement ajouté: « l’homme ne vit pas seulement de pain mais il vit d’abord de pain. » L’éveil de la conscience est-il obligatoirement lié à la condition empirique de l’individu ? Si oui, l’Haïtien aurait dû s’éveiller et se révolter déjà face à ses conditions de vie qui défient toutes les statistiques. En ce sens, il convient de répéter Marx, «Ce n’est pas la conscience des hommes qui détermine leurs êtres; c’est inversement leur être social qui détermine leur conscience»xlvii . Haïti est le deuxième pays à rompre avec les liens coloniaux après les Etats-Unis. La différence est que nous avons reproduit la société coloniale esclavagiste où l’impunité et l’arbitraire constituent la toile de fond de toute démarche. L’arbitraire « socioculturel » est ancré dans les mœurs haïtiennes. En ce sens, je m’époumonais, à chaque rencontre électorale, à demander à la population de voter autrement, sinon elle en sera sévèrement punie, subissant les conséquences néfastes de ses mauvais choix. Les peuples ont comme les hommes ou les communautés leurs passions, leurs erreurs, leurs injustices. Donc quand ils commettent des fautes, ils récolteront la corruption, l’anarchie et le despotisme. Pendant cette période électorale, les fougues furent de plus en plus exacerbées. Il a été toujours ainsi à chaque fois que le peuple est appelé en ses comices. Il m’a été reproché par certains de mes détracteurs de ne pas « atterrir », de ne pas bien délivrer la marchandise. En ce sens, les gens ne se retrouvaient pas dans mon discours qui de l’avis de plus d’un était pourtant empreint de consistance et de 132


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vision. Beau discours mal déclamé selon eux. Paradoxe, car, sans fanfaronnade ou vantardise, j’ai toujours maitrisé la prise de parole en public pour avoir fait des études en communication et en plus ma carrière d’enseignant me performa en diverses circonstances. Sans compter que je pris le soin et le temps de monter un projet de campagne et un agenda parlementaire réunis dans le document : Projet Renaissance-BORGNE/Haïti. L’ingénierie adoptée dans l’élaboration du Projet «Renaissance-Borgne » est simple. Mon équipe et moi avions voulu éviter un Plan trop littéraire, ennuyeux et inaccessible à tous. Le PRB comporte des axes stratégiques (politiques) déclinés en objectifs (programmes). Les objectifs sont déclinés en actions opérationnelles (projets). Après avoir arpenté les moindres recoins et habitations de cette circonscription de sept sections rurales et parcouru tant de sentiers en lacets, je me résolus à accepter que la renaissance du Borgne devra absolument passer par l’inter-accessibilité entre les différentes sections communales et le reste du pays. Alors je faisais la promotion du téléphérique : un moyen de transport par câble aérien adapté à l’espace montagneux du Borgne. Cette innovation pourra désenclaver cette zone tout en évitant le dépeçage de son environnement encore viable. Ce sera l’aboutissement d’une série de dispositifs en faveur de l’aménagement du territoire national. Des idées aussi novatrices irritaient car la population n’était pas prête à les ingérer. L’élève n’étant pas prêt, le maitre se fait encore attendre comme dit le vieux proverbe chinois. Lorsque Galilée, le physicien et astronome italien, prouva à l’institution politique de son temps et de sa région que la Terre tournait autour du soleil, il essuya des menaces et se heurta à la violente opposition de l’establishment politique et religieux, car sa théorie s’opposait à ce qui est écrit et, partant, aux identifications traditionnelles. Consciencieusement, je place l’indifférence affichée à mon auguste et prestigieuse proposition dans un cadre où les sautes d’humeur sont celles de rigueur. 133


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Face à cette urgence de redressement moral, les candidats aux élections de 2015, de toute tendance et à tous les niveaux, à part quelques exceptions, proposèrent des formules creuses et occasionnelles en lieu et place de discours bien articulés autour d’un projet offrant une sortie de crise qui fait corps avec notre existence. Subséquemment, après chaque élection, la responsabilité n’est pas à la hauteur des problèmes qui s’amplifient chaque jour. L’inconsistance, la légèreté et la simplicité avec lesquelles des enjeux complexes sont abordés nous conduiront toujours au carrefour « tintin ». Difficile à comprendre ce à quoi s’attendre exactement cette population obnubilée uniquement par la force des sous. Ma campagne électorale aura été ma plus surprenante aventure, celle qui m’aura le plus appris. Tout d’abord, j’ai fait la connaissance de tant de gens de tous les milieux. De la dame transportant sur sa tête une cuvette remplie de vivres alimentaires (elle avait entendu parler de moi auparavant et elle mourait d’envie de me connaitre), aux enfants qui n’avaient jamais reçu un cadeau jusqu’à mon arrivée avec des ballons de football. Que de merveilleux souvenirs ! Des paysannes assises sur la berge des rivières, faisant la lessive, et vêtues d’une culotte de toile (pantalette) avec les seins de plomb à l’air, frottant vigoureusement ou frappant le linge à grands coups de battoir pour le blanchir. Une expérience agrémentée de la visite de ma famille qui fit le déplacement de Floride pour me supporter pendant deux semaines. Durant cette campagne longue de plus de 16 mois, à perte de souffle, deux accidents de voiture, des altercations, des coups-bas, des promesses non tenues, des retrouvailles et des nuits sans sommeil constituèrent le train de vie. De Montaigu à Molas en passant par Trou d’Enfer, j’ai tenu le même consistant discours. J’ai parcouru les moindres quartiers et habitations des sept sections communales de la circonscription. Je les ai toutes bouclées. Sans exception 134


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aucune. Aussi, avais-je la conscience tranquille, d’autant que je m’étais dit que quelle que serait l’issue, je me consolerais à l’idée que j’avais fait tout mon possible, en plus que j’avais beaucoup appris. Je dois admettre, à ce stade, que très tôt j’étais conscient de ma perte certaine car j’avais réalisé tout était déjà joué et décidé au plus haut niveau où les dés étaient déjà pipés. « Vous avez un discours impressionnant ! Vous êtes qualifié, mais malheureusement vous êtes venu trop tard!» me lâchèrent beaucoup de participants après chaque rassemblement. À les entendre, n’étaient ma lucidité et ma capacité de comprendre les dessus et les dessous des propos de l’homme haïtien, j’aurais pris cette remarque d’intégrer la course électorale tardivement comme un affront. Mais loin d’aborder la question sous cet angle, je les ai souverainement méprisés pour reprendre mon chemin, ma vie habituelle sur des pas assurés, le front altier. Il y a même des jeunes qui me donnèrent rendez-vous pour 2020, date des prochaines législatives sous prétexte que leur choix du prochain député a été arrêté, bien que séduits par mon discours. Ils se barricadaient derrière de farfelues explications qui n’avaient rien à voir avec l’objectivité. Discours démagogique que j’ai envoyé d’un revers de main nourrir la poubelle. Dans ce pays, le relationnel supplante le rationnel. Aussi, par choix tactique et par respect pour moi-même, je choisis de taire des noms essentiels qui se trouvèrent en avant-scène de cette méprisable orchestration. Venu de nulle part, sans correspondance avec le gouvernement, sans rapports avec le pouvoir établi ou avec la Communauté Internationale, j’arrivai subrepticement, les mains dénudées sur la scène politique en « deus ex machina » avec un discours discordant, en opposition à ce qui se dit traditionnellement. Un discours neuf. Lamentablement, je prêchai des fois dans le désert. Mes idées se heurtèrent à des oreilles bouchées à l’émeri. C’est pourquoi, malgré 135


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ma bonne volonté, mes propositions, recommandations, gesticulations, ma générosité et mes contributions notables et diverses dans le déroulement de la vie quotidienne durant la période de campagne, il n’y avait aucune chance d’être entendu ou suivi. Tout de même, il avait été extrêmement satisfaisant de prendre des risques et de travailler avec acharnement. D’ailleurs, dans un débat (Face à Face) organisé à Petit-Bourg du Borgne le 2 août 2015 par une association de jeunes de la commune, des cinq candidats présents sur dix en course, mes interventions furent les plus applaudies. Par contre, la manifestation de rue qui s’en était suivie était totalement pro Jude Faustin. Incohérence mais rien d’étonnant. À part des violences verbales lancées à mon encontre deux jours après la tenue du scrutin, il faut le dire, aucune atteinte à mon intégrité physique n’a été faite. La leçon la plus expressive à tirer de cette expérience est qu’on ne peut pas gagner en politique en faisant cavalier seul dans un pays où « sé kolonn ki ba’t 92» . Cette aventure m’apprit qu’une vraie victoire ne s’improvisait pas en un tour de visse. Il faut en définir la cause, tracer une ligne stratégique d’attaque puis s’armer de patience, de consistance et de détermination. Tout ceci, même bien concocté, adapté à un milieu refusant tout arbitrage, n’est pas garant d’une victoire. Cela suscita en moi non un sentiment d’orgueil frustré mais de déception assortie d’une angoisse pour le lendemain de ma commune pour laquelle je me portai au secours avec un projet salvateur dans lequel je croyais fermement. Comme sur le cratère d’un volcan encore en éruption, cette 92

Entre compères, pas de principes

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expérience politique vécue pleinement confirme un manichéisme haïtien dont il est difficile de nous en départir. Ainsi, ne pouvant pas me tenir à la fenêtre et me regarder passer, je laisse le soin à des observateurs, notamment ceux-là qui furent en première loge, de lancer le débat quant à la valeur et la portée de ma tentative. D.

De la journée du 9 Août 2015 aux résultats du scrutin

Ce matin clair du 9 Août 2015, une curiosité de candidat me prit naturellement d’aller voir ce qui se passait à travers les rues de Petit-bourg où je plantai mon quartier-général. Au loin, je vis une longue file noire se mouvoir comme un mille-pattes. En m’approchant, je découvris une longue procession humaine qui bougeait lentement sur le béton macéré de la rue en face du presbytère. Des hommes et des femmes de toute complexion et de toute classe, endimanchés, se préparaient à se rendre aux urnes. Je remplis très tôt mes devoirs de citoyen à l’Ecole Nationale de Petit-Bourg où une ambiance de désordre généralisé régna. Un désordre voulu et organisé. Ce qui profita aux candidats ayant le contrôle du mécanisme électoral. Les élections du 9 août s’étaient déroulées dans le flou total. L’opération se fut révélée obscure depuis le vendredi 7. En effet mon équipe ne reçut que 10 mandats le jour même du scrutin vers deux heures du matin. Par contre, le PHTK et le parti Vérité disposèrent de tout le matériel nécessaire, des jours à l’avance. Une journée électorale émaillée de violences, des matériels de plusieurs centres de vote pillés et envolés dans les flammes. Deux jours plus tard, soit le 11 aout, le local du Bureau Electoral Communal a été pillé et incendié, à visière levée, par les sbires du parti Vérité. Toutes ces opérations de sauvagerie et de sabotage furent entreprises pour trafiquer le vote. Loin de la vérité des urnes, le Conseil Electoral Provisoire 137


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publia des résultats tirés peut-être du chapeau d’un prestidigitateur comme un lapin. C’est un grand défi d’établir la vérité du vote voire l’authenticité des résultats puisque les crimes électoraux documentés empoisonnèrent tout le processus. En somme, tous les moyens sont bons, tous les coups sont permis pour garder ou transmettre le pouvoir puisque dans notre tradition « dégajé pa péché93 » . Déjà, la constitution républicaine de 1816 prévoyait de punir les « faussaires » électoraux en son article 64 : « Tout citoyen convaincu d’avoir vendu ou acheté un suffrage est exclu de toute fonction publique pendant vingt ans, et en cas de récidive il l’est pour toujours ». Alors qu’en 2016, parler de sens du civisme est un vain mot qui s’apparente à la dérision. La bonne vieille méthode d’escroquerie a repris son cours durant les dites élections. Cartes électorales confisquées. Centres et matériels de vote incendiés. Les coquins se pavanent en toute impunité. Pouvoir en place accusé. Tout se fait par le CEP au profit de la bande à Martelly. Mais, ironie de l’histoire, hier Préval était accusé de frauder en faveur de Jude Célestin qui se retrouve aujourd’hui en 2016 en face de Jovenel Moise à l’avantage de qui Martelly avait voulu rafler ouvertement les élections. En réalité, les uns et les autres luttent pour que leur oligarchie s’accapare du pouvoir. Dans ce cirque où la ritournelle est mal exécutée, tous les moyens sont bons pourvu qu’on atteigne le but fixé. L’échec d’Anténor Firmin face aux forces rétrogrades et obscures de Nord Alexis au début du vingtième siècle suit fatalement la société haïtienne comme une ombre dont l’exorcisme passe par un toilettage en bonne et due forme du cerveau de l’Homo Haïtianus. Au fait, en ces deux hommes gisait un saisissant symbole d’après Jean Price Mars: « L'un nourrissait son cerveau et son cœur de toute 93 Peu importe le moyen utilisé

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la substance virile de la pensée antique pour en faire un bouclier contre l'assaut des mauvais instincts et des basses impulsions, l'autre, pour réaliser ses desseins de domination, empruntait la voie tortueuse des coups de mains, des manœuvres et des complots, cette route parsemée de tombeaux et de rapines où trébuchent depuis plus de cent ans tous les espoirs, toutes les tentatives des hommes de bonne volonté vers un redressement de ce pays.xlviii» Tonton Nord a incrusté dans nos mœurs ces réflexes autodestructeurs qui ont la vie dure et qui méritent un émondage en profondeur. De toute évidence, un redressement moral est impératif: éthique, civisme, militantisme, honnêteté, créativité…En un mot, la reprogrammation du cerveau du sociétaire haïtien. L’analyste politique et journaliste américain, Chris Hedges, ne saurait accoucher mieux pour décrire l’Haiti de toujours : « Nous vivons dans un pays où les médecins détruisent la santé, les avocats détruisent la justice, les universités détruisent la connaissance, les gouvernements détruisent la liberté, la presse détruit l’information et nos banques détruisent l’économie. » Il a oublié d’ajouter que nos présidents détruisent la présidence et toutes nos valeurs. Ces législatives de 2015 contestées dès le lendemain de leur tenue et à taux de participation nul ou très faible donnèrent naissance à des dirigeants sans légitimité, sans reconnaissance, sans appui réel de la société mais, plus grave, sans redevance et sans responsabilité vis-à-vis de la nation. Même convaincu que la lutte en faveur de l’authenticité des urnes est une vraie bataille démocratique, je ne participai à aucune contestation collective sachant qu’elle serait vaine et entachée d’incohérence au mépris des grandes politiques d’intérêt général. Évoluant dans un état de conscience délabré, l’Haïtien érige la bêtise et la médiocrité en maximes. Le flou éthique aidant, l’homme haïtien 139


