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« La ville est toujours la ville de quelqu’un, la ville n’est pas un objet »
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Marcel Roncayolo, la ville sur mesure.
Juillet 2014 Travail Personnel de fin d’Études Alexandre Pinson Encadré par Cécile Berthoux Co-encadré par Jean-Luc Brisson ENSP Marseille Versailles 1
• Vers le nord Aller vers le nord n’est pas un choix gratuit. C’est choisir la destination la plus dangereuse de France, celle dont tout le monde a déjà entendu parler, celle pour qui tout le monde tremble sans même jamais n’y avoir mis les pieds. Les médias, très habiles dans la propagation de l’information aiment compter, parler de chiffres, de morts, par jour, par mois ou par an. Sans doute un moyen de rassurer le bon français, trop vite irrité par la poubelle de son voisin encore sortie trop tôt, qu’il existe, un ailleurs encore plus horrible. Aller vers le nord c’est entrer dans l’autre Marseille. C’est franchir une frontière invisible et découvrir un territoire en latence. Le nord en attente de considération, d’écoute et d’ambition là où le travail a déserté les quartiers, où la précarité s’est enracinée. Des grands ensembles aux recoins délaissés, des hommes et femmes vivent et survivent, maghrébins, cambodgiens, maliens, vietnamiens, africains, roms..., amers de leurs conditions, comme des chats entassés dans des boites qui n’auraient à en sortir que pour consommer. Mais dehors, on ne peut pas être. Aller vers le nord c’est découvrir un paysage de villages marqués par le temps d’où jaillissent sur des promontoires les grands ensembles. Des cités souvent rafraîchies, parfois reconstruites, une desserte en voie d’amélioration comme si la municipalité envoyait ce message, je vous ai compris. C’est découvrir le paysage d’une nature fragmentée, composite, entre la garrigue des collines, les délaissés de l’urbanisation, les friches industrielles, les parcs urbains, les friches non industrielles et les jardins. Le délaissé est commun, familier. Il récolte les déchets que le vent ou les habitudes indélicates
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lui envoient. Les plantes qui le vivent en font un jardin d’agrément que personne ou peu, ne savent ici regarder. Le délaissé, insinué dans les reliefs, les anfractuosités ou épanoui sur des parcelles préservées, bruisse quand le vent souffle, il caresse les mains, les jambes et les bras quand on le traverse, il égratigne, il pique les doigts. Le délaissé provoque chez moi l’émerveillement, la passion. Pour d’autres c’est un vide, un rien. Aller vers le nord c’est se surprendre. Parce que je suis né à la campagne, suis je attiré par ces herbes hautes dansant sous les bourrasques ? Est-ce la suffocation du centre-ville qui me fait me ravir d’endroits en pente, caillouteux, fleuris de valériane, de genêt, de robiniers et de détritus. Alors que comme d’autres j’étouffe dans cette ville, le nord apparait être un réservoir de nature salvateur à une vie active, bruyante et grise. Le jardin devient pour une poignée un besoin. La terre est remuée à loisir ou pour vivre. Les sols sont préparés, ensemencés, arrosés et guettés. La graine bientôt germée devient une plante, bientôt fleurie, bientôt un fruit. Quand pour certains le jardin s’hérite, pour d’autres il se gagne. La nature domestiquée se propage comme pour accompagner une détresse sociale croissante. Le jardin succède aux parcs, aux délaissés. Aller vers le nord, c’est une contrariété. Celle d’une quête fantasmée du délaissé et le désir de voir le jardin devant la porte de chacun. ...
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• Sommaire
Vers le nord
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Être paysagiste
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Aux origines d’une fracture
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Genèse du délaissé
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La mosaïque non exhaustive des espaces de nature des quartiers nord
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Fracture Nord Sud, qu’en est-il ?
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Vers le nord, des lieux, des personnes, des pantes...
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Cartographie des arpentages
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L’hôtel du nord
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Express
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Meilleurs vœux
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Ombres chinoises
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De Séon à Bosphore
69
18 308 pas
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Papillons
93
Au jardin des rails
103
Marseille et le nord unis
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Pour des raisons de faisabilité, quelques documents de stratégie qui accompagnaient la première partie de ce mémoire n’ont pas été introduits.
Soutenance, vendredi 4 juillet 14h
110
Accrocher, rapprocher. Émergence du projet du territoire.
112
La notion de continuité écologique et humaine
114
Première lecture des continuités écologiques et humaines
116
Entre Séon et les massifs collinaires ; des projets d’aménagement paysager adaptés
118
Assurer la continuité écologique : point de basculement
120
Sur le chemin de la Mûre : pour un usagepiéton de la ville
122
Emprunter le jardin de Varella : une situation à réinventer
124
Varella : au-delà les murs, par delà la voie ferrée
126
Parcourir les pentes de Montléric : le bar à Mauves, prétexte à l’observation
128
Les jachères de la Guillermy : réappropriation des terres arables
132
Cimetière des Créneaux : un espace à parcourir
134
Le belvédère de la Viste : d’un pied d’immeuble à un lieu de vie
136
Le Parc de Séon : vers un lieu de vies et d’initiatives
140
Conclusion
144
Remerciements
146
Bibliographie
148
Ê
tre paysagiste c’est entrer dans l’intimité des Hommes, de manière consciente ou non, en imprimant autour d’eux les conditions d’un mieux vivre. C’est l’apprentissage de l’histoire des lieux, des personnes, des cultures afin d’améliorer ou d’imaginer le paysage vertueux de chacun. C’est maîtriser un habile équilibre entre le dessein spontané, sauvage des espaces de nature et un écosystème humain davantage conquérant. Devenir paysagiste c’est aussi et à mon avis prendre conscience de la nécessité du paysage, naturel ou aménagé comme un élément bénéfique à la santé physique, psychique et sociale des personnes. J’aime à croire que le paysagiste est comme un docteur. Une posture d’écoute, d’inspection avant de prévenir d’une dégradation ou de panser les plaies, des Hommes et de la nature. Aller vers le nord de Marseille c’est franchir une frontière invisible que le métro révèle. La Joliette, quartier d’affaires : costume, cravate, attaché-case, chaussure cirée. Les gens se pressent pour être les premiers dans l’escalator qui les amènera dehors puis à leur travail. [...] Bougainville, point de départ vers le nord : les gens se pressent pour être les premiers dans l’escalier qui les amènera dehors avant de courir pour avoir la chance de monter dans l’un des bus qui les emmèneront chez eux, quelque part. Le territoire est vaste et fragmenté. Les deux tiers des infrastructures de transport de Marseille sont dans les quartiers nord comme autant de coupures entre les personnes, les espaces et les lieux. D’autant plus que la desserte des bus est mauvaise. Jamais à l’heure, il est parfois plus rapide de se déplacer à pied. Travailler dans les quartiers nord de Marseille c’est aller à la rencontre d’un territoire riche de nombreuses friches, de délaissés, de jardins qui constituent quasiment une maille à la nature insinuée et extrêmement abondante. Plus que n’importe quel autre secteur de la ville, l’implantation organique de l’habitat, des réseaux de transport, des pôles d’activité et de service ont générés du délaissé. Un tiers paysage (Gilles Clément, Manifeste du Tiers Paysage) qui s’épanouit notamment dans les anfractuosités du relief difficilement urbanisables et qui se pérennise par l’absence d’un développement économique. La situation économique et sociale est difficile pour les habitants, mais profitable au maintien d’espaces de nature. L’absence de dynamique urbaine et industrielle permet aux friches de s’épanouir. C’est aussi faire face à des personnes qui habitent, qui (sur)vivent, font vivre et vibrer le nord. Des hommes et des femmes souvent en situation de précarité, parqués dans des grands ensembles, loin des préoccupations politiques de la municipalité. Des habitants comme « des chats entassés dans des boîtes qui n’auraient à en sortir que pour consommer. Mais dehors, on ne peut pas être » (Ludvine Husette). Dehors, les quartiers sont toujours ceux de l’urgence, ceux d’une politique Deferriste pour qui urbaniser s’était gouverner. Le nord, organique, concentre tous ceux et celles dont Marseille ne veut plus. La précarité et le chômage gangrènent les familles. La drogue et les « emplois » qu’elle crée deviennent une nécessité dans ces quartiers en crise. Alors quelle est ma place dans ces quartiers ? Pourquoi m’investir dans un secteur déconsidéré par la municipalité, les Marseillais et le reste des Français ? Que puis-je apporter ? À qui ?
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Actuellement beaucoup d’associations animent la vie des quartiers et des habitants. Cela est très important. Elles promeuvent notamment la découverte du territoire, la musique, le théâtre, le jardin, partagé, ouvrier... Chacune de ces associations, chacun des membres qui les composent tente de répondre localement aux attentes des habitants. Ainsi les initiatives émergent, mais sans vraiment fédérer autour d’elles des enjeux plus grands, plus vastes qui s’inscrivent dans une dimension territoriale. Je ne pense pas trouver une solution unique à la résolution de toutes les problématiques que soulève l’étude des quartiers nord, mais j’espère, par mon regard de paysagiste, pouvoir apporter une pierre à l’édifice de la réflexion sur le devenir de ces quartiers et de ces habitants. Le postulat initial que j’ai construit se fondait sur une observation simple et peut-être naïve. Il y a d’un coté des familles qui connaissent des difficultés économique et sociale, et de l’autre de nombreux espaces délaissés. Dès lors, derrière la volonté d’aider et de soutenir concrètement la population, quelles attentions peut-on porter aux délaissés pour qu’ils satisfassent à un rôle nourricier, de rencontre et de partage ? Je ne cherche pas à dire qu’il suffirait de mettre en culture toutes les friches et les pieds d’immeubles pour qu’ils produisent des fruits et légumes que l’on ferait ensuite jardiner par les habitants. D’autant plus qu’il y a peu de personnes ayant une expérience du jardin et du jardinage. Mais peut-être qu’une partie de la réponse est à trouver dans cette action. Le projet tel que je l’imagine est rassembleur. Comment la diversité des espaces de nature peut devenir le pilier d’un aménagement paysager qui s’inscrive dans une logique à la fois de territoire et du quotidien ? Par ce travail c’est aussi l’image des quartiers nord que je souhaite faire évoluer. Si je n’ai pas la capacité de montrer et de partager mon travail à tous ceux et celles qui nourrissent l’image de quartiers dangereux, j’espère néanmoins diffuser autour de moi l’expérience que j’ai faite des quartiers nord de Marseille. La drogue et les règlements de compte sont une réalité. À fortiori certaines cités sont quasi impossibles à arpenter. Mais le territoire invite à la découverte. Le relief créé les conditions de belvédères, les friches sont belles, ondulantes sous les bourrasques de mistral. Certaines bastides sont abandonnées, mais leurs parcs n’en sont que plus effervescents. [...] Le nord est beau !
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ller ? « Alors, et toi, où vas-tu t’insta côté favelasnc,?à»l’heure de l’inauguration. Côté mer laou tour CMA-CGM, à Are Des employés de
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• Aux origines d’une fracture En août 1844 l’État choisissait la Joliette pour développer un vaste bassin d’activité, préfiguration de l’actuel grand port industriel. Le projet qui faillit être aménagé au sud de la ville amène avec lui une population de dockers et d’ouvriers. Depuis les années 1930, la ségrégation urbaine est un système mis en œuvre à travers une spéculation immobilière et une planification bureaucratique. La gestion du logement social par la municipalité aggrava la ségrégation. Les HLM des quartiers sud sont réservés à une clientèle ethniquement et sociablement homogène ainsi qu’aux cadres et employés de la ville ou apparentés. Gaston Deferre devient maire de Marseille de 1953 jusqu’à sa mort en 1986. Nous sommes dans les 30 Glorieuses. Alors qu’il récupère une ville endettée par des années de conflit et dorénavant libre d’une tutelle administrative imposée par l’État, G. Deferre instaure l’esprit d’entreprise à la gestion passive de la municipalité d’antan. L’enjeu principal pour la municipalité est de répondre à une forte demande en logements, de résorber les bidonvilles qui croissent au nord de la ville et en 1962, d’accueillir les rapatriés d’Algérie. Il s’entoure de conseillers socialistes qui traiteront la gestion des services municipaux, et de bourgeois qui auront à charge les questions de l’urbanisation. Le poste d’adjoint à l’urbanisation sera d’ailleurs toujours occupé par un élu de la droite libérale. (Cf note de bas de page Alessi Dell umbira.) Dès lors, les bourgeois marseillais soutiennent tous les grands projets urbains qui leur permettent de valoriser les parcelles de fonciers sur lesquelles ils ont capitalisé. Dans les années 50, face à la crise du logement, l’occupation de bastides par les mouvements chrétiens va conduire à la construction des Castors (lotissements autoconstruits). Seule une élite ouvrière s’engage dans ce projet. Dans le même temps, les domaines bastidaires sont vendus, les bâtisses rasées et on y construit les premiers grands ensembles pour loger les plus nécessiteux. Paradoxalement la hausse des loyers, dans les quartiers sud, va aussi pousser les ouvriers et petites gens à migrer vers le nord de la ville où seront construits 90% des HLM. Pendant une vingtaine d’années, le secteur du BTP profite de cet essor. Le béton permet de construire à moindres frais et d’employer une main-d’œuvre peu qualifiée. Une main d’œuvre originaire du Maghreb, elle aussi en mal de logement, à l’origine bidonvilles. La spéculation foncière à Marseille devient si forte qu’elle ne permet plus aux industries de s’installer ni même de se maintenir. Elles finissent par se délocaliser autour le l’étang de Berre, au mieux dans le secteur nord de la ville. 9
« Urbaniser c’est gouverner » G. Deferre En 1959 l’État valide le Plan Directeur d’Urbanisme (PUD) voté par la municipalité en 1949, considéré comme stratégique pour combattre l’hégémonie ouvrière à l’apogée de sa vitalité dans les années 44/47. L’année 1947 étant marquée par la grève nationale des ouvriers qui a débuté à Marseille avec l’augmentation du tarif des tramways. En 1960 le tramway est démantelé. Les ouvriers des quartiers nord se replient sur la sphère privée. En 1977, la première ligne de métro devait permettre aux cadres et employés de bureau de converger vers le centre-ville. La seconde ligne du métro s’arrêtait elle, à Arenc. On parle de banlieue automobile.
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1750 1866 1905 1950
Grands ensembles Castors
2005 10 0
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2/3 de la ville au nord concentre la quasi-totalité des voies rapides, le sud étant lui épargné. Depuis la Seconde Guerre mondiale, cette partie périphérique de Marseille s’urbanise de manière organique par une juxtaposition de couches monofonctionnelles et imperméables liées les unes aux autres par l’autoroute et les voies rapides. Dès 1960 la voirie fonctionnaliste génère un type d’urbanisation en rupture de la continuité urbaine : les grands ensembles, le pavillonnaire, les zones industrielles et les centres commerciaux. Les grands ensembles génèrent le ghetto Deferre se vante de nombreux équipements sportifs et sociaux construits dans les banlieues, mais ne remet pas en cause le malaise des banlieues ni l’inhumanité de l’urbanisme. La municipalité de socialistes et de bourgeois défend une vision utilitariste de la ville. Les grands ensembles ont résorbé les bidonvilles et permis de loger ceux qui en avaient besoin et non de créer un environnement urbain à leur mesure. Pourtant, «les grands ensembles sont construits par des gens qui n’y vivraient jamais». Aux investissements lourds de la construction se succèdent les frais d’entretien trop élevés des bailleurs qui conduisirent à la dégradation des grands ensembles. L’espace urbain est profondément antisocial. « Qu’ils aillent se réadapter ailleurs » G. Deferre En 1962 suites aux accords d’Évian qui signèrent la fin de la guerre en Algérie, et alors que le gouvernement français prévoyait l’arrivée de 100 000 rapatriés en France, 450 000 « pieds-noirs» atterrissent et débarquent à Marseille. Face à l’urgence, 90 000 personnes seront prises en charge, logées dans des cités HLM non achevées. Si certains Marseillais témoignent de leur solidarité à l’égard de cette nouvelle population, la grande majorité leur est hostile. Les taxis surfacturent leurs courses, les hôtels augmentent leurs nuitées, les dockers dérobent un quart des biens qui arrivent d’Algérie et laissent pourrir le reste dans l’eau. La situation très tendue entre rapatriés et marseillais génère du racisme. 20% des rapatriés resteront à Marseille. La construction de grands ensembles dans les quartiers nord de la ville, sur des domaines bastidaires, participera à la résorption du problème lié au logement de ces familles.
11 Expulsion du bidonville de la Benausse, 1969
Rapatriés d’Algérie en 1962
du domaine bastidaire aux grands ensembles. Exemple de la Viste
• Genèse du délaissé Définition de Gilles Clément dans son manifeste du tiers paysage : « Le délaissé procède de l’abandon d’un terrain anciennement exploité. Son origine est multiple : agricole, industrielle, urbaine, touristique, etc. Délaissé et friche sont synonymes. C’est un refuge pour la diversité. » Alors que la périphérie de la ville était le terrain des bastides, une banlieue de villégiature où les vastes domaines agricoles étaient irrigués par les fleuves du Caravelle, du Jaret, de l’Huveaune puis du canal de Marseille, il ne nous reste aujourd’hui que peu d’espaces de ce terrain originel qui nous soit parvenu. L’urbanisation semble s’être emparé de tous le foncier disponibles reléguant les seuls espaces de nature aux massifs collinaires et aux parcs urbains. Pourtant, seuls les quartiers nord de Marseille offrent encore une perméabilité à la nature. Irrémédiablement associés à leur urbanisation organique, les quartiers nord de la ville sont riches de délaissés. Ces derniers résultent de la mutation des domaines bastidaires vers les grands ensembles, comme le montre l’illustration ci-dessus, de la construction des infrastructures routières, de l’abandon d’espaces industriels, de parcelles agricoles jamais plus cultivées. Les espaces de nature sont plus nombreux dans les quartiers nord que sur le reste de la ville. Ils composent le cadre verdoyant d’un territoire à l’architecture parfois triste, souvent austère, que peu de personnes savent voir.