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a toujours dénoté son incapacité à se déplacer en rangs serrés et coordonnés pour qu’éclate au grand jour la vérité. Pour preuve, la Commission de Vérification Electorale n’a d’œil que sur les présidentielles faisant fi totalement des « zombis » comme quoi, ils ne seraient pas actifs durant les législatives du 9 aout 2015. Ensuite, le renouvellement du tiers du Sénat a créé une telle pagaille au sein de la classe politique que les candidats avaient oublié déjà les conditions qui ont accouché de ces élections totalement contestées de 2015. Ils oublient vite, du moins, ils ignorent sans doute que dans cette vie que les mêmes causes, dans les mêmes conditions, produisent les même effets. Dans cette chaise musicale, la ruse sera organisée cette fois par un autre camp, peut-être de manière différente. C’est pourquoi, les élections de 2016 sont une catastrophe annoncée. Entre temps, la vaillante population borgnelaise est finalement représentée à une 50ième législature qui se dessine plus affairiste et plus oisive que la précédente. L’ambiance de guerre civile qui a menacé le Borgne avant, le premier tour du 9 Août persiste encore et la décision prise en faveur du candidat de Vérité ne fera que différer l’explosion d’une situation en ébullition. C’est comme mettre au fourreau momentanément l’épée de Damoclès suspendu sur la tête de chaque citoyen de la commune   Je crois que ma candidature représentait une expérience extrêmement éclairante. Je ne pense pas du tout être disposé à la refaire, parce que la première leçon tirée était l’ambiance délétère de prostitution qui règne dans l’arène politique haïtienne. J’y suis entré par conviction et c’est là, en vérité, qu’a été ma naïveté. L’espace politique est synonyme d’espace de pouvoir. Pour s’y introduire, il faut être entièrement anesthésié et au-dessus de l’affect. C’est le haut lieu de toutes les trahisons, d’incivilités, de dénigrement, de revirements et de reniements possibles. Puisque je suis entré ‘’inattendu140


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ment’’ dans une certaine hostilité, j’ai eu la chance de voir et de vivre comment des gens, à l’époque mes alliés, pouvaient changer graduellement d’opinion vis-à-vis des réponses que je pouvais apporter à leurs questionnements. Et puis, j’ai appris la fragilité de l’amitié dans l’atmosphère électorale. Mon premier choc a été de me voir trahi par des amis d’enfance et de longue date, un témoignage de cette fragilité extrême dans laquelle nous pataugeons. Je ne me sens donc pas du tout amer ou frustré ou quoi que ce soit. Cependant, pour être tout à fait honnête, cela entraina en moi un peu le sentiment d’échec. C’est vrai, je n’ai pas eu beaucoup de succès aux urnes selon les résultats inventés par le CEP, mais j’en suis sorti tout de même la tête haute et, pour moi, cela a été mon baroud d’honneur, l’aspect le plus important. En tout état de cause, des élections ne sauraient être la jauge infaillible de la valeur d’un pratiquant de politique accédant à l’arène par simple désir de mettre en évidence ses compétences, ses connaissances, ses habiletés, ses convictions, ses projets élaborés en équipe au service de sa communauté qu’il aime comme un être de chair sans pour autant connaitre les dérives et les embuches inhérentes à la « politicaillerie » haïtienne. Avoir échoué, non. Je dis qu’il y avait un sentiment de revers, allant à l’encontre de mes espérances parce que je persiste à croire qu’il y a plein de rêves et d’ambitions qui auraient été possibles et réalisables. A noter que mon échec s’inscrit dans le contexte d’autres similaires. Mon manque de réalisme ne m’a pas permis de comprendre que la politique est un espace de compromis et qu’il aurait suffi d’un peu d’accord, de consensus et de négociation pour un tout autre déroulement des évènements. Je dois avouer que j’avais sous-évalué l’environnement social, éthique et déontologique dont le fruit est cette dégénérescence nationale à son paroxysme. Il y a des intérêts divergents au sein de la société, des travers de mentalité qui 141


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empêcheront sans cesse tout projet de dialogue franc et rassembleur. Il convient absolument d’identifier l’intérêt collectif dans ces conflits de gains, dans ces différentes visions de la commune du Borgne, ou du pays en général. Avoir échoué, oui. Mais dans une certaine mesure et dans ce cas précis raisonnablement car j’entrepris de me présenter au suffrage électoral persuadé de pouvoir combattre la misère, le chômage et surtout l’inculture, sans prendre en compte toutes les facettes et difficultés du processus du réel haïtien tout court. J’ai vidé la coupe des déceptions et des rancœurs jusqu'à la lie au triomphe même de la cause des éternels dépositaires de l’absurde et de l’anarchie. En fait, mon silence et la soudaineté de ma décision de ne pas me porter contestataire des résultats ont été favorablement reçus par mes adversaires politiques. J’ai puisé du Petit Prince de Machiavel l’énergie nécessaire pour m’ouvrir à d’autres perspectives. Ainsi: «C’est une folie de haïr toutes les roses parce qu’une épine vous a piqué, d’abandonner tous les rêves parce que l’un deux ne s’est pas réalisé, de renoncer à toutes les tentatives parce qu’on a échoué…c’est une folie de condamner toutes les amitiés parce qu’une d’elles vous a trahi, de ne croire plus en l’amour juste parce qu’un d’entre eux a été infidèle, de jeter toutes les chances d’être heureux juste parce que quelque chose n’est pas allé dans la bonne direction. Il y aura toujours une autre occasion, un autre ami, un autre amour, une force nouvelle. Pour chaque fin il y a un nouveau départ.» En banalisant leurs devoirs, les citoyens de la commune du Borgne et ceux du reste du pays vivront, encore longtemps et à chaque fois, ce climat d’évènements à arrière-gout de rêve volé, d’espérances anéanties. 142


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Chapitre V Un miracle possible

Il y a 4000 ans, Sanchoniaton, le Phénicien, disait: « Nos oreilles, habituées dès nos premières années à entendre leurs récits mensongers, et nos esprits imbus de ces préjugés depuis des siècles conservent comme un dépôt précieux ces suppositions fabuleuses en sorte de faire apparaître la vérité comme une extravagance, et de donner à des récits adultérés la tournure de la vérité.94» Le spectacle en déroulement en Haïti depuis notre existence montre bien que nous sommes loin de l’esprit de rupture réelle avec nos routines légères et plus loin encore de la mentalité de forgeurs d’histoire de nos pères fondateurs. Nous n’affichons pas encore cet esprit de renouveau qu’il nous faut impérativement développer pour répondre effectivement en tant que Nation aux défis structurels et conjoncturels d’Haïti. C’est que, peu importent sa compétence et son patriotisme, le citoyen haïtien, mis à part la possibilité de son arrivée aux pouvoirs par la voie électorale ou autre, ne jouit pas des prérogatives et privilèges, officiels ou informels. Mais à l’évidence, nous avons été incapables aussi d’atteindre la maturité de patriotes responsables. Anténor FIRMIN, dans sa vision anticipatrice, voyait venir presqu’un siècle plus tard la CARICOM95; «Nous sommes au milieu de la mer des Caraïbes et qu'il nous est impossible de rester indifférents aux aspirations et même aux rêves qui s'ébauchent autour de nous. En supposant que la Confédération des Antilles ne se transformera de longtemps en une réalité, ce n'est pas moins une éven94

Sanchoniaton est un auteur phénicien natif de Béryte, Il aurait vécu avant la guerre de Troie, contemporain de Sémiramis, 20 siècles avant Jésus-Christ. 95 The Caribbean Community organization fondée en 1973

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tualité possible. Nous est-il loisible de ne point nous préoccuper du rôle que nous aurions à y jouer, en notre qualité d'aînée des nations indépendantes de l'archipel antillien?»xlix Mais le relai ne fut pas assuré car, Haïti, membre de la CARICOM depuis le 1er juillet 2002, ne peut pas bénéficier des opportunités économiques offertes; faute d’une organisation administrative interne imposante inspirant respect et confiance. Dans cette même lignée, je tentai de laisser un héritage dans un contexte électoral difficile. J’invitai mes compatriotes à rêver avec moi d’une Haïti hautement considérée, autrement perçue par l’étranger et choyée par ses ressortissants. A présent, je veux m’assurer de mettre à profit mon temps et surtout mon intellect pour créer une force. Cette force se retrouve dans la population croissante, nombreuse et physiquement très saine qui, durant toute la campagne m’avait ouvert à son intimité. Toutefois, pour notre plus grand malheur, l’accroissement admirable de la population d'Haïti coïncide avec un effritement indéniable de tous les éléments de progrès qui constituent l’ossature même d'une nation. Ethiquement et profondément, je n’ai pas le droit de désespérer ni de croire que la situation restera inchangée même lorsque tout paraît désespérant. Et, j’estime que l’avenir d’Haïti réside dans le choix d’aller à la racine pour guérir le mal. C’est ma position absolue. Autant dire, je me fais la caisse de résonnance de Beaulieu Raymond qui écrit : « L’amour a vaincu tout, excepté l’espoir de régénérer l’homme haïtien.» A.

La léthargie habituelle Face à ces urgences actuelles, il conviendrait de souligner l’inconsistance, l’incohérence, la paresse et la somnolence qui ont toujours caractérisé les moindres démarches de l’homme haïtien. 144


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Peu importe son appartenance sociale ou économique. Les questions de haut intérêt national sont abordées avec une légèreté telle qu’on questionne souvent la bonne foi et/ou la capacité des dirigeants. Notre vision atypique du monde nous empêche, en tout temps et à chaque fois, de trouver l’indispensable, le modus vivendi, l’ancrage de tout projet social viable, prometteur et inclusif. En effet, ce qui se trame, ces jours-ci, en Haïti par les nihilistes en complicité avec les tenants de l’absurde n’augure rien de bien bon. L’histoire se perpétue. Les récents régimes nous ont mis à nu, et ont bouffé dans un total cynisme tout ce qui restait de la frêle proie que représente le pays. Malgré dénonciations, accusations et manifestations la train n’a pas déraillé et a tout bonnement gardé le cap sur la régression. Sous l’œil ‘’bienveillant’’ de l’international, le projet antinational s’est toujours manifesté sur fond d’élections frauduleuses et contestées. Donc, Pierre Raymond Dumas peut se frotter les mains car il a de quoi s’inspirer pour alimenter sans cesse sa rubrique publiée sur les colonnes du Nouvelliste : « Cette transition qui n’en finit pas ». En réalité, nous nous entêtons, à chaque passage, à réduire nos errements et inaptitudes à une simple crise électorale. En lieu et place d’un véritable débat contradictoire, nous nous complaisons dans des acrobaties sémantiques donnant cours à d’interminables et oiseuses intrusions. Nous trouvons toujours le mot idéal, l’expression appropriée pour masquer la réalité ou pour «kasé fey kouvwi sa96 » . Nous avons longtemps erré. Errons-nous encore aujourd’hui? Sans aucun doute. En conséquence, le devoir commande à la récupération de cette énième transition qui prend par malheur une allure du « déjà vu », un parfum déjà humé. L’année 2016, nous le souhaitons de tout cœur : qu’elle soit, cette fois et pour de bon, trans96

Que cela reste entre nous

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formatrice et surtout porteuse d’espoir pour la masse qui croupit trop longtemps dans cette misère scandaleuse, dans cette faim sans fin. Les dépositaires de l’ordre cannibale s’agitent déjà et Martelly avec sa récente sortie « honorable » est déjà aux oubliettes d’une nation souffrant d’amnésie chronique. C’est aussi le cas de Duvalier, Préval ou Aristide qui sont à deux doigts d’être perçus comme des héros dans cette lugubre comparaison des derniers aux avant-derniers. En fait, il n’y a qu’un cheveu qui sépare le héros du salaud en Haïti. Louis Price-Mars n’a-t-il pas constaté : «ceux qui ont délogé Salnave du Pouvoir, les pseudo-légalistes de 1870, avaient commis les mêmes abominations pour lesquelles il a été envoyé à la mort sous l'égide de la Constitution de 1867»li. Sur les murs de la masure du Fort Dimanche, le plus grand centre de torture sous la dictature des Duvalier, on peut lire le graffiti : « Bon retour, Jean-Claude Duvalier. » Des ossements humains jonchent encore ce sinistre endroit. Devant ce triste constat, l’Haïtien a besoin tout au moins d’un peu d’intelligence à défaut de génie. Il importe de souligner que la transition menée par Privert Jocelerme, cousue de fil lavalasso-rose ne fera qu’augmenter le lot de problèmes et de misères du peuple haïtien qui, avec raison, se pose cette question : « De quoi demain sera-t-il fait ? ». Trente ans après Duvalier, pour nous circonscrire à l’année 1986, nous avons beau faire, agir et surtout parler : le pays n’a pas bougé. Opinant sur la transition de 2016, l’auteur de la « Péninsule républicaine 97» , Alin Louis Hall n’a pas mâché ses mots : « C’est le triomphe de l’inertie sur l’immobilisme ». Pourquoi ne pas s’interroger sur la manifestation pratique de nos mœurs et traditions ? De même remettre en question l’objectif réel visé depuis la création 97

Publié en 2014 aux Éditions C3

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de cette nation ? On continue à reproduire les mêmes fourberies dans un attentisme qui tue. Au cœur de la thématique du problème du développement haïtien pour le nouveau projet de société se trouve la problématique du matériel humain haïtien. Or, il est évident qu’une société qui doute est près de sa fin : pour qu’elle ne périsse point, il faut une réaction rigoureuse mais morale qui détruit les semences de confusion qu’on y a épandues. Je touche ici à une des énigmes préoccupantes dans le cas d’Haïti : l’individu comme facteur de tout progrès. D’où la nécessité d’en faire une force consciente et agissante ayant la claire notion de ses droits et de ses devoirs. L’individu haïtien aujourd’hui est sans foi, ni courage, ni dignité, en plus n’a aucun désir élevé ou généreux. Ce qui explique son inertie et son inactivité à un carrefour où tous les dangers s’annoncent accrus. Conséquences d’une société figée dans le temps. À cet égard, mobilisons le seul secteur encore porteur d’espoir : la Diaspora haïtienne (j’y reviendrai) et passons à l’action pour laisser au moins aux générations futures un pays dont l’éthique, la vérité, le civisme et la science seront les pierres angulaires. Pour ce, s’impose le curetage du ventre pourri de cette bête qui produit ces verrats imbriqués dans des formes humaines, ces thuriféraires de notre léthargie morbide.   Dans la lettre à un ami qui tient lieu de préface, Graham Greene affirme avoir écrit un roman (Les comédiens) sans implication autobiographique ; mais, ajoute-t-il, « la pauvre Haïti et le gouvernement du docteur Duvalier ne sont pas inventés, ce dernier n'est même pas noirci pour l'effet dramatique. Impossible de rendre une telle nuit plus sombre. Les tontons macoutes comptent beaucoup d'hommes plus mauvais que Concasseur ; les funérailles interrompues sont peintes d'après nature ; maint Joseph chemine en boi147


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tant dans les rues de Port-au-Prince, après son temps de torture, et, bien que je n'aie jamais rencontré le jeune Philipot, j'ai connu des guérilleros aussi braves et aussi mal entraînés que lui ». Duvalier ne s'y est pas trompé ; en 1968, il fit publier et diffuser dans ses ambassades européennes une brochure rédigée en français et en anglais : «Graham Greene Démasqué » (Finally Exposed) visant à discréditer un auteur qualifié de menteur, de crétin, d'espion et même de tortionnaire — dans ses mémoires, Graham Greene ne cache pas son étonnement face à ce dernier trait. Donc Duvalier, sans scrupule et en mal de célébrité, choisit d’affronter l’auteur de « Les comédiens », Graham Green, au lieu de briser ce miroir menteur dans lequel il se regarda chaque jour. Connerie. Puisque ce dernier ne fit que rapporter le vécu d’Haïti sous un régime arriéré et despotique. Incapables de nous évaluer en toute objectivité, nous nous enlisons chaque jour, sourire aux lèvres, dans le gouffre du « pito nou lèd nou la98 ». Présentement, nous payons le lourd prix de laisser la direction du pays à des nuls. Ces gens qui ne veulent rien entendre. Evidemment, les défis se sont multipliés, les enjeux plus dangereux et les inégalités plus prononcées pour faire du pays la risée du monde, la queue du peloton parce que d’après l’illustre Edmond Paul, nous sommes gouvernés par des gens qui ont la « tête en bas ». Pire, nous sommes inaptes d’en tirer les leçons qui s’imposent. Cette mentalité docile et peu critique de la société nous empêche de voir loin et annihile toute vision anticipatrice. Nous avons érigé l’astuce en devise et la corruption en principe de gouvernement. Pierre-Louis Opont, directeur exécutif du Conseil Electoral Provisoire en 2010, fut nommé Président de cette même institution quatre ans plus tard pour avoir avoué sur les ondes à Valéry Numa99 98

Pito nou led=

99 Présentateur de l’émission « Invité du jour » sur Radio Vision 2000

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que les résultats publiés en 2010 étaient faux. Ce qui revient à dire qu’au lieu d’être puni, il a été promu. Les morceaux ou bribes de vérité aident l'âme à croître si vous les intériorisez, pendant que le mensonge, vice des lâches, est la règle dans la société haïtienne. La méfiance s’installe et se cristallise dans nos échanges puisque « bonjou nou pa la vérité100 ». Nous héritons d’un pays ankylosé et inhibé. Le nègre, pour rompre avec son statut d’opprimé, se réfugia en quelque lieu inaccessible comme les montagnes. Nous avons intériorisé toutes les négations du marronnage, un acte d’ingéniosité, en lieu et place de ses valeurs positives telles la solidarité, le partage et la force de caractère. « Le marronnage, selon Jean Price-Mars, fut ainsi le plus probant témoignage de la vocation de l’homme noir à aspirer à vivre libre, aspiration qui est celle de tout individu épris d’un idéal de liberté.lii» Le cerveau de l’homme haïtien trouve toujours une échappatoire ou un artifice, invente à chaque fois des mécanismes pour compenser ses errements. On revient toujours avec le «se pa fot nou»101. Par exemple, l’accent est mis uniquement sur l’occupation américaine et non sur les responsabilités haïtiennes dans cette hécatombe. L’Haïtien ruse et dissimule avec une assurance fixe. Le drame haïtien réside dans un refus du savoir drapé dans une insularité chronique. L’esclavage et la lassitude des idées accouchent d’une société froide et désabusée qui est arrivée à l’indifférence de tout. Le profil de nos dirigeants donne raison à Machiavel qui croit que le peuple a le gouvernement qu’il mérite. Le peuple est englué à tous les niveaux, individuel et collectif, physique et culturel, social et économique, dans une terrible situation conflictuelle héritée du fait colonial dont il est le produit. La population montre dans son apparence et jusque dans son attitude un 100 101

On ment comme on respire Ce n’est pas de notre faute

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désarroi qui révèle la lutte constante et quotidienne entre le besoin et le dénuement. À cette misère écœurante il se joignait, dans la masse, une ignorance incroyable. ‘’Toutes dents dehors’’, fièrement, nous avons passé notre temps à saccager le pays. A cette phase, il est juste de faire écho à Justin Lhérisson qui écrivit en 1905 : « Nous sommes dans un pays de calbindage, il faut calbinder.»liii La forte personnalisation de la politique haïtienne est courante et classique ; et elle a survécu jusqu’à aujourd’hui. Le président haïtien est le « taureau » du moment et a toujours bénéficié de la fascination atterrée des Haïtiens. Dans les années cinquante, Le capitaine Jacques Laroche lâcha tout de go à un frère d’armes : «Vous voyez ce chien dans la rue, l’Armée a le pouvoir de le faire président. Mais le plus grave est qu’on trouve des Haïtiens pour se prosterner devant le chien sous prétexte que le pays doit être dirigé.liv» Comme atteinte d’une maladie neurodégénérative, la société haïtienne est façonnée pour approfondir un déclin sur le plan cognitif. Le récent rapport de la Commission Indépendante d’Evaluation et de Vérification Electorale sur les élections de 2015 a confirmé qu’elles constituaient une véritable cérémonie nationale de zombification collective. La tricherie et la duperie s’érigent en règles d’opération : « Dégajé pa péché.» Reprendre les élections ne serait que le travail de Sisyphe puisque le mental de l’Haïtien n’est pas prêt à accoucher du vrai, du beau ou de la vérité. La prise de conscience qui devrait découler du mauvais chemin pris par Haïti est encore dans l’impasse. Point de doute que l’ordre esclavagiste pèse lourd sur les premiers pas de la jeune nation. La réalité des trois siècles d’esclavage a été dure et a sans aucun doute créé l’environnement instituant le «chak coucou kléré pou jé ou». D’où une république d’Haïti qui s’apparente à une insulte au bon sens. L’épouvantail des nations. 102 La fin justifie les moyens 103 Chacun pour soi

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Les élites haïtiennes, s’il y en a, font face aujourd’hui au mot de Saint-Thomas : « Conscience oblige. » Ce qui sous-entend un sens de responsabilité qui conduit à une solidarité avec l’autre et à des attitudes critiques à contre-courant avec les cajoleurs de l’absurde, du despotisme et de l’arbitraire. D’ailleurs, les dépositaires de cette « élite » ne se déplacent plus qu’à bord de leurs flamboyants 4x4 en évitant le bas de la ville de la Capitale. Elle s’obstine à ne pas voir cette misère abjecte qui s’étale graduellement sous sa fenêtre à Pétion-Ville. Le renouveau haïtien se manifestera dans la compréhension du point de départ : l’esclavage. D’après Leslie Péan : «Le seuil d’excellence atteint en 1804 ne dure pas et le bébé prend vite un coup de vieux. Le cafouillage s’installe sans laisser le temps de jouir de la splendeur créée. La traversée du désert commencée au 19e siècle s’accélère au début du 20e …Dépassée par le succès de 1804 qu’elle ne maitrise plus, la société s’éparpille dans des incohérences qui signent son arrêt de mort. lv » En effet la révolution de 1804 n’aura pas mis fin aux traumatismes provoqués par l’esclavage. Certains haïtiens ont fêté récemment l’humiliation de l’équipe nationale de football par celle du Brésil lors de la Copa America de 2016. D’autres sont en quête de mécanismes pour la compenser en se cherchant des prétextes tels nos bonnes relations avec le Brésil, notre amour inconditionnel pour son football, sa sélection aurait pu éviter à la nôtre cette raclée de sept buts. Faiblesse intellectuelle, en vérité. Séquelles esclavagistes. En octobre 2016, à l’annonce du meurtrier ouragan Mathieu, des bandes de Rara au BelAir avait gagné les rues chantant, dansant. A fêter quoi ? Au Champde-Mars ou sur des plages à Léogane, des jeunes s’adonnaient à des parties de Football dans l’indifférence totale du danger collectif qui guettait le pays. 151


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Un peuple qui n’a de cesse d’attirer la pitié des autres. Ce vide existentiel, conséquence de l’aliénation et de l’exclusion de l’Haïtien est à adresser absolument en redéfinissant la convivialité entre l’Etat haïtien et son citoyen. La nation haïtienne constitue à présent un ensemble de tribus, à tendances diamétralement opposées, partageant un même territoire. Une thérapie collective s’impose dans l’ultime but de construire cet Etat-Nation. En fait, la lutte pour le pouvoir en Haïti s’est révélée plus important que tout autre chose, plus sérieuse qu’un plan de développement réel. L’obscurantisme de nos dirigeants paralyse le créneau fondamental du développement du pays. Tout est mis en œuvre, lors des élections pour acheter les consciences avec de l’argent en miroitant auprès des masses aliénées et exclues des avantages qui sont en fait des subterfuges pour les tromper. En ces heures sombres d'anxiété générale, face à ces calamités qui auraient dû enlever le sommeil, l’Haïtien se doit de se questionner sur la qualité de son matériel humain ou sur son existentialité. L’objectif souhaité par le commun des mortels d’avoir un meilleur pays bute à chaque fois sur des obstacles constants et récurrents. Pour ce, il est légitime de ‘’fabriquer’’ ce leadership capable de mettre un terme à notre ridicule politique traditionnel, attester enfin notre discernement de citoyens, créer une atmosphère d’unité nationale sincère, productrice d’activités créatrices, évaluer nos pertes et nos besoins. Bref, notre autodétermination de peuple se prescrit. Ce principe issu du droit international selon lequel chaque peuple dispose d'un choix libre et souverain de déterminer la forme de son régime politique, indépendamment de toute influence étrangère. Le peuple haïtien ne demande pas qu’on lui décroche la lune mais des raisons d’espérer. Comme un mauvais sort, toutes les voies jusqu’ici emprun152


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tées nous conduisent loin de l’autodétermination ou de la démocratie. Cette dernière est prise en otage aujourd’hui par les pyromanes, ces bruleurs de pneus et les cleptomanes, par les noiristes et les mulatristes, par les populistes et les soi-disant élitistes. À cause de ces options toutes destructrices, le pays, inévitablement, se meurt. Le pays, pris en sandwich entre ces maux, ‘’n’existe pas’’ tout simplement pour reprendre Christophe Wagny Ou bien capables et résolus, les dirigeants au pouvoir se transcendent pour affronter eux-mêmes les grands défis de l’heure. Ou bien timorés et faibles mais conscients, patriotes et responsables, ils font preuve de discernement ou de jugement pour appeler aux timons des affaires des personnalités jusque-là tenues en dehors de l’appareil de l’État. L’héritage ancestral, croyant dur comme fer dans la « destruction positive », nous pousse toujours vers le désordre. En 1670, Bertrand D’orgeron construisit en Haïti une ville répondant à toutes les conditions et normes d’urbanisme et de géométrie de l’époque : Le Cap-Haitien. Plus de 340 ans plus tard, nous avons créé ‘’Monbin Lataille, ‘’ une banlieue du Cap, qui présente tous les antipodes de l’architecture et de l’urbanisme. Comme si le fil à plomb et l’équerre n’existent pas sur cette partie de la planète. Notre vision atypique du reste de l’humanité et de nous-mêmes est la résultante de l’enfouissement abyssal de notre mémoire. D’où l’anarchie à tous les niveaux. Maurice Sixto reste un intellectuel non aligné qui a eu le courage de toucher du doigt toutes les plaies malignes qui rongent notre société. Il est intolérable que nous riions de ces personnages tels Saint-Anise, Léa Kokoyer, Gwo Moso, Zabelbok, Derilus ou Depestre pétillant en chaque haïtien, et qui nous révèlent la crue réalité de notre image. Aucune frustration ou angoisse face à ce 153


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miroir. Comment ne pas porter sous la loupe l’histoire du « jeune agronome » contée par Sixto. Pour le paysan illettré, le jeune agronome qui vient travailler avec lui est un Bouki, alors que pour le jeune agronome, le paysan ne peut être qu’un stupide, un Bouki. En réalité, ils sont deux idiots, se croyant malins, qui reflètent les rapports malsains et destructeurs que nous entretenons entre nous. Ceux-là disposant d’un peu de lumière pensent démolir le miroir pour faire disparaitre la réalité du spectacle hideux qu’ils affichent, que nous affichons tous. Louis Price Mars a fait le constat suivant en essayant d’expliquer certains aspects de la vie de Vilbrun Guillaume Sam « il nous semble que dans notre société haïtienne, l'homme est encore psychologiquement déchiré par des contraintes ambivalentes qui l'entraînent aussi bien vers la double puissance des traditions du régime colonial et de ses origines africaines, disparates et honnies que vers l'éthique la plus élevée de la civilisation chrétiennelvi ». Ce regard évaluatif de Mars peut s’étendre à l’homme haïtien en général. Sans illusion, l’heure commande d’explorer enfin des pistes capables de prouver au monde entier que nous disposons « des schémas de pensée et une architecture mentale » pouvant garantir le démarrage de cette marche vers une nouvelle ère à laquelle aspire une nation fatiguée d'être trompée et bafouée. B.