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arrière-cours de la savonnerie, friche et cascade
talus de l’autoroute
pied d’immeuble, séchoirs à linge
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La fracture Nord Sud existe bel et bien dans les esprits de chacun. Mais géographiquement, qu’en est-il ? Les quartiers nord s’étendent sur 7 767 km2 et son composé des 13e, 14e, 15e et 16e
arrondissements. Ils représentent 32,8% la superficie de la ville et accueillent 246 636 habitants soit 1/3 de la population vit dans ces quartiers.
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Vers le nord
des lieux, des personnes, des plantes ...
Pour des raisons de faisabilité, quelques documents de
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stratégie qui accompagnaient la première partie de ce mémoire n’ont pas été introduits.
Les quartiers nord de Marseille sont un territoire vaste couvrant plus de 7 600 km2. Un territoire dont je me suis saisi par l’arpentage. Les allers-retours sur le site m’ont permis d’identifier des usages, des histoires, des topographies, des vues, des lieux, des enjeux... Je suis loin d’avoir découvert toutes les richesses de ce territoire durant cette seule période d’étude. Je me suis laissé porté par le réseau des transports, la curiosité et les destinations qu’on a pu me conseiller. Cette expérience est le fondement de ma pensée. Les prochaines pages de ce carnet sont une transcription de mon apprentissage des quartiers nord afin de la raconter, mais aussi de le questionner. Elles associent à une même lecture différents contenus identifiés par différents formats.
Arpentages
Fiches identité
Planches d’herbier
Arpentages :
Entre récits de voyage, reportage photographique et interview, ces pages sont celles de la découverte des quartiers nord tels qu’ils me sont apparus. Un territoire fragmenté à l’urbanisation organique qui relève de nombreux questionnement et enjeux quant au développement d’un projet de paysage à destination de tous les Marseillais.
Fiches identité :
Ce document pourrait constituer un carnet autonome d’identification de la mosaïque des espaces de nature des quartiers nord. Il apporte entre autres des informations sur leurs natures, leurs situations, leurs modes de gestion et leurs accessibilités. La carte de situation permet de localiser dans un périmètre de 300 mètres, la distance acceptable pour un piéton, des lieux intéressants. Des données intéressantes qui permettent de mieux appréhender la place qu’ils pourraient prendre dans la formalisation d’un projet cohérent aux échelles territoriales et locales. Les différents espaces de nature relevés sont les suivants :
• Les délaissés ; résultants de l’urbanisation organique des quartiers nord de Marseille, les délaissés sont très nombreux et occupent des espaces aux superficies plus ou moins étendues à l’image d’archipels. Les espaces de délaissés que j’ai identifiés ne sont qu’une infime partie de ce qu’il est possible de rencontrer. Ceux qui sont mentionnés dans ce carnet le sont, car ils s’inscrivaient sur mes itinéraires de découverte des quartiers nord.
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Même s’ils sont très présents dans les paysages, ces délaissés semblent avoir peu de valeur pour les habitants. Pourtant ils constituent une réserve foncière potentielle, mais sont aussi et surtout les relais de la biodiversité dans la ville. Il y a une vraie considération à apporter à ces espaces sur un plan social et écologique, notamment dans le cadre d’un projet trame verte et bleue.
• Les jardins ;
ils occupent une place toujours plus croissante dans le paysage et le quotidien. Si les jardins ouvriers du Castellas sont les plus ancrés dans le territoire et aussi les plus traditionnels, c’est sans compter sur d’autres initiatives plus contemporaines. Le jardin s’adapte aux conditions sociales économiques des habitants des quartiers nord. Il fédère des groupements de jardiniers, des idées, des moyens et participe à l’éducation des enfants comme des parents. Le jardin, sa forme et la sociabilité qu’il permet en font un lieu souvent plus important que les espaces publics traditionnels. Bien que remplissant un rôle de proximité très important, le jardin manque d’un rayonnement territorial. Il fonctionne souvent comme une entité autarcique ou le partage des compétences et des savoirs entre jardiniers ne dépassent pas les limites du jardin. Il semble primordial de trouver une logique à tous ces espaces jardinés qui deviennent nécessaires à l’amélioration sociale des quartiers.
• Les parcs urbains ; ils sont quasiment tous aménagés sur d’anciennes propriétés
bastidaires. Ils ont cette qualité d’avoir su préserver les bâtisses, mais aussi la végétation qui les accompagnait et notamment des platanes centenaires. Les parcs sont des espaces appréciés des habitants qui s’y retrouvent tous les week-ends pour des piques niques et des anniversaires. Ils ont donc une réelle importance dans la vie de chacun. Cependant leur entretien n’est pas toujours bien suivi. L’âme des parcs, hérité du terroir bastidaire se perd. Alors que les alignements d’arbres étaient la règle dans ces jardins, ils sont aujourd’hui isolés, laissant penser qu’un bon nombre d’entre eux ont été supprimés et non remplacés. Seul le parc de la bastide Montgolfier qui accueille le Parc Urbain des Papillons semble maintenu dans son état original. Il faut dire qu’il n’est pas accessible au public, sauf lors de manifestations. D’un point de vue écologique et social, ces parcs sont représentés dans chacun des quartiers. Ils ont un vrai rôle à jouer, plus qu’aujourd’hui, dans le développement d’un projet de paysage de dimension territoriale et locale.
• Les cimetières ; le cimetière est le lieu des morts, où l’on croise des vivants. L’enclave
d’histoires résolues. Des histoires qui sont les nôtres et qui sont celles de nos villes. Le cimetière ce sont des noms, des images, des souvenirs qui se figent. Autour, la ville et ses vivants qui continuent d’écrire leurs histoires. Les Revel, Caillol, Martino et Goggi qui vivaient dans le village de Saint-Antoine sont aujourd’hui les Mazari, Akriche et Oueslati des quartiers nord. Les cimetières sont des lieux reposants, apaisés. La nature se résume très souvent à quelques fleurs en plastique ou en barbotine. Néanmoins, de la même manière que les parcs urbains, ce sont des espaces publics qu’il est parfois possible de traverser. Des espaces de raccourcis comme des cloîtres protégés des tumultes de la ville.
Planches d’herbier : Les échantillons qui composent cet herbier illustrent la flore la plus commune aux différents espaces de natures que j’ai arpentés. Face aux difficultés de maintenir les échantillons dans un état satisfaisant, à cause de la température notamment, ils ont été photographiés sur place après récolte.
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ges a t en p r A des tes a Bal ouver s e c Dé contr Ren
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Gares et métro À pied En transports en commun
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[6] La savonnerie du midi
La cascade des Aygalades [5] Ça coule de source [7]
[8] Le parc de l’Oasis
Jardins des cheminots [4] [3] La Delorme [2] Cité de la Visitation
[1]Parc François Billoux
Métro Bougainville
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• L’hôtel du nord le 7 octobre 25
• L’hôtel du nord le 7 octobre Alors que je ne suis pas en avance, me voici dans un bus qui effectue un détour que je n’imaginais pas. La route de Lyon est fermée pendant la durée des travaux du Bus à Haut Niveau de Service. Alors que je pensais que notre détour n’était que de quelques pâtés de maisons, je me rends compte que je ne serais pas du tout à l’heure et que je ne sais même plus ou je suis. Je demande au chauffeur. Il dit que nous ne passerons pas devant le parc Billoux où j’ai rendez-vous. Je reconnais une friche que j’ai déjà visitée par le passé. Je lui dis de me déposer là. « Merci, au revoir » Je cours à travers la rue, croisant au passage de nombreux garages. Je suis dans le quartier de la Cabucelle, finalement pas très loin de mon point de rencontre. J’entre dans le parc, je continue de courir jusqu’à apercevoir un groupe et puis je les remarque enfin, derrière le second portail d’accès du parc qui est condamné. Sur la suggestion de l’une des participantes, je me faufile dans un trou de grillage. Ma balade urbaine va commencer. [1] Hôtel du Nord organise régulièrement ce genre de balades. Christine Breton qui emmène d’habitude les expéditions est en repos après un ennui à la jambe. Ces deux collègues sont aujourd’hui à la tête de notre cortège. En plus, des jeunes de l’ADDAP 13 (Association Départementale pour le Développement des Actions de Prévention) et leur «tuteur» nous accompagnent. La première escale à lieu dans la cité de la Visitation. [2] Christiane nous attendait. Elle vit ici, au premier étage de son immeuble. Nos guides nous racontent l’histoire de cet endroit, autrefois un couvent de bonnes sœurs entouré par des champs. Christiane elle, nous parle de la cité, de sa cité. L’une des plus dangereuses de Marseille dont le bailleur semble entretenir la réputation. Les locaux pour les associations et les jeunes sont fermés. Nous laissons Christiane, nous dirigeant vers l’une des entreprises de la zone industrielle de La Delorme. [3] Tout ici faisait partie d’un vaste territoire bastidaire. Une vingtaine d’hectares qui ont accueilli des entreprises et usines dont celle d’Alusuisse. Jusque dans les années 70, on produisait ici de l’aluminium. Les terrils de boues rouges occupaient 4 hectares. Aujourd’hui, les plantes qui poussent sur le terril des boues rouges sont chargées en soude, en arsenic et en gallium. La zone industrielle des Arnavaux, si elle est aujourd’hui débarrassée des usines de bauxite accueillent néanmoins de nombreuses casses et décharges. Les Arnavaux sont un lieu que personne ou peu de monde ne semble traverser à pied. Continuant sur l’avenue des Aygalades, notre groupe se dirige en direction d’un site de la SNCF interdit au public. [4] Une gare où attendent des wagons de déchets pour une direction que je pense être une décharge à ciel ouvert. Nous allons à la découverte des jardins des cheminots. La tradition veut que les parcelles soient transmises de cheminot en cheminot. 26 parcelles plutôt grandes dont le règlement oblige les cultures potagères sur environ 80% de la parcelle. Le site est celui d’une ancienne décharge le long du ruisseau des Aygalades. L’eau n’étant pas de bonne qualité, elle n’est pas pompée pour l’irrigation des jardins. Les bordures pentues du jardin, non cultivées sont des délaissés dont les herbes hautes sèchent en été. Elles sont l’évocation d’une nature sauvage insinuée et reliquaire, qui arrive à se pérenniser par l’absence d’interventions humaines.
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Christiane nous reรงoit en bas de son immeuble.
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La balade se poursuit et nous conduit à remonter le ruisseau des Aygalades jusqu’à sa cascade. [5] La responsable de la cité des Arts de la rue nous attend devant un portail cadenassé. Elle nous parle de cet endroit, un haut lieu du 19e aujourd’hui accessible et visible principalement lors des journées du patrimoine. À cette occasion le ruisseau se gonfle des eaux lâchées par la société des eaux de Marseille. La cascade des Aygalades est une fontaine. Une fontaine asséchée devant laquelle flottent des cadavres de bouteilles en plastiques. L’entretien de cet endroit, que ce soit la taille des branches, le fauchage des herbes ou l’installation, un peu datée, du platelage en bois de palette sont le signe d’un intérêt pour cet endroit. Alors qu’ils prennent la parole, les deux jeunes de l’ADDAP 13 nous confient qu’ils sont à l’origine de l’entretien et de la remise en état des espaces qui conduisent à la cascade. Des missions pour lesquelles ils sont payés, peu, mais qui les confrontent à une situation professionnelle. Cette cascade est un projet. Alors que la municipalité ne semble pas porter, attention à cet endroit, différentes mains et initiatives se succèdent et apportent leurs pierres à sa valorisation. Et si cet espace ouvert qu’à de petites occasions, devenait un réel lieu de passage et de vie ? Alors que je ne connaissais pas l’accès par lequel nous sommes arrivés, je me souviens en revanche que la passerelle qui passe au-dessus de la cascade conduit à la cité des arts de la rue, et un peu plus loin à la cité des Aygalades. Ne devrait-on pas révéler à tout ceux qui vivent aux alentours et aux Marseillais, ce haut lieu qu’est la cascade des Aygalades, en la rendant accessible sans avoir à attendre une quelconque journée spéciale ? Reprenant la route, nous marchons 300 mètres et entrons dans l’enceinte de la savonnerie du midi. [6] Nous nous engageons sous un abri sombre où sont stockés des sacs de billes de savon. Au fond, deux marches et une porte cadenassée. Derrière, une friche aux figuiers généreux, embroussaillée en contrebas de l’autoroute du soleil, dominée par les cités de la Viste et de Montléric, dominant le ruisseau des Aygalades et son autre cascade. Une cascade asséchée que les figuiers referment. J’apprends de mes guides que cet endroit est la propriété de la savonnerie, mais qu’ils souhaiteraient le rendre accessible au public. Cela semble facile au regard de la passerelle qui franchit la rivière et fait le lien entre la friche et la rue du cimetière. Mais quel usage donner à un espace en pente dont le lit de la rivière se situe 4 mètres en dessous de nos pieds ? Quel usage pour un lieu éloigné des habitations, mais voisin d’un cimetière et d’une savonnerie ? Peut-être que les figuiers, à l’aise dans cet endroit, sont à considérer comme une partie de la réponse. La balade avec Hôtel du nord se termine devant le portail de la savonnerie. Je poursuis ma découverte des quartiers nord seul... [7] La traverse des Oasis est une route étroite fermée aux voitures par des blocs de pierre calcaire. Elle démarre depuis l’avenue des Aygalades jusqu’à la Résidence des Aygalades. Cette traverse en friche est un cimetière de scooters calcinés. La végétation investit la chaussée et de ses abords. Est-ce que le rôle de cette traverse est de faire le lien entre l’arrêt de bus situé sur l’avenue des Aygalades et la résidence ? Je me rendrais compte plus tard que cette traverse est l’une des seules voies piétonnes qui permettent véritablement de franchir l’autoroute sans contrainte.
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Christiane nous reçoit en bas de chez elle
Dans le jardin des cheminots, le délaissé estompe la ville.
La cascade des Aygalades en eau, un évènement.
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Je croise alors sur le chemin une fille d’une vingtaine d’années. « Bonjour, je suis à la recherche d’un jardin ? » Par cette question je cherche surtout à ce qu’elle m’indique un espace qu’elle considère être un jardin ! « Alors vous continuez tout droit, vous allez monter les marches à gauche et vous y êtes. » En suivant ses instructions, j’arrive au cœur de la résidence des Aygalades. Il y a bien un espace collectif que les immeubles bordent. Un espace avec une zone enherbée couverte de crottes de chien, un boulodrome et une aire de jeux pour enfants, des platanes, le tout avec vue sur la mer, un peu lointaine. Voilà ce qui semble être pour cette demoiselle un jardin. [8] Continuant ma progression sur le boulevard de la Padouane, je me rends vite compte que je suis à cinq minutes à pieds de l’entrée des jardins du Castellas. Sur la droite, il y a l’entrée d’un parc dans laquelle je m’engouffre. Au premier abord je ne le reconnais pas. Il y a de grandes pelouses organisées le long d’une allée centrale. Au fond du parc une pergola en bois et puis encore plus au fond, un chemin. Étriqué entre une zone habitée et une zone d’activités de services, le cheminement relie une autre partie du parc que j’ai déjà parcouru qui n’est en fait que le parc de l’Oasis. De la même façon, en me dirigeant vers le fond de cette seconde partie du parc, je passe un portail et emprunte un chemin qui borde l’autoroute. La nature est spontanée, plus entretenue depuis plusieurs années. Au bout, un bloc de pierre calcaire. Il est intéressant de voir que l’enchaînement d’une traverse, d’un espace en pieds d’immeubles, d’un parc et d’un autre cheminement peuvent nous amener à nous écarter des grands axes routiers et invitent à vivre les quartiers nord différemment.
Un petit chemin qui fleure bon l’autoroute
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De la friche dÊpasse l’un des bâtiments de la savonnerie.
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Les jardins de la gare franche Le Verger [3]
[1] [2]
Gare de Saint-Antoine
Les terrasses du Verduron [4] Ctre Commercial Grand littoral
Gare du Castellas
Gare de Sainte-Marthe
Gare de Picon Busserine
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• Express 15 octobre Gare Saint-Charles
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• Express 15 octobre Direction Saint-Antoine. Je vais à la rencontre de Dominique Reinosa. Elle a la charge l’animation des jardins de Foresta et du Plan d’Aou. Il faut d’abord sortir de la petite gare, passer sous la voie ferrée, première à droite, marcher 300 mètres puis tourner à gauche. Au bout de la ruelle se trouve un une bastide entourée d’un jardin avec des platanes. C’est une résidence d’artistes. La Gare Franche. Elle semble complètement coincée par les industries. D’ailleurs, les jardins partagés que je suis venu voir le sont aussi [1]. Devant le portail. Il est accroché un écriteau informant que le jardin fait partie du réseau des jardins marseillais. Derrière, un court chemin de brouette puis le jardin. 2000m2 de parcelles potagères pour les habitants, pour les enfants de l’école du Plan d’Aou, un espace de convivialité et enfin une pente, accrochée au Plan d’Aou, verdoyante de cannes de Provence. L’endroit est très calme. Le jardin s’est logé entre deux bâtiments, comme glissé dans un cocon. En face les collines semblent des montagnes. La brume ajoute à la magie de l’endroit. Il est 9 heures. Ici, il n’y a que les habitants de l’arrondissement qui peuvent accéder à une parcelle. Le jardin est d’ailleurs leur seul privilège. Personne de l’extérieur ne vient regarder les légumes ni même se poser et apprécier l’endroit. Au-dessus de la bastide. Derrière un mur de pierre, ombragé par un pin, un autre petit jardin. Les petites parcelles sont cultivées. Le figuier qui couvre le mur est récolté tous les ans. Il semble ici possible de croire qu’avec un espace aussi réduit soit-il, il y a toujours quelqu’un d’intéressé pour le cultiver. La barrière du jardin est symbolique. Comme si on ne craignait pas le vol ni les dégradations. Dominique me conduit à la cité du Plan d’Aou. Des travaux sont en cours pour reconstruire, désamianter, des immeubles sous l’égide de l’ANRU. Les camions circulent. Une forte odeur nauséabonde de plastique émane de la petite usine qui cohabite avec la cité. Cela semble à peine concevable d’avoir une mixité entre petite industrie et habitat. Elle me fait rencontrer la personne qui semble être le référent du bailleur pour le plan d’Aou. Un homme qui vit ici. Avec lui, deux collègues dont un qui travaille à l’entretien des « espaces verts ». Dominique me dit qu’il n’est pas très (ré)actif dans sa mission. Le jardin que je découvre est cette fois-ci en pied d’immeuble. Les jardins familiaux des terrasses du Verduron [2]. Une vingtaine de parcelles en enfilade surveillées depuis les fenêtres de l’immeuble. Le lieu est ouvert mais pas dégradé. Des parcelles sont cultivées, d’autres enherbées. Le jardin ne semble pas avoir sur capter sur le long terme tous ceux qui l’avaient désiré.