Urgence d’adresser la détresse haïtienne

En 2015, le Produit Intérieur Brut a crû de 1.7%, loin de l’objectif de croissance de 3.6% du gouvernement. Tous les indices économiques, tournés au rouge, prouvent l’effondrement de l’état 154


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haïtien. De 47.13 gourdes pour un dollar en février 2015 à 66 gourdes aujourd’hui ; la gourde a donc perdu 40.4% de sa valeur réelle en un an. Le pire est peut-être à venir puisque la stabilisation de la gourde n’est pas pour demain. Selon IHSI, l’inflation en glissement annuel était de 6.6%. Un an plus tard ce taux a pratiquement doublé pour atteindre 13.3% en janvier et 14.4% en février. Toutes les prévisions admettent une accélération pour les mois à venir. La manne PETROCARIBE représentait près de 20 milliards de gourdes de ressource dans le budget national. Pour cette année, le Trésor Public table sur un apport de 6 milliards de gourdes. Cependant, vu le niveau des prix du pétrole sur le marché mondial et les difficultés économiques au Venezuela, Haïti devra s’attendre à un apport plus faible que prévu. Ce qui va affecter énormément les investissements publics financés en grande partie par le PETROCARIBE. La production agricole continue à baisser considérablement et une croissance autour de -4% est prévue pour cette année. La dette publique, les arriérés de paiement, la pauvreté et l’insécurité alimentaire sont tous en hausse. Nous n'étions qu'aux environs de 400.000 habitants pour les 27.000m2 et que vers 1896 nous en étions probablement à 1.500.000 habitants, et aujourd’hui nous sommes à peu près 10 millions vivant dans la même superficie de terrain. La population augmente de façon exponentielle pendant que les ressources diminuent considérablement. Tous les compteurs économiques classent Haïti parmi les pays à faible revenu mais surtout confrontée à de graves obstacles structurels s’opposant à un développement durable. Du point de vue environnemental, le pays offre le spectacle d’un désastre écologique. Les perspectives, dans ce contexte d’incertitude généralisée, demeurent très peu optimistes et les dangers seront 155


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indubitablement amplifiés. Le tableau est sombre. L’état haïtien a failli. Il y a lieu d’admettre sans fanfaronnerie son total effondrement. La situation ne tient qu’à une agrafe : la diaspora. Son apport n’est plus à démontrer. Crise de valeurs, de moralité, de confiance. Crise sociétale. Crise électorale. Crise économique, politique, éducative. Crise de développement. Parlant du mal haïtien, la notion de crise est omniprésente. En ce sens, Antonio Gramsci voit dans les ‘’crises’’ une situation dans laquelle : «l’ancien meurt et que le nouveau ne peut pas paraitre : pendant cet interrègne on observe des phénomènes morbides des plus variés. » Dans le cas typique d’Haïti, la récurrence des facteurs des crises répétitives depuis 1804 donnent lieu maintenant à interpeller le gouvernant haïtien sur l’urgence de diriger autrement. Tout, comme Pénélope, dans la mythologie grecque, qui défaisait la nuit ce qu’elle avait tissé pendant le jour, le peuple haïtien vit allègrement le supplice de Sisyphe. En réfléchissant sur les paradoxes en Haïti, trop d’intellectuels haïtiens ou d’observateurs étrangers vont sur des sentiers cent fois battus au lieu de tenir compte des subtilités socio-psychologiques du pays. Evidemment le mal-être haïtien réside d’après plus d’un dans notre façon de penser. Notre structure mentale a installé un climat de peur et d’hypocrisie généralisé dans le pays. Un ancien proverbe bouddhiste disait : ‘’Quand l'élève est prêt, le maître apparaît ; Cela signifie que quand une personne ouvre d'abord son esprit, cette personne va trouver un enseignant, un enseignement ou une organisation qui correspond au niveau spirituel courant de maturité ou d'immaturité de la personne. En d'autres mots, il y a un enseignant pour chaque niveau de conscience’’. Comment sortir de cet imbroglio ? Les réponses sont discordantes et parfois simplistes. Les unes obéissent à l’approche spécia156


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liste ou technicienne et les autres à l’empreinte plus démagogique des politiciens. Ce serait, d’après le technocrate, de mettre en relief les moteurs de la croissance qui tiennent compte des contraintes, des potentiels et de l’environnement régional et global dans lequel s’insère l’économie haïtienne appelée à devenir moderne, prospère et ouverte. Sortir Haïti du « non-développement » durable à travers les fondements de la stabilité macro-économique et la création de richesse. La réponse est toute simple pour Anténor Firmin qui, depuis Londres en 1910, prônant l’émergence d’une politique de « bon voisinage », suggérait ceci : « Adoptons sincèrement et loyalement, chez nous, les principes et les pratiques qui ont favorisé l'évolution des jeunes peuples, nos émules, lesquels grandissent et prospèrent par le travail, l'instruction et la liberté.»lviii Cette proposition de Firmin se résume ainsi : « Pa gen sekrè nan fè kola104 ». Point n’est besoin de réinventer la roue. Fritz Jean, économiste de formation, n’a de cesse martelé dans la tête de chaque Haïtien que l’alternative à cette précarité économique extrême est dans une rupture d’avec le présent modèle basé sur l’accumulation et la rente. « Il ne faut pas s’éterniser sur la politique monétaire et la politique fiscale, le problème fondamental de la situation d’Haiti réside dans cette inégalité criante.»lix Pour Yves Romain Bastien ,ministre de l’Economie et des Finances du gouvernement Privert/Jean-Charles de 2016 : « Nous ne pouvons sortir de cette situation que si nous définissons ensemble un programme prioritairement axé sur nos ressources limitées, en faire une utilisation la plus efficace et la plus opportune possible de 104

La fabrication des gazeuses n’est pas un secret.

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manière à améliorer les conditions de vie de la population et rétablir du coup la confiance entre dirigeants et dirigés. Ces conditions une fois remplies ouvriront la voie à un élargissement de l’assiette économique où l’industrie et les services joueront pleinement leur x.» En revanche, Yves SAINT-GERARD, neuropsychiatre, prend le contrepied: «Par manque de pragmatisme, les analystes oublient d’adapter les mesures aux nécessités, aux priorités et aux possibilités, comme les techniciens ou les dirigeants oublient d’étudier les voies et les moyens de leurs propositions. C’est ainsi qu’ils négligent l’Education Nationale alors que c’est le pivot de tout projet politique cohérent d’émancipation nationale.»lxi La communauté internationale, à notre invitation, intervient via son armée d’experts sur cette crise haïtienne qui a trop duré. Elle bute à chaque fois sur un mur, négligeant l’aspect le plus important dans toute quête en vue d’appréhender le mal haïtien : l’anthropologie de terrain. Haïti constitue un défi à toute analyse rationnelle du fait même que chaque nouvelle génération remet le compteur à zéro tout en conservant l’héritage négatif accumulé depuis deux siècles. Il s’en est suivi un refus de penser aux graves conséquences sur la subjectivité de chaque génération qui affiche une prédisposition à accepter la tyrannie comme de naturel. Cette déchéance morale est le fruit d’un mauvais départ dont les agitations ont abouti à l’écroulement de l’état. Aliéné et exclu, figé dans le temps, l’Haïtien est incapable de se projeter dans le futur. Le réveil des consciences sur le déclin haïtien exige de jeter un œil sur la voie où le pays s’est engagé depuis 1804, son point de départ. Sinon le mal restera entier et insécable. 158


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Pour comprendre nos multiples crises et leur lancinance, il serait vain d’aller chercher dans la constitution ou dans nos lois étalant des ambiguïtés sautant aux yeux. L’ambiguïté fait corps avec nous. Elle fait partie de notre vécu quotidien. Nous avons horreur de la clarté, de la transparence au détriment de l’esprit cartésien. Il y a des milliers d’interprétations possibles pour chaque article d’un décret, d’un code ou d’une loi. Ce qui donne lieu au calbindage et à la possibilité d’échapper impunément après chaque forfaiture. Haïti continue à marquer des pas sur place alors que les propositions pour la stabilité politique, la croissance économique et le développement durable abondent dans les tiroirs des ministères ou sur les étagères des bibliothèques. Ignorant que les calamités haïtiennes résultent de la propension de la société à se faire diriger par des nuls, des irresponsables n’ont aucune conscience de leur limitation. Cette mentalité obscurantiste et occulte facilite les crétins qui reviennent à la charge, à chaque fois, en encourageant l’hémorragie des cerveaux. Justin LHERISSON, atterré face à nos âneries, écrit dans la famille des Pitite-Caille : « Dans ce pays, l’impossible est possible et le possible impossible. Retenez bien cela et vous ne vous étonnerez de rien, ou plutôt vous vous étonnerez qu’on puisse encore s’étonner de quelque chose. » Appréhender le réel haïtien dans toute sa complexité aujourd’hui revient à remonter à l’époque coloniale où la grande majorité de la paysannerie était classée parmi les citoyens de troisième zone, complètement exclus de la vie nationale. Ils n’avaient pas droit à l’école car la bonne tradition coloniale esclavagiste empêchait la création d’écoles dans la colonie. L’aliénation, l’impunité et l’arbitraire sont les traits caractériels du colonialisme. Reproduisant l’ensemble des représentations et des valeurs de la société coloniale, les forces réactionnaires d’Haïti affichent un refus catégorique de changer de comportement dans la conduite de leurs activités privées 159


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ou publiques. Notre façon de penser et de voir le monde s’y abreuve. Jusqu’à Leslie PEAN qui «exhorte surtout la jeunesse à casser le moule du calbindage qui bloque une réflexion rigoureuse sur l’échec haïtien.», la cocasserie haïtienne a toujours été une préoccupation majeure pour bon nombre de compatriotes jonglant entre lassitude et espoir.

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C. Enseignements et Perspectives « Lettre ouverte De : Jose Joachin Davilmar Aux : Sénateurs : Carl M Cantave, Riché Andris, Onondieu Louis, Richard Foucand, Youri Latortue, Jacques S. Jean et Edwin Zenny Signataires de la lettre adressée à Roberto Zuniga BRID Directeur de Protocole du Ministère des Affaires étrangères du Panama Date : 24 juin 2016 Sénateurs, Il me coûte beaucoup de vous adresser cette lettre, me demandant l’intérêt que vous y porteriez. Mais, cela aurait été pire de rester silencieux face au triste spectacle que vous offrez au monde entier en bons gardiens de l’archaïsme et du nihilisme. Sachant aussi que le temps vous ferait défaut puisque vous devriez, en principe, être des personnages occupés et surtout préoccupés par cette conjoncture d’échéance et de déchéance. En effet, à force d’oublier que les linges sales se lavent en famille, vous avez osé demander au directeur de Protocole du Ministère des Affaires Etrangères de Panama de sursoir à l’invitation d’Haïti à participer à l’inauguration des travaux de restauration du Canal de Panama puisque Monsieur Jocelerme PRIVERT n’a plus le titre et la qualité de Président provisoire d’Haïti depuis le 14 juin 2016. A ce compte, le parlement, messieurs, est en train 161


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de jouer son rôle d’adjuvant ou de frein à un pouvoir exécutif usurpé. Pure démagogie, en vérité! En clair, les magouilles, la calomnie et l’avilissement constituent la toile de fond de votre démarche ; une véritable ignominie qui confirme encore une fois de plus votre incapacité à gérer le pays sans inviter l’étranger à s’y immiscer. Shame on You! 105 D’entrée de jeu, je dois avouer mon appréhension, voire mon hésitation quant au titre à adopter m’adressant à vous puisque le récent rapport de la Commission Indépendante d’Évaluation et de Vérification Electorale a confirmé que les dernières élections en Haïti constituent une cérémonie nationale de « zombification » collective. Donc, de même que Privert, bon nombre d’entre vous incarnent des usurpateurs de titre qui réduisent la politique uniquement à un gâteau à partager, à séparer. Incapables d’affronter la vérité, vous devenez des superstars de média à un moment qui devrait, de préférence se prêter à l’autocritique, préalable indispensable à l’établissement d’une société juste et démocratique. N’êtes- vous pas conscients que le peuple haïtien a assez payé de son sang pour qu’il soit enfin soustrait aux amertumes de la misère ? Dans ce contexte d’effondrement d’État, face à ces calamités qui auraient dû vous enlever le sommeil, vous vous accrochez à l’accessoire alors que vous ignorez totalement et sciemment l’essentiel: la trame de la vie politique du pays. Triste constat. Le corps auquel vous appartenez ne peut même pas se doter d’un président pendant que vous détournez l’attention sur votre véritable mission qui consisterait à dégager un leadership capable de freiner notre burlesque politique traditionnel, affirmer enfin notre maturité de citoyens, créer une ambiance d’unité nationale sincère, productrice d’activités créatrices, évaluer nos pertes et nos besoins. Bref, notre autodétermination de peuple se prescrit. 105

‘’Honte de vous

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L’ensemble des lois votées par les deux chambres de la 49ième législature est au nombre de quinze et seulement cinq instruments internationaux ont été ratifiés en assemblée nationale. Piètres résultats. La 50ième se devrait de faire mieux et davantage mais vous avez, dès votre arrivée, au grand corps en janvier dernier, approché superficiellement des questions complexes. Bonjour les dégâts ! Comme dit le vieil adage, les coquins ne s’entendent jamais jusqu’au bout. De ce fait, je suis persuadé, absolument convaincu que la division aura vite raison de votre entente qui vous a porté à signer cette lettre de la honte. La nation entière espérait vous voir oser remettre en question sans complaisance un système absurde qu’exploitent populistes, démagogues et dictateurs sans le moindre souci de changer ces conditions de vie révoltantes. Votre parole ne comptant pas, Sénateurs, vous ne comptez plus car un homme ne compte plus quand sa parole ne compte pas. Votre correspondance adressée à l’officiel panaméen à l’effet de vilipender le monstre Jocelerme Privert que vous avez, vousmêmes, créé, m’a servi de prétexte pour vous exhorter surtout à faire preuve de discernement, de jugement, de prestige et de transcendance pour affronter les urgences haïtiennes de l’heure au lieu de vous enliser dans une distraction de très mauvais goût qui révolte. Je suis à me questionner si vos plumes sont celles autorisées à rédiger pareil tract. En tout cas, messieurs, retenez que le tribunal de l’Histoire vous jugera pour avoir fomenté un complot en vue de l’assassinat de l’espoir. Agissez vite, messieurs les Sénateurs, si je dois vous appeler ainsi, car la nation ne peut plus se payer le luxe d’entretenir des pensionnaires improductifs, parasites alors que la désespérance haïtienne atteint le fatalisme sans espoir. » 163


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Patriotiquement vôtre, Jose J. Davilmar West Palm Beach, Fl Considérant nos pratiques politiques grossières, irresponsables et cruelles, cette lettre d’allure naïve et irréaliste traduit pourtant mon idéal et ma lecture du parlement haïtien ou d’un homme d’État. Nous restons dans l'ornière des tâtonnements ineptes et récidives. Haïti est ce monde où la routine domine, où les liaisons et les préjugés sont à ce point enracinés qu'ils deviennent un tempérament normal, où l'ignorance culminante reste en deçà ou va au-delà de toute observation logique. Face aux agissements de nos femmes et de nos hommes au pouvoir, il est temps, en tant que citoyens responsables que nous nous retrouvions dans un faisceau idéal pour semer les « Germes de l’espoir » et combattre le statu quo, action qui conduira, à coup sûr, le pays vers un nouvel ordre social et économique. Ce mouvement salvateur se voudra littéralement frapper la table du poing à l’effet d’adresser la détresse haïtienne avec sérieux, intelligence, prospection et détermination. De plus, cette démarche devra former le vœu que cette génération puisse enfin voir poindre, á l’horizon, cet espoir impatiemment attendu. Angoissé, consterné, tenaillé et surtout conscient de la situation alarmante du pays, j’ai choisi de ne plus assister, les bras croisés á cette agonie. A cet effet, j’ai tiré sur la sonnette d’alarme et pour utiliser une expression propre au pays j’ai soufflé le lambi du ralliement pour une action urgente , un puissant et vaste mouvement que les franges encore saines de la société se doivent d’embrasser pour que règnent chez nous :la suprématie de la loi, la transparence dans la gouvernance, l’uniformisation et la démocratisation de l’enseignement, la participation de tous, l’intégration de la diaspora, la 164


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refonte institutionnelle, la promotion de l’homme haïtien, l’inventaire de nos ressources naturelles et humaines, la production nationale, le sens du bien public, l’honnêteté, une offre de santé équitable, la réforme de l’Administration publique, une politique étrangère au service du pays, la sécurité alimentaire, l’eau potable, la justice distributive, la moralité, la souveraineté, l’essor industriel et commercial. Bref, l’établissement de l’autorité d’un État responsable, respectueux de ses devoirs. De la diaspora, ce son de lambi, ce cri du cœur pour une Haïti régénérée «koté nou ka bat lestomak nou ankò» devra être réceptif et déclencheur. Nous, de la Diaspora, nostalgiques, rêveurs et disponibles, avons les yeux rivés sur Haïti, les oreilles en trompette veillant au grain á un moment où la constitution amendée nous accorde des droits dont nous comptons jouir pleinement tout en étant d’avis que d’autres conquêtes s’avèrent nécessaires. Un meilleur effort de compréhension entre les Haïtiens de l’extérieur et de ceux vivant en Haïti dans leurs approches diverses de la chose publique doit permettre d’établir les bases d’une coopération réelle et bénéfique pour la collectivité. Tout pour Haïti, qui comme la France, pour sauver son honneur, à un moment de son histoire avait fait appel à tous ses enfants d’où est-ce qu’ils se trouvaient. Comme un complot ourdi par les Haïtiens « neufs », avisés, conscients de l’herculéenne tâche qui les attend, capables de faire preuve de leadership d’exécution, de toute couche sociale, de toute chapelle politique, d’horizons divers mais mus et mus seulement par le désarroi d’un peuple dont la débrouillardise frise l’ingéniosité, des frères et sœurs de partout devront s’unir en un seul homme, en une seule femme pour monter à l’assaut contre les satrapes qui tiennent le pays en otage. Ils font de notre peuple, ce peuple qui végète depuis trop longtemps dans une misère joyeuse et qui porte sur ses 106

ëtre fier du pays.

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frêles épaules 20% du Produit Intérieur Brut. Il est plus qu’un devoir de provoquer un éveil et une prise de conscience pour un grand sursaut national. Au-delà de ce qui a été dit précédemment, un indispensable Plan de Construction devra inclure une refonte de la mentalité haïtienne, une quête de l’identité nationale. Notre étroitesse d’esprit, l’ignorance de nos dirigeants et l’inaction des citoyens constituent l’essence du mal qui annihile Haïti. Il y a lieu de rapporter à ce stade William Gilmore Simms 107 qui dit : « Mieux vaut se tromper en agissant que de refuser d’agir. La stagnation est pire que la mort, elle est aussi corruption.» Ledit Plan de Construction s’apparenterait de Henri Christophe, le visionnaire, qui avait un projet dont les grandes lignes sont encore adaptées et actuelles. A rappeler que les derniers grands chantiers d’envergure qui font la fierté des Haïtiens remontent au temps de la monarchie du Nord : la Citadelle Laferrière et le Palais Sans Souci. Donc le Plan Henri 1er , tout en visant, a priori, la réhabilitation mentale de l’Haïtien, devra être á cycle temporel long, contrairement á ces catalogues de projets variés dont la projection ne dépasse pas trois (3) ans. Il sera si inclusif que chaque cellule de la société sera conviée á participer á la réalisation de cette ambitieuse et noble œuvre. Il substituera l’archaïsme sous toutes ses formes á une mentalité de production, un esprit plus ouvert sur le reste du monde et plus pratique. Il permettra de construire un pays convivial en harmonie avec ses citoyens, taillés sur mesure pour l’homme haïtien revu et corrigé. En écho au Maréchal Foch qui dit : « Les peuples cessent de vivre quand ils cessent de se souvenir », ce plan visera pleinement, 107

Un poète américain qui naquit le 17 avril, 1806 en Charleston, Caroline du Sud.

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essentiellement à la réhabilitation de la mémoire collective haïtienne, condition sine qua non au progrès d’Haïti. A rendre possible le miracle. L’amnésie chronique du peuple haïtien n’entrainera que néant et décadence. Retrouver toute sa mémoire doit servir de ressort à son rebondissement. «Nous ne pourrons aborder sereinement les défis de demain si nous nous n’inspirons pas de la dimension universelle des meilleurs moments de notre histoire et des gestes de fierté de notre passé.lxii» En ce début du 3ième centenaire de l’indépendance nationale, la vision d’Haïti à promouvoir est celle d’un pays moderne, administrativement et économiquement décentralisé, politiquement stable et bien intégrée dans le concert des nations. En termes d’environnement et de qualité de vie, la nouvelle Haïti où il ferait bon vivre devra être dotée d’espaces verts, d’infrastructures de loisirs et de sports adéquats tant en quantité qu’en qualité.

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D. Epilogue Le corps législatif m’a toujours fasciné et je ne l’ai jamais caché. Mon expérience comme enseignant et ma récente initiative de me porter candidat ont aiguisé en moi cette volonté de débattre, de discuter. Depuis mon éveil citoyen et politique, j’ai toujours été sous le charme de l’œuvre parlementaire qui nécessite compétence, clairvoyance, créativité, imagination et surtout une nette conscience de la gravité de la réalité du pays à chaque moment. J’inscris ma démarche de me porter candidat pour représenter la circonscription du Borgne dans la résonnance à l’intuition qui fit germer l’autodétermination des peuples qui ouvrira grandes les avenues du futur d’un peuple haïtien fatigué, que l’essentielle inspiration de notre activité politique et le principal mobile de notre existence soient encore l’indépendance nationale après plus de deux siècles. Un Montesquieu qui s'aviserait d'écrire des considérations sur la grandeur et la décadence des Haïtiens, ne trouverait pour la première partie de sa thèse que les hauts faits qui ont conduit à l'indépendance nationale. La situation de bassesse extrême observée dans les comportements politiques n’a épargné aucun secteur du pays. Bref, notre vision du futur, détachée de nos fondamentaux historiques révélés sous leur vrai jour, sera toujours biaisée. Comme un météore, ma candidature s’est détachée pour chuter précipitamment dans le firmament en traçant une trajectoire lumineuse, bien trop courte pour éclairer la pénombre qui drape tout le pays. Il n’est que d’attendre son point d’atterrissage au terme de sa course dans l’immensité ténébreuse du ciel d’Haïti et du monde entier. Mon désir de servir le Borgne et tout le reste du pays est encore ardent. Ainsi, selon les exigences des circonstances, je me 168


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mets en réserve de la république d’Haïti et de la commune du Borgne qui continuent à vivre leurs sempiternelles péripéties. Leur saga, la saga. En 1852, un personnage inventé par Harriet Beecherlxiii 108 dans le roman : «La case de l’oncle Tom », Georges Harris, né d’un père blanc et d’une mère noire à la recherche d’un pays pour vivre, avoue ceci : « Je veux un peuple qui ait une existence séparée, indépendante propre à lui. Où sera la patrie de ce peuple? Je regarde autour de moi! Ce n’est point Haïti ; il n’y a pas là d’élément : les ruisseaux ne remontent leurs cours, la race qui a formé le caractère des Haïtiens était abâtardie, épuisée, alanguie; il faudra des siècles pour qu’Haïti devienne quelque chose.» Harriet Beecher, cet oiseau de mauvais augure, avait vu venir cette funeste saga déjà vieille de 212 ans. L’âge de la nation haïtienne. Et du train que cela va en l’année 2016, avec des élections encore une fois dans l’impasse, cette saga est partie pour d’autres siècles de brigandage puisque nous refusons d’attaquer le mal par ses racines. Pataugeant, béats et aphasiques, dans l'ornière des tâtonnements ineptes et récidives. Nous sommes encore loin de nous ressaisir et d’offrir une lecture, contraire à celle prophétisée par Harriett Beecher dans son livre « La case de l’oncle Tom ». Des années d’irresponsabilité. Un désastre écologique. Une occupation camouflée. Un pays saigné à blanc par l’émigration. Un cadre juridique inadapté. Une économie anémiée. Paupérisation accélérée de la population rurale. Une démocratie fragile. Un système foncier aberrant. Une assistance internationale mortelle. Une misère physique et psychique abjecte. Une ruralisation galopante de nos milieux urbains. Il ne nous reste plus qu’à penser ensemble à un 108

Abolitionniste et romancière américaine publie’ ’La case de l’oncle Tom’’ en 1852.Un best-seller. Le livre le plus lu après la bible au 19ème siècle.

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futur partagé au lieu d’accuser nos devanciers. Pour ce : Halte-là. Point de repos ! Engageons, empruntons ensemble, en peuple autodéterminé, la voie salvatrice car le même sort nous guette et nous est réservé même dans ce navire naufragé. Frères haïtiens, je vais utiliser la citation de Jean Rostand pour m’adresser à vous face à cette désespérance qui frise le fatalisme sans espoir : « C’est la nuit qu’il est beau de croire à la lumière. » Car la fin de la Saga ou le miracle tant souhaité est possible.

Fin

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Postface J’ai lu et relu les pages de La Saga haïtienne à la loupe d’un candidat. J’ai été exposé à la nudité d’une réalité qui blesse et qui offense. Et il est brave et téméraire celui qui ose l’exposer. Félicitations à toi, Jose Davilmar. À ce moment, je crois que j’ai été invité à réfléchir deux fois. D’abord, sur les concepts « démocratie», « état de droit», «élections et électeurs [haïtiens] ». Ensuite, sur les programmes politiques des candidats, à quel niveau que soit. Il est dit partout et il est compris de tous que les élections constituent le baromètre de la démocratie contemporaine. En Haïti, quel est son véritable rôle? Quel est aussi le rôle et le poids des acteurs politiques ? Quel est le sens des débats organisés partout en Haïti? À ces questions, Jose Davilmar ne ménage pas sa plume. Tous les efforts titanesques réalisés pour mériter d’une assise solide à la démocratie sont anéantis par une classe qui veulent maintenir le statu quo à son bénéfice. L’auteur de La Saga haïtienne à la loupe d’un candidat croit que l’initiative de faire parler les candidats peut nous révéler une triste réalité. Elle permet non seulement de déceler un manque de vision de certains candidats à travers leurs discours creux et vides de contenu. Elle permet aussi de comprendre que nos politiciens n’ont aucune science aucune et pratiquement aucun respect pour ceux qui ont travaillé dur pour rester à l’école. 171


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Fort heureusement, tout au long de sa campagne électorale, Jose a su projeter une lueur d’espoir à travers des discours bien articulés présentant une vision réformatrice de la chose publique, de la gouvernance démocratique, du développement durable, de la justice etc. ; bref un vrai projet de société. À lire l’ouvrage, il est aisé de conclure que c’est toute société qui est en crise. Des électeurs qui se font complices des candidats dans la fraude, la destruction des bureaux de vote et dans la déstabilisation de tout un système électoral. L’auteur de ce livre n’a pas été épargné. Ainsi, s’est-il relevé avec honneur et dans sa plus grande dignité pour nous conter l’indignité des candidats et les couleurs du couloir électoral haïtien. L'anarchie est prédominante. Cette anarchie se trouve encore renforcée par la norme de sauve-qui-peut général, conduisant les agents à contourner délibérément et systématiquement les règles du jeu. Notre société haïtienne est précaire. Vulnérable pour mieux dire. Aucune expression intégratrice ne saurait voir le jour sans un chambardement de l’actuelle structure. Jose Davilmar est le premier à le dénoncer et aussi parmi les premiers à vouloir le substituer par un plan social, un projet de société inclusif et transformateur. Nous vivons dans une société où l'exclusion est de mise. Malheureusement, les périodes électorales constituent un élément catalyseur où nous exprimons notre faiblesse de nous organiser, de choisir. Où nous voulons détruire physiquement l’autre pour ses idées. Car, faut-il bien le reconnaitre, les élections nous transforment en de véritables loups. Nous sommes devenus des ennemis. Nous sommes encore obsédés par la victoire. Quelle victoire ! 172


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Jose Davilmar l’a aussi compris. La Saga haïtienne à la loupe d’un candidat en est une radiographie. À votre science! Mary-Carmelo Florival Valcourt, av. Professeur à l’Université d’État d’Haïti

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Postface II LA SAGA HAÏTIENNE DE JOSE DAVILMAR Le livre de Jose DAVILMAR sera un succès certain. Par Me Maurice CELESTIN-NOEL J'ai eu l'honneur et le bonheur de lire le manuscrit de LA SAGA HAITIENNE A LA LOUPE D'UN CANDIDAT. Je puis annoncer, sans risque d'être contredit, que la lecture de ce livre sera un vrai régal pour l'esprit. LA SAGA HAÏTIENNE A LA LOUPE D'UN CANDIDAT de Jose DAVILMAR est sans conteste le fruit de longues recherches d'un écrivain qui s'est révélé un fin "manieur" de plume. Un virtuose dans l'art d'écrire. En effet, Jose étonne par sa maîtrise d'utiliser avec dextérité aussi bien les règles de la méthodologie que la manière de jongler avec les mots afin d'offrir des phrases d'une élégance inouïe. Dans LA SAGA HAÏTIENNE À LA LOUPE D'UN CANDIDAT "l'homme de micro" connu pour être un excellent analyste politique a démontré sa capacité de bien mettre à profit son talent insoupçonné de chercheur émérite doublé d'un passionné capable de rétablir la vérité historique dans un style peu commun. "Un style à lui". Il a parcouru, dans tous les sens, le lit de l'histoire de notre pays pour prouver que de 1804 à nos jours rien n'a changé. C'est du pareil au même : blanc bonnet, bonnet blanc. Dans son livre, il fait la démonstration du fonctionnement de l'appareil politique haïtien. Les mêmes tractations, les mêmes coups bas, les mêmes manœuvres des magiciens chargés d'organiser des élections peu différentes de celles concoctées par nos actuels forgeurs d'élus. Il met à nu la face cachée de la politicaillerie haïtienne responsable de la misère atroce et inhumaine dans laquelle croupit la grande majorité nationale. Une 174


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majorité nationale qui vit en marge de la démonstration de richesses que prennent plaisir à offrir, sans se gêner, les quelques privilégiés bénéficiaires du contenu de la pauvre assiette économique du pays le plus pauvre du monde. La soudaineté de l'apparition de Jose DAVILMAR dans le camp des écrivains de valeur l'honore certainement. En vérité, sa précocité, sa maturité inattendue me permettent de dire comme l'autre: ‘’ un coup d'essai qui est un coup de maître ‘’ Pour réaliser ce bon coup, l'auteur a mis en application les prescrits de la méthodologie en plus qu'il a assurément suivi les conseils du poète Jérémie Edy CAVE qui recommande à ce que l'écriture soit claire et simple. Pour une écriture claire et simple c'en est bien une à travers les pages de LA SAGA HAÏTIENNE A LA LOUPE D'UN CANDIDAT. J'ai pris plaisir à lire le manuscrit. Une agréable, fascinante, "facile «et instructive lecture "montée" sur un vocabulaire à portée de tous. Le "style nerveux", des expressions souvent massacrantes, mais bien appropriées, pour fustiger le comportement indigne de la majorité de nos dirigeants sont calmés par des tournures de phrases spiri-tuelles trouvées, on ne sait où, par l'auteur tantôt tatillon, tantôt plaisant et même complaisant envers ses adversaires et certains partisans qui lui ont posé bien de désagréables lapins à des moments où il avait le plus besoin de leur présence dans la bataille électorale. Sans exagérer, je dirai que rares sont ceux qui, comme lui, sont intéressés à rétablir la vérité historique et à écrire avec autant de finesse et de clarté la saga d'un candidat qui a été à la fois observateur, acteur et victime des magouilles électorales propres à notre pays se retrouvant très loin de la démocratie à laquelle elle aspire si longtemps. Me Maurice CELESTIN - NOEL- LECHAPEAUTEUR rmaurice.celestin@gmail.com 175


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Insertions Après la publication en date du 24 juin 2016 de ma lettre adressée aux sénateurs signataires d’une correspondance demandant aux autorités panaméennes de ne pas recevoir J. PRIVERT comme officiel représentant Haïti, Maurice Célestin, le chapeauteur, a jugé bon d’apporter son soutien à une telle démarche en divulguant ce texte très édificateur. A.