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Dans le jardin de la Gare Franche.
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Je poursuis ma découverte du plan d’Aou. Il y a de nouveaux immeubles en petits collectifs qui mélangent les horizons sociaux. De types provençaux, clôturés avec des digicodes à l’entrée. Les relations de voisinage ne semblent pas très cordiales d’après Dominique. Dans la pente du Plan d’Aou, le verger planté par Jean-Luc Brisson [3]. Des figuiers, des abricotiers... issus du projet de quartier créatif « bank of paradise ». L’endroit offre une vue sur la mer en lieu et place de ce qui devait être une friche accueillant des déchets poussés par les habitants. L’espace aménagé comporte des citernes de stockage des eaux de pluie recouvertes de tôles ondulées et cadenassées. Pour descendre jusqu’au verger, on emprunte une sente qui s’enfuit en direction du centre commercial de Grand Littoral [4]. Les gabions qui bordent le cheminement ont avalé les détritus. À l’intérieur des caissettes grillagées, des téléviseurs, des morceaux de plastique cassé et d’autres surprises. C’est la fin de cette rencontre avec Dominique. Sur le chemin de la gare de SaintAntoine. En traversant la Gare Franche je me demande si des personnes passent ici, utilisant le jardin de la bastide comme un raccourci pour regagner le village de Saint-Antoine. Il pleut.
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Les jardins du Verduron, au Plan d’Aou.
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• Dominique Reinosa. Encadre et anime les jardins de Foresta et du Plan d’Aou. Rencontrée le 15 octobre 2013 à la Gare Franche, dans la cuisine puis les jardins. Dominique a en charge l’animation des jardins de Foresta. 53 parcelles de 20 m2 à proximité de la Gare Franche, à Saint-Antoine. Le terrain appartient à la ville (?). La Gare Franche est un lieu de résidences d’artistes. Avec son poste d’adulte relais, financé par la ville grâce au rôle pédagogique qu’elle entretient avec les habitants, Dominique a cette tâche de faire accéder des personnes de tout âge aux jardins et à ce qu’il produit de végétal, de gestes et de valeurs. Par l’allocation de parcelles [les cotisations sont financées par des rassemblements festifs], par son engagement envers les jeunes publics des écoles, elle permet de faire vivre et transmettre un esprit jardinier et un respect à la nature et à ce qu’elle permet. Autour des jardins gravite l’échange. Les populations aux origines diverses (Maghreb, Cambodge, Turquie, Mali...) nourrissent l’expérience du jardin. Il faut aussi composer avec les personnes qui vivent le jardin plus égoïstement. Pensant qu’il est acceptable de récolter quelques légumes dans la parcelle d’un autre, ou alors de s’accaparer la quasi-totalité des fruits d’un figuier considéré comme bien commun. Dominique est une femme passionnée et très impliquée dans ce qu’elle fait. Si elle trouve que depuis 20 ans le travail qu’elle promeut dans les écoles porte ses fruits, elle regrette néanmoins qu’ « on ne donne pas aux gens les moyens [de l’expérience du jardin]. Les gens ont une sensibilité à l’environnement ». Elle me confie que le jardin n’est au démarrage pas perçu comme un apport économique. Pourtant elle pense que la transformation des produits en surplus pourrait permettre de générer une petite source de revenus. Les produits transformés pourraient ensuite être vendus par des femmes du jardin qu’un petit camion aménagé permettrait de promener sur les marchés. Cet entretien me permet de comprendre qu’il existe une charte des jardins partagés à Marseille. Seulement deux jardins y ont adhéré. Celui de Foresta et du Belvédère (en lieu et place du parc Hanoï). Le jardin fait aussi partie du réseau des jardins solidaires méditerranéens. Un réseau dont le but en trois points est de se relier, se former, partager.
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En visite du jardin de la Gare Franche avec Dominique.
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[11] La Bricarde [10] [12] Ctre commercial grand littoral
Les jardins familiaux de Provence de Saint-André [9]
[13] Le parc de Séon [15]Passage entre les parcs de Séon et de Brégante
[8]
[7]Une friche industrielle
[16] Ça coule de source
[6]Un camp de Roms [5] [4] Devant l’effondrement de la Calade [3] Jardin de Campagne Lévêque [2] Les bureaux du bailleur social [1] Descente du bus
Métro Bougainville
N
• L’hôtel du nord le 7 octobre 41
• Meilleurs vœux 3 janvier J’emmène aujourd’hui Cécile dans les quartiers nord. J’ai préparé une liste de jardins que je souhaite visiter avec elle. Nous arrivons enfin à prendre le métro après plusieurs minutes à nous chercher. Notre parcours sera celui de Saint-Louis, la Calade, Saint-André, La Viste et Les Ayalades. Je ne connais pas la majeure partie des jardins que j’ai prévu que nous arpentions. Notre arrivée à Bougainville marque là encore, le début d’un autre voyage. Il faut attendre un bus, y monter puis attendre qu’il parte. Le village de Saint-Louis a certainement donné son nom à la sucrerie. Tout comme la campagne qu’il y avait ici a donné son nom à la cité de campagne l’Évêque. Alors que nous venons de descendre du bus, à la Calade, j’en profite pour aller demander mon chemin aux habitués d’un snack [1]. Personne ne connaît ici le jardin. En extrapolant la conversation, personne ne semble jardiner. Nous continuons. Les trois volées de marches de l’escalier de pierres que nous empruntons font apparaître, un talus en friche avec vue sur Marseille et la tour CMA/CMG. Juste au-dessus, en haut des escaliers, des bureaux en préfabriqués retranchés derrière des clôtures, des caméras et un vigile. Il s’agit des bureaux du bailleur social, construit au pied de l’immense ensemble résidentiel de campagnes l’Évêque [2]. On récolte ici les loyers, paraît-il. L’une des personnes que nous rencontrerons plus tard ne voudra pas nous croire. Pourtant il y a la cité et cette forteresse. La première, fragile socialement, sans espace collectif qualitatif ni même pratiques et puis la seconde, comme une forteresse ou derrière les clôtures on peut voir des carrés de pelouses tondus ras où l’herbe est toujours verte et des cyprès plantés ça et là. Étrange rapport. Deux femmes savent enfin nous expliquer où est le jardin, le jardinet. Une fois traversé, le couloir habité que forme une partie de la cité, nous découvrons le jardin [3]. Une parcelle à la forme triangulaire dont on aurait arqué un côté sur Photoshop. Un espace comme un rond point triangulaire que les voitures encerclent. Il y a de larges marches qui amènent au milieu du jardin. Une douzaine d’arbres et quelques massifs un peu oubliés en cette période. Le jardin est celui du centre social. Les enfants ont fait pousser des aromatiques et quelques légumes. Deux bacs à compost viennent d’être installés. Même si dans la forme le jardin reste très minimal, l’initiative a néanmoins le mérite d’exister et est importante dans le rapport qu’elle permet entre enfants et nature. En contournant la cité, nous nous rendons compte de l’inintelligence avec laquelle ont été aménagés les pieds d’immeubles. Des espaces peu entretenus, détériorés, difficilement habitables. Alors qu’il serait possible d’envisager un aménagement peu coûteux et pratique pour les habitants de la résidence, rien n’est entrepris. C’est consternant surtout quand le bailleur semble déployer davantage de moyens pour lotir et aménager ses bureaux.
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Derrière le talus, la tour CMA/CGM, plus loin la ville, au fond les collines. Spectacle.
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Le jardin de campagne Lévèque.
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Devant l’effondrement de la Calade.
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Chemin de la Madrague Ville [5]. Le lycée Saint-Exupéry semble se dresser comme une muraille dans le paysage. Derrière, l’effondrement de la Calade. Un espace de nature qui emprunte aux parcs urbains le sentier qui le sillonne, les lampadaires qui le parcourent et les rares équipements qu’il reçoit. Les pentes sont trop abruptes pour qu’il s’y passe quelque chose d’autre que le développement d’une végétation arbustive un peu morne en cette période . Pourtant, si personne ne fauchait ces pentes elles seraient enfrichées, davantage arbustives et buissonnantes. Nous croisons quelques lycéens qui regagnent le lycée. En bas, des résidences. En face, la voie ferrée qui s’engouffre dans un tunnel, sous nos pieds. Je l’ai déjà emprunté lors d’une balade. La voie ferrée est en réfection. Les abords des voies sont des lieux de nature, de biodiversité, car longtemps désertés par les trains et leurs produits d’entretien. La résidence Consolat est l’un des immeubles en bas de l’effondrement. Une barre dont l’un des étages semble calfeutré derrière des panneaux de couleur rouge. Cécile me dit qu’elle a déjà eu l’occasion de visiter cet immeuble et cet étage [6]. C’était l’étage où les habitants venaient faire sécher leur linge. Un étage séchoir avec vue sur la mer. Il y a ici plus de monde. Une vie de quartier autour d’une épicerie. Nous empruntons un passage qui nous conduit dans un autre ensemble de résidences. Un petit collectif aux toitures en tuiles, aux murs de pierre. Puis le chemin du Ruisseau Mirabeau et un premier camp de Roms [7]. Entassé derrière la route et le talus du chemin du littoral. Derrière un campement de fortune duquel flottent des bâches au gré des courants d’air. Le rond-point du chemin du littoral, devant nous, est presque un jardin. L’herbe est verdoyante et elle doit l’être encore plus en été sous l’effet des arroseurs installés tout autour. Les massifs arbustifs, plantés au milieu des doubles voies sont très entretenus, davantage que dans certains parcs des quartiers nord. Nous suivons cet axe jusqu’à Saint-André. Derrière la voie ferrée se dresse le port, inviolable, à droite des entreprises de logistique puis une friche industrielle [8]. Ici poussent des ailantes, des figuiers, des canapés, des ronces, des fauteuils, des bris de carrelage et j’en passe. Juste derrière, des petites résidences. Vue sur friche. C’est surement mieux que d’avoir le nez sur une industrie ou des hangars logistiques. Il y a entre cette résidence, la friche que j’ai devant moi et le chemin du littoral que nous avons emprunté, un boulevard, d’environ 1 mètre de large. Le boulevard des Amoureux. À la fois étroit et ample, il est coincé entre des clôtures et ouvert sur une autre friche. Quel peut être le devenir de ce type d’espace ? Redeviendra t’il un jour, quand l’économie sera plus clémente, le terreau d’une industrie, ou s’ancrera t’il dans cet état de friche ?
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La friche, lieu de dĂŠchargement sauvage.
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Nous continuons jusqu’aux jardins ouvriers et familiaux de Provence de Saint-André. [9] Des jardins que nous ne faisons qu’apercevoir derrière des clôtures couvertes de canisses. Les parcelles sont toutes plus impeccables les unes que les autres. Il n’y a pas de mauvaises herbes seulement des plantations rigoureusement alignées sur une terre à nue, longuement travaillée. Personne ne jardine plus. Nous arrivons trop tard. La personne que nous rencontrons sur trottoir d’en face, avec son chien, nous dit que les jardiniers jardinent dès l’aurore. Même si nous attendons, nous n’en reverrons pas avant le lendemain matin. Nous montrant curieux des jardins et de cette tradition, il nous invite dans un jardin, sur le trottoir d’en face. Il nous prévient qu’il s’agit du jardin de son ami qui n’est plus en grande forme. Le chemin par lequel nous arrivons permet de comprendre l’organisation des parcelles. Des légumes, et un coin convivial avec des chaises, une table, une cabane et un haut vent. Tout ça construit dans une heureuse association de bric et de broc. Le chien se faufile, à peine le portail du jardin de son ami entrouvert. Un escabeau est posé contre un figuier. Il y a des agrumes. Une cabane, adossée à un mur de pierre pour se reposer ombragée par un figuier parasol. L’herbe a envahi la parcelle. Ce doit être reposant et agréable d’avoir une parcelle comme celle-là. Ne rendre de compte à personne. Car contrairement aux jardins ouvriers et familiaux de Provence, de l’autre côté de la chaussée, la parcelle appartient à son jardinier qui y fixe ses règles. Les cloches de l’église sonnent midi. Nous nous arrêtons pour déjeuner dans un snack devant la petite église du village de Saint-André. Nous dirigeant vers le centre commercial de Grand Littoral, nous nous retrouvons contraint devoir de changer de route pour un itinéraire plus routier. La voie ferrée qui traverse Saint-André et passe un peu plus haut de l’église du village créer une vraie limite que nous contournons par un léger détour [9]. En longeant bientôt la route, nous nous retrouvons au milieu d’un nœud routier. L’autoroute Est nous domine depuis un talus routier abrupt, le rond-point déploie ses routes en doubles voies dans toutes les directions. C’est une route à fort trafic. Puis sous les piles de l’autoroute, nous découvrons un second camp de Roms. Des caravanes et tas de déchets à faire brûler pour en retirer les métaux. Plus loin, le long de talus arborés résultants de la construction des voiries, c’est un troisième campement que nous rencontrons. Du linge sèche sur des fils. Toute une vie se hâte à des occupations que nous ne percevons pas. Enfin nous arrivons devant Grand Littoral. Culminant sur un talus duquel dévalent des conifères, les pentes enherbées semblent être celles d’une campagne que l’on viendrait faucher à la fin du printemps pour en faire du fourrage. Plutôt que de grimper jusqu’au Graal, nous empruntons le boulevard Henri Barnier. Je me souviens de cet endroit que nous étions venus voir avec l’école en première année [10]. Il y a sur la droite, un parc qui amène directement à la cité de la Bricarde. L’un des souvenirs que je garde est celui d’une bande de jeunes plutôt importunant, qui nous a rejoints devant le belvédère de la Bricarde, en haut du parc. Et puis j’ai eu l’écho de Brice, un camarade de l’école, qui m’a dit qu’ils n’avaient même pas pu effectuer la visite, se faisant sortir de la cité et du parc. Nous continuons jusqu’à pouvoir prendre le chemin de la Barre. Il mène à la Bricarde. L’endroit semble hérité du passé [11]. Le mur qui soutient la parcelle en déshérence est constitué de tuiles plates mécaniques collées les unes aux autres avec du mortier.
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Les jardins ouvriers de Saint-André. Cécile regarde s’il quelqu’un pourrait nous ouvrir.
Chemin de la Barre. Mur de tuiles mécaniques.
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Derrière, une parcelle en terrasse adossée aux barres de la Bricarde qui fleure bon la campagne. Les espaces de nature, quels qu’ils soient, sont très présents et de formes très variées. C’est une vraie richesse. La cité de Bricarde est devant nous. Alors que Cécile s’active à ranger ses affaires dans son sac qu’elle accroche solidement, elle me raconte cette anecdote dans laquelle elle s’est fait détrousser. Une main amicale l’a aidée à porter ledit sac et puis s’est enfuie avec sur un scooter. Tout cela me fait croire que la Bricarde est une cité où il ne faut pas rester. Peut-être qu’en créant un climat de peur, personne ne vient dans la cité ainsi le business de la drogue n’est pas dérangé. Nous traversons le centre commercial [12]. Le parking semble plonger dans la mer. De l’autre côté de la balustrade, le parc de Séon [13]. Un grand espace d’une nature à la fois spontanée et plantée, peu, voire pas entretenue, où se croisent des usages sans qu’ils n’aient conduit à une vraie réflexion de ce parc. Des personnes le traversent, marchant dans les sillons de terre et de cailloux, pour faire aller faire leurs courses. Les motos cross s’en emparent, les poneys aussi. Il y a surtout ce jardin accroché dans la pente. Plus tard, j’apprendrais que le jardinier troque avec un autre de l’eau contre de l’électricité. Sur les pas du GR13. Le balisage nous conduit dans les ronces et les orties [14]. Un énorme figuier marque le passage, nous entrons dans le parc Brégante par un recoin. Où, ailleurs que dans les quartiers nord est-il possible de trouver une pareille perméabilité et complémentarité des espaces qui offre à la fois des usages et de beaux paysages ? J’apprécie ce sentiment de pouvoir aller d’un point A et d’aller à un autre en empruntant un raccourci, une friche ou que sais-je. Cela créer un lien au territoire davantage que de prendre le bus. Cela pousse à vivre et voir les paysages et les espaces de nature, qui sont l’une des richesses des quartiers nord de Marseille. Le dernier jardin que nous visitons est celui des Aygalades, Ça Coule de Source [15]. Une fois rentré dans la cité, il faut se diriger vers l’arrière des bâtiments. Sur la gauche, le talus de l’autoroute du soleil joue la frontière. Devant nous s’élève un chêne majestueux entouré d’une placette pavée. Derrière lui le jardin. Un jardin de carrés aménagé dans la pente du talus. La vingtaine de petites parcelles cultivées fait partie d’un aménagement où chacun des habitants peut trouver sa place. Il y une scène où les enfants s’exercent au théâtre et une estrade couverte qui accueille canapés, chaises et tables ainsi qu’un barbecue et un frigo. Entre les deux, un vaste boulodrome et une fontaine. Le lieu est celui des habitants aménagés par eux. C’est un lieu simple qui s’est pourtant durablement ancré dans la vie de la cité et à suscité ailleurs dans les quartiers nord, de nouvelles vocations. La nuit tombe, nous rentrons.