L'ANALYSE LOGIQUE DE JOSE DAVILMAR

Sur les colonnes de LE NOUVELLISTE HAÏTI on peut lire une lettre de Jose DAVILMAR adressée aux parlementaires qui ont signé une correspondance ou mieux un tract par lequel ils s'adressent au directeur de protocole, pas même au titulaire du ministère des affaires étrangères du Panama, aux fins de l'inviter à sursoir à l'invitation qui a été lancée à la Présidence haïtienne à l'effet de participer aux cérémonies d'inauguration des travaux d'agrandissement du canal de Panama. Dans cette lettre, tout en reconnaissant que dans cette conjoncture durant laquelle la situation politicosocio-économique d'Haïti est à un point alarmant et même inquiétant, le Président PRIVER devrait s'excuser gentiment, suivant les règles de protocole et demeurer au pays pour s'occuper des affaires urgentes et périlleuses auxquelles fait face notre société livrée à la pire misère, monsieur DAVILMAR, avec plume trempée dans du vitriol n'a pas manqué de rappeler ces oublieux à l'ordre et les inviter à se souvenir que le linge sale se lave en famille. Expression bien appropriée, en vérité, qui donne beaucoup de relief à cet appel à la raison envoyé à ces parlementaires à la recherche, selon lui, d'équilibre ou de vedettariat. A remarquer qu'il n'a pas non plus oublié de leur faire comprendre, avec force, que le sorcier n'a nul 176


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droit de faire la leçon au "makandal". Il faut être, en effet, en odeur de sainteté pour participer au repas du Seigneur. Quelle est donc cette histoire, comme l'a si bien dit DAVILMAR de créer un monstre et de vouloir, d'un coup, l'abattre ? De brûler vif le Dieu qu'on vient à peine d’adorer ? Jouer à l'intelligent conduit souvent au ridicule. Comment avoir, à la fois, le beurre et l'argent du beurre ! Cette attitude peu orthodoxe, nous la manifestons trop souvent. La même voix qui avait demandé, qui avait supplié l'étranger à venir fouler le sol national a été celle qui, peu de temps après, réclamait le départ de l'occupant. Franchement c'est prendre les enfants du bon Dieu pour des dadais, pour des demeurés ! Si nous sommes des immatures ce n'est pas nécessairement vrai que l'étranger soit pareil, soit à notre image. Si nous ne prenons pas du temps pour réfléchir, nos observateurs, eux, ne manquent pas de nous juger, de rire de nous. Graham GREENE assurément n'avait jamais imaginé que la "comédie haïtienne" serait à ce point en 2016. Son livre " LES COMÉDIENS" au lieu d'être classé parmi les écrits surannés, dépassés, fait encore la manchette. Il est d'actualité. Mais quelle tristesse ! Quelle honte ! Jose DAVILMAR, en tout cas, a déposé sa pierre sur le chantier de la reconstruction mentale d'Haïti. Espérons que son intervention participera au combat à mener contre l'absurde, l'imbécilité, l'incohérence, le ridicule, l'irréfléchi, l'improvisation, l'insignifiance, la mesquinerie, l'inapproprié, l'égoïsme, la gredinerie, l'indignité, l'inconséquence, l'improbité, la corruption et tant d'autres traits, on dirait ataviques, morbides, qui caractérisent nos femmes et nos hommes qui nous dirigent. Me Maurice CELESTIN-LECHAPEAUTEUR 177


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Sous le charme des nouvelles idées de Jose Davilmar concernant un lien effectif et affectif qui peut se tisser entre Haïti et sa diaspora, Maurice Célestin a encore fait le relai en encourageant le candidat à travers ce succulent texte suite à une longue conversation : B.

LA HUITIÈME SECTION COMMUNALE DU BORGNE: UNE GRANDE PREMIÈRE

La solidarité entre les gens du Borgne est singulière. Elle se manifeste partout, en terre étrangère comme en Haïti. Que ce soit au Canada, aux États Unis, aux Bahamas, enfin partout où ils se trouvent, les habitants du Borgne se regroupent comme dans un faisceau idéal. Leur sentiment d'appartenance est sensible. Ils n'oublient jamais leur origine. D'où est-ce qu'ils viennent, de quelque section rurale à laquelle ils appartiennent ils se considèrent comme faisant partie d'une seule et même famille: La grande FAMILLE BORGNELAISE. Au Canada, on les retrouve unis comme un seul homme, comme une seule femme au sein de l'ABC (Association des borgnelaises et des Borgnelais du Canada ). Aux États-Unis, plus précisément à New York, ils sont à l'unisson à l'URAB (Union pour le relèvement et l'avancement du Borgne ). À Miami, ils et elles sont main dans la main, unis pour le développement de l'arrondissement du Borgne (UDAB). Toujours en banlieue de Miami, à Pembroke Pines, le Club Saint-Charles Borromée dont Jose DAVILMAR a été le Secrétaire durant 2 ans, a largement contribué à apporter de l'aide appréciable à la population du Borgne et de ses environs. Aux Bahamas, tous pour un, un pour tous, malgré leur souffrance et leurs privations, ils multiplient, ils conjuguent leurs efforts aux fins de participer au développement de leur Borgne qu'ils aiment comme un être de chair. Ils ont créé l'ABB (Association des Borgnelais de Bahamas), leur point de tangence qui les aide à supporter leur misère pour ne pas sombrer dans le désespoir, dans la déprime. Malgré leurs maigres ressources, ils trouvent moyen de partager leur "rien" 178


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avec leurs frères et sœurs restés au pays. À l'exemple du pélican, n'ayant rien à offrir, ils ouvrent leurs entrailles pour apaiser la faim des désespérés. Peuple singulier, en vérité ! Voilà cette portion de population qu'on veut oublier, qu'on veut indexer ! Jose DAVILMAR, indigné, révolté dit NON. Jeune travailleur intellectuel, enseignant, journaliste, il croit impérieux de faire entendre sa voix et protester contre cette exclusion de ces héros tenus loin des affaires d'Haïti alors que ce sont eux les poumons du peuple. Il crie haut et fort que les choses doivent changer. Les sœurs et frères vivant à l'étranger devront dans un proche avenir remplir leur devoir civique comme tous les haïtiens. Ils devront pouvoir voter eux aussi. Pour cela, il faut un premier pas afin que bien d'autres soient marqués. Jose ose. Il lance avec ardeur l'idée vraiment originale, disons une toute première, de créer une huitième section rurale qui n'est autre que celle qui siégera dans la diaspora. Dès lors, les borgnelaises et les borgnelais vivant à l'étranger auront la chance de faire entendre leur voix. Leurs revendications seront "officiellement" entendues et prises en considération. Ce sera une action participative institutionnalisée de cette tranche de la population borgnelaise. Ce sera l'inclusion. Le tout MOUN ladanl. Il promet que devenu député du peuple il travaillera sans relâche à cette fin. Son rêve, son plan d'action voudra faire pression sur le gouvernement dans le but de tirer le maximum au profit de sa circonscription trop longtemps oubliée, abandonnée et méprisée même. Ce sera le renouveau dit-il. Il ne s'arrête pas là. Il promet de présenter sous peu à la presse le premier parti politique communal d'Haïti : le PARTI SOCIAL COMMUNAL DU BORGNE (PSCB) dont les bases ont 179


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été jetées le 11 avril en cours à PRÉCIPICE. Tout ceci, sous son leadership. Jose DAVILMAR croit dur comme fer que: QUI N'OSE PAS N'AURA JAMAIS RIEN. C'est pourquoi il dit à qui veut l'entendre: "J'OSE ME CONSTITUER DÉFENSEUR DE TOUTES LES BORGNELAISES ET DE TOUS LES BORGNELAIS. Sans exclusive. Tout en souhaitant bonne chance dans le combat, s'il faut l'appeler ainsi, à ce jeune et vaillant soldat du changement, nous lui disons, au nom des Borgnelaises et des Borgnelais que nous prenons note et lui donnons acte de ses déclarations. A ne pas oublier : Le mot d'ordre de sa campagne est : OBOY SÉ NOU TOU’T! Me Maurice CELESTIN-LECHAPEAUTEUR

Après le terrible tremblement de terre de 2010 qui a terrassé sur son passage Handal Allonce dit Frerot et Roland Jadotte, deux amoureux fous du Borgne, j’avais produit le papier qui suit pour leur dire qu’ils continueront à vivre à travers ceux-là qui avaient vécu avec eux. C. Parade de noms et surnoms dans la société Borgnelaise Récemment, j’ai reçu un courriel mettant en relief un texte écrit par Alix PIQUION dans lequel, adroitement, il jonglait avec des noms et surnoms faisant partie du patrimoine de la Ville du Cap-Haïtien et il en a profité pour lancer un appel à ceux d’autres régions du pays a reproduire une pareille démarche. Je ne me suis pas fait prier pour emboiter le pas, à l’occasion de la Saint-Charles Borromée, le 4 novembre prochain, pour partager avec vous en 180


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quelques lignes, une parade de noms et surnoms inclus dans les us et coutumes des habitants du Borgne (Ville située à 52 km à l’ouest du Cap-Haïtien). J’ai grandi au Cap-Haïtien. Ma mère, originaire du Borgne nous permit, mon petit frère Maraldy et moi, de nous y rendre souvent au cours des années 80 pour les grandes vacances d’été. Ces époques laissent, dans mon esprit, des traces indélébiles et une myriade de souvenirs. Mus par notre insouciance et nos élans de jeunesse, nous débutions nos interminables et inlassables journées avec la même routine : á Fond Lagrange, le matin, pour une séance d’entrainement de football (Tilafin, Cœur-de-Lion ou Solide) suivie de plongeons dans la mer adjacente au terrain de jeu; et pour nous rincer le corps à l’effet nous débarrasser de l’excès sel accumulé, nous traversions toute la ville pour nous rendre á la rivière de Petite Guinée (Ti ginen). Ces randonnées étaient toujours teintées d’un «pété kouri » pour éviter des pluies de pierres venant d’un fou bien connu de tous qu’on taquinait ou bien de quelqu’un á qui nous donnions des sobriquets á connotation comique, mais bien souvent méchante ; la journée se termina toujours sous la véranda de Boss Théla JADOTTE où le groupe J.A.C. créa l’animation, à sa façon, jusqu'à fort tard dans la nuit. Comment passer sous silence les randonnées régulières du mardi, á l’aube, avec Man Villard, jour de marché du Petit-Bourg du Borgne, où boudin-sang, boucoussou, tifilo, canne-á-sucre et fritures se consommaient á profusion. Je voyais venir avec peine le mois d’octobre qui annonça la rentrée des classes et la fin des joyeuses vacances, tout simplement mon retour au Cap-Haïtien où les rigueurs des vies citadine et scolaire m’attendaient. Après toutes ces années, je garde précieusement dans ma mémoire et dans un petit coin de mon cœur les noms, surnoms et sobriquets borgnelais qui ont toujours suscité mon intérêt par leur originalité et surtout leurs diversités 181


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La société Borgnelaise a connu des noms de famille aux origines diverses tels les Allonce, Jadotte, Mocombe, Alfred, Célestin, Michaud, Bélier et Monpremier qui seraient de la France, les Bennett des États-Unis, les Dulcio de l’Italie, les Muller de l’Allemagne et d’autres tels les Janvier, Ottinot, Lange, Thomany, Bazile, Aumoithe, Xavier et les Mathurin qui nécessiteraient une recherche beaucoup plus approfondie pour les catégoriser, et dans ma mémoire défilent également des noms ancrés dans le terroir tels: les Dieuveuille, Joseph,Pierre, François, Obas, Jean-Pierre, Sam, Altidor, Noël,Voltaire, Simon, Christophe, Francoeur, FilsAimé, Emmanuel, Dieudonné, Dauphin, Jean-Baptiste, Prosper, PierreLouis. Mais les surnoms et sobriquets qui d’ailleurs sont typiques á chaque région, m’offraient l’occasion de me distraire et longtemps après de mieux appréhender certains aspects culturels de cette société Borgnelaise. Les surnoms qu’on accolait á quelqu’un, soit par pure camaraderie ou par affection, soit pour rappeler une déformation physique, un comportement répréhensible ou tout simplement un diminutif me reviennent á l’esprit en provoquant un long et amusant sourire. Les ti et les gros ne maquaient pas : Timanno, Titchout, Tichapo,Tilouss,Tirouss,Tijean,Tigodèt,Tipolna,Ticonsèp,Tiben, Tidann,Tilifèt,Tikòken,Tidjo,Tiko,Tifrançois,Tikla,Tineuville,Tibob, Tizòt,Tinel,Tiboss,Tiga,Tidjé,Timimi,Tison,Titêt,Tikè,GrosIda,Gros Wilner,Groslifèt,Tigouss,Groscamille. Sans oublier la longue liste de surnoms et sobriquets inspirés des faits quotidiens et surtout de l’imaginaire de cette société: Kakanankimono, Pitamort,Sikio, UnoUno, Ojena, Palto, Pasteur, Kélé, AromeBondaboulé, Dieulélé, Paulmoumou, SinnKabrit, Zofléa, Sentupát, Kòmè, Sukrésouss, Batiman, Lakatay, 182


Ladiaré, Gadginn, Kanni, Kompè, Bofan-y, Ponya, Dès, Foknanpwen, Têtkalé anse-á-foleur, A-B/AB, Tonpito, Konzong, Pourra, Kokolo, Èrnono, Ponponn, Join, Dizwit, Kapo, Dumasdoum, Sita, Ben, Tanyan, Atchacho, Têtflit, Kouyou, Difonboulga, Alainsou, Tchoupan, Tchèkòkonm, Tchètchè, Manpèroy, Impòtan, Timouché, Lass, Ratlivè, Tchoutchou, Oupédi, Tounanfi, Mangeorges, Bontigrenn, Boutmouri, Pansion,Bèbè, Sedyékakananbonmpwa, Timadanm, Zoulite, S, Pikobo, Gasondjè, Tchouka, Tamoumounn,, Join, Boubounne, Sept, Makaron, Chipoul, Soukouyan, Koko, Tètpoul, Titi, Mafoute, A-ou-a-pipip, Bassicot, Mayotte, Sanma, Nounou, Miyien patat….. Et ces sobriquets qui résultent de l’apparence physique tels : Têt, Latché, Chatkòché, Grenn, Jimo, Bèk, Tichèch, Bwarenan, TètKòkòtte, Makak, Bouki, Dokwi, Il convient de rappeler ces diminutifs d’affection très évocateurs:Pimm,Pepito,Pipo,Loli,Kito,Pich,Koulou,Koff,Vivi,Poupè, Toy,Jiji,Nanoune,Jamba,Tati’ya,Kèkè,Gran’nmanya,Babout,,Dout, Soy,Mafi,Filo,Dounette,Sodada,TonBan,Kazoy,Kakoute,Adoudou Kòt,Jaja,Séré,Tan’nSyan’n,Vanna,Djouby,Tonton,TonPopo,Pèpé, YouBabouPa yonce, Papou, Awawa, Poun’n, Tan’n Na, Fokè, Soeurette, Ninotte, Mámm, Dajo, Pedro,Foufoud, Nono, Chelo… Enfin…enfin…je n’en finirais pas. Soudain je me rappelle de ceux qui ont eu leur sobriquet dès la naissance:Pinouche,Gol,Baton,Kakit,Touron,Toro,Naille,Choupèt, Lepé, Joe, Blanc, Papouze…. Cette démarche va assurément évoquer des souvenirs attachants, des sympathies et des affinités chez certains et de l’amertume chez d’autres qui ne se verront pas ou ne verront pas un populaire sobriquet ou un nom de famille sur la liste. Sous toute 183


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réserve, j’espère avoir fait œuvre qui vaille en vous décrochant un sourire ou un commentaire ; mais le rêve va jusqu'à vous voir, originaires de la zone, vous assoir autour d’une table entrain de débattre des réels problèmes entravant l’avancement et la prospérité de ce petit coin de terre souvent qualifié à de « Vénise d’Haïti ». De toute façon, je ne prétends pas avoir réalisé un travail exhaustif et fini ; les différentes générations des divers quartiers et sections du Borgne, me pardonneront omissions ou autres car j’ai tout simplement laissé vagabonder mes souvenirs pour vous entrainer dans une promenade á travers les noms et surnoms, á un certain moment de l’histoire d’une ville qui a marqué mon enfance. Ce texte est dédié en toute affection à la mémoire d’un grand borgnelais Handal ALLONCE dit Frero et Roland JADOTTE qui ont disparu lors du violent séisme du 12 janvier 2010. Jose J. Davilmar Oct. 2010

Jovenel Moise constitue un phénomène qui traduit la faiblesse de nos institutions et surtout l’obsession de nos chefs d’Etat à se succéder ou, à défaut, à choisir leurs successeurs. Voici : D.

Jovenel Moise, une grotesque continuité dans l’impasse !

Avec un pied à l’étrier, Jovenel a opté pour de risquer, sans réserve, dans un deuxième tour hypothétique avec l’espoir d’engager surement sa chevauchée le 7 Février 2016. Têt dwat. 27 184


La Saga Haïtienne Décembre ! Son choix comme candidat n’a pas été aisé pour Michel Martelly qui, d’après plus d’un, disposait de poulains mieux connus du grand public et beaucoup plus proches de lui. Mais le chef s’est penché en bon bandit, il faut s’y accommoder. Laurent Lamothe se grinça les dents ! En même temps que le grand fermier du Nord-est dût travailler fort pour coller les morceaux d’un PHTK brisé après son endossement. Avouons tout de go que Jovenel a étonné certains observateurs par son articulation, sa fougue et sa volonté de sauver l’équipe rose de la noyade. Mais pour d’autres, il est un LORAY Kalé qu’il faut combattre à tout prix. Un leader politique a même lâché qu’il n’entrera pas au palais national puisqu’il est un inconnu. Humm !!!Jovenel Moise, citoyen-entrepreneur, a roulé sa bosse dans les pouvoirs précédents mais sans retenir leur attention avec son projet de plantation de bananes. Tandis que le président actuel lui donna les moyens pour concrétiser son plan et pour comble jeta son dévolu sur lui comme successeur. Martelly qui filait après le plus défroqué parmi ses acolytes sans scrupule pour chausser ses bottes de dictateur corrompu ; veut faire de Jovenel Moise un grand gagnant, peu importe le déroulement de cette pièce de théâtre dont la fin s’annonce douloureuse pour le pays. À deux semaines du 27 Décembre, Michel Martelly est entrain de gagner son pari de passer son mandat entier au pouvoir avec la jouissance éventuelle de placer son dauphin à la tête d’un pays en quête de normalité politique, économique et sociale. Haïti qui trébuchait à l’arrivée de Martelly vit aujourd’hui une plongée lente et sure confortée par l’incompétence et la mauvaise foi d’une bande de charognards. Pendant le quinquennat de la bande rose avec à sa tête Sweet Micky, le chômage, la misère, et l’extrême pauvreté ont augmenté alors que cette rupture promise à grandes pom185


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pes dès les premiers jours de campagne en 2010 n’a été que de vains mots. Martelly a tout bousillé sur son passage et veut malgré tout s’accrocher au pouvoir à tout prix pour continuer à plaire à une communauté internationale, satisfaite de son ouvrage et une oligarchie haïtienne qui voit en Jovenel un sujet manipulable et contrôlable dans le but de conserver ses avantages mesquins au détriment d’un peuple qui vit sa « misère joyeuse » au profit seulement des apatrides héritiers de tous les leviers économiques du pays. Dans cette importante étape de notre vie de peuple, une introspection s’impose et des perspectives doivent s’offrir afin de mettre Haïti sur les rails d’un avenir sain et prometteur. L’objectif sera de démystifier les fondements de cette hérésie qui traverse une société haïtienne en perte de repères. Pour certains, abonnés, au fantasme de crises à répétition, ce n’est qu’un épisode de terreur qui vite passera en attendant d’autres avec leurs cortèges de dérives, clientélisme, arbitraire, pillage du trésor public et népotisme etc…, tous attributs de la corruption d’un pouvoir absolu. Attila ne doit et n’entrera pas à Rome pour le bien d’un peuple haïtien qui doit, aujourd’hui, comme la fourmi, faire preuve de courage, de résistance et surtout de ténacité enfin de faire face à cette continuité programmée dont les acteurs sortiront d’élections tenues dans le désordre et la violence à l’image d’un 9 Août ou dans un calme apparent drapé dans des circonstances les plus troubles d’un 25 Octobre. A moins de deux mois du 7 Février 2016, Martelly, un cadavre chaud faisant du grand bruit comme l’arbre de la forêt qui tombe, joue toutes ses cartes d’atout pour se renouveler avec un Jovenel Moise dont la mission première est de protéger toute l’équipe Têt Kalé de l’avilissement et de la prison. Michel Martelly qui n’avait rien auguré d’utile au développement de la démocratie, n’a fait qu’augmenter notre tragédie et endommager encore plus les structures branlantes d’un pays vu la con186


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centration des trois pouvoirs entre ses mains sans différer les allégations de corruptions et de trafic de drogue qui pleuvent sur sa famille, ses amis et ses proches collabos. Stupides et dupes seulement auraient cru que l’actuel chef d’état et sa bande pouvaient apporter des changements réels dans la vie des citoyens. Subséquemment cette continuité, qu’exprime Jovenel Moise, n’aura pas lieu dans le pays où le dollar américain s’achète aujourd’hui à 60 gdes, les réserves internationales réduites de 37%, le déficit budgétaire est de 10 fois plus élevé, un taux de croissance réduit a 2.11%, le budget du palais national a vertigineusement accru, le déficit en infrastructures routières et énergies électriques est alarmant (Réf. :BID),le saupoudrage remplace la planification, l’embarras migratoire des jeunes Haïtiens s’intensifie, la production nationale en déroute, bref, les « E », s’oublient avec le temps, faute de base et de conscience .Ce pouvoir de jouisseurs, de bambocheurs, d’incompétents, de corrompus, renouvelé, ne fera qu’accélérer le processus de paupérisation de la population, continuer à réveiller les atavismes de l’ère dictatoriale contrairement au vœu du peuple haïtien qui aspire à une transformation en profondeur et non à ce changement cosmétique que Têt Kalé n’est pas même pas en mesure d’offrir. Têt Kalé, un mouvement insensé et spontané, distinct par la spontanéité, le banditisme légal, la propagande, la gloutonnerie et l’indécence, une prosternation devant l’absurde, la bêtise et l’irrespect des normes, mérite indubitablement d’être craché, vomi par une population en détresse face à l’horreur Martelly. Mr Moise, Neg Bannann, sachez que vous incarnez la farce d’un dindon qui est en passe d’être carbonisé et jeté dans les poubelles de l’histoire. Joachin Jose Davilmar josedavilmar@yahoo.com 187


La Saga Haïtienne En réponse à tout ce tapage provoqué par la présence des militaires dominicains en Haiti après le passage de l’ouragan Matthew en octobre 2016, j’ai publié sur les colonnes du Nouvelliste le texte suivant : E.-

Haïti : l’aide humanitaire dominicaine De l’effroi à la jactance habituelle

Par Jose J. Davilmar Le passage du terrible ouragan Matthieu laisse Haiti dans une frayeur qui glace. L’État haïtien, incapable, comme en janvier 2010, de faire face au meurtrier séisme, assiste aujourd’hui impuissant à l’enfouissement de la péninsule méridionale. Les cadavres se comptent par centaines. Des milliers de démunis, devenus sinistrés identifiés grâce à cette catastrophe naturelle. Leur misère, leurs péripéties, leur exclusion se retrouvent maintenant exposées au grand jour. Somme toute, c’est le spectacle hideux d’un désastre écologique qui prend une allure apocalyptique. Enfin ! Les yeux sont rivés sur cette partie de l’île abandonnée depuis des lustres. L’espace d’une semaine ou le temps de trouver un topic plus fascinant. Qui sait ? Par contre, depuis ce jeudi 13 octobre, l’arrivée d’un imposant convoi dominicain d’aide humanitaire retient particulièrement l’attention et fait constamment l’objet de controverses et de discussions très animées dans les milieux haïtiens (Haiti et Diaspora). Scandale. Immixtion dominicaine. Infamie. Bref, une litanie de qualificatifs et d’attributions à cette caravane humanitaire pour laquelle Claude Joseph recommande ceci : « Soyons pas timides, ayons le courage de dire merci au gouvernement dominicain pour ce geste généreux à un moment où la nation est en détresse ». 188


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L’évaluation et l’appréciation des conséquences de l’ouragan (ses causes, ses incidences, l’évaluation des dégâts et le déploiement de l’aide) exigeraient une compétence que je n’ai pas très certainement, ce, en toute modestie. Tout de même, l’état mental accablant et délabré qui s’affiche sur les réseaux sociaux, sur les colonnes des quotidiens du pays et au plus haut niveau de l’Etat peut faire l’objet d’une interprétation lumineuse de certains points obscurs de notre comportement de peuple. Une ‘’république de cigales’’1, une banana république ankylosée qui dénote une prédisposition étrange à revivre les pages les plus sombres de son histoire. Une récurrence due au miroir déformant dans lequel l’Haïtien se regarde. Pour parler de l’attitude et du comportement de nos cacatoès à propos du nouveau conflit haïtiano-dominicain, j’aurais emprunté le mot de Jean Le Rond d’Alembert, philosophe français, parlant des bobards nés de la lutte électorale française : "Jamais peut-être il n'y a eu un plus triste exemple de la jactance et de la légèreté françaises." A bien des égards, la jactance haitienne semble en être une réplique. Réagissant contre le fait que le convoi humanitaire dominicain soit escorté par des militaires, les « chauvins » Haïtiens, kap fè wont sèvi kolè, ont démontré subitement une ostentation, une suffisance et une vantardise telles qu’on a l’impression que l’Etat d’Haiti vient de renaitre de ses cendres et qu’il dispose miraculeusement des moyens pour se porter au secours de ses citoyens. Franchement, vous faites pitié ! Dans quels yeux voulez-vous envoyer votre poudre ? Cela dit, Justin Dévot, l’auteur d’un ouvrage publié en 1901: ‘’Considérations sur l’état mental de la société haïtienne,’’ s’adressant à M. Léo Quesnel dans la revue politique et littéraire, a cité cette mémorable phrase : « Il faut aimer son pays comme on aime sa mère, sans phrase et sans apprêt. » Or il se trouve que cet 1

La république des cigales” publié par Alin L. Hall le 13 mars 2015 sur Le Nouvelliste.