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Le jardin accrochĂŠ dans la pente.
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• Dominique Santiago. Initiateur du jardin Ça Coule de Source Rencontré le 3 janvier 2014 dans le jardin à la Cité des Aygalades. Dominique Santiago est le fondateur de l’association R’iposte qui lui a permis de mener le projet du jardin. Cela fait 43 ans qu’il vit dans la cité. Il nous parle de précarité, de chômage, de vies dures, d’enfants qui n’ont pas d’éducation en ajoutant pourtant que les habitants se sentent bien. Le but de son projet était d’apporter une paix sociale. Depuis les années 60 où la cité a été construite, presque aucun moyen financier n’a été mobilisé par le bailleur dans l’accompagnement de la cité et de ces habitants. Le jardin a permis cela comme il a permis de faire se rencontrer des personnes qui vivaient dans la cité depuis 15 ans sans se connaître. Pour aménager ce jardin, il s’est arrêté de travailler pendant 10 mois. Il a sollicité les bailleurs pour la réalisation de ce dernier. Peu enthousiaste, 13 habitat le trouve trop rapide, trop entreprenant. Néanmoins le jardin émerge et il rencontre l’enthousiasme des habitants et finalement, celui du bailleur et de la municipalité. Un poste d’éducateur financé par le CUCS (Contrats Urbains de Cohésion Sociale), la ville, la région et 13 habitat lui est proposé sans n’être jamais effectif. Le jardin est devenu, depuis sa création en 2011 un repère pour les habitants et les jeunes de la cité. Le jardin a permis de créer une scène sur laquelle les plus jeunes s’initient au théâtre. Dominique a aussi voulu développer un commerce autour de la production des fruits et légumes du jardin qui aurait pu créer un emploi. Le bailleur ne l’a pas suivi. Aujourd’hui le jardin compte une vingtaine de parcelles, des carrés de 4m2. Même si l’hiver le jardin paraît très à nu, il reste néanmoins un lieu pratiqué, un point de repère pour les habitants comme pour ceux qui ont l’initiative de mener leur projet de jardin. Dominique, le « chef » du jardin, s’il en est aujourd’hui satisfait, reconnaît qu’il aimerait ne pas être le seul à porter ce projet. Il aimerait trouver quelqu’un avec qui partager la gestion du jardin avant de passer à quelqu’un d’autre. « Ce jardin c’est un peu de sirop dans le verre d’eau des habitants ».
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Ça Coule de Source, le jardin à l’assaut du talus.
Un espace de convivialité. Devant un endroit abrité avec sa cuisine d’extérieur, au fond la scène.
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• AMIEU, Marc Wislez, Alexis Jan. Atelier Marseillais d’Initiatives en Écologie Urbaine Rencontrés le 15 janvier 2014 au 66 rue d’Aubagne, 13001 Marseille L’AMIEU développe une réflexion globale sur la conception de l’urbanisme doublée d’une action éducative sur ces enjeux. L’objectif est d’amener les habitants à participer à l’élaboration ou à la transformation de leur environnement. L’association a déjà 20 ans et ils sont quatre personnes à la faire vivre. Son but est donc de donner des clés aux habitants pour qu’ils comprennent le fonctionnement de la ville à travers des balades urbaines, des ateliers pédagogiques dans les écoles, mais aussi l’aménagement de jardins partagés. Cette dernière activité est devenue principale pour l’association. Pendant l’entretien, Alexis et Marc m’ont beaucoup parlé de leur expérience du jardin tant sur le plan logistique que social. Aux cités des Néréïdes et du Bosquet, dans le 11e, l’AMIEU aménage en 2009, avec les habitants, 70 jardins de superficie de 5 à 15 m2. Il m’explique l’évolution sociale qu’ont connue les cités. D’abord cité de fonctionnaire à l’orée des espaces naturels, avant d’être soumise à une forte immigration. La pauvreté qui l’a accompagnée a été l’un des facteurs de la dégradation de la cité et de ces abords, m’ont-ils confié. Au-delà des jardins, ils aménagent aussi, avec les habitants, les pieds d’immeubles. Les missions de l’AMIEU sont donc très souvent liées à des partenariats avec les bailleurs sociaux, plus rarement la municipalité. Aussi, à la question « quelle considération ont les bailleurs sociaux, la municipalité des personnes qui vivent dans les cités ? » La réponse qui m’est donnée est « le mépris, résultat de la peur. » Marc Wislez ajoute que « les bailleurs ne supportent pas les plaintes ». À travers de nos échanges, je comprends qu’il est difficile pour l’AMIEU de se décharger de l’animation et de la gestion des jardins. Alors qu’ils ont cette année trois projets de jardins, ils en ont derrière eux sept autres pour lesquels ils n’arrivent pas à se détacher. Les jardins, les jardiniers n’arrivent pas à gagner en autonomie. Alors que le montage du projet suscite un vrai engouement, il s’installe ensuite une routine et avec elle, la difficulté de faire vivre le jardin à travers les habitants. La difficulté est de maintenir une cohésion des habitants pour le soutien du projet.
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• Jean Noël Consales. Maître de conférence en géographie, urbanisme et aménagement du territoire Rencontré le 5 mars 2014 au coin-repas de l’ENSP Marseille Jean Noël Consales a grandi dans les quartiers nord de Marseille. Il a aussi développé une thèse sur Les jardins familiaux à Marseille, Gênes et Barcelone. Sa culture du territoire marseillais est des quartiers nord me semble indispensable dans la compréhension des logiques urbaines, sociales et environnementales. Nous parlons d’abord de Marseille de son urbanisation. Pour Deferre, urbaniser c’est gouverner. Pendant les 30 Glorieuses, l’objectif est de construire partout dans l’attente de voir la ville se densifier. La libération du foncier sur les quartiers nord n’a fait pendant longtemps l’objet d’aucune planification communale. Le maillage des parcelles agricoles est déstructuré par la construction de grands ensembles, il s’enfriche. Il faudra attendre 1986 pour voir l’élaboration d’un premier PLU. Dans le milieu des années 90, l’arrivée du TGV rend la ville séduisante à seulement 3 heures de Paris. La seule force de la ville est alors son foncier. Concernant les jardins, Jean Noël les considère comme des couteaux suisses de projet. Il est selon lui possible de proposer un projet autour de jardins partagés, nourriciers, mais ils ne sont pas des gadgets qui doivent être utilisés systématiquement. D’après des données qu’il à pu consulter, en 2010 Marseille comptait 110 hectares de friches et délaissés. Actuellement ce chiffre est inférieur à 90 hectares. L’urbanisation est donc toujours importante réduisant toujours un peu plus les espaces de nature. Conseil : entrer dans les quartiers nord en parlant des cités d’habitat collectif plutôt que des populations pauvres.
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Le jardin du Belvédère [5] [2]
[3] Le parking, promontoire sur la ville
[4] Les séchoirs à linge en pied d’immeuble Descente du Burs
[1] Travaux sur la rue de Lyon
Métro Bougainville
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• Ombres chinoises 6 mars 57
• Ombres chinoises 6 mars Comme à chaque fois c’est par le métro que commence cet arpentage. Sans trop attendre, le bus de Bougainville démarre et s’engouffre dans une circulation qui semble plus lente que d’habitude. Les travaux du Bus à Haut Niveau de Service le long de la route sont la cause des bouchons [1]. L’axe routier principal qui traverse les quartiers nord s’accommode de trottoirs plus larges qu’à l’origine, de bacs plantés et de nouveaux arrêts de bus comme ceux que l’on trouve en centre-ville. Une révolution semble en marche et elle s’attaque au problème principal de cette partie de la ville, les transports. C’est dans ce décor bruyant et en travaux que je descends à la Viste [2]. Je fonce en direction de la cité de la Viste, sur l’éperon rocheux. Laure m’en a parlé. C’est entre autres la raison de ma présence ici. Je m’ébahis dans la découverte de l’ensemble résidentiel. Cette cité semble être comme un village avec ses commerces, son centre social et ses terrains de jeux. Il y a une petite topographie que des murets et des pentes enherbées laissent percevoir. Je me dirige vers le point culminant et le plus dégagé que peut m’offrir la cité. Cela me conduit sur un parking, derrière quelques voitures non roulantes, au bord de grilles et de grillages [3]. Devant moi Marseille. La ville étendue jusqu’aux massifs du Marseilleveyre. La ville prise dans une brume qui transcende le paysage et les horizons en un jeu d’ombres chinoises. Cet endroit-là, ce coin de parking au bord d’un grillage est le genre de lieu que je recherche. Il révèle un regard de la ville que nous n’avons que trop rarement et reconsidère les quartiers nord comme un haut lieu des beaux paysages. Un peu plus bas devant moi il y a cet autre lieu que je trouve presque figé dans le temps. Une succession de séchoirs à linge bleus contrastent sur l’herbe grasse. Il n’y a plus que leur structure. On pourrait croire à d’anciennes balançoires comme à une installation plastique. Cet endroit en pied d’immeuble est intrigant et beau [4]. En le rejoignant, en passant sous les séchoirs, je découvre encore la ville. Cette fois-ci, un trou dans le grillage me pousse à croire qu’il existe surement de l’autre côté un sentier escarpé qui pourrait me conduire en bas de l’éperon rocheux. Je me retrouve donc hors du périmètre de la cité, à quatre mètres de la grille de clôture, au bord du vide dans une herbe grasse où des chats viennent manger dans des gamelles que quelqu’un s’efforce à remplir. Je suis au niveau des toitures de maisons, derrière moi les tours semblent toucher le ciel. Où suis-je ? Encore sur le terrain du bailleur ou ais je mis les pieds sur une propriété privée. Je profite de la vue.
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Une femme sur le palier, la rue en travaux, le bus dans les bouchons.
Les séchoirs à linge habitent le pied de l’immeuble.
Page suivante : 59 La Viste, belvédère sur la ville
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En venant à la Viste, je voulais également voir le jardin du Belvédère. Un jardin partagé géré par le centre social Del Rio. Je rencontre rapidement le directeur du centre social. Mounir Ghares. Il me dit que face aux sollicitations dont ils font l’objet, il veut que je m’engage à lui faire parvenir le résultat de mon travail. Je m’y engage. J’ai l’autorisation de rencontrer la responsable du jardin. Il faut reprendre l’avenue de la Viste puis prendre la direction du parc Hanoï. Au bout le jardin émerge en lieu et place de ce qui était autrefois un parc sans entretien [5]. Je rencontre alors Ludvine Hussette (cf rendez-vous Ludvine page). Le jardin profite des pins qui étaient là sur les abords et d’une vue sur la mer et le port sans égal. Cet endroit que j’ai connu vide d’usages, hors mis peut-être celui des jeunes qui tapaient la balle, est devenu un espace public. Les gens vont et viennent. Ils profitent du calme et de la fraicheur du jardin. Ils ont un lieu pour être euxmêmes. Le jardin fait le lien entre la Viste et le parc de Séon. Les gens viennent ici, mais est-ce qu’ils s’aventurent à Séon ? Avant de regagner le métro, il me faudra attendre 45 min le bus quand d’autres personnes auront patienté une heure.
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Dans le jardin du belvÊdère.
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• Ludvine Hissette. Scénographe, jardinière animatrice pour le Jardin du Belvédère Rencontrés le 5 mars 2014 devant un verre de café, dans le jardin du belvédère Le jardin du Belvédère,de 2000m2, est inauguré en mai 2013. C’est l’un des deux jardins ayant signé la Charte des jardins partagés de la ville de Marseille. Son existence est récente pourtant il a nécessité 6 ans de réflexion. C’est lors de l’événement Art des lieux de 2006 que la question d’un jardin est évoquée. Le centre social del RIO sollicite l’association Arènes pour favoriser la participation des habitants à l’élaboration d’un projet de jardin partagé sur le site du parc Hanoï. À travers l’entretien que j’ai avec Ludvine, j’arrive à saisir des anecdotes, des histoires. J’ai compris que certains des jardiniers avaient une vision individuelle du jardin. Ainsi un jardinier avait clôturé sa parcelle avec des barrières de chantier en tôle. Pour les faire retirer du jardin, il a fallu une discussion de concert avec tous les jardiniers. Ludvine me parle d’un homme, qui cultive une parcelle dans les pentes du bassin de Séon et d’habitants qui l’ont dénoncé, car il jardinait illégalement et qu’il faisait du troc d’eau contre de l’électricité avec un autre collègue. J’apprends avec elle que les enfants de 3 à 6 ans sont en plein éveil et qu’ils sont un public avec qui il est facile de travailler. Par contre elle reconnaît avoir des difficultés à capter les adolescents. Quand elle est amenée à travailler avec des 11/ 16 ans, souvent exclus du collège pour une durée courte, elle leur propose de rencontrer des d’anciens professionnels à la retraite. Elle me raconte qu’elle a fait le choix de ne pas utiliser de motoculteur ou de débroussailleuse dans le jardin. Elle a voulu apprendre à maîtriser la faux. Et tout cet apprentissage a été l’occasion de rencontrer des personnes qui lui montraient comment faire, qui venaient pour essayer l’outil. « L’outil est un véritable vecteur de lien social et d’échanges culturels ». Enfin elle me dit qu’en aménageant le jardin ils ont pris la place du parc Hanoï. Libre de tout usage, c’était le terrain de foot d’une bande de jeunes. Il est arrivé qu’en représailles les robinets restent ouverts toute une nuit. Depuis les jeunes occupent, le soir, les espaces aménagés du jardin. Comme Dominique Reinosa, elle me dit que les jardiniers sont des gens passionnants qui ont des cultures, des techniques différentes, mais complémentaires. En tant que femme, elle me confie qu’elle a gagné sa reconnaissance auprès des hommes par son travail dans le jardin.
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Dans le jardin Ludvine conseil, ĂŠcoute, partage.
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• Alexis Jan. Rencontré le 7 mars 2014 en visite des projets de l’AMIEU dans les quartiers nord Accompagnant Alexis Jan de l’AMIEU, cette journée est pour lui l’occasion de me montrer leurs projets, en cours et à venir, sur le site des quartiers nord. Ils travaillent ponctuellement sur les cités de la Solidarité, Kallisté et Saint-André. L’impression que j’ai c’est que leurs travaux s’orientent, dans un premier temps, à destination d’un public jeune par le biais d’école ou de centre social. Il s’agit de faire des plantations de plantes à fleurs, odorantes dans des massifs avec des pierres cimentées ou des bacs en bois. Je crois que toucher les jeunes publics est important. Sans en attendre un résultat immédiat, il s’agit davantage d’un enseignement des plantes, de la nature, de leur respect. Un message qui peut ensuite être véhiculé à leur famille. J’ai aussi vu un carré de terre retournée dans une parcelle enherbée qui sert de lieu d’apprentissage à la culture potagère. Une parcelle d’environ 6m2, non cultivée puisqu’il était encore trop tôt, qui me serait apparu comme inexistante si Alexis ne me l’avait pas montrée. 10 à 15 personnes ont déjà assisté aux deux premières séances. À mon avis, un espace pédagogique, quel qu’il soit se doit d’être au minimum valorisé pour ne pas être juste un simple bout de terre labourée au milieu d’une bande enherbée. Alexis m’a ensuite montré le projet qu’ils poursuivaient sur l’aménagement des pieds d’immeubles. Ils installent des plantes aromatiques issues des collines, quelques rosiers et d’autres plantes dans un massif bordé de laurier palme de 15 m2. Même si le résultat ne m’a pas convaincu par la forme, je trouve l’idée louable et intéressante pour les habitants. Les personnes qui vivent dans les grands ensembles ont cette opportunité d’avoir des espaces plantés ou à planter à proximité voir au pied de chez elles. Offrons-leur ces espaces. Il m’emmène ensuite à Saint-André, non loin des jardins familiaux, dans un cœur de lotissement ou Danielle Demonet, animatrice de l’AMIEU, s’occupe du jardin des Tuileries ou jardin des Femmes aménagé, en 2010. Un jardin aux parcelles rectangulaires dessinées par des briques. Le jardin est très enherbé et les parcelles encore peu jardinées au moment où je l’ai visité. Danielle à la charge du débroussaillage du jardin, de son entretien plus largement et elle anime des séances de jardinage avec des enfants handicapés de l’Institut Thérapeutique Éducatif et Pédagogique (ITEP). Alors que je fais le tour du jardin, Alexis et Danielle planifient et prévoient des ateliers de jardinage avec des scolaires à la cité des Néréïdes Bosquet. Les activités dont ils parlent sont la taille d’oliviers, la formation de cuvettes d’arrosage aux pieds de ces derniers et du tamisage de terre. Je comprends qu’il y ait de l’entretien à apporter à un jardin, néanmoins, j’ai du mal à concevoir qu’on ne puisse occuper des enfants qu’autour de tâches ingrates comme cellesci. Les enfants ne sont pas une main-d’œuvre gratuite et ces activités, outre la taille des oliviers, ne me semblent pas avoir de vraie pédagogie.
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Alexis et Danielle dans le jardin des femmes.
Entre deux visites, Alexis m’amène au square Limite. Il me dit que cet espace sera peutêtre transformé en jardins.
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La Campagne [8] La Réserve [7] Le Verger [6]
Gare de Saint-Antoine
Le Versant [5] d’aou Les sentiers des clients du ctre commercial [4] Les herbes ondulent [3] sous les bourrasques [2] [1]
[9] La résidence de Montléric [10] La bastide de la Guillermy
Parc Brégante
Métro Bougainville
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• De Séon à Bosphore le 28 avril 69
• De Séon à Bosphore le 28 avril Je descends du bus à la Viste [1]. La rue est toujours en travaux pour le passage du prochain Bus à Haut Niveau de Service. Il faut dire que la desserte des transports en commun est mauvaise. Les bus sont très souvent en retard quand ils finissent par passer et de fait trop bondés. Dans le meilleur des cas, il faut jouer des coudes pour monter, dans le pire des cas, le bus ne s’arrête pas. Les trottoirs sont complètement défoncés. Ils attendent d’être élargis, bitumés, qu’on leur installe une jardinière en béton et un arbuste. Le long de l’avenue de Lyon, les travaux de réfection ont déjà été opérés. Je traverse les grilles de chantier, les trottoirs défoncés, la route et entre enfin dans le parc Brégante [2]. Ce parc est un de style anglais aménagé autour d’une bastide du 19e. Le parc est en situation de belvédère sur le littoral. Il n’y a ce matin pas beaucoup de monde, mais je l’ai déjà vu beaucoup plus animé. Des enfants sur les pelouses, sur les jeux, des retraités sur les bancs, des adolescents dans les zones plus excentrées du parc et à l’occasion, des randonneurs. Depuis l’ouverture du GR13, le parc Brégante s’inscrit comme une portion du chemin de grande randonnée. Le plus intéressant étant la manière dont il est connecté au parc de Séon qui le jouxte. On passe d’un parc de style anglais à un parc en délaissé, d’une nature maîtrisée à une nature spontanée par un seul sentier dont le refermement est évité par le piétinement des randonneurs. Un superbe figuier dont les branches charpentées se plient vers le sol, dont la forme fait penser à celle d’une cache, devient en quelque sorte une porte, un repère dans la progression d’un espace vers un autre. Sur la droite, le jardin que j’avais déjà aperçu avec Cécile dans un précédent voyage. Le parc de Séon se découvre alors. Une vaste étendue enherbée au relief d’amphithéâtre. Une posture de belvédère sur le littoral et ses activités, mais aussi sur le centre commercial et sa nappe de voitures stationnées cuisant au soleil. Je monte en haut d’une butte qui domine un peu plus cette partie de la ville. Les herbes sont hautes et balayées par le vent [3]. L’endroit est si reposant. J’aimerais m’installer au milieu de ces herbes et prendre le temps de flâner dans ce cadre, mais il n’en est rien. Le parc de Séon est d’ailleurs l’un des parcs urbains de Marseille dans lequel la ville semble s’être le moins engagée. Ça n’en est pas inintéressant. Le parc apparaît comme un espace finalement neutre de grandes intentions qui laisse deviner quelques pratiques. Il y a ceux qui viennent faire du moto-cross, ceux qui empruntent le parcours sportif, ceux qui randonnent sur le GR13 ou encore ceux qui descendent les talus depuis la Viste pour aller jusqu’au centre commercial Grand Littoral pour y faire leurs courses. Rien n’est aménagé pour les personnes qui descendent et remontent les talus glissants avec leurs chariots de marché [4]. J’ai vu la difficulté qu’avaient les personnes pour faire ces trajets. Il en est de même depuis le jardin du belvédère. Au-delà du jardin, le chemin devient pierreux, instable, difficilement praticable pour tout le monde. Le parc de Séon doit trouver sa place à travers cet usage. Il doit certainement en proposer d’autres. L’espace est tellement vaste et sculpté par les engins qui l’ont nivellé, qu’il pourrait accueillir des espaces jardinés ou récréatifs. Il faut trouver les moyens d’ouvrir davantage cet espace sur les quartiers.
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Page de droite : Le Parc de Séon, ses herbes folles dansantes sous les bourrasques. Double page suivante : Extrait d’Histoire de la bank of paradise ; Plan d’Aou 2011/2013
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Continuant ma balade sur le tracé du GR13, je me retrouve à emprunter le talus de ce que j’ai nommé le Versant d’Aou [5]. Une partie du talus a dû glisser lors d’un fort orage. Le sentier qui continue traverse la pente. Je me retrouve en situation de surplomb sur la cité de la Bricarde avec au-dessus de moi, une ligne de ciel qu’un bandeau rocheux dessine. Au bout du sentier je retrouve le verger qu’ont planté Jean-Luc Brisson, David Onatzky et les habitants du Plan d’Aou. L’endroit a changé depuis la fois ou j’étais venu. Il y a des carcasses de voitures carbonisées sur le chemin, les collecteurs d’eau de pluie, qui assurent l’arrosage du verger, ont été dégradés [6]. Les trappes métalliques qui permettent l’accès aux robinets des réservoirs ont été fracturées. Elles étaient cadenassées. Un canapé est venu prendre place au milieu du verger. Le verger s’enherbe. Au-dessus, les jardins des terrasses du Verduron me renvoient une image mitigée. Il y a une vingtaine de parcelles et pourtant quelques-unes d’entre elles n’accueillent aucune culture. Peutêtre est-ce trop tôt pour les jardiniers ? Peut-être se sont-ils désengagés du jardin ? Derrière, un délaissé potentiellement disponible pour agrandir le jardin. Je sors du Plan d’Aou par la rue Jorgi Reboul puis tournent à gauche sur le chemin des Tuileries. Je traverse le rond-point, franchis la voie ferrée et me retrouve face à une parcelle qui semble préservée d’usages et de personnes. Derrière une clôture s’étend une prairie bordée d’arbres et d’arbustes. Elle semble être là comme une réserve. Inaccessible [7]. Plus loin, derrière l’avenue de Saint-Antoine, je trouve le ruisseau des Aygalades. Il coule un filet d’eau. Je continue sur le chemin des Bourrely jusqu’à atteindre le pont qui traverse l’autoroute du midi. Le balisage me permet de dire que je suis de nouveau sur les pas du GR13. Sur la droite se trouve une vaste parcelle qui semble en friche au nez de l’hôpital nord et de la faculté de médecine [8]. Des blocs de béton gardent l’entrée. Il y a sur une partie du terrain les traces de ce qui devait être les fondations d’un bâtiment. Au-delà, j’ai l’impression de me retrouver dans un pré à la campagne, avec un arbre isolé au milieu derrière lequel fileraient camions et voitures puis les collines. Les herbes sont hautes, la prairie fleurie. Sur une petite partie de ce terrain, je découvre un espace plus fleuri. Des iris, des palmiers, des violettes. Peutêtre y avait’il une maison. J’ai comme l’impression que cet endroit de campagne est resté dans son état depuis de longues années. La seule chose qui me ramène à la réalité du site est le bruit de l’autoroute et la silhouette des véhicules qui traversent mon champ de vision.
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Ici, le sentier des clients dessinĂŠ par des aller-retour entre la Viste et le centre commercial.
Les pentes du Versant d’Aou.
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Je prends ensuite le bus devant la faculté de médecine puis un second avant d’arriver devant la résidence de Montléric. Installée sur un éperon rocheux, elle fait face l’éperon de la Viste et sa cité. Cet endroit est aussi au croisement de plusieurs routes, bretelle d’autoroute et voie ferrée. Des infrastructures qui ont généré des espaces de délaissés [9]. C’est cela que je suis venu voir. Je commence alors par remonter la route par laquelle le bus m’a amené afin de trouver un accès au délaissé qui borde la bretelle d’autoroute. Après m’être faufilé sous un grillage, je marche dans la trace d’un sentier. Ici les mauves m’arrivent au-dessus de la ceinture. En m’avançant sur le terrain en pente, je me rends compte de la qualité de cet endroit. Les vues qu’il m’offre sur la ville et la formation géologique sont simplement superbes. D’un regard on embrasse les cités, les éperons rocheux et le détail veiné du calcaire, on aperçoit la grotte ermitage des Carmes et dans une masse de végétation foisonnante, les tuiles vernies de la Bastide de la Guillermy avec au loin, le littoral et l’île Maïre. Curieux de voir l’état de la Bastide de la Guillermy, je prends la direction du pont de la bretelle d’autoroute avant de descendre la pente en m’agrippant aux genêts. Me voici sur un chemin large, l’autoroute en parallèle. J’ai cette impression d’être minuscule au milieu de platanes centenaires. Ce sentiment s’accentue par la situation vallonnée de l’endroit [10]. Je devine sous les litières de feuilles des escaliers qui conduisaient à des terrasses. C’est ce que je découvre une fois au pied de l’éperon devenu falaise. Il y a ici une clairière, mais ce devait être un espace cultivé. La végétation tend à refermer cette terrasse. Derrière cette bastide il y a ce qui devait être un jardin. D’ailleurs la limite des parcelles est toujours matérialisée par des petites clôtures. L’endroit en déférence tend lui aussi à se refermer. La bastide est quant à elle très dégradée. Elle est taguée à l’extérieure, les murs et portes sont bouchés avec des parpaings que certains ont cassés pour y rentrer. Les tuiles vernies de la toiture ont été dérobées. L’endroit est très bruyant. L’autoroute est à 4 mètres de la bastide derrière une haie de conifères. En face de moi et de la bastide, il y a un garage et un petit immeuble. Du linge sèche aux fenêtres. Un homme en voiture roule jusqu’à moi et descend sa vitre. Qu’est-ce que vous faites ici et comment vous êtes entré ? Je lui explique la situation et il m’invite à m’en aller. Je longe alors la falaise et l’autoroute sur un chemin étroit qui me ramène au village des Aygalades. Je n’ai pas compris qui était le propriétaire de cet endroit. Je pense qu’ils sont certainement nouveaux, car quelqu’un est en train d’installer un portail à l’entrée du chemin. Cet endroit est formidable. Même si la bastide est très dégradée, cette propriété est celle des Marseillais. La bastide est la plus vieille de la ville et potentiellement un lieu d’accueil pour des associations, des services ; les platanes sont centenaires, il y a des terrasses de cultures, de la place pour jardiner, des logements ; tout ça dans un cadre que l’on ne retrouve nulle part ailleurs dans la ville et laissé à l’abandon (jusqu’à présent). Je ne sais pas quel rôle je peux avoir dans la destinée de cet espace s’il est devenu privé. Mais les opportunités d’un tel endroit seraient vraiment valorisantes pour les riverains, les quartiers et la ville de Marseille.
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Double page suivante : Depuis la pente Montléric, la ville magnifiée.
La campagne. Derrière, l’autoroute puis la faculté de médecine.
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La Bastide de la Guillermy est datée du 17e siècle. C’est la plus vieille bastide de Marseille. Elle changera de propriétaires à plusieurs reprises avant d’être louée à la gendarmerie en 1941 puis vendue à l’État en 1957. En 2004 les casernes de gendarme quittent la bastide et elle devient alors l’objet d’un vandalisme mercantile. En 2009 le projet d’en faire un centre d’accueil pour les Roms est refusé par les habitants. Autrefois, le domaine de la bastide était celui d’une campagne bordée par le ruisseau Caravele, actuel ruisseau des Aygalades. À leurs époques, Georges Sand, Alexandre Dumas, Théopile Gautier ou Frédéric Chopin sont venus à la Guillermy en villégiature.
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Carte postale de la bastide de la Guillermy, 1908.
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L’ancien jardin de la bastide.
La demeure est condamnée, pillée, à l’abandon.
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Sur le terrain de la Guillermy, une ancienne terrasse agricole se referme.
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Gare du Castellas Une première friche [1] [2] Une seconde Un homme fait la sieste sous l’ombre [3] d’un orme [7] Une troisième. Une sente la traverse
parc du Grand Sémianire [4] [6]
Un ado de 14 nous force à faire demi-tour
[5]
Gare de Sainte-Marthe
[8] Brochettes et Jardin des possibles
Gare de Picon Busserine Un espace en déférence, [9] entre deux voies ferrées
[11] Le jardin de Gibraltar N
• 18 308 pas le 4 mai
Gare Saint-Charles
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• 18 308 pas le 4 mai J’ai bien peur de devoir passer toute ma vie à courir quand il s’agit de prendre le train. Cette fois-ci, Camille s’essouffle avec moi. Le TER nous amène à Saint-Joseph le Castellas. C’est le début d’un itinéraire que j’ai planifié depuis des vues satellites. J’ai identifié ce qui me semblait être des friches, des parcs, des raccourcis. Cette partie des quartiers nord de Saint-Joseph à Saint-Barthélémy semble très verdoyante. J’ai prévu que nous passerions par la Busserine. J’appréhende. Le soleil est brûlant comme une journée de plein été. Une odeur d’herbe coupée nous prend au nez -ma foi pas désagréable- dès notre débarquement devant la cité de Saint Joseph. Nous ne faisons que l’esquiver. Nous croisons des jeunes, ballon de foot à la main, des jeunes, latents devant la gare, et des moins jeunes devant une épicerie de quartier, bruyants. Une première friche [1]. Jouxtant un énième terrain de foot, la friche est parcourue d’une sente. L’herbe n’y pousse pas. Il y a quelques vieux arbres, dont un chêne vert. Camille ramasse de la camomille. Combien d’autres personnes en ramassent ? Peut-être personne. La clôture qui barrait la sente est à terre. Une deuxième friche, de l’autre côté de la voie ferrée, 100 mètres plus loin de la première [2]. Le long d’une route étroite qui monte vers les collines, les fils électriques d’un générateur crépitent. Ils traversent une vaste zone que l’on croirait entretenue par un paysagiste. Une friche aux herbes rases puis hautes dans une parfaite gradation, coincée entre route et collines. Le soleil réveil les herbes et les fleurs. La friche embaume. Sur le chemin, des herbes, séneçon, chardons, mauves... poussent dans les retranchements des trottoirs le long des murs. Un homme sieste sur un carton [3], sous l’ombre légère d’un orme, au bord d’un espace de stationnement. Boulevard Dorgelès. D’après les vues aériennes, il y a ici un terrain bastidaire très grand. En face des maisons de castors et des grands ensembles. Le terrain est privé. Seuls les arbres franchissent visuellement la limite de propriété. D’une bastide à une autre, nous nous retrouvons dans le Parc du Grand Séminaire [4]. Quelques familles pique-niquent sous l’ombre des tilleuls et des platanes. Le terrain de foot est occupé par des trentenaires en crampons. Récolte de fleurs de sureau. Je m’interroge sur les moyens qui sont investis dans ce parc. Est-ce le lieu de représentation de la mairie et, à ce titre doit-il toujours être impeccable ? Le parc est propre. Une allée de tilleuls semble avoir été plantée récemment. Ce parc n’a rien à envier aux parcs du centre-ville -devenus des réserves foncières.
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Au Castellas, la clôture ne barrera plus le passage.
Derrière le générateur électrique.
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L’itinéraire initial m’ayant échappé, nous essayons de rejoindre la Busserine, mais là deux fois deux voies devient inaccessibles aux piétons. Nous allons traverser la cité sans rien attendre. Les HLM de la cité de Simiane s’ouvrent sur un ensemble de petits collectifs. Les coqs sont en liberté. Les pieds d’immeubles sont envahis d’une nature sauvage. C’est beau. « Viens, viens » ; un minot de 14 ans, un long duvet, m’alpague pour me demander si je cherche à acheter du shit [5]. Je lui réponds que non par deux fois, puis lui dis que nous sommes en balade et que nous allons à Sainte-Marthe. Nous cherchons à traverser la cité. Il nous indique la direction pour sortir de la cité en ajoutant qu’on peut marcher le long de la voie rapide même s’il n’y a pas de trottoir. Nous insistons pour traverser, il se fait menaçant. « Faut pas rester là vous allez avoir des problèmes ! » Nous nous en retournons, amers de nous être fait refuser la traversée d’une cité par un ado de 14 ans. La dérive. Nous suivons les routes qui nous permettent de contourner la cité. Alors que je trouve le parc par lequel je souhaitais passer, une bande de jeunes qui en filtrent l’entrée nous fait nous en détourner [6]. Nous arrivons jusqu’au chemin de Saint-Joseph à Sainte-Marthe. Derrière un tunnel de la voie ferrée, j’aperçois une friche [7]. Elle est coincée entre le talus de la voie ferrée et un ensemble de lotissements installés dans la pente. La friche est fermée par de gros blocs de pierre. Une sente la traverse. Elle passe à côté de quatre gros platanes, morts. Je m’interroge sur les conséquences funestes de ces quatre (au moins) centenaires. Sur le haut de la colline dominent une église et, à côté sur un piédestal, une vierge, qui nous tourne le dos. Il y a encore de la camomille à ramasser. Les platanes me laissent imaginer qu’il y avait ici un alignement. Le sac est rempli. Nous reprenons cette route très passante. Le chemin de Saint-Joseph à Sainte-Marthe. Le trafic est continu. La route est longue. Nous arrivons à La Busserine. Complètement désorienté, c’est la présence de Centre commercial du Merlan qui nous sert de point de repère. Nous entrons dans la cité. Je suis ici pour voir le jardin d’Adam, aménagé par le collectif SAFI et des habitants. Mais la cité semble très étendue. Au pied d’une haie clairsemée, deux hommes parlent entre eux. Ils semblent nous avoir remarqués. Nous les rejoignons [8]. Derrière la haie, un jardin d’immeuble. Il y en a un en bas de chaque appartement. Le jardin est visiblement très utilisé. Le barbecue est encore en train de chauffer. L’homme dont j’ai oublié le nom nous tend des brochettes de viande à travers le grillage tout en nous saluant amicalement. Nous ne le reverrons pas. Son ami, Nabil, se montre un peu plus disponible. « Qu’est ce que vous faites par ici ? Vous êtes des marcheurs ? »Je lui indique que nous recherchons le jardin d’Adam. Il comprend tout de suite et me dit que c’est derrière nous. Sauf que de mémoire le jardin est dans la cité, et nous ne sommes même pas encore entrés. En discutant, je comprends qu’il s’agit du jardin des possibles. Le montant du projet est bien inscrit dans la mémoire de Nabil. Il regrette que ce projet n’ait jamais eu vocation à être pérenne. Pourtant il ne jette pas la pierre à la municipalité. Il continue en nous présentant la Busserine comme une cité familiale et agréable en nous disant que tout se passe bien ici même s’il reconnaît que le chômage nourrit le marché de la drogue. Il n’en dira pas plus.