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amour de la patrie avec tout son sens et sa portée réelle échappe à l’Haïtien, plongé dans une somnolence morbide. Son ‘’nationalisme’’, je dirais simpliste, se résume à s’indigner face à l’attaque de l’étranger, à verser son sang pour la défense du sol ou à parler des ancêtres en des termes élogieux. Le patriote haïtien est fier d’être nègre et ne badine pas avec l’étranger. À bien considérer, ces sublimes sentiments, quoique louables et nobles, ne sauraient constituer, à eux seuls, tout le patriotisme. L’attachement au pays et le civisme doivent s’exprimer parallèlement à l’accomplissement de tout son devoir, ce, en dépit de tout et sans défaillance : travailler infatigablement sans fanfaronnerie au relèvement national, participer patiemment au grand travail de rénovation sociale, se dévouer sans répit, sacrifier ses intérêts, ses passions, ses préjugés, son intransigeance politique et religieuse à la grandeur de la patrie. Le juriste Dévot a tracé et soumis ce programme du vrai patriote haïtien qui suppose un héroïsme de tous les instants dont bien peu d’Haïtiens sont capables. Parler de la patrie et la servir sont deux choses sensiblement différentes et un fossé déjà béant s’agrandit chaque jour entre elles dans le pays. La rhétorique a éclipsé et a même remplacé l’élan. Les espaces de débat se sont enflammés du fait que la terre de Dessalines soit souillée par des bottes dominicaines, à quelques jours seulement du 17 octobre commémorant les 210 ans de l’assassinat du fondateur de la patrie. Pourtant, des militaires américains, français, colombiens et vénézuéliens y sont présents depuis le lendemain du passage de l’ouragan. Pire, depuis mars 2004, les militaires de tout acabit et de tous les pays occupent Haiti sous le regard indifférent de ces nouveaux zélés, ces dépositaires de l’absurde et de la médiocratie. À rappeler qu’en janvier 2010, suite au séisme meurtrier qui a terrassé Haiti, la République Dominicaine, en preuve de grande 190


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solidarité, était, là, au chevet d’une Haiti agonisante. Six ans plus tard, elle est revenue pour les mêmes raisons puisque ce funeste tremblement de terre n’a pas su nous retirer de notre zone de confort, de notre léthargie habituelle pour réveiller la conscience nationale. A noter que Jocelerme Privert, mécontent et vexé de cette propagande orchestrée par ses anciens pairs, a rappelé, en présence de Ban Ki Moon, le Secrétaire Général de l’ONU, dans une courte adresse à la nation que des sénateurs qui se plaignent de la présence des militaires dominicains ont été évacués de la GrandAnse grâce à des hélicoptères appartenant à l’armée colombienne, pilotés par des militaires colombiens. Donc, le seul et vrai étranger, c’est le Dominicain. Une véritable démonstration de l’incohérence et du manque d’éthique de l’homme haïtien. De l’effroi né de l’ouragan à la jactance du moment, Michèle B. Duvalier, jouissant de l’amnésie de toute une population, se permet, dans une note publiée sur les réseaux sociaux, de traiter les Sénateurs qui crient au scandale de « Poules de luxe ». Elle a raison puisque sa présence et celle de ses enfants surtout sont tolérées au point qu’elle ose demander des comptes aux actuels dirigeants en répétant béatement le stupide mot de Jean-Claude Duvalier : Qu’avez-vous fait de mon pays ? La réponse est simple, madame : Ils ont parachevé l’œuvre de destruction initiée par les administrations de feux beau-père et mari. Paradoxe, un mari divorcé et rejeté subitement transformé par la mort en excellent époux. Chez nous, on aura tout vu : de la vomissure servie comme cocktail. Haiti, singulier petit pays, qui a déjà oublié les extravagances financières et les dépenses ostentatoires d’une première dame qui aurait dû, en toute justice, croupir au Pénitencier National. Michèle, en passant, sachez que les trente ans de mauvaise gouvernance des Duvalier (père et fils) associée à une absence totale de morale, d’éthique et de décence ont conduit le pays à cette déréliction, au fond de cet abysse. Le diagnostic sans 191


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équivoque des années obscures du despotisme duvalérien permet facilement de comprendre les origines de la décadence actuelle et les blocages empêchant le décollage. Ensuite, pour notre malheur, les prédateurs effrénés du peuple, les heureux de dernière heure de la dictature duvaliérienne, votre machiavélique régime, sont revenus, depuis 2011, à la charge avec Sweet Micky en tête. Dire qu’actuellement ils luttent avec acharnement aux fins de garder le ‘’pouvoir’’ en la personne de ‘’Neg Bannann lan’’. Bien compté, mal calculé ! En tout cas, Michèle, retenez que tous vos ragots publiés sur les réseaux sociaux sont compilés et ficelés pour être déballés au moment opportun. Toutefois, gardons le cap sur notre but principal et soulignons que deux semaines après Matthew, la situation détériorante de la population du grand Sud, déjà enguenillée, n’occupe plus le centre des débats puisque la souveraineté nationale est en cause. Quelle souveraineté ? C’est, de préférence, l’occasion offerte aux tenants du pouvoir de se déresponsabiliser, d’occuper les esprits ailleurs et de surtout brouiller les cartes de l’histoire. En fait, c’est une intoxication médiatique dont les convulsions perverses détourneront l’attention et la vigilance citoyennes sur les ‘’sinistrés’’ du Sud. Ces hypocrites mafieux ont profité de la galère du peuple, dépourvu de tout, fatigué d’être bafoué, pour mener une indigeste campagne électorale. Aucun égard pour les victimes. Paradoxalement, ces malades de pouvoir ont distribué de l’eau dans du contenant richement imprimé, beaucoup plus onéreux que le contenu. Au-delà de l’incompétence, de la malhonnêteté et des mauvaises habitudes de bon nombre de politiciens haïtiens, l’aide humanitaire dominicaine représente sans aucun doute les con192


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séquences de notre refus d’emboiter le pas vers la modernité. La bonne gouvernance dont l’opérationnalisation se fait au travers des institutions serait définie selon l’ACDI2 comme : « l’ensemble des établissements, des procédés et les traditions qui dictent l’exercice du pouvoir, la prise de décision et la façon dont les citoyens font entendre leur voix ». Mais cette problématique sur laquelle bute toute tentative de construire un meilleur pays est totalement négligée par les gouvernés haïtiens. L’ouragan Matthieu a, une fois de plus, mis à nu l’Etat haïtien qui, par la même occasion, a bénéficié d’un déploiement d’envergure de la part des Dominicains : « Un convoi de plusieurs centaines de véhicules contenant 25 000 au total rations alimentaires reparties en 600 000 bananes, 36 000 kilos de patates, 25 000 livres de fromage, 55 000 livres de poulet et 95 000 livres de riz, 30 000 unités de saucisses, 35 000 boîtes de pica pica, 3 000 boîtes de soda, 30 000 paquets de jus, 15 000 rations alimentaires et d'autres nécessités de base. De plus, la République voisine fait un don de 1800 moustiquaires, 1000 matelas et 2000 feuilles de tôle, des matériels pour la réparation des maisons saccagées par l’ouragan, 36 000 plaques de zinc. » Les républiques haïtienne et dominicaine, se partageant l’île d’Haiti souverainement depuis 1844, vivent des hauts et des bas à travers le temps. D’ailleurs, elles sont les deux ailes d’un même oiseau, pour répéter l’autre. Question de proximité : plusieurs incidents diplomatiques ont émaillé leurs relations et ont des incidences négatives dans les mémoires des deux peuples. Il ne serait pas vain, ici, d’évoquer sans démagogie et surtout sans parti pris la genèse de la cohabitation de ces deux peuples pour mieux appréhender ce bourdonnement désagréable créé à des fins inavouées par les ultranationalistes haïtiens qui ignorent sans doute le mot d’Antonio Gramsci, « Il faut attirer violemment l’attention sur le présent tel qu’il est si on veut le transformer. ». 193


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Ainsi, vers mi-mars 1805, Dessalines, plus militaire que diplomate, mécontent de rater l’occasion d’unifier toute l’ile, donna l’ordre à ses lieutenants de ‘’rassembler tous les habitants de l’est et de les faire prisonniers3;‘’ il fit capturer et confisquer tous les bestiaux et les animaux de la population ; sa cavalerie détruisit et brûla tout sur son passage; on massacra tous ceux que l’Empereur ne tenait pas à faire prisonniers et on pilla. Ces spoliations, ces atrocités et ces déprédations représentent une bifurcation déterminante dans les relations des deux pays : les Haïtiens devenaient forcément les ennemis des habitants de l’Est. Contrairement à Dessalines, Jean-Pierre Boyer, le 9 février 1822, en arrivant au Corps municipal de Santo-Domingo expliqua aux Dominicains que ses sentiments n’étaient pas ceux d’un conquérant mais ‘’ceux d’un père, d’un frère, d’un ami qui venait embrasser avec tout l’épanchement du cœur les nouveaux haïtiens de la famille.4’’ Entre temps, Haïtiens et Dominicains, malgré des frasques que je me garde d’énumérer en totalité, se distribuent l’insécable île. A souligner que toutes les incartades ont eu lieu seulement sur la terre dominicaine. Au demeurant, la république orientale a su se frayer un chemin pour afficher une nette supériorité économique, politique et sociale à sa voisine occidentale dont l’histoire zozote encore. Les Dominicains ont compris très tôt que le local sans l’international est une voie de garage contrairement aux Haïtiens qui n’ont jamais su mettre un frein à leurs fausses querelles tout en continuant à faire des choix aveugles. Ces précédents historiques ou ces collisions regrettables, empreints de pulsions conquérantes ou bienveillantes, expliqueraient-ils, à eux seuls, une telle levée de bouclier contre la présence des militaires dominicains venus apporter de l’aide à une 3 Histoire diplomatique d’Haïti. Abel-Nicolas Léger.Imp. Aug. A. Héraux. Tome I (1804-1859). P. 12/13 4

Ib.p.82/Pradines cit.

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Haiti en détresse ? Ceci prouve, au contraire, que nous n’avons pas pu remettre les pendules à l’heure afin de nous départir des affres qui jalonnent notre quotidien. Nos ambitions personnelles se satisfont au détriment des intérêts nationaux. Avec un faux nationalisme affiché sur fond d’hypocrisie, la jactance sera toujours au rendezvous. L’activité épistolaire s’est accrue récemment, soudainement. Cholzer Chancy, président de la Chambre des députés, exige de l’actuel Premier Ministre « le retrait immédiat des militaires dominicains du territoire national. » A noter qu’il avait accompagné Privert dans les négociations avec Danilo Medina, le Président dominicain. Jacques S. Jean, choqué par cette ‘’invasion militaire’’, a usé de sa qualité de Sénateur de la République pour demander à Mme Sandra Honoré5 de prendre ses « responsabilités face à cette décision incalculable et inacceptable qui met la nation en danger. » Même Jovenel Moise, l’infatigable et remuant candidat à la présidence, a écrit aux Dominicains : « Chers voisins, s’il vous plait, rappelez vos soldats du territoire haïtien. » En plus, un ancien ‘’fils de Dessalines’’, membre de l’équipe de Privert, s’oppose farouchement à la présence des soldats dominicains. Qu’il démissionne au moins ! « Qui n’est pas avec moi est contre moi » dixit Privert… La mauvaise foi des uns, l’ignorance et l’incompréhension des autres ont créé ce que Daniel Supplice appelle « une production intellectuelle toxique qui pollue sans ménagement l’esprit de la jeunesse attentive. » La société doit nécessairement faire litière de ce tropisme politique qui a longuement contribué au pourrissement du drame haïtien. Elle nage, béate, en pleine médiocratie. Elle ne fait que prendre des raccourcis vivant au jour le jour. Point de planification. La déresponsabilisation des Haïtiens qui allait crescendo a accouché de cette ignominieuse stagnation. La société est incapable de faire le bilan de ce qui s’était passé la veille. C’est 5

Représentante en Haiti du Secrétaire Général des Nations Unies

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La Saga Haïtienne constamment le triomphe de l’inertie sur l’immobilisme. Le pays se débarrassera de cette occupation à peine voilée, vieille de quatorze ans (Minustha), en empruntant seulement la voie de l’autofinancement qui passe par une meilleure gestion de ses propres ressources. Le moment de rappeler que le 3 Septembre 1930, le Cyclone San Zénon dévastait la Ville de Santo-Domingo en République dominicaine. La réponse d'Haïti à l’époque : Médecins, nourriture, médicaments furent acheminés et dépêchés chez nos voisins 6. Savez-vous qu’en juillet 2015, le ministère de la défense dominicaine a organisé une première cérémonie de graduation pour 412 militaires qui ont complété le second cycle de base dans l`apprentissage de la langue créole. Cette initiative vise à renforcer les compétences, les habiletés et les aptitudes des membres de l`armée dominicaine lors des opérations où ils doivent faire face à des Haïtiens. Le dirigeant dominicain a toujours fait preuve de ‘’vision anticipatrice’’. Pourtant, Haiti dispose d’un campus universitaire à Limonade (Don de la République dominicaine) dont les portes sont fermées, faute de cadres. Donc, la prochaine catastrophe, dans ces conditions, n’a aucune chance d’être contrôlée. Elle sera à l’image des précédentes, car l’Haïtien n’apprend rien de ses voisins, comme l’avait anticipé l’illustre Anténor Firmin : « Adoptons sincèrement et loyalement, chez nous, les principes et les pratiques qui ont favorisé l'évolution des jeunes peuples, nos émules, lesquels grandissent et prospèrent par le travail, l'instruction et la liberté. » Cette aide humanitaire escortée par des soldats dominicains sur le sol haïtien a provoqué un tollé, un véritable tabac médiatique sans vraiment atteindre la conscience haitienne. Au lieu d’un appel à se serrer la ceinture, à nous mettre assidûment au travail pour 6

source: Jacques Jean-Baptiste. Ancien journaliste de La Voix de l'Amérique.

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aborder l’avenir avec sérénité, à donner à Haiti un nouveau souffle, le pays s’enlise de préférence dans une paranoïa collective et une totale inertie. A force des horreurs, des souffrances, des répressions sanglantes des macoutes de Duvalier, des chimères d’Aristide et des récents ‘’bandi légal’’, l’Haïtien devient traumatisé et foncièrement indifférent, il évolue dans une inconscience politique qui tue. La réalité est que les masses sont totalement indexées, oubliées et reléguées en arrière-plan, en un mot, acculées à vivre une inexistence banale et insuffisante, infrahumaine loin du modernisme. Ces cataclysmes naturels, malheureux en apparence, offrent aux masses l’occasion d’être ‘’découvertes,’’ entendues dans leur désespoir. Tant d’‘’au secours’’ restés sans réponse. Au moins, grâce à l’ouragan Matthieu, aujourd’hui les laissés pour compte sont sous la loupe. Ils sont la cible du reste du monde compatissant qui les regarde avec pitié. Et, tout ce tintamarre d’aide humanitaire dominicaine, provoquant tant de jactance, comme toujours, ne sera que feu de paille, que des coups d’épée dans l’eau et ne durera que l’espace d’un cillement puisque sous peu les masses vont continuer à chanter, à danser et se résigneront bientôt à traverser la frontière haitiano-dominicaine encore une fois car vivre sous les bottes dominicaines ou autres est bien mieux que l’enfer d’Haiti. Jose Joachin Davilmar josedavilmar@yahoo.com Octobre 2016

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dans le Nouvelliste du par

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Mon flyer de campagne

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Mme Pierre Ottinot née Alice Jean-Pierre

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Ma confirmation d’inscription

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En campagne à Robin

Une des affiches à Ti Rivière 205


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Au débat du 2 aout 2015

En campagne au Borgne

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En campagne à Petit-Bourg

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Pedro posant avec Septentrional en 1977


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ImprimÊ par Les Éditions Nemours

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