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Un homme fait sa sieste sous l’ombre d’un orme.
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Le jardin des possibles est un long espace enherbé duquel émerge quelques bacs en osier tressé. Un mur est peint de pochoirs. Un platelage est installé entre deux platanes. Cet endroit deviendra un lieu de stockage durant les travaux de la L2. Non contents de la découverte de cet espace, nous continuons de prospecter pour trouver le jardin d’Adam. Nous ne passerons pas très loin sans toutefois l’apercevoir. Invisible Adam. Sur les pas du GR13. Après avoir emprunté la passerelle piétonne qui traverse l’avenue Salvador Allende, nous nous retrouvons à marcher entre voie ferrée et espaces privés clôturés. Le sentier est balisé GR13. Il traverse la cité de Font-vert et nous amène jusqu’à un espace en désérrance [8]. Une pointe de terre avec un terrain de foot, un parcours sportif, sous l’ombre timide de petits pins. Les herbes sont hautes. Il y avait ici une décharge sauvage. Les blocs de pierre sont là en prévention. Cette pointe se situe entre deux voies ferrées. Boulevard Louis Villecroze. Nous sommes dans la direction de La Belle de Mai. Le relief est perceptible. Sur notre gauche s’élève un massif tantôt habité, tantôt spontané. Quand nous trouvons enfin un accès pour accéder au sommet, il nous conduit alors au jardin de Gibraltar [9].Le jardin est comme un Éden perché au-dessus de la ville. On voit la Belle de mai, la route en aérienne, la mer. Une poignée de jardiniers s’attache à désherber la parcelle collective du jardin. Une parcelle faite de tas de terre et de creux dans lesquels les plantes poussent en pagaille. « Il y avait ici un pêcher. Il a été arraché ce matin avant qu’on arrive » Plus loin on expérimente. C’est une botte de paille arrosée d’engrais dans laquelle poussent des pieds de tomates. Le jardin est aux couleurs de ses jardiniers. Naïf, expérimental, en friche. Je le trouve beau. Cet arpentage m’a permis d’identifier le GR13 comme un lien dans la progression et la traversée des quartiers nord. Il emprunte des endroits où la nature s’exprime, où la complexité des quartiers nord se lit. Les cités deviennent des jalons le long du parcours, les infrastructures routières des limites épaisses qu’il devient possible de traverser par des passerelles. Le GR13 fait le lien entre Marseille et ses quartiers nord. Il invite à parcourir le territoire, à l’observer.
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Quatre platanes morts.
Le long de l’itinÊraire, des passages se posent en raccourci.
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La bastide de Montgolfier La ferme pédagogique de la Tour des pins [4] [2] Le Parc Urbain des Papillons [3]
[1]
Le jardin d’Adam [5]
[6]
Une bande de délaissé L’entre voies [7] [9]
Le parc de [10]Font Obscure
La parcelle de la maison de retraite [8]
Le béton remplace le délaissé [11] [12] N
• Papillons le 13 mai Gare Saint-Charles
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• Papillons le 13 mai J’ai rendez-vous ce matin avec Magali Deschamps-Cottin au Parc Urbain des Papillons (PUP). Elle est à l’initiative de ce dispositif expérimental de recherche sur la biodiversité urbaine. Un trajet que j’effectue en bus pour la première fois depuis le centre-ville. Je profite de ce voyage pour essayer de trouver les indices qui marquent le basculement du centre de Marseille vers les quartiers nord. Mais déjà, le boulevard National est à lui seul une échelle graduée présentant deux facettes de la vie marseillaise. Une population aux revenus moyens aisés d’un côté et en situation de précarité de l’autre. [Mais cette approche s’attache à définir les quartiers nord par la richesse de leurs populations et renvoi à une éternelle confrontation quartiers nord vs quartiers sud, les pauvres faces aux riches] Le trajet dure environ 20 minutes avant que je n’arrive à destination. Le Merlan village [1]. Il faut prendre la direction du chemin du bassin, dépasser la station de pompage et de filtration des eaux de Marseille puis prendre à gauche, franchir un premier portail et continuer jusqu’au second. Derrière, la bastide de Montgolfier. Datés du 19e, cette bâtisse et son parc ont appartenu aux deux -frères- inventeurs de la montgolfière. Depuis 1993 l’ensemble est classé à l’inventaire des monuments historiques. Magali m’accueille très chaleureusement. Elle me parle de cette bastide que la ville doit mettre hors d’eau et d’air et de ce parc classé dans lequel les usages sont très restreints [2]. Un gardien occupe une partie de la bastide pour éviter qu’elle ne soit squat ou davantage dégradé. Nous passons sous des platanes centenaires qui n’ont jamais connu les affres de la taille marseillaise. Elle me conduit au Parc Urbain des Papillons, une prairie expérimentale d’un hectare dédié à l’étude des papillons de jour [3]. L’endroit domine la mer sur sa partie haute, il est bordé d’arbres et de bosquets, les prairies sont spontanées, il y a des canaux d’irrigation qui sont recouverts par la végétation et un bassin d’agrément qui servait de point source pour l’irrigation. Je me sens privilégié. Il n’y a personne qui puisse accéder à cet endroit hormis lors de journées organisées très ponctuelles. Le PUP est un espace d’observation, mais aussi d’information pour le public. Très simplement des clôtures en tressage dessinent des secteurs. On y retrouve des zones de prairie spontanées, des zones plantées avec différentes plantes hôtes et nectarifères pour les papillons et un cheminement en broyage raméal fragmenté. Tout ici est désaménageable. En contre bas de cet espace, il y a la ferme pédagogique de la Tour des pins [4]. Actuellement la ville de Marseille étudie la candidature d’un agriculteur pour la location de la ferme et des parcelles attenantes. L’agriculteur devra assurer une activité agricole, mais aussi satisfaire à l’animation de la ferme auprès du public. En faisant le tour du domaine, je découvre la présence d’une troisième bastide en ruine qui sert de logis à une famille de renards et dont les platanes, également centenaires, sont le nichoir de perruches. Ici le temps semble ralenti alors qu’au-delà des clôtures du parc, la ville bat son plein. Le quartier des hauts de Sainte-Marthe est sorti de terre. Il vient faire pression sur le parc. Il faudra aménager sur le site classé un bassin de rétention des eaux de pluie et élargir une route d’accès au nouveau quartier. Pourtant ce parc recèle un vrai potentiel d’espace public pour les habitants et étudiants (de la faculté de Saint-Jérôme) qui vivent à proximité. L’une des parcelles du parc est d’ailleurs située au-delà de la clôture. Elle vient tirer le parc jusque devant les résidences d’habitations. Cela semble être un élément intéressant dans une future ouverture du parc au public.
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Page de droite : Le Parc Urbain des Papillons, vue sur la mer.
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En voiture, Magali me dépose devant la cité de la Busserine à deux pas du Mc Donalds [5]. Je reviens ici à la recherche du jardin d’Adam. Je longe la Rue de la Busserine comme je l’ai déjà fait, mais cette fois-ci en sens inverse. Dans l’enceinte du centre social du centre Agora, j’aperçois cette fois-ci le nom du jardin sur un panneau [6]. Mon premier sentiment est celui de la surprise. L’endroit est très reposant, agréable, fleuri, jardiné... Aménagé sur les fondations d’un ancien bâtiment, le jardin s’organise autour de fosses ouvertes dans le béton. Il y a des fèves, des cucurbitacées, des aromatiques, de la Valériane et des herbes folles. Je m’installe sous une ombrière à côté d’une cabane à outils et me demande où sont les portes de la cabane. J’apprendrais plus tard, en rencontrant Dalila Ladjal du collectif Safi et initiatrice de ce jardin, que les portes sont faites pour êtres ouvertes. Il n’y a jamais eu de portes et aucun outil n’a été dérobé, la cabane n’a jamais subi de dégradation. Est-ce une preuve de confiance que de laisser les portes ouvertes ou un stratagème pour éviter que cela ne se produise ? Ce jardin est né de la participation des habitants. S’il était autrefois emmené par le collectif Safi, il est aujourd’hui entre les mains du centre social AGORA. Pour la suite de mon parcours j’envisage d’aller vers le métro de Saint-Juste afin de me rendre compte du contexte urbain, de la population et voir si les quartiers nord se sont étirés jusque dans ce secteur de la ville. J’emprunte d’abord la passerelle puis le chemin qui passe le long la voie ferrée. Un endroit par lequel je suis déjà passé [7]. Je cherche des trous dans le grillage, des passages qui auraient pu me permettre d’aller voir ce que je crois être un terrain de foot de fortune (depuis une vue aérienne), mais je n’y parviens pas. Plus loin, gardant en mémoire des espaces que j’ai exploré avec google maps, je me retrouve devant la rue de la maison de retraite médicalisée Saint-Jean de Dieu. Une rue en sens unique qui ne me permet pas d’accéder à une prairie en pente [8]. Elle doit être la propriété de la maison de retraite. Le grillage est trop haut pour pouvoir passer au-dessus. Si cet endroit garde le mystère, je découvre entre l’avenue Claude Monet et les parcelles de la maison de retraite et d’une résidence une longue bande de délaissé plus large que la chaussée et ses trottoirs [9]. Je ne sais pas à quoi se résumerait une intervention sur ce type d’espace. Mais peut-être que même sans moyens il est possible d’enlever le grillage qui empêche l’accès de se délaisser, et faucher un chemin qui permettrait de quitter un trottoir étroit pour un sentier parallèle. D’autant plus que cette bande de délaissé se trouve être sur le parcours de l’Entre voie et du parc de Font Obscure. Dans la projection d’un projet de territoire, ce type d’espace est peut-être à considérer comme un relais entre plusieurs espaces de nature. C’est d’ailleurs au parc de Font Obscure que je me rends [10]. Son point culminant est un vrai belvédère sur la ville offrant une vue très étendue du massif du Marseilleveyre jusqu’audelà de l’Estaque. Le parc est plutôt organique. Il s’étend, par une continuité des espaces arborés, enherbés et par la présence de sentier jusqu’aux résidences les plus proches. Je redescends le parc jusqu’à la sortie qui jouxte l’usine Panzani côté Avenue Corot. Un
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Derrière les Valérianes insolentes, la cabane à outils du jardin.
En contrebas du PUP, les parcelles de la ferme pédagogique de La Tour du pin.
Entre l’avenue Claude Monet et la maison de retraite.
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Le jardin croît sur les vestiges de ce qui devait être une cour, une maisonnette ou quelque chose d’autre. Les valérianes du béton perforé. Le jardin s’ébat de la pionnière (valériane) et des cultures de fèves, de choux, de basilic et de persil. Je me sens bien ici. Même si la culture potagère n’est pas celle que j’ai pu rencontrer dans les jardins ouvriers, le lieu semble être en paix. Le jardin est peut-être devenu un prétexte pour venir s’installer au soleil et discuter autour d’un verre. Je ne verrais personne venir jardiner et personne tout court. Je ne longtemps et peut-être ne suis-je pas là à la bonne heure. La table sur laquelle je me suis installé est ombragée par une pergola de canne de Provence sur laquelle une vigne s’entrelace. Tout ici est agréable. L’endroit, le cadre, la chaleur. Un éden au milieu des tours.
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Bacs de semis au jardin d’Adam.
ValĂŠriane envahit les parcelles jardinĂŠes.
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aqueduc sort du parc et rejoint l’un des bâtiments de l’usine. En m’avançant toujours plus dans le quartier je me rends compte de son organisation. Il y a beaucoup de maisons individuelles avec jardins et pas de transport en commun. Tout le monde ici doit prendre sa voiture. Sur le Boulevard Lacordaire, qui n’a de boulevard que le nom, les pins et les arbres des jardins participent à l’ambiance de la rue. Après quelques déours je me trouve sur l’avenue des Chutes Lavie. Ici les grues et les ouvriers participent à combler les espaces libres que constituaient les délaissés [11]. Dans une ville où les espaces agricoles ne sont plus disponibles pour s’étendre, il semble logique d’urbaniser les dents creuses et les espaces vacants. Mais qu’adviendrait-il de la ville si elle devient totalement imperméable et sans nature ? Qu’adviendrait’il si même les parcs comme celui du Palais Longchamps finissent dévorés par des opérations immobilières ? Ma balade prend fin au métro Saint-Juste [12].
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• Magali Deschamps-Cottin. Responsable du Parc Urbain des Papillons (PUP), écologue au LPED (Laboratoire, Population, Développement, Environnement) Rencontrés le 13 mai 2014 9h15 au Parc Urbain des Papillons Le Parc Urbain des Papillons occupe une parcelle de1 hectare sur le domaine de la bastide de Montgolfier qui en compte environ 8,5 hectares. Le PUP est aménagé très simplement dans la pente du terrain. Il présente des parcelles témoins qui ne sont pas fauchées et des massifs plantés avec des plantes hôtes et nectarifères. Des variétés de plantes aux hauteurs et rôles différents pour que les différentes espèces de papillons puissent y trouver les conditions de leur maintien. L’objectif de ce projet étant d’observer l’évolution des communautés de papillons de jour. Magali qui m’accueille au portail du parc de Montgolfier me raconte l’histoire de la bastide et du terrain avant d’en venir au PUP. L’ensemble du domaine est classé à l’inventaire des monuments historiques depuis 1993. La bastide a subi les assauts du temps et des dégradations humaines, mais la municipalité à l’obligation de la mettre hors d’eau et d’air. Autant dire qu’elle à la charge d’engager des travaux de réfection des toitures et des huisseries. Un projet couteux qu’elle n’a pour le moment pas les moyens de réaliser. Pour autant, l’absence d’usage sur le domaine à permis au projet de Magali de voir le jour. «En partenariat» avec la ville de Marseille et financé par GrDF, le PUP naît en 2010 et est inauguré en 2012. Avec l’aide du collectif Safi et du lycée d’aménagement paysager des Calanques, ils réalisent la mise en scène du parc, dessinent les cheminements, le mobilier, les panneaux d’information et installent de nouvelles plantations. À travers le décryptage de l’aménagement du parc urbain des papillons, Magali me fait partager ses connaissances sur les lépidoptères. Elle m’explique qu’un milieu en friche est davantage riche en biodiversité s’il est traversé ou s’il est en partie fauché. Logiquement, les espèces végétales s’adaptent aux conditions auxquelles elles sont soumises. Cette diversité de plantes s’accompagne d’une diversité de la faune. D’une part, les friches ont un réel impact dans la ville, car elles participent à la dissémination des espèces florales et de leur cortège faunistiques. D’autre part, une friche qui serait soumise à des pratiques modérées d’usages, laissant une place à une nature spontanée, serait davantage riche en biodiversité.
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N
[1] Le jardin des rails [2]Les Grandes Tables
• Au jardin des Rails le 26 mai Gare Saint-Charles
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• Au jardin des Rails le 26 mai La friche de la Belle de Mai est un lieu qui m’est familier. Depuis mon arrivée à l’ENSP, cet endroit est devenu mon lieu de jardinage. Cela fait maintenant quatre années que je pratique l’endroit et que j’ai pu le voir évoluer. Il y avait au début un tas de gravats, avec un peu de terre, beaucoup de pierres, de briques et des déchets en tout genre. Lors d’un workshop intitulé village de ville, en compagnie d’architectes nous avons trié les déchets et fait émerger ce qui deviendrait notre le lieu de jardinage. Un jardin avec des plantes de récupération héritées, de poubelles, de dons et de bouturages et de semis. Un jardin où s’épanouissait les adventices, mais aussi le potager. C’était l’époque de la valse des légumes où les tomates gorgées de soleil l’étaient aussi en métaux lourds. C’est du moins ce qu’on a pensé en découvrant que le substrat que nous nous efforcions d’enrichir était chargé en métaux lourds. Après trois années à gratter ce sol, il sera évacué. Dans le même temps, la friche a vu naître son premier jardin. Le jardin des rails [1]. Un projet conduit par Jean-Luc Brisson et David Onatzky. Un jardin qui s’est agrandi et a remplacé ce qui était le village de ville et mon lieu de jardinage. Les parcelles jardinées profitent aux habitants du quartier de la Belle de Mai. Le lieu culturel et underground qu’est la Friche de la Belle de Mai est devenu un lieu ouvert à tous. Les gens jardinent, ou empruntent le jardin dans leur déplacement. Il s’inscrit comme un lieu public. Le jardin des rails est un lieu d’expérimentation. Il n’est pas conventionné à être un jardin partagé, ouvrier ou familial. Il est un lieu où on se plait et où chacun cultive librement ce dont il a envie. Les parcelles sont joyeuses et respirent l’ingéniosité. Des mini ombrières pour les plantes sensibles à la lumière et à la dessiccation, des jardinières empilées à la façon d’un immeuble, des cônes de chantiers devenus pot de fleurs... Le jardin fait le lien entre les jardiniers, mais aussi entre les lieux. Il est comme un trait d’union entre la Friche et le quartier Belle de Mai, entre les deux entrées de la Friche, entre la villa des artistes et les terrasses du restaurant Les Grandes Tables [2].
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L’extension du jardin des Rails.
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• David Onatzky. Paysagiste DPLG, encadrant des séances de jardinage à l’ENSP Rencontré le 26 mai 2014 à la terrasse des Grandes tables de la Friche de la Belle de Mai David est un ancien étudiant de l’ENSP diplômée depuis 3 ans maintenant. Avec Jean-Luc Brisson ils sont à l’initiative du jardin des Rails. Un jardin qui s’intègre au programme des quartiers créatifs de Marseille-Provence 2013. À travers l’échange que j’ai avec lui, je comprends quelle est la place du jardin des Rails et son ambition. Aménagé en lieu et place de ce qui était le village de ville, le jardin se veut être un trait d’union entre la Friches de la Belle de Mai et son quartier, les lieux et les personnes qui gravitent autour. « Le jardin des Rails n’est pas conventionnel. Il s’inspire de l’esprit de la Friche. » Sans intellectualiser le jardin, David m’explique qu’il cherche à bousculer les jardiniers dans leurs actions afin qu’ils regardent le jardin différemment d’un simple lieu de production potagère et légumière. Ainsi le jardin laisse apparaître des immeubles de fraisiers, des suspensions étagées de jardinières en bouteilles avec réservoirs d’eau... Le jardin foisonne d’initiative et de bonne volonté. Il est beau à regarder et renvoie une image positive de la Friche, de lui-même et des jardiniers. David ajoute que dans ce projet il essaie de garder sa place de paysagiste sans spécialement aller vers une démarche sociale. Les parcelles sont d’ailleurs attribuées selon des critères de proximité avec le jardin et non de situation sociale. J’en profite pour qu’il me parle du projet de Bank of Paradise qu’il a également réalisé avec Jean-Luc Brisson au Plan d’Aou. Le projet s’est notamment formalisé autour d’un verger de figuiers, de câprier et d’amandiers dans la pente du Versant d’Aou. L’idée de l’aménagement était de s’inscrire dans la tradition de la cueillette et du glanage. Le verger ne demande pas d’entretien, il peut se faire oublier avant un accaparement des habitants qui viendront le récolter. D’une manière générale David me dit que pour travailler avec les habitants dans un projet à dimension participative, il faut gagner leur confiance et avoir le soutien d’une personne influente de la cité pour se faire entendre. Nous avons donc la nécessité, en tant que paysagistes, de bien communiquer sur qui nous sommes et quels sont nos outils. Il ajoute que les habitants sont souvent dans une logique de confrontation et de résistance face aux pouvoirs publics.
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MARSEILLE ET LE NORD UNIS 108
Page de droite : Vers un Marseille Unis Image : L’ESTAQUE, L’EMBARCADÈRE de Georges Braque 1906 Musée National `d’Art Moderne, Paris, Huile sur toile
• Soutenance vendredi 4 juillet, 14 h Cette présentation est pour moi l’occasion de faire un retour sur l’apprentissage que j’ai fait des quartiers nord de Marseille. Le moment de partager ma vision de cette partie de la ville et d’exprimer les visions d’avenir que je porte sur le territoire marseillais. Mais il me faut avant tout témoigner du paysage que j’ai rencontré. « Il y a beaucoup de jardins qui laissent deviner la richesse des initiatives sociales des quartiers nord. Et puis il y a tous ces espaces de délaissés. Quand on arrive du centre-ville, cela me fait penser à un poumon vert à cause de cette profusion de nature. Mais ici, personne ne la voit. Elle n’existe pas ni même les lieux qui la contiennent. Je me suis dit que nommer ces espaces c’était les faire exister. Alors j’ai commencé à dresser des fiches d’identité. J’ai donné des noms aux espaces en référence à ce qu’ils m’évoquaient (« l’Entre voies », « la Campagne » ) je les ais mesurés, j’ai regardé quelles étaient leurs situations, leurs accessibilités et j’ai cherché à voir dans quel environnement ils s’inscrivaient. En décrivant un périmètre de 300 mètres autour de ces parcelles, ce qui correspond à la distance acceptable de marche pour un homme, j’ai voulu savoir ce qu’on pouvait trouver à proximité, qu’il s’agisse d’autres parcelles, de cités, d’écoles, d’arrêts de bus ou même de parcs... Déjà je pensais que la somme de ces délaissés et espaces jardinés, ainsi que tout ce qu’ils rapprochaient et raccrochaient pouvaient nourrir un projet d’aménagement paysager. (cf : Illustration de la double page suivante) J’ai poursuivi un temps un travail de collecte d’informations à travers les lectures et les rencontres. Et puis j’ai herborisé. J’ai prélevé des échantillons sur les parcelles afin de me rendre compte de la diversité végétale. La flore semble s’être harmonisée à l’ensemble des espaces que j’ai rencontré. Çà et là poussent les plantes du glanage, celles que l’on cueille pour en faire des infusions, des potions et remèdes. Cette richesse apparente des espaces de nature, liée à leurs origines, au contexte économique..., est finalement renforcée par les plantes elles-mêmes. Chacune d’entre elles peut être le trésor d’un chacun. La question qui m’a accompagnée était de savoir comment cette somme d’espaces de natures, de zones habitées, de services, etc. pouvait fédérer un projet de territoire. Comment avec ce projet il devient possible de réunir la ville avec ses quartiers nord pour qu’ils ne forment qu’un seul Marseille, UNIS ?
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La découverte des quartiers nord m’a fait prendre conscience d’un état de beauté de cette partie de la ville. La spontanéité de la végétation, les situations de points de vue que créent les reliefs, l’ambiance de certains secteurs habités contrastent avec les clichés qu’il est facile de se représenter. Alors quels moyens ai-je pour donner envie aux personnes du centre-ville de rejoindre le nord afin qu’ils découvrent à leur tour les richesses et beautés cachées de ces quartiers ? Et qu’est-ce que ce nouvel état de la ville peut apporter aux uns et aux autres en terme d’usage, de partage et de dessein du territoire ? J’ai trouvé une partie de la réponse à travers ma propre pratique du GR 2013. Celui qui permet de traverser les différentes entités du paysage marseillais provençal permet brièvement de saisir, entre le centre-ville urbain dense de Marseille et les massifs collinaires, la complexité des quartiers nord. Le GR file. Il donne à voir, mais pas à vivre. Je voulais aller plus loin, sortir du balisage et me perdre à explorer. J’ai alors esquissé ce que pourrait être ce projet d’aménagement paysager territorial. Une maille, une toile, une continuité écologique et humaine. J’ai dans l’idée que ce réseau permette depuis une gare, un arrêt de bus, une cité, de rejoindre un espace de nature, un parc ou un délaissé. Cette continuité écologique et humaine offrirait la possibilité de parcourir le territoire sans heurt avec les grandes voies de transport. Mais, à l’échelle du quotidien, comment celle-ci pourrait-elle servir l’habitant ? Quelle facilité de déplacement pourrait-elle permettre, quelle qualité de paysage pourrait-elle offrir ? »
Des continuitĂŠs ĂŠcologiques et humaines structurantes.
Accrocher, rapprocher. Émergence du projet du territoire.
La notion de continuité écologique et humaine La notion de continuité écologique et humaine dont j’use se fonde sur deux notions dont seule la première est existante. La continuité écologique. Elle vise à favoriser le déplacement des espèces entre les habitats favorables dispersés sur leur aire de répartition (la zone géographique ou une espèce est présente). Chaque espèce, voire chaque population a des l‘approche, l’habitude a été prise de raisonner à l’échelle de grands types de milieux naturels : on parlera ainsi d’un réseau écologique; forestier, aquatique, etc. Les continuités une première étape qui va dans le sens de la préservation de cette continuité serait la plantation d’essences variées, en cohérence du site, aux endroits de ruptures. Dans le cas de la ville de Marseille, il s’agit d’un réseau écologique urbain dont les principaux éléments sont les parcs et jardins publics, les espaces de délaissés, mais aussi les jardins individuels. En ce qui concerne la seconde notion, la continuité humaine, je l’ai pensée sur la même logique que la précédente. La continuité humaine est un continuum qui permet à l’Homme de se déplacer de manière aisée dans un territoire. Aussi, la continuité humaine s’affranchit, autant qu’elle le peut, des ruptures que créent les grands équipements de communication. Elle offre des solutions pour faciliter la progression douce (modes de déplacement doux) dans un territoire. Il peut alors s’agir de solutions en terme d’aménagement urbain (création de promenades, de connexions entre la continuité humaine et les espaces de vie et de loisir, aménagement de haltes offrant points d’eau et espace de détente à distance régulière, balisage), mais aussi de non-aménagement. Pour cela, la continuité humaine s’appuie écologique.
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La carte ci-contre fait apparaître la trame des espaces de nature dans les quartiers nord, ainsi que les premières continuités viables que j’ai pu observer et relier. Par leurs qualités paysagères, leurs situations, leurs capacités à nous détourner des axes de circulations passants, ces bribes de continuités écologique et humaine sont les premières amorces d’un projet de plus grande ambition. Un projet d’aménagement paysager et urbain de dimension territoriale. Il serait alors tout à fait concevable d’imaginer qu’avec la poursuite de ce travail, davantage de continuités émergent. Elles seraient aussi différentes que les lieux qu’elles traversent et nécessiteraient plus ou moins de moyens, humains et financiers, pour véritablement exister. Le rôle de ces continuités serait multiple. Elles favoriseraient davantage de déplacements doux, seraient une constituante essentielle aux projets de trames vertes et bleues et permettraient d’améliorer le cadre de vie des riverains. La carte montre, au regard du travail que j’ai pu engager et des explorations que j’ai menées, quelles sont actuellement les premières continuités écologiques et humaines structurantes au cœur des quartiers nord de Marseille. Afin de saisir au mieux l’intérêt de ces continuités à l’échelle de l’habitant, les prochaines pages, à travers un focus de la zone repérée sur la carte ci-contre, vont présenter les différentes propositions de projets que j’ai formulées. La zone repérée s’étend du parc de Séon, en passant par le quartier de La Viste, jusqu’aux massifs collinaires. Les questions qui m’ont accompagnée durant ce travail de réflexion ont été de savoir, tout d’abord en tant que Marseillais à la découverte de mon territoire, comment je vais pouvoir aller d’une zone urbaine à un milieu naturel (les collines) en empruntant un itinéraire aménagé favorisant un déplacement aisé et une qualité de paysage ? ; et comment, en tant qu’habitant des quartiers nord, je vais pouvoir profiter, directement et indirectement de cet aménagement qu’est la continuité écologique et humaine ? Le document de la double page suivante, Entre Séon et les massifs collinaires ; des projets d’aménagements paysagers adaptés permet de repérer les neuf lieux qui me sont apparus comme essentiels pour la constitution de ce projet de territoire. Neuf lieux, identifiés de a à i, pour lesquels s’en suivra une désignation des enjeux ainsi que des propositions d’aménagement paysager.
Page de droite : Une première lecture des continuités écologiques et humaines Double page suivante:
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117 N 0
0,2
1 km
Plan d’aou
Quartier
de la Viste
Parc de
Seon
Le Parc de Séon : vers un lieu de vies et d’initiatives
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#i Le belvédère de la Viste : d’un pied d’immeuble à un lieu de vie
#h
Sur le chemin de la Mûre : pour un usage piéton de la ville
Assurer la continuité écologique : point de basculement
#a
#b
Parcourir les pentes de Montléric : le bar à Mauves, prétexte à l’observation
#c
#e
#d
Emprunter le jardin de Varella : une situation à réinventer Varella : au-delà les murs, par delà la voie ferrée
#f Les jachères de la
Guillermy : réappropriation des terres arables
#g
Cimetière des Créneaux : un espace à parcourir
des quartier es Aygalad N 0
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200 m
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Assurer la continuité écologique : point de basculement J’ai essayé d’imager ce que pourrait être le basculement entre les collines et la ville, entre la ville et les collines. Une articulation qui ferait se croiser ceux et celles qui vont marcher dans les massifs calcaires et les autres qui en (re)viendraient, pour suivre la direction de la ville. Une articulation qui se comporterait comme un seuil et encore plus comme un haut lieu. J’ai pensé, à travers la continuité humaine, qu’il fallait donner les moyens à chacun de pouvoir progresser dans le territoire. L’espace que j’ai dessiné, en se sens, offre l’accès à un point d’eau potable, mais aussi à un espace aménagé, planté, qui permet au tout un chacun de s’installer et de faire une halte. L’idée ici développée d’un espace de halte avec un point d’eau est un principe fondamental de la continuité humaine. L’eau est en quelque sorte le carburant de l’Homme. En multipliant ce type d’espaces aménagés, l’objectif est de constituer à l’échelle du territoire de réelles étapes. Il s’agit de donner les moyens, à travers ce type d’aménagement, aux Marseillais et plus largement, d’une progression facile et facilité de leur territoire.
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#a
Assurer la continuitĂŠ ĂŠcologique et humaine ; Basculement.
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Sur le chemin de la Mûre : pour un usage piéton de la ville Le chemin de la Mûre est un axe qui m’interpelle en tant que paysagiste et piéton. Il faut dire qu’il illustre parfaitement l’importance de la voiture dans la ville et dans le quotidien des Marseillais. Alors qu’il traverse un quartier résidentiel ou les propriétés ont, il semblerait, toutes la capacité d’accueillir le stationnement d’au moins un véhicule, le chemin de la Mûre reçoit de part et d’autre de sa voirie du stationnement. Le piéton est renvoyé sur des trottoirs étroits jonchés de poteaux électriques, téléphoniques et d’autres signalisations. Cette situation est un fait plutôt représentatif de ce qu’est capable de produire une urbanisation pensée autour de la voiture. Afin de conduire au mieux cette idée de continuité écologique et humaine, j’ai défini un principe applicable à cette rue et à d’autres, qui permettrait de mieux gérer la place du piéton, de la voiture et du paysage. Ce principe énoncé sur la page de droite, doit permettre, une fois appliquée, de réduire voir de supprimer le stationnement des véhicules à des endroits définis afin de pouvoir ménager des promenades piétonnes généreuses pouvant être accompagnées de plantations.
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Principe
2m
4,8m
1,3m
DĂŠfinition des nouvelles emprises de voiries et de promenade.
3m
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Emprunter le jardin de Varella : une situation à réinventer
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Le jardin de Varella est un espace public pour lequel j’ai fait la constatation d’un manque d’entretien et de fréquentation. Il est difficile à percevoir puisque ses deux entrées/sorties sont mises à distance d’abord par un vaste espace imperméabilisé sur sa partie haute et aussi, par la présence de la voie ferrée qui traverse le quartier des Aygalades. La localisation du jardin de Varella est toutefois idéale, car elle permettrait, en cas de concrétisation du projet de continuités, de délester les piétons des voiries vers Varella, et de manière plus générale, vers des parcs et jardins. La reconsidération ainsi apportée au parc lui permettrait d’évoluer à plus d’ouverture sur la ville et de retrouver une dynamique de ses usages. Dans cette idée de faire évoluer le jardin de Varella, j’ai défini différentes interventions localisées sur la carte de la page ci-contre. Sans toutefois toutes les développer ici, la première intervention consisterait à travailler sur l’entrée amont du parc. J’ai esquissé à travers une succession de bornes de pierres, un nouvel accès, perméable à la végétation et aux personnes. Un contre-pied total a ce qui existe aujourd’hui. La forme courbe de la nouvelle limite du jardin doit, de manière plus ou moins exagérée, brouiller la limite du parc et de la continuité écologique et humaine. Ainsi on ne traverse plus tel ou tel espace, mais la continuité devient une partie de ces espaces. J’ai également porté un intérêt à la gestion du jardin. Si actuellement l’entretien semble négligé, par manque de moyens sans doute, il est peut-être intéressant à l’avenir de considérer Varella comme la constituante d’un réseau de nature que les continuités écologiques et humaines relieraient. Aussi la superficie d’espace de nature à entretenir deviendrait plus conséquente. Pour cette raison je pense qu’il serait légitime de faire évoluer une partie des zones de pelouses, qui souffrent d’ailleurs d’une absence d’irrigation, vers des massifs plantés avec des espèces méditerranéennes. D’autre part, la tonte des pelouses du jardin et plus largement pourrait être effectuée par un petit troupeau de moutons. Empruntant la continuité pour se déplacer, ils iraient de jardins en friches, de friches en pieds d’immeubles. Installée à la ferme de la tour des Pins, chacune de leur sortie serait un petit évènement. 124
Jardin de Varella : énonciation des grands enjeux
Travailler la perméabilité du végétal et de l’humain
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Varella : au-delà les murs, par delà la
voie ferrée
Sur cette dernière partie basse, la voie ferrée s’inscrit comme une rupture dont le seul moyen de franchissement est une passerelle. Il est à noter qu’avant 2008, comme l’illustre le schéma de la page suivante, la voie ferrée n’était pas aussi active qu’elle l’est de nos jours. Il n’y avait alors pas de passerelle, mais une route davantage tentaculaire qui permettait de desservir toutes les directions. Actuellement les traces de cette ancienne route sont toujours bien présentes. Elles dessinent au sol un vaste espace imperméable et sans usage. L’objectif que j’ai défini est d’étirer le jardin de Varella au-delà son mur d’enceinte et même, au-delà de la voie ferrée. Il s’agirait de retrouver une meilleure lecture du parc, mais également de lui donner une véritable présence dans le quotidien des habitants et de ses usagers. Parce que cet endroit est stratégique dans la progression de la ville et le déroulement de la continuité écologique et humaine, il semble intéressant de définir une zone piétonne qui ferait le pont entre la passerelle ferroviaire qui mène au jardin Varella et la cité de Montléric. Aussi cette zone piétonne pourrait accueillir les arrêts de bus, actuellement en bord de route, au cœur d’un espace aménagé pour le piéton. 126
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L’histoire d’une route qui n’attend plus rien
Espace piéton, arrêt de bus, nature infiltrée dans le pavage.
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s e l r i r u , e s o : d e c c r v s i a e r t P en tlé Mau p on r à à n M ba xte atio le réte erv p obs l’
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Les pentes de Montléric sont le plus bel endroit que j’ai pu rencontrer. Un endroit duquel on peut lire une partie du relief des quartiers nord. Il y a ainsi l’éperon de la Viste qui fait face à celui de Montléric, et entre les deux, un effondrement rocheux ou coulait, avant les travaux de l’autoroute dans les années 70, le ruisseau des Aygalades. Depuis le haut de la pente, cerné par les mauves, le regard se perd à observer la ville bouillonnante, la mer puis les îles Maïres, lointaines. Plus proche de moi, c’est le spectacle des platanes centenaires qui dissimulent la plus vieille demeure de Marseille, la bastide de la Guillermy. Cela m’a pris du temps d’observer puis de dessiner ce qui m’était offert. Parce que cet espace et ce qu’il offre à voir nécessitent plus d’attention que le simple fait d’y passer, j’ai imaginé, avec l’idée du glanage, qu’il fallait installer ici un bar à Mauve. Son principe de fonctionnement est expliqué sur la page suivante. Le temps nécessaire à récolter les fleurs de mauves, à les faire infuser avant d’en boire l’eau serait le temps nécessaire pour l’observation.
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Et puis viendra le temps de descendre la pente pour continuer la progression. Aussi sur ce second point j’ai esquissé ce qui serait un escalier multifonction( voir deux pages plus loin). Il serait évidemment un escalier, mais aussi une rampe et un toboggan. J’ai davantage cherché à esquisser un objet qui réponde à la contrainte de la pente pour une accessibilité de tous les publics.
Bar à Mauves, principe et mode d’emploi.
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Un genre d’escalier rampe toboggan.
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#f Les jachères de la Guillermy : réappropriation des terres arables La bastide de la Guillermy est la plus vieille bastide de Marseille encore debout. Pour revenir sur l’histoire de la bastide de la Guillermy, se référer à la page 82. Actuellement une partie de ses abords est en friche. Il s’agit d’un ancien potager et d’une parcelle en restanque le long de l’éperon rocheux de la cité de Montléric. Alors que la bastide est en déshérence, mais que les bâtiments attenants semblent avoir trouvé preneurs, j’ai pensé qu’il était du devoir de la Municipalité de se saisir de cette bastide et de tout ou partie de son terrain. D’abord dans un rôle de préservation du patrimoine architectural et patrominial, l’investissement considéré pourrait également permettre de faire évoluer cet endroit en un haut lieu de culture, de loisirs et de nature pour les habitants des cités environnantes et tous les Marseillais. Dans cet esprit, je ne l’ai pas représenté ici, il serait intéressant, à la manière du jardin du musée du Quai Branly à Paris, de dresser un mur en paroi de verre qui viendrait étouffer les bruits de l’autoroute et apporter plus de paix à la bastide. Avec moins de moyens, l’autre idée que je porte est celle de la réappropriation des parcelles enfrichées par les habitants, à travers une ou des associations afin de faire émerger des pratiques de cultures et tous les bénéfices qui en découlent.
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La Guillermy, cultiver la terrasse.
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Cimetière des Créneaux : un espace à parcourir
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Dans le déroulé du projet de continuité écologique et humaine nous avons quitté les collines pour gagner le parc de Séon. Le franchissement de l’autoroute correspond à la moitié du parcours. Une autoroute que l’on franchit par un tunnel. Dans l’impossibilité de proposer une autre forme de traverse piétonne de cette autoroute, le paysagiste peut sans doute travailler à en améliorer les conditions. Le cimetière des créneaux est installé dans la pente formée par l’éperon de la Viste. En contrebas il y a le ruisseau des Aygalades, en amont, la cité de la Viste. La situation du cimetière est donc importante, car elle pourrait permettre de faire le lien entre le tunnel de l’autoroute A7 qui conduit à la bastide de la Guillermy, et de l’autre côté, la Viste et puis le parc de Séon. En faisant le choix de le traverser, je vise une désacralisation du cimetière et de sa forme. Il serait facile et peu couteux d’y aménager des marches et rampes qui iraient rejoindre le niveau des cités. Je pressens déjà les réponses négatives d’une telle ouverture d’un cimetière sur une cité. Dégradations, pillages, etc. Dans ce cas, et à la manière de certains parcs, il pourrait y avoir des portails qui seraient ouverts et fermés à certaines heures de la journée. De l’autre côté du ruisseau des Aygalades, en face le cimetière, se trouve une parcelle en pente contre l’autoroute, attenante à une briqueterie. Pour se remémorer la nature et les enjeux de cette parcelle se reporter à la balade du 7 octobre avec Hôtel du Nord page 28. Cette parcelle actuellement en friche pourrait faire l’objet d’une ouverture au public. Profitant des figuiers qui sont déjà implantés, il serait intéressant de planter d’autres arbres et essences fruitières afin de créer un verger. Un verger au bord de la cascade des Aygalades qui pourrait profiter aux habitants, plusieurs fois par an, lors de grandes récoltes collectives.
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Photo de Fr.Latreille http://commons.wikimedia.org/ wiki/File%3AAygalades-cimeti%C3%A8re-vue-ville.JPG
Le cimetière des Créneaux : un espace à inscrire dans le projet de continuité écologique et humaine
Faire émerger le verger dans la pente de l’autoroute.
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#h
Le belvédère de la Viste : d’un pied d’immeuble à un lieu de vie 136
La cité de la Viste est en situation de belvédère. Derrière les tours, au bord de l’éperon rocheux qui la porte, la cité phocéenne se dévoile jusqu’aux massifs collinaires. Pourtant il y a ici des treillages qui donnent l’impression d’être comme un animal en cage, des bancs qui regardent les immeubles et des pieds d’immeubles délaissé des habitants. Pour relire le moment de la découverte de cet endroit, rendez-vous page 60. Mon envie était de faire tomber ces clôtures. La situation de promontoire est telle qu’elle mérite qu’on s’y arrête et qu’on la donne à voir. À travers la redéfinition des pieds d’immeubles de la cité de la Viste, j’ai cherché à concilier l’esprit de découverte du territoire, pour qui emprunterait la continuité, avec la valorisation des personnes qui vivent dans ces cités. Aussi j’ai esquissé en lieu et place des espaces de pieds d’immeubles délaissés de la cité, un vaste espace récréatif où la clôture est remplacée par un garde-corps, ou les sèche-linges bleus deviennent des supports pour des jeux d’enfants, sur lesquels on peut faire grimper des plantes, un espace où les herbes hautes font place à des jardins. Le belvédère de la Viste serait un levier pour sortir la cité de son cul-de-sac en la rendant traversante aux piétons. En drainant un nouveau flux de personnes, on pourrait envisager qu’il existe des groupes d’habitants qui organisent des visites de leur cité et fassent partager leurs réalités des quartiers nord. Et puis ce serait aussi de potentiels clients pour des petits commerces, des cafés, etc.
Pied d’immeuble avec vue sur la Bonne Mère.
Retirer les treillages, installer le garde-corps.
Le belvédère de la Viste : d’un pied d’immeuble à un lieu de vie.
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Améliorer les conditions de vie dans la cité : reculer le stationnement des pieds d’immeubles, réaménager l’îlot des commerçants.
Sur la vignette du dessus, l’état actuel du stationnement en pied d’immeuble. La seconde vignette illustre un recul du stationnement ainsi que l’installation d’ombrières pour y stationner les véhicules.
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Par ailleurs j’ai aussi fait le constat, en me baladant à l’intérieur de la cité, de la prédominance de la voiture. Les véhicules sont stationnés en masse jusque devant les immeubles. Ainsi on passe du parking, un espace collectif, à l’immeuble, un autre espace collectif, de sa voiture, un lieu privé, à son appartement, un autre lieu privé. La proposition que j’ai formulée sur la page de gauche vise à créer un recul entre les pieds d’immeubles et le stationnement. On pourrait dégager une bande de 5 à 10 mètres, plantée, ombragée. De la même façon, on pourrait installer des ombrières sur les places de stationnement que l’on couvrirait de grimpantes. L’objectif étant de pouvoir ouvrir sa fenêtre et ne plus avoir une vue sur les voitures. De manière plus abstraite, j’ai proposé de reconstruire de nouveaux locaux pour les commerçants et le centre social. Le bâtiment offrirait en sous-sol du stationnement, un premier niveau avec tous les acteurs de la cité et enfin, un toit-terrasse qui serait à considérer comme une grande place de village.
Un nouvel ilot commerçant, un toit-terrasse comme une place de village. C’est le temps de la grande lessive. Chacun amène son ou ses tapis. Un point d’eau permet d’arroser abondamment les tapis. On les brosse, on les savonne. Ils sècheront le temps de l’après-midi.
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#i
Le parc de Séon marque la fin de la continuité écologique et humaine que j’ai choisi de développer. À travers son arpentage, j’ai constaté très peu d’usages et d’usagers. Le parc est vide.Et cela se comprend quand on observe l’absence d’entretien, le manque voir l’absence de cheminements pour accéder à cet endroit. Le parc de Séon a pourtant une situation privilégiée. Il domine la mer, il présente différentes ambiances, il est au carrefour de plusieurs lieux (centre commercial, cité de la Viste, parc Brégante) et se trouve sur le trajet du GR13. Avant toute chose, et dans cette idée d’assumer la multiplicité des ambiances de ce parc, j’ai dessiné un meuble qui serait une assise au niveau du sol, un banc et une estrade. L’un des endroits du parc est en promontoire ou les herbes hautes, dansantes sous les bourrasques, nous caresse jusqu’aux coudes. Le meuble est un outil intime qui nous emmène dans les herbes ou au-dessus afin de nous faire vivre et apprécier l’étendue maritime sous un autre regard.
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Le Parc de Séon : vers un lieu de vies et d’initiatives
Un meuble pour faire connaissance avec les herbes et le paysage.
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Le jardin subversif
Enfin, et pour essayer de répondre à l’absence de vie dans ce parc, je crois qu’il faudrait mener un vrai travail sur son accessibilité. À commencer par l’aménagement des pentes qu’empruntent les personnes qui se rendent au centre commercial. Le modèle d’escalier multifonction que j’ai proposé pour les pentes de Montléric est peut-être à reproduire ici. Afin de répondre à l’absence d’usages de ce parc que la municipalité ne semble pas vouloir investir, je pense qu’il serait intelligent d’inviter à une appropriation des lieux par les habitants. Une forme d’appropriation subversive ou le paysagiste donnerait les moyens pour que quelques-uns puissent s’installer. C’est ce que j’ai essayé d’illustrer sur la page de gauche. La première vignette montre le terrain tel qu’il est aujourd’hui. Sur la seconde apparaissent quelques piquets délimitant des parcelles et des portillons. Sur la dernière, une personne s’est saisie de la parcelle pour y cultiver un potager. Si la municipalité n’a pas les moyens de gérer cet espace elle pourrait se saisir donner les moyens à des personnes, des groupes, d’émettre des initiatives qui viendraient nourrir un projet de parc nouvelle génération.
Le parc de Séon de demain, un haut lieu d’initiatives et de rencontres.
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Conclusion Mes arpentages des quartiers nord m’ont ouvert les yeux sur la situation de détresse que les habitants vivent et que la municipalité semble entretenir. Loin du centre-ville il n’y pas de vélos en libre-service, pas de réseau de bus satisfaisant, peu d’entretien des espaces collectifs. J’ai vu les travaux de construction du bus à haut niveau de service et les aménagements qui en découlaient. La ville fait ces travaux pour les faire. L’aménagement de l’axe urbain est froid, quelconque et sans ambitions. Pourtant les quartiers nord sont riches d’un patrimoine villageois, mais surtout d’espace de nature, parcs et jardins, friches, massifs collinaires. Autant d’éléments qui auraient pu et pourraient influencer les aménagements actuels et à venir. Mais il n’en est rien. L’apprentissage que j’ai fait des quartiers nord à travers mes lectures, mes rencontres et mes arpentages m’a poussé à développer un projet de territoire. Fondé sur la diversité des espaces de nature, je l’ai souhaité au service des habitants des quartiers et plus largement des Marseillais afin que naissent des rencontres. Rencontres entre personnes, avec des lieux, rencontre avec la réalité. Mon objectif n’était pas de faire la lumière sur les difficultés que rencontre le territoire, mais d’inviter tous les Marseillais à reconsidérer la réalité des quartiers nord à travers l’aménagement d’une continuité écologique et humaine. Une continuité tel un couteau suisse dont les finalités sont complémentaires. Elle permettrait notamment aux uns de découvrir ce territoire, les paysages qu’il donne à voir et améliorerait le quotidien des autres et leur cadre de vie. Au moment où j’écris cette conclusion, le 30 octobre 2014, j’ai pris du recul sur mon travail. Les propositions de projets que j’ai formulées répondent aux problématiques que j’ai relevé à travers des échanges, des arpentages, des lectures. Quelqu’un d’autre aurait sans doute eu une approche différente et proposé un autre projet et c’est tant mieux. Ce travail personnel de fin d’études m’a permis de définir une méthode de travail ainsi que des outils, mes outils de paysagiste.
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m erci
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à Cécile BERTHOUX, mon encadrante. Je te l’ai dit et le répète ici, merci de ton soutien, de tes conseils et de ta grande disponibilité. Camille TEXIER, tu m’as tant de fois soutenu et remonté le moral. Merci. Esther SALMONA, Audrey MARCO, Pierre Paul PÉTEL, Christine et le collectif Hôtel du nord, Dominique REINOSA, Dominique SANTIAGO, Mark WISLEZ, Alexis JAN et Danielle DEMONET, Jean-Noël CONSALES, Mounis GHARES et Ludvine HUSETTE, Jean-Luc BRISSON, Magali DESCHAMPS-COTTIN et David ONATZKY pour le temps que vous m’avez accordé et les riches moments d’échanges que j’ai pu avoir avec vous. à mes camarades avec qui j’ai pu m’aérer la tête. à mes proches qui ont fait le déplacement depuis « à côté du milieu de la France » et à ceux qui n’ont pas pu être présents. À tous, merci.
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• Bibliographie • Olga Pashenko. « Le jardin partagé est-il un paysage ? » Publié dans Projets de paysage le13/07/2011 Consulté en novembre 2013 URL : www.projetsdepaysage.fr/fr/le_jardin_partage_est_il_un_paysage_ • Jean Noël Consalès. « L’agriurbanisme, entretien avec Jean Noël Consalès » Publié dans wildproject : journal of environmental studies en 2010 Consulté en novembre 2013 URL : www.wildproject.org/journal/10-consales • Alessi de l’Umbria. « Le paysage contemporain de la ville de Marseille aux origines de l’avant-déconstruction 1960/2006» Publié dans Revue Agone le 23 mai 2010 Consulté en mars 2014 URL : revueagone.revues.org/197 • Pascale Pascariello. « Pas de Roms dans le pastis, sept minutes de racisme décomplexé » Enregistré pour Arte Radio le 3 novembre 2012 Consulté en janvier 2014 URL : www.arteradio.com/son/616161/pas_de_roms_dans_le_pastis/ • Jean-Christophe Sarrot, Bruno Tardier, Marie-France Zimmer. « En finir avec les idées fausses sur les pauvres et la pauvreté » Condé-sur-Noireau : Éditions Quart Monde, 2014 • Gilles Clément. « Manifeste du tiers paysage » Clamecy : Édition Sens et Tonka, 2014 • Thierry Durousseau. « Ensembles et résidences à Marseille 1955/1975, 20 années formidables » Marseille : Éditions Bik et book, 2009 • Nicolas Soulier, « Reconquérir les rues » Paris : Édition Ulmer, 2012 • Institut d’aménagement et d’urbanisme Îlde de France. « Les cités jardins un idéal à poursuivre » Publié dans Les Cahiers de l’IAU ÎdF n°165, 2013 • Cyprien Avenel. « Sociologie des quartiers sensibles 3e édition» Domaines et approches Domont : Édition Armand Colin, 2013
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• Philipe Verdier. « Le projet urbain participatif, Apprendre à faire la ville avec ses habitants » Saint-Étienne : Édition Adels et Yves Michel, 2009 • Baptiste Lanaspeze. « Marseille ville sauvage, essai d’écologie urbaine » Barcelone : Édition Acte Sud, 2012 • Nouvel Observateur. « Marseille, 1962 : le cauchemar des rapatriés d’Algérie » Publié dans : Nouvel Observateur Marseille en juillet 2012 Consulté en mai 2013 URL : http://tempsreel.nouvelobs.com/infos-marseille-13/20120412.REG0949/ marseille-1962-le-cauchemar-des-rapatries-d-algerie.html
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La recherche de l’éden marseillais est une quête soujascente de ce Travail Personnel de Fin d’Études. Mené sur le territoire des quartiers nord de Marseille, ce diplôme relate une première phase d’exploration, physique et littéraire, de rencontre avec des lieux, des personnes. Toute cette matière est à la source d’un constat qui a fait émerger une grande problématique. Il existe une rupture entre Marseille, la ville, et ses quartiers nord. Depuis Gaston Deferre la politique municipale n’a fait que maintenir les populations du nord de la ville dans une situation de précarité. Dorénavant quand il s’agit de parler des quartiers nord de Marseille, c’est malheureusement toujours pour parler de violence. À travers les arpentages, une diversité d’espaces de nature s’est dévoilée.Fruits d’une urbanisation tentaculaire et lâche, elle constitue aujourd’hui la richesse des quartiers nord. Exacerbée par le relief ces espaces deviennent souvent des belvédères face à des paysages urbains puis maritimes. La considération de ces espaces de nature est le fondement du projet de paysage développé dans ce mémoire. L’objectif est de construire, en appui de ces derniers, un réseau de continuités écologiques et humaines. Le rôle de ces continuités serait de favoriser à davantage de déplacements doux, de participer à la constitution de trames vertes et bleues et d’améliorer le cadre de vie des riverains. Ce projet pourrait permettre de faire venir une population de citadins du centre-ville dans les quartiers nord pour qu’ils en découvrent les richesses et la réalité. À l’échelle des habitants, ce projet leur offrirait entre autres, plus d’aisance dans leurs déplacements et participerait à nourrir l’idée qu’ils ont quelque chose à valoriser. Aussi ce projet n’est pas la réponse à la résolution des problèmes des quartiers nord, mais davantage une pierre à l’édifice de la réflexion sur le devenir de ces quartiers et de ces habitants. Pour des raisons de faisabilité, quelques documents de stratégie qui accompagnaient la première partie de ce mémoire n’ont pas été introduits.